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Au cours de l'hiver 2012, j'ai fait le voyage de Delhi à Calcutta pour aller
voir mon cousin Moni. Mon père m'accompagnait. Il était maussade et
renfermé, perdu dans une angoisse intime que j'avais du mal à cerner.
C'était le plus jeune des cinq frères, et Moni avait été son premier neveu, le
fils de son frère aîné. En 2004, l'année de ses quarante ans, Moni a été
diagnostiqué schizophrène et il est interné depuis dans une institution pour
malades mentaux (une « maison de fous » comme dit mon père). Mon
cousin est maintenu sous médicaments à hautes doses, plongé dans un bain
d'antipsychotiques et de sédatifs, avec une personne chargée de le surveiller,
le laver et le nourrir tous les jours.
Mon père n'a jamais accepté le diagnostic posé sur Moni. Durant des
années, il a mené une petite campagne solitaire et obstinée contre les
psychiatres chargés de soigner son neveu. Pensait-il les convaincre qu'ils
avaient fait une énorme erreur de diagnostic, ou bien espérait-il que l'esprit
en morceaux de Moni puisse, comme par magie, se réparer tout seul ? Mon
père a déjà rendu visite deux fois à Moni, dont une sans prévenir, avec
l'espoir de le trouver transformé et vivant en secret une vie normale derrière
les portes closes de l'établissement.
Mais mon père savait, tout comme moi, qu'il y avait plus que de la
tendresse derrière ces visites. Dans la famille, Moni n'est pas le seul à
souffrir d'une maladie mentale. Deux des quatre frères de mon père – pas le
père de Moni mais deux de ses oncles – sont également atteints. Chez les
Mukherjee, la folie s'avère en fait présente depuis au moins deux
générations. Une partie de la réticence de mon père à accepter le diagnostic
posé sur son neveu vient de cette angoisse sourde : la prise de conscience
qu'une part de la maladie pourrait, un peu comme un déchet toxique, se
trouver enfouie au fond de lui-même.
En 1946, Rajesh, le troisième dans la fratrie de mon père, est mort
prématurément à Calcutta à l'âge de vingt-deux ans. Il avait apparemment
attrapé une pneumonie après deux nuits passées sous la pluie en hiver, mais
cet épisode n'était que le point d'orgue d'un autre mal. Rajesh avait été le
fils le plus prometteur, le plus vif, le plus malin, le plus charismatique, le
plus dynamique, le plus aimé, et le plus idolâtré par mon père et sa famille.
Mon grand-père était décédé dix ans plus tôt, en 1936, assassiné à la suite
d'une dispute portant sur des mines de mica. Il laissait ma grand-mère seule
pour élever ses cinq jeunes fils. Bien que Rajesh ne fût pas le plus âgé, il
avait suivi sans trop d'effort les traces de son père. Il n'avait que douze ans à
l'époque, mais il aurait pu en avoir vingt-deux : son intelligence fulgurante
était déjà tempérée de gravité, son assurance encore fragile d'adolescent
laissait déjà poindre la confiance en soi de l'adulte.
Mais au cours de l'été 1946, se souvient mon père, Rajesh a commencé à
se comporter bizarrement, comme si quelque chose s'était déréglé dans son
cerveau. Le changement le plus frappant fut son humeur exubérante. Une
bonne nouvelle provoquait un accès de joie qui ne s'épuisait que dans une
dépense physique de plus en plus astreignante, tandis qu'une mauvaise
nouvelle plongeait mon oncle dans un inconsolable désespoir. Ses émotions
correspondaient bien au contexte, seul leur caractère extrême était anormal.
À la fin de l'année, les fluctuations mentales de Rajesh se rapprochèrent et
s'amplifièrent. Les périodes d'exaltation devinrent plus fréquentes et plus
violentes, basculant dans la rage et la grandiloquence, et le contrecoup de la
tristesse qui suivait était tout aussi profond. Rajesh se mit à s'intéresser à
l'occultisme, organisant à la maison des séances de spiritisme ou de planche
de Ouija, ou réunissant ses amis dans un crématorium la nuit pour méditer.
Je ne sais pas s'il prenait quelque chose pour se soigner. Dans les années
1940, on trouvait facilement de l'opium birman ou du haschich afghan dans
les bas-fonds du quartier chinois de Calcutta pour se calmer les nerfs, mais
mon père se souvient d'un frère changé, parfois craintif, parfois téméraire,
d'humeur versatile, irritable un jour et fou de joie le lendemain. (Cette
expression « fou de joie », utilisée oralement, évoque quelque chose
d'innocent, une amplification de la joie. Mais elle marque aussi une limite,
un avertissement, une frontière à la sobriété. Au-delà du fou de joie, comme
nous allons le voir, il n'y a pas de joie en plus, il n'y a que la folie.)
La semaine précédant sa pneumonie, Rajesh apprit qu'il avait
brillamment réussi ses examens universitaires ; enchanté, il disparut
pendant deux nuits sous le prétexte d'aller « faire de l'exercice » dans un
stage de lutte. Lorsqu'il revint, il bouillonnait de fièvre et d'hallucinations.
C'est seulement des années plus tard, en école de médecine, que j'ai
réalisé : Rajesh était probablement en plein épisode maniaque. Ses
différents symptômes dessinaient un syndrome maniaco-dépressif ou
trouble bipolaire – c'était presque un cas d'école.
Jagu, le quatrième de la fratrie de mon père, est venu vivre avec nous à
Delhi en 1975 alors que j'avais cinq ans. Son esprit aussi se disloquait.
Grand et mince comme un fil, avec une lueur un peu farouche dans les yeux
et une grosse tignasse de cheveux emmêlés, il ressemblait à une version
bengali de Jim Morrison. Contrairement à Rajesh dont la maladie était
apparue à la vingtaine, Jagu avait des problèmes depuis l'enfance. Mal à
l'aise en société, renfermé sauf avec ma grand-mère, il était incapable
d'avoir un emploi ou de vivre de façon autonome. En 1975, des troubles
cognitifs plus profonds étaient apparus. Il avait des visions, des fantômes et
des voix dans la tête qui lui disaient ce qu'il fallait faire. Il élaborait des
théories de complots par dizaines, imaginant par exemple qu'un vendeur de
bananes près de chez nous notait en secret son comportement. Il se parlait
souvent à lui-même, avec l'obsession typique de réciter les trajets en train
(« De Shimla à Howrah par le train Kalka, puis prendre à Howrah l'express
Shri Jagannah pour Puri »). Il était encore capable d'extraordinaires accès
de tendresse. Un jour, j'ai cassé sans faire exprès un vase vénitien auquel
tenaient mes parents. Jagu m'a caché sous ses draps et a déclaré à ma mère
qu'il avait des « montagnes d'argent » planquées ailleurs qui paieraient « un
millier » de vases à la place. Cet épisode était pourtant symptomatique, car
même dans cet élan affectueux et altruiste émergeaient des manifestations
typiques de sa psychose.
Contrairement à Rajesh, dont le trouble ne fut jamais formellement
diagnostiqué, Jagu fut examiné à la fin des années 1970 par un médecin à
Delhi et le diagnostic d'une schizophrénie fut posé. Mais on ne lui prescrivit
aucun médicament. Au lieu de cela, Jagu continua à vivre à la maison, se
cachant à moitié dans la chambre de ma grand-mère (elle vivait avec nous,
comme dans beaucoup de familles en Inde). Accablée par ce nouveau coup
du sort, ma grand-mère prit la défense de Jagu avec une vigueur redoublée.
Pendant presque une décennie, elle et mon père ont maintenu une
trêve fragile : Jagu vivait par les soins de ma grand-mère, prenant ses repas
dans sa chambre et portant des vêtements qu'elle lui avait cousus. La nuit,
quand il était particulièrement agité et pris par ses peurs et ses délires, elle
le mettait au lit comme un enfant, posant sa main sur son front. Lorsqu'elle
est morte en 1985, Jagu est brusquement parti de la maison et n'a jamais
accepté de revenir. Il a vécu dans une secte religieuse à Delhi jusqu'à sa
mort en 1998.
Durant toute mon enfance puis ma vie d'adulte, Moni, Jagu et Rajesh ont
joué un rôle démesuré dans l'imaginaire de ma famille. Lors d'une brève
crise d'adolescence, j'ai brusquement cessé de parler à mes parents, refusé
de faire mes devoirs et jeté mes vieux bouquins à la poubelle. Mon père,
anxieux au plus haut point, me traîna abattu chez le médecin qui avait
diagnostiqué la maladie chez Jagu. Son fils allait-il lui aussi perdre la tête ?
Ma grand-mère, dont la mémoire donnait des signes de faiblesses à l'orée de
ses quatre-vingts ans, commença à m'appeler Rajeshwar, Rajesh, sans le
faire exprès. Au départ, elle se reprenait en rougissant d'embarras, mais en
perdant peu à peu la tête elle semblait se tromper presque sciemment,
comme si elle avait découvert le plaisir illicite de ce fantasme. Lorsque j'ai
rencontré Sarah, qui est maintenant ma femme, je lui ai dit à la quatrième
ou cinquième rencontre la réalité sur le trouble mental de mon cousin et de
mes deux oncles. C'était la moindre des choses, par honnêteté, que d'avertir
ma future partenaire dans la vie.
À l'époque, l'hérédité, la maladie, la normalité, la famille et l'identité
étaient devenus des thèmes récurrents des discussions familiales. Comme la
plupart des Bengalis, mes parents avaient atteint un niveau élevé dans l'art
du déni et du refoulement, mais même dans ce cas des questions étaient
inévitables sur cette histoire. Moni, Rajesh, Jagu étaient trois vies
emportées par des formes diverses de maladie mentale. Il était difficile de
ne pas penser à une composante héréditaire dissimulée derrière cette
histoire familiale. Moni avait-il hérité d'un ou plusieurs gènes qui l'avaient
rendu susceptible de tomber malade, les mêmes que ceux qui avaient affecté
ses oncles ? D'autres membres de la famille avaient-ils été touchés par des
formes différentes de maladie mentale ? Mon père avait connu deux
épisodes psychotiques dans sa vie, précipités chaque fois par la
consommation de bhang (des boutons floraux de cannabis écrasés dans du
ghi et ajoutés à une boisson moussante lors des fêtes religieuses). Cela
avait-il un lien avec les autres cicatrices de notre histoire familiale ?
Alors même que j'écris ces lignes, des organismes dotés d'un génome
apprennent à changer les traits héritables d'autres organismes ayant un
génome. Pour être plus concret : au cours des dernières années, entre 2012
et 2016, nous avons inventé des techniques qui nous permettent de modifier
intentionnellement et de façon définitive le génome humain (même si
l'innocuité et la fiabilité de ces techniques doivent encore être
soigneusement évaluées). En même temps, notre capacité à prédire le destin
médical d'une personne à partir de son génome a fait des progrès
spectaculaires (même si la puissance prédictive réelle de ces techniques
reste à évaluer). En résumé, nous pouvons désormais « lire » le génome
humain et y « écrire » d'une manière juste inconcevable il y a encore quatre
ou cinq ans.
Nul besoin de posséder des connaissances avancées en biologie
moléculaire, en philosophie ou en histoire pour voir ce qu'implique la
convergence de ces deux innovations : une course tête baissée vers l'abîme.
Dès lors que nous pouvons comprendre ce que nous réserve l'avenir en
lisant dans notre génome (même s'il s'agit de probabilités plutôt que de
certitudes) ; dès lors que nous disposons des techniques pour modifier
intentionnellement ces probabilités (même si les techniques utilisées sont
encore peu efficaces et peu commodes), notre avenir en est radicalement
changé. George Orwell a écrit que dès qu'une personne utilise dans son
argumentaire le mot « humain », il lui fait perdre en général toute
signification. Je ne crois pas exagérer ici en disant que notre capacité à
comprendre et à manipuler le génome humain modifie notre conception de
ce que veut dire être « humain ».
Avec l'atome, on a un principe permettant d'organiser la physique
moderne, ainsi que la perspective séduisante de maîtriser la matière et
l'énergie. Avec le gène, on a un principe d'organisation pour la biologie
moderne, et la perspective séduisante de maîtriser notre corps et notre sort.
Au sein de l'histoire du gène est nichée « la quête de l'éternelle jeunesse, le
mythe faustien du renversement brutal de la destinée, et les tentatives de
notre siècle passé de vouloir améliorer l'homme 11 ». Avec le gène vient
aussi le désir de déchiffrer le manuel des instructions nécessaires pour
construire et faire fonctionner un organisme humain. C'est bien cela que
nous retrouverons au centre de cette histoire.
Il fallut un esprit aussi précis et analytique que celui d'Aristote pour venir
à bout de la théorie de l'hérédité de Pythagore. Aristote n'était pas un chaud
partisan de la gente féminine, mais il croyait néanmoins que les théories
devaient se baser sur des faits. Il soumit le « spermisme » et les problèmes
qu'il posait à un examen critique à la lumière des données expérimentales
issues du monde biologique. Le résultat, un traité bien dense intitulé La
Génération des animaux 18, allait servir d'ouvrage de référence en génétique
humaine, tout comme La République allait l'être pour la philosophie
politique.
Aristote rejetait l'idée que l'hérédité soit portée uniquement par la
semence mâle. Il notait, avec justesse, que les enfants peuvent aussi hériter
de certains traits de leur mère ou de leur grand-mère, et que ces traits
sautent parfois une génération. « De parents déficients naissent des enfants
déficients 19, écrit-il, par exemple de boiteux des boiteux, d'aveugles des
aveugles, et de manière générale, les gens apparentés se ressemblent par
leurs traits contre nature en ayant les mêmes signes distinctifs, par exemple
des excroissances ou des cicatrices. Il y a déjà eu des phénomènes de cette
sorte qui ont été transmis à la troisième génération, ainsi quelqu'un avait
une marque sur le bras, que son fils n'avait pas, mais que son petit-fils avait
de naissance au même endroit, confuse et noire. […] en Sicile l'amante
adultère d'un Éthiopien : sa fille, en effet, n'était pas née avec les caractères
d'une Éthiopienne, mais la fille de celle-ci les avait 20 ». Un enfant pouvait
naître avec le nez ou la couleur de peau de sa grand-mère sans que ce
caractère soit observé chez l'un ou l'autre de ses parents, phénomène qu'il
était pratiquement impossible d'expliquer selon le schéma pythagoricien
d'une hérédité purement patrilinéaire.
Aristote remit en cause l'idée pythagoricienne de « répertoire mobile » où
le sperme récoltait l'information héréditaire en circulant dans le corps pour
s'imprégner des « instructions » secrètes de chacune de ses parties. « Et il y
a certains traits que les parents ne possèdent pas encore quand ils
engendrent, par exemple les cheveux gris ou la barbe 21 » notait Aristote
avec sagacité, pourtant ils les transmettent à leurs enfants. Parfois, le trait
transmis par l'hérédité n'est pas d'ordre physique mais une manière de
marcher, de regarder, par exemple, ou même un état d'esprit. Aristote
soutenait que de tels caractères, qui ne sont tout d'abord pas matériels, ne
peuvent se matérialiser dans le sperme. Et pour finir, il s'attaqua au plus
évident, arguant que l'idée de Pythagore ne peut certainement pas expliquer
la formation de l'anatomie féminine. En effet, demanda Aristote, comment
le sperme du père pourrait-il « absorber » les instructions pour produire les
« parties génératives » de sa fille, alors qu'elles n'existent pas dans son
corps ? La théorie de Pythagore pouvait rendre compte de tous les aspects
de l'ontogenèse sauf du plus déterminant, le développement des organes
génitaux.
Aristote proposa une théorie alternative qui fut un bouleversement pour
l'époque 22. Peut-être les femelles, comme les mâles, contribuent-elles à la
formation matérielle du fœtus, par une sorte de sperme femelle. Et peut-être
le fœtus se développe-t-il avec la contribution mutuelle des parties mâle et
femelle. Cherchant des analogies, Aristote nomma la contribution mâle un
« principe de mouvement ». Le terme de « mouvement » n'a pas ici le sens
de déplacement mais celui d'instruction, ou de code pour employer un terme
moderne. La matière effectivement transmise au cours de l'accouplement ne
serait en fait que le paravent d'un échange plus obscur et mystérieux. En
fait, la matière n'importerait pas vraiment. Ce qui passerait de l'homme à la
femme ne serait pas de la matière, mais un message. Comme le plan d'un
bâtiment guidant les ouvriers, ou l'esprit du menuisier guidant sa main à
l'œuvre sur un morceau de bois, la semence mâle apporterait les instructions
pour construire un enfant. « Rien non plus ne quitte le menuisier pour la
matière que constituent les morceaux de bois […] mais c'est la
configuration et la forme qui proviennent de celui-là par le mouvement qui
est dans la matière […], écrivait Aristote, c'est de la même façon aussi […]
que la nature qui est dans le mâle fait usage du sperme comme d'un
outil 23. »
La semence femelle, au contraire, apporterait le matériau brut pour
former le fœtus, comme le bois pour le menuisier, le mortier pour le
bâtiment ; elle serait à la fois la matière et l'essence de la vie. Aristote
soutenait que le vrai matériau apporté par la femelle est le sang menstruel.
Celui-ci serait façonné par la semence mâle pour donner la forme de
l'enfant. Cela peut paraître curieux aujourd'hui, mais ici aussi Aristote
faisait preuve d'une méticuleuse logique. Comme la disparition des règles
coïncide avec la conception, Aristote supposait que le fœtus se forme à
partir d'elles.
Si Aristote se trompait sur la répartition des contributions mâle et femelle
en « matériau » et « message », il avait bien saisi l'une des vérités
essentielles sur la nature de l'hérédité. Il la concevait finalement, de manière
moderne, comme la transmission d'une information. Celle-ci est ensuite
utilisée pour construire un organisme à partir de zéro, et le message devient
bien matière. Et lorsqu'un organisme arrive à maturité, il produit à son tour
une semence mâle ou femelle, transformant en retour la matière en
message. En fait, ce n'était plus le triangle de Pythagore mais un cercle, un
cycle où la forme donne l'information puis l'information la forme. Des
siècles plus tard, le biologiste Max Delbrück allait dire, en plaisantant,
qu'Aristote devait recevoir le prix Nobel à titre posthume pour la découverte
de l'ADN 24.
Mais si l'hérédité est transmise sous forme d'information, comment cette
information est-elle codée ? Le mot code vient du latin caudex, la moelle du
bois sur laquelle les scribes écrivaient. Quel est alors le caudex de
l'hérédité ? Qu'est-ce qui est transcrit, et comment ? Comment la matière du
message est-elle conditionnée et transportée d'un corps au suivant ? Qui fait
l'encodage, et qui traduit le message codé pour créer un enfant ?
La réponse la plus inventive à ces questions était la plus simple : elle se
passait complètement du code. Le sperme, dans cette théorie, contient déjà
un être humain en miniature, un minuscule fœtus, complètement formé,
ramassé dans une toute petite enveloppe qui attend de devenir un bébé. On
retrouve des variantes de cette théorie dans les mythes et folklores
médiévaux. Dans les années 1520, l'alchimiste germano-suisse Paracelse 25
partit de cette théorie de l'être humain miniature dans le sperme pour
suggérer que le sperme humain, chauffé avec du fumier et enfoui dans de la
boue pendant les quarante semaines de la conception normale, pouvait
donner un être humain, bien que monstrueux. La conception d'un enfant
normal était simplement le transfert de ce minihumain, l'homonculus, du
sperme du père dans le ventre de la mère. Il y prenait ensuite la taille d'un
fœtus. Il n'y avait pas de code, seulement une miniaturisation.
Le charme propre à cette idée, appelée la « préformation », est sa
récursivité. Comme l'homonculus doit grandir et engendrer ses propres
enfants, il a nécessairement en lui de mini-homonculus préformés, de
minuscules humains incorporés à la manière d'une suite infinie de poupées
russes qui remonterait jusqu'au premier homme, Adam, et se perpétuerait
dans le futur. Pour les Chrétiens du Moyen Âge, l'existence d'une telle
chaîne humaine offrait l'explication la plus convaincante du péché originel.
Puisque tous les futurs hommes étaient contenus dans les individus actuels,
chacun de nous devait être physiquement présent dans le corps d'Adam lors
du premier péché décisif, « flottant […] dans les entrailles de notre Premier
Parent 26 » comme le décrivait un théologien. L'essence du péché était donc
inscrite en nous des milliers d'années avant notre naissance, directement
depuis Adam. Nous portions tous cette marque, non en raison du fait que
notre ancêtre éloigné avait été tenté dans ce lointain jardin, mais parce que
chacun de nous, logé dans le corps d'Adam, avait bien goûté au fruit
défendu.
Autre aspect fascinant de la préformation, cette idée permettait d'éluder le
problème du décodage. Si les premiers biologistes pouvaient imaginer le
codage, c'est-à-dire la conversion du corps humain en une sorte de code (par
osmose, à la Pythagore), l'inverse, c'est-à-dire le déchiffrage de ce code
pour redonner un être humain, dépassait carrément l'entendement.
Comment quelque chose d'aussi complexe qu'une forme humaine pouvait-
elle émerger de l'union du sperme et d'un œuf ? L'homonculus résolvait ce
problème conceptuel. Si un enfant arrivait déjà formé, son développement
n'était qu'une expansion, une version biologique de la poupée gonflable. Il
n'y avait plus besoin de clé ou de code pour la transformation. La genèse
d'un être humain se résumait à ajouter de l'eau.
La théorie était tellement séduisante, si malicieusement précise, que
même l'invention du microscope ne put y porter un coup fatal. En 1694,
Nicolaas Hartsoeker, un médecin et microscopiste néerlandais, produisit
l'image d'un tel être humain miniature, sa grosse tête repliée en position
fœtale dans le corps d'un spermatozoïde 27. En 1699, un autre microscopiste
néerlandais prétendit avoir trouvé des homonculus flottant en abondance
dans le sperme…
Comme pour tout fantasme anthropomorphique – voir des faces
humaines sur la lune par exemple –, la théorie se développait uniquement
sous l'effet grossissant de l'imagination. Du coup, les images d'homonculus
proliférèrent au XVIIe siècle, la queue des spermatozoïdes reconvertie en un
cheveu, leur corps cellulaire en un minuscule crâne humain. À la fin du
XVIIe siècle, la préformation était considérée comme l'explication la plus
logique et la plus cohérente de l'hérédité chez l'homme et les animaux. Les
hommes proviendraient de petits hommes, comme les grands arbres de
petites boutures. « Dans la nature, il n'y a pas de génération, écrivait en
1669 le scientifique néerlandais Jan Swammerdam, mais uniquement de la
propagation 28. »
Pourtant, tout le monde n'était pas convaincu que des humains miniatures
soient contenus à l'infini dans le corps. La principale alternative à la
préformation était qu'au cours de l'embryogenèse quelque chose se
produise, capable de donner les parties entièrement nouvelles d'un embryon
néoformé. Pour les tenants de cette idée, les humains ne peuvent provenir
de versions miniatures prêtes à être agrandies. Ils doivent être construits à
partir de zéro, en exploitant les instructions spécifiques contenues dans le
spermatozoïde et l'ovule. Les membres, le buste, le cerveau, les yeux, et
même le tempérament et les inclinations transmis par les parents, tout cela
doit être créé de novo à chaque fois qu'un embryon se développe en fœtus
humain. Dans cette optique, l'ontogenèse doit se produire… par genèse.
Mais alors quelle impulsion ou instruction pourrait bien être à l'origine de
l'embryon et de l'organisme final ? En 1768, l'embryologiste berlinois
Caspar Wolff tenta d'élaborer une réponse en concoctant un principe
directeur, une « vis essentialis corporis », qui orienterait progressivement la
maturation d'un œuf fécondé en une forme humaine 29. Comme Aristote,
Wolff imaginait que l'embryon contienne une sorte d'information, un code,
qui ne soit pas une simple version miniature d'un homme mais un ensemble
d'instructions pour le fabriquer à partir de rien. Mais mis à part l'invention
d'un nom latin pour désigner un principe assez vague, Wolff ne pouvait
donner le moindre détail. Les instructions, avançait-il sans s'appesantir, sont
réunies dans l'œuf fécondé. La vis essentialis interviendrait alors comme
une main invisible, pour organiser cette masse en une forme humaine.
Si, au XVIIIe siècle, biologistes, philosophes, universitaires chrétiens et
embryologistes défendaient leurs positions au cours de violents débats entre
préformation et « main invisible », on peut comprendre qu'un simple
observateur de l'époque y fût resté indifférent. Ce n'était après tout que de
vieilles histoires. « Les points de vue qui s'opposent aujourd'hui existent
depuis des siècles 30 » se plaignait encore un biologiste au début du
XIXe siècle. Et effectivement, la préformation était largement une reprise de
la théorie pythagoricienne où le sperme porte toute l'information pour faire
un nouvel être humain. Tandis que la « main invisible » était de son côté
une version rafraîchie de l'idée d'Aristote selon laquelle l'hérédité est
transmise sous la forme de messages pour mettre en forme la matière (la
« main » exécutant les instructions pour façonner un embryon).
Selon les époques, chaque théorie pouvait être défendue avec brio ou
mise à bas avec la même force. Aristote comme Pythagore, chacun des
protagonistes avait en partie raison et en partie tort. Mais au début des
années 1800, il semblait que tout le domaine de l'hérédité et de
l'embryogenèse se retrouvât dans une impasse conceptuelle. Les plus grands
penseurs de la biologie qui s'étaient penchés sur le problème de l'hérédité
n'avaient pas plus fait avancer les choses que les réflexions énigmatiques de
deux hommes ayant vécu sur deux îles grecques deux mille ans auparavant.
« Le mystère des mystères »
Au cours de l'hiver 1831, alors que Mendel n'était encore qu'un écolier en
Silésie, un jeune prêtre, Charles Darwin, embarqua sur un sloop de dix
canons, le HMS Beagle, à Plymouth Sound dans le sud-ouest de
l'Angleterre 2. Darwin, alors âgé de vingt-deux ans, était le fils et le petit-fils
de médecins connus. Il avait le beau visage anguleux de son père, le teint
porcelaine de sa mère et les épais sourcils des Darwin. Tenté à son tour par
une carrière de médecin, il avait commencé ses études médicales à
Édimbourg 3 mais, horrifié par les « hurlements d'un enfant attaché au
milieu du sang et de la sciure sur une table d'opération », il avait fui la
médecine pour étudier la théologie au Christ's College à Cambridge 4.
Darwin s'intéressait néanmoins à beaucoup d'autres choses que la
théologie. Dans sa chambre d'étudiant, au-dessus de l'échoppe d'un
marchand de tabac de la Sidney Street 5, il avait collectionné les
coléoptères, étudié la botanique et la géologie, appris la géométrie et la
physique, discuté avec ferveur de Dieu, de l'intervention divine et de la
création des animaux. Darwin était plus attiré par l'histoire naturelle que par
la théologie ou la philosophie, par l'étude de la nature au travers des
principes scientifiques de la systématique. Il recevait son enseignement du
pasteur John Henslow : ce botaniste et géologue 6 avait créé le jardin
botanique de Cambridge, le plus grand musée à ciel ouvert d'histoire
naturelle, et continuait de s'en occuper. Ce fut là, sous la houlette de
Henslow, que Darwin commença à recueillir, identifier et classer les
spécimens de plantes et d'animaux.
Plus tard dans l'été, encore meurtri par son échec, Mendel planta des
petits pois. Ce n'était pas la première fois. Cela faisait trois ans environ qu'il
les élevait dans la serre. Il avait recueilli trente-quatre lignées des fermes
environnantes et les cultivait pour sélectionner les « vraies » lignées, celles
où chaque plant donnait toujours exactement la même descendance, avec
des fleurs de la même couleur et des graines de la même texture 5. Ces
plants « restent constants sans exception 6 » écrit-il. Les chats font toujours
des chats. Il avait désormais le matériel de base pour ses expériences.
Les plants de ces lignées « pures », remarquait-il, possèdent des traits
distincts qui sont héréditaires et particuliers. Croisés avec leurs semblables,
les plants à grande tige ne donnent que des plants à grande tige, et c'est la
même chose pour les plants nains. Certaines lignées ne produisent que des
pois lisses alors que d'autres ne font que des pois ridés. Les gousses avant
maturité sont soit vertes soit jaune vif ; les gousses à maturité soit bien
attachées à la tige soit prêtes à se détacher. Mendel fit la liste des sept
caractères de ces lignées pures qu'il souhaitait étudier :
1. la texture du petit pois (lisse ou ridé)
2. la couleur du petit pois (jaune ou vert)
3. la couleur de la fleur (blanche ou violette)
4. la position de la fleur (au bout de la plante ou sur ses rameaux)
5. la couleur de la gousse (verte ou jaune)
6. la forme de la gousse (lisse ou dentelée)
7. la taille de la plante (grande ou petite)
Chaque trait ou caractère, remarquait Mendel, présentait au moins deux
états différents. C'était comme deux possibilités d'épeler un même mot, ou
de teinter une même veste (Mendel effectuait des expériences avec
seulement deux variants du même caractère, mais dans la nature, il peut y
en avoir plus, par exemple des fleurs blanches, pourpres, mauve et jaunes).
Les biologistes appelleront plus tard ces variants des allèles, du grec allos,
qui réfère à deux sous-types différents du même trait général. Le pourpre et
le blanc sont deux allèles du même trait : la couleur de la fleur. Les sous-
types long et court étaient deux allèles d'un autre caractère : la taille.
Les plantes de lignées pures n'étaient qu'un point de départ pour ses
expériences. Pour révéler la nature de l'hérédité, Mendel savait qu'il allait
devoir faire des hybrides, car seuls les « bâtards » – mot couramment utilisé
par les botanistes allemands dans leurs expériences pour décrire les plantes
hybrides – pouvaient dévoiler la nature de la pureté. Contrairement à ce que
l'on croyait encore récemment 7, il était parfaitement conscient des
profondes implications de son étude. La question abordée était cruciale pour
« l'histoire de l'évolution des formes organiques 8 » écrit-il. En deux ans, de
façon stupéfiante, Mendel avait produit une série d'outils qui allaient lui
permettre de questionner les aspects les plus importants de l'hérédité. Pour
dire les choses simplement, la question de Mendel consistait à savoir si, en
croisant une grande plante avec une petite, il allait obtenir une plante de
taille moyenne. Les deux allèles, pour la grandeur et la petitesse, allaient-ils
se diluer, fusionner ?
La production de plantes hybrides était une tâche pénible. Le petit pois se
féconde lui-même, normalement. Les étamines et le pistil mûrissent à
l'intérieur d'une carène en forme de fermoir et le pollen passe directement
des premières au second. La fécondation croisée était une autre histoire.
Pour faire des hybrides, Mendel devait déjà castrer chaque fleur en retirant
les étamines, puis apporter la poudre jaune du pollen d'une autre fleur. Il
travaillait seul, passant avec son pinceau et ses pinces d'une fleur à l'autre. Il
accrochait son chapeau de jardinier à une harpe, de sorte que chaque visite
au jardin était ponctuée du son d'une seule note cristalline. C'était sa seule
musique.
Il est difficile de savoir dans quelle mesure les autres moines de l'abbaye
étaient au courant ou se souciaient des travaux de Mendel. Au début des
années 1850, il avait tenté une variante plus audacieuse de ses expériences
en utilisant des souris blanches et grises. Il avait élevé en secret les rongeurs
dans sa cellule pour essayer de faire des souris hybrides. Mais l'abbé, bien
qu'il considérât en général avec indulgence les lubies de Mendel, était cette
fois intervenu. Un moine organisant l'accouplement de souris pour
comprendre l'hérédité faisait courir un peu trop de risques à l'établissement,
même chez les Augustiniens. Mendel s'était rabattu sur les plantes et avait
déplacé ses expériences à l'extérieur dans une serre. L'abbé avait acquiescé.
Il avait fait obstacle aux souris, mais voulait bien donner une chance aux
petits pois.
À la fin de l'été 1857 9, le premier plant hybride fleurit dans le jardin de
l'abbaye en une explosion de fleurs pourpres et blanches. Mendel nota les
couleurs et lorsque les gousses furent formées, il les ouvrit pour examiner
les graines. Il lança de nouveaux croisements, le grand avec le petit, le
jaune avec le vert, le ridé avec le lisse. Et dans un autre élan bien inspiré, il
croisa certains hybrides entre eux, faisant des hybrides d'hybrides. Les
expériences se poursuivirent ainsi pendant huit ans. Les plantations s'étaient
alors étendues de la serre à un lopin de terre à côté, un rectangle de six
mètres sur trente qui bordait le réfectoire et était visible de sa chambre.
Lorsque le vent faisait ouvrir sa fenêtre, c'était comme si toute la pièce
devenait un immense microscope. Le cahier de Mendel se remplissait de
tableaux et de notes, accumulait les résultats de milliers de croisements. Ses
pouces lui faisaient mal à force de décortiquer les gousses.
« Une pensée même petite peut suffire à remplir toute une vie » a écrit le
philosophe Ludwig Wittgenstein 10. En vérité, à première vue, la vie de
Mendel semblait remplie des plus petites pensées. Semer, polliniser, laisser
fleurir, cueillir, décortiquer, compter, répéter. La procédure était d'une
monotonie extrême, mais les petites pensées, Mendel le savait, sont parfois
les germes de grands principes. Si la révolution scientifique qui avait balayé
l'Europe au XVIIIe siècle avait laissé un message, c'était bien que les lois de
la nature sont générales et uniformes. La force qui avait poussé la pomme
de Newton à atterrir sur sa tête était la même que celle qui guidait les
planètes sur leur orbite céleste. Si l'hérédité obéissait aussi à des lois
naturelles universelles, celles-ci devaient agir aussi bien dans la genèse des
petits pois que dans celle des hommes. Le lopin de terre de Mendel pouvait
bien être petit, son ambition scientifique était d'une tout autre mesure.
« Les expériences avancent lentement, écrit Mendel. Au début, il a fallu
une bonne dose de patience, mais j'ai vite trouvé que les choses allaient
mieux quand je menais plusieurs expériences en même temps. » En
effectuant des croisements en parallèle, les résultats tombèrent à un rythme
accéléré. Peu à peu, il se mit à discerner des motifs dans les données, des
récurrences inattendues, des rapports constants, des rythmes numériques. Il
arrivait, enfin, au cœur de la logique de l'hérédité.
Le premier motif fut facile à déceler. Dans la première génération
d'hybrides, les caractères héritables individuels, comme la taille élevée ou
réduite, la couleur jaune ou verte des graines, ne fusionnaient pas du tout.
Le croisement d'une plante de grande taille avec une plante naine produisait
à chaque fois, et uniquement, des plantes de grande taille. Celui d'une plante
à graines lisses avec une plante à graines ridées, uniquement des plantes à
graines lisses. Les sept caractères suivaient tous ce motif. « Le caractère
hybride » n'est pas intermédiaire mais « ressemble à l'une des deux formes
parentales », écrit-il. Mendel appela ces états de caractère dominants 11, et
ceux qui disparaissaient, récessifs.
Si Mendel avait arrêté là ses expériences, il aurait déjà grandement
contribué à la théorie de l'hérédité. L'existence d'allèles dominants ou
récessifs pour un trait contredisait les théories du XIXe siècle sur le mélange
héréditaire car les hybrides de Mendel ne présentaient pas de
caractéristiques intermédiaires. Seul un allèle s'imposait dans l'hybride,
forçant l'autre à disparaître.
Mais où avait-il disparu ? Avait-il été complètement éliminé ? Mendel
alla plus loin dans son analyse avec une seconde expérience. Il croisa deux
hybrides « grand-petit » pour obtenir une deuxième génération. Comme
l'allèle « grand » était dominant, tous les plants utilisés comme parents
étaient grands. Mais avec ce nouveau croisement, Mendel trouva un résultat
totalement inattendu. Dans cette deuxième génération 12, l'état de caractère
« petit » réapparut, parfaitement intact, et il retrouva ce motif avec les sept
caractères qu'il étudiait. Les fleurs blanches, par exemple, disparaissaient à
la première génération d'hybrides, pour réémerger de la même façon à la
seconde génération chez certains plants. Un organisme « hybride », réalisa
Mendel, était en fait composite, formé d'un allèle dominant et visible allié à
un allèle récessif, latent (le mot utilisé par Mendel pour décrire ces variants
était « forme », celui d'allèle ne sera forgé par les généticiens que dans les
années 1900).
En étudiant les relations mathématiques, les rapports entre les différents
types engendrés par les croisements, Mendel pouvait commencer à
construire un modèle expliquant le mode d'héritage des caractères 13.
Chacun d'entre eux, dans son modèle, était déterminé par une particule
indépendante, indivisible, d'information. Ces particules se présentaient sous
deux formes, ou allèles : petit ou grand pour la taille, blanc ou violet pour la
couleur des fleurs, et ainsi de suite. Chaque plante héritait d'une copie de
chaque parent, un allèle du père via le pollen et un de la mère via l'ovule.
Lorsqu'un hybride était créé, les deux allèles demeuraient intacts mais un
seul se manifestait.
Le 8 février 1865, sept ans après que Darwin et Wallace avaient lu leur
article à la société linnéenne à Londres, Mendel présenta le sien, en deux
parties, lors d'une réunion beaucoup moins solennelle 16. Il s'exprima devant
un groupe de fermiers, de botanistes et de biologistes de la Société de
sciences naturelles à Brno. Il existe peu de sources historiques relatant ce
moment. La salle était petite, et il n'y avait qu'une quarantaine de personnes
présentes. L'article, avec des dizaines de tableaux et de symboles
ésotériques pour désigner les traits et les variants, était difficile d'accès,
même pour un statisticien. Pour un biologiste, cela devait ressembler à un
vrai charabia.
Les botanistes étudient en général la morphologie, pas les statistiques. Le
comptage des variants pour les graines et les fleurs sur des dizaines de
milliers d'hybrides a dû abasourdir les contemporains de Mendel. Peu après
son exposé, un professeur de botanique se leva pour discuter de l'ouvrage de
Darwin et de la théorie de l'évolution. Personne dans l'audience n'eut l'idée
de faire une relation entre les deux sujets. Même si Mendel était conscient
d'un lien potentiel entre ses « unités d'hérédité » et l'évolution – ses notes
antérieures révèlent qu'il avait bien cherché un tel lien –, il ne fit aucun
commentaire explicite à ce sujet.
L'article de Mendel fut publié dans les Comptes rendus de la Société de
sciences naturelles de Brno de l'année 17. Mendel, qui était peu disert, était
encore plus concis dans ses écrits. Il avait regroupé presque dix ans de
travail en quarante-quatre pages terriblement arides. Des copies de l'article
furent envoyées à des dizaines d'institutions dont la Royal Society, la
Société linnéenne en Angleterre et à la Smithonian Institution à
Washington. Mendel lui-même réclama quarante tirés à part qu'il envoya,
lourdement annotés, à de nombreux scientifiques. Il est probable qu'il en ait
envoyé un à Darwin 18 mais il n'y a aucune trace que celui-ci l'ait réellement
lu.
Ce qui a suivi, comme l'a écrit un généticien, fut « l'un des silences les
plus curieux de l'histoire de la biologie 19 ». L'article ne fut cité que quatre
fois entre 1866 et 1900 et disparut pratiquement de la littérature
scientifique. Entre 1890 et 1900, alors même que les questions sur l'hérédité
humaine et sa manipulation devenaient centrales pour les responsables
politiques aux États-Unis et en Europe, le nom de Mendel et son travail
semblaient à jamais effacés. L'étude qui a fondé la biologie moderne était
enfouie dans les pages de l'obscure revue d'une obscure société scientifique,
lue essentiellement par des sélectionneurs de plantes dans une ville en
déclin d'Europe centrale.
Galton dut réaliser les limites inhérentes de son projet sur les généalogies
car il l'abandonna bientôt pour une approche empirique bien plus puissante.
Au milieu des années 1880, il commença à envoyer des « enquêtes » à des
hommes et des femmes, leur demandant de consulter les registres familiaux,
de les compiler et de lui communiquer des mesures détaillées sur la taille, le
poids, la couleur des yeux, l'intelligence, et les dons artistiques des parents,
grands-parents et enfants (la fortune de la famille de Galton, son héritage le
plus tangible en fait, fut bien commode ici car il offrait un dédommagement
substantiel à tous ceux qui lui retournaient une enquête satisfaisante). Armé
de vrais chiffres, Galton pouvait maintenant trouver l'insaisissable « loi de
l'hérédité » qu'il avait si ardemment recherchée durant des décennies.
Une grande part de ce qu'il trouva correspondait à ce que suggérait
l'intuition, mais à un détail près. Les parents de grande taille avaient des
enfants du même acabit, mais ce n'était vrai qu'en moyenne. Ces enfants
étaient certes plus grands que la moyenne, mais leur répartition obéissait
aussi à une courbe en cloche, certains étant plus grands et d'autres plus
petits que leurs parents* *. Si une loi générale de l'hérédité se cachait
derrière ces données, c'était que les traits humains se répartissaient en
courbes continues, et que des variations continues reproduisaient des
différences continues.
L'apparition de ces formes variantes pouvait-elle résulter d'une loi, d'une
règle sous-jacente ? À la fin des années 1880, Galton synthétisa toutes ses
observations en son hypothèse la plus aboutie sur l'hérédité. Il proposa que
chaque trait humain, que ce soit la taille, le poids, l'intelligence ou la beauté,
soit une fonction composée issue d'une règle de transmission des caractères
ancestraux. Les parents d'un enfant apportaient chacun, en moyenne, la
moitié de ce trait, les grands-parents un quart, les arrière-grands-parents un
huitième, et ainsi de suite, jusqu'à l'ancêtre le plus éloigné. La somme des
contributions pouvait s'écrire par la série ½ + ¼ + 1/8 +… qui convergeait
commodément vers 1. Galton l'appela la Loi ancestrale de l'hérédité 22.
C'était une sorte d'homonculus mathématique, une idée inspirée à la fois par
Pythagore et Platon, mais vêtu de fractions et de dénominateurs pour
ressembler à une loi tout ce qu'il y a de plus moderne.
Galton savait que le couronnement de sa loi serait sa capacité à prédire
précisément un type réel d'hérédité. En 1897, il trouva le cas idéal pour la
tester. Il put tirer parti d'une autre obsession anglaise des pedigrees, celle
des pedigrees des chiens, lorsqu'il découvrit un manuscrit inestimable, le
Basset Hound Club Rules 23. Il s'agissait d'un registre publié par Sir Everett
Millais en 1896 où étaient notées les couleurs du pelage de chiens basset sur
de nombreuses générations. À son grand soulagement, Galton trouva que sa
loi pouvait prédire avec précision la couleur à chaque génération. Il avait
finalement trouvé le code de l'hérédité.
Pour satisfaisante qu'elle fût, la solution ne dura pas longtemps.
Entre 1901 et 1905, Galton croisa le fer avec son plus coriace adversaire,
William Bateson, le généticien de Cambridge qui s'était fait le plus ardent
défenseur de la théorie de Mendel. Obstiné et arrogant, avec une moustache
en guidon qui semblait donner à son sourire un air dédaigneux, Bateson
était peu sensible aux équations. Les données sur les bassets, avançait-il,
étaient soit aberrantes soit imprécises. Les séries infinies de Galton
pouvaient avoir belle allure, les expériences de Bateson pointaient sans répit
vers un seul fait : les instructions héréditaires étaient portées par des unités
individuelles d'information et non par des moitiés ou des quarts de
messages d'ancêtres vaporeux. Mendel, malgré son bagage scientifique
plutôt léger, et de Vries, malgré son hygiène personnelle douteuse, avaient
raison. Un enfant était certes un assemblage d'ancêtres, mais de la forme la
plus simple, composé d'une moitié maternelle et d'une autre paternelle.
Chaque parent apportait un ensemble d'instructions qui étaient décodées
pour créer un enfant.
Face aux attaques de Bateson, Galton défendit sa théorie. Deux éminents
biologistes 24, Walter Weldon et Arthur Darbishire, ainsi que le célèbre
mathématicien Karl Pearson, lui vinrent en aide pour défendre la « loi des
ancêtres » et le débat vira rapidement à l'affrontement ouvert. Weldon, qui
avait été un professeur de Bateson à Cambridge, s'avéra son opposant le
plus vigoureux. Il qualifia ses expériences de « complètement inadéquates »
et refusa de croire aux études de de Vries. Pearson, dans le même temps,
fonda une revue scientifique, Biometrika (nom tiré de l'idée de Galton de
mesure biologique), qui devint le porte-parole de la théorie de Galton.
En 1902, Darbishire lança une nouvelle série d'expériences chez la souris
dans l'espoir de réfuter une fois pour toutes l'hypothèse de Mendel. Il éleva
des milliers de souris avec l'intention de prouver la justesse des idées de
Galton. Mais lorsqu'il analysa ses propres hybrides de première
génération 25, puis les croisements entre hybrides, il devint clair que les
résultats ne pouvaient s'expliquer que par une hérédité de type mendelienne,
avec des caractères indivisibles passant de génération en génération.
Darbishire commença par résister puis dut se rendre à l'évidence et admettre
finalement son erreur.
Au cours du printemps 1905 26, Weldon emporta une copie des études de
Bateson et Darbishire au cours d'un congé à Rome où il tenta, bouillonnant
de rage, comme un « simple étudiant » de retravailler les résultats pour les
rendre conformes à la théorie de Galton 27. Il revint à Londres durant l'été,
espérant renverser les conclusions de ces études par ses analyses, mais il fut
frappé de pneumonie et mourut brutalement chez lui. Il n'avait que
quarante-six ans. Bateson écrivit un hommage funéraire émouvant à son
ancien professeur et ami. « À Weldon je dois le principal éveil de ma vie »
rappelait-il, en précisant au sujet de cette dette : « mais seule mon âme lui
est redevable, de façon personnelle et privée 28 ».
« L'éveil » de Bateson fut loin d'être un cas isolé. Entre 1900 et 1910, les
indices des « unités héréditaires » de Mendel s'accumulaient et les
biologistes furent confrontés à l'influence de la nouvelle théorie. Elle avait
de profondes implications. Aristote avait donné à l'hérédité le sens d'une
cascade d'informations, une rivière de codes passant du gamète femelle à
l'embryon. Des siècles plus tard, Mendel était tombé sur la structure
essentielle de cette information, l'essence de ce code. Si Aristote avait décrit
un flux d'informations à travers les générations, Mendel en avait dévoilé
l'étalon
Mais peut-être, réalisait Bateson, qu'un principe encore plus important
était en jeu. Ce flux d'information biologique ne se limitait pas à l'hérédité.
Il parcourait toute la biologie. La transmission de traits héréditaires n'était
qu'un exemple représentatif, mais en y regardant de plus près, en allant au-
delà des concepts habituels, on pouvait facilement imaginer une
information diffusant dans tout le monde vivant. Le développement d'un
embryon, l'élan d'une plante vers la lumière, la danse rituelle des abeilles,
toutes les activités biologiques demandaient le décodage d'instructions
biologiques. Mendel n'avait-il pas, par la même occasion, mis au jour la
structure essentielle de ces instructions ? Les unités d'informations ne
guidaient-elles pas chacun de ces processus ? « Chacun de nous, lorsqu'il se
penche sur son propre domaine de recherche, peut y voir les notions de
Mendel 29, avançait-il. Nous avons à peine effleuré un nouveau territoire qui
s'étend devant nous 30 […] L'étude expérimentale de l'hérédité […] n'a pas
d'égale parmi les branches scientifiques pour l'importance des résultats
qu'elle apporte 31 ».
Ce « nouveau territoire » exigeait une nouvelle langue et les « unités
héréditaires » de Mendel devaient être baptisées. Le mot atome, utilisé dans
son sens moderne, est apparu dans le vocabulaire scientifique dans un
article de John Dalton publié en 1808. Durant l'été 1909, pratiquement un
siècle plus tard, le botaniste Wilhelm Johannsen forgea un autre mot pour
désigner l'unité de l'hérédité. Il pensa d'abord à utiliser le mot pangène de
de Vries, avec sa dimension d'hommage à Darwin. Mais ce dernier, en fait,
s'était trompé et le mot pangène aurait alors porté pour toujours le souvenir
de cette erreur. Johannsen le raccourcit alors en gène 32 (Bateson aurait
préféré l'appeler gen pour éviter des erreurs de prononciation mais ce fut
trop tard. Johannsen et l'habitude continentale de déformer l'anglais eurent
le dernier mot).
