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Annuaire français de droit

international

Le régime des navires de guerre dans le cadre de la Convention


des Nations Unies sur le droit de la mer
Bernard H. Oxman

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Oxman Bernard H. Le régime des navires de guerre dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
In: Annuaire français de droit international, volume 28, 1982. pp. 811-850;

doi : https://doi.org/10.3406/afdi.1982.2519

https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1982_num_28_1_2519

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LE RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE
DANS LE CADRE DE LA CONVENTION
DES NATIONS UNIES SUR LE DROIT DE LA MER

par BERNARD H. OXMAN

INTRODUCTION

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer(l) adoptée en 1982


est l'aboutissement de négociations qui avaient commencé en 1966 et 1967 avec
une série d'entretiens diplomatiques entre le gouvernement soviétique et les
gouvernements des Etats-Unis et d'autres Etats. Le but de ces entretiens était
d'établir une base possible pour la convocation d'une nouvelle conférence sur le
droit de la mer en vue de fixer à douze milles marins la largeur maximale
admissible de la mer territoriale.
Cet objectif sous-jacent différait de celui que visait l'ambassadeur Pardo dans
sa célèbre allocution de 1967 devant l'Assemblée générale des Nations Unies,
demandant l'établissement d'un régime pour les fonds marins situés au-delà des
limites actuelles de la juridiction nationale, considérés comme le patrimoine
commun de l'humanité. Bien que, dans les deux cas, un même souci se manifestât
au sujet des effets résultant des extensions de plus en plus nombreuses de la
juridiction de l'Etat côtier vers la haute mer, au contraire de l'ambassadeur Pardo
les Puissances maritimes engagées dans des entretiens à l'initiative de l'Union
soviétique poursuivaient un objectif de caractère conservateur, au sens propre du
terme, qui était d'empêcher l'érosion des libertés de la haute mer telles qu'elles
existaient traditionnellement.
Les libertés qui préoccupaient ces Puissances maritimes, à des degrés divers,
étaient de trois ordres : liberté de mener des activités militaires, liberté de
navigation pour la marine marchande et liberté de la pêche.

(*) Bernard H. OXMAN, Professeur à la Faculté de Droit Université de Miami. L'auteur


a occupé les fonctions de représentant des Etats-Unis à la Troisième Conférence des
Nations Unies sur le droit de la mer et de vice-président de la délégation américaine, ainsi
que celle de président du groupe linguistique anglais du Comité de rédaction de la
Conférence. Les opinions exprimées ici le sont à titre purement personnel.
(l) Document des Nations Unies A/CONF.62/122 (1982) (ci-après dénommée «Convention»).
812 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

Ainsi, le souci de la mobilité et de l'utilisation des navires de guerre était au


centre des motivations qui ont conduit à organiser la Conférence. De fait, les pays
maritimes qui avaient un intérêt majeur à sauvegarder la liberté de la pêche ont
fini par sacrifier celle-ci dans une large mesure afin de préserver les autres
libertés. L'exemple de l'Union soviétique est illustratif à cet égard.

Objet et structure de la présente étude

La présente étude a pour objet d'examiner le régime des navires de guerre


dans le cadre de la Convention de 1982 sur le droit de la mer. Nombreuses sont les
dispositions ayant trait à cette question qui peuvent être considérées aujourd'hui,
ou dans l'avenir, comme déclara toires d'un droit international coutumier
opposable à tous les Etats, que ceux-ci soient ou non Parties à la Convention. Il peut en
être ainsi soit parce que lesdites dispositions reprennent celles des Conventions de
1958 qui avaient ce statut, soit parce qu'elles codifient la pratique actuelle des
Etats, soit parce qu'elle influencent la pratique ultérieure des Etats, soit encore
parce qu'elles viennent à être regardées en elles-mêmes et par elles-mêmes comme
une manifestation déterminante de Yopinio juris. L'identification des dispositions
particulières possédant ce double statut aurait, au stade actuel, un caractère
spéculatif et dépasse en tout cas le cadre de la présente étude.
La Convention sur le droit de la mer n'est pas structurée selon les types de
navires ni, à quelques exceptions près, en fonction des types d'activités. Elle
s'articule avant tout par types de zones. Elle énonce des droits et obligations
juridiques dans le contexte du régime applicable à chaque zone. Elle traite d'abord
des zones relevant de la souveraineté de l'Etat côtier, puis des zones que l'on peut
considérer comme de nature intermédiaire, enfin du régime classique intégral de la
haute mer et du régime nouveau concernant la zone internationale des fonds
marins.
Si, dans son traité de droit, le professeur Gidel (2) a commencé par le régime
de la haute mer parce qu'il s'agissait, à l'époque, du régime qui couvrait de loin la
partie la plus grande et la plus importante de la mer, on pourrait soutenir
aujourd'hui que toute étude devrait débuter par la zone économique exclusive.
D'un autre côté, si, comme on peut le supposer, le professeur Gidel a adopté cette
approche par souci de clarté de l'analyse, sa façon de procéder conserve de nos
jours son utilité. C'est dans cet esprit que nous recourons à la même méthode pour
la présente étude.
Nous verrons d'abord les dispositions d'application générale de la Convention.
Puis nous examinerons les règles propres aux régimes applicables aux zones
situées au-delà de la mer territoriale : la haute mer, la Zone internationale des
fonds marins, la zone économique exclusive et le plateau continental. Nous
terminerons par les eaux intérieures, la mer territoriale, les détroits et les
archipels (3).

(2) Gidel, Le droit international public de la mer, 1934.


(3) L'étude se concentrera sur les changements du droit de la mer qui affectent le régime des
navires de guerre. Dans bien des cas, la Convention de 1982 sur le droit de la mer n'a pas introduit de
changements ou seulement des changements mineurs. Aussi la doctrine relative aux Conventions de
1958 sur le droit de la mer est-elle supposée connue du lecteur ou du moins facilement accessible. On ne
cherchera pas à la rappeler ou à la résumer ici.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 813

Une remarque sur la guerre et la paix

Si l'on maintient la subdivision classique du droit international public en


deux catégories, à savoir le droit de la guerre et le droit de la paix, la Convention
sur le droit de la mer entre indubitablement dans la seconde, en ce sens que les
règles des conflits armés et de la neutralité n'y sont pas abordées.
Il n'en demeure pas moins que la Convention contient des règles sur la
division des océans en zones juridictionnelles différentes. Certaines des règles des
conflits armés (et de la neutralité) varient en fonction du statut des régions
géographiques. Aussi l'intégration des régimes du nouveau droit de la mer avec les
règles de la guerre maritime et aérienne constitue-t-elle un sujet qui mérite de
retenir l'attention. La dichotomie classique du droit de la mer en eaux intérieures
et mer territoriale, d'une part, et haute mer, d'autre part, a cédé à des subtilités
et des modalités nouvelles, notamment en ce qui concerne les régimes des détroits,
des eaux archipélagiques, de la zone économique exclusive et du plateau
continental. Il s'y est ajouté de nouvelles obligations générales relatives à la protection et à
la préservation du milieu marin.
Il n'entre cependant pas dans le cadre de la présente étude de procéder à une
analyse détaillée de l'incidence de ces changements sur le droit de la guerre.
Néanmoins, ce serait une erreur de croire que les Puissances maritimes qui se sont
efforcées pendant si longtemps et avec tant d'intensité et de succès de préserver la
plus grande liberté pour les activités militaires en mer en temps de paix aient
envisagé les nouveaux régimes du droit de la mer en tant que nouvelles
restrictions importantes frappant leur liberté d'action en temps de guerre.

Première partie

DISPOSITIONS D'APPLICATION GÉNÉRALE

1. Définition des navires de guerre

La définition des navires de guerre figure à l'art. 29 de la Convention sur le


droit de la mer (4).

(4) L'art. 29 de la Convention est ainsi libellé :


Définition de * navire de guerre »
Aux fins de la Convention, on entend par « navire de guerre » tout navire qui fait partie des forces
armées d'un Etat et porte les marques extérieures distinctives des navires militaire de sa nationalité,
qui est placé sous le commandement d'un officier de marine au service de cet Etat et inscrit sur la liste
des officiers ou un document équivalent, et dont l'équipage est soumis aux règles de la discipline
militaire.
Remarque : La définition emploie précisément le mot « Convention », et non « partie » ou «
section ». Il s'ensuit qu'il est correct d'admettre que la définition, comme le texte l'indique expressément,
s'applique à la Convention tout entière.
L'art. 29 figure dans la partie II de la Convention, qui traite de la mer territoriale et de la zone
contigué, et, plus précisément, dans la section 3 de cette partie, section qui porte sur le passage
inoffensif dans la mer territoriale. Aussi pourrait-on peut-être prétendre que la définition ne vaut que
pour le seul régime du passage inoffensif. Les défenseurs de cette opinion pourront faire observer à ce
sujet que la Convention commence par un art. 1er, de caractère général, relatif à l'emploi des termes
814 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

Elle est tirée de l'art. 8, §2, de la Convention de 1958 sur la haute mer (5).
Comme son prédécesseur, l'art. 29 n'exige pas que le navire soit armé pour être
considéré comme navire de guerre. Le changement le plus important réside dans le
fait qu'un tel navire n'a plus besoin d'appartenir à la « marine de guerre » d'un
Etat, d'être placé sous le commandement d'un officier inscrit sur la « liste des
officiers de la flotte militaire » et de comporter un équipage soumis aux règles de
la discipline en usage dans la « marine militaire » (5 bis). L'emploi du terme
générique « forces armées » est destiné à tenir compte de l'intégration des
différentes branches des forces armées dans divers pays, de l'utilisation de bâtiments de
mer par certaines armées de terre et forces aériennes, ainsi que de l'existence de
gardes-côte en tant qu'unités distinctes des forces armées de certains Etats.
Lorsqu'on apprécie la portée de cette définition, il convient de ne pas perdre
de vue qu'elle ne revêt de l'importance que dans les cas où la Convention fait une
distinction entre règles applicables aux navires de guerre et règles applicables aux
autres navires. Il y a lieu de rappeler que les navires de guerre constituent une
sous-catégorie des navires d'Etat utilisés à des fins non commerciales, qui, à leur
tour, représentent une sous-catégorie des navires en général (6)
Que la définition donnée par l'art. 29 ait un caractère fonctionnel ou non, on
peut en conclure certainement qu'un navire de guerre est vu comme un
instrument politique et militaire de l'Etat. Dans la mesure où la Convention contient

valables pour toute la Convention. Toutefois, cet article contient très peu de définitions, lesquelles ne
proviennent d'ailleurs que des textes de la Ire Commission sur les activités concernant les fonds
océaniques et des textes de la IIIe Commission sur la pollution marine, ainsi que des clauses finales. Les
efforts faits par le Comité de rédaction pour y faire passer d'autres définitions, d'application générale,
n'ont pas abouti.
La règle juridique de base sur l'immunité des navires de guerre figurant à l'art. 8, §1, de la
Convention sur la haute mer se trouve reproduite textuellement dans l'art. 95 de la nouvelle convention.
En fait, il serait anormal de supposer qu'il a été décidé d'exclure, sans raison apparente, la définition
des navires de guerre, contenue dans l'art. 8, § 2, de la Convention sur la haute mer du nouveau régime
de la haute mer et de l'ajouter au régime de la mer territoriale. (De plus, comme la Convention de 1958
sur la haute mer faisait, à l'origine, partie d'un ensemble intégré d'articles portant sur tout le droit de
la mer, tel qu'il avait été élaboré par la Commission internationale du droit en 1956, il y a des raisons
pour supposer que la définition était, dès le début, destinée à s'appliquer à toute la mer, et non à la
seule haute mer.)
(5) Nations Unies, Rec. des Traités, 1958, vol. 450, p. 82.
(5 bis) II est à noter que, contrairement à la version anglaise, la version française tant de la
Convention de 1958 que de celle de 1982 ne parle que de « discipline militaire », sans autre précision.
(6) C'est ainsi, par exemple, que, puisque l'exception de la pollution faite à l'art. 236 s'applique
aux navires de guerre comme aux autres navires appartenant à un Etat ou exploités par lui lorsque
celui-ci les utilise, au moment considéré, exclusivement à des fins de service public non commerciales, la
ligne précise de démarcation entre navires de guerre et autres navires d'Etat non commerciaux ne
présente pas un intérêt particulier pour l'interprétation et l'application dudit article.
La nouvelle convention emploie indifféremment les termes « ship » et « vessel » dans sa version
anglaise, en retenant le premier dans les textes tirés des Conventions de 1958 sur le droit de la mer et le
second dans les textes tirés de diverses conventions sur la pollution marine. La distinction faite dans la
version anglaise n'apparaît pas dans les versions officielles arabe, chinoise, espagnole, française et russe,
encore que le texte russe se serve, lui aussi, de deux mots différents à des endroits où les autres textes,
y compris le texte anglais, ne le font pas. Au sein du Comité de rédaction de la Conférence, il y avait un
accord général pour insérer à l'article 1er une disposition indiquant que les termes « ship » et « vessel » et
les deux termes russes avaient le même sens, mais les difficultés rencontrées pour traduire une telle
disposition dans les langues qui n'employaient pas deux mots différents dans le texte de la Convention et
la contrariété manifestée par certains groupes linguistiques devant l'incapacité des groupes linguistiques
anglais et russe à choisir un seul mot ont conduit à la conclusion qu'il était vraiment inutile d'insister
sur ce point.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 815

des règles juridiques particulières pour les navires de guerre par rapport aux
autres navires, ces règles portent, comme on peut s'y attendre, sur :
- les activités politiques ou militaires d'un Etat visant un autre Etat;
- les actes d'exécution forcée d'un Etat à l'égard des ressortissants d'un
autre Etat; et
- l'immunité de juridiction des instruments politiques et militaires d'un
Etat par rapport à un autre Etat.

2. Interdiction de la menace ou de l'emploi de la force

L'art. 301 de la Convention énonce une interdiction de la menace ou de


l'emploi de la force qui provient de l'art. 2, § 4, de la Charte des Nations Unies (7).
Il s'applique à toutes les activités dont traite la Convention.
Eu égard notamment à l'art. 103 de la Charte des Nations Unies, cette
disposition ne semble guère ajouter quelque chose aux obligations existantes des
Etats, si ce n'est peut-être de les souligner. Il se pose toutefois la question de
savoir si des conséquences juridiques supplémentaires s'attachent aux violations de
ces obligations sous l'empire de la nouvelle convention.
Une de ces conséquences est que la Convention prévoit, en principe, les
procédures d'arbitrage ou de décision juridictionnelle obligatoires pour les
différends qui n'ont pas été réglés par d'autres moyens. D'un autre côté, un Etat est
libre de déposer une déclaration excluant de ces obligations en matière de
règlement des différends les activités militaires ou les litiges dont est saisi le Conseil de
sécurité (8).
On pourrait faire valoir que l'exercice par ailleurs licite d'un droit prévu par
la Convention serait frappé d'illicéité si le but visé était une menace ou un emploi
illicite de la force. Tout comme la question du règlement des différends par une
tierce partie, il s'agit là aussi des conséquences d'une violation - ou plus
exactement des conséquences d'une violation alléguée. En particulier, la question
se pose savoir si les réactions à la menace ou à l'emploi de la force peuvent être
différentes de celles autorisées par la Charte des Nations Unies, à savoir des
mesures de légitime défense, individuelle ou collective, en cas d'agression armée ou
des mesures coercitives autorisées par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Comme l'interdiction de la menace ou de l'emploi de la force faite par la
Convention sur le droit de la mer renvoie elle-même à la Charte, il s'ensuit que la
réponse à cette question est négative, en l'absence de dispositions supplémentaires
dans la Convention. L'emploi de la force contre un instrument souverain d'un
Etat étranger - c'est-à-dire un navire de guerre d'un Etat étranger - dans une
situation ou d'une manière non admise par la Charte constitue en lui-même une
violation à la fois de la Charte et de la Convention sur le droit de la mer, même si

(7) L'art. 301 de la Convention est ainsi libellé :


Utilisation des mers à des fins pacifiques
Dans l'exercice de leurs droits et l'exécution de leurs obligations en vertu de la Convention, les Etats
Parties s'abstiennent de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de tout Etat, ou de toute autre manière incompatible avec les principes du droit
international énoncés dans la Charte des Nations Unies.
Remarque : Une obligation analogue est énoncée au § 2, lettre a), de l'art. 19, relatif à la signification de
l'expression «passage inoffensif», ainsi qu'au §1, lettre b), de l'art. 38, relatif aux obligations des
navires et aéronefs pendant le passage en transit.
(8) Convention, art. 286. Cette question est examinée plus en détail plus loin.
816 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

le but poursuivi est de réagir à la suite d'une violation alléguée de la Charte et de


la Convention.
Ce fait apparemment évident peut échapper si l'on commet l'erreur de penser
au problème en termes de « pouvoirs de police ». Cette notion s'applique
correctement aux rapports existant entre un Etat et les personnes ou navires soumis à sa
juridiction en matière de pouvoirs de police. Une tentative faite pour exercer une
telle juridiction à l'égard d'un navire de guerre étranger constitue en fait une
tentative de menace ou d'emploi de la force contre un instrument souverain d'un
Etat étranger. Cet aspect ressortit principalement au droit concernant le maintien
de la paix et de la sécurité internationales, et non au droit de la mer en tant que
tel, avec une limitation notable dans le cas du passage inoffensif dans la mer
territoriale, examiné plus loin.

