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Bible et science : un même combat


Par Jacques Chatué
Université de Dschang
jacqueschatue@yahoo.com

Résumé :
À force de poser la problématique des rapports entre Bible et science en termes de conflit ou
de démarcation absolue, l’on en vient à négliger le fait que les deux sont attaquées dans leur
commune prétention à la vérité. La Bible ne serait qu’un texte écrit de mains d’hommes
purement hommes, et la science, un simple vivier de recettes pour la satisfaction de nos
besoins pratiques. Les lignes qui vont suivre voudraient contribuer à attirer l’attention des
chrétiens sur les enjeux attachés à cette question. Pour ce faire, nous sollicitons l’aide de deux
disciplines auxquelles nombre de chrétiens africains restent encore trop étrangers :
l’apologétique, qui permet la défense, notamment sur le front intellectuel, de l’espérance qui
est en nous, et l’épistémologie, qui permet de réfléchir sur les sciences d’un point de vue qui
soit à même de les aider à poursuivre leur propre objectif de vérité, en tant qu’elle ne saurait
se réduire à un objectif d’utilité. Spirituelle ou objective, la vérité est de Dieu, et le diable, qui
est le père du mensonge, ne peut qu’en affaiblir la nécessité et le sens. Nous nous efforçons
donc de montrer en quel sens et avec quel bonheur les combats respectifs de l’apologétique et
de l’épistémologie se soutiennent et se sous-tendent, et d’articuler les raisons pour lesquelles
l’église d’Afrique devrait y porter une bien meilleure attention.

Mots-clés : Bible, science, apologétique, épistémologie, vérité, Afrique.

Éléments biographiques
Docteur/NR, HDR de l’Université de Picardie Jules Verne et Professeur titulaire des universités, Jacques Chatué
est Chef du Département de Philosophie, Psychologie, Sociologie de l’Université de Dschang, et Responsable de
l’Unité de Recherches en Philosophie et Sciences Sociales Appliquées. Il est par ailleurs membre de diverses
sociétés savantes, et auteur d’une dizaine d’ouvrages, ainsi que d’une trentaine d’articles notamment
d’épistémologie et d’exhortation chrétienne. Depuis avril 1977, Jacques Chatué est membre du Groupe Biblique
des Élèves et Étudiants du Cameroun, et actuellement Ancien d’église à l’Église Évangélique du Cameroun,
Paroisse de Foto (Dschang). Il est marié et père de trois enfants.
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Le rapport Bible-science est approché de trois principaux points de vue : celui de


l’opposition de principe, celui de l’évolution parallèle, et celui de la convergence stratégique.
Nous voulons contribuer à l’articulation de cette troisième approche. Contrairement à une idée
reçue, Bible et science mènent un même combat : le combat de la vérité, toujours au risque
d’être détournée ou pervertie, voire abandonnée et moquée comme relevant d’un autre âge. La
défense de la vérité biblique relève de l’apologétique, et la défense de la vérité scientifique, de
l’épistémologie. Mais il n’est pas aisé d’alléguer ainsi leur complémentarité, dans un contexte
où prévaut encore l’idée de leur indépassable opposition et/ou de leur totale séparation.

À titre principal, Spinoza, préparant en cela les penseurs des Lumières, s’est fondé sur
la difficile parturition de la science moderne pour rejeter la Bible ; de même Nietzsche,
quoique se réclamant de lui, s’est fondé sur la crise de la science moderne, survenue depuis la
seconde moitié du XIXème siècle, pour rejeter la science. D’où la confusion actuelle qui
suggère à plusieurs, et surtout aux penseurs postmodernes, que la vérité, qu’elle soit biblique
ou scientifique, est tout simplement dénuée de sens. Moralité : à chacun sa vérité ! Aussi faut-
il insister à dire que l’apologétique chrétienne, qui a vocation à répondre aux objections
élevées contre la saine doctrine biblique, doit en outre se préoccuper de répondre aux
objections visant à dévaloriser les sciences, car ces vérités trouvent leur vraie impulsion dans
la Bible, d’où nous tenons la certitude de l’objectivité du monde et celle de l’existence de lois
dans la nature. Pareillement, l’épistémologie, qui a vocation à expliquer la science tout en
favorisant son progrès, doit en outre se préoccuper des objections visant à prendre la science
pour appui pour mener des combats qui ne sont pas les siens : combat laïciste, établissant la
science comme l’antidote de la religion ; combat scientiste, faisant de la science notre
nouvelle et commune religion.

Tout à l’opposé de cette manière de voir, le but des lignes qui suivent est donc
d’articuler ce lien de complémentarité entre Bible et science, à l’effet de souligner le besoin
urgent qu’a l’Afrique de se préoccuper, indissociablement, de ces deux formes très
exceptionnelles de vérité.

1. L’apologétique chrétienne et son apport à la science

Rien ne fortifie, plus que l’apologétique chrétienne, l’idée qu’il n’y a pas de science
absolument neutre de tout préjugé, de tout intérêt, de toute vision du monde, de toute
croyance. Rien ne justifie, mieux que l’apologétique chrétienne, l’idée que les convictions du
chercheur puissent jouer un rôle éminent dans le processus de découverte. Mais surtout, de
manière spécifique, la foi chrétienne nourrit en nous la confiance en la raison (confiance
insuffisamment fondée lorsqu’on en fait un simple pouvoir d’adaptation suscitée en nous par
l’évolution et son processus de sélection naturelle, ou une simple leçon de l’expérience
transmise par la tradition, à force de réaliser que l’habitude de penser ou d’agir selon la raison
est plus payante qu’une autre, ou une simple leçon de l’épistémologie qui voudrait, à la limite
identifier la raison à la science elle-même, comme c’est le cas chez Spinoza). Si la raison
existe en Dieu avant d’exister en l’homme ou en la science, alors l’habitude de penser selon
les pensées de Dieu nous libère de la tendance qu’a la raison à prendre elle-même des
habitudes. Les plus grandes découvertes surgissent du côté des théories et non du côté des
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faits. Elles sont dues à des hommes qui se sont mis à raisonner autrement. Or Dieu nous
habitue à raisonner autrement, à raisonner mieux que le commun, mais sans détruire notre
raison commune. Si la raison est antérieure à la nature et n’en dépend pas entièrement, alors
elle n’est pas prisonnière de la science connue, de la science faite, et peut donc s’ouvrir à la
science en train de se faire, à la science tournée vers le possible. Enfin, si la nature doit se
savoir créature, alors la science de la nature ne peut évoluer qu’en tenant bout à bout son
désir d’illimité et la conscience de ses limites. Autant dire que la défense de la foi contribue à
celle de la vraie science : la science en train de se faire. D’où la fécondité heuristique de
l’apologétique.

Du grec « Apologia », l’apologie est la défense de la justesse de quelque chose, ou de


la justice de quelqu’un. C’est la défense de croyances dont il faut montrer l’excellence, et
dans le cas précis de la foi chrétienne, il faut simultanément l’expliquer et la défendre. Car il
est question, comme dit l’Apôtre Pierre, de « rendre raison » de l’espérance qui est en nous (1
Pierre 3 : 15). S’inscrivant dans une longue tradition qui remonte principalement à Origène et
Saint Augustin, à qui l’on doit l’anticipation du débat actuel sur la création en six jours,
l’apologétique a été relancée par la nécessité d’affronter non seulement les hérésies qui ne
manqueront pas de se multiplier ou de se transformer, mais aussi les idolâtres de la science
moderne qui, sans être des savants (Montaigne, Spinoza, Voltaire, Renan), ou tout en l’étant
(Leibniz, D’Alembert, Russell), tirent prétexte de cette science pour réfuter ou affaiblir les
vérités bibliques avec plus ou moins de subtilité. Mais l’adversaire de la foi chrétienne c’est
avant tout l’antéchrist lui-même, qui ne supporte rien qui soit de Christ : l’offre du salut, les
valeurs morales, les prémisses épistémologiques contenues dans les Saintes Écritures. Aussi
l’apologétique chrétienne doit-elle se hisser à la hauteur de tâches théologiques aussi bien
qu’éthique et épistémologiques, indissociablement.