Comme pour Dalton avec le mot atome, ni Bateson ni Johannsen ne
comprenaient vraiment ce qu'était le gène. Ils ne pouvaient pas appréhender
sa forme, sa structure physique ou chimique, sa localisation dans le corps
ou dans la cellule, ni même son mécanisme d'action. Le mot fut créé pour
marquer une fonction, c'était une abstraction. Un gène fut défini par ce qu'il
faisait : porter une information héréditaire. « La langue n'est pas seulement
à notre service 33, écrivait Johannsen, [mais] elle peut aussi être notre
maître. Il est désirable de créer une nouvelle terminologie dans tous les cas
où l'on conçoit de nouvelles idées. J'ai donc proposé le mot“gène”. Le gène
n'est rien d'autre qu'un petit mot très facile à utiliser. Il peut être utile pour
désigner les “facteurs d'unité”[…] montrés par les chercheurs mendéliens
actuels ». Johannsen remarquait aussi que « le mot “gène” est totalement
dénué d'hypothèse. Il exprime seulement le fait évident que […] beaucoup
de caractéristiques d'un organisme sont spécifiées […] d'une manière
unique, distincte et donc indépendante ».
Mais en science, un mot est vraiment une hypothèse. Dans la langue
naturelle, un mot sert à véhiculer une idée, alors que dans les sciences, il
porte aussi un mécanisme, une conséquence, une prédiction. Un nom
scientifique peut déclencher des milliers de questions, et c'est exactement ce
que fit l'idée de « gène ». Quelle est la nature physique et chimique du
gène ? Comment l'ensemble des instructions génétiques – le génotype – se
manifeste-t-il pour donner les caractéristiques observables de l'organisme –
le phénotype – ? Comment les gènes sont-ils transmis ? Où se trouvent-ils ?
Comment sont-ils régulés ? Si les gènes sont bien des unités discrètes
spécifiant un trait, comment peuvent-ils gouverner les caractéristiques qui
varient de manière continue entre les individus, telles que la taille ou la
couleur de la peau ? Bref, comment le gène permet-il la genèse d'un
individu ?
« La science de la génétique est tellement neuve qu'il est impossible de
dire… quelles sont ses limites 34, écrivait un botaniste en 1914. Dans la
recherche, comme dans toute activité d'exploration, le temps de l'émotion
arrive lorsqu'un territoire inconnu s'ouvre avec la découverte d'une nouvelle
clé. »
Cloîtré dans son hôtel particulier près de Hyde Park, Francis Galton fut
curieusement peu sensible au « temps de l'émotion ». Alors que les
biologistes s'empressaient d'adopter les lois de Mendel et de comprendre
leurs implications, Galton y demeura assez indifférent. Que les unités de
l'hérédité soient divisibles ou pas ne l'intéressait pas vraiment. Ce qui le
préoccupait était de savoir si l'hérédité était manipulable ou pas, si l'on
pouvait accéder à l'hérédité humaine pour l'améliorer.
« Tout autour [de Galton], écrit l'historien Daniel Kevles, les techniques
de la révolution industrielle confirmaient la maîtrise de l'homme sur la
nature 35. » Galton avait été incapable de découvrir les gènes, mais il n'allait
pas passer à côté de la création des technologies génétiques. Il avait déjà
forgé un nom pour elles, l'eugénisme, ou amélioration de la race humaine
par la sélection artificielle de traits génétiques et le croisement dirigé des
porteurs humains. L'eugénisme n'était aux yeux de Galton qu'une
application de la génétique, comme l'agriculture l'est pour la botanique.
« Ce que la nature fait à l'aveugle, lentement et brutalement, l'homme peut
le faire à dessein, rapidement et en douceur. Comme cela est en son
pouvoir, il est de son devoir de travailler dans cette direction » précisait-il.
Il avait proposé le concept dès 1869 dans son livre Hereditary Genius,
trente ans avant la redécouverte des lois de Mendel, mais à l'époque, il
n'avait pas approfondi l'idée, se concentrant plutôt sur les mécanismes de
l'hérédité. Mais comme son hypothèse d'un « héritage des ancêtres » avait
été progressivement mise en pièces par Bateson et de Vries, il avait
brusquement viré de la description à la prescription. Il s'était peut-être
trompé sur les bases biologiques de l'hérédité humaine, mais il avait au
moins compris que faire avec elles. « Ce n'est pas une question pour le
microscope, écrivait un de ses protégés dans une allusion sournoise à
Bateson, Morgan et de Vries, il s'agit d'une étude des […] forces qui
apportent de la grandeur au groupe social 36 ».
Au cours du printemps 1904, Galton prôna l'eugénisme lors d'une
conférence publique à la London School of Economics 37. C'était une soirée
typique à Bloomsbury. Bien coiffée et resplendissante, l'élite parfumée de la
ville se pressa dans l'auditorium pour l'écouter. Il y avait George Bernard
Shaw, H. G. Wells, la féministe Alice Drysdale Vickery, la philosophe du
langage Lady Welby, le sociologue Benjamin Kidd ainsi que le psychiatre
Henry Maudsley. Pearson, Weldon et Bateson arrivèrent en retard et se
tinrent à distance, pas encore remis de leur brouille mutuelle.
Le propos de Galton dura dix minutes. L'eugénisme, proposait-il, devait
être « présenté à la conscience nationale comme une nouvelle religion 38 ».
Ses bases étaient empruntées à Darwin, mais la logique de la sélection
naturelle était appliquée aux sociétés humaines. « Toutes les créatures
s'accorderont sur le fait qu'il vaut mieux être en bonne santé que malade,
vigoureux que faible, adapté qu'inadapté à la position qu'on occupe dans la
vie. Bref, quelle que soit l'espèce à laquelle on appartient, il vaut mieux en
être un bon représentant qu'un mauvais. Il en va de même pour
l'homme 39. »
Le but de l'eugénisme était d'accélérer la sélection des plus aptes au
détriment de ceux qui l'étaient moins, des bien-portants sur les malades.
Pour y arriver, Galton proposait de faire se reproduire les forts. Le mariage
pouvait être facilement utilisé pour cela, avançait-il, mais seulement si la
pression sociale était suffisamment puissante. « Si les mariages inappropriés
du point de vue eugénique étaient socialement rejetés […] il y en aurait très
peu 40 » disait-il. Et Galton imaginait qu'un registre des meilleurs caractères
dans les meilleures familles pouvait être tenu par la société, pour former en
quelque sorte un catalogue humain. Les hommes et les femmes seraient
sélectionnés à partir de ce « livre d'or » comme il l'appelait, et amenés à
engendrer la meilleure descendance, d'une manière comparable à celle
appliquée aux bassets et aux chevaux.
Durant les dernières années de sa vie, Galton fut tourmenté par l'idée de
l'eugénisme négatif. Elle ne le laissa jamais en paix. La « stérilisation des
échecs », le désherbage et le nettoyage du jardin génétique humain, le hanta
avec ses nombreux dangers moraux implicites. En fin de compte, son
aspiration à faire de l'eugénisme une « religion nationale » surmonta ses
scrupules sur l'eugénisme négatif. En 1909, il fonda une revue, la Eugenics
Review, qui soutenait non seulement la sélection pour le croisement des
personnes, mais aussi la stérilisation sélective. En 1911, il rédigea un
étrange roman intitulé Kantsaywhere narrant une utopie future où environ la
moitié de la population était marquée comme « inapte » et dont la
reproduction était sévèrement limitée. Il en laissa une copie à sa nièce, mais
elle trouva le texte tellement embarrassant qu'elle en brûla une bonne partie.
Le 24 juillet 1912, une année après le décès de Galton, la première
conférence internationale sur l'eugénisme s'ouvrit à l'hôtel Cecil de
Londres 46. L'endroit était symbolique. Avec près de 800 chambres et une
grande façade monolithique donnant sur la Tamise, c'était le plus grand, si
ce n'est le plus prestigieux, des hôtels en Europe, un lieu typiquement
réservé aux événements diplomatiques ou nationaux.
Des célébrités de douze pays et de divers domaines y descendirent pour
assister à la conférence. Il y avait Winston Churchill, Lord Balfour, le maire
de Londres, le président de la Cour suprême, Alexander Graham Bell, le
président de l'université de Harvard Charles Eliot, l'embryologiste August
Weismann. Leonard Darwin, fils de Charles, présidait la rencontre tandis
que le mathématicien Karl Pearson avait collaboré étroitement avec lui pour
établir le programme. Les visiteurs, qui avaient parcouru le grand hall
d'entrée voûté en marbre où un arbre généalogique de Galton trônait bien en
vue, étaient invités à des conférences sur les manipulations génétiques pour
augmenter la taille des enfants, sur l'hérédité de l'épilepsie, sur la
reproduction des alcooliques, et sur la nature génétique de la criminalité.
Parmi toutes ces présentations, deux se distinguaient par leur ferveur
particulière. La première était un exposé précis et enthousiaste par des
Allemands qui soutenaient « l'hygiène raciale », un bien sombre présage de
ce qui allait arriver. Alfred Ploetz, médecin et scientifique, farouche
partisan de la théorie de l'hygiène raciale, fit un discours passionné sur le
lancement d'un nettoyage de la race en Allemagne. La seconde présentation,
encore plus large dans sa portée et son ambition, fut donnée par la
délégation américaine. Si l'eugénisme était en train de devenir une petite
industrie artisanale en Allemagne, elle était déjà une véritable opération
nationale aux États-Unis. Le père de ce mouvement américain était le
célèbre zoologue de Harvard Charles Davenport, qui avait fondé en 1910 un
centre de recherche sur l'eugénisme, l'Eugenics Record Office. Le livre de
Davenport intitulé Heredity in Relation to Eugenics, 47 paru en 1911, était la
bible du mouvement ; il était aussi largement conseillé en tant que manuel
de génétique dans les universités américaines 48.
Davenport n'était pas présent à la conférence de 1912 mais son protégé
Bleecker Van Wagenen, le jeune président de l'Association des éleveurs
américains, fit un vibrant exposé. Contrairement aux Européens qui
s'enlisaient dans des considérations théoriques, la présentation de Van
Wagenen était imprégnée du sens pratique des Yankees. Il parla avec brio
des efforts sur le terrain pour éliminer les « lignées défectueuses » aux
États-Unis. Des centres fermés, des « colonies » pour les génétiquement
inaptes étaient déjà programmés. Des comités étaient déjà en place pour
décider de la stérilisation des hommes et des femmes inaptes, que ce soient
des épileptiques, des criminels, des sourds-muets, des débiles mentaux, des
personnes ayant des défauts oculaires, des déformations osseuses, un
nanisme, une schizophrénie, un trouble bipolaire ou atteintes de folie.
« Près de 10 % de la population […] a un sang inférieur 49, estimait Van
Wagenen, ils sont complètement inaptes à devenir les parents de citoyens
utiles […] Dans huit États de l'Union, des lois autorisent ou demandent la
stérilisation ». En « Pennsylvanie, au Kansas, dans l'Idaho, en Virginie […]
Des milliers et des milliers de stérilisations ont été pratiquées par des
chirurgiens aussi bien dans le privé que dans le public. La règle a été que
ces opérations ont été faites pour des raisons purement pathologiques et il
s'est avéré difficile d'obtenir des relevés fiables d'éventuelles conséquences
à long terme ».
« Nous nous efforçons de garder la trace de toutes les personnes opérées
et d'avoir de leurs nouvelles de temps en temps 50, concluait avec entrain le
directeur général de l'hôpital de l'État de Californie en 1912. Nous n'avons
trouvé aucun effet indésirable. »
« Trois générations d'imbéciles, ça suffit »
2
livre VII, chapitre VI
Avant que sa mère ne soit orientée vers Lynchburg en 1920, Carrie Buck
avait eu une enfance pauvre mais néanmoins normale. Un bulletin scolaire
de 1918, alors qu'elle avait douze ans, note qu'elle était « très bonne » en
« comportement et en leçons ». Dégingandée, garçonne, turbulente, grande
pour son âge, avec une frange de cheveux foncés et un grand sourire, elle
aimait écrire des mots aux garçons à l'école et pêcher des grenouilles et des
petits poissons dans les étangs voisins. Une fois sa mère Emma partie, sa
vie commença à se disloquer. Carrie fut placée dans un foyer d'accueil. Elle
fut violée par le neveu de ses parents adoptifs et découvrit bientôt qu'elle
était enceinte.
Réagissant rapidement pour étouffer l'affaire, les parents adoptifs de
Carrie l'amenèrent devant le même juge municipal qui avait envoyé sa mère
à Lynchburg. Le plan était aussi de faire passer Carrie pour une imbécile.
On rapporta qu'elle s'abaissait à d'étranges comportements, avec des
« hallucinations et des crises de nerfs », qu'elle était impulsive, psychotique
et portée sur le sexe. Comme on pouvait le prévoir, le juge, qui était un ami
des parents adoptifs de Carrie, confirma le diagnostic de « faible d'esprit » :
telle mère, telle fille. Le 23 janvier 1924 7, moins de quatre ans après la
comparution d'Emma devant un juge, Carrie fut à son tour assignée à la
Colonie.
Le 28 mars 1924 8, sur le point de partir pour Lynchburg, Carrie donna
naissance à une fille, Vivian Elaine. Cette fille fut elle aussi placée dans une
famille d'accueil sur décision publique. Le 4 juin 1924, Carrie arriva à la
Colonie Virginia. « Il n'y a aucun indice de psychose, elle lit et écrit et
prend soin d'elle correctement » indique un rapport à son sujet. Ses
connaissances et ses compétences furent également jugées normales.
Néanmoins, en dépit de toute évidence, elle fut classée comme « débile de
niveau moyen 9 » et confinée sur place.
En août 1924, quelques mois après son arrivée à Lynchburg, Carrie Buck
fut convoquée devant le bureau de la Colonie à la demande du médecin
Albert Priddy 10.
Albert Priddy, le médecin d'une petite ville de Virginie à l'origine, était
devenu le directeur de la Colonie en 1910. Il était, sans qu'Emma ou Carrie
Buck ne le sachent, au centre d'une furieuse campagne politique. Le projet
qui lui tenait à cœur était la « stérilisation eugénique » des faibles d'esprit.
Doté de pouvoirs extraordinaires sur sa Colonie, Priddy était convaincu que
la détention des « déficients mentaux » dans les Colonies n'était qu'une
solution temporaire à la dissémination de leur « mauvaise hérédité ». Une
fois libérés, les imbéciles allaient se reproduire à nouveau, contaminant et
frelatant le pool génétique. La stérilisation était une stratégie plus définitive,
une solution finale.
Pour se couvrir, Priddy avait besoin d'une décision légale l'autorisant à
stériliser une femme pour des raisons explicitement eugéniques. Un tel cas
ferait alors jurisprudence pour des milliers d'autres. Lorsqu'il abordait le
sujet, il s'apercevait que les dirigeants politiques étaient très réceptifs à ses
idées. Le 29 mars 1924, avec l'aide de Priddy 11, l'État de Virginie autorisa la
stérilisation eugénique dans la mesure où la personne concernée avait été
vue par un « Comité de direction d'une institution de santé mentale ». Le
10 septembre, encore à la demande expresse de Priddy, le Comité de la
Colonie Virginie examina le cas de Carrie Buck lors d'une réunion de
routine. Au cours de son interrogatoire, une seule question fut posée à la
jeune femme : « Avez-vous quelque chose à dire en particulier sur
l'opération qui va être faite sur vous ? 12 » Elle dit seulement deux choses :
« Non, Monsieur, je n'ai rien à dire. C'est l'affaire de mes proches. » Ses
« proches », quels qu'ils soient, ne prirent pas sa défense. Le comité
approuva la demande de Priddy qu'elle soit stérilisée.
Mais Priddy s'inquiétait que sa tentative de stérilisation eugéniste ne soit
remise en cause par la cour de l'État ou par la cour d'appel fédérale. Sous
son instigation, le cas de Buck fut ensuite présenté à la cour de Virginie. Si
celle-ci confirmait son action, pensait Priddy, il aurait une liberté pleine et
entière de poursuivre ses menées eugénistes à la Colonie et de les étendre à
d'autres. Le cas « Buck vs Priddy » fut enregistré à la Cour du comté de
Amherst en octobre 1924.
Le 17 novembre 1925, Carrie Buck comparut au palais de justice de
Lynchburg. Elle s'aperçut que Priddy avait arrangé le témoignage d'une
dizaine de personnes. La première, une infirmière de secteur de
Charlottesville, témoigna qu'Emma et Carrie étaient impulsives,
« mentalement irresponsables, et […] faibles d'esprit ». Sollicitée pour
donner des exemples de comportement problématique de la part de Carrie,
elle dit que cette dernière « avait écrit des mots à des garçons ». Quatre
autres femmes apportèrent aussi leur témoignage. Mais le témoin le plus
important de Priddy restait à venir. Le médecin avait envoyé à l'insu des
deux femmes une travailleuse sociale de la Croix-Rouge examiner le bébé
de huit mois de Carrie, Vivian, qui vivait chez ses parents adoptifs. Si
l'enfant pouvait aussi être jugé faible d'esprit, pensait Priddy, l'affaire serait
terminée. Avec trois générations – Emma, Carrie et Vivian – frappées
d'imbécillité, il deviendrait difficile d'argumenter contre la transmission de
leur capacité mentale.
Ce dernier témoignage ne se passa pas aussi bien que Priddy l'avait
prévu. La travailleuse sociale, s'écartant du scénario attendu, commença par
admettre qu'il y avait des biais dans son évaluation :
« Peut-être que ma connaissance de la mère a pu m'influencer […]
— Quelle impression avez-vous eue de l'enfant ? » demanda le juge.
La travailleuse sociale hésita encore.
« Difficile de juger des probabilités d'un enfant aussi jeune, mais elle ne
me semble pas être un bébé tout à fait normal […]
— Vous ne jugez pas l'enfant comme normal ?
— Elle a un air qui n'est pas vraiment normal, mais savoir au juste ce que
c'est, je ne pourrais pas le dire ».
L'espace d'un instant, il sembla que l'avenir des stérilisations eugéniques
aux États-Unis dépendait des impressions assez floues d'une infirmière qui
avait pris dans ses bras un bébé pleurnichant sans ses jouets.
Le jugement prit cinq heures, en incluant le repas de midi. La
délibération fut brève, la décision clinique. La Cour confirma la décision de
Priddy de stériliser Carrie Buck. « Cet acte est en accord avec les exigences
de la loi conformément appliquée, indiquait le texte de la décision. Il ne
s'agit pas d'un statut pénal. On ne peut dire, comme prétendu, que cet acte
divise une classe naturelle de personnes en deux. »
La défense de Buck fit appel de la décision. Le cas remonta à la Cour
suprême de Virginie où la demande de Priddy de stériliser Buck fut à
nouveau confirmée. Au début du printemps 1927, le jugement arriva à la
Cour suprême des États-Unis. Priddy était décédé mais son successeur, John
Bell, le nouveau directeur de la Colonie, était l'inculpé désigné.
Carrie Buck fut stérilisée par ligature des trompes le 19 octobre 1927. Ce
matin-là, vers neuf heures, elle fut amenée à l'infirmerie de la Colonie. À
dix heures, droguée sous morphine et atropine, elle fut placée sur un
brancard dans la salle d'opération. Une infirmière lui administra un
anesthésiant et elle sombra dans un profond sommeil. Deux médecins et
deux infirmières étaient de service, un effectif inhabituel pour une opération
de routine de ce type, mais il s'agissait d'un cas spécial. John Bell, le
directeur, lui ouvrit l'abdomen par une incision au milieu du ventre. Il retira
un segment de chaque trompe de Fallope, maintint les extrémités et les
ligatura. La plaie fut cautérisée au phénol et stérilisée à l'alcool. L'opération
ne connut pas de complications.
La chaîne de l'hérédité était rompue. « Le premier cas opéré sous la loi de
la stérilisation » s'était déroulé comme prévu et la patiente était ressortie en
pleine forme, écrivit Bell. Buck récupéra dans sa chambre sans problème.
Six décennies et deux années, ce qui n'est rien à l'échelle historique,
s'étaient écoulées entre les premières expériences de Mendel sur les petits
pois et la stérilisation de Carrie Buck dans le cadre de la loi. Dans ce court
laps de temps, le gène était passé du concept abstrait d'une expérience de
botanique à un puissant outil de contrôle social. Au moment où le cas
« Buck vs Bell » était discuté à la Cour suprême en 1927, la rhétorique
génétique et eugéniste diffusait dans les discours personnels, politiques et
sociaux aux États-Unis. En 1927, l'État de l'Indiana adopta une révision
d'une loi antérieure pour stériliser les « criminels confirmés, les idiots, les
imbéciles et les violeurs » 19. D'autres États suivirent avec des mesures
légales encore plus draconiennes pour stériliser et détenir des hommes et
des femmes jugés génétiquement inférieurs.
Et tandis que des programmes de stérilisation soutenus par les États se
développaient dans tout le pays, naissait également un mouvement
populaire en faveur d'une sélection génétique personnalisée. Dans les
années 1920, des millions d'Américains se pressaient aux foires agricoles. À
côté des démonstrations de brossage de dents, des machines à pop-corn et
des charrettes de foin, le public pouvaient assister à des concours du
meilleur bébé 20. Des enfants, qui n'avaient souvent qu'un ou deux ans,
étaient exposés avec fierté sur des tables comme des chiens ou du bétail
pour être examinés par des médecins, des psychiatres, des dentistes et des
infirmières. Leurs yeux, leurs dents, leur peau, leur taille, leur poids, la
grosseur du crâne et leur caractère étaient évalués pour retenir les enfants
les plus sains et les plus aptes. Les bébés « les plus aptes » étaient ensuite
présentés dans les foires. Leurs images étaient diffusées partout sur des
posters, dans les journaux et les magazines, générant un soutien passif
envers le mouvement eugéniste national. Davenport, le zoologue de
Harvard devenu célèbre pour avoir établi le Bureau d'enregistrement
eugéniste, créa un formulaire standard d'évaluation des meilleurs bébés. Il
conseillait ainsi aux juges d'examiner les parents avant les enfants : « Vous
devriez tenir compte pour moitié de l'hérédité avant de commencer à
examiner un bébé 21. » « Celui qui remporte un prix à deux ans peut être un
épileptique à dix. » Ces foires comprenaient souvent des « stands de
Mendel » où les principes de la génétique et les lois de l'hérédité étaient
expliqués à l'aide de marionnettes.
En 1927, un film intitulé Are You fit to Marry ? 22 rassemblait les foules à
travers le pays 23. Il avait été réalisé par Harry Haiselden, un autre médecin
obsédé par l'eugénisme. Reprise d'un ancien film intitulé The Black Stork* *,
l'intrigue tourne autour d'un médecin, joué par Haiselden lui-même, qui
refuse de sauver des enfants handicapés pour tenter de « nettoyer » le pays
de ses individus déficients. À la fin du film, une femme cauchemarde
qu'elle est enceinte d'un enfant handicapé mental. Elle se réveille et décide
qu'elle et son fiancé devront être vus avant leur mariage pour s'assurer de
leur compatibilité génétique (à la fin des années 1920, les tests d'aptitude
génétique avant mariage, qui évaluaient les histoires familiales de retard
mental, d'épilepsie, de surdité, de maladies squelettiques, de nanisme et de
cécité, étaient largement vantés au public américain). Haiselden avait
l'ambition que son film soit commercialisé comme une comédie romantique
avec ses ingrédients conventionnels : de l'amour, de la romance, du
suspense et de l'humour, et en prime un peu d'infanticide pour le
déplacement.
Alors que l'avant-garde du mouvement eugéniste américain passait de la
privation de liberté à la stérilisation puis carrément au meurtre, les
eugénistes européens observaient l'escalade avec un sentiment partagé entre
jalousie et envie. En 1936, moins de dix ans après le cas « Buck vs Bell »,
une forme bien plus virulente de « nettoyage génétique » allait déferler sur
le continent comme une violente contagion, transformant le langage des
gènes et de l'hérédité en sa forme la plus puissante et la plus macabre.
PARTIE 2
« DANS LA SOMME DES PARTIES,
IL N'Y A QUE LES PARTIES »
L'élucidation des mécanismes de l'hérédité
(1930-1970)
Le jour précédant notre visite à Moni, mon père et moi avons fait une
promenade dans Calcutta. Nous sommes partis de la gare Sealdah où ma
grand-mère était descendue en 1946, débarquant de Barisal avec ses cinq
garçons et ses quatre malles d'acier. À partir de la gare, nous avons refait
leur chemin, marchant le long de la rue Prafulla Chandra, longeant le
vibrant marché de produits frais, avec ses étals de poissons et de légumes
d'un côté et l'étang de jacinthes d'eau de l'autre, puis nous nous sommes
dirigés vers la ville.
La rue se rétrécit ensuite fortement et la foule devient plus dense. Des
deux côtés de la rue, les grands appartements laissent la place à de plus
petits, comme animés par un puissant mouvement biologique où les pièces
seraient divisées en deux, puis quatre, puis huit. Les rues se ramifient et le
ciel disparaît. Il y avait le bruit métallique des cuisines et l'odeur minérale
de la fumée de charbon. Parvenus à la boutique du pharmacien, nous avons
tourné vers l'entrée de l'allée Hayat Khan et nous nous sommes dirigés vers
la maison que mon père et sa famille avaient occupée. Le tas d'ordures était
toujours là, nourrissant une population de plusieurs générations de chiens
sauvages. La porte d'entrée de la maison s'ouvrait sur une petite cour. Une
femme était dans la cuisine en bas des escaliers, sur le point de couper une
noix de coco avec un grand couteau.
« Êtes-vous la fille de Bibhuti ? » demanda de but en blanc mon père en
bengali. Bibhuti Mukhopadhyay était le propriétaire de la maison et l'avait
louée à ma grand-mère. Il n'était plus de ce monde mais mon père se
rappelait qu'il avait deux enfants, un garçon et une fille.
La femme regarda mon père d'un air las. Il avait déjà franchi le seuil et
était déjà monté sur la véranda, à quelques mètres de la cuisine. « Est-ce
que la famille de Bibhuti vit encore ici ? » Ses questions étaient directes,
sans formule de politesse. Je remarquai un changement délibéré de son
accent, le sifflement doux des consonnes – le chh dental du bengali de
l'Ouest évoluant vers le ss plus sifflé de celui de l'Est. À Calcutta, je le
savais, chaque accent est comme un moyen chirurgical de sonder l'autre.
Les bengalis envoient leurs voyelles et leurs consonnes comme des drones
de surveillance, pour tester l'identité de leur interlocuteur, déceler ses
sympathies et vérifier ses allégeances.
« Non, je suis la belle-fille de son frère, répondit la femme. Nous avons
vécu ici depuis la mort du fils de Bibhuti. »
Difficile de décrire ce qui s'est ensuite passé, sauf pour dire que ce genre
de moment n'arrive que dans les histoires de réfugiés. Un minuscule éclair
de compréhension passa entre eux. La femme reconnut mon père, non
l'homme réel qu'elle n'avait jamais rencontré auparavant, mais le type
d'homme : un garçon qui rentre à la maison. À Calcutta, comme à Berlin,
Peshawar, Delhi ou Dhaka, des hommes comme lui surgissent tous les jours
de la rue, sortant de nulle part pour pousser sans prévenir la porte des
maisons, franchissant inopinément le seuil de leur passé.
Ses manières devinrent visiblement plus chaleureuses. « Êtes-vous la
famille qui a vécu ici autrefois ? N'y avait-il pas de nombreux frères ? » Elle
posa ces questions de façon désinvolte, comme si cette visite n'avait que
trop longtemps tardé.
Son fils, âgé d'une douzaine d'année, se pencha par la fenêtre en haut des
escaliers, un livre à la main. Je connaissais cette fenêtre. Jagu s'y postait des
jours entiers pour scruter la cour.
« C'est bon » dit-elle à son fils en agitant les mains. Il recula vite à
l'intérieur. Elle se tourna vers mon père. « Allez à l'étage si vous voulez.
Regardez mais laissez vos chaussures dans la cage d'escalier. »
Je retirai mes baskets et le sol me parut immédiatement familier sous la
plante de mes pieds, comme si j'avais toujours vécu ici. Mon père déambula
dans la maison avec moi. C'était plus petit que je ne l'avais imaginé, comme
le sont inévitablement tous les endroits reconstruits à partir de souvenirs
empruntés, mais aussi plus sombre et plus poussiéreux. Les souvenirs
rendent le passé plus vif mais c'est plutôt la réalité qui s'émousse. Nous
sommes montés par un étroit escalier jusqu'à deux petites pièces. Les quatre
plus jeunes frères, Rajesh, Nakul, Jagu et mon père, avaient partagé l'une
d'entre elles. Le plus grand des frères, Ratan, le père de Moni, et ma grand-
mère avaient partagé la pièce d'à côté, mais lorsque l'esprit de Jagu avait
glissé dans la folie, elle avait renvoyé Ratan vivre avec ses frères et pris
Jagu sous son aile. Celui-ci n'avait ensuite plus quitté sa chambre.
Nous sommes montés jusqu'au balcon sur le toit. Le ciel se dilatait enfin.
La nuit tombait si vite qu'on pouvait presque imaginer la courbure de la
Terre virer loin du Soleil. Mon père tourna son regard vers les lumières de
la gare. Un train siffla au loin comme un oiseau désespéré. Il savait que
j'écrivais un livre sur l'hérédité.
« Les gènes » dit-il en fronçant les sourcils.
« Y a-t-il un mot bengali ? » demandai-je
Il consulta son lexique interne. Il n'y avait pas de mot, mais peut-être
pourrait-il trouver un substitut.
« Abhed » proposa-t-il. Je ne l'avais jamais entendu utiliser ce terme. Il
signifie « indivisible » ou « impénétrable » mais il est aussi utilisé au sens
large pour « identité ». Je m'émerveillai de ce choix. C'était un mot qui
résonnait. Mendel ou Bateson auraient pu se réjouir de ses nombreux
échos : indivisible, impénétrable, inséparable, identité.
Je demandai à mon père ce qu'il pensait de Moni, Rajesh et Jagu.
« Abheder dosh » dit-il.
Un défaut d'identité, une maladie génétique, une tache qui ne peut être
séparée du soi, la même expression donnait tous ces sens. Il avait fait la
paix avec son indivisibilité.
En dépit de tous les discours de la fin des années 1920 sur les liens entre
gènes et identité, le gène lui-même semblait en manque d'identité. Si l'on
avait demandé à des scientifiques de cette époque de quoi est fait un gène,
comment il fonctionne, ou encore où il se trouve au sein de la cellule, on
aurait reçu peu de réponses satisfaisantes. Alors que la génétique était
utilisée pour justifier des changements radicaux dans la société et les lois, le
gène restait une entité obstinément abstraite, un fantôme niché au cœur de
la machine biologique.
Cette boîte noire de la génétique fut ouverte presque accidentellement par
un scientifique improbable qui travaillait sur un organisme tout aussi
improbable. En 1907, quand William Bateson se rendit aux États-Unis pour
donner des conférences sur la découverte de Mendel 2, il fit une halte à New
York pour rencontrer le biologiste cellulaire Thomas Hunt Morgan. Bateson
ne fut pas particulièrement impressionné. « Morgan est un imbécile, écrivit-
il à sa femme. Il est dans un tourbillon permanent, très actif avec une
tendance à faire du bruit 3. »
Bruyant, actif, obsessionnel, excentrique, avec un esprit de derviche
tourneur qui passait d'une question scientifique à l'autre, Thomas Morgan
était professeur de zoologie à l'université Columbia. Il s'intéressait surtout à
l'embryologie. Dans un premier temps, les questions de l'existence des
unités héréditaires, de l'endroit et de la façon dont elles pouvaient être
conservées l'indifféraient. La principale question qui le préoccupait
concernait le développement : comment un organisme peut-il émerger d'une
cellule ?
Morgan s'était d'abord montré réticent envers la théorie de l'hérédité de
Mendel, pensant qu'il y avait peu de chance qu'une information
embryologique complexe puisse être contenue sous forme d'unités dans la
cellule (d'où le dédain de Bateson). Finalement, Morgan avait été convaincu
par les données de Bateson. Il était difficile d'argumenter contre le
« bouledogue de Mendel » qui débarquait armé de tableaux de données.
Pourtant, même si Morgan avait fini par accepter l'existence des gènes, il
restait perplexe quant à leur forme physique. « Les biologistes cellulaires
regardent, les généticiens comptent et les biochimistes purifient 4 »,
s'amusait le biochimiste et prix Nobel Arthur Kornberg. Il est vrai que les
biologistes cellulaires, avec leurs microscopes, s'étaient habitués à un
monde cellulaire où chaque structure visible avait une fonction identifiable.
Mais jusqu'à présent, les gènes n'avaient été « visibles » qu'au sens
statistique. Morgan voulait découvrir les bases physiques de l'hérédité.
« Nous nous intéressons à l'hérédité, non d'abord comme une formulation
mathématique 5, écrivait-il, mais plutôt comme un problème concernant la
cellule, l'ovule et le spermatozoïde. »
Mais où pouvaient bien se trouver les gènes dans la cellule ? Les
biologistes avaient depuis longtemps l'intuition que le meilleur matériau
pour les mettre en évidence était l'embryon. Dans les années 1890, Theodor
Boveri, un embryologiste allemand qui travaillait sur les oursins à Naples,
avait proposé que les gènes se trouvent sur les chromosomes. Il s'agit de
filaments, enroulés comme des ressorts, qui sont abrités dans le noyau des
cellules. On pouvait alors visualiser ces petits bâtonnets en les colorant en
bleu avec de l'aniline (d'où le terme de chromosome – du grec chrome,
« couleur » –, forgé par un collègue de Boveri, Heinrich Wilhem von
Waldeyer-Hartz).
L'hypothèse de Boveri fut corroborée par le travail de deux autres
scientifiques. Walter Sutton était durant son enfance un garçon de ferme qui
collectionnait les sauterelles dans les prairies du Kansas ; il était devenu un
biologiste de ces insectes à New York 6. Au cours de l'été 1902, alors qu'il
travaillait sur des ovules et des spermatozoïdes de sauterelles qui ont des
chromosomes particulièrement énormes, Sutton proposa lui aussi que les
gènes soient physiquement portés par les chromosomes. La troisième
contribution vint de la propre étudiante de Boveri, Nettie Stevens, qui se
penchait sur la détermination du sexe. En 1905, en observant des cellules du
ver de farine 7, elle démontra que le « caractère mâle » de ces animaux était
déterminé par un seul facteur, le chromosome Y. Celui-ci n'était présent que
chez les embryons mâles, jamais chez les femelles (au microscope, le
chromosome Y apparaissait plus petit que le chromosome X). Ayant
localisé le ou les gènes déterminant le sexe sur un unique chromosome,
Stevens proposa que tous les gènes soient portés par des chromosomes.
Morgan avait donc réécrit l'une des lois de Mendel et la révision était de
taille. Les gènes ne se déplaçaient pas indépendamment, mais plutôt en
groupes. Ces ensembles d'information que sont les gènes étaient eux-mêmes
regroupés en paquets, les chromosomes, réunis à leur tour dans le noyau de
la cellule. Mais cette découverte avait une conséquence plus importante du
point de vue conceptuel. Morgan n'avait pas seulement lié des gènes, il
avait opéré la jonction entre deux disciplines, la biologie cellulaire et la
génétique. Le gène n'était plus une « unité purement théorique » mais
quelque chose de bien matériel 13, localisé en un point précis et sous une
forme particulière dans la cellule. « Maintenant que nous pouvons localiser
[les gènes] sur les chromosomes, raisonnait Morgan, pouvons-nous les
considérer comme des unités matérielles, comme des corps chimique d'un
ordre supérieur aux molécules ? »
L'établissement d'une liaison entre gènes suscita une deuxième, puis une
troisième découverte. Revenons à cette liaison. Les expériences de Morgan
avaient établi que les gènes physiquement liés sur les mêmes chromosomes
étaient hérités ensemble. Si le gène produisant la couleur bleue des yeux,
disons B, est lié à celui responsable des cheveux blonds, disons Bl, les
enfants blonds auront inévitablement tendance à hériter de yeux bleus (c'est
juste un exemple fictif mais le principe illustré reste vrai).
Mais il y avait une exception. De temps en temps, très sporadiquement,
un gène pouvait se désunir de son gène lié et changer de place, un allèle de
ce gène passant du chromosome paternel au maternel et l'autre allèle faisant
le trajet inverse. Cela se traduisait par un enfant rare, brun avec des yeux
bleus, ou réciproquement, blond avec des yeux foncés. Morgan appela ce
phénomène le « crossing over » 14. Ce phénomène, nous allons le voir, sera
bientôt à l'origine d'une révolution en biologie, établissant le principe que
l'information génétique peut être mélangée, réunie et échangée, pas
seulement entre chromosomes d'une même paire mais entre des organismes
et même des espèces.
Le second point était que certains gènes sont activés par des facteurs
extérieurs ou par hasard. Chez les mouches, par exemple, un gène qui
détermine la taille des ailes vestigiales 9 dépend de la température, de sorte
que l'on ne peut prédire leur forme à partir des seuls gènes ou de la seule
température : il faut disposer des deux informations pour cela. Dans de tels
cas, ni le génotype ni l'environnement ne suffisent à prédire le phénotype,
déterminé par la combinaison des gènes, de l'environnement et du hasard.
Chez la femme, la version mutée du gène BRCA1 augmente le risque de
cancer du sein, mais toutes celles qui portent la mutation ne vont pas
développer ce cancer pour autant. De tels gènes, dont l'action dépend aussi
de facteurs extérieurs et du hasard, sont dits à « pénétrance » partielle ou
incomplète. Dans ce cas, même si le gène est transmis, sa capacité à
« pénétrer » dans le caractère qu'il contrôle n'est pas absolue. Un gène peut
ainsi avoir une « expressivité » variable suivant les individus. Une femme
portant la mutation BRCA1 peut développer une forme de cancer du sein
agressive et métastatique à trente ans alors qu'une autre va développer une
forme indolente de tumeur, et qu'une troisième n'aura aucun cancer.
On ne sait pas encore ce qui cause ces différences dans le destin de ces
trois femmes, mais il doit s'agir d'une combinaison de l'âge, de l'exposition
à l'environnement, de l'action d'autres gènes et du hasard. On ne peut se
contenter du génotype – ici la mutation BRCA1 – pour prédire ce qui va
arriver avec certitude.
La modification finale peut donc s'écrire :
Génotype + environnement + déclencheurs + hasard = phénotype
Cette formule, brève mais magistrale, rend bien la nature des interactions
entre hérédité génétique, hasard, environnement, variation et évolution qui
déterminent la forme et le sort d'un individu. Dans la nature, des variations
du génotype existent au sein des populations sauvages. Ces variants
interagissent avec les différents environnements rencontrés, avec des
facteurs déclencheurs et avec le hasard pour donner les caractéristiques d'un
organisme (une mouche dotée d'une résistance plus ou moins grande à la
température). Quand une forte pression de sélection est appliquée, par
exemple une température élevée ou une sévère restriction de nourriture, les
organismes avec les phénotypes « les plus adaptés » sont retenus. La survie
sélective de telles mouches se traduit par leur capacité à produire plus de
larves dotées d'une partie du génotype parental, qui donneront elles-mêmes
des mouches mieux adaptées à cette pression de sélection. Ce processus de
sélection agit notamment sur des propriétés physiques ou biologiques, et les
gènes sous-jacents sont retenus passivement dans le sillage.
Dit autrement, un nez déformé peut résulter d'une mauvaise journée sur
le ring, c'est-à-dire n'avoir rien à voir avec les gènes, mais si un concours de
reproduction porte seulement sur la symétrie du nez, ceux qui l'ont tordu
seront d'emblée éliminés. Même si le porteur de ce nez possède de
nombreux autres gènes salutaires à long terme, un gène pour la ténacité ou
l'endurance à la douleur par exemple, toute cette gamme sera vouée à
disparaître au cours du concours pour la reproduction, seulement à cause de
ce fichu nez.
Le phénotype, pour résumer, tire les génotypes à sa traîne, comme un
cheval tire une charrette. C'est le casse-tête permanent de la sélection
naturelle : elle oriente vers une chose (l'adaptation) et amène
accidentellement autre chose (des gènes responsables de cette adaptation).
Les gènes produisant l'adaptation deviennent graduellement surreprésentés
dans une population via la sélection des phénotypes, ce qui permet aux
organismes de devenir de mieux en mieux adaptés à leur milieu. La
perfection n'existe pas en ce bas monde, seule existe la recherche incessante
d'une correspondance entre un organisme et son environnement. C'est cela
le moteur de l'évolution.
« Nous nions en bloc que […] les généticiens verront les gènes au
microscope […] Les bases de l'hérédité ne se trouvent pas dans une
sorte de substance spéciale qui s'auto-reproduit 2 ».
Trofim Lyssenko
Le nazisme, a dit une fois le généticien allemand Fritz Lenz, n'est rien de
plus que de la « biologie appliquée » 3 4.
Au cours de l'été 1933, Hermann Muller, qui commençait à travailler à
l'Institut Kaiser Wilhelm à Berlin, put assister à la « biologie appliquée »
nazie en pleine action. En janvier de cette même année, Adolf Hitler, le
Führer du Parti national socialiste des travailleurs allemands, avait été
nommé chancelier de l'Allemagne. En mars, le parlement allemand adopta
la loi des pleins pouvoirs qui accordait à Hitler un pouvoir sans précédent
pour légiférer sans le parlement. Exultantes, les troupes paramilitaires
nazies défilèrent dans les rues de Berlin avec des torches à la main pour
saluer leur victoire.
La « biologie appliquée », telle que les nazis la comprenaient, était
vraiment de la génétique appliquée. Son but était d'établir une
Rassenhygiene, une « hygiène raciale ». Les nazis n'étaient pas les premiers
à utiliser ce terme. Alfred Ploetz, un médecin allemand, avait forgé ce terme
dès 1895 5 (rappelez-vous son discours sinistre et passionné à la Conférence
internationale sur l'eugénisme de Londres en 1912). Cette « hygiène
raciale » décrite par Ploetz correspondait à un nettoyage génétique de la
race, tout comme l'hygiène personnelle consiste à se nettoyer le corps. Et de
même que l'hygiène personnelle élimine chaque jour les dépôts et
excréments de l'organisme, l'hygiène raciale faisait disparaître les déchets
génétiques pour créer une race plus pure et plus saine 6.
En 1914, un collègue de Ploetz, le généticien Heinrich Poll, avait écrit :
« De même qu'un organisme sacrifie sans pitié ses cellules dégénérées,
qu'un chirurgien retire sans pitié un organe malade, les deux dans le but de
sauver l'ensemble, de même des entités organiques plus grandes telles qu'un
groupe de personnes apparentées ou l'État ne devraient pas hésiter, par
excès d'anxiété, à intervenir dans la liberté personnelle afin d'éviter que les
porteurs de traits héréditaires maladifs continuent à disséminer des gènes
nocifs à travers les générations 7. »
Ploetz et Poll considéraient des eugénistes américains ou britanniques
tels que Galton, Priddy et Davenport comme des pionniers de cette nouvelle
« science ». Ils soulignaient que la Colonie de Virginie pour les épileptiques
et les faibles d'esprit était une expérience idéale de nettoyage génétique. Au
début des années 1920, au moment où des femmes comme Carrie Buck
étaient repérées et transférées dans des camps eugénistes aux États-Unis, les
eugénistes allemands déployaient leurs propres efforts pour créer un
programme soutenu par l'État pour détenir, stériliser ou éradiquer les
hommes et les femmes « génétiquement déficients ». Plusieurs chaires
d'enseignement de « biologie raciale » et d'hygiène raciale furent instaurées
dans les universités allemandes et la science raciale devint une matière
parmi d'autres dans les écoles de médecine. Le centre académique de la
« science raciale » était l'Institut Kaiser Wilhelm d'Anthropologie,
d'Hérédité humaine et d'Eugénisme 8, situé à quelques mètres à peine du
nouveau laboratoire de Muller à Berlin.
Alors que dans les années 1930, les nazis apprenaient à déformer le
langage de l'hérédité pour promouvoir un programme d'État de stérilisation
et d'extermination, un autre puissant État européen distordait lui aussi la
logique de l'hérédité et des gènes pour justifier son action politique, bien
que d'une manière opposée. Les nazis avaient adopté la génétique comme
outil de purification raciale. En Union soviétique, dans les années 1930, des
scientifiques et des intellectuels de gauche proposèrent que rien n'est
inhérent dans l'hérédité. Dans la nature, tout, et particulièrement toute
personne, pouvait être changé. Les gènes étaient un mirage inventé par la
bourgeoisie pour souligner la fixité des différences individuelles alors qu'en
fait, rien dans les traits caractéristiques, identités, choix ou destinés n'était
indélébile. Si l'État avait besoin d'une purification, il pouvait y parvenir non
par la sélection mais par la rééducation de tous les individus et l'effacement
de leur précédent soi. Les cerveaux, pas les gènes, devaient être lavés.
Comme avec les nazis, la doctrine soviétique fut également confortée et
renforcée par une pseudo science. En 1928, un austère chercheur en
agriculture au visage taillé à la serpe, Trofim Lyssenko 25 – il « donne la
sensation d'un mal de dents » écrivit un journaliste à son propos 26 –
prétendit avoir trouvé un moyen de « casser » et de réorienter les influences
héréditaires chez les animaux et les plantes. Dans des expériences menées
dans de lointaines fermes en Sibérie, Lyssenko avait paraît-il exposé des
souches de blé à des épisodes sévères de froid et de sècheresse qui leur
avaient permis d'acquérir une résistance héréditaire à l'adversité (on a
découvert par la suite que ces annonces de Lyssenko étaient soit
franchement frauduleuses, soit fondées sur des expériences de mauvaise
qualité scientifique). En traitant des souches de blé avec cette « thérapie de
choc », Lyssenko avançait qu'il pouvait obtenir une floraison plus
vigoureuse au printemps et de meilleurs rendements de blé en été.
La « thérapie de choc » était en contradiction évidente avec la génétique.
L'exposition du blé au froid ou à la sècheresse ne pouvait pas plus produire
de changements permanents et héritables dans ses gènes que l'amputation
de la queue sur plusieurs générations de souris ne pouvait créer une souche
sans queue, ou que l'étirement du cou d'une antilope ne pouvait donner une
girafe. Pour instiller un tel changement dans ses plantes, Lyssenko aurait dû
muter des gènes de sensibilité au froid (en s'inspirant de Muller), utiliser
une sélection naturelle ou artificielle pour isoler des souches mutantes (en
s'inspirant de Darwin), puis croiser les souches mutantes entre elles pour
fixer la mutation (en s'inspirant de de Vries).
Mais Lyssenko se convainquit lui-même, et convainquit les autorités
soviétiques, qu'il avait « reconditionné » les plantes par la seule exposition
au froid et modifié par là durablement leurs caractéristiques propres. Le
gène, avançait-il 27, avait été « inventé par les généticiens » pour soutenir la
science d'une « bourgeoisie pourrissante et moribonde ». « Les bases de
l'hérédité ne se trouvent pas dans une sorte de substance spéciale qui s'auto-
reproduit. » C'était une redite éculée de l'idée de Lamarck, d'une adaptation
se transformant en un changement héréditaire, des décennies après que des
généticiens avaient fait ressortir les erreurs conceptuelles du lamarckisme.
La théorie de Lyssenko fut immédiatement adoptée par l'appareil
politique soviétique. Elle promettait une nouvelle méthode pour largement
accroître la production agricole dans des terres toujours menacées de
famine. En « rééduquant » le blé et le riz, des cultures pouvaient être
menées dans toutes les conditions, sous les hivers les plus sévères comme
les étés les plus secs. Peut-être tout aussi important, Staline et ses
compatriotes trouvèrent la perspective de « briser » et « reconditionner » les
gènes par une thérapie de choc des plus satisfaisantes idéologiquement.
Ainsi, alors que Lyssenko reconditionnait des plantes pour les affranchir
de leur dépendance vis-à-vis du sol ou du climat, les membres du parti
procédaient en parallèle à la rééducation des dissidents politiques pour les
affranchir de leur dépendance vis-à-vis d'une mauvaise conscience et des
biens matériels. Les nazis, croyant dans une immutabilité génétique absolue
(« Un juif est un juif ») avaient eu recours à l'eugénisme pour changer la
structure de leur population. Les Soviétiques, croyant dans une capacité de
reprogrammation génétique absolue (« n'importe qui est chacun »),
pouvaient éradiquer toutes les distinctions et atteindre ainsi un bien collectif
radical.
