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Siddhartha Mukherjee

Il était une fois le gène

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Kaldy

The Gene – An Intimate History


Copyright © 2016, Siddhartha Mukherjee. Tous droits réservés.
© Flammarion, 2017, pour la traduction française.
© Flammarion, 2020, pour la présente édition.

ISBN Epub : 9782081517844


ISBN PDF Web : 9782081517868
Le livre a été imprimé sous les références :
ISBN : 9782081422490

Ouvrage composé et converti par Pixellence (59100 Roubaix)


Présentation de l'éditeur

Comment le moine Gregor Mendel élabora-t-il les premières lois de la


génétique à travers l’étude des petits pois ? Au nom de quel « crépuscule
génétique » la Cour suprême américaine a-t-elle pu autoriser la stérilisation
forcée des « faibles d’esprit » ? Et comment expliquer que des jumeaux
séparés à la naissance aient tous deux été prénommés Jim par leur famille
d’accueil, aient épousé une Linda et engendré un petit James Allan ?
En conteur hors pair, Siddhartha Mukherjee s’attelle à percer les mystères
du vivant en analysant toutes les facettes du gène, à travers une
somptueuse saga entre récit historique, cours de biologie et enquête
personnelle.
Oncologue et professeur à l’université Columbia, Siddhartha Mukherjee a
publié de nombreux articles dans des revues scientifiques prestigieuses et
dans le New York Times. Son premier livre, L’Empereur de toutes les
maladies. Une biographie du cancer (« Champs », 2016), a reçu le prix
Pulitzer et le Guardian First Book Award. Il est traduit dans quarante
langues.
Libre Champs
Une époque, un récit, l'exactitude des sources racontées à la manière d'un
roman

Ken Alder, Mesurer le monde.


Alessandro Barbero, Le Jour des barbares. – Waterloo.
Kate Cambor, Belle Époque.
Edmund de Waal, Le Lièvre aux yeux d’ambre.
Antonia Fraser, Marie-Antoinette.
Stephen Greenblatt, Quattrocento. – Will le Magnifique.
Thomas Harding, Hanns et Rudolf.
David G. Haskell, Un an dans la vie d’une forêt. – Écoute l’arbre et la
feuille.
Nathalie Heinich, Une histoire de France.
Laure Hillerin, La Comtesse Greffulhe.
Eric Jager, Le Dernier Duel.
Sam Kean, Quand les atomes racontent le monde.
Manjit Kumar, Le Grand Roman de la physique quantique.
Siddhartha Mukherjee, L’Empereur de toutes les maladies.
Graham Robb, Une histoire buissonnière de la France. – Une histoire de
Paris par ceux qui l’ont fait. – Sur les sentiers ignorés du monde celte.
Maxime Rovere, Le Clan Spinoza.
Stacy Schiff, Cléopâtre.
Daphné Sheldrick, Une histoire d’amour africaine.
Géraldine Schwarz, Les Amnésiques.
Guy Walters, La Traque du mal.
Mitchell Zuckoff, Les Disparus de Shangri-La.
Il était une fois le gène
À Priyabala Mukherjee (1906-1985) qui connaissait les
dangers ;
À Carrie Buck (1906-1983) qui les a vécus.
« Une détermination précise des lois de l'hérédité va
probablement changer plus de choses dans la vision
que l'homme a du monde et son pouvoir sur la nature
que toute autre avancée prévisible dans la
connaissance de la nature 1. »
William Bateson

« Les êtres humains ne sont rien d'autre en définitive


que des transporteurs, des moyens de passage, pour
les gènes. Ils nous chevauchent comme des chevaux
de course de génération en génération. Les gènes ne
pensent pas à ce qui est bien ou mal. Peu leur
importe que nous soyons heureux ou pas. Nous ne
sommes qu'un moyen pour eux. Ils ne pensent qu'à
une seule chose, ce qui est le plus efficace pour
eux 2. » 3
Haruki Murakami, IQ84
PROLOGUE : DES FAMILLES

« Le sang de tes parents n'est pas perdu en toi 1. »


Ménélas, L'Odyssée

« Ils te foutent ta vie en l'air, ton père et ta mère.


Sans le vouloir, peut-être, mais ils le font.
Ils te remplissent de tous les défauts qu'ils ont
Et en ajoutent un peu plus, juste pour toi 2. »
Philip Larkin, « This Be The Verse »

Au cours de l'hiver 2012, j'ai fait le voyage de Delhi à Calcutta pour aller
voir mon cousin Moni. Mon père m'accompagnait. Il était maussade et
renfermé, perdu dans une angoisse intime que j'avais du mal à cerner.
C'était le plus jeune des cinq frères, et Moni avait été son premier neveu, le
fils de son frère aîné. En 2004, l'année de ses quarante ans, Moni a été
diagnostiqué schizophrène et il est interné depuis dans une institution pour
malades mentaux (une « maison de fous » comme dit mon père). Mon
cousin est maintenu sous médicaments à hautes doses, plongé dans un bain
d'antipsychotiques et de sédatifs, avec une personne chargée de le surveiller,
le laver et le nourrir tous les jours.
Mon père n'a jamais accepté le diagnostic posé sur Moni. Durant des
années, il a mené une petite campagne solitaire et obstinée contre les
psychiatres chargés de soigner son neveu. Pensait-il les convaincre qu'ils
avaient fait une énorme erreur de diagnostic, ou bien espérait-il que l'esprit
en morceaux de Moni puisse, comme par magie, se réparer tout seul ? Mon
père a déjà rendu visite deux fois à Moni, dont une sans prévenir, avec
l'espoir de le trouver transformé et vivant en secret une vie normale derrière
les portes closes de l'établissement.
Mais mon père savait, tout comme moi, qu'il y avait plus que de la
tendresse derrière ces visites. Dans la famille, Moni n'est pas le seul à
souffrir d'une maladie mentale. Deux des quatre frères de mon père – pas le
père de Moni mais deux de ses oncles – sont également atteints. Chez les
Mukherjee, la folie s'avère en fait présente depuis au moins deux
générations. Une partie de la réticence de mon père à accepter le diagnostic
posé sur son neveu vient de cette angoisse sourde : la prise de conscience
qu'une part de la maladie pourrait, un peu comme un déchet toxique, se
trouver enfouie au fond de lui-même.
En 1946, Rajesh, le troisième dans la fratrie de mon père, est mort
prématurément à Calcutta à l'âge de vingt-deux ans. Il avait apparemment
attrapé une pneumonie après deux nuits passées sous la pluie en hiver, mais
cet épisode n'était que le point d'orgue d'un autre mal. Rajesh avait été le
fils le plus prometteur, le plus vif, le plus malin, le plus charismatique, le
plus dynamique, le plus aimé, et le plus idolâtré par mon père et sa famille.
Mon grand-père était décédé dix ans plus tôt, en 1936, assassiné à la suite
d'une dispute portant sur des mines de mica. Il laissait ma grand-mère seule
pour élever ses cinq jeunes fils. Bien que Rajesh ne fût pas le plus âgé, il
avait suivi sans trop d'effort les traces de son père. Il n'avait que douze ans à
l'époque, mais il aurait pu en avoir vingt-deux : son intelligence fulgurante
était déjà tempérée de gravité, son assurance encore fragile d'adolescent
laissait déjà poindre la confiance en soi de l'adulte.
Mais au cours de l'été 1946, se souvient mon père, Rajesh a commencé à
se comporter bizarrement, comme si quelque chose s'était déréglé dans son
cerveau. Le changement le plus frappant fut son humeur exubérante. Une
bonne nouvelle provoquait un accès de joie qui ne s'épuisait que dans une
dépense physique de plus en plus astreignante, tandis qu'une mauvaise
nouvelle plongeait mon oncle dans un inconsolable désespoir. Ses émotions
correspondaient bien au contexte, seul leur caractère extrême était anormal.
À la fin de l'année, les fluctuations mentales de Rajesh se rapprochèrent et
s'amplifièrent. Les périodes d'exaltation devinrent plus fréquentes et plus
violentes, basculant dans la rage et la grandiloquence, et le contrecoup de la
tristesse qui suivait était tout aussi profond. Rajesh se mit à s'intéresser à
l'occultisme, organisant à la maison des séances de spiritisme ou de planche
de Ouija, ou réunissant ses amis dans un crématorium la nuit pour méditer.
Je ne sais pas s'il prenait quelque chose pour se soigner. Dans les années
1940, on trouvait facilement de l'opium birman ou du haschich afghan dans
les bas-fonds du quartier chinois de Calcutta pour se calmer les nerfs, mais
mon père se souvient d'un frère changé, parfois craintif, parfois téméraire,
d'humeur versatile, irritable un jour et fou de joie le lendemain. (Cette
expression « fou de joie », utilisée oralement, évoque quelque chose
d'innocent, une amplification de la joie. Mais elle marque aussi une limite,
un avertissement, une frontière à la sobriété. Au-delà du fou de joie, comme
nous allons le voir, il n'y a pas de joie en plus, il n'y a que la folie.)
La semaine précédant sa pneumonie, Rajesh apprit qu'il avait
brillamment réussi ses examens universitaires ; enchanté, il disparut
pendant deux nuits sous le prétexte d'aller « faire de l'exercice » dans un
stage de lutte. Lorsqu'il revint, il bouillonnait de fièvre et d'hallucinations.
C'est seulement des années plus tard, en école de médecine, que j'ai
réalisé : Rajesh était probablement en plein épisode maniaque. Ses
différents symptômes dessinaient un syndrome maniaco-dépressif ou
trouble bipolaire – c'était presque un cas d'école.

Jagu, le quatrième de la fratrie de mon père, est venu vivre avec nous à
Delhi en 1975 alors que j'avais cinq ans. Son esprit aussi se disloquait.
Grand et mince comme un fil, avec une lueur un peu farouche dans les yeux
et une grosse tignasse de cheveux emmêlés, il ressemblait à une version
bengali de Jim Morrison. Contrairement à Rajesh dont la maladie était
apparue à la vingtaine, Jagu avait des problèmes depuis l'enfance. Mal à
l'aise en société, renfermé sauf avec ma grand-mère, il était incapable
d'avoir un emploi ou de vivre de façon autonome. En 1975, des troubles
cognitifs plus profonds étaient apparus. Il avait des visions, des fantômes et
des voix dans la tête qui lui disaient ce qu'il fallait faire. Il élaborait des
théories de complots par dizaines, imaginant par exemple qu'un vendeur de
bananes près de chez nous notait en secret son comportement. Il se parlait
souvent à lui-même, avec l'obsession typique de réciter les trajets en train
(« De Shimla à Howrah par le train Kalka, puis prendre à Howrah l'express
Shri Jagannah pour Puri »). Il était encore capable d'extraordinaires accès
de tendresse. Un jour, j'ai cassé sans faire exprès un vase vénitien auquel
tenaient mes parents. Jagu m'a caché sous ses draps et a déclaré à ma mère
qu'il avait des « montagnes d'argent » planquées ailleurs qui paieraient « un
millier » de vases à la place. Cet épisode était pourtant symptomatique, car
même dans cet élan affectueux et altruiste émergeaient des manifestations
typiques de sa psychose.
Contrairement à Rajesh, dont le trouble ne fut jamais formellement
diagnostiqué, Jagu fut examiné à la fin des années 1970 par un médecin à
Delhi et le diagnostic d'une schizophrénie fut posé. Mais on ne lui prescrivit
aucun médicament. Au lieu de cela, Jagu continua à vivre à la maison, se
cachant à moitié dans la chambre de ma grand-mère (elle vivait avec nous,
comme dans beaucoup de familles en Inde). Accablée par ce nouveau coup
du sort, ma grand-mère prit la défense de Jagu avec une vigueur redoublée.
Pendant presque une décennie, elle et mon père ont maintenu une
trêve fragile : Jagu vivait par les soins de ma grand-mère, prenant ses repas
dans sa chambre et portant des vêtements qu'elle lui avait cousus. La nuit,
quand il était particulièrement agité et pris par ses peurs et ses délires, elle
le mettait au lit comme un enfant, posant sa main sur son front. Lorsqu'elle
est morte en 1985, Jagu est brusquement parti de la maison et n'a jamais
accepté de revenir. Il a vécu dans une secte religieuse à Delhi jusqu'à sa
mort en 1998.

Mon père tout comme ma grand-mère étaient persuadés que la maladie


mentale de Jagu et de Rajesh avait été précipitée, et peut-être même causée,
par l'apocalypse de la Partition, le traumatisme politique se sublimant en
traumatisme psychique dans leur famille. La Partition, assuraient-ils, avait
coupé en deux non seulement une nation mais aussi des esprits. Dans le
« Toba Tek Singh » de Saadat Hasan Manto, peut-être le récit le plus connu
de cette Partition, le héros est un individu instable qui se tient à cheval sur
la frontière entre l'Inde et le Pakistan et en proie à un état mal défini entre
folie et santé mentale. Dans le cas de Jagu et Rajesh, ma grand-mère pensait
que les soubresauts de la violente séparation du Bengale oriental avaient fait
chavirer leur esprit, bien que d'une manière très différente.
Rajesh était arrivé à Calcutta en 1946, juste au moment où la ville perdait
elle-même la raison, à bout de nerfs, ayant épuisé sa compassion et sa
patience. Un flot continu d'hommes et de femmes venant du Bengale
oriental, ceux qui avaient ressenti les premiers troubles politiques avant les
autres, commençait déjà à envahir les immeubles et petites habitations près
de la gare de Sealdah. Ma grand-mère faisait partie de cette foule misérable.
Elle avait loué un trois-pièces sur l'allée Hayat Khan, à quelques pas de la
gare. Le loyer mensuel était de cinquante-cinq roupies, environ un dollar de
nos jours mais une fortune alors pour sa famille. Les logements, empilés les
uns sur les autres, faisaient face à un dépôt d'ordures. L'appartement, bien
que minuscule, avait des fenêtres et bénéficiait d'un toit commun d'où les
garçons pouvaient voir la naissance d'une nouvelle ville et d'une nouvelle
nation. On conçoit que, dans cette époque troublée, des bagarres pouvaient
éclater à tous les coins de rue. En août de cette année, un conflit
particulièrement horrible entre Musulmans et Hindous (qui fut appelé plus
tard la Grande tuerie de Calcutta) se traduisit par le massacre de cinq mille
personnes et la mise à la rue d'une centaine de milliers d'autres.
Rajesh avait été témoin du déchaînement de ces foules dans les pires
moments de l'été. Les Hindous étaient allés chercher les Musulmans dans
leurs boutiques et leurs bureaux à Lalbazar, puis les avaient éventrés dans
les rues, les Musulmans faisant de même et avec une pareille férocité en
sens opposé dans les marchés aux poissons près de Rajabasar et de la
Harrison Road. Les crises de Rajesh étaient apparues rapidement après ces
émeutes. La ville a fini par guérir, mais lui en avait gardé les séquelles. Peu
après les massacres d'août, il fut sous l'emprise de toute une série
d'hallucinations paranoïdes. Il devint de plus en plus craintif. Les sorties à
la salle de gym le soir devinrent plus fréquentes. Puis il y eut les épisodes
maniaques, les apparitions de fantômes et le cataclysme final de sa maladie.
Si la maladie de Rajesh était celle de l'arrivée, celle de Jagu était, pour
ma grand-mère, celle du départ. Dans son village ancestral de Dehergoti,
près de Barisal, le psychisme de Jago était encore en lien avec ses amis et sa
famille. Il pouvait courir comme un dératé dans les champs de riz, s'amuser
dans les flaques, cela pouvait apparaître comme des jeux insouciants
propres à n'importe quel enfant, les jeux d'un enfant presque normal. À
Calcutta, comme une plante déracinée, Jagu s'était étiolé et disloqué. Il
quitta l'université et se planta en permanence à l'une des fenêtres de
l'appartement, son regard vide fixant le monde. Ses pensées commencèrent
à se brouiller, ses paroles devinrent incohérentes. Alors que l'esprit de
Rajesh s'étendait à l'extrême, celui de Jagu se contractait en silence dans sa
pièce. Alors que Rajesh parcourait la ville la nuit, Jagu se confinait
volontairement chez lui.
Cette étrange taxonomie de la maladie mentale, avec Rajesh dans le rôle
du rat des villes et Jagu dans celui du rat des champs, fut commode tant
qu'elle put durer mais vola en éclat quand l'esprit de Moni fut à son tour
atteint. Moni n'était pas, bien sûr, un « enfant de la Partition ». Il n'avait
jamais été déraciné, ayant vécu toute sa vie en sécurité dans sa maison de
Calcutta. Pourtant, l'évolution de son psychisme rappelait étrangement celle
de Jagu. Les visions et les voix étaient aussi apparues au cours de son
adolescence. Le besoin de s'isoler, la grandiloquence de ses fabulations, sa
désorientation et sa confusion, tout évoquait sinistrement son oncle.
Adolescent, il était venu nous rendre visite à Delhi. Nous devions aller voir
un film ensemble mais il s'était enfermé dans la salle de bain à l'étage et
avait refusé d'en sortir pendant presque une heure, jusqu'à ce que ma grand-
mère arrive à le rejoindre. Elle l'avait trouvé recroquevillé dans un coin,
tentant de se cacher.
En 2004, Moni fut battu par des crétins sous prétexte qu'il avait uriné
dans un jardin public (il me raconta qu'une voix intérieure lui avait
commandé « Pisse ici, pisse ici »). Quelques semaines plus tard, il commit
un « crime » qui était tellement flagrant qu'il témoignait à l'évidence de son
déséquilibre. Il fut surpris en train de faire la cour à la sœur de l'un de ces
imbéciles (il expliqua de nouveau que des voix lui avaient demandé d'agir).
Son père essaya vainement d'intervenir, mais cette fois Moni fut sévèrement
battu, avec une lèvre déchirée et une blessure au front qui l'envoyèrent à
l'hôpital.
Le tabassage était censé le purifier (ses tourmenteurs déclarèrent à la
police qu'ils avaient seulement voulu « faire partir les démons de Moni »),
mais les commandements pathologiques dans la tête de Moni ne firent que
se renforcer, devenant de plus en plus impérieux. Au cours de l'hiver de
cette même année, après une nouvelle crise d'hallucinations et de voix
intérieures insinuantes, il fut transféré dans un établissement spécialisé.
Le confinement, comme me le confia Moni, était en partie volontaire. Il
ne cherchait pas tant un rétablissement mental qu'un refuge physique. On
lui prescrivit un ensemble de médicaments antipsychotiques et son état
s'améliora peu à peu, mais jamais au point, semble-t-il, qu'il puisse quitter
l'institution. Quelques mois plus tard, son père mourut. Sa mère était déjà
décédée des années auparavant et son unique sœur vivait au loin. Moni
décida donc de rester dans l'établissement, notamment parce qu'il ne savait
pas où aller. Les psychiatres découragent l'usage du terme archaïque
« d'asile d'aliénés », mais pour Moni cela décrivait bien ce lieu, le seul
capable de lui offrir un abri et une protection qui lui avaient manqué toute
sa vie. Il était un oiseau qui se serait volontairement mis en cage.
Quand nous lui avons rendu visite, mon père et moi, en 2012, je ne l'avais
pas vu depuis près de vingt ans. La personne que j'ai rencontrée dans le
parloir ressemblait si peu à l'image que j'avais gardée de mon cousin que je
ne l'aurai pas reconnu si l'on ne m'avait confirmé son nom. Il avait
beaucoup vieilli. À quarante-huit ans, il en paraissait dix de plus. Les
médicaments pour traiter sa schizophrénie avaient modifié son apparence et
il marchait sans assurance ni équilibre comme un jeune enfant. Ses paroles,
autrefois prononcées rapidement, étaient dites avec hésitation et par à-
coups. Les mots surgissaient soudain avec une force surprenante, comme
s'il rejetait des morceaux de nourriture mis dans sa bouche. Il ne se
souvenait guère de mon père ni de moi. Quand j'ai mentionné le nom de sa
sœur, il m'a demandé si je m'étais marié avec elle. Notre conversation se
déroula comme si j'étais un journaliste arrivé de nulle part pour l'interroger.
Pourtant, ce qui frappait le plus dans sa maladie, ce n'était pas son
discours décousu mais son regard absent. En bengali, le mot moni signifie
« pierre précieuse » mais aussi, dans le langage courant, quelque chose
d'une beauté ineffable : l'éclat des yeux. C'était précisément ce qui avait
disparu chez Moni. L'éclat de ses yeux s'était presque évanoui, comme si
quelqu'un y était entré avec un minuscule pinceau et les avait peints en gris.

Durant toute mon enfance puis ma vie d'adulte, Moni, Jagu et Rajesh ont
joué un rôle démesuré dans l'imaginaire de ma famille. Lors d'une brève
crise d'adolescence, j'ai brusquement cessé de parler à mes parents, refusé
de faire mes devoirs et jeté mes vieux bouquins à la poubelle. Mon père,
anxieux au plus haut point, me traîna abattu chez le médecin qui avait
diagnostiqué la maladie chez Jagu. Son fils allait-il lui aussi perdre la tête ?
Ma grand-mère, dont la mémoire donnait des signes de faiblesses à l'orée de
ses quatre-vingts ans, commença à m'appeler Rajeshwar, Rajesh, sans le
faire exprès. Au départ, elle se reprenait en rougissant d'embarras, mais en
perdant peu à peu la tête elle semblait se tromper presque sciemment,
comme si elle avait découvert le plaisir illicite de ce fantasme. Lorsque j'ai
rencontré Sarah, qui est maintenant ma femme, je lui ai dit à la quatrième
ou cinquième rencontre la réalité sur le trouble mental de mon cousin et de
mes deux oncles. C'était la moindre des choses, par honnêteté, que d'avertir
ma future partenaire dans la vie.
À l'époque, l'hérédité, la maladie, la normalité, la famille et l'identité
étaient devenus des thèmes récurrents des discussions familiales. Comme la
plupart des Bengalis, mes parents avaient atteint un niveau élevé dans l'art
du déni et du refoulement, mais même dans ce cas des questions étaient
inévitables sur cette histoire. Moni, Rajesh, Jagu étaient trois vies
emportées par des formes diverses de maladie mentale. Il était difficile de
ne pas penser à une composante héréditaire dissimulée derrière cette
histoire familiale. Moni avait-il hérité d'un ou plusieurs gènes qui l'avaient
rendu susceptible de tomber malade, les mêmes que ceux qui avaient affecté
ses oncles ? D'autres membres de la famille avaient-ils été touchés par des
formes différentes de maladie mentale ? Mon père avait connu deux
épisodes psychotiques dans sa vie, précipités chaque fois par la
consommation de bhang (des boutons floraux de cannabis écrasés dans du
ghi et ajoutés à une boisson moussante lors des fêtes religieuses). Cela
avait-il un lien avec les autres cicatrices de notre histoire familiale ?

En 2009, des chercheurs suédois ont publié une étude internationale de


grande ampleur, portant sur des milliers de familles et des dizaines de
milliers d'hommes et de femmes. L'analyse de ces familles touchées par une
maladie mentale sur plusieurs générations a révélé que schizophrénie et
trouble bipolaire avaient une grosse part génétique en commun. Les profils
de certaines familles ressemblaient douloureusement à celui de la mienne,
avec un enfant atteint de schizophrénie, un autre de trouble bipolaire et un
neveu ou une nièce également frappé de schizophrénie. En 2012, plusieurs
autres études sont venues corroborer ces premiers résultats 3, étayant le lien
entre ces deux formes de maladie mentale et les histoires familiales
correspondantes, renforçant les questions sur leur étiologie, leur
épidémiologie, ce qui les déclenche et les entretient.
J'ai lu deux de ces études un matin d'hiver dans le métro à New York,
quelque mois après mon retour de Calcutta. Assis en face de moi, un
homme avec un chapeau en fourrure grise exigeait que son fils mette un
chapeau identique. À la station de la Cinquante-neuvième rue, une maman
entra avec une poussette où des jumeaux criaient, me sembla-t-il, sur le
même ton.
L'étude m'apporta une étrange consolation, en répondant à certaines
questions qui avaient tant obsédé mon père et ma grand-mère. Elle
provoqua aussi une rafale d'autres questions. Si la maladie de Moni était
génétique, pourquoi avait-elle épargné son père et sa sœur ? Quels facteurs
avaient pu conduire ces prédispositions à s'exprimer ? Quelle part de la
maladie de Jagu ou de Moni était innée, causée par ces gènes de
prédisposition, et quelle part était acquise, due à un milieu bouleversant,
agité ou traumatisant ? Mon père était-il susceptible de développer les
mêmes maladies que Jagu ou Moni ? Étais-je moi aussi porteur de ces
gènes ? Et dans ce cas, que pouvais-je y faire ? Allait-on procéder à des
tests génétiques, pour moi ou mes filles ? Et les informer du résultat ? Et
que faire si seulement l'une d'elles s'avérait porteuse d'une marque de
susceptibilité à la maladie ?

Alors que cette histoire familiale de maladie mentale marquait


profondément mon esprit, mon travail scientifique en tant que biologiste du
cancer me focalisait lui aussi sur les gènes dans ce qu'ils ont de normal ou
pas. Le cancer est peut-être une ultime perversion de la génétique, quand un
génome devient obnubilé par sa propre réplication. Le génome prend alors
le contrôle de la physiologie, du métabolisme, du comportement et de
l'identité d'une cellule. La maladie qui en résulte, protéiforme, défie encore
nos capacités à la traiter ou à l'éliminer, même si des progrès significatifs
ont été faits contre elle.
Étudier le cancer, c'était aussi considérer son opposé. Comment définir la
normalité, cet état des choses qui précède la corruption du cancer ? Que fait
vraiment le génome normal ? Comment arrive-t-il à concilier constance et
variation, à maintenir ce qui nous rend clairement semblables et à autoriser
les écarts qui nous rendent clairement différents ? Et comment cet équilibre
délicat entre constance et variation, entre le normal et l'anormal, est-il
inscrit dans le génome ?
Et si nous pouvions changer notre patrimoine génétique à volonté ? Si
une telle technique était disponible, qui la contrôlerait, qui garantirait son
innocuité ? Qui en seraient les maîtres, et qui en seraient les victimes ?
Dans quelle mesure l'acquisition et la maîtrise de cette connaissance, avec
son incursion inévitable dans nos vies privées et publiques, pourraient-elles
modifier notre conception de la société, des enfants et de ce que nous
sommes ?

Ce livre retrace la naissance, le développement, l'influence et l'avenir de


l'une des idées les plus puissantes et les plus dangereuses de l'histoire des
sciences, celle du « gène », unité de base de l'hérédité et de toute
information biologique.
J'ai utilisé l'adjectif « dangereuse » en toute connaissance de cause. Trois
idées scientifiques profondément déstabilisantes parcourent le XXe siècle et
le partagent en trois parties inégales : l'atome, le byte et le gène 4. Chacune
s'annonce au siècle précédent pour s'épanouir vraiment au XXe. Chacune
prend naissance sous la forme d'un concept plutôt abstrait, mais se
développe par la suite pour envahir de multiples domaines et transformer la
culture, la société, la politique et le langage. Mais ce qui rapproche
vraiment ces trois idées, au-delà de leurs histoires comparables, est
conceptuel : chacune représente une unité irréductible, une brique
élémentaire, un élément de base pour l'organisation d'un ensemble plus
vaste. L'atome est l'élément de base de la matière, le byte celui de
l'information numérisée, et le gène celui de l'hérédité et de l'information
biologique 5.
Pourquoi cette propriété – être l'unité indivisible d'un ensemble plus large
– confère-t-elle une telle force à ces idées particulaires ? La réponse, toute
simple, est que la matière, l'information et le vivant sont organisés d'une
manière intrinsèquement hiérarchique, la compréhension de la plus petite
partie étant cruciale pour celle de l'ensemble. Lorsque le poète Wallace
Stevens écrit : « Dans la somme des parties, il n'y a que les parties 6 », il
fait allusion au profond mystère de la structure propre au langage. Vous ne
pouvez comprendre une phrase qu'en comprenant chacun de ses termes, et
pourtant cette phrase signifie plus que chacun d'entre eux. Et il en est de
même pour les gènes. Un organisme est bien plus que ses gènes, bien sûr,
mais pour l'appréhender il faut déjà comprendre ses gènes. Lorsque dans les
années 1880 le biologiste néerlandais Hugo de Vries rencontra le concept de
gène, il eut rapidement l'intuition que cette idée allait réorganiser toute
notre compréhension du vivant. « Le monde organique résulte d'une
quantité incalculable de combinaisons et de réarrangements d'un nombre
relativement faible de facteurs […] De même que la physique et la chimie
peuvent descendre jusqu'aux niveaux moléculaire et atomique, de même les
sciences biologiques doivent-elles aussi arriver jusqu'au niveau de ces
unités [les gènes] pour pouvoir expliquer […] les phénomènes du monde
vivant 7 ».
L'atome, le byte et le gène apportent une compréhension radicalement
nouvelle de leur système respectif. Vous ne pouvez expliquer le
comportement de la matière – pourquoi l'or brille ou pourquoi l'hydrogène
entre en combustion avec l'oxygène – sans invoquer sa nature atomique.
Vous ne pouvez pas non plus comprendre la complexité du traitement
informatique, la nature des algorithmes, le stockage ou la modification des
données, sans percevoir l'anatomie structurale de l'information numérique.
« L'alchimie ne pouvait devenir chimie avant que ses unités fondamentales
ne soient découvertes » a écrit un scientifique au XVIIIe siècle 8. Dans ce
livre, j'avance qu'il est de même impossible de comprendre la biologie
cellulaire, la biologie des organismes, l'évolution, ou encore, dans le cas de
l'homme, les pathologies, le comportement, le caractère, les maladies, la
race, la nature ou le destin, sans d'abord tenir compte du concept de gène.
Autre chose est en jeu ici. Comprendre l'atome fut une étape préalable
nécessaire à la manipulation de la matière (et par ce biais à l'invention de la
bombe atomique). Notre compréhension des gènes nous a permis de
manipuler les organismes avec une dextérité et une puissance sans
précédents. La nature du code génétique s'avère en fait très peu compliquée,
avec une seule molécule portant l'information héréditaire et une seule façon
de la lire. « Le fait que les aspects fondamentaux de l'hérédité se soient
révélés si extraordinairement simples nous font espérer que la nature puisse,
après tout, être entièrement abordable, écrit le fameux généticien Thomas
Morgan 9. Son caractère impénétrable, tant vanté par le passé, s'est encore
une fois avéré être une illusion. »
Notre compréhension des gènes a atteint un tel niveau de complexité et
va tellement loin que nous n'étudions plus ni ne modifions les gènes in vitro
mais dans leur contexte d'origine au sein des cellules humaines. Les gènes
résident sur des chromosomes, de longues structures filamenteuses. Ils y
sont disposés linéairement 10 par dizaines de milliers. L'ensemble des
instructions génétiques portées par un être vivant est appelé le génome (on
peut le concevoir comme une encyclopédie de tous les gènes, avec les notes
de bas de page, les annotations, les instructions et les références). Les êtres
humains ont quarante-six chromosomes dans le noyau de leurs cellules,
vingt-trois hérités du père et vingt-trois de la mère. Le génome humain
contient entre vingt et un et vingt-trois mille gènes portant les instructions
décisives pour construire, réparer et maintenir notre organisme. Grâce aux
progrès techniques incroyablement rapides de la génétique au cours des
deux dernières décennies, nous pouvons désormais étudier la façon dont des
groupes de gènes agissent dans le temps et l'espace pour assurer ces
fonctions complexes. Et nous pouvons, à l'occasion, modifier délibérément
certains de ces gènes pour changer leur fonction, ce qui se traduit chez les
personnes concernées par des modifications de leur physiologie et de leur
être.
Cette transition, de l'explication à la manipulation, est précisément ce qui
fait que le domaine de la génétique a des répercussions bien au-delà du
domaine de la science. C'est une chose d'essayer de comprendre comment
les gènes influent sur notre identité, notre sexualité ou notre caractère. C'en
est une toute autre d'imaginer transformer l'identité, la sexualité ou le
comportement d'une personne en modifiant ses gènes. La première
perspective peut préoccuper des professeurs en psychologie et leurs
collègues en neurosciences. La seconde, lourde de promesses et de dangers,
doit nous faire tous réfléchir.

Alors même que j'écris ces lignes, des organismes dotés d'un génome
apprennent à changer les traits héritables d'autres organismes ayant un
génome. Pour être plus concret : au cours des dernières années, entre 2012
et 2016, nous avons inventé des techniques qui nous permettent de modifier
intentionnellement et de façon définitive le génome humain (même si
l'innocuité et la fiabilité de ces techniques doivent encore être
soigneusement évaluées). En même temps, notre capacité à prédire le destin
médical d'une personne à partir de son génome a fait des progrès
spectaculaires (même si la puissance prédictive réelle de ces techniques
reste à évaluer). En résumé, nous pouvons désormais « lire » le génome
humain et y « écrire » d'une manière juste inconcevable il y a encore quatre
ou cinq ans.
Nul besoin de posséder des connaissances avancées en biologie
moléculaire, en philosophie ou en histoire pour voir ce qu'implique la
convergence de ces deux innovations : une course tête baissée vers l'abîme.
Dès lors que nous pouvons comprendre ce que nous réserve l'avenir en
lisant dans notre génome (même s'il s'agit de probabilités plutôt que de
certitudes) ; dès lors que nous disposons des techniques pour modifier
intentionnellement ces probabilités (même si les techniques utilisées sont
encore peu efficaces et peu commodes), notre avenir en est radicalement
changé. George Orwell a écrit que dès qu'une personne utilise dans son
argumentaire le mot « humain », il lui fait perdre en général toute
signification. Je ne crois pas exagérer ici en disant que notre capacité à
comprendre et à manipuler le génome humain modifie notre conception de
ce que veut dire être « humain ».
Avec l'atome, on a un principe permettant d'organiser la physique
moderne, ainsi que la perspective séduisante de maîtriser la matière et
l'énergie. Avec le gène, on a un principe d'organisation pour la biologie
moderne, et la perspective séduisante de maîtriser notre corps et notre sort.
Au sein de l'histoire du gène est nichée « la quête de l'éternelle jeunesse, le
mythe faustien du renversement brutal de la destinée, et les tentatives de
notre siècle passé de vouloir améliorer l'homme 11 ». Avec le gène vient
aussi le désir de déchiffrer le manuel des instructions nécessaires pour
construire et faire fonctionner un organisme humain. C'est bien cela que
nous retrouverons au centre de cette histoire.

Ce livre est organisé à la fois chronologiquement et thématiquement. La


progression est historique. Nous commencerons avec les petits pois du
potager de Mendel, dans un obscur monastère de Moravie en 1864 où le
« gène » est découvert puis rapidement oublié (le mot n'apparaîtra que des
décennies plus tard). Nous croiserons également la théorie de l'évolution de
Darwin. Le gène fascine ensuite les réformateurs britanniques et américains
qui espèrent manipuler le patrimoine génétique de l'homme pour accélérer
son évolution et son émancipation. L'idée progresse jusqu'au zénith
macabre de l'Allemagne nazie dans les années 1940, où l'eugénisme est
utilisé pour justifier des expériences monstrueuses : au nom de cette idée,
on séquestre, stérilise, euthanasie, et l'on pratique des assassinats de masse.
Après la Seconde Guerre mondiale, un enchaînement de découvertes va
révolutionner la biologie. Tout d'abord, l'ADN est identifié comme le
support matériel de l'information génétique. « L'action » d'un gène est
décrite en termes mécanistiques : les gènes codent des messages chimiques
pour la fabrication des protéines qui assurent forme et fonction. James
Watson, Francis Crick, Maurice Wilkins et Rosalind Franklin résolvent la
structure 3D de l'ADN, produisant l'image emblématique de la double
hélice. Le code génétique à trois lettres pour passer des gènes aux protéines
est découvert.
Deux techniques transforment la génétique dans les années 1970 : il s'agit
du séquençage et du clonage, c'est-à-dire respectivement de la « lecture » et
de « l'écriture » des gènes (l'expression « clonage de gène » recouvre
l'ensemble des techniques utilisées pour extraire les gènes d'un organisme,
les manipuler in vitro, créer des gènes recombinants et en produire des
millions de copies dans des cellules vivantes). Dans les années 1980, les
généticiens commencent à utiliser ces techniques pour cartographier et
identifier les gènes liés à des maladies humaines telles que la maladie de
Huntington ou la mucoviscidose. Leur découverte inaugure une nouvelle
ère en permettant de dépister, en vue d'un éventuel avortement, les fœtus
porteurs sur ces gènes de mutations délétères. Toute future mère dont
l'enfant à naître a été testé pour la mucoviscidose ou la maladie de Tay-
Sachs, ou qui a elle-même été testée pour ses gènes BRCA-1 ou BRCA-2 12,
est déjà rentrée dans cette ère. La gestion et l'optimisation génétiques
n'appartiennent pas à un avenir lointain mais font déjà partie de notre
présent.
De nombreuses mutations ont été identifiées dans les cancers humains, ce
qui a conduit à une meilleure compréhension de leur causalité génétique.
Ces travaux ont connu leur apogée avec le « Projet Génome humain », un
effort international pour cartographier, séquencer et « annoter » l'ensemble
du génome humain. Une première ébauche de la séquence du génome
humain a été publiée en 2001* *. Cette percée a en retour suscité de
multiples travaux visant à mieux comprendre le polymorphisme génétique
humain et le fonctionnement « normal » de l'organisme humain en termes
d'expression des gènes.
Dans le même temps, le gène s'est invité dans les discours au sujet des
groupes humains, des éventuelles différences intellectuelles entre ces
groupes et de la discrimination raciale, apportant des réponses étonnantes
aux questions parmi les plus vives posées dans le monde de la politique ou
de la culture. Il a aussi bouleversé notre compréhension de la sexualité, du
genre, de la préférence sexuelle et du choix, se retrouvant au cœur de
questions qui nous taraudent, dans toutes les dimensions de notre intimité.
De nouveaux outils permettant le diagnostic génétique (et donc une
discrimination génétique) ont été inventés au milieu des années 2000. En
2015, la bio-informatique et les techniques d'ingénierie du génome, la
lecture et la réécriture de génomes humains entiers, annoncent la création
de méthodes incroyablement efficaces pour comprendre et intervenir sur les
génomes† †.
Sur chacun de ces sujets, il y aurait de multiples histoires à raconter, mais
ce livre est aussi un récit très personnel, une histoire intime. L'hérédité, le
destin et l'avenir ne sont pas des concepts abstraits pour moi. Rajesh et Jagu
sont morts. Moni est interné dans un établissement spécialisé à Calcutta.
Pourtant, leur vie, leur mort et leur destin ont eu un impact plus grand sur
ma réflexion en tant que scientifique, universitaire, historien, médecin, fils
et père, que je n'aurais pu l'imaginer. Il ne se passe pratiquement pas un jour
dans ma vie d'adulte sans que je ne pense à la famille et à ce qui s'y
transmet.
Plus important encore, j'ai une dette envers ma grand-mère. Elle n'a pas
survécu – le pouvait-elle ? – au chagrin causé par ce mal qui a couru dans
sa descendance, mais elle a accepté et défendu de toutes ses forces le plus
fragile de ses enfants. Elle a enduré les vicissitudes de l'histoire avec un
grand H, mais face au sort cruel de l'hérédité, elle a montré plus que de la
résilience : une grâce dont nous, ses descendants, ne pouvons qu'espérer
avoir hérité. C'est à elle que ce livre est dédié.
PARTIE 1
CETTE « SCIENCE DE L'HÉRÉDITÉ
QUI FAIT DÉFAUT »
La découverte et la redécouverte des gènes
(1865-1935)

« Cette science de l'hérédité qui fait défaut, cette mine inexploitée de


connaissances à la frontière entre biologie et anthropologie, qui pour
toutes les questions pratiques est aussi peu exploitée aujourd'hui qu'au
temps de Platon, est en vérité dix fois plus importante pour l'humanité
que toute la chimie, toute la physique, que tout le savoir technique et
industriel qui a jamais été ou sera jamais découvert 11. »
Herbert G. Wells, Mankind in the Making

Algernon : « Tu ne peux tout de même pas déjà oublier qu'une


personne très proche de toi a failli succomber récemment d'un gros
refroidissement à Paris. »
Jack : « Oui, mais tu as dit toi-même qu'un gros refroidissement n'était
pas héréditaire. »
Algernon : « Ce n'était pas le cas, je sais, mais je crois bien qu'il l'est
maintenant. La science améliore toujours merveilleusement les
choses 12. »
Oscar Wilde, L'Importance d'être Constant (The Importance of Being Earnest)
Le jardin clos

« Les étudiants de l'hérédité, en particulier, comprennent tout de leur


sujet sauf leur sujet. Ils sont, je suppose, bien familiers de la chose et
l'ont réellement étudié sans en arriver au bout. Ils ont tout vu mis à part
la question de ce qu'ils étudient 1. »
G. K. Chesterton, Eugenics and Other Evils

« Interroge les plantes de la Terre et elles t'enseigneront. »


Job, 12 : 8

À l'origine, leur nouveau monastère appartenait à des moniales. Avant


leur déménagement, les moines de l'ordre de Saint Augustin vivaient bien
plus fastueusement dans une grande abbaye en pierre située sur une colline
du centre de la cité médiévale de Brno (Brünn en allemand). La ville s'était
développée autour de la bâtisse pendant quatre siècles, dévalant les pentes
puis s'étalant dans un paysage de fermes et de prairies aux alentours. Mais
les religieux étaient tombés en disgrâce en 1783, sous l'empereur Joseph II.
Celui-ci avait un jour décrété que leur propriété au centre de la ville avait
bien trop de prix pour les loger, et les moines avaient été relégués dans une
ruine de la vieille ville, au pied de la colline. Et ils avaient subi l'ignominie
supplémentaire de devoir vivre dans des locaux prévus à l'origine pour des
femmes. Les salles avaient l'odeur vague du mortier humide, le sol était
envahi d'herbes folles et de ronces. Le seul bon côté de ce bâtiment du
XIVe siècle, aussi froid qu'un abattoir, aussi dénudé qu'une prison, était son
jardin rectangulaire avec l'ombre de ses arbres, un chemin de pierre et une
longue allée où chaque moine pouvait aller marcher et méditer.
Les religieux tirèrent le meilleur parti de leurs nouveaux locaux. Une
bibliothèque fut rétablie au deuxième étage. Une salle d'étude y fut reliée et
meublée de tables de lecture en pin, de quelques lampes, dotée de près de
dix mille livres qui incluaient les derniers travaux parus en histoire
naturelle, en géologie et en astronomie (les Augustiniens, heureusement, ne
voyaient aucun motif de conflit entre religion et sciences, considérant même
la science comme un autre témoignage de l'ordre divin dans le monde 2 ).
Un cellier fut creusé en sous-sol et un modeste réfectoire construit au-
dessus. Au second étage, chaque moine logeait dans une pièce unique dotée
d'un mobilier rudimentaire en bois.
En octobre 1843, un jeune homme de Silésie, fils de paysans, arriva à
l'abbaye 3. De petite taille, myope, il avait un visage sérieux et une tendance
à l'embonpoint. S'il montrait peu de goût pour la vie spirituelle, il était
néanmoins d'une grande curiosité intellectuelle, habile de ses mains et doué
pour le jardinage. Le monastère lui apporta un lieu pour vivre, lire et
s'instruire. Il fut ordonné prêtre le 6 août 1847. Il s'appelait Johann mais les
moines le nommèrent Gregor Johann Mendel.
Pour le jeune homme en formation, la vie au monastère devint
rapidement une routine. En 1845, il commença des études de théologie,
d'histoire et de sciences naturelles au Collège théologique de Brno. Le
tumulte de 1848, celui des sanglantes révolutions populaires qui déferlèrent
sur les structures religieuses, politiques et sociales en France 4, au
Danemark, en Allemagne et en Autriche, ne l'atteignit pas, tel le tonnerre
qu'on entend au loin. Rien chez Mendel, au cours de ses premières années
passées à Brno, ne pouvait laissait soupçonner le scientifique
révolutionnaire qu'il allait devenir. Discipliné, laborieux, respectueux,
c'était un homme d'habitudes parmi tant d'autres. Son seul défi à l'autorité,
semble-t-il, fut de refuser parfois de porter sa toque d'étudiant en cours.
Mais rappelé à l'ordre, il avait poliment obtempéré.
Durant l'été 1848, Mendel commença à officier comme curé dans une
paroisse de Brno. Il n'était, selon tous les témoignages, pas vraiment doué
pour cette tâche. « Pris d'une timidité insurmontable » comme le rapporte
son abbé à l'époque 5, Mendel parlait mal le tchèque, la langue de la plupart
de ses paroissiens ; il était peu charismatique en tant que prêtre, et incapable
de supporter la charge émotionnelle d'un travail au contact des pauvres. Un
peu plus tard dans l'année, il trouva un très bon moyen d'échapper à cette
situation : il postula pour un poste d'enseignant de mathématiques, de
sciences naturelles et de grec élémentaire au lycée Znaim 6. Soutenu par
l'abbé, Mendel fut engagé, mais à une condition cependant. Sachant qu'il
n'avait jamais été formé pour enseigner, l'établissement lui demanda de
passer l'examen de sciences naturelles des enseignants du second degré.
À la fin du printemps de 1850, Mendel, impatient, présenta l'écrit de
l'examen à Brno 7. Il échoua, et même d'une manière particulièrement
désastreuse, en géologie (un correcteur se plaignit de son travail, le
qualifiant « d'aride, d'obscur et de brouillon »). Le 20 juillet, alors qu'une
vague de chaleur écrasante frappait l'Autriche, il fit le voyage de Brno à
Vienne pour son oral. Le 16 août, il se présenta devant un jury chargé
d'évaluer ses connaissances en sciences naturelles 8. Cette fois-ci, le résultat
fut encore pire, et c'était pourtant en biologie. Quand on lui demanda de
décrire et de classer les mammifères, il gribouilla un système taxonomique
insensé et incomplet, omettant des catégories, en inventant d'autres, mettant
les kangourous avec les castors, les porcs avec les éléphants. « Le candidat
semble tout ignorer de la terminologie technique, désigne les animaux dans
un allemand familier, évite la nomenclature des systèmes », écrivit l'un des
examinateurs. Et Mendel échoua une nouvelle fois.
En août, il revint à Brno avec les résultats de son examen. Le verdict était
clair : pour être autorisé à enseigner, Mendel devait suivre un complément
de formation en sciences naturelles, ce que ne pouvait offrir le monastère
avec sa bibliothèque et son jardin clos de murs. Mendel fit une demande
pour aller à l'université de Vienne et y suivre des cours de sciences
naturelles. L'abbé envoya des lettres plaidant en sa faveur, et Mendel fut
finalement accepté.
Dans l'hiver de 1851, il prit le train pour se rendre à l'université. C'est à
ce moment-là que les problèmes de Mendel avec la biologie, et les
problèmes de la biologie avec Mendel, commencèrent.

Le train de nuit de Brno à Vienne traverse un paysage vraiment triste en


hiver, avec des champs et des vignobles pris dans le givre, des canaux figés
en veinules glacées bleues, quelques fermes éparses plongées dans
l'obscurité de l'Europe centrale. La rivière Thaya à moitié gelée se fraie
avec peine un chemin dans ce décor, les îles du Danube apparaissent. La
distance entre les deux villes est d'à peine 150 kilomètres, soit quatre heures
de voyage à l'époque de Mendel. Pourtant, le matin de son arrivée, ce fut
comme si Mendel abordait un nouveau monde.
À Vienne, la science étincelait, électrique : vivante. À l'université, située
à quelques kilomètres à peine de la ruelle de sa pension sur
l'Invalidenstrasse, il reçut le baptême intellectuel auquel il avait tant aspiré à
Brno. La physique était enseignée par Christian Doppler, le formidable
scientifique autrichien qui allait devenir son professeur, son mentor et son
idole. En 1842, Doppler, un homme émacié et acerbe de trente-neuf ans,
avait utilisé le langage mathématique pour expliquer que la hauteur d'un
son, ou la couleur d'un rayon de lumière, n'était pas fixe, mais dépendait du
mouvement de la source par rapport à l'observateur 9. Si la source se
rapproche de vous à vive allure, vous percevrez un son plus aigu – les ondes
sonores étant comprimées – que si elle s'éloigne. Certains, sceptiques,
s'étaient moqués : comment la même lumière, émise par la même lampe,
pouvait-elle apparaître sous une couleur différente à des observateurs
différents ? En 1845, Doppler avait alors demandé à des trompettistes de
jouer une note dans un train qui passait devant une foule 10. Celle-ci,
méfiante, put effectivement entendre à l'approche du train une note aiguë,
qui devint plus grave lorsque ce dernier s'éloigna.
Le son et la lumière, affirmait Doppler, se comportent selon des lois
naturelles universelles, et ces lois vont contre l'intuition de ceux qui se
contentent de voir ou d'écouter dans leur vie quotidienne. Il devenait clair
que l'ensemble des phénomènes chaotiques et complexes dans le monde
résulte de lois naturelles très structurées. Parfois, on peut en avoir l'intuition
ou le percevoir, mais le plus souvent il faut réaliser une expérience très
artificielle, comme celle où des trompettistes jouent sur un train qui
accélère, pour comprendre et démontrer ces lois.
Pour Mendel, les expériences de Doppler étaient à la fois captivantes et
frustrantes. La biologie, son principal domaine, semblait un jardin sauvage,
dépourvu de tout principe d'organisation systémique. En surface, il semblait
y avoir une profusion d'ordre, ou plutôt d'ordres. La discipline reine à
l'époque en biologie était la taxonomie, une tentative assez poussée de
ranger tous les êtres vivants dans des groupes emboîtés : règnes,
embranchements, classes, ordres, familles, genres et espèces. Mais ces
catégories, conçues à l'origine par le botaniste suédois Carl von Linné au
milieu du XVIIIe siècle 11, étaient purement descriptives et n'expliquaient
rien.
Le système taxinomique donnait la façon de classer les êtres vivants sur
notre planète mais ne suggérait aucune logique sous-jacente à cette
organisation. Pourquoi, pouvait se demander un biologiste, les êtres vivants
se classent-ils ainsi et pas autrement ? Qu'est-ce qui maintient une telle
constance au sein des espèces, qui fait qu'un éléphant ne devient pas un
cochon, un kangourou un castor ? Quel est le mécanisme de l'hérédité ?
Pourquoi, et comment, les chiens ne font-ils pas des chats ?

Cela faisait des siècles que cette question du « semblable » préoccupait


les scientifiques et les philosophes. Pythagore, le savant grec à la fois
scientifique et mystique qui vivait à Crotone vers 530 avant notre ère, était
à l'origine de l'une des théories les plus anciennes et les plus admises sur la
similitude entre parents et enfants. Le cœur de cette théorie était que
l'information héréditaire (le « semblable ») est portée par le sperme du
mâle. Ce dernier recueillerait les instructions en circulant à travers le corps
humain pour s'imprégner des vapeurs mystiques de chaque partie du corps,
les yeux informant sur leur couleur, la peau sur sa texture, les os sur leur
longueur, et ainsi de suite. Au cours de la vie d'un homme, son sperme
deviendrait un répertoire mobile de toutes les parties de son corps, la
substantifique moelle du soi.
Cette auto-information serait transmise au corps femelle lors de
l'accouplement. Une fois dans le ventre, elle se développerait en un fœtus
via l'action nourricière de la mère. Dans la reproduction, comme dans toute
forme de production, Pythagore distinguait clairement les rôles de l'homme
et de la femme. Le père apporterait l'information essentielle à la création du
fœtus tandis que le ventre de la mère fournirait de quoi nourrir ce processus
pour qu'il puisse prendre la forme d'un enfant. Cette théorie fut finalement
appelée « spermisme », ce qui soulignait le rôle central joué par le sperme
dans la détermination de toutes les caractéristiques du fœtus.
En 458 avant notre ère, quelques décennies après la mort de Pythagore,
l'auteur de théâtre Eschyle se servit de ce curieux raisonnement pour une
défense légale du matricide dans l'une des plaidoiries les plus
extraordinaires de l'histoire. Le thème central de sa pièce Les Euménides est
le procès d'Oreste, prince d'Argos, accusé d'avoir tué sa mère Clytemnestre.
Dans la plupart des cultures, le matricide est perçu comme un acte ultime de
perversion morale. Dans Les Euménides, Apollon, choisi pour représenter
Oreste à son procès, développe une défense très originale en avançant que
la mère d'Oreste n'était qu'une étrangère pour lui. Une femme enceinte n'est
juste qu'un incubateur humain que l'on célèbre, argumente Apollon, un
réservoir d'aliments fournis via le cordon ombilical à son enfant. Le vrai
précurseur de chaque humain est son père, dont le sperme porte les
caractères de « similitude ». « Ce n'est pas le ventre d'une femme portant un
enfant qui est le vrai parent 12, assure Apollon à un groupe de jurés
compréhensifs. Elle ne fait que nourrir la graine nouvellement plantée. Le
mâle est le parent. Elle ne fait pour lui, d'étranger à étranger, que porter le
germe de la vie 13. »
L'évidente asymétrie de cette théorie de l'héritage, le mâle apportant toute
la « nature » et la femelle la « nourriture » initiale dans son ventre, ne
paraissait pas gêner les disciples de Pythagore. Il semble même qu'elle leur
convenait bien. Les Pythagoriciens étaient obsédés par la géométrie
mystique des triangles. Pythagore avait appris auprès de géomètres indiens
ou babyloniens 14 son fameux théorème énonçant que la longueur d'un côté
d'un triangle rectangle peut se déduire mathématiquement à partir de celle
des deux autres. Ce théorème, indissolublement attaché à son nom par la
suite, était pour ses étudiants la preuve que des relations mathématiques
secrètes, les « harmonies », se cachaient partout dans la nature.
Pythagore, qui s'efforçait de voir le monde à travers le prisme des
triangles, prétendait qu'une harmonie triangulaire était aussi à l'œuvre dans
l'hérédité. Le père et la mère formaient deux côtés indépendants et l'enfant
le troisième, soit l'hypoténuse biologique des deux lignes parentales. Et de
même que le troisième côté du triangle pouvait découler arithmétiquement
des deux autres par une simple formule mathématique, l'enfant pouvait être
déduit de la contribution individuelle de ses deux parents, sa nature venant
du père et sa nourriture de la mère.
Plus d'un siècle après la mort de Pythagore, en 380 avant notre ère 15,
Platon était encore captivé par cette métaphore. Dans l'un des passages les
plus curieux de La République, emprunté en partie à Pythagore 16, il avance
que si les enfants sont les produits arithmétiques de leurs parents alors, au
moins en principe, on peut dire que des enfants parfaits peuvent dériver
d'une combinaison parfaite de deux parents se reproduisant à un moment
parfaitement programmé. Un « théorème » de l'hérédité existait donc déjà, il
attendait simplement d'être révélé. En le reconnaissant et en l'appliquant,
n'importe quelle société pouvait s'assurer d'obtenir les meilleurs enfants,
fruits d'une sorte d'eugénisme numérologique. « […] s'il advient que par
ignorance vos gardiens unissent à contretemps des jeunes femmes à des
jeunes hommes, il en résultera des enfants qui ne seront favorisés ni par la
nature, ni par la chance 17 » conclut Platon. Les tuteurs de sa république,
son élite dirigeante, après avoir reconnu la « loi des naissances », pouvaient
assurer que seules de telles unions harmonieuses soient formées. De cette
utopie génétique allait par la suite découler une utopie politique.

Il fallut un esprit aussi précis et analytique que celui d'Aristote pour venir
à bout de la théorie de l'hérédité de Pythagore. Aristote n'était pas un chaud
partisan de la gente féminine, mais il croyait néanmoins que les théories
devaient se baser sur des faits. Il soumit le « spermisme » et les problèmes
qu'il posait à un examen critique à la lumière des données expérimentales
issues du monde biologique. Le résultat, un traité bien dense intitulé La
Génération des animaux 18, allait servir d'ouvrage de référence en génétique
humaine, tout comme La République allait l'être pour la philosophie
politique.
Aristote rejetait l'idée que l'hérédité soit portée uniquement par la
semence mâle. Il notait, avec justesse, que les enfants peuvent aussi hériter
de certains traits de leur mère ou de leur grand-mère, et que ces traits
sautent parfois une génération. « De parents déficients naissent des enfants
déficients 19, écrit-il, par exemple de boiteux des boiteux, d'aveugles des
aveugles, et de manière générale, les gens apparentés se ressemblent par
leurs traits contre nature en ayant les mêmes signes distinctifs, par exemple
des excroissances ou des cicatrices. Il y a déjà eu des phénomènes de cette
sorte qui ont été transmis à la troisième génération, ainsi quelqu'un avait
une marque sur le bras, que son fils n'avait pas, mais que son petit-fils avait
de naissance au même endroit, confuse et noire. […] en Sicile l'amante
adultère d'un Éthiopien : sa fille, en effet, n'était pas née avec les caractères
d'une Éthiopienne, mais la fille de celle-ci les avait 20 ». Un enfant pouvait
naître avec le nez ou la couleur de peau de sa grand-mère sans que ce
caractère soit observé chez l'un ou l'autre de ses parents, phénomène qu'il
était pratiquement impossible d'expliquer selon le schéma pythagoricien
d'une hérédité purement patrilinéaire.
Aristote remit en cause l'idée pythagoricienne de « répertoire mobile » où
le sperme récoltait l'information héréditaire en circulant dans le corps pour
s'imprégner des « instructions » secrètes de chacune de ses parties. « Et il y
a certains traits que les parents ne possèdent pas encore quand ils
engendrent, par exemple les cheveux gris ou la barbe 21 » notait Aristote
avec sagacité, pourtant ils les transmettent à leurs enfants. Parfois, le trait
transmis par l'hérédité n'est pas d'ordre physique mais une manière de
marcher, de regarder, par exemple, ou même un état d'esprit. Aristote
soutenait que de tels caractères, qui ne sont tout d'abord pas matériels, ne
peuvent se matérialiser dans le sperme. Et pour finir, il s'attaqua au plus
évident, arguant que l'idée de Pythagore ne peut certainement pas expliquer
la formation de l'anatomie féminine. En effet, demanda Aristote, comment
le sperme du père pourrait-il « absorber » les instructions pour produire les
« parties génératives » de sa fille, alors qu'elles n'existent pas dans son
corps ? La théorie de Pythagore pouvait rendre compte de tous les aspects
de l'ontogenèse sauf du plus déterminant, le développement des organes
génitaux.
Aristote proposa une théorie alternative qui fut un bouleversement pour
l'époque 22. Peut-être les femelles, comme les mâles, contribuent-elles à la
formation matérielle du fœtus, par une sorte de sperme femelle. Et peut-être
le fœtus se développe-t-il avec la contribution mutuelle des parties mâle et
femelle. Cherchant des analogies, Aristote nomma la contribution mâle un
« principe de mouvement ». Le terme de « mouvement » n'a pas ici le sens
de déplacement mais celui d'instruction, ou de code pour employer un terme
moderne. La matière effectivement transmise au cours de l'accouplement ne
serait en fait que le paravent d'un échange plus obscur et mystérieux. En
fait, la matière n'importerait pas vraiment. Ce qui passerait de l'homme à la
femme ne serait pas de la matière, mais un message. Comme le plan d'un
bâtiment guidant les ouvriers, ou l'esprit du menuisier guidant sa main à
l'œuvre sur un morceau de bois, la semence mâle apporterait les instructions
pour construire un enfant. « Rien non plus ne quitte le menuisier pour la
matière que constituent les morceaux de bois […] mais c'est la
configuration et la forme qui proviennent de celui-là par le mouvement qui
est dans la matière […], écrivait Aristote, c'est de la même façon aussi […]
que la nature qui est dans le mâle fait usage du sperme comme d'un
outil 23. »
La semence femelle, au contraire, apporterait le matériau brut pour
former le fœtus, comme le bois pour le menuisier, le mortier pour le
bâtiment ; elle serait à la fois la matière et l'essence de la vie. Aristote
soutenait que le vrai matériau apporté par la femelle est le sang menstruel.
Celui-ci serait façonné par la semence mâle pour donner la forme de
l'enfant. Cela peut paraître curieux aujourd'hui, mais ici aussi Aristote
faisait preuve d'une méticuleuse logique. Comme la disparition des règles
coïncide avec la conception, Aristote supposait que le fœtus se forme à
partir d'elles.
Si Aristote se trompait sur la répartition des contributions mâle et femelle
en « matériau » et « message », il avait bien saisi l'une des vérités
essentielles sur la nature de l'hérédité. Il la concevait finalement, de manière
moderne, comme la transmission d'une information. Celle-ci est ensuite
utilisée pour construire un organisme à partir de zéro, et le message devient
bien matière. Et lorsqu'un organisme arrive à maturité, il produit à son tour
une semence mâle ou femelle, transformant en retour la matière en
message. En fait, ce n'était plus le triangle de Pythagore mais un cercle, un
cycle où la forme donne l'information puis l'information la forme. Des
siècles plus tard, le biologiste Max Delbrück allait dire, en plaisantant,
qu'Aristote devait recevoir le prix Nobel à titre posthume pour la découverte
de l'ADN 24.
Mais si l'hérédité est transmise sous forme d'information, comment cette
information est-elle codée ? Le mot code vient du latin caudex, la moelle du
bois sur laquelle les scribes écrivaient. Quel est alors le caudex de
l'hérédité ? Qu'est-ce qui est transcrit, et comment ? Comment la matière du
message est-elle conditionnée et transportée d'un corps au suivant ? Qui fait
l'encodage, et qui traduit le message codé pour créer un enfant ?
La réponse la plus inventive à ces questions était la plus simple : elle se
passait complètement du code. Le sperme, dans cette théorie, contient déjà
un être humain en miniature, un minuscule fœtus, complètement formé,
ramassé dans une toute petite enveloppe qui attend de devenir un bébé. On
retrouve des variantes de cette théorie dans les mythes et folklores
médiévaux. Dans les années 1520, l'alchimiste germano-suisse Paracelse 25
partit de cette théorie de l'être humain miniature dans le sperme pour
suggérer que le sperme humain, chauffé avec du fumier et enfoui dans de la
boue pendant les quarante semaines de la conception normale, pouvait
donner un être humain, bien que monstrueux. La conception d'un enfant
normal était simplement le transfert de ce minihumain, l'homonculus, du
sperme du père dans le ventre de la mère. Il y prenait ensuite la taille d'un
fœtus. Il n'y avait pas de code, seulement une miniaturisation.
Le charme propre à cette idée, appelée la « préformation », est sa
récursivité. Comme l'homonculus doit grandir et engendrer ses propres
enfants, il a nécessairement en lui de mini-homonculus préformés, de
minuscules humains incorporés à la manière d'une suite infinie de poupées
russes qui remonterait jusqu'au premier homme, Adam, et se perpétuerait
dans le futur. Pour les Chrétiens du Moyen Âge, l'existence d'une telle
chaîne humaine offrait l'explication la plus convaincante du péché originel.
Puisque tous les futurs hommes étaient contenus dans les individus actuels,
chacun de nous devait être physiquement présent dans le corps d'Adam lors
du premier péché décisif, « flottant […] dans les entrailles de notre Premier
Parent 26 » comme le décrivait un théologien. L'essence du péché était donc
inscrite en nous des milliers d'années avant notre naissance, directement
depuis Adam. Nous portions tous cette marque, non en raison du fait que
notre ancêtre éloigné avait été tenté dans ce lointain jardin, mais parce que
chacun de nous, logé dans le corps d'Adam, avait bien goûté au fruit
défendu.
Autre aspect fascinant de la préformation, cette idée permettait d'éluder le
problème du décodage. Si les premiers biologistes pouvaient imaginer le
codage, c'est-à-dire la conversion du corps humain en une sorte de code (par
osmose, à la Pythagore), l'inverse, c'est-à-dire le déchiffrage de ce code
pour redonner un être humain, dépassait carrément l'entendement.
Comment quelque chose d'aussi complexe qu'une forme humaine pouvait-
elle émerger de l'union du sperme et d'un œuf ? L'homonculus résolvait ce
problème conceptuel. Si un enfant arrivait déjà formé, son développement
n'était qu'une expansion, une version biologique de la poupée gonflable. Il
n'y avait plus besoin de clé ou de code pour la transformation. La genèse
d'un être humain se résumait à ajouter de l'eau.
La théorie était tellement séduisante, si malicieusement précise, que
même l'invention du microscope ne put y porter un coup fatal. En 1694,
Nicolaas Hartsoeker, un médecin et microscopiste néerlandais, produisit
l'image d'un tel être humain miniature, sa grosse tête repliée en position
fœtale dans le corps d'un spermatozoïde 27. En 1699, un autre microscopiste
néerlandais prétendit avoir trouvé des homonculus flottant en abondance
dans le sperme…
Comme pour tout fantasme anthropomorphique – voir des faces
humaines sur la lune par exemple –, la théorie se développait uniquement
sous l'effet grossissant de l'imagination. Du coup, les images d'homonculus
proliférèrent au XVIIe siècle, la queue des spermatozoïdes reconvertie en un
cheveu, leur corps cellulaire en un minuscule crâne humain. À la fin du
XVIIe siècle, la préformation était considérée comme l'explication la plus
logique et la plus cohérente de l'hérédité chez l'homme et les animaux. Les
hommes proviendraient de petits hommes, comme les grands arbres de
petites boutures. « Dans la nature, il n'y a pas de génération, écrivait en
1669 le scientifique néerlandais Jan Swammerdam, mais uniquement de la
propagation 28. »

Pourtant, tout le monde n'était pas convaincu que des humains miniatures
soient contenus à l'infini dans le corps. La principale alternative à la
préformation était qu'au cours de l'embryogenèse quelque chose se
produise, capable de donner les parties entièrement nouvelles d'un embryon
néoformé. Pour les tenants de cette idée, les humains ne peuvent provenir
de versions miniatures prêtes à être agrandies. Ils doivent être construits à
partir de zéro, en exploitant les instructions spécifiques contenues dans le
spermatozoïde et l'ovule. Les membres, le buste, le cerveau, les yeux, et
même le tempérament et les inclinations transmis par les parents, tout cela
doit être créé de novo à chaque fois qu'un embryon se développe en fœtus
humain. Dans cette optique, l'ontogenèse doit se produire… par genèse.
Mais alors quelle impulsion ou instruction pourrait bien être à l'origine de
l'embryon et de l'organisme final ? En 1768, l'embryologiste berlinois
Caspar Wolff tenta d'élaborer une réponse en concoctant un principe
directeur, une « vis essentialis corporis », qui orienterait progressivement la
maturation d'un œuf fécondé en une forme humaine 29. Comme Aristote,
Wolff imaginait que l'embryon contienne une sorte d'information, un code,
qui ne soit pas une simple version miniature d'un homme mais un ensemble
d'instructions pour le fabriquer à partir de rien. Mais mis à part l'invention
d'un nom latin pour désigner un principe assez vague, Wolff ne pouvait
donner le moindre détail. Les instructions, avançait-il sans s'appesantir, sont
réunies dans l'œuf fécondé. La vis essentialis interviendrait alors comme
une main invisible, pour organiser cette masse en une forme humaine.
Si, au XVIIIe siècle, biologistes, philosophes, universitaires chrétiens et
embryologistes défendaient leurs positions au cours de violents débats entre
préformation et « main invisible », on peut comprendre qu'un simple
observateur de l'époque y fût resté indifférent. Ce n'était après tout que de
vieilles histoires. « Les points de vue qui s'opposent aujourd'hui existent
depuis des siècles 30 » se plaignait encore un biologiste au début du
XIXe siècle. Et effectivement, la préformation était largement une reprise de
la théorie pythagoricienne où le sperme porte toute l'information pour faire
un nouvel être humain. Tandis que la « main invisible » était de son côté
une version rafraîchie de l'idée d'Aristote selon laquelle l'hérédité est
transmise sous la forme de messages pour mettre en forme la matière (la
« main » exécutant les instructions pour façonner un embryon).
Selon les époques, chaque théorie pouvait être défendue avec brio ou
mise à bas avec la même force. Aristote comme Pythagore, chacun des
protagonistes avait en partie raison et en partie tort. Mais au début des
années 1800, il semblait que tout le domaine de l'hérédité et de
l'embryogenèse se retrouvât dans une impasse conceptuelle. Les plus grands
penseurs de la biologie qui s'étaient penchés sur le problème de l'hérédité
n'avaient pas plus fait avancer les choses que les réflexions énigmatiques de
deux hommes ayant vécu sur deux îles grecques deux mille ans auparavant.
« Le mystère des mystères »

« […] Ils veulent nous dire que tout allait à l'aveugle


Jusqu'à ce que par hasard l'esprit touche
Un singe albinos dans la jungle,
Et encore il a dû tâtonner et errer,
Jusqu'à ce que Darwin arrive sur terre une année […] »
1
Robert Frost, « Accidentellement à dessein »

Au cours de l'hiver 1831, alors que Mendel n'était encore qu'un écolier en
Silésie, un jeune prêtre, Charles Darwin, embarqua sur un sloop de dix
canons, le HMS Beagle, à Plymouth Sound dans le sud-ouest de
l'Angleterre 2. Darwin, alors âgé de vingt-deux ans, était le fils et le petit-fils
de médecins connus. Il avait le beau visage anguleux de son père, le teint
porcelaine de sa mère et les épais sourcils des Darwin. Tenté à son tour par
une carrière de médecin, il avait commencé ses études médicales à
Édimbourg 3 mais, horrifié par les « hurlements d'un enfant attaché au
milieu du sang et de la sciure sur une table d'opération », il avait fui la
médecine pour étudier la théologie au Christ's College à Cambridge 4.
Darwin s'intéressait néanmoins à beaucoup d'autres choses que la
théologie. Dans sa chambre d'étudiant, au-dessus de l'échoppe d'un
marchand de tabac de la Sidney Street 5, il avait collectionné les
coléoptères, étudié la botanique et la géologie, appris la géométrie et la
physique, discuté avec ferveur de Dieu, de l'intervention divine et de la
création des animaux. Darwin était plus attiré par l'histoire naturelle que par
la théologie ou la philosophie, par l'étude de la nature au travers des
principes scientifiques de la systématique. Il recevait son enseignement du
pasteur John Henslow : ce botaniste et géologue 6 avait créé le jardin
botanique de Cambridge, le plus grand musée à ciel ouvert d'histoire
naturelle, et continuait de s'en occuper. Ce fut là, sous la houlette de
Henslow, que Darwin commença à recueillir, identifier et classer les
spécimens de plantes et d'animaux.

Deux livres ont particulièrement enflammé l'imagination de Darwin au


cours de ses années d'études. Le premier, Natural Theology, publié en 1802
par William Paley 7, exposait un raisonnement qui allait profondément
influencer Darwin. Supposez, écrit Paley, qu'un homme se promenant dans
la campagne tombe sur une montre par terre. Il la prend, l'ouvre et y trouve
un système très sophistiqué de rouages qui tournent à l'intérieur, une
mécanique capable de donner l'heure. Ne serait-il pas logique de supposer
qu'un tel système n'a pu être fait que par un horloger ? Le même
raisonnement devait s'appliquer au monde naturel, pensait Paley. La
construction si élaborée des organismes et des organes humains,
« l'articulation sur laquelle tourne la tête, le ligament au creux de
l'articulation de la hanche », ne pouvaient signifier qu'une seule chose, à
savoir que tous les organismes avaient été créés par un être d'une
compétence suprême, un horloger divin, c'est-à-dire Dieu.
Le second livre, A Preliminary Discourse on the Study of Natural
Philosophy, publié en 1830 par l'astronome Sir John Herschel 8, présentait
un point de vue radicalement différent. À première vue, reconnaissait
Herschel, le monde naturel semble d'une incroyable complexité. Mais la
science peut réduire des phénomènes apparemment complexes à des causes
et des effets. Le mouvement d'un objet résulte d'une force s'exerçant sur lui,
la chaleur comporte un transfert d'énergie, le son est produit par une
vibration de l'air. Herschel ne doutait pas qu'on trouve un jour de tels
mécanismes de cause et d'effet dans les phénomènes chimiques et
finalement biologiques.
Il s'intéressait particulièrement à la création des organismes biologiques,
et son esprit méthodique décomposa le problème en deux points
fondamentaux. Le premier était la création de la vie à partir de rien, la
genèse ex nihilo. Sur ce point, il ne pouvait aller jusqu'à concurrencer la
doctrine de la divine création. « Remonter à l'origine des choses et spéculer
sur leur création n'est pas l'affaire du philosophe de la nature 9 » écrit-il.
Les organes et les organismes pouvaient obéir aux lois de la physique ou de
la chimie mais la genèse de la vie elle-même ne pouvait être comprise par
ces mêmes lois. C'était comme si Dieu avait donné à Adam un joli petit
laboratoire au jardin d'Eden pour ensuite lui interdire de regarder au-delà de
ses murs.
Mais le second problème, pensait Herschel, était plus accessible. Une fois
la vie créée, quel processus avait-il pu engendrer toute la diversité que l'on
observe dans le monde naturel ? Comment, par exemple, une nouvelle
espèce d'animal pouvait-elle provenir d'une autre ? Les anthropologues qui
étudiaient les langues avaient démontré que les nouvelles découlaient des
anciennes par la transformation des mots. On pouvait faire remonter les
mots du latin et du sanscrit à une vieille langue indo-européenne, l'anglais et
le flamand avaient une racine commune. Les géologues avaient théorisé que
les formes actuelles de la Terre, ses roches, ses gouffres et ses montagnes,
avaient été créées par la transmutation d'éléments antérieurs. « Les vestiges
usés des âges passés 10, écrit Herschel, contiennent […] des traces
indélébiles qui peuvent être interprétées ». C'était une idée lumineuse. Un
scientifique pouvait comprendre le présent et le futur en examinant les
« vestiges usés » du passé. Herschel ne connaissait pas le bon mécanisme
expliquant l'origine des espèces, mais il posait la bonne question. Il l'appela
le « mystère des mystères 11 ».

L'histoire naturelle, la discipline qui passionnait Darwin à Cambridge,


n'était pas particulièrement en mesure de résoudre le « mystère des
mystères » d'Herschel. Pour les anciens Grecs, mus par une insatiable
curiosité, l'étude des êtres vivants était intimement liée à la question de
l'origine de la nature. Mais les Chrétiens du Moyen Âge réalisèrent
rapidement que cette approche ne pouvait conduire qu'à des théories peu
appétissantes. La « Nature » étant une création de Dieu, ses historiens
devaient, pour ne pas avoir d'ennuis avec la doctrine chrétienne, l'évoquer
dans les termes de la Genèse.
Une approche descriptive de la nature, consistant à identifier, nommer et
classer ses éléments, était tout à fait acceptable. Décrire les merveilles de la
nature, c'était en effet célébrer l'immense diversité des êtres vivants créés
par un Dieu omnipotent. Une approche mécanistique de la nature, en
revanche, menaçait les fondements mêmes de la doctrine de la Création. Se
demander quand et pourquoi les animaux ont été créés, par quel mécanisme
ou quelle force cela s'est produit, revenait à défier le mythe de la Création
divine, à se rapprocher dangereusement d'une hérésie.
Il n'est pas surprenant qu'à la fin du XVIIIe siècle, l'histoire naturelle ait été
dominée par des hommes d'église 12, vicaires, pasteurs, abbés, diacres et
moines qui cultivaient leur jardin et collectionnaient des spécimens de
plantes et d'animaux. Tous célébraient les merveilles de la Création divine,
tout en évitant soigneusement d'en questionner les fondements. L'église
offrait un havre de tranquillité pour ces scientifiques, mais dans le même
temps, elle neutralisait efficacement leur curiosité. Les injonctions contre
les recherches inappropriées étaient si fortes que les naturalistes ne
s'interrogeaient même pas sur les mythes de la Création, dans une
séparation parfaite entre foi et raison. Il en résulta une discipline
étrangement déformée. Alors même que la classification des êtres vivants –
la taxonomie – était en plein essor, la recherche sur leur origine restait au
rang des choses défendues. L'histoire naturelle se bornait à l'étude de la
nature, sans l'histoire.
C'était ce point de vue statique sur la nature qui troublait Darwin. Un
historien de la nature, pensait Darwin, devait être capable de décrire l'état
du monde naturel en termes de causes et d'effets, tout comme le physicien
peut décrire le mouvement d'un ballon dans l'air. Au cœur du génie
révolutionnaire de Darwin, il y avait sa capacité à penser la nature non
comme un fait isolé mais comme un processus, une progression, une
histoire.
Une qualité qu'il partageait avec Mendel. Tous deux prêtres, tous deux
jardiniers, tous deux observateurs infatigables du monde naturel, Darwin et
Mendel firent une avancée capitale en se posant la même question sous
deux formes différentes : comment la « nature » vient-elle à exister ? La
variante de Mendel était microscopique : comment un organisme singulier
transmet-il l'information à sa descendance sur une seule génération ? La
version de Darwin était macroscopique : comment des organismes
transmutent-ils l'information qui résume leurs caractéristiques sur des
milliers de générations ? Les deux visions allaient finir par converger et
donner naissance à la synthèse la plus importante de la biologie moderne, et
à la compréhension la plus aboutie de l'hérédité humaine.
En août 1831, deux mois après avoir obtenu son diplôme de
Cambridge 13, Darwin reçut une lettre de son mentor John Henslow. Une
« enquête » exploratoire de l'Amérique du Sud avait été commandée et
l'expédition nécessitait les services d'un « scientifique gentleman » qui
puisse aider à la collecte de spécimens. Bien qu'il fût plus gentleman que
scientifique (n'ayant jamais encore publié d'article scientifique majeur),
Darwin pensa qu'il était tout désigné pour l'affaire. Il devait voyager à bord
du Beagle, non en tant que « naturaliste accompli » mais comme
scientifique en formation, « amplement qualifié pour recueillir, observer et
noter toute chose digne d'être relevée en histoire naturelle ».
Le 27 décembre 1831 14, le Beagle leva l'ancre avec soixante-treize
marins à bord, essuya une grosse tempête puis mit le cap au sud vers
Tenerife. Début janvier, Darwin était en route vers le Cap-Vert. Le navire
était plus petit que ce qu'il avait imaginé, le vent inconstant. La mer remuait
constamment sous ses pieds. Il était seul, assailli de nausées, déshydraté,
tentant de survivre avec des raisins secs et du pain. C'est au cours de ce
mois qu'il commença son journal de bord. Perché dans un hamac au-dessus
de cartes imprégnées de sel, il se plongeait dans la lecture des quelques
livres qu'il avait emportés pour le voyage, le Paradis perdu de Milton (titre
qui semblait bien trop correspondre à sa situation) et les Principes de
géologie de Charles Lyell 15 publiés entre 1830 et 1833.
Le travail de Lyell en particulier lui fit forte impression. Lyell y avançait,
d'une manière révolutionnaire pour l'époque 16, que les formations
géologiques complexes telles que les montagnes ou les chaos rocheux
avaient été créées sur de très longues périodes de temps, non par la main de
Dieu mais par de lents processus naturels comme l'érosion et la
sédimentation. Au lieu d'un Déluge biblique colossal, Lyell suggérait qu'il y
avait eu des millions d'inondations. Dieu n'avait pas modelé la Terre par un
seul cataclysme mais par des millions de petites secousses. L'idée centrale
de Lyell que de lents mouvements naturels avaient dû modeler le relief
allait fortement stimuler Darwin dans sa réflexion. En février 1832, encore
« affecté et mal à l'aise », il passa dans l'hémisphère sud. Les vents
changèrent de direction, et soudain les courants le portèrent vers un
nouveau monde.
Darwin, comme ses mentors l'avaient prédit, s'avéra un excellent
collecteur et observateur. Tandis que le Beagle cabotait le long de la côte est
de l'Amérique du Sud en passant par Montevideo, Bahia Blanca et Port
Desire, Darwin explorait les baies, les forêts et les falaises. Il entassa à bord
quantité de squelettes, de plantes, de peaux, de roches et de coquilles, « une
cargaison de déchets » se plaignait le capitaine. Les terres explorées
regorgeaient d'animaux vivants mais aussi de fossiles, et en disposant le
tout sur le pont du bateau, Darwin montait son propre musée d'anatomie
comparée. En septembre 1832, alors qu'il explorait les falaises grises et les
baies creusées dans l'argile près de Punta Alta 17, il découvrit un étonnant
cimetière naturel, les ossements fossilisés d'énormes mammifères disparus.
Il préleva une mâchoire fossilisée dans la pierre, tel un dentiste fou, puis
revint la semaine d'après pour y dégager un crâne géant. Il provenait d'un
Megatherium, une version géante du paresseux 18.
Durant ce mois, Darwin mit au jour d'autres ossements parmi les galets et
les blocs. En novembre, il acheta pour dix-huit pences à un fermier
uruguayen un morceau d'un autre crâne colossal provenant d'un autre
mammifère éteint, le Toxodon. Cet animal avait l'apparence d'un rhinocéros,
des dents démesurées d'écureuil, et peuplait autrefois les plaines. « J'ai eu
une chance extraordinaire, écrit Darwin. Certains mammifères étaient
géants et beaucoup parfaitement inconnus. » Il récolta les vestiges d'un
cochon d'Inde de la taille d'un sanglier, les écailles d'un tatou de celle d'un
tank, et d'autres os de paresseux géants qu'il emballa et expédia en
Angleterre.
Le Beagle contourna la pointe du croc formé par la Terre de Feu et
remonta la côte ouest de l'Amérique du Sud. En 1835, le navire quitta
Lima 19, sur la côte péruvienne, pour un chapelet d'îles volcaniques situé
loin au large de la côte de l'Équateur. L'archipel des Galápagos n'était
qu'une réunion « de masses noires, lugubres […] de lave irrégulière,
formant une terre de chaos » écrit le capitaine. C'était un jardin d'Eden d'un
genre infernal, isolé, vierge, desséché, et rocailleux – des déjections de lave
figée parcourues par des « iguanes hideux », des tortues et des oiseaux. Le
vaisseau alla d'île en île – il y en a dix-huit principales –, et Darwin s'y
aventura au milieu des pierres ponces, recueillant des oiseaux, des plantes et
des lézards. L'équipage était passé à un régime de viande de tortue, chaque
île fournissant une espèce apparemment unique de chélonien. Pendant cinq
semaines, Darwin récolta des pinsons, des moqueurs, des merles, des gros-
becs, des moineaux, des albatros, des iguanes ainsi qu'une foule de plantes
terrestres et marines. Le capitaine faisait la grimace et secouait la tête.
Le 20 octobre, Darwin reprit la mer, direction Tahiti 20. Sur le navire, il
commença à examiner systématiquement les corps des oiseaux qu'il avait
ramenés. Les moqueurs, notamment, le surprirent. Il y en avait deux ou
trois types, mais chacun était bien distinct des autres et endémique, trouvé
sur une seule île. Il griffonna alors hâtivement l'une des plus importantes
phrases scientifiques qu'il ait écrite : « Chaque variété reste constante sur
son île. » Était-ce aussi le cas pour d'autres animaux comme les tortues par
exemple ? Il tenta, après coup, de retrouver les types bien particuliers de
tortues rencontrés, mais il était trop tard. Lui et l'équipage les avaient déjà
mangés.

Lorsque Darwin revint en Angleterre après cinq années passées en mer, il


bénéficiait déjà d'une certaine célébrité parmi les naturalistes. Son riche
butin de fossiles envoyé d'Amérique du Sud au fil de ses étapes avait été
déballé, préservé, catalogué et classé. On aurait pu constituer des musées
entiers avec ces échantillons. Le taxidermiste et peintre d'oiseaux John
Gould s'était chargé de classer les oiseaux. Lyell lui-même avait présenté
des spécimens de Darwin au cours de son discours présidentiel à la Société
Géologique. Richard Owen, le paléontologue à la morgue patricienne qui
dominait tel un aigle les naturalistes d'Angleterre, arrivait du Collège royal
de chirurgie pour vérifier et cataloguer les squelettes fossiles de Darwin.
Mais tandis qu'Owen, Gould et Lyell nommaient et classaient les trésors
d'Amérique du Sud, Darwin se penchait sur d'autres problèmes. Son
penchant taxinomique n'était pas de subdiviser, mais plutôt de regrouper, de
rechercher une unité plus profonde dans l'anatomie. Taxonomie et
nomenclature n'étaient pour lui que des moyens d'arriver à une fin. Son
génie instinctif résidait dans la mise en évidence des motifs conservés, des
plans d'organisation sous-jacents aux spécimens, non seulement dans les
règnes, embranchements, classes et ordres mais surtout dans les royaumes
d'ordre qui structurent le monde vivant sous la surface. En 1836, Darwin
commença à être préoccupé par la même question sur laquelle allait buter
Mendel à son oral d'examen à Vienne : pourquoi les êtres vivants sont-ils
organisés de cette manière-là ?
Deux faits émergèrent cette année-là. D'abord, Owen et Lyell trouvèrent
un motif sous-jacent aux spécimens. Il s'agissait des squelettes de versions
géantes et éteintes d'animaux qui vivaient encore à l'endroit même où les
fossiles avaient été découverts. Le tatou géant déplaçait jadis son énorme
carapace dans la même vallée où de petits tatous circulaient maintenant
dans les broussailles. Le paresseux géant avait vécu là où résidait à présent
un paresseux plus petit. Les immenses fémurs que Darwin avait mis au jour
étaient ceux d'un lama de la taille d'un éléphant. Sa version réduite actuelle
se trouvait uniquement en Amérique du Sud.
Le second fait curieux fut relevé par Gould, à qui Darwin avait adressé
les diverses variétés de troglodytes, fauvettes, merles et « gros-becs »
capturées aux Galápagos. Au début du printemps 1837, le grand
ornithologue répondit à Darwin que les oiseaux qu'il lui avait envoyés
n'étaient pas si divers. Darwin les avait mal classés, car il s'agissait
uniquement de pinsons, de treize espèces surprenantes. Leurs becs, leurs
pattes et leurs plumages étaient tellement distincts que seul un œil exercé
pouvait discerner leur unité sous-jacente. La « fauvette » à gorge étroite et à
l'allure de troglodyte, les « merles » au bec en tenailles étaient des cousins
anatomiques, tous étaient des pinsons. La « fauvette » devait se nourrir de
fruits et d'insectes, d'où son bec étroit, alors que le pinson au gros bec
consommait des graines à terre, d'où son bec en forme de casse-noix. Et les
moqueurs endémiques de chaque île représentaient aussi trois espèces
différentes. Des pinsons et encore des pinsons. C'était comme si chaque site
avait produit sa propre variété, un oiseau code-barre pour chaque situation.
Comment Darwin pouvait-il concilier ces deux faits ? Une idée
commençait déjà à germer dans son esprit, si simple et cependant si extrême
qu'aucun biologiste n'avait encore osé l'explorer en détail. Et si tous les
pinsons étaient issus d'un même pinson ancestral ? Et si les petits tatous
actuels provenaient de tatous géants ancestraux ? Lyell avait affirmé que les
paysages actuels de la Terre découlent de forces naturelles s'exerçant sur
des millions d'années. En 1796, le physicien français Pierre-Simon Laplace
avait proposé de même que le système solaire actuel soit né du
refroidissement et de la condensation progressive de la matière sur des
millions d'années (quand Napoléon avait demandé à Laplace pourquoi Dieu
n'était pas mentionné dans sa théorie, Laplace lui avait répondu avec une
formidable audace : « Sire, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse »). Et si
la forme actuelle des animaux était elle aussi la conséquence de forces
naturelles qui s'étaient exercées depuis des millénaires ?

En juillet 1837, dans la chaleur étouffante de son bureau sur la


Marlborough Street, Darwin commença à noircir un nouveau calepin (le
cahier B), couchant sur le papier ses théories sur la manière dont les
animaux pouvaient changer au cours du temps. Ses notes étaient
énigmatiques, sur le vif, à l'état brut. Sur une page, il fit un schéma qui allait
hanter ses pensées. Les espèces, plutôt que de rayonner depuis le noyau
central de la Création divine 21, prenaient peut-être naissance comme les
branches à partir d'un arbre, comme une racine originelle qui donnerait des
ramifications de plus en plus fines pour arriver aux dizaines de descendants
actuels. Comme les langues, les paysages, le lent refroidissement du
cosmos, les animaux et les plantes descendaient peut-être de formes
antérieures par un changement progressif et continu.
C'était, Darwin le savait, un dessin explicitement profane. Le concept
chrétien de spéciation plaçait solidement Dieu au centre, tous les animaux
créés par Lui étant dispersés au moment de la Création. Dans le dessin de
Darwin, il n'y avait aucun centre. Les treize pinsons n'étaient pas le résultat
de quelque lubie divine mais d'une « descendance naturelle », ayant divergé
au gré de l'histoire d'un premier pinson ancestral. Le lama actuel était
apparu de la même manière, issu d'une bête ancestrale géante. Darwin avait
ensuite ajouté « Je pense 22 » au sommet de la page, comme pour indiquer
son départ des terres connues des pensées biologique et théologique.
Mais, Dieu mis à part, quelle force pouvait être à l'origine des espèces ?
Quel élan pouvait pousser treize formes de pinsons, par exemple, à
descendre le long des turbulents ruisseaux de la spéciation ? Au cours du
printemps 1838, alors que Darwin entamait un nouveau journal 23, le calepin
bordeaux C, il eut de nouvelles idées sur ce que pouvait être cette force
agissante.
La première partie de la réponse se trouvait sous son nez, depuis son
enfance dans les fermes du Shrewsbury et du Hereford. Darwin avait
parcouru plus de douze mille kilomètres sur le globe pour la redécouvrir. Le
phénomène s'appelait la variation : les animaux produisent une descendance
aux traits parfois différents des leurs. Les éleveurs y avaient eu recours
depuis des millénaires, croisant des animaux pour produire des variants
naturels, sélectionnant ensuite ces variants sur des générations. En
Angleterre, les éleveurs avaient raffiné le processus de création de
nouvelles lignées pour en faire une véritable science. Le taureau à cornes
courtes de Hereford ressemblait bien peu à celui de Craven à longues
cornes. Un naturaliste curieux qui aurait voyagé des Galápagos vers
l'Angleterre, un Darwin à l'envers, aurait pu être étonné de trouver que
chaque région avait sa propre sorte de vache. Mais comme Darwin ou
n'importe quel éleveur de taureau pouvait vous le dire, ces races n'étaient
pas nées par accident. Elles avaient été délibérément créées par des
hommes, par des croisements sélectifs de variants issus d'une même vache
ancestrale.
Une habile combinaison de variation et de sélection artificielle, Darwin le
savait, pouvait donner des résultats extraordinaires. Les pigeons pouvaient
prendre l'apparence de petits coqs ou de paons, les chiens avoir des pelages
longs, courts, unis, bicolores, absents, ou être violents, doux, timides,
prudents, agressifs. Cependant, la force qui avait orienté la sélection des
vaches, des chiens ou des pigeons était la main de l'homme. Quelle main, se
demandait Darwin, avait pu guider la création d'une telle diversité de
pinsons sur ces lointaines îles volcaniques, ou réduire les tatous à partir de
précurseurs géants dans les plaines de l'Amérique du Sud ?
Darwin savait qu'il longeait maintenant les bords dangereux du monde
connu et se rapprochait de l'hérésie. Il aurait pu facilement invoquer la main
invisible de Dieu. Mais la réponse qui lui vint en octobre 1838 dans un livre
écrit par un autre prêtre, le révérend Thomas Malthus, n'avait rien à voir
avec le divin 24.

Le jour, Thomas Malthus était curé à la chapelle Okewood dans le


Surrey, mais la nuit il devenait économiste amateur. Sa vraie passion était
l'étude des populations et de leur croissance. En 1798, sous un pseudonyme,
il avait publié un article incendiaire, An Essay on the Principle of
Population 25, dans lequel il avançait que la population humaine était en
lutte constante avec des ressources limitées. Plus la population augmentait,
pensait Malthus, plus les ressources diminuaient et plus la compétition entre
les individus devenait sévère. Le penchant inhérent aux populations à
s'accroître était fortement contrebalancé par la limitation des ressources. La
coutume naturelle se heurtait à son coût naturel. C'est alors que des forces
apocalyptiques, « des saisons malades, des épidémies, des fléaux
s'avanceraient dans un ordre terrifiant, et balayeraient les gens par milliers
et dizaines de milliers 26 », remettant la « population au niveau de la
nourriture du monde ». Ceux qui survivraient à cette « sélection naturelle »
recommenceraient alors ce triste cycle, Sisyphe allant d'une famine à l'autre.
Dans l'article de Malthus, Darwin vit immédiatement une solution à son
problème. Cette lutte pour la survie était la main responsable du
changement des espèces. La mort était l'instrument de la nature pour retenir
tel ou tel individu, son sinistre rabot. « Il me vint alors à l'esprit 27, écrit-il,
que dans ces circonstances [de la sélection naturelle], des variations
favorables auraient tendance à être préservées et les défavorables à être
éliminées. Il en résulterait alors la formation d'une nouvelle espèce 28. »
Darwin avait l'axe de sa théorie majeure. Quand les animaux se
reproduisent, ils engendrent des variants qui diffèrent de leurs parents* *.
Les individus au sein d'une espèce sont en constante compétition pour de
rares ressources. Lorsque ces dernières arrivent à un seuil critique, au cours
de famines par exemple, un variant mieux adapté à l'environnement est
« naturellement sélectionné ». Le mieux adapté, le plus apte, survit
(l'expression « survie du plus apte » étant empruntée à l'économiste
malthusien Herbert Spencer 29 ). Ces survivants se reproduisent ensuite pour
donner un plus grand nombre de leurs semblables, ce qui induit les
changements évolutifs au sein d'une espèce.
Darwin pouvait presque voir de ses yeux ce processus à l'œuvre dans les
baies salées de Punta Alta ou sur les îles des Galápagos, comme si un film à
l'échelle des temps géologiques se retrouvait accéléré, un millénaire
comprimé en une minute. Résumons ce film.
Des volées de pinsons se nourrissent de fruits jusqu'à ce que leur
population explose. Une mauvaise saison s'abat sur l'île, que ce soit des
pluies trop abondantes ou un été trop aride, et les ressources en fruits
chutent brusquement. Parmi ces oiseaux, un variant nait avec un bec
grotesque capable de briser des graines. Alors que la famine déferle sur le
monde des pinsons, cet individu survit en se nourrissant de graines dures. Il
peut se reproduire et une nouvelle espèce de pinson apparaît. Le marginal
devient la norme. Avec d'autres limites malthusiennes, des maladies, des
famines, des parasites, de nouvelles lignées se développent et la population
évolue encore. Les marginaux deviennent des normes et des normes
disparaissent. Monstre après monstre, l'évolution progresse.

Au cours de l'hiver 1839, Darwin avait établi les lignes essentielles de sa


théorie. Les années suivantes, il réfléchit encore en long, en large et en
travers à ses idées, mais n'en vint jamais à les publier. En 1844, il distilla les
points cruciaux de sa thèse dans un essai de 255 pages qu'il envoya à son
cercle d'amis 30, sans chercher à le rendre public. Il consacrait plutôt son
temps à étudier des petits crustacés à vie fixée nommés cirripèdes, à écrire
des articles de géologie, à disséquer des animaux marins et à s'occuper de sa
famille. Sa fille Annie, la plus âgée et sa favorite, mourut d'une infection, ce
qui l'accabla de chagrin. Une guerre lointaine et brutale éclata sur la
péninsule de Crimée. Les hommes furent envoyés sur le front et l'Europe
plongea dans une dépression. Comme si Malthus et la lutte pour la survie
s'incarnaient dans le monde réel.
Durant l'été 1855, plus de quinze ans après que Darwin eut découvert
l'essai de Malthus et forgé ses idées sur la spéciation, un jeune naturaliste
du nom d'Alfred Wallace publia dans Annals and Magazine of Natural
History un article 31 qui s'approchait dangereusement de la théorie encore
non publiée de Darwin. Wallace et Darwin étaient issus de milieux sociaux
et idéologiques très différents. Contrairement à Darwin, prêtre de formation,
biologiste gentleman, et bientôt le naturaliste le plus encensé d'Angleterre,
Wallace venait d'une famille de la classe moyenne du Monmouthshire 32. Il
avait aussi lu les articles de Malthus sur les populations, pas dans un
fauteuil chez lui mais sur les bancs durs de la bibliothèque de Leicester 33 (le
livre de Malthus circulait beaucoup dans les cercles intellectuels
britanniques). Comme Darwin 34, Wallace avait fait un long voyage en mer
jusqu'au Brésil pour recueillir des spécimens et des fossiles, et il en était
revenu transformé.
En 1854, ayant perdu dans un naufrage le peu d'argent qu'il avait ainsi
que tous les spécimens qu'il avait collectés, Wallace passa du bassin de
35
l'Amazone à une série d'îles volcaniques éparpillées, non celles des
Galápagos mais l'archipel malais qui borde l'Asie du Sud-Est. Là, comme
Darwin, il observa des différences étonnantes entre des espèces proches qui
étaient restées séparées par des espaces marins. Lors de l'hiver de 1857,
Wallace avait commencé à formuler une théorie générale sur le mécanisme
conduisant à ces différences entre les îles. Au printemps, cloué au lit avec
une fièvre et des hallucinations, il trouva la pièce manquante à sa théorie. Il
se rappela l'article de Malthus. « La réponse était claire […] que le variant
le mieux adapté vit […] De cette manière, chaque partie de l'organisation
d'un animal pouvait être modifiée exactement comme il le fallait 36 ».
Même les termes de sa pensée – variation, mutation, survie et sélection –
présentaient des similitudes frappantes avec ceux de Darwin. Séparés par
des océans et des continents, ballottés par des vents intellectuels très
différents, les deux hommes étaient arrivés au même port.
En juin 1858, Wallace envoya à Darwin une ébauche d'article 37 qui
décrivait sa théorie générale de l'évolution par la sélection naturelle. Sidéré
par la similitude entre la théorie de Wallace et la sienne, Darwin expédia
rapidement son propre manuscrit à son vieil ami Lyell. Ce dernier lui
conseilla habilement de présenter les deux textes simultanément au congrès
d'été de la société linnéenne, de sorte que Darwin et Wallace puissent être
reconnus ensemble pour leur découverte. Le 1er juillet 1858, les deux
articles furent lus dans la foulée 38 et discutés publiquement à Londres.
L'audience ne montra pas d'enthousiasme particulier à leur égard. Le mois
de mai suivant, le président de la société releva que l'année passée n'avait
pas apporté de découvertes particulièrement notables 39.

Darwin se dépêcha ensuite de finir l'ouvrage monumental qu'il avait


voulu initialement publier et qui rassemblait toutes ses découvertes. En
1859, il s'adressa plein d'hésitations à l'éditeur John Murray en ces termes :
« J'espère de tout cœur que mon livre ait assez de succès pour que vous ne
vous repentiez pas de vous en être chargé 40. » Le 24 novembre 1859, par un
sombre jeudi matin, le livre de Charles Darwin On the Origin of Species by
Means of Natural Selection sortit dans les librairies anglaises au prix de
quinze shillings. Mille deux cent cinquante exemplaires avaient été
imprimés. Comme le nota Darwin abasourdi, « tous les exemplaires furent
vendus le premier jour 41 ».
Un torrent de commentaires élogieux parut presque immédiatement.
Même les tout premiers lecteurs du livre étaient conscients de ses profondes
implications. « Les conclusions annoncées par M. Darwin sont telles
qu'elles vont, si elles sont établies, causer une révolution complète des
doctrines fondamentales de l'histoire naturelle 42, écrit un
commentateur. Nous voulons dire que ce travail est l'un des plus importants
qui ait été donné à lire depuis longtemps 43. »
Darwin avait aussi alimenté les critiques. Il était resté très évasif sur les
implications de sa théorie quant à l'origine de l'homme, et cela était peut-
être judicieux. La seule ligne de son ouvrage à ce sujet, « une lumière sera
jetée sur l'origine et l'histoire de l'homme 44 » pourrait bien être la litote
scientifique du siècle. Mais Richard Owen, le taxonomiste des fossiles et
ennemi de Darwin, fut prompt à discerner les implications philosophiques
de sa théorie. Si les espèces apparaissaient comme le suggérait Darwin,
pensait-il, les conséquences pour l'évolution humaine devenaient évidentes.
« L'homme pourrait être un singe transmuté », idée qui révulsait tellement
Owen qu'il ne pouvait même pas l'envisager. Darwin avait avancé la théorie
la plus audacieuse de la biologie, écrivait Owen, sans preuves
expérimentales suffisantes pour l'étayer. Il se plaignit qu'il avait produit une
« coque intellectuelle 45 » plutôt qu'un fruit et, citant Darwin lui-même, que
« l'imagination doit remplir de très larges blancs 46, 47 ».
« De très larges blancs »

« Maintenant, je me demande si M. Darwin a déjà pris la peine de


penser combien de temps cela prendrait pour épuiser tout stock
originel de […] gemmules […] Il me semble que s'il y avait pensé une
fois il n'aurait certainement jamais rêvé de “pangenèse” 1. »
Alexander Wilford Hall, 1880.

L'audace scientifique de Darwin se voit au fait qu'il n'était pas


particulièrement préoccupé par l'idée que l'homme puisse avoir des ancêtres
proches des singes. Et son intégrité scientifique se repère aussi à ce qui le
préoccupait d'abord, et d'une manière bien plus pressante, à savoir la
cohérence de sa propre théorie. Un « large blanc » en particulier devait être
comblé, celui de l'hérédité.
Une théorie de l'hérédité, réalisa Darwin, n'était pas un détail marginal
pour sa théorie de l'évolution. Elle avait plutôt un rôle central. Pour qu'un
pinson à gros bec apparaisse par sélection naturelle sur une île des
Galápagos, deux faits apparemment contradictoires devaient se vérifier en
même temps. Premièrement, un pinson « normal » devait pouvoir parfois
engendrer un variant à gros bec – un monstre ou une curiosité de la nature.
Deuxièmement, une fois né, il fallait que cet animal transmette le même
trait à sa descendance et l'introduise dans les générations suivantes. Si l'un
de ces facteurs échouait – si la reproduction n'engendrait pas de variation ou
si l'hérédité ne permettait pas sa transmission –, la nature se retrouvait alors
embourbée, les rouages de l'évolution bloqués. Pour que la théorie de
Darwin fonctionne, l'hérédité devait faire preuve à la fois de constance et
d'inconstance, présenter simultanément stabilité et mutation.
Darwin se demandait constamment quel mécanisme de l'hérédité pouvait
concilier ces deux propriétés opposées. À son époque, le mécanisme de
l'hérédité le plus admis était une théorie proposée par un biologiste français
du XVIIIe siècle, Jean-Baptiste Lamarck. Selon ce dernier 2, les caractères
héréditaires étaient transmis des parents aux enfants de la même manière
qu'un message ou qu'une histoire, c'est-à-dire par instruction. Lamarck
pensait que les animaux s'adaptent à leur environnement en renforçant ou en
affaiblissant certains traits, « avec une force proportionnelle à la durée de
leur utilisation 3 ». Un pinson contraint de se nourrir de graines dures
s'adapterait donc en « renforçant » son bec. Au cours du temps, le bec du
pinson deviendrait plus solide et prendrait la forme d'une tenaille. Ce
caractère adapté serait alors transmis par une instruction à la progéniture
dont son bec se durcirait aussi, ayant été déjà pré-adapté aux graines dures
chez ses parents.
Dans une telle logique, les antilopes qui broutent les grands arbres
devraient allonger le cou pour atteindre les feuilles les plus hautes. Par
« l'usage et le non usage », comme disait Lamarck, leur cou s'étirerait et ces
antilopes donneraient des petits à cou plus long, ce qui aurait été à l'origine
des girafes (notez les ressemblances entre la théorie de Lamarck, où le
corps donne des « instructions » au sperme, et la conception de Pythagore
de l'hérédité humaine, où le sperme recueille des messages des organes).
Ce qui séduisait immédiatement dans l'idée de Lamarck était qu'elle
donnait une histoire rassurante du progrès. Tous les animaux s'adaptent petit
à petit à leur environnement et glissent insensiblement le long de la chaîne
de l'évolution vers la perfection. Évolution et adaptation sont liées dans un
mécanisme continu : l'adaptation est en fait l'évolution. Le processus n'était
pas contre-intuitif et il pouvait aussi relever, de façon opportune, du divin,
du moins à distance suffisante pour un travail de biologiste. Bien que créés
initialement par Dieu, les animaux avaient encore une chance de se
perfectionner dans une nature changeante. La Lignée Divine du Vivant
tenait encore bon. Elle était même encore plus directe avec, au bout de la
longue chaîne de l'évolution adaptative, le plus adapté, le plus parfait des
mammifères : l'homme.
Darwin s'était clairement démarqué des idées évolutionnistes de
Lamarck. Les girafes n'étaient pas issues d'antilopes tendant leur cou. Elles
étaient apparues, pour faire simple, parce qu'un de leurs ancêtres avait
produit un variant au long cou et qu'il avait été progressivement sélectionné
par une force naturelle comme une famine. Mais Darwin revenait encore
sur le mécanisme de l'hérédité en se demandant ce qui avait fait apparaître
en premier lieu une antilope au long cou.
Il tenta d'imaginer une théorie de l'hérédité qui soit compatible avec
l'évolution, mais trouva là ses limites car il n'était pas un expérimentateur
particulièrement doué. Mendel, comme nous allons le voir, était un jardinier
d'instinct, capable de croiser des plantes, de compter des graines,
d'identifier des caractères. Darwin, lui, était plus capable d'exploiter un
jardin pour en classer les plantes, organiser les spécimens, à la manière du
taxonomiste qu'il était. Le don de Mendel résidait dans l'expérimentation :
la manipulation des organismes, la fécondation croisée de sous-variétés
soigneusement sélectionnées, la vérification d'hypothèses. Darwin avait lui
un talent pour l'histoire naturelle, pour reconstruire l'histoire en observant la
nature. Mendel, le moine, était là pour isoler les choses, Darwin, le pasteur,
pour les rassembler.
Mais si observer la nature est une chose, expérimenter sur elle en est une
autre. Rien dans le monde naturel, à première vue, ne suggère l'existence
des gènes. En vérité, il faut se livrer à de curieuses contorsions
expérimentales pour mettre au jour l'idée de particules finies d'hérédité.
Incapable de parvenir à une théorie de l'hérédité par le biais d'expériences,
Darwin dut en forger une à partir d'une base purement théorique. Il lutta
avec le concept pendant presque deux ans, au point de frôler la dépression
nerveuse 4, pour enfin arriver à une théorie satisfaisante.
Il imagina que les cellules de tous les organismes produisent de
minuscules particules contenant l'information héréditaire, qu'il nomma
gemmules 5. Ces particules circuleraient dans le corps du parent. Lorsqu'un
animal ou une plante atteint l'âge de se reproduire, l'information dans les
gemmules serait transmise aux cellules germinales, c'est-à-dire les
spermatozoïdes et les ovules. L'information sur « l'état » du corps serait
ainsi léguée à la descendance au cours de la conception. Comme pour
Pythagore, chaque organisme dans le modèle de Darwin porte l'information
sous une forme miniature pour construire les organes, sauf que dans son
cas, cette information est décentralisée. Un organisme était construit par
suffrage parlementaire. Les gemmules sécrétées par la main porteraient les
instructions pour construire une nouvelle main, celles issues de l'oreille
transmettraient le code pour une nouvelle oreille.
Mais comment ces instructions des gemmules héritées du père et de la
mère agiraient-elles dans le développement du fœtus ? Darwin revenait à
une vieille idée où les instructions mâle et femelle se rencontrent
simplement dans l'embryon et se mélangent comme des couleurs de
peinture. Cette idée de mélange des hérédités était déjà familière à la
plupart des biologistes 6, puisqu'il s'agissait d'une reformulation de la théorie
d'Aristote du mélange des caractères mâle et femelle. Darwin avait, semble-
t-il, encore réussi une merveilleuse synthèse entre deux pôles opposés de la
biologie. Il avait fusionné l'homonculus pythagoricien (les gemmules) avec
la notion aristotélicienne de message et de mélange, pour en faire une
nouvelle théorie de l'hérédité.
Darwin baptisa sa nouvelle théorie du nom de « pangenèse »,
littéralement « la genèse à partir de tout » 7, puisque tous les organes
contribuaient aux gemmules. En 1867, près d'une décennie après la
publication de L'Origine des espèces, il s'attela à un nouveau manuscrit, The
Variation of Animals and Plants Under Domestication, dans lequel il allait
détailler cette conception de l'hérédité 8. « C'est une hypothèse rapide et
sommaire 9, confessait-il, mais elle m'a énormément soulagé l'esprit. » Il
écrivit à son ami Asa Gray « la pangenèse sera qualifiée de mauvais rêve,
mais dans le fond de mon esprit, je pense qu'elle contient une grande
vérité 10 ».

Le grand soulagement de Darwin n'allait pas durer très longtemps. Il


allait bientôt être tiré de son « mauvais rêve ». Cet été-là, alors que son
nouveau livre prenait forme, un commentaire de son premier livre,
L'Origine des espèces, parut dans le périodique North British Review. Au
sein de ce texte se trouvait l'argument le plus solide contre la pangenèse que
Darwin allait rencontrer dans sa vie.
L'auteur de ce commentaire était un critique inattendu du travail de
Darwin, un ingénieur mathématicien et inventeur écossais appelé Fleeming
Jenkin, qui avait rarement écrit sur la biologie. Intelligent, incisif, il
s'intéressait à des sujets aussi variés que la linguistique, la mécanique,
l'arithmétique, la physique, la chimie et l'économie. Il avait aussi beaucoup
lu, que ce soit Dickens, Dumas, Austen, Eliot, Newton, Malthus ou
Lamarck. Étant tombé sur l'ouvrage de Darwin, Jenkin en fit une lecture
approfondie, réfléchit rapidement à ses implications et trouva
immédiatement un défaut majeur dans son argumentaire.
Le problème central de la théorie de Darwin était selon Jenkin que si les
traits héréditaires ne cessaient de se mélanger à chaque génération,
pourquoi toute nouvelle variation ne se retrouvait-elle pas immédiatement
diluée par les croisements ? « Le variant sera submergé par le nombre 11,
écrit Jenkin, et après quelques générations sa particularité se sera effacée. »
Pour illustrer son argument, il prend l'histoire suivante, teintée par le
racisme ambiant de l'époque : « Imaginez qu'un homme blanc échoue sur
une île habitée par des noirs […] Notre héros deviendra probablement un
roi, il tuera un grand nombre de noirs dans la lutte pour l'existence, il aura
un grand nombre de femmes et d'enfants ».
Mais si les gènes se mélangent, alors « l'homme blanc » de Jenkin est
condamné dès le départ, du moins dans le sens génétique. Ses enfants issus
de femmes noires hériteront probablement de la moitié de son essence
génétique. Ses petits-enfants en hériteront d'un quart, ses arrière-petits-
enfants d'un huitième, ses arrières arrière-petits-enfants d'un seizième et
ainsi de suite, jusqu'à ce que son essence génétique soit complètement
diluée en quelques générations et tombe dans l'oubli. Même si « les gènes
blancs » étaient supérieurs ou les « mieux adaptés » pour reprendre la
terminologie de Darwin, rien ne les protègerait d'une ruine inévitable due au
mélange. Pour finir, le roi blanc isolé disparaîtrait de l'histoire génétique de
l'île, même s'il avait eu plus d'enfants que tous les autres hommes de sa
génération, et même si ses gènes étaient les plus adaptés à la survie.
Les détails de l'histoire de Jenkin étaient sinistres, peut-être à dessein,
mais son argument conceptuel était clair. Si l'hérédité n'a aucun moyen de
maintenir ou « fixer » le caractère modifié, alors toute modification doit
finir par disparaître dans une grande soupe uniforme sous l'effet du
mélange. Le marginal le restera toujours, à moins de pouvoir assurer la
transmission de son caractère à la prochaine génération. Le mélange des
hérédités a pour effet de diluer tout caractère dans la mer de la normalité.
Aucune innovation évolutionnaire ne pourrait se maintenir dans la
perspective de cette dilution à l'infini. Lorsqu'un peintre commence un
tableau, trempant son pinceau pour diluer les pigments, l'eau peut devenir
bleue ou jaune au départ. Mais avec le mélange de plus de couleurs, cette
eau tourne invariablement à un gris sale. Ajoutez de la couleur, l'eau
gardera le même ton trouble. Si le même principe s'applique aux animaux et
à l'hérédité, quelle force pourrait maintenir tout caractère marquant apparu
chez un organisme ? Jenkin était en droit de demander : pourquoi tous les
pinsons de Darwin ne deviennent-ils pas gris petit à petit ?

Darwin fut profondément troublé par le raisonnement de Jenkin.


« Fleeming Jenkin m'a donné beaucoup de fil à retordre, écrit-il, mais m'a
été plus utile que tout autre commentaire ou revue d'articles. » Il ne servait à
rien de nier l'implacable logique de Jenkin 12, et Darwin avait besoin d'une
théorie de l'hérédité complémentaire pour sauver sa théorie de l'évolution.
Mais quelles propriétés de l'hérédité pouvaient résoudre le problème de
Darwin ? Pour que l'évolution darwinienne fonctionne, le mécanisme de
l'hérédité devait conserver l'information sans qu'elle puisse être diluée ou
dispersée. Elle ne devait pas se mélanger. Il devait y avoir des atomes
d'information, des particules finies, insolubles, inaltérables, passant des
parents aux enfants.
La preuve d'une telle constance dans l'hérédité existait-elle ? Si Darwin
avait soigneusement consulté les livres de sa grande bibliothèque, il aurait
pu trouver la référence à un obscur article écrit par un botaniste peu connu
de Brno. Banalement intitulé « Expériences sur l'hybridation des plantes »
et publié en 1866 dans une revue à peine lue 13, l'article était écrit dans un
allemand dense et rempli de tableaux mathématiques que Darwin méprisait
particulièrement. Pourtant, Darwin a vraiment failli le lire. Au début des
années 1870, consultant un livre sur les hybrides de plantes, il a écrit
d'abondantes notes aux pages 50, 51, 53 et 54, sautant mystérieusement la
page 52 où l'article de Brno sur les hybrides de petits pois était discuté en
détail 14.

Si Darwin l'avait réellement lu, notamment au moment où il écrivait ses


Variations of Animals and Plants Under Domestication et formulait sa
théorie de la pangenèse, il aurait peut-être eu l'explication décisive pour
comprendre sa propre théorie de l'évolution. Cette étude l'aurait alors
fasciné par ses implications, ému par l'ampleur du travail sous-jacent,
frappé par son étrange pouvoir d'explication. L'esprit vif de Darwin aurait
vite saisi tout son intérêt pour mieux cerner l'évolution. Il aurait peut-être
aussi eu le plaisir de voir que l'article était signé par un autre prêtre qui,
dans un autre voyage épique de la théologie vers la biologie, avait aussi
longé des rivages inconnus, un moine augustin appelé Gregor Johann
Mendel.
« Il aimait les fleurs » 1

« Nous voulons seulement dévoiler la nature et la force de la matière.


La métaphysique ne nous intéresse pas. »
2
Manifeste de la Société de sciences naturelles de Brno
où l'article de Mendel a été présenté pour la première fois en 1865

« Tout le monde organique résulte d'innombrables combinaisons et


permutations d'un nombre relativement faible de facteurs… Ces
facteurs sont des unités qui doivent être étudiées par la science de
l'hérédité. De même que la physique et la chimie remontent aux
molécules et aux atomes, les sciences biologiques doivent arriver à ces
unités pour pouvoir expliquer… les phénomènes du monde vivant 3. »
Hugo de Vries

Au moment où Darwin entamait l'écriture de son ouvrage sur l'évolution


au printemps 1856 4, Gregor Mendel décidait de revenir à Vienne pour se
présenter de nouveau à l'examen d'enseignant qu'il avait raté en 1850. Cette
fois-ci, il se sentait plus en confiance. Il avait passé deux ans à étudier la
physique, la chimie, la géologie, la botanique et la zoologie à l'université de
Vienne. En 1853, il était retourné au monastère et avait commencé à
travailler comme enseignant remplaçant à l'école moderne de Brno. Les
moines qui tenaient l'école étant très à cheval sur les tests et les
qualifications, c'était le moment de retenter l'examen certifiant. Mendel
s'inscrivit pour l'épreuve.
Malheureusement, cette seconde tentative fut encore un désastre. Mendel
était malade, probablement d'anxiété. Il arriva à Vienne avec une migraine
et, de mauvaise humeur, se disputa même avec l'examinateur de botanique
le premier jour de l'examen. L'objet de la discorde n'est pas connu mais
concernait probablement la formation des espèces, leur variation et
l'hérédité. Mendel ne termina pas l'examen qui s'étalait sur trois jours. Il
repartit pour Brno confirmé dans son destin d'enseignant remplaçant. Il
n'essaya plus jamais d'obtenir une certification.

Plus tard dans l'été, encore meurtri par son échec, Mendel planta des
petits pois. Ce n'était pas la première fois. Cela faisait trois ans environ qu'il
les élevait dans la serre. Il avait recueilli trente-quatre lignées des fermes
environnantes et les cultivait pour sélectionner les « vraies » lignées, celles
où chaque plant donnait toujours exactement la même descendance, avec
des fleurs de la même couleur et des graines de la même texture 5. Ces
plants « restent constants sans exception 6 » écrit-il. Les chats font toujours
des chats. Il avait désormais le matériel de base pour ses expériences.
Les plants de ces lignées « pures », remarquait-il, possèdent des traits
distincts qui sont héréditaires et particuliers. Croisés avec leurs semblables,
les plants à grande tige ne donnent que des plants à grande tige, et c'est la
même chose pour les plants nains. Certaines lignées ne produisent que des
pois lisses alors que d'autres ne font que des pois ridés. Les gousses avant
maturité sont soit vertes soit jaune vif ; les gousses à maturité soit bien
attachées à la tige soit prêtes à se détacher. Mendel fit la liste des sept
caractères de ces lignées pures qu'il souhaitait étudier :
1. la texture du petit pois (lisse ou ridé)
2. la couleur du petit pois (jaune ou vert)
3. la couleur de la fleur (blanche ou violette)
4. la position de la fleur (au bout de la plante ou sur ses rameaux)
5. la couleur de la gousse (verte ou jaune)
6. la forme de la gousse (lisse ou dentelée)
7. la taille de la plante (grande ou petite)
Chaque trait ou caractère, remarquait Mendel, présentait au moins deux
états différents. C'était comme deux possibilités d'épeler un même mot, ou
de teinter une même veste (Mendel effectuait des expériences avec
seulement deux variants du même caractère, mais dans la nature, il peut y
en avoir plus, par exemple des fleurs blanches, pourpres, mauve et jaunes).
Les biologistes appelleront plus tard ces variants des allèles, du grec allos,
qui réfère à deux sous-types différents du même trait général. Le pourpre et
le blanc sont deux allèles du même trait : la couleur de la fleur. Les sous-
types long et court étaient deux allèles d'un autre caractère : la taille.
Les plantes de lignées pures n'étaient qu'un point de départ pour ses
expériences. Pour révéler la nature de l'hérédité, Mendel savait qu'il allait
devoir faire des hybrides, car seuls les « bâtards » – mot couramment utilisé
par les botanistes allemands dans leurs expériences pour décrire les plantes
hybrides – pouvaient dévoiler la nature de la pureté. Contrairement à ce que
l'on croyait encore récemment 7, il était parfaitement conscient des
profondes implications de son étude. La question abordée était cruciale pour
« l'histoire de l'évolution des formes organiques 8 » écrit-il. En deux ans, de
façon stupéfiante, Mendel avait produit une série d'outils qui allaient lui
permettre de questionner les aspects les plus importants de l'hérédité. Pour
dire les choses simplement, la question de Mendel consistait à savoir si, en
croisant une grande plante avec une petite, il allait obtenir une plante de
taille moyenne. Les deux allèles, pour la grandeur et la petitesse, allaient-ils
se diluer, fusionner ?
La production de plantes hybrides était une tâche pénible. Le petit pois se
féconde lui-même, normalement. Les étamines et le pistil mûrissent à
l'intérieur d'une carène en forme de fermoir et le pollen passe directement
des premières au second. La fécondation croisée était une autre histoire.
Pour faire des hybrides, Mendel devait déjà castrer chaque fleur en retirant
les étamines, puis apporter la poudre jaune du pollen d'une autre fleur. Il
travaillait seul, passant avec son pinceau et ses pinces d'une fleur à l'autre. Il
accrochait son chapeau de jardinier à une harpe, de sorte que chaque visite
au jardin était ponctuée du son d'une seule note cristalline. C'était sa seule
musique.
Il est difficile de savoir dans quelle mesure les autres moines de l'abbaye
étaient au courant ou se souciaient des travaux de Mendel. Au début des
années 1850, il avait tenté une variante plus audacieuse de ses expériences
en utilisant des souris blanches et grises. Il avait élevé en secret les rongeurs
dans sa cellule pour essayer de faire des souris hybrides. Mais l'abbé, bien
qu'il considérât en général avec indulgence les lubies de Mendel, était cette
fois intervenu. Un moine organisant l'accouplement de souris pour
comprendre l'hérédité faisait courir un peu trop de risques à l'établissement,
même chez les Augustiniens. Mendel s'était rabattu sur les plantes et avait
déplacé ses expériences à l'extérieur dans une serre. L'abbé avait acquiescé.
Il avait fait obstacle aux souris, mais voulait bien donner une chance aux
petits pois.
À la fin de l'été 1857 9, le premier plant hybride fleurit dans le jardin de
l'abbaye en une explosion de fleurs pourpres et blanches. Mendel nota les
couleurs et lorsque les gousses furent formées, il les ouvrit pour examiner
les graines. Il lança de nouveaux croisements, le grand avec le petit, le
jaune avec le vert, le ridé avec le lisse. Et dans un autre élan bien inspiré, il
croisa certains hybrides entre eux, faisant des hybrides d'hybrides. Les
expériences se poursuivirent ainsi pendant huit ans. Les plantations s'étaient
alors étendues de la serre à un lopin de terre à côté, un rectangle de six
mètres sur trente qui bordait le réfectoire et était visible de sa chambre.
Lorsque le vent faisait ouvrir sa fenêtre, c'était comme si toute la pièce
devenait un immense microscope. Le cahier de Mendel se remplissait de
tableaux et de notes, accumulait les résultats de milliers de croisements. Ses
pouces lui faisaient mal à force de décortiquer les gousses.
« Une pensée même petite peut suffire à remplir toute une vie » a écrit le
philosophe Ludwig Wittgenstein 10. En vérité, à première vue, la vie de
Mendel semblait remplie des plus petites pensées. Semer, polliniser, laisser
fleurir, cueillir, décortiquer, compter, répéter. La procédure était d'une
monotonie extrême, mais les petites pensées, Mendel le savait, sont parfois
les germes de grands principes. Si la révolution scientifique qui avait balayé
l'Europe au XVIIIe siècle avait laissé un message, c'était bien que les lois de
la nature sont générales et uniformes. La force qui avait poussé la pomme
de Newton à atterrir sur sa tête était la même que celle qui guidait les
planètes sur leur orbite céleste. Si l'hérédité obéissait aussi à des lois
naturelles universelles, celles-ci devaient agir aussi bien dans la genèse des
petits pois que dans celle des hommes. Le lopin de terre de Mendel pouvait
bien être petit, son ambition scientifique était d'une tout autre mesure.
« Les expériences avancent lentement, écrit Mendel. Au début, il a fallu
une bonne dose de patience, mais j'ai vite trouvé que les choses allaient
mieux quand je menais plusieurs expériences en même temps. » En
effectuant des croisements en parallèle, les résultats tombèrent à un rythme
accéléré. Peu à peu, il se mit à discerner des motifs dans les données, des
récurrences inattendues, des rapports constants, des rythmes numériques. Il
arrivait, enfin, au cœur de la logique de l'hérédité.
Le premier motif fut facile à déceler. Dans la première génération
d'hybrides, les caractères héritables individuels, comme la taille élevée ou
réduite, la couleur jaune ou verte des graines, ne fusionnaient pas du tout.
Le croisement d'une plante de grande taille avec une plante naine produisait
à chaque fois, et uniquement, des plantes de grande taille. Celui d'une plante
à graines lisses avec une plante à graines ridées, uniquement des plantes à
graines lisses. Les sept caractères suivaient tous ce motif. « Le caractère
hybride » n'est pas intermédiaire mais « ressemble à l'une des deux formes
parentales », écrit-il. Mendel appela ces états de caractère dominants 11, et
ceux qui disparaissaient, récessifs.
Si Mendel avait arrêté là ses expériences, il aurait déjà grandement
contribué à la théorie de l'hérédité. L'existence d'allèles dominants ou
récessifs pour un trait contredisait les théories du XIXe siècle sur le mélange
héréditaire car les hybrides de Mendel ne présentaient pas de
caractéristiques intermédiaires. Seul un allèle s'imposait dans l'hybride,
forçant l'autre à disparaître.
Mais où avait-il disparu ? Avait-il été complètement éliminé ? Mendel
alla plus loin dans son analyse avec une seconde expérience. Il croisa deux
hybrides « grand-petit » pour obtenir une deuxième génération. Comme
l'allèle « grand » était dominant, tous les plants utilisés comme parents
étaient grands. Mais avec ce nouveau croisement, Mendel trouva un résultat
totalement inattendu. Dans cette deuxième génération 12, l'état de caractère
« petit » réapparut, parfaitement intact, et il retrouva ce motif avec les sept
caractères qu'il étudiait. Les fleurs blanches, par exemple, disparaissaient à
la première génération d'hybrides, pour réémerger de la même façon à la
seconde génération chez certains plants. Un organisme « hybride », réalisa
Mendel, était en fait composite, formé d'un allèle dominant et visible allié à
un allèle récessif, latent (le mot utilisé par Mendel pour décrire ces variants
était « forme », celui d'allèle ne sera forgé par les généticiens que dans les
années 1900).
En étudiant les relations mathématiques, les rapports entre les différents
types engendrés par les croisements, Mendel pouvait commencer à
construire un modèle expliquant le mode d'héritage des caractères 13.
Chacun d'entre eux, dans son modèle, était déterminé par une particule
indépendante, indivisible, d'information. Ces particules se présentaient sous
deux formes, ou allèles : petit ou grand pour la taille, blanc ou violet pour la
couleur des fleurs, et ainsi de suite. Chaque plante héritait d'une copie de
chaque parent, un allèle du père via le pollen et un de la mère via l'ovule.
Lorsqu'un hybride était créé, les deux allèles demeuraient intacts mais un
seul se manifestait.

Entre 1857 et 1864, Mendel décortiqua des seaux et des seaux de


gousses, notant systématiquement dans des tableaux les résultats de chaque
croisement d'hybride (« des graines jaunes, cotylédons verts, fleurs
blanches »). Ceux-ci restaient d'une cohérence frappante. Le petit lopin de
terre du jardin monacal produisit une avalanche de données à analyser,
vingt-huit mille plantes, quarante mille fleurs, et presque quatre cent mille
graines. « Cela demande vraiment un certain courage de se lancer dans un
travail d'une telle portée » allait écrire Mendel par la suite 14. Mais courage
n'est pas le bon mot ici. Plus que le courage, quelque chose d'autre paraît
évident dans ce travail, une qualité que l'on ne peut décrire que comme de la
tendresse.
Ce n'est pas le genre de mot que l'on utilise en général pour décrire
l'activité scientifique ou les scientifiques. Mais il en fallait pour s'occuper
des plantes à ce point, malgré un travail souvent ingrat, avec une attention
soutenue jour après jour. Mendel était avant tout un jardinier. Son génie ne
s'appuyait pas sur une profonde connaissance des conventions de la biologie
(ce qui l'avait fait fort heureusement échouer à l'examen d'enseignant, et ce
à deux reprises). C'était plutôt sa connaissance instinctive du jardin, jointe à
une grande capacité d'observation, qui le conduisit bientôt à des résultats
impossibles à expliquer avec ce que l'on savait de l'hérédité à l'époque.
L'hérédité, comme le suggéraient ces résultats, ne peut provenir que de la
transmission d'éléments d'information discrets des parents à leur
descendance. Le gamète mâle apporte une copie de cette information – un
allèle –, le gamète femelle en apporte une autre, et l'organisme hérite ainsi
d'un allèle de chaque parent. Quand un organisme produit des gamètes
mâles et femelles (dans le cas du pois, les gamètes sont dans les grains de
pollen et les ovules), les allèles sont de nouveau séparés, pour former de
nouvelles combinaisons à la fécondation suivante. Un allèle peut
« dominer » l'autre quand ils se retrouvent ensemble. Quand l'allèle
dominant est présent, le récessif semble disparaître, mais quand une plante
reçoit deux allèles récessifs, l'état de caractère associé peut s'exprimer à
nouveau. Dans tous les cas, l'information portée par un allèle individuel
reste indivisible. Les particules demeurent intactes.
Mendel renouait avec l'exemple de Doppler : derrière le bruit se trouvait
une musique, derrière le chaos se trouvaient des lois, et seules des
expériences profondément artificielles comme de créer des hybrides de
lignées pures portant des caractères simples pouvaient révéler ces motifs
sous-jacents. Derrière l'incroyable diversité des organismes naturels –
grands, petits, ridés, lisses, verts, jaunes, bruns – il y avait des éléments
d'information héréditaires qui pouvaient passer d'une génération à une autre.
Chaque trait était unitaire, c'est-à-dire distinct, séparé, indélébile. Mendel ne
donna pas de nom à cette unité d'hérédité, mais il avait découvert les
caractéristiques les plus essentielles du gène 15.

Le 8 février 1865, sept ans après que Darwin et Wallace avaient lu leur
article à la société linnéenne à Londres, Mendel présenta le sien, en deux
parties, lors d'une réunion beaucoup moins solennelle 16. Il s'exprima devant
un groupe de fermiers, de botanistes et de biologistes de la Société de
sciences naturelles à Brno. Il existe peu de sources historiques relatant ce
moment. La salle était petite, et il n'y avait qu'une quarantaine de personnes
présentes. L'article, avec des dizaines de tableaux et de symboles
ésotériques pour désigner les traits et les variants, était difficile d'accès,
même pour un statisticien. Pour un biologiste, cela devait ressembler à un
vrai charabia.
Les botanistes étudient en général la morphologie, pas les statistiques. Le
comptage des variants pour les graines et les fleurs sur des dizaines de
milliers d'hybrides a dû abasourdir les contemporains de Mendel. Peu après
son exposé, un professeur de botanique se leva pour discuter de l'ouvrage de
Darwin et de la théorie de l'évolution. Personne dans l'audience n'eut l'idée
de faire une relation entre les deux sujets. Même si Mendel était conscient
d'un lien potentiel entre ses « unités d'hérédité » et l'évolution – ses notes
antérieures révèlent qu'il avait bien cherché un tel lien –, il ne fit aucun
commentaire explicite à ce sujet.
L'article de Mendel fut publié dans les Comptes rendus de la Société de
sciences naturelles de Brno de l'année 17. Mendel, qui était peu disert, était
encore plus concis dans ses écrits. Il avait regroupé presque dix ans de
travail en quarante-quatre pages terriblement arides. Des copies de l'article
furent envoyées à des dizaines d'institutions dont la Royal Society, la
Société linnéenne en Angleterre et à la Smithonian Institution à
Washington. Mendel lui-même réclama quarante tirés à part qu'il envoya,
lourdement annotés, à de nombreux scientifiques. Il est probable qu'il en ait
envoyé un à Darwin 18 mais il n'y a aucune trace que celui-ci l'ait réellement
lu.
Ce qui a suivi, comme l'a écrit un généticien, fut « l'un des silences les
plus curieux de l'histoire de la biologie 19 ». L'article ne fut cité que quatre
fois entre 1866 et 1900 et disparut pratiquement de la littérature
scientifique. Entre 1890 et 1900, alors même que les questions sur l'hérédité
humaine et sa manipulation devenaient centrales pour les responsables
politiques aux États-Unis et en Europe, le nom de Mendel et son travail
semblaient à jamais effacés. L'étude qui a fondé la biologie moderne était
enfouie dans les pages de l'obscure revue d'une obscure société scientifique,
lue essentiellement par des sélectionneurs de plantes dans une ville en
déclin d'Europe centrale.

Le jour de l'an de 1866, Mendel écrivit à un physiologiste suisse des


végétaux, Karl von Nägeli, à Munich, pour lui décrire ses expériences.
Nägeli lui répondit deux mois après, marquant déjà sa distance par sa
réponse tardive, avec un mot courtois mais glacial. Botaniste ayant une
certaine réputation, Nägeli n'avait pas une grande opinion de Mendel et de
son travail. Il nourrissait une défiance instinctive envers les scientifiques
amateurs et griffonna un commentaire méprisant sur la lettre : « seulement
empirique […] ne peut être prouvé rationnellement 20 », comme si les lois
déduites expérimentalement étaient pire que celles crées de novo par la
« raison » humaine.
Mendel insista, lettre après lettre. Il cherchait à gagner son estime et son
ton prit un tour pressant, presque désespéré. « Je sais que les résultats que
j'ai obtenus ne sont pas très compatibles avec la science actuelle 21, écrit-il,
[et] une expérience isolée peut être doublement dangereuse 22 ». Nägeli
demeurait réticent, souvent laconique. L'idée que Mendel ait pu déduire une
loi fondamentale de la nature en compilant les résultats d'hybrides de petits
pois lui semblait absurde et tirée par les cheveux. Si Mendel croyait à son
sacerdoce, il devait s'y tenir. Nägeli, lui, croyait à celui de la science.
Nägeli étudiait une autre plante, l'épervière aux capitules jaunes, et il
exigea de Mendel qu'il tente de reproduire ses résultats avec cette espèce.
C'était un choix catastrophique. Mendel avait choisi le petit pois après mûre
réflexion, car la plante se reproduit sexuellement, présente des caractères
variants clairement identifiables et peut faire l'objet d'une pollinisation
croisée si l'on travaille avec soin. L'épervière, Mendel et Nägeli l'ignoraient,
peut se reproduire de manière asexuée, c'est-à-dire sans pollen ni ovule. Il
est virtuellement impossible de mener des pollinisations croisées de
manière contrôlée, et cette fleur fait rarement des hybrides. Comme on
pouvait s'y attendre, les résultats furent ininterprétables. Mendel tenta de
comprendre ce que donnaient les hybrides (qui n'en étaient pas) mais ne put
retrouver aucun des motifs observés chez le petit pois. Entre 1867 et 1871,
il s'obstina encore et cultiva des milliers d'épervières dans un autre endroit
du jardin, castrant les fleurs avec les mêmes pinces et saupoudrant de pollen
avec le même pinceau. Ses lettres à Nägeli prirent un ton de plus en plus
déprimé. Nägeli pouvait lui répondre, mais c'était rare et toujours sur un ton
condescendant. Il n'allait quand même pas accorder de l'importance aux
écrits de plus en plus délirants d'un moine autodidacte de Brno.
En novembre 1873, Mendel envoya sa dernière lettre à Nägeli 23. Il
confiait plein de remords qu'il avait été incapable de terminer ses
expériences. Il avait été promu abbé du monastère de Brno et ses
responsabilités administratives ne lui permettaient plus de continuer ses
études sur les plantes. « Je me sens vraiment malheureux de devoir négliger
mes plantes […] à ce point 24 » écrivait-il. La science était mise de côté.
Les taxes s'empilaient pour le monastère. De nouveaux prêtres devaient être
nommés. Facture après facture, lettre après lettre, son imagination
scientifique était lentement étouffée par le travail administratif.
Mendel n'avait écrit qu'un seul article monumental sur les hybrides de
petit pois. Sa santé déclina dans les années 1880 et il réduisit
progressivement sa charge de travail, son jardinage mis à part. Le
6 janvier 1884 25, il décéda d'une insuffisance rénale à Brno, les pieds enflés
de lymphe. Le journal local publia un avis de décès, mais sans mentionner
ses études expérimentales. Un court message laissé par l'un des jeunes
moines du monastère lui correspondait sans doute mieux : « Doux, ouvert,
et gentil […] Il aimait les fleurs 26 ».
« Un certain Mendel »

« L'origine des espèces est un phénomène naturel 1. »


Jean-Baptiste Lamarck

« L'origine des espèces est un sujet d'investigation 2. »


Charles Darwin

« L'origine des espèces est un objet de recherche expérimentale. »


Hugo de Vries

Durant l'été 1878 3, un botaniste néerlandais de 30 ans nommé Hugo de


Vries vint trouver Darwin en Angleterre. Il s'agissait plus d'un pèlerinage
que d'une simple visite scientifique. Darwin se reposait chez sa sœur à
Dorkin, mais de Vries retrouva sa trace et fit le voyage pour le rencontrer.
Nerveux, vif, avec les traits émaciés, des yeux perçants à la Raspoutine et
une barbe rivalisant avec celle de Darwin, de Vries ressemblait déjà à une
version plus jeune de son idole. Il avait aussi sa persévérance. L'entrevue a
dû être épuisante car elle ne dura que deux heures, à la suite de quoi Darwin
dut s'excuser pour faire une pause. Mais de Vries quitta l'Angleterre
transformé. Une brève conversation avec Darwin avait suffi pour ouvrir une
nouvelle piste de recherche dans son esprit toujours en mouvement et
l'orienter à jamais dans une nouvelle direction. De retour à Amsterdam, de
Vries termina rapidement son travail en cours sur le mouvement des vrilles
chez les végétaux pour se lancer dans la résolution du mystère de l'hérédité.
À la fin des années 1800, le problème de l'hérédité avait acquis une aura
presque mystique, comme une sorte de dernier théorème de Fermat pour les
biologistes. L'excentrique mathématicien français avait griffonné qu'il avait
trouvé « une preuve remarquable » à son théorème sans prendre la peine de
l'écrire parce que son papier avait « une marge trop petite 4 ». De même,
Darwin avait vaguement fait allusion à une explication du mécanisme de
l'hérédité mais ne l'avait jamais publiée. « Dans un autre travail, je
discuterai, si le temps et la santé me le permettent, de la variabilité des êtres
organiques dans la nature 5 » avait-il écrit en 1868.
Darwin saisissait bien tout ce qui était en jeu derrière cette déclaration.
Une théorie de l'hérédité était cruciale pour celle de l'évolution. Il savait que
sans moyen d'engendrer une variation et de la fixer au fil des générations,
aucun organisme ne pouvait développer de nouvelles propriétés. Pourtant,
une décennie plus tard, Darwin n'avait toujours pas publié le livre promis
sur la genèse de la « variabilité des êtres organiques ». Il mourut en 1882 6,
juste quatre ans après que de Vries lui avait rendu visite. Une génération de
jeunes biologistes fouillait désormais les ouvrages de Darwin pour trouver
des indices de la théorie manquante.
De Vries s'était aussi penché sur les travaux de Darwin. Il s'était emparé
de sa théorie de la pangenèse, l'idée que des « particules d'information » du
corps étaient récoltées d'une certaine manière et réunies dans les
spermatozoïdes et les ovules. Mais cette notion de messages émanant des
cellules et se rassemblant dans les spermatozoïdes en un manuel de
construction d'un organisme semblait vraiment tirée par les cheveux.
Comme si les spermatozoïdes cherchaient à écrire le patrimoine génétique
humain à partir de télégrammes.
Pire encore, des travaux allaient bientôt réfuter l'existence de la
pangenèse et des gemmules. En 1883, avec une froide détermination 7,
l'embryologiste allemand August Weismann avait réalisé une expérience qui
remettait directement en cause la théorie des gemmules de Darwin.
Weismann avait coupé la queue à des souris sur cinq générations et les avait
ensuite croisées pour voir si une descendance sans queue allait naître. Mais
les souris, avec la même obstination, génération après génération, naissaient
toujours avec une queue parfaitement intacte. Si les gemmules existaient,
une souris amputée de sa queue aurait dû engendrer une souris sans queue.
Au total, Weismann avait coupé successivement la queue de 901 souris et
pourtant elles naissaient toujours avec une queue tout à fait normale, pas
même un peu plus courte que celle des souris de départ. Il paraissait
impossible d'effacer « l'empreinte héréditaire » (ou du moins la « queue
héréditaire »). Pour cruelle qu'elle soit, l'expérience enfonçait bien le clou :
Darwin et Lamarck ne pouvaient avoir raison.
Weismann avait proposé une hypothèse alternative radicalement
différente : peut-être l'information héréditaire était-elle contenue
exclusivement dans les cellules germinales, sans qu'aucun mécanisme direct
ne permette aux caractères acquis au cours de la vie de l'individu d'être
transmis dans ces cellules. L'ancêtre de la girafe pouvait bien avoir tendu le
cou avec ardeur, cela ne transmettait aucune information à son matériel
génétique. Weismann appela ce matériel héréditaire le « plasma
germinatif » 8 et avança que c'était le seul moyen pour un organisme d'en
engendrer un autre. Toute l'évolution pouvait alors se concevoir comme un
transfert vertical de plasma germinatif d'une génération à la suivante. Un
œuf était le seul moyen pour une poule de transférer l'information à une
autre poule.

« Mais quelle pouvait être la nature de ce plasma germinatif ? » se


demandait de Vries. Était-il comme de la peinture qui peut se diluer ou se
mélanger ? Ou une information sous forme d'unités transmises par paquets,
un message insécable ? De Vries n'était pas encore tombé sur l'article de
Mendel. Cependant, comme lui, il commença à écumer les environs
d'Amsterdam pour recueillir des variants de plantes aux formes étranges, ne
se limitant pas seulement aux pois mais constituant un grand herbier où se
retrouvaient des tiges tordues, des feuilles bifides, des fleurs mouchetées,
des anthères poilues, et des graines en forme de raquette. Une vraie
ménagerie de monstres. Quand il croisait ces variants avec les formes
normales, il trouvait comme Mendel que ces traits ne se dissipaient pas
mais se maintenaient au contraire sous une forme indépendante, distincte,
d'une génération à l'autre. Chaque plante semblait posséder une collection
de traits spécifiques, que ce soit la couleur des fleurs, la forme des feuilles
ou l'aspect des graines, et chacun de ces traits semblait codé par un morceau
d'information indépendant, discret, qui passait d'une génération à l'autre.
Il manquait cependant à de Vries l'intuition déterminante de Mendel,
cette part de raisonnement mathématique qui avait si clairement illuminé les
expériences de Mendel sur l'hybridation des petits pois en 1865. Avec ses
plantes hybrides, de Vries pouvait vaguement conclure que les différents
états de caractères comme la taille de la tige correspondaient à des
particules insécables d'information. Mais combien fallait-il de ces particules
pour coder un seul trait ? Une seule ? Une centaine ? Un millier ?
Dans les années 1880, ignorant encore tout du travail de Mendel, de
Vries s'orienta vers une description plus quantitative de ses expériences sur
les plantes. En 1897, dans un article phare intitulé « Hereditary
Monstruosities » 9, de Vries analysa ses données et en déduisit que chaque
trait était gouverné par une seule particule d'information. Chaque hybride
héritait de deux particules de ce type, l'une issue du gamète mâle, l'autre du
gamète femelle. Et ces particules étaient transmises, intactes, d'une
génération à l'autre à travers ces cellules. Rien, à aucun moment, ne se
mélangeait. Aucune information ne se perdait. Il appela ces particules des
« pangènes » 10. Ce nom témoignait de sa dette à l'égard de Darwin, car
même si de Vries avait systématiquement démoli la théorie de la pangenèse
de son mentor, il lui rendait ainsi un dernier hommage.

Au cours du printemps de l'année 1900, alors que de Vries était encore


plongé dans le croisement de ses plantes, un ami lui envoya une copie d'un
vieil article retrouvé dans sa bibliothèque. « Je sais que tu étudies les
hybrides 11, lui écrivait-il, alors peut-être que le tiré à part de cet article de
1865 dû à un certain Mendel […] peut encore t'intéresser ».
Difficile de ne pas imaginer de Vries, assis à son bureau à Amsterdam un
matin gris de mars, ouvrant son courrier, et parcourant des yeux le premier
paragraphe de l'article. En le lisant, il a dû ressentir une impression
inévitable de déjà-vu, car le « certain Mendel » en question avait sans
conteste devancé de Vries de plus de trente ans. Il découvrit dans l'article de
Mendel une réponse à sa question, une confirmation parfaite de ses
expériences, et une remise en cause de l'originalité de son travail. C'était
comme s'il devait lui aussi revivre la vieille saga qui s'était jouée entre
Darwin et Wallace. La découverte scientifique qu'il avait espéré revendiquer
à son compte avait déjà été faite, à l'évidence, par quelqu'un d'autre. Dans
un accès de panique, de Vries se dépêcha d'envoyer son article sur les
plantes hybrides en mars 1900 pour le faire imprimer, en omettant
carrément toute mention du travail antérieur de Mendel. Peut-être le monde
savant avait-il oublié « un certain Mendel » et son travail sur les petits pois
hybrides à Brno. « La modestie est une vertu, écrira-t-il plus tard, mais on
s'en passe avec profit. 12 »
De Vries n'était pas le seul à redécouvrir l'idée de Mendel d'instructions
héréditaires indivisibles et indépendantes. La même année où il publiait son
étude monumentale sur les formes variantes de plantes 13, Carl Correns, un
botaniste de Tübingen, fit paraître une étude sur les hybrides du petit pois et
du maïs qui récapitulait précisément les résultats de Mendel. Correns, ironie
de l'histoire, avait été l'élève de Nägeli à Munich. Mais Nägeli, qui
considérait Mendel comme un amateur excentrique, avait négligé de mettre
au courant Correns de la volumineuse correspondance sur les hybrides de
petit pois qu'il avait jadis reçu d'un « certain Mendel ».
Dans ses jardins expérimentaux à Munich et à Tübingen, à plus de
600 kilomètres du monastère de Mendel, Correns avait ainsi laborieusement
croisé des plantes de grande taille avec des petites et fait des croisements
entre hybrides, sans savoir qu'il reproduisait méthodiquement le travail
antérieur de Mendel. Lorsque Correns eut fini ses expériences et fut prêt à
rédiger un article pour publier ses résultats, il retourna en bibliothèque pour
les étayer par des références à des travaux antérieurs. C'est ainsi qu'il tomba
sur l'article de Mendel enfoui dans la revue de Brno.
Et à Vienne, l'endroit même où Mendel avait échoué en 1856 à son
examen de botanique, un autre jeune botaniste, Erich von Tschermak-
Seysenegg, redécouvrit également les lois de Mendel. Von Tschermak avait
fait ses études à Halle et à Gand où, en travaillant sur les hybrides du petit
pois, il avait pareillement observé le déplacement des caractères
héréditaires d'une génération à l'autre d'une manière indépendante et finie,
comme s'il s'agissait de particules d'information. Tschermak, le plus jeune
des trois scientifiques, avait eu connaissance de deux autres études
comparables qui corroboraient parfaitement ses résultats, puis s'était penché
sur la littérature scientifique antérieure et avait également redécouvert
Mendel. Lui aussi avait ressenti ce frisson de déjà-vu en lisant l'introduction
de l'article de son prédécesseur. « Je pensais moi aussi avoir quand même
trouvé quelque chose de nouveau 14 » écrira-t-il plus tard, avec une pointe
d'envie mêlée d'abattement.
Que son travail soit redécouvert est une preuve de prescience pour un
scientifique. Que cela se reproduise trois fois est un affront pour la
discipline. En effet, cette formidable coïncidence – trois articles
convergeant indépendemment en à peine trois mois de l'année 1900 sur le
travail de Mendel – démontrait la myopie des biologistes qui avaient ignoré
son article pendant presque quarante ans. Même de Vries, qui avait omis de
façon aussi flagrante de mentionner Mendel dans sa première étude, fut
obligé de reconnaître sa contribution. Au cours du printemps 1900, peu
après que de Vries eut publié son article, Carl Correns suggéra que de Vries
s'était délibérément approprié le travail du moine, commettant ainsi une
espèce de plagiat scientifique (« par une étrange coïncidence » insinuait
Correns 15, de Vries avait même incorporé du « vocabulaire de Mendel »
dans son article). Finalement, de Vries rentra dans le rang. Dans une analyse
ultérieure de ses hybrides, il mit en exergue le travail de Mendel dans son
article et reconnut qu'il l'avait simplement « développé ».
Pourtant, de Vries alla plus loin que Mendel. Il avait peut-être été
devancé dans la découverte d'unités héritables, mais plus il se plongeait
dans la question du lien entre hérédité et évolution, plus il était intrigué par
une question qui avait dû aussi rendre perplexe Mendel : comment les
formes variantes des plantes étaient-elles générées ? Quelle force faisait que
les plants de petit pois étaient grands ou petits, les fleurs blanches ou
violettes ?
La réponse, une fois encore, se trouvait dans le jardin. Alors que de Vries
parcourait la campagne lors d'une collecte de plantes, il tomba sur un
énorme massif d'onagre à sépales rouges 16, une espèce envahissante
nommée d'après Lamarck (par une ironie de l'histoire, comme il allait s'en
apercevoir) Oenothera lamarckiana. De Vries récolta et planta cinquante
mille graines de ce massif. Au fil des ans, alors que la plante proliférait, de
Vries trouva que huit cents nouvelles formes variantes étaient apparues
spontanément, des plantes qui avaient des feuilles gigantesques, des tiges
poilues ou des fleurs à l'aspect anormal. La nature avait spontanément
produit des raretés insolites, et ce mécanisme était exactement ce que
Darwin avait proposé comme étant le premier pas de l'évolution. Darwin
avait appelé ces formes variantes « sports » 17, suggérant une fantaisie, un
caprice fugace de la nature. De Vries choisit un mot à la résonance plus
sérieuse. Il les appela « mutants » 18, du mot latin pour « changement »* *.
De Vries réalisa rapidement l'importance de son observation. Ces mutants
devaient être la pièce manquante dans l'énigme de Darwin. Et en effet,
l'apparition de mutants spontanés, comme les Oenothera à feuilles géantes
par exemple, combinée à la sélection naturelle fait immédiatement
comprendre le processus permanent imaginé par Darwin. Les mutations
créent des formes variantes dans la nature, des antilopes au cou allongé, des
pinsons au bec raccourci, ou des plantes à feuilles énormes qui surgissent
spontanément parmi le vaste ensemble des individus normaux. Ces
nouvelles formes ne sont pas dues à une nécessité, contrairement à ce que
Lamarck avait suggéré, mais le pur produit du hasard. Leurs traits distinctifs
sont héréditaires, portés sous la forme d'instructions précises dans les
cellules germinales. Au cours de la lutte pour la survie, les formes les plus
adaptées, celles dont les caractères sont les plus adéquats au milieu, se
trouvent sélectionnées au fur et à mesure. Leur progéniture hérite de ces
mutations et la continuation de ce processus engendre finalement de
nouvelles espèces : l'évolution est en marche. La sélection naturelle n'agit
donc pas sur un organisme mais sur ses éléments héréditaires. Une poule,
réalisa de Vries, n'était que le moyen pour un œuf de faire un meilleur œuf.

Il avait fallu deux longues décennies pour que de Vries se convertisse


finalement aux idées de Mendel sur l'hérédité. Pour le biologiste anglais
William Bateson 19, cette conversion ne prit qu'une heure, le temps mis par
le train pour faire la liaison rapide entre Cambridge et Londres en
mai 1900* *. Ce soir-là, Bateson se rendait dans la capitale pour donner un
cours sur l'hérédité à la Société royale d'horticulture. Alors que le train filait
à travers la campagne dans la pénombre, Bateson lut l'article de de Vries et
fut sur le champ transformé par la notion d'éléments finis héréditaires
proposée par Mendel.
Ce fut un trajet déterminant pour la carrière du scientifique, car lorsqu'il
arriva au siège de la société à Vincent Square, son idée était faite. « Nous
sommes en présence d'un nouveau principe de la plus haute importance 20,
indiqua-t-il au cours de sa présentation. On ne peut pas encore prédire
toutes les conclusions qui vont pouvoir en être tirées. » En août de la même
année, Bateson écrivit à son ami Francis Galton : « Je vous écris pour vous
demander de voir l'article de Mendl [sic] [qui] me semble l'enquête la plus
remarquable jamais menée sur l'hérédité et il est extraordinaire qu'elle se
soit trouvée oubliée 21. »
Bateson eut personnellement à cœur de tout faire pour que Mendel ne
soit plus jamais oublié. Il apporta d'abord au travail du moine une
confirmation indépendante à Cambridge 22. Bateson rencontra ensuite de
Vries à Londres et fut impressionné par sa rigueur expérimentale et son
dynamisme scientifique (mais pas par ses habitudes continentales. Bateson
se plaignit que de Vries refusât de prendre un bain avant le dîner : « ses
vêtements sentent mauvais. Je crois bien qu'il ne change de chemise qu'une
fois par semaine 23 »). Convaincu à la fois par les résultats de Mendel et ses
propres expériences, Bateson chercha dès lors à convertir son entourage.
Surnommé « le bouledogue de Mendel 24 », un animal auquel il ressemblait
tant par l'aspect que par le caractère, Bateson voyagea en Allemagne, en
France, en Italie et aux États-Unis, donnant à chaque fois des conférences
où la découverte de Mendel était soulignée. Bateson savait qu'il était le
témoin, ou plutôt l'accoucheur, d'une profonde révolution en biologie. Le
déchiffrement des lois de l'hérédité, écrivait-il, allait transformer « la vision
de l'homme sur le monde et son pouvoir sur la nature 25 » plus « que toute
autre avancée prévisible dans la connaissance de la nature ».
À Cambridge, un groupe de jeunes étudiants se forma autour de Bateson
pour étudier cette nouvelle science de l'hérédité. Bateson savait qu'il lui
fallait trouver un nom pour cette discipline naissante. La « pangénétique »
lui semblait un terme évident, une extension de l'utilisation du mot
« pangène » utilisé par de Vries pour désigner les unités héréditaires. Mais
ce terme portait la marque de la théorie erronée des instructions héréditaires
due à Darwin. « Aucun mot simple courant ne traduit vraiment cette
signification alors qu'il serait bien nécessaire 26 » écrit Bateson.
En 1905, cherchant encore un mot adéquat, Bateson forgea un terme à
lui 27. Ce serait la « génétique », c'est-à-dire l'étude de l'hérédité et de ses
variations, mot issu du grec genno pour « donner naissance ».
Bateson était bien conscient de l'impact politique et social que pouvait
avoir sa nouvelle discipline. « Que va-t-il se passer quand […] on aura
finalement compris de quoi il s'agit et que les faits dus à l'hérédité seront
28
[…] sus par tous ? , écrivait-il avec un étonnant pressentiment en 1905.
Une chose est sûre, l'humanité va commencer à interférer. Peut-être pas en
Angleterre, mais dans un pays plus à même de couper avec le passé et
désireux d'avoir une “efficacité nationale“ […] L'ignorance des
conséquences éloignées d'une interférence n'a jamais conduit à différer
longtemps de telles expériences ».
Mieux que tout autre scientifique avant lui, Bateson comprit que la nature
discontinue de l'information génétique allait avoir de profondes
implications pour l'avenir de la génétique humaine. Si les gènes étaient bien
des particules d'information indépendantes, il devait alors être possible de
les sélectionner, de les purifier et de les manipuler indépendamment. Des
gènes pour des qualités « désirables » pouvaient être sélectionnés ou
augmentés, alors que des gènes indésirables pouvaient être éliminés de
l'ensemble génétique. Le scientifique devenait alors capable, en principe, de
modifier « la composition des gens » et des pays, et de laisser une marque
permanente sur l'identité humaine.
« Quand un pouvoir est découvert, l'homme se tourne toujours vers lui,
écrivait Bateson un peu amer. La science de l'hérédité va bientôt donner un
pouvoir à une échelle incroyable, et dans un pays, peut-être dans un avenir
pas si lointain, ce pouvoir sera appliqué pour déterminer la composition
d'une nation. Savoir si la mise en place d'un tel contrôle sera finalement une
bonne chose ou pas pour cette nation ou pour l'humanité entière, est encore
une autre question. » Il avait anticipé le siècle du gène.
L'eugénisme

« Un environnement et une éducation de meilleure qualité peuvent


améliorer la génération déjà née. Un sang de meilleure qualité
améliorera toutes les générations à venir 1. »
Herbert E. Walter, Genetics

« La plupart des Eugénistes sont des Euphémistes. Je veux simplement


dire que des mots courts les alertent alors que les mots longs les
calment. Et ils sont complètement incapables de traduire les premiers
dans les seconds […] Dites-leur par exemple “Le […] citoyen devrait
[…] s'assurer que le poids de la longévité de la génération précédente
ne devienne pas disproportionné et intolérable, notamment concernant
les femmes”, et ils vont légèrement s'assoupir […] Dites-leur “Tuez
votre mère” et ils vont brusquement sursauter 2. »
G. K. Chesterton, Eugenics and Other Evils

En 1883, un an après le décès de Charles Darwin, son cousin Francis


Galton publia un livre provocateur intitulé Inquiries into Human Faculty
and Its Development 3 où il déployait son projet d'amélioration de la race
humaine 4. Son idée était simple : il allait reproduire le mécanisme de la
sélection naturelle. Si la nature avait pu avoir de tels effets sur les
populations animales par le jeu de la survie du plus apte, il imaginait
comment une intervention humaine pouvait accélérer le perfectionnement
de l'homme. Faire reproduire ensemble les plus forts, les plus intelligents,
les plus « adaptés » par une sélection non naturelle allait accomplir en
quelques décennies, pensait Galton, ce que la nature cherchait à faire depuis
l'aube des temps.
Galton avait besoin d'un mot pour qualifier sa démarche. « Il nous faut un
mot bref pour désigner la science de l'amélioration de la population 5, écrit-
il, pour donner aux races ou aux lignées de sang les plus aptes davantage de
chances de s'imposer rapidement sur les moins adaptées. » Pour lui, le mot
« eugénisme » était une bonne formule, « un mot au moins plus élégant […]
que viriculture, que j'ai voulu utiliser par le passé 6 ». Le préfixe grec eu,
pour « bien », était associé à genesis : « une population bien née, dotée
héréditairement de nobles qualités ». Galton, qui n'a jamais rougi d'être
considéré comme un génie, était très satisfait de sa trouvaille. « Comme je
crois que l'eugénisme humain va rapidement être reconnu comme une
recherche de la plus haute importance pratique, il me semble qu'il n'y a pas
de temps à perdre à […] étudier les histoires familiales et personnelles 7 ».

Galton était né au cours de l'hiver 1822, la même année que Gregor


Mendel et treize ans après son cousin Charles Darwin. Catapulté au milieu
des deux géants de la biologie moderne, il était forcément hanté par un sens
aigu de ses limites en science. Pour lui, cela a dû être une position
particulièrement pénible parce qu'il était également destiné à devenir un
géant. Son père était un riche banquier de Birmingham tandis que sa mère
était la fille d'Erasmus Darwin, le grand-père de Charles Darwin, poète et
médecin surdoué. Galton était un enfant prodige 8 qui avait appris à lire à
deux ans, parlait couramment grec et latin à cinq et résolvait des équations
du second degré à huit. Comme Darwin, il collectionnait les scarabées, mais
il lui manquait son esprit de rangement méthodique des espèces et il
abandonna rapidement sa collection pour des objets plus ambitieux. Il tenta
des études de médecine, puis s'orienta vers les mathématiques à
Cambridge 9. En 1843, il tenta de passer l'examen final mais fit une
dépression nerveuse et dû retourner chez lui pour se rétablir.
Durant l'été 1844, alors que Darwin écrivait son premier texte sur
l'évolution, Galton partit pour l'Égypte et le Soudan, premier voyage d'une
longue série qu'il allait entreprendre en Afrique. Mais alors que chez
Darwin, la rencontre des « natifs » d'Amérique du Sud dans les années 1830
avait renforcé l'idée d'un ancêtre commun à tous les hommes, Galton ne vit
sur place que des différences. « Avec toutes les races sauvages que j'ai vues,
j'ai assez de matière à réflexion pour le restant de mes jours 10 » confiait-il.
En 1859, Galton lut L'Origine des espèces de Darwin. Il le « dévora »
plutôt, et reçut le livre comme une secousse électrique, qui le paralysa et le
galvanisa à la fois. Il était partagé entre envie, fierté et admiration. Il avait
été « introduit dans un domaine entièrement nouveau de la connaissance 11
» écrivit-il, enthousiaste, à Darwin.
Le « domaine de la connaissance » que Galton avait particulièrement
envie d'explorer était l'hérédité. Comme Fleeming Jenkin, Galton se rendit
vite compte que son cousin avait la bonne idée mais pas de mécanisme pour
l'expliquer, et que la nature de ce qui était hérité était cruciale pour
comprendre la théorie de Darwin. L'hérédité était le yin, l'évolution le yang.
Les deux théories devaient être intrinsèquement liées, chacune stimulant et
complétant l'autre. Si « le cousin Darwin » avait résolu la moitié de
l'énigme, « le cousin Galton » devait être né pour élucider l'autre moitié.
C'est ainsi qu'u milieu des années 1860, Galton se mit à étudier l'hérédité.
La théorie des « gemmules » de Darwin, des instructions héréditaires
larguées dans le sang par les cellules comme des millions de bouteilles à la
mer, suggérait que les transfusions sanguines pouvaient transmettre ces
gemmules et donc modifier l'hérédité. Galton essaya de transfuser des
lapins avec du sang d'autres lapins 12. Il tenta même de travailler avec des
plantes, et notamment des pois, pour mieux comprendre l'origine de ces
instructions héréditaires.
Mais c'était un bien piètre expérimentateur, sans le savoir-faire instinctif
de Mendel. Les lapins moururent de choc transfusionnel et les plants de
petits pois dépérirent dans son jardin. Frustré, Galton se tourna vers
l'homme. Les organismes modèles n'ayant pas révélé de mécanisme de
l'hérédité, il pensait que la mesure de la variance et de l'hérédité chez
l'homme allait le permettre. Cette décision reflétait bien son ambition
démesurée, avec une approche abordant d'emblée les traits les plus
complexes et les plus variables qui soient comme l'intelligence, le caractère,
les capacités physiques ou la taille. Elle allait le plonger dans une bataille à
corps perdu pour la science de l'eugénisme.
Galton n'était pas le premier à tenter de modéliser l'hérédité en mesurant
des variations chez l'homme. Dans les années 1830 et 1840, le scientifique
belge Adolphe Quételet, un astronome devenu biologiste, avait commencé à
faire des mesures systématiques de traits humains et à les analyser par des
méthodes statistiques. Son approche était rigoureuse et systématique ;
« L'homme naît, se développe et meurt d'après certaines lois qui n'ont
jamais été étudiées 13 » écrivait Quételet. Il compila le tour de poitrine et la
taille de 5 738 soldats pour démontrer qu'ils se distribuaient en suivant une
courbe en cloche régulière 14. En fait, quel que soit le trait humain étudié, y
compris le comportement, il trouva qu'il se répartissait sous une forme de
cloche.
Les mesures de Quételet inspirèrent Galton, lequel s'aventura un peu plus
loin dans la mesure des différences humaines. Des traits aussi complexes
que l'intelligence, les performances intellectuelles, ou la beauté par
exemple, se répartissaient-ils de la même manière ? Galton savait qu'il
n'existait aucun moyen simple de mesurer ces caractéristiques, mais là où
les moyens faisaient défaut, il était prêt à en inventer (« Chaque fois que
vous le pouvez, [vous devez] compter 15 » écrivit-il).
Comme moyen indirect de mesurer l'intelligence, il choisit donc, ironie
de l'histoire… les notes à l'examen final de mathématiques à Cambridge,
celui-là même où il avait échoué. Il démontra que même la capacité à
réussir un examen, en première approximation, avait une distribution en
forme de cloche. Il parcourut l'Angleterre et l'Écosse pour répertorier la
« beauté », notant les femmes à leur insu comme « attirantes », « neutres »
ou « repoussantes » avec un carton qu'il perforait dans sa poche. Aucun
attribut humain ne semblait échapper aux yeux de Galton toujours à l'affût
pour évaluer, compter et classer : « Acuité du regard et de l'audition 16, sens
des couleurs, jugement de l'œil, capacité respiratoire, temps de réaction,
force de pression, force du coup, largeur bras étendus, taille, […] poids ».
Galton passa ensuite de la mesure des traits considérés au mécanisme de
leur transmission. Ces différences étaient-elles héritées ? Et si oui, de quelle
manière ? Là encore, il se détourna des organismes simples pour sauter
directement à l'homme. Son propre pedigree, avec Erasmus Darwin comme
grand-père, Charles Darwin comme cousin, n'était-il pas une preuve que le
génie parcourait les familles ? Pour rassembler plus d'éléments en ce sens 17,
il se mit à reconstruire la généalogie des grands hommes. Il trouva par
exemple que parmi 605 personnalités qui avaient vécu entre 1453 et 1853, il
existait 102 liens de famille qui faisaient qu'une personne sur six parmi elles
était apparentée à une autre. Si un homme remarquable avait un fils,
estimait Galton, il y avait une chance sur douze qu'il soit remarquable à son
tour alors que seulement un homme sur trois mille pris « au hasard »
pouvait arriver à cette distinction. L'éminence, avançait Galton, était
héritée. Les lords produisaient des lords, non parce que la pairie était
héréditaire mais parce que l'intelligence l'était.
Galton envisagea la possibilité évidente que les hommes éminents
puissent produire des fils également éminents parce que ces derniers
« seraient placés en position plus favorable pour leur avancement ». Il
forgea l'expression mémorable nature versus nurture 18 pour distinguer les
influences dues à l'hérédité de celles dues à l'environnement. Mais il
s'inquiétait beaucoup d'un effet attribuable à la classe ou au statut. Il avait
du mal à supporter l'idée que sa propre « intelligence » ne fût que le fruit du
privilège et des circonstances. Le génie devait être inscrit dans les gènes. Il
avait exclu toute remise en cause scientifique de la plus fragile de ses
convictions : de telles capacités ne pouvaient s'expliquer autrement que par
l'hérédité.
Galton publia la plupart de ses résultats dans un ouvrage ambitieux 19,
décousu et incohérent intitulé Hereditary Genius 20. Le livre fut mal
accueilli. Darwin lut l'étude, mais ne fut pas particulièrement convaincu,
condamnant son cousin en feignant un compliment : « Vous avez d'une
certaine manière fait d'un opposant un converti, car j'ai toujours soutenu
que, mis à part les idiots, les hommes ne diffèrent pas tellement par leur
intellect mais plutôt par leur motivation et leur travail acharné 21. » Galton
ravala son orgueil et ne se lança plus dans d'autres études généalogiques.

Galton dut réaliser les limites inhérentes de son projet sur les généalogies
car il l'abandonna bientôt pour une approche empirique bien plus puissante.
Au milieu des années 1880, il commença à envoyer des « enquêtes » à des
hommes et des femmes, leur demandant de consulter les registres familiaux,
de les compiler et de lui communiquer des mesures détaillées sur la taille, le
poids, la couleur des yeux, l'intelligence, et les dons artistiques des parents,
grands-parents et enfants (la fortune de la famille de Galton, son héritage le
plus tangible en fait, fut bien commode ici car il offrait un dédommagement
substantiel à tous ceux qui lui retournaient une enquête satisfaisante). Armé
de vrais chiffres, Galton pouvait maintenant trouver l'insaisissable « loi de
l'hérédité » qu'il avait si ardemment recherchée durant des décennies.
Une grande part de ce qu'il trouva correspondait à ce que suggérait
l'intuition, mais à un détail près. Les parents de grande taille avaient des
enfants du même acabit, mais ce n'était vrai qu'en moyenne. Ces enfants
étaient certes plus grands que la moyenne, mais leur répartition obéissait
aussi à une courbe en cloche, certains étant plus grands et d'autres plus
petits que leurs parents* *. Si une loi générale de l'hérédité se cachait
derrière ces données, c'était que les traits humains se répartissaient en
courbes continues, et que des variations continues reproduisaient des
différences continues.
L'apparition de ces formes variantes pouvait-elle résulter d'une loi, d'une
règle sous-jacente ? À la fin des années 1880, Galton synthétisa toutes ses
observations en son hypothèse la plus aboutie sur l'hérédité. Il proposa que
chaque trait humain, que ce soit la taille, le poids, l'intelligence ou la beauté,
soit une fonction composée issue d'une règle de transmission des caractères
ancestraux. Les parents d'un enfant apportaient chacun, en moyenne, la
moitié de ce trait, les grands-parents un quart, les arrière-grands-parents un
huitième, et ainsi de suite, jusqu'à l'ancêtre le plus éloigné. La somme des
contributions pouvait s'écrire par la série ½ + ¼ + 1/8 +… qui convergeait
commodément vers 1. Galton l'appela la Loi ancestrale de l'hérédité 22.
C'était une sorte d'homonculus mathématique, une idée inspirée à la fois par
Pythagore et Platon, mais vêtu de fractions et de dénominateurs pour
ressembler à une loi tout ce qu'il y a de plus moderne.
Galton savait que le couronnement de sa loi serait sa capacité à prédire
précisément un type réel d'hérédité. En 1897, il trouva le cas idéal pour la
tester. Il put tirer parti d'une autre obsession anglaise des pedigrees, celle
des pedigrees des chiens, lorsqu'il découvrit un manuscrit inestimable, le
Basset Hound Club Rules 23. Il s'agissait d'un registre publié par Sir Everett
Millais en 1896 où étaient notées les couleurs du pelage de chiens basset sur
de nombreuses générations. À son grand soulagement, Galton trouva que sa
loi pouvait prédire avec précision la couleur à chaque génération. Il avait
finalement trouvé le code de l'hérédité.
Pour satisfaisante qu'elle fût, la solution ne dura pas longtemps.
Entre 1901 et 1905, Galton croisa le fer avec son plus coriace adversaire,
William Bateson, le généticien de Cambridge qui s'était fait le plus ardent
défenseur de la théorie de Mendel. Obstiné et arrogant, avec une moustache
en guidon qui semblait donner à son sourire un air dédaigneux, Bateson
était peu sensible aux équations. Les données sur les bassets, avançait-il,
étaient soit aberrantes soit imprécises. Les séries infinies de Galton
pouvaient avoir belle allure, les expériences de Bateson pointaient sans répit
vers un seul fait : les instructions héréditaires étaient portées par des unités
individuelles d'information et non par des moitiés ou des quarts de
messages d'ancêtres vaporeux. Mendel, malgré son bagage scientifique
plutôt léger, et de Vries, malgré son hygiène personnelle douteuse, avaient
raison. Un enfant était certes un assemblage d'ancêtres, mais de la forme la
plus simple, composé d'une moitié maternelle et d'une autre paternelle.
Chaque parent apportait un ensemble d'instructions qui étaient décodées
pour créer un enfant.
Face aux attaques de Bateson, Galton défendit sa théorie. Deux éminents
biologistes 24, Walter Weldon et Arthur Darbishire, ainsi que le célèbre
mathématicien Karl Pearson, lui vinrent en aide pour défendre la « loi des
ancêtres » et le débat vira rapidement à l'affrontement ouvert. Weldon, qui
avait été un professeur de Bateson à Cambridge, s'avéra son opposant le
plus vigoureux. Il qualifia ses expériences de « complètement inadéquates »
et refusa de croire aux études de de Vries. Pearson, dans le même temps,
fonda une revue scientifique, Biometrika (nom tiré de l'idée de Galton de
mesure biologique), qui devint le porte-parole de la théorie de Galton.
En 1902, Darbishire lança une nouvelle série d'expériences chez la souris
dans l'espoir de réfuter une fois pour toutes l'hypothèse de Mendel. Il éleva
des milliers de souris avec l'intention de prouver la justesse des idées de
Galton. Mais lorsqu'il analysa ses propres hybrides de première
génération 25, puis les croisements entre hybrides, il devint clair que les
résultats ne pouvaient s'expliquer que par une hérédité de type mendelienne,
avec des caractères indivisibles passant de génération en génération.
Darbishire commença par résister puis dut se rendre à l'évidence et admettre
finalement son erreur.
Au cours du printemps 1905 26, Weldon emporta une copie des études de
Bateson et Darbishire au cours d'un congé à Rome où il tenta, bouillonnant
de rage, comme un « simple étudiant » de retravailler les résultats pour les
rendre conformes à la théorie de Galton 27. Il revint à Londres durant l'été,
espérant renverser les conclusions de ces études par ses analyses, mais il fut
frappé de pneumonie et mourut brutalement chez lui. Il n'avait que
quarante-six ans. Bateson écrivit un hommage funéraire émouvant à son
ancien professeur et ami. « À Weldon je dois le principal éveil de ma vie »
rappelait-il, en précisant au sujet de cette dette : « mais seule mon âme lui
est redevable, de façon personnelle et privée 28 ».

« L'éveil » de Bateson fut loin d'être un cas isolé. Entre 1900 et 1910, les
indices des « unités héréditaires » de Mendel s'accumulaient et les
biologistes furent confrontés à l'influence de la nouvelle théorie. Elle avait
de profondes implications. Aristote avait donné à l'hérédité le sens d'une
cascade d'informations, une rivière de codes passant du gamète femelle à
l'embryon. Des siècles plus tard, Mendel était tombé sur la structure
essentielle de cette information, l'essence de ce code. Si Aristote avait décrit
un flux d'informations à travers les générations, Mendel en avait dévoilé
l'étalon
Mais peut-être, réalisait Bateson, qu'un principe encore plus important
était en jeu. Ce flux d'information biologique ne se limitait pas à l'hérédité.
Il parcourait toute la biologie. La transmission de traits héréditaires n'était
qu'un exemple représentatif, mais en y regardant de plus près, en allant au-
delà des concepts habituels, on pouvait facilement imaginer une
information diffusant dans tout le monde vivant. Le développement d'un
embryon, l'élan d'une plante vers la lumière, la danse rituelle des abeilles,
toutes les activités biologiques demandaient le décodage d'instructions
biologiques. Mendel n'avait-il pas, par la même occasion, mis au jour la
structure essentielle de ces instructions ? Les unités d'informations ne
guidaient-elles pas chacun de ces processus ? « Chacun de nous, lorsqu'il se
penche sur son propre domaine de recherche, peut y voir les notions de
Mendel 29, avançait-il. Nous avons à peine effleuré un nouveau territoire qui
s'étend devant nous 30 […] L'étude expérimentale de l'hérédité […] n'a pas
d'égale parmi les branches scientifiques pour l'importance des résultats
qu'elle apporte 31 ».
Ce « nouveau territoire » exigeait une nouvelle langue et les « unités
héréditaires » de Mendel devaient être baptisées. Le mot atome, utilisé dans
son sens moderne, est apparu dans le vocabulaire scientifique dans un
article de John Dalton publié en 1808. Durant l'été 1909, pratiquement un
siècle plus tard, le botaniste Wilhelm Johannsen forgea un autre mot pour
désigner l'unité de l'hérédité. Il pensa d'abord à utiliser le mot pangène de
de Vries, avec sa dimension d'hommage à Darwin. Mais ce dernier, en fait,
s'était trompé et le mot pangène aurait alors porté pour toujours le souvenir
de cette erreur. Johannsen le raccourcit alors en gène 32 (Bateson aurait
préféré l'appeler gen pour éviter des erreurs de prononciation mais ce fut
trop tard. Johannsen et l'habitude continentale de déformer l'anglais eurent
le dernier mot).
Comme pour Dalton avec le mot atome, ni Bateson ni Johannsen ne
comprenaient vraiment ce qu'était le gène. Ils ne pouvaient pas appréhender
sa forme, sa structure physique ou chimique, sa localisation dans le corps
ou dans la cellule, ni même son mécanisme d'action. Le mot fut créé pour
marquer une fonction, c'était une abstraction. Un gène fut défini par ce qu'il
faisait : porter une information héréditaire. « La langue n'est pas seulement
à notre service 33, écrivait Johannsen, [mais] elle peut aussi être notre
maître. Il est désirable de créer une nouvelle terminologie dans tous les cas
où l'on conçoit de nouvelles idées. J'ai donc proposé le mot“gène”. Le gène
n'est rien d'autre qu'un petit mot très facile à utiliser. Il peut être utile pour
désigner les “facteurs d'unité”[…] montrés par les chercheurs mendéliens
actuels ». Johannsen remarquait aussi que « le mot “gène” est totalement
dénué d'hypothèse. Il exprime seulement le fait évident que […] beaucoup
de caractéristiques d'un organisme sont spécifiées […] d'une manière
unique, distincte et donc indépendante ».
Mais en science, un mot est vraiment une hypothèse. Dans la langue
naturelle, un mot sert à véhiculer une idée, alors que dans les sciences, il
porte aussi un mécanisme, une conséquence, une prédiction. Un nom
scientifique peut déclencher des milliers de questions, et c'est exactement ce
que fit l'idée de « gène ». Quelle est la nature physique et chimique du
gène ? Comment l'ensemble des instructions génétiques – le génotype – se
manifeste-t-il pour donner les caractéristiques observables de l'organisme –
le phénotype – ? Comment les gènes sont-ils transmis ? Où se trouvent-ils ?
Comment sont-ils régulés ? Si les gènes sont bien des unités discrètes
spécifiant un trait, comment peuvent-ils gouverner les caractéristiques qui
varient de manière continue entre les individus, telles que la taille ou la
couleur de la peau ? Bref, comment le gène permet-il la genèse d'un
individu ?
« La science de la génétique est tellement neuve qu'il est impossible de
dire… quelles sont ses limites 34, écrivait un botaniste en 1914. Dans la
recherche, comme dans toute activité d'exploration, le temps de l'émotion
arrive lorsqu'un territoire inconnu s'ouvre avec la découverte d'une nouvelle
clé. »

Cloîtré dans son hôtel particulier près de Hyde Park, Francis Galton fut
curieusement peu sensible au « temps de l'émotion ». Alors que les
biologistes s'empressaient d'adopter les lois de Mendel et de comprendre
leurs implications, Galton y demeura assez indifférent. Que les unités de
l'hérédité soient divisibles ou pas ne l'intéressait pas vraiment. Ce qui le
préoccupait était de savoir si l'hérédité était manipulable ou pas, si l'on
pouvait accéder à l'hérédité humaine pour l'améliorer.
« Tout autour [de Galton], écrit l'historien Daniel Kevles, les techniques
de la révolution industrielle confirmaient la maîtrise de l'homme sur la
nature 35. » Galton avait été incapable de découvrir les gènes, mais il n'allait
pas passer à côté de la création des technologies génétiques. Il avait déjà
forgé un nom pour elles, l'eugénisme, ou amélioration de la race humaine
par la sélection artificielle de traits génétiques et le croisement dirigé des
porteurs humains. L'eugénisme n'était aux yeux de Galton qu'une
application de la génétique, comme l'agriculture l'est pour la botanique.
« Ce que la nature fait à l'aveugle, lentement et brutalement, l'homme peut
le faire à dessein, rapidement et en douceur. Comme cela est en son
pouvoir, il est de son devoir de travailler dans cette direction » précisait-il.
Il avait proposé le concept dès 1869 dans son livre Hereditary Genius,
trente ans avant la redécouverte des lois de Mendel, mais à l'époque, il
n'avait pas approfondi l'idée, se concentrant plutôt sur les mécanismes de
l'hérédité. Mais comme son hypothèse d'un « héritage des ancêtres » avait
été progressivement mise en pièces par Bateson et de Vries, il avait
brusquement viré de la description à la prescription. Il s'était peut-être
trompé sur les bases biologiques de l'hérédité humaine, mais il avait au
moins compris que faire avec elles. « Ce n'est pas une question pour le
microscope, écrivait un de ses protégés dans une allusion sournoise à
Bateson, Morgan et de Vries, il s'agit d'une étude des […] forces qui
apportent de la grandeur au groupe social 36 ».
Au cours du printemps 1904, Galton prôna l'eugénisme lors d'une
conférence publique à la London School of Economics 37. C'était une soirée
typique à Bloomsbury. Bien coiffée et resplendissante, l'élite parfumée de la
ville se pressa dans l'auditorium pour l'écouter. Il y avait George Bernard
Shaw, H. G. Wells, la féministe Alice Drysdale Vickery, la philosophe du
langage Lady Welby, le sociologue Benjamin Kidd ainsi que le psychiatre
Henry Maudsley. Pearson, Weldon et Bateson arrivèrent en retard et se
tinrent à distance, pas encore remis de leur brouille mutuelle.
Le propos de Galton dura dix minutes. L'eugénisme, proposait-il, devait
être « présenté à la conscience nationale comme une nouvelle religion 38 ».
Ses bases étaient empruntées à Darwin, mais la logique de la sélection
naturelle était appliquée aux sociétés humaines. « Toutes les créatures
s'accorderont sur le fait qu'il vaut mieux être en bonne santé que malade,
vigoureux que faible, adapté qu'inadapté à la position qu'on occupe dans la
vie. Bref, quelle que soit l'espèce à laquelle on appartient, il vaut mieux en
être un bon représentant qu'un mauvais. Il en va de même pour
l'homme 39. »
Le but de l'eugénisme était d'accélérer la sélection des plus aptes au
détriment de ceux qui l'étaient moins, des bien-portants sur les malades.
Pour y arriver, Galton proposait de faire se reproduire les forts. Le mariage
pouvait être facilement utilisé pour cela, avançait-il, mais seulement si la
pression sociale était suffisamment puissante. « Si les mariages inappropriés
du point de vue eugénique étaient socialement rejetés […] il y en aurait très
peu 40 » disait-il. Et Galton imaginait qu'un registre des meilleurs caractères
dans les meilleures familles pouvait être tenu par la société, pour former en
quelque sorte un catalogue humain. Les hommes et les femmes seraient
sélectionnés à partir de ce « livre d'or » comme il l'appelait, et amenés à
engendrer la meilleure descendance, d'une manière comparable à celle
appliquée aux bassets et aux chevaux.

