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Annuaire français de droit

international

Problèmes de droit international posés par la voie d'eau Rhin-


Danube
Alexandre Charles Kiss

Citer ce document / Cite this document :

Kiss Alexandre Charles. Problèmes de droit international posés par la voie d'eau Rhin-Danube. In: Annuaire français de
droit international, volume 27, 1981. pp. 768-780;

doi : https://doi.org/10.3406/afdi.1981.2472

https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1981_num_27_1_2472

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PROBLEMES DE DROIT INTERNATIONAL
POSÉS PAR LA VOIE D'EAU RHIN-DANUBE

Alexandre KISS

II est prévu que la voie d'eau à grand gabarit reliant le Rhin au Danube à
travers le territoire de la République fédérale d'Allemagne sera achevée en
1985. Cette liaison permettra aux bateaux iaugeant jusqu'à 1 350 tonnes de
naviguer dans toute la zone européenne qui s'étend entre l'embouchure du Rhin
sur la mer du Nord et l'embouchure du Danube sur la mer Noire, sur le Rhin
et sur le Danube et sur leurs affluents et canaux. Sa longueur totale sera de
764 kilomètres; elle comportera deux sections fluviales, l'une épousant en partie
le Main, sur 385 kilomètres, l'autre, à l'autre extrémité, le Danube, sur 208
kilomètres. Les deux sections devaient être aménagées pour recevoir des bateaux
d'aussi fort tonnage. Entre les deux, un canal long de 171 kilomètres est en
construction : il suit deux rivières non navigables sur 67 kilomètres, mais doit
être entièrement creusé sur une longueur de 104 kilomètres.
La liaison prévue pose deux séries de problèmes. Au point de vue
économique, la flotte rhénane, qui connaît un certain nombre de difficultés, estimait
courir le risque de se voir concurrencer par les transporteurs venus de pays
socialistes qui peuvent opérer à des prix réduits et qui, pour des raisons
climatiques, seraient tentés de refluer sur l'Europe de l'Ouest, en particulier pendant
la mauvaise saison. La contrepartie pour les bateliers de l'Europe occidentale
paraît plutôt maigre : le trafic du Danube est bien moins important que celui du
Rhin et, par ailleurs, comme dans les pays socialistes tout le commerce est entre
les mains de l'Etat, les milieux rhénans se demandent si les organismes
commerciaux étatiques n'avantageront pas leur propre batellerie, en particulier lorsqu'il
s'agira de transporter des marchandises entre pays riverains du Danube (1) .
Les difficultés ainsi prévues semblaient devoir être aggravées par la disparité
des régimes juridiques du Rhin et du Danube : le statut adopté pour ce dernier
fleuve à Belgrade le 18 août 1948 a mis fin à une certaine unité qui avait existé
jusqu'alors et accuse une régression par rapport à l'ancienne conception de la
liberté de la navigation qui restait le principe fondamental du régime du Rhin.

(*) Alexandre Kiss, Directeur de recherche au Centre National de la Recherche


Scientifique, Secrétaire général de l'Institut International des Droits de l'Homme.
(1) Ces craintes ont été exprimées, en particulier, par la Chambre de Commerce
internationale, Document n° 355-3/7 rédigé par le Groupe de travail des usagers de la navigation
fluviale, ainsi que dans un rapport élaboré dans le cadre des Chambres du commerce et de
l'industrie d'Amsterdam et de Rotterdam : « Rhein-Main-Donau-Verbindung », novembre 1974.
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Pour saisir la situation dans sa totalité, il convient de retracer toute une série
de régimes juridiques attachés aux différentes parties de la voie d'eau qui s'ouvrira
entre la mer du Nord et la mer Noire.

I. Le régime du Rhin.

Le statut du Rhin résulte aujourd'hui de la Convention révisée pour la


navigation du Rhin, signée à Mannheim le 17 octobre 1868 et amendée par la Convention
de Strasbourg du 20 novembre 1963. Trois protocoles additionnels ont été ajoutés
à des dates plus récentes : un des trois, signé à Strasbourg le 17 octobre 1979,
et accompagné d'un Protocole de signature (2) , a un intérêt particulier à notre
point de vue.
L'Acte de Mannheim énonce le principe que la navigation du Rhin et de ses
embouchures, depuis Bâle jusqu'à la pleine mer, sera libre aux navires de toutes
les nations pour le transport des marchandises et des personnes, à la condition
de se conformer aux stipulations contenues dans la Convention et aux mesures
prescrites pour le maintien de la sécurité générale (art. 1er). Toutefois, le contenu
de cette liberté n'est pas précisé véritablement (3) .
Tout au plus peut-on faire état d'un certain nombre de dispositions de portée
générale : aucun droit basé uniquement sur le fait de la navigation ne peut être
prélevé sur les bateaux ou leurs chargements; la perception de droits de bouée
et de balisage en amont de Rotterdam et de Dordrecht est interdite (art. 3); les
bateliers ne peuvent être contraints à décharger ou à transborder leurs
chargements (art. 5) ; tout droit de relâche et d'échelle est supprimé (art. 5) ; le transit
de toutes marchandises est libre sur le Rhin et ne peut donner lieu à aucun droit
de transit (art. 7).
Il n'en reste pas moins que la Convention de Mannheim a prévu elle-même
des privilèges en faveur des riverains. Les «bateaux appartenant à la navigation
du Rhin », définis comme « tout bateau ayant le droit de porter le pavillon d'un
des Etats riverains et pouvant justifier ce droit au moyen d'un document délivré
par l'autorité compétente » (art. 2, al. 3) avaient le droit de choisir telle voie qu'il
leur plaisait en traversant les Pays-Bas pour se rendre du Rhin dans la pleine
mer ou en Belgique et réciproquement (art. 2, al. 1) et devaient bénéficier pour
le Rhin et ses affluents du traitement national sous tous les rapports (art. 4).
Le Traité de Versailles a étendu ce privilège aux bateaux de toutes les nations
et leurs chargements (art. 356) vidant ainsi de son contenu la catégorie « bateaux
appartenant à la navigation du Rhin ». Il n'en reste pas moins que ni la doctrine,
ni la pratique n'ont pu adopter une opinion unanime quant à la question de savoir
si le « petit cabotage », c'est-à-dire le transport de marchandises et de personnes
entre deux points du même Etat devait être considéré comme faisant partie de
la liberté de la navigation (4) .
Le Traité de Versailles a également élargi la Commission centrale pour la

(2) Assemblée Nationale, seconde session ordinaire de 1979-1980, Document n° 1787.