En 1940, Lyssenko, ayant évincé tous ses opposants 28, prit la direction de
l'Institut de génétique de l'Union soviétique et instaura son propre ordre
totalitaire dans la biologie soviétique. Toute forme de critique scientifique
de ses théories, notamment toute prise en compte de la génétique
mendélienne ou de l'évolution darwinienne, devint hors-la-loi en Union
soviétique. Des scientifiques furent envoyés au goulag pour y être
« reconditionnés » avec les idées de Lyssenko (comme avec le blé, leur
exposition à une « thérapie de choc » pouvait les convaincre de changer
d'opinion). En août 1940, Nikolaï Vavilov, un célèbre généticien mendélien,
fut capturé et transféré dans la prison notoirement sinistre de Saratov pour
avoir propagé ses vues « bourgeoises » sur la biologie (Vavilov avait osé
avancer que les gènes n'étaient pas si malléables). Au moment où Vavilov et
d'autres généticiens croupissaient en prison, les partisans de Lyssenko
lancèrent une vigoureuse campagne pour discréditer la génétique en tant
que science. En janvier 1943, épuisé et mal nourri, Vavilov fut transféré
dans un hôpital prison. « Je ne suis plus qu'une bouse maintenant 29 »
déclara-t-il à ses geôliers avant de mourir quelques semaines plus tard 30.
Le nazisme et le lyssenkisme reposaient sur des conceptions de l'hérédité
radicalement opposées, mais le parallèle entre les deux est frappant. Bien
que la doctrine nazie fût d'une insurpassable virulence, nazisme comme
lyssenkisme partageaient un même fil conducteur : dans les deux cas, une
théorie de l'hérédité fut utilisée pour construire une idée de l'identité
humaine qui, à son tour, était déformée pour être mise au service d'un
programme politique.
Ces deux théories de l'hérédité si opposées – les nazis obsédés par le
caractère fixe de l'identité et les Soviétiques par sa complète plasticité –
accordaient pourtant une place centrale au langage des gènes et à l'héritage
génétique dans le fonctionnement de l'État et dans la conception du progrès.
Il est difficile d'imaginer le nazisme sans la croyance dans le caractère
indélébile de l'héritage génétique, comme de concevoir l'État soviétique
sans la croyance en la possibilité de son parfait effacement. Sans surprise,
dans les deux cas, la science fut délibérément déformée pour soutenir des
opérations étatiques de « purification ». Par l'appropriation du langage des
gènes et de l'hérédité, des systèmes entiers de pouvoir et de gouvernement
furent justifiés et renforcés. Au milieu du XXe siècle, le gène – son
importance, ou la négation de son existence – s'était donc transformé en un
puissant instrument politique et culturel. Il était devenu l'une des plus
dangereuses idées dans l'histoire humaine.
La pseudo science conforte les régimes totalitaires. Et les régimes
totalitaires produisent de la pseudo science. Les généticiens nazis ont-ils
réellement contribué à la génétique ?
Parmi un volumineux fatras de choses inutiles, deux contributions se
distinguent. La première est méthodologique. Les scientifiques nazis ont
fait avancer les « études de jumeaux », bien qu'ils les aient rapidement
transformées, de manière caractéristique, en une forme épouvantable. Les
études de jumeaux provenaient du travail de Francis Galton dans les années
1890. Après avoir forgé l'expression nature versus nurture 31 32, Galton s'est
demandé comment un scientifique pouvait distinguer l'influence respective
de l'inné et de l'acquis. Comment déterminer si un trait particulier – la taille
ou l'intelligence par exemple – était d'origine innée ou acquise ? Comment
pouvait-on démêler ce qui était héréditaire de ce qui était dû à
l'environnement ?
Galton proposa de tirer parti d'une expérience naturelle. Puisque les
jumeaux partagent le même matériel génétique, toute ressemblance
substantielle entre eux pouvait être attribuée aux gènes alors que toute
différence devait être la conséquence de l'environnement. En étudiant les
différences entre jumeaux, pensait-il, un généticien pouvait déterminer les
contributions précises de l'inné et de l'acquis pour des caractères importants.
Galton était sur la bonne piste, sauf sur un point crucial : il n'avait pas fait
de distinction entre les vrais jumeaux, qui sont effectivement identiques du
point de vue génétique, et les « faux jumeaux », nés ensemble sans pour
autant partager le même héritage génétique (les premiers proviennent de la
séparation en deux d'un embryon unique alors que les seconds sont issus de
la fécondation simultanée de deux ovules distincts par deux spermatozoïdes
différents et ont donc des génomes différents). Les premières études de
jumeaux étaient ainsi brouillées par cette confusion et menaient à des
résultats peu concluants. En 1924, Hermann Werner Siemens 33, l'eugéniste
allemand et sympathisant nazi, proposa une étude de jumeaux qui
améliorait l'approche de Galton en séparant soigneusement les vrais
jumeaux des autres* *.
Siemens, un dermatologue à l'origine, était un étudiant de Ploetz et un
fervent partisan de l'hygiène raciale dès le début. Comme Ploetz, Siemens
réalisa que la purification génétique ne pouvait se justifier que si les
scientifiques pouvaient d'abord établir l'hérédité des caractères incriminés.
On ne pouvait soutenir la stérilisation d'un aveugle que si l'on pouvait
certifier que sa cécité était héritée. Pour des traits comme l'hémophilie, cela
paraissait évident et des études de jumeaux pour établir une transmission
héréditaire ne s'imposaient pas. Mais pour des traits plus complexes comme
l'intelligence ou les maladies mentales, démontrer leur caractère héréditaire
était bien plus compliqué. Pour démêler les effets héréditaires de ceux dus à
l'environnement, Siemens suggéra de comparer des vrais jumeaux à des
faux jumeaux. Le test clé du caractère héréditaire ou non serait la
concordance. Ce terme fait référence à la fraction des jumeaux qui
possèdent un trait en commun. Si tous les jumeaux le possèdent, la
concordance est de 1. S'ils ne le partagent que dans la moitié des cas, la
concordance est de 0,5. C'est une mesure pratique pour savoir si un trait est
sous influence génétique. Supposons par exemple que de vrais jumeaux
aient une forte concordance pour la schizophrénie, tandis que de faux
jumeaux, nés et élevés dans le même environnement, présentent une
concordance plus faible. L'origine de la maladie peut alors être solidement
attribuée à la génétique.
Pour les généticiens nazis, ces premières études furent le point de départ
d'expériences plus drastiques. Le partisan le plus énergique de telles
expériences fut Josef Mengele, l'anthropologue reconverti en médecin
reconverti en officier SS qui, bien à l'abri dans sa blouse blanche, a hanté
les camps de concentration d'Auschwitz et de Birkenau. Mengele devint le
médecin chef d'Auschwitz. Encouragé par son mentor berlinois, Otmar von
Verschuer, il y commença une série d'expériences monstrueuses sur des
jumeaux. Entre 1943 et 1945 34, plus d'un millier de jumeaux passèrent entre
ses mains 35. Dès l'arrivée des prisonniers dans le camp, Mengele repérait
ceux dont il avait besoin pour ses études : il parcourait les rangs en criant
ces mots qui allaient se graver dans leur mémoire : Zwillinge heraus (« Les
jumeaux dehors ») ou Zwillinge heraustreten (« Les jumeaux, sortez du
rang »).
Extraits des files, les jumeaux recevaient un tatouage spécial, logeaient
dans des blocs séparés et étaient des victimes systématiques de Mengele et
ses assistants (ironie du sort, en tant que sujets d'expérience, les jumeaux
avaient aussi plus de chance de survivre que les autres enfants). Mengele
mesurait d'une manière obsessionnelle les différentes parties de leur corps
pour déterminer l'influence génétique sur leur croissance. « Chaque partie
du corps était mesurée, comparée, se rappelle un jumeau. Nous étions
toujours assis ensemble, toujours nus 36. » D'autres jumeaux furent
assassinés par le gaz et leur corps disséqué pour comparer la taille des
différents organes internes. D'autres furent tués par injection de chloroforme
dans le cœur. Certains furent soumis à des transfusions de sang
incompatibles, à des amputations de membres ou à des opérations sans
anesthésie. Des jumeaux furent infectés avec le typhus pour déterminer les
variations génétiques dans la réponse aux infections bactériennes. Dans une
expérience particulièrement horrible, une paire de jumeaux dont l'un était
bossu furent cousus ensemble pour savoir si un dos commun allait corriger
la difformité. La gangrène s'installa sur la cicatrice et les deux moururent
peu après.
Malgré une apparence scientifique, le travail de Mengele était de très
pauvre qualité. Après avoir fait des centaines de victimes avec ses
expériences, il ne produisit qu'un cahier raturé sans résultats notables. Un
chercheur qui a examiné ses notes décousues au musée d'Auschwitz en a
conclu qu'« aucun scientifique ne peut les considérer sérieusement ». De
fait, quelles qu'aient pu être les premières études de jumeaux en Allemagne,
les expériences de Mengele ont tellement pourri ce domaine de recherche,
ont suscité une telle haine, qu'il a fallu des décennies avant qu'il puisse
reprendre convenablement.
29
Watson était parti à Cambridge pour l'amour d'une photo . Le jour précis
où il arriva sur place, il succomba à nouveau – sous le charme d'un homme,
cette fois-ci. Francis Crick était un autre étudiant du laboratoire de Perutz.
Ce n'était en rien une passion érotique, non, mais un amour fait de folies
partagées, de ces conversations à batons rompus qui ne finissent jamais,
d'ambitions qui outrepassent la réalité 30. « Une arrogance de jeune homme,
une rudesse impitoyable et une intolérance aux raisonnements indigents
nous étaient naturelles à tous les deux 31 » écrira Crick par la suite.
Crick avait trente-cinq ans, soit douze de plus que Watson, et toujours pas
de doctorat (notamment parce qu'il avait travaillé pour l'Amirauté au cours
de la guerre). Il n'était pas un « universitaire » traditionnel et n'était
certainement pas « éteint ». C'était un ancien étudiant en physique avec une
personnalité exubérante et une voix forte qui poussait ses collègues à
s'abriter et à chercher de l'aspirine. Il avait aussi lu le livre de Schrödinger,
ce « petit livre qui avait lancé une révolution », et s'était passionné pour la
biologie.
Les Anglais haïssent beaucoup de choses, mais ce qu'ils détestent le plus
est la personne qui, assise à côté d'eux dans le train du matin, résout leur
grille de mots croisés. L'intelligence de Crick était aussi libre et audacieuse
que sa voix. Il ne voyait aucun inconvénient à s'emparer du problème des
autres et à suggérer des solutions. À la fin des années 1940, lorsqu'il était
passé de la physique à la biologie, il avait appris par lui-même une grande
partie des mathématiques de la cristallographie, toutes ces formules
imbriquées qui permettaient de transmuter des silhouettes en structures à
trois dimensions. Comme la plupart de ses collègues dans le laboratoire de
Perutz, Crick avait d'abord focalisé ses recherches sur la structure des
protéines. Toutefois, à la différence des autres, il avait dès le départ été
intrigué par l'ADN. Comme Watson mais également Wilkins et Franklin, il
était aussi instinctivement attiré par la structure d'une molécule capable de
porter l'information héréditaire.
Les deux compères, Watson et Crick, s'exprimaient avec tant d'animation,
comme des enfants livrés à eux-mêmes dans une salle de jeux, qu'on leur
avait assigné une pièce aux murs de briques jaunes avec des poutres de bois
où ils pouvaient laisser libre cours à leurs rêves, à leurs « délires ». Ils
étaient des brins complémentaires, se répondant par leur irrévérence, leur
fantaisie débridée et leur impétueuse intelligence. Ils méprisaient l'autorité,
mais brûlaient d'envie de l'affirmer. Ils trouvaient le monde scientifique
ridicule et laborieux, mais ils savaient comment s'y immiscer. Ils
s'imaginaient être des outsiders par excellence, mais se trouvaient
confortablement installés au cœur des collèges de Cambridge. Ils se
présentaient comme les bouffons dans la cour des fous.
Le seul scientifique qu'ils admiraient vraiment, encore qu'à contrecœur,
était Linus Pauling. Le truculent chimiste du Caltech avait récemment
annoncé la résolution d'un problème important dans la structure des
protéines. Les protéines sont constituées de chaînes d'acides aminés. Ces
chaînes se replient dans l'espace pour former des sous-structures, qui
forment elles-mêmes des structures plus grandes (imaginez une chaîne qui
fait des boucles comme un ressort, ce ressort faisant ensuite d'autres tours
pour donner une forme sphérique ou globulaire). Et voilà qu'en travaillant
sur des cristaux de protéines, Pauling avait découvert que ces molécules
sont souvent repliées en une sous-structure type où la chaîne d'acides
aminés s'enroule comme un ressort, dessinant une hélice simple, l'hélice
alpha.
Pauling avait dévoilé son modèle lors d'une rencontre au Caltech avec la
théatralité du magicien sortant un lapin moléculaire de son chapeau. Le
modèle était resté caché derrière un rideau jusqu'à la fin de la conférence
puis, surprise ! Pauling l'avait soudain révélé à un public piqué au vif et prêt
à applaudir. Il se racontait depuis que Pauling ne s'intéressait plus aux
protéines mais à la structure de l'ADN. À huit mille kilomètres de là,
Watson et Crick pouvaient presque sentir l'haleine de Pauling sur leur
nuque.
L'article historique de Pauling sur l'hélice protéique parut en avril 1951 32.
Garni de nombres et d'équations, il était intimidant à lire, même pour des
experts. Mais pour Crick, qui connaissait les formules mathématiques
mieux que personne, Pauling avait caché l'essentiel de sa méthode derrière
un écran de fumée algébrique. Crick dit à Watson que le modèle de Pauling
était en fait « le produit du bon sens et non le résultat d'un raisonnement
mathématique compliqué 33 ». La magie réelle venait de l'imagination.
« Les équations s'immisçaient parfois dans sa démonstration mais dans la
plupart des cas les mots auraient suffi […] L'hélice alpha n'avait pas été
trouvée en contemplant des images aux rayons X, le truc essentiel était
plutôt de se demander quels atomes aimaient se placer à côté des autres. Au
lieu d'un crayon et d'un papier, les outils de travail étaient des modèles
moléculaires ressemblant de loin à des jouets pour enfants de maternelle ».
C'est là que Watson et Crick franchirent l'étape scientifique la plus
intuitive. Et si la solution au problème de la structure de l'ADN pouvait se
faire par le même « truc » que Pauling avait utilisé ? Les images aux rayons
X allaient aider, bien sûr, mais tenter de déterminer la structure de
molécules biologiques par des méthodes expérimentales était, selon Crick,
d'un laborieux absurde, « comme de tenter de déterminer la structure d'un
piano en écoutant le son qu'il fait quand on le balance du haut d'un
escalier ». Et si la structure de l'ADN était simple, élégante, au point de
pouvoir être déduite par le « bon sens », par la construction d'un modèle ?
Et si un assemblage de boules et de bâtonnets pouvait élucider l'ADN ?
Vers la fin janvier 1953, James Watson alla voir Wilkins à Londres. Il
s'arrêta pour rencontrer Franklin à son bureau. Elle travaillait à sa paillasse,
des dizaines de photos éparpillées autour d'elle, un cahier plein de notes et
d'équations sur son bureau. Ils discutèrent sèchement de l'article de Pauling.
À un moment, énervée par Watson, Franklin se déplaça rapidement dans la
pièce. Craignant « que dans sa brusque colère, elle ne [le] frappe », Watson
s'esquiva.
Wilkins, au moins, était plus accueillant. Alors qu'ils se réconfortaient
mutuellement du caractère radioactif de Franklin, Wilkins se confia à
Watson comme il ne l'avait jamais fait jusqu'à présent. Ce qui se passa
ensuite est un embrouillamini de signaux mitigés, de défiance, de
malentendus et de présomptions. Wilkins dit à Watson que Rosalind
Franklin avait fait une nouvelle série de photos de la forme complètement
humide de l'ADN au cours de l'été, des images tellement nettes que
l'essentiel du squelette de la structure sautait virtuellement aux yeux.
Le 2 mai 1952, un vendredi soir, Gosling et elle avaient exposé sur la nuit
une fibre d'ADN aux rayons X. L'image fut techniquement parfaite, bien
que l'appareil photo avait légèrement dérivé du centre. « V. Good. Wet
Photo 44 45 » avait-elle marqué sur son cahier rouge. Le lendemain soir, à six
heures et demie – elle travaillait le samedi soir, bien sûr, quand le reste de
l'équipe allait au pub –, elle remit en place l'appareil photo. Le mardi après-
midi, elle développa le cliché. Elle était encore plus nette que la précédente.
C'était l'image la plus parfaite qu'elle eût jamais vue. Elle l'avait étiquetée
« Photographie 51 ».
Wilkins passa dans l'autre pièce, sortit la photo d'un tiroir et la montra à
Watson. Franklin était encore dans son bureau, toujours irritée. Elle ne
savait pas que Wilkins venait de révéler l'élément le plus précieux de ses
résultats à Watson* *. (« Peut-être aurais-je dû demander la permission à
Rosalind et je ne l'ai pas fait, écrira plus tard un Wilkins tout contrit. La
situation était très difficile […] Si la situation avait été un tant soit peu
normale, je lui aurais naturellement demandé sa permission, bien que si les
choses avaient été un tant soit peu normales, toute la question de la
permission ne se serait pas posée […] J'avais cette photo et il y avait une
hélice au beau milieu, on ne pouvait pas la louper ».)
Watson fut immédiatement sidéré. « Dès l'instant où j'ai vu l'image, j'en
suis resté bouche bée et mon pouls s'est mis à accélérer. Le motif était
incroyablement plus simple que ceux obtenus auparavant […] Après
quelques minutes de calculs, on pouvait trouver le nombre de chaînes dans
la molécule ».
Dans le compartiment glacial du train qui le ramenait à Cambridge ce
soir-là, Watson dessina ce qu'il se souvenait de la photo dans la marge d'un
journal. La première fois, il était revenu de Londres sans notes et il n'allait
pas répéter la même erreur. Quand il fut arrivé à Cambridge et qu'il franchit
le portail à l'arrière du collège, il était convaincu que l'ADN devait être
constitué de deux chaînes en hélices apposées : « les objets biologiques
importants se présentent en paires 46 ».
Schéma de la structure en double hélice de l'ADN montrant une seule hélice (à gauche) et la forme en double hélice (à droite).
Notez la complémentarité des bases : le A est apparié au T, le G au C. L'armature ou « squelette » externe de chaque brin d'ADN
est formée d'une chaîne de sucres et de phosphates.
Le mot code que j'ai écrit auparavant vient de caudex, la moelle de l'arbre
sur laquelle on gravait autrefois les manuscrits. Il y a quelque chose
d'évocateur dans l'idée que le matériau utilisé pour écrire un code a donné
naissance au mot lui-même : la forme est devenue fonction. Avec l'ADN
aussi, Watson et Crick ont compris que la forme de la molécule était
intrinsèquement liée à sa fonction. Le code génétique devait être écrit dans
le matériau de l'ADN, aussi intimement que les marques étaient faites dans
le bois.
Mais qu'était-ce que le code génétique ? Comment les quatre bases sur un
fil d'ADN, A, C, G et T (ou U dans l'ARN) pouvaient-elles déterminer la
texture des cheveux, la couleur des yeux, ou la qualité de la paroi d'une
bactérie (ou bien encore la prédisposition à une maladie mentale ou à une
maladie de la coagulation du sang dans une famille) ? Comment l'abstraite
« unité d'hérédité » de Mendel pouvait-elle conduire à un caractère bien
tangible ?
Ou au niveau conceptuel,
ou
Tout comme la formation d'un cristal géant est initiée par l'arrangement
de quelques atomes critiques en son cœur, un grand domaine scientifique
peut germer avec l'articulation de quelques concepts clés. Avant Newton,
des générations de physiciens avaient déjà réfléchi à des notions comme la
force, l'accélération, la masse et la vitesse. Mais le génie de Newton fut de
définir ces termes avec rigueur et de les relier par un ensemble d'équations,
ce qui a lancé la science de la mécanique.
Par une logique similaire, l'articulation de quelques concepts cruciaux
En 1940, une expérience menée sur l'un des organismes des plus simples
qui soient, une bactérie hébergée par nos intestins appelée Escherichia coli,
a fourni le premier indice crucial pour répondre à cette question. E. coli
peut survivre avec deux types très différents de sucre dans son milieu de
culture, le glucose et le lactose. Quand elle est mise en présence de l'un de
ces sucres uniquement, elle se divise rapidement, doublant sa population
toutes les vingt minutes environ. Sa courbe de croissance est exponentielle,
avec une multiplication de 2, 4, 8, 16 fois et ainsi de suite jusqu'à ce que la
culture devienne trouble et que la source de sucre soit épuisée.
Cette croissance imperturbable en ogive fascinait le biologiste français
Jacques Monod 4. Il était revenu à Paris en 1937 après avoir passé une année
au Caltech à étudier les mouches avec Thomas Morgan. Le séjour de
Monod en Californie n'avait pas été particulièrement fructueux, il avait
passé la majeure partie de son temps à jouer du Bach dans l'orchestre local
et à apprendre le jazz. Le retour au pays fut totalement déprimant : Paris
donnait le spectacle d'une ville en état de siège. En mai 1940, la Belgique
avait capitulé devant l'Allemagne. En juin, la France, qui avait subi de
lourdes pertes dans les combats, signa l'armistice. L'armée allemande
occupait une grande partie du nord et de l'ouest du pays.
Paris fut déclarée « ville ouverte », épargnée par les bombes et les
destructions mais entièrement accessible aux troupes nazies. Les enfants
furent évacués, les musées vidés de leurs toiles, les devantures fermées.
« Paris sera toujours Paris » chantait Maurice Chevalier en 1939, mais la
Ville Lumière était rarement illuminée. Les rues étaient désertes, les cafés
vides. La nuit, des coupures de courant la plongeaient dans une obscurité
lugubre.
Au cours de l'automne 1940, Monod travaillait sur E. coli dans un grenier
mal éclairé et surchauffé de la Sorbonne. Tous les bâtiments publics étaient
pavoisés des drapeaux rouge et noir frappés de la croix gammée et les
troupes allemandes annonçaient des couvre-feux la nuit par des haut-
parleurs le long des Champs-Élysées. Monod rejoindra secrètement la
Résistance la même année, et la plupart de ses collègues ignoreront jusqu'au
bout ses sympathies politiques. L'hiver venu, son laboratoire était désormais
presque gelé : arrivant le matin, il devait patienter bien embêté jusqu'à midi,
le temps que son acide acétique dégèle, en écoutant la propagande nazie
dans la rue. Monod répétait l'expérience de la culture bactérienne mais
maintenant il ajoutait les deux sucres à la fois, le glucose et le lactose, au
milieu de culture des bactéries.
Si le métabolisme du lactose ne différait pas de celui du glucose – un
sucre est un sucre, après tout –, on pouvait s'attendre à ce que les bactéries
présentent le même type de courbe de croissance. Pourtant, il y eut un
rebondissement dans les résultats de Monod, au sens propre comme au
figuré ! Dans un premier temps, les bactéries augmentaient
exponentiellement comme prévu, mais faisaient ensuite une pause avant de
se remettre à pousser. Lorsque Monod étudia cette pause, il découvrit un
phénomène inhabituel. Plutôt que de consommer les deux sucres de la
même manière, les cellules d'E. coli commençaient par le glucose. Une fois
qu'elles l'avaient épuisé, elles cessaient alors de proliférer, comme si elles
faisaient le point sur leur nourriture, puis elles passaient au lactose et
reprenaient leur croissance. Monod appela ce phénomène la diauxie, ou
« double croissance ».
Ce rebond dans la courbe de croissance, même discret, intriguait Monod.
Cela dérangeait son instinct scientifique, comme une poussière dans l'œil.
Les bactéries poussant sur du sucre devaient le faire régulièrement.
Pourquoi le passage à la consommation d'un autre sucre causait-il une pause
dans la croissance ? Comment une bactérie pouvait-elle « savoir » ou sentir
que la source de sucre avait changé ? Et pourquoi un type de sucre était-il
consommé en premier et le second seulement après, comme les deux
services successifs d'un restaurant ?
À la fin des années 1940, Monod avait découvert que la pause résultait
d'un réajustement métabolique. Lorsque les bactéries passaient du glucose
au lactose, elles se mettaient à produire des enzymes digestives spécifiques
du lactose. Quand elles revenaient sur du glucose, ces enzymes
disparaissaient. L'induction de ces enzymes au cours du passage du glucose
au lactose, comme le changement de couvert entre deux plats (enlever le
couteau à poisson et mettre la fourchette à dessert), prenait quelques
minutes, ce qui se traduisait par le ralentissement de la croissance observé.
Pour Monod, la diauxie suggérait que les gènes pouvaient être régulés
par des changements métaboliques. Si l'on pouvait induire l'apparition ou la
disparition d'enzymes dans la cellule, cela voulait dire que les gènes
pouvaient être activés ou inactivés comme des interrupteurs moléculaires
(les enzymes, qui ne sont que des protéines, sont codées par des gènes). Au
début des années 1950, Monod, rejoint par François Jacob à Paris,
commença à explorer systématiquement la régulation des gènes chez E. coli
en créant des mutants, la méthode qui avait donné des résultats tellement
spectaculaires chez les mouches du vinaigre avec Morgan 5.
Comme les mouches aux yeux blancs et aux ailes atrophiées, les
bactéries mutantes se révélèrent instructives. Monod et Jacob, travaillant
avec Arthur Pardee, un généticien microbiologiste aux États-Unis,
découvrirent trois principes cardinaux gouvernant la régulation des gènes.
Tout d'abord, quand un gène est activé ou inactivé, sa copie d'ADN reste
toujours intacte dans la cellule. La véritable action de l'induction concerne
l'ARN : lorsqu'un gène est sollicité, plus de copies sous forme d'ARN sont
produites, et donc plus d'enzymes traduites. L'identité métabolique d'une
cellule, le fait qu'elle consomme du glucose ou du lactose, est donc
déterminée non par la séquence des gènes, qui ne varie pas, mais par la
quantité d'ARN produite. Tant que les bactéries poussent avec du lactose
seul, les ARN codant l'enzyme qui digère ce sucre – la lactase – sont
abondants. Et lorsqu'on passe au glucose, les ARN codant la lactase sont
réprimés.
Ensuite, la production de messages d'ARN est régulée de manière
coordonnée. Lorsque la source de sucre devient le lactose, la bactérie met
en branle un module entier de gènes nécessaires à son métabolisme et à sa
digestion. L'un de ces gènes code pour une « protéine transporteur » qui
permet au lactose de rentrer dans la cellule. Un deuxième gène code la
lactase, l'enzyme capable de le scinder en deux sucres plus simples ; la
fonction du troisième est encore obscure. Chose surprenante, les chercheurs
ont découvert que tous les gènes dédiés à une voie métabolique particulière
se côtoient physiquement sur le chromosome bactérien, comme des livres
sur un sujet donné dans une bibliothèque, et qu'ils sont simultanément
activés. Le changement de métabolisme provoqué par Monod entraînait
donc une profonde modification d'activité génétique dans la cellule. Ce
n'était pas qu'un changement de couvert, tout le service de table était
remplacé d'un coup. Un circuit fonctionnel de gènes était activé ou réprimé,
comme s'il était sous la dépendance d'un interrupteur général. Monod
appela un tel module de gènes un opéron 6.
La genèse des protéines est ainsi parfaitement synchronisée avec les
variations de l'environnement. L'apport d'un sucre donné entraîne
l'expression des gènes codant pour son métabolisme. Guidée par un principe
d'économie, l'évolution avait encore généré la solution la plus élégante pour
la régulation génétique. Pas de gène activé voulait dire pas de message, et
donc pas de protéine fabriquée en vain.
« Ne suis-je pas
Une mouche comme toi ?
Ou n'es-tu pas
Un homme comme moi ? »
2
William Blake, « The Fly ».
Mais le sort de chaque cellule dans le ver est-il dicté par les gènes, et
seulement eux ? Horvitz et Sulston ont découvert que parfois, certaines
cellules 15, de rares paires, pouvaient choisir un sort ou l'autre de façon
aléatoire, comme si elles tiraient à la courte paille. Le sort de ces cellules
n'était pas déterminé par les gènes mais par leur entourage. Deux
biologistes du ver qui travaillaient dans le Colorado, David Hirsch et Judith
Kimble, appelèrent ce phénomène l'ambiguïté naturelle.
Mais Kimble a ensuite trouvé que même cette ambiguïté naturelle est
fortement contrainte 16. L'identité d'une cellule ambiguë étant régulée par
des signaux provenant des cellules voisines, comme ces dernières sont
elles-mêmes génétiquement préprogrammées, que reste-t-il d'ambigü ? Le
dieu des Vers avait de toute évidence laissé de minuscules interstices au
hasard dans le développement du ver mais il n'allait pas jusqu'à jouer aux
dés.
Un ver se construisait donc avec deux types d'information, l'une
« intrinsèque » venant des gènes, l'autre « extrinsèque » venant des
interactions cellulaires. Pour rire, Brenner appela la première le « modèle
britannique » et la seconde le « modèle américain ». La britannique, écrivait
Brenner 17, « était de mener ses propres affaires sans trop parler à ses
voisins. Ce qui compte, ce sont les ancêtres et une fois qu'une cellule est
née à une certaine place, elle y reste et se développe en suivant des règles
rigides. L'américaine est carrément à l'opposé. Les ancêtres ne comptent pas
[…] Ce qui compte, ce sont les interactions avec les voisins. La cellule
échange souvent avec ses collègues et se déplace souvent pour atteindre son
objectif et trouver la bonne place ».
Qu'allait-il se passer si le hasard – le coup du sort – était introduit de
force dans la vie d'un ver ? En 1978, Kimble déménagea à Cambridge et
commença à étudier les effets de perturbations aiguës sur le sort des
cellules 18. Elle utilisait un rayon laser pour tuer une seule cellule à la fois
dans l'organisme du ver. Il s'avéra que l'ablation d'une cellule pouvait
changer le sort d'une voisine, mais dans des limites très étroites. Les
cellules qui étaient déjà génétiquement prédéterminées n'avaient presque
aucune marge pour changer leur destinée. Les cellules qui étaient
« naturellement ambiguës », au contraire, avaient plus de souplesse mais
leur capacité à changer de destinée restait limitée. Des signaux extérieurs
pouvaient modifier le déterminisme intrinsèque, mais jusqu'à un certain
point seulement. Le hasard jouait un rôle dans le monde microscopique des
vers, mais il était sévèrement contraint par les gènes. Le gène était une
lentille au travers de laquelle le hasard était filtré et réfracté.
Un souvenir : nous sommes en 1978 ou 1979 et j'ai huit ou neuf ans. Mon
père est de retour d'un voyage d'affaires. Ses bagages sont encore dans la
voiture et un verre de glaçons est en train de fondre sur un plateau posé sur
la table de la salle à manger. C'est l'un de ces après-midi étouffant à Delhi
où les ventilateurs de plafond semblent juste brasser dans toute la pièce la
chaleur qui n'en devient que plus insupportable.
Mon père pénètre dans le salon et des hommes discutent quelques
minutes avec lui. J'ai l'impression que ce n'est pas une discussion très
agréable. Leurs voix s'élèvent et les mots deviennent menaçants. Je ne peux
capter le sens de la plupart des phrases à travers le mur de la pièce voisine
où je suis censé faire mes devoirs.
Jagu leur a emprunté de l'argent à tous les deux, pas une grosse somme
mais suffisamment pour qu'ils soient venus demander à être remboursés.
Jagu avait dit à l'un des hommes qu'il avait besoin de cette somme pour se
payer ses médicaments (on ne lui en avait jamais prescrits), et à l'autre qu'il
lui fallait cet argent pour acheter un billet de train pour aller à Calcutta voir
ses autres frères (aucun voyage de ce type n'était prévu, Jagu n'aurait pu
voyager seul). « Vous devriez apprendre à le contrôler », lui dit l'un des
hommes sur un ton accusateur.
Mon père écoute en silence, patiemment, mais je pouvais sentir monter la
rage en lui. Il se dirige vers l'armoire métallique où il garde de l'argent et en
rapporte aux deux hommes en précisant de ne pas compter les billets. Il
peut donner quelques roupies de plus, ils peuvent garder la monnaie.
Lorsque les hommes sortent, je sais qu'il va y avoir une pénible
altercation à la maison. Avec l'instinct sûr des animaux sauvages qui fuient
dans les terres avant un tsunami, notre cuisinier a quitté la cuisine pour
appeler ma grand-mère. L'atmosphère s'était progressivement tendue entre
mon père et Jagu. Le comportement de ce dernier à la maison avait été
particulièrement perturbant ces dernières semaines et cet épisode semble
avoir mis mon père à bout. Son visage est devenu rouge d'embarras. Le
vernis de classe et de fragile normalité qu'il avait tant de mal à garder s'est
brutalement fissuré et la vie secrète de sa famille est apparue au grand jour.
Désormais, les voisins sont au courant de la folie de Jagu, de ses
divagations. Mon père a perdu tout prestige à leur yeux : il est nul, radin,
sans cœur, idiot, incapable de contrôler son frère. Ou pire : souillé par une
maladie mentale qui frappe sa famille.
Il va dans la chambre de Jagu et l'arrache de son lit. Jagu gémit avec un
air désolé, comme un enfant qui serait puni pour une grave faute qu'il ne
comprend pas. Mon père est livide, fou de colère, dangereux. Il le bouscule
à travers la pièce. C'est un acte de violence inconcevable de sa part, lui qui
n'a jamais fait le moindre effort à la maison. Ma sœur monte se cacher en
courant. Ma mère est dans la cuisine, en pleurs. J'assiste à la scène de plus
en plus terrible, caché derrière les rideaux du salon, comme si je voyais un
film au ralenti.
Et soudain, ma grand-mère fait irruption dans sa chambre, féroce comme
une louve. Elle crie contre mon père, plus violente encore. Ses yeux
étincellent, sa langue pleine de fiel. Tout crie en elle : ne le touche pas.
« Va-t'en », lance-t-elle à Jagu qui s'esquive rapidement derrière elle.
Je ne l'ai jamais vue dans un tel état. Elle rugit. Son bengali se perd,
régresse, renoue avec ses origines villageoises. Malgré l'accent et l'idiome,
je peux saisir certains mots, lancés comme des missiles : ventre, laver,
tache. Lorsque je les réunis en une phrase, le poison apparaît, infiniment
pernicieux : si tu le frappes, j'irai laver mon ventre avec de l'eau pour
effacer ta tache. Je laverai mon ventre, dit-elle.
Mon père a aussi fondu en larmes à présent. Sa tête penche lourdement. Il
semble tellement fatigué. Lave-le, dit-il dans sa barbe, sur un ton implorant.
Lave-le, nettoie-le, lave-le.
PARTIE 3
« LE RÊVE DES GÉNÉTICIENS »
Le séquençage et le clonage des gènes
(1970 – 2001)
Au cours de l'hiver 1968, Paul Berg revint à Stanford après onze mois de
congés sabbatiques passés à l'Institut Salk, à La Jolla en Californie. Berg
avait quarante et un ans. Charpenté comme un athlète, il marchait en roulant
des épaules. Ses attitudes trahissaient parfois son enfance à Brooklyn, la
manière par exemple qu'il avait de lever la main et de commencer une
phrase avec le mot look lorsqu'il devait répondre dans un débat scientifique.
Il admirait les artistes, notamment les peintres, et plus précisément les
expressionnistes abstraits : Pollock, Diebenkorn, Newman et Frankenthaler.
Il était fasciné par leur transmutation du vieux vocabulaire pictural en
nouveau, leur capacité à reprendre les éléments essentiels de l'abstraction
comme la lumière, les lignes, les formes, pour créer des toiles géantes où
battait une vie extraordinaire.
Biochimiste de formation 1, Berg avait étudié avec Arthur Kornberg à
l'université Washington de St. Louis et l'avait ensuite suivi lorsque ce
dernier avait monté le nouveau département de biochimie à Stanford. Berg
avait passé l'essentiel de sa carrière universitaire à étudier la synthèse des
protéines, mais l'année passée à La Jolla lui avait donné l'occasion de
réfléchir sur de nouveaux thèmes. Perché sur un plateau au-dessus du
Pacifique, souvent isolé dans un épais brouillard matinal, l'Institut Salk était
comme une cellule de moine en plein air. Berg avait alors travaillé avec le
virologue Renato Dulbecco sur les virus d'animaux. Il avait passé ce séjour
à étudier les gènes, les virus et la transmission de l'information héréditaire.
Un virus intriguait particulièrement Berg, le Simian Virus 40, ou SV40,
« simien » parce qu'il infecte les cellules de singe comme les cellules
humaines. D'un point de vue conceptuel, chaque virus est un professionnel
du transport de gène. Les virus ont une structure simple. Ils ne sont souvent
rien de plus qu'un ensemble de gènes dans une gaine, « un paquet de
mauvaises nouvelles enveloppé dans des protéines » comme les décrivait
l'immunologiste Peter Medawar 2. Lorsque le virus entre dans une cellule, il
sort de son étui et commence à utiliser la machinerie cellulaire pour copier
ses gènes, faire une nouvelle gaine et produire finalement des millions de
virus qui bourgeonneront hors de la cellule. Les virus ont ainsi réduit leur
cycle de vie au minimum. Ils vivent pour infecter et se reproduire. Ils
infectent et se reproduisent pour vivre.
Même dans un monde où seul l'essentiel est gardé, le SV40 est un virus
de l'extrême. Son génome est un minuscule fragment d'ADN six cent mille
fois plus petit que le génome humain. Il ne porte que sept gènes au lieu des
21 000 chez l'homme. Berg avait appris que SV40, contrairement à nombre
de virus, peut coexister pacifiquement dans certains types de cellules 3.
Dans ce cas, au lieu de produire des millions de nouveaux virions comme le
font les autres virus, souvent au prix de la mort de la cellule hôte, le SV40
s'insère dans l'ADN d'un chromosome de la cellule et rentre dans une
période de repos jusqu'à son activation par des signaux spécifiques.
Le degré élevé de compaction du génome du SV40 et l'efficacité avec
laquelle il pouvait s'introduire dans les cellules en faisaient un véhicule
idéal pour transporter des gènes dans les cellules humaines. Berg n'avait
plus qu'une idée en tête. S'il pouvait équiper le SV40 avec un gène
« étranger » (du moins pour le virus), le génome viral ferait passer ce gène
dans la cellule humaine et modifierait alors son information héréditaire.
Cette performance ouvrirait alors en grand de nouvelles possibilités à la
génétique. Mais avant de pouvoir envisager une telle modification du
génome, Berg devait surmonter un défi technique. Il avait besoin d'une
méthode pour insérer un gène étranger dans un génome viral. Il avait à
fabriquer une « chimère » génétique, un hybride artificiel entre les gènes
viraux et le gène étranger.
Contrairement aux gènes humains qui s'alignent sur les chromosomes,
ceux du SV40 sont disposés sur un ADN circulaire. Le génome viral
ressemble à un collier. Quand le virus infecte une cellule humaine, il insère
ses gènes dans l'un des chromosomes de son hôte : le collier s'ouvre,
devient linéaire et s'attache au milieu du chromosome. Pour ajouter un gène
étranger, Berg devait ouvrir le collier, y insérer le nouvel ADN et refermer
le tout. Le génome viral pouvait ensuite se charger du reste, c'est-à-dire
porter le gène dans la cellule humaine et l'insérer dans un chromosome 4.
Berg n'était pas le seul biologiste à réfléchir à la possibilité d'introduire
un gène étranger dans l'ADN d'un virus. En 1969, un étudiant travaillant
dans le même bâtiment que Berg à Stanford, Peter Lobban, avait rédigé une
thèse où il avait proposé un type comparable de manipulation 5. Lobban
arrivait du MIT* * où il avait fait ses premières années universitaires. C'était
un ingénieur de formation, mais il l'était aussi et surtout par sa tournure
d'esprit. Lobban soutenait que les gènes n'étaient pas différents de barres de
fer qui pouvaient être retravaillées, modifiées, modelées en fonction des
spécifications humaines et utilisées ainsi par la suite. Le secret était de
trouver la bonne gamme d'outils pour faire le travail. Avec son directeur de
thèse, Dale Kaiser, il avait même lancé des expériences préliminaires avec
des enzymes courantes en biochimie pour essayer de transférer des gènes
d'une molécule d'ADN à une autre.
En fait, le vrai secret, comme Berg et Lobban l'avaient indépendamment
compris, était d'oublier que le SV40 était un virus et de traiter son génome
comme une simple substance chimique. Les gènes pouvaient encore être
« inaccessibles » en 1971, ce n'était plus le cas de l'ADN. Avery, après tout,
l'avait manipulé sous sa forme nue 6 et elle avait encore permis de
transmettre une information entre les bactéries. Kornberg avait ajouté des
enzymes à l'ADN et pu ainsi obtenir sa réplication in vitro. Pour insérer un
gène dans le génome de SV40, tout ce dont Berg avait besoin était une série
de réactions. Il lui fallait une enzyme pour ouvrir le génome circulaire, puis
une autre pour y « coller » la pièce rapportée d'ADN. Peut-être que le virus,
ou plutôt l'information qu'il contenait, allait ensuite revenir à la vie.
Schéma adapté de l'article de Paul Berg sur l'ADN « recombinant ». En combinant des gènes de différents organismes, les
scientifiques pouvaient manipuler les gènes à volonté, laissant augurer la possibilité d'une thérapie génique humaine et d'une
manipulation du génome humain.
En juin 1971, Mertz alla suivre un cours à Cold Spring Harbor, près de
New York, sur les virus de cellules animales 9. Lors du séjour, les étudiants
devaient décrire le projet de recherche qu'ils désiraient poursuivre par la
suite. Au début de sa présentation, Mertz évoqua son intention de faire des
chimères génétiques de gènes de SV40 et de E. coli, et de propager ces
hybrides dans des cellules bactériennes.
Les présentations d'étudiants durant les cours d'été ne suscitent pas en
général un enthousiasme particulier. Pourtant, lorsque Mertz eut terminé
avec sa dernière diapositive, il était clair que ce n'était pas un banal exposé
d'étudiant. Il y eut un silence puis un déferlement de questions de la part des
étudiants et des enseignants. Avait-elle envisagé le risque lié à la production
de tels hybrides ? Et qu'allait-il se passer si ces hybrides qu'elle et Berg
s'apprêtaient à générer se retrouvaient dans la population humaine ?
Avaient-ils considéré les aspects éthiques liés à la fabrication de ces
nouveaux éléments génétiques ?
Immédiatement après la session de cours, Robert Pollack, un virologue et
l'un des enseignants sur place, appela Berg en urgence. Pollack avançait que
les dangers implicites dans « la rupture de barrières évolutives qui avaient
existé depuis le dernier ancêtre commun entre les bactéries et les gens »
étaient bien trop élevés pour qu'ils continuent leurs expériences comme si
de rien n'était.
La question était particulièrement délicate parce que le virus SV40 était
connu pour provoquer des tumeurs chez le hamster et que la bactérie E. coli
habite normalement l'intestin humain (les recherches actuelles suggèrent
que SV40 ne risque pas de provoquer un cancer chez l'homme, mais on
l'ignorait encore dans les années 1970). Et si Berg et Mertz finissaient par
concocter le type parfait de catastrophe génétique, une bactérie de l'intestin
humain portant un gène causant un cancer humain ? « On peut arrêter de
faire la fission de l'atome, on peut cesser d'aller sur la Lune, on peut stopper
l'utilisation d'un aérosol […] mais on ne peut rappeler une nouvelle forme
de vie, écrivit le biochimiste Erwin Chargaff 10. [Les nouveaux hybrides
génétiques] vont vous survivre, ainsi qu'à vos enfants et aux enfants de vos
enfants […] Le croisement de Prométhée avec Erostrate 11 va donner des
résultats nocifs ».
Berg passa des semaines à réfléchir aux motifs d'inquiétude soulevés par
Pollack et Chargaff. « Ma première réaction fut de trouver cela absurde. Je
ne voyais vraiment aucun risque à tout cela 12. » Les expériences furent
menées dans un local confiné, avec un équipement stérilisé. Le SV40
n'avait jamais été impliqué directement dans un cancer humain. En fait, de
nombreux virologues avaient été infectés par le SV40 sans qu'ils ne
développent de cancer. Exaspéré par l'hystérie publique permanente à ce
sujet, Dulbecco avait même proposé de boire du SV40 pour prouver qu'il
n'y avait aucun lien avec un quelconque cancer 13.
Mais ainsi poussé au bord d'un précipice potentiel, Berg ne pouvait se
permettre de prendre la chose à la légère. Il écrivit à plusieurs biologistes du
cancer et microbiologistes pour leur demander une opinion indépendante à
propos de ce risque. Dulbecco était inflexible au sujet de SV40, mais quel
scientifique pouvait estimer d'une manière réaliste un risque inconnu ? Pour
finir, Berg conclut que le biorisque était extrêmement faible, mais pas égal à
zéro. « En vérité, je savais que le risque était faible, a dit Berg, mais je ne
pouvais me convaincre qu'il n'y aurait aucun risque […] J'ai dû réaliser que
je m'étais complètement trompé de très nombreuses fois en prédisant le
résultat d'une expérience et que si je me trompais sur la réalité d'un risque,
les conséquences seraient quelque chose que je n'aurais pas aimé voir 14 ».
Berg s'imposa donc un moratoire sur ses propres activités jusqu'à ce qu'il ait
déterminé la nature précise de ce risque et le moyen de l'éviter. Dans
l'intervalle, les hybrides d'ADN contenant des morceaux du SV40 allaient
rester au fond des tubes à essai. Ils ne seraient pas introduits dans des
organismes vivants.
Mertz fit pendant ce temps une autre découverte cruciale. Le processus
de coupure et de collage de l'ADN tel qu'envisagé par Berg et Jackson
exigeait six laborieuses étapes enzymatiques. Mertz trouva un raccourci. En
utilisant une enzyme de coupure appelée EcoRI fournie par Herbert Boyer,
un microbiologiste à San Francisco, elle trouva que le même résultat
pouvait s'obtenir en deux étapes 15. « Janet a vraiment rendu les choses
beaucoup plus efficaces 16, se rappelle Berg. Désormais, en quelques
réactions chimiques, nous pouvions générer de nouveaux segments d'ADN
[…] Elle les coupait, les mélangeait, ajoutait l'enzyme qui les réunit bout à
bout et puis montrait qu'elle avait obtenu un produit ayant les propriétés des
deux matériaux initiaux ».
En novembre 1972, alors que Berg soupesait les risques liés à des
hybrides virus-bactérie, Herbert Boyer, le scientifique de San Francisco qui
avait donné des enzymes coupant l'ADN à Mertz, se rendit à Hawaï pour un
congrès de microbiologie. Né dans une ville minière de Pennsylvanie en
1936, Boyer avait découvert la biologie au lycée et grandit avec pour idéal
Watson et Crick (il avait donné leur nom à ses deux chats siamois). Il avait
postulé pour faire une école de médecine au début des années 1960, mais
n'avait pas été pris en raison d'une note trop faible en métaphysique. Il
s'était alors orienté vers des études de microbiologie.
Boyer était arrivé à San Francisco au cours de l'été 1966 avec la coupe
afro, le gilet en cuir typique et le short en jean, non comme étudiant mais
comme professeur assistant à l'université de Californie, San Francisco
(UCSF) 17. Une grande partie de son travail concernait l'isolement de
nouvelles enzymes coupant l'ADN, du type de celle qu'il avait envoyée au
laboratoire de Berg. Boyer avait entendu parler des expériences de Mertz
pour couper l'ADN et la simplification que cela représentait pour produire
des ADN hybrides.
Au milieu des années 1960, l'intérêt de Sanger passa donc des protéines
aux acides nucléiques et il commença à considérer sérieusement le
séquençage de l'ADN. Mais la méthode qui avait si bien réussi pour
l'insuline – casser, résoudre, casser, résoudre – refusait de marcher pour
l'ADN. Les protéines ont une structure chimique permettant de détacher les
acides aminés un à un mais, pour l'ADN, aucun outil de ce type n'existait.
Sanger essaya de reconvertir sa technique de dégradation séquentielle, mais
les expériences n'aboutissaient qu'à un chaos chimique. Coupé en
morceaux, l'ADN passait d'un message génétique à un vrai charabia.
L'inspiration vint soudain à Sanger au cours de l'hiver 1971 sous la forme
d'une inversion. Il avait passé des décennies à apprendre à casser des
molécules pour résoudre leur séquence. Mais pourquoi ne renversait-il pas
sa stratégie et ne tentait-il pas de construire de l'ADN au lieu de le casser ?
Pour élucider une séquence, se dit Sanger, il faut penser comme un gène.
Les cellules fabriquent des gènes en permanence, car à chaque fois qu'elles
se divisent elles en font une copie. Si un biochimiste pouvait se coller sur le
dos de l'enzyme copiant l'ADN, l'ADN polymérase, et noter les bases
qu'elle utilise au fur et à mesure de sa synthèse du brin complémentaire, A,
C, T, G, C, C, C, et ainsi de suite, il pourrait déterminer la séquence. C'était
comme espionner une machine en train de copier : on pouvait alors
reconstruire l'original à partir de la copie. Là encore, l'image en miroir allait
révéler l'original, Dorian Gray serait recréé, morceau après morceau, à
partir de son reflet.
