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Kiss Alexandre Charles. Problèmes de droit international posés par la voie d'eau Rhin-Danube. In: Annuaire français de
droit international, volume 27, 1981. pp. 768-780;
doi : https://doi.org/10.3406/afdi.1981.2472
https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1981_num_27_1_2472
Alexandre KISS
II est prévu que la voie d'eau à grand gabarit reliant le Rhin au Danube à
travers le territoire de la République fédérale d'Allemagne sera achevée en
1985. Cette liaison permettra aux bateaux iaugeant jusqu'à 1 350 tonnes de
naviguer dans toute la zone européenne qui s'étend entre l'embouchure du Rhin
sur la mer du Nord et l'embouchure du Danube sur la mer Noire, sur le Rhin
et sur le Danube et sur leurs affluents et canaux. Sa longueur totale sera de
764 kilomètres; elle comportera deux sections fluviales, l'une épousant en partie
le Main, sur 385 kilomètres, l'autre, à l'autre extrémité, le Danube, sur 208
kilomètres. Les deux sections devaient être aménagées pour recevoir des bateaux
d'aussi fort tonnage. Entre les deux, un canal long de 171 kilomètres est en
construction : il suit deux rivières non navigables sur 67 kilomètres, mais doit
être entièrement creusé sur une longueur de 104 kilomètres.
La liaison prévue pose deux séries de problèmes. Au point de vue
économique, la flotte rhénane, qui connaît un certain nombre de difficultés, estimait
courir le risque de se voir concurrencer par les transporteurs venus de pays
socialistes qui peuvent opérer à des prix réduits et qui, pour des raisons
climatiques, seraient tentés de refluer sur l'Europe de l'Ouest, en particulier pendant
la mauvaise saison. La contrepartie pour les bateliers de l'Europe occidentale
paraît plutôt maigre : le trafic du Danube est bien moins important que celui du
Rhin et, par ailleurs, comme dans les pays socialistes tout le commerce est entre
les mains de l'Etat, les milieux rhénans se demandent si les organismes
commerciaux étatiques n'avantageront pas leur propre batellerie, en particulier lorsqu'il
s'agira de transporter des marchandises entre pays riverains du Danube (1) .
Les difficultés ainsi prévues semblaient devoir être aggravées par la disparité
des régimes juridiques du Rhin et du Danube : le statut adopté pour ce dernier
fleuve à Belgrade le 18 août 1948 a mis fin à une certaine unité qui avait existé
jusqu'alors et accuse une régression par rapport à l'ancienne conception de la
liberté de la navigation qui restait le principe fondamental du régime du Rhin.
Pour saisir la situation dans sa totalité, il convient de retracer toute une série
de régimes juridiques attachés aux différentes parties de la voie d'eau qui s'ouvrira
entre la mer du Nord et la mer Noire.
I. Le régime du Rhin.
(8) On peut rappeler à cet égard l'article 91 du projet de convention élaboré par la
Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, bien moins précis, qui se contente
d'exiger l'existence d'un lien réel entre le navire et l'Etat dont il bat pavillon.
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Son régime juridique présente une certaine complexité. Il a été démontré par
d'éminents auteurs que le droit international commun ne comporte pas de règle
qui imposerait un statut international à des canaux entièrement construits sur le
territoire d'un seul Etat (11). Ni le fait de relier deux réseaux internationaux de
voies d'eau, ni l'utilisation des eaux d'un fleuve international (12) ne semblent
motiver une internationalisation, ni imposer l'admission sur le canal en toute
liberté des bateaux d'Etats étrangers. Par contre, on ne saurait ignorer certaines
dispositions du Traité de Versailles visant expressément la voie navigable Rhin-
Danube. L'article 331 qui déclare internationaux l'Elbe, l'Oder, le Niémen, le
Danube et toute partie navigable de ces réseaux fluviaux servant naturellement
d'accès à la mer d'une Etat ainsi que les canaux latéraux et chenaux, prévoit que :
« II en sera de même de la voie navigable Rhin-Danube au cas où cette voie
serait construite dans les conditions fixées à l'article 353 ».