(3) R. Doerfldîger, Binnenschiffahrtsrecht und Rhein-Main-Donau-Verbindung,
Université de Trieste, Istituto per lo studio dei trasporti, 1980, p. 612.
(4) Doerfldjger, op. dt., p. 612; G. Jaenicke, Die neue Schiffahrtsstrasse Rhein-Main-
Donau, Athendum Verlag, 1973, pp. 34 ss.
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navigation du Rhin en y introduisant des Etats non riverains, dont deux, la


Belgique et le Royaume-Uni, sont encore représentés au sein de cet organisme. Sans
s'arrêter sur les vicissitudes de la période d'entre-deux-guerres (5) , on signalera
la permanence du statut du Rhin après 1945 et les répercussions de la création
de la Communauté Economique Européenne sur la navigation rhénane.
Effectivement, même si l'on fait abstraction des clauses du Traité de Versailles, les
dispositions du Traité de Rome du 25 mars 1957 assurent le régime national à tous
les bateaux appartenant aux Etats membres du Marché Commun. Conformément
aux articles 59-65 instituant la libre circulation des services et surtout, en vertu
de l'article 76 introduisant un régime transitoire de liberté en matière de
transports (6) , les bateaux battant pavillon des Etats membres de la C.E.E. doivent
être assimilés à ceux des Etats riverains, du moins sur le territoire des Etats
riverains faisant partie de la C.E.E. Pour les six Etats communautaires non
riverains, la question du petit cabotage se trouve ainsi résolue en ce qui concerne la
France, la R.F.A. et les Pays-Bas. Théoriquement, la question reste entière en ce
qui concerne la Suisse, pays non membre de la C.E.E., mais on ne saurait
oublier que le régime du Rhin ne commence qu'à partir de Bale, ville frontière
où le Rhin quitte la Suisse, si bien que le problème du petit cabotage ne se pose
pas en réalité.
Plus récemment, un des Protocoles signés à Strasbourg le 17 octobre 1979, à
là suite de nombreuses suggestions émanant de milieux rhénans, le Protocole
additionnel n" 2 a rétabli une situation assez analogue à celle qui avait été prévue
par la Convention de Mannheim. En effet, il a réintroduit une distinction entre les
bateaux appartenant à la navigation du Rhin et ceux battant pavillon d'autres
Etats (7) . Au terme de cette évolution, il existe à l'heure actuelle trois catégories
de bateaux.
a) Bateaux appartenant à la navigation du Rhin. Cette catégorie est plus
large que celle prévue par la Convention de Mannheim où le critère adopté avait
été « le droit de porter le pavillon d'un des Etats riverains ». Le Protocole du
17 octobre 1979 remplace le terme « Etats riverains » par « Etats contractants »
(art. 1), compte tenu de l'élargissement de la Commission intervenue en 1919.
Ainsi, la Belgique et le Royaume-Uni, Etats non riverains, bénéficient désormais
de ce régime.
Les « bateaux appartenant à la navigation du Rhin » sont désormais seuls
autorisés à effectuer des transports de marchandises et de personnes entre deux
points situés sur le réseau rhénan défini comme comprenant le Rhin, ses affluents
en tant qu'ils sont situés sur le territoire des Etats contractants, et sur les voies
navigables traversant les Pays-Bas et reliant la pleine mer au Rhin (article 3 de
la Convention de Mannheim). Les conditions d'admission dans cette catégorie
sont en même temps précisées par le Protocole de signature accompagnant le
Protocole additionnel n° 2. Les bateaux appartenant à la navigation du Rhin
doivent pouvoir justifier le droit de battre pavillon d'un des Etats contractants au

(5) En particulier, par une note du 14 novembre 1936, le Gouvernement allemand a


déclaré qu'il n'était plus lié par les dispositions du Traité de Versailles relatives aux voies
d'eau sur le territoire allemand. Voir l'analyse de ce document plus bas.
(6) Selon cet article jusqu'à l'établissement d'une politique commune des transports
« aucun des Etats membres ne peut rendre moins favorables, dans leur effet direct ou
indirect à l'égard des transporteurs des autres Etats membres par rapport aux transporteurs
nationaux les dispositions diverses régissant la matière à l'entrée en vigueur du présent
traité ».
(7) Voir sur ce Protocole : B. Vitanyi, « Le statut juridique de la nouvelle voie
navigable Rhin-Main-Danube », rapport présenté aux Journées du Mans de la Société française
pour le droit international, 22-24 mai 1980, pp. 9-13.
LA VOIE D'EAU RHIN-DANUBE 771

