Vous êtes sur la page 1sur 35

Annuaire français de droit

international

L'interprétation de l'article 121, paragraphe 3, de la convention de


Montego Bay sur le droit de la mer : les «rochers qui ne se prêtent
pas à l'habitation humaine ou à une vie économique propre... »
Robert Kolb

Citer ce document / Cite this document :

Kolb Robert. L'interprétation de l'article 121, paragraphe 3, de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer : les
«rochers qui ne se prêtent pas à l'habitation humaine ou à une vie économique propre... ». In: Annuaire français de droit
international, volume 40, 1994. pp. 876-909;

doi : https://doi.org/10.3406/afdi.1994.3227

https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1994_num_40_1_3227

Fichier pdf généré le 10/04/2018


ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL
XL - 1994 - Editions du CNRS, Paris

L'INTERPRETATION DE L'ARTICLE 121,


PARAGRAPHE 3, DE LA CONVENTION
DE MONTEGO BAY SUR LE DROIT DE LA MER :
LES «ROCHERS QUI NE SE PRÊTENT PAS
À L'HABITATION HUMAINE OU À UNE VIE
ÉCONOMIQUE PROPRE...»

Robert KOLB

SOMMAIRE

I. - Introduction

II. - Les éléments historiques

A) Avant la Conférence de Codification de La Haye de 1930 sur la mer territoriale


B) La Conférence de Codification de La Haye de 1930
C) La Conférence de Genève sur le droit de la mer de 1958
D) Les travaux préparatoires de la Convention de Montego Bay de 1982

III. - L'ÉLÉMENT EMPIRIQUE : LA PRATIQUE DES ÉTATS

IV. - LA BOÎTE DE PANDORE : L'INTERPRÉTATION DE L'ARTICLE 121, PARAGRAPHE 3

V. - Conclusion

(*) Robert Kolb, Diplômé en droit de l'Université de Berne, Diplômé en droit international
de l'Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales (Genève), LLM (Law of the Sea),
University College, Londres, Doctorant à l'IUHEI (thèse en préparation sur La bonne foi en droit
international public).
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 877

I. - Introduction

1. L'article 121, paragraphe 3, de la Convention de Montego Bay sur le


droit de la mer dispose :
«Les rochers qui ne se prêtent pas à l'habitation humaine ou à une vie
économique propre n'ont pas de zone économique exclusive ni de plateau
continental. » (1)

2. Il y a deux millénaires, dans le contexte de l'interprétation


testamentaire, l'illustre Gaius posait le principe : In dubiis benigniora(2). Les Etats,
en quête avide d'extension spatiale de leurs prérogatives souveraines et ce
particulièrement dans le domaine maritime (3), n'en ont guère oublié les
mérites; à condition bien entendu que le «benigniora» s'applique en faveur
de leurs intérêts nationaux. Dans cette ligne de pensée, si l'on suivait les
critères traditionnels d'attribution d'espaces maritimes aux îles tels que
retenus par l'article 10 de la Convention de Genève de 1958 sur la mer
territoriale et la zone contiguë, ou si, après l'entrée en vigueur de la
Convention de 1982, les paragraphes 1 et 2 de son article 121 sont interprétés
extensivement aux dépens du paragraphe 3, de larges espaces océaniques
seront accordés à de minuscules îles inhabitées (4). Par exemple : les îles
Cook avec un territoire de 243 km2 obtiendraient 352 240 km2 de ZEE. Nauru
avec 21 km2 obtiendrait plus de 323 750 km2 de ZEE (5). Sur un plan plus
général, il est estimé qu'il existe plus d'un demi million d'îles (6) dont un
grand nombre sont extrêmement exiguës. Il est vrai que souvent ces îles
seront englobées dans le régime nouveau et particulier des eaux archipéla-
giques(7), spécialement dans certaines mers semi-fermées (par exemple les
Caraïbes) ou dans le Pacifique du sud-ouest, où elles sont innombrables. Il
est vrai aussi que souvent de telles îles se situent à proximité des côtes.
Mais il existe beaucoup d'élévations, de bancs ou d'îlots solitaires, disséminés
à travers les océans, avec un énorme potentiel de façades côtières pouvant
engendrer des revendications maritimes. A ce propos, on mentionnera, à titre
d'exemples: Rockall(8), disputé entre le Royaume-Uni, l'Irlande, le Dane-

CD Dans la version anglaise : «Rocks which cannot sustain human habitation or economic
life of their own shall have no exclusive economic zone or continental shelf».
(2) Dig. 50, 17, 56. Voir aussi : Mabcellus, Dig. 34, 5, 24, et Paulus, Dig. 50, 17, 12.
(3) Ne soit à ce propos citée que la formule parlante de R.-J. Dupuy, dans R.-J. Dupuy/D.
Vignes, Traité du nouveau droit de la mer, Paris / Bruxelles, 1985, p. 219 : « vent de la terre vers
le large (...) porteur de souverainetés ». A un niveau plus général, cf. W. Friedmann, « Selden
Redivivus - Towards a Partition of the Seas», A.J.I.L, vol. 65, 1971, p. 763.
(4) Cf. J.M. Van Dyke/R.A. Brooks, « Uninhabited Islands : Their Impact on the Ownership
of Ocean Resources, Ocean Development and International Law (ci-après : O.D.I. L.), vol. 12, 1983,
p. 265 s.
(5) Voir Neptune, n° 5, 1975, p. 5 s., cité par J. Symonides, «The Legal Status of Islands in
the New Law of the Sea », Revue de droit international de sciences diplomatiques et politiques,
vol. 65, 1987, p. 162 (chiffres que de milles carrés j'ai converti en kilomètres carrés).
(6) Symonides (ibid.), p. 161.
(7) Sur ce régime, voir R. Lattion, L'archipel en droit international, Lausanne, 1984 ; P.E.J.
Rodgers, Midocean Archipelagos and International Law, New York, 1981, et sur l'évolution
historique en particulier : D.P. O'Connell, « Mid-Ocean Archipelogos in International Law »,
B.Y.B.I.L., vol. 45, 1971, p. 1 ss, et CF. Amerasinghe, «The Problem of Archipelogos in the
International Law of the Sea», International and Comparative Law Quarterly, (ci-après : I.C.L.Q.),
vol. 23, 1974, p. 539 ss.
(8) Sur Rockall : E.D. Brown, «Rockall and the Limits of National Jurisdiction of the United
Kingdom », Marine Policy, 1978, p. 202 ss ; C. Symmons, « The Rockall Dispute Deepens : An
Analysis of Recent Danish and Icelandic Actions», I.C.L.Q., vol. 35, 1986, p. 344 ss. Voir aussi :
R.G.D.I.P., vol. 81, 1977, p. 1173 et R.G.D.I.P., vol. 89, 1985, p. 762 s.
878 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

mark et l'Islande; Clipperton, appartenant à la France et situé à 930 km


au sud du Mexique ; Aves, appartenant au Venezuela et situé à 500 km au
nord de ses côtes ; Okinotorishima (8a) appartenant au Japon et situé à plus
de 2 000 km au sud-ouest de Tokyo; Jan Mayen appartenant à la Norvège
et situé entre le Groenland, l'Islande et la Norvège ; les îles Pulo Wai dans
le Golfe du Siam; les îlots hawaiiens (9), etc. (10).
3. Il importe donc de savoir si toutes les eminences découvertes à marée
haute, sans aucune restriction, généreront les espaces maritimes de la ZEE
et du plateau continental. Contrairement à la mer territoriale, ils retireraient
à la haute mer et aux grands fonds marins des espaces s'étendant jusqu'à
un maximum de 200 ou 350 milles (11) à compter des lignes de base utilisées
pour mesurer la largeur de la mer territoriale. Il s'agit d'établir si les espaces
communs, notamment la haute mer, déjà soumis paraît-il à une véritable
«décomposition» (12) face aux appétits territoriaux, mais aussi face à la Zone
internationale des fonds marins - déclarée patrimoine commun de l'humanité
dès la Résolution 2749 (XXV) par l'Assemblée générale de l'O.N.U. et destinée
par la Convention de Montego Bay à une gestion internationalisée par des
institutions autonomes (13) - seront encore davantage amoindris par une
interprétation restrictive donnée à l'article 121, paragraphe 3. Ainsi serait
rendue justice singulière à l'adage «in dubiis benigniora» cité d'entrée, car,
nous le disions, il s'appliquait à l'interprétation des volontés ultimes qui
seraient, en l'occurrence, symbolisées par une idée communautaire
dépérissante en ce qui concerne la mer.

4. De par l'importance notamment économique des zones entourant les


îlots, un grand nombre de différends risquent de naître. La création de ces
zones risque de provoquer une ruée de la part d'Etats qui jusqu'alors s'en
désintéressaient, menant à des revendications de souveraineté qui ne sont
pas sans rappeler les rivalités succédant aux grandes découvertes (14). De
plus, et c'est un autre facteur déstabilisant, il n'est pas improbable que,

(8a) A.L. Silverstein, « Okinotorishima : Artificial Preservation of a Speck of Sovereignty »,


Brooklyn Journal of International Law, vol. 16, 1990, p. 409 ss.
(9) Sur ces îlots, voir particulièrement J.M. Van Dyke/J.R. Morgan/J. Gurish, « The Exclusive
Economie Zone of the Northwestern Hawaiian Islands : When Do Uninhabited Islands Generate
an EEZ?», San Diego Law Review, vol. 25, 1988, p. 425 ss.
(10) Voir les exemples donnés par B. Kwiatkowska/A. Soons, «Entitlement to Maritime Areas
of Rocks which Cannot Sustain Human Habitation or Economic Life of Their Own », N.Y.I.L., vol.
21, 1990, p. 145 s.
(11) Pour la zone économique exclusive, voir l'article 57 de la Convention de Montego Bay
et, pour le plateau continental, l'article 76, paragraphe 5, de la Convention, qui précise aussi un
critère alternatif basé sur la profondeur, introduit sur proposition de l'U.R.S.S. (R.-J. Dupuy,
«Cours général de droit international public», R.C.A.D.I., vol. 165, 1979-IV, p. 133).
(12) A. Cocatre-Zilgien, « La répression des infractions commises en haute mer en temps
de paix », Revue égyptienne de droit international, vol. 15, 1959, p. 71.
(13) Sur la notion de patrimoine commun, on peut citer les études suivantes : C.C. Joyner,
«Legal Implications of the Concept of the Common Heritage of Mankind», I.C.L.Q., vol. 35, 1986,
p. 190 ss. ; R. Wolfrum, « The Principe of the Common Heritage of Mankind », Z.a. 6. R. V., vol.
43, 1983, p. 312 ss. ; R.-J. Dupuy, « La notion de patrimoine commun de l'humanité appliquée aux
fonds marins », Mélanges Colliard, Paris, 1984, p. 197 ss. ; A.-Ch. Kiss, « La notion de patrimoine
commun de l'humanité», R.C.A.D.I., vol. 175, 1982-11, p. 99 ss. Sur le futur organisme de gestion,
on citera : F. Orrego Vicuna, Los fondos marinos y oceamcos, junsdiccion nacional y régimen
internacional, Santiago de Chile, 1976; F. Paolillo, «The Institutional Arrangements for the
International Sea-Bed and their Impact on the Evolution of International Organisation. » -
R.C.A.D.I., vol. 188, 1984-V, p. 145 ss. et dans Dupuy/Vignes, Traité du nouveau droit de la mer,
Paris/Bruxelles, 1985, p. 603 ss. ,
(14) Voir le cas de Rockall (note 8).
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 879

comme pour la ZEE en général (15), ce soient une fois de plus les Etats
développés, ex-colonisateurs et puissances maritimes, qui s'assureront la part
du lion : d'un côté parce qu'ils disposent encore de nombreuses possessions
territoriales à travers le monde, notamment d'îlots océaniques, de l'autre
côté parce qu'ils possèdent les moyens techniques et financiers pour créer
sur l'îlot, selon l'interprétation choisie, les conditions requises pour qu'il soit
traité en île au sens des paragraphes 1 et 2 de l'article 121 et non en rocher
au sens du paragraphe 3(16).

5. Face à ces constatations, qui montrent l'intérêt d'une question à


première vue anodine, on constate une passivité étonnante de la doctrine.
Peu d'auteurs se préoccupent de la question, et rares sont ceux qui savent
donner un sens au paragraphe 3 à partir d'une interprétation historique ou
textuelle (17). Généralement les auteurs se bornent à souligner l'imprécision
et l'ambiguïté de la disposition : Brown (18) parle d'une «entirely new rule
of unique vagueness», O'Connell(19), Dipla(20) et Churchill/Lowe (21)
mettent l'accent sur la subjectivité de la règle, sur son caractère vague ou
ambigu, et sur son «poor drafting» (22). Herman (23) constate lapidairement
que le paragraphe 3 de l'article 121 est «replete with uncertainties», tandis
que d'autres, comme Stevenson/Oxman(24), peut-être pour avoir participé à
la Conférence, préfèrent s'exprimer avec plus de réserve mais sans pour
autant donner de réponses qui iraient au-delà d'un constat des «unclear
effects of this text». Pour expliciter et illustrer leurs doutes, certains auteurs
comme O'Connell(25), Symonides (26) ou Dipla(27) ajoutent un catalogue de
questions dont le caractère rhétorique dispense leurs auteurs de toute
tentative de réponse. Déjà lors de la Conférence, certains Etats avaient relevé
ces insuffisances : ce fut le cas du Venezuela, qui souligna la nature « équi-

(15) Par exemple R. Churchill/V. Lowe, The Law of the Sea, Manchester, 1991, p. 147 ss.,
particulièrement p. 149 in fine.
(16) Par exemple en y implantant des usines de dessalinisation d'eau pour rendre l'espace
habitable.
(17) II s'agit notamment de Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10) et de Van Dyke/Brooks
(op. cit., note 4).
(18) Brown (op. cit., note 8), p. 205.
(19) D.P. O'Connell, The International Law of the Sea, vol. II, Oxford, 1982, p. 731 s.
(20) H. Dipla, Le régime juridique des îles dans le droit international de la mer, Paris, 1984,
p. 41 : « les critères qui sont à la base de cette distinction sont arbitraires et vagues ».
(21) Churchill/Lowe (op. cit., note 15), p. 41, 127 et 135 s.
(22) Ibid.
(23) L.L. Herman, «The Modem Concept of Off-Lying Archipelago in International Law»,
Canadian Yearbook of International Law, (ci-après C.Y.I. L.), vol. 23, 1985, p. 194.
(24) J.R. Stevenson/B.H. Oxman, «The Third United Nations Conference on the Law of the
Sea: The 1975 Geneva Session», A.J.I.L., vol. 69, 1975, p. 786.
(25) D.P. O'Connell, op. cit., note 19, p. 732 : «is the test conjunctive or disjunctive? [human
habitation / economic life of its own]. Does sustain refer to natural sustainance (such as availability
of water) or survivability ? »
(26) J. Symonides, op. cit., note 6, p. 165 s. : « [Does it also cover] reefs, sandbanks or other
small land formations which are not rocks in a strict sense? (...) Does the exploitation of biological
resources in the surrounding waters amount to economic life, or does it not? Would it be possible
for the State to which the rock belongs to establish a contiguous zone ? ».
(27) R. Churchill, V. Lowe, op. cit., note 21, p. 42: «Cela veut-il dire qu'un rocher
inhabitable, mais ayant une vie économique du fait, par exemple, qu'on a découvert dans son
sous-sol des dépôts de minéraux, a droit à une zone économique et un plateau continental ? D'autre
part, est-ce que tout rocher habitable, mais pas nécessairement habité, et sans vie économique
propre, a droit à des espaces maritimes?».
880 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

voque et très relative » (28) du paragraphe 3 qu'il soumit d'ailleurs à une


critique dévastatrice. Ce qui précède suggère que l'article 121, paragraphe
3, de la Convention de Montego Bay mérite un examen plus approfondi.

II. - Les éléments historiques

Au début de sa «Politeia», Aristote nous enseigne que la meilleure


manière de voir les choses, c'est de les considérer dans leur développement
naturel et dès leur commencement (29). Nous ne pouvons hélas donner qu'un
aperçu extrêmement sommaire (sans considérer la pratique diplomatique) de
la façon dont a évolué l'allocation d'espaces maritimes aux îles.