En 1971, Sanger se mit à développer une technique de séquençage du
gène en utilisant la réaction de copie de l'ADN polymérase (parallèlement, à
Harvard, Walter Gilbert et Allan Maxam mettaient eux aussi au point un
système pour séquencer l'ADN mais avec des réactifs différents. Leur
méthode a marché, mais elle a rapidement été dépassée par celle de
Sanger). Au départ, la méthode de Sanger était peu efficace et échouait
facilement de manière inexplicable. Le problème était dû en partie au fait
que la réaction de copie était trop rapide. La polymérase filait le long du
brin d'ADN, ajoutant des nucléotides à un tel rythme que Sanger ne pouvait
pas saisir les étapes intermédiaires. C'est alors qu'il fit un changement
ingénieux. Il introduisit dans la réaction une petite proportion de
nucléotides chimiquement modifiés qui étaient encore reconnus par
l'enzyme mais coinçaient ensuite sa progression sur l'ADN. En bloquant la
copie à différents endroits de façon aléatoire, il devenait possible de
cartographier un gène par ses copies incomplètes, ceci pour chacun des
quatre nucléotides choisis pour gripper la machine.
Le 24 février 1977, Sanger utilisa sa technique pour révéler la séquence
complète d'un virus, Фχ174, dans un article de la revue Nature 8. Ce génome
viral était minuscule, long de seulement 5 386 paires de base, plus court que
les plus petits gènes humains, mais la publication annonçait une avancée
scientifique qui allait tout transformer. « La séquence identifie de
nombreuses caractéristiques responsables de la production des protéines
issues des neuf gènes connus de l'organisme 9 », écrivait-il. Sanger avait
appris à lire le langage des gènes.
Les mots représentent les gènes, les longs espaces avec point de
suspension les segments d'ADN intergénique tandis que les petits espaces à
l'intérieur des mots sont les introns. Les parenthèses et point virgule, les
points de ponctuation, sont les régions de l'ADN qui régulent les gènes.
Les technologies jumelles du séquençage et du clonage de gène tirèrent
aussi la génétique d'une impasse expérimentale. Vers la fin des années 1960,
la génétique s'est retrouvée bloquée. Toute science expérimentale dépend,
d'une manière cruciale, de sa capacité à perturber intentionnellement un
système et à mesurer les effets de cette perturbation. Mais le seul moyen de
modifier les gènes était de créer des mutants, un processus parfaitement
aléatoire. De plus, le seul moyen de lire cette altération était d'observer un
changement de la forme ou de la fonction. On pouvait arroser les mouches
du vinaigre de rayons X en espérant obtenir des mutants sans ailes ou sans
yeux comme l'avait fait Muller, mais l'on n'avait aucun moyen de manipuler
délibérément les gènes contrôlant la formation des yeux ou des ailes, ou de
comprendre exactement comment ces organes avaient changé. « Le gène,
comme le décrivait un scientifique, était quelque chose d'inaccessible. »
Cette inaccessibilité du gène avait été particulièrement frustrante pour les
messies de la « nouvelle biologie », dont James Watson. En 1955, deux ans
après sa découverte de la structure de l'ADN, Watson était arrivé au
département de biologie de Harvard et avait tout de suite hérissé certains de
ses plus vénérables professeurs. La biologie, selon Watson, était une
discipline en train de se diviser en deux. D'un côté se tenait la vieille garde,
les naturalistes, taxonomistes, anatomistes, et écologues qui se
préoccupaient encore de classification des animaux et de descriptions
largement qualitatives de l'anatomie et de la physiologie des organismes. De
l'autre se tenaient les « nouveaux » biologistes qui étudiaient les gènes et les
molécules. La vieille école parlait de diversité et de variations. La nouvelle
de code universel, de mécanismes communs et de « dogme central 12 ».
« Chaque génération a besoin d'une nouvelle musique », avait dit Crick.
Watson méprisait franchement la vieille musique. L'histoire naturelle, une
discipline largement « descriptive » comme la qualifiait Watson, allait être
remplacée par une vigoureuse science expérimentale qu'il avait contribué à
faire naître. Les dinosaures qui étudiaient les dinosaures allaient bientôt
s'éteindre de leur mort naturelle. Watson appelait les anciens biologistes les
« collectionneurs de timbres », se moquant de leur souci de collectionner et
de classer les spécimens biologiques* *.
Mais même Watson devait admettre que l'incapacité à intervenir
directement sur les génomes ou à lire la nature exacte des altérations
génétiques était une source de frustration pour la nouvelle biologie. Si les
gènes pouvaient être séquencés et manipulés, un vaste champ
d'expérimentations pouvait s'ouvrir. Jusqu'alors, les biologistes en étaient
réduits à sonder la fonction des gènes en utilisant le seul moyen disponible,
l'apparition de mutations aléatoires dans des organismes simples. En
réponse au mépris de Watson, un naturaliste pouvait lui retourner le même
argument. Si les biologistes à l'ancienne étaient des « collectionneurs de
timbres », ceux de la nouvelle biologie moléculaire n'étaient que des
« chasseurs de mutants ».
Entre 1970 et 1980, les chasseurs de mutants se muèrent en
manipulateurs et en décodeurs de gènes. Considérez ceci : en 1969, si une
maladie liée à un gène était trouvée, les scientifiques n'avaient aucun moyen
de comprendre la nature de la mutation, de la comparer à la forme normale
ou de la reproduire dans un autre organisme pour étudier son rôle. En 1979,
le même gène pouvait être transféré dans une bactérie, introduit dans un
vecteur viral, inséré dans le génome d'une cellule de mammifère, cloné,
séquencé et comparé à la forme normale.
En décembre 1980, en reconnaissance pour ces avancées historiques dans
les techniques génétiques, le prix Nobel de chimie fut décerné
conjointement à Fred Sanger, Walter Gilbert et Paul Berg, les lecteurs et les
écrivains de l'ADN. Comme l'écrivit un journaliste scientifique à l'époque,
« l'arsenal de la manipulation chimique [des gènes] » était désormais
disponible 13. « L'ingénierie génétique, a écrit le biologiste Peter Medawar,
implique un changement génétique délibéré rendu possible par la
manipulation de l'ADN, le vecteur de l'information héréditaire […] N'est-ce
pas une vérité majeure de la technologie que tout ce qui est en principe
possible sera fait […] ? Atterrir sur la Lune ? Oui, certes. Abolir la variole ?
Un plaisir. Réparer les déficiences dans le génome humain ? Mmm, oui,
bien que cela sera plus difficile et prendra plus de temps. Nous n'en sommes
pas encore là, mais nous allons certainement dans la bonne direction 14 ».
Asilomar II, l'une des rencontres les plus extraordinaires dans l'histoire
des sciences, fut organisée par Berg, Baltimore et trois autres scientifiques
pour février 1975. Là encore, les généticiens se retrouvèrent sur les dunes
ventées pour discuter de gènes, de recombinaison et de tournure de l'avenir.
La saison était de toute beauté. Les papillons monarques migraient le long
de la côte dans leur trajet annuel vers les prairies canadiennes, les pins et les
séquoias s'allumaient de teintes rouges, orange et noires.
Les visiteurs humains arrivèrent le 24 février, et pas seulement des
biologistes. Berg et Baltimore avaient judicieusement invité des juristes, des
journalistes et des écrivains à se joindre à l'événement. Tant qu'à discuter de
l'avenir des manipulations génétiques, ils voulaient avoir l'opinion d'un
groupe plus large d'intellectuels. Les allées de planches autour du centre de
conférence permettaient des discussions informelles. En marchant sur les
passages en bois ou les étendues de sable, les biologistes pouvaient
échanger librement sur la recombinaison, le clonage et la manipulation des
gènes. Au contraire, dans le bâtiment central aux murs de pierre, pareil à
une cathédrale éclairée par la lumière sépulcrale de Californie, se tenait le
cœur de la conférence, où les débats les plus animés sur le clonage des
gènes n'allaient pas tarder à débuter.
Berg parla en premier. Il fit le résumé des résultats et brossa un tableau
des problèmes. Durant leur recherche de méthodes pour modifier
chimiquement l'ADN, des biochimistes avaient récemment découvert une
technique relativement facile pour mélanger et réarranger l'information
génétique d'organismes différents. La technique, comme le disait Berg, était
si « ridiculement simple » que même un biologiste occasionnel pouvait
produire des gènes chimériques en laboratoire. Ces molécules d'ADN
hybrides – l'ADN recombinant – pouvaient être propagées et amplifiées
(c'est-à-dire clonées) dans des bactéries pour générer des millions de copies
identiques. Certaines de ces molécules pouvaient être transférées dans des
cellules de mammifères. En reconnaissance du potentiel mais aussi des
risques de cette technologie, la première réunion d'Asilomar avait suggéré
un moratoire sur ces expériences. La conférence d'Asilomar II devait
prendre la suite de ces recommandations. Finalement, elle a tellement
dépassé la première par son impact et son retentissement qu'elle a ensuite
été appelée Conférence d'Asilomar, ou juste Asilomar.
Les tensions et les tempéraments s'emballèrent rapidement le premier
matin. La principale question était encore le moratoire auto-imposé. Les
scientifiques devaient-ils être restreints dans leurs expériences avec l'ADN
recombinant ?
Watson était contre. Il voulait une parfaite liberté, que les scientifiques
soient laissés libres de leurs choix. Baltimore et Brenner réitérèrent leur
projet de créer des vecteurs de gènes « atténués » pour garantir une sécurité.
Les autres avis étaient profondément partagés. Les opportunités pour la
science étaient énormes et un moratoire pouvait paralyser ses avancées. Un
microbiologiste fut particulièrement révolté par la sévérité des limitations
proposées. « Vous avez baisé le groupe plasmide », lança-t-il au comité 14.
Un moment, Berg menaça de poursuivre en justice Watson pour son refus
de reconnaître à sa juste mesure la nature du risque de l'ADN recombinant.
Brenner demanda à un journaliste du Washington Post d'arrêter d'enregistrer
au cours d'une séance particulièrement sensible sur les risques du clonage
de gène. « Je crois dans le droit inaliénable de tout scientifique adulte de
pouvoir complètement se ridiculiser en privé », dit-il. Il fut promptement
accusé « d'être un fasciste 15 ».
Les cinq membres du comité organisateur, Berg, Baltimore, Brenner,
Richard Roblin et la biochimiste Maxine Singer, faisaient le tour
anxieusement pour prendre la température. « Les disputes s'enchaînèrent
sans fin, écrivit un journaliste à l'époque. Certains en ont eu marre et sont
allés sur la plage pour fumer de la marijuana 16. » Berg se tenait assis dans la
salle, l'air mauvais, inquiet que la conférence se termine sans aucune
conclusion.
Rien n'avait été encore formalisé le dernier soir de la conférence jusqu'à
ce que les juristes entrent en scène. Les cinq avocats demandèrent à ce que
l'on discute des implications légales du clonage et donnèrent une vision
assez sombre des risques potentiels. Si un seul membre d'un laboratoire se
retrouvait infecté par un microbe recombinant et que cette infection menait
à un semblant même de maladie, le directeur du laboratoire, le laboratoire et
l'institution en seraient tenus pour légalement responsables. Des universités
entières fermeraient. Des laboratoires seraient arrêtés indéfiniment, leur
entrée occupée par des activistes et fermée par des hommes en combinaison
NBC d'astronautes. Le NIH serait inondé de demandes et ce serait la
panique générale. Le gouvernement fédéral y répondrait en proposant des
régulations draconiennes, pas seulement sur l'ADN recombinant mais sur
un large éventail de la recherche en biologie. Il pouvait alors en résulter des
restrictions bien plus sévères que toutes les règles que les scientifiques
auraient pu vouloir s'imposer à eux-mêmes.
La présentation des juristes, faite à dessein le dernier jour d'Asilomar II,
fut le tournant décisif de toute la rencontre. Berg comprit qu'elle ne devait
pas, ne pouvait en fait, se clore sans des recommandations formelles. Ce
soir-là, Baltimore, Berg, Singer, Brenner et Roblin restèrent tard dans leur
cabanon de plage, mangeant des plats préparés de cuisine chinoise,
gribouillant sur un tableau noir, élaborant un projet pour l'avenir. À cinq
heures et demie du matin, ils émergèrent hirsutes et les yeux mi-clos,
sentant le café et l'encre de machine à écrire, avec un texte à la main. Ce
document commençait par reconnaître l'étrange univers parallèle de la
biologie où les scientifiques s'étaient involontairement aventurés avec le
clonage de gène. « Les nouvelles techniques, qui permettent de recombiner
l'information génétique d'organismes très différents nous placent dans une
arène de la biologie avec de nombreuses inconnues […] C'est cette
ignorance qui nous à pousser à conclure qu'il serait sage d'apporter une très
grande prudence dans l'exercice de cette recherche 17 ».
Pour atténuer les risques 18, le document proposait un classement sur
quatre niveaux du biorisque potentiel de divers organismes génétiquement
modifiés, avec des mesures de confinement recommandées pour chaque
niveau (insérer un gène causant le cancer dans un virus humain, par
exemple, mériterait le plus haut niveau alors que mettre un gène de
grenouille dans une bactérie aurait le plus bas). Comme Baltimore et
Brenner l'avaient fortement suggéré, le texte proposait le développement
d'organismes vecteurs de gènes atténués pour les confiner plus encore dans
les laboratoires. Enfin, il recommandait fortement un examen continuel des
procédures de recombinaison et de confinement, avec la possibilité
d'assouplir ou de renforcer les restrictions dans un proche avenir.
Le lendemain, quand la rencontre débuta sa dernière journée à huit
heures et demie, les cinq membres du comité craignaient que leur
proposition soit rejetée. D'une manière surprenante, elle fut presque
unanimement acceptée.
Stan Cohen et Herb Boyer étaient eux aussi allés à Asilomar pour
débattre de l'avenir de l'ADN recombinant. Ils furent irrités par la
conférence, et même découragés. Boyer ne pouvait supporter les querelles
internes et les invectives, il trouva que les scientifiques « servaient leurs
propres intérêts » et qualifia la rencontre de « cauchemar ». Cohen refusa de
signer l'accord d'Asilomar (étant financé par le NIH, il allait pourtant finir
par devoir s'y conformer).
De retour dans leur laboratoire, ils revinrent sur une question qu'ils
avaient négligée dans toute cette agitation. En mai 1974, le laboratoire de
Cohen publia l'expérience du « prince grenouille », le transfert d'un gène de
grenouille dans une bactérie. Lorsqu'un collègue lui demanda comment il
avait identifié les bactéries exprimant le gène de grenouille, il répliqua en
plaisantant qu'il avait embrassé les bactéries pour vérifier celles qui se
transformaient en prince.
Dans un premier temps, l'expérience n'avait été qu'un travail
universitaire, elle n'avait ému que les biochimistes (Joshua Lederberg, le
biochimiste prix Nobel de médecine et collègue de Cohen à Stanford, fut
parmi les rares à écrire avec un bon pressentiment que l'expérience
« pouvait complètement changer l'approche de l'industrie pharmaceutique
pour fabriquer des éléments biologiques tels que l'insuline ou des
antibiotiques 3 »). Mais petit à petit, les médias prirent conscience de
l'impact potentiel de l'étude.
En mai, le San Francisco Chronicle publia un article sur Cohen centré
sur la possibilité que des bactéries génétiquement modifiées puissent un
jour servir « d'usines » biologiques pour des médicaments ou des
substances chimiques 4. Bientôt, des articles sur les techniques de clonage
de gène parurent dans Newsweek et le New York Times. Cohen fut aussi
rapidement initié aux côtés parfois sordides du journalisme scientifique.
Ayant patiemment discuté un après-midi avec un journaliste sur l'ADN
recombinant et le transfert de gène bactérien, il se réveilla le lendemain
avec le gros titre hystérique : « Des bestioles faites par l'homme ravagent la
Terre 5. »
Dans le bureau des brevets de l'université de Stanford, Niels Reimers, un
ancien ingénieur perspicace, prit connaissance du travail de Cohen et Boyer
par ces publications et fut intrigué par leur potentiel. Reimers, moins un
spécialiste des brevets qu'un éclaireur avisé, était quelqu'un d'actif et
d'entreprenant. Au lieu d'attendre que les inventeurs lui apportent leurs
trouvailles, il explorait la littérature scientifique de son côté pour trouver
des nouvelles pistes potentielles. Il prit contact avec Boyer et Cohen, leur
enjoignant de déposer un brevet commun sur leur travail de clonage des
gènes (les universités de Stanford et de l'UCSF, leurs institutions
respectives, allaient aussi faire partie des auteurs de ce brevet). Cohen et
Boyer furent tous les deux surpris. Au cours de leurs expériences, ils
n'avaient même pas pensé à l'idée que les techniques de l'ADN recombinant
puissent être « brevetables » ou aient un jour une quelconque valeur
commerciale. Durant l'hiver 1974, encore sceptiques mais désireux de faire
plaisir à Reimers, ils déposèrent un brevet pour la technologie de l'ADN
recombinant 6.
La nouvelle de ce dépôt de brevet revint aux scientifiques. Elle rendit
furieux Kornberg et Berg. Les prétentions de Cohen et Boyer « à la
propriété commerciale des techniques pour le clonage de tout ADN, dans
tout vecteur, fait de toutes les manières possibles, dans tout organisme [est]
douteuse, présomptueuse et démesurée 7 » écrivit Berg. Le brevet allait
selon eux privatiser les produits d'une recherche biologique qui avait été
financée par de l'argent public. Berg s'inquiétait aussi de ce que les
recommandations de la Conférence d'Asilomar ne soient pas correctement
suivies et respectées dans les sociétés privées. Pour Boyer et Cohen,
cependant, tout cela semblait beaucoup de bruit pour rien. Leur « brevet »
sur l'ADN recombinant n'était rien de plus qu'une feuille de papier pour des
questions juridiques, ayant moins de valeur, peut-être, que l'encre qui avait
servi à l'imprimer.
Durant l'automne 1975, avec encore de très nombreux articles en
chantier, Cohen et Boyer prirent des orientations scientifiques différentes.
Leur collaboration avait été immensément productive – ils avaient publié
ensemble onze articles historiques en cinq ans –, mais leurs intérêts avaient
commencé à diverger. Cohen devint consultant pour une société appelée
Cetus en Californie tandis que Boyer retourna à son laboratoire à San
Francisco pour se consacrer à ses expériences de transfert de gène
bactérien.
Au cours du printemps 2014, mon père fit une chute. Il était assis sur son
fauteuil à bascule favori, un horrible machin de guingois qu'il avait fait
fabriquer par un menuisier local, quand il bascula en avant et tomba (le
menuisier avait conçu le fauteuil pour qu'il se balance, mais avait oublié d'y
mettre un dispositif l'empêchant de basculer complètement). Ma mère le
retrouva sur la véranda à plat ventre, sa main coincée sous son corps d'une
manière peu naturelle, comme une aile cassée. Son épaule droite était
maculée de sang. Elle ne put retirer sa chemise et prit alors une paire de
ciseaux pour l'enlever. Il criait de douleur à cause de sa blessure, mais aussi
de la profonde détresse de voir un vêtement parfaitement intact réduit en
lambeaux sous ses yeux. « Tu aurais pu essayer de la sauver », râla-t-il plus
tard dans la voiture qui les emmenait aux urgences. C'était une vieille
histoire : sa mère, elle, qui n'avait jamais eu cinq chemises à la fois pour ses
cinq fils, aurait trouvé un moyen de la sauver.
Son front avait une coupure et son épaule droite était cassée. Il était,
comme moi, un patient insupportable : impulsif, soupçonneux, imprudent,
anxieux d'être gardé, et s'illusionnant sur sa récupération. Je pris un avion
pour aller le voir en Inde. Lorsque je suis arrivé à la maison, la nuit était
bien avancée. Il gisait sur son lit, le regard vide fixé au plafond. Il semblait
avoir soudain vieilli. Je lui demandai s'il savait quel jour nous étions.
« Le vingt-quatre avril, répondit-il correctement.
— Et l'année ?
— 1946, dit-il, puis se corrigeant, dans un effort de mémoire, 2006 ? »
C'était une mémoire fugace. Je lui dis que c'était 2014. 1946, me dis-je,
avait été une autre période de catastrophe, c'était l'année où Rajesh était
mort.
Les jours suivants, ma mère s'occupa de lui pour qu'il guérisse. Sa
lucidité revint ainsi qu'une partie de sa mémoire à long terme, bien que celle
à court terme soit encore nettement perturbée. Nous nous sommes aperçus
que l'accident n'était pas aussi simple qu'il y paraissait. Il n'avait pas basculé
mais avait essayé de se lever du fauteuil, puis perdu l'équilibre et était parti
en avant, incapable de se rattraper. Je lui ai demandé de marcher à travers la
pièce et j'ai remarqué que son pas présentait un léger traînement. Il y avait
quelque chose de mécanique et de contraint dans son déplacement, comme
si ses pieds étaient en fer et que le sol était devenu aimanté. « Tourne
rapidement », lui dis-je, et il faillit retomber.
Plus tard dans la nuit, une autre humiliation survint : il urina au lit. Je l'ai
retrouvé dans la salle de bains, confus et honteux, son sous-vêtement à la
main. Dans la Bible, Noé maudit les descendants de Cham parce que ce
dernier a trébuché sur le corps de son père, ivre et nu, ses organes génitaux
exposés, étendu au milieu d'un champ dans la pénombre de l'aube. Dans une
version moderne de cette histoire, vous tombez sur votre père, nu et dément,
dans le clair-obscur de la salle de bain pour les invités, et vous voyez le sort
qui vous attend en pleine lumière.
Son incontinence urinaire, je l'appris ensuite, n'était pas nouvelle. Elle
avait commencé par la sensation d'un besoin urgent, l'incapacité de se
retenir une fois la vessie à moitié remplie, et progressé jusqu'aux mictions
nocturnes. Il en avait parlé à ses médecins qui n'y avaient pas accordé
d'importance, l'attribuant vaguement à une prostate trop gonflée. C'est l'âge,
lui avaient-ils dit. Il avait quatre-vingt-deux ans. Les hommes âgés tombent.
Perdent la mémoire. Mouillent leur lit.
Le diagnostic qui résuma tous les symptômes nous sauta aux yeux, à
notre honte soudaine, quand la semaine suivante on fit une IRM de son
cerveau. Les ventricules de son cerveau, qui le baignent dans un liquide,
étaient dilatés et repoussaient le tissu nerveux vers la périphérie. On appelle
cette affection une hydrocéphalie à pression normale (HPN). Elle résulterait
d'un flux anormal de liquide autour de la tête, ce qui provoquerait le
gonflement des ventricules, une espèce « d'hypertension du cerveau »
m'expliqua le neurologue. Elle se caractérise par une triade classique et
inexplicable de symptômes que sont une marche instable, une incontinence
urinaire et une démence. Mon père n'était pas tombé par accident. Il était
tombé malade.
Les mois suivants, je me renseignai autant que je pus sur la pathologie.
Elle n'a pas de cause connue. Elle est familiale. Une forme est
génétiquement liée au chromosome X, et donc particulièrement fréquente
chez les hommes. Dans certaines familles, seuls les plus âgés sont affectés.
La force de la transmission peut varier, parfois élevée, parfois modérée,
seuls certains membres de la famille étant touchés. Les cas familiaux les
plus jeunes répertoriés sont ceux d'enfants qui avaient quatre ou cinq ans.
Les plus âgés ont dans les soixante-dix à quatre-vingts ans.
C'est pour résumer très probablement une maladie génétique, bien que le
terme « génétique » n'ait pas le même sens ici que pour l'anémie falciforme
ou l'hémophilie. De nombreux gènes, répartis sur plusieurs chromosomes,
interviennent dans la formation des ventricules du cerveau, tout comme de
nombreux gènes sur différents chromosomes spécifient la formation de
l'aile chez la mouche. J'appris que certains gènes gouvernent la
configuration anatomique des ventricules et de leurs vaisseaux. D'autres
codent les canaux moléculaires qui permettent la circulation du liquide
entre les compartiments. D'autres encore codent les protéines qui régulent le
passage du liquide du sang vers le cerveau ou l'inverse. Et comme le
cerveau et ses ventricules se développent dans la cavité fixe du crâne, les
gènes qui déterminent la taille et la forme du crâne affectent aussi
indirectement la proportion des canaux et des ventricules.
Des variations dans chacun de ces gènes peuvent modifier la physiologie
des canaux et des ventricules, et donc le mode de déplacement des liquides
qui s'y déplacent. L'influence de l'environnement, tel que le vieillissement
ou un traumatisme cérébral, peut ajouter un niveau supplémentaire de
complexité. Il n'y a pas de correspondance unique entre un gène et une
maladie. Même si vous héritez de l'ensemble des variants génétiques
associés à l'HPN chez une personne, il faudra peut-être encore un accident
ou un autre facteur de l'environnement pour la « déclencher » (dans le cas
de mon père, c'était probablement l'âge). Si vous héritez d'une combinaison
particulière de gènes – déterminant par exemple un taux d'absorption du
liquide avec un volume particulier des ventricules –, vous pouvez avoir un
risque accru de succomber à la maladie. C'est donc une barque de Delphes
de la maladie, qui n'est pas déterminée par un seul gène mais par la relation
qu'entretiennent plusieurs gènes entre eux ou avec l'environnement.
« Comment un organisme transmet-il l'information nécessaire pour créer
une forme et une fonction à son embryon ? » s'était demandé Aristote. La
réponse, vue à travers différents organismes modèles tels que le pois, la
mouche du vinaigre ou la levure de bière, avait lancé la génétique moderne.
Il en a résulté, pour finir, un diagramme à l'influence monumentale qui
forme la base de notre compréhension du flux d'information traversant les
systèmes vivants :
Mais la maladie de mon père offrait aussi un autre prisme, par lequel on
pouvait voir comment l'information héréditaire influence la forme, la
fonction et le sort d'un organisme. Sa chute était-elle une conséquence de
ses gènes ? Oui et non. Ses gènes créaient plutôt une propension à ce que
cela arrive. Était-ce le produit de son environnement ? Oui et non. C'était le
fauteuil qui, après tout, en était la cause, mais il s'était assis dans ce fauteuil
pendant près de dix ans avant que la maladie ne le fasse basculer
(littéralement). Était-ce le hasard ? Oui, qui sait que le déplacement d'un
siège, conçu pour se faire sous un certain angle, peut vous projeter vers
l'avant ? Était-ce un accident ? Oui, mais son instabilité physique rendait la
chose très probable.
Le défi de la génétique, en passant d'organismes simples à l'humain, était
d'avoir de nouvelles manières d'appréhender la nature de l'hérédité, du flux
d'information, de la fonction et de la destinée. C'est le lieu de questions
épineuses. Comment les gènes interagissent-ils avec l'environnement pour
donner la maladie ou la normalité ? Et d'ailleurs, qu'est-ce que la normalité
face à la maladie ? Comment les variations dans les gènes causent-elles les
variations observées dans la forme et le fonctionnement des organismes
humains ? Comment de multiples gènes peuvent-ils influencer un unique
phénomène ? Comment peut-il y avoir une telle uniformité parmi les
humains et pourtant une telle diversité ? Comment les différentes formes
d'un gène peuvent-elles assurer une physiologie commune, et pourtant être
aussi à l'origine de pathologies uniques ?
La naissance d'une application clinique
En juin 1969, une femme nommée Hetty Park donna naissance à une fille
atteinte d'une maladie polykystique des reins infantile 31. Née avec des reins
malformés, l'enfant décéda cinq heures après sa naissance. Consternés, Park
et son mari demandèrent conseil à un obstétricien de Long Island, Herbert
Chessin. Supposant, de manière erronée, que cette maladie n'était pas
génétique (en fait, la MPR infantile, comme la mucoviscidose, résulte de la
présence de deux copies parentales du gène muté), Chessin rassura les
parents et les renvoya chez eux. Chessin pensait que le risque que Park et
son mari aient un autre enfant atteint de la même maladie était négligeable,
voire nul. En 1970, sur les conseils de Chessin, les Park conçurent un autre
enfant et eurent une autre fille, Laura. Malheureusement, celle-ci naquit elle
aussi avec la MPR. Elle fut hospitalisée plusieurs fois et mourut de
complications aux reins à deux ans et demi.
En 1979, alors que des opinions similaires à celles de Joseph Dancis
commençaient à apparaître régulièrement dans la littérature médicale et
populaire, les Park poursuivirent Herbert Chessin en justice en invoquant le
fait qu'il les avait mal conseillés. S'ils avaient été au courant du risque
génétique réel pour leur enfant, avançaient-ils, ils n'auraient pas choisi de
concevoir Laura. Celle-ci était une victime d'une estimation biaisée de la
normalité. Peut-être que le plus extraordinaire dans cette histoire fut la
description du dommage. Dans les batailles juridiques traditionnelles sur
des erreurs médicales, l'accusé (le médecin, d'habitude) était mis en cause
pour avoir causé à tort un décès. Les Park avançaient que Chessin, leur
obstétricien, était coupable de la faute contraire : « avoir causé à tort la
vie ». Dans un jugement historique, la Cour alla dans leur sens. Le juge
déclara que « les parents potentiels ont le droit de choisir de ne pas avoir un
enfant quand il peut être raisonnablement établi que l'enfant sera
malformé ». Un commentateur nota à l'époque 32 que « le tribunal a affirmé
que le droit d'un enfant à naître libre de toute anomalie [génétique] est un
droit fondamental ».
« Interfère, interfère, interfère »
« Après des millénaires où la plupart des gens ont fait des enfants dans
une joyeuse ignorance des risques qu'ils courraient, nous pourrions
devoir maintenant agir avec la stricte responsabilité de la prévision
génétique… Nous n'avons jamais eu à réfléchir à la médecine comme
cela auparavant. »
1
Gerald Leach, « Breeding Better People », 1970 .
où les mots correspondent aux gènes, les points aux introns et aux
séquences intergéniques, et les autres ponctuations à des séquences de
régulation.
Le premier raccourci pris par Venter fut de ne pas tenir compte des
séquences non codantes intra et intergéniques dans le génome humain.
Celles-ci ne portant pas d'information relative aux protéines, ne valait-il pas
mieux se focaliser sur les parties codantes, actives, des gènes ? Puis –
prenant un raccourci dans le raccourci – il proposa que même ces parties
actives pouvaient être abordées plus rapidement si seulement certains
fragments des gènes étaient séquencés. Convaincu que cette approche des
gènes fragmentés allait fonctionner, Venter avait commencé à séquencer des
centaines de ces fragments génétiques à partir du tissu cérébral.
Pour continuer notre analogie entre génomes et phrases, c'était comme si
Venter avait décidé de ne prendre que des brisures de mots dans les phrases,
ruc, votre et no. Il n'allait pas obtenir tout le contenu de la séquence comme
cela, mais déduire assez de choses de ces petits morceaux pour comprendre
les éléments cruciaux des gènes humains.
Watson était terrifié. La stratégie de « fragmentation des gènes » de
Venter était indéniablement plus rapide et meilleur marché, mais pour
nombre de scientifiques c'était aussi un travail bâclé et incomplet car il ne
donnait qu'une information partielle sur le génome 7. Le conflit prit de
l'ampleur avec un événement inhabituel. Durant l'été 1991, alors que le
groupe de Venter commençait à engranger les séquences de fragments
génétiques du cerveau, l'agence du transfert de technologie du NIH prit
contact avec Venter pour breveter ces nouvelles séquences 8. Pour Watson,
la contradiction devenait embarrassante avec d'un côté une branche du NIH
qui prétendait avoir des droits exclusifs sur une information qu'une autre
branche, de l'autre côté, s'évertuait à découvrir et à rendre librement
accessible.
Alors par quelle logique les gènes – ou dans le cas de Venter des
fragments « actifs » de gènes – pouvaient-ils être brevetés ? À Stanford,
Boyer et Cohen, rappelez-vous, avaient breveté une méthode pour
« recombiner » des morceaux d'ADN et créer des chimères génétiques.
Genentech avait breveté un procédé pour faire exprimer des protéines telles
que l'insuline par la bactérie. En 1984, Amgen avait déposé un autre brevet
pour la purification de l'hormone de production du sang appelée
érythropoïétine en utilisant de l'ADN recombinant, mais même ce brevet, si
on le lit avec soin, impliquait un plan de production et de purification d'une
protéine précise ayant une fonction précise 9. Personne n'avait jamais
protégé un gène, ou un morceau d'information génétique, pour lui-même.
Un gène humain n'était-il pas comme n'importe quelle autre partie du
corps humain, le nez ou le bras gauche, et donc fondamentalement non
brevetable ? Ou la découverte d'une information génétique aussi nouvelle
ne méritait-elle pas d'être brevetée pour elle-même ? Sulston, par exemple,
était fermement opposé à l'idée de brevets sur les gènes. « Les brevets
(comme je l'ai toujours pensé) sont conçus pour protéger des inventions 10,
écrivait-il. Il n'y a eu aucune “invention” dans la découverte de [fragments
génétiques] alors comment pourrait-on les breveter ? ». « C'est une
appropriation rapide et malpropre de terre 11 » écrivit avec dédain un
chercheur.
La controverse autour des brevets sur les gènes prit un tour encore plus
passionné car les fragments de gènes étaient séquencés de façon aléatoire,
sans leur attribuer une quelconque fonction. Comme l'approche de Venter
produisait par nature des séquences fragmentaires – il n'était pas toujours
possible de les recoller ensemble –, leur information n'était pas claire.
Parfois, les fragments étaient assez longs pour que l'on puisse en déduire la
fonction d'un gène, mais le plus souvent il n'était pas possible d'en déduire
quoi que ce soit. « Pourriez-vous breveter un éléphant en décrivant sa
queue ? Et pourquoi ne pas breveter un éléphant en décrivant trois
morceaux distincts de sa queue ? » ironisait Eric Lander 12. Lors d'une
audition du Congrès sur le projet génome, Watson s'emporta en disant que
« virtuellement n'importe quel singe » pouvait générer de tels fragments.
Walter Bodmer, un généticien britannique, avertit que si les Américains
accordaient des brevets aux fragments de gènes de Venter, les Britanniques
en feraient de même de leur côté 13. En quelques semaines, le génome se
retrouverait balkanisé, découpé en milliers de colonies territoriales portant
des drapeaux américain, britannique et allemand.
Le 10 juin 1992, lassé de ces interminables querelles, Venter quitta le
NIH pour lancer son propre institut privé de séquençage des gènes.
L'organisme fut d'abord appelé l'Institute for Genome Research mais Venter
repéra un problème avec ce nom dont l'acronyme, prononcé IGOR en
anglais, pouvait rappeler un majordome gothique au regard louche élève de
Frankenstein 14. Il préféra le baptiser The Institute for Genomic Research,
ou TIGR pour faire court 15.
En mai 1998, Venter, toujours à la manœuvre, tira encore des bords face
au vent. Bien que les efforts de séquençage « shotgun » du TIGR eussent
rencontré un succès incontestable, Venter était encore irrité par la structure
de son organisation. Le TIGR avait été créé sous la forme d'un hybride
bizarre, un institut à but non lucratif hébergé par une société à but lucratif
appelée Human Genome Sciences (HGS) 21. Venter trouvait ce type de
structure en poupée russe ridicule. Il en discutait sans cesse avec ses patrons
et finit par couper les ponts avec le TIGR. Il créa encore une autre société
qui allait se focaliser entièrement sur le séquençage du génome humain.
Venter appela sa nouvelle compagnie Celera, une forme abrégée de
« accélérer ».
Une semaine avant une rencontre décisive du « Projet Génome Humain »
à Cold Spring Harbor, Venter rencontra Collins entre deux vols dans la salle
d'attente Red Carpet de l'aéroport Dulles de Washington. Venter lui confia
tranquillement que Celera était sur le point de donner un élan sans
précédent au séquençage du génome humain en utilisant la méthode
« shotgun ». Sa société avait acheté deux cents des machines à séquencer
les plus performantes et s'apprêtait à les faire tourner à plein régime pour
finir la séquence en un temps record. Venter était d'accord pour rendre
publique l'information produite mais se réservait tout de même une clause
menaçante. Celera allait tenter de breveter les trois cents gènes les plus
importants qui pouvaient servir de cible à des médicaments dans le cas de
maladies comme le cancer du sein, la schizophrénie ou le diabète. Il afficha
un calendrier d'action ambitieux. Il espérait avoir assemblé l'ensemble du
génome humain en 2001, et battre ainsi de quatre ans l'échéance que s'était
fixée le « Projet Génome Humain » financé sur fonds publics. Puis il se leva
brusquement et prit le premier vol pour la Californie.
Piqués au vif, Collins et Lander réorganisèrent rapidement l'effort public.
Ils ouvrirent en grand les vannes du financement fédéral, distribuant
60 millions de dollars de subventions pour le séquençage à sept centres
américains. Maynard Olson, un généticien de Berkeley et Robert Waterston,
un ancien biologiste du ver devenu un expert du séquençage à l'université
Washington à Seattle, donnèrent des conseils stratégiques déterminants.
Laisser le génome humain entre les mains d'une compagnie privée causerait
un embarras monumental. Alors que la rivalité imminente entre le privé et
le public commençait à être connue, les journaux faisaient hypothèses sur
hypothèses. Le 12 mai 1998, le Washington Post annonçait : « Une firme
privée cherche à battre le gouvernement pour cartographier les gènes. »
• Ce livre a 3 088 286 401 lettres (un peu plus ou un peu moins).
• Les lettres (bases de l'ADN) sont de quatre sortes seulement.
• Si ce livre était publié avec des caractères de taille normale, ses lettres
s'étaleraient à perte de vue, … AGCTTGCAGGGG…, page après page, sur
1,5 million de pages, soixante-six fois la taille de l'Encyclopaedia
Britannica.
• Il est divisé en 23 volumes, 23 paires de chromosomes – soit 46 en tout
– dans la plupart des cellules du corps (certaines n'en ont plus qu'un sur
deux). Chez tous les autres grands singes – gorille, chimpanzé, orang-
outan –, le livre a 24 volumes. À un moment de l'évolution des hominidés,
deux chromosomes de taille moyenne d'un singe ancestral ont fusionné pour
n'en former qu'un seul. Le génome humain s'est franchement séparé de celui
des grands singes il y a plusieurs millions d'années, et a acquis depuis de
nouvelles mutations et variations. Nous avons perdu un chromosome mais
gagné un pouce plus agile.
• Il contient environ 20 687 gènes au total 1, seulement 1 796 de plus que
le ver, 12 000 de moins que le maïs et 25 000 de moins que le riz ou le blé.
La différence entre « humain » et « céréale du petit-déjeuner » n'est pas au
niveau du nombre de gènes mais du degré de complexité des réseaux de
gènes. Ce n'est pas ce que nous avons, mais la manière dont nous l'utilisons,
qui fait la différence.
• Il est farouchement inventif. Il fait jaillir la complexité de la simplicité.
Il orchestre l'activation ou la répression de certains gènes en fonction des
cellules et du moment, créant des contextes et des partenaires uniques pour
chaque gène en fonction de l'espace et du temps, produisant ainsi une
variation fonctionnelle presque infinie à partir de son répertoire limité. Et
lors de l'expression des gènes, il mélange et arrange des modules, les exons,
pour extraire de ce répertoire une diversité plus grande encore de
combinaisons. Ces deux stratégies, régulation et épissage génétique,
paraissent plus largement utilisées dans le génome humain que chez la
plupart des autres organismes. Plus que l'énormité du nombre de nos gènes,
plus que la diversité de leurs types, ou l'originalité de leur fonction, c'est
l'ingéniosité de notre génome qui est le secret de notre complexité.
• Il est dynamique. Dans certaines cellules, il rebat les cartes de ses
propres séquences pour faire de nouveaux gènes. Les cellules du système
immunitaire secrètent des « anticorps », des protéines comme des têtes
chercheuses capables de s'attacher aux pathogènes étrangers. Mais comme
ces derniers évoluent constamment, les anticorps doivent aussi être capables
de changer. Un pathogène qui évolue exige un hôte capable d'en faire
autant. Le génome accomplit cette contre-offensive évolutive en
recombinant ses éléments génétiques, produisant de la sorte une
étourdissante diversité (s…tru…c…t…ure et g…én…ome peuvent être
réarrangés pour former un mot entièrement nouveau, c…ome…t). Ces
nouveaux gènes sont responsables de la grande diversité des anticorps (ou
des récepteurs des cellules T). Dans les cellules qui les produisent, chaque
génome peut donc donner naissance à un génome entièrement différent à
certains endroits.
• Certaines parties sont d'une surprenante beauté. Sur un grand morceau
du chromosome 11, par exemple, il y a une allée dédiée entièrement à la
sensation des odeurs. On y trouve un groupe de 155 gènes très similaires
codant pour une série de récepteurs qui sont des capteurs professionnels des
odeurs. Chacun de ces récepteurs se lie à une structure chimique unique –
comme une clé dans une serrure – et génère alors une sensation typique
d'une odeur dans le cerveau, la menthe, le citron, le carvi, le jasmin, la
vanille, le gingembre, le poivre. Une forme élaborée de régulation
génétique garantit que dans chaque neurone olfactif, un seul gène de
récepteur, donc un seul couple récepteur-odeur, est choisi parmi le groupe
de gènes pour être exprimé ; ceci nous permet de discriminer des milliers
d'odeurs.
• Les gènes, curieusement, ne forment qu'une minuscule partie de ce
livre. Une proportion énorme du génome (98 %) n'est pas consacrée aux
gènes en eux-mêmes mais à d'immenses étendues d'ADN séparant les gènes
(ADN intergénique) ou leurs modules (introns). Ces longues portions
d'ADN ne codent ni de l'ARN ni des protéines. Elles servent soit à réguler
l'expression génétique, soit à d'autres fonctions que nous ignorons encore,
ou peut-être ne servent-elles à rien (ce que l'on appelle alors parfois de
« l'ADN poubelle »). Si le génome était une ligne reliant l'Amérique du
Nord à l'Europe au-dessus de l'océan Atlantique, les gènes seraient des
points de terre disséminés le long d'immenses étendues d'eau. Mis bout à
bout, ces points ne seraient pas plus longs que la plus grande île des
Galápagos ou qu'une ligne de train dans Tokyo.
• Ce livre est un condensé d'histoire. On trouve, incrustés dans le
génome, des fragments particuliers d'ADN qui s'y sont insérés dans un
lointain passé et ont été transportés passivement depuis. Il s'agit parfois de
vestiges d'anciens virus. Certains de ces fragments ont été capables de
« sauter » activement entre les gènes, parfois entre les organismes, mais
sont maintenant en grande partie inactivés et réduits au silence. Comme des
représentants de commerce ayant perdu toute mission, ces fragments
demeurent fixés dans notre génome sans pouvoir s'y déplacer ou en partir.
Ils sont beaucoup plus courants que nos gènes, ce qui se traduit par une
autre caractéristique propre à notre génome, le fait qu'une grande partie du
génome humain ne soit pas particulièrement humain.
• Il possède des éléments répétés qui apparaissent très souvent. Une
mystérieuse séquence casse-pieds de trois cents paires de bases appelée Alu
apparaît et réapparaît des dizaines de milliers de fois, bien que son origine
précise, sa fonction éventuelle ou sa signification demeurent inconnues.
• Il comprend d'énormes « familles de gènes », des gènes qui se
ressemblent et assurent des fonctions similaires tout en étant souvent
regroupés. Deux cents gènes étroitement apparentés, regroupés en archipels
sur certains chromosomes, codent par exemple des membres de la famille
« Hox », des protéines dont beaucoup jouent un rôle crucial pour déterminer
le sort, l'identité et la structure des segments et des organes de l'embryon.
• Il contient des milliers de « pseudogènes », des gènes qui étaient
autrefois fonctionnels mais qui ne donnent plus de protéine ou d'ARN. Le
génome est jonché des carcasses de ces gènes inactivés, tels des fossiles se
dégradant sur une plage.
• Il tolère assez de variations pour nous rendre tous différents, tout en
restant assez conforme aux autres génomes de notre espèce pour faire de
chacun de nous un humain, profondément différent du chimpanzé ou du
bonobo dont le génome est pourtant à 96 % identique au nôtre.
• Le premier gène, sur le chromosome 1, code une protéine qui détecte
une odeur dans le nez (encore ces gènes de l'olfaction ubiquitaires !). Le
dernier gène, sur le chromosome X, code une protéine qui module
l'interaction entre cellules du système immunitaire (cette notion de
« premier » et de « dernier » est parfaitement arbitraire et ne dépend que des
choix de présentation du génome ; les chromosomes sont numérotés en
fonction de leur taille, le plus grand étant le premier).
• L'extrémité des chromosomes est marquée par des « télomères ».
Comme les petits morceaux de plastiques au bout des lacets, ces séquences
d'ADN protègent (tant bien que mal) les chromosomes de l'érosion.
• Si nous comprenons bien le code génétique, c'est-à-dire comment
l'information d'un gène donné est utilisée pour construire une protéine, nous
ne saisissons pratiquement rien du code génomique, c'est-à-dire comment
de multiples gènes répartis dans tout le génome coordonnent l'expression
génétique dans le temps et l'espace pour créer, maintenir et réparer un
organisme humain. Le code génétique est simple : l'ADN est utilisé pour
former l'ARN, et l'ARN pour former une protéine. Un triplet de bases dans
l'ADN définit un acide aminé dans la protéine. Le code génomique est
complexe : associées aux gènes se trouvent des séquences d'ADN qui
spécifient où et quand ils seront exprimés. Nous ne savons pas pourquoi
certains gènes se trouvent à un endroit donné dans le génome ni comment
les séquences d'ADN entre les gènes régulent ou coordonnent leur activité.
Ce sont des codes au-delà des codes, comme des montagnes au-delà des
montagnes.
• Ce livre s'annote tout seul : il dépose et retire des marques chimiques
sur lui-même en réponse à des changements du milieu, codant ainsi une
sorte de « mémoire » cellulaire (nous allons y revenir).
Il est impénétrable, vulnérable, résilient, adaptable, répétitif et unique.
• Il est fait pour évoluer. Il est jonché de débris de son passé.
• Il est fait pour survivre.
• Il nous ressemble.
PARTIE 5
DE L'AUTRE CÔTÉ DU MIROIR
La génétique de l'identité et de la « normalité »
(2001 – 2015)
« Qu'est-ce que j'ai en commun avec les juifs ? Je n'ai presque rien en
commun avec moi-même. »
3
Franz Kafka
Pour comprendre ce que les gènes nous disent sur l'homme, on peut
commencer par essayer de déchiffrer ce que les gènes nous racontent des
origines de l'homme. Au milieu du XIXe siècle, avant l'avènement de la
génétique humaine, des anthropologues, des biologistes et des linguistes
s'étaient écharpés sur la question de l'origine de notre espèce. En 1854, un
naturaliste d'origine suisse nommé Louis Agassiz devint le plus fervent
partisan d'une théorie appelée polygénisme qui suggérait que les trois
principales races humaines, blanche, asiatique et nègre comme il aimait les
classer, étaient apparues indépendamment de lignées ancestrales distinctes il
y a plusieurs millions d'années.
Agassiz fut probablement le raciste le plus distingué dans l'histoire des
sciences, « raciste » dans les deux sens du terme : dans le sens initial, celui
qui croit en des différences inhérentes entre les races humaines ; dans le
second sens, celui qui est persuadé que certaines races sont supérieures aux
autres. Pris d'horreur à l'idée qu'il pourrait partager des ancêtres avec les
Africains, Agassiz soutenait que chaque race avait ses ancêtres propres,
qu'ils étaient apparus indépendamment dans l'espace et le temps (le nom
d'Adam, raisonnait-il, provenait du mot hébreu pour « celui qui rougit » et
seul un homme blanc pouvait visiblement rougir. Il y avait dû y avoir
plusieurs Adam, concluait Agassiz, ceux qui rougissaient et les autres, un
pour chaque race).
En 1859, la théorie d'Agassiz des origines multiples fut remise en
question par la publication du livre L'Origine des espèces de Darwin. Bien
que l'ouvrage évitât ostensiblement la question des origines de l'homme,
l'idée darwinienne de sélection naturelle était clairement incompatible avec
les ancêtres séparés d'Agassiz pour les races humaines. Si les pinsons et les
tortues dérivaient d'un ancêtre commun, pourquoi en irait-il autrement pour
l'homme ?
Dans le genre des duels entre universitaires, celui-ci était presque
comique. D'un côté Agassiz, un professeur de Harvard à la grande barbe,
qui était parmi les plus éminents naturalistes du monde et de l'autre Darwin,
un pasteur devenu naturaliste, plein de doutes, venant de « l'autre »
Cambridge en Angleterre, qui était pratiquement inconnu hors de son pays.
