Vous êtes sur la page 1sur 18

Revue Juridique de

l'Environnement

Le littoral, entre protection renforcée et pression de l'urbanisation :


réflexions sur la portée des décrets d'application de mars 2004
Félix-François Lissouck

Citer ce document / Cite this document :

Lissouck Félix-François. Le littoral, entre protection renforcée et pression de l'urbanisation : réflexions sur la portée des décrets
d'application de mars 2004. In: Revue Juridique de l'Environnement, n°1, 2005. pp. 33-48;

doi : https://doi.org/10.3406/rjenv.2005.4400

https://www.persee.fr/doc/rjenv_0397-0299_2005_num_30_1_4400

Fichier pdf généré le 03/04/2018


Résumé
La loi littoral du 3 janvier 1986 prévoyait un certain nombre de décrets d'application en vue de sa mise
en œuvre. Alors que le long retard à leur édiction pouvait laisser penser à un recul de la puissance
publique dans la protection effective de cet espace, leur publication concrétise le retour de l'Etat.
Pourtant, les décrets en cause, et notamment celui relatif aux espaces remarquables, en principe plus
protégés, sont de plus en plus ouverts à l'urbanisation. Il n'est donc pas illégitime de considérer cette
ouverture comme une pression en vue de l'aménagement d'un espace très convoité. Cette pression
est d'autant plus avérée que de plus en plus d'études et de rapports, sous prétexte de prôner une
gestion mutualiste de cette zone, préconisent de renforcer les pouvoirs des élus locaux en limitant «
l'excès de pouvoir des juges ». Cette situation est de nature à remettre en cause l'esprit de la loi littoral
qui fait prévaloir l'exigence de protection sur la logique de mise en valeur et surtout à en limiter la
portée.

Abstract
The Law on the coastline of January 3, 1986 provided that it would be implemented by decrees.
Whereas their long-protracted publication could suggest that the administration was unwilling to
provide for an effective protection of this space, their publication shows the return of the State's
commitment. However these decrees, especially the one relating to remarkable spaces, theoretically
more protected, offer more and more opportunites to urbanization. This pressure is all the more evident
as a great number of surveys and reports recommend, under the pretext of collective management, to
reinforce the powers of local councillors by limiting to judicial remedy of ultra vires. This situation is
likely to weaken the spirit of the « Coastline Law » which aimed at favouring protective measures over
development policies and to limit its global impact.
LE LITTORAL
ENTRE PROTECTION RENFORCÉE
ET PRESSION DE L'URBANISATION
Réflexions sur la portée
des décrets d'application de mars 2OO4
Félix-François LISSOUCK
Docteur en droit public et analyse politique
Chargé d'enseignement à l'Université Jean-Moulin Lyon 3

La loi littoral du 3 janvier 1986 prévoyait un certain nombre de décrets


d'application en vue de sa mise en œuvre. Alors que le long retard à leur édiction
pouvait laisser penser à un recul de la puissance publique dans la protection
effective de cet espace, leur publication concrétise le retour de l'Etat. Pourtant,
les décrets en cause, et notamment celui relatif aux espaces remarquables, en
principe plus protégés, sont de plus en plus ouverts à l'urbanisation. Il n'est donc
pas illégitime de considérer cette ouverture comme une pression en vue de
l'aménagement d'un espace très convoité. Cette pression est d'autant plus
avérée que de plus en plus d'études et de rapports, sous prétexte de prôner une
gestion mutualiste de cette zone, préconisent de renforcer les pouvoirs des élus
locaux en limitant « l'excès de pouvoir des juges ». Cette situation est de nature
à remettre en cause l'esprit de la loi littoral qui fait prévaloir l'exigence de
protection sur la logique de mise en valeur et surtout à en limiter la portée.

The Law on the coastline of January 3, 1986 provided that it would


be implemented by decrees. Whereas their long-protracted publication could
suggest that the administration was unwiiiing to provide for an effective protection
ofthis space, their publication shows the return ofthe State's commitment. Howe-
ver thèse decrees, especially the one relating to remarkable spaces, theoretically
more protected, offer more and more opportunités to urbanization. This pressure
is ail the more évident as a great number of surveys and reports recommend,
under the pretext of collective management, to reinforce the powers of local
councillors by limiting to judicial remedy of ultra vires. This situation is likely to
weaken the spirit of the « Coastline Law » which aimed at favouring protective
measures over development policies and to limit its global impact.

RJ«E 1/2OO5

33
F.-F. LISSOUCK - LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

La publication au Journal officiel de quatre décrets1 portant sur la mise en œuvre


de la loi littoral répond aux difficultés soulevées par de nombreuses études et
rapports concernant cet espace2 et surtout au regain d'intérêt dont le littoral est
l'objet. Elle introduit en même temps sinon un malaise3 du moins un paradoxe
sur la volonté de concilier la protection et l'aménagement du littoral. D'une part,
elle met un terme à l'attente de plus de dix-huit ans, après la promulgation de
la loi littoral4, et surtout de l'injonction faite par le Conseil d'Etat au gouvernement
de prendre un décret, sous peine d'astreinte, définissant le champ d'application
territorial des dispositions de cette loi5. D'autre part, les dispositions de ces
décrets, et notamment celles relatives aux espaces remarquables semblent
rompre l'équilibre nécessaire à une « politique spécifique d'aménagement, de
protection et de mise en valeur »6, en privilégiant les impératifs économiques à
travers une urbanisation accrue par rapport aux exigences de protection d'un
espace pourtant déjà très bétonné. Ces décrets contribuent surtout à la gestion
intégrée du littoral déjà mise en œuvre par de nombreuses dispositions
législatives et réglementaires7.
La lecture de chacun de ces textes fait toutefois ressortir une volonté de
protection renforcée du littoral. Le premier de ces actes, le décret n° 2004-308, fixe
la procédure d'octroi des concessions d'utilisation du domaine public maritime