A. Avant la Conférence de Codification de La Haye de 1930


sur la mer territoriale

La question de savoir si des rochers ont une mer territoriale est ancienne.
Celle de savoir s'ils peuvent générer d'autres zones juridictionnelles, telles
qu'un plateau continental ou une ZEE, n'a surgi qu'à partir de l'émergence
de ces zones en droit international après la Deuxième Guerre mondiale (30).
D'une façon générale, et abstraction faite des Conférences de codification des
années 1930 et 1958, pratique et doctrine étaient divisées sur le point de
savoir si des îlots ou rochers devaient être traités en îles pour l'allocation
d'espaces maritimes ou si une distinction devait être établie. En cas de
réponse affirmative à cette dernière question, il fallait définir la differentia
specifica entre les deux catégories, tâche qui s'est toujours avérée
extrêmement ardue.
1. Il y a des cas où îlots et rochers se sont vus accorder les mêmes
espaces maritimes que des îles plus grandes.
a) Dans une série de cas soumis à des tribunaux nationaux, on s'est
demandé si la souveraineté étatique, donc la juridiction de l'Etat côtier,
s'étend à des zones autour d'îlots proches des côtes; plus précisément, il
s'agissait de savoir si l'Etat côtier pourrait revendiquer, autour de ces îlots,
une mer territoriale de trois milles. Cette revendication a été admise de
façon répétée notamment pour des raisons de sécurité.
Dans l'affaire de l'Anna (31) (1805), par exemple, devait être tranchée
la question de savoir si la capture d'un navire américain par un corsaire
britannique à moins de trois milles d'îlots de boue près de l'embouchure du
Mississippi, mais à près de cinq milles de la côte continentale, devait être

(28) Bureau des affaires maritimes et du droit de la mer, Régime des îles, Travaux
préparatoires concernant la Partie VIII (article 121) de la Convention des Nations Unies sur le droit
de la mer, Publication des Nations Unies, 1987, numéro de vente. F. 87 V. 11, p. 90.
(29) Politeia, livre I, chapitre. II, 1252 a, 25.
(30) La doctrine du plateau continental s'est établie à partir de la Déclaration Truman sur
le plateau continental du 28 septembre 1945 (voir par exemple M. Evans, Relevant Circumstances
and Maritime Delimitation, Oxford, 1989, p. 7, et affaire du Plateau continental de la mer du
Nord, C.I.J., Rec, 1969, p. 32 s.). Les premières revendications d'une zone exclusive de 200 milles,
que ce soit pour des pêcheries ou à titre d'entière souveraineté, sont celles des pays
latino-américains à partir de 1947 (voir par exemple F. Orrego Vicuna, La zone économique exclusive :
régime et nature juridique dans le droit international, R.C.A.D.I., vol. 200, 1986-V, p. 19 ss.). La
ZEE n'a été suffisamment reconnue et ne s'est généralisée que parallèlement à la troisième
Conférence sur le droit de la mer de 1974 à 1982 (voir par exemple Churchill/Lowe {op. cit., note
15), p. 144 ss. et affaire du Plateau continental Libye/Malte, C.I.J. Rec, 1985, p. 33).
(31) English Reports, vol. 165, p. 809 ss.
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 881

considérée comme étant intervenue à l'intérieur de la mer territoriale des


Etats-Unis. Les capteurs faisaient valoir que «these formations having the
character of temporary deposits of logs and drift, not fixed or permanent
and being unable to support human habitation, could not be assimilated to
the notion of territory» (32). Le juge Scott, récusa cette manière de voir en
retenant la sécurité comme argument principal en faveur d'une mer
territoriale pour toute élévation en mer (33).
Dans l'affaire du Schooner John Fallon(34) (1917), un navire fut saisi
pour pêche illégale dans la zone de trois milles entourant l'île canadienne
de St-Paul. La question posée était de savoir si cet îlot faisait partie de la
«côte» du Canada telle que définie par un traité entre les Etats-Unis
d'Amérique et le Royaume-Uni. Dans ce Traité, les Etats-Unis avaient
renoncé à pêcher à l'intérieur d'une ceinture de trois milles marins au large
des territoires britanniques. St-Paul est un îlot de granit exigu, n'ayant
aucune population excepté quelques pêcheurs occasionnels pendant l'été et
quelques agents de l'Etat (tels qu'une équipe pour des sauvetages en mer
ou pour entretenir les phares). Les pêcheurs firent valoir que l'extension de
la souveraineté territoriale sur des eaux adjacentes n'était pas admise dans
le cas de minuscules îles inoccupées et improductives. La Cour rejeta cette
manière de voir, et le juge Duff affirma avec force : «This contention is quite
without foundation. The international recognition of sovereignty in respect
of marginal seas rests upon very easily intelligible and well settled principles
(...). Imperium over these waters is necessary for the safety of the State (...).
Control over the marginal seas is just as essential for this purpose in the
case of a barren island as in the case of a small highly productive one» (35).
Dans l'affaire United States v. Middleton (36) (1929), enfin, l'accusé avait
transporté des passagers cubains destinés à être débarqués aux Etats-Unis
en violation de l'article 8 de V Immigration Act de 1917. Il fut condamné
après être passé à l'intérieur d'une ceinture de trois milles entourant un îlot
inhabité ; celui-ci était en effet censé être doté de sa propre mer territoriale,
puisqu'il «[does] not make any difference that these islands were
uninhabited» (37).
b) Le Harvard Research on the Law of Territorial Waters de 1929 (38)
allait jusqu'à suggérer, à son article 7, que «the marginal sea around an
island, or around land exposed only at some stage of the tide, is measured
outward three miles therefrom in the same manner as from the mainland».
Le commentaire précise que l'expression «land exposed only at some stage
of the tide is meant to include any rock, coral, mud, sand or other natural
solid formation...» (39). Une fois de plus, le critère décisif semble être celui
de la sécurité (40), sous-tendant, ici, une position maximaliste.

(32) Ibid., p. 811, 815.


(33) Ibid., p. 815 : «I think that the protection of territory is to be reckoned from these
islands; and that they are natural appendages of the coast on which they border (...). Consider
what the consequence would be if islands of this description were not considered (...). If they do
not belong to the United States of America, any other power might occupy them ; they might be
embanked and fortified ».
(34) Dominion Law Reports, vol. 37, 1917, p. 659 ss.
(35) Ibid., p. 665.
(36) Federal Reporter, 2nd, 1929, p. 239 s.
(37) Ibid., p. 240.
(38) A.J.I.L., vol. 23, 1929, Suppl., p. 241 ss. Le Rapporteur était G.G. Wilson.
(39) Ibid., p. 276.
(40) Voir les déclarations des Etats-Unis à l'Espagne concernant la sécurité des côtes
cubaines, ibid., p. 276 et J.B. Moore, A Digest of International Law, vol. I, Washington, 1906, p.
711.
882 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

2. Dans d'autres cas on a, en revanche, tenté de restreindre la vocation


de très petites formations terrestres à de propres zones maritimes.
a) La Résolution 4 de YImperial Conference de 1923.
Ce document faisait partie d'une série de résolutions définissant une
common policy de l'Empire britannique pour la question des limites de la
mer territoriale et renfermait le passage suivant : « The coastline from the
low-water mark of which the 3 mile limit of territorial waters should be
measured, is that of the mainland and also that of islands. The word 'islands'
covers all portions of territory permanently above high water in normal
circunstances and capable of use or habitation» (41). Dans un mémorandum
explicatif destiné à la Conférence, on peut lire ceci :
«22. The phrase 'capable of use or habitation' has been adopted as a
compromise. It is intended that the words 'capable of use' should mean capable, without
artificial addition, of being used throughout all seasons for some definite
commercial or defence pupose, and that 'capable of habitation' should mean
capable, without artificial addition, of permanent human habitation.
«23. It is recognized that these criteria will in many cases admit of
argument, but nothing more definite could be arrived at in view of many divergent
considerations involved... » (42).
Ce texte appelle les cinq commentaires suivants :
Premièrement, l'établissement des critères restrictifs mentionnés s'est
fait dans la difficulté et dans la controverse. Ces critères sont le fruit de la
traditionnelle hostilité du Royaume-Uni, puissance maritime par excellence,
à tout empiétement sur les zones où la liberté des mers s'applique. Dès leur
première apparition, ces critères n'ont reçu aucun appui franc et
inconditionnel. Cela tenait autant à leur maniement difficile au niveau de
l'interprétation qu'à des raisons de politique juridique.
Deuxièmement, il découle du mémorandum explicatif que la Résolution
4 n'est qu'un compromis en quelque sorte négatif, puisqu'il ne reflétait pas
un accord sur les mérites intrinsèques de la solution retenue, mais était la
conséquence indirecte du rejet de toute autre solution par une majorité (43).
Troisièmement, les termes de la Résolution 4 révèlent un effort de
précision et frappent par leur caractère plutôt restrictif. Si ce texte retient
une formule abstraite ou hypothétique («capable of use or habitation») et
non concrète ou actuelle («actually used or inhabited»), qui prête à plusieurs
interprétations, toute une série de précisions absentes de l'article 121,
paragraphe 3, sont présentées: «throughout all seasons», «for some definite
commercial or defence purpose » pour la condition d'utilisation ; « permanence »
pour la condition d'habitation; «without artificial addition» pour les deux.
Au critère général sont donc joints une série d'éléments particuliers qui lui
donnent un relief, en régissent l'interprétation et en restreignent la
portée.

(41) Imperial Conference, 1923 Report of Inter-Departemental Committee on the Limits of


Territorial Waters, Doc. T. 118/118/380 (1924); Public Record Office, Réf. F.O. 372/2108, p. 5. Les
italiques sont de nous. Cette option semble d'ailleurs correspondre à une position plus ancienne
du Royaume-Uni, car déjà en 1852, lors d'un différend avec l'Espagne ayant trait à la souveraineté
sur quelques bancs près de la côte cubaine, le Gouvernement de Sa Majesté avait fait valoir que
seules les îles habitées possèdent des eaux territoriales (voir : H.A. Smith, Great Britain and the
Law of Nations, vol. II, Londres, 1935, p. 224, 240).
(42) Ibid. Voir aussi Brown (op. cit., note 8), p. 207 s. Les italiques sont de nous.
(43) Ce sera très similaire pour l'article 121, paragraphe 3, voir infra, H. D. 4 et 5.
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 883

Quatrièmement, l'élément d'application générale («without artificial


addition») est particulièrement important. Pour donner suffisamment d'effet
utile au mot «artificial», il ne faut pas retenir l'autarcie complète de l'île
(par exemple en recherchant si l'île possède des ressources d'eau potable
propres), mais un degré moindre d'indépendance. En effet, l'autarcie ne
refléterait qu'une partie des termes de la disposition («without addition»)
en délaissant le qualificatif (« artificial »). L'interprétation correcte me semble
être celle qui cherche appui dans la notion d'abus de droit (44).
Cinquièmement, tels qu'ils sont énoncés, les critères de l'utilisation et
de l'habitation sont alternatifs (45). Il est douteux qu'il en soit de même pour
l'article 121, paragraphe 3.
b) II convient de citer encore, dans ce contexte, l'intervention de Lapra-
delle dans le cadre des travaux de l'Institut de droit international (IDI)
(1927), où il s'était opposé à la proposition d'accorder une mer territoriale
à «une île ou un rocher qui n'est pas utilisable » (46). Pour Fauchille, il ne
faut assimiler aux îles que «des rochers, écueils et bancs de sable, habités
ou non, où l'Etat peut d'une manière fixe établir des ouvrages» (46a). La
réflexion paraît être faite sans approfondissement. Elle pouvait avoir un sens
à une époque où les moyens techniques étaient encore rudimentaires
comparés à ceux que l'on a aujourd'hui et qui permettent d'établir des ouvrages
à peu près partout à condition d'y mettre le prix. Quoi qu'il en soit, s'il
s'agit d'une condition d'utilisation, elle est très restrictive, car le terme
« ouvrage » laisse présager des réalisations d'une certaine envergure
accompagnées tout naturellement de fixité. Il n'en sera plus ainsi à la Conférence
de codification de La Haye de 1930.

B. La Conférence de codification de La Haye de 1930

1. Dès 1896, le Gouvernement néerlandais avait proposé de fixer par


convention internationale la limite extérieure de la mer territoriale, faisant
état des projets adoptés par l'IDI en 1894 et par l'ILA en 1895(47). Mais
ce ne fut qu'un quart de siècle après, à la suite d'incidents de pêche entre
la Grande-Bretagne et l'URSS en 1922 et 1923, que la première insista pour

(44) Voir infra, TV. 2 et 3. f. pour l'article 121, paragraphe 3. D.W. Bowett, The Legal Regime
of Islands in International Law, New York, 1978, p. 34, suggère d'interpréter les termes «of their
own » / « propre » de l'article 121, paragraphe 3, en faisant appel à la notion d'« artificial economic
life », l'injection de laquelle ne ferait pas d'un rocher une île à part entière.
(45) Cela est surtout vrai si l'on songe au « defence purpose », qui ne nécessite pas une
habitation effective. La sécurité militaire semble exclue par l'article 121, paragraphe 3, car elle
n'est guère rattachable à l'économie à défaut d'en donner une interprétation si large qui la viderait
de toute spécificité.
(46) Ann. IDI, vol. 33, 1927 - I, p. 79. Il a été soutenu par Diena. Sir Thomas Barclay et
W. Schucking se sont exprimés dans le sens inverse. Plus tôt déjà, F. De Martens (Ann. IDI, vol.
XIII, 1894, p. 298) disait « ...que les rochers, les îlots qui émergent toujours de la mer seront
assimilés au territoire » et généreront donc des eaux territoriales.
(46a) P. Fauchille, Traité de droit international public, 8e éd., Paris, 1925, p. 202 in fine.
(italiques de l'auteur).
(47) Voir G. Gidel, Le droit international public de la mer, t. III, Paris, 1934, p. 136 ss.
884 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

que la question de la mer territoriale et de son étendue fût inscrite à l'ordre


du jour d'une Conférence de codification (48) (49).

2. Dans le contexte de la présente note, on relèvera que, dans les


réponses des gouvernements faites au Comité préparatoire de la Conférence
et recueillies dans les Bases de discussion (50), les Gouvernements de
l'Australie (51), de l'Afrique du Sud (52), de la Nouvelle-Zélande (53), des Indes (54)
et de la Grande-Bretagne (55) ont souhaité que la définition des îles inclue
la condition de la capacité d'utilisation et d'occupation effective (55a). Déjà
l'on peut constater un appauvrissement considérable du contenu normatif.
L'occupation est un terme qui a une signification particulière en droit
international puisqu'elle est un titre d'acquisition du territoire (56). L'ajout
« effective » paraît superflu car l'occupation a toujours été une catégorie de
l'effectivité (57). De plus le texte parle de «capacité d'occupation», ce qui
représente à son tour une conditio vitiosa, non seulement parce qu'une
occupation est dans les faits toujours possible, mais encore parce que la
capacité d'occupation est une présupposition axiomatique du droit
international qui est fondé sur l'attribution de tout territoire à une souveraineté
étatique (58).

(48) A.S. Bustamante y Sirven, La mer territoriale, Paris, 1930, p. 189 ss. J.G. Guerrero,
La codification du droit international, Paris, 1930, p. 80 ss. A. Raestad, « Le problème des eaux
territoriales à la Conférence pour la codification du droit international », Revue de droit
international, vol. 7, 1931-1, p. 140 s. ; J.S. Reeves, «The Codification of the Law of Territorial Waters»,
A.J.I.L., vol. 24, 1930, p. 486 ss.
(49) La Conférence tint ses séances sous les auspices de la Société des Nations à La Haye
du 13 mars au 12 avril 1930. Le régime des eaux territoriales, un des trois sujets retenus, fut
confié au Deuxième Comité, qui ne put arriver à un accord sur l'étendue de ces eaux malgré les
efforts de son Rapporteur J.P.A. François (qui devait se trouver face au même problème en 1958).
Un rapport fut adopté (voir B.Y.B.I.L., vol. 11, 1930, p. 177 ss.).
(50) Bases de Discussion, Conférence pour la codification du droit international de la Société
des Nations, vol. II, (Eaux territoriales), Doc. C. 74 M. 39. 1929 V, Genève, 1929.
(51) Op. cit., p. 52 : «Par île, il faut entendre une fraction de territoire entourée d'eau et
qui, dans les circonstances normales, se trouve d'une façon permanente au-dessus de la marée
haute. Il faut, en outre, que ce territoire puisse être occupé et utilisé.Rien ne permet de prétendre
établir une zone d'eaux territoriales autour d'un rocher ou d'un banc... ». Texte original anglais :
« An island is a piece of territory surrounded by water, permanently above high water in normal
circumstances and capable of occupation and use. There is no ground for claiming a belt of
territorial waters around a rock or bank...».
(52) Op. cit., p. 52 : «Seront seules considérées comme des îles, les parties de territoire qui
émergent d'une manière permanente à marée haute et qui peuvent être effectivement occupées
et utilisées. On ne considérera pas comme des îles les simples rochers ou bancs qui ne répondent
pas aux conditions indiquées ci-dessus ». Texte original anglais : « Only those pieces of territory
are to be considered islands which are permanently above high water and capable of effective use
and occupation. Mere rocks and banks not complying with the requisites laid down should not
be considered islands ».
(53) Op. cit., p. 53 (suivant le Royaume-Uni).
(54) Op. cit., p. 53 (suivant le Royaume-Uni).
(55) Op. cit., p. 53 : «On ne doit pas considérer comme une île une fraction de territoire
qu'il serait impossible d'occuper et d'utiliser effectivement. Le Gouvernement de Sa Majesté estime
qu'on n'est pas fondé à prétendre qu'il existe une zone d'eaux territoriales autour de rochers et
de bancs.... ». Texte original anglais : An island does not include «a piece of territory not capable
of effective occupation and use. His Majesty's Government considers that there is no ground for
claiming that a belt of territorial waters exists round rocks and banks... »
(55a) Ce qu'approuve G. Gidel (op. cit., note 47), p. 675.
(56) Voir l'affaire de Palmas, R.S.A., vol. II, p. 839 s.
n° 53,(57) p.46.Affaire de Clipperton, R.S.A., vol. II, p. 1110; Groenland Oriental, C.P.J.I., sér. A/B,
(58) Voir déjà le célèbre dictum de Max Huber dans l'affaire de Palmas (op. cit., note 56),
p. 839 : « Territorial sovereignty cannot limit itself to its negative side, i.e. to excluding the
activities of other states ; for it serves to divide between nations the space upon which human
activities are employed, in order to assure them at all points the minimum of protection of which
international law is the guardian » (italiques de nous).
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 885

Quant à l'utilisation, elle est de peu de valeur pratique, parce que tout
rocher peut servir, si cela est souhaité, à des fins stratégiques, scientifiques,
etc. Qu'une conjonction (« et/and ») ait été utilisée à la place d'une disjonction
(«ou/or») entre les éléments d'utilisation et d'occupation apparaît dès lors
insignifiant : car quand ne reste qu'un seul critère opérationnel, l'utilisation,
toute définition de rapport devient impossible. Peut-être faudrait-il présumer
que les Etats du Commonweath, auteurs de la proposition, n'ont pas voulu
se départir de la définition précitée de YImperial Conference de 1923, ce qui
permettrait par exemple d'éliminer les objectifs scientifiques, puisqu'elle
parle de «definite commercial or defence purpose».
Face à ces Etats, il y en avait d'autres qui favorisaient un régime unique
pour toute élévation naturelle (59) ou qui rejetaient même explicitement toute
restriction basée sur l'habitabilité ou l'utilisation (60).
Au vu de ce désaccord, le Sous-Comité II du Deuxième Comité décida
de ne pas retenir les critères d'occupation ou d'utilisation. Ainsi toute île
devait avoir une mer territoriale (61). Cela étant, on a affirmé que le projet
exprimait l'état du droit coutumier en la matière (62).

