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ENID BLYTON

LES ROBINSONS

DE

L’ÎLE PERDUE

TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR CLAUDE VOILIER

ILLUSTRATIONS DE JEAN-LOUIS HENRIOT

HACHETTE
 

Edition originale en anglais

L’EDITION ORIGINALE DE CE ROMAN

A PARU EN LANGUE ANGLAISE

CHEZ GEORGES NEWNES LIMITED,

LONDRES, 1941, SOUS LE TITRE :

THE ADVENTUROUS FOUR

©Darell Waters Limited, 1941.


CHAPITRE PREMIER
Le début de l’aventure

TROIS enfants descendaient en courant le sentier rocheux


conduisant à la plage. Tom venait en tête. C’était un garçon de
douze ans, mince et nerveux, dont les cheveux roux flamboyaient au
soleil.

Tournant la tête, il regarda de ses yeux verts, pétillants de malice,


les filles qui le suivaient :

« Avez-vous besoin d’un coup de main, vous deux ? »

Mary et Jill haussèrent les épaules.

« Ne sois pas ridicule, Tom, dit Mary. Nous sommes aussi agiles que
toi quand il s’agit de courir sur les rochers. »

Toutes deux étaient des jumelles de onze ans et se ressemblaient


de façon incroyable, avec leurs épaisses tresses blondes et leurs
yeux bleu saphir.
Les trois enfants passaient leurs vacances dans un petit village de
pêcheurs, sur la côte nord-est de l’Ecosse. Leur père était officier
dans l’armée de l’air. Leur mère les avait accompagnés, tricotant à

longueur de journée dans le jardin de la maisonnette blanche qu’ils


avaient louée. On était en 1941, au cœur de la Seconde Guerre
mondiale.

Le trio s’était fait un ami : Andy. Agé de quatorze ans, grand et


robuste, il venait tout juste de quitter l’école pour travailler avec son
père, marin-pêcheur. Andy avait des cheveux noirs, des yeux bleus
et un agréable visage, bronzé par le soleil et l’air du large. Il semblait
tout connaître de la mer, des bateaux et de la pêche. Il savait même
imiter le cri de n’importe quel oiseau et parvenait ainsi à attirer
même les mouettes sauvages.

Chaque jour, les enfants allaient bavarder avec leur ami, le


regardaient ramener ses prises, les nettoyer et les empaqueter avec
soin pour l’expédition.

Il aimait beaucoup Tom, Jill et Mary et les emmenait parfois avec lui
dans son petit bateau. Il leur avait appris à nager comme des
poissons, à ramer de façon efficace et à grimper au flanc des
falaises comme des chats.

Arrivé au bas du sentier rocheux, le trio courut vers Andy, assis à


côté de son bateau et occupé à réparer un filet. Levant les yeux à
leur approche, le grand garçon sourit aux enfants.

« Laisse-moi t’aider, Andy », proposa tout de suite Mary.

S’emparant d’une extrémité du filet, elle se mit au travail avec


habileté.

« Andy, demanda Tom, as-tu parlé à ton père de notre projet ?

— Bien sûr, répondit Andy. Il est d’accord… à condition que je


travaille dur toute cette semaine.
— Oh, Andy ! C’est épatant ! s’écria Jill, enthousiaste. Tu es certain
que ton père veut bien te prêter son voilier et t’autorise à nous
emmener en promenade à Little Island ? Je n’aurais jamais cru qu’il
accepterait !

— J’avoue que j’ai été heureusement surpris moi aussi, dit Andy.

Mais mon père sait que je suis capable de manœuvrer le bateau


aussi bien que lui. Vendredi, nous mettrons le cap sur Little Island,
que vous avez baptisée “l’Ile aux oiseaux”. Papa est d’accord pour
que nous passions là-bas deux jours. Je vous montrerai des nids

étranges, sans, parler de la falaise que hantent des colonies entières


d’oiseaux.

— Nous emporterons un stock de nourriture, décida Tom qui avait


toujours faim. Quand je suis au bord de la mer, j’ai constamment
l’estomac dans les talons.

— Moi aussi, reconnut Mary. C’est quelque chose d’effrayant.

Depuis que nous sommes ici, je ne pense qu’à manger.

— Donc, reprit Tom, nous embarquerons des montagnes de


ravitaillement, et je prendrai aussi mes jumelles.

— N’oubliez surtout pas de prévoir des vêtements chauds et des


couvertures ! recommanda Andy.

— Tu crois que nous en aurons besoin ? demanda Jill. Ce mois de


septembre est drôlement chaud…

— La chaleur ne durera pas, prédit Andy. Et s’il se met à faire froid


tandis que nous serons en mer, tu le sentiras passer !

— Bon, bon, dit Tom. Nous emporterons tout ce que tu voudras.

Mais j’y pense ! Pourquoi pas mon phonographe ? De la musique


sur l’eau, fantastique, non ? »
Depuis longtemps, le trio désirait visiter l’île dont le jeune pêcheur
leur faisait une description enthousiaste : un endroit plein d’oiseaux,
aux falaises rocheuses, et dont une crique offrait une plage couverte
de curieux galets jaunes. Malheureusement, l’île en question était
trop éloignée pour qu’on pût songer à faire l’aller et retour en une
seule journée. Et voilà que le père d’Andy acceptait de prêter son
voilier à son fils, permettant ainsi aux quatre amis de passer deux
jours sur l’île…

Le jeudi suivant, les trois enfants se donnèrent beaucoup de mal


pour transporter la nourriture, les couvertures et diverses autres
choses jusqu’au bateau. Andy regarda avec stupéfaction
l’amoncellement des victuailles.

« Avez-vous l’intention de nourrir un régiment ? demanda-t-il.

Six boîtes de soupe… six boîtes de fruits… des conserves de


viande…

du chocolat… du lait condensé… des biscuits… du cacao… du


sucre…

et ça, qu’est-ce que c’est ?

— Des saucisses en boîte, murmure Tom en rougissant un peu.

— Tom raffole de saucisses, expliqua Jill. Il en mangerait au petit


déjeuner, à midi, au goûter et le soir. Regarde, Andy ! Avons-nous
pris assez de couvertures ?

— Mais oui, répondit le jeune pêcheur après un coup d’œil à


l’étrange collection de vieilles couvertures rassemblées par Jill. Et
n’oubliez pas de vous habiller chaudement ! »

Tom embarqua encore son phonographe, une pile de disques et son


appareil photo.
« Je photographierai les oiseaux, expliqua-t-il. Nous avons un club
d’ornithologie à l’école et j’aimerais bien rapporter quelques clichés
sensationnels. »

Jill jeta un coup d’œil confiant au solide petit bateau de pêche à bord
duquel ils allaient naviguer. Pour l’instant, sa voile brun-rouge était
roulée mais, demain, elle se gonflerait sous la brise et emmènerait
les quatre amis bien loin sur les eaux bleues et vertes.

« Le départ est pour quelle heure ? demanda Jill.

— Soyez ici à six heures et demie, répondit Andy. J’ai calculé que
nous devrions ainsi aborder l’île vers les trois heures de l’après-midi.

Cette nuit-là, les trois enfants eurent du mal à s’endormir. A six


heures du matin, ils se préparèrent en hâte.

La journée, semblait-il, s’annonçait magnifique. A l’est, le ciel, rouge


à l’aube, virait à présent au rose et or. Le soleil était déjà chaud

: les enfants en sentirent la tiédeur en se penchant à la fenêtre de


leur chambre.

Leur mère était éveillée elle aussi. Tom et ses sœurs l’embrassèrent,
lui dirent au revoir, puis dévalèrent le sentier conduisant à la plage.
Andy était déjà là mais les enfants, surpris, constatèrent qu’il avait
l’air grave. Dès qu’il les aperçut, le jeune pêcheur déclara :

« Je crois que nous ferions mieux de ne pas partir.

— Andy ! Tu veux rire ?

— Peut-être n’avez vous pas remarqué la couleur du ciel, ce matin

? dit Andy. Il était aussi rouge que le géranium qui orne notre
fenêtre. C’était vraiment un drôle de ciel… J’ai idée qu’une tempête
se prépare pour aujourd’hui ou pour demain.
— Oh, cesse de faire le rabat-joie, Andy ! protesta Tom en grimpant
dans le bateau. Qu’importe une tempête ? Nous aurons atteint l’île
bien avant qu’elle n’éclate… Et si elle ne survient que demain, nous
en serons quittes pour rester un peu plus longtemps sur l’île. Avec
ce que nous emportons, nous ne risquons pas de mourir de faim.

— Je regrette que mon père soit allé pêcher dans le bateau de mon
oncle, soupira Andy. Lui nous aurait empêchés de partir.

Enfin… peut-être la tempête passera-t-elle au large. Allons,


embarquez ! Je suis bien content que vous ayez pensé à mettre, de
gros pulls. Si le vent se lève, nous pourrions ne pas avoir très chaud
cette nuit.

— Nous avons tous les trois enfilé nos maillots de bain sous nos
vêtements, déclara Jill. Allez, Andy, pousse ! Il me tarde d’être partie

Et Andy poussa. La quille racla un peu la roche du fond, puis le


bateau se trouva porté par les vagues. Andy sauta à bord avec
légèreté. Tom et lui prirent les avirons. Ils n’avaient pas l’intention de
hisser la voile avant d’être sortis de la baie et d’affronter la pleine
mer.

La matinée était vraiment belle. Tom, Jill et Mary étaient heureux.


Seul Andy n’était pas d’humeur joyeuse. Tout au fond de lui, une
petite voix soufflait qu’il n’aurait pas dû emmener les enfants en
promenade ce matin-là. Il était certain que la journée ne serait pas
aussi merveilleuse qu’ils l’avaient imaginée et déplorait l’absence de
son père qui les aurait conseillés. Fréquemment, le jeune garçon
scrutait le ciel, à la recherche d’éventuels nuages. Mais il n’en
apercevait aucun.

« Nous voilà en route pour notre grande aventure ! » s’écria soudain


Jill.
Elle ne se doutait pas, alors, à quel point cette aventure serait
extraordinaire !

CHAPITRE II
Perdus dans la tempête
DÈS QUE le bateau eut quitté la baie, Andy hissa la voile. Le vent la
gonfla aussitôt. L’embarcation prit de la vitesse tandis que les
garçons rentraient les avirons.

« Je prends la barre ! annonça Tom en s’installant au gouvernail.

— Pique droit vers le nord-est, Tom ! dit Andy. Sais-tu t’orienter


d’après le soleil ?
— Bien sûr, affirma Tom qui avait appris à donner l’heure, en
s’aidant de la position de l’astre. Est-ce que ça va comme ça, Andy ?

A mon avis, il doit être environ sept heures et demie. »

Jill se pencha vers sa sœur et lui chuchota quelques mots à l’oreille.


Mary se mit à rire.

« De quoi riez-vous ? demanda Tom.

— Nous te le dirons dans une minute ou deux », répondit Jill.

Le voilier fit un bond sur l’eau verte et des gouttelettes froides et


argentées aspergèrent les enfants.

« Dites donc ! s’écria Tom une minute plus tard. Je commence à


avoir faim, moi ! N’allons-nous pas bientôt manger ? »

Les jumelles s’étranglèrent de rire.

« Ha, ha, ha ! expliqua Jill. C’est ce que je disais à Mary tout à


l’heure : “Je parie que Tom ne va pas tarder à annoncer qu’il a faim
et réclamer son petit déjeuner.” Vous voyez que je ne m’étais pas
trompée. »

Tom ne put s’empêcher de rire lui aussi.

« Je parie, de mon côté, que vous êtes aussi affamées que moi.

Descendez dans la cabine et voyez ce que vous pouvez nous


préparer.

Andy et moi, nous sommes occupés. »

Les filles se rendirent dans l’étroite cabine, pleine à craquer de


nourriture et de matériel de camping.

« Voyons, murmura Jill en passant le ravitaillement en revue.


Qu’allons-nous faire ? Que dirais-tu de cette boîte de tranches
d’ananas… de ces œufs durs… de lait condensé et de chocolat ?
Nous avons aussi du pain et du beurre.

— Ce serait parfait, il me semble. »

Ce fut un petit déjeuner assez spécial, mais les quatre enfants s’en
régalèrent. Pour faire descendre les œufs, chacun puisa dans un
tonnelet d’eau fraîche. Après quoi, Jill déclara :

« Je vais me mettre en maillot de bain ! Je commence à avoir chaud.

— Moi aussi ! » avoua Mary en imitant sa sœur.

Tom ôta son chandail mais Andy conserva le sien.

« Voilà ce que j’appelle vivre, affirma Jill, allongée sur le pont et


appréciant les embruns qui, de temps à autre, venaient rafraîchir ses
membres brûlants. Pourrai-je barrer tout à l’heure, Tom ?

— Bien sûr ! Nous tiendrons la barre chacun à notre tour. Tu verras,


c’est fantastique. Le vent souffle fort et la voile ressemble à l’aile
d’un oiseau géant. »

Il était exact que le petit voilier donnait l’impression de voler sur les
flots.

« Si nous continuons ainsi, déclara Andy, nous toucherons Little


Island avant même trois heures de l’après-midi. »

Vers midi, le soleil devint tellement brûlant que chacun mit un


chapeau. Par ailleurs, le vent avait forci et fouettait la crête des
vagues.

« Il est midi passé, rappela Tom. Que diriez-vous…

— … d’un bon déjeuner ? achevèrent tous les autres en chœur,


sachant d’avance ce que Tom allait dire.
— Moi, j’ai plus soif que faim… » commença Jill.

Elle s’interrompit en voyant l’air soucieux d’Andy.

« Pourquoi regardes-tu le ciel comme ça, Andy ?

— Sa couleur m’inquiète. Elle est bizarre, surtout vers l’ouest ! »

Chacun tourna la tête dans la direction indiquée. Le ciel,


effectivement, était couleur de cuivre.

« Il y a de la tempête par là-bas, continua, Andy en humant l’air à la


manière d’un chien. Je la sens d’ici.

— Atteindrons-nous l’île avant qu’elle nous rejoigne ? demanda Jill.

— Nous ferons de notre mieux, répondit le jeune pêcheur. Notre


bateau ne peut pas filer plus vite qu’en ce moment. La voile est
gonflée au maximum. »

La mer, à son tour, prit une couleur bizarre, à la fois bleue et


rougeâtre.

« Cela vient de ce qu’elle reflète ce ciel étrange, expliqua Jill, mal à


l’aise. Je me sens toute drôle, si loin de la terre ferme, alors que le
ciel et la mer ressemblent si peu à ce qu’ils sont d’habitude. »

Soudain, il se produisit quelque chose d’encore plus curieux que tout


le reste. Le vent qui, jusqu’alors, n’avait cessé de souffler avec force,
tomba d’un seul coup. Le petit voilier arrêta sa course rapide et
demeura sur place, comme à l’ancre.

« Allons, bon ! s’exclama Tom. Quelle poisse ! Il n’y a plus du tout de


vent. Et, sans vent, jamais nous n’atteindrons l’île. Est-ce qu’il faut
sortir les rames, Andy ?

— Non, répondit Andy qui avait pâli sous son hale. C’est inutile,
Tom. Dans un instant, nous aurons de nouveau du vent… plus que
nous n’en souhaitons, même. Ce qu’il faut faire, c’est diminuer la
voilure. Si nous laissions toute la voile, le bateau prendrait le mors

aux dents sous les rafales. Car la tempête approche. Je l’entends


venir. »

Effectivement, une sorte de bourdonnement inquiétant commençait


à emplir l’air, venant de toutes les directions à la fois.

Puis un énorme nuage pourpre se leva à l’ouest et cacha le soleil.

L’atmosphère s’assombrit brusquement et une pluie diluvienne se


mit à tomber.

« Nous y voilà en plein, soupira Andy. Aide-moi à rouler la voile,


Tom. Et toi, Jill, prends la barre. Tâche de tenir le cap ! Allez, Tom,
tire fort ! »

Les deux garçons s’activèrent autour de la grande voile brune mais,


avant qu’il aient pu en venir à bout, la tempête éclata pour de bon.
Un immense éclair parut fendre le ciel, bientôt suivi d’un grand coup
de tonnerre.

Et puis, le vent se mit à souffler en rafales. Jamais Tom et ses sœurs


n’auraient pu imaginer un vent pareil. Pour communiquer entre eux,
les enfants devaient crier à tue-tête. Andy hurla aux filles :

« Vite ! Descendez dans la cabine. Enfermez-vous à l’intérieur et


n’en bougez plus !

— Oh, non ! protesta Jill d’une voix forte. Permets-nous de rester ici

Mais Andy arborait un air si grave et plein d’autorité que les jumelles
n’osèrent désobéir. Elles dégringolèrent plus qu’elles ne
descendirent dans la cabine et fermèrent la porte. Au-dehors, le vent
donnait de la voix… hurlait et se lamentait. Il soulevait la mer en
vagues énormes qui, à tout instant, menaçaient de faire chavirer le
bateau. Autour des deux sœurs, les objets entassés dans la cabine
basculèrent et se mirent à rouler de côté et d’autre. Elles les
ramassèrent et les calèrent tant bien que mal ici et là.

Elles n’avaient pas fini leur rangement quand la pile des disques
apportés par Tom fut projetée sur le sol avec fracas.

« Flûte ! cria Jill. Ils sont tous cassés ! »

C’était vrai… à l’exception d’un seul. Les jumelles se hâtèrent de


mettre ce rescapé en un endroit sûr, tout en se demandant ce que
diraient les garçons quand on leur apprendrait la catastrophe.

Pendant ce temps, là-haut, sur le pont, Andy et Tom luttaient contre


les éléments déchaînés. Tom n’avait pas eu le temps de remettre
son chandail. En short et torse nu, le malheureux frissonnait chaque
fois qu’une vague le mouillait. Et le vent glacial ne contribuait certes
pas à le réchauffer.

Le pont était humide et glissant, la mer couverte de moutons. Le


voilier montait à l’assaut de chaque énorme vague, puis plongeait
dangereusement pour affronter la suivante, non moins grosse, et
ainsi de suite, montant et descendant sans cesse, tandis qu’Andy
s’occupait frénétiquement de la voile.

« Qu’essaies-tu de faire ? cria Tom, cramponné à la barre.

— Je voudrais amener toute la voile ! hurla Andy. Impossible de la


laisser en place. Elle offre trop de prise au vent. Nous risquerions de
chavirer. »

Mais le pauvre Andy n’eut pas à aller jusqu’au bout de ses efforts.

Brusquement, la voile fut arrachée par une bourrasque, tournoya un


instant dans l’air, puis s’abattit au milieu des vagues et disparut.

Seul, un morceau de toile resta fixé au mât, claquant follement dans


la tourmente. Privé de sa voile, le bateau ralentit sur-le-champ.
Malgré cela, l’unique bout de toile restant suffit à lui conserver une
certaine vitesse.

Andy ne souffla mot. Il se contenta de rejoindre Tom au gouvernail.


Côte à côte, ils firent face à la tempête. Le tonnerre grondait et
roulait dans le ciel. Les éclairs se succédaient, illuminant la mer
houleuse et d’une sinistre couleur gris ardoise. La pluie tombait par
rafales, si cinglante que les deux garçons devaient courber la tête et
fermer les yeux. Pour une aventure, c’était une aventure. Les
pauvres n’en avaient pas demandé tant !

« Est-ce que nous y arriverons, Andy ? cria Tom au bout d’un


moment. Approchons-nous de l’île ?

— Je crains que nous ne l’ayons dépassée ! hurla Andy. Au train où


nous filions, nous aurions déjà dû l’atteindre. Dieu seul sait où nous
sommes maintenant ! »

Tom regarda Andy en silence. Ils avaient dépassé l’île ! Et la


tempête qui ne cessait de les pousser plus loin ! Et leur voile perdue
!

Comment tout cela allait-il finir ?


CHAPITRE III
Naufragés !

LONGTEMPS, longtemps, le bateau continua sa course, son


lambeau de voile toujours claquant au vent.

« Cette tempête ressemble fort à un cyclone, qu’en penses-tu ?

cria Tom dans la tourmente.

— Oui, c’est vrai, répondit Andy sur le même ton. N’empêche qu’elle
paraît faiblir un peu. »

Il ne se trompait pas. De loin en loin, à présent, se produisait une


accalmie. Le vent tombait alors jusqu’à ne plus être qu’une forte
brise. Puis, il recommençait à souffler furieusement. Le tonnerre
n’éclatait plus à l’aplomb du bateau mais beaucoup plus loin, vers
l’est. Les éclairs continuaient à zébrer le ciel, mais avec moins
d’éclat qu’une heure ou deux auparavant.

Enfin, aussi brutalement qu’elle était venue, la tempête cessa.

Cela ne laissait pas d’être surprenant. Une portion de ciel bleu


apparut à l’ouest puis grandit de plus en plus, à mesure que les gros

nuages noirs s’enfuyaient vers l’est. La luminosité revint. La pluie


s’arrêta. Le vent mourut pour céder la place à une brise légère et le
bateau cessa de jouer aux montagnes russes.

La porte de la cabine s’ouvrit et deux visages plutôt verdâtres


scrutèrent tristement l’horizon .

« Nous avons eu le mal de mer, avoua Jill. C’était affreux.

— Quelle horrible tempête ! dit Mary. Allons-nous bientôt arriver


?

— D’après Andy, répondit Tom d’un ton lugubre, nous avons


dépassé l’île. Il ne sait pas où nous sommes.

— Grand Dieu ! s’exclama Mary. Regardez ! La voile a été arrachée.


Comme faire pour la remplacer ?

— Il y en a une vieille dans la cabine, expliqua Andy. Allez la


chercher, voulez-vous ? Je verrai si je peux en tirer parti. »

Le soleil brillait de nouveau. Le pauvre Tom, que la tempête avait


glacé jusqu’aux os, en éprouva un grand soulagement. Il se dépêcha
de quitter son short mouillé et enfila son chandail. Voilà qui était
beaucoup mieux !

Andy, pour sa part, semblait insensible aux variations de


température. Il s’empara de la vieille voile et l’examina avec soin.

Allons ! elle était encore bonne et, avec l’aide de Tom, sans doute
pourrait-il la mettre en place.

« Je me rappelle, expliqua le jeune pêcheur dont les vêtements


trempés fumaient au soleil, que mon père m’a parlé d’un groupe
d’îles, rocheuses et désolées, situées au nord de Little Island. Nous
allons mettre le cap dessus. Peut-être aurons-nous la chance de
rencontrer quelqu’un là-bas. Sinon, nous pourrons toujours dresser
un signal de détresse à l’intention des bateaux qui passeront. En
attendant, ce n’est pas de sitôt que nous serons de retour chez
nous.

Grâce aux efforts des deux garçons, la vieille voile, mise en place,
remplit correctement son office. Elle se gonfla au vent. Andy mit le
cap au nord. Il était alors cinq heures de l’après-midi et les quatre
amis se sentaient affamés.
Oubliant leur récent mal de mer, Jill et Mary descendirent dans la
cabine y chercher des provisions. Peu après, tous mangèrent avec

entrain et se sentirent tout de suite beaucoup mieux. Ils burent


ensuite de l’eau sans se priver. Andy s’aperçut trop tard qu’il n’en
restait plus une goutte à bord.

« Nous aurions dû nous rationner, dit-il. Si nous n’atteignons pas les


îles dont je vous ai parlé, nous n’aurons rien à boire demain.

Laisse ces pommes, Mary ! Nous serons bien contents de les avoir
pour nous rafraîchir demain matin. »

Mary, qui se disposait à mordre dans une grosse pomme, se hâta de


la reposer. En silence, elle et sa sœur remportèrent les fruits dans la
cabine. Les jumelles étaient soucieuses. Qu’avait dû imaginer leur
mère quand cette terrible tempête avait éclaté ? Ah ! comme elles
auraient aimé se trouver chez elles, bien à l’abri !

Le bateau continuait à cingler vers le nord. Petit à petit, le soleil


déclina à l’ouest. L’ombre du bateau s’allongea, violette, sur la mer.

C’était une soirée splendide.

« Regardez ! cria soudain Andy. Des mouettes ! Nous sommes sans


doute à proximité d’une terre. Pourtant, je n’en vois aucune.

Nous ferions bien de jeter l’ancre pour la nuit. »

C’est alors que les enfants subirent un choc terrible… Il n’y avait pas
d’ancre ! Andy, consterné, ne pouvait détacher ses yeux de l’endroit
où elle aurait dû se trouver. Comment avait-il pu oublier que son
père avait emporté l’ancre à bord du bateau de son oncle en lui
recommandant d’embarquer la vieille à la place ?

Oui, comment avait-il pu oublier ? Sans ancre, impossible


d’immobiliser le voilier ! Les quatre amis allaient être obligés de
continuer à naviguer jusqu’au moment où ils rencontreraient une
terre. Mais, de nuit, ne risqueraient-ils pas de heurter un récif ?

Andy, désespéré, regarda la mer vide. Hélas ! Il n’y avait plus qu’à
espérer. Les enfants devraient passer toute la nuit à la barre, à tour
de rôle. La lune brillerait, par bonheur… si, du moins, le ciel restait
dégagé. Dans ce cas, peut-être auraient-ils la chance de ne pas
rater une île, s’il s’en trouvait une sur leur route.

Jill et Mary étaient exténuées. Andy leur conseilla de descendre se


reposer.

« Et toi, Tom, va donc les rejoindre. Il te faudra remonter pour


prendre ton tour de garde dans quelque temps. Fais un somme

pendant que tu le peux ! »

Tom obéit et alla retrouver ses sœurs, laissant la porte de la cabine


ouverte car il faisait chaud. Les jumelles s’étendirent sur la couchette
tandis que Tom se contentait d’une pile de couvertures, sur le
plancher. Deux minutes plus tard, les trois enfants dormaient.

Andy demeura seul sur le pont. Le soleil s’était couché dans une
apothéose de pourpre et d’or. Le ciel avait viré au rose,
communiquant cette teinte à la mer. Maintenant, la nuit venait pour
de bon : les premières étoiles s’allumaient au firmament. Le petit
voilier poursuivait vaillamment sa route. Andy espérait de toutes ses
forces qu’une terre surgirait bientôt à l’horizon. Il se rappelait
clairement ce que lui avait dit son père. Au-delà de Little Island, loin
vers le nord, se trouvaient d’autres îles, désertes depuis pas mal de
temps, mais autrefois habitées par quelques fermiers, acharnés à
vivre du maigre produit de leur sol. Si seulement les enfants
pouvaient trouver du secours, là-bas !

La nuit tomba complètement et la lune se leva.

Malheureusement, des nuages se mirent à jouer à cache-cache


avec elle. Tantôt la mer miroitait comme un lac d’argent, tantôt elle
se couvrait d’un voile noir. Andy aurait bien aimé apercevoir autre
chose que la mer. Mais elle restait vide.

Le jeune pêcheur demeura à son poste jusqu’à minuit. Le vent de la


nuit s’était levé. Andy avait jeté une couverture sur ses épaules,
encore qu’il ne fit pas vraiment froid. Au bout d’un moment, il siffla
pour appeler Tom.

Tom se réveilla.

« Me voici ! » annonça-t-il en bâillant.

Arrivé sur le pont, il ne put s’empêcher de frissonner. Andy lui donna


sa couverture.

« Garde le cap au nord, dit-il. Et appelle-moi si tu vois quelque


chose. »

Demeuré seul sur le pont, Tom se sentit tout drôle. La vieille voile
claquait et le mât grinçait un peu. L’eau chantait de part et d’autre du
bateau. La lune semblait glisser dans le ciel et disparaissait par
intermittence derrière les nuages.

Tout à coup, ceux-ci devinrent si nombreux qu’ils la cachèrent


complètement. Tom n’y vit plus rien du tout. Il eut beau écarquiller
les yeux, il ne put rien voir, sinon, de loin en loin, la crête d’une
vague empanachée de blanc.

Soudain, il entendit quelque chose… on eût dit des vagues qui


déferlaient. Inquiet, il souhaita que la lune reparût. Comme pour
répondre à son vœu, elle surgit brusquement de derrière un nuage
et éclaira la mer une seconde avant de disparaître à nouveau.

Mais ce bref laps de temps avait suffi à Tom pour découvrir un


spectacle qui lui glaça le sang dans les veines : la mer se brisait sur
de gros rochers, juste en face de lui.

« Andy ! Andy ! hurla Tom en tirant de toutes ses forces sur la barre.
Des brisants droit devant ! »

Andy bondit sur le pont, éveillé et parfaitement lucide. Lui aussi


entendit le fracas des vagues qui se brisaient sur les récifs. Il prit la
barre en main.

Trop tard, hélas ! La quille racla un obstacle invisible. Le bateau émit


un long gémissement. Il venait de s’échouer sur des écueils !

Après avoir couru droit dessus, il gisait maintenant, à demi sur le


flanc, se plaignant comme un animal blessé. Sous le choc, les
jumelles étaient tombées de leur couchette.

« Accroche-toi, Tom ! hurla Andy en agrippant son compagnon qui


menaçait de passer par-dessus bord. Tiens bon ! Le bateau se
stabilise ! »

C’était vrai. Il semblait s’être finalement coincé entre deux rochers


qui le maintenaient solidement, quoique toujours penché.

Durant un moment, les enfants osèrent à peine respirer. Puis Andy


prit la parole :

« Le bateau ne bouge plus, déclara-t-il. Il est possible qu’il y ait un


trou dans la coque, mais il ne risque pas de sombrer, coincé comme
il l’est. Nous ne pouvons rien faire avant l’aube. »

Les

quatre

amis

attendirent

donc,

installés

plus

qu’inconfortablement sur le pont incliné. Heureusement que l’aube


approchait. Ils virent bientôt le ciel pâlir à l’est.

Puis la ligne argentée de l’horizon vira à l’or et le soleil surgit enfin.


Sa merveilleuse lumière inonda la mer, offrant aux naufragés un
spectacle qui leur fit pousser des cris de joie :

« Terre ! Terre ! »

Ils auraient même dansé sur place si l’inclinaison du pont ne le leur


avait interdit. Hé oui ! C’était bien une terre qu’ils apercevaient.

Une côte sableuse courait le long d’une falaise rocheuse. Une


végétation rabougrie surgissait ça et là, à l’intérieur, magnifiée par
l’or du soleil levant. C’était une île, désolée, rocheuse et éloignée de
tout, mais une île tout de même. Un endroit où les naufragés
pourraient allumer un feu, faire bouillir de l’eau et se réchauffer. Un
endroit où, peut-être, même, des gens pourraient leur prêter une
main secourable.

« Nous serons obligés de gagner la côte à la nage, dit Andy. La


distance n’est pas très grande. Une fois sortis de ces écueils, tout ira
très bien. En fait, maintenant que la marée a commencé à
descendre, nous pourrions presque sauter de rocher en rocher pour
atteindre la bande d’eau peu profonde qui nous sépare du rivage.
Essayons ! »

Il aida Mary à descendre tandis que Tom aidait Jill. Moitié


pataugeant, moitié nageant, les enfants quittèrent la zone des
brisants et eurent tôt fait de gagner la plage. Le soleil en avait déjà
chauffé le sable. Les enfants furent vite secs. N’empêche qu’ils se
félicitaient d’avoir suivi le conseil d’Andy et emporté leurs plus
chauds vêtements.

« A présent, décida le jeune pêcheur, il ne nous reste plus qu’à


escalader la falaise et voir si nous ne découvrons pas une habitation

quelconque. »

Ils grimpèrent donc. Arrivés au sommet de la falaise, ils regardèrent


autour d’eux. Un petit bois d’arbres rachitiques poussait non loin de
là, au flanc d’une colline. Les buissons bas semblaient collés au sol,
ça et là, comme pour échapper au vent qui balayait toute l’île. De
l’herbe recouvrait la mince couche de terre qui cachait le sous-
rocheux. Quelques pâquerettes y fleurissaient. Mais on n’apercevait
aucune maison. En fait, il n’y avait aucun signe de vie humaine.

Andy eut vite fait de prendre une décision.

« Si nous sommes obligés de séjourner ici un certain temps,


déclara-t-il, nous devons absolument vider le bateau de son
contenu.

Grâce au ciel, nous avons emporté quantité de provisions et pas mal


de couvertures. En ce moment, c’est marée basse et je suppose
qu’à marée haute la mer recouvrira entièrement le bateau.
Dépêchons-nous ! Retournons à l’épave et sortons-en tout ce que
nous pourrons, en commençant par le plus important. Tu monteras à
bord avec moi, Tom. Vous, les filles, vous pourrez rester en eau peu
profonde, à mi-distance de la côte et du bateau. Nous vous ferons
passer les affaires que vous irez porter sur le rivage. C’est ainsi que
nous, nous irons le plus vite. »

Ils dégringolèrent la falaise et entreprirent de vider le bateau de son


précieux contenu : nourriture, couvertures, phonographe, appareil
photographique, paire de jumelles, tabouret, table, outils divers,
vaisselle, bouilloire, allumettes, petit poêle, etc. ! Cela prit du temps.
Avant qu’ils aient terminé, la marée se remit à monter et le pont
disparut sous l’eau. La cabine fut évidemment inondée.

« Nous ne pouvons en faire plus, décréta Andy. Arrêtons-nous et


prenons un peu de repos. Et mangeons aussi un morceau. Je meurs
de faim ! »

CHAPITRE IV

L’île inconnue

CE FUT avec une certaine gravité que les jeunes naufragés


s’installèrent sur le sable pour prendre leur petit déjeuner. Pendant
que la tempête faisait rage, ils s’étaient montrés braves mais, à
présent, ils ressentaient la fatigue et éprouvaient une peur obscure.

Ils se sentaient mal à l’aise d’avoir peut-être à passer un temps


assez long sur une île inconnue avant qu’on vînt à leur secours. Et si
par hasard ils se trouvaient loin de la route suivie par les bateaux qui
sillonnaient cette partie de la mer ?

Andy assuma tout de suite ses responsabilités. C’était le plus âgé


des quatre enfants, et aussi le plus expérimenté. Les autres se
tournaient d’instinct vers lui. Il était grand pour ses quatorze ans et
saurait certainement quelles décisions prendre. Pour l’instant, il
réfléchissait, les yeux fixés sur l’épave et le front plissé.

« Il est évident, dit-il enfin, que nous voilà dans un joli pétrin.

Mais oublions un instant notre situation et savourons notre petit


déjeuner. Mieux vaut finir notre pain. Sinon, il ne tarderait pas à se
gâter. De même, nous consommerons en premier tout ce qui est
susceptible de se détériorer très vite… par exemple cette boîte de

viande que Tom a ouverte hier soir… et le reste du beurre… et aussi


les brioches que Mme Andrews nous a données. Et que diriez-vous
d’une boisson chaude ? Je n’ai pas vraiment froid, mais il me semble
que quelque chose de chaud achèverait de nous remettre d’aplomb.

Regardez ! Voici des allumettes, à l’abri de l’eau dans leur étui de


toile cirée. Nous ne pouvons pas utiliser le poêle à pétrole tant que
nous n’aurons pas récupéré le bidon qui est resté enfermé dans un
compartiment de la cabine. Il faudra nous contenter d’allumer un feu
sur la plage. Partageons-nous la besogne. »

Tom, Jill et Mary se mirent à ramasser des bouts de bois. Bientôt, un


feu flamba sur le sable. Andy, pour sa part, était parti à la recherche
d’eau, avec la bouilloire. Après avoir escaladé la falaise, il dut
marcher encore un bon moment avant de découvrir une source qui
babillait au flanc de la colline voisine. Il remplit sa bouilloire et
retourna à la crique où l’attendaient ses amis.

« Parfait !

dit-il en arrivant. Voilà un beau feu. Et j’ai trouvé une source. Nous
ne manquerons donc pas d’eau. Où est le cacao ? Et il faut finir
cette boîte de lait condensé puisqu’elle est entamée. »

L’eau ne tarda pas à chanter dans la bouilloire et les enfants se


préparèrent un cacao très épais. Ils y ajoutèrent du lait et burent
avec plaisir. Quelle délicieuse boisson, surtout pour les jumelles qui,
elles, avaient froid.

Tom bailla. Il n’avait pas l’habitude de veiller la moitié de la nuit.

Jill et Mary étaient fort lasses, elles aussi.

Andy, qui avait eu la bonne idée d’étaler les couvertures en plein


soleil, alla les tâter : elles étaient presque sèches.

« Nous allons ôter nos vêtements humides, décida-t-il, et les


suspendre à ces buissons afin qu’ils sèchent à leur tour. Après nous
être enroulés dans ces couvertures, nous irons nous étendre dans
ce coin abrité du vent, au pied de la falaise. Un bon somme nous
remettra des fatigues de la nuit. »

Cet excellent conseil fut suivi sur-le-champ. Quelques minutes plus


tard, les enfants étaient endormis au soleil, à un endroit choisi

par Andy. Leurs vêtements, accrochés aux buissons voisins,


commençaient déjà à fumer.

Andy se réveilla le premier. Il sut tout de suite où il était et se rappela


les moindres détails de leur odyssée. Se redressant, il regarda
l’épave. A présent, la marée descendait à nouveau. Le bateau,
coincé entre les deux gros rochers, avait l’air bizarre dans sa
position inclinée. Le jeune pêcheur se demanda ce que dirait son
père en apprenant ce qui était arrivé. C’était une véritable
catastrophe que la perte d’un bon petit bateau de pêche.

Le soleil était haut dans le ciel. Andy repoussa sa couverture et alla


récupérer ses vêtements secs sur leurs buissons. Après s’être
habillé rapidement, il courut au tas d’objets récupérés sur le bateau
et y trouva de quoi pêcher.
Ayant appâté son hameçon avec un ver de sable, Andy grimpa sur
un rocher autour duquel bouillonnait une eau assez profonde et
plongea sa ligne. Au bout de dix minutes, il ramenait son premier
poisson et appâtait de nouveau.