3. Immunités des navires de guerre

L'art. 32 de la Convention, relatif aux immunautés des navires de guerre, tire


son origine de l'art. 22 de la Convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone
contiguë (9).
Ce qui différencie notamment les deux dispositions, c'est que l'art. 32 emploie
la formule « aucune disposition de la Convention » tandis que l'art. 22 dit « aucune
disposition des présents articles ». Comme l'art. 8 de la Convention de 1958 sur la
haute mer et l'art. 95 de la Convention de 1982 prévoient tous deux expressément
l'immunité complète de juridiction vis-à-vis de tout Etat autre que l'Etat du
pavillon en haute mer, et que l'art. 95 de la nouvelle convention s'applique
également à la zone économique exclusive (en vertu de l'art. 58), l'art. 32 ne peut
être considéré comme s'appliquant aux régimes de la haute mer et de la zone
économique exclusive en ce sens qu'il annulerait l'effet de l'art. 95.
Ce changement de texte s'explique pour des raisons de structure.
Si l'art. 32 utilisait le mot « partie » au lieu de « Convention », il restreindrait
en fait le champ d'application de la règle. Les sujets, tels que le passage par les
détroits servant à la navigation internationale, qui sont traités dans la Convention
sur la mer territoriale, ne s'inscrivent pas dans la partie II de la Convention de
1982, où sont contenus les articles sur la mer territoriale, mais dans une autre
partie. De même, l'objet de la partie IV de la Convention, à savoir les lignes de
base et le droit de passage archi pélagiques, bien que non évoqué dans la
Convention de 1958 parce qu'à l'époque ce concept était rejeté, relève clairement des
sujets dont traite la Convention de 1958 sur la mer territoriale.

(9) L'art. 32 de la Convention est ainsi libellé :


Immunités des navires de guerre et autres navires
d'Etat utilisés à des fins non commerciales
Sous réserve des exceptions prévues à la sous- section A et aux art. 30 et 31, aucune disposition de
la Convention ne porte atteinte aux immunités dont jouissent les navires de guerre et les autres navires
d'Etat utilisés à des fins non commerciales.
Remarque : l'art. 22 de la Convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë (Nations
Unies, Rec. des Traités, 1958, vol. 516, p. 205) est ainsi libellé :
1. Les règles prévues à la sous-section A et à l'art. 18 s'appliquent aux navires d'Etat affectés à
des fins non commerciales.
2. A l'exception des dispositions auxquelles se réfère le paragraphe précédent, aucune disposition
des présents articles ne porte atteinte aux immunités dont jouissent ces navires en vertu desdits articles
ou des autres règles du droit international.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 817

La deuxième raison tenant à la structure des textes a une portée un peu plus
large. Lors de la Conférence de 1958, les articles unifiés sur le droit de la mer
furent répartis entre quatre conventions. Parmi celles-ci, deux seulement
présentaient un lien particulier avec le régime des navires de guerre : la Convention sur
la mer territoriale et la Convention sur la haute mer. La Convention de 1982
regroupe l'essentiel du contenu de ces deux conventions dans seulement deux de
ses dix-sept parties et neuf annexes, dont beaucoup intéressent également le
régime des navires de guerre. Par conséquent, le terme « Convention » élimine tout
risque d'ambiguïté.
Une autre différence qui existe entre les deux dispositions réside dans le fait
que l'art. 22 ne mentionne pas les navires de guerre. Bien que logiquement on
puisse affirmer que ces derniers constituent une sous-catégorie de la catégorie des
navires d'Etat utilisés à des fins non commerciales, cet article se trouve dans une
sous-section intitulée « Règles applicables aux navires d'Etat autres que les navires
de guerre » et est suivie d'une sous-section différente qui s'institule « Règle
applicable aux navires de guerre ». La règle contenue dans cette dernière sous-
section, qui est reprise en substance dans l'art. 30 de la nouvelle convention,
dispose que, si un navire de guerre passe outre à une sommation de respecter les
règlements de l'Etat côtier relatifs au passage dans la mer territoriale, cet Etat
peut exiger que le navire quitte la mer territoriale. Le pouvoir d'exiger le départ
de son territoire est, bien entendu, le moyen classique employé par un Etat qui
n'a pas de juridiction en matière de pouvoirs de police à l'égard d'un agent ou d'un
instrument souverain d'un Etat étranger, qu'il s'agisse d'un diplomate ou d'un
navire de guerre.
En comparaison de la retentissante déclaration d'« immunité complète de
juridiction vis-à-vis de tout Etat autre que l'Etat du pavillon » dont jouissent les
navires d'Etat non commerciaux en haute mer en vertu de l'art. 9 de la
Convention sur la haute mer (disposition qui est reprise à l'art. 96 de la Convention de
1982), la formule « aucune disposition des présents articles » semble quelque peu
moins tranchante. La raison en est qu'en 1958 il existait une divergence d'opinion
quant à la portée et aux effets des immunités des navires d'Etat non commerciaux
autres que les navires de guerre lorsqu'ils se trouvent dans la mer territoriale.
L'adjonction des navires de guerre à cette clause dans la Convention de 1982
ne reflète cependant aucune controverse au sujet de la portée ou des effets de
l'immunité des navires de guerre. Elle correspond bien plus à l'opinion générale
que les règles du droit international en matière d'immunité des navires de guerre
et des autres navires d'Etat non commerciaux doivent continuer à s'appliquer.
Cela explique la suppression de la référence peu logique aux « immunités dont
jouissent ces navires en vertu desdits articles » qui figure à l'art. 22 de la
Convention de 1958. Toutefois, cela n'explique pas la suppression de la référence
au droit international.
Du point de vue de l'économie du texte, l'abandon de la référence au droit
international se trouve compensé par le dernier alinéa du préambule de la
Convention de 1982, qui affirme que « les questions qui ne sont pas réglementées
par la Convention continuent d'être régies par les règles et principes du droit
international général ». Il traduit l'allergie générale (bien que non systématique)
aux références au droit international dans la Convention qu'ont manifestée les
représentants des pays en développement qui, pour de tout autres raisons, ont
lutté contre l'introduction de telles références dans la Charte des Nations Unies
sur les droits et les devoirs économiques et dans la Déclaration des Nations Unies
sur les principes régissant les fonds marins au-delà des limites de la juridiction
818 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

nationale. Tant le contexte de l'art. 32 que le passage cité du préambule laissent


entendre que la suppression de la référence au droit international n'entraîne
aucun changement dans les effets juridiques.
Les « exceptions » visées au § 1 de l'art. 22 sont toutes incluses dans l'«
exception » prévue à la sous-section A que mentionne l'art. 32. Cette sous-section A
contient les règles relatives au passage inoffensif dans la mer territoriale qui sont
applicables à tous les navires. Ce que l'on veut démontrer, c'est que l'immunité de
juridiction en matière de pouvoirs de police vis-à-vis de l'Etat côtier ne dégage pas
un navire de guerre de l'obligation de respecter les dispositions de la Convention
réglementant le passage inoffensif. Le mot « exception » n'est pas idéal pour
exprimer la nature de ce renvoi.
L'art. 32 de la nouvelle convention comporte également deux autres renvois
dans sa liste des « exceptions ».
La première référence, qui est faite à l'art. 30, est un renvoi à la règle en
vertu de laquelle l'Etat côtier peut exiger d'un navire de guerre qu'il quitte la mer
territoriale s'il passe outre à la demande qui lui est faite de respecter les
règlements relatifs au passage inoffensif. Là encore, le mot « exception » laisse à
désirer.
La dernière « exception » renvoie à une disposition qui a été ajoutée par la
Convention de 1982 et qui porte sur la responsabilité internationale de l'Etat du
pavillon pour toute perte ou tout dommage causé à l'Etat côtier du fait de
l'inobservation des règlements relatifs au passage inoffensif par ses navires de
guerre ou autres navires d'Etat non commerciaux. Là aussi, il ne s'agit guère
d'une exception à la règle de l'immunité, mais plutôt d'une conséquence juridique
du fait générateur de l'immunité, à savoir la qualité d'instrument souverain de
l'Etat qui s'attache au navire de guerre.

4. Protection et préservation du milieu marin

L'évolution des préoccupations des gouvernements entre le moment où les


Conventions de 1958 furent achevées et celui où le fut la Convention de 1982 est
bien mise en évidence par les nombreuses dispositions de la Convention de 1982
sur la protection et la préservation du milieu marin. Une partie importante et très
détaillée de la Convention est consacrée à ce sujet (lO). Elle commence par une
déclaration d'un ton catégorique insolite : « les Etats ont l'obligation de protéger
et de préserver le milieu marin» (il). En outre, les chapitres traitant des divers
régimes applicables à des zones géographiques déterminées contiennent de longues
dispositions d'ordre écologique (12).
C'est pourquoi l'« exception des navires de guerre » figurant à l'art. 236
présente une importance particulière (12 bis).

(10) Convention, partie XII.


(11) Convention, art. 192.
(12) Voir, par exemple, Convention, art. 19, §2, a), art. 21, § 1, art. 22, §2, art. 23, 39, 42, 43,
56, 79, art. 94, § 3, art. 123, 145, 240, 266, 277, 290, art. 297, §1, c).
(l2 bis) L'art. 236 de la Convention est ainsi libellé :
Immunité souveraine
Les dispositions de la Convention relatives à la protection et à la préservation du milieu marin ne
s'appliquent ni aux navires de guerre ou navires auxiliaires, ni aux autres navires ou aux aéronefs
appartenant à un Etat ou exploités par lui lorsque celui-ci les utilise, au moment considéré, exclusive-
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 819

L'art. 236 va plus loin que la seule question de l'immunité de juridiction en


matière de pouvoirs de police vis-à-vis d'un Etat autre que l'Etat du pavillon. Les
navires de guerre sont exemptés de l'application des dispositions de la Convention
et des règlements nationaux pris en exécution de celles-ci en ce qui concerne la
protection et la préservation du milieu marin.
Plusieurs motifs expliquent l'adoption de cet article. Les règlements de
caractère général portant sur la pollution, y compris les règlements
internationaux, peuvent se révéler inappropriés par rapport à la configuration ou à la
mission particulière de certains navires de guerre (13). On craignait aussi que,
dans l'exercice de leurs pouvoirs pour prévenir et maîtriser la pollution que
peuvent causer les navires étrangers, les Etats côtiers n'acquièrent de ce fait un
droit de regard sur le passage des navires de guerre en général et des navires de
guerre nucléaires en particulier. Une question ayant trait à la conformité d'un
navire de guerre à une norme déterminée pourrait nécessiter le contrôle ou la
communication de données concernant le navire, sa conception ou son
équipement; la plupart des Etats seraient peu disposés à permettre cela.
Comme les navires de guerre ne sont pas considérés comme une source
importante de pollution marine et que les règles de l'immunité souveraine
auraient, de toute façon, restreint les possibilités d'exercice des pouvoirs de police
contre le gré de l'Etat du pavillon, l'art. 236 ne s'est pas heurté à une opposition
notable. De plus, eu égard à la nature politique de la mission des navires de guerre
évoluant loin de leur pays d'origine, il n'était pas jugé irréaliste de s'attendre en
tout état de cause, de la part des principaux Etats du pavillon, à un haut degré de
diligence en ce qui concerne le milieu marin (14).

ment à des fins de service public non commerciales. Cependant, chaque Etat prend des mesures
appropriées n'affectant pas les opérations ou la capacité opérationnelle des navires ou aéronefs lui
appartenant ou exploités par lui de façon à ce que ceux-ci agissent, autant que faire se peut, d'une
manière compatible avec la Convention.
(13) C'est la raison pour laquelle on avait inséré le prédécesseur de l'art. 236 dans la Convention
de Londres de 1973 sur la pollution marine.
(14) Comme dans le cas de l'art. 29, examiné dans la note 4 supra, on peut soutenir que, puisque
l'art. 236 figure dans la partie XIII de la Convention, il ne s'applique qu'aux dispositions de cette partie.
Sur ce point, il est nécessaire d'examiner de plus près les autres dispositions relatives à la
pollution :
- Parmi les régimes géographiques applicables au-delà de la mer territoriale qui contiennent des
dispositions antipollution, ceux de l'art. 56 de la partie V, relative à la zone économique exclusive, ne
font que renvoyer à la partie XII, et ceux de la partie XI et des annexes qui s'y rapportent, relatives aux
activités concernant les fonds marins, visent, par définition, les seules activités d'exploration et
d'exploitation des ressources minérales de la zone, activités qui ne concernent pas les navires de guerre.
- Dans la mesure où il s'agit du passage inoffensif dans la mer territoriale, le long passage
consacré à cette question dans la partie XII, art. 211, §4, et art. 220, §2, la référence expresse à la
partie II de la Convention à l'art. 211, § 4, et la référence inverse de la partie II à la partie XII contenue
dans l'art. 19, §2, lettre h), et dans le chapeau de l'art. 21, § 1, rendraient extrêmement difficile toute
tentative de ramener les effets de l'art. 236 aux seules dispositions de la partie XII.
- Le droit de passage en transit dans les détroits et le droit de passage archipélagique sont plus
libéraux que le droit de passage inoffensif dans la mer territoriale, mais plus limités que la pleine liberté
de navigation valable au-delà de la mer territoriale. Il serait malaisé d'argumenter que l'art. 236
s'appliquerait à la fois à la liberté de navigation et au droit de passage inoffensif, mais ne s'appliquerait
pas au passage en transit et au passage archipélagique.
De même que la Convention ne comporte pas d'article général pour toutes les définitions
d'application générale, de même elle ne contient pas de chapitre général unique réunissant toutes les dispositions
applicables à l'ensemble de la Convention. La brève partie XVI sur les dispositions générales regroupe
seulement quelques éléments laissés pour une large part par les négociations de la IIe Commission, que
l'on a mis dans une nouvelle partie afin de ne pas rouvrir des débats sur le fond au sein de ladite
commission. A vrai dire, la partie XII constitue elle-même un chapitre de portée générale applicable à
l'ensemble de la Convention dans le domaine de la protection et de la préservation du milieu marin.
820 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

5. Divulgation de renseignements sensibles

Aux termes de l'art. 302, aucune disposition de la Convention ne peut être


interprétée comme obligeant un Etat « à fournir des renseignements dont la
divulgation serait contraire à ses intérêts essentiels en matière de sécurité ». De
toute évidence, une telle disposition s'applique à la construction, à l'armement et
aux capacités de la plupart des navires de guerre. Elle vaut aussi, du moins
pendant une période donnée, pour la localisation, les activités et la mission de ces
derniers.
L'art. 302 s'appuie sur l'art. 223, § 1, lettre a), du Traité de Rome instituant
la Communauté économique européenne. Ce qui le différencie surtout de cette
dernières disposition, c'est le remplacement d'une appréciation subjective (l'Etat
« estime » la divulgation des renseignements contraire aux intérêts essentiels de sa
sécurité) par une appréciation objective (la divulgation « est » contraire à ces
intérêts essentiels).
Au cours des discussions relatives à ce changement, deux arguments avaient
été avancés. D'une part, on s'opposait à une reproduction mot à mot du texte du
Traité de Rome parce que seuls quelques Etats connaissaient son histoire et son
interprétation. D'autre part, il n'existe pas de différence dans l'application des
deux formules, car on ne peut attendre d'un Etat qu'il divulgue les
renseignements à des étrangers, y compris des juges non soumis à ses lois et procédures en
matière de sécurité, aux fins d'un examen critique de sa décision. La nouvelle
formule a pour but de souligner la nécessité de prendre une décision de bonne foi
comme l'exige le principe général de « bonne foi » énoncé à l'art. 300.

6. Règlement des différends

Sous réserve de certaines exceptions concernant la juridiction de l'Etat côtier


sur les ressources naturelles ainsi que d'autres matières, tous les différends
surgissant entre Etats au sujet de l'interprétation ou de l'application de la
Convention qui n'ont pas été réglés par d'autres moyens et qui ne sont pas
soumis, par un autre traité, à un arbitrage obligatoire par une tierce partie ou à
une procédure juridictionnelle aboutissant à une décision obligatoire sont soumis
aux procédures d'arbitrage ou de règlement juridictionnel liant les parties en
litige (15). Toutefois, un Etat Partie peut, à tout moment, déclarer qu'il exclut de
cette obligation de recourir auxdites procédures :
- les différends relatifs à des activités militaires, y compris les activités
militaires des navires et aéronefs d'Etats utilisés pour un service non
commercial 16);
- les différends relatifs aux actes d'exécution forcée qu'il accomplit en tant
qu'Etat côtier à l'égard d'activités de recherche scientique marine ou de pêche
menées dans sa zone économique ( 17);

Par conséquent, on serait peu fondé, si tant est qu'on le soit, à soutenir que l'art. 236 signifie
autre chose que ce qu'il affirme expressément, c'est-à-dire qu'il s'applique à la Convention tout entière
et, partant, à tous les règlements internationaux et nationaux en matière d'environnement qui y sont visés.
Quant à savoir si des entités non parties à la Convention peuvent invoquer une telle exclusion en tant
que règle du droit international coutumier, ce n'est pas le lieu, ici, d'en débattre.
(15) Convention, art. 282, 286.
(16) Convention, art. 298, §1, b).
(17) Ibid.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 821

- les différends pour lesquels le Conseil de sécurité de l'Organisation des


Nations Unies exerce les fonctions qui lui sont conférées par la Charte des Nations
Unies, à moins que le Conseil de sécurité ne décide de rayer les questions de son
ordre du jour ou n'invite les parties à régler leur différend par les moyens prévus
par la Convention (18).
Étant donné que le texte de la Convention distingue entre activités militaires
et actes d'exécution forcée, il semble s'ensuivre que les actes d'exécution forcée qui
ne sont pas des activités militaires, et qui ne peuvent pas être exclus par une
déclaration comme relevant de l'exercice des droits d'exécution forcée de l'Etat
côtier à l'égard d'activités de pêche ou de recherche scientifique marine menées
dans sa zone économique exclusive, sont soumis à la procédure de règlement par
une tierce partie.
Le cas le plus important où cette situation pourrait se présenter est celui où
il est allégué qu'un navire de guerre d'un Etat côtier, qui ne se livre pas à des
activités militaires mais s'efforce de faire respecter les règlements de cet Etat, a
commis une infraction aux dispositions de la Convention en ce qui concerne la
liberté de navigation. L'exclusion des actes d'exécution forcée ne vaut que pour
ceux des actes de cette nature que l'Etat côtier accomplit à l'égard de l'exercice des
droits de pêche et de recherche scientifique marine, ces actes étant exclus de la
procédure de règlement obligatoire des différends (19). Les différends relatifs à
l'exercice par un Etat côtier de ses droits souverains ou de sa juridiction sur la
pêche et la recherche scientifique marine ainsi que sur d'autres matières sont
soumis à la procédure de règlement par une tierce partie lorsqu'il est allégué que
cet Etat a contrevenu aux libertés et droits de navigation d'un autre Etat prévus
par la Convention (20).
Ainsi, l'arraisonnement, la perquisition ou l'arrêt arbitraire ou abusif d'un
navire marchand étranger naviguant dans la zone économique par un navire de
guerre ou un navire garde-côte de l'Etat côtier se trouvant en situation
d'exécution forcée seraient soumis à un règlement obligatoire par une tierce partie parce
qu'ils ont causé une entrave illicite à la navigation. On a attaché une importance
particulière à cette solution afin de protéger la liberté de navigation dans le
contexte de l'octroi de larges pouvoirs nouveaux de police aux Etats côtiers en
matière de pollution dans la zone économique.
Une question délicate qui se pose est de savoir si l'arraisonnement d'un navire
pour cause de suspicion de piraterie constituerait ou bien une activité militaire
faisant l'objet d'une exclusion du règlement par une tierce partie ou bien un acte
d'exécution forcée soumis au règlement obligatoire par une tierce partie. Le point
de droit porterait sur la responsabilité pour perte ou dommage causés par une
saisie et, peut-être, par l'arraisonnement et la perquisition effectués sans motifs
valables alors que le navire n'a commis aucun acte justifiant les soupçons. Si l'on
s'en tient au texte on peut se demander si l'« exécution forcée » se réfère
exclusivement, ou seulement principalement, à l'exercice de la juridiction de l'Etat côtier,
plutôt qu'à l'exercice par lui d'une juridiction générale.