3. En doctrine, deux auteurs notamment ont exprimé des vues


marquantes sur notre sujet à la suite de la Conférence de 1930. Il y a d'abord
Gidel qui considère que rentre dans la définition de l'île la nécessité que les
«conditions naturelles permettent la résidence stable de groupes humains
organisés» (63); peut-être cette formule (souvent lue isolément) est-elle trop
exigeante en vue du but poursuivi. Car Gidel la justifie par l'idée que toute
restriction inutile à la liberté de l'utilisation licite et normale des espaces
maritimes doit être évitée et que, dans cette perspective, il convient de ne
pas qualifier d'île une « surface infime » ; bien au contraire seule une élévation
«effectivement utilisée ou susceptible de l'être» (63a) mériterait de faire
exception. En fait, il revient donc aux propositions de la Conférence de 1930.
Johnson (64), quant à lui, interprète de manière singulière les résultats
de la Conférence de 1930. Il raisonne en s'appuyant vaguement sur un
argument ad absurdum (65), en posant comme question : « Can it be that a
mere pin-point rock (...) is entitled to have a territorial sea around it?». II
répond : « Surely not. In view of the precautions deliberately taken to limit
the effect of low-tide elevations, even large ones, on the territorial sea, it
can hardly have been the intention to allow every single high-tide elevation,

(59) Finlande, Allemagne (« il convient donc de considérer comme île naturelle toute eminence
de la terre dans l'eau »), Estonie, Japon, Pays-Bas. (Bases de Discussion (op. cit., note 50), p. 52
s.).
(60) Bases de Discussion (op. cit., note 50), p. 52, en se référant à l'affaire de l'Anna, citée
sous II. A.l.a.
(61) Actes de la Conférence pour la codification du droit international, vol. I, Genève 1930,
p. 133. (Doc. C. 230. M. 117 1930 V, p. 13), Rapport de la Deuxième Commission. Voir aussi Bases
de Discussion, n° 12 (op. cit., note 50), p. 50 s.
(62) D.H.N. Johnson, «Artificial Islands», International Law Quarterly, vol. 4, 1951, p. 212
s. Van Dyke/Brooks (N 4), p. 271. Ceci peut paraître surprenant si l'on tient compte de la position
des pays du Commonwealth, grandes puissances maritimes.
(63) G. Gidel (op. cit., note 47), p. 684.
(63a) G. Gidel (op. cit., note 47), p. 674.
(64) Johnson (op. cit., note 62), p. 205.
(65) Sur ce type d'argument, voir V.D. Degan, L'interprétation des accords en droit
international, La Haye, 1963, p. 111 ss. ; C. Rousseau, Droit international public, t. I, Paris, 1970, p.
279 ; G. Dahm, Volkerrecht, t. III, Stuttgart, 1961, p. 50 ; et Panama Riot Claims (J.B. Moore,
History and Digest of the International Arbitrations to Which the United States Has Been a Party,
vol. II, Washington, 1898, p. 1376) ; C.P.J.I., sér. B, n° 1, p. 22.
886 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

however small, to have territorial waters (...) It is suggested that by area


of land is to be understood an appreciable surface above the sea visible in
normal weather conditions » (66). Rien n'étaye cette façon de voir qui paraît
une prise de position purement doctrinale.

C. La Conférence de Genève sur le droit de la mer de 1958


Pendant les délibérations préparatoires de la CDI, Sir Hersch Lauter-
pacht proposa, revenant à l'idée fixe britannique, d'ajouter la phrase «capable
d'occupation et de contrôle effectif » (67) à la définition de l'île telle que reçue
des projets de 1930(68). Il trouva pour cela l'appui de Hsu(69). Cependant
François, Rapporteur spécial de la Commission, s'y opposa car il estimait
que tout rocher pouvait être utilisé à des fins de radiodiffusion ou
d'observation métérologique et que, dans ce sens, tout rocher était capable
d'utilisation et de contrôle. Ce serait donc créer de la confusion que d'admettre
une telle proposition (70). Lauterpacht retira alors sa proposition, non parce
qu'il avait des doutes sur son bien-fondé, mais parce qu'il désirait éviter de
longs débats sur le sens à attribuer aux mots «contrôle» et «effectif» (71).
Ainsi l'article 10 de la Convention sur la mer territoriale et la zone contiguë
finit par accorder une mer territoriale à toute élévation naturelle en mer (72).
Il n'y a pas lieu de commenter longuement une condition qui n'a pas
été retenue. On note toutefois qu'en ce qui la concerne à la ténuité a succédé
la vacuité du propos : le seul critère auquel nous avions pu précédemment
attribuer une valeur opérationnelle minimale, à savoir celui de l'utilisation,
a été éliminé pour faire place à celui du contrôle. Or toute occupation
implique un contrôle ou est au moins consubstantielle avec lui; et à la
«capacité d'occupation» s'applique ce que nous avons déjà pu dire. Pour
paraphraser R.-J. Dupuy(73), l'évolution est celle d'une condition sage qui
devient sauvage. C'est dans le contexte de ce déclin de précision qu'il faut
lire l'article 121, paragraphe 3, de la Convention de Montego Bay; il en est,
malheureusement, la dernière manifestation.

D. Les travaux préparatoires de la Convention de Montego Bay de 1982


1. Contrairement à ce qui est le cas en droit interne, le statut des
travaux préparatoires est obscurci par quelques interrogations en droit
international. Ces interrogations sont issues du système interprétatif proposé
par la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. Ses articles
31 et 32 n'attribuent à ces travaux qu'un caractère subsidiaire (74).

(66) (Italiques de l'auteur). Johnson s'appuie aussi sur le fait que l'invisibilité pour le marin
avait été utilisée par G. Gidel lors de la Conférence, pour exclure d'une mer territoriale les fonds
découvrants.
(67) En anglais : « Capable of effective occupation and control ».
(68) Yb. 1LC 1954, I, p. 92.
(69) Ibid., p. 93.
(70) Ibid., p. 94.
(71) Ibid., p. 94.
(72) Contra: L.F.E. Goldie, «The ICJ's 'Natural Prolongation' and the Continental Shelf
Problem of Islands », N.Y.I.L., vol. 4, 1973, p. 247.
(73) Voir l'article célèbre de R.-J. Dupuy intitulé : « Coutume sage et coutume sauvage »,
Mélanges Rousseau, Paris, 1974, p. 75 ss.
(74) Les moyens qu'énonce l'article 32 ne peuvent servir que pour confirmer le sens résultant
de l'application des règles générales de l'art 31 ou afin de déterminer le sens d'une clause qui
sera restée obscure ou ambiguë, voire qui aurait conduit à un résultat manifestement absurde ou
déraisonnable. Il s'inspire de l'ancienne formule du Digeste (Marcian) : «In ambiguis oratwnibus
maxime sententia spectanda est eius, qui eas protulisset » (Dig. 50, 17, 96).
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 887

Pour certains, l'article 121, paragraphe 3, sera l'exemple-type d'une


clause obscure ou ambiguë, même après utilisation des moyens primaires
d'interprétation proposés par l'article 31. Dès lors le recours aux travaux
préparatoires se justifie. Pour ceux qui pensent que les travaux préparatoires
apportent toujours un (pas le, mais un!) élément de compréhension possible,
qu'on ne doit exclure qu'à posteriori et non à priori, le recours aux travaux
préparatoires n'aura pas besoin d'être justifié (75).
2. Au début des nouveaux efforts de codification se situe un constat
d'insatisfaction avec le droit en vigueur sur les îles. Il y a à cela trois raisons
principales. Premièrement, la menace que de nouvelles zones maritimes aussi
vastes que la ZEE et le plateau continental élargi font courir à l'étendue
des espaces où s'applique la liberté de la haute mer et à la Zone
internationale des fonds marins était clairement ressentie (76). En ce qui concerne
la liberté des mers, on savait par exemple que l'établissement de ZEE autour
d'îlots comme St-Peter et St-Paul (Brésil) ou Sala y Gomez (Chili) pourrait
avoir de dramatiques effets sur les pêcheries, spécialement sur celles des
flottes étrangères (77). Deuxièmement, la menace de nouvelles zones
maritimes était particulièrement appréhendée par les pays en voie de
développement, car elle risquait de profiter notamment aux îles sous domination
coloniale (78). Troisièmement, il y avait un sentiment croissant que la
définition retenue dans la Convention de 1958 était trop vague et simpliste face

(75) Presque tous les arguments à l'encontre des travaux préparatoires reposent sur des
généralisations abusives ou des pétitions de principe (par exemple que les travaux préparatoires
seraient souvent vagues, incomplets, imprécis, témoignant trop peu du changement de positions
au cours des conférences, qu'ils tendraient à affaiblir le texte et sa sécurité juridique apparente),
et ils s'opposent au caractère flexible que la Commission du droit international voulait reconnaître
au processus d'interprétation tout comme à son unité herméneutique. (Voir J.P. Muller, Ver-
trauensschutz im Volkerrecht, Beitrage zum auslandischen offentlichen Recht und Volkerrecht, n° 56,
Cologne/Berlin, 1971, p. 123; J. Stone, «Fictional Elements in Treaty Interpretation - A Study
in the International Judicial Process », Sydney Law Review, vol. I, 1953/5, p. 364). Plus
généralement, un texte étant un produit finalisé, le point de départ de toute compréhension est l'intention
des auteurs, quitte à ne pas être nécessairement le point d'arrivée.
(76) Par exemple, Déclaration du Danemark, 39e séance (session de Caracas, 1974) : « If such
islets and rocks were to be given full ocean space, it might mean that the access of other countries
to the exploitation of the living ressources in what was at present the open sea would be curtailed,
and that the area of the sea-bed falling under the proposed International Sea-Bed Authority would
also be reduced» (dans la version anglaise qui est plus claire, Third United Nations Conference
on the Law of the Sea, Official Documents, vol. II, p. 279. Version française : Troisième Conférence
des Nations Unies sur le droit de la mer, Documents officiels, vol. II, p. 313. Voir aussi : Colombie
{ibid., p. 280, par. 17). Turquie (ibid., p. 284, par. 62), Singapore (ibid., p. 285 par. 72). Déjà lors
des sessions du Comité des fonds des mers A. Pardo (Malte) avait dit : « If a 200 mile limit of
jurisdiction could be founded on the possession of uninhabited, remote or very small islands, the
effectiveness of international administration of ocean beyond national jurisdiction would be gravely
impaired (UN. Comité des fonds marins, Doc. A/AC. 138/SR. 57, p. 167). En doctrine, voir J.
Symonides (op. cit., note 5), p. 162 ; H. Jayewardene, The Regime of Islands in International Law,
Dordrecht /Boston/Londres, 1990, p. 5 ; et A. Pardo, « An International Regime for the Deep
Sea-Bed : Developing Law or Developing Anarchy? », Texas International Law Forum, vol. 5, 1970,
p. 205 : « It is entirely unacceptable that the Continental Shelf doctrine should apply without
modification to rocks or remote and uninhabited islands (...) Where not only no state but no
population exists, basis for the doctrine is lacking ».
(77) Van Dyke/Morgan/Gurish, (op. cit., note 9), p. 442 (hors du contexte des travaux
préparatoires).
(78) Jayewardene (op. cit., note 76), p. 5. Sur cette question : Doc. A/CONF. 62/C.2/L.30,
partie B. Voir aussi la Déclaration de l'Argentine, Documents officiels (op. cit., note 76), p. 284,
paragraphe 66.
888 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

à l'énorme diversité des îles (79). Ainsi un débat devait s'instaurer entre ceux
qui ne désiraient aucun changement du droit (80) et ceux qui, au nom d'une
équité apte à refléter des différences factuelles par un traitement différencié,
voulaient son évolution (81). Les premiers étaient ceux qui désiraient
assimiler au territoire terrestre toute élévation permanente en mer sans
discrimination, les seconds ceux qui refusaient cette assimilation et proposaient
des critères de distinction. Cette opposition, qui devait marquer
fondamentalement tous les débats sur le sujet, est traduite par une fracture dans
l'article 121. Des « égalitaristes » émanent les paragraphes 1 et 2; pour une
fois ce sont eux les conservateurs. Les dispositions en question reproduisent
le droit reçu, coutumier, qui est formel et clair. Des « discriminateurs » émane
le paragraphe 3 ; ce sont eux les révisionnistes. Ce paragraphe renferme le
droit nouveau, conventionnel, qui est matériel et imprécis. Si on comprend
aisément les deux premier paragraphes, le sens du troisième est difficile à
établir. Voyons sa genèse et tâchons de lui donner un sens.

3. Les premières propositions relatives à une redéfinition du concept


des îles en droit international remontent au temps du Comité des fonds
marins (82). Les efforts de cet organe se sont cristallisés autour de deux
idées-force : pour les uns la summa divisio à la fin d'une distinction juridique
entre diverses catégories d'îles doit être la superficie de celles-ci; pour les
autres, une pluralité de facteurs doivent entrer en ligne de compte, facteurs
que l'on peut qualifier de nébuleuse équitable. On trouve reproduite cette
même fracture qui devait partager les tenants de l'équidistance et ceux des
principes équitables dans le contexte de la délimitation maritime (83).
Malte se situait dans la première catégorie. Dans un avant-projet
d'articles, cet Etat avait défini une île comme étant «une étendue naturelle de
terre, d'une superficie supérieure à un kilomètre carré» (84). Cette proposi-

(79) Déclaration de la Roumanie, 39e séance (Caracas) : « ...Complexity of the problem for
which generalized solutions along the lines of those adopted at the 1958 Geneva Conference would
no longer be adequate » (Documents officiels (op. cit., note 76), p. 281, No. 29 m fine). Aussi :
Tunisie (ibid.., p. 288, paragraphe 25), etc. C. Symmons, The Maritime Zones of Islands in
International Law, La Haye, 1979, p. 12.
(80) Canada, Nouvelle Zélande, Madagascar, Trinité et Tobago, France, Chypre, Fiji,
Jamaïque, Tonga, Grèce, Venezuela, Samoa Occidental (Documents officiels (op. cit., note 76), p. 278 ss.).
(81) Roumanie, Turquie, Singapour, Royaume-Uni, Algérie, Mexique et une série de pays
africains (Guinée, Côte-d'Ivoire, Libéria, Mali, Mauritanie, etc.), ibid., p. 278 ss. et, pour les pays
africains, Doc. A/CONF.62/C.2/L.62/Rev.l.
(82) Comité dont les débuts remontent à 1967 (Résolution 2340 (XXII) du 18 décembre 1967),
voir Dupuy/Vignes (op. cit., note 13), p. 123 ss. ; A. De Marffy, La genèse du nouveau droit de la
mer, le Comité des fonds marins, Paris, 1980; J.R. Stevenson/B. Oxman, «The Preparations for
the Law of the Sea Conference », A.J.I. L., vol. 68, 1974, p. 1 ss.
(83) S.P. Jagota, Maritime Boundary, Dordrecht/Boston, 1985, p. 219 ss. ; Caflisch, in : R-J.
Dupuy/D. Vignes (op. cit., note 13), p. 418 s.
(84) Doc. A/AC. 138/SC II, L. 28 du 17 juillet 1973 (Avant-projet d'articles relatif à la
délimitation de la juridiction de l'Etat riverain sur l'espace marin et aux droits et obligations des
Etats riverains dans la zone soumise à leur juridiction : Titre I, Juridiction de l'Etat riverain sur
l'espace marin, Définitions, article 1). La Roumanie devait proposer une approche similaire à
l'ouverture de la Session de Caracas, voir Doc. A/CONF. 62/C.2/L.53. (Documents officiels (op. cit.,
note 76), vol. III, p. 264). Déjà avant (voir Documents officiels de l'Assemblée générale, 11e session,
Suppl. 9, A/3159, Doc. A/AC 138/53), Malte avait proposé un projet de traité sur l'espace marin
dans lequel l'idée qu'un Etat peut « transférer l'administration de récifs, bancs de sable, ou îles
ayant moins de 10 000 habitants permanents à des institutions internationales », en une espèce
de nouvelle tutelle internationale, était lancée (voir Titre V, article 90). On se souvient que Malte,
par les interventions de son Ambassadeur A. Pardo à l'Assemblée générale, était à la pointe de
la diplomatie à ce sujet et souhaitait une internationalisation poussée.
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 889

tion était parallèle aux efforts de classification du Bureau Hydrographique


International (85) et de l'expert Hodgson, qui s'en tenait aux définitions
suivantes : « 1. Rocks : less than 0,001 square mile in area ; 2. Islets : between
0,001 and 1 square mile; 3. Isles : between 1 and 1000 square miles;
4. Islands : larger than 1000 square miles » (86). Ces critères rigidement
numériques n'ont d'atout que leur précision. Ils sont passablement
arbitraires, comme le démontrent les différences d'un expert à l'autre, et n'ont
pas été retenus par la Conférence qui allait suivre (87).
Parmi les partisans de la seconde thèse se situent d'abord une série de
pays africains. Suivant en cela une déclaration de l'OUA (soumise au Comité
en 1973), (88) ils faisaient appel, pour déterminer l'espace maritime des îles,
à des «principes équitables», à savoir la superficie, la population ou absence
de population, la proximité du territoire principal, la structure géologique
et géomorphologique, etc. (89). Cette doctrine comprend une variante plus
précise, qui préfigure le texte de l'article que nous analyserons : la Roumanie
proposait que soient exclus du régime international des îles «les îlots et les
petites îles, inhabités, sans vie économique, situés sur le plateau continental
des côtes, [qui] n'ont pas en propre de plateau ou autre espace marin de la
même nature». (90) Enfin il y avait évidemment ceux qui étaient hostiles à
toute redéfinition (91).
Comme la Conférence n'a pas voulu s'enfermer dans la voie formaliste,
c'est du côté de la nébuleuse équitable qu'on s'est orienté.