Tom se réveilla peu après. Il s’assit sur le sable, étonné de voir la


mer si proche de lui. Soudain la mémoire lui revint et il bondit sur ses
pieds. Il réveilla ses sœurs. Tous trois passèrent des vêtements
chauds.

« Andy est en train de pêcher notre repas, dit Jill. Je suppose, Tom,
que tu es aussi affamé que d’habitude ?

— Je me

sens capable d’engloutir une baleine », affirma Tom sans avoir


l’impression d’exagérer.

Les enfants prirent beaucoup de plaisir à faire griller le poisson sur


un feu de bois.

« Il est presque deux heures de l’après-midi, annonça Andy après un


coup d’œil au soleil.

Maintenant, le plus urgent est de dénicher un endroit convenable


pour y passer la nuit.

Ensuite, s’il nous reste du temps, nous explorerons l’île. Les


provisions que nous avons emportées avec nous ne seront pas
éternelles. En mettant les choses au pire, nous pourrons toujours
pêcher… et je pense que nous trouverons aussi des baies
comestibles.

— Hé !

Regardez ! » lança soudain Tom en désignant du doigt la pile


d’objets sur la plage. « Voici un goéland que nos affaires semblent
intéresser. Il ne faudrait pas qu’il puise dans les boîtes ouvertes. »
Andy frappa dans ses mains et l’oiseau s’enfuit en criant.

« Mieux vaut en effet ne laisser aucune nourriture exposée, dit Andy.


Les mouettes et les goélands auraient tôt fait de se servir.

Voyons… il nous reste deux ou trois poissons pour notre repas du


soir. Creusons un trou dans le sable et enterrons-les sous de lourdes
pierres jusqu’à notre retour. Les oiseaux n’en feraient qu’une
bouchée si nous les abandonnions à l’air libre. »

Ils enterrèrent donc le poisson, puis cherchèrent longuement mais


en vain, au bas de la falaise, une excavation quelconque capable de
leur servir d’abri.

« Comment saura-t-on que nous sommes ici ? demanda Jill. Il


faudrait établir un signal de détresse afin de manifester notre
présence aux bateaux qui passeront.

— Certainement, approuva Andy. J’y ai pensé. Je vais prendre la


voile du bateau et je l’attacherai à un arbre, au sommet de la falaise.

Ça fera l’affaire. Mais avant, trouvons un endroit pour passer la nuit.

La pluie menace à nouveau. Vous voyez ce gros nuage bas ? Il


serait malsain d’être trempés pendant notre sommeil. Venez ! »

Les jeunes naufragés quittèrent la crique de sable pour grimper au


flanc de la falaise escarpée. Ce n’était pas chose aisée mais ils
arrivèrent enfin au sommet et, comme précédemment, regardèrent
autour d’eux. La vue était malheureusement barrée par la colline qui
se dressait devant eux. Ils ne pouvaient donc savoir si l’île était
grande ou petite. Une chose était certaine : il n’y avait pas trace de
présence humaine.

« J’aimerais bien voir ne serait-ce qu’une vache ou deux ! soupira


Jill.

— Pourquoi ?
demanda Mary, surprise. Je ne te connaissais pas un tel amour des
vaches.

— Que tu es sotte ! Les vaches signifient la présence d’un fermier.

Qui dit fermier dit ferme. Et, dans une ferme, on rencontre un tas de
gens… et de l’aide ! »

Tom se mit à rire : « Eh bien, souhaitons dans l’intérêt de tous que


Jill aperçoive une vache ou deux… De quel côté allons-nous nous
diriger, Andy ?

— Droit

sur la colline, répondit le jeune pêcheur. Il y a là-bas des fougères et


des bruyères. Nous trouverons peut-être une grotte où nous faufiler.
La fougère et la bruyère nous procureront des matelas confortables
et nous avons nos couvertures pour nous protéger du froid. »

Les enfants coururent jusqu’à la colline. Le petit bois qui y poussait


se composait principalement de pins tordus par le vent et de
bouleaux mais n’offrait aucun refuge sûr.

« Il ne nous reste qu’à fabriquer une tente, décida Andy après avoir
réfléchi. Je n’ai pas l’intention d’être trempé jusqu’aux os la nuit
prochaine. Les douches de la nuit dernière me suffisent.

— Une

tente, Andy ! répéta Tom. Mais où la prendras-tu ? Je ne vois pas le


moindre magasin, hélas !

— Je me

servirai de la voile du bateau, expliqua Andy. Nous l’utiliserons


comme signal dans la journée, et comme tente la nuit. Je vais la
chercher. En mon absence, essayez de confectionner une espèce
de châssis sur lequel nous tendrons la voile. Choisissez des
branches robustes que vous enfoncerez solidement dans le sol. Bon
courage !

Je me dépêche ! »

Andy se hâta de descendre la falaise et pataugea jusqu’à l’épave. Il


eut vite fait de récupérer la vieille voile.

Pendant ce temps, Tom et les jumelles cherchaient des branches


résistantes. Celles tombées à terre ne valaient rien : ce n’était que
du bois mort.

« Elles serviront à allumer des feux magnifiques, déclara Tom.

Mais elles sont trop fragiles pour supporter le poids d’une tente. Il va
donc falloir en détacher des arbres. »

Plus facile à dire qu’à faire. Les enfants y réussirent cependant.

Puis ils les enfoncèrent dans le sol, en formant un cercle


suffisamment grand pour les contenir tous.

Ils terminaient leur besogne lorsque Andy reparut, ployant sous le


poids de la lourde voile. Jetant celle-ci à terre, le jeune pêcheur
reprit haleine.

« Ouf ! dit-il.

J’ai bien cru ne jamais pouvoir remonter cette falaise ! Oh, mais
vous avez fait du bon travail ! Ce cercle de branches constituera un
support parfait pour notre tente. »

Huit mains diligentes s’activèrent à tendre la grande voile brune au-


dessus du cercle des branchages solidement fichés en terre. Le
poids de la voile suffisait à la maintenir en place et, quand tout fut
terminé, elle ressemblait effectivement à une espèce de tente, mais
sans ouverture, détail négligeable, puisqu’il suffisait pour entrer de
soulever un pan de la toile.
« Maintenant, dit Tom, il ne nous reste plus qu’à amasser de jolies
piles de bruyère et de fougères qui feront des couches épatantes.
Avec nos couvertures, nous dormirons bien au chaud.

Andy se hâta de descendre la falaise et pataugea jusqu’à l’épave.


 

— Comme c’est amusant de camper ici ! dit Jill. J’ai l’impression


d’avoir de nouveau une maison, maintenant que nous avons dressé
cet abri !

— Il ne nous reste plus assez de temps pour explorer l’île, fit


remarquer Andy, surpris de la rapidité avec laquelle le soleil était
descendu. Il va bientôt faire nuit.

Mais demain, nous partirons de bonne heure.

— Il me tarde, avoua Mary. Je me demande ce que nous allons


trouver ! »

CHAPITRE V
Les naufragés s’organisent

UNE FOIS ENCORE, les enfants étaient affamés. Andy décida de


profiter de ce qu’il faisait encore jour pour aller chercher toutes les
affaires sur la plage et les remonter jusqu’à la tente.

« Si notre maison de toile doit nous abriter un certain temps,


expliqua-t-il, mieux vaut avoir notre matériel à portée. Vous ne nous
voyez pas dégringolant et remontant la falaise chaque fois que nous
aurions besoin d’un ustensile quelconque. »

C’est ainsi que, durant l’heure qui suivit, les jeunes naufragés
s’activèrent à rassembler leurs affaires.

« Flûte ! s’exclama Tom en constatant l’état des disques. Ils sont


tous cassés !

— Hé oui ! soupira Jill. Ils sont tombés au cours de la tempête.

Inutile de les trimbaler là-haut. Ils ne nous serviraient à rien. Un seul


est encore en bon état. Au fait, lequel est-ce ? »

Après avoir déchiffré les titres, Mary s’exclama :

« Quel dommage ! Le seul disque qui a été épargné ne contient que


des enregistrements idiots. D’un côté, une fille fredonne une
berceuse stupide. De l’autre, ce sont des chansons enfantines.
Aucun intérêt !

— Tant pis, emportons-le tout de même », dit Tom.

Quand ils eurent finalement tout rassemblé sous la tente, leur faim
était devenue fringale. Ils préparèrent le reste du poisson et ouvrirent
une boîte de pêches. Ils achevèrent ce frugal repas en se partageant
une tablette de chocolat et en buvant du cacao. Le soleil avait
presque complètement disparu et les premières étoiles s’allumaient.

« Ma foi, dit Jill en réprimant un bâillement, on peut dire que nous


avons vécu une journée d’aventures. J’ai beau avoir dormi le plus
clair de la matinée, j’ai encore sommeil.

— Couchons-nous, conseilla Andy. Moi aussi, je suis fatigué. Et,


demain, il faudra se lever tôt.

— Nous ne pouvons pas nous laver les dents », fit remarquer Jill
avec ennui.

Elle était très pointilleuse sur le chapitre de l’hygiène et sa


contrariété était réelle.

« Quel dommage que nous n’ayons pas songé à emporter des


brosses à dents !

— Tu veux une brosse ? Tiens, en voilà une ! » dit Tom avec un


sourire.

Et il tendit à sa sœur le lave-pont qui servait à nettoyer le bateau des


débris de poissons. Jill n’hésita pas une seconde. Elle empoigna le
lave-pont et en brossa les cheveux de Tom. Celui-ci cria de dégoût.

« Arrête, espèce de sotte ! Je vais empester le poisson toute la nuit.

— Venez ! coupa Andy. Il nous faut davantage de bruyère pour nos


matelas. Tom, éteins le feu. Il ne s’agit pas de mettre le feu à la
colline. La bruyère est très sèche. »

Tom éteignit le foyer. Les filles transportèrent des bottes de bruyère


sous la tente et Andy étendit dessus la plus grande des couvertures.

« Jill et Mary pourront dormir de ce côté-ci de la tente, dit-il.

Tom et moi, nous prendrons l’autre. Par chance, ce ne sont pas les
couvertures qui manquent. »

Aucun des enfants ne se déshabilla : d’une part parce qu’ils


n’avaient pas de vêtements de nuit, d’autre part parce qu’ils n’y
pensèrent même pas. Les habitudes de vie étaient complètement
changées sur cette île inconnue. Personne ne songea même à faire
sa toilette. Et pourtant, les cheveux de Tom répandaient une telle
puanteur qu’Andy voulut lui laver la tête à l’aide de la bouilloire.

« Je me laverai les cheveux demain matin, au ruisseau de la source,


promit Tom d’une voix ensommeillée. Maintenant, je n’en ai pas le
courage. Je dors debout. »

Les jeunes naufragés s’enroulèrent dans leurs couvertures et


s’allongèrent sur leur couche de bruyère.

Tom s’endormit tout de suite. Les jumelles restaient éveillées. Jill


avait trop chaud, car la tente n’était pas aérée.

« Andy ! finit-elle par appeler à voix basse. J’étouffe. Ne pourrait-on


donner un peu d’air ?

— Bien sûr que si ! »

Le jeune pêcheur releva un côté de la voile, laissant ainsi entrer la


brise de mer. C’était d’autant plus agréable que, maintenant, Jill et
Mary pouvaient voir au-dehors. Le clair de lune inondait la colline et
illuminait le paysage, aussi longtemps, du moins, que les nuages ne
la voilaient pas. Mary s’endormit alors qu’elle admirait les fougères
ondulant sous le vent. Jill, à son tour, ferma les yeux. Andy resta
seul éveillé. Appuyé sur un coude, il regardait en direction de la
colline tout en écoutant le bruit des vagues, au bas de la falaise.

Plus âgé que ses compagnons, il comprenait que leur aventure


pouvait fort mal tourner. Et, conscient de ses responsabilités, il se
demandait ce qu’il convenait de faire.

« Nous hisserons un signal toute la journée, se disait-il. Un bateau


peut l’apercevoir en passant. Il va aussi nous falloir trouver un abri
plus confortable pour nous installer, car si le temps se gâte, cette
tente ne suffira pas à nous protéger. Je me demande aussi s’il n’y
aurait pas moyen de dégager le bateau et de le réparer. »
Tandis qu’il remuait ces pensées dans sa tête, ses yeux se fermaient
peu à peu. Il finit par sombrer dans le sommeil.

Les jeunes naufragés dormirent profondément cette nuit-là. Ils ne se


rendirent pas compte que de gros nuages montaient au-dessus
d’eux et crevaient en une pluie diluvienne. Les gouttes d’eau
crépitaient sur la tente. Quelques-unes se glissèrent bien par
l’ouverture qu’Andy avait ménagée pour laisser passer l’air, mais
personne ne les sentit.

Les quatre amis n’ouvrirent les yeux qu’aux alentours de huit heures
du matin. Le soleil était déjà haut. Andy, le premier levé, entreprit
tranquillement de rouler la voile, vite aidé par les trois autres. La
journée s’annonçait belle, en dépit de quelques nuages qui
s’effilochaient dans le ciel comme des morceaux de coton. Il fallait
avant tout songer à se restaurer. Encore devait-on pêcher son
déjeuner !

Andy et Tom se hâtèrent d’aller tremper leurs lignes parmi les


rochers, tandis que les jumelles attrapaient de grosses crevettes
dans les flaques de la plage. Puis tous firent cuire leurs prises qu’ils
dégustèrent avec entrain.

« Je me sens affreusement sale ! déclara alors Jill. Que dirais-tu


d’un bon bain au ruisseau de la source, Mary ?

— Avec joie ! s’écria cette dernière. Nous devrions tous prendre un


bain, d’ailleurs. Nous en avons bien besoin. Heureusement que nous
avons ramené du savon de l’épave ! »

Effectivement, après le bain, chacun se sentit mieux. Les garçons


songèrent alors à installer le signal de détresse. Ils commencèrent
par trouver un arbre convenable… ou, du moins, convenable pour ce
qu’ils voulaient en faire. Frappé par la foudre, il se dressait, tel un
poteau, juste au sommet de la falaise.

Il fallut presque une heure à Tom et à Andy pour grimper en haut de


cette hampe naturelle et y fixer la voile-signal. Elle se mit aussitôt à
claquer joyeusement : Andy était certain qu’elle devait être visible de
très loin. Puis les deux garçons allèrent rejoindre les jumelles.

« Que diriez-vous à présent d’un peu d’exploration ? proposa Tom.


J’ai envie d’une bonne marche. »

En fait, tous ne demandaient qu’à se dégourdir les jambes. Pour


commencer, ils gravirent la colline jusqu’au sommet. Une fois là-
haut, ils regardèrent autour d’eux… et découvrirent leur île. Elle
n’était à coup sûr pas bien grande : un peu moins de trois kilomètres
de long sur un et demi de large.

Mais cette île n’était pas la seule. Non loin se trouvaient d’autres îles
! Elles émergeaient ça et là, bien visibles en dépit de la brume bleue
qui les nimbait. Hélas ! on n’y voyait pas trace d’habitation.

Elles semblaient aussi désolées et désertes que celle sur laquelle ils
étaient. Tandis qu’ils se tenaient, silencieux, en haut de la colline,
des cris d’oiseaux de mer leur parvinrent. Mais, en dehors de ces
bruits et de la chanson des vagues, on n’entendait rien. Pas d’appels
de voix, pas de son de corne, pas de vrombissement d’avion. Pour
autant qu’ils pouvaient en juger, ils se trouvaient perdus au beau
milieu de la mer, loin de tout lieu civilisé.

« Je crains qu’aucune de ces îles ne soit habitée, déclara Andy, la


mine grave. Allons ! Descendons de l’autre côté de la colline. Autant
achever notre exploration ! »

Comme ils atteignaient le bas de la colline, Tom poussa soudain une


exclamation :

« Regardez ! Des pommes de terre ! »

Les autres suivirent la direction de son regard et, à leur grande


surprise, aperçurent en effet ce qui semblait bien être une plantation
de pommes de terre. Andy arracha un pied et, suspendus aux
racines, apparurent de petits tubercules blanchâtres. Des pommes
de terre !
« Bizarre ! murmura Andy en jetant un coup d’œil à la ronde. A un
moment ou un autre, des gens ont dû vivre ici, c’est sûr. Ce sont eux
qui ont planté ces pommes de terre. Certaines ont dû se reproduire
d’elles-mêmes. Mais une question se pose : si des gens vivaient ici,
où donc habitaient-ils ? Car ils devaient forcément loger quelque
part.

— C’est bizarre, en effet », dit Tom en regardant autour de lui


comme s’il s’attendait à voir des maisons surgir du sol.

Un cri de Jill le fit sursauter :

« Je crois que j’aperçois la cheminée d’une maison ! Voyez ! Là où


le sol s’abaisse brusquement… de ce côté… »

Tous regardèrent. Ils constatèrent que le sol s’abaissait, en effet,


jusqu’à former une espèce de creux, bien protégé du vent.

Exactement l’endroit qu’aurait pu choisir quelqu’un pour y édifier sa


demeure. Tous se précipitèrent pour se pencher au-dessus du trou,
en se demandant ce qu’ils allaient découvrir.

CHAPITRE VI
Un abri providentiel
LES JEUNES naufragés, figés au bord du gouffre, regardaient de
tous leurs yeux. L’espèce de ravin descendait jusqu’à la mer mais,
dans le creux qu’il formait en son centre, se nichaient quelques
petites constructions.

Mais dans quel état ! Les toits n’existaient plus, les cheminées
s’étaient effondrées, à l’exception de celle aperçue par Jill, et les
murs étaient en ruine. Toutes semblaient à l’abandon depuis
longtemps.

« Grand Dieu ! soupira Tom. Que s’est-il donc passé pour que ces
maisons et leurs dépendances soient aujourd’hui dans un tel état ?

— Je crois le savoir, déclara Andy. Voici un an ou deux, toute cette


région a été dévastée par un ouragan si violent que les gens de
notre village ont dû se retirer dans l’intérieur du pays : la mer avait
envahi nos rues et battait les murs de nos maisons. Je suppose que
le fléau a dû causer des dégâts plus importants encore dans ces îles
mal

protégées. D’énormes vagues se sont certainement engouffrées


dans ce creux, balayant tout sur leur passage. Et regardez cette
cheminée démolie et toute noire : je parie qu’elle a été frappée par la
foudre. »

Les enfants contemplèrent tristement les ruines de la maison proche


d’eux. Il avait dû s’agir d’une petite ferme, pas très prospère bien
sûr, mais dont les habitants se débrouillaient cependant pour vivre
en cultivant des pommes de terre, en élevant quelques chèvres et
quelques vaches et en péchant des poissons.

A présent, les gens avaient fui, sachant qu’il ne leur était pas
possible de lutter contre les flots qui avaient détruit leur demeure, les
réduisant ainsi à la famine.
« Voilà qui explique les pommes de terre, dit Jill. Nous sommes dans
ce qui était jadis un champ.

— Descendons dans ce creux et allons jeter un coup d’œil… ! »

proposa Andy.

Tous dégringolèrent au fond du trou et se mirent à errer parmi les


bâtiments en ruine. Mais il ne restait plus rien : tous les meubles
avaient été emportés. Les barrières et les portes elles-mêmes
n’existaient plus. Des herbes folles avaient envahi l’intérieur de la
ferme.

Andy ramassa un train en bois, pris dans une touffe d’algues.

« Un petit garçon a dû vivre ici ! dit-il.

— Ah ! Voici une tasse cassée », ajouta Jill en se baissant pour tirer


l’objet d’un tas de débris informes.

Les jeunes naufragés continuèrent ainsi à parcourir ce groupe de


constructions dévastées. Ils finirent par tomber sur un petit abri fait
de planches où les fermiers gardaient peut-être une ou deux vaches
pendant l’hiver. Grâce, sans doute, à sa situation, il avait échappé à
la fureur des flots. Il semblait intact, si l’on exceptait une fenêtre
brisée et le sol couvert d’herbes sauvages.

Andy considéra les lieux d’un air pensif.

« Voilà un endroit où nous pourrions loger, dit-il enfin. J’avais projeté


de construire une cabane, mais celle-ci nous épargnera bien du
travail. Il suffira de la rafistoler un brin et de l’équiper au mieux.

De toute manière, la voile n’aurait pas suffi en cas de vrai mauvais

temps. Et puis, rendez-vous compte ! La transformer en tente tous


les soirs et en signal chaque matin !
— Tu as raison ! s’écria Tom, enchanté. Arrangeons cette cahute en
abri permanent. Cela nous amusera ! »

Tous pénétrèrent dans la cabane en planches. Elle n’était pas très


spacieuse : c’était comme une sorte de remise, mais avec un
plafond assez haut et une cloison qui la partageait en deux.

« Mieux vaut une grande pièce que deux petites, décréta Andy.

Nous abattrons cette cloison.

— Si nous nous mettions tout de suite à l’œuvre ? proposa Tom,


plein d’entrain. Il nous faudra transporter toutes nos affaires ici et
arranger confortablement l’intérieur de notre nouvel abri. Et pour
commencer, débarrasser le plancher de ces vilaines herbes.

— Oui, approuva Jill. Et nous répandrons du sable sec sur le sol.

Ecoutez ! Vous, les garçons, arrachez les herbes. Pendant ce


temps, Mary et moi nous allons chercher dans le petit champ les
plus grosses pommes de terre que nous pourrons trouver. Nous les
ferons cuire sous la cendre pour le déjeuner. Ce sera délicieux.

— Bonne idée ! s’écria Tom qui avait déjà faim. Au travail, Andy !

Tant que cet endroit n’aura pas été nettoyé, nous ne pourrons rien
faire. »

Les deux garçons se mirent à la besogne. Arrachant les mauvaises


herbes à pleines poignées, ils les jetaient dehors au fur et à mesure.

Puis, armés de bruyère en guise de balai, ils débarrassèrent le


plafond et les coins de murs des toiles d’araignées qui s’y trouvaient.

Andy, infatigable, construisit un foyer rudimentaire à l’extérieur de


l’abri, à l’aide de pierres retirées de l’âtre de la ferme en ruine.

« Il ne nous sera pas possible de faire du feu à l’intérieur, expliqua-t-


il, car notre maisonnette ne possède pas de cheminée.
Nous serions asphyxiés par la fumée. J’ai construit le foyer à l’abri
du vent afin que nous puissions cuisiner sans ennuis. Mary, tu
pourras mettre tes pommes de terre sur ces pierres dès qu’elles
seront brûlantes. Tom, va vite chercher du petit bois pour allumer le
feu. »

Jill et Mary regardèrent à l’intérieur de la maisonnette. Elle leur parut


propre et agréable, encore qu’elle fut sans mobilier.

Tom alla chercher du sable propre sur la plage. Il avait découvert un


vieux seau, malheureusement percé au fond. Mais le jeune garçon
eut l’idée de placer une pierre plate sur le trou et put ainsi s’en servir
pour transporter le sable. Il ne fallut pas moins de dix grands seaux
bien pleins pour couvrir de sable le plancher de l’abri. Mais quel
merveilleux résultat !

« Nous allons rapporter d’énormes tas de fougères et de bruyère en


guise de matelas, dit Jill. Nous aurons alors une confortable petite
maison. Bien entendu, nous apporterons ici la table et le tabouret…

et la vaisselle… et toutes les affaires. Nous aurons ainsi l’impression


d’être vraiment chez nous ! »

Dans leur enthousiasme, les enfants avaient oublié le tragique de


leur situation. C’était tellement amusant de rendre cet abri habitable.

Mary était même en train de se demander ce qu’elle pourrait bien


utiliser pour faire des rideaux aux fenêtres !

Le repas de midi se composa de pommes de terre et de chocolat


avec, comme boisson, de l’eau de source. Tom aurait volontiers
dévoré triple ration, mais il dut se contenter de cinq grosses pommes
de terre et d’une barre de chocolat.

« Nous irons à la pêche pour notre repas du soir, décida Andy.

L’eau qui entoure notre île est très poissonneuse. Nous ne


manquerons jamais de nourriture, jusqu’au jour, du moins, où nous
en aurons assez de manger du poisson. Nous irons aussi à la
recherche de coquillages. Cela variera le menu. »

Le déjeuner terminé, les enfants se séparèrent après s’être réparti


les besognes. Jill et Mary furent chargées de rapporter de pleines
brassées de fougères et de bruyère pour étendre sur le sol de la
maisonnette. Les garçons firent de multiples allées et venues pour
rapporter de la tente la totalité des affaires.

« Ce soir, quand la marée sera basse, promit Andy, j’irai chercher la


réserve de pétrole à bord du bateau. Je suis sûr qu’elle n’aura pas
été gâtée par l’eau de mer car le bidon est étanche. Avec ce pétrole,
nous pourrons alimenter le poêle et cuisiner comme sur un véritable
réchaud. »

Les jeunes naufragés passèrent un après-midi très occupé. Mary et


Jill récoltèrent assez de fougères et de bruyère pour constituer

deux larges couches, une de chaque côté de l’abri, dont la cloison


médiane avait été abattue. Elles commencèrent par empiler les
fougères à même le sol, puis étendirent par-dessus la bruyère plus
moelleuse. Une couverture soigneusement étalée paracheva ce
matelas de fortune. Enfin, une seconde couverture devait servir tout
à la fois de drap et de courtepointe pour la nuit.

« Dans la journée, déclara Mary, nous pourrons utiliser ces lits


comme banquettes. »

Les garçons rapportèrent de leur côté tout ce que les naufragés


possédaient en fait de vaisselle : des tasses, des soucoupes et des
assiettes, toutes en faïence grossière et peu fragile, comme en
utilisent couramment les marins-pêcheurs.

Cette vaisselle serait très utile… mais où la mettre ?

« Nous ne pouvons la laisser par terre, déclara Mary. Nous aurions


vite fait de la casser. Si seulement nous avions une étagère pour y
placer toutes ces choses ! Sans compter que cela nous ferait gagner
de la place. »

Andy disparut durant quelques minutes. Il revint avec une sorte de


petit buffet en bois. Il sourit devant l’air stupéfait de ses amis.

« Je me suis rappelé avoir vu ce petit placard accroché au mur de la


cuisine de la ferme, expliqua-t-il. Je suis donc allé là-bas et j’ai
réussi à le desceller. Tom, où as-tu mis les outils et la boîte à clous ?

— Derrière toi : près de notre lit. »

Andy prit des clous et le marteau.

« Où voulez-vous votre placard ? demanda-t-il aux jumelles.

— Là-bas, au fond de l’abri, à hauteur d’épaule, répondit Mary. Je


suis certaine qu’il contiendra tout ! »

Mary ne se trompait pas. Quand Andy eut fixé le petit meuble, les
filles placèrent la vaisselle sur les étagères. Il y eut encore de la
place pour la bouilloire, une ou deux casseroles, les jumelles,
l’appareil photographique et quantité d’autres choses encore. Mais le
phonographe, trop encombrant, dut être relégué dans un coin.

A présent, l’abri ressemblait à une vraie petite maison. Les enfants


contemplèrent leur domaine avec fierté : les deux lits confortables, la
table au milieu avec le tabouret, le sol sablé, le buffet plein
d’ustensiles et de provisions.

Andy remplit le poêle à pétrole.


« Ce soir, dit-il à Mary, pour changer un peu, tu pourras faire des
pommes de terre bouillies. »

Les garçons partirent pêcher du poisson. Les filles s’employèrent à


récolter d’autres pommes de terre, à aller chercher de l’eau et à
mettre le poêle en marche.

Le repas du soir parut un festin aux jeunes naufragés. Des fruits en


conserve firent un excellent dessert. Tous se régalèrent, installés à
l’extérieur de l’abri, face à la mer. Les cris des goélands emplissaient
l’air du soir, accompagnant le bruit des vagues.

« A présent, il est temps d’aller se coucher ! dit finalement Andy en


bâillant. Cela va nous faire drôle de dormir sous un toit bien à nous.
Laissons la vaisselle pour demain. Nous tombons tous de fatigue. »

CHAPITRE VII
Etrange découverte !

LE LENDEMAIN MATIN, la première précaution des enfants fut de


s’assurer que leur signal de détresse était encore en place. Oui !
la voile claquait toujours au bout de son mât de fortune. Aucun
navire, passant dans les parages, ne pouvait manquer de la voir et
de comprendre qu’il y avait des naufragés sur l’île.

« Et si personne ne venait à notre secours ? demanda brusquement


Tom. Serons-nous obligés de rester ici tout l’hiver ?

— Hélas, oui ! répondit Andy. A moins que tu ne te sentes capable


de rentrer à la nage. »

Les enfants se regardèrent. Rester sur l’île tout l’hiver ! C’était sans
doute amusant de jouer aux Robinsons durant trois ou quatre jours.
Mais poursuivre l’aventure à la mauvaise saison, avec le froid
cinglant et les tempêtes dévastatrices, voilà une perspective qui
n’avait rien de réjouissant.

« Ne faites pas cette tête, dit Andy. Nous n’allons pas tarder à être
secourus. Impossible qu’aucun bateau ne passe en vue de notre île.

Après tout, des gens vivaient ici tout récemment encore. Peut-être
même l’une des autres îles est-elle encore habitée. A la prochaine
marée basse, nous verrons si nous ne pouvons pas traverser et
gagner l’îlot voisin que nous visiterons. Il y a là de gros rochers
formant gué. Qui sait, nous rencontrerons peut-être même beaucoup
de monde ! »

Tom, Jill et Mary reprirent aussitôt confiance.

Après la vérification de leur signal de détresse, le second souci des


quatre amis fut le bateau. Ils le trouvèrent, toujours solidement
encastré entre les deux rochers, sur le flanc, et copieusement lavé
par les vagues.

« Il est possible qu’une marée assez forte le soulève et le dégage,


dit Andy. Si cela se produisait et que je puisse le réparer… nous
tenterions alors de rentrer chez nous à la voile ! »
D’un commun accord, les naufragés décidèrent ensuite une
exploration plus approfondie de leur île. Hélas ! ils ne firent aucune
découverte intéressante. Ils constatèrent que les anciens fermiers
avaient utilisé une zone plate, vers le sud, pour y faire un peu de
culture. Jill repéra même des haricots qui poussaient encore au
milieu de ronces. Vite, elle appela les autres :

« Des haricots ! Voilà un déjeuner tout trouvé ! »

Mary et les garçons accoururent. Tom s’exclama :

« Nous allons nous régaler. Pommes de terre, haricots, poisson !

Un vrai festin ! »

Dans l’après-midi, les enfants ne firent pas grand-chose, sinon se


baigner et pêcher. Leur maisonnette était terminée.

Il n’y avait rien d’autre à y faire. Rien à faire, non plus, à bord de
l’épave. Quant aux promenades, elles étaient limitées dans une île
aussi petite. Tom proposa de se baigner avant la partie de pêche.

L’eau était délicieusement chaude. Les enfants nagèrent au milieu


des grosses vagues et jouèrent à s’éclabousser. Etant sortis de
l’eau, ils s’allongèrent au soleil pour se sécher. Puis les garçons
s’installèrent sur les rochers pour pêcher du poisson, et les filles se
mirent à chercher crevettes et coquillages dans les flaques du
rivage.

Dans la soirée, la mer se retira particulièrement loin. Le vent était


tombé. Le calme plat régnait. On avait peine à imaginer que, peu de
temps auparavant, une tempête terrible avait jeté les naufragés sur
cette île déserte.

Andy conduisit ses compagnons sur une corniche rocheuse où, en


regardant vers le nord, ils pouvaient apercevoir les autres îles, que
bleutait la brume estivale.
« Ne dirait-on pas qu’elles flottent sur l’eau ? murmura Jill d’un ton
rêveur. Et comme elles sont belles ! J’aimerais bien les visiter.

— Je pense que c’est faisable, répondit Andy en montrant du doigt


des rochers qui s’étiraient en demi-lune entre leur île et la suivante.
Voyez ! la marée les a presque entièrement découverts. En sautant
d’un rocher à l’autre, nous pourrons traverser. Mais attendons
demain matin, quand la marée sera encore plus basse.

Nous emporterons des provisions pour la journée, nous explorerons


l’île voisine et nous reviendrons ici par le même chemin, à la marée
du soir.

— Chic alors ! s’écrièrent en chœur les jumelles cependant que Tom


dansait de joie sur place. Peut-être allons-nous faire des
découvertes merveilleuses ! »

Dans la soirée, Jill fit cuire des pommes de terre en robe des
champs et les mit de côté pour leur expédition du lendemain.

« Juste avant de partir, nous ferons griller des saucisses et nous les
emporterons aussi, expliqua-t-elle. Pour notre souper de demain,
nous aurons toujours le temps de pêcher à notre retour. »

Le lendemain matin, les enfants coururent voir si la marée avait


suffisamment découvert les rochers formant gué. Eh oui ! Ils étaient
là, comme les énormes grains d’un chapelet vert et gris : certains
complètement nus, d’autres couverts d’algues. Des mares profondes
stagnaient entre eux. La mer elle-même s’étalait, bleue et
étincelante, au-delà de leur ligne rocheuse.

« Venez vite ! cria Andy. Dépêchons-nous, avant que la marée ne


remonte. ».

Tous quatre dévalèrent de leur corniche jusqu’à la côte sablonneuse.


Ils sautèrent sur les premiers rocs et se mirent à passer de l’un à
l’autre avec précaution. Certains étaient tellement glissants
qu’à deux ou trois reprises les enfants faillirent tomber dans les
creux pleins d’eau qui les séparaient. Ces sortes de mares
profondes recelaient une vie mystérieuse. On y voyait évoluer
d’énormes poissons. Andy était certain, aussi, que des tourteaux
comestibles s’y cachaient.

« Mais nous n’avons pas le temps d’en attraper, ajouta-t-il, car nous
risquerions d’être coincés par la marée montante. Il faut même nous
hâter. »

Les quatre amis atteignirent enfin l’autre île.

« Salut à l’Ile Numéro Deux ! » s’écria Tom avec solennité. Et il


ajouta plus prosaïquement : « Ce que je peux avoir faim ! »

Ce refrain bien connu trouva un écho dans… l’estomac des trois


autres. Andy tenta de faire appel à la raison :

« Ecoutez ! Si nous mangeons maintenant toutes nos provisions, il


se peut que nous ayons à attendre longtemps notre second repas…

à moins que nous ne trouvions du ravitaillement sur place. »

Mais personne ne voulut l’entendre. Et comme lui-même était


passablement affamé, il attaqua allègrement saucisses froides et
pommes de terre. Comme dessert, chacun eut droit à un caramel.

Une fois rassasiés, les jeunes naufragés commencèrent à explorer


l’île. Comme ils s’approchaient de la falaise pour l’escalader, ils
connurent leur première surprise :

« Regardez ! s’exclama Tom. Des cavernes ! » Du doigt, il désignait


des trous noirs au flanc de la falaise. « Des cavernes ou des grottes,
comme vous voudrez. Allons y jeter un coup d’œil ! »

Ils s’avancèrent vers la première grotte. Juste avant d’y pénétrer,


Andy marqua un temps d’arrêt et regarda quelque chose à ses
pieds.
« Qu’y a-t-il ? demanda Tom.

— Ça ! répondit le jeune pêcheur en montrant de l’index un mégot


de cigarette que le vent faisait rouler sur le sable.

— Tiens, tiens ! murmura Tom en regardant autour de lui en quête


d’un éventuel fumeur. Ça alors ! Quelqu’un s’est donc trouvé ici, il
n’y a pas si longtemps. Pourtant, il semble n’y avoir aucune
habitation sur cette île.

— Peut-être ses habitants vivent-ils dans ces grottes, suggéra Jill


avec un timide regard à celle qui s’ouvrait près d’eux.

— Eh bien, allons voir ! » décida Andy.

Il tira de sa poche un petit sac imperméable contenant, bien au sec,


une demi-bougie et une boite d’allumettes. Andy était un garçon
prévoyant qui évitait de rien laisser au hasard. En cet instant, ses
compagnons se félicitaient de sa sagesse. Sans lumière, jamais ils
n’auraient osé explorer ces grottes.

Andy alluma sa bougie et, prenant la tête de la petite colonne,


s’avança dans l’entrée béante. Les autres suivirent. Leurs pieds
foulaient un sable épais et argenté. Les parois de la grotte étaient
hautes et lisses. Le boyau, qui ressemblait à un long couloir,
débouchait, au-delà d’une sorte d’arche, dans une autre caverne
dont la bougie révéla les murs de roc dur et brillant et la haute voûte.

Cette caverne se prolongeait par un passage en pente ascendante


mais si bas de plafond que, par moments, les enfants devaient se
courber pour le suivre.

Enfin, la petite troupe aboutit à une curieuse salle ronde qui fut
aussitôt baptisée « la Rotonde ». Elle formait un cercle presque
parfait et, comme le sol s’incurvait en son centre, elle ressemblait un
peu à une sphère creuse.
Mais ce fut moins la forme étrange de cette salle que son contenu
qui fit s’exclamer les enfants.

Sur des étagères de pierre – en fait, des corniches taillées à même


le roc – s’entassaient, parfois jusqu’au plafond, des caisses, des
sacs et d’énormes cantines portant des inscriptions en langue
étrangère.

« Ça, alors ! s’écria Tom qui avait peine à en croire ses yeux. Que
diable peuvent bien contenir ces trucs-là ? Et pourquoi les a-t-on
entreposés ici ? »

La petite flamme de la bougie faisait bouger des ombres sur cet


étrange entrepôt. Andy posa avec précaution sa bougie sur une
roche plate. Puis il empoigna un des gros sacs et défit la cordelette
qui le fermait. A l’intérieur, un autre sac en gros papier bleu celui-là,
et dont le contenu arracha un cri de surprise au jeune pêcheur.