Le propos de Galton fut bref, mais la foule ne tarda pas à se manifester.


Henry Maudsley, le psychiatre, lança la première attaque en remettant en
cause les idées de Galton sur l'hérédité 41. Maudsley avait étudié les
maladies mentales qui courent dans certaines familles et en avait conclu que
leur hérédité est bien plus complexe que celle proposée par Galton. Des
pères normaux avaient des fils schizophrènes. Des parents ordinaires
engendraient des rejetons extraordinaires. L'enfant d'un gantier des
Midlands sans notoriété, « né de parents ne se distinguant pas de leurs
voisins », avait pu devenir l'écrivain le plus célèbre de la langue anglaise.
« Il avait cinq frères 42 » notait Maudsley, mais lui seul, William, « était
parvenu à une telle éminence, les autres ne s'étant en rien distingués ». Une
liste de génies « défectueux » fut déroulée, avec Newton en enfant fragile et
maladif, Jean Calvin en asthmatique sévère et Darwin atteint de crises
invalidantes de diarrhées et de dépressions à répétition. Herbert Spencer, le
philosophe qui avait créé l'expression de la « survie du plus apte », avait
passé une grande partie de sa vie perclus de divers maux, luttant lui-même
avec sa propre aptitude à survivre.
Mais là où Maudsley suggérait la prudence, d'autres voulaient passer à la
vitesse supérieure. H. G. Wells, le romancier, était attiré par l'eugénisme.
Dans son livre La machine à explorer le temps (The Time Machine) publié
en 1895, il avait imaginé une future race humaine qui, après avoir retenu la
vertu et la douceur comme traits de caractère désirables, s'était reproduite
de façon consanguine au point de dégénérer en une race affaiblie, infantile,
dépourvue de toute passion ou curiosité. Wells était d'accord avec Galton
pour créer une « société plus apte ». Mais les croisements sélectionnés par
le moyen du mariage, avançait-il, pouvaient produire paradoxalement des
générations plus ternes et étiolées. La seule solution était de considérer une
alternative plus macabre, l'élimination sélective des plus faibles. « C'est
dans la stérilisation des échecs, et pas dans la sélection des réussites
qu'existe la possibilité d'améliorer la population humaine 43. »
Bateson parla en dernier, apportant la note la plus sombre et la plus
scientifique à la rencontre. Galton avait proposé d'utiliser les caractères
physiques et mentaux – le phénotype humain – pour sélectionner les
meilleurs individus reproducteurs. Or la véritable information, avançait
Bateson, ne se trouve pas dans ces traits extérieurs mais dans la
combinaison de gènes qui les détermine en sous-main, c'est-à-dire le
génotype.
Les caractéristiques physiques et mentales qui avaient tant fasciné
Galton, comme la taille, le poids, la beauté ou l'intelligence, n'étaient que
les ombres extérieures de caractéristiques génétiques internes. La vraie
puissance de l'eugénisme se trouvait dans la manipulation des gènes, et non
dans la sélection de traits externes. Galton s'était bien moqué du
« microscope » des généticiens expérimentaux, mais cet instrument était en
fait bien plus puissant que ce qu'il avait supposé, car il pouvait aller au-delà
des apparences de l'hérédité pour atteindre son mécanisme le plus intime.
L'hérédité, avertissait Bateson, allait bientôt se révéler « suivre une loi
précise d'une remarquable simplicité ». Si les eugénistes apprenaient ces
lois et concevaient le moyen de les détourner, un peu à la manière de
Platon, ils pouvaient alors acquérir un pouvoir sans précédent. En
manipulant les gènes, ils arriveraient à manipuler le futur.
Le discours de Galton n'avait peut-être pas eu l'effet d'emballement
escompté, et il se plaindra par la suite que son audience « vivait quarante
ans en arrière », mais il avait bien touché un point sensible. Comme nombre
de membres de l'élite victorienne, Galton et ses amis appréhendaient une
dégénérescence de la race (sa rencontre avec les « races sauvages », reflet
du contact du Royaume-Uni avec les peuples de ses colonies au cours du
XVIIe et du XVIIIe siècle, l'avait aussi convaincu que la pureté raciale des
Blancs devait être maintenue et protégée contre les forces du mélange des
races). La loi du Second Reform Act de 1867 avait donné le droit de vote
aux hommes de la classe ouvrière. En 1906, même les bastions les plus
solides des conservateurs avaient été secoués et le parti du Labour avait
gagné vingt-neuf sièges au Parlement, ce qui générait des spasmes d'anxiété
à travers la haute société anglaise. L'arrivée au pouvoir de la classe
ouvrière, pensait Galton, allait entraîner leur prise de pouvoir génétique par
la production d'une foule d'enfants et faire basculer la nation dans une
profonde médiocrité. L'homme moyen allait dégénérer, devenir encore plus
moyen.
« Un type agréable de femme légère peut se mettre à vous engendrer des
gars stupides [jusqu'à ce que] le monde en soit bouleversé 44 » avait écrit
George Eliot dans son poème The Mill on the Floss en 1860. Pour Galton,
la reproduction permanente d'hommes et de femmes écervelés représentait
une grave menace génétique pour le pays. Thomas Hobbes s'était inquiété
de ce que « l'état de nature » chez l'homme fût « pauvre, vicieux, grossier et
courtaud ». Galton craignait l'apparition d'un État dominé par des gens
génétiquement inférieurs, qui soient pauvres, vicieux, britanniques et…
courtauds. Les masses laborieuses étaient aussi les masses prolifiques,
celles qui se multipliaient le plus et qui, livrées à elles-mêmes, allaient
inévitablement produire beaucoup de rejetons rustres et inférieurs (il
appelait ce processus le kakogénisme, « la production de mauvais gènes »).
En fait, Wells n'avait fait qu'exprimer ce que nombre de personnes dans
le premier cercle autour de Galton ressentaient profondément sans oser le
dire, à savoir que l'eugénisme ne pouvait fonctionner que si la reproduction
sélective des plus forts (le soi-disant eugénisme positif) était renforcée par
une stérilisation sélective des plus faibles, ou eugénisme négatif. En 1911,
Havelock Ellis, un collègue de Galton, détourna l'image de Mendel, le
jardinier solitaire, pour la mettre au service de son enthousiasme pour la
stérilisation : « Dans le grand jardin de la vie, il n'en va pas autrement que
dans nos jardins publics. Nous réprimons les libertés de ceux qui, pour
satisfaire leur désir puéril ou pervers, vont arracher les arbustes ou piétiner
les fleurs, mais ce faisant nous obtenons la liberté et la joie pour tous […]
Nous cherchons à cultiver le sens de l'ordre, à encourager la sympathie et la
prévoyance, à extirper les mauvaises herbes de la race dès la racine […]
Dans ce domaine, en fait, le jardinier dans son jardin est notre symbole et
notre guide 45 ».

Durant les dernières années de sa vie, Galton fut tourmenté par l'idée de
l'eugénisme négatif. Elle ne le laissa jamais en paix. La « stérilisation des
échecs », le désherbage et le nettoyage du jardin génétique humain, le hanta
avec ses nombreux dangers moraux implicites. En fin de compte, son
aspiration à faire de l'eugénisme une « religion nationale » surmonta ses
scrupules sur l'eugénisme négatif. En 1909, il fonda une revue, la Eugenics
Review, qui soutenait non seulement la sélection pour le croisement des
personnes, mais aussi la stérilisation sélective. En 1911, il rédigea un
étrange roman intitulé Kantsaywhere narrant une utopie future où environ la
moitié de la population était marquée comme « inapte » et dont la
reproduction était sévèrement limitée. Il en laissa une copie à sa nièce, mais
elle trouva le texte tellement embarrassant qu'elle en brûla une bonne partie.
Le 24 juillet 1912, une année après le décès de Galton, la première
conférence internationale sur l'eugénisme s'ouvrit à l'hôtel Cecil de
Londres 46. L'endroit était symbolique. Avec près de 800 chambres et une
grande façade monolithique donnant sur la Tamise, c'était le plus grand, si
ce n'est le plus prestigieux, des hôtels en Europe, un lieu typiquement
réservé aux événements diplomatiques ou nationaux.
Des célébrités de douze pays et de divers domaines y descendirent pour
assister à la conférence. Il y avait Winston Churchill, Lord Balfour, le maire
de Londres, le président de la Cour suprême, Alexander Graham Bell, le
président de l'université de Harvard Charles Eliot, l'embryologiste August
Weismann. Leonard Darwin, fils de Charles, présidait la rencontre tandis
que le mathématicien Karl Pearson avait collaboré étroitement avec lui pour
établir le programme. Les visiteurs, qui avaient parcouru le grand hall
d'entrée voûté en marbre où un arbre généalogique de Galton trônait bien en
vue, étaient invités à des conférences sur les manipulations génétiques pour
augmenter la taille des enfants, sur l'hérédité de l'épilepsie, sur la
reproduction des alcooliques, et sur la nature génétique de la criminalité.
Parmi toutes ces présentations, deux se distinguaient par leur ferveur
particulière. La première était un exposé précis et enthousiaste par des
Allemands qui soutenaient « l'hygiène raciale », un bien sombre présage de
ce qui allait arriver. Alfred Ploetz, médecin et scientifique, farouche
partisan de la théorie de l'hygiène raciale, fit un discours passionné sur le
lancement d'un nettoyage de la race en Allemagne. La seconde présentation,
encore plus large dans sa portée et son ambition, fut donnée par la
délégation américaine. Si l'eugénisme était en train de devenir une petite
industrie artisanale en Allemagne, elle était déjà une véritable opération
nationale aux États-Unis. Le père de ce mouvement américain était le
célèbre zoologue de Harvard Charles Davenport, qui avait fondé en 1910 un
centre de recherche sur l'eugénisme, l'Eugenics Record Office. Le livre de
Davenport intitulé Heredity in Relation to Eugenics, 47 paru en 1911, était la
bible du mouvement ; il était aussi largement conseillé en tant que manuel
de génétique dans les universités américaines 48.
Davenport n'était pas présent à la conférence de 1912 mais son protégé
Bleecker Van Wagenen, le jeune président de l'Association des éleveurs
américains, fit un vibrant exposé. Contrairement aux Européens qui
s'enlisaient dans des considérations théoriques, la présentation de Van
Wagenen était imprégnée du sens pratique des Yankees. Il parla avec brio
des efforts sur le terrain pour éliminer les « lignées défectueuses » aux
États-Unis. Des centres fermés, des « colonies » pour les génétiquement
inaptes étaient déjà programmés. Des comités étaient déjà en place pour
décider de la stérilisation des hommes et des femmes inaptes, que ce soient
des épileptiques, des criminels, des sourds-muets, des débiles mentaux, des
personnes ayant des défauts oculaires, des déformations osseuses, un
nanisme, une schizophrénie, un trouble bipolaire ou atteintes de folie.
« Près de 10 % de la population […] a un sang inférieur 49, estimait Van
Wagenen, ils sont complètement inaptes à devenir les parents de citoyens
utiles […] Dans huit États de l'Union, des lois autorisent ou demandent la
stérilisation ». En « Pennsylvanie, au Kansas, dans l'Idaho, en Virginie […]
Des milliers et des milliers de stérilisations ont été pratiquées par des
chirurgiens aussi bien dans le privé que dans le public. La règle a été que
ces opérations ont été faites pour des raisons purement pathologiques et il
s'est avéré difficile d'obtenir des relevés fiables d'éventuelles conséquences
à long terme ».
« Nous nous efforçons de garder la trace de toutes les personnes opérées
et d'avoir de leurs nouvelles de temps en temps 50, concluait avec entrain le
directeur général de l'hôpital de l'État de Californie en 1912. Nous n'avons
trouvé aucun effet indésirable. »
« Trois générations d'imbéciles, ça suffit »

« Si nous permettons aux faibles et aux difformes de survivre et de se


multiplier, nous nous exposons à un crépuscule génétique ; mais si
nous les laissons souffrir ou mourir quand nous pouvons les sauver ou
les aider, nous sommes devant la certitude d'un crépuscule moral. »
Theodosius Grigorievich Dobzhansky, L'hérédité et la nature humaine,
1
Flammarion, 1969 [Heredity and the Nature of Man ]

« Et des [parents] infirmes viennent des [descendants] infirmes, tout


comme des boiteux viennent des boiteux, des aveugles les aveugles.
Souvent même, les descendants ressemblent à leurs parents pour des
choses qui n'ont rien de naturel, et ils portent des signes tout à fait
pareils, par exemple des excroissances ou des cicatrices. Parfois, ces
ressemblances ont même été transmises en franchissant trois
[générations]. »
Aristote, Histoire des animaux,

2
livre VII, chapitre VI

Au printemps de l'année 1920 3, Emmett Adaline Buck, Emma pour faire


plus court, fut conduite à l'établissement Colonie Virginia for Epileptics and
Feebleminded à Lynchburg en Virginie. Son mari, Franck Buck, un ouvrier
travaillant dans l'étain, avait déserté le foyer ou était mort dans un accident,
laissant Emma seule pour s'occuper d'une petite fille, Carrie Buck 4.
Emma et Carrie vivaient dans la misère, dépendant de la charité, de dons
de nourriture et de travaux artisanaux pour avoir un maigre revenu. On
disait qu'Emma avait eu des rapports sexuels pour de l'argent, contracté la
syphilis, et qu'elle buvait son argent les week-ends. En mars, elle fut
interpellée en ville, emprisonnée pour vagabondage ou prostitution, puis
amenée devant un juge municipal. Un rapide examen de ses capacités
intellectuelles effectué le 1er avril 1920 par deux médecins 5 la fit classer
comme « faible d'esprit ». C'est alors que Buck fut envoyée dans
l'établissement de Lynchburg.
La « faiblesse d'esprit », en 1924, comportait trois catégories distinctes :
idiot, débile et imbécile. Le type idiot était le plus facile à classer 6 : le
Bureau du recensement américain appliquait ce terme à une « personne
déficiente mentalement avec un âge mental ne dépassant pas 35 mois »,
mais les deux autres types, débile et imbécile, étaient moins nets. Sur le
papier, ces termes se référaient à des formes moins sévères de handicap
cognitif, mais en pratique les mots ouvraient bien trop facilement la
possibilité d'inclure diverses personnes qui pouvaient n'avoir aucune
maladie mentale. Il pouvait s'agir de prostituées, d'orphelins, de dépressifs,
de vagabonds, de petits délinquants, de schizophrènes, de dyslexiques, de
féministes, d'adolescents rebelles, bref toute personne dont le
comportement, les désirs, les choix ou l'apparence s'écartaient de la norme
sociale.
Les femmes faibles d'esprit étaient envoyées à la Colonie Virginia pour
les tenir enfermées et s'assurer qu'elles n'allaient pas continuer à faire des
enfants et donc à contaminer la population avec des débiles ou des idiots
supplémentaires. Le mot « Colonie » trahissait néanmoins son objectif.
L'endroit n'était pas conçu pour être un hôpital ou un asile. Il était plutôt, et
dès le départ, conçu pour être une zone de détention. S'étendant sur deux
cents hectares à l'abri du vent des montagnes Bleues dans les Appalaches, à
plus d'un kilomètre des rives boueuses de la rivière James, la Colonie avait
son bureau de poste, sa centrale électrique, son stock de charbon et sa voie
ferrée secondaire pour décharger les marchandises. Aucun transport public
ne reliait la Colonie vers l'extérieur. C'était l'hôtel California de la maladie
mentale et les patients qui arrivaient en ressortaient rarement.
Lorsqu'Emma Buck arriva, elle fut lavée, ses vêtements jetés et son sexe
passé au mercure pour le désinfecter. Un nouveau test d'intelligence
effectué par un psychiatre confirma le diagnostic initial de « débile de bas
niveau ». Elle fut admise à la Colonie – elle allait y passer le reste de sa vie.

Avant que sa mère ne soit orientée vers Lynchburg en 1920, Carrie Buck
avait eu une enfance pauvre mais néanmoins normale. Un bulletin scolaire
de 1918, alors qu'elle avait douze ans, note qu'elle était « très bonne » en
« comportement et en leçons ». Dégingandée, garçonne, turbulente, grande
pour son âge, avec une frange de cheveux foncés et un grand sourire, elle
aimait écrire des mots aux garçons à l'école et pêcher des grenouilles et des
petits poissons dans les étangs voisins. Une fois sa mère Emma partie, sa
vie commença à se disloquer. Carrie fut placée dans un foyer d'accueil. Elle
fut violée par le neveu de ses parents adoptifs et découvrit bientôt qu'elle
était enceinte.
Réagissant rapidement pour étouffer l'affaire, les parents adoptifs de
Carrie l'amenèrent devant le même juge municipal qui avait envoyé sa mère
à Lynchburg. Le plan était aussi de faire passer Carrie pour une imbécile.
On rapporta qu'elle s'abaissait à d'étranges comportements, avec des
« hallucinations et des crises de nerfs », qu'elle était impulsive, psychotique
et portée sur le sexe. Comme on pouvait le prévoir, le juge, qui était un ami
des parents adoptifs de Carrie, confirma le diagnostic de « faible d'esprit » :
telle mère, telle fille. Le 23 janvier 1924 7, moins de quatre ans après la
comparution d'Emma devant un juge, Carrie fut à son tour assignée à la
Colonie.
Le 28 mars 1924 8, sur le point de partir pour Lynchburg, Carrie donna
naissance à une fille, Vivian Elaine. Cette fille fut elle aussi placée dans une
famille d'accueil sur décision publique. Le 4 juin 1924, Carrie arriva à la
Colonie Virginia. « Il n'y a aucun indice de psychose, elle lit et écrit et
prend soin d'elle correctement » indique un rapport à son sujet. Ses
connaissances et ses compétences furent également jugées normales.
Néanmoins, en dépit de toute évidence, elle fut classée comme « débile de
niveau moyen 9 » et confinée sur place.

En août 1924, quelques mois après son arrivée à Lynchburg, Carrie Buck
fut convoquée devant le bureau de la Colonie à la demande du médecin
Albert Priddy 10.
Albert Priddy, le médecin d'une petite ville de Virginie à l'origine, était
devenu le directeur de la Colonie en 1910. Il était, sans qu'Emma ou Carrie
Buck ne le sachent, au centre d'une furieuse campagne politique. Le projet
qui lui tenait à cœur était la « stérilisation eugénique » des faibles d'esprit.
Doté de pouvoirs extraordinaires sur sa Colonie, Priddy était convaincu que
la détention des « déficients mentaux » dans les Colonies n'était qu'une
solution temporaire à la dissémination de leur « mauvaise hérédité ». Une
fois libérés, les imbéciles allaient se reproduire à nouveau, contaminant et
frelatant le pool génétique. La stérilisation était une stratégie plus définitive,
une solution finale.
Pour se couvrir, Priddy avait besoin d'une décision légale l'autorisant à
stériliser une femme pour des raisons explicitement eugéniques. Un tel cas
ferait alors jurisprudence pour des milliers d'autres. Lorsqu'il abordait le
sujet, il s'apercevait que les dirigeants politiques étaient très réceptifs à ses
idées. Le 29 mars 1924, avec l'aide de Priddy 11, l'État de Virginie autorisa la
stérilisation eugénique dans la mesure où la personne concernée avait été
vue par un « Comité de direction d'une institution de santé mentale ». Le
10 septembre, encore à la demande expresse de Priddy, le Comité de la
Colonie Virginie examina le cas de Carrie Buck lors d'une réunion de
routine. Au cours de son interrogatoire, une seule question fut posée à la
jeune femme : « Avez-vous quelque chose à dire en particulier sur
l'opération qui va être faite sur vous ? 12 » Elle dit seulement deux choses :
« Non, Monsieur, je n'ai rien à dire. C'est l'affaire de mes proches. » Ses
« proches », quels qu'ils soient, ne prirent pas sa défense. Le comité
approuva la demande de Priddy qu'elle soit stérilisée.
Mais Priddy s'inquiétait que sa tentative de stérilisation eugéniste ne soit
remise en cause par la cour de l'État ou par la cour d'appel fédérale. Sous
son instigation, le cas de Buck fut ensuite présenté à la cour de Virginie. Si
celle-ci confirmait son action, pensait Priddy, il aurait une liberté pleine et
entière de poursuivre ses menées eugénistes à la Colonie et de les étendre à
d'autres. Le cas « Buck vs Priddy » fut enregistré à la Cour du comté de
Amherst en octobre 1924.
Le 17 novembre 1925, Carrie Buck comparut au palais de justice de
Lynchburg. Elle s'aperçut que Priddy avait arrangé le témoignage d'une
dizaine de personnes. La première, une infirmière de secteur de
Charlottesville, témoigna qu'Emma et Carrie étaient impulsives,
« mentalement irresponsables, et […] faibles d'esprit ». Sollicitée pour
donner des exemples de comportement problématique de la part de Carrie,
elle dit que cette dernière « avait écrit des mots à des garçons ». Quatre
autres femmes apportèrent aussi leur témoignage. Mais le témoin le plus
important de Priddy restait à venir. Le médecin avait envoyé à l'insu des
deux femmes une travailleuse sociale de la Croix-Rouge examiner le bébé
de huit mois de Carrie, Vivian, qui vivait chez ses parents adoptifs. Si
l'enfant pouvait aussi être jugé faible d'esprit, pensait Priddy, l'affaire serait
terminée. Avec trois générations – Emma, Carrie et Vivian – frappées
d'imbécillité, il deviendrait difficile d'argumenter contre la transmission de
leur capacité mentale.
Ce dernier témoignage ne se passa pas aussi bien que Priddy l'avait
prévu. La travailleuse sociale, s'écartant du scénario attendu, commença par
admettre qu'il y avait des biais dans son évaluation :
« Peut-être que ma connaissance de la mère a pu m'influencer […]
— Quelle impression avez-vous eue de l'enfant ? » demanda le juge.
La travailleuse sociale hésita encore.
« Difficile de juger des probabilités d'un enfant aussi jeune, mais elle ne
me semble pas être un bébé tout à fait normal […]
— Vous ne jugez pas l'enfant comme normal ?
— Elle a un air qui n'est pas vraiment normal, mais savoir au juste ce que
c'est, je ne pourrais pas le dire ».
L'espace d'un instant, il sembla que l'avenir des stérilisations eugéniques
aux États-Unis dépendait des impressions assez floues d'une infirmière qui
avait pris dans ses bras un bébé pleurnichant sans ses jouets.
Le jugement prit cinq heures, en incluant le repas de midi. La
délibération fut brève, la décision clinique. La Cour confirma la décision de
Priddy de stériliser Carrie Buck. « Cet acte est en accord avec les exigences
de la loi conformément appliquée, indiquait le texte de la décision. Il ne
s'agit pas d'un statut pénal. On ne peut dire, comme prétendu, que cet acte
divise une classe naturelle de personnes en deux. »
La défense de Buck fit appel de la décision. Le cas remonta à la Cour
suprême de Virginie où la demande de Priddy de stériliser Buck fut à
nouveau confirmée. Au début du printemps 1927, le jugement arriva à la
Cour suprême des États-Unis. Priddy était décédé mais son successeur, John
Bell, le nouveau directeur de la Colonie, était l'inculpé désigné.

Le cas « Buck vs Bell » fut présenté à la Cour suprême au cours du


printemps 1927. Dès le départ, il fut clair qu'il ne s'agissait plus ni de Buck
ni de Bell. L'atmosphère de l'époque était devenue lourde. Tout le pays
angoissait sur son histoire et son héritage. Les rugissantes années vingt
refermaient une période historique d'immigration massive aux États-Unis.
Entre 1890 et 1924, près de 10 millions d'immigrés, des juifs, des Italiens,
des Irlandais, des Polonais, avaient afflué à New York, San Francisco et
Chicago, remplissant les rues et les immeubles, inondant les marchés de
langues, de rituels et de nourritures étrangères (en 1927, ces nouveaux
arrivants représentaient plus de 40 % de la population de New York et de
Chicago). Et dans la même mesure où l'anxiété de classe avait alimenté les
poussées eugénistes en Angleterre dans les années 1890, « l'anxiété de
race » avait nourri l'action eugéniste des Américains dans les années
1920 13. Galton a pu mépriser les grandes masses de gens incultes, mais
elles étaient indiscutablement anglaises. Aux États-Unis, au contraire, ces
grandes masses étaient de plus en plus étrangères, et leurs gènes, comme
leur accent, étaient clairement étrangers.
Les eugénistes comme Priddy s'inquiétaient depuis longtemps que les
flots d'immigrés arrivant dans le pays n'aillent précipiter le « suicide de la
race ». Les bonnes personnes se retrouvaient, selon eux, dépassées par les
mauvaises, et les bons gènes corrompus par les mauvais. Et si les gènes
étaient indivisibles par nature, comme Mendel l'avait montré, alors un fléau
génétique, une fois répandu, ne pourrait plus jamais être éliminé. Comme
l'écrivait l'un de ces eugénistes, Madison Grant, « un croisement entre [un
individu de n'importe quelle race] et un juif est un juif 14 ». Le seul moyen
de « retrancher le plasma germinatif défectueux », comme le décrivait un
autre eugéniste, était d'exciser l'organe produisant ce plasma, c'est-à-dire de
procéder à la stérilisation obligatoire des individus génétiquement inaptes
comme Carrie Buck. Pour protéger la nation contre « la menace d'une
détérioration de la race 15 », une chirurgie sociale radicale devait être mise
en place. « Les corbeaux eugénistes croassent pour une réforme [en
Angleterre] 16 » écrivait Bateson en 1926, visiblement dégoûté. Les
corbeaux américains croassaient plus fort encore.
Contrebalançant avec la même force le mythe du « suicide de la race » et
de la « détérioration de la race », se tenait le mythe opposé de la pureté
génétique et raciale. Parmi les romans les plus populaires du début des
années vingt, il y avait Tarzan, seigneur de la jungle* *, une saga
décoiffante, dévorée par des millions d'Américains. Dans cette fiction, un
aristocrate anglais devenu orphelin très jeune et élevé par des singes en
Afrique conservait non seulement le physique, la couleur de peau et le port
de ses parents mais aussi leur rectitude morale, leurs valeurs anglo-
saxonnes, et même l'utilisation instinctive de la bonne vaisselle. Tarzan,
avec « son corps droit aux proportions parfaites, musclé comme avait dû
l'être le meilleur gladiateur de la Rome antique », illustrait la victoire ultime
de l'inné sur l'acquis. Si un homme blanc élevé par des singes dans la jungle
arrivait à conserver l'intégrité d'un homme blanc en costume de flanelle, la
pureté de la race pouvait être maintenue en toutes circonstances.
Face à ce nouveau rebondissement, la Cour suprême américaine ne tarda
pas à se prononcer sur le cas « Buck vs Bell ». Le 2 mai 1927, quelques
semaines à peine avant les vingt et un ans de Carrie Buck, elle fit connaître
son verdict. Reflétant l'opinion majoritaire à huit contre un, Oliver Wendell
Holmes Jr. expliqua ainsi la décision de la cour : « Plutôt que de finir par
exécuter une progéniture dégénérée pour crime ou la laisser dépérir du fait
de son imbécillité, il vaut mieux pour tout le monde que la société puisse
empêcher de se perpétuer ceux qui sont manifestement inaptes. Le principe
justifiant la vaccination obligatoire est assez large pour inclure la section
des trompes de Fallope 17. »
Holmes, fils de médecin, humaniste, érudit en histoire, était un homme
largement reconnu pour son scepticisme vis-à-vis des dogmes sociaux, et
allait bientôt être l'avocat le plus actif de la modération en politique et dans
la justice. Pourtant, il était visiblement lassé par les Buck et leur bébé. Il
écrivit : « Trois générations d'imbéciles, ça suffit 18. »

Carrie Buck fut stérilisée par ligature des trompes le 19 octobre 1927. Ce
matin-là, vers neuf heures, elle fut amenée à l'infirmerie de la Colonie. À
dix heures, droguée sous morphine et atropine, elle fut placée sur un
brancard dans la salle d'opération. Une infirmière lui administra un
anesthésiant et elle sombra dans un profond sommeil. Deux médecins et
deux infirmières étaient de service, un effectif inhabituel pour une opération
de routine de ce type, mais il s'agissait d'un cas spécial. John Bell, le
directeur, lui ouvrit l'abdomen par une incision au milieu du ventre. Il retira
un segment de chaque trompe de Fallope, maintint les extrémités et les
ligatura. La plaie fut cautérisée au phénol et stérilisée à l'alcool. L'opération
ne connut pas de complications.
La chaîne de l'hérédité était rompue. « Le premier cas opéré sous la loi de
la stérilisation » s'était déroulé comme prévu et la patiente était ressortie en
pleine forme, écrivit Bell. Buck récupéra dans sa chambre sans problème.
Six décennies et deux années, ce qui n'est rien à l'échelle historique,
s'étaient écoulées entre les premières expériences de Mendel sur les petits
pois et la stérilisation de Carrie Buck dans le cadre de la loi. Dans ce court
laps de temps, le gène était passé du concept abstrait d'une expérience de
botanique à un puissant outil de contrôle social. Au moment où le cas
« Buck vs Bell » était discuté à la Cour suprême en 1927, la rhétorique
génétique et eugéniste diffusait dans les discours personnels, politiques et
sociaux aux États-Unis. En 1927, l'État de l'Indiana adopta une révision
d'une loi antérieure pour stériliser les « criminels confirmés, les idiots, les
imbéciles et les violeurs » 19. D'autres États suivirent avec des mesures
légales encore plus draconiennes pour stériliser et détenir des hommes et
des femmes jugés génétiquement inférieurs.
Et tandis que des programmes de stérilisation soutenus par les États se
développaient dans tout le pays, naissait également un mouvement
populaire en faveur d'une sélection génétique personnalisée. Dans les
années 1920, des millions d'Américains se pressaient aux foires agricoles. À
côté des démonstrations de brossage de dents, des machines à pop-corn et
des charrettes de foin, le public pouvaient assister à des concours du
meilleur bébé 20. Des enfants, qui n'avaient souvent qu'un ou deux ans,
étaient exposés avec fierté sur des tables comme des chiens ou du bétail
pour être examinés par des médecins, des psychiatres, des dentistes et des
infirmières. Leurs yeux, leurs dents, leur peau, leur taille, leur poids, la
grosseur du crâne et leur caractère étaient évalués pour retenir les enfants
les plus sains et les plus aptes. Les bébés « les plus aptes » étaient ensuite
présentés dans les foires. Leurs images étaient diffusées partout sur des
posters, dans les journaux et les magazines, générant un soutien passif
envers le mouvement eugéniste national. Davenport, le zoologue de
Harvard devenu célèbre pour avoir établi le Bureau d'enregistrement
eugéniste, créa un formulaire standard d'évaluation des meilleurs bébés. Il
conseillait ainsi aux juges d'examiner les parents avant les enfants : « Vous
devriez tenir compte pour moitié de l'hérédité avant de commencer à
examiner un bébé 21. » « Celui qui remporte un prix à deux ans peut être un
épileptique à dix. » Ces foires comprenaient souvent des « stands de
Mendel » où les principes de la génétique et les lois de l'hérédité étaient
expliqués à l'aide de marionnettes.
En 1927, un film intitulé Are You fit to Marry ? 22 rassemblait les foules à
travers le pays 23. Il avait été réalisé par Harry Haiselden, un autre médecin
obsédé par l'eugénisme. Reprise d'un ancien film intitulé The Black Stork* *,
l'intrigue tourne autour d'un médecin, joué par Haiselden lui-même, qui
refuse de sauver des enfants handicapés pour tenter de « nettoyer » le pays
de ses individus déficients. À la fin du film, une femme cauchemarde
qu'elle est enceinte d'un enfant handicapé mental. Elle se réveille et décide
qu'elle et son fiancé devront être vus avant leur mariage pour s'assurer de
leur compatibilité génétique (à la fin des années 1920, les tests d'aptitude
génétique avant mariage, qui évaluaient les histoires familiales de retard
mental, d'épilepsie, de surdité, de maladies squelettiques, de nanisme et de
cécité, étaient largement vantés au public américain). Haiselden avait
l'ambition que son film soit commercialisé comme une comédie romantique
avec ses ingrédients conventionnels : de l'amour, de la romance, du
suspense et de l'humour, et en prime un peu d'infanticide pour le
déplacement.
Alors que l'avant-garde du mouvement eugéniste américain passait de la
privation de liberté à la stérilisation puis carrément au meurtre, les
eugénistes européens observaient l'escalade avec un sentiment partagé entre
jalousie et envie. En 1936, moins de dix ans après le cas « Buck vs Bell »,
une forme bien plus virulente de « nettoyage génétique » allait déferler sur
le continent comme une violente contagion, transformant le langage des
gènes et de l'hérédité en sa forme la plus puissante et la plus macabre.
PARTIE 2
« DANS LA SOMME DES PARTIES,
IL N'Y A QUE LES PARTIES »
L'élucidation des mécanismes de l'hérédité
(1930-1970)

« Ce fut quand je dis


“Les mots ne sont pas les formes d'un seul mot
Dans la somme des parties, il n'y a que les parties
Le monde doit être évalué à l'œil.” »
22
Wallace Stevens, « On the Road Home »
« Abhed »

Genio y hechura, hasta sepultura (« Nature et caractère durent


jusqu'au tombeau »)
Dicton espagnol

« Je suis la figure familiale :


La chair périt, je survis,
Projetant caractère et trace
À travers le temps sans nom,
Et sautant d'un endroit à l'autre
Par-dessus l'oubli. »
1
Thomas Hardy, « Heredity »

Le jour précédant notre visite à Moni, mon père et moi avons fait une
promenade dans Calcutta. Nous sommes partis de la gare Sealdah où ma
grand-mère était descendue en 1946, débarquant de Barisal avec ses cinq
garçons et ses quatre malles d'acier. À partir de la gare, nous avons refait
leur chemin, marchant le long de la rue Prafulla Chandra, longeant le
vibrant marché de produits frais, avec ses étals de poissons et de légumes
d'un côté et l'étang de jacinthes d'eau de l'autre, puis nous nous sommes
dirigés vers la ville.
La rue se rétrécit ensuite fortement et la foule devient plus dense. Des
deux côtés de la rue, les grands appartements laissent la place à de plus
petits, comme animés par un puissant mouvement biologique où les pièces
seraient divisées en deux, puis quatre, puis huit. Les rues se ramifient et le
ciel disparaît. Il y avait le bruit métallique des cuisines et l'odeur minérale
de la fumée de charbon. Parvenus à la boutique du pharmacien, nous avons
tourné vers l'entrée de l'allée Hayat Khan et nous nous sommes dirigés vers
la maison que mon père et sa famille avaient occupée. Le tas d'ordures était
toujours là, nourrissant une population de plusieurs générations de chiens
sauvages. La porte d'entrée de la maison s'ouvrait sur une petite cour. Une
femme était dans la cuisine en bas des escaliers, sur le point de couper une
noix de coco avec un grand couteau.
« Êtes-vous la fille de Bibhuti ? » demanda de but en blanc mon père en
bengali. Bibhuti Mukhopadhyay était le propriétaire de la maison et l'avait
louée à ma grand-mère. Il n'était plus de ce monde mais mon père se
rappelait qu'il avait deux enfants, un garçon et une fille.
La femme regarda mon père d'un air las. Il avait déjà franchi le seuil et
était déjà monté sur la véranda, à quelques mètres de la cuisine. « Est-ce
que la famille de Bibhuti vit encore ici ? » Ses questions étaient directes,
sans formule de politesse. Je remarquai un changement délibéré de son
accent, le sifflement doux des consonnes – le chh dental du bengali de
l'Ouest évoluant vers le ss plus sifflé de celui de l'Est. À Calcutta, je le
savais, chaque accent est comme un moyen chirurgical de sonder l'autre.
Les bengalis envoient leurs voyelles et leurs consonnes comme des drones
de surveillance, pour tester l'identité de leur interlocuteur, déceler ses
sympathies et vérifier ses allégeances.
« Non, je suis la belle-fille de son frère, répondit la femme. Nous avons
vécu ici depuis la mort du fils de Bibhuti. »
Difficile de décrire ce qui s'est ensuite passé, sauf pour dire que ce genre
de moment n'arrive que dans les histoires de réfugiés. Un minuscule éclair
de compréhension passa entre eux. La femme reconnut mon père, non
l'homme réel qu'elle n'avait jamais rencontré auparavant, mais le type
d'homme : un garçon qui rentre à la maison. À Calcutta, comme à Berlin,
Peshawar, Delhi ou Dhaka, des hommes comme lui surgissent tous les jours
de la rue, sortant de nulle part pour pousser sans prévenir la porte des
maisons, franchissant inopinément le seuil de leur passé.
Ses manières devinrent visiblement plus chaleureuses. « Êtes-vous la
famille qui a vécu ici autrefois ? N'y avait-il pas de nombreux frères ? » Elle
posa ces questions de façon désinvolte, comme si cette visite n'avait que
trop longtemps tardé.
Son fils, âgé d'une douzaine d'année, se pencha par la fenêtre en haut des
escaliers, un livre à la main. Je connaissais cette fenêtre. Jagu s'y postait des
jours entiers pour scruter la cour.
« C'est bon » dit-elle à son fils en agitant les mains. Il recula vite à
l'intérieur. Elle se tourna vers mon père. « Allez à l'étage si vous voulez.
Regardez mais laissez vos chaussures dans la cage d'escalier. »
Je retirai mes baskets et le sol me parut immédiatement familier sous la
plante de mes pieds, comme si j'avais toujours vécu ici. Mon père déambula
dans la maison avec moi. C'était plus petit que je ne l'avais imaginé, comme
le sont inévitablement tous les endroits reconstruits à partir de souvenirs
empruntés, mais aussi plus sombre et plus poussiéreux. Les souvenirs
rendent le passé plus vif mais c'est plutôt la réalité qui s'émousse. Nous
sommes montés par un étroit escalier jusqu'à deux petites pièces. Les quatre
plus jeunes frères, Rajesh, Nakul, Jagu et mon père, avaient partagé l'une
d'entre elles. Le plus grand des frères, Ratan, le père de Moni, et ma grand-
mère avaient partagé la pièce d'à côté, mais lorsque l'esprit de Jagu avait
glissé dans la folie, elle avait renvoyé Ratan vivre avec ses frères et pris
Jagu sous son aile. Celui-ci n'avait ensuite plus quitté sa chambre.
Nous sommes montés jusqu'au balcon sur le toit. Le ciel se dilatait enfin.
La nuit tombait si vite qu'on pouvait presque imaginer la courbure de la
Terre virer loin du Soleil. Mon père tourna son regard vers les lumières de
la gare. Un train siffla au loin comme un oiseau désespéré. Il savait que
j'écrivais un livre sur l'hérédité.
« Les gènes » dit-il en fronçant les sourcils.
« Y a-t-il un mot bengali ? » demandai-je
Il consulta son lexique interne. Il n'y avait pas de mot, mais peut-être
pourrait-il trouver un substitut.
« Abhed » proposa-t-il. Je ne l'avais jamais entendu utiliser ce terme. Il
signifie « indivisible » ou « impénétrable » mais il est aussi utilisé au sens
large pour « identité ». Je m'émerveillai de ce choix. C'était un mot qui
résonnait. Mendel ou Bateson auraient pu se réjouir de ses nombreux
échos : indivisible, impénétrable, inséparable, identité.
Je demandai à mon père ce qu'il pensait de Moni, Rajesh et Jagu.
« Abheder dosh » dit-il.
Un défaut d'identité, une maladie génétique, une tache qui ne peut être
séparée du soi, la même expression donnait tous ces sens. Il avait fait la
paix avec son indivisibilité.

En dépit de tous les discours de la fin des années 1920 sur les liens entre
gènes et identité, le gène lui-même semblait en manque d'identité. Si l'on
avait demandé à des scientifiques de cette époque de quoi est fait un gène,
comment il fonctionne, ou encore où il se trouve au sein de la cellule, on
aurait reçu peu de réponses satisfaisantes. Alors que la génétique était
utilisée pour justifier des changements radicaux dans la société et les lois, le
gène restait une entité obstinément abstraite, un fantôme niché au cœur de
la machine biologique.
Cette boîte noire de la génétique fut ouverte presque accidentellement par
un scientifique improbable qui travaillait sur un organisme tout aussi
improbable. En 1907, quand William Bateson se rendit aux États-Unis pour
donner des conférences sur la découverte de Mendel 2, il fit une halte à New
York pour rencontrer le biologiste cellulaire Thomas Hunt Morgan. Bateson
ne fut pas particulièrement impressionné. « Morgan est un imbécile, écrivit-
il à sa femme. Il est dans un tourbillon permanent, très actif avec une
tendance à faire du bruit 3. »
Bruyant, actif, obsessionnel, excentrique, avec un esprit de derviche
tourneur qui passait d'une question scientifique à l'autre, Thomas Morgan
était professeur de zoologie à l'université Columbia. Il s'intéressait surtout à
l'embryologie. Dans un premier temps, les questions de l'existence des
unités héréditaires, de l'endroit et de la façon dont elles pouvaient être
conservées l'indifféraient. La principale question qui le préoccupait
concernait le développement : comment un organisme peut-il émerger d'une
cellule ?
Morgan s'était d'abord montré réticent envers la théorie de l'hérédité de
Mendel, pensant qu'il y avait peu de chance qu'une information
embryologique complexe puisse être contenue sous forme d'unités dans la
cellule (d'où le dédain de Bateson). Finalement, Morgan avait été convaincu
par les données de Bateson. Il était difficile d'argumenter contre le
« bouledogue de Mendel » qui débarquait armé de tableaux de données.
Pourtant, même si Morgan avait fini par accepter l'existence des gènes, il
restait perplexe quant à leur forme physique. « Les biologistes cellulaires
regardent, les généticiens comptent et les biochimistes purifient 4 »,
s'amusait le biochimiste et prix Nobel Arthur Kornberg. Il est vrai que les
biologistes cellulaires, avec leurs microscopes, s'étaient habitués à un
monde cellulaire où chaque structure visible avait une fonction identifiable.
Mais jusqu'à présent, les gènes n'avaient été « visibles » qu'au sens
statistique. Morgan voulait découvrir les bases physiques de l'hérédité.
« Nous nous intéressons à l'hérédité, non d'abord comme une formulation
mathématique 5, écrivait-il, mais plutôt comme un problème concernant la
cellule, l'ovule et le spermatozoïde. »
Mais où pouvaient bien se trouver les gènes dans la cellule ? Les
biologistes avaient depuis longtemps l'intuition que le meilleur matériau
pour les mettre en évidence était l'embryon. Dans les années 1890, Theodor
Boveri, un embryologiste allemand qui travaillait sur les oursins à Naples,
avait proposé que les gènes se trouvent sur les chromosomes. Il s'agit de
filaments, enroulés comme des ressorts, qui sont abrités dans le noyau des
cellules. On pouvait alors visualiser ces petits bâtonnets en les colorant en
bleu avec de l'aniline (d'où le terme de chromosome – du grec chrome,
« couleur » –, forgé par un collègue de Boveri, Heinrich Wilhem von
Waldeyer-Hartz).
L'hypothèse de Boveri fut corroborée par le travail de deux autres
scientifiques. Walter Sutton était durant son enfance un garçon de ferme qui
collectionnait les sauterelles dans les prairies du Kansas ; il était devenu un
biologiste de ces insectes à New York 6. Au cours de l'été 1902, alors qu'il
travaillait sur des ovules et des spermatozoïdes de sauterelles qui ont des
chromosomes particulièrement énormes, Sutton proposa lui aussi que les
gènes soient physiquement portés par les chromosomes. La troisième
contribution vint de la propre étudiante de Boveri, Nettie Stevens, qui se
penchait sur la détermination du sexe. En 1905, en observant des cellules du
ver de farine 7, elle démontra que le « caractère mâle » de ces animaux était
déterminé par un seul facteur, le chromosome Y. Celui-ci n'était présent que
chez les embryons mâles, jamais chez les femelles (au microscope, le
chromosome Y apparaissait plus petit que le chromosome X). Ayant
localisé le ou les gènes déterminant le sexe sur un unique chromosome,
Stevens proposa que tous les gènes soient portés par des chromosomes.

Thomas Morgan admirait le travail de Boveri, Sutton et Stevens. Mais il


aspirait à une description plus tangible du gène. Boveri avait identifié les
chromosomes comme le support physique des gènes, mais leur architecture
profonde restait à élucider. Comment les gènes étaient-ils organisés sur le
chromosome ? Étaient-ils enfilés comme des perles sur les filaments
chromosomiques ? Chaque gène avait-il une « adresse » chromosomique
unique ? Les gènes se chevauchaient-ils ? Les gènes étaient-ils reliés
physiquement ou chimiquement ?
Pour étudier ces questions, Morgan choisit encore un autre organisme
modèle, la minuscule mouche du vinaigre, également nommée drosophile.
Il commença à en cultiver autour de 1905 (certains de ses collègues ont
déclaré plus tard que le premier stock de mouches est venu d'un essaim
rassemblé autour de fruits trop mûrs chez un épicier de Woods Hole dans le
Massachusetts, d'autres pensaient qu'il avait obtenu ses mouches d'un
collègue de New York). Un an plus tard, il avait des milliers d'asticots dans
des bouteilles de lait remplies de fruits pourris au troisième étage de son
laboratoire de l'université Columbia 8. Des régimes de bananes blettes
pendaient au plafond. L'odeur de fruit fermenté était omniprésente et un
nuage de mouches se levait des tables dès que Morgan se déplaçait. Les
étudiants appelaient son laboratoire la Salle des mouches 9. Il avait à peu
près la même taille et la même forme que le jardin de Mendel, et il allait
devenir un site aussi emblématique dans l'histoire de la génétique.
Comme Mendel, Morgan commença à identifier des caractères héritables,
existant sous différents états qu'il pouvait suivre sur des générations. Il avait
visité le jardin d'Hugo de Vries à Amsterdam au début des années 1900 10 et
s'était particulièrement intéressé à ses plantes mutantes. Les mouches du
vinaigre pouvaient-elles également présenter des mutations ? En examinant
des milliers d'individus au microscope, il put établir un catalogue de
dizaines de mouches mutantes. Une mouche aux yeux blancs apparut
spontanément au milieu de celles, normales, aux yeux rouges. D'autres
mutantes avaient des soies fourchues, des corps de couleur noire, des pattes
incurvées, des ailes recourbées comme celles de chauves-souris, des
abdomens fragmentés, des yeux déformés, une vraie parade de formes
étranges sorties d'Halloween.
Tout un groupe d'étudiants le rejoignit à New York, chacun avec sa
propre étrangeté. Il y avait Alfred Sturtevant, un type rigide et rigoureux du
Middle West, Calvin Bridges, un jeune homme brillant et distingué qui
s'adonnait à l'amour libre, puis le paranoïde et obsessionnel Hermann
Muller qui faisait tout pour attirer l'attention de Morgan. Ce dernier
marquait pourtant sa préférence pour Bridges. C'était lui qui, désigné pour
nettoyer les bouteilles, avait repéré parmi des centaines de mouches aux
yeux vermillon la mutante aux yeux blancs qui allait être à la base de
nombreuses expériences décisives. Morgan admirait Sturtevant pour sa
discipline et son éthique de travail. Le moins aimé était Muller : Morgan le
trouvait fuyant, laconique et indifférent aux autres membres du laboratoire.
Au bout du compte, les trois étudiants allaient furieusement se bagarrer et
déclencher un cycle de jalousies et de destructions qui allaient se répercuter
dans toute la discipline de la génétique. Mais pour le moment, dans la paix
fragile du laboratoire, dans le vrombissement incessant des mouches, ils se
plongeaient dans les expériences sur les gènes et les chromosomes. En
croisant des mouches normales et mutantes, par exemple une mouche à
yeux rouges avec une autre à yeux blancs, Morgan et ses étudiants
pouvaient suivre un caractère sur plusieurs générations. Les mutants, encore
une fois, allaient s'avérer cruciaux dans ces expériences, car seuls les cas
déviants pouvaient éclairer la nature de l'hérédité normale.

Pour comprendre la signification de la découverte de Morgan, il nous faut


revenir à Mendel. Dans les expériences du moine de Brno, chaque gène se
comportait comme une entité indépendante, un agent libre. La couleur des
fleurs, par exemple, n'avait aucun lien avec l'aspect de la graine ou la
hauteur de la tige. Chaque caractéristique était héritée de manière
indépendante et toutes les combinaisons étaient possibles. Le résultat de
chaque croisement était donc une roulette génétique parfaite. Par exemple,
en croisant une plante grande aux fleurs violettes avec une petite aux fleurs
blanches, on retrouvait en deuxième génération les deux types parentaux,
mais aussi des plantes grandes aux fleurs blanches et des petites aux fleurs
violettes.
Cependant, les gènes des mouches de Morgan ne se comportaient pas
toujours de façon indépendante. Entre 1905 et 1908, Morgan et ses élèves
croisèrent des milliers de mouches mutantes pour créer des dizaines de
milliers de mouches. Le résultat de chaque croisement était
méticuleusement noté : yeux blancs, couleur noire, soie fourchue, aile
courte. Lorsque Morgan examina ces croisements, répertoriés sur des
dizaines de cahiers, il découvrit un phénomène surprenant : certains gènes
se comportaient comme s'ils étaient « liés » l'un à l'autre. Le gène
responsable de la couleur blanche des yeux, par exemple, était toujours lié
au caractère mâle. Quel que soit le type de croisement effectué, seuls les
mâles naissaient avec des yeux blancs. Il en était de même du gène de la
couleur noire, toujours lié à celui de la forme de l'aile.
Pour Morgan 11, cette liaison génétique ne pouvait signifier qu'une seule
chose : les gènes devaient être physiquement liés entre eux 12. Si le gène
responsable de la couleur noire n'était jamais (ou rarement) hérité
indépendamment de celui responsable des ailes réduites, c'était parce qu'ils
étaient portés par le même chromosome. Si deux perles se trouvent enfilées
sur le même fil, elles vont toujours rester ensemble, quels que soient les
efforts pour mélanger les fils. Pour deux gènes sur le même chromosome, le
même principe s'appliquait. Il n'y avait aucun moyen simple de séparer non
plus le gène des soies fourchues de celui de la couleur du corps. Ce
caractère inséparable des traits avait donc une origine physique, si le
chromosome était bien le « fil » le long duquel certains gènes sont alignés.

Morgan avait donc réécrit l'une des lois de Mendel et la révision était de
taille. Les gènes ne se déplaçaient pas indépendamment, mais plutôt en
groupes. Ces ensembles d'information que sont les gènes étaient eux-mêmes
regroupés en paquets, les chromosomes, réunis à leur tour dans le noyau de
la cellule. Mais cette découverte avait une conséquence plus importante du
point de vue conceptuel. Morgan n'avait pas seulement lié des gènes, il
avait opéré la jonction entre deux disciplines, la biologie cellulaire et la
génétique. Le gène n'était plus une « unité purement théorique » mais
quelque chose de bien matériel 13, localisé en un point précis et sous une
forme particulière dans la cellule. « Maintenant que nous pouvons localiser
[les gènes] sur les chromosomes, raisonnait Morgan, pouvons-nous les
considérer comme des unités matérielles, comme des corps chimique d'un
ordre supérieur aux molécules ? »

L'établissement d'une liaison entre gènes suscita une deuxième, puis une
troisième découverte. Revenons à cette liaison. Les expériences de Morgan
avaient établi que les gènes physiquement liés sur les mêmes chromosomes
étaient hérités ensemble. Si le gène produisant la couleur bleue des yeux,
disons B, est lié à celui responsable des cheveux blonds, disons Bl, les
enfants blonds auront inévitablement tendance à hériter de yeux bleus (c'est
juste un exemple fictif mais le principe illustré reste vrai).
Mais il y avait une exception. De temps en temps, très sporadiquement,
un gène pouvait se désunir de son gène lié et changer de place, un allèle de
ce gène passant du chromosome paternel au maternel et l'autre allèle faisant
le trajet inverse. Cela se traduisait par un enfant rare, brun avec des yeux
bleus, ou réciproquement, blond avec des yeux foncés. Morgan appela ce
phénomène le « crossing over » 14. Ce phénomène, nous allons le voir, sera
bientôt à l'origine d'une révolution en biologie, établissant le principe que
l'information génétique peut être mélangée, réunie et échangée, pas
seulement entre chromosomes d'une même paire mais entre des organismes
et même des espèces.

La dernière découverte suscitée par le travail de Morgan fut aussi le


résultat d'une étude méthodique des « crossing over ». Certains gènes sont
si étroitement liés qu'ils ne se séparent jamais. Ces gènes, pensèrent les
étudiants de Morgan, devaient être les plus proches entre eux sur le
chromosome. D'autres gènes, bien que liés, avaient plus tendance à se
séparer, et cela devait traduire une distance plus grande entre eux. Les gènes
n'ayant aucune liaison entre eux devaient se trouver sur des chromosomes
entièrement différents 15. La force de la liaison génétique, pour résumer,
devait refléter la proximité physique des gènes sur le chromosome. En
mesurant la fréquence d'association de deux caractères, comme la couleur
de la chevelure et celle des yeux, il devenait donc possible de mesurer la
distance qui séparait les gènes correspondants sur le chromosome.
Durant l'hiver 1911, Sturtevant, alors âgé de vingt ans seulement,
emporta chez lui les données expérimentales sur la liaison des gènes chez la
drosophile. Au lieu de réviser son cours de maths, il passa la nuit à
construire la première carte génétique d'un organisme. Soit trois gènes liés
A, B, C. Si A est fortement lié à B et plus lâchement à C, et si B est un peu
plus étroitement lié à C que A, alors, pensa Sturtevant, les trois gènes
doivent se positionner sur le chromosome dans cet ordre et à une distance
proportionnelle :
A. B………. C.

Prenons un exemple concret analysé par Sturtevant : le gène N, dont un


allèle donne des ailes crantées, avait tendance à être cohérité avec le gène
SB, dont un allèle donne des soies courtes. Les deux gènes devaient donc se
trouver sur le même chromosome, alors que le gène responsable de la
couleur des yeux, indépendant des deux premiers, devait se trouver sur un
autre chromosome. À la fin de la soirée, Sturtevant avait dessiné la
première carte génétique linéaire d'une demi-douzaine de gènes sur un
chromosome de drosophile.
La carte rudimentaire de Sturtevant préfigurait l'entreprise titanesque, et
bien plus élaborée, qui a permis dans les années 1990 de dresser la carte des
gènes sur les chromosomes humains. En utilisant les degrés de liaisons pour
définir les positions relatives des gènes sur les chromosomes, Sturtevant
posait aussi les bases du clonage positionnel, c'est-à-dire l'isolement des
gènes responsables de maladies familiales complexes comme le cancer du
sein, la schizophrénie ou la maladie d'Alzheimer. En à peine une douzaine
d'heures, dans un dortoir pour jeunes étudiants de New York, il avait créé
les fondations sur lesquelles serait bâti, à la fin du siècle, le « Projet
Génome Humain ».

Entre 1905 et 1925, la Salle des mouches de Columbia devint l'épicentre


de la génétique, le catalyseur de cette nouvelle science. Frottées les unes
aux autres, les idées en faisaient jaillir d'autres, comme des atomes
provoquant la fission d'autres atomes. La réaction en chaîne des découvertes
– liaison génétique, « crossing over », linéarité des cartes génétiques,
distances génétiques – se déroulait à une telle cadence qu'il pouvait sembler
que la science génétique avait surgi toute faite. Au cours des décennies qui
suivirent, une pluie de prix Nobel allait se déverser sur les occupants de la
pièce. Morgan, ses étudiants, les étudiants de ses étudiants, et même les
étudiants de ces derniers allaient remporter le prix pour leurs découvertes.
Mais au-delà des liaisons et des cartes génétiques, même Morgan avait du
mal à imaginer ou à décrire l'aspect physique des gènes. Quelle forme
chimique pouvait contenir une information sous forme de « fil » et de
« carte » ? Il est remarquable que les biologistes, cinquante ans après
l'article de Mendel, n'aient pas douté de l'existence des gènes, alors qu'ils ne
les connaissaient toujours que par leurs propriétés : ceci témoigne de leur
capacité à considérer les idées abstraites. Les gènes spécifiaient des
caractères, pouvaient muter et alors déterminer des variantes de ces
caractères ; enfin, ils pouvaient être physiquement ou chimiquement liés
entre eux. Dans la pénombre, comme à travers un voile, les généticiens
commençaient à visualiser les motifs et les thèmes : des fils et des cartes,
des « crossing over », des lignes brisées ou pas, des chromosomes portant
une information sous forme codée et compressée. Mais personne n'avait
encore vu un gène en action ni ne connaissait sa nature physique. Dans
l'étude de l'hérédité, la quête centrale était celle d'un objet vu uniquement en
ombres chinoises, restant d'une fascinante invisibilité pour la science.

Si les oursins, les vers de farine et les mouches du vinaigre semblaient


bien éloignés de l'homme, si l'intérêt concret des découvertes de Mendel ou
Morgan a pu être mis en doute, les violents événements du printemps 1917
ont alors prouvé le contraire. En mars, alors que Morgan écrivait ses articles
sur la liaison génétique dans la Salle des mouches de New York, une série
de révoltes populaires éclatèrent en Russie, finissant par décapiter le
pouvoir tsariste et culminant dans la création du gouvernement
bolchevique.
À première vue, la Révolution russe n'avait rien à voir avec les gènes. La
Grande Guerre avait poussé une population exténuée et affamée dans une
frénésie meurtrière. Le tsar était considéré comme faible et inefficace.
L'armée était en mutinerie, les ouvriers exaspérés, l'inflation hors de
contrôle. En mars 1917, Nicolas II avait été forcé d'abdiquer. Mais les
gènes, et leur liaison, furent aussi des acteurs importants dans cette histoire.
La tsarine Alexandra 16 était la petite-fille de la reine Victoria d'Angleterre,
et portait la marque de cet héritage. Non seulement par la forme bien droite
de son nez ou les fragiles reflets nacrés de sa peau, mais aussi par un gène
causant l'hémophilie B, un défaut mortel du système de coagulation du sang
qui se retrouvait parmi les descendants de la reine Victoria.
L'hémophilie est due à une mutation qui inactive une protéine intervenant
dans la coagulation. En l'absence de la protéine fonctionnelle, un simple
coup peut induire une hémorragie mortelle. Le nom de la maladie, qui vient
du grec haimo, « sang », et philia, « aimer », est en fait un commentaire
ironique de cette tragique condition : les hémophiles sont enclins à saigner
beaucoup trop facilement.
L'hémophilie, comme les yeux blancs chez la mouche du vinaigre, est
une maladie génétique liée au sexe. Les femmes peuvent porter et
transmettre le gène muté, mais ce sont les hommes qui expriment le plus
souvent la maladie. La mutation provoquant la maladie était probablement
apparue spontanément chez la reine Victoria avant sa naissance. Son
huitième fils, Leopold, avait hérité du gène muté et était décédé d'une
hémorragie cérébrale à trente ans. Le gène muté était aussi passé à sa
seconde fille, Alice, et par elle à sa petite-fille, Alexandra, l'impératrice de
Russie.
Au cours de l'été 1904, Alexandra, qui ignorait encore qu'elle pouvait
transmettre la maladie, donna naissance à Alexei, le tsarévitch de Russie.
On connaît peu l'histoire médicale de son enfance mais son entourage a dû
noter quelque chose d'anormal : le jeune prince avait des bleus trop
facilement et ses saignements de nez avaient beaucoup de mal à s'arrêter.
Alors que la nature précise de son mal restait un secret, Alexei était toujours
pâle et maladif. Il saignait souvent et spontanément. Une simple chute en
jouant, une éraflure au menton, même une secousse à cheval, pouvait
entraîner un désastre.
Avec l'âge, les hémorragies devinrent de plus en plus graves. Alexandra
commença à s'en remettre à un moine russe d'une onctuosité légendaire,
Grigori Raspoutine 17, qui promit de guérir le futur empereur. Alors que
Raspoutine prétendait avoir maintenu Alexei en vie avec des plantes,
pommades et prières à point nommé, la plupart des Russes le considéraient
comme un escroc opportuniste (des bruits lui prêtaient une liaison avec
l'impératrice). Sa présence continuelle auprès de la famille impériale et son
influence croissante auprès de la tsarine était le signe pour beaucoup d'une
monarchie décadente ayant complètement perdu la raison.
Les forces sociales, politiques et économiques qui se sont déchaînées
dans les rues de Petrograd et ont lancé la Révolution russe étaient bien plus
complexes que l'hémophilie d'Alexei ou les machinations de Raspoutine.
Une biographie médicale ne peut résumer l'histoire mais elle n'y est pas
étrangère non plus. La Révolution russe ne s'est certes pas produite au sujet
des gènes mais elle fut très liée à l'hérédité. L'écart entre l'héritage
génétique bien trop humain du prince héritier et son héritage politique bien
trop glorifié a dû apparaître particulièrement évident aux opposants à la
monarchie. La force métaphorique de la maladie d'Alexei était aussi
indéniable, symptomatique d'un empire devenu malade, dépendant de
pansements et de prières, faisant une hémorragie en son cœur même. Les
Français s'étaient lassés d'une reine dispendieuse qui mangeait de la
brioche. Les Russes étaient écœurés par un prince maladif qui avalait des
plantes bizarres pour combattre un mal mystérieux.
Raspoutine fut empoisonné, criblé de balles à bout portant, tabassé et
finalement noyé par ses rivaux le 30 décembre 1916 18. Même au regard de
la sombre histoire des assassinats en Russie, la violence de celui-ci
témoignait de la haine viscérale qu'il avait inspirée à ses ennemis. Au début
de l'été 1918, la famille impériale fut transférée à Iekaterinbourg et placée
en détention. Dans la soirée du 17 juillet 1918 19, un groupe armé envoyé
par les Bolcheviques fit irruption dans la maison du tsar et assassina toute la
famille. Alexei reçut deux balles dans la tête mais son corps ne fut pas
retrouvé.
En 2007, un archéologue exhuma deux squelettes partiellement brûlés
d'un ancien foyer situé près de la maison où Alexei avait été tué 20. L'un des
squelettes appartenait à un garçon âgé de treize ans. Des tests génétiques sur
les os confirmèrent qu'il s'agissait de ceux du prince héritier et en 2009, la
mutation du gène responsable de l'hémophilie du prince y fut identifiée 21.
Cette mutation avait franchi un continent et quatre générations pour
s'insinuer dans un moment politique crucial du XXe siècle naissant.
Vérités et réconciliations

« Tout changea, changea complètement :


Une beauté terrible est née. »
1
William Butler Yeats, Easter, 1916

Il faut s'y résoudre : le gène était né « hors » de la biologie. J'entends par


là que si l'on considère les principales questions qui ont agité la biologie à
la fin du XIXe siècle, l'hérédité n'était pas particulièrement bien placée. Les
scientifiques étaient beaucoup plus préoccupés par l'embryologie, la
biologie cellulaire, l'origine des espèces et l'évolution. Comment
fonctionnent les cellules ? Comment fait un organisme pour naître d'un
embryon ? D'où viennent les espèces ? Qu'est-ce qui génère la diversité du
monde naturel ?
Pourtant, toutes les tentatives pour répondre à ces questions avaient buté
sur le même point. Ce qui faisait défaut, dans tous les cas, était
l'information. Chaque cellule, chaque organisme, a besoin d'une information
pour mener à bien ses fonctions physiologiques, mais d'où cette information
peut-elle bien venir ? Un embryon a besoin d'un message pour devenir un
organisme adulte, mais par quoi ce message est-il porté ? Et comment,
lorsqu'il se développe, « sait-il » qu'il appartient à telle espèce et pas à telle
autre ?
Le gène avait cette propriété ingénieuse d'offrir une solution potentielle à
tous ces problèmes à la fois. L'information nécessaire à une cellule pour
assurer une fonction métabolique ? Elle venait des gènes, bien sûr. Le
message codé dans l'embryon ? Il était encore une fois dans les gènes.
Quand un organisme se reproduit, il transmet des instructions pour
construire l'embryon, faire fonctionner ses cellules, son métabolisme,
permettre les danses rituelles de l'accouplement, prononcer le discours du
mariage et produire les futurs organismes de la même espèce, le tout dans
une seule et même intervention. L'hérédité ne peut pas être une question
marginale en biologie, elle doit être centrale. Quand nous pensons à
l'hérédité au sens familier du terme, il s'agit de la transmission de traits
singuliers à travers les générations, la forme particulière du nez du père ou
la prédisposition à une maladie peu courante dans la famille. Mais l'hérédité
donne en fait la réponse à l'énigme bien plus générale de la nature des
instructions qui permettent en premier lieu à un organisme de construire un
nez – quel qu'il soit.

La reconnaissance tardive du gène comme réponse au problème central


de la biologie a eu une étrange conséquence. La génétique a dû trouver sa
place après coup dans les principaux domaines de la biologie. Si le gène
s'avérait un élément déterminant de l'information biologique, alors il devait
expliquer les principales caractéristiques du monde vivant et pas seulement
l'hérédité. En premier lieu, les gènes devaient pouvoir mettre au clair le
phénomène de la variation : comment des unités héréditaires discrètes
pouvaient-elles expliquer que l'œil humain n'ait pas, disons, six formes
différentes mais apparemment six milliards de formes variant d'une manière
continue ? Ensuite, les gènes devaient permettre de comprendre l'évolution :
comment la transmission de telles unités pouvait-elle rendre compte de
l'acquisition par les organismes de formes si différentes au cours du temps ?
Enfin, les gènes devaient élucider la question du développement, c'est-à-
dire comment ces unités d'instructions pouvaient diriger la création d'un
organisme sexuellement mature à partir d'une cellule œuf.
On peut décrire ces trois réconciliations de la génétique avec la biologie
comme des tentatives d'expliquer le passé, le présent et le futur de la nature
à travers le prisme des gènes. L'évolution décrit le passé de la nature :
comment les êtres vivants sont-ils apparus ? Les variations décrivent son
présent : pourquoi ont-ils cette apparence maintenant ? Et l'embryogenèse
s'emploie à écrire son futur : comment une seule cellule peut-elle créer un
organisme qui finira par atteindre une forme qui lui est propre ?
Deux décennies de découvertes décisives, de 1920 à 1940, ont permis de
résoudre les deux premières questions de l'évolution et de la variation grâce
à une alliance entre généticiens, anatomistes, biologistes cellulaires,
statisticiens et mathématiciens. La troisième question, celle du
développement embryonnaire, allait requérir un effort bien plus concerté.
Ironie de l'histoire, alors que l'embryologie avait lancé la génétique
moderne, la réconciliation entre gènes et ontogenèse s'avéra un problème
beaucoup plus exigeant.

En 1909, un jeune mathématicien du nom de Ronald Fisher entra au


Caius College de Cambridge 2. Né avec une pathologie héréditaire
entraînant une perte progressive de la vue, Fisher était devenu presque
aveugle au début de l'adolescence. Il avait donc appris les mathématiques
sans écrire et acquis de ce fait la capacité de visualiser mentalement les
problèmes avant de coucher les équations sur le papier. Alors qu'il excellait
en mathématiques avant d'entrer à l'université, sa faible vue s'avéra un
handicap à Cambridge. Ses tuteurs furent déçus par ses difficultés à lire ou à
écrire les mathématiques. Humilié, il s'orienta vers la médecine mais
échoua à l'examen (comme Darwin, Mendel et Galton ; l'échec dans le
parcours académique semble un thème récurrent dans cette histoire). En
1914, alors que la guerre éclatait en Europe, il commença à travailler
comme analyste statisticien à la Cité de Londres.
Le jour, Fisher examinait les informations statistiques des compagnies
d'assurance. La nuit, alors que le monde avait presque totalement disparu de
sa vision, il se tournait vers les aspects théoriques de la biologie. Le
problème scientifique qui préoccupait Fisher impliquait aussi de réconcilier
« l'esprit » de la biologie avec ses « yeux ». En 1910, les plus grands esprits
de la biologie avaient accepté que des particules distinctes d'information
portées par les chromosomes transmettent l'hérédité. Mais tout ce que l'on
pouvait voir du monde biologique suggérait pourtant une continuité presque
parfaite. Au XIXe siècle, des biométriciens comme Quételet et Galton
avaient démontré que des traits humains comme la taille, le poids et même
l'intelligence se distribuaient d'une manière continue en formes de cloches
régulières. Même le développement d'un organisme, la chaîne
d'informations héritées la plus évidente, semblait progresser sans à-
coup. Une chenille ne devient pas un papillon en bégayant. Si on dessine la
courbe de répartition de la taille des becs de pinsons, les points se disposent
d'une manière continue. Comment des « particules d'information », ces
pixels d'hérédité, pouvaient-elles donner cette répartition aussi régulière
observée dans le monde vivant ?
Fisher réalisa qu'une modélisation mathématique soigneuse des traits
héréditaires pouvait résoudre ce paradoxe. Comme le savait Fisher, Mendel
avait découvert la nature discontinue des gènes parce qu'il avait commencé
par choisir, en fait, des caractères très distincts et croisé des plantes
exprimant purement ces caractères sur des générations. Se pouvait-il que
des caractères plus communs, comme la taille ou la couleur de la peau,
résultent non de l'action d'un seul gène à deux états, « grand » ou « petit »,
« actif » ou « inactif », mais de plusieurs ? Se pouvait-il qu'il y ait en fait
cinq gènes pour gouverner la taille, ou sept gènes, par exemple, pour
déterminer la forme du nez ?
Les mathématiques nécessaires pour modéliser un trait déterminé par
cinq ou sept gènes, découvrit Fisher, n'étaient pas si complexes. Avec
seulement trois gènes impliqués, cela faisait six allèles ou variants
géniques, trois provenant de la mère et trois du père. Un calcul
combinatoire simple donnait vingt-sept combinaisons uniques de ces six
allèles. Et si chaque combinaison produisait un effet unique sur la taille,
réalisa Fisher, la distribution prévue de ce paramètre commençait à se lisser.
S'il partait de 5 gènes bialléliques, il obtenait 243 combinaisons possibles
et les variations de taille qui en résultaient devenaient presque continues. En
ajoutant les effets de l'environnement, comme l'influence de l'alimentation
sur la taille ou celle de l'exposition au soleil sur la couleur de la peau, on
pouvait aboutir à des courbes de répartition parfaitement lisses. Prenez sept
morceaux de papiers colorés transparents ayant chacun une couleur de l'arc-
en-ciel : en les juxtaposant avec une superposition partielle, il est possible
de reproduire presque toutes les nuances de couleur. Dans ce cas,
« l'information » de chaque papier, sa couleur, reste indépendante, ne se
mélange pas aux autres, mais la superposition crée un spectre de couleurs
qui semble presque continu.
En 1918, Fischer publia son étude 3 dans un article intitulé « The
Correlation between Relatives on the Supposition of Mendelian
Inheritance » 4. Le titre était un peu décousu mais le message était concis :
si l'on mélange les effets de trois à cinq gènes pour un caractère, il est
possible d'obtenir une continuité presque parfaite dans le phénotype, c'est-à-
dire sa manifestation visible. « La quantité exacte de variabilité humaine »
écrivait-il, pourrait s'expliquer par une extension assez naturelle de la
génétique mendélienne. L'effet individuel d'un gène, avançait Fisher, est
comme une petite tache de peinture sur un tableau pointilliste. Si vous vous
approchez, vous pouvez voir chaque tache individuellement. Mais ce que
l'on observe dans la nature, vu de loin, résulte d'une agrégation de points :
des pixels fusionnant en une image bien lisse.

La seconde réconciliation, celle entre la génétique et l'évolution, exigeait


plus qu'une modélisation mathématique. Elle reposait sur des données
expérimentales. Darwin pensait que l'évolution agit par la sélection
naturelle, mais il faut en premier lieu qu'il y ait quelque chose de naturel à
sélectionner. Une population sauvage doit présenter suffisamment de
variations naturelles pour que des gagnants et des perdants apparaissent. Un
groupe de pinsons sur une île, par exemple, doit comporter une diversité
intrinsèque pour la taille du bec, une diversité telle qu'une sècheresse puisse
sélectionner les oiseaux ayant les becs les plus solides ou les plus longs.
Enlevez la diversité, avec des oiseaux qui auraient tous le même bec, et la
sélection fait chou-blanc. Tous les oiseaux disparaîtraient d'un
coup. L'évolution s'arrêterait là.
Mais quel mécanisme génère cette variation naturelle ? Hugo de Vries
avait proposé que les mutations en soient responsables 5 : les changements
dans les gènes induiraient les changements de forme soumis aux forces
naturelles. Mais son hypothèse précédait la définition moléculaire du gène.
Existait-il des preuves expérimentales que des mutations identifiables dans
des gènes bien réels soient à l'origine de ces variations ? Ces mutations
étaient-elles soudaines et spontanées, ou bien les variations étaient-elles
déjà présentes et abondantes au sein des populations sauvages ? Et que
devenaient les gènes suite à la sélection naturelle ?
Dans les années 1930, Théodore Dobzhansky 6, un biologiste ukrainien
qui avait émigré aux États-Unis, entreprit de décrire l'étendue des variations
génétiques au sein des populations sauvages 7. Il s'était formé avec Thomas
Morgan dans la Salle aux mouches de Columbia, avec des drosophiles de
laboratoire. Mais pour décrire les gènes sauvages, il allait devoir lui aussi
retourner à la nature. Armé de filets, de cages à mouches et de fruits
pourris, il se mit à recueillir les mouches sauvages près de son laboratoire à
Caltech dans un premier temps, puis sur le mont San Jacinto et dans la
Sierra Nevada en Californie, et enfin dans les forêts et les montagnes de
tous les États-Unis. Ses collègues, qui restaient cloués à leur paillasse,
pensaient qu'il était devenu fou à lier. Il aurait aussi bien pu aller aux
Galápagos.
La décision de partir à la chasse aux variations naturelles chez les
mouches sauvages s'est avérée cruciale. Dans une espèce appelée
Drosophila pseudoobscura, par exemple, Dobzhansky trouva de multiples
variants génétiques qui influençaient des traits complexes comme la durée
de vie, la structure de l'œil, la morphologie des soies ou la taille de l'aile.
Les exemples les plus frappants de variation concernaient des mouches
collectées dans la même région qui possédaient des configurations
radicalement différentes des mêmes gènes. Dobzhansky les appela des
« races ». En utilisant la technique de Morgan pour cartographier les gènes
en fonction de leur position sur un chromosome, il fit une carte de trois
gènes, A, B et C. Chez certaines mouches, ces gènes étaient disposés sur le
cinquième chromosome dans la configuration A-B-C. Chez d'autres
mouches, Dobzhansky trouva que cette configuration avait été
complètement inversée en C-B-A. La distinction entre les deux « races » de
mouches par l'effet d'une simple inversion chromosomique était l'exemple
le plus spectaculaire de variation génétique qu'un généticien ait pu voir dans
des populations naturelles.
Mais il y avait plus. En septembre 1943, Dobzhansky fit une tentative
pour montrer la variation, la sélection et l'évolution en une seule
expérience 8, comme une recréation des Galápagos dans une boîte en carton.
Il inocula dans deux boîtes un mélange de deux souches de mouches, ABC
et CBA, à part égales. Une boîte était exposée au froid, l'autre mise à
température ambiante. Les mouches y furent nourries et entretenues
pendant des générations. Les populations se développèrent et régressèrent,
de nouvelles larves apparurent, qui se transformèrent en mouches puis
moururent dans les boîtes. Des lignées et des familles de mouches, des
royaumes de mouches, s'établirent et disparurent. Lorsque le chercheur
récupéra le contenu des boîtes au bout de quatre mois, il trouva que les
populations avaient énormément changé. Dans le « carton au froid », la
souche ABC avait presque doublé tandis que CBA était sur le déclin. Dans
l'autre carton à température ambiante, les deux souches présentaient un
rapport inverse.
Dobzhansky avait rassemblé tous les ingrédients critiques pour
l'évolution. Partant d'une population avec une variation naturelle dans la
configuration des gènes, il avait ajouté une force de sélection naturelle : la
température. Les organismes « les plus aptes », ceux qui étaient les plus
adaptés à une température basse ou élevée, avaient survécu. Au fur et à
mesure que de nouvelles mouches étaient nées, avaient été sélectionnées et
s'étaient reproduites, la fréquence de certains gènes avait changé pour
donner des populations présentant une composition génétique différente.

Pour expliquer ce point de rencontre de la génétique, de la sélection


naturelle et de l'évolution en termes formels, Dobzhansky reprit deux mots
importants, génotype et phénotype. Le génotype est la composition
génétique d'un organisme. Il fait référence à un gène, une configuration de
gènes ou au génome entier. Le phénotype, au contraire, renvoie aux
caractéristiques physiques ou biologiques d'un organisme : couleur des
yeux, forme des ailes ou encore résistance à des températures basses ou
élevées.
Dobzhansky pouvait maintenant reformuler la relation essentielle
découverte par Mendel, à savoir que le gène détermine un trait physique, en
généralisant cette idée à de multiples gènes pour de multiples traits :
Un génotype détermine un phénotype

Mais il fallait apporter deux modifications importantes à cette règle pour


compléter le tableau. Tout d'abord, notait Dobzhansky, les génotypes ne
sont pas les seuls déterminants des phénotypes. Il était clair que
l'environnement – le milieu ambiant – contribue à déterminer les
particularités physiques. La forme du nez d'un boxeur n'est pas la simple
conséquence de son héritage génétique, elle résulte aussi de la profession
qu'il a choisie et du nombre de coups qu'il a reçus. Si Dobzhansky s'était
amusé à couper les ailes de toutes les mouches dans une boîte, il aurait
affecté leur phénotype, c'est-à-dire la forme de leurs ailes, sans jamais
toucher à leurs gènes. En d'autres termes, on pouvait écrire :
Génotype + environnement = phénotype

Le second point était que certains gènes sont activés par des facteurs
extérieurs ou par hasard. Chez les mouches, par exemple, un gène qui
détermine la taille des ailes vestigiales 9 dépend de la température, de sorte
que l'on ne peut prédire leur forme à partir des seuls gènes ou de la seule
température : il faut disposer des deux informations pour cela. Dans de tels
cas, ni le génotype ni l'environnement ne suffisent à prédire le phénotype,
déterminé par la combinaison des gènes, de l'environnement et du hasard.
Chez la femme, la version mutée du gène BRCA1 augmente le risque de
cancer du sein, mais toutes celles qui portent la mutation ne vont pas
développer ce cancer pour autant. De tels gènes, dont l'action dépend aussi
de facteurs extérieurs et du hasard, sont dits à « pénétrance » partielle ou
incomplète. Dans ce cas, même si le gène est transmis, sa capacité à
« pénétrer » dans le caractère qu'il contrôle n'est pas absolue. Un gène peut
ainsi avoir une « expressivité » variable suivant les individus. Une femme
portant la mutation BRCA1 peut développer une forme de cancer du sein
agressive et métastatique à trente ans alors qu'une autre va développer une
forme indolente de tumeur, et qu'une troisième n'aura aucun cancer.
On ne sait pas encore ce qui cause ces différences dans le destin de ces
trois femmes, mais il doit s'agir d'une combinaison de l'âge, de l'exposition
à l'environnement, de l'action d'autres gènes et du hasard. On ne peut se
contenter du génotype – ici la mutation BRCA1 – pour prédire ce qui va
arriver avec certitude.
La modification finale peut donc s'écrire :
Génotype + environnement + déclencheurs + hasard = phénotype

Cette formule, brève mais magistrale, rend bien la nature des interactions
entre hérédité génétique, hasard, environnement, variation et évolution qui
déterminent la forme et le sort d'un individu. Dans la nature, des variations
du génotype existent au sein des populations sauvages. Ces variants
interagissent avec les différents environnements rencontrés, avec des
facteurs déclencheurs et avec le hasard pour donner les caractéristiques d'un
organisme (une mouche dotée d'une résistance plus ou moins grande à la
température). Quand une forte pression de sélection est appliquée, par
exemple une température élevée ou une sévère restriction de nourriture, les
organismes avec les phénotypes « les plus adaptés » sont retenus. La survie
sélective de telles mouches se traduit par leur capacité à produire plus de
larves dotées d'une partie du génotype parental, qui donneront elles-mêmes
des mouches mieux adaptées à cette pression de sélection. Ce processus de
sélection agit notamment sur des propriétés physiques ou biologiques, et les
gènes sous-jacents sont retenus passivement dans le sillage.
Dit autrement, un nez déformé peut résulter d'une mauvaise journée sur
le ring, c'est-à-dire n'avoir rien à voir avec les gènes, mais si un concours de
reproduction porte seulement sur la symétrie du nez, ceux qui l'ont tordu
seront d'emblée éliminés. Même si le porteur de ce nez possède de
nombreux autres gènes salutaires à long terme, un gène pour la ténacité ou
l'endurance à la douleur par exemple, toute cette gamme sera vouée à
disparaître au cours du concours pour la reproduction, seulement à cause de
ce fichu nez.
Le phénotype, pour résumer, tire les génotypes à sa traîne, comme un
cheval tire une charrette. C'est le casse-tête permanent de la sélection
naturelle : elle oriente vers une chose (l'adaptation) et amène
accidentellement autre chose (des gènes responsables de cette adaptation).
Les gènes produisant l'adaptation deviennent graduellement surreprésentés
dans une population via la sélection des phénotypes, ce qui permet aux
organismes de devenir de mieux en mieux adaptés à leur milieu. La
perfection n'existe pas en ce bas monde, seule existe la recherche incessante
d'une correspondance entre un organisme et son environnement. C'est cela
le moteur de l'évolution.

La touche finale de Dobzhansky fut d'arriver à résoudre le « mystère des


mystères » qui avait tant préoccupé Darwin, c'est-à-dire l'origine des
espèces. L'expérience des « Galápagos dans une boîte » avait montré
comment une population d'organismes se reproduisant entre eux, par
exemple des mouches, évoluait avec le temps. Mais si des populations
naturelles aux génotypes variants passaient leur temps à se reproduire entre
elles, il n'y avait aucune chance, Dobzhansky le savait, qu'une nouvelle
espèce en émerge. Une espèce, après tout, se définit à la base par son
incapacité à se croiser avec une autre.
Pour qu'une nouvelle espèce apparaisse, il faut donc qu'un facteur agisse
pour rendre impossible les croisements entre des populations de cette
espèce. Dobzhansky se demandait si ce facteur manquant n'était pas
l'isolement géographique. Imaginez une population d'organismes tous
interféconds, avec une diversité d'allèles ; puis la brutale séparation en deux
de cette population par un quelconque obstacle géographique. Par exemple,
un groupe d'oiseaux d'une île se retrouve transporté par une tempête sur une
île éloignée de la première, sans possibilité de retour. Les deux populations
d'oiseaux vont alors évoluer indépendamment, à la Darwin, jusqu'à ce que
des allèles particuliers soient sélectionnés de part et d'autre qui rendent les
populations biologiquement incompatibles. Dès lors, même si des oiseaux
descendant des exilés revenaient sur l'île originelle, disons par bateau, ils ne
pourraient plus se reproduire avec leurs cousins de cousins depuis
longtemps perdus de vue. En supposant que les oiseaux des deux
populations acceptent ou parviennent encore à s'accoupler, leur
descendance possèdera des incompatibilités génétiques, des messages
brouillés, qui l'empêcheront de survivre ou d'être fertile. L'isolement
géographique est devenu génétique, puis finalement reproductif.
Ce mécanisme de spéciation n'était pas qu'une hypothèse et Dobzhansky
a pu le démontrer expérimentalement 10. Il a mélangé deux « races » de
mouches de régions éloignées dans le monde. Elles se sont accouplées mais
leur progéniture a donné des adultes stériles. En procédant à des études de
liaison, les généticiens ont même pu remonter à l'ensemble des gènes qui
avaient évolué au point de rendre la descendance infertile. C'était le chaînon
manquant dans la logique de Darwin : l'incompatibilité de reproduction,
produit ultime d'une incompatibilité génétique, était à l'origine de nouvelles
espèces.
Vers la fin des années 1930, Dobzhansky commença à comprendre que
cette compréhension des gènes, de la variation et de la sélection naturelle
avait des ramifications allant bien au-delà de la biologie. La révolution
sanglante de 1917 qui avait déferlé sur la Russie avait tenté d'effacer toute
distinction individuelle pour mettre l'accent sur le bien collectif. En Europe,
au contraire, se développait une forme monstrueuse de racisme qui
exagérait et diabolisait certaines différences individuelles. Dans les deux
cas, notait Dobzhansky, les questions fondamentales en jeu étaient d'ordre
biologique. Qu'est-ce qui définit un individu ? Comment une variation
contribue-t-elle à l'individualité ? Qu'est-ce qui est « bien » pour une
espèce ?

Dans les années 1940, Dobzhansky allait s'attaquer directement à ces


questions, devenant par la suite l'un des opposants scientifiques les plus
virulents de l'eugénisme nazi, de la collectivisation soviétique et du racisme
européen. Mais ses études sur les populations naturelles, la variation et la
sélection naturelle avaient déjà fourni un éclairage crucial sur ces questions.
Tout d'abord, il était évident que la variation génétique était la norme et
non l'exception dans la nature. Les eugénistes américains et européens
insistaient sur la sélection artificielle pour promouvoir l'homme de « bonne
qualité », mais dans la nature il n'existait pas de « bonne qualité » univoque.
Des populations différentes avaient des génotypes largement divergents, et
ces types génétiques variés coexistaient et se chevauchaient même dans la
nature. La nature ne cherchait pas autant à faire disparaître les variations
génétiques que ne l'avaient pensé les eugénistes. En fait, Dobzhansky
comprit que les variations naturelles étaient un réservoir vital pour une
population, un polymorphisme présentant bien plus d'avantages que
d'inconvénients. Sans ces variations, sans cette profonde diversité
génétique, une population pouvait finalement perdre sa capacité à évoluer.
Ensuite, mutation n'est qu'un autre nom pour variation. Dans les
populations de mouches sauvages, notait Dobzhansky, aucun génotype n'est
supérieur en soi. Laquelle des deux souches ABC ou CBA survivait le
mieux ne dépendait que de l'environnement et des interactions entre les
gènes et le milieu. Le « mutant » de l'un était le « variant génétique » de
l'autre. Une nuit d'hiver pouvait choisir une mouche, tandis qu'un jour d'été
pouvait en choisir une toute autre. Aucun variant n'était moralement ou
biologiquement supérieur, chacun étant simplement plus ou moins adapté à
un environnement donné.
Finalement, la relation entre propriétés physiques ou mentales d'un
organisme et hérédité apparaissait bien plus complexe qu'anticipée. Des
eugénistes comme Galton avaient espéré sélectionner des phénotypes
complexes, par exemple l'intelligence, la taille, la beauté ou la moralité,
pour produire directement des individus génétiquement mieux dotés pour
ces qualités. Or, un phénotype n'est presque jamais déterminé par un gène
d'une manière univoque. Cela faisait de la sélection des phénotypes un
procédé inadapté pour la sélection génétique. Si, en plus des gènes,
l'environnement, des facteurs externes et le hasard étaient aussi
responsables des caractéristiques ultimes d'un organisme, alors les efforts
des eugénistes pour augmenter l'intelligence et la beauté au fil des
générations étaient voués à l'échec s'ils n'arrivaient pas à démêler l'effet
relatif de chacune de ces contributions.
Chaque éclairage apporté par Dobzhansky plaidait vigoureusement
contre une mauvaise utilisation de la génétique et contre les eugénistes. Les
gènes, les phénotypes, la sélection et l'évolution étaient reliés par des lois
relativement simples, mais il était facile d'imaginer que ces dernières
puissent être mal comprises et déformées. « Recherchez la simplicité mais
ne lui faites pas confiance » conseillait autrefois le philosophe et
mathématicien Alfred North Whitehead à ses étudiants. Dobzhansky avait
recherché la simplicité, mais il avait aussi adressé un message vibrant
contre une interprétation simpliste de la logique génétique. Enfouies dans
des manuels et des articles scientifiques, ces leçons allaient être ignorées
des puissantes forces politiques et celles-ci allaient bientôt s'engager dans
les formes les plus perverses de manipulations génétiques chez l'homme.
Transformation

« Si vous préférez une “vie académique” comme refuge pour fuir la


réalité, ne faites pas de la biologie. Ce domaine est pour les hommes
ou les femmes qui souhaitent s'approcher encore plus de la vie 1. »
Hermann Muller

« Nous nions en bloc que […] les généticiens verront les gènes au
microscope […] Les bases de l'hérédité ne se trouvent pas dans une
sorte de substance spéciale qui s'auto-reproduit 2 ».
Trofim Lyssenko

La réconciliation entre génétique et évolution fut appelée la théorie


synthétique de l'évolution, la Synthèse moderne 3 ou, plus grandiose encore,
la Grande synthèse 4. Mais alors même que les généticiens célébraient cette
synthèse de l'hérédité, de l'évolution et de la sélection naturelle, la nature
physique du gène restait mystérieuse. Les gènes avaient été décrits comme
des « particules d'hérédité » mais cette description n'apportait aucune
information sur ce qu'étaient ces particules physiquement ou chimiquement.
Morgan avait visualisé les gènes comme des « perles sur un fil » mais
même lui n'avait aucune idée de ce que cela signifiait matériellement. De
quoi ces perles étaient-elles faites ? Et de quelle nature était ce fil ?
Pour une part, la composition physique du gène avait défié toute
caractérisation parce que les biologistes n'avaient jamais pu saisir les gènes
sous leur forme chimique. Les gènes circulaient verticalement dans tout le
monde vivant, c'est-à-dire des parents aux enfants, ou des cellules à leurs
cellules filles. La transmission verticale des mutations avait permis à
Mendel et Morgan d'étudier les gènes en analysant les motifs de l'hérédité
(par exemple le déplacement du caractère des yeux blancs à travers les
générations de mouches). Mais le problème de ce type d'étude est que les
gènes ne quittent jamais les organismes ou les cellules. Quand une cellule
se divise, son matériel génétique, après s'être répliqué, se sépare en deux
lots égaux qui se répartissent entre les deux cellules filles. Durant tout ce
processus, les gènes restent biologiquement visibles mais chimiquement
impénétrables, confinés dans la boîte noire de la cellule.
De temps en temps, malgré tout, du matériel génétique peut passer d'un
organisme à un autre, pas entre un parent et son enfant mais entre deux
individus étrangers l'un à l'autre. Ce transfert horizontal de gènes est appelé
transformation. Même ce mot dénote notre étonnement : les hommes sont
habitués à transmettre une information génétique uniquement par la
reproduction, mais lors de la transformation, un organisme semble se
métamorphoser en un autre, comme la nymphe Daphné en laurier-rose (ou
mieux encore, le déplacement des gènes transforme des attributs d'un
organisme en ceux d'un autre ; transposé à la légende grecque, cela signifie
que le génome de la nymphe reçoit les gènes lui permettant de produire
l'écorce, le bois et les vaisseaux du végétal à partir de sa peau).
La transformation ne se produit presque jamais chez les mammifères. Les
bactéries, en revanche, peuvent échanger des gènes horizontalement (pour
vous faire une idée de l'étrangeté de la chose, imaginez deux amis, l'un aux
yeux bleus, l'autre aux yeux bruns, qui sortent se promener et reviennent
ensuite avec des yeux de couleur différente, ayant échangé au passage les
gènes responsables). Ce moment du transfert génétique est particulièrement
étrange et merveilleux. Pris lors de son passage d'un organisme à l'autre, un
gène existe momentanément sous une forme purement chimique. Un
chimiste cherchant à comprendre ce qu'est un gène ne peut trouver
meilleure occasion de saisir sa nature chimique.

La transformation fut découverte par un bactériologiste anglais, Frederick


Griffith 5. Au début des années 1920, Griffith, un médecin-chef du
Ministère de la santé britannique, se lança dans l'étude d'une bactérie
appelée Streptococcus pneumoniae, ou pneumocoque. La grippe espagnole
de 1918 venait de faire des ravages en Europe ; avec 20 millions de morts
dans le monde, il s'agissait de l'une des catastrophes naturelles les plus
meurtrières de l'histoire. Les personnes grippées développaient souvent une
pneumonie secondaire due au pneumocoque, maladie mortelle si rapide que
les médecins anglais l'avaient baptisée « capitaine des agents de la mort ».
La pneumonie à pneumocoque après une infection grippale était un tel souci
que le ministère avait déployé des équipes de scientifiques pour étudier la
bactérie responsable et mettre au point un vaccin contre elle.
Griffith aborda le problème en se concentrant sur le microbe. Pourquoi
était-il si mortel pour les animaux ? Comme des chercheurs l'avaient déjà
entrevu en Allemagne, il découvrit que la bactérie comportait deux souches.
Une souche « lisse » avait une paroi de sucres sans aspérités en surface et
pouvait échapper au système immunitaire avec l'agilité d'une anguille. La
forme « rugueuse », dépourvue de cette paroi lisse, était plus sujette à une
attaque immunitaire. L'injection de la souche lisse à une souris provoquait
la mort rapide du rongeur, contrairement à la souche rugueuse.
L'expérience que Griffith effectua ensuite allait initier, à son insu, la
révolution de la biologie moléculaire 6. Dans un premier temps, il tua la
souche virulente par la chaleur puis l'injecta dans des souris. Comme
attendu, il ne se passa rien, les bactéries n'étant plus capables de provoquer
une infection. Mais lorsqu'il mélangea ces bactéries mortes à des bactéries
vivantes de la souche non virulente, les souris se mirent à mourir
rapidement. L'autopsie des souris révéla à Griffith que les bactéries
rugueuses avaient changé. Elles avaient acquis une paroi lisse – le facteur
déterminant la virulence – par le simple contact avec des débris de bactéries
mortes. La bactérie inoffensive s'était d'une certaine manière
« transformée » en la forme virulente.
Comment des morceaux de bactéries tuées par la chaleur, rien de plus
qu'une soupe tiède de restes chimiques bactériens, pouvaient-ils avoir
transmis par simple contact un trait génétique à une bactérie vivante ?
Griffith ne savait pas trop. D'abord, il se demanda si les bactéries vivantes
avaient ingéré les mortes et ainsi changé de paroi, à la manière d'un rituel
vaudou où la consommation du cœur d'un homme courageux permet
d'acquérir son courage ou sa vitalité. Pourtant, une fois transformées, les
bactéries conservaient leur nouvelle paroi sur des générations, bien après
l'épuisement de tout reste bactérien.
L'explication la plus simple était alors que l'information génétique était
passée d'une souche à l'autre sous une forme chimique. Au cours de la
« transformation », le gène gouvernant la virulence, qui déterminait la
production d'une paroi lisse, s'était retrouvé dans le milieu extérieur au sein
de la soupe chimique puis s'était en quelque sorte glissé dans les bactéries
vivantes pour s'incorporer à leur génome. Autrement dit, les gènes
pouvaient bien être transmis entre deux organismes sans passer par une
quelconque forme de reproduction. Il existait effectivement des unités
autonomes, des unités matérielles, qui portaient de l'information. Les
messages héréditaires n'étaient pas murmurés entre les cellules par
d'impalpables gemmules ou pangènes : ils étaient transmis par une
molécule. Celle-ci pouvait exister sous une forme chimique stable hors de
la cellule, et elle était capable de transporter l'information d'une cellule à
une autre, d'un organisme à un autre, des parents à leurs enfants.
Si Griffith avait fait connaître ce résultat surprenant, il aurait mis le feu à
toute la biologie. Dans les années 1920, les scientifiques commençaient à
peine à comprendre les systèmes biologiques en termes chimiques. La
biologie était en train de devenir une annexe de la chimie. La cellule,
avançaient les biochimistes, n'était qu'une éprouvette pleine de réactifs, un
sac délimité par une membrane où des substances réagissaient pour
produire un phénomène appelé « la vie ». L'identification par Griffith d'une
entité chimique capable de porter des instructions héréditaires entre les
organismes, « la molécule du gène », aurait suscité des milliers de
spéculations et restructuré la théorie chimique de la vie.
Mais l'on pouvait difficilement attendre de Griffith, un scientifique sans
prétention et d'une grande timidité, « un homme minuscule qui […] parlait à
peine plus fort qu'un murmure 7 », qu'il claironne l'immense portée de ses
résultats. « Les Anglais font tout par principe » a noté une fois George
Bernard Shaw, et Griffith était par principe d'une très grande modestie. Il
vivait seul, dans un appartement quelconque près de son laboratoire à
Londres et dans une petite maison de campagne rudimentaire qu'il s'était
construite à Brighton. Les gènes pouvaient se déplacer d'un organisme à
l'autre, mais Griffith avait bien du mal à sortir de son laboratoire pour aller
faire cours. Pour le forcer à donner des conférences, ses amis le poussaient
dans un taxi et lui payaient la course seulement pour l'aller.
En janvier 1928, après avoir hésité des mois durant (« Dieu n'est pas
pressé, pourquoi le serais-je ? »), Griffith publia ses résultats dans Journal
of Hygiene, une revue scientifique tellement obscure 8 que même Mendel
n'en serait pas revenu. D'un ton timoré, sur la défensive, Griffith semblait
sincèrement désolé d'avoir bousculé la génétique jusqu'à ses fondements
même. Son article discutait de la transformation comme d'une curiosité de
la biologie microbienne, sans jamais évoquer explicitement la découverte
d'une base chimique potentielle de l'hérédité. La plus importante conclusion
de l'article de biochimie le plus important de la décennie était enfouie,
comme un toussotement poli, sous un amas de texte des plus denses.

Bien que l'expérience de Griffith fût la démonstration la plus concluante


de la nature chimique du gène, d'autres scientifiques avaient aussi cette idée
en tête. En 1920, Hermann Muller, l'ancien étudiant de Thomas Morgan,
déménagea de New York au Texas pour continuer à étudier la génétique des
mouches 9. Comme Morgan, Muller espérait utiliser les mutants pour
comprendre l'hérédité. Mais les mutants naturels, la matière première des
généticiens de la mouche du vinaigre, étaient beaucoup trop rares. Les
mouches aux yeux blancs ou à l'abdomen noir que Morgan et ses élèves
avaient découvertes à New York avaient été laborieusement trouvées après
avoir passé au crible des montagnes de mouches pendant trente ans. Muller
était las de cette recherche et il se demanda s'il ne pouvait pas accélérer la
production de mutants en exposant les mouches à la chaleur, à la lumière ou
à de hautes doses d'énergie.
Cela paraissait simple en théorie mais c'était plus délicat en pratique.
Lorsque Muller exposa pour la première fois des mouches aux rayons X, il
les tua toutes. Frustré, il réduisit la dose des rayons, et découvrit qu'il les
avait alors stérilisées. Au lieu d'obtenir des mutants, il avait créé des stocks
de mouches mortes, puis infertiles. Au cours de l'hiver de 1926, sur un coup
de tête, il exposa un groupe de mouches à des doses encore plus faibles de
rayonnement. Il croisa les mâles irradiés avec des femelles non irradiées et
observa l'apparition des asticots dans les bouteilles de lait.
Le résultat, étonnant, lui sauta d'emblée aux yeux. Les nouvelles
mouches comportaient de nombreux mutants, des dizaines, peut-être des
centaines 10. Il était tard dans la nuit, et la seule personne qui eut vent de
cette nouvelle fut un botaniste solitaire qui travaillait à l'étage inférieur.
Chaque fois que Muller trouvait un nouveau mutant, il criait : « J'en ai un
autre ! » Il avait fallu près de trois décennies à Morgan et ses étudiants pour
rassembler une cinquantaine de mouches mutantes à New York. En une
seule nuit, nota le botaniste un peu dépité, Muller avait multiplié ce nombre
par deux ou presque.
Avec cette découverte, Muller devint instantanément célèbre dans le
monde entier. L'effet des rayons sur le taux de mutation chez les mouches
impliquait immédiatement deux choses. La première était que les gènes
devaient être faits de matière. Les rayons ne sont, après tout, que de
l'énergie. Frederick Griffith avait fait se déplacer les gènes entre des
organismes. Muller les avait modifiés avec de l'énergie. Un gène, quelle que
soit sa nature exacte, était donc capable de se déplacer, d'être transmis et
d'être changé, des propriétés associées en général aux substances chimiques.
Mais plus encore que la nature matérielle du gène, c'était la malléabilité
du génome qui frappait les scientifiques. Même Darwin, l'un des plus
précoces et fervents partisans du caractère fondamentalement changeant de
la nature, aurait trouvé ce taux de mutation surprenant. Dans la théorie
darwinienne, le taux de changement d'un organisme était en général
déterminé alors que la vitesse de la sélection naturelle pouvait être soit
amplifiée pour accélérer l'évolution, soit réduite pour la ralentir 11. Les
expériences de Muller démontraient que l'hérédité pouvait être manipulée
très facilement, que le taux de mutation lui-même pouvait être modifié. « Il
n'y a aucun statu quo dans la nature 12, écrivit plus tard Muller, tout est
processus d'ajustement et de réajustement ou finit par un échec. » En
altérant le taux de mutations et en sélectionnant des variants dans la foulée,
Muller imagina qu'il pourrait accélérer le cycle de l'évolution, et même
créer des espèces entièrement nouvelles dans son laboratoire, agissant ainsi
comme Sa Majesté des Mouches 13.
Muller prit également conscience que son expérience avait de vastes
implications pour l'eugénisme chez l'homme. Si les gènes de la mouche
pouvaient être modifiés par de si faibles doses de rayonnement, qu'en était-
il pour l'homme ? Si des altérations génétiques pouvaient être « induites
artificiellement », écrivait-il, alors l'hérédité ne pouvait plus être considérée
comme le privilège unique d'un « dieu inaccessible faisant des farces sur
notre dos ».
Comme beaucoup de scientifiques de son époque, Muller était captivé
par l'eugénisme depuis les années 1920. Alors qu'il était jeune étudiant à
l'université Columbia, il avait créé une « société biologique » pour explorer
et soutenir « l'eugénisme positif ». Cependant, lorsqu'il fut témoin à la fin
des années 1920 des évolutions de plus en plus menaçantes de l'eugénisme
aux États-Unis, il commença à réviser son enthousiasme initial. Le Bureau
d'enregistrement de l'Eugénisme (Eugenics Record Office), avec ses
préoccupations de purification raciale et sa propension à éliminer les
immigrés, « déviants » et « déficients », le choquait par son caractère
franchement sinistre 14. Ses prophètes, Davenport, Priddy et Bell, étaient de
sales types, des illuminés qui pratiquaient de la pseudoscience.
Lorsque Muller pensait à l'avenir de l'eugénisme et à la possibilité de
modifier le génome humain, il se demandait si Galton et ses collaborateurs
n'avaient pas fait une erreur conceptuelle fondamentale. Comme Galton et
Pearson, il partageait le désir d'utiliser la génétique pour soulager les
souffrances, mais contrairement à eux, il se rendit compte qu'un eugénisme
positif n'était réalisable que dans une société qui avait déjà atteint une
égalité radicale.
L'eugénisme ne pouvait être un préalable à l'égalité, et bien au contraire
l'égalité était une condition sine qua non avant tout eugénisme. Sans égalité,
l'eugénisme ne pouvait que basculer dans l'idée fausse que les maux de la
société tels que le vagabondage, la pauvreté, les déviances, l'alcoolisme et
la faiblesse d'esprit sont des maux génétiques, alors qu'ils ne sont que le
reflet d'inégalités. Des femmes comme Carrie Buck n'étaient pas
génétiquement imbéciles, elles étaient pauvres, illettrées, en mauvaise santé
et faibles, victimes de leur situation sociale et non d'une loterie génétique.
Les Galtoniens avaient été convaincus que l'eugénisme finirait par
engendrer une égalité radicale, en transformant les faibles en puissants.
Muller inversait le raisonnement. Sans égalité, avançait-il, l'eugénisme allait
dégénérer en un autre mécanisme où les puissants pouvaient contrôler les
faibles.

Alors que l'activité scientifique de Hermann Muller atteignait son point


culminant au Texas, sa vie privée tournait au naufrage. Son mariage était un
échec. Sa rivalité avec Bridges et Sturtevant, ses anciens collègues de
travail à l'université Columbia, atteignit un point critique et sa relation avec
Morgan, qui n'avait jamais été chaleureuse, vira en une froide hostilité.
Muller était aussi harcelé pour ses sympathies politiques. À New York, il
avait adhéré à des groupes socialistes, rejoint des comités de lecture, recruté
des étudiants et s'était lié d'amitié avec le romancier et activiste social
Theodore Dreiser 15. Au Texas, l'étoile montante de la génétique commença
à publier un journal socialiste baptisé The Spark 16 (d'après l'Iskra de
Lénine) qui promouvait les droits civiques pour les Afro-américains, le
droit de vote pour les femmes, l'éducation des immigrés et une assurance
collective pour les ouvriers, des consignes pas vraiment radicales pour notre
époque mais qui suffisaient alors à irriter ses collègues et l'administration.
Le FBI lança une enquête sur ses activités 17. Des journaux le désignèrent
comme un agent subversif, un coco, un rouge, un sympathisant des soviets
– un type tordu en somme.
Isolé, aigri, de plus en plus paranoïaque et déprimé, Muller disparut un
matin sans qu'on puisse le retrouver dans son labo ou sa salle de classe. Une
recherche lancée par ses étudiants permis de le repérer des heures plus tard,
errant dans un bois des environs d'Austin. Il marchait, hébété, ses vêtements
mouillés par le crachin, sa figure éclaboussée de boue, ses jambes
écorchées. Il avait avalé un tube de barbituriques dans une tentative de
suicide, mais les avait cuvés en dormant sous un arbre. Le jour suivant, il
retourna docilement faire cours.
La tentative de suicide échoua mais elle était symptomatique de son
malaise. Muller était malade de l'Amérique, avec sa science pas très propre,
ses abominables politiques et sa société égoïste. Il voulait fuir dans un
endroit où il pouvait mêler plus facilement science et politique. Les actions
génétiques radicales ne pouvaient être imaginées que dans des sociétés
radicalement égalitaires. À Berlin, il savait qu'une ambitieuse démocratie
libérale aux penchants socialistes déchirait les haillons du passé et
accompagnait la naissance d'une nouvelle république. C'était la « ville la
plus nouvelle » du monde avait écrit Mark Twain, l'endroit où scientifiques,
écrivains, philosophes et intellectuels se réunissaient dans les cafés et les
salons pour élaborer une société libre et futuriste. Si tout le potentiel de la
science moderne qu'était la génétique devait se révéler, pensait Muller, ce
serait à Berlin, dans ces incertaines années 1930.
Au cours de l'hiver 1932, Muller rassembla ses affaires, envoya par
bateau plusieurs centaines de souches de mouches, dix mille tubes et un
millier de bouteilles de verre, un microscope, une bicyclette et une Ford 32,
puis rejoint l'Institut Kaiser Wilhelm à Berlin. Il ne pouvait imaginer que sa
ville d'adoption allait être témoin du déferlement de la nouvelle science de
la génétique, mais dans la forme la plus sinistre que l'histoire ait connue.
Lebensunwertes Leben
(Ces vies qui ne valent pas la peine d'être vécues)

« Celui qui n'est ni physiquement et mentalement sain ni méritant peut


ne pas transmettre ce malheur au corps de ses enfants. L'État du peuple
doit effectuer la plus gigantesque tâche d'éducation ici. Un jour,
cependant, cela apparaîtra comme une action plus grande que les
guerres les plus victorieuses de notre ère bourgeoise actuelle. »
Ordre d'Hitler pour l'Aktion T4

« Il voulait être Dieu… pour créer une nouvelle race 1. »


Un prisonnier d'Auschwitz à propos des objectifs de Josef Mengele

« Une personne héréditairement malade coûte 50 000 reichsmarks en


moyenne jusqu'à l'âge de soixante ans 2. »
Avertissement aux élèves de lycée dans un manuel de biologie allemand sous le régime nazi.

Le nazisme, a dit une fois le généticien allemand Fritz Lenz, n'est rien de
plus que de la « biologie appliquée » 3 4.
Au cours de l'été 1933, Hermann Muller, qui commençait à travailler à
l'Institut Kaiser Wilhelm à Berlin, put assister à la « biologie appliquée »
nazie en pleine action. En janvier de cette même année, Adolf Hitler, le
Führer du Parti national socialiste des travailleurs allemands, avait été
nommé chancelier de l'Allemagne. En mars, le parlement allemand adopta
la loi des pleins pouvoirs qui accordait à Hitler un pouvoir sans précédent
pour légiférer sans le parlement. Exultantes, les troupes paramilitaires
nazies défilèrent dans les rues de Berlin avec des torches à la main pour
saluer leur victoire.
La « biologie appliquée », telle que les nazis la comprenaient, était
vraiment de la génétique appliquée. Son but était d'établir une
Rassenhygiene, une « hygiène raciale ». Les nazis n'étaient pas les premiers
à utiliser ce terme. Alfred Ploetz, un médecin allemand, avait forgé ce terme
dès 1895 5 (rappelez-vous son discours sinistre et passionné à la Conférence
internationale sur l'eugénisme de Londres en 1912). Cette « hygiène
raciale » décrite par Ploetz correspondait à un nettoyage génétique de la
race, tout comme l'hygiène personnelle consiste à se nettoyer le corps. Et de
même que l'hygiène personnelle élimine chaque jour les dépôts et
excréments de l'organisme, l'hygiène raciale faisait disparaître les déchets
génétiques pour créer une race plus pure et plus saine 6.
En 1914, un collègue de Ploetz, le généticien Heinrich Poll, avait écrit :
« De même qu'un organisme sacrifie sans pitié ses cellules dégénérées,
qu'un chirurgien retire sans pitié un organe malade, les deux dans le but de
sauver l'ensemble, de même des entités organiques plus grandes telles qu'un
groupe de personnes apparentées ou l'État ne devraient pas hésiter, par
excès d'anxiété, à intervenir dans la liberté personnelle afin d'éviter que les
porteurs de traits héréditaires maladifs continuent à disséminer des gènes
nocifs à travers les générations 7. »
Ploetz et Poll considéraient des eugénistes américains ou britanniques
tels que Galton, Priddy et Davenport comme des pionniers de cette nouvelle
« science ». Ils soulignaient que la Colonie de Virginie pour les épileptiques
et les faibles d'esprit était une expérience idéale de nettoyage génétique. Au
début des années 1920, au moment où des femmes comme Carrie Buck
étaient repérées et transférées dans des camps eugénistes aux États-Unis, les
eugénistes allemands déployaient leurs propres efforts pour créer un
programme soutenu par l'État pour détenir, stériliser ou éradiquer les
hommes et les femmes « génétiquement déficients ». Plusieurs chaires
d'enseignement de « biologie raciale » et d'hygiène raciale furent instaurées
dans les universités allemandes et la science raciale devint une matière
parmi d'autres dans les écoles de médecine. Le centre académique de la
« science raciale » était l'Institut Kaiser Wilhelm d'Anthropologie,
d'Hérédité humaine et d'Eugénisme 8, situé à quelques mètres à peine du
nouveau laboratoire de Muller à Berlin.

En prison pour avoir dirigé le putsch avorté de Munich en 1923 9, Hitler


lut des livres sur Ploetz et sa science raciale et fut immédiatement fasciné.
Comme Ploetz, il croyait que des gènes défectueux étaient en train
d'empoisonner lentement la nation et d'empêcher la renaissance d'un État
fort et sain. Lorsque les nazis prirent le pouvoir dans les années 1930, Hitler
y vit l'opportunité de mettre ces idées en action. Et il le fit immédiatement.
En 1933, moins de cinq mois après avoir obtenu les pleins pouvoirs, les
nazis décrétèrent la Loi pour la prévention des enfants génétiquement
malades, plus connue sous le nom de Loi de stérilisation 10. Ses grandes
lignes étaient explicitement empruntées au programme eugénique
américain, mais il s'agissait de le reproduire en plus grand pour avoir plus
d'effet. « Toute personne souffrant d'une maladie héréditaire peut être
stérilisée par une opération chirurgicale » ordonnait la loi. Une liste initiale
de « maladies génétiques » fut dressée, dont les déficiences mentales, la
schizophrénie, l'épilepsie, la dépression, la cécité, la surdité et les
malformations sévères. Pour stériliser un homme ou une femme, une
demande appuyée par l'État devait être faite à la Cour de l'eugénisme. « Une
fois la stérilisation décidée par la Cour, poursuivait la loi, l'opération doit
être faite même contre la volonté de la personne à stériliser […] Si aucun
autre moyen ne suffit, la force pourra être utilisée ».
Pour gagner le soutien du public, les injonctions légales
s'accompagnaient d'une propagande insidieuse, une formule que les nazis
allaient porter à une perfection monstrueuse. Des films tels que Das Erbe
(« L'héritage », 1935) 11 et Erbkrank (« Maladie héréditaire », 1936) 12, créés
par le Bureau de la politique raciale, étaient diffusés dans toutes les salles
du pays pour illustrer les maladies des « déficients » et des « inaptes ».
Dans Erbkrank, une malade mentale dans les affres d'une crise joue sans
cesse avec ses mains et ses cheveux, un enfant malformé gît décharné dans
un lit, une femme avec des membres atrophiés marche à quatre pattes
comme un animal. Parallèlement à ces tristes séquences, les Allemands
pouvaient aussi voir des odes cinématographiques au corps aryen parfait. Le
film Les Dieux du stade (titre allemand Olympia), tourné par Leni
Riefenstahl 13 dans l'intention de célébrer les athlètes allemands, met en
scène de jeunes hommes brillants au corps musclé faisant de la gymnastique
rythmique pour illustrer la perfection génétique. Le public était saisi de
répulsion face aux « déficients » et d'envie ou d'ambition devant les athlètes
surhumains.
Pendant que l'agit-prop tournait à plein régime pour induire un
consentement passif aux stérilisations eugéniques, les nazis s'assuraient
aussi que la machine légale était bien lancée pour élargir le champ du
nettoyage racial. En novembre 1933 14, une nouvelle loi permit à l'État de
stériliser de force les « criminels dangereux » (incluant les dissidents
politiques, les écrivains et les journalistes). Promulguées en octobre 1935,
les Lois de Nuremberg pour la protection de la santé héréditaire du peuple
allemand 15 visaient à contenir les mélanges génétiques en empêchant les
juifs de se marier avec des personnes de sang allemand ou d'avoir des
relations sexuelles avec toute personne d'ascendance aryenne. L'illustration
peut-être la plus étrange du mélange entre nettoyage et nettoyage racial fut
une loi qui interdisait aux juifs d'employer des « femmes de ménage
allemandes » chez eux.
Les grands programmes de stérilisation et de détention exigeaient la
création d'une administration tout aussi vaste. En 1934, près de cinq mille
adultes étaient stérilisés chaque mois 16 et deux cents Cours de santé
héréditaire (ou Cours génétiques) fonctionnaient à plein temps pour rendre
leur avis sur des appels s'opposant à la stérilisation. De l'autre côté de
l'Atlantique, les eugénistes américains applaudissaient des deux mains, se
lamentant de leur propre incapacité à parvenir à des mesures aussi efficaces.
Lothrop Stoddard, un autre protégé de Charles Davenport, rendit visite à ce
type de Cour à la fin des années 1930 et écrivit son admiration devant une
telle efficacité chirurgicale. Lors de sa visite, le jugement portait sur une
femme bipolaire, une fille sourde et muette, une fille handicapée mentale et
un homme « de type simiesque » qui s'était marié avec une juive et était
apparemment aussi homosexuel, la trilogie parfaite du crime. Difficile de
savoir d'après les notes de Stoddard comment la nature héréditaire du
moindre de ces symptômes était établie. La stérilisation de toutes ces
personnes fut néanmoins vite approuvée.

Le glissement de la stérilisation au meurtre se fit en toute discrétion. Dès


1935, Hitler avait songé en privé à amplifier ses efforts de nettoyage
génétique pour arriver à l'euthanasie – quel moyen plus rapide de purifier
un pool génétique que d'exterminer les déficients ? – mais il s'inquiétait de
la réaction publique. À la fin des années 1930 cependant, la glaciale
équanimité des Allemands vis-à-vis du programme de stérilisation rendit les
nazis plus hardis encore. L'opportunité se présenta toute seule en 1939.
Durant l'été, Richard et Lina Krestchmar demandèrent à Hitler de leur
permettre d'euthanasier leur enfant Gerhard 17. Ce dernier, âgé de onze mois,
était né aveugle et avec des membres déformés. Les parents, de fervents
nazis, espéraient rendre service à leur pays en éliminant leur enfant de
l'héritage génétique commun.
Saisissant l'occasion, Hitler approuva le meurtre de Gerhard Kretschmar
puis décida rapidement d'étendre le programme à d'autres enfants.
Travaillant avec Karl Brandt 18, son médecin personnel, Hitler lança le
Registre scientifique des maladies sévères héréditaires et congénitales pour
mettre en place un programme national d'éradication des « déficients
génétiques ». Pour justifier les exterminations, les nazis avaient déjà
commencé à décrire les victimes par l'euphémisme lebensunwertes Leben,
« les vies qui ne valent pas la peine d'être vécues ». Une sinistre expression,
qui marquait une escalade dans la logique de l'eugénisme. Il ne suffisait pas
en effet de stériliser les déficients génétiques pour purifier le pays futur, il
fallait les exterminer pour purifier le pays actuel. Une solution génétique
finale.
Les assassinats commencèrent par des enfants « déficients » de moins de
trois ans mais en septembre 1939 ils furent étendus aux adolescents. Les
délinquants juvéniles furent ensuite ajoutés à la liste. Les enfants juifs
étaient ciblés d'une manière disproportionnée, obligatoirement examinés par
des médecins d'État, qualifiés de « malades génétiques » et exterminés,
souvent pour le moindre prétexte. En octobre 1939, le programme fut élargi
aux adultes. Une villa somptueusement meublée, le numéro 4 de la
Tiergartenstrasse à Berlin, fut choisie pour servir de quartier général au
programme d'euthanasie. Ce programme prendra d'ailleurs le nom d'Aktion
T4 d'après son adresse.
Des centres d'extermination furent établis dans tout le pays. Parmi ceux-
ci, deux étaient particulièrement actifs : le centre d'Hadamar, un hôpital en
forme de château perché sur une colline, et l'Institut de la santé de l'État de
Brandebourg, un bâtiment de briques ressemblant à une garnison avec des
rangées de fenêtres sur le côté. Dans les caves de ces bâtiments, des salles
avaient été transformées en pièces étanches à l'air où les victimes pouvaient
être gazées au monoxyde de carbone. L'aura de la science et de la recherche
médicale fut méticuleusement entretenue, souvent mise en scène de façon
spectaculaire pour avoir un effet encore plus grand sur l'imagination du
public. Les victimes des euthanasies étaient amenées dans les centres
d'extermination en bus aux fenêtres teintées, souvent accompagnées
d'officiers SS en blouse blanche. Dans des salles attenantes aux chambres à
gaz, avaient été créés des lits en béton, entourés de canaux pour recueillir
les liquides corporels, où les médecins pouvaient disséquer les corps après
l'euthanasie pour conserver les tissus en vue de futures études génétiques.
Les vies « ne valant pas la peine d'être vécues » avaient apparemment une
très grande valeur pour le progrès scientifique.
Afin de rassurer les familles inquiètes pour leurs parents ou leurs enfants,
les futures victimes étaient souvent amenées dans un premier temps dans
des locaux aménagés pour l'occasion, puis secrètement transférées vers
Hadamar ou le Brandebourg. Après les euthanasies, des milliers de faux
certificats de décès furent établis en invoquant des causes diverses de mort,
dont certaines étaient vraiment absurdes. La mère de Mary Rau, qui
souffrait de dépression psychotique, fut éliminée en 1939. On raconta à la
famille qu'elle était morte des suites de « verrues sur la lèvre ». En 1941,
l'Aktion T4 avait exterminé près d'un quart de million d'hommes, de
femmes et d'enfants. La Loi de stérilisation avait déjà abouti à environ
quatre cent mille stérilisations entre 1933 et 1943 19.

Hannah Arendt, la célèbre philosophe et journaliste, penseuse du


totalitarisme, écrira plus tard sur la « banalité du mal 20 » qui imprégnait la
culture allemande à l'époque nazie. Mais tout aussi commune était la
crédulité du mal. Imaginer que la « juiverie » ou la « gitanerie » soit portée
par les chromosomes, transmissible, et donc accessible à un nettoyage
génétique, demandait des qualités extraordinaires de contorsionniste. La
suspension de tout scepticisme était le credo de cette culture. De ce fait,
toute une gamme de « scientifiques », qu'ils soient généticiens, chercheurs
en médecine, psychologues, anthropologues ou linguistes, récitaient
joyeusement des études académiques pour conforter la logique scientifique
du programme des eugénistes. Dans un traité confus intitulé The Racial
Biology of Jews 21 22, Otmar von Verschuer, un professeur de l'Institut Kaiser
Wilhelm à Berlin, avançait par exemple que névrose et hystérie étaient des
traits intrinsèquement génétiques chez les juifs. Notant que le taux de
suicide chez les juifs avait été multiplié par sept de 1849 à 1907, Verschuer
en concluait de façon étonnante que la cause sous-jacente n'était pas la
persécution systématique des juifs en Europe mais leur surréaction
névrotique à celle-ci. Pour lui, « seules des personnes avec des tendances
psychopathiques et névrotiques réagiront d'une telle manière à ce genre de
changement des conditions extérieures ». En 1936, l'université de Munich,
une institution richement dotée par Hitler, décerna un doctorat à un jeune
chercheur en médecine pour sa thèse sur la « morphologie raciale » de la
mâchoire humaine, une tentative de démonstration que l'anatomie de la
mâchoire était déterminée par la race et transmise génétiquement. Le tout
nouveau « généticien de l'homme » Josef Mengele allait bientôt se
manifester pour devenir le plus pervers des chercheurs nazis, avec des
expériences sur les prisonniers qui lui vaudront le titre d'Ange de la Mort.
Au bout du compte, le programme nazi de purification des « malades
génétiques » fut simplement le prélude à une bien plus grande dévastation.
L'horreur de l'extermination des sourds, aveugles, muets, boiteux,
handicapés et faibles d'esprit allait être numériquement éclipsée par les
horreurs sans fin suivantes, avec l'élimination de six millions de juifs dans
des camps et des chambres à gaz au cours de l'Holocauste, de deux cents
mille gitans, de plusieurs millions de citoyens soviétiques et polonais, et
d'un nombre inconnu d'homosexuels, d'intellectuels, d'écrivains, d'artistes et
de dissidents politiques.
Mais il est impossible de séparer cet apprentissage de la sauvagerie de
son expression la plus aboutie. Ce fut dans cette maternelle de la barbarie
eugéniste que les nazis ont appris l'alphabet de leur métier. Le mot génocide
partage sa racine avec gène, et pour une bonne raison : les nazis ont utilisé
le vocabulaire des gènes et de la génétique pour initier, justifier et maintenir
leur action. Le langage de la discrimination génétique était facilement
recyclé dans celui de l'extermination raciale. La déshumanisation des
malades mentaux et des handicapés (« ils ne peuvent pas penser ou agir
comme nous ») était un tour de chauffe préalable à la déshumanisation des
juifs (« Ils ne pensent ou n'agissent pas comme nous »). Jamais dans
l'histoire, et jamais avec une telle malignité, les gènes n'avaient été si
aisément reliés à l'identité, l'identité à la déficience, et la déficience à
l'extermination. Martin Niemöller, un théologien allemand, a bien résumé
cette marche glissante du mal par ces phrases célèbres 23 :
« Quand les nazis sont venus chercher les socialistes,
Je n'ai rien dit,
Je n'étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
Je n'ai rien dit,
Je n'étais pas syndicaliste.
Puis ils sont venus chercher les juifs, et je n'ai rien dit
Parce que je n'étais pas juif.
Quand ils sont venus me chercher,
Il ne restait plus personne
Pour protester 24. »

Alors que dans les années 1930, les nazis apprenaient à déformer le
langage de l'hérédité pour promouvoir un programme d'État de stérilisation
et d'extermination, un autre puissant État européen distordait lui aussi la
logique de l'hérédité et des gènes pour justifier son action politique, bien
que d'une manière opposée. Les nazis avaient adopté la génétique comme
outil de purification raciale. En Union soviétique, dans les années 1930, des
scientifiques et des intellectuels de gauche proposèrent que rien n'est
inhérent dans l'hérédité. Dans la nature, tout, et particulièrement toute
personne, pouvait être changé. Les gènes étaient un mirage inventé par la
bourgeoisie pour souligner la fixité des différences individuelles alors qu'en
fait, rien dans les traits caractéristiques, identités, choix ou destinés n'était
indélébile. Si l'État avait besoin d'une purification, il pouvait y parvenir non
par la sélection mais par la rééducation de tous les individus et l'effacement
de leur précédent soi. Les cerveaux, pas les gènes, devaient être lavés.
Comme avec les nazis, la doctrine soviétique fut également confortée et
renforcée par une pseudo science. En 1928, un austère chercheur en
agriculture au visage taillé à la serpe, Trofim Lyssenko 25 – il « donne la
sensation d'un mal de dents » écrivit un journaliste à son propos 26 –
prétendit avoir trouvé un moyen de « casser » et de réorienter les influences
héréditaires chez les animaux et les plantes. Dans des expériences menées
dans de lointaines fermes en Sibérie, Lyssenko avait paraît-il exposé des
souches de blé à des épisodes sévères de froid et de sècheresse qui leur
avaient permis d'acquérir une résistance héréditaire à l'adversité (on a
découvert par la suite que ces annonces de Lyssenko étaient soit
franchement frauduleuses, soit fondées sur des expériences de mauvaise
qualité scientifique). En traitant des souches de blé avec cette « thérapie de
choc », Lyssenko avançait qu'il pouvait obtenir une floraison plus
vigoureuse au printemps et de meilleurs rendements de blé en été.
La « thérapie de choc » était en contradiction évidente avec la génétique.
L'exposition du blé au froid ou à la sècheresse ne pouvait pas plus produire
de changements permanents et héritables dans ses gènes que l'amputation
de la queue sur plusieurs générations de souris ne pouvait créer une souche
sans queue, ou que l'étirement du cou d'une antilope ne pouvait donner une
girafe. Pour instiller un tel changement dans ses plantes, Lyssenko aurait dû
muter des gènes de sensibilité au froid (en s'inspirant de Muller), utiliser
une sélection naturelle ou artificielle pour isoler des souches mutantes (en
s'inspirant de Darwin), puis croiser les souches mutantes entre elles pour
fixer la mutation (en s'inspirant de de Vries).
Mais Lyssenko se convainquit lui-même, et convainquit les autorités
soviétiques, qu'il avait « reconditionné » les plantes par la seule exposition
au froid et modifié par là durablement leurs caractéristiques propres. Le
gène, avançait-il 27, avait été « inventé par les généticiens » pour soutenir la
science d'une « bourgeoisie pourrissante et moribonde ». « Les bases de
l'hérédité ne se trouvent pas dans une sorte de substance spéciale qui s'auto-
reproduit. » C'était une redite éculée de l'idée de Lamarck, d'une adaptation
se transformant en un changement héréditaire, des décennies après que des
généticiens avaient fait ressortir les erreurs conceptuelles du lamarckisme.
La théorie de Lyssenko fut immédiatement adoptée par l'appareil
politique soviétique. Elle promettait une nouvelle méthode pour largement
accroître la production agricole dans des terres toujours menacées de
famine. En « rééduquant » le blé et le riz, des cultures pouvaient être
menées dans toutes les conditions, sous les hivers les plus sévères comme
les étés les plus secs. Peut-être tout aussi important, Staline et ses
compatriotes trouvèrent la perspective de « briser » et « reconditionner » les
gènes par une thérapie de choc des plus satisfaisantes idéologiquement.
Ainsi, alors que Lyssenko reconditionnait des plantes pour les affranchir
de leur dépendance vis-à-vis du sol ou du climat, les membres du parti
procédaient en parallèle à la rééducation des dissidents politiques pour les
affranchir de leur dépendance vis-à-vis d'une mauvaise conscience et des
biens matériels. Les nazis, croyant dans une immutabilité génétique absolue
(« Un juif est un juif ») avaient eu recours à l'eugénisme pour changer la
structure de leur population. Les Soviétiques, croyant dans une capacité de
reprogrammation génétique absolue (« n'importe qui est chacun »),
pouvaient éradiquer toutes les distinctions et atteindre ainsi un bien collectif
radical.
En 1940, Lyssenko, ayant évincé tous ses opposants 28, prit la direction de
l'Institut de génétique de l'Union soviétique et instaura son propre ordre
totalitaire dans la biologie soviétique. Toute forme de critique scientifique
de ses théories, notamment toute prise en compte de la génétique
mendélienne ou de l'évolution darwinienne, devint hors-la-loi en Union
soviétique. Des scientifiques furent envoyés au goulag pour y être
« reconditionnés » avec les idées de Lyssenko (comme avec le blé, leur
exposition à une « thérapie de choc » pouvait les convaincre de changer
d'opinion). En août 1940, Nikolaï Vavilov, un célèbre généticien mendélien,
fut capturé et transféré dans la prison notoirement sinistre de Saratov pour
avoir propagé ses vues « bourgeoises » sur la biologie (Vavilov avait osé
avancer que les gènes n'étaient pas si malléables). Au moment où Vavilov et
d'autres généticiens croupissaient en prison, les partisans de Lyssenko
lancèrent une vigoureuse campagne pour discréditer la génétique en tant
que science. En janvier 1943, épuisé et mal nourri, Vavilov fut transféré
dans un hôpital prison. « Je ne suis plus qu'une bouse maintenant 29 »
déclara-t-il à ses geôliers avant de mourir quelques semaines plus tard 30.
Le nazisme et le lyssenkisme reposaient sur des conceptions de l'hérédité
radicalement opposées, mais le parallèle entre les deux est frappant. Bien
que la doctrine nazie fût d'une insurpassable virulence, nazisme comme
lyssenkisme partageaient un même fil conducteur : dans les deux cas, une
théorie de l'hérédité fut utilisée pour construire une idée de l'identité
humaine qui, à son tour, était déformée pour être mise au service d'un
programme politique.
Ces deux théories de l'hérédité si opposées – les nazis obsédés par le
caractère fixe de l'identité et les Soviétiques par sa complète plasticité –
accordaient pourtant une place centrale au langage des gènes et à l'héritage
génétique dans le fonctionnement de l'État et dans la conception du progrès.
Il est difficile d'imaginer le nazisme sans la croyance dans le caractère
indélébile de l'héritage génétique, comme de concevoir l'État soviétique
sans la croyance en la possibilité de son parfait effacement. Sans surprise,
dans les deux cas, la science fut délibérément déformée pour soutenir des
opérations étatiques de « purification ». Par l'appropriation du langage des
gènes et de l'hérédité, des systèmes entiers de pouvoir et de gouvernement
furent justifiés et renforcés. Au milieu du XXe siècle, le gène – son
importance, ou la négation de son existence – s'était donc transformé en un
puissant instrument politique et culturel. Il était devenu l'une des plus
dangereuses idées dans l'histoire humaine.
La pseudo science conforte les régimes totalitaires. Et les régimes
totalitaires produisent de la pseudo science. Les généticiens nazis ont-ils
réellement contribué à la génétique ?
Parmi un volumineux fatras de choses inutiles, deux contributions se
distinguent. La première est méthodologique. Les scientifiques nazis ont
fait avancer les « études de jumeaux », bien qu'ils les aient rapidement
transformées, de manière caractéristique, en une forme épouvantable. Les
études de jumeaux provenaient du travail de Francis Galton dans les années
1890. Après avoir forgé l'expression nature versus nurture 31 32, Galton s'est
demandé comment un scientifique pouvait distinguer l'influence respective
de l'inné et de l'acquis. Comment déterminer si un trait particulier – la taille
ou l'intelligence par exemple – était d'origine innée ou acquise ? Comment
pouvait-on démêler ce qui était héréditaire de ce qui était dû à
l'environnement ?
Galton proposa de tirer parti d'une expérience naturelle. Puisque les
jumeaux partagent le même matériel génétique, toute ressemblance
substantielle entre eux pouvait être attribuée aux gènes alors que toute
différence devait être la conséquence de l'environnement. En étudiant les
différences entre jumeaux, pensait-il, un généticien pouvait déterminer les
contributions précises de l'inné et de l'acquis pour des caractères importants.
Galton était sur la bonne piste, sauf sur un point crucial : il n'avait pas fait
de distinction entre les vrais jumeaux, qui sont effectivement identiques du
point de vue génétique, et les « faux jumeaux », nés ensemble sans pour
autant partager le même héritage génétique (les premiers proviennent de la
séparation en deux d'un embryon unique alors que les seconds sont issus de
la fécondation simultanée de deux ovules distincts par deux spermatozoïdes
différents et ont donc des génomes différents). Les premières études de
jumeaux étaient ainsi brouillées par cette confusion et menaient à des
résultats peu concluants. En 1924, Hermann Werner Siemens 33, l'eugéniste
allemand et sympathisant nazi, proposa une étude de jumeaux qui
améliorait l'approche de Galton en séparant soigneusement les vrais
jumeaux des autres* *.
Siemens, un dermatologue à l'origine, était un étudiant de Ploetz et un
fervent partisan de l'hygiène raciale dès le début. Comme Ploetz, Siemens
réalisa que la purification génétique ne pouvait se justifier que si les
scientifiques pouvaient d'abord établir l'hérédité des caractères incriminés.
On ne pouvait soutenir la stérilisation d'un aveugle que si l'on pouvait
certifier que sa cécité était héritée. Pour des traits comme l'hémophilie, cela
paraissait évident et des études de jumeaux pour établir une transmission
héréditaire ne s'imposaient pas. Mais pour des traits plus complexes comme
l'intelligence ou les maladies mentales, démontrer leur caractère héréditaire
était bien plus compliqué. Pour démêler les effets héréditaires de ceux dus à
l'environnement, Siemens suggéra de comparer des vrais jumeaux à des
faux jumeaux. Le test clé du caractère héréditaire ou non serait la
concordance. Ce terme fait référence à la fraction des jumeaux qui
possèdent un trait en commun. Si tous les jumeaux le possèdent, la
concordance est de 1. S'ils ne le partagent que dans la moitié des cas, la
concordance est de 0,5. C'est une mesure pratique pour savoir si un trait est
sous influence génétique. Supposons par exemple que de vrais jumeaux
aient une forte concordance pour la schizophrénie, tandis que de faux
jumeaux, nés et élevés dans le même environnement, présentent une
concordance plus faible. L'origine de la maladie peut alors être solidement
attribuée à la génétique.
Pour les généticiens nazis, ces premières études furent le point de départ
d'expériences plus drastiques. Le partisan le plus énergique de telles
expériences fut Josef Mengele, l'anthropologue reconverti en médecin
reconverti en officier SS qui, bien à l'abri dans sa blouse blanche, a hanté
les camps de concentration d'Auschwitz et de Birkenau. Mengele devint le
médecin chef d'Auschwitz. Encouragé par son mentor berlinois, Otmar von
Verschuer, il y commença une série d'expériences monstrueuses sur des
jumeaux. Entre 1943 et 1945 34, plus d'un millier de jumeaux passèrent entre
ses mains 35. Dès l'arrivée des prisonniers dans le camp, Mengele repérait
ceux dont il avait besoin pour ses études : il parcourait les rangs en criant
ces mots qui allaient se graver dans leur mémoire : Zwillinge heraus (« Les
jumeaux dehors ») ou Zwillinge heraustreten (« Les jumeaux, sortez du
rang »).
Extraits des files, les jumeaux recevaient un tatouage spécial, logeaient
dans des blocs séparés et étaient des victimes systématiques de Mengele et
ses assistants (ironie du sort, en tant que sujets d'expérience, les jumeaux
avaient aussi plus de chance de survivre que les autres enfants). Mengele
mesurait d'une manière obsessionnelle les différentes parties de leur corps
pour déterminer l'influence génétique sur leur croissance. « Chaque partie
du corps était mesurée, comparée, se rappelle un jumeau. Nous étions
toujours assis ensemble, toujours nus 36. » D'autres jumeaux furent
assassinés par le gaz et leur corps disséqué pour comparer la taille des
différents organes internes. D'autres furent tués par injection de chloroforme
dans le cœur. Certains furent soumis à des transfusions de sang
incompatibles, à des amputations de membres ou à des opérations sans
anesthésie. Des jumeaux furent infectés avec le typhus pour déterminer les
variations génétiques dans la réponse aux infections bactériennes. Dans une
expérience particulièrement horrible, une paire de jumeaux dont l'un était
bossu furent cousus ensemble pour savoir si un dos commun allait corriger
la difformité. La gangrène s'installa sur la cicatrice et les deux moururent
peu après.
Malgré une apparence scientifique, le travail de Mengele était de très
pauvre qualité. Après avoir fait des centaines de victimes avec ses
expériences, il ne produisit qu'un cahier raturé sans résultats notables. Un
chercheur qui a examiné ses notes décousues au musée d'Auschwitz en a
conclu qu'« aucun scientifique ne peut les considérer sérieusement ». De
fait, quelles qu'aient pu être les premières études de jumeaux en Allemagne,
les expériences de Mengele ont tellement pourri ce domaine de recherche,
ont suscité une telle haine, qu'il a fallu des décennies avant qu'il puisse
reprendre convenablement.

La seconde contribution des nazis à la génétique fut tout à fait


involontaire. Au milieu des années 1930, alors que Hitler accédait au
pouvoir en Allemagne, nombre de scientifiques ont senti venir la menace du
programme politique nazi et ont quitté le pays. L'Allemagne avait dominé la
science au début du XXe siècle. Elle avait été le creuset de la physique
atomique, de la mécanique quantique, de la chimie nucléaire, de la
physiologie et de la biochimie. Sur les cent prix Nobel attribués en
physique, en chimie ou en médecine entre 1901 et 1932, trente-trois furent
décernés à des Allemands (dix-huit à des Britanniques et six seulement à
des Américains). Lorsque Hermann Muller arriva à Berlin en 1932, la ville
hébergeait les meilleurs esprits scientifiques du monde. Einstein écrivait ses
équations sur les tableaux de l'Institut Kaiser Wilhelm de physique, Otto
Hahn, le chimiste, cassait les atomes pour comprendre leur constitution en
particules subatomiques et Hans Krebs, le biochimiste, éclatait les cellules
pour identifier leurs composantes chimiques.
Mais l'ascension du nazisme mit immédiatement en émoi la communauté
scientifique allemande. En avril 1933, les professeurs juifs furent
brutalement démis de leur poste dans les universités 37. Sentant un danger
imminent, des milliers de scientifiques juifs émigrèrent à l'étranger. Einstein
partit pour une conférence au Royaume-Uni en 1933 et refusa sagement de
revenir. Krebs prit l'avion la même année, tout comme le biochimiste Ernest
Chain et le physiologiste Wilhelm Feldberg. Max Perutz, le physicien,
arriva à l'université de Cambridge en 1937.
Pour des non juifs tels que Erwin Schrödinger et le chimiste nucléaire
Max Delbrück, la situation devenait moralement intenable. Beaucoup se
résignèrent à partir à l'étranger par dégoût. Hermann Muller, trompé par une
autre fausse utopie, gagna l'Union soviétique dans une nouvelle quête pour
unir la science et le socialisme (il faut aussi savoir, pour ne pas se tromper
sur la réponse des scientifiques à l'ascension nazie, que beaucoup ont gardé
un silence de mort à cette époque. « Hitler a pu ruiner les perspectives à
long terme de la science allemande 38 » écrivait George Orwell en 1945,
mais il n'y a eu aucune pénurie de « personnel doué pour faire les
recherches nécessaires à la mise au point du pétrole de synthèse, des avions
à réaction, des fusées et de la bombe atomique »).
Ce que le Reich avait perdu bénéficia directement à la génétique. L'exode
d'Allemagne a permis aux scientifiques de passer dans d'autres pays mais
aussi dans d'autres disciplines. Se retrouvant dans de nouveaux pays, ils y
ont aussi trouvé l'occasion de s'intéresser à d'autres problèmes. Les
physiciens atomiques se sont particulièrement tournés vers la biologie qui
était alors une frontière inexplorée de la science. Après avoir réduit la
matière à ses éléments fondamentaux, ils se mirent en quête de décomposer
le vivant en entités matérielles similaires. L'état d'esprit de la physique
atomique – cette volonté permanente de trouver des particules irréductibles,
des mécanismes universels et des explications systématiques – allait bientôt
diffuser dans la biologie et la conduire à de nouvelles méthodes et à de
nouvelles questions.
Et les répercussions se feront sentir pendant des décennies. En se
rapprochant de la biologie, physiciens et chimistes tentaient de comprendre
les êtres vivants en termes de physique et de chimie, sous la forme de
molécules, de forces, de structures, d'actions et de réactions. Ces émigrés
d'Allemagne allaient finir par redessiner le paysage scientifique du nouveau
continent où ils abordaient.
Les gènes captaient le plus l'attention. De quoi étaient-ils faits et
comment fonctionnaient-ils ? Le travail de Morgan avait identifié leur
emplacement sur les chromosomes, où ils étaient supposés s'aligner comme
des perles dans un collier. Les expériences de Griffith et de Muller avaient
désigné une substance matérielle, une entité chimique qui pouvait passer
d'un organisme à l'autre et être facilement modifiée par les rayons X.
Les biologistes pouvaient être effrayés à l'idée de décrire « la molécule
du gène » sur la base de pures hypothèses, mais quel physicien pouvait
résister à l'envie de s'aventurer sur ce nouveau territoire exotique ? En 1944,
s'exprimant à Dublin, le théoricien de la physique quantique Erwin
Schrödinger tenta audacieusement de décrire la nature moléculaire du gène
en se basant sur des principes purement théoriques (sa conférence fut
publiée plus tard sous la forme d'un livre intitulé What is Life ? 39 40 ). Le
gène, raisonnait Schrödinger, devait être d'un type chimique particulier, être
une molécule de contradictions. Il devait posséder une certaine régularité
chimique, car sinon des processus routiniers comme la copie ou la
transmission ne pourraient pas fonctionner, mais aussi être capable d'une
irrégularité extraordinaire, car autrement l'énorme diversité de l'information
héréditaire ne pourrait pas s'expliquer. La molécule devait pouvoir porter de
grandes quantités d'information et être cependant assez compacte pour tenir
dans une cellule.
Schrödinger imaginait une entité ayant de multiples liaisons chimiques
disposées le long de la « fibre du chromosome ». Peut-être que la séquence
des liaisons codait le message, une « variété de contenus comprimée dans
un code miniature ». Peut-être l'ordre des perles sur le collier portait-il le
code secret de la vie.
Ressemblance et différence, ordre et diversité, message et matière.
Schrödinger tentait d'imaginer une substance chimique capable de
rassembler les qualités divergentes et contradictoires de l'hérédité, une
molécule satisfaisant Aristote. Dans son esprit, c'était presque comme s'il
avait déjà vu l'ADN.
« Cette stupide molécule »

« Ne sous-estimez jamais la puissance de… la stupidité 1. »


*
Robert Heinlein*

Oswald Avery avait cinquante-cinq ans en 1933 lorsqu'il entendit parler


de l'expérience de transformation de Frederick Griffith. Son physique le
faisait paraître plus âgé qu'il n'était. Frêle, petit, avec des lunettes, presque
chauve, une voix d'oiseau et des membres qui pendaient comme des
brindilles en hiver, Avery était professeur à l'université Rockefeller à New
York, où il avait passé sa vie à étudier les bactéries et notamment le
pneumocoque. Il était sûr que Griffith avait dû faire une énorme bourde
dans son expérience. Comment des débris chimiques pouvaient-ils porter
une information génétique d'une cellule à une autre ?
Comme les musiciens, les mathématiciens et les athlètes de haut niveau,
les scientifiques ont leurs meilleures performances jeunes puis stagnent
rapidement. Ce n'est pas la créativité qui s'émousse, mais le tonus : la
science est un sport d'endurance. Pour produire l'expérience décisive, il faut
jeter mille expériences sans lendemain. C'est une lutte entre la nature et les
nerfs. Avery s'était battu pour être reconnu comme un microbiologiste
compétent mais l'idée de s'aventurer dans le monde nouveau des gènes et
des chromosomes ne lui serait jamais venue à l'esprit. « The Fess », comme
ses étudiants aimaient l'appeler 2 (un diminutif de « professeur »), était un
bon scientifique mais avait peu de chances de devenir un scientifique
révolutionnaire. L'expérience de Griffith avait peut-être introduit la
génétique dans un taxi pour un aller simple vers l'inconnu, mais Avery était
réticent à s'embarquer dans cette histoire.
Si Fess était un généticien réticent, l'ADN, en tant que « molécule du
gène », l'était aussi. L'expérience de Griffith avait engendré beaucoup de
spéculations sur la nature moléculaire du gène. Au début des années 1940,
les biochimistes avaient disloqué les cellules pour en révéler les
constituants chimiques ; ils avaient identifié diverses molécules mais « la
molécule de l'hérédité » restait inconnue.
Les biochimistes s'étaient particulièrement intéressés à la chromatine, la
structure biologique où résident les gènes et qui emplit le noyau. On avait
découvert qu'elle est formée de deux types de substances chimiques : les
protéines et les acides nucléiques. Personne ne connaissait la structure
intime de la chromatine 3, mais de ses deux composantes « intimement
associées », les protéines étaient les plus familières aux biologistes.
Ces molécules semblaient bien plus protéiformes que les acides
nucléiques, et bien plus susceptibles d'être le support des gènes. Les
protéines étaient connues pour assurer les diverses fonctions cellulaires. Les
cellules dépendent de réactions chimiques pour vivre. Au cours de la
respiration cellulaire, par exemple, la dégradation des sucres ou des lipides
donne du gaz carbonique et de l'énergie. Aucune de ces réactions chimiques
fondamentales n'a lieu spontanément dans la cellule : les protéines les
orientent et les contrôlent en les accélérant plus ou moins, modulant leur
vitesse pour les rendre compatibles avec la vie. Le vivant n'est peut-être rien
d'autre que de la chimie, mais une chimie particulière. Les organismes
n'existent pas parce que des réactions chimiques sont possibles mais parce
qu'elles sont à peine possibles. Une trop grande réactivité nous ferait nous
consumer spontanément, une trop faible nous figerait et nous ferait mourir.
Les protéines rendent possibles ces réactions et nous permettent de vivre
aux frontières de l'entropie chimique, surfant dangereusement mais sans
jamais tomber.
Les protéines forment aussi les composantes structurelles de la cellule.
Sous forme de filaments, elles donnent les cheveux, les ongles, le cartilage
ou les matrices qui entourent et maintiennent en place les cellules. Tordues
sous d'autres formes, elles constituent également des récepteurs, des
hormones et des molécules de signalisation permettant aux cellules de
communiquer entre elles. Presque toutes les fonctions cellulaires, que ce
soit le métabolisme, la division, la défense, l'élimination des déchets, la
sécrétion, la signalisation, la croissance et même la mort, requièrent des
protéines. Ce sont les éléments de base du monde biochimique.
Les acides nucléiques, au contraire, étaient des éléments marginaux du
monde biochimique. En 1869, quatre ans après que Mendel avait lu son
article à la Société de Brno, un biochimiste suisse du nom de Friedrich
Miescher avait découvert cette nouvelle classe de molécules dans la
cellule 4. Comme la plupart de ses collègues biochimistes, il essayait de
classer les composantes moléculaires des cellules en fragmentant ces
dernières, puis en séparant des fractions. Parmi les molécules séparées, un
type chimique retenait particulièrement son attention. Pour l'obtenir, il avait
extrait du pus de pansements chirurgicaux puis, à partir des globules blancs
récoltés 5, il avait fait précipiter la mystérieuse substance sous une forme
dense et filandreuse. Le sperme de saumon avait produit les mêmes
filaments blancs. Il nomma la molécule nucléine car elle était concentrée
dans le noyau cellulaire. Comme elle était acide, son nom fut plus tard
modifié en acide nucléique, mais sa fonction cellulaire restait inconnue.
Au début des années 1920, les biochimistes avaient acquis une meilleure
compréhension de la structure des acides nucléiques. Ces molécules se
présentent sous deux formes proches, l'ADN et l'ARN* *. Ce sont de
longues chaînes où des constituants de quatre types possibles –
chimiquement, des bases – font saillie le long de l'axe, comme des feuilles
sur une tige de lierre. Dans l'ADN, les quatre « feuilles » (ou bases) sont
l'adénine, la cytosine, la guanine et la thymine, abrégées en A, C, G et T.
Dans l'ARN, la thymine est remplacée par l'uracile, d'où A, C, G et U. On
ne connaissait rien de plus que ces rudiments de la structure des acides
nucléiques, sans parler de leur fonction.
Pour le biochimiste Phoebus Leven, un collègue d'Avery à l'université
Rockefeller, la composition chimique de l'ADN, quatre bases le long d'un
axe, était d'une platitude comique et suggérait une structure « très peu
sophistiquée 6 ». L'ADN est sans doute un long polymère monotone,
pensait Levene. Dans son esprit, les quatre bases devaient être répétées dans
un ordre défini – AGCT-AGCT-AGCT-AGCT et ainsi de suite jusqu'à la
nausée. Répétitif, régulier, austère, il devait s'agir d'une sorte de tapis
roulant, du nylon du monde biochimique. Levene qualifia l'ADN de
« molécule stupide 7 ».
Un coup d'œil rapide à la structure de l'ADN proposée par Levene
suffisait à disqualifier cette molécule comme support de l'information
génétique. Des molécules stupides ne pouvaient porter un message
intelligent. Monotone à l'extrême, l'ADN semblait complètement à l'opposé
de la substance qu'avait imaginée Schrödinger, non seulement stupide mais,
pire encore, ennuyeuse. Les protéines, au contraire, par leur diversité, leur
souplesse, leur capacité à prendre de multiples formes et fonctions, étaient
infiniment plus séduisantes en tant que support des gènes. Si la chromatine,
comme Morgan l'avait suggéré, était un collier de perles, les protéines
devaient en être les composantes actives, les perles, tandis que l'ADN était
probablement leur axe central. L'acide nucléique dans un chromosome,
comme l'énonça un biochimiste, n'était qu'une « substance déterminant la
structure, la soutenant 8 », un échafaudage moléculaire pour les gènes. Les
protéines portaient vraiment la matière du message héréditaire. L'ADN
faisait du remplissage.

Au printemps 1940, Avery répéta l'expérience de Griffith et confirma son


résultat clé. Il récupéra les débris cellulaires d'une souche lisse et virulente
du pneumocoque, mélangea ces débris avec les bactéries vivantes d'une
souche rugueuse et non virulente, puis injecta le tout à des souris. Chaque
fois, des bactéries lisses et virulentes émergeaient et tuaient les souris : le
« principe transformant » fonctionnait. Comme Griffith, Avery observa que
les bactéries, une fois transformées, retenaient leur virulence génération
après génération. Bref, l'information génétique devait être transmise entre
les deux organismes sous une forme purement chimique qui autorisait la
transition de la forme rugueuse à la forme lisse.
Mais quel pouvait être ce produit chimique ? Avery joua sur les
conditions de l'expérience comme seuls les microbiologistes savent le faire,
faisant pousser les bactéries dans différents milieux, ajoutant du bouillon de
cœur de bœuf au milieu de culture, retirant les sucres contaminant la soupe
après la mort des bactéries, et faisant pousser les colonies bactériennes sur
des boîtes. Deux assistants, Colin McLeod et Maclyn McCarty, rejoignirent
le laboratoire pour aider à faire les expériences. Les premières étapes
techniques étaient cruciales. Début août, les trois chercheurs avaient réussi
la réaction de transformation en flacon et isolé le « principe transformant »
sous une forme très concentrée. En octobre 1940, ils s'attaquèrent aux
composantes des débris bactériens, séparant laborieusement chacune d'entre
elles pour tester son pouvoir à transmettre l'information génétique.
Tout d'abord, ils retirèrent tous les fragments restants de la paroi
bactérienne. L'activité transformante resta inchangée. Puis ils dissolvèrent
les lipides dans de l'alcool sans que cela ne modifie le résultat. Ils écartèrent
ensuite les protéines en les précipitant avec du chloroforme ou en les
digérant par diverses enzymes sans altérer le pouvoir transformant. Ils
chauffèrent aussi le milieu jusqu'à soixante-cinq degrés, température assez
élevée pour dénaturer la plupart des protéines, puis ajoutèrent de l'acide
pour les faire précipiter : cela ne changea rien à la transmission des gènes.
Les expériences étaient faites méticuleusement et la conclusion était sans
appel. Il en ressortait que le principe transformant ne pouvait être fait de
sucres, de lipides ni de protéines.
Qu'est-ce que cela pouvait être d'autre ? Le principe transformant pouvait
être congelé et décongelé. L'alcool le précipitait. Il apparaissait alors sous la
forme blanche d'une « substance fibreuse […] qui s'enroule sur une tige de
verre comme du fil sur une bobine ». Si Avery l'avait mis sur sa langue, il
aurait senti la légère aigreur d'un acide, suivi de l'arrière-goût du sucre et de
la note métallique du sel, ce qu'un auteur a décrit comme le goût de la « mer
primordiale 9 ». Une enzyme digérant l'ARN n'avait aucun effet. Le seul
moyen d'empêcher la transformation était d'incuber l'extrait avec une
enzyme capable de dégrader l'ADN.
L'ADN ? Était-il possible que l'ADN soit le support de l'information
génétique ? Cette « molécule stupide » pouvait-elle porter les informations
les plus complexes de la biologie ? Avery, MacLeod et McCarty lancèrent
une batterie d'expériences, testant le principe transformant par les rayons
ultraviolet, l'analyse chimique, l'électrophorèse. Dans chaque cas, la
réponse était claire, il s'agissait indubitablement d'ADN. « Qui aurait pu le
deviner 10 ? écrivit Avery encore hésitant à son frère en 1943. Si c'est vrai,
et bien sûr cela n'est pas encore prouvé, alors les acides nucléiques ne sont
seulement importants pour leur structure mais sont aussi des substances
fonctionnellement actives […] qui induisent des changements prédictibles
et héréditaires dans les cellules [mots soulignés par Avery] ».
Avery voulait vérifier plutôt deux fois qu'une avant de publier ses
résultats 11. « Il serait risqué de s'engager sans être prêt et embarrassant de
devoir rétracter l'article plus tard. » Mais il comprenait parfaitement les
conséquences de son expérience historique : « Le problème fourmille
d'implications […] C'est quelque chose qui fait rêver les généticiens depuis
longtemps ». Comme un chercheur allait plus tard le décrire, Avery avait
découvert la « substance matérielle du gène », « l'étoffe dont les gènes
étaient faits 12 ».
L'article d'Oswald Avery sur l'ADN fut publié en 1944 13, l'année même
où les exterminations nazies atteignaient le sommet de l'horreur. Chaque
mois, des trains déversaient des milliers de déportés juifs dans les camps.
La macabre comptabilité explosait. Pour la seule année de 1944, près de
500 000 hommes, femmes et enfants furent transportés à Auschwitz. Des
camps annexes furent ajoutés et de nouvelles chambres à gaz et
crématorium furent construits. Les fosses communes débordaient de
cadavres. Cette année, on estime que 450 000 personnes furent gazées 14. En
1945, 900 000 juifs, 74 000 Polonais, 21 000 gitans et 15 000 prisonniers
politiques furent tués.
Au début de l'année 1945 15, alors que les soldats de l'Armée rouge
approchaient d'Auschwitz et de Birkenau à travers la campagne gelée, les
nazis tentèrent d'évacuer près de 60 000 prisonniers des camps et de leurs
annexes. Épuisés, refroidis et sévèrement dénutris, nombre de ces
prisonniers moururent au cours du transfert. Le 27 janvier 1945 au matin,
les troupes soviétiques entrèrent dans les camps et libérèrent les 7 000
prisonniers restants, nombre infime par rapport à tous ceux qui avaient été
tués et enterrés sur place.
Le langage de l'eugénisme et de la génétique était depuis longtemps passé
au second plan comparé à celui plus malveillant de la haine raciale. Le
prétexte de la purification génétique avait largement cédé la place à la
progression de la purification ethnique. Il n'en demeure pas moins que la
marque de la génétique nazie perdurait, comme une cicatrice indélébile.
Parmi les prisonniers hagards et émaciés qui sortirent du camp ce matin-là,
il y avait une famille de nains et plusieurs jumeaux, les quelques personnes
à avoir survécu aux expériences génétiques de Mengele.

Voilà, peut-être, la contribution finale du nazisme à la génétique : avoir


associé définitivement la honte à l'eugénisme. Les horreurs des eugénistes
nazis ont suscité une mise en garde, un réexamen global des ambitions qui
avaient été à l'origine de ces efforts. Dans le monde entier, les programmes
eugénistes furent stoppés dans la honte. Le Bureau d'enregistrement de
l'eugénisme américain 16, qui avait perdu une grande partie de son
financement en 1939, fut drastiquement réduit après 1945. Nombre de ses
fervents soutiens, atteints d'une commode amnésie collective lorsqu'on
évoquait leurs encouragements aux eugénistes allemands, abandonnèrent
complètement ce mouvement.
« Les objets biologiques importants
se présentent en paires »

« On ne peut réussir en science sans réaliser tout d'abord que,


contrairement à la conception populaire soutenue par les journaux et
par les mères des scientifiques, un bon nombre de scientifiques sont
non seulement étroits d'esprit et ennuyeux, mais aussi simplement
stupides 1. »
James D. Watson

« C'est la molécule qui a le prestige, pas les scientifiques 2. »


Francis Crick

« La science serait ruinée si, comme en sport, la compétition venait à


primer sur tout le reste 3. »
Benoît Mandelbrot

L'expérience d'Oswald Avery réalisait une autre « transformation ».


L'ADN, jadis la dernière roue du carrosse des molécules biologiques, se
retrouva propulsé sous les feux de la rampe. Bien que certains scientifiques
eurent initialement du mal à admettre que les gènes fussent faits d'ADN, la
démonstration d'Avery pouvait difficilement être rejetée (malgré trois
nominations pour le prix Nobel, Avery ne put le recevoir en raison de
l'opposition de Einar Hammarsten, influent chimiste suédois qui refusait de
croire que l'ADN puisse porter une information génétique). Alors que des
preuves supplémentaires de son rôle venant d'autres laboratoires et
expériences s'accumulaient dans les années 1950 4, même les sceptiques les
plus bornés ne pouvaient qu'être convaincus. Les allégeances basculaient, la
petite souillon de la chromatine était devenue sa reine.
Parmi les premiers convertis à la nouvelle religion de l'ADN se trouvait
un jeune physicien néo-zélandais, Maurice Wilkins 5. Fils d'un médecin de
campagne, il avait étudié la physique à Cambridge dans les années 1930.
Aux antipodes du prestigieux College, la Nouvelle-Zélande, avant-poste
rugueux du monde occidental, avait déjà produit un prodige qui avait
bouleversé la physique du XXe siècle : Ernest Rutherford, un autre jeune
homme qui était arrivé en 1895 à Cambridge avec une bourse et avait
traversé la physique atomique de l'époque comme un faisceau de neutrons 6.
Dans un jaillissement d'expériences inédites, Rutherford avait découvert
les propriétés de la radioactivité, construit un modèle conceptuel
convaincant de l'atome, disséqué l'atome en ses constituants subatomiques
et lancé le nouveau chantier de la physique subatomique. En 1919, il était
devenu le premier scientifique à réaliser le mythe médiéval de la
transmutation. En bombardant des atomes d'azote avec une émission
radioactive de noyaux d'hélium, il les avait convertis en atomes d'oxygène.
Même les représentants des éléments chimiques, démontrait Rutherford,
n'étaient pas des particules élémentaires. L'atome, l'unité fondamentale de la
matière, était en fait formé d'unités encore plus fondamentales : électrons,
protons et neutrons.
Wilkins avait évolué dans le sillage de Rutherford en étudiant la physique
atomique et les rayons. Il était allé à Berkeley en Californie dans les années
1940 pour rejoindre brièvement les scientifiques chargés de séparer et
purifier les isotopes nécessaires au Projet Manhattan de la bombe atomique.
Mais de retour en Angleterre, Wilkins, suivant en cela la tendance chez de
nombreux physiciens, s'était rapproché de la biologie. Il avait lu le petit
livre de Schrödinger Qu'est-ce que la vie ? et avait été immédiatement
fasciné. Le gène, l'unité fondamentale de l'hérédité, devait aussi être fait de
sous-unités, pensait-il, et la structure de l'ADN devait pouvoir les révéler.
C'était la chance pour un physicien de résoudre le mystère le plus séduisant
de la biologie. En 1946, Wilkins fut nommé directeur adjoint de la nouvelle
unité de biophysique du King's College à Londres.

Biophysique. Même ce mot curieux, collision de deux disciplines,


marquait une nouvelle époque. La prise de conscience, au XIXe siècle, que la
cellule vivante n'était rien de plus qu'un paquet de réactions chimiques
interconnectées avait permis de lancer une puissante discipline fusionnant
biologie et chimie, la biochimie. « La vie […] est un accident chimique 7 »,
a dit le chimiste Paul Ehrlich et les biochimistes, comme prévu, avaient
commencé à fracturer les cellules pour caractériser « les molécules du
vivant » par catégories et par fonctions. Les sucres fournissaient l'énergie,
les graisses la stockaient, les protéines permettaient les réactions chimiques,
accélérant et contrôlant le rythme des processus biochimiques, agissant
ainsi comme les tableaux de bord du monde biologique.
Mais comment les protéines rendaient-elles ces réactions possibles ? Par
exemple, l'hémoglobine, le transporteur de l'oxygène dans le sang, effectue
l'une des réactions les plus simples et néanmoins les plus vitales qui soient
en physiologie. Exposée à de fortes concentrations de dioxygène,
l'hémoglobine lie cette molécule. Relocalisée dans un milieu faiblement
oxygéné, elle libère son dioxygène. Cette propriété permet à l'hémoglobine
de véhiculer via le sang le dioxygène des poumons aux tissus comme le
cœur et le cerveau. Mais par quel mécanisme l'hémoglobine pouvait-elle
être une navette aussi efficace entre les tissus ?
La réponse se trouve dans la structure de la molécule. L'hémoglobine A,
la version la plus étudiée de cette molécule, a une forme de trèfle à quatre
feuilles. Deux de ses « feuilles » sont formées par une protéine appelée
globine alpha, les deux autres par une protéine proche, la globine bêta 8.
Chacune de ces globines maintient en son centre une structure appelée
hème, et chaque hème enserre un atome de fer qui peut se lier avec le
dioxygène, un peu comme dans la rouille.
Lorsqu'on charge des molécules de dioxygène sur les hèmes, les globines
de l'hémoglobine se referment sur le dioxygène à la façon d'un fermoir.
Lorsqu'on libère le dioxygène, au contraire, toute la structure se relâche ;
par cette relaxation, la libération d'une seule molécule de dioxygène facilite
celle des autres, comme le retrait de la pièce centrale d'un puzzle libère les
pièces voisines. Cette façon coopérative de lier puis de libérer le dioxygène
assure un apport efficace de la molécule aux tissus. L'hémoglobine
augmente de sept fois la capacité du sang à transporter le dioxygène, par
rapport aux quantités qui peuvent être seulement dissoutes dans le plasma.
La taille des vertébrés dépend de cette capacité de l'hémoglobine à
véhiculer le dioxygène dans toutes les parties du corps : sans elle, nos
organismes seraient limités à une petite taille et à une faible activité
métabolique. Nous serions des insectes…
C'est bien la forme de l'hémoglobine qui permet sa fonction. Sa structure
physique fonde ses propriétés chimiques, lesquelles fondent son
fonctionnement physiologique, et in fine son activité biologique. Le
fonctionnement complexe des êtres vivants peut ainsi être décrit en termes
de niveaux : niveau physique expliquant le niveau chimique, ce dernier
rendant compte du niveau physiologique. Reprenant la question de
Schrödinger « Qu'est-ce que la vie ? », un biochimiste pourrait répondre :
« si ce n'est des substances chimiques ». Et que sont ces substances
chimiques, pourrait ajouter un biophysicien, sinon des morceaux de
matière ?
Cette description de la physiologie – une correspondance raffinée entre la
forme et la fonction, étendue désormais jusqu'au niveau moléculaire –
remonte à Aristote. Pour ce dernier, les organismes vivants ne seraient rien
de plus que des assemblages exquis de machines. La biologie médiévale
s'était écartée de cette tradition, invoquant des forces « vitales » et des
fluides mystiques qui étaient en quelque sorte uniques à la vie, un deus ex
machina de dernière minute pour expliquer le mystérieux fonctionnement
des organismes vivants (et justifier l'existence du dieu). Mais les
biophysiciens étaient bien décidés à restaurer une description mécanistique
rigide de la biologie. La physiologie devait pouvoir s'expliquer en termes de
physique, avançaient-ils, avec des forces, des mouvements, des actions, des
moteurs, des leviers, des poulies et des fermoirs. Les lois qui faisaient
tomber la pomme de Newton au sol devaient aussi s'appliquer à la
croissance du pommier. Invoquer des forces vitales spéciales ou inventer
des fluides mystiques n'était pas nécessaire. La biologie était de la physique.
Le dieu était machine, machina en deus.

L'ambition de Wilkins au King's College était simple : résoudre la


structure tridimensionnelle de l'ADN. Si l'ADN était vraiment le support
matériel du gène, raisonnait-il, alors la structure de cette molécule devait
éclairer la nature du gène. De même que la terrifiante logique de l'évolution
avait allongé le cou de la girafe et amélioré le fermoir à quatre bras de
l'hémoglobine, cette machine à créer de l'adaptation devait avoir engendré
une molécule d'ADN dont la forme correspond parfaitement à la fonction.
La molécule du gène devait d'une manière ou d'une autre ressembler à une
molécule de gène.
Pour déchiffrer la structure de l'ADN, Wilkins avait décidé de rassembler
un ensemble de techniques biophysiques inventées non loin de là, à
Cambridge : la cristallographie et la diffraction aux rayons X. Pour en
comprendre le principe, imaginez que vous vouliez déduire la forme d'un
minuscule objet en trois dimensions, disons un cube. Vous ne pouvez
« voir » ce cube ni sentir ses arêtes, mais il possède une propriété partagée
par tous les objets physiques : il peut produire une ombre. Imaginez
maintenant que vous puissiez éclairer le cube sous différents angles et
enregistrer les ombres portées. Si la lumière est placée juste en face, le cube
aura une ombre carrée ; placée de côté, elle fera apparaître un losange. En
bougeant encore la source de lumière, on obtiendra une ombre en forme de
trapèze. Ce procédé a un côté laborieux presque absurde, comme de
sculpter un visage à partir d'un million de silhouettes, mais il marche :
morceau par morceau, un ensemble d'images à deux dimensions peut se
transmuter en une forme tridimensionnelle.
La diffraction aux rayons X fait appel à un principe analogue. Les
« ombres » sont le résultat de la diffraction de rayons par les atomes de la
molécule étudiée, sauf que dans le monde moléculaire, il faut la source de
lumière la plus puissante possible pour éclairer les molécules : les rayons X.
Et il y a un problème plus subtil. Les molécules refusent en général de
rester bien tranquilles quand on tire leur portrait. Dans les liquides ou les
gaz, elles se démènent en tous sens, comme des particules de poussière. Si
vous éclairez un million de cubes en mouvement, vous n'aurez qu'une
ombre mouvante et diffuse, une version moléculaire de la neige
électronique sur votre télévision.
Comment procéder ? La seule solution au problème est ingénieuse :
transformer une molécule en solution en un cristal, avec ses atomes
instantanément figés en position. Les ombres deviennent alors régulières, et
la structure cristalline produit des silhouettes ordonnées et lisibles. Résultat,
en éclairant aux rayons X un cristal de sa molécule préférée, un physicien
peut arriver à élucider sa structure en trois dimensions. Au Caltech 9, deux
physico-chimistes, Linus Pauling et Robert Corey, avaient utilisé cette
technique pour résoudre la structure de plusieurs fragments protéiques, un
exploit qui allait valoir le prix Nobel de chimie à Pauling en 1954.
C'était précisément ce que Wilkins espérait faire avec l'ADN. Éclairer
l'ADN aux rayons X n'exigeait pas d'innovation ni d'expertise particulières.
Wilkins trouva un diffractomètre à rayons X au département de chimie 10 et
l'installa, « dans une splendeur solitaire », au milieu d'une pièce recouverte
de plomb du côté des quais, juste sous le niveau de la Tamise voisine. Il
avait le matériel crucial pour son expérience. Le principal défi était
désormais de maintenir l'ADN tranquille.

Au début des années 1950, Wilkins s'appliquait à progresser


méthodiquement dans son travail quand il fut interrompu par une force
indésirable. Durant l'hiver, le directeur de l'unité de biophysique, J. T.
Randall, recruta une nouvelle personne pour travailler en cristallographie.
Randall était un aristocrate, un petit dandy raffiné amateur de cricket qui
dirigeait néanmoins son département d'une poigne de fer. La nouvelle
recrue, Rosalind Franklin, venait de terminer une étude sur les cristaux de
charbon à Paris. En janvier 1951, elle arriva à Londres et rendit visite à
Randall.
Wilkins était alors en congé avec sa fiancée, une décision qu'il regrettera
par la suite. On ne sait pas exactement dans quelle mesure Randall avait
anticipé les conflits à venir lorsqu'il suggéra un projet de recherche à
Franklin. « Wilkins a déjà trouvé que les fibres [d'ADN] donnent des
diagrammes remarquablement bons », lui dit-il. Peut-être pouvait-elle
envisager l'étude des motifs de diffraction de ces fibres et en déduire une
structure ? Il lui avait, de fait, offert l'ADN sur un plateau.
Lorsque Wilkins revint au laboratoire, il s'attendait à ce que Franklin le
rejoigne en tant que jeune assistante. L'ADN, après tout, avait toujours été
son projet à lui. Mais Franklin n'avait nullement l'intention d'être l'assistante
de qui que ce soit. Avec ses cheveux et ses yeux sombres, cette fille d'un
important banquier anglais, dont le regard transperçait ses interlocuteurs
comme des rayons X, était un rare spécimen dans un laboratoire : une
femme scientifique indépendante dans un monde dominé par les hommes.
Avec un « père dogmatique et exigeant », comme l'écrira plus tard Wilkins,
Franklin avait grandi dans une maison où « ses frères et son père lui en
voulaient d'être plus intelligente ». On comprend pourquoi elle n'avait guère
envie d'assister Maurice Wilkins dont les manières douces l'agaçaient, dont
les valeurs, pensait-elle, étaient désespérément « classe moyenne » et dont
le projet – élucider la structure de l'ADN – entrait en conflit direct avec le
sien. Ce fut, comme une amie de Franklin le racontera plus tard, « la haine
au premier regard 11 ».
Au début, Wilkins et Franklin travaillèrent néanmoins cordialement, se
rencontrant de temps en temps pour un café au Strand Palace Hotel, mais
leur relation se refroidit rapidement pour atteindre une hostilité glaciale 12.
Leur proximité intellectuelle générait un sourd mépris. En quelques mois,
ils ne purent presque plus s'adresser la parole (Elle « aboie souvent, sans
arriver à me mordre 13 » écrira Wilkins plus tard). Un matin, ils se
retrouvèrent en barque sur la rivière Cam au sein de deux groupes d'amis
différents. Alors que Franklin descendait la rivière vers Wilkins, les bateaux
entrèrent en collision. « Maintenant, elle essaye de me noyer 14 » s'exclama-
t-il dans une épouvante feinte. Il y eut un rire nerveux, du type que l'on
entend lorsque la plaisanterie est trop proche de la vérité.
Ce qu'elle essayait d'éviter, en fait, était le bruit. Le tintement des chopes
de bière dans les pubs envahis par les hommes. La bonhomie détendue des
hommes discutant de science dans leur salle réservée au King's College.
Franklin trouvait la plupart de ses collègues hommes « positivement
repoussants 15 ». Ce n'était pas seulement le sexisme 16, mais surtout les
insinuations sexistes qui étaient épuisantes, toute l'énergie dépensée à
analyser les affronts reçus ou à interpréter les jeux de mots involontaires.
Elle préférait travailler sur d'autres messages, d'autres codes qui étaient
ceux de la nature, des cristaux, des structures invisibles.
Or Randall, chose rare à son époque, était disposé à embaucher des
femmes scientifiques et plusieurs travaillaient avec Franklin au King's
College. Et des pionnières l'avaient déjà précédée dans la science. Il y avait
Marie Curie, sévère et passionnée dans ses robes noires ; avec ses mains
gercées 17, elle avait purifié le radium à partir d'une montagne de minerai,
puis reçu non pas un mais deux prix Nobel. Il y avait aussi Dorothy
Hodgkin à Oxford, féminine et raffinée, qui reçut le prix Nobel de chimie
pour elle seule pour avoir percé la structure cristalline de la pénicilline 18
(une « femme d'intérieur à l'air aimable » comme la décrivit un journal à
l'époque 19 ). Cependant, Franklin ne cadrait avec aucun de ces deux
modèles, elle n'était ni une aimable épouse ni une femme aux robes raides
prête à remuer les montagnes, ni une madone ni une parque austère.
Le bruit qui motivait le plus Franklin était celui des parasites qui
rendaient floues les images de l'ADN. Wilkins avait obtenu d'un laboratoire
suisse un ADN très purifié et l'étirait en longues fibres uniformes. En
l'étendant entre les deux segments d'un fil de fer – un trombone tordu faisait
parfaitement l'affaire –, il espérait parvenir à diffracter les rayons X et ainsi
obtenir des images.
Mais ce matériel s'avéra difficile à photographier. Des points flous se
trouvaient éparpillés sur le film. Qu'est-ce qui rendait l'image d'une
molécule purifiée aussi difficile à obtenir ? se demandait Franklin. Elle
tomba rapidement sur la réponse. À l'état purifié, l'ADN se trouvait sous
deux formes. En présence d'eau, la molécule était dans une configuration
précise et en séchant, elle basculait dans une autre. Quand le réceptacle de
l'expérience perdait son humidité, les molécules d'ADN se relâchaient puis
se tendaient, exhalant, inhalant, exhalant, comme la vie elle-même. Ce
changement entre les deux formes était en partie responsable du bruit que
Wilkins avait cherché à minimiser.
Franklin contrôla l'humidité du réceptacle en utilisant un dispositif
ingénieux qui faisait buller de l'hydrogène à travers de l'eau salée 20.
Lorsqu'elle augmentait le degré d'humidité de l'ADN, les fibres semblaient
se détendre définitivement. Elle les avait enfin apprivoisées. En quelques
semaines, elle put prendre des photos de l'ADN d'une qualité et d'une
netteté jamais obtenues auparavant. Le cristallographe J. D. Bernal les
qualifiera par la suite de « photographies aux rayons X les plus belles
jamais faites d'une quelconque substance 21 ».