4. Lors de la Session de Caracas en 1974,(92) l'affrontement principal


fut celui entre les Etats désirant une révision du statut des îles dans le
sens d'un régime différentiel, et les Etats voulant en rester à un régime de
stricte égalité (93). Ainsi la question était celle d'un régime unique ou de
régimes multiples. Ceux qui s'opposaient à toute distinction faisaient valoir
que la souveraineté sur les espaces étatiques était partout la même (94), ou
qu'il serait particulièrement inéquitable de priver de petits îlots «qui n'ont
pratiquement pas de ressources terrestres [et qui] ont plus que tout autre
territoire besoin d'avoir une zone économique » (95) de la possibilité d'exploi-

(85) R.D. Hodgson/R.W. Smith, « The Informai Single Negotiating Text (Committee II) : A.
Geographical Perspective », O.D.I.L., vol. 3, 1976, p. 230.
(86) R.D. Hodgson, « Islands : Normal and Special Circumstances », in : J.K. Gamble/G.
Pontecorvo, Law of the Sea ; Emerging Regime of the Oceans, Cambrigde/Massachussets, 1974, p.
150 s. Pour les « rochers », vu leur exiguïté, il tire les conséquences suivantes : « due to their
small size [they] would be unfit for human habitation. The value of rocks, as a result, would be
negligible or non-existent. They might [...] be used as sites for navigational lights, but this form
of occupation is both artificial and transitory, depending entirely on external support for its
continuance» (ibid., p. 151).
(87) Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10), p. 155 ss.
(88) Documents officiels (op. cit., note 76), vol. Ill, p. 63.
(89) Doc. A/AC. 138/SC 11/ L.40 et Corr. 1, 2 et 3 du 16 juillet 1973 (Algérie, Cameroun,
Côte d'Ivoire, Ghana, Kenya, Libéria, Madagascar et autres), article XII. Doc. A/AC. 138/ SC II/L.
43 (Cameroun, Kenya, Madagascar, Tunisie et Turquie).
(90) Doc. A/AC. 138/ SC. II./L.53. Le texte anglais parle de «uninhabited and without
economic life », alors que l'article 121, paragraphe 3, utilise la formule alternative.
(91) Bureau des affaires maritimes... (op. cit., note 28), p. 12.
(92) J.R. Stevenson/B. Oxman, « The Third United Nations Conference on the Law of the
Sea : The 1974 Caracas Session», A.J.I.L., vol. 69, 1975, p. 1 ss. La question des îles fut traitée
comme « item 19 ; Régime des îles ».
(93) Malgré cela quelques tentatives de maintenir une définition se rapportant à la superficie
furent maintenues, voir note 84 in fine (Roumanie).
(94) Trinité et Tobago, Documents officiels (op. cit., note 76), vol I, 23e séance, par. 4.
(95) Déclaration de la Micronésie, Documents officiels (op. cit., note 76), vol. III, p. 96, Doc.
A/CONF. 62/L.6.
890 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

ter les ressources maritimes situées autour d'elles (96), voire, dans une
curieuse façon de concevoir le processus conventionnel, qu'une telle
distinction ne serait pas conforme à l'article 10 de la Convention de Genève de
1958 précitée (97).
Ceux qui désiraient une distinction, en revanche, insistaient sur la
« grande diversité » (98) entre les îles et le danger qu'« une petite île pas plus
grosse qu'une tête d'épingle (...) pourrait annexer une grande partie de
l'Atlantique » (99). Pour les uns et les autres s'y ajoutaient des intérêts
particuliers (100). Dans le cadre de la thèse favorable à une pluralité de
régimes, on peut retenir trois propositions intéressant notre question.
Une proposition de la Roumanie commence par faire remarquer que,
dans le cadre des opérations de délimitation, les îlots inhabités ne méritent
pas la même considération que les îles (101). Par la suite, cette proposition
prend la forme d'un Projet d'articles sur la définition et le régime applicable
aux îlots et îles analogues aux îlots (102). Pour la délégation roumaine, «la
pratique des Etats, la jurisprudence et la doctrine du droit international
reconnaissent la nécessité de faire une nette distinction entre les îlots et
rochers d'une part et les îles proprement dites d'autre part. L'établissement
d'un régime unique (...) conduirait à des solutions inéquitables» (103). Quant
au critère matériel de distinction, c'est la «viabilité socio-économique» (en
anglais : «economic and social viability») qui est retenue (104). Ceci est d'une
importance non négligeable, car l'habitabilité et la vie économique sont
considérées comme formant un tout, un unum et non distinctum (105).
La Turquie s'est ralliée à ces vues. L'article 3, paragraphe 3, de son
Projet d'articles sur le régime des îles (106) dispose que «les îles sans vie
économique situées en dehors de la mer territoriale d'un Etat n'ont pas
d'espace marin propre », et le paragraphe 4 du même article ajoute : « Les
rochers et les hauts-fonds découvrants n'ont pas d'espace marin propre ». Les

(96) Dans le même sens : Fidji (ibid., vol. II, 39e séance, par 48 ss., p. 283) et Royaume-Uni
(ibid., vol. IL, 40e séance, par. 36, p. 288).
(97) Fidji, ibid., vol. II, 39e séance, par. 48 ss., p. 283 (sur l'habitabilité).
(98) Royaume-Uni, ibid., vol. II, 40e séance, par. 34, p. 288.
(99) Colombie, ibid., vol. II,
(37e séance, par. 11),
(39e 72), Danemark
etc. (39e39e
séance,
séance,
par.par.
5), Madagascar
17, p. 280. (22e
Dansséance,
le même
par. sens
51), Singapour
: Tunisie,
(100) Par exemple pour la Turquie les îles grecques et pour la Roumanie les îles du Serpent
situées à l'embouchure du Danube et qui appartenaient à l'URSS : Dipla, (op. cit., note 20), p.
38 ss.
(101) Documents officiels (op. cit., note 76) vol. L, 32e séance, paragraphe 13. Cela aboutit
au projet d'articles sur la délimitation dont l'article 2 ignore les îlots et les îles analogues aux
îlots - définis au Doc. A/CONF. 62 /C.2./L.53, Documents officiels, loc. cit., vol. III, p. 264 comme
étant « une élévation naturelle de terrain (...) d'une superficie supérieure à un kilomètre carré
mais inférieure à.. .kilomètres carrés, qui n'est pas ou ne peut pas être habité (de façon permanente)
ou qui n'a pas ou ne peut pas avoir sa propre vie économique » - aux fins de la délimitation.
(102) Doc. A/CONF. 62 / C.2/ L. 53 précité (op. cit., note 101). Sur la définition des deux
notions : (op. cit., note 101).
(103) Documents officiels (op. cit., note 76), vol. II, 39e séance, par. 30, p. 281.
(104) Ibid., paragraphe 31. S'y sont opposés formellement l'Italie : «inacceptable» (ibid., vol.
II, 25e séance, par. 15) et Trinité et Tobago: «tout à fait arbitraire» (ibid., vol. H, 39e séance,
par. 46).
(105) Dans le même sens : Symmons, (op. cit., note 79), p. 48., et déjà l'article 2 (3) du Projet
d'articles de la Roumanie sur la délimitation (op. cit., note 101) qui, dans la version anglaise,
plus claire, parle de « small size » d'un côté et de « uninhabited and without economic life », de
l'autre, comme deux aspects décrivant une même réalité et non une alternative ayant trait à deux
situations différentes.
(106) Doc. A/ CONF. 62/ C.2 / L. 55 (Documents officiels (op. cit., note 76), vol. III, p. 266).
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 891

commentaires précisent que s'il n'est pas simple de trouver des critères de
distinction, « il ne faut pas perdre de vue qu'il existe des îles n'ayant aucune
forme de vie économique, ni aucune forme de société («without any form of
economic or social life»). A ce propos (...) des droits à la navigation et
l'existence d'installations militaires ou de police ne suffisent pas à justifier
l'établissement d'une zone économique» (107). Notons deux choses : ici aussi
l'élément économique et l'élément social ne sont pas dissociés mais tributaires
d'une descriptio rei commune; ensuite, de simples installations de gestion
publique isolées ne suffisent pas à justifier une vie économique et sociale.
Enfin il y eut la proposition de quatorze pays africains, prolongement
naturel si l'on ose dire des positions que ces pays avaient défendues au
Comité des fonds marins, et ayant trait elle aussi au régime des îles en
général (108). Elle définit île, îlot et rocher («élévation rocheuse naturelle de
terrain qui est entourée par la mer et découverte à marée haute») à son
article premier et à son article 2, paragraphe 4, et dénie à un Etat la
juridiction « sur l'espace marin » en raison de sa souveraineté sur un îlot ou
rocher. Ne sont réservées que les zones de sécurité (109). Il s'agit là de la
première apparition officielle du terme «rocher», défini d'ailleurs un peu
malencontreusement, car partiellement per idem ; il apparaît qu'à ce stade,
un caractère particulier du sol («rocheux») était requis.
C'est de la jonction des propositions roumano-turques et africaines que
naîtra l'article 121, paragraphe 3. L'accent sera mis sur les éléments socio-
économiques, car de la proposition africaine seul le terme «rocher» sera
repris. L'on verra par la suite si la nécessité d'un caractère géologique
particulier du sol s'est maintenue.

5. A la fin de la session de Caracas, un document («Main Trends») a


été préparé qui a retenu les trois formules débattues (110). Une majorité de
délégations s'est exprimée dans le sens d'un régime différencié (111).
A la suite d'intenses consultations officieuses ayant réduit l'éventail des
variantes à envisager, la Conférence a décidé de prier les Présidents de ses
trois grandes Commissions d'élaborer un texte unique de négociation
(officieux) (TUN) sur les questions ayant été attribuées à leur Commission (112).
Pour les îles, l'article 132 du TUN contenait déjà la formule de l'actuel
article 121(113), qui devait rester inchangée à travers toutes les révisions :
le Texte unique de négociation révisé (1976) (114), le Texte de négociation

(107) Documents officiels (op. cit., note 76), vol. II, 39e séance, par. 63, p. 284.
(108) Doc. A/CONF.62/C.2/L.62/Rev. 1.
(109) Article 2, paragraphe 5.
(110) Doc. A/CONF. 62/C.2/L.53. Formule A (Solution de la Convention de Genève 1958);
Formule B (pays africains) ; Formule C (Roumanie). Par la suite, le Bureau de la Commission
s'est attaché à établir une série de documents de travail officieux pour exprimer dans des formules
généralement acceptables les principales tendances qui s'étaient dégagées lors des observations
et des commentaires formulés au sein de la Commission. Ces documents furent ensuite regroupés
en un Document de travail unique (A/CONF. 62/C.2/WP 1). Dans sa disposition 239, Formule C,
paragraphe 2, ce dernier retient les proposition roumaines, dans sa disposition 242, Formule B,
paragraphe 6 il retient celles des pays africains.
(111) Voir, synoptiquement, Bureau des affaires maritimes... (op. cit., note 28), p. 21 ss.
(112) Documents officiels (op. cit., note 76), vol. IV, p. 20 ss. (55e séance, 18 avril 1975).
(113) Doc. A/CONF. 62/WP.8. Voir Dupuy/Vignes (op. cit., note 13), p. 163 ss.
(114) Doc. A/CONF.62/WP.8/Rev. 1; Dupuy/Vignes (op. cit., note 13), p. 179 ss. B. Oxman,
AJ.I.L, vol. 71, 1977, p. 247 ss.
892 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

composite officieux (1977) (115) et sa révision de 1979(116), et le Projet de


Convention de 1980(117). Aucune discussion quant au fond ne devait plus
avoir lieu, bien que le Président de la Conférence, Amerasinghe, observât
que le régime des îles «had not yet received adequate consideration and
should form the subject of further negotiation...» (118). On voit donc qu'on
ne considérait pas le texte de l'article 121 comme juridiquement satisfaisant
ou achevé. Mais il y a plus en ce qui concerne le paragraphe 3 de l'article
121. A deux reprises, il a en effet été proposé de le supprimer.
Lors de la septième session (Genève et New York, 1978), le Japon a
suggéré pour la première fois la suppression du paragraphe 3 de l'art.
121(119). Cette proposition a été justifiée surtout par le fait que l'article
121, paragraphe 3, n'a pour le Japon aucune base dans la pratique des
Etats (120). Si quelques Etats s'y sont opposés, soit sans donner de
raisons (121), soit en les donnant(122), beaucoup de pays s'y sont ralliés. C'était
le cas de la Grèce (123), de la France (124), du Venezuela (125) et du Royaume-
Uni (126). Il est particulièrement intéressant que la Dominique (s'exprimant
lors de la neuvième session, New- York/Genève 1980), favorable au maintien
de l'article 121 tel quel, ait déclaré que pour l'interprétation de ce texte
l'accent devra être mis sur le terme « propre » et surtout qu'elle lit le « ou/or »
comme devant signifier «ni/and» (127). Cette union entre les deux éléments

(115) Doc. A/CONF.62/WP.10 ; Dupuy/Vignes (op. cit., note 13), p. 187 ss. ; B. Oxman, A.J.I.L.,
vol. 72, 1978, p. 57 ss.
(116) Doc. A/CONF. 62/WP 10/ Rev. 1 ; Dupuy/Vignes, (op. cit., note 13), p. 199 ss. B. Oxman,
A.J.I.L., vol. 74, 1980, p. 1 ss.
(117) Doc. A/CONF. 62/WP. 10/Rev. 3 ; Dupuy/Vignes (op. cit., note 13), p. 201 ss. ; B. Oxman,
A.J.I.L., vol. 76, 1982, p. 1 ss.
(118) Doc. A/CONF. 62/WP. 10/ Rev. 1 (1979), p. 19.
(119) Bureau des affaires maritimes... (op. cit., note 28), p. 82.
(120) Documents officiels (op. cit., note 76), vol. K, 103e séance, paragraphe 84, p. 72.
(121) L'Irlande, Documents officiels, vol. IX, 105e séance, par. 60, p. 86, estimant qu'il faut
encore réserver du temps à l'examen de l'article 121 (paragraphe 59).
(122) La Dominique, Documents officiels, vol. XIV, 140e séance, paragraphe 29, p. 88 :
«[l'article 121 paragraphe 3] est tout à fait clair et acceptable...», et le supprimer créerait un
précédent fâcheux de zones économiques exclusives excessives.
(123) Documents officiels, vol. IX, 103e séance, paragraphe 49, p. 69 : « critères arbitraires ».
(124) Documents officiels, vol. IX, 105e séance, paragraphe 34, p. 84 : «appuie sans réserve
la proposition japonaise ».
(125) Documents officiels, vol. XIV, 135e séance, paragraphe 18, p. 23 : «... graves objections
à l'encontre de la disposition contenue au paragraphe 3 de l'article 121, qui prévoit une exception
à la règle générale établie au paragraphe 2 dudit article. En conservant pareille formule, on
instituerait une discrimination entre les différentes parties — continentales et insulaires - du
territoire d'un Etat. De plus, cette norme exceptionnelle soulève de graves difficultés
d'interprétation. Le terme 'rochers' ne fait partie ni du vocabulaire juridique ni du vocabulaire scientifique
et pourrait viser toute formation insulaire. En outre, les deux critères qui détermineraient ce
traitement d'exception sont équivoques et très relatifs. Pour des raisons diverses, mais le plus
souvent économiques, des îles autrefois inhabitées le sont maintenant, et vice versa. Si cette
disposition devait être maintenue dans le texte final, la délégation vénézuélienne l'interpréterait
comme signifiant que l'aptitude d'une île à l'habitation humaine désigne non seulement la
possibilité abstraite d'habitation, mais encore la réalité concrète - le territoire continental ou
insulaire d'un Etat pouvant être aménagé pour répondre aux intérêts de l'Etat en question. De
même, le Venezuela considère que, par 'vie économique propre', il ne faut pas entendre l'autarcie
complète, mais l'existence de ressources naturelles pouvant être exploitées économiquement ou la
possibilité d'autres utilisations. Dans ces conditions, la suppression pure et simple du paragraphe
3 de l'article 121 au moment de la troisième révision serait, de l'avis de la délégation vénézuélienne,
la seule façon de résoudre ces problèmes et d'éviter les litiges. » Voir aussi : Documents officiels,
vol. XVI, 158e séance, paragraphes 14 s., p. 15 : «impossibilité d'établir des critères satisfaisants».
(126) Documents officiels, vol. XIV, 137e séance, paragraphe 86, p. 55 : « distinction
arbitraire ».
(127) Voir note 122.
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 893

dissociés dans le texte actuel ressort tout au long de la Conférence.