« Du sucre ! De plus en plus bizarre ! Je m’attendais à trouver un


trésor quelconque et… c’est du sucre ! Je me demande ce que
contiennent ces cartons et ces boîtes… »

Certains des divers emballages étaient bien fermés mais d’autres


avaient déjà été ouverts, comme si quelqu’un avait puisé dedans. La
plupart des cartons étaient pleins de boîtes de conserve : soupe,
viande, légumes, fruits, sardines, etc. Une cantine contenait de la
farine, une autre du thé, des boîtes de sel, et même du beurre et du
lard, soigneusement empaquetés à l’abri de l’air.

« Andy… je n’arrive pas à comprendre, murmura Jill intriguée.

D’où viennent toutes ces provisions ? Et à qui peuvent-elles


appartenir ? Nous pensions qu’il n’y avait personne sur cette île…

— Je n’en sais pas plus que toi, Jill, soupira le jeune pêcheur. J’ai
l’impression de vivre un rêve. En tout cas, une chose est certaine :
nous ne risquons pas de mourir de faim avec de telles réserves !
— Mais nous ne pouvons pas les prendre, protesta Mary. Elles
appartiennent sûrement à quelqu’un.

— Sans aucun doute. Mais nous dédommagerons leur propriétaire.


Mon père et votre mère paieront de bon cœur ce que nous aurons
consommé pour ne pas mourir de faim au cours de l’hiver… si nous
ne sommes pas secourus d’ici là !

— Alors… qu’est-ce que nous attendons ? demanda Tom dont la


faim légendaire s’était immédiatement réveillée à la vue de tant de
bonnes choses. Servons-nous ! Nous dresserons la liste de tout ce
que nous prenons et nos parents paieront la note au propriétaire de
cet étrange garde-manger.

— Etrange, tu as dit le mot exact, Tom ! fit remarquer Andy d’un air
pensif. Etrange ! Très étrange… Extraordinairement étrange, même !
»

CHAPITRE VIII
De plus en plus étrange !
CHACUN des enfants puisa à sa guise dans ce stock alimentaire,
prenant ce qu’il jugeait le plus utile. Ils avaient besoin de sucre et de
sel. Le beurre était providentiel, ainsi que les conserves de viande et
de fruits. Jill pensa qu’avec de la farine elle pourrait faire des petits
pains et des gâteaux. Elle prit également des boîtes de lait en
poudre.

Finalement, ce fut très lourdement chargés que les jeunes naufragés


quittèrent la Rotonde pour regagner la plage.

Revenu à l’air libre, Tom souffla et posa son fardeau.

« Ouf ! J’avais l’impression d’étouffer, là-dedans ! avoua-t-il.

— Ce qui m’intrigue, déclara Andy, c’est, précisément, qu’on n’ait


pas étouffé davantage. La Rotonde doit être ventilée par quelque
ouverture invisible. Ramasse tes affaires, Tom. La marée monte à
toute allure. Nous ne pouvons pas rester ici. La mer aura atteint la
grotte avant longtemps.

— Nous avons bien encore quelques minutes devant nous !

répliqua Tom en sortant un petit carnet de sa poche. Je veux juste


inscrire la liste de ce que nous emportons. Si nous mangeons
quelque chose en route, nous pourrions oublier de le marquer par la
suite. »

L’honnête Tom finit par venir à bout de la liste. Puis, l’air satisfait, il
ramassa son fardeau et suivit Andy qui grimpait déjà le flanc rocheux
de la falaise. Une brève exploration de l’île se révéla inutile : il n’y
avait plus rien à découvrir.

Les enfants savaient qu’ils seraient prisonniers de l’Ile Numéro Deux


jusqu’à la marée basse du soir : ils ne pouvaient en effet regagner
leur île qu’en suivant la ligne des rochers formant gué. Pour l’instant,
ceux-ci étaient déjà complètement immergés. Les vagues, en se
brisant dessus, faisaient voler très haut l’écume.
« L’un de vous a-t-il un ouvre-boîte ? » demanda Tom, impatient de
goûter aux provisions si heureusement découvertes.

Andy en avait un. Les poches d’Andy étaient toujours bourrées d’un
tas de choses aussi diverses qu’utiles. Tom ouvrit une boîte de
langue. Les enfants se régalèrent. Après quoi, ils eurent soif mais
c’est en vain qu’ils avaient déjà cherché une source. Cette seconde
île, exception faite de la Rotonde, semblait moins accueillante que la
première.

« Si nous ouvrions aussi une boîte d’ananas ? proposa Tom. Les


tranches nous serviront de dessert et le jus nous désaltérera. »

Quand ils eurent fini, les enfants enterrèrent les deux boîtes. Bien
que l’île fut désolée et parût déserte, ils n’auraient pas supporté de
laisser traîner des saletés derrière eux.

« Je me demande qui a stocké toutes ces réserves alimentaires


dans la Rotonde ? demanda Jill. Se trouvent-elles là depuis
plusieurs années ? Les y aurait-on oubliées ? Cela semble
l’explication la plus logique, tu ne crois pas, Andy ?

— Non, dit ce dernier. Ces provisions sont là depuis peu. Le sucre


en poudre a ses grains bien détachés. Or, en vieillissant, le sucre
s’agglomère. Et n’oubliez pas ce mégot de cigarette que nous avons
trouvé… On l’a jeté récemment, c’est sûr, sinon le vent l’aurait
emporté depuis belle lurette !

— Andy ! demanda soudain Mary. Et si nous nous installions sur


cette île plutôt que sur l’autre ? Nous serions tout près de notre
gigantesque garde-manger.

— Non, répondit encore Andy. Souviens-toi que nous avons dressé


un signal de détresse sur notre île. Si un bateau l’aperçoit et vient à
notre secours, il doit pouvoir nous trouver là-bas. S’il lançait des
coups de sirène pour nous avertir et qu’à ce moment-là la marée soit
haute, nous ne pourrions passer d’une île sur l’autre pour lui faire
signe.
— Mais pourquoi ne pas hisser tout simplement notre signal sur l’Ile
Numéro Deux ? suggéra Tom.

— Impossible ! Aucun bateau ne pourrait arriver jusqu’à nous.

Cette île est presque entièrement entourée de récifs particulièrement


dangereux. Tenez ! Regardez vous-même ! Vous serez fixés. »

Tom et ses sœurs regardèrent autour d’eux, du haut de la falaise.

Andy avait raison. Un cercle d’écueils en dents de scie défendait les


abords de l’île. En revanche, entre les récifs et la côte, la mer formait
une sorte de lagune aux eaux tranquilles.

Tom fronça les sourcils et réfléchit.

« Je comprends mal, dit-il enfin. Si aucun navire ne peut approcher


cette île, comment a-t-on apporté tout ce ravitaillement entreposé
dans la caverne ? »

Andy regarda Tom avec des yeux ronds et parut brusquement aussi
intrigué que lui.

« Mais oui, dit-il. C’est bizarre. Je ne vois qu’une explication : peut-


être existe-t-il un étroit passage, à marée haute. Encore faut-il le
connaître ! Mieux vaut ne pas courir de risque. Nous continuerons à
habiter l’Ile Numéro Un et, quand les vivres se feront rares, nous
reviendrons ici nous approvisionner. Peut-être alors rencontrerons-
nous les gens qui se sont constitué ce garde-manger si
extraordinaire. »

Mary se mit debout et, regardant vers le nord, essaya de voir à quoi
ressemblait la troisième île. Elle lui parut beaucoup plus grande que
les deux autres. On ne voyait aucun rocher entre elle et l’Ile Numéro
Deux : seulement une étendue d’eau bleue. Pour atteindre

cette troisième île, il faudrait donc y aller à la nage… ou avoir un


bateau.
« A votre avis, demanda Tom à ses compagnons, ne faudrait-il pas
laisser un mot, dans la Rotonde, expliquant que nous nous trouvons
sur la première île et serions heureux d’être secourus ? Si des gens
y viennent en bateau pour se ravitailler, nous pourrions repartir avec
eux. »

Andy secoua la tête.

« Je crois préférable de ne laisser aucun billet et même de


dissimuler soigneusement toute trace de notre passage, déclara-t-il.

Un mystère flotte autour de la Rotonde. Je soupçonne un secret


quelconque et, tant que nous ne saurons pas à quoi nous en tenir,
mieux vaut rester à l’écart.

— Oh, Andy ! s’écria Mary. Que veux-tu dire au juste ?

— Je n’en sais trop rien moi-même ! avoua le jeune pêcheur. Je


flaire seulement du louche, c’est tout. Je me trompe peut-être…
mais l’un de nous devrait venir ici chaque jour, à marée basse,
essayer de découvrir quelque chose avant de signaler notre
présence.

— Hum ! dit Tom. Je crains que nous n’ayons laissé l’empreinte de


nos pas dans le passage et la caverne.

— Peu importe. La marée aura vite fait de tout effacer, assura Andy.
Regarde, mon vieux : la mer a déjà pénétré dans la grotte. Une
chance que le ravitaillement soit entreposé a une certaine hauteur !

En tout cas, rien ne trahira notre passage.

— Excepté les vivres manquants ! fit remarquer Mary. Tu n’avais pas


pensé à ça, Andy !

— Si, si, répliqua Andy. Mais il y a tellement de provisions dans la


Rotonde que notre “emprunt” passera inaperçu. Je ne pense pas
qu’il y ait de contrôle systématique. Personne ne se doutera de notre
passage. »

Histoire de tuer le temps, les enfants parcoururent l’île en tous sens,


à la recherche de baies sauvages. Ils en trouvèrent des quantités, ce
qui apaisa un peu leur soif. Ces déambulations, au cours desquelles
ils ne rencontrèrent personne, achevèrent de les convaincre qu’ils
étaient seuls sur l’île.

Enfin, la mer commença à descendre et les gros rochers émergèrent


peu à peu. Les quatre amis se hâtèrent de gagner le rivage pour
retourner dans l’Ile Numéro Un. Andy recommanda à tous d’avancer
avec précaution.

« Il ne s’agit pas de perdre notre ravitaillement en le laissant tomber


à l’eau », dit-il.

Les jeunes naufragés finirent par atteindre leur maisonnette, tout


heureux de la retrouver. Ils avaient presque l’impression de rentrer
chez eux.

Fatigués, ils s’assirent sur les lits. Mais Tom n’avait pas l’intention de
se coucher avant d’avoir dîné. Il voulait un bon potage brûlant,
encore de la langue de bœuf, et aussi des pêches en conserve.
Andy alluma donc le poêle et Tom alla remplir la bouilloire.

Les enfants mangèrent avec plaisir mais ne se soucièrent pas de


ranger tant ils avaient sommeil.

Les premières étoiles commençaient à peine à briller quand ils se


couchèrent.

« Il est bien tôt pour aller au lit, murmura Jill en réprimant un


bâillement, mais je suis incapable de garder les yeux ouverts une
minute de plus. »

En effet, elle s’endormit sur-le-champ. Mary ne tarda pas à l’imiter.


Tom éteignit le poêle et se coucha à son tour. Andy resta assis un
moment, à observer l’Ile Numéro Deux, et à se poser mille questions
à son sujet.

Puis, lui aussi s’étendit et s’endormit… Pas pour longtemps !

Un bruit curieux le réveilla soudain. Il l’entendit d’abord, comme un


rêve, mais cela s’amplifia tant que le jeune pêcheur ouvrit les yeux et
s’assit sur sa couche pour écouter. Il était aussi intrigué qu’alarmé.

« Tom ! Réveille-toi ! appela-t-il tout bas. Ecoute ce bruit !

Qu’est-ce que ça peut-être ? »

Tom se réveilla et écouta.

« C’est une moto, murmura-t-il, encore ensommeillé.

— Ne dis pas d’âneries ! Une moto sur notre île ! Tu rêves ou quoi

! Secoue-toi, sapristi ! Tu entends ce bruit bizarre ? »

L’espèce de bourdonnement qui avait éveillé Andy s’élevait, très


distinct dans le silence nocturne. Andy continua à prêter l’oreille
avec attention et l’entendit décroître au loin. Finalement, le son
cessa d’être perceptible. Andy eut beau écouter un bon moment
encore, le bruit ne se renouvela pas. Alors, le jeune pêcheur se
laissa retomber sur sa couche de bruyère.

« De plus en plus étrange ! murmura-t-il. Il semble bien que nous


ayons abordé au milieu d’îles mystérieuses. Mais j’en aurai le cœur
net. Je découvrirai leur secret… ou je ne m’appelle plus Andy. »
CHAPITRE IX
De mystérieux visiteurs
LE LENDEMAIN MATIN, les enfants parlèrent du bruit étrange
qu’Andy avait entendu.

« Je vous assure, dit Tom, que cela ressemblait tout à fait à une
moto. »

Rien ne put le faire démordre de cette idée. Andy, après mûre


réflexion, donna son avis :

« Si je n’étais pas certain qu’il n’y ait aucune piste d’atterrissage sur
ces îles rocheuses, je penserais avoir entendu un avion. Mais l’idée
est ridicule. Pourquoi un avion viendrait-il ici ? Et où se poserait-il ?

— Il s’agit peut-être d’un canot à moteur ! » suggéra Jill


brusquement.

Les autres la regardèrent. Chose étrange, personne, jusqu’ici,


n’avait envisagé cette hypothèse.
« Mais oui ! s’exclama Andy. Tu dois avoir raison. Mais qu’est-ce
qu’un canot à moteur viendrait-faire dans ces parages ? Enfin, s’il
s’agit vraiment d’un bateau, peut-être aurons-nous bientôt du
secours.

— Bien sûr ! dit Tom. Partons vite à la recherche du canot. Peut-être


n’est-il pas très loin. Quelle surprise pour ses occupants quand ils
nous verront ! Ils se demanderont d’où nous sortons !

— Tom ! Tom ! Pas de précipitation ! recommanda Andy en tirant le


jeune garçon en arrière. Je t’ai déjà fait part de mes soupçons. Je
crains une affaire louche. Avant de nous montrer, assurons-nous du
moins que nous ne tomberons pas comme des chiens dans un jeu
de quilles.

— Oh ! » fit Tom, décontenancé.

Jill et Mary parurent alarmées.

« Qu’entends-tu par “une affaire louche” ? demanda Jill.

— Je vous répète que je n’en sais trop rien, répondit Andy.

Essayons d’abord de repérer où se trouve le canot à moteur. On ne


peut avoir vu notre signal de détresse, puisque le bateau est venu
de nuit, et nous savons déjà qu’il ne se trouve pas de ce côté-ci de
l’île car nous l’aurions déjà aperçu. Je propose que nous nous
rendions sur la corniche rocheuse d’où on a la meilleure vue sur l’Ile
Numéro Deux. Qui sait si le canot ne s’est pas faufilé entre les
écueils, par une passe connue de lui, pour se réfugier dans la
lagune aux eaux tranquilles. Venez. »

Les quatre enfants se dirigèrent donc vers le surplomb rocheux.

Un peu avant de l’atteindre, Andy fit mettre ses compagnons à plat


ventre et leur conseilla de gagner le bord en rampant.
« S’il y a quelqu’un là en bas, expliqua-t-il, mieux vaut qu’il ne nous
aperçoive pas. »

Tous quatre se mirent à avancer comme des Peaux-Rouges.

Parvenus au bord de la corniche, ils tendirent le cou… et


éprouvèrent la plus grosse surprise de leur vie.

Sur les eaux calmes de la lagune de l’Ile Numéro Deux, flottait un


grand hydravion !

Oui… un grand hydravion flottant sur l’eau bleue. En revanche, pas


la moindre trace de canot à moteur. C’était le vrombissement de

l’appareil qu’Andy avait entendu la nuit précédente !

« Ça alors ! Je n’en reviens pas ! murmura le jeune pêcheur dont le


visage était devenu tout rouge d’excitation. Jamais je n’aurais pensé
à un hydravion. Quelle chose extraordinaire !

— Relevons-nous, crions et agitons les bras ! proposa Jill. Je suis


sûre que ces gens nous porteront secours.

— Tu n’as donc pas remarqué le dessin sur les ailes ? » dit Tom
d’une voix soudain pleine d’amertume et de colère.

Interloqués, ses compagnons se penchèrent pour mieux voir. Et ce


qu’ils distinguèrent sur les ailes de l’hydravion… ce fut une croix
noire bordée de blanc, la marque des avions allemands.

« Oh ! mon Dieu ! exhala Mary, suffoquée. Des ennemis ! Et ils


utilisent ces îles ! Elles leur appartiennent, alors ?

— Certainement pas, assura Andy. Mais elles sont désertes et loin


des routes maritimes. L’ennemi profite de ces circonstances et s’en
sert comme base pour je ne sais trop quoi…

— Andy… qu’allons-nous faire ? demanda Tom.


— Avant tout, réfléchir. Une chose est évidente. Impossible de trahir
notre présence avant d’en savoir plus long. Je n’ai nulle envie d’être
fait prisonnier.

— Voilà donc à quoi était destinée cette réserve de provisions,


murmura Jill. A nourrir les gens qui viennent ici. Oui, ce doit être
cela. Les hydravions font escale ici pour se ravitailler en carburant et
en nourriture. Une excellente idée. Oh, comme je voudrais pouvoir
retourner chez nous et faire savoir à papa ce qui se passe dans ces
îles. Il saurait ce qu’il convient de faire, lui ! Il aurait vite fait de
nettoyer l’endroit, c’est certain !

— Au fait ! coupa Mary. Ne ferions-nous pas bien de descendre


notre signal de détresse pendant que cet hydravion est là ? Si
l’ennemi l’aperçoit, il saura que cette île n’est plus déserte. Et notre
bateau ? Il peut le voir aussi.

— Je ne pense pas, répondit Andy. Les deux rochers qui l’encadrent


le cachent pas mal. Mais il faut évidemment ôter notre signal. Il faut
même renoncer définitivement à le hisser. Viens vite, Tom ! Le temps
presse !

— Nous vous accompagnons ! » décida Jill.

Mais Andy secoua la tête :

« Non, dit-il. A partir de maintenant, il faut surveiller sans cesse cet


hydravion. Nous devons réunir le maximum d’informations sur ces
gens. Restez là toutes les deux. Guettez sans vous faire voir. Nous
viendrons vous rejoindre dès que nous le pourrons. »

Les deux filles demeurèrent donc à leur poste tandis que les garçons
se hâtaient en direction du mât de détresse.

Après avoir descendu la voile et tout en la roulant, Andy déclara :

« Si nous venions à être découverts et pourchassés, je ne vois pas


où nous pourrions nous cacher. Il n’y a aucun endroit où se terrer sur
cette île. Pas la moindre grotte ! »

Tom n’était pas du tout rassuré. Il tremblait à la seule pensée qu’on


pouvait le traquer sur cette île dénudée.

« Je voudrais bien savoir, dit-il tout haut, combien d’hommes


comporte l’équipage de l’hydravion… et ce qu’ils mijotent… et tout et
tout…

— Où sont tes jumelles ? demanda soudain Andy. Grâce à elles,


nous verrons clairement ce qui se passe chez l’ennemi. »

Tom fit un bond de joie.

« C’est vrai ! Elles nous seront très utiles. Et mon appareil photo
aussi ! Qu’en penses-tu, Andy ? Nous pourrons photographier
l’hydravion. Ainsi, les gens seront bien forcés de nous croire quand
nous raconterons notre aventure… si toutefois nous parvenons à
retourner chez nous.

— Excellente idée ! s’écria Andy dont le visage s’éclaira. Si nous


arrivons à prendre quelques bons clichés de l’hydravion avec les
croix bien visibles sur les ailes, personne ne doutera de notre
histoire

! Dépêchons-nous d’aller chercher les jumelles et l’appareil ! »

Après avoir dissimulé la voile au milieu des buissons, les deux


garçons coururent à l’abri. Ils prirent les jumelles de Tom et
s’assurèrent que l’appareil photo était chargé.

« Ne gaspillons pas la pellicule, recommanda Andy. Nous pouvons


encore avoir quantité de choses intéressantes à photographier, sait-
on jamais !

— Oh ! J’ai trois ou quatre rouleaux supplémentaires, déclara Tom.


Je ne voulais pas être pris au dépourvu, au cas où il y aurait eu
beaucoup d’oiseaux à photographier sur Little Island… Allons
rejoindre mes sœurs et voir s’il y a du nouveau de leur côté. »

Jill et Mary furent enchantées de voir revenir les garçons.

« Andy ! Tom ! A peine étiez-vous partis que l’équipage de


l’hydravion a mis à l’eau un canot pneumatique, expliqua Jill. Ils ont
pagayé jusqu’au rivage et sont entrés dans notre caverne. Quelle
chance que la marée ait effacé la trace de nos pas !

— Certes, oui ! dit Andy. Tom ! Passe-moi tes jumelles. Je veux voir
ces gens-là ! »

Le jeune pêcheur braqua les jumelles. Elles grossissaient si fort qu’il


eut l’impression d’avoir l’hydravion à portée de sa main. Il vit avec
netteté les croix peintes sur les ailes. Il vit aussi le petit canot en
caoutchouc qui se balançait au rythme du flot, pendant que les
hommes s’activaient dans la Rotonde, soit à y puiser des provisions,
soit à y en ajouter.

« On dirait que quelqu’un est resté à bord de l’hydravion annonça


Andy. Ah ! Et voici les hommes qui sortent de la caverne ! »
 

Ils se glissèrent sous les broussailles et se tinrent parfaitement


immobiles.

Grâce aux jumelles, Andy les voyait parfaitement. Il est vrai que, de
leur côté, les étrangers auraient pu voir les enfants, mais de très
loin.

« Ils viennent de prélever des vivres sur le stock de la Rotonde !


annonça encore Andy. Et je suppose qu’ils ont aussi une réserve de
carburant quelque part, à laquelle ils se ravitaillent de temps à autre.

Des denrées alimentaires, de l’essence… c’est bien ce que je


pensais !

Ces îles sont utilisées par l’ennemi comme escales pour lui éviter
d’aller se ravitailler dans son pays. Quelle histoire !

Nous sommes tombés sur quelque chose d’important ! »

L’équipage de l’hydravion reprit place dans le canot pneumatique et


regagna l’appareil. Deux fois encore il fit le va-et-vient puis disparut
pour de bon à l’intérieur de l’hydravion.

« Ces émotions m’ont creusé, déclara prosaïquement Tom. Je


mangerais bien un morceau. Si nous retournions à l’abri ?

— Vas-y avec Jill et Mary, répondit Andy. Moi, je reste ici à faire le
guet. Préparez-vous un bon repas mais surtout n’allumez pas de
feu. L’ennemi verrait la fumée. Si vous devez à tout prix cuisiner,
servez-vous du poêle. Vous m’apporterez de quoi manger et boire
un peu plus tard.

— Entendu ! »

acquiesça Tom.

Lui et ses sœurs quittèrent la corniche en rampant. Ils ne se


redressèrent qu’une fois certains de n’être pas vus. Alors, ils
coururent jusqu’à leur maisonnette.

Ils mangèrent froid, préférant ne rien faire cuire du tout. Puis ils
préparèrent un paquet pour Andy et se mirent en route pour le
rejoindre.

Ils n’étaient encore qu’à mi-chemin quand ils entendirent un


vrombissement dans le ciel et s’arrêtèrent immédiatement pour
écouter.
« C’est l’hydravion qui s’en va ! » cria Tom.

Le bruit se rapprocha et devint plus fort.

« Regardez !

Le voilà ! cria Jill. Couchons-nous vite sous ces buissons pour n’être
pas vus ! »

Jill venait en effet d’apercevoir l’appareil qui s’élevait au-dessus de


la falaise. Les trois enfants se laissèrent choir sur le sol, se
glissèrent sous les broussailles et se tinrent parfaitement immobiles.

L’avion s’éleva encore plus haut, passa au-dessus de l’île et


s’éloigna pour n’être bientôt plus qu’un point à l’horizon.

« Eh bien, nous l’avons échappé belle ! déclara Tom en se


redressant et en s’épongeant le front. Nom d’un pétard ! J’ai eu
chaud ! Et j’ai renversé l’eau que j’apportais à Andy. Il va falloir que
j’aille en chercher d’autre.

— Moi aussi, avoua Jill, cela m’a fait un choc de voir cet énorme
avion surgir alors que je ne m’y attendais pas. Oh ! là ! là ! Si ça doit
continuer comme ça, je finirai par avoir des cheveux blancs ! »
CHAPITRE X
La troisième île
LE DÉPART de l’hydravion avait vivement soulagé les quatre
naufragés.

« C’est une chance que notre signal de détresse ait été retiré quand
l’appareil a survolé notre île, déclara Andy en dévorant avec entrain
les provisions apportées par ses camarades. Je n’ai pas eu le temps
de vous prévenir. J’ai brusquement entendu le bruit du moteur,
l’hydravion a glissé sur la lagune puis s’est envolé. Je me suis fait
tout petit afin qu’on ne me voie pas.

— Dis donc, Andy, demanda Tom. Crois-tu qu’il y ait quelque chose
d’intéressant sur les autres îles ?

— Possible ! Nous devrions essayer d’y faire un tour. L’Ile Numéro


Trois a une forme très spéciale : très longue et très étroite. Il se peut
que, du côté opposé à nous, se trouve une lagune pouvant être
utilisée par des hydravions. Peut-être même se trouve-t-il quantité
d’appareils là-bas ! »
Tom émit une réflexion judicieuse :

« Nous n’en avons entendu qu’un. S’il y en avait beaucoup, nous en


aurions déjà entendu d’autres.

— Oui… tu as raison, Tom, reconnut Andy. De toute façon, pour en


avoir le cœur net, mieux vaut nous rendre sur place. Mais comment
atteindre la troisième île ? Il faudra y aller à la nage. Je ne pense
pas que les filles en soient capables.

— C’est vrai, soupira Jill avec regret. Je n’en aurai pas la force. La
distance est trop grande. Il faudra que vous vous passiez de nous.

Mary et moi, nous resterons ici à vous attendre. Ce sera une


épreuve de patience.

— Irons-nous demain ? demanda Tom qui avait hâte d’agir. Nous


pourrions passer sur l’Ile Numéro Deux le matin, à marée basse, et
nager ensuite jusqu’à l’Ile Numéro Trois. N’oublions pas d’emporter
du ravitaillement.

— Excellent programme ! » approuva Andy.

Maintenant que la décision était prise, une sorte de fièvre s’empara


des enfants. Il leur semblait qu’un important secret allait leur être
dévoilé. Jill, dont l’imagination était fort active, en frissonnait
délicieusement à l’avance.

« Il n’y a qu’une chose qui me tracasse, avoua Andy. Si par hasard


notre présence était découverte, où nous cacherions-nous ?

— Nulle part, hélas ! répondit Tom. Tu sais bien qu’il n’y a pas la
moindre cachette sur cette île. Alors, souhaitons simplement ne pas
être découverts. »

Il n’y eut pas d’autre incident ce jour-là. Aucun autre hydravion ne


vint se poser sur les eaux calmes de la lagune de l’Ile Numéro Deux.
Aucun bruit ne troubla le silence, sinon le cri des mouettes et autres
oiseaux de mer. Ce fut une journée paisible, que les enfants
employèrent à se baigner et à se dorer au soleil.

Désormais, les provisions découvertes dans la Rotonde, suffisaient


largement. Par ailleurs, Andy attrapa de jolis petits poissons que Jill
mit à frire dans du beurre. Tous s’en régalèrent.

Maintenant qu’ils avaient du lait en poudre, ils ne se privaient pas


pour en ajouter à leur thé ou à leur chocolat. Et ils étaient très
contents de pouvoir sucrer leurs breuvages.

Tout en se distrayant, les naufragés n’en relâchaient pas pour autant


leur surveillance de l’Ile Numéro Deux. A tour de rôle, ils faisaient le
guet du haut de la corniche rocheuse. Mais rien de particulier ne se
produisit. Ce soir-là, ils se couchèrent de bonne heure car la journée
suivante serait à coup sûr longue et pénible pour les deux garçons.

« Nous aurons d’abord à traverser à gué, rappela Andy, ensuite


nous devrons traverser l’Ile Numéro Deux et, enfin, gagner à la nage
l’Ile Numéro Trois. Il nous faudra être de retour sur la seconde île
suffisamment à temps pour retraverser jusqu’ici avant la marée
montante. Vous, les filles, ne vous faites surtout pas de souci pour
nous. Nous reviendrons sains et saufs.

— J’aurais tant aimé aller avec vous ! soupira Jill. Peut-être Mary et
moi pourrions-nous vous accompagner jusqu’à l’Ile Numéro Deux et
vous y attendre ? Ce serait plus amusant pour nous de jouer là-bas
que sur notre île.

— D’accord ! acquiesça Andy. Mais ne vous laissez pas surprendre,


au cas où un hydravion arriverait. Si vous entendez le moindre bruit
de moteur, cachez-vous vite sous un buisson quelconque. Vous ne
devez être vues à aucun prix. »

Le lendemain matin, les quatre enfants partirent ensemble, à marée


basse, à l’assaut des gros rochers glissants. Pour tout vêtement, les
garçons n’avaient que leur maillot de bain. Andy portait, solidement
attaché sur ses épaules, un gros paquet étanche contenant
suffisamment de vivres pour la journée. Les filles, elles, n’auraient
qu’à puiser dans les provisions de la Rotonde.

Après avoir atteint l’Ile Numéro Deux, les quatre amis la


traversèrent, parmi fougères et bruyère, jusqu’à un endroit d’où ils
pouvaient voir nettement l’Ile Numéro Trois. Celle-ci s’étirait sur la
mer, devant eux, comme un long serpent bleu et brun. Au-delà, on
distinguait une ou deux autres îles.

Considérant la vaste étendue d’eau séparant la seconde et la


troisième île, Mary demanda avec inquiétude :

« Tom ! Es-tu bien sûr de pouvoir nager aussi loin ?

— Certainement ! » affirma le jeune garçon qui, pour rien au monde,


n’aurait voulu renoncer à l’aventure.

Néanmoins, en son for intérieur, il devait admettre que, jamais


encore, il n’avait parcouru une aussi longue distance à la nage.

« Bon ! trancha Andy. A tout à l’heure, les filles ! Nous allons


descendre sur le rivage, avancer dans l’eau aussi loin que nous le
pourrons, et ensuite continuer à la nage. As-tu emporté les jumelles
de Tom, Jill ? Parfait. Vous pourrez ainsi nous suivre des yeux
jusqu’à l’Ile Numéro Trois. »

Comme ils l’avaient annoncé, les garçons dévalèrent la pente


jusqu’au rivage, pataugèrent dans l’eau aussi loin qu’ils le purent,
puis, quand ils sentirent qu’ils perdaient pied, se mirent à nager.

Andy était, et de loin, meilleur nageur que Tom. Cependant, loin de


le distancer, il se tint à sa hauteur, prêt à lui venir en aide en cas de
difficulté.

Ils continuèrent longtemps ainsi. Tom commença à s’essouffler.

« Fais la planche un moment ! lui conseilla Andy. Cela te reposera. Il


y a encore pas mal de chemin à parcourir. »
Les deux amis se laissèrent flotter de conserve. Le clapotis de l’eau
était assez éprouvant, mais elle était chaude. Tom ne tarda pas à se
sentir délassé.

Ils se remirent à nager. Cependant, au bout d’un moment, on put se


demander si Tom atteindrait jamais la troisième île. Ses bras
recommençaient à se fatiguer et ses jambes avaient de plus en plus
de mal à le propulser. Il haletait. Andy éprouva une réelle inquiétude.

« Ralentis un peu ! cria-t-il à Tom. Crois-tu pouvoir parcourir le reste


du chemin ?

— Je ne sais pas », répondit le pauvre Tom.

Il avait terriblement honte de lui-même tout en se sentant incapable


de nager correctement. Il dut s’avouer qu’il n’en pouvait plus.

Andy, pour sa part, n’était pas le moins du monde fatigué. Il se


rapprocha de Tom.

« Continue, Tom. Courage ! Il n’est plus possible de faire demi-tour,


à présent. Nous avons déjà effectué plus de la moitié du parcours. »

Tom jeta un coup d’œil aux falaises de l’Ile Numéro Trois. Comme
elles semblaient encore loin ! Il continua vaillamment, obligeant ses
membres fatigués à se mouvoir en cadence. Mais, au bout d’un
moment, il dut constater qu’il lui était impossible de nager plus
longtemps. Il se tourna sur le dos et recommença à faire la planche.

Ce coup-ci, Andy eut réellement peur.

« Tom, tu es à bout de forces. Il va falloir que je t’aide. Je vais me


mettre sur le dos. Mets-toi sur le ventre. Pose tes mains sur mes
épaules et laisse-toi aller. Je nagerai en te tirant. L’ennuyeux, c’est
que nous n’avancerons pas vite.

— Je ne sais comment te remercier, Andy ! » répondit Tom plein


d’humilité et de reconnaissance.

Il s’en voulait de se révéler un aussi piètre nageur, mais n’y pouvait


rien. Il s’accrocha donc aux épaules de son camarade et Andy, sur le
dos, et la tête en direction de la troisième île, recommença avec
courage à nager.

Ainsi qu’il l’avait prédit, les deux garçon avançaient très lentement.
Et puis, au bout d’un moment, Andy, à son tour, ressentit la fatigue.
Remorquer quelqu’un n’est pas de tout repos ! Le jeune pêcheur
avait de plus en plus de difficulté à conserver son souffle.

Quelle histoire ! S’ils étaient deux, maintenant, à ne plus pouvoir


avancer, qu’allaient-ils donc devenir ?

Un moment encore, et Andy, comme Tom, se trouva au bout de ses


forces. Sans doute se seraient-il noyés tous les deux si Andy,
frappant désespérément l’eau de ses jambes, n’avait soudain touché
du pied quelque chose de dur. Un récif ! : Il existait au-dessous d’eux
une chaîne de rocs assez semblable à celle qui leur avait permis de

passer à gué de l’Ile Numéro Un à l’Ile Numéro Deux. Seulement,


celle-ci n’était jamais découverte par la marée.

« Tom ! Tom ! Redresse-toi et tâte l’eau au-dessous de toi. Il y a des


récifs ! haleta Andy. Nous pouvons nous tenir debout… et peut-être
même continuer à pied jusqu’au rivage. »

Tom, à son tour, prit pied sur les rochers. Il se sentit aussitôt
beaucoup mieux. Se tenant alors par la main, lui et Andy avancèrent
à tâtons, et très prudemment, passant d’un écueil à l’autre, se
meurtrissant les orteils et se déchirant parfois la peau jusqu’au sang,
mais approchant peu à peu de la plage. Enfin, le chapelet des
rochers s’interrompit. A présent, les deux garçons ne foulaient plus
que le sable. Quel soulagement !

« Eh bien, s’exclama Tom, voilà une aventure qui a failli mal tourner !
Navré d’avoir été aussi minable, mon vieux. Et merci.

— Bah ! Tu as fait de ton mieux. L’essentiel est de nous en être tirés.


»

A dire vrai, Andy n’était qu’à demi rassuré. Il pensait au retour.

Comment Tom franchirait-il la distance séparant les deux îles ?

Cependant, il dissimula avec soin son inquiétude. Au contraire, il


sourit à Tom pour ne pas l’inquiéter.

« Nous voici arrivés. Peut-être allons-nous avoir des surprises ! »

Avant de commencer leur exploration, les deux amis s’allongèrent


un moment sur le sable, pour se reposer et se sécher au soleil. Puis
ils attaquèrent les provisions. Après avoir mangé, Tom se sentit
mieux.

La nourriture avait toujours un effet merveilleux sur Tom.

Après avoir avalé la dernière bouchée, il se leva d’un bond.

« Je n’ai jamais été en meilleure forme ! annonça-t-il joyeusement.


Viens donc, Andy, mon vieux ! Montons en haut de la falaise et
traversons de l’autre côté de l’île pour voir s’il s’y passe quelque
chose d’intéressant. »
Andy se leva. Les deux garçons grimpèrent au flanc de la falaise
abrupte et s’assirent un moment au sommet pour reprendre haleine.

Cette troisième île leur parut identique aux deux autres : il y poussait
des fougères, de la bruyère et une herbe maigre. Des mouettes
tournoyaient dans le ciel.

Une fois reposés, Tom et Andy franchirent l’étroite distance


constituant la largeur de l’île, et aboutirent à la falaise opposée à
celle qu’ils venaient de gravir. Avant d’en gagner le bord, Andy
conseilla :

« Mettons-nous à plat ventre et rampons, au cas où il y aurait


quelqu’un. »

Les deux amis avancèrent donc avec précaution pour s’arrêter à un


endroit d’où ils pouvaient voir la mer au-dessous d’eux.

Et alors… alors… ce qu’ils virent les emplit d’une telle stupéfaction


et d’une telle inquiétude qu’ils restèrent au moins cinq minutes
immobiles et sans souffler mot.
CHAPITRE XI
Le secret des îles
LE spectacle qu’Andy et Tom avaient sous les yeux leur paraissait à
peine croyable. Là, dans les eaux calmes et profondes d’une jolie
rade naturelle, située au nord-est de l’île, se trouvaient sept ou huit
sous-marins.

Des sous-marins ! Une base de submersibles dans ces îles désertes


! « Pas étonnant, pensèrent les deux amis, qu’un si grand nombre
de bateaux aient été envoyés par le fond dans ces parages ! »

Andy chuchota enfin à l’oreille de son compagnon :

« C’est un véritable nid de sous-marins, Tom. Des sous-marins


ennemis ! J’ai l’impression de rêver. Te rends-tu compte ? Nous
venons de découvrir un formidable secret. »

Tous deux continuèrent à regarder. Certains des submersibles


flottaient à la surface de l’eau, tels de gigantesques crocodiles. Deux
étaient en train de quitter la base : on apercevait distinctement leur
périscope. Vu le nombre des navires, le silence qui régnait alentour

semblait étrange. Aucun appel ! Pas de bruits de moteur… rien


qu’un léger halètement de temps à autre.