Au printemps 1951, Maurice Wilkins donna une conférence scientifique


à la station zoologique de Naples, le laboratoire où Boveri et Morgan
avaient autrefois travaillé sur les oursins. Le temps commençait à se
réchauffer, bien qu'une brise fraîche issue de la Méditerranée puisse encore
balayer les grands axes de la ville. Dans l'audience, ce matin-là, se trouvait
un biologiste à « la chemise débraillée, les genoux en l'air, les chaussettes
descendues sur les chevilles […] hochant de la tête comme un coq 22 » dont
Wilkins n'avait jamais entendu parler, un jeune homme nerveux et volubile
appelé James Watson. L'exposé de Wilkins sur la structure de l'ADN était
sec et académique. L'une de ses dernières diapositives, présentée avec peu
d'enthousiasme, était une image précoce de la diffraction aux rayons X de
l'ADN. La photo tremblotait sur l'écran à la fin d'une longue présentation et
Wilkins n'insista pas sur l'image floue 23. On avait peine à distinguer un
motif, car Wilkins était encore limité à cette époque par la qualité de
l'échantillon et le problème du déssèchement de la chambre. Pourtant,
Watson fut aussitôt saisi par cette image. La conclusion générale était
inévitable : l'ADN pouvait bien être cristallisé sous une forme accessible à
la diffraction aux rayons X. « Avant l'exposé de Wilkins 24, je m'étais
inquiété de la possibilité que le gène puisse être d'une irrégularité
fantastique », écrira Watson plus tard. L'image avait convaincu Watson qu'il
pouvait en être autrement. « Soudain, je me suis pris d'enthousiasme pour la
chimie. » Il tenta de parler de l'image avec Wilkins mais « Maurice était
anglais et ne parlait pas aux étrangers 25 ». Watson s'éclipsa discrètement.
Watson ne savait « rien de la technique de diffraction aux rayons X 26 »
mais avait une intuition sans faille de l'importance de certains problèmes.
Ayant reçu une formation d'ornithologue à l'université de Chicago, il avait
pris soin « d'éviter tout cours de physique ou de chimie qui pouvait paraître
d'une difficulté même moyenne ». Mais une sorte d'instinct l'avait conduit à
s'intéresser à l'ADN. Il avait aussi lu, captivé, le livre de Schrödinger
Qu'est-ce que la vie ? Il avait travaillé sur la chimie des acides nucléiques à
Copenhague, « un flop complet 27 » comme il le décrira plus tard, mais la
photo de Wilkins l'avait fasciné. « Le fait que je ne puisse l'interpréter ne
me dérangeait pas. Il valait certainement mieux que je m'imagine devenir
célèbre plutôt que de devenir un universitaire éteint n'ayant jamais risqué
une pensée 28. »
Au culot, Watson retourna à Copenhague et demanda à être envoyé dans
le laboratoire de Max Perutz à Cambridge (Perutz, un biophysicien
autrichien, avait fui le régime nazi pour l'Angleterre au cours de l'exode des
années 1930, cf. p. 166). Perutz travaillait sur la structure des molécules et
Watson ne pouvait trouver mieux pour se rapprocher de l'image de Wilkins,
dont les ombres prophétiques ne cessaient de le hanter. Watson avait décidé
qu'il allait résoudre la structure de l'ADN, « la pierre de Rosette pour
dévoiler le vrai secret de la vie ». Il dira plus tard : « en tant que généticien,
c'était le seul problème valant la peine d'être résolu ». Il n'avait alors que
vingt-trois ans.

29
Watson était parti à Cambridge pour l'amour d'une photo . Le jour précis
où il arriva sur place, il succomba à nouveau – sous le charme d'un homme,
cette fois-ci. Francis Crick était un autre étudiant du laboratoire de Perutz.
Ce n'était en rien une passion érotique, non, mais un amour fait de folies
partagées, de ces conversations à batons rompus qui ne finissent jamais,
d'ambitions qui outrepassent la réalité 30. « Une arrogance de jeune homme,
une rudesse impitoyable et une intolérance aux raisonnements indigents
nous étaient naturelles à tous les deux 31 » écrira Crick par la suite.
Crick avait trente-cinq ans, soit douze de plus que Watson, et toujours pas
de doctorat (notamment parce qu'il avait travaillé pour l'Amirauté au cours
de la guerre). Il n'était pas un « universitaire » traditionnel et n'était
certainement pas « éteint ». C'était un ancien étudiant en physique avec une
personnalité exubérante et une voix forte qui poussait ses collègues à
s'abriter et à chercher de l'aspirine. Il avait aussi lu le livre de Schrödinger,
ce « petit livre qui avait lancé une révolution », et s'était passionné pour la
biologie.
Les Anglais haïssent beaucoup de choses, mais ce qu'ils détestent le plus
est la personne qui, assise à côté d'eux dans le train du matin, résout leur
grille de mots croisés. L'intelligence de Crick était aussi libre et audacieuse
que sa voix. Il ne voyait aucun inconvénient à s'emparer du problème des
autres et à suggérer des solutions. À la fin des années 1940, lorsqu'il était
passé de la physique à la biologie, il avait appris par lui-même une grande
partie des mathématiques de la cristallographie, toutes ces formules
imbriquées qui permettaient de transmuter des silhouettes en structures à
trois dimensions. Comme la plupart de ses collègues dans le laboratoire de
Perutz, Crick avait d'abord focalisé ses recherches sur la structure des
protéines. Toutefois, à la différence des autres, il avait dès le départ été
intrigué par l'ADN. Comme Watson mais également Wilkins et Franklin, il
était aussi instinctivement attiré par la structure d'une molécule capable de
porter l'information héréditaire.
Les deux compères, Watson et Crick, s'exprimaient avec tant d'animation,
comme des enfants livrés à eux-mêmes dans une salle de jeux, qu'on leur
avait assigné une pièce aux murs de briques jaunes avec des poutres de bois
où ils pouvaient laisser libre cours à leurs rêves, à leurs « délires ». Ils
étaient des brins complémentaires, se répondant par leur irrévérence, leur
fantaisie débridée et leur impétueuse intelligence. Ils méprisaient l'autorité,
mais brûlaient d'envie de l'affirmer. Ils trouvaient le monde scientifique
ridicule et laborieux, mais ils savaient comment s'y immiscer. Ils
s'imaginaient être des outsiders par excellence, mais se trouvaient
confortablement installés au cœur des collèges de Cambridge. Ils se
présentaient comme les bouffons dans la cour des fous.
Le seul scientifique qu'ils admiraient vraiment, encore qu'à contrecœur,
était Linus Pauling. Le truculent chimiste du Caltech avait récemment
annoncé la résolution d'un problème important dans la structure des
protéines. Les protéines sont constituées de chaînes d'acides aminés. Ces
chaînes se replient dans l'espace pour former des sous-structures, qui
forment elles-mêmes des structures plus grandes (imaginez une chaîne qui
fait des boucles comme un ressort, ce ressort faisant ensuite d'autres tours
pour donner une forme sphérique ou globulaire). Et voilà qu'en travaillant
sur des cristaux de protéines, Pauling avait découvert que ces molécules
sont souvent repliées en une sous-structure type où la chaîne d'acides
aminés s'enroule comme un ressort, dessinant une hélice simple, l'hélice
alpha.
Pauling avait dévoilé son modèle lors d'une rencontre au Caltech avec la
théatralité du magicien sortant un lapin moléculaire de son chapeau. Le
modèle était resté caché derrière un rideau jusqu'à la fin de la conférence
puis, surprise ! Pauling l'avait soudain révélé à un public piqué au vif et prêt
à applaudir. Il se racontait depuis que Pauling ne s'intéressait plus aux
protéines mais à la structure de l'ADN. À huit mille kilomètres de là,
Watson et Crick pouvaient presque sentir l'haleine de Pauling sur leur
nuque.
L'article historique de Pauling sur l'hélice protéique parut en avril 1951 32.
Garni de nombres et d'équations, il était intimidant à lire, même pour des
experts. Mais pour Crick, qui connaissait les formules mathématiques
mieux que personne, Pauling avait caché l'essentiel de sa méthode derrière
un écran de fumée algébrique. Crick dit à Watson que le modèle de Pauling
était en fait « le produit du bon sens et non le résultat d'un raisonnement
mathématique compliqué 33 ». La magie réelle venait de l'imagination.
« Les équations s'immisçaient parfois dans sa démonstration mais dans la
plupart des cas les mots auraient suffi […] L'hélice alpha n'avait pas été
trouvée en contemplant des images aux rayons X, le truc essentiel était
plutôt de se demander quels atomes aimaient se placer à côté des autres. Au
lieu d'un crayon et d'un papier, les outils de travail étaient des modèles
moléculaires ressemblant de loin à des jouets pour enfants de maternelle ».
C'est là que Watson et Crick franchirent l'étape scientifique la plus
intuitive. Et si la solution au problème de la structure de l'ADN pouvait se
faire par le même « truc » que Pauling avait utilisé ? Les images aux rayons
X allaient aider, bien sûr, mais tenter de déterminer la structure de
molécules biologiques par des méthodes expérimentales était, selon Crick,
d'un laborieux absurde, « comme de tenter de déterminer la structure d'un
piano en écoutant le son qu'il fait quand on le balance du haut d'un
escalier ». Et si la structure de l'ADN était simple, élégante, au point de
pouvoir être déduite par le « bon sens », par la construction d'un modèle ?
Et si un assemblage de boules et de bâtonnets pouvait élucider l'ADN ?

À quatre-vingts kilomètres de là, au King's College de Londres, Franklin


manifestait peu d'intérêt à fabriquer des modèles avec des jouets. Avec sa
précision de laser pour mener ses expériences, elle ne cessait de prendre des
photos de l'ADN de plus en plus nettes. Les images allaient donner la
réponse, pensait-elle, il n'y avait nul besoin de deviner. Les données
fournies par les mesures allaient produire des modèles 34 et pas l'inverse.
Des deux formes de l'ADN, la cristalline « sèche » et « l'humide », c'était la
dernière qui semblait avoir la structure la moins alambiquée. Mais lorsque
Wilkins lui proposa de collaborer pour résoudre cette structure, elle refusa
tout concours. Une collaboration était à ses yeux une forme à peine
déguisée de capitulation. Randall dut bientôt intervenir pour les séparer,
comme deux gamins qui se chamaillent. Wilkins devait poursuivre avec la
forme humide, trancha-t-il, et Franklin avec la forme sèche.
Cette séparation les desservit tous les deux. Les préparations d'ADN de
Wilkins étaient de pauvre qualité et ne pouvait donner de bonnes photos.
Franklin avait de bonnes photos mais des difficultés à les interpréter
(« Comment pouvez-vous oser interpréter mes données pour moi 35 ? » lui
répliqua-t-elle un jour). Alors qu'ils ne travaillaient qu'à quelques dizaines
de mètres l'un de l'autre, ils auraient pu être se trouver chacun sur deux
continents en guerre.
Le 21 novembre 1951, Franklin donna un séminaire au King's College.
Watson fut invité à y assister par Wilkins. L'après-midi bien gris était gâté
par un épais fog londonien. La pièce était une vieille salle de cours humide
perdue au cœur du bâtiment. Elle ressemblait au morne cabinet d'un
comptable tiré d'un roman de Dickens. Il y avait bien une quinzaine de
personnes. Watson était assis dans l'audience, « maigre et un peu braque
[…] les yeux écarquillés et sans prendre une seule note ».
Franklin parla « dans un style nerveux […] sans la moindre trace de
chaleur ou de légèreté dans ses mots, écrira Watson plus tard. Je me
demandais par moment à quoi elle pouvait ressembler si elle enlevait ses
lunettes et faisait quelque chose de nouveau avec ses cheveux ». Il y avait
quelque chose de volontairement sévère et détaché dans sa manière de
parler. Elle fit sa présentation comme si elle lisait les nouvelles du soir
soviétiques. Mais pour celui qui daignait faire davantage attention à son
exposé qu'à sa coiffure, il devenait évident qu'elle décrivait une avancée
conceptuelle monumentale, bien qu'avec une grande prudence. « Une
grande hélice avec plusieurs chaînes 36 37, avait-elle marqué dans ses notes,
les phosphates à l'extérieur » : elle avait commencé à entrevoir le squelette
d'une structure élaborée. Mais elle ne donna que des mesures hâtives, refusa
ostensiblement de préciser le moindre détail sur la structure, puis termina
son terne séminaire de façon abrupte.
Le matin suivant, Watson donna tout excité des nouvelles de la
présentation de Franklin à Crick. Ils prirent le train pour aller voir à Oxford
la grande dame de la cristallographie Dorothy Hodgkin. Hormis quelques
mesures préliminaires, Rosalind Franklin en avait peu dit. Lorsque Crick
interrogea Watson sur les valeurs précises, le jeune américain ne put donner
que des réponses vagues. Il ne s'était même pas donné la peine de noter
quelque chose. Il avait assisté à l'un des plus importants séminaires de sa
vie scientifique et n'avait pas pris de notes.
Pourtant, Crick se fit une idée suffisante des réflexions préliminaires de
Franklin pour se dépêcher de rentrer à Cambridge et commencer à
construire un modèle. Les deux compères s'y attelèrent dès le matin suivant,
ne s'arrêtant que pour dévorer une tarte aux groseilles dans le pub Eagle
voisin. Ils réalisèrent que « les données des rayons X, à première vue,
étaient compatibles avec deux, trois ou quatre brins 38 ». La question était :
comment réunir ces brins et obtenir un modèle de cette molécule
énigmatique ?

Un brin d'ADN consiste en une colonne de sucres et de phosphates à


laquelle sont amarrées quatre types de bases, A, T, G et C, comme les
crochets d'un brin de fermeture éclair. Pour résoudre la structure de l'ADN,
Watson et Crick devaient décider combien de brins composent la molécule,
quelle partie est au centre, et quelle autre en périphérie. Cela paraissait un
problème relativement simple, mais il était en fait diaboliquement difficile à
modéliser avec leurs boules et leurs bâtons. « Même si seulement quinze
atomes étaient pris en compte, ils ne cessaient de s'écarter des pinces
malcommodes qui les maintenaient. »
Au moment du thé, toujours en train de bricoler un modèle délicat,
Watson et Crick étaient parvenus à une réponse apparemment satisfaisante.
Il s'agissait de trois chaînes, chacune enroulée autour des deux autres dans
une formation en hélice avec une colonne de sucres et de phosphate
comprimée vers le centre. « Quelques contacts atomiques étaient encore
trop rapprochés pour être sûrs » admettaient-ils, mais cela pouvait peut-être
s'arranger en bidouillant un peu. Ce n'était pas une structure
particulièrement élégante, mais il ne fallait pas trop en demander. Ils
réalisèrent que l'étape suivante était de « la vérifier avec les mesures
quantitatives de Rosy 39 ». Et alors, sur un coup de tête, et un faux pas qu'ils
allaient ensuite regretter, ils appelèrent Wilkins et Franklin pour qu'ils
viennent jeter un coup d'œil à leur modèle.
Wilkins, Franklin et son étudiant Ray Gosling arrivèrent le matin suivant
de Londres pour inspecter la construction de Watson et Crick 40. Le voyage
à Cambridge était plein d'attentes. Franklin était plongée dans ses pensées.
Lorsque le modèle fut finalement dévoilé, ce fut une énorme déception.
Wilkins le trouva « décevant » mais retint ses paroles. Franklin ne fut pas
aussi diplomate. En un regard, elle fut convaincue qu'il était absurde. C'était
pire que faux, ce n'était pas beau, une catastrophe laide, branlante et
globuleuse, un gratte-ciel après un tremblement de terre. Comme se
rappelle Gosling, « Rosalind le détruisit avec son meilleur style
pédagogique : “vous vous trompez pour les raisons suivantes” […] qu'elle
énuméra tout en démolissant leur proposition 41 ». Elle aurait pu tout aussi
bien détruire le modèle à coups de pied.
Crick avait essayé de stabiliser les « chaînes branlantes » en mettant la
colonne de phosphate au centre. Mais les phosphates sont chargés
négativement : s'ils étaient tournés vers l'intérieur, ils devaient se repousser
et disloquer l'ensemble en une nanoseconde. Pour résoudre ce problème de
répulsion, Crick avait inséré un ion magnésium chargé positivement au
centre de l'hélice, en guise de point de colle moléculaire pour maintenir la
structure. Mais les mesures de Franklin suggéraient que le magnésium ne
pouvait se trouver au centre. Pire, la structure modélisée par Watson et
Crick était si serrée qu'elle ne pouvait contenir beaucoup de molécules
d'eau. Dans leur empressement à construire leur modèle, ils avaient même
oublié la première découverte de Franklin : la remarquable « humidité » de
l'ADN.
Et voilà que l'observation s'était transformée en inquisition. Au fur et à
mesure que Franklin démantelait le modèle, molécule par molécule, c'était
comme si elle retirait chaque os de leur corps. Crick parut se dégonfler à
vue d'œil. « Son état d'esprit 42, se rappelle Watson, n'était plus celui d'un
maître sûr de lui faisant la leçon à de pauvres enfants des colonies. »À
présent, Franklin était franchement exaspérée par ces « bêtises
d'adolescents ». Ces garçons et leurs jouets lui avaient fait perdre un temps
énorme. Elle repartit par le train de 15 h 40.

Pendant ce temps, à Pasadena, Linus Pauling tentait lui aussi de résoudre


la structure de l'ADN. Watson savait que les « assauts sur l'ADN » de
Pauling allaient forcément être extraordinaires. Il allait entrer dans la
bataille avec fracas, déployant sa profonde compréhension de la chimie, des
mathématiques et de la cristallographie et, plus important encore, son sens
instinctif de la modélisation. Watson et Crick redoutaient de se lever un
matin, d'ouvrir les pages d'une auguste revue scientifique et d'y trouver sous
leur nez la structure de l'ADN résolue. Le nom de Pauling, et non le leur,
serait alors attaché à l'article.
Dans les premières semaines de janvier 1953, ce cauchemar parut se
réaliser 43. Pauling et Corey rédigèrent un article proposant une structure de
l'ADN et en envoyèrent une copie préliminaire à Cambridge. C'était une
bombe lancée spontanément de l'autre côté de l'Atlantique. Pendant un
moment, Watson crut que « tout était perdu ». Il parcourut l'article comme
un malade jusqu'à la figure cruciale. Mais, en examinant la structure
proposée, il sut immédiatement « que quelque chose n'était pas juste ». Par
coïncidence, Pauling et Corey avait eux aussi suggéré une triple hélice, avec
les bases A, G, C, et T pointant vers l'extérieur. La colonne de phosphates
était tournée vers l'intérieur, comme l'axe central d'un escalier en
colimaçon, ses marches vers l'extérieur. Mais la proposition de Pauling ne
comportait aucun magnésium pour « coller » les phosphates ensemble. Il
imaginait plutôt que la structure tenait par des liaisons beaucoup plus
faibles. Ce tour de passe-passe ne resta pas inaperçu. Watson sut
immédiatement que la structure n'était pas la bonne car elle était
énergétiquement instable. Un collègue de Pauling écrivit plus tard à ce
propos que « si cela avait été la structure de l'ADN, il aurait éclaté ».
Finalement, Pauling n'avait pas tout explosé, il avait juste fait exploser sa
molécule imaginaire.
« La bourde, comme Watson la qualifia, était trop incroyable pour rester
secrète plus de quelques minutes. » Il fila chez un ami chimiste du labo
voisin pour lui montrer la structure de Pauling. Il lui confirma la chose :
« Le géant [Pauling] avait oublié les notions de chimie élémentaires ».
Watson le raconta à Crick et les deux se retrouvèrent à l'Eagle, leur pub
favori, pour célébrer l'échec de Pauling à grand renfort de whisky.

Vers la fin janvier 1953, James Watson alla voir Wilkins à Londres. Il
s'arrêta pour rencontrer Franklin à son bureau. Elle travaillait à sa paillasse,
des dizaines de photos éparpillées autour d'elle, un cahier plein de notes et
d'équations sur son bureau. Ils discutèrent sèchement de l'article de Pauling.
À un moment, énervée par Watson, Franklin se déplaça rapidement dans la
pièce. Craignant « que dans sa brusque colère, elle ne [le] frappe », Watson
s'esquiva.
Wilkins, au moins, était plus accueillant. Alors qu'ils se réconfortaient
mutuellement du caractère radioactif de Franklin, Wilkins se confia à
Watson comme il ne l'avait jamais fait jusqu'à présent. Ce qui se passa
ensuite est un embrouillamini de signaux mitigés, de défiance, de
malentendus et de présomptions. Wilkins dit à Watson que Rosalind
Franklin avait fait une nouvelle série de photos de la forme complètement
humide de l'ADN au cours de l'été, des images tellement nettes que
l'essentiel du squelette de la structure sautait virtuellement aux yeux.
Le 2 mai 1952, un vendredi soir, Gosling et elle avaient exposé sur la nuit
une fibre d'ADN aux rayons X. L'image fut techniquement parfaite, bien
que l'appareil photo avait légèrement dérivé du centre. « V. Good. Wet
Photo 44 45 » avait-elle marqué sur son cahier rouge. Le lendemain soir, à six
heures et demie – elle travaillait le samedi soir, bien sûr, quand le reste de
l'équipe allait au pub –, elle remit en place l'appareil photo. Le mardi après-
midi, elle développa le cliché. Elle était encore plus nette que la précédente.
C'était l'image la plus parfaite qu'elle eût jamais vue. Elle l'avait étiquetée
« Photographie 51 ».
Wilkins passa dans l'autre pièce, sortit la photo d'un tiroir et la montra à
Watson. Franklin était encore dans son bureau, toujours irritée. Elle ne
savait pas que Wilkins venait de révéler l'élément le plus précieux de ses
résultats à Watson* *. (« Peut-être aurais-je dû demander la permission à
Rosalind et je ne l'ai pas fait, écrira plus tard un Wilkins tout contrit. La
situation était très difficile […] Si la situation avait été un tant soit peu
normale, je lui aurais naturellement demandé sa permission, bien que si les
choses avaient été un tant soit peu normales, toute la question de la
permission ne se serait pas posée […] J'avais cette photo et il y avait une
hélice au beau milieu, on ne pouvait pas la louper ».)
Watson fut immédiatement sidéré. « Dès l'instant où j'ai vu l'image, j'en
suis resté bouche bée et mon pouls s'est mis à accélérer. Le motif était
incroyablement plus simple que ceux obtenus auparavant […] Après
quelques minutes de calculs, on pouvait trouver le nombre de chaînes dans
la molécule ».
Dans le compartiment glacial du train qui le ramenait à Cambridge ce
soir-là, Watson dessina ce qu'il se souvenait de la photo dans la marge d'un
journal. La première fois, il était revenu de Londres sans notes et il n'allait
pas répéter la même erreur. Quand il fut arrivé à Cambridge et qu'il franchit
le portail à l'arrière du collège, il était convaincu que l'ADN devait être
constitué de deux chaînes en hélices apposées : « les objets biologiques
importants se présentent en paires 46 ».

Le matin suivant, Watson et Crick foncèrent au laboratoire et se mirent à


construire un modèle pour de bon. Les généticiens comptent, les
biochimistes purifient : Watson et Crick jouaient. Ils travaillaient
méthodiquement, rapidement et soigneusement, tout en laissant assez de
place à leur point fort : la légèreté. S'ils devaient gagner la course, ce serait
par imagination et intuition. Ils trouveraient leur solution de l'ADN en riant.
Dans un premier temps, ils essayèrent de sauver la base de leur premier
modèle, plaçant les phosphates au centre, les bases tournées vers les côtés.
Le modèle bougeait avec peine, les molécules étant trop serrées pour être à
l'aise. Après le café, Watson dut capituler.
Peut-être que l'axe était en fait vers l'extérieur, et les bases, A, T, G, et C
à l'intérieur, se faisant face ? Mais la résolution d'un problème en créait un
plus gros encore. Avec les bases orientées vers l'extérieur, il n'y avait
aucune difficulté à les disposer, elles faisaient simplement le tour autour de
l'axe central. Mais si les bases étaient tournées vers l'intérieur, elles devaient
être serrées et empilées l'une contre l'autre. Les dents de la fermeture éclair
devaient s'intercaler. Pour que les A, T, G et C se tiennent à l'intérieur de la
double hélice d'ADN, il fallait qu'elles interagissent, qu'elles aient une
relation entre elles. Mais que pouvait faire une base, A par exemple, avec
une autre ?
Un chimiste isolé avait suggéré avec insistance que les bases de l'ADN
devaient avoir quelque chose à faire entre elles. En 1950, le biochimiste
d'origine autrichienne Erwin Chargaff, qui travaillait à l'université
Columbia à New York, avait trouvé quelque chose de particulier avec
l'ADN. À chaque fois qu'il digérait la molécule et analysait sa composition
en bases, il trouvait toujours que les A et les T étaient dans les mêmes
proportions et qu'il en était de même pour les G et le C. Quelque chose de
mystérieux avait apparié les A aux T et les G aux C, comme si ces
molécules étaient congénitalement liées. Mais bien que Watson et Crick
connussent cette règle, ils n'avaient aucune idée de la manière dont elle
pouvait s'appliquer à la structure finale de l'ADN.
Une seconde difficulté apparaissait en plaçant les bases à l'intérieur de
l'hélice : la mesure précise du squelette externe de sucre-phosphate devenait
alors cruciale. C'était un problème géométrique, contraint de façon évidente
par les dimensions de l'espace central. Une fois encore, à l'insu de Franklin,
ses données furent d'un grand secours. Durant l'hiver 1952, un comité avait
été désigné pour passer en revue le travail effectué au King's College.
Wilkins et Franklin avaient préparé un rapport sur leurs résultats les plus
récents sur l'ADN qui comportait beaucoup de mesures préliminaires. Max
Perutz avait été membre du comité et obtenu à ce titre une copie du rapport
qu'il transmit à Watson et Crick. Ce document n'était pas explicitement
marqué « Confidentiel » mais il était évident qu'il n'était pas destiné à être
librement diffusé, notamment aux concurrents de Franklin.
Les intentions de Perutz, et sa naïveté feinte concernant la compétition
scientifique, sont restées mystérieuses (sur la défensive, il écrira plus tard :
« J'étais inexpérimenté et peu concerné par les questions administratives, et
comme le rapport n'était pas marqué “Confidentiel”, je ne voyais aucune
raison de le garder pour moi 47 »). Le mal était fait : le rapport s'est retrouvé
dans les mains de Watson et Crick. Et avec les deux squelettes de sucre-
phosphate placés à l'extérieur, les paramètres généraux des mesures connus,
une construction beaucoup plus précise du modèle pouvait être entreprise.
Tout d'abord, Watson essaya de placer deux hélices ensemble, avec une
base A sur un brin en face d'un A sur l'autre brin. Mais l'hélice s'élargissait
et se rétrécissait de façon peu élégante, comme le bibendum de Michelin.
Watson tenta de remettre en place le modèle, mais il ne tenait pas. Le
lendemain matin, il fallut l'abandonner.
Ce matin du 28 février 1953, Watson, qui jouait toujours avec les bases
en carton de son modèle en trois dimensions de l'ADN, commença à se
demander si, à l'intérieur de l'hélice, les bases se faisant face ne pouvaient
pas être différentes. Et si la base A était appariée à la T, et la G avec la C ?
« Soudain, je me rendis compte que la paire adénine-thymine (A – T) avait
une forme identique à la paire guanine-cytosine (G – C) […] aucun
ajustement n'était nécessaire pour donner la même forme aux deux types de
paires 48 ».
Il prit alors conscience que les paires de base pouvaient facilement
s'empiler les unes sur les autres, tournées vers l'intérieur et le centre de
l'hélice. Et la règle de Chargaff devint soudain évidente : l'appariement des
A avec les T et des G avec les C faisait que ces bases étaient toujours en
quantités égales car complémentaires, comme les crochets opposés d'une
fermeture éclair. Les objets biologiques les plus importants devaient se
présenter sous forme de paire. Watson eut du mal à attendre que Crick soit
entré dans leur bureau. « Francis n'avait pas fait la moitié du chemin depuis
la porte que je lui déclarai que la réponse à tout était entre nos mains 49. »
Un coup d'œil aux bases opposées suffit à convaincre Crick. Les détails
du modèle devaient encore être précisés – les paires A : T et G : C devaient
être placées à l'intérieur du squelette de l'hélice –, mais le progrès décisif
était là. La solution était tellement belle qu'elle ne pouvait être fausse.
Comme Watson se le rappelle, Crick « entra en trombe dans l'Eagle pour
crier à tout ceux qui pouvaient l'entendre que nous avions trouvé le secret
de la vie 50 ».
Comme le triangle de Pythagore, les peintures rupestres de Lascaux, les
pyramides d'Égypte, ou l'image d'une planète bleue fragile perdue dans
l'espace, la double hélice est une image emblématique, définitivement
gravée dans la mémoire et l'histoire de l'humanité. J'ai rarement reproduit
des schémas biologiques dans mes textes, les images que l'on forme dans
son esprit sont en général plus détaillées. Mais il faut parfois faire des
exceptions à la règle.

Schéma de la structure en double hélice de l'ADN montrant une seule hélice (à gauche) et la forme en double hélice (à droite).
Notez la complémentarité des bases : le A est apparié au T, le G au C. L'armature ou « squelette » externe de chaque brin d'ADN
est formée d'une chaîne de sucres et de phosphates.

L'hélice contient deux brins entremêlés d'ADN. Elle est « droite »,


tournant vers le haut comme si elle était déroulée par une vis tournant vers
la droite. Sa largeur est de 23 angströms, l'angström étant un dix millième
de millième de millimètre. Un million d'hélices côte à côte tiendraient dans
cette lettre : o. Le biologiste John Sulston a écrit à son propos : « Nous la
voyons comme une double hélice plutôt trapue car on montre rarement son
autre aspect frappant, le fait qu'elle soit immensément longue et fine. Dans
chaque cellule de notre corps, nous en avons deux mètres. Si l'on devait la
représenter à l'échelle avec l'épaisseur d'un fil à coudre, cela donnerait une
longueur de 200 kilomètres 51. »
Chaque brin d'ADN est une longue séquence de bases, A, T, G et C. Elles
sont reliées dans chaque brin à l'axe de sucres et de phosphate. Cet axe
tourne à l'extérieur, décrivant une spirale. Les bases se font face, comme les
marches d'un escalier en colimaçon. Le brin opposé contient les bases
complémentaires, A en face de T, G en face de C. Les deux brins
contiennent donc la même information, mais dans un sens complémentaire,
chaque brin étant la « réflexion » de l'autre (l'analogie la plus appropriée est
la structure du yin et du yang). Les forces moléculaires entre les bases des
paires A : T et G : C tiennent les deux brins ensemble comme dans une
fermeture éclair. Une double hélice d'ADN peut être vue comme un code
écrit avec quatre lettres, ATGCCCTACGGGCCCATCG… jumelé à jamais
avec son image en miroir.
« Voir, a écrit le poète Paul Valéry, c'est oublier le nom des choses que
l'on voit. » Voir l'ADN, c'est oublier son nom ou sa formule chimique.
Comme pour les plus simples des outils créés par l'homme – le marteau, la
faux, le soufflet, l'échelle, les ciseaux –, on peut appréhender la fonction de
cette molécule par le seul examen de sa structure. « Voir » l'ADN, c'est
percevoir immédiatement sa fonction d'entrepôt de l'information. La
molécule la plus importante en biologie n'avait pas besoin d'un nom pour
être comprise.

Watson et Crick construisirent leur modèle complet dans la première


semaine de mars 1953. Watson courut à l'atelier de fabrication des pièces
métalliques au sous-sol du laboratoire Cavendish pour lancer la
construction des parties du modèle. Le façonnage, la soudure et le polissage
prit des heures alors que Crick faisait les cents pas à l'étage. Une fois les
pièces du modèle en main, ils commencèrent à le monter comme un château
de cartes. Chaque pièce devait s'encastrer, et correspondre aux mesures
moléculaires connues. Chaque fois que Crick fronçait les sourcils en
ajoutant un élément, l'estomac de Watson se tordait, mais à la fin l'ensemble
se tenait bien, comme un puzzle enfin résolu. Le jour suivant, ils revinrent
avec un fil à plomb et un mètre pour mesurer chaque distance entre les
différentes composantes. Chaque mesure, pour les angles, les largeurs et les
espaces séparant les molécules, était presque parfaite.
Maurice Wilkins passa jeter un coup d'œil au modèle le lendemain
matin 52. Il n'eut besoin que « d'une minute […] pour l'aimer ». « Le modèle
était placé en hauteur sur une table du laboratoire 53, se rappela Wilkins plus
tard, [il] avait sa propre vie, paraissant un peu comme un bébé à peine né
[…] Le modèle semblait parler pour lui-même et dire “Peu m'importe ce
que vous pensez, je sais que j'ai raison” ». Il revint à Londres et confirma
que ses plus récents résultats de cristallographie, ainsi que ceux de Franklin,
s'accordaient bien avec la double hélice. « Je pense que vous êtes une paire
de vieilles fripouilles, mais vous avez probablement quelque chose 54 »
écrivit Wilkins de Londres le 18 mars 1953. « J'aime cette idée 55. »
Franklin vit le modèle plus tard, dans les quinze jours suivants, et elle
aussi fut rapidement convaincue. Au début, Watson craignit que « son esprit
têtu, aiguisé, pris à son propre […] piège » résistât au modèle. Mais
Franklin n'eut pas besoin d'explications. Son intelligence aiguë
reconnaissait une belle solution dès qu'elle la voyait. « Le positionnement
de l'axe à l'extérieur [et] le caractère unique des paires A-T et G-C n'étaient
pas discutables à ses yeux 56. » La structure, comme Watson la décrivit,
« était trop belle pour ne pas être vraie ».
Le 25 avril 1953, Watson et Crick publièrent leur article, « Molecular
Structure of Nucleic Acids : A Structure for Deoxyribose Nucleic Acid »
dans la revue Nature 57. Un autre article de Gosling et Franklin qui apportait
de solides arguments cristallographiques en faveur de la structure en double
hélice l'accompagnait. Un troisième article signé par Wilkins corroborait les
résultats par des données expérimentales sur les cristaux d'ADN.
Watson et Crick poursuivirent la grande tradition qui veut que les
découvertes les plus significatives de la biologie soient accompagnées d'une
suprême litote – rappelez-vous Mendel, Avery et Griffith. Ils ajoutèrent
donc une dernière ligne à leur article : « Il n'a pas échappé à notre attention
que l'appariement spécifique que nous avons postulé suggère
immédiatement un mécanisme possible de copie pour le matériel
génétique. » La fonction la plus importante de l'ADN, sa capacité à
transmettre des copies d'information d'une cellule à l'autre, d'un organisme à
l'autre, résidait dans sa structure. Message, mouvement, information, forme,
Darwin, Mendel, Morgan : tout était écrit dans cet assemblage précaire de
molécules.
En 1962, Watson, Crick et Wilkins reçurent le prix Nobel de physiologie
ou de médecine pour leur découverte. Franklin ne fut pas incluse dans le
prix. Elle était décédée en 1958, à l'âge de trente-sept ans, d'un cancer de
l'ovaire généralisé, une maladie due en fin de compte à des mutations
génétiques.

Lorsqu'on se trouve à Londres, là où la Tamise s'incurve vers le nord près


de Belgravia, on peut commencer une balade au Vincent Square, le parc en
forme de trapèze qui jouxte la Société royale d'horticulture. C'est à cet
endroit, en 1900, que William Bateson annonça au monde scientifique la
nouvelle de l'article de Mendel, lançant l'ère de la génétique moderne. De ce
parc, une courte marche vers le nord-ouest après le côté sud du Palais de
Buckingham nous conduit aux maisons élégantes de Rutland Gates où, dans
les années 1900, Francis Galton développa sa théorie de l'eugénisme avec
l'espoir d'utiliser les techniques génétiques pour améliorer l'homme.
Environ cinq kilomètres plus à l'est, au-delà du fleuve, se trouve l'ancien
site des Pathological Laboratories du Ministère de la santé. Au début des
années 1920, Frederick Griffith y découvrit le phénomène de la
transformation – le transfert de matériel génétique d'un organisme à un
autre –, dans une expérience qui mena à l'identification de l'ADN comme
« molécule du gène ». Traversez encore le fleuve vers le nord et vous
arriverez au King's College où Rosalind Franklin et Maurice Wilkins
commencèrent leur travail sur les cristaux d'ADN au début des années
1950. En repartant vers le sud ouest, votre promenade vous conduira au
Musée de la science sur la rue Exhibition Road où vous pourrez rencontrer
la « molécule du gène » en personne. Le modèle d'origine de l'ADN de
Watson et Crick, avec ses plaques métalliques faites à la main et ses tiges
branlantes, trône derrière une vitrine. Le modèle ressemble à un réseau de
tire-bouchons inventé par un fou, ou à un escalier en colimaçon d'une
improbable fragilité qui relierait le passé humain à son avenir. Les lettres
gribouillées par Crick, A, T, G et C, décorent encore les plaques.
La révélation de la structure de l'ADN par Watson, Crick, Wilkins et
Franklin a conclu une étape dans le voyage des gènes, même si elle a
provoqué l'ouverture de nouvelles recherches et orienté vers d'autres
découvertes. « Une fois que l'on a su que l'ADN avait une structure très
régulière, écrivait Watson en 1954, l'énigme de savoir comment l'immense
quantité d'information génétique nécessaire pour spécifier toutes les
caractéristiques d'un être vivant pouvait être conservée dans une structure
aussi régulière devait être résolue 58. » Aux vieilles questions succédaient de
nouvelles. Quelles propriétés de la double hélice lui permettaient de porter
le code de la vie ? Comment ce code était-il transcrit et traduit en formes et
en fonctions bien réelles d'un organisme ? Pourquoi, pour cela, y avait-il
deux hélices et pas une ou trois ou quatre ? Pourquoi les deux brins étaient-
ils complémentaires l'un de l'autre, les A avec les T et les G avec les C,
comme un yin et yang moléculaire ? Pourquoi cette structure-là, parmi
toutes celles qui existent, avait-elle été choisie comme instance centrale de
stockage de toute l'information biologique ? « Ce n'est pas [l'ADN] qui
paraît si beau, remarqua plus tard Crick, c'est l'idée de ce qu'il fait. »
Les images cristallisent les idées. L'image d'une molécule en double
hélice qui porte les instructions pour construire, faire fonctionner, réparer et
reproduire les êtres humains cristallisa l'optimisme et l'émerveillement des
années 1950. Dans cette molécule se trouvaient codés les points de
vulnérabilité et les dimensions possibles de l'amélioration de l'homme : une
fois la manipulation de cette substance apprise, il deviendrait possible,
pouvait-on espérer, de réécrire notre nature. Les maladies allaient pouvoir
être guéries, les destins modifiés, le futur redessiné.
Le modèle de l'ADN de Watson et Crick marqua la fin d'une conception
du gène – entité mystérieuse porteuse de messages à travers les
générations –, pour en inaugurer une autre : celle d'une molécule capable de
coder, stocker et transférer l'information entre les organismes. Si le mot clé
de la génétique du début du XXe siècle fut « message », celui de la fin du
siècle pourrait bien être « code ». Que des gènes portent des messages avait
été largement explicite pendant un demi-siècle. La question qui se posait
désormais était : les hommes allaient-ils pouvoir en déchiffrer le code ?
« Ce maudit, insaisissable hellébore vert »

« Avec la chaîne polypeptidique, la Nature a conçu un instrument dans


lequel une simplicité sous-jacente sert à exprimer une grande subtilité
et une grande polyvalence. Il est impossible de voir la biologie
moléculaire sous une bonne perspective tant que l'on n'a pas
clairement saisi cette combinaison particulière de vertus 1. »
Francis Crick

Le mot code que j'ai écrit auparavant vient de caudex, la moelle de l'arbre
sur laquelle on gravait autrefois les manuscrits. Il y a quelque chose
d'évocateur dans l'idée que le matériau utilisé pour écrire un code a donné
naissance au mot lui-même : la forme est devenue fonction. Avec l'ADN
aussi, Watson et Crick ont compris que la forme de la molécule était
intrinsèquement liée à sa fonction. Le code génétique devait être écrit dans
le matériau de l'ADN, aussi intimement que les marques étaient faites dans
le bois.
Mais qu'était-ce que le code génétique ? Comment les quatre bases sur un
fil d'ADN, A, C, G et T (ou U dans l'ARN) pouvaient-elles déterminer la
texture des cheveux, la couleur des yeux, ou la qualité de la paroi d'une
bactérie (ou bien encore la prédisposition à une maladie mentale ou à une
maladie de la coagulation du sang dans une famille) ? Comment l'abstraite
« unité d'hérédité » de Mendel pouvait-elle conduire à un caractère bien
tangible ?

En 1941, trois ans avant l'expérience historique d'Avery, deux


scientifiques, George Beadle et Edward Tatum, qui travaillaient dans un
tunnel au sous-sol de l'université de Stanford 2, découvrirent le chaînon
manquant entre le gène et sa traduction physique. Beadle, ou « Beets »
comme ses collègues aimaient l'appeler, avait été un étudiant de Morgan au
Caltech 3. Les mouches aux yeux rouges et les mutantes aux yeux blancs
troublaient Beadle. Un « gène pour la rougeur », comprenait-il, est une
unité d'information héréditaire transmise d'une génération à l'autre sous une
forme indivisible dans un chromosome. Quant à la « rougeur » – le trait
physique –, elle était la conséquence d'un pigment rouge dans l'œil. Mais
comment une particule héréditaire pouvait-elle se transmuer en un pigment
de l'œil ? Quel était le lien entre un « gène pour la rougeur » et la
« rougeur » elle-même, entre l'information et la forme physique,
anatomique, lui correspondant ?
Les mouches du vinaigre ont transformé la génétique par leurs rares
formes mutantes. Précisément parce qu'elles étaient rares, ces mutantes ont
agit comme des lampes dans l'obscurité, permettant aux biologistes de
traquer « l'action d'un gène » au fil des générations, comme l'écrivait
Morgan 4. Mais ce concept d'« action » d'un gène, qui était encore vague,
quasi mystique, intriguait Beadle. Vers la fin des années 1930, Beadle et
Tatum pensèrent que l'isolement du pigment oculaire de la mouche du
vinaigre pouvait résoudre l'énigme de l'action du gène. Mais ce travail
piétina, le lien entre gène et pigment était bien trop complexe pour donner
une hypothèse à partir de laquelle travailler. En 1937, à l'université de
Stanford, ils décidèrent alors de passer à un organisme encore plus simple
pour tenter de trouver le lien entre gène et caractère physique. Il s'agissait
de Neurospora crassa, une moisissure du pain trouvée à l'origine dans une
boulangerie parisienne sous forme d'une contamination.
Les moisissures du pain sont des êtres vivants disséminés et très actifs.
On peut les faire pousser dans des boîtes de Petri sur une couche de gel
nutritif, mais il ne leur faut pas grand-chose, en fait, pour survivre. En
éliminant de manière systématique la quasi-totalité des nutriments de leur
support, Beadle découvrit que les souches de moisissures poussaient encore
sur un mélange minimal ne contenant qu'un sucre – le glucose, par exemple
– et une vitamine – la biotine. Il était clair que les cellules de moisissure
pouvaient fabriquer toutes les molécules nécessaires à leur survie à partir
des éléments chimiques de base : des lipides à partir du glucose, de l'ADN
et de l'ARN à partir de précurseurs chimiques issus du glucose et des sucres
complexes à partir de sucres simples comme le glucose. Elles faisaient des
miracles sans les pains.
Cette capacité, comprit Beadle, était due à la présence d'enzymes au sein
des cellules, des protéines qui agissent comme des maîtres artisans capables
de synthétiser des molécules biologiques complexes à partir de précurseurs
chimiques de base. Pour qu'une moisissure pousse dans un milieu minimal,
il lui faut toutes ses fonctions métaboliques intactes. Si une mutation
inactive ne serait-ce qu'une de ces fonctions, la moisissure devient
incapable de se développer, à moins d'ajouter l'ingrédient manquant à son
milieu. Beadle et Tatum pouvaient ainsi utiliser cette technique pour suivre
la fonction métabolique compromise dans chaque mutant. Par exemple, si
un mutant a besoin de la substance X pour pousser dans un milieu minimal,
il doit lui manquer une enzyme intervenant dans la synthèse de X à partir
des précurseurs présents dans le milieu. Cette approche était très
fastidieuse, mais la patience était une vertu que Beadle possédait au plus
haut point. Il avait passé un jour un après-midi entier à expliquer à un
étudiant comment faire mariner de la viande en ajoutant chaque épice à des
moments précis au cours de la recette.
Cette expérience de « l'ingrédient manquant » amena Beadle et Tatum à
une nouvelle compréhension des gènes. Ils remarquèrent que chaque mutant
obtenu était dépourvu d'une seule fonction métabolique, qui correspondait à
l'activité d'une seule enzyme. Et des croisements génétiques révélèrent que
chaque mutant était défectueux dans un seul gène.
Si une mutation dans un gène donné inactivait la fonction d'une enzyme
donnée, cela signifiait que le gène normal devait spécifier l'information
nécessaire à la fabrication de cette enzyme. Une unité d'information
héréditaire devait donc porter le code permettant de construire une fonction
métabolique assurée par une protéine. « Un gène, écrivit Beadle en 1945 5,
peut être imaginé comme dirigeant la configuration finale d'une molécule
protéique. » C'était cela « l'action du gène » qu'une génération de
biologistes avait tenté de comprendre. Un gène « agit » en codant
l'information pour construire une protéine, et cette protéine actualise la
forme ou la fonction de l'organisme 6.
Le flux d'information pouvait se résumer par le schéma suivant :
Beadle et Tatum partagèrent le prix Nobel de physiologie ou médecine en
1958 pour leur découverte, mais leur expérience soulevait une question
cruciale qui restait sans réponse : comment un gène pouvait-il « coder » une
information servant à construire une protéine ? Celle-ci est créée à partir de
vingt types de substances chimiques simples, des acides aminés –
méthionine, glycine, leucine, etc. – assemblés en chaînes. Contrairement à
l'ADN qui existe sous la forme d'une double chaîne à la structure
hélicoïdale stéréotypée, une chaîne protéique peut se tordre et prendre une
forme qui lui est propre dans l'espace. Cette capacité à prendre une forme
donnée permet aux protéines d'effectuer un grand nombre de fonctions
différentes dans la cellule. Elles peuvent exister sous forme de longues
fibres comme dans le muscle (actine, myosine), ou de globules servant à
faire des réactions chimiques (enzymes) ; elles peuvent lier des substances
chimiques colorées et devenir des pigments dans les yeux ou les fleurs ;
elles peuvent aussi se replier comme un fermoir et servir de transporteur
pour d'autres molécules (l'hémoglobine), ou encore spécifier comment une
cellule nerveuse communique avec une autre et devenir ainsi les arbitres de
la cognition et du développement nerveux.
Mais comment une séquence d'ADN, ATGCCCC… etc. peut-elle
contenir les instructions pour la fabrication d'une protéine ? Watson avait
toujours soupçonné que l'ADN devait d'abord être converti en un message
intermédiaire. C'était cette « molécule messager », comme il l'appelait, qui
devait porter les instructions de construction des protéines recopiées à partir
du gène. « Pendant plus d'un an, écrit-il en 1953 7, j'ai dit à Francis [Crick]
que l'information génétique dans les chaînes d'ADN devait d'abord être
copiée en molécules complémentaires d'ARN » et que ces molécules d'ARN
devaient être utilisées comme « messages » pour fabriquer les protéines.
En 1954, George Gamow, un physicien d'origine russe devenu biologiste,
fit équipe avec Watson pour former un « club » de scientifiques dont le but
était d'élucider le mécanisme de la synthèse protéique. Il écrivit cette année-
là à Linus Pauling, avec sa décontraction légendaire vis-à-vis de la
grammaire et de l'orthographe : « Cher Pauling ; je joue avec des molécules
organiques complexes (ce que je n'ai jamais fait avant !) et obtiens des
résultats amusants et aimerais ton opinnion [sic] sur cela 8. »
Gamow appelait ce club le RNA Tie Club 9 10. « Le Club n'a jamais été
réuni au complet, se rappelait Crick. Il a toujours eu une existence plutôt
immatérielle 11. » Il n'y avait ni véritables réunions ni règles ni même
principes de bases. C'était plutôt un regroupement lâche autour de
discussions informelles. Les rencontres se produisaient par hasard ou pas du
tout. Des lettres proposant des idées échevelées, non publiées, avec souvent
des schémas gribouillés, circulaient entre ses membres. C'était un blog
avant les blogs. Watson dénicha un tailleur à Los Angeles pour broder sur
des cravates de laine vertes un motif doré d'ARN et Gamow en envoya un
exemplaire avec une épingle à tous les amis qu'il avait sélectionné comme
membre du club. Il avait fait des lettres à papier en-tête en ajoutant la
devise : « Do or die, or don't try 12* *. »

Au milieu des années 1950, deux spécialistes de la génétique des


bactéries qui travaillaient à Paris 13, Jacques Monod et François Jacob,
avaient eux aussi effectué des expériences qui suggéraient qu'une molécule
intermédiaire, un messager, était requis pour traduire l'ADN en protéines 14.
Les gènes, selon eux, ne spécifiaient pas d'instructions directement aux
protéines. L'information génétique de l'ADN était plutôt convertie en une
copie légère, une forme éphémère, et c'était elle, non l'ADN, qui était
traduite en protéine.
En avril 1960, Francis Crick et François Jacob se retrouvèrent dans
l'appartement exigu de Sydney Brenner à Cambridge pour discuter de
l'identité de ce mystérieux intermédiaire. Brenner, fils d'un cordonnier
d'Afrique du Sud, était venu en Angleterre pour étudier la biologie avec une
bourse. Comme Watson et Crick, il était lui aussi devenu obsédé par la
« religion du gène » de Watson et par l'ADN. Peu après le déjeuner, les trois
scientifiques prirent conscience que cette molécule intermédiaire devait
faire la navette entre le noyau de la cellule, où étaient conservés les gènes,
et le cytoplasme, où les protéines étaient synthétisées.
Mais quelle était l'identité de ce « message » construit à partir du gène ?
Une protéine, un acide nucléique ou quelque chose d'autre encore ? Quelle
était sa relation avec la séquence du gène ? Bien qu'il leur manquât une
preuve tangible, Brenner tout comme Crick soupçonnaient qu'il s'agissait de
l'ARN, le cousin moléculaire de l'ADN. En 1959, Crick écrivit un poème au
RNA Tie Club, même s'il ne l'a jamais diffusé :
« Quelles sont les propriétés de l'ARN génétique
Est-il au ciel, est-il en enfer ?
Ce maudit, insaisissable hellébore vert 15* *. »

Au début du printemps 1960, Jacob partit au Caltech avec Matthew


Meselson pour coincer ce « maudit, insaisissable hellébore vert ». Brenner
arriva quelques semaines plus tard, en juin.
Brenner et Jacob savaient que les protéines sont fabriquées dans la cellule
par une structure spécialisée appelée ribosome. Le moyen le plus sûr de
purifier le messager intermédiaire était de bloquer la synthèse des protéines,
l'équivalent biochimique d'une douche glacée, et d'extraire les molécules
frissonnantes associées aux ribosomes, piégeant ainsi cet insaisissable
hellébore vert.
Le principe paraissait simple, mais sa réalisation s'avéra redoutable. Tout
d'abord, Brenner rapporta que tout ce qu'il pouvait voir dans l'expérience
n'était que l'équivalent chimique d'un épais « fog californien, humide, froid
et silencieux ». Il avait fallu des semaines pour monter un protocole
sophistiqué de biochimie, sauf que, chaque fois que les ribosomes étaient
isolés, ils se désagrégeaient. Dans les cellules, les ribosomes semblaient
garder leur intégrité, montrant une parfaite stabilité. Pourquoi donc
s'évaporaient-ils une fois hors des cellules, comme le brouillard glissant
entre les doigts ?
La réponse jaillit soudain du brouillard, littéralement. Alors qu'un matin
Brenner était assis sur la plage avec Jacob, repensant à ses cours de
biochimie, il comprit une chose d'une grande simplicité : il devait manquer
un facteur essentiel qui maintenait les ribosomes intacts dans les cellules.
Mais quel facteur ? Il devait être petit, courant, et ubiquitaire, comme un
minuscule point de colle moléculaire. Il se releva d'un bond, les cheveux
ébouriffés et le sable glissant de ses vêtements, en criant « C'est le
magnésium, c'est le magnésium 16 ! »
C'était bien le magnésium. L'ajout de cet ion fut crucial. En sa présence,
les ribosomes restèrent entiers et Brenner et Jacob purent finalement
purifier une minuscule quantité de la molécule messager des cellules
bactériennes. C'était de l'ARN, comme prévu, mais d'un type particulier 17.
Le message était produit de novo lorsqu'un gène « s'exprimait ». Comme
l'ADN, les molécules d'ARN étaient construites en alignant les bases A, G,
C et U (qui remplace la base T de l'ADN) 18. Brenner et Jacob découvrirent
plus tard que le message d'ARN était un fac-similé de la chaîne d'ADN, une
copie faite à partir de l'original. Cette copie passait ensuite du noyau 19 dans
le cytosol où le message était décodé pour construire une protéine. Le
message d'ARN n'habitait ni le ciel ni l'enfer, mais l'entre-deux, en véritable
intermédiaire professionnel. La génération d'une copie ARN du gène fut
appelée transcription, en référence à la réécriture d'un mot ou d'une phrase
dans une langue ou une graphie proche de l'originale. Le code ADN du
gène (ATGGGCC…) est donc transcrit en code ARN (AUGGGCC…).
Pour comprendre ce processus, imaginez une bibliothèque où l'on
voudrait accéder à des livres rares pour les traduire. La copie de référence
de l'information, le livre rare (le gène), est conservée en permanence dans
un coffre central. Lorsqu'une « demande de traduction » est faite par la
cellule, une photocopie de l'original est effectuée puis extraite du coffre (le
noyau). Ce fac-similé du gène, l'ARN, est utilisé comme support de travail
pour la traduction en protéines. Ce processus permet de faire circuler
plusieurs fac-similés du gène en même temps, et de moduler la quantité de
ces copies en fonction de la demande. Ces aspects allaient bientôt s'avérer
cruciaux pour comprendre l'activité et la fonction des gènes.

La transcription, cependant, n'élucidait que la moitié du problème de la


synthèse protéique. L'autre moitié était de savoir comment le « message »
d'ARN est décodé en protéine. Pour faire une copie ARN d'un gène, la
cellule effectue une transposition assez simple où chaque A, C, T et G du
gène dans l'ADN est recopié en A, C, U et G dans l'ARN. La seule
différence entre l'original et la copie est la substitution de la thymine par
l'uracile. Mais comment le message du gène, une fois transcrit en ARN, est-
il décodé en protéine dans la cellule ?
Pour Watson et Crick, il fut immédiatement évident qu'aucune base, A,
C, T ou G, ne pouvait à elle seule contenir un message suffisant pour
fabriquer une partie de protéine. Il y avait vingt acides aminés en tout, et les
quatre lettres ne pouvaient spécifier les vingt choix possibles. Le secret
devait se trouver dans une combinaison des bases. « Il paraît probable,
écrivaient-ils, que la séquence précise des bases est le code qui porte
l'information génétique 20. »
Une analogie avec le langage naturel peut illustrer ce point. Les lettres A,
C, et T par exemple ne signifient pas grand-chose par elles-mêmes mais
peuvent être combinées de manière à produire des messages bien différents.
C'est là encore la séquence qui porte le message. Les mots act, tac et cat,
par exemple, utilisent les mêmes lettres mais ont des significations bien
distinctes. La clé pour résoudre le code génétique était de faire correspondre
la séquence de bases d'un ARN à la séquence d'acides aminés de la protéine
correspondante. C'était comme déchiffrer la pierre de Rosette de la
génétique. Quelle combinaison de lettres (dans l'ARN) spécifiait telle
combinaison de lettres (dans la protéine) ? Ou pour résumer le concept sous
forme de schéma :

Grâce à une série d'expériences ingénieuses, Crick et Brenner réalisèrent


que le code génétique devait se présenter sous la forme de « triplets », c'est-
à-dire que trois bases dans l'ADN (par exemple ACT) devaient spécifier un
acide aminé dans une protéine 21.
Mais quel triplet pour quel acide aminé ? En 1961, plusieurs laboratoires
dans le monde s'étaient joints à la course pour déchiffrer le code génétique.
Aux Instituts nationaux de la Santé (NIH) américains à Bethesda, Marshall
Nirenberg, Heinrich Matthei et Philip Leder utilisèrent une approche
biochimique pour tenter de casser le code. Une chimiste d'origine indienne,
Har Khorana, leur fournit les réactifs chimiques cruciaux qui rendirent la
chose possible. Et un biochimiste espagnol à New York, Severo Ochoa, se
lança en parallèle pour définir le code, associant à chaque triplet son acide
aminé.
Comme dans toute histoire d'élucidation d'un code, on procéda en
tâtonnant. Tout d'abord, les triplets semblaient se chevaucher, ce qui rendait
illusoire la perspective d'un code simple. Puis, pendant un moment, on crut
que certains triplets ne marchaient pas du tout. Mais en 1965, toutes ces
études, en particulier celle de Nirenberg, avaient réussi à trouver l'acide
aminé correspondant à chaque triplet de bases. Le triplet ACT, par exemple,
spécifiait l'acide aminé thréonine, CAT était pour l'histidine, CGT pour
l'arginine. Une séquence d'ADN donnée, TGA-CTG-GTC-CAC, était donc
transcrite en une chaîne d'ARN, elle-même traduite en une chaîne d'acides
aminés, se repliant pour donner la protéine. Sur les 64 triplets possibles, un
triplet, AUG sur l'ARN, codait le début de la traduction en acides aminés et
trois triplets, UAA, UAG et UGA, codaient son arrêt. L'alphabet de base du
code génétique était complet.
Le flux d'information pouvait se représenter simplement :

Ou au niveau conceptuel,
ou

Francis Crick appela ce flux d'information le « dogme central » de


l'information biologique. Le choix du mot « dogme » était curieux (Crick
admettra plus tard qu'il n'avait pas compris les implications linguistiques de
ce mot, qui renvoie à une croyance fixe et immuable), mais celui du mot
« central » était pertinent. Crick faisait référence à l'universalité frappante
de ce flux d'informations génétiques dans tout le monde vivant 22. De la
bactérie à l'éléphant, des mouches aux yeux rouges aux princes au sang
bleu, l'information biologique passait d'une manière systématique,
archétypale : l'ADN donnait l'instruction pour construire l'ARN, l'ARN
pour construire les protéines. Et les protéines rendaient finalement possible
l'établissement d'une structure et d'une fonction, faisant venir les gènes à la
vie.
Aucune maladie n'illustre mieux ce flux d'information et ses effets
pénétrants sur la physiologie humaine que l'anémie falciforme. Dès le
VIe siècle avant notre ère, les praticiens de la médecine ayurvédique en Inde
avaient reconnu les symptômes généraux de l'anémie – une déficience en
globules rouges dans le sang – avec une pâleur caractéristique des lèvres, de
la peau et des doigts. Désignées par le terme sanscrit de pandu roga, les
anémies étaient subdivisées en plusieurs catégories. Certaines formes, on le
savait, n'étaient dues qu'à des carences nutritionnelles. D'autres étaient
attribuées à des épisodes hémorragiques. Mais l'anémie falciforme a dû
sembler la plus étrange car elle était héréditaire, se manifestait souvent par
crises, avec des accès de douleurs intenses dans les os, les articulations et la
poitrine. La tribu Ga en Afrique de l'Ouest appelait la douleur
chwechweechwe (« tabassage du corps »). Les Ewe la nommaient nuiduidui
(« torsion du corps »). Des onomatopées dont le son même semblait rendre
la nature térébrante de la douleur, comme si un tire-bouchon était enfilé
dans la moelle de l'os.
En 1904, une simple image prise au microscope indiqua une cause
unique à tous ces symptômes apparemment disparates 23. Cette année-là, un
jeune étudiant en odontologie appelé Walter Noel se présenta chez son
médecin à Chicago avec une crise aiguë d'anémie, accompagnée des
douleurs caractéristiques à la poitrine et dans les os. Noel était des Caraïbes,
issu d'ancêtres d'Afrique de l'Ouest, et avait déjà souffert de plusieurs
épisodes de ce type les années précédentes. Après avoir écarté la possibilité
d'une attaque cardiaque, le cardiologue James Herrick dirigea son patient
sans trop y penser vers un généraliste appelé Ernest Irons. Ce dernier eut
soudain l'idée d'observer le sang de Noel au microscope.
Irons découvrit alors un changement stupéfiant. Les globules rouges
normaux ont l'aspect de disques aplatis, forme qui leur permet de s'empiler
les uns sur les autres et de se déplacer rapidement à travers les artères, les
capillaires et les veines pour apporter l'oxygène au foie, au cœur, au cerveau
et aux autres organes. Dans le sang de Noel, ces disques s'étaient
mystérieusement réduits en croissants (en forme de faux, comme les décrira
plus tard Irons, d'où le terme de falciforme).
Mais qu'est-ce qui pouvait provoquer une telle transformation ? Et
pourquoi la maladie était-elle héréditaire ? Le coupable tout désigné était
une anomalie dans le gène de l'hémoglobine, la protéine qui transporte
l'oxygène et qui se trouve en abondance dans les globules rouges. En 1951,
alors qu'il travaillait avec Harvey Itano au Caltech 24, Linus Pauling
confirma que l'hémoglobine présente dans les globules rouges falciformes
différait de la normale. Cinq ans plus tard, des scientifiques de Cambridge
identifièrent la différence entre les globines bêta des sujets sains et
anémiques – la globine bêta, souvenez-vous, est l'une des deux
composantes de l'hémoglobine : la chaîne protéique des malades ne différait
de la chaîne normale que par un seul acide aminé 25.
Mais si la protéine n'était modifiée que sur un seul acide aminé, alors son
gène devait différer d'exactement un triplet (« un triplet codant un acide
aminé »). Et effectivement, lorsque le gène codant la globine bêta fut par la
suite identifié et séquencé chez des patients anémiques, un seul changement
fut repéré. Dans l'ADN, le triplet GAG en position 6 est remplacé par GTG.
En conséquence, un acide aminé est substitué par un autre : le glutamate est
remplacé par la valine. Ce changement n'altère pas vraiment la forme de la
molécule individuelle, mais crée une zone au niveau de laquelle deux
molécules d'hémoglobine peuvent désormais se « coller » : le résultat est
l'agglomération des molécules d'hémoglobine en longues fibres dans les
globules rouges. Ces aggrégats deviennent si grands, notamment en
l'absence d'oxygène, qu'ils tiraillent la membrane des globules rouges au
point de les déformer et de leur donner l'aspect typique en faux. Dans cet
état, les globules rouges perdent leur capacité à circuler librement dans les
capillaires et forment de microscopiques embouteillages dans les réseaux
capillaires de l'ensemble du corps. Le passage du sang est alors bloqué, ce
qui provoque les douleurs intenses accompagnant les crises.
Une petite cause avait de grands effets. Un changement dans la séquence
d'un gène entraîne un changement dans la séquence d'une protéine. Celle-ci
forme alors des aggrégats, ce qui déforme le globule rouge. Les cellules
déformées bouchent les capillaires, ce qui bloque la circulation et ruine le
corps (construit par les gènes). Gène, protéine, fonction et destin médical
s'enchaînaient : une altération chimique sur une paire de base de l'ADN
suffisait à « coder » un changement affectant de manière radicale toute une
existence.
Régulation, réplication, recombinaison

« Nécessité absolue de trouver origine de cet emmerdement 1. »


Jacques Monod

Tout comme la formation d'un cristal géant est initiée par l'arrangement
de quelques atomes critiques en son cœur, un grand domaine scientifique
peut germer avec l'articulation de quelques concepts clés. Avant Newton,
des générations de physiciens avaient déjà réfléchi à des notions comme la
force, l'accélération, la masse et la vitesse. Mais le génie de Newton fut de
définir ces termes avec rigueur et de les relier par un ensemble d'équations,
ce qui a lancé la science de la mécanique.
Par une logique similaire, l'articulation de quelques concepts cruciaux

relança la science de la génétique sous la forme d'une nouvelle discipline,


la biologie moléculaire. Avec le temps, comme pour la mécanique
newtonienne, le « dogme central » de la génétique moléculaire allait être
largement affiné, modifié et reformulé. Mais son influence sur la science
naissante allait être profonde, au point d'établir un système de pensée. En
1909, Johannsen, en forgeant le terme de gène, l'avait déclaré « libre de
toute hypothèse ». Au début des années 1960, toutefois, le gène était devenu
bien plus qu'une simple « hypothèse ». En délaissant l'abstraction de
l'ancienne génétique, on avait trouvé le moyen de décrire le flux
d'information d'organisme à organisme et, au sein d'un organisme, du code à
la forme. Un mécanisme bien réel de l'hérédité avait émergé.
Mais comment ce flux d'information biologique pouvait-il rendre compte
de toute la complexité des êtres vivants ? Reprenons par exemple le cas de
l'anémie falciforme. Walter Noel avait hérité de ses parents deux copies
anormales du gène de la globine bêta. Chaque cellule de son corps portait
ces deux copies (chaque cellule du corps hérite du même génome). Mais
seuls les globules rouges du sang de Noel étaient affectés par l'altération de
ces copies 2, pas ses neurones, ni les cellules de ses reins, de son foie ou de
ses muscles. Qu'est-ce qui permettait cette expression « sélective » de
l'hémoglobine dans les cellules à l'origine des globules rouges ? Pourquoi
n'y avait-il pas d'hémoglobine dans les yeux ou la peau, alors même que
leurs cellules, comme en fait toutes les cellules de l'organisme, possèdent
les gènes des globines ? Comment, comme Thomas Morgan l'avait exprimé,
« les propriétés implicites dans les gènes devenaient explicites dans les
cellules 3 » ?

En 1940, une expérience menée sur l'un des organismes des plus simples
qui soient, une bactérie hébergée par nos intestins appelée Escherichia coli,
a fourni le premier indice crucial pour répondre à cette question. E. coli
peut survivre avec deux types très différents de sucre dans son milieu de
culture, le glucose et le lactose. Quand elle est mise en présence de l'un de
ces sucres uniquement, elle se divise rapidement, doublant sa population
toutes les vingt minutes environ. Sa courbe de croissance est exponentielle,
avec une multiplication de 2, 4, 8, 16 fois et ainsi de suite jusqu'à ce que la
culture devienne trouble et que la source de sucre soit épuisée.
Cette croissance imperturbable en ogive fascinait le biologiste français
Jacques Monod 4. Il était revenu à Paris en 1937 après avoir passé une année
au Caltech à étudier les mouches avec Thomas Morgan. Le séjour de
Monod en Californie n'avait pas été particulièrement fructueux, il avait
passé la majeure partie de son temps à jouer du Bach dans l'orchestre local
et à apprendre le jazz. Le retour au pays fut totalement déprimant : Paris
donnait le spectacle d'une ville en état de siège. En mai 1940, la Belgique
avait capitulé devant l'Allemagne. En juin, la France, qui avait subi de
lourdes pertes dans les combats, signa l'armistice. L'armée allemande
occupait une grande partie du nord et de l'ouest du pays.
Paris fut déclarée « ville ouverte », épargnée par les bombes et les
destructions mais entièrement accessible aux troupes nazies. Les enfants
furent évacués, les musées vidés de leurs toiles, les devantures fermées.
« Paris sera toujours Paris » chantait Maurice Chevalier en 1939, mais la
Ville Lumière était rarement illuminée. Les rues étaient désertes, les cafés
vides. La nuit, des coupures de courant la plongeaient dans une obscurité
lugubre.
Au cours de l'automne 1940, Monod travaillait sur E. coli dans un grenier
mal éclairé et surchauffé de la Sorbonne. Tous les bâtiments publics étaient
pavoisés des drapeaux rouge et noir frappés de la croix gammée et les
troupes allemandes annonçaient des couvre-feux la nuit par des haut-
parleurs le long des Champs-Élysées. Monod rejoindra secrètement la
Résistance la même année, et la plupart de ses collègues ignoreront jusqu'au
bout ses sympathies politiques. L'hiver venu, son laboratoire était désormais
presque gelé : arrivant le matin, il devait patienter bien embêté jusqu'à midi,
le temps que son acide acétique dégèle, en écoutant la propagande nazie
dans la rue. Monod répétait l'expérience de la culture bactérienne mais
maintenant il ajoutait les deux sucres à la fois, le glucose et le lactose, au
milieu de culture des bactéries.
Si le métabolisme du lactose ne différait pas de celui du glucose – un
sucre est un sucre, après tout –, on pouvait s'attendre à ce que les bactéries
présentent le même type de courbe de croissance. Pourtant, il y eut un
rebondissement dans les résultats de Monod, au sens propre comme au
figuré ! Dans un premier temps, les bactéries augmentaient
exponentiellement comme prévu, mais faisaient ensuite une pause avant de
se remettre à pousser. Lorsque Monod étudia cette pause, il découvrit un
phénomène inhabituel. Plutôt que de consommer les deux sucres de la
même manière, les cellules d'E. coli commençaient par le glucose. Une fois
qu'elles l'avaient épuisé, elles cessaient alors de proliférer, comme si elles
faisaient le point sur leur nourriture, puis elles passaient au lactose et
reprenaient leur croissance. Monod appela ce phénomène la diauxie, ou
« double croissance ».
Ce rebond dans la courbe de croissance, même discret, intriguait Monod.
Cela dérangeait son instinct scientifique, comme une poussière dans l'œil.
Les bactéries poussant sur du sucre devaient le faire régulièrement.
Pourquoi le passage à la consommation d'un autre sucre causait-il une pause
dans la croissance ? Comment une bactérie pouvait-elle « savoir » ou sentir
que la source de sucre avait changé ? Et pourquoi un type de sucre était-il
consommé en premier et le second seulement après, comme les deux
services successifs d'un restaurant ?
À la fin des années 1940, Monod avait découvert que la pause résultait
d'un réajustement métabolique. Lorsque les bactéries passaient du glucose
au lactose, elles se mettaient à produire des enzymes digestives spécifiques
du lactose. Quand elles revenaient sur du glucose, ces enzymes
disparaissaient. L'induction de ces enzymes au cours du passage du glucose
au lactose, comme le changement de couvert entre deux plats (enlever le
couteau à poisson et mettre la fourchette à dessert), prenait quelques
minutes, ce qui se traduisait par le ralentissement de la croissance observé.
Pour Monod, la diauxie suggérait que les gènes pouvaient être régulés
par des changements métaboliques. Si l'on pouvait induire l'apparition ou la
disparition d'enzymes dans la cellule, cela voulait dire que les gènes
pouvaient être activés ou inactivés comme des interrupteurs moléculaires
(les enzymes, qui ne sont que des protéines, sont codées par des gènes). Au
début des années 1950, Monod, rejoint par François Jacob à Paris,
commença à explorer systématiquement la régulation des gènes chez E. coli
en créant des mutants, la méthode qui avait donné des résultats tellement
spectaculaires chez les mouches du vinaigre avec Morgan 5.
Comme les mouches aux yeux blancs et aux ailes atrophiées, les
bactéries mutantes se révélèrent instructives. Monod et Jacob, travaillant
avec Arthur Pardee, un généticien microbiologiste aux États-Unis,
découvrirent trois principes cardinaux gouvernant la régulation des gènes.
Tout d'abord, quand un gène est activé ou inactivé, sa copie d'ADN reste
toujours intacte dans la cellule. La véritable action de l'induction concerne
l'ARN : lorsqu'un gène est sollicité, plus de copies sous forme d'ARN sont
produites, et donc plus d'enzymes traduites. L'identité métabolique d'une
cellule, le fait qu'elle consomme du glucose ou du lactose, est donc
déterminée non par la séquence des gènes, qui ne varie pas, mais par la
quantité d'ARN produite. Tant que les bactéries poussent avec du lactose
seul, les ARN codant l'enzyme qui digère ce sucre – la lactase – sont
abondants. Et lorsqu'on passe au glucose, les ARN codant la lactase sont
réprimés.
Ensuite, la production de messages d'ARN est régulée de manière
coordonnée. Lorsque la source de sucre devient le lactose, la bactérie met
en branle un module entier de gènes nécessaires à son métabolisme et à sa
digestion. L'un de ces gènes code pour une « protéine transporteur » qui
permet au lactose de rentrer dans la cellule. Un deuxième gène code la
lactase, l'enzyme capable de le scinder en deux sucres plus simples ; la
fonction du troisième est encore obscure. Chose surprenante, les chercheurs
ont découvert que tous les gènes dédiés à une voie métabolique particulière
se côtoient physiquement sur le chromosome bactérien, comme des livres
sur un sujet donné dans une bibliothèque, et qu'ils sont simultanément
activés. Le changement de métabolisme provoqué par Monod entraînait
donc une profonde modification d'activité génétique dans la cellule. Ce
n'était pas qu'un changement de couvert, tout le service de table était
remplacé d'un coup. Un circuit fonctionnel de gènes était activé ou réprimé,
comme s'il était sous la dépendance d'un interrupteur général. Monod
appela un tel module de gènes un opéron 6.
La genèse des protéines est ainsi parfaitement synchronisée avec les
variations de l'environnement. L'apport d'un sucre donné entraîne
l'expression des gènes codant pour son métabolisme. Guidée par un principe
d'économie, l'évolution avait encore généré la solution la plus élégante pour
la régulation génétique. Pas de gène activé voulait dire pas de message, et
donc pas de protéine fabriquée en vain.

Comment une protéine reconnaissant le lactose pouvait-elle réguler


uniquement les gènes du métabolisme de ce sucre et pas les autres milliers
de gènes présents dans la bactérie ? La troisième propriété cardinale de la
régulation des gènes découverte par Monod et Jacob était que chaque gène
ou opéron possède une séquence d'ADN régulatrice spécifique, juxtaposée à
lui, qui sert de site de reconnaissance. Une fois que la protéine a reconnu
son sucre préféré dans le milieu, ou tout autre signal, elle peut se fixer sur le
site spécifique dans l'ADN, ou au contraire ne plus s'y fixer, et activer ou
inactiver le gène ciblé* *.
Un gène, pour résumer, n'a pas seulement l'information pour coder une
protéine mais aussi pour savoir quand et où le faire. Les chercheurs
réalisèrent que cette information est inscrite dans l'ADN, le plus souvent en
amont de chaque gène (bien que des séquences régulatrices puissent
également se trouver à la fin ou au milieu des gènes). On pouvait désormais
définir un gène comme l'ensemble formé par les séquences régulatrices et la
séquence codant une protéine.
Là encore, nous pouvons reprendre notre analogie avec une phrase.
Lorsque Morgan a découvert la liaison des gènes en 1910, il n'avait trouvé
aucune raison logique pour qu'un gène soit voisin d'un autre. Les gènes
responsables des yeux blancs et de la couleur noire de l'abdomen semblaient
n'avoir aucun lien fonctionnel alors qu'ils se trouvaient côte à côte sur le
même chromosome. Dans le modèle de Jacob et Monod, au contraire,
certains gènes bactériens étaient rapprochés pour une raison claire. Ceux
qui appartenaient à la même voie métabolique étaient physiquement
associés : si vous travaillez ensemble, vous vivez aussi ensemble dans le
génome. Des séquences spécifiques d'ADN étaient accolées au gène ou au
groupe de gènes pour déterminer le contexte de son activation. Ces
séquences, destinées à moduler l'activité génétique, pouvaient être
comparées à de la ponctuation et à des annotations dans une phrase,
fournissant le contexte, soulignant l'importance et la signification,
informant le lecteur que telles parties doivent être lues ensemble et lui
indiquant à quel endroit s'arrêter entre les phrases.
« C'est la structure de votre génome. Il contient, entre autres choses, des modules régulés de
manière indépendante. Certains mots sont rassemblés en phrases ; d'autres séparés par des points-
virgules, des virgules et des tirets. »

Pardee, Jacob et Monod publièrent leur monumentale étude sur l'opéron


lactose en 1959 7, six ans après l'article de Watson et Crick sur la structure
de l'ADN. Appelé le papier Pa-Ja-Mo, ou familièrement Pajama, suivant les
initiales de ses trois auteurs, l'article devint instantanément un classique aux
nombreuses implications pour la biologie. Les gènes, insistaient Monod et
ses collègues, ne sont pas de simples patrons passifs pour faire des
protéines. Même si chaque cellule contient un génome identique, donc le
même stock de gènes, l'activation ou la répression sélective de sous-groupes
particuliers de gènes permet à une cellule donnée de répondre de façon
spécifique à son environnement. Le génome devenait un modèle vraiment
actif, capable de déployer des parties précises de son code suivant le
moment et les circonstances.
Les protéines régulatrices agissent comme des capteurs et des
interrupteurs généraux dans ce processus, activant ou réprimant l'expression
de gènes ou de combinaisons de gènes d'une manière coordonnée. Comme
une partition réglant une envoûtante symphonie, le génome contient des
instructions pour le développement et le maintient harmonieux des
organismes. Les protéines objectivent cette information. Elles orchestrent le
génome, le faisant jouer sa musique, activant le violon à la quatorzième
minute, un choc de cymbales au cours d'un arpège, un roulement de
batteries au crescendo. Ou de façon conceptuelle :

L'article Pa-Ja-Mo mettait un terme à une question centrale : comment un


organisme ayant un ensemble fixe et déterminé de gènes peut-il répondre
d'une manière aussi souple et précise à son environnement ? Mais il
suggérait aussi une réponse à la question centrale de l'embryogenèse :
comment des milliers de types cellulaires différents peuvent-ils être générés
dans un embryon à partir du même groupe de gènes ? La régulation des
gènes, c'est-à-dire l'activation ou la répression sélective de leur expression
dans certaines cellules à certains moments, devait introduire un niveau
crucial de complexité et de changement dans la nature immuable de
l'information biologique.
C'était par la régulation des gènes, avançait Monod, que les cellules
peuvent remplir leur fonction dans le temps et l'espace. « Le génome ne
contient pas seulement une série de modèles (les gènes), mais un
programme coordonné […] et le moyen de contrôler son exécution 8 »
concluaient Monod et Jacob. Les cellules à l'origine des globules rouges et
les cellules du foie contiennent bien la même information génétique, mais la
régulation des gènes garantit que la protéine d'hémoglobine ne soit présente
que dans les globules rouges et pas dans les cellules du foie. La chenille et
le papillon qui en résulte ont exactement le même génome, mais la
régulation différente de leurs gènes permet la métamorphose de l'une vers
l'autre.
L'embryogenèse pouvait être reconsidérée sous la forme d'une régulation
dans le temps des gènes à partir de la première cellule embryonnaire. C'était
bien cela le « mouvement » qu'Aristote avait imaginé d'une manière aussi
vivante des millénaires auparavant. Dans une célèbre anecdote médiévale,
on demande à un cosmologiste ce qui tient la Terre dans l'espace :
« Des tortues, dit-il.
— Et qu'est-ce qui soutient les tortues ? lui réplique-t-on.
— Encore des tortues.
— Et ces tortues ?
— Vous ne comprenez pas. »
Le cosmologiste tape le sol du pied.
« Ce sont des tortues tout du long. »
Pour un généticien de l'époque, le développement d'un organisme pouvait
donc être décrit comme une série d'inductions (ou de répressions) de gènes
et de circuits génétiques. Les gènes spécifient des protéines qui agissent sur
l'activité de gènes spécifiant des protéines qui agissent à leur tour sur
d'autres gènes, et ainsi de suite, depuis la première cellule de l'embryon. Ce
n'étaient que des gènes, tout du long 9.
La régulation des gènes décrivait le mécanisme par lequel une
complexité combinatoire peut être générée à partir de la copie d'origine de
l'information génétique dans la cellule. Mais elle n'expliquait pas la copie
des gènes elle-même. Comment les gènes sont-ils répliqués quand une
cellule se divise en deux ou quand un spermatozoïde ou un ovule sont
produits ?
Pour Watson et Crick, le modèle de la double hélice d'ADN, avec ses
deux brins complémentaires se faisant face, évoquait un mécanisme de
réplication. Dans la dernière phrase de leur article de 1953 10, comme nous
l'avons dit plus haut, ils précisaient : « Il n'a pas échappé à notre attention
que l'appariement spécifique [de l'ADN] que nous avons postulé suggère
immédiatement un mécanisme possible de copie pour le matériel
génétique. » Leur modèle d'ADN n'était pas qu'une jolie image : la structure
prédisait la propriété la plus importante pour expliquer sa fonction. Watson
et Crick proposèrent que chaque brin d'ADN était utilisé pour générer une
copie de lui-même, avec pour résultat deux doubles hélices à partir de
l'ADN d'origine. Au cours de la réplication, les brins yin et yang étaient
séparés l'un de l'autre, le yin servant de modèle à la fabrication d'un brin
yang, le yang à un brin yin, soit à l'arrivée deux brins yin-yang* *.
Mais une double hélice d'ADN ne pouvait s'auto-dupliquer seule, car
autrement elle aurait pu se reproduire sans contrôle. Une enzyme était
probablement dédiée à cette tâche, et en 1957 le biochimiste Arthur
Kornberg entreprit de l'isoler. Si une telle enzyme existait, pensait
Kornberg, le meilleur endroit pour la trouver serait un organisme se divisant
rapidement, soit E. coli dans ses phases de croissance déchaînées.
En 1958, Kornberg avait purifié et repurifié des extraits bactériens
jusqu'à obtenir une préparation pure d'enzyme (« un généticien compte, un
biochimiste purifie », m'a-t-il rappelé un jour). Il l'appela ADN
polymérase 11 (l'ADN étant un polymère de nucléotides, il s'agit bien d'une
enzyme fabriquant un polymère). Lorsqu'il ajouta l'enzyme purifiée à de
l'ADN avec de nouveaux nucléotides portant les bases A, T, G, et C, il put
assister à la formation de nouveaux brins d'acide nucléique in vitro : avec
l'ADN polymérase, l'ADN faisait de l'ADN à son image.
« Il y a encore cinq ans, la synthèse d'ADN était aussi considérée comme
un “processus vital”, une réaction mystique qui ne pouvait être reproduite
en éprouvette par l'addition ou la soustraction de produits chimiques
simples 12 », écrivait Kornberg en 1960. « Jouer avec l'appareil génétique
de la vie elle-même n'allait rien produire si ce n'est du désordre » selon
l'opinion qui dominait alors. Mais la synthèse de Kornberg avait créé un
ordre à partir du désordre, un gène à partir de ses composantes de base. Les
gènes perdaient leur caractère inaccessible, insaisissable.
Une précision mérite d'être apportée ici. Comme toutes les protéines,
l'ADN polymérase est elle-même le produit d'un gène 13. Dans chaque
génome se trouve donc une séquence codant la protéine qui permettra au
génome d'être répliqué. Ce niveau supplémentaire de complexité est
important car il fournit un point de régulation crucial. La réplication de
l'ADN peut être contrôlée par d'autres signaux et régulateurs tels que l'âge
ou le statut nutritionnel de la cellule, ce qui permet à la cellule de ne faire
une copie de l'ADN que lorsqu'elle est prête à se diviser. Il y a un revers de
la médaille à cela : lorsque les régulateurs manquent à l'appel, rien ne peut
plus empêcher la cellule de se répliquer indéfiniment. Cela, comme nous
allons le voir bientôt, est l'ultime maladie des gènes défectueux, le cancer.

Les gènes codent donc des protéines intervenant dans la régulation et la


réplication des gènes. Le troisième R de la physiologie des gènes est un
mot en dehors du vocabulaire courant mais qui désigne un processus
indispensable à la survie des espèces, la recombinaison, c'est-à-dire la
capacité à générer de nouvelles combinaisons de gènes.
Pour comprendre la recombinaison, nous pouvons une fois encore faire
appel à Mendel et à Darwin. Un siècle d'exploration de la génétique a
montré combien les organismes transmettaient la « ressemblance » d'une
génération à l'autre. Les unités d'information héréditaire, écrites dans l'ADN
et portées par les chromosomes, sont transmises par les spermatozoïdes et
les ovules à l'embryon et, de là, à toutes les cellules du futur organisme. À
partir de ces unités, des messages sont produits pour construire les protéines
et celles-ci permettent à leur tour de donner forme et fonctions à un
organisme vivant.
Mais si cette description de l'hérédité résout la question de Mendel –
comment le semblable engendre-t-il le semblable ? –, elle ne répond pas à
l'énigme de Darwin – comment le semblable engendre-t-il le
dissemblable ? –, car pour qu'une évolution se produise, un organisme doit
pouvoir générer des variations génétiques, c'est-à-dire des descendants
génétiquement différents des deux parents. Si les gènes transmettent des
maladies, comment transmettent-ils des « dissemblances » ?
Un mécanisme générant des variations naturelles est la mutation,
l'altération d'une séquence de l'ADN (un A devenant un T) qui peut changer
la structure spatiale d'une protéine et donc sa fonction. Les mutations se
produisent quand l'ADN est endommagé par des produits chimiques ou des
rayons X, ou quand l'enzyme de réplication fait une erreur spontanée dans
sa copie des gènes. Mais un second mécanisme peut intervenir :
l'information génétique peut être échangée entre chromosomes. L'ADN d'un
chromosome maternel peut être échangé avec la séquence homologue
présente sur le chromosome paternel, générant une molécule hybride
portant des gènes d'origine à la fois maternelle et paternelle. La
recombinaison est aussi une forme de « mutation », sauf que des morceaux
entiers de matériel génétique sont ici échangés entre chromosomes.
Le déplacement de l'information génétique d'un chromosome à l'autre ne
se produit que dans des circonstances très spéciales. La première est la
production de spermatozoïdes et d'ovules pour la reproduction. Juste avant
la spermatogenèse et l'ovogenèse, la cellule se transforme en parc à bébés
pour gènes. Les chromosomes maternels et paternels s'étreignent et
échangent de l'information génétique. Ce phénomène est crucial pour le
mélange et l'appariement de l'information héréditaire entre les patrimoines
génétiques des deux parents. Morgan l'appelait « crossing over » (ou
enjambement). Le terme plus général pour qualifier le résultat est une
recombinaison, c'est-à-dire une combinaison de gènes combinée d'une autre
manière.
La seconde circonstance est de plus mauvais augure ; lorsque l'ADN est
endommagé par un agent mutagène comme les rayons X, l'information
génétique est clairement menacée. Dans ce cas, le gène peut être recopié à
partir de sa copie « jumelle » sur le chromosome homologue : une partie de
la copie maternelle peut servir à refaire la copie paternelle ou vice-versa,
produisant ici aussi un hybride génique.
Là encore, l'appariement des bases sert à reconstruire un gène. Le yin
répare le yang, l'image restaure l'original. Avec l'ADN, comme avec Dorian
Gray 14, le prototype est constamment rajeuni par son portrait. Les protéines
chaperonnent et coordonnent tout le processus, guidant le brin abîmé vers le
gène intact, copiant et corrigeant l'information perdue, recousant les
cassures dans le brin réparé, pour permettre le transfert final de
l'information d'un brin à un autre.

Régulation. Réplication. Recombinaison. Il est remarquable que les trois


R de la physiologie du gène soient aussi dépendants de la structure
moléculaire de l'ADN, cet appariement de type Watson et Crick de la
double hélice.
La régulation génétique agit par la transcription de l'ADN en ARN, ce
qui dépend de l'appariement des bases. Quand un brin d'ADN est utilisé
pour construire un message d'ARN, c'est l'appariement entre les bases de
l'ADN et de l'ARN qui permet de générer la nouvelle copie d'ARN. Au
cours de la réplication, l'ADN est là encore copié en utilisant son image
comme guide. Chaque brin est utilisé pour générer une version
complémentaire de lui-même, avec pour résultat une double hélice qui se
sépare en deux doubles hélices. Et au cours de la recombinaison de l'ADN,
la stratégie d'appariement des bases est encore utilisée pour restaurer l'ADN
endommagé. La copie abîmée d'un gène est reconstruite avec le brin
complémentaire, ou la seconde copie du gène sur l'autre chromosome,
comme guide 15.
La double hélice avait résolu d'un coup trois défis majeurs de la
physiologie génétique par des variations ingénieuses sur le même thème.
Des molécules constituées comme deux images dans un miroir se
reproduisant par un nouveau jeu de miroir, le reflet dans le miroir servant à
reconstruire l'original. L'appariement comme moyen d'assurer la persistance
de l'information et la fidélité dans la copie. « Monet, ce n'est qu'un œil, a dit
Cézanne de son ami, mais, bon Dieu, quel œil ! ». L'ADN, pour reprendre la
même logique, n'est qu'une molécule, mais bon Dieu, quelle molécule !

En biologie, il existe une ancienne distinction entre deux camps, les


anatomistes et les physiologistes. Les anatomistes décrivent la nature des
matériaux, la structure et les parties du corps, bref ce que les choses sont.
Les physiologistes se concentrent plutôt sur les mécanismes par lesquels ces
structures et ces parties interagissent pour assurer le fonctionnement de
l'organisme, ils se préoccupent plutôt de la manière dont les choses agissent.
Cette distinction marque aussi une transition essentielle dans l'histoire du
gène. Mendel, peut-être, était « l'anatomiste » original du gène. En cernant
le déplacement de l'information à travers les générations de petits pois, il a
décrit la structure fondamentale du gène comme corpuscule indivisible
d'information. Morgan et Sturtevant ont continué sur le versant anatomique
dans les années 1920, en démontrant que les gènes étaient des unités
physiques, réparties linéairement le long des chromosomes. Dans les
années 1940 et 1950, Avery, Watson et Crick ont identifié l'ADN comme la
molécule du gène, et décrit sa structure comme une double hélice, portant
ainsi la conception anatomique du gène à son point culminant.
Entre la fin des années 1950 et celle des années 1970, toutefois, ce fut la
physiologie du gène qui a dominé la recherche scientifique. Comprendre
que les gènes peuvent être régulés, c'est-à-dire activés ou réprimés par des
signaux précis, a dévoilé la façon dont ils agissent dans le temps et l'espace
pour spécifier les propriétés uniques à chaque cellule de l'organisme.
Comprendre que les gènes peuvent aussi être reproduits, recombinés entre
chromosomes et réparés par des protéines spécifiques a permis d'expliquer
comment cellules et organismes arrivent à conserver, copier et rebattre les
cartes de l'information génétique à travers les générations.
Pour les biologistes, chacune de ces découvertes a eu d'énormes
conséquences. Alors que la génétique migrait d'une conception matérielle à
une mécanistique des gènes – de ce que les gènes sont à ce qu'ils font –, les
biologistes ont commencé à percevoir les relations tant attendues entre
gènes, physiologie humaine et pathologies. Une maladie pouvait survenir,
non seulement par l'altération de la séquence codant une protéine (par
exemple l'hémoglobine dans le cas de l'anémie falciforme), mais aussi du
fait d'une mauvaise régulation d'un gène, de l'incapacité à activer ou
réprimer son expression dans la bonne cellule et au bon moment. Si la
réplication des gènes permet d'expliquer comment un organisme
multicellulaire émerge d'une cellule initiale, les erreurs de réplication
peuvent expliquer comment une maladie métabolique ou mentale spontanée
peut survenir dans une famille. Les similitudes entre génomes expliquent la
ressemblance entre les parents et leurs enfants, alors que les mutations ou
recombinaisons expliquent leurs différences. Les familles ne partagent pas
seulement des réseaux sociaux ou culturels mais aussi des réseaux de gènes
actifs.
Tout comme l'anatomie et la physiologie humaine du XIXe siècle ont posé
les fondations de la médecine du XXe, l'anatomie et la physiologie des gènes
allaient poser les fondations d'une puissante et nouvelle science biologique.
Dans les décennies suivantes, cette science révolutionnaire allait élargir son
domaine, passant d'organismes simples aux plus complexes. Son
vocabulaire conceptuel de régulation, recombinaison, mutation, réparation
génétique, allait passer des revues scientifiques aux manuels de médecine,
puis diffuser dans des débats plus larges dans la société et la culture (le mot
race, comme nous le verrons, ne peut se comprendre vraiment sans avoir
saisi les phénomènes de recombinaison et de mutation). La nouvelle science
allait chercher à expliquer comment les gènes construisent, maintiennent,
réparent et reproduisent les êtres humains, et comment des variations dans
l'anatomie et la physiologie des gènes peuvent contribuer aux variations
observées dans l'identité, le destin biologique, la santé et les maladies de
chacun.
Du gène à la genèse

« Au commencement, il y avait la simplicité. »


1
Richard Dawkins, Le Gène égoïste .

« Ne suis-je pas
Une mouche comme toi ?
Ou n'es-tu pas
Un homme comme moi ? »
2
William Blake, « The Fly ».

Alors que la description moléculaire du gène avait éclairci le mécanisme


de la transmission héréditaire, il n'avait fait que compliquer l'énigme qui
préoccupait Thomas Morgan dans les années 1920. Pour lui, le principal
mystère de la biologie des organismes n'était pas le gène, mais la
génération. Comment des « unités d'hérédité » permettaient-elles la
formation d'un animal et le maintien des fonctions d'un organe ou d'un
organisme ? (« Veuillez excuser ce gros bâillement, dit-il un jour à un
étudiant, mais je viens juste de sortir de mon propre cours [sur la
génétique]. »)
Un gène, avait noté Morgan, était une solution extraordinaire à un
problème extraordinaire. La reproduction sexuée exigeait la réduction d'un
organisme à une seule cellule, puis son expansion en un nouvel organisme.
Le gène, réalisait Morgan, résout un problème, celui de la transmission
héréditaire, mais en crée un autre, celui du développement des organismes.
Une seule cellule doit pouvoir comporter toutes les instructions pour
construire un organisme à partir de zéro, d'où les gènes. Mais comment les
gènes pouvaient-ils arriver à faire se redévelopper un organisme entier à
partir d'une seule cellule ?
Il peut sembler intuitif pour un embryologiste d'approcher le problème de
la genèse d'un organisme à partir de sa conception, des premiers
événements embryonnaires jusqu'à l'organisme adulte pleinement
développé. Mais pour des raisons nécessaires, comme nous allons le voir, la
compréhension du développement s'est faite à rebours, comme un film que
l'on regarde à partir de la fin. On commença par élucider le mécanisme par
lequel les gènes spécifient des traits anatomiques distincts comme les
membres, les autres organes ou plus généralement les structures bien
définies. Puis ce fut le tour du mécanisme par lequel les structures trouvent
leur place dans un organisme, devant, derrière, à gauche, à droite, dessus ou
dessous. Les tout premiers événements spécifiant les axes de polarité du
corps – antéro-postérieur, dorso-ventral, médio-latéral – furent parmi les
derniers à être connus.
La raison de cette élucidation à rebours peut paraître évidente. Les
mutations dans des gènes déterminant des structures macroscopiques,
comme les membres ou les ailes, étaient plus faciles à repérer et furent les
premières à être caractérisées. Celles dans les gènes qui déterminent des
aspects fondamentaux de l'architecture du corps furent plus difficiles à
identifier car elles compromettent beaucoup la survie des organismes. Et les
mutants des premières étapes de l'embryogenèse étaient presque
impossibles à isoler car les embryons résultants, avec tête et queue
chamboulées, ne sont bien sûr pas viables.

Dans les années 1950, Ed Lewis, un généticien de la mouche du vinaigre


au Caltech, commença à reconstruire la formation de ses embryons 3.
Comme un historien de l'architecture obsédé par un seul bâtiment, il étudiait
le développement de ces mouches depuis presque vingt ans. L'embryon de
la mouche du vinaigre, en forme de haricot et pas plus gros qu'un grain de
sable, commence sa vie dans un tourbillon d'activités. Dix heures environ
après la fécondation, l'embryon se divise en trois segments, la tête, le thorax
et l'abdomen, chacun se subdivisant ensuite en sous-compartiments. Lewis
savait que chacun de ces segments se retrouve dans la mouche adulte. L'un
d'entre eux devient le thorax et se dote de deux ailes tandis que trois sous-
segments donnent les six pattes. Un autre segment à l'avant va héberger les
antennes. Comme chez l'homme, le plan de base du corps adulte se retrouve
dans l'embryon. Le développement de la mouche est une série de
déploiements de ces segments, comme l'ouverture d'un accordéon vivant.
Mais comment un embryon de mouche « savait-il » qu'il devait faire
pousser une patte sur le second segment thoracique ou une antenne à partir
du segment antérieur de la tête (et pas l'inverse) ? Lewis étudia des mutants
où cette organisation des segments était perturbée. Il découvrit une
particularité de ces mutants : le plan essentiel des structures
macroscopiques était souvent maintenu, seul le segment considéré
changeait de position ou d'identité dans le corps de la mouche. Dans un
mutant par exemple, un segment thoracique supplémentaire, intact et
presque fonctionnel, apparaissait pour donner un insecte à quatre ailes (une
paire sur le segment thoracique normal et une nouvelle paire sur le segment
supplémentaire). C'était comme si un gène « construis un thorax » avait été
sollicité par erreur dans le mauvais compartiment, et avait lancé tout de go
ses instructions. Dans un autre mutant, deux pattes sortaient des antennes
sur la tête, comme si un ordre « construis une patte » avait été donné par
méprise dans la tête.
Lewis en conclut que la construction des organes et des structures est
codée par des gènes maîtres régulateurs « effecteurs » qui agissent comme
des unités ou sous-routines autonomes. Au cours de la genèse normale
d'une mouche ou de tout autre organisme, ces gènes entrent en action à des
sites et des moments précis pour déterminer l'identité des segments et des
organes. Ces gènes maîtres régulateurs peuvent agir sur d'autres gènes pour
les activer ou les réprimer. Ils peuvent être comparés à des circuits dans un
microprocesseur. Leur mutation devait donc se traduire par des segments ou
des organes malformés ou ectopiques (pas au bon endroit). Comme les
domestiques déconcertés de la Reine de Cœur dans Alice au pays des
merveilles, les gènes se dépêchaient d'obéir aux instructions – construis un
thorax, fait une aile – mais au mauvais endroit ou au mauvais moment. Si
un maître régulateur crie « OK pour l'antenne », alors la sous-routine de la
construction de l'antenne est lancée et l'antenne construite, même si cette
structure s'avère pousser sur un thorax ou un abdomen.

Mais qui commande les commandants ? La découverte par Ed Lewis des


gènes maîtres régulateurs contrôlant le développement des segments,
organes et structures résolvait le problème des dernières étapes de
l'embryogenèse, mais soulevait une énigme apparemment sans fin. Si
l'embryon se construit, segment après segment, organe après organe, sous
l'action de gènes commandant l'identité de chacun, comment cette identité
de segment, « de position », était-elle attribuée en premier lieu ? Comment,
par exemple, un gène maître pour la formation de l'aile « savait-il » qu'il
fallait construire une aile au second segment thoracique et pas au premier
ou au troisième ? Si des modules génétiques étaient si autonomes, pourquoi,
en inversant la question de Morgan, les pattes ne poussaient-elles pas sur la
tête ou les hommes ne naissaient-ils pas avec des pouces émergeant du
nez ?
Pour répondre à ces questions, il nous faut remonter dans le temps du
développement embryonnaire. En 1979, un an après la publication par
Lewis de son article sur les gènes gouvernant le développement des pattes
et des ailes, deux embryologistes allemands qui travaillaient à Heidelberg,
Christiane Nüsslein-Volhard et Eric Wieschaus, commencèrent à créer des
mutants de la mouche du vinaigre pour mieux cerner les toutes premières
étapes de la formation de l'embryon.
Les mutants produits par Nüsslein-Volhard et Wieschaus furent encore
plus spectaculaires que ceux qu'avait décrits Lewis. Chez certains, des
segments entiers avaient disparu, ou bien les compartiments thoracique ou
abdominal s'étaient considérablement raccourcis, comme des fœtus humains
qui naîtraient sans l'arrière du corps. Les gènes altérés dans ces mutants
doivent déterminer le plan de base du développement embryonnaire,
raisonnèrent Nüsslein-Volhard et Wieschaus. Ce sont les grands
ordonnateurs du monde embryonnaire. Ils divisent l'embryon en ses sous-
parties de base. Puis ils activent les gènes maîtres de Lewis pour lancer la
formation des organes et des parties du corps dans certains compartiments
(et seulement ceux-là), les antennes sur la tête, l'aile sur le deuxième
segment du thorax, et ainsi de suite. Nüsslein-Volhard et Wieschaus
baptisèrent ces grands ordonnateurs les gènes de segmentation.
Mais même ces gènes avaient leurs propres maîtres. Comment le second
segment thoracique « sait-il » qu'il fait partie du thorax et pas de
l'abdomen ? Ou comment une tête sait-elle ne pas être un abdomen ?
Chaque segment d'un embryon peut être défini sur un axe longitudinal
reliant la tête à la queue. La tête fonctionne comme un GPS interne et la
position relative à la tête et à la queue donne à chaque segment une
« adresse » unique dans l'embryon. Mais comment un embryon développe-
t-il son asymétrie originelle, fondamentale, déterminant où est la tête et où
est la queue ?
À la fin des années 1980, Nüsslein-Volhard et ses étudiants se lancèrent
dans la caractérisation d'un dernier groupe de mutants de la mouche où
l'organisation asymétrique du corps de l'embryon était abrogée. Ces
mutants, souvent dépourvus de tête ou de queue, cessaient leur
développement bien avant la segmentation (et donc a fortiori avant la
croissance des structures et des organes). Chez certains, l'avant était
malformé. Chez d'autres, l'avant et l'arrière ne pouvaient pas être distingués,
produisant des embryons étranges en miroir (le plus connu de ces mutants
fut appelé bicoïd, soit « à deux queues »). Les mutants manquaient
clairement d'un facteur, une substance chimique, capable de déterminer
l'avant de l'arrière. En 1986, dans une expérience étonnante, les étudiants de
Nüsslein-Volhard apprirent à piquer un embryon normal avec une
minuscule aiguille, à y prélever un peu de liquide de la tête et à le
transplanter dans un mutant sans tête. Chose incroyable, cette chirurgie
cellulaire fonctionna. Un peu de liquide de la tête normale suffisait à forcer
un embryon à former une tête à la place de sa queue.
Dans une série d'articles novateurs publiés entre 1986 et 1990, Nüsslein-
Volhard et ses collègues identifièrent plusieurs facteurs apportant les
signaux pour les caractères tête et queue dans l'embryon. Nous savons
maintenant qu'environ huit d'entre eux, des protéines pour la plupart, sont
fabriqués par la mouche au cours du développement de l'œuf et y sont
déposés de manière asymétrique. Ces facteurs maternels sont fabriqués et
placés dans l'ovule par la femelle. Ce dépôt asymétrique est rendu possible
par le fait que l'ovule lui-même est placé asymétriquement dans l'organisme
de la mère, ce qui permet à la femelle de déposer dans l'ovule des facteurs
maternels du côté de la future tête ou de la future queue.
Ces protéines créent un gradient au sein de l'ovule. Comme le sucre
diffusant dans une tasse de café, ils sont plus concentrés à un bout de l'ovule
qu'à l'autre. La diffusion d'une substance chimique à travers une matrice de
protéine peut même créer un motif distinct à trois dimensions, comme un
ruban de miel se déversant dans du porridge. Des gènes spécifiques se
trouvent activés aux fortes concentrations du facteur, ce qui définit l'axe
tête-queue ou d'autres motifs de l'architecture embryonnaire.
Ce processus se répète à l'infini, comme l'histoire de l'œuf et de la poule.
Les mouches avec une tête et une queue font des œufs polarisés, qui font
des embryons avec un avant et un arrière, qui se développent en adultes
avec une tête et une queue, et ainsi de suite à l'infini. Ou au niveau
moléculaire : des protéines sont déposées préférentiellement à un bout de
l'ovule par la mère. Ils activent ou répriment l'expression de gènes,
définissant ainsi l'axe tête-queue de l'embryon. Ces gènes activent à leur
tour les gènes « ordonnateurs » qui déterminent les segments et divisent
l'organisme en grands domaines. Ces derniers gènes activent et répriment
des gènes qui déterminent la fabrication des organes et des structures 4.
Finalement, ces gènes de formation des organes et de l'identité des
segments activent ou réduisent au silence les sous-routines pour permettre
la création effective des organes et des structures de l'organisme.
Le développement de l'embryon humain se réalise probablement par des
niveaux similaires d'organisation. Comme avec la mouche, les gènes « à
effet maternel » organisent les principaux axes de l'embryon précoce – la
tête d'un côté et la queue de l'autre, le dessus et le dessous, la droite et la
gauche – à l'aide de gradients chimiques. Puis une série de gènes analogues
à ceux de la segmentation chez la mouche lancent la division dans
l'embryon de ses grandes parties structurales, avec le système nerveux, le
squelette, la peau, le tube digestif, et ainsi de suite. Finalement, des gènes
d'organogenèse permettent la construction des organes et structures tels que
les membres, les doigts, les yeux, les reins, le foie et les poumons. « Est-ce
le péché qui fait du ver une nymphe et de la nymphe un papillon et du
papillon de la poussière ? » se demandait le théologien allemand Max
Müller en 1885 5. Un siècle plus tard, la biologie apportait une réponse. Ce
n'était pas le péché, mais une rafale de gènes.

Dans le classique de la littérature pour enfants Pouce par pouce de Leo


Lionni 6, un minuscule ver de terre est épargné par un rouge-gorge parce
que le ver lui promet d'utiliser son corps long d'un pouce comme étalon de
mesure. Le ver mesure la queue du rouge-gorge, le bec du toucan, le cou du
flamant rose et les pattes du héron, le monde des oiseaux gagnant ainsi son
premier anatomiste comparatif.
Les généticiens ont eux aussi appris l'utilité des petits organismes pour
mesurer, comparer et comprendre des choses bien plus grandes. Mendel
avait écossé des seaux de petits pois, Morgan mesuré le taux de mutation
des mouches. Les sept cents minutes pleines de suspense entre la naissance
d'un embryon de mouche et la création de ses premiers segments – peut-être
la période de temps la plus intensément scrutée dans l'histoire de la biologie
– avaient permis de résoudre en partie l'un des plus importants problèmes
de la biologie, à savoir comment l'activité des gènes pouvait être orchestrée
pour créer un organisme complexe à partir d'une seule cellule.
Il fallut un organisme encore plus petit, un ver de moins d'un pouce, pour
résoudre la seconde moitié de l'énigme : comment les cellules issues de
l'embryon « savaient-elles » ce qu'elles allaient devenir ? Les
embryologistes de la mouche avaient décrit à grands traits le
développement d'un organisme avec le déploiement de ses trois phases, la
détermination des axes, la formation des segments et la construction des
organes, chacune gouvernée par une cascade de gènes. Mais pour
comprendre le développement embryologique à un niveau plus profond, les
généticiens devaient élucider la façon dont les gènes pouvaient gouverner la
destinée des cellules individuelles.
Au milieu des années 1960, à Cambridge, Sydney Brenner se mit en
quête d'un organisme qui pourrait l'aider à résoudre l'énigme de la
détermination du sort des cellules. Aussi minuscule qu'elle pouvait être,
même la mouche avec « ses yeux composés, des pattes articulées et ses
comportements élaborés » était bien trop grosse pour lui. Pour comprendre
comment les gènes déterminent le sort des cellules dans l'organisme, il lui
fallait un organisme tellement petit et simple que toutes les cellules de son
embryon puissent être dénombrées, et que chaque cellule puisse être suivie
dans le temps et l'espace (en guise de comparaison, un corps humain
comporte environ 37 mille milliards de cellules et une cartographie de leur
devenir dépasserait la capacité des plus puissants ordinateurs actuels).
Brenner devint un amateur d'organismes minuscules, un dieu des petits
riens 7. Il se plongea dans les vieux livres de zoologie du XIXe siècle pour
trouver un animal qui puisse répondre à ses exigences. Il finit par le trouver
sous la forme d'un minuscule ver du sol appelé Caenorhabditis elegans, ou
C. elegans. Les zoologistes avaient noté que ce ver est eutélique : une fois
adulte, chaque ver a un nombre fixe de cellules. Pour Brenner, la constance
de ce nombre était comme la clé d'un nouvel univers : si chaque ver avait
exactement le même nombre de cellules, les gènes devaient pouvoir
spécifier la position de chacune dans l'organisme. « Nous proposons
d'identifier chaque cellule du ver et d'établir son lignage, écrit-il alors à
Perutz 8. Nous enquêterons aussi sur la constance du développement et
étudierons son contrôle génétique en recherchant des mutants. »
Le comptage des cellules débuta vraiment au début des années 1970.
Tout d'abord, Brenner convainquit John White, un chercheur de son
laboratoire, de cartographier l'emplacement de chaque cellule du système
nerveux du ver, mais il élargit bientôt cet objectif à toutes les cellules de
l'animal. John Sulston, un chercheur post-doctoral, fut recruté pour cette
tâche et il fut rejoint en 1974 par un jeune biologiste fraîchement issu de
Harvard, Robert Horvitz.
Ce fut un travail épuisant, propre à susciter des hallucinations. C'était
comme « regarder une coupe remplie de centaines de raisins 9 » pendant
des heures d'affilée se rappelait Horvitz, puis de localiser chaque raisin dans
le temps et l'espace quand il changeait de position. Cellule après cellule, un
atlas complet du destin de chaque cellule fut établi. Les vers adultes se
présentent sous deux formes, les mâles et les hermaphrodites. Les premiers
ont 1 031 cellules, les seconds 959. À la fin des années 1970, la lignée de
chacune des 959 cellules avait été reconstituée jusqu'à la cellule œuf
initiale. C'était aussi une carte, bien qu'elle fût d'un genre unique dans
l'histoire des sciences : une carte du destin. Les expériences sur les lignées
et l'identité des cellules pouvaient commencer.

Cette carte cellulaire avait des caractéristiques étonnantes. La première


était son invariance. Chacune des 959 cellules de chaque ver hermaphrodite
apparaissait d'une manière stéréotypée très précise. « Vous pouviez voir la
carte et récapituler la construction d'un organisme cellule par cellule », dit
Horvitz. On pouvait dire : « Dans douze heures, cette cellule va se diviser
une fois, et dans quarante-huit heures elle va devenir un neurone et rester là
le restant de sa vie. Et vous aviez parfaitement raison, la cellule faisait
exactement cela. Elle se déplaçait exactement à l'endroit prévu, et
exactement au moment dit. »
Qu'est-ce qui déterminait l'identité de chaque cellule ? À la fin des années
1970, Horvitz et Sulston avaient créé des dizaines de vers mutants où des
lignées cellulaires étaient perturbées. Si les mouches pouvaient paraître
étranges en portant des pattes sur leur tête, les vers mutants présentaient une
ménagerie encore plus bizarre. Chez certains, par exemple, les gènes qui
déterminent le développement de la vulve, l'organe qui forme le débouché
de l'utérus, étaient défaillants. Les œufs pondus par le ver ne pouvaient
quitter l'organisme de leur mère et le ver était littéralement englouti vivant
par sa propre progéniture non née, à l'image d'un monstre de la mythologie
teutonne. Les gènes altérés dans ces mutants déterminaient l'identité d'une
cellule individuelle de la vulve. D'autres gènes contrôlaient le temps mis par
une cellule pour en donner deux, son mouvement vers un endroit particulier
dans l'organisme, ou sa forme et sa taille finale chez l'animal adulte.
« Il n'y a pas d'histoire à proprement parler, seulement des biographies »,
a écrit Emerson 10. Pour le ver, certainement, l'histoire se trouvait résumée à
des biographies cellulaires. Chaque cellule savait ce qu'elle devait « être »
parce que des gènes lui avaient dit ce qu'elle devait « devenir » (ainsi que
où et quand). L'anatomie du ver n'était plus qu'une horloge génétique où il
n'y avait plus de hasard, de mystère, d'ambiguïté et de destinée. Cellule par
cellule, un animal était assemblé sur des instructions génétiques. La
génération, l'ontogenèse, n'était plus que l'action des gènes.

L'orchestration si raffinée de la naissance, la position, la forme, la taille et


l'identité de chaque cellule était déjà remarquable, mais la série finale de
vers mutants conduisit à une révélation plus remarquable encore. Au début
des années 1980, Horvitz et Sulston commencèrent à découvrir que même
la mort des cellules était gouvernée par des gènes. Chaque adulte
hermaphrodite a 959 cellules, mais si l'on faisait le compte précis de toutes
les cellules générées au cours de son développement, on arrivait à un total
de 1 090 cellules. C'était une petite différence, mais elle ne cessait de
fasciner Horvitz : 131 cellules avaient en quelque sorte disparu 11. Elles
avaient été produites au cours du développement, mais ensuite tuées au
cours de la maturation du ver. Ces cellules étaient les naufragées du
développement, les enfants perdus de l'ontogenèse. Lorsque Sulston et
Horvitz utilisèrent leurs cartes des lignées pour débusquer la mort des 131
cellules, ils trouvèrent que seules des cellules bien précises, produites à des
moments précis, étaient tuées. C'était une purge sélective : comme pour tout
le reste du développement du ver, rien n'était laissé au hasard. La mort de
ces cellules, ou plutôt leur suicide planifié, assumé, semblait elle aussi
génétiquement « programmée ».
Une mort programmée ? Les généticiens étaient justement confrontés à la
vie programmée du ver. La mort était-elle aussi contrôlée par des gènes ?
En 1972, John Kerr, un pathologiste australien, avait observé un type
similaire de mort cellulaire dans des tissus normaux et cancéreux. Jusqu'aux
observations de Kerr, les biologistes pensaient la mort comme un processus
largement accidentel dû à un traumatisme, une blessure ou une infection : le
résultat est généralement une nécrose, littéralement un « noircissement ».
La nécrose s'accompagne typiquement de la décomposition des tissus, avec
formation de pus ou développement d'une gangrène. Mais Kerr avait
remarqué que dans certains tissus, les cellules qui mouraient semblaient
activer des changements structurels spécifiques en anticipant la mort,
comme si elles lançaient une « sous-routine de la mort ». Les cellules
mourantes ne provoquaient pas de gangrène, de plaies purulentes ou
d'inflammation, elles prenaient un aspect translucide, nacré, comme des lys
dans un vase avant de faner. Si la nécrose prenait le noir, cette mort-là
mettait un blanc. Kerr eut le pressentiment que ces deux formes de décès
étaient fondamentalement différentes. Cet « effacement contrôlé de la
cellule, comme il l'écrivait, est un phénomène actif, programmé de façon
inhérente », contrôlé par des « gènes de la mort ». Cherchant un mot
capable de décrire ce processus, il l'appela apoptose, mot grec évocateur
désignant la chute des feuilles des arbres ou des pétales des fleurs 12.
Mais à quoi pouvaient bien ressembler ces « gènes de la mort » ? Horvitz
et Sulston firent une autre série de mutants, altérés non dans le destin d'une
lignée de cellules mais dans le motif des morts cellulaires programmées.
Chez un mutant, le contenu des cellules mortes ne pouvait être réduit
adéquatement en morceaux. Chez un autre mutant, les cellules mortes
n'étaient pas éliminées de l'organisme 13, avec pour résultat des carcasses de
cellules jonchant les bords de l'embryon, comme Naples un jour de grève
des éboueurs. Horvitz supposa que les gènes altérés chez ces mutants
servaient à exécuter, nettoyer et éliminer les cadavres dans le monde
cellulaire : il tenait les acteurs de cette pièce morbide.
Le groupe suivant de mutants présentait des distorsions encore plus
spectaculaires de la mort cellulaire. Les cadavres n'apparaissaient même
pas. Chez un ver, les 131 cellules restaient vivantes. Chez un autre,
certaines cellules échappaient à la mort. Les étudiants de Horvitz
nommèrent ces vers mutants the undead ou wombies pour « vers zombies 14
». Les gènes inactivés dans ces vers étaient des maîtres régulateurs de la
cascade de la mort cellulaire. Horvitz les appela les gènes ced pour C.
elegans death.
Ce qui est remarquable, c'est que l'on découvrit peu après l'implication de
plusieurs de ces gènes dans des cancers humains. Les cellules humaines ont
aussi des gènes qui orchestrent leur mort par apoptose. Nombre de ces
gènes étant très anciens dans l'évolution, leur structure comme leur fonction
sont proches de ceux retrouvés chez le ver ou la mouche. En 1985, le
biologiste du cancer Stanley Korsmeyer découvrit qu'un gène appelé BCL2
était muté de façon récurrente dans les lymphomes* *. On s'est ensuite rendu
compte que BCL2 était l'homologue de ced9, un gène de régulation de la
mort cellulaire découvert par Horvitz. Chez le ver, ced9 empêche la mort de
la cellule en séquestrant les protéines chargées de l'exécution (d'où le nom
de cellules « mort-vivantes » chez les mutants du ver). Chez l'homme,
l'activation de BCL2 bloque également la cascade de la mort, créant une
cellule pathologiquement incapable de mourir, autrement dit cancéreuse.

Mais le sort de chaque cellule dans le ver est-il dicté par les gènes, et
seulement eux ? Horvitz et Sulston ont découvert que parfois, certaines
cellules 15, de rares paires, pouvaient choisir un sort ou l'autre de façon
aléatoire, comme si elles tiraient à la courte paille. Le sort de ces cellules
n'était pas déterminé par les gènes mais par leur entourage. Deux
biologistes du ver qui travaillaient dans le Colorado, David Hirsch et Judith
Kimble, appelèrent ce phénomène l'ambiguïté naturelle.
Mais Kimble a ensuite trouvé que même cette ambiguïté naturelle est
fortement contrainte 16. L'identité d'une cellule ambiguë étant régulée par
des signaux provenant des cellules voisines, comme ces dernières sont
elles-mêmes génétiquement préprogrammées, que reste-t-il d'ambigü ? Le
dieu des Vers avait de toute évidence laissé de minuscules interstices au
hasard dans le développement du ver mais il n'allait pas jusqu'à jouer aux
dés.
Un ver se construisait donc avec deux types d'information, l'une
« intrinsèque » venant des gènes, l'autre « extrinsèque » venant des
interactions cellulaires. Pour rire, Brenner appela la première le « modèle
britannique » et la seconde le « modèle américain ». La britannique, écrivait
Brenner 17, « était de mener ses propres affaires sans trop parler à ses
voisins. Ce qui compte, ce sont les ancêtres et une fois qu'une cellule est
née à une certaine place, elle y reste et se développe en suivant des règles
rigides. L'américaine est carrément à l'opposé. Les ancêtres ne comptent pas
[…] Ce qui compte, ce sont les interactions avec les voisins. La cellule
échange souvent avec ses collègues et se déplace souvent pour atteindre son
objectif et trouver la bonne place ».
Qu'allait-il se passer si le hasard – le coup du sort – était introduit de
force dans la vie d'un ver ? En 1978, Kimble déménagea à Cambridge et
commença à étudier les effets de perturbations aiguës sur le sort des
cellules 18. Elle utilisait un rayon laser pour tuer une seule cellule à la fois
dans l'organisme du ver. Il s'avéra que l'ablation d'une cellule pouvait
changer le sort d'une voisine, mais dans des limites très étroites. Les
cellules qui étaient déjà génétiquement prédéterminées n'avaient presque
aucune marge pour changer leur destinée. Les cellules qui étaient
« naturellement ambiguës », au contraire, avaient plus de souplesse mais
leur capacité à changer de destinée restait limitée. Des signaux extérieurs
pouvaient modifier le déterminisme intrinsèque, mais jusqu'à un certain
point seulement. Le hasard jouait un rôle dans le monde microscopique des
vers, mais il était sévèrement contraint par les gènes. Le gène était une
lentille au travers de laquelle le hasard était filtré et réfracté.

La découverte des cascades de gènes qui gouvernent la vie et la mort de


la mouche et du ver fut une révélation pour les embryologistes, mais leur
influence sur la génétique fut tout aussi importante. En résolvant l'énigme
de Morgan, « Comment les gènes déterminent-ils une mouche ? », les
embryologistes avaient aussi trouvé la réponse à un mystère bien plus
profond, celui de la manière dont les unités héréditaires généraient
l'étourdissante complexité des organismes.
Cette réponse se trouvait dans l'organisation et l'interaction. Un seul gène
maître régulateur peut coder une protéine à la fonction assez limitée : un
interrupteur pour activer ou inactiver une douzaine d'autres gènes cibles par
exemple. Mais supposez que son activité dépende de sa concentration dans
la cellule et qu'elle puisse se répartir en gradient dans tout le corps de
l'organisme avec une concentration élevée à un bout et faible à l'autre
extrémité. Cette protéine peut agir sur douze cibles d'un côté, sur huit dans
un autre segment, et seulement trois sur un autre. Chaque combinaison de
gènes cibles (douze, huit et trois) peut alors se croiser avec les gradients
d'autres protéines, activant ou réprimant encore d'autres gènes. Ajoutez à
cela les dimensions du temps et de l'espace et vous commencez à construire
des formes très élaborées. En mélangeant et en faisant correspondre des
hiérarchies, des gradients, des bascules et des circuits de gènes et de
protéines, un organisme peut créer la complexité que l'on observe dans son
anatomie et sa physiologie.
Comme un scientifique l'a exprimé 19, « les gènes individuels ne sont pas
particulièrement intelligents, celui-là ne s'occupe que de cette molécule, cet
autre de seulement cette autre… mais cette simplicité n'est pas un obstacle à
la construction d'une énorme complexité. Si vous pouvez construire une
colonie de fourmis avec juste quelques types distincts d'individus pas très
compliqués (ouvrières, mâles, et autres), pensez à ce que vous pouvez faire
avec 30 000 gènes en cascade déployés à volonté ».
Le généticien français Antoine Danchin s'est un jour servi de la parabole
de la barque de Delphes pour décrire le processus par lequel des gènes
individuels peuvent produire la complexité observée dans le monde
naturel 20. Dans l'histoire, il est demandé à l'oracle de Delphes de considérer
une barque sur une rivière dont les planches commencent à pourrir. Celles-
ci sont remplacées l'une après l'autre, et au bout de dix ans il ne reste plus
rien du bateau d'origine. Pourtant, son propriétaire est convaincu de
toujours avoir la même barque. Comment peut-elle rester la même alors
qu'elle a été entièrement renouvelée ?
La réponse réside dans le fait que la « barque » n'est pas faite de planches
mais d'une relation entre les planches. Si vous clouez une centaine de
planches l'une sur l'autre, vous obtenez un mur. Si vous les clouez côte à
côte, vous avez un plancher. Seule une certaine configuration des planches,
maintenues dans une relation particulière, dans un ordre particulier, fait une
barque.
Les gènes agissent de la même manière. Chaque gène remplit une
fonction qui lui est propre, mais c'est la relation entre tous les gènes qui
rend la physiologie possible. Le génome est inerte sans ces relations. Les
hommes et les vers ont beau avoir à peu près le même nombre de gènes,
autour de vingt mille, le fait que seul le premier de ces deux organismes
peut peindre la Chapelle Sixtine suggère que ce nombre de gènes n'a que
peu de rapport avec la complexité physiologique. Ce qui est important, « ce
n'est pas ce que vous avez, c'est ce que vous en faites », comme m'a dit une
fois un professeur de samba.

Peut-être que la métaphore la plus utile pour expliquer la relation entre


gènes, formes et fonctions est celle qu'a proposée le biologiste de
l'évolution et écrivain Richard Dawkins. Certains gènes, suggère
Dawkins 21, se comportent comme de vrais modèles. Un modèle, poursuit-il,
est un plan architectural ou mécanique précis, avec une correspondance un-
à-un entre les élément du plan et ceux de la structure qu'il code. Une porte
est représentée à une échelle réduite exactement de vingt fois, la charnière
qui y est dessinée sera placée exactement au milieu de l'axe de la porte, etc.
Les gènes « modèle » contiennent, dans la même logique, des instructions
pour construire une structure (ou protéine). Le gène du facteur VIII code
une unique protéine dont la principale fonction est d'être un agent de la
coagulation. Des mutations dans ce facteur sont semblables à des erreurs
dans le modèle. Leur effet, comme une poignée de porte absente, est
parfaitement prévisible. La mutation du gène du facteur VIII entraîne une
défaillance de la coagulation du sang, avec pour conséquence directe des
saignements très faciles.
La plupart des gènes, toutefois, ne se comportent pas comme des
modèles. Ils ne spécifient pas la construction d'une seule structure mais
collaborent plutôt avec une cascade d'autres dans la réalisation de fonctions
physiologiques complexes. Ces gènes, avance Dawkins, sont plutôt des
recettes. Dans la recette pour un gâteau, par exemple, cela ne sert à rien de
penser que le sucre indique le « sommet » du gâteau et la farine le « fond ».
En général, il n'y a pas de correspondance un-à-un entre une composante de
la recette et une structure. Une recette fournit des instructions pour un
processus.
Le gâteau sera une conséquence développementale de la réunion du
sucre, du beurre et de la farine dans les bonnes proportions, à la bonne
température et au bon moment. La physiologie, par analogie, est une
conséquence développementale de certains gènes combinés à d'autres dans
la bonne séquence et le bon espace. Un gène est une ligne dans la recette
d'un organisme. Le génome humain est la recette de l'homme.

Au début des années 1970, alors que les biologistes commençaient à


décrypter les mécanismes par lesquels sont déployés les gènes pour générer
l'étourdissante complexité des organismes, ils furent aussi confrontés à
l'inévitable question de la manipulation intentionnelle des gènes dans les
êtres vivants. En avril 1971, les Instituts nationaux de la santé (NIH)
américains organisèrent une conférence pour savoir si l'introduction de
changements génétiques délibérés dans les organismes était concevable
dans un avenir proche. Cet événement, intitulé d'une façon un peu
provocante « Prospects for Designed Genetic Change 22 », avait pour but
d'informer le public sur les possibilités de manipulation génétique chez
l'homme et de considérer les implications sociales et politiques de telles
techniques.
Aucune méthode pour manipuler des gènes n'était disponible en 1971,
même dans des organismes simples, précisaient les organisateurs, mais ils
ne doutaient pas que le développement de telles méthodes n'allait pas tarder.
« Ce n'est pas de la science-fiction, déclara un généticien. La science-
fiction, c'est quand vous […] ne pouvez rien faire expérimentalement […] il
est maintenant concevable que non pas dans 100 ans, ni 25 ans, mais peut-
être dans les cinq ou dix prochaines années, certaines erreurs innées…
seront traitées ou guéries par l'ajout du gène manquant, et il reste beaucoup
à faire pour préparer la société à un tel changement ».
Si de telles techniques étaient inventées, continuaient les participants du
colloque, cela aurait d'immenses conséquences car la recette des
instructions humaines pourrait être réécrite. Les mutations génétiques ont
été retenues sur des millénaires, fit remarquer un scientifique, mais des
mutations culturelles peuvent être introduites et sélectionnées en quelques
années. La capacité à introduire de tels « changements génétiques
intentionnels » chez l'homme pouvait amener des modifications génétiques
à la vitesse du changement culturel. Des maladies humaines pourraient être
éliminées, l'histoire d'individus et de familles changée à jamais. La
technologie génétique bouleverserait nos notions d'hérédité, d'identité, de
maladie et d'avenir. Comme le soulignait alors Gordon Tomkins, biologiste
à l'université de Californie San Francisco : « Pour la première fois, un grand
nombre de personnes commencent à se demander : que faisons-nous ? »

Un souvenir : nous sommes en 1978 ou 1979 et j'ai huit ou neuf ans. Mon
père est de retour d'un voyage d'affaires. Ses bagages sont encore dans la
voiture et un verre de glaçons est en train de fondre sur un plateau posé sur
la table de la salle à manger. C'est l'un de ces après-midi étouffant à Delhi
où les ventilateurs de plafond semblent juste brasser dans toute la pièce la
chaleur qui n'en devient que plus insupportable.
Mon père pénètre dans le salon et des hommes discutent quelques
minutes avec lui. J'ai l'impression que ce n'est pas une discussion très
agréable. Leurs voix s'élèvent et les mots deviennent menaçants. Je ne peux
capter le sens de la plupart des phrases à travers le mur de la pièce voisine
où je suis censé faire mes devoirs.
Jagu leur a emprunté de l'argent à tous les deux, pas une grosse somme
mais suffisamment pour qu'ils soient venus demander à être remboursés.
Jagu avait dit à l'un des hommes qu'il avait besoin de cette somme pour se
payer ses médicaments (on ne lui en avait jamais prescrits), et à l'autre qu'il
lui fallait cet argent pour acheter un billet de train pour aller à Calcutta voir
ses autres frères (aucun voyage de ce type n'était prévu, Jagu n'aurait pu
voyager seul). « Vous devriez apprendre à le contrôler », lui dit l'un des
hommes sur un ton accusateur.
Mon père écoute en silence, patiemment, mais je pouvais sentir monter la
rage en lui. Il se dirige vers l'armoire métallique où il garde de l'argent et en
rapporte aux deux hommes en précisant de ne pas compter les billets. Il
peut donner quelques roupies de plus, ils peuvent garder la monnaie.
Lorsque les hommes sortent, je sais qu'il va y avoir une pénible
altercation à la maison. Avec l'instinct sûr des animaux sauvages qui fuient
dans les terres avant un tsunami, notre cuisinier a quitté la cuisine pour
appeler ma grand-mère. L'atmosphère s'était progressivement tendue entre
mon père et Jagu. Le comportement de ce dernier à la maison avait été
particulièrement perturbant ces dernières semaines et cet épisode semble
avoir mis mon père à bout. Son visage est devenu rouge d'embarras. Le
vernis de classe et de fragile normalité qu'il avait tant de mal à garder s'est
brutalement fissuré et la vie secrète de sa famille est apparue au grand jour.
Désormais, les voisins sont au courant de la folie de Jagu, de ses
divagations. Mon père a perdu tout prestige à leur yeux : il est nul, radin,
sans cœur, idiot, incapable de contrôler son frère. Ou pire : souillé par une
maladie mentale qui frappe sa famille.
Il va dans la chambre de Jagu et l'arrache de son lit. Jagu gémit avec un
air désolé, comme un enfant qui serait puni pour une grave faute qu'il ne
comprend pas. Mon père est livide, fou de colère, dangereux. Il le bouscule
à travers la pièce. C'est un acte de violence inconcevable de sa part, lui qui
n'a jamais fait le moindre effort à la maison. Ma sœur monte se cacher en
courant. Ma mère est dans la cuisine, en pleurs. J'assiste à la scène de plus
en plus terrible, caché derrière les rideaux du salon, comme si je voyais un
film au ralenti.
Et soudain, ma grand-mère fait irruption dans sa chambre, féroce comme
une louve. Elle crie contre mon père, plus violente encore. Ses yeux
étincellent, sa langue pleine de fiel. Tout crie en elle : ne le touche pas.
« Va-t'en », lance-t-elle à Jagu qui s'esquive rapidement derrière elle.
Je ne l'ai jamais vue dans un tel état. Elle rugit. Son bengali se perd,
régresse, renoue avec ses origines villageoises. Malgré l'accent et l'idiome,
je peux saisir certains mots, lancés comme des missiles : ventre, laver,
tache. Lorsque je les réunis en une phrase, le poison apparaît, infiniment
pernicieux : si tu le frappes, j'irai laver mon ventre avec de l'eau pour
effacer ta tache. Je laverai mon ventre, dit-elle.
Mon père a aussi fondu en larmes à présent. Sa tête penche lourdement. Il
semble tellement fatigué. Lave-le, dit-il dans sa barbe, sur un ton implorant.
Lave-le, nettoie-le, lave-le.
PARTIE 3
« LE RÊVE DES GÉNÉTICIENS »
Le séquençage et le clonage des gènes
(1970 – 2001)

« Le progrès en science dépend des nouvelles techniques, des


nouvelles découvertes et des nouvelles idées, probablement dans cet
ordre 21. »
Sydney Brenner

« Si nous sommes dans le vrai… il est possible d'induire des


changements prévisibles et héréditaires dans les cellules. C'est quelque
chose qui est depuis longtemps le rêve des généticiens 22. »
Oswald T. Avery
« Crossing over »

« Quel ouvrage est un homme ! Si noble en raison,


Si infini en facultés, dans la forme et le mouvement si expressif et
admirable,
En action tellement comme un ange, en compréhension tellement
comme un dieu ! »
William Shakespeare, Hamlet, acte 2, scène 2.

Au cours de l'hiver 1968, Paul Berg revint à Stanford après onze mois de
congés sabbatiques passés à l'Institut Salk, à La Jolla en Californie. Berg
avait quarante et un ans. Charpenté comme un athlète, il marchait en roulant
des épaules. Ses attitudes trahissaient parfois son enfance à Brooklyn, la
manière par exemple qu'il avait de lever la main et de commencer une
phrase avec le mot look lorsqu'il devait répondre dans un débat scientifique.
Il admirait les artistes, notamment les peintres, et plus précisément les
expressionnistes abstraits : Pollock, Diebenkorn, Newman et Frankenthaler.
Il était fasciné par leur transmutation du vieux vocabulaire pictural en
nouveau, leur capacité à reprendre les éléments essentiels de l'abstraction
comme la lumière, les lignes, les formes, pour créer des toiles géantes où
battait une vie extraordinaire.
Biochimiste de formation 1, Berg avait étudié avec Arthur Kornberg à
l'université Washington de St. Louis et l'avait ensuite suivi lorsque ce
dernier avait monté le nouveau département de biochimie à Stanford. Berg
avait passé l'essentiel de sa carrière universitaire à étudier la synthèse des
protéines, mais l'année passée à La Jolla lui avait donné l'occasion de
réfléchir sur de nouveaux thèmes. Perché sur un plateau au-dessus du
Pacifique, souvent isolé dans un épais brouillard matinal, l'Institut Salk était
comme une cellule de moine en plein air. Berg avait alors travaillé avec le
virologue Renato Dulbecco sur les virus d'animaux. Il avait passé ce séjour
à étudier les gènes, les virus et la transmission de l'information héréditaire.
Un virus intriguait particulièrement Berg, le Simian Virus 40, ou SV40,
« simien » parce qu'il infecte les cellules de singe comme les cellules
humaines. D'un point de vue conceptuel, chaque virus est un professionnel
du transport de gène. Les virus ont une structure simple. Ils ne sont souvent
rien de plus qu'un ensemble de gènes dans une gaine, « un paquet de
mauvaises nouvelles enveloppé dans des protéines » comme les décrivait
l'immunologiste Peter Medawar 2. Lorsque le virus entre dans une cellule, il
sort de son étui et commence à utiliser la machinerie cellulaire pour copier
ses gènes, faire une nouvelle gaine et produire finalement des millions de
virus qui bourgeonneront hors de la cellule. Les virus ont ainsi réduit leur
cycle de vie au minimum. Ils vivent pour infecter et se reproduire. Ils
infectent et se reproduisent pour vivre.
Même dans un monde où seul l'essentiel est gardé, le SV40 est un virus
de l'extrême. Son génome est un minuscule fragment d'ADN six cent mille
fois plus petit que le génome humain. Il ne porte que sept gènes au lieu des
21 000 chez l'homme. Berg avait appris que SV40, contrairement à nombre
de virus, peut coexister pacifiquement dans certains types de cellules 3.
Dans ce cas, au lieu de produire des millions de nouveaux virions comme le
font les autres virus, souvent au prix de la mort de la cellule hôte, le SV40
s'insère dans l'ADN d'un chromosome de la cellule et rentre dans une
période de repos jusqu'à son activation par des signaux spécifiques.
Le degré élevé de compaction du génome du SV40 et l'efficacité avec
laquelle il pouvait s'introduire dans les cellules en faisaient un véhicule
idéal pour transporter des gènes dans les cellules humaines. Berg n'avait
plus qu'une idée en tête. S'il pouvait équiper le SV40 avec un gène
« étranger » (du moins pour le virus), le génome viral ferait passer ce gène
dans la cellule humaine et modifierait alors son information héréditaire.
Cette performance ouvrirait alors en grand de nouvelles possibilités à la
génétique. Mais avant de pouvoir envisager une telle modification du
génome, Berg devait surmonter un défi technique. Il avait besoin d'une
méthode pour insérer un gène étranger dans un génome viral. Il avait à
fabriquer une « chimère » génétique, un hybride artificiel entre les gènes
viraux et le gène étranger.
Contrairement aux gènes humains qui s'alignent sur les chromosomes,
ceux du SV40 sont disposés sur un ADN circulaire. Le génome viral
ressemble à un collier. Quand le virus infecte une cellule humaine, il insère
ses gènes dans l'un des chromosomes de son hôte : le collier s'ouvre,
devient linéaire et s'attache au milieu du chromosome. Pour ajouter un gène
étranger, Berg devait ouvrir le collier, y insérer le nouvel ADN et refermer
le tout. Le génome viral pouvait ensuite se charger du reste, c'est-à-dire
porter le gène dans la cellule humaine et l'insérer dans un chromosome 4.
Berg n'était pas le seul biologiste à réfléchir à la possibilité d'introduire
un gène étranger dans l'ADN d'un virus. En 1969, un étudiant travaillant
dans le même bâtiment que Berg à Stanford, Peter Lobban, avait rédigé une
thèse où il avait proposé un type comparable de manipulation 5. Lobban
arrivait du MIT* * où il avait fait ses premières années universitaires. C'était
un ingénieur de formation, mais il l'était aussi et surtout par sa tournure
d'esprit. Lobban soutenait que les gènes n'étaient pas différents de barres de
fer qui pouvaient être retravaillées, modifiées, modelées en fonction des
spécifications humaines et utilisées ainsi par la suite. Le secret était de
trouver la bonne gamme d'outils pour faire le travail. Avec son directeur de
thèse, Dale Kaiser, il avait même lancé des expériences préliminaires avec
des enzymes courantes en biochimie pour essayer de transférer des gènes
d'une molécule d'ADN à une autre.
En fait, le vrai secret, comme Berg et Lobban l'avaient indépendamment
compris, était d'oublier que le SV40 était un virus et de traiter son génome
comme une simple substance chimique. Les gènes pouvaient encore être
« inaccessibles » en 1971, ce n'était plus le cas de l'ADN. Avery, après tout,
l'avait manipulé sous sa forme nue 6 et elle avait encore permis de
transmettre une information entre les bactéries. Kornberg avait ajouté des
enzymes à l'ADN et pu ainsi obtenir sa réplication in vitro. Pour insérer un
gène dans le génome de SV40, tout ce dont Berg avait besoin était une série
de réactions. Il lui fallait une enzyme pour ouvrir le génome circulaire, puis
une autre pour y « coller » la pièce rapportée d'ADN. Peut-être que le virus,
ou plutôt l'information qu'il contenait, allait ensuite revenir à la vie.

Mais où un scientifique pouvait-il trouver des enzymes qui coupent ou


collent de l'ADN ? La réponse, comme si souvent dans l'histoire de la
génétique, est venue du monde bactérien. Depuis les années 1960, les
microbiologistes purifiaient des enzymes de bactéries qui pouvaient être
utilisées pour manipuler l'ADN in vitro. Une cellule bactérienne, comme
toute cellule en fait, a besoin de sa propre « trousse à outil » pour
manœuvrer son ADN. À chaque fois qu'elle se divise, répare des gènes
endommagés, ou fait passer des gènes d'un chromosome à l'autre, il lui faut
des enzymes qui copient des gènes ou remplissent des lacunes dans l'ADN
dues à des lésions.
Le « raboutage » de deux fragments d'ADN faisait partie des réactions
accomplies par cette trousse à outils. Berg savait que même le plus primitif
des organismes possède cette capacité à recoller des gènes ensemble. Les
brins d'ADN peuvent être endommagés par différents agents comme les
rayons X. De telles lésions sur l'ADN se produisent couramment dans la
cellule. Pour réparer, la cellule utilise des enzymes pour recoller les
morceaux. L'une de ces enzymes, appelée « ligase » (du latin ligare, « lier
ensemble ») recoud chimiquement les deux morceaux d'un brin d'ADN,
restaurant ainsi l'intégrité du squelette sucre-phosphate. Parfois, une
enzyme qui copie l'ADN, une « polymérase », peut aussi être recrutée pour
remplir les lacunes et réparer un gène interrompu.
Les enzymes qui coupent l'ADN ont une origine plus particulière.
Pratiquement toutes les cellules ont des ligases et des polymérases pour
réparer leur ADN, mais il y a peu de raison pour qu'elles disposent
d'enzymes capables de couper l'ADN. En revanche, les bactéries,
organismes dont l'ADN est beaucoup plus exposé aux rigueurs de la vie –
dans des milieux où les ressources sont très limitées et où la compétition
pour survivre est intense – possèdent de telles enzymes pour se défendre
contre les virus. Elles les utilisent comme des couteaux pour découper en
tranches l'ADN des envahisseurs et s'en protéger. Ces enzymes sont dites de
« restriction » car elles restreignent l'infection par certains virus. Comme
des ciseaux moléculaires spécifiques, elles reconnaissent des séquences
précises dans l'ADN et le coupent à ces endroits seulement. Cette spécificité
est déterminante car, dans le monde moléculaire de l'ADN, une coupure
ciblée sur la jugulaire peut être létale. Un microbe peut paralyser son
envahisseur en lui coupant sa chaîne d'information.
Ces outils enzymatiques empruntés au monde microbien ont été à la base
des expériences de Berg. Il savait que les éléments cruciaux pour manipuler
les gènes se trouvaient dans cinq réfrigérateurs de cinq laboratoires
distincts. Il n'avait qu'à aller les voir, recueillir les enzymes et enchaîner les
réactions. Couper avec une enzyme, recoller avec une autre, et deux
fragments d'ADN pouvaient être réunis.
Berg comprenait les implications qu'avait la technique qu'il voulait
développer. Les gènes pourraient être combinés pour créer de nouveaux
gènes, ou de nouvelles combinaisons de gènes. Ils pourraient être modifiés,
mutés et transférés entre organismes. Le gène d'une grenouille pourrait être
inséré dans un génome viral puis inséré dans une cellule humaine. Un gène
humain pourrait être transféré dans des cellules bactériennes. Si cette
technologie était poussée à l'extrême, les gènes pourraient devenir
malléables à volonté. On pourrait créer de nouvelles mutations ou les
effacer. On pourrait même imaginer modifier l'hérédité d'organismes, les
nettoyer de leurs marques génétiques ou les changer à volonté. Pour
produire de telles chimères génétiques, se souvient Berg, « aucune des
procédures, des manipulations ou des réactifs utilisés pour construire cet
ADN recombinant n'étaient nouveaux. La nouveauté se trouvait dans la
manière dont ils étaient combinés 7 ». Ce qui était vraiment nouveau dans
cette avancée était la façon de couper et de coller des idées : la
recombinaison et l'association de techniques qui existaient déjà en
génétique depuis près d'une décennie.

Au cours de l'hiver 1970, Berg et David Jackson, un chercheur post-


doctoral de son laboratoire, commencèrent à essayer de couper et de joindre
deux morceaux d'ADN 8. Ces expériences étaient fastidieuses, « un
cauchemar de biochimiste » comme les décrivait Berg. L'ADN devait être
purifié, mélangé aux enzymes de restriction puis repurifié sur des colonnes
en chambre froide, ce processus étant répété jusqu'à ce que chaque réaction
ait lieu de manière optimale. Le problème était que les préparations
d'enzymes de restriction n'étaient pas de bonne qualité et que le rendement
de la coupure était très faible. Bien qu'il fût lui aussi aux prises avec ses
propres constructions de gènes hybrides, Lobban ne cessa de donner des
tuyaux techniques cruciaux à Jackson. Il avait trouvé une méthode pour
ajouter des fragments aux extrémités de molécules ADN pour les rendre
cohésives, ce qui permettait de les recoller ensuite spécifiquement. Ceci
augmentait énormément l'efficacité de formation de gènes hybrides.
Malgré de redoutables obstacles techniques, Berg et Jackson arrivèrent à
joindre dans le génome de SV40 un morceau d'ADN d'un virus bactérien
appelé le bactériophage lambda (ou phage λ) et trois gènes de la bactérie E.
coli.
Ce n'était pas rien. Bien que le phage λ et le SV40 soient tout deux des
« virus », ils sont aussi différents que, disons, un cheval et un hippocampe
(le SV40 n'infecte que les cellules de primate, le phage λ que des bactéries).
Et E. coli était une bête complètement différente, une bactérie de l'intestin
humain. Le résultat était une étrange chimère réunissant en un seul ADN
des gènes issus de branches très éloignées de l'arbre de l'évolution.
Berg appela ces hybrides de « l'ADN recombinant ». C'était une
expression bien trouvée, faisant écho au phénomène naturel de la
« recombinaison », la génération de gènes hybrides au cours de la
reproduction sexuée. Dans la nature, l'information génétique est souvent
mélangée et répartie entre les chromosomes pour produire de la diversité
génétique. Un morceau d'ADN sur le chromosome paternel peut échanger
sa place avec celui du chromosome maternel avec pour résultat un gène
hybride comportant une partie paternelle et une maternelle, phénomène que
Morgan avait appelé « crossing over » ou enjambement. Les hybrides
génétiques de Berg, produits avec les mêmes outils qui permettent de
couper, coller et réparer des gènes naturellement, étendaient ce principe au-
delà de la reproduction. Berg fabriquait aussi des gènes hybrides, quoiqu'à
partir de matériel génétique issu de différents organismes. C'était une
recombinaison sans reproduction. Berg entrait, d'une enjambée, dans un
nouvel univers de la biologie.

Schéma adapté de l'article de Paul Berg sur l'ADN « recombinant ». En combinant des gènes de différents organismes, les
scientifiques pouvaient manipuler les gènes à volonté, laissant augurer la possibilité d'une thérapie génique humaine et d'une
manipulation du génome humain.

Cet hiver-là, une étudiante nommée Janet Mertz décida de rejoindre le


laboratoire de Berg. Tenace, exprimant haut et fort ses opinions,
« diablement intelligente » comme la décrivait Berg, Mertz était une
anomalie dans le monde des biochimistes, la seconde femme à rejoindre le
département de biochimie de Stanford en presque dix ans. Comme Lobban,
Mertz venait aussi du MIT où elle avait passé ses diplômes d'ingénierie et
de biologie. Elle était intriguée par les expériences de Jackson et très attirée
par l'idée de synthétiser des chimères entre des gènes de différents
organismes.
Mais que pouvait-il se passer si elle retournait l'objectif de Jackson ?
Celui-ci avait inséré du matériel génétique d'une bactérie dans le génome du
SV40. Et si elle faisait un hybride génétique en introduisant des gènes de
SV40 dans le génome de E. coli ? Au lieu d'avoir un virus portant des gènes
bactériens, qu'allait-il se passer si elle créait une bactérie portant des gènes
viraux ?
L'inversion de logique, ou plutôt d'organismes, présentait un avantage
technique déterminant. Comme beaucoup de bactéries, E. coli porte de
minuscules chromosomes supplémentaires appelés minichromosomes ou
plasmides. Comme le génome de SV40, les plasmides existent sous la
forme d'un ADN circulaire et se répliquent au sein de la bactérie. Quand la
bactérie se divise et prolifère, les plasmides sont eux aussi répliqués. Si l'on
pouvait insérer des gènes de SV40 dans un plasmide d'E. coli, Mertz
comprit que cela pouvait être le moyen d'utiliser la bactérie comme une
« usine » de fabrication de nouveaux gènes hybrides. Avec la culture des
bactéries, le plasmide portant son gène étranger serait aussi amplifié un
grand nombre de fois. Cela finirait par produire des millions de répliques
exactes du morceau d'ADN, autrement dit des « clones » de celui-ci.

En juin 1971, Mertz alla suivre un cours à Cold Spring Harbor, près de
New York, sur les virus de cellules animales 9. Lors du séjour, les étudiants
devaient décrire le projet de recherche qu'ils désiraient poursuivre par la
suite. Au début de sa présentation, Mertz évoqua son intention de faire des
chimères génétiques de gènes de SV40 et de E. coli, et de propager ces
hybrides dans des cellules bactériennes.
Les présentations d'étudiants durant les cours d'été ne suscitent pas en
général un enthousiasme particulier. Pourtant, lorsque Mertz eut terminé
avec sa dernière diapositive, il était clair que ce n'était pas un banal exposé
d'étudiant. Il y eut un silence puis un déferlement de questions de la part des
étudiants et des enseignants. Avait-elle envisagé le risque lié à la production
de tels hybrides ? Et qu'allait-il se passer si ces hybrides qu'elle et Berg
s'apprêtaient à générer se retrouvaient dans la population humaine ?
Avaient-ils considéré les aspects éthiques liés à la fabrication de ces
nouveaux éléments génétiques ?
Immédiatement après la session de cours, Robert Pollack, un virologue et
l'un des enseignants sur place, appela Berg en urgence. Pollack avançait que
les dangers implicites dans « la rupture de barrières évolutives qui avaient
existé depuis le dernier ancêtre commun entre les bactéries et les gens »
étaient bien trop élevés pour qu'ils continuent leurs expériences comme si
de rien n'était.
La question était particulièrement délicate parce que le virus SV40 était
connu pour provoquer des tumeurs chez le hamster et que la bactérie E. coli
habite normalement l'intestin humain (les recherches actuelles suggèrent
que SV40 ne risque pas de provoquer un cancer chez l'homme, mais on
l'ignorait encore dans les années 1970). Et si Berg et Mertz finissaient par
concocter le type parfait de catastrophe génétique, une bactérie de l'intestin
humain portant un gène causant un cancer humain ? « On peut arrêter de
faire la fission de l'atome, on peut cesser d'aller sur la Lune, on peut stopper
l'utilisation d'un aérosol […] mais on ne peut rappeler une nouvelle forme
de vie, écrivit le biochimiste Erwin Chargaff 10. [Les nouveaux hybrides
génétiques] vont vous survivre, ainsi qu'à vos enfants et aux enfants de vos
enfants […] Le croisement de Prométhée avec Erostrate 11 va donner des
résultats nocifs ».
Berg passa des semaines à réfléchir aux motifs d'inquiétude soulevés par
Pollack et Chargaff. « Ma première réaction fut de trouver cela absurde. Je
ne voyais vraiment aucun risque à tout cela 12. » Les expériences furent
menées dans un local confiné, avec un équipement stérilisé. Le SV40
n'avait jamais été impliqué directement dans un cancer humain. En fait, de
nombreux virologues avaient été infectés par le SV40 sans qu'ils ne
développent de cancer. Exaspéré par l'hystérie publique permanente à ce
sujet, Dulbecco avait même proposé de boire du SV40 pour prouver qu'il
n'y avait aucun lien avec un quelconque cancer 13.
Mais ainsi poussé au bord d'un précipice potentiel, Berg ne pouvait se
permettre de prendre la chose à la légère. Il écrivit à plusieurs biologistes du
cancer et microbiologistes pour leur demander une opinion indépendante à
propos de ce risque. Dulbecco était inflexible au sujet de SV40, mais quel
scientifique pouvait estimer d'une manière réaliste un risque inconnu ? Pour
finir, Berg conclut que le biorisque était extrêmement faible, mais pas égal à
zéro. « En vérité, je savais que le risque était faible, a dit Berg, mais je ne
pouvais me convaincre qu'il n'y aurait aucun risque […] J'ai dû réaliser que
je m'étais complètement trompé de très nombreuses fois en prédisant le
résultat d'une expérience et que si je me trompais sur la réalité d'un risque,
les conséquences seraient quelque chose que je n'aurais pas aimé voir 14 ».
Berg s'imposa donc un moratoire sur ses propres activités jusqu'à ce qu'il ait
déterminé la nature précise de ce risque et le moyen de l'éviter. Dans
l'intervalle, les hybrides d'ADN contenant des morceaux du SV40 allaient
rester au fond des tubes à essai. Ils ne seraient pas introduits dans des
organismes vivants.
Mertz fit pendant ce temps une autre découverte cruciale. Le processus
de coupure et de collage de l'ADN tel qu'envisagé par Berg et Jackson
exigeait six laborieuses étapes enzymatiques. Mertz trouva un raccourci. En
utilisant une enzyme de coupure appelée EcoRI fournie par Herbert Boyer,
un microbiologiste à San Francisco, elle trouva que le même résultat
pouvait s'obtenir en deux étapes 15. « Janet a vraiment rendu les choses
beaucoup plus efficaces 16, se rappelle Berg. Désormais, en quelques
réactions chimiques, nous pouvions générer de nouveaux segments d'ADN
[…] Elle les coupait, les mélangeait, ajoutait l'enzyme qui les réunit bout à
bout et puis montrait qu'elle avait obtenu un produit ayant les propriétés des
deux matériaux initiaux ».

En novembre 1972, alors que Berg soupesait les risques liés à des
hybrides virus-bactérie, Herbert Boyer, le scientifique de San Francisco qui
avait donné des enzymes coupant l'ADN à Mertz, se rendit à Hawaï pour un
congrès de microbiologie. Né dans une ville minière de Pennsylvanie en
1936, Boyer avait découvert la biologie au lycée et grandit avec pour idéal
Watson et Crick (il avait donné leur nom à ses deux chats siamois). Il avait
postulé pour faire une école de médecine au début des années 1960, mais
n'avait pas été pris en raison d'une note trop faible en métaphysique. Il
s'était alors orienté vers des études de microbiologie.
Boyer était arrivé à San Francisco au cours de l'été 1966 avec la coupe
afro, le gilet en cuir typique et le short en jean, non comme étudiant mais
comme professeur assistant à l'université de Californie, San Francisco
(UCSF) 17. Une grande partie de son travail concernait l'isolement de
nouvelles enzymes coupant l'ADN, du type de celle qu'il avait envoyée au
laboratoire de Berg. Boyer avait entendu parler des expériences de Mertz
pour couper l'ADN et la simplification que cela représentait pour produire
des ADN hybrides.

Le congrès à Hawaï portait sur la génétique des bactéries. Une grande


partie de l'excitation sur place fut suscitée par les plasmides nouvellement
découverts dans E. coli, ces mini-chromosomes circulaires qui se
répliquaient dans les bactéries et pouvaient être transmis d'une souche à
l'autre. Après une longue matinée de présentations, Boyer s'échappa à la
plage pour souffler et passa l'après-midi à siroter un verre de rhum avec du
lait de coco.
Plus tard dans la soirée, il rencontra Stanley Cohen, un professeur de
Stanford 18. Il le connaissait par ses articles scientifiques mais ne l'avait
jamais rencontré. Avec sa barbe grisonnante soigneusement taillée, ses
lunettes rondes et sa manière prudente et réfléchie de parler, Cohen avait le
« profil d'un étudiant talmudique » se souvient un scientifique, et une
connaissance érudite de la génétique microbienne. Cohen travaillait sur les
plasmides. C'était aussi un expert du processus de « transformation » de
Frederick Griffith, la technique pour introduire de l'ADN dans les bactéries.
Le dîner était terminé mais Cohen et Boyer avaient encore faim. Avec
Stanley Falkow, un collègue microbiologiste, ils s'engagèrent hors de l'hôtel
dans une rue tranquille d'une zone commerciale près de la plage de Waikiki.
Un traiteur de style new-yorkais avec ses enseignes clignotantes et son
décor de néon émergeait opportunément de l'ombre des volcans et ils y
trouvèrent un coin pour manger. Sandwichs en main, Boyer, Cohen et
Falkow discutèrent de plasmides, de chimères de gènes et de génétique
bactérienne.
Boyer et Cohen étaient au courant des tentatives de Berg de créer des
hybrides de gène en laboratoire. Cohen savait aussi que Mertz, son
étudiante, faisait la tournée des microbiologistes de Stanford pour
apprendre comment transférer ses nouveaux hybrides de gènes dans E. coli.
La discussion dériva ensuite sur le travail de Cohen. Il avait isolé
plusieurs plasmides de E. coli dont un qui pouvait être purifié en routine à
partir de la bactérie et facilement transmis d'une souche à une autre.
Certains de ces plasmides portaient des gènes conférant la résistance à des
antibiotiques, par exemple la tétracycline ou la pénicilline.
Mais que pouvait-il se passer si Cohen découpait le gène de résistance à
un antibiotique à partir d'un plasmide et le transférait à un autre ? La
bactérie réceptrice de ce nouveau plasmide allait-elle maintenant survivre à
l'antibiotique et se mettre à pousser malgré lui ?
L'idée jaillit du néant, comme le néon du crépuscule hawaïen. Dans les
expériences initiales de Berg et Jackson, il n'y avait aucune méthode simple
pour identifier les bactéries ou virus qui avaient acquis le gène « étranger »
(le plasmide hybride devait être purifié de la soupe biochimique sur le seul
critère de la taille, A + B étant plus grand que A ou B). Les plasmides de
Cohen, portant les gènes de résistance à un antibiotique, fournissaient au
contraire un puissant moyen d'identifier les recombinants génétiques.
L'évolution allait être appelée à la rescousse pour les aider. La sélection
naturelle, mise en œuvre dans une boîte de Petri, pouvait naturellement
retenir les bactéries portant les plasmides hybrides. Le transfert de la
résistance à un antibiotique d'une souche d'E. coli à une autre allait
confirmer que le gène hybride, ou l'ADN recombinant, avait bien été créé.
Mais qu'en était-il des difficultés techniques rencontrées par Berg et
Jackson ? Si des chimères génétiques étaient produites avec une fréquence
d'une sur un million, aucune sélection, aussi habile soit-elle, ne pouvait être
assez efficace : il n'y aurait rien à sélectionner. Soudain, Boyer commença à
décrire les enzymes coupant l'ADN et l'efficacité accrue obtenue par Mertz
pour produire des gènes hybrides. Il y eut un silence, comme si Cohen et
Boyer retournaient l'idée dans leur esprit. La convergence était inévitable.
Boyer avait purifié des enzymes pour créer des gènes hybrides d'une
manière beaucoup plus efficace tandis que Cohen avait isolé des plasmides
qui pouvaient être sélectionnés et propagés facilement dans les bactéries.
« L'idée, se rappelle Falkow, [était] trop évidente pour passer inaperçue ».
Cohen parla lentement, d'une voix claire : « Cela signifie… »
Boyer l'interrompit au milieu de sa pensée : « C'est cela […] il doit être
possible… ».
« Parfois, en science, comme dans le reste de la vie, écrira plus tard
Falkow, il n'est pas nécessaire de finir une phrase ou une pensée. »
L'expérience était suffisamment claire, si incroyablement simple qu'elle
pouvait être faite en un après-midi avec des réactifs courants. « Mélanger le
fragment d'ADN à cloner, coupé par EcoRI, avec le plasmide également
coupé par EcoRI, puis recoller ; il doit y avoir une proportion de molécules
de plasmide recombinant dans le mélange. Transformer des bactéries avec
ce mélange. Utiliser la résistance à l'antibiotique pour sélectionner les
bactéries qui ont acquis le plasmide en espérant qu'il ait intégré l'ADN
étranger. Faire pousser cette bactérie jusqu'à en avoir des millions et vous
aurez amplifié l'ADN hybride un million de fois. Vous aurez cloné un ADN
recombinant. »
L'expérience n'était pas seulement novatrice et efficace, elle était aussi
potentiellement sans risque. Contrairement aux chimères de Cohen et Boyer
comportant des hybrides de virus et de bactérie, les chimères de Cohen et
Boyer n'étaient faites que de gènes bactériens qu'ils considéraient comme
beaucoup plus sûrs. Ils ne pouvaient trouver aucune raison de ne pas faire
ces plasmides. Les bactéries, après tout, étaient capables d'échanger du
matériel génétique comme un bavardage, sans aucune retenue. Le libre-
échange des gènes était une marque du monde microbien.

Durant cet hiver, et au début du printemps 1973, Boyer et Cohen


travaillèrent d'arrache-pied pour faire leurs hybrides génétiques. Plasmides
et enzymes circulaient entre l'UCSF et Stanford, allant et venant via
l'autoroute 101 à bord d'un Volkswagen Coccinelle conduite par un assistant
de recherche du laboratoire de Boyer. À quelques centaines de mètres du
laboratoire de Cohen, Berg et Mertz étaient eux aussi plongés dans leurs
expériences. Ils avaient eu vent des initiatives de Cohen pour faire de
l'ADN recombinant mais leurs propres efforts étaient toujours focalisés sur
l'optimisation de la réaction in vitro. À la fin de l'été, Boyer et Cohen
avaient réussi à créer un hybride de gènes, deux morceaux de matériel
génétique de deux bactéries rassemblés pour former une chimère. Boyer
s'est rappelé par la suite du moment de leur découverte avec une grande
clarté : « J'ai regardé les premiers gels et je me souviens avoir eu les larmes
aux yeux, c'était tellement beau. » Les informations héréditaires empruntées
à deux organismes avaient été mélangées pour en former une nouvelle, on
était aussi proche de la métaphysique que possible.
En février 1973, Boyer et Cohen étaient prêts à propager leur première
chimère génétique dans des cellules vivantes. Ils coupèrent deux plasmides
bactériens avec des enzymes de restriction et échangèrent une partie de leur
matériel génétique. Un plasmide portant l'hybride d'ADN était refermé avec
une ligase et la chimère résultante introduite dans des bactéries en utilisant
une version modifiée de la réaction de transformation. La bactérie contenant
l'hybride de gène était cultivée sur des boîtes de Petri pour donner des
petites colonies translucides, luisantes comme des perles sur l'agar.
Un soir, Cohen « piqua » sur l'une des boîtes de Petri une unique colonie
de bactéries hébergeant le plasmide recombinant, et inocula un flacon
rempli de milieu de culture stérile. Les bactéries se multiplièrent dans le
flacon agité dans l'incubateur. Durant la nuit, une centaine, un millier, puis
un million de copies de chimères génétiques furent répliquées, chacune
juxtaposant dans une unique molécule le matériel génétique de deux
organismes complètement différents. La naissance d'un nouveau monde
était annoncée sans plus de bruit que le cliquetis mécanique de l'incubateur
oscillant dans la nuit.
La nouvelle musique

« Chaque génération a besoin d'une nouvelle musique 1. »


Francis Crick

« Les gens font maintenant de la musique à partir de tout 2. »


Richard Powers, Orfeo.

Alors que Berg, Boyer et Cohen mélangeaient et arrangeaient des


fragments de gènes dans des tubes à essai à Stanford et à l'UCSF, une
avancée tout aussi historique se préparait dans un laboratoire à Cambridge,
en Angleterre. Pour comprendre la nature de cette découverte, il nous faut
revenir au langage formel des gènes. La génétique, comme tout langage, est
construite à partir d'éléments structuraux de base, avec un alphabet, une
syntaxe et une grammaire. L'alphabet des gènes n'a que quatre lettres, les
quatre bases de l'ADN, A, C, G et T. Le vocabulaire consiste en un code de
triplets où trois bases d'ADN sont lues ensemble pour coder un acide aminé
dans une protéine. Le triplet ACT code ainsi la thréonine, CAT l'histidine,
GGT la glycine, et ainsi de suite. Une protéine est comme une « phrase »
codée par un gène, utilisant des lettres alignées (ACT-CAT-GGT code
thréonine-histidine-glycine). Et la régulation des gènes, comme l'avaient
découvert Monod et Jacob, crée un contexte pour que ces mots et ces
phrases aient un sens. Les séquences de régulation apposées aux gènes,
c'est-à-dire des signaux pour activer ou inactiver l'expression d'un gène à un
moment et dans une cellule donnée, peuvent être vues comme la grammaire
interne du génome.
Mais l'alphabet, la grammaire et la syntaxe de la génétique existent
uniquement dans les cellules et les humains ne parlent pas naturellement
cette langue. Pour qu'un biologiste soit capable de lire et d'écrire le langage
des gènes, il fallait inventer de nouveaux outils. « Écrire », c'est mélanger et
disposer des mots dans un ordre précis pour générer une nouvelle
signification. À Stanford, Berg, Cohen et Boyer commençaient à écrire des
gènes en utilisant le clonage, produisant des mots et des phrases dans un
ADN qui n'avait jamais existé dans la nature (un gène bactérien combiné
avec un gène viral formant un nouvel élément génétique). Mais la
« lecture » des gènes, le déchiffrage de la séquence précise des bases sur
une longueur d'ADN restait encore un formidable défi technique à relever.
Par une ironie de l'histoire, la même caractéristique permettant à une
cellule de lire l'ADN le rend en même temps incompréhensible à l'homme
et aux chimistes en particulier. L'ADN, comme Schrödinger l'avait prédit,
est une substance chimique faite pour défier les chimistes, une molécule
aux subtiles contradictions, à la fois monotone et infiniment variée,
répétitive à l'extrême et pourtant au plus haut point unique. Les chimistes
élucident en général la structure d'une molécule en la décomposant en
morceaux de plus en plus petits, comme les pièces d'un puzzle, puis en
assemblant la structure à partir de ses composantes. Mais l'ADN réduit en
morceaux se résume à un mélange de quatre bases, A, C, G et T. Vous ne
pouvez pas lire un livre en réduisant tous ses mots en alphabet. Dans
l'ADN, comme avec les mots, c'est la séquence qui porte la signification.
Dissolvez l'ADN en ses constituants et il devient une soupe primordiale des
quatre lettres de son alphabet.

Comment un chimiste pouvait-il déterminer la séquence d'un gène ? À


Cambridge, en Angleterre, dans un petit laboratoire à moitié enfoui dans la
plaine du Norfolk, le biochimiste Frederick Sanger bataillait avec le
séquençage du gène depuis les années 1960. Il était obsédé par la structure
chimique des molécules biologiques complexes. Au début des années
1950 3, Sanger avait élucidé la séquence d'une protéine, l'insuline, en
utilisant une variante de la méthode traditionnelle de désintégration.
L'insuline – purifiée à l'origine à partir de dizaines de kilos de pancréas de
chien en 1921 par un chirurgien de Toronto, Frederick Banting et son
étudiant en médecine Charles Best 4 – était le premier prix de la purification
de protéines, une hormone qui, injectée à des enfants diabétiques, pouvait
rapidement faire reculer leur maladie mortelle. Vers la fin des années 1920,
la société pharmaceutique Eli Lilly fabriquait des grammes d'insuline à
partir de grandes cuves pleines de pancréas de vache et de porc.
Pourtant, malgré plusieurs tentatives, l'insuline résistait obstinément à
toute caractérisation moléculaire. Sanger appliqua sa profonde rigueur de
chimiste au problème. La solution, comme le savait tout chimiste, était
toujours dans la dissolution. Chaque protéine est faite d'une séquence
d'acides aminés alignés en chaîne, méthionine-histidine-arginine-lysine-etc.
ou glycine-histidine-arginine-lysine-etc. Pour identifier la séquence d'une
protéine, Sanger réalisa qu'il devait faire une séquence de dégradation. Il
allait faire sauter un acide aminé à un bout de la chaîne, le dissoudre dans
un solvant et le caractériser chimiquement ; puis recommencer. En enlevant
les perles une à une du collier, il pouvait reconstituer la séquence initiale,
faisant l'inverse de ce qu'avait fait la cellule. Ce procédé permit à Sanger de
déduire la séquence de la protéine, ce qui lui valut en 1958 le prix Nobel de
physiologie ou de médecine 5.
Entre 1955 et 1962, Sanger utilisa des variantes de cette méthode de
désintégration pour trouver la séquence de plusieurs protéines importantes,
mais le problème de la séquence de l'ADN restait intact. Ce furent, écrit-il,
ses « années maigres 6 ». Il se reposait sur ses lauriers. Il publiait rarement,
de grands articles détaillés sur le séquençage des protéines, mais ce n'était
pas des matières à succès pour lui. Durant l'été 1962 7, Sanger déménagea
dans un autre laboratoire à Cambridge, le bâtiment du Medical Research
Council (MRC), où il était entouré de nouveaux voisins dont Crick, Perutz
et Sydney Brenner, tous plongés dans le culte de l'ADN.
Cette transition de lieu marqua une transition historique dans les
préoccupations de Sanger. Certains scientifiques comme Crick ou Wilkins
étaient nés dans la culture de l'ADN. D'autres comme Watson, Franklin ou
Brenner l'avaient acquise. Fred Sanger la recevait dans la figure.

Au milieu des années 1960, l'intérêt de Sanger passa donc des protéines
aux acides nucléiques et il commença à considérer sérieusement le
séquençage de l'ADN. Mais la méthode qui avait si bien réussi pour
l'insuline – casser, résoudre, casser, résoudre – refusait de marcher pour
l'ADN. Les protéines ont une structure chimique permettant de détacher les
acides aminés un à un mais, pour l'ADN, aucun outil de ce type n'existait.
Sanger essaya de reconvertir sa technique de dégradation séquentielle, mais
les expériences n'aboutissaient qu'à un chaos chimique. Coupé en
morceaux, l'ADN passait d'un message génétique à un vrai charabia.
L'inspiration vint soudain à Sanger au cours de l'hiver 1971 sous la forme
d'une inversion. Il avait passé des décennies à apprendre à casser des
molécules pour résoudre leur séquence. Mais pourquoi ne renversait-il pas
sa stratégie et ne tentait-il pas de construire de l'ADN au lieu de le casser ?
Pour élucider une séquence, se dit Sanger, il faut penser comme un gène.
Les cellules fabriquent des gènes en permanence, car à chaque fois qu'elles
se divisent elles en font une copie. Si un biochimiste pouvait se coller sur le
dos de l'enzyme copiant l'ADN, l'ADN polymérase, et noter les bases
qu'elle utilise au fur et à mesure de sa synthèse du brin complémentaire, A,
C, T, G, C, C, C, et ainsi de suite, il pourrait déterminer la séquence. C'était
comme espionner une machine en train de copier : on pouvait alors
reconstruire l'original à partir de la copie. Là encore, l'image en miroir allait
révéler l'original, Dorian Gray serait recréé, morceau après morceau, à
partir de son reflet.
En 1971, Sanger se mit à développer une technique de séquençage du
gène en utilisant la réaction de copie de l'ADN polymérase (parallèlement, à
Harvard, Walter Gilbert et Allan Maxam mettaient eux aussi au point un
système pour séquencer l'ADN mais avec des réactifs différents. Leur
méthode a marché, mais elle a rapidement été dépassée par celle de
Sanger). Au départ, la méthode de Sanger était peu efficace et échouait
facilement de manière inexplicable. Le problème était dû en partie au fait
que la réaction de copie était trop rapide. La polymérase filait le long du
brin d'ADN, ajoutant des nucléotides à un tel rythme que Sanger ne pouvait
pas saisir les étapes intermédiaires. C'est alors qu'il fit un changement
ingénieux. Il introduisit dans la réaction une petite proportion de
nucléotides chimiquement modifiés qui étaient encore reconnus par
l'enzyme mais coinçaient ensuite sa progression sur l'ADN. En bloquant la
copie à différents endroits de façon aléatoire, il devenait possible de
cartographier un gène par ses copies incomplètes, ceci pour chacun des
quatre nucléotides choisis pour gripper la machine.
Le 24 février 1977, Sanger utilisa sa technique pour révéler la séquence
complète d'un virus, Фχ174, dans un article de la revue Nature 8. Ce génome
viral était minuscule, long de seulement 5 386 paires de base, plus court que
les plus petits gènes humains, mais la publication annonçait une avancée
scientifique qui allait tout transformer. « La séquence identifie de
nombreuses caractéristiques responsables de la production des protéines
issues des neuf gènes connus de l'organisme 9 », écrivait-il. Sanger avait
appris à lire le langage des gènes.

Ces nouvelles techniques de génétique – le séquençage et le clonage de


gène – apportèrent un éclairage immédiat sur de nouvelles propriétés des
gènes et des génomes. La première et la plus surprenante de ces découvertes
concernait une caractéristique des gènes d'animaux et de virus d'animaux.
En 1977, les scientifiques Richard Roberts et Phillip Sharp découvrirent
indépendamment chez un virus qu'une protéine pouvait ne pas être codée
par un segment continu d'ADN mais par un gène segmenté en modules 10 11.
Chez les bactéries, chaque gène codant une protéine est une suite
ininterrompue de codons, débutant avec le premier triplet ATG et s'arrêtant
avec le triplet d'un codon « stop ».
Pour prendre une analogie, considérez le mot structure. Chez les
bactéries, le gène se trouve exactement sous ce format, structure, sans
interruption. Dans le génome humain, au contraire, il est interrompu par des
séquences d'ADN intercalaires : s…tru…ct…ur…e.
Les longs segments d'ADN marqués par des points de suspension ne
contiennent aucune information codante pour la protéine. Lorsque ce type
de gène est utilisé pour produire un message codant, c'est-à-dire quand
l'ADN est transcrit en ARN, les segments internes sont excisés de l'ARN et
la séquence d'ARN raboutée pour former le message continu de
« structure ». Roberts et Sharp baptisèrent ce phénomène épissage
génétique ou épissage de l'ARN.
À première vue, cette structure en morceaux du gène était un peu
déroutante. Pourquoi le génome intercalait-il de si longs segments d'ADN
au milieu des gènes pour ensuite les retirer dans sa copie d'ARN ? Mais la
logique interne des gènes divisés devint rapidement évidente. Avec un gène
réparti en modules, une cellule pouvait produire un nombre stupéfiant de
combinaisons et donc d'ARN différents à partir de ce même gène. Le mot
s…tru…c…t…ur…e pouvait être épissé pour donner les mots truc, cure, et
ainsi de suite, soit, à partir d'un même gène, plusieurs variantes du message,
donc de la protéine, appelées isoformes. À partir de g…é…n…om…e, il est
possible de générer gene, gnome, et om. Et les gènes en modules ont un
autre avantage évolutif : des modules individuels de différents gènes
peuvent être mélangés et réarrangés pour construire des gènes entièrement
nouveaux (c…om…e…t). Wally Gilbert, le généticien de Harvard, créa un
nouveau mot pour ces modules, il les appela exons. Les fragments de
remplissage internes furent appelés introns.
Les introns ne sont pas des exceptions dans les gènes humains mais la
règle. Ils sont souvent d'une taille énorme, s'étendant parfois sur des
centaines de milliers de bases d'ADN. Et les gènes sont eux-mêmes séparés
les uns des autres par de longs segments d'ADN qualifiés d'intergénique.
L'ADN intergénique et les introns possèdent des séquences qui permettent
aux gènes d'être régulés suivant le contexte. Pour reprendre notre analogie,
ces régions peuvent être décrites comme de longs points de suspension avec
parfois une ponctuation. On peut ainsi visualiser le génome humain sous la
forme suivante :
Ce…ci…………..est………..la …..(…)….s…truc…ture……..de…….votre…….gén…om…
e;

Les mots représentent les gènes, les longs espaces avec point de
suspension les segments d'ADN intergénique tandis que les petits espaces à
l'intérieur des mots sont les introns. Les parenthèses et point virgule, les
points de ponctuation, sont les régions de l'ADN qui régulent les gènes.
Les technologies jumelles du séquençage et du clonage de gène tirèrent
aussi la génétique d'une impasse expérimentale. Vers la fin des années 1960,
la génétique s'est retrouvée bloquée. Toute science expérimentale dépend,
d'une manière cruciale, de sa capacité à perturber intentionnellement un
système et à mesurer les effets de cette perturbation. Mais le seul moyen de
modifier les gènes était de créer des mutants, un processus parfaitement
aléatoire. De plus, le seul moyen de lire cette altération était d'observer un
changement de la forme ou de la fonction. On pouvait arroser les mouches
du vinaigre de rayons X en espérant obtenir des mutants sans ailes ou sans
yeux comme l'avait fait Muller, mais l'on n'avait aucun moyen de manipuler
délibérément les gènes contrôlant la formation des yeux ou des ailes, ou de
comprendre exactement comment ces organes avaient changé. « Le gène,
comme le décrivait un scientifique, était quelque chose d'inaccessible. »
Cette inaccessibilité du gène avait été particulièrement frustrante pour les
messies de la « nouvelle biologie », dont James Watson. En 1955, deux ans
après sa découverte de la structure de l'ADN, Watson était arrivé au
département de biologie de Harvard et avait tout de suite hérissé certains de
ses plus vénérables professeurs. La biologie, selon Watson, était une
discipline en train de se diviser en deux. D'un côté se tenait la vieille garde,
les naturalistes, taxonomistes, anatomistes, et écologues qui se
préoccupaient encore de classification des animaux et de descriptions
largement qualitatives de l'anatomie et de la physiologie des organismes. De
l'autre se tenaient les « nouveaux » biologistes qui étudiaient les gènes et les
molécules. La vieille école parlait de diversité et de variations. La nouvelle
de code universel, de mécanismes communs et de « dogme central 12 ».
« Chaque génération a besoin d'une nouvelle musique », avait dit Crick.
Watson méprisait franchement la vieille musique. L'histoire naturelle, une
discipline largement « descriptive » comme la qualifiait Watson, allait être
remplacée par une vigoureuse science expérimentale qu'il avait contribué à
faire naître. Les dinosaures qui étudiaient les dinosaures allaient bientôt
s'éteindre de leur mort naturelle. Watson appelait les anciens biologistes les
« collectionneurs de timbres », se moquant de leur souci de collectionner et
de classer les spécimens biologiques* *.
Mais même Watson devait admettre que l'incapacité à intervenir
directement sur les génomes ou à lire la nature exacte des altérations
génétiques était une source de frustration pour la nouvelle biologie. Si les
gènes pouvaient être séquencés et manipulés, un vaste champ
d'expérimentations pouvait s'ouvrir. Jusqu'alors, les biologistes en étaient
réduits à sonder la fonction des gènes en utilisant le seul moyen disponible,
l'apparition de mutations aléatoires dans des organismes simples. En
réponse au mépris de Watson, un naturaliste pouvait lui retourner le même
argument. Si les biologistes à l'ancienne étaient des « collectionneurs de
timbres », ceux de la nouvelle biologie moléculaire n'étaient que des
« chasseurs de mutants ».
Entre 1970 et 1980, les chasseurs de mutants se muèrent en
manipulateurs et en décodeurs de gènes. Considérez ceci : en 1969, si une
maladie liée à un gène était trouvée, les scientifiques n'avaient aucun moyen
de comprendre la nature de la mutation, de la comparer à la forme normale
ou de la reproduire dans un autre organisme pour étudier son rôle. En 1979,
le même gène pouvait être transféré dans une bactérie, introduit dans un
vecteur viral, inséré dans le génome d'une cellule de mammifère, cloné,
séquencé et comparé à la forme normale.
En décembre 1980, en reconnaissance pour ces avancées historiques dans
les techniques génétiques, le prix Nobel de chimie fut décerné
conjointement à Fred Sanger, Walter Gilbert et Paul Berg, les lecteurs et les
écrivains de l'ADN. Comme l'écrivit un journaliste scientifique à l'époque,
« l'arsenal de la manipulation chimique [des gènes] » était désormais
disponible 13. « L'ingénierie génétique, a écrit le biologiste Peter Medawar,
implique un changement génétique délibéré rendu possible par la
manipulation de l'ADN, le vecteur de l'information héréditaire […] N'est-ce
pas une vérité majeure de la technologie que tout ce qui est en principe
possible sera fait […] ? Atterrir sur la Lune ? Oui, certes. Abolir la variole ?
Un plaisir. Réparer les déficiences dans le génome humain ? Mmm, oui,
bien que cela sera plus difficile et prendra plus de temps. Nous n'en sommes
pas encore là, mais nous allons certainement dans la bonne direction 14 ».