Tout ce qui fait espérer dérange. La plus grande espérance jamais offerte aux hommes
est Christ Lui-même : « Christ en vous, l’espérance de la gloire » (Colossiens 1 : 27). Le
diable, ennemi de nos âmes, œuvre à dissoudre cette espérance, au point de remettre en cause
la notion même de salut : l’homme n’aurait pas besoin d’être sauvé, car il n’y a pas de péché
originel, car la vie n’aurait pas besoin d’un sens qui lui soit extérieur, car l’homme trouvera
un jour un remède contre la mort, etc., idées fortement défendues par des philosophes dont
Paul était sûr qu’ils allaient se reproduire de génération en génération. D’où la mise en garde
de Colossiens 2 : 8. De même la justice, la miséricorde et la fidélité (Mathieu 23 : 23)
seraient des valeurs de faibles (Nietzsche), et, à la limite, des valeurs privées ; enfin,
l’ « affaire Galilée » et le « procès du singe » attesteraient que Bible et foi ne peuvent que se
combattre, que donc la science n’a rien à attendre de la Bible.

L’une des caractéristiques de la mondialisation, est la mondanisation des valeurs :


l’argent, le sexe, la liberté réduite à la transgression des limites, de toutes les limites. Pour tout
organiser, les médias dominants apparaissent comme une vaste recyclerie de la contestation
tous azimuts de Dieu. Mais l’alibi premier de cet affairement anti-théiste, c’est le savoir
académique, qu’il faut retourner contre Dieu. Pour toutes ces raisons, l’apologétique
chrétienne doit en fait se déployer sur des fronts bien divers : théologique, éthique, artistique,
politique, philosophique, scientifique, économique, etc. De chacun de ces fronts, on peut dire
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qu’il est, d’une certaine manière, prioritaire. Mais le front académique a une particularité
évidente : c’est là que se forgent les idées et les idéaux avec lesquelles l’on forme et formate
l’intelligence des leaders des nations.

Face à ces défis, l’on constate que la théologie tend à marcher sur un seul pied : le pied
de l’exégèse, qui, en général regroupe les principales méthodes qui permettent d’accéder au
sens des Écritures. Mais un athée peut exceller dans l’exégèse, expliquer la parole de Dieu
sans y adhérer, et en se mettant toujours au risque de la déformer. Le second pied de la
théologie, c’est l’apologétique, l’ensemble des méthodes permettant de défendre les Écritures,
au lieu de se limiter à les expliquer. Il faut bien prendre conscience du fait que la foi, et
spécialement la foi chrétienne, est attaquée de l’extérieur, par les athées, les sorciers, les
religions concurrentes, et, de l’intérieur, par les théologiens libéraux et néolibéraux, et par
tous ceux qui, se disant nés de nouveau, trahissent leur Seigneur par la pratique du péché : la
religiosité qui ne dit pas son nom. La défense de la foi suppose donc de se définir comme
Christ nous a défini à la fin de son ministère terrestre : comme des témoins, des signes du
Royaume des cieux, et, au fond, des martyrs potentiels ou actuels, des personnes qui apportent
la preuve de Christ par une vie transformée et qui, au quotidien, se transforment encore, de
gloire en gloire à l’image du divin modèle, selon Luc 6 : 40. Mais la défense de la foi suppose
que l’on puisse braver, dans des confrontations directes, arguments contre arguments, les
raisonnements qui, s’appuyant sur les valeurs humaines les mieux établies, mettent à mal
l’espérance qui donne un sens à notre foi. Ces valeurs humaines les mieux étables, ce sont la
science, le droit, la sincérité. Or aucune de ces valeurs humaines les mieux établies n’égale la
foi, source de la plus grande espérance.

Au XVIIème siècle, tandis que Descartes séparait la science de la Bible, Spinoza se


donnait le défi de les opposer, et Leibniz, celui de les reconfigurer toutes les deux, afin que
science et Bible se rejoignent dans l’ésotérisme ! La théodicée (justification de la bonté de
Dieu en dépit de l’existence du mal) cachait une « anthropodicée » (L’homme, nous assure
Hegel, puis Sartre, peut lui-même être Dieu) et une « cosmodicée » (la vraie divinité est
inhérente à la nature : c’est le dieu des cultes animistes, auquel nous convie aujourd’hui
Michel Serres, comme solution pour prévenir la radicalisation de la crise écologique : la
véritable « guerre mondiale », qui oppose l’espèce humaine au monde non humain, qui ne se
laisse pas faire, ainsi que le prouve l’intensification sans précédent des cyclones et ouragans,
en réplique à l’agression de la nature par l’activité technoscientifique et industrielle de
l’homme moderne). Le Dieu que Leibniz prétendait défendre était implicitement présenté
comme un Dieu incapable de mettre fin au mal, parce que capable seulement de nous offrir
« le meilleur des mondes possibles » où subsiste nécessairement, inéluctablement, une part de
mal totalement hors de son contrôle.

La critique des notions de préjugé, d’idées reçues, de stéréotype, etc., a pour objectif
majeur la destruction de la foi biblique, en particulier, tandis qu’un certain respect demeure
pour les autres formes de foi, y compris pour les formes les plus irrationnelles (qu’on met au
compte de la culture), et formes les plus ésotéristes et les plus cruelles (qu’on met au compte
de la liberté religieuse). Très communément, on impute la mort au Prince de vie, et on
construit la paix sans le Prince de la paix. Christ promet la liberté, on n’y voit que de
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l’esclavage.

Rappelons que la foi chrétienne a été visée de front par le siècle des Lumières. Or il se
peut que le post-modernisme ne soit pas avant tout un anti-modernisme, mais sa continuation
par d’autres moyens, non philosophiques. Dans son livre intitulé : Réponse à la question :
Qu’est-ce que les Lumières, Emmanuel Kant laisse entendre que les Lumières signifient
l’accès de l’humanité à la maturité, qui lui permet de suivre sa propre voie et de se donner ses
propres normes. Il s’agit de trouver, par la seule réflexion humaine, une alternative au
Commandement et à l’Autorité. Son injonction : « Sapere aude » : « Ose savoir », empruntée
au poète latin Horace, définit la condition sine qua non de la maturité. La seule conformité à
la raison et à la discipline que l’on s’est soi-même donnée garantit notre liberté. De son point
de vue, si l’homme se libère de Dieu, c’est pour se soumettre à la raison naturelle. Cette
injonction libertaire va cependant jouer contre l’humanisme kantien et donc contre la morale,
fût-elle rationnelle. De l’autre côté de la seconde guerre mondiale, les hommes ne voudront
plus se plier qu’à leur seuls intérêts et à leurs seuls désirs. La nouvelle injonction libertaire se
déclinera alors en ces termes, trop connus : « Il est interdit d’interdire » ; injonction que l’on
transportera, au cœur des droits de l’homme, par la consécration absolue de la notion de « vie
privée » (voir par exemple Ronald Dworkin). Chacun de nous serait un absolu, une
« substance » au sens où l’entendait Spinoza, et qu’il faudrait reconnaître à l’individu au lieu
de faire de celui-ci un simple « mode » (voir par exemple Gilles Deleuze). Autant dire que
chacun de nous devient un dieu souverain, au moins dans cette sphère de jouissance et de
souveraineté axiologique que constitue précisément la « vie privée ». Dans cette perspective,
l’on s’emploiera à déplacer l’idée de norme vers celle de « normativité », au fur et à mesure
que le post-modernisme plaidera en faveur de la pure et simple absence de norme extérieure à
l’individu (voir Michel Foucault)…

Tout naturellement, ces discours contre la morale, sur fond de discours contre Dieu,
préparent un mode de coexistence conflictogène, et la société actuelle n’obéit plus qu’à la loi
de la guerre. D’où cette situation où les dépenses pour la guerre surpassent de loin, et de plus
en plus, les dépenses pour la paix. Les droits de l’homme, qui doivent apprendre aux hommes
à vivre ensemble, et même simplement à vivre, entrent en contradiction avec la logique
absolue de la propriété absolue. Robert Filmer le pressentait, qui écrivait : « les deux grands
sujets favoris, la liberté et la propriété (que la plupart des hommes prétendent s’efforcer
d’obtenir), sont aussi opposés et incompatibles que l’eau et le feu (« Remarques sur la
« politique » d’Aristote », cité in Michael Hardt, Antonio Negri, Commonwealth, Paris, Stock,
exergue du chapitre 1). Tout se passe comme si la critique marxiste de la propriété n’avait fait
qu’en exacerber l’importance, et comme si la sécularisation de l’autorité n’avait fait que
l’annuler. Cette absolutisation de la propriété est au centre de l’idéologie néolibérale, telle
qu’elle figure notamment chez Friedrich von Hayek (voir notamment : Droit, législation et
liberté), grand inspirateur de Ronald Reagan et Margaret Thatcher.