1. Il s'agit du décret n° 2004-308 du 29 mars 2004 relatif aux concessions d'utilisation du domaine
public maritime en dehors des ports ; du décret n° 2004-309 du 29 mars 2004 relatif à la procédure de
délimitation du rivage de la mer, des lais et relais de la mer et des limites transversales de la mer à
l'embouchure des fleuves et rivières ; du décret n° 2004-310 du 29 mars 2004 relatif aux espaces
remarquables du littoral et modifiant le Code de l'urbanisme ; du décret n° 2004-31 1 du 29 mars 2004
fixant la liste des communes riveraines des estuaires et des deltas considérées comme littorales en
application de l'article L. 321-2 du Code de l'environnement et la liste des estuaires les plus importants
au sens du IV de l'article L. 146-4 du Code de l'urbanisme (JO du 29 et 30 mars 2004, p. 6078-6083).
2. Voir notamment le rapport au Premier ministre de M. Y. Bonnot, « Pour une politique globale et
cohérente du littoral en France », Paris, La Documentation française, 1995, 151 pages ; « Bilan de la
loi littoral », rapport au Parlement, Ministère de l'Equipement, des Transports et du Logement, février
1999, 93 pages ; l'étude de Mme P. Babillot, « La pression de la construction ne se relâche pas sur le
littoral métropolitain », IFEN, juin 2000, n° 55, 4 pages ; ou plus récemment CNADT-Commission
nationale du littoral, « 10 mesures pour refonder la politique du littoral », juillet 2003 : www.datar.gouv.fr ; le
rapport n° 1740 du député J. Le Guen, « Pour un retour à l'esprit de la loi littoral », juillet 2004, 99 pages ;
celui n° 421 du sénateur P. Gélard, « Application de la "loi littoral" : pour une mutualisation de
l'aménagement du territoire », juillet 2004, 97 pages ; et le récent rapport de la DATAR, « Construire ensemble
un développement équilibré du littoral », Paris, La Documentation française, septembre 2004, 156 pages.
3. Des observateurs avertis des questions d'urbanisme, et notamment du littoral, y ont tous vu une
pression sur la loi littoral. Voir H. Kempf, « Les pressions se multiplient pour assouplir la loi littoral », Le

Monde,18631,n° cahier
18484 n°du2,1erdujuillet
1er juillet
2004,2004,
p. 13 p.; L.X. Chavane, « Le littoral sous hautes pressions », Le Figaro,
4. Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral
{JO, n° 3 du 4 janvier 1986, p. 200-206) introduite notamment aux articles L. 146-1 à L. 156-4 du Code
de l'urbanisme.
5. 5054
n° CE, 28 dujuillet
6 octobre
2000, 2000,
Association
p. 91 ; France
Constr.Nature
Urb., novembre
Environnement,
2000, req.
p. 18,
n° 204024,
note Le Corre
Rec. 323,
; AJDA
Mon.2000,
TP,
p. 959; LPA, n° 230, 2000, p. 14, note Laquièze ; BJDU n° 5, 2000, p. 306, concl. Lamy ; LPA du
23 janvier 2001 , p. 21 ; C. Deffigier, « L'obligation pour le gouvernement de prendre les règles
d'application de la loi "littoral" », RFDA, n° 1, 2003, p. 116-125.
6. Extrait de l'article premier de la loi littoral.
7. Voir notamment le décret n° 86-1252 du 5 décembre 1986 relatif au contenu et à l'élaboration des
schémas
n° 89-694 de du mise
20 septembre
en valeur1989 de laportant
mer, JOapplication
des 8 etde9 dispositions
décembre 1986,du Code
p. 14791-14792;
de l'urbanismele décret
particulières au littoral national des articles modifiant la liste d'ouvrages des catégories d'aménagements ou
de travaux devant être précédés d'une enquête publique, JO des 25 et 26 septembre 1989,
p. 12130-12131, codifié aux articles R. 146-1 et R. 146-2 du Code de l'urbanisme ; la loi n° 96-1241
relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas
géographiques dans les départements d'outre-mer, codifiée aux articles L. 156-3 et L. 156-4 du Code de
l'urbanisme ; l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du Code
de l'environnement. Voir à cet effet André-Hubert Mesnard, « L'intégration des politiques du littoral » :
www.droit.univ-nantes.fr/labos/cdmo/nept/nep3_2.pdf