Les techniques pour manipuler, cloner et séquencer les gènes avaient pu


être inventées à l'origine pour déplacer des gènes entre bactéries, virus et
cellules de mammifères (à la manière de Berg, Boyer ou Cohen), mais elles
ont eu un impact beaucoup plus large sur la biologie des organismes. Bien
que les expressions « clonage de gène » ou « clonage moléculaire » fussent
forgées au départ pour la production de copies identiques d'ADN (des
« clones ») dans des bactéries ou des virus, elles désignèrent rapidement
toute la gamme de techniques utilisée par les biologistes pour extraire des
gènes d'organismes, les manipuler in vitro, faire des gènes hybrides, et
propager des gènes dans des organismes vivants (on ne pouvait cloner des
gènes, après tout, qu'en utilisant une combinaison de ces techniques). « En
apprenant à manipuler des gènes expérimentalement, disait Berg 15, on peut
apprendre à manipuler des organismes. Et en combinant la manipulation des
gènes avec les outils de séquençage, un scientifique pouvait faire des
recherches non seulement en génétique mais dans tout l'univers de la
biologie avec une espèce d'audace expérimentale inimaginable par le
passé. »
Prenons un immunologiste qui cherche à résoudre une question
fondamentale dans son domaine, le mécanisme par lequel les lymphocytes
T du sang reconnaissent et tuent les cellules étrangères dans le corps 16.
Pendant des décennies, on a su que les lymphocytes T décèlent la présence
de cellules étrangères ou infectées par un virus en vertu d'un capteur
disposé à leur surface. Ce capteur, appelé récepteur T, est une protéine faite
uniquement pour les lymphocytes T. Il reconnaît des protéines à la surface
d'une cellule étrangère et se lie à elles. Cette liaison provoque à son tour le
signal de tuer la cellule envahissante, ce qui est un mécanisme de défense
pour l'organisme.
Mais quelle était la nature de ce récepteur T ? Les biochimistes avaient
abordé le problème avec leur penchant typique pour la réduction. Ils avaient
produit les lymphocytes T en quantité, puis utilisé des détergents pour
dissoudre les composantes de ces cellules et en extraire les lipides et les
membranes afin de purifier progressivement la protéine responsable.
Pourtant, cette protéine récepteur, dissoute quelque part dans cette soupe
infernale, échappait toujours aux investigations.
Par le clonage de gène, une autre approche pouvait être adoptée.
Supposez un moment que le trait caractéristique de la protéine recherchée,
le récepteur des lymphocytes T, est qu'elle n'est fabriquée que par ces
cellules, et pas par celles des ovaires, du foie ou du cerveau. Le gène de ce
récepteur doit exister dans toutes les cellules humaines, car elles ont toutes
un génome identique, mais son ARN ne doit être produit que dans les
lymphocytes T. Dès lors, ne pouvait-on pas comparer le « catalogue
d'ARN » des cellules pour identifier l'ARN du récepteur T et l'utiliser pour
cloner son gène ? L'approche du biochimiste était centrée sur la
concentration, trouver une protéine là où elle paraissait la plus abondante et
l'y en extraire. L'approche du généticien, au contraire, était centrée sur
l'information : identifier le gène recherché en comparant les « bases de
données » des ARN produits par deux cellules très apparentées, puis le
cloner et le multiplier dans les bactéries. Le biochimiste réduisait la matière,
le généticien moléculaire amplifiait l'information.
En 1970, David Baltimore et Howard Temin, deux virologues, firent une
découverte décisive qui rendait cette approche comparative possible 17.
Chacun de leur côté, ils découvrirent une enzyme présente chez les
rétrovirus qui pouvait faire de l'ADN à partir d'une matrice d'ARN. Ils
appelèrent cette enzyme une transcriptase inverse parce qu'elle inversait la
direction normale du flux de l'information – en revenant de l'ARN à l'ADN
ou du message à sa source – ce qui violait le « dogme central » de Crick
(que l'information génétique ne peut passer que du gène à son message, et
jamais dans l'autre sens).
En utilisant la transcriptase inverse, tout ARN dans une cellule pouvait
servir de matrice pour « refabriquer » le gène correspondant sous forme
d'ADN. Un biologiste pouvait ainsi générer un catalogue, ou une
« bibliothèque 18 » de tous les gènes « actifs ». Il pouvait y avoir une
bibliothèque de gènes pour les lymphocytes T, une autre pour les neurones
dans la rétine, pour les cellules produisant l'insuline dans le pancréas, et
ainsi de suite. En comparant les bibliothèques dérivées de deux cellules, un
lymphocyte T et une cellule pancréatique par exemple, un immunologiste
pouvait isoler les gènes actifs spécifiquement dans un seul des deux types
de cellule. Une fois identifié, ce gène pouvait être amplifié un million de
fois dans les bactéries. Cela permettait ensuite de le séquencer, de
déterminer la séquence de la protéine correspondante et ses séquences
régulatrices. Il pouvait être muté et inséré dans différentes cellules pour
élucider sa fonction. En 1984, cette technique fut mise en œuvre pour
cloner le récepteur T, marquant ainsi une étape historique en
immunologie 19.
La biologie, comme l'a rappelé plus tard un généticien, était « libérée par
le clonage […] et le domaine commença à offrir une foule de surprises 20 ».
Des gènes mystérieux, importants, insaisissables, qui étaient recherchés
depuis des décennies – ceux des facteurs de la coagulation, de croissance,
des anticorps et des hormones, du contrôle de la réplication d'autres gènes,
ou impliqués dans le cancer, le diabète, la dépression ou les maladies
cardiaques – allaient bientôt être purifiés et clonés grâce à l'utilisation de
ces « bibliothèques » de gènes construites à partir des cellules.
Tous les domaines de la biologie furent transformés par les techniques de
clonage et de séquençage des gènes. Si la biologie expérimentale était la
« nouvelle musique », le gène en était le chef d'orchestre, l'orchestre, le
refrain, le principal instrument et la partition.
Des Einstein à la plage

« Il y a une marée dans les affaires des hommes,


Qui, prise au bon moment, mène à la fortune ;
Ratée, tout le voyage de leur vie
Est pris dans les hauts-fonds et les misères
Sur une telle mer nous sommes maintenant lancés. »
William Shakespeare, Jules César, acte 4, scène 3.

« Je crois dans le droit inaliénable de tout scientifique adulte de


pouvoir complètement se ridiculiser en privé 1. »
Sydney Brenner

À Erice, près de la côte au nord-ouest de la Sicile, une forteresse


normande du XIIe siècle s'élève à sept cents mètres au-dessus de la plaine
sur un piton rocheux. Vue de loin, elle semble avoir été créée par une
espèce de soulèvement naturel, ses parois de pierre émergeant de la falaise
comme par une métamorphose. Le château d'Erice, ou temple de Vénus
comme certains l'appellent, fut construit sur un ancien temple romain. Le
bâtiment plus ancien fut démoli et chacune de ses pierres réutilisée pour
former les murs, les tourelles et les tours du château. Le sanctuaire d'origine
a disparu depuis longtemps mais on disait qu'il était dédié à Vénus. Celle-ci,
la déesse romaine de la fertilité et du désir, fut conçue d'une manière non
naturelle à partir de l'écume fertilisée par les organes génitaux d'Uranus
jetés à la mer.
Au cours de l'été 1972 2, Paul Berg, quelque mois après la création de la
première chimère d'ADN à Stanford, se rendit à Erice pour donner une
conférence dans un congrès scientifique. Il arriva à Palerme tard dans la
soirée et fit un trajet de deux heures en taxi vers l'ouest. La nuit tomba
rapidement. Lorsqu'il demanda sa direction dans la ville, un homme lui
désigna vaguement dans la nuit un petit point clignotant de lumière qui
semblait léviter à des centaines de mètres de hauteur.
La rencontre commençait le matin suivant. L'audience comprenait
environ quatre-vingts personnes venues de toute l'Europe, des étudiants
pour la plupart et quelques professeurs. Berg fit une présentation informelle,
« une session rap » comme il la nomma, et présenta ses données sur les
gènes chimères, l'ADN recombinant et la production d'hybrides virus-
bactéries.
Les étudiants étaient galvanisés. Comme il s'y attendait, Berg fut inondé
de questions, mais pas dans le sens prévu. Lors de la présentation de Janet
Mertz à Cold Spring Harbor en 1971, le plus grand souci avait été
l'innocuité. Comment Berg et Mertz pouvaient-ils garantir que leurs
chimères génétiques n'allaient pas déchaîner un chaos biologique chez
l'homme ? En Sicile, au contraire, la conversation prit rapidement un tour
politique, culturel et éthique. Que penser du « spectre de la manipulation
génétique chez l'homme, du contrôle de son comportement ? » se rappelait
Berg. « Et si nous pouvions guérir les maladies génétiques ? demandaient
les étudiants. [Ou] programmer la couleur des yeux ? l'intelligence ? la
taille ? […] Quelles en seraient les implications pour les hommes et les
sociétés humaines ? »
Qu'est-ce qui allait garantir que les techniques génétiques n'allaient pas
être récupérées et perverties par de puissantes forces, comme cela avait déjà
été le cas sur le continent ? Berg avait manifestement ranimé de vieilles
braises. Aux États-Unis, la perspective de pouvoir manipuler les gènes avait
surtout fait surgir le spectre de futurs dangers biologiques. En Italie, à
quelques centaines de kilomètres des anciens sites d'extermination nazis,
c'était les risques moraux, plus que biologiques, de la génétique qui
hantaient les conversations.
Ce soir-là, un étudiant allemand rassembla un groupe pour continuer le
débat. Ils grimpèrent sur les remparts du château de Vénus et regardèrent au
loin la côte dans l'obscurité et les lumières de la ville à leurs pieds. Berg et
les étudiants restèrent là tard dans la nuit pour une seconde session, buvant
des bières et discutant de conceptions naturelles ou non naturelles, « le
début d'une nouvelle ère, [de ses] risques possibles et des perspectives de
l'ingénierie génétique 3 ».
En janvier 1973, quelques mois après le séjour à Erice, Berg décida
d'organiser un petit colloque en Californie pour traiter du souci croissant
des techniques de manipulation génétique. Il se tint au Centre de conférence
de Pacific Groves à Asilomar, un complexe étendu de bâtiments au bord de
l'océan près de Monterey Bay, à environ 130 kilomètres de Stanford. Des
scientifiques de tous bords, des virologues, généticiens, biochimistes,
microbiologistes, y participèrent.
« Asilomar I » comme le nommera plus tard Berg 4, suscita un énorme
intérêt mais peu de recommandations. La plus grande partie du colloque
portait sur des questions de biosécurité. L'utilisation de SV40 et d'autres
virus humains fut chaudement débattue. « Une fois retournés au labo, nous
utilisions toujours notre bouche pour pipeter des virus et des produits
chimiques », me raconta Berg. Une assistante de Berg, Marianne
Dieckmann, se rappelle un étudiant qui avait éclaboussé par accident un
liquide sur le bout de sa cigarette (il n'était pas rare d'avoir des cigarettes à
moitié allumées posées sur des cendriers dans le laboratoire). L'étudiant
haussa simplement les épaules et continua de fumer, le virus se
transformant en cendres.
La conférence d'Asilomar fit l'objet d'un livre important, Biohazards in
Biological Research 5 6 mais sa principale conclusion n'allait pas très loin.
Comme Berg l'a mentionné, « Ce qui en est ressorti, franchement, c'est la
reconnaissance du peu de chose que nous savions. »
Les inquiétudes liées au clonage de gène furent rallumées durant l'été
1973 7 quand Boyer et Cohen présentèrent leurs expériences sur les hybrides
de gènes bactériens à un autre congrès. Pendant ce temps, à Stanford, Berg
était inondé de demandes de chercheurs du monde entier pour des réactifs
nécessaires à la recombinaison génétique. Un chercheur de Chicago
proposa d'insérer des gènes du virus de l'herpès humain, très pathogène,
dans E. coli, créant ainsi une bactérie intestinale humaine chargée de gènes
potentiellement toxiques dans le but ostensible d'étudier la toxicité de ces
gènes (Berg refusa poliment). Les gènes de résistance aux antibiotiques se
déplaçaient en permanence d'une bactérie à l'autre. Ils se transféraient entre
espèces et entre genres, sautant par-dessus le fossé d'un million d'années
d'évolution comme s'il s'agissait d'un trait fin sur le sable. Devant ce
tourbillon croissant d'incertitudes, l'Académie nationale des sciences
américaine chargea Berg de diriger un groupe d'études sur la recombinaison
génétique.
Le groupe, formé de huit scientifiques dont Berg, Watson, David
Baltimore et Norton Zinder, se réunit en avril 1973 au MIT à Boston par un
frais après-midi de printemps. Ils se mirent immédiatement au travail,
réfléchissant aux mécanismes possibles de contrôle et de régulation du
clonage des gènes. Baltimore suggéra de développer des virus, plasmides, et
bactéries « sûrs 8 » qui seraient atténués et donc incapables de causer une
maladie. Mais même les mesures de sûreté n'étaient pas d'une efficacité
absolue. Qui pouvait dire que des virus « atténués » le resteraient toujours ?
Virus et bactéries ne sont pas, après tout, des objets inertes. Même au sein
des laboratoires, ils restaient des cibles mouvantes, vivantes, en évolution.
Une mutation, et une bactérie rendue inoffensive pouvait retrouver toute sa
virulence.
Le débat durait depuis plusieurs heures quand Zinder lança une
proposition qui parut presque réactionnaire. « Eh bien, si nous en avions un
minimum dans les tripes, nous dirions juste aux gens de ne pas faire ces
expériences 9. » Il y eut un flottement autour de la table. On était loin d'une
solution idéale, car c'était un peu désobligeant pour les scientifiques de leur
dire de restreindre leur travail, mais ce serait au moins le moyen de
conseiller une pause. « Pour désagréable que cela paraisse, nous avons
pensé que cela pouvait juste marcher », se rappelle Berg.
Le groupe rédigea une lettre formelle, plaidant pour un « moratoire » sur
certains types de recherche avec de l'ADN recombinant. La lettre évaluait
les risques et les bénéfices des techniques de recombinaison du gène et
suggérait que certaines expériences soient reportées jusqu'à ce que certaines
questions de sécurité soient résolues. « Toutes les expériences concevables
n'étaient pas dangereuses, notait Berg, mais certaines présentaient
clairement plus de risques que d'autres. » Trois types de procédures avec de
l'ADN recombinant devaient être fortement limitées. « Ne pas mettre de
gènes de toxine, de résistance à un médicament ou de cancer dans E. coli »,
conseilla Berg 10. Avec ce moratoire, Berg et ses collègues pensaient que les
scientifiques pourraient gagner un peu de temps pour envisager les
conséquences de leurs travaux. Une seconde rencontre fut proposée pour
1975, quand ces questions pourraient être débattues par un plus grand
nombre de scientifiques.
En 1974, la « lettre de Berg » fut publiée dans les revues Nature, Science
et les Comptes rendus de l'Académie des sciences américaine 11. Elle attira
immédiatement l'attention dans le monde entier. Au Royaume-Uni, un
comité fut formé pour aborder les « bénéfices et risques potentiels » de
l'ADN recombinant et du clonage de gène. En France, des réactions à la
lettre furent publiées dans le journal Le Monde. Cet hiver-là, François
Jacob, célèbre pour la régulation génétique, fut sollicité pour examiner une
demande de financement d'un projet proposant d'insérer un gène de muscle
humain dans un virus. Jacob, sur les traces de Berg, demanda à ce que de
telles propositions soient ajournées jusqu'à ce qu'une réponse nationale à la
technique de l'ADN recombinant soit rédigée. Au cours d'un congrès en
Allemagne en 1974, beaucoup de généticiens exprimèrent à leur tour une
telle prudence. De sévères contraintes sur les expériences avec l'ADN
recombinant étaient essentielles jusqu'à ce que leur risque soit bien cerné et
des recommandations émises à leur sujet.
La recherche, pendant ce temps, tournait à plein régime, balayant les
barrières biologiques ou évolutives. À Stanford, Boyer, Cohen et leurs
étudiants greffèrent un gène de résistance à la pénicilline d'une bactérie
dans une autre, créant ainsi une E. coli résistante à un médicament. Avec
audace, Boyer et Cohen voyaient plus loin : « Il pourrait être pratique […]
d'introduire des gènes pour des fonctions métaboliques ou synthétiques
propres à d'autres classes biologiques comme les plantes ou les animaux ».
Les espèces, déclara Boyer en plaisantant, sont spécieuses 12.
Le jour de l'An 1974, des chercheurs qui travaillaient avec Cohen à
Stanford rapportèrent avoir inséré un gène de grenouille dans la bactérie 13.
Un autre fossé évolutif était tranquillement franchi, une autre limite
transgressée. En biologie, « être naturel » comme l'avait dit une fois Oscar
Wilde, s'avérait « être simplement une pose ».

Asilomar II, l'une des rencontres les plus extraordinaires dans l'histoire
des sciences, fut organisée par Berg, Baltimore et trois autres scientifiques
pour février 1975. Là encore, les généticiens se retrouvèrent sur les dunes
ventées pour discuter de gènes, de recombinaison et de tournure de l'avenir.
La saison était de toute beauté. Les papillons monarques migraient le long
de la côte dans leur trajet annuel vers les prairies canadiennes, les pins et les
séquoias s'allumaient de teintes rouges, orange et noires.
Les visiteurs humains arrivèrent le 24 février, et pas seulement des
biologistes. Berg et Baltimore avaient judicieusement invité des juristes, des
journalistes et des écrivains à se joindre à l'événement. Tant qu'à discuter de
l'avenir des manipulations génétiques, ils voulaient avoir l'opinion d'un
groupe plus large d'intellectuels. Les allées de planches autour du centre de
conférence permettaient des discussions informelles. En marchant sur les
passages en bois ou les étendues de sable, les biologistes pouvaient
échanger librement sur la recombinaison, le clonage et la manipulation des
gènes. Au contraire, dans le bâtiment central aux murs de pierre, pareil à
une cathédrale éclairée par la lumière sépulcrale de Californie, se tenait le
cœur de la conférence, où les débats les plus animés sur le clonage des
gènes n'allaient pas tarder à débuter.
Berg parla en premier. Il fit le résumé des résultats et brossa un tableau
des problèmes. Durant leur recherche de méthodes pour modifier
chimiquement l'ADN, des biochimistes avaient récemment découvert une
technique relativement facile pour mélanger et réarranger l'information
génétique d'organismes différents. La technique, comme le disait Berg, était
si « ridiculement simple » que même un biologiste occasionnel pouvait
produire des gènes chimériques en laboratoire. Ces molécules d'ADN
hybrides – l'ADN recombinant – pouvaient être propagées et amplifiées
(c'est-à-dire clonées) dans des bactéries pour générer des millions de copies
identiques. Certaines de ces molécules pouvaient être transférées dans des
cellules de mammifères. En reconnaissance du potentiel mais aussi des
risques de cette technologie, la première réunion d'Asilomar avait suggéré
un moratoire sur ces expériences. La conférence d'Asilomar II devait
prendre la suite de ces recommandations. Finalement, elle a tellement
dépassé la première par son impact et son retentissement qu'elle a ensuite
été appelée Conférence d'Asilomar, ou juste Asilomar.
Les tensions et les tempéraments s'emballèrent rapidement le premier
matin. La principale question était encore le moratoire auto-imposé. Les
scientifiques devaient-ils être restreints dans leurs expériences avec l'ADN
recombinant ?
Watson était contre. Il voulait une parfaite liberté, que les scientifiques
soient laissés libres de leurs choix. Baltimore et Brenner réitérèrent leur
projet de créer des vecteurs de gènes « atténués » pour garantir une sécurité.
Les autres avis étaient profondément partagés. Les opportunités pour la
science étaient énormes et un moratoire pouvait paralyser ses avancées. Un
microbiologiste fut particulièrement révolté par la sévérité des limitations
proposées. « Vous avez baisé le groupe plasmide », lança-t-il au comité 14.
Un moment, Berg menaça de poursuivre en justice Watson pour son refus
de reconnaître à sa juste mesure la nature du risque de l'ADN recombinant.
Brenner demanda à un journaliste du Washington Post d'arrêter d'enregistrer
au cours d'une séance particulièrement sensible sur les risques du clonage
de gène. « Je crois dans le droit inaliénable de tout scientifique adulte de
pouvoir complètement se ridiculiser en privé », dit-il. Il fut promptement
accusé « d'être un fasciste 15 ».
Les cinq membres du comité organisateur, Berg, Baltimore, Brenner,
Richard Roblin et la biochimiste Maxine Singer, faisaient le tour
anxieusement pour prendre la température. « Les disputes s'enchaînèrent
sans fin, écrivit un journaliste à l'époque. Certains en ont eu marre et sont
allés sur la plage pour fumer de la marijuana 16. » Berg se tenait assis dans la
salle, l'air mauvais, inquiet que la conférence se termine sans aucune
conclusion.
Rien n'avait été encore formalisé le dernier soir de la conférence jusqu'à
ce que les juristes entrent en scène. Les cinq avocats demandèrent à ce que
l'on discute des implications légales du clonage et donnèrent une vision
assez sombre des risques potentiels. Si un seul membre d'un laboratoire se
retrouvait infecté par un microbe recombinant et que cette infection menait
à un semblant même de maladie, le directeur du laboratoire, le laboratoire et
l'institution en seraient tenus pour légalement responsables. Des universités
entières fermeraient. Des laboratoires seraient arrêtés indéfiniment, leur
entrée occupée par des activistes et fermée par des hommes en combinaison
NBC d'astronautes. Le NIH serait inondé de demandes et ce serait la
panique générale. Le gouvernement fédéral y répondrait en proposant des
régulations draconiennes, pas seulement sur l'ADN recombinant mais sur
un large éventail de la recherche en biologie. Il pouvait alors en résulter des
restrictions bien plus sévères que toutes les règles que les scientifiques
auraient pu vouloir s'imposer à eux-mêmes.
La présentation des juristes, faite à dessein le dernier jour d'Asilomar II,
fut le tournant décisif de toute la rencontre. Berg comprit qu'elle ne devait
pas, ne pouvait en fait, se clore sans des recommandations formelles. Ce
soir-là, Baltimore, Berg, Singer, Brenner et Roblin restèrent tard dans leur
cabanon de plage, mangeant des plats préparés de cuisine chinoise,
gribouillant sur un tableau noir, élaborant un projet pour l'avenir. À cinq
heures et demie du matin, ils émergèrent hirsutes et les yeux mi-clos,
sentant le café et l'encre de machine à écrire, avec un texte à la main. Ce
document commençait par reconnaître l'étrange univers parallèle de la
biologie où les scientifiques s'étaient involontairement aventurés avec le
clonage de gène. « Les nouvelles techniques, qui permettent de recombiner
l'information génétique d'organismes très différents nous placent dans une
arène de la biologie avec de nombreuses inconnues […] C'est cette
ignorance qui nous à pousser à conclure qu'il serait sage d'apporter une très
grande prudence dans l'exercice de cette recherche 17 ».
Pour atténuer les risques 18, le document proposait un classement sur
quatre niveaux du biorisque potentiel de divers organismes génétiquement
modifiés, avec des mesures de confinement recommandées pour chaque
niveau (insérer un gène causant le cancer dans un virus humain, par
exemple, mériterait le plus haut niveau alors que mettre un gène de
grenouille dans une bactérie aurait le plus bas). Comme Baltimore et
Brenner l'avaient fortement suggéré, le texte proposait le développement
d'organismes vecteurs de gènes atténués pour les confiner plus encore dans
les laboratoires. Enfin, il recommandait fortement un examen continuel des
procédures de recombinaison et de confinement, avec la possibilité
d'assouplir ou de renforcer les restrictions dans un proche avenir.
Le lendemain, quand la rencontre débuta sa dernière journée à huit
heures et demie, les cinq membres du comité craignaient que leur
proposition soit rejetée. D'une manière surprenante, elle fut presque
unanimement acceptée.

Suite à la Conférence d'Asilomar, plusieurs historiens des sciences ont


essayé d'évaluer sa portée en la comparant à un événement analogue dans
l'histoire scientifique. Il n'y en avait aucun. Celui qui s'en rapproche le plus
et qui aboutit à un document similaire, peut-être, est une lettre de deux
pages écrite en août 1939 19 par Albert Einstein et Leo Szilard pour alerter le
président Roosevelt de l'inquiétante possibilité qu'une puissante arme de
guerre soit en train d'être construite.
Une « nouvelle et importante source d'énergie » avait été découverte,
écrivait Einstein, par laquelle « une grande force […] pouvait être
générée ». « Ce nouveau phénomène conduirait aussi à la construction de
bombes et il est concevable […] que des bombes extrêmement puissantes
d'un nouveau type puissent ainsi être construites. Une seule bombe de ce
type, amenée par bateau et explosée dans un port, pourrait très bien détruire
tout le port ». La lettre de Einstein-Szilard a engendré une réponse
immédiate. Sentant l'urgence de la chose, Roosevelt avait nommé une
commission scientifique pour l'examiner. En l'espace de quelques mois, la
commission de Roosevelt allait devenir le Comité de conseil sur l'uranium.
En 1942, il allait se muer en Projet Manhattan et culminer dans la création
de la bombe atomique.
Il reste qu'Asilomar était différent. Ici, les scientifiques sonnaient eux-
mêmes l'alerte sur les périls de leur propre technologie et cherchaient à
réguler leur propre travail. Historiquement, les scientifiques ont rarement
cherché à devenir leurs propres régulateurs. Comme Alan Waterman, le
directeur de la Fondation nationale de la science, l'écrivait en 1962, « la
science, dans sa forme pure, ne s'intéresse pas à ce à quoi ses découvertes
peuvent mener […] Ses disciples ne s'intéressent qu'à découvrir la vérité 20
».
Mais avec l'ADN recombinant, avançait Berg, les scientifiques ne
pouvaient plus se permettre de seulement se focaliser sur la « découverte de
la vérité ». La vérité était complexe et malcommode, et elle demandait un
jugement élaboré. Les technologies extraordinaires exigent une prudence
extraordinaire, et on pouvait difficilement confier aux forces politiques le
soin d'évaluer les dangers ou les promesses du clonage génétique (vu
notamment qu'elles n'avaient pas été particulièrement sages par le passé
dans leur utilisation des technologies génétiques, comme les étudiants
l'avaient rappelé à Berg lors de son séjour à Erice). En 1973, moins de deux
ans avant Asilomar, Nixon, fatigué de ses conseillers scientifiques, avait
supprimé le Bureau de la science et de la technologie 21, suscitant une onde
de choc d'anxiété dans toute la communauté scientifique. Impulsif,
autoritaire, et se méfiant de la science même dans ses meilleurs jours, le
président pouvait imposer un contrôle arbitraire sur les scientifiques à tout
moment.
Un choix crucial était en jeu. Les scientifiques pouvaient laisser le
contrôle du clonage de gène à des régulateurs imprévisibles et se retrouver
limités arbitrairement dans leur travail, ou se réguler par eux-mêmes.
Comment les biologistes allaient-ils faire face aux risques et aux
incertitudes de l'ADN recombinant ? En utilisant les méthodes qu'ils
connaissaient le mieux : recueillir des données, passer les preuves au crible,
évaluer les risques, prendre des décisions dans l'incertitude, et se disputer
sans cesse. « La leçon la plus importante d'Asilomar, a dit Berg, fut de
démontrer que les scientifiques sont capables de s'auto-gouverner 22. » Ceux
qui avaient l'habitude d'effectuer leurs recherches sans contraintes allaient
devoir apprendre à se contraindre par eux-mêmes.
La seconde caractéristique d'Asilomar concerna la nature des
communications établies entre les scientifiques et le public. La lettre de
Einstein-Szilard avait été délibérément entourée du secret. Asilomar, au
contraire, avait cherché à diffuser les inquiétudes suscitées par le clonage du
gène au travers du plus grand nombre de forums possible. Comme Berg
l'avait exprimé, « la confiance du public a été indéniablement accrue par le
fait que plus 10 % des participants provenaient des médias. Ils étaient libres
de décrire, commenter et critiquer les discussions et conclusions… Les
délibérations, chamailleries, accusations, hésitations et l'arrivée à un
consensus furent largement chroniquées par les journalistes présents 23 ».
Une dernière caractéristique d'Asilomar mérite un commentaire, pour son
absence surtout. Alors que les risques biologiques du clonage de gènes
étaient largement discutés à la conférence, il n'y eut virtuellement aucune
mention des dimensions éthiques ou morales du problème. Qu'allait-il se
passer une fois que des gènes humains seraient manipulés dans des cellules
humaines ? Et si l'on commençait à « écrire » des nouveautés dans nos
propres gènes, et potentiellement notre génome ? La conversation que Berg
avait lancée en Sicile ne fut jamais reprise.
Plus tard, Berg eut quelques pensées au sujet de cette lacune : « Est-ce
que les organisateurs et les participants d'Asilomar ont délibérément limité
la portée de leurs inquiétudes ? […] Certains ont critiqué la conférence pour
n'avoir pas évoqué la mauvaise utilisation potentielle de la technique de
l'ADN recombinant ou les dilemmes qui surgiraient d'une application de la
technologie au criblage génétique et […] à la thérapie génique. Il ne faut
pas oublier que ces possibilités étaient encore dans un lointain futur […]
Pour résumer, le programme de cette rencontre de trois jours devait se
focaliser sur une estimation des risques [biologiques] 24 ». L'absence de
cette discussion fut relevée par plusieurs participants mais ne fut jamais
abordée au cours de la rencontre elle-même. C'est un thème sur lequel nous
allons revenir.
Durant le printemps 1993, je suis allé à Asilomar avec Berg et un groupe
de chercheurs de Stanford. J'étais alors un étudiant du labo de Berg et c'était
une retraite annuelle du département. Nous avons quitté Stanford dans un
convoi de voitures et de camionnettes, longeant la côte de Santa Cruz puis
s'orientant vers l'étroite bande de terre de la péninsule de Monterey.
Kornberg et Berg conduisaient devant. J'étais dans une fourgonnette louée
pour l'occasion, conduite par un étudiant en thèse, et accompagné par un
improbable chanteur d'opéra converti à la biochimie qui travaillait sur la
réplication de l'ADN et se mettait parfois à chanter du Puccini.
Le dernier jour de notre réunion, je fis une balade à travers les bosquets
de pins en compagnie de Marianne Dieckmann, la collaboratrice et
assistance de recherche de longue date de Berg. Elle me guida dans un tour
peu orthodoxe d'Asilomar, me montrant les endroits où les révoltes et les
discussions les plus acharnées avaient éclaté. Ce fut une expédition à
travers un décor de désaccords. « Asilomar, me dit-elle, fut la rencontre la
plus batailleuse à laquelle j'ai jamais assisté. »
« Qu'est-ce que ces batailles ont produit ? » ai-je demandé. Dieckmann a
marqué une pause, regardé l'océan. L'eau s'était retirée, laissant la plage
gravée dans l'ombre des vagues. Elle utilisa son orteil pour tracer une ligne
sur le sable mouillé. « Plus que tout, Asilomar a marqué une transition, a-t-
elle répondu. La capacité à manipuler des gènes a représenté pas moins
qu'une transformation de la génétique. Nous avions appris un nouveau
langage. Nous avions besoin de nous convaincre, et de convaincre le reste
du monde, que nous étions assez responsables pour l'utiliser. »
C'est sous l'impulsion de la science que l'on essaye de comprendre la
nature, et sous l'impulsion de la technologie que l'on essaye de la manipuler.
L'ADN recombinant avait fait passer la génétique du domaine de la science
dans celui de la technologie. Les gènes n'étaient plus des abstractions. Ils
pouvaient être libérés du génome des organismes où ils y avaient été
prisonniers pendant une éternité, transportés entre les espèces, amplifiés,
purifiés, agrandis, raccourcis, modifiés, combinés, mutés, réarrangés,
coupés, collés, édités. Ils étaient désormais infiniment malléables par
l'homme. Ils n'étaient plus simplement des objets d'étude mais des
instruments d'étude. Il y a un moment d'illumination dans le développement
d'un enfant quand il saisit la récursivité du langage : de même que les
pensées peuvent servir à générer des mots, il comprend que des mots
peuvent servir à générer des pensées. L'ADN recombinant avait rendu le
langage de la génétique récursif. Les biologistes avaient passé des
décennies à questionner la nature du gène, mais c'était maintenant le gène
qui pouvait servir à interroger la biologie. Nous avions, pour résumer, passé
le diplôme pour penser non plus sur les gènes mais avec les gènes.
Asilomar a ainsi marqué le franchissement de ce moment charnière.
C'était une célébration, une appréciation, une assemblée, une confrontation,
un avertissement. Cela avait commencé par un discours et fini par un
document. Ce fut la cérémonie diplômante pour la nouvelle génétique.
« Cloner ou mourir »

« Si vous connaissez la question, vous en savez la moitié 1. »


Herbert Boyer

« Toute technologie suffisamment avancée ne peut se distinguer de la


magie 2. »
Arthur C. Clarke

Stan Cohen et Herb Boyer étaient eux aussi allés à Asilomar pour
débattre de l'avenir de l'ADN recombinant. Ils furent irrités par la
conférence, et même découragés. Boyer ne pouvait supporter les querelles
internes et les invectives, il trouva que les scientifiques « servaient leurs
propres intérêts » et qualifia la rencontre de « cauchemar ». Cohen refusa de
signer l'accord d'Asilomar (étant financé par le NIH, il allait pourtant finir
par devoir s'y conformer).
De retour dans leur laboratoire, ils revinrent sur une question qu'ils
avaient négligée dans toute cette agitation. En mai 1974, le laboratoire de
Cohen publia l'expérience du « prince grenouille », le transfert d'un gène de
grenouille dans une bactérie. Lorsqu'un collègue lui demanda comment il
avait identifié les bactéries exprimant le gène de grenouille, il répliqua en
plaisantant qu'il avait embrassé les bactéries pour vérifier celles qui se
transformaient en prince.
Dans un premier temps, l'expérience n'avait été qu'un travail
universitaire, elle n'avait ému que les biochimistes (Joshua Lederberg, le
biochimiste prix Nobel de médecine et collègue de Cohen à Stanford, fut
parmi les rares à écrire avec un bon pressentiment que l'expérience
« pouvait complètement changer l'approche de l'industrie pharmaceutique
pour fabriquer des éléments biologiques tels que l'insuline ou des
antibiotiques 3 »). Mais petit à petit, les médias prirent conscience de
l'impact potentiel de l'étude.
En mai, le San Francisco Chronicle publia un article sur Cohen centré
sur la possibilité que des bactéries génétiquement modifiées puissent un
jour servir « d'usines » biologiques pour des médicaments ou des
substances chimiques 4. Bientôt, des articles sur les techniques de clonage
de gène parurent dans Newsweek et le New York Times. Cohen fut aussi
rapidement initié aux côtés parfois sordides du journalisme scientifique.
Ayant patiemment discuté un après-midi avec un journaliste sur l'ADN
recombinant et le transfert de gène bactérien, il se réveilla le lendemain
avec le gros titre hystérique : « Des bestioles faites par l'homme ravagent la
Terre 5. »
Dans le bureau des brevets de l'université de Stanford, Niels Reimers, un
ancien ingénieur perspicace, prit connaissance du travail de Cohen et Boyer
par ces publications et fut intrigué par leur potentiel. Reimers, moins un
spécialiste des brevets qu'un éclaireur avisé, était quelqu'un d'actif et
d'entreprenant. Au lieu d'attendre que les inventeurs lui apportent leurs
trouvailles, il explorait la littérature scientifique de son côté pour trouver
des nouvelles pistes potentielles. Il prit contact avec Boyer et Cohen, leur
enjoignant de déposer un brevet commun sur leur travail de clonage des
gènes (les universités de Stanford et de l'UCSF, leurs institutions
respectives, allaient aussi faire partie des auteurs de ce brevet). Cohen et
Boyer furent tous les deux surpris. Au cours de leurs expériences, ils
n'avaient même pas pensé à l'idée que les techniques de l'ADN recombinant
puissent être « brevetables » ou aient un jour une quelconque valeur
commerciale. Durant l'hiver 1974, encore sceptiques mais désireux de faire
plaisir à Reimers, ils déposèrent un brevet pour la technologie de l'ADN
recombinant 6.
La nouvelle de ce dépôt de brevet revint aux scientifiques. Elle rendit
furieux Kornberg et Berg. Les prétentions de Cohen et Boyer « à la
propriété commerciale des techniques pour le clonage de tout ADN, dans
tout vecteur, fait de toutes les manières possibles, dans tout organisme [est]
douteuse, présomptueuse et démesurée 7 » écrivit Berg. Le brevet allait
selon eux privatiser les produits d'une recherche biologique qui avait été
financée par de l'argent public. Berg s'inquiétait aussi de ce que les
recommandations de la Conférence d'Asilomar ne soient pas correctement
suivies et respectées dans les sociétés privées. Pour Boyer et Cohen,
cependant, tout cela semblait beaucoup de bruit pour rien. Leur « brevet »
sur l'ADN recombinant n'était rien de plus qu'une feuille de papier pour des
questions juridiques, ayant moins de valeur, peut-être, que l'encre qui avait
servi à l'imprimer.
Durant l'automne 1975, avec encore de très nombreux articles en
chantier, Cohen et Boyer prirent des orientations scientifiques différentes.
Leur collaboration avait été immensément productive – ils avaient publié
ensemble onze articles historiques en cinq ans –, mais leurs intérêts avaient
commencé à diverger. Cohen devint consultant pour une société appelée
Cetus en Californie tandis que Boyer retourna à son laboratoire à San
Francisco pour se consacrer à ses expériences de transfert de gène
bactérien.

Au cours de l'hiver 1975, un investisseur de capital-risque de vingt-huit


ans, Robert Swanson, appela un jour Boyer pour demander à le voir 8.
Swanson était amateur de magazines de vulgarisation scientifique et de
films de science-fiction ; il avait aussi entendu parler d'une nouvelle
technologie appelée « ADN recombinant ». Swanson avait un instinct pour
les technologies. Même s'il ne connaissait presque rien à la biologie, il avait
senti que l'ADN recombinant représentait un changement majeur dans la
manière de penser les gènes et l'hérédité. Il avait également déniché un
document de la Conférence d'Asilomar, fait une liste des acteurs importants
du domaine et commencé à s'y attaquer dans l'ordre alphabétique. Berg vint
avant Boyer, mais Berg, qui n'avait aucune patience pour les hommes
d'affaires qui l'appelaient de but en blanc au laboratoire, avait refusé de voir
Swanson. Ce dernier, ravalant son orgueil, était passé au suivant sur la liste.
B… Boyer était le suivant. Allait-il lui faire un meilleur accueil ? Plongé
dans ses expériences, Herb Boyer répondit distraitement à l'appel de
Swanson un matin. Il offrit dix minutes de son temps un vendredi après-
midi.
Swanson vint voir Boyer en janvier 1976. Le laboratoire était situé dans
un recoin crasseux du bâtiment des sciences médicales de l'UCSF. Swanson
était en costume sombre et cravate. Boyer surgit au milieu de montagnes de
boîtes à moitié moisies et d'incubateurs, vêtu d'un jean et de son gilet de
cuir. Il en savait peu sur Swanson, mis à part qu'il était un capital-risqueur
voulant créer une société autour de l'ADN recombinant. S'il s'était un peu
plus renseigné, il aurait découvert que presque tous les investissements
précédents de Swanson dans de jeunes entreprises avaient échoué. Swanson
n'avait plus de travail, vivait dans un appartement en colocation à San
Francisco, avait une Datsun hors d'âge et mangeait des sandwichs midi et
soir.
Les dix minutes fixées se transformèrent en une rencontre marathon. Ils
allèrent dans un bar voisin, parlèrent d'ADN recombinant et du futur de la
biologie. Swanson proposa de lancer une société qui utiliserait les
techniques de clonage génétique pour faire des médicaments. Boyer était
fasciné. Un trouble potentiel de la croissance avait été diagnostiqué chez
son fils et il était obsédé par l'idée de pouvoir produire l'hormone de
croissance humaine, une protéine capable de traiter ce genre de défaut de
croissance. Il savait qu'il pouvait être capable de fabriquer cette hormone de
croissance dans son laboratoire en utilisant ses propres méthodes de
découpage des gènes et d'insertion dans des bactéries, mais que cela serait
inutile : aucune personne saine d'esprit ne serait prête à injecter à son enfant
un produit bactérien venant des éprouvettes d'un laboratoire scientifique.
Pour faire un produit médical, Boyer avait besoin de créer un nouveau type
de compagnie pharmaceutique, qui ferait des médicaments à partir de
gènes.
Trois heures et trois bières plus tard, Swanson et Boyer avaient conclu un
accord préalable. Ils verseraient chacun 500 dollars pour couvrir les frais
légaux de démarrage d'une telle compagnie. Swanson rédigea un projet de
six pages. Il sollicita de son ancien employeur, la société de capital-risque
Kleiner Perkins, un fonds d'amorçage de 500 000 dollars. La société jeta un
coup d'œil rapide à la proposition et divisa ce chiffre par cinq à
100 000 dollars (« Cet investissement est très spéculatif, écrivit Perkins par
la suite pour le justifier auprès d'un régulateur californien, mais nous
sommes dans un domaine qui fait des investissements hautement
spéculatifs »).
Boyer et Swanson avaient presque tous les ingrédients pour créer une
nouvelle compagnie, sauf un produit et un nom. Le premier produit
potentiel, au moins, était clair dès le départ : c'était l'insuline. Malgré de
nombreuses tentatives pour la synthétiser par diverses méthodes, cette
hormone était encore extraite de viscères de vaches et de porcs, huit tonnes
de pancréas en donnant un kilo. La méthode quasi médiévale était
inefficace, coûteuse et dépassée. Si Boyer et Swanson pouvaient faire
exprimer l'insuline par des bactéries en manipulant son gène, ce serait un
résultat historique pour la nouvelle société. Restait la question du nom.
Boyer rejeta la suggestion de HerBob, qui sonnait comme le nom d'un salon
de coiffure dans le Castro District 9 10. Soudainement inspiré, Boyer proposa
la contraction de Genetic Engineering Technology, Gen-en- tech.

L'insuline, la grande vedette des hormones. En 1869, un étudiant en


médecine, Paul Langerhans 11, avait observé au microscope le pancréas, un
tissu fragile en forme de feuille collé sous l'estomac, et découvert qu'il
portait de minuscules îlots de cellules à l'aspect distinct du reste du tissu.
Ces archipels de cellules furent nommés par la suite les îlots de Langerhans
mais leur fonction demeura mystérieuse. Deux décennies plus tard, deux
chirurgiens, Oskar Minkowski et Josef von Mering, retirèrent le pancréas
d'un chien pour tenter de comprendre sa fonction 12. L'animal fut pris d'une
soif implacable et se mit à uriner sans retenue sur le sol.
Mering et Minkoswki étaient perplexes. Pourquoi le fait d'enlever cet
organe abdominal avait-il provoqué ce curieux syndrome ? Un indice surgit
d'une manière inattendue. Quelques jours plus tard, un assistant remarqua
que le laboratoire était plein de mouches. Elles volaient en essaim autour
des flaques d'urine du chien qui s'était concentrée comme de la mélasse* *.
Lorsque Mering et Minkowski testèrent l'urine et le sang du chien, ceux-ci
étaient pleins de sucre. Ils réalisèrent qu'un facteur produit par le pancréas
devait réguler la teneur en sucre du sang et que son absence devait causer le
diabète. Ce facteur s'avéra plus tard être une hormone, une protéine sécrétée
dans le sang par ces « îlots de cellules » que Langerhans avait identifiés.
L'hormone fut appelée isletin, puis insuline, soit la « protéine de l'île ».
L'identification de l'insuline dans le tissu pancréatique lança la course à
sa purification, mais il fallut encore deux décennies pour arriver à l'isoler
chez l'animal. Finalement, en 1921, Banting et Best purent extraire quelques
microgrammes de la substance à partir de dizaines de kilos de pancréas de
vache 13. Injectée à des enfants diabétiques, l'hormone induisit la
restauration rapide d'un taux normal de sucre dans le sang tout en faisant
cesser la soif et la miction. L'hormone s'avéra cependant particulièrement
difficile à étudier, étant insoluble, sensible à la chaleur, instable,
mystérieuse, singulière. En 1953, trois décennies plus tard, Fred Sanger put
déduire sa séquence en acides aminés 14. Il trouva qu'elle était formée de
deux chaînes, une grande et une petite, reliées par des ponts chimiques. En
forme de U, comme une minuscule main moléculaire, avec des doigts serrés
et un pouce opposé, elle semblait faite pour tourner les poignées et
composer les numéros qui régulent si puissamment le métabolisme du sucre
dans l'organisme.
Le plan de Boyer pour synthétiser l'insuline était d'une simplicité presque
comique. Il n'avait pas le gène de l'insuline humaine sous la main, personne
ne l'avait, mais il allait le construire à partir de zéro en utilisant la chimie de
l'ADN, nucléotide après nucléotide, triplet après triplet, ATG, CCC, TCC et
ainsi de suite, du premier triplet codant au dernier. Il allait faire un gène
pour la chaîne A et un autre pour la chaîne B. Puis il insérerait les deux
dans la bactérie et l'inciterait à produire les protéines humaines. Il allait
ensuite purifier les deux protéines et les relier chimiquement pour obtenir la
molécule en forme de U. C'était un jeu d'enfant. Il allait construire la
molécule la plus recherchée en médecine clinique morceau après morceau,
à partir d'un mécano d'ADN.
Mais même Boyer, téméraire comme il l'était, blêmissait à l'idée de
s'attaquer directement à l'insuline. Il voulait une molécule test plus facile,
un sommet plus accessible avant de partir à la conquête de l'Everest des
molécules. Il se concentra sur une autre protéine, également une hormone
mais avec un plus faible potentiel commercial. Son principal avantage était
la taille. L'insuline avait une longueur redoutable de cinquante et un acides
aminés, vingt et un pour la petite chaîne et trente pour la grande. La
somatostatine était sa cousine plus courte, plus terne, de juste quatorze
acides aminés.
Pour synthétiser le gène de la somatostatine à partir de zéro 15, Boyer
recruta deux chimistes de l'hôpital City of Hope à Los Angeles, Keiichi
Itakura et Arthur Riggs, deux vétérans de la synthèse d'ADN 16. Swanson
était fermement opposé à tout le projet. Il craignait que la somatostatine ne
soit finalement une folie et voulait que Boyer se lance directement sur
l'insuline. Genentech vivait à crédit dans des locaux prêtés. Il suffisait de
gratter un peu la surface pour voir que la « compagnie pharmaceutique »
était, en réalité, une pièce louée dans un espace de bureaux à San Francisco
avec une antenne dans un laboratoire de microbiologie de l'UCSF qui, à son
tour, allait louer les services de deux chimistes d'un autre laboratoire pour
faire des gènes – version pharmaceutique d'une pyramide de Ponzi.
Pourtant, Boyer réussit à convaincre Swanson de donner sa chance à la
somatostatine. Ils payèrent un avocat, Tom Kiley, pour négocier les accords
entre l'UCSF, Genentech et l'hôpital City of Hope. Kiley n'avait jamais
entendu parler de biologie moléculaire mais il se sentait en confiance car il
avait déjà eu l'occasion de traiter des cas inhabituels. Avant Genentech, son
client le plus célèbre avait été la Miss América Nue.
Le temps aussi était à crédit à Genentech. Boyer et Swanson savaient que
deux experts dominants de la génétique étaient entrés dans la course pour
fabriquer l'insuline. À Harvard, Walter Gilbert, le chimiste de l'ADN qui
allait partager le prix Nobel de chimie avec Berg et Sanger, dirigeait une
impressionnante équipe de scientifiques pour la synthétiser en passant par le
clonage de son gène. Et à l'UCSF, dans l'arrière-cour de Boyer, une autre
équipe s'était elle aussi lancée dans le clonage de son gène. « Je pense que
nous l'avions tous en tête la plupart du temps […] tous les jours ou presque,
se rappelle un collègue de Boyer. J'y pensais tout le temps : allons-nous
entendre l'annonce du succès de Gilbert 17 ? ».
Au terme d'un travail frénétique conclu à l'été 1977, Riggs et Itakura
avaient assemblé, sous le regard anxieux de Boyer, tous les ingrédients pour
la synthèse de la somatostatine. Le gène avait été fabriqué et inséré dans un
plasmide bactérien. La bactérie avait été transformée, cultivée et préparée
pour produire la protéine. En juin, Boyer et Swanson s'envolèrent pour Los
Angeles afin d'assister au dernier acte. L'équipe se retrouva un matin dans
le labo de Riggs. Ils se penchèrent pour voir l'appareil détectant par une
mesure de la radioactivité la production de somatostatine dans les bactéries.
Le compteur clignota. Silence. Pas le moindre signal d'une protéine
fonctionnelle n'apparaissait.
Swanson était consterné. Le matin suivant, il fit une indigestion aiguë et
fut envoyé aux urgences. Pendant ce temps, les scientifiques se remettaient
avec un café et des beignets, scrutant le protocole de l'expérience, les
problèmes possibles. Boyer, qui travaillait depuis des décennies sur les
bactéries, savait qu'elles digèrent souvent leurs propres protéines. Peut-être
que la somatostatine avait été détruite par les bactéries, leur dernier tour
pour se venger d'avoir été enrôlées par les généticiens. Il fit le pari que la
solution serait d'ajouter une dernière astuce à toutes leurs machinations : ils
colleraient le gène de la somatostatine à un gène bactérien pour faire une
protéine hybride, qu'ils cliveraient ensuite pour libérer l'hormone. C'était un
moyen génétique de resquiller, faire croire à la bactérie qu'elle fabriquait
une protéine à elle, pour finalement lui faire sécréter une protéine humaine.
Cela prit encore trois mois pour accoler le gène leurre, faire entrer la
somatostatine dans le cheval de Troie d'un gène bactérien. En août 1977,
l'équipe se réunit à nouveau dans le laboratoire de Riggs. Swanson regardait
nerveusement l'appareil clignoter et détournait la tête de temps en temps.
Soudain, l'instrument se mit à crépiter dans le silence. Puis une autre fois, et
une autre fois. Comme Itakura se le rappelait plus tard, « Nous avions dix,
peut-être quinze échantillons positifs. Lorsque nous avons regardé
l'imprimé des résultats du test radioimmunologique, il montrait clairement
que le gène était exprimé ». Il se tourna vers Swanson pour lui dire : « La
somatostatine est bien là. »

Les scientifiques de Genentech purent difficilement s'accorder une pause


pour fêter le succès de leur expérience avec la somatostatine. Un soir, une
nouvelle protéine humaine, mais dès le lendemain ils étaient déjà réunis
pour s'attaquer à l'insuline. La compétition était sauvage et les rumeurs
abondaient. L'équipe de Gilbert avait apparemment réussi à cloner tout le
gène humain de l'insuline à partir de cellules humaines et se préparait à en
produire des seaux entiers. Ou les concurrents de l'UCSF avaient déjà
synthétisé quelques microgrammes de la protéine et projetaient de l'injecter
à des patients. Peut-être que la somatostatine avait été une folie. Swanson et
Boyer se demandaient tristement s'ils ne s'étaient pas égarés et n'avaient pas
été distancés dans la course à l'insuline. Sujet aux indigestions même dans
les meilleurs moments, Swanson semblait parti pour une autre crise
d'anxiété et de problèmes gastriques.
Ce fut, ironie de l'histoire, de la Conférence d'Asilomar, celle-là
justement que Boyer avait dénigrée avec tant de hargne, que vint leur salut.
Comme la plupart des laboratoires universitaires bénéficiant d'un
financement fédéral, le laboratoire de Gilbert à Harvard était sujet aux
restrictions d'Asilomar sur l'ADN recombinant. Ces limitations étaient
particulièrement fortes parce que Gilbert tentait d'isoler le gène humain
« naturel » et de le cloner dans des cellules bactériennes.
C'était bien différent pour Riggs et Itakura qui, sur la lancée de la
somatostatine, avaient décidé d'utiliser une version synthétique du gène,
donc de le construire à partir de zéro, nucléotide après nucléotide. Un gène
synthétique, un ADN créé sous forme d'une molécule nue, était moins
clairement concerné par le texte d'Asilomar et était relativement exempté
des restrictions édictées. Genentech, en tant que compagnie à financement
privé, était aussi relativement moins concerné par les recommandations
fédérales 18. La combinaison de ces facteurs s'avéra cruciale pour avantager
la compagnie. Comme l'un de ses employés se le rappelait plus tard, « avant
d'arriver dans la pièce où il devait mener ses expériences, Gilbert traversait
depuis de nombreux jours un sas et trempait ses chaussures dans du
formol 19. Du côté de Genentech, nous faisions simplement la synthèse d'un
ADN que nous mettions dans des bactéries, ce qui nous affranchissait de
toute mise en conformité avec les recommandations du NIH ». Dans le
monde de la génétique de l'après Asilomar, « être naturel » était devenu un
handicap.

Le « bureau » de Genentech, la glorieuse pièce louée à San Francisco,


n'était plus adapté. Swanson commença à sillonner la ville à la recherche
d'un espace pour sa compagnie naissante. Au printemps 1978, après avoir
exploré par monts et par vaux la Bay Area, il trouva le site approprié. Le
long d'une colline fauve brûlée par le soleil à quelques kilomètres au sud de
San Francisco, l'endroit était appelé Industrial City, bien qu'il ne fût pas
vraiment industriel ni une cité. Le laboratoire de Genentech était un hangar
de presque mille mètres carrés au boulevard 460 Point San Bruno 20, au
milieu de silos de stockage, de décharges et de bâtiments pour le fret de
l'aéroport. La moitié arrière du hangar hébergeait une aire de stockage pour
un distributeur de vidéos porno. « En entrant par la porte de derrière de
Genentech, vous aviez tous ces films sur des étagères » a décrit un ancien
employé 21.
Boyer embaucha quelques scientifiques de plus, certains ayant à peine
leur licence, et commença à installer les équipements. Des murs furent
construits pour diviser le grand espace. Un laboratoire de fortune fut créé en
suspendant des bâches noires à partir du toit. Le premier « fermenteur »
pour cultiver des litres de soupe bactérienne – une cuve de bière améliorée
– arriva cette année-là. David Goeddel, le troisième employé de la
compagnie, se déplaçait dans le hangar en baskets avec un T-shirt noir où
était écrit « Clone or die 22 ».
Pourtant, aucune insuline n'était en vue. À Boston, Swanson savait que
Gilbert avait amplifié son effort de guerre, littéralement. Exaspéré par les
contraintes sur l'ADN recombinant à Harvard (dans les rues de Cambridge,
des jeunes protestaient en portant des pancartes contre le clonage de gène),
Gilbert avait obtenu l'accès en Angleterre à un établissement de haute
sécurité pour la guerre biologique où il avait envoyé une équipe de ses
meilleurs scientifiques. Les conditions y étaient drastiques à un point
complètement absurde. « Vous changiez totalement d'habits, preniez une
douche en entrant et en sortant, portiez des masques à gaz de sorte que si
une alarme retentissait vous pouviez stériliser tout le laboratoire 23 », se
rappelait Gilbert. L'équipe de l'UCSF, à son tour, envoya un étudiant dans
un laboratoire pharmaceutique à Strasbourg en France dans l'espoir de créer
l'insuline dans un établissement français bien sécurisé.
Le groupe de Gilbert était à deux doigts du succès. Durant l'été 1978,
Boyer apprit que l'équipe de Gilbert allait annoncer l'isolement du gène
humain de l'insuline 24. Swanson se prépara à affronter une nouvelle crise, la
troisième. À son grand soulagement, le gène de l'insuline que Gilbert avait
réussi à cloner s'avéra être non pas celui de l'homme mais du rat, en raison
d'une contamination dans le matériel soigneusement stérilisé utilisé pour le
clonage. Le clonage avait permis de s'affranchir de la barrière d'espèce mais
cela permettait du même coup à un gène d'une autre espèce de contaminer
une expérience.
Dans l'étroit intervalle de temps entre le déménagement de Gilbert en
Angleterre et le clonage par erreur du gène de l'insuline de rat, Genentech
avait bien avancé. C'était une fable inversée, avec un Goliath universitaire
contre un David pharmaceutique, l'un bien lourd, puissant, handicapé par sa
taille, et l'autre agile, rapide, expert à contourner les règles. En mai 1978,
l'équipe de Genentech avait réussi à faire synthétiser les deux chaînes de
l'insuline par les bactéries. En juillet, les scientifiques avaient purifié les
protéines des débris bactériens. Début août, ils clivèrent les parties
bactériennes des protéines et isolèrent les deux chaînes individuelles. Le
21 août 1978, tard dans la nuit, Goeddel rassembla les deux chaînes dans un
tube à essai pour créer les premières molécules d'insuline recombinante 25.
En septembre 1978, deux semaines après que Goeddel eut créé l'insuline
in vitro, Genentech déposa une demande de brevet pour l'insuline. Dès le
départ, la compagnie rencontra une série de défis légaux inédits. Depuis
1952, le United States Patent Act spécifiait que les brevets pouvaient être
déposés dans quatre catégories distinctes d'inventions : les méthodes, les
machines, les matériaux manufacturés et les compositions de matière, les
quatre M comme les juristes aimaient les appeler. Mais comment l'insuline
pouvait-elle trouver sa place dans cette liste ? C'était un « matériau
manufacturé » mais pratiquement tout organisme humain pouvait la
fabriquer sans l'aide de Genentech. C'était une « composition de matière »
mais aussi, indéniablement, un produit naturel. En quoi le fait de breveter
l'insuline – la protéine ou son gène – était différent du brevetage de toute
autre partie du corps humain, comme disons le nez ou le cholestérol ?
Pour résoudre ce problème, Genentech adopta une démarche à la fois
ingénieuse et contre-intuitive. Plutôt que de breveter l'insuline en tant que
« matière » ou « produit manufacturé », la compagnie concentra ses efforts
avec audace sur une variante de la « méthode ». Sa demande de brevet
portait sur un « véhicule d'ADN » pour transporter un gène dans une
bactérie et produire ainsi une protéine recombinante dans un
microorganisme. Elle était tellement nouvelle – personne n'avait jamais
produit une protéine humaine recombinante pour un usage médical – que
l'audace paya. Le 26 octobre 1982, l'office des brevets et marques américain
(USPTO) accorda un brevet à Genentech pour l'usage d'ADN recombinant
afin de produire une protéine telle que l'insuline ou la somatostatine dans un
organisme microbien 26. Comme un observateur de l'époque le nota, « dans
les faits, le brevet déclarait comme une invention [tout] microorganisme
génétiquement modifié 27 ». Le brevet Genentech allait devenir rapidement
l'un des plus lucratifs et des plus controversés de l'histoire des techniques.

L'insuline fut une étape majeure pour l'industrie des biotechnologies, et


un médicament phare pour Genentech. Mais elle ne fut pas, il faut le noter,
le médicament qui allait propulser la technique de clonage de gène au
premier rang dans l'imagination du public.
En avril 1982, un danseur de ballet à San Francisco, Ken Horne, alla voir
un dermatologue pour un ensemble inexplicable de symptômes. Horne se
sentait faible depuis des mois et une toux s'était installée. Il avait des crises
de diarrhées impossibles à traiter, la perte de poids avait creusé ses joues et
faisait ressortir les muscles de son cou comme des lanières de cuir. Ses
ganglions lymphatiques avaient gonflé. Et maintenant – il souleva sa
chemise pour le montrer, – un réseau de bosses apparaissait sur sa peau, aux
couleurs violacées, comme des ruches dans un dessin animé macabre.
Le cas de Horne n'était pas isolé. Entre mai et août 1982, alors que les
côtes américaines étouffaient sous une vague de chaleur, des cas médicaux
bizarres de ce type furent rapportés à San Francisco, New York, et Los
Angeles. Au Centre du contrôle des maladies (CDC) à Atlanta, un employé
reçut neuf demandes de pentamidine, un antibiotique peu courant réservé au
traitement de la pneumonie à Pneumocystis, un champignon. Cela paraissait
très surprenant. Cette pneumonie est due à une infection rare qui afflige les
patients atteints d'un cancer et dont le système immunitaire est sévèrement
déprimé alors que les demandes étaient pour des hommes jeunes,
auparavant en pleine forme, dont le système immunitaire s'effondrait
soudain d'une manière inexplicable.
Horne, de son côté, fut diagnostiqué comme ayant un sarcome de Kaposi,
un cancer de la peau indolent retrouvé chez les hommes âgés des bords de
la Méditerranée. Seulement le cas de Horne, ainsi que les neuf autres qui
furent signalés dans les quatre mois suivants, ressemblait peu aux lentes
tumeurs de Kaposi décrites auparavant dans la littérature médicale. Il
s'agissait de cancers agressifs, foudroyants, qui se propageaient rapidement
dans la peau et les poumons et semblaient avoir une prédilection pour les
communautés gays de New York et San Francisco. Le cas de Horne laissait
perplexe les spécialistes, d'autant que pour ajouter du mystère au mystère, il
développa aussi une pneumonie à Pneumocystis et une méningite. Vers la
fin août, une épidémie désastreuse surgissait clairement de nulle part. Les
homosexuels étant particulièrement touchés, les médecins appelèrent la
nouvelle maladie le GRID, pour déficience immunitaire liée aux hommes
gay. Beaucoup de journaux reprirent le terme accusateur de « peste gay 28 ».
En septembre, cette appellation s'avéra trompeuse car des symptômes
d'effondrement immunitaire, incluant la pneumonie à Pneumocystis et des
formes étranges de méningites, avaient fait leur apparition chez trois
patients atteints d'hémophilie A. L'hémophilie, rappelez-vous, la maladie du
sang présente dans la famille royale anglaise, est due à une seule mutation
dans un gène codant pour un facteur crucial pour la coagulation, le facteur
IX pour la forme B (celle de la reine Victoria) et le facteur VIII pour la
forme A, la plus commune. Pendant des siècles, les patients hémophiles
avaient vécu dans la peur constante d'un saignement sans fin. Une
égratignure pouvait se transformer en catastrophe. Au milieu des années
1970 cependant, les hémophiles A étaient traités par des injections de
facteur VIII concentré. Purifiée à partir de milliers de litres de sang humain,
une seule dose du facteur était équivalente à cent transfusions sanguines.
Un patient hémophile était ainsi exposé à la quintessence du sang de
milliers de donneurs. L'émergence du mystérieux effondrement immunitaire
chez ces personnes faisait soupçonner un facteur sanguin, peut-être un
nouveau virus qui aurait contaminé les lots de facteur VIII. La maladie fut
renommée syndrome d'immunodéficience acquise, ou Sida.

Au printemps 1983, dans le contexte des premiers cas de Sida, David


Goeddel de Genentech commença à s'intéresser au clonage du gène du
facteur VIII. Comme avec l'insuline, la logique sous-jacente était évidente :
créer la protéine artificiellement au lieu de passer par la purification du
facteur de la coagulation à partir du sang humain. Si le facteur VIII pouvait
être produit par les méthodes de recombinaison génétique, il serait
dépourvu de tout contaminant humain et donc beaucoup plus sûr que toute
protéine dérivée du sang humain. Cela permettrait d'éviter des vagues
d'infections et de décès chez les hémophiles. C'était rendre vivant le slogan
de son vieux T-shirt, « clone ou meurs ».
Goeddel et Boyer n'étaient pas les seuls généticiens à envisager le
clonage du facteur VIII. Comme pour l'insuline, une course s'était engagée,
bien que les concurrents soient différents. À Cambridge, dans le
Massachusetts, une équipe de chercheurs de Harvard conduite par Tom
Maniatis et Mark Ptashne s'était tournée vers le facteur VIII. Elle avait créé
sa propre compagnie, le Genetics Institute, ou GI. Les deux équipes en lice
savaient que la fabrication du facteur VIII allait repousser les limites du
clonage de gène. La somatostatine avait 14 acides aminés, l'insuline 51 et le
facteur VIII 2 350. Il s'agissait d'un bond en taille de 160 fois à partir de la
somatostatine, différence presque équivalente entre la distance franchie par
Wilbur Wright lors de son premier tour d'aéroplane à Kitty Hawk et le trajet
de Lindbergh au-dessus de l'Atlantique.
Ce bond en taille n'était pas seulement quantitatif. Pour l'effectuer, les
cloneurs de gènes allaient devoir utiliser de nouvelles techniques. Les gènes
de la somatostatine et de l'insuline avaient été synthétisés à partir de zéro en
additionnant une à une les bases d'ADN, A ajoutée chimiquement à G, puis
C, et ainsi de suite. Mais le gène du facteur VII était bien trop gros pour être
créé par ce moyen chimique. Pour l'isoler, Genentech comme GI allaient
devoir extraire le gène natif des cellules humaines, le pêcher comme un ver
enfoui dans le sol.

Mais le « ver » n'allait pas sortir facilement, ou intact, du génome. La


plupart des gènes du génome sont, rappelez-vous, interrompus par des
segments d'ADN appelés introns disséminés entre les différentes parties du
message. Au lieu du mot génome, le gène se lira gén………om…….e. Les
introns des gènes humains sont souvent énormes, s'étendant sur de très
grandes longueurs d'ADN, ce qui rend pratiquement impossible tout
clonage direct du gène (la partie intron allonge trop l'ensemble pour qu'il
puisse tenir dans un plasmide bactérien).
Maniatis trouva une solution ingénieuse. Il avait été le premier à mettre
au point la technique de reconstruction d'un gène à partir de son ARN en
utilisant la transcriptase inverse, l'enzyme qui peut copier de l'ARN en
ADN. Le recours à la transcriptase inverse rendait possible le clonage du
gène à partir de son ARN débarrassé des séquences introniques par la
cellule. Cette dernière allait faire tout le travail pour fournir un ARN prêt à
être copié en un ADN clonable.
À la fin de l'été 1983, en utilisant toutes les techniques disponibles, les
deux équipes avaient réussi à cloner le gène du facteur VIII. C'était
maintenant une course acharnée pour aboutir. En décembre 1983, encore au
coude à coude, les deux groupes annoncèrent avoir assemblé toute la
séquence et introduit le gène dans un plasmide. Ce plasmide fut ensuite
introduit dans des cellules ovariennes de hamster connues pour leur
capacité à synthétiser de grosses quantités de protéines. En janvier 1984, les
premières traces de facteur VIII commencèrent à apparaître dans les
milieux de culture cellulaire. En avril, soit exactement deux ans après
l'apparition des premiers cas de Sida aux État-Unis 29, Genentech et GI
annoncèrent avoir purifié le facteur VIII recombinant in vitro, soit un
facteur de la coagulation indemne de toute contamination sanguine.
En mars 1987, Gilbert White, un hématologue, dirigea le premier essai
clinique du facteur VIII recombinant au Centre pour la thrombose de
Caroline du Nord. Le premier patient traité fut G. M., un hémophile de
quarante-trois ans. Alors que la première perfusion du produit entrait dans
ses veines, White se tenait anxieusement au chevet de G. M., essayant
d'anticiper les réactions de l'organisme au produit. Au bout de quelques
minutes de transfusion, G. M. s'arrêta de parler. Ses yeux se fermèrent, son
menton retomba sur sa poitrine. « Parlez-moi », supplia White. Il n'y eut pas
de réponse. White était sur le point de déclencher une alerte médicale quand
G. M. rouvrit les yeux, fit un cri de hamster et éclata de rire.

La nouvelle de la réussite du traitement de G. M. se répandit


instantanément parmi la communauté désespérée des hémophiles.
L'apparition du Sida en son sein avait été pour elle un cataclysme dans un
cataclysme. Contrairement aux homosexuels, qui avaient rapidement monté
une réponse concertée et offensive contre l'épidémie, boycottant les bains
publics et les clubs, prônant des rapports protégés et faisant campagne pour
l'usage des préservatifs, les hémophiles avaient vu avancer l'ombre de la
maladie saisis d'horreur : ils ne pouvaient pas boycotter les dons de sang.
Entre avril 1984 et mars 1985, jusqu'aux premiers tests de contamination
virale du sang autorisés par la FDA 30, tous les hémophiles admis à l'hôpital
étaient confrontés au choix terrible de saigner à mort ou d'être infecté par un
virus mortel. Le taux d'infection des hémophiles durant cette période fut
énorme et parmi ceux atteints de la forme la plus sévère de la maladie, 90 %
ont acquis le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) par du sang
contaminé 31.
Le facteur VIII recombinant arriva trop tard pour sauver la vie de la
plupart de ces personnes. Presque tous les hémophiles infectés par le VIH
de l'époque allaient mourir des complications de la maladie. Même ainsi, la
production du facteur VIII à partir de son gène était une innovation
conceptuelle importante, bien qu'elle paraisse paradoxale. Les craintes
d'Asilomar s'étaient parfaitement inversées. Pour finir, un pathogène
« naturel » avait ravagé des populations humaines. Et les étranges artifices
du clonage génétique – insérer un gène humain dans la bactérie, puis faire
fabriquer la protéine correspondante par des cellules de hamster – s'étaient
révélés le plus sûr moyen de produire un produit médical pour l'homme.

Il est tentant d'écrire l'histoire des techniques à travers leurs produits : la


roue, le microscope, l'avion, internet. Mais il est plus éclairant de le faire à
travers ses transitions : du mouvement linéaire à celui circulaire, de l'espace
visuel à l'infra-visuel, du mouvement sur terre à celui dans l'air, de la mise
en réseau physique aux réseaux virtuels.
La production de protéines à partir d'ADN recombinant a représenté une
transition cruciale de ce type dans l'histoire des techniques médicales. Pour
comprendre son impact, du gène à la médecine, nous devons comprendre
l'histoire des médicaments. Pour l'essentiel, un médicament n'est rien de
plus qu'une molécule capable d'induire un changement thérapeutique dans
la physiologie humaine. Les médicaments peuvent être de simples produits
chimiques – l'eau dans le bon contexte et à la bonne dose en est un – ou des
molécules plus complexes, à plusieurs dimensions. Ils sont aussi
étonnamment rares. Bien qu'il en existe des milliers – l'aspirine seule se
présente sous des dizaines de formes –, le nombre de réactions moléculaires
ciblées par ces produits n'est qu'une minuscule fraction de leur nombre
total. Sur les millions de formes de molécules biologiques présentes dans
l'organisme humain (enzymes, récepteurs, hormones, etc.) 32, seules environ
250, ou 0,025 %, sont ciblés par notre pharmacopée. Si la physiologie
humaine pouvait être visualisée sous la forme d'un vaste réseau
téléphonique avec ses mailles et ses nœuds, alors notre arsenal chimique
médicamenteux ne toucherait qu'une partie d'une partie de sa complexité.
C'est une opératrice à Asnières qui bricole avec quelques lignes dans un
coin du réseau.
Cette pauvreté en médicaments est due essentiellement à une chose : la
spécificité qu'ils doivent atteindre. Pratiquement tous les médicaments
agissent en se liant à une cible, une molécule, pour l'activer ou l'inactiver.
Cependant, pour être utile, un médicament doit se lier à un aiguillage, mais
à un en particulier, car autrement il n'est qu'un poison. La plupart des
molécules ne peuvent avoir une telle spécificité alors que de leur côté, les
protéines ont évolué pour devenir de plus en plus spécifiques. Les protéines,
rappelez-vous, sont des éléments clés du monde biologique. Ce sont elles
qui activent ou inactivent, mettent en œuvre, régulent, contrôlent les
réactions cellulaires. Elles sont en elles-mêmes les aiguillages que la plupart
des médicaments cherchent à enclencher ou bloquer.
Les protéines ont donc le potentiel d'être parmi les médicaments les plus
puissants et les plus discriminants du monde pharmacologique. Mais pour
les fabriquer, il faut leur gène, et c'est à ce stade que les techniques de
l'ADN recombinant interviennent. Le clonage des gènes humains a permis
aux scientifiques de fabriquer des protéines, et ouvert de ce fait la
possibilité de cibler des millions de réactions biochimiques dans le corps
humain. Cela a permis d'accéder à des aspects jusqu'à présent impénétrables
de notre physiologie. L'utilisation de l'ADN recombinant a ainsi marqué la
transition non seulement entre un gène et un médicament mais entre des
gènes et un nouvel univers de produits thérapeutiques.

Le 14 octobre 1980, Genentech vendit un million de ses actions au


public, affichant à la bourse des valeurs son titre sous le code provoquant de
GENE 33. Cette vente initiale allait la faire figurer parmi les débuts les plus
éclatants de toutes les sociétés technologiques de l'histoire de Wall Street :
en quelques heures, la compagnie avait recueilli un capital de 35 millions de
dollars. À ce moment-là, le géant de la pharmacie Eli Lilly avait acquis la
licence pour la production et la vente de l'insuline recombinante – appelée
Humulin pour la différencier des insulines de vache et de porc – et
développait rapidement son marché. Les ventes passèrent de 8 millions de
dollars en 1983 à 90 millions en 1996 puis 700 millions en 1998. Swanson,
« un petit trapu aux joues d'écureuil de trente-six ans » comme le magazine
Esquire l'avait décrit, était maintenant un multimillionnaire tout comme
Boyer. Un jeune étudiant de licence qui avait acheté quelques actions pour
aider à cloner le gène de la somatostatine au cours de l'été 1977 se réveilla
un matin multimillionnaire.
En 1982, Genentech commença à produire l'hormone de croissance
humaine qui est utilisée pour traiter les retards de croissance et certaines
formes de nanisme. En 1986, des biologistes de la compagnie clonèrent
l'interféron alpha, une puissante molécule immunologique utilisée pour
traiter des cancers du sang. En 1987, Genentech fabriqua l'activateur
tissulaire du plasminogène (t-PA), un anticoagulant qui dissout les caillots
générés au cours des accidents vasculaires cérébraux ou cardiaques. En
1990, la société entreprit de créer des vaccins à partir de gènes
recombinants et commença avec un vaccin contre l'hépatite B. En
décembre 1990, le laboratoire pharmaceutique Roche acquit la majorité des
parts de Genetech pour 2,1 milliards de dollars. Swanson quitta son poste
de directeur général et Boyer celui de vice-président en 1991.
Au cours de l'été 2001, Genentech se lança dans la construction du plus
grand centre de recherche en biotechnologie dans le monde 34, un ensemble
s'étalant sur plusieurs hectares comprenant des bâtiments recouverts de
vitrages, des pelouses et des étudiants jouant au Frisbee ; bref, un complexe
tout à fait comparable à n'importe quel campus universitaire. Au centre se
trouve la modeste statue en bronze d'un homme en costume gesticulant
autour d'une table avec un scientifique vêtu d'un jean à pattes d'éléphant et
d'un gilet en cuir. L'homme se penche en avant. Le généticien paraît troublé
et regarde par-dessus son épaule.
Swanson, malheureusement, ne put être présent à l'inauguration officielle
de la statue qui commémore sa première rencontre avec Boyer. En 1999, à
l'âge de cinquante-deux ans, on lui diagnostiqua un glioblastome
multiforme, un cancer du cerveau. Il est décédé le 6 décembre 1999 chez lui
à Hillsborough, à quelques kilomètres du campus de Genentech.
PARTIE 4
« L'ÉTUDE QUI CONVIENT À L'HUMANITÉ
EST CELLE DE L'HOMME »
La génétique humaine
(1970-2005)

« Connais par toi-même, ne suppose pas que Dieu s'en mêle ;


L'étude qui convient à l'humanité est celle de l'homme. »
33
Alexander Pope, Essay on Man .

« Combien l'humanité est belle ! Ô magnifique nouveau monde


Qui contient de telles personnes ! »
34
William Shakespeare, La Tempête, acte 5, scène 1 .
Les misères de mon père

« Albany : Comment as-tu connu les misères de ton père ?


Edgar : En m'occupant de lui, mon seigneur. »
William Shakespeare, Le Roi Lear,
acte 5, scène 3.

Au cours du printemps 2014, mon père fit une chute. Il était assis sur son
fauteuil à bascule favori, un horrible machin de guingois qu'il avait fait
fabriquer par un menuisier local, quand il bascula en avant et tomba (le
menuisier avait conçu le fauteuil pour qu'il se balance, mais avait oublié d'y
mettre un dispositif l'empêchant de basculer complètement). Ma mère le
retrouva sur la véranda à plat ventre, sa main coincée sous son corps d'une
manière peu naturelle, comme une aile cassée. Son épaule droite était
maculée de sang. Elle ne put retirer sa chemise et prit alors une paire de
ciseaux pour l'enlever. Il criait de douleur à cause de sa blessure, mais aussi
de la profonde détresse de voir un vêtement parfaitement intact réduit en
lambeaux sous ses yeux. « Tu aurais pu essayer de la sauver », râla-t-il plus
tard dans la voiture qui les emmenait aux urgences. C'était une vieille
histoire : sa mère, elle, qui n'avait jamais eu cinq chemises à la fois pour ses
cinq fils, aurait trouvé un moyen de la sauver.
Son front avait une coupure et son épaule droite était cassée. Il était,
comme moi, un patient insupportable : impulsif, soupçonneux, imprudent,
anxieux d'être gardé, et s'illusionnant sur sa récupération. Je pris un avion
pour aller le voir en Inde. Lorsque je suis arrivé à la maison, la nuit était
bien avancée. Il gisait sur son lit, le regard vide fixé au plafond. Il semblait
avoir soudain vieilli. Je lui demandai s'il savait quel jour nous étions.
« Le vingt-quatre avril, répondit-il correctement.
— Et l'année ?
— 1946, dit-il, puis se corrigeant, dans un effort de mémoire, 2006 ? »
C'était une mémoire fugace. Je lui dis que c'était 2014. 1946, me dis-je,
avait été une autre période de catastrophe, c'était l'année où Rajesh était
mort.
Les jours suivants, ma mère s'occupa de lui pour qu'il guérisse. Sa
lucidité revint ainsi qu'une partie de sa mémoire à long terme, bien que celle
à court terme soit encore nettement perturbée. Nous nous sommes aperçus
que l'accident n'était pas aussi simple qu'il y paraissait. Il n'avait pas basculé
mais avait essayé de se lever du fauteuil, puis perdu l'équilibre et était parti
en avant, incapable de se rattraper. Je lui ai demandé de marcher à travers la
pièce et j'ai remarqué que son pas présentait un léger traînement. Il y avait
quelque chose de mécanique et de contraint dans son déplacement, comme
si ses pieds étaient en fer et que le sol était devenu aimanté. « Tourne
rapidement », lui dis-je, et il faillit retomber.
Plus tard dans la nuit, une autre humiliation survint : il urina au lit. Je l'ai
retrouvé dans la salle de bains, confus et honteux, son sous-vêtement à la
main. Dans la Bible, Noé maudit les descendants de Cham parce que ce
dernier a trébuché sur le corps de son père, ivre et nu, ses organes génitaux
exposés, étendu au milieu d'un champ dans la pénombre de l'aube. Dans une
version moderne de cette histoire, vous tombez sur votre père, nu et dément,
dans le clair-obscur de la salle de bain pour les invités, et vous voyez le sort
qui vous attend en pleine lumière.
Son incontinence urinaire, je l'appris ensuite, n'était pas nouvelle. Elle
avait commencé par la sensation d'un besoin urgent, l'incapacité de se
retenir une fois la vessie à moitié remplie, et progressé jusqu'aux mictions
nocturnes. Il en avait parlé à ses médecins qui n'y avaient pas accordé
d'importance, l'attribuant vaguement à une prostate trop gonflée. C'est l'âge,
lui avaient-ils dit. Il avait quatre-vingt-deux ans. Les hommes âgés tombent.
Perdent la mémoire. Mouillent leur lit.
Le diagnostic qui résuma tous les symptômes nous sauta aux yeux, à
notre honte soudaine, quand la semaine suivante on fit une IRM de son
cerveau. Les ventricules de son cerveau, qui le baignent dans un liquide,
étaient dilatés et repoussaient le tissu nerveux vers la périphérie. On appelle
cette affection une hydrocéphalie à pression normale (HPN). Elle résulterait
d'un flux anormal de liquide autour de la tête, ce qui provoquerait le
gonflement des ventricules, une espèce « d'hypertension du cerveau »
m'expliqua le neurologue. Elle se caractérise par une triade classique et
inexplicable de symptômes que sont une marche instable, une incontinence
urinaire et une démence. Mon père n'était pas tombé par accident. Il était
tombé malade.
Les mois suivants, je me renseignai autant que je pus sur la pathologie.
Elle n'a pas de cause connue. Elle est familiale. Une forme est
génétiquement liée au chromosome X, et donc particulièrement fréquente
chez les hommes. Dans certaines familles, seuls les plus âgés sont affectés.
La force de la transmission peut varier, parfois élevée, parfois modérée,
seuls certains membres de la famille étant touchés. Les cas familiaux les
plus jeunes répertoriés sont ceux d'enfants qui avaient quatre ou cinq ans.
Les plus âgés ont dans les soixante-dix à quatre-vingts ans.
C'est pour résumer très probablement une maladie génétique, bien que le
terme « génétique » n'ait pas le même sens ici que pour l'anémie falciforme
ou l'hémophilie. De nombreux gènes, répartis sur plusieurs chromosomes,
interviennent dans la formation des ventricules du cerveau, tout comme de
nombreux gènes sur différents chromosomes spécifient la formation de
l'aile chez la mouche. J'appris que certains gènes gouvernent la
configuration anatomique des ventricules et de leurs vaisseaux. D'autres
codent les canaux moléculaires qui permettent la circulation du liquide
entre les compartiments. D'autres encore codent les protéines qui régulent le
passage du liquide du sang vers le cerveau ou l'inverse. Et comme le
cerveau et ses ventricules se développent dans la cavité fixe du crâne, les
gènes qui déterminent la taille et la forme du crâne affectent aussi
indirectement la proportion des canaux et des ventricules.
Des variations dans chacun de ces gènes peuvent modifier la physiologie
des canaux et des ventricules, et donc le mode de déplacement des liquides
qui s'y déplacent. L'influence de l'environnement, tel que le vieillissement
ou un traumatisme cérébral, peut ajouter un niveau supplémentaire de
complexité. Il n'y a pas de correspondance unique entre un gène et une
maladie. Même si vous héritez de l'ensemble des variants génétiques
associés à l'HPN chez une personne, il faudra peut-être encore un accident
ou un autre facteur de l'environnement pour la « déclencher » (dans le cas
de mon père, c'était probablement l'âge). Si vous héritez d'une combinaison
particulière de gènes – déterminant par exemple un taux d'absorption du
liquide avec un volume particulier des ventricules –, vous pouvez avoir un
risque accru de succomber à la maladie. C'est donc une barque de Delphes
de la maladie, qui n'est pas déterminée par un seul gène mais par la relation
qu'entretiennent plusieurs gènes entre eux ou avec l'environnement.
« Comment un organisme transmet-il l'information nécessaire pour créer
une forme et une fonction à son embryon ? » s'était demandé Aristote. La
réponse, vue à travers différents organismes modèles tels que le pois, la
mouche du vinaigre ou la levure de bière, avait lancé la génétique moderne.
Il en a résulté, pour finir, un diagramme à l'influence monumentale qui
forme la base de notre compréhension du flux d'information traversant les
systèmes vivants :

Mais la maladie de mon père offrait aussi un autre prisme, par lequel on
pouvait voir comment l'information héréditaire influence la forme, la
fonction et le sort d'un organisme. Sa chute était-elle une conséquence de
ses gènes ? Oui et non. Ses gènes créaient plutôt une propension à ce que
cela arrive. Était-ce le produit de son environnement ? Oui et non. C'était le
fauteuil qui, après tout, en était la cause, mais il s'était assis dans ce fauteuil
pendant près de dix ans avant que la maladie ne le fasse basculer
(littéralement). Était-ce le hasard ? Oui, qui sait que le déplacement d'un
siège, conçu pour se faire sous un certain angle, peut vous projeter vers
l'avant ? Était-ce un accident ? Oui, mais son instabilité physique rendait la
chose très probable.
Le défi de la génétique, en passant d'organismes simples à l'humain, était
d'avoir de nouvelles manières d'appréhender la nature de l'hérédité, du flux
d'information, de la fonction et de la destinée. C'est le lieu de questions
épineuses. Comment les gènes interagissent-ils avec l'environnement pour
donner la maladie ou la normalité ? Et d'ailleurs, qu'est-ce que la normalité
face à la maladie ? Comment les variations dans les gènes causent-elles les
variations observées dans la forme et le fonctionnement des organismes
humains ? Comment de multiples gènes peuvent-ils influencer un unique
phénomène ? Comment peut-il y avoir une telle uniformité parmi les
humains et pourtant une telle diversité ? Comment les différentes formes
d'un gène peuvent-elles assurer une physiologie commune, et pourtant être
aussi à l'origine de pathologies uniques ?
La naissance d'une application clinique

« Je commence en supposant que toute maladie humaine est


génétique 1. »
Paul Berg

En 1962, quelques mois après le déchiffrement du code des « triplets » de


l'ADN par Nirenberg et ses collègues à Bethesda, le New York Times publia
un article sur l'avenir exaltant de la génétique humaine 2. Maintenant que le
code génétique avait été découvert, extrapolait le journal, les gènes humains
allaient devenir accessibles aux modifications. « On peut dire avec
confiance que les “bombes” biologiques qui risquent d'exploser sous peu
suite au déchiffrement du code génétique vont rivaliser avec la bombe
atomique quant à leur importance pour l'homme. Parmi ces bombes
possibles, la détermination des fondements de la pensée […], le
développement de remèdes pour des afflictions aujourd'hui incurables telles
que le cancer et beaucoup de maladies tragiques héritées ».
On pouvait cependant pardonner aux esprits sceptiques leur manque
d'enthousiasme. La « bombe » biologique de la génétique humaine n'avait
jusqu'à présent produit qu'un frémissement décevant. Le surprenant élan de
croissance de la génétique moléculaire entre 1943 et 1962, de l'expérience
d'Avery à la résolution de la structure de l'ADN et aux mécanismes de
réparation et de régulation, avait peu à peu fourni une vision mécaniste du
gène. Pourtant, la sphère humaine avait été peu concernée jusque-là. D'un
côté, les eugénistes nazis avaient tellement ravagé la génétique humaine que
la discipline avait perdu toute légitimité et rigueur scientifique. D'un autre
côté, des modèles plus simples tels que la bactérie, la mouche ou le ver,
s'étaient avérés bien plus accessibles aux expériences que l'homme.
Lorsque Thomas Morgan fit le voyage en 1934 à Stockholm pour
recevoir le prix Nobel pour sa contribution à la génétique, il négligea
ostensiblement l'intérêt médical de son travail. « La plus importante
contribution à la médecine qu'a faite la génétique est, à mon avis,
intellectuelle 3 », dit-il. Le terme « intellectuelle » n'était pas un
compliment mais une marque de dédain. La génétique, selon Morgan, avait
peu de chance d'avoir ne serait-ce qu'une petite influence sur la santé
humaine dans un avenir proche. L'idée qu'un médecin « veuille convoquer
ses amis de la génétique pour une consultation », comme il le disait, lui
semblait à la fois stupide et extravagant.
Pourtant, l'entrée ou plutôt le retour de la génétique chez l'homme fut
bien due à une nécessité médicale. En 1947, Victor McKusick, un jeune
interne de l'université Johns Hopkins à Baltimore 4, reçut en consultation un
adolescent avec des taches sur les lèvres et la langue ainsi que de nombreux
polypes internes. McKusick fut intrigué par ces symptômes. D'autres
membres de la famille de l'adolescent étaient aussi atteints et des cas
familiaux similaires avaient déjà été publiés dans la littérature. McKusick
décrivit le cas dans la revue médicale américaine The New England Journal
of Medicine 5, en avançant que cet ensemble apparemment diffus de
symptômes – les marques sur la langue, les polypes, l'obstruction du côlon
et le cancer – devait résulter de la mutation d'un seul gène.
Le cas de McKusick, classé plus tard comme un syndrome de Peutz-
Jeghers d'après les noms des premiers cliniciens à l'avoir décrit, déclencha
chez l'interne un intérêt pour l'étude de la génétique des maladies humaines
qui allait durer toute sa vie. McKusick commença par étudier des
pathologies où l'influence des gènes était la plus simple et la plus forte, où
un seul gène était en cause. Les exemples les plus connus de ce type,
quoique rares, étaient incontournables : l'hémophilie dans la famille royale
anglaise et l'anémie falciforme dans les familles originaires d'Afrique ou
des Caraïbes. En creusant un peu dans la littérature médicale du passé, il
découvrit qu'un médecin londonien du début des années 1900 avait rapporté
ce qui était sans doute le premier exemple d'une maladie humaine
apparemment causée par une seule mutation génétique.
En 1899, Archibald Garrod, un pathologiste anglais, avait décrit une
maladie bizarre qui se manifestait dans certaines familles dès les premiers
jours après la naissance 6. Garrod l'avait d'abord observée chez un garçon au
Sick Hospital à Londres. Plusieurs heures après sa naissance, ses couches
étaient devenues noires à cause d'urines particulières. En remontant
soigneusement la trace de tels patients et de leurs parents, Garrod découvrit
que la maladie était familiale et persistait jusqu'à l'âge adulte. La sueur, dans
ce cas, noircissait spontanément et laissait des traces marron foncé aux
aisselles des chemises. Le cerumen, lui, devenait rouge au contact de l'air,
comme s'il rouillait sur-le-champ.
Garrod pensa qu'un facteur transmissible devait avoir été altéré chez ces
patients. Le garçon, selon lui, devait être né avec une modification d'une
unité d'hérédité qui avait changé une fonction métabolique des cellules, ce
qui se traduisait par une différence dans la composition de l'urine. « Les
phénomènes de l'obésité et des couleurs variées des cheveux, de la peau et
des yeux », écrit alors Garrod 7, peuvent tous s'expliquer par des variations
dans les unités de l'hérédité qui causent une « diversité chimique » dans le
corps humain. Sa prescience était remarquable. Alors même que le concept
de « gène » était redécouvert par Bateson en Angleterre (et près de dix ans
avant que le terme lui-même ne soit inventé), Garrod visualisait
conceptuellement un gène humain et expliquait les variations humaines
comme une « diversité chimique » codée par des unités de l'hérédité. Il
pensait que les gènes font de nous des hommes et que les mutations nous
rendent différents.
Inspiré par le travail de Garrod, McKusick lança un travail pour faire un
catalogue systématique de toutes les maladies génétiques chez l'homme,
une « encyclopédie des phénotypes, traits et troubles génétiques ». Un
univers exotique s'ouvrait devant lui. La gamme des maladies humaines
dues à la mutation d'un seul gène était bien plus vaste et étrange qu'il ne s'y
attendait.
Dans le syndrome de Marfan, décrit à l'origine par un pédiatre français
dans les années 1890, un gène contrôlant l'intégrité structurale du squelette
et des vaisseaux sanguins était muté. Les patients atteints devenaient
anormalement grands, avec des bras et des doigts allongés, et étaient
prédisposés à mourir d'une rupture soudaine de l'aorte ou des valves
cardiaques (pendant des décennies, des historiens médicaux affirmeront
qu'Abraham Lincoln avait une variante non diagnostiquée de ce syndrome 8
). D'autres familles étaient affectées par l'ostéogenèse imparfaite, une
maladie due à une mutation dans le gène du collagène, une protéine qui
forme et renforce les os. Les enfants atteints naissent avec des os cassants
qui, comme du plâtre sec, peuvent s'effriter au moindre choc. Ils peuvent
avoir des fractures spontanées des jambes ou se réveiller un matin avec les
côtes brisées (les cas, souvent pris à tort pour de la maltraitance, furent
amenés aux médecins après des enquêtes de police). En 1957, McKusick
fonda la Clinique Moore à l'université Johns Hopkins. Nommée d'après
Joseph Earle Moore, le médecin de Baltimore qui avait passé sa vie à
travailler sur les maladies chroniques, l'établissement allait se spécialiser
dans les troubles héréditaires.
McKusick se transforma en un répertoire ambulant des syndromes
génétiques. Il y avait des patients qui, incapables de gérer les ions chlorures,
étaient affligés de diarrhées intraitables et de malnutrition. Il y avait des
hommes prédisposés aux attaques cardiaques à vingt ans. Des familles avec
une schizophrénie, une dépression ou de l'agressivité. Des enfants nés avec
un pterygium colli, des doigts supplémentaires ou une odeur permanente de
poisson. Au milieu des années 1980, McKusick et ses étudiants avaient
répertorié 2 239 gènes liés à des maladies humaines et 3 700 maladies liées
à une seule mutation 9. Dans la douzième édition de son catalogue publié en
1998, McKusick avait découvert un nombre stupéfiant de 12 000 gènes liés
à des traits ou des troubles, certains légers et d'autres potentiellement
mortels 10.
Enhardis par cette première taxonomie des maladies dues à un seul gène,
dites « monogéniques », McKusick et ses étudiants s'aventurèrent à explorer
des maladies dues à l'influence de plusieurs gènes, les syndromes dits
« polygéniques ». Dans la trisomie 21, décrite pour la première fois dans les
années 1860, les enfants naissent avec une copie supplémentaire du
chromosome 21, lequel porte 300 gènes 11. De multiples organes sont
affectés par la présence de ce chromosome supplémentaire. Les enfants
naissent avec une arête du nez aplatie, une face élargie, un petit menton, et
des plis cutanés au-dessus de la paupière supérieure. Ils ont un déficit
cognitif, des problèmes cardiaques précoces, une perte de l'audition, une
infertilité et un risque accru de cancer du sang. Beaucoup meurent bébé ou
dans l'enfance et seuls quelques-uns atteignent l'âge adulte. Le plus
remarquable, probablement, est que ces enfants ont un caractère
extraordinairement doux, comme si le fait d'hériter d'un chromosome
supplémentaire leur faisait perdre en même temps toute cruauté ou
malignité (s'il y a le moindre doute sur le fait que le génotype puisse
influencer la personnalité, il suffit de rencontrer un enfant trisomique pour
le dissiper).
La dernière catégorie de maladies génétiques que McKusick caractérisa
fut la plus complexe, celle des maladies polygéniques dues à de nombreux
gènes répartis à travers tout le génome. Contrairement aux deux premières
comportant des syndromes rares et étranges, elle regroupe des maladies
chroniques familières et très répandues telles que le diabète, la maladie
coronaire, l'hypertension, la schizophrénie, la dépression, l'infertilité et
l'obésité.
Ces dernières maladies se tenaient à l'extrême opposé du concept « Un
gène – Une maladie » : c'était plutôt « Nombreux gènes – Nombreuses
maladies ». L'hypertension, par exemple, se présente sous des milliers de
formes et est influencée par des centaines de gènes, chacun exerçant un
léger effet supplémentaire sur la pression sanguine et l'intégrité vasculaire.
À la différence du syndrome de Marfan ou de la trisomie 21, dans lesquels
une seule mutation cruciale ou une unique aberration chromosomique sont
nécessaires et suffisantes pour provoquer la maladie, l'effet de chaque gène
individuel dans les syndromes polygéniques est dilué. La dépendance vis-à-
vis de variables de l'environnement – l'alimentation, l'âge, le tabagisme, les
expositions prénatales – est plus forte. Les phénotypes sont variables et
continus, les modes de transmission complexes. La composante génétique
n'est qu'un élément déclenchant parmi d'autres, nécessaire mais pas
suffisante pour causer la maladie.

Quatre idées importantes émergèrent de la taxonomie des maladies


génétiques établie par McKusick. Tout d'abord, McKusick a réalisé que les
mutations dans un seul gène peuvent causer des manifestations diverses
dans différents organes. Dans le syndrome de Marfan, par exemple, une
mutation dans une protéine de structure de type fibreuse affecte tous les
tissus connectifs, que ce soit les tendons, le cartilage, les os ou les
ligaments. Les patients ont des articulations et une colonne vertébrale
anormales tout à fait reconnaissables. Ce qui l'est moins, peut-être, sont les
manifestations cardiovasculaires dues au fait que la même protéine
structurale joue aussi un rôle de soutien dans les grandes artères et les
valves du cœur. Les mutations dans ce gène conduisent ainsi à des arrêts
cardiaques et à des ruptures aortiques catastrophiques. Les patients avec le
syndrome de Marfan meurent souvent jeunes parce que leurs vaisseaux
sanguins se sont rompus sous l'effet du flux sanguin.
Ensuite, de manière surprenante, la réciproque est aussi vraie : la
mutation de multiples gènes peut affecter un seul aspect de la physiologie.
La pression sanguine, par exemple, est régulée par divers circuits
génétiques, et des anomalies dans un ou plusieurs d'entre eux vont se
traduire par la même maladie, l'hypertension. Il est parfaitement exact de
dire que « l'hypertension est une maladie génétique » mais aussi d'ajouter
« il n'y a aucun gène pour l'hypertension ». Beaucoup de gènes
interviennent pour faire bouger la pression sanguine dans un sens ou un
autre, comme les fils d'une marionnette. En changeant la longueur de l'un
des fils, vous changez sa disposition.
Le troisième éclairage apporté par McKusick concerne la « pénétrance »
et « l'expressivité » des gènes des maladies humaines. Les généticiens de la
mouche du vinaigre ou les biologistes du ver C. elegans ont découvert que
la mutation de certains gènes ne va se traduire par un phénotype décelable
qu'en fonction de facteurs de l'environnement ou du simple hasard. Un gène
qui contrôle le nombre de facettes dans les yeux de la mouche peut, une fois
muté, par exemple, devenir sensible à la température. Un autre change la
morphologie de l'intestin du ver mais seulement chez environ 20 % des
individus. La « pénétrance incomplète » signifie que même si une mutation
est présente dans le génome, sa capacité à percer sous la forme d'un trait
morphologique ou physique ne sera pas toujours complète.
McKusick a trouvé plusieurs exemples de pénétrance incomplète pour
des maladies humaines. Dans certains cas, comme la maladie de Tay-Sachs,
la pénétrance est très élevée, et la transmission de la mutation garantit le
développement de la maladie. Cependant, dans d'autres cas, les choses sont
plus complexes. Dans le cancer du sein, comme nous allons le voir par la
suite, hériter du gène BRCA1 muté augmente fortement le risque de
déclarer le cancer, mais une fraction seulement des femmes qui portent ce
gène développeront la maladie, et des mutations distinctes dans ce gène
auront une pénétrance différence. L'hémophilie – le trouble de la
coagulation – résulte clairement d'une anomalie génétique mais le degré de
gravité des saignements variera suivant les patients. Certains auront des
saignements potentiellement mortels chaque mois, d'autres ne saigneront
que rarement.
La quatrième idée est si déterminante dans cette histoire du gène que je
l'ai séparée des autres. Comme le généticien de la mouche Théodore
Dobzhansky, McKusick comprit que les mutations n'étaient que des
variations. Cela semble presque une tautologie évidente, mais comporte une
vérité profonde et essentielle. Il réalisa qu'une mutation était une entité
statistique, et non pathologique ou morale. Une mutation n'implique pas une
maladie ni ne spécifie un gain ou une perte de fonction. Dans un sens
formel, une mutation se définit uniquement par une déviation par rapport à
la norme (l'opposé de « mutant » n'est pas « normal » mais « de type
sauvage », c'est-à-dire la forme la plus courante dans la nature). Une
mutation apparaît ainsi comme un concept statistique plutôt que normatif.
Un homme de grande taille parachuté dans un pays de nains est un mutant,
comme un enfant blond dans un pays de bruns, et les deux sont des
« mutants » précisément dans le même sens qu'un garçon atteint du
syndrome de Marfan est un mutant parmi les non-Marfan, c'est-à-dire les
enfants « normaux ».
Par eux-mêmes donc, un mutant ou une mutation ne peuvent apporter
d'information réelle sur la maladie ou le trouble. La définition de la maladie
va plutôt reposer sur les handicaps spécifiques entraînés par une incongruité
entre le patrimoine génétique d'une personne et son environnement, entre
une mutation, les circonstances de son existence et ses objectifs de survie
ou de succès. Ce n'est pas une mutation qui cause en fin de compte la
maladie mais la discordance.
Cette discordance peut être sévère et débilitante, et dans ce cas la maladie
s'identifiera au handicap. Un enfant avec la forme la plus extrême d'autisme
qui passe sa vie à se balancer en permanence dans un coin, ou à se gratter la
peau jusqu'à avoir des plaies, possède un patrimoine génétique malheureux
qui est en désaccord avec presque tout environnement ou tout objectif. Mais
un autre enfant avec une forme différente – et plus rare – d'autisme sera
peut-être fonctionnel dans la plupart des situations et même
hyperfonctionnel dans certains cas (au jeu d'échec ou pour une compétition
de mémoire). Sa maladie sera fonction de la situation. Elle réside plus
clairement dans l'incongruité de son génotype spécifique et des
circonstances spécifiques. Même la nature de la « discordance » peut
changer : l'environnement étant sujet à de constantes modifications, la
délimitation de la maladie va changer avec lui. Au royaume des aveugles, le
borgne est roi. Mais inondez ses terres d'une lumière toxique, aveuglante, et
le royaume retournera à l'aveugle.
Cette idée à laquelle croyait McKusick – qu'il faut se focaliser sur le
handicap plutôt que sur l'anormalité – se concrétisait dans le traitement des
patients dans sa clinique. Ceux qui étaient nains, par exemple, étaient traités
par une équipe interdisciplinaire de conseillers génétiques, de neurologues,
de chirurgiens orthopédiques, d'infirmières et de psychiatres formés sur les
handicaps propres aux personnes de petite taille. Les interventions
chirurgicales étaient réservées à la correction de difformités spécifiques
lorsqu'elles survenaient. L'objectif n'était pas de restaurer une « normalité »
mais la vitalité, la joie et le bon fonctionnement.
McKusick avait redécouvert les principes fondateurs de la génétique
moderne, appliqués au domaine de la pathologie humaine. Chez l'homme
comme chez la mouche sauvage, il existe une foule de variations
génétiques. Ici aussi, les variantes génétiques, l'environnement et leur
interaction contribuaient au phénotype final, sauf que dans ce cas, le
« phénotype » en question est une maladie. Ici encore, certaines mutations
ont une pénétrance partielle et une expressivité très variable. Une seule
mutation peut parfois causer de nombreuses maladies tandis qu'une maladie
peut découler de plusieurs mutations. Et ici aussi, « l'aptitude » ne peut être
jugée dans l'absolu. C'était plutôt le manque d'aptitude – la maladie dans le
langage courant – qui est définie par une discordance relative entre un
organisme et son environnement.

« L'imparfait est notre paradis », écrivait Wallace Stevens 12 13. Si l'arrivée


de la génétique chez l'homme offrait une leçon immédiate, c'était celle-ci :
l'imparfait n'était pas seulement notre paradis, il était aussi d'une manière
inextricable notre monde mortel. Le degré des variations génétiques chez
l'homme et la profondeur de leur influence sur les pathologies étaient
inattendus et surprenants par leur ampleur. Le monde semblait tout à coup
plus vaste et varié. La diversité génétique fait partie de notre état naturel,
elle ne se trouve pas isolée dans certains recoins perdus mais est bien
présente tout autour de nous. Des populations paraissant homogènes se
révélèrent en fait étonnamment hétérogènes. On avait vu des mutants, et
c'était nous.
Nulle part, peut-être, la visibilité accrue des « mutants » n'a été plus forte
que dans ce baromètre fiable des anxiétés et de l'imaginaire américains
qu'est la bande dessinée. Au début des années 1960, les mutants humains
ont fait une brutale apparition dans ses personnages de superhéros. En
novembre 1961 14, Marvel Comics introduisit Les Quatre Fantastiques, une
série sur quatre astronautes qui, pris dans leur vaisseau spatial – comme les
mouches du vinaigre de Hermann Muller dans leur bouteille –, se
retrouvent exposés à une pluie de rayonnements et acquièrent alors des
mutations leur conférant des pouvoirs surnaturels. Le succès des Quatre
Fantastiques suscita le personnage promis à un succès encore plus grand de
Spider-Man, la saga d'un jeune scientifique, Peter Parker, mordu par une
araignée qui a avalé « une quantité fantastique de radioactivité 15 ». Les
gènes mutants de l'araignée sont transmis à l'organisme de Parker par un
supposé transfert horizontal – une version humaine de l'expérience de
transformation d'Avery – ce qui confère à notre héros « l'agilité et la force
proportionnelle d'une araignée ».
Alors que Spider-Man et Les Quatre Fantastiques présentaient le
superhéros mutant au public américain, les X-Men, lancés en
septembre 1963 16, ont donné à l'histoire du mutant une intensité
psychologique inégalée. Contrairement aux histoires précédentes, l'intrigue
centrale tourne autour d'un conflit entre hommes mutants et normaux. Les
« normaux » commencent à suspecter les mutants et ces derniers, vivant
dans la peur de la surveillance et la menace de la violence populaire, se sont
retirés dans une école isolée pour enfants doués conçue pour les protéger et
les réhabiliter, une clinique Moore pour les mutants de bandes dessinées. Le
plus remarquable dans X-Men n'est pas sa ménagerie diverse et toujours
croissante de personnages mutants – un homme loup avec des griffes d'acier
ou une femme capable de provoquer un temps anglais à volonté – mais le
fait que les rôles de la victime et du bourreau soient inversés. Dans la bande
dessinée typique des années cinquante, les hommes couraient se cacher
pour fuir la terrible tyrannie de monstres. Dans X-Men, les mutants étaient
forcés de courir et de se cacher pour éviter la terrifiante tyrannie de la
normalité.
Au cours du printemps 1966, ces préoccupations – imperfection,
mutation et normalité – sortirent des pages des bandes dessinées pour
s'appliquer à un incubateur de cinquante centimètres sur cinquante 17. Dans
le Connecticut, deux scientifiques qui travaillaient sur la génétique du retard
mental, Mark Steele et W. Roy Breg, aspirèrent dans le liquide amniotique
de femmes enceintes quelques millilitres contenant des cellules fœtales. Ils
mirent ces cellules fœtales en culture, colorèrent les chromosomes et les
analysèrent au microscope.
Aucune des techniques mises en œuvre ici n'était nouvelle. Les cellules
fœtales issues du liquide amniotique avaient déjà été utilisées pour prédire
le sexe (XX pour les filles ou XY pour les garçons) en 1956 18. Le liquide
amniotique avait été prélevé sans risques dès le début des années 1890
tandis que la coloration des chromosomes datait du travail initial de Boveri
sur les oursins. L'avancée du front de la génétique humaine avait pourtant
donné un impact plus important à ces procédés. Breg et Steele découvrirent
que des syndromes génétiques bien établis présentant des anomalies
chromosomiques claires – la trisomie 21 ou les syndromes de Klinefelter ou
de Turner – pouvaient être diagnostiqués in utero, et que la grossesse
pouvait être volontairement interrompue en présence de ce genre
d'anomalies chez le fœtus. Deux procédés médicaux assez simples et
relativement sûrs, l'amniocentèse et l'avortement, pouvaient être associés
pour donner une technique dont les implications excédaient largement
celles de ses deux composantes.
On en sait peu sur les premières femmes à avoir été recrutées pour cette
procédure. Ce qu'il en reste – sous la forme aride de la mention de cas –
sont des histoires de jeunes mères devant affronter un choix terrifiant, avec
leur peine, leur perplexité et leur soulagement. En avril 1968, une jeune
femme de vingt-neuf ans, J. G., fut reçue en consultation au centre médical
de New York Downstate à Brooklyn. Sa famille avait une lourde histoire,
traînant une forme héréditaire de la trisomie 21. Son grand-père et sa mère
étaient porteurs. Six ans plus tôt, en fin de grossesse, elle avait fait une
fausse couche d'une fille trisomique 21. Durant l'été 1963, une seconde fille
naquit, en bonne santé. Deux ans plus tard, au cours du printemps 1965, elle
accoucha d'un garçon. Il fut diagnostiqué trisomique, avec un handicap
mental et de sévères anomalies congénitales, dont deux trous dans le cœur.
Le garçon ne vécut que cinq mois et demi. Sa courte vie avait été très triste.
Après une série de tentatives chirurgicales héroïques pour corriger ses
défauts congénitaux, il était mort d'une défaillance cardiaque en unité de
soins intensifs.
Arrivée au cinquième mois de sa quatrième grossesse, vivant dans la
hantise de cette histoire, J. G. alla voir son obstétricien et lui demanda un
test prénatal. Le 29 avril, le troisième trimestre se rapprochant rapidement,
une seconde amniocentèse fut tentée. Cette fois-ci, des cellules fœtales
poussèrent dans l'incubateur. L'analyse chromosomique révéla que le fœtus
mâle était aussi trisomique.
Le 31 mai 1968, la toute dernière semaine où l'avortement était encore
autorisé, J. G. décida d'arrêter sa grossesse 19. Les restes du fœtus furent
extraits le 2 juin. Ils portaient les caractéristiques typiques de la trisomie 21.
La mère « supporta le déroulement de la procédure sans complications »,
indique le rapport du cas, et elle put rentrer chez elle deux jours plus tard.
On n'en sait pas plus sur la mère ou sa famille. Le premier « avortement
thérapeutique » effectué uniquement sur la base d'un test génétique était
entré dans l'histoire humaine entouré du voile du secret, de l'angoisse et du
chagrin.
Le test prénatal et l'avortement se généralisèrent au cours de l'été 1973
sous l'effet d'un tourbillon de facteurs. En septembre 1969 20, Norma
McCorvey, une démonstratrice de foire de 21 ans vivant au Texas, tomba
enceinte d'un troisième enfant. Sans le sou, souvent sans domicile, et sans
emploi, elle essaya d'avorter pour arrêter une grossesse non désirée mais fut
incapable de trouver une clinique pour le faire effectuer par voie légale ou,
dans ce cas, dans de bonnes conditions sanitaires. Le seul endroit qu'elle
trouva, dira-t-elle plus tard, fut dans le bâtiment abandonné d'une ancienne
clinique « avec des instruments sales dispersés dans la pièce et du sang
séché au sol 21 ».
En 1970, deux avocats intentèrent un procès à l'État du Texas en son nom
au motif qu'elle avait un droit légal à l'avortement. L'avocat à la défense
était Henry Wade, chargé du district de Dallas. McCorvey avait changé son
nom pour la procédure légale en prenant le pseudonyme sans relief de Jane
Roe. Le cas Roe vs Wade passa des Cours du Texas à la Cour suprême des
États-Unis en 1970.
La Cour suprême entendit les plaidoiries du cas Roe vs Wade entre 1971
et 1972. En janvier 1973, dans une décision qui fit date, la cour se prononça
en faveur de McCorvey. Au nom de l'opinion majoritaire, Henry Blackmun,
juge assesseur de la Cour suprême, décréta que l'État ne pouvait plus
interdire les avortements 22. Le droit à la vie privée d'une femme, écrivit
Blackmun, était « assez large pour englober [sa] décision de terminer ou pas
sa grossesse ».
Cependant, ce « droit à la vie privée d'une femme » n'était pas absolu.
Dans une tentative acrobatique de l'équilibrer avec la « personnalité »
croissante du fœtus, la Cour énonça que l'État ne pouvait limiter les
avortements au cours du premier trimestre de grossesse, mais qu'avec le
développement du foetus, sa personnalité était progressivement protégée
par l'État et les avortements pouvaient être restreints. La division de la
grossesse en trois trimestres était une invention arbitraire du point de vue
biologique mais nécessaire du point de vue légal. Comme le commentait
l'expert en droit américain Alexander Bickel, « L'intérêt de l'individu [la
mère], ici, dépasse celui de la société au cours des trois premiers mois et
n'est soumis qu'aux lois sanitaires, ainsi qu'au second trimestre. Au
troisième trimestre, la société reprend ses droits 23 ».
Le pouvoir validé par le cas Roe se répercuta très vite en médecine. Ce
cas a pu donner un contrôle de la reproduction aux femmes, mais il a aussi
largement accordé un contrôle du génome fœtal à la médecine 24. Avant lui,
le test génétique prénatal se trouvait dans un certain flou. L'amniocentèse
était permise, mais le statut légal de l'avortement restait inconnu. Avec la
légalisation de l'avortement jusqu'au deuxième trimestre de grossesse, et la
reconnaissance de la primauté du jugement médical, le test génétique
pouvait se répandre largement dans les cliniques et les hôpitaux du pays.
Les gènes humains devenaient « recevables ».
L'impact de la généralisation du test et de la possibilité d'avorter devint
rapidement évident. Dans certains États, l'incidence de la trisomie 21 chuta
de 20 à 40 % entre 1971 et 1977 25. À New York, en 1978, les grossesses à
haut risque étaient plus souvent interrompues que menées à terme 26. Au
milieu des années 1970, près d'une centaine d'anomalies chromosomiques et
23 maladies métaboliques étaient décelables par test génétique in utero,
dont les syndromes de Klinefelter et de Turner ainsi que les maladies de
27
Tay-Sachs et de Gaucher . « Un petit défaut après l'autre », la médecine
procédait au tri « du risque de plusieurs centaines de maladies génétiques
connues » écrivit un généticien 28. « Le diagnostic génétique, comme le
décrivit un historien, est devenu une industrie médicale. » « L'avortement
sélectif des fœtus affectés » s'était transformé en « la première intervention
de la médecine génomique ».
Avec une vigueur retrouvée grâce à sa capacité à intervenir sur les gènes
humains, la médecine génétique entra dans une période d'exaltation telle
qu'elle put même entamer la réécriture de son passé. En 1973, quelques
mois après le cas Roe vs Wade, McKusick publia une nouvelle édition de
son ouvrage de génétique médicale 29. Dans un chapitre sur la « détection
prénatale des maladies héréditaires », le pédiatre Joseph Dancis écrivit :
« Ces dernières années, le sentiment s'est développé parmi les médecins et le grand public que
nous devons nous inquiéter non seulement de la naissance de l'enfant mais aussi qu'il ne soit pas
un handicap pour la société, ses parents ou lui-même. Le “droit de naître” est nuancé par un autre,
celui d'avoir une chance raisonnable de passer une vie heureuse et utile. Ce changement d'attitude
se marque, entre autres choses, par une large tendance en faveur d'une réforme, voire de
l'abolition, de la loi sur l'avortement 30. »

Dancis avait doucement mais habilement inversé l'histoire. Dans sa


formulation, ce n'était pas le mouvement pour l'avortement qui avait
repoussé les limites de la génétique humaine en permettant aux médecins
d'arrêter le développement de fœtus ayant des troubles génétiques. C'était
plutôt la génétique humaine qui avait tiré derrière elle le wagon réticent des
défenseurs de l'avortement en déplaçant « l'attitude » vis-à-vis du traitement
de maladies congénitales dévastatrices, et en atténuant ainsi l'opposition à
l'avortement. En principe, continuait Dancis, toute maladie ayant un lien
génétique assez puissant pouvait faire l'objet d'un test prénatal en vue d'un
avortement. Le « droit de naître » pouvait être reformulé comme le droit de
naître avec les bons types de gènes.

En juin 1969, une femme nommée Hetty Park donna naissance à une fille
atteinte d'une maladie polykystique des reins infantile 31. Née avec des reins
malformés, l'enfant décéda cinq heures après sa naissance. Consternés, Park
et son mari demandèrent conseil à un obstétricien de Long Island, Herbert
Chessin. Supposant, de manière erronée, que cette maladie n'était pas
génétique (en fait, la MPR infantile, comme la mucoviscidose, résulte de la
présence de deux copies parentales du gène muté), Chessin rassura les
parents et les renvoya chez eux. Chessin pensait que le risque que Park et
son mari aient un autre enfant atteint de la même maladie était négligeable,
voire nul. En 1970, sur les conseils de Chessin, les Park conçurent un autre
enfant et eurent une autre fille, Laura. Malheureusement, celle-ci naquit elle
aussi avec la MPR. Elle fut hospitalisée plusieurs fois et mourut de
complications aux reins à deux ans et demi.
En 1979, alors que des opinions similaires à celles de Joseph Dancis
commençaient à apparaître régulièrement dans la littérature médicale et
populaire, les Park poursuivirent Herbert Chessin en justice en invoquant le
fait qu'il les avait mal conseillés. S'ils avaient été au courant du risque
génétique réel pour leur enfant, avançaient-ils, ils n'auraient pas choisi de
concevoir Laura. Celle-ci était une victime d'une estimation biaisée de la
normalité. Peut-être que le plus extraordinaire dans cette histoire fut la
description du dommage. Dans les batailles juridiques traditionnelles sur
des erreurs médicales, l'accusé (le médecin, d'habitude) était mis en cause
pour avoir causé à tort un décès. Les Park avançaient que Chessin, leur
obstétricien, était coupable de la faute contraire : « avoir causé à tort la
vie ». Dans un jugement historique, la Cour alla dans leur sens. Le juge
déclara que « les parents potentiels ont le droit de choisir de ne pas avoir un
enfant quand il peut être raisonnablement établi que l'enfant sera
malformé ». Un commentateur nota à l'époque 32 que « le tribunal a affirmé
que le droit d'un enfant à naître libre de toute anomalie [génétique] est un
droit fondamental ».
« Interfère, interfère, interfère »

« Après des millénaires où la plupart des gens ont fait des enfants dans
une joyeuse ignorance des risques qu'ils courraient, nous pourrions
devoir maintenant agir avec la stricte responsabilité de la prévision
génétique… Nous n'avons jamais eu à réfléchir à la médecine comme
cela auparavant. »
1
Gerald Leach, « Breeding Better People », 1970 .

« Aucun nouveau-né ne devrait être déclaré humain avant qu'il ait


passé certains tests concernant son patrimoine génétique 2. »
Francis Crick

Joseph Dancis ne réécrivait pas seulement le passé, il annonçait aussi


l'avenir. Même en lisant rapidement ses déclarations saisissantes – que tout
parent devait assumer le devoir de créer des enfants « qui ne serait pas un
handicap pour la société » ou que le droit de naître sans « anomalies
génétiques » était un droit fondamental –, tout le monde pouvait y entendre
le cri d'une renaissance. C'était l'eugénisme réincarné, sous une forme plus
polie, dans la dernière partie du XXe siècle. « Interfère, interfère, interfère »
avait adjuré en 1910 Sidney Webb, l'eugéniste britannique. Un peu plus de
six décennies plus tard, la légalisation de l'avortement et le développement
de l'analyse génétique avaient donné le premier cadre formel d'un nouveau
type « d'interférence » génétique chez l'homme, d'une nouvelle forme
d'eugénisme.
Ce n'était pas – ses partisans s'empressèrent de le souligner – l'eugénisme
du grand-père nazi. Contrairement à l'eugénisme américain des années 1920
ou à celui de la souche européenne plus virulente des années 1930, il n'y
avait aucune stérilisation forcée, aucune détention obligatoire, pas
d'extermination en chambre à gaz. Les femmes n'étaient pas envoyées en
colonie de détention en Virginie. Des juges ad hoc n'étaient pas convoqués
pour classer les hommes et les femmes en « imbéciles », « débiles » ou
« idiots », et le nombre de chromosomes n'était pas décidé en fonction du
goût de chacun.
Les tests génétiques qui formaient la base de la sélection fœtale étaient,
insistaient leurs partisans, objectifs, standardisés et scientifiquement
rigoureux. La corrélation entre le test et le développement du syndrome
médical était presque absolue : tous les enfants nés avec une copie
surnuméraire du chromosome 21 ou avec une copie manquante du
chromosome X 3, par exemple, manifestaient au moins certains traits
essentiels, respectivement, du syndrome de Down ou de Turner. Plus
important encore, le test prénatal et l'avortement sélectif étaient réalisés
sans demande de l'État, ni directive centralisée, avec une entière liberté de
choix. Une femme pouvait choisir d'être testée ou pas, de connaître les
résultats ou pas, et d'arrêter ou pas sa grossesse après un test positif pour
une anomalie du fœtus. C'était un eugénisme sous une forme bienveillante.
Ses champions l'appelaient le néo-eugénisme.
Une distinction cruciale entre ancien et nouvel eugénisme était
l'utilisation des gènes comme unités de sélection. Pour nombre d'anciens
eugénistes – Galton, des eugénistes américains comme Priddy ou les
nazis –, le seul moyen d'assurer une sélection était d'utiliser les attributs
physiques ou mentaux, c'est-à-dire les phénotypes. Mais ces attributs sont
complexes, et leurs liens avec les gènes difficiles à entrevoir. Ce que l'on
appelle « l'intelligence », par exemple, peut avoir une composante
génétique, mais cela paraît bien plus clairement résulter des gènes, de
l'environnement, de l'interaction entre les deux, de facteurs déclenchants, du
hasard et des opportunités. Sélectionner « l'intelligence » ne peut donc
garantir que les gènes de l'intelligence seront retenus, pas plus que
sélectionner « la richesse » ne garantira la sélection d'une propension à faire
fortune.
Contrairement à la méthode de Galton et Priddy, l'avancée majeure du
néo-eugénisme, insistaient encore ses partisans, était que les scientifiques
ne sélectionnaient plus des phénotypes comme substituts de déterminants
génétiques sous-jacents. Désormais, les généticiens avaient la possibilité de
directement sélectionner les gènes, en examinant la composition génétique
du fœtus.
Pour beaucoup de ses partisans enthousiastes, le néo-eugénisme s'était
débarrassé des fantômes du passé pour émerger de sa chrysalide scientifique
sous une forme nouvelle. Sa portée se trouva encore élargie au milieu des
années 1970. Les tests prénataux et l'avortement sélectif avaient permis une
forme privée « d'eugénisme négatif », un moyen de sélectionner contre
certains troubles génétiques. Mais il s'y associait le désir d'inciter à une
forme tout aussi ouverte « d'eugénisme positif », un moyen de sélectionner
des attributs génétiques favorables. Comme le décrivait le généticien Robert
Sinsheimer, « l'ancien eugénisme se limitait à une augmentation numérique
du meilleur de notre pool génétique. Le nouvel eugénisme allait permettre
en principe la conversion de tous les inaptes vers leur meilleur niveau
génétique 4 ».
En 1980, Robert Graham, un homme d'affaires millionnaire qui avait
développé des lunettes incassables, finança une banque de sperme en
Californie destinée à conserver le sperme d'hommes « du plus haut calibre
intellectuel », lequel ne devait servir à inséminer que des femmes saines et
intelligentes 5. Appelé le Repository for Germinal Choice, cette banque
sollicita le sperme des prix Nobel à travers le monde. Le physicien William
Shockley 6, l'inventeur du transistor de silicium, fut parmi les rares
scientifiques qui acceptèrent de donner leur sperme. Graham s'assura aussi,
on pouvait s'en douter, que son propre sperme fût ajouté à la banque sous le
prétexte qu'il était un « futur lauréat du prix », un génie en attente – le
comité à Stockholm ne l'avait pas encore reconnu, c'est tout. On ne sait pas
ce qu'ont pu faire la plupart de ces enfants par la suite, mais aucun, jusqu'à
présent, ne semble avoir remporté un autre prix Nobel.
Bien que la « banque des génies » de Graham fût ridiculisée et finalement
dissoute, sa proposition initiale d'un « choix germinal », c'est-à-dire que
chacun puisse choisir les déterminants génétiques de sa descendance, fut
saluée par plusieurs scientifiques. Une banque de sperme de génies
génétiques était une idée clairement grossière, mais d'un autre côté
sélectionner des « gènes du génie » dans le sperme était considéré comme
une perspective parfaitement réalisable à l'avenir.
Mais comment pouvait-on sélectionner le sperme (ou les ovules) pour
avoir des génotypes améliorés ? Un nouveau matériel génétique pouvait-il
être introduit dans le génome humain ? Bien que les contours précis d'une
technique qui rendrait possible l'eugénisme positif fussent encore inconnus,
plusieurs scientifiques considéraient que ce n'était qu'un obstacle purement
technique, qui serait résolu dans un proche avenir.
Le généticien Hermann Müller, les biologistes de l'évolution Ernst Mayr
et Julian Huxley et le biologiste des populations James Crow étaient les
partisans les plus tonitruants de l'eugénisme positif. Jusqu'à la naissance de
l'eugénisme, le seul mécanisme de sélection de génotypes humains
favorables avait été la sélection naturelle, soumise à la brutale logique de
Malthus et de Darwin. C'était la lutte pour la survie, la lente et laborieuse
émergence des survivants. La sélection naturelle, écrivait Crow, était
« cruelle, gauche et inefficace 7 ». Au contraire de cela, la sélection et la
manipulation génétiques artificielles pouvaient se baser sur « la santé,
l'intelligence ou le bonheur ». Scientifiques, intellectuels, écrivains et
philosophes apportèrent leur soutien à ce mouvement. Francis Crick soutint
fermement le néo-eugénisme, comme le fit aussi James Watson. James
Shannon, le directeur des Instituts nationaux de la santé (NIH) de l'époque,
dit au Congrès que le tri génétique n'était pas simplement une « obligation
morale de la profession médicale, mais également une sérieuse
responsabilité sociale 8 ».
Alors que le néo-eugénisme gagnait en notoriété sur le plan national
comme international, ses initiateurs essayaient vaillamment de dissocier
leur nouveau mouvement de son horrible passé, et en particulier de tout ce
qui pouvait évoquer l'Allemagne nazie. Les eugénistes allemands étaient
tombés dans les abysses des horreurs nazies en raison de deux erreurs
essentielles, argumentaient les néo-eugénistes. Leur absence de culture
scientifique et leur illégitimité politique. Une pseudoscience avait été
utilisée pour soutenir un pseudo-État, et ce dernier avait nourri une
pseudoscience. Le néo-eugénisme allait éviter ces écueils en adhérant à
deux valeurs cardinales : la rigueur scientifique et le choix.
La rigueur scientifique allait garantir que les perversités de l'eugénisme
nazi ne contamineraient pas le néo-eugénisme. Les génotypes seraient
évalués objectivement, sans que l'État n'intervienne, en utilisant des critères
scientifiques stricts. Et le choix serait conservé à chaque étape, ce qui
garantirait que les sélections eugéniques, telles que les tests prénataux et
l'avortement, se déroulent dans une entière liberté.
Pour ses opposants, pourtant, le néo-eugénisme portait les mêmes vices
fondamentaux qui avaient condamné l'eugénisme. La critique la plus
vibrante du néo-eugénisme émergea, sans surprise, de la discipline même
qui lui avait redonné vie, la génétique humaine. McKusick et ses collègues
étaient alors en train de s'apercevoir avec une lucidité croissante que les
interactions entre gènes et maladies étaient bien plus complexes que ce que
le néo-eugénisme avait pu anticiper.
Le syndrome de Down et le nanisme étaient des cas instructifs. Dans le
premier, où l'anomalie chromosomique était claire et facilement
identifiable, et où le lien entre lésion génétique et symptômes médicaux
était hautement prévisible, le test prénatal et l'avortement semblaient
justifiables. Mais même dans ce cas, comme pour le nanisme, les variations
entre individus portant la même mutation 9 étaient frappantes. La plupart
des hommes et des femmes trisomiques présentaient de profonds handicaps
physiques, développementaux et cognitifs. Mais certains malades, c'était
indéniable, se portaient bien et menaient une vie presque autonome. La
présence d'un chromosome surnuméraire entier – la lésion génétique la plus
significative que l'on peut concevoir dans une cellule humaine – ne pouvait
donc constituer le déterminant unique du handicap. Ce chromosome
surnuméraire se trouve dans le contexte d'autres gènes et ses effets sont
modifiés par des influences environnementales et par celles du reste du
génome en général. Maladie génétique et bien-être n'étaient pas deux pays
distincts et avaient des frontières poreuses et souvent transparentes.
La situation devenait encore plus complexe avec des maladies
polygéniques comme par exemple l'autisme ou la schizophrénie. Bien que
cette dernière fût connue de longue date pour avoir une forte composante
génétique, d'anciennes études avaient suggéré l'intervention de multiples
gènes situés sur plusieurs chromosomes. Comment une sélection négative
pouvait-elle éliminer toutes ces composantes indépendantes ? Et si certains
variants génétiques, à l'origine de troubles mentaux dans certains contextes
génétiques ou environnementaux, s'avéraient être les mêmes variants à
l'origine de capacités améliorées dans d'autres contextes ? Ironie de
l'histoire, William Shockley, le donneur le plus en vue de la banque de
génies de Graham, était lui-même affligé d'un syndrome de paranoïa,
d'agressivité et de repli social qui évoquait une forme d'autisme pour
plusieurs de ses biographes. Et si, en observant le devenir de la banque de
Graham, les « spécimens de génie » sélectionnés s'avéraient posséder
précisément les gènes qui, dans d'autres situations, pouvaient être assimilés
à ceux causant des maladies (ou réciproquement, si des variantes de gènes
« causant des maladies » étaient aussi à l'origine du génie) ?
McKusick, lui, était convaincu que le « surdéterminisme » en génétique,
et son application indiscriminée à la sélection humaine, allait résulter en la
création de ce qu'il appelait le complexe « génético-commercial ». « Vers la
fin de son mandat politique, le président Eisenhower avait averti des
dangers du complexe militaro-industriel 10, rappelait McKusick. Il convient
d'avertir d'un risque potentiel de complexe génético-commercial. La
disponibilité croissante de tests pour de présumés qualités ou défauts
génétiques pourrait amener le secteur commercial et les publicitaires de la
Madison Avenue à exercer une pression subtile ou pas si subtile sur les
couples afin qu'ils fassent des jugements de valeur en choisissant leurs
gamètes pour la reproduction. »
En 1976, les inquiétudes de McKusick semblaient encore largement
théoriques. Bien que la liste des maladies humaines influencées par des
gènes eût augmenté d'une manière exponentielle, la plupart des gènes
responsables restaient à identifier. Les techniques de clonage de gène et de
séquençage, inventées toutes deux à la fin des années 1970, permettaient
d'envisager que de tels gènes puissent être identifiés chez l'homme, avec à
la clé des tests diagnostiques prédictifs. Mais le génome humain comporte
trois milliards de paires de bases, alors qu'une mutation associée à une
maladie n'est souvent que la modification d'une seule paire de base dans
tout le génome. Le clonage et le séquençage de tous les gènes du génome
pour trouver cette mutation étaient inconcevables. Pour trouver un gène lié
à une maladie, il fallait déjà le cartographier et le localiser sur une plus
petite partie du génome, et c'était justement la pièce qui manquait dans la
technologie génétique. Les mutations causant des maladies avaient beau
paraître abondantes, aucun moyen aisé de les trouver dans le génome
n'existait. Comme un généticien le mentionnait, la génétique humaine était
confrontée au problème de « trouver une aiguille dans une botte de foin 11 »
dans toute sa splendeur.
Une rencontre fortuite en 1978 allait offrir une solution à ce problème et
permettre aux généticiens de cartographier et de cloner les gènes liés aux
maladies. Cette rencontre, et la découverte qui suivit, allait marquer l'un des
tournants essentiels dans l'étude du génome humain.
Un village de danseurs, un atlas de grains de beauté

« Gloire à Dieu pour les choses tachetées. »


1
Gerard Manley Hopkins, « Pied Beauty ».

« Nous sommes soudain tombés sur deux femmes, la mère et la fille,


grandes, fines, presque cadavériques, qui se courbaient, se tordaient et
grimaçaient 2. »
George Huntington

En 1978, deux généticiens, David Botstein du MIT et Ron Davis de


Stanford, allèrent à Salt Lake City en tant que membres d'un jury pour des
étudiants de licence de l'université de l'Utah 3. La réunion se tenait à Alta,
perché dans les montagnes Wasatch, à quelques kilomètres de la ville.
Botstein et Davis assistèrent aux présentations et prirent des notes, mais un
exposé retint particulièrement leur attention. Un étudiant, Kerry Kravitz, et
son tuteur, Mark Skolnick, travaillaient laborieusement à cartographier
l'hérédité d'un gène qui cause l'hémochromatose, une maladie héréditaire.
Connue des médecins depuis l'Antiquité, elle est due à une mutation dans
un gène qui régule l'absorption de fer par les intestins. Les patients se
retrouvent avec d'énormes quantités de fer dans tout l'organisme. Le foie est
asphyxié sous l'effet du métal, le pancréas cesse de fonctionner, la peau
prend une couleur bronze puis gris cendre. Organe après organe, le corps se
minéralise – comme le bûcheron en fer-blanc du roman pour enfants Le
Magicien d'Oz – avec une dégradation progressive des tissus, une
défaillance des organes et pour finir la mort.
Le problème que Kravitz et Skolnick avaient décidé de résoudre
concernait une lacune conceptuelle fondamentale de la génétique. Au
milieu des années 1970, des milliers de maladies génétiques avaient été
identifiées, dont l'hémochromatose, l'hémophilie et l'anémie falciforme.
Pourtant, découvrir la nature génétique (monogénique) d'une maladie n'est
pas la même chose qu'identifier le gène qui en est à l'origine. Le mode de
transmission de l'hémochromatose, par exemple, suggère clairement qu'un
seul gène en est responsable et que la mutation est récessive, c'est-à-dire
qu'il faut deux copies déficientes du gène (une de chaque parent) pour que
la maladie se déclare. Mais le mode de transmission ne dit rien sur le gène
en cause, ni sur ce qu'il fait.
Kravitz et Skolnick proposaient une solution ingénieuse pour identifier le
gène de l'hémochromatose. La première étape pour trouver un gène serait
de le « cartographier » sur une région précise d'un chromosome, ce qui
permettrait ensuite, par des méthodes de clonage classiques, d'isoler le gène,
puis de le séquencer et de tester sa fonction. Pour localiser le gène de
l'hémochromatose, pensaient-ils, il fallait utiliser une propriété commune à
tous les gènes, à savoir qu'ils sont tous liés à d'autres sur les chromosomes.
Considérez par la pensée l'expérience suivante. Disons que le gène de
l'hémochromatose se trouve sur le chromosome 7 et que celui qui gouverne
la texture des cheveux – raides, crépus, ondulés ou bouclés – est juste à
côté. Supposez maintenant que dans un passé lointain de l'évolution
humaine, le gène défectueux causant l'hémochromatose soit apparu chez un
homme ayant les cheveux bouclés. Chaque fois qu'il est transmis à la
descendance, le gène des cheveux bouclés voyage avec lui car ils sont
voisins sur le chromosome. Comme il est peu probable qu'un « crossing
over » les sépare en raison de leur grande proximité, les variantes de ces
deux gènes se retrouvent toujours ensemble. L'association ne va pas paraître
évidente sur une génération mais finira par émerger sur plusieurs : les
enfants aux cheveux bouclés dans cette famille auront plus tendance à avoir
plus tard une hémochromatose.
Kravitz et Skolnick voulaient tirer profit de cette propriété. En étudiant
les mormons de l'Utah, dont les arbres généalogiques sont très détaillés, ils
avaient découvert que le gène de l'hémochromatose était génétiquement lié
à un autre gène impliqué dans la réponse immunitaire et existant sous des
centaines de formes 4. Un travail antérieur avait localisé ce dernier gène sur
le chromosome 6, et cela devait donc être aussi le cas pour le gène de
l'hémochromatose.
Les lecteurs attentifs pourraient objecter que l'exemple ci-dessus est
particulièrement favorable. Le gène de l'hémochromatose se trouvait
commodément lié à un trait hautement variable et facilement identifiable
sur le même chromosome. Mais de tels traits doivent être extrêmement
rares. Que le gène ciblé par Skolnick se trouve comme par hasard à côté
d'un autre aussi variable devait être un heureux coup du sort. Pour que l'on
ait une chance de localiser d'autres gènes, le génome humain ne devait-il
pas être constellé de marqueurs variables et facilement identifiables, des
signaux lumineux répartis bien à propos tout le long des chromosomes ?
Botstein savait que de tels signaux pouvaient exister. Au cours de siècles
d'évolution, le génome humain a assez divergé pour créer des milliers de
minuscules variations dans la séquence de son ADN. Ces variations sont
appelées polymorphismes – formes multiples – et sont comme des allèles
ou variants de gènes, sauf qu'elles ne sont pas forcément dans la partie
codante des gènes et peuvent se situer sur d'autres parties du génome, entre
les gènes ou dans les introns, n'importe où en fait.
Ces variations peuvent se concevoir comme des versions moléculaires de
la couleur des yeux ou de la peau, existant sous des milliers de formes
diverses dans la population humaine. Une famille peut porter une séquence
ACAAGTCCC à un endroit particulier d'un chromosome et une autre
AGAAGTCCC, soit une différence d'une seule paire de bases 5.
Contrairement à la couleur des yeux ou à la réponse immunitaire, ces
différences sont invisibles à l'œil. Elles n'entraînent pas forcément un
changement de phénotype, ou même une modification dans le
fonctionnement d'un gène ; elles n'ont même en général aucun effet. On ne
peut les distinguer par des mesures biologiques ou par des traits physiques
mais seulement par des tests moléculaires spécifiques. Une enzyme coupant
l'ADN qui reconnaît la séquence ACAAG mais pas AGAAG, par exemple,
peut permettre de discriminer les deux séquences.

Lorsque Botstein et Davis découvrirent le polymorphisme de l'ADN dans


les génomes de levure et de bactérie dans les années 1970 6, ils n'ont pas su
ce qu'ils pouvaient en faire. Au même moment, ils avaient aussi identifié
quelques-uns de ces polymorphismes répartis dans le génome humain, mais
leur fréquence était encore inconnue. Le poète Louis MacNeice a écrit une
fois sur le sentiment de « l'ivresse des choses variées 7 ». La pensée de
minuscules variations moléculaires dispersées de manière aléatoire à travers
tout le génome, comme des taches de rousseur sur le corps, a pu provoquer
un certain plaisir chez un généticien un peu ivre, mais il était difficile
d'imaginer comment cette information pouvait être utile. Peut-être ce
phénomène était-il beau et parfaitement inutile, une simple carte de taches
de rousseur.
Mais alors que Botstein écoutait Kravitz ce matin-là dans l'Utah, une idée
s'imposa à lui. Si de telles marques génétiques existaient dans le génome
humain, leur liaison à un trait génétique permettait de le localiser sur les
chromosomes. Une carte des taches de rousseur ou des grains de beauté
génétiques n'était pas du tout inutile, elle pouvait être mise en œuvre pour
cartographier une première anatomie des gènes. Les polymorphismes
allaient servir de système GPS interne pour le génome, l'emplacement d'un
gène se trouvant défini par son association, ou liaison, avec l'une de ces
variations. À l'heure du déjeuner, Botstein était au comble de l'excitation.
Skolnick avait passé plus d'une décennie à essayer de localiser le marqueur
de la réponse immunitaire pour situer le gène de l'hémochromatose. Il dit
alors à Skolnick : « Nous pouvons vous donner des marqueurs […] des
marqueurs dispersés sur tout le génome 8 ».
La véritable clé de la cartographie des gènes humains, avait soudain
comprit Botstein, n'était pas de trouver des gènes mais les êtres humains. Si
l'on pouvait trouver une famille assez grande présentant une caractéristique
génétique, n'importe laquelle, et si cette caractéristique pouvait être corrélée
avec l'un des marqueurs variables, ou polymorphisme, répartis sur tout le
génome, la cartographie des gènes devenait une tâche triviale. Si tous les
membres d'une famille affectée par la mucoviscidose, par exemple,
« cohéritaient » inévitablement d'un allèle d'un tel marqueur, disons le
polymorphisme X situé sur le bout du chromosome 7, alors le gène de la
mucoviscidose devait se trouver à proximité sur ce chromosome.
Botstein, Davis et Skolnick publièrent leur idée sur la cartographie des
gènes dans la revue American Journal of Human Genetics en 1980. « Nous
décrivons une nouvelle base pour construire une carte génétique du génome
humain », écrivait Botstein 9. C'était une étude curieuse, planquée dans les
pages intérieures d'une revue scientifique relativement obscure, remplie de
données statistiques et d'équations mathématiques rappelant l'article
classique de Mendel.
Les scientifiques mettront du temps à comprendre l'ensemble des
implications de cette idée. En génétique, les grandes percées, comme je l'ai
dit, sont toujours des transitions, que ce soit des traits statistiques aux unités
héritables, des gènes à l'ADN. Boststein avait aussi opéré une transition
conceptuelle cruciale, entre des gènes humains vus comme des
caractéristiques biologiques héritables et leur carte physique sur les
chromosomes.

Nancy Wexler, une psychologue, entendit parler de la proposition de


cartographie des gènes au cours de l'automne 1979. Elle avait une raison
poignante de s'y intéresser. Durant l'été 1967, alors qu'elle avait vingt-deux
ans, sa mère Leonore Wexler fut arrêtée sur la route par un policier alors
qu'elle conduisait de façon erratique dans les rues de Los Angeles. Elle
n'était pas ivre. Elle avait eu des crises inexplicables de dépression, des
changements soudains d'humeur, des sautes bizarres de comportement, et
avait déjà tenté de se suicider une fois, mais elle n'avait jamais été
considérée comme physiquement malade.
Dans les années 1950, deux frères de Leonore, Paul et Seymour, anciens
membres d'un groupe de swing à New York, avaient été diagnostiqués
comme atteints d'un syndrome génétique rare, la maladie de Huntington. Un
autre frère, Jessie, qui gagnait sa vie en faisant des tours de magie, s'était
retrouvé avec ses doigts dansant de manière incontrôlable au cours de ses
spectacles. On avait diagnostiqué la même maladie chez lui. Leur père,
Alfred Sabin, était décédé de la maladie de Huntington en 1928, mais
Leonore pensait qu'elle avait été épargnée. Lorsqu'elle finit par aller voir un
neurologue au cours de l'hiver 1967, elle avait commencé à manifester des
saccades spasmodiques et des mouvements incontrôlés ressemblant à des
pas de danse. Elle aussi fut diagnostiquée comme ayant la maladie.
Nommée d'après le médecin de Long Island qui l'a décrite en premier
dans les années 1870, la maladie de Huntington était également appelée la
chorée de Hungtington, du grec chorea signifiant « danse ». Cette « danse »
bien sûr, est tout sauf une danse dont elle est une caricature triste et
pathologique, signe de mauvais présage d'un trouble du fonctionnement
cérébral. Dans cette pathologie, l'allèle muté du gène est dominant : une
seule copie mutée suffit à provoquer la maladie. Les patients qui héritent de
cet allèle sont neurologiquement indemnes jusqu'à trente ou quarante ans.
Ils présentent parfois des changements d'humeur ou de légers signes de
retrait social.
Puis des saccades mineures, à peine discernables, apparaissent. Les
objets deviennent difficiles à saisir ; les verres de vin et les montres glissent
des mains ; le mouvement involue en secousses et en spasmes. Finalement,
la « danse » involontaire se manifeste, comme obéissant à une musique
diabolique. Les mains et les jambes bougent d'elles-mêmes, se tortillent et
font des gestes courbes séparés par des soubresauts rythmés, « comme si
l'on observait une marionnette géante… secouée par un marionnettiste
invisible 10 ». Le dernier stade de la maladie est marqué par un profond
déclin cognitif et une disparition presque complète de la motricité. Les
patients meurent de malnutrition, de démence et d'infections, tout en
continuant à « danser » jusqu'au bout.
Un aspect macabre de la maladie est sa déclaration à un âge tardif. Ceux
qui portent le gène muté ne découvrent leur sort qu'à la trentaine ou la
quarantaine, c'est-à-dire après avoir eu leurs propres enfants. La maladie
persiste ainsi dans la population à travers les générations et échappe à la
sélection naturelle. Comme le patient n'a qu'une copie mutée du gène,
chacun de ses enfants a une chance sur deux d'être épargné. Pour ces
enfants, la vie se déroule comme une sombre roulette 11, un « jeu d'attente
des premiers symptômes 12 » comme l'a décrit un généticien. Un patient a
écrit sur cette étrange terreur du doute : « Je ne sais pas où la zone grise se
termine et si un sort bien plus sombre m'attend […] Alors je joue à ce
terrible jeu, me demandant quand elle débutera et quel sera son impact 13 ».

Milton Wexler, le père de Nancy, un psychiatre de Los Angeles, dévoila


le diagnostic du mal de leur mère à ses deux filles en 1968 14. Nancy et
Alice étaient encore asymptomatiques mais chacune avait une probabilité
de 50 % d'être affectée par la maladie. Aucun test génétique n'existait alors
pour la maladie. « Chacune de vous a une “chance” sur deux d'avoir la
maladie, dit Milton Wexler à ses filles 15. Et si vous l'avez, vos enfants
auront aussi une “chance” sur deux de l'avoir. »
« Nous nous tenions dans les bras l'une l'autre, en pleurs, se rappelait
Nancy Wexler. La passivité – juste attendre que cela arrive et me tue –
m'était insupportable. »
Cette année-là, Milton Wexler lança un institut à but non lucratif qu'il
baptisa la Hereditary Disease Foundation dont l'objectif était de financer la
recherche sur la chorée de Huntington et d'autres maladies héréditaires
rares 16. Trouver le gène de la maladie, pensait Wexler, serait une première
étape vers le diagnostic et de futurs traitements ou remèdes. Cela donnerait
déjà une chance à ses filles de prédire leur future maladie.
Leonore Wexler, pendant ce temps, sombrait dans le gouffre de la
maladie. Son élocution commença à traîner d'une manière incontrôlable.
« Des chaussures neuves se retrouvaient usées dès le moment où elles
étaient mises à ses pieds, se rappelait sa fille. Dans l'établissement de soins,
elle se tenait assise sur une chaise dans l'espace étroit entre son lit et le mur.
Quel que soit l'endroit où sa chaise était, la force de ses mouvements
continuels la poussait contre le mur, jusqu'à ce que sa tête batte contre la
paroi […] Nous avons tenté de la faire grossir car, pour une raison
inconnue, les personnes atteintes par la maladie se portent mieux
lorsqu'elles sont plus fortes, bien que leurs constants mouvements les
fassent maigrir… Une fois, elle s'est enfilé un demi-kilo de loukoum en une
demi-heure avec un grand sourire espiègle. Mais elle n'a jamais pris de
poids. J'ai pris du poids. Je mangeais pour lui tenir compagnie, je mangeais
pour m'empêcher de pleurer 17 ».
Leonore est morte le 14 mai 1978 18. Dix-sept mois plus tard, en
octobre 1979, Nancy assistait à un atelier de génétique à Washington où elle
entendit parler de la technique de cartographie des gènes de Botstein 19. La
méthode était encore largement théorique. Jusqu'à présent, aucun gène
humain n'avait été localisé de cette manière, et la probabilité que le gène de
la maladie de Huntington le soit restait bien faible. La technique de Botstein
dépendait, après tout, d'une association entre la maladie et des marqueurs
génétiques. Plus il y avait de patients, plus on avait de chances de trouver
une forte association, et plus la localisation pouvait être précise. La chorée
de Huntington, avec seulement quelques milliers de cas répartis sur tous les
États-Unis, semblait parfaitement inadaptée à cette méthode.
Pourtant, Nancy Wexler ne pouvait détacher de son esprit l'image d'une
carte des gènes. Quelques années plus tôt, Milton Wexler avait entendu un
neurologue vénézuélien parler de deux villages voisins au Venezuela,
Barranquitas et Lagunetas sur les bords du lac de Maracaibo, où la maladie
était particulièrement présente. Sur un film amateur flou en noir et blanc
tourné par le neurologue, Milton Wexler avait vu plus d'une dizaine de
villageois errer hagards dans les rues, leurs membres secoués d'une manière
incontrôlable. Il y avait une foule de malades de Huntington dans le village.
Si la technique de Botstein avait la moindre chance de marcher, pensait
Nancy Wexler, elle devait pouvoir accéder au génome de cette cohorte de
patients vénézuéliens. C'était à Barranquitas, à des milliers de kilomètres de
Los Angeles, que le gène responsable de sa maladie familiale pouvait être
démasqué.
Au cours de l'hiver 1979, Wexler partit au Venezuela pour chasser le gène
de Huntington. « Il y a eu quelques rares moments dans ma vie où je me
suis sentie sûre que quelque chose était réellement bien, des moments où je
ne pouvais rester les bras croisés 20 », a écrit Wexler.
Au premier abord, un visiteur de passage à Barranquitas peut ne rien
déceler d'anormal chez ses habitants 21. Un homme marche dans une rue
poussiéreuse, suivi par une bande d'enfants torse nu. Une femme aux
cheveux noirs, mince dans sa robe à fleurs, sort d'une cabane au toit en fer-
blanc et se dirige vers le marché. Deux hommes sont assis en face l'un de
l'autre et discutent en jouant aux cartes.
L'impression initiale de normalité change vite. Quelque chose dans la
démarche de l'homme ne paraît pas naturel du tout. Après quelques pas, son
corps se met à bouger par saccades, avec des gestes irréguliers, sa main
décrivant des courbes sinueuses dans l'air. Il se tortille et fait des
mouvements brusques sur le côté puis se corrige. De temps en temps, les
muscles de son visage se contractent en une grimace. Les mains de la
femme se tordent aussi, traçant des demi-cercles autour de son corps. Elle
paraît émaciée et bave. Elle a une démence progressive. L'un des deux
hommes assis envoie violemment son bras en l'air, puis reprend sa
conversation comme si de rien n'était.
Lorsque le neurologue vénézuélien Américo Negrette est arrivé à
Barranquitas dans les années 1950, il pensa être tombé sur un village
d'alcooliques 22. Puis il a vite saisi son erreur. En fait, tous les hommes et
femmes du village avec une démence, des contractions de la face, une fonte
musculaire et des mouvements incontrôlés avaient un syndrome
neurologique héritable, la maladie de Huntington. Aux États-Unis, le
syndrome est très rare, avec seulement une personne atteinte sur dix mille.
Dans certaines parties de Barranquitas et de sa voisine Lagunetas, au
contraire, la fraction des habitants affligés par la maladie était bien plus
élevée, entre une personne sur dix et une sur vingt, soit environ deux mille
personnes au total 23.
Wexler atterrit à Maracaibo en juillet 1979. Elle employa une équipe de
huit travailleurs locaux, s'aventura dans les barrios autour du lac et
commença à établir la généalogie des personnes affectées ou pas (bien que
psychologue clinicienne de formation, Wexler était devenue l'un des experts
mondiaux des chorées et des maladies neurodégénératives). « Ce fut un
endroit pas possible pour mener des recherches » se rappelait son assistant.
Une consultation ambulatoire de fortune fut mise en place pour permettre
aux neurologues d'identifier les patients, de caractériser leur maladie et
d'apporter une information et des soins. Wexler recherchait en particulier
des hommes et des femmes ayant deux copies du gène muté responsable de
la maladie de Huntington, c'est-à-dire des porteurs dits homozygotes 24.
Pour tomber sur de tels cas, il lui fallait trouver une famille où les deux
parents étaient affectés par la maladie. Un matin, un pêcheur lui donna un
indice décisif : il connaissait des baraques sur l'eau, à environ deux heures
de pirogue en longeant le bord du lac, où plusieurs familles étaient frappées
par el mal. Était-elle prête à se risquer dans les marais pour rejoindre ce
village ?
Elle l'était. Le jour suivant, Wexler et deux assistants utilisèrent une
pirogue pour rejoindre le pueblo de agua, le village sur pilotis. La chaleur
était étouffante. Ils pagayaient depuis des heures au fin fond des marais
lorsque, au détour d'un îlot, ils virent une femme dans une robe brune assise
les jambes croisées sur une véranda. L'arrivée du bateau la fit sursauter. Elle
se leva pour rentrer dans la maison et fut soudain prise à mi-chemin des
mouvements saccadés caractéristiques de la maladie. Si loin de chez elle, à
presque un continent de distance, Wexler retrouvait cette danse typique si
familière et déchirante. « Ce fut à la fois totalement bizarre et totalement
familier, se rappelait-elle 25. Je me sentais connectée et en même temps
étrangère. J'étais submergée par ces émotions contradictoires. »
Un instant après, alors qu'elle pagayait vers le centre du village, elle
repéra un couple, étendu dans un hamac, tremblant et dansant violemment.
Ils avaient quatorze enfants. Tandis qu'elle recueillait les informations sur
les enfants et petits-enfants, l'arbre généalogique se mit à pousser
rapidement. En quelques mois, elle avait une liste contenant des centaines
de personnes, hommes, femmes, enfants, atteintes par la maladie de
Huntington 26. Les mois suivants, elle revint dans les villages avec une
équipe d'infirmières et de médecins bien formés pour prélever des
échantillons de sang. Ils furent envoyés au laboratoire de James Gusella au
Massachusetts General Hospital à Boston et à Michael Conneally, un
généticien médical de l'université de l'Indiana.
À Boston, Gusella purifia l'ADN des cellules sanguines et le coupa avec
une série d'enzymes pour trouver des variations dans le profil des fragments
obtenus, variations dont on pourrait ensuite tester la liaison à la maladie de
Huntington. C'est précisément ce que fit le groupe de Conneally : il
quantifia le lien statistique entre la transmission des formes variantes de
l'ADN et celle de la maladie. L'équipe tripartite s'attendait à un travail long
et fastidieux car ils devaient passer au crible des milliers de
polymorphismes, mais ils furent immédiatement surpris. En 1983, à peine
trois ans après la réception des échantillons, l'équipe de Gusella tomba sur
un unique polymorphisme de l'ADN, situé sur un segment du chromosome
4, qui était lié à la maladie d'une manière frappante. Fait notable, les
chercheurs avaient aussi recueilli du sang d'une cohorte beaucoup plus
petite d'Américains touchés par la maladie et là encore, ils retrouvèrent une
liaison entre la maladie et un marqueur situé sur le chromosome 4 27. Avec
deux ensembles de familles indépendants montrant une association aussi
forte, il restait peu de doutes sur l'existence d'un lien génétique.
En août 1983, Wexler et Gusella publièrent dans la revue Nature un
article qui cartographiait définitivement le gène de la maladie de
Huntington sur un site éloigné du centre du chromosome 4, 4p16.3 28. Il
s'agissait d'une étrange région du génome qui contenait seulement quelques
gènes inconnus. Pour l'équipe de généticiens, c'était comme l'échouage
soudain d'une barque sur une plage abandonnée, sans aucun repère terrestre
en vue.

Localiser un gène sur un chromosome en utilisant une analyse de liaison


est comme zoomer de l'espace sur l'équivalent génétique d'une grande ville.
On arrive à une compréhension beaucoup plus fine de la localisation du
gène, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire pour identifier le gène
lui-même. Ensuite, on affine la carte en identifiant plus de marqueurs de
liaison, ce qui réduit petit à petit le site possible du gène à un segment de
plus en plus court sur le chromosome. Les quartiers et sous-quartiers
défilent, puis le voisinage et le bâtiment apparaissent.
Les dernières étapes sont incroyablement laborieuses. Le morceau de
chromosome portant le gène suspecté d'être responsable de la maladie est
divisé en parties et sous-parties. Chacune est extraite des cellules humaines,
insérée dans une levure ou une bactérie pour faire des millions de copies.
Ces parties clonées sont séquencées et analysées, ce qui permet de repérer
la présence de gènes. Ce processus est répété et affiné, chaque fragment
séquencé, revérifié, jusqu'à ce que le gène candidat soit identifié sur un seul
fragment d'ADN 29. Le dernier test est alors de déterminer la séquence du
gène chez des patients affectés par la maladie et des personnes saines pour
confirmer que la mutation ne se retrouve que chez les premiers. Comme si
l'on faisait du porte à porte pour identifier un coupable.

Un matin lugubre de février 1993, James Gusella reçut un e-mail de sa


post-doctorante senior qui contenait un seul mot : « Bingo ». Cela signalait
une arrivée, un atterrissage. Depuis 1983, date à laquelle Gusella et ses
collègues avaient localisé le gène de la maladie sur le chromosome 4, une
équipe internationale de cinquante-huit scientifiques avait passé une rude
décennie à chercher ce gène sur le chromosome. Ils avaient essayé toutes
sortes de raccourcis pour tenter de l'isoler. Rien n'avait marché. Leur coup
de chance initial s'était arrêté là. Frustrés, ils s'étaient mis à avancer pas à
pas, gène après gène. En 1992, ils avaient fini par tomber sur un gène,
appelé au départ IT15 pour « intéressant transcrit 15 ». Il fut renommé plus
tard Huntingtin.
IT15 codait une énorme protéine, un monstre biochimique de 3 144
acides aminés, plus grand que presque toute autre protéine du corps humain
(l'insuline n'a que 51 acides aminés). Ce matin de février, la post-doctorante
de Gusella dépouillait les données de séquençage du gène IT15 dans une
cohorte de patients et leurs parents proches non malades. En comptant les
bandes sur le gel de séquençage, elle avait trouvé une différence évidente
entre les deux groupes. Le gène responsable venait d'être identifié.
Wexler allait partir pour un autre voyage au Venezuela afin de recueillir
d'autres échantillons de sang quand Gusella lui passa un coup de fil. Elle
était bouleversée. Elle ne pouvait plus s'arrêter de pleurer. « Nous l'avons
eu, nous l'avons eu » dit-elle à un journaliste 30. « Ce fut un long voyage
dans la nuit ».

La fonction de la protéine Huntingtin demeure inconnue. La protéine


normale se trouve dans les neurones et les cellules des testicules, elle est
requise pour le développement du cerveau. La mutation causant la maladie
est encore plus mystérieuse. La séquence normale du gène contient une
séquence hautement répétée, CAGCAGCAGCAG… une litanie
moléculaire qui se répète dix-sept fois en moyenne (certaines personnes ont
dix répétitions, d'autres jusqu'à trente-cinq). Le codon CAG codant la
glutamine, la protéine contient donc une séquence où cet acide aminé se
répète. Or la mutation retrouvée chez les patients est particulière. L'anémie
falciforme est due au changement d'un seul acide aminé dans la protéine.
Dans la maladie de Huntington, le changement ne concerne pas un acide
aminé mais l'ajout de répétitions, qui passent de trente-cinq au plus dans le
gène normal à plus de quarante dans le gène muté. Cette augmentation du
nombre de répétitions se traduit par plus de glutamines et une taille plus
élevée de la protéine Huntingtin. Celle-ci serait alors réduite en morceaux,
lesquels s'accumuleraient dans les neurones en paquets enchevêtrés,
entraînant à terme le dysfonctionnement et la mort des neurones.
L'origine de cet étrange « bégaiement » moléculaire – la modification du
nombre de séquences répétées – est encore un mystère. Cela pourrait être
une erreur survenant au cours de la réplication du gène. Peut-être que
l'enzyme de réplication de l'ADN ajoute des CAG aux répétitions déjà
présentes, comme un enfant qui mettrait un s de trop en écrivant suissesse.
Un trait remarquable dans la transmission héréditaire de la maladie est un
phénomène appelé « anticipation 31 ». Dans les familles de malades, le
nombre de répétition s'accroît au fil des générations, montant à 50 ou 60
répétitions. Avec l'augmentation du nombre de répétitions, la maladie
devient aussi plus précoce et plus sévère, se déclarant à un âge de plus en
plus jeune. Au Venezuela, même des garçons ou des filles de treize ans sont
maintenant touchés, certains ayant 70 ou 80 répétitions.
La technique de Davis et Botstein pour cartographier la position physique
des gènes sur les chromosomes, qui sera appelée plus tard clonage
positionnel, a marqué un tournant dans la génétique humaine. En 1989, on
l'utilisa pour identifier un gène dont les mutations causent la mucoviscidose,
une maladie très grave qui affecte les poumons et les bronches, les glandes
sudoripares, le pancréas, les voies biliaires et les intestins. Contrairement à
la mutation responsable de la maladie de Huntington, très rare dans la
plupart des populations, les formes mutées du gène de la mucoviscidose
sont courantes et se retrouvent chez une personne d'ascendance européenne
sur vingt-cinq. Les personnes portant une seule copie du gène muté n'ont
pas de symptômes. Si deux de ces personnes conçoivent un enfant, celui-ci
aura une « chance » sur quatre de naître avec les deux copies du gène
mutées et cela peut lui être fatal. Certaines mutations sur le gène ont
presque 100 % de pénétrance. Jusqu'aux années 1980, la durée de vie
moyenne d'un enfant porteur de deux allèles mutés était de vingt ans.
Depuis des siècles, on suspectait la mucoviscidose d'être en rapport avec
le sel et les sécrétions du corps. En 1857, un almanach suisse de jeux et de
chansons enfantines mettait en garde sur la santé des enfants dont « le front
a un goût salé quand on l'embrasse 32 ». Les enfants malades étaient connus
pour sécréter de telles quantités de sel par la sueur que leurs vêtements,
suspendus à des fils de fer pour sécher, les faisaient rouiller comme de l'eau
de mer. Les sécrétions des bronches étaient si visqueuses qu'elles bloquaient
les voies respiratoires avec des masses de mucus. Ces poumons et bronches
engorgés devenaient un terrain idéal pour des bactéries, ce qui menait à des
pneumonies fréquentes, cause la plus fréquente du décès de ces enfants.
C'était une vie horrible, avec un organisme se noyant dans ses propres
sécrétions, et qui s'achevait aussi par une mort horrible. En 1595, un
professeur d'anatomie de Leyde aux Pays-Bas actuels écrivait à propos du
décès d'un enfant : « Dans le péricarde, le cœur flottait dans un poison
liquide verdâtre […] La mort avait été causée par le pancréas qui était
curieusement gonflé […] La petite fille était très mince, épuisée par une
fièvre hectique, une fièvre fluctuante mais persistante 33. » Il est
pratiquement certain qu'il décrivait un cas de mucoviscidose.
En 1985, Lap-Chee Tsui, un généticien qui travaillait à Toronto, trouva
un « marqueur anonyme », l'un des polymorphismes de Botstein sur le
génome, qui était lié au gène muté de la mucoviscidose (ou fibrose
kystique, CF) 34. Le gène fut rapidement localisé sur le chromosome 7 mais
il était encore perdu dans l'immensité génétique de ce chromosome. Tsui se
mit à traquer le gène CF en réduisant progressivement la région qui pouvait
le contenir. D'autres généticiens se joignirent à la chasse, Francis Collins de
l'université du Michigan et Jack Riordan aussi à Toronto. Collins avait
introduit une modification astucieuse dans la technique de chasse des gènes.
Pour localiser un gène, on faisait habituellement une « marche » le long du
chromosome, clonant un morceau d'ADN puis un suivant qui le chevauchait
un peu, pour arriver au but. C'était très laborieux, comme de grimper à la
corde avec les bras. La méthode de Collins lui permettait de se déplacer sur
le chromosome avec de plus grandes enjambées. Il l'appela le « saut » sur le
chromosome.
Au printemps 1989, Collins, Tsui et Rioran avaient exploité cette dernière
technique pour se retrouver avec quelques gènes candidats seulement sur le
chromosome 7 35. La tâche était maintenant de les séquencer, de les
identifier et de trouver la mutation qui affectait la fonction du gène CF. Un
soir de grosse pluie cet été-là, Tsui et Collins assistaient à un atelier de
cartographie de gènes à Bethesda mais restaient près du fax pour guetter la
moindre nouvelle d'un post-doctorant qui travaillait dans le laboratoire de
Collins. Soudain, la machine cracha des feuillets de papier couverts de
séquences, ATGCCGGTC… Collins vit la révélation sortir du néant : un
seul gène était toujours muté sur les deux copies chez les enfants malades et
sur une seule copie chez leurs parents.
Le gène CF code une protéine qui fait passer les ions chlorure – ceux qui
composent le sel de table avec les ions sodium – à travers la membrane,
dans un sens ou dans l'autre. La mutation la plus fréquente est une
suppression ou délétion de trois bases de l'ADN qui se traduit par
l'élimination d'un seul acide aminé de la protéine. Cette délétion entraîne la
formation d'une protéine défaillante qui est alors incapable de faire passer
les ions chlorure à travers la membrane cellulaire. L'effet est différent selon
les organes. Dans les glandes sudoripares, le sel de la sueur ne peut plus être
réabsorbé par le corps, ce qui explique la peau au goût salée. Dans
l'épithélium des bronches, au contraire, la mutation se traduit par une plus
grande réabsorption de sodium et d'eau, et donc par un mucus plus épais.
Dans les intestins, de même, l'organisme ne peut plus sécréter de sel et
d'eau, ce qui entraîne des fèces plus sèches et des symptômes
abdominaux 36.
Le clonage du gène CF fut un succès historique pour la discipline de la
génétique humaine. En quelques mois, un test de diagnostic de la maladie
fut disponible. Au début des années 1990, les porteurs de la mutation
pouvaient être dépistés et la maladie diagnostiquée en routine in vitro,
permettant aux parents d'envisager un avortement ou de surveiller les
premières manifestations de la maladie chez l'enfant. Les « couples de
porteurs », où les deux parents ont un allèle muté du gène, pouvaient choisir
de ne pas concevoir d'enfant et d'en adopter un. Au cours de la décennie
écoulée, la combinaison du dépistage des parents et du diagnostic fœtal a
réduit la prévalence de la mucoviscidose dans les naissances d'environ 30 à
40 % parmi les populations où la fréquence de la mutation est la plus
élevée 37. En 1993, un hôpital de New York a lancé un programme
énergique de dépistage des maladies génétiques parmi les Juifs ashkénazes,
dont la mucoviscidose et les maladies de Gaucher et de Tay-Sachs (les
mutations dans les gènes associés à ces maladies sont plus fréquentes dans
la population ashkénaze) 38. Les parents pouvaient choisir d'être dépistés, de
faire pratiquer une amniocentèse chez la mère enceinte pour un diagnostic
prénatal et d'interrompre la grossesse si le fœtus était affecté. Depuis le
lancement de ce programme, aucun enfant ayant l'une de ces maladies n'est
né dans cet hôpital.

Il est important de se faire une idée de la transformation qu'a subie la


génétique humaine entre 1971, année où Berg et Jackson ont créé la
première molécule d'ADN recombinant, et 1993, année où le gène de la
mucoviscidose a été identifié. Même si l'ADN avait été reconnu comme la
« molécule maîtresse » de la génétique vers la fin des années 1950, il
n'existait aucun moyen de le séquencer, le synthétiser, le modifier ou de le
manipuler. Mis à part quelques exceptions notables, les bases génétiques
des maladies humaines restaient largement inconnues. Seule une poignée de
maladies, comme l'anémie falciforme, la thalassémie et l'hémophilie B,
avaient pu être associées au gène responsable, par sa mutation, de la
pathologie. Les seules interventions génétiques disponibles en clinique
étaient l'amniocentèse et l'avortement. L'insuline et les facteurs de la
coagulation étaient purifiés à partir d'organes de porc ou du sang humain,
aucun médicament n'avait été créé par génie génétique. Un gène humain
n'avait jamais été exprimé à dessein hors d'une cellule humaine. La
perspective de changer le génome d'un organisme en y introduisant un gène
étranger ou en mutant l'un de ses gènes était largement hors de portée de
toute technologie de l'époque. Le mot biotechnologie n'existait pas dans le
dictionnaire d'Oxford.
Deux décennies plus tard, le paysage de la génétique était radicalement
transformé. Des gènes humains avaient été localisés, isolés, séquencés,
synthétisés, clonés, recombinés, introduits dans des bactéries, transportés
via des génomes viraux et utilisés pour créer des traitements. Comme la
physicienne et historienne Evelyn Fox Keller l'a décrit, une fois que « les
biologistes moléculaires [ont découvert] les techniques par lesquelles ils ont
pu manipuler par eux-mêmes [l'ADN] », il est apparu un savoir-faire
technologique qui a modifié à jamais notre sens historique de l'immutabilité
de la « nature 39 ».
« Alors que l'on avait jusque-là considéré que “l'inné ” dictait la destinée
et “l'acquis ” la liberté, les rôles étaient maintenant renversés […] Nous
pouvions plus facilement contrôler le premier [c'est-à-dire les gènes] que le
second [l'environnement], pas seulement dans un but à long terme mais
dans une perspective immédiate ».
En 1969, à l'aube de cette décennie si fructueuse, le généticien Robert
Sinsheimer écrivit un texte de réflexion sur le futur. La capacité de
synthétiser, de séquencer et de manipuler les gènes allait dévoiler « un
nouvel horizon dans l'histoire humaine 40 ».
« Certains peuvent sourire et croire que ce n'est qu'une nouvelle version
du vieux rêve de l'homme parfait. C'est bien cela, mais plus encore. Les
vieux rêves de perfection culturelle de l'homme étaient fortement limités
par ses imperfections inhérentes, héritées […] Nous pouvons désormais
envisager un autre parcours, l'occasion d'améliorer consciemment bien au-
delà de notre vision actuelle ce produit remarquable issu de deux milliards
d'années d'évolution 41 ».
D'autres scientifiques, anticipant cette révolution biologique, s'en étaient
moins réjouis. Comme le généticien J. B. S. Haldane l'avait décrite en 1923,
une fois que le pouvoir de contrôler les gènes serait acquis, « aucune
croyance, aucune valeur, aucune institution ne seront à l'abri 42 ».
Se faire tout le génome

« A-hunting we will go, a-hunting we will go!


We'll catch a fox and put him in a box,
And then we'll let him go. »
e 1
Refrain d'enfant du XVIII siècle

« Notre capacité à lire la séquence de notre propre génome prend


l'allure d'un paradoxe philosophique. Un être intelligent peut-il
comprendre les instructions qui le font 2 ? »
John Sulston

Les spécialistes de la construction navale de la Renaissance ont souvent


débattu de la technologie qui a permis l'exploration des océans à la fin du
XVe et au XVIe siècle, avec en point d'orgue la découverte du Nouveau
Monde. Était-ce la capacité à construire des bateaux plus grands – des
galions, caraques et flûtes hollandaises – comme insistent certains ? Ou
était-ce l'invention de nouvelles techniques de navigation, avec astrolabe
amélioré, boussole des navigateurs et premier type de sextant ?
Dans l'histoire des sciences et des technologies aussi, les percées
semblent se faire sous deux formes. Il y a des changements d'échelle, où un
progrès déterminant résulte d'une modification de la taille (la fusée pour la
Lune, comme un ingénieur l'a fait remarquer, était juste un gros avion à
réaction lancé verticalement vers la Lune). Et il y a des changements
conceptuels, où le progrès découle de l'émergence d'une idée radicalement
nouvelle. En fait, ces deux formes ne s'excluent pas mais se renforcent. Les
changements d'échelle permettent de nouveaux concepts et ces derniers, à
leur tour, ouvrent sur de nouvelles échelles. Le microscope a ouvert une
fenêtre sur le monde infravisuel. Les cellules et les organites intracellulaires
sont devenus visibles et cela a suscité des questions sur l'anatomie interne et
la physiologie des cellules, avec l'exigence de microscopes plus puissants
encore pour comprendre la structure et la fonction des différents
compartiments subcellulaires.
Entre le milieu des années 1970 et celui des années 1980, la génétique
avait été le théâtre de nombreux tournants conceptuels – le clonage de gène,
la cartographie génétique, les gènes morcelés, l'ingénierie génétique et de
nouveaux modes de régulation génétique – mais d'aucun véritable
changement d'échelle. Au cours de cette décennie, des centaines de gènes
individuels avaient été isolés, clonés et séquencés grâce à leurs
caractéristiques fonctionnelles, mais aucun catalogue complet des gènes
d'un organisme cellulaire n'existait. La technique pour séquencer le génome
d'un organisme avait été inventée, mais l'ampleur de l'effort à fournir avait
rebuté les scientifiques. En 1977, quand Fred Sanger avait réussi à
séquencer les 5 386 paires de bases du génome du virus χ174, il s'agissait de
l'ultime limite des capacités de séquençage génétique de l'époque 3. Le
génome humain, avec ses 3 095 677 412 paires de bases, est 574 000 fois
plus grand 4. Un tel changement d'échelle pour le séquençage semblait
inconcevable.

L'intérêt d'un séquençage global des génomes était particulièrement


souligné par les travaux d'isolement des gènes liés à des maladies chez
l'homme. La localisation et l'identification de gènes humains importants
furent certes célébrées dans la presse grand public au début des années
1990, mais les généticiens – ainsi que les patients – exprimaient en privé
des inquiétudes sur la faible efficacité et la lourdeur de ces approches.
Pour la maladie de Huntington, il avait fallu pas moins de vingt-cinq ans
pour passer d'un patient (la mère de Nancy Wexler) au gène (et même cent
vingt et un ans si on compte depuis l'identification du premier cas par
Huntington). Les formes héréditaires de cancer du sein étaient connues
depuis l'Antiquité, pourtant le gène le plus courant associé à ce cancer,
BRCA1, n'avait été identifié qu'en 1994 5. Même avec de nouvelles
technologies – comme le saut sur le chromosome qui avait été utilisé pour
isoler le gène de la mucoviscidose 6 – la localisation et l'identification des
gènes restaient d'une lenteur frustrante. « On ne manquait pas de gens
exceptionnellement intelligents qui tentaient de trouver des gènes humains,
relève John Sulston, le biologiste du ver, mais ils perdaient leur temps à
réfléchir sur les morceaux de séquence qui pouvaient leur être utiles 7. »
L'approche gène après gène, craignait Sulston, allait finalement se trouver
dans une impasse.
James Watson se faisait l'écho de cette frustration due au rythme lent
imposé par la génétique du « un gène à la fois ». « Mais même avec le
pouvoir immense des méthodes de l'ADN recombinant, relevait-il,
l'isolement final de la plupart des gènes responsable de maladies semblait
être au-delà des capacités humaines au milieu des années 1980 8. »
Ce que Watson recherchait était la séquence du génome humain entier,
ses trois milliards de paires de bases, de la première à la dernière. On allait
trouver dans cette séquence tous les gènes humains, avec leur séquence
codante, leurs séquences régulatrices, les exons et les introns, et tous les
longs morceaux d'ADN qui séparaient les gènes entre eux. La séquence
obtenue allait servir de support pour « annoter » les gènes que l'on
découvrirait dans le futur : par exemple, si un généticien trouvait, par des
études purement génétiques, un nouveau gène qui augmente le risque de
cancer du sein, il lui serait possible, connaissant quelques marqueurs, de le
localiser directement sur la séquence de référence du génome humain, et
donc d'accéder à la séquence du gène en peu de temps. Et cette séquence
« normale » du gène candidat pourrait servir de référence pour identifier des
mutations : il suffirait de la comparer à celles obtenues chez des femmes
atteintes de cancer du sein et de chercher les différences.