moyen d'un document délivré par l'autorité compétente. Or cette dernière ne


peut délivrer le document en question que s'il existe un lien réel entre l'Etat du
pavillon et le bateau, étant entendu que les éléments de ce lien seront déterminés
« ... sur base de l'égalité de traitement entre Etats contractants qui prendront
les mesures nécessaires pour en permettre une adoption uniforme».
Il est même ajouté que lorsque les conditions de délivrance de ce document ne
sont plus remplies, il cesse d'être valable et doit être retiré par l'autorité qui
l'a délivré (8) . Ainsi, les pavillons de complaisance qui risquaient de s'introduire
sur le réseau rhénan se trouvent éliminés.
b) A cette catégorie de bateaux se trouvent assimilés les bateaux ayant le
droit de battre pavillon de tout Etat membre de la Communauté économique
européenne (Protocole de signature au Protocole additionnel n" 2). Cette mesure n'est
que temporaire car le Protocole de signature prévoit aussi des négociations sur
les modifications à la Convention révisée pour la navigation du Rhin qui
s'avéreraient nécessaires en vue d'une adhésion éventuelle de la Communauté
économique européenne au statut international du Rhin. A plus long terme, il est donc
prévu que tous les bateaux relevant de pays communautaires bénéficient
pleinement et à titre définitif du régime originalement reconnu seulement aux riverains.
c) Les bateaux portant le pavillon d'autres Etats continuent à bénéficier sur
le Rhin de la liberté de la navigation et de l'interdiction de prélever des droits et
des taxes, mais le contenu même de la liberté de naviguer prend pour eux
désormais une autre signification. Une distinction peut être faite entre deux hypothèses :
— Ils peuvent transporter des marchandises et des personnes entre deux
points du réseau rhénan — c'est-à-dire le Rhin depuis Bâle jusqu'à la pleine mer
et ses affluents situés sur le territoire des Etats contractants seulement s'ils y sont
autorisés dans des conditions déterminées par la Commission centrale pour la
navigation du Rhin (nouvel article 4, al. 1), mais la décision peut aussi être prise
dans des conditions déterminées par la Commission centrale de les assimiler aux
bateaux appartenant à la navigation du Rhin (Protocole de signature, par. 3).
— Ils peuvent transporter des marchandises et des personnes entre un point
du réseau rhénan et un lieu situé sur le territoire d'un Etat tiers en vertu d'accords
à conclure entre les deux Etats concernés après consultation de la Commission
centrale pour la navigation du Rhin (nouvel article 4, al. 2).
Il semble donc que la liberté de la navigation sans condition ne couvre
désormais que soit le transit par le réseau rhénan, soit le transport des marchandises
et des personnes entre un port du Rhin lui-même et la pleine mer, en admettant
que le transbordement des marchandises ou des personnes en pleine mer échappe
à la définition « lieu situé sur le territoire d'un Etats tiers ».
En tout état de cause, on peut constater un accroissement des attributions de
la Commission qui jusqu'ici n'intervenait directement que dans les conditions de la
navigation (questions techniques, fèglement de police, etc.) mais non dans les
conditions du transport lui-même. Désormais, elle a la haute main sur tout ce qui
touche au transport des marchandises et des personnes par des bateaux d'Etats
qui ne sont ni parties au statut du Rhin, ni membres de la C.E.E. Ce rôle direct
dans le domaine économique peut bien être considéré comme une mutation dans
l'histoire de la navigation rhénane.

(8) On peut rappeler à cet égard l'article 91 du projet de convention élaboré par la
Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, bien moins précis, qui se contente
d'exiger l'existence d'un lien réel entre le navire et l'Etat dont il bat pavillon.
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II. Le régime du Main canalisé.

Le Main doit faire partie de la liaison Rhin-Danube depuis Mayence, où il


se jette dans le Rhin, jusqu'à Bamberg, sur une longueur de 385 kilomètres. Des
travaux de canalisation étaient nécessaires pour porter le chenal navigable du
fleuve aux dimensions voulues, alors que le Main avait été navigable déjà
auparavant, notamment à l'époque où la Convention de Mannheim a été signée. Ces
travaux sont terminés depuis 1962, ils comportaient entre autres la construction
de 35 écluses.
Au point de vue juridique, le Main fait certainement partie du réseau du
Rhin, mais les dispositions de la Convention de Mannheim ne s'y appliquaient pas
intégralement. Dès le départ, une distinction était faite en faveur des bateaux
appartenant à la navigation du Rhin et les autres auxquels la libre navigation
n'était reconnue que sur le Rhin depuis Bâle jusqu'à la pleine mer. Cette
distinction est reprise par le Protocole additionnel n° 2 du 17 octobre 1979 qui accorde
aux bateaux appartenant à la navigation du Rhin ou assimilés le droit de
transporter des marchandises et des personnes entre deux points situés sur le Rhin
ou sur ses affluents, mais subordonne l'autorisation des autres bâtiments aux
conditions déterminées par la Commission centrale pour la navigation du Rhin.
Il a été avancé que les travaux de canalisation du Main auraient un effet sur
ce statut. On a du mal à suivre un tel raisonnement. Le Main était navigable au
moment de la signature de la Convention de Mannheim, c'est donc en
connaissance de cause, devant un fait existant, que la liberté des bateaux appartenant à
la navigation du Rhin — et seulement de ces bateaux — y était reconnue. La
canalisation ultérieure introduit un élément quantitatif et non pas qualitatif susceptible
de modifier le régime juridique : le fait d'avoir modifié le gabarit de la voie
navigable du Main ne semble pas devoir exercer une influence quelconque au point
de vue du droit (9). Par ailleurs, on peut rappeler par analogie la convention
franco-germano-luxembourgeoise du 27 octobre 1956 relative à la canalisation de
la Moselle, autre affluent du Rhin. Ce fleuve devait être aménagé afin de permettre
aux bateaux de 1 500 tonnes de remonter jusqu'à Thionville. La convention
reconnaît que la navigation sur ce fleuve dans le cadre du trafic international
« ... soit en descendant, soit en montant, sera libre aux bâtiments de toutes
les nations pour le remorquage et le transport des marchandises et des
personnes. »
et cela entre son embouchure, c'est-à-dire Coblence, et Metz (10) .

in. Le régime du canal entre le Main et le Danube.