(18) Convention, art. 298, §1, c).


(19) Convention, art. 298, §1, b).
(20) Convention, art. 297, §1, a).
822 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

II convient de noter que, si de nombreuses dispositions matérielles de la


Convention peuvent être ou sont susceptibles d'être un jour regardées comme
déclaratoires d'un droit international coutumier opposable à tous les Etats, même
non Parties à la Convention, on considère généralement que la soumission aux
procédures de règlement obligatoire par une tierce partie nécessite un accord
exprès.

Deuxième partie

ZONES SITUÉES AU LARGE DE LA MER TERRITORIALE

1. La haute mer

Le régime de la haute mer s'applique à « toutes les parties de la mer qui ne


sont comprises ni dans la zone économique exclusive, la mer territoriale ou les
eaux intérieures d'un Etat, ni dans les eaux archipélagiques d'un Etat archipel ».
Il s'applique également, pour une large part, à l'intérieur de la zone économique
exclusive dans la mesure où il n'est pas incompatible avec les dispositions relatives
à celle-ci.
Le principe de base de la liberté de la haute mer est énoncé à l'art. 87, qui
s'appuie sur l'art. 2 de la Convention sur la haute mer(2l). Toutefois, les lettres
d) et f) du § 1 de l'art. 87 visent des libertés de construire des îles artificielles et
autres installations et de la recherche scientifique qui ne sont pas mentionnées
expressément à l'art. 2. En outre, si le chapeau de l'art. 87, § 1, comporte le mot
« notamment », indiquant par là que la liste des libertés n'est pas exhaustive, il ne
contient pas la référence aux « autres libertés reconnues par les principes généraux
du droit international » dans la clause sur l'obligation de « tenir dûment compte ».
La raison de la suppression de cette référence n'est pas claire (21 bis), mais le

(2l) L'art. 87 de la Convention est ainsi libellé :


Liberté de la haute mer
1. La haute mer est ouverte à tous les Etats, qu'ils soient côtiers ou sans littoral. La liberté de la
haute mer s'exerce dans les conditions prévues par les dispositions de la Convention et les autres règles
du droit international. Elle comporte notamment pour les Etats, qu'ils soient côtiers ou sans littoral :
a la liberté de navigation;
b la liberté de survol;
c la liberté de poser des câbles et des pipelines sous-marins, sous réserve de la partie VI; (*)
d) la liberté de constuire des îles artificielles et autres installations autorisées par le droit
international, sous réserve de la partie VI; (*)
e) la liberté de la pêche, sous réserve des conditions énoncées à la section 2 ;
f) la liberté de la recherche scientifique, sous réserve des parties VI et XIII. (")
2. Chaque Etat exerce ces libertés en tenant dûment compte de l'intérêt que présente l'exercice de
la liberté de la haute mer pour les autres Etats, ainsi que des droits reconnus par la Convention
concernant les activités menées dans la Zone. (")
Remarques :
(*) La partie VI traite du plateau continental. La partie XIII traite de la recherche scientifique
marine.
(") Les « activités menées dans la Zone » s'entendent de l'exploration et de l'exploitation des
ressources minérales des fonds marins situés au-delà des limites de la juridiction nationale.
(21 bis) II se peut qu'il s'agisse là de la controverse sur le point de savoir si les activités relatives
aux fonds marins menées au-delà du plateau continental peuvent être considérées comme l'exercice
d'une liberté de la haute mer selon le droit international coutumier.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 823

maintien du mot « notamment » semble signifier ou bien que ladite suppression


est juridiquement sans importance, ou bien qu'elle implique qu'il n'est pas
nécessaire de démontrer qu'une liberté non indiquée dans 1' enumeration est
« reconnue par les principes généraux du droit internationaux ».
A l'évidence, les navires de guerre font bien plus que de naviguer d'un point à
un autre comme le font les navires marchands. Dans le cas de la haute mer située
au-delà de la zone économique exclusive, c'est affaire d'appréciation de considérer
que de telles activités sont englobées dans le terme « navigation » - qui couvre
certainement la navigation en immersion - ou dans les libertés impliquées par le
mot « notamment ». Cette question acquiert plus d'importance dans le cas de la
zone économique exclusive et sera examinée dans le cadre de celle-ci.
L'art. 87, ainsi que la plupart des autres articles de la nouvelle convention
relatifs à la haute mer, reprennent pour l'essentiel les dispositions de la
Convention de 1958 sur la haute mer. Le préambule de cette dernière précise qu'il s'agit
d'une codification du droit international coutumier (à vrai dire d'un droit
international coutumier existant de longue date). Cette constatation vient renforcer la
conclusion selon laquelle, en l'absence de contraintes spécifiques contraires, les
navires de guerre demeurent, en principe, libres d'entreprendre les activités
exercées habituellement par les navires de ce type, manœuvres, patrouilles,
opérations de mouillage, exercices d'armes, etc. Puisque le navire de guerre est un
instrument politique et militaire de l'Etat, on présume qu'il se livre, ou est
susceptible de se livrer, à une activité de nature politique ou militaire visant un
ou plusieurs autres Etats.
Le simple fait que les navires de guerre jouissent d'une large gamme de
libertés ne signifie pas, en principe, qu'ils puissent, pas plus que les autres navires
en haute mer, ignorer les droits des autres usagers de la haute mer. Ainsi, toutes
les libertés de la haute mer doivent s'exercer « en tenant dûment compte de
l'intérêt que présente l'exercice de la liberté de la haute mer pour les autres
Etats » ainsi que des droits relatifs à la zone internationale des fonds marins (22).
De la sorte, toute entrave physique à l'évolution de navires étrangers, de même
que le préjudice causé à l'objet de leurs activités, entreraient dans le champ
d'application de cette règle. Toutefois, l'interdiction ne porte pas sur l'entrave ou
le préjudice pris en eux-mêmes, mais sur l'entrave qui ne tient pas dûment
compte des intérêts de l'autre ou des autres Etats concernés : il faut un équilibre
des intérêts.
Tout comme les autres navires appartenant à un Etat ou utilisés par lui et
assurant uniquement un service public non commercial, les navires de guerre
« jouissent en haute mer de l'immunité complète de juridiction vis-à-vis de tout
Etat autre que l'Etat du pavillon » (23). Un navire de guerre ne peut être
arraisonné, même pour cause de suspicion de piraterie, à moins que l'équipage ne
se soit mutiné, ne s'en soit rendu maître et ait commis des actes de piraterie (24).
Le droit de visite en haute mer est - ou, plus exactement, était - réservé
aux seuls navires de guerre. Il s'étend à présent aux aéronefs militaires et à « tous
(22) Le changement de l'expression < en tenant raisonnablement compte », employée dans le texte
de la Convention sur la haute mert, en < en tenant dûment compte », formule qui figure dans le texte de
la nouvelle convention, vient de ce que la formule espagnole < debida consideraciôn » (qui, dans la
Convention de 1958, est l'équivalent espagnol de « en tenant raisonnablement compte ») a été retraduite
en < en tant dûment compte » dans les propositions initialement rédigées par des délégations
hispanophones.
(23) Convention, art. 95.
(24) Convention, art. 102.
824 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

autres navires ou aéronefs dûment autorisés et portant des marques extérieures


indiquant clairement qu'ils sont affectés à un service public » (25). Les
circonstances qui justifient une visite sont énoncées à l'art. 110, § 1, de la Convention (26).
La différence la plus importante entre cet article et son prédécesseur, l'art. 22
de la Convention sur la haute mer, réside dans l'adjonction des lettres c) et d) au
§ 1 (27). En vertu de la lettre c), le droit de visite s'étend aux navires de tout Etat
où l'on peut capter des émissions ou de tout Etat dont les radiocommunications
autorisées sont brouillées par des émissions (28). Ils peuvent arrêter toute
personne ou tout navire qui diffuse des émissions non autorisées et saisir le matériel
d'émission (29).
Les navires de guerre, les aéronefs militaires, ou « les autres navires ou
aéronefs qui portent des marques extérieures indiquant clairement qu'ils sont
affectés à un service public » peuvent « saisir an navire ou aéronef pirate, ou un
navire ou aéronef capturé à la suite d'un acte de piraterie et aux mains de pirates,
et appréhender les personnes et saisir les biens se trouvant à bord » (30).
Les points sur lesquels le régime de la haute n'est pas loin de concevoir des
règles exclusivement applicables aux navires de guerre concernent le droit de visite
et, par exemple en cas de piraterie, le droit de saisie d'un navire étranger. Les
pouvoirs de police spéciaux du navire de guerre en la matière proviennent, non pas

(25) Convention, art. 110. On peut soutenir que cette extension constitue une rectification
technique, conforme à celle qui a été faite de manière semblable dans le domaine de la piraterie à l'art. 21 et
à l'art. 23, §4, de la Convention de 1958 sur la haute mer. Ces extensions apparaissent sans doute
inutiles au vu des modifications apportées à la définition de navires de guerre dans la Convention de
1982. Il est possible que l'on soit amené à regretter leur rédaction peu précise si - comme le donnent à
entendre certains experts britanniques - les Etats commencent à déléguer de tels pouvoirs de police à
des personnes privées sur les plates-formes de forage de pétrole. Les armées privées ont disparu (ou
auraient dû disparaître) avec le féodalisme ; la « guerre de course » en mer a disparu (ou aurait dû
disparaître) avec le système mercantile.
(26) L'art. 110, S 1. de la Convention est ainsi libellé :
Droit de visite
1. Sauf dans les cas où l'intervention procède de pouvoirs conférés par traité, un navire de guerre
qui croise en haute mer un navire étranger, autre qu'un navire joussant de l'immunité prévue aux
art. 95 et 96, ne peut l'arraisonner que s'il a de sérieuses raisons de soupçonner que ce navire :
a) se livre à la piraterie;
bj se livre au transport d'esclaves;
c) sert à des émissions non autorisées, l'Etat du pavillon du navire de guerre ayant juridiction en
vertu de l'art. 109;
d) est sans nationalité; ou
e) a en réalité la même nationalité que le navire de guerre, bien qu'il batte pavillon étranger ou
refuse d'arborer son pavillon.
(27) Un autre changement plus technique a consisté à remplacer la formule « un navire de
commerce étranger » par « un navire étranger, autre qu'un navire jouissant de l'immunité prévue aux
art. 95 et 96 ». On pourrait également faire remarquer que la nouvelle convention emploie, en anglais, le
pronom personnel neutre * it »(il), au lieu du féminin « she »(elle) employé traditionnellement, lorsqu'elle
parle d'un navire. Les délégués féminins de divers pays anglophones ont appuyé ce changement. La
délégation britannique, représentant un chef d'Etat féminin et un chef de gouvernement également
féminin, n'a pas pris position à ce sujet.
(28) Convention, art. 109. L'importance principale de cet amendement demandé par les Etats
membres de la C.E.E. réside dans son insertion, sous forme de référence, dans le régime de la zone
économique (art. 58, §2, de la Convention). On peut soutenir que, dans cette zone, son extension aux
installations n'est pas nécessaire en raison de la juridiction exclusive de l'Etat côtier sur les installations
et ouvrages utilisés à des fins économiques et que, dans une certaine mesure, elle est restreinte par cette
juridiction (art. 60, § 1, b), de la Convention).
(29) Ibid. Les émissions ne sont pas autorisées si elles sont diffusées « à l'intention du grand
public... en violation des règlements internationaux » (à l'exclusion des appels de détresse).
(30) Ibid. Convention, art. 105, 107.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 825

d'un certain droit de l'Etat du pavillon, mais plutôt de l'impossibilité pratique


- ou, selon certains commentateurs modernes, de l'inefficacité - qu'il y aurait à
conférer ce droit seulement à un type donné d'Etats. La nécessité de mettre fin
aux actes de violence privés dans les grands espaces de la mer, jointe à cette
impossibilité pratique, a donné naissance à l'obligation qu'ont tous les Etats de
coopérer « dans toute la mesure du possible à la répression de la piraterie en haute
mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d'aucun Etat » (3l).
Une tentative a été faite à la Conférence pour étendre cette juridiction
universelle de façon à la faire porter également sur le trafic illicite de stupéfiants
et de substances psychotropes. Les efforts ainsi tentés se trouvaient compliqués
par le fait que beaucoup de ces produits et substances font l'objet d'un commerce
licite, que certains d'entre eux peuvent être conservés à bord des navires pour le
traitement médical de personnes à bord, et que la définition des termes «
stupéfiants » et « substances psychotropes » a connu une telle extension qu'il est
probable qu'à l'insu des responsables des navires les équipages ou les passagers
d'un grand nombre de navires sont en possession de tels produits ou substances,
que ce soit pour leur propre consommation ou pour l'exercice d'un trafic. C'est
pourquoi on craignait de créer ainsi un trop grand risque d'abus et de tracasseries,
causés de bonne foi ou à titre de prétexte.
Aussi la Convention se borne-t-elle en principe à exiger de manière générale
que les Etats coopèrent à la répression du trafic illicite de stupéfiants et de
substances psychotropes ayant lieu en haute mer en violation des conventions
internationales et à stipuler qu'un Etat du pavillon peut demander la coopération
d'autres Etats pour mettre fin à ce trafic (32). Il est clair qu'un navire de guerre
peut arraisonner un bateau à la demande de l'Etat dont celui-ci bat pavillon. Il
faut aussi garder à l'esprit, comme le précise la nouvelle lettre d du paragraphe de
l'art. 110, qu'un navire de guerre peut arraisonner un navire étranger s'il y a de
sérieuses raisons de soupçonner que ce dernier est sans nationalité, tout en
observant qu'un navire naviguant sous les pavillons de plusieurs Etats, dont il fait
usage à sa convenance, peut être assimilé à un navire sans nationalité (33). Cette
disposition, jointe aux arrangements bilatéraux sur l'arraisonnement, peut
constituer une aide efficace pour le contrôle du trafic de stupéfiants.

2. Affectation à des fins pacifiques

La nouvelle convention prévoit que la haute mer « est affectée à des fins
pacifiques » (34). Cette disposition s'applique aussi à la zone économique (35). On a
beaucoup écrit sur le sens qu'il faut donner au terme « fins pacifiques », tel qu'il
est employé dans divers instruments internationaux. L'analyse de cette notion
dépasse le cadre de la présente étude. Néanmoins, il est opportun de faire quelques
observations à ce sujet.
Des dispositions analogues ont été introduites antérieurement dans le Traité
de l'Antarctique (36), dans le Traité sur l'espace extra-atmosphérique (37) et dans
(31) Convention, art. 100.
(32) Convention, art. 108.
(33) Convention, art. 92.
134) Convention, art. 88.
135) Convention, art. 58, §2.
36) Nations Unies, Rec. des Traités, 1959, vol. 402, p. 71, art. 1er.
(37) Nations Unies, Rec. des Traités, 1967, vol. 610, p. 205, art. 4.
826 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

la Déclaration de l'Assemblée des Nations Unies sur les fonds marins situés au-
delà des limites de la juridiction nationale (38). Dans les Traités de l'Antarctique
et sur l'espace extra-atmosphérique, la formule « fins pacifiques » est
immédiatement suivie d'interdictions spécifiques concernant les fortifications militaires, les
manœuvres militaires et les essais d'armes. Dans la Déclaration sur les principes
régissant les fonds marins au-delà des limites de la juridiction nationale, on a
envisagé la négociation d'interdictions militaires spécifiques dans le cadre des
négociations sur le contrôle des armements. Cette négociation a eu lieu et abouti à
faire proscrire dans le Traité l'installation d'armes nucléaires et d'autres armes de
destruction massive sur le fond de la mer (39).
Cet historique semblerait indiquer qu'une clause de « fins pacifiques » ne
renferme pas, en elle-même et par elle-même, une règle portant sur le contrôle des
armements (40). D'ailleurs, le préambule de la Convention sur le droit de la mer ne
contient rien qui précise que le contrôle des armements constitue l'un de ses
objectifs (4l). A cet égard, son but diffère considérablement de ceux des Traités de
l'Antactique et sur l'espace extra-atmosphérique.
On peut supposer qu'il y a accord général pour estimer que la clause des « fins
pacifiques », si elle a un contenu juridique, interdit les activités militaires non
compatibles avec la Charte des Nations Unies. Il ne peut certainement pas y avoir
de désaccord sur la conséquence qui en résulte, à savoir que les activités militaires
qui sont compatibles avec la Charte - telles que l'exercice du droit de légitime
défense ou l'exécution des mesures coercitives du Conseil de sécurité - ne sont
pas prohibées. La question qui se pose est de savoir si cette conséquence est la
seule qu'on puisse en tirer, notamment au vu de l'interdiction générale faite par
la Convention de tout emploi de la force contraire à la Charte des Nations Unies.
Plus précisément, la question est celle-ci : si la clause des « fins pacifiques » a un
contenu juridique allant au-delà d'une interdiction des activités militaires non

(38) Nations Unies, Résolution de l'Assemblée générale 2749 (XXV), 1970.


