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Encore une fois: Hénade ou Monade?

Au sujet de deux notions-clés de la terminologie technique d’Évagre le Pontique


di
Gabriel Bunge

Il y a vingt ans, nous avions démontré dans une étude, consacrée à deux notions-clés de la
terminologie technique d’Évagre1, que le mot átoidixi, qu’on rencontre assez souvent dans la
version S2 de ses Képhalaia Gnostika, rend ici toujours le terme grec ἡ μονάς, tandis que le mot
átoidx correspond, mais seulement là où il apparaît dans le binôme átoidixio átoidx, à ἡ
ἑνάς. De plus, ici, le traducteur S2, dont la fidélité au texte original des Képhalaia Gnostica est
bien documentée2, fait preuve de beaucoup de sensibilité linguistique puisque, étymologiquement,
les équivalents sont ceux qui correspondent indubitablement le mieux aux deux notions grecques
susdites.
Antoine Guillaumont, dont l’autorité n’a pas d’égale en matière d’études évagriennes, avait
d’abord refusé de recevoir ces équivalences3, mais plus tard il en avait accepté le principe, pour le
relativiser cependant immédiatement. Tout en acceptant les équivalences átoidx = ἑνάς et
átoidixi = μονάς que nous avions proposées, Guillaumont objecte, en effet, que celles-ci «ne se
vérifient guère sur la Lettre sur la foi, le seul texte bilingue dont nous disposons!»4.
Compte tenu de son importance, aussi bien pour l’interprétation de la pensée authentique
d’Évagre elle-même, que pour la question de l’influence qu’elle a exercée sur la formation de
l’origénisme palestinien du VIe siècle, il ne sera pas inutile d’exposer à nouveau le contentieux à la
lumière du matériel actuellement disponible. Il convient de commencer par l’état de la question et
sa mise à jour.

I. QUESTIONS LINGUISTIQUES
Il est nécessaire de distinguer d’emblée l’aspect purement linguistique, autrement dit la question
de l’équivalence entre termes grecs et syriaques, du problème plus vaste de la signification des
notions ἑνάς et μονάς, d’abord dans la pensée d’Évagre lui-même, ensuite dans celle de ses
épigones, proches et lointains, aussi bien grecs que syriens.
Quand on aborde la question linguistique, il faut ensuite se garder de mettre toutes sur le même
pied les différentes traductions des écrits d’Évagre. Ce qui vaut par exemple pour le traducteur
syriaque de la Lettre sur la foi, ne vaut pas nécessairement aussi pour le traducteur S2 des
Képhalaia Gnostica, bien que ce soit le même manuscrit Add. 17 167 qui nous ait conservé l’une et
l’autre version. Les deux traductions, manifestement, ne sont pas l’œuvre du même traducteur,
comme nous le verrons sous peu. S2 se distingue en effet par une évidente fidélité envers l’original
grec, dont le caractère «origéniste» ne semble pas lui avoir inspiré de craintes. Le traducteur de la
Lettre sur la foi en revanche, manifestement peu familier des arcanes de la christologie évagrienne,
préfère supprimer un passage christologique important qui a dû lui paraître douteux5.
N’ayant pas des idées très précises sur la terminologie technique évagrienne, il se montre aussi
moins systématique dans la traduction des termes ἑνάς et μονάς. C’est du moins l’impression

1
G. BUNGE (1989), 2.
2
Cf. GUILLAUMONT (1952).
3
Lettre à l’auteur du 23 septembre 1989.
4
GUILLAUMONT (2004), 341, note 1.
5
Ep.fid. 4,14-15.

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qu’on retient d’une comparaison entre texte grec et version syriaque. Puisque celle-ci n’est
cependant attestée que par un seul manuscrit, l’apparente incohérence peut aussi être le fait d’un
copiste peu diligent, comme nous allons le voir.
Dans la suite nous nous limiterons d’abord à la seule traduction S2 des Képhalaia Gnostica,
l’œuvre où les deux notions en question sont de loin le plus fréquemment évoquées. Les
conclusions de nos recherches, répétons-le, ne peuvent être généralisées. Il serait donc abusif de
les appliquer telles quelles aux traductions syriaques d’autres écrits évagriens et encore plus déplacé
d’en tirer des conclusions précipitées au sujet d’écrits post-évagriens. Bref, la traduction S2 des
Képhalaia Gnostica et l’unique manuscrit qui nous l’a conversée, représentent à tout point de vue
un cas à part.

Le binôme ἡ ἑνας καὶ μονάς


Dans la version S2 des Képhalaia Gnostica, on rencontre trois occurrences du binôme
átoidixio átoidx: KG II, 3; III, 1; IV, 21. Il est à noter d’emblée que les mots, ici, se
présentent toujours dans le même ordre. L’original grec d’aucune de ces trois sentences n’a encore
été retrouvé. Pour connaître l’équivalence entre termes syriaques et grecs, nous devons nous
tourner vers la Lettre sur la foi. Ce texte est, en effet, le seul texte évagrien dans lequel on
rencontre également trois fois un binôme qui ne peut être que celui des Képhalaia Gnostica,
comme nous allons le voir. Son emploi se limite donc à ces deux œuvres. Les compilateurs des
Chapitres des disciples d’Évagre et d’extraits plus courts du grand recueil qui en est la source, ne
l’ont pas repris non plus.
Par deux fois l’ordre des mots de ce binôme dans la Lettre sur la foi est: ἡ ἑνας καὶ μονάς6, mais
lors de sa première occurrence, Évagre intervertit les deux termes7, sans doute sous l’influence
d’un passage des Principes d’Origène, auquel il fait ici implicitement allusion. Car à cet endroit,
d’ailleurs apparemment l’unique dans l’œuvre d’Origène où ils apparaissent ensemble, les deux
mots se suivent dans cet ordre8. Il est cependant à noter que ce n’est qu’Évagre qui les a réuni dans
le binôme ἡ ἑνὰς καὶ μονάς qu’il répète ensuite de façon stéréotypée. C’est seulement lors de sa
première occurrence qu’Évagre en explique aussi la signification, sans doute parce qu’il est encore
inconnu des lecteurs. Dans la suite il s’en sert toujours comme d’un mot codé que les lecteurs des
Képhalaia Gnostica sont donc censés connaître.
Les trois occurrences du binôme dans de la Lettre sur la foi sont un bel exemple des difficultés
que nous allons rencontrer quand nous analyserons les traductions syriaques de textes, évagriens
ou post-évagriens, dont l’auteur ne fut pas l’anonyme S2. Deux fois le traducteur syriaque de la
Lettre rend le binôme ἑνὰς καὶ μονάς par9: átvydyxyv átvydx mais il fait aussi de même
lors de la première occurrence où l’ordre des mots était inversé10, comme nous l’avons dit. Il n’est
guère probable qu’il y ait lu un autre texte puisque Évagre fait ici allusion à Origène, comme
nous l’avons vu. Cette incohérence est donc due, soit au fait que le traducteur était conscient

6
Ep.fid. 7,6.31.
7
Ep.fid. 2,37.
8
Cf. Prin I,1,6,150-154: putandus est deus […] intellectualis natura simplex, nihil omnino in se adiunctionis
admittens […] ut sit ex omni parte μονάς, et ut ita dicam ἑνάς, et mens ac fons, ex quo initium totius
intellectualis naturae uel mentis est.
9
Ep.fid. 7,6.31.
10
Ibid. 2,37.

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GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?

qu’il s’agit ici de deux synonymes, soit à la négligence d’un copiste également conscient de la
synonymie des deux termes en syriaque.
Nous en concluons que le traducteur S2 des Képhalaia Gnostica, soucieux de rendre les termes
grecs par des mots syriaques étymologiquement équivalents, a rendu le binôme ἑνὰς καὶ μονάς par
átvydyxyv átvydx . Nous en trouvons une confirmation dans un précieux témoignage de
Maxime le Confesseur, lecteur attentif des Képhalaia Gnostica. Il en mentionne quelques extraits
et se réfère aussi une fois explicitement à KG II,3 sans toutefois citer la sentence, bien qu’il semble
le faire (φησὶ τοῦτο). Ce qui suit est, en effet, sa propre exégèse d’un passage de Denys
l’Aréopagite dans lequel il trahit d’ailleurs sa connaissance de la Lettre sur la foi d’Évagre.
Ce qui rend cette référence à KG II,3 si intéressante pour nous, c’est le fait que Maxime, par les
paroles ὅτι δέ ἐστιν ἑνὰς καὶ μονὰς καὶ Εὐάγριος ὁ ἀνόσιος φησὶ τοῦτο, atteste non seulement
l’existence du binôme, mais aussi les équivalences que nous avions proposées entre mots syriaques
et grecs. L’ordre des mots chez Maxime est en effet le même11 que celui que nous connaissons par
les deux autres occurrences de la Lettre sur la foi12 et que nous avions présupposé aussi dans les
trois occurrences des Képhalaia Gnostica.
Or pour pouvoir faire l’affirmation susdite, Maxime est obligé de renverser par deux fois l’ordre
des mots qu’il avait trouvé chez Denys, manifestement sous l’influence de celui de KG II,3! Chez
l’Aréopagite l’ordre des mots est, en effet, Monas et Hénas, aussi bien dans le passage commenté
par Maxime13, que dans les Noms divins14. Maxime «cite» d’ailleurs KG II, 3 manifestement de
mémoire, car Évagre n’y dit nullement ce que le Confesseur lui attribue; nous en reparlerons plus
loin. Aussi est-ce dans l’ordre des mots du passage de Denys, qu’il a évidemment sous les yeux, que
Maxime commente ensuite les deux notions.
La conclusion s’impose donc que Maxime a dû lire dans KG II,3 l’expression ἡ γνῶσις τ ῆς
ἑνάδος καὶ μονάδος. Puisqu’il s’agit, dans le cas du binôme, d’une expression stéréotypée, et
compte tenu de la fidélité et de la constance du traducteur S2, nous sommes donc en droit de
supposer la même équivalence entre mots syriaques et grecs pour KG III,1 et IV,21, où l’ordre des
mots en syriaque est, en effet, le même que dans KG II,3.

Le terme ἡ μονάς seul


Tandis que le binôme átvydyxyv átvydx est très rare chez Évagre, où son emploi est de plus
limité à la Lettre sur la foi et aux Képhalaia Gnostica, le terme átoidixi seul est en revanche très
fréquent dans ces derniers: KG I,49.65.71.77; II,5.11; III,1.2.3.11,13.22.28.32.61.72;
IV,8.18.21.27.43.51.89; V,84. Et, par deux fois, ce terme apparaît même dans la même sentence à
côté du binôme: KG III,1; IV,21.
L’emploi du mot μονάς est cependant également limité à certains écrits. Il est déjà présent dans
la Lettre sur la foi où il est attesté deux fois15. On rencontre ensuite une seule occurrence dans les
Scholies aux Psaumes, mais le mot est absent des Scholies à l’Ecclésiaste et de celles aux Proverbes,
de même que dans les trois écrits étroitement liés entre eux: les traités Sur la Prière, Sur les Pensées
et les Réflexions. Nulle trace aussi dans les petits recueils de sentences. Les compilateurs des

11
Cf. PG 4,76 D / 77 A.
12
Ep.fid. 7,6.31.
13
Cf. Denys l’Aréopagite, La Hiérarchie céleste VII,4, ed. G. HEIL, R. ROQUES, M. DE GANDILLAC, SC 58
bis, Paris 2006, 119.
14
Cf. Denys, De Divinis Nominibus I,4 (PG 3,589 D s).
15
Ep.fid. 7,55; 10,19.

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Chapitres des disciples d’Évagre l’ont cependant repris, l’utilisant dans le sens qu’on lui connaît dès
la Lettre sur la foi, comme nous allons le voir.
Le mot átoidixi employé seul équivaut-il ici également à μονάς, comme dans le binôme
susdit? Le témoignage de la traduction syriaque de la Lettre sur la foi, où le mot est d’ailleurs
utilisé dans le même sens que nous allons retrouver dans les Képhalaia Gnostica, est à première
vue de nouveau déconcertant. La première fois le mot μονάς y est, en effet, rendu par átoidixi,
la deuxième fois par átoidx ! Cette apparente incohérence est-elle à mettre sur le compte du
traducteur, ou sur celui du copiste de l’unique manuscrit connu? Il est difficile de le dire.
Au moment où nous écrivions notre étude, aucun fragment grec des 24 sentences susmentionnées
des Képhalaia Gnostica n’était encore connu. Il nous fallait donc recourir à une démonstration
par recoupement. Il serait possible de démontrer de cette manière l’équivalence que nous avions
proposée pour la quasi-totalité des 24 sentences, mais force nous est de nous limiter ici à
l’essentiel.
Il est bien connu qu’Évagre a l’habitude de reformuler la même pensée, parfois même plusieurs
fois, sous une forme largement, mais jamais absolument identique16. Or il existe de la sentence
KG IV, 21 une rédaction alternative dans la scholie 7 in Ps 44,7-8. À la tournure ἡ γνῶσις τ ῆς
μονάδος correspond dans la sentence átoidixid átedi , ce qui suggère pour le mot
átoidixi seul l’équivalent μονάς. Puisqu’il s’agit de nouveau d’une expression stéréotypée, on est
en droit de supposer la même équivalence aussi dans les autres sentences où cette expression
apparaît: KG I,77; II,5; III,72; IV,18.43 (cf. II,11; III,3).
Notre conclusion se voyait en outre confirmée par l’anathématisme 9 de 55317 qui puise dans KG
I,77 et/ou IV,18 dont il reproduit l’expression ἡ γνῶσις τῆς μονάδος. On pouvait donc être sûr
que, dans toutes les sentences dont il vient d’être question, Évagre parlait de la γνῶσις τῆς
μονάδος.
Depuis la publication de notre étude, l’original grec de la sentence KG V,84 a été retrouvé18. Le
mot μονάς y est utilisé seul et S2 l’a rendu par átoidixi. Compte tenu de la fidélité notoire du
traducteur S2, des qualités de l’unique manuscrit qui nous a conservé son travail et du fait que le
mot est utilisé dans les sentences restantes dans le même sens (protologique et eschatologique),
connu par la Lettre sur la foi, on est en droit de conclure que le mot átoidixi y rend partout
μονάς. Le texte grec de KG V,84 n’était (apparemment) pas connu de A. Guillaumont, décédé
en 2000, et, en 2004, les éditeurs de son œuvre posthume Un philosophe au désert, qui, eux, le
connaissaient bien cependant, n’ont pas jugé opportun de modifier l’affirmation inexacte du
regretté érudit suivant laquelle la Lettre sur la foi serait «le seul texte bilingue dont nous
disposons»19.
Raisonnablement donc, sur l’aspect purement linguistique de l’équivalence des termes syriaques
et grecs, telle que nous l’avions proposée, il ne peut guère y avoir de doute. Cette affirmation ne

16
Cf. par exemple Ep. 43,3; 59,3; in Prov 5,14: Géhin 62; KG I,40; Pensées 31,15-20. Ou encore KG I,39 et
Pensées 31,10-15. Ce qui dans les Pensées apparaît comme unité est donc dans KG divisé artificiellement en
deux sentences.
17
Cf. DIEKAMP (1899), 94,6s.
18
FURRER-PILLIOD (2000), 155.
19
GUILLAUMONT (2004), 341, note 1.