Cependant, Agassiz, sentant le danger, réfuta d'une manière enflammée le
livre de Darwin. Il tonna : « Si Monsieur Darwin ou ses partisans donnaient
un seul fait montrant que des individus changent au cours du temps, d'une
telle manière à produire, au final, des espèces […] Il en irait tout autrement
de leur affaire 7 ».
Mais même Agassiz dut concéder que sa théorie des ancêtres séparés
pour des races distinctes courait le risque d'être remise en cause non par
« un seul fait » mais par une multitude de faits. En 1848, des ouvriers d'une
carrière de calcaire dans la vallée de Neander en Allemagne avaient
fortuitement mis au jour un crâne particulier qui ressemblait à celui d'un
homme tout en présentant des différences notables comme une taille plus
grande, un menton en recul, des mâchoires puissantes et une arcade
sourcilière saillante 8. Sur le moment, le crâne fut rejeté comme celui d'un
pauvre bougre qui avait eu un accident, un fou abandonné dans une grotte,
mais au cours des décennies suivantes une série de crânes et d'os similaires
furent excavés de grottes ou de gorges à travers l'Europe et l'Asie. La
reconstruction os après os de ces spécimens faisait apparaître une espèce
bien charpentée, aux sourcils proéminents qui marchait debout avec des
jambes un peu arquées, une espèce de lutteur de mauvais poil fronçant en
permanence les sourcils. Cet hominidé fut qualifié d'homme de Neandertal
d'après le site de sa première découverte.
Au départ, beaucoup de scientifiques crurent que les Néandertaliens
étaient une forme ancestrale de l'homme moderne, l'un des chaînons
manquant entre l'homme et le singe. En 1922, par exemple, un article du
magazine Popular Science Monthly appela l'homme de Neandertal « un
moment précoce dans l'évolution humaine 9 ». Le texte était accompagné
d'une version maintenant familière de l'image en profil de l'évolution
humaine, avec un singe de type gibbon progressant en un gorille, le gorille
en un homme de Neandertal se tenant debout, et ainsi de suite jusqu'à la
formation de l'homme.
Mais dans les années 1970 et 1980, cette hypothèse fut réfutée et
remplacée par une idée bien plus étrange, à savoir que les premiers hommes
modernes avaient coexisté avec les Néandertaliens. Les schémas de la
« chaîne de l'évolution » furent revus pour illustrer le fait que gibbon,
gorille, homme de Neandertal et homme moderne ne reflétaient pas
différentes étapes de l'évolution humaine mais avaient tous émergé à partir
d'un ancêtre commun. D'autres indices anthropologiques suggéraient que
l'homme moderne, alors appelé homme de Cro-Magnon, était arrivé dans le
paysage de Neandertal il y a moins de quarante-cinq mille ans, très
probablement en s'installant dans les endroits en Europe où vivait l'homme
de Neandertal. Nous savons maintenant que ce dernier a disparu il y a
moins de quarante mille ans, ayant ainsi coexisté avec l'homme moderne
pendant environ cinq mille ans.
L'homme de Cro-Magnon est, en fait, notre véritable et plus proche
ancêtre, ayant le crâne plus petit, la face plus plate, l'arcade sourcilière en
retrait et la mâchoire plus fine des hommes actuels. Ces premiers hommes
modernes ont croisé ceux de Neandertal, au moins dans certains endroits en
Europe et ont dû entrer en compétition avec eux pour les ressources, la
nourriture et l'espace. Les Néandertaliens étaient nos voisins et rivaux.
Certains indices indiquent que nous nous sommes aussi croisés avec eux et
que la concurrence pour la nourriture et les ressources a pu contribuer à leur
disparition. Nous les avons aimés, et nous les aurions tués.
Qu'est-ce que cela nous dit sur la race et les gènes ? Beaucoup de choses.
D'abord, cela nous rappelle que vouloir classer les hommes en races a ses
limites. Wallace Sayre, un politologue, aime répéter que les disputes
universitaires sont souvent les plus violentes parce qu'elles portent sur des
enjeux dérisoires. Pareillement, peut-être que nos débats de plus en plus
stridents sur les races devraient commencer par reconnaître que la gamme
actuelle des variations du génome humain est particulièrement faible, plus
faible que chez beaucoup d'autres espèces (notamment le chimpanzé,
rappelez-vous). Vu notre durée d'existence relativement courte en tant
qu'espèce sur Terre, nous sommes beaucoup plus semblables que
dissemblables.
Pourtant, même une espèce jeune possède une histoire. L'un des pouvoirs
les plus pénétrants de la génomique est sa capacité à ranger des génomes,
même étroitement apparentés, en classes et sous-classes. Si nous nous
mettons à chercher des traits qui nous discriminent, nous pourrons en
trouver. Si l'on examine attentivement les variations dans le génome
humain, on verra qu'elles peuvent se regrouper en régions et en continents,
et suivre les limites traditionnelles des races. Chaque génome porte la
marque de ses ancêtres. En étudiant les caractéristiques génomiques d'un
individu, on peut déterminer son origine, son pays et parfois même sa tribu
avec une remarquable précision. C'est une mise en exergue, bien sûr, de
petites différences, mais si c'est ce que l'on entend par « race », alors le
concept n'a pas seulement survécu à l'ère de la génomique, il a été au
contraire amplifié par elle.
Le problème de la discrimination raciale ne vient pas de la déduction de
la race d'une personne à partir de ses caractéristiques génétiques. C'est
carrément l'opposé. C'est la déduction des caractéristiques d'une personne à
partir de sa race. La question n'est pas de savoir si l'on peut, étant donné la
couleur de la peau, la texture des cheveux ou la langue d'une personne en
déduire quelque chose sur ses ancêtres ou ses origines. C'est une question
de systématique en biologie, de lignée, de taxonomie, de géographie raciale,
de discrimination biologique. Bien sûr qu'on peut le faire, et la génomique a
largement amplifié ce type de déduction. On peut examiner tout génome
individuel et en apprendre beaucoup sur ses ancêtres ou son origine. Mais la
question qui prête beaucoup plus à controverse est la réciproque : étant
donné une identité raciale, africaine ou asiatique par exemple, peut-on en
déduire quelque chose sur ses qualités, pas seulement la couleur de la peau
ou des cheveux mais des traits plus complexes comme l'intelligence, les
habitudes, la personnalité, l'aptitude ? Autrement dit, les gènes peuvent
nous dire des choses sur la race, mais la race peut-elle nous dire quoi que ce
soit sur les gènes ?
Pour répondre à cette question, il nous faut mesurer dans quelle mesure la
variation génétique se répartit entre les diverses catégories raciales. Y a-t-il
plus de diversité au sein des races ou entre les races ? Le fait de savoir que
quelqu'un a des ascendants africains ou européens nous permet-il de mieux
comprendre ses traits génétiques, ou ses propriétés physiques ou
intellectuelles ? Ou existe-t-il tellement de variations au sein des Africains
ou des Européens que la diversité intraraciale domine, rendant alors
caduque les catégories d'Africain ou d'Européen ?
Nous avons maintenant des réponses précises et quantitatives à ces
questions. Des études ont tenté de quantifier le niveau de diversité
génétique du génome humain. Les plus récentes estimations 25 suggèrent
que la plus grande part de la diversité génétique (85 à 90 %) se trouve au
sein de ces soi-disant races (africaine ou asiatique par exemple) et que seule
une petite proportion (7 %) existe entre les groupes raciaux (le généticien
Richard Lewontin avait trouvé une répartition comparable dès 1972).
Certains gènes varient beaucoup entre groupes raciaux ou ethniques :
l'anémie falciforme est une maladie afro-caribéenne et indienne, par
exemple, tandis que la maladie de Tay-Sachs est beaucoup plus fréquente
chez les juifs ashkénazes. Mais le plus souvent, la diversité génétique au
sein de tout groupe racial l'emporte sur la diversité qui existe entre ces
groupes, et dans une large mesure. Ce degré de variabilité intraraciale rend
le concept de « race » peu utile pour qualifier n'importe quel trait. Du point
de vue génétique, un Africain du Nigeria est tellement « différent » d'un
autre de Namibie que cela n'a pas beaucoup de sens de les mettre dans le
même sac.
Pour ce qui concerne la race et la génétique, le génome s'avère ainsi une
voie à sens unique strict. On peut utiliser le génome pour prédire d'où
viennent X ou Y. Mais sachant d'où viennent A ou B, il est difficile de
prédire quoi que ce soit sur leur génome. Autrement dit, chaque génome
porte la signature des ancêtres d'une personne, mais les ancêtres raciaux
d'une personne en disent peu sur son génome. On peut séquencer l'ADN
d'un Afro-Américain et en conclure que ses ancêtres venaient de Sierra
Leone ou du Nigeria. Mais si vous rencontrez un homme dont les arrière-
grands-parents étaient de Sierra Leone ou du Nigeria, vous ne pourrez pas
dire grand-chose sur ses traits personnels. Le généticien rentre content chez
lui, le raciste revient les mains vides.
Comme l'ont exprimé Marcus Feldman et Richard Lewontin, « les
distinctions raciales perdent tout intérêt biologique. Pour l'espèce humaine,
elles n'ont aucune implication pour la différenciation génétique 26 ». Dans
sa monumentale étude publiée en 1994 sur la génétique, les migrations et
les races chez l'homme 27, Luigi Cavalli-Sforza, le généticien de Stanford, a
décrit le problème de la classification raciale comme un « vain exercice »
motivé par des arbitrages culturels plutôt que par des distinctions
génétiques. « Le niveau auquel nous arrêtons notre classification est
complètement arbitraire […] Nous pouvons identifier des “groupes” de
population [mais] comme chaque niveau de regroupement déterminera une
partition différente […] il n'y a aucune raison biologique d'en préférer une
en particulier ». Et Cavalli-Sforza de continuer : « L'explication
évolutionniste est simple. Il y a beaucoup de variations génétiques dans les
populations, même dans les petites. Ces variations individuelles se sont
accumulées sur de longues périodes parce que la plupart précèdent la
séparation sur les différents continents et peut-être même l'origine de
l'espèce, il y a moins d'un demi-million d'années […] Il y a donc eu trop peu
de temps écoulé pour qu'une divergence notable puisse s'établir ».
Cette dernière déclaration fut écrite à l'adresse du passé. C'est une
réplique scientifique mesurée à Agassiz et Galton, aux eugénistes
américains du XIXe siècle et aux eugénistes nazis du XXe siècle. La
génétique avait fait jaillir le spectre du racisme scientifique au XIXe siècle.
La génomique, heureusement, l'a fait retourner dans sa bouteille. Ou comme
le dit simplement Aibee, une domestique afro-américaine, à Mae Mobley
dans le film La Couleur des sentiments : « Ainsi, nous sommes pareils.
Juste avec une couleur différente 28. »
Le g est-il héritable ? D'une certaine manière, oui. Dans les années 1950,
une série d'études suggéra une forte composante génétique. Parmi celles-ci,
les études de jumeaux furent les plus décisives. Lorsque de vrais jumeaux
qui avaient été élevés ensemble – c'est-à-dire qui avaient partagé les mêmes
gènes et le même environnement – ont été testés au début des années 1950,
les psychologues ont trouvé un degré de concordance frappant de leur QI,
avec une valeur de corrélation de 0,86 39 40. Vers la fin des années 1980,
quand de vrais jumeaux ayant été séparés à la naissance et élevés
séparément ont été testés, la corrélation est tombée à 0,74, ce qui est encore
impressionnant.
Mais le caractère héritable d'un trait, indépendamment de sa force, peut
résulter de plusieurs gènes, chacun exerçant un effet mineur. Si c'était le
cas, des jumeaux identiques montreraient une forte corrélation pour le g,
mais la corrélation serait bien moins élevée entre les parents et les enfants.
C'était le cas du QI. La corrélation entre parents et enfants vivant ensemble,
par exemple, tombait à 0,42. S'ils vivaient séparément, elle chutait à 0,22.
Le facteur mesuré par le QI, quel qu'il soit, était certes héritable mais aussi
influencé par de nombreux gènes et fortement modifié par le milieu. L'inné
était là, mais l'acquis aussi.
La conclusion la plus logique de ces résultats est que si certaines
combinaisons de gènes et d'environnement peuvent largement influencer le
g, elles seront rarement transmises intactes aux enfants. Les lois de Mendel
garantissent virtuellement que des associations particulières de gènes vont
s'éparpiller à chaque génération. Et les interactions avec l'environnement
sont si difficiles à évaluer et à prédire qu'elles ne peuvent être reproduites
au cours du temps. L'intelligence, pour résumer, est héritable (c'est-à-dire
influencée par les gènes), mais pas facilement transmissible (c'est-à-dire
déplacée sous la même forme à la génération suivante).
Si Murray et Herrnstein étaient arrivés à ces conclusions, ils auraient
publié un livre précis, à défaut d'être controversé, sur la transmission de
l'intelligence. Mais le cœur du livre n'est pas l'héritabilité du QI, c'est en fait
sa distribution raciale. Murray et Herrnstein ont commencé par passer en
revue les 156 études indépendantes qui avaient comparé les QI entre les
races. Prises dans leur ensemble, ces études avaient trouvé un QI moyen de
100 pour les Blancs (par définition, le QI moyen de la population de
référence doit être de 100) et de 85 pour les Afro-américains, soit une
différence de 15 points. Murray et Herrnstein ont alors tenté, vaillamment,
d'exclure la possibilité que les tests fussent biaisés contre les Afro-
américains. Ils ont limité leur étude aux tests effectués après 1960, et
seulement hors des États du Sud des États-Unis, afin de se prémunir contre
un biais éventuel, mais la différence persista 41.
La différence dans les résultats de QI pouvait-elle résulter du statut socio-
économique ? Le fait que des enfants issus de milieu pauvre ont,
indépendamment de la race, des tests de QI plus mauvais était connu depuis
des décennies. C'était en fait, de toutes les hypothèses sur les différences
raciales de QI, la plus plausible, et de loin. La différence entre Blancs et
Noirs pouvait être la conséquence d'une surreprésentation d'enfants pauvres
parmi les Afro-américains. Dans les années 1990, le psychologue Eric
Turkheimer a validé cette théorie en démontrant que les gènes jouaient un
rôle assez mineur dans le QI parmi des populations pauvres 42. Prenez un
enfant qui cumule la pauvreté, la faim et la maladie : ces variables vont
avoir une influence dominante sur le QI. Les gènes qui contrôlent le QI
n'interviennent de façon significative qu'une fois ces limitations levées.
Il est facile de prouver un effet analogue en laboratoire. Si l'on fait
pousser deux variétés de plante, l'une grande et l'autre petite, dans un milieu
carencé, elles vont toutes deux être petites. Au contraire, quand il n'y a
aucune restriction en nutriments, les plantes issues de la variété « grande »
vont atteindre leur taille normale. L'influence qui domine, entre l'inné ou
l'acquis, dépend du contexte. Quand le milieu est contraignant, il exerce une
influence démesurée. Quand ces contraintes sont levées, les gènes
reprennent leur ascendant 43.
Les effets de la pauvreté et de la privation justifiaient parfaitement la
différence entre Noirs et Blancs pour le QI, mais Murray et Herrnstein
allèrent plus loin. Ils trouvèrent que même en corrigeant pour le statut
socioéconomique, une différence entre les deux populations ne pouvait être
éliminée. Si l'on portait sur un graphe les courbes de QI des Blancs et des
Afro-Américains par statut croissant, le QI augmentait dans les deux cas
comme attendu. Dans les deux groupes, les enfants de milieux aisés avaient
de meilleurs résultats que les enfants pauvres. Pourtant, une différence entre
les deux groupes persistait toujours. De fait, de manière étrange, cette
différence augmente avec le statut socioéconomique. La différence de QI
enfants de Blancs et de Noirs riches est même encore plus prononcée : loin
de se combler, l'écart se creuse en haut de l'échelle des revenus.
Des litres et des litres d'encre ont été déversés en livres, magazines,
revues scientifiques et journaux qui analysaient, comparaient, et
désamorçaient ces résultats. Dans un article cinglant paru dans la revue The
New Yorker, par exemple, le biologiste de l'évolution Stephen Jay Gould
avançait que l'effet était bien trop léger et la variation entre les tests bien
trop grande pour pouvoir tirer une quelconque conclusion statistique de
cette différence 44. L'historien de Harvard Orlando Patterson, dans son
article intitulé malicieusement « For Whom the Bell Curves 45* * » rappelait
au lecteur que le lourd héritage de l'esclavage, du racisme et de l'intolérance
avait creusé le fossé culturel entre Blancs et Afro-américains, à un point tel
que l'on ne pouvait comparer significativement les traits biologiques entre
les races.
En fait, le psychologue social Claude Steele démontra que lorsqu'il était
demandé à des étudiants noirs de faire un test de QI sous le prétexte de
tester un nouveau type de stylo électronique ou une nouvelle manière de
noter, ils avaient de bons résultats. Si on leur disait qu'ils étaient testés pour
« l'intelligence », leur performance s'effondrait. La vraie variable mesurée
dans ce cas n'est pas l'intelligence, mais bien une aptitude à passer des tests,
une estime de soi, ou simplement l'ego ou l'anxiété. Dans une société où les
hommes et les femmes noirs vivent une discrimination permanente,
prégnante et insidieuse, cela peut engendrer un véritable cercle vicieux où
les enfants noirs ont de mauvais résultats 46 parce qu'on leur a dit qu'ils sont
mauvais à ces tests, ce qui renforce l'idée qu'ils sont moins intelligents, et
ainsi de suite à l'infini.
Il reste que le biais fatal dans The Bell Curve est quelque chose de bien
plus simple, un fait niché de manière si discrète dans un seul paragraphe de
ce livre de huit cents pages qu'il en disparaît virtuellement 47. Si vous prenez
des Afro-américains et des Blancs de QI égal, disons 105, et mesurez leurs
performances dans divers tests secondaires pour l'intelligence, les enfants
noirs font souvent mieux dans certains cas (les tests de mémoire à court
terme et de rappel par exemple) alors que les Blancs ont de meilleurs
résultats pour d'autres tests (visuo-spatial et perception des changements).
En d'autres termes, la manière dont un test de QI est fait affecte
profondément les résultats qu'obtiennent différents groupes raciaux et leurs
variants génétiques. Si vous modifiez l'équilibre des questions dans le
même test, vous modifierez la mesure de l'intelligence.
La preuve la plus forte de tels biais vient d'une étude largement oubliée
réalisée par Sandra Scarr et Richard Weinberg en 1976 48. Scarr avait étudié
les enfants noirs adoptés par des parents blancs et trouvé qu'ils avaient un
QI de 106, au moins aussi élevé que celui des enfants blancs. En examinant
attentivement les tests effectués, Scarr en avait conclu que ce n'était pas
« l'intelligence » qui était accrue mais la performance à des tests particuliers
d'intelligence.
On ne peut pas rejeter simplement cette idée en suggérant que la
construction actuelle des tests de QI doit être bonne puisqu'elle prédit des
performances dans la vraie vie. Elle le fait, bien sûr, car le concept de QI
s'auto-renforce puissamment. Il mesure une qualité très lourde de sens et
valorise les métiers qui s'en servent. La boucle de sa logique est
parfaitement close et impénétrable. Pourtant, la configuration actuelle du
test est relativement arbitraire. On ne vide pas de son sens le mot
intelligence en déplaçant l'équilibre des questions dans un test, en passant
de la perception visuospatiale à la mémoire à court terme, mais on peut
vraiment faire changer l'écart de résultats au test entre Noirs et Blancs. Et
c'est là le hic. Ce qui est délicat dans la notion de g est qu'elle est présentée
comme une qualité biologique héritable et mesurable, alors qu'elle est
fortement déterminée par des priorités culturelles. C'est, pour simplifier
quelque peu, la plus dangereuse des choses, un meme se faisant passer pour
un gène.
Si l'histoire de la génétique médicale nous apprend quelque chose, c'est
de précisément faire attention à de tels glissements entre la biologie et la
culture. Les êtres humains, nous le savons maintenant, sont largement
similaires en termes génétiques, mais avec assez de variations entre eux
pour qu'il y ait une vraie diversité. Ou, peut-être plus précisément encore,
sommes-nous culturellement et biologiquement enclins à amplifier les
variations, même si elles sont mineures dans le cadre plus général du
génome. Les tests conçus pour cerner des différences dans des capacités
vont bien réussir à en trouver et elles risquent bien d'apparaître en fonction
des races. Mais faire correspondre une « intelligence » au résultat de ce
genre de test, notamment quand ce résultat dépend beaucoup de la
configuration du test lui-même, est une offense à la qualité même qu'il tente
de mesurer.
Les gènes ne peuvent nous dire comment classer ou saisir toute la
diversité humaine, contrairement à la culture, à l'environnement, à la
géographie, à l'histoire. Notre langage bafouille pour rendre compte de ce
glissement. Quand une variation génétique est statistiquement la plus
fréquente, nous l'appelons normale, un mot qui implique non seulement une
représentation statistiquement supérieure, mais une supériorité également
qualitative et même morale. Quand la variation est rare, elle est qualifiée de
mutante, un mot qui n'implique pas qu'une rareté statistique mais aussi une
infériorité qualitative ou même une répugnance morale.
Et il en va ainsi quand, sur une variation biologique, on superpose une
discrimination linguistique, mélangeant biologie et désir. Lorsqu'une
variante d'un gène réduit l'adaptation d'un organisme à un environnement
particulier – un homme chauve en Antarctique –, nous l'appelons une
maladie génétique. Quand la même variante augmente l'aptitude dans un
autre environnement, nous qualifions l'organisme de génétiquement
augmenté. La synthèse de la biologie évolutionniste et de la génétique nous
rappelle que ces jugements n'ont aucun sens. L'augmentation ou la maladie
sont des mots qui mesurent une adaptation d'un génotype particulier à un
environnement particulier. Si vous changez l'environnement, les mots
peuvent même prendre des sens contraires. « Quand personne ne lisait, écrit
la psychologue Alison Gopnik, la dyslexie n'était pas un problème. Quand
la plupart des gens devaient chasser, une petite variation génétique dans la
capacité à fixer son attention n'était pas vraiment un problème, et peut-être
même était un avantage [permettant au chasseur de maintenir son attention
sur plusieurs cibles à la fois par exemple]. Quand la plupart des gens
doivent passer par des études secondaires, cette même variation peut
devenir une maladie perturbant la vie 49. »
Le désir de classer les hommes en fonction de leur race et la pulsion de
vouloir leur attribuer des propriétés comme l'intelligence (ou la criminalité,
la créativité ou la violence) illustrent un thème général concernant la
génétique et la classification des choses. Comme le roman anglais, ou les
figures humaines, le génome humain peut être classé de mille façons
différentes. Mais diviser ou regrouper, classer ou synthétiser relève d'un
choix. Quand un trait biologique héritable et clair comme une maladie
génétique (par exemple l'anémie falciforme) est le souci principal, examiner
le génome pour y trouver le locus responsable de ce trait est parfaitement
justifié. Plus la définition du trait héritable est précise, plus on aura de
chance de trouver son locus génétique et plus on aura de chance de le voir
ségréger au sein de populations humaines précises (les juifs ashkénazes
pour la maladie de Tay-Sachs, ou les Afro-caribbéens pour l'anémie
falciforme). On peut expliquer pourquoi la course du marathon, par
exemple, devient un sport génétique. Les coureurs du Kenya et de
l'Éthiopie, originaires d'une bande de terre étroite à l'est d'un continent,
dominent cette épreuve pas seulement en raison de leur talent et de leur
entraînement, mais aussi parce que le marathon est un test physique étroit
qui valide une certaine forme d'endurance et de courage extrêmes. Les
gènes en petit nombre qui permettent cette qualité (par exemple des
variantes responsables de types distincts d'anatomie, de physiologie et de
métabolisme) seront naturellement sélectionnés.
Réciproquement, plus nous élargissons la définition d'un trait (par
exemple l'intelligence, le caractère) moins il aura de chance d'être corrélé
avec des gènes uniques, et par extension avec des races, des tribus ou des
sous-populations. L'intelligence ou le caractère ne sont pas des courses de
marathon : il n'y a aucun critère de fixé pour le succès, pas de ligne de
départ ou d'arrivée, et courir de côté ou à reculons peut assurer la victoire.
L'étroitesse ou la largeur de définition d'un trait particulier est, en fait,
une question d'identité, c'est-à-dire comment nous définissons, classons et
comprenons l'homme (nous-mêmes) dans un sens culturel, social, et
politique. L'élément crucial qui manque dans notre discussion
approximative sur ce qu'est une race est donc une discussion sur ce qu'est
l'identité.
La première dérivée de l'identité
Le 6 octobre 1942, cinq ans avant que la famille de mon père ne quitte
Barisal, ma mère est née deux fois à Delhi. Bulu, sa sœur et vraie jumelle,
est arrivée avant elle, belle et placide. Ma mère, Tulu, a émergé quelques
minutes plus tard, pleurant et se tordant de tout son corps. La sage-femme,
heureusement, en savait assez sur les enfants pour se souvenir que le plus
beau est souvent le plus à plaindre. La jumelle tranquille, dans une quasi-
langueur, était sévèrement dénutrie, elle dut être enveloppée dans des
couvertures et réanimée. Les premiers jours de la vie de ma tante furent les
plus délicats. Elle ne pouvait téter au sein, paraît-il (l'histoire est peut-être
apocryphe), et on ne trouvait pas de biberon à Delhi dans les années 1940,
aussi fut-elle nourrie avec une mèche de coton trempée dans du lait, puis
avec la coupe d'un coquillage en forme de cuillère. Une infirmière fut
recrutée pour s'en occuper. Lorsque les montées de lait commencèrent à
tarir au septième mois, ma mère fut rapidement sevrée pour laisser à sa
sœur ce qui restait. Dès le départ, ma mère et sa jumelle étaient une
expérience vivante de génétique, tellement identiques par l'inné, tellement
divergentes par l'acquis.
Ma mère, la plus « jeune » des deux de quelques minutes, était pleine
d'entrain. Elle avait un caractère instable, changeant. Elle était insouciante
et intrépide, rapide pour apprendre et n'ayant pas peur de se tromper. Bulu
était physiquement timide. Son esprit était plus agile, sa langue plus acérée,
son esprit plus incisif. Tulu était sociable. Elle se faisait facilement des
amis. Les insultes la laissaient de marbre. Bulu était réservée et dans le
contrôle de soi, plus calme et plus cassante. Tulu aimait le théâtre et la
danse. Bulu était une poète, une romancière, une rêveuse.
Cependant, ces contrastes ne faisaient que souligner ce qu'elles avaient en
commun. Tulu et Bulu se ressemblaient de manière frappante, avec la
même peau pâle, la figure en amande, et les pommettes hautes, ce qui est
peu courant chez les Bengalis, et la légère pente vers le bas du coin
extérieur des yeux, le truc que les peintres italiens utilisaient pour donner
aux Madones un air de mystérieuse empathie. Elles partageaient le langage
intérieur que les jumeaux ont souvent. Elles avaient des blagues qu'elles
étaient les seules à comprendre.
Au fil des ans, leur vie a divergé. Tulu s'est mariée avec mon père en
1965 (il était arrivé à Delhi trois ans avant). Ce fut un mariage arrangé,
mais aussi risqué. Mon père était un immigré sans le sou dans la nouvelle
cité, accompagné de près par une mère dominatrice et un frère à demi-fou
qui vivaient à la maison. Pour les parents si distingués de ma mère, issus du
Bengale de l'Ouest, mon père et sa famille étaient l'incarnation même des
bouseux : lorsque les frères de mon père s'asseyaient pour manger, ils
faisaient une pile du riz et y perçaient un trou pour la sauce, comme pour
marquer par un cratère dans leur assiette la faim perpétuelle, insatiable, de
leur passé villageois. Le mariage de Bulu parut sous des augures bien plus
sûrs en comparaison. En 1966, elle fut embauchée par un jeune juriste, le
plus jeune fils d'un clan bien installé à Calcutta. En 1967, Bulu l'épousa et
déménagea dans la grande maison délabrée de sa famille au sud de Calcutta,
avec un jardin déjà plein de mauvaises herbes.
Lorsque je suis né, en 1970, le sort des deux sœurs avait commencé à
prendre des directions inattendues. À la fin des années 1960, Calcutta
s'engagea dans sa lente descente aux enfers. Son économie se disloquait, ses
fragiles infrastructures ployaient sous le poids des vagues successives
d'immigrés. Des luttes politiques intestines éclataient fréquemment et
agitaient les rues et les affaires pendant des semaines. Pendant que la ville
traversait des cycles de violence et d'apathie, la nouvelle famille de Bulu
dilapida ses économies pour se maintenir. Son mari prétendait toujours
avoir un travail, quittant la maison tous les matins avec son attaché-case
habituel et son paquet repas, mais qui avait besoin d'un juriste dans une
ville sans lois ? Finalement, la famille vendit la maison en ruine avec sa
grande véranda et son patio intérieur pour un modeste deux-pièces, à
quelques kilomètres de la maison qui avait abrité ma grand-mère lors de sa
première nuit à Calcutta.
Le sort de mon père, au contraire, était le reflet de sa ville d'adoption.
Delhi, la capitale, était l'enfant trop nourri de l'Inde. Stimulée par l'ambition
du pays d'en faire une méga-métropole, engraissée de subventions et de
subsides, ses rues s'élargirent et son économie se développa. Mon père
grimpa dans la hiérarchie d'une multinationale japonaise, passant
rapidement de la classe inférieure à la classe moyenne supérieure. Notre
voisinage, autrefois entouré de forêts et de broussailles infestées de chiens
et de chèvres sauvages, se transforma bientôt en l'une de zones
résidentielles les plus aisées de la ville. Nous prenions nos vacances en
Europe. Nous avons appris à manger avec des baguettes et nagions dans les
piscines des hôtels en été. À Calcutta, lorsque la mousson s'abattait, les
montagnes d'ordures dans les rues bouchaient les égouts et transformaient la
ville en un immense marais rempli de bêtes. Une mare se créait chaque
année, infestée de moustiques, à côté de la maison de Bulu. Elle l'appelait
sa « piscine » privée.
Il y a quelque chose dans ce commentaire – une légèreté – qui est
symptomatique. Vous pourriez imaginer que les dures vicissitudes de la vie
avaient entraîné Tulu et Bulu sur des voies radicalement différentes. Il n'en
était rien. Au fil des ans, leur ressemblance physique s'est certes estompée
au point de disparaître, mais quelque chose d'ineffable en elles, une
approche, un tempérament, resta remarquablement similaire et convergea
même nettement.
Malgré le fossé économique grandissant entre les deux sœurs, elles
partageaient un optimisme sur le monde, une curiosité, un sens de l'humour,
une équanimité qui confinait à la noblesse mais sans aucun orgueil. Lorsque
nous voyagions à l'étranger, ma mère ramenait à la maison une collection de
souvenirs pour Bulu, un jouet en bois de Belgique, un chewing-gum fruité
d'Amérique qui n'avait le goût d'aucun fruit terrestre, ou un bijou en verre
de Suisse qui, je l'appris plus tard, avait coûté plus d'un mois de frais d'école
pour les enfants de Bulu. Ma tante lisait aussi les guides de voyage des pays
que nous avions visités. « J'y ai aussi été » disait-elle, arrangeant des
souvenirs dans une vitrine, sans aucune trace d'amertume dans la voix.
Il n'y a aucun mot ni aucune expression pour rendre ce moment dans la
conscience d'un fils où il commence à comprendre sa mère, pas juste
superficiellement, mais avec cette clarté prégnante avec laquelle il se
comprend lui-même. Mon expérience de ce moment, enfouie quelque part
dans les profondeurs de l'enfance, était parfaitement duale. En comprenant
ma mère, j'avais aussi appris à comprendre ma tante. Je savais, avec une
éclatante certitude, quand elle allait rire, ce qui la soulageait, ce qui allait
l'animer, ou quelles étaient ses sympathies ou ses affinités. Voir le monde à
travers les yeux de ma mère était aussi voir à travers ceux de sa jumelle,
avec peut-être des lentilles teintées de couleurs légèrement différentes
Ce qui avait convergé entre ma mère et sa sœur, je commençais à le
saisir, n'était pas leur personnalité mais sa tendance, sa dérivée première
pour prendre un terme mathématique. Dans le calcul différentiel, la dérivée
première d'un point n'est pas sa position dans l'espace mais sa propension à
changer de position. Ce n'est pas où l'objet se trouve, mais comment il se
déplace dans l'espace et le temps. Cette qualité partagée, inaccessible à
certains, et pourtant évidente pour un enfant de quatre ans, était le dernier
lien durable entre ma mère et sa sœur jumelle. Tulu et Bulu n'étaient plus
identiques à l'œil mais elles partageaient encore la dérivée première de leur
identité.
Toute personne qui doute que les gènes déterminent l'identité doit arriver
d'une autre planète et être incapable de voir que les êtres humains se
présentent sous deux formes fondamentales, l'homme et la femme. Les
critiques du monde de la culture, les théoriciens de l'homosexualité, les
photographes de mode et Lady Gaga nous rappellent, précisément, que ces
deux catégories ne sont pas aussi fondamentales qu'elles pourraient le
sembler, et que des ambiguïtés dérangeantes se trouvent souvent à leurs
frontières. Mais il est difficile de contester trois faits essentiels : que les
hommes et les femmes sont anatomiquement et physiologiquement
différents ; que ces différences anatomiques et physiologiques sont
spécifiées par des gènes ; et que ces différences, associées à des
constructions culturelles et sociales du soi, ont une puissante influence dans
la détermination de notre identité en tant qu'individu.
Le fait que les gènes aient quelque chose à voir avec la détermination du
sexe, du genre et de l'identité du genre est une idée relativement récente
dans notre histoire. Une distinction entre ces trois mots convient ici. Par
sexe, j'entends les aspects anatomiques et physiologiques des corps
masculins et féminins. Par genre, je me réfère à une idée plus complexe, les
rôles psychique, social et culturel qu'un individu assume. Par identité de
genre, je veux dire le sens du soi d'un individu (en tant que femme ou
homme, en tant que ni l'un ni l'autre, ou quelque chose entre les deux).
Pendant des millénaires, la base des différences anatomiques entre
l'homme et la femme – le « dimorphisme anatomique » du sexe – fut peu
comprise. En l'an 200 de notre ère, Galien, l'anatomiste le plus influent des
temps anciens, a effectué des dissections poussées pour tenter de prouver
que les organes mâle et femelle de la reproduction étaient analogues entre
eux, ceux du mâle étant tournés vers l'extérieur et ceux de la femelle vers
l'intérieur. Les ovaires, avançait Galien, n'étaient que des testicules
internalisés dans le corps de la femme car celle-ci manquait d'une « chaleur
vitale » pour faire sortir les organes. « Tournez vers l'extérieur les organes
de la femme et doublez ceux de l'homme, vous obtiendrez la même chose »
écrivait-il. Les étudiants de Galien et ses partisans ont étendu l'analogie, à la
lettre, jusqu'à l'absurde, en raisonnant que l'utérus était le scrotum se
ballonnant vers l'intérieur et que les trompes de Fallope étaient les vésicules
séminales gonflées. La théorie fut fixée dans les mémoires par un verset
médiéval, un moyen mnémotechnique pour les étudiants médiévaux :
« Though they of different sexes be
Yet on the whole, they're the same as we
For those that have the strictest searchers been
Find women are just men turned inside in 2 »
En fait, de telles personnes existent, bien que leur identification fût une
tâche bien plus compliquée qu'anticipée. En 1955, Gerald Swyer, un
endocrinologue anglais qui travaillait sur l'infertilité féminine, avait
découvert un syndrome rare qui rend les personnes atteintes biologiquement
féminines mais chromosomiquement masculines 8. Les « femmes » nées
avec le « syndrome de Swyer » étaient anatomiquement et
physiologiquement féminines durant leur enfance mais ne parvenaient pas
ensuite à la maturité sexuelle. Quand ils examinèrent leurs cellules, les
généticiens découvrirent que ces « femmes » avaient des chromosomes XY
dans toutes leurs cellules. Chacune de ses cellules était
chromosomiquement masculine et pourtant la personne était
anatomiquement, physiologiquement et psychologiquement féminine. Une
« femme » avec le syndrome de Swyer naissait avec le type chromosomique
masculin (XY) dans toutes ses cellules mais n'arrivait pas en quelque sorte à
transmettre ce signal de masculinité à son corps.
Le scénario le plus probable derrière ce syndrome était que le gène
régulateur maître qui spécifie le caractère masculin avait été inactivé par
une mutation, conduisant au caractère féminin. Au MIT, une équipe
concurrente de chercheurs dirigée par le généticien David Page avait utilisé
de telles femmes pour localiser le gène déterminant le caractère masculin
dans une étroite région du chromosome Y. L'étape suivante, la plus
laborieuse, était de passer au crible les dizaines de gènes de cette région
pour trouver le bon candidat. Goodfellow progressait lentement mais
sûrement lorsqu'il reçut une terrible nouvelle. Durant l'été 1989, il apprit
que Page avait trouvé le gène en question. Il l'avait appelé ZFY en raison de
sa présence sur le chromosome Y 9.
Initialement, le ZFY parut le parfait candidat. Il se trouvait dans la bonne
région du chromosome Y, et sa séquence d'ADN suggérait qu'il pouvait être
un interrupteur majeur pour des dizaines d'autres gènes. Mais lorsque
Goodfellow l'examina attentivement, cela ne cadrait pas : la séquence de ce
gène chez les femmes atteintes du syndrome de Swyer était complètement
normale. Il n'y avait aucune mutation qui puisse expliquer l'interruption du
signal de masculinité chez ces femmes.
Le ZFY étant disqualifié, Goodfellow retourna à sa recherche. Le gène
devait être dans la région identifiée par l'équipe de Page et ils avaient dû le
manquer de peu. En 1989, non loin du gène ZFY, Goodfellow trouva un
autre candidat prometteur, un petit gène sans intron pas encore décrit appelé
SRY 10. Dès le début, il ressembla au parfait candidat. La protéine codée par
SRY était très exprimée dans les testicules, comme on pouvait s'y attendre
pour un gène déterminant le sexe. D'autres animaux, dont les marsupiaux,
portaient aussi des variantes de ce gène sur leur chromosome Y, et seuls les
mâles en héritaient donc. L'indice le plus frappant que SRY était le gène
recherché vint de l'analyse de cohortes humaines. Il était en effet muté chez
les femmes ayant le syndrome de Swyer et non muté chez leurs frères.
Mais Goodfellow avait une dernière expérience à mener pour pouvoir
conclure définitivement, avec la preuve la plus spectaculaire qu'il pouvait
produire. Si le gène SRY était bien l'unique déterminant du caractère mâle,
qu'allait-il se passer s'il forçait son activation chez des animaux femelles ?
Allaient-elles se transformer en mâles ? Goodfellow et Robin Lovell-Badge
injectèrent une copie du gène SRY dans des ovocytes fécondés de souris
femelles, et analysèrent les souris mâles et femelles qui se développèrent.
Certaines souris étaient de sexe chromosomique femelle, c'est-à-dire
possédaient la paire XX de chromosomes sexuels dans toutes leurs cellules,
mais s'étaient développées anatomiquement comme des mâles, y compris
avec la croissance d'un pénis et des testicules, une monte des femelles, et un
comportement typique de souris mâle 11. En enclenchant un seul interrupteur
génétique, Goodfellow avait induit le changement de sexe d'un organisme,
créé un syndrome de Swyer inversé 12.
Tout le sexe reposait-il sur un seul gène ? Presque. Les femmes ayant le
syndrome de Swyer ont des chromosomes mâles dans chaque cellule du
corps, mais avec le gène de détermination du caractère mâle inactivé par
mutation, le chromosome Y est littéralement émasculé. La présence du
chromosome Y dans les cellules de ces femmes affecte bien certains aspects
du développement anatomique féminin. La poitrine ne se forme pas
correctement, et les ovaires ne fonctionnent pas normalement, ce qui se
traduit par de faibles taux d'œstrogènes. Mais ces femmes ne ressentent
aucune déconnexion dans leur physiologie. Leur vulve et leur vagin sont
intacts, et le débouché urinaire s'y raccorde en parfaite conformité avec les
manuels d'anatomie.
D'une manière étonnante, même l'identité sexuelle de ces femmes est
sans ambiguïté. Un seul gène est éteint et elles « deviennent » des femmes.
Bien que les œstrogènes soient sûrement requis pour permettre le
développement des caractères sexuels secondaires et renforcer certains
aspects anatomiques de la féminité chez les adultes, les femmes avec le
syndrome de Swyer n'ont typiquement aucun doute sur leur identité
sexuelle. Comme l'une d'entre elles l'a écrit, « Je m'identifie pleinement
avec le rôle féminin. Je me suis toujours considérée comme à 100 % femme
[…] J'ai joué dans une équipe de football de garçons pendant un moment,
j'ai un frère jumeau qui ne me ressemble en rien, mais j'étais typiquement
une fille dans une équipe de garçons. Je ne m'intégrais pas bien : la preuve,
j'ai suggéré que nous appelions notre équipe “les papillons” 13 ».
Les femmes avec le syndrome de Swyer ne sont pas des « femmes
piégées dans un corps d'homme ». Ce sont des femmes piégées dans un
corps de femme qui est chromosomiquement masculin (sauf pour un gène).
Une mutation dans ce gène unique, SRY, crée un corps (largement) féminin,
et de façon plus cruciale, une identité entièrement féminine. C'est aussi
naturel, aussi simple, aussi binaire que de se pencher vers la table de nuit et
d'allumer ou d'éteindre la lampe de chevet 14.
Un enfant sur deux mille naît avec des organes génitaux ambigus. La
question de savoir si l'identité anatomique et physiologique de ces
personnes est innée ou acquise n'est pas du genre à susciter des débats
passionnés à l'échelle du pays sur l'hérédité, la préférence, la perversité ou
le choix. En revanche, la question de savoir si notre identité sexuelle, c'est-
à-dire le choix et la préférence du partenaire sexuel, est innée ou acquise
échauffe rapidement les esprits. Pendant un moment durant les années 1950
et 1960, il a semblé que cette discussion était bien partie. La théorie qui
dominait chez les psychiatres était que la préférence sexuelle – l'attirance
pour des personnes du même sexe ou de sexe opposé – était acquise et non
innée. L'homosexualité correspondait à une forme frustrée d'anxiété
névrotique. « Le consensus existe parmi de nombreux psychanalystes
actuels que les homosexuels, comme tous les pervers, sont névrosés »
écrivait le psychiatre Sándor Lorand en 1956 2. « L'homosexualité est le
véritable ennemi, notait un autre psychiatre à la fin des années 1980, ce
n'est pas tant sa perversion que son ignorance de la possibilité d'être aidé, en
plus de son masochisme psychique, qui le conduisent à fuir un
traitement 3. »
En 1962, Irving Bieber, un psychiatre de renom à New York connu pour
ses tentatives de convertir les homosexuels en hétérosexuels, écrivit un
ouvrage qui eut une très grande influence intitulé Homosexuality : A
Psychoanalytic Study of Male Homosexuels. Bieber y proposait que
l'homosexualité masculine soit due à une dynamique familiale déformée,
sous l'effet d'une combinaison fatale d'une mère étouffante qui était souvent
« en contact étroit et intime [sexuellement] », quand elle n'était pas
ouvertement dans la séduction de son fils, et par un père détaché, distant ou
« émotionnellement hostile 4 ». Les garçons répondaient à ces forces en
présentant des comportements névrotiques, auto-destructeurs et mutilants
(« un homosexuel est une personne dont la fonction hétérosexuelle est
mutilée, comme le sont les jambes d'une victime de la polio 5 » a résumé
Bieber en 1973 dans une phrase devenue célèbre).
Finalement, chez ces garçons, un désir subconscient de s'identifier à la
mère et d'émasculer le père se manifeste sous la forme du choix d'avoir un
style de vie hors norme. La « victime de la polio » sexuelle adopte une
manière d'être pathologique, avançait Bieber, comme les victimes de la
polio contractent une manière pathologique de marcher. À la fin des années
1980, l'idée que l'homosexualité représentait un choix de style de vie
déviant s'était figée en un dogme, ce qui amena Dan Quayle, alors vice-
président des États-Unis à déclarer en 1992 que « l'homosexualité est plus
un choix qu'une situation biologique […] C'est un mauvais choix 6 ».
En juillet 1993, la découverte d'un supposé « gène gay » suscita l'une des
plus vigoureuses discussions publique sur les gènes, l'identité et le choix
dans l'histoire de la génétique 7. Illustrant de nouveau le pouvoir du gène à
influencer l'opinion publique, cette découverte inversa presque entièrement
les termes de la discussion. Dans le magazine People, le chroniqueur Carol
Sarler écrivit en octobre « Que disons-nous d'une femme qui choisira
d'avorter plutôt que d'élever un gentil garçon attentionné qui peut –
seulement peut voyez-vous – devenir un adulte qui aimera un autre gentil
garçon attentionné ? Nous disons que c'est une femme tordue, un monstre
dysfonctionnel qui, si on l'oblige à avoir l'enfant, fera de sa vie un enfer.
Nous disons qu'aucun enfant ne devrait être forcé de l'avoir comme
parent 8. »
L'expression « gentil garçon attentionné » – choisie pour illustrer la
propension innée d'un enfant plutôt qu'une préférence pervertie d'un adulte
– était un exemple de l'inversion du débat. Une fois les gènes impliqués
dans le développement de la préférence sexuelle, l'enfant gay était
instantanément devenu normal. Ses ennemis pleins de haine étaient devenus
les monstres anormaux.
Ce fut l'ennui, plus que l'activisme, qui motiva la recherche d'un gène
gay. Dean Hamer, un chercheur de l'Institut national du cancer américain,
ne cherchait pas la controverse. Il ne cherchait même pas pour lui-même.
Bien qu'ouvertement gay, Hamer n'avait jamais été particulièrement
intéressé par la génétique d'une forme quelconque d'identité, sexuelle ou
autre. Il avait passé la majeure partie de sa vie confortablement installé dans
« un laboratoire tranquille du gouvernement américain […] rempli du sol au
plafond d'éprouvettes et de béchers » à étudier la régulation d'un gène lié à
la production de métallothionine, une protéine qui aide les cellules à résister
à des métaux lourds toxiques comme le zinc.
Au cours de l'été 1991, Hamer prit l'avion pour aller donner un séminaire
à Oxford sur la régulation génétique. C'était sa présentation habituelle, bien
accueillie, mais lorsqu'il donna la parole à la fin à l'audience, il eut une
impression affligeante de déjà-vu avec des questions qui semblaient
exactement les mêmes que celles posées dix ans plus tôt. Lorsque l'orateur
suivant, d'un labo concurrent, présenta des résultats qui confirmaient et
étendaient le travail de Hamer, ce dernier éprouva un sentiment encore plus
fort d'ennui et de déprime. « J'ai réalisé que même si je poursuivais mon
travail pendant encore dix ans, le mieux que je pouvais en espérer était la
construction d'une réplique en trois dimensions de notre petit modèle
génétique. Cela ne ressemblait pas beaucoup à l'objectif d'une vie. »
Durant la pause entre les séances, Hamer sortit marcher, encore sous le
coup, l'esprit agité. Il s'arrêta à la librairie Blackwell, sur High Street, et fit
un tour dans les salles concentriques, survolant les livres de biologie. Il
acheta deux ouvrages. Le premier était Descent of Man, and Selection in
Relation to Sex 9 de Darwin. Publié en 1871, ce livre avait déclenché une
tempête de débats en affirmant que l'homme descendait d'un ancêtre
apparenté aux singes (dans son précédent livre L'Origine des espèces,
Darwin avait piteusement évité la question de l'origine de l'homme, mais
dans La Filiation de l'homme il avait abordé la question de front).
Ce livre est aux biologistes ce que Guerre et Paix est aux étudiants en
littérature, presque tous disent l'avoir lu ou en connaître les thèses
essentielles mais peu l'ont en fait ouvert. Hamer ne l'avait jamais lu non
plus. Il y découvrit avec surprise que Darwin avait passé une bonne partie
du livre à discuter de sexualité, du choix des partenaires sexuels et de son
influence sur les comportements de domination et sur l'organisation sociale.
Darwin avait clairement pressenti que l'hérédité exerçait un puissant effet
sur le comportement sexuel. Pourtant, les déterminants génétiques du
comportement sexuel – « la cause finale de la sexualité » comme le
décrivait Darwin – étaient restés un mystère pour lui.