« Ils viennent se ravitailler ici en carburant et en nourriture, souffla


Andy. Ce sont de petits sous-marins : aussi cette base peut-elle en
contenir une douzaine, sinon plus. Quel endroit idéal pour cette sorte
de navire ! As-tu remarqué ? L’ennemi n’a construit ici ni jetée ni
quai, rien qui puisse se voir au cas où un de nos avions survolerait la
région. A la moindre alerte, ces sous-marins peuvent se contenter
de plonger en eau profonde. Qui devinerait alors leur présence ?
Quant au ravitaillement, il est camouflé dans les grottes…
Nom d’un pétard ! C’est stupéfiant ! »

Un long moment, les deux garçons restèrent étendus, contemplant


l’étrange scène au-dessous d’eux. Deux sous-marins glissèrent en
silence hors de la lagune, en utilisant une passe entre deux hauts
récifs. Puis un troisième submersible pénétra dans cette rade
naturelle pour venir se ranger tranquillement à côté des autres.

Des hommes surgirent sur le pont.

Sur le moment, la surprise et l’inquiétude avaient, chez Tom, dominé


tout autre sentiment. Il ne pouvait que regarder de tous ses yeux
tous ces bateaux ennemis. Au bout d’un moment, cependant, une
pensée fit son chemin dans son esprit. Il se tourna vers Andy :

« Andy, dit-il. Il faut à tout prix retourner chez nous et faire savoir ce
qui se passe ici !

— C’est certain, soupira Andy. Je pense aussi qu’il faut agir, Tom.

Et commencer par emmener tes sœurs loin de ces îles. Nous


sommes tous en danger. Si l’ennemi s’aperçoit que nous
l’espionnons, nous courrons des risques terribles.

— Peu importe les dangers qui nous menacent, déclara Tom qui
pensait réellement ce qu’il disait. Ce qui compte, c’est de rentrer à la
maison et de signaler cette base de sous-marins. Ce nid de frelons
doit être détruit. Andy, c’est sérieux ! »

Andy acquiesça. Lui et Tom avaient l’impression de devenir des


hommes tout à coup. Tous deux se regardèrent gravement. Chacun
devinait que l’autre ferait de son mieux, et même plus encore, pour
aller jusqu’au bout de leur mission. Mais Tom s’inquiéta soudain :

« Penses-tu qu’on nous croira ? Tout cela paraît tellement


invraisemblable ! Les adultes sont parfois méfiants. Ils vont peut-être
s’imaginer que nous avons tout inventé… ou que nous avons mal vu
?
— Nous reviendrons ici avec ton appareil photo et nous prendrons
des clichés ! proposa Andy. Ainsi, nous aurons des preuves ! Et il
faudra essayer de renflouer notre bateau. Nous devrons le dégager
des écueils et le réparer. C’est le seul moyen de retourner chez nous

Ils n’arrivaient pas à s’arracher au spectacle qui les fascinait.

Enfin, ils gagnèrent, toujours en rampant, quelques buissons à


proximité. A partir de là, d’autres buissons poussaient du haut en
bas de la falaise. En se dissimulant derrière, Andy et Tom
descendirent jusqu’au rivage. Ils se trouvèrent alors à une extrémité
de la rade.

Juste devant eux s’incurvait une crique. De nombreux petits bateaux


étaient au sec sur le sable. Il n’y avait personne à la ronde.

La vue de ces embarcations donna des idées à Andy. Et s’il en


empruntait une ? Tom et lui n’auraient alors qu’à contourner l’île et à
gagner celle où les attendaient les filles. Andy était conscient que
Tom ne pourrait jamais revenir à la nage… et il n’avait pas l’intention
de laisser son ami sur cette île annexée par l’ennemi.

« Tom, chuchota-t-il, tu vois ces bateaux ? Le mieux est de patienter


jusqu’à ce soir puis de nous glisser sur le sable et de prendre une de
ces embarcations. Elle nous permettra de rejoindre Jill et Mary sans
avoir à nager. Par la suite, nous pourrons même y fourrer des vivres
et de l’eau et essayer de filer directement chez nous. Je me
débrouillerai bien pour y fixer la voile !

— Oh, Andy ! Quelle bonne idée ! répondit Tom enthousiaste.

Mais, dis donc ! Est-ce que les filles ne vont pas être drôlement
inquiètes en ne nous voyant pas reparaître avant la marée montante
de ce soir ?

— Nous irons sur la falaise, de l’autre côté de cette île, et nous leur
adresserons des signaux, décida Andy. Avec les jumelles, elles nous
verront distinctement. Par gestes, nous essaierons de leur faire
comprendre que nos plans sont changés mais que tout va bien.

— D’accord ! Partons tout de suite. Je suis tellement impatient d’agir


que je ne peux rester en place. »

Les deux garçons se rendirent donc sur la première falaise. Au bout


d’un moment, les filles parurent et leur firent des signes. Puis Jill
porta les jumelles à ses yeux.

« Les garçons semblent tout heureux et surexcités à propos de je ne


sais quoi, annonça-t-elle à sa sœur. Ils gesticulent, montrent quelque
chose derrière eux et semblent désireux de nous faire comprendre
un projet qu’ils ont en tête. Tom ne cesse de se frapper le front.

— Peut-être, suggéra Mary, ont-il découvert un nouveau secret et se


proposent-ils d’agir d’une manière ou d’une autre. »

Elle emprunta les jumelles à Jill et regarda à son tour.

« Tu as raison. Tom ne cesse de s’agiter, comme s’il avait perdu la


raison. Enfin, nous saurons à quoi nous en tenir quand ils
reviendront. J’espère seulement que Tom pourra effectuer le trajet
de retour. Ce matin, j’ai bien cru qu’il allait se noyer ! »

Un instant plus tard, les garçons disparurent.

Tom et Andy, espérant avoir rassuré les filles, s’installèrent dans un


creux inondé de soleil et achevèrent le reste de leurs provisions.

Andy découvrit un petit ruisseau où ils se désaltérèrent. Puis ils


restèrent à se reposer et à parler, en attendant les ombres du soir.

La nuit tomba enfin. La lune, masquée par les nuages, diffusait une
faible clarté de loin en loin. Andy et Tom descendirent sans bruit
jusqu’à la petit crique, près de la base secrète. Ils avaient, à
l’avance, soigneusement repéré leur chemin. Andy marchait en tête,
leste comme un chat. Tom le suivait de près, faisant très attention à
ne pas buter sur des pierres qui, en roulant au bas de la pente,
auraient risque de trahir leur approche.

Enfin, ils parvinrent au rivage. A cet endroit, la plage, sablonneuse,


permettait d’avancer en silence. Durant un moment, les deux amis
demeurèrent dans l’ombre de la falaise, prêtant l’oreille.

Mais ils n’entendirent rien d’autre que le bruit des vagues sur le
sable. Les bateaux se trouvaient tout proches, la quille en l’air.

Personne ne les surveillait. Pourquoi, d’ailleurs, y aurait-il eu une


sentinelle ? Personne n’avait jamais mis le pied sur ces îles depuis
le départ de leurs habitants… personne, à l’exception des équipages
des sous-marins et des hydravions ennemis !

Les garçons se risquèrent sur la plage argentée.

« Prenons le bateau le plus à gauche, chuchota Andy. Il est juste de


la bonne taille. »

Ils parvinrent à l’embarcation. C’est alors, que, brusquement, ils


entendirent des voix. Elles semblaient provenir de l’autre bout de la
falaise et résonnaient clairement dans la nuit. Les deux garçons
étaient incapables de saisir les mots, mais le seul bruit de ces voix
suffit à les faire se blottir contre le flanc du bateau qu’ils avaient
choisi.

Tom tremblait. Et si on les découvrait juste au moment où ils


s’emparaient de l’esquif ? Ce serait terrible. Andy et lui restèrent cois
jusqu’à ce que les voix s’éteignent dans le lointain. Alors, ils
relevèrent la tête avec précaution.

« Tu vois la lune ? chuchota Andy. Quand elle aura disparu derrière


cet énorme nuage, là-bas, nous retournerons le bateau et nous le
pousserons à l’eau. Prend-le par ce bout ; je le prends de l’autre.
Tiens-toi prêt !

— Entendu ! » répondit Tom dans un murmure.


A peine la lune se trouva-t-elle cachée par le nuage sombre que les
deux amis, se redressant en silence, retournèrent tout doucement
l’embarcation. Elle pesait lourd mais la nécessité de faire vite
décuplait leurs forces. Ensuite, ils la poussèrent sur le sable, jusqu’à
la mer. Tom sauta dedans et prit les avirons. Andy donna une forte
poussée et sauta à bord à son tour. La lune demeurait invisible.

Sans bruit, les deux amis s’éloignèrent du rivage, puis se mirent à


ramer plus vite. Quand la lune reparut enfin, ils étaient déjà loin de la
petite crique.

« Courage ! lança Andy tout bas. Force encore un peu sur les
avirons, Tom. Nous n’allons pas tarder à contourner l’île. »

Il ne leur fallut qu’un instant pour atteindre l’extrémité de l’île et


contourner celle-ci. Puis ils gagnèrent le bras de mer qui les séparait
de l’Ile Numéro Deux et ramèrent rapidement jusqu’à la falaise où ils
avaient laissé les filles.

Jill et Mary guettaient leur retour. Lorsque la nuit était tombée, les
deux sœurs avaient commencé à s’inquiéter pour de bon.

Incapables d’imaginer ce qui avait pu arriver, elles ne savaient plus


que penser.

Puis, alors que Jill scrutait une fois de plus la mer à travers ses
jumelles, la lune était réapparue et elle avait distingué un petit
bateau se dirigeant vers elles. Impulsivement, elle avait serré le bras
de Mary.

« Regarde ! Un bateau ! Est-ce l’ennemi ? »

Les deux filles continuèrent à attendre cependant que leur cœur


battait à se rompre. Impossible de voir nettement les occupants de
l’embarcation. Celle-ci finit par toucher terre. Alors, le cri d’un
goéland monta dans l’air calme.
« Andy ! s’écria Jill qui, dans sa joie, faillit dégringoler au bas de la
falaise. C’est Andy ! Je reconnaîtrais son “cri du goéland”

n’importe où ! »

Les deux garçons escaladèrent la falaise jusqu’à la corniche


rocheuse. Les filles leur sautèrent au cou. Elles étaient si heureuses
de les revoir !

« Ce bateau, où l’avez-vous déniché ? demanda Jill.

— Qu’avez-vous vu ? Qu’avez-vous trouvé ? s’enquit Mary de son


côté.

— Nous allons tout vous raconter en détail ! » annonça Andy.

Les quatre amis s’assirent, serrés les uns contre les autres sur la
saillie rocheuse, battue des vents et glaciale. Pour le moment, ils
avaient oublié le froid et la bise tant ils étaient occupés à parler ou à
écouter. Les filles eurent peine à croire le récit des garçons. Cela
semblait tellement extraordinaire !

« Et maintenant que nous avons un bateau, conclut Andy, nous


allons l’approvisionner en nourriture et en eau, et nous tâcherons de
rentrer chez nous au plus vite. C’est la seule chose que nous
puissions faire… la seule, aussi, que nous devons faire !

— Mais, Andy, fit remarquer Jill, inquiète, supposons que l’ennemi


s’aperçoive de la disparition d’une de ses barques…

L’alarme sera donnée ! Est-ce que ces gens ne fouilleront pas les
îles

— Si… sans aucun doute, répondit Andy. C’est pour cela que nous
devons partir demain de bonne heure. Nous allons prendre des
provisions dans la Rotonde, bien dormir cette nuit… et tenter le tout
pour le tout !

— Si seulement nous pouvions partir avant que l’ennemi découvre


l’absence du bateau ! soupira Tom. Malheureusement il est
impossible de nous mettre en route maintenant. »

CHAPITRE XII
Une tentative hardie
SI LES ENFANTS avaient espéré bien dormir cette nuit-là, ils durent
déchanter. Ils étaient bien trop énervés… Tous quatre avaient
regagné leur île à bord du bateau volé. Après avoir attaché
l’embarcation, ils s’étaient précipités dans leur abri.

Hélas, ils furent longs à s’endormir et, contrairement à ce qu’ils


s’étaient promis, se réveillèrent tard le lendemain matin. Encore ce
réveil fut-il causé par le vrombissement d’un moteur d’avion.

« C’est l’hydravion qui revient ! » s’écria Andy en sautant à terre.


Il courut à la porte juste à temps pour voir l’appareil passer au-
dessus de lui, puis décrire des ronds et finalement se poser sur les
eaux calmes de la lagune de l’Ile Numéro Deux.

« Voilà qui nous empêche de partir aujourd’hui, déclara Tom. Il faut


en effet bourrer le bateau de victuailles, ce que nous ne pourrons
faire tant que l’hydravion est là.

— C’est en effet un contretemps, admit Andy. Mais il y a une


compensation. Sais-tu ce que nous pourrions tenter, mon vieux ?

Ramer jusqu’à l’Ile Numéro Trois, amarrer le bateau à l’abri des


regards, ramper jusqu’au sommet de la falaise et prendre des
photos de la rade aux sous-marins. Nous avions déjà projeté de la
photographier, rappelle-toi !

— Oh, mais oui ! Tu as raison ! Cependant, il nous faudra être


prudents.

— J’y veillerai, promit Andy. Jill, qu’y a-t-il pour le petit déjeuner

Les enfants se régalèrent de saucisses et de haricots à la sauce


tomate, accompagnés de petit pains préparés par Jill et dont elle
était très fière. Le repas fut silencieux. Chacun pensait à la situation
dans laquelle ils se trouvaient.

« Il est possible que l’hydravion ne reste pas longtemps, déclara


Andy. La dernière fois, son séjour a été bref. Il vient sans doute, soit
compléter le stock de provisions, soit y puiser. Dans l’un ou l’autre
cas, il demeurera de ce côté-ci de l’île. Nous partirons donc en
bateau de l’autre côté, afin de n’être pas vus, nous gagnerons la
troisième île et y camouflerons le bateau, comme prévu. Vous, les
filles, vous resterez ici.

— Flûte ! protesta Mary. Vous vous réservez toujours les choses les
plus agréables ! Pourquoi n’irions-nous pas avec vous ? Qu’est-ce
qui nous en empêche ?

— Eh bien, concéda Andy après avoir réfléchi un moment, si vous


vous engagez à faire exactement ce qu’on vous dira, vous pourrez
nous accompagner. »

En fait, le jeune pêcheur répugnait à l’idée de laisser les deux filles


toutes seules. Après tout, mieux valait rester groupés tous les
quatre.

Jill et Mary sautèrent de joie. Elles lavèrent la vaisselle du petit


déjeuner, puis préparèrent un repas à emporter.

Les quatre amis prirent place dans le bateau et les garçons


commencèrent à ramer. Arrivés à la seconde île, ils prirent grand
soin de rester du côté opposé à la grotte. Puis ils traversèrent aussi
vite qu’ils le purent l’espace les séparant de l’Ile Numéro Trois. Là,
ils

abordèrent une plage minuscule, surplombée de falaises si abruptes


qu’elles semblaient sur le point de dégringoler dans la mer.

« Voilà un endroit idéal pour accoster, déclara Andy en tirant le


bateau sur le sable. Allons, sautez, les filles ! Prenez les vivres avec
vous. Donne-moi un coup de main, Tom. Il s’agit de remonter le
bateau assez haut pour le dissimuler derrière ce gros rocher. »

Hélas ! Même ainsi camouflé, le bateau était encore visible : une


partie de sa proue dépassait. Jill eut alors une idée. Elle courut à un
énorme tas d’algues et revint avec une pleine brassée de ces
herbes.

« Je vais en tapisser le bateau pour le faire ressembler à un rocher,


déclara-t-elle en riant. Aidez-moi, voulez-vous ?

— Tu es rudement ingénieuse ! » s’écria Andy, ravi.


Les quatre amis travaillèrent avec tant d’ardeur à couvrir le bateau
d’algues qu’il finit par se confondre totalement avec les rochers
d’alentour, pareillement recouverts. Personne n’aurait pu
soupçonner qu’il était là.

« Parfait ! déclara Andy. A présent, nous allons traverser la pointe de


l’île et nous approcher, avec mille précautions, de la petite crique où
nous avons chipé le bateau. Nous commencerons par regarder du
haut de la falaise pour voir si l’on semble avoir ou non découvert la
disparition de la barque. Puis nous irons à l’aplomb de la rade aux
sous-marins et Tom prendra des photos. »

Le programme se déroula dans d’excellentes conditions. Se tenant


constamment dans l’ombre des buissons de ronces et de genêts, les
quatre amis traversèrent la pointe de l’île et, progressant en silence,
arrivèrent bientôt à la falaise au bas de laquelle se trouvait la petite
crique aux bateaux. Andy écarta des ronces et regarda au-dessous
de lui.

Il aperçut toutes les embarcations comme il les avait vues


précédemment, la quille en l’air. Personne n’était en vue.

Apparemment, le vol n’avait pas été découvert !

Andy permit aux trois autres de regarder à leur tour. Tom exprima
son contentement :

« Tant que l’ennemi n’a pas remarqué la disparition du bateau, tout


va bien, déclara-t-il. Je crois que ces gens pensent être si fort en
sûreté ici qu’il ne leur viendrait même pas à l’esprit qu’on peut les
voler !

— Souhaitons que tu ne te trompes pas ! soupira Andy. Mais tu


aurais tort de sous-estimer nos ennemis. Ils ne sont certainement ni
stupides ni négligents. De toute façon, nous ferions mieux de les
croire très malins, très intelligents et de nous montrer encore plus
malins et plus intelligents qu’eux. Maintenant, avançons un peu plus
loin… jusqu’à l’endroit de la falaise d’où les filles pourront voir les
sous-marins. »

Progressant très lentement et très prudemment, les enfants


gagnèrent le lieu en question.

A plat ventre, ils regardèrent à travers les hautes fougères. Les filles
eurent du mal à étouffer une exclamation de surprise.

« Incroyable, murmura Jill. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept…
combien donc y a-t-il de sous-marins ?

— Une base de submersibles ennemis aussi proche de notre propre


pays ! s’indigna Mary. Et personne ne s’en doute.

— Où est ton appareil photo, Tom ? » souffla Andy.


Tom le portait en bandoulière. Il le sortit avec précaution de son étui
étanche et le régla pour photographier de loin.

« J’ai déjà pris l’hydravion sur les deux premières pellicules, dit-il
tout bas. Je consacrerai le reste du rouleau aux sous-marins. De
retour chez nous, il sera facile de les faire tirer. Personne alors ne
pourra douter de notre parole : ces photos seront la preuve de ce
que

nous aurons vu. Je vais me débrouiller pour cadrer ces deux gros
submersibles, juste au-dessous de nous ! »

Clic ! Clic ! Clic ! Clic ! Tom déployait tous ses talents pour prendre
les meilleures photos possibles. Il eut bientôt terminé son rouleau.

« Quand nous serons de retour à l’abri, déclara Tom, je sortirai la


bobine dans un coin sombre. Mieux vaut trop de précautions que
pas assez ! Je suis assez content de moi. Voilà un bon travail de fait

Il replaça l’appareil dans son étui et le remit en bandoulière. Les


quatre enfants restèrent encore un moment à regarder la base
navale secrète, au-dessous d’eux. Ils virent ainsi un autre sous-
marin arriver et deux qui s’en allaient.

« Les voilà partis pour couler quelques-uns de nos navires, je


suppose, dit Andy d’une voix qui tremblait de colère. Et dire que
nous ne pouvons rien faire ! Mais cette base sera détruite quand
nous aurons raconté ce qui se passe ici. L’amirauté enverra des
bateaux de guerre et des avions, sans doute.

— Dis donc, Andy, coupa Tom, où y a-t-il un coin tranquille où nous


puissions nous installer pour manger un morceau ? Je meurs de
faim, moi !

— Si j’avais reçu un shilling chaque fois que j’ai entendu Tom


réclamer à manger, déclara Jill en riant, je serais riche à l’heure
actuelle.
— Ma foi, se défendit Tom, je ne fais que dire tout haut ce que vous
pensez tout bas. Osez prétendre que vous n’avez pas faim ! »

Tous, effectivement, avouèrent qu’ils se sentaient un creux à


l’estomac. Andy repéra un endroit entouré de fougères, pas très loin
de celui où ils se trouvaient. La végétation y était si dense et si haute
que, une fois installés là, les jeunes naufragés ne couraient aucun
risque d’être aperçus, même par un avion !

Ils se restaurèrent de bon appétit. Puis, avec autant de précautions


qu’ils en avaient prises pour venir, ils retournèrent à la plage où ils
avaient caché leur bateau.

L’embarcation était toujours là, magnifiquement camouflée par les


algues. Les enfants la poussèrent à la mer et sautèrent dedans.

Puis, ils s’éloignèrent du rivage.

Chacun rama à tour de rôle. Ils n’étaient encore qu’à mi-chemin de


l’Ile Numéro Deux, du côté opposé à celui où se trouvait la réserve
aux provisions, quand une chose terrible se produisit : l’hydravion
choisit cette minute précise pour décoller de la lagune.

Les quatre amis n’avaient plus le temps de gagner une côte


quelconque pour s’y dissimuler avec leur esquif. Ils se trouvaient en
effet au large, bien visibles sur la mer.

« Vite ! ordonna Andy. Allongez-vous tout au fond du bateau.

Peut-être l’équipage de l’hydravion croira-t-il qu’il n’y a personne à


bord. »

Lâchant les avirons, ils essayèrent de se faire tout petits, espérant,


sans trop y croire, passer inaperçus. L’hydravion prit de la hauteur.

Andy et ses compagnons osaient à peine respirer. Tout bas, ils


formulaient des vœux pour que l’appareil s’éloignât sans les
remarquer.
Hélas ! Ce fut le contraire qui arriva. Changeant soudain de cap, il se
mit à décrire des cercles, en volant de plus en plus bas. Il finit par
descendre assez bas pour avoir une bonne vue du bateau. Alors,
remontant rapidement, il se dirigea vers l’Ile Numéro Trois : les
enfants se rendirent compte qu’il se posait dans la rade aux sous-
marins.

Andy se redressa. Il avait pâli sous son hale.

« Ça y est, murmura-t-il, la catastrophe est arrivée. On nous a vus. A


présent, l’ennemi va compter ses bateaux, s’apercevoir qu’il lui en
manque un, et se lancer à notre poursuite. »

CHAPITRE XIII
Tom disparaît
LES QUATRE AMIS se regardèrent, épouvantés. Il avait fallu que
l’hydravion décollât juste à ce moment-là. Quelle affreuse malchance
!

Andy fut le premier à se ressaisir. Courageusement, il essaya de


faire face.

« Ecoutez ! dit-il. Le mieux est, à mon avis, de foncer droit sur la


Rotonde où nous ferons le plein de provisions. Puis nous filerons
sans attendre, en espérant que l’ennemi ne nous repérera pas en
mer. C’est notre unique chance. »

Il n’ajouta pas qu’il la jugeait fort mince, hélas !

Les enfants reprirent les rames et, aussi vite qu’ils le purent, se
dirigèrent vers les cavernes de la seconde île. Ils y arrivèrent,
exténués. Personne en vue ! Négligeant leur fatigue, ils tirèrent le
bateau sur le sable et se précipitèrent dans la Rotonde. Ils en

ressortirent, charriant des tas de provisions qu’ils empilèrent à bord,


et firent ainsi plusieurs allées et venues.

« Nom d’un pétard ! s’écria Tom. Je crois que nous avons là des
vivres pour plusieurs semaines !

— Qui sait si nous n’en aurons pas besoin ! répliqua Andy. Notre
village est loin ! En outre, je n’ai pas d’idée précise sur la direction à
prendre. Enfin, je ferai de mon mieux ! »

Ils embarquèrent, et commencèrent par franchir le petit bras de mer


qui les séparait de l’Ile Numéro Un. Andy voulait y aborder, le temps
de prendre la voile et les couvertures qui seraient indispensables la
nuit.
« Jill ! Mary ! ordonna Andy. Courez chercher les couvertures et des
vêtements chauds. Rapportez aussi quelques ustensiles de cuisine
et des couteaux. Surtout, n’oubliez pas l’ouvre-boîte ! »

Pendant que les filles grimpaient à l’abri, Tom et Andy camouflèrent


grosso modo leur bateau avant de se mettre en route pour aller
chercher la voile.

La seconde suivante, ils se félicitèrent de cette sage précaution. Ils


entendirent en effet le vrombissement du moteur de l’hydravion.

« Le voilà qui revient, constata Andy avec dépit. Toujours au


mauvais moment. Fourrons-nous sous ce buisson, Tom. J’espère
que les filles en font autant de leur côté. »

L’appareil volait presque au ras des vagues, comme s’il cherchait


quelqu’un. Puis il s’éloigna vers le large où les garçons le virent
décrire de grands cercles.

« Sais-tu ce qu’il est en train de faire ? demanda Andy à Tom. Il


essaie de retrouver notre bateau en pleine mer. Regarde-le ! On
dirait un épervier prêt à fondre sur un rat des champs. C’est encore
une chance que nous ayons accosté ici avant de prendre la mer. Je
pense à présent que mon idée était mauvaise. Il faut attendre la nuit.
A ce moment-là, seulement, nous pourrons partir sans danger. De
jour, l’ennemi nous repérerait tout de suite. »

Les garçons attendirent que le bruit de l’hydravion se fut évanoui

: l’appareil s’éloignait de plus en plus, en quête du bateau disparu.

Andy sortit alors de sa cachette et héla les filles qui, elles aussi,
s’étaient dissimulées sous des buissons.

« Il est parti pour l’instant. Venez vite nous aider à décharger le


bateau et à mettre les provisions à l’abri ! Si par hasard l’ennemi
découvrait l’embarcation et l’emmenait, au moins aurions-nous de
quoi manger.
— Et si nous avons la possibilité de partir cette nuit, ajouta Tom, il
nous suffira de tout rembarquer en vitesse ! »

Les quatre enfants se mirent à l’œuvre sans perdre une seconde.

Ils travaillèrent dur pour enterrer tous les sacs et toutes les caisses
sous des herbes et du sable. Puis ils tirèrent le bateau encore plus
haut pour mieux le camoufler. Quand ils eurent fini, ils étaient en
nage et à bout de forces. C’est alors que le pauvre Tom poussa un
tel cri de détresse que les trois autres sursautèrent et le
dévisagèrent d’un air effrayé.

« Que se passe-t-il ? demanda Andy.

— Mon appareil photo ! s’écria Tom horrifié. Mon appareil avec


toutes les photos que j’ai prises !… Je l’ai laissé dans la Rotonde.

— Dans la Rotonde ! s’exclama Jill. Mais comment… ?

— Eh bien, il m’embarrassait et j’ai eu peur de le cogner contre les


rochers, en transportant tous ces vivres le long du passage. Je l’ai
posé un instant, avec l’intention de le reprendre au dernier moment.

Et puis, je l’ai oublié.

— Espèce d’imbécile ! s’écria Jill, hors d’elle.

— Oh, ça va… ! soupira le pauvre Tom, au bord des larmes.

— Imbécile est un mot trop faible, dit à son tour Mary. Crétin te
conviendrait mieux. Pour avoir agi aussi bêtement, il faut que tu
n’aies pas une once de cervelle. »

Tom rougit comme une tomate bien mûre. Il cligna des yeux et eut
du mal à avaler la grosse boule qui, soudain, lui obstruait le gosier. Il
savait ce que représentaient les précieuses photos qu’il avait prises.
Comment avait-il bien pu oublier son appareil aussi sottement ?
« Ne fais pas cette tête-là, mon vieux ! dit gentiment Andy. Je me
doute de ce que tu ressens. J’ai éprouvé le même sentiment de
culpabilité quand je me suis aperçu que j’avais oublié de mettre une
ancre dans le bateau. C’est terrible. »

Tom se sentit plein de reconnaissance envers Andy qui, non


seulement ne le grondait pas, mais l’excusait. Tous s’étaient donné
tant de peine pour aller prendre ces photos… et maintenant, à cause
de son étourderie, ils ne possédaient plus la moindre preuve
concrète de l’existence de la base ennemie ! Songeant à ce qui
pourrait le mieux réconforter Tom, Andy se hâta de proposer :

« Et si nous mangions un morceau ? »

Mais cette généreuse astuce demeura sans effet. Tom ne songeait


guère à manger. Rien n’aurait pu passer, il s’en rendait bien compte.

Il resta là, l’air malheureux, à regarder les autres.

L’hydravion ne revint pas. Les enfants devaient attendre la nuit pour


embarquer. Jill se mit à bâiller.

« Si je n’ai rien à faire d’ici ce soir, déclara-t-elle, je sens que je vais


m’endormir. Si j’allais remplir la bouilloire à la source ? Je la
rapporterai ensuite au bateau où j’ai remarqué un petit tonneau vide.

Il ne serait pas mauvais de faire le plein d’eau douce.

— Excellente idée ! approuva Andy. Va donc à la source avec Mary.


De mon côté, j’irai récupérer la voile. Tout compte fait, je ne vois pas
très bien comment je pourrais la fixer sur notre embarcation qui est
dépourvue de mât. Mais elle nous sera utile, pour nous protéger en
cas de pluie. »

Les filles s’éloignèrent. Andy en fit autant, après un signe de tête à


Tom, toujours assis à sa place, les yeux perdus dans le vide.

Demeuré seul, Tom se dit :


« Ils me fuient tous ! (Ce en quoi il se trompait, d’ailleurs, du tout au
tout.) Ils me jugent idiot. Et j’ai moi-même honte de moi. Oh ! Si je
pouvais seulement récupérer mon appareil ! »

Il pensa au gué qui permettait de gagner l’Ile Numéro Deux à marée


basse. Mais, actuellement, la marée était haute.

C’est alors qu’il songea au bateau. De la plage où il se trouvait, il n’y


avait pas loin jusqu’aux cavernes de l’Ile Numéro Deux. Comme les
autres seraient contents s’il revenait avec son appareil !

Tom ne prit pas le temps de réfléchir davantage. Il réussit à tirer tout


seul l’embarcation jusqu’à l’eau, non sans de terribles efforts.

Sautant à l’intérieur, il saisit les avirons et se hâta vers son but. Sitôt

arrivé, il projetait de se précipiter dans la Rotonde et d’y prendre son


appareil photographique.

« Ensuite, je reviendrai si vite que les autres auront à peine eu le


temps de s’apercevoir de mon absence ! »

Personne n’aurait jamais deviné l’exploit de Tom si Andy, revenant


avec la voile, ne s’était arrêté sur la hauteur pour jeter un coup d’œil
à la mer. A son immense stupéfaction, il aperçut leur bateau qui
s’éloignait de la côte.

D’où il était, il ne pouvait distinguer la personne qui manœuvrait les


avirons. Il resta figé sur place un moment, se demandant ce qui
arrivait. Après tout, il s’agissait peut-être d’un bateau étranger ?

Reprenant ses esprits, il dévala la pente en courant.

Il eut vite fait de constater que le bateau fugitif était bien le leur.

La marque de sa quille était restée imprimée dans le sable, là ou


Tom l’avait traîné. A présent, Andy pouvait voir la petite embarcation
contourner la falaise de l’autre île.
« Ça, murmura le jeune pêcheur effaré, c’est Tom tout craché ! »

Les filles reparurent au même instant et s’exclamèrent :

« Que se passe-t-il, Andy ? Pourquoi fais-tu cette tête-là ?

— Où est passé le bateau ?

— Tom est parti avec, répondit Andy, furieux.

— Tom ! répéta Jill abasourdie. Que veux-tu dire ?

— Je suppose qu’il était tellement dépité d’avoir oublié son appareil


dans la Rotonde qu’il est retourné l’y chercher, expliqua Andy. C’est
vraiment stupide. On peut l’apercevoir, le faire prisonnier. Je suis
persuadé qu’avant longtemps nous aurons l’ennemi à nos trousses.
Si je tenais Tom, je vous jure que je lui ferais payer cher son
imbécillité. »

Les jumelles regardèrent Andy avec des yeux épouvantés. Elles


étaient terrifiées à la pensée que leur frère était parti seul avec le
bateau. Hélas ! il n’y avait rien d’autre à faire qu’à attendre
patiemment le retour de Tom. Son absence ne pouvait être longue.

Le soleil se couchait déjà. Tom serait sûrement là avant la nuit.


Alors, ils s’embarqueraient tous ensemble et tenteraient de rentrer
chez eux.

Jill posa sa bouilloire pleine d’eau à côté d’elle sur le sable. Elle se
sentait soudain très lasse. Mary s’assit et regarda la mer, espérant
voir bientôt Tom reparaître. Andy, incapable de rester en place, ne
cessait d’arpenter la plage. Il comprenait que Tom eût éprouvé le
désir impérieux de récupérer son appareil, rachetant ainsi sa
légèreté et son étourderie. Mais il lui en voulait d’être parti avec leur
précieux bateau.

L’attente des trois amis s’éternisait. Le soleil déclinait de plus en plus


vite. Il disparut bientôt à l’horizon et les premières étoiles
s’allumèrent.

Tom ne revenait toujours pas. A présent, il faisait nuit. Jill et Mary ne


pouvaient plus rien distinguer sur la mer, devenue obscure.

Elles ne pouvaient que prêter l’oreille, avec l’espoir d’entendre un


bruit d’avirons.

Finalement, Andy exprima tout haut son anxiété :

« Tom devrait être de retour ! déclara-t-il. Il a eu le temps nécessaire


pour aller chercher son appareil… il aurait même eu le temps d’aller
en chercher une douzaine ! Que diable peut-il fabriquer

La question resta sans réponse. A présent, les trois enfants étaient


assis sur la plage battue par les vents. Ils ne bougeaient pas.

Chaque minute qui passait augmentait encore leur angoisse. Si


seulement Tom revenait enfin ! Personne ne penserait à lui
reprocher quoi que ce soit ! Oh, oui ! Si seulement il revenait !

« A mon avis, dit enfin Andy, il s’est fait pincer. Rien d’autre ne peut
expliquer son absence. Et maintenant, nous voilà tous dans un joli
pétrin ! Plus de Tom… et plus de bateau ! »
CHAPITRE XIV
Prisonnier !

QU’ÉTAIT-IL arrivé à Tom ? Beaucoup de choses. Tout d’abord, il


avait atteint sans encombre la plage où les cavernes s’ouvraient au
pied de la falaise. Après avoir tiré un peu le canot sur le sable, il
s’était précipité dans le passage conduisant à la Rotonde.

Il le suivit en trébuchant. Comme il n’avait pas de lampe de poche,


ce fut à tâtons que, une fois sur place, il chercha son appareil
photographique. Un certain temps s’écoula avant qu’il mît enfin la
main dessus.

« Ouf ! pensa alors Tom. Il ne me reste plus qu’à repartir et à me


dépêcher de rejoindre les autres. Si je ne me presse pas, ils vont
s’inquiéter. »

Il venait tout juste de s’engager dans le passage pour regagner la


plage, quand il éprouva un choc terrible. Un bruit de voix arrivait
jusqu’à lui.

Le jeune garçon s’arrêta net, le cœur battant.


Les voix se rapprochèrent. Des voix d’hommes ! L’ennemi était venu
sur la plage et avait découvert son bateau. Tout à ses recherches, le
pauvre Tom n’avait pas entendu l’hydravion revenir et se poser sur
l’eau. Il n’avait pu davantage voir l’équipage mettre un canot
pneumatique à la mer et débarquer sur la plage. Mais il devina tout
cela en entendant la voix gutturale des hommes à l’entrée de la
caverne.

Bien entendu, les nouveaux venus avaient aperçu le bateau sur le


sable et étaient allés l’examiner de près. Ils avaient eu vite fait de
reconnaître le bateau qu’on recherchait.

Bien entendu aussi, ces hommes avaient aussitôt deviné que


l’utilisateur du bateau était dans la Rotonde… et ils venaient l’y
surprendre.

Tom était fait comme un rat ! Devant l’imminence du danger il réagit


enfin et, faisant demi-tour, courut se cacher derrière une pile de
caisses. Auparavant, à tout hasard, il avait fourré son précieux
appareil au fond d’un sac de haricots secs, que sa main avait
providentiellement rencontré au passage. Maintenant, tout tremblant,
il attendait la suite des événements. On allait le découvrir, fatal ! fatal
! Cependant, alors qu’il était là, blotti derrière une fragile cachette, il
se fit une promesse à lui-même : jamais il ne révélerait que d’autres
l’avaient accompagné jusqu’aux îles. Il ferait en sorte de persuader
l’ennemi qu’il était seul. Peut-être alors Andy et les filles ne seraient-
ils pas traqués.

« Quel crétin je fais d’être venu me jeter, tête baissée, dans la


gueule du loup ! songea-t-il. Du moins vais-je me débrouiller pour
que les autres n’en souffrent pas. »

Les hommes entrèrent dans la Rotonde. Ils s’éclairaient avec de


puissantes torches électriques et aperçurent tout de suite le pauvre
Tom, dont les pieds dépassaient de son rempart de caisses. Ils
l’empoignèrent sans trop de douceur et le mirent debout. Tous
parurent surpris de voir qu’il n’était qu’un enfant. Ils s’étaient
attendus à découvrir un homme. Ils échangèrent rapidement
quelques paroles que Tom, bien entendu, ne comprit pas.

Puis l’un des nouveaux venus se tourna vers le jeune garçon et lui
demanda, en anglais :

« Comment êtes-vous venu sur cette île ?

— Je me trouvais à bord d’un petit voilier, expliqua Tom, quand une


terrible tempête a éclaté. Mon bateau a fait naufrage. Vous pourrez
voir l’épave, coincée entre deux récifs, sur la côte de l’île voisine.

— Y a-t-il d’autres personnes que vous sur cette île ? demanda


encore l’homme. Allons, répondez et dites la vérité ! »

Tom put répondre, sans mentir, qu’il était venu seul sur l’île.