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vaut cependant, répétons-le, que pour les seuls Képhalaia Gnostica dans la version S2 et pour
l’unique manuscrit connu du VIe - VIIe siècle de cette version20 qui nous l’a conservée.
Gnostique
Lorsque nous nous tournons maintenant vers les autres écrits d’Évagre et leurs différentes
traductions syriaques, force nous est, en effet, de constater que les traducteurs n’étaient pas tous
aussi bons linguistes que le traducteur S2 des Képhalaia Gnostica, et/ou que leurs copistes étaient
parfois beaucoup moins attentifs que celui du manuscrit de la version S2.
Au chapitre 18 du Gnostique on rencontre une occurrence du terme átoidx, isolée dans cette
œuvre qui faisait primitivement partie de la grande Trilogie constituée du Praktikos, du Gnostikos
et des Képhalaia Gnostica21. Elle montre bien que son traducteur (= S3)22 n’a guère pu être
identique au traducteur S2 des Képhalaia Gnostica. Au chapitre en question, Évagre passe en
revue les différents aspects sous lesquels un passage de l’Écriture peut être interprété. Dans ce
contexte il écrit, dans la traduction de l’éditeur A. Guillaumont:
Et si c’est un passage allégorique concernant la théologie, il faut autant qu’il est possible examiner s’il
informe sur la Trinité et si celle-ci est vue simplement ou si elle est vue dans l’Unité.
Le texte grec de ce chapitre ne nous est, hélas, pas parvenu. Dans son commentaire philologique
l’éditeur se contente de noter:
«Unité», syr. (S3) átoidx, cf. KG III,1 et IV,21, où ce mot est associé à átoidixi («Monade et
Unité»)23.
En fait, aussi bien dans KG III,1 et IV,21 que dans KG II,3 nous trouvons les deux termes du
binôme dans l’ordre suivant: átoidixio átoidx, que A. Guillaumont avait alors rendus par
«Monade et Unité». L’équivalence est donc ici: átoidx = Monade, átoidixi = Unité! Or
maintenant l’équivalence serait au contraire átoidx = Unité!
En absence de l’original grec, l’interprétation de ce texte, et par conséquent l’identification des
termes utilisés, n’est pas facile. Évagre envisage-t-il ici la contemplation de la sainte Trinité (la
 eologia) sous son double aspect: ad intra (simplement), c’est-à-dire sous l’aspect des rapports
entre les trois hypostases divines, et ad extra, autrement dit sous l’aspect de l’unité entre Dieu et
sa création intelligible? Or cet état existentiel est appelé déjà dans la Lettre sur la foi et puis dans
les Képhalaia Gnostica invariablement ἡ μονάς, comme nous allons le voir.
Dans ce cas il faudrait conclure que le traducteur S3 du Gnostique, peut-être sous l’impression de
la synonymie de principe24, du point de vue purement linguistique, des termes grecs et syriaques,
a rendu le terme ἡ μονάς, isolé dans l’ensemble du traité, par átoidx. Il n’y a pas lieu d’en
prendre ombrage, puisque le traducteur de Paraen. 34 avait agit de la même façon, comme nous
allons le voir.
Ou bien Évagre distinguerait-il ici, au sujet de la contemplation de la sainte Trinité, une
approche «simple», sans distinction, d’une approche «dans l’unité» qui tiendrait donc compte de
l’unité intrinsèque des trois divines hypostases? Dans ce cas átoidx rendrait peut-être ἕνωσις,

20
Cf. GUILLAUMONT (1958), 6. En fait le manuscrit est daté de l’année 449, ce qui semble cependant être
une erreur.
21
Cf. GUILLAUMONT, Traité pratique, 31 s.
22
L’éditeur n’a pas publié les différentes versions syriaques, nous devons donc nous contenter de ce qu’il en
dit dans ses notes. Le texte publié par Frankenberg est différent, le mot en question ne s’y trouve pas.
23
A. et C. GUILLAUMONT, Le Gnostique, 118.
24
Cf. les remarques de GUILLAUMONT (2004), 340.

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équivalent d’une parfaite adéquation linguistique, qu’on rencontre dans ce sens dans des textes
de provenance post-évagrienne, comme nous allons le voir.
Mais il n’est même pas exclu non plus qu’Évagre ait parlé de «l’union des hypostases» (συνάφεια
ὑποστάσεων), comme le feront ses lointains «disciples» au sujet des êtres créés25. Ici le traducteur
syriaque a, en effet, rendu συνάφεια par átoidx. Le mot συνάφεια, bien que très rare, est
néanmoins attesté dans le vocabulaire évagrien26.
Comme le montre ce même chapitre Disc. 198, où un autre manuscrit donne au lieu de átoidx
son synonyme átoidixi 27, le choix du mot syriaque peut cependant aussi être le fait d’un
copiste.

Lettre à Mélanie
Plus incertain encore est le cas de l’unique occurrence du terme átoidixi dans la Lettre à
Mélanie. Évagre cherche à expliquer au destinataire de la Lettre ce qui se passera quand l’intellect
sera «uni (dixtm) à la nature du Père»28. Pour faire comprendre cette «union (ˆohtoidxbd) des
êtres raisonnables avec Dieu le Père», il recourt à une image: «la mer sensible qui est une dans sa
nature, sa couleur et son goût». Lorsque les fleuves y retournent, ils sont entièrement transformés
dans les propriétés de cette mer sensible. Or ce qui vaut pour celle-ci, vaut infiniment plus pour
«la mer intelligible, infinie et immuable, qui signifie Dieu le Père». Quand les intellects y
retournent, ils sont entièrement transformés dans ses propriétés «et dorénavant ils ne sont plus
multiples, mais ils sont un dans/par son unicité (htoidixib) sans fin et sans distinction, à cause
de leur union (ˆohtoidx) et mélange avec» Dieu le Père29.
Dans les deux occurrences du mot átoidx, le mot grec sous-jacent est très probablement
ἕνωσις. Il s’agit donc du même équivalent syriaque que le traducteur du grand recueil, auquel
appartiennent aussi les Chapitres des disciples d’Évagre, choisira dans un contexte analogue dans
Paraen 3430.
Or tandis que le pronom personnel paraît ici indispensable, il serait tout à fait insolite si
átoidixi équivalait à μονάς = «Unicité». Dans les 24 occurrences des Képhalaia Gnostica le mot
átoidixi n’apparaît en effet jamais avec le pronom personnel, pas plus d’ailleurs que μονάς dans
la Lettre sur la foi ou dans l’unique occurrence dans les Scholies aux Psaumes.
Quel a donc bien pu être le terme grec sous-jacent? Peut-être était-ce encore le même mot ἕνωσις
que le traducteur syriaque aurait rendu, pour des raisons purement stylistiques et pour éviter la
répétition de átoidx, cette fois-ci par son synonyme átoidixi. Mais il est bien possible
aussi, comme nous allons le voir plus loin, que le passage d’un mot à l’autre soit à mettre plutôt
sur le compte d’un copiste31. À moins qu’Évagre n’ait utilisé ici le terme συνάφεια, que les

25
Disc. 198.
26
Cf. Pr 56, où il apparaît ensemble avec le verbe συνάπτω, bien attesté dans les écrits évagriens.
27
Texte syriaque chez MUYLDERMANS, Evagriana Syriaca IX.
28
Ep.Mel. 23 (fol 61 a).
29
Ep.Mel. 27 (fol 62 a).
30
ἕνωσις ἀμέριστος αὐτοῦ (i.e. τοῦ Θεοῦ) τε καὶ τῆς λογικῆς φύσεως αὐτοῦ. Cf. le texte de MUYLDERMANS
(1952), 130 avec l’original grec chez FURRER-PILLIOD (2000), 92
31
Le manuscrit reproduit par Frankenberg (British Library Add. 14 578) et celui que nous avions pris pour
base de notre traduction allemande (British Library Add. 17 192), donnent cependant le même texte.

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GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?

traducteurs/copistes ont rendu dans Disc. 198 tantôt par átoidx, tantôt par átoidixi, comme
nous l’avons vu.
Quoi qu’il en soit, il s’ensuit qu’Évagre, ici, ne parle pas de l’état d’Unicité (μονάς) entre Dieu et
sa création intelligible mais plutôt, dans la ligne de ce qu’il avait dit plus haut sur l’union des
intellects avec le Logos et l’Esprit et par eux avec le Père32, de la participation des intellects à
l’unité intrinsèque de la «Trinité unissant tout» (τριὰς ἑνοῦσα τ ὰ σύμπαντα)33, comme le diront
les «disciples d’Évagre». Or le facteur unifiant est en dernière instance précisément la personne du
Père, dans la mesure où il est d’abord, «par la nature de son être», la Cause du Fils et de l’Esprit,
mais ensuite, «par grâce», aussi la Cause des êtres raisonnables34. De la même manière est-il dit
que la «Trinité est connaissance essentielle»35, mais que le Père en est le «générateur»36.

Chapitres des disciples d’Évagre et textes apparentés


Les Chapitres des disciples d’Évagre, qui ont été «rassemblés en Palestine dans les premières années
du Ve siècle»37, ou plutôt, pensons-nous, deux ou trois générations après la mort du moine
pontique38, nous permettent de jeter un regard sur la postérité de la pensée d’Évagre et ainsi de ses
développements. Il est significatif que le terme-clé μονάς, utilisé comme un mot codé dont la
signification est supposée connue des lecteurs, y est évoqué deux fois39, tandis que manque le
binôme ἡ ἑνὰς καὶ μονάς. Le terme ἑνάς seul y est également inconnu40. Les compilateurs des
Chapitres s’avèrent donc sous cet aspect au moins être des vrais «disciples» d’Évagre, et non pas
les précurseurs des moines origénistes du VIe siècle, comme nous allons le voir.
Les Chapitres des disciples d’Évagre ont aussi été traduits en syriaque et cette traduction nous est
partiellement parvenue41. Tel est notamment le cas de Disc. 198. Son traducteur y a rendu le
terme μονάς par átoidixi, mais un autre manuscrit (D) donne átoidx ! Les deux manuscrits
datent respectivement du VIe et du VIe/VIIe siècles et sont donc presque contemporains.
Rappelons qu’au même chapitre 198 on rencontre aussi le terme συνάφεια («union des
hypostases»)42 des êtres raisonnables, terme que le traducteur a également rendu par átoidx,
tandis qu’un autre manuscrit (O) donne átoidixi ! Ces deux exemples prouvent à l’évidence
que, dans ces textes, il faut compter non seulement avec l’incohérence des traducteurs, mais aussi
avec l’insouciance des copistes.
On a également retrouvé des fragments de l’original grec d’un autre texte que la tradition
syriaque attribue à Évagre, la Paraenesis (= Evagriana Syriaca XI). Or ce petit recueil, acéphale
dans la version syriaque où il compte 41 chapitres, appartenait très probablement à ce même
grand recueil qui a dû être primitivement très étendu puisqu’il «pouvait atteindre, voire dépasser

32
Ep.Mel. 15 s.
33
Paraen. 34.
34
Ibid. 25 (fol. 61 b).
35
KG II,47; IV,77; V,55. 56; VI,10.
36
KG VI,28.
37
GÉHIN, Disciples, 37.
38
Cf. BUNGE, «Les Chapitres des disciples d’Évagre: Un précieux témoin de la postérité de la pensée d’Évagre
le Pontique» (en préparation).
39
Disc. 8,3 et 198,9.
40
Sur le cas de Evagriana Syriaca VIII,8 où A. Guillaumont croit l’avoir identifié, cf. infra.
41
Cf. GEHIN, Disciples, 22-27.
42
Il s’agit d’une réminiscence de KG II,17 où il est question de «l’identité (ταυτότης) des hypostases»,
sentence citée par l’anathématisme 14 de 553.

15
ADAMANTIUS 15 (2009)

les 400 chapitres»43. Les 198 Chapitres des disciples d’Évagre nous en ont conservé une partie
importante. Au chapitre 34 les auteurs évoquent aussi le terme-clé μονάς44 que le traducteur
syriaque a rendu par átoidx45; ici les manuscrits connus sont unanimes.
Les deux termes syriaques en question apparaissent enfin aussi dans Evagriana Syriaca VIII, un
petit recueil de sentences qui proviennent sans doute également du grand recueil susdit.
A. Guillaumont attribue une certaine importance au chapitre 8, mais puisque aucun fragment
grec de ce recueil n’a encore été retrouvé, nous nous en occuperons au paragraphe suivant, de
même que d’une phrase du petit traité Sur les Chérubins, également cité par l’auteur.

II. LES INTERPRÉTATIONS


La «Henas et Monas» et la «Monas sainte» d’Évagre le Pontique
L’emploi du binôme ἡ ἑνὰς καὶ μονάς est limité à la Lettre sur la foi et aux Képhalaia Gnostica,
comme nous l’avons vu. Il est (à notre connaissance) inconnu aussi des écrits post-évagriens. Les
Képhalaia Gnostica seuls ne permettraient guère d’en décrypter le sens, mais dans sa Lettre sur la
foi Évagre est très explicite. Comme le montrent les citations bibliques, attestant que Dieu est
«un» (εἷς) et «unique» (μόνος), le binôme ἡ ἑνὰς καὶ μονάς, qui en dérive, n’a chez Évagre
d’autre fonction que de conceptualiser une donnée fondamentale de la foi. Comme l’auteur le dit
explicitement, les deux termes abstraits qu’il avait trouvés, séparément et comme des
synonymes46, chez Origène et qu’il a lui-même réuni dans un binôme, «signifient l’essence simple
et incompréhensible» (τῆς ἁπλῆς καὶ ἀπεριλήπτου οὐσίας ἐστὶ σημαντική) de Dieu47.
Par conséquent, Évagre ne prétend pas donner une «définition» de la Divinité48 qu’il aurait donc
conçue en tout premier lieu comme «Unité»49, mais le binôme lui sert, toujours sur les traces
d’Origène50, à décrire le caractère absolument «simple», «non-composé»51, «incorporel et absolument
immatériel»52 de son «essence sainte et incréée»53, commune aux trois hypostases consubstantielles.
Quand Évagre affirme donc que le jour viendra où notre intellect contemplera, ce qui lui est
actuellement impossible54, τὴν ἑνάδα καὶ μονάδα τοῦ Λόγου55, il veut simplement dire qu’il
contemplera le Dieu Logos dans son aséité essentielle. En d’autres termes, il contemplera alors le

43
Cf. GEHIN, Disciples 39.
44
Cf. FURRER-PILLIOD (2000), 92 (β 34).
45
Cf MUYLDERMANS (1952), 130 s.
46
Évagre dit même explicitement que les mots «un» et «unique» sont synonymes, Ep.fid. 3,24s. Ce qui vaut
évidemment aussi pour les notions abstraites «Unité» et «Unicité» qui en dérivent. Cf. Guillaumont (2004),
340: «L’étroite association des deux termes synonymes a valeur de superlatif et d’intensif».
47
Ep.fid. 2,37s.
48
Évagre est très réticent à cet égard! Cf. Gn 41.
49
GUILLAUMONT (2004), 338 s.
50
Dans Prin I,1,6,150-154 les deux notions abstraites servent seulement à conceptualiser la simplicité de la
nature de Dieu et ne prétendent pas définir la Divinité elle-même. Le commentaire de Crouzel-Simonetti
(cf. leur note 22) doit donc être nuancé. Sur le terme ἑνάς chez Origène cf. Dial 4. Origène, qui donne ici
une exégèse de Jn 10,30 («moi et mon Père nous sommes un»), y recourt pour distinguer, en termes plus
modernes, l’unité de l’essence de la dualité des hypostases du Père et du Fils.
51
Ep.fid. 2,20.
52
Ep.fid. 12,21.
53
Ep.fid. 3,12.
54
Ep.fid. 7,2.
55
Ep.fid. 7,31.

16
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?
Fils, non plus en ce qu’il est et fait «par rapport à nous» (ὡς πρὸς ἡμᾶς), mais en ce qu’il est «par
rapport à lui-même» (ὡς πρὸς αὐτόν)56, dans «sa Divinité nue elle-même»57.
À cause de sa «simplicité» qui, pour Origène aussi, «ne souffre absolument aucun ajout»58, cette
Unité et Unicité de «l’essence sainte et incréée» de Dieu ne tombe pas sous la catégorie du
«nombre»59, pas plus d’ailleurs que la triade des hypostases. Il s’ensuit que la Trinité n’est pas une
Triade numérique, qui en fait n’est qu’un moment fortuit dans une progression arithmétique60. On
ne peut donc rien en enlever et surtout ne rien y ajouter61.
Mais précisément parce qu’il est ἓν τ ῇ φύσει – affirmation qui, dans l’Écriture, n’est pas faite
«par opposition au Fils ou à l’Esprit Saint»62 puisque «le Père est Dieu, le Fils est Dieu et l’Esprit
Saint est Dieu»63 – Dieu seul a aussi le pouvoir de surmonter la dualité sous toutes ses formes:
dualité entre corps et âme, âme et intellect, dualité entre natures raisonnables et entre celles-ci et
Dieu lui-même64.
C’est cet état existentiel d’Unicité non-numérique entre Dieu et sa création intelligible, état qui a
des implications protologiques et eschatologiques, qu’Évagre a conceptualisé par le terme μονάς
dont il se sert toujours comme d’un mot codé. Les «disciples d’Évagre» l’ont parfaitement
compris, comme nous allons le voir. Ce n’est pas le lieu ici de nous aventurer dans les méandres
de la doctrine d’Évagre sur la ἁγία μονάς puisque cela nous obligerait à entrer aussi dans une
discussion détaillée de sa christologie dont ce terme est en effet une partie intégrante. Quelques
indications doivent donc nous suffire.
Comme de la «Trinité sainte», Évagre parle plus d’une fois aussi de la «Monas sainte»65, mais il ne
dira jamais que la Monas est, comme la Trinité, «adorable»66 ou «bienheureuse»67. En revanche
on peut connaître l’une et l’autre, et Évagre parle donc volontiers de la «connaissance de la
Monas»68. Aussi dira-t-il qu’on peut «être dans la Monas»69, «arriver dans la Monas»70 ou «avoir en
soi-même la Monas»71, parce qu’on en est «susceptible»72, expressions qu’on peut rencontrer sous
une forme analogue au sujet de la Trinité, mais jamais Évagre ne dira qu’on peut tomber de la
Trinité comme il dit que la créature «tombe de la Monas»73. Il parle aussi de «la venue de la
Monas»74, mais jamais il ne parlera de la venue de la Trinité.