L'impulsion pour séquencer l'intégralité du génome humain est également


venue de deux autres sources. L'approche du « un gène à la fois » convenait
très bien pour des maladies monogéniques telles que la mucoviscidose ou la
maladie de Huntington, mais la plupart des maladies ne viennent pas,
comme on l'a vu, de mutations d'un gène unique. Ce ne sont pas tant des
maladies génétiques que des maladies génomiques, car de multiples gènes
répartis dans le génome déterminent le risque d'avoir la maladie.
Comprendre, diagnostiquer ou prédire ces maladies ne peut se faire qu'en
élucidant les relations qu'entretiennent plusieurs gènes indépendants.
L'archétype de la maladie génomique est le cancer. On savait depuis plus
d'un siècle que le cancer est une maladie des gènes. En 1872, Hilário de
Gouveia, un ophtalmologue brésilien, avait décrit une famille frappée par
une forme rare de cancer de l'œil appelé rétinoblastome qui se perpétuait
tragiquement à travers les générations 9. Les familles partagent certes bien
plus que des gènes – par exemple de mauvaises habitudes, de mauvaises
recettes, des névroses, des obsessions, un environnement, des
comportements –, mais le mode de transmission de la maladie dans cette
famille suggérait une cause génétique. De Gouveia proposa l'existence d'un
« facteur hérité » comme cause de ces rares tumeurs de l'œil. De l'autre côté
du globe, et sept années auparavant, un moine botaniste inconnu appelé
Mendel avait publié un article sur les facteurs hérités chez le petit pois,
mais de Gouveia n'en a jamais eu connaissance et il n'a pu que soupçonner
ce qui sera appelé gène plus de trois décennies plus tard.
À la fin des années 1970, juste un siècle après de Gouveia, les
scientifiques commencèrent à s'apercevoir, embarrassés, que les cancers
naissaient de cellules normales qui avaient acquis des mutations dans des
gènes contrôlant leur croissance 10. Dans les cellules normales, ces gènes
sont de puissants régulateurs de la croissance. Ils permettent par exemple,
lorsque la peau cicatrise après une blessure, que les cellules ne poursuivent
leurs divisions indéfiniment pour donner une tumeur (en termes de
génétique, les gènes disent aux cellules dans une plaie quand commencer à
se diviser et quand s'arrêter). Les généticiens réalisèrent que, dans les
cellules cancéreuses, ces voies sont d'une certaine manière perturbées. Des
gènes qui lancent la division se retrouvent bloqués en mode « activé »,
tandis que ceux qui agissent normalement pour l'arrêter sont inactivés, et
que les gènes qui déterminent le métabolisme et l'identité de la cellule sont
altérés. Résultat, la cellule ne sait plus comment s'arrêter de grandir et se
diviser.
Le fait que le cancer provienne de l'altération de ces voies génétiques
endogènes – soit « une version déformée de notre soi normal » comme le
disait le biologiste du cancer Harold Varmus – était profondément troublant.
Pendant des décennies, les scientifiques avaient espéré que des pathogènes,
tels que des virus ou des bactéries, puissent expliquer un jour toutes les
causes de cancer, et que celui-ci puisse donc être éliminé par des
médicaments ou des vaccins. La relation intime entre les gènes et le cancer
lançait soudain un défi à toute la biologie du cancer : comment pouvait-on
restaurer le fonctionnement normal des gènes mutés sans perturber la
croissance des cellules ? C'était, et demeure, le but ultime, l'éternel espoir et
le problème le plus profond de la thérapie du cancer.
Les cellules normales acquièrent les mutations sources de cancer par
quatre mécanismes. Les mutations peuvent être dues à des agressions
extérieures comme la fumée de tabac, la lumière ultraviolette ou les rayons
X, c'est-à-dire des agents qui s'attaquent à l'ADN et altèrent sa structure.
Ces mutations peuvent aussi survenir d'erreurs spontanées commises au
cours de la division cellulaire (chaque fois que l'ADN est répliqué dans une
cellule, il y a une petite chance que la copie génère une erreur, par exemple
un A à la place d'un T, ou un G à la place d'un C). Les gènes mutés du
cancer peuvent aussi être transmis par les parents et causer des cancers
héréditaires comme certains rétinoblastomes ou cancers du sein qui
ravagent des familles. Enfin, le gène muté peut être transporté dans les
cellules par des virus. Dans ces quatre cas, on aboutit au même processus
pathologique avec l'activation ou l'inactivation inappropriée de voies
génétiques intervenant dans la division cellulaire, entraînant une
multiplication dérégulée des cellules caractéristique du cancer.
Ce n'est pas une coïncidence si l'une des maladies les plus fondamentales
dans l'histoire humaine découle de l'altération des deux processus les plus
fondamentaux en biologie : le cancer emprunte à la fois la logique de
l'évolution et celle de l'hérédité, c'est une convergence pathologique de
Darwin et de Mendel. Les cellules cancéreuses apparaissent par des
mutations, survivent, subissent une sélection naturelle et prolifèrent. Et elles
transmettent leurs instructions de croissance maligne à leurs cellules filles
via leurs gènes corrompus. Le cancer, comme le découvrirent les biologistes
au début des années 1980, était un « nouveau » type de maladie génétique,
le produit combiné de l'hérédité, de l'évolution, de l'environnement et du
hasard.

Mais combien de gènes pouvaient être impliqués dans un cancer humain


typique ? Un gène par cancer ? Une dizaine ? Une centaine ? À la fin des
années 1990, un généticien du cancer qui travaillait à l'université Johns
Hopkins, Bert Vogelstein, décida de créer un catalogue complet de presque
tous les gènes intervenant dans les cancers. Il avait déjà découvert que les
cancers surviennent par des étapes successives où s'accumulent des dizaines
de mutations dans la cellule 11. Gène après gène, une cellule dévie vers le
cancer, acquérant une, deux, quatre puis des dizaines de mutations qui font
basculer sa physiologie d'une croissance contrôlée à son dérèglement
complet.
Pour les généticiens du cancer, ces données suggéraient que l'approche
« un gène à la fois » serait insuffisante pour comprendre, diagnostiquer ou
traiter le cancer. Un trait fondamental du cancer est son énorme diversité
génétique. Chez une femme dont les deux seins sont touchés, deux
échantillons de tissu cancéreux, extraits des deux seins au même moment,
sont susceptibles de montrer une gamme très différente de mutations, et
donc avoir des manières très différentes de se comporter, de progresser et de
répondre aux diverses chimiothérapies. Pour comprendre le cancer, les
biologistes allaient devoir prendre en compte tout le génome d'une cellule
cancéreuse.
Si le séquençage du génome entier de cellules cancéreuses, et pas
seulement de quelques gènes associés à la maladie, était nécessaire pour
comprendre la physiologie des cancers et leur diversité, il était encore plus
évident que la séquence du génome sain devait d'abord être déterminée. Le
génome humain devait être le référent « normal » des génomes
« cancéreux ». Une mutation génétique ne peut être décrite que par rapport
à une version normale ou « sauvage » du gène altéré. Sans modèle de
normalité, il y avait peu d'espoir que l'on puisse résoudre la biologie
fondamentale du cancer.

Comme pour le cancer, il s'avéra que les maladies mentales héritables


impliquent des dizaines de gènes différents. La schizophrénie, en
particulier, avait suscité une furieuse attention aux États-Unis en 1984
quand James Huberty, un homme dont on connaissait les hallucinations
paranoïdes, rentra au hasard dans un McDonald's à San Francisco un juillet
après midi et tua vingt-deux personnes avec un fusil 12. Le jour précédent,
Huberty avait laissé un message désespéré sur le répondeur d'une clinique
psychiatrique pour demander de l'aide, puis attendu des heures au
téléphone. Il ne fut jamais rappelé car le standardiste avait déformé son nom
en Shouberty et négligé de relever son numéro de téléphone. Le matin
suivant, encore sous le coup d'une crise paranoïde, il partit de chez lui avec
un fusil semi-automatique chargé dans une couverture à carreaux en disant
à sa sœur qu'il allait « chasser des humains ».
La tragédie d'Huberty se produisit après qu'une gigantesque étude de
l'Académie nationale des sciences avait publié des données établissant
l'origine génétique de la schizophrénie. Utilisant la méthode des jumeaux
inaugurée par Galton dans les années 1890, et reprise par les généticiens
nazis dans les années 1940, l'étude constatait que les vrais jumeaux avaient
un taux frappant de concordance de la maladie, de 30 à 40 % 13.
Une étude précédente, publiée par le généticien Irving Gottesman en
1982, avait trouvé une corrélation encore plus impressionnante, de 40 à
60 % 14. Si l'un des jumeaux était diagnostiqué schizophrène, le risque que
l'autre développe à son tour la maladie était cinquante fois plus élevé que
celui dans la population générale. Pour des vrais jumeaux présentant la
forme la plus sévère de la maladie, Gottesman avait trouvé que le taux de
concordance était de 75 à 90 % : cela signifiait que presque tout jumeau
dont le frère ou la sœur était malade était également frappé de
schizophrénie 15. Cette forte concordance entre vrais jumeaux laissait penser
que la schizophrénie possédait une forte composante génétique. En
revanche, les deux études, celle de l'Académie comme celle de Gottesman,
observaient que le taux de concordance chutait pour les faux jumeaux (à
environ 10 %).
Pour un généticien, un tel mode de transmission offrait des indices
importants sur l'origine génétique de la maladie. Supposez que la
schizophrénie soit due à une seule mutation très pénétrante, dominante,
dans un seul gène. Si l'un des vrais jumeaux hérite du gène muté, il en sera
de même pour l'autre. Ils manifesteront tous les deux la maladie et la
concordance approchera les 100 %. En revanche, de faux jumeaux ou de
simples frères et sœurs n'hériteront ensemble de ce gène que dans la moitié
des cas, et la concordance entre eux sera alors de 50 %.
Supposez au contraire que la schizophrénie ne soit pas une maladie mais
une famille de maladies. Imaginez que l'appareil cognitif du cerveau soit
une machine très complexe, avec un axe central, une boîte de vitesse, et des
dizaines de petits pistons et de joints pour moduler et régler finement son
activité. Si l'axe principal ou la boîte de vitesse se casse net, alors toute la
« machine cognitive » s'effondre, ce qui entraîne un déficit sévère de la
cognition. Les vrais jumeaux ayant le même génome, ils hériteront des
mêmes mutations dans l'axe ou la boîte de vitesse. Et comme les mutations
sont très pénétrantes, la concordance entre les jumeaux approchera les
100 %.
Mais imaginez maintenant que la machine de la cognition puisse aussi
être perturbée par la défaillance de plusieurs petits joints ou pistons. Dans
ce cas, elle ne va pas s'arrêter net. Elle va cracher, fumer et ce d'autant plus
en fonction des moments : ce sera pire en hiver. Ce sera, par analogie, une
forme moins sévère de la maladie. Son problème de fonctionnement sera dû
à une combinaison de mutations ayant chacune une faible pénétrance,
chacune comme un défaut dans les joints et les pistons, exerçant un contrôle
plus subtil du mécanisme général de la cognition.
Ici aussi, deux vrais jumeaux – avec le même génome – hériteront,
disons, des cinq variants de gènes ensemble, mais comme leur pénétrance
est incomplète et le déclenchement de la maladie plus fonction des
circonstances, la concordance entre eux chutera à 30 ou 50 % seulement.
Des faux jumeaux ou des frères et sœurs ne partageront que quelques-uns
de ces gènes. Les lois de Mendel garantissent que les cinq variants seront
rarement transmis en bloc aux deux enfants. La concordance entre eux
tombera encore plus bas, à 5 ou 10 %.
Ce type de transmission est le plus courant dans le cas de la
schizophrénie. Que de vrais jumeaux ne partagent que 50 % de concordance
– c'est-à-dire que si l'un est affecté l'autre ne le sera que dans 50 % des cas –
démontre clairement que d'autres facteurs déclenchants (dans
l'environnement ou des événements fortuits) sont requis pour faire basculer
la prédisposition dans la réalité. Mais lorsqu'un enfant d'un parent
schizophrène est adopté à la naissance par une famille sans schizophrènes,
il a encore 15 à 20 % de risque de développer la maladie, soit 20 fois plus
que le risque dans la population générale, ce qui démontre que l'influence
génétique peut être puissante et indépendante malgré d'énormes variations
dans l'environnement. Ces différents cas de figure suggèrent fortement que
la schizophrénie est une maladie complexe, polygénique, impliquant de
nombreux gènes, et de nombreux facteurs de l'environnement ainsi qu'une
part de hasard. Comme pour le cancer et d'autres maladies polygéniques,
une approche gène par gène semble peu adaptée pour en révéler la
physiologie.

L'anxiété populaire relative aux gènes, aux maladies mentales et aux


crimes fut encore attisée par la publication au cours de l'été 1985 de Crime
and Human Nature : The Definitive Study of the Causes of Crime, un livre
incendiaire écrit par James Q. Wilson, un politologue et Richard Herrnstein,
un biologiste du comportement 16. Wilson et Herrnstein avançaient que
certaines maladies mentales, notamment la schizophrénie – et
particulièrement sa forme violente et perturbante – étaient très fréquentes
parmi les criminels, probablement génétiquement ancrées, et qu'elles étaient
la cause de comportements criminels. L'addiction et la violence auraient
aussi eu une forte composante génétique.
L'hypothèse embrasa l'imagination populaire. La criminologie
universitaire d'après-guerre avait été dominée par les « théories »
environnementales du crime, les criminels étant dans cette optique le
produit de mauvaises influences : « de mauvais amis, de mauvaises
fréquentations, de mauvaises étiquettes 17 ». Wilson et Herrnstein
reconnaissaient l'effet de ces facteurs mais y ajoutaient le plus controversé
des quatre : « de mauvais gènes ». Le sol n'était pas contaminé, selon eux,
c'était plutôt la graine. Crime and Human Nature devint un phénomène
médiatique majeur et vingt publications en firent la recension, dont le New
York Times, Newsweek et Science. La revue Time souligna son message
essentiel directement dans le titre : « Nés criminels ? » tandis que
Newsweek était plus direct encore : « Des criminels nés et élevés. »
Le livre de Wilson et Herrnstein reçut un déluge de critiques. Même ceux
qui croyaient dur comme fer à la théorie génétique de la schizophrénie
devaient admettre que l'étiologie de la maladie était largement inconnue,
que l'acquis devait avoir une influence majeure (d'où le 50 % – et pas
100 % – de concordance entre vrais jumeaux) et que la grande majorité des
personnes schizophrènes vivaient dans l'ombre terrifiante de leur maladie
mais n'avaient en rien un passé de criminel.
Mais pour le public secoué par la peur de la violence et du crime des
années 1980, l'idée que le génome humain puisse contenir les réponses non
seulement aux maladies médicales mais aussi aux maladies sociales telles
que les déviances, l'alcoolisme, la violence, la corruption de la morale, la
perversion ou l'addiction avait un puissant attrait.
Dans un entretien au journal Baltimore Sun, un neurochirurgien se
demandait si l'on pouvait identifier les personnes à tendance criminelle
(comme Huberty), les mettre en détention, et les traiter avant qu'elles ne
commettent des crimes, c'est-à-dire faire un profilage génétique des
précriminels. Un généticien en psychiatrie commenta l'impact que pouvait
avoir l'identification de tels gènes sur le discours public concernant le
crime, la responsabilité et la sanction. « Le lien [avec la génétique] est très
clair […] Nous serions naïfs de ne pas penser qu'un aspect du [traitement du
crime] sera biologique ».

Dans ce contexte de grosse agitation médiatique et d'attentes énormes, les


premières discussions au sujet du séquençage du génome humain furent
remarquablement décourageantes. Durant l'été 1984, Charles DeLisi, un
administrateur de la science au Département de l'énergie américain (DOE),
organisa une rencontre d'experts pour évaluer la faisabilité technique de ce
projet.
Depuis le début des années 1980, les chercheurs du DOE avaient étudié
les effets de l'irradiation sur les gènes humains. Les bombardements de
Hiroshima et de Nagasaki en 1945 avaient exposé des centaines de milliers
de citoyens japonais à diverses doses de rayonnement, dont les douze mille
enfants survivants qui avaient maintenant la quarantaine ou la cinquantaine.
Combien de mutation s'étaient-elles produites chez ces enfants, dans quels
gènes et sur quelle période ? Comme les mutations induites par l'irradiation
avaient dû se répartir au hasard dans tout le génome, une recherche gène
après gène semblait vaine. En décembre 1984, une autre rencontre de
scientifiques eut lieu pour évaluer si le séquençage de génome entier
pouvait être utilisé pour déceler des altérations génétiques chez les enfants
exposés 18. La conférence se tint à Alta, dans l'Utah, la même ville de
montagne où Botstein et Davis avaient initialement conçu l'idée de
cartographier les gènes humains par des études de liaison et de
polymorphisme.
De prime abord, le congrès d'Alta fut un échec spectaculaire. Les
scientifiques réalisèrent que les techniques de séquençage disponibles au
mitan des années 1980 étaient bien loin de pouvoir localiser des mutations
sur le génome humain. Mais la rencontre fut aussi une plateforme
déterminante pour démarrer un dialogue sur un séquençage global des
gènes. Une série de congrès sur le séquençage du génome suivit, à Santa
Cruz en mai 1985, à Santa Fe en mars 1986. À la fin de l'été 1986, James
Watson organisa la rencontre peut-être la plus décisive à Cold Spring
Harbor, l'intitulant « The Molecular Biology of Homo Sapiens ». Comme
dans le cas d'Asilomar, la sérénité du campus, dans une baie tranquille, avec
des collines vallonnées descendant vers la mer, contrastait avec la ferveur
des discussions.
Lors de la rencontre, une foule de nouvelles études furent présentées qui
firent soudain paraître plus accessible l'objectif du séquençage du génome
humain. La percée technologique la plus importante vint peut-être de Kary
Mullis, un biochimiste qui étudiait la réplication 19. Pour séquencer les
gènes, il est crucial d'avoir assez d'ADN au départ. Une seule bactérie peut
être cultivée pour en obtenir des millions, ce qui apporte des quantités
suffisantes d'ADN pour son séquençage. Mais il est difficile de faire
pousser des centaines de millions de cellules humaines. Mullis avait
découvert un raccourci ingénieux. Il fit une copie d'un gène humain dans un
tube avec l'ADN polymérase 20, puis copia la quantité d'ADN doublée pour
la doubler encore, puis copia la quantité d'ADN désormais quadruplée, ceci
sur une douzaine de cycles. Chaque cycle amplifiait deux fois l'ADN, ce qui
se traduisait par une augmentation exponentielle de la quantité du gène. La
technique fut appelée réaction en chaîne de la polymérase, ou PCR, et allait
jouer un rôle décisif dans le succès du « Projet Génome Humain ».
Eric Lander, un mathématicien devenu biologiste, exposa à l'auditoire de
nouvelles méthodes mathématiques pour trouver des gènes liés à des
maladies complexes et multigéniques. Leroy Hood, du Caltech, décrivit une
machine semi-automatique qui pouvait accélérer dix à vingt fois le
séquençage de Sanger.
Plus tôt, Walter Gilbert, le pionnier du séquençage de l'ADN, avait
préparé un calcul approximatif du coût et du personnel nécessaires. Pour
séquencer les 3 milliards de paires de bases de l'ADN humain, Gilbert
estimait qu'il faudrait 50 000 « personnes années » (50 000 personnes
pendant un an ou 5 000 personnes pendant dix ans) et que cela coûterait
autour de trois milliards de dollars, soit un dollar par paire de bases 21.
Alors que Gilbert, avec son panache caractéristique, arpentait le sol
devant un tableau noir pour marquer les nombres à la craie, un intense débat
éclata dans l'auditoire. Le « nombre de Gilbert » qui allait s'avérer
étonnamment précis, avait réduit le projet du génome à des réalités plus
tangibles. En fait, mis en perspective, le coût n'était pas particulièrement
élevé. À son apogée, le programme Apollo avait employé près de quatre
cent mille personnes, pour un coût total d'environ 100 milliards de dollars.
Si Gilbert avait raison, le génome humain pouvait être obtenu pour moins
d'un trentième du voyage sur la Lune. Sydney Brenner dit plus tard en
plaisantant que le séquençage du génome humain allait peut-être se trouver
limité, non par le coût ou la technologie, mais seulement par la sévère
monotonie de sa réalisation. Il imaginait un séquençage du génome infligé
en guise de punition à des criminels ou à des condamnés, un million de
bases pour cambriolage, deux pour un homicide et dix pour un meurtre.
Alors que la nuit tombait sur la baie ce soir-là, Watson fit part à plusieurs
scientifiques d'une période de crise plus personnelle. Le 27 mai, la nuit
précédant la conférence, son fils Rufus âgé de quinze ans s'était échappé
d'un établissement psychiatrique à White Plains. Il fut retrouvé plus tard
errant dans les bois, près de la voie ferrée, capturé et ramené dans
l'établissement. Quelques mois plus tôt, Rufus avait tenté de briser une
fenêtre du World Trade Center pour sauter dans le vide. Il avait été
diagnostiqué schizophrène. Pour Watson, qui croyait fermement dans
l'origine génétique de la maladie, le « Projet Génome Humain » s'était
invité chez lui, littéralement. Il n'existait aucun modèle animal pour la
schizophrénie, ni de polymorphisme clairement associé qui permette aux
généticiens de trouver des gènes impliqués dans la maladie. « Le seul
moyen d'offrir à Rufus une vie [convenable] était de comprendre pourquoi
il était malade. Et le seul moyen dont nous disposions pour y arriver était de
se faire tout le génome 22. »

Mais quel génome « se faire » ? Certains scientifiques comme Sulston


étaient pour une approche progressive : commencer par un organisme
simple tel que la levure de boulanger, le ver ou la mouche, puis grimper
dans l'échelle de la taille et de la complexité avec le génome humain.
D'autres, comme Watson, voulaient passer directement à l'homme. Après un
débat interne prolongé, les scientifiques arrivèrent à un compromis. On
commencerait d'abord par le séquençage du génome d'organismes simples
comme le ver ou la mouche, et ces projets baptisés du nom de chaque
organisme seraient le moyen de développer la technologie du séquençage
génétique. Le travail sur le génome humain serait lancé en parallèle et
bénéficierait des leçons apprises lors du séquençage des génomes plus
simples. Cette grande entreprise de séquençage intégral d'un génome
humain fut nommée « Projet Génome Humain ».
Le NIH et le DOE rivalisaient dans le même temps pour contrôler ce
projet. En 1989, après plusieurs auditions du Congrès, un second
compromis fut trouvé 23. Les Instituts nationaux de la santé (NIH) seraient
l'agence officielle du projet tandis que le DOE apporterait ses ressources et
sa gestion stratégique de l'ensemble. Watson fut choisi pour diriger le
projet. Des collaborations internationales furent rapidement mises en place
avec le Medical Research Council et le Wellcome Trust au Royaume-Uni,
et le renfort par la suite des Français, des Japonais, des Chinois et des
Allemands.
En janvier 1989, un comité réunissant douze conseillers se retrouva dans
une salle de conférence du Bâtiment 31 dans le coin le plus reculé du
campus du NIH à Bethesda 24. Il était présidé par Norton Zinder, le
généticien qui avait aidé à rédiger le moratoire d'Asilomar. « Aujourd'hui,
nous commençons, annonça Zinder. Nous démarrons une étude sans fin de
la biologie humaine. Quoiqu'il arrive, ce sera une aventure, une entreprise
inestimable. Et quand ce sera fait, quelqu'un d'autre s'assiéra et dira : “C'est
le moment de commencer” 25. »

Le 28 janvier 1983, la veille du lancement du « Projet Génome


Humain », Carrie Buck mourut dans un établissement de soins palliatifs à
Waynesboro en Pennsylvanie 26. Elle avait soixante-seize ans. Sa naissance
et sa mort avaient encadré l'histoire presque séculaire du gène. Sa
génération avait été témoin de la résurrection scientifique de la génétique,
de son entrée en force dans le discours public, de sa perversion dans
l'eugénisme et l'ingénierie sociale, de son émergence à l'après-guerre
comme thème central de la « nouvelle » biologie, de son impact sur la
physiologie et la pathologie humaines, de sa puissante capacité à expliquer
les maladies et ses recoupements inévitables avec les questions de destinée,
d'identité et de choix. Carrie Buck avait été l'une des premières victimes de
l'incompréhension qui peut exister face à une nouvelle science puissante. Et
elle avait vu cette science transformer notre compréhension de la médecine,
de la culture et de la société.
Et qu'en était-il de son « imbécillité génétique » ? En 1930, trois ans
après que la Cour suprême avait ordonné sa stérilisation, Carrie Buck fut
libérée de la Colonie Virginia et envoyée pour travailler dans une famille
dans le comté Bland en Virginie. Le seul enfant de Carrie Buck, Vivian
Dobbs, le bébé qui avait été examiné par la Cour et déclaré « imbécile »,
mourut d'une entérocolite en 1932 27. Au cours des huit et quelque années de
sa vie, Vivian s'est bien débrouillée à l'école. Au primaire, par exemple, elle
avait reçu de bonnes notes en comportement et en orthographe, et une
appréciation assez encourageante en mathématiques, sujet qui lui avait
toujours donné du fil à retordre. En avril 1931, elle fut inscrite au tableau
d'honneur. Ce qui reste de ses bulletins scolaires suggère que c'était une
enfant joyeuse, agréable et insouciante dont les résultats n'étaient pas plus
mauvais que ceux de tout autre enfant. Rien dans l'histoire de Vivian ne
suggérait une prédisposition héréditaire à une maladie mentale ou à une
imbécillité, ce diagnostic qui avait scellé le sort de Carrie Buck au tribunal.
Les géographes

« Ainsi les Géographes en carte d'Afrique,


Remplissent leurs lacunes d'images de sauvages,
Et sur d'autres recoins inhabitables,
Placent des éléphants à défaut de villes. »
1
Jonathan Swift, « On Poetry »

« Le Projet Génome Humain, supposé être l'une des plus nobles


entreprises de l'humanité, ressemble de plus en plus à une lutte sans
merci 2. »
Justin Gillis, 2000.

Il n'est pas exagéré de dire que la première surprise du « Projet Génome


Humain » n'eut rien à voir avec les gènes. En 1989, alors que Watson,
Zinder et ses collègues organisaient le lancement du projet, un
neurobiologiste peu connu du NIH, Craig Venter, proposa un raccourci pour
effectuer ce séquençage 3.
Pugnace, déterminé et prêt à en découdre, étudiant rebelle aux notes
moyennes, complètement dingue de voile et de surf, ancien combattant de
la guerre du Vietnam, Venter avait le don de se plonger tête baissée dans des
projets entièrement nouveaux. Il avait reçu une formation en neurobiologie
et passé une bonne partie de sa vie scientifique à étudier l'adrénaline. Au
milieu des années 1980, travaillant au NIH, il s'était intéressé au séquençage
des gènes exprimés dans le cerveau humain. En 1986, il avait entendu
parler des machines de séquençage rapide de Leroy Hood et s'était dépêché
d'acheter l'un des premiers modèles pour son laboratoire 4. Lorsqu'elle était
arrivée, il l'avait appelée « mon avenir en boîte 5 ». Il avait les qualités de
bricolage d'un ingénieur et le goût du mélange des produits du biochimiste.
En quelques mois, Venter était devenu un expert en séquençage rapide des
génomes avec l'appareil semi-automatisé.
La stratégie de Venter pour séquencer le génome reposait sur une
simplification radicale. Le génome humain contient des gènes, bien sûr,
mais une grande partie en est cependant dépourvue. Les immenses étendues
d'ADN entre les gènes, appelées ADN intergénique, ressemblent un peu aux
interminables autoroutes entre les villes canadiennes. Et comme Phil Sharp
et Richard Roberts l'avaient montré, un gène se trouve lui-même divisé en
plusieurs segments espacés par de longues séquences d'ADN appelées
introns.
L'ADN intergénique et les introns ne codent pas de séquence protéique.
Certaines de ces séquences contiennent une information pour réguler et
coordonner l'expression des gènes dans le temps et l'espace, comme des
interrupteurs accolés aux gènes 6. D'autres séquences n'ont pas de fonction
connue. La structure du génome humain peut donc être comparée à une
phrase de la sorte :
Ceci…….est….la…..st…..ruc……ture…,,,,……de…..votre…. (…gé….no……..me)

où les mots correspondent aux gènes, les points aux introns et aux
séquences intergéniques, et les autres ponctuations à des séquences de
régulation.
Le premier raccourci pris par Venter fut de ne pas tenir compte des
séquences non codantes intra et intergéniques dans le génome humain.
Celles-ci ne portant pas d'information relative aux protéines, ne valait-il pas
mieux se focaliser sur les parties codantes, actives, des gènes ? Puis –
prenant un raccourci dans le raccourci – il proposa que même ces parties
actives pouvaient être abordées plus rapidement si seulement certains
fragments des gènes étaient séquencés. Convaincu que cette approche des
gènes fragmentés allait fonctionner, Venter avait commencé à séquencer des
centaines de ces fragments génétiques à partir du tissu cérébral.
Pour continuer notre analogie entre génomes et phrases, c'était comme si
Venter avait décidé de ne prendre que des brisures de mots dans les phrases,
ruc, votre et no. Il n'allait pas obtenir tout le contenu de la séquence comme
cela, mais déduire assez de choses de ces petits morceaux pour comprendre
les éléments cruciaux des gènes humains.
Watson était terrifié. La stratégie de « fragmentation des gènes » de
Venter était indéniablement plus rapide et meilleur marché, mais pour
nombre de scientifiques c'était aussi un travail bâclé et incomplet car il ne
donnait qu'une information partielle sur le génome 7. Le conflit prit de
l'ampleur avec un événement inhabituel. Durant l'été 1991, alors que le
groupe de Venter commençait à engranger les séquences de fragments
génétiques du cerveau, l'agence du transfert de technologie du NIH prit
contact avec Venter pour breveter ces nouvelles séquences 8. Pour Watson,
la contradiction devenait embarrassante avec d'un côté une branche du NIH
qui prétendait avoir des droits exclusifs sur une information qu'une autre
branche, de l'autre côté, s'évertuait à découvrir et à rendre librement
accessible.
Alors par quelle logique les gènes – ou dans le cas de Venter des
fragments « actifs » de gènes – pouvaient-ils être brevetés ? À Stanford,
Boyer et Cohen, rappelez-vous, avaient breveté une méthode pour
« recombiner » des morceaux d'ADN et créer des chimères génétiques.
Genentech avait breveté un procédé pour faire exprimer des protéines telles
que l'insuline par la bactérie. En 1984, Amgen avait déposé un autre brevet
pour la purification de l'hormone de production du sang appelée
érythropoïétine en utilisant de l'ADN recombinant, mais même ce brevet, si
on le lit avec soin, impliquait un plan de production et de purification d'une
protéine précise ayant une fonction précise 9. Personne n'avait jamais
protégé un gène, ou un morceau d'information génétique, pour lui-même.
Un gène humain n'était-il pas comme n'importe quelle autre partie du
corps humain, le nez ou le bras gauche, et donc fondamentalement non
brevetable ? Ou la découverte d'une information génétique aussi nouvelle
ne méritait-elle pas d'être brevetée pour elle-même ? Sulston, par exemple,
était fermement opposé à l'idée de brevets sur les gènes. « Les brevets
(comme je l'ai toujours pensé) sont conçus pour protéger des inventions 10,
écrivait-il. Il n'y a eu aucune “invention” dans la découverte de [fragments
génétiques] alors comment pourrait-on les breveter ? ». « C'est une
appropriation rapide et malpropre de terre 11 » écrivit avec dédain un
chercheur.
La controverse autour des brevets sur les gènes prit un tour encore plus
passionné car les fragments de gènes étaient séquencés de façon aléatoire,
sans leur attribuer une quelconque fonction. Comme l'approche de Venter
produisait par nature des séquences fragmentaires – il n'était pas toujours
possible de les recoller ensemble –, leur information n'était pas claire.
Parfois, les fragments étaient assez longs pour que l'on puisse en déduire la
fonction d'un gène, mais le plus souvent il n'était pas possible d'en déduire
quoi que ce soit. « Pourriez-vous breveter un éléphant en décrivant sa
queue ? Et pourquoi ne pas breveter un éléphant en décrivant trois
morceaux distincts de sa queue ? » ironisait Eric Lander 12. Lors d'une
audition du Congrès sur le projet génome, Watson s'emporta en disant que
« virtuellement n'importe quel singe » pouvait générer de tels fragments.
Walter Bodmer, un généticien britannique, avertit que si les Américains
accordaient des brevets aux fragments de gènes de Venter, les Britanniques
en feraient de même de leur côté 13. En quelques semaines, le génome se
retrouverait balkanisé, découpé en milliers de colonies territoriales portant
des drapeaux américain, britannique et allemand.
Le 10 juin 1992, lassé de ces interminables querelles, Venter quitta le
NIH pour lancer son propre institut privé de séquençage des gènes.
L'organisme fut d'abord appelé l'Institute for Genome Research mais Venter
repéra un problème avec ce nom dont l'acronyme, prononcé IGOR en
anglais, pouvait rappeler un majordome gothique au regard louche élève de
Frankenstein 14. Il préféra le baptiser The Institute for Genomic Research,
ou TIGR pour faire court 15.

Sur le papier, du moins celui des articles scientifiques, le TIGR connut un


succès phénoménal. Venter collabora avec des célébrités scientifiques
comme Bert Vogelstein et Ken Kinzler pour découvrir de nouveaux gènes
associés aux cancers. Plus important encore, Venter resta à l'avant-garde des
technologies de séquençage génétique. Très sensible aux critiques, il était
aussi très rapide à y répondre et en 1993 il élargit son activité de
séquençage des fragments de gènes aux gènes complets et aux génomes.
Avec un nouvel allié en la personne de Hamilton Smith, le microbiologiste
et prix Nobel, Venter décida qu'il allait séquencer le génome d'une bactérie
à l'origine de pneumonies mortelles chez l'homme, Haemophilus
influenzae 16.
La stratégie de Venter était une extension de l'approche des fragments de
gènes qu'il avait utilisée pour le cerveau, mais prenait un tournant
important. Cette fois, il allait briser le génome bactérien en un million de
morceaux à l'aide d'un système semblable à un mitraillage. Il allait ensuite
séquencer de manière aléatoire des centaines de milliers de fragments puis
utiliser le chevauchement des morceaux pour les assembler et reformer tout
le génome. Pour reprendre notre analogie de la phrase, imaginez que vous
vouliez former un mot en utilisant les fragments suivants : stru, uctu,
ucture, structu et ucture. Un ordinateur peut utiliser les segments qui se
recoupent pour assembler le mot complet de « structure ».
La solution dépend de la présence de séquences chevauchantes et s'il n'y
en a pas, ou que certaines parties du mot sont omises, il devient impossible
de reformer le mot. Mais Venter était sûr de pouvoir utiliser cette approche
pour rassembler le génome. Cette technique, appelée séquençage
« shotgun », avait déjà été utilisée dans les années 1980 par Fred Sanger,
l'inventeur du séquençage, mais la tentative de Venter de l'appliquer au
séquençage d'un génome bactérien entier était inédite dans son ambition.
Venter et Smith lancèrent le projet Haemophilus durant l'hiver 1993. En
juillet 1995, il était terminé. « L'article final a eu quarante versions
préliminaires, a écrit Venter plus tard 17. Nous savions qu'il allait être
historique et j'ai insisté pour qu'il soit aussi près de la perfection que
possible. »
Ce fut une merveille. La généticienne de Stanford Lucy Shapiro raconta
plus tard comment des membres de son laboratoire étaient restés toute la
nuit à lire le génome de H. flu, « tout excités par ce premier aperçu du
contenu en gènes d'une espèce vivante 18 ». Il y avait des gènes pour
produire de l'énergie, constituer des éléments de la paroi, fabriquer des
protéines, réguler la nutrition, échapper au système immunitaire, etc. Sanger
lui-même écrivit à Venter pour qualifier son travail de « magnifique ».

Tandis que Venter déterminait la séquence de génomes bactériens au


TIGR, le « Projet Génome Humain » subissait des changements internes
drastiques. En 1993, après une série de disputes avec le directeur du NIH,
Watson démissionna de son poste de directeur du projet. Il fut rapidement
remplacé par Francis Collins, le généticien du Michigan connu pour avoir
cloné le gène de la mucoviscidose en 1989.
Si le Projet n'avait pas trouvé Collins en 1993, il aurait pu l'inventer, tant
ce chercheur correspondait à l'emploi pour relever de tels défis. Collins, un
fervent chrétien de Virginie, communiquant né et administrateur doué,
scientifique de premier rang, était quelqu'un de mesuré, prudent et
diplomate. Face au petit yacht déchaîné de Venter constamment en train de
manœuvrer dans le vent, Collins était un paquebot transatlantique qui
remarquait à peine le tumulte autour de lui. En 1995, alors que le TIGR
avait fait un bond en avant avec le génome d'Haemophilus, le « Projet
Génome Humain » avait focalisé ses efforts sur le perfectionnement des
technologies de base du séquençage. Contrairement à la stratégie du TIGR,
qui était de réduire en pièces le génome, de séquencer de façon aléatoire ses
morceaux puis de les réassembler à la fin, le « Projet Génome Humain »
avait choisi une approche plus ordonnée. Son objectif était d'assembler les
fragments génomiques en une carte physique (« Qui est à côté de qui ? »),
de confirmer l'identité et le chevauchement des clones, puis de faire leur
séquence dans l'ordre.
Pour Lander, Collins et Sulston, cet assemblage clone par clone était la
seule stratégie sensée. Lander, un mathématicien passé à la biologie, et dont
l'opposition au séquençage « shotgun » pouvait presque se comparer à un
dégoût esthétique, aimait l'idée de séquencer le génome complet morceau
par morceau, comme de résoudre un problème d'algèbre. La stratégie de
Venter l'inquiétait car elle allait inévitablement laisser des lacunes dans le
génome. « Que se passe-t-il si vous prenez un mot, le brisez en morceaux et
essayez de le reconstruire à partir d'eux ? demandait Lander 19. Cela pourrait
marcher si vous pouvez trouver toutes les pièces du mot, ou si chaque
fragment se chevauche, mais que faire si quelques lettres manquent ? » Le
mot que vous pourriez reconstruire à partir des lettres disponibles pourrait
avoir précisément le sens opposé au mot d'origine. Que faire si vous trouvez
juste les lettres « ho.n.t.e » de « honnête » ?
Lander craignait aussi le piège de se satisfaire d'un génome incomplet où
le séquençage, en laissant 10 % de blancs, rendrait l'obtention de la
séquence complète impossible. « Le vrai défi du Projet Génome Humain
n'était pas de commencer la séquence. C'était de la finir […] Si vous laissiez
des trous dans le génome, en vous donnant l'impression d'en être arrivé à
bout, alors personne n'aurait la patience de terminer le tout. Les
scientifiques applaudiraient, se donneraient une tape sur l'épaule et
passeraient à autre chose. Le brouillon resterait toujours un brouillon 20 ».
L'approche clone par clone demandait plus d'argent, des investissements
plus importants dans les infrastructures, et un élément qui semblait faire
défaut parmi les chercheurs du génome, la patience. Au MIT, Lander avait
rassemblé une redoutable équipe de jeunes scientifiques, des
mathématiciens, des chimistes, des ingénieurs et un groupe d'informaticiens
ayant la vingtaine, dopés au café, qui développaient des algorithmes pour
progresser méthodiquement le long du génome. De plus, Lander ne
travaillait pas seul car l'équipe britannique financée par le Wellcome Trust
déployait aussi ses propres plateformes d'analyse et d'assemblage.

En mai 1998, Venter, toujours à la manœuvre, tira encore des bords face
au vent. Bien que les efforts de séquençage « shotgun » du TIGR eussent
rencontré un succès incontestable, Venter était encore irrité par la structure
de son organisation. Le TIGR avait été créé sous la forme d'un hybride
bizarre, un institut à but non lucratif hébergé par une société à but lucratif
appelée Human Genome Sciences (HGS) 21. Venter trouvait ce type de
structure en poupée russe ridicule. Il en discutait sans cesse avec ses patrons
et finit par couper les ponts avec le TIGR. Il créa encore une autre société
qui allait se focaliser entièrement sur le séquençage du génome humain.
Venter appela sa nouvelle compagnie Celera, une forme abrégée de
« accélérer ».
Une semaine avant une rencontre décisive du « Projet Génome Humain »
à Cold Spring Harbor, Venter rencontra Collins entre deux vols dans la salle
d'attente Red Carpet de l'aéroport Dulles de Washington. Venter lui confia
tranquillement que Celera était sur le point de donner un élan sans
précédent au séquençage du génome humain en utilisant la méthode
« shotgun ». Sa société avait acheté deux cents des machines à séquencer
les plus performantes et s'apprêtait à les faire tourner à plein régime pour
finir la séquence en un temps record. Venter était d'accord pour rendre
publique l'information produite mais se réservait tout de même une clause
menaçante. Celera allait tenter de breveter les trois cents gènes les plus
importants qui pouvaient servir de cible à des médicaments dans le cas de
maladies comme le cancer du sein, la schizophrénie ou le diabète. Il afficha
un calendrier d'action ambitieux. Il espérait avoir assemblé l'ensemble du
génome humain en 2001, et battre ainsi de quatre ans l'échéance que s'était
fixée le « Projet Génome Humain » financé sur fonds publics. Puis il se leva
brusquement et prit le premier vol pour la Californie.
Piqués au vif, Collins et Lander réorganisèrent rapidement l'effort public.
Ils ouvrirent en grand les vannes du financement fédéral, distribuant
60 millions de dollars de subventions pour le séquençage à sept centres
américains. Maynard Olson, un généticien de Berkeley et Robert Waterston,
un ancien biologiste du ver devenu un expert du séquençage à l'université
Washington à Seattle, donnèrent des conseils stratégiques déterminants.
Laisser le génome humain entre les mains d'une compagnie privée causerait
un embarras monumental. Alors que la rivalité imminente entre le privé et
le public commençait à être connue, les journaux faisaient hypothèses sur
hypothèses. Le 12 mai 1998, le Washington Post annonçait : « Une firme
privée cherche à battre le gouvernement pour cartographier les gènes. »

En décembre 1998, le « Projet Génome du ver » permit au public de


marquer un point décisif 22. John Sulston, directeur du centre de séquençage
britannique basé à Hinxton près de Cambridge, déclara que le génome du
ver C. elegans avait été complètement séquencé en utilisant l'approche
clone par clone défendue par les partisans du « Projet Génome Humain ».
Si le séquençage du génome de la bactérie Haemophilus, en 1995, avait
presque mis à genoux les généticiens émerveillés, celui du ver, premier
génome d'un organisme multicellulaire, exigeait une complète génuflexion.
Les vers sont bien plus complexes que Haemophilus, et bien plus similaires
à l'homme. Ils ont une bouche, un intestin, des muscles, un système
nerveux, et même un cerveau rudimentaire. Ils touchent, sentent, se
déplacent. Ils détournent la tête d'un stimulus nocif. Ils ont des relations
sociales. Peut-être éprouvent-ils quelque chose de proche de l'anxiété
lorsqu'ils manquent de nourriture. Peut-être ressentent-ils une pulsion de
joie quand ils s'accouplent.
Le génome de C. elegans s'avéra comporter 18 891 gènes 23. Parmi les
protéines codées par ce génome, 36 % étaient similaires à des protéines
retrouvées chez l'homme. Le reste des gènes, environ 10 000, ne
présentaient aucune similitude avec des gènes humains connus : ils étaient
peut être uniques au ver ou, plus probablement, un puissant indice du peu
que les humains savaient des gènes de leur espèce (beaucoup de ces gènes
allaient en fait trouver des équivalents humains par la suite). Chose
remarquable, seulement 10 % des gènes présentaient une similitude avec
ceux de bactéries. Le génome de ce ver nématode était consacré à 90 % à la
complexité unique de la construction spécifique de cet organisme. C'était
une nouvelle preuve de l'explosion d'innovations dues à l'évolution qui a
permis la création d'organismes pluricellulaires il y a plusieurs centaines de
millions d'années.
Comme on l'avait déjà découvert pour les gènes humains, un seul gène du
ver pouvait avoir plusieurs fonctions. Un gène appelé cdh-13, par exemple,
organise le positionnement des cellules dans le système nerveux en
développement, rend possible la migration des cellules vers l'avant du ver et
enfin permet une formation correcte de la vulve 24. Et réciproquement, une
seule « fonction » pouvait être assurée par plusieurs gènes : la création de la
bouche chez le ver exige ainsi l'action coordonnée de plusieurs gènes.
La découverte de dix mille nouvelles protéines, avec plus de dix mille
nouvelles fonctions, aurait déjà amplement justifié la nouveauté du projet,
Pourtant, l'élément le plus surprenant dans le génome du ver n'était pas la
nouveauté des gènes codant des protéines, mais le nombre de ceux qui
servaient uniquement à faire des ARN. Ces gènes, appelés « non codants »
– parce qu'ils ne codent pas de protéines – étaient répartis sur tout le
génome mais regroupés sur certains chromosomes. Il y en avait des
centaines, peut-être des milliers. Certains avaient une fonction connue,
codant par exemple les ARN des ribosomes, ces machines géantes qui
fabriquent les protéines dans la cellule. D'autres se sont avérés coder de
petits ARN, les micro-ARN, qui régulent les gènes avec une spécificité
incroyable. Mais beaucoup d'entre eux restaient mystérieux et mal définis.
Ce n'était pas la matière noire du génome mais plutôt grise, visible pour les
généticiens et néanmoins sans fonction ou signification connues.

Alors qu'est-ce réellement qu'un gène ? Lorsque Mendel avait découvert


le « gène » en 1865, il ne le connaissait que sous une forme abstraite. Il
s'agissait d'un déterminant indépendant, transmis à travers les générations,
spécifiant une propriété visible appelée phénotype comme la couleur de la
fleur ou l'aspect des petits pois. Morgan et Muller avaient approfondi cette
compréhension du gène en démontrant qu'il s'agissait d'une entité physique,
matérielle, portée par les chromosomes. Avery avait encore fait progresser
cette compréhension en identifiant la forme chimique de cette entité
matérielle : une information génétique portée par l'ADN. Watson, Crick,
Wilkins et Franklin avaient résolu sa structure moléculaire sous la forme
d'une double hélice de deux brins complémentaires opposés.
Dans les années 1930, Beadle et Tatum avaient résolu le mécanisme
d'action du gène en découvrant qu'il spécifiait la structure d'une protéine.
Brenner et Jacob avaient identifié le message intermédiaire, la copie
d'ARN, requis pour traduire l'information génétique en protéine. Monod et
Jacob avaient enrichi la conception dynamique du gène en démontrant qu'il
pouvait être activé ou inactivé pour la production d'ARN, grâce à des
interrupteurs moléculaires accolés à lui.
Le séquençage complet du génome du ver a prolongé et modifié cette
compréhension du gène. Un gène spécifie une fonction dans un organisme,
mais un seul gène peut spécifier plusieurs fonctions. Un gène ne fournit pas
nécessairement les instructions pour faire une protéine mais peut coder un
ARN seul, sans protéine à la clé. Il n'a pas besoin d'être d'un seul tenant et
peut être divisé en morceaux. Il possède des séquences régulatrices, mais
qui ne sont pas forcément proches de lui.
Le séquençage complet avait déjà ouvert de nouvelles perspectives sur un
univers inédit de la biologie des organismes. Comme une encyclopédie
récursive à l'infini, dont l'article « encyclopédie » devait être mis à jour en
permanence, le séquençage de génome faisait évoluer notre conception des
gènes, et donc du génome lui-même.

Le génome de C. elegans – publié sous les acclamations de scientifiques


de toutes parts dans un numéro spécial de la revue Science en
décembre 1998 avec une image du nématode en couverture 25 – était une
puissante justification du « Projet Génome Humain ». Quelques jours après
cette annonce, Lander reçut lui aussi de bonnes nouvelles. Le projet avait
achevé un quart de la séquence du génome humain. Dans un hangar sombre
et sec d'un parc industriel près de Kendall Square à Cambridge, dans le
Massachusetts, 125 machines à séquencer semi automatiques sous la forme
de très grosses boîtes grises lisaient environ deux cents lettres d'ADN
chaque seconde 26. Le virus de Sanger, que ce dernier avait mis trois ans à
séquencer, aurait été fait en trente-cinq secondes. La séquence d'un
chromosome humain entier, le vingt-deuxième, avait déjà été assemblée et
attendait une confirmation finale. Dans environ un mois, le projet allait
franchir une étape mémorable avec le séquençage de la milliardième paire
de bases (une paire G-C figurez-vous) sur les trois milliards du génome
humain 27.
Celera, pendant ce temps, n'avait pas l'intention de se laisser distancer
dans cette course acharnée. Alimentée par des fonds venant d'investisseurs
privés, la société avait doublé sa production de bases séquencées. Le
17 septembre 1999, à peine neuf mois après la publication du génome du
ver, Celera ouvrit une grande conférence sur le génome à l'hôtel
Fontainebleau de Miami en annonçant sa réplique au ver : elle avait
séquencé le génome de la mouche du vinaigre, Drosophila melanogaster 28.
En collaboration avec le généticien phare de cette mouche, Gerry Rubin, et
une équipe de spécialistes de Berkeley et d'Europe, l'équipe de Venter avait
assemblé le génome de l'insecte dans le temps record de sept mois, plus vite
que tout autre projet antérieur de séquençage génétique. Lorsque Venter,
Rubin et Mark Adams montèrent sur la scène pour faire leur exposé, la
portée de ce bond en avant devint évidente. Durant les neuf décennies
écoulées depuis le début du travail de Thomas Morgan sur la mouche, les
généticiens avaient identifié 2 500 gènes. La première séquence du génome
présentée par Celera les contenait tous, et en avait rajouté 10 500 nouveaux
d'un seul coup. Dans la minute qui suivit la présentation, face à une
audience encore stupéfaite, Venter n'hésita pas à faire une remarque
assassine à l'attention de ses concurrents en disant : « Oh, au fait, nous
venons de commencer le séquençage de l'ADN humain et il semble qu'il y
aura moins de problèmes techniques que nous n'en avons rencontrés avec la
mouche. »
En mars 2000, la revue Science publia la séquence du génome de la
drosophile dans un nouveau numéro spécial, avec cette fois en couverture
une gravure de 1934 représentant un mâle et une femelle de la mouche 29.
Même les plus esprits les plus critiques vis-à-vis du séquençage « shotgun »
furent impressionnés par la qualité et l'exhaustivité des données publiées.
L'approche choisie avait laissé quelques lacunes importantes dans la
séquence, mais des portions significatives du génome de la mouche étaient
complètes. La comparaison des gènes de l'être humain, du ver et de la
mouche révéla plusieurs informations surprenantes. Sur les 289 gènes
humains connus à l'époque pour être associés à une maladie 30, 177 d'entre
eux – soit 60 % – avaient un homologue chez la mouche 31. Il n'y avait
aucun gène pour l'anémie falciforme ou l'hémophilie – les mouches ne
faisant ni globules rouges ni caillots sanguins – mais les gènes impliqués
dans le cancer du côlon, du sein, de la maladie de Tay-Sachs, de la
dystrophie musculaire, de la mucoviscidose, des maladies de Parkinson et
d'Alzheimer, du diabète étaient bien présents. Bien que séparés par quatre
pattes, deux ailes et plusieurs centaines de millions d'années d'évolution, les
hommes et les mouches partageaient encore des voies métaboliques et des
réseaux génétiques clés. Comme William Blake l'avait suggéré en 1794, la
petite mouche s'était transformée en « un homme comme moi 32 ».
Le trait le plus étourdissant du génome de la mouche était aussi une
question de taille. Ou plus exactement, c'était la révélation que la taille ne
compte pas. Contrairement aux prévisions des biologistes de la mouche les
plus chevronnés, l'animal n'avait que 13 601 gènes, soit 5 000 de moins
qu'un ver bien plus simple. Avec moins, on avait fait plus. À partir de
seulement 13 000 gènes, un organisme pouvait s'accoupler, grandir,
s'enivrer, donner naissance, ressentir la douleur, sentir, voir, goûter et
toucher, et partager un appétit insatiable pour les fruits mûrs de l'été. « La
leçon est que la complexité apparente [des mouches] n'est pas due au simple
nombre de gènes, dit Rubin 33. Le génome humain […] est probablement
une version amplifiée de celui de la mouche. […] L'évolution d'attributs
complexes supplémentaires est essentiellement de type organisationnelle :
une question d'interactions nouvelles qui dérivent de la ségrégation
temporelle et spatiale de composantes assez semblables ».
Comme l'énonça Richard Dawkins, « tous les animaux ont probablement
un répertoire relativement similaire de protéines qui doivent
être“convoquées”à chaque moment […] ». La différence entre un
organisme complexe et un plus simple, « entre un homme et un ver
nématode, n'est pas que les hommes ont plus de ces éléments de base mais
qu'ils peuvent les faire intervenir dans des séquences plus compliquées et
dans une gamme d'espaces plus compliquée 34 ». Ce n'était pas la taille du
navire, encore une fois, mais la manière dont les planches étaient disposées.
Le génome de la mouche était sa propre barque de Delphes.

En mai 2000, alors que Celera et le « Projet Génome Humain » étaient au


coude à coude pour sortir une première séquence du génome humain,
Venter reçut un appel de son ami Ari Patrinos, du Département de l'énergie
américain (DOE). Patrinos avait appelé Francis Collins et lui avait proposé
de passer chez lui en soirée pour boire un verre. Venter souhaitait-il se
joindre à eux ? Il n'y aurait ni assistant, ni conseiller ou journaliste, aucun
investisseur ou financeur, ce serait une discussion entièrement privée dont
les conclusions resteraient purement confidentielles.
L'appel de Patrinos avait été arrangé depuis des semaines. Les nouvelles
de la compétition féroce entre Celera et le projet avaient filtré par des
canaux politiques et atteint la Maison Blanche. Le président Clinton, avec
son sens infaillible des relations publiques, prit conscience que la nouvelle
de cette rivalité pouvait devenir embarrassante pour le gouvernement,
notamment si Celera était la première à annoncer la victoire. Clinton avait
envoyé une note à ses assistants avec la mention laconique en marge :
« Réglez cela 35 ! » Patrinos avait été chargé de « régler » l'affaire.
Une semaine plus tard, Venter et Collins se retrouvèrent dans le salon en
sous-sol de la maison de Patrinos dans le centre-ville de Georgetown 36.
L'atmosphère était plutôt fraîche comme on pouvait s'y attendre. Patrinos
attendit que les esprits se détendent un peu puis aborda timidement le sujet
de la rencontre : Collins et Venter pouvaient-ils envisager une annonce
commune pour le séquençage du génome ?
Aussi bien Collins que Venter étaient mentalement préparés à une telle
proposition. Collins avait déjà donné son accord à une « déclaration
commune » (il avait été en partie l'instigateur de la réunion avec Venter,
utilisant Patrinos comme intermédiaire). Venter réfléchit à la possibilité et
acquiesça, mais avec plusieurs réserves. Il fut d'accord pour qu'une
cérémonie commune soit organisée à la Maison Blanche pour célébrer la
première version de la séquence du génome humain et que les publications
soient dans le même numéro de la revue Science. Il ne s'engagea sur aucune
date. C'était, comme un journaliste le qualifiera plus tard, le « match nul le
plus soigneusement écrit ».
Cette rencontre chez Ari Patrinos fut la première d'une série d'autres
entre Venter, Collins et lui. Au cours des trois semaines suivantes, Collins et
Venter mirent prudemment en scène le déroulement général de l'annonce.
Le président Clinton ouvrirait la cérémonie, suivi de Tony Blair et des
discours de Collins et Venter. Celera et le projet seraient déclarés les
gagnants communs de la course pour séquencer le génome humain. La
Maison Blanche fut rapidement informée de la possibilité de cette
déclaration et se dépêcha de trouver une date. Venter et Collins retournèrent
dans leur groupe respectif en s'étant accordés sur la date du 26 juin 2000.
Le 26 juin, à 10 h 19, Venter, Collins et le président se réunirent à la
Maison Blanche pour dévoiler le « premier aperçu » ou « première
ébauche » du génome humain à une assemblée de scientifiques, de
journalistes et de dignitaires étrangers 37 (en réalité, ni Celera ni le projet
n'avaient terminé leur séquençage, mais les deux groupes avaient décidé de
procéder à l'annonce d'une manière symbolique. Alors même que la Maison
Blanche révélait le soi-disant « premier aperçu » du génome, les
scientifiques de Celera et du projet pianotaient frénétiquement sur leurs
terminaux pour essayer de rassembler la séquence en un tout cohérent).
Tony Blair se joignit à la rencontre de Londres par satellite. Norton Zinder,
Richard Roberts, Eric Lander et Ham Smith se tenaient dans l'audience,
ainsi que James Watson vêtu d'un complet blanc éclatant.
Clinton s'exprima en premier, comparant la carte du génome humain à
celle du continent américain effectuée par Lewis et Clark au début du
38
XIXe siècle .
« Il y a près de deux siècles, dans cette salle, sur ce parquet, Thomas
Jefferson et un assistant déployèrent une carte magnifique ; Jefferson avait
longtemps prié pour qu'il puisse la contempler de son vivant […] C'était une
carte qui définissait les contours et montrait à jamais les limites de notre
continent et de notre imagination. Aujourd'hui, le monde se joint à nous ici
dans la salle de l'Est pour contempler une carte d'une signification plus
grande encore. Nous sommes ici pour célébrer l'achèvement du premier
relevé du génome entier de l'homme. C'est sans aucun doute la plus
importante, la plus merveilleuse carte jamais produite par l'humanité ».
Venter, le dernier à parler, ne put s'empêcher de rappeler à son audience
que cette « carte » avait aussi été réalisée, en parallèle, par une expédition
privée menée par un explorateur privé. « À midi et demi aujourd'hui, lors
d'une conférence commune avec l'effort public sur le génome, Celera
Genomics décrira le premier assemblage du patrimoine génétique humain à
partir d'une méthode « shotgun » sur génome entier […] La méthode
utilisée par Celera a déterminé l'information génétique de cinq individus.
Nous avons séquencé le génome 39 de trois femmes et de deux hommes qui
se sont déclarés être hispanique, asiatique, caucasien ou afro-américain ».
Comme pour tant de trêves, le fragile armistice entre Venter et Collins ne
survécut pas longtemps à son accouchement tortueux. Le conflit se focalisa
en partie sur de vieilles querelles. Bien que le statut de ses brevets de gènes
fût encore incertain, Celera avait décidé de financer son projet de
séquençage en vendant l'accès à sa base de données sous forme
d'abonnements. Ses futurs clients devaient être des chercheurs universitaires
et des grands laboratoires pharmaceutiques. Venter avait habilement pensé
que les grandes compagnies pharmaceutiques voudraient connaître en
premier les séquences pour chercher de nouveaux médicaments, notamment
des molécules ciblant des protéines clés du métabolisme ou de la
signalisation cellulaire.
Mais Venter voulait aussi publier le génome humain de Celera dans une
grande revue scientifique, Science par exemple ; or cela exigeait de la part
de la société qu'elle rende ses séquences librement accessibles (un
scientifique ne peut publier un article scientifique tout en insistant pour que
ses données essentielles restent secrètes). Watson, Lander et Collins
critiquaient légitimement cette tentative de Celera de jouer sur les deux
tableaux, public et privé, à la fois. « Mon plus grand succès, dit Venter à un
journaliste, est d'avoir réussi à me faire haïr par les deux mondes 40. »
Le projet était confronté pendant ce temps à des obstacles techniques.
Après avoir séquencé de grandes parties du génome humain en utilisant
l'approche clone après clone, le projet devait maintenant franchir une étape
cruciale, l'assemblage de tous les morceaux pour compléter le puzzle. Mais
cette tâche, qui peut paraître simple en théorie, soulevait un redoutable
problème de calcul informatique. Des portions significatives de la séquence
manquaient encore à l'appel. Certaines parties du génome ne pouvaient pas
être clonées et séquencées avec les techniques usuelles, et l'assemblage de
segments non chevauchants était bien plus compliqué que ce qui avait été
anticipé. C'était comme de résoudre un puzzle alors que des pièces ont été
perdues derrière les meubles.
Pour se faire aider, Lander recruta encore une autre équipe de
scientifiques, David Haussler, un informaticien de l'université de Californie,
Santa Cruz, et son protégé de quarante ans, James Kent, un ancien
programmeur devenu biologiste moléculaire 41. Dans un accès de frénésie,
Haussler convainquit l'université d'acheter une centaine de PC portables ;
Kent put ainsi écrire et faire tourner des dizaines de milliers de lignes de
code en parallèle, refroidissant ses poignets avec de la glace la nuit afin de
pouvoir commencer à taper du code dès le matin.
À Celera aussi, le problème de l'assemblage du génome s'avérait
frustrant. Des parties de la séquence étaient pleines d'étranges répétitions,
« équivalentes à de grands morceaux de ciel bleu dans un puzzle » comme
les décrivait Venter. Les informaticiens chargés d'assembler le génome
travaillaient semaine après semaine pour mettre les fragments dans le bon
ordre, mais la séquence complète faisait encore défaut.
À l'hiver 2000, les deux projets approchaient du but, mais la
communication entre les deux groupes, qui restait tendue même dans les
meilleurs moments, s'était encore dégradée. Venter accusa le « Projet
Génome Humain » de « vendetta contre Celera ». Lander écrivit aux
responsables de la revue Science pour protester contre la stratégie de Celera
de vendre les séquences sur souscription et de restreindre leur accès au
public tout en essayant de publier d'autres morceaux choisis dans la revue.
Celera tentait « d'avoir son génome et de le vendre en même temps ».
Lander souligna que « dans l'histoire des écrits scientifiques depuis les
années 1600, la présentation des données a toujours été liée à l'annonce de
la découverte. C'est la base de la science moderne 42. Dans les temps
antérieurs, on pouvait dire : “J'ai trouvé une réponse”, ou “J'ai fait de l'or
avec du plomb”, proclamer sa découverte et puis refuser de montrer ses
résultats. Mais tout l'enjeu des revues scientifiques professionnelles est de
présenter les choses et de garder son crédit ». Pire, Collins et Lander
accusaient Celera d'utiliser la séquence publiée par le projet comme
« armature » pour assembler son propre génome, une espèce de plagiat
moléculaire (ce à quoi Venter répondait que c'était ridicule, Celera ayant
déchiffré tous les autres génomes sans l'aide d'une quelconque
« armature »). Lander affirma que sans l'apport des séquences du domaine
public, les données produites par Celera n'étaient rien de plus qu'une
« salade bien mélangée du génome 43 ».
Alors que Celera arrivait à la version finale de son article, des
scientifiques réclamèrent à cor et à cri qu'elle dépose ses résultats dans une
banque publiquement accessible de séquences appelée GenBank. Au bout
du compte, Venter accepta d'accorder un accès libre aux chercheurs
universitaires, mais avec plusieurs contraintes importantes. Toujours pas
satisfaits de ce compromis, Sulston, Lander et Collins choisirent d'envoyer
leur article à la revue concurrente, Nature.
Le 15 et le 16 février 2001, le consortium du projet et Celera publièrent
leurs articles respectivement dans les revues Nature et Science. C'était dans
les deux cas deux énormes études, occupant presque toutes les pages des
deux hebdomadaires (avec soixante-six mille mots, l'article du « Projet
Génome Humain » était la plus grosse étude jamais publiée par Nature).
Chaque grand article scientifique est une conversation avec sa propre
histoire, et les premiers paragraphes de l'article de Nature furent écrits en
toute connaissance de cause de ce moment de reconnaissance :
« La redécouverte des lois de l'hérédité de Mendel lors des premières
semaines du XXe siècle a lancé une quête scientifique pour comprendre la
nature et le contenu de l'information génétique qui a motivé la biologie
pendant ces cent dernières années. Les progrès scientifiques effectués
depuis se découpent naturellement en quatre principales phases,
correspondant en gros aux quatre quarts de ce siècle.
La première a établi les bases cellulaires de l'hérédité : les chromosomes.
La deuxième a défini les bases moléculaires de l'hérédité : la double hélice
de l'ADN. La troisième a élucidé les bases informationnelles de l'hérédité
[c'est-à-dire le code génétique], avec la découverte du mécanisme
biologique par lequel les cellules lisent l'information contenue dans les
gènes, et avec l'invention des techniques de l'ADN recombinant, du clonage
et du séquençage par lesquelles les scientifiques peuvent faire la même
chose ».
La séquence du génome humain, affirmait le projet, marquait le point de
départ de la « quatrième phase » de la génétique. C'était l'ère de la
« génomique », la prise en compte du génome entier des organismes, dont
l'homme. Il existe un vieux problème en philosophie qui est de savoir si une
machine intelligente pourra arriver un jour à déchiffrer son propre mode
d'emploi. Pour les hommes, ce mode d'emploi était désormais disponible.
Le déchiffrer, le lire et le comprendre allaient être une tout autre histoire.
Le livre de l'Homme
(en vingt-trois volumes)

« L'homme n'est-il que ceci ? Considère-le bien. »


William Shakespeare, Le Roi Lear,
acte 3, scène 4.

« Il y a des montagnes au-delà des montagnes. »


Proverbe haïtien

• Ce livre a 3 088 286 401 lettres (un peu plus ou un peu moins).
• Les lettres (bases de l'ADN) sont de quatre sortes seulement.
• Si ce livre était publié avec des caractères de taille normale, ses lettres
s'étaleraient à perte de vue, … AGCTTGCAGGGG…, page après page, sur
1,5 million de pages, soixante-six fois la taille de l'Encyclopaedia
Britannica.
• Il est divisé en 23 volumes, 23 paires de chromosomes – soit 46 en tout
– dans la plupart des cellules du corps (certaines n'en ont plus qu'un sur
deux). Chez tous les autres grands singes – gorille, chimpanzé, orang-
outan –, le livre a 24 volumes. À un moment de l'évolution des hominidés,
deux chromosomes de taille moyenne d'un singe ancestral ont fusionné pour
n'en former qu'un seul. Le génome humain s'est franchement séparé de celui
des grands singes il y a plusieurs millions d'années, et a acquis depuis de
nouvelles mutations et variations. Nous avons perdu un chromosome mais
gagné un pouce plus agile.
• Il contient environ 20 687 gènes au total 1, seulement 1 796 de plus que
le ver, 12 000 de moins que le maïs et 25 000 de moins que le riz ou le blé.
La différence entre « humain » et « céréale du petit-déjeuner » n'est pas au
niveau du nombre de gènes mais du degré de complexité des réseaux de
gènes. Ce n'est pas ce que nous avons, mais la manière dont nous l'utilisons,
qui fait la différence.
• Il est farouchement inventif. Il fait jaillir la complexité de la simplicité.
Il orchestre l'activation ou la répression de certains gènes en fonction des
cellules et du moment, créant des contextes et des partenaires uniques pour
chaque gène en fonction de l'espace et du temps, produisant ainsi une
variation fonctionnelle presque infinie à partir de son répertoire limité. Et
lors de l'expression des gènes, il mélange et arrange des modules, les exons,
pour extraire de ce répertoire une diversité plus grande encore de
combinaisons. Ces deux stratégies, régulation et épissage génétique,
paraissent plus largement utilisées dans le génome humain que chez la
plupart des autres organismes. Plus que l'énormité du nombre de nos gènes,
plus que la diversité de leurs types, ou l'originalité de leur fonction, c'est
l'ingéniosité de notre génome qui est le secret de notre complexité.
• Il est dynamique. Dans certaines cellules, il rebat les cartes de ses
propres séquences pour faire de nouveaux gènes. Les cellules du système
immunitaire secrètent des « anticorps », des protéines comme des têtes
chercheuses capables de s'attacher aux pathogènes étrangers. Mais comme
ces derniers évoluent constamment, les anticorps doivent aussi être capables
de changer. Un pathogène qui évolue exige un hôte capable d'en faire
autant. Le génome accomplit cette contre-offensive évolutive en
recombinant ses éléments génétiques, produisant de la sorte une
étourdissante diversité (s…tru…c…t…ure et g…én…ome peuvent être
réarrangés pour former un mot entièrement nouveau, c…ome…t). Ces
nouveaux gènes sont responsables de la grande diversité des anticorps (ou
des récepteurs des cellules T). Dans les cellules qui les produisent, chaque
génome peut donc donner naissance à un génome entièrement différent à
certains endroits.
• Certaines parties sont d'une surprenante beauté. Sur un grand morceau
du chromosome 11, par exemple, il y a une allée dédiée entièrement à la
sensation des odeurs. On y trouve un groupe de 155 gènes très similaires
codant pour une série de récepteurs qui sont des capteurs professionnels des
odeurs. Chacun de ces récepteurs se lie à une structure chimique unique –
comme une clé dans une serrure – et génère alors une sensation typique
d'une odeur dans le cerveau, la menthe, le citron, le carvi, le jasmin, la
vanille, le gingembre, le poivre. Une forme élaborée de régulation
génétique garantit que dans chaque neurone olfactif, un seul gène de
récepteur, donc un seul couple récepteur-odeur, est choisi parmi le groupe
de gènes pour être exprimé ; ceci nous permet de discriminer des milliers
d'odeurs.
• Les gènes, curieusement, ne forment qu'une minuscule partie de ce
livre. Une proportion énorme du génome (98 %) n'est pas consacrée aux
gènes en eux-mêmes mais à d'immenses étendues d'ADN séparant les gènes
(ADN intergénique) ou leurs modules (introns). Ces longues portions
d'ADN ne codent ni de l'ARN ni des protéines. Elles servent soit à réguler
l'expression génétique, soit à d'autres fonctions que nous ignorons encore,
ou peut-être ne servent-elles à rien (ce que l'on appelle alors parfois de
« l'ADN poubelle »). Si le génome était une ligne reliant l'Amérique du
Nord à l'Europe au-dessus de l'océan Atlantique, les gènes seraient des
points de terre disséminés le long d'immenses étendues d'eau. Mis bout à
bout, ces points ne seraient pas plus longs que la plus grande île des
Galápagos ou qu'une ligne de train dans Tokyo.
• Ce livre est un condensé d'histoire. On trouve, incrustés dans le
génome, des fragments particuliers d'ADN qui s'y sont insérés dans un
lointain passé et ont été transportés passivement depuis. Il s'agit parfois de
vestiges d'anciens virus. Certains de ces fragments ont été capables de
« sauter » activement entre les gènes, parfois entre les organismes, mais
sont maintenant en grande partie inactivés et réduits au silence. Comme des
représentants de commerce ayant perdu toute mission, ces fragments
demeurent fixés dans notre génome sans pouvoir s'y déplacer ou en partir.
Ils sont beaucoup plus courants que nos gènes, ce qui se traduit par une
autre caractéristique propre à notre génome, le fait qu'une grande partie du
génome humain ne soit pas particulièrement humain.
• Il possède des éléments répétés qui apparaissent très souvent. Une
mystérieuse séquence casse-pieds de trois cents paires de bases appelée Alu
apparaît et réapparaît des dizaines de milliers de fois, bien que son origine
précise, sa fonction éventuelle ou sa signification demeurent inconnues.
• Il comprend d'énormes « familles de gènes », des gènes qui se
ressemblent et assurent des fonctions similaires tout en étant souvent
regroupés. Deux cents gènes étroitement apparentés, regroupés en archipels
sur certains chromosomes, codent par exemple des membres de la famille
« Hox », des protéines dont beaucoup jouent un rôle crucial pour déterminer
le sort, l'identité et la structure des segments et des organes de l'embryon.
• Il contient des milliers de « pseudogènes », des gènes qui étaient
autrefois fonctionnels mais qui ne donnent plus de protéine ou d'ARN. Le
génome est jonché des carcasses de ces gènes inactivés, tels des fossiles se
dégradant sur une plage.
• Il tolère assez de variations pour nous rendre tous différents, tout en
restant assez conforme aux autres génomes de notre espèce pour faire de
chacun de nous un humain, profondément différent du chimpanzé ou du
bonobo dont le génome est pourtant à 96 % identique au nôtre.
• Le premier gène, sur le chromosome 1, code une protéine qui détecte
une odeur dans le nez (encore ces gènes de l'olfaction ubiquitaires !). Le
dernier gène, sur le chromosome X, code une protéine qui module
l'interaction entre cellules du système immunitaire (cette notion de
« premier » et de « dernier » est parfaitement arbitraire et ne dépend que des
choix de présentation du génome ; les chromosomes sont numérotés en
fonction de leur taille, le plus grand étant le premier).
• L'extrémité des chromosomes est marquée par des « télomères ».
Comme les petits morceaux de plastiques au bout des lacets, ces séquences
d'ADN protègent (tant bien que mal) les chromosomes de l'érosion.
• Si nous comprenons bien le code génétique, c'est-à-dire comment
l'information d'un gène donné est utilisée pour construire une protéine, nous
ne saisissons pratiquement rien du code génomique, c'est-à-dire comment
de multiples gènes répartis dans tout le génome coordonnent l'expression
génétique dans le temps et l'espace pour créer, maintenir et réparer un
organisme humain. Le code génétique est simple : l'ADN est utilisé pour
former l'ARN, et l'ARN pour former une protéine. Un triplet de bases dans
l'ADN définit un acide aminé dans la protéine. Le code génomique est
complexe : associées aux gènes se trouvent des séquences d'ADN qui
spécifient où et quand ils seront exprimés. Nous ne savons pas pourquoi
certains gènes se trouvent à un endroit donné dans le génome ni comment
les séquences d'ADN entre les gènes régulent ou coordonnent leur activité.
Ce sont des codes au-delà des codes, comme des montagnes au-delà des
montagnes.
• Ce livre s'annote tout seul : il dépose et retire des marques chimiques
sur lui-même en réponse à des changements du milieu, codant ainsi une
sorte de « mémoire » cellulaire (nous allons y revenir).
Il est impénétrable, vulnérable, résilient, adaptable, répétitif et unique.
• Il est fait pour évoluer. Il est jonché de débris de son passé.
• Il est fait pour survivre.
• Il nous ressemble.
PARTIE 5
DE L'AUTRE CÔTÉ DU MIROIR
La génétique de l'identité et de la « normalité »
(2001 – 2015)

« Ce serait merveilleux si on pouvait entrer dans la Maison du


Miroir ! Je suis sûre qu'il y a, oh ! De si belles choses à l'intérieur ! »
2
Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles
« Donc, nous c'est pareil 1 »

« Nous devons revoter. Cela ne peut pas être ça. »


Le rappeur Snoop Dogg, quand il a découvert qu'il avait plus d'ancêtres européens
2
que l'ancien joueur de basket-ball Charles Barkley .

« Qu'est-ce que j'ai en commun avec les juifs ? Je n'ai presque rien en
commun avec moi-même. »
3
Franz Kafka

La médecine, a fait remarquer une fois avec malice le sociologue Everett


Hughes, perçoit le monde d'une manière renversée, comme une image dans
un miroir 4. La maladie est utilisée pour décrire la bonne santé. Ce qui est
anormal délimite la normalité. La déviance fait ressortir les limites de la
conformité. Ce renversement peut déboucher sur une vision vraiment
perverse du corps humain. Un orthopédiste commence à penser aux os sous
l'angle unique de leurs fractures, un cerveau dans l'imagination d'un
neurologue devient un endroit où se perdent les souvenirs. Il existe une
vieille histoire, probablement apocryphe, d'un chirurgien de Boston qui
avait vraiment perdu la mémoire et ne pouvait se rappeler ses amis que par
le nom des diverses opérations qu'il avait faites sur eux.
Au cours d'une grande partie de l'histoire de la biologie humaine, les
gènes ont aussi été vus comme dans un miroir, identifiés par la maladie ou
l'anomalie qu'entraînait leur mutation. D'où les noms de gène de la
mucoviscidose, de la maladie de Huntington, du cancer du sein BRCA1, et
ainsi de suite. Pour un biologiste, cette manière de dire est absurde puisque
la fonction du gène BRCA1 n'est pas de causer le cancer quand il est muté
mais de réparer l'ADN quand il est normal. La seule fonction de la protéine
codée par le gène « innocent » du cancer du sein BRCA1 est de vérifier que
l'ADN est bien réparé suite à une lésion. Les centaines de millions de
femmes sans cancer du sein dans leur famille héritent de cette forme du
gène BRCA1. L'allèle muté, appelons-le m-BRCA1, cause un changement
dans la structure de la protéine BRCA1 qui la rend incapable de réparer
l'ADN. D'où les mutations sources de cancer qui vont se produire dans le
génome quand BRCA1 n'agit plus correctement.
Le gène appelé wingless chez la mouche du vinaigre code une protéine
dont la fonction n'est pas de rendre les insectes sans ailes, ce que signifie
wingless en anglais, mais au contraire de permettre l'élaboration des ailes.
Nommer un gène cystic fibrosis (ou CF, mucoviscidose en anglais) est,
comme l'a qualifié l'écrivain scientifique Matt Ridley, « aussi absurde que
de définir les organes du corps par la maladie dont ils peuvent être
atteints ». Dans cette optique tordue, « le foie est là pour causer la cirrhose,
le cœur pour les infarctus, le cerveau pour les accidents vasculaires
cérébraux 5 ».
Le « Projet Génome Humain » a permis aux généticiens de rétablir
l'ordre des choses. Le répertoire complet de tous les gènes normaux du
génome, avec les outils développés pour le produire, rend désormais
possible d'aborder la génétique du bon côté du miroir ; c'est-à-dire sans
passer par une pathologie pour définir ce qui est normal dans la physiologie.
En 1988, un document du Conseil national de la recherche américain sur le
projet a fait une projection décisive sur le futur de la recherche en
génomique : « Codés dans la séquence d'ADN se trouvent les éléments
déterminants des capacités mentales telles que l'apprentissage, le langage et
la mémoire, qui sont essentiels à la culture humaine. Il s'y trouve aussi les
mutations et les variations qui causent ou augmentent la susceptibilité à de
nombreuses maladies responsables de tant de souffrances 6. »
Les lecteurs vigilants auront noté que les deux phrases indiquent la
double ambition de la nouvelle science. La génétique humaine s'était
traditionnellement inquiétée des pathologies, ces « nombreuses maladies
responsables de tant de souffrances ». Mais armée de nouveaux outils et
méthodes, elle pouvait désormais aller explorer en toute liberté des aspects
de la biologie humaine qui avaient paru impénétrables jusqu'alors. La
génétique allait désormais enjamber le fil de la pathologie pour aller vers
celui de la normalité. La nouvelle science allait servir à comprendre
l'histoire, le langage, la mémoire, la culture, la sexualité, l'identité et la race.
Elle allait tenter de devenir, sous ses formes les plus ambitieuses, la science
de la normalité : c'est-à-dire de la santé, de l'identité, de la destinée.
Ce changement de trajectoire de la génétique signale aussi un
changement dans l'histoire du gène. Jusqu'à présent, notre récit a été
organisé en suivant un principe historique. Le voyage de la naissance du
gène au « Projet Génome Humain » s'est effectué en suivant une
chronologie relativement linéaire, faite de découvertes et d'avancées
conceptuelles. Mais alors que la génétique humaine déplace son regard de
la pathologie à la normalité, une approche strictement chronologique ne
peut plus rendre compte de ses diverses dimensions. La discipline est
passée dans un mode plus thématique ; elle s'organise désormais autour
d'enquêtes distinctes, quoique se recoupant, centrées sur la biologie
humaine : la génétique des races, du genre, de la sexualité, de l'intelligence,
du caractère et de la personnalité.
Ce territoire élargi du gène va considérablement améliorer notre
compréhension de l'influence des gènes sur notre vie. Mais les tentatives
d'aborder la normalité à travers les gènes vont aussi forcer la science de la
génétique à se frotter à des problèmes moraux et scientifiques parmi les
plus complexes de son histoire.

Pour comprendre ce que les gènes nous disent sur l'homme, on peut
commencer par essayer de déchiffrer ce que les gènes nous racontent des
origines de l'homme. Au milieu du XIXe siècle, avant l'avènement de la
génétique humaine, des anthropologues, des biologistes et des linguistes
s'étaient écharpés sur la question de l'origine de notre espèce. En 1854, un
naturaliste d'origine suisse nommé Louis Agassiz devint le plus fervent
partisan d'une théorie appelée polygénisme qui suggérait que les trois
principales races humaines, blanche, asiatique et nègre comme il aimait les
classer, étaient apparues indépendamment de lignées ancestrales distinctes il
y a plusieurs millions d'années.
Agassiz fut probablement le raciste le plus distingué dans l'histoire des
sciences, « raciste » dans les deux sens du terme : dans le sens initial, celui
qui croit en des différences inhérentes entre les races humaines ; dans le
second sens, celui qui est persuadé que certaines races sont supérieures aux
autres. Pris d'horreur à l'idée qu'il pourrait partager des ancêtres avec les
Africains, Agassiz soutenait que chaque race avait ses ancêtres propres,
qu'ils étaient apparus indépendamment dans l'espace et le temps (le nom
d'Adam, raisonnait-il, provenait du mot hébreu pour « celui qui rougit » et
seul un homme blanc pouvait visiblement rougir. Il y avait dû y avoir
plusieurs Adam, concluait Agassiz, ceux qui rougissaient et les autres, un
pour chaque race).
En 1859, la théorie d'Agassiz des origines multiples fut remise en
question par la publication du livre L'Origine des espèces de Darwin. Bien
que l'ouvrage évitât ostensiblement la question des origines de l'homme,
l'idée darwinienne de sélection naturelle était clairement incompatible avec
les ancêtres séparés d'Agassiz pour les races humaines. Si les pinsons et les
tortues dérivaient d'un ancêtre commun, pourquoi en irait-il autrement pour
l'homme ?
Dans le genre des duels entre universitaires, celui-ci était presque
comique. D'un côté Agassiz, un professeur de Harvard à la grande barbe,
qui était parmi les plus éminents naturalistes du monde et de l'autre Darwin,
un pasteur devenu naturaliste, plein de doutes, venant de « l'autre »
Cambridge en Angleterre, qui était pratiquement inconnu hors de son pays.
Cependant, Agassiz, sentant le danger, réfuta d'une manière enflammée le
livre de Darwin. Il tonna : « Si Monsieur Darwin ou ses partisans donnaient
un seul fait montrant que des individus changent au cours du temps, d'une
telle manière à produire, au final, des espèces […] Il en irait tout autrement
de leur affaire 7 ».
Mais même Agassiz dut concéder que sa théorie des ancêtres séparés
pour des races distinctes courait le risque d'être remise en cause non par
« un seul fait » mais par une multitude de faits. En 1848, des ouvriers d'une
carrière de calcaire dans la vallée de Neander en Allemagne avaient
fortuitement mis au jour un crâne particulier qui ressemblait à celui d'un
homme tout en présentant des différences notables comme une taille plus
grande, un menton en recul, des mâchoires puissantes et une arcade
sourcilière saillante 8. Sur le moment, le crâne fut rejeté comme celui d'un
pauvre bougre qui avait eu un accident, un fou abandonné dans une grotte,
mais au cours des décennies suivantes une série de crânes et d'os similaires
furent excavés de grottes ou de gorges à travers l'Europe et l'Asie. La
reconstruction os après os de ces spécimens faisait apparaître une espèce
bien charpentée, aux sourcils proéminents qui marchait debout avec des
jambes un peu arquées, une espèce de lutteur de mauvais poil fronçant en
permanence les sourcils. Cet hominidé fut qualifié d'homme de Neandertal
d'après le site de sa première découverte.
Au départ, beaucoup de scientifiques crurent que les Néandertaliens
étaient une forme ancestrale de l'homme moderne, l'un des chaînons
manquant entre l'homme et le singe. En 1922, par exemple, un article du
magazine Popular Science Monthly appela l'homme de Neandertal « un
moment précoce dans l'évolution humaine 9 ». Le texte était accompagné
d'une version maintenant familière de l'image en profil de l'évolution
humaine, avec un singe de type gibbon progressant en un gorille, le gorille
en un homme de Neandertal se tenant debout, et ainsi de suite jusqu'à la
formation de l'homme.
Mais dans les années 1970 et 1980, cette hypothèse fut réfutée et
remplacée par une idée bien plus étrange, à savoir que les premiers hommes
modernes avaient coexisté avec les Néandertaliens. Les schémas de la
« chaîne de l'évolution » furent revus pour illustrer le fait que gibbon,
gorille, homme de Neandertal et homme moderne ne reflétaient pas
différentes étapes de l'évolution humaine mais avaient tous émergé à partir
d'un ancêtre commun. D'autres indices anthropologiques suggéraient que
l'homme moderne, alors appelé homme de Cro-Magnon, était arrivé dans le
paysage de Neandertal il y a moins de quarante-cinq mille ans, très
probablement en s'installant dans les endroits en Europe où vivait l'homme
de Neandertal. Nous savons maintenant que ce dernier a disparu il y a
moins de quarante mille ans, ayant ainsi coexisté avec l'homme moderne
pendant environ cinq mille ans.
L'homme de Cro-Magnon est, en fait, notre véritable et plus proche
ancêtre, ayant le crâne plus petit, la face plus plate, l'arcade sourcilière en
retrait et la mâchoire plus fine des hommes actuels. Ces premiers hommes
modernes ont croisé ceux de Neandertal, au moins dans certains endroits en
Europe et ont dû entrer en compétition avec eux pour les ressources, la
nourriture et l'espace. Les Néandertaliens étaient nos voisins et rivaux.
Certains indices indiquent que nous nous sommes aussi croisés avec eux et
que la concurrence pour la nourriture et les ressources a pu contribuer à leur
disparition. Nous les avons aimés, et nous les aurions tués.

Mais la distinction entre Néandertaliens et hommes modernes nous


renvoie, encore une fois, à notre question initiale : de quand date l'homme et
d'où vient-il ? Dans les années 1980, un biochimiste de l'université de
Californie à Berkeley, Allan Wilson, a commencé à mobiliser des outils
génétiques pour y répondre 10 11. L'expérience de Wilson commença par une
idée plutôt simple. Imaginez que vous tombez au milieu d'une fête de Noël.
Vous ne connaissez ni l'hôte ni les invités. Une centaine de personnes,
hommes, femmes, enfants, circulent autour de vous, sirotent des boissons,
quand soudain un jeu commence. On vous demande de répartir la foule par
famille, parenté et ascendance. Vous ne pouvez demander les noms ou les
âges. On vous met un bandeau sur les yeux et vous n'êtes pas autorisés à
construire des arbres familiaux en vous fiant à la ressemblance des visages
ou des comportements.
Pour un généticien, c'est un problème traitable. Il va d'abord repérer les
centaines de variations naturelles réparties à travers chaque génome, fruits
des mutations. Plus la parenté entre deux individus sera proche, plus la
fraction de polymorphismes partagés sera élevée (de vrais jumeaux ont le
même génome, le père et la mère transmettent chacun la moitié de leur
génome à leurs enfants, et ainsi de suite). Si ces variations peuvent être
séquencées dans chaque individu, les lignées peuvent être immédiatement
reconstituées, la proximité étant fonction du taux de polymorphismes
partagés. De même que des traits de la figure, la couleur de la peau ou la
taille se retrouvent davantage chez des individus apparentés, les variations
sont plus partagées au sein des familles qu'entre elles (en réalité, les traits
de la figure ou la taille sont partagés justement parce que c'est aussi le cas
des variations génétiques sous-jacentes).
Et si l'on demande à présent à un généticien de trouver la famille avec le
plus de générations présentes, sans connaître l'âge d'un seul des membres de
la fête ? Supposez qu'une famille soit représentée par un arrière-grand-père,
un grand-père, un père et son fils à l'événement, soit quatre générations.
Une autre famille de quatre personnes n'a que deux générations, le père et
ses triplets identiques. Pouvons-nous identifier la famille ayant le plus de
générations dans l'assemblée sans connaître leur figure ou leur âge ?
Compter le nombre de membres dans chaque famille ne marchera pas car
dans les deux cas, ce nombre est le même : quatre.
Les gènes et les mutations donnent une solution… ingénieuse. Comme
les mutations s'accumulent au fil des générations, la famille avec la plus
grande diversité de variations sera celle qui a le plus de générations. Les
triplets, vrais jumeaux, ayant un génome identique, leur diversité génétique
est minimale. L'arrière-grand-père et son petit-fils, au contraire, ont des
génomes apparentés mais avec le plus de différences 12. L'évolution est
comme un métronome qui bat la mesure du temps sous la forme de
mutations. La diversité génétique peut ainsi servir « d'horloge moléculaire »
et les variations se répartir en lignées de parenté. Le nombre de générations
qui séparent deux membres d'une famille – le temps entre leurs générations
– sera fonction de la distance génétique entre eux.
Wilson comprit que cette technique pouvait s'appliquer non seulement à
des familles mais à des populations entières d'organismes. Les variations
dans les gènes pouvaient servir à créer des cartes de parenté. Et la diversité
génétique pouvait permettre de mesurer les populations les plus anciennes
dans une espèce : une tribu qui présentait le plus de diversité génétique en
son sein était plus ancienne que celle ayant peu ou pas de diversité.
Wilson avait presque résolu le problème de l'estimation de l'âge d'une
espèce à partir de son génome, mis à part un petit détail. Si la variation
génétique découlait uniquement de mutations, la méthode de Wilson serait
parfaitement sûre. Mais les gènes, comme le savait Wilson, sont présents en
deux copies dans le génome de la plupart des cellules, portées par deux
chromosomes homologues ; et ces deux copies peuvent se recombiner
lorsque les chromosomes homologues s'apparient avant de se séparer, ce qui
arrive lors de la formation des gamètes. Il s'agit d'une autre source de
variation génétique et de diversité lorsqu'on suit un gène donné. Ce
processus ne pouvait que brouiller l'approche menée par Wilson. Pour
construire une lignée génétique idéale, Wilson s'aperçut qu'il avait besoin
d'un petit lot de gènes humains qui serait intrinsèquement résistant à toute
recombinaison, un coin du génome où les seuls changements possibles
seraient ceux dus à l'accumulation de mutations avec le temps et en feraient
ainsi une horloge moléculaire parfaite.
Où pouvait-on trouver un tel lot de gènes ? Wilson fit de nouveau preuve
d'ingéniosité. Les gènes humains se trouvent sur les chromosomes dans le
noyau des cellules mais pas seulement. Chaque cellule possède une
structure subcellulaire appelée mitochondrie qui sert à produire de l'énergie
utilisable pour le reste de la cellule. Les mitochondries de la cellule ont leur
propre mini-génome qui ne contient que trente-sept gènes, soit un six
millième du nombre de gènes portés par les chromosomes (la mitochondrie
proviendrait initialement d'une bactérie qui aurait envahi des organismes
unicellulaires. Elle aurait formé une alliance symbiotique avec l'organisme
hôte, lui apportant de l'énergie tout en utilisant son nouvel environnement
pour se protéger, s'alimenter et se développer. Les gènes hébergés par les
mitochondries sont les vestiges de cette ancienne bactérie et ils en gardent
encore la marque 13 ).
Le génome mitochondrial ne recombine pas avec le génome d'autres
mitochondries lorsqu'on franchit une génération. Les mutations qui s'y
produisent sont transmises intactes aux générations suivantes et
s'accumulent avec le temps, ce qui fait de la mitochondrie un marqueur du
temps écoulé idéal. Point crucial, Wilson réalisa que cette méthode de
reconstruction des âges était complètement autonome et à l'abri de biais.
Elle n'avait pas besoin d'être calibrée avec les informations issues des traces
fossiles, des lignées linguistiques, des strates géologiques, des cartes
géographiques ou des données anthropologiques. Les hommes portent
l'histoire évolutive de leur espèce dans leur génome. C'est comme si nous
portions en permanence une photo de tous nos ancêtres dans notre
portefeuille.
Entre 1985 et 1995, Wilson et ses équipes ont appris à appliquer leurs
techniques à des représentants humains (Wilson est décédé d'une leucémie
en 1991, mais ses étudiants ont poursuivi son travail). Les résultats de ces
études furent frappants à plusieurs titres. D'abord, lorsque Wilson mesura la
diversité globale du génome mitochondrial humain, il la trouva vraiment
faible, moins élevée que celle existant chez les chimpanzés 14. En d'autres
termes, les hommes modernes étaient nettement plus jeunes et plus
homogènes que les chimpanzés (chaque chimpanzé peut paraître
relativement semblable à un autre pour un œil humain mais pour un
chimpanzé ce sont les hommes qui se ressemblent largement). Les calculs
pour remonter dans le passé ont estimé l'âge de notre espèce à deux cent
mille ans : ce n'est qu'une seconde, un battement d'horloge à l'échelle de
l'évolution.
D'où sont venus les premiers êtres humains modernes ? En 1991, Wilson
put utiliser sa méthode pour construire les relations entre les différentes
lignées humaines existant sur le globe et calculer leur âge relatif en utilisant
la diversité génétique comme horloge moléculaire 15. Avec l'amélioration
des techniques de séquençage et d'annotation des génomes, les généticiens
ont pu affiner cette analyse et l'étendre à des milliers de personnes et des
centaines de populations à travers la planète.
En novembre 2008, une étude phare menée par Luigi Cavalli-Sforza,
Marcus Feldman et Richard Myers de l'université de Stanford a caractérisé
642 690 variants génétiques chez 938 individus appartenant à 51
populations du globe 16. Confirmant et étendant les résultats de Wilson qui
avaient déjà fait grand bruit, cette étude apporte une seconde révélation
bouleversante sur l'origine de notre espèce. L'homme moderne aurait
émergé d'une étroite bande de terre située en Afrique sub-saharienne, il y a
cent à deux cent mille ans 17, puis il aurait migré vers le nord et l'est pour
peupler le Moyen-Orient, l'Europe, l'Asie et les Amériques. « On obtient de
moins en moins de variations au fur et à mesure que l'on s'éloigne de
l'Afrique, écrit Feldman 18. Un tel résultat cadre bien avec la théorie que les
premiers hommes modernes se sont répandus dans le monde en passant d'un
point à un autre après avoir quitté l'Afrique il y a moins de cent mille ans.
Et quand chaque petit groupe humain s'est séparé pour aller peupler une
nouvelle région, il n'a emporté qu'une partie de la diversité génétique de sa
population d'origine ».
Les plus anciennes populations humaines, celles dont le génome
comporte les variations les plus nombreuses et les plus variées, sont les
tribus San d'Afrique du Sud, de Namibie et du Botswana, ainsi que les
pygmées Mbuti qui vivent au fin fond de la forêt Ituri au Congo 19. Les
hommes les plus « jeunes 20 » au contraire sont les Amérindiens
d'Amérique du Nord qui ont quitté l'Asie et sont arrivés par la péninsule de
Seward en Alaska en empruntant un pont de glace sur le détroit de Bering il
y a quinze à trente mille ans. Cette théorie de l'origine de l'homme et de ses
migrations, corroborée par le registre fossile, les données géologiques, les
résultats de fouilles archéologiques et les études linguistiques, a été presque
unanimement approuvée par les généticiens de l'homme. Elle s'appelle la
21
théorie de la sortie de l'Afrique (Out of Africa) .

La troisième et dernière conclusion frappante de ces études demande un


petit bagage conceptuel de plus. Considérez la genèse d'un embryon au
stade de sa première cellule, issue de la fécondation d'un ovule par un
spermatozoïde. Le matériel génétique de cet embryon a deux sources, les
gènes du père apportés par le spermatozoïde, et ceux de la mère présents
dans l'ovule. Mais le matériel cellulaire de l'embryon vient exclusivement
de l'ovule, le spermatozoïde n'étant qu'un véhicule bien harnaché pour
l'ADN mâle, un génome sur queue hyperactive.
L'ovule apporte à l'embryon non seulement des protéines, des ribosomes
et des nutriments mais également ses mitochondries. Or celles-ci
contiennent aussi, comme on l'a vu, un petit génome indépendant, distinct
des 23 paires de chromosomes (et des 21 000 gènes environ) présents dans
le noyau.
L'origine uniquement femelle de toutes les mitochondries d'un embryon a
une conséquence importante. Tous les humains, hommes ou femmes, ont
hérité leurs mitochondries de leur mère, qui les a elle-même héritées de sa
mère, et ainsi de suite, dans une succession ininterrompue d'ancêtres
remontant dans le passé (et une femme porte aussi dans ses cellules le
génome mitochondrial de tous ses futurs descendants, aux mutations près).
Maintenant imaginez une ancienne tribu de 200 femmes, chacune portant
un enfant. Si celui-ci s'avère être une fille, la mère, qui aura déjà transmis
ses mitochondries à la deuxième génération, les verra transmises grâce sa
fille à la troisième génération. Mais si la femme n'a qu'un garçon, sa lignée
mitochondriale s'engage dans une impasse et disparaît (le spermatozoïde ne
transmettant pas ses mitochondries à la première cellule embryonnaire). Au
cours de l'évolution de la tribu, des dizaines de milliers de ces lignées
mitochondriales vont s'engager dans ces impasses et seront perdues. Et c'est
là où se trouve un élément clé. Si la population fondatrice d'une espèce est
assez petite, et si assez de temps s'est écoulé, le nombre de lignées
maternelles survivantes va se réduire progressivement jusqu'à ce qu'il n'en
reste que quelques-unes. Si la moitié des 200 femmes de la tribu ont des
fils, et uniquement des fils, alors 100 lignées mitochondriales vont être
écartées de toute transmission aux générations suivantes. Une autre moitié
subira le même sort à la génération suivante, et ainsi de suite. Au bout de
plusieurs générations, tous les descendants de la tribu, hommes et femmes,
pourront faire remonter leurs mitochondries à quelques femmes seulement.
Pour les hommes modernes, ce nombre est arrivé à un. Chacun de nous
peut faire remonter sa lignée mitochondriale à une seule femme qui a existé
en Afrique il y a deux cent mille ans environ. Elle est la mère commune de
notre espèce. Nous ne savons pas à quoi elle ressemblait, bien que ses
parents les plus proches soient des femmes de la tribu San au Botswana ou
en Namibie.
Je trouve cette idée d'une mère fondatrice toujours aussi fascinante. En
génétique humaine, elle est connue sous un joli nom, c'est l'Ève
mitochondriale.
Durant l'été 1994, alors qu'étudiant je m'intéressais à l'origine génétique
de notre système immunitaire, j'ai voyagé le long de la vallée du Rift, du
Kenya au Zimbabwe, du bassin du fleuve Zambèze jusqu'aux plaines étales
d'Afrique du Sud. Ce fut un voyage à rebours dans l'évolution humaine. La
dernière étape fut un plateau aride en Afrique du Sud, à peu près équidistant
de la Namibie et du Botswana, où quelques tribus San avaient vécu. C'était
un endroit d'une désolation lunaire, plat, sec, rasé par quelque violente force
vengeresse de la nature, perché au-dessus des plaines. À cette époque, une
série de vols et de pertes m'avait dépouillé de presque tout et je me
retrouvais avec quatre bermudas que je remontais souvent pour en faire des
shorts, une boîte de barres protéinées, et de l'eau en bouteille. Nous venons
nus au monde dit la Bible, et j'y étais presque.
Avec un peu d'imagination, on peut reconstruire l'histoire des hommes en
utilisant comme point de départ ce plateau balayé par les vents. L'horloge
commence il y a environ deux cent mille ans, quand une population de
premiers hommes modernes se met à habiter le site ou un autre semblable à
proximité (les généticiens évolutionnistes Brenna Henn, Marcus Feldman et
Sarah Tishkoff ont identifié l'origine de la migration plus à l'ouest, près de
la côte de Namibie). Nous ne savons pratiquement rien de la culture et des
habitudes de vie de cette ancienne tribu. Ils n'ont laissé aucune trace, ni
outil, ni dessin, ni restes dans des grottes, si ce n'est le plus profond de tous
les vestiges, leurs gènes, inscrits de façon indélébile dans les nôtres.
Cette population était probablement assez réduite, minuscule même au
regard des critères actuels, pas plus de six mille ou dix mille individus.
L'estimation la plus provocante serait qu'ils n'étaient que sept cents, la
population d'un village ou d'un bloc d'immeubles. L'Ève mitochondriale a
pu vivre parmi eux, ayant au moins une fille et une petite-fille. Nous ne
savons pas quand, ni pourquoi, ils ont cessé de se reproduire avec d'autres
hominidés, mais nous savons en revanche qu'ils ont commencé à le faire
entre eux de façon relativement exclusive il y a environ deux cent mille ans.
Peut-être furent-ils isolés ici par un changement climatique ou des barrières
géographiques. Peut-être sont-ils tombés amoureux.
De là, ils sont partis vers l'ouest, puis ont pris la direction du nord 22. Ils
ont parcouru l'entaille de la vallée du Rift ou plongé sous la couverture
végétale des forêts humides du bassin du Congo où vivent maintenant les
Mbuti et les Bantous.
L'histoire n'est pas aussi clairement délimitée sur le terrain que ce récit le
laisse penser. Certaines populations des premiers hommes modernes se
seraient aventurées dans le Sahara – un paysage luxuriant à l'époque,
sillonné de rivières et de lacs – pour coexister et peut-être se mélanger avec
des groupes locaux d'humanoïdes dans une forme de rétrocroisement.
Comme l'a décrit le paléoanthropologue Christopher Stringer, « En termes
d'hommes modernes, cela signifierait que […] certains hommes modernes
ont des gènes plus archaïques que d'autres. Il semble qu'il en soit ainsi. Ce
qui nous amène à nous redemander : qu'est-ce qu'un homme moderne ? L'un
des sujets de recherche les plus passionnants à venir ces prochaines années
sera de déterminer l'ADN néandertalien dont certains d'entre nous ont hérité
[…] Les scientifiques regarderont cet ADN et se demanderont : est-il
fonctionnel ? Fait-il vraiment quelque chose dans l'organisme de ces gens ?
Est-ce qu'il affecte le cerveau, l'anatomie, la physiologie, ou encore autre
chose 23 ? ».
Mais la longue marche s'est poursuivie. Il y a environ soixante-quinze
mille ans, un groupe d'humains est arrivé sur le bord nord-est de l'Éthiopie,
là où la mer Rouge se rétrécit en un mince détroit entre l'épaule rehaussée
de l'Afrique et le coude de la péninsule arabique au niveau du Yémen. Il n'y
eut personne ici pour séparer les eaux. Nous ne savons pas ce qui a poussé
ces hommes et ces femmes à aller au-delà des eaux, ou comment ils ont pu
le faire (la mer était moins profonde à l'époque et certains géologues se sont
demandés s'il n'y avait pas des chaînes d'îlots sablonneux dispersés dans le
détroit qui auraient permis à nos ancêtres de trouver leur chemin à saute-
mouton vers l'Asie et l'Europe). Un volcan était entré en éruption à Toba, en
Indonésie, il y a environ soixante-dix mille ans, crachant suffisamment de
cendres noires dans le ciel pour provoquer un hiver de quelques décennies,
ce qui a pu précipiter une quête désespérée de nourriture ou de terres.
D'autres ont proposé que des phénomènes de dispersion multiple,
stimulés par des catastrophes de plus faibles ampleurs, ont pu se produire à
divers moments de l'histoire humaine 24. Une théorie en vogue suggère qu'au
moins deux sorties d'Afrique indépendantes ont eu lieu. La première se
serait déroulée il y a 130 000 ans. Les migrants arrivèrent au Moyen-Orient
et prirent la route de l'Asie en longeant les côtes vers l'Inde puis en se
déployant vers le sud et les terres actuelles de la Birmanie, la Malaisie et
l'Indonésie. Un second passage de population se serait produit plus
récemment, il a environ soixante mille ans. Les migrants, en remontant vers
le nord, sont arrivés en Europe où ils ont rencontré les Néandertaliens. Dans
les deux cas, le passage obligé fut l'extrémité yéménite de la péninsule
arabique. Ce fut le vrai « melting-pot » du génome humain.
Ce qui est certain est que chaque franchissement risqué de la mer Rouge
n'a dû laisser que peu de survivants, peut-être à peine six cents hommes et
femmes. Les Européens, Asiatiques, Australiens et Américains sont les
descendants de ces populations dramatiquement réduites, et ce goulot
d'étranglement a aussi laissé sa signature dans notre génome. D'un point de
vue génétique, la plupart d'entre nous dont les ancêtres sont sortis d'Afrique,
avides de terres et d'air, sommes encore plus étroitement apparentés que ce
que l'on imaginait. Nous sommes sur le même bateau, mon frère.

Qu'est-ce que cela nous dit sur la race et les gènes ? Beaucoup de choses.
D'abord, cela nous rappelle que vouloir classer les hommes en races a ses
limites. Wallace Sayre, un politologue, aime répéter que les disputes
universitaires sont souvent les plus violentes parce qu'elles portent sur des
enjeux dérisoires. Pareillement, peut-être que nos débats de plus en plus
stridents sur les races devraient commencer par reconnaître que la gamme
actuelle des variations du génome humain est particulièrement faible, plus
faible que chez beaucoup d'autres espèces (notamment le chimpanzé,
rappelez-vous). Vu notre durée d'existence relativement courte en tant
qu'espèce sur Terre, nous sommes beaucoup plus semblables que
dissemblables.
Pourtant, même une espèce jeune possède une histoire. L'un des pouvoirs
les plus pénétrants de la génomique est sa capacité à ranger des génomes,
même étroitement apparentés, en classes et sous-classes. Si nous nous
mettons à chercher des traits qui nous discriminent, nous pourrons en
trouver. Si l'on examine attentivement les variations dans le génome
humain, on verra qu'elles peuvent se regrouper en régions et en continents,
et suivre les limites traditionnelles des races. Chaque génome porte la
marque de ses ancêtres. En étudiant les caractéristiques génomiques d'un
individu, on peut déterminer son origine, son pays et parfois même sa tribu
avec une remarquable précision. C'est une mise en exergue, bien sûr, de
petites différences, mais si c'est ce que l'on entend par « race », alors le
concept n'a pas seulement survécu à l'ère de la génomique, il a été au
contraire amplifié par elle.
Le problème de la discrimination raciale ne vient pas de la déduction de
la race d'une personne à partir de ses caractéristiques génétiques. C'est
carrément l'opposé. C'est la déduction des caractéristiques d'une personne à
partir de sa race. La question n'est pas de savoir si l'on peut, étant donné la
couleur de la peau, la texture des cheveux ou la langue d'une personne en
déduire quelque chose sur ses ancêtres ou ses origines. C'est une question
de systématique en biologie, de lignée, de taxonomie, de géographie raciale,
de discrimination biologique. Bien sûr qu'on peut le faire, et la génomique a
largement amplifié ce type de déduction. On peut examiner tout génome
individuel et en apprendre beaucoup sur ses ancêtres ou son origine. Mais la
question qui prête beaucoup plus à controverse est la réciproque : étant
donné une identité raciale, africaine ou asiatique par exemple, peut-on en
déduire quelque chose sur ses qualités, pas seulement la couleur de la peau
ou des cheveux mais des traits plus complexes comme l'intelligence, les
habitudes, la personnalité, l'aptitude ? Autrement dit, les gènes peuvent
nous dire des choses sur la race, mais la race peut-elle nous dire quoi que ce
soit sur les gènes ?
Pour répondre à cette question, il nous faut mesurer dans quelle mesure la
variation génétique se répartit entre les diverses catégories raciales. Y a-t-il
plus de diversité au sein des races ou entre les races ? Le fait de savoir que
quelqu'un a des ascendants africains ou européens nous permet-il de mieux
comprendre ses traits génétiques, ou ses propriétés physiques ou
intellectuelles ? Ou existe-t-il tellement de variations au sein des Africains
ou des Européens que la diversité intraraciale domine, rendant alors
caduque les catégories d'Africain ou d'Européen ?
Nous avons maintenant des réponses précises et quantitatives à ces
questions. Des études ont tenté de quantifier le niveau de diversité
génétique du génome humain. Les plus récentes estimations 25 suggèrent
que la plus grande part de la diversité génétique (85 à 90 %) se trouve au
sein de ces soi-disant races (africaine ou asiatique par exemple) et que seule
une petite proportion (7 %) existe entre les groupes raciaux (le généticien
Richard Lewontin avait trouvé une répartition comparable dès 1972).
Certains gènes varient beaucoup entre groupes raciaux ou ethniques :
l'anémie falciforme est une maladie afro-caribéenne et indienne, par
exemple, tandis que la maladie de Tay-Sachs est beaucoup plus fréquente
chez les juifs ashkénazes. Mais le plus souvent, la diversité génétique au
sein de tout groupe racial l'emporte sur la diversité qui existe entre ces
groupes, et dans une large mesure. Ce degré de variabilité intraraciale rend
le concept de « race » peu utile pour qualifier n'importe quel trait. Du point
de vue génétique, un Africain du Nigeria est tellement « différent » d'un
autre de Namibie que cela n'a pas beaucoup de sens de les mettre dans le
même sac.
Pour ce qui concerne la race et la génétique, le génome s'avère ainsi une
voie à sens unique strict. On peut utiliser le génome pour prédire d'où
viennent X ou Y. Mais sachant d'où viennent A ou B, il est difficile de
prédire quoi que ce soit sur leur génome. Autrement dit, chaque génome
porte la signature des ancêtres d'une personne, mais les ancêtres raciaux
d'une personne en disent peu sur son génome. On peut séquencer l'ADN
d'un Afro-Américain et en conclure que ses ancêtres venaient de Sierra
Leone ou du Nigeria. Mais si vous rencontrez un homme dont les arrière-
grands-parents étaient de Sierra Leone ou du Nigeria, vous ne pourrez pas
dire grand-chose sur ses traits personnels. Le généticien rentre content chez
lui, le raciste revient les mains vides.
Comme l'ont exprimé Marcus Feldman et Richard Lewontin, « les
distinctions raciales perdent tout intérêt biologique. Pour l'espèce humaine,
elles n'ont aucune implication pour la différenciation génétique 26 ». Dans
sa monumentale étude publiée en 1994 sur la génétique, les migrations et
les races chez l'homme 27, Luigi Cavalli-Sforza, le généticien de Stanford, a
décrit le problème de la classification raciale comme un « vain exercice »
motivé par des arbitrages culturels plutôt que par des distinctions
génétiques. « Le niveau auquel nous arrêtons notre classification est
complètement arbitraire […] Nous pouvons identifier des “groupes” de
population [mais] comme chaque niveau de regroupement déterminera une
partition différente […] il n'y a aucune raison biologique d'en préférer une
en particulier ». Et Cavalli-Sforza de continuer : « L'explication
évolutionniste est simple. Il y a beaucoup de variations génétiques dans les
populations, même dans les petites. Ces variations individuelles se sont
accumulées sur de longues périodes parce que la plupart précèdent la
séparation sur les différents continents et peut-être même l'origine de
l'espèce, il y a moins d'un demi-million d'années […] Il y a donc eu trop peu
de temps écoulé pour qu'une divergence notable puisse s'établir ».
Cette dernière déclaration fut écrite à l'adresse du passé. C'est une
réplique scientifique mesurée à Agassiz et Galton, aux eugénistes
américains du XIXe siècle et aux eugénistes nazis du XXe siècle. La
génétique avait fait jaillir le spectre du racisme scientifique au XIXe siècle.
La génomique, heureusement, l'a fait retourner dans sa bouteille. Ou comme
le dit simplement Aibee, une domestique afro-américaine, à Mae Mobley
dans le film La Couleur des sentiments : « Ainsi, nous sommes pareils.
Juste avec une couleur différente 28. »

En 1994, l'année même où Luigi Cavalli-Sforza publiait son étude


complète sur les races et la génétique 29, les Américains se tordaient
d'anxiété autour d'un livre sur les races et les gènes d'un type très
différent 30. Écrit par Richard Herrnstein, le psychologue comportemental, et
Charles Murray, un politologue, le livre, intitulé The Bell Curve 31, était,
comme le New York Times le qualifia à l'époque, « un traité au lance-
flammes sur la classe, la race et l'intelligence 32 ». L'ouvrage montrait
combien il était facile de déformer le langage des gènes et de la race, et
avec quelle force ces déformations pouvaient se répercuter dans un milieu
obsédé par l'hérédité et la race.
En tant que lance-flammes, Herrnstein n'en était pas à son coup d'essai.
En 1985 déjà, nous avons vu que son livre Crime and Human Nature avait
allumé une controverse foudroyante en prétendant que le comportement
criminel était lié à des caractéristiques innées telles que la personnalité ou le
33
caractère . Une décennie plus tard, The Bell Curve faisait des annonces
encore plus incendiaires. Murray et Herrnstein avançaient que l'intelligence
était aussi largement innée, c'est-à-dire génétique, et qu'elle était
inégalement répartie suivant les races. Les Blancs et les Asiatiques avaient
un quotient intellectuel (QI) plus élevé en moyenne, alors qu'il était plus
faible chez les Africains et les Afro-américains. Cette différence dans les
« capacités intellectuelles » était, selon eux, largement responsable des
mauvais résultats chroniques obtenus par les Afro-américains dans les
domaines social et économique. Les Afro-américains étaient à la traîne aux
États-Unis, selon les auteurs, non en raison de biais systémiques dans le
contrat social américain mais de biais systémiques dans leur construction
mentale.
Pour comprendre The Bell Curve, il faut commencer par définir ce qu'est
« l'intelligence ». De manière prévisible, Murray et Herrnstein ont choisi
une définition étroite de l'intelligence, qui nous renvoie directement à la
biométrie et à l'eugénisme du XIXe siècle. Galton et ses disciples étaient
obsédés par la mesure de l'intelligence. Entre 1890 et 1910, des dizaines de
tests furent conçus en Europe et aux États-Unis qui prétendaient mesurer
l'intelligence d'une manière objective et quantitative. En 1904, Charles
Spearman, un statisticien britannique, releva un aspect important de ces
tests 34. Les gens qui obtenaient de bons résultats à l'un d'entre eux avaient
tendance à faire de même pour les autres. Spearman fit l'hypothèse que cette
corrélation positive s'expliquait si tous les tests mesuraient en fait un
mystérieux facteur commun. Ce facteur, proposa Spearman, n'était pas la
connaissance en elle-même mais la capacité à acquérir et à manipuler une
connaissance abstraite. Spearman l'appela « intelligence générale » et
l'étiqueta g.
Au début du XXe siècle, l'imagination du grand public s'empara de g.
L'intelligence générale captiva d'abord les premiers eugénistes. En 1916, le
psychologue de Stanford Lewis Terman, un ardent soutien du mouvement
eugéniste américain, créa un test standardisé pour estimer rapidement et
quantitativement l'intelligence générale, avec l'espoir de l'utiliser pour
sélectionner des personnes plus intelligentes et les faire se reproduire dans
une perspective eugéniste. Terman s'aperçut que cette mesure variait avec
l'âge de l'enfant 35 et défendit une nouvelle mesure pour quantifier
l'intelligence en fonction de l'âge. Si « l'âge mental » d'un sujet était le
même que son âge physique, son « quotient intellectuel » ou QI était défini
comme valant 100. Si un sujet avait un âge mental plus faible que son âge
physique, le QI était inférieur à 100, si son âge mental était plus élevé que
le physique son QI était supérieur à 100.
Cette mesure numérique de l'intelligence fut particulièrement adaptée aux
exigences des deux guerres mondiales au cours desquelles il fallait
rapidement juger des capacités de recrues pour leur attribuer une fonction.
Lorsque les anciens combattants revinrent à la vie civile, ils trouvèrent leur
vie dominée par les tests d'intelligence. Au début des années 1940, de tels
tests étaient acceptés comme faisant partie de la culture américaine. Ils
étaient utilisés pour classer les candidats à un travail, placer les enfants à
l'école, recruter des agents secrets. Dans les années 1950, les Américains
mettaient couramment leur QI sur leur CV, donnaient les résultats obtenus à
un test donné pour postuler à un emploi, ou choisissaient même leur épouse
en se basant sur ce test. Les QI des bébés étaient affichés dans les concours
du meilleur bébé (la façon dont on a pu mesurer le QI d'un enfant de deux
ans reste mystérieuse).
Ces évolutions à la fois historiques et conceptuelles de la notion
d'intelligence valent la peine d'être notées car nous allons y revenir bientôt.
L'intelligence générale (g) n'est au départ qu'une corrélation statistique entre
des tests donnés dans des circonstances particulières à des individus
particuliers. Elle s'est muée en l'idée « d'intelligence générale » à cause
d'une hypothèse sur la nature de l'apprentissage. Et elle fut codifiée en
« QI » pour répondre aux exigences particulières du temps de guerre. Dans
un sens culturel, la définition de g était un magnifique exemple d'auto-
renforcement car ceux « qui en avaient », reconnus comme « intelligents »
et reconnus capables de reconnaître cette qualité chez les autres, avaient
toutes les raisons du monde de propager sa définition. Richard Dawkins, le
biologiste évolutionniste, a défini un « meme » comme une unité culturelle
qui peut se répandre dans la société d'une manière virale en mutant, se
répliquant et en étant sélectionnée. On peut se représenter le g comme une
unité auto-propagatrice de ce type. On pourrait même l'appeler le « g
égoïste 36 ».
Il faut une contre-culture pour s'opposer à une culture. Il était peut-être
inévitable que les mouvements politiques qui ont secoué l'Amérique dans
les années 1960 et 1970 ébranlent jusqu'à leur base les notions
d'intelligence générale et de QI. Au moment où le mouvement des droits
civiques et le féminisme faisaient ressortir les inégalités sociales et
politiques chroniques aux États-Unis, il devint évident que les traits
biologiques et psychologiques n'étaient pas seulement innés, mais aussi
profondément influencés par le contexte et l'environnement.
Le dogme d'une seule forme d'intelligence était aussi remis en cause par
des travaux scientifiques. Des psychologues du développement comme
Louis Thurstone (dans les années 1950) 37 et Howard Gardner (dans les
années 1960) avançaient que le terme « d'intelligence générale » était un
moyen maladroit de regrouper un grand nombre de formes d'intelligences
plus subtiles, dépendant du contexte, comme les intelligences visuo-
spatiale, mathématique ou verbale. Un généticien qui reviendrait sur ces
données pourrait conclure que le g, mesure d'une qualité hypothétique
inventée pour répondre à un contexte particulier, ne valait pas vraiment la
peine d'être mis en relation avec des gènes, mais cela n'a pas dissuadé
Murray et Herrnstein. S'inspirant fortement d'un précédent article dû au
psychologue Arthur Jensen 38, Murray et Herrnstein entreprirent de
démontrer que le g était héritable, qu'il variait suivant les groupes ethniques
et, point le plus critique, que les disparités raciales étaient dues à des
différences génétiques innées entre Blancs et Afro-Américains.

Le g est-il héritable ? D'une certaine manière, oui. Dans les années 1950,
une série d'études suggéra une forte composante génétique. Parmi celles-ci,
les études de jumeaux furent les plus décisives. Lorsque de vrais jumeaux
qui avaient été élevés ensemble – c'est-à-dire qui avaient partagé les mêmes
gènes et le même environnement – ont été testés au début des années 1950,
les psychologues ont trouvé un degré de concordance frappant de leur QI,
avec une valeur de corrélation de 0,86 39 40. Vers la fin des années 1980,
quand de vrais jumeaux ayant été séparés à la naissance et élevés
séparément ont été testés, la corrélation est tombée à 0,74, ce qui est encore
impressionnant.
Mais le caractère héritable d'un trait, indépendamment de sa force, peut
résulter de plusieurs gènes, chacun exerçant un effet mineur. Si c'était le
cas, des jumeaux identiques montreraient une forte corrélation pour le g,
mais la corrélation serait bien moins élevée entre les parents et les enfants.
C'était le cas du QI. La corrélation entre parents et enfants vivant ensemble,
par exemple, tombait à 0,42. S'ils vivaient séparément, elle chutait à 0,22.
Le facteur mesuré par le QI, quel qu'il soit, était certes héritable mais aussi
influencé par de nombreux gènes et fortement modifié par le milieu. L'inné
était là, mais l'acquis aussi.
La conclusion la plus logique de ces résultats est que si certaines
combinaisons de gènes et d'environnement peuvent largement influencer le
g, elles seront rarement transmises intactes aux enfants. Les lois de Mendel
garantissent virtuellement que des associations particulières de gènes vont
s'éparpiller à chaque génération. Et les interactions avec l'environnement
sont si difficiles à évaluer et à prédire qu'elles ne peuvent être reproduites
au cours du temps. L'intelligence, pour résumer, est héritable (c'est-à-dire
influencée par les gènes), mais pas facilement transmissible (c'est-à-dire
déplacée sous la même forme à la génération suivante).
Si Murray et Herrnstein étaient arrivés à ces conclusions, ils auraient
publié un livre précis, à défaut d'être controversé, sur la transmission de
l'intelligence. Mais le cœur du livre n'est pas l'héritabilité du QI, c'est en fait
sa distribution raciale. Murray et Herrnstein ont commencé par passer en
revue les 156 études indépendantes qui avaient comparé les QI entre les
races. Prises dans leur ensemble, ces études avaient trouvé un QI moyen de
100 pour les Blancs (par définition, le QI moyen de la population de
référence doit être de 100) et de 85 pour les Afro-américains, soit une
différence de 15 points. Murray et Herrnstein ont alors tenté, vaillamment,
d'exclure la possibilité que les tests fussent biaisés contre les Afro-
américains. Ils ont limité leur étude aux tests effectués après 1960, et
seulement hors des États du Sud des États-Unis, afin de se prémunir contre
un biais éventuel, mais la différence persista 41.
La différence dans les résultats de QI pouvait-elle résulter du statut socio-
économique ? Le fait que des enfants issus de milieu pauvre ont,
indépendamment de la race, des tests de QI plus mauvais était connu depuis
des décennies. C'était en fait, de toutes les hypothèses sur les différences
raciales de QI, la plus plausible, et de loin. La différence entre Blancs et
Noirs pouvait être la conséquence d'une surreprésentation d'enfants pauvres
parmi les Afro-américains. Dans les années 1990, le psychologue Eric
Turkheimer a validé cette théorie en démontrant que les gènes jouaient un
rôle assez mineur dans le QI parmi des populations pauvres 42. Prenez un
enfant qui cumule la pauvreté, la faim et la maladie : ces variables vont
avoir une influence dominante sur le QI. Les gènes qui contrôlent le QI
n'interviennent de façon significative qu'une fois ces limitations levées.
Il est facile de prouver un effet analogue en laboratoire. Si l'on fait
pousser deux variétés de plante, l'une grande et l'autre petite, dans un milieu
carencé, elles vont toutes deux être petites. Au contraire, quand il n'y a
aucune restriction en nutriments, les plantes issues de la variété « grande »
vont atteindre leur taille normale. L'influence qui domine, entre l'inné ou
l'acquis, dépend du contexte. Quand le milieu est contraignant, il exerce une
influence démesurée. Quand ces contraintes sont levées, les gènes
reprennent leur ascendant 43.
Les effets de la pauvreté et de la privation justifiaient parfaitement la
différence entre Noirs et Blancs pour le QI, mais Murray et Herrnstein
allèrent plus loin. Ils trouvèrent que même en corrigeant pour le statut
socioéconomique, une différence entre les deux populations ne pouvait être
éliminée. Si l'on portait sur un graphe les courbes de QI des Blancs et des
Afro-Américains par statut croissant, le QI augmentait dans les deux cas
comme attendu. Dans les deux groupes, les enfants de milieux aisés avaient
de meilleurs résultats que les enfants pauvres. Pourtant, une différence entre
les deux groupes persistait toujours. De fait, de manière étrange, cette
différence augmente avec le statut socioéconomique. La différence de QI
enfants de Blancs et de Noirs riches est même encore plus prononcée : loin
de se combler, l'écart se creuse en haut de l'échelle des revenus.

Des litres et des litres d'encre ont été déversés en livres, magazines,
revues scientifiques et journaux qui analysaient, comparaient, et
désamorçaient ces résultats. Dans un article cinglant paru dans la revue The
New Yorker, par exemple, le biologiste de l'évolution Stephen Jay Gould
avançait que l'effet était bien trop léger et la variation entre les tests bien
trop grande pour pouvoir tirer une quelconque conclusion statistique de
cette différence 44. L'historien de Harvard Orlando Patterson, dans son
article intitulé malicieusement « For Whom the Bell Curves 45* * » rappelait
au lecteur que le lourd héritage de l'esclavage, du racisme et de l'intolérance
avait creusé le fossé culturel entre Blancs et Afro-américains, à un point tel
que l'on ne pouvait comparer significativement les traits biologiques entre
les races.
En fait, le psychologue social Claude Steele démontra que lorsqu'il était
demandé à des étudiants noirs de faire un test de QI sous le prétexte de
tester un nouveau type de stylo électronique ou une nouvelle manière de
noter, ils avaient de bons résultats. Si on leur disait qu'ils étaient testés pour
« l'intelligence », leur performance s'effondrait. La vraie variable mesurée
dans ce cas n'est pas l'intelligence, mais bien une aptitude à passer des tests,
une estime de soi, ou simplement l'ego ou l'anxiété. Dans une société où les
hommes et les femmes noirs vivent une discrimination permanente,
prégnante et insidieuse, cela peut engendrer un véritable cercle vicieux où
les enfants noirs ont de mauvais résultats 46 parce qu'on leur a dit qu'ils sont
mauvais à ces tests, ce qui renforce l'idée qu'ils sont moins intelligents, et
ainsi de suite à l'infini.
Il reste que le biais fatal dans The Bell Curve est quelque chose de bien
plus simple, un fait niché de manière si discrète dans un seul paragraphe de
ce livre de huit cents pages qu'il en disparaît virtuellement 47. Si vous prenez
des Afro-américains et des Blancs de QI égal, disons 105, et mesurez leurs
performances dans divers tests secondaires pour l'intelligence, les enfants
noirs font souvent mieux dans certains cas (les tests de mémoire à court
terme et de rappel par exemple) alors que les Blancs ont de meilleurs
résultats pour d'autres tests (visuo-spatial et perception des changements).
En d'autres termes, la manière dont un test de QI est fait affecte
profondément les résultats qu'obtiennent différents groupes raciaux et leurs
variants génétiques. Si vous modifiez l'équilibre des questions dans le
même test, vous modifierez la mesure de l'intelligence.
La preuve la plus forte de tels biais vient d'une étude largement oubliée
réalisée par Sandra Scarr et Richard Weinberg en 1976 48. Scarr avait étudié
les enfants noirs adoptés par des parents blancs et trouvé qu'ils avaient un
QI de 106, au moins aussi élevé que celui des enfants blancs. En examinant
attentivement les tests effectués, Scarr en avait conclu que ce n'était pas
« l'intelligence » qui était accrue mais la performance à des tests particuliers
d'intelligence.
On ne peut pas rejeter simplement cette idée en suggérant que la
construction actuelle des tests de QI doit être bonne puisqu'elle prédit des
performances dans la vraie vie. Elle le fait, bien sûr, car le concept de QI
s'auto-renforce puissamment. Il mesure une qualité très lourde de sens et
valorise les métiers qui s'en servent. La boucle de sa logique est
parfaitement close et impénétrable. Pourtant, la configuration actuelle du
test est relativement arbitraire. On ne vide pas de son sens le mot
intelligence en déplaçant l'équilibre des questions dans un test, en passant
de la perception visuospatiale à la mémoire à court terme, mais on peut
vraiment faire changer l'écart de résultats au test entre Noirs et Blancs. Et
c'est là le hic. Ce qui est délicat dans la notion de g est qu'elle est présentée
comme une qualité biologique héritable et mesurable, alors qu'elle est
fortement déterminée par des priorités culturelles. C'est, pour simplifier
quelque peu, la plus dangereuse des choses, un meme se faisant passer pour
un gène.
Si l'histoire de la génétique médicale nous apprend quelque chose, c'est
de précisément faire attention à de tels glissements entre la biologie et la
culture. Les êtres humains, nous le savons maintenant, sont largement
similaires en termes génétiques, mais avec assez de variations entre eux
pour qu'il y ait une vraie diversité. Ou, peut-être plus précisément encore,
sommes-nous culturellement et biologiquement enclins à amplifier les
variations, même si elles sont mineures dans le cadre plus général du
génome. Les tests conçus pour cerner des différences dans des capacités
vont bien réussir à en trouver et elles risquent bien d'apparaître en fonction
des races. Mais faire correspondre une « intelligence » au résultat de ce
genre de test, notamment quand ce résultat dépend beaucoup de la
configuration du test lui-même, est une offense à la qualité même qu'il tente
de mesurer.
Les gènes ne peuvent nous dire comment classer ou saisir toute la
diversité humaine, contrairement à la culture, à l'environnement, à la
géographie, à l'histoire. Notre langage bafouille pour rendre compte de ce
glissement. Quand une variation génétique est statistiquement la plus
fréquente, nous l'appelons normale, un mot qui implique non seulement une
représentation statistiquement supérieure, mais une supériorité également
qualitative et même morale. Quand la variation est rare, elle est qualifiée de
mutante, un mot qui n'implique pas qu'une rareté statistique mais aussi une
infériorité qualitative ou même une répugnance morale.
Et il en va ainsi quand, sur une variation biologique, on superpose une
discrimination linguistique, mélangeant biologie et désir. Lorsqu'une
variante d'un gène réduit l'adaptation d'un organisme à un environnement
particulier – un homme chauve en Antarctique –, nous l'appelons une
maladie génétique. Quand la même variante augmente l'aptitude dans un
autre environnement, nous qualifions l'organisme de génétiquement
augmenté. La synthèse de la biologie évolutionniste et de la génétique nous
rappelle que ces jugements n'ont aucun sens. L'augmentation ou la maladie
sont des mots qui mesurent une adaptation d'un génotype particulier à un
environnement particulier. Si vous changez l'environnement, les mots
peuvent même prendre des sens contraires. « Quand personne ne lisait, écrit
la psychologue Alison Gopnik, la dyslexie n'était pas un problème. Quand
la plupart des gens devaient chasser, une petite variation génétique dans la
capacité à fixer son attention n'était pas vraiment un problème, et peut-être
même était un avantage [permettant au chasseur de maintenir son attention
sur plusieurs cibles à la fois par exemple]. Quand la plupart des gens
doivent passer par des études secondaires, cette même variation peut
devenir une maladie perturbant la vie 49. »
Le désir de classer les hommes en fonction de leur race et la pulsion de
vouloir leur attribuer des propriétés comme l'intelligence (ou la criminalité,
la créativité ou la violence) illustrent un thème général concernant la
génétique et la classification des choses. Comme le roman anglais, ou les
figures humaines, le génome humain peut être classé de mille façons
différentes. Mais diviser ou regrouper, classer ou synthétiser relève d'un
choix. Quand un trait biologique héritable et clair comme une maladie
génétique (par exemple l'anémie falciforme) est le souci principal, examiner
le génome pour y trouver le locus responsable de ce trait est parfaitement
justifié. Plus la définition du trait héritable est précise, plus on aura de
chance de trouver son locus génétique et plus on aura de chance de le voir
ségréger au sein de populations humaines précises (les juifs ashkénazes
pour la maladie de Tay-Sachs, ou les Afro-caribbéens pour l'anémie
falciforme). On peut expliquer pourquoi la course du marathon, par
exemple, devient un sport génétique. Les coureurs du Kenya et de
l'Éthiopie, originaires d'une bande de terre étroite à l'est d'un continent,
dominent cette épreuve pas seulement en raison de leur talent et de leur
entraînement, mais aussi parce que le marathon est un test physique étroit
qui valide une certaine forme d'endurance et de courage extrêmes. Les
gènes en petit nombre qui permettent cette qualité (par exemple des
variantes responsables de types distincts d'anatomie, de physiologie et de
métabolisme) seront naturellement sélectionnés.
Réciproquement, plus nous élargissons la définition d'un trait (par
exemple l'intelligence, le caractère) moins il aura de chance d'être corrélé
avec des gènes uniques, et par extension avec des races, des tribus ou des
sous-populations. L'intelligence ou le caractère ne sont pas des courses de
marathon : il n'y a aucun critère de fixé pour le succès, pas de ligne de
départ ou d'arrivée, et courir de côté ou à reculons peut assurer la victoire.
L'étroitesse ou la largeur de définition d'un trait particulier est, en fait,
une question d'identité, c'est-à-dire comment nous définissons, classons et
comprenons l'homme (nous-mêmes) dans un sens culturel, social, et
politique. L'élément crucial qui manque dans notre discussion
approximative sur ce qu'est une race est donc une discussion sur ce qu'est
l'identité.
La première dérivée de l'identité

« Pendant plusieurs décennies, l'anthropologie a participé à la


déconstruction générale de « l'identité » comme un objet stable
d'étude. L'idée que des individus se créent leur identité à travers des
performances sociales, et donc que leur identité n'est pas fixe par
essence, conduit fondamentalement aux recherches actuelles sur le
genre et la sexualité. L'idée qu'une identité collective émerge d'une
lutte et de compromis politiques sous-tend les études contemporaines
sur la race, l'ethnicité et le nationalisme. »
1
Paul Brodwin, « Genetics, Identity and the Anthropology of Essentialism »

« Il me semble que tu es mon miroir, et non mon frère. »


William Shakespeare, La Comédie des erreurs, acte 5, scène 1

Le 6 octobre 1942, cinq ans avant que la famille de mon père ne quitte
Barisal, ma mère est née deux fois à Delhi. Bulu, sa sœur et vraie jumelle,
est arrivée avant elle, belle et placide. Ma mère, Tulu, a émergé quelques
minutes plus tard, pleurant et se tordant de tout son corps. La sage-femme,
heureusement, en savait assez sur les enfants pour se souvenir que le plus
beau est souvent le plus à plaindre. La jumelle tranquille, dans une quasi-
langueur, était sévèrement dénutrie, elle dut être enveloppée dans des
couvertures et réanimée. Les premiers jours de la vie de ma tante furent les
plus délicats. Elle ne pouvait téter au sein, paraît-il (l'histoire est peut-être
apocryphe), et on ne trouvait pas de biberon à Delhi dans les années 1940,
aussi fut-elle nourrie avec une mèche de coton trempée dans du lait, puis
avec la coupe d'un coquillage en forme de cuillère. Une infirmière fut
recrutée pour s'en occuper. Lorsque les montées de lait commencèrent à
tarir au septième mois, ma mère fut rapidement sevrée pour laisser à sa
sœur ce qui restait. Dès le départ, ma mère et sa jumelle étaient une
expérience vivante de génétique, tellement identiques par l'inné, tellement
divergentes par l'acquis.
Ma mère, la plus « jeune » des deux de quelques minutes, était pleine
d'entrain. Elle avait un caractère instable, changeant. Elle était insouciante
et intrépide, rapide pour apprendre et n'ayant pas peur de se tromper. Bulu
était physiquement timide. Son esprit était plus agile, sa langue plus acérée,
son esprit plus incisif. Tulu était sociable. Elle se faisait facilement des
amis. Les insultes la laissaient de marbre. Bulu était réservée et dans le
contrôle de soi, plus calme et plus cassante. Tulu aimait le théâtre et la
danse. Bulu était une poète, une romancière, une rêveuse.
Cependant, ces contrastes ne faisaient que souligner ce qu'elles avaient en
commun. Tulu et Bulu se ressemblaient de manière frappante, avec la
même peau pâle, la figure en amande, et les pommettes hautes, ce qui est
peu courant chez les Bengalis, et la légère pente vers le bas du coin
extérieur des yeux, le truc que les peintres italiens utilisaient pour donner
aux Madones un air de mystérieuse empathie. Elles partageaient le langage
intérieur que les jumeaux ont souvent. Elles avaient des blagues qu'elles
étaient les seules à comprendre.
Au fil des ans, leur vie a divergé. Tulu s'est mariée avec mon père en
1965 (il était arrivé à Delhi trois ans avant). Ce fut un mariage arrangé,
mais aussi risqué. Mon père était un immigré sans le sou dans la nouvelle
cité, accompagné de près par une mère dominatrice et un frère à demi-fou
qui vivaient à la maison. Pour les parents si distingués de ma mère, issus du
Bengale de l'Ouest, mon père et sa famille étaient l'incarnation même des
bouseux : lorsque les frères de mon père s'asseyaient pour manger, ils
faisaient une pile du riz et y perçaient un trou pour la sauce, comme pour
marquer par un cratère dans leur assiette la faim perpétuelle, insatiable, de
leur passé villageois. Le mariage de Bulu parut sous des augures bien plus
sûrs en comparaison. En 1966, elle fut embauchée par un jeune juriste, le
plus jeune fils d'un clan bien installé à Calcutta. En 1967, Bulu l'épousa et
déménagea dans la grande maison délabrée de sa famille au sud de Calcutta,
avec un jardin déjà plein de mauvaises herbes.
Lorsque je suis né, en 1970, le sort des deux sœurs avait commencé à
prendre des directions inattendues. À la fin des années 1960, Calcutta
s'engagea dans sa lente descente aux enfers. Son économie se disloquait, ses
fragiles infrastructures ployaient sous le poids des vagues successives
d'immigrés. Des luttes politiques intestines éclataient fréquemment et
agitaient les rues et les affaires pendant des semaines. Pendant que la ville
traversait des cycles de violence et d'apathie, la nouvelle famille de Bulu
dilapida ses économies pour se maintenir. Son mari prétendait toujours
avoir un travail, quittant la maison tous les matins avec son attaché-case
habituel et son paquet repas, mais qui avait besoin d'un juriste dans une
ville sans lois ? Finalement, la famille vendit la maison en ruine avec sa
grande véranda et son patio intérieur pour un modeste deux-pièces, à
quelques kilomètres de la maison qui avait abrité ma grand-mère lors de sa
première nuit à Calcutta.
Le sort de mon père, au contraire, était le reflet de sa ville d'adoption.
Delhi, la capitale, était l'enfant trop nourri de l'Inde. Stimulée par l'ambition
du pays d'en faire une méga-métropole, engraissée de subventions et de
subsides, ses rues s'élargirent et son économie se développa. Mon père
grimpa dans la hiérarchie d'une multinationale japonaise, passant
rapidement de la classe inférieure à la classe moyenne supérieure. Notre
voisinage, autrefois entouré de forêts et de broussailles infestées de chiens
et de chèvres sauvages, se transforma bientôt en l'une de zones
résidentielles les plus aisées de la ville. Nous prenions nos vacances en
Europe. Nous avons appris à manger avec des baguettes et nagions dans les
piscines des hôtels en été. À Calcutta, lorsque la mousson s'abattait, les
montagnes d'ordures dans les rues bouchaient les égouts et transformaient la
ville en un immense marais rempli de bêtes. Une mare se créait chaque
année, infestée de moustiques, à côté de la maison de Bulu. Elle l'appelait
sa « piscine » privée.
Il y a quelque chose dans ce commentaire – une légèreté – qui est
symptomatique. Vous pourriez imaginer que les dures vicissitudes de la vie
avaient entraîné Tulu et Bulu sur des voies radicalement différentes. Il n'en
était rien. Au fil des ans, leur ressemblance physique s'est certes estompée
au point de disparaître, mais quelque chose d'ineffable en elles, une
approche, un tempérament, resta remarquablement similaire et convergea
même nettement.
Malgré le fossé économique grandissant entre les deux sœurs, elles
partageaient un optimisme sur le monde, une curiosité, un sens de l'humour,
une équanimité qui confinait à la noblesse mais sans aucun orgueil. Lorsque
nous voyagions à l'étranger, ma mère ramenait à la maison une collection de
souvenirs pour Bulu, un jouet en bois de Belgique, un chewing-gum fruité
d'Amérique qui n'avait le goût d'aucun fruit terrestre, ou un bijou en verre
de Suisse qui, je l'appris plus tard, avait coûté plus d'un mois de frais d'école
pour les enfants de Bulu. Ma tante lisait aussi les guides de voyage des pays
que nous avions visités. « J'y ai aussi été » disait-elle, arrangeant des
souvenirs dans une vitrine, sans aucune trace d'amertume dans la voix.
Il n'y a aucun mot ni aucune expression pour rendre ce moment dans la
conscience d'un fils où il commence à comprendre sa mère, pas juste
superficiellement, mais avec cette clarté prégnante avec laquelle il se
comprend lui-même. Mon expérience de ce moment, enfouie quelque part
dans les profondeurs de l'enfance, était parfaitement duale. En comprenant
ma mère, j'avais aussi appris à comprendre ma tante. Je savais, avec une
éclatante certitude, quand elle allait rire, ce qui la soulageait, ce qui allait
l'animer, ou quelles étaient ses sympathies ou ses affinités. Voir le monde à
travers les yeux de ma mère était aussi voir à travers ceux de sa jumelle,
avec peut-être des lentilles teintées de couleurs légèrement différentes
Ce qui avait convergé entre ma mère et sa sœur, je commençais à le
saisir, n'était pas leur personnalité mais sa tendance, sa dérivée première
pour prendre un terme mathématique. Dans le calcul différentiel, la dérivée
première d'un point n'est pas sa position dans l'espace mais sa propension à
changer de position. Ce n'est pas où l'objet se trouve, mais comment il se
déplace dans l'espace et le temps. Cette qualité partagée, inaccessible à
certains, et pourtant évidente pour un enfant de quatre ans, était le dernier
lien durable entre ma mère et sa sœur jumelle. Tulu et Bulu n'étaient plus
identiques à l'œil mais elles partageaient encore la dérivée première de leur
identité.

Toute personne qui doute que les gènes déterminent l'identité doit arriver
d'une autre planète et être incapable de voir que les êtres humains se
présentent sous deux formes fondamentales, l'homme et la femme. Les
critiques du monde de la culture, les théoriciens de l'homosexualité, les
photographes de mode et Lady Gaga nous rappellent, précisément, que ces
deux catégories ne sont pas aussi fondamentales qu'elles pourraient le
sembler, et que des ambiguïtés dérangeantes se trouvent souvent à leurs
frontières. Mais il est difficile de contester trois faits essentiels : que les
hommes et les femmes sont anatomiquement et physiologiquement
différents ; que ces différences anatomiques et physiologiques sont
spécifiées par des gènes ; et que ces différences, associées à des
constructions culturelles et sociales du soi, ont une puissante influence dans
la détermination de notre identité en tant qu'individu.
Le fait que les gènes aient quelque chose à voir avec la détermination du
sexe, du genre et de l'identité du genre est une idée relativement récente
dans notre histoire. Une distinction entre ces trois mots convient ici. Par
sexe, j'entends les aspects anatomiques et physiologiques des corps
masculins et féminins. Par genre, je me réfère à une idée plus complexe, les
rôles psychique, social et culturel qu'un individu assume. Par identité de
genre, je veux dire le sens du soi d'un individu (en tant que femme ou
homme, en tant que ni l'un ni l'autre, ou quelque chose entre les deux).
Pendant des millénaires, la base des différences anatomiques entre
l'homme et la femme – le « dimorphisme anatomique » du sexe – fut peu
comprise. En l'an 200 de notre ère, Galien, l'anatomiste le plus influent des
temps anciens, a effectué des dissections poussées pour tenter de prouver
que les organes mâle et femelle de la reproduction étaient analogues entre
eux, ceux du mâle étant tournés vers l'extérieur et ceux de la femelle vers
l'intérieur. Les ovaires, avançait Galien, n'étaient que des testicules
internalisés dans le corps de la femme car celle-ci manquait d'une « chaleur
vitale » pour faire sortir les organes. « Tournez vers l'extérieur les organes
de la femme et doublez ceux de l'homme, vous obtiendrez la même chose »
écrivait-il. Les étudiants de Galien et ses partisans ont étendu l'analogie, à la
lettre, jusqu'à l'absurde, en raisonnant que l'utérus était le scrotum se
ballonnant vers l'intérieur et que les trompes de Fallope étaient les vésicules
séminales gonflées. La théorie fut fixée dans les mémoires par un verset
médiéval, un moyen mnémotechnique pour les étudiants médiévaux :
« Though they of different sexes be
Yet on the whole, they're the same as we
For those that have the strictest searchers been
Find women are just men turned inside in 2 »

Mais quelle force était responsable de ce retournement comme des


chaussettes, vers l'extérieur chez l'homme et vers l'intérieur chez la femme ?
Des siècles avant Galien, le philosophe grec Anaxagore déclarait il y a
environ 400 ans avant notre ère que le genre – comme le prix au mètre carré
à New York – était entièrement déterminé par le lieu. Comme Pythagore,
Anaxagore pensait que l'essence de l'hérédité est portée par le
spermatozoïde et que la femelle ne fait que « modeler » cette semence dans
son corps pour produire le fœtus. L'héritage du genre suivrait le même
procédé. Les spermatozoïdes du testicule gauche donneraient les mâles et
ceux du droit les femelles. La détermination du genre se poursuivrait dans
le ventre, prolongeant le code spatial initié au cours de l'éjaculation. Un
fœtus mâle serait déposé, avec une grande spécificité, dans la trompe droite
de l'utérus, le fœtus femelle étant nourri dans la trompe gauche.
Il est facile de se moquer de la théorie d'Anaxogore pour sa bizarrerie.
Son insistance à placer les embryons au bon endroit à droite ou à gauche –
comme si le genre était déterminé par une sorte de disposition des couverts
– appartient clairement à une autre ère. Mais cette théorie était
révolutionnaire pour l'époque car elle représentait deux avancées décisives.
La première est qu'elle reconnaissait que la détermination du genre était
purement aléatoire, et qu'il fallait donc une cause aléatoire (l'origine à droite
ou à gauche du spermatozoïde) pour l'expliquer. La seconde est qu'il fallait
ensuite une amplification et une consolidation de cette première orientation
pour donner vraiment le genre. Le plan de développement du fœtus était
déterminant. Le spermatozoïde de droite trouvait son chemin vers le côté
droit de l'ovaire où il recevait une confirmation de son statut de mâle. Et le
spermatozoïde de gauche était orienté vers le côté gauche pour faire un
enfant femelle. La détermination du genre était une réaction en chaîne,
déclenchée en une seule étape mais ensuite amplifiée par la localisation du
fœtus pour donner le dimorphisme complet entre l'homme et la femme.
Et c'est comme cela que la détermination du sexe est restée expliquée
pendant des siècles. Les théories abondaient mais il s'agissait de variantes
de celle d'Anaxagore, l'idée que le sexe soit déterminé par un acte purement
aléatoire, consolidé et amplifié ensuite par l'environnement de l'ovule ou du
fœtus. « Le sexe n'est pas hérité » écrivait un généticien en 1900 3. Même
Thomas Morgan, peut-être le partisan le plus proéminent du rôle des gènes
dans le développement, proposa que le sexe ne soit pas déterminé par les
gènes. En 1903, Morgan écrivait que le sexe est probablement déterminé
par de multiples influences environnementales au lieu d'un seul gène.
« L'ovule, pour ce qui concerne le sexe, apparaît dans une sorte d'état
équilibré, et les conditions auxquelles il est exposé […] peuvent déterminer
quel sexe sera produit. Il peut être vain d'essayer de découvrir une
quelconque influence qui serait déterminante pour tous les types d'œuf 4 ».
Durant l'hiver 1903, l'année même où Morgan publia sa réfutation d'une
théorie génétique de la détermination du sexe, Nettie Stevens, une
étudiante, réalisa une étude qui allait transformer le domaine. Stevens, née
en 1861, était la fille d'un charpentier du Vermont. Elle prit des cours pour
devenir institutrice mais au début des années 1890 elle avait économisé
assez d'argent de ses travaux de tutorat d'enfants pour s'inscrire à
l'université de Stanford en Californie. Elle choisit de suivre les cours de
licence en biologie en 1900, ce qui était un choix inhabituel pour une
femme à l'époque, et plus inhabituel encore, elle choisit d'effectuer son
stage de terrain à la station zoologique de la lointaine Naples, en Italie, où
Theodor Boveri travaillait sur ses œufs d'oursin. Elle apprit l'Italien afin de
parler le dialecte des pêcheurs locaux qui lui ramenaient son matériel
biologique. Et elle apprit de Boveri à colorer les œufs pour identifier les
chromosomes, ces étranges filaments bleutés qui se trouvaient dans les
cellules.
Boveri avait démontré que les cellules dont les chromosomes étaient
altérés ne pouvaient pas se développer normalement, et que les instructions
héréditaires pour le développement devaient être portées par les
chromosomes. Mais le déterminant génétique du sexe pouvait-il être aussi
sur les chromosomes ? En 1903, Stevens choisit un organisme simple, le ver
de farine, pour étudier la corrélation entre la composition en chromosomes
d'un individu et son sexe. Lorsque Stevens appliqua la méthode de
coloration de Boveri à ses vers mâles et femelles, la réponse sauta aux yeux
collés sur le microscope. Une variation portant sur un seul chromosome
corrélait parfaitement avec le sexe du ver. Ces insectes ont vingt
chromosomes en tout, soit dix paires (la plupart des animaux ont des
chromosomes par paires, l'homme en a vingt-trois). Les cellules des vers
femelles avaient inévitablement dix paires tandis que celles des mâles
avaient deux chromosomes non appariés, un réduit à une petite bande et un
chromosome plus grand. Stevens suggéra que la présence du petit
chromosome suffisait à déterminer le sexe. Elle l'appela le chromosome
sexuel 5.
Pour Stevens, cela suggérait une théorie assez simple de la détermination
du sexe. Quand les spermatozoïdes étaient fabriqués dans la gonade mâle,
ils l'étaient en quantités égales sous deux formes, l'une portant le petit
chromosome mâle et l'autre portant le chromosome femelle normal. Quand
un spermatozoïde portant le chromosome mâle fécondait l'ovule, l'embryon
était mâle. Quand un spermatozoïde portant le chromosome femelle
fécondait l'ovule, il en résultait un embryon femelle.
Le travail de Stevens fut corroboré par celui de son collaborateur, le
biologiste cellulaire Edmund Wilson qui simplifia la terminologie de
Stevens, appelant le chromosome mâle Y et le femelle X. En termes
chromosomiques, les cellules mâles étaient XY et les femelles XX. L'ovule
contenait un seul chromosome X, pensait Wilson. Quand un spermatozoïde
portant un chromosome Y féconde un ovule, cela aboutit à une cellule XY
et le caractère mâle est ainsi déterminé. Si un spermatozoïde portant d'un
chromosome X rencontre un ovule, il en résulte une cellule XX qui
détermine le caractère femelle. Le sexe n'était pas fixé par le testicule droit
ou gauche mais par un processus aléatoire similaire, par la nature du bagage
génétique du premier spermatozoïde qui atteint et féconde l'ovule.

Le système XY découvert par Stevens et Wilson avait un corollaire


important : si le chromosome Y portait toute l'information pour déterminer
le caractère mâle, alors il devait aussi contenir les gènes pour faire un
embryon mâle. Initialement, les généticiens s'attendaient à trouver des
dizaines de gènes déterminant le caractère mâle car le sexe, après tout,
implique la coordination précise de multiples éléments anatomiques,
physiologiques et psychologiques, et il était difficile d'imaginer qu'un seul
gène soit capable de réaliser autant de fonctions à lui seul. Pourtant, les
étudiants en génétique savent que le chromosome Y est un endroit peu
hospitalier pour les gènes. Contrairement aux autres chromosomes, il est
non apparié, c'est-à-dire qu'il n'a pas de chromosome sœur et que ses gènes
n'ont donc pas de copie équivalente, chacun se débrouillant seul. Une
mutation sur tout autre chromosome peut être réparée en utilisant la copie
intacte du gène porté par l'autre chromosome, mais ce n'est pas le cas pour
un gène situé sur le chromosome Y. Quand il subit des mutations, il ne peut
récupérer l'information perdue. Il est donc criblé de lésions et de cicatrices
de l'histoire. C'est l'élément le plus vulnérable du génome.
Conséquence de ce mitraillage génétique, le chromosome Y a commencé
à perdre de l'information il y a plusieurs dizaines de millions d'années. Des
gènes vraiment utiles pour la survie ont été transférés sur d'autres
chromosomes pour être gardés en sécurité, ceux qui avaient une utilité
limitée ont été rendus obsolètes, puis retirés ou remplacés, seuls les gènes
les plus essentiels ont été gardés (certains on été dupliqués sur le
chromosome Y mais cela ne résout pas complètement le problème). Avec
cette perte d'information, le chromosome Y s'est rabougri, progressivement
décharné gène après gène dans un sombre cycle de mutations et de perte
génétique. Ce n'est donc pas une coïncidence s'il est l'un des plus petits
chromosomes, car il est victime d'une obsolescence programmée.
En termes génétiques, cela soulevait un paradoxe particulier. Le sexe, l'un
des traits humains les plus complexes, n'était probablement pas déterminé
par de nombreux gènes. Il semblait plutôt qu'un seul gène perché de façon
plutôt précaire sur le chromosome Y soit un régulateur maître du caractère
mâle 6. Les lecteurs masculins de ce dernier paragraphe doivent en prendre
de la graine, c'est passé tout juste.

Au début des années 1980, un jeune scientifique du nom de Peter


Goodfellow, basé à Londres, commença à traquer le gène de la
détermination du sexe sur le chromosome Y. Supporter de foot passionné,
débraillé, maigrichon, tendu, avec un fort accent de l'Est-Anglie et un style
vestimentaire « punk tourné néoromantique 7 », Goodfellow voulait utiliser
les méthodes de cartographie de gènes développée par Botstein et Davis
pour limiter la recherche à une petite région du chromosome Y. Mais
comment un gène « normal » pouvait-il être localisé sans l'existence de
phénotypes variants ou de maladie associée ? Les gènes de la
mucoviscidose et de la maladie de Huntington ont été identifiés sur leur
chromosome en étudiant leur relation avec des marqueurs sur le génome.
Dans les deux cas, les enfants affectés par la maladie avaient aussi reçu ces
marqueurs tandis que les enfants indemnes ne les avaient pas. Mais où
Goodfellow pouvait-il trouver une famille humaine avec une variation du
sexe, un troisième sexe qui serait génétiquement transmis et toucherait
certains enfants mais pas d'autres ?

En fait, de telles personnes existent, bien que leur identification fût une
tâche bien plus compliquée qu'anticipée. En 1955, Gerald Swyer, un
endocrinologue anglais qui travaillait sur l'infertilité féminine, avait
découvert un syndrome rare qui rend les personnes atteintes biologiquement
féminines mais chromosomiquement masculines 8. Les « femmes » nées
avec le « syndrome de Swyer » étaient anatomiquement et
physiologiquement féminines durant leur enfance mais ne parvenaient pas
ensuite à la maturité sexuelle. Quand ils examinèrent leurs cellules, les
généticiens découvrirent que ces « femmes » avaient des chromosomes XY
dans toutes leurs cellules. Chacune de ses cellules était
chromosomiquement masculine et pourtant la personne était
anatomiquement, physiologiquement et psychologiquement féminine. Une
« femme » avec le syndrome de Swyer naissait avec le type chromosomique
masculin (XY) dans toutes ses cellules mais n'arrivait pas en quelque sorte à
transmettre ce signal de masculinité à son corps.
Le scénario le plus probable derrière ce syndrome était que le gène
régulateur maître qui spécifie le caractère masculin avait été inactivé par
une mutation, conduisant au caractère féminin. Au MIT, une équipe
concurrente de chercheurs dirigée par le généticien David Page avait utilisé
de telles femmes pour localiser le gène déterminant le caractère masculin
dans une étroite région du chromosome Y. L'étape suivante, la plus
laborieuse, était de passer au crible les dizaines de gènes de cette région
pour trouver le bon candidat. Goodfellow progressait lentement mais
sûrement lorsqu'il reçut une terrible nouvelle. Durant l'été 1989, il apprit
que Page avait trouvé le gène en question. Il l'avait appelé ZFY en raison de
sa présence sur le chromosome Y 9.
Initialement, le ZFY parut le parfait candidat. Il se trouvait dans la bonne
région du chromosome Y, et sa séquence d'ADN suggérait qu'il pouvait être
un interrupteur majeur pour des dizaines d'autres gènes. Mais lorsque
Goodfellow l'examina attentivement, cela ne cadrait pas : la séquence de ce
gène chez les femmes atteintes du syndrome de Swyer était complètement
normale. Il n'y avait aucune mutation qui puisse expliquer l'interruption du
signal de masculinité chez ces femmes.
Le ZFY étant disqualifié, Goodfellow retourna à sa recherche. Le gène
devait être dans la région identifiée par l'équipe de Page et ils avaient dû le
manquer de peu. En 1989, non loin du gène ZFY, Goodfellow trouva un
autre candidat prometteur, un petit gène sans intron pas encore décrit appelé
SRY 10. Dès le début, il ressembla au parfait candidat. La protéine codée par
SRY était très exprimée dans les testicules, comme on pouvait s'y attendre
pour un gène déterminant le sexe. D'autres animaux, dont les marsupiaux,
portaient aussi des variantes de ce gène sur leur chromosome Y, et seuls les
mâles en héritaient donc. L'indice le plus frappant que SRY était le gène
recherché vint de l'analyse de cohortes humaines. Il était en effet muté chez
les femmes ayant le syndrome de Swyer et non muté chez leurs frères.
Mais Goodfellow avait une dernière expérience à mener pour pouvoir
conclure définitivement, avec la preuve la plus spectaculaire qu'il pouvait
produire. Si le gène SRY était bien l'unique déterminant du caractère mâle,
qu'allait-il se passer s'il forçait son activation chez des animaux femelles ?
Allaient-elles se transformer en mâles ? Goodfellow et Robin Lovell-Badge
injectèrent une copie du gène SRY dans des ovocytes fécondés de souris
femelles, et analysèrent les souris mâles et femelles qui se développèrent.
Certaines souris étaient de sexe chromosomique femelle, c'est-à-dire
possédaient la paire XX de chromosomes sexuels dans toutes leurs cellules,
mais s'étaient développées anatomiquement comme des mâles, y compris
avec la croissance d'un pénis et des testicules, une monte des femelles, et un
comportement typique de souris mâle 11. En enclenchant un seul interrupteur
génétique, Goodfellow avait induit le changement de sexe d'un organisme,
créé un syndrome de Swyer inversé 12.

Tout le sexe reposait-il sur un seul gène ? Presque. Les femmes ayant le
syndrome de Swyer ont des chromosomes mâles dans chaque cellule du
corps, mais avec le gène de détermination du caractère mâle inactivé par
mutation, le chromosome Y est littéralement émasculé. La présence du
chromosome Y dans les cellules de ces femmes affecte bien certains aspects
du développement anatomique féminin. La poitrine ne se forme pas
correctement, et les ovaires ne fonctionnent pas normalement, ce qui se
traduit par de faibles taux d'œstrogènes. Mais ces femmes ne ressentent
aucune déconnexion dans leur physiologie. Leur vulve et leur vagin sont
intacts, et le débouché urinaire s'y raccorde en parfaite conformité avec les
manuels d'anatomie.
D'une manière étonnante, même l'identité sexuelle de ces femmes est
sans ambiguïté. Un seul gène est éteint et elles « deviennent » des femmes.
Bien que les œstrogènes soient sûrement requis pour permettre le
développement des caractères sexuels secondaires et renforcer certains
aspects anatomiques de la féminité chez les adultes, les femmes avec le
syndrome de Swyer n'ont typiquement aucun doute sur leur identité
sexuelle. Comme l'une d'entre elles l'a écrit, « Je m'identifie pleinement
avec le rôle féminin. Je me suis toujours considérée comme à 100 % femme
[…] J'ai joué dans une équipe de football de garçons pendant un moment,
j'ai un frère jumeau qui ne me ressemble en rien, mais j'étais typiquement
une fille dans une équipe de garçons. Je ne m'intégrais pas bien : la preuve,
j'ai suggéré que nous appelions notre équipe “les papillons” 13 ».
Les femmes avec le syndrome de Swyer ne sont pas des « femmes
piégées dans un corps d'homme ». Ce sont des femmes piégées dans un
corps de femme qui est chromosomiquement masculin (sauf pour un gène).
Une mutation dans ce gène unique, SRY, crée un corps (largement) féminin,
et de façon plus cruciale, une identité entièrement féminine. C'est aussi
naturel, aussi simple, aussi binaire que de se pencher vers la table de nuit et
d'allumer ou d'éteindre la lampe de chevet 14.

Le matin du 5 mai 2004, David Reimer, un homme de trente-huit ans


habitant à Winnipeg au Canada pénétra sur le parking d'une épicerie et se
tua avec un fusil à canon scié 15. Né en 1965 sous le nom de Bruce Reimer,
de sexe mâle par ses chromosomes et sa génétique, David avait été victime
d'une tentative bricolée de circoncision par un chirurgien incompétent, ce
qui s'était traduit par un pénis sévèrement abîmé dans sa petite enfance. Une
reconstruction chirurgicale étant impossible, les parents de Bruce s'étaient
empressés d'amener leur enfant chez John Money, un psychiatre de
l'université Johns Hopkins internationalement connu pour son intérêt dans
les comportements sexuels et de genre. Money évalua le cas de l'enfant et
demanda aux parents de Bruce, dans le cadre d'une expérience, de faire
castrer leur fils et de l'élever comme une fille. Dans le désir éperdu de
donner à leur fils une vie « normale », ses parents capitulèrent. Ils
changèrent son nom en Brenda.
L'expérience de Money sur David Reimer, pour laquelle il n'avait jamais
demandé ni reçu de permission de l'université ou de l'hôpital, était une
tentative pour tester une théorie largement en vogue dans le milieu
universitaire des années 1960. L'idée que l'identité de genre n'était pas innée
et se construisait à travers la vie sociale et par mimétisme culturel (« vous
êtes ce que vous faites, l'acquis peut surmonter l'inné ») dominait à l'époque
et Money en était son partisan le plus fervent et le plus en vue. Se
présentant comme le Henry Higgins 16 de la transformation sexuelle, Money
plaidait pour la « réaffectation sexuelle », la réorientation de l'identité
sexuelle par une thérapie hormonale et comportementale, un procédé sur
dix ans de son invention qui permettait à ses sujets expérimentaux
d'émerger avec leur nouvelle identité. Sur les conseils de Money,
« Brenda » fut habillée et traitée comme une fille 17. Ses cheveux étaient
longs. On lui donna des poupées et une machine à coudre. Ses professeurs
et ses amis ne furent jamais mis au courant de la transformation.
Brenda avait un vrai jumeau, un garçon nommé Brian, qui fut éduqué
comme un garçon. L'étude comprenait des visites régulières de Brenda et
Brian à la clinique de Money à Baltimore. Lorsque la préadolescence
approcha, Money prescrivit des compléments d'œstrogènes à Brenda pour la
féminiser. La construction d'un vagin artificiel fut prévue pour compléter sa
transformation anatomique en femme. Money publia régulièrement des
articles très cités qui vantaient l'extraordinaire succès de la réaffectation
sexuelle. Brenda, selon lui, se moulait tranquillement dans sa nouvelle
identité. Son jumeau, Brian, était un garçon « rude et turbulent » alors que
Brenda était une « petite fille active ». Money déclara que Brenda allait
entrer sans problème dans la féminité. « L'identité sexuelle est
suffisamment peu différenciée à la naissance pour permettre un transfert
réussi d'un mâle génétique en fille 18. »
En réalité, rien n'était plus éloigné de la vérité. À l'âge de quatre ans,
Brenda prit des ciseaux et mis en charpie les robes roses et blanches qu'elle
était forcée de porter. Elle faisait des crises de colère quand on lui disait de
marcher ou de parler comme une fille. Maintenue dans une identité qu'elle
trouvait de toute évidence fausse et discordante, elle était anxieuse,
déprimée, confuse, angoissée et souvent franchement énervée. Dans ses
bulletins scolaires, Brenda était décrite comme un « garçon manqué » et
« dominant » avec une « énergie physique abondante ». Elle refusait de
jouer à la poupée ou avec d'autres filles, préférant les jouets de son frère (la
seule fois où elle a joué avec sa machine à coudre fut quand elle piqua un
tournevis dans la boîte à outil de son père et qu'elle démonta
méticuleusement la machine, pièce par pièce). Peut-être que le plus
troublant pour ses jeunes camarades de classe était qu'elle allait bien dans
les toilettes pour filles mais préférait uriner debout, les deux jambes
écartées.
Après ses quatorze ans, Brenda mit fin à cette grotesque comédie. Elle
refusa l'opération vaginale. Elle cessa de prendre des œstrogènes, subit une
double mastectomie pour exciser son tissu mammaire, et commença à
s'injecter de la testostérone pour retrouver sa masculinité. Elle, il, changea
son nom en David. Il épousa une femme en 1990, mais leur relation fut
tourmentée dès le départ. Bruce/Brenda/David, le garçon devenu fille
devenue un homme, continua de survivre entre de terribles phases d'anxiété,
de colère, de déni et de dépression. Il perdit son emploi. Son mariage
échoua. En 2004, peu après une amère altercation avec sa femme, David se
tua.
Le cas de David Reimer n'était pas isolé. Dans les années 1970 et 1980,
plusieurs autres cas de réaffectation sexuelle – la tentative de conversion
d'enfants chromosomiquement masculin en filles par un conditionnement
psychologique et social – furent décrits. Chacun était trouble tout autant que
troublant. Dans certains cas, la dysphorie (le sentiment d'inconfort) n'était
pas aussi aiguë que chez David mais la personne souffrait souvent d'accès
d'anxiété, de colère et de désorientation jusqu'à l'âge adulte.
Dans un cas particulièrement révélateur, une femme que nous appellerons
C vint voir un psychiatre à Rochester dans le Minnesota. Vêtue d'une robe à
fleur et à volants, et d'une veste de cuir grossière, « mon look cuir et
dentelle » comme elle disait 19, C n'avait aucun problème avec certains
aspects de sa double nature mais avait quand même des difficultés avec son
« sens de soi comme fondamentalement féminin ». Née et élevée comme
une fille dans les années 1940, elle se rappelait avoir été un garçon manqué
à l'école. Elle ne s'était jamais prise physiquement pour un garçon mais
avait toujours senti quelque chose de commun avec les hommes (« Je sens
que j'ai le cerveau d'un homme 20 »). Elle se maria à un homme dans la
vingtaine et vécut avec lui jusqu'à ce qu'un ménage à trois avec une autre
femme suscite en elle des fantasmes sur les femmes. Son mari épousa
l'autre femme et C le quitta puis commença à avoir une série de relations
avec des femmes. Elle oscillait entre des périodes sereines et de dépression.
Elle fréquenta une église et découvrit une communauté spirituelle
accueillante, mis à part un pasteur qui pestait contre son homosexualité et
lui recommandait une thérapie pour la « convertir ».
À l'âge de quarante-huit ans, poussée par la crainte et un sentiment de
culpabilité, elle finit par chercher une assistance psychiatrique. Au cours de
son examen médical, on analysa la formule chromosomique de ses cellules
et elle s'avéra avoir les chromosomes XY. C était, génétiquement, un
homme. Elle découvrit par la suite qu'elle était née avec des organes
génitaux ambigus et sous-développés. Sa mère avait consenti à une
chirurgie reconstructive pour la transformer en femme. La réaffectation
sexuelle avait commencé quand elle avait six mois, et elle avait reçu des
hormones à la puberté sous prétexte de traiter un « déséquilibre hormonal ».
Durant toute son enfance et son adolescence, C n'avait jamais eu le moindre
doute sur son sexe.
Le cas de C illustre l'importance de réfléchir attentivement sur le lien
entre genre et génétique. Contrairement à David Reimer, C n'était pas
troublée par la représentation de son genre : elle portait des vêtements
féminins en public, avait fait un mariage hétérosexuel (pendant quelque
temps au moins) et agit dans les normes culturelles et sociales pour passer
pour une femme pendant quarante-huit ans. Pourtant, malgré son sentiment
de culpabilité à propos de sa sexualité, des aspects fondamentaux de son
identité, les affinités, fantasmes, désirs et motivation érotique, restaient
ancrés en territoire masculin. Elle avait pu apprendre beaucoup de choses
essentielles de son genre d'adoption par son activité sociale et par
mimétisme, mais elle ne pouvait se défaire des poussées psychosexuelles de
son soi génétique.
En 2005, une équipe de chercheurs de l'université Columbia a validé ces
cas dans une étude longitudinale de « mâles génétiques », c'est-à-dire
d'enfants nés avec les chromosomes XY, qui avaient été désignés de sexe
femelle à la naissance, le plus souvent en raison du développement
anatomique inadéquat de leurs organes génitaux 21. Certains de ces cas
n'étaient pas aussi angoissants que ceux de David Reimer ou C, mais un
grand nombre de garçons assignés à des rôles de fille ont rapporté vivre une
dysphorie de genre modérée à sévère au cours de l'enfance. Beaucoup
avaient aussi souffert d'anxiété, de dépression et de confusion. Beaucoup
avaient en outre repris leur genre mâle à l'adolescence ou à l'âge adulte.
Chose remarquable, quand des « mâles génétiques » nés avec des organes
génitaux ambigus étaient élevés comme des garçons, et pas comme des
filles, pas un seul cas de dysphorie de genre ou de changement de genres à
l'âge adulte ne fut rapporté.
Ces signalements de cas ont condamné l'idée, qui prévaut encore de
manière inébranlable dans certains cercles, que l'identité du genre peut être
entièrement créée ou programmée par la formation, la suggestion, le
renforcement du comportement, l'activité sociale et les interventions
culturelles. Il est maintenant clair que les gènes ont une influence bien plus
forte que tout autre chose dans la formation de l'identité sexuelle et du
genre, bien que, dans un nombre limité de circonstances, quelques éléments
propres au genre puissent être appris par une reprogrammation culturelle,
sociale et hormonale. Même les hormones sont finalement « génétiques »,
c'est-à-dire les produits directs ou indirects de gènes. Si on écarte le
traitement hormonal, alors la capacité à reprogrammer le genre en utilisant
un renforcement culturel et des thérapies purement comportementales
commence à relever du domaine de l'impossible. Il y a même un consensus
croissant en médecine pour dire que, mis à part de très rares exceptions, les
enfants doivent être assignés à leur sexe chromosomique (c'est-à-dire
génétique) quelles que soient les différences anatomiques, avec l'option d'en
changer plus tard dans la vie si désiré. Au moment où sont écrites ces
lignes, aucun de ces enfants n'a choisi de changer du sexe défini par ses
gènes.

Comment pouvons-nous réconcilier cette idée – celle d'un simple


changement génétique qui domine l'une des plus profondes dichotomies de
l'identité humaine – avec le fait que l'identité de genre dans la vraie vie
apparaisse sous la forme d'un spectre continu ? Pratiquement toutes les
cultures ont reconnu que le genre n'existe pas sous deux formes tranchées
comme le noir et le blanc, mais sous un millier de nuances de gris. Même
Otto Weininger, le philosophe autrichien connu pour sa misogynie, le
concédait : « Peut-on vraiment dire que les hommes et les femmes sont
nettement distincts les uns des autres […] ? Il y a des formes de transition
entre les métaux et les éléments non métalliques, entre des combinaisons
chimiques et de simples mélanges, entre les animaux et les plantes, entre les
phanérogames et les cryptogames, et entre les mammifères et les oiseaux
[…] Il faut donc considérer comme acquis qu'il est improbable de trouver
dans la nature un clivage net entre tous ce qui est masculin d'un côté et
féminin de l'autre 22 ».
En termes génétiques, il n'y a pas de contradiction. Les interrupteurs
maîtres et les organisations hiérarchiques de gènes sont parfaitement
compatibles avec des courbes continues de comportement, d'identité et de
physiologie. Le gène SRY contrôle indubitablement la détermination du
sexe sur un mode allumé/éteint. Allumez SRY et un animal deviendra
anatomiquement et physiologiquement mâle. Éteignez-le, et l'animal
deviendra femelle.
Mais pour objectiver des aspects plus profonds de la détermination et de
l'identité du genre, SRY doit agir sur des dizaines de cibles, les allumer ou
les éteindre, comme une course de relais où un bâton est transmis d'une
main à l'autre. Ces gènes, à leur tour, intègrent des influences du soi et de
l'environnement – des hormones, des comportements, des expositions à
certains facteurs, des activités sociales, des rôles culturels, ou la mémoire –
pour engendrer le genre. Ce que nous appelons le genre correspond donc à
une cascade développementale et génétique élaborée comprenant à son
sommet SRY puis des modificateurs, des intégrateurs, des instigateurs et des
interprètes. Cette cascade géno-developpementale détermine l'identité du
genre. Pour reprendre une analogie antérieure, chaque gène est une ligne
dans une recette qui spécifie le genre. Le gène SRY est la première ligne de
la recette : « Commencez avec quatre cuillères de farine. » Si vous loupez le
début avec la farine, vous ne ferez pas cuire quelque chose qui ressemble à
un gâteau. Mais des variations infinies partent de cette première ligne, de la
baguette croustillante d'une boulangerie en France au gâteau de lune vendu
à Chinatown à New York.

L'existence d'une identité transgenre apporte une solide preuve de cette


cascade géno-développementale. Du point de vue anatomique et
physiologique, l'identité sexuelle est vraiment binaire : un seul gène
gouverne l'identité sexuelle, avec pour résultat un dimorphisme anatomique
et physiologique frappant entre hommes et femmes. Mais le genre et
l'identité du genre sont bien loin d'être binaires. Imaginez un gène,
appelons-le TGY, qui détermine comment le cerveau répond à SRY. Un
enfant peut hériter d'une forme variante de ce gène qui soit très résistante à
l'action de SRY sur le cerveau, ce qui se traduira par un corps
anatomiquement masculin mais un cerveau qui ne lit pas ou n'interprète pas
le signal interne masculin. Un tel cerveau peut se reconnaître comme
psychologiquement féminin, se considérer comme ni masculin ni féminin,
ou s'imaginer appartenir à un troisième genre à part entière.
Ces hommes (ou ces femmes) auront quelque chose qui ressemble à un
syndrome de Swyer de l'identité. Leur genre chromosomique et anatomique
sera masculin (ou féminin) mais leur état chromosomique et anatomique ne
produira pas le signal correspondant dans leur cerveau. Chez le rat,
notamment, un tel syndrome peut être causé en changeant un seul gène dans
le cerveau des embryons femelles ou en exposant les embryons à un produit
qui bloque le signal de féminisation du cerveau. Les souris femelles
conçues avec ce gène altéré ou traitées avec ce produit ont tous les traits des
femelles mais agissent comme des souris mâles, y compris la monte des
femelles. Ces animaux sont anatomiquement des femelles mais se
comportent comme des mâles 23.