Bien en-deçà du succès tonitruant de ces auteurs, les penseurs qui auront donné la
forme la plus profonde, la plus conséquente et la plus outrancière à ce vent d’autonomie, ce
sont le philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel, et, plus près de nous, le
philosophe français Jean-Paul Sartre. Par eux, la science sera détournée de sa fonction de
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connaissance et de sagesse, vers la fonction d’« élargissement » de l’homme, cette fois par
rapport à Dieu surtout, et non plus, comme chez Descartes et chez Kant, par rapport à la
nature surtout. D’où une certaine négligence de la science, de la technique et du travail
matériel. Ils sont responsables, par ailleurs, de l’orientation littéraire de la « culture », qui
nous empêche encore de rattacher d’une manière convenable la culture à l’économie, à la
science, à la technique, au travail manuel, et en particulier à l’agriculture. Or ces mauvaises
philosophies de la culture ont une fonction cultuelle : élever l’homme au statut de Dieu.
L’homme déifié n’a pas besoin de Dieu, puisqu’il trouve Dieu en lui-même, selon une
tentation aujourd’hui assumée, sur un autre terrain, par le New âge. L’essentiel est que
l’homme ainsi redéfini ne se pose plus comme créature, et, surtout, ne se conçoit plus comme
pécheur ; ce qui remet en cause, finalement, la nécessité du salut et, par suite, le plan de salut
en Jésus, l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Il leur a fallu détruire la référence
au péché, pour annuler, ou bien atténuer, le besoin que nous avons de Christ.

Nombre de chercheurs de renom avouent s’être engagés dans la recherche scientifique


de haut niveau pour le seul dessein de démontrer la fausseté de la foi chrétienne, tout
particulièrement. C’est le cas de Bertrand Russel, pour les sciences formelles, de Jean Piaget
pour les sciences humaines, de Jacques Monod, pour les sciences de la nature. Ainsi, toutes
les sortes de sciences dites fondamentales auront été sollicitées à l’effet de conforter des
positions intellectuelles frontalement anti-chrétiennes. Si cette intention est posée au départ,
on est donc bien fondé à dire que ce n’est pas seulement par la récupération de la rationalité
scientifique, mais par la perversion de la rationalité philosophique, que la foi chrétienne est
attaquée sur le plan des contenus de savoir, ainsi que sur le plan du principe même du savoir,
qui se voudra de moins en moins recherche de la vérité parfaite, et de plus en plus, recherche
de la vérité partiale. Le diable est un voleur et il lui faut voler la science, recherche des lois
déposées dans la nature par Dieu, et la philosophie, questionnement sur la vraie sagesse. Il lui
faut voler le besoin de créer, que le Dieu créateur a placé en l’homme, et motiver, au
contraire, des formes de création guidées par des valeurs anti-bibliques. Par exemple, le
postmodernisme (Richard Rorty, François Lyotard, Michel Foucault, Jacques Derrida, etc.),
relai du surréalisme, a contribué à faire de l’art contemporain le moyen de contester l’autorité
d’une manière paradoxalement autoritaire, et le moyen de faire de la norme et de l’interdit,
des ennemis à abattre. Comme le montrent les exemples des Beatles, d’Yves Saint-Laurent et
Pierre Bergé, etc., le satanisme, le blasphème, l’homosexualité, la pornographie, et la violence
ont, à des degrés divers, bénéficié du prétexte de l’art. Le diable, qui vole la rationalité
scientifique, vole donc aussi la créativité artistique, et ne manque pas non plus de voler le
droit et la morale, pour les éteindre par la primauté de la force et la suprématie des
prérogatives de la « vie privée ». Tout cela prépare son coup de vol final : le vol de la foi, par
le fait de se poser lui-même comme celui que tout homme, même athée, devra un jour adorer.

Nous disons alors qu’une certaine manière de voir la science moderne continue de
préparer cet état de choses. Rappelons-le, de Descartes, chrétien équivoque, nous tenons
l’idée que la science reflète et exprime l’essence rationnelle et autonome de l’homme. À sa
suite, deux disciples vont aller plus loin : Spinoza, qui met en place l’idée complémentaire
que la science institue un nouvel ordre culturel : la « vraie culture », qui à la fois met fin à
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l’ancien ordre cultuel et élimine la nécessité même du culte, et Leibniz, qui, par un trésor
d’érudition multidisciplinaire, développe l’idée insidieusement prioritaire que la science
repousse le culte mais sollicite l’occulte, comme son approfondissement et son prolongement.

Face à cet affairement frontalement anti-chrétien, il faut souligner le fait que loin
d’être strictement défensive, l’apologétique chrétienne a vocation à contribuer à l’évolution
des sciences en veillant sur sa stricte identité : celle qui, le mieux, permet sa fécondité, son
progrès. Ainsi Pascal, chrétien évangélique, rattache la science non plus à l’essence présumée
de l’homme, mais à sa condition, dont dépendent toutes ses activités, y compris les plus
élevées. L’homme qui fait la science reste un homme, avec sa mortalité, avec ses influences
politiques (Lyssenko), sociales (Bourdieu), culturelles (Latour), mais aussi spirituelles
(Dooyeweerd). L’essentiel est alors de veiller à ce que, loin d’obérer le progrès des sciences,
ces influences apportent la preuve de leur efficience heuristique. Ainsi voit-on que le chemin
de la science ouvert par Pascal et suivi par Newton, et qui insiste sur les parts respectives de
l’observation prudente et de la mathématisation non dogmatique, parce que faisant une part
aux probabilités, s’avère le plus à même de faciliter le progrès des sciences. L’apologétique
chrétienne a le souci d’apporter à la science un dehors qui lui soit compatible en raison de sa
valeur heuristique et non pas simplement de sa valeur fondative. Sur ce chemin se sont
engagés bien des auteurs chrétiens, dans la continuité d’Augustin et de Pascal. Cornelius Van
Til, Herman Dooyeweerd, Clive Staple Lewis, Francis Schaefer, et, plus près de nous, Henri
Blocher, Pierre Chaunu, Jean Baubérot, Lydia Jaeger, ou Sylvain Bréchet, tout en participant
chacun au combat de sa spécialité académique, ont montré le rôle des présupposés chrétiens
dans l’heuristique scientifique, au sens large du terme.

L’apologétique défend la vérité biblique tout en défendant l’idée même de vérité : sa


pertinence, sa signification. La science a besoin, pour progresser, de demeurer une activité au
service de la vérité, d’abord : l’utilité sociétale, qui justifie le statut des « sciences
appliquées », et l’utilité décisionnelle, qui justifie le statut de « sciences opératoires », restent
sinon secondaires, du moins secondes. D’où le rôle encore éminent des sciences dites
fondamentales, lieu précisément où se joue la question des rapports entre Bible et science.