56
Ep.fid. 7,42.
57
Ep.fid. 7,36.
58
Prin I,1,6,151.
59
Ep.fid. 2. Cf. KG IV,19.
60
KG VI,10 - 12.
61
KG VI,13.
62
Ep.fid. 3,24-25.
63
Ep.fid. 2,14-15.
64
Cf. BUNGE (1989,2).
65
KG I,71; III,22.28.61.72; IV,18.89; V,84.
66
KG I,27. 74; IV,50.
67
KG VI,13
68
KG I,77; II,5, cf. 11; III,72; IV,18.21.43.
69
KG I,65; III,1; IV,51.
70
KG IV,8, cf. 89.
71
KG III,2, cf. 22.
72
KG III,32.
73
KG III,28. Cf. déjà Ep.fid. 10,19.
74
Ep.fid. 7,55.

17
ADAMANTIUS 15 (2009)

Jamais surtout Évagre ne parlera d’une «Monas de tous les logika», comme les origénistes du VIe
siècle parleront de la ἑνὰς πάντων τῶν λογικῶν, précisément parce que le terme μονάς désigne
toujours chez lui un état existentiel et non pas une entité. De cet état d’Unicité, Dieu lui-même est
aussi l’unique l’auteur, grâce au fait qu’il est «un par nature» (εἷς τῇ φύσει) et non pas seulement
«numériquement» (ἀριθμῷ). Lorsque «Dieu entre en chacun (ἐν ἑκάστῳ γινόμενος)75 et unit
(ἑνοῖ) tous», alors seulement «le nombre est aboli par la venue de l’Unicité» (τῇ τῆς μονάδος
ἐπιδημίᾳ)76.
Puisque «un» (εἷς) et «unique» (μόνος) sont selon Évagre des synonymes, ce qui vaut évidemment
aussi pour les termes du binôme ἑνὰς καὶ μονάς qui en dérive, et puisque les deux notions
«indiquent l’essence sainte et incréée de Dieu», on devine que cet état existentiel est conçu comme
une participation «par grâce» à ce que Dieu seul est «par nature».
Certes, «Dieu seul est Dieu selon l’essence»77, et cette «essence simple et incompréhensible»,
commune aux seules hypostases divines du Père, du Fils et de l’Esprit, est par définition
incommunicable78, ne fût-ce que par le fait qu’elle est «incréée»79 et donc sans commencement.
Car tout être qui n’est pas Dieu «par essence» est une créature, dont «l’entrée dans l’existence»
(οὐσίωσις) signifie son «adduction du non-être à l’être»80. Il est donc exclu qu’on puisse ajouter81
quelque chose à la Trinité sainte et consubstantielle82.
Il s’ensuit qu’aucun être créé ne peut être ou devenir «consubstantiel à la Trinité»83. Mais quand
Dieu «entre en chacun et unit tous», parce qu’il y demeure désormais «hypostatiquement»84, il
communique «par grâce»85 à sa créature intelligible qui, de par sa création «selon l’image» est en
effet «susceptible» de Lui, voire de la «nature du Créateur»86, et de sa connaissance87, tout ce qu’il
est lui-même «par nature». Il la «sanctifie»88 et la «divinise»89, et il lui communique aussi sa
«connaissance essentielle»90, ce que, précisément, il est seul à être91 «par nature».
Cette doctrine d’Évagre sur la μονάς, qui lui a valu d’être classé comme «moniste», est beaucoup
moins philosophique qu’elle n’en a l’air à première vue. Elle est en réalité le fruit d’une intense
méditation sur un des textes-clés de notre auteur: Jn 17,21, dont les données théologiques sont
conceptualisées par cette notion abstraite. Son caractère foncièrement ‘religieux’, et non pas
philosophique, transparaît d’ailleurs dans l’adjectif «sainte» qu’Évagre lui donne plus d’une fois,
comme nous l’avons vu. Le verset Jn 17, 21 est toujours cité sous une forme qu’on rencontre déjà

75
Aure terme technique évagrien important: ἐγγίνομαι. Il est très fréquent dans toute son œuvre.
76
Ep.fid. 7,54-56.
77
Ep.fid. 3,11.
78
Cf. Ep.Mel. 55 (fol 69a).
79
Ep.fid. 3,12.
80
Ep.fid. 2,41; 11,3 - 4 etc.
81
Cf. KG VI,10-13.
82
Évagre l’appelle au moins une fois ainsi, cf. Inst II,30 (Sinkewicz).
83
KG VI,14 (début). Par «Christ» il faut ici entendre «l’âme du Christ»!
84
KG I,3.
85
Ep.fid. 3,10.
86
KG III,24.
87
KG VI,73.
88
Ep.fid. 2,45 s.
89
KG IV,18.
90
KG III,12. 49; V,81; VI,34.
91
KG I,89; II,47; IV,77; V,55.56; VI,10; 5 in Ps 24,7; cf. 4 in Ps 138,7; 2 in Ps 144,3.

18
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?

chez Origène et Didyme, dont il s’inspire donc manifestement: «Donne-leur, qu’eux aussi soient
un en nous, comme moi et toi nous sommes un, Père»92.
L’insistance avec laquelle le mot εἷς revient dans ce chapitre 17, comme d’ailleurs dans tout
l’Évangile de saint Jean, aurait pu suggérer à Évagre le choix du terme abstrait ἑνάς pour
désigner l’état existentiel d’Unicité entre Dieu et sa création intelligible, mais pour des motifs qui
nous échappent (encore), il a préféré son synonyme μονάς. Peut-être était-ce encore sous
l’influence de quelque autre texte origénien.
Quand Origène, par exemple, oppose l’unique «Parole de Dieu, qui était dans le principe auprès
de Dieu» et «qui embrasse un grand nombre d’Idées dont chaque Idée est une partie de la Parole
dans sa totalité», aux nombreuses paroles et quand il déplore que, ici, «nulle part ne se trouve
l’unicité (ἡ μονάς), nulle part l’harmonie et l’unité (τὸ ἕν)»93, par le terme μονάς il désigne
manifestement un état. On perçoit aussi que seule la Parole de Dieu pourrait réunir toutes ces
paroles dans l’unité.

Chapitres des disciples d’Évagre et textes apparentés


Ces textes nous fournissent la preuve bienvenue que ceux qui, dans les premières générations
après la mort du maître, se réclamaient encore explicitement d’Évagre, ne connaissaient que le
terme μονάς pour désigner l’état protologique et eschatologique d’Unicité entre Dieu et sa
création intelligible. Ils témoignent cependant aussi d’une évolution de la pensée authentique
d’Évagre qui s’accentuera davantage au siècle suivant.
Les «disciples d’Évagre» font preuve d’une assez bonne compréhension du fond biblique de la
pensée de leur maître quand ils définissent le «Règne de Dieu», qui sera «l’accomplissement de sa
volonté par la prière [du Christ]94», comme «union indivisible de lui et de sa nature raisonnable»
et comme «Trinité unissant tout». Évagrienne est aussi la conclusion de ce chapitre: «La Monas
qui n’a pas de Dyas95, car Dieu doit être ‘tout [en tous]’96, béni dans les siècles. Amen».97
De même reconnaît-on sans trop de difficulté une réminiscence de KG I, 65 là où les «disciples»
parlent, pour définir l’état eschatologique, du «règne sans lutte et pacifique de la Monas sainte
elle-même» (ἁγίας μονάδος αὐτῆς ἀπολέμητος καὶ εἰρηνικὴ βασιλεία)98.
Les «disciples» sortent en revanche de l’horizon de la pensée authentique d’Évagre pour se
rapprocher davantage de la doctrine d’Origène, quand ils font au sujet de l’état protologique
d’Unicité entre Dieu et sa créature raisonnable l’affirmation suivante:
De même que pour celui qui souffre des yeux le collyre est conforme à la nature, plus que pour celui qui est
en bonne santé, de même pour l’âme, le corps est conforme à la nature99, mais (les âmes) qui sont dans la
santé de la Monas n’ont pas besoin de cette épaisseur matérielle100 .

92
Cf. BUNGE, (1989,2).
93
CIo V,5 (SC 120 bis, 385).
94
GEHIN, Disciples p. 259, en note, corrige εὐχῇ comme mélecture (avec le syriaque) en Χριστῷ. Nous
préférons combiner les deux, puisque le texte, lacuneux, fait manifestement allusion à Jn 17,21, texte-clé
d’Évagre, cf. BUNGE (1989,2).
95
Cf. KG II,19 (dualité), et Ep.fid. 7,55 et KG I,7.8.29(suppression du nombre).
96
Le texte semble être, une fois de plus, lacuneux. Les «disciples» font manifestement allusion à 1Co 15,28,
texte que Évagre évoque souvent dans ce contexte, cf. Ep.Mel. 22; in Eccl 1,11: GEHIN 3; 4,4: G. 25; in Prov
10,3: GEHIN 118; 9 in Ps 138,16.
97
Paraen. 34: FURRER-PILLIOD (2000), β 4.
98
Disc. 198.
99
Cf. KG I,47!

19
ADAMANTIUS 15 (2009)

Ce chapitre présuppose qu’il y a des âmes qui, parce qu’elles se trouvent en parfaite santé «dans
la Monas», n’auraient pas besoin, en principe, d’assumer un corps «épais» pour guérir de leur
«maladies - passions» (πάθη). Si elles s’incarnent néanmoins, c’est pour aider les âmes «déchues
de la Monas»101. On reconnaît ici la doctrine origénienne102, relevée par Didyme103, que les saints
ont accompagné librement le Seigneur dans son incarnation pour l’assister dans son œuvre
salvifique.
Sans entrer ici dans les méandres de la christologie évagrienne, constatons seulement que le
moine pontique est catégorique à ce sujet: «Le Christ est l’unique dans la Monas»104, car «un seul a
été laissé en celle-ci et, le même, en elle sera trouvé»105. Quand Évagre discute, à titre de «recherche»,
la question soulevée jadis par Origène, il se demande seulement dans quel «monde» (notre
monde, un autre monde, d’autres mondes?) et dans quel «état» (l’état psychique?) se sont trouvés
les «disciples qui ont vécu avec [le Christ] dans sa corporéité»106. L’idée qu’il y aurait d’autres
«âmes» que «l’unique âme du Christ» (μόνη ἡ ψυχὴ τοῦ Χριστοῦ)107 qui se trouveraient dans un
état de parfaite «santé» primordiale, mine à la base la christologie d’Évagre!
Nous avons ici une preuve tangible que les compilateurs des Chapitres n’ont pas été des disciples
personnels du moine pontique et que leur texte ne nous transmet donc pas non plus «le plus
directement l’enseignement oral d’Évagre»108. Il serait par conséquent imprudent de s’en servir pour
élucider des aspects obscurs de la pensée d’Évagre lui-même.
Disc. 8 est donc la première preuve que déjà deux ou trois générations après sa mort, Évagre n’a
plus été entièrement compris; il y en a d’autres. Au VIe siècle sa christologie, dont fait partie
intégrante sa doctrine de la «Monas sainte», sera même comprise dans un sens diamétralement
opposé aux intentions de son auteur. L’ironie de l’histoire a voulu que ce soit cette interprétation
abusive qui s’est finalement imposée.
Disc. 8 prouve cependant aussi que les «disciples d’Évagre» n’ont guère pu transmettre à leurs
lointains successeurs au VIe siècle l’idée d’un «unique intellect de toute la Hénade des logika» qui
serait resté dans son état primordial109. Pas plus que l’idée que celui-ci se substitue dans la suite
systématiquement au Dieu Logos au niveau de l’économie divine, à commencer par la création
du monde (matériel)110, en passant par l’incarnation et tout ce qui s’y rattache111, jusqu’à son
parachèvement qui signifie logiquement «la fin du règne du Christ»112, puisque alors il n’y aurait
plus aucune différence entre lui et les autres logika113.

100
Disc. 8.
101
Cf. KG III,28.
102
Cf. Origène, CIo XX,19.
103
Didyme, Ps Com 55,23 s. Cf. Commentarii in Psalmos, Didymos der Blinde, Psalmenkommentar (Tura-
Papyrus), I (Ps 20-21), ed. L. DOUTRELEAU, A. GESCHÉ, M. GRONEWALD, Bonn 1969.
104
KG III,1.
105
KG II,43.
106
KG VI,77.
107
16 in Ps 21,30.
108
En ce sens GUILLAUMONT (2004), 147 s.
109
Anathématisme 6.
110
Ibid.
111
Anathématisme 9.
112
Anathématisme 12.
113
Anathématisme 13.

20
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?

Le traducteur S1 des Képhalaia Gnostica


Si nous nous tournons maintenant vers le monde syriaque, nous rencontrons, au début du VIe114
ou même «vers la fin du Ve siècle»115 et dans la personne du traducteur syriaque S1 des Képhalaia
Gnostica, un autre fauteur de ces distorsions de la pensée authentique d’Évagre qui ont si
solidement compromis sa réputation. Il a, en effet, été le premier en date (à notre
connaissance)116 qui a pris le terme ἡ μονάς pour un synonyme de ἡ τριάς117, idée que les
«disciples d’Évagre» auraient sans doute encore repoussée avec indignation.
Cette méprise fatale s’explique peut-être par certaines similitudes de langage. Car la «connaissance
de la Monas»118, ne serait-elle pas la même chose que la «connaissance de la Trinité»119? La
«réceptivité pour la Monas»120, n’est-elle pas la même chose que la «réceptivité pour la Trinité»121?
«Voir la Monas sainte»122, serait-ce autre chose que «voir la Trinité sainte»123? Ou «être dans la
Monas»124, est-ce autre chose qu’«être dans la Trinité»125? Bref le nom «sainte Monas»126 ne serait-
ce pas simplement un synonyme de «sainte Trinité»127?
Le traducteur S1 aurait cependant dû remarquer qu’il n’y a pas seulement, chez Évagre, des
similitudes mais aussi des différences de langage non moins significatives. La Trinité seule, en effet,
est appelée non seulement «sainte», épithète que l’on peut donner aussi une créature «sanctifiée»
ou justement à l’état existentiel d’Unicité entre Dieu et sa créature «divinisée», mais
«bienheureuse»128 et «adorable»129, et plus exactement «seule adorable pour elle-même»130! S’il est dit
qu’un être créé est «adorable» (προσκυνητός), Évagre a soin de préciser que ce n’est pas à cause
de sa nature, mais à cause de l’inhabitation de Dieu en lui131, il n’est donc pas «adorable pour lui-
même».
La présupposition erronée de la synonymie des mots Monas et Trias devait nécessairement avoir
des conséquences catastrophiques. Car Évagre avait maintenant l’air de faire sur Dieu des
affirmations telles, que la plume du traducteur s’est à juste titre refusée à les rendre en syriaque.
Au cours de sa traduction-révision132, l’auteur de la version S1 s’est donc substitué de façon très

114
GUILLAUMONT, (1962), 202-206.
115
GUILLAUMONT, (2004), 102.
116
Les Chapitres des Disciples d’Évagre ne prennent nulle part τριάς et μονάς pour des synonymes. Cf. Disc.
8 et 198 (cf. notamment la fin!). Même observation pour Paraen. 34 où l’on rencontre également les deux
termes dans une même sentence et très rapprochés, mais nullement comme des synonymes.
117
Ses méprises en matière christologique ne sont pas moins déplorables. S1 n’était manifestement pas
familier de la pensée d’Évagre!
118
KG I,77 etc.
119
KG I,52.74 etc.
120
KG III,11.32.
121
KG II,11.80; III,69.
122
KG III,61.
123
KG V,60.63.
124
KG III,1.
125
Cf. KG IV,51 avec 5 in Ps 144,13.
126
KG I,71; III,61.72; IV, 18.89; V,84.
127
KG I,70.88; II,4.11 etc.
128
KG VI,13.
129
KG I,27.74.
130
KG V,50.
131
2 in Ps 98,5; 5 in Ps 131,7.
132
Cf. GUILLAUMONT (1962), 231 s.