Mais l'idée que le comportement sexuel, ou tout comportement, fût lié
aux gènes était sortie de mode. Le second livre acheté par Hamer, Not in
Our Genes : Biology, Ideology, and Human Nature* *, de Richard Lewontin
proposait un autre point de vue. Publié en 1984 10, c'était une attaque contre
l'idée qu'une grande part de la nature humaine soit biologiquement
déterminée. Des aspects du comportement humain considérés comme
génétiquement déterminés n'étaient, selon lui, rien de plus que des
constructions arbitraires, souvent manipulatrices, de la culture et de la
société pour renforcer les structures du pouvoir. « Il n'y a aucune preuve
acceptable que l'homosexualité possède une quelconque base génétique […]
L'histoire a été fabriquée de toutes pièces » écrivait Lewontin 11. Il avançait
que Darwin avait raison sur l'évolution des organismes mais pas sur celle de
l'identité humaine.
Laquelle des deux théories était la bonne ? Pour Hamer, au moins,
l'orientation sexuelle paraissait bien trop fondamentale pour être
entièrement le fait de forces culturelles. « Pourquoi Lewontin, un généticien
extraordinaire, était-il aussi déterminé à ne pas croire que ce comportement
pouvait être hérité ? » se demandait Hamer. « Il n'avait pu réfuter la
génétique du comportement en laboratoire et s'était donc rabattu sur un
texte polémique pour lui régler son compte ? Peut-être qu'il y avait de quoi
faire vraiment de la science dans ce domaine. » Hamer avait envie de se
faire un cours accéléré de génétique du comportement sexuel. Il retourna à
son laboratoire et commença à se documenter, mais il y avait peu
d'enseignements à tirer du passé. Lorsqu'il chercha dans tous les articles
scientifiques publiés depuis 1966 ceux consacrés aux « gènes » et à
« l'homosexualité », il en trouva 14. Pour le gène de la métallothionine, au
contraire, il en obtint 654.
Mais Hamer dénicha quelques indices très intéressants, même s'ils étaient
à moitié enfouis dans la littérature scientifique. Dans les années 1980, un
professeur de psychologie appelé J. Michael Bailey avait tenté d'étudier la
génétique de l'orientation sexuelle en utilisant des jumeaux 12. Il avait utilisé
la méthode classique. Si l'orientation sexuelle était en partie héréditaire,
alors une plus forte proportion de vrais jumeaux devaient être gay comparés
à de faux jumeaux. En mettant des annonces dans des magazines et
journaux gays, Bailey avait pu recruter 110 paires de jumeaux où au moins
l'un d'entre eux était gay (si cela paraît difficile à faire aujourd'hui, imaginez
ce que cela devait être en 1978, quand peu d'hommes se déclaraient
homosexuels et que l'homosexualité était punie comme un crime dans
certains États).
Lorsque Bailey se pencha sur la concordance de l'homosexualité entre
jumeaux, il trouva un résultat frappant. Parmi les 56 paires de vrais
jumeaux, ils étaient tous les deux gays dans 52 % des cas 13. Sur les 54
paires de faux jumeaux, 22 % étaient tous les deux gays, soit une proportion
plus faible que les vrais jumeaux mais encore supérieure aux 10 % de gays
estimés dans la population générale (des années plus tard, Bailey entendra
parler d'autres cas aussi frappants : en 1971, deux jumeaux canadiens furent
séparés quelques semaines après leur naissance, l'un fut adopté par une
riche famille américaine, l'autre fut élevé au Canada par sa mère biologique
dans des circonstances très différentes. Les deux frères, qui paraissaient
virtuellement identiques, ignoraient tout de l'autre jusqu'à ce qu'ils se
trouvent face à face, fortuitement, dans un bar gay au Canada 14 ).
L'homosexualité mâle, découvrit Bailey, n'était pas seulement dans les
gènes. Des influences extérieures telles que la famille, les amis, l'école, les
croyances religieuses et la structure sociale modifiaient clairement le
comportement sexuel, au point qu'un jumeau se disait homosexuel et l'autre
hétérosexuel dans 48 % des cas. Peut-être que des facteurs internes ou
externes étaient requis pour faire apparaître des types distincts de
comportement sexuel. Il est clair que les croyances culturelles répressives et
répandues qui entouraient l'homosexualité avaient assez de force pour
influencer le choix d'une identité hétérosexuelle chez l'un des jumeaux mais
pas l'autre. Pourtant, les études avec jumeaux en apportaient la preuve
incontestable : les gènes influençaient plus fortement l'homosexualité que,
disons, la susceptibilité au diabète de type 1 (la concordance entre jumeaux
est de 30 % seulement pour cette maladie) et presque aussi fortement que la
taille (concordance de 55 %).
Bailey avait profondément changé le discours sur l'identité sexuelle, le
faisant passer de la rhétorique des années 1960 de « choix » et de
« préférence personnelle » vers la biologie, la génétique et l'hérédité. Si l'on
ne pensait pas les différences de taille, le développement de la dyslexie ou
le diabète de type 1 en termes de choix, alors on ne pouvait non plus le faire
pour l'identité sexuelle.
Mais était-ce sous l'action d'un gène ou de plusieurs ? Et quel était ce
gène ? Où se trouvait-il ? Hamer avait besoin d'une étude bien plus large,
impliquant si possible des familles où l'orientation sexuelle pouvait être
suivie sur plusieurs générations. Pour la financer, Hamer allait devoir
disposer d'une nouvelle source d'argent, mais où sur Terre un chercheur
fédéral étudiant la régulation de la métallothionine allait-il trouver l'argent
pour traquer un gène influençant la sexualité humaine ?
« Les gènes ont eu un glorieux parcours au XXe siècle […] Ils nous
ont emmenés à la frontière d'une nouvelle ère de la biologie, qui porte
la promesse d'avancées encore plus étonnantes. Mais ces mêmes
avancées vont nécessiter l'introduction de nouveaux concepts, de
nouveaux termes et d'autres manières de penser l'organisation
biologique, relâchant par-là l'emprise que les gènes ont eue sur notre
manière de penser les sciences de la vie ».
2
Evelyn Fox Keller, An Anthropology of Biomedicine
Jusqu'à la fin des années 1950, l'épigénétique était plus une idée qu'une
réalité. Personne n'avait vu une cellule déposant son histoire ou son identité
sur le génome. En 1961, deux expériences effectuées à moins de six mois
d'intervalle et une quarantaine de kilomètres de distance allaient transformer
la compréhension des gènes et donner crédit à la théorie de Waddington.
Au cours de l'été 1958, John Gurdon, un étudiant de l'université d'Oxford,
commença à étudier le développement de la grenouille. Gurdon n'avait
jamais été un élément particulièrement prometteur – une fois, il avait été
classé 250e à un examen de science sur une promotion de 250 – mais
possédait, comme il l'a décrit une fois, une « aptitude à faire les choses à
petite échelle 8 ». Son expérience la plus importante impliqua la plus petite
des échelles. Au début des années 1950, deux scientifiques à Philadelphie
avaient vidé un œuf de grenouille de tous ses gènes en aspirant son noyau,
puis avaient injecté dans l'œuf énucléé le noyau d'une autre cellule de
grenouille. C'était comme vider un nid, y installer un autre oisillon, et se
demander s'il allait donner un oiseau normal. Privée de ses gènes, la cellule
œuf allait-elle néanmoins pouvoir donner un embryon à partir du génome
provenant d'une autre cellule ? C'est ce qu'elle fit. Les chercheurs de
Philadelphie obtinrent dans de rares cas un têtard à partir de l'œuf ainsi
complémenté. C'était une forme extrême de parasitisme, la cellule œuf
devenant l'hôte ou le véhicule du génome d'une cellule normale et
permettant à ce génome de se développer en un adulte parfaitement normal.
Les chercheurs appelèrent leur méthode le transfert nucléaire mais elle était
très peu efficace. Ils finirent par abandonner cette approche.
Gurdon, fasciné par ces rares succès, repoussa les limites de l'expérience.
Les chercheurs de Philadelphie avaient injecté des noyaux de jeunes
cellules embryonnaires dans les œufs énucléés. En 1961, il commença à
tester si l'injection du génome de cellules intestinales d'une grenouille
adulte pouvait aussi donner des têtards 9. Les défis techniques étaient
immenses. D'abord, Gurdon apprit à utiliser un minuscule faisceau de
rayons ultraviolets pour exciser le noyau d'un ovule en laissant le
cytoplasme intact. Puis, comme un plongeur fendant l'eau, il ponctionnait la
membrane de la cellule avec une aiguille effilée au feu, froissant à peine la
surface, et injectait le noyau d'une cellule de grenouille adulte dans une
minuscule perfusion de liquide.
Le transfert dans un œuf vide d'un noyau de grenouille adulte (c'est-à-
dire de tous ses gènes) fonctionna. Des têtards parfaitement normaux
naquirent et chacun portait dans ses cellules des répliques parfaites du
génome de la grenouille adulte. Si Gurdon transférait dans plusieurs ovules
énucléés les noyaux de plusieurs cellules de la même grenouille adulte, il
pouvait produire des têtards qui étaient des clones parfaits, entre eux et avec
la grenouille donneuse. Ce procédé pouvait être répété à l'infini : des clones
de clones, chacun portant exactement le même génotype, des reproductions
sans reproduction.
L'expérience de Gurdon stimula l'imagination des biologistes, notamment
parce qu'elle ressemblait à une histoire de science-fiction devenue réalité.
Une fois, il produisit 18 clones à partir des cellules intestinales d'une seule
grenouille. Placés dans 18 bocaux identiques, ils étaient comme 18 doubles,
habitant 18 univers parallèles. En outre, le principe scientifique en jeu était
stimulant : le génome d'une cellule adulte, ayant atteint sa maturité, avait
été brièvement plongé dans l'élixir de jeunesse d'une cellule œuf et en avait
réémergé sous la forme complètement rajeunie d'un embryon. L'ovule, pour
résumer, avait tout ce qui était nécessaire, tous les facteurs pour faire
remonter le génome à travers le temps du développement jusqu'à un
embryon fonctionnel. Plus tard dans l'histoire, des variantes de la méthode
de Gurdon allaient permettre de la généraliser à d'autres animaux. Elle allait
conduire au fameux clonage de la brebis Dolly, premier organisme
supérieur à avoir été reproduit sans reproduction 10 (le biologiste John
Maynard Smith remarquera plus tard que le seul « autre cas observé de
mammifère produit sans sexe n'était pas entièrement convaincant ». Il
faisait référence à Jésus Christ 11 ). En 2012, Gurdon reçut le prix Nobel
pour sa découverte du transfert nucléaire 12.
Mais même si l'expérience de Gurdon était remarquable par de nombreux
aspects, sa faible efficacité était tout aussi révélatrice. Les cellules
intestinales adultes pouvaient bien donner des têtards mais c'était, malgré
les laborieuses attentions de Gurdon, avec beaucoup de réticence. Le taux
de succès de la transformation des noyaux de cellules adultes en têtards
était ridicule. Cela demandait une explication au-delà de la génétique
classique. La séquence de l'ADN dans le génome d'une grenouille adulte,
après tout, est identique à celle de l'ADN du même individu au stade
embryon ou têtard. N'est-ce pas le principe fondamental de la génétique que
toutes les cellules contiennent le même génome ? Ce qui explique
l'apparition de différents types cellulaires lors du développement de
l'embryon n'est pas la présence ou l'absence de certains gènes ; c'est la
manière dont les mêmes gènes sont déployés dans différentes cellules,
activés ou inactivés en fonction de différents signaux.
Mais si les gènes sont toujours au complet, pourquoi était-il si difficile de
« convaincre » le génome d'une cellule adulte de redevenir celui d'un
embryon ? Et pourquoi, comme on l'a ensuite découvert, les noyaux
d'animaux plus jeunes étaient-ils plus accessibles à cette inversion de l'âge ?
Là encore, comme dans l'étude Hongerwinter, quelque chose avait dû être
progressivement imprimé dans le génome de la cellule adulte – une marque
indélébile, cumulative – qui le rendait moins apte à revenir dans le temps du
développement. Cette marque ne pouvait être dans la séquence des gènes
eux-mêmes mais devait être inscrite au-dessus d'eux, elle devait être
épigénétique. Gurdon était revenu à la question de Waddington : et si
chaque cellule portait une empreinte de son histoire et de son identité dans
son génome, une forme de mémoire cellulaire ?
Gurdon avait mis en évidence une marque épigénétique de manière
indirecte, mais il n'avait pas vu physiquement une telle trace sur le génome
de la grenouille. En 1961, Mary Lyon, une ancienne étudiante de
Waddington, trouva un exemple visible de changement épigénétique dans
une cellule animale 13. Lyon, fille d'un fonctionnaire et d'une institutrice,
avait commencé son travail de licence avec l'irascible Ron Fisher à
Cambridge, puis s'était réfugiée à Édimbourg pour obtenir son diplôme et,
pour finir, s'était établie dans le tranquille village anglais de Harwell, à une
trentaine de kilomètres d'Oxford, pour monter son propre groupe de
recherche.
Une fois à Harwell, Lyon étudia la biologie des chromosomes en utilisant
des colorants fluorescents pour les visualiser. À sa grande surprise, elle
découvrit que dans toute cellule des souris femelles qu'elle observait, les
deux chromosomes X n'avaient pas le même aspect, contrairement aux
chromosomes de toutes les autres paires. L'un des deux chromosomes X
était à chaque fois rabougri et condensé. Les gènes dans ce chromosome
n'étaient pas modifiés, la séquence d'ADN était identique sur les deux paires
de chromosomes. Ce qui avait changé, en revanche, était leur activité : les
gènes dans ce chromosome ratatiné ne produisaient pas d'ARN et tout son
ADN était donc rendu « silencieux ». C'était comme si un chromosome
entier avait été volontairement décommandé, éteint. Lyon découvrit que
l'inactivation de l'un des deux chromosomes X se faisait au hasard suivant
les cellules : dans un cas, c'était le chromosome hérité du père et dans la
cellule voisine, celui hérité de la mère. Ce phénomène était universel dans
toutes les cellules à deux chromosomes X, c'est-à-dire dans chaque cellule
d'un organisme femelle.
On ne sait pas encore pourquoi cette mise en sommeil ne se produit que
sur le chromosome X et quelle en est la raison. Mais l'inactivation aléatoire
du X a une conséquence biologique importante : chaque corps femelle est
une mosaïque des deux types de cellules. Dans la plupart des cas, cette
inactivation en mosaïque reste invisible, à moins que l'un des chromosomes
X (disons celui du père) ne porte un variant génétique produisant un trait
visible. Dans ce cas, une cellule peut l'exprimer et sa voisine non, ce qui
donne un effet mosaïque. Chez les chats, par exemple, un gène pour la
couleur du pelage se trouve sur le chromosome X. L'inactivation aléatoire
de ce chromosome fait qu'une cellule épidermique sera colorée mais pas
forcément sa voisine. L'épigénétique, et non la génétique, résout l'énigme
du pelage bigarré des chattes calico et écaille de tortue. Si les humains
portaient comme les chats un gène de la couleur de la peau sur le
chromosome X, alors la fille de parents différents par la couleur de peau
aurait des tâches de peau claires et foncées.
Comment une cellule pouvait-elle « réduire au silence » tout le
chromosome X ? Ce processus ne devait pas seulement impliquer
l'activation ou l'inactivation d'un ou deux gènes à partir de facteurs du
milieu. Ici, un chromosome entier, avec tous ses gènes, était inactivé durant
toute la vie de la cellule. La réponse la plus logique, proposée dans les
années 1970, était que les cellules devaient d'une manière ou d'une autre
apposer un tampon chimique, un « signal d'annulation » moléculaire, à
l'ADN de ce chromosome. Comme les gènes étaient intacts, une telle
marque devait se situer au-dessus d'eux, et être donc épigénétique, à la
Waddington.
À la fin des années 1970, les scientifiques qui travaillaient sur
l'inactivation de l'expression génétique découvrirent qu'elle est corrélée à
l'accrochage sur l'ADN d'une petite molécule, un groupement méthyle. L'un
des principaux instigateurs de ce processus s'avéra ensuite être une
molécule d'ARN appelée XIST. Cet ARN « recouvre » des parties du
chromosome X et on le soupçonne de jouer un rôle crucial dans
l'inactivation du chromosome X.
Les groupements méthyle ne sont pas les seules décorations portées par
les chromosomes. En 1996, le biochimiste Charles David Allis de
l'université Rockefeller à New York trouva encore un autre système pour
laisser des marques permanentes sur les gènes. Plutôt que d'imprimer la
marque directement sur l'ADN, ce second système agissait au niveau de
protéines, les histones, qui jouent le rôle d'un matériau d'emballage pour les
gènes 14.
Les histones tiennent solidement l'ADN enroulé en boucles et
superboucles pour structurer le chromosome. Lorsque cette disposition
change, l'activité d'un gène peut changer. Une « mémoire moléculaire » est
ainsi associée au gène, cette fois-ci indirectement, par un signal attaché à la
« protéine d'emballage » (même si le débat reste ouvert en épigénétique sur
le fait de savoir si les modifications des histones ont un rôle causal dans
l'activité des gènes ou ne font que l'accompagner). Lorsqu'une cellule se
divise, ces marques peuvent être recopiées dans les cellules filles, ce qui
permet d'enregistrer une mémoire sur plusieurs générations de cellules.
Lorsqu'un spermatozoïde ou un ovule est produit, on peut imaginer que
certaines de ces marques soient aussi copiées, autorisant le transfert d'une
fraction de cette mémoire à la génération suivante. L'héritabilité et la
stabilité de ces marques sur les histones, et les mécanismes qui assurent
qu'elles sont au bon endroit et au bon moment, font encore l'objet de
recherches, mais on sait déjà que des organismes simples comme la levure 15
ou le ver peuvent apparemment transmettre ces marques sur plusieurs
générations.
Ne vous endormez pas avec cette belle description. Ne soyez pas tenté,
gentil lecteur, de penser « Mon dieu, quelle recette compliquée ! » puis de
vous tranquilliser avec l'assurance que quelqu'un ne cherchera pas à
comprendre, détourner ou manipuler cette recette dans un but bien précis.
Lorsque les scientifiques sous-estiment la complexité, ils s'exposent aux
dangers de conséquences non désirées. On connait nombre d'exemples à
méditer : des animaux étrangers introduits pour contrôler des nuisibles
deviennent à leur tour des nuisibles ; des cheminées bâties plus hautes pour
atténuer la pollution urbaine exacerbent la pollution en relâchant des
particules plus haut dans l'air ; la stimulation de la production des cellules
du sang, censée prévenir les attaques cardiaques, épaissit le sang et entraîne
un risque accru de caillots sanguins dans le cœur.
Mais lorsque des non scientifiques surestiment la complexité –
« Personne ne peut arriver à briser ce code » –, ils tombent eux aussi dans le
piège des conséquences non anticipées. Au début des années 1950, il était
communément admis que le code génétique allait être tellement dépendant
du contexte, tellement déterminé par les particularités de la cellule et celles
de l'organisme et donc si horriblement intriqué que son décryptage serait
impossible. La vérité se révéla tout autre car une seule molécule porte le
code et un seul code se retrouve dans tout le monde vivant. Si l'on connaît
ce code, on peut le modifier intentionnellement dans les organismes et au
bout du compte chez l'homme. De même, dans les années 1960, beaucoup
doutaient que les techniques de clonage de gène puissent faire circuler aussi
facilement les gènes d'une espèce à l'autre. En 1980, faire fabriquer une
protéine de mammifère par une bactérie, ou l'inverse, n'était pas seulement
réalisable mais, selon les propres mots de Berg, « ridiculement simple ».
Les espèces étaient spécieuses. « Être naturel » était « souvent une simple
pose ».
La genèse d'un être humain à partir d'instructions génétiques est
indubitablement complexe mais rien en elle n'interdit ni ne restreint la
manipulation ou la déformation. Lorsqu'un sociologue souligne que les
interactions entre gènes et environnement, plutôt que les seuls gènes,
déterminent la forme, la fonction, et le destin, il sous-estime le pouvoir des
gènes maîtres régulateurs qui agissent inconditionnellement et de façon
autonome pour déterminer des états anatomiques et physiologiques
complexes. Et quand un généticien dit « la génétique ne peut être utilisée
pour manipuler des états et des comportements complexes parce qu'ils sont
habituellement sous le contrôle de dizaines de gènes », il sous-estime la
capacité d'un gène unique, tel qu'un gène maître régulateur, à « remettre à
zéro » des états ontologiques complets. Si l'activation de quatre gènes peut
transformer une cellule de peau en une cellule souche pluripotente, si un
produit peut inverser l'identité d'un cerveau, et si une mutation dans un seul
gène peut faire changer d'identité sexuelle et de genre, alors notre génome
et notre soi sont bien plus malléables que ce que nous avons imaginé
jusqu'ici.
La technologie, je l'ai déjà dit, est la plus puissante quand elle permet des
transitions, que ce soit du mouvement linéaire au circulaire (la roue) ou de
l'espace réel au virtuel (Internet). La science, au contraire, est la plus
puissante quand elle élucide des règles d'organisation – des lois – qui
agissent comme des lentilles par lesquelles on peut voir et organiser le
monde. Les adeptes de la technologie cherchent à nous libérer des
contraintes de notre réalité actuelle par ces transitions. La science définit
ces contraintes, dessinant les limites extérieures du possible. Les plus
grandes innovations techniques portent ainsi des noms qui proclament nos
prouesses sur le monde : l'engin (de ingenium, « ingéniosité ») ou
l'ordinateur (de ordinare, ordonner). Les lois scientifiques les plus
profondes, au contraire, sont nommées d'après les limites de la
connaissance humaine : incertitude, relativité, incomplétude, impossibilité.
De toutes les sciences, la biologie est celle qui a le moins de lois. D'abord
il y a peu de règles qui lui soient propres, et moins encore qui soient
universelles. Les êtres vivants doivent, bien sûr, obéir aux lois
fondamentales de la physique et de la chimie, mais la vie existe sur les
bords et dans les interstices de ces lois, les faisant plier jusqu'à leur point de
rupture. L'univers cherche l'équilibre, il préfère disperser l'énergie, défaire
l'organisation, maximiser le chaos. La vie est faite pour combattre ces
forces. Nous ralentissons les réactions, concentrons la matière, organisons
les éléments chimiques en compartiments ; nous faisons les courses le
samedi. « On dirait parfois que contenir l'entropie est notre objectif
donquichottesque dans l'univers » écrit James Gleick 20. Nous vivons dans
des angles morts des lois naturelles, en cherchant des extensions, des
exceptions et des excuses. Les lois de la nature écrivent encore les limites
externes de ce qui est permis, mais la vie, dans toute sa singularité, sa folle
étrangeté, prospère en lisant entre les lignes. Même l'éléphant ne peut violer
les lois de la thermodynamique, mais sa trompe se range à coup sûr parmi
les moyens les plus bizarres de déplacer de la matière en utilisant de
l'énergie.
« Ceux qui nous promettent le paradis sur Terre n'ont jamais produit
autre chose que l'enfer. »
12
Karl Popper
« Il n'y a que nous, les humains, qui voulons posséder le futur, aussi. »
13
Tomp Stoppard, The Coast of Utopia
Le futur du futur
Revenons un instant à une discussion sur les remparts d'un château. C'est
la fin de l'été 1972. Nous sommes en Sicile, à une rencontre scientifique sur
la génétique. Il est tard dans la nuit. Paul Berg et un groupe d'étudiants ont
gravi une colline qui domine les lumières de la ville. La nouvelle donnée
par Berg – la possibilité de combiner deux morceaux d'ADN pour créer un
« ADN recombinant » – a provoqué des ondes d'émerveillement et d'anxiété
dans l'assistance. Au cours du congrès, les étudiants se sont inquiétés du
danger présenté par ces nouveaux fragments d'ADN : si un mauvais gène
est introduit dans un mauvais organisme, l'expérience peut déboucher sur
une catastrophe biologique ou écologique. Mais les interlocuteurs de Berg
n'étaient pas particulièrement inquiets à propos des pathogènes. Ils sont
allés, comme le font souvent les étudiants, au cœur du problème : ils
voulaient savoir ce qu'il en était des perspectives d'ingénierie génétique
chez l'homme, de l'introduction de nouveaux gènes dans le génome humain.
Et si l'on pouvait prédire le futur à partir des gènes, puis modifier cette
destinée par des manipulations génétiques ? « Ils pensaient déjà avec
plusieurs étapes d'avance, m'a dit plus tard Berg. Je me souciais du futur,
mais ils s'inquiétaient du futur du futur. »
Pendant un moment, le « futur du futur » sembla biologiquement hors
d'atteinte. En 1974, à peine trois ans après l'invention de la technologie de
l'ADN recombinant, un virus SV40 modifié fut utilisé pour infecter des
cellules embryonnaires de souris 3. Le projet était audacieux. Ces cellules
infectées furent ensuite introduites parmi les cellules d'un embryon normal
pour créer un embryon composite, une « chimère » embryologique. Les
embryons composites furent implantés dans des souris femelles porteuses.
À partir de ce mélange de cellules saines et infectées apparurent tous les
tissus et organes de la souris à naître : le sang, le cerveau, les intestins, le
cœur, les muscles et, point crucial, les spermatozoïdes et les ovules. Si, dans
un embryon particulier, ces cellules germinales dérivaient des cellules
embryonnaires infectées par le virus plutôt que des cellules normales, alors
les gènes viraux allaient être transmis à la future descendance de la souris à
naître, comme tout autre gène. Tel un cheval de Troie, le virus pouvait
introduire des gènes en contrebande et modifier de façon permanente le
génome pour toutes les générations à venir. Il s'agissait donc de produire le
premier organisme supérieur génétiquement modifié.
L'expérience se déroula bien dans un premier temps, mais n'aboutit pas
pour deux raisons inattendues. Tout d'abord, si des cellules portant les gènes
viraux apparaissaient bien dans le sang, les muscles, le cerveau ou les nerfs
de la souris, ce n'était pas le cas pour les spermatozoïdes et les ovules. Les
scientifiques avaient beau essayer, ils ne pouvaient obtenir une transmission
« verticale » des gènes à la génération suivante. Ensuite, même si les gènes
viraux étaient bien présents dans les cellules de la souris, leur expression
était fermement réprimée : ces gènes étant devenus inertes et incapables de
donner des ARN donc des protéines. Des années plus tard, des scientifiques
découvriront que des marques épigénétiques avaient été placées sur les
gènes viraux pour les réduire au silence. On sait maintenant que les cellules
possèdent d'anciens mécanismes de détection qui reconnaissent les gènes
viraux et les marquent chimiquement pour éviter leur activation.
Le génome avait, semble-t-il, déjà anticipé toute tentative de le modifier.
C'était une parfaite impasse. Il y a un vieux proverbe chez les magiciens qui
dit qu'il est essentiel d'apprendre à faire réapparaître les choses avant
d'apprendre à les faire disparaître. Les pionniers de la thérapie génique
étaient en train de réapprendre cette leçon. Il était facile de glisser un gène
furtivement dans une cellule puis dans un embryon. La vraie difficulté était
de le rendre à nouveau visible.
Paralysé par ces échecs initiaux, le domaine de la thérapie génique stagna
une dizaine d'années jusqu'à ce que les biologistes fassent une découverte
cruciale : les cellules souches embryonnaires ou cellules ES. Pour
comprendre l'avenir de la thérapie génique chez l'homme, nous devons faire
connaissance avec ces cellules. Considérez un organe comme le cerveau ou
la peau. Avec l'âge, les cellules de la couche épidermique de la peau se
divisent, meurent et se détachent. Parfois, une vague de morts cellulaires
peut arriver de manière catastrophique, par exemple après une brûlure ou
une plaie massive. Pour remplacer les cellules mortes, la plupart des
organes ont des processus qui régénèrent leurs cellules.
Les cellules souches remplissent cette fonction, notamment après une
perte importante de cellules. Une cellule souche est un type unique de
cellule défini par deux propriétés : elle peut donner naissance à d'autres
cellules fonctionnelles en se différenciant, par exemple en cellule nerveuse
ou en cellule épidermique ; et elle peut se renouveler, c'est-à-dire donner
d'autres cellules souches capables à leur tour de se différencier pour
produire les cellules d'un tissu. Une cellule souche est un peu comme un
grand-père qui continue à faire des enfants, des petits-enfants et des arrières
petits-enfants, génération après génération, sans jamais perdre sa fécondité.
C'est l'ultime réservoir pour régénérer un tissu ou un organe.
La plupart des cellules souches résident dans des organes ou des tissus
particuliers et ne sont à l'origine que d'une gamme limitée de cellules. Les
cellules souches de la moelle osseuse, par exemple, ne produisent que les
cellules du sang. Celles des cryptes de l'intestin ne donneront que des
cellules intestinales. Mais les cellules souches embryonnaires, ou cellules
ES, qui naissent du feuillet interne de l'embryon, sont bien plus puissantes
car elles peuvent générer tous les types cellulaires d'un organisme : du sang,
du cerveau, des intestins, des muscles, des os, de la peau. Les biologistes
utilisent le terme de pluripotence pour qualifier cette propriété des cellules
ES.
Les cellules ES ont de plus une troisième caractéristique peu courante,
une bizarrerie de la nature. Elles peuvent être isolées d'un embryon et
cultivées in vitro dans des boîtes de Petri en laboratoire. Elles poussent
alors continuellement. Ces minuscules sphères translucides peuvent se
regrouper en amas visibles au microscope, ressemblant plus à des organes
en dissolution qu'à des animaux en construction. En fait, lorsqu'elles furent
dérivées pour la première fois d'embryons de souris à Cambridge en
Angleterre, au début des années 1980, elles suscitèrent peu d'intérêt de la
part des généticiens. « Personne ne semble intéressé par mes cellules » se
plaignait l'embryologiste Martin Evans 4.
Mais le réel pouvoir d'une cellule ES réside, là encore, dans la transition :
comme l'ADN, comme les gènes, comme les virus, c'est la dualité
intrinsèque de son existence qui en fait un puissant outil de biologie. Les
cellules ES se comportent comme d'autres cellules utilisables en culture in
vitro. On peut les faire pousser dans des boîtes de Petri, elles peuvent être
congelées et décongelées pour les remettre en culture, propagées pendant
des générations. Et des gènes peuvent être insérés dans leur génome ou en
être excisés relativement facilement.
Cependant, si vous mettez ces mêmes cellules dans le bon environnement
et au bon moment, elles acquièrent une autre dimension et la vie se met
littéralement à jaillir d'elles. Mélangées aux cellules d'un jeune embryon, le
tout implanté dans le ventre d'une souris femelle, les cellules ES se divisent
et forment des couches. Elles peuvent alors se différencier en toutes sortes
de cellules – sanguines, nerveuses, musculaires, hépatiques et même en
spermatozoïdes et en ovules. Ces cellules s'organisent ensuite d'elles-mêmes
en tissus et en organes et se trouvent ainsi miraculeusement incorporées
dans un organisme multicellulaire qui va finalement donner une vraie
souris. Toute manipulation effectuée lors de la phase de culture in vitro se
retrouve donc dans cette souris chimérique. La modification génétique
d'une cellule dans une boîte de Petri « devient » celle d'un organisme dans
l'utérus d'une mère porteuse. C'est une transition du laboratoire vers le
vivant.
La facilité expérimentale offerte par les cellules ES a aussi permis de
surmonter un second problème plus coriace. Lorsque des virus sont utilisés
pour transférer des gènes dans les cellules, il est virtuellement impossible
de contrôler l'endroit où s'insérera le transgène dans le génome de l'hôte.
Avec ses trois milliards de paires de bases, le génome humain est environ
50 à 100 000 fois plus gros que la plupart des génomes viraux. Un gène
viral s'insère dans le génome comme un papier de bonbon tombe d'un avion
dans l'Atlantique : impossible de savoir où il va atterrir. Pratiquement tous
les virus capables de s'intégrer dans le génome, comme le VIH ou le SV40,
le font sur un site au hasard. Pour la thérapie génique, cette insertion
aléatoire est une nuisance infernale. Les gènes viraux peuvent se retrouver
dans une crevasse inerte du génome et ne jamais être exprimés. Ils peuvent
aussi tomber dans un endroit du chromosome qui est facilement réduit au
silence par la cellule. Ou pire, leur insertion peut détruire un gène essentiel
ou en activer un responsable de cancers, autant de désastres potentiels à la
clé.
Avec les cellules ES de souris, toutefois, les scientifiques ont appris à
faire des changements génétiques ciblés et non plus aléatoires au sein du
génome, et au sein d'un gène 5. Si l'on cible le gène de l'insuline, par
exemple, on peut s'assurer, par le biais de quelques manipulations
expérimentales simples mais ingénieuses 6, que seul le gène de l'insuline
sera modifié dans les cellules ES en culture. Et comme ces dernières, une
fois réinjectées dans un embryon, peuvent en principe générer tous les types
cellulaires, on est sûr d'obtenir une souris ayant précisément ce gène de
l'insuline modifié dans une fraction au moins de ses cellules. Si, par chance,
les cellules ES se retrouvent à l'origine de spermatozoïdes ou d'ovules chez
la souris adulte, alors le gène modifié passera de génération en génération,
assurant ainsi une transmission verticale héréditaire.
Lors de l'émergence de cette technique, on mesura ses profondes
implications. Dans le monde naturel, le seul moyen d'effectuer un
changement intentionnel dans un gène est la mutagenèse à l'aveugle suivie
d'une phase de sélection. Si on expose un animal aux rayons X, par
exemple, une altération génétique peut s'inscrire de façon permanente dans
le génome ; mais il n'y a pas de moyen d'attirer l'attention des rayons X sur
un gène particulier. Par l'action de la sélection naturelle, la mutation qui
confère le meilleur succès reproducteur est choisie et se retrouve de plus en
plus fréquente dans le pool de gènes. Toutefois, dans ce scénario, ni la
mutagenèse ni l'évolution n'ont d'intentionnalité. Dans la nature, la machine
responsable de l'altération génétique n'a pas de pilote. « L'horloger » de
l'évolution, comme nous le rappelle Richard Dawkins, est intrinsèquement
aveugle.
Avec les cellules ES, au contraire, les scientifiques pouvaient désormais
manipuler les gènes de leur choix et incorporer le changement génétique
désiré dans le génome de la souris. C'était une mutation et une sélection à la
fois, une évolution accélérée en laboratoire. La technologie était si
révolutionnaire qu'un nouveau mot fut forgé pour décrire les souris
produites. Elles furent qualifiées de KO (pour knock-out) pour le gène ciblé
quand il était inactivé et de KI (pour knock-in) quand il était modifié. Au
début des années 1990, les laboratoires du monde entier avaient créé des
centaines de souris génétiquement modifiées pour étudier la fonction des
gènes. Des souris avaient subi des altérations génétiques pour reproduire
des pathologies comme la maladie d'Alzheimer, l'épilepsie ou le
vieillissement prématuré. Celles dont un gène du cancer avait été activé
explosaient de tumeurs, ce qui permettait aux biologistes de les étudier en
tant que modèles de cancers humains. En 2014, des chercheurs créèrent des
souris portant une mutation qui influait sur la communication des neurones
dans le cerveau. Ces animaux avaient une mémoire nettement accrue et des
fonctions cognitives plus élevées. C'étaient les animaux-savants du monde
des rongeurs 7, mémorisant plus vite, se souvenant plus longtemps et
apprenant de nouvelles tâches presque deux fois plus vite que les autres
souris.
Ces expériences entraînaient des considérations éthiques complexes.
Cette technique pouvait-elle être utilisée chez les primates ? Chez
l'homme ? Qui allait réguler la manipulation génétique des animaux ? Quels
gènes allaient ou pouvaient être introduits ? Quelles étaient les limites à ne
pas dépasser ?
Heureusement, des barrières techniques sont apparues avant que les
dilemmes éthiques n'aient eu une chance de se présenter. Une grande partie
du travail initial sur les cellules ES, dont la production d'organismes
génétiquement modifiés de manière ciblée, avait été menée avec des
cellules de souris. Au début des années 1990, quand plusieurs cellules ES
humaines furent dérivées d'embryons précoces humains, les scientifiques se
heurtèrent à un obstacle imprévu. Contrairement aux cellules ES de souris
qui s'étaient montrées très accessibles aux manipulations, celles de l'homme
ne donnaient rien en culture. « C'est peut-être le petit secret inavouable du
domaine : les cellules ES humaines n'ont pas les mêmes capacités que celles
des souris » remarqua le biologiste Rudolf Jaenisch 8. « On ne peut les
cloner. On ne peut les utiliser pour du ciblage génétique […] Elles sont très
différentes des cellules ES de souris qui peuvent tout faire ».
Le génie de la manipulation génétique ciblée semblait, au moins
temporairement, contenu dans sa bouteille.
La perspective d'une modification génétique d'embryons humains fut
évacuée pour un temps, mais si des thérapeutes du gène se fixaient un but
moins radical ? Des virus ne pouvaient-ils pas servir à introduire des gènes
dans les cellules visées, non en culture mais directement dans l'organisme
humain ? Le problème de l'intégration au hasard dans le génome
subsisterait, mais le risque d'une transmission verticale du transgène serait
éliminé, la modification ne portant pas sur les cellules germinales. Si des
gènes pouvaient être introduits par des virus dans des cellules précises, on
disposerait d'un outil thérapeutique de réparation génétique. Même cet
objectif revu à la baisse constituerait déjà un bond dans le futur de la
médecine humaine. Cela allait être la thérapie génique allégée.
En 1988, une petite fille de deux ans nommée Ashanti DeSilva, ou Ashi,
de North Olmsted dans l'Ohio, commença à développer de curieux
symptômes 9. Les jeunes enfants ont des dizaines d'affections transitoires
comme le sait tout parent, mais celles d'Ashi étaient tout à fait anormales.
Elle avait des pneumonies et des infections bizarres qui semblaient
persister, des blessures qui ne se cicatrisaient pas, et un taux de globules
blancs dans le sang qui restait bien bas. Une grande partie de la petite
enfance d'Ashi s'était passée à l'hôpital et, à l'âge de deux ans, une banale
infection virale dégénéra complètement en une hémorragie interne très
grave qui entraîna une hospitalisation prolongée.
Pendant un moment, les médecins furent déroutés par ses symptômes. Ils
attribuèrent vaguement ses maladies chroniques à un système immunitaire
sous-développé qui allait finir par arriver à maturité. Mais comme les
symptômes refusaient de s'atténuer et qu'Ashi arrivait à l'âge de trois ans,
elle subit une batterie de tests. Son immunodéficience fut attribuée à ses
gènes : on découvrit des mutations spontanées touchant les deux copies d'un
gène appelé ADA sur le chromosome 20. Ashi avait alors failli mourir
plusieurs fois. Son corps avait payé un très lourd tribut mais l'angoisse
émotionnelle était encore plus lourde à porter. Un matin, la petite fille de
quatre ans se réveilla et dit « maman, tu n'aurais pas dû avoir un enfant
comme moi 10 ».
Le gène ADA, une abréviation de « adénosine désaminase », code une
enzyme qui convertit l'adénosine, une substance chimique produite par le
corps, en une autre inoffensive, l'inosine. En l'absence d'une copie
fonctionnelle du gène ADA, l'organisme se retrouve saturé par des dérivés
toxiques du métabolisme de l'adénosine. Les cellules les plus gravement
intoxiquées sont les lymphocytes T combattant les infections et, en leur
absence, la réponse immunitaire s'effondre rapidement. La maladie est
extrêmement rare : un enfant sur 150 000 naît avec un déficit en ADA, mais
observer un malade ADA est un événement encore plus rare car presque
tous les enfants meurent en bas âge. Le déficit en ADA fait partie d'un
groupe plus large de maladies connues sous le nom de déficit immunitaire
combiné sévère ou SCID. Le plus célèbre patient SCID, un garçon nommé
David Vetter, avait passé douze ans de sa vie dans une chambre de plastique
dans un hôpital texan. Le Bubble Boy 11, comme il fut appelé par les
médias 12, mourut en 1984, toujours prisonnier de sa bulle stérile en
plastique, après une tentative désespérée de lui greffer de la moelle osseuse.
Le décès de David Vetter fit renoncer les médecins qui avaient espéré un
temps utiliser la greffe de moelle osseuse pour traiter le déficit en ADA. Le
seul autre traitement, testé dans les premiers essais cliniques au milieu des
années 1980, s'appelait le PEG-ADA. L'enzyme purifiée à partir de la vache
était enrobée d'une gangue chimique pour allonger sa durée de vie dans le
sang (la forme normale de l'ADA a une durée de vie trop courte pour être
efficace). Mais même ce traitement avait bien du mal à faire reculer
l'immunodéficience. Il devait être injecté dans le sang tous les mois environ
pour remplacer l'enzyme dégradée par l'organisme. Plus inquiétant,
l'injection de PEG-ADA risquait d'induire la formation d'anticorps contre
l'ADA elle-même : ces anticorps auraient alors supprimé l'enzyme encore
plus rapidement, accélérant la catastrophe et rendant le remède plus nocif
que le mal.
La thérapie génique pouvait-elle corriger ce déficit en ADA ? Il suffisait
après tout de corriger un unique gène qui avait été identifié et caractérisé.
En outre, on disposait depuis peu d'un véhicule, ou vecteur, conçu pour
transporter des gènes dans les cellules humaines. À Boston, un virologue et
généticien du nom de Richard Mulligan avait construit une souche
particulière de rétrovirus – un cousin du VIH – qui pouvait transférer
n'importe quel gène dans toute cellule humaine d'une manière assez sûre 13.
Les rétrovirus peuvent être manipulés pour infecter de nombreux types de
cellules. Ils ont la capacité particulière d'insérer leur génome dans celui de
leur hôte, incrustant définitivement leur matériel génétique dans celui de la
cellule. En travaillant sur cette technologie, Mulligan avait créé des virus
altérés : ils pouvaient toujours infecter des cellules et y intégrer leur
génome mais avaient perdu la capacité de se propager d'une cellule à l'autre.
Le virus pouvait entrer mais ne sortait plus. Le gène atterrissait dans le
génome mais n'en ressortait plus.
Alors qu'à la fin des années 1990 la thérapie génique humaine se trouvait
exilée dans les limbes aux frontières de la science médicale, le diagnostic
génétique humain entamait une remarquable renaissance. Pour la
comprendre, il nous faut revenir au « futur du futur » évoqué par les
étudiants de Berg sur les remparts du château sicilien. Comme ils l'avaient
imaginé, le futur de la génétique humaine allait se construire sur deux
éléments fondamentaux. Le premier était le « diagnostic génétique », l'idée
que les gènes puissent servir à prédire ou à déterminer des maladies, une
identité, un choix, un destin. Le second était « la modification génétique »,
le fait que les gènes puissent être modifiés pour changer le futur des
maladies, les choix et la destinée.
Ce second projet, la modification intentionnelle de gènes (« écrire le
génome »), était évidemment encalminé, avec le coup d'arrêt du moratoire
sur les essais de thérapie génique. Mais le premier, prédire l'avenir à partir
des gènes (« lire le génome »), n'avait fait que se renforcer. Dans les dix ans
qui suivirent la mort de Jesse Gelsinger, les généticiens découvrirent une
foule de gènes liés aux maladies humaines parmi les plus complexes et les
plus mystérieuses, des maladies pour lesquelles les gènes n'avaient jamais
été impliqués en tant que cause première. Ces découvertes allaient
permettre le développement de techniques extrêmement puissantes de
diagnostic préventif des maladies. Mais elles allaient aussi forcer la
génétique et la médecine à être confrontées aux dilemmes moraux et
médicaux les plus profonds de leur histoire. « Les tests génétiques, comme
l'a décrit le généticien médical Eric Topol 3, sont aussi des tests moraux.
Quand vous décidez de tester un ‘risque futur', vous vous demandez aussi
inévitablement quel type de futur vous souhaitez risquer. »
Trois cas illustrent bien la puissance et le danger d'utiliser les gènes pour
prédire le « risque futur ». Le premier est celui du gène BRCA1, un gène
impliqué dans le cancer du sein. Au début des années 1970, la généticienne
Mary-Claire King a commencé à étudier l'hérédité des cancers du sein et de
l'ovaire dans des familles étendues. Mathématicienne de formation, King
avait rencontré Allan Wilson, l'homme qui avait traqué l'Ève mitochondriale
à l'université de Californie à Berkeley. Cette rencontre la fit passer à l'étude
des gènes et à la reconstruction des lignées génétiques (les premières études
de King, effectuées dans le laboratoire de Wilson, avaient montré que les
chimpanzés et les hommes partagent plus de 90 % de leur patrimoine
génétique).
Après sa licence, King s'était tournée vers un autre type d'histoire
génétique, celle des maladies chez l'homme. Le cancer du sein, en
particulier, l'intriguait. Des décennies d'études attentives de familles avaient
suggéré que ce cancer se présentait sous deux formes, sporadique et
familiale. Dans la forme sporadique, le cancer survenait sans aucune
histoire familiale antérieure. Dans la forme familiale, au contraire, la
maladie se perpétuait à travers les générations. Dans une généalogie
typique, une femme, sa sœur, sa fille et sa petite-fille pouvaient être
affectées, bien que l'âge précis auquel le cancer était diagnostiqué et le stade
de développement du cancer pouvaient varier d'une femme à l'autre.
L'incidence accrue du cancer du sein dans certaines familles s'accompagne
souvent d'une augmentation frappante de l'incidence du cancer de l'ovaire,
suggérant une mutation commune aux deux maladies.
En 1978, quand l'Institut national du cancer américain lança une enquête
sur les patientes de cancer du sein, la cause de la maladie était largement en
débat. Certains experts avançaient que le cancer du sein était dû à une
infection virale chronique déclenchée par l'utilisation excessive de
contraceptifs oraux. D'autres blâmaient le stress et l'alimentation. King
demanda à ce que deux questions soient ajoutées au questionnaire : « Est-ce
que la patiente a une histoire familiale du cancer du sein ? Est-ce qu'il y a
une histoire familiale du cancer de l'ovaire ? » À la fin de l'enquête, le lien
génétique émergea. King avait identifié plusieurs familles ayant une longue
histoire de cancer du sein et de l'ovaire. Entre 1978 et 1988, elle ajouta des
centaines d'autres familles à sa liste et put compiler d'énormes arbres
généalogiques 4. Dans une famille de plus de 150 personnes, elle trouva par
exemple 30 femmes touchées par la maladie.
Un examen plus précis de ces généalogies suggérait qu'un seul gène était
responsable de nombreux cas familiaux, mais son identification n'était pas
facile. Bien que ce gène pût augmenter le risque de cancer du sein de dix
fois, toutes les femmes qui en héritaient ne déclaraient pas la maladie. King
avait trouvé que le gène du cancer du sein avait une « pénétrance
incomplète ». Même muté, ses conséquences ne « pénétraient » pas dans
toutes les personnes pour donner des symptômes (c'est-à-dire le cancer du
sein ou de l'ovaire).
Malgré le flou entretenu par la pénétrance incomplète, le nombre de cas
de King était si élevé qu'elle put avoir recours à une étude de liaison
génétique sur plusieurs familles et sur plusieurs générations. Cette étude lui
permit de restreindre la localisation du gène au chromosome 17. En 1988,
King s'était rapprochée un peu plus du gène et l'avait situé dans une région
de ce chromosome appelée 17q21 5. « Ce gène est encore une hypothèse »
disait-elle, mais au moins avait-il une présence physique connue sur un
chromosome humain. « Être à l'aise avec l'incertitude pendant des années
fut […] la leçon du labo de Wilson et c'est une partie essentielle de ce que
nous faisons 6 ». Elle appela le gène BRCA1 7, même s'il restait encore à
l'isoler physiquement.
La localisation du locus de BRCA1 sur le chromosome déclencha une
course effrénée pour identifier le gène. Au début des années 1990, des
équipes de généticiens à travers le globe, dont celle de King, se fixèrent
pour objectif de cloner BRCA1. De nouvelles techniques, comme la réaction
en chaîne de la polymérase (PCR), permettaient aux chercheurs de faire des
millions de copies d'un gène dans un tube à essai. Ces techniques, couplées
avec des méthodes poussées de clonage moléculaire, de séquençage et de
cartographie génétique, rendaient possible de passer rapidement d'une
position chromosomique à un gène. En 1994, une société privée de l'Utah
nommée Myriad Genetics annonça avoir isolé le gène BRCA1. En 1998,
elle obtint un brevet pour sa séquence, l'un des tous premiers accordés pour
une séquence génétique humaine 8.
Pour Myriad, la vraie utilisation de BRCA1 en médecine clinique était le
test génétique. En 1996, avant même que le brevet sur le gène ne fût
accordé, la société se mit à commercialiser un test génétique pour BRCA1.
Ce test était simple : une femme à risque était évaluée par un conseiller
génétique. Si l'histoire familiale suggérait un cancer du sein, un frottis de
cellules de sa bouche était envoyé au laboratoire central. Ce dernier
amplifiait des parties du gène BRCA1 avec la PCR, les séquençait et
identifiait les gènes mutants. Il pouvait retourner l'indication « normal »,
« mutant » ou « indéterminé » (certaines mutations peu courantes du gène
n'avaient pas encore été complètement reliées à un risque de cancer du
sein).