La troisième section de la voie d'eau Rhin-Danube doit relier le Main au


Danube entre Bamberg et Kehlheim. Elle doit consister en un canal entièrement
creusé sur une longueur de 171 kilomètres, bien qu'il puisse emprunter le cours
de deux rivières secondaires non navigables sur 67 kilomètres.

(9) Vetanyi, p. 18.


(10) Vitanyi, p. 18; Jaenicke, p. 38. Cf. D. Ruzié, Le régime juridique de la Moselle,
cet Annuaire, 1964, pp. 797-803.
LA VOIE D'EAU RHIN-DANUBE 773

Son régime juridique présente une certaine complexité. Il a été démontré par
d'éminents auteurs que le droit international commun ne comporte pas de règle
qui imposerait un statut international à des canaux entièrement construits sur le
territoire d'un seul Etat (11). Ni le fait de relier deux réseaux internationaux de
voies d'eau, ni l'utilisation des eaux d'un fleuve international (12) ne semblent
motiver une internationalisation, ni imposer l'admission sur le canal en toute
liberté des bateaux d'Etats étrangers. Par contre, on ne saurait ignorer certaines
dispositions du Traité de Versailles visant expressément la voie navigable Rhin-
Danube. L'article 331 qui déclare internationaux l'Elbe, l'Oder, le Niémen, le
Danube et toute partie navigable de ces réseaux fluviaux servant naturellement
d'accès à la mer d'une Etat ainsi que les canaux latéraux et chenaux, prévoit que :
« II en sera de même de la voie navigable Rhin-Danube au cas où cette voie
serait construite dans les conditions fixées à l'article 353 ».
Une section spéciale du chapitre relatif aux fleuves « internationalisés »,
consacrée au Danube, renforce cette disposition :
« Dans le cas de la construction d'une voie navigable à grande section Rhin-
Danube, l'Allemagne s'engage à appliquer à ladite voie navigable le régime
prévu aux articles 332 à 338» (art. 353).
Les clauses auxquelles cette référence est faite contiennent la description du
régime général des voies d'eau reconnues comme internationales : égalité de
traitement pour les ressortissants, les biens et les pavillons de toutes les Puissances,
perception de taxes seulement si elles sont destinées à couvrir d'une façon
équitable les frais d'entretien de la navigation ou d'amélioration de la voie navigable;
obligation des riverains d'assurer le maintien de la navigation dans de bonnes
conditions, etc. L'article 338 prévoit la conclusion d'une convention générale
relativement aux voies navigables.
On sait que cette convention a effectivement été signée à Barcelone le 20 avril
1921. Toutefois, parmi les Etats qui à l'époque étaient membres de la Commission
centrale pour la navigation du Rhin, seuls l'Empire britannique, la France et
l'Italie l'ont ratifiée. En tout état de cause, cet instrument précise expressément
dans son article 2 qu'il ne modifie pas les droits et les obligations découlant du
Traité de Versailles pour les Etats qui en sont parties ou bénéficiaires.
Ainsi, les clauses correspondantes du Traité de Versailles sont restées en
vigueur après 1921. Le 14 novembre 1936, l'Allemagne, tombée sous le régime
national-socialiste, a dénoncé les dispositions relatives aux fleuves internationaux
comme ayant créé « un régime artificiel et contraire aux besoins pratiques de la
navigation», instauré unilatéralement en défaveur de l'Allemagne. En conséquence,
aux termes de la note adressée à presque tous les Etats européens, le
Gouvernement allemand
« ... se voit ... dans l'obligation de déclarer qu'il n'est plus lié par des
dispositions du Traité de Versailles relatives aux voies d'eau se trouvant sur le
territoire allemand et par l'acte fluvial international fondé sur ces dispositions. De ce
fait, il a décidé de résilier par la présente note avec effet immédiat le modus
vivendi conclu pour le Rhin le 4 mai, conformément à son article 3, paragraphe 2.
Il est par conséquent mis fin à la collaboration de l'Allemagne dans les
Commissions fluviales» (13).

(11) Jaenicke, p. 41; Vitanyi, pp.' 19-21.


(12) Vitanyi, pp. 22-26.
(13) Citée par van Eysdjga-Walthïr, La Commission centrale pour la navigation du
Rhin, Strasbourg, 1974, p. 148.
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Cette dénonciation a été accueillie par un certain nombre de protestations.


Effectivement, une telle résiliation unilatérale de dispositions conventionnelles n'en
prévoyant pas la possibilité ne pouvait être considérée comme conforme au droit
international de l'époque (14) , ni, par ailleurs, aux règles codifiées par la suite par
la Convention de Vienne (15). Les dispositions de Versailles ont donc survécu, mais
en suivant un eminent auteur on peut se poser la question de savoir si la guerre
de 1939-45 a abrogé tous les traités existant entre les belligérants, et en particulier
les clauses du Traité de Versailles relatives aux voies d'eau internationales (16).
Sans vouloir trancher sur un plan général la question, fort controversée, de
l'effet de la guerre sur les traités multilatéraux, on peut signaler que le Traité
de Versailles a été considéré comme étant resté en vigueur en ce qui concerne ses
clauses territoriales (17) . Ses dispositions concernant le Rhin lui-même ont sans
doute survécu à la guerre sans faire pour autant l'objet d'une reconnaissance
.explicite (18). En particulier, la présence des délégations anglaise, belge et suisse
à la Commission centrale pour la navigation du Rhin, qui n'a jamais été contestée,
date du Traité de Versailles. De même, c'est le Traité de Versailles qui a
pratiquement vidé de son contenu le régime spécial qu'avait réservé la Convention de
Mannheim aux « bateaux appartenant à la navigation du Rhin ■» en l'étendant
aux bateaux de toutes les nations et leurs chargements (19) . Or, une telle extension
du privilège des riverains n'a jamais été contestée depuis 1945, sinon les Etats
membres de la Commission centrale pour la navigation du Rhin n'auraient pas
éprouvé le besoin de conclure le Protocole n° 2 du 17 octobre 1979 réintroduisant
le système antérieur à Versailles, c'est-à-dire revenant au traitement spécial
reconnu aux « bateaux appartenant à la navigation du Rhin ».
Quelques allusions aux clauses du Traité de Versailles concernant le régime
du Rhin peuvent également être relevées. Un auteur allemand rappelle qu'après la
deuxième guerre mondiale, la France fait encore valoir l'article 358 du Traité de
Versailles au cours de la discussion avec la R.F.A. concernant le tracé du canal
latéral du Rhin (20) . On peut aussi relever un passage dans un protocole de la