Quelle chance que les autres fussent restés sur l’Ile Numéro Un ! Il
parla donc avec une assurance due à sa sincérité :

« Il n’y a personne ici que moi. Fouillez cette grotte et vous verrez
bien. »

Les hommes, effectivement, ne se firent pas faute de fouiller la


Rotonde, mais, bien entendu, ne trouvèrent personne. Néanmoins,
ils ne semblaient pas satisfaits. Tom devinait qu’ils le soupçonnaient
toujours de n’être pas seul.

« Comment avez-vous découvert cette grotte ? demanda l’homme


qui parlait anglais.

— Par hasard, répondit Tom.

— Et je suppose que c’est également par hasard que vous avez


trouvé notre bateau et aperçu nos sous-marins ? répliqua l’homme
d’un air mauvais. Etes-vous bien certain que personne ne vous
accompagne ?
— Naturellement, affirma Tom. S’il y avait quelqu’un d’autre, ne
l’auriez-vous pas trouvé ici avec moi ?

— Nous ne vous faisons nullement confiance, dit l’homme avec un


gros rire. Nous allons fouiller cette île et les deux voisines… Et si
nous trouvons quelqu’un… eh bien… nous vous ferons regretter de
nous avoir menti !

— Vous ne trouverez personne ! assura Tom, souhaitant de tout


cœur ne pas se tromper et regrettant de ne pouvoir alerter ses
compagnons d’infortune. Avez-vous l’intention de me retenir
prisonnier ?

— Bien entendu, répondit l’homme. Et puisque vous semblez vous


plaire dans cette grotte, nous allons vous y laisser. Vous avez de
quoi manger et ici, au moins, vous n’aurez rien à espionner. Nous

laisserons une sentinelle à l’entrée. Ainsi, si vous tentez de vous


échapper ou si quelqu’un essaie d’entrer, vous serez pincés. Notre
homme de garde se cachera derrière un rocher, à l’entrée de la
caverne, et si vos amis se risquent à vous porter secours, ils auront
une fameuse surprise. »

Tom écoutait, sans rien trahir de ses sentiments, mais il était, au


fond, complètement bouleversé. Quel idiot il avait été ! Voilà qu’il
était prisonnier et, si les autres s’efforçaient de le retrouver, ils se
feraient prendre à leur tour puisqu’ils ne pourraient deviner qu’une
sentinelle se tenait cachée derrière les rochers, prête à leur sauter
dessus.

Tom se laissa tomber sur une caisse. Il ne voulait pas pleurer. Il se


refusait à laisser voir à ces hommes à quel point il avait peur et
combien il était fatigué. En apparence, il était plein d’assurance et de
courage. Mais à l’intérieur… que de larmes invisibles n’était-il pas en
train de verser !

Oh ! Si seulement il avait pu prévenir Andy !


Mais il n’y avait rien à faire… absolument rien ! Il ne pouvait que
rester assis là, entouré de succulentes victuailles mais bien trop
tourmenté pour leur accorder la moindre pensée. Pauvre Tom ! Il
payait cher son étourderie et sa témérité.

Les hommes laissèrent une lampe dans la caverne pour leur


prisonnier. Il commençait à se faire tard et Tom se sentait à bout de
forces. Pourtant, il n’avait pas envie de dormir.

Les Allemands s’en allèrent. Il entendit le bruit de leurs pas décroître


et devina qu’on postait une sentinelle derrière les rochers, à l’entrée.
Il ne pouvait espérer s’évader. Pourtant, mieux valait essayer que ne
rien tenter du tout !

Très doucement, il s’engagea dans le passage, en direction de la


première grotte. Hélas, il ne put empêcher quelques pierres de
rouler sous ses pieds. Soudain, une voix sortit de l’ombre. Tom ne
comprit pas ce qu’on lui disait, mais la voix était si menaçante que le
pauvre garçon se hâta de faire demi-tour et de regagner la Rotonde.
Sa tentative d’évasion s’était soldée par un échec.

Il se rassit tristement et recommença à se tracasser en pensant aux


autres. Que disaient-ils ? Que faisaient-ils ? Avaient-ils compris

que Tom était retourné à l’Ile Numéro Deux afin d’y reprendre son
appareil photo ? Traverseraient-ils à gué, à marée basse, pour se
mettre à sa recherche ? Dans ce cas, ils se feraient prendre eux
aussi, c’était fatal !

Là-bas, sur l’Ile Numéro Un, Andy, Jill et Mary restèrent assis sur le
sable jusqu’au moment où il leur fut impossible de demeurer éveillés
plus longtemps. Ils retournèrent alors à leur abri, se couchèrent,
mais dormirent mal, d’un sommeil coupé de cauchemars, et se
tracassant au sujet de Tom et du bateau chaque fois qu’ils se
réveillaient.

Tôt le matin suivant, Andy se glissa dehors pour voir si l’ennemi


n’avait pas déjà envoyé un bateau sur leur île afin de les rechercher.
Mais il ne vit rien de spécial.

Il alla rejoindre les filles qui préparaient le petit déjeuner.

« Ils ont certainement attrapé Tom, leur dit-il. Il n’y a aucun doute là-
dessus, je le crains. Mais je connais suffisamment votre frère pour
savoir qu’il ne révélera pas notre présence. Il ne nous trahira jamais.
Malheureusement, cela n’empêchera sans doute pas l’ennemi de
débarquer ici pour s’assurer qu’il n’y a personne. Il faut donc nous
cacher afin d’échapper aux recherches… et imaginer un moyen de
délivrer Tom.

— Oh, mon Dieu ! Tout cela semble impossible ! s’écria Jill d’une
voix désespérée.

— Mais, Andy, comment nous dissimuler sur cette île dénudée ?

répondit Mary en ravalant ses larmes. Les soldats feront une battue.

Il n’y a aucun arbre, ici, qui soit suffisamment grand ou assez touffu
pour nous dissimuler. Il n’y a même pas la moindre grotte…

Impossible de se cacher !

— Tu as raison en un sens, Mary, admit Andy. Mais difficile ne


signifie pas impossible. Nous allons y réfléchir. Comprends bien que,
si nous parvenons à nous cacher et à ne pas être découverts, nous
pourrons ensuite tenter d’aller au secours de Tom.

— Oui, dit Jill d’un air songeur. Il est très, très important de trouver
une bonne cachette. Pensons-y de toutes nos forces. Je suppose,
Andy, que fougère et bruyère ne nous seront d’aucune utilité ?

— Aucune, en effet. J’avais pensé que nous pourrions nous


dissimuler dans la cabine de l’épave, mais les soldats la fouilleront
aussi, c’est certain.

— Et si nous restions dans l’abri ? suggéra Mary. Cachés sous de la


bruyère ou quelque chose comme ça ?
— Non, dit Andy. Cette maisonnette est inutilisable. On nous y
découvrirait tout de suite. Il serait même sage d’en disperser le
mobilier et les ustensiles de cuisine pour qu’elle n’ait pas l’air
habitée. Vite ! Défaisons également les lits ! Il faut que tout cela ait le
même air d’abandon que le reste des bâtiments effondrés… »

Tandis que tous trois s’affairaient, il ajouta :

« Que cela ne nous empêche pas de continuer à imaginer une


cachette ! Ah, si seulement nous disposions d’une grotte secrète !

— En tout cas, fit remarquer Jill, c’est une bonne chose que nous
ayons pensé à camoufler toutes nos provisions sur la plage. Ainsi, si
nous parvenons à échapper à l’ennemi, nous ne risquerons pas de
mourir de faim. Il nous suffira de creuser un peu et de nous servir !

— Oui, c’est une chance, répondit Andy… Oh ! Ecoutez ! N’est-ce


pas le bruit d’un canot à moteur ? »

Le jeune pêcheur sortit de l’abri, en prenant bien garde de rester à


couvert. Il ne s’était pas trompé ! C’était un canot à moteur qui
contournait l’île… Un canot avec cinq hommes à bord.

« Les voilà qui arrivent, annonça Andy dans un souffle. Cinq à bord
d’un canot. Vite ! cachons-nous !… Mais où ? »

Jill, calme mais très pâle, suggéra :

« Commençons par courir jusqu’au rivage opposé à celui-ci.

Puisqu’ils accostent de ce côté, c’est donc par là qu’ils vont


commencer leur battue. Dépêche-toi, Mary ! »

Les trois enfants se glissèrent hors de l’abri et se hâtèrent de


grimper au sommet de l’à-pic. Quand le canot accosta, ils étaient
tout juste hors de vue.

A présent, il leur était possible de gagner l’autre côté de l’île sans


être aperçus. Mais une fois là-bas, que feraient-ils ? Le rivage n’était
qu’une plage sablonneuse encombrée de rochers… Ils seraient tout
de suite découverts.

CHAPITRE XV

Une terrible épreuve


ANDY, Jill et Mary ne mirent pas longtemps à gagner l’autre côté de
l’île. Ils se laissèrent glisser le long de la falaise abrupte et se
retrouvèrent sur la plage. Elle était sablonneuse mais, à une
extrémité, s’entassaient des rochers couverts d’algues. Impossible
de se dissimuler derrière : la cachette, trop simple, aurait été
découverte en un clin d’œil.

Les enfants échangèrent des regards angoissés.

« Entrons dans la mer et nageons sous l’eau, suggéra Jill.

— Non, répondit Andy. Nous serions obligés de sortir la tête trop


souvent pour respirer et nous serions vite repérés ! »

Jill considéra les rochers et poussa soudain un léger cri :

« J’ai trouvé une façon de se cacher ! expliqua-t-elle, haletante.


C’est la même idée que j’ai eue pour camoufler le bateau. Nous
n’avons qu’à nous couvrir de sable, que nous tapisserons ensuite
d’algues. Nous ressemblerons alors tout à fait à ces rochers. Qu’en
pensez-vous ?

— Génial !

s’écria Andy avec enthousiasme. Vite ! Je vais commencer par vous


camoufler toutes les deux. Venez ! »

Tous coururent aux rochers. La mer s’était retirée, laissant un sable


dur et humide derrière elle.

Andy fit allonger les deux sœurs côte à côte, puis les recouvrit
entièrement de sable, à l’exception d’un petit espace, à hauteur du
nez, pour les laisser respirer. Comme il n’avait d’autre outil que ses
mains, ce fut une dure besogne.

Quand les deux filles furent devenues invisibles, Andy arracha de


pleines poignées d’algues aux rochers et les étala sur le monticule
de sable. Quand il eut fini, Jill et Mary avaient pris l’aspect d’un
rocher tapissé d’herbes marines. Le résultat était étonnant !

Alors seulement, Andy songea à se camoufler lui-même. Il se creusa


rapidement un trou, s’y fourra, fit retomber le sable sur lui et, non
sans peine, le recouvrit avec les tas d’algues qu’il avait disposés à
portée de sa main. Avant de dissimuler, tout en dernier, sa tête, il
jeta un coup d’œil du côté des filles. Impossible de les repérer. Andy
appela tout bas :

« Jill ! Mary !

Dès que je lancerai le cri du goéland, soyez sur vos gardes ! Restez
bien immobiles ! »

Les trois enfants restèrent cois un certain temps. Soudain, Andy


perçut un bruit de voix. Il lança aussitôt un cri que l’on aurait juré
sorti du gosier d’un goéland. Les filles se mirent à respirer en faisant
le moins de bruit possible.

Des hommes, dévalant la falaise, arrivèrent sur la plage. Ils parlaient


tout haut. Andy était incapable de comprendre ce qu’ils disaient. Le
cœur des trois enfants battait si fort que Jill se demanda, avec effroi,
si le sien n’allait pas la trahir. Elle avait l’impression qu’il résonnait
comme un marteau sur une enclume.

Debout sur le sable, les hommes regardèrent autour d’eux. L’un


d’eux cria quelque chose à ses camarades et se dirigea vers le tas
de rochers. Andy prit peur.

« J’espère que nous avons l’air de vrais rochers ! pensa-t-il. Et


j’espère aussi que personne ne nous marchera dessus. Nous
serions démasqués aussitôt… sans compter que ces gars-là doivent
peser leur poids ! »

L’homme approchait. Il s’immobilisa à quelques pas du jeune


pêcheur et sortit un paquet de cigarettes de sa poche. Andy devina
qu’il en allumait une en l’entendant craquer une allumette.

Cependant, d’autres soldats vinrent rejoindre leur camarade. Ils ne


se soucièrent même pas d’examiner les rochers. L’un d’eux expliqua
qu’il était évident que personne ne se cachait là puisque les
mouettes se posaient sans crainte.

Les hommes restèrent un moment sur la plage, à causer et à fumer,


puis Andy devina qu’ils pataugeaient jusqu’à l’épave pour la visiter.
Le résultat de leurs investigations étant nul, ils s’apprêtèrent à
repartir. Comme ils se dirigeaient vers la falaise, l’un deux passa si
près d’Andy que le jeune pêcheur crut bien qu’il allait le piétiner. Par
bonheur, il en fut quitte pour ses craintes.

Les hommes escaladèrent la falaise et disparurent. Andy attendit un


bon moment avant de se hasarder à lever la tête et à regarder
autour de lui. Il n’y avait plus personne.
Néanmoins, il jugea plus raisonnable de ne pas bouger un long
moment encore. Par ailleurs, le froid et l’humidité le pénétraient
jusqu’aux os et il eut peur que les filles n’attrapent un rhume. Aussi
les appela-t-il à voix basse :

« Mary ! Jill !

Je crois que l’ennemi est parti pour de bon, mais il faut être prudent.
Commencez à vous débarrasser lentement et sans bruit de votre
camouflage, mais tenez-vous prêtes à vous allonger de nouveau à la
moindre alerte. »

Mais ces précautions furent superflues. Aucun des soldats ne revint.


Les enfants achevèrent de se débarrasser des algues et du sable
qui les recouvraient encore, puis coururent se blottir au pied de la
falaise, du haut de laquelle, si on s’avisait de regarder la plage,
personne ne pouvait les apercevoir.

« Eh bien !

murmura Andy tout frissonnant. On peut dire que nous l’avons


échappé belle !

A un moment donné, j’ai bien cru qu’un de ces hommes allait


écraser ma main sous son soulier.

— J’ai froid, déclara Mary en tremblant, j’ai trouvé très pénible de


rester si longtemps enterrée sous du sable mouillé. »

Elle éternua. Andy la regarda d’un air inquiet. Il ne pouvait être


question de tomber malade. Le jeune pêcheur prit une décision
rapide.

« Ecoutez !

dit-il. A l’heure qu’il est, l’ennemi doit avoir quitté l’île. Je pars devant
en éclaireur. Si le chemin est libre, nous regagnerons l’abri,
allumerons le poêle et nous nous sécherons. Puis nous nous
préparerons un chocolat brûlant, ce qui achèvera de nous réchauffer
et de nous réconforter. »

Les filles trouvèrent ce programme tout à fait à leur goût. Andy


commença l’ascension de la falaise.

« Restez ici jusqu’à ce que vous m’entendiez imiter le cri du


goéland, dit-il. Ensuite, ne perdez pas de temps pour venir me
rejoindre. »

Arrivé au sommet de la falaise, Andy, utilisant l’écran des épaisses


fougères, progressa, invisible, jusqu’à l’autre côté de l’île. Il ne vit
personne. Redoublant de précautions, il s’avança à l’extrême bord
du creux au fond duquel se trouvaient les bâtiments en ruine.

Alors, plus bas encore au-dessous, il aperçut le canot ennemi et ses


occupants qui s’éloignaient du rivage. Les soldats s’en retournaient
bredouilles à l’Ile Numéro Trois. Ils avaient déjà passé au peigne fin
l’Ile Numéro Deux où Tom, décidément, semblait bien avoir abordé
seul !

Andy, tout content, rebroussa rapidement chemin et lança l’appel


convenu. Jill et Mary s’empressèrent de grimper au flanc de la
falaise et gagnèrent l’abri en courant. Ce petit exercice physique leur
fit le plus grand bien en les réchauffant un peu. Andy les avait
précédées dans la maisonnette et le poêle ronflait déjà, dispensant
une agréable chaleur.

« Otez vite vos vêtements humides et enveloppez-vous dans ces


couvertures, conseilla Andy qui, déjà déshabillé, évoluait, drapé
dans une couverture. Pendant ce temps, je prépare le chocolat ! »

Dix minutes plus tard, les trois enfants se sentaient revivre. Leurs
vêtements fumaient devant le poêle et la boisson brûlante les

réconforta. Personne n’éternua plus et Andy se prit à espérer que


leur longue station sous le sable mouillé de la plage n’aurait pas de
conséquence fâcheuse.
« Andy ! demanda Jill en dégustant le délicieux breuvage sucré.

Qu’allons-nous faire maintenant ?

Nous ne manquerons pas de nourriture, heureusement, grâce à tout


ce que nous avons enterré sur la plage. Mais il n’est plus question
de partir, puisque nous avons perdu Tom et le bateau. Allons-nous
passer le reste de notre vie sur cette île ?

— Ne dis donc pas de sottises, Jill ! répondit le jeune pêcheur.

Chaque problème en son temps, veux-tu ! Pour l’instant, contentons-


nous d’avoir échappé aux recherches de l’ennemi ! Reste à nous
attaquer au problème suivant : délivrer Tom ! Restera ensuite à
quitter cette île tous ensemble. Mais chaque chose en son temps, je
te le répète ! Surtout, ne te tourmente pas à l’avance. »

Ce petit discours dynamique réconforta grandement Jill et Mary.

« Je souhaite de tout mon cœur que nous délivrions le pauvre Tom,


déclara Jill. Il doit se sentir si seul et si triste. A ton avis, où peut-il se
trouver ?

— Dans la Rotonde, répondit sans hésiter Andy en se servant une


autre tasse de chocolat. Là où il a laissé son appareil
photographique.

Et je parie bien qu’on a posté un garde quelconque à l’entrée de la


grotte, afin que Tom ne puisse s’échapper. Aussi nous faut-il agir
avec la plus grande prudence si nous ne voulons pas être pincés
nous aussi. Je vais réfléchir à un moyen de joindre Tom.

— Tu as une idée ? demanda Jill.

— Pas encore. Mais je sais une chose : nous jugions impossible de


nous cacher sur cette île désolée et nous y sommes pourtant
arrivés.
De même, alors qu’il semble impossible de délivrer Tom, je suis
certain qu’il existe un moyen… à condition de le trouver. Trouvons-le

CHAPITRE XVI

Andy au secours de Tom


LES TROIS AMIS torturèrent en vain leur imagination. Ils ne purent
concevoir aucun moyen de venir en aide à Tom. Si une sentinelle
montait la garde à l’entrée de la caverne, comment Andy pourrait-il
se faufiler jusqu’à la Rotonde sans être vu ?

En fin de compte, le jeune pêcheur cessa momentanément de


réfléchir et, histoire de se changer les idées, mit le phonographe en
marche après s’être assuré que le vent ne soufflait pas du côté des
autres îles. Sur mer, les sons portent très loin !

Le choix des disques était plus que restreint. Il ne restait d’intact que
celui où se trouvaient enregistrées : d’un côté des rondes enfantines,
et de l’autre, une simple berceuse, sans accompagnement musical.
Les filles écoutèrent d’une oreille distraite. Ce disque, qu’elles
avaient entendu plusieurs fois depuis leur naufrage, commençait à
les ennuyer. A la fin, Jill ne put y tenir : « Arrête, Andy, je t’en prie !
Cette voix m’endort. »

Andy arrêta donc le gramophone et alla jusqu’au seuil de l’abri. Il ne


craignait plus de voir revenir les soldats, sûr que l’ennemi jugeait
cette île inhabitée.

Tandis qu’il regardait l’Ile Numéro Deux, il prit une décision, puis alla
retrouver les filles.

« Ecoutez !

leur dit-il. Je crois qu’il serait bon que je traverse à gué ce soir,
quand il fera nuit. Il se peut que j’arrive à joindre Tom d’une manière
ou d’une autre. J’apprendrai ainsi ce qui s’est passé au juste, même
si je ne peux pas le délivrer.

— Oh, Andy !

protesta aussitôt Mary. Tu ne vas pas nous laisser seules ! J’ai peur.

— Ne sois pas égoïste, lança Jill à sa sœur. Il ne faut pas penser à


nous. Si Andy peut aider Tom, qu’il aille donc là-bas ! Nous resterons
ici à t’attendre, Andy, et nous essaierons même de dormir. Mais sois
très prudent, je t’en supplie.

— Compte sur moi. Je n’ai pas envie qu’on me fasse prisonnier à


mon tour. »

Quand Andy se mit en route ce soir-là, il n’avait pour le guider que la


lumière des étoiles : la lune n’était pas encore levée. Le jeune
pêcheur passa de rocher en rocher jusqu’à l’Ile Numéro Deux. Il
effectua ce trajet avec un grand luxe de précautions : il ne fallait pas
qu’un bruit quelconque puisse alerter la sentinelle postée à l’entrée
de la caverne.

Arrivé au bout du chapelet de rochers, Andy se débrouilla pour


traverser, sans le moindre clapotis, l’étendue d’eau peu profonde qui
le séparait encore de la plage. Une fois là, il s’immobilisa pour
écouter… Alors, pas tellement loin de lui, près de la falaise où béait
l’entrée de la grotte, s’éleva un bruit de toux.

« Parfait !

se dit Andy. Comme tu fais bien de tousser, chère sentinelle ! Je sais


maintenant où tu te trouves au juste. Tu te caches là-bas, derrière ce
gros rocher. Merci de l’indication. Je n’irai pas de ton côté. »

Toujours immobile, il écouta encore. Complaisante sans s’en douter,


la sentinelle se racla la gorge puis toussa de nouveau. Andy sourit. Il
avança vers la falaise en passant le plus loin possible de l’endroit où
se trouvait le gardien de Tom. Puis il se mit à grimper sans bruit, tel
un souple chat de gouttière.

Arrivé au sommet de la falaise, il eut la chance de dénicher tout de


suite une petite excavation où poussait une abondante végétation.

Il se glissa sous de hautes fougères, empila sous lui quelques


brassées de bruyères… et s’endormit paisiblement sur cette couche
improvisée. Il savait bien qu’il lui était impossible de rien faire avant
le lever du jour. Alors, il verrait plus clair, au propre comme au figuré,
et agirait en conséquence.

Le soleil levant réveilla Andy. Le jeune pêcheur, les membres


engourdis, s’étira et bâilla. Il avait faim mais n’avait rien d’autre à
manger que des baies sauvages.

Rampant prudemment jusqu’au bord de la falaise, il regarda en bas.


Presque au-dessous de lui se tenait la sentinelle qu’il avait entendue
la veille, derrière un rocher proche de l’entrée de la caverne. Andy
continua à observer, pressentant ce qui allait se passer. Il vit en effet
un canot accoster, un homme en descendre et relever la sentinelle
de la nuit. Tous deux restèrent un moment à bavarder, puis la
première sentinelle se dirigea vers le canot en bâillant cependant
que la seconde prenait sa place et entamait son tour de garde.
Andy s’assit pour réfléchir. Au bout d’un moment, il se dirigea, sur
les coudes et les genoux, jusqu’à un endroit qu’il jugea se trouver
exactement au-dessus de la Rotonde. Il se demandait si Tom
pourrait l’entendre s’il frappait le sol du pied. Après tout, le jeune
prisonnier devait être tout près, le plafond de la Rotonde se situant
assez haut à l’intérieur de la falaise.

Andy en était là de ses réflexions quand une chose extraordinaire se


produisit… une chose si stupéfiante, même, que son cœur se mit à
battre la chamade.

Un gémissement s’élevait, presque sous ses jambes. Andy se


trouvait, en effet, allongé sur la bruyère. Quand le gémissement lui
parvint, il releva vivement les jambes et considéra l’endroit d’où le
bruit venait, comme s’il n’arrivait pas à y croire.

Comme il prêtait l’oreille, il lui sembla que ce qu’il avait d’abord pris
pour une plainte n’était en fait qu’un long bâillement. Pour le coup,
Andy regarda fixement la bruyère, se demandant si ses oreilles

ne lui jouaient pas des tours. La bruyère qui bâillait ! Cela n’avait pas
de sens. Et pourtant, ce bâillement était très réel.

Avec d’extrêmes précautions, Andy se mit tout doucement à plat


ventre et entreprit d’inspecter la bruyère. En regardant entre deux
plantes qu’il venait d’écarter, Andy, très intéressé, découvrit un trou
dans le sol. Cette fissure naturelle devait communiquer directement
avec la Rotonde.

Le jeune pêcheur, transporté par sa découverte, en tremblait


presque.

« Voilà pourquoi, se dit-il, l’air de la caverne était moins confiné


qu’on aurait pu craindre. Elle était ventilée ! Et ce trou sert de
conduit d’aération !

Nom d’un pétard ! Je me demande s’il n’y a pas là une possibilité de


délivrer Tom ! »
Arrachant le pied de bruyère qui lui dissimulait en partie le trou, Andy
examina celui-ci de près. Tout autour, le sol était recouvert de sable
sec. Andy se mit à le gratter avec frénésie : à sa grande joie, il
s’aperçut que le trou pouvait être agrandi aisément. Ah ! Si
seulement il pouvait l’élargir suffisamment pour faire évader Tom !

« Je savais bien que nous trouverions un moyen, à condition de


conserver l’espoir ! pensa le jeune pêcheur. Je le savais ! Je le
savais !

»
 

Retournant au bord de la falaise, il jeta un coup d’œil sur la plage.

La sentinelle était fort occupée à engloutir son déjeuner matinal. Le


soldat en avait pour un bout de temps. Andy revint à son trou. Il
l’agrandit encore un peu, puis y enfonça son visage. Le trou
paraissait se prolonger au-dessous de lui et plonger dans les
ténèbres. Andy se risqua et appela à voix basse : « Tom ! Es-tu là ?
»
Eh bien, oui, il y était ! Il se trouvait toujours, seul et misérable, dans
la Rotonde devenue sa prison, et cela, depuis l’instant où il avait été
capturé… un siècle ou deux plus tôt, lui semblait-il. Le malheureux
Tom avait passé tout ce temps à se faire du souci au sujet de ses
sœurs et d’Andy. Il avait grignoté quelques aliments puisés dans les
stocks autour de lui, mais l’appétit n’y était certes pas

! Il se sentait malheureux et rempli d’effroi, sans, pour autant, rien


laisser soupçonner aux sentinelles qui, de temps à autre,
surgissaient pour s’assurer que tout allait bien. Un soldat qui parlait
anglais lui avait rendu visite le soir précédent.

« Nous avons fouillé cette île ainsi que celle où se trouve l’épave de
votre bateau, lui avait-il expliqué. Nous avons découvert l’endroit où
vous vous cachiez… vous et vos amis ! »

A ces mots, le pauvre Tom avait senti son cœur chavirer. En réalité,
l’homme bluffait, dans l’espoir que le prisonnier craquerait et
avouerait qu’il n’était pas seul. Mais Tom n’ouvrit pas la bouche.

« Je vous dis que nous avons découvert vos amis ! répéta l’homme.
Ils se sont vaillamment défendus mais ont fini par succomber et par
être capturés. »

Tom dévisagea son visiteur avec stupeur. Il savait parfaitement que


ses jeunes sœurs n’avaient pu lutter contre des soldats armés.

Cet homme mentait, c’était évident !

Tom comprit alors que l’ennemi lui tendait un piège, espérant qu’il
trahirait involontairement ses compagnons. En fait, ses ennemis
ignoraient que les complices de Tom n’étaient que deux filles et un
garçon. Peut-être même n’était-il pas certain que Tom fut
accompagné !

« Eh bien, mon bonhomme, pensa-t-il en lui-même, tu peux toujours


attendre que je te renseigne !
Je suis plus malin que tu ne l’imagines ! »

Et tout haut, son visage exprimant la plus grande surprise : «

Quoi ! Cette île était donc habitée ? Je ne m’en serais jamais douté.
Si j’avais su, j’aurais pu trouver du secours pour renflouer mon
bateau !

Ce fut au tour de son visiteur de paraître surpris. Peut-être ce gamin


était-il, en définitive, venu seul ? Il ne savait plus que penser.

Renonçant à insister davantage, il fit demi-tour et s’en retourna


comme il était venu. Tom ne put s’empêcher de se féliciter tout bas.

Non seulement il n’était pas tombé dans le piège qu’on lui avait
tendu, mais il pensait bien avoir réussi à tromper l’ennemi.

Le pauvre garçon, néanmoins, se sentait bien seul dans la Rotonde.


S’il dormit normalement cette nuit-là, il se réveilla déprimé. La
journée qui commençait lui paraissait lugubre.

Il s’assit sur une caisse et poussa une espèce de gémissement qui


se mua en un bâillement sonore et prolongé. Il se sentait plus seul
que jamais.

Tout à coup, alors qu’il était là, à ne rien faire, il surprit un bruit
bizarre au-dessus de sa tête… comme une sorte de grattement. Le
prisonnier, intrigué, se demanda ce que cela pouvait être.

« Il doit s’agir d’un lapin ou d’un rongeur quelconque, se dit-il. Et


pourtant, non, c’est impossible. Le plafond de la caverne est
rocheux.

Le grattement continuait cependant. Et puis, Tom entendit une voix


qui le fit se dresser, tremblant de peur.
Une voix étrange et caverneuse emplissait soudain la grotte,
semblant venir de tous les côtés à la fois, tournoyant autour de
l’immense salle, comme un vol de chauves-souris. Le jeune
prisonnier eut du mal à saisir ce qu’elle disait. Mais entendait-il bien

La curieuse voix sonore appelait :

« Tom ! Es-tu là ? »

Mais oui, c’était la voix d’Andy, qui, passant par le trou et amplifiée
par la caverne, résonnait de cette façon étrange qui la

dénaturait complètement.

Tom, tout tremblant, se tint coi. Il ne s’expliquait pas cet appel


bizarre, explosant soudain dans sa prison. Là-haut, Andy ne se
découragea pas.

« Tom ! appela-t-il encore. C’est moi, Andy, qui te parle.

M’entends-tu ? Où es-tu ? »

La voix grondait comme un tonnerre mais, cette fois, Tom n’en eut
pas peur et répondit, aussi fort qu’il l’osa :

« Je suis ici !

Dans la Rotonde ! »

La voix de Tom parvint, confuse et étouffée, à Andy qui tendait


l’oreille au bord du trou. Il ne put comprendre ce que disait son ami
mais devina que c’était lui qui répondait.

« Bon ! se dit-il. Tom est là, apparemment sain et sauf. Je vais lui
demander ce qui est arrivé. »

La voix du jeune pêcheur gronda de nouveau dans la caverne.


« Tom, je te parle à travers une faille du sol, qui semble déboucher
dans ta prison. Vois si tu peux la trouver et mets ta bouche tout
contre. Je n’arrive pas à comprendre ce que tu dis. Mais si tu me
parles, veille bien à ce que personne ne t’entende ! »

Tom reprit espoir. Cher vieil Andy ! Il s’était mis à sa recherche et


l’avait retrouvé, sans se faire surprendre par la sentinelle.

Sans perdre une seconde, le jeune prisonnier commença à chercher


le trou conduisant à Andy, bien résolu à le trouver. Il le fallait
absolument !

CHAPITRE XVII
L’évasion

TOM prit sa lampe et commença ses investigations. Soudain, il


s’interrompit, alerté par les pas de la sentinelle de service, qui
sonnaient dans le passage rocheux conduisant à la Rotonde. En un
clin d’œil, Tom s’assit et se mit à chanter très fort la berceuse du
disque qu’il avait si souvent écouté sur son phonographe :
« Chut, chut, chut ! Tais-toi ! Plus un mot ! Il est temps de dormir, ô
mon tendre petit oiseau ! »

Les mots même de cette chanson se trouvaient correspondre


merveilleusement à la situation puisqu’ils avertissaient Andy d’avoir
à se tenir coi. Et si Tom chantait si fort c’était, précisément, pour que
son ami comprît ce qu’il disait.

Etonnée d’entendre le prisonnier chanter, la sentinelle s’approcha de


lui, le regarda avec curiosité et murmura quelques mots qui, bien
entendu, furent perdus pour Tom. Puis, l’homme s’en retourna. Sa
surprise n’avait pas échappé à Tom. Mais peu lui importait. Il chanta

sa berceuse assez longtemps et ne s’arrêta que quand il eut la


conviction que son gardien ne reviendrait pas.

Puis, il recommença à chercher fébrilement le trou signalé par Andy.


Hélas ! Il ne trouvait rien ! Le plafond de la caverne n’était pas très
haut et, en grimpant sur les caisses de vivres, Tom pouvait
l’examiner en son entier. Mais ses efforts restaient vains.

Là-haut, Andy perdit patience. Sa voix gronda de nouveau :

« Tom ! As-tu enfin trouvé la faille ? »

Et cette voix était si proche de l’oreille de Tom que celui-ci faillit


dégringoler de la caisse sur laquelle il était perché. Il dirigea le
faisceau lumineux de sa lampe sur l’endroit d’où cette voix
tonitruante semblait venir. C’était exactement là où le plafond et le
mur se rencontraient, tout au fond de la caverne. Or, si le plafond
était rocheux, le mur, lui n’était que du sable. Tom leva la main et
sentit un souffle frais en provenance du trou.

« Andy ! annonça-t-il d’une voix triomphante en rapprochant sa tête


de l’ouverture. Ça y est ! Je l’ai trouvé. Raconte-moi comment tu es
ici, mais parle moins fort. Ta voix résonne ici comme le tonnerre.

»
C’est donc à voix basse que les deux amis s’entretinrent. Tom
exprima sa joie quand il apprit comment ses sœurs et Andy s’étaient
camouflés pour échapper aux recherches de l’ennemi.

« Je ne cessais de me demander comment vous pourriez vous


cacher sur cette île désolée et je me faisais un sang d’encre, avoua-
t-il. Jill a eu là une fameuse idée. Oh, Andy ! Je suis tellement
heureux de vous savoir tous les trois sains et saufs !

— Et maintenant, Tom, ne pensons plus qu’à te délivrer, dit Andy.

Si seulement nous pouvions utiliser ce trou ! Comment se présente-


t-il, de ton côté ?

— Assez étroit. Je ne pourrai certainement pas m’y glisser par là, à


moins que nous ne l’agrandissions.

— C’est une chose très faisable, affirma Andy, car le terrain est
sablonneux. Tu dois pouvoir l’élargir de ton côté, je suppose ?
Essaie

Tom se mit à gratter avec ses mains. Sous ses doigts, le mur s’effrita
aisément. Mais il ne fallait pas songer à s’attaquer au plafond

rocheux.

« Je peux creuser, en effet, dit Tom. Mais il me faudrait un outil


quelconque. Je n’ai que mes mains.

— C’est comme moi, expliqua Andy. Et les miennes sont déjà en


sang. Ecoute, Tom ! La marée est en train de descendre. Je me
propose d’aller rejoindre Jill et Mary dès que les rochers seront à
découvert : je ne veux pas attendre la marée du soir. Voici ce que tu
vas faire de ton côté : tu appelleras la sentinelle pour lui demander
un service quelconque : ouvrir une caisse de vivres, par exemple, et
tu la retiendras le plus longtemps possible. Vu ? Pendant qu’elle
sera dans la Rotonde avec toi, je pourrai passer à gué sans être vu
et retourner à notre abri.

— Compris ! dit Tom. Que feras-tu ensuite ?

— Je rassemblerai quelques outils pour creuser le sol. Et je


ramènerai ce matériel à la marée basse suivante, c’est-à-dire cette
nuit. Nous tâcherons d’élargir suffisamment ce trou pour que tu
puisses y passer. Et maintenant, attends mon signal… le cri du
goéland. Alors, tu appelleras la sentinelle à pleins poumons et je me
précipiterai vers les rochers dès que je l’aurai vue disparaître dans la
caverne. »

Le plan astucieux du jeune pêcheur se déroula sans anicroche.

Dès que Tom eut entendu le « cri du goéland », il se mit à crier pour
faire venir le soldat en faction. Celui-ci répondit à l’appel et
s’engagea dans le boyau pour aller voir ce qui se passait dans la
Rotonde.

Il trouva Tom qui paraissait avoir tenté de descendre un carton de «


langues de bœuf », placé tout en haut d’une pile, et n’y avait réussi
qu’à moitié. Tom, coincé entre le mur et son carton, semblait à moitié
écrabouillé par son fardeau. L’homme se précipita, souleva le carton
et le déposa à terre. Tom, feignant d’avoir mal, se laissa glisser sur
le sol et se frotta la poitrine. L’homme s’agenouilla près de lui et lui
palpa les côtes. Allons ! le jeune maladroit n’avait rien de cassé. Il en
serait quitte pour quelques meurtrissures !

Hochant la tête avec indulgence, la sentinelle sourit au petit


prisonnier, lui fit signe de se relever et murmura quelques mots :
Tom comprit qu’on essayait de le rassurer sur son état.

Dissimulant un sourire, il se redressa donc, parut soulagé et, comme


s’il avait retrouvé l’appétit, désigna le carton.

Avec obligeance, l’homme ouvrit la caisse et en sortit une boîte de


langue qu’il tendit au prisonnier. Celui-ci, d’un air gourmand, fit mine
de chercher son ouvre-boîte dans ses poches mais en vain. La
sentinelle sortit alors son couteau et entreprit d’ouvrir la boîte avec la
lame. Ce ne fut guère facile et le malheureux s’entailla profondément
le pouce. Tom en fut navré pour lui tout en se réjouissant
personnellement de l’incident qui lui faisait gagner du temps. Il
entreprit en effet de bander la petite blessure à l’aide de son
mouchoir et fit traîner l’opération en longueur.

Andy put ainsi, en toute sûreté, passer à gué d’une île à l’autre. A
présent, il connaissait bien les rochers et sautait de l’un à l’autre
avec aisance. Il eut vite fait de regagner l’abri.