Cependant, face à la proposition japonaise, le Président de la Deuxième
Commission, Aguilar, a déclaré qu'il n'a pas été possible d'examiner comme il
convenait les diverses propositions, car c'est «à peine si le temps nous a
permis de les entendre» (128).
Ensuite, vers la fin de la onzième session (1982), le Royaume-Uni a
suggéré à nouveau la suppression du paragraphe 3(129). Se sont exprimés
pour : la Grèce (130), le Japon (131), le Brésil (132), le Portugal (133),
l'Equateur (134), l'Iran (135), la Zambie (136) et l'Australie (137). Une majorité
d'Etats s'est cependant opposé à cette suppression (138). Ce qui est
remarquable, c'est qu'un grand nombre de ces pays aient expressément déclaré
s'opposer à l'amendement britannique non pas pour des raisons de fond,
mais pour ne pas mettre en danger l'équilibre global délicat réalisé au cours
des négociations (139). En réalité, il n'y a que peu d'Etats qui ont souscrit
au contenu du paragraphe 3(140). C'est pour préserver le «package deal»
que l'amendement du Royaume-Uni a finalement été retiré sans être mis au
vote, ceci à l'instance du Président de la Conférence (141).
6. Reste à noter que, dans sa déclaration du 9 décembre 1982, faite à
l'occasion de la signature de la Convention à Montego Bay (Jamaïque), le
représentant de la Colombie, favorable au maintien du paragraphe 3, a dit :
«It is a package which results from the view that these maritime spaces
have been granted to benefit the inhabitants, with an economic concept. Any

(128) Doc. A/CONF. 62/RCNG/l (Rapport à la Plénière), par. Il, voir Documents officiels
(op. cit., note 76), vol. X, p. 97.
(129) Doc. A/CONF. 62 /L. 126, Documents officiels, vol. XVI, p. 248.
(130) Documents officiels, vol. XVI, 168e séance, paragraphe 41, p. 98.
(131) Ibid., 169e séance, paragraphe 43, p. 104 s : «éliminer le caractère illogique du texte».
(132) Ibid., 170e séance, paragraphe 49, p. 113 : «la proposition roumaine n'est pas claire».
(133) Ibid., 171e séance, paragraphe 99, p. 122 (indivisibilité de la souveraineté territoriale).
(134) Ibid, 172e séance, paragraphe 54, p. 128 (clarifier et préciser le texte).
(135) Ibid., 172e séance, paragraphe 38, p. 127 : «toute action visant à établir des distinctions
juridiques entre les îles [telles que proposées] ne peut qu'être source de difficultés ultérieures».
(136) Ibid., 173e séance, paragraphe 65, p. 135 («amélioration»).
(137) Lettre du 22 avril 1982 adressée au Président de la Conférence, Doc. A/CONF. 62/L.
135.
(138) Roumanie, (Doc. off., vol. XVI, 169e séance, paragraphe 52 s., p. 105); République
démocratique allemande (ibid., 170e séance, paragraphes 6 ss., p. 109) ; URSS (ibid., 170e séance,
paragraphe 27, p. 111) ; Algérie (ibid., 170e séance, paragraphe 56, p. 113) ; République de Corée
(ibid., 171e séance, paragraphe 4, p. 115); Trinité et Tobago : «il n'est absolument pas souhaitable
que la possession d'un récif désert situé en plein océan donne le droit d'établir une zone économique
exclusive...» (ibid., 171e séance, paragraphe 31, p. 118); Danemark : «Sans cette disposition, des
îlots constitués par des rochers arides, considérés jusque là comme de simples obstacles à la
navigation,
171e deviendraient du jour au lendemain la clef magique de vastes zones maritimes » (ibid.,
séance, paragraphe 8, p. 116) ; Tunisie (ibid., 171e séance, paragraphe 38, p. 118) ; Colombie
(ibid., 172e séance, paragraphe 29, p. 126) ; Uruguay (ibid., 172e séance, paragraphe 46, p. 127) ;
Mongolie (ibid., 173e séance, paragraphe 17, p. 131) ; République socialiste soviétique de
Biélorussie, (ibid., 173e séance, par. 27, p. 132); Pakistan (ibid., 173e séance, paragraphe 61, p. 135);
Déclaration de la Turquie (Doc. A/CONF. 62/WS/20, ibid., p. 274) et de la Colombie (Doc.
A/CONF.62/WS/21, ibid., p. 275).
(139) Par exemple la République démocratique allemande («dangereux de remettre en
question les solutions de compromis négociées à grand-peine...»); URSS; République de Corée;
Colombie (« équilibre exceptionnel et délicat ») ; Uruguay ; République socialiste et soviétique de
Biélorussie, loc. cit., (op. cit., note 138).
(140) Par exemple, la Roumanie, Trinité et Tobago, le Danemark et la Turquie, loc. cit.
(op. cit., note 138).
(141) Dipla (op. cit., note 20), p. 41.
894 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

other interpretation would distort the concept» (142). Cela démontre que
jusqu'à la fin, le paragraphe 3 a été vu comme poursuivant une finalité
précise : préserver la zone des libertés maritimes ou du patrimoine commun,
n'y faire exception que dans l'intérêt des populations locales (mais n'habitant
pas nécessairement l'îlot même). Telle est l'idée normative qui sous-tend
toute l'histoire «législative» d'une disposition qui, déjà, prenait des allures
de boîte de Pandore.
Ce sont donc le manque de temps de la Conférence et la nécessité d'un
«package deal», plutôt que des motifs de substance, qui ont permis à l'article
121, paragraphe 3, de survivre dans sa forme actuelle.

III. - L'ÉLÉMENT EMPIRIQUE : LA PRATIQUE DES ÉTATS

1. Nous retiendrons la pratique effectivement suivie en tant qu'elle peut


éclairer sur le sens à attribuer à l'article 121, paragraphe 3. Par la même
occasion, nous prendrons position sur son caractère coutumier ou non. Avec
toutes les précautions que nécessite l'analyse du saut qualitatif d'un « être »
vers le «devoir être» (c'est-à-dire du constat d'existence régulière à la
qualification axiologique d'obligation), il est admis que la pratique suivie, soit
en application d'un traité (143), soit dans le sens d'une désuétude de celui-ci,
interagit avec les normes conventionnelles.
2. La question généralement posée en doctrine est celle de savoir si
l'article 121, paragraphe 3, s'est transformé de disposition conventionnelle
en norme coutumière.
a) Parfois, avant d'en venir à l'effectivité empirique, on doute de la
capacité de l'article 121, paragraphe 3, de générer une coutume; on lui dénie
alors le caractère fondamentalement normatif qu'une règle conventionnelle
devrait posséder pour se prêter à devenir coutumière (144).
On se souvient que la Cour internationale de Justice a dénié «un
caractère fondamentalement normatif [pouvant] constituer la base d'une règle
générale de droit» (144a) au principe d'équidistance retenu à l'article 6 de
la Convention de Genève de 1958 sur le plateau continental. Pour la Cour,
le fait que l'article 6 se réfère en premier lieu à l'accord entre les parties
concernées, ensuite le rôle que joue l'exception des « circonstances spéciales »
par rapport au principe d'équidistance et, finalement, la faculté d'apporter
des réserves à l'article 6 privent l'équidistance de la normativité générale
qui est à la base du droit coutumier (144b).

(142) Documents officiels (op. cit., note 76), vol. XVII, 189e séance, paragraphe 251. Dans le
même sens la déclaration interprétative de la Roumanie, principal auteur de l'article 121,
paragraphe 3, qui parle de « uninhabited islands and without economic life » comme d'un concept
unique (Law of the Sea Bulletin, septembre 1983, no. 1, p. 24 s.).
(143) Article 31, paragraphe 3, lettre b, de la Convention de Vienne sur le droit des traités
de 1969. Pour la jurisprudence voir l'affaire de l'Indemnité russe (R.S.A., vol. XI, p. 453) :
«l'exécution des engagements est (...) le plus sûr commentaire du sens de ces engagements», et
C.I.J. Détroit de Corfou, Rec. 1949, p. 25. Le principe était connu en droit romain sous l'adage
«optima legum interpres est consuetudo» (Digeste, lib. I., tit HI, 37). Tant que la Convention de
Montego Bay n'était pas en vigueur, il était plus correct de parler d'une « coutume antérieure »
à l'entrée en vigueur, mais postérieure à la signature (situation qui se multiplie lors de traités
codificatifs modernes dont l'entrée en vigueur est largement différée) qui, quel que soit son statut,
ne pourra manquer d'influencer l'interprétation de l'article 121, paragraphe 3.
(144) C.I.J., affaires du Plateau continental de la Mer du Nord, Rec. 1969, p. 42. Dans ce
sens, sans y donner une adhésion totale, Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10), p. 180.
(144a) C.I.J., Rec. 1969, p. 42.
(144b) Ibid.
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 895

Contrairement à une interprétation fréquente (145), nous ne pensons pas


que le « caractère fondamentalement normatif» d'une règle soit une condition
indépendante et rigoureuse pour que celle-ci puisse être transformée en
norme coutumière(146). Il s'agit à notre avis plutôt d'un facteur à prendre
en compte lors de l'interprétation, puisqu'il est raisonnable de présumer
qu'une norme trop particulière ou limitée n'est pas reçue sur le plan coutu-
mier. Rien n'empêche pourtant à priori que même un délai chiffré de
prescription libératoire conventionnellement arrêté devienne coutumier si une
majorité d'Etats l'estiment utile et s'y rangent (147). En d'autres termes, le
procédé de la Cour relève quelque peu d'une inversion logique : ce n'est pas
parce qu'une norme est «fondamentalement normative» qu'elle deviendra
coutumière; au contraire, c'est parce qu'elle sera devenue coutumière qu'on
pourra, ex post facto, la déclarer «fondamentalement normative».
Quoi qu'il en soit, même si l'article 121, paragraphe 3, manque de
précision, cela ne veut pas dire qu'il ne puisse pas devenir coutumier - pour
combien de notions générales ne discute-t-on pas leur prétendue réception
sur le plan de la coutume? (148) Premièrement, il serait concevable que l'idée
générale à savoir la discrimination entre diverses îles, le devienne.
Deuxièmement la transformation en coutume pourrait (et devrait) s'accompagner
d'une concrétisation de sa substance normative par le biais d'actes
d'application concrets. Ce serait donc cette norme, telle que concrètement appliquée
et modelée qui deviendrait coutumière. Strictement parlant, il y aurait, bien
sûr, une modification de la norme. Mais on sait bien - les études de la
science herméneutique moderne l'ont suffisament démontré — qu'il n'y a pas
acte d'application d'une règle sans appports de création normative (149).
Appliquer une norme n'est pas un acte seulement reproductif; c'est
nécessairement aussi un acte de création juridique. Aussi, la différence entre
application et modification n'est que graduelle ; ceci est d'ailleurs trop connu
pour qu'il soit besoin d'y insister. Nous concluons donc que l'article 121,
paragraphe 3, est capable de devenir coutumier.

(145) Elle se borne en règle générale à répéter le dictum de la Cour, voir par exemple D.P.
O'Connell, International Law, 2e éd., vol. I, Londres 1970, p. 24. Il s'agit d'une question d'espèce
et ce qui compte, c'est le résultat du processus et non la nature de la règle en question ; l'erreur
semble résider dans le divorce entre les termes « règle » et « généralisable », car toute règle pour
être telle couvre plus d'une situation et est donc ex defmitione plus ou moins généralisable (voir
pour une telle erreur A. D'Amato, The Concept of Custom in International Law, Londres, 1971,
p. 105). Dans notre sens : R. Baxter, «Treaties and Custom», R.C.A.D.I., vol. 129, 1970-1, p. 62
s. ; K. Marek, « Le problème des sources du droit international dans l'arrêt sur le plateau
continental de la mer du Nord», R.B.D.I., vol. 6, 1970, p. 58; M. Akehurst, «Custom as a Source
of International Law», B.Y.B.I.L., vol. 47, 1974/5, p. 50.
(146) Qu'on note que la définition d'une «norme» est déjà d'avoir une certaine généralité,
par opposition à une décision ou un règlement individuel. Marek (op. cit., note 145), p. 58.
(147) On ne saurait, bien entendu, prétendre que si une norme peut devenir coutumière,
elle est ipso facto fondamentalement normative. Ce serait pour le moins renoncer complètement
au critère discuté, en tant que condition limitative, et s'en remettre au résultat.
(148) En droit de la mer, par exemple, le patrimoine commun de l'humanité. Voir pour deux
opinions opposées sur l'exploitation des fonds marins : G. Jaenicke, « The Legal Status of the
International Seabed », Mélanges Mosler, Berlin, 1983, p. 429 ss. (en faveur de la liberté
d'exploitation) ; F. Orrego Vicuna, « Les législations nationales pour l'exploitation des fonds des mers et
leur incompatibilité avec le droit international », A.F.D.I., vol. 24, 1978, p. 810 ss. (contre la liberté
d'exploitation).
(149) Voir K. Larenz, Methodenlehre der Rechtswissenschaft, 2e éd., Berlin/New York, 1969,
p. 229, 471 ; K. Engisch, Logische Studien zur Gesetzesanwendung, 3e éd., 1963, Heidelberg, p. 15
ss. éd.,
4e Kaufmann/W.
Heidelberg,Hassemer,
1985, p. 116
Emfuehrung
s., etc. in Rechtsphilosophie und Rechtstheorie der Gegenwart,
896 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

b) En faisant le bilan de la pratique étatique, la majorité de la doctrine


insiste sur le caractère conventionnel de l'article 121, paragraphe 3.
S'expriment dans ce sens Churchill/Lowe(150), Dipla(151), Attard(152), Marin
Lopez (153), Fusillo(154), Van Overbeek(155), Kwiatkowska/Soons(156).
D'autres, tout en exprimant leurs doutes, semblent favoriser la même
réponse, comme par exemple Fleischer (157). D'autres encore, se référant à
la législation mexicaine ou à l'affaire Jan Mayen (158), parlent d'une coutume
in statu nascendi, ce qui équivaut à lui nier le caractère coutumier à l'heure
actuelle; il s'agit de Nelson (159) et de Symmons(160). Enfin, Bowett(161),
invoquant la pratique étatique, pense qu'il s'agit d'une norme déclaratoire
de droit international général ; mais n'étaye pas son affirmation. Cette façon
de voir se trouve confortée, à première vue, par le Rapport de la Commission
de conciliation en l'affaire Jan Mayen, qui était composée de spécialistes du
droit de la mer et qui paraissait attribuer un caractère coutumier à
l'ensemble de l'article 121.
c) La pratique étatique elle-même doit être analysée avec une prudence
particulière. Au niveau législatif, il ne semble exister qu'une seule reprise
directe de l'article 121, paragraphe 3, en droit interne : les lois successives
mexicaines ayant trait à la ZEE et au plateau continental (162). Une série
de législations d'autres pays semblent accorder toutes les zones maritimes

(150) Churchill/Lowe (op. cit., note 15), p. 135 : «little impact on State practice».
(151) Dipla (op. cit., note 20), p. 42, 49, 100 ss. : «résultat d'un compromis conventionnel
difficile ».
(152) D.J. Attaed, The Exclusive Economie Zone in International Law, Oxford, 1987, p. 259 s.
(153) A. Marin Lopez, «El Regimen de las Islas en el actual derecho del mar», Revista
Espanola de Derecho Inter nacional, vol. 38, 1986, p. 156 : « Esta disposition no refleja (...) el
derecho consuetudinario ».
(154) M.S. Fusillo, «The Legal Regime of Uninhabited 'Rocks' Lacking an Economic Life of
Their Own», Italian Yearbook of International Law, vol. 4, 1978/9, p. 57: «[it would be]
venturesome at the present time to state that the general rule placing islands on the same footing as
the mainland in respect of continental shelf and economic zone, has actually been superseded ».
Il est à noter que Mlle Fusillo écrivait son article lors des négociations, il y a une quinzaine
d'années.
(155) W. Van Overbeek, «Article 121 (3) LOSC in Mexican State Practice in the Pacific»,
International Journal of Estuarine and Coastal Law, 1989, p. 265, 267 : «little evidence to suggest
that the text of Article 121 (3) has itself passed into customary international law ».
(156) Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10), p. 174 ss., particulièrement p. 175.
(157) C.A. Fleischer, «The New Régime of Maritime Fisheries », R.C.A.D.I., vol. 209, 1988-11,
p. 148 : « whether or not that exception is also part of general customary law may be open to
doubt ».
(158) Voir infra c.
(159) L.D.M. Nelson, «The Delimitation of Maritime Boundaries in the Caribbean», dans :
D.M. Johnston/P.M. Saunders (éds), Ocean Boundary Making : Regional Issues and Developments,
Londres, 1988, p. 174 s.
(160) Symmons (op. cit., note 79), p. 206 : « strong feelings (...) that insignificant insular
formations should be deprived, essentially for equitable reasons, of the right to generate such
zones [are] already to some extent reflected in State practice... », en se référant à la pratique
mexicaine (p. 125).
(161) D.W. Bowett, «Islands, Rocks, Reefs and Low- Tide Elevations in Maritime Boundary
Delimitations », dans : J.I. Charney/L.M. Alexander (éds), International Maritime Boundaries, vol.
I., Dordrecht/Boston/ Londres, 1993, p. 131, sans donner d'exemples. Il est probable que Bowett,
dans le contexte de son article, pense aux îles proches de côtes principales et intervenant dans
le processus de délimitation des espaces maritimes.
(162) Loi du 4 novembre 1975, article 3, O'Connell (op. cit., note 19), p. 732, note 217; Loi
du 13 février 1976 sur la ZEE, article 3, qui accorde une ZEE aux îles « with the exception of
those islands which cannot maintain human habitation or which do not have an economic life of
their own» (I.L.M., vol. XV, 1976, p. 382). Enfin, Federal Act Relating to the Sea, article 51 (ZEE)
et article 63 : « Islands shall have an EEZ ; however rocks that cannot sustain human habitation
or economic life of their own shall not... » (I.L.M., vol.XXV, 1986, p. 896). Voir Van Overbeek
(pp. cit., note 155), p. 252 ss.
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 897