À la question de Pilate : qu’est-ce que la vérité ? La Bible apporte une réponse à celui
qui a des oreilles pour l’entendre et des yeux pour la voir, car Pilate adresse sa question à
Christ, qui s’était auto-désigné comme étant la Réponse (Jean 14 :6), tout en associant à la
vérité le chemin et la vie. L’apologète entreprend de défendre la vérité personnifiée en Dieu et
la vérité révélée en Sa Parole, d’abord. Ces repères éclairent sa contribution à la défense de
l’idée de vérité dans les sciences, qui portent sur un monde créé et ordonné, comportant des
objets partiellement quantifiables et soumis à des lois que la recherche scientifique a charge
de découvrir tant bien que mal. Comme le souligne Le Grand dictionnaire de la Bible (1962,
Deuxième édition révisée, Excelsis SARL, 2010), le mot de « vérité » a deux sens
principaux : d’abord un sens intellectuel, relatif à l’établissement de faits dont on peut dire
qu’ils sont vrais ou faux, comme on peut le voir notamment dans Deutéronome 17 : 4 ; 1 Rois
10 : 6, et ce sens est valorisé par exemple dans le prologue de l’Évangile de Luc. Ensuite un
sens personnifié, c’est-à-dire existentiel et moral. C’est pourquoi elle ne porte pas seulement
sur ce qui est, sur le réel état des choses (l’«Alètheia » grecque), mais sur ce qui, habitant une
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personne, lui confère crédibilité, sens, profondeur, et valeur. Si donc la notion de vérité
recouvre celles de cohérence (logique), de correspondance factuelle (science) ou ontologique
(métaphysique), elle renvoie prioritairement à la crédibilité, à la fiabilité. C’est ce trait que
l’apologétique chrétienne reconnaît en Dieu et en Sa Parole. Or ces deux aspects de la vérité
sont liés comme l’effet à sa cause : la vérité scientifique étant l’effet, et la vérité personnifiée,
la cause. La thèse théologique de la crédibilité de Dieu, de la fidélité qui est en Lui, de la
fiabilité de Sa Parole, détermine le critère fondamental de la science, à savoir l’objectivité. Ce
n’est donc point un hasard si, aux attaques dirigées contre la véracité de la Bible, font suite
des attaques dirigées contre l’objectivité visée par la science.

De fait, le point décisif où s’affiche aujourd’hui la contribution de la Bible à la science


concerne la question de l’objectivité de la vérité scientifique, question qui se rapporte d’une
part à l’existence effective d’un monde extérieur, et d’autre part à l’objectivité des lois de la
nature. La question de l’existence du monde extérieur est aussi celle du rapport de
l’expérience humaine à la réalité indépendante de la conscience, et, plus spécifiquement
encore, celle du rapport du langage aux faits, dans un contexte marqué par l’influence
croissante des philosophies autonomistes du langage. Or la philosophie reste un effort pour
comprendre le monde, et non une analyse policière de ce que les uns et les autres en disent.
Bertrand Russell, qui s’est constamment préoccupé de cette question, écrit : « l’essentiel, au
sujet du langage, c’est qu’il signifie – c’est-à-dire qu’il est en relation avec quelque chose
d’autre que lui-même, qui, en principe, est d’un autre ordre que le langage » (Histoire de mes
idées philosophiques (1959), trad. française par Georges Auclair, Paris, Gallimard, 1961,
349p. p. 15). Mais pour sortir de ce dilemme, il ne suffit pas de se ranger dans le camp de
ceux qui croient en l’existence d’un monde extérieur, il faut en avoir, plus qu’une conviction,
une certitude suffisante pour motiver la recherche des lois qui, indépendamment de notre
esprit, structurent ce monde. Le philosophe Anglais G.I. Moore a fortifié la critique du
constructivisme kantien, et il existe une discussion continue du point de vue constructiviste
sur le monde, qui, de Kant au postmodernisme, revient à suggérer la part suréminente de
l’esprit humain dans la position de réalités objectives et de valeurs universelles. À
l’affaiblissement de la référence à la réalité, au nom du constructivisme, se joint donc
l’affaiblissement de la référence à la raison, au nom du naturalisme.

Pour la discussion technique et récente de ces points, nous renvoyons le lecteur à


Lydia Jaeger, dans son ouvrage : Croire et connaître : Einstein, Polanyi et les lois de la
nature, Nogent sur Marne, 1999, p. 116 et sq. La conviction de la plupart des savants,
croyants ou non croyants, est celle de l’objectivité du monde extérieur et des lois qui le
structurent antérieurement à la recherche humaine, et la conviction de la valeur de la raison en
tant qu’antérieure et supérieure à la nature, si l’on admet qu’elle est fondée en Dieu. Comme
l’a encore souligné Lydia Jaeger (« Se savoir créature », articule in Revue « Théologie
évangélique », Vol 4 N° 3, 2005, p. 45-58, p. 46 et sq.), le monde n’a pas de sens en lui-même
si, à l’instar de Jean-Paul Sartre ou de Bertrand Russell, on le regarde comme un simple
donné censément factuel et contingent, au lieu de le regarder, d’abord, comme un don, c’est-
à-dire comme une mise à disposition qui a un sens puisqu’il trouve son fondement en Dieu.
Pareillement nos théories n’ont de sens qu’à rester ouvertes, car elles ne relèvent pas de
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l’ordre de la contemplation, de la vision intellectuelle, mais de celui de l’effort d’explication


toujours limité, à l’image de l’homme lui-même qui doit se savoir créature, être de limites,
quoique doué d’une puissance et d’un désir d’illimité. De telles convictions sont à l’origine de
paradigmes, théories, modèles, ou programmes de recherche, dont il faut admettre le rôle
décisif, comme idées directrices, dans toute recherche scientifique. Tout ceci revient à dire
que la science repose sur des éléments non scientifiques et qui, néanmoins, participent à son
cours. Comme l’attestent notamment les travaux de Lydia Jaeger, en particulier l’ouvrage cité
ci-dessus, la science d’Einstein est indissociable de la forme si particulière de sa religiosité :
la croyance au dieu de Spinoza, comme celle de Polanyi, indissociable de son adhésion à la
foi chrétienne. L’apologétique est donc partie prenante de la recherche.

Autant dire que la chose est bien attestée : la pensée chrétienne a contribué et continue
de contribuer, de diverses façons, non seulement à la recherche scientifique de la vérité (ainsi
qu’en témoigne le nombre élevé de scientifiques chrétiens de premier ordre), mais aussi à la
défense de l’idée même de vérité (en tant qu’accord entre les faits et leurs explications, accord
entre de la pensée avec le réel, ainsi qu’en témoignent les travaux de nombreux
épistémologues chrétiens). Par l’apologie il apparaît que la vérité se veut entière : spirituelle
aussi bien que morale, juridique aussi bien que scientifique. La passion de l’apologète pour la
vérité entière ainsi définie ne peut donc que stimuler celle du savant porté par le besoin
impérieux de comprendre la nature et non pas seulement de trouver des recettes pour
l’exploiter. En ce sens l’apologétique nourrit l’épistémologie.

2. L’épistémologie fondamentale et son apport à la pensée chrétienne

Nombreux sont ceux qui veulent comprendre les choses intellectuellement avant de
croire. Car tout le monde ne comprend pas le « patois de Canaan », et il ne faut pas rejeter
ceux qui, devant ce patois, et peut-être sous la longue influence de la culture grecque,
s’avèrent durs d’oreille. Dans la lignée de l’Évangile de Luc au Grec Théophile,
l’apologétique, nous assure Blaise Pascal dans ses Pensées, initialement titrées : « Apologie
de la foi chrétienne », capitalise les preuves scientifiques d’une exceptionnelle compatibilité
entre la foi chrétienne et la vraie science. Au-devant de la masse croissante des disciplines
scientifiques, noyées dans la masse croissante de l’information, l’épistémologie est cette
discipline interdisciplinaire qui aide d’abord à se repérer dans les sciences. De plus,
l’épistémologie protège l’idée de vérité et encourage à faire de la conquête de la vérité la
vocation première de la science. C’est pourquoi sa relation avec l’apologétique contribue
fortement à purifier la science de ses finalités secondes et de ses brouillages pervers.