RJ»E 1/2OO5

34
F.-F. LISSOUCK- LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

en dehors des ports. Celui-ci exclut notamment les concessions de plages8 qui,
en raison de leur lien avec le littoral, justifient un texte particulier et dont on peut
regretter le renvoi de l'édiction. Le deuxième décret n° 2004-309 donne
compétence au préfet afin de délimiter les rivages de la mer, des lais et relais de la
mer et des limites transversales de la mer à l'embouchure des fleuves et rivières.
Le troisième décret n° 2004-310, modifie le régime juridique de protection
reconnu aux espaces remarquables en élargissant la liste des aménagements
légers pouvant y être réalisés. Enfin, le quatrième décret n° 2004-31 1 fixe la liste
des communes riveraines des estuaires et des deltas considérées comme
littorales en application de l'article L. 321-2 du Code de l'environnement ainsi que
la liste des estuaires les plus importants, au sens de l'article L. 146-4-IV du Code
de l'urbanisme, en limitant les possibilités d'urbanisation en zone estuarienne.
Cette volonté d'encadrement juridique du littoral est cependant tiraillée entre des
logiques pour le moins contradictoires. Il s'agit de concilier des impératifs
environnementaux de protection qui sont à la source de la loi littoral et des impératifs
économiques dont l'urbanisation constitue l'instrument et le moyen. Entre ces
logiques, ces décrets interrogent la portée de la loi littoral, qui n'a jamais cessé
d'être attaquée, soit par les violations dont elle est l'objet de la part des usagers
de cet espace9, soit par des dérogations octroyées ou acceptées, même si ces
dernières concernent le plus souvent les constructions érigées avant l'entrée en
vigueur de la loi littoral. En tout état de cause, ces pratiques n'ont cessé de
porter atteinte au régime du littoral 10, non sans susciter des critiques de la part
des défenseurs de l'environnement11 et entraîner la condamnation du juge
administratif12. Il paraît donc intéressant de rendre compte de cette mise en œuvre
et d'en apprécier l'ampleur. Ainsi ces décrets suscitent la réflexion sur la
pertinence de la référence au principe d'équilibre entre protection et mise en valeur
à la base de la loi littoral. Ils donnent la mesure d'un équilibre ou d'un compromis
paradoxal entre une volonté d'étendre le champ d'application territorial et d'en
limiter en même temps le champ matériel (I). La portée d'une telle démarche se
trouve limitée en raison des risques que l'ouverture accrue à l'urbanisation
envisagée est susceptible d'entraîner (II).

8. Article premier alinéa 3.


9. Voir C. Frémont (préfet de région Provence-Alpes-Côte d'Azur), « II faut arrêter de bétonner les
plages », interview, Le Figaro, du 1er juillet 2004, op. cit., p. X.
10. Ainsi par exemple, la loi SRU a inséré le nouvel article L. 146-6-1 du Code de l'urbanisme qui
prévoit une telle dérogation en ces termes : « Afin de réduire les conséquences sur une plage et les
espaces naturels qui lui sont proches de nuisances ou de dégradations sur ces espaces, liées à la
présence d'équipements ou de constructions réalisés avant l'entrée en vigueur de la loi n° 86-2 du
3 janvier 1986 précitée, une commune ou, le cas échéant, un établissement public de coopération
intercommunale compétent peut établir un schéma d'aménagement.
Ce schéma est approuvé, après enquête publique, par décret en Conseil d'Etat, après avis de la
commission des sites.
Afin de réduire les nuisances ou dégradations mentionnées au premier alinéa et d'améliorer les
conditions d'accès au domaine public maritime, il peut, à titre dérogatoire, autoriser le maintien ou la
reconstruction d'une partie des équipements ou constructions existantes à l'intérieur de la bande des cent
mètres définie par le III de l'article L. 146-4 du Code de l'urbanisme, dès lors que ceux-ci sont de nature
à permettre de concilier les objectifs de préservation de l'environnement et d'organisation de la
fréquentation touristique... ».
1 1 . Voir par exemple L. Le Corre, « Chronique d'un renoncement : la loi littoral et les estuaires, dix ans
après », Dr. env., n° 42, 1996, p. 14-17 ; et la réaction ironique de P. Le Louarn, « Les espaces naturels
du littoral bientôt protégés... par des paillotes ! », Dr. env., n° 81, 2000, p. 17.
1 2. Il s'agit notamment des aménagements prévus sur la plage de Pampelonne déclarés illégaux par
le juge administratif de Nice : TA Nice, 23 décembre 1996, Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez et
a. c/ Commune de Ramatuelle, RJE n° 3/1998, concl. M.-C. Mehl-Schouder, p. 378; Dr. env. n° 42,
1996 ; note R. Romi, p. 7-8 ; AFDUH 1998, n° 2, p. 126, ; et le dossier réalisé par Et. foncières, n° 77,
décembre 1997 ; J.-F. Struillou, « Pampelonne la plage de la discorde », p. 8-14 ; J. Daligaux et G.
Martin, « Pourquoi interdire d'améliorer l'existant », p. 15-19 et N. Tronche, « Une décision exemplaire »,
p. 20 ; BJDU, n° 1, 1998, p. 2, concl. Mehl-Schouder.

RJ»E 1/2OO5

35
F.-F. LISSOUCK- LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

I. - LE PARADOXE DE L'ÉTENDUE
DES CHAMPS D'APPLICATION TERRITORIAL ET MATÉRIEL
DE L'ESPACE LITTORAL
Les décrets en cause envisagent la mise en œuvre effective de la loi littoral en
vue d'une protection intégrée de cet espace. Ils portent sur l'équilibre exigé dans
la protection et l'urbanisation du littoral. Dans cette perspective, il est encore
possible de constater le dilemme de la solution retenue par les auteurs de ces
actes. D'une part, ils clarifient en élargissant le champ d'application territorial de
l'espace littoral (A). D'autre part, ils introduisent sur le plan matériel une
perspective d'urbanisation (B) qui, à terme, est de nature à contrarier l'objectif précédent.