à toute «île» sans aucune discrimination (163). Certains de ces textes,


pourtant, ne se rapportent qu'au tracé des lignes de base et ne sont en
conséquence pas pertinents (164).
La pratique administrative incite davantage encore à la prudence. Le
Mexique, malgré sa législation précitée, a donné plein effet à une série d'îlots
minuscules qui devraient être qualifiés de rochers au sens de l'article 121,
paragraphe 3(165). D'autres Etats «représentatifs» (166) en droit de la mer
ont entouré de zones économiques exclusives et de plateaux continentaux
des îlots pouvant être caractérisés de rochers (167). En outre, aucun Etat ne
semble avoir renoncé à l'établissement de zones économiques exclusives
autour d'élévations maritimes en raison de l'exception des rochers (168).
Enfin, les revendications quelque peu hardies de quelques Etats ne se voient
pas opposer les protestations d'autres Etats parce que ceux-ci estiment avoir
intérêt à pouvoir à leur tour invoquer les mêmes droits plutôt que de s'y
opposer (169).
d) Arrivé à l'évaluation de tout ce qui précède, il y a lieu de noter ce
qui suit :
(i) L'article 121, paragraphe 3, est une norme qu'on peut qualifier d'«uni-
latéraliste ». Elle limite les prérogatives étatiques sans le jeu de réciprocité
direct que comporte la norme « bilatéraliste » lorsqu'elle établit des droits en
faveur d'un sujet de droit et met les obligations correspondantes à la charge
d'un autre sujet, restant ainsi dans le contexte interétatique classique. Elle
se borne à imposer une obligation d'abstention à l'Etat en faveur d'un intérêt
collectif. Il est clair que, face à l'intérêt concret que représente l'octroi de
zones maritimes de 200 milles, l'intérêt diffus que revêtent la liberté des
mers et le concept du patrimoine commun de l'humanité semblent bien
abstrait. Le fait que la pratique des Etats est largement l'expression d'une
politique d'intérêts, ainsi que l'absence pour l'instant d'un organe
international représentant spécifiquement l'intérêt de la communauté dans le

(163) Birmanie (Territorial Sea and Maritime Zones Law No. 3, 1977), Canada (Fishing Zones
Order, 1976), Cuba (Legislative Decree No. 2 on the EEZ, 1977), Islande (Law 41 on the Territorial
Sea, the EEZ and the Continental Shelf, 1979), Brésil (Decree Law No. 68 459, 1971, voir I.L.M.,
vol. XX, 1971, p. 1226 ss), Nouvelle-Zélande (Territorial Sea and EEZ-Act, 1977), Sri Lanka
(Maritime Zones Law No. 22, 1976, article 2, paragraphe 2 et article 6, paragraphe l, lettre b,
qui revendique explicitement le droit à des zones maritimes pour toute île ou rocher, mais qui
est antérieure à la signature de la Convention, puis Law 31 and Enforcement Order of Law 31
on Provisional Measures Relating to the Fishing Zone, 1977), cités dans Office for the Law of the
Sea, National Legislation on the EEZ (Exclusive economic zone), the EZ (Economic zone) and the
Exclusive Fisheries Zone, UN. Sales No. 85.V. 10, New York, 1986. Voir aussi Attard (op. cit.,
note 152), p. 260 s., notes 423-427.
(164) La Birmanie, le Canada, le Japon et la Nouvelle-Zélande. Sur l'exclusion du contexte
des lignes de base, voir infra, TV) l.a.
(165) Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10), p. 176; Van Overbeek (op. cit., note 155), p. 262
s. ; Van Dyke/Morgan/Gurish, (op. cit., note 9), p. 458 s. Il s'agit par exemple de l'île Clarion ou
Cayo Arenas.
(166) Au sens de l'énoncé de la C.I.J. dans les affaires du Plateau continental de la mer du
Nord, C.I.J., Rec. 1969, p. 42.
(167) Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10), p. 177 s., par exemple Rockall (Royaume-Uni),
Okinotorishima (Japon), certaines îles de Hawaii (Etats-Unis), Clipperton (France), Aves
(Venezuela), Jan Mayen (Norvège), etc.
(168) Ibid., p. 178.
(169) Ibid., p. 179. Le Mexique ne protesta pas contre la proclamation française concernant
Clipperton et les Etats-Unis ne protestèrent pas contre la pratique mexicaine. Il s'agissait là
pourtant d'Etats immédiatement intéressés.
898 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

domaine du droit de la mer, font que la nature de l'article 121, paragraphe


3, rend difficile et improbable sa réception coutumière(170).
(ii) La seule affaire qui a donné lieu à une constatation objective faite
par un tiers et qui a conduit à attribuer force de coutume à l'article 121,
sans distinction apparente entre ses trois paragraphes, est celle de Jan
Mayen(ni). Or, si l'on lit attentivement le texte du Rapport, il en ressort
clairement que la Commission ne pensait qu'aux paragraphes 1 et 2, seuls
applicables en l'espèce (172). Qu'il s'agit là de règles du droit international
général ne fait pas de doute.
Les travaux préparatoires, comme on l'a vu, ne permettent aucunement
d'affirmer que le paragraphe 3 correspond à une règle coutumière, non
seulement parce que «the rock-principle has been continously opposed
through the whole course of UNCLOS III» comme le relèvent Kwiatkows-
ka/Soons(173), mais aussi parce que, parmi les Etats qui ont appuyé ce
principe, nombreux ne l'ont fait que pour éviter de défaire un compromis
difficilement élaboré (174). On ne peut guère imaginer une opinio non juris
plus évidente.
(iii) Pour arriver au cœur du débat, il n'y a guère lieu d'attribuer trop
de poids à une pratique étatique analysée in globo et sans nuances, comme
le font par exemple Kwiatkowska/Soons(175) ou Van Dyke Morgan/Gu-
rish(176), auxquels on peut d'ailleurs renvoyer pour de nombreux détails
supplémentaires. Il faudrait bien plutôt distinguer entre «pratique positive
ou attributive » et « pratique négative ou privative ». La première serait celle
qui attribue des zones maritimes à ce qu'il conviendrait d'appeler des rochers
au sens de l'article 121, paragraphe 3; ici, les Etats concernés pourront
toujours affirmer qu'en fait l'élévation en cause remplit les conditions d'une
île au sens des paragraphes 1 et 2. En cherchant le paradoxe, on pourrait
même aller jusqu'à soutenir qu'il en résulterait, par reconnaissance implicite,
un renforcement de l'exception du paragraphe 3(177). La pratique «priva-

(170) Les Etats s'intéressent d'abord aux droits que leur accorde une convention ou une
coutume plutôt qu'aux devoirs qu'elle leur impose. Un exemple en est la réception de la notion
de juridiction sur 200 milles, extraite du cadre du « package deal » conventionnel, qui a donné
lieu à de longs débats. Voir par exemple B. Oxman, cité par F. Orrego Vicuna, « La zone économique
exclusive : régime et nature juridique dans le droit international», R.C.A.D.I., vol. 199, 1986-IV,
p. 134.
(171) Commission de conciliation, I.L.M., vol. XX, 1981, p. 803 s.
(172) « In the opinion of the Conciliation Commission this article [121] reflects the present
status of international law (...) it follows from the brief description of Jan Mayen, (...) that Jan
Mayen must be considered as an island. Paragraph 1 and 2 of article 121 are thus applicable to
it». Si Churchill/Lowe (op. cit., note 15), p. 127 semblent considérer que le paragraphe 3 était
couvert par l'affirmation générale de la première phrase, R.R. Churchill, « Maritime Delimitation
in the Jan Mayen Area», Marine Policy, vol. 9, 1985, p. 132 ss., affirme avec raison que la validité
du dictum ne s'étend qu'aux paragraphes 1 et 2. On voit bien le constat simple de la Commission
dans le contexte des paragraphes 1 et 2 qui ne prêtent à aucune controverse ; on le voit très mal
pour le paragraphe 3 considéré généralement comme nouveau (voir par exemple Bureau des affaires
maritimes... (op. cit., note 28), p. 2, «innovation importante»), et fortement discuté. On ne peut
présumer que cela ait échappé à d'éminents spécialistes du droit de la mer.
(173) Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10), p. 176.
(174) Voir supra, II 5.
(175) Ibid., note 10, p. 174 ss.
(176) Van Dyke, Morgan, Gurish, op. cit., note 9, p. 444 ss.
(177) Dans un raisonnement analogue à celui tenu par la C.I.J. dans l'affaire relative aux
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Rec. 1986, p. 98 : « Si un Etat
agit d'une manière apparemment inconciliable avec une règle reconnue, mais défend sa conduite
en invoquant des exceptions ou justifications contenues dans la règle elle-même, il en résulte une
confirmation plutôt qu'un affaiblissement de la règle, et cela que l'attitude de cet Etat puisse ou
non se justifier en fait sur cette base ».
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 899

tive», qui aurait une valeur supérieure, serait celle qui consisterait en des
refus d'attribuer des espaces maritimes à des îlots sur la base de l'article
121, paragraphe 3, ou d'une législation nationale fondée sur cette exception.
Mis à part le Mexique - qui l'a fait, mais seulement pour une partie de ses
îlots - aucun Etat ne semble avoir ainsi agi. Ainsi, à défaut de pratique
suffisante, il ne peut être question d'attribuer force coutumière à l'article
121, paragraphe 3.

3. En conclusion, on retiendra donc que de la pratique des Etats tend


à interpréter très restrictivement l'exception du paragraphe 3. Comment
pourrait-on y voir une surprise?

IV. - LA BOÎTE DE PANDORE : L'INTERPRÉTATION DE L'ARTICLE 121,


PARAGRAPHE 3

1. Avant de libérer, mot pour mot, les calamités de leur légendaire jarre,
il convient de préciser le cadre de l'analyse sur deux points :
a) En premier lieu, il faut en exclure la question de l'utilisation des
rochers situés en deçà des limites de la mer territoriale pour tracer des
lignes de base. Il s'agit de deux questions juridiquement bien séparées (178) :
d'un côté, il s'agit de déterminer le droit d'une élévation à des espaces
maritimes propres ; de l'autre, il s'agit de savoir si une élévation peut servir
de point d'appui pour mesurer les espaces maritimes de la côte principale
adjacente (179). Dans la pratique, la deuxième question est quantitativement
plus importante, puisque la majorité des rochers se trouvent à proximité de
terre ferme (180).
b) Est également à exclure l'utilisation des îles et des îlots lors de
délimitations maritimes (181) et lorsqu'il s'agit de déterminer les eaux archi-
pélagiques(182).

(178) Fusillo (op. cit., note 154), p. 50 s. Peu clairs : Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10),
p. 146 ss., spécialement points 2.2 et 2.4: «Article 121 (3) has in principle no bearing on the
determination of baselines » et «the distinction (...) is not a matter of applying different principles,
but rather a matter of different emphasis... », cette dernière phrase semblant refléter une confusion
regrettable.
(179) La confusion est fréquente. Ainsi Herman (op. cit., note 23), p. 194 s. constate qu'un
rocher peut être inclus dans un système archipélagique et peut dès lors générer les espaces
mentionnés à l'article 121, paragraphe 3. En réalité, il ne s'agira pas des espaces du rocher mais
de ceux de l'archipel, notion autonome en droit de la mer moderne. On pourrait soutenir aussi
que l'article 48 de la Convention de Montego Bay est une lex specialis, comme Herman le rappelle
en passant ; toutefois ceci présuppose un tertium communis auquel il serait fait exception alors
que, comme on l'a vu, conceptuellement les deux questions sont dans un rapport d'exclusion.
(180) O'Connell (op. cit., note 19), p. 732 ; Fusillo (op. cit., note 154), p. 55 ; Jayewardene
(op. cit., note 76), p. 16; Marin Lopez (op. cit., note 153), p. 156; Churchill/Lowe (op. cit., note
15), p. 42. Sur la question si des rochers tombant sous le coup de l'article 121, paragraphe 3,
peuvent être utilisés pour le tracé de la ligne de base : Kwiatowska/Soons (op. cit., note 10), p.
146 ss. (qui a tort ne retiennent pas les rochers pour le tracé de la ligne de base de la ZEE et
du plateau continental en invoquant l'article 121, paragraphe 3, mais l'admettent pour la mer
territoriale, ce qui représente une dichotomie et donc une complication inadmissibles pour la
mesuration d'espaces maritimes), et J.R.V. Prescott, The Maritime Political Boundaries of the
World, Londres, 1985, p. 74 (qui s'y déclare à juste titre favorable pour tous les espaces maritimes
vu la pratique des Etats et l'anomalie qui s'ensuivrait de pouvoir utiliser à cette fin des hauts
fonds découvrants - article 13 Montego Bay - mais pas le maiore, les rochers).De même : Fusillo
(op. cit., note 154), p. 50.
(181) Voir Bowett (op. cit., note 161) pour une étude très récente. Jayewardene (op. cit., note
76), p. 259-529.
(182) Voir les auteurs cités en note 7.
900 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

2. Il est utile de commencer par une interprétation globale de l'article


121, paragraphe 3, pour connaître la lumière sous laquelle il faudra
appréhender ses termes particuliers.
a) L'on pourrait favoriser d'emblée une approche systématique : l'accent
serait mis sur le caractère d'exception du paragraphe 3 par rapport aux
paragraphes 1 et 2, pour faire appel à l'adage exceptiones sunt stricta
interpretationis (183). La justification de l'argument se trouverait dans la
présomption de liberté des Etats (in favorem libertatis) (184). Il va sans dire
que ce serait là une attitude d'interétatisme classique, volontariste et
intempéré, peu favorable au progrès du droit international et de la normativité
internationale (185). C'est postuler la plénitude logiquement nécessaire du
droit positif qui culmine dans une règle résiduelle de liberté et, procédura-
lement parlant, dans le rejet de toute demande ne trouvant aucune base
dans une règle positive permissive ou prohibitive (185a). Sur le plan de la
technique juridique il est vrai que l'état du droit, quel qu'il soit, n'empêche
jamais de donner une conclusion à un débat judiciaire ; le juge peut toujours
écarter une demande non justifiée par une norme juridique. Mais sur le plan
de la substance, cette position qui émerge historiquement avec l'avènement
de l'Etat moderne correspond à un choix positiviste, individualiste, exprimé
par des droits naturels de l'Etat préexistant à l'ordre juridique international ;
elle est inspirée de formalisme kantien (185b). La norme agit alors en même
temps sur deux plans : elle dispose positivement et libère négativement. Or
dès que l'on nie un tel état de liberté naturelle (en soutenant par exemple
qu'il s'agit d'une fiction) le versant négatif de la norme ne signifie plus
liberté d'action résiduellement garantie ; l'on plonge dans ce vide juridique
qu'on appelle une lacune (185c). Alors tout s'inverse. Ce n'est plus: «Les
limitations de l'indépendance des Etats ne se présument donc pas»(185d);
c'est au contraire : « Freedom of action must be the result, not the starting-
point, of the investigation »(185e). Nous ne pouvons évidemment prendre
position sur cette question importante dans ce contexte. Qu'il suffise de dire
qu'il y a des normes particulièrement importantes qui, en limitant cette
liberté, servent les buts collectifs d'une société et ne sauraient de ce chef
être restreintes a priori sous le couvert de la liberté même que leur finalité
est de limiter. Leur objet les rend au contraire capables d'une certaine
extension, proportionnelle au degré d'intégration de la société qu'elles
régissent. Schwarzenberger n'a peut-être pas tort de distinguer à ce propos entre
existence et étendue de la norme : « These presumptions [in favour of
sovereignty] are relevant only in cases in which it is doubtful whether a rule

