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CM4 Frontières

Les nouvelles frontières de l'espace numérique

Cyberespace : réseau de communications transnationales par nature, avec des infrastructures transfrontalières. L'essor
d'Internet dans les années 1990 est associé à l'idée d'un « village global » [MCLUHAN]. Deux phénomènes ont aujourd'hui
transformé cette idée d'un cyberespace comme espace neutre :
 L'augmentation des cyberattaques : par exemple en Estonie en 2007. Elles ont visé les sites web d'organisations
estoniennes, tels que le parlement estonien, les banques, les ministères, les journaux et les diffuseurs, à la suite de
désaccords avec la Russie, sur le déplacement du Soldat de bronze, une statue d'un soldat en uniforme soviétique
située dans un cimetière militaire à Tallinn.
 L'hégémonie numérique des États-Unis : Edward SNOWDEN montre les caractéristiques politiques de cet espace.

De nombreux États ont mis en place des politiques afin de protéger ce qu'ils considèrent être un espace national, notamment
par le biais de processus de territorialisation en réponse à l'hyperpuissance américaine dans ce domaine. Ce processus
s'exprime par des réalisations techniques (construction de data centers), des transformations logiques (logiciels, protocole de
comptage). Il passe également par des réponses juridiques, avec des mesures de data-localisation (mesures européennes
comme le Règlement Général sur la Protection des Données, RGPD). Elles produisent des effets territoriaux, et donc des effets-
frontière dans le cyberespace.

I. Définir le cyberespace

Il existe énormément de définitions, presque autant que d'auteurs, et elles sont toutes orientées et dessinent une forme de
représentation du cyberespace qui a des impacts politiques en fonction des acteurs.
• C'est avant-tout une représentation. Le mot apparaît dans un roman d'anticipation de William Gibson, Neuromancien
(1984). Il s'agissait de détruire un futur apocalyptique dans lequel les hommes connectaient leur cerveau à un
ordinateur pour découvrir une nouvelle dimension, le cyberespace, qui permettait aux plus doués d'entre eux
d'expérimenter un certain nombre de trafics. Cette représentation n'est pas si éloignée de celle des pionniers de
l'Internet dans les années 1990.
• Dans les années 1990, on retrouve l'idée que le cyberespace est affranchi des frontières terrestres. Les premiers
internautes avaient l'impression de se dégager des contraintes politiques dans cet espace de liberté et d'échanges
infini.
• Dans les années 2000, on entend parler pour la première fois de « territoire du cyberespace », dans le cadre des
droits de l'Homme. En 2000, un militant parvient à interdire dans le territoire français un certain nombre de sites
néonazis. Des représentations plus précises sont également mises en avant, notamment celle formulée en 2011 par
l'ANSI (Agence Nationale des Sécurités de l'Information). Cette agence française, accompagnée de son homologue
allemand le BSI, publie un rapport Stratégie de la France pour la défense des systèmes d'information. On y trouve une
définition essentiellement technique qui évacue de fait toute dimension politique du réseau : « espace de
communication constitué par l'interconnexion mondiale d'équipements de traitement automatisé de données ». A
partir de cette définition, une agence peut agir sur le cyberespace en formulant l'idée que cette affaire est une affaire
d'ingénieurs, pas de géographie politique.

La littérature stratégique américaine propose des définitions un peu plus complexes : il est défini tour à tour comme un
environnement, un domaine, un moyen :
• Un environnement : intérêt pour des processus techniques.
• Un moyen, un médium  : ajout de la dimension humaine. Le cyberespace est donc une communication entre un
individu A et B.

Dans le langage courant, le cyberespace est souvent défini avec un langage géographique, maritime (surfer, des pirates...), ou
lié à l'air (cloud) ou biologique (virus). On projette des représentations sur le cyberespace qui nous ramènent à un monde
physique, matériel. Chaque acteur utilise donc son propre cyberespace. Ce n'est pas un espace unique et univoque mais une
superposition d'espace, les acteurs n'en ont ni la même représentation ni la même utilisation. La superposition est ainsi une
idée fondamentale. Le cyberespace est une superposition d'ensembles spatiaux. On définit généralement le cyberespace avec
une métaphore géologique, par couches. On peut en retenir 3 :
➢ Une couche physique, le hardware.
➢ Une couche logique (la couche logicielle, des protocoles, des systèmes d'exploitation, des applications). Cette couche
applicative peut donc aussi être considérée comme une quatrième couche à part entière. La couche logique est
généralement celle qui est la plus attaquée (software).
➢ Une couche sémantique : le contenu, ce qui nous intéresse quand on est sur Internet, la couche des interactions
sociales et des échanges d'informations.