Une section spéciale du chapitre relatif aux fleuves « internationalisés »,
consacrée au Danube, renforce cette disposition :
« Dans le cas de la construction d'une voie navigable à grande section Rhin-
Danube, l'Allemagne s'engage à appliquer à ladite voie navigable le régime
prévu aux articles 332 à 338» (art. 353).
Les clauses auxquelles cette référence est faite contiennent la description du
régime général des voies d'eau reconnues comme internationales : égalité de
traitement pour les ressortissants, les biens et les pavillons de toutes les Puissances,
perception de taxes seulement si elles sont destinées à couvrir d'une façon
équitable les frais d'entretien de la navigation ou d'amélioration de la voie navigable;
obligation des riverains d'assurer le maintien de la navigation dans de bonnes
conditions, etc. L'article 338 prévoit la conclusion d'une convention générale
relativement aux voies navigables.
On sait que cette convention a effectivement été signée à Barcelone le 20 avril
1921. Toutefois, parmi les Etats qui à l'époque étaient membres de la Commission
centrale pour la navigation du Rhin, seuls l'Empire britannique, la France et
l'Italie l'ont ratifiée. En tout état de cause, cet instrument précise expressément
dans son article 2 qu'il ne modifie pas les droits et les obligations découlant du
Traité de Versailles pour les Etats qui en sont parties ou bénéficiaires.
Ainsi, les clauses correspondantes du Traité de Versailles sont restées en
vigueur après 1921. Le 14 novembre 1936, l'Allemagne, tombée sous le régime
national-socialiste, a dénoncé les dispositions relatives aux fleuves internationaux
comme ayant créé « un régime artificiel et contraire aux besoins pratiques de la
navigation», instauré unilatéralement en défaveur de l'Allemagne. En conséquence,
aux termes de la note adressée à presque tous les Etats européens, le
Gouvernement allemand
« ... se voit ... dans l'obligation de déclarer qu'il n'est plus lié par des
dispositions du Traité de Versailles relatives aux voies d'eau se trouvant sur le
territoire allemand et par l'acte fluvial international fondé sur ces dispositions. De ce
fait, il a décidé de résilier par la présente note avec effet immédiat le modus
vivendi conclu pour le Rhin le 4 mai, conformément à son article 3, paragraphe 2.
Il est par conséquent mis fin à la collaboration de l'Allemagne dans les
Commissions fluviales» (13).
(21) Protocole 1947-1-2 : < Sir Osborne Mance, Délégué de Grande-Bretagne, relève
que, dans les compte rendus, il est dit qu'aucune modification n'a été apportée à la
Convention de Mannheim. Comme le Traité de Versailles a, en fait, apporté diverses modifications
et qu'une autre y a été apportée ultérieurement (Convention relative à la délivrance des
patentes de bateliers), il suppose que la mention qui est faite de la Convention de Mannheim
dans les deux comptes rendus signifie qu'aucune modification n'y a été apportée ni au
cours de 1945, ni pendant l'année 1946.
Le Président confirme que tel est bien le sens des deux passages en question.
En conséquence, il déclare que les projets de comptes rendus de l'activité de la
Commission Centrale pour les années 1945 et 1946 sont adoptés avec les susdites modifications.
Ils seront insérés dans le Rapport Annuel et communiqués aux organes de publication ».
(22) Vitanyi, p. 26.
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Cette idée semble correspondre à celle que traduit dans des règles juridiques
le Protocole additionnel n° 2 du 17 octobre 1979. Le nouvel article 4 que cet
instrument introduit dans la Convention de Mannheim distingue entre deux
hypothèses, les deux allant dans le sens d'une certaine internationalisation du canal
entre Bamberg et Kehlheim :
a) Les bateaux n'appartenant pas à la navigation du Rhin, donc ceux d'Etats
non contractants ou assimilés (c'est-à-dire d'Etats membres de la C.E.E.) ne sont
autorisés à effectuer des transports de marchandises et de personnes entre deux
points situés sur le Rhin ou ses affluents que dans des conditions déterminées par
la Commission centrale.