L'organisation hiérarchique de cette cascade génétique illustre un


principe fondamental quant au lien entre gènes et environnement en
général. L'éternel débat fait rage : l'inné ou l'acquis, les gènes ou
l'environnement ? Il dure depuis si longtemps, et avec une telle animosité,
que les deux parties ont capitulé. L'identité, nous dit-on aujourd'hui, est
déterminée à la fois par l'inné et l'acquis, les gènes et l'environnement, les
facteurs intrinsèques et extrinsèques. Mais ceci aussi est absurde, un
véritable armistice entre deux idiots. Si les gènes qui gouvernent l'identité
du genre sont hiérarchiquement organisés, avec SRY au sommet et dessous
une information qui se ramifie en mille petits ruisseaux, alors le fait que
l'inné ou l'acquis prédomine n'est pas absolu mais dépendra du niveau
d'organisation auquel on se place.
Au sommet de la cascade, la nature agit avec force et dans un seul sens.
Là-haut, le genre est très simple, juste un gène maître qui s'allume ou
s'éteint. Si on apprenait à activer ce contrôle, par un moyen génétique ou
avec un produit chimique, alors on pourrait déterminer la production
d'hommes et de femmes, et ils apparaîtraient avec une identité masculine ou
féminine largement intacte (et même une bonne part de leur anatomie).
Au bas du réseau, au contraire, une vue purement génétique ne peut
s'appliquer. Elle ne permet pas d'avoir une compréhension approfondie du
genre ou de l'identité de genre. Ici, dans les estuaires où se croisent les
chenaux d'informations, l'histoire, la société et la culture entrent en collision
avec la génétique, comme des marées. Certaines vagues s'annulent alors que
d'autres se renforcent. Aucune force ne domine particulièrement, mais leur
effet combiné produit ce paysage unique et ridé que nous appelons l'identité
d'une personne.
Le dernier kilomètre

« Comme des chiens qui dorment, des jumeaux inconnus doivent


plutôt être laissés seuls. »
1
William Wright, Born That Way

Un enfant sur deux mille naît avec des organes génitaux ambigus. La
question de savoir si l'identité anatomique et physiologique de ces
personnes est innée ou acquise n'est pas du genre à susciter des débats
passionnés à l'échelle du pays sur l'hérédité, la préférence, la perversité ou
le choix. En revanche, la question de savoir si notre identité sexuelle, c'est-
à-dire le choix et la préférence du partenaire sexuel, est innée ou acquise
échauffe rapidement les esprits. Pendant un moment durant les années 1950
et 1960, il a semblé que cette discussion était bien partie. La théorie qui
dominait chez les psychiatres était que la préférence sexuelle – l'attirance
pour des personnes du même sexe ou de sexe opposé – était acquise et non
innée. L'homosexualité correspondait à une forme frustrée d'anxiété
névrotique. « Le consensus existe parmi de nombreux psychanalystes
actuels que les homosexuels, comme tous les pervers, sont névrosés »
écrivait le psychiatre Sándor Lorand en 1956 2. « L'homosexualité est le
véritable ennemi, notait un autre psychiatre à la fin des années 1980, ce
n'est pas tant sa perversion que son ignorance de la possibilité d'être aidé, en
plus de son masochisme psychique, qui le conduisent à fuir un
traitement 3. »
En 1962, Irving Bieber, un psychiatre de renom à New York connu pour
ses tentatives de convertir les homosexuels en hétérosexuels, écrivit un
ouvrage qui eut une très grande influence intitulé Homosexuality : A
Psychoanalytic Study of Male Homosexuels. Bieber y proposait que
l'homosexualité masculine soit due à une dynamique familiale déformée,
sous l'effet d'une combinaison fatale d'une mère étouffante qui était souvent
« en contact étroit et intime [sexuellement] », quand elle n'était pas
ouvertement dans la séduction de son fils, et par un père détaché, distant ou
« émotionnellement hostile 4 ». Les garçons répondaient à ces forces en
présentant des comportements névrotiques, auto-destructeurs et mutilants
(« un homosexuel est une personne dont la fonction hétérosexuelle est
mutilée, comme le sont les jambes d'une victime de la polio 5 » a résumé
Bieber en 1973 dans une phrase devenue célèbre).
Finalement, chez ces garçons, un désir subconscient de s'identifier à la
mère et d'émasculer le père se manifeste sous la forme du choix d'avoir un
style de vie hors norme. La « victime de la polio » sexuelle adopte une
manière d'être pathologique, avançait Bieber, comme les victimes de la
polio contractent une manière pathologique de marcher. À la fin des années
1980, l'idée que l'homosexualité représentait un choix de style de vie
déviant s'était figée en un dogme, ce qui amena Dan Quayle, alors vice-
président des États-Unis à déclarer en 1992 que « l'homosexualité est plus
un choix qu'une situation biologique […] C'est un mauvais choix 6 ».
En juillet 1993, la découverte d'un supposé « gène gay » suscita l'une des
plus vigoureuses discussions publique sur les gènes, l'identité et le choix
dans l'histoire de la génétique 7. Illustrant de nouveau le pouvoir du gène à
influencer l'opinion publique, cette découverte inversa presque entièrement
les termes de la discussion. Dans le magazine People, le chroniqueur Carol
Sarler écrivit en octobre « Que disons-nous d'une femme qui choisira
d'avorter plutôt que d'élever un gentil garçon attentionné qui peut –
seulement peut voyez-vous – devenir un adulte qui aimera un autre gentil
garçon attentionné ? Nous disons que c'est une femme tordue, un monstre
dysfonctionnel qui, si on l'oblige à avoir l'enfant, fera de sa vie un enfer.
Nous disons qu'aucun enfant ne devrait être forcé de l'avoir comme
parent 8. »
L'expression « gentil garçon attentionné » – choisie pour illustrer la
propension innée d'un enfant plutôt qu'une préférence pervertie d'un adulte
– était un exemple de l'inversion du débat. Une fois les gènes impliqués
dans le développement de la préférence sexuelle, l'enfant gay était
instantanément devenu normal. Ses ennemis pleins de haine étaient devenus
les monstres anormaux.
Ce fut l'ennui, plus que l'activisme, qui motiva la recherche d'un gène
gay. Dean Hamer, un chercheur de l'Institut national du cancer américain,
ne cherchait pas la controverse. Il ne cherchait même pas pour lui-même.
Bien qu'ouvertement gay, Hamer n'avait jamais été particulièrement
intéressé par la génétique d'une forme quelconque d'identité, sexuelle ou
autre. Il avait passé la majeure partie de sa vie confortablement installé dans
« un laboratoire tranquille du gouvernement américain […] rempli du sol au
plafond d'éprouvettes et de béchers » à étudier la régulation d'un gène lié à
la production de métallothionine, une protéine qui aide les cellules à résister
à des métaux lourds toxiques comme le zinc.
Au cours de l'été 1991, Hamer prit l'avion pour aller donner un séminaire
à Oxford sur la régulation génétique. C'était sa présentation habituelle, bien
accueillie, mais lorsqu'il donna la parole à la fin à l'audience, il eut une
impression affligeante de déjà-vu avec des questions qui semblaient
exactement les mêmes que celles posées dix ans plus tôt. Lorsque l'orateur
suivant, d'un labo concurrent, présenta des résultats qui confirmaient et
étendaient le travail de Hamer, ce dernier éprouva un sentiment encore plus
fort d'ennui et de déprime. « J'ai réalisé que même si je poursuivais mon
travail pendant encore dix ans, le mieux que je pouvais en espérer était la
construction d'une réplique en trois dimensions de notre petit modèle
génétique. Cela ne ressemblait pas beaucoup à l'objectif d'une vie. »
Durant la pause entre les séances, Hamer sortit marcher, encore sous le
coup, l'esprit agité. Il s'arrêta à la librairie Blackwell, sur High Street, et fit
un tour dans les salles concentriques, survolant les livres de biologie. Il
acheta deux ouvrages. Le premier était Descent of Man, and Selection in
Relation to Sex 9 de Darwin. Publié en 1871, ce livre avait déclenché une
tempête de débats en affirmant que l'homme descendait d'un ancêtre
apparenté aux singes (dans son précédent livre L'Origine des espèces,
Darwin avait piteusement évité la question de l'origine de l'homme, mais
dans La Filiation de l'homme il avait abordé la question de front).
Ce livre est aux biologistes ce que Guerre et Paix est aux étudiants en
littérature, presque tous disent l'avoir lu ou en connaître les thèses
essentielles mais peu l'ont en fait ouvert. Hamer ne l'avait jamais lu non
plus. Il y découvrit avec surprise que Darwin avait passé une bonne partie
du livre à discuter de sexualité, du choix des partenaires sexuels et de son
influence sur les comportements de domination et sur l'organisation sociale.
Darwin avait clairement pressenti que l'hérédité exerçait un puissant effet
sur le comportement sexuel. Pourtant, les déterminants génétiques du
comportement sexuel – « la cause finale de la sexualité » comme le
décrivait Darwin – étaient restés un mystère pour lui.
Mais l'idée que le comportement sexuel, ou tout comportement, fût lié
aux gènes était sortie de mode. Le second livre acheté par Hamer, Not in
Our Genes : Biology, Ideology, and Human Nature* *, de Richard Lewontin
proposait un autre point de vue. Publié en 1984 10, c'était une attaque contre
l'idée qu'une grande part de la nature humaine soit biologiquement
déterminée. Des aspects du comportement humain considérés comme
génétiquement déterminés n'étaient, selon lui, rien de plus que des
constructions arbitraires, souvent manipulatrices, de la culture et de la
société pour renforcer les structures du pouvoir. « Il n'y a aucune preuve
acceptable que l'homosexualité possède une quelconque base génétique […]
L'histoire a été fabriquée de toutes pièces » écrivait Lewontin 11. Il avançait
que Darwin avait raison sur l'évolution des organismes mais pas sur celle de
l'identité humaine.
Laquelle des deux théories était la bonne ? Pour Hamer, au moins,
l'orientation sexuelle paraissait bien trop fondamentale pour être
entièrement le fait de forces culturelles. « Pourquoi Lewontin, un généticien
extraordinaire, était-il aussi déterminé à ne pas croire que ce comportement
pouvait être hérité ? » se demandait Hamer. « Il n'avait pu réfuter la
génétique du comportement en laboratoire et s'était donc rabattu sur un
texte polémique pour lui régler son compte ? Peut-être qu'il y avait de quoi
faire vraiment de la science dans ce domaine. » Hamer avait envie de se
faire un cours accéléré de génétique du comportement sexuel. Il retourna à
son laboratoire et commença à se documenter, mais il y avait peu
d'enseignements à tirer du passé. Lorsqu'il chercha dans tous les articles
scientifiques publiés depuis 1966 ceux consacrés aux « gènes » et à
« l'homosexualité », il en trouva 14. Pour le gène de la métallothionine, au
contraire, il en obtint 654.
Mais Hamer dénicha quelques indices très intéressants, même s'ils étaient
à moitié enfouis dans la littérature scientifique. Dans les années 1980, un
professeur de psychologie appelé J. Michael Bailey avait tenté d'étudier la
génétique de l'orientation sexuelle en utilisant des jumeaux 12. Il avait utilisé
la méthode classique. Si l'orientation sexuelle était en partie héréditaire,
alors une plus forte proportion de vrais jumeaux devaient être gay comparés
à de faux jumeaux. En mettant des annonces dans des magazines et
journaux gays, Bailey avait pu recruter 110 paires de jumeaux où au moins
l'un d'entre eux était gay (si cela paraît difficile à faire aujourd'hui, imaginez
ce que cela devait être en 1978, quand peu d'hommes se déclaraient
homosexuels et que l'homosexualité était punie comme un crime dans
certains États).
Lorsque Bailey se pencha sur la concordance de l'homosexualité entre
jumeaux, il trouva un résultat frappant. Parmi les 56 paires de vrais
jumeaux, ils étaient tous les deux gays dans 52 % des cas 13. Sur les 54
paires de faux jumeaux, 22 % étaient tous les deux gays, soit une proportion
plus faible que les vrais jumeaux mais encore supérieure aux 10 % de gays
estimés dans la population générale (des années plus tard, Bailey entendra
parler d'autres cas aussi frappants : en 1971, deux jumeaux canadiens furent
séparés quelques semaines après leur naissance, l'un fut adopté par une
riche famille américaine, l'autre fut élevé au Canada par sa mère biologique
dans des circonstances très différentes. Les deux frères, qui paraissaient
virtuellement identiques, ignoraient tout de l'autre jusqu'à ce qu'ils se
trouvent face à face, fortuitement, dans un bar gay au Canada 14 ).
L'homosexualité mâle, découvrit Bailey, n'était pas seulement dans les
gènes. Des influences extérieures telles que la famille, les amis, l'école, les
croyances religieuses et la structure sociale modifiaient clairement le
comportement sexuel, au point qu'un jumeau se disait homosexuel et l'autre
hétérosexuel dans 48 % des cas. Peut-être que des facteurs internes ou
externes étaient requis pour faire apparaître des types distincts de
comportement sexuel. Il est clair que les croyances culturelles répressives et
répandues qui entouraient l'homosexualité avaient assez de force pour
influencer le choix d'une identité hétérosexuelle chez l'un des jumeaux mais
pas l'autre. Pourtant, les études avec jumeaux en apportaient la preuve
incontestable : les gènes influençaient plus fortement l'homosexualité que,
disons, la susceptibilité au diabète de type 1 (la concordance entre jumeaux
est de 30 % seulement pour cette maladie) et presque aussi fortement que la
taille (concordance de 55 %).
Bailey avait profondément changé le discours sur l'identité sexuelle, le
faisant passer de la rhétorique des années 1960 de « choix » et de
« préférence personnelle » vers la biologie, la génétique et l'hérédité. Si l'on
ne pensait pas les différences de taille, le développement de la dyslexie ou
le diabète de type 1 en termes de choix, alors on ne pouvait non plus le faire
pour l'identité sexuelle.
Mais était-ce sous l'action d'un gène ou de plusieurs ? Et quel était ce
gène ? Où se trouvait-il ? Hamer avait besoin d'une étude bien plus large,
impliquant si possible des familles où l'orientation sexuelle pouvait être
suivie sur plusieurs générations. Pour la financer, Hamer allait devoir
disposer d'une nouvelle source d'argent, mais où sur Terre un chercheur
fédéral étudiant la régulation de la métallothionine allait-il trouver l'argent
pour traquer un gène influençant la sexualité humaine ?

Au début de l'année 1991, deux développements permirent à Hamer de


débloquer des fonds. Le premier était l'annonce du « Projet Génome
Humain ». Même si la séquence précise du génome humain n'allait être
connue que dix ans plus tard, la localisation de marqueurs génétiques
décisifs le long du génome facilitait beaucoup la recherche de n'importe
quel gène. L'idée de Hamer – cartographier les gènes liés à l'homosexualité
– aurait été impossible à mettre en œuvre dans les années 1980. Une
décennie plus tard, des marqueurs génétiques ayant été repérés le long de la
plupart des chromosomes, cela paraissait beaucoup plus accessible.
L'autre développement fut le Sida. La maladie avait décimé la
communauté gay à la fin des années 1980. Aiguillonné par les activistes et
les patients, par le biais notamment de la désobéissance civile ou des
manifestations militantes, le NIH avait fini par débloquer des centaines de
millions de dollars pour la recherche autour de la maladie. Le génie tactique
de Hamer fut de faire passer la traque du gène gay pour une étude en
rapport avec le Sida. Il savait que le sarcome de Kaposi, une tumeur
auparavant rare et peu agressive, avait été retrouvé à une fréquence élevée
parmi les homosexuels atteints de Sida. Peut-être, pensa Hamer, les facteurs
de risque de progression du sarcome de Kaposi étaient-ils liés à
l'homosexualité et dans ce cas la découverte de gènes pour l'un pouvaient-
elle permettre celle des gènes pour l'autre. Cette théorie était
spectaculairement fausse : le sarcome de Kaposi fut attribué par la suite à
l'action d'un virus, transmis sexuellement, et surtout présent chez les
personnes immunodéprimées, ce qui expliquait son association avec le Sida.
Mais c'était tactiquement intelligent et en 1991, le NIH accorda à Hamer un
financement de 75 000 dollars pour son nouveau protocole de recherche,
une étude visant à trouver les gènes liés à l'homosexualité.
Le protocole #92-C-0078 fut lancé à l'automne 1991 15. En 1992, Hamer
avait recruté 114 homosexuels pour son étude. Il projetait d'utiliser cette
cohorte pour créer des arbres généalogiques détaillés, déterminer si
l'orientation sexuelle se retrouvait dans les familles et décrire comment elle
s'y transmettait. À partir de là, il pourrait tenter de localiser le gène. Mais
cette localisation pouvait s'avérer beaucoup plus facile, Hamer le savait, s'il
pouvait trouver des paires de frères où les deux étaient gays. Les jumeaux
partagent les mêmes gènes mais les frères non jumeaux n'ont en commun
que certaines parties de leur génome, la moitié au total. Si Hamer pouvait
dénicher des frères gays, il serait en mesure de trouver les fragments
communs de leur génome puis d'identifier le gène gay. En plus des arbres
généalogiques, Hamer avait ainsi besoin d'échantillons du génome de tels
frères. Son budget lui permettait de réunir ces fratries à Washington et de
leur donner 45 dollars pour le week-end. Les frères, souvent séparés,
avaient une occasion de se revoir. Hamer pouvait obtenir un tube de leur
sang.
À la fin de l'été 1992, Hamer avait recueilli des informations sur près
d'un millier de personnes et construit un arbre généalogique pour les 114
hommes gays. En juin, il s'assit à son bureau pour voir sur son ordinateur
les premiers résultats de son étude. Et presque immédiatement, il ressentit le
soulagement gratifiant de la validation. Comme dans l'étude de Bailey, les
frères de l'étude de Hamer présentaient une concordance plus élevée que la
moyenne de leur orientation sexuelle, environ 20 %, soit deux fois le taux
de 10 % observé dans la population générale. L'étude avait produit de vraies
données, mais cet instant gratifiant ne dura pas. Lorsque Hamer examina en
détail ses relevés, il ne trouva rien d'autre de remarquable. Rien, au-delà de
cette concordance entre frères, n'indiquait une tendance particulière.
Hamer fut catastrophé. Il tenta de regrouper ses données par groupes ou
sous-groupes, mais rien n'y fit. Il était sur le point de se débarrasser des
arbres généalogiques dessinés sur de grandes feuilles de papier quand il
buta sur un profil, tombant sur une observation si subtile que seul un œil
humain pouvait la faire. Par un choix arbitraire, en dessinant les arbres, il
avait placé les ascendants maternels sur la droite et les paternels sur la
gauche pour chaque famille. Les homosexuels étaient marqués en rouge. Et
en rassemblant les feuilles, son œil avait été accroché par une particularité :
les marques rouges avaient tendance à se regrouper vers la droite, alors que
les hommes non marqués étaient plutôt sur la gauche. Les hommes gays
avaient ainsi tendance à avoir des oncles gays, mais uniquement du côté
maternel. Plus Hamer explorait les arbres généalogiques des parents
d'homosexuels, plus cette tendance ressortait. Les cousins maternels avaient
un taux plus élevé de concordance, mais pas les cousins paternels. Les
cousins maternels à travers les tantes tendaient à avoir une concordance
plus forte que tous les autres cousins.
Ce profil se retrouvait de génération en génération. Pour un généticien
chevronné, cette tendance signifiait que le gène gay devait se trouver sur le
chromosome X. Hamer pouvait presque le visualiser maintenant dans son
esprit. Un élément héritable transmis entre les générations comme une
présence vague, un facteur loin d'être aussi pénétrant que les mutations
causant la mucoviscidose ou la maladie de Huntington, mais suivant
inévitablement la trace du chromosome X.
Dans une généalogie typique, un grand-oncle pouvait être identifié
comme un gay potentiel (les histoires de famille étaient souvent floues. Les
situations du passé étaient beaucoup moins nettes que les orientations
sexuelles contemporaines, mais Hamer avait collecté suffisamment de
données de familles où l'identité sexuelle était connue sur deux voire trois
générations). Tous les fils nés des frères de ce grand-oncle gay étaient alors
hétérosexuels ; or les hommes ne transmettent pas le chromosome sexuel X
à leurs fils (les fils le reçoivent toujours de leur mère). En revanche, l'un des
fils de sa sœur pouvait être gay, et le fils d'une sœur de ce fils pouvait aussi
être gay ; or les hommes partagent des parties de leur chromosome X avec
leurs sœurs et avec les fils de leurs sœurs. Et ainsi de suite : les grands-
oncles, oncles, neveux, enfants du neveu, apparaissaient à travers les
générations en avant et sur le côté, à la manière du cavalier au jeu d'échecs.
Hamer était soudain passé d'un phénotype (la préférence sexuelle) à une
localisation potentielle sur un chromosome. Il n'avait pas identifié le gène
gay, mais il avait démontré qu'un morceau d'ADN associé à l'orientation
sexuelle pouvait être physiquement localisé sur le génome humain.
Mais où sur le chromosome X ? Hamer se tourna alors vers quarante
paires de frères gays dont il avait recueilli le sang. Supposez un instant que
le gène gay se trouve bien sur un petit segment du chromosome X. Quelle
que soit sa localisation, les quarante frères gays devaient avoir tendance à
partager plus souvent ce morceau particulier d'ADN que les paires de frères
ou l'un des deux est hétérosexuel. En utilisant les marqueurs définis par le
projet le long du génome et une soigneuse analyse mathématique, Hamer
commença à restreindre méthodiquement le segment suspect sur le
chromosome X. Il utilisa une série de 22 marqueurs sur toute la longueur du
chromosome. À partir des 40 fratries, Hamer trouva que dans 33 d'entre
elles, les frères partageaient un marqueur associé à un petit segment sur le
chromosome X appelé Xq28. Si le seul hasard gouvernait l'héritage de ce
marqueur par les deux membres de la fratrie, alors on attendrait en moyenne
que seule la moitié des fratries le partagent, soit 20 fratries. La probabilité
que 13 fratries de plus portent le même marqueur par hasard était
extrêmement faible, moins de 1 sur 10 000. Quelque part près de Xq28, un
gène devait donc déterminer l'identité sexuelle masculine.

Le Xq28 fit immédiatement sensation. « Le téléphone ne cessait pas de


sonner » se rappelait Hamer. « Il y avait des cameramen de la télévision
faisant la queue à l'extérieur du laboratoire, nous étions débordés de
courriers et de mails 16. » Le Daily Telegraph, le journal conservateur de
Londres, écrivit que si la science avait isolé le gène gay alors « la science
pouvait servir à l'éradiquer 17 ». « Beaucoup de mères vont se sentir
coupables » nota un autre journal. « Tyrannie génétique ! » clama un autre
gros titre. Les spécialistes d'éthique se demandèrent si des parents allaient
« génotyper » leur fœtus. La recherche de Hamer « identifie une région
chromosomique qui pourrait être examinée chez les individus mâles 18,
releva un chroniqueur, mais le résultat de tout test basé sur cette recherche
ne fournirait encore que des probabilités pour estimer l'orientation sexuelle
de certains hommes ». Hamer fut attaqué à droite et à gauche,
littéralement 19. Les conservateurs antigay avancèrent qu'en réduisant
l'homosexualité à la génétique, Hamer l'avait biologiquement justifiée. Les
avocats des droits des homosexuels accusèrent Hamer d'alimenter le
fantasme d'un « test gay » et de favoriser par là un nouveau moyen de
détection et de discrimination.
L'approche personnelle de Hamer fut neutre, rigoureuse et scientifique,
d'une manière souvent destructrice aussi. Il continua à affiner son analyse,
faisant passer à l'association de Xq28 différents tests. Il se demanda si Xq28
ne portait pas un gène non de l'homosexualité mais du « comportement
efféminé » (seul un homosexuel pouvait oser utiliser une telle expression
dans un article scientifique). Ce n'était pas le cas, les hommes partageant
Xq28 ne présentaient aucune altération de leur comportement ou des
marques conventionnelles de masculinité. Ce gène pouvait-il être celui de
rapports sexuels anaux ? Là encore, il n'y avait pas de corrélation. Un gène
pour le caractère rebelle ? Ou pour se cabrer face aux coutumes sociales
répressives ? Un gène pour un comportement d'opposition ? Les hypothèses
se succédaient sans qu'aucun lien n'apparaisse. L'élimination de toutes les
possibilités ne laissait qu'une conclusion : l'identité sexuelle masculine était
partiellement déterminée par un gène situé près de Xq28.

Depuis la parution en 1993 de l'article de Hamer dans la revue Science,


plusieurs groupes ont essayé de valider ses résultats 20. En 1995, l'équipe de
Hamer publia une étude encore plus vaste qui confirmait sa découverte
initiale. En 1999, un groupe canadien tenta de répliquer l'étude de Hamer
sur un petit groupe de frères homosexuels mais ne put retrouver de lien avec
Xq28. En 2005, dans ce qui est peut-être la plus grande étude à ce jour, 456
paires de frères furent étudiées 21. Un lien avec Xq28 ne fut pas découvert
mais des liens apparurent avec les chromosomes 7, 8 et 10. En 2015, dans
une autre étude détaillée de 409 nouvelles paires, le lien avec Xq28 fut
validé, quoique faiblement, et l'autre lien avec le chromosome huit
retrouvé 22.
Peut-être le fait le plus intriguant de toutes ces études est qu'aucune,
jusqu'à présent, n'a réussi à isoler un gène qui influencerait l'identité
sexuelle. Les analyses de liaison ne permettent pas d'identifier directement
un gène mais seulement une région chromosomique où il peut se trouver.
Après presque dix ans de recherches intensives, ce que les généticiens ont
trouvé n'est pas le « gène gay » mais quelques « sites gay ». Certains gènes
se trouvant dans ces régions sont des candidats séduisants pour être des
régulateurs du comportement sexuel, mais aucun de ces candidats n'a été lié
expérimentalement à l'homo- ou à l'hétérosexualité. Un gène qui se situe
dans la région Xq28, par exemple, code une protéine connue pour réguler le
récepteur de la testostérone, l'hormone mâle bien connue intervenant dans le
comportement masculin 23. Mais on ignore encore s'il s'agit bien du gène
gay tant recherché sur Xq28.
Le « gène gay » pourrait même ne pas être un gène, du moins dans le
sens traditionnel. Cela pourrait être un segment d'ADN qui régule un gène
situé à proximité ou qui influence un autre gène très éloigné. Peut-être est-il
dans un intron, une séquence d'ADN qui sépare deux modules d'un gène.
Quelle que soit l'identité moléculaire de ce déterminant, ce qui est certain,
c'est que tôt ou tard on découvrira la nature précise des éléments héritables
qui influencent l'identité sexuelle humaine.
Que Hamer ait raison ou pas au sujet de Xq28 n'a pas d'importance. Les
études de jumeaux ont clairement suggéré que plusieurs facteurs influençant
l'identité sexuelle font partie du génome humain et avec la découverte de
méthodes de plus en plus puissantes de cartographie, d'identification et de
classement des gènes, on finira bien par les découvrir. Comme pour le sexe,
ces facteurs seront probablement organisés hiérarchiquement, avec des
régulateurs maîtres au sommet et des intégrateurs et des modificateurs
complexes en aval. Contrairement au sexe néanmoins, l'identité sexuelle a
peu de chance d'être déterminée par un seul régulateur maître. De multiples
gènes aux petits effets, en particulier des gènes qui modulent et intègrent
des facteurs de l'environnement, ont beaucoup plus de chance d'intervenir
dans la détermination de l'identité sexuelle. Il n'y aura pas de gène SRY pour
l'hétérosexualité.

La publication de l'article de Hamer sur le gène gay coïncida avec la


réémergence en force de l'idée que les gènes pourraient influer divers
comportements, pulsions, personnalités, désirs et tempéraments, une idée
qui n'avait plus été sur le devant de la scène depuis près de vingt ans. En
1971, dans un livre intitulé Genes, Dreams and Realities 24 25, Frank
Macfarlane Burnet, le fameux biologiste anglo-australien, avait écrit : « Il
est évident que les gènes avec lesquels nous sommes nés nous apportent,
avec tout ce qui concerne notre moi fonctionnel, la base de notre
intelligence, de notre tempérament et de notre personnalité. » Mais au
milieu des années 1970, la conception de Burnet était devenue bien moins
« évidente ». L'idée que les gènes puissent prédisposer à avoir un « soi
fonctionnel » – possédant des variantes particulières du tempérament, de la
personnalité et de l'identité – avait été discrètement évacuée de l'université.
« Un point de vue environnementaliste […] a dominé la théorie et la
recherche en psychologie des années 1930 jusqu'aux années 1970 » a écrit
la psychologue Nancy Segal 26. « À part la reconnaissance du fait que nous
naissons avec une capacité générale d'apprentissage, on expliquait le
comportement humain presque uniquement par des forces externes à
l'individu. » Un « jeune enfant » comme se le rappelle un biologiste, était
perçu comme une « mémoire à accès aléatoire dans laquelle on pouvait
charger avec la culture n'importe quel système d'exploitation 27 ». La pâte
molle du psychisme de l'enfant était malléable à l'infini, on pouvait lui faire
prendre n'importe quelle forme et la revêtir de n'importe quel habit en
changeant l'environnement ou en reprogrammant le comportement (d'où la
stupéfiante crédulité qui a permis certaines expériences comme celle où
John Money tenta de changer définitivement un genre par une thérapie
culturelle et comportementale). Un autre psychologue qui intégrait un
programme de recherche sur le comportement humain à l'université Yale
dans les années 1970 fut stupéfait par la posture dogmatique contre la
génétique affichée par son nouveau département : « Tout élément de bon
sens que nous aurions pu apporter à New Haven sur les traits hérités
[déterminant et influençant le comportement humain] était le type de
foutaises que Yale était payé pour éliminer 28 ». Le milieu de l'époque
n'était porté que sur les milieux.
Le retour de l'inné, l'émergence du gène comme moteur majeur des
pulsions psychologiques, n'était pas aisé à orchestrer. Il fallait d'une part
réinventer cet outil de base classique de la génétique humaine qu'était
l'étude des jumeaux, si mal comprise, si dénigrée. Ces études dataient des
nazis – rappelez-vous les travaux macabres de Mengele sur les jumeaux –
mais elles s'étaient retrouvées dans une impasse conceptuelle. Le problème
avec l'étude de vrais jumeaux d'une même famille était, les généticiens le
savaient, l'impossibilité de démêler les deux brins de l'inné et de l'acquis.
Élevés dans la même maison, par les mêmes parents, souvent éduqués dans
les mêmes classes par les mêmes enseignants, habillés, nourris et élevés à
l'identique, ces jumeaux offraient peu de moyens évidents de séparer l'effet
des gènes de celui de l'environnement.
La comparaison de vrais et de faux jumeaux résolvait partiellement le
problème car les faux jumeaux partageaient le même environnement mais
aussi la moitié des gènes en moyenne. Les esprits critiques avançaient que
ces comparaisons entre vrais et faux jumeaux étaient donc biaisées par
nature. Peut-être que des jumeaux identiques sont traités par leurs parents
de manière plus similaire que de faux jumeaux. On sait par exemple que des
vrais jumeaux ont des profils d'alimentation et de croissance plus proches
comparés aux faux jumeaux mais était-ce dû à l'inné ou à l'acquis ? Ou de
vrais jumeaux peuvent réagir chacun contre l'autre pour se distinguer – ma
mère et sa jumelle utilisaient souvent à dessein des rouges à lèvre différents
– mais cette dissimilitude était-elle codée par les gènes ou en réaction aux
gènes ?

En 1970, un scientifique du Minnesota trouva un moyen de sortir de cette


impasse. Un soir de février, Thomas Bouchard, un psychologue
comportemental, trouva un article laissé par un étudiant dans sa boîte aux
lettres. C'était une histoire originale. Une paire de vrais jumeaux de l'Ohio
avaient été séparée à la naissance. Adoptés par des familles différentes, ils
s'étaient retrouvés à l'âge de trente ans. Ces frères faisaient évidemment
partie d'un groupe très rare, celui des vrais jumeaux donnés à adopter et
élevés séparément, mais ils représentaient un puissant moyen de
questionner l'effet des gènes. En comparant ces jumeaux séparés à la
naissance avec ceux qui ne l'avaient pas été, Bouchard pouvait dissocier ce
qui était dû aux gènes de ce qui provenait de l'environnement. Les
ressemblances entre de tels jumeaux ne pouvaient avoir aucun rapport avec
l'acquis : ils ne pouvaient refléter que les influences héréditaires, l'inné.
Bouchard se mit à recruter de tels jumeaux pour son étude en 1979. À la
fin des années 1980, il avait réuni la plus grande cohorte au monde de vrais
jumeaux élevés séparément ou pas. Il appela son étude la Minnesota Study
of Twins Reared Apart (ou « MISTRA ») 29. Au cours de l'été 1990, son
équipe présenta une analyse complète dans la revue Science 30. L'équipe
avait recueilli les données sur 56 vrais jumeaux et 30 faux jumeaux, tous
élevés séparément. Les données d'une étude précédente contenant 331
jumeaux élevés ensemble (vrais et faux) furent incluses. Les groupes
provenaient d'une large gamme de classes socio-économiques, avec de
fréquentes discordances entre les deux jumeaux de chaque paire. Les
environnements physique et racial étaient aussi très différents. Pour évaluer
leur milieu, Bouchard avait fait remplir par les jumeaux un questionnaire
très détaillé sur leur maison, leur école, leur bureau, comportements, choix,
alimentations, expositions et modes de vie. Pour déterminer les indicateurs
de « classe culturelle », l'équipe de Bouchard avait astucieusement noté si la
famille possédait un « télescope, un grand dictionnaire ou une œuvre d'art
originale ».
Le message central de l'article était présenté sous la forme d'un seul
tableau, ce qui est inhabituel pour Science où les articles contiennent
normalement plusieurs figures. Sur presque onze ans, le groupe du
Minnesota avait soumis les jumeaux à des batteries de tests détaillés portant
sur leur physiologie et leur psychologie. Test après test, les similitudes entre
jumeaux demeuraient frappantes et cohérentes. On s'attendait aux
corrélations portant sur des traits physiques, et effectivement le nombre de
crêtes papillaires sur le pouce par exemple était virtuellement le même,
avec une valeur de corrélation de 0,96 (1 correspondant à une concordance
complète ou une identité absolue). Le test de QI révéla aussi une forte
corrélation de 0,70, confirmant des études antérieures. Mais même les côtés
les plus mystérieux et profonds de la personnalité, des préférences, des
comportements, des attitudes et du tempérament, évalués par de multiples
tests indépendants, dévoilèrent de fortes corrélations entre 0,50 et 0,60,
chiffres pratiquement identiques à ceux obtenus avec de vrais jumeaux
élevés ensemble (pour saisir la force de cette association, considérez que la
corrélation entre la taille et le poids dans les populations humaines se situe
entre 0,60 et 0,70, et celle entre le niveau d'éducation et le revenu est
d'environ 0,50).
Les corrélations les plus inattendues obtenues dans l'étude du Minnesota
furent aussi celles qui intriguèrent le plus. Les attitudes sociales et
politiques de jumeaux élevés séparément étaient simplement aussi
concordantes que celles de jumeaux élevés ensemble. Les libéraux se
groupaient avec les libéraux, l'orthodoxie se retrouvait avec l'orthodoxie. La
religiosité et la foi concordaient aussi d'une manière étonnante : les jumeaux
étaient tous les deux soit religieux soit athées. Le légitimisme, ou « désir de
céder à l'autorité » concordait aussi de manière significative. Et il en était de
même pour « l'affirmation de soi, l'envie de diriger et le goût pour
l'attention ».
D'autres études sur des jumeaux identiques continuèrent à approfondir
l'effet des gènes sur la personnalité et le comportement humain. La
recherche de la nouveauté et l'impulsivité présentèrent un degré frappant de
corrélation. Des expériences de vie que l'on pouvait imaginer comme très
personnelles étaient, en fait, partagées par les jumeaux. « L'empathie,
l'altruisme, le sens de l'équité, l'amour, la confiance, la musique, le
comportement économique et même les opinions politiques sont en partie
liés aux gènes 31. » Comme le nota un observateur surpris, « une
composante génétique étonnamment élevée a été retrouvée dans la capacité
à être ému par une expérience esthétique telle que l'écoute d'un concert de
musique 32 ». Éloignés sur des continents géographiques et économiques
différents, deux frères séparés à la naissance avaient les larmes aux yeux en
écoutant la même nocturne de Chopin la nuit, vibrant semble-t-il par une
même subtile corde tendue par leur génome.

Bouchard avait mesuré les caractéristiques à sa portée, mais il est


impossible de communiquer l'étrange sensation de cette profonde similitude
entre jumeaux sans citer quelques exemples bien réels. Daphne Goodship et
Barbara Herbert étaient des jumelles anglaises 33. Elles étaient nées en 1939
d'une étudiante finlandaise non mariée de passage et leur mère les avait
abandonnées pour qu'elles soient adoptées avant de retourner dans son pays.
Les jumelles furent élevées séparément, Barbara devenant la fille d'un
jardinier municipal de la classe moyenne et Daphne celle d'un métallurgiste
important de la classe supérieure. Toutes les deux vivaient près de Londres,
bien que, étant donné la rigidité de la structure sociale dans l'Angleterre des
années 1950, elles auraient aussi bien pu être élevées sur des planètes
différentes.
Pourtant, dans le Minnesota, l'équipe de Bouchard fut frappée à plusieurs
reprises par les multiples ressemblances entre les jumelles. Toutes les deux
riaient de manière incontrôlée, partant dans des gloussements à la moindre
provocation. Elles faisaient des farces aux chercheurs et entre elles. Toutes
les deux faisaient un mètre soixante, avaient des doigts crochus. Elles
avaient les cheveux gris-brun, et les faisaient teindre avec une nuance
auburn particulière. Elles obtinrent exactement le même QI aux tests.
Toutes les deux étaient tombées d'un escalier enfant et s'étaient cassé la
cheville. Elles avaient par conséquent peur de la hauteur et pourtant, malgré
une certaine maladresse, elles avaient pris des leçons de danse de salon.
Toutes les deux avaient rencontré leur mari en prenant des leçons de danse.
Deux hommes, renommés tous les deux Jim après leur adoption, avaient
été séparés trente-sept jours après leur naissance et avaient grandi à une
centaine de kilomètres de distance dans une zone industrielle du nord de
l'Ohio. Ils avaient tous deux peiné à l'école. « Ils conduisaient une
Chevrolet, fumaient des cigarettes de la marque Salem à la chaîne, aimaient
le sport et notamment les courses de stock-car, mais détestaient le base-ball
[…] Les deux Jim s'étaient mariés à des femmes prénommées Linda et
avaient un chien qu'ils avaient appelé Toy […] L'un avait un fils nommé
James Allan, tandis que le fils de l'autre s'appelait James Alan. Les deux
Jim avaient eu une vasectomie et un peu d'hypertension. Chacun avait pris
du surpoids à peu près au même moment qui s'était stabilisé ensuite au
même âge. Tous les deux souffraient de migraines qui duraient environ une
demi-journée et ne répondaient pas aux médicaments 34 ».
Deux autres femmes, également séparées à la naissance, arrivèrent par
deux avions différents en portant chacune sept bagues 35. Une paire de
jumeaux, l'un élevé comme juif à Trinidad, l'autre comme catholique en
Allemagne, portaient des vêtements similaires, notamment des chemises
bleu oxford avec des épaulettes et quatre poches, et avaient les mêmes
comportements obsessionnels particuliers, comme de porter des paquets de
Kleenex dans leurs poches et de tirer la chasse deux fois aux toilettes, avant
et après les avoir utilisées. Tous les deux avaient inventé des éternuements
factices auxquels ils avaient recours sous forme de « plaisanterie » pour
désamorcer des discussions un peu tendues. Tous les deux avaient un
tempérament violent, explosif et des crises soudaines d'anxiété 36.
Une autre paire de jumeaux avaient la même manière de se frotter le nez
et, même s'ils ne s'étaient jamais rencontrés, ils avaient inventé un nouveau
mot pour décrire cette étrange habitude : « squidging 37 ». Deux sœurs de
l'étude de Bouchard confessèrent avoir été hantées par le même cauchemar,
la sensation de suffoquer au milieu de la nuit à cause d'une gorge
encombrée par divers objets métalliques : « des poignées de porte, des
aiguilles et des hameçons 38 ».
Plusieurs traits différaient vraiment entre les jumeaux élevés séparément.
Daphne et Barbara se ressemblaient physiquement mais la seconde pesait
dix kilos de plus (mais leur rythme cardiaque et leur tension étaient
identiques). Dans les jumeaux allemands, le groupe juif/catholique, l'un
avait été un farouche nationaliste allemand dans sa jeunesse tandis que
l'autre avait passé ses étés dans un kibboutz. Pourtant, tous les deux avaient
en commun une certaine ferveur, une rigidité de pensée, même si ces
pensées étaient diamétralement opposées. Le tableau qui se dégagea de
l'étude du Minnesota ne fut pas que les jumeaux élevés séparément étaient
identiques mais qu'ils partageaient une forte tendance à avoir des
comportements similaires ou convergents. Ce qu'ils avaient en commun
n'était pas une identité, mais en quelque sorte sa dérivée première.

Au début des années 1990, un généticien israélien, Richard Ebstein, lut


l'article de Thomas Bouchard sur les jumeaux séparés à la naissance et fut
intrigué. L'étude avait déplacé la compréhension de la personnalité et du
tempérament de la culture et de l'environnement vers les gènes, mais
comme Hamer, Ebstein voulait identifier les gènes qui pouvaient déterminer
ces diverses formes de comportement. Les gènes avaient déjà été mis en
rapport avec des tempéraments. L'extraordinaire douceur des enfants
trisomiques avait été remarquée depuis longtemps par les psychologues, et
d'autres syndromes génétiques liés à des crises de violence et d'agression.
Mais Ebstein ne s'intéressait pas aux extrêmes pathologiques, il préférait les
variantes normales du caractère. Des changements génétiques extrêmes
pouvaient bien sûr causer des variantes extrêmes du caractère, mais
pouvait-il exister des variantes « normales » de gène capables d'influencer
les différents types de personnalités ?
Pour trouver de tels gènes, Ebstein savait qu'il devait commencer par une
définition rigoureuse des sous-types de personnalité auxquels il voulait
associer des gènes. À la fin des années 1980, les psychologues qui
étudiaient les variantes du caractère avaient proposé qu'un questionnaire
comportant uniquement cent questions de type vrai/faux puisse
effectivement répartir les personnalités dans quatre directions : la recherche
de nouveauté (impétuosité versus prudence), la dépendance à la récompense
(actif versus détaché), l'évitement du risque (anxieux versus calme) et la
persistance (loyal versus inconstant). Les études de jumeaux suggéraient
que chacun de ces types de personnalité avait une forte composante
génétique car les vrais jumeaux avaient présenté une concordance
supérieure à 50 % dans leurs réponses à ce questionnaire.
Ebstein était particulièrement intrigué par un sous-type. Les chercheurs
de nouveauté, ou « néophiles », se caractérisaient par un comportement
« impétueux, exploratoire, inconstant, excitable et extravagant » (pensez à
Jay Gatsby, Emma Bovary ou Sherlock Holmes). Les « néophobes », au
contraire, sont « réfléchis, rigides, loyaux, stoïques, modérés, économes »
(pensez à Nick Carraway, Charles Bovary, Dr. Watson). Les chercheurs de
nouveauté les plus extrêmes semblaient vraiment dépendants à la
stimulation et l'excitation. Les résultats de leurs tests mis à part, leur
comportement durant l'épreuve reflétait déjà leur tempérament. Ils laissaient
des questions sans réponse. Ils arpentaient la pièce, voyant comment ils
pouvaient en sortir. Ils éprouvaient souvent un profond et irrémédiable
ennui.
Ebstein commença à rassembler une cohorte de néophiles extrêmes par
des enquêtes, des petites annonces et des questionnaires (faites-vous
souvent « des choses juste pour essayer et s'amuser, même si la plupart des
gens pensent que c'est du temps perdu » ? Ou « vous arrive-t-il souvent de
faire des choses en fonction de votre ressenti du moment sans penser à la
façon dont elles ont été faites par le passé » ?). Au bout de trois ans, Ebstein
avait réuni un groupe de 124 hommes et femmes de ce type. Il utilisa
ensuite des techniques moléculaires et génétiques pour déterminer le
génotype de ces personnes pour un éventail limité de gènes. Il découvrit que
les chercheurs de nouveauté les plus extrêmes présentaient de façon
disproportionnée un déterminant génétique, une variante d'un gène du
récepteur à la dopamine appelé D4DR 39. (Ce type d'analyse, différent des
études de liaison déjà présentées, est qualifié d'étude d'association puisqu'il
repère, au sein d'un groupe d'individus non apparentés, un gène par son
association avec un phénotype particulier, une extrême impétuosité dans ce
cas).
La dopamine est un neurotransmetteur, c'est-à-dire une molécule qui
transmet un signal chimique entre les neurones du cerveau. Elle intervient
particulièrement dans la reconnaissance de la « récompense » par le
cerveau. C'est l'un des plus puissants signaux neurochimiques connus : un
rat qui peut stimuler son centre de la récompense répondant à la dopamine
en abaissant un levier va l'activer jusqu'à en mourir car il négligera même
de boire et de manger.
Le récepteur D4DR agit comme « site d'amarrage » pour la dopamine et
transmet le signal dans le neurone qui le porte. Du point de vue
biochimique, la variante du gène associée à la recherche de nouveauté, la
« répétition D4DR-7 », atténue la réponse à la dopamine, ce qui a peut-être
pour effet d'élever le degré de stimulation externe nécessaire pour atteindre
le même niveau de récompense. C'est comme un interrupteur un peu dur, ou
un micro recouvert de tissu : il faudra appuyer ou crier plus fort pour les
activer. Les chercheurs de nouveauté tentent d'amplifier le signal en
stimulant leur cerveau avec des formes de risque de plus en plus extrêmes.
Ils sont comme des drogués accoutumés à leur produit, ou des rats dans
l'expérience de la stimulation du circuit de la récompense, sauf que la
« drogue » est un signal chimique dans le cerveau qui transmet lui-même le
signal de l'excitation.
L'étude initiale d'Ebstein a été corroborée depuis par plusieurs groupes.
Un point intéressant qui ressort est que le D4DR ne « cause » pas une
personnalité ou un tempérament, comme on pouvait s'en douter d'après
l'étude du Minnesota. Elle engendre plutôt une propension à avoir un
caractère cherchant la stimulation, la dérivée première de l'impétuosité. La
nature précise de la stimulation varie d'un contexte à l'autre. Elle peut
produire les qualités humaines les plus sublimes comme le goût de
l'exploration, la passion et le besoin de créer, mais aussi dégénérer en
impulsivité, addiction, violence et dépression.
Le variant de répétition D4RD-7 a été associé à des bouffées de créativité
mais également au trouble du déficit de l'attention, un paradoxe apparent
jusqu'à ce que l'on comprenne que tous les deux peuvent provenir de la
même pulsion. Les études les plus passionnantes ont établi la répartition
géographique du variant de D4DR. Les populations nomades ou migrantes
l'ont plus souvent. Et plus l'on s'éloigne du site africain à partir duquel les
hommes se sont dispersés sur le reste de la Terre, plus le variant se retrouve
fréquemment. Peut-être que la légère inflexion due au variant de D4DR a
induit la migration hors d'Afrique, en poussant nos ancêtres vers la mer 40.
Beaucoup d'éléments associés à notre modernité anxieuse et agitée sont
peut-être le produit d'un gène de l'anxiété et de l'agitation.
Pourtant, les études sur le variant de D4DR ont été difficiles à reproduire
chez des populations et dans des contextes différents. Cela peut sans doute
s'expliquer en partie par le fait que le comportement de recherche de
nouveauté dépend de l'âge. Vers la cinquantaine, une grande partie de la
pulsion exploratoire et de ses variations se sont atténuées. Les variations
géographiques et raciales affectent aussi l'influence de D4DR sur le
caractère. Mais la raison la plus probable de ce manque de reproductibilité
est que l'effet du variant de D4DR n'explique qu'environ 5 % de la variance
de ce comportement au sein de la population. Le gène D4DR est
probablement un gène parmi d'autres, peut être une dizaine, qui déterminent
cet aspect de la personnalité.
Le genre. La préférence sexuelle. Le tempérament. La personnalité.
L'impétuosité. L'anxiété. Le choix. Un à un, les domaines les plus subtils de
la vie humaine se trouvent progressivement cernés par les gènes. Des
aspects du comportement qui étaient largement attribués à la culture, au
choix, à l'environnement ou à une construction unique du soi se sont avérés,
avec surprise, être influencés par les gènes.
Mais la vraie surprise, peut-être, est que cela soit tout simplement une
surprise pour nous. Si nous acceptons que des variations dans les gènes
puissent influer sur divers aspects des pathologies humaines, on peut
difficilement s'étonner que ces mêmes variations agissent aussi sur des
aspects de la normalité. Une exigence de symétrie fondamentale nous
conduit à l'idée suivante : les mécanismes par lesquels les gènes causent les
maladies sont précisément analogues à ceux par lesquels ils causent un
comportement et un développement normal. « Comme ce serait bien si l'on
pouvait seulement entrer dans la Maison du miroir ! » s'exclame Alice 41. La
génétique humaine est passée de l'autre côté du miroir, et les règles de
l'autre côté se sont révélées exactement les mêmes.
Comment décrire l'influence des gènes sur le fonctionnement et les
aspects normaux de l'homme ? Le langage pour ce faire devrait nous être
familier. C'est le même langage qui a été utilisé pour décrire le lien entre les
gènes et les maladies. Les variations que nous héritons de nos parents,
mélangées et arrangées, déterminent des changements dans les processus
cellulaires et développementaux qui aboutissent à des changements d'état
physiologique. Si ces changements affectent des gènes régulateurs maîtres
au sommet de la hiérarchie, l'effet peut être fort et binaire (masculin ou
féminin). Le plus souvent, les gènes variants ou mutants se trouvent à des
échelons plus bas dans les cascades d'information et entraînent seulement
des modifications de propensions. Souvent, des dizaines de gènes sont
requis pour créer ces propensions ou prédispositions.
Ces propensions interagissent avec les signaux de l'environnement pour
modifier ce que nous allons devenir, à tous les niveaux : taille, physiologie,
comportement, personnalité, identité, destin. Elles le font le plus souvent
sur un mode probabiliste, c'est-à-dire en altérant des équilibres, en rendant
certains développements plus ou moins probables.
Pourtant, ces changements probabilistes suffisent à nous rendre
visiblement différents. Une modification dans la structure moléculaire d'un
récepteur qui signale une « récompense » aux neurones dans le cerveau peut
se traduire par rien de plus qu'un changement dans la durée de l'interaction
de ce récepteur avec son ligand. Le signal émis par ce récepteur peut
persister dans le neurone une fraction de seconde de plus. Et pourtant, ce
changement peut suffire à faire basculer une personne dans l'impulsivité, et
le changement opposé dans la prudence, ou bien une personne dans la
manie et une autre dans la dépression. Des perceptions, des choix ou des
sentiments complexes peuvent résulter de tels changements dans des états
mentaux et physiques. La longueur d'une interaction chimique se
transforme ainsi en, disons, l'attente d'une interaction émotionnelle. Un
homme prédisposé à la schizophrénie interprétera la discussion d'un
marchand de fruit comme un complot pour le tuer. Son frère, avec une
propension génétique à la maladie bipolaire, percevra la même discussion
comme un récit grandiose sur son avenir : même le marchand de fruit
reconnaît sa célébrité naissante ! La misère de l'un devient la magie de
l'autre.

Cela est facile à comprendre. Mais comment expliquer le physique, le


tempérament, les choix d'un individu ? Comment passons-nous, disons, de
prédispositions génétiques abstraites à une personne concrète et
particulière ? Nous pourrions décrire cela comme le problème du « dernier
kilomètre » de la génétique. Les gènes peuvent décrire la forme ou le sort
d'un organisme complexe en termes de probabilités, mais ils ne peuvent en
donner une description précise. Une combinaison particulière de gènes – un
génotype – peut vous prédisposer à avoir une forme particulière de nez ou
de personnalité, mais la forme précise qu'aura votre nez reste impossible à
déterminer. Une prédisposition ne peut se confondre avec la disposition,
l'une est une probabilité, l'autre une réalité. C'est comme si la génétique
arrivait aux abords des caractères physiques, de l'identité et du
comportement humain mais ne pouvait traverser le dernier kilomètre.
Peut-être nous faut-il reconsidérer ce problème en opposant deux axes de
recherche très différents. Depuis les années 1980, la génétique humaine
s'est beaucoup attardée sur la manière dont des jumeaux identiques séparés
à la naissance présentaient toutes sortes de ressemblances. Si ces jumeaux
ont une tendance commune à l'impulsivité, à la dépression, au cancer ou à la
schizophrénie, alors nous savons que le génome doit contenir une
information déterminant des prédispositions à ces caractéristiques.
Mais il nous faut penser tout autrement pour comprendre comment une
prédisposition se transforme en une disposition. Pour y parvenir, nous
devons nous poser la question inverse : pourquoi de vrais jumeaux élevés
dans la même maison et la même famille finissent par avoir des vies
différentes ? Pourquoi des génomes identiques se manifestent-ils sous la
forme de personnes aussi dissemblables, aux tempéraments, personnalités,
destins et choix bien distincts ?
Cela fait presque trente ans, depuis les années 1980, que les
psychologues et les généticiens essaient de répertorier et de mesurer de
légères différences qui pourraient expliquer le sort divergent des vrais
jumeaux élevés dans le même cadre. Mais toutes les tentatives de trouver
des différences systématiques, concrètes et mesurables ont invariablement
échoué : les jumeaux partagent une même famille, maison, école,
alimentation, ont souvent les mêmes lectures et sont souvent plongés dans
la même culture, avec des cercles d'amis similaires, et pourtant ils sont
immanquablement différents.
Alors qu'est-ce qui cause cette différence ? Quarante-trois études,
réalisées sur deux décennies 42, ont donné une réponse importante et
constante : « des événements irréguliers, intrinsèques, fortuits 43 ». Une
maladie. Un accident. Un traumatisme. Un facteur donné. Un train loupé.
Une clé perdue. Une pensée rejetée. Des fluctuations dans des molécules
qui entraînent des fluctuations dans les gènes, qui résultent dans de légères
altérations dans les formes 44. Prendre un virage trop serré à Venise et
tomber dans un canal. Tomber amoureux. Le hasard. La chance.
N'est-ce pas une réponse rageante ? Après des décennies à y réfléchir,
nous en sommes arrivés à la conclusion que le sort est, eh bien… le sort ?
Dans La Tempête de Shakespeare, Prospero, exaspéré par le monstre
difforme Caliban, le décrit comme « un démon, un démon incarné dont la
nature n'offre jamais de prise à l'éducation 45 ». Le plus monstrueux des
défauts de Caliban est que sa nature intrinsèque ne peut être réécrite par
aucune information extérieure. Caliban est un automate génétique, un
vampire mécanique, ce qui le rend bien plus tragique et pathétique que tout
ce qui est humain.
Un témoignage de la beauté renversante du génome est qu'il peut donner
prise au monde réel. Nos gènes ne sont pas dans des réponses stéréotypées à
des environnements particuliers, et si c'était le cas, nous serions aussi des
automates agissant machinalement. Les philosophes indous décrivent
depuis longtemps l'expérience d'être comme une toile d'araignée, jaal. Les
gènes en forment les fils, les débris qui s'y collent sont ce qui transforme
chaque toile en une existence. Cette folle disposition est d'une extrême
précision. Les gènes doivent apporter des réponses programmées à
l'environnement, autrement il n'y aurait aucune forme de conservée. Mais
ils doivent de surcroît laisser juste assez de place pour que les phénomènes
fortuits puissent s'y inscrire. Nous appelons cette interaction le « sort ».
Nous appelons notre réponse à cela le « choix ». Un organisme redressé
avec des pouces opposables est ainsi construit à partir d'un plan, mais aussi
pour en sortir. Nous appelons la variante unique d'un tel organisme un
« soi ».
L'Hiver de la faim

« Des jumeaux identiques ont exactement le même code génétique. Ils


partagent le même ventre, et sont d'habitude élevés dans un
environnement très semblable. Quand on considère cela, il ne semble
pas surprenant que si l'un d'entre eux développe une schizophrénie, le
risque que l'autre présente la maladie soit très fort. En fait, on doit
commencer à se demander pourquoi il n'est pas plus élevé. Pourquoi
n'est-il pas de 100 % ? »
1
Nessa Carey, The Epigenetics Revolution

« Les gènes ont eu un glorieux parcours au XXe siècle […] Ils nous
ont emmenés à la frontière d'une nouvelle ère de la biologie, qui porte
la promesse d'avancées encore plus étonnantes. Mais ces mêmes
avancées vont nécessiter l'introduction de nouveaux concepts, de
nouveaux termes et d'autres manières de penser l'organisation
biologique, relâchant par-là l'emprise que les gènes ont eue sur notre
manière de penser les sciences de la vie ».
2
Evelyn Fox Keller, An Anthropology of Biomedicine

Il faut répondre à une question implicite dans le chapitre précédent. Si le


« soi » est créé par des interactions aléatoires entre des gènes et des
phénomènes, alors comment peuvent-elles être enregistrées ? Un des
jumeaux tombe sur la glace, se fracture un genou et développe un cal, tandis
que l'autre n'a rien. Une sœur se marie avec un cadre montant à Delhi
pendant que l'autre déménage dans une maison délabrée à Calcutta. Par
quels mécanismes ces éléments du destin s'inscrivent-ils dans une cellule ou
un organisme ?
La réponse a été standard durant des décennies : à travers les gènes. Ou
pour être plus précis, en activant ou en inactivant des gènes. À Paris, dans
les années 1950, Monod et Jacob avaient démontré que lorsqu'une bactérie
change son régime du glucose au lactose, elle active les gènes pour le
métabolisme du second. Près de trente ans plus tard, les biologistes qui
travaillaient sur le ver avaient trouvé que des signaux de cellules voisines –
des éléments du destin dans la mesure où l'on considère une cellule
individuelle – sont aussi enregistrés par l'activation ou l'inactivation de
gènes régulateurs maîtres, ce qui mène à des modifications dans les lignées
cellulaires. Lorsqu'un des jumeaux tombe sur la glace, ses gènes de la
cicatrisation sont activés. Ils permettent à la plaie de se durcir en cal qui
marquera le site de la fracture. Même quand un souvenir complexe est
enregistré dans le cerveau, des gènes doivent être activés ou inactivés.
Quand un passereau entend le nouveau chant d'un autre oiseau, un gène
appelé ZENK s'allume dans son cerveau. Si le chant n'est pas bon – s'il s'agit
d'une autre espèce ou d'une seule note – ZENK n'est pas activé au même
niveau et l'oiseau ne chante pas 3.
Mais l'activation ou la répression des gènes dans les cellules et les
organismes sous l'effet de l'environnement (suite à une chute, un accident,
etc.) laisse-t-elle une marque indélébile dans le génome ? Que se passe-t-il
quand un individu se reproduit : ces traces sont-elles transmises à sa
descendance ? Une information issue de l'environnement peut-elle se
retrouver au fil des générations ?

Cette question préoccupait Conrad Waddington, un embryologiste anglais


des années 1950 4. Lorsqu'il observait le développement d'un embryon
animal, il voyait la genèse d'une foule de types cellulaires différents, des
neurones, des cellules musculaires, du sang, des spermatozoïdes, à partir
d'une seule cellule fécondée. Chaque cellule, issue de la cellule primordiale
embryonnaire, avait le même ensemble de gènes. Mais si les circuits
génétiques pouvaient être activés ou inactivés transitoirement, et si chaque
cellule avait les mêmes séquences génétiques, comment l'identité de ces
cellules était-elle fixée dans le temps et l'espace ? Pourquoi une cellule du
foie ne pouvait-elle pas s'éveiller un matin et se trouver transformée en
neurone ?
Dans le développement embryonnaire, Waddington voyait le transitoire
se figer en permanent, les plaies se transformer en cals. Il comparait, dans
une analogie bien inspirée, la différenciation embryonnaire à des milliers de
billes dévalant un paysage en pente sillonné de fentes, rigoles et recoins.
Chaque cellule, en dévalant son chemin unique dans le « paysage de
Waddington », se retrouvait prise dans un relief particulier, ce qui
déterminait son identité.
Mais l'identité d'une cellule devait être enregistrée d'une certaine manière
au-delà du génome, autrement le paysage du développement serait devenu
instable par nature. Ce qui l'intriguait particulièrement était la manière dont
l'environnement d'une cellule pouvait influencer l'utilisation de ses gènes. Il
appela ce phénomène « l'épigénétique » ou « au-dessus de la génétique ».
L'épigénétique, écrivait Waddington, concerne « l'interaction des gènes
avec leur environnement […] qui fait apparaître leur phénotype ».

Une macabre expérience subie par l'homme a permis d'étayer la théorie


de Waddington, bien que son dénouement ne soit devenu apparent que des
générations plus tard. En septembre 1944, au cours de la phase la plus
cruelle de la Seconde Guerre mondiale, les troupes allemandes occupant les
Pays-Bas réalisèrent le blocus de la partie nord et ouest du pays. Les trains
furent arrêtés, les routes et les canaux bloqués. Les grues, bateaux, et quais
du port de Rotterdam furent dynamités, laissant une « Hollande torturée et
en sang » comme la décrivit un journaliste à la radio.
Le pays n'était pas seulement torturé, il était aussi affamé. Amsterdam,
Rotterdam, Utrecht et Leyde dépendaient d'un apport régulier en nourriture
et en carburant. Durant l'hiver 1944, les rations de guerre qui atteignaient
les provinces au nord de la Waal et du Rhin se réduisirent
considérablement, et la population commença à sentir les effets de la
famine. En décembre, les canaux furent rouverts mais ils étaient désormais
gelés. Le beurre disparut en premier, puis le fromage, la viande, le pain et
les légumes. Désespérés, harcelés par le froid et la faim, les gens déterrèrent
les bulbes de tulipe de leurs jardins, mangèrent la peau des légumes, puis
passèrent progressivement à l'écorce de bouleau, aux feuilles et aux herbes.
Finalement, l'alimentation se réduisit à environ quatre cents calories par
jour, l'équivalent de trois pommes de terre. Un être humain ne consiste
« qu'en un estomac et certains instincts » a écrit un témoin 5. La période,
encore gravée dans le souvenir national des Néerlandais, sera appelée
l'Hiver de la faim, ou Hongerwinter.
La famine fit rage jusqu'en 1945. Des dizaines de milliers d'hommes, de
femmes et d'enfants moururent de dénutrition, des millions survécurent. Le
changement dans l'alimentation fut si brutal et aigu qu'il créa une horrible
expérience naturelle : alors que les citoyens émergeaient de l'hiver, les
chercheurs pouvaient étudier les effets d'une soudaine famine sur une
cohorte précise de personnes. Certains traits tels que la dénutrition et le
retard de croissance étaient attendus. Les enfants qui survécurent à
l'Hongerwinter souffrirent en outre de problèmes de santé chroniques :
dépression, anxiété, maladies cardiaques, gingivite, ostéoporose et diabète
(Audrey Hepburn, l'actrice mince comme un fil, fut l'une de ces enfants et
allait être affectée sa vie durant d'une foule de maladies chroniques).
Dans les années 1980, toutefois, un autre phénomène intrigant se fit
jour 6. Lorsque les enfants portés par les femmes durant la famine ont
grandi, on s'est aperçu qu'ils présentaient aussi un taux élevé d'obésité et de
maladies cardiaques. Cela aurait aussi pu être anticipé. L'exposition à la
dénutrition in utero est connue pour entraîner des changements dans la
physiologie fœtale. Un fœtus sous-alimenté modifie son métabolisme pour
conserver plus de graisses et se défendre contre la perte de calories, ce qui
se traduit paradoxalement par une obésité tardive et des problèmes
métaboliques.
Mais le résultat le plus curieux de l'étude Hongerwinter allait prendre une
génération pour émerger. Dans les années 1990, lorsque les petits-enfants
des hommes et femmes exposés à la famine furent étudiés, ils présentèrent
aussi des taux plus élevés d'obésité et de maladies cardiaques. La période
aiguë de famine avait en quelque sorte modifié les gènes et pas seulement
ceux de la génération qui y avait été directement exposée. Le message avait
aussi été transmis aux petits enfants. Un ou des facteurs transmissibles
avaient dû s'inscrire dans le génome des personnes affamées et franchi au
moins deux générations. Le Hongerwinter s'était gravé dans la mémoire
nationale mais avait aussi laissé une trace dans la mémoire génétique.

Mais quelle était cette « mémoire génétique » ? Comment – au-delà des


gènes eux-mêmes – cette mémoire était-elle codée ? Waddington ne connut
pas l'étude Hongerwinter, il décéda méconnu en 1975, mais des généticiens
virent avec perspicacité le lien entre l'hypothèse de Waddington et les
maladies sur plusieurs générations de la cohorte néerlandaise. Là aussi, une
« mémoire génétique » était évidente : les enfants et petits-enfants des
personnes jadis affamées avaient tendance à développer des maladies
métaboliques, comme si leur génome portait le souvenir des perturbations
métaboliques de leurs grands-parents. Là aussi, le facteur responsable de
cette « mémoire » ne pouvait être une altération de la séquence génétique
car des centaines de milliers de personnes ne pouvaient avoir eu leurs gènes
mutés en l'espace de trois générations. Et là aussi, une interaction entre « les
gènes et l'environnement » avait changé un phénotype (c'est-à-dire la
propension à développer une maladie). Quelque chose avait dû s'imprimer
dans le génome en raison de son exposition à la famine – une marque
permanente – et cette marque était désormais transmise de génération en
génération.
Si une telle couche d'information pouvait se superposer au génome, cela
allait avoir des conséquences inédites. D'abord, cela remettait en cause un
trait essentiel de l'évolution darwinienne classique. Un élément clé de la
théorie de Darwin est que les gènes ne peuvent tenir compte de l'expérience
d'un organisme d'une manière héritable. Lorsqu'une antilope tend son cou
pour atteindre les branches hautes d'un arbre, ses gènes n'enregistrent pas
cet effort et sa progéniture ne va pas ressembler à des girafes (la
transmission directe d'une adaptation en un trait héritable était la base de la
théorie lamarckienne de l'évolution par l'adaptation). Les girafes sont plutôt
nées des variations spontanées et de la sélection naturelle : un mutant au
long cou est apparu chez un animal ancestral qui se nourrissait d'herbes ; au
cours d'une famine, il a pu survivre en broutant les arbres et être
naturellement sélectionné. August Weissman avait testé de façon
méthodique l'idée qu'une influence de l'environnement puisse modifier des
gènes de façon permanente en coupant la queue de souris sur cinq
générations, et pourtant les souris de la sixième génération étaient encore
nées avec une queue. L'évolution peut forger des organismes parfaitement
adaptés mais pas à dessein : ce n'est pas seulement un « horloger aveugle »
comme l'a décrite Richard Dawkins 7, mais aussi oublieux. Son seul moteur
est la survie et la sélection. Sa seule mémoire est la mutation.
Pourtant, les petits-enfants de Hongerwinter avaient d'une certaine
manière acquis la mémoire de la famine de leurs grands-parents, non par
des mutations ou une sélection, mais via un message du milieu qui s'était en
quelque sorte transformé pour devenir héritable. Une « mémoire
génétique » sous cette forme pouvait agir comme un « trou de ver » pour
l'évolution. Un ancêtre de la girafe pouvait faire une girafe, non en passant à
travers la logique malthusienne des mutations, survies et sélection, mais
simplement en tendant son cou et en enregistrant puis en imprimant un
souvenir de cette tension dans son génome. Une souris avec une queue
excisée pouvait donner naissance à des souris à la queue raccourcie en
transmettant l'information à ses gènes. Les enfants élevés dans un milieu
stimulant pouvaient ensuite avoir des enfants plus stimulés. L'idée était une
restauration de la formation des gemmules de Darwin : l'expérience ou
l'histoire particulière pouvait être directement communiquée au génome. Un
tel système agirait comme un transit rapide entre l'adaptation d'un
organisme et l'évolution. Il allait ouvrir les yeux de l'horloger.
Waddington, parmi d'autres, aurait aussi pu se réjouir de cette réponse,
pour une raison plus personnelle. Marxiste fervent et de la première heure,
il imaginait que la découverte de tels éléments « fixant les souvenirs » dans
le génome pourrait être cruciale pas seulement pour comprendre
l'embryologie humaine mais aussi pour son projet politique. Si les cellules
pouvaient être endoctrinées ou désendoctrinées en manipulant leurs
souvenirs génétiques, peut-être qu'il était possible d'en faire de même chez
l'homme (rappelez-vous la tentative de Lyssenko de faire cela avec des
variétés de blé et celle de Staline d'effacer les idéologies des dissidents). Un
tel processus pouvait peut-être défaire l'identité cellulaire et permettre aux
cellules de remonter le paysage de Waddington, revenant d'une cellule
adulte à une embryonnaire, inversant ainsi le cours du temps biologique.
Cela pouvait même défaire la fixité de la mémoire humaine, de l'identité, du
choix.

Jusqu'à la fin des années 1950, l'épigénétique était plus une idée qu'une
réalité. Personne n'avait vu une cellule déposant son histoire ou son identité
sur le génome. En 1961, deux expériences effectuées à moins de six mois
d'intervalle et une quarantaine de kilomètres de distance allaient transformer
la compréhension des gènes et donner crédit à la théorie de Waddington.
Au cours de l'été 1958, John Gurdon, un étudiant de l'université d'Oxford,
commença à étudier le développement de la grenouille. Gurdon n'avait
jamais été un élément particulièrement prometteur – une fois, il avait été
classé 250e à un examen de science sur une promotion de 250 – mais
possédait, comme il l'a décrit une fois, une « aptitude à faire les choses à
petite échelle 8 ». Son expérience la plus importante impliqua la plus petite
des échelles. Au début des années 1950, deux scientifiques à Philadelphie
avaient vidé un œuf de grenouille de tous ses gènes en aspirant son noyau,
puis avaient injecté dans l'œuf énucléé le noyau d'une autre cellule de
grenouille. C'était comme vider un nid, y installer un autre oisillon, et se
demander s'il allait donner un oiseau normal. Privée de ses gènes, la cellule
œuf allait-elle néanmoins pouvoir donner un embryon à partir du génome
provenant d'une autre cellule ? C'est ce qu'elle fit. Les chercheurs de
Philadelphie obtinrent dans de rares cas un têtard à partir de l'œuf ainsi
complémenté. C'était une forme extrême de parasitisme, la cellule œuf
devenant l'hôte ou le véhicule du génome d'une cellule normale et
permettant à ce génome de se développer en un adulte parfaitement normal.
Les chercheurs appelèrent leur méthode le transfert nucléaire mais elle était
très peu efficace. Ils finirent par abandonner cette approche.
Gurdon, fasciné par ces rares succès, repoussa les limites de l'expérience.
Les chercheurs de Philadelphie avaient injecté des noyaux de jeunes
cellules embryonnaires dans les œufs énucléés. En 1961, il commença à
tester si l'injection du génome de cellules intestinales d'une grenouille
adulte pouvait aussi donner des têtards 9. Les défis techniques étaient
immenses. D'abord, Gurdon apprit à utiliser un minuscule faisceau de
rayons ultraviolets pour exciser le noyau d'un ovule en laissant le
cytoplasme intact. Puis, comme un plongeur fendant l'eau, il ponctionnait la
membrane de la cellule avec une aiguille effilée au feu, froissant à peine la
surface, et injectait le noyau d'une cellule de grenouille adulte dans une
minuscule perfusion de liquide.
Le transfert dans un œuf vide d'un noyau de grenouille adulte (c'est-à-
dire de tous ses gènes) fonctionna. Des têtards parfaitement normaux
naquirent et chacun portait dans ses cellules des répliques parfaites du
génome de la grenouille adulte. Si Gurdon transférait dans plusieurs ovules
énucléés les noyaux de plusieurs cellules de la même grenouille adulte, il
pouvait produire des têtards qui étaient des clones parfaits, entre eux et avec
la grenouille donneuse. Ce procédé pouvait être répété à l'infini : des clones
de clones, chacun portant exactement le même génotype, des reproductions
sans reproduction.
L'expérience de Gurdon stimula l'imagination des biologistes, notamment
parce qu'elle ressemblait à une histoire de science-fiction devenue réalité.
Une fois, il produisit 18 clones à partir des cellules intestinales d'une seule
grenouille. Placés dans 18 bocaux identiques, ils étaient comme 18 doubles,
habitant 18 univers parallèles. En outre, le principe scientifique en jeu était
stimulant : le génome d'une cellule adulte, ayant atteint sa maturité, avait
été brièvement plongé dans l'élixir de jeunesse d'une cellule œuf et en avait
réémergé sous la forme complètement rajeunie d'un embryon. L'ovule, pour
résumer, avait tout ce qui était nécessaire, tous les facteurs pour faire
remonter le génome à travers le temps du développement jusqu'à un
embryon fonctionnel. Plus tard dans l'histoire, des variantes de la méthode
de Gurdon allaient permettre de la généraliser à d'autres animaux. Elle allait
conduire au fameux clonage de la brebis Dolly, premier organisme
supérieur à avoir été reproduit sans reproduction 10 (le biologiste John
Maynard Smith remarquera plus tard que le seul « autre cas observé de
mammifère produit sans sexe n'était pas entièrement convaincant ». Il
faisait référence à Jésus Christ 11 ). En 2012, Gurdon reçut le prix Nobel
pour sa découverte du transfert nucléaire 12.
Mais même si l'expérience de Gurdon était remarquable par de nombreux
aspects, sa faible efficacité était tout aussi révélatrice. Les cellules
intestinales adultes pouvaient bien donner des têtards mais c'était, malgré
les laborieuses attentions de Gurdon, avec beaucoup de réticence. Le taux
de succès de la transformation des noyaux de cellules adultes en têtards
était ridicule. Cela demandait une explication au-delà de la génétique
classique. La séquence de l'ADN dans le génome d'une grenouille adulte,
après tout, est identique à celle de l'ADN du même individu au stade
embryon ou têtard. N'est-ce pas le principe fondamental de la génétique que
toutes les cellules contiennent le même génome ? Ce qui explique
l'apparition de différents types cellulaires lors du développement de
l'embryon n'est pas la présence ou l'absence de certains gènes ; c'est la
manière dont les mêmes gènes sont déployés dans différentes cellules,
activés ou inactivés en fonction de différents signaux.
Mais si les gènes sont toujours au complet, pourquoi était-il si difficile de
« convaincre » le génome d'une cellule adulte de redevenir celui d'un
embryon ? Et pourquoi, comme on l'a ensuite découvert, les noyaux
d'animaux plus jeunes étaient-ils plus accessibles à cette inversion de l'âge ?
Là encore, comme dans l'étude Hongerwinter, quelque chose avait dû être
progressivement imprimé dans le génome de la cellule adulte – une marque
indélébile, cumulative – qui le rendait moins apte à revenir dans le temps du
développement. Cette marque ne pouvait être dans la séquence des gènes
eux-mêmes mais devait être inscrite au-dessus d'eux, elle devait être
épigénétique. Gurdon était revenu à la question de Waddington : et si
chaque cellule portait une empreinte de son histoire et de son identité dans
son génome, une forme de mémoire cellulaire ?
Gurdon avait mis en évidence une marque épigénétique de manière
indirecte, mais il n'avait pas vu physiquement une telle trace sur le génome
de la grenouille. En 1961, Mary Lyon, une ancienne étudiante de
Waddington, trouva un exemple visible de changement épigénétique dans
une cellule animale 13. Lyon, fille d'un fonctionnaire et d'une institutrice,
avait commencé son travail de licence avec l'irascible Ron Fisher à
Cambridge, puis s'était réfugiée à Édimbourg pour obtenir son diplôme et,
pour finir, s'était établie dans le tranquille village anglais de Harwell, à une
trentaine de kilomètres d'Oxford, pour monter son propre groupe de
recherche.
Une fois à Harwell, Lyon étudia la biologie des chromosomes en utilisant
des colorants fluorescents pour les visualiser. À sa grande surprise, elle
découvrit que dans toute cellule des souris femelles qu'elle observait, les
deux chromosomes X n'avaient pas le même aspect, contrairement aux
chromosomes de toutes les autres paires. L'un des deux chromosomes X
était à chaque fois rabougri et condensé. Les gènes dans ce chromosome
n'étaient pas modifiés, la séquence d'ADN était identique sur les deux paires
de chromosomes. Ce qui avait changé, en revanche, était leur activité : les
gènes dans ce chromosome ratatiné ne produisaient pas d'ARN et tout son
ADN était donc rendu « silencieux ». C'était comme si un chromosome
entier avait été volontairement décommandé, éteint. Lyon découvrit que
l'inactivation de l'un des deux chromosomes X se faisait au hasard suivant
les cellules : dans un cas, c'était le chromosome hérité du père et dans la
cellule voisine, celui hérité de la mère. Ce phénomène était universel dans
toutes les cellules à deux chromosomes X, c'est-à-dire dans chaque cellule
d'un organisme femelle.
On ne sait pas encore pourquoi cette mise en sommeil ne se produit que
sur le chromosome X et quelle en est la raison. Mais l'inactivation aléatoire
du X a une conséquence biologique importante : chaque corps femelle est
une mosaïque des deux types de cellules. Dans la plupart des cas, cette
inactivation en mosaïque reste invisible, à moins que l'un des chromosomes
X (disons celui du père) ne porte un variant génétique produisant un trait
visible. Dans ce cas, une cellule peut l'exprimer et sa voisine non, ce qui
donne un effet mosaïque. Chez les chats, par exemple, un gène pour la
couleur du pelage se trouve sur le chromosome X. L'inactivation aléatoire
de ce chromosome fait qu'une cellule épidermique sera colorée mais pas
forcément sa voisine. L'épigénétique, et non la génétique, résout l'énigme
du pelage bigarré des chattes calico et écaille de tortue. Si les humains
portaient comme les chats un gène de la couleur de la peau sur le
chromosome X, alors la fille de parents différents par la couleur de peau
aurait des tâches de peau claires et foncées.
Comment une cellule pouvait-elle « réduire au silence » tout le
chromosome X ? Ce processus ne devait pas seulement impliquer
l'activation ou l'inactivation d'un ou deux gènes à partir de facteurs du
milieu. Ici, un chromosome entier, avec tous ses gènes, était inactivé durant
toute la vie de la cellule. La réponse la plus logique, proposée dans les
années 1970, était que les cellules devaient d'une manière ou d'une autre
apposer un tampon chimique, un « signal d'annulation » moléculaire, à
l'ADN de ce chromosome. Comme les gènes étaient intacts, une telle
marque devait se situer au-dessus d'eux, et être donc épigénétique, à la
Waddington.
À la fin des années 1970, les scientifiques qui travaillaient sur
l'inactivation de l'expression génétique découvrirent qu'elle est corrélée à
l'accrochage sur l'ADN d'une petite molécule, un groupement méthyle. L'un
des principaux instigateurs de ce processus s'avéra ensuite être une
molécule d'ARN appelée XIST. Cet ARN « recouvre » des parties du
chromosome X et on le soupçonne de jouer un rôle crucial dans
l'inactivation du chromosome X.

Les groupements méthyle ne sont pas les seules décorations portées par
les chromosomes. En 1996, le biochimiste Charles David Allis de
l'université Rockefeller à New York trouva encore un autre système pour
laisser des marques permanentes sur les gènes. Plutôt que d'imprimer la
marque directement sur l'ADN, ce second système agissait au niveau de
protéines, les histones, qui jouent le rôle d'un matériau d'emballage pour les
gènes 14.
Les histones tiennent solidement l'ADN enroulé en boucles et
superboucles pour structurer le chromosome. Lorsque cette disposition
change, l'activité d'un gène peut changer. Une « mémoire moléculaire » est
ainsi associée au gène, cette fois-ci indirectement, par un signal attaché à la
« protéine d'emballage » (même si le débat reste ouvert en épigénétique sur
le fait de savoir si les modifications des histones ont un rôle causal dans
l'activité des gènes ou ne font que l'accompagner). Lorsqu'une cellule se
divise, ces marques peuvent être recopiées dans les cellules filles, ce qui
permet d'enregistrer une mémoire sur plusieurs générations de cellules.
Lorsqu'un spermatozoïde ou un ovule est produit, on peut imaginer que
certaines de ces marques soient aussi copiées, autorisant le transfert d'une
fraction de cette mémoire à la génération suivante. L'héritabilité et la
stabilité de ces marques sur les histones, et les mécanismes qui assurent
qu'elles sont au bon endroit et au bon moment, font encore l'objet de
recherches, mais on sait déjà que des organismes simples comme la levure 15
ou le ver peuvent apparemment transmettre ces marques sur plusieurs
générations.

Nous savons maintenant que l'activation ou la réduction au silence des


gènes par diverses étiquettes chimiques est un mécanisme puissant et
général. Des changements transitoires de l'activité des gènes sont connus
depuis des décennies. Mais ce système de réduction au silence et de
réactivation n'est pas transitoire, il laisse une empreinte chimique
permanente sur les gènes. Des « étiquettes » peuvent être ajoutées, retirées,
amplifiées, diminuées et modifiées dans un sens ou l'autre en fonction de
signaux provenant de la cellule ou de l'environnement.
Ces marques sont comme des annotations écrites au-dessus d'une phrase
ou en marge dans un livre – des lignes au crayon, des mots soulignés, des
marques griffonnées, des lettres barrées, des notes en tous genres – qui
modifient le contexte du génome sans en changer les mots. Chaque cellule
dans un organisme hérite du même livre, mais en raturant certaines phrases
et en en soulignant d'autres, en réduisant au silence ou en « activant »
certains mots, en passant certaines expressions en gras, chaque cellule peut
écrire un roman unique à partir du même texte de base. On pourrait
visualiser ainsi les gènes dans le génome avec leurs marques chimiques
associées :
..Cela…..est……….la……………..struc…….ture,……………
de……Votre….Gén……..ome……………

Comme auparavant, les mots correspondent aux gènes, la ponctuation


aux introns, aux régions intergéniques et aux séquences de régulation. Les
lettres en gras et en capitale ou les mots soulignés sont les marques
épigénétiques ajoutées au génome pour y déposer une dernière couche de
sens.
Là se trouvait la raison pour laquelle Gurdon, malgré tous ses efforts
expérimentaux, avait eu si peu de succès : il s'agissait de forcer un noyau de
cellule intestinale adulte à revenir sur son histoire développementale, c'est-
à-dire régresser au stade de cellule embryonnaire afin de régénérer une
grenouille à part entière. Le génome de la cellule intestinale devait être trop
lourdement chargé en « notes » épigénétiques pour que celles-ci soient
facilement effacées. Comme les souvenirs humains qui persistent malgré les
tentatives pour les effacer, les annotations chimiques écrites par-dessus la
séquence du génome peuvent être changées, mais pas facilement. Ces notes
sont conçues pour persister de sorte qu'une cellule puisse verrouiller son
identité. Seules les cellules embryonnaires ont des génomes assez
malléables pour acquérir des identités très diverses, et générer ainsi tous les
types cellulaires de l'organisme. Une fois que les cellules de l'embryon sont
déterminées dans leur identité – cellules intestinales, sanguines ou
nerveuses par exemple –, elles reviennent rarement en arrière. Une cellule
embryonnaire peut écrire mille romans à partir du même texte. Mais la
fiction pour jeune adulte, une fois écrite, ne peut pas être facilement
reformatée en roman classique.

L'épigénétique résout partiellement l'énigme de l'individualité de la


cellule, mais peut-être aussi le problème plus coriace de l'individualité d'un
individu. « Pourquoi les vrais jumeaux sont-ils différents ? » nous sommes
nous demandés plus tôt. Eh bien, parce que des événements singuliers sont
enregistrés par des marques singulières dans leur organisme. Mais
« enregistrés » de quelle manière ? Pas dans la séquence de l'ADN, car si
vous séquencez le génome d'une paire de vrais jumeaux tous les dix ans
vous obtiendrez toujours la même séquence. Mais si vous séquencez
l'épigénome en parallèle, vous trouverez de notables différences. Le profil
des groupements méthyle fixés au génome des cellules sanguines ou des
neurones sera virtuellement le même au début de l'expérience, divergera
lentement après dix ans et sera bien différent après cinquante ans de suivi 16.
Les événements aléatoires – les blessures, les infections, les passions de
courte durée, les trilles envoûtants de ce nocturne particulier, l'odeur de
cette madeleine à Paris – vont agir sur un jumeau et pas l'autre. Les gènes
sont allumés ou éteints en réponse à ces événements, et les marques
épigénétiques vont progressivement se faire au-dessus des gènes* *. Chaque
génome acquiert ses propres blessures – cals et taches de rousseur – mais
elles n'existent que parce qu'elles ont été écrites sur les gènes. Même
l'environnement indique sa présence dans le génome. Si l'inné est bien là, ce
n'est qu'en vertu de son reflet de l'acquis. Cette idée mène à un dilemme
philosophique troublant : si l'on effaçait les empreintes sur le génome, ces
événements dus aux circonstances, à l'environnement, à l'acquis en général
cesseraient-ils d'exister, du moins sous une forme lisible ? Des vrais
jumeaux deviendraient-ils vraiment identiques ?
Dans son remarquable conte « Funes ou la mémoire », l'écrivain argentin
Jorge Luis Borges décrit un jeune homme qui se réveille des suites d'un
accident et découvre qu'il a acquis une mémoire « parfaite 17 ». Funes se
souvient de tous les détails de chaque moment de sa vie, chaque objet,
chaque rencontre, de « la forme de chaque nuage […] le grain marbré d'un
livre en cuir relié ». Cette capacité extraordinaire ne le rend pas plus
puissant, elle le paralyse. Il se retrouve inondé de souvenirs qu'il ne peut
réduire au silence. Il est dépassé par leur nombre, comme le bruit constant
d'une foule qu'il ne peut faire taire. Borges retrouve Funes allongé sur un lit
de camp dans l'obscurité, incapable de contenir le flot hideux d'informations
et obligé de se fermer au monde.
Une cellule sans la capacité à réduire au silence de manière sélective des
parties de son génome s'apparente à Funes le Mémorieux (ou, comme dans
l'histoire, à Funes l'Invalide). Le génome contient la mémoire pour orienter
la fabrication de chaque cellule dans tous les tissus de l'organisme, une
mémoire si abondante et variée qu'une cellule dépourvue d'un système de
répression et de réactivation serait complètement débordée par elle. Comme
pour Funes, la capacité à utiliser toute mémoire dépend, paradoxalement, de
la capacité à la réduire au silence. Le système épigénétique existe peut-être
tout simplement pour permettre au génome d'un organisme pluricellulaire
de fonctionner. Différents génomes, dans des cellules différentes, semblent
modifiés par des marques chimiques variées en réponse à divers stimulus
(dont ceux issus du milieu). Mais le fait de savoir si ces marques jouent un
rôle dans l'activité des gènes et de quelle manière fait encore l'objet d'un
débat, souvent féroce, entre généticiens.
L'interaction de protéines régulatrices maîtresses avec les marques
épigénétiques est un puissant système pour réinitialiser la mémoire
cellulaire. La démonstration la plus frappante de cette puissance est venue
en 2006 d'une expérience effectuée par le biologiste japonais des cellules-
souches Shinya Yamanaka. Comme Gurdon, Yamanaka était intrigué par
l'idée que des marques chimiques attachées aux gènes d'une cellule puissent
agir pour déterminer son identité. Pouvait-on les effacer et que se passerait-
il si l'on y parvenait ? Une cellule adulte allait-elle revenir à un état originel,
et se transformer en cellule d'un embryon, inversant le temps, annihilant
l'histoire et retournant vers l'innocence de ses origines ?
Comme Gurdon là encore, Yamanaka essaya d'abord d'inverser l'identité
d'une cellule normale de souris adulte, issue cette fois-ci de la peau de
l'animal. L'expérience de Gurdon avait montré que de mystérieux facteurs
présents dans l'ovule – des protéines et des ARN – peuvent effacer les
marques du génome d'une cellule d'adulte et donc inverser son sort.
Yamanaka se demanda s'il pouvait isoler et identifier ces facteurs de l'ovule
et les utiliser comme « effaceurs » du sort cellulaire. Après des années de
traque, Yamanaka réduisit ces facteurs aux protéines codées par quatre
gènes. Il introduisit alors ces quatre gènes dans la cellule de peau d'une
souris adulte, flanqués d'éléments génétiques pour qu'ils s'y expriment
Le résultat l'émerveilla, et les scientifiques du monde entier à sa suite :
l'introduction de ces quatre gènes poussait une petite fraction des cellules à
se transformer en quelque chose qui ressemblait à une cellule-souche
embryonnaire. Cette cellule pouvait donner naissance à de la peau, bien sûr,
mais aussi à du muscle, de l'os, du sang, des cellules intestinales et des
cellules nerveuses. En fait, elle pouvait générer tous les types cellulaires
présents dans un organisme. Lorsque Yamanaka et ses collègues analysèrent
la progression (ou plutôt la régression) de la cellule de peau en cellule de
type embryonnaire, ils découvrirent une cascade d'événements. Des circuits
de gènes étaient activés ou réprimés. Le métabolisme de la cellule était
relancé. Puis les marques épigénétiques étaient effacées et réécrites. La
cellule changeait de forme et de taille. Ses rides lissées, ses articulations
redevenues souples, sa jeunesse rétablie, la cellule pouvait maintenant
remonter la pente du paysage de Waddington. Yamanaka avait vidé la
mémoire de la cellule, inversé le temps biologique.
L'histoire comporte un rebondissement. L'un des quatre gènes utilisé par
Yamanaka pour inverser le sort de la cellule s'appelle c-myc. Myc, le facteur
de jouvence, n'est pas un gène ordinaire 18. C'est l'un des régulateurs les plus
puissants de la croissance et du métabolisme cellulaire connu en biologie.
Activé d'une façon anormale, il est certainement capable d'induire une
cellule adulte à revenir à un état de type embryonnaire, comme dans
l'expérience de Yamanaka. Mais myc est aussi l'un des plus puissants
oncogènes que l'on connaisse en biologie. Il est activé dans les leucémies et
les lymphomes, dans les cancers de l'utérus, du pancréas et de l'estomac.
Comme dans certaines légendes du passé, la quête de l'éternelle jeunesse
s'avère posséder un coût terrifiant. Les mêmes gènes qui permettent à une
cellule d'échapper à l'âge et à la mort peuvent aussi la faire basculer dans
une immortalité maligne, une croissance perpétuelle et sans âge, soit la
marque du cancer.

À l'aide de la génétique et de l'épigénétique, nous pouvons maintenant


comprendre le Hongerwinter néerlandais et ses effets sur plusieurs
générations en termes mécanistiques. La famine aiguë des hommes et des
femmes au cours de ces durs mois de 1945 a indubitablement modifié
l'expression de gènes intervenant dans le métabolisme et le stockage. Les
premiers changements furent transitoires : ils n'étaient peut-être rien de plus
que l'activation et la répression de gènes répondant à la présence de
nutriments dans le milieu.
Mais alors que le paysage du métabolisme était gelé et remis à zéro par
une famine prolongée, des changements plus durables s'imprimèrent dans le
génome. Des hormones diffusèrent entre les organes pour signaler une
potentielle privation de nourriture à long terme et annoncer un reformatage
plus large de l'expression génétique. Des protéines interceptèrent ces
messages dans les cellules. Des gènes furent mis au repos, un à un, puis une
empreinte fut posée sur leur ADN pour les inactiver encore plus. Comme
des maisons fermant leurs volets devant l'arrivée d'un orage, des
programmes génétiques entiers furent barricadés. Des marques de
méthylation furent ajoutées aux gènes. La modification chimique de leurs
histones acheva sans doute d'enregistrer le souvenir de la famine.
Cellule par cellule, organe par organe, le corps fut reprogrammé pour la
survie. Finalement, même les cellules germinales, ovules et spermatozoïdes,
furent marquées (nous ne savons pas comment ni pourquoi ces cellules ont
porté la mémoire d'une réponse à la famine ; peut-être existe-t-il
d'anciennes voies dans l'ADN humain pour y enregistrer la privation ou la
famine 19 ). Lorsque les enfants puis les petits-enfants sont nés à partir de
ces cellules germinales, les embryons ont porté ces marques. Les altérations
du métabolisme qui en ont résulté sont restées gravées dans le génome des
décennies après l'Hongerwinter. La mémoire historique s'était ainsi
transformée en une mémoire cellulaire.

Une note d'avertissement : l'épigénétique est aussi sur le point de se


transformer en une dangereuse idée. Les modifications épigénétiques
pourraient bien superposer des informations historiques et
environnementales dans les cellules et les génomes, mais cette capacité, si
elle existe réellement, est sans doute limitée, propre à chacun et
imprévisible. Un parent ayant subi la famine aura des enfants obèses et
suralimentés, tandis qu'un père ayant souffert d'une tuberculose par exemple
ne produira pas d'enfant ayant une réponse modifiée à la maladie. La
plupart des « mémoires » épigénétiques sont la conséquence d'anciennes
voies évolutives et ne peuvent être confondues avec notre désir de léguer de
bonnes choses à nos enfants.
Comme avec la génétique du début du XXe siècle, l'épigénétique est
maintenant invoquée pour faire passer des affirmations pseudoscientifiques
et imposer des définitions étouffantes de la normalité. Les régimes,
expositions et thérapies qui prétendent modifier l'hérédité rappellent
sinistrement la tentative de Lyssenko de « rééduquer » le blé en utilisant la
thérapie de choc. On demande aux mères de réduire leur anxiété au cours de
la grossesse, de peur qu'elles n'affectent tous leurs enfants et même les
enfants de leurs enfants avec des mitochondries traumatisées. Lamarck est
réhabilité en un nouveau Mendel.
Ces notions superficielles sur l'épigénétique doivent nous inviter au
scepticisme. Les informations issues de l'environnement peuvent certes être
gravées dans le génome mais la plupart sont enregistrées sous forme de
« souvenirs génétiques » dans les cellules et les génomes d'organismes
individuels, et non transmises aux générations suivantes. Un homme qui a
perdu une jambe dans un accident porte la marque de cet accident dans ses
cellules comme dans ses plaies et ses cicatrices, mais il ne donnera pas
d'enfants ayant des jambes plus courtes. Pas plus que l'histoire du
déracinement de ma famille ne nous a accablé, mes enfants et moi-même,
par un sentiment déchirant d'étrangeté au monde.
Malgré les avertissements de Menelas, le sang de nos pères est perdu en
nous, et par là même, heureusement, leurs manies et leurs péchés. C'est une
disposition dont nous devrions nous réjouir plutôt que de nous plaindre.
Génome et épigénome existent pour enregistrer et transmettre la similitude,
l'héritage, la mémoire et l'histoire à travers les cellules et les générations.
Les mutations, les réassortiments de gènes et l'effacement des souvenirs
équilibrent ces forces, permettant l'improbable, la variation, la monstruosité,
le génie et la réinvention, ainsi que l'éclatante possibilité de nouveaux
commencements, générations après générations.

Il est concevable qu'un jeu entre génome et épigénome coordonne


l'embryogenèse humaine. Retournons encore une fois au problème de
Morgan, la création d'un organisme multicellulaire à partir d'un embryon à
une cellule. Quelques secondes après la fécondation, une accélération se
produit dans l'embryon. Des protéines arrivent dans le noyau de la cellule et
procèdent à des activations ou inactivations génétiques. Un vaisseau spatial
endormi reprend vie. Des cascades d'interactions se mettent en place entre
gènes et protéines. La cellule se divise pour former deux, quatre puis huit
cellules. Une masse de cellules connectées se crée puis se creuse d'une
cavité pour devenir la surface d'un ballon. Des gènes qui coordonnent le
métabolisme, la motilité, l'identité et le destin cellulaires s'allument. La
salle des machines commence à chauffer, les lumières vacillent dans le
corridor, l'intercom crachotte.
À présent, à l'instigation des protéines régulatrices maitresses, une
seconde couche d'information s'anime : elle garantit que l'expression
génétique est verrouillée dans la bonne configuration dans chaque cellule,
permettant l'acquisition et le maintien d'une identité cellulaire. Des marques
chimiques sont ajoutées sélectivement à certains gènes et effacées d'autres
gènes, modulant l'expression de ces gènes d'une façon unique à cette
cellule. Les groupements méthyle sont insérés et retirés, les histones
modifiées pour réprimer ou activer des gènes.
L'embryon poursuit pas à pas son développement. Les segments
primordiaux apparaissent, et les cellules prennent leur position dans
diverses parties de l'embryon. De nouveaux gènes sont activés qui
commandent des sous-routines pour faire pousser membres et organes, et
d'autres marques chimiques sont encore ajoutées au génome des cellules
individuelles. Des cellules sont ajoutées pour créer des organes et des
structures, pattes avant, pattes arrière, muscles, reins, os, yeux. Certaines
cellules meurent d'une mort programmée. Les gènes qui maintiennent le
fonctionnement, le métabolisme et la réparation sont enclenchés. Un
organisme émerge d'une cellule.

Ne vous endormez pas avec cette belle description. Ne soyez pas tenté,
gentil lecteur, de penser « Mon dieu, quelle recette compliquée ! » puis de
vous tranquilliser avec l'assurance que quelqu'un ne cherchera pas à
comprendre, détourner ou manipuler cette recette dans un but bien précis.
Lorsque les scientifiques sous-estiment la complexité, ils s'exposent aux
dangers de conséquences non désirées. On connait nombre d'exemples à
méditer : des animaux étrangers introduits pour contrôler des nuisibles
deviennent à leur tour des nuisibles ; des cheminées bâties plus hautes pour
atténuer la pollution urbaine exacerbent la pollution en relâchant des
particules plus haut dans l'air ; la stimulation de la production des cellules
du sang, censée prévenir les attaques cardiaques, épaissit le sang et entraîne
un risque accru de caillots sanguins dans le cœur.
Mais lorsque des non scientifiques surestiment la complexité –
« Personne ne peut arriver à briser ce code » –, ils tombent eux aussi dans le
piège des conséquences non anticipées. Au début des années 1950, il était
communément admis que le code génétique allait être tellement dépendant
du contexte, tellement déterminé par les particularités de la cellule et celles
de l'organisme et donc si horriblement intriqué que son décryptage serait
impossible. La vérité se révéla tout autre car une seule molécule porte le
code et un seul code se retrouve dans tout le monde vivant. Si l'on connaît
ce code, on peut le modifier intentionnellement dans les organismes et au
bout du compte chez l'homme. De même, dans les années 1960, beaucoup
doutaient que les techniques de clonage de gène puissent faire circuler aussi
facilement les gènes d'une espèce à l'autre. En 1980, faire fabriquer une
protéine de mammifère par une bactérie, ou l'inverse, n'était pas seulement
réalisable mais, selon les propres mots de Berg, « ridiculement simple ».
Les espèces étaient spécieuses. « Être naturel » était « souvent une simple
pose ».
La genèse d'un être humain à partir d'instructions génétiques est
indubitablement complexe mais rien en elle n'interdit ni ne restreint la
manipulation ou la déformation. Lorsqu'un sociologue souligne que les
interactions entre gènes et environnement, plutôt que les seuls gènes,
déterminent la forme, la fonction, et le destin, il sous-estime le pouvoir des
gènes maîtres régulateurs qui agissent inconditionnellement et de façon
autonome pour déterminer des états anatomiques et physiologiques
complexes. Et quand un généticien dit « la génétique ne peut être utilisée
pour manipuler des états et des comportements complexes parce qu'ils sont
habituellement sous le contrôle de dizaines de gènes », il sous-estime la
capacité d'un gène unique, tel qu'un gène maître régulateur, à « remettre à
zéro » des états ontologiques complets. Si l'activation de quatre gènes peut
transformer une cellule de peau en une cellule souche pluripotente, si un
produit peut inverser l'identité d'un cerveau, et si une mutation dans un seul
gène peut faire changer d'identité sexuelle et de genre, alors notre génome
et notre soi sont bien plus malléables que ce que nous avons imaginé
jusqu'ici.

La technologie, je l'ai déjà dit, est la plus puissante quand elle permet des
transitions, que ce soit du mouvement linéaire au circulaire (la roue) ou de
l'espace réel au virtuel (Internet). La science, au contraire, est la plus
puissante quand elle élucide des règles d'organisation – des lois – qui
agissent comme des lentilles par lesquelles on peut voir et organiser le
monde. Les adeptes de la technologie cherchent à nous libérer des
contraintes de notre réalité actuelle par ces transitions. La science définit
ces contraintes, dessinant les limites extérieures du possible. Les plus
grandes innovations techniques portent ainsi des noms qui proclament nos
prouesses sur le monde : l'engin (de ingenium, « ingéniosité ») ou
l'ordinateur (de ordinare, ordonner). Les lois scientifiques les plus
profondes, au contraire, sont nommées d'après les limites de la
connaissance humaine : incertitude, relativité, incomplétude, impossibilité.
De toutes les sciences, la biologie est celle qui a le moins de lois. D'abord
il y a peu de règles qui lui soient propres, et moins encore qui soient
universelles. Les êtres vivants doivent, bien sûr, obéir aux lois
fondamentales de la physique et de la chimie, mais la vie existe sur les
bords et dans les interstices de ces lois, les faisant plier jusqu'à leur point de
rupture. L'univers cherche l'équilibre, il préfère disperser l'énergie, défaire
l'organisation, maximiser le chaos. La vie est faite pour combattre ces
forces. Nous ralentissons les réactions, concentrons la matière, organisons
les éléments chimiques en compartiments ; nous faisons les courses le
samedi. « On dirait parfois que contenir l'entropie est notre objectif
donquichottesque dans l'univers » écrit James Gleick 20. Nous vivons dans
des angles morts des lois naturelles, en cherchant des extensions, des
exceptions et des excuses. Les lois de la nature écrivent encore les limites
externes de ce qui est permis, mais la vie, dans toute sa singularité, sa folle
étrangeté, prospère en lisant entre les lignes. Même l'éléphant ne peut violer
les lois de la thermodynamique, mais sa trompe se range à coup sûr parmi
les moyens les plus bizarres de déplacer de la matière en utilisant de
l'énergie.

Le flux circulaire de l'information biologique …


… est, peut-être, l'une des rares règles d'organisation en biologie. Il existe
bien sûr des exceptions au sens de ce flux (les rétrovirus peuvent
« rétropédaler » de l'ARN vers l'ADN). Et il reste des mécanismes à
découvrir dans le monde biologique qui pourraient changer l'ordre ou les
composantes de ce flux d'information dans les êtres vivants (l'ARN, par
exemple, est désormais connu pour influer sur la régulation des gènes).
Mais ce flux circulaire de l'information biologique ainsi esquissé est
conceptuellement solide.
Il s'agit de ce qui se rapproche le plus d'une loi biologique. Lorsque la
technologie pour manipuler cette loi sera maîtrisée, nous vivrons l'une des
plus profondes transitions de notre histoire. Nous apprendrons à lire et à
écrire ce que nous sommes, notre soi.

Mais avant de passer au futur du génome, offrons-nous une petite


digression dans le passé. Nous ne savons pas d'où viennent les gènes et
comment ils sont apparus. Nous ne savons pas non plus pourquoi cette
méthode de transfert de l'information et de stockage des données a été
choisie parmi toutes les autres méthodes possibles en biologie. Nous
pouvons cependant essayer de reconstruire l'origine des gènes dans un tube
à essai. À Harvard, un biochimiste à la voix posée nommé Jack Szostak a
passé plus de vingt ans à essayer de créer un système génétique s'auto-
répliquant in vitro, et donc à reconstruire l'origine des gènes 21.
En réalisant ces expériences, Szostak suivait les traces de Stanley Miller :
ce chimiste visionnaire avait tenté dans les années 1950 de concocter la
« soupe primitive » en mélangeant des produits chimiques de base dont on
pensait alors qu'ils constituaient l'atmosphère primitive de la Terre 22. Dans
son laboratoire de l'université de Chicago, Miller a introduit dans un flacon
de verre du méthane, du dioxyde de carbone, de l'ammoniac, de l'oxygène
et de l'hydrogène. Il a aussi ajouté de la vapeur d'eau et créé des étincelles
électriques pour simuler la foudre, puis soumis le flacon à des cycles de
chauffage et refroidissement pour reproduire les conditions des débuts de la
vie sur Terre. Le feu et le soufre, le ciel et l'enfer, l'eau et l'air étaient
condensés dans un bécher.
Trois semaines plus tard, aucun organisme ne s'échappa du flacon. Mais
parmi les molécules que Miller avait réunies, il trouva des traces d'acides
aminés – les briques élémentaires des protéines – et de très faibles quantités
de sucres simples. Dans les variations ultérieures de cette expérience
séminale, on ajouta de l'argile, du basalte et d'autres roches volcaniques, et
l'on obtint des traces de lipides et même des éléments de base de l'ARN et
de l'ADN 23.
Szostak pensait que les gènes ont émergé de la véritable soupe primitive
par la rencontre fortuite de partenaires improbables. D'abord, les lipides
créés se seraient assemblés en membranes, lesquelles se seraient refermées
sur elles-mêmes pour donner des sphères creuses analogues à des bulles de
savon. En piégeant du liquide à l'intérieur, ces objets nommés liposomes
préfigurent une cellule primitive. Dans ses expériences, Szostak a montré
que de tels liposomes peuvent effectivement se comporter comme des
protocellules : si on leur ajoute des lipides, ils se mettent à croître 24. Ils se
dilatent, se déplacent et développent de fines protrusions qui ressemblent
aux irrégularités des membranes cellulaires. Puis ces protocellules, après
avoir bien grossi, finissent par se diviser en deux.
Dans la suite du scénario de Szostak, tandis que les liposomes s'auto-
assemblent, des brins d'ARN se forment par l'enchaînement de nucléotides
(portant les bases A, C, G, U ou leur ancêtre chimique). L'immense majorité
des chaînes d'ARN ainsi produites de façon aléatoire ne peuvent se
reproduire. Mais parmi les milliards de ces molécules qui sont créés, il en
apparaît une qui a la capacité unique de construire une copie d'elle-même,
ou plutôt une image en miroir qui permettra ensuite de faire une copie
(l'architecture chimique propre à l'ARN et à l'ADN, rappelez-vous, permet
la production de molécules qui sont leur image en miroir ; mais ceci est
réalisé par des enzymes dans la nature actuelle). Cette molécule d'ARN
primitive, chose incroyable, possède la capacité de réunir toute seule des
nucléotides d'un mélange chimique et de les assembler pour former une
nouvelle copie ARN. Il s'agit d'une molécule autoréplicatrice.
L'étape suivante est un mariage de convenance. Quelque part sur Terre –
Szostak pense que cela a pu être au bord d'une mare ou d'un marais —, une
copie d'ARN s'auto-copiant entre en collision avec un liposome s'auto-
répliquant. Ce fut, conceptuellement parlant, une rencontre explosive : les
deux molécules tombent amoureuses l'une de l'autre et entament une longue
association conjugale. L'ARN auto-réplicatif commence à habiter la
protocellule en division. Celle-ci, tout en isolant et protégeant l'ARN,
permet des réactions chimiques particulières dans la bulle qu'elle constitue.
La molécule d'ARN, de son côté, commence à coder une information qui
est avantageuse pour sa propre propagation, mais aussi, au-delà d'elle, de
toute l'unité liposome-ARN. Avec le temps, l'information codée dans cette
association a permis sa propagation sous des formes plus complexes.
« Il est relativement facile de voir comment des protocellules avec ARN
ont pu alors évoluer, écrit Szostak 25. Le métabolisme a pu se développer
progressivement […] alors que [les protocellules apprenaient à] synthétiser
des nutriments en interne à partir d'élément plus simples et plus abondants.
Puis les organismes ont pu ajouter la synthèse des protéines à leur bagage
de réactions chimiques ». Les « proto-gènes » d'ARN ont pu apprendre à
induire des acides aminés à former des chaînes et à construire ainsi des
protéines. Ces machines moléculaires versatiles ont pu rendre le
métabolisme, l'auto-propagation et le transfert d'information bien plus
efficaces.

Quand et pourquoi des « gènes » discrets, ces modules d'information,


sont-ils apparus sur un brin d'ARN ? Les gènes existaient-ils sous leur
forme modulaire actuelle dès l'origine ou bien une forme alternative,
intermédiaire, de stockage de l'information existait-elle ? Là encore, nous
ne le saurons sans doute jamais avec certitude ; toutefois, la théorie de
l'information peut nous donner un indice important. Le problème avec
l'information continue, non modulaire, est qu'elle est difficile à gérer. Elle
tend à diffuser, s'abîmer, s'emmêler et se dégrader. Attaquée d'un côté, elle
va perdre son sens de l'autre. Si de l'information se met à couler dans
l'information, le risque de distorsion est encore plus grand : pensez à un
disque vinyl qui a juste un accroc au milieu. Lorsque l'information est
« discrétisée » au contraire, elle est bien plus facile à réparer et à récupérer.
Nous pouvons accéder à un mot et le réparer dans un livre sans avoir à
reconfigurer toute la bibliothèque. Les gènes ont pu apparaître pour cette
même raison : des modules distincts portant l'information sur un brin
d'ARN ont été utilisés pour coder des instructions discrètes assurant des
fonctions précises.
La nature discontinue de l'information génétique comportait un avantage
supplémentaire : une mutation affectant un gène ne touchait pas les autres.
Les mutations pouvaient dès lors se produire sur ces modules discrets
d'information sans perturber tout le fonctionnement de l'organisme, ce qui a
accéléré l'évolution. Mais cet avantage a apporté une faiblesse. Trop de
mutations et l'information pouvait être endommagée ou perdue. Il devenait
nécessaire d'avoir une copie de sauvegarde, par exemple une image en
miroir pour protéger l'original ou le restaurer en cas de lésion. Peut-être est-
ce l'origine de la création d'un acide nucléique à double brin tel que l'ADN.
Les données sur un brin y sont parfaitement réfléchies sur l'autre brin et
utilisables pour restaurer tout dommage. Le yin allait protéger le yang. La
vie a ainsi inventé son propre disque dur.
Avec le temps, cette nouvelle copie, l'ADN, allait devenir la copie de
référence. L'ADN est une invention du monde de l'ARN, mais la création a
bientôt supplanté l'original en tant que porteur des gènes et la nouvelle
molécule est devenue le principal véhicule de l'information génétique dans
les systèmes vivants 26. Et voilà qu'un autre mythe antique, celui de l'enfant
dévorant son père, de Chronos détrôné par Zeus, se trouve aussi gravé dans
l'histoire de notre génome.
PARTIE 6
LE POST-GÉNOME
La génétique du destin et du futur
(2015 – …)

« Ceux qui nous promettent le paradis sur Terre n'ont jamais produit
autre chose que l'enfer. »
12
Karl Popper

« Il n'y a que nous, les humains, qui voulons posséder le futur, aussi. »
13
Tomp Stoppard, The Coast of Utopia
Le futur du futur

« Il n'y a probablement pas de science de l'ADN qui soit d'emblée


aussi prometteuse, controversée, galvaudée et même potentiellement
dangereuse que le domaine connu sous le nom de thérapie génique. »
1
Gina Smith, The Genomics Age

« Nettoyez l'air ! Nettoyez le ciel ! Lavez le vent ! Prenez la pierre de


la pierre, la peau du bras, le muscle de l'os et lavez-les. Lavez la pierre,
lavez l'os, lavez le cerveau, lavez l'âme, lavez-les, lavez-les ! »
2
T. S. Eliot, Meurtre dans la cathédrale

Revenons un instant à une discussion sur les remparts d'un château. C'est
la fin de l'été 1972. Nous sommes en Sicile, à une rencontre scientifique sur
la génétique. Il est tard dans la nuit. Paul Berg et un groupe d'étudiants ont
gravi une colline qui domine les lumières de la ville. La nouvelle donnée
par Berg – la possibilité de combiner deux morceaux d'ADN pour créer un
« ADN recombinant » – a provoqué des ondes d'émerveillement et d'anxiété
dans l'assistance. Au cours du congrès, les étudiants se sont inquiétés du
danger présenté par ces nouveaux fragments d'ADN : si un mauvais gène
est introduit dans un mauvais organisme, l'expérience peut déboucher sur
une catastrophe biologique ou écologique. Mais les interlocuteurs de Berg
n'étaient pas particulièrement inquiets à propos des pathogènes. Ils sont
allés, comme le font souvent les étudiants, au cœur du problème : ils
voulaient savoir ce qu'il en était des perspectives d'ingénierie génétique
chez l'homme, de l'introduction de nouveaux gènes dans le génome humain.
Et si l'on pouvait prédire le futur à partir des gènes, puis modifier cette
destinée par des manipulations génétiques ? « Ils pensaient déjà avec
plusieurs étapes d'avance, m'a dit plus tard Berg. Je me souciais du futur,
mais ils s'inquiétaient du futur du futur. »
Pendant un moment, le « futur du futur » sembla biologiquement hors
d'atteinte. En 1974, à peine trois ans après l'invention de la technologie de
l'ADN recombinant, un virus SV40 modifié fut utilisé pour infecter des
cellules embryonnaires de souris 3. Le projet était audacieux. Ces cellules
infectées furent ensuite introduites parmi les cellules d'un embryon normal
pour créer un embryon composite, une « chimère » embryologique. Les
embryons composites furent implantés dans des souris femelles porteuses.
À partir de ce mélange de cellules saines et infectées apparurent tous les
tissus et organes de la souris à naître : le sang, le cerveau, les intestins, le
cœur, les muscles et, point crucial, les spermatozoïdes et les ovules. Si, dans
un embryon particulier, ces cellules germinales dérivaient des cellules
embryonnaires infectées par le virus plutôt que des cellules normales, alors
les gènes viraux allaient être transmis à la future descendance de la souris à
naître, comme tout autre gène. Tel un cheval de Troie, le virus pouvait
introduire des gènes en contrebande et modifier de façon permanente le
génome pour toutes les générations à venir. Il s'agissait donc de produire le
premier organisme supérieur génétiquement modifié.
L'expérience se déroula bien dans un premier temps, mais n'aboutit pas
pour deux raisons inattendues. Tout d'abord, si des cellules portant les gènes
viraux apparaissaient bien dans le sang, les muscles, le cerveau ou les nerfs
de la souris, ce n'était pas le cas pour les spermatozoïdes et les ovules. Les
scientifiques avaient beau essayer, ils ne pouvaient obtenir une transmission
« verticale » des gènes à la génération suivante. Ensuite, même si les gènes
viraux étaient bien présents dans les cellules de la souris, leur expression
était fermement réprimée : ces gènes étant devenus inertes et incapables de
donner des ARN donc des protéines. Des années plus tard, des scientifiques
découvriront que des marques épigénétiques avaient été placées sur les
gènes viraux pour les réduire au silence. On sait maintenant que les cellules
possèdent d'anciens mécanismes de détection qui reconnaissent les gènes
viraux et les marquent chimiquement pour éviter leur activation.
Le génome avait, semble-t-il, déjà anticipé toute tentative de le modifier.
C'était une parfaite impasse. Il y a un vieux proverbe chez les magiciens qui
dit qu'il est essentiel d'apprendre à faire réapparaître les choses avant
d'apprendre à les faire disparaître. Les pionniers de la thérapie génique
étaient en train de réapprendre cette leçon. Il était facile de glisser un gène
furtivement dans une cellule puis dans un embryon. La vraie difficulté était
de le rendre à nouveau visible.
Paralysé par ces échecs initiaux, le domaine de la thérapie génique stagna
une dizaine d'années jusqu'à ce que les biologistes fassent une découverte
cruciale : les cellules souches embryonnaires ou cellules ES. Pour
comprendre l'avenir de la thérapie génique chez l'homme, nous devons faire
connaissance avec ces cellules. Considérez un organe comme le cerveau ou
la peau. Avec l'âge, les cellules de la couche épidermique de la peau se
divisent, meurent et se détachent. Parfois, une vague de morts cellulaires
peut arriver de manière catastrophique, par exemple après une brûlure ou
une plaie massive. Pour remplacer les cellules mortes, la plupart des
organes ont des processus qui régénèrent leurs cellules.
Les cellules souches remplissent cette fonction, notamment après une
perte importante de cellules. Une cellule souche est un type unique de
cellule défini par deux propriétés : elle peut donner naissance à d'autres
cellules fonctionnelles en se différenciant, par exemple en cellule nerveuse
ou en cellule épidermique ; et elle peut se renouveler, c'est-à-dire donner
d'autres cellules souches capables à leur tour de se différencier pour
produire les cellules d'un tissu. Une cellule souche est un peu comme un
grand-père qui continue à faire des enfants, des petits-enfants et des arrières
petits-enfants, génération après génération, sans jamais perdre sa fécondité.
C'est l'ultime réservoir pour régénérer un tissu ou un organe.
La plupart des cellules souches résident dans des organes ou des tissus
particuliers et ne sont à l'origine que d'une gamme limitée de cellules. Les
cellules souches de la moelle osseuse, par exemple, ne produisent que les
cellules du sang. Celles des cryptes de l'intestin ne donneront que des
cellules intestinales. Mais les cellules souches embryonnaires, ou cellules
ES, qui naissent du feuillet interne de l'embryon, sont bien plus puissantes
car elles peuvent générer tous les types cellulaires d'un organisme : du sang,
du cerveau, des intestins, des muscles, des os, de la peau. Les biologistes
utilisent le terme de pluripotence pour qualifier cette propriété des cellules
ES.
Les cellules ES ont de plus une troisième caractéristique peu courante,
une bizarrerie de la nature. Elles peuvent être isolées d'un embryon et
cultivées in vitro dans des boîtes de Petri en laboratoire. Elles poussent
alors continuellement. Ces minuscules sphères translucides peuvent se
regrouper en amas visibles au microscope, ressemblant plus à des organes
en dissolution qu'à des animaux en construction. En fait, lorsqu'elles furent
dérivées pour la première fois d'embryons de souris à Cambridge en
Angleterre, au début des années 1980, elles suscitèrent peu d'intérêt de la
part des généticiens. « Personne ne semble intéressé par mes cellules » se
plaignait l'embryologiste Martin Evans 4.
Mais le réel pouvoir d'une cellule ES réside, là encore, dans la transition :
comme l'ADN, comme les gènes, comme les virus, c'est la dualité
intrinsèque de son existence qui en fait un puissant outil de biologie. Les
cellules ES se comportent comme d'autres cellules utilisables en culture in
vitro. On peut les faire pousser dans des boîtes de Petri, elles peuvent être
congelées et décongelées pour les remettre en culture, propagées pendant
des générations. Et des gènes peuvent être insérés dans leur génome ou en
être excisés relativement facilement.
Cependant, si vous mettez ces mêmes cellules dans le bon environnement
et au bon moment, elles acquièrent une autre dimension et la vie se met
littéralement à jaillir d'elles. Mélangées aux cellules d'un jeune embryon, le
tout implanté dans le ventre d'une souris femelle, les cellules ES se divisent
et forment des couches. Elles peuvent alors se différencier en toutes sortes
de cellules – sanguines, nerveuses, musculaires, hépatiques et même en
spermatozoïdes et en ovules. Ces cellules s'organisent ensuite d'elles-mêmes
en tissus et en organes et se trouvent ainsi miraculeusement incorporées
dans un organisme multicellulaire qui va finalement donner une vraie
souris. Toute manipulation effectuée lors de la phase de culture in vitro se
retrouve donc dans cette souris chimérique. La modification génétique
d'une cellule dans une boîte de Petri « devient » celle d'un organisme dans
l'utérus d'une mère porteuse. C'est une transition du laboratoire vers le
vivant.
La facilité expérimentale offerte par les cellules ES a aussi permis de
surmonter un second problème plus coriace. Lorsque des virus sont utilisés
pour transférer des gènes dans les cellules, il est virtuellement impossible
de contrôler l'endroit où s'insérera le transgène dans le génome de l'hôte.
Avec ses trois milliards de paires de bases, le génome humain est environ
50 à 100 000 fois plus gros que la plupart des génomes viraux. Un gène
viral s'insère dans le génome comme un papier de bonbon tombe d'un avion
dans l'Atlantique : impossible de savoir où il va atterrir. Pratiquement tous
les virus capables de s'intégrer dans le génome, comme le VIH ou le SV40,
le font sur un site au hasard. Pour la thérapie génique, cette insertion
aléatoire est une nuisance infernale. Les gènes viraux peuvent se retrouver
dans une crevasse inerte du génome et ne jamais être exprimés. Ils peuvent
aussi tomber dans un endroit du chromosome qui est facilement réduit au
silence par la cellule. Ou pire, leur insertion peut détruire un gène essentiel
ou en activer un responsable de cancers, autant de désastres potentiels à la
clé.
Avec les cellules ES de souris, toutefois, les scientifiques ont appris à
faire des changements génétiques ciblés et non plus aléatoires au sein du
génome, et au sein d'un gène 5. Si l'on cible le gène de l'insuline, par
exemple, on peut s'assurer, par le biais de quelques manipulations
expérimentales simples mais ingénieuses 6, que seul le gène de l'insuline
sera modifié dans les cellules ES en culture. Et comme ces dernières, une
fois réinjectées dans un embryon, peuvent en principe générer tous les types
cellulaires, on est sûr d'obtenir une souris ayant précisément ce gène de
l'insuline modifié dans une fraction au moins de ses cellules. Si, par chance,
les cellules ES se retrouvent à l'origine de spermatozoïdes ou d'ovules chez
la souris adulte, alors le gène modifié passera de génération en génération,
assurant ainsi une transmission verticale héréditaire.
Lors de l'émergence de cette technique, on mesura ses profondes
implications. Dans le monde naturel, le seul moyen d'effectuer un
changement intentionnel dans un gène est la mutagenèse à l'aveugle suivie
d'une phase de sélection. Si on expose un animal aux rayons X, par
exemple, une altération génétique peut s'inscrire de façon permanente dans
le génome ; mais il n'y a pas de moyen d'attirer l'attention des rayons X sur
un gène particulier. Par l'action de la sélection naturelle, la mutation qui
confère le meilleur succès reproducteur est choisie et se retrouve de plus en
plus fréquente dans le pool de gènes. Toutefois, dans ce scénario, ni la
mutagenèse ni l'évolution n'ont d'intentionnalité. Dans la nature, la machine
responsable de l'altération génétique n'a pas de pilote. « L'horloger » de
l'évolution, comme nous le rappelle Richard Dawkins, est intrinsèquement
aveugle.
Avec les cellules ES, au contraire, les scientifiques pouvaient désormais
manipuler les gènes de leur choix et incorporer le changement génétique
désiré dans le génome de la souris. C'était une mutation et une sélection à la
fois, une évolution accélérée en laboratoire. La technologie était si
révolutionnaire qu'un nouveau mot fut forgé pour décrire les souris
produites. Elles furent qualifiées de KO (pour knock-out) pour le gène ciblé
quand il était inactivé et de KI (pour knock-in) quand il était modifié. Au
début des années 1990, les laboratoires du monde entier avaient créé des
centaines de souris génétiquement modifiées pour étudier la fonction des
gènes. Des souris avaient subi des altérations génétiques pour reproduire
des pathologies comme la maladie d'Alzheimer, l'épilepsie ou le
vieillissement prématuré. Celles dont un gène du cancer avait été activé
explosaient de tumeurs, ce qui permettait aux biologistes de les étudier en
tant que modèles de cancers humains. En 2014, des chercheurs créèrent des
souris portant une mutation qui influait sur la communication des neurones
dans le cerveau. Ces animaux avaient une mémoire nettement accrue et des
fonctions cognitives plus élevées. C'étaient les animaux-savants du monde
des rongeurs 7, mémorisant plus vite, se souvenant plus longtemps et
apprenant de nouvelles tâches presque deux fois plus vite que les autres
souris.
Ces expériences entraînaient des considérations éthiques complexes.
Cette technique pouvait-elle être utilisée chez les primates ? Chez
l'homme ? Qui allait réguler la manipulation génétique des animaux ? Quels
gènes allaient ou pouvaient être introduits ? Quelles étaient les limites à ne
pas dépasser ?
Heureusement, des barrières techniques sont apparues avant que les
dilemmes éthiques n'aient eu une chance de se présenter. Une grande partie
du travail initial sur les cellules ES, dont la production d'organismes
génétiquement modifiés de manière ciblée, avait été menée avec des
cellules de souris. Au début des années 1990, quand plusieurs cellules ES
humaines furent dérivées d'embryons précoces humains, les scientifiques se
heurtèrent à un obstacle imprévu. Contrairement aux cellules ES de souris
qui s'étaient montrées très accessibles aux manipulations, celles de l'homme
ne donnaient rien en culture. « C'est peut-être le petit secret inavouable du
domaine : les cellules ES humaines n'ont pas les mêmes capacités que celles
des souris » remarqua le biologiste Rudolf Jaenisch 8. « On ne peut les
cloner. On ne peut les utiliser pour du ciblage génétique […] Elles sont très
différentes des cellules ES de souris qui peuvent tout faire ».
Le génie de la manipulation génétique ciblée semblait, au moins
temporairement, contenu dans sa bouteille.
La perspective d'une modification génétique d'embryons humains fut
évacuée pour un temps, mais si des thérapeutes du gène se fixaient un but
moins radical ? Des virus ne pouvaient-ils pas servir à introduire des gènes
dans les cellules visées, non en culture mais directement dans l'organisme
humain ? Le problème de l'intégration au hasard dans le génome
subsisterait, mais le risque d'une transmission verticale du transgène serait
éliminé, la modification ne portant pas sur les cellules germinales. Si des
gènes pouvaient être introduits par des virus dans des cellules précises, on
disposerait d'un outil thérapeutique de réparation génétique. Même cet
objectif revu à la baisse constituerait déjà un bond dans le futur de la
médecine humaine. Cela allait être la thérapie génique allégée.
En 1988, une petite fille de deux ans nommée Ashanti DeSilva, ou Ashi,
de North Olmsted dans l'Ohio, commença à développer de curieux
symptômes 9. Les jeunes enfants ont des dizaines d'affections transitoires
comme le sait tout parent, mais celles d'Ashi étaient tout à fait anormales.
Elle avait des pneumonies et des infections bizarres qui semblaient
persister, des blessures qui ne se cicatrisaient pas, et un taux de globules
blancs dans le sang qui restait bien bas. Une grande partie de la petite
enfance d'Ashi s'était passée à l'hôpital et, à l'âge de deux ans, une banale
infection virale dégénéra complètement en une hémorragie interne très
grave qui entraîna une hospitalisation prolongée.
Pendant un moment, les médecins furent déroutés par ses symptômes. Ils
attribuèrent vaguement ses maladies chroniques à un système immunitaire
sous-développé qui allait finir par arriver à maturité. Mais comme les
symptômes refusaient de s'atténuer et qu'Ashi arrivait à l'âge de trois ans,
elle subit une batterie de tests. Son immunodéficience fut attribuée à ses
gènes : on découvrit des mutations spontanées touchant les deux copies d'un
gène appelé ADA sur le chromosome 20. Ashi avait alors failli mourir
plusieurs fois. Son corps avait payé un très lourd tribut mais l'angoisse
émotionnelle était encore plus lourde à porter. Un matin, la petite fille de
quatre ans se réveilla et dit « maman, tu n'aurais pas dû avoir un enfant
comme moi 10 ».
Le gène ADA, une abréviation de « adénosine désaminase », code une
enzyme qui convertit l'adénosine, une substance chimique produite par le
corps, en une autre inoffensive, l'inosine. En l'absence d'une copie
fonctionnelle du gène ADA, l'organisme se retrouve saturé par des dérivés
toxiques du métabolisme de l'adénosine. Les cellules les plus gravement
intoxiquées sont les lymphocytes T combattant les infections et, en leur
absence, la réponse immunitaire s'effondre rapidement. La maladie est
extrêmement rare : un enfant sur 150 000 naît avec un déficit en ADA, mais
observer un malade ADA est un événement encore plus rare car presque
tous les enfants meurent en bas âge. Le déficit en ADA fait partie d'un
groupe plus large de maladies connues sous le nom de déficit immunitaire
combiné sévère ou SCID. Le plus célèbre patient SCID, un garçon nommé
David Vetter, avait passé douze ans de sa vie dans une chambre de plastique
dans un hôpital texan. Le Bubble Boy 11, comme il fut appelé par les
médias 12, mourut en 1984, toujours prisonnier de sa bulle stérile en
plastique, après une tentative désespérée de lui greffer de la moelle osseuse.
Le décès de David Vetter fit renoncer les médecins qui avaient espéré un
temps utiliser la greffe de moelle osseuse pour traiter le déficit en ADA. Le
seul autre traitement, testé dans les premiers essais cliniques au milieu des
années 1980, s'appelait le PEG-ADA. L'enzyme purifiée à partir de la vache
était enrobée d'une gangue chimique pour allonger sa durée de vie dans le
sang (la forme normale de l'ADA a une durée de vie trop courte pour être
efficace). Mais même ce traitement avait bien du mal à faire reculer
l'immunodéficience. Il devait être injecté dans le sang tous les mois environ
pour remplacer l'enzyme dégradée par l'organisme. Plus inquiétant,
l'injection de PEG-ADA risquait d'induire la formation d'anticorps contre
l'ADA elle-même : ces anticorps auraient alors supprimé l'enzyme encore
plus rapidement, accélérant la catastrophe et rendant le remède plus nocif
que le mal.
La thérapie génique pouvait-elle corriger ce déficit en ADA ? Il suffisait
après tout de corriger un unique gène qui avait été identifié et caractérisé.
En outre, on disposait depuis peu d'un véhicule, ou vecteur, conçu pour
transporter des gènes dans les cellules humaines. À Boston, un virologue et
généticien du nom de Richard Mulligan avait construit une souche
particulière de rétrovirus – un cousin du VIH – qui pouvait transférer
n'importe quel gène dans toute cellule humaine d'une manière assez sûre 13.
Les rétrovirus peuvent être manipulés pour infecter de nombreux types de
cellules. Ils ont la capacité particulière d'insérer leur génome dans celui de
leur hôte, incrustant définitivement leur matériel génétique dans celui de la
cellule. En travaillant sur cette technologie, Mulligan avait créé des virus
altérés : ils pouvaient toujours infecter des cellules et y intégrer leur
génome mais avaient perdu la capacité de se propager d'une cellule à l'autre.
Le virus pouvait entrer mais ne sortait plus. Le gène atterrissait dans le
génome mais n'en ressortait plus.

En 1986, au NIH de Bethesda, des spécialistes de la thérapie génique


emmenés par William French Anderson et Michael Blaese 14 décidèrent
d'utiliser les vecteurs mis au point par Mulligan pour transférer le gène de
l'ADA à des enfants atteints de déficience en ADA 15* *. Anderson obtint le
gène d'un autre laboratoire et l'inséra dans le vecteur rétroviral. Au début
des années 1980, Anderson et Blaese avaient déjà fait des essais
préliminaires pour transférer à l'aide de vecteurs rétroviraux le gène de
l'ADA humain dans des cellules souches du sang de souris et de singe 16.
Une fois ces cellules souches infectées par le vecteur, Anderson pensait
qu'elles allaient pouvoir donner des cellules du sang et notamment des
lymphocytes T portant un gène de l'ADA fonctionnel.
Les résultats avaient été décourageants, avec un taux de transfert du gène
très faible. Sur les cinq singes traités, un seul – Monkey Roberts – avait eu
des cellules sanguines montrant une production à long terme de la protéine
humaine ADA. Mais Anderson restait imperturbable. « Personne ne sait ce
qui peut se passer quand de nouveaux gènes sont introduits dans le corps
humain, avançait-il. C'est une boîte noire complète en dépit de tout ce que
l'on dit […] La recherche in vitro et chez l'animal a ses limites. Au bout du
compte, il faut essayer chez une personne 17 ».
Le 24 avril 1987, Anderson et Blaese demandèrent la permission au NIH
de lancer leur protocole de thérapie génique. Ils proposaient d'extraire des
cellules de la moelle osseuse d'enfants déficients en ADA, de les infecter
avec le virus recombinant in vitro, puis de réinjecter les cellules
génétiquement modifiées chez les enfants. Comme les cellules souches
génèrent toutes les cellules du sang – dont les lymphocytes B et T –, le gène
ADA allait trouver sa voie dans les lymphocytes T où il était nécessaire.
La demande fut transmise au Comité consultatif sur l'ADN recombinant,
ou RAC, un organisme monté au sein du NIH dans le sillage des
recommandations de Berg à la rencontre d'Asilomar. Connu pour ses
évaluations très serrées, le comité était le censeur de toutes les expériences
impliquant de l'ADN recombinant. De façon sans doute prévisible, le RAC
rejeta d'emblée le protocole. Le rejet était motivé par le peu de données
chez l'animal, le niveau à peine détectable de transfert du gène dans les
cellules souches et le manque d'explications détaillées sur l'expérience. Le
comité soulignait enfin que le transfert de gène dans le corps humain n'avait
jamais été tenté auparavant 18.
Anderson et Blaese retournèrent dans leur labo pour repenser leur
protocole. Ils admirent avec mauvaise grâce que la décision du RAC était
justifiée. Un problème sérieux était le taux d'infection à peine détectable des
cellules souches de moelle osseuse par le virus ; du côté de l'animal, les
données n'étaient pas non plus enthousiasmantes. Mais si l'on ne pouvait
pas utiliser de cellules souches, comment espérer que la thérapie génique
réussisse ? Dans le corps, les cellules souches sont les seules peuvent se
renouveler toutes seules et donc apporter une solution à long terme au
déficit génétique. Sans cette source durable de cellules, les efforts pour faire
pénétrer le gène de secours dans des cellules de l'organisme étaient vains :
les cellules porteuses finiraient par mourir et le gène par disparaître avec
elles. Les chercheurs pouvaient bien introduire des gènes dans le corps mais
pouvaient-ils y introduire une thérapie ?
Cet hiver-là, ruminant le problème, Blaese trouva un compromis. Et si,
au lieu de transférer le gène dans des cellules souches du sang, ils
l'introduisaient directement dans les lymphocytes T du sang des patients ?
Cela serait une expérience moins radicale ou permanente, mais aussi bien
moins toxique et cliniquement plus facile à réaliser. Les lymphocytes T
pouvaient être récoltés à partir du sang périphérique plutôt qu'à partir de la
moelle osseuse, et les cellules pouvaient peut-être vivre assez longtemps
pour fabriquer de l'ADA et corriger temporairement la déficience. Les
lymphocytes T finiraient par disparaître du sang mais la procédure pouvait
être répétée. Elle ne correspondait pas à une thérapie génique définitive
mais pouvait néanmoins être une preuve de principe, une thérapie génique
allégée.
Anderson était réticent. S'il devait lancer le premier essai clinique de
thérapie génique, il voulait quelque chose de définitif, qui s'inscrive dans
l'histoire médicale. Dans un premier temps il résista, puis finit par céder à la
logique de Blaese. En 1990, Anderson et Blaese reprirent contact avec le
comité. Là encore, le désaccord fut violent car le protocole sur les
lymphocytes T était encore moins bien étayé que le premier. Anderson et
Blaese soumirent des modifications, puis des modifications des
modifications. Des mois s'écoulèrent sans aucune décision. Au cours de
l'été 1990, après une série de débats qui s'éternisa, le comité finit par donner
son accord pour lancer un essai. « Les médecins attendaient ce jour depuis
mille ans » déclara le président du RAC, Gerard McGarrity. La plupart des
autres membres du comité n'étaient pas aussi optimistes quant aux chances
de succès de l'essai.
Anderson et Blaese se mirent en quête dans tous les hôpitaux du pays
d'enfants atteints de déficience en ADA. Ils trouvèrent un trésor dans l'Ohio
avec deux patientes qui présentaient la maladie. L'une était une grande fille
aux cheveux foncés appelée Cynthia Cutshall, l'autre était la fille âgée de
quatre ans d'un chimiste et d'une infirmière du Sri Lanka : elle s'appelait
Ashanti DeSilva

Un matin de septembre 1990, sous un ciel couvert à Bethesda, Van et


Raja DeSilva, les parents d'Ashi, amenèrent leur fille au NIH. Elle avait
maintenant quatre ans. Avec sa frange de cheveux brillants et sa coupe à la
Jeanne d'Arc, c'était une petite fille hésitante et timide dont la figure
réservée pouvait soudain s'éclairer d'un grand sourire. C'était sa première
rencontre avec Anderson et Blaese. Quand ils s'approchèrent, elle détourna
le regard. Anderson l'emmena à la boutique de cadeaux de l'hôpital et lui
demanda de choisir une peluche : elle choisit un petit lapin.
De retour au centre clinique, Anderson inséra un cathéter dans l'une des
veines d'Ashi et lui préleva une poche de sang qu'il envoya rapidement à
son laboratoire. Les quatre jours suivants, 200 millions de rétrovirus furent
mélangés à 200 millions de lymphocytes T extraits du sang d'Ashi. Une fois
infectées, les cellules furent mises en culture, formant même des grappes de
nouvelles cellules. Leur nombre doublait en douze heures dans un
incubateur humide et silencieux du bâtiment 10 du centre clinique, à
quelques centaines de mètres du laboratoire où Marshall Nirenberg, presque
vingt-cinq ans auparavant, avait élucidé le code génétique.
Les lymphocytes T modifiés d'Ashi DeSilva furent prêts le 14 septembre
1990. Ce matin-là, Anderson sortit rapidement de chez lui à l'aube, sans
avoir pris son petit-déjeuner et presque malade d'appréhension, puis monta
à son laboratoire au troisième étage. La famille DeSilva l'attendait déjà.
Ashi était debout entre les genoux de sa mère assise, comme pour se faire
examiner les dents. La matinée fut consacrée à faire plus de tests. La
clinique était silencieuse, à l'exception parfois des bruits de pas des
infirmières de recherche qui allaient et venaient. Ashi était assise sur son lit
dans un peignoir jaune. Une aiguille fut insérée dans une de ses veines et
elle fit légèrement la grimace, mais ce geste avait déjà été fait des dizaines
de fois.
À 12 h 52, un sac de vinyle contenant presque un milliard de
lymphocytes T infectés par le rétrovirus portant le gène ADA fut amené à
l'étage. Ashi regarda avec appréhension le sac quand une infirmière
l'accrocha à une perche de perfusion. Vingt minutes plus tard, le sac s'était
vidé et ses dernières gouttes étaient passées dans Ashi. Elle joua avec une
balle en éponge jaune sur son lit. Ses signes vitaux étaient normaux. Le père
d'Ashi descendit acheter des bonbons au rez-de-chaussée. Anderson
paraissait soulagé. « Un moment cosmique était passé sans y paraître » nota
un témoin 19.
« Numéro un » dit Anderson ravi en désignant Ashi qu'il poussait sur son
fauteuil après avoir fait la transfusion. Quelques-uns de ses collègues du
NIH attendaient à l'extérieur pour voir la première personne à avoir été
transfusée avec des cellules génétiquement modifiées, mais elles se
dispersèrent rapidement pour retourner dans les laboratoires. « C'est comme
les gens dans le centre de Manhattan, par exemple, gloussa Anderson. Jésus
Christ pourrait y déambuler sans que personne ne le remarque 20. » Le jour
suivant, la famille d'Ashi retourna chez elle dans l'Ohio.

La thérapie génique d'Anderson a-t-elle marché ? On ne le sait pas et sans


doute ne le saura-t-on jamais. Le protocole était conçu pour vérifier
l'innocuité du traitement : des lymphocytes T infectés par un rétrovirus
pouvaient-ils être injectés sans risque dans une personne ? En revanche, le
protocole n'était pas conçu pour tester l'efficacité du traitement : le patient
allait-il guérir, même temporairement, de sa déficience en ADA ? Ashi
DeSilva et Cynthia Cutshall, les deux premières patientes de l'étude, avaient
reçu les lymphocytes T génétiquement modifiés mais aussi continué à
recevoir leur traitement avec le PEG-ADA, l'enzyme artificielle. Tout effet
potentiel de la thérapie génique était donc masqué par ce traitement.
Les parents d'Ashi comme de Cynthia furent néanmoins convaincus que
le traitement avait marché. « Ce n'est pas une grosse amélioration, admit la
mère de Cynthia 21, mais pour vous donner un exemple, elle vient de
récupérer d'un rhume. D'habitude, ses rhumes se terminaient en pneumonie,
cela n'a pas été le cas cette fois-ci… C'est un progrès pour elle. » Le père
d'Ashi, Raja DeSilva, approuvait : « Avec le PEG, nous avions vu une
énorme amélioration mais elle avait tout de même le nez qui coulait et un
rhume permanent, elle était sous antibiotiques tout le temps. Après la
seconde injection de gène, en décembre, cela a commencé à changer. Nous
l'avons remarqué parce que nous achetions moins de boîtes de mouchoirs en
papier. »
Malgré l'enthousiasme d'Anderson et les indices anecdotiques des
familles, beaucoup de partisans de la thérapie génique, dont Mulligan,
étaient loin d'être convaincus que cet essai avait été autre chose qu'un coup
de publicité. Mulligan, le critique le plus volubile de l'essai clinique dès le
départ, était particulièrement irrité par l'annonce d'un succès alors que les
données restaient insuffisantes. Si le plus ambitieux essai de thérapie
génique mené chez l'homme se mesurait à la fréquence des nez qui coulent
et au nombre de Kleenex utilisés, c'était plutôt embarrassant pour le
domaine. « C'est une honte » répliqua Mulligan à un journaliste qui
l'interrogeait à propos du protocole. Pour tester si des modifications
génétiques pouvaient être introduites dans des cellules humaines et si ces
gènes pouvaient rétablir un fonctionnement normal et sûr, il proposait un
essai soigneux, « une thérapie génique nette et propre » comme il l'appelait.
Mais dès l'annonce d'Anderson, l'ambition des thérapeutes du gène s'était
emballée. Ils montraient une telle frénésie que des expériences « nettes et
propres » étaient devenues pratiquement impossibles à envisager. Après cet
essai sur les lymphocytes T, ils considérèrent d'autres traitements pour des
maladies génétiques comme la mucoviscidose et la maladie de Huntington.
Comme des gènes pouvaient être transférés dans presque n'importe quel
type de cellule, la thérapie génique pouvait théoriquement s'appliquer à
toute maladie cellulaire, que ce soit dans le cœur, le cerveau, ou même au
cancer. Alors que les spécialistes s'apprêtaient à se lancer sans retenue, des
voix comme celles de Mulligan appelaient à la prudence mais elles furent
ignorées. Cet enthousiasme allait avoir un coût très élevé et entraîner le
domaine de la thérapie génique, et de la génétique humaine, au bord du
désastre, au point le plus bas et le plus sombre de son histoire.
Le 9 septembre 1999, presque neuf ans après qu'Ashi DeSilva avait été
traitée avec des globules blancs génétiquement modifiés, un jeune homme
appelé Jesse Gelsinger prit l'avion pour participer à Philadelphie à un autre
essai de thérapie génique. Gelsinger avait dix-huit ans, était passionné de
moto et de lutte, et était d'un naturel direct et insouciant. Comme Ashi
DeSilva et Cynthia Cutshall, il était né avec une mutation dans un seul gène
du métabolisme. Ce gène s'appelle l'ornithine transcarbamylase, ou OTC, et
code une enzyme du foie qui joue un rôle crucial dans la dégradation des
protéines. En son absence, l'ammoniaque – un produit de dégradation des
protéines que l'on trouve aussi dans les liquides de nettoyage sanitaire –
abîme les vaisseaux sanguins et les cellules, traverse la barrière hémato-
encéphalique entre le sang et le cerveau, et finit par lentement empoisonner
les neurones. La plupart des patients portant des mutations dans le gène de
l'OTC ne survivent pas après l'enfance. Même avec un strict régime sans
protéines, ils sont intoxiqués par la dégradation de leurs propres cellules au
cours de leur croissance.
Parmi les enfants naissant avec cette cruelle maladie, Gelsinger pouvait
s'estimer particulièrement chanceux car sa forme de déficience en OTC était
modérée. La mutation n'était pas venue de son père ou de sa mère mais était
apparue spontanément dans l'une de ses cellules in utero, probablement au
stade embryonnaire. Du point de vue génétique, Gelsinger était un
phénomène rare, une chimère humaine, un patchwork de cellules, certaines
ayant l'enzyme et d'autres pas. Sa capacité à métaboliser les protéines était
pourtant sévèrement compromise. Il vivait avec un régime très calibré,
chaque portion de nourriture étant pesée, les calories mesurées et prises en
compte, et il prenait trente-deux comprimés par jour pour contenir le taux
d'ammoniaque. En dépit de ces mesures préventives, il avait déjà vu sa vie
menacée à plusieurs reprises. À l'âge de quatre ans, il avait joyeusement
mangé un sandwich au beurre de cacahuète qui l'avait immédiatement
plongé dans le coma 22.
En 1993, alors que Gelsinger avait douze ans 23, deux pédiatres de
Pennsylvanie, Mark Batshaw et James Wilson, commencèrent à faire des
expériences dans le but de traiter par thérapie génique des enfants déficients
en OTC. Wilson, un ancien joueur de football américain à l'université, était
un homme téméraire, fasciné par les expériences ambitieuses chez l'homme.
Il avait créé une société de thérapie génique nommée Genova et un Institut
de thérapie génique humaine à l'université de Pennsylvanie. Wilson comme
Batshaw étaient intrigués par la déficience en OTC. Comme avec la
déficience en ADA, le fait qu'elle soit due au mauvais fonctionnement d'un
seul gène en faisait un cas idéal pour tester la thérapie génique. Mais la
forme de traitement que Wilson et Batshaw considéraient était bien plus
extrême. Au lieu d'extraire les cellules, de les modifier génétiquement puis
de les réinjecter dans le patient, ils avaient imaginé d'insérer le gène correct
directement dans le corps à l'aide d'un virus. Ce n'était plus de la thérapie
génique allégée. Ils allaient créer un virus portant le gène OTC et le faire
passer dans la circulation sanguine pour qu'il aille infecter le foie in situ.
Batshaw et Wilson pensaient que les cellules hépatiques infectées se
mettraient à synthétiser l'enzyme OTC et corrigeraient ainsi la déficience
causant la maladie. La marque du succès serait une réduction du taux
d'ammoniaque dans le sang. « Ce n'était pas si compliqué » se rappelle
Wilson. Pour introduire le gène, Wilson et Batshaw choisirent l'adénovirus,
un virus qui cause des rhumes mais n'est associé à aucune maladie grave.
Cela semblait un choix raisonnable et sûr : le virus le plus anodin utilisé
comme véhicule pour l'une des expériences de génétique les plus hardies de
la décennie.
Durant l'été 1993, ils commencèrent à injecter des adénovirus modifiés
dans des souris et des singes. Les expériences chez la souris se déroulèrent
comme prévu. Arrivé dans le foie, le virus injecta son gène dans les cellules
hépatiques qui furent transformées en minuscules usines à produire une
enzyme OTC fonctionnelle. Les expériences chez le singe furent plus
compliquées. Aux fortes doses de virus, un singe présentait parfois une
brusque réaction immunitaire qui se traduisait par une inflammation et une
défaillance du foie. Un des singes fit une hémorragie mortelle. Wilson et
Batshaw modifièrent le virus pour en éliminer les gènes qui pouvaient
induire une immunité et le transformer en un vecteur de gène plus sûr. Ils
réduisirent aussi la dose humaine potentielle de dix-sept fois pour s'assurer
encore une fois de l'innocuité du virus. En 1997, ils firent leur demande au
RAC, le comité autorisant tous les essais de thérapie génique chez l'homme.
Le RAC refusa dans un premier temps, mais lui aussi avait changé. Au
cours des dix ans séparant l'essai d'Anderson et celui de Wilson, le farouche
censeur de l'ADN recombinant d'autrefois s'était mué en un partisan
enthousiaste de la thérapie génétique chez l'homme. Cette ambiance
chaleureuse débordait même le comité. Les bioéthiciens consultés par le
RAC au sujet de l'essai de Wilson soutinrent que le traitement d'enfants
avec une complète déficience en OTC pourrait aboutir à une « contrainte »
future : quel parent ne voudrait pas tenter cette thérapie pionnière
susceptible de sauver un enfant mourant ? Au lieu de cela, les bioéthiciens
recommandèrent un essai sur des sujets normaux ou des patients avec des
formes légères du déficit en OTC, comme Jesse Gelsinger.

Dans l'Arizona, pendant ce temps, Jesse Gelsinger s'énervait contre les


restrictions alimentaires et contre son traitement (« Tous les adolescents se
rebellent » m'a dit son père, Paul Gelsinger, mais cette révolte peut devenir
particulièrement aiguë quand il s'agit « d'un hamburger et d'un verre de
lait »). Durant l'été 1998, alors qu'il avait dix-sept ans, Gelsinger eut
connaissance de l'essai clinique OTC à l'université de Pennsylvanie.
Gelsinger était captivé par la perspective de la thérapie génique. Il voulait
un répit dans l'épuisante routine de sa vie. « Mais ce qui l'excitait encore
plus, se souvient son père, était l'idée qu'il le ferait pour des bébés.
Comment dire non à cela ? »
Gelsinger se languissait de signer. En juin 1999, il prit contact avec
l'équipe de Pennsylvanie par son médecin traitant pour faire partie de
l'essai. Ce mois-là, Paul et Jesse Gelsinger s'envolèrent à Philadelphie pour
rencontrer Wilson et Batshaw. Jesse et Paul furent tout deux impressionnés.
Le projet de l'essai fit à Paul Gelsinger l'effet « d'une belle, belle chose ».
Ils visitèrent l'hôpital et déambulèrent dans la ville encore émus et exaltés.
Jesse s'arrêta devant la statue de bronze de Rocky Balboa devant le
Spectrum Arena. Paul prit une photo de son fils, les bras levés à la manière
d'un boxeur triomphant.
Le 9 septembre, Jesse revint à Philadelphie avec un sac contenant des
vêtements, des livres et des vidéos de lutte pour commencer l'essai à
l'hôpital universitaire. Jesse allait rester en ville avec son oncle et ses
cousins pour se présenter le lendemain matin au rendez-vous de l'hôpital.
La procédure était décrite comme si rapide et indolore que Paul avait prévu
de venir chercher son fils une semaine après la thérapie et de le ramener par
un vol commercial.
Le 13 septembre au matin, le jour choisi pour l'injection virale, le taux
d'ammoniaque de Gelsinger avait grimpé jusqu'à environ soixante-dix
micromoles par litre, deux fois la valeur normale et dans la limite
supérieure pour engager l'essai. Les infirmières transmirent la nouvelle
anormale à Wilson et Batshaw. Le protocole était déjà lancé. Les salles
d'opérations étaient en attente. Le liquide viral avait été décongelé et luisait
dans sa poche en plastique. Wilson et Batshaw discutèrent de l'éligibilité de
Gelsinger à l'essai et décidèrent qu'il n'y avait pas de risque clinique à
poursuivre. Les 17 patients précédents, après tout, avaient bien toléré
l'injection. À environ 9 h 30, Gelsinger fut amené dans la salle
d'intervention. Il était sous une légère sédation et deux gros cathéters
longeaient ses jambes pour atteindre une artère proche du foie. Puis à
11 h 00, un chirurgien préleva environ trente millilitres d'une poche
d'adénovirus concentré et les injecta dans l'artère de Gelsinger. Des
centaines de millions de particules invisibles portant le gène de l'OTC
arrivèrent dans le foie. À midi, la procédure était terminée 24.
L'après-midi se passa tranquillement. Ce soir-là, de retour dans sa
chambre d'hôpital, Gelsinger fit un pic de fièvre à 40 °C. Son visage était
rouge. Wilson et Batshaw n'y prêtèrent pas trop attention. Les autres
patients avaient eux aussi présenté une fièvre transitoire. Jesse appela Paul
dans l'Arizona et lui dit « Je t'aime » avant de raccrocher et de remonter ses
couvertures. Il dormit par intermittence cette nuit-là.
Le matin, une infirmière nota que les yeux de Jesse présentaient une
légère teinte jaune. Un test confirma que la bilirubine, une substance issue
de la dégradation de l'hémoglobine des globules rouges par le foie, se
déversait dans le sang. Ce taux sanguin élevé pouvait indiquer deux choses.
Soit le foie était lésé, soit les globules rouges étaient abîmés. Dans les deux
cas, ce n'était pas bon signe. Chez toute autre personne, ce petit regain de
destruction cellulaire ou tissulaire pouvait être négligé mais chez un patient
ayant un déficit d'OTC la combinaison des deux pouvait déclencher un
orage parfait. Les protéines relâchées par les globules rouges endommagés
ne seraient pas métabolisées et le foie endommagé serait encore plus
incapable de traiter le moindre excès de protéines dans le sang. Le corps
allait s'intoxiquer avec ses propres poisons. À midi, le taux d'ammoniaque
dans le sang s'envola à 393 micromoles par litre, soit dix fois la normale.
Paul Gelsinger et Mark Batshaw furent prévenus. James Wilson apprit la
nouvelle du chirurgien qui avait inséré le cathéter et injecté le virus. Paul
réserva un billet immédiat pour la Pennsylvanie tandis qu'une équipe de
médecins débarqua en salle de soins intensifs pour commencer une dialyse
et prévenir un coma.
Le lendemain matin à huit heures, quand Paul Gelsinger arriva à l'hôpital,
Jesse était en hyperventilation et en pleine confusion. Ses reins étaient en
train de lâcher. L'équipe de soins intensifs lui avait donné un sédatif pour
essayer, avec un respirateur artificiel, de maintenir sa ventilation. Tard dans
la nuit précédente, ses poumons avaient commencé à se rigidifier et à
collapser, à mesure qu'ils se remplissaient des liquides de la réponse
inflammatoire. Le respirateur cala, incapable d'insuffler assez d'oxygène, et
Jesse fut branché sur un appareil qui lui injectait directement le gaz dans le
sang. Le fonctionnement de son cerveau se détériorait aussi. On appela un
neurologue pour l'examiner et il nota les yeux roulant vers le bas de Jesse,
signe d'une atteinte du cerveau.
Le jour suivant, l'ouragan Floyd frappa la côte Est, se déchaînant sur les
rivages de la Pennsylvanie et du Maryland avec des vents hurlants et des
torrents de pluie. Batshaw fut bloqué dans un train en allant à l'hôpital. Il
vida la batterie de son téléphone à discuter avec les infirmières et les
médecins, puis s'assit dans l'obscurité complète, rongé par l'anxiété. Vers la
fin de l'après-midi, l'état de Jesse s'aggrava encore. Ses reins s'arrêtèrent de
fonctionner. Son coma devint plus profond. Échoué dans sa chambre
d'hôtel, sans taxi à l'horizon, Paul Gelsinger marcha deux kilomètres à
travers les sifflements de l'orage pour regagner l'hôpital et voir Jesse aux
soins intensifs. Il trouva son fils méconnaissable, comateux, gonflé, couvert
de bleus, jaune à cause de son hépatite, avec des dizaines de tubes et de
cathéters sur tout le corps. Le respirateur luttait sans effet contre les
poumons enflammés avec le son plat et terne du vent frappant de l'eau. La
salle vibrait et bipait de centaines d'instruments enregistrant le lent déclin
d'un garçon en pleine détresse physiologique.
Le matin du vendredi 17 septembre, quatre jours après le transfert du
virus, Jesse se trouvait en état de mort cérébrale. Paul Gelsinger décida
d'arrêter l'assistance médicale. L'aumônier entra dans la pièce, mit sa main
sur le front de Jesse, lui administra l'extrême onction et lut la prière du
Seigneur. Les machines furent débranchées une à une. Le silence se fit dans
la pièce, troublé par les râles profonds de l'agonie. À 14 h 30, le cœur de
Jesse s'arrêta. Il fut officiellement déclaré décédé.
« Comment une chose aussi belle a-t-elle pu tourner aussi mal 25 ? »
Quand j'ai rencontré Paul Gelsinger au cours de l'été 2014, il cherchait
encore une réponse. Quelques semaines plus tôt, je lui avais envoyé un mail
pour lui signaler mon intérêt pour l'histoire de Jesse. Nous nous étions
téléphonés puis il avait accepté de me voir après ma conférence sur le futur
de la génétique et du cancer à un forum qui se tenait à Scottsdale, dans
l'Arizona. Alors que je me tenais devant l'auditorium à la fin de ma
présentation, un homme en chemise hawaïenne se fraya un chemin vers moi
dans la foule et me tendit la main. Il avait la figure ronde et ouverte de Jesse
– figure dont je me rappelais bien d'après des photos vues sur Internet.
Après le décès de son fils, Paul est devenu un militant solitaire contre les
excès de l'expérimentation clinique. Il n'est pas opposé à la médecine ou à
l'innovation. Il croit dans le futur de la thérapie génique. Mais il se méfie de
l'atmosphère pleine d'exaltation et d'illusions qui a finalement abouti au
décès de son fils. La foule s'éclaircit et Paul allait partir. Nous avions pu
discuter et nous comprendre : un médecin écrivant sur le futur de la
médecine et de la génétique, et un homme dont l'histoire a été gravée dans
le passé de ces disciplines. Il y avait l'horizon infini de la peine dans sa
voix. « Ils ne maîtrisaient pas encore la chose, dit-il. Ils ont essayé trop
rapidement. Ils ont essayé sans faire bien les choses. Ils ont précipité les
choses. Ils ont vraiment fait trop vite. »

L'autopsie de cette expérience qui avait « si mal » tourné commença


sérieusement en octobre 1999, quand l'université de Pennsylvanie lança une
enquête sur l'essai OTC. Fin octobre, un journaliste d'investigation du
Washington Post révéla l'affaire du décès de Gelsinger et la colère déferla.
En novembre, le Sénat, la Chambre des Représentants et le procureur
général de Pennsylvanie tinrent des auditions indépendantes sur la mort de
Gelsinger. En décembre, le RAC et la FDA entamèrent une enquête sur
l'université de Pennsylvanie. Les relevés médicaux de Gelsinger, les
expériences précliniques chez l'animal, les formulaires de consentement, les
notes de procédures, les tests de laboratoire et les relevés médicaux de tous
les autres patients ayant fait partie de l'essai de thérapie génique furent
extraits des sous-sols de l'hôpital universitaire. Les autorités de régulation
fédérales exploitèrent ces montagnes de papier pour tenter de faire ressortir
les raisons de la mort du garçon.
L'enquête initiale révéla un ensemble accablant d'incompétence, d'erreurs
et de négligences, alourdi par des lacunes fondamentales de connaissances.
Tout d'abord, les expériences menées chez l'animal pour établir l'innocuité
de l'adénovirus avaient été faites à la va-vite. Un singe ayant reçu la plus
forte dose de virus était mort, et si le décès avait bien été rapporté au NIH et
la dose réduite chez l'homme, aucune mention de ce cas n'avait été faite
dans le formulaire donné à la famille Gelsinger. « Rien dans les formulaires,
se rappelait Paul Gelsinger, ne faisait clairement allusion aux dommages
que pouvait causer le traitement. Tout était décrit comme un jeu parfait, que
des avantages et aucun inconvénient. » Ensuite, même les patients traités
avant Jesse avaient subi des effets indésirables, certains assez sévères pour
faire cesser le test ou provoquer une réévaluation du protocole. Des fièvres,
des réponses inflammatoires, et des signes précoces de défaillance
hépatique avaient été relevés, mais tout cela avait été mal rapporté ou
ignoré. Le fait que Wilson avait aussi des parts financières dans la société
de biotechnologie qui devait bénéficier de l'expérience de thérapie génique
a encore accentué la suspicion que cet essai avait été monté avec des
motivations déplacées 26.
Le degré de négligence était si atterrant qu'il en fit presque oublier les
plus importantes leçons de l'essai. Même si les médecins admirent qu'ils
avaient été négligents et impatients, le décès de Gelsinger restait un
mystère. Personne ne pouvait expliquer pourquoi il avait eu une réaction
immunitaire aussi forte contre le virus, contrairement aux 17 autres patients.
Il était clair que le vecteur adénoviral – même le virus « de troisième
génération » débarrassé de certaines de ses protéines immunogéniques –
était capable de susciter une sévère réponse chez certains patients.
L'autopsie du corps de Gelsinger montra que sa physiologie avait été
débordée par sa réponse immunitaire. Les analyses de ses prélèvements
sanguins révélèrent que des anticorps hautement réactifs contre le virus
étaient déjà présents avant même l'injection du virus. La réponse
immunitaire hyperactive de Gelsinger était probablement à mettre en lien
avec une exposition antérieure à une souche comparable d'adénovirus, à la
suite probablement d'un banal rhume. L'exposition aux pathogènes est bien
connue pour provoquer la formation d'anticorps qui restent des décennies en
circulation (c'est de cette manière, après tout, que les vaccins agissent).
Dans le cas de Jesse, cette exposition antérieure avait probablement
déclenché une réponse immunitaire hyperactive, qui s'était emballée et était
devenue incontrôlable pour une raison inconnue. Ironie de l'histoire, c'est
peut-être le choix d'un virus courant « inoffensif » comme vecteur pour la
thérapie génique qui s'est avéré la raison majeure de l'échec de l'essai.
Quel pouvait être alors le bon vecteur pour la thérapie génique ? Quel
type de virus pouvait être utilisé pour transférer sans risque des gènes chez
l'homme ? Et quels organes étaient les cibles les plus appropriées ? C'était
juste au moment où la thérapie génique commençait à être confrontée aux
problèmes scientifiques les plus intéressants que tout le domaine se retrouva
placé sous un moratoire strict. La série de problèmes révélés dans l'essai de
l'OTC furent retrouvés ailleurs. En janvier 2000, quand la FDA examina 28
autres essais cliniques, elle conclut qu'il fallait revoir d'emblée près de la
moitié d'entre eux 27. Légitimement alarmée, la FDA interrompit presque
tous les essais en cours. « Le domaine entier de la thérapie génique plongea
en chute libre, a écrit un journaliste 28. Wilson fut interdit pour cinq ans de
tout travail sur un essai clinique règlementé par la FDA. Il démissionna de
son poste à la tête de l'Institut pour la thérapie génique humaine, restant
professeur à l'université de Pennsylvanie. Peu après, l'institut lui-même fut
fermé. En septembre 1999, la thérapie génique paraissait à l'aube d'une
révolution en médecine. Fin 2000, elle ressemblait à un avertissement sur
les excès de la science. » Ou, comme l'a carrément dit la bioéthicienne Ruth
Macklin, « La thérapie génique n'est pas encore une thérapie 29 ».
Il existe un aphorisme bien connu en science qui dit que la plus belle
théorie peut être balayée par un fait pas très joli. En médecine, cet
aphorisme prend une forme légèrement différente : une belle théorie peut
être tuée par un essai pas joli. Rétrospectivement, l'essai de l'OTC fut tout
sauf joli, conçu à la va-vite, mal programmé, mal suivi, mal effectué. Il fut
encore enlaidi par les intérêts financiers en jeu. Les prophètes étaient là
pour l'argent. Mais le concept de base qui le sous-tendait – apporter un gène
au corps ou à des cellules pour corriger un défaut génétique chez l'homme –
était solide, comme il l'avait été depuis des décennies. En principe, la
capacité à transférer des gènes dans des cellules avec des virus ou d'autres
vecteurs aurait dû conduire à une puissante technologie médicale, si des
ambitions scientifiques et financières ne s'étaient pas mises en travers.
La thérapie génique allait finalement devenir une thérapie. Elle allait
rebondir suite à la laideur des premiers essais cliniques et tirer les leçons
morales de « l'avertissement sur les excès de la science 30 ». Mais il faudrait
une autre décennie, et beaucoup de connaissances en plus, pour que la
science puisse enfin percer.
Le diagnostic génétique : « les prévivantes »

« Tout ce que l'homme est,


Rien que de la complexité. »
1
W. B. Yeats, « Byzantium »

« Les anti-déterministes veulent dire que l'ADN est quelque chose de


marginal, mais chaque maladie que nous avons est due à l'ADN. Et
[chaque maladie] peut être corrigée par l'ADN 2. »
George Church

Alors qu'à la fin des années 1990 la thérapie génique humaine se trouvait
exilée dans les limbes aux frontières de la science médicale, le diagnostic
génétique humain entamait une remarquable renaissance. Pour la
comprendre, il nous faut revenir au « futur du futur » évoqué par les
étudiants de Berg sur les remparts du château sicilien. Comme ils l'avaient
imaginé, le futur de la génétique humaine allait se construire sur deux
éléments fondamentaux. Le premier était le « diagnostic génétique », l'idée
que les gènes puissent servir à prédire ou à déterminer des maladies, une
identité, un choix, un destin. Le second était « la modification génétique »,
le fait que les gènes puissent être modifiés pour changer le futur des
maladies, les choix et la destinée.
Ce second projet, la modification intentionnelle de gènes (« écrire le
génome »), était évidemment encalminé, avec le coup d'arrêt du moratoire
sur les essais de thérapie génique. Mais le premier, prédire l'avenir à partir
des gènes (« lire le génome »), n'avait fait que se renforcer. Dans les dix ans
qui suivirent la mort de Jesse Gelsinger, les généticiens découvrirent une
foule de gènes liés aux maladies humaines parmi les plus complexes et les
plus mystérieuses, des maladies pour lesquelles les gènes n'avaient jamais
été impliqués en tant que cause première. Ces découvertes allaient
permettre le développement de techniques extrêmement puissantes de
diagnostic préventif des maladies. Mais elles allaient aussi forcer la
génétique et la médecine à être confrontées aux dilemmes moraux et
médicaux les plus profonds de leur histoire. « Les tests génétiques, comme
l'a décrit le généticien médical Eric Topol 3, sont aussi des tests moraux.
Quand vous décidez de tester un ‘risque futur', vous vous demandez aussi
inévitablement quel type de futur vous souhaitez risquer. »

Trois cas illustrent bien la puissance et le danger d'utiliser les gènes pour
prédire le « risque futur ». Le premier est celui du gène BRCA1, un gène
impliqué dans le cancer du sein. Au début des années 1970, la généticienne
Mary-Claire King a commencé à étudier l'hérédité des cancers du sein et de
l'ovaire dans des familles étendues. Mathématicienne de formation, King
avait rencontré Allan Wilson, l'homme qui avait traqué l'Ève mitochondriale
à l'université de Californie à Berkeley. Cette rencontre la fit passer à l'étude
des gènes et à la reconstruction des lignées génétiques (les premières études
de King, effectuées dans le laboratoire de Wilson, avaient montré que les
chimpanzés et les hommes partagent plus de 90 % de leur patrimoine
génétique).
Après sa licence, King s'était tournée vers un autre type d'histoire
génétique, celle des maladies chez l'homme. Le cancer du sein, en
particulier, l'intriguait. Des décennies d'études attentives de familles avaient
suggéré que ce cancer se présentait sous deux formes, sporadique et
familiale. Dans la forme sporadique, le cancer survenait sans aucune
histoire familiale antérieure. Dans la forme familiale, au contraire, la
maladie se perpétuait à travers les générations. Dans une généalogie
typique, une femme, sa sœur, sa fille et sa petite-fille pouvaient être
affectées, bien que l'âge précis auquel le cancer était diagnostiqué et le stade
de développement du cancer pouvaient varier d'une femme à l'autre.
L'incidence accrue du cancer du sein dans certaines familles s'accompagne
souvent d'une augmentation frappante de l'incidence du cancer de l'ovaire,
suggérant une mutation commune aux deux maladies.
En 1978, quand l'Institut national du cancer américain lança une enquête
sur les patientes de cancer du sein, la cause de la maladie était largement en
débat. Certains experts avançaient que le cancer du sein était dû à une
infection virale chronique déclenchée par l'utilisation excessive de
contraceptifs oraux. D'autres blâmaient le stress et l'alimentation. King
demanda à ce que deux questions soient ajoutées au questionnaire : « Est-ce
que la patiente a une histoire familiale du cancer du sein ? Est-ce qu'il y a
une histoire familiale du cancer de l'ovaire ? » À la fin de l'enquête, le lien
génétique émergea. King avait identifié plusieurs familles ayant une longue
histoire de cancer du sein et de l'ovaire. Entre 1978 et 1988, elle ajouta des
centaines d'autres familles à sa liste et put compiler d'énormes arbres
généalogiques 4. Dans une famille de plus de 150 personnes, elle trouva par
exemple 30 femmes touchées par la maladie.
Un examen plus précis de ces généalogies suggérait qu'un seul gène était
responsable de nombreux cas familiaux, mais son identification n'était pas
facile. Bien que ce gène pût augmenter le risque de cancer du sein de dix
fois, toutes les femmes qui en héritaient ne déclaraient pas la maladie. King
avait trouvé que le gène du cancer du sein avait une « pénétrance
incomplète ». Même muté, ses conséquences ne « pénétraient » pas dans
toutes les personnes pour donner des symptômes (c'est-à-dire le cancer du
sein ou de l'ovaire).
Malgré le flou entretenu par la pénétrance incomplète, le nombre de cas
de King était si élevé qu'elle put avoir recours à une étude de liaison
génétique sur plusieurs familles et sur plusieurs générations. Cette étude lui
permit de restreindre la localisation du gène au chromosome 17. En 1988,
King s'était rapprochée un peu plus du gène et l'avait situé dans une région
de ce chromosome appelée 17q21 5. « Ce gène est encore une hypothèse »
disait-elle, mais au moins avait-il une présence physique connue sur un
chromosome humain. « Être à l'aise avec l'incertitude pendant des années
fut […] la leçon du labo de Wilson et c'est une partie essentielle de ce que
nous faisons 6 ». Elle appela le gène BRCA1 7, même s'il restait encore à
l'isoler physiquement.
La localisation du locus de BRCA1 sur le chromosome déclencha une
course effrénée pour identifier le gène. Au début des années 1990, des
équipes de généticiens à travers le globe, dont celle de King, se fixèrent
pour objectif de cloner BRCA1. De nouvelles techniques, comme la réaction
en chaîne de la polymérase (PCR), permettaient aux chercheurs de faire des
millions de copies d'un gène dans un tube à essai. Ces techniques, couplées
avec des méthodes poussées de clonage moléculaire, de séquençage et de
cartographie génétique, rendaient possible de passer rapidement d'une
position chromosomique à un gène. En 1994, une société privée de l'Utah
nommée Myriad Genetics annonça avoir isolé le gène BRCA1. En 1998,
elle obtint un brevet pour sa séquence, l'un des tous premiers accordés pour
une séquence génétique humaine 8.
Pour Myriad, la vraie utilisation de BRCA1 en médecine clinique était le
test génétique. En 1996, avant même que le brevet sur le gène ne fût
accordé, la société se mit à commercialiser un test génétique pour BRCA1.
Ce test était simple : une femme à risque était évaluée par un conseiller
génétique. Si l'histoire familiale suggérait un cancer du sein, un frottis de
cellules de sa bouche était envoyé au laboratoire central. Ce dernier
amplifiait des parties du gène BRCA1 avec la PCR, les séquençait et
identifiait les gènes mutants. Il pouvait retourner l'indication « normal »,
« mutant » ou « indéterminé » (certaines mutations peu courantes du gène
n'avaient pas encore été complètement reliées à un risque de cancer du
sein).

Durant l'été 2008, j'ai rencontré une femme qui avait une histoire
familiale de cancer du sein. Jane Sterling était une infirmière de trente-sept
ans de North Shore dans le Massachusetts. L'histoire de sa famille aurait pu
être directement sortie des cas réunis par Mary-Claire King : une arrière
grand-mère avec un cancer du sein à un âge précoce, une grand-mère qui
avait eu une mastectomie radicale à l'âge de quarante-cinq ans, un mère qui
avait eu un cancer bilatéral du sein à soixante ans. Sterling avait deux filles.
Elle était au courant du test de BRCA1 depuis près de dix ans. Quand sa
première fille est née, elle avait envisagé le test mais n'avait pas donné
suite. Avec l'arrivée de sa seconde fille, et le diagnostic de cancer du sein
chez une amie proche, elle s'était décidée à faire le test.
Le test pour la mutation de BRCA1 fut positif pour Sterling. Deux
semaines plus tard, elle revint à la clinique armée d'un calepin sur lequel
elle avait noté rapidement plein de questions. Qu'allait-elle faire avec la
connaissance de son diagnostic ? Les femmes avec BRCA1 muté avaient un
risque de 80 % de déclarer le cancer au cours de leur vie 9. Mais le test
génétique ne disait rien sur le moment où cela pouvait arriver, ni sur le type
de cancer qu'elles pouvaient avoir. Comme la mutation BRCA1 a une
pénétrance incomplète, une femme avec la mutation peut développer un
cancer du sein inopérable, agressif et résistant aux thérapies à l'âge de trente
ans. Elle peut aussi avoir une forme de cancer sensible à la thérapie à la
cinquantaine, ou une forme indolente à soixante-quinze ans. Ou ne pas
avoir de cancer du tout.
À quel moment Sterling devait-elle en parler à ses filles ? « Certaines de
ces femmes [avec la mutation de BRCA1] haïssent leur mère » a noté une
femme écrivain 10 qui était elle-même positive au test (la haine des mères, à
elle seule, révèle la mauvaise compréhension chronique de la génétique, et
ses effets débilitants sur le psychisme humain. La mutation du gène BRCA1
peut être héritée tout aussi bien du père que de la mère). Sterling allait-elle
en informer ses sœurs ? Ses tantes ? Ses cousines ?
Les incertitudes sur l'avenir étaient aggravées par celles sur le choix de la
thérapie. Sterling pouvait choisir de ne rien faire, simplement d'attendre et
de voir. Elle pouvait choisir d'avoir une mastectomie bilatérale et/ou le
retrait des ovaires pour diminuer fortement le risque de cancer du sein et de
l'ovaire, « découper sa poitrine pour contrer ses gènes » comme l'a décrit
une femme. Elle pouvait demander un dépistage intensif avec des
mammographies, une auto-palpation et des IRM pour déceler précocement
le cancer. Ou elle pouvait choisir de prendre un médicament hormonal
comme le tamoxifène qui diminue le risque de certains cancers mais pas de
tous.
Une partie de ces grandes différences d'évolution vient de la biologie
fondamentale de BRCA1. Le gène code une protéine qui joue un rôle crucial
dans la réparation de l'ADN endommagé. Pour une cellule, un brin d'ADN
coupé est le début d'une catastrophe. Cela signale une perte d'information,
une crise. Peu après la lésion, la protéine BRCA1 est recrutée sur les bords
de la coupure. Normalement, la protéine lance une réaction en chaîne qui
mobilise des dizaines d'autres protéines sur le bord du gène coupé pour
colmater rapidement la brèche. Chez les patients avec le gène muté, la
protéine mutée BRCA1 n'est pas recrutée correctement et les coupures ne
sont pas réparées. La mutation permet plus de mutations – comme le feu
alimente le feu – jusqu'à ce que les contrôles de la division et du
métabolisme de la cellule soient inactivés, ce qui mène finalement au
cancer. La maladie, même chez des patients avec le gène muté, requiert
donc plusieurs facteurs pour se déclencher. L'environnement joue
clairement un rôle : avec des rayons X ou un agent chimique attaquant
l'ADN, le taux de mutation va grimper plus vite encore. Le hasard joue
aussi un rôle car les mutations s'accumulent de façon aléatoire avec le
temps. Enfin, d'autres gènes peuvent accélérer ou freiner les conséquences
d'un gène BRCA1 muté : certains sont impliqués dans la réparation de
l'ADN, d'autres dans le recrutement de la protéine BRCA1 sur le brin
coupé.
Une mutation dans le gène BRCA1 prédit ainsi un futur, mais pas dans le
même sens qu'une mutation dans le gène de la mucoviscidose ou de la
maladie de Huntington. Le futur d'une femme portant la mutation est
fondamentalement changé par cette connaissance mais reste tout aussi
fondamentalement incertain. Pour certaines femmes, le diagnostic génétique
est envahissant : c'est comme si leur vie et leur énergie étaient dépensées à
anticiper le cancer et à trouver le moyen de survivre, alors même qu'elles
n'ont pas encore développé la maladie. Un nouveau mot perturbant, à la
connotation clairement orwellienne, a été forgé pour décrire ces femmes, ce
sont des prévivantes, des pré-survivantes.

Le second cas d'école du diagnostic génétique concerne la schizophrénie


et le trouble bipolaire et il nous fait boucler la boucle de notre histoire. En
1908, le psychiatre suisse allemand Eugen Bleuler a introduit le terme de
schizophrénie pour décrire des patients ayant une maladie mentale unique
caractérisée par une forme terrifiante de désintégration cognitive, un
effondrement de la pensée 11. Qualifiés auparavant de déments précoces, les
schizophrènes sont souvent de jeunes hommes qui présentent une
dégradation progressive mais irréversible de leurs capacités cognitives. Ils
entendent des voix spectrales de l'intérieur, leur commandant de faire des
choses bizarres et déplacées (rappelez-vous la voix interne de Moni qui ne
cessait de lui dire « Pisse ici, pisse ici »). Des visions fantasmatiques
apparaissent et disparaissent. Il y a chute de la capacité à organiser
l'information ou à mener des tâches dans un but précis, et de nouveaux
mots, de nouvelles peurs et anxiétés émergent, comme s'ils remontaient des
enfers de l'esprit. Finalement, toute pensée organisée se disloque, emportant
le schizophrène dans un dédale de décombres mentaux. Bleuler avançait
que la principale caractéristique de la maladie est une division, ou plutôt
une fragmentation, du cerveau cognitif. Ce phénomène lui a inspiré le terme
de schizophrénie, du grec « schizo » pour fendu et « phrénia » pour esprit.
Comme beaucoup d'autres maladies génétiques, la maladie se présente
sous deux formes, sporadique et familiale. Dans certaines familles, la
pathologie court sur plusieurs générations. Parfois, les membres de ces
familles sont aussi atteints de trouble bipolaire (Moni, Jagu, Rajesh). Dans
la schizophrénie sporadique ou de novo, au contraire, la maladie surgit de
nulle part. Un jeune homme d'une famille sans antécédents présente soudain
un effondrement cognitif, souvent sans signes précurseurs. Les généticiens
ont tenté de comprendre pourquoi ces deux formes coexistaient mais n'ont
pu en tirer un modèle général de la maladie. Comment la même maladie
pouvait-elle être parfois sporadique et parfois familiale ? Et quel était le lien
entre elle et le trouble bipolaire, deux troubles de l'esprit apparemment sans
rapport ?
Un premier indice de l'étiologie de la schizophrénie est venu d'étude de
jumeaux. Dans les années 1970, ces études ont montré un degré frappant de
concordance 12. Chez les vrais jumeaux dont l'un était schizophrène, le
risque pour l'autre de l'être aussi se situait entre 30 et 50 % alors que chez
les faux jumeaux il n'était que de 10 à 20 %. Si la définition de la
schizophrénie était élargie pour inclure des handicaps sociaux ou
comportementaux plus légers, la concordance entre vrais jumeaux s'élevait
à 80 %.
Malgré des indices aussi convaincants d'une cause génétique, les
psychiatres s'accrochaient dans les années 1970 à l'idée que la
schizophrénie était une forme avortée d'anxiété sexuelle. Freud avait d'une
manière célèbre attribué les délires paranoïdes à des « pulsions
homosexuelles inconscientes » apparemment créées par une mère
dominante et un père faible. En 1974, le psychiatre Silvano Arieti attribua
la maladie à « une mère autoritaire, toujours critique et agressive qui ne
donne aucune chance à l'enfant de s'affirmer 13 ». Bien que les études
actuelles ne suggèrent rien de la sorte, l'idée d'Arieti était tellement
séduisante – quel mélange plus grisant que celui du sexisme, de la sexualité
et de la maladie mentale ? – qu'elle lui valut une foule de prix et de
distinctions, dont la récompense du livre national pour la science 14.
Il a fallu toute la force de la génétique humaine pour ramener un peu de
bon sens dans l'étude de la folie. Durant les années 1980, une foule d'études
de jumeaux a renforcé l'hypothèse d'une cause génétique de la
schizophrénie. Étude après étude, la concordance entre vrais jumeaux
dépassait celle des faux jumeaux d'une manière tellement frappante qu'il
devenait impossible d'en nier la cause génétique. Parallèlement, les familles
avec des histoires bien établies de schizophrénie et de trouble bipolaire –
comme la mienne – étaient étudiées sur plusieurs générations, montrant là
encore une cause génétique.
Mais quels étaient les gènes impliqués ? Depuis la fin des années 1990,
un ensemble de nouvelles techniques de séquençage de l'ADN – celles dites
du séquençage massivement parallèle ou de nouvelle génération –
permettaient de séquencer rapidement des centaines de millions de paires de
bases issues de n'importe quel génome humain. Le séquençage
massivement parallèle est un changement d'échelle énorme par rapport à
l'approche classique : le génome humain est fragmenté en dizaines de
milliers de fragments qui sont séquencés en même temps – c'est-à-dire en
parallèle – et le génome est « réassemblé » en utilisant des moyens
informatiques pour trouver les zones qui se chevauchent entre ces
fragments. Cette méthode peut s'appliquer au séquençage d'un génome
entier ou de parties d'un génome comme les exons – les segments qui
codent les protéines (on parle alors de séquençage d'exome).
Le séquençage massivement parallèle est particulièrement efficace pour
traquer un gène quand on peut comparer deux génomes très proches. Si un
membre d'une famille a la maladie et d'autres non, trouver le gène devient
beaucoup plus simple. La chasse au gène s'apparente alors au jeu de trouver
l'intrus sur l'image à une échelle gigantesque. En comparant les séquences
génétiques de tous les membres de la famille, on peut trouver une mutation
commune aux patients mais absente chez les proches non malades.
La forme sporadique de la schizophrénie constituait un cas test parfait
pour mesurer la puissance de cette approche. En 2013, une énorme étude a
identifié 623 jeunes hommes et femmes atteints de schizophrénie dont les
parents ainsi que les frères et sœurs étaient indemnes 15. Comme la plus
grande partie du génome est commune dans une famille, on s'attend à ce
que seuls les gènes possiblement en cause dans la maladie ressortent
différents. Après un traitement informatique rapide des données du
séquençage, les généticiens ont identifié les gènes altérés en quelques mois,
au lieu de décennies auparavant, par la méthode du clonage positionnel.
Dans 617 de ces cas de schizophrénie sporadique, une mutation a été
trouvée chez l'enfant malade qui n'était pas présente chez les parents.
Chaque enfant avait en moyenne une seule mutation. Près de 80 % des
mutations s'étaient produites dans un chromosome issu du père, et l'âge de
ce dernier était un facteur de risque important, ce qui suggère que ces
mutations se produisent au cours de la spermatogenèse, notamment chez les
hommes plus âgés. Nombre de ces mutations portaient, comme on pouvait
s'y attendre, sur des gènes affectant la synapse entre les neurones ou le
développement du système nerveux. Même si, parmi les 617 cas, on
trouvait des centaines de mutations concernant des centaines de gènes, il
arrivait parfois que la même mutation se retrouve dans des familles
indépendantes, ce qui augmentait largement la probabilité de son
implication dans la maladie 16. Ces mutations sont par définition
sporadiques ou de novo, c'est-à-dire qu'elles se sont produites après la
conception de l'enfant. Des cas de schizophrénies sporadiques peuvent aussi
être dus à des altérations dans le développement nerveux. Il est frappant de
constater que beaucoup de ces gènes se retrouvent aussi impliqués dans les
cas sporadiques d'autisme et de maladie bipolaire* *.