(14) A. Kiss, Répertoire de la pratique française en matière de droit international,


I : 721-730, et van Eysinga-Walther, p. 149.
(15) Art. 56 : « Un traité qui ne contient pas de dispositions relatives à son extinction
et ne prévoit pas qu'on puisse le dénoncer ou s'en retirer ne peut faire l'objet d'une
dénonciation ou d'un retrait... ».
(16) Jaenicke, p. 57 et ss.
(17) A. Kiss, Répertoire, VI : 977.
(18) Après la défaite allemande en 1945, le Conseil de contrôle allié en Allemagne a
déclaré, dans sa proclamation n° 2, que les représentants alliés donneront des instructions
concernant la dénonciation, la mise ou la remise en vigueur, l'application de tous les traités,
conventions ou autres accords internationaux passés par l'Allemagne ou d'une partie ou
disposition quelconque de tels instruments. Une directive du 19 mars 1951 a établi la
procédure applicable dans les cas ainsi visés (cf. Jaenicke, p. 59) . Toutefois, dès 1950,
une délégation allemande a repris sa place à la Commission centrale pour la navigation
du Rhin aux côtés des délégations américaine, belge, britannique, française, néerlandaise
et suisse (van Eysinga-Walther, p. 156) .
(19) Article 356 : « Les bateaux de toutes les nations et leurs chargements jouiront
de tous les droits et privilèges accordés aux bateaux appartenant à la navigation du Rhin
et à leurs chargements ».
(20) Aux termes de cette clause, la France avait sur tout le cours du Rhin compris
entre les points limites des frontières le droit de prélever l'eau sur le débit du Rhin
et le droit exclusif à l'énergie produite par l'aménagement du fleuve. V. Jaenicke, p. 55,
qui relève que le litige a été réglé sans référence à l'article 358 par la Convention franco-
allemande sur l'aménagement du cours supérieur du Rhin entre Bâle et Strasbourg, signé
le 27 octobre 1956. Cette convention réglemente les droits et les devoirs respectifs de la
France et de la R.F.A. en ce qui concerne la canalisation du Rhin entre Bâle et Strasbourg
et « rend ainsi l'art. 358 du Traité de Versailles sans objet à cet égard » (Jaenicke, ibid.,
note 76) .
LA VOIE D'EAU RHIN-DANUBE 775

Commission centrale pour la navigation du Rhin pouvant être considéré comme


la reconnaissance que le Traité de Versailles est toujours applicable (21) . Enfin, la
Convention de Strasbourg du 20 novembre 1963 portant modification de la
Convention de Mannheim déclare dans son article V que
«Les dispositions de la Convention de Mannheim et des amendements
ultérieurs, pour autant qu'elles sont actuellement en vigueur et qu'elles ne sont
pas abrogées ou modifiées par la présente Convention, font partie intégrante
de la présente Convention ».
Cette disposition semble éliminer les doutes qui peuvent encore exister sur
la validité des dispositions du Traité de Versailles concernant le Rhin pour autant
qu'elles n'ont pas été abrogées ou modifiées expressément.
Bien entendu, ces clauses ne concernent pas nécessairement la voie d'eau
Rhin-Danube, puisque le régime du Rhin n'est applicable qu'au cours principal
du fleuve entre Bâle et la pleine mer ainsi qu'aux affluents du Rhin. En particulier,
en ce qui concerne la section entre le Main et le Danube, en train d'être
construite artificiellement, si les dispositions ci-dessus citées du Traité de Versailles
(art. 331 et 353) en envisagent bien le régime, c'est en l'assimilant au statut de
l'Elbe, de l'Oder, du Niémen et du Danube. Par ailleurs, toutes ces dispositions
font partie d'un chapitre distinct de celui consacré au Rhin. On peut donc estimer
que le régime principal, celui de l'Elbe, de l'Oder, du Niémen et du Danube ayant
disparu, celui du canal Rhin-Danube n'a pas survécu non plus. Il n'en reste pas
moins qu'il nous paraît difficile de suivre un eminent auteur qui soutient que
« la République fédérale n'est pas tenue en droit international de soumettre cette
voie navigable artificielle à un régime international ou de l'ouvrir au pavillon
des autres Etats» (22).
En effet, si un certain nombre des conditions prévues au chapitre III de la
partie XII, section II du Traité de Versailles ne se sont pas réalisées, si bien que
la question de l'application des articles 331, al. 2 et 353 relatifs à la liaison Rhin-
Danube peut être posée, le caractère international de cette voie d'eau a quand
même été affirmé d'une façon très générale, indépendamment de chacun des
fleuves internationalisés. L'article 353, en particulier, prévoit l'application par
l'Allemagne du régime prévu aux articles 332 à 338, c'est-à-dire du régime général
figurant sous le titre de « dispositions générales » qui devait régir toutes les voies
d'eau internationalisées.
Bien entendu, la liberté de navigation ainsi prévue ne saurait être exactement
celle prévue à Versailles puisque dans l'ensemble le régime général ne s'est pas
réalisé. Il n'en reste pas moins que la voie d'eau visée se relie à un réseau
international, celui du Rhin et ne saurait en être entièrement indépendante. On peut
donc estimer que, dans la mesure où il existe une certaine liberté de la navigation
sur le réseau du Rhin, la voie d'eau Rhin-Danube en subit dans une certaine
mesure les conséquences.