(183) Voir par exemple Rousseau (op. cit., note 65), p. 273.
N° 10,(184)
p. 18Affaire
(basés des
sur Forêts
la souveraineté
du Rhodopedontcentral
la limitation
(R.S.A., nevol.
se présume
Ill, p. 1400)
pas).et C.P.J.I., sér. A,
(185) Voir l'impressionnante et lucide critique de l'attitude qui consiste à nier l'existence de
lacunes dans l'ordre juridique international chez Ch. De Visscher, « Contribution à l'étude des
sources du droit international », Revue de droit international et de législation comparée, vol. 14,
1933, p. 418, particulièrement note 42.
(185a) Voir par exemple H. Kelsen, Principles of International Law, 2e éd., New York, 1967,
p. 438 ss. ; P. Guggenheim, Traité de droit international public, tome I, 2e éd., Genève, 1967, p.
139 ss.
(185b) Voir U. Fastenrath, Lucken im Vôlkerrecht, Schriften zum Vôlkerrecht, tome 93, Berlin,
1991, p. 241 s. ; L. Siorat, Le problème des lacunes en droit international, Paris, 1958, p. 31 ss.
(185c) Fastenrath, loc. cit., p. 242.
(185d) C.P.J.I, sér. A, no. 10 (Lotus), p. 18.
(185e) H. Lauterpacht, The Function of Law in the International Community, Oxford, 1933,
p. 97.
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 901

limiting or excluding the rules governing sovereignty exists. They cannot be


employed, however, to determine the contents of rules... »(185f).
b) II faut ensuite noter que l'on ne saurait attribuer trop de valeur aux
termes employés par l'article 121, paragraphe 3. Les travaux préparatoires
démontrent la genèse très peu réfléchie du paragraphe, si bien que le
Président Amerasinghe avait rappelé la nécessité de revoir le régime des
îles (186). Ainsi il faut se départir de l'idée des mots au service précis d'idées.
Les auteurs rappellent continuellement l'ambiguïté de la disposition en
cause. Or, devant des mots si incertains, l'interprète, au lieu de s'en remettre
au leurre d'un «sens ordinaire» (à défaut de sens clair!) obtenu par quelque
prestidigitation grammaticale dont on vante la précision, devra jouer un rôle
plus créateur que d'habitude.
c) Le critère interprétatif essentiel sera le but du paragraphe 3. Le
paragraphe n'a sa raison d'être que dans l'idée sans cesse répétée lors des
travaux préparatoires (187) : la préservation de la zone de libertés communes.
Ce but, à défaut d'un texte précis pour le mettre en œuvre, a trouvé une
majorité lors de la Conférence. Il convient donc de donner, pour pouvoir
réaliser ce but, et dans la mesure où c'est nécessaire pour l'atteindre, une
interprétation extensive au paragraphe 3.
d) Van Dyke/Brooks(188) et Van Dyke/Morgan/Gurish(189), en des
termes pas toujours très clairs (190), requièrent l'habitation effective
(concrète) de l'île : « Islands should generate ocean space if stable
communities of people live on the island and use the surrounding ocean areas» (191).
Dans leur sillage se situe Van Overbeek, qui pourtant semble s'être laissé
tromper sur le sens du propos de ces auteurs (192). On pourra rappeler en
ce sens la déclaration de la Colombie, qui parlait de «benefits to the
inhabitants» et relevait que toute autre interprétation estropierait le
concept (193). C'est là l'interprétation la plus extensive. Des problèmes
pourtant persisteraient : que faire d'îles habitées à une époque et ensuite
inhabitées - l'existence des espaces maritimes suivrait-il ces mouvements? Si la
date critique pour juger de l'habitation est celle de la proclamation des zones,
suffirait-il que l'Etat fasse peupler l'îlot auparavant pour atteindre son but?

(185f) G. Schwarzenberger, International Law - As Applied by International Courts and


Tribunals, vol. I, Londres, 1957, p. 648.
(186) Voir supra, II.D.5.
(187) Supra II. D. D'après Grotius, la ratio legis est à côté du texte l'indicateur le plus
puissant de l'intention des parties au traité, surtout si une cause unique est à sa base (B. Vitanyi,
« Treaty Interpretation in the Legal Theory of Grotius and Its Influence on Modern Doctrine »,
N.Y.I.L., vol. 14, 1983, p. 55 s).
(188) Van Dyke/Brooks (op. cit., note 4), p. 286.
(189) Van Dyke/Morgan/Gurish (op. cit., note 9), p. 437.
(190) hoc. cit., (op. cit., note 188), Ces auteurs commencent par dire : «The key factor must
be whether the island can in fact support a stable population » pour en venir à l'essence deux
phrases plus tard : « Islands should generate ocean space if stable communities of people live on
the island...». (Italiques de l'auteur). Cette dernière affirmation traduit leur véritable pensée.
(191) Loc. cit. (op. cit., note 188).
(192) Van Overbeek (op. cit., note 155), p. 256 : Confusion entre la capacité abstraite et le
fait concret de population. Soit dit en passant que l'application que cet auteur veut faire de
l'article 18 [obligations précontractuelles] de la Convention de Vienne sur le droit des traités de
1969 (p. 263 s) procède d'une profonde méconnaissance de cette disposition controversée : celle-ci
ne commande aucunement une exécution intégrale et dans tous les détails d'un traité non encore
en vigueur (« optique positive »), mais ne condamne sous l'angle de la bonne foi que des
comportements d'une gravité telle de le vider de son objet et de rendre sans valeur son ultérieure mise
en vigueur formelle («optique négative»). L'article 121, paragraphe 3, n'a certes pas cette valeur
fondamentale.
(193) Supra, II.D.6.
902 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

Quel serait le seuil minimum pour pouvoir parler d'habitation par des
communautés stables? Ces problèmes sont certes loin d'être insolubles.
L'interprétation proposée peut se fonder sur de sérieux atouts et
arguments. Les atouts sont ceux d'un paragraphe 3 objectivisé et plus facile à
appliquer, ainsi que le fait que ce texte, par cette interprétation extensive,
est à l'avantage de la comunitas (193a). L'argument principal est l'appui
qu'elle peut trouver dans de nombreux documents (surtout, il est vrai, dans
ceux du Comité des fonds marins, dans le contexte de la délimitation) et
déclarations de la Conférence (193b). En effet, les documents initiaux parlent
souvent d'îles «inhabitées». Il ne sera pas erroné de dire que souvent cette
pensée concrète aura guidé telle ou telle délégation.
Cette interprétation va au-delà du texte et des intentions « législatives ».
Qu'elle soit incompatible avec la lettre du texte qui parle de capacité
abstraite et non des faits (194) n'est pas déterminant. Comme on l'a vu, le
texte du paragraphe 3 est trop incertain pour former une limite à nos
réflexions; il ne peut former tout au plus qu'un point de départ. Or les
travaux préparatoires donnent une réponse claire. L'habitation effective
n'était qu'un primum movens prévalant surtout aux séances du Comité des
fonds marins. Au fil des réunions cependant, à mesure que les propositions
se cristallisaient et furent discutées, textes et opinions s'alignaient de plus
en plus sur le principe de capacité abstraite jusqu'à ne retenir plus
qu'elle (194a). Une majorité ne se serait pas trouvée pour exclure toute île
effectivement inhabitée de projection maritime économique. Trop d'Etats
(notamment du Tiers monde) possédaient et possèdent toute une série d'îlots
parfaitement habitables dont ils se promettaient des avantages. Certains
Etats sont allés jusqu'à faire une déclaration interprétative en ce sens. C'est
le cas de l'Iran : «Islets (...) which potentially can sustain human habitation
or economic life of their own, but due to climatic conditions, resource
restrictions (...) have not yet been put to development, fall within the provisions
of paragraph 2 of article 121... »(194b). La question devient alors un problème
de fonction judi- ciaire : le juge est-il appelé à modifier une volonté législative
(aussi) claire? Même si pour des raisons théoriques nous sommes enclins à
reconnaître d'importantes facultés prétoriennes au juge, force est de constater
que la position précaire du juge international limite sa puissance (194c). A
la vérité nous ne désirons pas prendre une position définitive sur
l'interprétation proposée. Si dans la pratique l'interprétation qui donne precedence
aux faits sur les possibilités s'impose, cela facilitera le maniement de la

(193a) Voir infra, e.


(193b) Supra, II. D.3 et ss. - Voir aussi Déclaration de la Colombie, II. D. 6.
(194) Comme d'ailleurs G. Gidel (Supra, H.B.3.), cité aussi par Van Dyke/Brooks (op. cit.,
note 188) sans qu'il apporte à leur thèse le soutien que probablement ils en escomptaient.
(194a) Depuis le Doc. A/CONF. 62 /C.2/L. 53, Roumanie. Voir Supra II.D.4 et ss.
(194b) Law of the Sea Bulletin, septembre 1983, N° 1, p. 24.
(194c) J. Stone, Of Law and Nations, New York, 1974, p.199 s. insiste sur ce point : «The
international judiciary has not yet achieved that institutional stability which has in many
municipal societies permitted judges to assume openly and with impunity the role of final reviewing
authority of the common weal. On the other hand, even if the international judiciary did enjoy
adequate stability for this purpose, it is most hazardous to assume that they could make such a
conscious contribution to the elucidation of the value-system of international justice as would be
seriously comparable to that made by judges on the municipal level. And this, not because of any
inferiority of their calibre, but because (...) the international community does not as yet offer
adequate socio-ethical foundations. There is room, therefore, for the view that the fictions which
combine to conceal judicial creativeness in international law serve the proper social function of
protecting the growing judicial arm against premature strains ».
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 903

disposition en lui donnant une assise plus objective; cela ira aussi dans le
sens d'une interprétation extensive telle que postulée. Nous nous bornons à
remarquer qu'une telle interprétation serait une modification significative
de la norme conventionnelle (comprise comme l'émanation d'une volonté
déterminée) par la pratique ultérieure (194d). Sur ce point, sans être
contraint par des considérations impérieuses d'effet utile (195), nous ne
pouvons ni ne voulons, sous couvert d'interprétation, devancer les faits. Nous
nous tiendrons donc à l'interprétation étayée par la volonté des parties
contractantes. Les positivistes savent : «Pro securo habetur quod ex voluntate
descendit ». Pour une fois je m'y associe.
e) II conviendra au contraire d'adopter l'interprétation la plus extensive
compatible avec le texte et surtout les travaux préparatoires. Suivant les
auteurs précités, on peut proposer un critère «tricéphale».
Premièrement, l'îlot doit permettre per se la résidence permanente de
groupes sociaux organisés, donc d'une certaine importance (196).
En deuxième lieu, il faut retenir la notion d'abus de droit qui, quel que
soit son statut controversé en droit international général (197), a été inséré
dans la Convention comme principe directeur de son interprétation et de

(194d) Voir à ce propos l'excellente étude de W. Karl, Vertrag und spatere Praxis im
Volkerrecht, Beitrâge zum auslândischen ôffentlichen Recht und Vôlkerrecht, tome 84, Berlin, 1983
et la doctrine qu'il cite.
(195) Voir par exemple l'affaire de Timor (1914), arbitre Lardy, R.G.D.I.P., vol. 23, 1916, p.
111 : « [dispositions] interprétées plutôt dans le sens avec lequel elles peuvent avoir effet que dans
un sens avec lequel elles n'en peuvent avoir aucun ». C'est là une perspective négative. Il existe
aussi une facette positive du principe, qui requiert de donner un maximum d'effet aux termes ;
elle est passablement controversée en doctrine, car jugée trop dynamique et téléologique. Voir
Rousseau (op. cit., note 65), p. 270 ss., et M.K. Yasseen, «L'interprétation des traités d'après la
Convention de Vienne sur le droit des traités», R.C.A.D.I., vol. 151, 1976-III, p. 71 ss.
(196) Voir infra, 3. d.
(197) Depuis le brillant plaidoyer de N. Politis, «Le problème des limitations de la
souveraineté et la théorie de l'abus du droit dans les rapports internationaux», R.C.A.D.I., vol. 6,
1925-1, p. 5 ss. Sur la notion d'abus de droit en droit international général : Bin Cheng, General
Principles of Law -As Applied by International Courts and Tribunals, Londres, 1953, p. 121 ss. ;
E.R.C. van Bogaert, Het rechtsmisbruik in het volkenrecht. Rechtstheoretische verhandeling, Ant-
werpen, 1948 ; M. Gestri « Considerazioni sulla teoria dell'abuso del diritto alia luce della prassi
internazionale », Rivista di diritto internazionale, vol. 77, 1994, p. 5 ss. ; B.O. Iluyomade « The
Scope and Content of Complaint of Abuse of Right in International Law, » Harvard International
Law Journal, vol. 16, 1975, pp. 47-92 ; B. Jankovic, « L'interdiction de l'abus de droit en droit
international public », Annuaire de l'association des anciens auditeurs de VAcadémie de La Haye,
vol. 29, 1959, pp. 5-13 ; A.-C. Kiss, L'abus de droit en droit international, Paris, 1953 ; G. Leibholz,
« Das Verbot der Willkur und des Ermessensmissbrauchs im vôlkerrechtlichen Verkehr der Staa-
ten », ZaoRV, vol. 1, 1929, pp. 77-125 ; G. van der Molen, Misbruik van recht in het volkenrecht,
Amsterdam, 1949 ; V. Paul, « The Abuse of Rights and Bona Fides in International Law »,
Osterreichische Zeitschrift fur offentliches Recht und Volkerrecht, vol. 28, 1977, pp. 107-130 ; H.
Schiedermair, Das Verbot des Rechtsmifibrauchs als allgememer Rechtsgrundsatz des Volkerrechts ,
Thèse, Freiburg, 1942 ; G.S. Taylor, « The Content of the Rule against Abuse of Rights in
International Law », British Yearbook of International Law, vol. 46, 1972/1973, pp. 323-352 ; S.
Trifu, La notion de l'abus de droit dans le droit international, Thèse, Paris, 1940 ; A. Voss,
RechtsmifSbrauch im Volkerrecht. Die Théorie der Gegenstandsbedingtheit der Rechtsnorm und das
Verhaltms des Rechtsmifibrauches zur clausula rebus sic stantibus, Thèse, Munster, 1940. Sont
restrictifs quant à la notion d'abus de droit en droit international des auteurs comme H.C.
Gutteridge, « Abuse of Rights», Cambridge Law Journal, vol. 5, 1933, pp. 22-45; M. Scerni,
L'abuso di diritto nei rapporti internazionali, Rome, 1930 ; G. Schwarzenberger, « Uses and Abuses
of the 'Abuses of Rights' in International Law », The Grotius Society, vol. 42, 1956, pp. 147-179 ;
J.H.W. Verzijl, International Law in Historical Perspective, vol. I, Leyden, 1968, p. 316 ss. Nient
l'existence d'une norme interdisant l'abus de droit en droit international R.K. Neuhaus, Das
Rechtsmissbrauchsverbot im heutigen Volkerrecht, Berlin, 1984 ; J.D. Roulet, Le caractère artificiel
de la théorie de l'abus de droit en droit international public, Neuchâtel, 1958.
904 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

son application (198). Il permettra par exemple d'éliminer les îlots où des
travaux sont entrepris mala fide pour les rendre habitables, où des colons
sont installés à la seule fin de détournement, ou à propos desquels toute
autre mesure artificielle est prise en vue de contourner l'effet du paragraphe
3(199).
Troisièmement, à un niveau encore plus formel, il conviendra de fixer
une règle résiduelle, découlant directement du postulat téléologique et d'une
interprétation extensive : dans tous les cas-limites et dans le doute,
l'interprétation se fera en faveur d'une application du paragraphe 3.
3. Arrivé au terme de l'analyse, il convient de concrétiser les propositions
générales présentées en considérant séparément les termes saillants utilisés
par l'article 121, paragraphe 3. Ceci est d'autant plus utile que chacun
d'entre eux est source de difficultés.
a) «Rocher». L'article 121, est-il besoin de le dire, forme une unité. Ainsi,
le paragraphe 3 doit être lu dans le contexte des paragraphes 1 et 2 auxquels
il fait exception. Les rochers sont une catégorie spéciale d'îles, ils ne sont
pas un aliud. De la définition de l'île comme étant «une étendue naturelle
de terre... (article 121, paragraphe premier)» il résulte que toute structure
artificielle est exclue (200).
Ensuite, aucune proposition fixant une surface minimale n'a été retenue
par la Conférence, malgré plusieurs démarches en ce sens (201). S'il est donc
indiscutable qu'un rocher représente une surface très restreinte (202), il n'y
a aucune limite précise.
Finalement, on arrive à la quaestio diabolica qui est de savoir si
l'élévation doit avoir une structure géologique particulière, c'est-à-dire être
formée de «solid parts of the continental crust (203)», à l'exclusion de bancs
de sable, d'atolls, etc. Une partie de la doctrine va dans ce sens : Pres-
cott(204), Dipla(205) et Jayewardene (206). D'autres, comme Kwiatkows-
ka/Soons (207) ou Van Dyke/Morgan/Gurish (208), rejettent ce critère à juste
titre. Deux arguments principaux militent en ce sens. Premièrement, le
résultat d'une telle interprétation est déraisonnable. Un minuscule atoll
serait une île et générerait des espaces maritimes, malgré le but primordial
poursuivi par l'article 121, paragraphe 3; une structure rocheuse, en
revanche, ne le ferait pas. On ne voit pas de raison à cette discrimination;
elle est contraire à l'objet et au but du paragraphe 3 et à l'interprétation
extensive retenue. Deuxièmement, les travaux préparatoires ne confortent
nullement cette interprétation. Le terme «rocher» a certes été repris de la
proposition africaine (209), qui le définissait comme structure «rocheuse».

(198) Article 300 de la Convention de Montego Bay.