21
ADAMANTIUS 15 (2009)

systématique au terme «Unicité» (μονάς – átoidixi) celui de «Trinité»133, et s’est vu obligé de


modifier au besoin profondément le texte pour éviter le scandale134.
Paradoxalement il a néanmoins laissé intouchée une sentence aussi ‘scandaleuse’ que KG I,49,
peut-être parce qu’il s’agit de la première occurrence de terme μονάς et qu’il ne s’était pas encore
rendu compte du problème. Quoi qu’il en soit, cette incohérence est à ajouter aux nombreuses
autres énigmes de cette version édulcorée. Car il y a pas mal de sentences que S1 n’a pas modifiées,
bien que leur caractère «origéniste» n’ait pas pu lui échapper135, tandis qu’il en a complètement
remanié et pratiquement réécrit de nombreuses autres, sans qu’on comprenne bien pourquoi.

Justinien et les moines origénistes palestiniens


À la même époque, l’empereur Justinien et ses conseillers faisaient preuve de beaucoup plus de
sagacité. Une des idées maîtresses des moines origénistes, qu’ils avaient l’intention de stigmatiser
comme hérétique par les quinze anathématismes de 553, était l’existence d’une ἑνὰς πάντων τῶν
λογικῶν, protologique et eschatologique136, expression qu’on chercherait en vain dans les écrits
d’Évagre.
Le terme ἑνάς comme notion-clé des moines origénistes du VIe siècle (ou du moins d’un de leurs
courants), attesté par les quinze anathématismes, l’est en outre au VIIe siècle par Georges
Hiéromoine137, qui semble avoir puisé directement, soit dans la lettre (perdue) d’Euloge, Conon,
Cyriaque et Pancrace à Justinien138, soit dans les actes (également perdus) du Ve concile
œcuménique139. Une des idées maîtresses des moines origénistes est, en effet, l’existence d’une
ἑνὰς πάντων τῶν λογικῶν (IX,4.5.13). Un seul νοῦς de toute la Hénade des logika (ἕνα δὲ νοῦν
ἐκ πάσης τῆς ἑνάδος τῶν λογικῶν) n’en est pas déchu, celui qu’ils appellent «Christ» (IX,5). Le
but de l’économie du salut est le rétablissement de la Hénade primordiale (πάντας
ἀποκαθίστασθαι ε ἰς τ ὴν ἑνάδα) (IX,5). Le mot ἑνάς est donc manifestement un terme-clé du
système visé (cf. IX,4.5.6.13).
Dans d’autres documents de l’époque ( éodore de Scythopolis; Cyrille de Scythopolis) le terme
est absent, mais il réapparaît dans les Ambigua de Maxime le Confesseur: τῶν λογικῶν ἑνάδα
καθ’ ἣν συμφυεῖς ὄντες θεῷ140 de même que chez Sophrone de Jérusalem: ἐν ἑνάδι νοῶν πάντα
παρῆχθαι τὰ λογικά 141; et le même: εἰς ἑνάδα μηθική κτλ142. Sophrone évoque dans ce contexte

133
Ce fait avait aussi été remarqué par GUILLAUMONT, 1962, 255, qui écrit à ce sujet: «Dans S2 il semble y
avoir une nette prédilection pour le second terme [i.e. Monas]; sans le bannir systématiquement, l’auteur de
S1 l’a souvent remplacé par «Trinité», assurément de meilleur aloi».
134
Le lecteur peut facilement se faire une idée de ces interventions, souvent drastiques, même sur la base de
la seule traduction française. Voici la liste des sentences en question:
KG I,49.65.71.77; II,3.5.11; III,1.2.3.11.13.22.28.32.61; IV,8.18.21.27.43.51.89; V,84.
135
Cf. GUILLAUMONT (1962), 256 s.
136
Cf. anathématismes 2.3.6.7.14, cf. 12.
137
Cf. M. RICHARD, Le traité de Georges Hiéromoine sur les hérésies, REB 28 (1970) 239-269.
138
Cf. RICHARD, l.c., 244.
139
Cf. I. PERCZEL, Pseudo-Dionysius and Palestinian Origenism, Orientalia Lovaniensia Analecta 98 (2001)
261-282, ici 264.
140
PG 91, 1069 A.
141
PG 87, 3181 D.
142
Ibid. 3184 A.

22
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?

Origène, Didyme et Évagre et toute leur troupe143, mais ce n’est certainement pas Évagre qu’il
cite !
Dans tous ces textes, le mot ἑνάς désigne manifestement une entité et non pas, comme la ἁγία
μονάς d’Évagre, un état existentiel. Aussi s’agit-il plutôt d’un axiome philosophique, et non pas,
comme ce fut le cas chez Évagre, de la conceptualisation d’une donnée de l’Écriture (Jn 17,21!).
Justinien et ses conseillers étaient d’ailleurs bien conscients du caractère philosophique de l’idée
d’une «Hénade de tous les êtres raisonnables».
Cherchant à en identifier l’origine lointaine, Justinien renvoie, homme cultivé qu’il était, à
Pythagore qui aurait dit que «le Principe de toute chose est la Monas». Il considère donc à juste
titre ἑνάς et μονάς comme des synonymes. Quant au contenu de ce concept, l’empereur -
théologien renvoie au «peuple des âmes incorporelles» de Pythagore et de Platon144. Il a donc
bien compris que cette ἑνὰς πάντων τῶν λογικῶν désigne chez les moines origénistes une entité.
Le terme μονάς même semble absent du vocabulaire des moines censurés, puisqu’il s’agit
manifestement, dans l’unique occurrence que l’on relève dans les quinze anathématismes, d’une
citation fragmentaire de KG IV,21145. Celle-ci est donc à mettre sur le compte des rédacteurs des
anathématismes, plus précisément de ceux du libellus (perdu) qui en est la source immédiate. Ce
sont, en effet, ces derniers qui avaient épluché les Képhalaia Gnostica d’Évagre pour permettre
aux premiers d’en truffer leur texte de citations, souvent par bribes et par morceaux.
Cela n’exclut évidemment pas que déjà les moines visés par les anathématismes aient substitué,
dans leur relecture personnelle des Képhalaia Gnostica, au terme μονάς le mot ἑνάς, qu’ils ont
probablement trouvé chez Origène. À cause de la perte de l’original grec des Principes il est
malaisé de dire si Origène se servait déjà d’un unique terme technique pour désigner l’unité des
êtres raisonnables avec Dieu. Le terme unitas chez Rufin est susceptible, si l’on tient compte des
textes bibliques qu’Origène évoque dans ce contexte, de rendre plusieurs notions grecques. Une
citation de Prin II,1,1, faite par Justinien146, où ἑνάς correspond à unitas chez Rufin, suggère
cependant que le terme préféré d’Origène était peut-être effectivement ἑνάς, et que ce serait
donc chez lui que les moines «origénistes» du VIe siècles l’auraient puisé. Cela signifie, et ce n’est
pas sans importance, que ceux-ci ont lu Évagre à la lumière d’Origène! Leur propre système est, en
effet, d’inspiration à la fois origénienne et évagrienne. Quoi qu’il en soit, dans les quinze
anathématismes le terme ἑνάς, pas plus d’ailleurs que celui de μονάς, n’est traité comme un
synonyme de τριάς.

Maxime le Confesseur
Concluons la période patristique par un rapide coup d’œil sur l’œuvre de Maxime le Confesseur
(580-662), commentateur de Denys l’Aréopagite, et apparemment le dernier auteur grec qui cite
explicitement, avec nom d’auteur et nom de l’ouvrage, les Képhalaia Gnostica d’Évagre147. C’est

143
Ibid. 3181 B.
144
Ep.Justin. DIEKAMP (1899), 95, 1 s.
145
Cf. anathématisme 9.
146
Cf. extrait XIV, éd. E. SCHWARTZ, Collectio Sabaitica, Berlin 1940, 211; cf. aussi H. CROUZEL –
M. SIMONETTI, Prin II,1, note 4.
147
Les philologues byzantins ont dû lire les KG pendant longtemps encore, ce qui explique le nombre
croissant de fragments que l’on repère dans les manuscrits. Sur Maxime, lecteur d’Évagre, cf. l’étude de
M. VILLER, Aux sources de la spiritualité de s. Maxime. Les œuvres d’Évagre le Pontique, RAM 11 (1930) 156-
184.239-268.331-336.

23
ADAMANTIUS 15 (2009)

aussi un lecteur assidu des Chapitres des disciples d’Évagre, qu’il a amplement épluché lors de la
composition de ses IV Centuries sur la charité148.
On relève dans les scholies de Maxime149 au Livre de la hiérarchie céleste de Denys l’Aréopagite
trois renvois formels aux Képhalaia Gnostica150, dont deux sont des citations textuelles. Seule la
première occurrence nous intéresse ici. Il s’agit d’un renvoi à KG II, 3 et non pas, malgré les
apparences, d’une citation d’Évagre151, puisque ce qui suit est en fait une paraphrase de Maxime
d’un passage du chapitre 7 du livre de l’Aréopagite152, nous l’avons déjà dit. Selon Denys, «la
 éarchie est assurément tout ensemble Monade et Hénade tri-hypostatique»153, affirmation qui
inspire à Maxime ce commentaire d’une saveur fortement évagrienne:
Que [Dieu] est Hénade et Monade, Évagre l’impie le dit aussi dans la deuxième Centurie au chapitre
trois154 . [Dieu] est Monas puisque la Divinité est simple et indivisible. Pour ce motif [elle est dite être]
Monade. Car la Monade, même arithmétiquement parlant, est simple et non-composée. Ensuite [elle] est
Hénade, parce que la sainte Trinité est aussi naturellement unie par rapport à elle-même, et elle unit tous
ceux qui s’approchent d’elle, selon ce qui est écrit dans l’Evangile: «Qu’eux [aussi] soient un, comme nous
sommes un»155 .
Il ne nous semble pas douteux que Maxime trahisse dans ce passage sa connaissance de la Lettre
sur la foi d’Évagre, bien qu’il introduise dans son commentaire une subtile distinction entre les
deux notions μονάς et ἑνάς, qu’il n’a pas pu trouver chez Évagre156. Car cherchant à expliquer
quelle en est la signification, Maxime se souvient apparemment de ce qu’il avait lu à ce sujet dans
la Lettre sur la foi, le seul texte où le moine pontique dit explicitement comment il les entend. Le
commentaire de Maxime nous paraît, en effet, émaillé de réminiscences de cette Lettre.
Le renvoi à la sentence KG II,3 n’est en revanche qu’un simple souvenir de lecture, suscité par
l’association des termes-clés et rapporté de mémoire. «L’impie Évagre» n’y donne, en effet, aucune
définition de «Dieu», mais il dit seulement que «la première de toutes les connaissances est la
γνῶσις τῆς ἑνάδος καὶ μονάδος», comme nous l’avons vu. Il s’ensuit que Maxime a donc relu la
sentence à la lumière du passage de Denys qu’il s’apprête à commenter et où l’Aréopagite définit
en effet la « éarchie» comme «assurément tout ensemble μονὰς καὶ ἑνὰς τρισυπόστατος».
À ce propos, Maxime se souvient d’abord d’un passage de la Lettre sur la foi où Évagre cite ce
binôme - c’est l’unique fois - dans le même ordre des mots: ἡ μονὰς καὶ ἑνάς, comme le fera plus
tard Denys, ordre qui est d’ailleurs aussi celui de la source d’inspiration d’Évagre, Origène,

148
Cf. GEHIN, Disciples, 27 s.
149
Sur le caractère composite de ces scholies et l’authenticité maximienne cf. H.U. v. BALTHASAR, Kosmische
Liturgie, Einsiedeln2 1961, 644-672. Si un critère pour juger de l’authenticité de telle ou telle scholie est sa
parenté avec des textes d’une authenticité avérée (Ibid. 672), la parenté du passage qui nous intéresse ici avec
les Centuries gnostiques parle en sa faveur.
150
Cf. PG 4, 76 D/ 77 A (=KG II,3); 173 A (=KG II,78 et II,11).
151
Φησὶ τοῦτο signifie simplement: Évagre aussi le dit. Quand Maxime cite il écrit: οὑ̔́τω φησίν ou λέγει
οὕτως (PG 4, 173 A/B).
152
PG 4, 76 D/77 A.
153
Hiér. Cél. VII, 4 (SC 58 bis (2006), 119, cf. PG 3,236 D.
154
En fait, Évagre n’y parle pas de Dieu, mais de sa connaissance: «La première de toutes les connaissances
est la connaissance de la Hénade et Monade, et plus ancienne que toute la contemplation naturelle est la
connaissance spirituelle…».
155
PG 4,76 D.
156
GUILLAUMONT (2004), 340, note 5, nous reproche vivement d’avoir fait la même chose. Nous nous
rétractons ici. Nous nous sommes laissé influencer par Maxime, sans trop nous en rendre compte.

24
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?
comme nous l’avons vu. Il commence donc par une exégèse du mot μονάς qu’il réfère au
caractère simple et non-composé de la Divinité.
Évagre avait, en effet, écrit que, puisque le Dieu unique (εἷς et / ou μόνος, les deux étant des
synonymes157) de notre foi est «confessé par tous comme simple et non-composé»158, le binôme «la
Monas et Henas signifie l’essence simple et incompréhensible»159 de Dieu.
Maxime passe ensuite au terme ἑνάς, et un autre passage de la Lettre d’Évagre lui vient
spontanément à l’esprit, puisqu’il réfère ce terme à la naturelle unité intrinsèque (πρὸς ἑαυτὴν
ἥνωται φυσικῶς) de la sainte Trinité.
Évagre avait, en effet, écrit que Dieu est «un par nature» (ἕνα τῇ φύσει)160. Le mot εἷς, comme
son synonyme μόνος, se réfère ici à l’essence161 ou nature162 de Dieu. Or l’Écriture utilise ces deux
notions «non pas par contraposition (οὐ πρὸς ἀντιδιαστολήν) au Fils ou à l’Esprit Saint», mais
contre les faux dieux des païens163. Car «il faut confesser que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu
et que l’Esprit Saint est Dieu»164, et le nom «Dieu» désigne précisément cette «unité naturelle» 165
et non pas «numérique» des trois hypostases divines166.
Vient ensuite la réminiscence sans doute la plus transparente de la Lettre sur la foi, lorsque
Maxime justifie l’action unificatrice de la sainte Trinité envers tous ceux qui s’approchent d’elle
par un renvoi à la parole du Christ en Jn 17,21.
Évagre avait, en effet, fait de même, puisqu’il déduit de cette unité intrinsèque, «naturelle» et non
pas «numérique», que Dieu «unit tous quand il entre en chacun et le nombre est aboli par
l’avènement de la Monas». Et c’est cela l’accomplissement définitif de la prière de notre
Souverain. «Car c’est Jésus qui prie: «Donne-leur, qu’eux aussi soient un en nous, comme moi et toi
nous sommes un, Père»!167
On ne peut évidemment pas exclure que Maxime se soit ici aussi souvenu de ce qu’il avait lu dans Paraen.
34, un texte qui faisait partie du grand recueil dont les 198 Chapitres des disciples d’Évagre nous on conservé
une tranche importante. Le plein «accomplissement de la volonté» de Dieu le Père «par la prière [du
Christ]» est ici décrit comme «l’union inséparable entre lui et sa nature raisonnable, la Trinité unissant tous,
et la Monade n’ayant pas de Dualité».
La manière dont Maxime recourt aux écrits d’Évagre pour élucider un passage de l’Aréopagite est
intéressante à plusieurs égards. Ayant rencontré dans la Hiérarchie céleste l’affirmation que la
 éarchie divine est Monas et Hénas, Maxime s’est souvenu avoir lu une affirmation analogue
dans la Lettre sur la foi, mais il se souvient aussi d’avoir rencontré plus d’une fois dans les
Képhalaia Gnostica l’expression ἡ ἑνὰς καὶ μονάς. Les centuries étant trop lapidaires, il cherche à
élucider une des trois occurrences (KG II,3) en faisant appel à la Lettre.
Ceci est en principe parfaitement légitime, mais Maxime était-il conscient qu’il s’agit en fait d’un
binôme, composé de deux termes synonymes, aussi bien chez Évagre que déjà chez Origène, sa

157
Ep.fid. 3,21.
158
Ibid. 2,20.
159
Ibid. 2,37 s.
160
Ibid. 2,31.
161
Ibid. 3,11 s.
162
Ibid. 3,33.
163
Ibid. 3,24 s.
164
Ibid. 2,14 s.
165
Ibid. 2,31.
166
Ibid. 2,38-39.
167
Ep.fid. 7,51-56.