A) L'EXTENSION DU CHAMP D'APPLICATION TERRITORIAL


DE L'ESPACE LITTORAL
La question principale posée par la loi littoral était celle du périmètre de ce qu'il
était possible de considérer comme faisant partie du littoral. En l'absence d'une
définition législative précise13 de cet espace, de nombreuses communes ont
souhaité bénéficier des droits attachés à ce régime sans toujours vouloir en
respecter les contraintes14, retardant ainsi la mise en œuvre effective de cette
législation. Cette procédure de délimitation est précédée d'une opération de
simplification dont l'objectif est de mettre un terme aux différentes résistances
locales à la mise en œuvre de la réglementation du littoral.

1 . La simplification de la procédure de délimitation


du domaine public maritime
La doctrine ainsi que les usagers n'ont cessé de dénoncer la complexité des
procédures administratives et notamment celles relatives à l'urbanisme pour ne
pas se féliciter de la volonté de simplification du régime de ces espaces. Ainsi,
le décret n° 2004-309 a le mérite de simplifier en unifiant la procédure de
délimitation du domaine public maritime qu'il soit métropolitain ou relevant des DOM.
Il modifie15 et abroge16 la réglementation précédente relative aux limites du
domaine public. Dans cette logique, compétence est donnée au préfet afin de
délimiter cette zone et en cas d'avis défavorable du commissaire enquêteur,

13. A la différence de la loi montagne qui définit la montagne, l'article premier de la loi littoral codifié
à l'article L. 321-1 du Code de l'environnement énonce simplement que « le littoral est une entité
géographique qui appelle une politique spécifique d'aménagement, de protection et de mise en valeur ».
Voir par exemple Ph. Chiaverini, « L'application de la loi littoral par le tribunal administratif de Bastia »,
in spécial
n° « Les dix 1997,
ans p.de77-82.
la loi littoral, actes du colloque de Grimaud des 11 et 12 octobre 1996 », RJE
14. Le ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement répond à la question écrite du député
François Goulard en ces termes : « ...Au cours de la concertation, il est apparu qu'un certain nombre
de communes ont émis des avis défavorables sur l'application de ces dispositions à leur territoire, ce
qui n'a pas permis de prendre les décrets alors prévus. », JOAN du 13 novembre 2000, p. 6477. Il faut
ajouter que les nombreuses élections politiques ont très souvent découragé la volonté des différents
gouvernements à s'engager dans cette voie en passant outre les réticences des communes concernées.
15. Il s'agit du décret du 21 février 1852 sur la fixation de l'inscription maritime dans les fleuves et
rivières affluant à la mer, et sur le domaine public maritime, D. 1852, p. 67-68 ; décret n° 55-885 du
30 juin 1955 relatif à l'introduction dans les DOM-TOM de la législation métropolitaine concernant le
domaine public maritime (JO, n° 156 du 2 juillet 1955, p. 6653-6655), D. 1955, p. 345 ; décret n° 66-413
du 17 juin 1966, portant application de la loi n° 63-1178 du 28 novembre 1963 relative au domaine
public maritime (JO du 23 juin 1966, p. 5153-5154), D. 1966, p. 261-262.
16. Il s'agit du décret n° 69-270 du 24 mars 1969, pris pour l'application de la loi n° 63-1178 du
28 novembre 1963 sur le domaine public maritime relatif à l'enquête concernant la délimitation des lais
et relais de la mer (JO du 28 mars 1969, p. 3109), D. 1969, p. 144-145.

RJ »E 1/2OO5

36
F.-F. LISSOUCK- LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

cette délimitation est constatée par décret en Conseil d'Etat. Cette procédure
n'est pas sans relation avec la protection du littoral.
Elle offre les moyens permettant de le délimiter effectivement afin de mieux
combattre les occupations sans droit ni titre du littoral, et à terme éviter des
contentieux dont la longueur joue en défaveur de ces derniers. Elle permettra
notamment d'éviter que des constructions érigées parfois sur des terrains privés,
sous prétexte de la difficulté de déterminer le domaine public maritime,
débordent sur celui-ci créant en même temps des problèmes de sécurité pour le
public. Elle encadre et affirme la primauté, sur le littoral, du droit de l'urbanisme
sur le droit du domaine public maritime car les propriétaires de ces constructions
ont souvent joué sur l'ambiguïté de ces deux réglementations ainsi que sur la
mansuétude de certaines autorités administratives, pour bafouer les lois 17.
Par ailleurs, cette volonté de déterminer avec précision ces espaces se traduit
par une procédure soucieuse de l'équilibre général de l'espace, dans la mesure
où il est possible de recourir à des procédés de détermination scientifiques des
caractéristiques d'un biotope. Ainsi conformément à l'article 26 de la loi littoral 18
ces procédés reposent sur « des données topographiques, météorologiques,
marégraphiques, houlographiques, morpho-sédimentaires, botaniques,
zoologiques ou historiques ». Ceux-ci devraient aboutir sur les techniques les plus
adéquates, permettant de mieux caractériser le littoral, sans lesquelles une définition
de cet espace et notamment celle de la limite du rivage est difficilement
envisageable19. En attendant sa mise en œuvre, cette procédure semble garantir
une protection renforcée de l'espace littoral dont il est possible d'apprécier
l'importance de l'extension proposée.