(39) Traité attaché à la Résolution 2660 (XXV) et adopté comme celle-ci le 7 décembre 1970.
(40) D'un autre côté, on peut soutenir que, comme dans l'emploi qui en est fait dans les Traités de
l'Antarctique et sur l'espace extra-atmosphérique, le terme n'était pas dépourvu de tout sens. Par
exemple, la phrase qui suit immédiatement la clause des « fins pacifiques » dans le Traité de
l'Antarctique dispose que sont notamment interdites les mesures de caractère militaire, telles que... (art. 1er).
Dans le Traité sur l'espace extra-atmosphérique, la clause des « fins pacifiques » ne s'applique qu'à la
Lune et aux autres corps célestes, non à l'espace extra-atmosphérique (art. 4). Toute « implication
nétative » du contenu de la clause des « fins pacifiques » que l'on tirerait de l'emploi géographiquement
limité qui en est fait dans le Traité sur l'espace extra-atmosphérique se heurte cependant au fait que ce
dernier traité interdit expressément le stationnement d'armes nucléaires et d'autres armes de
destruction massive dans l'espace extra-atmosphérique, auquel la clause des « fins pacifiques » ne s'applique pas
en tant que telle; néanmoins, l'interdiction de la mise en place d'armes nucléaires et d'autres armes de
destruction massive correspondait précisément à l'application concrète, dans le cadre du contrôle des
armements, de la clause des « fins pacifiques » contenue dans la Déclaration des Nations Unies sur les
fonds marins situés au-delà des limites de la juridiction nationale.
(41) Le passage le plus pertinent des alinéas particuliers du préambule reconnaît «qu'il est
souhaitable d'établir... un ordre juridique pour les mers et les océans qui facilite les communications
internationales et favorise les utilisations pacifiques des mers et des océans, l'utilisation équitable et
efficace de leurs ressources, la conservation de leurs ressources biologiques et l'étude, la protection et la
préservation du milieu marin ». L'alinéa qui suit immédiatement commence ainsi : « Considérant que la
réalisation de ces objectifs contribuera à la mise en place d'un ordre économique international juste et
équitable... ». Une contribution au « renforcement de ia paix, de la sécurité, de la coopération et des
relations amicales entre toutes les nations » ne s'obtient pas par des règles particulières, mais par
l'ensemble de « la codification et (du) développement progressif du droit de la mer réalisés dans la
Convention ». Le préambule se termine en « Affirmant que les questions qui ne sont pas réglementées
par la Convention continueront d'être régies par les règles et principes du droit international général ».
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 827

compatibles avec la Charte des Nations Unies, mais ne représente pas une mesure
spécifique de contrôle des armements en tant que telle, existe-t-il d'autres
possibilités ?
L'ampleur et la complexité de la Convention sur le droit de la mer prouvent
intrinsèquement qu'une référence, en une seule phrase, aux fins pacifiques,
applicable à la fois par l'Etat côtier et par les grandes puissances et à la zone
économique exclusive comme à la haute mer située au-delà de celle-ci, et donc à
tous les usagers de toutes les mers et de tous les océans au large de la mer
territoriale, n'était pas destinée à imposer de nouvelles contraintes juridiques, aux
activités militaires s' exerçant en mer. L'histoire de l'utilisation militaire des mers
se compte en millénaires. Comme en témoignent les Traités de l'Antarctique et
sur l'espace extra-atmosphérique, l'introduction de limitations juridiques dans le
domaine des activités militaires, même pour des régions où ne se sont pas
déroulées d'importantes activités de cette nature, exige plus de détails qu'une
simple phrase. S'il est une chose qui ressort clairement des délibérations de la
Conférence, c'est que l'un des mobiles fondamentaux qui animaient les principales
Puissances maritimes lors de la négociation d'une nouvelle convention sur le droit
de la mer consistait à protéger dans toute la mesure du possible la liberté de
mener des activités militaires en mer. Il est peu probable qu'elles en eussent
accepté une limitation vague et de portée indéterminée sans négociations
approfondies et sans de multiples détails.
Il va sans dire que toute clause de « fins pacifiques » contenue dans un
instrument juridique peut avoir une signification juridique variable, liée au
contexte de ce dernier. Dans le cadre de la Convention sur le droit de la mer, si le
sens de cette clause va réellement au-delà d'une simple injonction de respecter les
interdictions faites par la Charte des Nations Unies relativement à la conduite
d'activités militaires en mer, il peut tout au plus être considéré comme équivalant
à un vœu, à un objectif de principe devant guider les Etats lors de négociations
futures sur le contrôle des armements, menées dans les enceintes et dans un
contexte appropriés (42).
Aux yeux de' certains, cette interprétation de la clause des « fins pacifiques »
peut apparaître comme la révélation inconvenante que les mots n'ont guère de
substance, si tant est qu'ils en aient. Ce serait comme si l'on mettait en doute les

(42) Ceux qui préfèrent s'en tenir davantage aux nuances linguistiques faites dans le texte
constateront que l'art. 88 déclare que la haute mer « est affectée à des fins pacifiques », sans employer le
mot « seulement » ou « exclusivement ». Ils compareront ce langage avec celui de l'art. 141 de la
Convention sur le droit de la mer, aux termes duquel la Zone internationale des fonds marins est ouverte
à « l'utilisation à des fins exclusivement pacifiques », avec celui de l'art. 1er du Traité de l'Antarctique,
selon lequel l'Antarctique est utilisé seulement à des fins pacifiques, et avec celui de l'art. 4 du Traité
sur l'espace extra- atmosphérique, qui dispose que la Lune et les autres corps célestes sont utilisés à des
fins exclusivement pacifiques.
Une difficulté pratique que présente cette approche linguistique est que celle-ci exigerait
d'attribuer des effets juridiques plus stricts à l'imposition des « fins pacifiques » dans le cadre de la Zone
internationale les fonds marins, sans qu'il y ait des éléments de preuve intrinsèques ou extrinsèques
pour étayer cette disctinction ou fournir une indication sur sa nature. Les articles sur la haute mer et
ceux relatifs à la Zone internationale des fonds marins ont été élaborés dans des commissions distinctes,
suivies en général par des personnes différentes même dans le cas des petites délégations. Le Comité de
rédaction de la Conférence était pressé par des délais rigoureux et n'a pu harmoniser les textes qu'en
l'absence d'objection. Toute harmonisation de textes émanant de deux commissions différentes obligeait
les délégués siégeant au Comité de rédaction à obtenir au préalable l'accord de leurs représentants
nationaux auprès des deux commissions, ce qui soulevait assez souvent des problèmes logistiques de
même que des problèmes politiques et des problèmes de personnes. Beaucoup a été fait, mais il est vrai
aussi que beaucoup n'a pu être fait.
828 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

promesses d'amitié perpétuelle que renferme un traité de paix fraîchement négocié


entre ennemis traditionnels. Pour d'autres, forger des mots représente le premier
pas indispensable pour tracer le programme de négociation et de développement du
droit futur, quoique sous une autre forme et à un autre moment.

3. La Zone internationale des fonds marins

La Zone internationale des fonds marins est définie comme constituée par
« les fonds marins et leur sous- sol au-delà des limites de la juridiction
nationale (43). Hormis le cas inhabituel des rochers inhabitables et tout à fait
isolés (44), elle se compose, en fait, des fonds marins situés au large de la limite du
plateau continental de l'Etat côtier, telle qu'elle est définie dans la Convention;
cette limite est représentée soit par une ligne qui se trouve à une distance de
200 milles marins des lignes de base de la côte, soit par le rebord externe de la
marge continentale, la délimitation retenue étant celle qui se situe le plus au
large (45). L'ensemble de la Zone internationale des fonds marins se trouve donc
sous les eaux extérieures de la haute mer.
Pratiquement toutes les dispositions relatives à la Zone internationale ont
trait aux « activités menées dans la Zone ». Cette expression vise « toutes les
activités d'exploration et d'exploitation des ressources de la Zone » (46). Par
conséquent, elles ne présentent, pour l'essentiel, aucun rapport avec le régime des
navires de guerre, si ce n'est qu'aux termes de l'art. 87 et de l'art. 147, §3, qui
s'y rattache, l'exercice des libertés de la haute mer doit s'effectuer en tenant
dûment compte des droits concernant les activités menées dans la Zone.
L'art. 87 mentionne expressément des libertés de la haute mer qui impliquent
l'utilisation des fonds marins, telles que la pose de câbles et de pipe-lines ou la
construction d'îles artificielles et d'installations, et sous-entend d'autres
utilisations analogues (par exemple, ancrage). La question peut donc se poser de savoir
si, mises à part celles qui traitent de l'exploration et de l'exploitation des
ressources minérales, les dispositions portant sur la Zone internationale des fonds
marins sont incompatibles avec le régime de la haute mer ou, plus précisément,
avec l'exercice des libertés de la haute mer par les navires de guerre. Les
dispositions de base concernant ladite zone qui ne se limitent pas expressément à
la question de l'exploration et de l'exploitation des ressources minérales sont
l'art. 136, l'art. 137, §1, et les art. 138 et 141 (47).
(43) Convention, art.
1er.
(44) Convention, art.
121.
(45) Convention, art.
76.
(46) Convention, art.
1er.
(47) L'art. 136, l'art.
137, S 1. et les arts. 148 et 141 de la Convention sont ainsi libellés:
Article 136
Patrimoine commun de l'humanité
La Zone et ses ressources sont le patrimoine commun de l'humanité.
Article 137
Régime juridique de la Zone et de ses ressources
1. Aucun Etat ne peut revendiquer ou exercer de souveraineté ou de droits souverains sur une
partie quelconque de la Zone ou de ses ressources ; aucun Etat aucune personne physique ou morale ne
peut s'approprier une partie quelconque de la Zone ou de ses ressources. Aucune revendication, aucun
exercice de souveraineté de droits souverains ni aucun acte d'appropriation n'est reconnu.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 829

D'autre part, un article sur la recherche scientifique marine dispose que « les
Etats Parties peuvent effectuer des recherches scientifiques marines dans la
Zone », contient sa propre clause des « fins pacifiques » et demande que l'on
favorise la coopération internationale en matière de recherche scientifique
marine (48). Cette disposition n'est qu'un sommaire des règles générales de la
Partie XIII sur la recherche scientifique en général.
La clause de l'art. 141 déclarant la Zone « ouverte à l'utilisation » est à mettre
en parallèle avec l'affirmation contenue dans l'art. 87 selon laquelle la haute mer
est ouverte à tous les Etats. De même, la clause des « fins pacifiques » de l'art. 141
trouve un parallèle dans l'art. 88, aux termes duquel la haute mer est affectée à
des fins pacifiques, disposition que nous avons déjà examinée. L'art. 137 est le
pendant, plus approfondi, de l'interdiction de toute revendication de souveraineté
sur la haute mer faite à l'art. 89.
Il ne reste ainsi que le principe du « patrimoine commun » énoncé à l'art. 136.
La question la plus épineuse que soulève ce principe est le point de savoir si les
activités expressément réglementées par les dispositions de la Convention relatives
à la Zone internationale des fonds marins - et en particulier les activités qui
requièrent l'autorisation de l'Autorité internationale des fonds marins - peuvent
être exercées en dehors du système institué par la Convention ou d'une manière
non compatible avec lui. Etant donné que lesdites dispositions ne contiennent
aucune réglementation ni aucune limitation précise des activités des navires de
guerre ou d'autres activités militaires, en dehors de celles qui s'appliquent en tout
état de cause en vertu du régime de la haute mer, la solution de cette question n'a
aucun rapport avec les sujets considérés dans la présente étude (49).
En conséquence, les dispositions relatives à la Zone internationale des fonds
marins ne semblent en rien incompatibles avec l'exercice des libertés de la haute
mer par les navires de guerre.

4. La zone économique exclusive

Les dispositions de base de Convention relatives à la zone éconmique exclusive


qui entrent en ligne de compte pour la présente étude sont les art. 55, 56, 57, 58
et 59 de la partie V et l'art. 86 de la partie VI (49 bis).

Article 138
Conduite générale des Etats concernant la Zone
Dans leur conduite générale concernant la Zone, les Etats se conforment à présente partie, aux
principes énoncés dans la Charte des Nations Unies et aux autres règles du droit international, avec le
souci de maintenir la paix et la sécurité et de promouvoir la coopération internationale et la
compréhension mutuelle.
Article 141
Utilisation de la Zone à des fins exclusivement pacifiques
La Zone est ouverte à l'utilisation à des fins exclusivement pacfiques par tous les Etats, qu'il
s'agisse d'Etats côtiers ou sans littoral, sans discrimination et sans préjudice des autres dispositions de
la présente partie.
(48) Convention, art. 143. Les problèmes qui se posent sont examinés ailleurs à propos de la clause
des « fins pacifiques » relative à la haute mer (voir supra) et de la recherche scientifique marine dans la
zone économique exclusive (voir infra).
(49) La question se poserait bien sûr si un navire de guerre se livrait à l'exploration et
l'exploitation de ressources minérales.
(49 bis) Voir page 830.
830 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

(49 bis) Les art. 55, 56, 57, 58 et 59 de la partie V et l'art. 86 de la partie VI de la Convention sont
ainsi libellés :
Partie V
ZONE ÉCONOMIQUE EXCLUSIVE
Article 55
Régime juridique particulier de la zone économique exclusive
La zone économique exclusive est une zone située au-delà de la mer territoriale et adjacente à celle-ci,
soumise au régime juridique particulier établi par la présente partie, en vertu duquel les droits et la
juridiction de l'Etat côtier et les droits et libertés des autres Etats sont gouvernés par les dispositions
pertinentes de la Convention.
Article 56
Droits, juridiction et obligations de l'Etat côtier
dans la zone économique exclusive
1. Dans la zone économique exclusive, l'Etat côtier a :
a) des droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion des
ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds
marins et de leur sous-sol, ainsi qu'en ce qui concerne d'autres activités tendant à l'exploration et à
l'exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production d'énergie à partir de l'eau, des
courants et des vents;
b) juridiction, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, en ce qui concerne :
la mise en place et l'utilisation d'îles artificielles, d'installations et d'ouvrages;
la recherche scientifique marine;
la protection et la préservation du milieu marin;
c) les autres droits et obligations prévus par la Convention.
2. Lorsque, dans la zone économique exclusive, il exerce ses droits et s'acquitte de ses obligations
en vertu de la Convention, l'Etat côtier tient dûment compte des droits et des obligations des autres
Etats et agit d'une manière compatible avec la Convention.
3. Les droits relatifs aux fonds marins et à leur sous-sol énoncés dans le présent article s'exercent
conformément à la partie VI.
Article 57
Largeur de la zone économique exclusive
La zone économique exclusive ne s'étend pas au-delà de 200 milles marins des lignes de base à
partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale.
Article 58
Droits et obligations des autres Etats dans la zone
économique exclusive
1. Dans la zone économique exclusive, tous les Etats, qu'ils soient côtiers ou sans littoral,
jouissent, dans les conditions prévues par les dispositions pertinentes de la Convention, des libertés de
navigation et de survol et de la liberté de poser des câbles et pipelines sous-marins visées à l'art. 87,
ainsi que de la liberté d'utiliser la mer à d'autres fins internationalement licites liées à l'exercice de ces
libertés et compatibles avec les autres dispositions de la Convention, notamment dans le cadre de
l'exploitation des navires, d'aéronefs et de câbles et pipelines sous-marins.
2. Les art. 88 à 115, ainsi que les autres règles pertinentes du droit international, s'appliquent à
la zone économique exclusive dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec la présente partie.
3. Lorsque, dans la zone économique exclusive, ils exercent leurs droits et s'acquittent de leurs
obligations en vertu de la Convention, les Etats tiennent dûment compte des droits et des obligations de
l'Etat côtier et respectent les lois et règlements adoptés par celui-ci conformément aux dispositions de la
Convention et, dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec la présente partie, aux autres
règles du droit international.
Article 59
Base de règlement des conflits dans le cas où la Convention n'attribue
ni droits ni juridiction à l'intérieur de la zone économique exclusive
Dans les cas où la Convention n'attribue de droits ou de juridiction, à l'intérieur de la zone
économique exclusive, ni à l'Etat côtier ni à d'autres Etats et où il y a conflit entre les intérêts de l'Etat
côtier et ceux d'un ou de plusieurs autres Etats, ce conflit devrait être résolu sur la base de l'équité et
eu égard à toutes les circonstances pertinentes, compte tenu de l'importance que les intérêts en cause
présentent pour les différentes parties et pour la communauté internationale dans son ensemble.
Partie VI
HAUTE MER
Article 86
Champ d'application de la présente partie
La présente partie s'applique à toutes les parties de la mer qui ne sont comprises ni dans la zone
économique exclusive, la mer territoriale ou les eaux intérieures d'un Etat, ni dans les eaux archipéla-
giques d'un Etat archipel. Le présent article ne restreint en aucune manière les libertés dont jouissent
tous les Etats dans la zone économique exclusive en vertu de l'art. 58.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 831

L'art. 58 énumère, dans ses § 1 et 2, les activités auxquelles peuvent se livrer


tous les Etats sans le consentement ou le contrôle de l'Etat côtier. Les deux
paragraphes constituent donc la base pour la détermination des droits que les
navires de guerre possèdent dans la zone économique.