25
ADAMANTIUS 15 (2009)

source immédiate? Il ne semble pas, puisqu’il les distingue et les traite séparément, donnant à
chaque terme une signification spécifique.
Il s’est sans doute senti autorisé à agir ainsi par un autre passage de Denys. Dans les Noms divins
l’Aréopagite écrit, en effet, après avoir constaté que la  éarchie est célébrée dans l’Écriture
comme Monas et Hénas, qu’elle «nous réunit vers la Monas sainte et la Hénas qui imite Dieu»168.
Bien qu’il n’ait pu lire chez Évagre le terme ἑνάς seul mais seulement dans le binôme ἡ ἑνὰς καὶ
μονάς, Maxime savait que le terme μονάς en revanche apparaissait de nombreuses fois seul dans
le Képhalaia Gnostica où l’on rencontre aussi plus d’une fois l’expression «Monas sainte». N’était-
il donc pas légitime de les distinguer?
Plus troublante encore est l’observation que Maxime ne semble pas être conscient du fait que le
terme μονάς utilisé seul a, chez Évagre aussi bien que dans les Chapitres des disciples d’Évagre,
manifestement un tout autre sens que celui qu’il lui attribue dans son exégèse de Denys! Car dans
ses propres Centuries gnostiques169, qui sont également émaillées de réminiscences évagriennes,
Maxime entend ce mot toujours au sens qu’il lui avait attribué dans sa scholie à Denys
l’Aréopagite. Le mot désigne chez lui l’unité simple et indivisible de Dieu. L’unique Divinité est
par conséquent μονὰς ὅλη κατὰ τὴν ο ὐσίαν ἡ αὐτὴ καὶ Τριὰς ὅλη κατὰ τὰς ὑποστάσεις ἡ
αὐτή170. L’expression ὁ περὶ μονάδος λόγος171 est donc, dans l’esprit de Maxime, manifestement
l’équivalent de la tournure «le logos au sujet de la Trinité» qu’il a pu lire dans la Lettre sur la foi
d’Évagre172. Les termes Monas et Trias, sans être à proprement parler des synonymes, visent chez
Maxime, en effet, la même réalité sous deux aspects distincts.
Il s’ensuit que Maxime, n’étant pas conscient du sens spécifique que le terme μονάς a chez
Évagre de même que dans les Chapitres, a manifestement toujours interprété ce mot, aussi quand
il apparaît seul, dans le sens qu’il lui attribue dans ses propres œuvres, c’est-à-dire comme
signifiant «la Divinité» (τὸ θεῖον), commettant donc la même erreur que le traducteur KG S1! Or,
comme celui-ci, il a dû lire alors, dans les 24 sentences des Képhalaia Gnostica où ce mot
apparaît, des affirmations telles qu’il a dû en rester profondément choqué. On comprend donc
pourquoi, d’un air méprisant, il traite Évagre d’«impie» (ἀνόσιος). On s’étonne seulement un
peu qu’il invoque comme autorité, et cela dans une matière aussi délicate que la Théologia, un
auteur qu’en même temps il insulte173.
Relevons enfin le fait significatif que, dans ses propres écrits, Maxime n’ait pas retenu le mot
ἑνάς, terme qui lui avait été imposé par Denys. Le Confesseur l’évite sans doute parce qu’il sait
trop bien qu’il avait occupé jadis une place centrale dans la pensée du courant origéniste
condamné en 553174. Preuve en est, nous semble-t-il, le fait que notre auteur refuse explicitement,

168
Denys, De Divinis Nominibus I,4 (PG 3,589 D s). Ce passage a suggéré au scholiaste un renvoi à Jn 17,22
(cf. PG 4,196 A), sans doute sous l’influence du commentaire de Maxime dont il est question ici.
169
Cf. v. BALTHASAR (1961), 482-643, qui ne semble connaître les KG, même dans cette deuxième édition de
son étude de 1947, que dans le texte édité par Frankenberg (= S1), dont il cite toujours la rétroversion
grecque. A. Guillaumont avait cependant publié la version S2 déjà en 1958.
170
Cent II, 1.
171
Maxime, Cent II, 8.16 (PG 90,1128 C et 1132 B).
172
Ep.fid. 12, 39.
173
Dans PG 4,173 A, Évagre est cité de façon neutre, si l’on peut dire. Ceux qui le citent et l’insultent en
même temps le font en général pour le critiquer (comme Jean Climaque), et non pour s’appuyer sur lui.
L’épithète ‘impie’ ne serait-il pas plutôt le fait d’un copiste zélé?
174
Cf. aussi supra note 23.

26
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?

lorsqu’il élucide un passage de Grégoire de Nazianze175, abusivement invoqué par les origénistes
palestiniens en faveur de leurs thèses, d’accepter l’existence d’une «Hénade des êtres
raisonnables»176. Il était encore bien connu de tous qui avait soutenu de telles idées!

L’époque moderne: de Otto Zöckler à Hans Urs von Balthasar


Le premier qui, à notre connaissance, semble avoir renoué (inconsciemment) avec
l’interprétation abusive des Képhalaia Gnostica par l’auteur de la version S1, fut Otto Zöckler. Il
affirme que, pour Évagre, «Dieu est d’abord μονάς, puis ἑνάς et seulement en dernier lieu ἁγία
τριάς», preuve évidente du caractère néoplatonicien de la pensée du moine pontique177.
Or ce jugement n’est manifestement pas le fruit d’une étude approfondie des écrits d’Évagre et
notamment des Képhalaia Gnostica178. Il fait, en effet, écho à la «citation» de KG II,3 que Zöckler
avait identifiée chez Maxime le Confesseur179. Or la soi-disant «citation» est en fait l’interprétation
personnelle de Maxime, comme nous l’avons vu! Bien que le jugement de Zöckler soit donc
parfaitement infondé, il allait néanmoins faire école.
En 1912 Werner Frankenberg publia son édition des «écrits les plus importants d’Évagre»,
conservés seulement (ou supposés tels) en traduction syriaque. Les chercheurs avaient ainsi pour
la première fois accès à un texte imprimé, basé sur le manuscrit Vat. 178180, des Képhalaia
Gnostica, accompagnés d’un commentaire de Mar Babai le Grand, sans toutefois se douter qu’il
s’agissait seulement de la version S1! Dans sa rétroversion grecque des Képhalaia Gnostica,
Frankenberg avait systématiquement rendu le terme syriaque átoidixi par μονάς, son
équivalent étymologiquement le plus proche.
Le premier à tirer profit de cette nouvelle base textuelle des études évagriennes, fut Wilhelm
Bousset. Bien que la version S1 ne l’ait pas particulièrement poussé dans cette direction, son
jugement est substantiellement le même que celui de O. Zöckler. Selon Bousset aussi, Évagre,
fidèle en ceci à Origène181, aurait donc conçu la Divinité essentiellement comme Monas, terme
qui serait d’ailleurs synonyme de Trias. Bousset constate, en effet, chez Évagre «un être tripartite»,
dont le premier serait celui «de la Divinité, de la Μονάς ou de la ἁγία Τριάς […]». Comme déjà
pour Origène182, «l’être de la Divinité tombe aussi pour Évagre tout particulièrement sous le
concept de la Μονάς»183. Et de conclure de façon péremptoire: «Assez, l’être de la Divinité suprême
est la Μονάς»184.
Rappelons que, pour Évagre, le binôme abstrait «la Monas et Henas» ne définit nullement
la «Divinité», qui serait de la sorte en premier lieu «Unité», mais il «désigne l’essence simple et
incompréhensible» de Dieu185 qui, selon l’Écriture, est «naturellement» (φύσει) et non pas

175
Oratio 14,7.
176
Ambigua 7 (PG 91,1069 A). Cf. Massimo il Confessore. Ambigua, a c. di C. MORESCHINI, Milan 2003, 212
et 616, note 4.
177
Zöckler (1893), 72 (italique G. B.).
178
L’auteur évoque l’existence des manuscrits syriaques des Képhalaia Gnostica, conservés au British
Museum, à Berlin et à la Bibliothèque Vaticane, mais il ne semble pas qu’il les ait aussi lus.
179
ZÖCKLER (1893), 72, note 100.
180
FRANKENBERG (1912), 2.
181
BOUSSET (1923), 293.
182
Cf. Prin I,1,6,152 s.
183
BOUSSET (1923), 294 (italique G. B.).
184
Ibid. 295 (italique G. B.).
185
Ep.fid. 2,37.

27
ADAMANTIUS 15 (2009)
«numériquement» «un» (εἷς) et «unique» (μόνος), les deux notions étant synonymes. Or si Évagre
devait dire qui est, pour lui, Dieu lui-même, il aurait sans doute dit qu’il est essentiellement «Père
du Fils et Principe de l’Esprit Saint»186.Il n’y a donc pas de «Divinité» au-delà des hypostases
éternelles187. Ce qu’Évagre cherche à conceptualiser, et ce qu’il décrit plutôt qu’il ne le définit, n’est
pas la «Divinité», mais le caractère absolument simple (ἁπλῆς), non numérique de «l’essence» de
Dieu. Les «noms» (Père, Fils, Esprit) sont pour Évagre éternels: ils n’ont ni commencement ni
fin188!
Le cas de Bousset est intéressant parce qu’il met en évidence qu’une interprétation reçue
commence à prendre le dessus sur les textes, bien que l’auteur se distingue sans conteste par une
profonde connaissance de l’œuvre d’Évagre, telle qu’elle était alors connue. Il lui a même restitué
sa Lettre sur la foi189 qui aurait pourtant pu lui ouvrir les yeux sur le caractère nullement moniste
de la pensée du moine pontique. Ces textes sont abondamment cités, mais jamais vraiment
analysés, et encore moins interprétés en fonction de la logique intrinsèque de la pensée d’Évagre.
L’approche «moniste» de Zöckler et de Bousset a ensuite été radicalisée par Irénée Hausherr, dont
le jugement a eu, et continue à avoir, un impact considérable sur les études évagriennes. Il mérite
donc d’être cité in extenso.
Néanmoins il faut bien dire que jamais Évagre n’a intégré dans sa mystique la théologie trinitaire. Si
fréquente que soit dans les Centuries l’expression «contemplation de la Sainte Trinité»190 , ni le Père en tant
que Père, ni le Fils en tant que Fils, ni surtout le Saint-Esprit ne jouent un rôle appréciable dans la montée
de l’intellect. «Sainte Trinité» n’est que l’appellation chrétienne de la Divinité, de la «Monade»191 . Le De
Oratione, par là encore, garde la marque de son auteur. Malgré la théologie qui en est le but suprême, la
mystique évagrienne reste plus philosophique que proprement théologique192 .
Il fut réservé à Hans Urs von Balthasar, pourtant lui aussi excellent connaisseur des écrits
d’Évagre193, de franchir ensuite le dernier pas et de radicaliser encore davantage l’approche
‘moniste’ de son confrère Hausherr. Il croit, en effet, pouvoir diagnostiquer chez Évagre «une
suprématie presque sans bornes de l’Unité194 sur la Trinité, avec des traces manifestes d’une
subordination des personnes»195. Il n’est donc pas étonnant qu’Évagre lui paraisse alors plus proche
du Bouddhisme que du Christianisme196. Inutile de vouloir réfuter de telles dérives.
Lors de la publication sous forme de livre de l’étude susdite, à presque trente ans de distance,
ayant entre-temps pris connaissance de la version S2 des Képhalaia Gnostica, Hausherr lui-même
ressent le besoin d’ajouter, à la fin de son appréciation de la pensée d’Évagre citée plus haut, ces
paroles sibyllines: «au moins au sens trinitaire»197. Lui serait-il venu des doutes au sujet du
caractère prétendument «plus philosophique que proprement théologique» de la mystique

186
KG VI,4.
187
Cf. Ep.fid. 2,6-9.
188
Ep.Mel. 25.
189
BOUSSET (1923), 335-341.
190
Elle s’y trouve en effet évoquée, même en S2, dans quarante-sept sentences, soit presque deux fois plus
que μονάς (vingt-quatre fois)!
191
Hausherr fait ici écho à BOUSSET (1923), 294.
192
HAUSHERR (1934), 117 (italique G. B.).
193
Cf. v. BALTHASAR (1939, 1).
194
V. BALTHASAR (1939, 2), 38 pense ici à la “Monade divine”!
195
Ce dernier aspect est explicitement réfuté par GUILLAUMONT (1962), 117 s.
196
Ibid. 39 s (italique G. B.).
197
Hausherr (1960), 99 (italique G. B.).

28
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?

évagrienne? Par «philosophie» Hausherr entend d’ailleurs, comme Zöckler, le néoplatonisme et


Plotin198.
Il est un de ces paradoxes qu’on a de la peine à expliquer que le savant jésuite croit avoir
découvert ce caractère soi-disant moniste de la pensée d’Évagre précisément aussi dans le traité
Sur la prière, qu’il venait de restituer dans son étude fondamentale à son véritable auteur, Évagre
le Pontique. Or même le mot μονάς y est complètement absent!
Que dire ensuite des prétendues carences «théologiques» (trinitaires) d’Évagre? Certes, le mot
«Trinité» n’y apparaît que deux fois, et cela même seulement au Prologue. Or ici comme ailleurs,
les textes ne sont pas à compter mais à peser. Car n’est-ce pas précisément dans ce traité
qu’Évagre développe le plus explicitement sa mystique trinitaire, décrivant si finement le rôle de
chaque hypostase divine dans la «montée de l’intellect»? Le traité Sur la prière n’a ici d’égal que la
Lettre à Mélanie. Mais Hausherr ne s’en est pas aperçu parce que, convaincu que son «aspect
proprement philosophique a passé pratiquement passé inaperçu»199, il lit à son tour le traité Sur
la prière et Évagre en général200 avant tout en clé philosophique. Il ne prête donc guère attention
aux citations et allusions bibliques qui auraient pu lui ouvrir les yeux201.
Soutenu par de telles autorités, le «monisme» d’Évagre202 est désormais passé au rang d’une
évidence qu’il n’est plus permis de mettre en doute. Jean Muyldermans, lui aussi excellent
connaisseur et éditeurs des écrits d’Évagre, n’avait-il pas naguère écrit de façon lapidaire: «Le
terme μονάς au lieu de «Dieu» est souvent employé dans les Six Centuries, par exemple, Cent.
III, 1, 2, 3, 28, 61, 72»203? Même la publication de la version S2 des Képhalaia Gnostica ne changera
paradoxalement rien dans ce domaine, comme nous allons le voir maintenant.

Antoine Guillaumont
Toutes les appréciations susnommées de la pensée d’Évagre ont été émises sur la base de la seule
version S1 des Képhalaia Gnostica, publiée jadis par W. Frankenberg. Après une première analyse
de celle-ci, Antoine Guillaumont pouvait cependant démontrer de façon convaincante que «le
texte de Frankenberg ne saurait servir de base à une interprétation sûre» de la pensée d’Évagre204.
Or la British Library possédait aussi un très ancien manuscrit (Add. 17 167), contenant les
Képhalaia Gnostica, manuscrit que Frankenberg a dû connaître, puisqu’il s’en est servi pour son
édition de la Lettre sur la foi, mais qu’il a laissé de côté205, on ne sait trop pourquoi. À l’aide d’une
confrontation entre les fragments grecs, alors connus, et le texte de ce manuscrit, Antoine et
Claire Guillaumont pouvaient démontrer que celui-ci contenait une autre version des Képhalaia
Gnostica, et que seule cette version S2 donnait une traduction délibérément fidèle à la teneur
originale du texte206.

198
Ibid. 7. A. GUILLAUMONT, La «preghiera pura» di Evagrio e l’influsso del neoplatonismo, Dizionario degli
Istituti di Perfezione VII, Rome 1983, c. 591-595, sera à cet égard beaucoup plus réticent et situera l’influence
néoplatonicienne plutôt au niveau du langage que du contenu.
199
HAUSHERR (1960), 7.
200
Cf. I. HAUSHERR, «Les grands courants de la spiritualité orientale», OCP 1 (1935) 114-138.
201
Il s’agit notamment de Jn 4,23 et Rm 8. Cf. à ce sujet notre étude En Esprit et Vérité (en préparation).
202
GRIBOMONT (1993), 130.
203
MUYLDERMANS (1952), 160, note 92 (italique G. B.).
204
GUILLAUMONT (1951-1952), 66.
205
Cf. FRANKENBERG (1912), 5.
206
A. et C. GUILLAUMONT (1952).