En effet, il faut purifier la science de ses embrigadements utilitaristes, scientistes et


humanistes, pour l’assigner à sa vocation première : la conquête progressive de la vérité, et
non pas la conquête humaine de la déité humaine. L’homme veut prendre prétexte de la
science pour s’auto-désigner comme dieu. Dans cette prétention, l’humanisme a forgé le
couple scientisme-laïcisme, le scientisme posant la toute-puissance de la science, et le
laïcisme posant la neutralité parfaite de la science par rapport à toute religion.

L’épistémologie délégitime l’affairement du couple scientisme-laïcisme, dont le


surinvestissement dans l’opposition de la science et de la Bible s’est avéré pernicieux,
10

retardant par exemple la prise en compte de la question des origines du monde dans les
sciences, alors même que l’hypothèse du Big-bang y oblige, ou de celle de la différence
qualitative entre l’homme et le grand singe, proches quantitativement par leurs gènes, mais si
éloignés dans leurs réalisations... L’acharnement anti-biblique de la science contemporaine est
aussi coupable que l’acharnement anti-scientifique du Vatican à l’ère de la science naissante.
L’épistémologie, dont l’un des ressorts-clés est l’histoire des sciences, rappelle par ailleurs à
la pensée chrétienne sa responsabilité dans la formation et le développement de la science
moderne. Du point de vue chrétien bien compris (Sören Kierkegaard distinguait « chrétienté »
et « christianité »), la science apporte de l’intelligence et peut contribuer à la sagesse, mais
elle est conditionnée par la « sagesse de l’intelligence » ; la science apporte de la puissance et
peut contribuer au confort et à la richesse dont l’humanité a besoin ; mais elle devient
dangereuse entre les mains capricieuses et méchantes d’une humanité sans Dieu.

L’épistémologie peut être définie comme l’étude essentiellement philosophique, mais


aussi pluridisciplinaire, de l’activité scientifique. Pour faire simple, on peut la définir comme
le questionnement minutieux autour du « quoi », du « comment », et du « pourquoi » des
sciences. Le « quoi » concerne la question du critère démarcatif de la scientificité, le
« comment » concerne la question des mécanismes des procédés méthodologiques et de leur
évaluation, celle des modalités du progrès des sciences (facteurs d’accélération ou causes de
lenteurs), et celle des modes de répartition des champs ou des domaines de l’activité
scientifique. Le « pourquoi » concerne les finalités avant tout heuristiques (recherche de la
vérité), technologiques (applications pratiques à la solution des problèmes sociétaux), puis
décisionnelles (éclairage des décideurs stratégiques dans des situations « stochastiques »,
celles où les choix à opérer dépendent d’une très grande multiplicité de facteurs). Par ses
effets considérables sur la culture, sur la didactique, ou sur l’économie, la science se présente
comme cette forme de connaissance très exceptionnelle que les chrétiens doivent continuer à
regarder comme une providence, à condition qu’elle s’accompagne d’une juste conscience,
d’une conscience de justice, d’une conscience de complétude, compte tenu du caractère
indissociable des aspects éthique et factuel de la vérité. Nous disons alors que l’épistémologie
privilégie l’idée et la recherche de la vérité comme visée première de la science, et comme
devant prévaloir sur le souci de fondements. La poursuite de la vérité est une et elle est de
Dieu. L’épistémologie es t de ce point de vue la gardienne du désir de vérité, le dernier
rempart de ce désir à l’heure où l’on voudrait remplacer la vérité par l’efficacité, la vérité en
soi n’étant que subjective (elle dépend de la conviction de chacun, ou relative (elle dépend des
critères que l’on considère, de la manière dont on la conçoit). L’épistémologie est une
interpellation et une plaidoirie en faveur du maintien de la vérité comme visée première de la
science, dont certaines découvertes ont été faites alors que personne ne savait à quoi elles
pouvaient servir. L’utilité se situe non pas en amont de la recherche scientifique, mais en aval
de son déploiement, qui exige une autonomie a minima. Par cet attachement à l’idée, par sa
relance et sa valorisation au travers de mises en débat perpétuelles, l’épistémologie invitent
ceux qui croient au Dieu de vérité à prendre part à l’établissement de la vérité dans les
sciences. Si l’on nous suit bien, ceci revient à inviter les chrétiens d’ici et d’ailleurs à prendre
davantage part à la science, ou du moins, à s’instruire du travail scientifique et de son
évolution. D’où la nécessité de plier l’apologétique chrétienne d’une attitude uniquement
11

défensive à une attitude prioritairement participative. Celle-ci engage les chrétiens à étudier
plus, en sachant que le Dieu de vérité n’a peur d’aucune vérité, et que valoriser la vérité c’est
déjà, d’une certaine manière, glorifier Dieu Lui-même.

En particulier, face à la survalorisation des alliances de la science et de la technique,


face à la dépendance croissante de la science à l’économie, se perd le sens de la science
fondamentale, que l’épistémologie internaliste se charge précisément de rappeler. Le succès
récent de l’« économie du savoir », qui ne justifie la science que par son rôle et son
financement économiques, opère le passage du « afin que », au « en raison de ». On parle
alors d’épistémologie fondamentale pour la distinguer des épistémologies réductrices qui,
insistant sur le rôle joué par les facteurs extérieurs à la production de la science, facteurs
sociaux, économiques, politiques, psychologiques, militaires, etc., risquent d’affaiblir ce que
la science aurait en propre, et qui n’est rien d’autre que la production de savoirs prétendant à
la vérité objective.

Au vu de ce qui précède, l’on pourrait dire de l’épistémologie qu’elle a trois


légitimités. L’épistémologie tient sa première légitimité de ce qu’elle contribue au progrès de
la science, progrès qui bute sur de multiples reteneurs, désignés hier comme opinions,
hérésies, idoles, préjugés, obstacles épistémologiques, idéologies scientifiques, etc.
L’épistémologie tient sa deuxième légitimité de ce qu’elle sépare la science de sa récupération
scientiste et de sa conséquence : la montée d’un mouvement anti-sciences, mouvement
d’autant plus enraciné que les nuisances causées par les applications de la science (nuisances
notamment nucléaires, bioéthiques, et écologiques), génèrent une désaffection pour les séries
scientifiques dans les écoles et dans les universités. Or la science est une réalité culturelle et
interculturelle de premier plan, elle fait partie, avec la technique, de ce qui traverse le plus
aisément les frontières, quelles qu’elles soient, n’en déplaise à l’idéologie de Boko Haram qui
à la fois critique les études et fait usage, dans ses tueries à l’aveugle, de la technologie
scientifique ! L’épistémologie tient sa troisième légitimité de ce qu’elle révèle la part des
convictions subjectives dans le processus d’établissement des vérités objectives, ce qui permet
d’envisager la possibilité d’un dehors de la science qui soit précisément son dehors, parce que
appelé par elle et non imposé par quelque instance extérieure.

Par rapport au progrès des sciences, l’épistémologie souligne la nécessité de laisser la


science faire son travail, de ménager pour elle une avenue d’autonomie minimale. Dans cette
perspective, l’épistémologie contribue à purifier la pensée chrétienne de la tentation de lui
faire ombrage sous prétexte que la science serait une ennemie historique, comme si la science
était figée dans ses manières de faire ou dans ses résultats. Or l’épistémologie insiste sur la
science vivante, la science en train de se faire et non sur des résultats figés, trop rapidement
médiatisés parce que exploités à des fins idéologiques, et, trop souvent, anti-théistes. Les
épistémologies respectives de Gaston Bachelard, Karl Raymund Popper, et de Thomas
Sanders Kuhn, ont en commun d’insister sur le caractère très évolutif de l’activité
scientifique et en même temps sur la nécessité de dissocier ce qui relève effectivement de la
Bible et ce qui ne relève que des interprétations.