Les activités dans la zone économique qui nécessitent le consentement de


l'Etat côtier et qui sont soumises à son contrôle sont indiquées à la lettre a) de
l'art. 56, §1, ainsi que dans les articles que visent les lettres b) et c). Comme
exposé précédemment, les dispositions de la Convention relatives à la protection et
à la préservation du milieu marin ne s'appliquent pas aux navires de guerre, en
vertu de l'art. 236.

L'art. 58, § 1, incorpore les libetés de la haute mer « visées à l'art. 87 » dans
le régime de la zone économique exclusive, avec cependant une différence
importante : il contient sa propre liste des libertés de la haute mer valables dans la zone
économique, et cette liste n'a pas le caractère exemplatif exprimé par le mot
« notamment ». Tout en ne comportant pas les références de l'art. 87 à la liberté
de la pêche, à la liberté de la recherche scientifique et à la liberté de construire des
îles artificielles et des installations, il reprend les références de ce dernier article
aux libertés de navigation et de survol et à la liberté de poser des câbles et des
pipelines sous-marins et il ajoute une référence à « d'autres fins
internationalement licites liées à l'exercice de ces libertés et compatibles avec les autres
dispositions de la Convention, notamment dans le cadre de l'exploitation des (sic)
navires, d'aéronefs et de câbles et pipelines sous-marins ». Dans la mesure où il
s'agit des navires de guerre, cette clause nouvelle équivaut, en fait, à la formule
« notamment » de l'art. 87.

Outre la navigation d'un point à un autre, il existe de nombreuses activités


auxquelles les navires de guerre se livrent traditionnellement en mer. Sont-elles
couvertes par les mots « navigation et survol »? Si elles ne le sont pas, il est
difficile d'imaginer une activité de navires de guerre qui ne soit pas « liée à
l'exercice de ces libertés ». Les droits du navire de guerre à cet égard doivent être
analysés par rapport à sa fonction. Le navire de guerre n'est pas un navire
marchand transportant des biens ou des personnes d'un point à un autre. Sa
mission première consiste à demeurer et à patrouiller sur les « grandes routes » et
les « chemins écartés » que le navire de commerce compte parcourir autant que
possible avec célérité et sans délai, en partie en vue de maintenir la sécurité des
lieux pour le bénéfice de celui-ci. Tant que le navire de guerre ne se livre pas à un
emploi ou une menace d'emploi illicite de la force et qu'il agit « en tenant dûment
comporte » des droits et des obligations de l'Etat côtier et des autres Etats
concernant l'utilisation de la mer, on peut considérer que la question -
subjective - de savoir s'il est un « bon soldat » ou un « mauvais soldat » se situe en
dehors du cadre d'une étude juridique.
En d'autres termes, les navires de guerre jouissent en principe de la liberté
d'exercer leurs missions militaires en vertu du régime de la haute mer, sous
réserve de trois obligations fondamentales : l) obligation de s'abstenir de l'emploi
ou de la menace d'emploi illicite de la force; 2) obligation de «tenir dûment
compte» du droit des autres d'utiliser la mer; et 3) obligation de respecter les
obligations applicables en vertu d'autres traités ou règles du droit international. Il
832 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

en est de même dans la zone économique exclusive (50), avec en outre l'obligation
zone.
de « tenir dûment compte des droits et des obligations de l'Etat côtier » dans cette

Ce serait un exercice plutôt futile que de méditer sur le point de savoir si les
manœuvres et exercices navals sont autorisés à l'intérieur de la zone des 200
milles. En principe, ils le sont. Les Etats n'ont tout simplement jamais accepté de
renoncer à ces droits dans toutes les mers semi-fermées du globe, notamment dans
toutes celles qui bordent l'Europe et l'Arabie, par exemple. Ce qu'il convient de se
demander, c'est si une activité donnée, s'exerçant dans un lieu donné, est
compatible avec l'obligation de « tenir dûment compte ». Par exemple, on pourrait
difficilement faire admettre un exercice militaire qui cause un dommage considérable à
une importante ressource naturelle que l'Etat côtier est en train d'exploiter dans
la zone économique. Cependant les intérêts purement politiques ou militaires
tendant à éviter la présence d'un navire de guerre dans la région ne relèvent pas
des droits de l'Etat côtier dans sa zone économique, tels que prévus par l'article
56, et donc ne sont pas l'objet de l'obligation de tenir « dûment compte » de ces
droits.
La nature « hauturière » des droits et obligations que les navires de guerre ont
dans la zone économique se trouve fortement consolidée par les dispositions du § 2
de l'art. 58. Celui-ci incorpore toutes les dispositions du régime de la haute mer
dans le régime de la zone économique, à l'exception de l'énumération des libertés
figurant à l'art. 87 (puisque l'art. 58, §1, contient sa propre enumeration) et des
dispositions relatives à la pêche (puisqu'en principe il n'y a pas de liberté de la
pêche dans la zone économique exclusive). En particulier, il apparaît que les règles
de l'art. 95 sur l'immunité complète de juridiction des navires de guerre vis-à-vis
de tout autre Etat, les règles relatives à l'obligation de prêter assistance, les règles
interdisant le transport d'esclaves et les règles concernant la nationalité des
navires, la piraterie et le droit de visite ne contiennent rien qui soit «
incompatible » avec les dispositions de la partie V, portant sur la zone économique exclusive.
La poursuite d'un navire commencée licitement ailleurs peut être continuée à
travers la zone économique exclusive d'un Etat étranger jusqu'à la limite
extérieure de sa mer territoriale.
Aux termes de l'art. 58, § 3, les Etats, lorsqu'ils exercent leurs droits et
s'acquittent de leurs obligations dans la zone économique exclusive, sont tenus de
respecter les lois et règlements adoptés par l'Etat côtier conformément aux
dispositions de la Convention et aux règles compatibles du droit international.
L'art. 17 de la Convention sur la mer territoriale et la zone contiguë constitue le
précédent de cette disposition. Il vise une situation où le droit ou la liberté de se
livrer à une activité est soumis à un certain degré de réglementation par l'Etat
côtier.
Dans la zone économique exclusive, cette situation peut se présenter à un
double point de vue. D'abord, et c'est le cas le plus important, l'Etat côtier
possède, l'égard des navires exerçant la liberté de navigation dans la zone
économique exclusive, le droit de prendre certaines mesures de mise en application des
règlements internationalement approuvés concernant les rejets de polluants dans
(50) Par suite d'un problème technique lié aux dispositions de renvoi de l'art. 58, §2, la règle de
l'art. 87, § 2, qui prévoit que chaque Etat exerce les libertés de la haute mer en tenant dûment compte
de l'intérêt que présente l'exercice de ces libertés pour les autres Etats n'est pas incorporée
expressément dans le régime de la zone économique par l'art. 58, §2. Toutefois, l'art. 58, § 1, emploie la formule
générale « les libertés... visées à l'art. 87 ». Puisque cette référence est faite à l'ensemble de l'art. 87, elle
peut, et bien entendu devrait, être comprise comme englobant la limitation de base de ces libertés
énoncée au § 2 de cet article.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 833

ladite zone, ainsi que de ses propres règlements relatifs aux immersions de déchets
dans celle-ci (5l). En second lieu, ainsi qu'il ressort de l'art. 79, applicable en fait
à l'ensemble des fonds marins situés dans la zone économique exclusive,
l'obligation de l'Etat côtier de ne pas entraver la pose ou l'entretien de câbles et de
pipelines sous-marins sur le plateau continental s'entend sous réserve de son droit
de prendre des mesures raisonnables pour l'exploration des fonds marins,
l'exploitation de leurs ressources naturelles et la prévention, la réduction et la maîtrise
de la pollution par les pipelines. En outre, la délimitation du tracé pour la pose de
pipelines sur le fond est soumise au consentement de l'Etat côtier (52). Aucune de
ces deux séries de dispositions ne semble se rapporter particulièrement aux
activités des navires de guerre. Ainsi, la clause des « lois et règlements » de
l'art. 58, § 3, ne doit pas retenir davantage notre attention aux fins de la présente
étude.
En principe, le droit d'autoriser la conduite d'une activité dans la zone
économique est attribué :
a à l'Etat côtier en vertu de l'art. 56 et des articles qui y sont visés;
b à tous les Etats en vertu de l'art. 58 et des articles qui y sont visés; ou
c ni à l'un ni aux autres.
Ces catégories s'excluent mutuellement. S'il apparaît qu'une activité est
susceptible de relever à la fois des art. 56 et 58, c'est au juriste qu'il revient de
décider lequel s'applique correctement. En revanche, s'il y a lieu de supposer
qu'une activité ne tombe dans le champ d'application ni de l'un ni de l'autre, alors
la question est à régler en fonction de la disposition de l'art. 59 sur les « droits
résiduels ».
Il est peu probable que le genre d'activités dont s'occupe la présente étude
soulève des problèmes au sujet de l'applicabilité des droits souverains de l'Etat
côtier sur les ressources naturelles ou à l'égard d'autres activités tendant à
l'exploration et à l'exploitation de la zone à des fins économiques. Toute entrave
de l'exercice de ces droits soulève la question de l'obligation de l'Etat du pavillon
de « tenir dûment compte », et non celle des droits de réglementation que possède
l'Etat côtier (sauf dans le cas particulier des installations, qui va être examiné ci-
après).

(51) Convention, art. 210, art. 211, §5 et 6, art. 216 et art. 220, §3 à 7. En outre, dans les zones
recouvertes par les glaces, l'Etat côtier peut adopter et faire appliquer ses propres lois et règlements
pour prévenir la pollution par les navires (art. 234).
(52) D'aucuns pourraient faire valoir qu'il existe une troisième catégorie, à savoir l'exercice d'une
autorité réglementaire raisonnable visant à faire en sorte que les navires exerçant la liberté de
navigation ne se livrent pas à des activités qui nécessitent le consentement de l'Etat côtier, en
particulier la pêche. Par exemple, l'Etat côtier peut-il exiger des bateaux de pêche exerçant la liberté de
navigation dans la zone économique qu'ils arriment leurs engins de pêche de la même manière que les
bateaux de pêche exerçant le droit de passage inoffensif dans la mer territoriale ? L'art. 58, §3, ne
constitue pas la base pour l'analyse de cette question. Il n'y a pas de pouvoir général de réglementation
de la navigation en vue de faciliter le respect des droits de l'Etat côtier sur d'autres activités.
L'analyse de cette question doit s'appuyer sur le droit de l'Etat côtier de faire respecter ses droits
souverains exclusifs sur l'exploitation des ressources naturelles. Dans l'exercice de ces droits, l'Etat
côtier peut raisonnablement indiquer que le fait pour un bateau de pêche naviguant dans la zone de ne
pas se conformer aux pratiques courantes et de ne pas arrimer ses engins de pêche selon des méthodes
usuelles relativement simples fera présumer qu'une enquête plus poussée sur d'éventuelles infractions
en matière de pêche mérite d'être effectuée.
Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que les navires qui veulent se livrer à la pêche dans la zone
économique de cet Etat côtier (ou, probablement, de la Communauté dans le cas de l'Europe occidentale)
peuvent se voir imposer à ce titre des conditions d'arrimage d'engins de pêche et d'autres conditions
destinées à faciliter l'application des règlements dudit Etat en matière de pêche.
834 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

On trouve les autres droits de l'Etat côtier non pas dans l'art. 56 lui-même,
mais dans les articles auxquels renvoient les lettres b) et c) de son § 1 . Comme on
l'a déjà fait remarquer, la juridiction en matière de protection et de préservation
du milieu marin ne présente pas un intérêt direct pour la présente étude.

5. Iles artificielles, installations et ouvrages dans la zone économique


Un premier conflit potentiel existe entre les art. 58 et 60 (52 bis). Tout
d'abord, nous nous trouvons devant un risque de conflit entre les mots « câbles et
pipelines sous-marins » de l'art. 58 et les mots « installations et ouvrages » de
l'art. 60. En l'occurrence, si l'on tient compte de la règle selon laquelle la
particulier l'emporte sur le général, il est raisonnable de considérer que les
« câbles et pipelines sous-marins » au sens de l'art. 58 ne sont pas des «
installations et ouvrages » au sens de l'art. 60. Cette constatation est corroborée par le fait
que les droits de l'Etat côtier concernant les câbles et pipelines sous-marins sont
énoncés à l'art. 79, relatif au plateau continental.
Un autre problème se pose à propos de l'utilisation de la mer « à d'autres fins
internationalement licites », couverte par l'art. 58, qui implique l'emploi d'objets
ne pouvant pas être considérés à proprement parler comme relevant de la
navigation ou du survol ni comme constituant des câbles et des pipelines sous-marins.
Ces objets soulève une double question. Premièrement, représentent-ils des «
installations » ou des « ouvrages » au sens de l'art. 60 ? Deuxièmement, si la réponse
est affirmative, font-ils partie des catégories d'installations et d'ouvrages couverts
par l'art. 60, §1, lettres b) et c) ? Si, là encore, la réponse est affirmative, on
peut, en admettant la primauté du particulier sur le général, conclure
raisonnablement que ces objets sont régis par l'art. 60 et soumis à la juridiction de l'Etat
côtier.
Sous l'angle de la première de ces deux questions, la catégorie « îles
artificiel es, installations et ouvrages » évoque l'idée d'objets importants, aussi bien par
leur taille qu'à raison de la durée de leur maintien à demeure. Selon l'art. 60 lui-
même, il s'agit là du type d'objets autour desquels on pourrait, en principe, établir
une zone de sécurité. Il convient de mettre ces termes en contraste, par exemple,
avec le mot « engins » figurant à l'art. 19, § 2, lettre f), ou avec le mot « matériel »
que l'on trouve dans les art. 258 à 262 sur la recherche scientifique marine (53).
(52 bis) L'art. 60, § 1, de la Convention est ainsi libellé :
Article 60
Iles artificielles, installations et ouvrages dans
la zone économique exclusive
1. Dans la zone économique exclusive, l'Etat côtier a le droit exclusif de procéder à la construction
et d'autoriser et réglementer la construction, l'exploitation et l'utilisation :
a) d'îles artificielles;
b) d'installations et d'ouvrages affectés aux fins prévues à l'art. 56 ou à d'autres fins
économiques ;
c) d'installations et d'ouvrages pouvant entraver l'exercice des droits de l'Etat côtier dans la zone.
(53) Bien entendu, même l'utilisation d'un objet de très petites dimensions et sans réelle
importance, quand bien même il serait fixé sur le navire, n'est pas autorisée si l'activité elle-même
(indépendamment de l'utilisation d'un objet à l'occasion de cette activité) est soumise à la juridiction
exclusive de l'Etat côtier. Il s'ensuit, par exemple, qu'en principe on ne peut pêcher sans permission
dans la zone économique d'un Etat étranger, même si on le fait dans une barque et si Ton se sert d'un
bout de ficelle, d'un hameçon rouillé et d'un misérable ver.
Une question délicate est de savoir si les marins d'un navire qui n'est ni équipé pour se livrer à
une pêche importante ni doté de gros moyens de stockage de poissons peuvent occasionnellement
pratiquer la pêche pour se nourrir pendant la traversée de la zone. De nos jours, cette question a peu de
chances de se poser effectivement ou alors c'est dans des situations où l'issue est déterminée par les
principes humanitaires généraux et le gros bon sens plutôt que par le droit de la mer.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 835

Dans ce dernier cas, il mérite tout particulièrement d'être noté que l'art. 260,
relatif aux zones de sécurité établies autour des installations de recherche
scientifique marine, qui traite d'une question semblable à celle réglée à l'art. 60, S 5, est
le seul article de la série traitant de ce sujet à mentionner uniquement les
« installations » et non le « matériel ».
Par rapport à la seconde question, il est clair que l'art. 60, § 1, lettre b), ne
vise pas les types d'activités dont s'occupe la présente étude (sous réserve de
l'examen des aspects liés à la recherche scientifique marine). Par conséquent, si un
objet est considéré à juste titre comme une « installation » ou un « ouvrage », le
point de savoir s'il est soumis aux droits exclusifs de l'Etat côtier dépend
normalement avant tout de ce qu'il relève ou non de l'art. 60, § 1, lettrée).
Le problème est de déterminer si l'installation ou l'ouvrage peut « entraver
l'exercice des droits de l'Etat côtier dans la zone ». Comme l'indique la règle
générale de la bonne foi stipulée par l'art. 300, les cas d'entrave potentielle
doivent être résolus de bonne foi à la lumière des circonstances particulières. On a
fait observer que, en l'absence d'un quelconque préjudice de grande portée
affectant les ressources naturelles, les installations et ouvrages qui, à un moment
donné, échappent à la connaissance de l'Etat côtier et de ses ressortissants ne
pourraient en bonne logique être considérés, à ce moment-là, comme une entrave à
l'exercice des droits de l'Etat côtier dans la zone (54).