29
ADAMANTIUS 15 (2009)

Avec la publication de cette version KG S2, munie d’une traduction française qui se veut la plus
littérale possible207, les études évagriennes étaient donc enfin mises sur des bases entièrement
nouvelles, et le premier à en profiter fut évidemment Antoine Guillaumont lui-même. Dans la
nouvelle version, le lecteur trouvait non seulement de nombreuses sentences où Évagre parle
d’une átoidixi (24 sentences), mais il rencontrait aussi pour la première fois le binôme208
átvydyxyv átvydx qui avait également succombé aux modifications et suppressions de la part
de S1209. Dans deux sentences il pouvait même lire ce binôme à côté du terme átoidixi employé
seul210.
Quels sont les termes grecs que le traducteur S2 avait cherché à rendre ainsi? Récapitulons
brièvement ce que nous avons dit plus haut. Tandis que W. Frankenberg avait rendu átoidixi
par μονάς, le mot grec étymologiquement sans doute le plus proche, A. Guillaumont le traduisait
maintenant par «Unité», réservant «Monade» à la traduction de átoidx. Quant à la signification
de ces deux notions abstraites, l’auteur écrit:
Évagre «paraît dire équivalemment «science de la Trinité» (cf. II,4; III,6) et «science de l’Unité»
(cf. I,77; II,5), «Trinité» et «Unité» (cf. III,3), mais ce dernier mot a naturellement sa
préférence»211. Bref, «pour désigner Dieu, Évagre se sert, indifféremment semble-t-il, tantôt du
terme «Trinité», tantôt du terme «Unité» (Μονάς, en syriaque îhîdâyûtâ), parfois même des deux
dans la même sentence (cf. II,11)»212.
En dehors des Képhalaia Gnostica, les deux termes en question ne se rencontrent que très
rarement dans les écrits d’Évagre. L’un des deux est attesté dans un chapitre du Gnostique213, édité
avec beaucoup de soin par A. et C. Guillaumont, une trentaine d’années après l’a publication des
Képhalaia Gnostica. Comme nous l’avons déjà vu plus haut, l’éditeur note à ce sujet:
«Unité», syr. (S3) átoidx, cf. KG III,1 et IV,21, où ce mot est associé à átoidixi («Monade et
Unité»)»214 .
En fait, aussi bien dans KG III,1 et IV,21 que dans KG II,3, nous trouvons les deux termes du
binôme dans l’ordre suivant: átoidixio átoidx. Guillaumont les avait alors rendus par
«Monade et Unité», l’équivalence étant donc ici: átoidx = Monade, átoidixi = Unité. Or
maintenant l’équivalent de «Unité» serait plutôt átoidx ! Aucune précision ne nous est donnée
sur les motifs de ce changement radical.
Dans sa grande synthèse posthume de 2004, Un philosophe au désert, Antoine Guillaumont a pris
aussi en considération les résultats de notre étude «Hénade ou Monade?» de 1989, dont il accepte
maintenant en principe, tout en les relativisant ensuite, les équivalences entre termes syriaques et
termes grecs que nous y avions jadis établies. Au sujet du mot μονάς il écrit, en effet:
«Évagre utilise ce mot, soit seul, soit joint à ἑνάς, pour désigner l’Unité divine»215 . Et ailleurs: «Le mot
Unité employé seul apparaît souvent pour désigner, comme le mot Trinité, Dieu lui-même. Les

207
Cf. id. 1952, 16 s.
208
KG II,3; III,1; IV,21.
209
Dans KG II,3 S1 combine de façon ingénieuse les deux termes: «science unique de l’Unité», de même dans
KG III,1: «Monade de l’Unité» (toujours dans la traduction de Guillaumont); dans KG IV, 21 le binôme est
supprimé.
210
KG III,1 et IV,21.
211
GUILLAUMONT (1962), 157 note 110 (italique G. B.); cf. id. (2004), 341.
212
ID. (1962), 255 (italique G. B.).
213
Gn 18.
214
A. et C. GUILLAUMONT, Le Gnostique, 118 (italique G. B.).

30
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?
expressions «science de l’Unité» et «science de la Trinité», fréquentes dans les Képhalaia gnostica, s’y
trouvent en proportion à peu près égale; elles équivalent à l’expression «science de Dieu» qui y
apparaît aussi avec une certaine fréquence»216 .
L’interprétation des deux notions-clés par A. Guillaumont reste donc fondamentalement
tributaire de l’approche moniste de ses devanciers, à commencer par Zöckler, qui avait soutenu
que pour Évagre «Dieu est d’abord μονάς, puis ἑνάς et seulement en dernier lieu ἁγία τριάς».
En ce qui concerne le caractère prétendument plus philosophique que théologique de la pensée
d’Évagre, la découverte de la version S2 n’y a rien changé non plus. Même à distance de soixante-
dix ans de la première parution de l’étude du savant jésuite, consacrée au traité Sur la prière,
Guillaumont croit encore pouvoir constater que le «jugement d’I. Hausherr (Leçons, p. 98: «Il faut
bien dire que jamais Évagre n’a intégré dans sa mystique la théologie trinitaire») reste vrai»217.
C’est désormais une évidence qu’il n’est plus permis de remettre en question218.
Plus de quarante ans après la parution de son étude magistrale Les ‘Képhalaia Gnostica’ d’Évagre
le Pontique et l’histoire de l’origénisme chez les grecs et les syriens’, étude qui a fait école,
A. Guillaumont croit cependant pouvoir faire cette distinction importante:
«Mais il y a des cas où μονάς semble désigner l’unité existant entre les êtres premiers avant le
mouvement et rétablie au terme de l’eschatologie du fait de la disparition du nombre et des noms»219.
Selon l’auteur, il faudrait donc distinguer entre 1° le binôme ἡ ἑνὰς καὶ μονάς (= Unité divine),
2° μονάς seul (= comme Trinité, Dieu lui-même, l’Unité divine), et 3° μονάς également seul (=
unité des êtres premiers). Pour éviter toute fâcheuse confusion entre le N° 2 et le N° 3, l’auteur
propose d’écrire en français «le mot avec une majuscule quand il s’agit de l’Unité divine, et avec
une minuscule» quand il s’agit de l’unité des créatures220.
Une telle double acception d’un même mot n’est évidemment pas à exclure a priori, mais pour
pouvoir l’affirmer, et surtout pour pouvoir ensuite distinguer entre les deux acceptions, il faut des
critères objectifs et vérifiables. Le fait que Guillaumont n’en donne aucun de même que sa mise
en garde: «parfois cependant l’hésitation est possible!»221, montrent déjà qu’il ne doit guère exister de
tels critères qui s’imposeraient par leur évidence. Cherchons donc à vérifier l’application de cette
prétendue double acception du mot μονάς.
Guillaumont illustre son emploi du N° 3 par Ep.fid. 7,54-56 qu’il rend ainsi: «Le nombre est
détruit par le retour de l’unité», et de préciser, «ce mot ne peut désigner que l’unité des natures,
le mouvement étant étranger à la nature divine»222. En note223 l’auteur cite paradoxalement, en
guise de preuve supplémentaire, la sentence KG I,49: «Ce n’est pas l’Unité [ici, évidemment,

215
GUILLAUMONT (2004), 399 s (italique G.B).
216
GUILLAUMONT (2004), 341 (italique G. B.).
217
GUILLAUMONT (2004), 340, note 5 (italique G.B.). L’auteur y prend ses distances vis-à-vis des
conclusions théologiques de notre étude (1989, 2), mais il ne semble jamais avoir pris connaissance d’une
autre, (1987), d’ailleurs passée largement inaperçue, où nous avions traité plus en détail de la mystique
trinitaire d’Évagre , telle qu’elle se dessine dans son traité Sur la prière.
218
Cf. aussi les critiques que nous a adressées P. GEHIN, pour qui «l’œuvre d’Évagre est plus métaphysique
que théologique». Cf. l’interview donnée à C. Badilita, publiée dans Evagrie Ponticul, Tratatul practic -
Gnosticul, Bucarest 2003, 173. On y trouvera encore bien d’autres critiques de nos travaux sur Évagre . Dans
GEHIN (2004), 118 s l’auteur se prononce à ce sujet d’une façon sensiblement atténuée.
219
Ibid. 400 (italique G. B.).
220
Ibid. 344, note 2 (italique G. B.).
221
Ibid.
222
GUILLAUMONT (2004), 400 (italique G. B.).
223
L.c. note 4.

31
ADAMANTIUS 15 (2009)

l’Unité divine] qui, à part soi, se met en mouvement […]». Or le texte d’Évagre poursuit: «elle est
mise en mouvement par la réceptivité de l’intellect, lequel, par sa négligence, détourne d’elle son
visage et, par le fait d’être privé d’elle, engendre l’ignorance»!224
Il est inconcevable qu’Évagre ait pu dire que l’Unité divine est mise en mouvement par l’intellect,
même mis à part le fait que le mouvement est évidemment étranger à Dieu, puisqu’il est par
définition immuable225. La mutabilité est, en effet, le propre de la créature, preuve en est par
exemple cet ange qui est «déchu de la Monas» (ἐκπεσὼν τῆς μονάδος) et qui est devenu ensuite
le diable226. Puisque d’après l’auteur Unité est synonyme de Trinité, Évagre aurait même dit dans
KG I,49, quod absit, que la «Trinité est mise en mouvement par la réceptivité de l’intellect»!
Puisqu’il n’y a manifestement pas de critères objectifs qui nous permettraient de distinguer entre
μονάς = Unité divine, et μονάς = unité des natures raisonnables, l’auteur est amené, apparemment
sans s’en rendre compte, à évoquer le même texte, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Pour
en donner quelques exemples. S’agit-il dans Ep.fid. 7,55s. de «l’arrivée de l’Unité»227 ou du
«retour de l’unité»?228
Dans KG II,3 Évagre parle-t-il de la «science de l’unicité et de l’unité»229 ou de la «science de
l’Unicité et Unité»230? Dans KG III,1 le même binôme est d’ailleurs rendu par «unité et unicité»231,
bien que l’ordre des mots soit en syriaque exactement le même que dans KG II,3 et IV,21! S’agit-il
ensuite dans KG III, 22 de «l’Unité qui est en lui»232 ou de «l’unité qui est en lui»233? Quant à KG
I,71: «unité sainte»234 par rapport à KG V,84: «Unité sainte»235, ne s’agit-il pas de la même
réalité236 ?
À la même page nous lisons, au sujet du Christ, selon A. Guillaumont «pour Évagre, une nature
raisonnable», que celle-ci «a en elle l’unité divine». Puis l’auteur cite Sk 5, qu’il interprète à la
lumière de KG IV,27 où il rend μονάς par Unité237. Rappelons qu’unité avec minuscule indique
pourtant «l’unité existant entre les êtres premiers», tandis qu’Unité avec majuscule est réservé à
«l’Unité divine». Le lecteur aura bien des difficultés de s’y retrouver!
Ces hésitations sont sans doute dues avant tout au fait qu’A. Guillaumont n’a, hélas, pas pu
mettre la dernière main à son ouvrage238. Il avait en principe accepté les résultats de notre étude
«Hénade ou Monade?», mais il n’a manifestement pas eu le temps de repenser toute la question,
d’ailleurs assez complexe, posée par le mot codé μονάς et ses rapports avec la christologie
évagrienne. Nous maintenons donc que le terme átoidixi = μονάς, quand il est utilisé seul,
désigne toujours, dans la version S2 des Képhalaia Gnostica, l’état existentiel d’Unicité entre Dieu

224
Traduction A. Guillaumont.
225
Cf. Ep.fid. 10,15.
226
Cf. Ep.fid. 10,15-22.
227
GUILLAUMONT (2004), 392.
228
L.c. 400.
229
L.c. 343.
230
L.c. 341.
231
L.c. 341 (il s’agit de KG III,1).
232
L.c. 344.
233
L.c. 400 s.
234
L.c. 402.
235
L.c. 341 note 2.
236
Au sujet de KG V,84 cf. infra.
237
GUILLAUMONT (2004), 375.
238
Cf. les remarques des éditeurs, GUILLAUMONT (2004), 8.

32
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?

et sa création intelligible. En ce qui concerne le mot átoidx = ἑνάς, il y a tout lieu de croire
qu’Évagre avait limité son usage au seul binôme ἡ ἑνὰς καὶ μονάς.
Les rares fois où, dans les Képhalaia Gnostica, le terme átoidx apparaît seul239, le mot rend très
vraisemblablement un terme grec apparenté, très probablement ἕνωσις. Telle est, en effet,
l’équivalence dans Paraen. 34 où il s’agit de l’union entre Dieu et sa créature raisonnable240. Le mot
syriaque réapparaît ensuite dans Paraen. 41, dont le texte grec n’a cependant pas encore été
retrouvé: «La contemplation de la sainte Trinité dans laquelle est adorée la sainte unité du Père et
du Fils et du Saint-Esprit».241 Ici, il s’agit donc de l’unité intrinsèque des trois hypostases divines. Il
en sera question plus loin.
Le mot átoidx est également attesté dans une sentence de Evagriana Syriaca VIII242. Puisque
A. Guillaumont accorde une attention particulière à ce chapitre243, force nous est de nous y
arrêter davantage. Voici d’abord la sentence et son contexte immédiat 244:
7. La perception intelligible du Christ nous a manifesté le mystère de la perception de tout, 8. et l’unité245
de la Trinité est le modèle (τύπος) de l’unité246 de tout qui nous a été montrée dans la Trinité.
Bref, la perceptibilité du Fils et l’unité247 de la Trinité nous ont dépeint ce symbole et ce modèle de notre
perceptibilité et de notre unité248 dans la Trinité absolument parfaite par ses noms249.
Guillaumont considère ce texte comme authentiquement évagrien, mais il y a tout lieu de croire
qu’il appartient plutôt à l’école d’Évagre. Peut-être faisait-il également partie de ce grand recueil
dont les 198 Chapitres des disciples d’Évagre nous ont conservé la tranche la plus consistante. Dans
ce cas, il serait un autre témoin intéressant de l’évolution de la pensée authentique du moine

239
KG IV,57.89; VI,14.
240
Pour l’emploi du terme ἕνωσις en ce sens cf. aussi Disc. 24,4 et 27,33.
241
Le cas de ádiox dans KG IV,9 est différent.
242
Cf. MUYLDERMANS (1952), texte 127, traduction 158.
243
GUILLAUMONT (2004), 400, note 4.
244
GUILLAUMONT (2004), 400, note 4, ne cite prudemment que la première partie de VIII,8, éliminant
ainsi les difficultés du texte.
átoidx, sans doute ἕνωσις, cf. Paraen. 41: «l’unité sainte du Père et du Fils et du Saint-Esprit».
245

átoidixi, probablement également ἕνωσις, comme dans Paraen. 34: «l’unité de Dieu et de sa nature
246

raisonnable, la Trinité unissant tout (τριὰς ἑνοῦσα τὰ σύμπαντα)». Le passage d’un terme à son synonyme
est sans doute dû, soit au traducteur, soit simplement à un copiste, comme c’est le cas dans Evagriana
Syriaca IX = Disc. 198.
átoidx.
247

átoidx.
248
249
Comme le note Muyldermans au sujet des chapitres 7 à 10, «le texte est obscur» (MUYLDERMANS (1952),
p. 158, note 81), ce qui ne vaut pas seulement pour son contenu. La division entre VIII, 7 et 8, par exemple,
ne semble guère satisfaisante du point de vue du contenu. Puis il y a au beau milieu ce acs sans lien
grammatical avec la suite. Dans son «essai de traduction»: «La limite de la perceptibilité…», Muyldermans
masque les difficultés puisqu’il présuppose une émendation (d) du texte. S. Brock (lettre à l’auteur du
1.8.1999) propose de traduire: «Bref, la perceptibilité du Fils …», mais reste la difficulté de la division
insatisfaisante entre VIII,7 et 8. Ou cet énigmatique acs serait-il peut-être la traduction de καὶ τὰ ἑξῆς?
Dans ce cas acsv aurait évidemment été correct. Les 198 Chapitres des disciples d’Évagre en font en effet
abondamment usage, même là où il ne s’agit pas de la citation d’un texte biblique connu. On le trouve
même une fois au début d’un chapitre, cf. Disc. 40,1! Il indique donc que le texte a été abrégé. Dans notre
traduction, qui fait trésor des suggestions de S. Brock, nous avons réparti le texte ad sensum.