2. L'importance de l'extension du champ d'application territorial du littoral


Ces actes portent particulièrement sur la question théorique et physique de la
consistance de l'espace littoral et donnent l'occasion de rappeler cette double
dimension qui n'a pas cessé de se poser à cet espace.
L'article 2 de cette loi, codifié à l'article L. 321-2 du Code de l'environnement,
définit indirectement le littoral ou plutôt les communes littorales par référence au
critère de proximité ou de riveraineté. Or ce critère ne recouvre pas la diversité
des littoraux. C'est pourquoi la loi distingue trois types d'espaces, selon leur
proximité au rivage, à savoir : la bande des 100 mètres où l'urbanisation est
interdite en dehors des espaces urbanisés20, les espaces proches du rivage
dont la constructibilité n'est admise que sous de strictes conditions21, la partie
rétro-littorale où l'urbanisation doit se réaliser en continuité et regroupée22. Face
à ce mini zonage, la reconnaissance du littoral et notamment du régime appliqué

n° 16898
17. F. Grosrichard,
du 26 mai 1999,
« Le p.domaine
10. public maritime : des lois contraignantes bafouées », Le Monde,
18. Au terme de cet article, « Les limites du rivage sont constatées par l'Etat en fonction des
observations opérées sur les lieux à délimiter ou des informations fournies par des procédés scientifiques ».
19. « Bilan de la loi littoral », op. cit., p. 40.
20. Article L. 146-4-111 du Code de l'urbanisme.
21. Article L. 146-4-11.
22. Article L. 146-4-1.

RJ»E 1/2OO5

37
F.-F. LISSOUCK- LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

à l'espace en cause restait complexe23. C'est pourquoi le décret en cause


détermine la liste des communes riveraines des estuaires et des deltas, situées en
aval de la limite de salure des eaux et participant aux équilibres économiques
et écologiques littoraux. Ainsi, à défaut de préciser sur le plan théorique une
définition précise de la notion du littoral, ce décret étend son contenu à quatre-
vingt-sept communes situées dans quinze départements métropolitains.
En même temps il fixe, conformément à l'article L. 146-4-IV du Code de
l'urbanisme, la liste des estuaires les plus importants : il s'agit de ceux de la Seine,
de la Loire et de la Gironde. La portée de ce décret est indéniable, ce texte vient
combler un vide juridique déjà dénoncé par le juge administratif qui considérait
qu'en son absence les dispositions protectrices de l'article L. 146-4-11 et III du
Code de l'urbanisme n'étaient pas applicables aux estuaires24. L'édiction de ce
décret devenait si urgente que le contrôle tant du juge européen que national
risquait de censurer l'inertie de l'administration quand il ne paralysait pas son
action éventuelle. Ainsi, en application de l'article 4 de la directive oiseaux25, la
Cour a jugé, dans les affaires concernant les estuaires de la Seine et du Marais
poitevin, que la mise en œuvre de cette disposition exigeait des mesures de
transposition effectives26. De même, une décision du tribunal administratif de
Nantes a prononcé le sursis à exécution de la décision du préfet de Loire-
Atlantique. Cette dernière autorisait, au titre de l'article 10 de la loi sur l'eau, le
Conseil général de Loire-Atlantique à réaliser des travaux liés à une déviation
routière des communes de Corsept et Paimbeuf, situées au sud de l'estuaire de
la Loire27. Cette situation entraînait une insécurité juridique préjudiciable à la
logique protectrice de la loi littoral.
Face aux blocages créés par l'abstention de l'administration, le juge administratif
s'est substitué à cette dernière et a d'abord intégré les estuaires dans le champ
d'application de la loi littoral 28, avant d'annuler le refus du Premier ministre d'édic-
ter ce décret nécessaire à l'application de la loi littoral et lui ordonner de le faire
sous astreinte, dans un délai de six mois29. La délimitation de l'espace littoral
devenait ainsi aléatoire car le juge administratif d'appel considérait toujours que
les dispositions de la loi littoral étaient inapplicables aux communes riveraines