Durant l'été 2008, j'ai rencontré une femme qui avait une histoire
familiale de cancer du sein. Jane Sterling était une infirmière de trente-sept
ans de North Shore dans le Massachusetts. L'histoire de sa famille aurait pu
être directement sortie des cas réunis par Mary-Claire King : une arrière
grand-mère avec un cancer du sein à un âge précoce, une grand-mère qui
avait eu une mastectomie radicale à l'âge de quarante-cinq ans, un mère qui
avait eu un cancer bilatéral du sein à soixante ans. Sterling avait deux filles.
Elle était au courant du test de BRCA1 depuis près de dix ans. Quand sa
première fille est née, elle avait envisagé le test mais n'avait pas donné
suite. Avec l'arrivée de sa seconde fille, et le diagnostic de cancer du sein
chez une amie proche, elle s'était décidée à faire le test.
Le test pour la mutation de BRCA1 fut positif pour Sterling. Deux
semaines plus tard, elle revint à la clinique armée d'un calepin sur lequel
elle avait noté rapidement plein de questions. Qu'allait-elle faire avec la
connaissance de son diagnostic ? Les femmes avec BRCA1 muté avaient un
risque de 80 % de déclarer le cancer au cours de leur vie 9. Mais le test
génétique ne disait rien sur le moment où cela pouvait arriver, ni sur le type
de cancer qu'elles pouvaient avoir. Comme la mutation BRCA1 a une
pénétrance incomplète, une femme avec la mutation peut développer un
cancer du sein inopérable, agressif et résistant aux thérapies à l'âge de trente
ans. Elle peut aussi avoir une forme de cancer sensible à la thérapie à la
cinquantaine, ou une forme indolente à soixante-quinze ans. Ou ne pas
avoir de cancer du tout.
À quel moment Sterling devait-elle en parler à ses filles ? « Certaines de
ces femmes [avec la mutation de BRCA1] haïssent leur mère » a noté une
femme écrivain 10 qui était elle-même positive au test (la haine des mères, à
elle seule, révèle la mauvaise compréhension chronique de la génétique, et
ses effets débilitants sur le psychisme humain. La mutation du gène BRCA1
peut être héritée tout aussi bien du père que de la mère). Sterling allait-elle
en informer ses sœurs ? Ses tantes ? Ses cousines ?
Les incertitudes sur l'avenir étaient aggravées par celles sur le choix de la
thérapie. Sterling pouvait choisir de ne rien faire, simplement d'attendre et
de voir. Elle pouvait choisir d'avoir une mastectomie bilatérale et/ou le
retrait des ovaires pour diminuer fortement le risque de cancer du sein et de
l'ovaire, « découper sa poitrine pour contrer ses gènes » comme l'a décrit
une femme. Elle pouvait demander un dépistage intensif avec des
mammographies, une auto-palpation et des IRM pour déceler précocement
le cancer. Ou elle pouvait choisir de prendre un médicament hormonal
comme le tamoxifène qui diminue le risque de certains cancers mais pas de
tous.
Une partie de ces grandes différences d'évolution vient de la biologie
fondamentale de BRCA1. Le gène code une protéine qui joue un rôle crucial
dans la réparation de l'ADN endommagé. Pour une cellule, un brin d'ADN
coupé est le début d'une catastrophe. Cela signale une perte d'information,
une crise. Peu après la lésion, la protéine BRCA1 est recrutée sur les bords
de la coupure. Normalement, la protéine lance une réaction en chaîne qui
mobilise des dizaines d'autres protéines sur le bord du gène coupé pour
colmater rapidement la brèche. Chez les patients avec le gène muté, la
protéine mutée BRCA1 n'est pas recrutée correctement et les coupures ne
sont pas réparées. La mutation permet plus de mutations – comme le feu
alimente le feu – jusqu'à ce que les contrôles de la division et du
métabolisme de la cellule soient inactivés, ce qui mène finalement au
cancer. La maladie, même chez des patients avec le gène muté, requiert
donc plusieurs facteurs pour se déclencher. L'environnement joue
clairement un rôle : avec des rayons X ou un agent chimique attaquant
l'ADN, le taux de mutation va grimper plus vite encore. Le hasard joue
aussi un rôle car les mutations s'accumulent de façon aléatoire avec le
temps. Enfin, d'autres gènes peuvent accélérer ou freiner les conséquences
d'un gène BRCA1 muté : certains sont impliqués dans la réparation de
l'ADN, d'autres dans le recrutement de la protéine BRCA1 sur le brin
coupé.
Une mutation dans le gène BRCA1 prédit ainsi un futur, mais pas dans le
même sens qu'une mutation dans le gène de la mucoviscidose ou de la
maladie de Huntington. Le futur d'une femme portant la mutation est
fondamentalement changé par cette connaissance mais reste tout aussi
fondamentalement incertain. Pour certaines femmes, le diagnostic génétique
est envahissant : c'est comme si leur vie et leur énergie étaient dépensées à
anticiper le cancer et à trouver le moyen de survivre, alors même qu'elles
n'ont pas encore développé la maladie. Un nouveau mot perturbant, à la
connotation clairement orwellienne, a été forgé pour décrire ces femmes, ce
sont des prévivantes, des pré-survivantes.
Au cours de l'été de 1991, peu après que le Projet Génome Humain eut
été lancé, un journaliste rendit visite à James Watson dans son laboratoire
de Cold Spring Harbor près de New York 2. C'était par un doux après-midi,
Watson était à son bureau, assis près d'une fenêtre donnant sur la baie
étincelante. Le reporter demanda à Watson ce qu'il pensait de l'avenir du
projet. Qu'allait-il se passer une fois que tous les gènes de notre génome
seraient séquencés et que les scientifiques pourraient manipuler
l'information génétique humaine à volonté ?
Watson eut un petit rire et haussa les sourcils. « Il a passé une main dans
ses rares cheveux blancs […] et un air malicieux est apparu dans ses yeux
[…] “Beaucoup de gens se disent inquiets de la possibilité de changer nos
instructions génétiques. Mais celles-ci ne sont que le produit d'une
évolution pour nous adapter à des conditions qui n'existent peut-être plus
aujourd'hui. Nous savons tous combien nous sommes imparfaits. Pourquoi
ne pas nous rendre un peu mieux aptes à survivre ?” ».
« C'est ce que nous allons faire » a-t-il dit. Il a regardé son interlocuteur
et s'est brusquement mis à rire, avec ce gloussement aigu singulier qui est
devenu familier au monde scientifique comme le prélude d'un orage. « C'est
ce que nous ferons. Nous nous ferons un peu meilleurs. »
Le commentaire de Watson nous renvoie au second souci évoqué par les
étudiants au congrès d'Erice. Qu'allait-il se passer si nous apprenions à
modifier intentionnellement le génome humain ? Jusqu'à la fin des années
1980, le seul mécanisme pour remodeler le génome humain, « pour nous
rendre un peu meilleurs » au sens génétique, était d'identifier in utero des
mutations génétiques hautement pénétrantes et gravement délétères (telles
que celles causant la maladie de Tay-Sachs ou la mucoviscidose) et
d'interrompre la grossesse. Dans les années 1990, le diagnostic
préimplantatoire d'embryon (DPI) permettait aux parents de sélectionner et
d'implanter les embryons sans mutations, substituant au dilemme moral
d'arrêter une vie celui du choix de celle-ci. Les généticiens agissaient
toutefois dans le triangle déjà mentionné des limites de lésions génétiques
très pénétrantes, de souffrances extraordinaires et d'interventions
justifiables, non imposées.
L'avènement de la thérapie génique à la fin des années 1990 a changé les
termes de la discussion : les gènes peuvent maintenant être changés
intentionnellement dans le corps humain. Ce fut la renaissance de
« l'eugénisme positif ». Plutôt que d'éliminer les personnes portant des
gènes délétères, les scientifiques pouvaient envisager de les corriger, et de
rendre par là le génome « un peu meilleur ».
Conceptuellement, la thérapie génique se décline sous deux formes. La
première consiste à modifier le génome de cellules du corps ne servant pas
à la reproduction, comme celles du sang, du cerveau ou des muscles. Dans
ce cas, la modification génétique affecte leur fonctionnement mais pas le
génome humain sur plus d'une génération. Si un changement génétique est
introduit dans une cellule sanguine ou musculaire, il ne sera pas transmis à
un embryon humain, le gène modifié disparaissant avec la cellule. Ashi
DeSilva, Jesse Gelsinger et Cynthia Cutshall sont des exemples de
personnes traitées par une thérapie génique de ce type : dans les trois cas,
les cellules sanguines ou hépatiques mais pas les cellules germinales (les
spermatozoïdes ou les ovules) ont été modifiées par l'introduction d'un gène
étranger.
La seconde forme, plus radicale, de thérapie génique est de modifier le
génome humain de sorte que les changements portent sur les cellules de la
reproduction. Une fois qu'une modification génétique a été faite dans un
spermatozoïde ou un ovule – c'est-à-dire la lignée germinale d'une personne
–, ce changement peut s'auto-propager. Il est définitivement incorporé dans
le génome humain et transmis d'une génération à l'autre. Le gène inséré
devient inextricablement lié au génome humain.
La thérapie génique de la lignée germinale chez l'homme n'était pas
concevable à la fin des années 1990 car il n'existait aucune technique fiable
pour effectuer un changement génétique dans un spermatozoïde ou un
ovule. De toute façon, même les essais de thérapie génique avaient été
arrêtés. « La mort biotech » de Jesse Gelsinger comme le New York Times
Magazine l'avait décrite 3, avait suscité une telle vague d'angoisse dans le
domaine que pratiquement tous les essais de thérapie génique étaient gelés
aux États-Unis. Des sociétés firent faillite. Des scientifiques quittèrent le
domaine. L'essai fit disparaître de la Terre toute forme de thérapie génique
et laissa une cicatrice définitive dans le domaine.
Puis la thérapie génique est revenue, pas à pas, avec précaution. La
décennie apparemment stagnante entre 1990 et 2000 fut celle de
l'introspection et de la reconsidération. D'abord, la série d'erreurs dans
l'essai Gelsinger dut être méticuleusement disséquée. Pourquoi
l'introduction d'un virus supposé inoffensif apportant un gène au foie avait-
il pu causer une réaction aussi dévastatrice ? Quand les médecins,
scientifiques et autorités de régulation examinèrent les conditions de l'essai,
les raisons de l'échec devinrent patentes. Le vecteur utilisé pour infecter
Gelsinger n'avait jamais été correctement validé chez l'homme. Plus
important encore, la réponse immunitaire du jeune homme au virus aurait
pu être anticipée. Gelsinger avait probablement déjà été exposé
naturellement à la souche d'adénovirus utilisée dans l'expérience. Sa
violente réponse immunitaire n'était pas une aberration mais une réponse
tout à fait habituelle du corps luttant contre un pathogène qu'il a déjà
rencontré, probablement lors d'un rhume. En choisissant un virus humain
courant comme véhicule pour transférer le gène, les thérapeutes du gène
avaient fait une cruciale erreur de jugement. Ils avaient négligé de
considérer que le gène était introduit dans un corps humain avec son
histoire, ses cicatrices, ses souvenirs et ses expositions précédentes.
« Comment une chose aussi belle a-t-elle pu tourner aussi mal ? » s'était
demandé Paul Gelsinger. Nous savons maintenant pourquoi : parce que,
cherchant uniquement la beauté, les scientifiques n'étaient pas préparés pour
une catastrophe. Les médecins repoussant les limites de la médecine
humaine avaient oublié de prendre en compte le banal rhume.
Dans les deux décennies qui suivirent le décès de Gelsinger, les outils
utilisés lors des essais initiaux de thérapie génique ont été largement
remplacés par des techniques de deuxième et de troisième génération. De
nouveaux virus sont maintenant utilisés pour introduire des gènes dans les
cellules humaines et de nouvelles méthodes de suivi de cette introduction
ont été développées. Beaucoup de ces virus ont été sélectionnés pour leur
facilité d'utilisation en laboratoire et le fait qu'ils ne provoquent pas la
réaction immunitaire qui s'est déchaînée d'une manière aussi incontrôlée
dans l'organisme de Gelsinger.
En 2014, une étude phare publiée dans la revue The New England
Journal of Medicine a annoncé le recours avec succès à une thérapie
génique pour traiter l'hémophilie 4. Cette maladie, marquée par de terribles
saignements dus à une mutation dans le gène d'un facteur de la coagulation,
jalonne l'histoire du gène d'une manière continue. C'est l'ADN dans
l'histoire de l'ADN. Ce fut la maladie qui a affecté le tzarévitch Alexei à
partir de sa naissance en 1904 et qui s'est ainsi insérée au centre de la vie
politique en Russie au début du XXe siècle. Ce fut l'une des premières
maladies liées au chromosome X à avoir été identifiée chez l'homme,
signalant de ce fait la présence physique d'un gène sur un chromosome. Ce
fut l'une des premières maladies qui a pu être attribuée à un seul gène. Ce
fut aussi l'une des premières maladies génétiques pour laquelle une protéine
artificielle a été créée, en 1984, par Genentech.
L'idée d'utiliser la thérapie génique pour l'hémophilie a été abordée pour
la première fois au milieu des années 1980. La maladie étant causée par
l'absence d'une protéine de la coagulation, on pouvait envisager d'employer
un virus pour apporter le gène aux cellules, de sorte que l'organisme puisse
produire à nouveau la protéine et restaurer la coagulation. Au début des
années 2000, avec deux décennies de retard, les thérapeutes du gène
décidèrent de retenter l'expérience. L'hémophilie se présente sous deux
formes principales selon le facteur de la coagulation qui fait défaut. La
forme choisie pour l'essai de thérapie génique fut l'hémophilie B dans
laquelle le gène codant le facteur IX de la coagulation est muté, ce qui
supprime la production de la protéine dans le sang.
Le protocole était simple : dix hommes avec une variante sévère de la
maladie reçurent l'injection d'une seule dose d'un virus portant le gène du
facteur IX. La présence de la protéine fut mesurée dans le sang pendant
plusieurs mois. Point notable, cet essai ne visait pas seulement à tester
l'innocuité mais aussi l'efficacité, et les dix patients furent suivis pour
connaître la fréquence de leurs saignements et leurs injections
supplémentaires de facteur IX. Bien que l'injection du gène porté par le
virus n'ait augmenté que de 5 % la concentration de facteur IX par rapport à
sa valeur normale dans le sang, l'effet sur la fréquence des saignements fut
saisissant. Les patients eurent une réduction de 90 % de ces saignements
indésirables, et il y eu une diminution tout aussi spectaculaire des injections
de facteur IX. Cet effet persista pendant trois ans.
Le puissant effet thérapeutique de juste 5 % de la teneur normale en
facteur IX est un motif d'espoir considérable pour les thérapeutes du gène. Il
nous rappelle la force de la redondance en biologie humaine. Si seulement
5 % d'un facteur de coagulation suffit à rétablir pratiquement toute la
coagulation dans le sang humain, alors 95 % de la protéine doivent être
superflus, constituant une espèce de réservoir peut-être maintenu dans
l'organisme dans l'éventualité d'un saignement vraiment catastrophique. Si
le même principe vaut pour d'autres maladies génétiques dues à un seul
gène, disons la mucoviscidose, alors la thérapie génique pourrait être
beaucoup plus accessible que ce que l'on imaginait. Même le transfert peu
efficace d'un gène thérapeutique à un petit groupe de cellules pourrait
suffire à traiter une maladie mortelle.
Il y a une expression nichée dans l'une des phrases précédentes qui excite
immédiatement l'imagination de tout généticien. Une « coupure ciblée »
dans un gène est une source potentielle de mutation. La plupart des
mutations se produisent de façon aléatoire dans le génome. On ne peut
commander à un faisceau de rayons X ou de rayons cosmiques de changer
sélectivement le gène de la mucoviscidose ou de la maladie de Tay-Sachs.
Mais dans le cas de Doudna et Charpentier, la mutation n'était plus faite au
hasard, la coupure pouvait être programmée pour s'effectuer exactement à
l'endroit reconnu par le système d'autodéfense. En changeant l'élément de
reconnaissance, les deux chercheuses pouvaient rediriger l'attaque vers la
séquence d'un gène précis et donc le muter à volonté 7.
Ce système pouvait être manipulé encore plus loin. Quand un gène est
coupé, deux extrémités d'ADN apparaissent puis elles sont rognées. Une
réparation de la coupure est lancée et l'information perdue sera ensuite
récupérée sur la copie intacte du gène de l'autre chromosome. La matière
doit conserver l'énergie, le génome est conçu pour conserver l'information.
Dans ce processus de réparation, si la cellule reçoit un ADN étranger, celui-
ci sera pris pour copie au lieu du gène conservé sur l'autre chromosome.
L'information apportée par cet ADN sera alors intégrée définitivement à la
séquence du génome, comme une phrase en remplaçant une autre qui a été
gommée. Un changement génétique défini à l'avance peut ainsi être
introduit dans le génome : la séquence ATGGGGCCCG dans un gène peut
être changée en ACCGCCGGG (ou tout autre que l'on aura choisie). Un
gène de la mucoviscidose muté peut être corrigé pour retrouver sa forme
normale ou un gène modifié pour conférer une résistance à un virus dans un
organisme ou encore la triste répétition dans le gène muté de la maladie de
Huntington éliminée. La technique a été baptisée édition ou chirurgie
génomique.
Doudna et Charpentier publièrent leurs résultats sur l'utilisation in vitro
du système de défense microbien appelé CRISPR/Cas9 dans la revue
Science en 2012 8. L'article enflamma immédiatement l'imagination des
biologistes. Dans les trois années qui ont suivi sa parution, l'utilisation de la
technique qu'elles décrivaient pour la première fois a explosé 9. Cette
méthode présentait encore quelques contraintes fondamentales car les
coupures n'étaient pas toujours spécifiques ou toujours effectives, ce qui en
limite l'usage pour certains gènes. Mais elle fonctionne bien plus facilement
et efficacement que toute autre méthode de modification du génome. De tels
exemples de découvertes aussi inattendues sont très rares dans l'histoire de
la biologie. Une obscure défense microbienne, développée par des
microbes, découvertes par des scientifiques étudiant le yaourt et
reprogrammée par des biologistes de l'ARN, a ouvert la voie à une
technique transformante que les généticiens cherchaient ardemment depuis
des décennies. Une méthode pour effectuer des modifications directes,
efficaces et ciblées du génome humain. Richard Mulligan, le pionnier de la
thérapie génique, avait autrefois imaginé une « thérapie propre et nette ».
Ce système la rendait enfin possible.
Une dernière étape est nécessaire pour réaliser une modification
permanente et ciblée du génome chez l'homme. Les changements
génétiques que l'on est parvenu à faire dans des cellules ES humaines
doivent être intégrés dans un embryon humain. La transformation directe
d'une cellule ES humaine en un embryon humain viable est inconcevable
pour des raisons à la fois techniques et éthiques. Même si ces cellules
peuvent donner tous les types de tissus en laboratoire, il est impossible
d'imaginer qu'une fois implantées dans l'utérus d'une femme, elles
s'organisent de façon autonome en un embryon humain viable. Lorsqu'elles
sont implantées chez l'animal, ces cellules peuvent tout au plus donner un
assemblage assez lâche de différents tissus embryonnaires humain, loin de
la coordination anatomique et physiologique réalisée par un ovule fécondé
au cours de l'embryogenèse humaine.
On pourrait alors tenter de modifier génétiquement tout un embryon une
fois qu'il a atteint sa forme anatomique de base, c'est-à-dire quelques
semaines après la conception. En pratique, ceci n'est pas non plus faisable
car une fois organisé, l'embryon humain devient fondamentalement
réfractaire aux modifications génétiques. Et mis à part les obstacles
techniques, les obstacles éthiques au sujet d'une telle expérience
dépasseraient largement toute autre considération. Tenter de modifier le
génome d'un embryon humain vivant soulève évidemment une foule de
questions qui vont bien au-delà de la biologie et de la génétique. Dans la
plupart des pays, une telle expérience dépasse largement les limites de
l'autorisable.
Mais il y a une troisième stratégie qui pourrait être la plus accessible.
Supposez qu'un changement génétique soit apporté à des cellules ES
humaines en utilisant les techniques standards actuelles. Et imaginez
maintenant que ces cellules puissent être converties en cellules
reproductrices. Si les cellules ES sont vraiment totipotentes, alors elles
doivent pouvoir donner naissance à des spermatozoïdes ou des ovules
humains (un embryon, après tout, produit aussi des cellules germinales).
Maintenant, considérez une expérience en pensée. Si un embryon humain
pouvait être créé par FIV en utilisant de tels spermatozoïdes ou ovules
génétiquement modifiés, l'embryon qui en résultera porterait
nécessairement ces modifications dans ses cellules, dont celles de la lignée
germinale. Les premières étapes de ce procédé peuvent être testées sans
changer ou manipuler un embryon humain, et donc respecter les limites
morales liées à la manipulation de l'embryon humain 10. Point crucial, ce
procédé mime le protocole bien établi de la FIV où un spermatozoïde
féconde un ovule in vitro et où un embryon précoce est ensuite implanté
dans le corps d'une femme, une procédure qui suscite peu de questions. Il
s'agit d'un raccourci vers la thérapie génique germinale, une porte dérobée
vers le transhumanisme : l'introduction d'un gène dans une lignée germinale
humaine passerait par la conversion de cellules ES en cellules germinales.
Abhed : mon père avait appelé les gènes « l'indivisible ». Bhed, l'opposé,
est un mot kaléidoscope : sous forme de verbe, il signifie « discriminer,
exciser, déterminer, discerner, diviser, guérir ». Il partage une racine
linguistique avec vidya, « connaissance » et avec ved, « médecine ». Les
écrits indous, les Vedas, tirent leur nom de la même racine. Elle vient de
l'ancien mot indo-européen uied, « connaître » ou « discerner le sens ».
Les scientifiques divisent. Nous discriminons. C'est le propre de notre
profession de devoir casser le monde en ses composantes – gènes, atomes,
bytes – avant de le reconstituer en entier. On ne connaît pas d'autre moyen
de comprendre le monde. Pour créer la somme des parties, il faut
commencer par la diviser en parties.
Mais il existe un danger implicite à cette méthode. Une fois que nous
percevons les organismes, les êtres humains, comme des assemblages faits à
partir des gènes, de l'environnement et de leur interaction, notre vue de
l'homme se trouve fondamentalement changée. « Aucun biologiste sain
d'esprit ne croît que nous ne sommes que le produit de nos gènes, m'a dit
Berg 1, mais une fois que l'on a fait intervenir les gènes, nous ne pouvons
plus avoir la même perception de nous-mêmes. » Un tout assemblé par la
somme des parties est différent d'un tout avant qu'il n'ait été éclaté en ses
parties.
Comme le dit le poème sanskrit,
« Montre-moi que tu peux diviser les notes d'une chanson ;
Mais d'abord, montre-moi que tu peux discerner
Entre ce qui peut être divisé
Et ce qui ne peut l'être. »
En mai 2010, lorsque j'ai terminé la version finale de mon livre de 600
pages, L'Empereur de toutes les maladies, je ne pouvais imaginer que
j'allais reprendre la plume pour écrire un autre livre. L'épuisement physique
dû à l'écriture de l'Empereur fut facile à anticiper et à surmonter, mais celui
de l'imagination fut inattendu. Lorsque le livre a remporté cette même
année le First Book Prize 1 du journal britannique The Guardian, un
commentateur s'est plaint qu'il aurait dû être sélectionné pour le Only Book
Prize* *. La critique m'a atteint au plus profond de mes peurs. L'Empereur
avait pompé toutes mes histoires, confisqué mes passeports et mis entre
parenthèses mon avenir d'écrivain. Je n'avais plus rien à dire.
Mais il y avait bien une autre histoire, celle de la normalité avant qu'elle ne
bascule dans la malignité. Si le cancer, pour détourner la description du
monstre de Beowulf, est « la variante déformée de notre soi normal 2 »,
alors qu'est-ce qui génère les variantes non déformées de notre soi normal,
la variation dans les limites de la normalité ? L'Histoire du gène est cette
histoire : la quête de la normalité, de l'identité, de la variation et de
l'hérédité.
Les personnes à remercier sont innombrables. Les livres sur la famille et
l'hérédité ne sont pas tant écrits que vécus. Sarah Sze, ma femme, mon
interlocutrice et lectrice la plus dévouée, et mes filles, Leela et Aria, m'ont
rappelé tous les jours mon intérêt pour la génétique et le futur. Mon père,
Sibeswar, et ma mère, Chandana, sont une partie inextricable de cette
histoire. Ma sœur, Ranu, et son mari, Sanjay, m'ont soutenu moralement
quand c'était nécessaire. Judy et Chia-Ming Sze, David Sze et Kathleen
Donohue ont eu des discussions prolongées avec moi sur la famille et le
futur.
Des lecteurs extraordinairement généreux ont assuré la précision des faits
rapportés dans ce livre et fait des commentaires sur son contenu, dont Paul
Berg (génétique et clonage), David Botstein (cartographie génétique), Eric
Lander et Robert Waterston (Projet Génome Humain), Robert Horvitz et
David Hirsh (biologie du ver), Tom Maniatis (biologie moléculaire), Sean
Carroll (évolution et régulation génétique), Harold Varmus (cancer), Nancy
Segal (études des jumeaux), Inder Verma (thérapie génique), Jennifer
Doudna (édition du génome), Nancy Wexler (cartographie des gènes
humains), Marcus Feldman (évolution humaine), Gerald Fischbach
(schizophrénie et autisme), David Allis et Timothy Bestor (épigénétique),
Francis Collins (cartographie génétique et Projet Génome Humain), Eric
Topol (génétique humaine) et Hugh Jackman (mutants).
Ashok Rai, Nell Breyer, Bill Helman, Gaurav Majumdar, Suman Shirodkar,
Mero Gokhale, Chiki Sarkar, David Blistein, Azra Raza, Chetna Chopra et
Sujoy Bhattacharyya ont lu les premières versions du manuscrit et apporté
des commentaires d'une immense valeur. Des conversations avec Lisa
Yuskavage, Matvey Levenstein, Rachel Feinstein, et John Currin furent
indispensables. Un passage de ce livre est paru dans un texte sur le travail
de Yuskavage (« Twins ») et un autre dans mon texte Les Lois de la
médecine en 2016. Brittany Rush a patiemment (et brillamment) compilé
les 800 et quelques références et travaillé sur des aspects abrutissants de la
production, Daniel Loedel a lu et corrigé le manuscrit sur un week-end pour
prouver que c'était possible.
Nan Graham : as-tu vraiment lu les 68 brouillons ? Tu l'as vraiment fait, et
avec Stuart Williams et l'indomptable Sarah Chalfant, qui a vu l'ouvrage en
premier par le trou d'épingle d'une proposition en deux paragraphes, vous
avez donné à ce livre sa forme, sa clarté, son sérieux et la priorité. Merci.
GLOSSAIRE
bactéries
– système de défense contre les virus des, 1
– résistantes aux antibiotiques, 1
– échanges de gènes entre, 1
– gènes exprimés ou réprimés pour un changement métabolique, 1, 2
– information génétique échangée entre, 1
– en tant que système modèle pour la recherche, 1
bactériophage lambda, 1, 2
Bailey, J. Michael, 1
Banting, Frederick, 1, 2
Barrangou, Rodolphe, 1
Barranquitas, Venezuela, 1
Basset Hound Club Rules, 1
Bateson, William, 1-2
Beadle, George, 1-2, 3
Beagle (bateau), 1-2
Beery, Alexis et Noah, 1
Bell Curve, The (Herrnstein et Murray), 1-2
Bell, Alexander Graham, 1
Bell, John, 1
Belsky, Jay, 1
Berg, Paul, 1, 2, 3, 4
Bernal, J. D., 1
Best, Charles, 1
Bieber, Irving, 1
biochimie, 1
biologie
– appliquée dans l'Allemagne nazie, 1
– flux d'information dans la, 1
– le gène comme principe d'organisation pour la, 1
– clonage génétique et, 1
– l'hérédité comme question centrale de la, 1
– règles d'organisation en, 1
Biometrika (revue), 1
biophysique, 1
biorisques, 1, 2, 3
biotechnologie, 1, 2, 3
Birkenau, 1, 2
Bishop, J. Michael, 1
Black Stork, The (film), 1
Blackmun, Henry, 1
Blaese, Michael, 1
Bleuler, Eugen, 1
Bodmer, Walter, 1
Bolivar, Francisco, 1
bombe atomique, 1, 2, 3, 4, 5
Botstein, David, 1
Bouchard, Thomas, 1
Boveri, Theodor, 1, 2, 3
Boyer, Herbert, 1, 2, 3, 4
Brandt, Karl, 1
BRCA1 (gène chez l'homme)
– fonction pour la réparation de l'ADN, 1, 2
– criblage génétique pour, 1
– identification de, 1, 2, 3
– pénétrance incomplète de, 1, 2
– risque durant la vie de développer un cancer avec une mutation de, 1
– mutations et risque de cancer, 1, 2
– possibilité de réparation par une coupure intentionnelle, action de, 1
– porteuses prévivantes, 1
BRCA2 (gène chez l'homme), 1, 2
Brenner, Sydney, 1, 2, 3, 4, 5, 6
brevet et dépôt de brevet,
– pour l'isolement de l'érythropoïétine par Amgen, 1
– pour la séquence du gène BRCA1, 1
– pour la technologie des fragments de gène, 1
– pour l'insuline créée in vitro par Genentech, 1
– pour les gènes, 1
– pour la technique de l'ADN recombinant, 1
Bridges, Calvin, 1
Buck v. Priddy, 1
Buck, Carrie, 1, 2
Buck, Emmett Adaline (« Emma »), 1
Burnet, Franck MacFarlane, 1
byte, en tant qu'unité de base, 1
lactose (métabolisme), 1, 2
Lamarck, Jean-Baptiste, 1, 2, 3, 4
Lander, Eric, 1, 2
Langerhans, Paul, 1
Laplace, Pierre-Simon, 1
Leder, Philip, 1
Lederberg, Joshua, 1
Lejeune, Jérôme, 1
Lenz, Fritz, 1
Lessing, Doris, 1
leucémie, 1, 2
Levene, Phoebus, 1
Lewis, Ed, 1
Lewontin, Richard, 1
ligase, 1, 2
Lincoln, Abraham, 1
Linné, Carl von, 1
Linnean Society, 1, 2
Lionni, Leo, 1
Lobban, Peter, 1
loi ancestrale de l'hérédité, 1
loi pour la prévention d'une descendance génétiquement malade (Loi de
stérilisation), Allemagne, 1
lois de Nuremberg pour la protection de la santé héréditaire du peuple
allemand (Allemagne), 1
London School of Economics, 1
Lovell-Badge, Robin, 1
Lyell, Charles, 1
lymphocytes T, 1, 2-3
lymphome, 1, 2
Lyssenko, Trofim, 1-2, 3
Macklin, Ruth, 1
MacLeod, Colin, 1
maladie coronarienne, 1
maladie de Gaucher, 1, 2
maladie polykystique des reins de l'enfant (MPR), 1
maladies auto-immunes, 1
Malthus, Thomas, 1-2
Manhattan (Projet), 1, 2
Maniatis, Tom, 1, 2
Manto, Saadat Hasan, 1
Marfan (syndrome), 1-2
Maudsley, Henry, 1
Maxam, Allan, 1
Mayr, Ernst, 1
McCarty, Maclyn, 1
McCorvey, Norma, 1
McGarrity, Gerard, 1
McKusick, 1-2, 3
MECP2 (gène chez l'homme), 1
Medawar, Peter, 1
Medical Research Council (MRC), Royaume-Uni, 1
médicaments antipsychotiques, 1, 2
mégathérium, 1
mémoire
– gènes activés ou réprimés, 1
– expérience d'Hongerwinter, 1
Mendel, Gregor Johann, 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Mengele, Josef, 1, 2
Mering, Josef von, 1
Merriman, Curtis, 1
Mertz, Janet, 1-2, 3
Meselson, Matthew, 1, 2
Miescher, Friedrich, 1
migration
– différences génétiques liées à, 1
– théorie de la sortie de l'Afrique et, 1
– classification raciale et, 1
Mill on the Floss, The (Eliot), 1
Millais, Sir Everett, 1
Miller, Stanley, 1
Milton, John, 1
Minkowski, Oskar, 1
Minnesota Study of Twins Reared Apart (MISTRA), 1
moelle osseuse, 1, 2
Money, John, 1
Monod, Jacques, 1, 2-3, 4, 5, 6
Moore Clinic, Johns Hopkins Hospital, 1
Morgan, Thomas Hunt, 1
mormons, études génétiques des familles, 1
mucoviscidose, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
cytosine, 1
Muller, Hermann, 1
Müller, Max, 1
Muller-Hill, Benno, 1
Mulligan, Richard, 1
Mullis, Kary, 1
Murray, Charles, 1
Murray, John, 1
mutants, 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8
mutations
– cancers avec, 1
– combinaison de, dans les troubles génétiques, 1
– dépistage génétique des, 1
– maladies génétiques dues à, 1-2
– dans la maladie de Huntington, 1
– impact sur la théorie de l'information, 1
– dans le syndrome de Marfan, 1
– comme concept statistique, 1
myc (gène chez l'homme), 1
Myers, Richard, 1
Myriad Genetics, 1
Obama, Barack, 1
obésité, 1, 2, 3, 4
Ochoa, Severo, 1
œstrogènes, 1
Olson, Maynard, 1
Olympia (film), 1
opérons, 1
organismes génétiquement modifiés (OGM), 1
organites, 1
ornithine transcarbamylase (OTC), déficience, 1-2
Orwell, George, 1
Osteogenesis imperfecta, 1
Oudenaarden, Alexander van, 1
Owen, Richard, 1
oxygène, 1, 2, 3, 4
Page, David, 1
paires de chromosomes, 1
Paley, William, 1
pancréas, insuline dans le, 1, 2
pangenèse, 1-2, 3, 4
Paracelse, 1
Pardee, Arthur, 1
Park, Hetty, 1
partition du Bengale, 1, 2
Patent Act (US), 1
Patrinos, Ari, 1
Patterson, Orlando, 1
Pauling, Linus, 1, 2, 3, 4, 5, 6
Pearson, Karl, 1
PEG-ADA, 1
pénicilline, 1, 2, 3
Perutz, Max, 1, 2, 3, 4
Platon, 1, 2
Ploetz, Alfred, 1, 2, 3
pneumocoque, 1, 2, 3
Pollack, Robert, 1
polymorphismes, 1, 2, 3, 4
Popular Science Monthly (magazine), 1
préformation, 1-2
prévivants, 1, 2
Priddy, Albert, 1
projet du génome humain
– catalogue des gènes par, 1
– défi de finir la séquence pour le, 1
– conflits entre Celera et, 1
– financement pour, 1
– réaction de la polymérase en chaîne (PCR) utilisée dans, 1
projet génome du ver, 1-2
promoteurs, 1
protéines
– acides aminés dans la structure, 1
– diffraction aux rayons X de la structure de, 1
protéome, 1
protons, 1
pseudogènes, 1
Ptashne, Mark, 1, 2
purification raciale, 1, 2
pygmées Mbuti, 1
Pythagore, 1-2
Qu'est-ce que la vie ? (Schrödinger), 1, 2, 3
Quake, Stephen, 1
Quayle, Dan, 1
Quételet, Adolphe, 1, 2
Racial Biology of Jews, The (Verschuer), 1
radium, 1
Randall, J. T., 1
Raspoutine, Grigori, 1
Rau, Mary, 1
récessif, caractère dans les croisements de plantes de Mendel, 1
recombinaison, 1
régulation de la tension sanguine, 1
Reimer, David, 1
Reimers, Niels, 1
réplication, 1
Repository for Germinal Choice (banque des génies), Escondido,
Californie, 1
résilience (gène chez l'homme), 1
rétrovirus, 1, 2, 3-4
rhinocéros (fossiles), 1
ribose, dans l'ARN, 1
ribosomes, 1, 2, 3
Ridley, Matt, 1
Riefenstahl, Leni, 1
Riggs, Art, 1
Riordan, Jack, 1
Roberts, Richard, 1
Roblin, Richard, 1
Rockefeller (université), 1
Roe vs. Wade, 1
Rubin, Gerry, 1
Rutherford, Ernest, 1
Sabin, Alfred, 1
San Francisco Chronicle, (journal), 1
Sanger, Frederick, 1
saut de chromosome, 1
Sayre, Wallace, 1
Scarr, Sandra, 1
Scheller, Richard, 1
schizophrénie familiale, 1
schizophrénie, 1, 2-3, 4-5, 6, 7
Schrödinger, Erwin, 1-2, 3
Science (revue), 1, 2, 3, 4, 5
Second Reform Act de 1867, 1
Segal, Nancy, 1
Shannon, James, 1
Shapiro, Lucy, 1
Sharp, Phillip, 1
Shockley, William, 1
Sida (Syndrome d'immunodéficience acquise), 1-2, 3
Siemens, Hermann Werner, 1
Singer, Maxine, 1
Sinsheimer, Robert, 1
skn-1(gène chez le ver), 1
Skolnick, Mark, 1
Smith, Hamilton, 1
Smith, John Maynard, 1
somatostatine, 1-2
Sontag, Susan, 1
Spark, The (journal), 1
Spearman, Charles, 1
spéciation, 1, 2
Spencer, Herbert, 1
spermatozoïdes, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11, 12, 13, 14-15, 16
spermisme, 1
SRY (gène chez l'homme), 1-2
Steele, Mark, 1
stérilisation, 1-2, 3-4, 5, 6
Stevens, Wallace, 1
Stoddard, Lothrop, 1
stress, gène 5HTTLPR associé à, 1
Stringer, Christopher, 1
Strong African American Families (Projet SAAF), 1
Sturtevant, Alfred, 1
Sulston, John, 1, 2-3, 4-5, 6
Sutton, Walter, 1
Swammerdam, Jan, 1
Swanson, Robert, 1
Swyer, Gerald, 1
Swyer, syndrome, 1-2
syndrome de stress post-traumatique, 1
Szilard, Leo, 1
Szostak, Jack, 1
TALEN (enzyme), 1
Tatum, Edward, 1-2, 3
Tay-Sachs (maladie), 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
télomères, 1
Temin, Howard, 1
Terman, Lewis, 1
testostérone,
– pour inverser la réaffectation sexuelle, 1
– récepteurs, 1
tests des cellules fœtales, 1
thalassémie bêta, 1, 2
thalassémie, 1
théorie de l'hérédité des gemmules, 1-2, 3, 4, 5, 6
théorie de la sortie d'Afrique de l'homme, 1
thérapie comportementale,
– dans le syndrome d'hyperactivité, 1
– dans la réaffectation sexuelle, 1
thérapie génique, 1, 2-3, 4, 5-6, 7, 8
Thomson, James, 1
Thurstone, Louis, 1
thymine, 1, 2
Tie Club, 1
Tishkoff, Sarah, 1
Toba, volcan indonésien, 1
Tomkins, Gordon, 1
Topol, Eric, 1, 2
toxodon, 1
transcription
– génération d'une copie d'ARN par la, 1
– régulation génétique par la, 1
transfert nucléaire, 1, 2
trisomie 1, 2-3, 4, 5
trouble bipolaire, 1, 2, 3
Trouble du déficit de l'attention, 1
Tschermak-Seysenegg, Erich von, 1
Tsui, Lap-Chee, 1
Turkheimer, Eric, 1
Turner (syndrome), 1
Union soviétique, 1, 2
université de Californie, San Francisco (UCSF), 1, 2, 3-4, 5
université de Caroline du Nord, Centre de la thrombose et de l'hémostase, 1
université de Munich, Allemagne, 1
université de Pennsylvanie, 1-2
uracile, 1, 2
US Patent and Trademark Office (USPTO), 1
Varmus, Harold, 1
Vaux, David, 1
Vavilov, Nicolaï, 1
Venter, Craig, 1-2
Verschuer, Otmar von, 1
Vetter, David, 1
Victoria, Welby Lady, 1
virus simien 1 (SV40), 2-3, 4, 5
virus
– système de défense bactérien contre les, 1
– inquiétudes sur la sûreté de l'apport de gènes en thérapie génique en
utilisant des, 1
– transfert de gène en thérapie génique en utilisant des, 1
– insertion de gènes corrigés directement dans l'organisme avec des, 1
– insertion de gènes dans des cellules avec des, 1
– limitations dans l'utilisation pour apporter un gène, 1
vitamines (trouble du métabolisme des), 1
Vogelstein, Bert, 1, 2
Waddington, Conrad, 1-2
Wagenen, Bleecker van, 1
Waldeyer-Hartz, Wilhelm von, 1
Wallace, Alfred Russel, 1, 2
Washington Post (journal), 1, 2, 3
Waterman, Alan, 1
Waterston, Robert, 1
Watson, James, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Watson, Rufus, 1
Webb, Sidney, 1
Weinberg, Richard, 1
Weininger, Otto, 1
Weismann, August, 1, 2
Weizmann Institute of Science, Israël, 1
Weldon, Walter, 1
Wellcome Trust, 1
Wells, H. G., 1, 2-3
Wexler, Alice, 1
Wheeler, John, 1
White, Gilbert, 1
White, John, 1
Whitehead, Alfred North, 1
Wieschaus, Eric, 1
Wilkins, Maurice, 1-2, 3, 4
Wilson, Allan, 1-2, 3
Wilson, Edmund, 1
Wilson, James Q., 1
Wilson, James, 1
wingless (gène chez la mouche du vinaigre), 1
Witkin, Evelyn, 1
Wittgenstein, Ludwig, 1
Wolff, Caspar, 1
Xq28 (chromosome), 1-2
Yale (université), 1
Yamanaka, Shinya, 1
ZENK (gène chez l'oiseau), 1
ZFY (gène chez l'homme), 1
Zinder, Norton, 1, 2, 3
Zuckerkandl, Émile, 1
TABLE
Flammarion
Notes
40. Des estimations plus récentes ont ramené ce chiffre à 0,6-0,7. Quand les
données des années 1950 ont été réexaminées les décennies suivantes par
plusieurs psychologues, dont Leon Kamin, on trouva que les méthodes
utilisées étaient suspectes, ce qui remit en question les estimations initiales.
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41. Les variables particulières évaluées par Murray et Herrnstein méritent
un commentaire. Ils se sont demandés si les Afro-américains n'étaient pas
profondément méfiants au sujet des tests et des notes et les rendaient
réticents à faire des évaluations du QI. Pourtant, des expériences
ingénieuses pour mesurer et écarter un tel effet n'ont pu réduire l'écart de 15
points. Ils ont considérés que les tests pouvaient être culturellement biaisés.
Cependant, même en retirant toute référence culturelle ou propre à une
classe sociale, cet écart subsistait toujours relèvent Murray et Herrnstein.
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42. Eric Turkheimer, « Consensus and controversy about IQ »,
Contemporary Psychology 35, no 5, 1990, p. 428-30. Voir aussi Eric
Turkheimer et coll., « Socio economic status modifies heritability of IQ in
young children », Psychological Science 14, no 6, 2003, p. 623-28.
▲ Retour au texte
43. On peut difficilement imaginer un meilleur argument génétique en
faveur de l'égalité. Il est impossible d'établir un potentiel génétique humain
avant d'avoir égalisé le milieu.
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44. Stephen Jay Gould, « Curve ball », New Yorker, 28 novembre 1994,
p. 139-40.
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45. Orlando Patterson, « For Whom the Bell Curves », in The Bell Curve
Wars : Race, Intelligence, and the Future of America, Steven Fraser (dir.),
Basic Books, New York, 1995.
▲ Retour au texte
46. William Wright, Born That Way : Genes, Behavior, Personality,
Routledge, Londres, 2013, p. 195.
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47. Herrnstein et Murray, Bell Curve, p. 300-305.
▲ Retour au texte
48. Sandra Scarr et Richard A. Weinberg, « Intellectual similarities within
families of both adopted and biological children », Intelligence 1, no 2,
1977, p. 170-91.
▲ Retour au texte
49. Alison Gopnik, « To drug or not to drug », Slate, 22 février 2010,
www.slate.com/articles/arts/books/2010/02/to_drug_or_not_to_drug.2.html
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1. Paul Brodwin, « Genetics, identity, and the anthropology of
essentialism », Anthropological Quarterly 75, no 2, 2002, p. 323-30.
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2. « Bien qu'elles soient de sexe différent,/ Pourtant dans l'ensemble elles
sont comme nous,/ Car ceux qui ont le plus cherché parmi nous,/ Ont trouvé
que les femmes sont juste des hommes tournées en dedans » (N.D.T.).
▲ Retour au texte
3. Frederick Augustus Rhodes, The Next Generation, R._G. Badger,
Boston, 1915, p. 74.
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4. Editorials, Journal of the American Medical Association 41, 1903,
p. 1579.
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5. Nettie Maria Stevens, Studies in Spermatogenesis : A Comparative Study
of the Heterochromosomes in Certain Species of Coleoptera, Hemiptera
and Lepidoptera, with Especial Reference to Sex Determination, Carnegie
Institution of Washington, Baltimore, 1906.
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6. Avec autant de complications, c'est une pure merveille que le système
XY de détermination du sexe existe seulement. Pourquoi un mécanisme
avec autant de risques a-t-il évolué chez les mammifères ? Pourquoi, parmi
tous les endroits possibles, le gène de détermination du sexe se retrouve-t-il
porté par un chromosome unique, en lieu hostile, où il court le plus de
risques de subir des mutations ?
Pour répondre à cette question, il faut revenir à une question plus
fondamentale : pourquoi la reproduction sexuée a-t-elle été inventée ?
Pourquoi, comme Darwin se le demandait, de nouveaux êtres vivants
« sont-ils produits par l'union de deux éléments sexuels au lieu d'un
processus de parthénogenèse » ?
La plupart des biologistes de l'évolution pensent que la reproduction sexuée
a été créée pour permettre un réassortiment génétique rapide. Il n'y avait
peut-être pas de moyen plus rapide pour mélanger les gènes de deux
organismes qu'en utilisant un ovule et un spermatozoïde. Et même la genèse
de ces derniers entraîne une recombinaison des gènes. Ce puissant
réassortiment des gènes au cours de la reproduction sexuée augmente la
variation. Celle-ci, à son tour, augmente les chances d'adaptation et de
survie d'un organisme dans un environnement en constant changement.
L'expression reproduction sexuée est donc une parfaite erreur d'appellation.
Le but évolutif de la sexualité n'est pas la « reproduction ». Beaucoup
d'organismes peuvent faire des copies de très bonne qualité d'eux-mêmes,
des reproductions, en l'absence d'activité sexuelle. La sexualité a été
inventée pour la raison opposée, permettre la recombinaison.
Mais « reproduction sexuée » et « détermination du sexe » ne sont pas la
même chose. Même si nous reconnaissons les nombreux avantages de la
reproduction sexuée, nous pouvons nous demander pourquoi la plupart des
mammifères utilisent le système XY pour la détermination du sexe. Bref,
pourquoi le Y ? Nous ne savons pas. Le système XY a été inventé au fil de
l'évolution il y a des dizaines de millions d'années. Chez les oiseaux, les
reptiles et certains insectes, le système est inversé : les femelles portent
deux chromosomes différents alors que les mâles ont deux chromosomes
identiques. Et chez d'autres animaux, certains reptiles et poissons, le sexe
est déterminé par la température de l'œuf ou la taille de l'organisme par
rapport à ses concurrents. Ces systèmes seraient antérieurs au système XY
des mammifères. Mais pourquoi ce dernier s'est fixé chez les mammifères,
et pourquoi il sert encore, reste un mystère. Avoir deux sexes présente
quelques avantages évidents. Les mâles et les femelles peuvent effectuer
des tâches spécialisées et tenir des rôles différents dans l'élevage des petits.
Mais avoir deux sexes ne requiert pas pour autant un chromosome Y en tant
que tel. Peut-être que l'évolution est tombée sur le chromosome Y comme
une solution rapide et approximative pour la détermination du sexe.
Confiner la détermination génétique de la masculinité sur un chromosome
séparé et en confier le contrôle à un puissant gène maître paraît bien sûr
faisable. Pourtant, c'est une solution imparfaite à long terme car en
l'absence d'une copie de sauvegarde, les gènes de détermination du
caractère mâle sont très vulnérables. Avec l'évolution de notre espèce, on va
peut-être perdre complètement le Y et revenir à un système où les femelles
ont deux chromosomes X tandis que les mâles n'en auront qu'un, système
appelé XO. Le chromosome Y, dernier trait génétique identifiable de
masculinité, ne sera alors plus indispensable.