(199) Voir infra, 3.f.
(200) Sur les difficultés éventuelles pour distinguer l'une de l'autre, voir N. Papadakis, The
International Legal Regime of Artifical Islands, Leyden, 1977, p. 93.
(201) Voir supra, II. D., Jayewardene (op. cit., note 76), p. 6, 16 ; Kwiatkowska/Soons (op.
cit., note 10), p. 155 ss., particulièrement p. 159.
(202) Jayewardene (op. cit., note 76), p. 6.
(203) Prescott (op. cit., note 180), p. 73.
(204) Ibid.
(205) Dipla (op. cit., note 20), p. 38.
(206) Jayewardene (op. cit., note 76), p. 6 : « It would appear that the basis of differentiation
is geological... ».
(207) Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10), p. 151-153.
(208) Van Dyke/Morgan/Gurish (op. cit., note 9), p. 435, note 54, avec l'argument que la
distinction «leads to a result which is manifestly absurd...».
(209) Voir supra II.D.4.
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 905

La Conférence n'a fait reprendre ce terme que pour mieux marquer


l'opposition aux îles visées aux paragraphes 1 et 2 en employant un terme
différent; à part le mot «rocher», tout le texte du paragraphe 3 correspond
aux propositions roumaine et turque qui ne prévoyaient aucune restriction
d'ordre géologique. Il n'y a aucune trace d'un critère formaliste tout au long
des différentes séances de la Conférence. De plus, il paraît extrêmement
probable que si l'on eût voulu voir s'appliquer une limitation aussi
importante, on n'aurait pas manqué de définir en ce sens le terme «rocher», ce
d'autant plus que la proposition africaine, présente aux esprits, y invitait.
b) «Ne se prêtent pas» («cannot sustain»). Cette expression consacre la
primauté d'une capacité abstraite sur les réalités concrètes. C'est ce qui
confère au paragraphe une grande partie de son ambiguïté, car il devient
complètement open-ended. D'un autre côté, le critère peut aider à exclure
certains cas particulièrement patents, par exemple des élévations telles que
la Pérouse Pinacle dont toutes les parois sont verticales et qui est par
conséquent inaccessible (2 10). Il rend aussi sans pertinence certaines
appréhensions ayant trait à la possibilité qu'un rocher soit habité à une époque,
mais pas à une autre (211), par exemple celle d'une population qui s'y
installerait pour exploiter des minéraux découverts et qui quitterait les lieux une
fois les gisements épuisés. Car c'est la possibilité et non l'actualité qui est décisive.
Parfois on cite comme élément interprétatif des populations ou
civilisations passées (212). Puisque l'île a été habitée, dit-on en substance, cela
prouve qu'elle se prête à habitation. L'argument est séduisant. Mais comme
tout ce qui est séduisant il est dangereux.. S'il peut prouver que l'îlot a été
habité, souvent les populations, incapables de soutenir les conditions de vie
trop dures, ont disparu (2 13). Dans ce sens, une population passée et éteinte
peut être précisément un élément permettant de conclure que l'îlot est
incapable de soutenir la vie humaine à long terme. La question de la mesure
de temps à employer (possibilité de survie à court ou long terme) reste ainsi
posée. De plus, on pourrait toujours prétendre que, depuis les temps de ces
civilisations qui remontent parfois à plusieurs siècles, les conditions
climatiques, techniques ou autres ont changé. L'habitation passée est donc un
critère ambigu.
Une autre question est celle de savoir si l'expression « ne se prêtent pas »
se rapporte à l'état présent de l'île ou à un (possible) état futur. Poser la
question, c'est y répondre. En effet, vu l'incertitude quant aux possibilités
techniques de l'avenir, une interprétation qui ne s'en tiendrait pas au présent
effacerait toute limite (214). S'y ajoute que des Etats industrialisés auraient

(210) Van Dyke/Morgan/Gurish (op. cit., note 9), p. 473, avec une photographie
impressionnante.
(211) Dipla (op. cit., note 20), p. 84 (avec l'exemple qui suit dans le texte) ou l'intervention
40e
du déléguéséance, paragraphe
britannique 36,lorsp. de
288.la Même
sessionerreur
de Caracas,
chez Marin
Documents
Lopez (op.officiels
cit., note
(op. 153),
cit., p.
note
166.76),
(212) Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10), p. 161, avec une mise en garde à la p. 162 :
«...a present claim should be based on evidence that the past capacity continues to exist».
(213) Par exemple Necker ou Nihoa (Hawai), voir Van Dyke/Morgan/Gurish (op. cit., note
9), p. 468 ss., ainsi que le cas particulièrement dramatique et romanesque de l'île de Pâques dans
le Pacifique.
(214) Dans ce sens aussi : Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10), p. 162 s. ; E.D. Brown/R.
Churchill (éd.), The UN Convention on the Law of the Sea : Impact and Implementation, Londres,
1987, p. 358, citant le commentaire de Nelson lors de la Conférence : « 'Cannot sustain', I presume,
must mean that we are dealing with the present. Whatever may have happened centuries ago
would not be relevant to the notion of what a rock is not able to sustain today. So one has to
look what is happening today...».
906 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

un avantage décisif si l'on admettait une interprétation pro futuro, car,


comme le disent Smith/Hodgson(215), «any rock could support human
habitation if the State was willing to spend enough money». Cela serait
contraire au but du paragraphe 3, approuvé, soit rappelé en passant, sur la
base des motifs qu'on a vus par une majorité d'Etats du Tiers Monde. Tout
cela n'empêche pas que lorsque l'évolution technique aura atteint un niveau
permettant qu'un îlot soit habité, on en tienne compte à ce moment-là pour
l'interprétation. Ce que nous avons exclu, c'est une interprétation spéculative
ayant trait à d'éventuelles possibilités techniques futures.
La quaestio quaestionorum sous ce titre est pourtant celle de savoir si
le critère se rapporte à la capacité naturelle du rocher et jusqu'à quel point
une «logistique» extérieure peut être admise (216); car il est évident qu'avec
une intervention suffisamment massive, tout rocher peut se prêter à
l'habitation humaine. La question doit être reliée à celle de l'abus de droit qui
semble fournir le tertium comparationis (217).
c) «ou» le texte semble retenir une alternativité entre «habitation
humaine » et « vie économique ». Cependant, comme on l'a vu, ces notions ont
été traités lors des travaux préparatoires comme exprimant une réalité
commune (218). Jamais la Conférence n'a pensé à les séparer. Van Dyke/Mor-
gan/Gurish ont raison de parler de «single concept» (219). Cela veut dire
que les deux notions, étant les deux faces d'une même médaille, devraient
être reliées par un «et» au lieu de «ou». De plus, il est difficile de concevoir
une vie économique, ce qui présuppose un certain degré d'intensité, sans vie
sociale (220) ; l'économie est un aspect du social (221). Axiologiquement cette
interprétation correspond au caractère extensif que l'on souhaite donner au
paragraphe 3. Elle rend aussi indirectement plus facile et objective son
interprétation en excluant des cas issus plus de l'imagination que des
réalités.
d) «Habitation humaine» (222). Il devrait ici s'agir de groupes humains
stablement implantés et organisés. Une définition numérique est
inopportune; l'espèce dictera la solution. Il faut rappeler que c'est d'une capacité
abstraite d'habitation ; cela complique l'interprétation. Un lien qui ne
consisterait qu'en un service militaire (223) sur place ou tout autre séjour à but
strictement fonctionnel et souvent limité dans le temps, sans intention d'y
établir un rattachement d'existence beaucoup plus global, ne devrait pas être
considéré comme suffisant pour admettre la possibilité d'une «habitation
humaine». Enfin, il faut tenir compte du fait que le concept de zones
économiques maritimes a été introduit au bénéfice escompté des pays en

(215) Hodgson/Smith (op. cit., note 85), p. 231.


(216) O'Connell (op. cit., note 19), p. 732.
(217) Voir infra, f.
(218) Voir supra, II.D.4, proposition roumaine ; 5, déclaration de la Dominique (note 127) ;
6, déclaration de la Colombie ; déclaration interprétative roumaine (Law of the Sea Bulletin,
septembre 1983, N° 1, p. 24 s.).
(219) Van Dyke/Morgan/Gurish (op. cit., note 9), p. 437.
(220) Les utilisations marginales d'une île, par exemple pour y faire paître des animaux en
été comme cela paraît se faire en Grèce, ne peuvent, déjà au sens ordinaire du mot, être considérées
comme « vie économique » ; elles ne sont que des « utilisations ».
(221) Question laissée ouverte par Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10), p. 165. Voir
particulièrement, l'intervention de la Colombie (supra II.D.6).
(222) Voir aussi Kwiatkowska/Soons (op. cit., note 10), p. 165 ss.
(223) Par exemple sur l'atoll de Kure (Service garde-côtes) ou à Midway (base militaire) :
Van Dyke/Morgan/Gurish (op. cit., note 9), p. 480 s.
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 907

développement et des populations locales (224). De telles populations ne


vivront pas nécessairement sur l'îlot qui nous intéresse, mais près de lui,
tout en l'utilisant ponctuellement (225). Une interprétation qui leur soit plus
favorable, par exemple quant au niveau requis pour l'habitabilité, pourrait
être envisagée. Le fait d'une population implantée fait de l'élévation ipso
facto une île.
e) «Vie économique » : cette vie est l'expression de la capacité d'habitation
humaine à peine analysée. Vie économique et vie sociale forment une unité.
La vie économique doit être de nature commerciale ou productive. La
présence de stations de radiodiffusion ou de phares pour la navigation ne
suffisent pas (226), car tout îlot serait capable d'y servir de base. Une telle
interprétation priverait la disposition de toute limite, notamment si l'on
retenait l'ai te rnati vite entre «habitation humaine ou vie économique».
Pour juger de la possibilité d'une vie économique,il conviendra d'inclure
la possible exploitation de la mer territoriale, assimilée au territoire (227),
mais non celle de la ZEE ou du plateau continental. Car autrement on
tomberait dans la circularité qui consiste à subordonner d'un côté l'existence
de ces zones à une vie économique, mais de l'autre côté à déduire une vie
économique (la condition) de l'existence de ces zones (le conditionné) (228).
f) «propre » (« of their own ») : Ceci est un critère essentiel. Il permet de
donner une réponse à des questions importantes : Jusqu'à quel point une
«logistique» extérieure à l'île est-elle admissible (229)? Est-ce que l'îlot doit
avoir de l'eau potable, un sol minimalement fertile, des ressources biologiques
propres (230), etc.? En un mot : Quel doit être le degré d'autonomie de l'îlot?
Souvent on répond qu'un Etat ne saurait créer des conditions artificielles,
par exemple «by injecting an artificial economic life, based on resources from
its other land territory» (231). L'autonomie ne doit pas être totale (232), mais

(224) Formulation classique chez Van Dyke/Brooks (op. cit., note 4), p. 286 : « Islands should
not generate ocean space if they are claimed by some distant absentee landlord who now desires
the island primarily because of the ocean resources...». Voir II.D.2.
(225) Exemple chez Van Dyke/Morgan/Gurish (op. cit., note 9), p. 437 : base pour pêcheurs
de la région.
(226) S'expriment en sens contraire : Brown (op. cit., note 8), p. 207, Hodgson/Smith (op.
cit., note 85), p. 231 («value to shipping»), Prescott (op. cit., note 180), p. 73. Ils méconnaissent
que le critère du paragraphe 3 n'est pas la « vie économique », mais la « capacité de vie
économique » ; la question n'est donc pas seulement de savoir si un phare effectivement installé représente
de la vie économique. Dans l'affirmative, il faudrait admettre que tout rocher est capable de vie
économique, étant donné que tout rocher peut recevoir un phare ou d'autres installations
techniques. S'expriment dans notre sens : probablement Hodgson, (op. cit., note 86), p. 151 : « ...this
form of occupation [navigational lights] is both artificial and transitory, depending entirely on
external support for its continuance », et le délégué de la Turquie lors de la session de Caracas,
supra, II. D. 4, texte à la note 107.
(227) D.P. O'Connell, «The Juridical Nature of the Territorial Sea», B.Y.B.I.L., vol. 45, 1971,
p. 303 ss.
(228) Dans ce sens aussi Symmons (op. cit., note 79), p. 52 et Van Dyke/Morgan/Gurish (op.
cit., note 9), p. 438 : «post hoc justification». Question laissée sans réponse par Symonides (op.
cit., note 5), p. 165.
(229) Voir supra IV 3 b. in fine-.
(230) Facteurs avancés par Hodgson/Smith (op. cit., note 85), p. 230. Mais la construction
d'une usine de dessalinisation serait parfaitement légitime.
(231) D.W. Bowett, The Regime of Islands in International Law, New York, 1978, p. 34. Voir
aussi : Attard (op. cit., note 152), p. 260 : « No State may artificially create the necessary
conditions ». Cf. en outre la Résolution de la Conférence Impériale, supra, II.A.2.a.
(232) Lors de la Conférence, le Danemark a plaidé pour l'auto-suffisance (Kwiatkowska/Soons,
(op. cit., note 10), p. 168 s. La Commission de conciliation Jan Mayen permet d'affirmer que tout
support externe n'a pas été considéré incompatible avec la notion de vie économique propre (I.L.M.
vol. XX, 1981, p. 797 ss.).
908 LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY

la dépendance non plus. Les liens doivent être raisonnables dans les
circonstances; ils ne doivent pas paraître l'œuvre d'une habileté malicieuse à
des fins détournant la règle sur laquelle elles se fondent de son but social.
Cette idée a un autre nom : abus de droit. La limite de la dépendance
admissible d'un îlot sera là où l'action entreprise apparaîtra abusive, vu son
caractère destiné à tourner les effets du paragraphe 3 (Rechtsumge-
hung) (233). Le but envisagé de l'acte sera donc un facteur primordial. L'on
pourra regretter l'absence d'un critère plus précis. Mais l'on pourra aussi se
féliciter d'être allé aussi loin que le permet une norme imprécise. Comme
nous avons déjà pu le dire, ce n'est que la pratique (et des interprétations
particulièrement dynamiques) ou le «législateur» qui pourront préciser la
norme en la modifiant. Malheureusement l'interprète n'échappe pas souvent
à cette vérité qu'exprime l'adage élégant «ex ambiguitate lux ambigua ori-
tur ».
g) «Pas de zone économique exclusive ni de plateau continental» : Jamais,
au cours de la Conférence, le droit de toute élévation naturelle en mer d'avoir
des eaux territoriales n'a été mis en doute. Tout le débat cristallisé dans
l'article 121, paragraphe 3, portait non pas sur la sécurité et les 12 milles
de la mer territoriale, mais sur les droits économiques que confèrent les
zones maritimes qui s'étendent à 200 milles au plus des côtes (234).
L'argument a contrario par rapport au texte qui n'exclut que la zone économique
exclusive et le plateau continental sera donc admis : un rocher pourra avoir
une mer territoriale et aussi une zone contiguë (235).

V. - Conclusion

La question de l'application de l'article 121, paragraphe 3, de la


Convention de Montego Bay est difficile mais importante. Le sort de vastes espaces
maritimes en dépend. Conformément à la «ratio legis» de la disposition,
nous avons plaidé pour une interprétation large qui préserve autant que
possible les libertés communes de tous les Etats par opposition à celles d'un
Etat isolé. Cependant, vu l'histoire législative et le texte de la disposition
en question, nous n'avons pas franchi le pas qui consisterait à demander
l'implantation effective de populations sur l'îlot afin de reconnaître qu'il
puisse générer la plénitude des espaces maritimes reconnus par le droit
international.
Nos considérations n'ont été que générales. Il est évident qu'il n'y a que
la pratique étatique ou prétorienne qui soit capable d'entreprendre l'œuvre
de la concrétisation qui nous éclairera sur la place et le rôle de cet article
121, paragraphe 3, si ponctuel, mais essentiel dans le droit de la mer.

(233) II faudra ici renvoyer à la doctrine sur l'abus de droit, notamment en droit interne où
il s'agit d'une notion relativement précise et fort développée. L'idée se trouve cependant bien
exprimée par M.S. MC Dougal/W.T. Burke, The Public Order of the Oceans, New Haven, 1962,
p. 387 s : «The chief criterion for appraising the reasonableness of a claim (...) is whether it is
constructed for practical use or rather only as a disguised attempt... » d'obtenir un bénéfice.
(234) Symonides (op. cit., note 5), p. 166 ; Jayewardene (op. cit., note 76), p. 11 s.
(235) Question laissée ouverte par Symonides (op. cit., note 5), p. 166. En ce qui concerne
la zone contiguë l'on pourrait objecter qu'il est difficile de concevoir des intérêts fiscaux, douaniers,
d'immigration ou sanitaires pour une île inhabité. Cependant, et pour ne prendre qu'un exemple,
l'intérêt qu'il peut y avoir à empêcher qu'un ilôt devienne une plaque tournante de contrebande
peut rendre utiles des interventions depuis la zone contiguë.
LES « ROCHERS... », ART. 121, § 3, DE MONTEGO BAY 909

Dans l'exercice de cette pratique, comme partout ailleurs, on devrait se


souvenir de la maxime de Saint Augustin : «In necessariis unitas, in dubiis
libertas, in omnibus caritas»; Communauté - Liberté - Charité. Sur la mer,
espace traditionnellement commun, espace chantre par excellence du « droit
international de coopération» appelé de ses vœux par W. Friedmann(236),
le ton est donné par le premier aspect du triptique augustinien. Ainsi
voudrais-je refermer la boîte de Pandore et congédier le lecteur.

Vous aimerez peut-être aussi