6. Recherche scientifique marine dans la zone économique


L'autre problème présentant un même caractère général consiste à savoir si
une activité liée à la collecte d'informations en mer constitue une utilisation
internationalement licite de la mer au sens de l'art. 58, §1, ou une recherche
scientifique marine au sens des art. 244, 246, 248, 249 et 258 (54 bis). On ne se
(54) L'art. 60, §1, lettrée), a été le résultat d'un compromis entre ceux qui préconisaient
l'établissement d'une juridiction de l'Etat côtier sur les seuls installations et ouvrages de caractère
économique et ceux qui étaient en faveur d'une juridiction de l'Etat côtier sur tous types d'installations
et d'ouvrages. Ce compromis se fonde sur l'affaire Etats-Unis v. Ray, 423 F.2d (5thCir. 1970), dans
laquelle les Etats-Unis ont persuadé la Cour d'interdire à des ressortissants étrangers de construire un
casino en un endroit où un dommage permanent aurait été causé à un récif de corail, ressource
biologique du plateau continental.
(54 bis) L'art. 244, § 1, l'art. 246, § 1 à 5, l'art. 248, l'art. 249, § 1, et l'art. 258 de la partie XIII,
relative à la recherche scientifique marine, de la Convention sont ainsi libellés :
Article 244
Publication et diffusion d'informations et de connaissances
1. Les Etats et les organisations internationales compétentes publient et diffusent, par les voies
appropriées et conformément à la Convention, des renseignements concernant les principaux
programmes envisagés et leurs objectifs, ainsi que les connaissances tirées de la recherche scientifique marine.
Article 246
Recherche scientifique marine dans la zone économique exclusive
et sur le plateau continental
1. Les Etats côtiers, dans l'exercice de leur juridiction, ont le droit de réglementer, d'autoriser et
de mener des recherches scientifiques marines dans leur zone économique exclusive et sur leur plateau
continental conformément aux dispositions pertinentes de la Convention.
2. La recherche scientifique marine dans la zone économique exclusive et sur le plateau
continental est menée avec le consentement de l'Etat côtier.
3. Dans des circonstances normales, les Etats côtiers consentent à la réalisation des projets de
recherche scientifique marine que d'autres Etats ou les organisations internationales compétentes se
proposent d'entreprendre dans leur zone économique exclusive ou sur leur plateau continental
conformément à la Convention, à des fins exclusivement pacifiques et en vue d'accroître les connaissances
scientifiques sur le milieu marin dans l'intérêt de l'humanité tout entière. A cette fin, les Etats côtiers
adoptent des règles et des procédures garantissant que leur consentement sera accordé dans des délais
raisonnables et ne sera pas refusé abusivement.
/
836 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

4. Aux fins de l'application du § 3, les circonstances peuvent être considérées comme normales
même en l'absence de relations diplomatiques entre l'Etat côtier et l'Etat qui se propose d'effectuer des
recherches.
5. Les Etats côtiers peuvent cependant, à leur discrétion, refuser leur consentement à l'exécution
d'un projet de recherche scientifique marine par un autre Etat ou par une organisation internationale
compétence dans leur zone économique exclusive ou sur leur plateau continental dans les cas suivants :
a) si le projet a une incidence directe sur l'exploration et l'exploitation des ressources naturelles,
biologiques ou non biologiques;
b) si le projet prévoit des forages dans le plateau continental, l'utilisation d'explosifs ou
l'introduction de substances nocives dans le milieu marin;
c) si le projet prévoit la construction, l'exploitation ou l'utilisation des îles artificielles,
installations et ouvrages visés aux art. 60 et 80 ;
d) si les renseignements communiqués quant à la nature et aux objectifs du projet en vertu de
l'art. 248 sont inexactes ou si l'Etat ou l'organisation internationale compétente auteur du projet ne
s'est pas acquitté d'obligations contractées vis-à-vis de l'Etat côtier concerné au titre d'un projet de
recherche antérieur.
Article 248
Obligation de fournir des renseignements à l'Etat côtier
Les Etats et les organisations internationales compétentes qui ont l'intention d'entreprendre des
recherches scientifiques marines dans la zone économique exclusive ou sur le plateau continental d'un
Etat côtier fournissent à ce dernier, six mois au plus tard avant la date prévue pour le début du projet
de recherche scientifique marine, un descriptif complet indiquant :
a) la nature et les objectifs du projet;
b) la méthode et les moyens qui seront utilisés, en précisant le nom, le tonnage, le type et la
catégorie des navires, et un descriptif du matériel scientifique ;
c) les zones géographiques précises où le projet sera exécuté;
d) les dates prévues de la première arrivée et du dernier départ des navire de recherche ou celles
de l'installation et du retrait du matériel de recherche, selon le cas;
e) le nom de l'institution qui patronne le projet de recherche, du Directeur de cette institution et
du responsable du projet;
f) la mesure dans laquelle on estime que l'Etat côtier peut participer au projet ou se faire
représenter.
Article 249
Obligation de satisfaire à certaines conditions
1. Les Etats et les organisations internationales compétentes qui effectuent des recherches
scientifiques marines dans la zone économique exclusive ou sur le plateau continental d'un Etat côtier doivent
satisfaire aux conditions suivantes :
a) garantir à l'Etat côtier, si celui-ci le désire, le droit de participer au projet de recherche
scientifique marine ou de se faire représenter, en particulier, lorsque cela est possible, à bord des
navires et autres embarcations de recherche ou sur les installations de recherche scientifique, mais sans
qu'il y ait paiement d'aucune rémunération aux chercheurs de cet Etat et sans que ce dernier soit obligé
de participer aux frais du projet;
b) fournir à l'Etat côtier, sur sa demande, des rapports préliminaires, aussitôt que possible, ainsi
que les résultats et conclusions finales, une fois les recherches terminées;
c) s'engager à donner à l'Etat côtier, sur sa demande, accès à tous les échantillons et données
obtenus dans le cadre du projet de recherche scientifique marine, ainsi qu'à lui fournir des données
pouvant être reproduites et des échantillons pouvant être fractionnés sans que cela nuise à leur valeur
scientifique ;
d) fournir à l'Etat côtier, sur sa demande, une évaluation de ces données, échantillons et résultats
de recherche, ou l'aider à les évaluer ou à les interpréter;
e) faire en sorte, sous réserve du §2, que les résultats des recherches soient rendus disponibles
aussitôt que possible sur le plan international par les voies nationales ou internationales appropriées;
f) informer immédiatement l'Etat côtier de toute modification majeure apportée au projet de
recherche ;
g) enlever les installations ou le matériel de recherche scientifique, une fois les recherches
terminées, à moins qu'il n'en soit convenu autrement.

Article 258
Mise en place et utilisation
La mise en place et l'utilisation d'installations ou de matériel de recherche scientifique de tout
type dans une zone quelconque du milieu marin sont subordonnées aux mêmes conditions que celles
prévues par la Convention pour la conduite de la recherche scientifique marine dans la zone considérée.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 837

heurte à de sérieux problèmes de classification que si l'activité a pour but de


recueillir des renseignements sur le milieu marin naturel. A moins qu'il ne
s'agisse de travaux faits en laboratoire, toute action tendant à obtenir des
renseignements sur des activités (ne portant pas sur l'environnement) auxquel-
lesse livrent des Etats, des navires et des ressortissants étrangers, ne constitue
normalement pas une recherche scientifique marine. Certes, la Convention ne
contient aucune définition de ce que l'on entend par recherche scientifique marine,
mais cette affirmation est étayée par l'art. 243, qui fait état des « efforts des
chercheurs qui étudient la nature des phénomènes et processus dont (le milieu
marin) est le lieu et leurs interactions », ainsi que par la disposition de base
concernant le consentement que contient l'art. 246, § 3, où il est fait mention de
projets tendant à « accroître les connaissances scientifiques sur le milieu marin
dans l'intérêt de l'humanité tout entière ». Il existe des règles à part dans les
art. 149 et 303 pour ce qui concerne l'archéologie marine.
Quant aux activités militaires de renseignement en mer, elles présentent
certainement un rapport avec les libertés de navigation et de survol et la liberté de
poser des câbles et pipelines sous-marins au sens où les entend l'art. 58, § 1 (55).
Elles ne sont pas des activités de recherche scientifique marine au sens de l'art. 56
et des articles qui y sont visés.
La question-clé est de savoir si toute collecte d'informations sur le milieu
marin naturel relève de la recherche scientifique marine au sens des articles
pertinents. Le texte même de la Convention y apporte clairement une réponse
négative. L'exploration des ressources naturelles reçoit un traitement différent de
celui de la recherche scientifique marine à l'art. 56, à l'art. 77, relatif au plateau
continental, et dans la définition du terme « activités menées dans la Zone » qui
figure à l'art. 1er et qui détermine dans une large mesure la portée de la
compétence réglementaire de l'Autorité des fonds marins. L'art. 19, §2, lettre j),
l'art. 21, § 1, lettre g), et l'art. 40 distinguent entre recherche scientifique marine
et levés hydrographiques. L'art. 19, §2, traite également à part la collecte de
renseignements au détriment de la défense ou de la sécurité de l'Etat côtier.
L'art. 204 considère séparément la surveillance des risques de pollution et des
effets de la pollution.
Ce qui est peut-être le plus significatif pour cette question, c'est le fait que
l'obligation de fournir des renseignements énoncée aux art. 244, 248 et 249 laisse
par elle-même clairement entendre que les dispositions qui ont trait à la recherche
scientifique marine ne s'appliquent pas aux activités secrètes ou destinées à
produire des informations qui doivent demeurer secrètes. Si l'objet des données
gardées secrètes a un caractère commercial, l'Etat côtier est en droit d'estimer que
l'activité en cause constitue une exploration de caractère commercial qui est
soumise à son contrôle discrétionnaire absolu. Par contre, si la raison du secret est
militaire, alors l'activité considérée ne relève pas de la juridiction de l'Etat côtier
en matière de recherche scientifique marin. Il n'y a pas d'autre base juridique
permettant à l'Etat côtier d'exercer sa juridiction, car celui-ci ne possède pas de
compétence générale sur les activités militaires se déroulant dans sa zone. Comme
on peut, en général, supposer que les activités auxquelles se livrent les forces

(55) Si ces activités impliquent plus qu'une simple observation, des questions peuvent se poser au
sujet de l'obligation de tenir dûment compte de l'intérêt que présente l'exercice des libertés et des droits
de la haute mer pour les autres Etats, ou même au sujet de l'obligation de respecter la souveraineté
territoriale d'un Etat étranger à terre. De telles questions ne rentrent pas dans le cadre de la présente
étude.
838 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

navales à l'occasion de la collecte de renseignements sur le milieu marin naturel


sont étroitement liées à l'exercice et à la protection de la liberté de navigation, ces
activités entrent dans le champ d'application de l'art. 58, § 1.

7. Droits résiduels dans la zone économique

Dans ce qui précède, nous avons examiné les catégories générales d'activités
(c'est-à-dire la mise en place d'objets, le collecte de renseignements) qui relèvent à
la fois de l'art. 56 et de l'art. 58, situation qui oblige à établir entre les sous-
catégories des lignes de démarcation nuancées et fondées sur certains principes.
L'art. 59, lui, porte sur la situation opposée, c'est-à-dire celle où une activité ne
tombe pas sous le coup de l'art. 56 ou de l'art. 58.
On risque de se tromper fortement si on prend l'art. 59 trop à la lettre. Dans
leurs efforts pour garantir l'utilisation continue et sans entrave de la zone
économique par leurs navires de guerre, les Puissances maritimes ont concentré
principalement leur attention sur l'art. 58 et non l'art. 59. En effet, alors que ce
dernier était déjà proche de son libellé final dans le tout premier texte de
négociation de 1975, il a fallu encore deux années pour parvenir à un accord sur
une version révisée de l'art. 58, sur l'élimination de toute définition de la haute
mer à l'art. 86 et sur l'insertion d'un nouvel art. 55 qui satisfasse les principales
Puissances maritimes.
L'objet sur lequel porte l'art. 59 est avant tout une question de principe.
Certains Etats côtiers « territorialistes » ont soutenu que la zone économique
devrait, en principe, être une zone soumise à la juridiction de l'Etat côtier, sous
réserve de certains droits limitativement énumérés que possèdent tous les Etats.
D'autres, notamment les grandes Puissances maritimes, ont fait valoir que la zone
économique devrait, en principe, être une zone de haute mer ouverte à tous, sous
réserve de certains droits exclusifs limitativement énumérés que possède l'Etat
côtier. En fait, l'art. 59 a retenu la solution d'une attribution de droits ou de
juridiction en fonction des utilisations particulières, plutôt que sur la base d'un
statut théorique. Ainsi que le laisse entendre l'article introductif 55 sur la zone
économique exclusive lui-même, le caractère particulier du régime fonctionnel
d'attribution des droits est l'essence même de la zone économique exclusive.
Il apparaît donc qu'en cas de besoin l'indication de l'application correcte de
l'art. 59 dérive, en fait, de l'orientation générale des art. 56 et 58 eux-mêmes. La
première question qui se pose est de savoir si l'activité considérée correspond au
type d'activité traité à l'art. 56 ou à celui traité à l'art. 58. A cet égard, il
convient de noter que l'art. 56 porte en général sur des activités localisées qui ont
une importance économique effective ou potentielle, tandis que l'art. 58 s'occupe
d'une façon générale d'activités militaires et de communication.

8. Le plateau continental

L'intérêt principal que présente le régime du plateau continental pour les


besoins de cette étude réside dans le fait que ce dernier s'applique aux utilisations
des fonds marins et du sous-sol de la marge continentale lorsque celle-ci s'étend
au-delà de la limite de 200 milles de la zone économique exclusive. Néanmoins, il y
a lieu d'observer que, en vertu de l'art. 81, tout forage sur le plateau continental,
en deçà comme au-delà de la limite de 200 milles, est soumis à l'autorisation de
l'Etat côtier.
RÉCIME DES NAVIRES DE GUERRE 839

Le régime de la haute mer est entièrement applicable au-delà de la limite de


200 milles de la Zone économique exclusive. Comme indiqué précédemment, ce
régime comprend des libertés de la mer, expresses ou implicites, entraînant
l'utilisation des fonds marins. Comme dans le cas de la Zone internationale des
fonds marins, on est conduit à se demander s'il existe des points sur lesquels le
régime du plateau continental est incompatible avec ces libertés de la haute mer.
Les droits souverains exclusifs de l'Etat côtier en matière d'exploration et
d'exploitation des ressources naturelles du plateau continental ne se rapportent
pas particulièrement aux activités des navires de guerre. En revanche, l'Etat côtier
possède d'autres droits qui limitent en fait l'exercice des libertés de la haute mer
intéressant la présente étude. En particulier, il a de plus grands pouvoirs
réglementaires sur les pipelines sous-marins que sur les câbles (56) et il a
essentiellement les mêmes droits que dans la zone économique exclusive en ce qui concerne
les îles artificielles, les installations et ouvrages devant être mis en place sur le
plateau continental ainsi que la recherche scientifique marine qu'il est envisagé de
mener sur ce dernier (57). Aussi retrouve-t-on dans le cadre du plateau
continental, sous une forme analogue, les problèmes de classification qui surgissent à
propos des installations et ouvrages et de la recherche scientifique marine
concernant la zone économique exclusive (58). Ces problèmes sont un peu moins
importants dans l'optique de la présente étude, étant donné qu'ils n'affectent, à
l'extérieur de la zone économique exclusive, que les utilisations des fonds marins.

Troisième partie

EAUX SOUMISES À LA SOUVERAINETÉ DE L'ÉTAT CÔTIER

Du point de vue théorique, la caractéristique distinctive des eaux situées en


deçà de la zone économique exclusive est que celles-ci sont en principe soumises à
la souveraineté territoriale de l'Etat côtier. Sur le plan pratique, ces eaux peuvent
se subdiviser en trois catégories :
1) les eaux où les navires étrangers ne jouissent pas du droit de passage;
2) les eaux où les navires étrangers jouissent d'un droit de passage susceptible
d'être suspendu temporairement pour des raisons de sécurité sans qu'il y ait
discrimination entre ces navires; et
3) les eaux où les navires étrangers jouissent d'un droit de passage non
susceptible d'être suspendu.
Dans la première catégorie se rangent les fleuves, les baies de faibles
dimensions et les autres eaux intérieures « classiques » de l'Etat côtier, de même que les
baies dites « historiques ». Hormis les cas d'urgence, il n'existe aucun droit de
pénétrer dans ces eaux sans le consentement de l'Etat côtier.

(56) Convention, art. 79.