(21) Protocole 1947-1-2 : < Sir Osborne Mance, Délégué de Grande-Bretagne, relève
que, dans les compte rendus, il est dit qu'aucune modification n'a été apportée à la
Convention de Mannheim. Comme le Traité de Versailles a, en fait, apporté diverses modifications
et qu'une autre y a été apportée ultérieurement (Convention relative à la délivrance des
patentes de bateliers), il suppose que la mention qui est faite de la Convention de Mannheim
dans les deux comptes rendus signifie qu'aucune modification n'y a été apportée ni au
cours de 1945, ni pendant l'année 1946.
Le Président confirme que tel est bien le sens des deux passages en question.
En conséquence, il déclare que les projets de comptes rendus de l'activité de la
Commission Centrale pour les années 1945 et 1946 sont adoptés avec les susdites modifications.
Ils seront insérés dans le Rapport Annuel et communiqués aux organes de publication ».
(22) Vitanyi, p. 26.
776 DOMAINE PUBLIC FLUVIAL

Cette idée semble correspondre à celle que traduit dans des règles juridiques
le Protocole additionnel n° 2 du 17 octobre 1979. Le nouvel article 4 que cet
instrument introduit dans la Convention de Mannheim distingue entre deux
hypothèses, les deux allant dans le sens d'une certaine internationalisation du canal
entre Bamberg et Kehlheim :
a) Les bateaux n'appartenant pas à la navigation du Rhin, donc ceux d'Etats
non contractants ou assimilés (c'est-à-dire d'Etats membres de la C.E.E.) ne sont
autorisés à effectuer des transports de marchandises et de personnes entre deux
points situés sur le Rhin ou ses affluents que dans des conditions déterminées par
la Commission centrale.
Ainsi, par exemple, si un bateau bulgare voulait faire un transport entre Bâle
et Rotterdam, il devrait y être autorisé dans des conditions déterminées par la
Commission centrale. Cependant, en fait, des conditions favorables éventuellement
prévues par la Commission seraient vidées de tout sens si le Gouvernement fédéral
allemand s'opposait au passage du bateau sur le canal entre Kehlheim et Bamberg,
seule voie d'accès fluviale du Rhin à partir du Danube. Un élément international
intervient donc nécessairement dans l'autorisation à accorder — même si le
Protocole du 17 octobre 1979 ne précise pas quel est l'organe compétent qui doit accorder
l'autorisation : dans l'exemple choisi, la Commission centrale elle-même, le
gouvernement allemand, le gouvernement suisse, le gouvernement néerlandais ou les deux
derniers à la fois.
Le fait que le passage de la section Bamberg-Kehlheim du canal n'est pas
soumis exclusivement à la décision des autorités allemandes est encore plus
évident dans une deuxième hypothèse, également prévue par le nouvel article 4 de
la Convention de Mannheim.
b) Les bateaux n'appartenant pas à la navigation du Rhin ni assimilés
peuvent effectuer des transports de marchandises et de personnes entre un lieu situé
sur le Rhin et sur ses affluents dans des conditions qui doivent être déterminées
dans des accords à conclure entre les deux Parties concernées. La Commission
centrale est consultée avant la conclusion de tels accords.
Il s'agirait donc, par exemple, pour un transport entre un port bulgare et le
port de Strasbourg, d'un accord à conclure entre la France et la Bulgarie, après
consultation de la Commission centrale. Or, si un tel accord intervient et si la
République fédérale s'y oppose en fermant la voie navigable Kehlheim-Bamberg,
l'accord ne peut en réalité être exécuté. On ne saurait admettre que les auteurs
du Protocole additionnel n° 2 ont voulu adopter des dispositions qui, le cas échéant,
peuvent ne produire aucun effet, l'accord bilatéral prévu restant sans objet par
suite de l'opposition d'un Etat tiers (23). Dès lors, force est de reconnaître que
le canal Bamberg-Kehlheim a un caractère international, même si ce caractère
n'est pas aussi absolu que ce qui avait été prévu au Traité de Versailles.
L'obligation de consulter la Commission centrale pour la navigation du Rhin avant la
conclusion de tout accord bilatéral ne fait que renforcer ce caractère, bien que
l'on doive souligner que le devoir des Etats contractants désireux de conclure un
accord bilatéral avec un Etat tiers n'est pas d'obtenir un avis favorable, mais
simplement de consulter la Commission centrale et qu'ils peuvent donc, le cas
échéant, passer outre à l'opinion exprimée par la Commission.
LA VOIE D'EAU RHIN-DANUBE 777