Et qu'en est-il des gènes mutés dans les formes familiales de la


schizophrénie ? À première vue, on pourrait penser que trouver des gènes
mutés est plus aisé dans ce cas. La schizophrénie qui se propage dans les
familles est déjà plus courante et les patients plus faciles à repérer et à
suivre. Mais contrairement à ce que l'on peut penser, peut-être, identifier un
gène dans des maladies complexes familiales s'avère bien plus difficile.
Trouver un gène à l'origine d'une forme sporadique ou spontanée est comme
chercher une aiguille dans une botte de foin. Vous pouvez comparer deux
génomes, tenter d'isoler de petites différences et avec assez de données et de
puissance informatique arriver à trouver ce que vous cherchez. Mais partir
en quête des formes génétiques multiples qui peuvent causer une maladie
familiale est comme chercher une botte de foin dans une botte de foin.
Quelles parties de la « botte de foin » – c'est-à-dire quelles combinaisons
des formes génétiques – augmentent le risque et lesquelles ne font rien ?
Les parents et les enfants partagent naturellement des parties de leurs
génomes, mais lesquelles sont en rapport avec la maladie ? Le premier
problème – « repérer l'intrus » – demande une puissance de calcul. Le
second – « démêler les similitudes » – exige une approche conceptuelle
pleine de finesse.
Malgré ces obstacles, les généticiens se sont lancés dans une traque
systématique en utilisant des combinaisons de techniques génétiques : des
études de liaison pour localiser les gènes en cause sur des segments de
chromosomes, de grandes études d'association pour trouver les gènes
corrélant avec la maladie, et le séquençage de nouvelle génération pour
identifier les gènes et leurs mutations. En se basant sur l'analyse des
génomes, on sait désormais qu'il y a au moins 108 gènes (ou plutôt régions
génétiques) associées à la schizophrénie 17, bien que nous ne connaissions
qu'une poignée des gènes responsables 18. Point notable, dans la plupart des
cas, aucun gène en particulier ne ressort comme seul facteur de risque.
Cette situation contraste avec celle du cancer du sein. Il y a certainement
plusieurs gènes impliqués dans le cancer du sein héréditaire, mais des gènes
uniques comme BRCA1 sont assez puissants pour élever significativement
le risque (même si l'on ne peut prédire quand une femme ayant la mutation
développera un cancer du sein, le risque qu'elle en développe un au cours de
sa vie est de 70 à 80 %). La schizophrénie ne paraît pas avoir d'acteur
unique aussi fort qui puisse déclencher ou permettre de prédire la maladie.
« Il y a beaucoup de petits effets génétiques communs, répartis à travers le
génome […], a écrit un chercheur. Beaucoup de processus biologiques
différents interviennent 19 ».
La schizophrénie familiale (comme des traits humains normaux tels que
l'intelligence ou le caractère) s'avère ainsi hautement transmissible mais
modérément héritable. En d'autres termes, les gènes jouent un rôle crucial
dans le développement futur du trouble psychique. Si vous possédez une
combinaison particulière de gènes, le risque de développer la maladie sera
très élevé, d'où la forte concordance entre les vrais jumeaux. D'un autre
côté, la transmission de ce trouble entre les générations est complexe.
Comme les gènes responsables sont multiples et mélangés à chaque
génération, le risque d'hériter de la même combinaison de gènes que celle
du père ou de la mère est très limité. Dans certaines familles, peut-être, il
peut y avoir moins de formes mutantes mais ayant des effets plus
prononcés, ce qui peut expliquer la récurrence de la maladie à travers les
générations. Dans d'autres familles, les gènes peuvent avoir un effet plus
faible et demander des facteurs déclenchant plus profonds, ce qui peut
expliquer dans ce cas une transmission plus rare. Dans d'autres familles
encore, un seul gène hautement pénétrant est accidentellement muté dans le
spermatozoïde ou l'ovule avant la fécondation, ce qui conduit aux cas de
schizophrénie sporadique 20.
Peut-on imaginer un test génétique de la schizophrénie ? La première
étape serait de créer un répertoire de tous les gènes impliqués, un projet
gargantuesque de génomique humaine. Mais même un tel répertoire ne
serait pas suffisant. Des études génétiques montrent clairement que
certaines mutations n'agissent que de concert avec d'autres mutations pour
causer la maladie. Il est dès lors nécessaire d'identifier les combinaisons de
gènes qui prédisent le vrai risque.
L'étape suivante est de composer avec la pénétrance incomplète et
l'expressivité variable. Il est important de comprendre ce que les mots
« pénétrance » et « expressivité » signifient dans ces études de séquençage
de gènes. Quand on séquence le génome d'un enfant atteint de
schizophrénie (ou de toute maladie génétique), et qu'on le compare au
génome de ses frères et sœurs ou de ses parents, on se demande quelles sont
les différences génétiques entre eux. On ne se pose pas la question de savoir
quelles sont les chances de développer la maladie si le gène muté est
présent dans le génome.
La différence entre les deux questions est décisive. La génétique humaine
est peu à peu devenue experte pour créer ce que l'on pourrait appeler un
« catalogue rétrospectif » des troubles génétiques. Sachant qu'un enfant a un
syndrome, quels sont les gènes mutés ? Mais pour estimer la pénétrance et
l'expressivité, il faut de plus créer une « catalogue prospectif » : si un enfant
a un gène muté, quelle chance a-t-il de développer le syndrome ? Est-ce que
tous les gènes arrivent à vraiment prédire un risque ? Le même gène muté
ou la même combinaison produisent-ils des phénotypes très variables
suivant les personnes, la schizophrénie chez l'une, le trouble bipolaire chez
l'autre et une forme relativement bénigne d'hypomanie chez une troisième ?
Est-ce que certaines combinaisons de mutations en demandent d'autres pour
que l'on bascule dans la pathologie ?

Et il y a un dernier détour dans ce labyrinthe du diagnostic. Je vais, pour


l'illustrer, le raconter sous la forme d'une histoire personnelle. Une nuit de
1946, quelques mois avant sa mort, Rajesh est revenu de l'université avec
une énigme mathématique. Les trois frères les plus jeunes se plongèrent
dedans, se la passant et se la repassant comme un ballon de football
arithmétique. Ils étaient motivés par la rivalité qui court dans toute fratrie,
l'orgueil fragile de l'adolescence, l'esprit tenace des réfugiés, la terreur de
l'échec dans une ville qui le pardonne peu. Je les imagine tous les trois –
dix-neuf, seize et treize ans –, chacun dans un coin de la petite pièce,
cogitant des solutions fantastiques, attaquant le problème avec sa propre
stratégie. Mon père : sombre, réfléchi, renfrogné, méthodique, mais
dépourvu d'inspiration. Jagu : excentrique, ingénieux, original mais sans
discipline pour se guider. Rajesh : concentré, inspiré, discipliné, souvent
arrogant.
La nuit tomba et l'énigme n'était toujours pas résolue. Vers onze heures,
les frères abandonnèrent l'un après l'autre pour aller dormir. Mais Rajesh
veilla toute la nuit. Il arpentait la pièce, gribouillant des solutions et des
alternatives. À l'aube, il avait finalement trouvé. Le matin suivant, il écrivit
la solution sur quatre feuilles et la laissa au pied de l'un de ses frères.
Une bonne part de cette histoire s'inscrit dans les mythes et traditions de
ma famille. Ce qui se passa ensuite n'est pas très bien connu. Des années
plus tard, mon père me raconta la semaine de terreur qui suivit cet épisode.
La première nuit blanche de Rajesh se transforma en une deuxième, puis en
une troisième. L'absence de sommeil de la première nuit l'avait précipité
dans un accès de folie furieuse. Ou peut-être est-ce la folie qui est survenue
en premier et a guidé ce marathon de la résolution du problème. Dans tous
les cas, il disparut les jours suivants et resta introuvable. Son frère Ratan fut
envoyé pour le retrouver et on dut le ramener de force chez lui. Ma grand-
mère, dans l'espoir d'étouffer dans l'œuf toute crise future, bannit toute
énigme et jeu de la maison (elle restera définitivement méfiante à l'égard
des jeux. Enfants, nous avons vécu avec un moratoire pesant sur tout jeu à
la maison). Pour Rajesh, ce fut un sombre présage de l'avenir, la première
des crises qui allaient se succéder.
Abhed : mon père avait ainsi appelé l'hérédité « indivisible ». Il y a ce
thème éculé dans la culture populaire d'un « génie fou » dont l'esprit divisé
oscille entre folie et intelligence, entre deux états sur un même point de
bascule. Mais il n'y avait pas de point de bascule chez Rajesh. Pas de
division ou d'oscillation, pas de bascule. Magie et folie étaient
indissolubles, des royaumes voisins sans passeports. Elles faisaient partie
du même ensemble, indivisible.
« Nous les poètes sommes tous fous 21 » a écrit Lord Byron, le grand
prêtre des folies. « Certains sont frappés de gaieté, d'autres de mélancolie,
mais tous sont plus ou moins touchés. » On a raconté des variantes sur ce
même thème, encore et toujours, avec le trouble bipolaire, avec certaines
formes de schizophrénie et avec de rares cas d'autisme. Tous sont « plus ou
moins touchés ». Il est tentant de se faire une idée romantique de la maladie
psychotique, mais laissez-moi souligner que ceux qui en souffrent vivent
des perturbations cognitives, sociales et psychologiques paralysantes qui
sabrent leur vie et la dévastent. Il est vrai aussi que certains de ces patients
possèdent des capacités extraordinaires. L'effervescence due au trouble
bipolaire est liée depuis longtemps à une créativité exacerbée. Parfois, les
pulsions créatrices les plus élevées se manifestent au cours même de ces
crises de folie.
Dans son livre Touched with Fire, une étude de référence sur le lien entre
folie et créativité 22, l'écrivain psychologue Kay Redfield Jamison a établi
une liste des « plus ou moins touchés » qui se lit comme le Who's Who des
grands de la culture et de l'art : Byron (bien sûr), van Gogh, Virginia Woolf,
Sylvia Plath, Anne Sexton, Robert Lowell, Jack Kerouac, et ainsi de suite.
Cette liste peut être élargie aux scientifiques (Isaac Newton, John Nash),
aux musiciens (Mozart, Beethoven) et à un acteur dépressif qui a construit
un univers entier centré sur la folie avant de se suicider (Robin Williams).
Hans Asperger, le psychologue qui a décrit pour la première fois des enfants
avec autisme 23, les appelait « les petits professeurs » pour une bonne raison.
Des enfants réservés, socialement décalés, ou même avec des difficultés à
s'exprimer, à peine fonctionnels dans le monde « normal », peuvent
produire les versions les plus éthérées des Gymnopédies d'Erik Satie au
piano ou calculer la factorielle de 18 en 7 secondes.
Toute la question est celle-ci : si l'on ne peut séparer le phénotype de la
maladie mentale des pulsions créatrices, on ne peut alors séparer le
génotype de la maladie mentale de la pulsion créatrice. Les gènes qui
« causent » l'une (maladie bipolaire) « causeront » l'autre (effervescence
créatrice). Ce problème nous renvoie à la compréhension de la maladie par
Victor McKusick, qui n'est pas un handicap absolu mais une inadaptation
relative entre un génotype et un environnement. Un enfant avec une forme
d'autisme le rendant hyperfonctionnel dans un domaine peut être gêné dans
notre monde mais à l'aise dans un autre, comme par exemple celui des
calculs arithmétiques complexes ou du tri des objets en fonction des
nuances de couleurs les plus subtiles.
Que dire alors de l'insaisissable diagnostic génétique de la
schizophrénie ? Pouvons-nous imaginer un avenir où l'on pourrait éliminer
la schizophrénie du pool génétique humain en diagnostiquant les fœtus par
des tests génétiques et en interrompant de telles grossesses ? Pas sans
reconnaître les douloureuses incertitudes qui restent à résoudre. Tout
d'abord, même si de nombreuses formes de schizophrénie ont été liées à des
mutations dans des gènes uniques, des centaines de ces gènes sont
impliqués, certains connus et d'autres pas. Nous ne savons pas si certaines
combinaisons de mutations sont plus pathogéniques que d'autres.
Ensuite, même si l'on pouvait créer un répertoire complet de tous les
gènes impliqués, un univers de facteurs inconnus peut encore modifier la
nature de ce risque. Nous ne savons pas quelle est la pénétrance de chaque
mutation et ce qui modifie le risque pour chaque génotype particulier.
Finalement, certains gènes identifiés dans des formes de schizophrénie
ou de trouble bipolaire augmentent en fait certaines capacités. Si les formes
les plus pathologiques d'une maladie mentale peuvent être reconnues ou
distinguées des formes hautement fonctionnelles uniquement par les
mutations ou leurs combinaisons, on peut espérer un test de ce type. Mais il
est beaucoup plus probable qu'un tel test aura ses propres limites, la plupart
des mutations causant une maladie dans une circonstance donnée pouvant
être les mêmes qui induiront une créativité hyperfonctionnelle dans une
autre circonstance. Comme Edvard Munch, le peintre du « Cri », l'a
exprimé, « [Mes problèmes] font partie de moi et de mon art. On ne peut les
distinguer de moi et un traitement détruirait mon art. Je veux garder ces
souffrances 24 ». Ces mêmes « souffrances », on peut s'en rappeler, furent
responsables de l'une des images les plus emblématiques du XXe siècle, celle
d'un homme tellement immergé dans une époque psychotique qu'il ne
pouvait que crier une réponse psychotique en retour.
La perspective d'un diagnostic génétique de la schizophrénie et du
trouble bipolaire implique ainsi d'aborder des questions fondamentales sur
la nature de l'incertitude, du risque et du choix. Nous voulons éliminer la
souffrance, mais aussi « garder ces souffrances ». Il est facile de
comprendre l'expression de Susan Sontag au sujet de la maladie comme « le
côté nuit de la vie 25 ». Cette conception vaut pour de nombreuses formes
de maladies, mais pas toutes. La difficulté réside dans la définition du point
où finit le crépuscule et où commence l'aube. Cela n'est pas très utile de
savoir que la définition même d'une maladie dans une circonstance devient
celle d'une capacité exceptionnelle dans une autre. La nuit sur un côté du
globe est souvent le jour resplendissant sur un autre continent.
Au printemps 2013, je pris l'avion pour assister à San Diego à l'un des
congrès les plus intéressants de ma vie. Intitulé « Le futur de la médecine
génomique 26 », il se tenait à l'institut Scripps à La Jolla dans un centre de
conférence dominant l'océan. Le site était un monument au modernisme, en
bois clair, béton angulaire, meneaux d'acier. La lumière sur l'eau était d'une
beauté aveuglante. Des joggeurs au corps post-humain couraient
discrètement sur les chemins de planches. Le généticien des populations
David Goldstein parla du « séquençage des pathologies non diagnostiquées
de l'enfant », un effort entrepris pour étendre le séquençage massivement
parallèle de gène aux maladies non diagnostiquées chez l'enfant. Le
physicien devenu biologiste Stephen Quake discuta de la « génomique
d'avant la naissance », c'est-à-dire de la perspective de diagnostiquer chaque
mutation dans un fœtus en recueillant des morceaux de son ADN diffusant
naturellement dans le sang maternel.
Le second matin du congrès, une fille de quinze ans, je l'appellerai Erika,
arriva sur la scène en chaise roulante poussée par sa mère. Erika portait une
robe blanche à dentelles et une écharpe sur ses épaules. Elle avait une
histoire à nous raconter, faite de gènes, d'identité, de sort, de choix et de
diagnostic. Erika a une maladie génétique causant une dégénérescence lente
et sévère. Ses symptômes ont débuté quand elle avait un an et demi, de
petites contractions dans les muscles. À l'âge de quatre ans, ces
tremblements ont fortement augmenté, elle ne pouvait presque pas garder
ses muscles tranquilles. Elle se levait vingt ou trente fois par nuit, trempée
de sueur, ébranlée par des secousses incontrôlables. Le sommeil semblait
aggraver ses symptômes et ses parents prirent des gardes pour rester
éveillés à ses côtés et tenter de l'aider à trouver quelques minutes de repos
chaque nuit.
Les médecins suspectaient un syndrome génétique rare mais tous les tests
avaient échoué à l'identifier. Puis en juin 2011, le père d'Erika qui écoutait
une émission à la radio NPR apprit l'existence d'une paire de jumeaux en
Californie, Alexis et Noah Beery, ayant eux aussi une longue histoire de
problèmes musculaires 27. Un séquençage génétique des jumeaux avait
finalement permis de diagnostiquer un nouveau syndrome rare. En se basant
sur le diagnostic génétique 28, l'apport d'une substance chimique, le 5-
hydroxytryptophane ou 5-HTP, avait réduit de façon spectaculaire les
symptômes moteurs des jumeaux.
Erika espérait que l'histoire se finisse de la même façon pour elle. En
2012, elle fut la première patiente à participer à un essai clinique qui allait
tenter de diagnostiquer sa maladie en séquençant son génome. Durant l'été,
la séquence fut connue et montra qu'elle avait non pas une mais deux
mutations dans son génome. La première, dans un gène appelé ADCY5,
altérait la capacité des cellules nerveuses à s'envoyer des signaux. La
seconde était dans un autre gène nommé DOCK3 qui contrôle le signal
nerveux permettant un mouvement coordonné des muscles. La combinaison
des deux avait précipité son syndrome de fonte et de tremblements
musculaires. C'était une éclipse lunaire génétique, deux syndromes rares
superposés causant la plus rare des maladies rares.
Après l'exposé d'Erika, alors que l'audience se dispersait dans le hall
devant l'auditorium, je suis tombé sur la jeune fille accompagnée de sa
mère. Erika était absolument charmante, à la fois modeste, réfléchie,
sérieuse et d'un humour percutant. Elle semblait porter la sagesse d'un os
qui se serait cassé, réparé seul et serait devenu plus fort. Elle avait écrit un
livre et elle était en train d'en rédiger un autre. Elle tenait un blog, avait aidé
à réunir des millions de dollars pour la recherche. Elle était de loin
l'adolescente s'exprimant le mieux et la plus profonde que j'aie rencontrée.
Je lui ai posé des questions sur sa maladie et elle m'a parlé sans détours de
l'angoisse que cela avait suscitée dans sa famille. « Sa plus grande peur était
que l'on ne trouve rien. Ne pas savoir aurait été la pire des choses » a dit
une fois son père.
Mais le fait de « savoir » a-t-il changé quelque chose ? La peur d'Erika
s'est atténuée mais on n'a que très peu de prise sur les gènes mutants ou
leurs effets sur ses muscles. En 2012, elle a essayé le médicament Diamox
connu pour alléger les tremblements musculaires en général et a connu un
court répit. Elle a eu dix-huit nuits de sommeil complet, l'équivalent d'une
vie pour une adolescente qui n'avait pratiquement pas bénéficié d'une seule
nuit de sommeil de sa vie, mais la maladie a récidivé. Elle est encore en
fauteuil roulant.
Que se passerait-il si l'on parvenait à mettre au point un test prénatal pour
cette maladie ? Stephen Quake venait de terminer sa présentation sur le
séquençage du génome fœtal. Il sera bientôt faisable de passer en revue
chaque génome fœtal pour toutes les mutations potentielles et de les classer
par ordre de sévérité et de pénétrance. Nous ne connaissons pas tous les
détails de la nature de la maladie d'Erika : peut-être qu'il y a comme dans
certaines formes génétiques de cancer d'autre mutations cachées
« coopérantes » dans son génome, mais la plupart des généticiens estiment
que ses symptômes ne sont dus qu'à ces deux mutations, toutes deux très
pénétrantes.
Devons-nous envisager de permettre aux parents de faire faire la
séquence complète du génome de leurs enfants à naître et éventuellement
d'interrompre des grossesses en présence de mutations génétiques aussi
dévastatrices ? On éliminerait certainement la mutation d'Erika du pool
génétique humain mais aussi Erika. Je ne minimiserai pas l'énormité des
souffrances d'Erika ou celle de sa famille, mais il y a indubitablement une
profonde perte ici. Éviter de reconnaître la profondeur de l'angoisse d'Erika
est faire montre d'un défaut d'empathie. Mais refuser de reconnaître le prix
à payer dans cette situation est révéler, réciproquement, un défaut
d'humanité.
Une foule se pressait autour d'Erika et de sa mère et je suis descendu vers
la plage, où l'on pouvait prendre des sandwichs et des boissons. L'exposé
d'Erika avait donné une note plus réservée au congrès autrement teinté
d'optimisme : on pouvait séquencer des génomes dans l'espoir de trouver
des médicaments spécifiques de certaines mutations, mais cela arriverait
rarement. Le diagnostic prénatal et l'interruption de grossesse restaient le
choix le plus simple à faire pour ce genre de maladies génétiques, mais
aussi le plus difficile à aborder du point de vue éthique. « Plus la
technologie évolue, plus nous entrons en territoire inconnu. Il n'y a aucun
doute que nous serons confrontés à des choix incroyablement difficiles »
m'a dit Eric Topol qui organisait la conférence. « Dans la nouvelle
génomique, il y a très peu de choses faciles. »
Le repas offert venait de se terminer. La cloche retentit et les généticiens
retournèrent à l'auditorium pour considérer le futur du futur. La mère
d'Erika la poussait sur son fauteuil en sortant du centre de conférence. Je lui
fis signe de la main mais elle ne l'aperçut pas. Alors que je rentrai dans le
bâtiment, je la vis traverser le parking sur son fauteuil, son écharpe flottant
au vent derrière elle, comme un épilogue.
J'ai choisi les trois cas précédents, ceux du cancer du sein de Jane
Sterling, du trouble bipolaire de Rajesh et de la maladie neuromusculaire
d'Erika, parce qu'ils couvrent un large spectre de maladies génétiques et
donnent une idée des problèmes les plus brûlants posés par le diagnostic
génétique. Sterling a une mutation identifiable dans un seul gène
responsable (BRCA1) qui mène à une maladie courante. La mutation a une
pénétrance élevée, 70 à 80 % des porteurs finiront par développer la
maladie, mais elle reste incomplète (pas de 100 %) ; la forme précise de la
maladie dans le futur, son déroulement et le degré du risque sont inconnus
et peut-être impossibles à connaître. Les traitements prophylactiques – la
mastectomie, la thérapie hormonale – présentent une source d'angoisse
physique et psychologique tout en comportant leurs propres risques.
La schizophrénie et le trouble bipolaire, au contraire, sont des maladies
dues à plusieurs gènes et dont la pénétrance est beaucoup plus faible. Aucun
traitement prophylactique n'existe, ni aucun traitement curatif. Les deux
sont des maladies chroniques, à rechutes, qui ébranlent l'esprit et font
éclater les familles. Pourtant, les mêmes mutations qui causent ces maladies
peuvent aussi, quoique rarement, potentialiser une forme mystique
d'urgence créatrice fondamentalement liée à la maladie elle-même.
Et puis il y a la maladie neuromusculaire d'Erika, une maladie génétique
rare due à un ou deux changements dans le génome qui est très pénétrante,
sévèrement débilitante et incurable. Une thérapie médicale n'est pas
inconcevable mais a peu de chance d'être un jour trouvée. Si le séquençage
du génome fœtal est couplé à l'interruption de la grossesse (ou à
l'implantation sélective d'embryon triés pour cette mutation), alors de telles
maladies génétiques sont susceptibles d'être identifiées et potentiellement
éliminées du pool génétique humain. Dans un petit nombre de cas, le
séquençage des gènes pourrait en outre identifier une pathologie accessible
à une thérapie médicale ou à une future thérapie génique (au cours de
l'automne 2015, un nourrisson de quinze mois avec une faiblesse, des
tremblements, une cécité progressive et qui bavait, diagnostiqué à tort
comme ayant une « maladie autoimmune », a été adressé à une clinique
génétique de l'université Columbia. Le séquençage de ses gènes a révélé
une mutation dans un gène lié au métabolisme des vitamines. La petite fille,
lorsqu'elle a reçu de la vitamine B2 pour laquelle elle était sévèrement
déficiente, a récupéré une grande partie de ses fonctions nerveuses).
Jane, Rajesh et Erika sont tous des « prévivants ». Leur sort futur était
latent dans leur génome et pourtant leur véritable histoire et leurs choix en
tant que tels ne pouvaient être plus variés. Que faire de cette information ?
« Mon vrai curriculum vitae se trouve dans mes cellules » dit Jérôme, le
jeune héros du film de science-fiction Bienvenue à Gattaca. Mais quelle
part du curriculum vitae d'une personne sommes-nous en mesure de lire et
de comprendre ? Pouvons-nous déchiffrer le type de sort codé dans chaque
génome d'une manière utile ? Et dans quelles circonstances pouvons-nous,
ou devrions-nous intervenir ?

Revenons à la première question : quelle part du génome humain


pouvons-nous « lire » d'une façon utilisable ou prédictive ? Jusqu'à
récemment, la capacité à prédire le sort d'une personne à partir de son
génome était limitée par deux contraintes fondamentales. Premièrement, la
plupart des gènes, comme Richard Dawkins les a décrits, ne sont pas des
« modèles » mais des « recettes ». Ils ne spécifient pas des parties mais des
processus. Ce sont des formules pour des formes. Si l'on change un modèle,
le produit final est modifié d'une façon parfaitement prévisible : éliminez un
petit détail physique précisé sur le plan d'une machine, et elle en sera
dépourvue. Mais modifier une recette ou une formule ne va pas changer le
produit d'une manière prévisible : si vous quadruplez la quantité de beurre
dans un gâteau, le résultat final sera plus compliqué qu'un gâteau avec
quatre fois plus de beurre (essayez, vous verrez : l'ensemble va s'effondrer
en une pâte huileuse informe). Avec la même logique, on ne peut examiner
la plupart des variantes de gène isolément et deviner quelle sera leur
influence sur la forme et le devenir de l'ensemble. Qu'une mutation dans le
gène MECP2 par exemple, dont la fonction normale est d'ajouter des
modifications chimiques à l'ADN, puisse causer une forme d'autisme est
loin d'être évident 29 (à moins que vous ne compreniez comment les gènes
contrôlent les processus neurodéveloppementaux qui fabriquent le cerveau).
La seconde contrainte, à la signification sans doute la plus profonde, est
la nature intrinsèquement imprévisible de certains gènes. Pour la plupart des
gènes, c'est leur interaction avec d'autres facteurs comme l'environnement,
le hasard, le comportement ou même l'exposition in utero ou parentale, qui
va déterminer la forme et le fonctionnement d'un organisme ainsi que leurs
effets sur son devenir 30. La plupart de ces interactions, comme nous l'avons
découvert, ne sont pas systématiques mais se produisent sous le coup du
hasard et il n'existe aucune méthode pour les prédire ou les modéliser avec
certitude. Ces interactions posent de solides limites au déterminisme
génétique car leur effet définitif ne peut jamais être prédit à partir des seules
données génétiques. Par exemple, des tentatives récentes d'exploiter
l'évolution d'une maladie chez un jumeau pour prédire celle chez l'autre
n'ont donné que des résultats limités.
Mais même avec ces incertitudes, on va bientôt avoir accès à plusieurs
déterminants prédictifs dans le génome humain. L'étude de plus en plus
rapide et globale des gènes et des génomes va permettre de « lire » le
génome plus en détail, du moins dans un sens probabiliste. Actuellement,
seules des mutations sur un seul gène, hautement pénétrantes (comme celles
pour la maladie de Tay-Sachs, de la mucoviscidose ou de l'anémie
falciforme), ou des modifications de chromosomes entiers (trisomie 21)
sont utilisées pour le diagnostic clinique en routine. Mais il n'y a aucune
raison que le diagnostic génétique doive se limiter à des maladies causées
par une mutation portant sur un seul gène ou sur un chromosome 31. Et pour
la même raison non plus, il n'y a aucune raison de penser que le
« diagnostic » ne porte que sur des maladies. Un ordinateur suffisamment
puissant devrait être capable de trouver la signification d'une recette, de
prédire l'effet d'une modification sur le produit final.
D'ici à la fin de cette décennie, les combinaisons de variants génétiques
seront utilisées pour prédire les variations dans les phénotypes humains, les
maladies et le destin. Certaines maladies ne seront jamais accessibles à de
tels tests génétiques mais peut-être que les formes de schizophrénie ou de
maladie cardiaque les plus sévères, ou les cancers familiaux les plus
pénétrants, pourront être prédits par l'effet combiné de quelques mutations.
Et une fois la compréhension du « processus » élaborée sous la forme
d'algorithmes prédictifs, l'interaction entre divers variants génétiques pourra
servir à en déduire les effets sur une foule de caractéristiques physiques et
mentales qui iront au-delà de la simple maladie. Les algorithmes
informatiques pourront déterminer la probabilité du développement d'une
maladie cardiaque, de l'asthme ou de l'orientation sexuelle, et leur attribuer
un niveau de risque relatif d'évolution en fonction de chaque génome. Ce
dernier ne sera pas lu dans l'absolu mais en termes de probabilités, comme
un bulletin scolaire qui ne contient pas des notes mais des évolutions, ou un
curriculum vitae qui ne contiendrait pas les expériences passées mais les
futures prédispositions. Un manuel de « prévie » en somme.

En avril 1990, comme pour élever encore l'enjeu du diagnostic génétique


chez l'homme, un article publié dans la revue Nature annonça la naissance
d'une nouvelle technologie qui permettait d'effectuer un diagnostic
génétique sur un embryon avant son implantation dans le corps de la
mère 32.
La technique repose sur une particularité propre à l'embryogenèse
humaine. Lorsqu'un embryon est produit par fécondation in vitro (FIV), il
est mis en culture quelques jours dans un incubateur avant d'être implanté.
Baigné dans un milieu riche en nutriments, l'embryon d'une cellule se divise
plusieurs fois pour donner une boule brillante de cellules. Au bout de trois
jours, il y a huit cellules, puis seize. D'une manière étonnante, si l'on retire
quelques cellules de l'embryon à ce stade, les autres continuent de se diviser
et comblent le trou creusé par le prélèvement, l'embryon poursuivant son
développement comme s'il ne s'était rien passé. Pendant un instant de notre
vie, nous sommes comme des salamandres – ou plutôt la queue d'une
salamandre qui peut être complètement régénérée même après avoir été
amputée d'un quart.
On peut ainsi effectuer une biopsie à ce stade précoce et utiliser les
quelques cellules extraites pour faire des tests génétiques. Une fois ces tests
effectués, il est possible de choisir les embryons possédant les gènes
désirés. Même les ovocytes de la femme peuvent, par une procédure
modifiée, être testés génétiquement avant la fécondation. Cette technique
est appelée « diagnostic génétique préimplantatoire » ou DPI. Du point de
vue moral, cela permet de réaliser un tour de passe-passe apparemment
impossible. Si l'on implante sélectivement le « bon » embryon et que l'on
cryoconserve les autres sans les tuer, il est possible de sélectionner des
fœtus sans en éliminer. C'est un eugénisme positif et négatif en un seul
coup, sans la mort associée d'un fœtus.
Le DPI a d'abord été employé pour sélectionner les embryons de deux
couples anglais durant l'hiver 1989, l'un avec une histoire familiale de retard
mental sévère lié au chromosome X, l'autre avec une histoire d'un syndrome
immunologique lié à l'X, deux maladies génétiques incurables visibles
uniquement chez le garçon. Les embryons furent sélectionnés pour être
ceux de filles. Les deux couples ont eu des jumelles, qui étaient indemnes
de la maladie comme prévu.
Le vertige éthique provoqué par ces deux cas fut si aigu que plusieurs
pays ont immédiatement posé des contraintes à la technologie. Parmi les
premiers à fortement limiter cette pratique, il y eut – comme l'on pouvait s'y
attendre – l'Allemagne et l'Autriche, deux nations marquées par leur
héritage de racisme, meurtres de masse et eugénisme. En Inde, dont
certaines parties hébergent les sous-cultures sexistes les plus éhontées dans
le monde, des essais pour utiliser le DPI afin de « diagnostiquer » le sexe
d'un enfant furent rapportés dès 1995. Toute forme de sélection du sexe
mâle fut et reste prohibée par le gouvernement indien, de sorte que le DPI
utilisé dans ce but a été rapidement interdit. Cette mesure semble avoir peu
réduit le problème. Comme les lecteurs indiens ou chinois le savent, avec
honte et gravité, le plus grand projet « d'eugénisme négatif » de l'histoire
humaine ne fut pas l'extermination systématique des juifs en Allemagne et
en Autriche au début des années 1940. Cette triste distinction revient à
l'Inde et à la Chine, où plus de 10 millions de filles manquent à l'appel chez
les adultes à cause d'infanticides, d'avortements et de négligences pratiqués
à leur égard. Des dictateurs dépravés ou des États prédateurs ne sont pas un
prérequis absolu pour l'existence de l'eugénisme. Dans le cas de l'Inde, des
citoyens parfaitement « libres », de leur propre volonté, sont capables de
mettre en œuvre de monstrueux programmes eugénistes – contre les filles
dans ce cas – sans aucune incitation de l'État.
Actuellement, le DPI peut servir à écarter des embryons portant des
maladies monogéniques comme la mucoviscidose, les maladies de
Huntington ou de Tay-Sachs, parmi tant d'autres. Mais rien ne limite en
principe ce diagnostic génétique à ces maladies. Pas besoin normalement
d'un film comme Bienvenue à Gattaca pour nous rappeler combien cette
idée peut être déstabilisante. Nous n'avons aucun modèle ou métaphore
pour donner une idée d'un monde où l'avenir d'un enfant serait décomposé
en probabilités, ou un fœtus diagnostiqué avant sa naissance ou deviendrait
un « prévivant » avant même sa conception. Le mot diagnosis vient du grec
et signifie « savoir séparément » mais « savoir séparément » a des
conséquences morales et philosophiques qui vont bien au-delà de la
médecine ou de la science. Au cours de toute notre histoire, les techniques
de connaissance séparée nous ont permis d'identifier, de traiter et de guérir
les malades. Sous leur forme bienveillante, ces techniques ont été le moyen
d'anticiper la maladie par des tests diagnostiques et des mesures préventives
(par exemple, l'utilisation du gène BRCA1 pour prévenir le cancer du sein).
Mais elles ont aussi abouti à des définitions pesantes de l'anormal, séparé le
faible du fort, ou conduit dans leurs incarnations les plus cruelles aux
sinistres excès de l'eugénisme. L'histoire de la génétique humaine nous
rappelle encore et encore que la « connaissance séparée » commence
souvent par un accent mis sur la « connaissance » mais finit souvent avec
surtout la « séparation ». Ce n'est pas un hasard si le vaste projet
anthropométrique des scientifiques nazis – la mesure obsessionnelle de la
taille de la mâchoire, de la forme de la tête, de la longueur du nez et de la
taille – était auparavant légitimé comme tentative de « distinguer les
hommes ».
Comme le politologue Desmond King l'a exprimé, « D'une manière ou
d'une autre, nous allons tous être entraînés dans le régime de la “gestion
génétique” qui sera, par essence, eugénique. Ce sera toujours fait au nom de
la santé de l'individu plutôt que de l'adaptation générale de la population, et
les gestionnaires seront vous et moi, nos médecins et l'État. Les
changements génétiques seront gérés par la main invisible du choix
individuel, mais le résultat global reviendra au même, un essai coordonné
“d'améliorer” les gènes de la prochaine génération à venir 33 ».

Jusqu'à récemment, trois principes tacites ont guidé le domaine du


diagnostic et de l'intervention génétique. D'abord, les tests génétiques ont
été largement limités aux variantes de gènes qui déterminent fortement des
pathologies, c'est-à-dire les mutations très pénétrantes. Ensuite, les maladies
causées par ces mutations étaient en général à l'origine de souffrances
extraordinaires ou d'incompatibilités fondamentales avec une vie
« normale ». Enfin, les interventions justifiables, comme d'interrompre la
grossesse en cas de fœtus trisomique ou d'opérer une femme portant une
mutation sur BRCA1, ont été définies par un consensus social et médical et
toutes les interventions soumises à une liberté totale de choix.
Ces trois côtés du triangle peuvent être considérés comme des lignes
morales que la plupart des cultures ont refusé de transgresser. L'avortement
d'un embryon ayant une mutation qui ne donnera que 10 % de risques de
développer un cancer à l'avenir viole l'injonction de ne pas intervenir sur les
mutations à faible pénétrance. De même, une procédure médicale demandée
par l'État pour une personne génétiquement malade sans le consentement du
sujet (ou celui du parent s'il s'agit d'un embryon) franchit les limites de la
liberté et de la non coercition.
On ne peut cependant s'empêcher de penser que ces paramètres sont
susceptibles en eux-mêmes de rentrer dans une logique d'auto-
renforcement. C'est nous qui définissons les « souffrances extraordinaires ».
Nous qui marquons la limite entre ce qui est « normal » et ce qui ne l'est
pas. Nous qui faisons le choix médical d'intervenir. Nous qui déterminons
l'intervention « justifiable ». Les personnes dotées de certains génomes sont
responsables de la définition des critères pour définir, intervenir ou même
éliminer des personnes dotées d'autres génomes. Le « choix », pour
résumer, semble comme une illusion forgée par des gènes pour propager la
sélection de gènes similaires.

Même ainsi, le triangle de ces limites – gènes à pénétrance élevée,


souffrances extraordinaires et interventions justifiables non coercitives –
s'est avéré un guide utile pour des formes acceptables d'interventions
génétiques. Mais ces limites sont attaquées. Prenons, par exemple, une série
d'études provocantes qui ont exploité une seule variante d'un gène pour
guider des choix d'ingénierie sociale 34. Vers la fin des années 1990, on a
trouvé qu'un gène appelé 5HTTLPR, codant une protéine qui module la
communication entre neurones dans le cerveau, était associé à la réponse au
stress psychique. Ce gène se présente sous deux formes ou allèles, une
longue et une courte. La variante courte, appelée 5HTTLPR/short, est portée
par environ 40 % de la population et semble être à l'origine de nettement
moins de protéines. Elle a souvent été associée à un comportement anxieux,
à la dépression, à l'alcoolisme et aux comportements à risques 35. Le lien
n'est pas fort mais il est large : cet allèle a été lié à un risque accru de
suicide parmi des Allemands alcooliques, de dépression chez des étudiants
américains ou encore de syndrome de stress post-traumatique chez des
militaires sur le terrain.
En 2010, une équipe de chercheurs a lancé un projet de recherche baptisé
Strong African American Families 36, ou SAAF, dans une région rurale
paupérisée de Georgie 37. C'est un territoire particulièrement lugubre,
lourdement frappé par la délinquance, l'alcoolisme, la violence, les maladies
mentales et la consommation de drogues. Des maisons en bois
abandonnées, aux fenêtres brisées, ponctuent le paysage, la criminalité
règne et les parkings sont parsemés de seringues. La moitié des adultes ont
arrêté l'école au collège et près d'une famille sur deux est constituée de
mères seules.
L'étude a recruté six cents familles afro-américaines ayant des enfants en
début d'adolescence 38. Les familles étaient réparties aléatoirement en deux
groupes. Le premier groupe d'enfants et leurs parents a reçu sept semaines
d'éducation, de conseil, de soutien émotionnel et d'interventions sociales
structurées dans le but de prévenir l'alcoolisme, les comportements
excessifs, la violence, l'impulsivité et l'utilisation de drogues. L'autre groupe
n'a eu qu'une intervention minimale. Le gène 5HTTLPR fut séquencé chez
les enfants des deux groupes.
Le premier résultat de cet essai avec témoins tirés au hasard, dit
« randomisé », était prévisible au vu des études antérieures. Dans le groupe
témoin, les enfants avec la variante courte du gène, la forme à « haut
risque », avaient deux fois plus de risques de tomber dans des
comportements dangereux, dont la consommation excessive d'alcool,
l'utilisation de drogues et la promiscuité sexuelle. Le second résultat était
plus intéressant : ces mêmes enfants étaient aussi ceux qui étaient les plus
sensibles aux interventions sociales. Dans le groupe avec intervention, les
enfants ayant l'allèle de risque élevé étaient ceux qui étaient le plus
rapidement et le plus nettement « normalisés ». Les enfants les plus
durement touchés étaient aussi ceux qui répondaient le mieux. Dans une
étude parallèle, des orphelins ayant la variante courte du gène 5HTTLPR
sont apparus plus impulsifs et plus socialement perturbés que ceux ayant la
variante longue, mais ils étaient aussi ceux qui avaient le plus de chance de
bénéficier d'un placement dans un milieu d'accueil plus favorable.
Dans les deux cas, la variante courte code un « capteur » hyperactif de
stress psychique, mais qui est aussi plus à même de répondre à une
intervention ciblant ce stress. Les formes les plus fragiles de psychisme ont
le plus de risque d'être perturbées par un environnement traumatisant mais
également d'être traitées avec succès par une action ciblée. C'est comme si
la résilience elle-même avait un noyau génétique, certaines personnes étant
nées résilientes (mais moins sensibles aux interventions) tandis que d'autres
naissent sensibles (mais avec plus de chances de répondre à des
changements dans leur environnement).
L'idée d'un « gène de résilience » a fasciné les ingénieurs sociaux. Le
psychologue du comportement Jay Belsky a ainsi avancé dans le New York
Times en 2014 39 : « Devrions-nous chercher à identifier les enfants les plus
susceptibles et les cibler en priorité quand les investissements dans les
interventions et les services sont limités ? Je crois que la réponse est
oui. Certains enfants sont, pour utiliser une métaphore fréquente, de
délicates orchidées, poursuivait-il, ils se fanent rapidement s'ils sont
exposés au stress et à la privation mais vont fleurir s'ils reçoivent attention
et soutien. D'autres sont plus comme des pissenlits, plus résistants aux effets
négatifs de l'adversité mais en même temps pas particulièrement
susceptibles de bénéficier d'expériences positives. » L'identification des
enfants « délicates orchidées » versus pissenlits par le profilage génétique,
propose Belsky, pourrait permettre aux sociétés d'effectuer un ciblage bien
plus efficace en présence de ressources limitées. « On pourrait par exemple
imaginer qu'un jour on puisse génotyper tous les enfants d'une école
élémentaire pour s'assurer que ceux qui pourraient le plus bénéficier d'une
aide reçoivent les meilleurs enseignants. »
Génotyper tous les enfants d'une école élémentaire ? Le choix d'un milieu
d'accueil attentionné guidé par le profilage génétique ? Des pissenlits et des
orchidées ? Il est clair que la discussion autour des gènes et des
prédispositions a déjà dépassé les limites fixées initialement – celles des
gènes à pénétrance élevée, des souffrances extraordinaires et des
interventions justifiables – pour verser dans l'ingénierie sociale guidée par
le génotype. Et si le génotype permet d'identifier un enfant à risque futur
pour la dépression ou le trouble bipolaire ? Et que dire du profilage
génétique pour la violence, la criminalité ou l'impulsivité ? Qu'est-ce qui
constitue une « souffrance extraordinaire » et quelles interventions sont
« justifiables » ? Et qu'est-ce qui est normal ? Les parents sont-ils autorisés
à choisir ce qui est « normal » pour leurs enfants ? Et si, obéissant à une
sorte de principe d'incertitude de Heisenberg en psychologie, l'acte même
de l'intervention renforçait l'identité même de ce qui est anormal ?

Ce livre a commencé comme une histoire intime, mais c'est le futur de


l'intime qui m'inquiète. Un enfant né d'un parent schizophrène – nous le
savons maintenant – a entre 13 et 30 % de risques de développer la maladie
avant l'âge de soixante ans. Si les deux parents sont affectés, ce risque
montre à 50 %. Avec un oncle affecté, un enfant a un risque qui est trois à
cinq fois supérieur à celui existant dans la population générale. Avec deux
oncles et un cousin affecté, Jagu, Rajesh et Moni, ce chiffre grimpe à
environ dix fois. Si mon père, ma sœur, ma nièce ou mon neveu déclarait la
maladie (les symptômes peuvent apparaître plus tard dans la vie), ce risque
bondirait encore de plusieurs fois. Ce n'est qu'une question d'attendre et de
voir, de tourner et refaire tourner la toupie du destin, d'évaluer et de
réévaluer mon risque génétique.
Dans le sillage des études monumentales sur la génétique des
schizophrénies familiales, je me suis souvent posé la question du
séquençage de mon génome et de celui de membres de ma famille. La
technologie existe : mon propre laboratoire, par exemple, est équipé pour
extraire, séquencer et interpréter des génomes (je séquence en routine les
gènes de mes patients cancéreux). Ce qui manque, à ce stade, c'est l'identité
de la plupart des variantes de gènes, ou leur combinaison, qui augmentent le
risque. Mais il y a peu de doutes que nombre d'entre eux seront identifiés et
que la nature du risque qu'ils comportent sera alors quantifiée d'ici la fin de
la décennie. Pour des familles comme la mienne, la perspective du
diagnostic génétique ne sera plus une abstraction mais va se transformer en
une réalité à la fois clinique et personnelle. Le triangle des considérations –
pénétrance, souffrances extraordinaire et choix justifiable – sera gravé dans
notre avenir personnel.
Si l'histoire du siècle dernier nous enseigne les dangers de confier aux
gouvernements le pouvoir de déterminer ce qu'est « l'aptitude » génétique
(c'est-à-dire quelle personne est dans le triangle et laquelle ne l'est pas),
alors la question qu'aborde notre époque est que se passe-t-il quand ce
pouvoir revient à des individus ? C'est une question qui exige de faire la
part entre les désirs d'une personne – avoir une vie heureuse et accomplie
sans souffrance inutile – avec ceux d'une société qui, à court terme, pourrait
n'être intéressée que par la réduction du poids des maladies et des dépenses
dues aux handicaps. Et, agissant en silence en arrière-plan, se trouve un
troisième groupe d'acteurs : nos gènes eux-mêmes qui reproduisent et créent
de nouvelles variantes sans tenir compte de nos désirs et de nos pulsions
mais qui, directement ou pas, progressivement ou soudainement,
influencent ces désirs et ces pulsions. En 1975, alors qu'il s'exprimait à la
Sorbonne, l'historien des systèmes de pensée Michel Foucault a affirmé
« qu'une technologie des individus anormaux se formera lorsque aura été
établi un réseau régulier de savoir et de pouvoir 40 ». Foucault pensait à un
« réseau régulier » d'humains. Mais cela aurait tout aussi bien pu être un
réseau de gènes.
Les thérapies génétiques : le post-humain

« De quoi ai-je donc peur ? De moi ? Il n'y a ici que moi. »


William Shakespeare, Richard III, acte 5, scène 3

« Il y a en ce moment en biologie une attente à peine contenue


rappelant la physique au début du XXe siècle. C'est le sentiment
d'avancer dans l'inconnu et [savoir] que cette avancée nous va nous
mener vers un endroit à la fois excitant et mystérieux […] L'analogie
entre la physique du XXe siècle et la biologie du XXIe siècle va
continuer, pour le bien et le mal à la fois. »
1
Biology's Big Bang, 2007

Au cours de l'été de 1991, peu après que le Projet Génome Humain eut
été lancé, un journaliste rendit visite à James Watson dans son laboratoire
de Cold Spring Harbor près de New York 2. C'était par un doux après-midi,
Watson était à son bureau, assis près d'une fenêtre donnant sur la baie
étincelante. Le reporter demanda à Watson ce qu'il pensait de l'avenir du
projet. Qu'allait-il se passer une fois que tous les gènes de notre génome
seraient séquencés et que les scientifiques pourraient manipuler
l'information génétique humaine à volonté ?
Watson eut un petit rire et haussa les sourcils. « Il a passé une main dans
ses rares cheveux blancs […] et un air malicieux est apparu dans ses yeux
[…] “Beaucoup de gens se disent inquiets de la possibilité de changer nos
instructions génétiques. Mais celles-ci ne sont que le produit d'une
évolution pour nous adapter à des conditions qui n'existent peut-être plus
aujourd'hui. Nous savons tous combien nous sommes imparfaits. Pourquoi
ne pas nous rendre un peu mieux aptes à survivre ?” ».
« C'est ce que nous allons faire » a-t-il dit. Il a regardé son interlocuteur
et s'est brusquement mis à rire, avec ce gloussement aigu singulier qui est
devenu familier au monde scientifique comme le prélude d'un orage. « C'est
ce que nous ferons. Nous nous ferons un peu meilleurs. »
Le commentaire de Watson nous renvoie au second souci évoqué par les
étudiants au congrès d'Erice. Qu'allait-il se passer si nous apprenions à
modifier intentionnellement le génome humain ? Jusqu'à la fin des années
1980, le seul mécanisme pour remodeler le génome humain, « pour nous
rendre un peu meilleurs » au sens génétique, était d'identifier in utero des
mutations génétiques hautement pénétrantes et gravement délétères (telles
que celles causant la maladie de Tay-Sachs ou la mucoviscidose) et
d'interrompre la grossesse. Dans les années 1990, le diagnostic
préimplantatoire d'embryon (DPI) permettait aux parents de sélectionner et
d'implanter les embryons sans mutations, substituant au dilemme moral
d'arrêter une vie celui du choix de celle-ci. Les généticiens agissaient
toutefois dans le triangle déjà mentionné des limites de lésions génétiques
très pénétrantes, de souffrances extraordinaires et d'interventions
justifiables, non imposées.
L'avènement de la thérapie génique à la fin des années 1990 a changé les
termes de la discussion : les gènes peuvent maintenant être changés
intentionnellement dans le corps humain. Ce fut la renaissance de
« l'eugénisme positif ». Plutôt que d'éliminer les personnes portant des
gènes délétères, les scientifiques pouvaient envisager de les corriger, et de
rendre par là le génome « un peu meilleur ».
Conceptuellement, la thérapie génique se décline sous deux formes. La
première consiste à modifier le génome de cellules du corps ne servant pas
à la reproduction, comme celles du sang, du cerveau ou des muscles. Dans
ce cas, la modification génétique affecte leur fonctionnement mais pas le
génome humain sur plus d'une génération. Si un changement génétique est
introduit dans une cellule sanguine ou musculaire, il ne sera pas transmis à
un embryon humain, le gène modifié disparaissant avec la cellule. Ashi
DeSilva, Jesse Gelsinger et Cynthia Cutshall sont des exemples de
personnes traitées par une thérapie génique de ce type : dans les trois cas,
les cellules sanguines ou hépatiques mais pas les cellules germinales (les
spermatozoïdes ou les ovules) ont été modifiées par l'introduction d'un gène
étranger.
La seconde forme, plus radicale, de thérapie génique est de modifier le
génome humain de sorte que les changements portent sur les cellules de la
reproduction. Une fois qu'une modification génétique a été faite dans un
spermatozoïde ou un ovule – c'est-à-dire la lignée germinale d'une personne
–, ce changement peut s'auto-propager. Il est définitivement incorporé dans
le génome humain et transmis d'une génération à l'autre. Le gène inséré
devient inextricablement lié au génome humain.
La thérapie génique de la lignée germinale chez l'homme n'était pas
concevable à la fin des années 1990 car il n'existait aucune technique fiable
pour effectuer un changement génétique dans un spermatozoïde ou un
ovule. De toute façon, même les essais de thérapie génique avaient été
arrêtés. « La mort biotech » de Jesse Gelsinger comme le New York Times
Magazine l'avait décrite 3, avait suscité une telle vague d'angoisse dans le
domaine que pratiquement tous les essais de thérapie génique étaient gelés
aux États-Unis. Des sociétés firent faillite. Des scientifiques quittèrent le
domaine. L'essai fit disparaître de la Terre toute forme de thérapie génique
et laissa une cicatrice définitive dans le domaine.
Puis la thérapie génique est revenue, pas à pas, avec précaution. La
décennie apparemment stagnante entre 1990 et 2000 fut celle de
l'introspection et de la reconsidération. D'abord, la série d'erreurs dans
l'essai Gelsinger dut être méticuleusement disséquée. Pourquoi
l'introduction d'un virus supposé inoffensif apportant un gène au foie avait-
il pu causer une réaction aussi dévastatrice ? Quand les médecins,
scientifiques et autorités de régulation examinèrent les conditions de l'essai,
les raisons de l'échec devinrent patentes. Le vecteur utilisé pour infecter
Gelsinger n'avait jamais été correctement validé chez l'homme. Plus
important encore, la réponse immunitaire du jeune homme au virus aurait
pu être anticipée. Gelsinger avait probablement déjà été exposé
naturellement à la souche d'adénovirus utilisée dans l'expérience. Sa
violente réponse immunitaire n'était pas une aberration mais une réponse
tout à fait habituelle du corps luttant contre un pathogène qu'il a déjà
rencontré, probablement lors d'un rhume. En choisissant un virus humain
courant comme véhicule pour transférer le gène, les thérapeutes du gène
avaient fait une cruciale erreur de jugement. Ils avaient négligé de
considérer que le gène était introduit dans un corps humain avec son
histoire, ses cicatrices, ses souvenirs et ses expositions précédentes.
« Comment une chose aussi belle a-t-elle pu tourner aussi mal ? » s'était
demandé Paul Gelsinger. Nous savons maintenant pourquoi : parce que,
cherchant uniquement la beauté, les scientifiques n'étaient pas préparés pour
une catastrophe. Les médecins repoussant les limites de la médecine
humaine avaient oublié de prendre en compte le banal rhume.

Dans les deux décennies qui suivirent le décès de Gelsinger, les outils
utilisés lors des essais initiaux de thérapie génique ont été largement
remplacés par des techniques de deuxième et de troisième génération. De
nouveaux virus sont maintenant utilisés pour introduire des gènes dans les
cellules humaines et de nouvelles méthodes de suivi de cette introduction
ont été développées. Beaucoup de ces virus ont été sélectionnés pour leur
facilité d'utilisation en laboratoire et le fait qu'ils ne provoquent pas la
réaction immunitaire qui s'est déchaînée d'une manière aussi incontrôlée
dans l'organisme de Gelsinger.
En 2014, une étude phare publiée dans la revue The New England
Journal of Medicine a annoncé le recours avec succès à une thérapie
génique pour traiter l'hémophilie 4. Cette maladie, marquée par de terribles
saignements dus à une mutation dans le gène d'un facteur de la coagulation,
jalonne l'histoire du gène d'une manière continue. C'est l'ADN dans
l'histoire de l'ADN. Ce fut la maladie qui a affecté le tzarévitch Alexei à
partir de sa naissance en 1904 et qui s'est ainsi insérée au centre de la vie
politique en Russie au début du XXe siècle. Ce fut l'une des premières
maladies liées au chromosome X à avoir été identifiée chez l'homme,
signalant de ce fait la présence physique d'un gène sur un chromosome. Ce
fut l'une des premières maladies qui a pu être attribuée à un seul gène. Ce
fut aussi l'une des premières maladies génétiques pour laquelle une protéine
artificielle a été créée, en 1984, par Genentech.
L'idée d'utiliser la thérapie génique pour l'hémophilie a été abordée pour
la première fois au milieu des années 1980. La maladie étant causée par
l'absence d'une protéine de la coagulation, on pouvait envisager d'employer
un virus pour apporter le gène aux cellules, de sorte que l'organisme puisse
produire à nouveau la protéine et restaurer la coagulation. Au début des
années 2000, avec deux décennies de retard, les thérapeutes du gène
décidèrent de retenter l'expérience. L'hémophilie se présente sous deux
formes principales selon le facteur de la coagulation qui fait défaut. La
forme choisie pour l'essai de thérapie génique fut l'hémophilie B dans
laquelle le gène codant le facteur IX de la coagulation est muté, ce qui
supprime la production de la protéine dans le sang.
Le protocole était simple : dix hommes avec une variante sévère de la
maladie reçurent l'injection d'une seule dose d'un virus portant le gène du
facteur IX. La présence de la protéine fut mesurée dans le sang pendant
plusieurs mois. Point notable, cet essai ne visait pas seulement à tester
l'innocuité mais aussi l'efficacité, et les dix patients furent suivis pour
connaître la fréquence de leurs saignements et leurs injections
supplémentaires de facteur IX. Bien que l'injection du gène porté par le
virus n'ait augmenté que de 5 % la concentration de facteur IX par rapport à
sa valeur normale dans le sang, l'effet sur la fréquence des saignements fut
saisissant. Les patients eurent une réduction de 90 % de ces saignements
indésirables, et il y eu une diminution tout aussi spectaculaire des injections
de facteur IX. Cet effet persista pendant trois ans.
Le puissant effet thérapeutique de juste 5 % de la teneur normale en
facteur IX est un motif d'espoir considérable pour les thérapeutes du gène. Il
nous rappelle la force de la redondance en biologie humaine. Si seulement
5 % d'un facteur de coagulation suffit à rétablir pratiquement toute la
coagulation dans le sang humain, alors 95 % de la protéine doivent être
superflus, constituant une espèce de réservoir peut-être maintenu dans
l'organisme dans l'éventualité d'un saignement vraiment catastrophique. Si
le même principe vaut pour d'autres maladies génétiques dues à un seul
gène, disons la mucoviscidose, alors la thérapie génique pourrait être
beaucoup plus accessible que ce que l'on imaginait. Même le transfert peu
efficace d'un gène thérapeutique à un petit groupe de cellules pourrait
suffire à traiter une maladie mortelle.

Mais qu'en est-il de ce fantasme vivace de la génétique humaine qu'est la


modification des gènes dans les cellules de la reproduction pour créer des
génomes définitivement améliorés, la « thérapie génique sur lignée
germinale » ? Et de la création de « post-humains » ou de « trans-
humains », c'est-à-dire d'embryons humains ayant des génomes modifiés ?
Au début des années 1990, le challenge d'une ingénierie du génome humain
définitive ne butait plus que sur trois obstacles. Chacun semblait autrefois
un défi impossible à relever, et tous sont sur le point d'être surmontés. Ce
qui est actuellement le plus remarquable dans l'ingénierie du génome
humain n'est pas que cela paraisse encore très éloigné mais au contraire
combien elle est proche, avec tout l'attrait et le danger qu'elle peut
comporter.
Le premier obstacle était d'arriver à établir des cellules souches
embryonnaires (ES) humaines fiables. Les cellules ES sont dérivées du
feuillet interne de l'embryon précoce. Elles vivent dans un entre-deux, entre
cellule et organisme. Elles peuvent être cultivées et manipulées comme des
cellules mais sont aussi capables de donner tous les tissus d'un embryon. La
modification du génome d'une cellule ES est donc un intermédiaire
commode pour introduire un changement définitif dans le génome d'un
organisme. En effet, si le génome d'une cellule ES peut être changé
intentionnellement, alors ce changement peut être introduit dans un
embryon et tous ses organes, dont ceux de la reproduction. La modification
génétique des cellules ES est le goulet étroit par lequel tout fantasme de
modification de la lignée germinale doit passer.
Vers la fin des années 1990, James Thomson, embryologiste dans le
Wisconsin, commença à faire des expériences avec des embryons humains
pour en dériver des cellules ES. Bien que les cellules ES de souris fussent
connues depuis la fin des années 1970, des dizaines de tentatives pour
obtenir leur analogue humain avaient échoué. Thomson décela l'origine de
ces échecs dans deux facteurs : de mauvaises graines et un mauvais sol. Le
matériel de départ pour l'établissement de ces cellules ES était souvent de
mauvaise qualité et les conditions de leur culture sous-optimales. Dans les
années 1980, Thomson, alors jeune étudiant, avait beaucoup travaillé avec
les cellules ES de souris. Comme le gardien d'une serre capable de
maintenir des plantes exotiques hors de leur environnement naturel, il avait
progressivement appris à connaître les particularités de ces cellules. Elles
étaient changeantes et délicates à manipuler. Il connaissait leur propension à
se replier et à mourir à la moindre provocation. Il s'était formé sur leur
besoin en cellules « nourricières » pour les conserver en bon état, et
familiarisé avec leur obstination singulière à s'agréger, ces cellules dont la
lueur translucide et hypnoptique le fascinait chaque fois qu'il les observait
au microscope.
En 1991, ayant déménagé au Centre régional de recherche sur les
primates du Wisconsin, Thomson commença à dériver des cellules ES de
singe. Il préleva un embryon de six jours dans une femelle de macaque
rhésus gestante puis le laissa se développer en culture. Six jours après, il
retira la couche externe de l'embryon comme s'il pelait un fruit et préleva
des cellules dans la masse interne. À l'instar des cellules de souris, il apprit
à cultiver ces cellules en présence de cellules nourricières capables de leur
apporter les facteurs de croissance indispensables. En 1996, convaincu qu'il
pouvait essayer sa technique chez l'homme, il demanda au comité de
régulation de l'université du Wisconsin de lui permettre de créer des cellules
ES humaines.
Mais si trouver des embryons de souris ou de singe avaient été facile, où
un scientifique pouvait-il se procurer des embryons humains récents ?
Thomson se tourna vers une adresse évidente, les cliniques de FIV. Vers la
fin des années 1990, la fécondation in vitro était devenue un moyen courant
de traiter diverses formes d'infertilité humaine. Pour effectuer une FIV, des
ovules sont récoltés chez la femme après ovulation. On en récupère alors
une dizaine qui sont fécondés par les spermatozoïdes d'un homme in vitro.
Les embryons sont ensuite brièvement cultivés dans un incubateur avant
d'être implantés dans l'utérus de la mère.
Mais tous les embryons ne sont pas implantés. On en utilise en général
trois tout au plus pour des raisons de sécurité et les embryons surnuméraires
sont éliminés (ou rarement implantés chez d'autres femmes qui servent de
mères biologiques de substitution). En 1996, ayant obtenu la permission de
son université, Thomson obtint 36 embryons humains d'une clinique de
FIV. Quatorze d'entre eux se développèrent dans l'incubateur en brillantes
sphères cellulaires. En utilisant la technique qu'il avait mise au point chez
les singes, Thomson réussit à isoler quelques cellules ES. Implantées chez
la souris, ces cellules pouvaient générer les trois feuillets cellulaires de
l'embryon humain, la source primordiale de tous les tissus comme la peau,
les os, les muscles, les nerfs, les intestins et le sang.
Les cellules souches que Thomson avait dérivées d'embryons
surnuméraires humains récapitulaient de nombreux traits de l'embryogenèse
humaine mais elles présentaient encore une limitation majeure. Bien
qu'elles fussent capables de donner virtuellement tous les tissus humains,
elles n'étaient pas très efficaces pour produire certains tissus tels que ceux à
l'origine des spermatozoïdes ou des ovules. Un changement génétique dans
les cellules SE pouvait se retrouver transmis à toutes les cellules de
l'embryon sauf aux plus importantes, celles qui pouvaient transmettre le
gène modifié à la descendance. En 1998, peu après que l'article de Thomson
eut été publié dans la revue Science 5, des équipes de chercheurs dans le
monde entier, notamment aux États-Unis, en Chine, au Japon, en Inde et en
Israël, se mirent à dériver des dizaines de cellules ES à partir de tissus
embryonnaires humains dans l'espoir de découvrir une lignée de cellules ES
capable de donner du tissu reproducteur.
Mais soudain, sans prévenir, ces recherches furent gelées. En 2001, trois
ans après l'article de Thomson, le président américain George W. Bush
limita fortement toute la recherche sur les cellules ES au 74 lignées déjà
créées 6. Aucune autre lignée ne pouvait être produite, même à partir
d'embryons surnuméraires mis de côté. Les laboratoires qui travaillaient
dans le domaine firent face à de sévères restrictions de crédit. En 2006
et 2007, Bush mit son veto à plusieurs reprises à tout financement fédéral
pour l'établissement de nouvelles lignées. Les avocats de la recherche sur
les cellules souches – dont les patients atteints de maladies dégénératives ou
d'handicaps neurologiques – défilèrent dans les rues de Washington,
menaçant de poursuivre les agences fédérales responsable de cette
interdiction. Bush répondit à ces demandes en tenant des conférences de
presse avec à ses côtés des enfants issus de l'implantation d'embryons
« surnuméraires » chez des mères de substitution.

L'interdiction de tout financement fédéral pour la création de nouvelles


cellules ES humaines gela l'ambition des chercheurs, du moins
temporairement. Mais elle ne pouvait stopper les progrès de la seconde
étape requise pour la création de changements héréditaires permanents dans
le génome humain, c'est-à-dire une méthode fiable et efficace pour
introduire ces changements dans le génome de cellules ES qui existaient
déjà.
À première vue, cela semblait aussi un obstacle technologiquement
insurmontable. Toutes les techniques pour modifier le génome humain
étaient grossières et inefficaces. Les scientifiques pouvaient exposer les
cellules souches à des rayons pour provoquer des mutations, mais celles-ci
se trouvaient éparpillées au hasard dans tout le génome, défiant toute
tentative d'agir de manière ciblée sur un gène donné. Des virus pouvaient
insérer un gène portant un changement génétique connu dans le génome,
mais leur insertion se faisait de façon aléatoire et le gène inséré était
souvent réduit au silence. Dans les années 1980, une autre méthode pour
introduire un changement ciblé dans le génome fut inventée qui consistait à
inonder les cellules avec des morceaux d'ADN portant le gène muté. Cet
ADN étranger était inséré directement dans le génome mais ce procédé
restait notoirement peu efficace et propice à des erreurs. Un changement
sûr, efficace et surtout ciblé semblait impossible.

Au cours du printemps 2011, une bactériologiste française, Emmanuelle


Charpentier aborda une chercheuse américaine nommée Jennifer Doudna
pour discuter d'un problème qui semblait de prime abord sans grand rapport
avec les gènes humains ou l'ingénierie du génome. Les deux scientifiques
assistaient à un congrès de microbiologie à Puerto Rico. Alors qu'elles
déambulaient dans les allées du centre historique du vieux San Juan, le long
des maisons fuschia et ocres avec leur entrée en arcade, Charpentier
expliqua à Doudna son intérêt pour les systèmes immunitaires des bactéries,
des mécanismes leur permettant de se défendre contre les virus. La guerre
entre virus et bactéries était si ancienne et d'une telle férocité que chacun
avait fini par être défini par l'autre : leur animosité mutuelle s'était inscrite
dans leurs gènes. Les virus avaient développé des mécanismes génétiques
pour envahir et tuer les bactéries. Et les bactéries avaient répondu en
évoluant de manière adaptée pour y parer. « Une infection virale est une
bombe à retardement, savait Doudna. Une bactérie n'a que quelques
minutes pour la désamorcer, avant de se faire détruire. »
Au milieu des années 2000, un duo de scientifiques français, Philippe
Horvath et Rodolphe Barrangou, tombèrent sur un tel mécanisme d'auto-
défense bactérien. Ils étaient tous deux employés par la compagnie
alimentaire danoise Danisco et travaillaient sur les bactéries impliquées
dans la fabrication des fromages et des yaourts. Ils découvrirent que
certaines espèces bactériennes avaient développé un système pour tailler en
pièce le génome des virus qui les envahissaient, ce qui l'inactivait. Ce
système, une sorte de couteau à cran d'arrêt, reconnaissait les virus
récurrents par leur séquence d'ADN. Les coupures dans le génome viral
n'étaient pas faites au hasard mais à des endroits bien précis de sa séquence.
On découvrit rapidement que ce système de défense bactérien comportait
au moins deux éléments critiques. Le premier était le « détecteur », un ARN
codé dans le génome bactérien dont la séquence correspondait à celle de
l'ADN viral reconnu. Le principe de la reconnaissance était là encore la
liaison. L'ARN « détecteur » pouvait trouver et reconnaître l'ADN du virus
parce qu'il en était l'image en miroir, le yin de son yang. C'était comme
porter une photo permanente d'un ennemi dans sa poche, ou dans le cas de
la bactérie, une image inversée gravée de façon indélébile dans son génome.
Le second élément du système de défense était « l'homme de main ». Une
fois l'ADN viral reconnu (par son image inversée), une protéine bactérienne
appelée Cas9 entrait en action pour porter un coup fatal au génome viral.
Les deux éléments travaillaient de concert, la protéine Cas9 coupant le
génome viral seulement après que sa séquence avait été reconnue. C'était
une combinaison classique de collaborateurs, celui qui repère et celui qui
exécute, le drone et le missile, Bonnie and Clyde.
Doudna, qui baignait dans la biologie de l'ARN depuis les débuts de sa
carrière, fut intriguée par ce système. Elle le prit d'abord pour une curiosité,
« la chose la plus obscure sur laquelle j'ai jamais travaillé » dira-t-elle plus
tard. Mais en travaillant avec Charpentier, elle commença à
méticuleusement démonter toutes les composantes de ce système.
En 2012, Doudna et Charpentier découvrirent que ce système était
« programmable ». Les bactéries, bien sûr, portent uniquement les images
de gènes viraux afin de pouvoir les rechercher et les couper : elles n'ont
aucune raison de le faire pour d'autres génomes. Mais Doudna et
Charpentier en apprirent assez sur ce système d'autodéfense pour le
détourner in vitro. En introduisant un ARN factice de reconnaissance, elles
pouvaient forcer le système à faire des coupures ciblées dans d'autres gènes
ou génomes. Elles avaient trouvé qu'en changeant le « détecteur », une autre
séquence pouvait être recherchée et coupée par l'enzyme Cas9.

Il y a une expression nichée dans l'une des phrases précédentes qui excite
immédiatement l'imagination de tout généticien. Une « coupure ciblée »
dans un gène est une source potentielle de mutation. La plupart des
mutations se produisent de façon aléatoire dans le génome. On ne peut
commander à un faisceau de rayons X ou de rayons cosmiques de changer
sélectivement le gène de la mucoviscidose ou de la maladie de Tay-Sachs.
Mais dans le cas de Doudna et Charpentier, la mutation n'était plus faite au
hasard, la coupure pouvait être programmée pour s'effectuer exactement à
l'endroit reconnu par le système d'autodéfense. En changeant l'élément de
reconnaissance, les deux chercheuses pouvaient rediriger l'attaque vers la
séquence d'un gène précis et donc le muter à volonté 7.
Ce système pouvait être manipulé encore plus loin. Quand un gène est
coupé, deux extrémités d'ADN apparaissent puis elles sont rognées. Une
réparation de la coupure est lancée et l'information perdue sera ensuite
récupérée sur la copie intacte du gène de l'autre chromosome. La matière
doit conserver l'énergie, le génome est conçu pour conserver l'information.
Dans ce processus de réparation, si la cellule reçoit un ADN étranger, celui-
ci sera pris pour copie au lieu du gène conservé sur l'autre chromosome.
L'information apportée par cet ADN sera alors intégrée définitivement à la
séquence du génome, comme une phrase en remplaçant une autre qui a été
gommée. Un changement génétique défini à l'avance peut ainsi être
introduit dans le génome : la séquence ATGGGGCCCG dans un gène peut
être changée en ACCGCCGGG (ou tout autre que l'on aura choisie). Un
gène de la mucoviscidose muté peut être corrigé pour retrouver sa forme
normale ou un gène modifié pour conférer une résistance à un virus dans un
organisme ou encore la triste répétition dans le gène muté de la maladie de
Huntington éliminée. La technique a été baptisée édition ou chirurgie
génomique.
Doudna et Charpentier publièrent leurs résultats sur l'utilisation in vitro
du système de défense microbien appelé CRISPR/Cas9 dans la revue
Science en 2012 8. L'article enflamma immédiatement l'imagination des
biologistes. Dans les trois années qui ont suivi sa parution, l'utilisation de la
technique qu'elles décrivaient pour la première fois a explosé 9. Cette
méthode présentait encore quelques contraintes fondamentales car les
coupures n'étaient pas toujours spécifiques ou toujours effectives, ce qui en
limite l'usage pour certains gènes. Mais elle fonctionne bien plus facilement
et efficacement que toute autre méthode de modification du génome. De tels
exemples de découvertes aussi inattendues sont très rares dans l'histoire de
la biologie. Une obscure défense microbienne, développée par des
microbes, découvertes par des scientifiques étudiant le yaourt et
reprogrammée par des biologistes de l'ARN, a ouvert la voie à une
technique transformante que les généticiens cherchaient ardemment depuis
des décennies. Une méthode pour effectuer des modifications directes,
efficaces et ciblées du génome humain. Richard Mulligan, le pionnier de la
thérapie génique, avait autrefois imaginé une « thérapie propre et nette ».
Ce système la rendait enfin possible.
Une dernière étape est nécessaire pour réaliser une modification
permanente et ciblée du génome chez l'homme. Les changements
génétiques que l'on est parvenu à faire dans des cellules ES humaines
doivent être intégrés dans un embryon humain. La transformation directe
d'une cellule ES humaine en un embryon humain viable est inconcevable
pour des raisons à la fois techniques et éthiques. Même si ces cellules
peuvent donner tous les types de tissus en laboratoire, il est impossible
d'imaginer qu'une fois implantées dans l'utérus d'une femme, elles
s'organisent de façon autonome en un embryon humain viable. Lorsqu'elles
sont implantées chez l'animal, ces cellules peuvent tout au plus donner un
assemblage assez lâche de différents tissus embryonnaires humain, loin de
la coordination anatomique et physiologique réalisée par un ovule fécondé
au cours de l'embryogenèse humaine.
On pourrait alors tenter de modifier génétiquement tout un embryon une
fois qu'il a atteint sa forme anatomique de base, c'est-à-dire quelques
semaines après la conception. En pratique, ceci n'est pas non plus faisable
car une fois organisé, l'embryon humain devient fondamentalement
réfractaire aux modifications génétiques. Et mis à part les obstacles
techniques, les obstacles éthiques au sujet d'une telle expérience
dépasseraient largement toute autre considération. Tenter de modifier le
génome d'un embryon humain vivant soulève évidemment une foule de
questions qui vont bien au-delà de la biologie et de la génétique. Dans la
plupart des pays, une telle expérience dépasse largement les limites de
l'autorisable.
Mais il y a une troisième stratégie qui pourrait être la plus accessible.
Supposez qu'un changement génétique soit apporté à des cellules ES
humaines en utilisant les techniques standards actuelles. Et imaginez
maintenant que ces cellules puissent être converties en cellules
reproductrices. Si les cellules ES sont vraiment totipotentes, alors elles
doivent pouvoir donner naissance à des spermatozoïdes ou des ovules
humains (un embryon, après tout, produit aussi des cellules germinales).
Maintenant, considérez une expérience en pensée. Si un embryon humain
pouvait être créé par FIV en utilisant de tels spermatozoïdes ou ovules
génétiquement modifiés, l'embryon qui en résultera porterait
nécessairement ces modifications dans ses cellules, dont celles de la lignée
germinale. Les premières étapes de ce procédé peuvent être testées sans
changer ou manipuler un embryon humain, et donc respecter les limites
morales liées à la manipulation de l'embryon humain 10. Point crucial, ce
procédé mime le protocole bien établi de la FIV où un spermatozoïde
féconde un ovule in vitro et où un embryon précoce est ensuite implanté
dans le corps d'une femme, une procédure qui suscite peu de questions. Il
s'agit d'un raccourci vers la thérapie génique germinale, une porte dérobée
vers le transhumanisme : l'introduction d'un gène dans une lignée germinale
humaine passerait par la conversion de cellules ES en cellules germinales.

Ce dernier problème était largement en passe d'être résolu au moment


précis où Doudna et Charpentier améliorèrent leur système de modification
du génome. Au cours de l'hiver 2014, une équipe d'embryologistes de
Cambridge en Angleterre et du Weizmann Institute en Israël trouva la
recette pour fabriquer des cellules germinales primordiales – les précurseurs
des spermatozoïdes et des ovules – à partir de cellules ES humaines 11. Des
expériences antérieures utilisant des versions précoces des cellules ES
humaines avaient échoué à créer de telles cellules. En 2013, les chercheurs
israéliens améliorèrent ces premiers essais pour isoler de nouveaux lots de
cellules ES plus à même de pouvoir générer des cellules germinales. Une
année plus tard, en collaborant avec les chercheurs de Cambridge, l'équipe
trouva que s'ils cultivaient ces cellules ES humaines dans des conditions
spécifiques, et guidaient leur différenciation en utilisant des facteurs précis,
ils pouvaient obtenir des amas de précurseurs de spermatozoïdes et
d'ovules.
La technique est encore peu commode et peu efficace. En raison des
mesures drastiques limitant la création d'embryons artificiels humains, on
ne sait pas encore, évidemment, si ces cellules pourront servir à donner
naissance à des embryons humains capables d'un développement normal.
Mais la première étape dans la fabrication de cellules capables de
transmettre un patrimoine héréditaire a été effectuée. En principe, si les
cellules ES parentes peuvent être génétiquement modifiées, que ce soit par
chirurgie génétique ou insertion d'un gène par un virus, tout changement
génétique peut être inscrit dans le génome humain d'une manière définitive
et transmissible.
C'est une chose de manipuler des gènes. C'est encore tout autre chose de
manipuler des génomes. Dans les années 1980 et 1990, les techniques de
clonage et de séquençage ont permis aux scientifiques de comprendre et de
manipuler des gènes, ce qui a rendu possible une maîtrise très poussée de la
biologie des cellules. Mais la manipulation des génomes dans leur contexte
d'origine, notamment ceux des cellules germinales ou embryonnaires, ouvre
la voie à des techniques bien plus puissantes. Ce qui se trouve en jeu
désormais n'est plus une cellule mais un organisme, le nôtre.
Au cours du printemps 1939, Albert Einstein, alors en poste à l'université
de Princeton, réfléchissait aux récentes avancées de la physique de son
époque. Il réalisa que chaque étape nécessaire pour arriver à fabriquer une
arme d'une puissance incommensurable avait été effectuée séparément.
L'isolement de l'uranium, la fission nucléaire, la réaction en chaîne, le
contrôle de la réaction et sa maîtrise en vase clos avaient été accomplis.
Tout ce qui manquait était de faire la séquence de l'ensemble. Si l'on faisait
toutes ces réactions dans l'ordre, on obtenait une bombe atomique. En 1972,
à Stanford, Paul Berg qui découvrait les fragments d'ADN séparés sur un
gel, se retrouva dans la même situation. Couper et coller des gènes, créer
des gènes chimères et les introduire dans des cellules bactériennes ou
humaines permettrait aux scientifiques de fabriquer des hybrides génétiques
entre des hommes et des virus. Tout ce qui restait à faire était d'effectuer ces
opérations dans le bon ordre.
Nous nous retrouvons à un moment similaire, une accélération, en ce qui
concerne l'ingénierie du génome humain. Considérez les étapes suivantes :
(a) dériver une vraie cellule souche embryonnaire humaine (capable de
donner des spermatozoïdes ou des ovules), (b) une méthode pour créer avec
fiabilité des modifications ciblées dans cette lignée cellulaire, (c) la
conversion directe de cette cellule souche modifiée en spermatozoïde ou en
ovule, (d) la production d'embryons humains à partir de ces spermatozoïdes
ou ovules par FIV… et vous arrivez, sans grand effort, à des humains
génétiquement modifiés.
Il n'y a aucun tour de passe-passe ici. Chaque étape est désormais à la
portée des techniques actuelles. Il reste bien sûr beaucoup d'inconnues. Est-
ce que n'importe quel gène peut être modifié efficacement ? Quels sont les
effets collatéraux de telles modifications ? Est-ce que les spermatozoïdes et
les ovules formés à partir de cellules ES peuvent vraiment donner des
embryons humains fonctionnels ? Beaucoup, beaucoup d'obstacles
techniques mineurs demeurent. Mais les principales pièces du puzzle sont
en place.
Comme on peut s'y attendre, chacune de ces étapes est actuellement
étroitement réglementée. En 2009, au États-Unis, après une interdiction
prolongée de tout financement fédéral sur les cellules ES humaines,
l'administration Obama a levé le veto sur leur production. Mais même avec
cette nouvelle réglementation, le NIH prohibe catégoriquement deux types
de recherche sur ces cellules. Tout d'abord, les scientifiques ne sont pas
autorisés à introduire ces cellules chez l'homme ou l'animal pour permettre
le développement d'embryons vivants. Et les modifications du génome dans
des cellules ES humaines sont interdites dans des conditions où « elles
pourraient être transmises à la lignée germinale », c'est-à-dire aux
spermatozoïdes ou aux ovules.

Au cours du printemps 2015, alors que je terminais ce livre, un groupe de


scientifiques incluant Jennifer Doudna et David Baltimore a fait une
déclaration commune demandant un moratoire sur l'usage de l'édition de
gène et des techniques de modification génétique dans une optique clinique,
et notamment pour les cellules ES humaines 12. Cet appel relevait que « la
possibilité de manipuler la lignée germinale humaine est depuis longtemps
une source d'excitation et de malaise dans le grand public, avec notamment
l'inquiétude de s'engager sur “une pente glissante” partant d'applications
visant à guérir des maladies vers des utilisations ayant des implications
moins évidentes ou même troublantes ». L'appel conclait ainsi : « Un point
clé de la discussion est de savoir si le traitement ou la guérison de maladies
sévères chez l'homme correspondrait à un usage responsable de l'ingénierie
du génome et, si c'est le cas, dans quelles circonstances. Par exemple,
serait-il approprié de recourir à cette technique pour changer des mutations
causant des maladies en des séquences plus typiques de personnes en bonne
santé ? Même ce scénario apparemment clair soulève de sérieuses
inquiétudes […] parce qu'il y a des limites à notre connaissance de la
génétique humaine, des interactions gènes-environnement et des voies des
maladies ».
Beaucoup de scientifiques trouvent cet appel à un moratoire
compréhensible et même nécessaire. « L'édition de gène, a remarqué le
biologiste des cellules souches George Daley, pose les questions les plus
fondamentales sur la manière dont nous allons considérer notre humanité à
l'avenir et si nous allons franchir l'étape dramatique de modifier notre
propre lignée germinale et prendre en quelque sorte le contrôle de notre
destinée génétique, avec l'énorme péril que cela comporte pour
l'humanité. »
Par bien des aspects, le plan de restrictions proposé rappelle le moratoire
d'Asilomar. Il vise à limiter l'utilisation de la technologie jusqu'à ce que ses
implications, tant aux niveaux éthique, politique que juridique et social,
soient comprises. Il appelle à une évaluation publique de la science et de
son avenir. C'est aussi un aveu franc de la proximité de cet horizon de
modification génétique d'embryons humains. « Il est parfaitement clair que
des gens vont essayer de faire de l'édition de gène chez l'homme 13 » a dit
Rudolf Jaenish, le biologiste du MIT qui a créé les premiers embryons de
souris à partir de cellules ES. « Il nous faut un accord de principe pour
déterminer si nous voulons augmenter l'homme de cette manière ou pas. »
Le mot à retenir dans cette dernière phrase est « augmenter », car il
marque un changement complet des limites classiques posées à la
manipulation génétique. Avant l'invention des techniques d'édition du
génome, il était possible d'éliminer l'information délétère du génome
humain en sélectionnant les embryons, par exemple. Avec le diagnostic
préimplantatoire (DPI), il était possible d'écarter d'une famille des
mutations comme celles de la maladie de Huntington ou de la
mucoviscidose.
L'ingénierie génomique fondée sur CRISPR/Cas9, au contraire, nous
permet d'ajouter de l'information au génome. Un gène peut être modifié de
manière ciblée et un nouveau code écrit dans le génome humain. « Cette
réalité signifie que la manipulation de la lignée germinale serait largement
justifiée par la tentation de “nous améliorer nous-même”, m'a écrit Francis
Collins 14. Cela signifie que quelqu'un soit investi du pouvoir de décider ce
qu'est “l'amélioration”. Toute personne envisageant une telle action devrait
être consciente de sa démesure. »
Le point crucial n'est donc pas l'émancipation génétique (la liberté hors
de la prison des maladies héréditaires) mais l'augmentation génétique (la
liberté hors des limites actuelles imposées à notre forme et à notre destin
par le génome humain). La distinction entre les deux est le fragile pivot
autour duquel se joue l'avenir de l'édition de gène. La maladie d'une
personne peut être la normalité d'une autre, comme l'histoire racontée dans
ce livre nous l'a enseigné. Ce qui est compris comme de l'émancipation par
certains peut très bien être compris comme de l'augmentation par d'autres
(« pourquoi ne pas nous rendre un peu meilleur ? » comme Watson le
demandait).
Mais peut-on « augmenter » notre propre génome de manière
responsable ? Quelles peuvent être les conséquences d'augmenter
l'information naturelle codée par nos gènes ? Pouvons-nous rendre notre
génome « un peu meilleur » sans risquer la possibilité de nous rendre
nettement pire ?

Au cours du printemps 2015 également, un laboratoire chinois a


tranquillement annoncé qu'il avait franchi l'interdit 15. À l'université Sun
Yat-sen à Guangzhou, une équipe de chercheurs dirigées par Junjiu Huang a
obtenu 86 embryons humains d'une clinique de FIV et tenté d'utiliser le
système CRISPR/Cas9 pour corriger la mutation d'un gène responsable
d'une anomalie courante du sang. Seuls 71 embryons ont survécu. Sur les
54 testés, seulement quatre se sont avérés avoir la bonne correction du gène.
Plus significatif pour l'avenir, des erreurs avaient été introduites dans un
tiers des embryons testés, des mutations involontaires étaient aussi apparues
dont certaines dans des gènes essentiels pour le développement et la survie
normale de l'embryon. L'expérience fut arrêtée.
C'était une expérience bâclée, épouvantable, conçue pour provoquer une
réaction et cela n'a pas manqué. Du monde entier, des scientifiques ont réagi
avec une inquiétude extrême à cette tentative de modification d'embryon
humain. Des revues scientifiques de premier plan dont Nature, Cell et
Science avaient refusé de publier les résultats 16, citant de grossières
violations des conditions de sécurité et des soucis éthiques (les résultats
sont finalement parus dans une revue en ligne très peu lue, Protein & Cell 17
). Pourtant, même s'ils lisaient l'étude avec appréhension et horreur, les
biologistes savaient déjà que ce n'était que le premier pas au-delà du point
de rupture. Les chercheurs chinois avaient pris le chemin le plus court pour
la modification permanente du génome humain et les embryons – de
manière prévisible – s'étaient retrouvés criblés de mutations imprévues.
Mais cette technique pouvait être changée de diverses manières pour la
rendre potentiellement plus efficace et plus précise. Si des cellules ES
avaient été utilisées en vue de produire des spermatozoïdes et des ovules,
par exemple, les cellules ES transformées auraient pu être triées en amont
pour éliminer celles portant des mutations délétères et l'efficacité du ciblage
génétique aurait été grandement améliorée.
Junjiu Huang dit à un journaliste qu'il « prévoyait de réduire le nombre
de mutations hors cible en utilisant différentes stratégies, agir sur les
enzymes pour les guider plus précisément à l'endroit voulu, introduire des
enzymes d'un format différent permettant de maîtriser leur durée de vie et
donc de les arrêter avant que les mutations ne s'accumulent 18 ». En
quelques mois, il espérait effectuer une variante de l'expérience, pour
laquelle il attendait une efficacité et une fidélité bien plus grande. Il
n'exagérait rien. La technique pour modifier le génome d'un embryon
humain peut être complexe, inefficace et imprécise, mais elle n'est pas hors
de portée.
Alors que les scientifiques occidentaux continuent d'observer les
expériences de Junjiu Huang sur les embryons humains avec une
appréhension justifiée, les scientifiques chinois font preuve d'un bien plus
grand enthousiasme à leur égard. « Je ne pense pas que la Chine veuille
faire un moratoire » rapporta un scientifique au New York Times fin
juin 2015 19. Un bioéthicien chinois fit une mise au point : « La pensée
confucéenne dit que l'on ne devient une personne qu'à la naissance. C'est
différent des États-Unis ou d'autres pays avec une influence chrétienne où,
en raison de la religion, les chercheurs peuvent percevoir un problème dans
la recherche sur les embryons. Notre “ligne rouge” ici est que l'on ne peut
expérimenter que sur des embryons de moins de quatorze jours. »
Un autre scientifique a écrit à propos de l'approche chinoise « Agir
d'abord, penser ensuite ». Cette démarche semble convenir à plusieurs
commentateurs publics. Dans la rubrique des lecteurs du New York Times,
certains ont défendu la levée de l'interdiction sur la manipulation du
génome humain et demandé une accélération des expériences en Occident,
notamment pour rester compétitifs avec l'Asie. Les expériences chinoises
ont clairement lancé un défi au reste du monde. Comme certains l'ont écrit,
« Si nous ne faisons pas ce travail, la Chine le fera ». La course au
changement du génome d'un embryon humain est devenue une course aux
armements entre continents.
Au moment où j'écris ceci, quatre autres groupes en Chine sont en train
de travailler pour introduire des mutations permanentes dans des embryons
humains. Je ne serais pas surpris que d'ici peu la première modification
ciblée du génome d'un embryon humain ne soit faite dans un laboratoire. Le
premier être humain « post-génomique » pourrait être en bonne voie de
naître.

Nous avons besoin d'un manifeste, ou du moins d'un guide du routard,


pour un monde post-génomique. L'historien Tony Judt m'a dit un jour que le
roman d'Albert Camus La Peste était à propos de la peste comme le Roi
Lear l'était à propos d'un roi nommé Lear. Dans La Peste, un cataclysme
biologique devient l'occasion de mettre à l'épreuve nos faiblesses, nos désirs
et nos ambitions. On ne peut lire ce roman sans le prendre pour une
allégorie à peine voilée de la nature humaine. Le génome est aussi
l'occasion de tester nos faiblesses et nos désirs, bien que sa lecture ne
demande pas de comprendre des allégories ou des métaphores. Ce que nous
lisons et écrivons dans notre génome sont vraiment nos faiblesses, désirs et
ambitions. C'est la nature humaine à proprement parler.
La tâche d'écrire ce manifeste complet appartient à une autre génération,
mais peut-être pouvons-nous en rédiger les premiers rudiments en rappelant
les leçons morales, philosophiques et scientifiques de cette histoire :
1. Un gène est l'unité de base de l'information héréditaire. Il porte
l'information nécessaire pour construire, maintenir et réparer les
organismes. Les gènes collaborent avec d'autres gènes, des facteurs de
l'environnement et le hasard pour produire la forme et le fonctionnement
définitifs d'un organisme.
2. Le code génétique est universel. Un gène d'une baleine bleue peut être
inséré dans une bactérie microscopique et sera décodé avec précision et
une fidélité presque parfaite. Un corollaire à cela : il n'y a rien de spécial
dans les gènes humains.
3. Les gènes influencent la forme, le fonctionnement et le destin mais ces
influences n'opèrent pas d'une manière univoque. La plupart des
caractères humains résultent de plus d'un gène, et beaucoup résultent
d'une collaboration entre gènes, environnement et hasard. La plupart de
ces interactions ne sont pas systématiques, elles ont lieu lorsqu'un
génome rencontre des événements fondamentalement imprévisibles. Et
certains gènes n'influencent que des prédispositions ou des tendances. On
ne peut donc vraiment prévoir l'effet ultime d'une mutation ou d'une
variation chez un organisme que pour une minorité de gènes.
4. Les variations dans les gènes contribuent à celles des traits, des formes
et des comportements. Lorsque nous utilisons les expressions de « gène
des yeux bleus » ou de « gène de la taille », nous faisons référence à une
variation (à un allèle) qui spécifie une couleur de l'œil ou une hauteur.
Ces variations ne concernent qu'une partie extrêmement faible du
génome. Elles prennent une grande place dans notre imagination en
raison de tendances culturelles et peut-être aussi biologiques à les
amplifier. Un Danois de deux mètres et un pygmée d'un mètre cinquante
ont la même anatomie, physiologie, et biochimie. Même les deux formes
les plus extrêmes de variation humaine, l'homme et la femme, partagent
99,688 % de leurs gènes.
5. Lorsque nous déclarons avoir trouvé « des gènes pour » certaines
propriétés ou fonctions humaines, cela est dû au fait que nous définissons
étroitement cette propriété. On peut légitimement définir des « gènes
pour » le « groupe sanguin » ou la « taille » car ces propriétés ont une
définition précise. Mais c'est un vieux défaut de la biologie de confondre
la définition d'un trait avec le trait lui-même. Si nous définissons la
« beauté » par le fait d'avoir des yeux bleus (et seulement cela), alors
nous aurons bien trouvé un « gène pour la beauté ». Si nous définissons
l'intelligence comme la performance obtenue pour un seul type de
problème dans un seul type de test, alors nous aurons bien trouvé le
« gène de l'intelligence ». Le génome n'est que le miroir de nos
conceptions plus ou moins larges. C'est Narcisse, réfléchi.
6. Il est absurde de parler « d'inné » ou « d'acquis » dans l'absolu ou de
façon abstraite. Le fait que la nature – c'est-à-dire un gène – ou que
l'acquis – c'est-à-dire l'environnement – domine dans l'apparition d'un
trait ou d'une fonction va dépendre, de manière critique, du trait en
question et du contexte. Le gène SRY détermine l'anatomie et la
physiologie sexuelle d'une manière étonnamment autonome, ce n'est que
de l'inné. L'identité du genre, la préférence sexuelle et le choix des rôles
sexuels sont déterminés par la confrontation des gènes avec
l'environnement, c'est-à-dire l'inné plus l'acquis. La manière dont la
« virilité » versus la « féminité » sont perçues ou affichées en société, au
contraire, est largement déterminée par l'environnement, la mémoire
sociale, l'histoire et la culture. Ce n'est que de l'acquis.
7. Chaque génération produit des variants de gènes par la mutation, c'est
une partie inextricable de notre biologie. Une mutation n'est
« anormale » que dans un sens statistique. C'est simplement le variant du
gène le moins courant. Le désir d'homogénéiser et de « normaliser » les
gens doit être équilibré par l'impératif biologique de maintenir la
diversité et l'anormalité. La normalité est l'antithèse de l'évolution.
8. Beaucoup de maladies humaines, dont plusieurs autrefois attribuées à
l'alimentation, à l'exposition, à l'environnement ou au hasard, sont
fortement influencées et parfois causées par des gènes. La plupart de ces
maladies sont polygéniques, c'est-à-dire influencées par plusieurs gènes.
Ces maladies sont « héritables » – c'est-à-dire causées par une
combinaison particulière de gènes qui sont bien des unités héréditaires –
mais pas facilement transmissibles – c'est-à-dire avec une probabilité
élevée que cette combinaison soit transmise intacte à la génération
suivante – puisque les combinaisons de gènes sont « remélangées » à
chaque génération. Les maladies monogéniques, dues à la mutation d'un
seul gène, se manifestent chacune par de rares cas, mais elles s'avèrent
étonnamment courantes dans la population. On en a déjà répertorié plus
de dix mille. Entre un enfant sur 100 et 1 sur 200 naît avec une maladie
monogénique.
9. Chaque « maladie » génétique est une discordance entre le génome d'un
organisme et son environnement. Dans certains cas, une intervention
médicale appropriée pour atténuer la maladie consiste à modifier
l'environnement de manière à ce qu'il « corresponde » à l'organisme
(faire un environnement adapté pour les personnes atteintes de nanisme,
imaginer d'autres contextes d'éducation pour les enfants autistes). Dans
d'autres cas, réciproquement, cela peut signifier changer des gènes pour
« correspondre » à l'environnement. Dans d'autres cas encore, la mise en
correspondance ne sera pas possible : les formes les plus sévères de
maladies génétiques, celles qui sont dues à la défaillance d'un gène
essentiel, sont incompatibles avec tous les environnements. C'est une
illusion actuelle de croire que la solution définitive à une maladie est de
changer la nature, c'est-à-dire les gènes, quand l'environnement est
souvent plus malléable.
10. Dans des cas exceptionnels, l'incompatibilité génétique est tellement
profonde qu'une mesure extraordinaire telles que la sélection génétique
ou une intervention génétique ciblée est justifiée. Jusqu'à ce que nous
comprenions les nombreuses conséquences involontaires de la sélection
de gènes et de la modification des génomes, il est plus sûr de considérer
ces cas comme des exceptions plutôt que des règles.
11. Il n'y a rien dans les gènes ou le génome qui nous rende
intrinsèquement résistant à une manipulation chimique ou biologique.
L'idée courante que « la plupart des traits humains résultent d'interactions
complexes entre les gènes et l'environnement et sont le produit de
multiples gènes » est absolument vraie. Mais si cette complexité contraint
la capacité à manipuler les gènes, elle laisse beaucoup d'opportunités à
des formes puissantes de modification génétique. Les gènes régulateurs
maîtres qui affectent des dizaines d'autres gènes sont courants en biologie
humaine. Un facteur agissant sur l'épigénétique peut être conçu pour
changer l'état de centaines de gènes d'un seul coup. Le génome est rempli
de ces sites d'intervention.
12. Un triangle de considérations – des souffrances extraordinaires, des
génotypes très pénétrants, et des interventions justifiables – a jusqu'à
présent limité nos tentatives d'intervenir sur l'homme. Le relâchement de
ces limites (en changeant les critères des « souffrances extraordinaires »
ou des « interventions justifiables ») nous oblige à trouver de nouveaux
principes sociaux, culturels et biologiques pour déterminer les
interventions génétiques qui seront autorisées ou limitées, et les
circonstances dans lesquelles ces interventions deviendront sûres ou
licites.
13. L'histoire se répète, notamment parce que le génome se répète. Et le
génome se répète, en partie parce que l'histoire fait de même. Les
pulsions, ambitions, imaginations et désirs qui guident l'histoire humaine
sont, au moins en partie, codées dans le génome. Et l'histoire humaine a,
à son tour, sélectionné des génomes portant ces pulsions, ambitions,
imaginations et désirs. Ce cercle logique qui s'auto-alimente est
responsable de certaines des propriétés les plus magnifiques et les plus
évocatrices de notre espèce, mais aussi les plus répréhensibles. C'est
beaucoup trop nous demander que d'échapper à cette logique. Toutefois,
le simple fait de reconnaître son caractère circulaire intrinsèque et de
garder du recul sur ses débordements peut suffire à protéger le faible de
la volonté du fort, et empêcher le « mutant » d'être éliminé par le
« normal ».
Peut-être que le scepticisme existe quelque part dans nos 21000 gènes.
Peut-être que la compassion permise par ce scepticisme est également
inscrite de manière indélébile dans le génome humain.
Peut-être est-ce une partie de ce qui nous rend humain.
Épilogue : Bheda, Abheda

« Sura-na Bheda Pramaana Sunaaavo ;


Bheda Abheda, Pratham kara Jaano. »
« Montre-moi que tu peux diviser les notes d'une chanson ;
Mais d'abord, montre-moi que tu peux discerner
Entre ce qui peut être divisé
Et ce qui ne peut l'être. »
Composition musicale anonyme inspirée par un poème classique sanskrit.

Abhed : mon père avait appelé les gènes « l'indivisible ». Bhed, l'opposé,
est un mot kaléidoscope : sous forme de verbe, il signifie « discriminer,
exciser, déterminer, discerner, diviser, guérir ». Il partage une racine
linguistique avec vidya, « connaissance » et avec ved, « médecine ». Les
écrits indous, les Vedas, tirent leur nom de la même racine. Elle vient de
l'ancien mot indo-européen uied, « connaître » ou « discerner le sens ».
Les scientifiques divisent. Nous discriminons. C'est le propre de notre
profession de devoir casser le monde en ses composantes – gènes, atomes,
bytes – avant de le reconstituer en entier. On ne connaît pas d'autre moyen
de comprendre le monde. Pour créer la somme des parties, il faut
commencer par la diviser en parties.
Mais il existe un danger implicite à cette méthode. Une fois que nous
percevons les organismes, les êtres humains, comme des assemblages faits à
partir des gènes, de l'environnement et de leur interaction, notre vue de
l'homme se trouve fondamentalement changée. « Aucun biologiste sain
d'esprit ne croît que nous ne sommes que le produit de nos gènes, m'a dit
Berg 1, mais une fois que l'on a fait intervenir les gènes, nous ne pouvons
plus avoir la même perception de nous-mêmes. » Un tout assemblé par la
somme des parties est différent d'un tout avant qu'il n'ait été éclaté en ses
parties.
Comme le dit le poème sanskrit,
« Montre-moi que tu peux diviser les notes d'une chanson ;
Mais d'abord, montre-moi que tu peux discerner
Entre ce qui peut être divisé
Et ce qui ne peut l'être. »

Trois gigantesques projets se profilent à l'horizon de la génétique


humaine. Tous les trois demandent à discriminer, diviser et finalement à
reconstruire. Le premier est d'élucider la nature exacte de l'information
codée par le génome humain. Le Projet Génome Humain a fourni le point
de départ de cette enquête, mais a aussi soulevé une série de questions
intrigantes sur ce qui est précisément « codé » par les trois milliards de
nucléotides de l'ADN humain. Quels sont les éléments fonctionnels du
génome ? Il y a des gènes codant des protéines, bien sûr – entre 21 000 à
24 000 – mais également des séquences régulatrices et des segments d'ADN
(les introns) qui divisent chaque gène en modules. Il y a en outre
l'information pour construire des dizaines de milliers de molécules d'ARN
qui ne sont pas traduites en protéines mais jouent des rôles divers dans la
physiologie cellulaire. Il y a de longues autoroutes d'ADN « poubelle », qui
ont peu de chance d'être poubelle après tout et pourraient coder pour des
centaines de fonctions encore inconnues. Il y a des coudes et des plis qui
permettent à des parties de chromosomes de se retrouver associées à
d'autres au sein de l'espace en trois dimensions du noyau.
Pour comprendre le rôle de chacun de ces éléments, un vaste projet
international lancé en 2013 vise à créer un grand répertoire de tous les
éléments fonctionnels du génome, c'est-à-dire de toute séquence de tout
chromosome ayant une fonction de codage ou d'instruction. Nommé avec à
propos l'Encyclopédie des Éléments d'ADN (ENC-O-DE), ce projet va
annoter la séquence du génome humain avec toute l'information qu'il recèle.
Une fois que ces « éléments » fonctionnels auront été identifiés, les
biologistes pourront passer au second défi : comprendre comment ces
éléments peuvent s'associer dans le temps et l'espace pour permettre la
physiologie et l'embryogenèse humaines, la détermination de chaque partie
de l'anatomie, le développement des traits uniques à un organisme. Ce qui
doit nous rendre humble dans notre compréhension du génome humain est
le peu de choses que nous savons du génome humain 2. Une grande part des
connaissances sur nos gènes et leur fonction est déduite de l'étude de gènes
comparables retrouvés chez la levure, le ver, la mouche et la souris. Comme
l'a résumé David Botstein, « Très peu de gènes humains ont été étudiés
directement 3. » Une partie du travail de la nouvelle génomique sera de
combler les lacunes entre la souris et l'homme, de déterminer comment les
gènes fonctionnent dans le contexte proprement humain.
Pour la génétique humaine, ce projet promet d'apporter plusieurs
bénéfices importants. L'annotation fonctionnelle du génome humain va
permettre aux biologistes de découvrir de nouveaux mécanismes de
maladies. De nouveaux éléments génomiques seront mis en lien avec des
maladies complexes et ces associations aideront à déterminer leur cause
profonde. Nous ne savons pas encore, par exemple, comment les
interactions entre gènes, expositions comportementales et hasard sont
susceptibles de provoquer l'hypertension, la schizophrénie, la dépression,
l'obésité, le cancer ou les maladies cardiaques. La découverte des éléments
fonctionnels du génome liés à ces maladies est la première étape pour
résoudre leur mécanisme d'apparition.
La compréhension de ces liens va aussi révéler le pouvoir prédictif du
génome. Dans un article de revue publié en 2011 qui a eu beaucoup
d'influence, le psychologue Eric Turkheimer écrit « Un siècle d'études
familiales de jumeaux, de fratries, de parents et enfants, d'enfants adoptés et
de généalogies entières a établi sans le moindre doute que les gènes jouent
un rôle crucial pour expliquer absolument toutes les différences humaines,
qu'elles soient normales ou pathologiques, qu'elles relèvent du biologique
ou du comportement 4 ». Pourtant, malgré la force de ces liens, « le monde
génétique » comme l'appelle Turkheimer, s'est avéré bien plus difficile à
cartographier et à démêler que prévu. Jusqu'à peu, les seuls changements
génétiques qui prédisaient directement l'évolution d'une maladie étaient
ceux de forte pénétrance qui causent les phénotypes les plus sévères. Les
combinaisons de variantes de gènes sont particulièrement difficiles à
appréhender. Il était impossible de savoir dans quelle mesure une
association particulière de gènes (un génotype) allait déterminer une
manifestation possible (le phénotype), plus encore si elle était le produit
d'une foule de gènes.
Mais cette barrière pourrait bientôt tomber. Imaginez ce scénario qui peut
paraître tiré par les cheveux au premier abord. Supposez que l'on puisse
séquencer le génome de cent mille enfants de manière prospective, c'est-à-
dire sans rien savoir de leur avenir, et que l'on crée une base de données de
toutes les variations et combinaisons des éléments fonctionnels de chaque
génome (cent mille est évidemment arbitraire, on peut élargir à n'importe
quel nombre). Imaginez maintenant la création d'une « carte du destin » de
ces enfants, chaque maladie ou aberration physiologique étant enregistrée
dans une base de données parallèle. On pourrait décrire celle-ci comme le
« phénome » humain, c'est-à-dire l'ensemble de tous les phénotypes
(propriétés, traits, comportements) d'un individu. Et maintenant, pensez à
un ordinateur capable d'exploiter les données de ces deux bases pour
déterminer dans quelle mesure l'une prédit l'autre. Malgré les incertitudes
restantes, même profondes, l'association prospective entre cent mille
génomes humains et cent mille phénomes fournirait une manne
d'informations extraordinaire. On commencerait à décrire la nature du
destin codée par le génome.
Le caractère stupéfiant de cette carte du sort est qu'elle ne se limiterait
pas aux maladies, mais pourrait être aussi large et profonde qu'on le
voudrait. Elle pourrait inclure le faible poids à la naissance, un défaut
d'apprentissage à l'école maternelle, une adolescence agitée, une amourette
d'adolescent, un mariage hâtif, la déclaration de son homosexualité, une
infertilité, une crise de la quarantaine, une propension à l'addiction, une
cataracte à l'œil gauche, une calvitie précoce, une dépression, une attaque
cardiaque, un décès prématuré par cancer du sein ou de l'ovaire. Une telle
expérience aurait été inconcevable par le passé. Mais la puissance combinée
de l'informatique, du stockage des données et du séquençage génétique la
rendent possible à l'avenir. C'est une étude de jumeaux gargantuesque, sauf
qu'elle se fait sans jumeaux, avec des millions de « jumeaux » génétiques
virtuels créés en faisant correspondre les génomes dans le temps et l'espace,
les associations étant ensuite annotées avec les événements de la vie.
Il est important de reconnaître les limites inhérentes à ce projet ou, plus
généralement, les limites de toute tentative pour prédire les maladies ou
l'avenir à partir du génome. « Peut-être, comme se plaignait un observateur
de la chose 5, que les explications génétiques vont un jour culminer dans la
décontextualisation des processus étiologiques, la sous-représentation du
rôle de l'environnement, la production de quelques interventions médicales
sensationnelles, mais qu'elles en révéleront au final très peu sur le sort des
gens. » Mais le pouvoir de telles études sera précisément de
« décontextualiser » la maladie. Ce sont les gènes qui formeront le contexte
pour comprendre le développement et la destinée. Les situations liées au
contexte ou à l'environnement sont diluées et filtrées, et seules celles qui
sont puissamment affectées par les gènes ressortent. Avec assez de sujets
volontaires et de puissance informatique, presque toute la capacité
prédictive du génome pourrait, en principe, être déterminée et calculée.

Le projet final est peut-être le plus lourd de conséquences. De même que


notre capacité de prédire le phénome humain à partir du génome est
contrainte par le manque de puissance de calcul et d'algorithmes, notre
capacité de changer le génome humain était jusqu'ici limitée par des
obstacles techniques. Les méthodes de transfert de gènes telles que les virus
étaient au mieux inefficaces et peu fiables, au pire mortelles, et le ciblage
génétique dans l'embryon humain virtuellement impossible.
Ces obstacles ont commencé à disparaître. Les nouvelles techniques
« d'édition de gène » permettent désormais aux généticiens d'effectuer des
modifications remarquablement précises et spécifiques du génome humain.
En principe, une seule lettre de l'ADN peut être mutée en une autre à
volonté, laissant intactes les trois milliards restantes dans le génome.
Entre 2010 et 2014, un chercheur post-doctoral dans mon laboratoire a tenté
d'introduire une modification génétique précise dans une lignée cellulaire
par les techniques classiques à base de virus, en vain. En 2015, après avoir
adopté la nouvelle technique de CRISPR, elle a pu réaliser quatorze
changements dans des cellules ES humaines en l'espace de six mois, une
prouesse inimaginable par le passé. Les généticiens et les thérapeutes du
gène du monde entier explorent maintenant la possibilité de changer le
génome humain avec une ardeur renouvelée, notamment parce que les
techniques actuelles nous conduisent au bord d'un précipice. Une
combinaison de techniques de cellules souches, de transfert nucléaire et de
modulation épigénétique, avec les méthodes de réécriture génétique, rend
concevables la manipulation du génome humain et la création d'humains
génétiquement manipulés.
On ne connaît pas encore la fiabilité ou l'efficacité de ces techniques en
pratique. Un changement ciblé dans un gène fait-il courir le risque de
provoquer d'autres changements involontaires ailleurs dans le génome ?
Certains gènes sont-ils plus facilement « réécrits » que d'autres, et qu'est-ce
qui gouverne leur malléabilité ? On ne sait pas non plus si une modification
ciblée dans un gène est à même d'altérer le fonctionnement de tout le
génome. Si certains gènes sont vraiment des « recettes » comme les appelle
Dawkins, leur modification a potentiellement des conséquences importantes
sur la régulation d'autres gènes, avec la possibilité de déclencher une série
de répercussions, un peu à la manière du proverbial effet papillon. Si de tels
effets sont courants dans le génome, ils seront alors une limitation
fondamentale aux techniques de réécriture du gène. La discontinuité des
gènes, le fait qu'ils soient des unités autonomes et délimitées de l'hérédité,
va se révéler une illusion : les gènes pourraient être bien plus interconnectés
que nous ne le pensons.
« Mais d'abord, montre-moi que tu peux discerner
Entre ce qui peut être divisé
Et ce qui ne peut l'être. »

Imaginez alors un monde où ces techniques seraient déployées en


routine. Lorsqu'un enfant est conçu, chaque parent a le choix de tester le
fœtus en utilisant le séquençage de son génome in utero. Les mutations
causant les handicaps les plus sévères sont identifiés, et les parents ont le
choix à un stade précoce de poursuivre ou pas la grossesse, ou de
n'implanter qu'un fœtus « normal » après séquençage complet de son
génome (on pourrait appeler cela le diagnostic génétique préimplantatoire
complet, ou DPIc) 6.
Des combinaisons plus complexes de gènes pouvant induire une
propension à certaines maladies sont aussi identifiables par le séquençage
du génome. Lorsque des enfants porteurs de telles tendances naissent, ils
pourrait être l'objet d'une intervention spécifique au cours de leur enfance.
Un enfant prédisposé à une forme génétique d'obésité, par exemple, serait
suivi au sujet de sa masse corporelle, traité par une alimentation adaptée, ou
métaboliquement « reprogrammé » en utilisant des hormones, des
médicaments ou une thérapie génique. Un enfant avec une tendance à un
syndrome de trouble de l'attention ou d'hyperactivité bénéficierait d'une
thérapie comportementale ou serait placé dans une classe enrichie.
Si une maladie émerge ou progresse, des thérapies géniques sont
déployées pour la traiter ou la guérir. Des gènes de secours sont transférés
directement dans les tissus touchés. Un gène fonctionnel de la
mucoviscidose, par exemple, est injecté sous forme d'aérosol dans le
poumon des patients où il va restaurer en partie sa fonction. Une petite fille
née avec une déficience en ADA reçoit une greffe de cellules souches de la
moelle osseuse portant le gène corrigé. Pour des maladies génétiques plus
complexes, le diagnostic génétique est combiné à une thérapie génique, des
médicaments et une « thérapie environnementale ». Les cancers sont
analysés en profondeur pour déterminer les mutations responsables de la
croissance maligne de chacun. Ces mutations servent alors à identifier les
voies de signalisation qui alimentent cette croissance maligne et à concevoir
la thérapie ciblée la plus précise capable de tuer les cellules cancéreuses
tout en épargnant les cellules normales.
« Imaginez que vous êtes un soldat revenant de la guerre avec un
syndrome de stress post-traumatique, écrit le psychiatre Richard Friedman
dans le New York Times en 2015 7. Avec un simple test sanguin de dépistage
de variantes génétiques, on peut découvrir si vous pouvez facilement
éliminer la peur […] Si vous avez une mutation qui réduit cette capacité,
votre thérapeute saura qu'il vous faudra plus de séances de traitement pour
récupérer. Ou peut-être une thérapie complètement différente qui ne passera
pas par une exposition, comme une thérapie interpersonnelle ou un
médicament ». Peut-être que les médicaments capables d'effacer les
marques épigénétiques peuvent être prescrits en association avec une
thérapie de la parole. Peut-être que l'effacement des souvenirs cellulaires
peut entraîner celui des souvenirs historiques.
Le diagnostic et l'intervention génétiques servent en outre à dépister et à
corriger les mutations chez l'embryon humain. Lorsque des mutations
« opérables » sont décelées dans certains gènes de la lignée germinale, les
parents ont le choix d'une chirurgie génétique pour modifier les
spermatozoïdes ou l'ovule avant la conception, ou bien un dépistage
prénatal des embryons à implanter permet d'écarter ceux portant la
mutation. Les mutations causant les formes les plus délétères de maladies
sont ainsi corrigées du génome humain par une sélection négative ou
positive, ou par modification du génome.

Si vous lisez soigneusement ce scénario, vous ressentirez probablement


un mélange d'émerveillement et de malaise moral. Les interventions
individuelles ne repoussent pas forcément les limites de la transgression –
des traitements ciblés du cancer, de la schizophrénie ou de la mucoviscidose
représentent même des jalons importants pour la médecine – mais certains
aspects de ce monde semblent particuliers et même étrangers. Il s'agit d'un
monde habité par des « prévivants » et des « post-humains », des hommes
et des femmes qui ont été analysés pour leurs vulnérabilités génétiques ou
créés avec des dispositions génétiques modifiées. La maladie pourrait
progressivement disparaître, mais aussi l'identité. La douleur pourrait
diminuer, mais aussi la tendresse. Les traumatismes pourraient être effacés
mais aussi l'histoire personnelle. Les personnes ayant des mutations
éliminées, mais aussi celles ayant des variantes. Les infirmités pourraient
disparaître, mais aussi la vulnérabilité. Le hasard sera tempéré mais aussi,
inévitablement, le libre choix 8.
En 1990, alors qu'il écrivait sur le Projet Génome Humain, le généticien
du ver John Sulston s'interrogeait sur le dilemme philosophique posé par un
organisme intelligent qui aurait « appris à lire ses propres instructions ».
Mais un dilemme infiniment plus profond se pose quand un organisme
intelligent apprend à écrire ses propres instructions. Si les gènes
déterminent la nature et le sort d'un organisme, et si des organismes
commencent à déterminer la nature et le sort de leurs gènes, une boucle
logique se referme sur elle-même. Une fois que nous commençons à penser
aux gènes en tant que destin, que futur manifeste, il devient inévitable de
commencer à imaginer le génome humain sous la forme d'une destinée
manifeste.

Sur le chemin du retour de l'établissement de Moni à Calcutta, mon père


voulut faire encore une halte devant la maison où nous avions grandi,
l'endroit où ils avaient ramené Rajesh aux prises avec sa folie, se débattant
comme un oiseau sauvage. Il conduisait en silence. Ses souvenirs avaient
formé des murs autour de lui. Nous laissâmes la voiture dans une partie
étroite de la rue Hayat Khan et avons marché jusqu'à l'impasse. Il était
environ six heures du soir. Les maisons étaient éclairées par une lumière
oblique, fumeuse, et la pluie menaçait.
« Les Bengalis n'ont qu'un seul événement dans leur histoire, la
Partition » dit mon père. Il regardait les balcons qui nous surplombaient et
essayait de se rappeler le nom de ses anciens voisins : Ghosh, Talukdar,
Mukherjee, Chatterjee, Sen. Un léger crachin commença à descendre sur
nous, ou peut-être était-ce seulement dû aux nombreux linges de la dernière
lessive suspendus entre les maisons. « La Partition a été l'événement
déterminant pour chaque homme et chaque femme de cette ville, continua-t-
il. Soit vous perdiez votre propre maison, soit votre maison devenait un abri
pour quelqu'un d'autre. » Il désigna les colonnades de fenêtres au-dessus de
nos têtes. « Chaque famille ici avait une autre famille vivant en son sein. »
Il y avait des foyers dans les foyers, des chambres dans les chambres, des
microcosmes dans les microcosmes.
« Quand nous sommes arrivés ici de Barisal, avec quatre malles
métalliques et le peu que nous avions pu emporter, nous pensions
commencer une nouvelle vie. Nous avions vécu une catastrophe, mais
c'était aussi un nouveau départ. » Chaque maison de la rue, je le savais,
avait sa propre histoire de malles en fer et d'affaires sauvées. C'était comme
si tous les habitants s'étaient retrouvés sur un pied d'égalité, comme un
jardin rabattu jusqu'au sol en hiver.
Pour un groupe d'hommes, dont mon père, le voyage du Bengale de l'Est
vers celui de l'Ouest comporta une remise à l'heure radicale de toutes les
pendules. C'est ainsi qu'avait commencé l'Année Zéro. Le temps s'était
segmenté en deux moitiés, l'ère d'avant et l'ère d'après le cataclysme. Cette
vivisection de l'histoire, la partition de la Partition, donna lieu à un étrange
vécu dissonant. Les hommes et les femmes de la génération de mon père se
percevaient comme les participants involontaires d'une expérience naturelle.
Une fois les pendules remises à zéro, c'était comme si vous pouviez voir les
vies, les destins, et le choix des personnes se déployer à partir d'une ligne de
départ, ou du commencement du temps. Mon père avait vécu cette
expérience bien trop intensément. Un frère était tombé dans la folie et la
dépression. Un autre avait eu son sens des réalités ébranlé. Ma grand-mère
avait acquis sa méfiance définitive à l'égard de toute forme de changement.
Mon père avait acquis ce goût pour l'aventure. C'était comme si des futurs
distincts, tels des homoncules, avaient été repliés dans chaque personne,
prêts à être déployés.
Quelle force, ou quel mécanisme, pouvait expliquer des destins et des
choix personnels aussi divergents ? Au XVIIIe siècle, on décrivait souvent la
destinée d'une personne comme une série d'événements ordonnés par Dieu.
Les Indous ont longtemps cru que le sort d'une personne découlait, avec une
précision quasi arithmétique, d'un calcul des actes bons et mauvais qu'elle
avait faits dans une vie antérieure (Dieu, dans cette optique, était un superbe
comptable moral, notant et répartissant les fragments de sort bons ou
mauvais en fonction des investissements et des pertes passées). Le Dieu
chrétien, capable d'une compassion inexplicable et d'une colère qui l'était
tout autant, était un comptable plus changeant, mais Il était aussi l'arbitre
suprême, et peut-être encore plus impénétrable, de nos destinées.
Le XIXe et le XXe siècle ont offert des conceptions plus séculières du
destin et du choix. La maladie, peut-être la plus concrète et la plus
universelle de toutes les manifestations du destin, pouvait désormais se
décrire en termes mécanistiques, non comme une intervention arbitraire de
la vengeance divine, mais comme la conséquence de risques, d'expositions,
de prédispositions, de conditions et de comportements. Le choix était
compris comme l'expression de la psychologie, de l'expérience, des
souvenirs, traumatismes et histoire personnelle. Au milieu du XXe siècle,
l'identité, les affinités, le caractère et les préférences d'un individu (hétéro
versus homosexualité, témérité versus prudence) ont été de plus en plus
décrits comme des phénomènes résultant de l'interaction entre pulsions
psychologiques, histoires personnelles et hasards de la vie. Une
épidémiologie de la destinée et du choix était née.
Dans ces premières décennies du XXIe siècle, nous apprenons à parler
encore un nouveau langage de causes et d'effets, et construisons une
nouvelle épidémiologie du soi. Nous commençons à décrire tout ce qui
constitue le soi – la maladie, l'identité, les affinités, le caractère, les
préférences et finalement le destin et le choix – en termes de gènes et de
génomes. Ce n'est pas pour proclamer de façon absurde que les gènes sont
le seul prisme au travers duquel on puisse voir les aspects fondamentaux de
notre nature et de notre sort. Il s'agit plutôt de proposer et considérer
sérieusement l'une des idées les plus provocantes, qui éclaire à la fois d'où
nous venons et où nous allons : et si l'influence des gènes sur notre vie et
notre être était plus riche, profonde et troublante que tout ce que nous
avions imaginé ? Cette idée devient encore plus provocante et déstabilisante
à mesure que nous apprenons à interpréter, modifier et manipuler le
génome, acquérant par là une capacité à changer les destins et les choix.
« La nature peut, après tout, être entièrement abordable, écrivait Thomas
Morgan en 1919 9. Son caractère impénétrable tant vanté s'est encore une
fois avéré être une illusion. » Nous essayons maintenant d'étendre les
conclusions de Morgan pas seulement à la nature, mais à la nature humaine.
J'ai souvent pensé aux trajectoires possibles des vies de Jagu et Rajesh
s'ils étaient nés dans le futur, disons dans cinquante ou cent ans. Notre
connaissance de leur vulnérabilité héritée serait-elle utilisée pour trouver un
remède aux maladies qui ont dévasté leur vie ? Cette connaissance serait-
elle exploitée pour les « normaliser », et dans ce cas, quels périls moraux,
sociaux ou biologiques cela entraînerait-il ? Une telle connaissance
permettrait-elle de nouvelles formes d'empathie et de compréhension ? Ou
n'allait-elle pas cristalliser d'autres formes de discrimination ? Cette
connaissance servirait-elle à redéfinir ce qui est « naturel » ?
Mais qu'est-ce qui est « naturel » ? Je me le demande. D'un côté, nous
avons : variation, mutation, changement, inconstance, divisibilité, flux ; de
l'autre : permanence, constance, indivisibilité, fidélité. Bhed ; Abhed. Cela
ne devrait pas vraiment nous surprendre que l'ADN, la molécule des
contradictions, code un organisme de contradictions. Nous cherchons la
constance dans l'hérédité, et nous trouvons l'opposé : la variation. Les
mutations sont nécessaires pour maintenir l'essence de notre soi. Notre
génome a négocié un fragile équilibre entre des forces antagonistes : il
apparie un brin d'ADN au brin opposé, mélange passé et futur, dresse la
mémoire contre le désir. C'est la plus humaine des choses que nous
possédions. Ce que nous allons en faire pourrait être le test ultime de la
connaissance et du discernement pour notre espèce.
CAHIER PHOTOS
REMERCIEMENTS

En mai 2010, lorsque j'ai terminé la version finale de mon livre de 600
pages, L'Empereur de toutes les maladies, je ne pouvais imaginer que
j'allais reprendre la plume pour écrire un autre livre. L'épuisement physique
dû à l'écriture de l'Empereur fut facile à anticiper et à surmonter, mais celui
de l'imagination fut inattendu. Lorsque le livre a remporté cette même
année le First Book Prize 1 du journal britannique The Guardian, un
commentateur s'est plaint qu'il aurait dû être sélectionné pour le Only Book
Prize* *. La critique m'a atteint au plus profond de mes peurs. L'Empereur
avait pompé toutes mes histoires, confisqué mes passeports et mis entre
parenthèses mon avenir d'écrivain. Je n'avais plus rien à dire.
Mais il y avait bien une autre histoire, celle de la normalité avant qu'elle ne
bascule dans la malignité. Si le cancer, pour détourner la description du
monstre de Beowulf, est « la variante déformée de notre soi normal 2 »,
alors qu'est-ce qui génère les variantes non déformées de notre soi normal,
la variation dans les limites de la normalité ? L'Histoire du gène est cette
histoire : la quête de la normalité, de l'identité, de la variation et de
l'hérédité.
Les personnes à remercier sont innombrables. Les livres sur la famille et
l'hérédité ne sont pas tant écrits que vécus. Sarah Sze, ma femme, mon
interlocutrice et lectrice la plus dévouée, et mes filles, Leela et Aria, m'ont
rappelé tous les jours mon intérêt pour la génétique et le futur. Mon père,
Sibeswar, et ma mère, Chandana, sont une partie inextricable de cette
histoire. Ma sœur, Ranu, et son mari, Sanjay, m'ont soutenu moralement
quand c'était nécessaire. Judy et Chia-Ming Sze, David Sze et Kathleen
Donohue ont eu des discussions prolongées avec moi sur la famille et le
futur.
Des lecteurs extraordinairement généreux ont assuré la précision des faits
rapportés dans ce livre et fait des commentaires sur son contenu, dont Paul
Berg (génétique et clonage), David Botstein (cartographie génétique), Eric
Lander et Robert Waterston (Projet Génome Humain), Robert Horvitz et
David Hirsh (biologie du ver), Tom Maniatis (biologie moléculaire), Sean
Carroll (évolution et régulation génétique), Harold Varmus (cancer), Nancy
Segal (études des jumeaux), Inder Verma (thérapie génique), Jennifer
Doudna (édition du génome), Nancy Wexler (cartographie des gènes
humains), Marcus Feldman (évolution humaine), Gerald Fischbach
(schizophrénie et autisme), David Allis et Timothy Bestor (épigénétique),
Francis Collins (cartographie génétique et Projet Génome Humain), Eric
Topol (génétique humaine) et Hugh Jackman (mutants).
Ashok Rai, Nell Breyer, Bill Helman, Gaurav Majumdar, Suman Shirodkar,
Mero Gokhale, Chiki Sarkar, David Blistein, Azra Raza, Chetna Chopra et
Sujoy Bhattacharyya ont lu les premières versions du manuscrit et apporté
des commentaires d'une immense valeur. Des conversations avec Lisa
Yuskavage, Matvey Levenstein, Rachel Feinstein, et John Currin furent
indispensables. Un passage de ce livre est paru dans un texte sur le travail
de Yuskavage (« Twins ») et un autre dans mon texte Les Lois de la
médecine en 2016. Brittany Rush a patiemment (et brillamment) compilé
les 800 et quelques références et travaillé sur des aspects abrutissants de la
production, Daniel Loedel a lu et corrigé le manuscrit sur un week-end pour
prouver que c'était possible.
Nan Graham : as-tu vraiment lu les 68 brouillons ? Tu l'as vraiment fait, et
avec Stuart Williams et l'indomptable Sarah Chalfant, qui a vu l'ouvrage en
premier par le trou d'épingle d'une proposition en deux paragraphes, vous
avez donné à ce livre sa forme, sa clarté, son sérieux et la priorité. Merci.
GLOSSAIRE

ADN : Acide désoxyribonucléique, molécule portant l'information


génétique dans tous les organismes cellulaires et certains virus. Il se
présente dans les cellules sous la forme de deux brins complémentaires
appariés. Chaque brin est formé d'une chaîne de quatre unités chimiques,
abrégées en A, C, T et G. Les gènes sont portés sous la forme d'un « code »
génétique sur un brin et la séquence est copiée (transcrite) en une séquence
d'ARN complémentaire qui est elle-même traduite en protéine.
ARN : Acide ribonucléique, molécule effectuant plusieurs tâches dans la
cellule, dont celle de servir de messager « intermédiaire » pour qu'un gène
soit traduit en protéine. L'ARN est une séquence de bases A, C, U et G
reliées par une armature de phosphate et de glucide. L'ARN est en général
sous forme d'un seul brin dans la cellule (l'ADN est sous forme de double
brin) bien que des formes à double brin existent parfois. Certains virus
comme les rétrovirus utilisent l'ARN pour porter leur information
génétique.
Allèle : une forme variante ou alternative d'un gène. Les allèles apparaissent
à la suite de mutations et peuvent engendrer des variations dans le
phénotype. Un gène peut avoir plusieurs allèles.
Chromatine : Matériau formant les chromosomes. La chromatine tire son
nom du grec « chroma » pour couleur, car elle a été identifiée à l'origine en
utilisant des colorants de la cellule. La chromatine est faite d'ADN, d'ARN
et de protéines.
Chromosome : Structure cellulaire formée d'ADN et de protéines, et dont le
rôle est de conserver l'information génétique.
Dogme central ou théorie centrale : théorie qui énonce que l'information
biologique passe chez la plupart des organismes de l'ADN à l'ARN
messager puis aux protéines. Cette théorie a été modifiée plusieurs fois. Les
rétrovirus contiennent une enzyme qui peut servir à fabriquer un ADN
complémentaire à partir d'une séquence d'ARN.
Enzyme : Une protéine qui accélère une réaction biochimique.
Epigénétique : L'étude des variations phénotypiques qui ne sont pas dues à
des changements dans la séquence primaire de l'ADN (c'est-à-dire les A, C,
T, G) mais à des modifications chimiques de l'ADN (par exemple des
méthylations) ou des changements dans le conditionnement de l'ADN via
des protéines de liaison à l'ADN (par exemple les histones). Certaines de
ces modifications sont héritables.
Gène : Une unité de transmission héréditaire qui correspond normalement à
un segment d'ADN codant une protéine ou une séquence d'ARN (dans
certains cas, des gènes peuvent être portés sous forme d'ARN).
Génome : L'ensemble de l'information génétique d'une cellule ou d'un virus.
Il inclut des gènes codant ou pas des protéines, des régions de régulation
des gènes et des séquences d'ADN dont la fonction est encore inconnue.
Génotype : Ensemble de l'information génétique d'un organisme qui
détermine ses caractéristiques chimiques, biologiques et intellectuelles (voir
« phénotype »).
Mutation : Modification dans la séquence de l'ADN. Les mutations peuvent
être silencieuses, c'est-à-dire sans effet sur une fonction de l'organisme, ou
se traduire par un changement dans une fonction ou dans la structure d'un
organisme.
Noyau : Structure cellulaire entourée d'une double membrane. Le noyau est
absent chez les bactéries et les archées. Les chromosomes (et les gènes) se
trouvent dans le noyau mais il y a aussi un petit chromosome circulaire
présent dans les mitochondries.
Organite : Sous-unité structurale spécialisée dans une fonction au sein de la
cellule eucaryote. Les organites sont délimités par leur propre membrane.
Les mitochondries, par exemple, sont des organites servant à la la
production d'énergie.
Pénétrance : Proportion d'individus qui portent une variante génétique et qui
expriment également le trait visible associé, ou phénotype. En génétique
médicale, le terme renvoie à la proportion d'individus ayant un génotype
donné qui vont manifester les symptômes de la maladie associée.
Phénotype : Ensembles des traits biologiques, physiques et intellectuels
d'un individu. Le phénotype peut aussi correspondre à un trait complexe
comme la personnalité. Le phénotype est déterminé par les gènes, les
modifications épigénétiques, l'environnement et le hasard.
Protéine : Molécule formée d'une (ou plusieurs) chaîne d'acides aminés
créée à la suite de la traduction d'un ARN messager. Les protéines assurent
la grande majorité des fonctions cellulaires, dont le transfert des signaux, le
support structural, l'accélération des réactions biochimiques. Les gènes sont
à l'origine des protéines. Les protéines peuvent être modifiées
chimiquement par l'ajout de petits éléments chimiques comme des
phosphates, des glucides ou des lipides.
Ribosome : Structure cellulaire formée d'ARN et de protéines, responsable
de la traduction de la séquence de l'ARN messager en une séquence
protéique d'acides aminés.
Traduction (de gène) : Processus par lequel l'information génétique portée
par un ARN messager est convertie en une protéine par le ribosome. Au
cours de la traduction, un codon constitué d'un triplet de bases dans l'ARN
(par exemple AUG) est décodé pour ajouter un acide aminé donné (la
méthionine ici). Une séquence d'ARN va ainsi donner une séquence
d'acides aminés.
Trait dominant ou récessif : Un caractère physique ou biologique d'un
organisme, codé par un ou des gènes en général. Un trait unique peut être
codé par de nombreux gènes et un seul gène peut coder plusieurs traits. Un
caractère ou trait dominant correspond au caractère qui s'impose lorsque les
allèles dominant et récessif sont tous deux présents, alors qu'un caractère
récessif n'apparaîtra que si l'allèle récessif est seul présent (en deux copies).
Transcription : Processus de production d'une molécule d'ARN à partir d'un
gène. Dans la transcription, la séquence de l'ADN (ATGCACGGG) est
utilisée pour produire une « copie » en ARN (AUGCACGGG).
Transformation : Transfert horizontal de matériel génétique d'un organisme
à un autre. Par exemple, les bactéries peuvent échanger du matériel
génétique entre elles sans passer par la reproduction.
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Yi, Doogab, The Recombinant University : Genetic Engineering and the
Emergence of Stanford Biotechnology, University of Chicago Press,
Chicago, 2015
INDEX

5HTTLPR (gène chez l'homme), 1


5-hydroxytryptamine (5-HT), 1
Académie des sciences nationale américaine (NAS), 1
acides nucléiques, 1-2, 3, 4
ADA, 1-2, 3
Adam
– théories des races d'Agassiz, 1
– comme premier parent, 1
Adams, Mark, 1
ADCY5 (gène), 1
adénine, 1, 2
adénosine (métabolisme), 1
adénovirus, comme vecteur de thérapie génique, 1
ADN (acide désoxyribonucléique)
– théorie de l'hérédité d'Aristote anticipant, 1
– composition chimique de, 1
– critique de Rosalind Franklin sur le travail de Watson et Crick sur, 1
– code génétique et, 1
– code génomique et, 1
– réplication, 1
– séquençage, 1
– modèle de la double hélice de Watson et Crick, 1
– réparation de, 1
ADN intergénique, 1, 2, 3
ADN recombinant, 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Agassiz, Louis, 1
Aktion T4, programme en Allemagne, 1
alcoolisme
– eugénisme et, 1
– composante génétique, 1
Alexandra, tsarine de Russie, 1
Alexei, tsarévitch de Russie, 1, 2
Alice, Princesse, 1
allèles
– recherches mathématiques de Fisher sur les combinaisons, 1
– expérimentations de Mendel, 1
– recherches de Morgan avec les mouches du vinaigre, 1
– polymorphismes similaires, 1
Allfrey, Vincent, 1
Allis, David, 1
Alu (séquences d'ADN), 1
Alzheimer (maladie), 1, 2, 3
American Journal of Human Genetics, 1
Amgen, 1
ammoniac,
– expérience de la « soupe primordiale » de Miller, 1
– déficience en ornithine transcarbamylase (OTC) et, 1
amniocentèse, 1, 2
Anaxagore, 1
Anderson, William French, 1
anémie falciforme, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
anémie, 1-2
anticorps, 1, 2, 3, 4
Are You Fit to Marry ? (film), 1
Arendt, Hannah, 1
Arieti, Silvano, 1
Aristote, 1-2, 3, 4, 5
ARN (acide ribonucléique), 1-2, 3-4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16-
17, 18, 19
Asilomar (Conférence sur l'ADN recombinant, Asilomar II, 1975), 1
Asilomar (Conférence, Asilomar I, 1973), 1
Asperger, Hans, 1
Augustiniens, 1, 2
autisme
– épigénétique utilisée pour agir, 1
– discordance entre génome et environnement, 1
– mutations, 1, 2
Avery, Oswald, 1-2
avortement, 1-2

bactéries
– système de défense contre les virus des, 1
– résistantes aux antibiotiques, 1
– échanges de gènes entre, 1
– gènes exprimés ou réprimés pour un changement métabolique, 1, 2
– information génétique échangée entre, 1
– en tant que système modèle pour la recherche, 1
bactériophage lambda, 1, 2
Bailey, J. Michael, 1
Banting, Frederick, 1, 2
Barrangou, Rodolphe, 1
Barranquitas, Venezuela, 1
Basset Hound Club Rules, 1
Bateson, William, 1-2
Beadle, George, 1-2, 3
Beagle (bateau), 1-2
Beery, Alexis et Noah, 1
Bell Curve, The (Herrnstein et Murray), 1-2
Bell, Alexander Graham, 1
Bell, John, 1
Belsky, Jay, 1
Berg, Paul, 1, 2, 3, 4
Bernal, J. D., 1
Best, Charles, 1
Bieber, Irving, 1
biochimie, 1
biologie
– appliquée dans l'Allemagne nazie, 1
– flux d'information dans la, 1
– le gène comme principe d'organisation pour la, 1
– clonage génétique et, 1
– l'hérédité comme question centrale de la, 1
– règles d'organisation en, 1
Biometrika (revue), 1
biophysique, 1
biorisques, 1, 2, 3
biotechnologie, 1, 2, 3
Birkenau, 1, 2
Bishop, J. Michael, 1
Black Stork, The (film), 1
Blackmun, Henry, 1
Blaese, Michael, 1
Bleuler, Eugen, 1
Bodmer, Walter, 1
Bolivar, Francisco, 1
bombe atomique, 1, 2, 3, 4, 5
Botstein, David, 1
Bouchard, Thomas, 1
Boveri, Theodor, 1, 2, 3
Boyer, Herbert, 1, 2, 3, 4
Brandt, Karl, 1
BRCA1 (gène chez l'homme)
– fonction pour la réparation de l'ADN, 1, 2
– criblage génétique pour, 1
– identification de, 1, 2, 3
– pénétrance incomplète de, 1, 2
– risque durant la vie de développer un cancer avec une mutation de, 1
– mutations et risque de cancer, 1, 2
– possibilité de réparation par une coupure intentionnelle, action de, 1
– porteuses prévivantes, 1
BRCA2 (gène chez l'homme), 1, 2
Brenner, Sydney, 1, 2, 3, 4, 5, 6
brevet et dépôt de brevet,
– pour l'isolement de l'érythropoïétine par Amgen, 1
– pour la séquence du gène BRCA1, 1
– pour la technologie des fragments de gène, 1
– pour l'insuline créée in vitro par Genentech, 1
– pour les gènes, 1
– pour la technique de l'ADN recombinant, 1
Bridges, Calvin, 1
Buck v. Priddy, 1
Buck, Carrie, 1, 2
Buck, Emmett Adaline (« Emma »), 1
Burnet, Franck MacFarlane, 1
byte, en tant qu'unité de base, 1

C4 (gène dans la schizophrénie), 1


Caenorhabditis elegans, séquençage du génome, 1, 2
camp de concentration d'Auschwitz, 1, 2
Camus, Albert, 1
cancer de l'utérus, 1
cancer du sein
– transmission du gène BRCA1 et risque de, 1, 2, 3
– désaccord sur les causes du, 1
– clonage des gènes du, 1
– diversité génétique du, 1
– criblage génétique du, 1
– séquençage du génome pour le, 1
– transmission de mutations causant le, 1
– prévivantes du, 1
– comparaison avec la schizophrénie, 1
cancer
– expérience de dédifférenciation et, 1
– gènes associés, 1
– en tant que maladie génétique, 1
– pénétrance de la maladie et risque de, 1, 2
– diversité génétique du, 1
– mutations génétiques multiples dans le, 1
– gène myc dans le, 1
– facteurs prédictifs dans le diagnostic génétique du, 1
Cavalli-Sforza, Luigi, 1, 2
Celera Genomics, 1
cellules nourricières pour la culture des cellules souches embryonnaires, 1
cellules souches embryonnaires (CSE), 1, 2
cellules souches
– insertion du gène de l'ADA en cas de déficience, 1
– régénération cellulaire avec, 1
– cellules souches embryonnaires issues de, 1
– changements induits par irradiation dans, 1
– inverser la mémoire cellulaire de, 1
– ovules et spermatozoïdes issus de, 1
centres du contrôle des maladies, (CDC), 1
Cerveau
– séquençage des gènes exprimés dans le, 1
– synapses au cours du développement dans le, 1
– souris transgéniques pour la recherche sur le, 1
Cetus, 1
Chain, Ernest, 1
Chargaff, Erwin, 1
Charpentier, Emmanuelle, 1
Chase, Martha, 1
chimères génétiques, 1, 2, 3
chimpanzés, 1, 2, 3
Chine
– test de génome fœtal, 1
– expériences de manipulation du génome humain, 1
– sélection génétique des garçons, 1
choléra, 1
chromatine, 1
chromosome X, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
chromosome Y, 1, 2, 3-4
chromosomes
– évolution du nombre de paires de, 1
– supplémentaires dans les syndromes polygéniques, 1
– information génétique portée sur les, 1
– syndromes génétiques avec anomalies dans les, 1
– gènes non codants sur, 1
– inactivation aléatoire des, 1
– structure moléculaire selon Schrödinger, 1
Churchill, Winston, 1
Cline, Martin, 1
clonage génétique
– technique de transfert nucléaire dans le, 1
clonage positionnel, 1, 2, 3
c-myc (gène chez l'homme), 1
Cohen, Stanley, 1
Collins, Francis, 1, 2
université Columbia, 1, 2
colonie de l'État de Virginie pour les épileptiques et les faibles d'esprit,
Lynchburg, Virginie, 1-2, 3, 4
comportement à haut risque, variant du gène 5HTTLPR associé à lui, 1
conférence Internationale sur l'Eugénisme, Londres, 1
Conneally, Michael, 1
Corey, Robert, 1
Correns, Carl, 1
Cory, Suzanne, 1
Cour suprême américaine, 1, 2-3, 4, 5
Crick, Francis, 1, 2
Crime and Human Nature (Wilson et Herrnstein), 1
CRISPR/Cas9, le système de défense microbien, 1, 2, 3
cristallographie, 1
structure tridimensionnelle de l'ADN, 1
Cro-Magnon, 1
crossing over, 1, 2, 3
Crow, James, 1
Culver, Kenneth, 1
Curie, Marie, 1
D4DR gène, chez l'homme, 1
Daley, George, 1
Danchin, Antoine, 1
Dancis, Joseph, 1
Danisco, 1
Darbishire, Arthur, 1
Darwin, Charles
– voyage à bord du Beagle en Amérique du Sud, 1
– rencontre avec de Vries, 1
– premiers écrits sur l'origine naturelle des animaux, 1
– éléments de l'eugénisme empruntés à, 1
– étude de Galton sur, 1
– théorie des gemmules pour l'hérédité, 1
– problème de la mémoire génétique pour, 1
– publication de L'Origine des espèces, 1
– théorie de la pangenèse, 1, 2
Das Erbe (film), 1
Davenport, Charles, 1, 2
Davis, Ron, 1, 2
Dawkins, Richard, 1
De Gouveia, Hilário, 1
de Vries, Hugo, 1, 2-3, 4, 5, 6
déficit immunitaire combiné sévère (SCID), 1
Delbruck, Max, 1, 2, 3
DeLisi, Charles, 1
dénutrition, impact sur les enfants de la, 1
département de l'énergie américain (DOE), 1, 2
dépression,
– facteurs génétiques, 1, 2, 3
– programmes de stérilisation des nazis pour, 1
Descent of Man, and Selection in Relation to Sex (Darwin), 1
DeSilva, Ashanti (« Ashi »), 1
DeSilva, Van et Raja, 1
diabète, 1, 2, 3, 4, 5, 6
Diamox, 1
diffraction aux rayons X, 1-2
Dobzhanski, Théodore, 1-2
DOCK3 (gène chez l'homme), 1
dogme central, 1, 2
Dolly (expérience de clonage de la brebis), 1
Doppler, Christian, 1
Doudna, Jennifer, 1-2
Dozy, Andree, 1
Dreiser, Theodore, 1
Drysdale-Vickery, Alice, 1
Dulbecco, Renato, 1
Ebstein, Richard, 1
Efstratiadis, Argiris, 1
Ehrlich, Paul, 1
Einstein, Albert, 1
Eisenhower, Dwight D., 1
électrons, 1
Eli Lilly, 1
Eliot, Charles, 1
Elledge, Steve, 1
Ellis, Havelock, 1
embryons humains
– questions éthiques sur la manipulation du génome des, 1
– expériences pour dériver des cellules souches de, 1
– limites fédérales posées aux lignées cellulaires de, 1
end-1 (gène chez le ver), 1
enzyme de restriction, 1
enzymes
– couper et coller l'ADN avec, 1
– réplication de l'ADN avec, 1
épigénétique, 1-2, 3, 4-5
épilepsie, 1, 2, 3
épissage génétique, 1
Erbkrank (film), 1
érythropoïétine, 1
Escherichia coli (E. coli), 1
esclavage, 1, 2
eugénisme négatif, 1
eugénisme positif, 1, 2, 3, 4
eugénisme, 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8
Evans, Martin, 1
Ève mitochondriale, 1, 2
évolution
– théorie d'Agassiz des origines humaines multiples et théorie de, 1
– premiers hommes modernes et, 1
– impact des mutations sur, 1
– place de Néandertal dans, 1
– théorie générale de Wallace pour, 1
exons, 1, 2, 3, 4
facteurs de la coagulation
– mutation génétique du gène du factor VIII, 1
– dans l'hémophilie, 1, 2
– purification des, 1
– facteur IX de la coagulation dans l'hémophilie, 1
Falkow, Stanley, 1
FDA, 1, 2
fécondation in vitro (FIV), 1
Feldberg, Wilhelm, 1
Feldman, Martin, 1
Fisher, Ronald, 1
Foucault, Michel, 1
Franklin, Rosalind, 1, 2, 3
Freud, Sigmund, 1
Friedman, Richard, 1
Galien, 1
Galton, Francis, 1-2, 3
Gamow, George, 1
Gardner, Howard, 1
Garrod, Archibald, 1
Gelsinger, Jesse, 1-2, 3
GenBank, 1
Genentech, 1-2, 3
gènes non codants, 1
Genetics Institute (GI), 1
génomique informatique, 1
Gilbert, Walter, 1
Gitans, extermination par les nazis, 1
Gleick, James, 1, 2
Goeddel, David, 1
Goldstein, David, 1
Goodfellow, Peter, 1
Goodship, Daphne, 1
Gottesman, Irving, 1
Gould, John, 1
Gould, Stephen Jay, 1
Graham, Robert, 1
Gray, Asa, 1
Griffith, Frederick, 1
grippe espagnole, 1
grippe suivie par une pneumonie à pneumocoque, 1
groupements méthyle, 1, 2
guanine, 1
Gurdon, John, 1-2
Gusella, James, 1

Hadamar (hôpital, Allemagne), 1


Haemophilus influenzae, séquençage du génome, 1
Hahn, Otto, 1
Haiselden, Harry, 1
Haldane, J. B. S., 1, 2
Hamer, Dean, 1
Hammarsten, Einar, 1
Hartsoeker, Nicolaas, 1
hasard
– risque de cancer et, 1
– épidémiologie de la destinée et, 1
– la sélection eugénique affectée par le, 1
– activation de gène et, 1, 2, 3
– risque de schizophrénie et, 1
Haussler, David, 1
hémochromatose, 1
hémoglobine, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Herrick, James, 1
Herrnstein, Richard, 1
Herschel, Sir John, 1
Hess, Rudolf, 1
Heyneker, Herbert, 1
Hiroshima, Japon, bombardement atomique, 1
histones, 1
Hobbes, Thomas, 1
Hodgkin, Dorothy, 1
homonculus, 1
homosexualité
– théorie de Bieber pour, 1
– Freud au sujet de, 1
– gène gay et, 1
– recherches de Hamer sur les gènes liés à, 1
Hongerwinter (Hiver de la faim), 1-2
Hood, Leroy, 1
Hopkins, Nancy, 1
hormone de croissance humaine, 1, 2
Horvath, Philippe, 1
Horvitz, Robert, 1
Hox, famille de gènes, 1
Huang, Junjiu, 1
Huberty, James, 1
Hughes, Everett, 1
Human Genome Sciences (HGS), 1
Huntingtin (gène chez l'homme), 1
Huntington (maladie), 1
Huntington (maladie), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Huxley, Julian, 1
Hybrides
– expériences de Correns, 1
– expériences de de Vries, 1
– expériences de Mendel, 1-2
hyperactivité (syndrome), 1
hypertension, 1, 2, 3
infertilité, 1, 2, 3, 4
ingénierie sociale, 1-2
Ingram, Vernon, 1
Institut de génétique, Union soviétique, 1
Institut Kaiser Wilhelm, Berlin, 1-2
Institut National du Cancer américain (NCI), 1, 2
Institute for Genomic Research, The (TIGR), 1
Instituts nationaux de la santé (NIH), 1, 2-3, 4, 5, 6
intelligence
– combinaison des gènes et de l'environnement influençant, 1
– concept du « gène de », 1
– définition de, 1
– génétique et classification par, 1
– race et différences génétiques dans, 1
– études de jumeaux sur la transmission de, 1
– tests d'intelligence
– diagnostic de faiblesse d'esprit avec, 1
– mesure de l'intelligence avec, 1
– performances prédites par, 1
interféron alpha, 1
introns, 1, 2, 3, 4, 5, 6
IT15 (gène chez l'homme), 1
Itakura, Keiichi, 1
Itano, Harvey, 1
Jablonski, Walter, 1
Jackson, David, 1
Jacob, François, 1, 2, 3, 4
Jaenisch, Rudolf, 1
Jamison, Kay Redfield, 1
Japon, bombardement atomique, 1
Jenkin, Fleeming, 1
Jensen, Arthur, 1
Johannsen, Wilhelm, 1, 2
Johns Hopkins Hospital, Moore Clinic, 1
Journal of Hygiene (revue), 1
Judt, Tony, 1
juifs
– inquiétude des eugénistes américains au sujet des, 1
– dépistage génétique de la maladie de Tay-Sachs chez les, 1, 2, 3
– expériences de Mengele sur les jumeaux juifs, 1
– politique des nazis envers les scientifiques et émigration des, 1
– lois de purification raciale des nazis contre les, 1
jumeaux
– gènes activés ou réprimés chez, 1
– l'inné et l'acquis, différences entre, 1
– réaffectation sexuelle de l'un des, 1
Kafatos, Fotis, 1
Kaiser, Dale, 1
kakogénisme, 1
Kamin, Leon, 1
Kan, Y. Wai, 1
Kantsaywhere (manuscrit de Galton), 1
Keller, Evelyn Fox, 1
Kerr, John, 1
Kevles, Daniel, 1
Khorana, Har, 1
Kidd, Benjamin, 1
Kimble, Judith, 1
Kimura, Motoo, 1
King, Desmond, 1
King, Mary-Claire, 1
Kinzler, Ken, 1
Kleiner, Perkins, Caulfield et Byers, 1
Klinefelter (syndrome), 1
Kornberg, Arthur, 1
Korsmeyer, Stanley, 1
Kravitz, Kerry, 1
Krebs, Hans, 1
Kretschmar, Gerhard, 1

lactose (métabolisme), 1, 2
Lamarck, Jean-Baptiste, 1, 2, 3, 4
Lander, Eric, 1, 2
Langerhans, Paul, 1
Laplace, Pierre-Simon, 1
Leder, Philip, 1
Lederberg, Joshua, 1
Lejeune, Jérôme, 1
Lenz, Fritz, 1
Lessing, Doris, 1
leucémie, 1, 2
Levene, Phoebus, 1
Lewis, Ed, 1
Lewontin, Richard, 1
ligase, 1, 2
Lincoln, Abraham, 1
Linné, Carl von, 1
Linnean Society, 1, 2
Lionni, Leo, 1
Lobban, Peter, 1
loi ancestrale de l'hérédité, 1
loi pour la prévention d'une descendance génétiquement malade (Loi de
stérilisation), Allemagne, 1
lois de Nuremberg pour la protection de la santé héréditaire du peuple
allemand (Allemagne), 1
London School of Economics, 1
Lovell-Badge, Robin, 1
Lyell, Charles, 1
lymphocytes T, 1, 2-3
lymphome, 1, 2
Lyssenko, Trofim, 1-2, 3
Macklin, Ruth, 1
MacLeod, Colin, 1
maladie coronarienne, 1
maladie de Gaucher, 1, 2
maladie polykystique des reins de l'enfant (MPR), 1
maladies auto-immunes, 1
Malthus, Thomas, 1-2
Manhattan (Projet), 1, 2
Maniatis, Tom, 1, 2
Manto, Saadat Hasan, 1
Marfan (syndrome), 1-2
Maudsley, Henry, 1
Maxam, Allan, 1
Mayr, Ernst, 1
McCarty, Maclyn, 1
McCorvey, Norma, 1
McGarrity, Gerard, 1
McKusick, 1-2, 3
MECP2 (gène chez l'homme), 1
Medawar, Peter, 1
Medical Research Council (MRC), Royaume-Uni, 1
médicaments antipsychotiques, 1, 2
mégathérium, 1
mémoire
– gènes activés ou réprimés, 1
– expérience d'Hongerwinter, 1
Mendel, Gregor Johann, 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Mengele, Josef, 1, 2
Mering, Josef von, 1
Merriman, Curtis, 1
Mertz, Janet, 1-2, 3
Meselson, Matthew, 1, 2
Miescher, Friedrich, 1
migration
– différences génétiques liées à, 1
– théorie de la sortie de l'Afrique et, 1
– classification raciale et, 1
Mill on the Floss, The (Eliot), 1
Millais, Sir Everett, 1
Miller, Stanley, 1
Milton, John, 1
Minkowski, Oskar, 1
Minnesota Study of Twins Reared Apart (MISTRA), 1
moelle osseuse, 1, 2
Money, John, 1
Monod, Jacques, 1, 2-3, 4, 5, 6
Moore Clinic, Johns Hopkins Hospital, 1
Morgan, Thomas Hunt, 1
mormons, études génétiques des familles, 1
mucoviscidose, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
cytosine, 1
Muller, Hermann, 1
Müller, Max, 1
Muller-Hill, Benno, 1
Mulligan, Richard, 1
Mullis, Kary, 1
Murray, Charles, 1
Murray, John, 1
mutants, 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8
mutations
– cancers avec, 1
– combinaison de, dans les troubles génétiques, 1
– dépistage génétique des, 1
– maladies génétiques dues à, 1-2
– dans la maladie de Huntington, 1
– impact sur la théorie de l'information, 1
– dans le syndrome de Marfan, 1
– comme concept statistique, 1
myc (gène chez l'homme), 1
Myers, Richard, 1
Myriad Genetics, 1

Nagasaki, Japon, bombardement atomique, 1


Nägeli, Carl von, 1
nanisme, 1, 2
Natural Theology (Paley), 1
Nature (revue), 1, 2, 3, 4, 5
Néandertaliens, 1-2
Negrette, Américo, 1
nématode (C. elegans), séquençage du génome, 1
néo-eugénisme, 1-2
neutrons, 1
New England Journal of Medicine, The (revue), 1, 2
Newton, Isaac, 1, 2, 3
Nicolas II, Tsar de Russie, 1
Niemöller, Martin, 1
Nirenberg, Marshall, 1
Nixon, Richard, 1
Noel, Walter, 1
nucléine, 1
Nüsslein-Volhard, Christiane, 1

Obama, Barack, 1
obésité, 1, 2, 3, 4
Ochoa, Severo, 1
œstrogènes, 1
Olson, Maynard, 1
Olympia (film), 1
opérons, 1
organismes génétiquement modifiés (OGM), 1
organites, 1
ornithine transcarbamylase (OTC), déficience, 1-2
Orwell, George, 1
Osteogenesis imperfecta, 1
Oudenaarden, Alexander van, 1
Owen, Richard, 1
oxygène, 1, 2, 3, 4
Page, David, 1
paires de chromosomes, 1
Paley, William, 1
pancréas, insuline dans le, 1, 2
pangenèse, 1-2, 3, 4
Paracelse, 1
Pardee, Arthur, 1
Park, Hetty, 1
partition du Bengale, 1, 2
Patent Act (US), 1
Patrinos, Ari, 1
Patterson, Orlando, 1
Pauling, Linus, 1, 2, 3, 4, 5, 6
Pearson, Karl, 1
PEG-ADA, 1
pénicilline, 1, 2, 3
Perutz, Max, 1, 2, 3, 4
Platon, 1, 2
Ploetz, Alfred, 1, 2, 3
pneumocoque, 1, 2, 3
Pollack, Robert, 1
polymorphismes, 1, 2, 3, 4
Popular Science Monthly (magazine), 1
préformation, 1-2
prévivants, 1, 2
Priddy, Albert, 1
projet du génome humain
– catalogue des gènes par, 1
– défi de finir la séquence pour le, 1
– conflits entre Celera et, 1
– financement pour, 1
– réaction de la polymérase en chaîne (PCR) utilisée dans, 1
projet génome du ver, 1-2
promoteurs, 1
protéines
– acides aminés dans la structure, 1
– diffraction aux rayons X de la structure de, 1
protéome, 1
protons, 1
pseudogènes, 1
Ptashne, Mark, 1, 2
purification raciale, 1, 2
pygmées Mbuti, 1
Pythagore, 1-2
Qu'est-ce que la vie ? (Schrödinger), 1, 2, 3
Quake, Stephen, 1
Quayle, Dan, 1
Quételet, Adolphe, 1, 2
Racial Biology of Jews, The (Verschuer), 1
radium, 1
Randall, J. T., 1
Raspoutine, Grigori, 1
Rau, Mary, 1
récessif, caractère dans les croisements de plantes de Mendel, 1
recombinaison, 1
régulation de la tension sanguine, 1
Reimer, David, 1
Reimers, Niels, 1
réplication, 1
Repository for Germinal Choice (banque des génies), Escondido,
Californie, 1
résilience (gène chez l'homme), 1
rétrovirus, 1, 2, 3-4
rhinocéros (fossiles), 1
ribose, dans l'ARN, 1
ribosomes, 1, 2, 3
Ridley, Matt, 1
Riefenstahl, Leni, 1
Riggs, Art, 1
Riordan, Jack, 1
Roberts, Richard, 1
Roblin, Richard, 1
Rockefeller (université), 1
Roe vs. Wade, 1
Rubin, Gerry, 1
Rutherford, Ernest, 1
Sabin, Alfred, 1
San Francisco Chronicle, (journal), 1
Sanger, Frederick, 1
saut de chromosome, 1
Sayre, Wallace, 1
Scarr, Sandra, 1
Scheller, Richard, 1
schizophrénie familiale, 1
schizophrénie, 1, 2-3, 4-5, 6, 7
Schrödinger, Erwin, 1-2, 3
Science (revue), 1, 2, 3, 4, 5
Second Reform Act de 1867, 1
Segal, Nancy, 1
Shannon, James, 1
Shapiro, Lucy, 1
Sharp, Phillip, 1
Shockley, William, 1
Sida (Syndrome d'immunodéficience acquise), 1-2, 3
Siemens, Hermann Werner, 1
Singer, Maxine, 1
Sinsheimer, Robert, 1
skn-1(gène chez le ver), 1
Skolnick, Mark, 1
Smith, Hamilton, 1
Smith, John Maynard, 1
somatostatine, 1-2
Sontag, Susan, 1
Spark, The (journal), 1
Spearman, Charles, 1
spéciation, 1, 2
Spencer, Herbert, 1
spermatozoïdes, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11, 12, 13, 14-15, 16
spermisme, 1
SRY (gène chez l'homme), 1-2
Steele, Mark, 1
stérilisation, 1-2, 3-4, 5, 6
Stevens, Wallace, 1
Stoddard, Lothrop, 1
stress, gène 5HTTLPR associé à, 1
Stringer, Christopher, 1
Strong African American Families (Projet SAAF), 1
Sturtevant, Alfred, 1
Sulston, John, 1, 2-3, 4-5, 6
Sutton, Walter, 1
Swammerdam, Jan, 1
Swanson, Robert, 1
Swyer, Gerald, 1
Swyer, syndrome, 1-2
syndrome de stress post-traumatique, 1
Szilard, Leo, 1
Szostak, Jack, 1
TALEN (enzyme), 1
Tatum, Edward, 1-2, 3
Tay-Sachs (maladie), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
télomères, 1
Temin, Howard, 1
Terman, Lewis, 1
testostérone,
– pour inverser la réaffectation sexuelle, 1
– récepteurs, 1
tests des cellules fœtales, 1
thalassémie bêta, 1, 2
thalassémie, 1
théorie de l'hérédité des gemmules, 1-2, 3, 4, 5, 6
théorie de la sortie d'Afrique de l'homme, 1
thérapie comportementale,
– dans le syndrome d'hyperactivité, 1
– dans la réaffectation sexuelle, 1
thérapie génique, 1, 2-3, 4, 5-6, 7, 8
Thomson, James, 1
Thurstone, Louis, 1
thymine, 1, 2
Tie Club, 1
Tishkoff, Sarah, 1
Toba, volcan indonésien, 1
Tomkins, Gordon, 1
Topol, Eric, 1, 2
toxodon, 1
transcription
– génération d'une copie d'ARN par la, 1
– régulation génétique par la, 1
transfert nucléaire, 1, 2
trisomie 1, 2-3, 4, 5
trouble bipolaire, 1, 2, 3
Trouble du déficit de l'attention, 1
Tschermak-Seysenegg, Erich von, 1
Tsui, Lap-Chee, 1
Turkheimer, Eric, 1
Turner (syndrome), 1
Union soviétique, 1, 2
université de Californie, San Francisco (UCSF), 1, 2, 3-4, 5
université de Caroline du Nord, Centre de la thrombose et de l'hémostase, 1
université de Munich, Allemagne, 1
université de Pennsylvanie, 1-2
uracile, 1, 2
US Patent and Trademark Office (USPTO), 1
Varmus, Harold, 1
Vaux, David, 1
Vavilov, Nicolaï, 1
Venter, Craig, 1-2
Verschuer, Otmar von, 1
Vetter, David, 1
Victoria, Welby Lady, 1
virus simien 1 (SV40), 2-3, 4, 5
virus
– système de défense bactérien contre les, 1
– inquiétudes sur la sûreté de l'apport de gènes en thérapie génique en
utilisant des, 1
– transfert de gène en thérapie génique en utilisant des, 1
– insertion de gènes corrigés directement dans l'organisme avec des, 1
– insertion de gènes dans des cellules avec des, 1
– limitations dans l'utilisation pour apporter un gène, 1
vitamines (trouble du métabolisme des), 1
Vogelstein, Bert, 1, 2
Waddington, Conrad, 1-2
Wagenen, Bleecker van, 1
Waldeyer-Hartz, Wilhelm von, 1
Wallace, Alfred Russel, 1, 2
Washington Post (journal), 1, 2, 3
Waterman, Alan, 1
Waterston, Robert, 1
Watson, James, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Watson, Rufus, 1
Webb, Sidney, 1
Weinberg, Richard, 1
Weininger, Otto, 1
Weismann, August, 1, 2
Weizmann Institute of Science, Israël, 1
Weldon, Walter, 1
Wellcome Trust, 1
Wells, H. G., 1, 2-3
Wexler, Alice, 1
Wheeler, John, 1
White, Gilbert, 1
White, John, 1
Whitehead, Alfred North, 1
Wieschaus, Eric, 1
Wilkins, Maurice, 1-2, 3, 4
Wilson, Allan, 1-2, 3
Wilson, Edmund, 1
Wilson, James Q., 1
Wilson, James, 1
wingless (gène chez la mouche du vinaigre), 1
Witkin, Evelyn, 1
Wittgenstein, Ludwig, 1
Wolff, Caspar, 1
Xq28 (chromosome), 1-2

Yale (université), 1
Yamanaka, Shinya, 1
ZENK (gène chez l'oiseau), 1
ZFY (gène chez l'homme), 1
Zinder, Norton, 1, 2, 3
Zuckerkandl, Émile, 1
TABLE

Prologue : des familles


PARTIE 1 - CETTE « SCIENCE DE L'HÉRÉDITÉ QUI FAIT DÉFAUT »
(LA DÉCOUVERTE ET LA REDÉCOUVERTE DES GÈNES)
Le jardin clos
« Le mystère des mystères »
« De très larges blancs »
« Il aimait les fleurs »
« Un certain Mendel »
L'eugénisme
« Trois générations d'imbéciles, ça suffit »
PARTIE 2 - « DANS LA SOMME DES PARTIES, IL N'Y A QUE LES
PARTIES » (L'ÉLUCIDATION DES MÉCANISMES DE L'HÉRÉDITÉ)
« Abhed »
Vérités et réconciliations
Transformation
Lebensunwertes Leben
« Cette stupide molécule »
« Les objets biologiques importants se présentent en paires »
« Ce maudit, insaisissable hellébore vert »
Régulation, réplication, recombinaison
Du gène à la genèse
PARTIE 3 - « LE RÊVE DES GÉNÉTICIENS » (LE SÉQUENÇAGE ET
LE CLONAGE DES GÈNES)
« Crossing over »
La nouvelle musique
Des Einstein à la plage
« Cloner ou mourir »
PARTIE 4 - « L'ÉTUDE QUI CONVIENT À L'HUMANITÉ EST CELLE
DE L'HOMME » (LA GÉNÉTIQUE HUMAINE)
Les misères de mon père
La naissance d'une application clinique
« Interfère, interfère, interfère »
Un village de danseurs, un atlas de grains de beauté
Se faire tout le génome
Les géographes
Le livre de l'Homme
PARTIE 5 - DE L'AUTRE CÔTÉ DU MIROIR (LA GÉNÉTIQUE DE
L'IDENTITÉ ET DE LA « NORMALITÉ »)
« Donc, nous c'est pareil »
La première dérivée de l'identité
Le dernier kilomètre
L'Hiver de la faim
PARTIE 6 - LE POST-GÉNOME (LA GÉNÉTIQUE DU DESTIN ET DU
FUTUR)
Le futur du futur
Le diagnostic génétique : « les prévivantes »
Les thérapies génétiques : le post-humain
Épilogue : Bheda, Abheda
Cahier photos
Remerciements
Glossaire
Bibliographie
Index