(57) Convention, art. 80, 246, 248 et 249.
(58) L'Etat côtier ne peut refuser son consentement que pour la recherche scientifique marine
envisagée sur le plateau continental au-delà de 200 milles dans des zones désignées spécifiques où ont
lieu, ou doivent avoir lieu dans un délai raisonnable, des travaux d'exploitation ou des travaux
d'exploration poussée, mais cela n'affecte pas l'obligation de notifier le projet à l'Etat côtier et de
permettre à celui-ci d'y participer et l'obligation de faire connaître les résultats (art. 246, § 6, de la
Convention). Par conséquent, la libéralisation de la règle du consentement est sans effet sur la conduite
d'activités militaires de caractère secret.
840 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

A l'exception des détroits servant à la navigation internationale et des voies


de circulation archipélagiques, la deuxième catégorie comprend la mer territoriale,
les eaux intérieures englobées par un système de lignes de base droites reliant les
avancées du littoral ou les chapelets d'îles à proximité immédiate de la côte, ainsi
que les eaux archipélagiques d'un Etat archipel.
Les eaux des détroits servant à la navigation internationale, qu'il s'agisse
d'eaux territoriales ou d'eaux intérieures, ainsi que les voies de circulation
archipélagiques, se classent dans la troisième catégorie.
Nous avons déjà fait observer que les navires de guerre font normalement plus
que naviguer d'un point à un autre. Sur le plan du régime des navires de guerre,
la caractéristique la plus importante des eaux soumises à la souveraineté de l'Etat
côtier réside dans le fait que les activités qui ne constituent pas des incidents
ordinaires de navigation lors du passage d'un point à un autre situés tous deux en
dehors de ces eaux nécessitent le consentement de l'Etat côtier. Le passage doit
être continu et rapide (59). Les navires de guerre doivent s'abstenir de toute
activité « sans rapport direct avec le passage » (60) ou de toute activité « autre que
celles qu'implique un transit continu et rapide, selon leur mode normal de
navigation, sauf cas de force majeure ou de détresse » (6l).
Cela dit, il importe de noter que ces dispositions n'imposent pas de
restrictions aux incidents ordinaires de navigation. Les navires ne se déplacent
normalement pas en ligne droite, mais tiennent compte de la topographie des fonds
marins, des courants, des conditions météorologiques, de la disponibilité d'aides à
la navigation et d'autres facteurs ayant trait à la sécurité du navire et des
personnes à bord. La priorité classique accordée à la sécurité en mer par le droit de
la mer ne se trouve pas seulement maintenue par la nouvelle convention, elle est
même renforcée par une nouvelle règle, insérée à l'art. 18, en vertu de laquelle le
passage comprend l'arrêt et le mouillage, non seulement lorsque ceux-ci
constituent des incidents ordinaires de navigation ou s'imposent par suite d'un cas de
force majeure ou de détresse, mais aussi lorsqu'il s'agit de « porter secours à des
personnes, des navires ou des aéronofs en danger ou en détresse ».
Le déroutement d'un navire et l'adoption d'autres précautions peuvent être
nécessités non seulement par des facteurs naturels, mais encore par des hasards
dus à l'homme. La gamme de ces derniers est étendue et peut aller de l'existence
de points d'amarrage très espacés sur des plates-formes de forage de pétrole à la
nécessité de prendre des précautions contre l'arrivée à l'improviste d'un sous-
marin inconnu et virtuellement hostile, là où les conditions géographiques le
permettent.

1. Passage inoffensif
Le « passage inoffensif » est le régime classique du passage dans la mer
territoriale. Ce régime a été étendu en 1958 aux eaux intérieures englobées par un
système de lignes de base droites, et en 1982 aux eaux archipélagiques situées en
dehors des voies de circulation archipélagiques. En même temps, il a été remplacé,
en 1982, par un régime de « passage en transit » dans la plupart des détroits
servant à la navigation internationale.

(59) Convention, art. 18, §2, art. 38, §2, art. 53, §3.
(60) Convention, art. 19, §2, l);
(61) Convention, art. 39, §1. c), art. 54.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 841

Pour ce qui concerne les navires de guerre, le régime du passage 'inoffensif se


caractérise surtout par les traits suivants :
- les sous-marins sont tenus de naviguer en surface;
- l'Etat côtier a le droit de s'opposer à tout passage qui n'est pas inoffensif;
- le sens du mot « inoffensif» est susceptible d'interprétations diverses; en
particulier, il existe une controverse déjà ancienne sur le point de savoir si le
caractère inoffensif du passage d'un navire de guerre s'apprécie uniquement en
fonction du comportement de celui-ci dans la mer territoriale de l'Etat côtier (qui
est un critère objectif) ou aussi en fonction de son pavillon ou de sa mission (qui
sont des critères subjectifs);
- l'Etat côtier a le droit de réglementer le passage inoffensif;
- sauf dans les détroits servant à la navigation internationale, le passage
inoffensif peut être suspendu sans qu'il y ait discrimination entre les navires
étrangers ;
- il existe traditionnellement une profonde divergence d'opinion, même
entre certaines des Puissances maritimes, sur le point de savoir si le passage
inoffensif des navires de guerre peut être subordonné par l'Est côtier à une
notification préalable ou à une autorisation de sa part;
- des droits peuvent être perçus sur un navire étranger passant par la mer
territoriale en rémunération de services spécifiques rendus à celui-ci;
- il n'y a pas de droit de survol.
La Convention de 1982 modifie cette situation sur deux points importants.
D'abord, elle réglemente de façon plus détaillée le passage inoffensif. Ensuite, elle
remplace le régime du passage inoffensif par un régime de passage plus libéral
dans les détroits et les voies de circulation archipélagiques.
En ce qui concerne le passage inoffensif, les précisions les plus significatives
qui y ont été apportées se rapportent au sens du mot « inoffensif » et à la portée
des pouvoirs de réglementation de l'Etat côtier. Les dispositions valables en la
matière sont les art. 19 et 21, l'art. 24, § 1, et l'art. 30 (62).

(62) Les art. 19 et 21, l'art. 24, § 1 et l'art. 30 de la Convention sont ainsi libellés :
Article 19
Signification de l'expression « passage inoffensif »
1. Le passage est inoffensif aussi longtemps qu'il ne porte pas atteinte à la paix, au bon ordre ou à
la sécurité de l'Etat côtier. Il doit s'effectuer en conformité avec les dispositions de la Convention et les
autres règles du droit international.
2. Le passage d'un navire étranger est considéré comme portant atteinte à la paix, au bon ordre ou
à la sécurité de l'Etat côtier si, dans la mer territoriale, le navire se livre à l'une quelconque des activités
suivantes :
a) menace ou emploi de la force contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance
politique de l'Etat côtier ou de toute autre manière contraire aux principes du droit international
énoncés dans la Charte des Nations Unies;
exercice ou manœuvre avec armes de tout type;
collecte de renseignements au détriment de la défense ou de la sécurité de l'Etat côtier;
propagande visant à nuire à la défense ou à la sécurité de l'Etat côtier;
lancement, appontage ou embarquement d'aéronefs;
lancement, appontage ou embarquement d'engins militaires;
g) embarquement ou débarquement de marchandises, de fonds ou de personnes en contravention
aux lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou d'immigration de l'Etat côtier;
h) pollution délibérée et grave, en violation de la Convention;
i) pêche ;
j) recherches ou levés;
k) perturbation du fonctionnement de tout système de communication ou de tout autre
équipement ou installation de l'Etat côtier;
l) toute autre activités sans rapport direct avec le passage.
842 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

Lors de l'examen (voir supra) de l'interdiction générale de toute menace ou de


tout emploi de la force contraires à la Charte des Nations Unies que contient
l'art. 301, nous avons conclu que les ripostes à une telle menace ou à un tel
emploi de la force ne pouvaient être autres que celles prévues par la Charte elle-
même (c'est-à-dire la légitime défense et les mesures décidées par le Conseil de
sécurité). Dans le cas du passage inoffensif, il est nécessaire de nuancer cette
affirmation. L'art. 19 exclut expressément de la définition du caractère inoffensif
la menace ou l'emploi de la force, et l'art. 25 stipule expressément que l'Etat
côtier « peut prendre, dans sa mer territoriale, les mesures nécessaires pour
empêcher tout passage qui n'est pas inoffensif». Toutefois, un tel pouvoir n'est
pas conféré à l'Etat côtier dans le cas du passage en transit dans les détroits, du
passage archipélagique ou de la liberté de navigation et de survol dans la zone
économique.
Les nouvelles dispositions de l'art. 19, §2, et de l'art. 24, § 1, lettre b), sont
incontestablement marquées par un critère objectif, et non subjectif, d' apprécia-

Article 21
Lois et règlements de l'Etat côtier relatifs au
passage inoffensif
1. L'Etat côtier peut adopter, en conformité avec les dispositions de la Convention et les autres
règles du droit international, des lois et règlements relatifs au passage inoffensif dans sa mer
territoriale, oui peuvent porter sur les questions suivantes :
a) sécurité de la navigation et régulation du trafic maritime;
b) protection des équipements et systèmes d'aide à la navigation et des autres équipements ou
installations ;
c) protection des câbles et des pipelines;
a) conservation des ressources biologiques de la mer;
ei prévention des infractions au lois et règlements de l'Etat côtier relatifs à la pêche;
f) préservation de l'environnement de l'Etat côtier et prévention, réduction et maîtrise de sa
pollution ;
g) recherche scientifique marine et levés hydrographiques;
h) prévention des infractions aux lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou
d'immigration de l'Etat côtier.
2. Ces lois et règlements ne s'appliquent pas à la conception à la construction ou à l'armement des
navires étrangers, à moins qu'ils ne donnent effet à des règles ou des normes internationales
généralement acceptées.
3. L'Etat côtier donne la publicité voulue à ces lois et règlements.
4. Les navires étrangers exerçant le droit de passage inoffensif dans la mer territoriale se
conforment à ces lois et règlements ainsi qu'à tous les règlements internationaux généralement acceptés
relatifs à la prévention des abordages en mer.
Article 24
Obligations de l'Etat côtier
1. L'Etat côtier ne doit pas entraver le passage inoffensif des navires étrangers dans la mer
territoriale, en dehors des cas prévus par la Convention. En particulier, lorsqu'il applique la Convention
ou toute loi ou tout règlement adopté conformément à la Convention, l'Etat côtier ne doit pas :
a) imposer aux navires étrangers des obligations ayant pour effet d'empêcher ou de restreindre
l'exercice du droit de passage inoffensif de ces navires ;
b) exercer de discrimination de droit ou de fait contre les navires d'un Etat déterminé ou les
navires transportant des machandises en provenance ou à destination d'un Etat déterminé ou pour le
compte d'un Etat déterminé.

Article 30
Inobservation par un navire de guerre des lois
et règlements de l'Etat côtier
Si un navire de guerre ne respecte pas les lois et règlements de l'Etat côtier relatif au passage dans
la mer territoriale et passe outre à la demande qui lui est faite de s'y conformer, l'Etat côtier peut exiger
que ce navire quitte immédiatement la mer territoriale.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 843

tion du caractère inoffensif. Le chapeau de l'art. 19, §2, présente un intérêt


particulier à cet égard puisqu'il lie le critère d'appréciation aux activités exercées
dans la mer territoriale plutôt qu'au passage lui-même (63).
Les droits souverains de l'Etat côtier sont énoncés avec plus de précision à
l'art. 21 et, ce qui est plus important, ils sont soumis à de nouvelles restrictions
par l'art. 21, § 2, et l'art. 24, § 1, ainsi qu'à un ensemble de « garanties »
concernant l'exercice des pouvoirs de mise en application antipollution (64); de plus, les
navires de guerre sont exclus du champ d'application des règlements relatifs à la
pollution (65).
Tout au long de la Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la
mer, le point de savoir si le passage inoffensif des navires de guerre pouvait être
subordonné à une notification préalable ou à une autorisation de l'Etat côtier a
fait l'objet de débats intenses (66). Les partisans de ces conditions préalables n'ont
pas réussi à dégager un accord général et se sont rangés à l'appel du Président de
la Conférence de ne pas pousser la question jusqu'au vote. Le Président a annoncé
que ces délégations tenaient toutefois à réaffirmer que leur décision s'entendait
sans préjudice des droits des Etats côtiers d'adopter des mesures pour sauvegarder
leurs intérêts en matière de sécurité, conformément aux art. 19 et 25 de la
Convention (67).

2. Passage en transit

En instituant un nouveau régime du passage en transit dans les détroits qui


servent à la navigation internationale entre parties de la haute mer ou entre zones
économiques exclusives, la Convention met fin, dans ces détroits, à la fois aux
règles et aux incertitudes qui ont caractérisé l'ancien régime de passage inoffensif.
Les dispositions les plus marquantes de la Convention à ce sujet sont l'art. 37,
l'art. 38, § 1 et 2, l'art. 39, § 1, l'art. 41, § 1 et 4, l'art. 42, § 1, 2, 4 et 5, et les
art. 44 et 233 (en partie) (68).
(63) On trouve une certaine ironie dans le fait que, alors que des Britanniques et des Israéliens
avaient perdu la vie dans un combat contre une interprétation subjective du passage inoffensif et que
leurs deux gouvernements avaient finalement obtenu gain de cause dans le nouveau texte, ces derniers
refusent de donner à la Convention le soutien dont ils ont besoin pour assurer leur victoire sur le plan
juridique.
(64) Convention, art. 223 à 232. Voir note 68 infra.
(65) Convention, art. 236.
(66) Dans ce contexte, il n'a en tout cas pas été proposé que lesdites conditions s'appliquent dans
le cas des détroits ou des voies de circulation archipélagiques.
(67) Document des Nations Unies A/CONF.62/SR.176 (1982).
(68) Les dispositions des art. 37, 38, 39, 41, 44 et 233 de la Convention qui entrent en ligne de
compte ici sont ainsi libellés :
Article 37
Champ d'application de la présente section
La présente section s'applique aux détroits qui servent à la navigation internationale entre une
partie de la haute mer ou une zone économique exclusive et une autre partie de la haute mer ou une zone
économique exclusive.
Article 38
Droit de passage en transit
1. Dans les détroits visés à l'art. 37, tous les navires et aéronefs jouissent du droit de passage en
transit sans entrave, à cette restriction près que ce droit ne s'étend pas aux détroits formés par le
territoire continental d'un Etat et une île appartenant à cet Etat, lorsqu'il existe au large de l'île une
route de haute mer, ou une route passant par une zone économique exclusive, de commodité comparable
du point de vue de la navigation et des caractéristiques hydrographiques. ,
844 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

2. On entend par « passage en transit » l'exercice, conformément à la présente partie, de la liberté


de navigation et de survol à seule fin d'un transit continu et rapide par le détroit entre une partie de la
haute mer ou une zone économique exclusive et une autre partie de la haute mer ou une zone
économique exclusive. Toutefois, l'exigence de la continuité et de la rapidité du transit n'interdit pas le
passage par le détroit pour accéder au territoire d'un Etat riverain, le quitter ou en repartir, sous
réserve des conditions d'admission sur le territoire de cet Etat.
Article 39
Obligations des navires et aéronefs pendant le passage en transit
1. Dans l'exercice du droit de passage en transit, les navires et aéronefs :
a) traversent ou survolent le détroit sans délai;
b) s'abstiennent de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre la souveraineté, l'intégrité
territoriale ou l'indépendance politique des Etats riverains du détroit ou de toute autre manière
contraire aux principes du droit international énoncés dans la Charte des Nations Unies;
c) s'abstiennent de toute activité autre que celles qu'implique un transit continu et rapide, selon
leur mode normal de navigation, sauf cas de force majeure ou de détresse ;
d) se conforment aux autres dispositions pertinentes de la présente partie.
2. Pendant le passage en transit, les navires se conforment :
a) aux règlements, procédures et pratiques internationaux généralement acceptés en matière de
sécurité de la navigation, notamment au Règlement international pour prévenir les abordages en mer;
b) aux règlements, procédures et pratiques internationaux généralement acceptés visant à
prévenir, réduire et maîtriser la pollution par les navires.

Article 41
Voies de circulation et dispositifs de séparation du trafic
dans les détroits servant à la navigation internationale
1 . Conformément à la présente partie, les Etats riverains des détroits peuvent, lorsque la sécurité
des navires dans les détroits l'exige, désigner des voies de circulation et prescrire des dispositifs de
séparation du trafic.

4. Avant de désigner ou remplacer des voies de circulation ou de prescrire ou de remplacer des


dispositifs de séparation du trafic, les Etats riverains de détroits soumettent leurs propositions, pour
adoption, à l'organisation internationale compétente. Cette organisation ne peut adopter que les voies de
circulation et les dispositifs de séparation du trafic dont il a pu être convenu avec les Etats riverains;
ceux-ci peuvent alors les désigner, les prescrire ou les remplacer.
Article 42
Lois et règlements des Etats riverains de détroits
relatifs au passage en transit
1 . Sous réserve de la présente section, les Etats riverains d'un détroit peuvent adopter des lois et
règlements relatifs au passage par le détroit portant sur :
a) la sécurité de la navigation et la régulation du trafic maritime, comme il est prévu à l'art. 41;
b) la prévention, la réduction et la maîtrise de la pollution, en donnant effet à la réglementation
internationale applicable visant le rejet dans le détroit d'hydrocarbures, de résidus d'hydrocarbures et
d'autres substances nocives;
c) s'agissant des navires de pêche, l'interdiction de la pêche, y compris la réglementation de
l'arrimage des engins de pêche;
d) l'embarquement ou le débarquement de marchandises, de fonds ou de personnes en
contravention aux lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou d'immigration des Etats riverains.
2. Ces lois et règlements ne doivent entraîner aucune discrimination de droit ou de fait entre les
navires étrangers, ni leur application avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou d'entraver l'exercice
du droit de passage en transit tel qu'il est défini dans la présente section.