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7. Kathleen M. Weston, Blue Skies and Bench Space : Adventures in Cancer
Research, Cold Spring Harbor Laboratory Press, Cold Spring Harbor, NY,
2012, « Chapter 8 : Walk This Way ».
▲ Retour au texte
8. G. I. M. Swyer, « Male pseudohermaphroditism : A hitherto undescribed
form », British Medical Journal 2, no 494, 1955, p. 709.
▲ Retour au texte
9. Ansbert Schneider-Gädicke et coll., « ZFX has a gene structure similar to
ZFY, the putative human sex determinant, and escapes X inactivation »,
Cell 57, no 7, 1989, p. 1247-58.
▲ Retour au texte
10. Philippe Berta et coll., « Genetic evidence equating SRY and the testis-
determining factor », Nature 348, no 6300, 1990, p. 448-50.
▲ Retour au texte
11. Ibid., John Gubbay et coll., « A gene mapping to the sex-determining
region of the mouse Y chromosome is a member of a novel family of
embryonically expressed genes », Nature 346, 1990, p. 245-50 ; Ralf J.
Jäger et coll., « A human XY female with a frame shift mutation in the
candidate testis- determining gene SRY gene », Nature 348, 1990, p. 452-
54 ; Peter Koopman et coll., « Expression of a candidate sex-determining
gene during mouse testis differentiation », Nature 34, 1990, p. 450-52 ;
Peter Koopman et coll., « Male development of chromosomally female
mice transgenic for SRY gene », Nature 351, 1991, p. 117-21 ; Andrew H.
Sinclair et coll., « A gene from the human sex-determining region encodes a
protein with homology to a conserved DNA-binding motif », Nature 346,
1990, p. 240-44.
▲ Retour au texte
12. Pour plus de détails, voir K. Koopman et al., « Male development of
chromosomally female mice transgenic for SRY », Nature no 351, 1991,
p. 117-121 (N.D.T.).
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13. « IAmA young woman with Swyer syndrome (also called XY gonadal
dysgenesis) », Reddit, 2011,
www.reddit.com/r/IAmA/comments/e792p/iama_young_woman_with_swy
er_syndrome_also_called/
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14. Et que penser de « l'intersexualité », c'est-à-dire le fait que certaines
personnes naissent avec une anatomie ou une physiologie de la
reproduction qui ne correspond pas à la définition typique du corps d'un
homme ou d'une femme ? Est-ce que l'intersexualité contredit l'idée d'un
fort interrupteur génétique contrôlant l'anatomie et la physiologie sexuelle ?
Non. Le gène SRY se trouve au sommet de la cascade d'événements qui
produit des mâles, il active ou inactive des gènes qui, à leur tour, activent ou
inactivent d'autres réseaux de gènes pour produire divers aspects de
l'anatomie et de la physiologie liés au sexe et à la reproduction. Des
variations dans ces réseaux en aval, interagissant avec des variations
d'exposition à divers facteurs et des variations de l'environnement, peuvent
entraîner des variations dans l'anatomie de l'appareil reproducteur, même si
un fort interrupteur se trouve au sommet de la cascade. Nous reviendrons à
plusieurs reprises plus loin sur ce thème, celui des hiérarchies dans les
réseaux génétiques, avec de puissants facteurs déclenchants autonomes au
sommet et des intégrateurs et des effecteurs plus nuancés organisés en aval.
▲ Retour au texte
15. Les détails de l'histoire de David Reimer viennent du livre de John
Colapinto, As Nature Made Him : The Boy Who Was Raised as a Girl,
HarperCollins, New York, 2000.
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16. Personnage central du film musical My Fair Lady de George Cukor,
professeur qui se fixe pour objectif de transformer les manières d'une jeune
femme populaire en celles d'une aristocrate (N.D.T.).
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17. John Money, A First Person History of Pediatric Psychoendocrinology,
Springer Science & Business Media, Dordrecht, 2002, « Chapter 6 : David
and Goliath ».
▲ Retour au texte
18. Gerald N. Callahan, Between XX and XY, Chicago Review Press,
Chicago, 2009, p. 129.
▲ Retour au texte
19. J. Michael Bostwick et Kari A. Martin, « A man's brain in an ambiguous
body : A case of mistaken gender identity », American Journal of
Psychiatry 164, no 10, 2007, p. 1499-505.
▲ Retour au texte
20. Ibid.
▲ Retour au texte
21. Heino F. L. Meyer-Bahlburg, « Gender identity outcome in female-
raised 46, XY persons with penile agenesis, cloacal exstrophy of the
bladder, or penile ablation », Archives of Sexual Behavior 34, no 4, 2005,
p. 423-38.
▲ Retour au texte
22. Otto Weininger, Sex and Character : An Investigation of Fundamental
Principles, Indiana University Press, Bloomington, 2005, p. 2.
▲ Retour au texte
23. Carey Reed, « Brain “gender” more flexible than once believed, study
finds », PBS NewsHour, 5 avril 2015,
www.pbs.org/newshour/rundown/brain-gender-flexible-believed-study-
finds/. Voir aussi Bridget M. Nugent et coll., « Brain feminization requires
active repression of masculinization via DNA methylation », Nature
Neuroscience 18, 2015, p. 690-97.
▲ Retour au texte
1. Wright, Born That Way, p. 27.
▲ Retour au texte
2. Sándor Lorand et Michael Balint (dir.), Perversions : Psychodynamics
and Therapy, Random House, New York, 1956 ; repr. Ortolan Press,
Londres, 1965, p. 75.
▲ Retour au texte
3. Bernard J. Oliver Jr., Sexual Deviation in American Society, New College
and University Press, New Haven, CT, 1967, p. 146.
▲ Retour au texte
4. Irving Bieber, Homosexuality : A Psychoanalytic Study, Jason Aronson,
Lanham, MD, 1962, p. 52.
▲ Retour au texte
5. Jack Drescher, Ariel Shidlo et Michael Schroeder, Sexual Conversion
Therapy : Ethical, Clinical and Research Perspectives, CRC Press, Boca
Raton, FL, 2002, p. 33.
▲ Retour au texte
6. « The 1992 campaign : The vice president ; Quayle contends
homosexuality is a matter of choice, not biology », New York Times,
14 septembre 1992, www.nytimes.com/1992/09/14/us/1992-campaign-vice-
president-quayle-contends-homosexuality-matter-choice-not.html
▲ Retour au texte
7. David Miller, « Introducing the “gay gene” : Media and scientbic
representations », Public Understanding of Science 4, no 3, 1995, p. 26984,
www.academia.edu/3172354/Introducing_the_Gay_Gene_Media_and_Scie
ntific_Representations
▲ Retour au texte
8. C. Sarler, « Moral majority gets its genes all in a twist », People,
juillet 1993, p. 27.
▲ Retour au texte
9. La Filiation de l'homme, et la sélection liée au sexe (N.D.T.).
▲ Retour au texte
10. Richard C. Lewontin, Steven P. R. Rose et Leon J. Kamin, Not in Our
Genes : Biology, Ideology, and Human Nature, Pantheon Books, New York,
1984.
▲ Retour au texte
11. Ibid., p. 261.
▲ Retour au texte
12. J. Michael Bailey et Richard C. Pillard, « genetic study of male sexual
orientation », Archives of General Psychiatry 48, no 1, 1991, p. 1089-96.
▲ Retour au texte
13. Un environnement intra-utérin commun, ou des expositions communes
durant la gestation pourraient expliquer en partie cette concordance, mais le
fait que des faux jumeaux partagent ces environnements et présentent
pourtant une concordance plus faible plaide contre cette hypothèse.
L'argument génétique est aussi renforcé par le fait que les frères et sœurs
d'homosexuels non jumeaux ont aussi un taux de concordance plus élevé
que dans la population générale (bien que plus faible que celui des vrais
jumeaux). De futures études pourraient révéler une combinaison de facteurs
génétiques et environnementaux dans la détermination de la préférence
sexuelle, mais la génétique restera probablement un facteur important.
▲ Retour au texte
14. Frederick L. Whitam, Milton Diamond et James Martin, « Homosexual
orientation in twins : A report on 61 pairs and three triplet sets », Archives
of Sexual Behavior 22, no 3, 1993, p. 187-206.
▲ Retour au texte
15. Dean Hamer, Science of Desire : The Gay Gene and the Biology of
Behavior, Simon & Schuster, New York, 2011, p. 40.
▲ Retour au texte
16. « The “gay gene” debate », Frontline, PBS,
www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/assault/genetics/
▲ Retour au texte
17. Richard Horton, « Is homosexuality inherited ? », Frontline, PBS,
www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/assault/genetics/nyreview.html
▲ Retour au texte
18. Timothy F. Murphy, Gay Science : The Ethics of Sexual Orientation
Research, Columbia University Press, New York, 1997, p. 144.
▲ Retour au texte
19. M. Philip, « A review of Xq28 and the effect on homosexuality »,
Interdisciplinary Journal of Health Science 1, 2010, p. 44-48.
▲ Retour au texte
20. Dean H. Hamer et coll., « A linkage between DNA markers on the X
chromosome and male sexual orientation », Science 261, no 511, 1993,
p. 321-27.
▲ Retour au texte
21. Brian S. Mustanski et coll., « A genomewide scan of male sexual
orientation », Human Genetics 116, no 4, 2005, p. 272-78.
▲ Retour au texte
22. A. R. Sanders et coll., « Genome-wide scan demonstrates significant
linkage for male sexual orientation », Psychological Medicine 45, no 7,
2015, p. 1379-88.
▲ Retour au texte
23. Elizabeth M. Wilson, « Androgen receptor molecular biology and
potential targets in prostate cancer », Therapeutic Advances in Urology 2,
no 3, 2010, p. 105-17.
▲ Retour au texte
24. Macfarlane Burnet, Genes, Dreams and Realities, Springer Science &
Business Media, Dordrecht, 1971, p. 170.
▲ Retour au texte
25. La Génétique, rêves et réalité (1975) (N.D.T.).
▲ Retour au texte
26. Nancy L. Segal, Born Together – Reared Apart : The
LandmarMinnesota Twin Study, Harvard University Press, Cambridge,
2012, p. 4.
▲ Retour au texte
27. Wright, Born That Way, p. viii.
▲ Retour au texte
28. Ibid., p. vii.
▲ Retour au texte
29. Thomas J. Bouchard et coll., « Sources of human psychological
differences : The Minnesota study of twins reared apart », Science 250,
no 497, 1990, p. 223-28.
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30. Des versions antérieures étaient parues en 1984 et en 1987.
▲ Retour au texte
31. Richard P. Ebstein et coll., « Genetics of human social behaviour »,
Neuron 65, no 6, 2010, p. 831-44.
▲ Retour au texte
32. Wright, Born That Way, p. 52.
▲ Retour au texte
33. Ibid., p. 63-67
▲ Retour au texte
34. Ibid., p. 28.
▲ Retour au texte
35. Ibid., p. 74.
▲ Retour au texte
36. Ibid., p. 70.
▲ Retour au texte
37. Ibid., p. 65.
▲ Retour au texte
38. Ibid., p. 80.
▲ Retour au texte
39. Richard P. Ebstein et coll., « Dopamine D4 receptor (D4DR) exon III
polymorphism associated with the human personality trait of novelty
seeking », Nature Genetics 12, no 1, 1996, p. 78-80.
▲ Retour au texte
40. Luke J. Matthews et Paul M. Butler, « Novelty seeking DRD4
polymorphisms are associated with human migration distance out of Africa
after controlling for neutral population gene structure », American Journal
of Physical Anthropology 145, no 3, 2011, p. 382-89.
▲ Retour au texte
41. Lewis Carroll, Alice in Wonderland, W. W. Norton, New York, 2013.
▲ Retour au texte
42. « Three laws of behavior genetics and what they mean », Current
Directions in Psychological Science 9, no 5, 2000, p. 160-64 ; E.
Turkheimer et M. C. Waldron, « Nonshared environment : theoretical,
methodological, and quantitative review », Psychological Bulletin 12, 2000,
p. 78-108.
▲ Retour au texte
43. Robert Plomin et Denise Daniels, « Why are children in the same family
so different from one another ? », Behavioral and Brain Sciences 10, no 1,
1987, p. 1-16.
▲ Retour au texte
44. Peut-être que l'étude récente la plus troublante sur le hasard, l'identité et
la génétique vient du laboratoire de Alexander van Oudenaarden, un
biologiste du ver au MIT. Il a utilisé le ver comme modèle pour se poser
l'une des questions les plus difficiles sur le hasard et les gènes : pourquoi
deux animaux ayant le même génome et vivant au même endroit, des
jumeaux parfaits, ont-ils des sorts différents ? Il a examiné la mutation d'un
gène, skn-1, qui est « partiellement pénétrante », c'est-à-dire qu'un ver avec
la mutation présentera le phénotype mutant (des cellules se forment dans
l'intestin) alors que son jumeau qui a la même mutation ne l'aura pas (pas de
cellules formées). Qu'est-ce qui détermine cette différence entre les deux
vers ? Pas les gènes, ni l'environnement. Comment le même génotype peut-
il causer deux phénotypes différents ? Van Oudenaarden a trouvé que le
niveau d'expression d'un seul gène régulateur appelé end-1 était déterminant
pour cela. Le taux d'expression de end-1, c'est-à-dire le nombre de copies
d'ARN produites lors d'une phase particulière du développement du ver,
variait entre les individus par un effet aléatoire ou stochastique, c'est-à-dire
sous l'effet du hasard. Si l'expression du gène dépasse un certain niveau, le
ver présente le phénotype, autrement non. Le sort reflète ainsi les
fluctuations aléatoires d'une seule molécule dans le corps du ver. Pour plus
de détails, voir Arjun Raj et coll., « Variability in gene expression underlies
incomplete penetrance », Nature, 463, p. 913-18, 2010.
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45. William Shakespeare, La Tempête, acte 4, scène 1.
▲ Retour au texte
1. Nessa Carey, The Epigenetics Revolution : How Modern Biology Is
Rewriting Our Understanding of Genetics, Disease, and Inheritance,
Columbia University Press, New York, 2012, p. 5.
▲ Retour au texte
2. Evelyn Fox Keller, citée dans Margaret Lock et Vinh-Kim Nguyen, An
Anthropology of Biomedicine, John Wiley & Sons, Hoboken, NJ, 2010.
▲ Retour au texte
3. Erich D. Jarvis et coll., « For whom the bird sings : Context-dependent
gene expression », Neuron 21, no 4, 1998, p. 775-88.
▲ Retour au texte
4. Conrad Hal Waddington, The Strategy of the Genes : A Discussion of
Some Aspects of Theoretical Biology, Allen & Unwin, Londres, 1957, ix,
p. 262.
▲ Retour au texte
5. Max Hastings, Armageddon : The Battle for Germany 1944-1945, Alfred
A. Knopf, New York, 2004, p. 414.
▲ Retour au texte
6. Bastiaan T. Heijmans et coll., « Persistent epigenetic difference
associated with prenatal exposure to famine in humans », Proceedings of
the National Academy of Sciences 105, no 44, 2008, p. 17046-49.
▲ Retour au texte
7. Richard Dawkins, The Blind Watchmaker : Why the Evidence of
Evolution Reveals a Universe without Design, W. W. Norton, 1986.
▲ Retour au texte
8. John Gurdon, « Nuclear reprogramming in eggs », Nature Medicine 15,
no 10, 2009, p. 1141-44.
▲ Retour au texte
9. J. B. Gurdon et H. R. Woodland, « The cytoplasmic control of nuclear
activity in animal development », Biological Reviews 43, no 2, 1968,
p. 233-67.
▲ Retour au texte
10. « Sir John B. Gurdon – facts », nobelprize.org,
www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/2012/gurdon-
facts.html
▲ Retour au texte
11. John Maynard Smith, entretien sur le site Web of Stories,
www.webofstories.com/play/john.maynard.smith/78
▲ Retour au texte
12. La technique de Gurdon – vider l'ovule et y insérer un noyau déjà
fécondé – a déjà trouvé une nouvelle application clinique. Certaines
femmes portent des mutations dans les gènes mitochondriaux (les gènes
portés par l'ADN de la mitochondrie, cette centrale énergétique qui vit dans
les cellules). Tous les embryons humains héritent leurs mitochondries
uniquement de l'ovule, c'est-à-dire de la mère. Si la mère porte une mutation
dans ces gènes, alors tous ses enfants en seront affectés. Ces mutations
affectent souvent le métabolisme et causent une fonte musculaire, des
anomalies cardiaques et la mort. Dans une série d'expériences provocantes
en 2009, des généticiens et des embryologistes ont proposé une nouvelle
méthode osée pour traiter ces mutations mitochondriales chez la mère.
Après la fécondation de l'ovule par le spermatozoïde, le noyau résultant a
été transféré dans un ovule aux mitochondries « normales » d'une donneuse.
Comme les mitochondries sont apportées par la donneuse, leurs gènes sont
intacts et les enfants nés ainsi ne porteront plus de mutations maternelles.
Les êtres humains nés de la sorte ont alors trois parents. Le noyau fécondé,
formé de l'union du « père » et de la « mère » apporte tout le matériel
chromosomique. Le troisième parent, c'est-à-dire la femme qui a donné son
ovule, ne contribue que par ses mitochondries et les gènes mitochondriaux.
En 2015, à la suite d'un débat national prolongé, le Royaume-Uni a légalisé
la procédure et une première cohorte de ces enfants « à trois parents » est
née. Ils représentent une frontière inexplorée de la génétique humaine (et du
futur). Aucun animal comparable n'existe à l'évidence dans la nature.
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13. Le scientifique japonais Susumu Ohno avait avancé la possibilité d'une
inactivation du chromosome X avant que ce phénomène ne soit découvert.
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14. L'idée que les histones puissent réguler l'expression des gènes a été
initialement proposée par Vincent Allfrey, un biochimiste de l'université
Rockefeller dans les années 1960. Trente ans plus tard, et comme si la
boucle se refermait dans la même institution, les expériences d'Allis allaient
confirmer « l'hypothèse des histones » d'Allfrey.
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15. K. Raghunathan et coll., « Epigenetic inheritance uncoupled from
sequence-specific recruitment », Science 348, 3 avril 2015, p. 6230.
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16. Des études plus récentes, et des méthodes plus puissantes d'analyse des
méthylations ont toutefois montré des différences entre vrais jumeaux âgés
plus petites qu'attendu. Le domaine reste sujet à controverses et évolue
rapidement.
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17. Jorge Luis Borges, Labyrinths, (trad. James E. Irby), New Directions,
New York, 1962, p. 59-66.
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18. K. Takahashi et S. Yamanaka, « Induction of pluripotent stem cells from
mouse embryonic and adult fibroblast cultures by defined factors », Cell
126, no 4, 2006, p. 663-76. Voir aussi M. Nakagawa et coll., « Generation of
induced pluripotent stem cells without Myc from mouse and human
fibroblasts », Nature Biotechnology 26, no 1, 2008, p. 101-6.
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19. Des expériences effectuées chez le ver et la souris ont aussi démontré
les effets trans-générationnels de la famine, bien qu'il ne soit pas clair si ces
effets persistent ou sont atténués au fil des générations. Certaines de ces
études ont montré l'implication de petits ARN dans la transmission de
l'information d'une génération à l'autre.
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20. James Gleick, The Information : A History, a Theory, a Flood, Pantheon
Books, New York, 2011. Traduction française : L'information. Une histoire,
une théorie, un déluge, Cassini, 2015.
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21. Itay Budin et Jack W. Szostak, « Expanding roles for diverse physical
phenomena during the origin of life », Annual Review of Biophysics 39,
2010, p. 245-63 ; Alonso Ricardo et Jack W. Szostak, « Origin of life on
Earth », Scientific American 301, no 3, 2009, p. 54-61.
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22. Les premières expériences ont été réalisées par Miller avec la
collaboration de Harold Urey de l'université de Chicago ; John Sutherland,
à Manchester, a aussi effectué des expériences clés.
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23. Ricardo et Szostak, « Origin of life on Earth », p. 54-61.
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24. Jack W. Szostak, David P. Bartel et P. Luigi Luisi, « Synthesizing life »,
Nature 409, no 6818, 2001, p. 387-90. Voir aussi Martin M. Hanczyc,
Shelly M. Fujikawa et Jack W. Szostak, « Experimental models of primitive
cellular compartments : Encapsulation, growth, and division », Science 302,
no 5645, 2003, p. 618-22.
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25. Ricardo et Szostak, « Origin of life on Earth », p. 54-61.
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26. Quelques virus ont encore leurs gènes sous forme d'ARN.
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12. Elias G. Carayannis et Ali Pirzadeh, The Knowledge of Culture and the
Culture of Knowledge : Implications for Theory, Policy and Practice,
Palgrave Macmillan, Londres, 2013, p. 90.
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13. Tom Stoppard, The Coast of Utopia, Grove Press, New York, 2007,
« Act Two, August 1852 ».
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1. Gina Smith, The Genomics Age : How DNA Technology Is Transforming
the Way We Live and Who We Are, AMACOM, New York, 2004.
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2. Thomas Stearns Eliot, Murder in the Cathedral, Houghton Mifflin
Harcourt, Boston, 2014. Meurtre dans la cathédrale.
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3. Rudolf Jaenisch et Beatrice Mintz, « Simian virus 40 DNA sequences in
DNA of healthy adult mice derived from preimplantation blastocysts
injected with viral DNA », Proceedings of the National Academy of
Sciences 71, no 4, 1974, p. 1250-54.
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4. M. Capecchi, « The first transgenic mice, An interview with Mario
Capecchi. Interview by Kristin Kain », Disease Models Mechanisms 1,
no 4-5, 2008, p. 197.
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5. Voir par exemple M. R. Capecchi, « High efficiency transformation by
direct microinjection of DNA into cultured mammalian cells », Cell 22,
1980, p. 479-88 ; K. R. Thomas et M. R. Capecchi, « Site-directed
mutagenesis by gene targeting in mouse embryo-derived stem cells », Cell
51, 1987, p. 503-12.
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6. O. Smithies et coll., « Insertion of DNA sequence into the human
chromosomal-globin locus by homologous re- combination », Nature 317,
1985, p. 230-34.
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7. Kiyohito Murai et coll., « Nuclear receptor TLX stimulates hippocampal
neurogenesis and enhances learning and memory in a transgenic mouse
model », Proceedings of the National Academy of Sciences 111, no 25,
2014, p. 9115-20.
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8. Karen Hopkin, « Ready, reset, go », The Scientist, 11 mars 2011,
www.the-scientist.com/ ?articles.view/articleno/29550/title/ready—reset—
go/
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9. Les détails de l'histoire de Ashanti DeSilva proviennent du livre de W.
French Anderson, « The best of times, the worst of times », Science 288,
no 5466, 2000, p. 627 ; Lyon and Gorner, Altered Fates ; Nelson A. Wivel et
W. French Anderson « 24 : Human gene therapy : Public policy and
regulatory issues », Cold Spring Harbor Monograph Archive 36, 1999,
p. 671-89.
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10. Lyon and Gorner, Altered Fates, p. 107.
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11. L'Enfant Bulle (N.D.T.).
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12. « David Phillip Vetter (1971-1984) », American Experience, PBS,
www.pbs.org/wgbh/amex/bubble/peopleevents/p_vetter.html
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13. Luigi Naldini et coll., « In vivo gene delivery and stable transduction of
nondividing cells by a lentiviral vector », Science 272 no 5259, 1996,
p. 263-67.
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14. Kenneth Culver fut aussi un membre crucial de l'équipe.
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15. « Hope for gene therapy », Scientific American Frontiers, PBS.
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16. W. French Anderson et coll., « Gene transfer and expression in
nonhuman primates using retroviral vectors », Cold Spring Harbor
Symposia on Quantitative Biology 51, 1986, p. 1073-81.
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17. Lyon et Gorner, Altered Fates, p. 124.
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18. Lisa Yount, Modern Genetics Engineering Life, Infobase Publishing,
New York, 2006, p. 70.
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19. Lyon et Gorner, Altered Fates, p. 239.
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20. Ibid., p. 240.
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21. Ibid., p. 268.
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22. Barbara Sibbald, « Death but one unintended consequence of gene-
therapy trial », Canadian Medical Association Journal 164, no 1, 2001,
p. 1612.
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23. Pour des détails sur l'histoire de Jesse Gelsinger voir Evelyn B. Kelly,
Gene Therapy, Greenwood Press, Westport, CT, 2007 ; Lyon et Gorner,
Altered Fates ; et Sally Lehrman, « Virus treatment questioned after gene
therapy death », Nature 401, no 6753, 1999, p. 517-18.
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24. James M. Wilson, « Lessons learned from the gene therapy trial for
ornithine transcarbamylase deficiency », Molecular Genetics and
Metabolism 96, no 4, 2009, p. 151-57.
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25. Paul Gelsinger, entretien avec l'auteur, novembre 2014 et avril 2015.
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26. Robin Fretwell Wilson, « Death of Jesse Gelsinger : New evidence of
the influence of money and prestige in human research », American Journal
of Law and Medicine 36, 2010, p. 295.
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27. Sibbald, « Death but one unintended consequence », p. 1612
▲ Retour au texte
28. Carl Zimmer, « Gene therapy emerges from disgrace to be the next big
thing, again », Wired, 13 août 2013.
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29. Sheryl Gay Stolberg, « The biotech death of Jesse Gelsinger », New
York Times, 27 novembre 1999,
www.nytimes.com/1999/11/28/magazine/the-biotech-death-of-jesse-
gelsinger.html
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30. Carl Zimmer, « Gene therapy emerges from disgrace to be the next big
thing, again », Wired, 13 août 2013, www.wired.com/2013/08/the-fall-and-
rise-of-gene-therapy-2/
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1. W. B. Yeats, The Collected Poems of W. B. Yeats, Richard Finneran (dir.),
Simon & Schuster, New York, 1996, « Byzantium », p. 248.
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2. Jim Kozubek, « The birth of “transhumans” », Providence (RI) Journal,
29 septembre 2013.
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3. Eric Topol, entretien avec l'auteur, 2013.
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4. Mary-Claire King, « Using pedigrees in the hunt for BRCA1 », DNA
Learning Center, www.dnalc.org/view/15126-Using-pedigrees-in-the-hunt-
for-BRCA1-Mary-Claire-King.html
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5. Jeff M. Hall et coll., « Linkage of early-onset familial breast cancer to
chromosome 17q21 », Science 250, no 4988, 1990, p. 1684-89.
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6. Jane Gitschier, « Evidence is evidence : An interview with Mary-Claire
King », PLOS, 26 septembre 2013,
http://journals.plos.org/plosgenetics/article ?
id=10.1371/journal.pgen.1003828
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7. Pour BReast CAncer, cancer du sein en anglais (N.D.T.).
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8. : E. Richard Gold et Julia Carbone, « Myriad Genetics : In the eye of the
policy storm », Genetics in Medicine 12, 2010, S39–S70.
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9. Une étude plus récente montre que ce risque cumulé de déclarer un
cancer avec BRCA1 muté est de 44 % et non de 70-80 %. Voir
Kuchenbaecker et al., « Risks of Breast, Ovarian, and Contralateral Breast
Cancer for BRCA1 and BRCA2 Mutation Carriers », JAMA no 317,
p. 2402-16, 2017.
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10. Masha Gessen, Blood Matters : From BRCA1 to Designer Babies, How
the World and I Found Ourselves in the Future of the Gene, Houghton
Mifflin Harcourt, Boston, 2009, p. 8.
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11. Eugen Bleuler et Carl Gustav Jung, « Komplexe und
Krankheitsursachen bei Dementia praecox », Zentralblatt für
Nervenheilkundunde Psychiatrie 31, 1908, p. 220-27.
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12. Susan Folstein et Michael Rutte, « Infantile autism : A genetic study of
21 twin pairs », Journal of Child Psychology and Psychiatry 18, no 4, 1977,
p. 297-321.
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13. Silvano Arieti et Eugene B. Brody, Adult Clinical Psychiatry, Basic
Books, New York, 1974, p. 553.
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14. « 1975 : Interpretation of Schizophrenia by Silvano Arieti », National
Book Award Winners : 1950–2014, National Book Foundation,
www.nationalbook.org/nbawinners_category.html#.vcnit7fxhom
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15. Menachem Fromer et coll., « De novo mutations in schizophrenia
implicate synaptic networks », Nature 506, no 7487, 2014, p. 179-84.
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16. Une classe importante de mutations liée à la schizophrénie s'appelle la
variation du nombre de copies ou VNC, c'est-à-dire des éliminations de
gène ou des duplications voire triplications du même gène. Les VNC ont
aussi été retrouvées dans des cas sporadiques d'autisme et d'autres formes
de maladie mentale.
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17. « Schizophrenia Working Group of the Psychiatric Genomics », Nature
511, 2014, p. 421-27.
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18. Le gène le plus fortement lié à la schizophrénie, et le plus intriguant
aussi, est associé au système immunitaire. Appelé C4, il se présente sous
deux formes proches appelées C4A et C4B, qui sont côte à côte dans le
génome. Les deux formes codent des protéines qui pourraient servir à
reconnaître, éliminer et à détruire des virus, des bactéries, des débris
cellulaires ou des cellules mortes, mais le lien entre ces gènes et la maladie
reste un mystère captivant (« Schizophrenia risk from complex variation of
complement component 4 », Sekar et coll., Nature 530, p. 177-183).
En janvier 2016, une étude phare a partiellement résolu l'énigme. Dans le
cerveau, les cellules nerveuses communiquent entre elles en utilisant des
jonctions spécialisées appelées synapses. Elles se forment au cours du
développement du cerveau et leur ensemble est crucial pour une bonne
cognition, tout comme celui des connexions d'un circuit imprimé est crucial
pour le fonctionnement d'un ordinateur.
Au cours du développement du cerveau, ces synapses doivent être élaguées
et reconfigurées. La protéine C4, molécule connue pour reconnaître et
éliminer les cellules mortes, les débris et les pathogènes, est « réorientée »
et recrutée pour éliminer les synapses. Chez l'homme, cet élagage continue
durant l'enfance et jusqu'à la trentaine, précisément sur la période où
beaucoup de symptômes de la schizophrénie se manifestent.
Chez les patients atteints de schizophrénie, des variations dans les gènes C4
augmentent la quantité et l'activité des protéines qu'ils codent, ce qui
entraîne un « sur-élagage » au cours du développement. Des inhibiteurs de
ces molécules peuvent restaurer le nombre normal de synapses chez un
enfant ou un adolescent à risque.
Quarante ans de recherches – les études de jumeaux des années 1970, les
études de liaison dans les années 1980, de neurologie et de biologie
cellulaire dans les années 1990 et 2000 – convergent vers cette découverte.
Pour des familles telles que la mienne, la découverte du lien de C4 avec la
schizophrénie ouvre de remarquables perspectives de diagnostic et de
traitement de la maladie, mais soulève aussi des questions troublantes :
comment et quand de tels tests de diagnostic ou de telles thérapies doivent-
ils être mis en œuvre ?
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19. Benjamin Neale, cité dans l'article de Simon Makin, « Massive study
reveals schizophrenia's genetic roots : The largest-ever genetic study of
mental illness reveals a complex set of factors », Scientific American,
1er novembre 2014.
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20. La distinction entre « familial » et « sporadique » commence à
s'estomper au niveau génétique. Certains gènes mutés dans les formes
familiales s'avèrent être aussi mutés dans les formes sporadiques. Ces gènes
sont très probablement de puissants facteurs de la maladie.
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21. Carey's Library of Choice Literature, vol. 2, E. L. Carey & A. Hart,
Philadelphia, 1836, p. 458.
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22. Kay Redfield Jamison, Touched with Fire, Simon & Schuster, New
York, 1996.
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23. Tony Attwood, The Complete Guide to Asperger's Syndrome, Jessica
Kingsley, Londres, 2006.
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24. Adrienne Sussman, « Mental illness and creativity : A neurological
view of the “tortured artist” », Stanford Journal of Neuroscience 1, no 1,
2007, p. 21-24.
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25. Susan Sontag, Illness as Metaphor and AIDS and Its Metaphors,
Macmillan, New York, 2001.
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26. Les détails de cette conférence se trouvent dans « The future of genomic
medicine VI », Scripps Translational Science Institute,
www.slideshare.net/mdconferencefinder/the-future-of-genomic-medicine-
vi-23895019 ; Eryne Brown, « Gene mutation didn't slow down high school
senior », Los Angeles Times, 5 juillet 2015,
www.latimes.com/local/california/la-me-lilly-grossman-update-20150702-
story.html ; et Konrad J. Karczewski, « The future of genomic medicine is
here », Genome Biology 14, no 3, 2013, p. 304.
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27. « Genome maps solve medical mystery for California twins », National
Public Radio broadcast, 16 juin 2011.
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28. Matthew N. Bainbridge et coll., « Whole-genome sequencing for
optimized patient management », Science Translational Medicine 3, no 87,
2011, 87re3.
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29. Antonio M. Persico et Valerio Napolioni, « Autism genetics »,
Behavioural Brain Research 251, 2013, p. 95-112 ; Guillaume Huguet,
Elodie Ey, et Thomas Bourgeron, « The genetic landscapes of autism
spectrum disorders », Annual Review of Genomics and Human Genetics 14,
2013, p. 191-213.
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30. Albert H. C. Wong, Irving I. Gottesmanand Arturas Petronis,
« Phenotypic differences in genetically identical organism : The epigenetic
perspective », Human Molecular Genetics 14, suppl. 1, 2005, R11–R18.
Voir aussi Nicholas J. Roberts et coll., « The predictive capacity of personal
genome sequencing », Science Translational Medicine 4, no 133, 2012,
133ra58.
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31. La mutation ou la variation liée au risque d'une maladie peut ne pas se
trouver dans la région du gène codant pour la protéine. Elle peut se trouver
dans un site de régulation du gène ou dans un gène ne codant pas une
protéine. En fait, de nombreuses variations génétiques actuellement
connues pour affecter le risque d'avoir une maladie ou un phénotype
particulier se trouvent dans de telles régions.
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32. lan H. Handyside et coll., « Pregnancies from biopsied human
preimplantation embryos sexed by Y-specific DNA amplification », Nature
344, no 6268, 1990, p. 768-70.
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33. D. King, « The state of eugenics », New Statesman & Society 25, 1995,
p. 25-26.
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34. K. P. Lesch et coll., « Association of anxiety-related traits with a
polymorphism in the serotonergic transporter gene regulatory region »,
Science 274, 1996, p. 1527-31.
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35. Douglas F. Levinson, « The genetics of depression : A review »,
Biological Psychiatry 60, no 2, 2006, p. 84-92.
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36. Projet des familles afro-américaines fortes (N.D.T.).
▲ Retour au texte
37. « Strong African American Families Program, Blueprints for Healthy
Youth Development », www.blueprintsprograms.com/factsheet/strong-
african-american-families-teen
▲ Retour au texte
38. Gene H. Brody et coll., « Prevention effects moderate the association of
5-HTTLPR and youth risk behavior initiation : Gene × environment
hypotheses tested via a randomized prevention design », Child
Development 80, no 3, 2009, p. 645-61 ; Gene H. Brody, Yi-fu Chenand
Steven R. H. Beach, « Differential susceptibility to prevention :
GABAergic, dopaminergic and multilocus effects », Journal of Child
Psychology and Psychiatry 54, no 8, 2013, p. 863-71.
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39. Jay Belsky, « The downside of resilience », New York Times,
28 novembre 2014.
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40. Michel Foucault, Abnormal : Lectures at the Collège de France, 1974–
1975, vol. 2, Macmillan, New York, 2007.
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1. « Biology's Big Bang », Economist, 14 juin 2007.
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2. Lyon et Gorner, Altered Fates, p. 537.
▲ Retour au texte
3. Stolberg, « Biotech death of Jesse Gelsinger », p. 136-40.
▲ Retour au texte
4. Amit C. Nathwani et coll., « Long-term safety and efficacy of factor IX
gene therapy in hemophilia B », New England Journal of Medicine 371,
no 21, 2014, p. 1994-2004.
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5. James A. Thomson et coll., « Embryonic stem cell lines derived from
human blastocysts », Science 282, no 5391, 1998, p. 1145-47.
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6. Dorothy C. Wertz, « Embryo and stem cell research in the United States :
History and politics », Gene Therapy 9, no 1, 2002, p. 674-78.
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7. Un autre système « programmable » pour effectuer des coupures dans des
gènes spécifiques utilisant une enzyme coupant l'ADN a aussi été mis au
point. Appelée « TALEN », cette enzyme peut aussi servir à éditer le
génome.
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8. Martin Jinek et coll., « A programmable dual-RNA-guided DNA
endonuclease in adaptive bacterial immunity », Science 337, no 6096, 2012,
p. 816-21.
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9. Des contributeurs clés pour l'utilisation de CRISPR/Cas9 dans les
cellules humaines incluent Feng Zhang (MIT) et George Church (Harvard).
Voir par exemple L. Cong et coll., « Multiplex genome engineering using
CRISPR/Cas systems », Science 339, no 6121, 2013, p. 819-23 ; F. A. Ran,
« Genome engineering using the CRISPR-Cas9 system », Nature Protocols
11, 2013, p. 2281-308. Voir aussi P. Mali et coll., « RNA-Guided Human
Genome Engineering via Cas9 », Science 339, no 6121, 2013, p. 823-26.
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10. Un détail technique important : comme des cellules SE individuelles
peuvent être clonées et cultivées in vitro, celles avec des mutations
indésirables sont suceptibles d'être identifiées et écartées. Uniquement les
cellules SE présélectionnées portant la mutation voulue seront utilisées pour
générer des spermatozoïdes ou des ovules.
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11. Walfred W. C. Tang et coll., « A unique gene regulatory network resets
the human germline epigenome for development », Cell 161, no 6, 2015,
p. 1453–67 ; « In a first, Weizmann Institute and Cambridge University
scientists create human primordial germ cell », Weizmann Institute of
Science, 24 décembre 2014, www.newswise.com/articles/in-a-first-
weizmann-institute-and-cambridge-university-scientists-create-human-
primordial-germ-cells
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12. B. D. Baltimore et coll., « A prudent path forward for genomic
engineering and germline gene modification », Science 348, no 6230, 2015,
p. 36-38 ; Cormac Sheridan, « CRISPR germline editing reverberates
through biotech industry », Nature Biotechnology 33, no 5, 2015, p. 431-32.
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13. Nicholas Wade, « Scientists seek ban on method of editing the human
genome », New York Times, 19 mars 2015.
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14. Francis Collins, lettre à l'auteur, octobre 2015.
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15. David Cyranoski et Sara Reardon, « Chinese scientists genetically
modify human embryos », Nature, 22 avril 2015.
▲ Retour au texte
16. Chris Gyngell et Julian Savulescu, « The moral imperative to research
editing embryos : The need to modify nature and science », Oxford
University, 23 avril 2015,
http://Blog.Practicalethics.Ox.Ac.Uk/2015/04/the-Moral-Imperative-to-
Research-Editing-Embryos-the-Need-to-Modify-Nature-and-Science/
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17. Puping Liang et coll., « CRISPR/Cas9-mediates gene editing in human
tripronuclear zygotes », Protein & Cell 6, no 5, 2015, p. 1-10.
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18. Cyranoski et Reardon, « Chinese scientists genetically modify human
embryos ».
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19. Didi Kristen Tatlow, « A scientbic ethical divide between China and
West », New York Times, 29 juin 2015.
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1. Paul Berg, entretien avec l'auteur, 1993.
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2. Pour comprendre comme les gènes interviennent dans les organismes, il
faut aussi discerner le rôle des ARN, protéines et marques épigénétiques. Il
sera nécessaire de révéler comment le génome, toutes les protéines (le
protéome) et toutes les marques épigénétiques (l'épigénome) sont
coordonnées pour construire et conserver l'organisme.
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3. David Botstein, lettre à l'auteur, octobre 2015.
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4. Eric Turkheimer, « Still missing », Research in Human Development 8,
no 3-4, 2011, p. 227-41.
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5. Peter Conrad, « A mirage of genes », Sociology of Health & Illness 21,
no 2, 1999, p. 228-41.
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6. Ce type de diagnostic est déjà effectué en clinique sous le nom de NIPT
(pour Non-Invasive Prenatal Testing). En 2014, une société chinoise a
annoncé qu'elle avait testé 15 000 fœtus pour des anomalies
chromosomiques et qu'elle étendait ce test aux mutations sur des gènes
uniques. Bien que ces tests semblent déceler des anomalies
chromosomiques comme la trisomie 21 d'une manière aussi fiable que
l'amniocentèse, une question majeure à leur propos est celle des « faux
positifs », c'est-à-dire quand on croit que l'ADN fœtal porte une anomalie
chromosomique alors qu'il est normal. Le taux de ces faux positifs va chuter
avec l'avancée des techniques.
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7. Richard A. Friedman, « The feel-good gene », New York Times, 6 mars
2015, www.nytimes.com/2015/03/08/opinion/sunday/the-feel-good-
gene.html ?_r=0
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8. Même des scénarios apparemment simples de dépistage génétique nous
forcent à entrer dans l'arène du troublant danger moral. Prenons l'exemple
de Friedman : utiliser un test sanguin pour dépister les soldats
génétiquement prédisposés au syndrome du stress post-traumatique. À
première vue, une telle approche semble atténuer le traumatisme de guerre.
Des soldats incapables « d'éteindre leur peur » pourraient être dépistés et
traités par des thérapies psychiatriques intensives ou médicales pour leur
faire retrouver une vie normale. Mais que se passe-t-il si, en étendant cette
logique, on dépiste les soldats pour le risque de ce syndrome avant leur
déploiement sur le terrain ? Serait-ce vraiment désirable ? Veut-on vraiment
sélectionner des soldats incapables d'enregistrer les traumatismes ou
génétiquement « augmentés » avec une capacité à éteindre toute angoisse
psychique liée à la violence ? Une telle forme de dépistage me paraîtrait
vraiment indésirable, car une personne capable « d'éteindre la peur » a
exactement le genre d'esprit qu'il faut éviter dans une guerre.
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9. Morgan, Physical Basis of Heredity, p. 15.
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1. Prix du premier livre (N.D.T.).
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2. H.Varmus, discours du prix Nobel, 1989.
www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/1989/varmus-
lecture.html. L'article décrivant l'existence de proto-oncogènes endogènes
dans les cellules est celui de D. Stehelin et coll., « DNA related to the
transforming genes of avian sarcoma viruses is present in normal DNA »,
Nature 260, no 5547, 1976, p. 170-73. Voir aussi Harold Varmus to
Dominique Stehelin, 3 février 1976, Harold Varmus Papers, National
Library.
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Notes
*. Une version pratiquement complète du génome humain a été publiée en
2003 (N.D.T.).
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*. Darwin n'était pas sûr de la manière dont ces variants étaient produits, un
autre fait sur lequel nous allons revenir par la suite.
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*. Les « mutants » de de Vries résultaient peut-être de rétrocroisements avec
les plantes parentes plutôt que des formes variantes spontanées.
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*. La véracité de l'histoire de la « conversion » de Bateson à la théorie de
Mendel au cours de ce trajet en train a été mise en doute par certains
historiens. Elle apparaît souvent dans ses biographies, mais elle a pu être
embellie par certains étudiants de Bateson pour rehausser le récit.
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*. En fait, la hauteur moyenne des fils de pères exceptionnellement grands
tendait à être plus faible que celle des pères, et à se rapprocher de la
moyenne générale, comme si une force invisible tirait toujours les extrêmes
vers le centre. Cette découverte, appelée la régression vers la moyenne, allait
avoir une forte influence sur la science des mesures et le concept de
variance. Elle allait être la contribution la plus importante de Galton aux
statistiques.
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*. Tarzan of the Apes en anglais (N.D.T.).
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*. La cigogne noire (N.D.T.).
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*. Curtis Merriman, un psychologue américain, et Walter Jablonski, un
ophtalmologue allemand, ont aussi effectué des études similaires sur des
jumeaux dans les années 1920.
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*. Écrivain de science-fiction américain (1907-1988) (N.D.T).
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*. L'axe de l'ADN ou de l'ARN est fait d'une suite de sucres et de phophates
enchaînés. Dans l'ARN, le sucre est le ribose, d'où le nom d'acide
ribonucléique (ARN). Dans l'ADN, le sucre est légèrement différent, c'est le
désoxyribose, d'où le nom d'acide désoxyribonucléique (ADN).
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*. Mais était-ce une de ses photos ? Wilkins maintiendra plus tard qu'elle lui
avait été donnée par Gosling, l'étudiant de Franklin, et qu'il lui appartenait
donc d'en faire ce qu'il voulait. Franklin quittait le King's College pour un
nouveau travail au Birbeck College et Wilkins pensait qu'elle abandonnait le
projet ADN.
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*. « Fais ou meurs, ou n'essaye pas », devise du biologiste Max Delbrück en
fait (N.D.T.).
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*. « hellébore vert » est choisi ici uniquement pour la rime en français ; en
anglais, Pimpernel (« mouron ») rime avec hell (N.D.T.).
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*. Dans le cas de l'opéron lactose, la protéine régulatrice, en l'absence de
lactose, se fixe sur le site régulateur pour réprimer l'opéron, mais ne s'y fixe
plus lorsqu'elle se lie à une molécule issue du lactose : l'opéron est alors
déverouillé (à condition qu'il n'y ait pas de glucose, lequel agit par un autre
mécanisme pour garder l'opéron éteint) (N.D.T.).
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*. En 1958, Matthew Meselson et Franklin Stahl prouvèrent ce mécanisme.
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*. La fonction protectrice de BCL2 contre la mort a aussi été découverte par
David Vaux et Suzanne Cory en Australie.
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*. Massachusetts Institute of Technology (N.D.T.).
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*. Watson a emprunté cette expression mémorable à Ernest Rutherford qui,
dans une brusque déclaration typique de son caractère, avait dit : « Toute la
science est soit de la physique, soit de la collection de timbres. »
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*. Minkowski ne s'en rappelait pas, mais d'autres personnes du laboratoire
ont rapporté cette expérience de l'urine devenue mélasse.
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*. Jeu de mot avec le titre du roman d'Ernest Hemingway Pour qui sonne le
glas, en anglais For Whom the Bell Tolls (N.D.T.).
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*. Nous ne sommes pas programmés, éd. La Découverte, 1985 (N.D.T.).
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*. La permanence des marques épigénétiques et la nature de la mémoire
qu'elles apporteraient ont été remises en question par le généticien Mark
Ptashne. Selon lui, ainsi que pour d'autres généticiens, les protéines
régulatrices maîtresses décrites précédemment comme des interrupteurs
ouverts ou fermés – des facteurs de transcription – orchestrent l'activation et
la répression des gènes. Les marques épigénétiques sont déposées en
conséquence de l'activation ou de la répression des gènes et pourraient jouer
un rôle accompagnateur dans cette régulation mais la principale
orchestration serait due à celle des protéines régulatrices maîtresses.
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*. En 1980, un scientifique de l'UCLA nommé Martin Cline avait tenté la
première thérapie génique chez l'homme. Immunologiste de formation,
Cline avait choisi d'étudier la thalassémie bêta, maladie génétique due à la
mutation d'un seul gène codant une sous-unité de l'hémoglobine et causant
une anémie sévère. Pensant qu'il pourrait faire son essai à l'étranger où
l'utilisation d'ADN recombinant chez l'homme était moins réglementée,
Cline ne mit pas au courant le conseil scientifique de son hôpital et fit son
essai sur deux patients thalassémiques en Israël et en Italie. La tentative de
Cline fut découverte par le NIH et l'UCLA. Il fut sanctionné par l'UCLA
pour avoir enfreint le règlement fédéral et dut finalement abandonner la
direction de son service. Les données complètes de son expérience ne furent
jamais officiellement publiées.
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*. Cette méthode – la comparaison du génome de l'enfant atteint avec celui
de ses parents – a été développée en premier par les chercheurs qui
travaillaient sur l'autisme dans les années 2000 et a constitué un progrès
radical en génétique psychiatrique. La Simons Simplex Collection a identifié
2 800 familles où les parents n'étaient pas autistes et où un seul enfant était
atteint d'un trouble du spectre autistique. La comparaison des génomes a
révélé plusieurs mutations apparues de novo. Point remarquable, plusieurs
des gènes mutés dans l'autisme le sont aussi dans la schizophrénie, ce qui
suggère des liens génétiques plus profonds entre les deux maladies.
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*. Prix du livre unique (N.D.T.).
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Notes
†. D'autres sujets encore auraient pu être cités, comme les organismes génétiquement modifiés
(OGM), l'avenir des brevets sur les gènes, l'utilisation de gènes pour découvrir des médicaments ou
les fabriquer, et les études d'isolement génétique qui délimite les espèces. Tous ces sujets méritent un
livre à eux seuls et se trouvent en dehors du champ de cet ouvrage.
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