Jill et Mary furent tellement heureuses de le revoir qu’il dut s’asseoir


près d’elles et leur raconter au moins cinq fois tout ce qu’il avait fait
depuis qu’il les avait quittées. Quand elles surent qu’Andy avait
trouvé un trou communiquant avec la Rotonde, elles ne se tinrent
plus de joie.

« Et maintenant, conclut le jeune pêcheur, j’ai l’intention de délivrer


Tom cette nuit même. Seulement, il nous faut des outils pour creuser
et élargir le trou.

— Je n’ai que ce bout de bois à te proposer, dit Jill. Mais il est


hérissé de gros clous qui peuvent s’avérer utile. Est-ce que cela te
convient ?

— Oui, ça peut aller. Mais il m’en faudrait un autre pour Tom. »

A force de chercher à droite et à gauche, les jeunes naufragés


finirent par dénicher un autre bout de planche avec des clous. C’est
alors qu’Andy annonça cette chose surprenante :

« J’emporterai aussi le phonographe. Et également le disque. »

Les filles le regardèrent avec des yeux ronds.

« Le phonographe ! répéta enfin Jill. Pour quoi faire ? Tu es fou !


— Je sais que ça peut paraître loufoque, admit Andy, mais j’ai
besoin du phono et du disque dans un but bien précis. Je vous
expliquerai plus tard. Vous comprendrez alors. »

Andy, qui mourait de faim, fit un très bon repas. Après quoi il alla se
coucher, sachant qu’il devait être bien reposé pour mener à bonne
fin ses projets de la nuit suivante.

Il était minuit passé quand le jeune pêcheur repassa le gué en


silence. Cela lui prit un certain temps car il était vital de rester
inaperçu et il avançait lentement. De plus, il transportait les
morceaux de bois hérissés de clous et le phonographe qu’il avait fixé
sur son dos. Il atteignit le rivage sans encombre et se glissa sans
bruit vers la falaise dont il entreprit l’ascension.

Quelque temps après, Tom, à moitié endormi, entendit l’étrange voix


grondante qui l’appelait :

« Tom ! Je suis là ! Réveille-toi ! »

Tom ne fit qu’un bond au sommet d’une pile de caisses et approcha


sa bouche de l’ouverture.

« Salut, Andy ! Je ne dors pas. Voilà des heures que je guette ta


venue.

— Attention ! Je vais essayer de te faire passer par le trou un


morceau de bois avec des pointes. Sers-t’en pour creuser de ton
côté.

Tâche d’élargir le trou. Moi aussi, j’ai un outil semblable et je


creuserai par en haut. Veille à ne pas recevoir du sable dans les
yeux !

Les deux garçons se mirent à l’œuvre. Ils grattèrent et creusèrent de


toutes leurs forces. Le sol, très meuble, cédait sous leurs assauts.
Des tas de sable dégringolaient par l’orifice et Tom avait bien du mal
à les éviter chaque fois. Sa position n’était guère enviable. A la fin, il
choisit de travailler les yeux fermés, pour les protéger. Acceptant
désormais stoïquement les douches de sable, il n’interrompait pas
pour autant sa besogne et celle-ci avançait d’autant plus vite.

Finalement, Andy eut suffisamment creusé de son côté : à présent,


le trou pouvait livrer passage à Tom. Andy héla son camarade :

« Hep, Tom ! Ça avance ? Moi, j’ai fini. L’orifice est assez large pour
te laisser sortir. J’ai apporté une corde que je peux te lancer si tu es
prêt.

— Encore une minute ! pria Tom. Je n’en ai plus pour longtemps !

Enfin, il eut, lui aussi, suffisamment élargi l’ouverture. Il ajouta un


carton supplémentaire à la pile de caisses sur laquelle il se trouvait
et s’agenouilla dessus. Il commença par engager sa tête et ses
épaules dans le trou, puis se redressa et disparut presque tout entier
dans le long et étroit tunnel.

« Attends, Tom ! ordonna alors Andy. Avant de te hisser jusqu’à moi


à l’aide de la corde, je vais l’utiliser pour faire descendre quelque
chose… Le phonographe.

— Le quoi ? demanda Tom, stupéfait et croyant avoir mal entendu.

— Le phonographe, répéta Andy. J’ai peur, Tom, qu’en descendant


la falaise, tu ne fasses un peu de bruit. La sentinelle devinera alors
que tu t’es échappé et nous nous ferons pincer. Tandis que si nous
mettons le disque sur le phono et que l’homme entende cette même
berceuse que tu chantais hier, il pensera que tu es toujours dans la
Rotonde et ne se dérangera pas pour aller voir. Je vais donc te faire
passer l’instrument, que tu installeras bien à plat.
Puis tu attacheras une ficelle au bouton qui déclenche le
mécanisme, après avoir posé l’aiguille sur le disque. Quand tu sera
remonté près de moi, nous tirerons la ficelle et le disque se mettra à
tourner. Vu ?

— Décidément, Andy, tu penses à tout ! s’exclama Tom, plein


d’admiration pour son camarade. Allez ! Envoie l’objet ! »

Andy fit descendre le phonographe au bout de la corde. Tom le plaça


bien à plat dans un coin, derrière une caisse. Il remonta le ressort,
mit le disque en place, puis posa délicatement l’aiguille tout au début
de l’enregistrement. Enfin, il attacha l’extrémité d’une longue ficelle
au bouton marqué « départ », et fixa l’autre extrémité à la corde
qu’Andy remonta aussitôt.

« Vas-y doucement, Andy, recommanda-t-il. Ne tends pas trop la


ficelle. Il ne s’agirait pas que ce truc-là démarre trop tôt ! »

Andy hala la corde en douceur, détacha la ficelle et fixa celle-ci à


une grosse pierre. Puis il appela Tom.

« A toi, Tom ! Grimpe ! Je te renvoie la corde, mais fais bien


attention à ne pas accrocher la ficelle du phonographe pendant ton
ascension. Ce sera peut-être le plus dur. Attache la corde autour de
ta

taille. Je t’aiderai en tirant. Et surtout… n’oublie pas ton appareil


photographique cette fois-ci ! »

Tom avait récupéré l’appareil la veille, au fond du sac plein de


haricots, et se le passa vivement en bandoulière.

Le tunnel était moins étroit qu’il ne l’avait craint. En s’aidant des


mains et des pieds, et fermement soutenu par Andy, Tom grimpa
assez vite. Sa tête ne tarda pas à émerger, juste à côté des pieds
d’Andy.

« Parfait ! dit celui-ci. Dépêche-toi de sortir de là ! »


Tom s’exécuta et aspira une grande bouffée d’air pur avec délice.

Son séjour au fond de la Rotonde lui avait paru plutôt étouffant. Et


que c’était donc merveilleux de se retrouver libre !

Andy se dépêcha de défaire la corde qui entourait la taille de son


ami.

« Maintenant, lui dit-il, tu vas te débrouiller pour descendre la falaise


sans faire de bruit. Attends-moi au premier rocher du gué, veux-tu ?
Je t’aiderai à passer car je connais le chemin mieux que toi.

Tom courut à la falaise et entreprit de la descendre. Il n’était plus très


loin de la plage quand il glissa. Pour ne pas tomber, il se rattrapa
tant bien que mal à une saillie de rocher. En gigotant, ses pieds
détachèrent une véritable petite cascade de pierres. La sentinelle,
qui sommeillait à moitié, poussa un juron.

Andy tira aussitôt sur la ficelle reliée au phonographe. Le bouton


glissa de côté et la berceuse s’éleva, sonore, dans la Rotonde.

La sentinelle écouta et pensa que c’était Tom qui chantait comme la


veille. Le jeune garçon se trouvait donc toujours dans sa prison.

Tandis que l’enregistrement continuait à se faire entendre, l’homme


choisit une position plus confortable et s’autorisa de nouveau à
fermer les yeux. Le bruit de pierres avait sans doute été provoqué
par quelque lapin en promenade.

Andy se hâta de descendre la falaise à son tour. Il se félicitait tout


bas de sa ruse. Sans elle, l’évasion de Tom aurait été bien
compromise. Comme convenu, les deux amis se retrouvèrent au
gué.

« Je me suis montré bien maladroit, n’est-ce-pas ? murmura Tom,


tout penaud.
— Ça va. Le disque est en train de tourner et la sentinelle croit que
tu es toujours son prisonnier… un prisonnier qui se chante une
berceuse pour s’endormir lui-même, ajouta Andy en riant tout bas.

Allez ! Viens ! Le temps presse ! »

CHAPITRE XVII

Renflouement
LES DEUX GARÇONS se dépêchèrent de passer d’un rocher à
l’autre le plus silencieusement possible. Tom suivait Andy de près
car le jeune pêcheur savait, maintenant où mettre exactement le
pied pour ne pas glisser. De temps à autre, de grosses vagues
noyaient les rochers mais ils n’y prêtaient pas attention.

« Je suis certain que la sentinelle ne reviendra pas me rendre visite


cette nuit, déclara Tom quand les deux amis atteignirent enfin la
plage de leur île. Et le soldat qui doit la relever au matin peut fort
bien ne pas aller non plus dans la Rotonde. C’est un individu peu
sociable. »

Andy et Tom se hâtèrent de grimper jusqu’à leur maisonnette qui


était plongée dans l’obscurité.

Andy avait en effet interdit aux jumelles d’allumer un feu quelconque,


de crainte de se faire repérer par l’ennemi. Mary et Jill étaient
couchées côte à côte sur leur lit de bruyère et s’éveillèrent en
entendant du bruit.

« Est-ce toi, Andy ?

demanda Jill.

— Oui, répondit Andy. Et je ramène Tom ! »

Les quatre amis, assis sur le même lit, restèrent un moment à


s’embrasser et à se féliciter du retour de Tom. Comme c’était bon de
se retrouver ensemble !

« J’ai agi comme un parfait crétin, en retournant là-bas chercher


mon appareil photo, déclara Tom plein d’humilité. Je n’ai pas songé
un instant que l’ennemi pouvait me capturer. Maintenant, par ma
faute, nous n’avons plus de bateau et je me demande comment
nous allons quitter cette île…

— Je ne vois qu’une solution, dit Andy. C’est dégager notre bateau


de pêche des rochers qui le retiennent prisonnier et le remettre à
flot.

Nous devrons nous en occuper demain matin de bonne heure. J’ai


remarqué qu’il semble s’être légèrement déplacé. Cela indique que
les marées l’ont déjà libéré en partie. Il sera donc moins difficile à
renflouer. De toute manière, c’est notre dernière chance.

— Oui, approuva Jill. Nous tenterons le tout pour le tout.


L’évasion de Tom sera découverte à coup sûr dans la journée de
demain et, cette fois, l’ennemi fouillera si bien les îles que nous ne
manquerons pas d’être pris.

— Dépêchons-nous de dormir une heure ou deux avant l’aube,


conseilla Andy. Il n’y a rien de mieux à faire pour l’instant. »

Les enfants se couchèrent donc et dormirent jusqu’à ce qu’Andy les


réveille, deux heures plus tard. L’aube pâlissait déjà le ciel. Le soleil
ne tarderait pas à se lever.

Les quatre amis traversèrent rapidement l’île pour gagner la plage


où se trouvait l’épave. Ils regardèrent leur bateau, toujours coincé
entre les rochers. Andy avait bien vu : la coque avait bougé et n’était
plus aussi inclinée sur le flanc.

La marée n’était pas encore très haute et il était possible d’atteindre


l’épave sans trop de difficulté. Les enfants entrèrent dans l’eau. Une
fois parvenus au bateau, ils grimpèrent sur le pont mouillé et
glissant. Des algues, apportées par les vagues, l’avaient déjà
envahi. Pauvre petit bateau de pêche ! Il semblait vieux et en
mauvais état. Quelle différence avec le fringant petit navire sur
lequel ils s’étaient embarqués si joyeusement ! Les garçons
descendirent

dans la cabine. De l’eau s’était infiltrée à l’intérieur. Andy enleva le


plancher et examina la coque au-dessous de la ligne de flottaison.

Puis, sortant de la cabine, il se laissa glisser le long du flanc du


bateau et disparut sous l’eau pour inspecter la coque de l’extérieur.

Jill, Mary et Tom attendirent avec impatience sa réapparition.

« Nous devons réparer à tout prix, murmura Tom. C’est notre seule
chance. »

Quand Andy rejoignit ses amis sur le pont, il arborait une mine
épanouie.
« Tout va bien !

annonça-t-il. Les dégâts sont minimes. Je crois que je pourrai


arranger ça rapidement. Il y a un accroc là où la coque a heurté les
récifs, mais il peut être calfaté sans trop de peine. Je n’aurais pas pu
le voir si la marée n’avait pas en partie dégagé la coque.

— Oh, Andy, quelle bonne nouvelle ! » s’écria Jill, tout heureuse.

Tom donna une tape amicale à son camarade. Il ne savait trop


comment Andy s’y prendrait pour calfater la voie d’eau, mais il était
prêt à l’aider de toutes ses forces, ne fut-ce que pour se racheter
une peu de la perte du bateau chipé à l’ennemi.

Andy et Tom retournèrent sur l’île pour y chercher un filin. L’idée du


jeune pêcheur était la suivante : si tous se mettaient à haler le
bateau une fois la marée haute, ils pourraient dégager la barque et
la tirer jusqu’à la plage. Là, il serait plus facile de réparer.
 

Les enfants tirèrent de toutes leurs forces.

« Tu comprends, Tom, expliquait Andy tout en pataugeant vers le


rivage, la coque a beaucoup de jeu à présent. Je suis certain que, si
nous attendons la marée haute, quand les vagues soulèveront le
bateau au maximum, nous pourrons le dégager complètement.

Nous le tirerons à terre et je me mettrai aussitôt à l’ouvrage.


— Si seulement nous pouvions avoir fini avant que l’ennemi ne
revienne ! »

soupira Tom.

Les garçons réunirent toutes les cordes qu’ils possédaient. Puis,


après les avoir enroulées autour de leur taille, ils revinrent au rivage.

Les filles étaient toujours sur le bateau, mais la marée montait


rapidement. Il fallait se dépêcher car, bientôt, elle serait à son
maximum.

Revenus à bord, les garçons fixèrent solidement leur corde à la


proue du navire. Puis, la tenant fermement, tous quatre reprirent le
chemin de la plage, non sans difficulté. La marée montait toujours.

Chose ennuyeuse, le filin n’était pas assez long pour permettre aux
enfants d’atteindre la côte. Ils durent s’arrêter alors qu’ils avaient
encore de l’eau jusqu’à la taille. Ils s’apprêtèrent à haler l’épave.

« Attention !

cria Andy. Voici une grosse vague qui arrive ! Tirez tous ensemble
sur la corde, sans faute, dès qu’elle atteindra le bateau !… Ho-hisse

Ils tirèrent en chœur… et sentirent très nettement le bateau bouger


un peu quand la vague le souleva et que la corde le tira.

« Attention !

Une autre vague ! annonça Andy. Ho-hisse ! »

Les enfants tirèrent encore de toutes leurs forces. Cette fois encore,
le bateau bougea. Dans leur course vers le rivage, les deux grosses
vagues bousculèrent au passage les quatre amis.

« Jill, Mary !
cria Andy, ne lâchez surtout pas la corde ! S’il arrive encore des
vagues aussi énormes, nous serons peut-être renversés. Mais peu
importe si nous restons cramponnés au cordage

Pendant un temps, les lames furent moins fortes. Et puis le vent se


mit à souffler fort et les vagues enflèrent de nouveau. L’une d’elles,
vraiment monstrueuse, souleva sa tête verte, crêtée d’écume
blanche, loin en mer. Tom la repéra tout de suite : « En voici une qui
dépasse toutes les autres ! cria-t-il à ses camarades. Regardez-la !

Elle va nous balayer !

— Oui, mais, avant, elle aura dégagé le bateau ! hurla Andy en


retour. Préparez-vous et surtout tenez bon après avoir tiré. »

Le jeune pêcheur était très ému. Il prévoyait que, cette fois-ci, il


pourrait dégager son cher bateau.

« Attention !

Ho-hisse ! Ho-hisse ! »

La vague géante frappa le bateau et, à la même seconde, les quatre


amis tirèrent ensemble sur leur filin. Le bateau frémit et gémit,
comme s’il essayait d’échapper aux écueils qui le retenaient
prisonnier. Puis il glissa en avant, progressant ainsi un peu en
direction du rivage.

La lame monstrueuse, poursuivant sa course, frappa les enfants de


plein fouet. Tous disparurent sous elle, même Andy, et ils durent se
débattre comme de beaux diables pour reprendre pied. Mais aucun
n’avait lâché la corde.

Ils se relevèrent donc, crachant et reprenant haleine, du sel plein la


bouche et le nez, mais fermement déterminés à poursuivre leurs
efforts à la prochaine grosse vague.
« Regardez donc comme le bateau a bougé ! s’écria Andy, ravi. Il est
presque dégagé. N’est-ce pas merveilleux ? »

Le bateau était, effectivement, sur le point de se libérer. Andy


espérait beaucoup en la prochaine vague. Il l’attendit donc et… elle
arriva, aussi monstrueuse que la précédente. La marée était
presque haute à présent et le vent soufflait avec force. La vague
s’annonça de loin et tous s’exclamèrent.

« Regardez celle-là !

— Elle va nous renverser de nouveau ! » dit Mary, effrayée.

N’empêche qu’elle ne lâcha pas la corde. Même si elle devait boire


une tasse, elle ferait quand même son devoir. La vague prit des
proportions gigantesques en se rapprochant des récifs qui retenaient
le bateau captif. Soudain, elle les atteignit.

« HO-HISSE !

HO-HISSE ! » hurla Andy.

Et tous tirèrent au moment où la lame atteignait la barque.

La vague, s’interposant comme un écran, cacha le bateau aux


enfants et se rua vers eux. Jill poussa un cri d’effroi.

« Tenez bon ! »

hurla Andy, passablement effrayé lui-même.

La vague les culbuta.

Sa force était si grande qu’elle arracha le cordage des mains de Tom


et des filles. Seul Andy ne le laissa pas échapper car il s’y
cramponnait de toutes ses forces. Les trois autres enfants furent
emportés comme des bouchons, roulés encore et encore, pour,
finalement, être projetés assez rudement sur le sable de la plage. La
grosse vague se retira alors, écumeuse et gargouillante.
Jill se mit sur son séant en pleurant. Mary resta un moment là où la
vague l’avait déposée, incapable de bouger, tant elle se sentait
étourdie. Tom se redressa, en proie à une colère aveugle contre la
vague qui, à son avis, lui avait fait subir une amère défaite.

Quant à Andy, il était encore sous l’eau, toujours cramponné au filin.


Enfin, il parvint à se remettre debout. Après avoir craché et s’être
éclairci la voix, il appela : « Regardez !

Le bateau ! Il est remis à flot ! »

Tom et ses sœurs regardèrent. Quelle joie ! Le petit bateau de


pêche, libéré de l’étau des écueils, flottait de nouveau !

« Venez m’aider !

Vite ! cria Andy. N’attendons pas la prochaine vague. Il faut à


présent le tirer sur le rivage.

Vite, Tom ! »

Bravement, les trois enfants surmontèrent leur fatigue pour entrer de


nouveau dans la mer. Ils reprirent la corde bien en main et tirèrent
dur.

« Ho-hisse !

Ho-hisse ! » chantait en cadence Andy, pour rythmer leur effort.

Le bateau atteignit enfin la plage. A présent hors de l’eau, les


enfants continuèrent à le haler. Il suivit le mouvement. Bientôt, sa
quille racla le sable.
« Ça y est !

Nous avons réussi ! s’écria Andy en exécutant une espèce de danse


guerrière sur ses jambes fatiguées. Et maintenant, au travail pour le
réparer. »

CHAPITRE XIX
Catastrophe !

LE BATEAU gisait à présent sur le flanc, en eau peu profonde.

Andy procéda à un examen minutieux. Il était sûr qu’en clouant


quelques planches à l’intérieur, juste à l’endroit où la coque avait
heurté les récifs, il pourrait ainsi permettre à la barque d’effectuer la
traversée de retour.

Jusqu’alors, les enfants avaient été si occupés qu’aucun, pas même


Tom, n’avait songé au petit déjeuner. Et voilà que tout à coup Andy
se sentait une faim terrible. Il envoya donc les filles chercher du
ravitaillement. Tom, de son côté, se rendit à l’abri pour y chercher
des clous, des vis et des outils. Andy savait qu’il devrait travailler vite
afin que la réparation fut achevée si possible avant que l’évasion de
Tom soit signalée.

Après un rapide petit déjeuner, tous se mirent à l’ouvrage, sous la


direction d’Andy. Celui-ci commença par prélever des planches sur
le toit de la cabine afin de les utiliser pour boucher la voie d’eau. Les

filles furent chargées de retirer les vieux clous. Tom aida Andy, en lui
passant ce dont il avait besoin.

Les premiers coups de marteau donnèrent l’impression de résonner


à travers toute l’île.

« Ne crois-tu pas que nos ennemis peuvent nous entendre ?

demanda Jill, inquiète.

— Oui, tu as raison ! reconnut Andy. Mais comment clouer sans faire


de bruit ?

— Tu pourrais peut-être taper à travers un chiffon pour étouffer le


son.

— Fameuse idée ! Fais-moi passer ce bout de toile, Tom ! Et aussi


les plus gros clous que tu pourras trouver. »

Les enfants travaillèrent sans relâche toute la matinée. Enfin, Andy


lâcha son marteau et poussa un profond soupir de soulagement.

« Voilà ! Je crois m’en être bien tiré. La réparation tiendra assez


longtemps pour nous permettre d’arriver à bon port. Mais il faudra
que les filles écopent pendant que tu m’aideras à diriger le bateau,
mon vieux Tom.

— Nous pouvons donc partir ? demanda Mary.

— Oui, mais, auparavant, Jill et toi vous irez chercher les


couvertures pendant que nous irons, Tom et moi, déterrer les
provisions sur l’autre plage. Nous embarquerons tout ce que nous
pourrons. Il ne nous restera plus qu’à pousser le bateau à l’eau et,
en route ! C’est presque trop beau pour y croire ! »

S’étant ainsi réparti la besogne, les enfants prirent le chemin de leur


abri pleins d’une joyeuse excitation.

Les filles rassemblèrent les couvertures. Les garçons réunirent les


provisions et tous, lourdement chargés, retournèrent, non sans mal,
au bateau. La descente de la falaise, en particulier, ne fut guère
aisée.

Enfin, ils grimpèrent à bord. Jill et Mary déposèrent les couvertures


sur le pont ; les garçons entassèrent les vivres dans la cabine. A
présent, ils pouvaient partir.

« Un instant ! dit Andy. N’oublions pas la vieille voile. Je tenterai de


la mettre en place et elle nous sera très utile. »

Il se mit donc en route pour aller chercher la voile et puis,


brusquement, au bout de quelques pas, il s’arrêta net et regarda
quelque chose à ses pieds sur le sable. Ce qu’il voyait lui donnait le
frisson.

« Qu’y a-t-il, Andy ? cria Tom.

— Regardez ! répondit Andy en ramassant une allumette usagée,


bien sèche.

— Eh bien, quoi ? Ce n’est qu’une allumette.

— Sans doute, mais elle n’est pas là depuis longtemps, fit remarquer
Andy. De plus, elle se trouve à un endroit qui a été couvert, puis
découvert par la marée depuis que nous avons travaillé sur le
bateau, ce matin. L’un de nous aurait-il craqué cette allumette tout
récemment ? Non ! Nous n’avons pas allumé de feu ici. Alors…

qui ?
— Oh, Andy, tu te trompes certainement, murmura Jill, prête à
pleurer. Personne d’autre que nous n’est venu ici aujourd’hui. S’il y
avait eu quelqu’un, nous l’aurions vu.

— Tu oublies que nous nous sommes absentés un moment pour


aller chercher les couvertures et les vivres ! appela Andy en
regardant autour de lui. Je n’aime pas sa du tout et… Regardez
encore… des empreintes de pas dans le sable ! Des empreintes qui
ne sont pas les nôtres ! »

Les quatre enfants fixèrent avec horreur les larges empreintes.

C’étaient celles de gros souliers à clous, genre chaussures


militaires, alors que les enfants portaient des sandales à semelles de
caoutchouc.

Jill et Mary étaient apeurées. Impossible d’en douter maintenant,


quelqu’un était venu sur la plage en l’absence des enfants. Mais qui
?

Et où était en ce moment cette personne inconnue ?

« Tant pis pour la voile ! lança brusquement Andy. Nous nous en


passerons. Embarquons vite et essayons de filer le plus loin possible
avant qu’on ne nous en empêche ! »

Les quatre amis coururent au bateau, empoignèrent la corde pour le


tirer au large, et amorçaient déjà la manœuvre quand une grosse
voix s’éleva au coin de la falaise :

« Halt ! »

Les enfants s’arrêtèrent de haler le bateau et regardèrent en


direction de la voix. Ils virent alors l’ennemi… Quatre soldats ! L’un
deux – celui qui parlait anglais – répéta son ordre.

Effrayés, les enfants virent les quatre soldats avancer rapidement


vers eux sur le sable. Ils parlaient entre eux dans leur langue
maternelle. Puis celui qui était capable de s’exprimer en anglais
reprit :

« Ainsi, vous étiez quatre… et rien que des enfants ! Voici le garçon
qui nous a échappé… Vous vous êtes crus très malins, n’est-ce pas
?

— Je pense que nous l’avons été ! » répondit Tom hardiment.

Il se sentait mort de peur, mais ne l’aurait pour rien au monde laissé


paraître.

« Vous avez dégagé le bateau des écueils qui le retenaient et vous


vous disposiez à partir, n’est-ce-pas ? continua l’homme d’un air
moqueur. Eh bien, vous avez commis une grosse erreur. Nous allons
emmener ce bateau avec nous et vous resterez prisonniers sur cette
île aussi longtemps que nous le jugerons bon. Reprenez les
couvertures et les vivres. Vous en aurez certainement besoin si vous
devez séjourner ici plusieurs mois. »

Tristement, les enfants débarquèrent sur le sable les provisions et


les couvertures qu’ils avaient si joyeusement hissées à bord un
instant plus tôt. Tom se sentit fier de ses sœurs qui ne pleuraient
pas.

« Et maintenant, nous vous laissons ! » annonça l’homme.

Il lança un ordre bref à ses compagnons qui s’éclipsèrent derrière la


falaise pour reparaître presque aussitôt dans une petite embarcation
qui dansait sur les vagues. Il était évident que l’ennemi avait abordé
à l’abri des rochers et, de là, avait guetté les enfants avant
d’empêcher leur départ.

Le cœur lourd, Andy et ses amis virent les hommes tirer le bateau
de pêche et le mettre à l’eau. Ils attachèrent leur petite embarcation
à l’arrière, puis montèrent à bord de leur prise et s’éloignèrent pour
disparaître bientôt au coin de la falaise.
Demeurés seuls, les enfants sentirent la colère et le désespoir les
envahir. Avoir travaillé si dur pour rien ! Maintenant, l’ennemi s’était
emparé de leur unique moyen de fuite, eux-mêmes avaient été

découverts, et se retrouvaient prisonniers sur l’île. Andy brandit le


poing en direction de l’endroit où avait disparu l’ennemi.

« Si vous croyez m’avoir vaincu, vous vous trompez ! cria-t-il, fou de


rage. C’est moi qui vous vaincrai, vous et vos sous-marins ! »

Pleins d’amertume, les quatre amis rassemblèrent une fois de plus


vivres et couvertures et reprirent le chemin de leur abri. Ils jetèrent
les provisions dans un coin et les couvertures sur les lits.

Puis ils se laissèrent tomber sur les couches de bruyère et se


regardèrent en silence. Seulement alors les filles se permirent de
pleurer. De grosses larmes ruisselaient sur leurs joues, et elles ne
songeaient même pas à les essuyer. Elles étaient si lasses, si
déçues, et se sentaient si malheureuses !

En constatant le désespoir de ses sœurs, Tom, lui aussi, sentit les


larmes lui monter aux paupières. Il les refoula rageusement, après
un bref coup d’œil à Andy.

Les yeux bleus du jeune pêcheur étaient froids comme la pierre.

Sa bouche, dans son visage mince et brun, n’était plus qu’une ligne
dure. Andy ne songeait ni à pleurer ni à se désoler. Andy était dans
une rage noire et restait là, assis, regardant droit devant lui, tandis
que son cerveau travaillait ferme.

« Ecoutez, dit-il enfin. Il nous faut à tout prix quitter cette île ! Il nous
faut trouver un moyen de partir pour révéler aux autorités militaires
de notre pays l’existence de cette base secrète, quels que soient les
risques à courir. Aussi longtemps que l’ennemi demeurera dans ces
îles, capable de s’y ravitailler en carburant et en vivres, nos
vaisseaux courront le risque d’être torpillés par leurs sous-marins. »
Jill essuya ses larmes.

« Andy, dit-elle, tu as raison.

— … Mais comment partirons-nous d’ici, puisque nous n’avons plus


de bateau ?

— Je trouverai un moyen, assura Andy, en se levant. Oui, je


trouverai bien un moyen. Je ne pense qu’à ça. Ne me suivez pas.
J’ai besoin d’être seul. »

Il se glissa hors de l’abri, grimpa sur la falaise et s’assit parmi la


bruyère, les yeux fixés sur l’horizon. Comment pourrait-il rentrer
chez lui ? Comment pourrait-il rapporter son secret ? Deux heures

durant, il resta là, réfléchissant et combinant, dans une immobilité


telle que les mouettes, décrivant des cercles au-dessus de lui,
finirent par le croire endormi.

Enfin, le jeune pêcheur se redressa, s’étira et vint rejoindre ses


compagnons, l’air sûr de lui.

« J’ai pensé à quelque chose, annonça-t-il. Je crois que j’ai trouvé


un moyen ! »

 
CHAPITRE XX

Andy tire des plans


« AS-TU vraiment trouvé un moyen de partir d’ici, alors que nous
n’avons plus de bateau ? demanda Jill. Tu es extraordinaire !

— J’ai

bien réfléchi, expliqua Andy. Tout d’abord, je crois inutile d’espérer


voler de nouveau une embarcation à l’ennemi, et tout aussi inutile
d’essayer de récupérer la nôtre. De même, il ne servirait à rien de
hisser un signal de détresse, et ceci pour deux raisons : la première
c’est que les navires sont plus que rares dans les parages, sinon il y
a belle lurette que les nôtres auraient repéré la base des sous-
marins. La seconde raison, c’est que jamais l’ennemi ne nous
laisserait signaler ainsi notre présence.

— Bien

raisonné. Continue, pria Tom, certain que son ami avait une
excellente idée en réserve.

— Alors, voici à quoi j’ai pensé… Le mieux est peut-être de


construire un radeau ! Puisque nous ne pouvons songer à nous
procurer un bateau ou à en construire un, nous pouvons du moins
fabriquer une sorte de radeau, capable de soutenir un mât. A ce
mât, je fixerai notre voile. Nous avons des masses de provisions.
Nous en embarquerons suffisamment et, avec Tom, je tenterai
l’aventure.

Nous essaierons de rentrer au village. Je n’ose pas emmener les


filles.

Elles auraient trop froid sur un radeau exposé à tous les vents et, du
reste, elles seront plus en sûreté ici.
— Comment !

protesta Jill avec indignation. Ne pas nous emmener ! Nous laisser


ici !

Tu n’y penses pas ! Nous partirons avec vous. N’est-ce pas, Mary ?

— Ecoute, Jill ! répliqua Andy avec patience. Vous n’avez que onze
ans et vous êtes beaucoup moins résistantes que nous. Je ne veux
pas vous faire courir des risques inutiles. Si nous réussissons à
rentrer chez nous, vous serez délivrées aussitôt… et si nous ratons
notre coup, eh bien, du moins, ce sera une consolation de savoir
que vous êtes ici en sécurité. »

Les jumelles se mirent à verser des larmes amères. Elles


s’estimaient victimes d’une injustice.

Elles ne pouvaient deviner qu’Andy n’était pas du tout sûr de mener


à bien son entreprise et tremblait à la pensée qu’une grosse vague
pouvait balayer le radeau et emporter les jeunes passagères. Lui et
Tom étaient plus robustes, plus lourds, davantage rompus aux
exercices physiques. Jamais Jill et Mary ne pourraient passer
plusieurs journées sur un radeau ballotté par les vagues !

Andy ne se laissa donc pas impressionner par les larmes des


jumelles qui finirent par s’essuyer les yeux et écouter le détail de son
plan. Tom demanda avec quoi ils construiraient leur radeau.

« Nous allons devoir démolir notre abri et en utiliser toutes les


planches, expliqua le jeune pêcheur. Par bonheur, nous avons des
quantités de clous.

— Mais où irons-nous loger si nous n’avons plus notre maisonnette


? demanda Jill, affolée.

— J’ai
pensé à tout, répondit Andy. Tout d’abord, si nous nous mettons à
démolir notre abri, l’ennemi peut fort bien s’en rendre compte et se
demander ce que nous fabriquons. Mieux vaut éviter ce genre de
questions. Aussi aurons-nous recours à une ruse : nous prétendrons
que l’abri s’est écroulé sur nos têtes et nous réclamerons une tente.
Nous vivrons alors sous cette tente et pourrons tranquillement
construire notre radeau avec le bois de la maisonnette.

— Andy, tu es génial ! s’écria Tom, avec enthousiasme. Grâce à ton


idée nous obtiendrons du même coup un refuge étanche et les
matériaux pour notre futur navire… Sans compter que l’ennemi nous
aidera sans s’en douter.

— Hé oui !

dit Andy en souriant à ses trois amis. Nous attendrons, toutefois,


deux ou trois jours avant de tenter quoi que ce soit. J’ai idée que
l’ennemi va nous surveiller de près quelque temps, pour voir si nous
n’imaginons pas un nouveau moyen de fuite. Il ne faut rien faire qui
puisse éveiller ses soupçons pour l’instant.

— Entendu », approuvèrent les autres avec empressement.

Durant les deux ou trois jours qui suivirent, les enfants se


contentèrent de jouer, de se baigner, de pêcher, et de se dorer au
soleil. L’ennemi, qui déléguait un homme chaque jour, à midi, pour
jeter un coup d’œil aux prisonniers, ne put ainsi rien deviner des
projets que mûrissaient en secret les enfants. Dans la soirée du
troisième jour, Andy regarda le ciel et annonça qu’une tempête se
préparait.

« Voilà un bon prétexte pour justifier l’effondrement de notre abri,


déclara-t-il. Notre surveillant est passé à midi et a pu constater que
tout était en ordre. Mettons-nous tout de suite au travail et
démolissons en partie notre maisonnette. Nous donnerons le dernier
coup de pouce à notre ouvrage demain. »
Quand les enfants eurent fait de leur mieux pour transformer leur
abri en cabane sinistrée, ils échangèrent de larges sourires. Leur
plan venait de recevoir un début d’exécution !

« Et demain, nous jouerons notre petite comédie à l’ennemi. Jill


portera un bandage autour de la tête, comme si elle avait été
blessée par la chute d’une planche, et j’en porterai un moi-même à
la jambe.

Et nous solliciterons humblement le don d’une solide tente. »

Bientôt, la tempête éclata. A dire vrai, elle n’était pas bien terrible,
mais les enfants étaient bien contents d’en être protégés par la voile
qu’ils avaient tendue sur le toit sinistré. Le vent se mit à souffler avec
force. Tom et Andy durent lester le bas de la voile avec de grosses
pierres pour l’empêcher de s’envoler. Le tonnerre grondait

et les éclairs zébraient le ciel au-dessus des îles. Au bout d’une


heure, cependant, l’orage prit fin et le vent mourut.

Au matin, les enfants s’empressèrent de dégager la voile et de la


cacher : il n’aurait plus manqué que l’ennemi la découvrît ! Puis ils
achevèrent de jeter à bas leur baraque. Pour parachever la mise en
scène, Jill brisa une assiette et en jeta les débris à travers la pièce.

« Maintenant, dit Andy, je vais attacher mon grand foulard autour de


la tête de Jill. » Tout en parlant, il tira de sa poche un foulard pas très
propre et le transforma en pansement sommaire. «

Et je vais me bander la jambe à l’aide de ce chiffon.

Là, voila qui est fait ! Nous raconterons que nous avons été blessés
dans la nuit. »

Quand l’homme vint à midi, comme d’habitude, pour un rapide tour


d’inspection, il fut surpris de trouver Jill avec la tête bandée et Andy
boitillant.
Le jeune pêcheur attaqua sans attendre de questions.

« Venez voir !

Notre abri s’est effondré sur nous ! »

Il invitait du geste l’homme à le suivre. Et l’homme le suivit… Il


n’avait pas besoin de comprendre l’anglais pour constater que la
baraque avait dégringolé sur ses occupants au cours de la tempête.

Jill s’assit dans un coin, porta la main à sa tête et fit semblant de


pleurer. Mary, à côté d’elle, essayait visiblement de la réconforter.

« Nous avons besoin d’une tente pour nous abriter ! » déclara Andy.

L’homme semblait ne pas comprendre. Alors, le jeune garçon sortit


un carnet de sa poche et dessina dessus une tente magnifique.

Cette fois, l’homme comprit. Il hocha la tête, répondit : « Ja ! Ja ! »

et repartit dans son bateau.

Dès qu’il se fut éloigné, Andy dit à Jill :

« Ne force pas la note, Jill. Si tu pleures trop, on demandera à voir ta


blessure. Tout à l’heure, je tremblais que l’homme n’ôte ton
pansement pour s’assurer de la gravité de ton état.

— Mon

Dieu ! murmura Jill, alarmée. Je n’avais pas pensé à ça.

— J’espère que cet individu va revenir avec une tente, soupira Tom.
Peut-être ferais-tu bien d’aller jusqu’en haut de la falaise, Jill, et de
t’y asseoir, bien tranquille. Comme ça, si l’homme revient, il ne
demandera pas à examiner ta tête ! »

Jill et Mary partirent ensemble. Tom et Andy attendirent le retour du


soldat. Celui-ci reparut vers trois heures de l’après-midi…
avec la tente si fort espérée !