33
ADAMANTIUS 15 (2009)

pontique dans ces milieux monastiques qui, deux ou trois générations après la mort du maître, se
réclamaient encore de lui.
Rappelons que Guillaumont250 avait en principe accepté l’équivalence entre termes syriaques et
grecs que nous avions proposée: átoidx = ἑνάς, átoidixi = μονάς. Or maintenant, oublieux
de ce qu’il avait écrit un peu plus haut, l’auteur cite, dans la traduction de l’éditeur
Muyldermans251 mais ajoutant de sa propre main l’équivalence entre termes syriaques et grecs,
Evagriana Syriaca VIII, 8 qu’il commente ainsi:
«L’unité (hedâyutâ = μονάς) de la Trinité est le type (τύπος) de l’unicité (îhîdâyutâ = ἑνάς) de tout que
tu nous as montré dans la Trinité […]». Évagre semble donc distinguer entre Unité (= μονάς) en Dieu
et unité des natures dans leur état premier et final (= ἑνάς). On trouve ici un emploi du mot ἑνάς
attesté dans l’anathématisme 2 de 553 (cf. Guillaumont, Les Képhalaia Gnostica, p. 144), qui désigne
l’unité des êtres créés avant le mouvement. Peut-être est-ce là une distinction faite tardivement par
Évagre pour éviter toute apparence de panthéisme252.
Le commentaire qu’il en donne, montre d’emblée pourquoi Guillaumont évoque ce texte, même
au risque de s’éloigner non seulement de la traduction de l’éditeur, Muyldermans253, mais encore
d’abandonner nos équivalences qu’il avait adoptées quelques pages plus haut. Son intention, se
trahissant involontairement déjà dans son interprétation, transparaît nettement dans le renvoi à
son étude précédente de 1962: il s’agit de prouver à tout prix que le véritable condamné de 553 est
Évagre, ce qui vaut non seulement pour la christologie, mais pour «l’ensemble de la doctrine»,
résumée dans les quinze anathématismes254. Or ce qui vaut pour la doctrine, vaut logiquement
aussi pour la terminologie technique!
Guillaumont avait acquis, apparemment très tôt, la conviction qu’Évagre soutenait, comme les
moines explicitement visés par les quinze anathématismes255, qu’«au commencement existait une
hénade formée par l’ensemble des êtres raisonnables (λογικοί)»256. Ceci est presque ad litteram ce
que Justinien avait reproché aux moines origénistes palestiniens de son temps257, mais ce n’est, ni
le vocabulaire, ni la doctrine d’Évagre! Comme nous l’avons vu, son terme-clé, dans ce contexte,
est invariablement ἡ μονάς et point ἡ ἑνάς, et par là il ne désigne pas une entité, ἡ ἑνὰς πάντων
τῶν λογκῶν, mais l’état existentiel d’Unicité entre Dieu et sa création intelligible dont Dieu même
est l’auteur.
Prenant ensuite en considération nos résultats pour les relativiser cependant immédiatement
après, Guillaumont est alors obligé de se contredire lui-même, aussi en ce qui concerne la
doctrine d’Évagre. D’abord il avait, en effet, affirmé que notre auteur soutenait que «tous les
intellects, égaux entre eux, forment une unité qu’Évagre nomme «monade», μονάς»258. Plus loin

250
GUILLAUMONT (2004), 341, note 1.
251
Sur la traduction de Muyldermans cf. supra note 246.
252
GUILLAUMONT (2004), 400, note 4.
253
Muyldermans avait traduit átoidx par «unité», et átoidixi = μονάς par «unicité», donc exactement
comme nous l’avons proposé dans la suite!
254
GUILLAUMONT (1961), 225 (italique G. B.).
255
Justinien le dit explicitement, cf. Ep.Just.: DIEKAMP (1899), 90,11s, bien que la suite soit suffisamment
vague pour englober toute forme d’«origénisme».
256
GUILLAUMONT (1962), 37, et ainsi dans ses autres résumés de la doctrine d’Évagre. Celui-ci utilise
d’ailleurs toujours la forme neutre, τὰ λογικά comme en font preuve notamment les Scholies aux Psaumes.
Même observation pour les auteurs des Chapitres, cf. Disc. 24,2; 30,7.
257
Ep. Justin.: Diekamp (1899), 90, 22 s; cf. anathématisme 1.
258
GUILLAUMONT (2004), 344, cf. aussi la note 2.

34
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?

il suggère que «tardivement» Évagre aurait modifié son vocabulaire, appelant maintenant cette
même unité des êtres raisonnable ἑνάς, sous prétexte d’ «éviter toute apparence de panthéisme»!
Or cette «apparence», qui avait déjà choqué le traducteur S1 des Képhalaia Gnostica et l’avait
poussé à modifier radicalement les sentences en question, est trompeuse puisqu’elle n’existe que
pour celui qui croit que, sous la plume d’Évagre, les mots μονάς et τριάς, indistinctement,
désignent Dieu! Mais même mis à part le fait que dans une pensée comme celle d’Évagre, où la
creatio ex nihilo est si fortement affirmée259, le danger de «panthéisme» est inexistant, est-il
vraiment concevable que notre auteur ait ainsi couru le risque que toute son œuvre, les Képhalaia
Gnostica notamment, devienne de la sorte inintelligible?
L’argumentation de Guillaumont repose sur le postulat que Evagriana Syriaca VIII est d’origine
authentiquement évagrienne. Or, comme nous l’avons vu, ce texte a toute chance de n’être en
réalité qu’un autre de ces nombreux éclats d’un grand recueil de «Chapitres de connaissance»
dont une pièce particulièrement consistante nous a été conservée dans les 198 Chapitres des
disciples d’Évagre, précieux témoin de la postérité de la pensée du moine pontique260.
Rappelons que ce qui vaut pour les Képhalaia Gnostica dans leur version S2, ne vaut pas
nécessairement pour les traductions d’autres œuvres d’Évagre, et donc encore moins pour les
textes post-évagriens cités plus haut. Nous avons analysé ailleurs le contenu doctrinal de
Evagriana Syriaca VIII, 8261, limitons-nous donc ici à la seule question linguistique.
«L’unité de la Trinité» vise certainement «la sainte unité du Père et du Fils et du Saint-Esprit»262,
et on peut raisonnablement supposer que átoidx rend dans les deux cas ἕνωσις. Cette «unité
de la Trinité» serait donc, selon les «disciples», le modèle de la Òcd átoidixi. Si le traducteur
de ce texte avait été l’anonyme S2 des Képhalaia Gnostica, on serait peut-être en droit de supposer
pour átoidixi l’équivalent μονάς. Or rien ne nous autorise à présumer qu’il en est ainsi. La
formule bien frappée, mais peu évagrienne, des «disciples»: τριὰς ἑνοῦσα τὰ σύμπαντα, qui fait
écho aux paroles: ἕνωσις263 ἀμέριστος α ὐτοῦ (sc. τοῦ θεοῦ) καὶ τῆς λογικῆς φ ύσεως α ὐτοῦ264,
suggère que le mot átoidixi rend en fait le même terme ἕνωσις. Le passage d’un terme à l’autre
est donc dû, soit au traducteur, soit plutôt à l’insouciance d’un copiste, comme dans le cas de
Disc. 198 = Evagriana Syriaca IX.
Nous nous voyons confirmé par un petit texte, attribué également à Évagre et seulement
conservé en syriaque: Sur les Chérubins. Son auteur définit ici «la contemplation de la Trinité
sainte et adorable», dite aussi «contemplation première»265, comme
contemplation sainte et immatérielle, [contemplation de] l’Unicité (átoidixi) veux-je dire dans la
Trinité et [de] la Trinité dans l’Unicité (átoidixi), Père et Fils et Esprit Saint, à qui la gloire dans les
siècles des siècles. Amen266.

259
Cf. déjà Ep.fid. 2, 41-42; 11, 4.
260
G. BUNGE, „Les Chapitres des disciples d’Évagre. Un précieux témoin de la postérité de la pensée d’Évagre
le Pontique“ (à paraître).
261
Cf. note précédente.
262
Paraen. 41.
átoidx.
263
264
Paraen. 34.
265
Cf. KG I,27.
266
J. MUYLDERMANS, Sur les Séraphins et Sur les Chérubins d’Évagre le Pontique dans les versions syriaques et
arméniennes, Le Muséon 59 (1946) 372.

35
ADAMANTIUS 15 (2009)

Sur les Séraphins et Sur les Chérubins sont-ils authentiquement évagriens267 ou plutôt post-
évagriens, comme nous le suggère leur caractère un peu scolaire? Dans ce cas ils faisaient peut-être
également partie de recueil primitif dont les Chapitres des disciples d’Évagre nous ont conservé le
fragment le plus grand. Plus important pour notre sujet, quel a bien pu être le mot grec que le
traducteur syriaque a rendu deux fois par átoidixi? Et surtout, quel en est le sens exact?
A. Guillaumont, qui présuppose donc ici l’équivalence átoidixi = μονάς, arrête sa citation à la
deuxième occurrence du mot en question. Le texte est évoqué comme preuve supplémentaire de
la synonymie entre μονάς et τριάς268. On objectera que dans ce cas l’expression «contemplation
de l’Unicité dans la Trinité et de la Trinité dans l’Unicité» est une tautologie sans beaucoup de
sens.
La suite et l’évocation des noms du Père, du Fils et de l’Esprit Saint ainsi qu’un regard sur
d’autres textes post-évagriens nous porte à une autre conclusion. Il s’agit plutôt de «l’unité de la
Trinité»269 ad intra, puisque dans la contemplation «de la Trinité sainte est adorée la sainte unité
(htoidx) du Père et du Fils et du Saint-Esprit, auquel soit la gloire dans les siècles des siècles.
Amen»270. Nous avions suggérés ici comme équivalent grec le mot ἕνωσις, que le traducteur du
traité Sur les Chérubins aurait rendu par átoidixi, à moins que ce ne fût un copiste qui a
substitué ce mot à son synonyme átoidx . Quant au sens, on peut donc paraphraser
l’expression en question par: contemplation de l’Unité selon l’essence dans la Trinité des hypostases
et de la Trinité des hypostases dans l’Unité de l’essence. La formulation assez scolaire, «technique»,
typique de ces textes post-évagriens271, est peut-être «dans l’esprit d’Évagre» mais ce n’est pas
Évagre lui-même. Il s’ensuit qu’aucune conclusion ne peut donc être tirée, en ce qui concerne
Évagre lui-même, de textes post-évagriens comme Evagriana Syriaca VIII ou Sur les Chérubins.
Si Guillaumont avait raison, ne faudrait-il d’ailleurs pas s’attendre à trouver une trace de ce
changement radical de la terminologie précisément dans les Chapitres des disciples d’Évagre?
Rappelons que l’auteur y reconnaît le reflet le plus immédiat de «l’enseignement oral d’Évagre»,
voire des «notes prises par ses auditeurs et disciples» personnels272. Or il n’en est rien, puisque le mot
qui désigne l’état existentiel de la «sainte Unicité» entre Dieu et sa créature raisonnable est ici
invariablement ἡ μονάς, comme nous l’avons vu plus haut.

Paul Géhin
Telle n’est pas, manifestement, l’opinion de l’éditeur des Chapitres, qui reste fondamentalement
tributaire de l’approche «moniste» d’A. Guillaumont et de ses devanciers. Au sujet de Disc. 8
Paul Géhin écrit en effet: «Dans l’expression «la santé de l’unité», le mot μονάς ne désigne pas
l’Unité divine, comme assez souvent chez Évagre, mais l’unité formée par les êtres raisonnables
avant leur chute»273. La tournure mise en italique trahit par trop, à notre goût, les quinze
anathématismes de 553 avec leur ἑνάς π άντων τ ῶν λογικῶν, mais soit, il est évident que les

267
A. GUILLAUMONT (2004), 139, le considère sans réserve comme authentiquement évagrien et c’est ainsi
qu’il le cite p.341. Il est vrai que le texte est trempé de réminiscences évagriennes, mais est-ce Évagre qui se
«cite» lui-même ou est-il cité par ses «disciples»?
268
A. GUILLAUMONT (2004), 341.
269
Evagriana Syriaca VIII,8. Cf. J. MUYLDERMANS (1952), 158.
270
Paraen. 41. Cf. J. MUYLDERMANS (1952), 163.
271
Cf. P. GEHIN, Disciples 69 s.
272
GUILLAUMONT (2004), 147 s (italique G. B.).
273
GEHIN, Disciples 110 (italique G.B.), en note, avec renvoi à GUILLAUMONT (2004), 399-404.

36
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?

«disciples» parlent ici d’un état existentiel, dans notre cas protologique. «Le mot réapparaît dans le
ch. 198»274: y a-t-il le même sens ou plutôt un autre?
Le chapitre parle manifestement du rétablissement eschatologique de l’état d’Unicité. Or, ici,
Géhin traduit l’expression ἁγίας μονάδος αὐτῆς ἀπολέμητος καὶ εἰρηνικὴ βασιλεία par «règne
sans lutte et pacifique de l’Unité sainte elle-même», indiquant par la majuscule que, à son avis, il
s’agit au contraire de l’Unité divine. Il en serait de même dans KG I,65 et Evagriana Syriaca XI,34
(= Paraen. 34) que l’auteur cite en guise de commentaire275.
Mis à part le fait, en soi déjà décisif, que Disc. 198 n’émet pas d’affirmations sur Dieu, mais décrit
les différents aspects du rétablissement «de l’état originel [de l’intellect], antérieur au mouvement»,
est-il concevable que les «disciples» auraient défini le «règne de Dieu» comme «règne de l’Unité
même» ou comme «Unité n’ayant pas de dualité», si Unité tout comme Trinité désignait
équivalemment (Guillaumont) Dieu lui-même? Le moment est donc venu d’éclaircir le rapport
entre les deux noms μονάς et τριάς. Pour ne pas trop dépasser les bornes de cet article, nous
devons nous limiter à quelques textes significatifs276.

«Sainte Trinité» et «Monas sainte»


Celui qui soutient, comme A. Guillaumont, la principielle synonymie entre μονάς et τριάς, ou en
général l’idée que le mot μονάς désigne «assez souvent chez Évagre» «l’Unité divine» (P. Géhin),
serait peut-être tenté d’invoquer comme preuve patente la définition du «règne de Dieu» donnée
dans la scholie 5 in Ps 144,13, définition pour laquelle on trouve une formulation alternative dans
la sentence KG IV,51. Car là où la scholie dit que les créatures seront alors «dans la
Trinité sainte», «tous étant un en Dieu», la sentence dit qu’ils seront «dans la μονάς», tous étant
devenus «dieux». Or identifier purement et simplement τριάς et μονάς revient à confondre cause
et effet!
Pour se convaincre que tel est bien le rapport entre les deux notions, il suffit de relire encore une
fois attentivement le passage de la Lettre sur la foi, déjà souvent cité. Sa clé d’interprétation nous
est donnée par le verset Jn 17,21 qu’Évagre évoque plusieurs fois dans ce contexte. Dans la Lettre
Évagre ne s’exprime heureusement pas en ‘énigmes’277, mais il déploie très clairement sa pensée,
bien que de façon extrêmement concise. Reconsidérons donc un à un les éléments de la phrase.
«Puisque Dieu est un». Voici le fondement ontologique. À la différence de toute créature, Dieu est
essentiellement «un et simple par nature»278. L’affirmation que Dieu est «un» et «unique» vise, en
effet, «l’essence sainte et incréée de Dieu»279, et s’applique donc, à cause de leur consubstantialité,
aux trois hypostases divines, Père, Fils et Saint-Esprit280.
«Il unit tous». Voici l’auteur de l’unité des créatures raisonnables aux multiples aspects, unité des
créatures en elles-mêmes, mais aussi entre elles, avec le Christ et finalement par lui avec la Trinité
sainte281. L’auteur (ou la cause) est donc en fait Dieu lui-même: «la Trinité unissant tout», comme
le diront les «disciples», simplifiant un peu la pensée d’Évagre, «l’union (ἕνωσις) indivisible de

274
GÉHIN, l.c.
275
GEHIN, Disciples 258 s (italique G. B.).
276
Pour plus de détails cf. G. BUNGE, La gloire du Monogène (en préparation).
277
Cf. Pr Prol 58-61 et KG S2, sentence finale.
278
Cf. Ep.fid. 2,19.
279
Ibid. 3,11 s.
280
Ibid. 3,24 s., 36 s.
281
Cf. BUNGE (1989, 3).