Flammarion
Notes

1. W. Bateson, « Problems of Heredity as a Subject for Horticultural


Investigation », A Century of Mendelism in Human Genetics, Milo Keynes,
A.W.F. Edwards et Robert Peel, CRC Press, Boca Raton, FL, 2004, p. 153.
▲ Retour au texte
2. Haruki Murakami, 1Q84, Vintage, Londres, 2012, p. 231.
▲ Retour au texte
3. Traduit par Pierre Kaldy ainsi que tous les textes en épigraphe.
▲ Retour au texte
1. Charles W. Eliot, The Harvard Classic : The Odyssey of Homer, Grolier
Enterprises, Danbury, CT, 1982, p. 49.
▲ Retour au texte
2. Philip Larkin, High Windows, Farrar, Straus and Giroux, New York,
1974.
▲ Retour au texte
3. Maartje F. Aukes et coll., « Familial clustering of schizophrenia, bipolar
disorder, and major depressive disorder », Genetics in Medicine 14, no 3,
2012, p. 338-41 ; Paul Lichtenstein et coll., « Common genetic
determinants of schizophrenia and bipolar disorder in Swedish families : A
population-based study », Lancet 373, no 9659, 2009, p. 234-39.
▲ Retour au texte
4. Martin W. Bauer, Public Resistance and TechnoScientbic Responses,
Routledge Advances in Sociology, New York, 2015.
▲ Retour au texte
5. Par byte, je me réfère à une idée plutôt complexe, pas seulement la notion
familière aux informaticiens mais aussi le concept plus général et
mystérieux selon lequel toute information complexe dans la nature peut être
décrite ou codée par la somme d'éléments « discrets », ne pouvant prendre
que les deux états « ouvert » ou « fermé ». Une description plus
approfondie de cette idée et de son influence sur les sciences naturelles et la
philosophie pourra être trouvée dans le livre L'Information. L'histoire, la
théorie, le déluge de James Gleick (éd. Cassini, 2015). Cette théorie a été
proposée avec le plus d'éloquence par le physicien John Wheeler dans les
années 1990 : « Chaque particule, chaque champ de force, et même le
continuum de l'espace-temps tire sa fonction, sa signification et son
existence même […] de réponses oui ou non à des questions, à des choix
binaires, à des bits […] ; pour résumer, tout ce qui est physique a une
origine informationnelle ». Le byte est une invention humaine mais la
théorie de l'information numérique qui la sous-tend est une belle loi
naturelle.
▲ Retour au texte
6. Helen Vendler, Wallace Stevens : Words Chosen out of Desire, Harvard
University Press, Cambridge, MA, 1984, p. 21.
▲ Retour au texte
7. Hugo de Vries, Intracellular Pangenesis : Including a Paper on
Fertilization and Hybridization, Open Court, Chicago, 1910, p. 13.
▲ Retour au texte
8. Arthur W. Gilbert, « The Science of Genetics », Journal of Heredity 5,
no 6, 1914, p. 239.
▲ Retour au texte
9. Thomas Hunt Morgan, The Physical Basis of Heredity, J. B. Lippincott,
Philadelphia, 1919, p. 14.
▲ Retour au texte
10. Les chromosomes peuvent aussi être circulaires, c'est le cas chez la
plupart des bactéries.
▲ Retour au texte
11. Jeff Lyon et Peter Gorner, Altered Fates : Gene Therapy and the
Retooling of Human Life, W. W. Norton, New York, 1996, p. 9-10.
▲ Retour au texte
12. Gènes dont la mutation peut engendrer une susceptibilité de développer
un cancer du sein, de l'ovaire ou de la prostate.
▲ Retour au texte
11. Herbert G. Wells, Mankind in the Making, Tauchnitz, Leipzig, 1903,
p. 33.
▲ Retour au texte
12. Oscar Wilde, The Importance of Being Earnest, Dover Publications,
New York, 1990, p. 117.
▲ Retour au texte
1. G. K. Chesterton, Eugenics and Other Evils, Cassell, Londres, 1922,
p. 66.
▲ Retour au texte
2. Gareth B. Matthews, The Augustinian Tradition, University of California
Press, Berkeley, 1999.
▲ Retour au texte
3. Les détails sur la vie de Mendel et le monastère des Augustins
proviennent de plusieurs sources dont Gregor Mendel, Alain F. Corcosand
et Floyd V. Monaghan, Gregor Mendel's Experiments on Plant Hybrids : A
Guided Study, Rutgers University Press, New Brunswick, NJ, 1993 ;
Edward Edelson, Gregor Mendel : and the Roots of Genetics, Oxford
University Press, New York, 1999 ; Robin Marantz Henig, The Monk in the
Garden : The Lost and Found Genius of Gregor Mendel, the Father of
Genetics, Houghton Mifflin, Boston, 2000.
▲ Retour au texte
4. Populist Religion and Left-Wing Politics in France, 1830-1852,
Princeton University Press, Princeton, NJ, 1984.
▲ Retour au texte
5. Henig, Monk in the Garden, p. 37.
▲ Retour au texte
6. Ibid., p. 38.
▲ Retour au texte
7. Harry Sootin, Gregor Mendel : Father of the Science of Genetics,
Random House Books for Young Readers, New York, 1959.
▲ Retour au texte
8. Ibid., p. 47.
▲ Retour au texte
9. Jagdish Mehra and Helmut Rechenberg, The Historical Development of
Quantum Theory, Springer-Verlag, New York, 1982.
▲ Retour au texte
10. Kendall F. Haven, 100 Greatest Science Discoveries of All Time,
Libraries Unlimited, Westport, CT, 2007, p. 75-76.
▲ Retour au texte
11. Margaret J. Anderson, Carl Linnaeus : Father of Classfication, Enslow
Publishers, Sprinfield, NJ, 1997.
▲ Retour au texte
12. Eschyle, Les Euménides in Théâtre complet, (trad. E. Chambry), GF-
Flammarion, 2014, p. 226.
▲ Retour au texte
13. Ibid.
▲ Retour au texte
14. Maor Eli, The Pythagorean Theorem : A 4,000Year History, Princeton
University Press, Princeton, NJ, 2007.
▲ Retour au texte
15. Platon, La République in Œuvres complètes de Platon, L. Brisson (dir.),
Flammarion, Paris, 2008.
▲ Retour au texte
16. Platon, La République in Œuvres complètes de Platon, L. Brisson (dir.),
Flammarion, Paris, 2008, 546d.
▲ Retour au texte
17. Ibid.
▲ Retour au texte
18. Aristote, La Génération des animaux in Œuvres complètes d'Aristote, P.
Pellegrin (dir.), Flammarion, Paris, 2014.
▲ Retour au texte
19. Aristote, Histoire des animaux, livre VII in Œuvres complètes
d'Aristote, P. Pellegrin (dir.), Flammarion, Paris, 2014.
▲ Retour au texte
20. Ibid., 585b28-586a4
▲ Retour au texte
21. Aristote, La Génération des animaux in Œuvres complètes d'Aristote, P.
Pellegrin (dir.), Flammarion, Paris, 2014, chap. 18, 722a.
▲ Retour au texte
22. Aristote, The Works of Aristotle, (trad. et dir. W. D Ross), Encyclopædia
Britannica, Chicago, 1952, « Aristotle : Logic and Metaphysics ».
▲ Retour au texte
23. Aristote, La Génération des animaux in Œuvres complètes d'Aristote, P.
Pellegrin (dir.), Flammarion, Paris, 2014, chap. 18, 730a.
▲ Retour au texte
24. Daniel Novotny et Lukás Novák, Neo-Aristotelian Perspectives in
Metaphysics, Routledge, New York, 2014, p. 94.
▲ Retour au texte
25. Paracelse, Paracelsus : Essential Readings, (trad. Nicholas Godrick-
Clarke), Crucible, Wellingborough, Northamptonshire, England, 1990.
▲ Retour au texte
26. Peter Hanns Reill, Vitalizing Nature in the Enlightenment, University of
California Press, Berkeley, 2005, p. 160.
▲ Retour au texte
27. Nicolaas Hartsoeker, Essai de dioptrique, Jean Anisson, Paris, 1694.
▲ Retour au texte
28. Matthew Cobb, « Reading and writing the book on nature : Jan
Swammerdam (1637–1680) », Endeavour 24, no 3, 2000, p. 122-28.
▲ Retour au texte
29. Caspar Friedrich Wofi, « De formatione intestinorum praecipue », Novi
commentarii Academiae Scientiarum Imperialis Petropolitanae 12, 1768,
p. 43-47. Wolf a aussi écrit sur les essentialis corporis en 1759 : Richard P.
Aulie, « Caspar Friedrich Wolff and his Theoria Generationis, 1759 »,
Journal of the History of Medicine and Allied Sciences 16, no 2, 1961,
p. 124-44.
▲ Retour au texte
30. Oscar Hertwig, The Biological Problem of To-day : Preformation or
Epigenesis ? The Basis of Theory of Organic Development, Heinneman's
Scientific Handbook, Londres, 1896, p. 1.
▲ Retour au texte
1. Robert Frost, The Robert Frost Reader : Poetrand Prose, Edward
Connery Lathem et Lawrance Thompson (dir.), Henry Holt, New York,
2002.
▲ Retour au texte
2. Charles Darwin, The Autobiography of Charles Darwin, Francis Darwin
(dir.), Prometheus Books, Amherst, NY, 2000, p. 11.
▲ Retour au texte
3. Jacob Goldstein, « Charles Darwin Medical School Dropout », Wall
Street Journal, 12 février 2009,
http://blogs.wsj.com/health/2009/02/12/charles-darwin-medical-school-
dropout/
▲ Retour au texte
4. Darwin, Autobiography of Charles Darwin, p. 37.
▲ Retour au texte
5. Adrian J. Desmond et James R. Moore, Darwin, Warner Books, New
York, 1991, p. 52.
▲ Retour au texte
6. Duane Isely, One Hundred and One Botanists, Iowa State University,
Ames, 1994, « John Stevens Henslow (1796-1861) ».
▲ Retour au texte
7. William Paley, The Works of William Paley… Containing His Life, Moral
and Political Philosophy, Evidences of Christianity Natural Theology,
Tracts, Horae Paulinae, Clergyman's Companion, and SermonsPrinted
Verbatim from the Original Editions. Complete in One Volume, J. J.
Woodward, Philadelphia, 1836.
▲ Retour au texte
8. John F. W. Herschel, A Preliminary Discourse on the Study of Natural
Philosophy. A Facsim of the 1830 Ed., Johnson Reprint, New York, 1966.
▲ Retour au texte
9. Ibid., p. 38.
▲ Retour au texte
10. Martin Gorst, Measuring Eternity : The Search for the Beginning of
Time, Broadway Books, New York, 2002, p. 158.
▲ Retour au texte
11. Charles Darwin, On the Origin of Species by Means of Natural
Selection, Murray, Londres, 1859, p. 7.
▲ Retour au texte
12. Patrick Armstrong, The English Parson Naturalist : A Companionship
between Science et Religion, Gracewing Leominster, MA, 2000,
« Introducing the English Parson-Naturalist ».
▲ Retour au texte
13. John Henslow, « Darwin Correspondence Project », Letter 105,
www.darwinproject.ac.uk/letter/DCP-LETT-105.xml
▲ Retour au texte
14. Darwin, Autobiography of Charles Darwin, « Voyage of the “Beagle” ».
▲ Retour au texte
15. Charles Lyell, Principles of Geology : Or, The Modern Changes of the
Earth and Its Inhabitants Considered as Illustrative of Geology, D.
Appleton, New York, 1872.
▲ Retour au texte
16. Ibid., « Chapter 8 : Difference in Texture of the Older et Newer
Rocks. »
▲ Retour au texte
17. Charles Darwin, Geological Observation on the Volcanic Islands and
Parts of South America Visited during the Voyage of H.M.S « Beagle », D.
Appleton, New York, 1896, p. 76-107.
▲ Retour au texte
18. David Quammen, « Darwin's first clues », National Geographic 215,
no 2, 2009, p. 34-53.
▲ Retour au texte
19. Charles Darwin, Charles Darwin's Letters : A Selection 1825-1859,
Frederick Burkhardt (dir.), University of Cambridge, Cambridge, 1996,
« To J. S. Henslow 12 [August] 1835 », p. 46-47.
▲ Retour au texte
20. G. T. Bettany et John Parker Anderson, Life of Charles Darwin, W.
Scott, Londres, 1887, p. 47.
▲ Retour au texte
21. Duncan M. Porter et Peter W. Graham, Darwin's Sciences, Wiley-
Blackwell, Hoboken, NJ, 2015, p. 62-63.
▲ Retour au texte
22. Ibid., p. 62.
▲ Retour au texte
23. Timothy Shanahan, The Evolution of Darwinism : Selection,
Adaptation, and Progress in Evolutionary Biology, Cambridge University
Press, Cambridge, 2004, p. 296.
▲ Retour au texte
24. Barry G. Gale, « After Malthus : Darwin Working on His Species
Theory, 1838-1859 », University of Chicago, 1980.
▲ Retour au texte
25. Robert Malthus, An Essay on the Principle of Population, Courier
Corporation, Chicago, 2007.
▲ Retour au texte
26. Arno Karlen, Man and Microbes : Disease and Plagues in History and
Modern Times, Putnam, New York, 1995, p. 67.
▲ Retour au texte
27. Charles Darwin, On the Origin of Species by Means of Natural
Selection, Joseph Carroll (dir.), Broadview Press, Peterborough, Canada,
2003, p. 438.
▲ Retour au texte
28. Darwin a ici omis une étape cruciale. La variation et la sélection
naturelle expliquent de façon convaincante l'évolution au sein d'une espèce,
mais pas la formation d'une espèce en soi. Pour qu'une nouvelle espèce
apparaisse, les organismes de deux populations ne doivent plus être
capables de se reproduire de façon pérenne entre eux. Cela arrive
typiquement lorsque des animaux sont séparés par une barrière physique ou
constamment isolés d'une autre manière, ce qui finit par engendrer une
incompatibilité reproductive. Nous reviendrons sur cette idée dans les pages
suivantes.
▲ Retour au texte
29. Gregory Claeys, « The “Survival of the Fittest” and the Origins of
Social Darwinism », Journal of the History of Ideas 61, no 2, 2000, p. 223-
40.
▲ Retour au texte
30. Charles Darwin, The Foundations of the Origin of Species, Two Essays
Written in 1842 and 1844, Francis Darwin (dir.), Cambridge University
Press, Cambridge, 1909, « Essay of 1844 ».
▲ Retour au texte
31. Alfred R. Wallace, « XVIII – On the law which has regulated the
introduction of new species », Annals and Magazine of Natural History 16,
no 93, 1855, p. 184-96.
▲ Retour au texte
32. Charles H. Smith et George Beccaloni, Natural Selection and Beyond :
The Intellectual Legacy of Alfred Russel Wallace, Oxford University Press,
Oxford, 2008, p. 10.
▲ Retour au texte
33. Ibid., p. 69.
▲ Retour au texte
34. Ibid., p. 12.
▲ Retour au texte
35. Ibid., p. ix.
▲ Retour au texte
36. Benjamin Orange Flowers, « Alfred Russel Wallace », Arena 36, 1906,
p. 209.
▲ Retour au texte
37. Alfred Russel Wallace, Alfred Russel Wallace : Letters et
Reminiscences, James Marchant (dir.), Arno Press, New York, 1975, p. 118.
▲ Retour au texte
38. Charles Darwin, The Correspondence of Charles Darwin, vol. 13,
Frederick Burkhardt, Duncan M. Porterand, Sheila Ann Dean, et coll. (dir.),
Cambridge University Press, Cambridge, 2003, p. 468.
▲ Retour au texte
39. E. J. Browne, Charles Darwin : The Power of Place, Alfred A. Knopf,
New York, 2002, p. 42.
▲ Retour au texte
40. Charles Darwin, The Correspondence of Charles Darwin, vol. 7,
Frederick Burkhardt et Sydney Smith (dir.), Cambridge University Press,
Cambridge, 1992, p. 357.
▲ Retour au texte
41. Charles Darwin, The Life and Letters of Charles Darwin, John Murray,
Londres, 1887, p. 70.
▲ Retour au texte
42. « Reviews : Darwin's Origin of Species », Saturday Review of Politics,
Literature, Science and Art 8, 24 décembre 1859, p. 775-76.
▲ Retour au texte
43. Ibid.
▲ Retour au texte
44. Charles Darwin, On the Origin of Species, David Quammen (dir.),
Sterling, New York, 2008, p. 51.
▲ Retour au texte
45. Richard Owen, « Darwin on the Origin of Species », Edinburg Review
3, 1860, p. 487-532.
▲ Retour au texte
46. Ibid.
▲ Retour au texte
47. Darwin, Correspondence of Charles Darwin, Darwin's letter to Asa
Gray, 5 septembre 1857, www.darwinproject.ac.uk/letter/DCP-LETT-
2136.xml
▲ Retour au texte
1. Alexander Wilford Hall, The Problem of Human Life : Embracing the
« Evolution of Sound » and « Evolution Evolved », with a Review of the Six
Great Modern Scientists, Darwin, Huxley, Tyndall, Haeckel, Helmholtz, and
Mayer, Hall & Company, Londres, 1880, p. 441.
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2. Monroe W. Strickberger, Evolution, Jones & Bartlett, Boston, 1990,
« The Lamarckian Heritage ».
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3. Ibid., p. 24.
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4. James Schwartz, Pursuit of the Gene : From Darwin to DNA, Harvard
University Press, Cambridge, MA, 2008, p. 2.
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5. Ibid., p. 2-3.
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6. Brian Charlesworth et Debora Charlesworth, « Darwin and genetics »,
Genetics 183, no 3, 2009, p. 757-66.
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7. Ibid., p. 759-60.
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8. Charles Darwin, The Variation of Animals and Plants under
Domestication, vol. 2, O. Judd, Londres, 1868.
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9. Darwin, Correspondence of Charles Darwin, vol. 13, « Letter to T.
H. Huxley », p. 151.
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10. Charles Darwin, The Life et Letters of Charles Darwin : Including
Autobiographical Chapter, vol. 2, Francis Darwin (dir.), Appleton, New
York, 1896, « C. Darwin to Asa Gray », 16 octobre 1867, p. 256.
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11. Fleeming Jenkin, « The Origin of Species », North British Review 47,
1867, p. 158.
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12. Pour être honnête à l'égard de Darwin, il avait bien pressenti le
problème de la « dilution de l'héritage » même sans l'invervention de
Jenkin. « Si des variétés peuvent se croiser librement, elles seront en
permanence détruites […] la moindre tendance en elles à varier doit être en
permanence contrecarrée », écrit-il dans ses notes.
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13. G. Mendel, « Versuche über Pflanzen Hybriden », Verhandlungen des
naturforschenden Vereins Brno 4, 1866, p. 3-47, (Journal of the Royal
Horticultural Society 26, 1901, p. 1-32).
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14. David Galton, « Did Darwin read Mendel ? », Quarterly Journal of
Medicine 102, no 8, 2009, 588doi : 10.1093/qjmed/hcp024
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1. Edward Edelson, Gregor Mendel and the Roots of Genetics, Oxford
University Press, New York, 1999, « Clemens Janetchek's Poem Describing
Mendel after His Death », p. 75.
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2. Jiri Sekerak, « Gregor Mendel and the scientific milieu of his
discovery », M. Kokowski (dir.), The Global and the Local : The History of
Science and the Cultural Integration of Europe, Proceedings of the 2nd
ICESHS, Cracovie, Pologne, 6-9 septembre 2006.
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3. Hugo de Vries, Intracellular Pangenesis ; Including a Paper on
Fertilization and Hybridization, Open Court, Chicago, 1910, « Mutual
Independence of Hereditary Characters ».
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4. Henig, Monk in the Garden, p. 60.
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5. Mendel fut aidé par l'intérêt pour les croisements qu'avaient de longue
date les paysans dans et autour de Brno. Son abbé, Cyrill Napp, s'intéressait
aussi aux expériences de croisement des plantes.
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6. Eric C. R. Reeve, Encyclopedia of Genetics, Fitzroy Dearborn, Londres,
2001, p. 62.
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7. Mendel a eu plusieurs prédécesseurs qui ont étudié aussi intensivement
que lui le croisement des plantes, mais peut-être sans s'immerger aussi
profondément dans les résultats numériques et les quantifications. Dans les
années 1820, des botanistes anglais comme T. A. Knight, John Goss,
Alexander Seton et William Herbert, qui tentaient d'obtenir des cultures
plus vigoureuses, ont effectué des expériences ressemblant de manière
frappante à celles de Mendel. En France, Augustin Sageret a fait un travail
similaire à celui de Mendel sur le melon. L'étude la plus complète sur les
hybrides de plantes immédiatement avant celle de Mendel fut menée par le
botaniste allemand Joseph Kölreuter sur des plants de tabac. Cette étude fut
suivie par celles de Karl von Gärtner et Charles Naudin à Paris. Darwin
avait lu les études de Sageret et de Naudin qui suggéraient chacune une
nature particulaire pour l'information héréditaire, mais il n'en mesura pas
l'importance.
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8. Gregor Mendel, Experiments in Plant Hybridisation, Cosimo, New York,
2008, p. 8.
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9. Henig, Monk in the Garden, p. 81. Plus de détails dans « Chapter 7 : First
Harvest ».
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10. Ludwig Wittgenstein, Culture and Value, (trad. Peter Winch),
University of Chicago Press, Chicago, 1984.
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11. Henig, Monk in the Garden, p. 86.
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12. Ibid., p. 130
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13. Plusieurs statisticiens ont examiné les données d'origine de Mendel et
l'ont accusé de les avoir truquées. Les rapports et nombres consignés par
Mendel n'étaient pas seulement précis, ils étaient trop parfaits. C'était
comme s'il n'y avait eu aucune erreur ni fluctuation statistique dans ses
expériences, ce qui est impossible. Rétrospectivement, il est peu probable
que Mendel ait délibérément truqué ses études. Il a plutôt dû construire une
hypothèse à partir de ses premières expériences, puis utiliser les expériences
suivantes pour la valider. Il a dû alors cesser de compter et de mettre en
tableau ses petits pois dès que le comptage se conformait aux valeurs et aux
rapports attendus. Cette méthode, quoique peu conventionnelle, n'était pas
rare à son époque même si elle reflète aussi la naïveté scientifique de
Mendel.
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14. Mendel, Experiments in Plant Hybridization, p. 8.
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15. Mendel savait-il qu'il tentait de découvrir les lois générales qui
gouvernent l'hérédité ? Ou essayait-il simplement, comme l'affirment
certains historiens, de comprendre la nature des hybrides chez le petit pois ?
On peut trouver la réponse dans les articles de Mendel. Il est indéniable que
Mendel ignorait complètement l'existence du « gène ». Mais d'après ses
propres termes, ses expériences étaient menées « pour découvrir les
relations par lesquelles les formes hybrides ressemblent […] à leurs
progéniteurs » et pour comprendre « l'unité dans le plan de développement
de la vie organique ». Mendel utilise même des variantes du mot « hériter »
dans son article. Pour son lecteur, au moins, on peut difficilement avancer
que Mendel n'était pas conscient des profondes implications de son étude :
il essayait de dévoiler les bases matérielles et les lois de l'hérédité.
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16. Henig, Monk in the Garden, « Chapter 11 : Full Moon in February »,
p. 133-47. La seconde partie de l'article de Mendel sera lue le 8 mars 1865.
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17. « Experiments in Plant Hybridization »,
www.mendelweb.org/Mendel.html
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18. Galton, « Did Darwin Read Mendel ? », p. 587.
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19. Leslie Clarence Dunn, A Short History of Genetics : The Development
of Some of the Main Lines of Thought, 1864-1939, Iowa State University
Press, Ames, 1991, p. 15.
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20. Gregor Mendel, « Gregor Mendel's letters to Carl Nägeli, 1866–1873 »,
Genetics 35, no 5, 1950, p. 1.
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21. Allan Franklin et coll., Ending the Mendel-Fisher Controversy,
University of Pittsburgh Press, Pittsburgh, PA, 2008, p. 182.
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22. Mendel, « Letters to Carl Nägeli », 18 avril 1867, p. 4.
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23. Ibid., 18 novembre 1867, p. 30-34.
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24. Gian A. Nogler, « The lesser-known Mendel : His experiments on
Hieracium », Genetics 172, no 1, 2006, p. 1-6.
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25. Henig, Monk in the Garden, p. 170.
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26. Edelson, Gregor Mendel, « Clemens Janetchek's Poem Describing
Mendel after His Death », p. 75.
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1. Lucius Moody Bristol, Social Adaptation : a Study in the Development of
the Doctrine of Adaptation as a Theory of Social Progress, Harvard
University Press, Cambridge, MA, 1915, p. 70.
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2. Ibid.
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3. Peter W. van der Pas, « The correspondence of Hugo de Vries and
Charles Darwin », Janus 57, p. 173-213.
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4. Mathias Engan, Multiple Precision Integer Arithmetic and Public Key
Encryption, M. Engan, 2009, p. 16-17.
▲ Retour au texte
5. Charles Darwin, The Variation of Animals & Plant under Domestication,
Francis Darwin (dir.), John Murray, Londres, 1905, p. 5.
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6. Charles Darwin, « Famous Scientists »,
www.famousscientists.org/charles-darwin/
▲ Retour au texte
7. James Schwartz, in Pursuit of the Gene : From Darwin to DNA, Harvard
University Press, Cambridge, MA, 2008, « Pangenes ».
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8. August Weismann, William Newton Parker et Harriet Rönnfeldt, The
Germ-Plasm ; a Theory of Heredity, Scribner's, New York, 1893.
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9. Schwartz, in Pursuit of the Gene, p. 83.
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10. Ida H. Stamhuis, Onno G. Meijer et Erik J. A Zevenhuizen, « Hugo de
Vries on heredity, 1889-1903 : Statistics, Mendelian laws, pangenes,
mutations », Isis, 1999, p. 238-67.
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11. Iris Sandler et Laurence Sandler, « A conceptual ambiguity that
contributed to the neglect of Mendel's paper », History and Philosophy of
the Life Sciences 7, no 1, 1985, p. 9.
▲ Retour au texte
12. Edward J. Larson, Evolution : The Remarkable History of a Scientific
Theory, Modern Library, New York, 2004.
▲ Retour au texte
13. Hans-Jörg Rheinberger, « Mendelian inheritance in Germany between
1900 and 1910. The case of Carl Correns (1864-1933) », Comptes Rendus
de l'Académie des Sciences – Series III – Sciences de la Vie 323, no 12,
2000, p. 1089-96, doi : 10.1016/s0764-4469(00)01267-1
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14. Url Lanham, Origins of Modern Biology, Columbia University Press,
New York, 1968, p. 207.
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15. Carl Correns, « G. Mendel's law concerning the behavior of progeny of
varietal hybrids », Genetics 35, no 5, 1950, p. 33-41.
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16. Schwartz, in Pursuit of the Gene, p. 111.
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17. Signifiant amusement à l'origine, ce terme a pris alors le sens de
« mutation » (N.D.T.).
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18. Hugo de Vries, The Mutation Theory, vol. 1, Open Court, Chicago,
1909.
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19. John Williams Malone, It Doesn't Take Rocket Scientist : Great
Amateurs of Science, Wiley, Hoboken, NJ, 2002, p. 23.
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20. Schwartz, in Pursuit of the Gene, p. 112.
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21. Nicholas W. Gillham, « Sir Francis Galton and the birth of eugenics »,
Annual Review of Genetics 35, no 1, 2001, p. 83-101.
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22. D'autres scientifiques, dont Reginald Punnett et Lucien Cuénot, ont
effectué des expériences cruciales pour valider les lois de Mendel. En 1905,
Punnett a écrit Mendelism, ouvrage considéré comme le premier livre de la
génétique moderne.
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23. Alan Cock et Donald R. Forsdyke, Treasure Your Exception : The
Science and Life of William Bateson, Springer Science Business Media,
Dordrecht, 2008, p. 186.
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24. Ibid., « Mendel's Bulldog (1902-1906) », p. 221-64.
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25. William Bateson, « Problems of heredity as a subject for horticultural
investigation », Journal of the Royal Horticultural Society 25, 1900-1901,
p. 54.
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26. William Bateson et Beatrice (Durham) Bateson, William Bateson,
F.R.S., Naturalist ; His Essays & Addresses, Together with a Short Account
of His Life, Cambridge University Press, Cambridge, 1928, p. 93.
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27. Schwartz, in Pursuit of the Gene, p. 221.
▲ Retour au texte
28. Bateson et Bateson, William Bateson, F.R.S., p. 456.
▲ Retour au texte
1. Herbert Eugene Walter, Genetics : An Introduction to the Study of
Heredity, Macmillan, New York, 1938, p. 4.
▲ Retour au texte
2. G. K. Chesterton, Eugenics and Other Evils, Cassell, Londres, 1922,
p. 12-13.
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3. Enquête sur les facultés humaines et leur développement (N.D.T.).
▲ Retour au texte
4. Francis Galton, Inquiries into Human Faculty and Its Development,
Macmillan, Londres, 1883.
▲ Retour au texte
5. Roswell H. Johnson, « Eugenics and So Called Eugenics », American
Journal of Sociology 20, no 1, juillet 1914, p. 98-103,
www.jstor.org/stable/2762976
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6. Ibid., p. 99.
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7. Galton, Inquiries into Human Faculty, p. 44
▲ Retour au texte
8. Dean Keith Simonton, Origins of Genius : Darwinian Perspectives on
Creativity, Oxford University Press, New York, 1999, p. 110.
▲ Retour au texte
9. Nicholas W. Gillham, A Life of Sir Francis Galton : From African
Exploration to the Birth of Eugenics, Oxford University Press, New York,
2001, p. 32-33.
▲ Retour au texte
10. Niall Ferguson, Civilization : The West and the Rest, Haniel-Stiftung,
Duisburg, 2012, p. 176.
▲ Retour au texte
11. Francis Galton à C. R. Darwin, 9 décembre 1859,
www.darwinproject.ac.uk/letter/DCP-LETT-2573.xml
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12. Daniel J. Fairbanks, Relics of Eden : The Powerful Evidence of
Evolution in Human DNA, Prometheus Books, Amherst, NY, 2007, p. 219.
▲ Retour au texte
13. Adolphe Quételet, Sur l'Homme et le développement de ses facultés,
Bachelier, Paris, 1835, p. 17.
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14. Jerald Wallulis, The New Insecurity : The End of the Standard Job and
Family, State University of New York Press, Albany, 1998, p. 41.
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15. Karl Pearson, The Life, Letters and Labours of Francis Galton,
Cambridge University Press, Cambridge, 1914, p. 340.
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16. Sam Goldstein, Jack A. Naglieri et Dana Princiotta, Handbook of
Intelligence : Evolutionary Theory, Historical Perspective, and Current
Concepts, Springer, New York, 2015, p. 100.
▲ Retour au texte
17. Gillham, Life of Sir Francis Galton, p. 156.
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18. Inné contre acquis (N.D.T.).
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19. Francis Galton, Hereditary Genius, Macmillan, Londres, 1892.
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20. Hereditary Genius : an Inquiry into its Laws and Consequences – « Le
génie héréditaire : une enquête sur ses lois et ses conséquences » (N.D.T.).
▲ Retour au texte
21. Charles Darwin, More Letters of Charles Darwin : Record of His Work
in a Series of Hitherto Unpublished Letters, vol. 2, D. Appleton, New York,
1903, p. 41.
▲ Retour au texte
22. John Simmons, The Scientific 100 : A Ranking of the Most Influential
Scientists, Past and Present, Carol Publishing Group, Secaucus, NJ, 1996,
« Francis Dalton », p. 441.
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23. Schwartz, in Pursuit of the Gene, p. 61.
▲ Retour au texte
24. Ibid., p. 131.
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25. Gillham, Life of Sir Francis Galton, « The Mendelians Trump the
Biometricians », p. 303-23.
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26. Karl Pearson, Walter Frank Raphael Weldon, 1860-1906, Cambridge
University Press, Cambridge, 1906, p. 48-49.
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27. Ibid., p. 49.
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28. Schwartz, in Pursuit of the Gene, p. 143.
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29. William Bateson, Mendel's Principles of Heredity : A Defence, Gregor
Mendel (dir.), Cambridge University Press, Cambridge, 1902.
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30. Ibid., p. 208.
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31. Ibid., p. ix.
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32. Johan Henrik Wanscher, « The history of Wilhelm Johannsen's genetical
terms and concepts from the period 1903 to 1926 », Centaurus 19, no 2,
1975, p. 125-47.
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33. Wilhelm Johannsen, « The genotype conception of heredity »,
International Journal of Epidemiology 43, no 4, 2014, p. 989-1000.
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34. Arthur W. Gilbert, « The science of genetics », Journal of Heredity 5,
no 6, 1914, p. 235-44,
http://archive.org/stream/journalofheredit05amer/journalofheredit05amer_d
jvu.txt
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35. Daniel J. Kevles, In the Name of Eugenics : Genetics and the Uses of
Human Heredity, Alfred A. Knopf, New York, 1985, p. 3.
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36. Problems in Eugenics : First International Eugenics Congress, 1912,
Garland, New York, 1984, p. 483.
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37. Paul B. Rich, Race and Empire in British Politics, Cambridge
University Press, Cambridge, 1986, p. 234.
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38. Papers and Proceedings – First Annual Meeting – American
Sociological Society, vol. 1, University of Chicago Press, Chicago, 1906,
p. 128.
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39. Francis Galton, « Eugenics : Its definition, scope, and aims », American
Journal of Sociology 10, no 1, 1904, p. 1-25.
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40. Andrew Norman, Charles Darwin : Destroyer of Myths, Pen and
Sword, Barnsley, South Yorkshire, 2013, p. 242.
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41. Galton, « Eugenics », commentaires de Maudsley, doi :
10.1017/s0364009400001161
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42. Ibid., p. 7.
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43. Ibid., commentaires de H. G. Wells ; et H. G. Well et Patrick Parrinder,
The War of the Worlds, Penguin Books, Londres, 2005.
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44. George Eliot, The Mill on the Floss, Dodd, Mead, New York, 1960,
p. 12.
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45. Lucy Bland et Laura L. Doan, Sexolog Uncensored : The Documents of
Sexual Science, University of Chicago Press, Chicago, 1998, « The Problem
of Race-Regeneration : Havelock Ellis (1911) ».
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46. R. Pearl, « The First International Eugenics Congress », Science 36,
no 926, 1912, p. 395-96, doi : 10.1126/science.36.926.395
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47. « L'hérédité en relation avec l'eugénisme » (N.D.T.).
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48. Charles Benedict Davenport, Heredity in Relation to Eugenics, Holt,
New York, 1911.
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49. First International Eugenics Congress, Problems in Eugenics, Forgotten
Books, Londres, 2013 (1re éd. 1912), p. 464-65.
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50. Ibid., p. 469.
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1. G. Dobzhansky, Heredity and the Nature of Man, New American Library,
New York, 1966, p. 158.
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2. Aristote, Histoire des animaux livre VII in Œuvres complètes d'Aristote,
P. Pellegrin (dir.), Flammarion, Paris, 2014.
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3. Beaucoup de détails sur l'histoire de la famille Buck proviennent du livre
de J. David Smith, The Sterilization of Carrie Buck, New Horizon Press,
Liberty Corner, NJ, 1989.
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4. Les informations de ce chapitre viennent en grande partie du livre de
Paul Lombard, Three Generations, No Imbeciles : Eugenics, the Supreme
Court, and Buck v. Bell, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2008.
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5. Law Library, American Law and Legal Information,
http://law.jrank.org/pages/2888/Buck-v-Bell-1927.html
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6. Mental Defectives and Epileptics in State Institutions : Admissions,
Discharges, and Patient Population for State Institutions for Mental
Defectives and Epileptics, vol. 3, US Government Printing Office,
Washington, DC, 1937.
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7. « Carrie Buck Committed (January 23, 1924) », Encyclopedia Virginia,
www.encyclopediavirginia.org/Carrie_Buck_Committed_January_23_1924
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8. Ibid.
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9. Stephen Murdoch, IQ : A Smart History of a Failed Idea, John Wiley &
Sons, Hoboken, NJ, 2007, p. 107.
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10. Ibid., « Chapter 8 : From Segregation to Sterilization ».
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11. « Period during which sterilization occurred », Virginia Eugenics,
www.uvm.edu/~lkaelber/eugenics/VA/VA.html
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12. Lombardo, Three Generations, p. 107.
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13. L'héritage historique de l'esclavage a sans doute joué aussi un rôle
important dans la montée de l'eugénisme américain. Si les eugénistes du
pays avaient longtemps été terrifiés à l'idée que les esclaves africains, avec
leurs gènes inférieurs, ne se marient avec des blancs et contaminent ainsi
leur pool génétique, des lois empêchant de tels mariages promulguées dans
les années 1860 les avaient calmés. Les immigrés blancs, au contraire,
n'étaient pas si faciles à identifier et à séparer, amplifiant ainsi la peur d'une
contamination et d'un mélange ethniques dans les années 1920.
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14. Madison Grant, The Passing of the Great Race, Scribner's, New York,
1916.
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15. Carl Campbell Brigham et Robert M. Yerkes, A Study of American
Intelligence, Princeton University Press, Princeton, NJ, 1923, « Foreword ».
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16. A. G. Cock et D. R. Forsdyke, Treasure Your Exception : The Science
and Life of William Bateson, Springer, New York, 2008, 43738n3.
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17. Jerry Menikfi, Law and Bioethics : An Introduction, Georgetown
University Press, Washington, DC, 2001, p. 41.
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18. Ibid.
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19. Public Welfare in Indiana 68-75, 1907, p. 50. En 1907, une nouvelle loi
a été votée dans l'État et ratifiée par le gouverneur de l'Indiana pour la
stérilisation forcée des « criminels, idiots, imbéciles et violeurs confirmés ».
Bien qu'elle fût finalement déclarée contraire à la Constitution, cette loi est
généralement considérée comme la première légalisation de la stérilisation
eugénique votée dans le monde. En 1927, une forme révisée de la loi a été
appliquée et jusqu'à ce qu'elle soit abrogée en 1974, plus de 2 300 citoyens
parmi les plus vulnérables de l'État ont été stérilisés de force. De plus,
l'Indiana a établi un Comité sur les déficients mentaux qui a mené des
études eugéniques sur des familles dans plus de vingt comtés et a été à
l'origine d'un mouvement pour le « meilleur bébé » qui a encouragé les
maternités scientifiques et l'hygiène infantile comme moyens d'amélioration
humaine, www.iupui.edu/~eugenics/
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20. Laura L. Lovett, « Fitter Families for Future Firesides : Florence
Sherbon and Popular Eugenics », Public Historian 29, no 3, 2007, p. 68-85.
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21. Charles Davenport à Mary T. Watts, 17 juin 1922, Charles Davenport
Papers, American Philosophical Society Archives, Philadelphia, PA. Voir
aussi Mary Watts, « Fitter Families for Future Firesides », Billboard 35,
no 50, 15 décembre 1923, 230-31
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22. Êtes-vous aptes au mariage ? (N.D.T.).
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23. Martin S. Pernick et Diane B. Pau, The Black Stork : Eugenics and the
Death of « Defective » Babies in American Medicine and Motion Pictures
since 1915, Oxford University Press, New York, 1996.
▲ Retour au texte
22. Wallace Stevens, The Collected Poems of Wallace Stevens, Alfred A.
Knopf, New York, 2011, « On the Road Home », p. 203-4.
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1. The Collected Poems of Thomas Hardy, Wordsworth Poetry Library,
Ware, Hertfordshire, England, 2002, « Heredity », p. 204-5.
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2. William Bateson, « Facts limiting the theory of heredity », Proceedings
of the Seventh International Congress of Zoology, vol. 7, Cambridge
University Press Warehouse, Cambridge, 1912.
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3. Schwartz, in Pursuit of the Gene, p. 174.
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4. Arthur Kornberg, entretien avec l'auteur, 1993.
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5. « Review : Mendelism up to date », Journal of Heredity 7, no 1, 1916,
p. 17-23.
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6. David Ellyard, Who Discovered What When, New Holland, Frenchs
Forest, New South Wales, Australia, 2005, « Walter Sutton and Theodore
Boveri : Where Are the Genes ? ».
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7. Stephen G. Brush, « Nettie M. Stevens and the Discovery of Sex
Determination by Chromosome », Isis 69, no 2, 1978, p. 162-72.
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8. Morgan a aussi effectué une partie de son travail à Woods Hole où il
déplaçait son labo chaque été.
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9. Ronald William Clark, The Survival of Charles Darwin : A Biography of
a Man and an Idea, Random House, New York, 1984, p. 279.
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10. Russ Hodge, Genetic Engineering : Manipulating the Mechanisms of
Life, Facts On File, New York, 2009, p. 42.
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11. Thomas Hunt Morgan, The Mechanism of Mendelian Heredity, Holt,
New York, 1915, « Chapter 3 : Linkage ».
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12. Morgan a eu particulièrement de la chance de choisir la mouche du
vinaigre pour ses expériences car cette espèce a un nombre
exceptionnellement faible de chromosomes, seulement quatre. Avec plus de
chromosomes, les liaisons auraient été beaucoup plus difficiles à démontrer.
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13. Thomas Hunt Morgan, « The Relation of Genetics to Physiology and
Medicine », discours du prix Nobel, 4 juin 1934, in Nobel Lectures,
Physiology and Medicine, 1922-1941, Elsevier, Amsterdam, 1965, p. 315.
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14. Traduisible par « enjambement » (N.D.T.).
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15. En réalité, lorsque deux gènes sont très distants sur le même
chromosome, ils apparaissent indépendants, comme s'ils étaient portés par
deux chromosomes différents (N.D.T.).
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16. Daniel L. Hartl et Elizabeth W. Jones, Essential Genetics : A Genomics
Perspective, Jones and Bartlett, Boston, 2002, p. 96-97.
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17. Helen Rappaport, Queen Victoria : A Biographical Companion, ABC-
CLIO, Santa Barbara, CA, 2003, « Hemophilia ».
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18. Andrew Cook, To Kill Rasputin : The Life and Death of Grigori
Rasputin, Tempus, Stroud, Gloucestershire, 2005, « The End of the Road ».
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19. « Alexei Romanov », History of Russia,
http://historyofrussia.org/alexei-romanov/
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20. « DNA Testing Ends Mystery Surrounding Czar Nicholas II Children »,
Los Angeles Times, 11 mars 2009.
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21. E.I. Rogaev et al, (2009), “Genotype Analysis Identifies the Cause of
the “Royal Disease”, Science 326 p. 817.
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1. William Butler Yeats, Easter, 1916, imprimé par Clement Shorter,
Londres, 1916.
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2. Eric C. R. Reeve et Isobel Black, Encyclopedia of Genetics, Fitzroy
Dearborn, Londres, 2001, « Darwin and Mendel United : The Contribution
of Fisher, Haldane and Wright up to 1932 ».
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3. Ronald Fisher, « The Correlation between Relatives on the Supposition
of Mendelian Inheritance », Transactions of the Royal Society of Edinburg
52, 1918, p. 399-433.
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4. « Corrélation entre parents en supposant une hérédité mendélienne »
(N.D.T.).
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5. Hugo de Vries, The Mutation Theory ; Experiments and Observations on
the Origin of Species in the Vegetable Kingdom, (trad. J. B. Farmer et A. D.
Darbishire), Open Court, Chicago, 1909.
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6. Prononcer « Dobjansky ».
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7. Robert E. Kohler, Lords of the Fly : Drosophila Genetics and the
Experimental Life, University of Chicago Press, Chicago, 1994, « From
Laboratory to Field : Evolutionary Genetics ».
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8. Th. Dobzhansky, « Genetics of natural population IX. Temporal changes
in the composition of populations of Drosophila pseudoobscura », Genetics
28, no 2, 1943, p. 162.
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9. les ailes vestigiales correspondent à la deuxième paire d'ailes sur le
thorax qui se trouve transformée chez les insectes diptères en organes
d'équilibration du vol, les haltères (N.D.T.).
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10. Pour le détail des expériences, voir « Genetics of natural
population XIV. A response of certain gene arrangements in the third
chromosome of Drosophila pseudoobscura to natural selection », Genetics
32, no 2, 1947, p. 142 ; S. Wright et T. Dobzhansky, « Genetics of natural
populations ; experimental reproduction of some of the changes caused by
natural selection in certain populations of Drosophila pseudoobscura »,
Genetics 31, mars 1946, p. 125-56. Voir aussi T. Dobzhansky, « Studies on
Hybrid Sterility. II. Localization of Sterility Factors in Drosophila
Pseudoobscura Hybrids », Genetics vol. 21, 1er mars 1936, p. 113-135.
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1. H. J. Muller, « The call of biology », AIBS Bulletin 3, no 4, 1953. Texte
avec notes faites à la main, http://libgallery.cshl.edu/items/show/96089
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2. Peter Pringle, The Murder of Nikolai Vavilov : The Story of Stalin's
Persecution of One of the Great Scientists of the Twentieth Century, Simon
& Schuster, 2008, p. 209.
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3. Ernst Mayr et William B. Provine, The Evolutionary Synthesis :
Perspective on the Unification of Biology, Harvard University Press,
Cambridge, MA, 1980.
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4. Sewall Wright, J. B. S. Haldane et plusieurs autres biologistes ont aussi
contribué à cette Grande synthèse. Une description plus complète de leur
contribution dépasse le cadre de cet ouvrage.
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5. William K. Purves, Life, the Science of Biology, Sinauer Associates,
Sunderland, MA, 2001, p. 214-15.
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6. Werner Karl Maas, Gene Action : A Historical Account, Oxford
University Press, Oxford, 2001, p. 59-60.
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7. Alvin Coburn à Joshua Lederberg, 19 novembre 1965, Rockefeller
Archives, Sleepy Hollow, NY, www.rockarch.org/
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8. Fred Griffith, « The significance of pneumococcal types », Journal of
Hygiene 27, no 2, 1928, p. 113-59.
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9. Biographie de Hermann J. Muller,
www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/1946/muller-bio.html
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10. H. J. Muller, « Artificial transmutation of the gene », Science 22,
juillet 1927, p. 84-87.
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11. James F. Crow et Seymour Abrahamson, « Seventy years ago : Mutation
becomes experimental », Genetics 147, no 4, 1997, p. 1491.
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12. Jack B. Bresler, Genetics and Society, Addison-Wesley, Reading, MA,
1973, p. 15.
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13. Allusion au titre du fameux roman britannique pour enfants de William
Golding paru en 1954 au Royaume-Uni (N.D.T.).
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14. Kevles, In the Name of Eugenics, « A New Eugenics », p. 251-68.
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15. Sam Kean, The Violinist Thumb : And Other Lost Tales of Love, War,
and Genius, as Written by Our Genetic Code, Little, Brown, Boston, 2012,
p. 33.
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16. « L'étincelle », iskra en russe (N.D.T.).
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17. William DeJong-Lambert, The Cold War Politics of Genetic Research :
An Introduction to the Lysenko Affair, Springer, Dordrecht, 2012, p. 30.
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1. Robert Jay Lifton, The Nazi Doctors : Medical Killing and the
Psychology of Genocide, Basic Books, New York, 2000, p. 359.
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2. Susan Bachrach, « In the name of public health – Nazi racial hygiene »,
New England Journal of Medicine 351, 2004, p. 417-19.
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3. Cette citation a aussi été utilisée par Rudolf Hess, le représentant de
Hitler, et a été faite par Fritz Lenz dans un commentaire sur le livre de
Hitler Mein Kampf.
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4. Erwin Baur, Eugen Fischer et Fritz Lenz, Human Heredity, G. Allen &
Unwin, Londres, 1931, p. 417.
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5. Alfred Ploetz, Grundlinien Einer RassenHygiene, S. Fischer, Berlin,
1895 ; Sheila Faith Weiss, « The race hygiene movement in Germany »,
Osiris 3, 1987, p. 193-236.
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6. Ploetz a adhéré au parti nazi en 1937.
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7. Heinrich Poll, « Über Vererbung bei Menschen », Die Grenzbotem 73,
1914, p. 308.
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8. Robert Wald Sussman, The Myth of Race : The Troubling Persistence of
an Unscientific Idea, Harvard University Press, Cambridge, MA, 2014,
« Funding of the Nazis by American Institutes and Businesses », p. 138.
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9. Harold Koenig, Dana King et Verna B. Carson, Handbook of Religion
and Health, Oxford University Press, Oxford, 2012, p. 294.
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10. US Chief Counsel for the Prosecution of Axis Criminality, Nazi
Conspiracy and Aggression, vol. 5, US Government Printing Office,
Washington, DC, 1946, document 3067-PS, p. 880-83 (traduction anglaise
validée par les autorités de Nuremberg ; publiée par le bureau du GHI).
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11. « Nazi Propaganda : Racial Science », recherche dans la USHMM
Collection, http://collections.ushmm.org/search/catalog/fv3857
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12. « 1936 – Rassenpolitisches Amt der NSDAP – Erbkrank », archive
Internet, https://archive.org/details/1936-Rassenpolitisches-Amt-der-
NSDAP-Erbkrank
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13. Olympia, sous la direction de Leni Riefenstahl, 1936.
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14. « Holocaust timeline », History Place,
www.historyplace.com/worldwar2/holocaust/timeline.html
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15. « Key dates : Nazi racial policy, 1935 », US Holocaust Memorial
Museum, www.ushmm.org/outreach/en/article.php ?ModuleId=10007696
▲ Retour au texte
16. « Forced sterilization », US Holocaust Memorial Museum,
www.ushmm.org/learn/students/learning-materials-and-resources/mentally-
and-physically-handicapped-victims-of-the-nazi-era/forced-sterilization
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17. Christopher R. Browning et Jürgen Matthäus, The Origins of the Final
Solution : The Evolution of Nazi Jewish Policy, September 1939-March
1942, University of Nebraska, Lincoln, 2004, « Killing the Handicapped ».
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18. Ulf Schmidt, Karl Brandt : The Nazi Doctor, Medicine, and Power in
the Third Reich, Hambledon Continuum, Londres, 2007.
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19. Roderick Stackelberg, The Routledge Companion to Nazi Germany,
Routledge, New York, 2007, p. 303.
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20. Hannah Arendt, Eichmann in Jerusalem : A Report on the Banality of
Evil, Viking, New York, 1963, trad. française, Eichmann à Jérusalem,
rapport sur la banalité du mal, (trad. Anne Guérin), Gallimard, « Folio
Histoire », Paris, 1966.
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21. La biologie raciale des juifs (N.D.T.).
▲ Retour au texte
22. Otmar Verschuer et Charles E. Weber, Racial Biology of the Jews,
Liberty Bell Publishing, Reedy, WV, 1983.
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23. J. Simkins, « Martin Niemoeller », Spartacus Educational Publishers,
2012, http://spartacus-educational.com/GERniemoller.htm
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24. Les deux lignes sur les juifs n'étaient pas dans le texte d'origine de
Martin Niemöller (N.D.T).
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25. Jacob Darwin Hamblin, Science in the Early Twentieth Century : An
Encyclopedia, ABC-CLIO, Santa Barbara, CA, 2005, « Trofim Lysenko »,
p. 188-89.
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26. David Joravsky, The Lysenko Affair, University of Chicago Press,
Chicago, 2010, p. 59. Voir aussi Zhores A. Medvedev, The Rise and Fall of
T D. Lysenko, (trad. I. Michael Lerner), Columbia University Press, New
York, 1969, p. 11-16.
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27. T. Lysenko, Agrobiologia, Selkhozgiz, Moscou, 1952, 6eed., p. 602-6.
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28. « Trofim Denisovich Lysenko », Encyclopaedia Britannica Online,
www.britannica.com/biography/Trofim-Denisovich-Lysenko
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29. Pringle, Murder of Nikolai Vavilov, p. 278.
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30. Des collègues de Vavilov dont Karpechenko, Govorov, Levitsky,
Kovalev et Flayksberger furent aussi arrêtés. Pratiquement tous les
généticiens disparurent de l'Académie soviétique sous l'influence de
Lyssenko. La biologie en Union soviétique allait gravement en pâtir
pendant des décennies.
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31. L'inné versus l'acquis (N.D.T.).
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32. James Tabery, Beyond Versus : The Struggle to Understand the
Interaction of Nature and Nurture, MIT Press, Cambridge, MA, 2014, p. 2.
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33. Hans-Walter Schmuhl, The Kaiser Wilhelm Institute for Anthropology,
Human Heredity, and Eugenics, 1927-1945 : Crossing Boundaries,
Springer, Dordrecht, 2008, « Twin Research ».
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34. Gerald L. Posner et John Ware, Mengele : The Complete Story,
McGraw-Hill, New York, 1986.
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35. Leur nombre exact est difficile à établir. Voir le livre de Gerald L.
Posner et John Ware, Mengele : The Complete Story pour en avoir une idée.
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36. Lifton, Nazi Doctors, p. 349.
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37. Wolfgang Benz et Thomas Dunlap, A Concise History of the Third
Reich, University of California Press, Berkeley, 2006, p. 142.
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38. George Orwell, In Front of Your Nose, 1946-1950, Sonia Orwell et Ian
Angus (dir.), D. R. Godine, Boston, 2000, p. 11.
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39. Qu'est-ce que la vie ?, Points Sciences, 1993 (N.D.T.).
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40. Erwin Schrödinger, What Is Life ? : The Physical Aspect of the Living
Cell, Cambridge University Press, Cambridge, 1945.
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1. Walter W. Moore Jr., Wise Sayings For Your Thoughtful Consideration,
AuthorHouse, Bloomington, 2012, p. 89.
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2. The Oswald T. Avery Collection, « Biographical information », National
Institutes of Health, http://profiles.nlm.nih.gov/ps/retrieve/Narrative/CC/p-
nid/35
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3. Robert C. Olby, The Path to the Double Helix : The Discovery of DNA,
Dover Publications, New York, 1994, p. 107.
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4. George P. Sakalosky, Notio Nova : A New Idea, Dorrance, Pittsburgh, PA,
2014, p. 58.
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5. Le choix des globules blancs était dicté par le fait que dans ce type
cellulaire, le noyau occupe l'essentiel du volume cellulaire (N.D.T.).
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6. Olby, The Path to the Double Helix, p. 89.
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7. Garland Allen et Roy M. MacLeod (dir.), Science, History and Social
Activism : A Tribute to Everett Mendelsohn, vol. 228, Springer Science &
Business Media, Dordrecht, 2013, p. 92.
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8. Olby, The Path to the Double Helix, p. 107.
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9. Richard Preston, Panic in Level 4 : Cannibals, Killer Viruses, and Other
Journeys to the Edge of Science, Random House, New York, 2009, p. 96.
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10. Lettre de Oswald T. Avery à Roy Avery, 26 mai 1943, Oswald T. Avery
Papers, Tennessee State Library and Archives.
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11. Maclyn McCarty, The Transforming Principle : Discovering That Genes
Are Made of DNA, W. W. Norton, New York, 1985, p. 159.
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12. Lyon et Gorner, Altered Fates, p. 42.
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13. O. T. Avery, Colin M. MacLeod et Maclyn McCarty, « Studies on the
chemical nature of the substance inducing transformation of pneumococcal
types : Induction of transformation by a deoxyribonucleic acid fraction
isolated from pneumococcus type III », Journal of Experimental Medicine
79, no 2, 1944, p. 137-58.
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14. US Holocaust Memorial Museum, « Introduction to the Holocaust »,
Holocaust Encyclopedia, www.ushmm.org/learn/introduction-to-the-
holocaust
▲ Retour au texte
15. Ibid.
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16. Steven A. Farber, « U.S. scientists'role in the eugenic movement (1907-
1939) : A contemporary biologist's perspective », Zebrafish, no 5, 2008,
p. 243-45.
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1. James D. Watson, The Double Helix : A Personal Account of the
Discovery of the Structure of DNA, Weidenfeld & Nicolson, Londres, 1981,
p. 13.
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2. Francis Crick, What Mad Pursuit : A Personal View of Scientific
Discovery, Basic Books, New York, 1988, p. 67.
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3. Donald W. Braben, Pioneering Research : A Risk Worth Taking, John
Wiley & Sons, Hoboken, NJ, 2004, p. 85.
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4. Les expériences de Alfred Hersley et Martha Chase en 1952 et 1953 ont
aussi confirmé que l'ADN était bien le support de l'information génétique.
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5. Maurice Wilkins, Maurice Wilkins : The Third Man of the Double Helix :
An Autobiography, Oxford University Press, Oxford, 2003.
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6. Richard Reeves, A Force of Nature : The Frontier Genius of Ernest
Rutherford, W. W. Norton, New York, 2008.
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7. Arthur M. Silverstein, Paul Ehrlich's Receptor Immunology : The
Magnificent Obsession, Academic, San Diego, CA, 2002, p. 2.
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8. L'hémoglobine possède plusieurs variantes, dont une spécifique du fœtus.
Cette description s'applique à la plus commune et la plus étudiée qui se
trouve en abondance dans le sang des adultes, l'hémoglobine A.
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9. California Institute of Technology (Institut de technologie de Californie)
est une prestigieuse université privée américaine (N.D.T).
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10. Maurice Wilkins, correspondance avec Raymond Gosling sur les
premiers jours de la recherche sur l'ADN au King's College, Maurice
Wilkins Papers, King's College London Archives, 1976.
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11. Lettre du 12 juin 1985, notes sur Rosalind Franklin, Maurice Wilkins
Papers, no ad92d68f-4071-4415-8df2-dcfe041171fd.
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12. Daniel M. Fox, Marcia Meldrum et Ira Rezak, Nobel Laureates in
Medicine or Physiology : A Biographical Dictionary, Garland, New York,
1990, p. 575.
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13. James D. Watson, The Annotated and Illustrated Double Helix,
Alexander Gann and J. A. Witkowski, New York, Simon & Schuster, 2012,
lettre à Crick, p. 151.
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14. Brenda Maddox, Rosalind Franklin : The Dark Lady of DNA,
HarperCollins, New York, 2002, p. 164.
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15. James D. Watson, Annotated and Illustrated Double Helix, lettre de
Rosalind Franklin à Anne Sayre, 1er mars, 1952, p. 67.
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16. Crick n'a jamais pensé que Franklin était touchée par le sexisme.
Contrairement à Watson, qui a fait un généreux compte rendu du travail de
Franklin en soulignant les obstacles qu'elle avait rencontrés en tant que
scientifique, Crick maintenait qu'elle n'était pas affectée par l'atmosphère au
King's College. Franklin et Crick vont finir par devenir des amis proches à
la fin des années 1950. Lui et sa femme l'ont particulièrement soutenue lors
de sa longue maladie et dans les mois qui ont précédé son décès prématuré.
L'affection de Crick pour Franklin peut se voir dans son livre What Mad
Pursuit, p. 82-85, trad. française : Une vie à découvrir : de la double hélice
à la mémoire, 1989.
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17. « 100 years ago : Marie Curie win 2nd Nobel Prize », Scientific
American, 28 octobre 2011, www.scientificamerican.com/article/curie-
marie-sklodowska-greatest-woman-scientist/
▲ Retour au texte
18. « Dorothy Crowfoot Hodgkin – biographical », nobelprize.org,
www.nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/1964/hodgkin-
bio.html
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19. Athene Donald, « Dorothy Hodgkin and the year of crystallography »,
Guardian, 14 janvier 2014.
▲ Retour au texte
20. « The DNA riddle : King's College, Londres, 1951-1953 », Rosalind
Franklin Papers, http://profiles.nlm.nih.gov/ps/retrieve/Narrative/KR/p-
nid/187
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21. J. D. Bernal, « Dr. Rosalind E. Franklin », Nature, no 18, 1958, p. 154.
▲ Retour au texte
22. Max F. Perutz, I Wish I'd Made You Angry Earlier : Essays on Science,
Scientists, and Humanity, Cold Spring Harbor Laboratory Press, Cold
Spring Harbor, NY, 1998, p. 70.
▲ Retour au texte
23. Watson Fuller, « For and against the helix », Maurice Wilkins Papers,
no 00c0a9ed-e951-4761-955c-7490e0474575.
▲ Retour au texte
24. Watson, The Double Helix, p. 23.
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25. http://profiles.nlm.nih.gov/ps/access/SCBBKH.pdf
▲ Retour au texte
26. Watson, The Double Helix, p. 22.
▲ Retour au texte
27. Ibid., p. 18.
▲ Retour au texte
28. Ibid., p. 24.
▲ Retour au texte
29. Officiellement, Watson était parti à Cambridge pour aider Perutz et un
autre scientifique, John Kendrew, dans leur travail sur une protéine, la
myoglobine. Watson passa alors à l'étude d'un virus appelé virus de la
mosaïque du tabac ou TMV. Mais il s'intéressait beaucoup plus à l'ADN et a
rapidement abandonné tous ses autres projets pour s'y consacrer
entièrement. Watson, Annotated and Illustrate Double Helix, p. 127.
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30. En 1951, bien avant que le nom de James Watson ne devienne célèbre
dans le monde entier, la romancière Doris Lessing fit une balade de trois
heures avec le jeune Watson qu'elle connaissait par l'ami d'un ami. Durant
toute l'excursion dans la campagne de Cambridge, Lessing fit toute la
conversation, Watson ne dit pas un seul mot. À la fin de la promenade,
« épuisée, ne souhaitant que s'échapper », Lessing entendit enfin la voix de
son compagnon : « Le problème, voyez-vous, est qu'il n'y a qu'une seule
personne dans le monde à qui je peux parler. » J. Watson, Annotated and
Illustrated Double Helix, p. 107.
▲ Retour au texte
31. Crick, What Mad Pursuit, p. 64.
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32. L. Pauling, R. B. Corey et H. R. Branson, « The structure of proteins :
Two hydrogen-bonded helical cofigurations of the polypeptide chain »,
Proceedings of the National Academy of Sciences 37, no 4, 1951, p. 205-11.
▲ Retour au texte
33. Watson, Annotated and Illustrated Double Helix, p. 44.
▲ Retour au texte
34. Crick, What Mad Pursuit, p. 100-103. Crick a toujours maintenu que
Franklin comprenait parfaitement l'importance de construire des modèles.
▲ Retour au texte
35. Victor K. McElheny, Watson and DNA : Making a Scientific Revolution,
Perseus, Cambridge, MA, 2003, p. 38.
▲ Retour au texte
36. Alistair Moffat, The British : A Genetic Journey, Birlinn, Edimbourg,
2014, et des cahiers de laboratoire de Rosalind Franklin, datés de 1951.
▲ Retour au texte
37. Dans ses premières études de l'ADN, Franklin n'était pas convaincue
que les motifs de diffraction aux rayons X suggéraient une hélice, très
probablement parce qu'elle travaillait sur la forme sèche de la molécule. En
fait, Franklin et son étudiant en sont arrivés à un moment à faire circuler
une note provoquante annonçant la « mort de l'hélice ». Pourtant, quand ses
images aux rayons X se sont améliorées, ses notes montrent qu'elle a
progressivement envisagé une hélice avec les phosphates à l'extérieur.
Watson a dit une fois à un journaliste que la faute de Franklin fut l'approche
détachée qu'elle eut de ses propres données : « Elle ne vivait pas l'ADN. »
▲ Retour au texte
38. Watson, Annotated and Illustrated Double Helix, p. 73.
▲ Retour au texte
39. Ibid.
▲ Retour au texte
40. Bill Seeds et Bruce Fraser les accompagnaient lors de cette visite.
▲ Retour au texte
41. Watson, Annotated and Illustrated Double Helix, p. 91.
▲ Retour au texte
42. Ibid., p. 92.
▲ Retour au texte
43. Linus Pauling et Robert B. Corey, « A proposed structure for the nucleic
acids », Proceedings of the National Academy of Sciences 39, no 2, 1953,
p. 84-97.
▲ Retour au texte
44. http://profiles.nlm.nih.gov/ps/access/KRBBJF.pdf
▲ Retour au texte
45. Très bonne photo forme humide (N.D.T.).
▲ Retour au texte
46. Watson, The Double Helix, p. 184.
▲ Retour au texte
47. Anne Sayre, Rosalind Franklin & DNA, W. W. Norton, New York,
1975, p. 152.
▲ Retour au texte
48. Watson, Annotated and Illustrated Double Helix, p. 207.
▲ Retour au texte
49. Ibid., 208.
▲ Retour au texte
50. Ibid., 209.
▲ Retour au texte
51. John Sulston et Georgina Ferry, The Common Thread : A Story of
Science, Politics, Ethics, and the Human Genome, Joseph Henry Press,
Washington DC, 2002, p. 3.
▲ Retour au texte
52. Probablement le 11 ou le 12 mars 1953. Crick informa Delbrück le jeudi
12 mars. Voir aussi Watson Fuller, « Who said helix ? », avec articles en
rapport, Maurice Wilkins Papers, no c065700f-b6d9-46c-902a-
b4f8e078338a.
▲ Retour au texte
53. 13 juin 1996, Maurice Wilkins Papers.
▲ Retour au texte
54. Lettre de Maurice Wilkins à Francis Crick le 18 mars 1953, Wellcome
Library, Letter Reference no 62b87535-040a-448c-9b7fi3a3767db91,
http://wellcomelibrary.org/player/b20047198# ?
asi=0&ai=0&z=0.115 %2C0.2046 %2C0.5569 %2C0.3498
▲ Retour au texte
55. Fuller, « Who said helix ? », avec articles en rapport.
▲ Retour au texte
56. Watson, Annotated and Illustrated Double Helix, p. 222.
▲ Retour au texte
57. J. D. Watson et F. H. C. Crick, « Molecular structure of nucleic acids : A
structure for deoxyribose nucleic acid », Nature 171, 1953, p. 737-38.
▲ Retour au texte
58. Fuller, « Who said helix ? », avec articles en rapport.
▲ Retour au texte
1. « 1957 : Francis H. C. Crick (1916-2004) sets out the agenda of
molecular biology », Genome News Network,
www.genomenewsnetwork.org/resources/timeline/1957_Crick.php
▲ Retour au texte
2. « 1941 : George W. Beadle (1903-1989) and Edward L. Tatum (1909-
1975) show how genes direct the synthesis of enzymes that control
metabolic processes », Genome News Network,
www.genomenewsnetwork.org/resources/timeline/1941_Beadle_Tatum.php
▲ Retour au texte
3. Edward B. Lewis, Thomas Hunt Morgan et leur héritage, nobelprize.org,
www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/1933/morgan-
article.html
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4. Frank Moore Colby et coll., The New International Year Book :
Compendium of the World's Progress, 1907-1965, Dodd, Mead, New York,
1908, p. 786.
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5. George Beadle, « Genetics and metabolism in Neurospora »,
Physiological reviews 25, no 4, 1945, p. 643-63.
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6. Cette idée du « gène » sera modifiée et élargie dans les pages suivantes.
Un gène est plus qu'une instruction pour construire une protéine, mais les
expériences de Beadle et Tatum apportèrent une base mécanistique pour
comprendre la fonction d'un gène.
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7. James D. Watson, Genes, Girls, and Gamow : After the Double Helix,
Alfred A. Knopf, New York, 2002, p. 31.
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8. http://scarc.library.oregonstate.edu/coll/pauling/dna/corr/sci9.001.43-
gamow-lp-19531022-transcript.html
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9. Ted Everson, The Gene : A Historical Perspective , Greenwood,
Westport, CT, 2007, p. 89-91.
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10. Le club de la cravate ARN (N.D.T.).
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11. « Francis Crick, George Gamow, and the RNA Tie Club », Web of
Stories, www.webofstories.com/play/francis.crick/84
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12. Sam Kean, The Violinist's Thumb : and Other Lost Tales of Love, War,
and Genius, as Written by Our Genetic Code, Little, Brown, New York,
2012.
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13. À l'Institut Pasteur (N.D.T.).
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14. Arthur Pardee et Monica Riley ont aussi proposé une variante de cette
idée.
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15. Cynthia Brantley Johnson, The Scarlet Pimpernel, Simon & Schuster,
2004, p. 124.
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16. « Albert Lasker Award for Special Achievement in Medical Science :
Sydney Brenner », Lasker Foundation,
www.laskerfoundation.org/awards/2000special.htm
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17. Une équipe menée par James Watson et Walter Gilbert à Harvard a
également découvert « l'intermédiaire ARN » en 1960. Les articles de
Brenner/Jacob et Watson/Gilbert furent publiés à la suite dans la revue
Nature.
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18. Deux autres scientifiques, Elliot Volkin et Lazarus Astrachan, ont aussi
proposé un intermédiaire d'ARN en 1956. Les deux articles historiques
publiés par les groupes de Brenner/Jacob et Watson/Gilbert en 1961 sont :
F. Gros et coll., « Unstable ribonucleic acid revealed by pulse labeling of
Escherichia coli », Nature 190, 13 mai 1960, p. 581-85 et S. Brenner, F.
Jacob, et M. Meselson, « An unstable intermediate carrying information
from genes to ribosomes for protein synthesis », Nature 190, 13 mai 1960,
p. 576-81.
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19. Ou de l'ADN chez les bactéries qui n'ont pas de noyau, comme les
cellules dites eucaryotes (N.D.T.)
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20. J. D. Watson et F. H. C. Crick, « Genetical implications of the structure
of deoxyribonucleic acid », Nature 171, no 4361, 1953, p. 965.
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21. L'hypothèse du « code de triplets » était aussi étayée par un simple
raisonnement mathématique. Si un code à deux lettres était utilisé, avec par
exemple deux bases dans une séquence codant pour un acide aminé dans
une protéine, on ne pourrait avoir que 16 combinaisons, ce qui ne suffit pas
pour spécifier les vingt acides aminés. Un code de triplets possède 64
combinaisons, assez pour les vingt acides aminés, et l'on dispose même de
triplets supplémentaires pour spécifier d'autres fonctions comme « stopper »
ou « commencer » une chaîne protéique. Un quadruplet permettrait 256
combinaisons, largement plus que nécessaire. La nature est souple, mais pas
à ce point.
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22. Dans la formulation d'origine de Crick, l'information pouvait remonter
« à contre-courant » de l'ARN à l'ADN. Watson simplifia le diagramme
pour indiquer le flux d'information unidirectionnel de l'ADN à l'ARN, et de
ce dernier à la protéine ; ce qui fut appelé plus tard le « dogme central ».
Aujourd'hui, on sait que des mécanismes d'origine virale permettent
effectivement de passer de l'ARN à l'ADN.
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23. David P. Steensma, Robert A. Kyle, et Marc A. Shampo, « Walter
Clement Noel first patient described with sickle cell disease », Mayo Clinic
Proceedings 85, no 10, 2010.
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24. « Key participants : Harvey A. Itano », It's in the Blood ! À
Documentary History of Linus Pauling, Hemoglobin, and Sickle Cell
Anemia,
http://scarc.library.oregonstate.edu/coll/pauling/blood/people/itano.html
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25. La modification fut découverte par Vernon Ingram, un ancien étudiant
de Max Perutz.
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1. Cité dans le livre de Sean Carrol, Brave Genius : A Scientist, a
Philosopher, and Their Daring Adventures from the French Resistance to
the Nobel Prize, Crown, New York, 2013, p. 133.
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2. Ironiquement, dans cet exemple, les globules rouges ne possèdaient pas
les copies anormales du gène, car ces cellules particulières ont perdu leur
noyau ; mais avant qu'il soit perdu, les gènes codant les globines ont pu
s'exprimer (N.D.T.).
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3. Thomas Hunt Morgan, « The relation of genetics to physiology and
medicine », Scientific Monthly 41, no 1, 1935, p. 315.
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4. Agnes Ullmann, « Jacques Monod, 1910-1976, His life, his work and his
commitments », Research in Microbiology 161, no 2, 2010, p. 68-73.
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5. Monod et Jacob se connaissaient à distance. Les deux étaient de proches
collaborateurs du généticien des bactéries André Lwoff. Jacob travaillait de
l'autre côté du grenier sur des virus qui infectent E. coli. Bien que leurs
démarches expérimentales fussent apparemment différentes, ils étudiaient
dans les deux cas la régulation des gènes. Monod et Jacob avaient comparé
leurs cahiers et constaté avec surprise qu'ils travaillaient tout deux sur deux
aspects du même problème général. Ils ont alors commencé à combiner leur
travail dans les années 1950.
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6. En 1957, Pardee, Monod et Jacob ont découvert que l'opéron lactose est
contrôlé par un seul interrupteur général, une protéine qui sera appelée
répresseur. Ce dernier agit comme une serrure moléculaire. Lorsque le
lactose est ajouté au milieu, le répresseur le détecte, change de forme et
« débloque » les gènes de transport et de digestion du lactose (ce qui permet
leur expression), ce qui rend la bactérie apte à métaboliser le lactose.
Lorsqu'un autre sucre tel que le glucose est présent, le blocage demeure et
aucun gène de digestion du lactose n'est activable. En 1966, Walter Gilbert
et Benno Muller-Hill ont identifié le répresseur dans les bactéries, validant
ainsi définitivement l'hypothèse de l'opéron de Monod. Un autre répresseur
issu d'un virus bactérien, le phage lambda, a été isolé par Mark Ptashne et
Nancy Hopkins en 1966.
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7. Arthur B. Pardee, François Jacob et Jacques Monod, « The genetic
control and cytoplasmic expression of “inducibility” in the synthesis of
ß=galactosidase by E. coli », Journal of Molecular Biology 1, no 2, 1959,
p. 165-78.
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8. François Jacob et Jacques Monod, « Genetic regulatory mechanism in the
synthesis of proteins », Journal of Molecular Biology 3, no 3, p. 1961,
p. 318-56.
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9. Contrairement aux tortues cosmologiques, cette conception n'est pas
absurde. En principe, l'embryon d'une cellule possède vraiment toute
l'information génétique pour la vie d'un organisme. La question de savoir
comment des circuits génétiques séquentiels peuvent « objectiver » le
développement d'un organisme sera abordée dans un chapitre ultérieur.
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10. Watson et Crick, « Molecular structure of nucleic acids », p. 738.
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11. Arthur Kornberg, « Biologic synthesis of deoxyribonucleic acid »,
Science 131, no 3412, 1960, p. 1503-8.
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12. Ibid.
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13. Ou plutôt de plusieurs. La réplication de l'ADN demande beaucoup plus
de protéines que la seule enzyme enchaînant les nucléotides ; il faut aussi
dérouler la double hélice et s'assurer que l'information génétique est
recopiée avec précision, entre autres. De plus, il existe plusieurs ADN
polymérases, aux fonctions légèrement différentes dans la cellule.
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14. Personnage central du roman d'Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian
Gray, publié en 1890 (N.D.T.).
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15. Le fait que le génome code aussi des protéines pour réparer le génome
endommagé a été découvert par plusieurs généticiens, dont Evelyn Witkin
et Steve Elledge. Ces deux chercheurs qui travaillaient indépendamment ont
identifié toute la cascade des protéines qui détectent l'ADN endommagé,
activent la réponse cellulaire de réparation ou gagnent du temps face aux
dommages (s'ils sont trop importants, la cellule cesse de se diviser). Les
mutations dans ces gènes peuvent conduire à l'accumulation de défauts dans
l'ADN, donc à plus de mutations, qui peuvent conduire au cancer. Le
quatrième R de la physiologie du gène, essentiel à la survie et à la
possibilité de muter des organismes, pourrait être pour « réparation ».
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1. Richard Dawkins, The Selfish Gene, Oxford University Press, Oxford,
1989, p. 12. Voir traduction française (trad. Laura Ovion), Le Gène égoïste,
Odile Jacob, 2003.
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2. Nicholas Marsh, William Blake : The Poems, Palgrave, Houndmills,
Basingstoke, England, 2001, p. 56.
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3. Beaucoup de ces mutants avaient été créés initialement par Alfred
Sturtevant et Calvin Bridges. Des détails sur les mutants et les gènes en
rapport se trouvent dans le discours du prix Nobel de Ed Lewis fait le
8 décembre 1995.
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4. Cela soulève la question de l'apparition dans la nature des premiers
organismes asymétriques. Nous ne le savons pas et ne le saurons peut-être
jamais. À un moment dans l'histoire de l'évolution, un organisme s'est
développé en séparant les fonctions entre différentes parties du corps. Peut-
être qu'un bout faisait face au rocher et l'autre à l'océan. Un mutant est né
avec la miraculeuse capacité de localiser une protéine du côté de la bouche.
Arriver à différencier le côté de la bouche du côté du pied a donné à ce
mutant un avantage sélectif : chaque partie asymétrique pouvait se
spécialiser à nouveau dans une tâche donnée, avec pour résultat un
organisme mieux adapté à son environnement. La tête et la queue sont les
descendants de cette innovation de l'évolution.
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5. Friedrich Max Müller, Memories : A Story of German Love, A. C
McClurg, Chicago, 1902, p. 20.
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6. Leo Lionni, Inch by Inch, I. Obolensky, New York, 1960.
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7. Allusion au roman de l'auteur indienne Arundhati Roy Le Dieu des Petits
Riens paru en 1997 (N.D.T.).
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8. James F. Crow et W. F. Dove, Perspectives on Genetics : Anecdotal,
Historical, and Critical Commentaries, 1987-1998, University of
Wisconsin Press, Madison, 2000, p. 176.
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9. Robert Horvitz, entretien avec l'auteur, 2012.
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10. Ralph Waldo Emerson, The Journals and Miscellaneous Notebook of
Ralph Waldo Emerson, vol. 7, William H. Gilman, MA Belknap Press of
Harvard University Press, Cambridge, 1960, p. 202.
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11. Ning Yang et Ing Swie Goping, « C. elegans and Discovery of the
Caspases », Apoptosis, Morgan & Claypool Life Sciences, San Rafael, CA,
2013.
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12. John F. R. Kerr, Andrew H. Wyllie et Alastair R. Currie, « Apoptosis :
A basic biological phenomenon with wide-ranging implications in tissu
kinetics », British Journal of Cancer 26, no 4, 1972, p. 239.
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13. Ce mutant a été identifié par Ed Hedgecock, entretien de l'auteur avec
Robert Horvitz, 2013.
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14. Undead, « mort-vivant » ; worm zombie (wombie) : « ver zombie »
(N.D.T.).
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15. J. E. Sulston et H. R. Horvitz, « Post-embryonic cell lineages of the
nematode, Caenorhabditis elegans », Developmental Biology 56, no 1,
mars 1977, p. 110-56. Voir aussi Judith Kimble et David Hirsh, « The
postembryonic cell lineages of the hermaphrodite and male gonads,
Caenorhabditis elegans », Developmental Biology 70, no 2, 1979, p. 396-
417.
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16. Judith Kimble, « Alterations in cell lineage following laser ablation of
cells in the somatic gonad of Caenorhabditis elegans », Developmental
Biolog y 87, no 2, 1981, p. 286-300.
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17. W. J. Gehring, Master Control Genes in Developmenand Evolution :
The Homeobox Story, Yale University Press, New Haven, CT, 1998, p. 56.
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18. La méthode a été initialement développée par John White et John
Sulston. Entretien de l'auteur avec Robert Horvitz, 2013.
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19. Gary F. Marcus, The Birth of the Mind : How a Tiny Number of Genes
Creates the Complexities of Human Thought, Basic Books, New York,
2004, « Chapter 4 : Aristotle's Impetus ».
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20. Antoine Danchin, La barque de Delphes : ce que révèlent le texte des
génomes, Odile Jacob, 1998.
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21. Richard Dawkins, A Devil's Chaplain : Reflections on Hope, Lies,
Science, and Love, Houghton Mifflin, Boston, 2003, p. 105.
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22. Perspectives de changements génétiques intentionnels (N.D.T.).
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21. Sydney Brenner, « Life sentences : Detective Rummage investigates »,
Scientist-the Newspaper for the Science Professional 16, no 16, 2002, p. 15.
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22. « DNA as the “stuff of genes” : The discovery of the transforming
principle, 1940-1944 », Oswald T. Avery Collection, National Institutes of
Health, http://profiles.nlm.nih.gov/ps/retrieve/Narrative/CC/p-nid/157
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1. Les détails sur l'éducation et l'année sabbatique de Paul Berg viennent
d'un entretien ave l'auteur en 2013 ; et « The Paul Berg Papers », Profiles in
Science, National Library of Medicine, http://profiles.nlm.nih.gov/CD/
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2. M. B. Oldstone, « Rous-Whipple Award Lecture. Viruses and diseases of
the twenty-first century », American Journal of Pathology 143, no 5, 1993,
p. 1241.
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3. David A. Jackson, Robert H. Symons et Paul Berg, « Biochemical
method for inserting new genetic information into DNA of simian virus 40 :
circular SV40 DNA molecules containing lambda phage genes and the
galactose operon of Escherichia coli », Proceedings of the National
Academy of Science 69, no 10, 1972, p. 2904-09.
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4. Si un gène est ajouté au génome de SV40, ce dernier ne peut plus générer
de virus infectieux parce que son ADN est devenu trop gros pour être
empaqueté sous forme de particule virale. Malgré tout, ce génome élargi
peut encore s'insérer seul dans un ADN de cellule humaine et c'est cette
propriété que Berg espérait utiliser.
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5. P. E. Lobban, « The generation of transducing phage in vitro », Stanford
University, 6 novembre 1969.
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6. Oswald T. Avery, Colin M. MacLeod et MaclyMcCarty, « Studies on the
chemical nature of the substance inducing transformatioof pneumococcal
types : Induction of transformation by a desoxyribonucleic acid fraction
isolated from pneumococcus type III », Journal of Experimental Medicine
79, no 2, 1944, p. 137-58.
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7. P. Berg et J. E Mertz, « Personal reflections on the origins and emergence
of recombinant DNA technology », Genetics 184, no 1, 2010, p. 9-17, doi :
10.1534/genetics.109.112144.
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8. Jackson, Symons et Berg, « Biochemical method for inserting new
genetic information into DNA of simian virus 40 », Proceedings of the
National Academy of Sciences 69, no 10, 1972, p. 2904-09.
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9. Kathi E. Hanna, Biomedical politics, National Academies Press,
Washington DC, 1991, p. 266.
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10. Erwin Chargaff, « On the dangers of genetic meddling », Science 192,
no 4243, 1976, p. 938.
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11. Dans la mythologie grecque, Prométhée vole le feu sacré aux dieux pour
l'offrir, avec le savoir, aux hommes. Erostrate incendia le temple d'Artémis
à Ephèse, dans l'intention de devenir célèbre (N.D.T.).
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12. « Reaction to Outrage over Recombinant DNA, Paul Berg », DNA
Learning Center, www.dnalc.org/view/15017-Reaction-to-outrage-over-
recombinant-DNA-Paul-Berg.html
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13. Shane Crotty, Ahead of the Curve : David Baltimore's Life in Science,
University of California Press, Berkeley, 2001, p. 95.
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14. Paul Berg, entretien avec l'auteur, 2013.
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15. La découverte de Mertz, faite avec Ron Davis, était liée à une propriété
spécifique d'enzymes telles que EcoRI. Elle découvrit que si elle coupait le
plasmide bactérien et le génome de SV40 avec cette enzyme, les deux
extrémités devenaient spontanément « collantes » comme les bords
complémentaires d'un Velcro, ce qui facilitait leur réunion en gènes
hybrides.
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16. Ibid.
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17. Les détails de l'histoire de Boyer et Cohen proviennent des sources
suivantes : John Archibald, One Plus One Equal One : Symbiosis and the
Evolution of Complex Life, Oxford University Press, Oxford, 2014. Voir
aussi Stanley N. Cohen et coll., « Construction of biologically functional
bacteria plasmids in vitro », Proceedings of the National Academy of
Sciences 70, no 1, 1973, p. 3240-44.
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18. Les détails de cet épisode proviennent de plusieurs sources dont Stanley
Falkow, « I'll Have the Chopped Liver Please, Or How I Learned to Love
the Clone », ASM News 67, no 11, 2001 ; Paul Berg, entretien avec l'auteur,
2015 ; Jane Gitschier, « Wonderful life : An interview with Herb Boyer »,
PLOS Genetics, 25 septembre 2009.
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1. Crick, What Mad Pursuit, p. 74.
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2. Richard Powers, Orfeo : A Novel, W. W. Norton, New York, 2014,
p. 330.
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3. Frederick Sanger, « The arrangement of amino acids in proteins »,
Advances in Protein Chemistry 7, 1951, p. 1-67.
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4. Frederick Banting et coll., « The Effects of insulin on experimental
hyperglycemia in rabbits », American Journal of Physiology 62, no 3, 1922.
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5. The Nobel Prize in Chemistry 1958, nobelprize.org,
www.nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/1958/
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6. Frederick Sanger, Selected Papers of Frederick Sanger : With
Commentaries, vol. 1, Margaret Dowding, World Scientific, Singapour,
1996, p. 11-12.
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7. George G. Brownlee, Fred Sanger-Double Nobel Laureate : A
Biography, Cambridge University Press, Cambridge, 2014, p. 20.
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8. F. Sanger et coll., « Nucleotide sequence of bacteriophage Φ 174 DNA »,
Nature 265, no 5596, 1977, p. 687-95, doi : 10.1038/265687a0
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9. Ibid.
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10. Sayeeda Zain et coll., « Nucleotide sequence analysis of the leader
segments in a cloned copy of adenovirus 2 fiber mRNA », Cell 16, no 4,
1979, p. 851-61. Voir aussi « Physiology or Medicine 1993 – communiqué
de presse », nobelprize.org,
www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/1993/press.html
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11. Découverte confirmée par les Français Pierre Chambon et Jean-Louis
Mandel la même année chez les cellules animales. Cette caractéristique sera
retrouvée plus tard chez les plantes et en fait la plupart des eucaryotes
(N.D.T.).
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12. Il est remarquable que Darwin aussi bien que Mendel aient établi un
lien entre vieille et nouvelle biologies. Darwin a commencé sa carrière en
tant que naturaliste, un collectionneur de fossiles, mais a par la suite
radicalement transformé son domaine en recherchant le mécanisme sous-
jacent à l'histoire naturelle. Mendel aussi était initialement un botaniste et
un naturaliste qui a réorienté sa discipline en recherchant le mécanisme à
l'origine de l'hérédité et des variations. Tous deux ont observé le monde
naturel pour en déduire les causes plus profondes de son organisation.
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13. Walter Sullivan, « Genetic decoders plumbing the deepest secrets of life
processes », New York Times, 20 juin 1977.
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14. Jean S. Medawar, Aristotle to Zoos : A Philosophical Dictionary of
Biology, Harvard University Press, Cambridge, MA, 1985, p. 37-38.
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15. Paul Berg, entretien avec l'auteur, septembre 2015.
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16. J. P Allison, B. W. McIntyre et D. Bloch, « Tumor-specfic antigen of
murine T-lymphoma defined with monoclonal antibody », Journal of
Immunology 129, 1982, p. 2293-2300 ; K. Haskins et coll., « The major
histocompatibility complex-restricted antigen receptor on T cells : I.
Isolation with monoclonal antibody », Journal of Experimental Medicine
157, 1983, p. 1149-69.
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17. « Physiology or Medicine 1975 – PressRelease », nobelprize.org, Nobel
Media AB 2014, 5 août 2015,
www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/1975/press.html
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18. Ces bibliothèques furent conçues et créées par Tom Maniatis en
collaboration avec Argiris Efstratiadis et Fotis Kafatos. Maniatis n'avait pu
travailler sur le clonage de gène à Harvard, en raison d'inquiétudes sur la
sûreté de l'ADN recombinant. Il s'était alors installé à Cold Spring Harbor à
l'invitation de James Watson pour pouvoir travailler en paix.
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19. S. M. Hedrick et coll., « Isolation of cDNA clone encoding T cell-
specfic membrane-associated proteins », Nature 308, 1984, p. 149-53 ; Y.
Yanagi et coll., « A human T cell-specfic cDNA clone encodes a protein
having extensive homology to immunoglobulin chains », Nature 308, 1984,
p. 145-49.
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20. Steve McKnight, « Pure genes, pure genius », Cell 150, no 6,
14 septembre 2012, p. 1100-1102.
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1. Sydney Brenner, « The influence of the press at the Asilomar
Conference, 1975 », Web of Stories,
www.webofstories.com/play/sydney.brenner/182;jsessionid=2c147f1c42
22a58715e708eabd868e58
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2. Crotty, Ahead of the Curve, p. 93.
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3. Herbert Gottweis, Governing Molecules : The Discursive Politics of
Genetic Engineering in Europe and the United States, MIPress, Cambridge,
MA, 1998.
▲ Retour au texte
4. Les détails du compte rendu d'Asilomar de Berg viennent d'entretiens
avec lui en 1993 et 2013 ; et Donald S. Fredrickson, « Asilomar and
recombinant DNA : The end of the beginning », Biomedical Politics,
Hanna, p. 258-92.
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5. Alfred Hellman, Michael Neil Oxman et Robert Pollack, Biohazards in
Biological Research, Cold Spring Harbor Laboratory Press, Cold Spring
Harbor, NY, 1973.
▲ Retour au texte
6. Le biorisque dans la recherche en biologie (N.D.T.).
▲ Retour au texte
7. Cohen et coll., « Construction of biologically functional bacterial
plasmids », p. 3240-44.
▲ Retour au texte
8. Crotty, Ahead of the Curve, p. 99.
▲ Retour au texte
9. Ibid.
▲ Retour au texte
10. « The moratorium letter regarding risky experiments, Paul Berg », DNA
Learning Center, www.dnalc.org/view/15021-The-moratorium-letter-
regarding-risky-experiments-Paul-Berg.html
▲ Retour au texte
11. P. Berg et coll., « Potential biohazards of recombinant DNA
molecules », Science 185, 1974, p. 3034. Voir aussi Proceedings of the
National Academy of Sciences 71, juillet 1974, p. 2593-94.
▲ Retour au texte
12. Entretien avec Herb Boyer, 1994, par Sally Smith Hughes, UCSF Oral
History Program, Bancroft Library, University of California, Berkeley,
http://content.cdlib.org/view ?
docId=kt5d5nb0zs&brand=calisphere&doc.view=entire_text
▲ Retour au texte
13. John F. Morrow et coll., « Replication and transcription of eukaryotic
DNA in Escherichia coli », Proceedings of the National Academy of
Science 71, no 5, 1974, p. 1743-47.
▲ Retour au texte
14. Crotty, Ahead of the Curve, p. 107.
▲ Retour au texte
15. Brenner, « The influence of the press ».
▲ Retour au texte
16. Crotty, Ahead of the Curve, p. 108.
▲ Retour au texte
17. Gottweis, Governing Molecules, p. 88.
▲ Retour au texte
18. P. Berg et coll., « Summary statement of the Asilomar Conference »,
p. 1981-84.
▲ Retour au texte
19. Albert Einstein, « Letter to Roosevelt, August 2, 1939 », Lettres
d'Albert Einstein à Franklin Delano Roosevelt,
http://hypertextbook.com/eworld/einstein.shtml#first
▲ Retour au texte
20. Attribué à Alan T. Waterman, dans Lewis Branscomb, « Foreword »,
Science, Technology, and Society, a Prospective Look : Summary and
Conclusions of the Bellagio Conference, National Academy of Sciences,
Washington, DC, 1976.
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21. F. A. Long, « President Nixon's 1973 Reorganization Plan No. 1 »,
Science and Public Affairs 29, no 5, 1973, p. 5.
▲ Retour au texte
22. Paul Berg, entretien avec l'auteur, 2013.
▲ Retour au texte
23. Paul Berg, « Asilomar and recombinant DNA », nobelprize.org,
www.nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/1980/berg-
article.html
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24. Ibid.
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1. Herbert W. Boyer, « Recombinant DNA research at UCSF and
commercial application at Genentech : Oral history transcript, 2001 »,
Online Archive of California, p. 124, www.oac.cdlib.org/search ?
style=oac4 ;titlesAZ= ;idT=UCb11453293x
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2. Arthur Charles Clark, Profiles of the Future : An Inquiry Into the Limits
of the Possible, Harper & Row, New York, 1973.
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3. Doogab Yi, The Recombinant University : Genetic Engineering and the
Emergence of Stanford Biotechnology, University of Chicago Press,
Chicago, 2015, p. 2.
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4. « Getting Bacteria to Manufacture Genes », San Francisco Chronicle,
2 mai 1974.
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5. Roger Lewin, « A View of a Science Journalist », Recombinant DNA and
Genetic Experimentation, J. Morgan and W. J. Whelan, Elsevier, Londres,
2013, p. 273.
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6. « 1972 : First recombinant DNA », genome.gov,
www.genome.gov/25520302
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7. P. Berg et J. E. Mertz, « Personal reflections on the origins and
emergence of recombinant DNA technology », Genetics 184, no 1, 2010,
p. 9-17, doi : 10.1534/genetics.109.112144
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8. Sally Smith Hughes, Genentech : The Beginnings of Biotech, University
of Chicago Press, Chicago, 2011, « Prologue ».
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9. Felda Hardymon et Tom Nicholas, « Kleiner-Perkins and Genentech :
When venture capital met science », Harvard Business School Case, p. 813-
102, octobre 2012, www.hbs.edu/faculty/Pages/item.aspx ?num=43569
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10. Le quartier gay de San Francisco (N.D.T.).
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11. A. Sakula, « Paul Langerhans (1847-1888) : A centenary tribute »,
Journal of the Royal Society of Medicine 81, no 7, 1988, p. 414.
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12. J. v. Mering et Oskar Minkowski, « Diabetes mellitus nach
Pankreasexstirpation », Naunyn-Schmiedeberg's Archives of Pharmacolog
26, no 5, 1890, p. 371-87.
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13. F. G. Banting et coll., « Pancreatic extracts in the treatment of diabetes
mellitus », Canadian Medical Association Journal 12, no 3, 1922, p. 141.
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14. Frederick Sanger et E. O. P. Thompson, « The amino-acid sequence in
the glycyl chain of insulin. 1. The identification of lower peptides from
partial hydrolysates », Biochemical Journal 53, no 3, 1953, p. 353.
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15. Hughes, Genentech, p. 59-65.
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16. Auxquels se joignirent plus tard d'autres comme Richard Scheller du
Caltech. Boyer mit deux chercheurs sur le projet, Herbert Heyneker et
Francisco Bolivar. L'hôpital ajouta un autre chimiste de l'ADN, Roberto
Crea.
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17. « Fierce Competition to Synthesize Insulin, David Goeddel », DNA
Learning Center, www.dnalc.org/view/15085-Fierce-competition-to-
synthesize-insulin-David-Goeddel.html
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18. La stratégie de Genentech pour la synthèse de l'insuline fut aussi
cruciale pour son indépendance vis-à-vis des protocoles de la Conférence
d'Asilomar. Dans le pancréas humain, l'insuline est normalement
synthétisée sous la forme d'une protéine d'un seul bloc, qui est ensuite
coupée pour laisser apparaître deux chaînes retenues par des liaisons
chimiques. Genentech, au contraire, avait choisi de synthétiser les deux
chaînes de l'insuline A et B sous forme séparée puis de les relier ensemble.
Comme les deux chaînes utilisées par Genentech n'étaient pas des gènes
« naturels », leur synthèse ne tombait pas sous le coup du moratoire qui
restreignait la création d'ADN recombinant à partir de gènes « naturels ».
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19. Hughes, Genentech, p. 93.
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20. Ibid., p. 78.
▲ Retour au texte
21. « Introductory materials », First Chief Financial Officer at Genentech,
1978-1984, University of California, 2002, http://content.cdlib.org/view ?
docId=kt8k40159r&brand=calisphere&doc.view=entire_text
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22. Clone ou meurs (N.D.T.).
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23. Hughes, Genentech, p. 93.
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24. Payne Templeton, « Harvard group produces insulin from bacteria »,
Harvard Crimson, 18 juillet 1978.
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25. Hughes, Genentech, p. 91.
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26. « À history of firsts », Genentech : Chronology,
www.gene.com/media/company-information/chronology
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27. Luigi Palombi, Gene Cartels : Biotech Patents in the Age of Free Trade,
Edward Elgar Publishing, Londres, 2009, p. 264.
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28. « History of AIDS up to 1986 », www.avert.org/history-aids-1986.htm
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29. Gilbert C. White, « Hemophilia : An amazing 35-year journey from the
depths of HIV to the threshold of cure », Transactions of the American
Clinical and Climatological Association 121, 2010, p. 61.
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30. Federal Drug Administration : agence fédérale américaine chargée de
contrôler et d'autoriser la mise sur le marché des produits alimentaires et
médicamenteux (N.D.T.).
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31. « HIV/AIDS », National Hemophilia Foundation,
www.hemophilia.org/Bleeding-Disorders/Blood-Safety/HIV/AIDS
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32. John Overington, Bissan Al-Lazikani et Andrew Hopkins, « How many
drug targets are there ? », Nature Reviews Drug Discovery 5,
décembre 2006, p. 993-96, « Table 1 | Molecular targets of FDA-approved
drugs », www.nature.com/nrd/journal/v5/n12/fig_tab/nrd2199_T1.html
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33. « Genentech : Historical stock info », gene.com,
www.gene.com/media/company-information/chronology
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34. Harold Evans, Gail Buckland et David Lefer, They Made America :
From the Steam Engine to the Search Engine – Two Centuries of
Innovators, Hachette UK, Londres, 2009, « Herbert Boyer et Robert
Swanson, The biotech industry », p. 420-31.
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33. Alexander Pope, Essay on Man, Clarendon Press, Oxford, 1869.
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34. William Shakespeare et Jay L. Halio, The Tragedy of King Lear,
Cambridge University Press, Cambridge, 1992, acte 5, sc. 3.
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1. Lyon et Gorner, Altered Fates.
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2. John A. Osmundsen, « Biologist hopeful in solving secrets of heredity
this year », New York Times, 2 février 1962.
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3. Thomas Morgan, « The relation of genetics to physiology and
medicine », Nobel Lecture, 4 juin 1934, nobelprize.org,
www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/1933/morgan-
lecture.html
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4. « From “musical murmurs” to medical genetics, 1945-1960 », Victor A.
McKusick Papers, NIH,
http://profiles.nlm.nih.gov/ps/retrieve/narrative/jq/p-nid/305
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5. Harold Jeghers, Victor A. McKusick et Kermit H. Katz, « Generalized
intestinal polyposis and melanin spots of the oral mucosa, lips and digits »,
New England Journal of Medicine 241, no 25, 1949, p. 993-1005, doi :
10.105/nejm194912222412501
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6. Archibald E. Garrod, « A contribution to the study of alkaptonuria »,
Medico-chirurgical Transactions 82, 1899, p. 367.
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7. Archibald E. Garrod, « The incidence of alkaptonuria : study in chemical
individuality », Lancet 160, no 4137, 1902, p. 1616-20, doi : 10.101/s0140-
6736(01)41972-6
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8. Harold Schwartz, Abraham Lincoln and the Marfan Syndrome, American
Medical Association, Chicago, 1964.
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9. J. Amberger et coll., « McKusick's Online Mendelian Inheritance in
Man », Nucleic Acids Research 37, 2009, (database issue) D793-D796, Fig.
1 et 2, doi : 10.1093/nar/gkn665
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10. « Beyond the clinic : Genetic studies of the Amish and little people,
1960-1980s », Victor A. McKusick Papers, NIH,
http://profiles.nl.nih.gov/ps/retrieve/narrative/jq/p-nid/307
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11. Le nombre anormal de chromosomes dans la trisomie 21 fut découvert
par Jérôme Lejeune en 1958 (suite à un travail de Marthe Gautier, tous deux
dans le laboratoire de Raymond Turpin) (N.D.T.).
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12. Wallace Stevens, The Collected Poems of Wallace Stevens, Alfred A.
Knopf, New York, 1954, « The Poems of Our Climate », p. 193-94.
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13. Poète (1878-1955), précurseur majeur de la poésie moderne américaine
(N.D.T.).
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14. Fantastic Four #1, Marvel Comics, New York, 1961,
http://marvel.com/comics/issue/12894/fantastic_four_1961_1
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15. Stan Lee et coll., Marvel Masterworks : The Amazing Spider-Man,
Marvel Publishing, New York, 2009, « The Secrets of SpiderMan ».
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16. Uncanny X-Men #1, Marvel Comics, New York, 1963,
http://marvel.com/comics/issue/12413/uncanny_x-men_1963_1
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17. Alexandra Stern, Telling Genes : The Story of Genetic Counseling in
America, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2012, p. 146.
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18. Leo Sachs, David M. Serr et Mathilde Danon, « Analysis of amniotic
fluid cells for diagnosis of foetal sex », British Medical Journal 2, no 4996,
1956, p. 795.
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19. Carlo Valenti, « Cytogenetic diagnosis of Down's syndrome in utero »,
Journal of the American Medical Association 207, no 8, 1969, p. 1513, doi :
10.100/jama.1969.03150210097018
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20. Les détails de la vie de McCorvey proviennent de Norma McCorvey et
Andy Meisler, I Am Roe : My Life, Roe v. Wade, and Freedom of Choice,
HarperCollins, New York, 1994.
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21. Ibid.
▲ Retour au texte
22. Roe v. Wade, Legal Information Institute,
www.law.cornell.edu/supremecourt/text/410/113
▲ Retour au texte
23. Alexander M. Bickel, The Morality of Consent, Yale University Press,
New Haven, 1975, p. 28.
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24. Jeffrey Toobin, « The people's choice », New Yorker, 28 janvier 2013,
p. 19-20.
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25. H. Hansen, « Brief reports decline of Down's syndrome after abortion
reform in New York State », American Journal of Mental Deficiency 83,
no 2, 1978, p. 185-88.
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26. Dans d'autres pays à travers le monde, la légalisation de l'avortement a
permis le développement du test prénatal. Après qu'une loi parlementaire a
légalisé l'avortement au Royaume-Uni en 1967, le taux de tests prénataux et
d'interruption de grossesse a augmenté de façon spectaculaire dans les
années 1970.
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27. Daniel J. Kevles, In the Name of Eugenics : Genetics and the Uses of
Human Heredity, Alfred A. Knopf, New York, 1985, p. 257.
▲ Retour au texte
28. M. Susan Lindee, Moments of Truth in Genetic Medicine, Johns
Hopkins University Press, Baltimore, 2005, p. 24.
▲ Retour au texte
29. V. A. McKusick et R. Claiborne (dir.), Medical Genetics, HP
Publishing, New York, 1973.
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30. Ibid., Joseph Dancis, « The prenatal detection of hereditary defects »,
p. 247.
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31. Mark Zhang, « Park v. Chessin (1977) », The Embryo Project
Encyclopedia, 31 janvier 2014, https://embryo.asu.edu/pages/par-v-chessin-
1977
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32. Ibid.
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1. Gerald Leach, « Breeding Better People », Observer, 12 avril 1970.
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2. Michelle Morgante, « DNA scientist Francis Crick dies at 88 », Miami
Herald, 29 juillet 2004.
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3. On parle bien sûr des filles ici (N.D.T.).
▲ Retour au texte
4. Lily E. Kay, The Molecular Vision of Life : Caltech, the Rockefeller
Foundation, and the Rise of the New Biology, Oxford University Press,
New York, 1993, p. 276.
▲ Retour au texte
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6. Joel N. Shurkin, Broken Genius : The Rise and Fall of William Shockley,
Creator of the Electronic Age, Macmillan, Londres, 2006, p. 256.
▲ Retour au texte
7. Kevles, In the Name of Eugenics, p. 263.
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8. Departments of Labor and Health, Education and Welfare
Appropriations for 1967, Government Printing Office, Washington DC,
1966, p. 249.
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9. Mutation au sens large ; ici, une aneuploïdie (N.D.T.).
▲ Retour au texte
10. Victor McKusick, Legal and Ethical Issues Raised by the Human
Genome Project : Proceedings of the Conference in Houston, Texas, March
7-9, 1991, Mark A. Rothstein, University of Houston, Health Law and
Policy Institute, Houston, 1991.
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11. Matthew R. Walker et Ralph Rapley, Route Maps in Gene Technology,
Blackwell Science, Oxford, 1997, p. 144.
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1. W. H. Gardner, Gerard Manley Hopkins : Poems and Prose, Shu lin,
Taipei, 1968, « Pied Beauty ».
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2. George Huntington, « Recollections of Huntington'chorea as I saw it at
East Hampton, Long Island, during my boyhood », Journal of Nervous and
Mental Disease 37, 1910, p. 255-57.
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3. Robert M. Cook-Deegan, The Gene Wars : Science, Politics and the
Human Genome, W. W. Norton, New York, 1994, p. 38.
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4. K. Kravitz et coll., « Genetic linkage between hereditary
hemochromatosis and HLA », American Journal of Human Genetics 31,
no 5, 1979, p. 601.
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5. En 1978, deux autres chercheurs, Y. Wai Kan et Andree Dozy, ont trouvé
un polymorphisme de l'ADN près du gène de l'anémie falciforme, et l'ont
utilisé pour suivre son mode de transmission chez les patients. Y. Wai Kan
et A. M. Dozy, « Polymorphism of DNA sequence adjacent to human beta-
globin structural gene : Relationship to sickle mutation », Proceedings of
the National Academy of Sciences, 75, no 11, 1978, p. 5631-35.
▲ Retour au texte
6. David Botstein et coll., « Construction of a genetic linkage map in man
using restriction fragment length polymorphisms », American Journal of
Human Genetics 32, no 3, 1980, p. 314.
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7. Louis MacNeice, « Snow », The New Cambridge Bibliography of
English Literature, vol. 3, George Watson, Cambridge University Press,
Cambridge, 1971.
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8. Victor K. McElheny, Drawing the Map of Life : Inside the Human
Genome Project, Basic Books, New York, 2010, p. 29.
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9. David Botstein et coll., « Construction of a genetic linkage map in man
using restriction fragment length polymorphisms », American Journal of
Human Genetics 32, no 3, 1980, p. 314.
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10. N. Wexler, « Huntington's Disease : Advocacy Driving Science »,
Annual Review of Medicine, no 63, 2012, p. 1-22.
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11. Wexler NS, « Genetic “Russian Roulette” : The Experience of Being At
Risk for Huntington's Disease », Genetic Counseling : Psychological
Dimensions, S. Kessler, Academic Press, New York, 1979.
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12. « New discovery in fight against Huntington's disease », NUI Galway,
22 février 2012, www.nuigalway.ie/about-us/news-and-events/news-
archive/2012/february2012/new-discovery-in-fight-against-huntingtons-
disease-1.html
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13. Gene Veritas, « At risk for Huntington's disease », 21 septembre 2011,
http://curehd.blogspot.com/2011_09_01_archive.html
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14. Les détails sur l'histoire familiale de Nancy Wexler viennent des livres
d'Alice Wexler, Mapping Fate : A Memoir of Family, Risk, and Genetic
Research, University of California Press, Berkeley, 1995 ; Lyon et Gorner,
Altered Fates ; et « Makers profile : Nancy Wexler, neuropsychologist &
president, Hereditary Disease Foundation », MAKERS : The Largest Video
Collection of Women's Stories, www.makers.com/nancy-wexler
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15. Ibid.
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16. « History of the HDF », Hereditary Disease Foundation,
www.hdfoundation.org/our-history/
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17. « Life in The Lab », Los Angeles Times Magazine, 10 février 1991.
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18. Associated Press, « Milton Wexler ; Promoted Huntington's Research »,
Washington Post, 23 mars 2007, www.washingtonpost.com/wp-
dyn/content/article/2007/03/22/AR2007032202068.html
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19. Wexler, Mapping Fate, p. 177.
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20. Ibid., p. 178.
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21. Description de Barranquitas d'après « Nancy Wexler in Venezuela
Huntington's disease », BBC, 2010, YouTube, www.youtube.com/watch ?
v=D6LbkTW8fDU
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22. M. S. Okun et N. Thommi, « Américo Negrette (1924 to 2003) :
Diagnosing Huntington disease in Venezuela », Neurology 63, no 2, 2004,
p. 340-43, doi : 10.1212/01.wnl.0000129827.16522.78
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23. La prévalence reste difficile à estimer suivant les régions dans le monde,
voir www.huntingtonsnsw.org.au/information/hd-facts/how-common
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24. Voir « What Is a Homozygote? », Nancy Wexler, Gene Hunter : The
Story of Neuropsychologist Nancy Wexler, Joseph Henry Press, « Women's
Adventures in Science », 30 octobre 2006, p. 51.
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25. Jerry E. Bishop et Michael Waldholz, Genome : The Story of the Most
Astonishing Scientific Adventure of Our Time, Simon & Schuster, New
York, 1990, p. 82-86.
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26. Cet arbre généalogique allait finir par porter 18 000 personnes sur 10
générations. Toutes descendaient d'une seule personne, Maria Conceptión –
un nom étrangement approprié – qui avait été à l'origine de la première
famille au XIXe siècle.
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27. La famille américaine n'était pas assez large pour prouver une liaison
mais c'était le cas pour la famille vénézuélienne. En combinant les deux, les
scientifiques ont pu prouver l'existence d'un marqueur d'ADN associé à la
maladie au fil des générations. Voir Gusella JF, Wexler NS, Conneall PM,
Naylor SL, Anderson MA, Tanzi RE, Watkins PC, Ottina K, Wallace MR,
Sakaguchi AY, Young AB, Shoulson I, Bonilla E, et Martin JB, « A
Polymorphic DNA Marker Genetically Linked to Huntington's Disease »,
Nature 30 (5940), novembre 1983, p. 234-8.
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28. James F. Gusella et coll., “A polymorphic DNA marker genetically
linked to Huntington's disease,” Nature 306, no. 594(1983) : 234–38, doi :
10.1038/306234a0
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29. Karl Kieburtz et coll., « Trinucleotide repeat length and progression of
illness in Huntington's disease », Journal of Medical Genetics 31, no 11,
p. 1994, p. 872-74.
▲ Retour au texte
30. Lyon et Gorner, Altered Fates, p. 424.
▲ Retour au texte
31. Nancy S. Wexler, « Venezuelan kindreds reveal that genetic and
environmental factors modulate Huntington's disease age of onset »,
Proceedings of the National Academy of Sciences 101, no 10, 2004,
p. 3498-503.
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32. The Almanac of Children's Songs and Games from Switzerland, J. J.
Weber, Leipzig, 1857.
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33. « The History of Cystic Fibrosis », www.cysticfibrosismedicine.com/,
http://www.cfmedicine.com/history/earlyyears.htm
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34. Lap-Chee Tsui et coll., « Cystic fibrosis locus defined in a genetically
linked polymorphic DNA marker », Science 230, no 4729, 1985, p. 1054-
57.
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35. Wanda K. Lemna et coll., « Mutation analysis for heterozygote
detection and the prenatal diagnosis of cystic fibrosis », New England
Journal of Medicine 322, no 5, 1990, p. 291-96.
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36. La forte prévalence de mutations dans le gène de la mucoviscidose dans
les populations européennes intrigue les généticiens depuis des décennies.
Si la mucoviscidose est si létale, pourquoi son gène n'a-t-il pas été éliminé
par la sélection naturelle ? Des études récentes ont permis d'avancer une
théorie audacieuse : le gène muté pourrait conférer un avantage sélectif lors
de l'infection par le choléra. Cette maladie cause chez l'homme des
diarrhées sévères, intraitables, qui s'accompagnent d'une perte massive de
sels et d'eau. Cette perte peut mener à une déshydratation, à une
perturbation du métabolisme et au décès. Les personnes ayant une copie du
gène CF muté ont une capacité légèrement diminuée de perdre du sel et de
l'eau par leurs membranes, et sont donc relativement protégés des
complications néfastes du choléra (ce que l'on peut montrer chez des souris
génétiquement modifiées). Ici aussi, une mutation dans un gène peut avoir
un effet double et suivant les circonstances, être potentiellement bénéfique
avec une copie et létale avec les deux. Les personnes avec une copie du
gène CF muté ont ainsi pu mieux survivre aux épidémies de choléra en
Europe. Quand deux personnes porteuses d'un allèle muté du gène CF ont
un enfant, il a une chance sur quatre d'hériter des deux allèles mutés et
d'être malade, mais l'avantage sélectif a été assez fort pour maintenir le
gène CF muté dans la population.
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37. V. Scotet et coll., « Impact of public health strategies on the birth
prevalence of cystic fibrosis in Brittany, France », Human Genetics 113,
no 3, 2003, p. 280-85.
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38. D. Kronn, V. Jansen et H. Ostrer, « Carrier screening for cystic fibrosis,
Gaucher disease, and Tay-Sachs disease in the Ashkenazi Jewish
population : The first 1,000 cases at New York University Medical Center,
New York, NY », Archives of Internal Medicine 158, no 7, 1998, p. 777-81.
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39. Elinor S. Shaffer (dir.), The Third Culture : Literature and Science, vol.
9, Walter de Gruyter, Berlin, 1998, p. 21.
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40. Robert L. Sinsheimer, « The prospect for designed genetic change »,
American Scientist 57, no 1, 1969, p. 134-42.
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41. Jay Katz, Alexander Morgan Capron et Eleanor Swift Glass,
Experimentation with Human Beings : The Authority of the Investigator
Subject, Professions, and State in the Human Experimentation Process,
Russell Sage Foundation, New York, 1972, p. 488.
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42. John Burdon Sanderson Haldane, Daedalus or Science and the Future,
E. P. Dutton, New York, 1924, p. 48.
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1. « À la chasse nous irons, à la chasse nous irons !
Nous attraperons un renard et le mettrons dans une boîte,
Et puis on le laissera partir. » (N.D.T.)
▲ Retour au texte
2. Sulston et Ferry, Common Thread, p. 264.
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3. Cook-Deegan, The Gene Wars, p. 62.
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4. « OrganismView : Search organisms and genomes », CoGe :
OrganismView, https://genomevolution.org/coge/OrganismView.pl ?
dsgid=7029
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5. Yoshio Miki et coll., « A strong candidate for the breast and ovarian
cancer susceptibility gene BRCA1 », Science 266, no 5182, 1994, p. 66-71.
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6. F. Collins et coll., « Construction of a general human chromosome
jumping library, with application to cystic fibrosis », Science 235, no 4792,
1987, p. 1046-49, doi : 10.1126/science.2950591
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7. Mark Henderson, « Sir John Sulston and the Human Genome Project »,
Wellcome Trust, 3 mai 2011,
http://genome.welcome.ac.uk/doc_wtvm051500.html
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8. Departments of Labor, Health and Human Services Education, and
Related Agencies Appropriations for 1996 : Hearings before Subcommittee
of the Committee on Appropriations, House of Representatives, One
Hundred Fourth Congress, First Session, Government Printing Office,
Washington, DC, 1995, http://catalog.hathitrust.org/Record/003483817
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9. Alvaro N. A. Monteiro et Ricardo Waizbort, « The accidental cancer
geneticist : Hilário de Gouveia and hereditary retinoblastoma », Cancer
Biology & Therapy 6, no 5, 2007, p. 811-13, doi : 10.416/cbt.6.5.4420
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10. Le cheminement intellectuel sinueux, avec ses fausses pistes, ses
marches épuisantes et ses raccourcis bien inspirés, qui a finalement révélé
que le cancer est causé par l'altération de gènes humains endogènes mérite
un livre à lui seul (voir par exemple le précédent ouvrage de l'auteur,
L'Empereur de toutes les maladies, N.D.T.). Dans les années 1970, la
théorie dominante de la carcinogenèse était que tous les cancers ou presque
étaient dus à des virus. Des expériences originales menées par plusieurs
scientifiques, dont Harold Varmus et J. Michael Bishop de l'UCSF ont
révélé, avec surprise, que ces virus causaient le cancer en faussant l'activité
de gènes cellulaires appelés proto-oncogènes. Les vulnérabilités, pour
résumer, étaient déjà présentes au sein du génome humain. Les cancers
surviennent lorsque ces gènes sont mutés, ce qui entraîne un dérèglement de
la croissance cellulaire.
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11. Bert Vogelstein et Kenneth W. Kinzler, « The multistep nature of
cancer », Trends in Genetics 9, no 4, 1993, p. 138-41.
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12. Valrie Plaza, American Mass Murderer, Lulu Press, Raleigh, NC, 2015,
« Chapter 57 : James Oliver Huberty ».
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13. « Schizophrenia in the National Academy of Sciences – National
Research Council Twin Registry : A 16-year update », American Journal of
Psychiatry 140, no 12, 1983, p. 1551-63, doi : 10.1176ajp.140.12.1551
▲ Retour au texte
14. D. H. O'Rourke et coll., « Refutation of the general single locus model
for the etiology of schizophrenia », American Journal of Human Genetics
34, no 4, 1982, p. 630.
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15. Peter McGuffin et coll., « Twin concordance for operationally defined
schizophrenia : Confirmation of familiality and heritability », Archives of
General Psychiatry 41, no 6, 1984, p. 541-45.
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16. James Q. Wilson et Richard J. Herrnstein, Crime and Human Nature :
The Definitive Study of the Causes of Crime, Simon & Schuster, New York,
1985.
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17. Matt DeLisi, « James Q. Wilson », in Fifty Thinkers in Criminology,
Keith Hayward, Jayne Mooney et Shadd Maruna (dir.), Routledge, Londres,
2010, p. 192-96.
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18. Doug Struck, « The Sun (1837-1988) », Baltimore Sun, 2 février 1986,
p. 79.
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19. Kary Mullis, « Nobel Lecture : The polymerase chain reaction »,
8 décembre 1993, nobelprize.org,
www.nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/1993/mullis-
lecture.html
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20. Cette enzyme avait la propriété cruciale de résister à la chaleur qui
servait à séparer les brins d'ADN à la fin de chaque cycle de leur synthèse
(N.D.T.).
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21. Sharyl J. Nass et Bruce Stillman, Large-Scale Biomedical Science :
Exploring Strategies for Future Research, National Academies Press,
Washington, DC, 2003, p. 33.
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22. McElheny, Drawing the Map of Life, p. 65.
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23. « About NHGRI : A Brief History and Timeline », genome.gov,
www.genome.gov/10001763
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24. McElheny, Drawing the Map of Life, p. 89.
▲ Retour au texte
25. Ibid.
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26. J. David Smith, « Carrie Elizabeth Buck (1906-1983) », Encyclopedia
Virginia,
www.encyclopediavirginia.org/Buck_Carrie_Elizabeth_1906-1983
▲ Retour au texte
27. Ibid.
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1. Jonathan Swift et Thomas Roscoe, The Works of Jonathan Swift, DD :
With Copious Notes and Additions and a Memoir of the Author, vol. 1,
Derby, New York, 1859, p. 247-48.
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2. Justin Gillis, « Gene-mapping controversy escalates ; Rockville firm says
government officials seek to undercut its effort », Washington Post, 7 mars
2000.
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3. L. Roberts, « Gambling on a Shortcut to Genome Sequencing », Science
252, no 5013, 1991, p. 1618-19.
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4. Lisa Yount, A to Z of Biologists, Facts On File, New York, 2003, p. 312.
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5. J. Craig Venter, A Life Decoded : My Genome, My Life, Viking, New
York, 2007, p. 97.
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6. Des segments d'ADN associés aux gènes appelés « promoteurs » peuvent
être comparés à des interrupteurs qui portent l'information du lieu et du
moment où les gènes sont activés (par exemple, le gène de l'hémoglobine ne
s'exprime que dans les cellules produisant les globules rouges). D'autres
segments d'ADN informatif décident du lieu et du moment où le gène est
inactif (par une telle séquence, les gènes codant les protéines du
métabolisme du lactose sont réduits au silence dans la bactérie jusqu'à ce
que le lactose devienne le nutriment dominant). Il est remarquable que ces
interrupteurs de gènes, découverts d'abord chez la bactérie, soient conservés
dans tous les systèmes biologiques.
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7. La stratégie de Venter de séquencer les parties de l'ADN codant des
protéines ou des ARN non messagers allait s'avérer une ressource très
précieuse pour les généticiens. Elle a servi à révéler des parties du génome
qui étaient « actives », et donc permis aux spécialistes de les replacer dans
le génome entier.
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8. R. Cook-Deegan et C. Heaney, « Patent in genomics and human
genetics », Annual Review of Genomics and Human Genetics 11, 2010,
p. 383-425, doi : 10.1146/annurev-genom-082509-141811
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9. Edmund L. Andrews, « Patents ; Unaddressed Question in Amgen
Case », New York Times, 9 mars 1991.
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10. Sulston et Ferry, Common Thread, p. 87.
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11. Pamela R. Winnick, A Jealous God : Science's Crusade against
Religion, Nelson Current, Nashville, TN, 2005, p. 225.
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12. Eric Lander, entretien avec l'auteur, 2015.
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13. L. Roberts, « Genome Patent Fight Erupts », Science 254, no 5029,
1991, p. 184-86.
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14. Par exemple dans le célèbre film parodique Frankenstein Junior sorti en
1974 (N.D.T.).
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15. Venter, Life Decoded, p. 153.
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16. Hamilton O. Smith et coll., « Frequency and distribution of DNA
uptake signal sequences in the Haemophilus influenzae Rd genome »,
Science 269, no 5223, 1995, p. 538-40.
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17. Venter, Life Decoded, p. 212.
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18. Ibid., p. 219.
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19. Eric Lander, entretien avec l'auteur, octobre 2015.
▲ Retour au texte
20. Ibid.
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21. HGS a été lancé par William Haseltine, un ancien professeur de Harvard
qui espérait découvrir de nouveaux médicaments en utilisant la génomique.
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22. « 1998 : Genome of roundworm C. elegans sequenced », genome.gov,
www.genome.gov/25520394
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23. Estimer le nombre de gènes d'un organisme est une chose compliquée et
repose sur ce que l'on entend par gène. Avant l'arrivée du séquençage des
génomes, les gènes étaient identifiés par leur fonction. Cependant, le
séquençage d'un génome entier ne prend pas en compte la fonction des
gènes : c'est comme identifier toutes les lettres d'une encyclopédie sans se
référer à ce que les mots ou les lettres signifient. Le nombre de gènes est
alors estimé en examinant la séquence du génome et en identifiant les
morceaux d'ADN qui ressemblent à des gènes, c'est-à-dire qui contiennent
des séquences de régulation, qui sont transcrits en une séquence d'ARN ou
bien encore qui ressemblent à d'autres gènes trouvés dans d'autres
organismes. Mais ce nombre est amené à évoluer au fur et à mesure de nos
connaissances sur la structure et la fonction des gènes. Actuellement, on
estime que le ver C. elegans a près de 19 500 gènes, mais ce nombre va
encore bouger avec notre compréhension accrue des gènes.
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24. Borbála Tihanyi et coll., « The C. elegans Hox gene ceh-13 regulates
cell migration and fusion in a non-colinear way. Implications for the early
evolution of Hox clusters », BMC Developmental Biology 10, no 78, 2010,
doi : 10.1186/1471-213X-10-78
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25. Science 282, no 5396, 1998, p. 1945-2140.
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26. Mike Hunkapiller fut en partie responsable d'un développement crucial
dans le séquençage des génomes, celui des machines à séquencer semi-
automatiques qui pouvaient séquencer rapidement des milliers de bases
d'ADN.
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27. David Dickson et Colin Macilwain, « It's a G : The one-billionth
nucleotide », Nature 402, no 6760, 1999, p. 331.
▲ Retour au texte
28. Declan Butler, « Venter's Drosophila “success” set to boost human
genome efforts », Nature 401, no 6755, 1999, p. 729-30.
▲ Retour au texte
29. « The Drosophila genome », Science 287, no 546, 2000, p. 2105-364.
▲ Retour au texte
30. David N. Cooper, Human Gene Evolution, BIOS Scientific Publishers,
Oxford, 1999, p. 21.
▲ Retour au texte
31. William K. Purves, Life : The Science of Biology, Sinauer Associates,
Sunderland, MA, 2001, p. 262.
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32. Marsh, William Blake, p. 56.
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33. Citation du directeur à Berkeley sur le projet du génome de la
drosophile, Gerry Rubin, in Robert Sanders, « UC Berkeley collaboration
with Celera Genomics concludes with publication of nearly complete
sequence of the genome of the fruitfly », communiqué de presse, UC
Berkeley, 24 mars 2000,
www.berkeley.edu/news/media/releases/2000/03/03-24-2000.html
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34. The Age of the Genome, BBC Radio 4,
www.bbc.co.uk/programmes/b00ss2rk
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35. James Shreeve, The Genome War : How Craig Venter Tried to Capture
the Code of Life and Save the World, Alfred A. Knopf, New York, 2004,
p. 350.
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36. Pour plus de détails sur cette histoire, voir ibid. Voir aussi Venter, Life
Decoded, p. 97.
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37. « June 2000 White House Event », genome.gov,
www.genome.gov/10001356
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38. « President Clinton, British Prime Minister Tony Blair deliver remarks
on human genome milestone », CNN.com Transcripts, 26 juin 2000.
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39. La séquence décrite par le groupe de Venter présentait des contributions
d'hommes et de femmes mais celle d'une seule de ces personnes n'avait pas
encore été achevée.
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40. Shreeve, Genome War, p. 360.
▲ Retour au texte
41. McElheny, Drawing the Map of Life, p. 163.
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42. Eric Lander, entretien avec l'auteur, octobre 2015.
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43. Shreeve, Genome War, p. 364.
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1. Les détails sur le Projet du génome humain viennent de « Human
genome far more active than thought », Wellcome Trust, Sanger Institute,
5 septembre 2012, www.sanger.ac.uk/about/press/2012/120905.html ;
Venter, Life Decoded ; Committee on Mapping and Sequencing the Human
Genome, Mapping and Sequencing the Human Genome, National Academy
Press, Washington, DC, 1988, www.nap.edu/read/1097/chapter/1
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2. Lewis Carroll, Alice in Wonderland, W. W. Norton, New York, 2013.
▲ Retour au texte
1. Extrait du roman The Help de Kathryn Stockett publié en 2009, traduit en
2010 en français sous le titre La Couleur des sentiments.
▲ Retour au texte
2. « Who is blacker Charles Barkley or Snoop Dogg », YouTube, 19 janvier
2010, www.youtube.com/watch ?v=yHfX-11ZHXM
▲ Retour au texte
3. Franz Kafka, The Basic Kafka, Pocket Books, New York, 1979, p. 259.
▲ Retour au texte
4. Everett Hughes, « The making of a physician : General statement of ideas
and problems », Human Organization 14, no 4, 1955, p. 21-25.
▲ Retour au texte
5. Allen Verhey, Nature and Altering It, William B. Eerdmans, Grand
Rapids, MI, 2010, p. 19. Voir aussi Matt Ridley, Genome : The
Autobiography of a Species in 23 Chapters, HarperCollins, New York,
1999, p. 54.
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6. Committee on Mapping and Sequencing, Mapping and Sequencing,
p. 11.
▲ Retour au texte
7. Louis Agassiz, « On the origins of species », American Journal of
Science and Arts 30, 1860, p. 142-54.
▲ Retour au texte
8. Douglas Palmer, Paul Pettitt et Paul G. Bahn, Unearthing the Past : The
Great Archaeological Discoveries That Have Changed History, Globe
Pequot, Guilford, CT, 2005, p. 20.
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9. Popular Science Monthly 100, 1922.
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10. Rebecca L. Cann, Mork Stoneking et Allan C. Wilson, « Mitochondrial
DNA and human evolution », Nature 325, 1987, p. 31-36.
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11. Wilson a été inspiré par deux géants de la biochimie, Linus Pauling et
Émile Zuckerkandl, qui avaient proposé une façon entièrement nouvelle de
penser le génome, vu sous la forme d'un ensemble d'informations non
seulement nécessaire à la construction d'un organisme individuel mais
correspondant aussi à son histoire évolutive : une « horloge moléculaire ».
Le biologiste de l'évolution japonais Motoo Kimura a aussi développé cette
théorie.
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12. On peut rechercher ces mutations sur ce qui est partagé de père en fils,
le chromosome Y ; indépendamment des rares mutations apparues, l'auteur
indique aussi plus haut une solution différente au problème : l'arrière-grand-
père et le petit fils pourront être repérés parce que le dernier ne partage en
moyenne que le huitième de son génome avec son aïeul (et vice versa)
(N.D.T.).
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13. Voir Chuan Ku et coll., « Endosymbiotic origin and differential loss of
eukaryotic genes, Nature 524, 2015, p. 427-32.
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14. Thomas D. Kocher et coll., « Dynamic of mitochondrial DNA evolution
in animals : Amplification and sequencing with conserved primers »,
Proceedings of the National Academy of Sciences 86, no 1, 1989, p. 6196-
200.
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15. David M. Irwin, Thomas D. Kocher et Allan C. Wilson, « Evolution of
the cytochrome-b gene of mammals », Journal of Molecular Evolution 32,
no 2, 1991, p. 128-44 ; Linda Vigilant et coll., « African populations and the
evolution of human mitochondrial DNA », Science 253, no 5027, 1991,
p. 1503-7 ; Anna Di Rienzo et Allan C. Wilson, « Branching pattern in the
evolutionary tree for human mitochondrial DNA », Proceedings of the
National Academy of Science 88, no 5, 1991, p. 1597-601.
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16. Jun Z. Li et coll., « Worldwide human relationship inferred from
genome-wide patterns of variation », Science 319, no 5866, 2008, p. 1100-
104.
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17. La découverte récente au Maroc d'un crâne fossile d'Homo sapiens fait
remonter l'âge des premiers Homo sapiens à plus de trois cent mille ans
(N.D.T.).
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18. John Roach, « Massive genetic study supports “out of Africa” theory »,
National Geographic News, 21 février 2008.
▲ Retour au texte
19. Lev A. Zhivotovsky, Noah A. Rosenberg et Marcus W. Feldman,
« Features of evolution and expansion of modern humans, inferred from
genomewide microsatellite markers », American Journal of Human
Genetics 72, no 5, 2003, p. 1171-86.
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20. Noah Rosenberg et coll., « Genetic structure of human populations »,
Science 298, no 5602, 2002, p. 2381-85. On peut trouver une carte des
migrations humaines dans l'article de L. L. Cavalli-Sforza et Marcus W.
Feldman, « The application of molecular genetic approaches to the study of
human evolution », Nature Genetics 33, 2003, p. 266-75.
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21. Au sujet de l'origine de l'homme en Afrique du Sud, voir Brenna M.
Henn et coll., « Hunter-gatherer genomic diversity suggests a southern
African origin for modern humans », Proceedings of the National Academy
of Sciences 108, no 13, 2011, p. 5154-62. Voir aussi Brenna M. Henn, L. L.
Cavalli-Sforza et Marcus W. Feldman, « The great human expansion »,
Proceedings of the National Academy of Sciences 109, no 44, 2012,
p. 17758-64.
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22. Si l'origine de ce groupe fut dans l'Afrique du Sud-Ouest, comme le
suggèrent de récentes études, il a dû se déplacer largement vers l'est et le
nord.
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23. Christopher Stringer, « Rethinking “out of Africa” editorial », Edge,
12 novembre 2011, http://edge.org/conversation/rethinking-out-of-africa
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24. H. C. Harpending et coll., « Genetic traces of ancient demography »,
Proceedings of the National Academy of Sciences 95, 1998, p. 1961-67 ; R.
Gonseet et coll., « Microsatellite mutations and inferences about human
demography », Genetic 154, 2000, p. 1793-1807 ; A. M. Bowcock et coll.,
« High resolution of human evolutionary trees with polymorphic
microsatellites », Nature 368, 1994, p. 455-57 ; et C. Diet et coll., « A
comprehensive genetic map of the human genome based on 5,264
microsatellites », Nature 380, 1996, p. 152-54.
▲ Retour au texte
25. Anthony P. Polednak, Racial and Ethnic Differences in Disease, Oxford
University Press, Oxford, 1989, p. 32-33.
▲ Retour au texte
26. M. W. Feldman et R. C. Lewontin, « Race, ancestry, and medicine », in
Revisiting Race in a Genomic Age, B. A. Koenig, S. S. Lee et S. S.
Richardson (dir.), Rutgers University Press, New Brunswick, NJ, 2008. Voir
aussi Li et coll., « Worldwide human relationships inferred from genome-
wide patternof variation », p. 1100-104.
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27. L. Cavalli-Sforza, Paola Menozzi et Alberto Piazza, The History and
Geography of Human Genes, Princeton University Press, Princeton, NJ,
1994, p. 19.
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28. Stockett, Help.
▲ Retour au texte
29. L. Cavalli-Sforza, Paola Menozzi et Alberto Piazza, The History and
Geography of Human Genes, Princeton University Press, Princeton, NJ,
1994, p. 19.
▲ Retour au texte
30. Richard Herrnstein et Charles Murray, The Bell Curve, Simon &
Schuster, New York, 1994.
▲ Retour au texte
31. « La courbe en cloche », répartition statistique symétrique autour d'une
valeur moyenne (N.D.T.).
▲ Retour au texte
32. « The “Bell Curve” agenda », New York Times, 24 octobre 1994.
▲ Retour au texte
33. Wilson et Herrnstein, Crime and Human Nature.
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34. Charles Spearman, « “General Intelligence”, objectively determined and
measured », American Journal of Psychology 15, no 2, 1904, p. 201-92.
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35. Le concept de QI a été initialement élaboré par le psychologue allemand
William Stern.
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36. Allusion à l'ouvrage de R. Dawkins, Le Gène égoïste (N.D.T.).
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37. Louis Leon Thurstone, « The absolute zero in intelligence
measurement », Psychological Review 35, no 3, 1928, p. 175 ; et L.
Thurstone, « Some primary abilities in visual thinking », Proceedings of the
American Philosophical Society, 1950, p. 517-21. Voir aussi Howard
Gardner et Thomas Hatch, « Educational implications of the theory of
multiple intelligences », Educational Researcher 18, no 8, 1989, p. 4-10.
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38. Herrnstein et Murray, Bell Curve, p. 284.
▲ Retour au texte
39. George A. Jervis, « The mental deficiencies », Annals of the American
Academy of Political and Social Science, 1953, p. 25-33. Voir aussi Otis
Dudley Duncan, « Is the intelligence of the general population
declining ? », American Sociological Review 17, no 4, 1952, p. 401-7
▲ Retour au texte

40. Des estimations plus récentes ont ramené ce chiffre à 0,6-0,7. Quand les
données des années 1950 ont été réexaminées les décennies suivantes par
plusieurs psychologues, dont Leon Kamin, on trouva que les méthodes
utilisées étaient suspectes, ce qui remit en question les estimations initiales.
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41. Les variables particulières évaluées par Murray et Herrnstein méritent
un commentaire. Ils se sont demandés si les Afro-américains n'étaient pas
profondément méfiants au sujet des tests et des notes et les rendaient
réticents à faire des évaluations du QI. Pourtant, des expériences
ingénieuses pour mesurer et écarter un tel effet n'ont pu réduire l'écart de 15
points. Ils ont considérés que les tests pouvaient être culturellement biaisés.
Cependant, même en retirant toute référence culturelle ou propre à une
classe sociale, cet écart subsistait toujours relèvent Murray et Herrnstein.
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42. Eric Turkheimer, « Consensus and controversy about IQ »,
Contemporary Psychology 35, no 5, 1990, p. 428-30. Voir aussi Eric
Turkheimer et coll., « Socio economic status modifies heritability of IQ in
young children », Psychological Science 14, no 6, 2003, p. 623-28.
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43. On peut difficilement imaginer un meilleur argument génétique en
faveur de l'égalité. Il est impossible d'établir un potentiel génétique humain
avant d'avoir égalisé le milieu.
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44. Stephen Jay Gould, « Curve ball », New Yorker, 28 novembre 1994,
p. 139-40.
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45. Orlando Patterson, « For Whom the Bell Curves », in The Bell Curve
Wars : Race, Intelligence, and the Future of America, Steven Fraser (dir.),
Basic Books, New York, 1995.
▲ Retour au texte
46. William Wright, Born That Way : Genes, Behavior, Personality,
Routledge, Londres, 2013, p. 195.
▲ Retour au texte
47. Herrnstein et Murray, Bell Curve, p. 300-305.
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48. Sandra Scarr et Richard A. Weinberg, « Intellectual similarities within
families of both adopted and biological children », Intelligence 1, no 2,
1977, p. 170-91.
▲ Retour au texte
49. Alison Gopnik, « To drug or not to drug », Slate, 22 février 2010,
www.slate.com/articles/arts/books/2010/02/to_drug_or_not_to_drug.2.html
▲ Retour au texte
1. Paul Brodwin, « Genetics, identity, and the anthropology of
essentialism », Anthropological Quarterly 75, no 2, 2002, p. 323-30.
▲ Retour au texte
2. « Bien qu'elles soient de sexe différent,/ Pourtant dans l'ensemble elles
sont comme nous,/ Car ceux qui ont le plus cherché parmi nous,/ Ont trouvé
que les femmes sont juste des hommes tournées en dedans » (N.D.T.).
▲ Retour au texte
3. Frederick Augustus Rhodes, The Next Generation, R._G. Badger,
Boston, 1915, p. 74.
▲ Retour au texte
4. Editorials, Journal of the American Medical Association 41, 1903,
p. 1579.
▲ Retour au texte
5. Nettie Maria Stevens, Studies in Spermatogenesis : A Comparative Study
of the Heterochromosomes in Certain Species of Coleoptera, Hemiptera
and Lepidoptera, with Especial Reference to Sex Determination, Carnegie
Institution of Washington, Baltimore, 1906.
▲ Retour au texte
6. Avec autant de complications, c'est une pure merveille que le système
XY de détermination du sexe existe seulement. Pourquoi un mécanisme
avec autant de risques a-t-il évolué chez les mammifères ? Pourquoi, parmi
tous les endroits possibles, le gène de détermination du sexe se retrouve-t-il
porté par un chromosome unique, en lieu hostile, où il court le plus de
risques de subir des mutations ?
Pour répondre à cette question, il faut revenir à une question plus
fondamentale : pourquoi la reproduction sexuée a-t-elle été inventée ?
Pourquoi, comme Darwin se le demandait, de nouveaux êtres vivants
« sont-ils produits par l'union de deux éléments sexuels au lieu d'un
processus de parthénogenèse » ?
La plupart des biologistes de l'évolution pensent que la reproduction sexuée
a été créée pour permettre un réassortiment génétique rapide. Il n'y avait
peut-être pas de moyen plus rapide pour mélanger les gènes de deux
organismes qu'en utilisant un ovule et un spermatozoïde. Et même la genèse
de ces derniers entraîne une recombinaison des gènes. Ce puissant
réassortiment des gènes au cours de la reproduction sexuée augmente la
variation. Celle-ci, à son tour, augmente les chances d'adaptation et de
survie d'un organisme dans un environnement en constant changement.
L'expression reproduction sexuée est donc une parfaite erreur d'appellation.
Le but évolutif de la sexualité n'est pas la « reproduction ». Beaucoup
d'organismes peuvent faire des copies de très bonne qualité d'eux-mêmes,
des reproductions, en l'absence d'activité sexuelle. La sexualité a été
inventée pour la raison opposée, permettre la recombinaison.
Mais « reproduction sexuée » et « détermination du sexe » ne sont pas la
même chose. Même si nous reconnaissons les nombreux avantages de la
reproduction sexuée, nous pouvons nous demander pourquoi la plupart des
mammifères utilisent le système XY pour la détermination du sexe. Bref,
pourquoi le Y ? Nous ne savons pas. Le système XY a été inventé au fil de
l'évolution il y a des dizaines de millions d'années. Chez les oiseaux, les
reptiles et certains insectes, le système est inversé : les femelles portent
deux chromosomes différents alors que les mâles ont deux chromosomes
identiques. Et chez d'autres animaux, certains reptiles et poissons, le sexe
est déterminé par la température de l'œuf ou la taille de l'organisme par
rapport à ses concurrents. Ces systèmes seraient antérieurs au système XY
des mammifères. Mais pourquoi ce dernier s'est fixé chez les mammifères,
et pourquoi il sert encore, reste un mystère. Avoir deux sexes présente
quelques avantages évidents. Les mâles et les femelles peuvent effectuer
des tâches spécialisées et tenir des rôles différents dans l'élevage des petits.
Mais avoir deux sexes ne requiert pas pour autant un chromosome Y en tant
que tel. Peut-être que l'évolution est tombée sur le chromosome Y comme
une solution rapide et approximative pour la détermination du sexe.
Confiner la détermination génétique de la masculinité sur un chromosome
séparé et en confier le contrôle à un puissant gène maître paraît bien sûr
faisable. Pourtant, c'est une solution imparfaite à long terme car en
l'absence d'une copie de sauvegarde, les gènes de détermination du
caractère mâle sont très vulnérables. Avec l'évolution de notre espèce, on va
peut-être perdre complètement le Y et revenir à un système où les femelles
ont deux chromosomes X tandis que les mâles n'en auront qu'un, système
appelé XO. Le chromosome Y, dernier trait génétique identifiable de
masculinité, ne sera alors plus indispensable.
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7. Kathleen M. Weston, Blue Skies and Bench Space : Adventures in Cancer
Research, Cold Spring Harbor Laboratory Press, Cold Spring Harbor, NY,
2012, « Chapter 8 : Walk This Way ».
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8. G. I. M. Swyer, « Male pseudohermaphroditism : A hitherto undescribed
form », British Medical Journal 2, no 494, 1955, p. 709.
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9. Ansbert Schneider-Gädicke et coll., « ZFX has a gene structure similar to
ZFY, the putative human sex determinant, and escapes X inactivation »,
Cell 57, no 7, 1989, p. 1247-58.
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10. Philippe Berta et coll., « Genetic evidence equating SRY and the testis-
determining factor », Nature 348, no 6300, 1990, p. 448-50.
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11. Ibid., John Gubbay et coll., « A gene mapping to the sex-determining
region of the mouse Y chromosome is a member of a novel family of
embryonically expressed genes », Nature 346, 1990, p. 245-50 ; Ralf J.
Jäger et coll., « A human XY female with a frame shift mutation in the
candidate testis- determining gene SRY gene », Nature 348, 1990, p. 452-
54 ; Peter Koopman et coll., « Expression of a candidate sex-determining
gene during mouse testis differentiation », Nature 34, 1990, p. 450-52 ;
Peter Koopman et coll., « Male development of chromosomally female
mice transgenic for SRY gene », Nature 351, 1991, p. 117-21 ; Andrew H.
Sinclair et coll., « A gene from the human sex-determining region encodes a
protein with homology to a conserved DNA-binding motif », Nature 346,
1990, p. 240-44.
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12. Pour plus de détails, voir K. Koopman et al., « Male development of
chromosomally female mice transgenic for SRY », Nature no 351, 1991,
p. 117-121 (N.D.T.).
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13. « IAmA young woman with Swyer syndrome (also called XY gonadal
dysgenesis) », Reddit, 2011,
www.reddit.com/r/IAmA/comments/e792p/iama_young_woman_with_swy
er_syndrome_also_called/
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14. Et que penser de « l'intersexualité », c'est-à-dire le fait que certaines
personnes naissent avec une anatomie ou une physiologie de la
reproduction qui ne correspond pas à la définition typique du corps d'un
homme ou d'une femme ? Est-ce que l'intersexualité contredit l'idée d'un
fort interrupteur génétique contrôlant l'anatomie et la physiologie sexuelle ?
Non. Le gène SRY se trouve au sommet de la cascade d'événements qui
produit des mâles, il active ou inactive des gènes qui, à leur tour, activent ou
inactivent d'autres réseaux de gènes pour produire divers aspects de
l'anatomie et de la physiologie liés au sexe et à la reproduction. Des
variations dans ces réseaux en aval, interagissant avec des variations
d'exposition à divers facteurs et des variations de l'environnement, peuvent
entraîner des variations dans l'anatomie de l'appareil reproducteur, même si
un fort interrupteur se trouve au sommet de la cascade. Nous reviendrons à
plusieurs reprises plus loin sur ce thème, celui des hiérarchies dans les
réseaux génétiques, avec de puissants facteurs déclenchants autonomes au
sommet et des intégrateurs et des effecteurs plus nuancés organisés en aval.
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15. Les détails de l'histoire de David Reimer viennent du livre de John
Colapinto, As Nature Made Him : The Boy Who Was Raised as a Girl,
HarperCollins, New York, 2000.
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16. Personnage central du film musical My Fair Lady de George Cukor,
professeur qui se fixe pour objectif de transformer les manières d'une jeune
femme populaire en celles d'une aristocrate (N.D.T.).
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17. John Money, A First Person History of Pediatric Psychoendocrinology,
Springer Science & Business Media, Dordrecht, 2002, « Chapter 6 : David
and Goliath ».
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18. Gerald N. Callahan, Between XX and XY, Chicago Review Press,
Chicago, 2009, p. 129.
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19. J. Michael Bostwick et Kari A. Martin, « A man's brain in an ambiguous
body : A case of mistaken gender identity », American Journal of
Psychiatry 164, no 10, 2007, p. 1499-505.
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20. Ibid.
▲ Retour au texte
21. Heino F. L. Meyer-Bahlburg, « Gender identity outcome in female-
raised 46, XY persons with penile agenesis, cloacal exstrophy of the
bladder, or penile ablation », Archives of Sexual Behavior 34, no 4, 2005,
p. 423-38.
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22. Otto Weininger, Sex and Character : An Investigation of Fundamental
Principles, Indiana University Press, Bloomington, 2005, p. 2.
▲ Retour au texte
23. Carey Reed, « Brain “gender” more flexible than once believed, study
finds », PBS NewsHour, 5 avril 2015,
www.pbs.org/newshour/rundown/brain-gender-flexible-believed-study-
finds/. Voir aussi Bridget M. Nugent et coll., « Brain feminization requires
active repression of masculinization via DNA methylation », Nature
Neuroscience 18, 2015, p. 690-97.
▲ Retour au texte
1. Wright, Born That Way, p. 27.
▲ Retour au texte
2. Sándor Lorand et Michael Balint (dir.), Perversions : Psychodynamics
and Therapy, Random House, New York, 1956 ; repr. Ortolan Press,
Londres, 1965, p. 75.
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3. Bernard J. Oliver Jr., Sexual Deviation in American Society, New College
and University Press, New Haven, CT, 1967, p. 146.
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4. Irving Bieber, Homosexuality : A Psychoanalytic Study, Jason Aronson,
Lanham, MD, 1962, p. 52.
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5. Jack Drescher, Ariel Shidlo et Michael Schroeder, Sexual Conversion
Therapy : Ethical, Clinical and Research Perspectives, CRC Press, Boca
Raton, FL, 2002, p. 33.
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6. « The 1992 campaign : The vice president ; Quayle contends
homosexuality is a matter of choice, not biology », New York Times,
14 septembre 1992, www.nytimes.com/1992/09/14/us/1992-campaign-vice-
president-quayle-contends-homosexuality-matter-choice-not.html
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7. David Miller, « Introducing the “gay gene” : Media and scientbic
representations », Public Understanding of Science 4, no 3, 1995, p. 26984,
www.academia.edu/3172354/Introducing_the_Gay_Gene_Media_and_Scie
ntific_Representations
▲ Retour au texte
8. C. Sarler, « Moral majority gets its genes all in a twist », People,
juillet 1993, p. 27.
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9. La Filiation de l'homme, et la sélection liée au sexe (N.D.T.).
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10. Richard C. Lewontin, Steven P. R. Rose et Leon J. Kamin, Not in Our
Genes : Biology, Ideology, and Human Nature, Pantheon Books, New York,
1984.
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11. Ibid., p. 261.
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12. J. Michael Bailey et Richard C. Pillard, « genetic study of male sexual
orientation », Archives of General Psychiatry 48, no 1, 1991, p. 1089-96.
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13. Un environnement intra-utérin commun, ou des expositions communes
durant la gestation pourraient expliquer en partie cette concordance, mais le
fait que des faux jumeaux partagent ces environnements et présentent
pourtant une concordance plus faible plaide contre cette hypothèse.
L'argument génétique est aussi renforcé par le fait que les frères et sœurs
d'homosexuels non jumeaux ont aussi un taux de concordance plus élevé
que dans la population générale (bien que plus faible que celui des vrais
jumeaux). De futures études pourraient révéler une combinaison de facteurs
génétiques et environnementaux dans la détermination de la préférence
sexuelle, mais la génétique restera probablement un facteur important.
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14. Frederick L. Whitam, Milton Diamond et James Martin, « Homosexual
orientation in twins : A report on 61 pairs and three triplet sets », Archives
of Sexual Behavior 22, no 3, 1993, p. 187-206.
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15. Dean Hamer, Science of Desire : The Gay Gene and the Biology of
Behavior, Simon & Schuster, New York, 2011, p. 40.
▲ Retour au texte
16. « The “gay gene” debate », Frontline, PBS,
www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/assault/genetics/
▲ Retour au texte
17. Richard Horton, « Is homosexuality inherited ? », Frontline, PBS,
www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/assault/genetics/nyreview.html
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18. Timothy F. Murphy, Gay Science : The Ethics of Sexual Orientation
Research, Columbia University Press, New York, 1997, p. 144.
▲ Retour au texte
19. M. Philip, « A review of Xq28 and the effect on homosexuality »,
Interdisciplinary Journal of Health Science 1, 2010, p. 44-48.
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20. Dean H. Hamer et coll., « A linkage between DNA markers on the X
chromosome and male sexual orientation », Science 261, no 511, 1993,
p. 321-27.
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21. Brian S. Mustanski et coll., « A genomewide scan of male sexual
orientation », Human Genetics 116, no 4, 2005, p. 272-78.
▲ Retour au texte
22. A. R. Sanders et coll., « Genome-wide scan demonstrates significant
linkage for male sexual orientation », Psychological Medicine 45, no 7,
2015, p. 1379-88.
▲ Retour au texte
23. Elizabeth M. Wilson, « Androgen receptor molecular biology and
potential targets in prostate cancer », Therapeutic Advances in Urology 2,
no 3, 2010, p. 105-17.
▲ Retour au texte
24. Macfarlane Burnet, Genes, Dreams and Realities, Springer Science &
Business Media, Dordrecht, 1971, p. 170.
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25. La Génétique, rêves et réalité (1975) (N.D.T.).
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26. Nancy L. Segal, Born Together – Reared Apart : The
LandmarMinnesota Twin Study, Harvard University Press, Cambridge,
2012, p. 4.
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27. Wright, Born That Way, p. viii.
▲ Retour au texte
28. Ibid., p. vii.
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29. Thomas J. Bouchard et coll., « Sources of human psychological
differences : The Minnesota study of twins reared apart », Science 250,
no 497, 1990, p. 223-28.
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30. Des versions antérieures étaient parues en 1984 et en 1987.
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31. Richard P. Ebstein et coll., « Genetics of human social behaviour »,
Neuron 65, no 6, 2010, p. 831-44.
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32. Wright, Born That Way, p. 52.
▲ Retour au texte
33. Ibid., p. 63-67
▲ Retour au texte
34. Ibid., p. 28.
▲ Retour au texte
35. Ibid., p. 74.
▲ Retour au texte
36. Ibid., p. 70.
▲ Retour au texte
37. Ibid., p. 65.
▲ Retour au texte
38. Ibid., p. 80.
▲ Retour au texte
39. Richard P. Ebstein et coll., « Dopamine D4 receptor (D4DR) exon III
polymorphism associated with the human personality trait of novelty
seeking », Nature Genetics 12, no 1, 1996, p. 78-80.
▲ Retour au texte
40. Luke J. Matthews et Paul M. Butler, « Novelty seeking DRD4
polymorphisms are associated with human migration distance out of Africa
after controlling for neutral population gene structure », American Journal
of Physical Anthropology 145, no 3, 2011, p. 382-89.
▲ Retour au texte
41. Lewis Carroll, Alice in Wonderland, W. W. Norton, New York, 2013.
▲ Retour au texte
42. « Three laws of behavior genetics and what they mean », Current
Directions in Psychological Science 9, no 5, 2000, p. 160-64 ; E.
Turkheimer et M. C. Waldron, « Nonshared environment : theoretical,
methodological, and quantitative review », Psychological Bulletin 12, 2000,
p. 78-108.
▲ Retour au texte
43. Robert Plomin et Denise Daniels, « Why are children in the same family
so different from one another ? », Behavioral and Brain Sciences 10, no 1,
1987, p. 1-16.
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44. Peut-être que l'étude récente la plus troublante sur le hasard, l'identité et
la génétique vient du laboratoire de Alexander van Oudenaarden, un
biologiste du ver au MIT. Il a utilisé le ver comme modèle pour se poser
l'une des questions les plus difficiles sur le hasard et les gènes : pourquoi
deux animaux ayant le même génome et vivant au même endroit, des
jumeaux parfaits, ont-ils des sorts différents ? Il a examiné la mutation d'un
gène, skn-1, qui est « partiellement pénétrante », c'est-à-dire qu'un ver avec
la mutation présentera le phénotype mutant (des cellules se forment dans
l'intestin) alors que son jumeau qui a la même mutation ne l'aura pas (pas de
cellules formées). Qu'est-ce qui détermine cette différence entre les deux
vers ? Pas les gènes, ni l'environnement. Comment le même génotype peut-
il causer deux phénotypes différents ? Van Oudenaarden a trouvé que le
niveau d'expression d'un seul gène régulateur appelé end-1 était déterminant
pour cela. Le taux d'expression de end-1, c'est-à-dire le nombre de copies
d'ARN produites lors d'une phase particulière du développement du ver,
variait entre les individus par un effet aléatoire ou stochastique, c'est-à-dire
sous l'effet du hasard. Si l'expression du gène dépasse un certain niveau, le
ver présente le phénotype, autrement non. Le sort reflète ainsi les
fluctuations aléatoires d'une seule molécule dans le corps du ver. Pour plus
de détails, voir Arjun Raj et coll., « Variability in gene expression underlies
incomplete penetrance », Nature, 463, p. 913-18, 2010.
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45. William Shakespeare, La Tempête, acte 4, scène 1.
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1. Nessa Carey, The Epigenetics Revolution : How Modern Biology Is
Rewriting Our Understanding of Genetics, Disease, and Inheritance,
Columbia University Press, New York, 2012, p. 5.
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2. Evelyn Fox Keller, citée dans Margaret Lock et Vinh-Kim Nguyen, An
Anthropology of Biomedicine, John Wiley & Sons, Hoboken, NJ, 2010.
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3. Erich D. Jarvis et coll., « For whom the bird sings : Context-dependent
gene expression », Neuron 21, no 4, 1998, p. 775-88.
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4. Conrad Hal Waddington, The Strategy of the Genes : A Discussion of
Some Aspects of Theoretical Biology, Allen & Unwin, Londres, 1957, ix,
p. 262.
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5. Max Hastings, Armageddon : The Battle for Germany 1944-1945, Alfred
A. Knopf, New York, 2004, p. 414.
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6. Bastiaan T. Heijmans et coll., « Persistent epigenetic difference
associated with prenatal exposure to famine in humans », Proceedings of
the National Academy of Sciences 105, no 44, 2008, p. 17046-49.
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7. Richard Dawkins, The Blind Watchmaker : Why the Evidence of
Evolution Reveals a Universe without Design, W. W. Norton, 1986.
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8. John Gurdon, « Nuclear reprogramming in eggs », Nature Medicine 15,
no 10, 2009, p. 1141-44.
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9. J. B. Gurdon et H. R. Woodland, « The cytoplasmic control of nuclear
activity in animal development », Biological Reviews 43, no 2, 1968,
p. 233-67.
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10. « Sir John B. Gurdon – facts », nobelprize.org,
www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/2012/gurdon-
facts.html
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11. John Maynard Smith, entretien sur le site Web of Stories,
www.webofstories.com/play/john.maynard.smith/78
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12. La technique de Gurdon – vider l'ovule et y insérer un noyau déjà
fécondé – a déjà trouvé une nouvelle application clinique. Certaines
femmes portent des mutations dans les gènes mitochondriaux (les gènes
portés par l'ADN de la mitochondrie, cette centrale énergétique qui vit dans
les cellules). Tous les embryons humains héritent leurs mitochondries
uniquement de l'ovule, c'est-à-dire de la mère. Si la mère porte une mutation
dans ces gènes, alors tous ses enfants en seront affectés. Ces mutations
affectent souvent le métabolisme et causent une fonte musculaire, des
anomalies cardiaques et la mort. Dans une série d'expériences provocantes
en 2009, des généticiens et des embryologistes ont proposé une nouvelle
méthode osée pour traiter ces mutations mitochondriales chez la mère.
Après la fécondation de l'ovule par le spermatozoïde, le noyau résultant a
été transféré dans un ovule aux mitochondries « normales » d'une donneuse.
Comme les mitochondries sont apportées par la donneuse, leurs gènes sont
intacts et les enfants nés ainsi ne porteront plus de mutations maternelles.
Les êtres humains nés de la sorte ont alors trois parents. Le noyau fécondé,
formé de l'union du « père » et de la « mère » apporte tout le matériel
chromosomique. Le troisième parent, c'est-à-dire la femme qui a donné son
ovule, ne contribue que par ses mitochondries et les gènes mitochondriaux.
En 2015, à la suite d'un débat national prolongé, le Royaume-Uni a légalisé
la procédure et une première cohorte de ces enfants « à trois parents » est
née. Ils représentent une frontière inexplorée de la génétique humaine (et du
futur). Aucun animal comparable n'existe à l'évidence dans la nature.
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13. Le scientifique japonais Susumu Ohno avait avancé la possibilité d'une
inactivation du chromosome X avant que ce phénomène ne soit découvert.
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14. L'idée que les histones puissent réguler l'expression des gènes a été
initialement proposée par Vincent Allfrey, un biochimiste de l'université
Rockefeller dans les années 1960. Trente ans plus tard, et comme si la
boucle se refermait dans la même institution, les expériences d'Allis allaient
confirmer « l'hypothèse des histones » d'Allfrey.
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15. K. Raghunathan et coll., « Epigenetic inheritance uncoupled from
sequence-specific recruitment », Science 348, 3 avril 2015, p. 6230.
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16. Des études plus récentes, et des méthodes plus puissantes d'analyse des
méthylations ont toutefois montré des différences entre vrais jumeaux âgés
plus petites qu'attendu. Le domaine reste sujet à controverses et évolue
rapidement.
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17. Jorge Luis Borges, Labyrinths, (trad. James E. Irby), New Directions,
New York, 1962, p. 59-66.
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18. K. Takahashi et S. Yamanaka, « Induction of pluripotent stem cells from
mouse embryonic and adult fibroblast cultures by defined factors », Cell
126, no 4, 2006, p. 663-76. Voir aussi M. Nakagawa et coll., « Generation of
induced pluripotent stem cells without Myc from mouse and human
fibroblasts », Nature Biotechnology 26, no 1, 2008, p. 101-6.
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19. Des expériences effectuées chez le ver et la souris ont aussi démontré
les effets trans-générationnels de la famine, bien qu'il ne soit pas clair si ces
effets persistent ou sont atténués au fil des générations. Certaines de ces
études ont montré l'implication de petits ARN dans la transmission de
l'information d'une génération à l'autre.
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20. James Gleick, The Information : A History, a Theory, a Flood, Pantheon
Books, New York, 2011. Traduction française : L'information. Une histoire,
une théorie, un déluge, Cassini, 2015.
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21. Itay Budin et Jack W. Szostak, « Expanding roles for diverse physical
phenomena during the origin of life », Annual Review of Biophysics 39,
2010, p. 245-63 ; Alonso Ricardo et Jack W. Szostak, « Origin of life on
Earth », Scientific American 301, no 3, 2009, p. 54-61.
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22. Les premières expériences ont été réalisées par Miller avec la
collaboration de Harold Urey de l'université de Chicago ; John Sutherland,
à Manchester, a aussi effectué des expériences clés.
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23. Ricardo et Szostak, « Origin of life on Earth », p. 54-61.
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24. Jack W. Szostak, David P. Bartel et P. Luigi Luisi, « Synthesizing life »,
Nature 409, no 6818, 2001, p. 387-90. Voir aussi Martin M. Hanczyc,
Shelly M. Fujikawa et Jack W. Szostak, « Experimental models of primitive
cellular compartments : Encapsulation, growth, and division », Science 302,
no 5645, 2003, p. 618-22.
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25. Ricardo et Szostak, « Origin of life on Earth », p. 54-61.
▲ Retour au texte
26. Quelques virus ont encore leurs gènes sous forme d'ARN.
▲ Retour au texte
12. Elias G. Carayannis et Ali Pirzadeh, The Knowledge of Culture and the
Culture of Knowledge : Implications for Theory, Policy and Practice,
Palgrave Macmillan, Londres, 2013, p. 90.
▲ Retour au texte
13. Tom Stoppard, The Coast of Utopia, Grove Press, New York, 2007,
« Act Two, August 1852 ».
▲ Retour au texte
1. Gina Smith, The Genomics Age : How DNA Technology Is Transforming
the Way We Live and Who We Are, AMACOM, New York, 2004.
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2. Thomas Stearns Eliot, Murder in the Cathedral, Houghton Mifflin
Harcourt, Boston, 2014. Meurtre dans la cathédrale.
▲ Retour au texte
3. Rudolf Jaenisch et Beatrice Mintz, « Simian virus 40 DNA sequences in
DNA of healthy adult mice derived from preimplantation blastocysts
injected with viral DNA », Proceedings of the National Academy of
Sciences 71, no 4, 1974, p. 1250-54.
▲ Retour au texte
4. M. Capecchi, « The first transgenic mice, An interview with Mario
Capecchi. Interview by Kristin Kain », Disease Models Mechanisms 1,
no 4-5, 2008, p. 197.
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5. Voir par exemple M. R. Capecchi, « High efficiency transformation by
direct microinjection of DNA into cultured mammalian cells », Cell 22,
1980, p. 479-88 ; K. R. Thomas et M. R. Capecchi, « Site-directed
mutagenesis by gene targeting in mouse embryo-derived stem cells », Cell
51, 1987, p. 503-12.
▲ Retour au texte
6. O. Smithies et coll., « Insertion of DNA sequence into the human
chromosomal-globin locus by homologous re- combination », Nature 317,
1985, p. 230-34.
▲ Retour au texte
7. Kiyohito Murai et coll., « Nuclear receptor TLX stimulates hippocampal
neurogenesis and enhances learning and memory in a transgenic mouse
model », Proceedings of the National Academy of Sciences 111, no 25,
2014, p. 9115-20.
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8. Karen Hopkin, « Ready, reset, go », The Scientist, 11 mars 2011,
www.the-scientist.com/ ?articles.view/articleno/29550/title/ready—reset—
go/
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9. Les détails de l'histoire de Ashanti DeSilva proviennent du livre de W.
French Anderson, « The best of times, the worst of times », Science 288,
no 5466, 2000, p. 627 ; Lyon and Gorner, Altered Fates ; Nelson A. Wivel et
W. French Anderson « 24 : Human gene therapy : Public policy and
regulatory issues », Cold Spring Harbor Monograph Archive 36, 1999,
p. 671-89.
▲ Retour au texte
10. Lyon and Gorner, Altered Fates, p. 107.
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11. L'Enfant Bulle (N.D.T.).
▲ Retour au texte
12. « David Phillip Vetter (1971-1984) », American Experience, PBS,
www.pbs.org/wgbh/amex/bubble/peopleevents/p_vetter.html
▲ Retour au texte
13. Luigi Naldini et coll., « In vivo gene delivery and stable transduction of
nondividing cells by a lentiviral vector », Science 272 no 5259, 1996,
p. 263-67.
▲ Retour au texte
14. Kenneth Culver fut aussi un membre crucial de l'équipe.
▲ Retour au texte
15. « Hope for gene therapy », Scientific American Frontiers, PBS.
▲ Retour au texte
16. W. French Anderson et coll., « Gene transfer and expression in
nonhuman primates using retroviral vectors », Cold Spring Harbor
Symposia on Quantitative Biology 51, 1986, p. 1073-81.
▲ Retour au texte
17. Lyon et Gorner, Altered Fates, p. 124.
▲ Retour au texte
18. Lisa Yount, Modern Genetics Engineering Life, Infobase Publishing,
New York, 2006, p. 70.
▲ Retour au texte
19. Lyon et Gorner, Altered Fates, p. 239.
▲ Retour au texte
20. Ibid., p. 240.
▲ Retour au texte
21. Ibid., p. 268.
▲ Retour au texte
22. Barbara Sibbald, « Death but one unintended consequence of gene-
therapy trial », Canadian Medical Association Journal 164, no 1, 2001,
p. 1612.
▲ Retour au texte
23. Pour des détails sur l'histoire de Jesse Gelsinger voir Evelyn B. Kelly,
Gene Therapy, Greenwood Press, Westport, CT, 2007 ; Lyon et Gorner,
Altered Fates ; et Sally Lehrman, « Virus treatment questioned after gene
therapy death », Nature 401, no 6753, 1999, p. 517-18.
▲ Retour au texte
24. James M. Wilson, « Lessons learned from the gene therapy trial for
ornithine transcarbamylase deficiency », Molecular Genetics and
Metabolism 96, no 4, 2009, p. 151-57.
▲ Retour au texte
25. Paul Gelsinger, entretien avec l'auteur, novembre 2014 et avril 2015.
▲ Retour au texte
26. Robin Fretwell Wilson, « Death of Jesse Gelsinger : New evidence of
the influence of money and prestige in human research », American Journal
of Law and Medicine 36, 2010, p. 295.
▲ Retour au texte
27. Sibbald, « Death but one unintended consequence », p. 1612
▲ Retour au texte
28. Carl Zimmer, « Gene therapy emerges from disgrace to be the next big
thing, again », Wired, 13 août 2013.
▲ Retour au texte
29. Sheryl Gay Stolberg, « The biotech death of Jesse Gelsinger », New
York Times, 27 novembre 1999,
www.nytimes.com/1999/11/28/magazine/the-biotech-death-of-jesse-
gelsinger.html
▲ Retour au texte
30. Carl Zimmer, « Gene therapy emerges from disgrace to be the next big
thing, again », Wired, 13 août 2013, www.wired.com/2013/08/the-fall-and-
rise-of-gene-therapy-2/
▲ Retour au texte
1. W. B. Yeats, The Collected Poems of W. B. Yeats, Richard Finneran (dir.),
Simon & Schuster, New York, 1996, « Byzantium », p. 248.
▲ Retour au texte
2. Jim Kozubek, « The birth of “transhumans” », Providence (RI) Journal,
29 septembre 2013.
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3. Eric Topol, entretien avec l'auteur, 2013.
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4. Mary-Claire King, « Using pedigrees in the hunt for BRCA1 », DNA
Learning Center, www.dnalc.org/view/15126-Using-pedigrees-in-the-hunt-
for-BRCA1-Mary-Claire-King.html
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5. Jeff M. Hall et coll., « Linkage of early-onset familial breast cancer to
chromosome 17q21 », Science 250, no 4988, 1990, p. 1684-89.
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6. Jane Gitschier, « Evidence is evidence : An interview with Mary-Claire
King », PLOS, 26 septembre 2013,
http://journals.plos.org/plosgenetics/article ?
id=10.1371/journal.pgen.1003828
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7. Pour BReast CAncer, cancer du sein en anglais (N.D.T.).
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8. : E. Richard Gold et Julia Carbone, « Myriad Genetics : In the eye of the
policy storm », Genetics in Medicine 12, 2010, S39–S70.
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9. Une étude plus récente montre que ce risque cumulé de déclarer un
cancer avec BRCA1 muté est de 44 % et non de 70-80 %. Voir
Kuchenbaecker et al., « Risks of Breast, Ovarian, and Contralateral Breast
Cancer for BRCA1 and BRCA2 Mutation Carriers », JAMA no 317,
p. 2402-16, 2017.
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10. Masha Gessen, Blood Matters : From BRCA1 to Designer Babies, How
the World and I Found Ourselves in the Future of the Gene, Houghton
Mifflin Harcourt, Boston, 2009, p. 8.
▲ Retour au texte
11. Eugen Bleuler et Carl Gustav Jung, « Komplexe und
Krankheitsursachen bei Dementia praecox », Zentralblatt für
Nervenheilkundunde Psychiatrie 31, 1908, p. 220-27.
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12. Susan Folstein et Michael Rutte, « Infantile autism : A genetic study of
21 twin pairs », Journal of Child Psychology and Psychiatry 18, no 4, 1977,
p. 297-321.
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13. Silvano Arieti et Eugene B. Brody, Adult Clinical Psychiatry, Basic
Books, New York, 1974, p. 553.
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14. « 1975 : Interpretation of Schizophrenia by Silvano Arieti », National
Book Award Winners : 1950–2014, National Book Foundation,
www.nationalbook.org/nbawinners_category.html#.vcnit7fxhom
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15. Menachem Fromer et coll., « De novo mutations in schizophrenia
implicate synaptic networks », Nature 506, no 7487, 2014, p. 179-84.
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16. Une classe importante de mutations liée à la schizophrénie s'appelle la
variation du nombre de copies ou VNC, c'est-à-dire des éliminations de
gène ou des duplications voire triplications du même gène. Les VNC ont
aussi été retrouvées dans des cas sporadiques d'autisme et d'autres formes
de maladie mentale.
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17. « Schizophrenia Working Group of the Psychiatric Genomics », Nature
511, 2014, p. 421-27.
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18. Le gène le plus fortement lié à la schizophrénie, et le plus intriguant
aussi, est associé au système immunitaire. Appelé C4, il se présente sous
deux formes proches appelées C4A et C4B, qui sont côte à côte dans le
génome. Les deux formes codent des protéines qui pourraient servir à
reconnaître, éliminer et à détruire des virus, des bactéries, des débris
cellulaires ou des cellules mortes, mais le lien entre ces gènes et la maladie
reste un mystère captivant (« Schizophrenia risk from complex variation of
complement component 4 », Sekar et coll., Nature 530, p. 177-183).
En janvier 2016, une étude phare a partiellement résolu l'énigme. Dans le
cerveau, les cellules nerveuses communiquent entre elles en utilisant des
jonctions spécialisées appelées synapses. Elles se forment au cours du
développement du cerveau et leur ensemble est crucial pour une bonne
cognition, tout comme celui des connexions d'un circuit imprimé est crucial
pour le fonctionnement d'un ordinateur.
Au cours du développement du cerveau, ces synapses doivent être élaguées
et reconfigurées. La protéine C4, molécule connue pour reconnaître et
éliminer les cellules mortes, les débris et les pathogènes, est « réorientée »
et recrutée pour éliminer les synapses. Chez l'homme, cet élagage continue
durant l'enfance et jusqu'à la trentaine, précisément sur la période où
beaucoup de symptômes de la schizophrénie se manifestent.
Chez les patients atteints de schizophrénie, des variations dans les gènes C4
augmentent la quantité et l'activité des protéines qu'ils codent, ce qui
entraîne un « sur-élagage » au cours du développement. Des inhibiteurs de
ces molécules peuvent restaurer le nombre normal de synapses chez un
enfant ou un adolescent à risque.
Quarante ans de recherches – les études de jumeaux des années 1970, les
études de liaison dans les années 1980, de neurologie et de biologie
cellulaire dans les années 1990 et 2000 – convergent vers cette découverte.
Pour des familles telles que la mienne, la découverte du lien de C4 avec la
schizophrénie ouvre de remarquables perspectives de diagnostic et de
traitement de la maladie, mais soulève aussi des questions troublantes :
comment et quand de tels tests de diagnostic ou de telles thérapies doivent-
ils être mis en œuvre ?
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19. Benjamin Neale, cité dans l'article de Simon Makin, « Massive study
reveals schizophrenia's genetic roots : The largest-ever genetic study of
mental illness reveals a complex set of factors », Scientific American,
1er novembre 2014.
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20. La distinction entre « familial » et « sporadique » commence à
s'estomper au niveau génétique. Certains gènes mutés dans les formes
familiales s'avèrent être aussi mutés dans les formes sporadiques. Ces gènes
sont très probablement de puissants facteurs de la maladie.
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21. Carey's Library of Choice Literature, vol. 2, E. L. Carey & A. Hart,
Philadelphia, 1836, p. 458.
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22. Kay Redfield Jamison, Touched with Fire, Simon & Schuster, New
York, 1996.
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23. Tony Attwood, The Complete Guide to Asperger's Syndrome, Jessica
Kingsley, Londres, 2006.
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24. Adrienne Sussman, « Mental illness and creativity : A neurological
view of the “tortured artist” », Stanford Journal of Neuroscience 1, no 1,
2007, p. 21-24.
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25. Susan Sontag, Illness as Metaphor and AIDS and Its Metaphors,
Macmillan, New York, 2001.
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26. Les détails de cette conférence se trouvent dans « The future of genomic
medicine VI », Scripps Translational Science Institute,
www.slideshare.net/mdconferencefinder/the-future-of-genomic-medicine-
vi-23895019 ; Eryne Brown, « Gene mutation didn't slow down high school
senior », Los Angeles Times, 5 juillet 2015,
www.latimes.com/local/california/la-me-lilly-grossman-update-20150702-
story.html ; et Konrad J. Karczewski, « The future of genomic medicine is
here », Genome Biology 14, no 3, 2013, p. 304.
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27. « Genome maps solve medical mystery for California twins », National
Public Radio broadcast, 16 juin 2011.
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28. Matthew N. Bainbridge et coll., « Whole-genome sequencing for
optimized patient management », Science Translational Medicine 3, no 87,
2011, 87re3.
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29. Antonio M. Persico et Valerio Napolioni, « Autism genetics »,
Behavioural Brain Research 251, 2013, p. 95-112 ; Guillaume Huguet,
Elodie Ey, et Thomas Bourgeron, « The genetic landscapes of autism
spectrum disorders », Annual Review of Genomics and Human Genetics 14,
2013, p. 191-213.
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30. Albert H. C. Wong, Irving I. Gottesmanand Arturas Petronis,
« Phenotypic differences in genetically identical organism : The epigenetic
perspective », Human Molecular Genetics 14, suppl. 1, 2005, R11–R18.
Voir aussi Nicholas J. Roberts et coll., « The predictive capacity of personal
genome sequencing », Science Translational Medicine 4, no 133, 2012,
133ra58.
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31. La mutation ou la variation liée au risque d'une maladie peut ne pas se
trouver dans la région du gène codant pour la protéine. Elle peut se trouver
dans un site de régulation du gène ou dans un gène ne codant pas une
protéine. En fait, de nombreuses variations génétiques actuellement
connues pour affecter le risque d'avoir une maladie ou un phénotype
particulier se trouvent dans de telles régions.
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32. lan H. Handyside et coll., « Pregnancies from biopsied human
preimplantation embryos sexed by Y-specific DNA amplification », Nature
344, no 6268, 1990, p. 768-70.
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33. D. King, « The state of eugenics », New Statesman & Society 25, 1995,
p. 25-26.
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34. K. P. Lesch et coll., « Association of anxiety-related traits with a
polymorphism in the serotonergic transporter gene regulatory region »,
Science 274, 1996, p. 1527-31.
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35. Douglas F. Levinson, « The genetics of depression : A review »,
Biological Psychiatry 60, no 2, 2006, p. 84-92.
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36. Projet des familles afro-américaines fortes (N.D.T.).
▲ Retour au texte
37. « Strong African American Families Program, Blueprints for Healthy
Youth Development », www.blueprintsprograms.com/factsheet/strong-
african-american-families-teen
▲ Retour au texte
38. Gene H. Brody et coll., « Prevention effects moderate the association of
5-HTTLPR and youth risk behavior initiation : Gene × environment
hypotheses tested via a randomized prevention design », Child
Development 80, no 3, 2009, p. 645-61 ; Gene H. Brody, Yi-fu Chenand
Steven R. H. Beach, « Differential susceptibility to prevention :
GABAergic, dopaminergic and multilocus effects », Journal of Child
Psychology and Psychiatry 54, no 8, 2013, p. 863-71.
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39. Jay Belsky, « The downside of resilience », New York Times,
28 novembre 2014.
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40. Michel Foucault, Abnormal : Lectures at the Collège de France, 1974–
1975, vol. 2, Macmillan, New York, 2007.
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1. « Biology's Big Bang », Economist, 14 juin 2007.
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2. Lyon et Gorner, Altered Fates, p. 537.
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3. Stolberg, « Biotech death of Jesse Gelsinger », p. 136-40.
▲ Retour au texte
4. Amit C. Nathwani et coll., « Long-term safety and efficacy of factor IX
gene therapy in hemophilia B », New England Journal of Medicine 371,
no 21, 2014, p. 1994-2004.
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5. James A. Thomson et coll., « Embryonic stem cell lines derived from
human blastocysts », Science 282, no 5391, 1998, p. 1145-47.
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6. Dorothy C. Wertz, « Embryo and stem cell research in the United States :
History and politics », Gene Therapy 9, no 1, 2002, p. 674-78.
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7. Un autre système « programmable » pour effectuer des coupures dans des
gènes spécifiques utilisant une enzyme coupant l'ADN a aussi été mis au
point. Appelée « TALEN », cette enzyme peut aussi servir à éditer le
génome.
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8. Martin Jinek et coll., « A programmable dual-RNA-guided DNA
endonuclease in adaptive bacterial immunity », Science 337, no 6096, 2012,
p. 816-21.
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9. Des contributeurs clés pour l'utilisation de CRISPR/Cas9 dans les
cellules humaines incluent Feng Zhang (MIT) et George Church (Harvard).
Voir par exemple L. Cong et coll., « Multiplex genome engineering using
CRISPR/Cas systems », Science 339, no 6121, 2013, p. 819-23 ; F. A. Ran,
« Genome engineering using the CRISPR-Cas9 system », Nature Protocols
11, 2013, p. 2281-308. Voir aussi P. Mali et coll., « RNA-Guided Human
Genome Engineering via Cas9 », Science 339, no 6121, 2013, p. 823-26.
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10. Un détail technique important : comme des cellules SE individuelles
peuvent être clonées et cultivées in vitro, celles avec des mutations
indésirables sont suceptibles d'être identifiées et écartées. Uniquement les
cellules SE présélectionnées portant la mutation voulue seront utilisées pour
générer des spermatozoïdes ou des ovules.
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11. Walfred W. C. Tang et coll., « A unique gene regulatory network resets
the human germline epigenome for development », Cell 161, no 6, 2015,
p. 1453–67 ; « In a first, Weizmann Institute and Cambridge University
scientists create human primordial germ cell », Weizmann Institute of
Science, 24 décembre 2014, www.newswise.com/articles/in-a-first-
weizmann-institute-and-cambridge-university-scientists-create-human-
primordial-germ-cells
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12. B. D. Baltimore et coll., « A prudent path forward for genomic
engineering and germline gene modification », Science 348, no 6230, 2015,
p. 36-38 ; Cormac Sheridan, « CRISPR germline editing reverberates
through biotech industry », Nature Biotechnology 33, no 5, 2015, p. 431-32.
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13. Nicholas Wade, « Scientists seek ban on method of editing the human
genome », New York Times, 19 mars 2015.
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14. Francis Collins, lettre à l'auteur, octobre 2015.
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15. David Cyranoski et Sara Reardon, « Chinese scientists genetically
modify human embryos », Nature, 22 avril 2015.
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16. Chris Gyngell et Julian Savulescu, « The moral imperative to research
editing embryos : The need to modify nature and science », Oxford
University, 23 avril 2015,
http://Blog.Practicalethics.Ox.Ac.Uk/2015/04/the-Moral-Imperative-to-
Research-Editing-Embryos-the-Need-to-Modify-Nature-and-Science/
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17. Puping Liang et coll., « CRISPR/Cas9-mediates gene editing in human
tripronuclear zygotes », Protein & Cell 6, no 5, 2015, p. 1-10.
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18. Cyranoski et Reardon, « Chinese scientists genetically modify human
embryos ».
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19. Didi Kristen Tatlow, « A scientbic ethical divide between China and
West », New York Times, 29 juin 2015.
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1. Paul Berg, entretien avec l'auteur, 1993.
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2. Pour comprendre comme les gènes interviennent dans les organismes, il
faut aussi discerner le rôle des ARN, protéines et marques épigénétiques. Il
sera nécessaire de révéler comment le génome, toutes les protéines (le
protéome) et toutes les marques épigénétiques (l'épigénome) sont
coordonnées pour construire et conserver l'organisme.
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3. David Botstein, lettre à l'auteur, octobre 2015.
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4. Eric Turkheimer, « Still missing », Research in Human Development 8,
no 3-4, 2011, p. 227-41.
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5. Peter Conrad, « A mirage of genes », Sociology of Health & Illness 21,
no 2, 1999, p. 228-41.
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6. Ce type de diagnostic est déjà effectué en clinique sous le nom de NIPT
(pour Non-Invasive Prenatal Testing). En 2014, une société chinoise a
annoncé qu'elle avait testé 15 000 fœtus pour des anomalies
chromosomiques et qu'elle étendait ce test aux mutations sur des gènes
uniques. Bien que ces tests semblent déceler des anomalies
chromosomiques comme la trisomie 21 d'une manière aussi fiable que
l'amniocentèse, une question majeure à leur propos est celle des « faux
positifs », c'est-à-dire quand on croit que l'ADN fœtal porte une anomalie
chromosomique alors qu'il est normal. Le taux de ces faux positifs va chuter
avec l'avancée des techniques.
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7. Richard A. Friedman, « The feel-good gene », New York Times, 6 mars
2015, www.nytimes.com/2015/03/08/opinion/sunday/the-feel-good-
gene.html ?_r=0
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8. Même des scénarios apparemment simples de dépistage génétique nous
forcent à entrer dans l'arène du troublant danger moral. Prenons l'exemple
de Friedman : utiliser un test sanguin pour dépister les soldats
génétiquement prédisposés au syndrome du stress post-traumatique. À
première vue, une telle approche semble atténuer le traumatisme de guerre.
Des soldats incapables « d'éteindre leur peur » pourraient être dépistés et
traités par des thérapies psychiatriques intensives ou médicales pour leur
faire retrouver une vie normale. Mais que se passe-t-il si, en étendant cette
logique, on dépiste les soldats pour le risque de ce syndrome avant leur
déploiement sur le terrain ? Serait-ce vraiment désirable ? Veut-on vraiment
sélectionner des soldats incapables d'enregistrer les traumatismes ou
génétiquement « augmentés » avec une capacité à éteindre toute angoisse
psychique liée à la violence ? Une telle forme de dépistage me paraîtrait
vraiment indésirable, car une personne capable « d'éteindre la peur » a
exactement le genre d'esprit qu'il faut éviter dans une guerre.
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9. Morgan, Physical Basis of Heredity, p. 15.
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1. Prix du premier livre (N.D.T.).
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2. H.Varmus, discours du prix Nobel, 1989.
www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/1989/varmus-
lecture.html. L'article décrivant l'existence de proto-oncogènes endogènes
dans les cellules est celui de D. Stehelin et coll., « DNA related to the
transforming genes of avian sarcoma viruses is present in normal DNA »,
Nature 260, no 5547, 1976, p. 170-73. Voir aussi Harold Varmus to
Dominique Stehelin, 3 février 1976, Harold Varmus Papers, National
Library.
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Notes
*. Une version pratiquement complète du génome humain a été publiée en
2003 (N.D.T.).
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*. Darwin n'était pas sûr de la manière dont ces variants étaient produits, un
autre fait sur lequel nous allons revenir par la suite.
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*. Les « mutants » de de Vries résultaient peut-être de rétrocroisements avec
les plantes parentes plutôt que des formes variantes spontanées.
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*. La véracité de l'histoire de la « conversion » de Bateson à la théorie de
Mendel au cours de ce trajet en train a été mise en doute par certains
historiens. Elle apparaît souvent dans ses biographies, mais elle a pu être
embellie par certains étudiants de Bateson pour rehausser le récit.
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*. En fait, la hauteur moyenne des fils de pères exceptionnellement grands
tendait à être plus faible que celle des pères, et à se rapprocher de la
moyenne générale, comme si une force invisible tirait toujours les extrêmes
vers le centre. Cette découverte, appelée la régression vers la moyenne, allait
avoir une forte influence sur la science des mesures et le concept de
variance. Elle allait être la contribution la plus importante de Galton aux
statistiques.
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*. Tarzan of the Apes en anglais (N.D.T.).
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*. La cigogne noire (N.D.T.).
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*. Curtis Merriman, un psychologue américain, et Walter Jablonski, un
ophtalmologue allemand, ont aussi effectué des études similaires sur des
jumeaux dans les années 1920.
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*. Écrivain de science-fiction américain (1907-1988) (N.D.T).
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*. L'axe de l'ADN ou de l'ARN est fait d'une suite de sucres et de phophates
enchaînés. Dans l'ARN, le sucre est le ribose, d'où le nom d'acide
ribonucléique (ARN). Dans l'ADN, le sucre est légèrement différent, c'est le
désoxyribose, d'où le nom d'acide désoxyribonucléique (ADN).
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*. Mais était-ce une de ses photos ? Wilkins maintiendra plus tard qu'elle lui
avait été donnée par Gosling, l'étudiant de Franklin, et qu'il lui appartenait
donc d'en faire ce qu'il voulait. Franklin quittait le King's College pour un
nouveau travail au Birbeck College et Wilkins pensait qu'elle abandonnait le
projet ADN.
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*. « Fais ou meurs, ou n'essaye pas », devise du biologiste Max Delbrück en
fait (N.D.T.).
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*. « hellébore vert » est choisi ici uniquement pour la rime en français ; en
anglais, Pimpernel (« mouron ») rime avec hell (N.D.T.).
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*. Dans le cas de l'opéron lactose, la protéine régulatrice, en l'absence de
lactose, se fixe sur le site régulateur pour réprimer l'opéron, mais ne s'y fixe
plus lorsqu'elle se lie à une molécule issue du lactose : l'opéron est alors
déverouillé (à condition qu'il n'y ait pas de glucose, lequel agit par un autre
mécanisme pour garder l'opéron éteint) (N.D.T.).
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*. En 1958, Matthew Meselson et Franklin Stahl prouvèrent ce mécanisme.
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*. La fonction protectrice de BCL2 contre la mort a aussi été découverte par
David Vaux et Suzanne Cory en Australie.
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*. Massachusetts Institute of Technology (N.D.T.).
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*. Watson a emprunté cette expression mémorable à Ernest Rutherford qui,
dans une brusque déclaration typique de son caractère, avait dit : « Toute la
science est soit de la physique, soit de la collection de timbres. »
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*. Minkowski ne s'en rappelait pas, mais d'autres personnes du laboratoire
ont rapporté cette expérience de l'urine devenue mélasse.
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*. Jeu de mot avec le titre du roman d'Ernest Hemingway Pour qui sonne le
glas, en anglais For Whom the Bell Tolls (N.D.T.).
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*. Nous ne sommes pas programmés, éd. La Découverte, 1985 (N.D.T.).
▲ Retour au texte
*. La permanence des marques épigénétiques et la nature de la mémoire
qu'elles apporteraient ont été remises en question par le généticien Mark
Ptashne. Selon lui, ainsi que pour d'autres généticiens, les protéines
régulatrices maîtresses décrites précédemment comme des interrupteurs
ouverts ou fermés – des facteurs de transcription – orchestrent l'activation et
la répression des gènes. Les marques épigénétiques sont déposées en
conséquence de l'activation ou de la répression des gènes et pourraient jouer
un rôle accompagnateur dans cette régulation mais la principale
orchestration serait due à celle des protéines régulatrices maîtresses.
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*. En 1980, un scientifique de l'UCLA nommé Martin Cline avait tenté la
première thérapie génique chez l'homme. Immunologiste de formation,
Cline avait choisi d'étudier la thalassémie bêta, maladie génétique due à la
mutation d'un seul gène codant une sous-unité de l'hémoglobine et causant
une anémie sévère. Pensant qu'il pourrait faire son essai à l'étranger où
l'utilisation d'ADN recombinant chez l'homme était moins réglementée,
Cline ne mit pas au courant le conseil scientifique de son hôpital et fit son
essai sur deux patients thalassémiques en Israël et en Italie. La tentative de
Cline fut découverte par le NIH et l'UCLA. Il fut sanctionné par l'UCLA
pour avoir enfreint le règlement fédéral et dut finalement abandonner la
direction de son service. Les données complètes de son expérience ne furent
jamais officiellement publiées.
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*. Cette méthode – la comparaison du génome de l'enfant atteint avec celui
de ses parents – a été développée en premier par les chercheurs qui
travaillaient sur l'autisme dans les années 2000 et a constitué un progrès
radical en génétique psychiatrique. La Simons Simplex Collection a identifié
2 800 familles où les parents n'étaient pas autistes et où un seul enfant était
atteint d'un trouble du spectre autistique. La comparaison des génomes a
révélé plusieurs mutations apparues de novo. Point remarquable, plusieurs
des gènes mutés dans l'autisme le sont aussi dans la schizophrénie, ce qui
suggère des liens génétiques plus profonds entre les deux maladies.
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*. Prix du livre unique (N.D.T.).
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Notes
†. D'autres sujets encore auraient pu être cités, comme les organismes génétiquement modifiés
(OGM), l'avenir des brevets sur les gènes, l'utilisation de gènes pour découvrir des médicaments ou
les fabriquer, et les études d'isolement génétique qui délimite les espèces. Tous ces sujets méritent un
livre à eux seuls et se trouvent en dehors du champ de cet ouvrage.
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