Par rapport au scientisme, il faut dire que là se situent les attaques les plus acerbes
12

dirigées au nom de la science contre la Bible. Le scientisme, survalorisation et sur-


légitimation de la science comme lieu de vérités supérieures et de normes universelles, prend
racine dans la confiance exacerbée de l’homme en son propre pouvoir quasi divin. C’est
pourquoi il existe une prise en charge philosophique du scientisme. Implicite chez Galilée,
ouverte chez Descartes, et, plus encore chez Spinoza et chez Leibniz, elle a une responsabilité
éminente, nous assure Hannah Arendt (voir La condition de l’homme moderne, où elle montre
le lien intrinsèque entre la science telle que définie depuis Galilée, et les contraintes
utilitaristes de l’activité de l’homo laborans, de l’homme assigné à la seule tâche de la
production de ce qui est nécessaire pour la satisfaction de nos besoins élémentaires) dans
l’avènement du totalitarisme, et risque de favoriser sa reproduction, tellement l’on voudrait,
sous le couvert de la science, faire de la raison une religion, et de ses limites, un alibi de
l’ésotérisme. Pour Hannah Arendt, le totalitarisme ne s’origine pas dans le racisme en général,
ni dans l’antisémitisme en particulier, il ne s’origine pas non plus dans le culte de la
personnalité, ni dans le populisme, etc., toutes choses qui ne sont que des éléments et non des
causes proprement dites. Le totalitarisme trouve sa source véritable dans le scientisme, qui
promet un savoir supérieur et absolu parce que accédant à la vérité ultime que l’on croyait
réservée à Dieu et qui n’est autre que celle de la Nature, ou celle de l’Histoire. Or en situant la
vérité absolue dans la Nature, Hitler y a puisé ses normes, celles de l’inégalité constitutive et
de la guerre, qui justifient le racisme et le génocide. Il en va de même pour Staline qui fait de
l’Histoire le véritable Dieu qu’il faut servir, en sacrifiant tous ceux qui, en raison de leurs
intérêts, s’opposeraient à son évolution, véritable procession vers un stade définitif de la
réconciliation de l‘humanité avec la société sans classes.

Enfin, par rapport à la possibilité d’un dehors de la science qui soit son dehors, depuis
la deuxième moitié du XIXème siècle, marquée par la remise en cause des ressorts strictement
objectivistes de la science. Cet objectivisme strict se résume en la croyance en la totale
objectivité et en la totale neutralité de la science. L’objectivisme soutient la double prétention
de la science moderne de pouvoir noter tous les faits, et de pouvoir les expliquer sans reste,
par une théorie acquise par induction, sans aucune considération subjective ni convictionnelle.
Or la découverte récente de la matière et de l’énergie noire, que ne peuvent noter nos sens ni
nos télescopes, et dont les effets sont cependant probants, atteste que la science ne peut pas
noter tous les faits, et l’emblématique débat du Congrès de Solvay qui opposa Albert Einstein
et Erwin Schrödinger, d’un côté, à Niels Bohr et Werner Heisenberg, de l’autre, témoigne de
l’implication forte des convictions dans l’heuristique scientifique. Ainsi donc, on en revient à
l’alliance augustinienne du « croire » et du « connaître ». Ceci contraint d’emblée à prendre
conscience des enjeux à la fois épistémologiques et apologétiques de l’interdisciplinarité qui,
par exemple interpelle, depuis les années 80, les chercheurs à aborder de manière holistique le
problème de l’origine de la vie à partir de considérations à la fois mathématique, biochimique
et philosophique (sur ce point nous renvoyons le lecteur au beau livre de Sylvain Bréchet : Et
la lumière fut, Romanel-sur-Lausanne, Ourania, 2012, dont nous-nous inspirons largement).

Or qui, mieux que les chrétiens, peut défendre le lien originel qui unit la science à la
condition humaine faite d’imperfections et condamnant ses activités à l’inachèvement et, par
suite, à l’humilité ? Qui, mieux que les chrétiens, a intérêt à défendre l’idée d’une vérité de
13

double rattachement : rattachement objectif, au sens où elle renvoie à des faits et à des
informations préexistant à l’intervention du chercheur ; rattachement subjectif, parce que les
faits, quoique préexistants, font l’objet d’une prise en charge par le sujet connaissant ? Qui,
mieux que les chrétiens, peut protéger les frontières de la science des incursions ésotéristes
qui, au nom d’une vérité « initiatique » et supérieure, retient la vérité scientifique captive de
présupposés occultes, selon une longue tradition qui court depuis Pythagore, mathématicien et
sorcier chamaniste (cf. entre autres Pierre Brémaud, Le dossier Pythagore. Du chamanisme à
a mécanique quantique, Paris, Ellipses, 2010) et qui, bravant l’interdit divin de forcer les
portes des choses cachées, éloignent bien des hommes de bonne volonté de la recherche
scientifique ?

On le voit, l’épistémologie aide les penseurs chrétiens non seulement à se repérer dans
l’univers des sciences, mais aussi à prévenir le triomphe de fausses sciences, et à définir les
tâches qui, dans le combat scientifique même, concernent les chrétiens, en premier. Ainsi, les
bases de la science moderne doivent beaucoup aux savants chrétiens, à l’instar de Blaise
Pascal, plus proche de la méthode expérimentale, plus fécond, y compris dans le champ des
applications technologiques des sciences, que René Descartes, en qui Hegel voudrait voir le
vrai héros de la pensée moderne en général, pour avoir reconnu en lui un précurseur de son
anthropodicée, de la justification du pouvoir suprême de l’homme désormais émancipé de la
tutelle de Dieu. Il faut aussi comprendre que l’épistémologie fondamentale, en raison de son
trait essentiellement internaliste, suggère à l’apologétique de défendre la science de
l’intérieur, d’abord ; c’est-à-dire que les chrétiens d’aujourd’hui doivent en effet participer au
combat de la science contre l’ignorance, qui a toujours quelque chose à voir avec la faute, la
misère et le péché. Mis à part des thèmes célèbres que l’on remet périodiquement en débat,
comme l’origine du monde et la théorie de l’évolution, certains thèmes actuellement en débat
requièrent des spécialistes chrétiens de haut niveau et en nombre assez suffisant pour
envisager de véritables centres de recherche doublement motivés par la soif de connaissance
et la soif de reconnaissance. Ainsi en va-t-il des thèmes tels que l’intellect design, le fine
tuning, l’information génétique de type sémantique (celle contenue par exemple dans les
séquences des acides aminés, ou celle, plus connue, liée au code génétique), sans rien dire des
conflits internes au camp de l’évolutionnisme dogmatique du néodarwinisme (notamment
entre « gradualistes », comme Richard Dawkings, et « saltationnistes », comme Stephen
Gould). L’apologète chrétien doit donc suivre la science dans son cours au lieu de se
contenter de juger des connaissances scientifiques figées en leurs résultats. Que les chercheurs
chrétiens se multiplient donc, et l’on verra à quel point la connaissance de la créature n’est
rien sans la reconnaissance du Créateur.

Les chrétiens ne sont donc pas en territoire étranger lorsqu’ils traitent de la science ou
lorsqu’ils en font. Ils le sont d’autant moins que le véritablement fondement de la science
moderne réside dans l’adoption du principe du déterminisme, principe suivant lequel les
phénomènes de la nature n’obéissent pas au hasard (« Non datur casus ») ni à la fatalité
(« Non datur fatum »). Dieu a donné sa loi à la nature, et la nature s’y tient et la respecte
rigoureusement, la nature ne déroge pas à sa loi, elle est sous la contrainte de celle-ci. Dieu a
quantifié les objets et les phénomènes de la nature, ainsi qu’en témoigne par exemple Esaïe
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40 : 12 et 22). Au contraire, à l’homme est proposée une loi qui s’adresse à sa volonté, à son
libre arbitre, capacité de choisir et d’agir sans contrainte et en l’absence de toute contrainte.
Mais l’homme ne sait quoi faire de cette liberté désormais sans boussole, et il ne peut que
l’investir dans le progrès de l’iniquité annoncé en Mathieu 24 : 12.