IV. Le régime du Danube entre Kehlheim et Passau.

Entre la jonction du canal en voie de construction avec le Danube et Passau,


ville située à la frontière germano -autrichienne, la voie d'eau prévue emprunte le
cours du Danube sur 208 kilomètres. Cette section doit également être canalisée
et comportera neuf écluses. La fin des travaux prévue pour 1981 est actuellement
ajournée.
Il s'agit donc d'une partie du Danube, entièrement située sur le territoire
allemand. Sa situation juridique n'en présente pas moins une certaine complexité.
Conformément à l'article 348 du Traité de Versailles, un statut définitif du
Danube a été établi par la Convention de Paris du 23 juillet 1921(24). Il prévoit
que la navigation du Danube est libre et ouverte à tous les pavillons dans des
conditions d'égalité complète sur tout le cours navigable du fleuve, c'est-à-dire
entre Ulm et la mer Noire, avec exclusion de toute discrimination à l'égard de
n'importe quel pavillon. Seul l'établissement de services locaux réguliers de
transport de voyageurs et de marchandises entre les ports d'un seul et même Etat
était soumis à l'autorisation de l'Etat riverain intéressé (art. 23).
Les Etats riverains du Danube ont cessé d'appliquer la Convention de Paris
dès 1940 (25) . Les traités de paix avec la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie (26)
ont réaffirmé la liberté de la navigation, tout en réservant aux Etats riverains le
petit cabotage. Une conférence convoquée à Belgrade en août 1948 était appelée
à établir le nouveau régime du Danube, mais en fait les Etats non riverains
devaient y être exclus de la nouvelle Commission, si bien qu'ils ont refusé de
signer la convention issue des travaux de cette réunion en émettant des
protestations solennelles (27) . N'ayant pas participé à la Conférence de Belgrade, antérieure
à sa création, la République fédérale n'a pas adhéré non plus à la Convention.
Cette adhésion fut bien décidée en principe le 15 mai 1965, mais elle n'est pas
intervenue jusqu'à ce jour (28). Il est d'autant plus curieux de constater que cet
instrument désigne son champ d'application comme comprenant la partie navigable
du Danube qui se trouve sur territoire fédéral allemand, entre Ulm et Passau.
Malgré ses termes, la Convention de Belgrade du 18 août 1948(29) n'est donc
pas applicable à la partie allemande du fleuve qui comprend aussi, bien entendu,
la section Kehlheim-Passau de la voie d'eau Rhin-Danube. Dès lors, la question
se pose de savoir quelles sont les règles qui devraient régir cette partie de la
nouvelle liaison.
En théorie, on peut estimer qu'il conviendrait de revenir au Statut du Danube
de 1921. Toutefois, tous les Etats riverains du Danube, à l'exception de l'Alle-

(23) On peut rappeler à ce sujet le principe de l'« effet utile» des traités qui est
réaffirmé par les articles 31 al. 1 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités
du 29 mai 1969.
(24) Voir le texte dans Collxard-Manin, Droit international et Histoire diplomatique,
II, p. 75.
(25) Jaenicke, p. 42.
(26) Traités de paix avec la Bulgarie, art. 34, avec la Roumanie, art. 36, avec la
Hongrie, art. 38.
(27) Voir Kiss, Répertoire, I : 727, et Jaenicke, p. 44, note 49.
(28) Vitanyi, p. 5.
(29) Voir le texte dans Colliard-Manin, II, p. 254.
778 DOMAINE PUBLIC FLUVIAL

magne et de l'Autriche, ont constaté, par un protocole additionnel à la Convention


de Belgrade, que
« ... le régime appliqué antérieurement à la navigation sur le Danube, ainsi
que les actes qui prévoyaient l'établissement de ce régime et, en particulier, la
Convention signée à Paris le 23 juillet 1921, ne sont plus en vigueur » (30).
L'Autriche ayant adhéré le 7 janvier 1960 à la Convention de Belgrade, mais
non au Protocole additionnel, on pourrait soutenir que pour elle comme pour la
R.F.A., le Statut du Danube de 1921 est toujours en vigueur aussi bien que pour
ceux (France, Royaume-Uni, etc.) qui n'ont pas accepté de signer la Convention
de Belgrade. On voit la complexité de la situation qui en résulterait pour
l'Autriche (31) . Aussi a-t-on avancé l'idée d'une extinction de la Convention de Paris
du 23 juillet 1921 par suite d'un changement fondamental de circonstances au sens
de l'art. 62 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (32) , tout en
admettant l'existence de principes internationaux établissant la liberté de la
navigation (33).
En ce qui concerne le point de vue qui est le nôtre, seule la section Kehlheim-
Bamberg vient en ligne de compte et seulement pour le transit. En effet, pour
tout transport de marchandises et de voyageurs entre deux points du Danube
allemand, tous les Etats membres de la Communauté économique européenne
doivent bénéficier de l'égalité de traitement en vertu de l'article 76 du Traité de
Rome (34) . Or, pour le transit de bateaux battant le pavillon d'Etats non membres
de la C.E.E. ou non signataires de la Convention de Mannheim (donc tous autres
Etats que les Dix et la Suisse), la situation juridique est sensiblement la même
que pour le canal Main-Danube : en matérialisant la liberté de la navigation
découlant de principes généraux de droit international, le Protocole additionnel
n° 2 à l'Acte du Rhin impose au Gouvernement fédéral allemand le respect des
conditions d'autorisations accordées par les Etats parties à la Convention de
Mannheim ainsi que les accords conclus avec les Etats tiers. La République fédérale
doit donc consentir au transit sur le Danube canalisé entre Passau et Kehlheim,
dans tous les cas où les conditions prévues au Protocole du 17 octobre 1979 sont
remplies.

V. Le régime du Danube en aval de la frontière allemande.

Ce régime étant trop connu pour qu'il soit nécessaire d'y insister, il conviendra
de se borner à en faire ressortir les éléments qui peuvent avoir une influence sur
les aspects juridiques de la liaison entre les deux grands neuves européens.
Si l'article 1er de la Convention de Belgrade du 18 août 1948 déclare que la
navigation sur le Danube sera libre et ouverte aux ressortissants, aux bateaux
marchands et aux marchandises de tous les Etats sur un pied d'égalité en ce qui
concerne les droits de port et les taxes sur la navigation, il contient aussi deux

(30) Op. cit., p. 261.