23. Car comme le constatait le Conseil d'Etat qui dénonçait les contradictions de cette loi, certaines
communes, sans atteindre le rivage de la mer, en sont cependant très proches et sont exclues du champ
d'application de la loi (cas de la commune de Biot dans les Alpes-Maritimes dont le territoire s'approche
de 200 mètres du rivage), sauf si elles en font la demande... À l'inverse, la commune littorale de Roque-
brune-sur-Argens (Var), qui s'enfonce sur 30 kilomètres à l'intérieur des terres, entre dans le champ
d'application de la loi, rapport du Conseil d'Etat de 1992, « L'urbanisme pour un droit efficace », Paris,
La Documentation française, 1992, p. 63.
24. CE avis, 5 octobre 1998, Préfet du Finistère c/ Le Hir, n° 196957, BJDU, n° 6/1999, p. 415, concl.
Maugùé,
n° 64, p. 10,
obs.note
Touvet,
CED Constr.
; AFDUH,Urb.,
n° 4/2000,
1999, n°p.16,
344,p. n°14;362.Dr.Même
adm. si1999,
par la29,suite,
note après
CM ; un
Dr.conflit
env. 1998,
entre
le TA de Rennes et le Conseil d'Etat, les juges de fond ont décidé que les dispositions relatives à la
bande littorale, en l'occurrence l'article L. 146-4-III leur étaient applicables : CAA Nantes, 31 décembre
2001, Préfet
RJEn0 3/2002,du p.Finistère,
453. n° 99NT01477, Constr. Urb. 2002, comm. 178, p. 16-17 ; concl. R. Lalauze,
25. Directive n° 79/407/CEE modifiée du Conseil du 2 avril 1 979 concernant la conservation des oiseaux
sauvages, voir le texte consolidé : http://europa.eu.int/.. 7index_en.htm
26. Affaire C-1 66-97, CJCE, 18 mars 1999, Commission européenne c/ République française, JOCE,
n°C 188 du 3 juillet 1999, p. 4.
27. TA Nantes, 29 juin 2000, Bretagne vivante et Ligue pour la protection des oiseaux n° 001428, dans
cette affaire, le juge administratif, en l'absence du décret prévu à l'article 2-2 de la loi littoral, a fondé
sa décision sur la violation des articles L. 146-6 et R. 146-1 du Code de l'urbanisme parmi les moyens
« sérieux et de nature à justifier l'annulation » de l'autorisation préfectorale en cause. Décision confirmée
par la CAA de Nantes, 28 juin 2002, Association « Bretagne vivante-SEPNB », note B. Drobenko, RJE
n° 4/2003, p. 496.
28. Ibid.
29. CE, 28 juillet 2000, Association France Nature Environnement, op. cit.

R J • E 1 /2OO5

38
F.-F. LISSOUCK- LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION
[€

des estuaires, de sorte que seules les communes en aval des limites
transversales de la mer pouvaient bénéficier du régime de protection de l'article
L. 146-4-1 II du Code de l'urbanisme30. Ce qui excluait de nombreux rivages du
régime protecteur de la loi littoral et il aura fallu attendre le décret n° 2004-31 1
qui étend désormais l'espace littoral aux communes riveraines des estuaires et
des deltas situés en aval de la limite de salure des eaux.
Cette extension a une portée significative à deux égards au moins. D'une part,
elle va dorénavant permettre de protéger ces nouveaux espaces de la pression
de la construction. D'autre part, la combinaison du décret n° 2004-309 sur la
délimitation du domaine public maritime et du décret n° 2004-31 1 concernant la
liste des communes littorales, va produire des conséquences sur les limites des
propriétés riveraines de ce domaine. Elles vont gagner en plus-value et en même
temps, leurs limites susceptibles d'être modifiées en raison à la fois de l'érosion
du sol pourront entraîner une baisse des taxes fiscales généralement plus
élevées en bordure de mer. De même, cette combinaison clarifie le rôle des
différents acteurs (Etat, collectivités locales dont les communes notamment31, les
propriétaires) et leur responsabilité éventuelle en cas d'accident. En
contrepartie, ces propriétés devront respecter la servitude de passage de trois mètres
de largeur grevée sur elles, si celles-ci venaient à se situer dans la bande des
cent mètres. Désormais les communes estuariennes, riveraines des deltas ou
rétro-littorales vont pouvoir bénéficier d'une solide protection de nature à
échapper à cette pression. Pourtant ce champ d'application territorial paraît
inversement proportionnel au champ d'application matériel qui risque de limiter la
protection envisagée de cet espace.

B) LE CHAMP D'APPLICATION MATÉRIEL :


VERS UNE PROTECTION LIMITÉE DU LITTORAL
En vue d'une protection équilibrée de cet espace, la loi littoral a identifié dans
les trois zones du littoral, les espaces naturels remarquables32, quelle que soit
leur distance par rapport au rivage. En l'absence d'une définition de ces
espaces, ils sont considérés comme les plus beaux et les plus riches au plan
écologique ou esthétique33 qui sont de ce fait les plus menacés et méritent par
conséquent une stricte protection. C'est l'objet du décret n° 2004-310 qui en
modifie le régime juridique, revient sur la notion d'aménagements légers
susceptibles d'être implantés dans ces espaces et sur la liste des équipements et
travaux pouvant y être implantés.

1 . La modification du régime de protection des espaces remarquables


par l'extension de la notion d'aménagements légers
La modification de ce régime de protection n'est appréciable que pour autant
que la notion même d'espaces naturels remarquables est précisément identifiée.
Or, ni l'article L. 146-6, ni l'article R. 146-1 en application du premier, du Code

30.
31.
32.
l'33.
urbanismeArticle
CAA
C.
CE,
»,Bersani,
Paris,
12Nantes,
L.novembre
146-1
Le« 31
Le etdécembre
Moniteur,
maire,
1997,
R. 146-1
3e
laCommune
plage
éd.
2001
du 2003,
Code
, Préfet
et lad'Erquy
p.de
loi349).
du
l'urbanisme.
», Et.
(cité
Finistère,
foncières,
par P.op.Châteaureynaud,
n°cit.85, hiver 1999-2000,
« Dictionnaire
p. 10-15.
de