Les deux garçons étaient aux anges.

L’homme regarda autour de lui, en quête des deux filles. Il se toucha


la tête et questionna Andy des yeux. Manifestement, il exprimait le
désir de voir la petite blessée. Andy sourit d’un air rassurant et
pointa son index vers le sommet de la falaise : « Elle va bien,
maintenant. »

L’homme aperçut les deux sœurs assises sur un rocher et parut


satisfait. Il alla déposer la tente sur la plage, montra à Andy
comment la monter et repartit dans son bateau.

« Et voilà !

s’exclama Andy, ravi. Tout va pour le mieux ! Nous dresserons cette


tente dans une crique voisine. Il ne faut pas que notre homme
revienne fouiner par ici, sinon, il ne tarderait pas à remarquer que
l’abri disparaît petit à petit. »

Ils installèrent donc leur nouveau logis sur une petite plage, au-delà
d’une avancée de la falaise, en un endroit abrité. Non loin de là
poussaient en abondance bruyère et fougères dont il firent une
ample récolte pour confectionner des lits confortables.

L’homme revint le jour suivant. Andy lui montra l’endroit où ils


avaient monté la tente. Le jeune pêcheur continuait à boitiller en
présence du surveillant, comme s’il avait encore mal à la jambe.

Bientôt, le temps commença à se gâter. Le soleil chauffait moins,


des nuages couraient dans le ciel, amenant des ondées soudaines.

Les enfants étaient souvent obligés de rester sous la tente. Il leur


tardait de se mettre à construire le radeau.

« Je ne veux pas le commencer avant d’être certain que notre

“surveillant” a oublié l’existence de l’abri, expliqua Andy. Hier, il a


directement accosté sur cette plage au lieu de l’ancienne. En outre, il
a inspecté l’île d’un œil distrait. Si demain il vient de nouveau nous
rejoindre directement ici, je pense que nous pourrons commencer le
radeau dans l’après-midi. »

Le lendemain, l’homme arriva à son heure habituelle : à midi.

Cette fois, il apportait un gros stock de vivres et essaya de faire


comprendre aux enfants qu’il ne reviendrait pas de quelques jours. Il
leva trois doigts et secoua la tête.

« Il semble vouloir nous faire comprendre qu’il ne viendra pas


pendant trois jours », expliqua Andy qui avait bien du mal à cacher
sa joie.

Il fit signe qu’il avait compris. Alors, au lieu de faire un tour


d’inspection dans l’île, comme d’habitude, l’homme remonta dans
son embarcation et s’éloigna en ramant. Dès qu’il fut hors de vue,
Andy s’écria gaiement :

« Eh bien !

N’est-ce pas de la chance ? Notre gardien restera invisible trois jours


et il nous a largement approvisionnés. Nous ne mourrons pas de
faim sur le radeau.

Allons, mes amis ! A l’ouvrage ! »


CHAPITRE XXI
Le radeau
CET APRÈS-MIDI-LÀ, les quatre amis travaillèrent dur. Ils
commencèrent par trier les planches de leur ancien abri. A la fin de
la journée, les enfants avaient sélectionné seize planches solides,
de longueurs diverses. Andy parut satisfait.

« Si nous pouvons en récupérer autant demain, dit-il, nous serons


en mesure de construire un radeau potable. Tom ! Tu as bien mis de
côté les grands clous et les grandes vis retirés des planches, comme
je te l’ai demandé ?… Parfait. Nous en aurons besoin bientôt. »

Tom s’était fort bien acquitté de sa tâche : vis et clous étaient rangés
dans une boîte de conserve vide. Leur récupération n’avait pas été
chose aisée : il ne s’agissait pas seulement d’extraire les clous.

Encore fallait-il les redresser lorsqu’ils étaient tordus.

Jill, prudente autant que prévoyante, demanda :


« Ne croyez-vous pas que nous ferions bien de cacher ces planches
? Nous avons beau être sûrs que l’homme ne reviendra pas

demain… il suffirait qu’il change d’avis pour que notre plan d’évasion
soit compromis. »

Andy était si fatigué qu’il ne se sentait guère le courage de


transporter les lourdes planches autre part. Néanmoins, il approuva
la suggestion de Jill. Lui et Tom dissimulèrent donc les planches
dans la bruyère épaisse. Puis ils allèrent rejoindre les filles qui,
pendant ce temps, avaient préparé le dîner.

« Je n’ai jamais eu aussi faim de ma vie ! déclara Tom.

— Je t’ai entendu répéter ça au moins cent mille fois depuis que


nous sommes sur cette île, assura Jill en riant. Voyons un peu si tu
es capable d’avaler toute cette platée ! »

Tom prit l’assiette qu’on lui tendait. Elle était abondamment garnie de
langue froide accompagnée de pommes de terre rissolées et de
petites asperges que l’homme avait apportées la veille. Ce plat de
résistance fut suivi de quartiers de poires en conserve, que les
enfants accommodèrent avec du lait condensé sucré, et du chocolat
chaud. Le dessert parut un tel régal à Tom qu’il en redemanda.

« Eh bien, fit remarquer Mary en ouvrant une seconde boîte de


poires, si tu continues à dévorer à ce train-là, il vous faudra au moins
mille boîtes de conserve sur le radeau ! Andy, n’oublie surtout pas
d’emporter un ouvre-boîte quand vous partirez ! Ce serait terrible
d’être torturés par la faim, avec à portée de main un tas de vivres
que vous ne pourriez consommer !

— Rassure-toi, répondit en souriant le jeune pêcheur. Tu peux être


certaine que je n’oublierai rien. En attendant, je tombe de fatigue. »

Ils étaient tous exténués. Aussi, à peine allongés sur leurs couches
de bruyère, bien à l’abri sous la tente, s’endormirent-ils d’un profond
sommeil. Tous se réveillèrent tard le lendemain matin. Andy était
perplexe : il n’arrivait pas à décider s’ils devaient se remettre au
travail ou non.

« Je suis presque certain, expliqua-t-il, que notre gardien ne viendra


pas aujourd’hui, mais supposez qu’il le fasse et nous trouve en train
de construire un radeau ? Ce serait une catastrophe.

— Je ne vois qu’une solution, dit vivement Jill. Pendant que les


autres travailleront, l’une de nous fera le guet au sommet de la

falaise. Si l’homme vient, nous le verrons de loin. Les garçons,


avertis aussitôt, auront largement le temps de cacher les planches.

— Tu as raison, acquiesça Andy. L’idée est excellente. Chacune des


filles guettera à tour de rôle. Commence donc, Jill ! Ensuite, Mary
prendra la relève. »

Jill grimpa donc sur la hauteur pour prendre sa faction. Elle voyait
distinctement la plage aux grottes, sur l’Ile Numéro Deux.

Mais elle ne vit pas le moindre bateau.

Pendant ce temps-là, les garçons amorçaient la construction du


radeau avec les planches qu’ils avaient déjà en quantité suffisante.

Amortissant de leur mieux le bruit du marteau, Andy et Tom


assemblèrent et clouèrent douze grosses planches sur douze autres
disposées en travers. Puis, Andy cloua par-dessus d’autres
planches plus courtes qui consolidèrent le radeau.

Pour parfaire leur ouvrage, les deux garçons ajoutèrent une sorte de
rebord tout autour du radeau afin d’empêcher les vivres de rouler
dans la mer. Andy se révéla habile charpentier. Lorsque la nuit
commença à tomber, le radeau avait pris forme.

Andy avait déniché de quoi faire un mât solide, mais il décida de ne


mettre celui-ci en place qu’au tout dernier moment.
« Il serait bien difficile de cacher un radeau muni d’un mât, expliqua-
t-il à ses compagnons. Tandis que, tel qu’il est, nous pourrons le
dissimuler aux yeux de notre “surveillant”, s’il lui prenait la fantaisie
de venir nous visiter plus tôt que prévu.

— Le dissimuler ? répéta Tom en considérant le lourd et encombrant


radeau. Mais comment ? Nous ne pouvons le mettre dans la bruyère
comme nous l’avons fait pour les planches avant de les assembler…
»

Andy sourit.

« J’ai imaginé une excellente cachette, dit-il. Nous monterons la


tente dessus. Il en constituera le plancher. Et, ce plancher, nous le
camouflerons sous une couche de bruyère. Personne ne se doutera
que notre maison de toile abrite un radeau. »

Trois jours plus tard, le radeau fut enfin prêt : c’était une construction
robuste et bien équilibrée. Andy avait décidé

d’emporter la provision de vivres dans la cantine qu’avait utilisée le


soldat pour apporter des conserves lors de sa dernière visite.

« Nous allons clouer cette cantine au plancher du radeau, expliqua


le jeune pêcheur. Ainsi, notre ravitaillement sera parfaitement en
sûreté. Si nous le laissions épars sur le pont, la première grosse mer
aurait tôt fait de l’emporter par-dessus bord, en dépit de nos
précautions. »

Il enfonçait le dernier clou dans le fond de la grosse cantine quand


un cri d’avertissement de Jill lui parvint. Elle avait aperçu une
embarcation qui, contournant la falaise de l’Ile Numéro Deux, se
dirigeait à présent vers la leur. En toute hâte, les garçons dressèrent
la tente au-dessus du radeau que Mary recouvrit d’une épaisse
couche de bruyère. Mais comment camoufler la cantine qui
émergeait au centre du radeau ?

« Ce n’est pas grave, assura Andy. Jetons une couverture dessus.

Elle aura l’air d’un siège quelconque. »

L’embarcation ennemie accosta. Deux hommes, cette fois, en


descendirent, dont celui qui parlait anglais. Lui seul s’avança vers
les enfants. Andy, malin, alla à sa rencontre.

« S’il vous plaît, monsieur, demanda-t-il poliment et sachant très bien


quelle serait la réponse, ne voulez-vous pas nous rendre notre
bateau pour nous permettre de rentrer chez nous ?

— Certainement pas, répondit l’homme. Vous resterez ici aussi


longtemps que nous le jugerons bon. Cependant, l’hiver ne va pas

tarder à venir. Une tente sera insuffisante pour vous abriter. N’y
aurait-il pas un bâtiment quelconque que nous pourrions réparer ?

— Aucun », assura vivement Andy qui ne tenait nullement à voir son


visiteur inspecter les constructions en ruine et, sans doute, constater
que l’ancien abri des enfants n’existait pour ainsi dire plus, presque
toutes ses planches ayant été utilisées.

« Voyons un peu cette tente ! » dit l’homme.


Le cœur d’Andy se mit à cogner à grands coups. Quelle horrible
malchance si l’ennemi découvrait le radeau alors que celui-ci venait
tout juste d’être achevé ! En silence, il précéda le visiteur.

L’homme regarda sous la tente. Repérant immédiatement la cantine


recouverte d’une couverture, au milieu, il demanda :

« Qu’est-ce que c’est ?

— La cantine de vivres que votre camarade nous a apportée l’autre


jour », dit Andy en ôtant la couverture.

L’homme constata qu’il s’agissait effectivement d’une caisse et


n’insista pas. Fort heureusement, il ne pénétra pas sous la tente.

Sinon, il n’aurait pu que sentir le radeau à travers la bruyère. Alors, il


n’aurait pas manqué d’écarter la couche végétale et de découvrir le
secret des enfants.

Jill et Mary contemplaient la scène, pâles et effrayées. Tom, assis


sur un rocher, sifflotait. L’homme, cependant, ne bougeait pas. Ses
yeux vigilants continuaient à inspecter l’intérieur de l’abri de toile.

Au moment où l’état de tension atteignait son paroxysme, un grand


hydravion survola l’île à basse altitude, dans un fracas de tonnerre,
Tom mit l’occasion à profit. Bondissant sur ses pieds, il s’écria :

« Regardez ! Regardez ! Quel énorme appareil ! »

Au hurlement de Tom, l’homme leva les yeux pour suivre l’hydravion


du regard, puis déclara soudain en pivotant sur ses talons

« Je dois m’en aller ! Je vous enverrai quelques hommes pour vous


construire une hutte grossière dans laquelle vous passerez l’hiver.
Soyez raisonnables, les enfants, et nous prendrons soin de vous.
Autrement, attendez-vous à « les représailles. »
Au grand soulagement des naufragés, il sauta dans son embarcation
et celle-ci s’éloigna. Les enfants poussèrent alors un

grand soupir d’aise.

« C’est une chance, fit remarquer Jill, que cet hydravion soit arrivé
juste à point pour permettre à Tom de détourner l’attention de
l’ennemi. Je suis persuadée qu’il allait entrer sous la tente et
découvrir le radeau.

— Allons ! dit Andy. Je crois qu’il est temps de songer au départ.

Je ne pense pas qu’on nous envoie des hommes tout de suite.

Demain matin de bonne heure nous porterons le radeau au bord de


l’eau, j’installerai le mât et fixerai la voile de mon mieux. Ensuite,
nous prendrons la mer, Tom et moi. »

Les filles ne répondirent rien. Elles avaient horreur d’être laissées en


arrière et savaient, cependant, qu’Andy avait raison. Il devait à tout
prix retourner au village et révéler aux autorités le secret des îles. Le
bateau ne pouvait certes pas les emporter tous et, en outre, Jill et
Mary comprenaient bien qu’elles n’étaient pas assez résistantes
pour faire la traversée, qui durerait peut-être plusieurs jours, dans
d’aussi mauvaises conditions.

Au bout d’un moment, Jill dit enfin :

« Très bien, Andy. Mary et moi, nous nous ferons une raison…

Nous resterons ici sans faire d’histoires et nous ferons de notre


mieux pour tenir en votre absence. Mais n’oubliez pas de nous
envoyer du secours dès que vous le pourrez !

— Compte sur nous ! répondit Andy, tout content de voir que les
jumelles n’insisteraient pas pour les accompagner, Tom et lui. Vous
êtes de braves filles, toutes les deux. Nous sommes fiers de vous.

N’est-ce pas, Tom ?


— Très fiers ! » renchérit Tom.

Jill et Mary rougirent de plaisir.

« Nous vous souhaiterons bonne chance demain ! dit Jill. Oh !

Comme je voudrais que vous soyez déjà arrivés au village ! Avec


Mary, nous n’allons pas vivre jusqu’à votre retour. »

Tous quatre se couchèrent très tôt ce soir-là car le lendemain devait


être un grand jour. Mais la nuit fut mauvaise : aucun des jeunes
naufragés n’avait sommeil. Ils étaient bien trop énervés pour dormir !

Le matin suivant, de bonne heure, ils démontèrent la tente, ôtèrent la


bruyère qui dissimulait le radeau, et attachèrent des cordes à celui-ci
pour le remorquer jusqu’à la plage.

« Nous entamons une nouvelle aventure ! soupira Andy en tirant sur


les cordes. Allez-y ! En cadence ! Ho-hisse ! Ho-hisse ! »
CHAPITRE XXII
Le départ
LE RADEAU fut tiré jusqu’à la mer. Andy y fixa le fût d’un jeune
arbre qui devait servir de mât. Il installa ensuite la vieille voile avec
beaucoup d’habileté. La cantine aux provisions était clouée juste au
pied du mât. Elle contenait suffisamment de vivres pour plusieurs
jours. Les garçons embarquèrent également un gros bidon d’eau
douce. Quand ils l’auraient vidé, ils comptaient sur le jus des fruits
en boîte pour étancher leur soif.

Andy avait confectionné deux avirons rudimentaires pour diriger le


bateau et soulager la voile, le cas échéant.

Les filles insistèrent pour faire emporter aux deux garçons les plus
chaudes couvertures du lot, en dépit des protestations d’Andy. Il
affirmait qu’elles ne leur seraient guère utiles, vu qu’elles seraient
trempées à la première grosse vague balayant le radeau. Ils finirent
par les prendre tout de même.

« Si elles sont mouillées, dit Jill, vous n’aurez qu’à les faire sécher
au soleil pendant la journée. Et vous serez peut-être bien contents
de les avoir. Mary et moi, nous en avons d’autres ! »

Le radeau fut finalement prêt à partir. Les garçons embrassèrent les


jumelles et leur dirent au revoir.

« Et surtout, recommanda Andy en sautant à bord, ne vous faites


pas de souci ! Vous ne recevrez pas de nos nouvelles avant de
longs jours. Il faut d’abord que nous retournions au village, puis que
nous racontions notre histoire, et enfin que les autorités donnent les
ordres nécessaires pour qu’on vienne à votre secours. Et les
bateaux devront encore trouver le chemin de ces îles. Soyez donc
patientes et courageuses.
— Que dirons-nous à l’ennemi quand il nous demandera où vous
êtes passés ? murmura Jill d’une voix anxieuse.

— Contentez-vous de répondre que nous avons disparu. Si vous


êtes capables de jouer la comédie, manifestez de l’inquiétude, voire
de l’affolement.

— Entendu ! » dit Jill.

Andy largua la voile et fit un geste d’adieu.

« Allons ! Au revoir, Jill. Au revoir, Mary. A bientôt ! »

Tom joignit sa voix à celle de son ami.

— Au revoir, Andy ! Au revoir, Tom ! » crièrent les filles en retour.

Elles essayaient bravement de sourire mais en voyant les garçons


s’éloigner elles se sentaient bien perdues et misérables.

« Bonne chance ! » crièrent-elles encore.

Tom, qui avait rejoint son ami à bord, maniait habilement l’aviron
pour guider l’esquif. Andy manœuvra la voile de manière à lui faire
prendre le vent. La toile se gonfla… Un instant plus tard, le radeau
sautait sur les vagues comme un bouchon.

« Ça y est ! s’écria Jill en battant des mains. Le radeau flotte bien et


il est gouvernable. Regarde comme il avance ! »

Les garçons agitèrent la main en un dernier au revoir. De petites


vagues, passant par-dessus le bord du radeau, vinrent asperger
leurs jambes. Si la mer devenait vraiment houleuse, ils ne
tarderaient pas à être mouillés des pieds à la tête. Mais, pour
l’instant, ils ne se souciaient guère des éventuelles vicissitudes de
leur voyage. Ils

n’avaient qu’une idée en tête : bien diriger leur esquif et le conduire


à bon port.
La voile claqua et se gonfla davantage. Andy l’avait fixée avec
beaucoup d’adresse et le petit navire progressait rapidement sur
l’eau.

« Il va presque aussi vite que ton bateau de pêche ! fit remarquer


Tom, ravi.

— Non, tout de même pas ! protesta Andy avec un hochement de


tête. Aucun radeau, même le mieux construit, ne pourrait rivaliser de
vitesse avec un bateau ordinaire. Mais je dois reconnaître que le
nôtre ne marche pas si mal que ça ! Gare ! Voici une vague énorme
qui arrive ! »

Trempé par la lame, Tom se contenta de rire et s’ébroua comme un


chien. Mais le soleil brillait et les vêtements des deux garçons furent
bientôt secs.

Regardant en direction de leur île, Tom et Andy constatèrent qu’ils


s’en étaient sensiblement éloignés. C’est à peine s’ils devinaient la
silhouette des jumelles qui, grimpées en haut de la falaise, se
tenaient là pour suivre le plus longtemps possible le radeau des
yeux.

« J’espère que Jill et Mary n’auront pas d’ennuis, murmura Tom d’un
ton soucieux. Les pauvres ! C’est dur de les laisser en arrière.

— Oui, acquiesça Andy. Mais nous ne pouvions pas agir autrement.


Nous avons découvert des choses graves… très graves, Tom. Et
nous devons nous montrer assez adultes et courageux pour
affronter cette situation.

— Je n’ai pas peur ! affirma Tom avec force. Quant à toi, Andy, je
crois bien qu’il n’y a rien au monde qui puisse t’effrayer !

— Tu te trompes, assura Andy. Mais je fais de mon mieux pour


cacher ma peur. Regarde un peu, Tom. On voit toutes les îles
maintenant.
— Souhaitons que l’ennemi ne nous repère pas à la jumelle, ou par
l’intermédiaire d’un de ses sous-marins ou d’un de ses hydravions !
dit Tom en frissonnant.

— C’est un risque à courir. Ayons confiance et espérons. »

Un long moment, les garçons restèrent debout, se tenant au mât, les


yeux tournés vers le chapelet d’îles. A présent qu’ils en étaient

loin, elles leur semblaient très petites. Bien entendu, les filles étaient
devenues invisibles. Bientôt les îles disparaîtraient à leur tour et les
deux amis se retrouveraient seuls en pleine mer.

« Sais-tu exactement quelle direction prendre, Andy ? demanda


Tom.

— Plus ou moins, répondit Andy. Je peux diriger le radeau au soleil


dans la journée et en me guidant sur les étoiles pendant la nuit.

Nous avons de la veine que le vent souffle dans la bonne direction.

Pourvu que ça dure ! La navigation est assez aisée pour l’instant,


mais si le vent tourne, nous ne serons pas au bout de nos peines. »

A présent, on ne voyait plus du tout la terre. Tom et Andy étaient


seuls sur l’immensité verte. Sous le radeau, l’eau semblait très
profonde. Sans être vraiment grosse, la mer, assez houleuse, faisait
danser l’embarcation. De temps en temps, une lame inondait le pont.

Peu à peu, les garçons s’y accoutumèrent et cessèrent de s’en


émouvoir.

Tom laissait pendre ses mains dans l’eau fraîche. Il aimait bien le
balancement du bateau. Le soleil brillait de plus en plus, si bien que
les deux compagnons eurent bientôt très chaud. Tom ôta son
chandail et l’accrocha solidement au mât, hors de portée des
vagues.

« J’ai l’impression de cuire ! » déclara-t-il.


Fort heureusement, les deux amis n’avaient pas oublié de se munir
de coiffures pour éviter toute insolation. Au fur et à mesure que le
soleil montait dans le ciel, la chaleur devenait plus difficilement
supportable. A la fin, Tom et Andy se laissèrent glisser à l’eau, sans
oublier de bien tenir le rebord du radeau. Ce bain leur procura un
peu de fraîcheur. Ils remontèrent sur le pont, trempés et heureux.

« C’est tout de même une chance, fit remarquer Tom, qu’aucun de


nous deux n’ait lâché le plat-bord. A l’allure où file notre radeau, il
nous laisserait loin derrière et jamais personne ne nous retrouverait.

— Tu as raison, approuva Andy. La prochaine fois que nous nous


baignerons, nous ferons bien de nous attacher. Si nous mangions un
morceau, en attendant ? »

Ils ouvrirent une boîte de saumon et une autre de poires. Le repas


fut excellent, encore que Tom déplorât l’absence de pain pour

accompagner le saumon.

La journée parut interminable. Finalement, le soleil déclina à


l’horizon et la mer vira du vert au violet.

« Il fait déjà moins chaud ! murmura Tom en reprenant son chandail.

— Tom, essaie donc de dormir un peu, conseilla Andy. Il est


impossible que nous nous reposions tous les deux à la fois. Le vent
peut changer ou une tempête éclater. Fais un somme maintenant.

Puis ce sera mon tour. »

Docile, Tom s’enveloppa dans une couverture et ferma les yeux.

Andy, en garçon prudent qu’il était, passa une corde autour de la


taille de son ami et attacha l’autre extrémité à la cantine.

« Comme ça, expliqua-t-il, tu ne risqueras pas de rouler par-dessus


bord pendant la nuit. Je n’ai pas envie de découvrir tout à coup que
tu as disparu ! »
Tom s’aperçut qu’il n’avait pas sommeil et, couché sur le dos, se
plongea dans la contemplation du ciel nocturne. C’était une nuit
claire, sans lune, mais toute piquetée d’étoiles brillantes. Andy
montra l’étoile polaire à son ami.

« Elle me confirme que nous filons dans la bonne direction, dit-il.

Si nous continuons à cette allure, nous devrions apercevoir la côte


que nous souhaitons atteindre dans trois ou quatre jours.

— Oh ! Tant que ça ! s’exclama Tom, désappointé. Je pensais qu’à


cette vitesse il nous suffirait d’un jour ou deux pour toucher au but.

— Tu oublies que nous sommes sur un radeau, pas sur un bateau


de pêche. Allons, tâche de dormir. Je t’éveillerai si j’ai besoin de toi.
»

Et Tom s’endormit.

Andy le réveilla un peu avant l’aube et l’installa à sa place.

« Le vent continue à souffler dans la bonne direction, expliqua-t-il. Tu


n’as qu’à garder le cap et tenir l’œil ouvert. Tu as l’étoile polaire pour
te guider. Moi, je suis tellement éreinté qu’il m’est impossible de
veiller plus longtemps. »

Le jeune pêcheur s’attacha à son tour, s’allongea sur le pont et


s’endormit dès que sa tête eut touché la couverture servant
d’oreiller.

Tom regarda le jour se lever…

Ce fut un merveilleux spectacle. D’abord, le ciel devint couleur


d’argent et se refléta dans la mer qui prit la même teinte. Peu après,
un éclat rose monta à l’est, vite transformé en une brume dorée. La
mer se mit alors à étinceler, comme parsemée de paillettes d’or.

Au bout d’un moment, Tom commença à avoir faim. Il fourragea


parmi les boîtes de conserve et fit son choix. Comme il adorait la
langue de bœuf, il s’en régala.

Un peu plus tard, Andy se réveilla et participa au festin. Le dessert


se composa de tranches d’ananas. Le jus des fruits était vraiment
délicieux, les garçons le coupèrent d’eau et se composèrent ainsi
une boisson parfumée pour le restant de la journée.

Puis Andy renifla le vent et scruta le ciel.

« Hum ! dit-il. Le temps pourrait bien changer ! J’espère seulement


que le vent ne nous détournera pas de notre route. Tout allait si bien
jusqu’ici ! »

La mer, déjà, devenait plus agitée. Il ne se passait guère de minute,


maintenant, sans qu’une vague vînt balayer le pont. Les deux amis
furent vite trempés jusqu’à la taille. Et si le reste de leur corps
demeura sec, ce fut uniquement parce qu’ils s’étaient assis sur la
cantine aux provisions. Une fois ou deux, le radeau se souleva si fort
à l’arrière que Tom dut s’agripper au mât pour ne pas glisser à l’eau.

« Nom d’un chien ! s’écria-t-il. Ces vagues nous en veulent ou quoi ?


Encore heureux que nous ayons tous les deux le pied marin ! »

Andy s’était remis à étudier le ciel d’un air anxieux.

« Je crains que le vent ne tourne, dit-il enfin. Si cela se produit, nous


serons fatalement déroutés. Et regarde la mer, Tom. Elle se
déchaîne de plus en plus. Nous ferions bien de nous attacher
solidement au mât si nous ne voulons pas être emportés par une
lame. »

Les deux amis se dépêchèrent de s’attacher au mât, puis


surveillèrent les nuages, en se demandant si le radeau n’allait pas
brusquement ralentir sa course… ou même les entraîner dans la
direction opposée…
 

La mer, déjà, devenait plus agitée.


CHAPITRE XXIII
Merveilleuse surprise !

LE VENT changea bel et bien et, en dépit de tous leurs efforts,


contraignit les deux garçons à changer de cap. Andy se hâta
d’amener la voile.

« Si je ne fais pas ça, expliqua-t-il, nous serons vite de retour sur


notre île. Le vent nous pousse droit dessus. Tant pis. Le mieux est
de laisser notre radeau dériver au gré des flots et espérer que le
vent tournera dans l’autre sens avant longtemps. Alors, je hisserai
de nouveau la voile.

— Je me demande, dit Tom, l’air pensif, si l’ennemi a déjà découvert


notre disparition. S’ils s’aperçoivent que nous avons quitté l’île, ils
penseront tout de suite à un radeau et enverront un hydravion à
notre recherche. »

Le vent était froid. Des nuages cachèrent le soleil. De grosses


vagues heurtaient sans arrêt le radeau, comme animées d’une
volonté maligne.
« Elles ont l’air de nous guetter comme si nous étions leur proie

», fit remarquer Tom en contrôlant le nœud de la corde qui l’attachait


solidement au mât.

Il frissonna. C’est qu’il n’y avait pas l’ombre d’un abri sur ce radeau
ouvert à tous vents… aucun moyen de se réchauffer non plus, ni
même de se sécher puisque le soleil restait invisible.

« Essaie quelques mouvements de gymnastique, Tom, conseilla


Andy. Cela t’empêchera de t’engourdir. »

Les deux garçons remuèrent les bras et se flanquèrent mutuellement


des tapes pour faire circuler le sang. Les vagues se firent plus fortes,
et le radeau prit de la vitesse… mais toujours dans la mauvaise
direction, hélas !

Soudain, dans l’après-midi, le vent tomba brusquement et le soleil


reparut. Les deux amis s’étendirent sur le pont et ne tardèrent pas à
se sentir réchauffés et réconfortés. Andy largua de nouveau la voile.

« Dans la soirée, prophétisa-t-il, nous aurons autant de vent que


nous en voudrons ! »

Andy avait vu juste. Dès que le soleil commença à décliner à


l’horizon, le vent se leva de nouveau et, cette fois, dans la bonne
direction. Andy ne cacha pas sa joie.

La voile se gonflait et le petit radeau semblait vouloir rattraper le


temps perdu.

Le vent forcit sans arrêt dans la soirée. Le radeau bondissait sur la


mer. Soudain, alors que le soleil s’apprêtait à disparaître, Andy se
redressa, l’air alarmé.

« Tu n’entends rien ? demanda-t-il à Tom.

— Que si ! répondit Tom. Le vent, les vagues et la voile.


— Non, je ne te parle pas de ça mais d’un bruit très particulier…

on dirait un moteur d’hydravion. »

Tom eut l’impression que son cœur s’arrêtait de battre. Il essaya de


se rassurer en se persuadant que leur évasion n’avait pas encore
été découverte. Ce qui ne l’empêcha pas de se redresser lui aussi et
de prêter l’oreille.

« Oui, soupira Andy. C’est bien un hydravion que j’entends. S’il est
lancé à notre poursuite, il ne peut manquer de nous voir. Dire que

le vent recommençait à nous être favorable ! Non, c’est trop de


malchance, à la fin ! »

Tom, soudain très pâle, scrutait le ciel avec angoisse. A présent, les
deux garçons entendaient distinctement le vrombissement du
moteur. Soudain, l’hydravion surgit. Il volait lentement et à très basse
altitude. Il était clair qu’il écumait la mer, en quête d’une proie.

« Que pouvons-nous faire, Andy ? demanda Tom dans un


gémissement.

— Laissons-nous glisser à l’eau en nous retenant au radeau et


espérons que l’hydravion ne nous remarquera pas. Si ces gens se
contentent de jeter un coup d’œil à bord, peut-être penseront-ils qu’il
n’y a personne. Après tout, seules nos têtes seront hors de l’eau, et
encore si près du plat-bord qu’elles se confondront avec lui. Allez,
vite, plongeons ! »

Les deux garçons se laissèrent glisser dans la mer, tout en


s’accrochant des deux mains au radeau. Seules leurs têtes étaient
visibles. Ils attendirent, pleins d’anxiété.

Le grand hydravion les survola en vrombissant, toujours à très basse


altitude. Il avait repéré le radeau et venait l’examiner de plus près.
Puis il fit demi-tour, se mit à décrire des cercles tout autour et,
finalement, au grand effroi d’Andy et de Tom, amerrit non loin d’eux.
« Nous sommes fichus, Tom ! soupira Andy. Nous ferions aussi bien
de remonter à bord. Regarde. Ils mettent un canot à la mer. »

Les deux garçons grimpèrent donc sur le radeau.

L’amertume et la colère grondaient dans leur cœur. Et puis, tout à


coup, Tom poussa un si effroyable hurlement qu’Andy faillit piquer
une tête par-dessus bord.

« Andy ! ANDY ! hurlait Tom, avec frénésie. Regarde les dessins sur
l’hydravion. C’est un appareil britannique. Un appareil
BRITANNIQUE ! »

Andy regarda et constata que Tom ne s’était pas trompé.

L’hydravion arborait les marques distinctives de l’Aéronavale. Les


garçons se laissèrent alors aller à leur joie et parurent devenir fous.

Debout sur leur radeau, ils dansaient à présent une gigue endiablée.

Ils criaient, agitaient les bras, sautaient, bondissaient. Enfin, ce qui

était à prévoir se produisit : Tom, ce maladroit, perdit l’équilibre et


tomba à l’eau.

Andy le repêcha et l’aida à remonter à bord, soufflant et crachant.

« Oh, Andy ! Ce sont les nôtres qui arrivent ! Ce n’est pas l’ennemi !
Quelle chance qu’ils nous aient aperçus ! Suppose qu’ils aient cru le
radeau abandonné et qu’ils aient poursuivi leur route ! »

Là-dessus, Tom parut perdre de nouveau la tête et se remit à


pousser des cris de joie.

Le canot de l’hydravion approchait cependant. Les deux hommes qui


se trouvaient à bord hélèrent les garçons.

« Ohé ! du radeau ! D’où venez-vous ?


— Ohé ! Ohé ! cria Andy en retour. Ohé ! »

Il était tellement ému qu’il ne trouvait rien d’autre à répondre. Le petit


bateau vint se ranger le long du radeau et ses occupants aidèrent
les naufragés à prendre place auprès d’eux.

« Ma foi, dit l’un des aviateurs, ce sont des gamins. Et nous qui
pensions recueillir des rescapés d’un bateau ou d’un avion… Que
faites-vous sur ce radeau, mes enfants ?

— C’est une longue histoire, répondit Andy. Si cela ne vous ennuie


pas, je préférerais la raconter directement à votre chef.

— Très bien. Le commandant est dans l’hydravion. »

Le canot prit la direction du gros appareil, abandonnant le petit


radeau aux vagues. Tom en fut un peu peiné. Il s’y était attaché…

Le canot arriva à l’hydravion. Les deux garçons furent poussés à


l’intérieur de l’appareil. Un homme au visage grave s’avança vers
eux.

Alors, Andy reçut un second choc car, cette fois, le hurlement que
poussa Tom le glaça jusqu’à la moelle des os.

« PAPA ! Oh, PAPA ! C’est TOI ! »

L’homme au visage sévère regarda Tom comme s’il ne pouvait en


croire ses yeux. Puis ses bras s’ouvrirent, et Tom crut bien être
broyé sur la poitrine de son père tant celui-ci le serra fort.

« Tom ! dit enfin le commandant. Nous sommes à ta recherche


depuis l’instant où nous avons appris que vous étiez partis à bord
d’un petit bateau de pêche et que vous n’étiez pas revenus. Où sont
tes sœurs ? Vite ! Dis-moi…

— Elles sont en bonne santé, se hâta de répondre Tom. Nous les


avons laissées sur l’île saines et sauves. Oh, papa ! C’est presque
trop merveilleux pour être vrai ! Papa… je te présente Andy. C’est un
garçon sensationnel. Sans lui, jamais nous n’aurions pu nous
échapper.

— Que veux-tu dire par “échapper” ? demanda le père de Tom,


surpris. Vous vous, êtes échappés d’où ?

— Nous avons surpris un très grave secret militaire, répondit Tom.


Quelque chose d’à peine croyable. Raconte, toi, Andy !

— Eh bien, monsieur, expliqua Andy, plus calme que son camarade,


la tempête nous a jetés sur la côte d’îles désolées où personne
n’habite plus aujourd’hui. L’ennemi a mis à profit l’isolement de ces
îles pour en faire une base de ravitaillement pour ses sous-marins et
ses hydravions. Nous avons trouvé là-bas des grottes bourrées de
caisses de vivres… et il doit également y avoir des réserves de
carburant.

— Quoi ? » s’écria le père de Tom.

Il appela quelques officiers pour qu’ils entendent aussi le récit


d’Andy. Celui-ci racontait avec clarté et précision.

« Lorsque vous nous avez aperçus, terminat-il, nous venions tout


juste de nous échapper à bord de ce radeau… un radeau que nous
avons fabriqué nous-mêmes. Sur le moment, nous vous avons pris
pour l’ennemi lancé à nos trousses. C’est pour cela que nous avons
tenté de nous dissimuler dans l’eau. Heureusement que notre ruse
ne vous a pas trompés. Vous nous avez vus !

— Pas du tout, répondit le père de Tom. Nous étions seulement


intrigués par ce radeau vide. Alors, nous nous sommes approchés
pour l’examiner… et vous êtes remontés à bord ! Notre appareil et
deux autres sillonnent ce coin de la mer, dans l’espoir de retrouver
votre petit bateau à voile. Nous pensions que vous étiez à la dérive,
peut-être déjà morts de faim. Oh, Tom ! Ta pauvre maman est à
moitié folle de douleur.
— Cette pensée m’a souvent torturé, avoua Tom. Mais tout ira bien
désormais, papa, puisque nous sommes tous sains et saufs…

enfin… j’espère que Jill et Mary sont en sûreté…

— Elles le seront en tout cas bientôt, promit le commandant d’une


voix qui ne présageait rien de bon pour l’ennemi. Nous allons les
délivrer, puis nettoyer ce nid d’hydravions et de sous-marins en un
rien de temps. L’adversaire est très malin d’avoir installé une base
juste sous notre nez… mais il n’en profitera plus longtemps. Andy !

Tom ! Vous avez fait bonne et utile besogne !

— J’espère que mon père ne sera pas trop fâché que j’aie perdu son
bateau, soupira le pauvre Andy. Mais peut-être sera-t-il possible
maintenant de le reprendre à l’ennemi ?

— Ne t’inquiète donc pas pour ça, Andy ! dit le commandant.

Quand il te reverra, ton père sera bien trop content pour se soucier
d’autre chose. Et puis, loin de t’en vouloir, il sera au contraire fier de
toi. Et maintenant asseyez-vous tous les deux. Nous allons décoller !

— Nous retournons à l’île pour délivrer Jill et Mary ? » demanda


Tom, plein d’espoir.