(31) Voir, sur la situation de l'Autriche : Zemanek, Die Schiffahrtfreiheit auf der Donau
und das kiinftige Regime der Rhein-Main-Donau Qrosschiffstrasse, Oesterreichische Zeitschrift
fur ôffentliches Recht, 1976, Suppl. 4, p. 54.
(32) Vitanyi, p. 5.
(33) Jaenicke, p. 45, Vitanyi, pp. 5-6.
(34) Voir la note 5 ci-dessus.
LA VOIE DJEAU RHIN-DANUBE 779

conditions fortement restrictives (35). La première est explicite: la liberté de la


navigation ne concerne pas le trafic entre les ports d'un même Etat, c'est-à-dire
le petit cabotage (36) . La deuxième restriction est implicite : l'égalité de traitement
concerne aussi « les conditions auxquelles est soumise la navigation commerciale ».
Or, étant donné que, en dehors de l'Autriche, tous les Etats riverains du Danube
ont le monopole du commerce et des transports, la portée réelle de la liberté de
la navigation commerciale risque d'être réduite à peu de chose (37) . Les conditions
de la concurrence semblent devoir être faussées, d'autant plus que l'on peut se
demander si face aux entreprises d'Etat les transporteurs privés occidentaux
trouveront du fret sur le Danube. En réalité, le 26 septembre 1955, les armements
danubiens nationaux de l'U.R.S.S., de la Bulgarie, de la Roumanie, de la Hongrie
et de la Tchécoslovaquie ont signé trois accords à Bratislava visant non seulement
à régler des problèmes de coopération technique tels que le remorquage,
l'assistance en cas d'avarie, etc., mais aussi réglementant les conditions générales du
transport de marchandises et portant sur les tarifs uniformes (38) . En
contrepartie, la Commission du Danube se cantonne strictement dans des domaines
techniques et ne semble pas devoir intervenir en matière économique.
En dehors des restrictions de droit ou de fait à la liberté de la navigation
commerciale, on doit signaler que la Convention de Belgrade ne s'applique pas,
contrairement au précédent statut du Danube, aux affluents et ne couvre même
pas tous les bras du Danube dans la région de son embouchure (39) .
Enfin, en ce qui concerne les droits et taxes, la Convention de Belgrade
prévoit la possibilité de percevoir sur les bateaux des droits de navigation (article 35),
des taxes particulières (art. 36) et spéciales (art. 10) selon des modalités à fixer
par les instructions élaborées par la Commission ou les Etats danubiens et les
administrations, en accord avec la Commission. La seule restriction édictée par
la Convention à cet égard est l'interdiction de faire des bénéfices. Des droits de
port sont également autorisés, à condition de ne pas faire de discrimination en
raison du pavillon des bâtiments (art. 40). Il s'agit donc d'un régime nettement
moins favorable que celui du Rhin.
Au point de vue juridique, le régime actuel du Danube est totalement séparé
de celui du Rhin: aucun des signataires de la Convention de Belgrade n'est
considéré comme Partie contractante à la Convention de Mannheim révisée et
vice versa. Aucun Etat partie à la Convention de Belgrade n'est membre, non plus,
de la Communauté économique européenne, si bien que les règles communautaires
ne sauraient être invoquées pour réclamer une égalité de fait dans les transports
qui atteindraient le Danube en passant par la voie d'eau Rhin-Danube. Par contre,
sans même se fonder sur le Statut de 1921, les Etats non « danubiens » — y compris
la République fédérale d'Allemagne — pourraient invoquer la liberté de navigation
qui semble découler du droit international général et qui est expressément
réaffirmée par l'article 1er de la Convention de Belgrade. Ce principe devra, bien entendu,

(35) Voir H. Bokor-Szego, La Convention de Belgrade et le régime du Danube, cet


Annuaire, 1962, pp. 192-201.
(36) La réserve de cabotage est davantage développée par l'art. 25 de la Convention
de Belgrade selon lequel « Le trafic local des voyageurs et des marchandises et le trafic
entre les ports d'un même Etat ne sont ouverts à un pavillon étranger que conformément
à la réglementation nationale dudit Etat danubien ».
(37) Voir Doerflinger, pp. 614-615; Rhein-Main-Donau-Verbindung, p. 10.
(38) Rhein-Main-Donau-Verbindung, p. 10.
(39) Le Statut de 1921 incluait expressément dans le 'réseau fluvial internationalisé
cinq affluents ainsi que certains canaux (art. 5) . La Convention de Belgrade ne vise que
« la partie navigable du Danube (fleuve) d'Ulm à la mer Noire en suivant le bras de
Soulina avec accès à la mer par le Canal de Soulina > (art. 1er) .
780 DOMAINE PUBLIC FLUVIAL

servir de fondement à la conclusion des accords de réciprocité qui paraissent être


inscrits dans la logique du Protocole additionnel n° 2 du 17 octobre 1979 à la
Convention de Mannheim.
**
La conclusion de la présente étude s'inscrit en filigrane dans le Protocole
additionnel n° 2 et son protocole de signature. Organisme créé à une époque de
libéralisme économique absolu, depuis 1950 la Commission Centrale pour la
Navigation du Rhin s'est vue obligée de s'intéresser de plus en plus à l'arrière-plan
économique de la navigation du Rhin. Elle a été à l'origine d'un certain nombre
d'initiatives tendant à organiser la batellerie rhénane (40) et ce rôle dans le
domaine économique devait être précisé à l'occasion de la révision de la Convention
de Mannheim en 1963. Les propositions françaises en ce sens n'ont pas été
retenues, pas plus que celles visant à mieux intégrer la Commission centrale dans
la Communauté économique européenne (41). La continuation de la crise du fret
sur le Rhin et surtout la menace, dans un contexte aussi peu favorable, d'une
concurrence venant de l'extérieur grâce à l'ouverture de la liaison Rhin-Danube,
ont accéléré une évolution qui avait semblé inévitable. On peut donc prévoir
l'augmentation du rôle que jouera la Commission centrale en matière économique
et l'on doit souhaiter que cette extension de ses fonctions renforce la coopération
entre Etats membres.

(40) Van Eysinga-Walther, pp. 176-178; Kiss, Commission centrale pour la navigation
du Rhin, cet Annuaire, 1955, pp. 510-513.
(41) Van Eysinga-Wamher, pp. 179-180.

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