RJ »E 1/2OO5

39
F.-F. LISSOUCK - LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

de l'urbanisme ne définissent les espaces naturels remarquables34. Ce dernier


article ne fait que donner la liste des sites considérés comme remarquables sous
le contrôle du juge administratif. Celui-ci a ainsi jugé que cette liste n'était pas
exhaustive35 avant de considérer que les sites inscrits sont présumés constituer
des sites ou paysages remarquables36.
Toutefois, si ces deux dispositions réaffirment le principe de l'inconstructibilité
relative de ces territoires, elles ne font qu'esquisser les caractères qui les rendent
remarquables. C'est la jurisprudence qui, au cas par cas, utilise un faisceau
d'indices, notamment celui relatif à la mise en œuvre de la loi du 2 mai 1930
modifiée concernant la protection des monuments naturels et des sites de
caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque. Celui-ci
présume de l'existence sur le littoral d'espaces naturels remarquables dès lors que
ces sites sont classés37 et menacés de bétonnage. Si la mise en œuvre de ce
régime peut s'avérer complexe, elle a néanmoins permis, à en juger par
l'importance du contentieux y afférant, d'assurer une large protection de ces espaces.
Désormais, les préoccupations environnementales de l'article R. 146-1, alinéa 1
du Code de l'urbanisme seront accompagnées par celles de la logique
économique de l'article premier du décret n° 2004-310 devenu le second alinéa de
cet article. Malgré une rédaction précautionneuse, cet alinéa tend à élargir la
voie de l'exception au principe de l'inconstructibilité de ces espaces, posé par
la notion d'aménagements légers de l'ancien article R. 146-2. La nouvelle
rédaction de cet article amplifie cette exception par une extension du contenu de la
notion d'aménagements légers.

2. L'extension du contenu de la notion d'aménagements légers défavorable


à la logique de protection
A l'origine, l'ancien article R. 146-2 constituait une exception au principe de
l'inconstructibilité des espaces remarquables posé par l'article R. 146-1
alinéa 1er. Or, celui-ci se voit rajouter un nouvel alinéa qui est susceptible de
paralyser le régime de protection reconnu à ces espaces. Ainsi l'article premier du
décret n° 2004-310 rajoute à l'article R. 146-1 l'alinéa suivant : « Lorsqu'ils iden-

34. Ce décret codifié aux articles R. 146-1 et R. 146-2 du Code de l'urbanisme énonce de façon
redondante que ces espaces sont considérés comme tels dès lors qu'ils « constituent un site ou un
paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral ». Le Conseil d'Etat
a jugé que la liste fixée par ce décret n'était pas limitative : CE, 30 décembre 1996, Société de protection
de la nature de Sète-Frontignan, req. n° 102023, Rec. 512 ; Dr. adm. 1997, n° 112 ; BJDU, n° 1, 1997,
p. 12, concl. Maugùé ; JCP, N 1997, II. 699, note Bernard RD publ. 1998. 299 (19) ; AFDUH, 1996,
p. 262, n° 360.
;

35. TA Nice, 31 décembre 1997, SNC Ryans de Lys, SARL AFPC c/ Commune de Sainte-Maxime, req.
n° 95271.
36. Le juge exerce un contrôle normal sur la qualification des sites remarquables. Ainsi le Conseil d'Etat
a retenu l'existence d'un site remarquable dans l'espèce : CE, 20 octobre 1995, Commune de Saint-
Jean-Cap-Ferrat, req. nos 151282, 151816 et 151859, Rec. T. 1072 ; Dr. adm., n° 12, décembre 1995,
Comm., n° 791, p. 21 BJDU, n° 5, 1995, p. 365, concl. Dael, obs. Touvet. Voir également : CE, 20
novembre 1995, Association « L'environnement à Concarneau », Rec. 419 RFDA, n° 31, 1996, p. 169 ;
;

Dr. adm. 1996, n°52 ; BJDU, n°6, 1995, p. 432 concl. Fratacci, RDpubl. 1998, p. 297. Cette identification
;

du caractère naturel a également amené le juge administratif a déclarer illégal un projet de réhabilitation
de la plage de Pampelonne : TA Nice, 23 décembre 1996, Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez et
a. c/ Commune de Ramatuelle, op. cit.
37. CE, 13 novembre 2002, Commune de Ramatuelle, Ministre de l'Equipement, des Transports, du
Tourisme et de la Mer, req. n° 219034 et 219384 ; BJDU, n° 5, 2002, p. 344, concl. Pivetau ; RD imm,
2003, p. 193 chron. Soler-Couteaux. En général, dans la qualification de l'espace remarquable, le juge
fait une appréciation in concreto, en tenant compte de trois éléments : le caractère naturel de l'espace
considéré, le type de côte en cause et l'intérêt spécifique de cet espace, voir N. Calderaro, « La
protection de l'environnement dans les espaces remarquables et les espaces proches du rivage », colloque
de Grimaud, RJEn° spécial 1997, op. cit., p. 53-63.