4. Les navires étrangers exerçant le droit de passage en transit par le détroit doivent se conformer
à ces lois et règlements.
5. En cas de contravention à ces lois et règlements ou aux dispositions de la présente partie par un
navire ou un aéronef jouissant de l'immunité soueraine, l'Etat du pavillon du navire ou l'Etat
d'immatriculation de l'aéronef porte la responsabilité internationale de toute perte ou de tout dommage qui peut
en résulter pour les Etats riverains.
Article 14
Obligations des Etats riverains de détroits
Les Etats riverains de détroits ne doivent pas entraver le passage en transit

L'exercice du droit de passage en transit ne peut être suspendu. ,


RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 845

En comparaison des caractéristiques du régime du passage inoffensif de 1958


exposé plus haut, les traits saillants du régime de passage en transit sont les
suivants :
- les sous-marins ne sont pas tenus de naviguer en surface;
- puisque le droit de passage en transit s'applique aussi au survol, l'emploi
d'une escorte aérienne est licite;
- l'Etat côtier n'a pas le droit d'empêcher un passage qui n'est pas
inoffensif; en particulier, l'interdiction de la menace ou de l'emploi de la force est
formulée comme une obligation de l'Etat du pavillon, et non comme un droit de
l'Etat côtier;
- la question du caractère « inoffensif » à propos des navires de guerre ne se
pose pas;
- l'Etat côtier ne possède pas de pouvoirs unilatéraux de réglementation à
l'égard des navires de guerre; en particulier, les règlements sur la pollution ne
sont pas applicables à ces derniers, les règlements sur le trafic doivent être
approuvés par l'organisation internationale compétente, et le remède
formellement prévu contre la violation des règlements de l'Etats côtiers par un navire de
guerre n'est pas le pouvoir de prendre des mesures pour empêcher un passage non
inoffensif ou d'obliger le navire à quitter la mer territoriale, mais la possibilité de
faire valoir par la voie diplomatique une réclamation contre l'Etat du pavillon;
- le passage en transit ne peut pas être suspendu;
- il n'a été ni proposé ni suggéré qu'une condition de notification préalable
ou d'autorisation concernant éventuellement les navires de guerre soit rendue
applicable au passage en transit, même si elle était d'application pour le passage
inoffensif;
- le coût des aides à la navigation, des installations de sécurité et des
mesures spéciales antipollution devrait être supporté par le truchement d'un
accord de coopération entre les Etats usagers et les Etats riverains des détroits;
aucune mention n'est faite de la perception de droits à l'occasion de services
spécifiques rendus aux navires (69).
Il convient de noter que c'est le régime du passage inoffensif non susceptible
de suspension, et non le régime du passage en transit, qui entre en ligne de

Article 233
Garanties concernant les détroits servant à la
navigation internationale

Toutefois, si un navire étranger autre que ceux visés à la section 10 (*) a enfreint les lois et règlements
visés à l'art. 42, § 1, lettres a) et b), causant ou menaçant de causer des dommages importants au milieu
marin des détroits les Etats riverains des détroits peuvent prendre les mesures de police appropriées
tout en respectant mutatis mutandis la présente section (**).
Remarque :
(*) La disposition pertinente de la section 10 (art. 236) se lit comme suit : « Les dispositions de la
Convention relatives à la protection et à la préservation du milieu marin ne s'appliquent ni aux navires
de guerre ou navires auxiliaires, ni aux autres navires ou aux aéronefs appartenant à un Etat ou
exploités par lui lorsque celui-ci les utilise, au moment considéré, exclusivement à des fins de service
public non commerciales ».
(") Cette section (7), intitulée «Garanties», contient des restrictions concernant l'exercice des
pouvoirs de mise en application en matière de pollution et destinées à protéger les propriétaires des
navires et des cargaisons et les équipages, ainsi que les producteurs et les consommateurs.
(69) On peut soutenir que cette omission est sans préjudice du cas plutôt rare où il existe une
responsabilité en vertu des principes généraux du droit concernant la negotiorum gestio.
846 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

compte pour deux catégories de détroits servant à la navigation internationale en


vertu de l'art. 45 de la Convention de 1982 :
- les détroits formés par une île et le territoire métropolitain d'un même
Etat, s'il est possible de les franchir par une route passant au large de l'île par la
zone économique ou haute mer et de commodité comparable du point de vue de la
navigation et des caractéristiques hydrographiques; et
- les détroits servant à la navigation internationale qui relient la mer
territoriale d'un Etat à une partie de la haute mer ou de la zone économique
exclusive d'un autre Etat (plutôt qu'à une autre partie de la haute mer ou de cette
zone économique exclusive).
Par ailleurs, la Convention n'affecte pas les régimes conventionnels spéciaux
existant de longue date pour certains détroits (tels que les détroits turcs), les
droits découlant du traité de paix conclu entre l'Egypte et Israël et les canaux
artificiels.

3. Passage archipélagique

Adoptant une solution contraire à celle de 1958, la nouvelle convention


permet à un Etat insulaire indépendant d'englober son archipel par le tracé de
lignes de base archipélagiques pouvant atteindre 100 (et, dans certains cas, 125)
milles marins de long, à condition que le rapport de la superficie des eaux à celle
des terres dans la zone ainsi englobée soit compris entre 1 à 1 et 9 à 1 (70). La
largeur de la mer territoriale, de la zone contiguë, de la zone économique et du
plateau continental d'un tel Etat est mesurée à partir des lignes de base
archipélagiques (7l).
En deçà des lignes de base archipélagiques s'applique un nouveau régime des
eaux archipélagiques (72). Celles-ci, y compris l'espace aérien surjacent, leur fond
et leur sous-sol, sont soumises à la souveraineté de l'Etat archipel (73).
Deux régimes de passage sont d'application dans les eaux archipélagiques.
Le régime du passage inoffensif s'applique en général dans les eaux
archipélagiques de la même manière que dans la mer territoriale ou dans les eaux
intérieures englobées par un système de lignes de base droites (74). Comme le
régime des détroits situés à l'intérieur de l'archipel fait partie du régime plus
large des voies de circulation archipélagique, le droit de passage inoffensif en
dehors de ces voies peut être suspendu temporairement dans les eaux
archipélagiques pour des raisons de sécurité, de même qu'il peut l'être dans la mer
territoriale en dehors des détroits (75).
C'est le régime du passage archipélagique, et non le simple passage inoffensif,
qui s'applique aux voies de circulation archipélagiques. Tous les navires et aéro-

Convention, art. 46 et 47.


Convention, art. 48.
Convention, art. 49. Toutefois, les eaux intérieures des îles, telles que les fleuves et les baies,
conservent leur régime propre. Id. art. 50.
(73) Convention, art. 49.
(74) Convention, art. 52. Cela ne vaut pas pour les eaux intérieures, telles que les fleuves ou les
baies, d'une île. Id. art. 50.
(75) Convention, art. 52.
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 847

nefs jouissent du droit de passage archipélagique, qui ne peut pas être suspendu.
Si l'Etat archipel n'a pas désigné pas de voies de circulation ou de routes
aériennes, le droit en question peut s'exercer à l'intérieur des voies et routes
servant normalement à la navigation internationale (76).
La Convention définit le passage archipélagique à l'art. 53, §3 (77).
Les règles qui régissent les droits de l'Etat du pavillon et ceux de l'Etat
archipel en ce qui concerne l'exécution du passage archipélagique sont identiques à
celles fixées pour le passage en transit dans les détroits qui servent à la navigation
internationale (78).
Les voies de circulation archipélagiques, ainsi que les routes aériennes
traversant l'espace aérien surjacent, sont désignées par l'Etat archipel après adoption de
ses propositions par l'organisation internationale compétente. Elles passent par
les eaux archipélagiques et la mer territoriale adjacente et doivent comprendre
toutes les routes servant normalement à la navigation ou au survol
internationaux (79).
Les voies sont définies par des axes traversant l'archipel. Pendant le passage
archipélagique, les navires et aéronefs ne peuvent s'écarter de plus de 25 milles
marins de part et d'autre de ces axes et, à l'intérieur de cet espace, ils ne peuvent
pas naviguer à une distance des côtes bordant les îles qui soit inférieure au
dixième de la distance sépara ces îles (80). Ces larges voies de circulation avaient,
entre autres, pour but de répondre au besoin qu'éprouvent les navires de guerre et
les groupes tactiques militaires passant par des routes aussi longues et aussi
exposées de recourir à des tactiques d'évitement et de déployer un large rideau
défensif de navires, d'hélicoptères et d'avions autour du noyau des groupes
tactiques. Aussi bien l'Etat de transit que l'Etat archipel ont un intérêt à prévenir la
création d'une cible tentante.

(76) Convention, art. 53.


(77) L'art. 53, § 3, de la Convention est ainsi libellé : « On entend par « passage archipélagique »
l'exercice sans entrave par les navires et aéronefs, selon leur mode normal de navigation et
conformément à la Convention, des droits de navigation et du survol, à seule fin d'un transit continu et rapide
entre un point de la haute mer ou d'une zone économique exclusive et un autre point de la haute mer ou
d'une zone économique exclusive ».
(78) Convention, art. 54. L'identité de fait du langage employé à propos des régimes du « passage
en transit » dans les détroits (rédigés en premier lieu) et du « passage archipélagique » incite à attirer
l'attention sur les différences qui existent entre eux. La formule « droits de navigation et de survol...
selon leur mode normal de navigation » est utilisée pour définir le passage archipélagique, tandis que
pour la définition du passage en transit dans les détroits on s'est servi de l'expression « liberté de
navigation et de survol ». Nombreux étaient ceux qui étaient disposés à employer l'une ou l'autre
terminologie dans le cas des archipels. On a fait observer que la notion sous-jacente de passage sans
entrave à la surface, au-dessus et sous la surface des eaux serait la même. Elle s'appliquerait
normalement de la même manière, mais certaines considérations d'ordre pratique pourraient, en raison
de l'étroitesse des détroits, d'une part, et de la grande étendue des eaux archipélagiques, d'autre part, se
révéler suffisamment différentes pour ne pas imposer nécessairement une application identique du
concept dans tous les cas. On a également fait remarquer que, puisque la délimitation de la zone où
s'applique le passage archipélagique est dictée par des motifs pratiques et est sujette à variation, il ne
serait pas opportun d'employer le terme « liberté ». Considérées dans le contexte des deux chapitres, les
différences terminologiques, si elles créent réellement des problèmes, paraissent très vraisemblablement
ne les poser qu'aux érudits ». (OXMAN, The Third United Nations Conference on the Law of the Sea,
American Journal of International Law, vol. 72, 1978, p. 57 et spécialement p. 66.
(79) Convention, art. 53.
(80) Ibid.
848 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

CONCLUSION

Si l'analyse que nous venons de faire peut surprendre en quoi que ce soit,
c'est dans le fait que le régime des navires de guerre instauré par la Convention de
1982 ne contient rien de nouveau qui surprenne.
S 'appuyant sur les débats antérieurs du Comité des Nations Unies pour les
fonds marins, qui a préparé la Conférence, ce résultat n'a été en aucune façon,
pour reprendre les mots de Shakespeare, a foregone conclusion, une conclusion à
priori. De toutes parts sont venus des appels en faveur de la création d'une
organisation mondiale dotée d'un pouvoir général sur toutes les utilisations des
océans, des pressions en vue de l'institution de zones de paix, des requêtes tendant
à la démilitarisation des fonds marins et à l'imposition de restrictions sur l'emploi
des sous-marins, de la force nucléaire et des armes atomiques, et des affirmations
audacieuses (paraphrasant Shakespeare) soutenant que nous étions venus pour
enterrer Grotius, non pour faire son éloge (we came to bury Grotius, not to praise
him). Même pendant que la Conférence se déroulait, un diplomate africain
influent, s' adressant au secrétaire d'Etat Kissinger, exprimait l'avis que la liberté de
manœuvre des navires de guerre américains était inacceptable dans la zone
économique de son pays. C'était peu après que le secrétaire d'Etat eut mis au
point avec le chef d'Etat de ce diplomate un ensemble d'accords nouveaux de
coopération militaire. Que cet incident ait pu avoir un effet peu heureux sur
l'appréciation fondamentale du secrétaire d'Etat quant à l'utilité d'une diplomatie
multilatérale à l'échelle mondiale, n'entre pas ici en considération; il ne fait
qu'illustrer le problème sous-jacent.
D'autre part, si l'on songe aux changements véritablement révolutionnaires
que la Convention a entraînés sur la carte des juridictions s' exerçant sur les mers,
on s'attendrait à trouver quelques modifications spectaculaires dans les règles qui
régissent les navires de guerre. L'extension de la souveraineté de l'Etat côtier sur
de grandes superficies d'eaux archi pélagiques et sur une mer territoriale de
12 milles, la création d'une énorme zone économique de 200 milles marins,
englobant toutes les mers marginales du globe, l'extension des droits souverains sur les
fonds marins au moins jusqu'à cette distance et, au-delà, jusqu'au rebord de la
marge continentale, la création de nouvelles obligations et l'instauration d'une
nouvelle juridiction de l'Etat côtier dans le domaine de l'environnement, enfin la
création d'une organisation internationale chargée, selon son statut, de contrôler
toutes les activités menées dans la zone restante des fonds marins, auraient pu
avoir des répercussions monumentales pour les navires de guerre.
En fait, les pressions exercées dans le sens d'une démilitarisation se sont
trouvées déportées par une ample utilisation de clauses de « fins pacifiques » et de
renvois à des clauses d'interdiction de la menace ou de l'emploi de la force
contenues dans la Charte des Nations Unies, qui n'ont que très peu d'effet sur le
régime juridique, si tant est qu'elles en aient. Quant à tous les régimes nouveaux
ou à tous les élargissements géographiques des régimes existants, la Convention
écarte ou atténue expressément, dans chaque cas, leur incidence sur les activités
des navires de guerre :
- il existe un droit de passage archipélagique fort libéral dans de larges voies
de circulation traversant les eaux archipélagiques nouvellement reconnues;
RÉGIME DES NAVIRES DE GUERRE 849

- le régime du passage inoffensif dans une mer territoriale plus vaste est
rendu plus objectif, et il est remplacé, dans les détroits, par un régime plus libéral
de passage en transit.
- les libertés de navigation et de survol en haute mer, ainsi que les autres
utilisations internationalement licites de la mer liées à ces libertés, sont
expressément préservées dans la zone économique;
- les libertés de la haute mer bénéficient d'une protection plus précise
contre les empiétements que l'Etat côtier pourrait commettre dans l'exercice de
ses droits
- lessur
navires
le plateau
de guerre
continental
sont exclus
(81 ); du champ d'application de toutes les

dispositions - la réglementation
relatives à l'environnement;
des fonds marins est tributaire d'une définition des
termes « activités menées dans la Zone » qui ne couvre pas les activités militaires
ou la recherche scientifique marine.
Ce n'est donc une surprise pour personne que les Etats-Unis n'aient pas été la
seule délégation, encore que certainement la plus active, à susciter ce résultat.
L'ironie veut que ce soit une Administration américaine fortement engagée à
développer la capacité militaire des Etats-Unis dans le monde, y compris la
capacité d'intervention de sa puissance navale, qui ait refusé d'accepter la
Convention lorsqu'elle fut achevée en 1982, à cause de ses dispositions sur les activités
relatives aux fonds marins. Ce que l'on sait moins, et qui est peut-être étonnant,
c'est que l'un des meneurs dans la lutte contre l'acceptation de la Convention
était la Secrétaire à la Marine alors en poste.
Ces observations soulèvent une question plus fondamentale concernant
l'avenir du régime des navires de guerre. Derrière les raisonnements savants et
contradictoires sur le contenu du droit international coutumier futur se profile
la réalité des priorités : la volonté de passer aux actes dans une situation où le
droit est fait, et défait, par assentiment. C'est la forte priorité accordée aux
considérations économiques sur les considérations politiques ou militaires qui a
incliné le reste du monde à concéder aux grandes Puissances l'essentiel de ce
qu'elles souhaitaient obtenir au sujet des aspects militaires auxquels elles avaient
donné la priorité lors de la Conférence; en gros, on peut supposer que le même
raisonnement vaudrait, avec le temps, pour le processus d'évolution du « droit
coutumier ». On peut s'interroger sur le point de savoir si les grandes Puissances
en général, et les Etats-Unis et l'Europe occidentale en particulier, ne
commencent pas eux-mêmes à rétrograder la priorité relative qu'ils vouent aux
considérations navales (et notamment au renforcement de la mobilité et des opérations des
forces navales à l'échelon mondial) en faveur de considérations d'ordre économique
et écologique et peut-être même en faveur d'une forme différente d'organisation de
la défense, lorsqu'ils façonnent leur politique étrangère.
Si nous assistons actuellement à une telle évolution des priorités, qui a pris
une tournure spectaculaire avec les décisions américaine, allemande et britannique
de ne pas signer la Convention, alors il faut nous attendre à une mutation
correspondante du droit avec le temps. Ignorer les conférences des Nations Unies
et les conférences multilatérales ne fera pas disparaître les pressions en faveur
d'une modification du droit, car celles-ci ne proviennent pas seulement - et
même pas principalement — de ces institutions. Les pressions que l'on observe
résultent d'une combinaison de peur, de xénophobie et du désir de se procurer un

(81) Convention, art. 78.


850 CONVENTION SUR LE DROIT DE LA MER

avantage relatif, à laquelle se trouve confronté tout navire pénétrant dans une
région étrangère. Le « droit », considéré à un moment quelconque, reflète
l'équilibre qui s'établit entre ces pressions essentiellement « côtiéristes » et les contre-
pressions qu'exercent les grandes Puissances navales au nom de leurs flottes sur
tous les fronts, tant politiques et économiques que militaires. Si les priorités de
ces Puissances changent, les contre -pressions correspondantes changent également.
Lorsque le droit est sur le point de subir une telle transformation, il est
probable que l'on ne s'en rend pas bien compte dans un premier temps. Ceux qui
sont les plus proches des décisions susceptibles, en définitive, d'imposer de
nouvelles restrictions aux navires de guerre s'inquiéteront surtout de démontrer
clairement qu'ils n'ont pas pris de tels risques. Aussi est-il vraisemblable que, dans un
proche avenir, de fortes « contre-pressions » concernant la question des navires de
guerre marqueront le langage que tiendront et les actions qu'entreprendront les
Etats-Unis et quelques-uns de leurs alliés. Le risque d'une détérioration croîtra à
mesure qu'augmentera la distance séparant, dans le temps et sur le plan politique,
ceux qui ont la responsabilité des décisions relatives à la Convention et ceux qui
doivent résoudre quotidiennement des problèmes de priorités. Si ce risque
croissant n'est pas perçu et éliminé à ce stade, le « droit » évoluera certainement (à
moins que les Soviétiques ne soient à même de le contenir, ce dont on peut
douter).
Bien entendu, les gouvernements futurs pourront mieux cerner le problème et
agir de manière à le résoudre efficacement. Ce n'est qu'alors que nous aurons
quelques chances de voir le régime des navires de guerre subir aussi peu de
restrictions que possible.

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