Cette conception d'un espace structuré par couches est intéressante car elle permet au géographe d'établir une cartographie.
La cartographie la plus connue est celle des câbles sous-marins, donc la couche physique. On y voit très bien la centralité des
États-Unis puisque la quasi-totalité des câbles transatlantiques et transpacifiques sont polarisés par les États-Unis. On retrouve
le même raisonnement pour la couche logique avec des serveurs hôtes, de premier niveau. Des espaces entiers (sur le
continent africain notamment) sont dépendants de serveurs extérieurs pour accéder au cyberespace. Cela a un vrai impact sur
le transit des flux de données. C'est ainsi un espace qui cesse d'être neutre, avec des centres et des périphéries. Ce
raisonnement s'applique également au niveau de la couche sémantique avec les moteurs de recherches : on voit différents
blocs comme les espaces chinois ou russe, qui utilisent des moteurs de recherche nationaux. Par exemple, presque tout
l'espace post-soviétique utilise le réseau social russe Vkontakte, similaire à Facebook. Depuis 2014, il passe sous le contrôle
d'hommes proches de Poutine. Dans ces espaces, on a des échanges privilégiant des langues différentes et des contenus
informationnels différents.

C'est espace n'est donc ni neutre ni immatériel. On y retrouve des luttes de pouvoir classiques, des éléments qui s'inscrivent
dans une géographie classique et cartographiable. On voit émerger une suprématie américaine et des réactions qui tentent de
la remettre en cause. La Russie et la Chine ont très vite réagi et essayé de s'approprier cet espace. Dans d'autres régions, des
politiques de contrôle se sont développées. Les réactions à la domination américaine ne concernent pas que les États puisque
des mouvements émergent au sein des sociétés civiles avec des acteurs commerciaux (GAFAM, BATIX en Chine). Cet espace de
rapport de force fait émerger des frontières.

II. Des frontières dans le cyberespace

Internet est différent du cyberespace : Internet est un sous-domaine du cyberespace. CE dernier est bien plus large et
comprend tout un tas d'échanges numériques, dont le dark web etc.

1. Un espace sans frontières  ?

Les acteurs initiaux du web avaient pensé Internet comme un lieu au-delà du réel, qui ne serait pas soumis aux juridictions
classiques du monde physique et des frontières nationales et étatiques, les règles étant fixées directement par le bas, par les
internautes eux-mêmes.
➔ John Perry BARLOW a publié en 1996 une « Déclaration d'indépendance du cyberespace ». Il soutient l'idée qu'aucun
gouvernement (ou toute autre forme de pouvoir) ne peut s'imposer et s'approprier Internet, alors en pleine
extension. Cela vise principalement les États-Unis. Il affirme que les USA n'ont pas eu le « consentement des
gouvernés » pour appliquer leurs lois sur Internet. Il précise qu'Internet se régule lui-même, avec ses propres codes et
langages sociaux.

La pratique a évolué à plusieurs niveaux. La première frontière dans le cyberespace est posée en 2000. Marc KNOBEL, militant
des Droits de l'Homme français, attaque en justice la firme Yahoo en lui imposant de bloquer des sites néonazis présents sur le
territoire français alors qu'ils étaient autorisés aux États-Unis. Cette joute, qui semble être juridique, a de fortes conséquences
notamment avec des débats opposant une vision libérale et capitaliste à celle de Knobel, plus territoriale. On commence à voir
une territorialisation de l'Internet qui se joue par la suite : territorialisation économique, politique, voire même stratégique,
qui émerge dans le courant des années 2000.
➔ Une territorialisation stratégique émerge face aux cyberattaques. La première cyberattaque de grande ampleur qui
concerne un État (d'où l'emploi du terme de « guerre ») a lieu en Estonie en mai 2007. Elle paralyse le pays pendant
plusieurs jours, l'Estonie étant très avancée dans la numérisation de ses activités. L'attaque a lieu par déni de service :
elle utilise une masse d'ordinateurs zombies, les botnets, qui envoient au même moment des requêtes sur des
serveurs ciblés et localisés (milliers voir millions de requêtes qui entraînent un blocage du système). Les attaques se
multiplient, comme en Géorgie en 2008, et elles viennent principalement de la Russie, mais pas que, comme l'attaque
contre Sony en 2015.

A partir du moment où les cyberattaques émergent, les États cherchent à sécuriser leur territoire national (ANSI en France,
Cyber Command aux États-Unis). Une territorialisation est en marche à partir des années 2000, dans laquelle les États
cherchent à adapter les infrastructures physiques du cyberespace aux frontières de leurs territoires.

2. Comment définir une frontière dans le cyberespace ?

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