37
ADAMANTIUS 15 (2009)

[Dieu] et de sa nature raisonnable» 282. Car grâce à son «unité naturelle» en trois hypostases
consubstantielles, Dieu est l’unique qui puisse donner aux créatures une «unité» qu’elles ne
possèdent pas naturellement.
«Quand il entre en chacun». Voici le mode par lequel cette ἕνωσις est réalisée, celui même que le
Christ avait indiqué dans Jn 17,21.23. Il est le fruit de l’inhabitation ‘hypostatique’ de Dieu283
dans sa créature raisonnable. Car, d’une part, celle-ci est, de par sa création, «susceptible» de lui284,
et d’autre part, «Dieu doit devenir tout en tous»285. Mettant l’accent sur les trois hypostases divines,
Évagre peut aussi dire que «la nature raisonnable accueillera la sainte Trinité»286. Mais changeant
de perspective, Évagre peut aussi bien dire que la créature sera alors «dans la sainte Trinité» ou
«en Dieu»287 parce qu’il s’agit d’une parfaite périchorèse entre Dieu et sa créature raisonnable.
Sans pouvoir ici entrer dans les méandres de la christologie évagrienne ajoutons néanmoins, pour
plus de précision, que cette périchorèse présuppose que la créature, pour qu’elle puisse «vivre en
lui à jamais», soit rendue peu à peu «semblable» (παρεμφέρειν) au Seigneur288 qui n’a pas
seulement dit «qu’ils soient un en nous», mais un peu plus loin aussi «moi en eux et toi en moi»289.
Celui qui «entre» dans la créature est donc en fait, conformément à Jn 17,21, le Christ. Il s’agit ici,
en effet, du «plein accomplissement» de la prière de notre Souverain. «Car c’est Jésus qui prie:
«Donne-leur, qu’eux aussi soient un en nous, comme aussi moi et toi nous sommes un, Père»,
comme les «disciples» l’ont bien compris290.
«Et le nombre est aboli»291. Voici la suppression de l’état opposé à celui que Dieu a eu en vue, dès le
début de la création, cette «dualité»292 entre lui et sa création intelligible qui rend celle-ci
«muable»293. Le «nombre» est, en effet, le symbole de la division des natures raisonnables, en elles-
mêmes (corps - âme - intellect), entre elles et avec Dieu294, bien qu’Évagre connaisse aussi un
«nombre spirituel»295 qui ne ‘divise’ donc pas.
«Par l’avènement de la Monas». Voici enfin l’effet et le but de toute l’économie du salut de Jésus-
Christ: «le règne sans lutte et pacifique de l’Unicité elle-même»296. Cependant, il n’est pas
seulement le «plein accomplissement de la prière de notre Souverain», mais aussi le
parachèvement de la raison d’être de la créature raisonnable dont la façonnement «à l’image de
Dieu» signifie précisément son être «susceptible»297 de Dieu, et donc aussi de cet état existentiel
d’Unicité que le mot Monas désigne298.

282
Paraen. 34. Cf. aussi Evagriana Syriaca VIII, 8, qui appartient peut-être également à la forme primitive
des Chapitres des disciples d’Évagre.
283
KG I,3.
284
KG VI,73.
285
In Eccl 4,5: GEHIN 25 (citation de 1 Co 15,28 combinée avec Jn 17,21!).
286
In Eccl 1,11: GÉHIN 3,3 s.
287
5 in Ps 144,13 (citation Jn 17,21).
288
18 in Ps 88,37-38 (citation Jn 17,21).
289
Jn 17,23.
290
Paraen. 34.
291
Cf. aussi Ep.Mel. 22 (citation Jn 17,21).
292
Paraen. 34.
293
Cf. Ep.Mel. 63.
294
Ep.Mel. 22-24; cf. KG I,7.8.29; IV,19.
295
Cf. 2 in Ps 146,4; in Eccl 1,15: GEHIN 6, avec commentaire.
296
Disc. 198.
297
KG VI,73.
298
KG III,11.32.

38
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?

Contrairement à l’axiome philosophique d’une «Hénade de tous les logika», primordiale et


eschatologique, - que les rédacteurs des quinze anathématismes de 553 attribuent aux moines
origénistes qu’ils ont l’intention de stigmatiser comme hérétiques, - le terme abstrait Monas sert
donc simplement dans la pensée d’Évagre, qui l’utilise toujours comme d’un mot codé jamais
spécifié, à la conceptualisation d’une idée d’inspiration foncièrement biblique. Le recours
systématique à Jn 17, 21 en est la preuve patente. Quand il veut en revanche détailler les
différents aspects de la réalité que ce mot codé désigne, Évagre peut donc y renoncer sans
difficulté.

CONCLUSION: L’ÉTAT EXISTENTIEL D’UNICITÉ ENTRE DIEU ET SA CRÉATION INTELLIGIBLE


Aspects linguistiques
Notre analyse linguistique, consacrée à deux notions-clés du vocabulaire technique d’Évagre, a
montré deux choses:
1. Elle a tout d’abord confirmé les qualités exceptionnelles, déjà notées par A. et C. Guillaumont,
de la traduction S2 des Képhalaia Gnostica299. Nous pouvons maintenant affirmer la même chose
au sujet de l’unique manuscrit connu, jusqu’à présent, qui nous a conservé cette version.
Contrairement au traducteur et/ou copiste de la Lettre sur la foi, pourtant conservée par le même
manuscrit Add. 17 167, le traducteur S2 rend systématiquement le binôme ἡ ἑνὰς καὶ μονάς, assez
rare mais important, par átoidixio átoidx. Du point de vue étymologique son choix ne
pouvait être meilleur.
Le terme μονάς, là où il est utilisé seul, est rendu tout aussi systématiquement par átoidixi. Le
copiste du manuscrit de la British Library ne s’est donc permis aucune liberté ici non plus,
puisqu’il paraît sûr qu’Évagre parle, toutes les fois qu’apparaît le mot codé átoidixi, de la
même réalité, déjà bien connue par la Lettre sur la foi: la μονάς comme l’état existentiel d’Unicité
entre Dieu et sa créature raisonnable. Pour les rares occurrences du mot átoidx seul on peut
supposer comme terme grec sous-jacent le mot ἕνωσις.
2. Les résultats obtenus par l’analyse de la version S2 des Képhalaia Gnostica ne peuvent en aucun
cas être appliqués tels quels aux traductions syriaques d’autres œuvres d’Évagre et encore moins
d’écrits post-évagriens. Comme en font preuve les fragments grecs retrouvés et/ou les manuscrits
conservés, il faut ici compter avec une assez grande incohérence, soit de la part des traducteurs,
soit de celle des copistes. Il est d’ailleurs probable que les traducteurs aient été plus consciencieux
que les copistes, comme le montrent l’étude des manuscrits. Pour les copistes, les mots átoidx
et átoidixi étaient, en effet, simplement des synonymes. D’où la facilité avec laquelle ils
passaient de l’un à l’autre, comme nous l’avons vu.
Chaque texte conservé seulement en syriaque doit donc être étudié individuellement et à la
lumière des fragments grecs éventuellement conservés de la même œuvre. D’où des incertitudes
inévitables qui planent par exemple sur la teneur originale de certains passages importants de la
Lettre à Mélanie dont aucun fragment grec n’a encore été retrouvé.

Aspects doctrinaux
Quant à la doctrine d’Évagre, nous espérons avoir démontré que chez notre auteur le terme ἡ
μονάς et son équivalent syriaque átoidixi ne désigne nulle part «Dieu» (Muyldermans), ou

299
A. et C. GUILLAUMONT (1952).

39
ADAMANTIUS 15 (2009)

«l’Unité divine» (Guillaumont, Géhin), et qu’il n’est donc jamais non plus synonyme du nom
«Trinité sainte» (Guillaumont). Ce mot codé désigne toujours et partout, quand il est utilisé seul,
l’état existentiel d’«Unicité» entre Dieu (les trois hypostases divines) et sa création intelligible,
créée précisément pour être «susceptible de la Monas», et c’est en cela que consiste l’essence du
«selon l’image»300. Il est donc, certes, vrai que la pensée d’Évagre est hantée par l’idée de l’unité,
mais il ne s’agit pas de l’Unité divine301, mais plutôt de l’état d’Unicité entre Créateur et créature.
Les «disciples d’Évagre» s’avèrent ici très fidèles à leur maître, nous fournissant une preuve
supplémentaire.
Le binôme «Henas et Monas», très rare dans les écrits d’Évagre, ne prétend donc pas non plus
définir Dieu même, mais il «signifie302 son οὐσία simple et incompréhensible» de Dieu303, comme
Évagre le dit explicitement. En d’autres termes, Évagre conceptualise pas ce binôme abstrait, puisé
dans l’œuvre d’Origène mais d’inspiration solidement biblique (Dieu est «un» et «unique»), le
caractère «non-composé»304, «incorporel et absolument immatériel»305 de son «essence», «sainte et
incréée»306. Dieu se distingue par là radicalement de toute créature, créée «à partir du non-être»,
qui est un «composé» dont «l’hypostase» est constituée d’une «essence» et de certaines «qualités» qui
sont autant de «choses acquises»307 ontologiquement en un second temps.
Quand il veut parler de Dieu lui-même, Évagre évoque toujours les «noms» Père, Fils (Logos,
Monogène), Esprit Saint, qui sont éternels, nous l’avons dit, ou simplement, tel un mot codé, «la
Trinité sainte», dont le sens est clair pour tout chrétien orthodoxe.

Conséquences pratiques
Les oscillations qu’on rencontre dans les études de A. Guillaumont et de P. Géhin, qu’elles
concernent, soit les équivalences entre termes syriaques et grecs, soit leur traduction et
interprétation, suscitent nécessairement perplexité et incertitude chez le lecteur, notamment chez
le lecteur des Képhalaia Gnostica, puisqu’il ne sait plus à quoi s’en tenir. Si nos résultats
rencontrent l’approbation des spécialistes d’Évagre, il ne sera pas trop difficile cependant de
sortir de l’impasse. Nous proposons de traduire dorénavant dans les sentences KG II, 3, III, 1 et
IV, 21, conservées seulement en syriaque, le binôme ἑνὰς καὶ μονάς par «Unité et Unicité», à
moins qu’on ne préfère les translittérations «Hénas et Monas». Ces équivalents français, dont
s’était déjà servi J. Muyldermans pour les mots átoidx et átoidixi, sont, en effet,
étymologiquement les plus proches, non seulement du syriaque, mais aussi du grec.
Dans les vingt-quatre sentences des Képhalaia Gnostica où le terme átoidixi apparaît seul, on
lira donc opportunément également «Unicité» (ou «Monas»), au lieu d’«Unité» (Guillaumont,
Géhin). Les formes francisées «hénade» et «monade», qu’on rencontre quelquefois dans la
littérature, nous paraissent moins heureuses puisqu’elles risquent de susciter des associations

300
KG III, 32.
301
GUILLAUMONT (2004), 340.
302
Le verbe σημαίνει est synonyme de δηλοῖ, λόγον ἐπέχει, σύμβολόν ἐστι. Ces expressions indiquent chez
Évagre un rapport ‘significatif’ entre deux réalités, mais pas une identité. Le binôme ‘indique’ donc que
l’essence de Dieu est absolument ‘simple’, autrement dit, qu’elle n’est pas ‘composée’, comme l’essence d’une
créature l’est. Tout cela est dit très clairement dans Ep.fid.
303
Ep.fid. 2,37 s.
304
Ep.fid. 2, 20.
305
Ep.fid. 12, 21.
306
Ep.fid. 3, 12.
307
Ep.fid. 2, 27 - 29 et passim.

40
GABRIEL BUNGE – Encore une fois: Hénade ou Monade?

trompeuses. Le premier mot fait, en effet, penser à la «hénade de tous les logika» des moines
origénistes du VIe siècle, le second à la «monade» de Leibniz, comme l’a déjà fait remarquer
A. Guillaumont308. Puisqu’il s’agit chez Évagre de mots codés, autant recourir à des néologismes.
P. Gabriel Bunge
Eremo Santa Croce
CH 6957 Roveredo Capriasca

1. Œuvres d’Évagre

Ep Epistulae LXII, éd. W. FRANKENBERG, Euagrius Ponticus, Berlin 1912. Traduction allemande
G. BUNGE, Evagrios Pontikos. Briefe aus der Wüste, Trier 1986. Fragments grecs éd. C.
GUILLAUMONT, Fragments grecs inédits d’Évagre le Pontique, TU 133, Berlin 1987, 209-221. P.
GÉHIN, Nouveaux fragments des lettres d’Évagre, RHT 24 (1994) 117-147.
Ep.fid. Epistula fidei, éd. et trad. ital J. GRIBOMONT, dans: M. FORLIN-PATRUCCO, Basilio di
Cesarea, Le lettere, vol. I. Turin 1983, 84-113. Traduction allemande dans: G. BUNGE, Briefe,
284-302.
Ep.Mel. Epistula ad Melaniam, éd. FRANKENBERG loc. cit. (Première partie); G. VITESTAM, Seconde
partie du traité, qui passe sous le nom de “La grande lettre d’Évagre le Pontique à Mélanie
l’Ancienne”, Lund 1964. Traduction anglaise: M. PARMENTIER, Evagrius of Pontus. «Letter to
Melania», Bijdr. 46 (1985) 2-38. Traduction allemande dans: G. BUNGE, Briefe, 303-328.
Gn Gnostikos, éd. et trad. A. et C. GUILLAUMONT, Évagre le Pontique. Le Gnostique ou À celui qui
est devenu digne de la science, SC 356, Paris 1989.
In Eccl Scholia in Ecclesiasten, éd. et trad. P. GÉHIN, Évagre le Pontique. Scholies à l'Ecclésiaste,
SC 397, Paris 1993.
In Prov Scholia in Proverbia, éd. et trad. P. GÉHIN, Évagre le Pontique. Scholies aux Proverbes, SC 340,
Paris 1987.
In Ps Scholia in Psalmos. Avec l’aimable permission de Mlle M.-J. Rondeau, qui prépare une édition
critique de cette oeuvre, nous utilisons sa collation du manuscrit Vaticanus graecus 754, les
chaînes imprimées étant souvent défectueuses et lacuneuses. Cf. aussi EAD. Le commentaire sur
les Psaumes d’Évagre le Pontique, OCP 26 (1960) 307-348.
Inst Institutio ad Monachos, PG 79, 1236-1240. Supplément éd. J. MUYLDERMANS, “Evagriana. Le
Vatic. Barb. Graecus 515”, Le Muséon 51 (1938), 198-204. Traduction anglaise dans: R. E.
SINKEWICZ, op. cit. 217-223. Nous suivrons la numérotation de la traduction anglaise.
KG Kephalaia Gnostika, éd. et trad. A. GUILLAUMONT, Les six Centuries des “Képhalaia Gnostica”
d’Évagre le Pontique, PO 28, Paris 1958.
Pr Capita practica ad Anatolium, éd. et trad. A. et C. GUILLAUMONT, Évagre le Pontique. Traité
pratique ou Le moine, SC 170-171, Paris 1971.

2. Autres sources
Disc. Chapitres des disciples d’Évagre, ed. P. GÉHIN, [Évagre le Pontique], Chapitres des disciples
d’Évagre, SC 514, Paris 2007.
Paraen. Paraenesis (= Evagriana Syriaca XI), ed. J. MUYLDERMANS, Evagriana Syriaca, Louvain 1952,
130-133 (texte), 160-163.

308
GUILLAUMONT (2004), 341, note 1.

41
ADAMANTIUS 15 (2009)
Prin Origène, Traité des Principes, Introduction, texte critique de la version de Rufin, traduction
et commentaire par H. CROUZEL et M. SIMONETTI, SC 252/253, Paris 1978, SC 268/269
Paris 1980, SC 312, Paris 1984.

3. Bibliographie choisie
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– (1939, 2): Metaphysik und Mystik des Evagrius Ponticus, ZAM 14 (1939) 31-47.
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G. BUNGE (1986): Evagrios Pontikos. Briefe aus der Wüste, Trier 1986.
– (1986): Origenismus - Gnostizismus. Zum geistesgeschichtlichen Standort des Evagrios Pontikos, VigChr 40
(1986) 24-54.
– (1989, 1), Hénade ou Monade? Au sujet de deux notions centrales de la terminologie évagrienne, Le Muséon
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Mystik». FZPh 36 (1989) 449-469.
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(III,5,6), BLE 98 (1997) 21-29.
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J. MEYENDORFF – J. LECLERQ, Bd. 1, Würzburg 1993.
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O. ZÖCKLER (1893): Evagrius Pontikus. Seine Stellung in der altchristlichen Literatur und Dogmengeschichte,
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42
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