Ainsi, par exemple, si un bateau bulgare voulait faire un transport entre Bâle
et Rotterdam, il devrait y être autorisé dans des conditions déterminées par la
Commission centrale. Cependant, en fait, des conditions favorables éventuellement
prévues par la Commission seraient vidées de tout sens si le Gouvernement fédéral
allemand s'opposait au passage du bateau sur le canal entre Kehlheim et Bamberg,
seule voie d'accès fluviale du Rhin à partir du Danube. Un élément international
intervient donc nécessairement dans l'autorisation à accorder — même si le
Protocole du 17 octobre 1979 ne précise pas quel est l'organe compétent qui doit accorder
l'autorisation : dans l'exemple choisi, la Commission centrale elle-même, le
gouvernement allemand, le gouvernement suisse, le gouvernement néerlandais ou les deux
derniers à la fois.
Le fait que le passage de la section Bamberg-Kehlheim du canal n'est pas
soumis exclusivement à la décision des autorités allemandes est encore plus
évident dans une deuxième hypothèse, également prévue par le nouvel article 4 de
la Convention de Mannheim.
b) Les bateaux n'appartenant pas à la navigation du Rhin ni assimilés
peuvent effectuer des transports de marchandises et de personnes entre un lieu situé
sur le Rhin et sur ses affluents dans des conditions qui doivent être déterminées
dans des accords à conclure entre les deux Parties concernées. La Commission
centrale est consultée avant la conclusion de tels accords.
Il s'agirait donc, par exemple, pour un transport entre un port bulgare et le
port de Strasbourg, d'un accord à conclure entre la France et la Bulgarie, après
consultation de la Commission centrale. Or, si un tel accord intervient et si la
République fédérale s'y oppose en fermant la voie navigable Kehlheim-Bamberg,
l'accord ne peut en réalité être exécuté. On ne saurait admettre que les auteurs
du Protocole additionnel n° 2 ont voulu adopter des dispositions qui, le cas échéant,
peuvent ne produire aucun effet, l'accord bilatéral prévu restant sans objet par
suite de l'opposition d'un Etat tiers (23). Dès lors, force est de reconnaître que
le canal Bamberg-Kehlheim a un caractère international, même si ce caractère
n'est pas aussi absolu que ce qui avait été prévu au Traité de Versailles.
L'obligation de consulter la Commission centrale pour la navigation du Rhin avant la
conclusion de tout accord bilatéral ne fait que renforcer ce caractère, bien que
l'on doive souligner que le devoir des Etats contractants désireux de conclure un
accord bilatéral avec un Etat tiers n'est pas d'obtenir un avis favorable, mais
simplement de consulter la Commission centrale et qu'ils peuvent donc, le cas
échéant, passer outre à l'opinion exprimée par la Commission.
LA VOIE D'EAU RHIN-DANUBE 777
(23) On peut rappeler à ce sujet le principe de l'« effet utile» des traités qui est
réaffirmé par les articles 31 al. 1 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités
du 29 mai 1969.
(24) Voir le texte dans Collxard-Manin, Droit international et Histoire diplomatique,
II, p. 75.
(25) Jaenicke, p. 42.
(26) Traités de paix avec la Bulgarie, art. 34, avec la Roumanie, art. 36, avec la
Hongrie, art. 38.
(27) Voir Kiss, Répertoire, I : 727, et Jaenicke, p. 44, note 49.
(28) Vitanyi, p. 5.
(29) Voir le texte dans Colliard-Manin, II, p. 254.
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Ce régime étant trop connu pour qu'il soit nécessaire d'y insister, il conviendra
de se borner à en faire ressortir les éléments qui peuvent avoir une influence sur
les aspects juridiques de la liaison entre les deux grands neuves européens.
Si l'article 1er de la Convention de Belgrade du 18 août 1948 déclare que la
navigation sur le Danube sera libre et ouverte aux ressortissants, aux bateaux
marchands et aux marchandises de tous les Etats sur un pied d'égalité en ce qui
concerne les droits de port et les taxes sur la navigation, il contient aussi deux
(40) Van Eysinga-Walther, pp. 176-178; Kiss, Commission centrale pour la navigation
du Rhin, cet Annuaire, 1955, pp. 510-513.
(41) Van Eysinga-Wamher, pp. 179-180.