Mais son père secoua la tête.

« Hélas, non ! dit-il. Il faudra qu’elles attendent encore un peu, je le


crains. Pour l’instant, je dois me contenter de signaler par radio
qu’on vous a retrouvés et que vous êtes porteurs de nouvelles
sensationnelles. Un point, c’est, tout. Il est urgent que vous racontiez
votre aventure à notre quartier général ! »

Dans un grand bruit de moteur, l’hydravion s’éleva au-dessus des


flots et prit peu à peu de la hauteur. Il piqua droit au sud. Les deux
garçons regardèrent la mer, qui n’était pas tellement loin au-dessous
d’eux.

« Eh bien, dit finalement Andy, nous pouvons nous féliciter de notre


chance ! Dire que c’est ton père qui nous a secourus… Et
maintenant, Tom… imagine un peu la surprise que vont avoir nos
adversaires ! »

CHAPITRE XXIV
Des ennuis pour Jill et Mary

QUAND les garçons se furent éloignés à bord de leur radeau, les


jumelles se sentirent seules et misérables. Elles eurent alors l’idée
de grimper au sommet de la falaise d’où elles pourraient les
apercevoir longtemps encore.
Elles leur adressèrent des signes d’adieu jusqu’à ce que le radeau
ne fut plus qu’un point à l’horizon, puis elles le perdirent de vue. Il
était parti pour de bon ! Les deux sœurs quittèrent leur poste
d’observation.

« J’espère du fond du cœur, dit Jill, que Tom et Andy arriveront à


bon port sains et saufs. Ce serait trop épouvantable s’ils se
perdaient en mer.

— Veux-tu te taire ! s’écria Mary. Pensons à des choses plus


réjouissantes. Préparons-nous un bon petit déjeuner ! »

Mais ni l’une ni l’autre n’avaient faim.

« J’espère que l’ennemi ne nous rendra pas visite aujourd’hui, reprit


Mary. Je ne me sens pas le cœur de bien jouer la comédie. »

Par bonheur, et au grand soulagement des deux filles, personne ne


vint ce jour-là. Andy et Tom leur manquaient beaucoup et, lorsque la
nuit tomba, les deux pauvres petites éprouvèrent une vague peur.

« Courage ! s’écria Jill en voyant les traits crispés de sa jumelle.

Nous allons dormir bien à l’abri sous la tente, toutes les deux.

L’ennemi ignore encore que les garçons sont partis, c’est l’essentiel.

Je pense qu’en ce moment même Tom et Andy sont pratiquement


tirés d’affaire. Le vent a soufflé dans la bonne direction toute la
journée et ils doivent se trouver loin d’ici. »

Les deux filles allumèrent leur petit poêle au seuil de la tente dès
que la nuit fut là. Sa petite flamme était comme une compagnie.
Elles posèrent dessus une bouilloire d’eau et s’assirent à l’entrée de
la tente pour boire un bon chocolat chaud, tandis que les étoiles
s’allumaient dans le ciel.

Elles songeaient à se mettre au lit quand, soudain, elles entendirent


le vrombissement d’un hydravion au-dessus de leur tête.
Il survola l’île à deux reprises, puis s’en alla. Les filles veillèrent
encore un peu. Soudain, elles surprirent le bruit d’un canot à moteur
et devinèrent qu’il accostait sur le sable de la petite plage, puis elles
entendirent des voix masculines.

« Mon Dieu ! s’exclama Jill, alarmée. Pourquoi viennent-ils à cette


heure de la nuit ? Ils verront tout de suite que les garçons ne sont
pas là. Ecoute, Mary. Vite, filons ! Nous allons nous glisser jusqu’aux
bruyères, là-bas. Nous prétendrons que nous faisions une
promenade nocturne. Ils croiront que les garçons sont quelque part
dans le coin. »

Les deux filles coururent jusqu’au champ de bruyère qui occupait le


centre de l’île.

Les hommes laissèrent leur bateau sur la plage et s’avancèrent


jusqu’à l’abri de toile. L’un d’eux souleva le rabat et dirigea le
faisceau lumineux de sa lampe électrique à l’intérieur de la tente.

Bien entendu, il ne vit personne et appela alors :

« Allons, les enfants ! Où êtes-vous ? »

Comme personne ne répondait, il appela de nouveau, cette fois à


pleins poumons. Jill et Mary venaient tout juste d’arriver aux
bruyères. La première jugea sage de répondre :

« Nous sommes ici ! »

Puis elle donna un coup de coude à sa sœur :

« Réponds aussi, Mary, chuchota-t-elle. Sitôt après, je crierai


encore. J’espère qu’ils croiront que nous sommes tous ensemble et
ne viendront pas voir de plus près ! »

Mary répondit donc à son tour.

« Nous sommes ici !


— Dans la bruyère ! » ajouta Jill en grossissant sa voix au
maximum.

Malheureusement, l’ennemi ne se contenta pas de ces réponses.

L’homme qui parlait anglais ordonna :

« Venez ici tout de suite !

— Nous sommes forcées d’obéir, chuchota Jill à l’oreille de sa sœur.


Surtout, Mary, ne te laisse pas impressionner. Il ne faut trahir les
garçons à aucun prix. Prétendons qu’ils se trouvent dans les
environs. »

Les jumelles revinrent à la petite plage, éclairée par les torches


électriques.

« Où sont les garçons ? demanda celui qui parlait anglais.

— Vous ne les avez pas vus ? répliqua Jill. Ils ne doivent pas être
loin. Dans la tente, peut-être. Y avez-vous jeté un coup d’œil ?

— Oui, dit l’homme. Et maintenant, venons-en au fait. Pour quelle


raison avez-vous allumé ce poêle, dehors ? Vous seriez-vous mis en
tête de faire des signaux ?

— Des signaux ! répéta Jill. Bien sûr que non ! Nous avons fait du
chocolat chaud, tout simplement. Regardez. Voici nos tasses
sales… »

Elle regretta aussitôt d’avoir attiré l’attention de l’ennemi sur les


tasses en question. En effet, il n’y en avait que deux. L’homme
regarda Jill d’un air soupçonneux :

« Pourquoi les garçons n’ont-ils pas bu de chocolat ?

— Ils n’étaient pas là quand nous l’avons préparé », répondit Jill.


L’homme tourna la molette du poêle. La flamme crépita et s’éteignit.
Puis il appela dans la nuit :

« Ohé ! Les garçons ! Venez ici immédiatement ! »

Il n’obtint, et pour cause, aucune réponse. Andy et Tom étaient loin


en mer.

Dépité, l’homme se tourna vers les jumelles.

« Demain, gronda-t-il, je reviendrai pour apprendre aux garçons à


me répondre quand je les appelle. Je dois partir mais je leur
conseille d’être là demain. Sinon gare ! »

Jill et Mary ne répliquèrent rien. Elles se demandaient avec effroi ce


qui se passerait quand l’ennemi découvrirait qu’Andy et Tom avaient
disparu.

Les visiteurs regagnèrent leur bateau et s’en allèrent.

« Quelle bêtise d’avoir allumé ce poêle ! déplora Jill, très fâchée


contre elle-même. L’hydravion a dû voir la lueur et la signaler. Et
l’ennemi s’imagine que nous faisions des signaux à quelqu’un. Mais
à qui ? Puisque nous savons ces îles hors de la route habituelle des
bateaux ! »

Les deux filles se torturaient l’esprit en essayant d’imaginer quelles


représailles leur infligerait l’ennemi quand il comprendrait que les
garçons n’étaient plus sur l’île. Blotties l’une contre l’autre sous leur
tente, elles finirent par succomber au sommeil. Mais elles se
réveillèrent de bonne heure, déjeunèrent tristement, puis s’assirent
pour attendre leurs geôliers.

Qu’auraient-elles pu faire d’autre ? Il était inutile de chercher à se


cacher. Leur devoir était tout tracé : prétendre ignorer où étaient
passés les garçons !
Le canot à moteur ne se manifesta pas avant midi. Deux hommes en
sortirent pour se diriger vers la tente. Celui qui parlait anglais
regarda les filles.

« Où sont les garçons ? demanda-t-il. Pourquoi ne sont-ils pas avec


vous ?

— Je ne sais pas, répondit Jill en s’efforçant de parler avec


assurance.

— Où sont-ils ? insista l’homme avec irritation.

— Je ne sais pas, répéta Jill, du reste sans mentir.

— Vous ne savez pas ! Vous ne savez pas ! s’écria l’homme avec


colère. Sont-ils sur cette île ?

— Vous n’avez qu’à les chercher, rétorqua Jill. Je suis sûre que vous
ne croirez pas un mot de ce que je pourrai vous dire. Alors, mieux
vaut que vous vous rendiez compte par vous-mêmes ! »

Les deux hommes foudroyèrent du regard la courageuse petite fille,


puis entreprirent une battue sur l’île. Naturellement, ils ne trouvèrent
personne et revinrent, le visage soucieux.

Ils conversaient dans leur langue maternelle, que ni Jill ni Mary ne


comprenaient. Elles les virent explorer les constructions en ruine.

Il ne fallut pas longtemps aux deux hommes pour s’apercevoir que le


vieil abri de planches n’existait pratiquement plus.

« Je comprends, dit l’homme qui parlait anglais. Les garçons ont


tenté de se construire un bateau. »

Jill et Mary se contentèrent de faire « non » de la tête. Elles


commençaient à avoir vraiment peur.

« C’est un radeau qu’ils ont fabriqué, n’est-ce pas ? demanda


l’homme. Bon ! Vous ne voulez pas parler, sales gosses ! Eh bien,
nos hydravions vont se lancer à la recherche des garçons et les
ramèneront. Nous vous garderons alors tous les quatre prisonniers
sur une autre île, puis nous vous transporterons dans notre pays où
vous resterez très longtemps. »

Les jumelles se mirent à pleurer, non pas sur leur propre sort, mais
parce que l’idée de savoir les hydravions aux trousses d’Andy et de
Tom leur faisait horreur.

Les hommes recommencèrent à parler entre eux. Elles comprirent


qu’il leur semblait urgent de retourner sur l’Ile Numéro Trois afin de
mettre leurs supérieurs au courant de la fuite des deux jeunes
prisonniers.

« Nous reviendrons vous chercher demain, déclara l’homme parlant


anglais. Peut-être aurons-nous rattrapé les fugitifs d’ici là. Ils seront
sévèrement punis, vous pouvez me croire ! »

Il repartit avec son compagnon, laissant derrière lui deux pauvres


créatures bien malheureuses. Mary n’arrêtait pas de pleurer :

« Mon Dieu ! disait-elle entre deux sanglots. Comme je souhaite


qu’Andy et Tom leur échappent ! Et demain, ces hommes vont
revenir nous prendre pour nous emmener ailleurs.

— Eh bien, moi, ils ne me prendront ni ne m’emmèneront ! s’écria Jill


en s’essuyant les yeux d’un geste rageur. S’ils veulent m’attraper, ils
devront me chercher longtemps. J’irai me cacher sur l’Ile Numéro
Deux. Ils perdront leur temps à me chercher sur cette île, je serai
bien à l’abri… dans la Rotonde !

— Je t’y suivrai, décida aussitôt Mary en séchant ses larmes d’un air
plein de détermination. Nous allons attendre que la mer se retire,
puis nous franchirons le bras de mer à gué ! »

Ce jour-là, dès que la marée fut assez basse, les deux filles se
hâtèrent de passer d’un rocher à l’autre jusqu’à la plage de sable de
l’Ile Numéro Deux. Non loin de là s’ouvrait la caverne servant
d’antichambre à la Rotonde.

« Personne ne nous a vues, dit Mary en courant vers l’entrée de la


grotte. Nous allons nous cacher là. L’ennemi s’imaginera que nous
nous sommes évadées, comme les garçons. Qui sait, même ! Peut-
être sera-t-il tellement occupé à nous chercher qu’il en oubliera Andy
et Tom !

— Ça, ça m’étonnerait ! déclara Jill d’un ton catégorique tandis que


les deux sœurs suivaient le passage conduisant à la Rotonde. Je
suis certaine que des hydravions sont déjà partis à leur recherche.

J’en ai entendu trois ou quatre s’envoler de l’Ile Numéro Trois. Ah !

Nous sommes arrivées !… Regarde, Mary. Voici une cantine


presque vide. Retirons-en les provisions qu’elle renferme encore. Si
nous entendons quelqu’un venir, nous sauterons dedans et nous
rabattrons le couvercle. »

Après avoir vidé la cantine et camouflé derrière une autre les vivres
qui s’y trouvaient encore, Jill et Mary s’amusèrent à chercher le
tunnel vertical qui faisait communiquer la Rotonde avec le haut de la
falaise. Mais elles ne parvinrent pas à le découvrir.

« Je me demande s’il fait déjà nuit, dit Mary au bout d’un moment.

— Je propose que nous couchions tout au fond de la Rotonde, dit


Jill. Le sable y est bien sec. Je pense que seules les grandes
marées montent jusque-là. »

Les deux sœurs s’allongèrent donc sur le sable. Elles s’endormirent


immédiatement et ne s’éveillèrent qu’au matin.

Alors, comme elles s’étaient risquées jusqu’à l’entrée de leur refuge


pour regarder à l’extérieur, elles eurent une belle émotion.
S’avançant gracieusement au-dessus des eaux calmes de la lagune,
un énorme hydravion bourdonnait comme une gigantesque abeille.

« Il vient nous chercher ! » murmura Mary, prise de panique.

Sans réfléchir davantage, les deux filles se hâtèrent de regagner la


Rotonde.

CHAPITRE XXV
Retour aux îles
SI JILL ET MARY, au lieu de s’affoler, avaient pris la peine de mieux
regarder l’hydravion, elles auraient vu qu’il s’agissait d’un appareil
non pas ennemi mais… britannique ! En fait, c’était celui-là même
qui était venu au secours de Tom et d’Andy. Le commandant, rentré
en toute hâte au quartier général, avait fait son rapport à ses
supérieurs. On avait développé sur-le-champ les rouleaux de
pellicule contenus dans l’appareil de Tom. Les clichés montraient
très distinctement l’hydravion allemand et la flottille de sous-marins.
Andy et Tom, soumis à un interrogatoire serré, firent un récit clair et
complet. Les personnalités militaires qui les écoutaient
s’émerveillèrent des aventures vécues par les quatre enfants.

« Vous avez découvert là un secret d’une rare importance, déclara


finalement un officier de haut grade. Nous sommes fiers de vous. A
présent, nous allons causer une belle surprise à l’ennemi : tous les
hydravions et les sous-marins qui ont coulé nos propres vaisseaux

seront anéantis. Nous étions loin de nous douter qu’il existait une
base secrète si près de nous. Pas étonnant que l’adversaire ait
exercé tant de ravages parmi notre flotte !

— S’il vous plaît, monsieur ! dit Tom d’un air inquiet. Et mes sœurs ?
Vous les délivrerez avant de bombarder la base, n’est-ce pas

— Bien entendu, mon jeune ami. Ce sera même notre prochain


objectif. Vous ne pensiez pas, j’espère, que nous aurions abandonné
à leur sort ces deux courageuses petites filles ? C’est même
l’hydravion commandé par votre père que nous chargerons de ce
sauvetage. Et ensuite seulement il y aura du sport dans ces îles ! »

Andy et Tom sourirent. Puis le jeune pêcheur se risqua :

« Est-ce que nous ne pourrions pas assister au spectacle, monsieur


? demanda-t-il hardiment.

— Non, certainement pas, répondit le gradé. Ce serait un peu


bruyant pour vos jeunes oreilles. »

Se tournant vers le père de Tom, il lui donna quelques ordres brefs.

« Venez ! dit alors le commandant aux deux garçons. Vous


m’accompagnerez aux îles. Grâce à votre connaissance des lieux
nous pourrons rapidement délivrer tes sœurs, Tom. Il faut les
éloigner de là-bas avant de déclencher l’attaque contre l’ennemi. Le
plus tôt sera le mieux. Je voudrais pouvoir les mettre à l’abri avant
que l’adversaire sache que nous connaissons son secret. »

Tom et Andy ne se tenaient pas de joie. Voler de nouveau dans ce


merveilleux appareil… et jusqu’aux îles ! Et sauver Jill et Mary au
nez et à la barbe de l’ennemi ! Quel plaisir rare !

Tous remontèrent donc à bord de l’hydravion. Quelques ordres


rapides et les moteurs tournèrent. L’hydravion glissa d’abord sur
l’eau puis s’éleva dans l’air aussi gracieusement qu’un goéland.
Après quoi il mit le cap sur les îles lointaines et piqua droit dessus.

Andy et Tom tremblaient d’excitation et de plaisir. Ils avaient vécu


bien des aventures, mais cette dernière péripétie, le sauvetage des
filles, s’annonçait comme la plus magnifique de toutes. Ils ne
pouvaient détacher leurs yeux de la mer, guettant l’apparition des
îles qu’ils connaissaient si bien.

« Dès que ces terres seront en vue, expliqua le père de Tom, nous
devrons agir avec la plus extrême prudence. Autant que faire se
peut, évitons de donner l’alarme à l’ennemi. Vous dites, Andy, qu’on
peut facilement se poser sur les eaux de la lagune, près de l’Ile
Numéro Deux. Eh bien, vous nous guiderez quand nous
approcherons et nous amerrirons là-bas. Ensuite, vous, Tom et deux
de mes hommes vous rendrez sur l’Ile Numéro Un et en ramènerez
mes filles. Notre hydravion s’éloignera aussitôt et je donnerai à nos
navires le signal de l’attaque.

— Nos adversaires vont avoir une drôle de surprise !

— La surprise qu’ils méritent ! répliqua le père de Tom d’une voix


sévère. Les autorités militaires ont dépêché trois destroyers et
plusieurs avions pour en finir avec les sous-marins et les hydravions
ennemis. Il est donc nécessaire que nous délivrions Jill et Mary le
plus rapidement possible.

— Oh, monsieur ! s’écria le bouillant Andy. Comme j’aimerais


participer à la bataille ! »
Le père de Tom sourit et posa sa main sur l’épaule du jeune
pêcheur.

« Vous êtes un bon garçon, Andy, dit-il affectueusement. Et je


n’oublie pas que vous avez aidé mes trois enfants au cours de leurs
stupéfiantes aventures. »

Andy rougit de plaisir. Il avait la plus grande admiration pour le


commandant. En regardant le père de Tom, il se demandait ce que
son propre père dirait au récit de leur odyssée. Dans le secret de
son cœur, Andy continuait à se tracasser au sujet du bateau de
pêche perdu.

Les deux garçons, cependant, ne cessaient de surveiller la mer au-


dessous d’eux. Dès qu’ils virent les îles se profiler au loin, ils
s’exclamèrent :

« Les voilà !

— Quelle est celle où se trouvent tes sœurs ? » demanda le


commandant à Tom.

Tom la désigna du doigt.

« La première, précisa-t-il. La suivante est bourrée de ravitaillement.


Et la troisième est celle où se cachent les sous-marins.
J’ignore tout des autres, que l’on aperçoit un peu plus loin. Nous ne
les avons pas explorées.

— Eh bien, nous, nous irons y voir ! affirma le commandant.

Regarde, Tom, nous sommes presque arrivés à ton Ile Numéro


Deux.

Et voici les eaux calmes de la lagune que vous m’avez signalées,


n’est-ce pas, jeunes gens ?

— Oui ! Oui ! » répondirent en chœur Tom et Andy en reconnaissant


l’étendue liquide entre la ligne des récifs et la plage où s’ouvraient
les grottes.

L’hydravion décrivit un cercle et descendit. D’abord, il rasa l’eau,


comme une hirondelle, puis s’immobilisa sur les flots.

« La marée est encore trop haute pour que nous puissions traverser
à gué de cette île à la première, constata Tom, déçu.

Impossible d’aller au secours des filles de cette façon !

— Nous prendrons un canot, dit son père. Ces cavernes sont-elles


celles où vous aviez cherché refuge, Tom ?
— Oui… La plus proche de nous sert d’antichambre à la Rotonde.

Aimerais-tu la visiter, papa ? Peut-être trouveras-tu des choses


importantes.

— Entendu ! Nous allons y jeter un coup d’œil au passage »,


concéda le commandant.

On mit donc à la mer un petit canot dans lequel prirent place Andy,
Tom, son père et deux hommes. Après avoir accosté, tous
pénétrèrent dans la caverne.

Jill et Mary achevaient de se cacher dans la cantine lorsqu’elles


entendirent un bruit de pas dans le passage conduisant de la grotte
extérieure à la Rotonde. Elles se blottirent l’une contre l’autre en
tremblant. Et si on allait les trouver ?

Tom précéda son père dans la caverne.

« Regarde, papa, dit-il. Tu vois toutes ces caisses et tous ces sacs ?

Ils sont bourrés de vivres de toute sorte. Je t’assure que ce garde-


manger a fait notre bonheur quand nous l’avons découvert. Nous ne
risquions plus de mourir de faim. Pour commencer, j’ai dressé la liste
de tous les articles que nous prenions, avec l’idée de dédommager
leur propriétaire quand nous le connaîtrions, mais ensuite, tu penses
bien que… »

Tom s’interrompit au beau milieu de sa phrase. Il venait d’entendre


un craquement bizarre, provenant d’une grosse cantine près de lui.
Surpris, il la regarda.

« Quel est ce bruit ? demanda son père qui avait également


entendu.

— Je ne sais pas, répondit Tom. Ecoute ! »

Au craquement venaient de succéder des coups sourds. C’était Jill


et Mary, bien entendu. En reconnaissant la voix de Tom, elles étaient
devenues à moitié folles de joie et avaient voulu sortir de leur
cachette. Mais elles avaient si bien ajusté le couvercle au-dessus de
leurs têtes que, dans leur précipitation, elles n’arrivaient pas à le
soulever. Aussi jugèrent-elles plus expéditif de le marteler de leurs
poings en appelant.

« Il y a quelqu’un dans ce coffre, murmura Tom d’une voix


tremblante. Mais qui ?

— Nous allons le savoir ! » décida son père.

Il fit signe aux deux hommes qui l’accompagnaient. Ceux-ci se


précipitèrent pour soulever le couvercle coincé, puis chacun se tint
prêt à affronter l’adversaire.

En fait d’adversaire, ce furent deux petites filles très émues et, il faut
le dire, pas très propres, qui surgirent de la cantine en criant de joie.

« Tom ! Andy ! C’est nous ! Nous nous cachions pour échapper à


l’ennemi… et vous voilà ! »

Elles n’avaient pas encore aperçu leur père. Celui-ci se pencha vers
elles, les prit dans ses bras et les embrassa. En le reconnaissant,
elles étaient d’abord restées sans voix. Puis leur allégresse folle se
déchaîna.

« Papa ! Papa ! Toi aussi tu es là ! Comment cela se fait-il ? Tom !

Andy ! Vous êtes venus à notre secours juste à temps ! Oh ! Quelle


bonne idée nous avons eue de nous réfugier ici !

— Mais pourquoi n’êtes-vous pas restées sur notre île ? »

demandèrent les garçons.

Rapidement, Jill et Mary racontèrent leur histoire. Quand leur père


sut que l’ennemi était au courant du départ des garçons à bord d’un
radeau, il entraîna vivement tout le monde dehors.
« Retournons vite à bord ! ordonna-t-il. Si l’ennemi nous surprend en
ce moment, cela fera du vilain. Car s’ils pensent que les garçons ont
pu divulguer leur secret, ils vont prendre leurs précautions. Par
chance, ils ne nous attendaient pas si tôt. Allons, venez. »

Les hommes ramèrent vigoureusement jusqu’à l’hydravion.

Chacun devinait que, si l’adversaire les apercevait à cet instant


précis, ce serait une catastrophe. Fort heureusement, on rallia
l’appareil sans encombre. Jill et Mary furent enchantées de monter à
bord, et encore plus enchantées quand le grand oiseau s’éleva dans
les airs, laissant la mer au-dessous de lui.

Jill regarda les îles s’amenuiser au fur et à mesure que l’appareil


s’éloignait d’elles.

« Adieu, petites îles, murmura-t-elle. Nous avons vécu des


aventures inoubliables sur votre sol… n’empêche que je suis bien
contente de vous quitter ! »

Les garçons, eux aussi, regardaient au-dessous d’eux tandis que


l’hydravion poursuivait rapidement sa route. Soudain, Tom poussa
un cri :

« Regardez ! Des navires de guerre ! Ils foncent à toute vitesse en


direction des îles. Et voici les bombardiers qui vont apporter leur
soutien aux destroyers ! »

Une escadrille croisa l’hydravion. Les enfants étaient follement


émus. Quel dommage de ne pouvoir assister à la bataille ! Au bout

d’un moment, le père de Tom annonça :

« Nous n’allons pas tarder à arriver, mes enfants. C’est votre mère
qui va être heureuse ! Et ton père également, Andy. Tous deux vous
attendent avec impatience. »
Une fois de plus, un sentiment de culpabilité doucha le bonheur du
pauvre Andy. Qu’allait dire son père en apprenant la perte de son
bateau de pêche ?

CHAPITRE XXVI
La fin de l’aventure

L’HYDRAVION continua son vol. Enfin, il arriva en vue de la côte.


Andy aperçut les toits des maisons du petit village de pêcheurs où il
habitait et où ses amis séjournaient depuis le début de la guerre.

L’appareil se posa doucement sur l’eau et resta là, ses grandes ailes
miroitant au soleil.

En un clin d’œil, la petite plage fut envahie par une foule bruyante et
enthousiaste : pêcheurs avec leurs femmes, enfants, étrangers de
passage. Tous criaient et poussaient des acclamations.

Tous avaient appris la nouvelle : on avait retrouvé les quatre enfants


disparus !
Un canot se détacha du rivage pour aller chercher les naufragés à
bord de l’hydravion qui les ramenait. Le père d’Andy tenait la barre.

Le jeune garçon gesticula dans sa direction en criant :

« Papa ! Nous voici de retour ! »

L’homme barbu sourit et agita la main de son côté. Il s’était


affreusement tourmenté au sujet de son fils et des enfants, mais
était à présent pleinement rassuré. Les quatre jeunes coureurs
d’aventures étaient saufs !

Quand il accosta l’hydravion, les enfants se précipitèrent à son bord.


Tous parlaient à la fois. Le père d’Andy serra son fils contre lui.

Ses yeux, aussi bleus que ceux du garçon, exprimaient son profond
bonheur. Ni le pêcheur ni son fils ne se montrèrent très bavards mais
les regards qu’ils échangeaient étaient éloquents. Le père de Tom
monta lui aussi dans le canot : il avait deux jours de permission et se
réjouissait à l’idée de les passer auprès de sa femme et de ses
enfants.

En les voyant approcher de la plage, la foule poussa des vivats et


des cris de bienvenue. Le petit bateau toucha terre et fut aussitôt tiré
au sec par des mains enthousiastes. Chacun était désireux de
saluer les arrivants et d’exprimer la joie ressentie à les voir sauvés.
Et puis, tout d’un coup, Tom, Jill et Mary aperçurent leur mère. Ils se
précipitèrent vers elle, lui sautèrent au cou et l’embrassèrent de
toutes leurs forces, criant et pleurant à la fois.

« Et moi ! Ai-je le droit de m’approcher ? dit leur père en riant. Il me


semble que c’est mon tour ! »

Tous les cinq, l’air heureux, remontèrent la plage et s’éloignèrent


ensemble. Andy partit avec son père. Il était orphelin de mère et
toute sa tendresse se reportait sur le brave marin-pêcheur.
Dès qu’ils furent rentrés à la maison, la mère des jeunes rescapés
leur fit ôter leurs vêtements sales et prendre un bain prolongé.

« J’ai eu du mal à vous reconnaître sous votre couche de crasse,


déclara-t-elle. Passez vite des vêtements propres, par pitié ! »

Tom, Jill et Mary furent bientôt d’une propreté rigoureuse et vêtus de


frais. Ainsi transformés, ils essayèrent de relater pour leur mère le
détail des aventures qu’ils venaient de vivre.

« Andy a été extraordinaire, déclara Tom. Sans lui, nous ne nous en


serions jamais sortis. Jill et Mary se sont montrées très braves aussi.
Je suis fier de les avoir pour sœurs.

— Et notre vieux Tom a été lui aussi bien dans son genre, affirma
Jill, taquine, sauf quand il a oublié son précieux appareil photo

derrière lui et nous a tous flanqués dans le pétrin en allant le


reprendre. A part ça, il a été très courageux. »

La mère des enfants les embrassa avec tendresse.

« Eh bien, je suis fière de vous tous, assura-t-elle. Mais si vous


saviez quel a été mon désespoir en ne vous voyant pas revenir ! J’ai
envoyé un message à votre père. Il est arrivé avec son hydravion et
vous a cherchés pendant des jours et des jours. Il se refusait à
abandonner ses recherches… et vous voyez qu’il a bien fait puisqu’il
vous a retrouvés juste au bon moment. Tu sais, Tom, jamais Andy et
toi n’auriez pu rejoindre la côte à bord de votre minuscule radeau !…

Elle fut interrompue par un bruit sourd venant de très loin. Tom
regarda son père et demanda :

« C’est le bruit des canons, n’est-ce-pas ?

— Oui, il annonce la fin de ces horribles sous-marins qui torpillaient


nos vaisseaux, répondit le commandant d’une voix grave.
Une fois leur base secrète anéantie, les attaques ennemies ne
seront plus à redouter. Quant aux hydravions nos bombardiers les
détruiront aussi. Et ceux qui réussiront à s’envoler seront poursuivis
par nos chasseurs. Peu réussiront à s’échapper, je pense. »

Les enfants, silencieux, écoutèrent le grondement des canons qui


continuait à se faire entendre au loin. Il ne leur était pas difficile
d’imaginer les îles ébranlées par de formidables explosions. Quel
vacarme assourdissant !

Au même instant, Andy arriva en courant.

« Entendez-vous ? s’écria-t-il, hors d’haleine. Entendez-vous les


canons ? J’ai idée que les nôtres sont en train de chatouiller
sérieusement l’ennemi. »

Tom se rappelait à quel point Andy avait paru tracassé par la perte
de son bateau et les reproches éventuels de son père, aussi
demanda-t-il vivement :

« Dis-moi, Andy, ton père est-il fâché contre toi ? S’est-il mis en
colère ?

— Il n’a pas soufflé mot du bateau, répondit Andy. Pas-un-mot.

J’en étais moi-même estomaqué. C’est très chic de sa part, n’est-ce


pas ? Désormais, nous irons pêcher avec mon oncle puisque nous

n’avons plus de barque de pêche. Plus tard, si nous réussissons à


économiser assez, nous en achèterons une autre. »

D’une façon très inattendue et quelque peu mystérieuse, le père de


Tom déclara alors :

« A votre place, je ne me ferais pas tant de souci à ce sujet. J’ai idée


que, demain, vous aurez une bonne surprise !

— Une surprise ! répétèrent Tom et ses sœurs, tandis qu’Andy


regardait le commandant en ouvrant de grands yeux. Une surprise !
Qu’est-ce que c’est ?

— Attendez et vous verrez ! » répondit leur père.

Tous furent donc bien obligés d’attendre. Et le lendemain, comme


promis, la surprise arriva.

Andy fut le premier à la voir. Il se trouvait sur la plage, occupé à


raccommoder des filets avec l’aide de ses trois amis. A un certain
moment, tout à fait par hasard, le jeune garçon leva les yeux… juste
pour voir un bateau de pêche tourner le coin de la falaise et se
diriger vers eux.

« Regardez ! s’écria Andy. Je me demande à qui appartient cette


barque. C’est la première fois que je la vois. Ma parole, ce qu’elle
est chouette ! Et gréée avec une voile rouge ! »

Les quatre enfants se mirent debout pour mieux admirer le coquet


bateau de pêche qui approchait. Il était vraiment très beau, avec sa
coque fraîchement peinte et sa voile rouge gonflée par le vent.

Il accosta enfin. Un homme sauta à terre. Apercevant les enfants, il


les héla :

« Hé ! Pouvez-vous me donner un coup de main ? »

Les quatre amis se précipitèrent.

« Et maintenant, dit l’homme, il faut que je trouve le propriétaire de


ce bateau. C’est un garçon de quatorze ans : son prénom a servi à
baptiser cette barque ! »

Les enfants regardèrent le nom du bateau et virent en effet un


prénom se détacher en grandes lettres : ANDY.

« Andy ! Ce bateau s’appelle Andy ! s’écria Jill d’une voix aiguë.

Oh, Andy ! Cela signifie-t-il qu’il t’appartient ? »


Andy, paralysé par l’étonnement et la joie, regardait l’homme sans
répondre. Il lui fallut faire un sérieux effort pour murmurer

enfin :

« Ce… ce ne peut pas être pour moi, n’est-ce pas ?

— Ma foi, si vous vous appelez Andy et si vous avez quatorze ans,


j’ai idée que ce bateau vous appartient, déclara l’homme. J’ai
compris qu’il s’agissait d’une petite récompense de la part du
gouvernement en raison des services que vous lui avez rendus.
N’est-ce pas vous qui avez découvert le secret des îles ? Et l’ennemi
ne s’est-il pas emparé de votre propre bateau ?

— Ça, alors ! » exhala Andy.

Il lui fut impossible d’en dire davantage. Debout sur le sable, il ne


pouvait détacher ses yeux du splendide bateau. Sa seule vue le
remplissait de joie et d’orgueil. C’était, et de loin, le plus beau du
village. Jamais Andy n’aurait pu gagner suffisamment d’argent pour
acheter un bateau pareil.

Tom, Jill et Mary étaient presque aussi heureux qu’Andy. Voilà qu’il
avait un bateau cent fois plus beau que l’ancien… et tout neuf,
encore ! Aussi tous laissèrent éclater leur joie et se mirent à danser
autour d’Andy en criant et en lui administrant de telles tapes sur le
dos que le jeune pêcheur trébucha et tomba le nez dans le sable.

« Vous avez autant de droits que moi sur ce bateau, dit-il. Il nous
appartient à tous les quatre.

— Bah ! dit Tom. Il va bientôt falloir que nous retournions à l’école.


Mais nous reviendrons toujours passer nos vacances ici.

Alors, Andy, nous profiterons du bateau avec toi. En attendant, nous


allons l’étrenner, n’est-ce pas ? Et le plus tôt possible ? »
Mais, déjà, de nombreux badauds se pressaient sur la plage pour
mieux pouvoir admirer le joli bateau de pêche. Le père et l’oncle
d’Andy arrivèrent à leur tour en courant… et quand ils apprirent que
la petite merveille était une récompense destinée à leur fils et neveu,
ils eurent peine à en croire leurs oreilles.

« Le gouvernement l’a baptisé Andy, annonça fièrement Tom.

N’est-ce pas que c’est un beau bateau ? Et Andy l’a vraiment mérité
par son courage et son esprit d’initiative. Il a rendu un fier service au
pays. Mais nous profiterons nous aussi de l’aubaine lorsque nous
reviendrons ici en vacances ! »

Le père d’Andy monta à bord pour tout examiner. Ses yeux bleus
brillaient de joie.

« Ah ! Andy, mon garçon, dit-il, voilà un beau bateau ! Nous sortirons


ce soir avec la marée et nous pécherons un brin ensemble.

Puis il te faudra écrire à Sa Majesté et au gouvernement pour les


remercier de leur splendide cadeau. On s’est montré très généreux
envers toi, pour sûr ! »

Andy ne savait pas très bien manier la plume. Ce fut donc Tom qui
écrivit et posta la lettre à sa place.

Dans la soirée, Andy, son père et les trois enfants prirent place à
bord du bateau neuf et sortirent en mer.

La voile rouge se découpait contre le ciel encore bleu. Une jolie


petite brise la gonfla. Comme un oiseau de mer posé sur les flots, le
petit bateau se laissait bercer par eux. Puis il bondit en avant avec la
marée. C’était la première promenade de l’ Andy !

Le père de Tom, qui était descendu sur la plage pour les voir partir,
cria aux enfants :

« Ne vous lancez pas dans une nouvelle aventure, surtout !

Contentez-vous de pêcher… et tâchez de me rapporter quelque


chose pour le repas de demain ! Cette fois, je ne veux ni sous-
marins ni hydravions ! »

Les passagers de l’ Andy se mirent à rire. La voile claqua dans le


vent. Le bateau de pêche prit de la vitesse et s’élança vers le large.

« C’est vraiment un bon bateau, aussi vaillant que digne de


confiance, déclara le père d’Andy.

— Le bateau ressemble à son propriétaire ! s’écria Tom. Ils ont les


mêmes qualités. Bonne chance à l’ Andy, si solide et courageux ! Et
bonne chance à toi aussi, Andy ! »

Document Outline
CHAPITRE PREMIER Le début de l’aventure
CHAPITRE II Perdus dans la tempête
CHAPITRE III Naufragés !
CHAPITRE IV L’île inconnue
CHAPITRE V Les naufragés s’organisent
CHAPITRE VI Un abri providentiel
CHAPITRE VII Etrange découverte !
CHAPITRE VIII De plus en plus étrange !
CHAPITRE IX De mystérieux visiteurs
CHAPITRE X La troisième île
CHAPITRE XI Le secret des îles
CHAPITRE XII Une tentative hardie
CHAPITRE XIII Tom disparaît
CHAPITRE XIV Prisonnier !
CHAPITRE XV Une terrible épreuve
CHAPITRE XVI Andy au secours de Tom
CHAPITRE XVII L’évasion
CHAPITRE XVII Renflouement
CHAPITRE XIX Catastrophe !
CHAPITRE XX Andy tire des plans
CHAPITRE XXI Le radeau
CHAPITRE XXII Le départ
CHAPITRE XXIII Merveilleuse surprise !
CHAPITRE XXIV Des ennuis pour Jill et Mary
CHAPITRE XXV Retour aux îles
CHAPITRE XXVI La fin de l’aventure

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