3. Bible et science à « l’heure de l’Afrique »

L’Afrique a besoin de chrétiens convaincus, parce que remplis du Saint-Esprit, et de


chrétiens convaincants, parce que équipés non seulement de témoignage, mais aussi de
science. Une fois de plus, le Dieu de vérité n’a peur d’aucune vérité. Au contraire, Il donne
sens à toute vérité notamment scientifique et juridique, mais surtout spirituelle : celle qui
sauve. Comment cette même vérité peut-elle jouer à notre avantage ?

À partir du recoupement des prospectives économique, écologique, démographique,


démographique, financière et même morales, il se dit que l’Afrique est le continent de
demain. Reste à savoir par qui et pour qui ! On note un changement de discours sur l’Afrique,
notamment depuis la crise de 2008, qui fait voir aux européens à quel point ils dépendront
peut-être désormais de l’Afrique, tandis qu’ils y ont pris du retard par rapport à tant d’autres
acteurs venus de partout. On y voit en effet, un réel affairement d’acteurs exogènes,
empruntant des entrées diverses : militaires, paramilitaires, politiques, diplomatiques,
économiques, humanitaires, etc. Mais ce que l’on voit moins, c’est l’entrée par la science, non
seulement à travers la « biopiraterie » (la piraterie de la biodiversité africaine), ou par la
« noopiraterie » (la piraterie de nos savoirs endogènes sous prétexte de simple inventaire),
l’embrigadement de notre recherche par la laisse financière et par l’abrutissement de nos
institutions académiques et de recherche. Le pire réside sans doute dans le fait que l’Afrique
devient un objet d’études tous azimuts. Tout chez nous est étudié et toutes les sciences sont
sollicitées à cette fin. Partout pullulent des instituts et des départements d’études africaines, et
on peut le dire : tout le monde étudie l’Afrique, sauf les africains eux-mêmes.

On ne doit pas s’en étonner outre mesure, car la chose est connue de longue date
(depuis le chancelier Bacon en particulier), et bien attestée depuis l’avènement de la « Big
science » à l’occasion du « Manhattan Project », formé pendant la seconde guerre mondiale
pour plier définitivement la science à la puissance militaro-industrielle des États. La ruse et la
force sont à la mesure de la puissance des « Think tanks » où se combinent et se vérifient les
savoirs les plus opportuns.

Ceci revient à acter ce truisme : l’heure de l’Afrique ne nous sera pas nécessairement
favorable. Même chantée par un évangile de prospérité, elle ne bénéficiera pas forcément ni à
l’évangélisation, ni à la prospérité. Aussi faut-il, tout en étant conscient des enjeux du
positionnement de l’Afrique dans la mondialisation, éviter que notre entrée par la grande
porte dans la mondialisation ne coïncide avec notre entrée par cette porte ouverte dans la
mondanisation. Car à mesure que le monde devient mondial, il devient toujours plus mondain.

Heureusement que sur le plan prophétique, l’heure de l’Afrique signifie toute autre
chose. Il s’agit d’un passage de témoin spirituel ; il s’agit, pour le dire ainsi, d’une venue en
puissance de Jésus en Afrique non plus pour s’y refugier, mais pour y proclamer une année
15

favorable de la part de l’Éternel, selon la parole d’Esaïe 61 : 2. Temps de grâce, temps de


responsabilité aussi. Cela s’est exprimé sur le plan théologique par les travaux du Docteur
Kwame Bediako, travaux qui concourent à montrer la nécessité de frayer une nouvelle voie
théologique entre la théologie de l’identité (Bolodji Idowu, John Mbiti, Kwesi Dikson, …), et
la théologie de la prospérité (sous ses diverses formes : développement, reconstruction,
libération, etc.) : cette nouvelle voie est alors celle de la théologie du réveil, si utile pour
penser le fait prophétique qui déjà se manifeste sous nos yeux : le déplacement des foyers de
diffusion du christianisme dans le monde. Après la Palestine, l’Empire romain, l’Europe du
Nord ou l’Amérique du Nord, ce foyer s’établit en Afrique.

Lorsque Dieu confie l’évangile à un continent, il s’agit toujours d’un évangile entier.
Le feu du Réveil spirituel que tous constatent en Afrique doit se soutenir de conseil et de
sagesse. Ce que Dieu nous a confié pour défendre Son Nom glorieux, c’est l’intelligence
renouvelée, qui repose sur ce que la Bible présente comme sagesse de l’intelligence (il nous
semble que ce concept est surtout porté par Henri Blocher, qui élabore la dimension multiple
et notamment théorique du concept biblique de sagesse, et justifié par le rapprochement des
deux termes, notamment en Éphésiens 1 : 8 et Colossiens 1 : 9). Comme ailleurs, c’est avec
des instruments venus de Dieu qu’il faudra que les africains défendent le camp de Dieu.

L’Afrique doit prendre sa part au débat apologétique, et elle a besoin pour cela d’un
autre rapport aux études académiques. Si les familles attendent des études académiques
qu’elles procurent de l’emploi à leurs enfants, si les nations orientent les études en vue de ces
priorités sociétales que sont l’administration, et la technologie ou la gestion, si les entreprises
tendent aujourd’hui à s’approprier les études pour qu’elles deviennent, à travers l’économie
du savoir, de simples instruments de profit, Dieu attend des études qu’elles servent pour Sa
gloire, d’abord, et le reste viendra par surcroît. Les études sont de Dieu et c’est pourquoi Dieu
utilise tant d’intellectuels de type académique dans la Bible et dans l’histoire de la foi.
L’Afrique a besoin d’exégètes, mais aussi d’apologètes. On ne peut pas sous-estimer le rôle
de plusieurs qui, sans être théologiens, ont contribué à évangéliser à partir de l’apologétique.
Ainsi en va-t-il notamment de Clive Staple Lewis, qui mit sur l’Autel de Dieu ses talents de
philosophe pour faire connaître pédagogiquement en le défendant, le « Mere christianity », la
doctrine centrale et permanente du chrétien moyen qui, sans être un savant ni un théologien,
doit cependant être en mesure d’exprimer et défendre sa foi selon que le Seigneur le
lui permettra et dans les limites qu’Il lui assignera, afin que nous ne nous y attardions pas
outre mesure, car la meilleure défense de la foi consiste à la vivre.

Dans le même sens, l’Afrique doit défendre le « simple christianisme », qui n’est pas
le christianisme naïf, mais le christianisme biblique christocentrique, au sens où il est centré
non d’abord sur l’incarnation, ni d’abord sur les « valeurs » chrétiennes, ni d’abord sur les
miracles, mais d’abord sur la Croix (1 Corinthiens 1 : 17-23). Il faut en Afrique défendre ce
simple christianisme, car en Afrique le spectre du polythéisme plane d’une nouvelle manière,
parce que porté par le vent de l’égyptocentrisme non pas simplement scientifique ou politique
(ce qui ne devrait pas être un problème majeur), mais aussi fondamentalement mystico-
ésotérique, qui, sous le prétexte de la culture et de l’identité, rend difficile l’effort des
chrétiens d’Afrique pour défendre la spécificité toute exceptionnelle de la foi chrétienne, qui
16

est loin d’être une émanation du mysticisme égyptien.

En Afrique le spectre de l’animisme se revigore au fur et à mesure que les risques


écologiques s’aggravent (pollution, changement climatique, réduction de la biodiversité) et
inclinent à déifier la nature elle-même, ainsi que le suggère l’écologie dite profonde (Arne
Naess, Michel Serres, etc.). On en vient à remettre en cause la distinction entre le Créateur et
la créature !

En Afrique, le spectre du capitalisme néolibéral impose les notions de « vie privée »,


et incline à un style de foi privatiste, où les « convictions » prennent la place des certitudes,
où l’écoute de la voie intérieure l’emporte sur la méditation de la Parole écrite de Dieu, la
méditation des Écritures : ce qui contribue à des divisions sans fins parmi les chrétiens,
divisions qui servent d’alibi à ceux qui hésitent à croire.

En Afrique, le spectre de l’anti-intellectualisme incline à penser que les études ne sont


pas de Dieu, ou qu’elles ne sont pas bien nécessaires, idée encouragée par les théologies
orientalistes qui définissent l’homme prioritairement par son « esprit » (considéré comme
siège du Saint-Esprit) et contestent l’importance de l’âme, considérée comme siège des
émotions, de la volonté et de l’intellect, et, encore plus, l’importance du corps, considéré
comme siège du péché. Or si en Christ habitaient « tous les trésors de la sagesse et de la
connaissance » (Colossiens 2 : 3), pourquoi devrions-nous mépriser une partie de ces trésors
de surcroît révélés ?

Malheureusement, ces divers spectres convergent à détruire l’idée même de vérité, par
laquelle seulement peut s’établir sur le plan épistémologique la valeur de la science, sur le
plan juridique la possibilité d’un socle moral du droit, et sur le plan spirituel, l’exceptionalité
de la foi chrétienne. Nous voyons mieux en quel sens l’on peut en Afrique tirer avantage de
l’idée que science et Bible ont vocation à mener un même combat : le combat de la vérité,
passion première de la science, et révélation exceptionnelle de Dieu en Christ, le chemin la
vérité, et la vie.

Par rapport à la valeur exceptionnelle de la science, il ne sera pas facile de l’établir en


Afrique. On pense différemment et on fait différemment les sciences selon qu’on est
européen, asiatique, américain, non en raison d’une quelconque essence, mais à cause des
intérêts à tous égards dominants. Ainsi en va-t-il de la différence d’approche de la question de
l’intellect design ou celle du naturalisme, qui confrontent aujourd’hui les Nord-américains,
enclins à la foi et donc à la téléologie minimale ou sectorielle, et les européens, plus enclins
au sécularisme humaniste, quitte à errer devant bien des faits troublants qui suggèrent
l’approche adverse. Qu’en est-il de la posture africaine dans les sciences ? En Afrique, la
tendance générale est au retour aux sources de notre « autrefois » égypto-nègre. La question
est : sommes-nous africains avant d’être chrétiens (position clairement défendue Léopold
Sédar Senghor et insidieusement défendue par plusieurs théologiens libéraux africains…), ou
au contraire chrétiens avant d’être africains ?

Sur l’apport de l’Égypte antique, notons que les grecs étaient si impressionnés par la
théorie qu’ils négligèrent la part de l’expérience en tant que lieu de leur confrontation, les
17

babyloniens, trop intéressés par l’empirique qu’ils négligèrent la part de la théorie, les
asiatiques, trop portés à valoriser les lois du néant pour porter attention aux lois déterministes
de la nature. On débat âprement pour dire ce qu’il en fut des égyptiens, l’enjeu étant de savoir
s’ils doivent être considérés comme de simples précurseurs de la science moderne ou comme
de véritables fondateurs. Mais que l’Égypte antique ait ou non fondé la science au sens
moderne du terme, la tâche nous incombe d’équiper cette science (sur les plans institutionnel,
financier, technologique et organisationnel) et de lui faire jouer le rôle stratégique que l’on est
en droit d’en attendre sur les plans technologique, stratégique et décisionnel. La science
s’effectue à la croisée des chemins de la théorie et de l’expérience et elle permet de modéliser
le réel grâce à des connaissances théoriques qui expliquent les faits et décrivent correctement
les résultats des observations. En Afrique la théorie est dénigrée et l’expérience sous-équipée.
La tendance forte à survaloriser les causalités surnaturelles, nous rend encore résistants à la
vision déterministe du monde. Ainsi il est plus aisé d’attribuer la récurrence des accidents de
circulation routière à des pratiques de sorcellerie que de se préoccuper, d’abord, des facteurs
tels que l’âge et l’entretien des véhicules, le traitement des chauffeurs, etc.

Par rapport à la possibilité d’un socle moral du droit, la tendance est à faire reposer les
droits nationaux sur les droits de l’homme et à faire reposer les droits de l’homme sur une
conception liberticide de la liberté. Il s’agit de la liberté négative : « le fait d’être libéré de »
(par exemple de la prison, de l’esclavage, de l’oppression, etc.), et qui sert d’alibi pour
dénoncer toute espèce de norme comme si l’humanité pouvait se passer de normes. Or ce qui
est visé, c’est l’idée, avancée depuis le jardin d’Éden, que Dieu ait le droit de nous prescrire
des normes. Nous l’avons souligné plus haut, cette idée d’une liberté négative a été assumée
philosophiquement par Hegel (qui essaya de libérer l’homme de Dieu pour le soumettre à
l’État rationnel), repris et amendé par Sartre, qui, quant à lui, essaya de libérer l’individu de
tout autre que lui, pour le confier précisément à sa liberté, quitte à faire de cette liberté « une
malédiction » et « une passion inutile ». D’où le triomphe de la « vie privée », de la société
individualiste et anomique. En s’en tenant à l’héritage éthique de l’Afrique, l’on peut se
demander quel sens doit prendre cette notion de vie privée dans un continent qui, depuis
notre autrefois égypto-nègre, jusqu’à notre présent mondial, en passant par notre avant-hier
médiévale, ère de grands empires, et notre hier notamment colonial, aura tâché de définir
l’individu dans une relation fondamentale avec autrui : la famille, l’ethnie, la nation, les
ancêtres (cf. Alfa Ibrahim Sow). Entre la représentation d’un Africain absolument
communautaire et celle d’un Africain entièrement insulaire, il y a place pour un africain
historiquement et culturellement péninsulaire. Nous avons besoin d’idées occidentales, mais
pas nécessairement d’idéaux occidentaux. Nous avons besoin que s’établisse un tamis
axiologique de notre droit et qui tienne compte du principe de « l’exception d’ordre public »,
actuellement en passe d’être cassé, à dessein, pour nous imposer les pires restes de la
« civilisation » occidentale par le biais d’un état de nécessité. Malheureusement, diversement
déclinée, la liberté liberticide est encouragée par divers penseurs opposés à l’idée même de
raison, et finalement plus enclins à tout remettre en question qu’à se remettre eux-mêmes en
question. Ces penseurs se reproduisent dans plusieurs de nos intellectuels, pour qui la crainte
de l’éternel n’a pas de sens.
18

Où trouvera-t-on des intellectuels chrétiens pour leur donner le change ? Tandis que
les intellectuels païens, ésotéristes et/ou homosexuels, bénéficient de financements spéciaux,
organisés et faciles, les chrétiens africains d’ici et d’ailleurs, plus préoccupés par leurs intérêts
égoïstes ou par leurs chapelles égocentriques, peinent à s’organiser pour financer la formation
d’une génération d’intellectuels pour Dieu, d’une génération semblable à celle de Daniel.
Faut-il vraiment se contenter d’intercéder ?

Par rapport à l’exceptionalité de la foi chrétienne, la Bible s’ouvre sur un univers


unique, magnifique, ordonné et splendide, que le simple bon sens nous interdit d’attribuer au
hasard. Elle nous présente l’être humain comme être unique, par sa conscience réflexive et
morale, et dont on ne peut rendre compte autrement que par l’image de Dieu en nous. La
Bible nous présente un salut unique, gratuit et instantané, et nous prévient suffisamment que
l’iniquité va aller en augmentant, qu’aucune solution humaine, à l’instar de celle envisagée
avant les deux guerres mondiales, ne peut ôter le péché, et que la seule espérance pour la terre
et le ciel se trouve en Christ sans qui tout est confus et absurde.

Aucun autre Dieu n’est venu nous rendre visite en personne ! Et seul le Dieu de vérité,
qui n’a peur d’aucune vérité, a pu alléguer la compatibilité entre vérité spirituelle et vérité
scientifique : deux formes si exceptionnelles de vérité.

Bibliographie sommaire
ARENDT (Hannah), Condition de l’homme moderne (1961), Paris, Calman Lévy, 1983.
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