RJ»E 1/2OO5

40
F.-F. LISSOUCK- LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

tifient des espaces ou milieux relevant du présent article, les documents


d'urbanisme précisent, le cas échéant, la nature des activités et catégories
d'équipements nécessaires à leur gestion ou à leur mise en valeur notamment
économique ». Cette disposition constitue donc une limitation de la portée de la loi littoral,
qui vient à la suite de celle réalisée par la loi SRU qui avait inséré le nouvel article
L. 146-6-1 au Code de l'urbanisme. Cet article autorise une commune ou un
établissement public de coopération intercommunale à établir un schéma
d'aménagement afin de réduire les conséquences sur une plage et les espaces
naturels qui lui sont proches, de nuisances ou de dégradations sur ces espaces,
liées à la présence d'équipements ou de constructions dès lors que ces
aménagements sont antérieurs à la loi littoral. Celui-ci pourra, à titre dérogatoire,
autoriser le maintien ou la reconstruction d'une partie des équipements ou
constructions existantes à l'intérieur de la bande des cent mètres. Cette pratique
d'élargissement de la liste des exceptions aboutit à vider le contenu même de
la règle de l'inconstructibilité appliquée à cet espace.
Cette logique de l'aménagement est d'autant plus facilitée que la notion même
d'aménagements légers au sens de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme
reste incertaine et relève de l'appréciation des juges. Ceux-ci utilisent dans ces
espèces deux indices, en l'occurrence l'importance de l'aménagement en cause
et sa proportionnalité par rapport au site ou paysage en cause38.
Ainsi, à défaut de préciser la définition de la notion d'aménagements légers, le
décret étend son contenu à des travaux pouvant être autorisés dans ces
espaces. A côté des aménagements autorisés par l'ancien article R. 146-2 et
maintenus39, le nouvel article élargit cette liste aux aires de stationnement
indispensables pour maîtriser la fréquentation automobile, la réfection des bâtiments
existants et leur extension limitée, les constructions et aménagements dans les
zones marines lacustres, de pêche, de conchyliculture, de saliculture ou
d'élevage sur les prés salés, les aménagements nécessaires à la gestion et à la
remise en état des sites classés ou inscrits. Cette liste additive fait une sorte de
compromis entre le champ de la protection territoriale étendu et celui de la

38. Notamment à la lecture du c) du nouvel article R. 146-2 qui autorise sous conditions des
constructions relatives à « La réfection des bâtiments existants et l'extension limitée des bâtiments et installations
nécessaires à l'exercice d'activités économiques ». Cf. aussi la jurisprudence sur le contrôle des
aménagements
1er décembrelégers, 1994,enAssociation
particulier Aide,
un golfreq.
n'estn° pas
94386
considéré
et 387, comme
BJDU n°un1, aménagement
1995, p. 3, concl.
légerCalderaro
: TA Nice,;
encore moins une voie nouvelle et une urbanisation : CE, 25 novembre 1998, Commune de Grimaud,
req. n° 168029, Rec. T. 1213 ; Mon. TPrf 4960 du 18 décembre 1998, p. 41 ; Dr. adm. 1999, n° 62 note
CM Constr. Urb., mars 1999, p. 15, obs. Larralde ; RD imm. 1999, p. 81, chron. Morand-Deviller et
Touvet; BJDU n° 1/1999, p. 15, concl. Maugûe ; AFDUH, n° 4/2000, p. 339, n° 356. De même, ne
;

constitue pas un aménagement léger la reconstruction d'un bâtiment en ruine à usage de bergerie pour
le convertir en résidence secondaire : CAA Lyon, 19 avril 1994, Préfet de la Corse-du-Sud, Rec. T. 1229 ;
D. 1994, p. 563, note Romi ; Dr. adm. 1994, n° 568. De même, la construction d'une aire de jeux et de
sport ne peut être assimilée à un aménagement léger : CE, 20 octobre 1995, Commune de Saint-Jean-
Cap-Ferrat, op. cit. ; ou les réalisations de nombreux équipements ne peuvent constituer des
aménagements légers : CAA Marseille, 20 janvier 2000, Commune de Ramatuelle, Ministre de l'Equipement,
des Transports et du Logement, req. nos 97-MA01046 et 97MA01164, BJDU, n° 2/2000, p. 87, concl.
Benoît DAUH, n° 5/2001, p. 440, n° 368. Dans le même sens, la construction d'un cimetière et sa voie
d'accès ne constituent pas des aménagements légers : TA Nice, 15 juin 2000, Association de défense
;

de 9604480,
nos Bormes et972624
du Lavandou
et 99201 etParSociété
contre, Résidence
la construction
de Cavalière
d'une aire c/
de Commune
retournement
du àLavandou,
caractère req.
.

paysager et modeste destinée à améliorer l'accès au Conservatoire du littoral constitue un aménagement


léger TA Nice, 17 juin 1999, SARL « Les Iles-d'Or », Association de sauvegarde des sites de La
Croix-Valmer et a., req. nos 983373, 983807 et 983808.
:

39. Au terme du nouvel article R. 146-2 du Code de l'urbanisme, il s'agit des cheminements piétonniers
et cyclables et les sentes équestres ni cimentés, ni bitumés, les objets mobiliers destinés à l'accueil ou
à l'information du public, les postes d'observation de la faune et ce qui est nouveau, les équipements
démontables liés à l'hygiène et à la sécurité. De même que les aménagements nécessaires aux activités
agricoles, pastorales et forestières dans la limite de 50 mètres carrés de surface de plancher.

RJ»E 1/2OO5

41
F.-F. LISSOUCK- LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

protection matérielle limité du littoral. En tout état de cause, les risques


d'ouverture de cet espace à l'urbanisation se trouvent élevés.

II. - LES RISQUES D'OUVERTURE


ACCRUE A L'URBANISATION DU LITTORAL
Les décrets d'application en cause procèdent à un renversement de la logique
de la loi littoral qui reposait jusqu'alors sur la primauté de l'impératif de protection
sur la logique d'aménagement. Ils introduisent des éléments assouplissant les
dispositions protectrices de cet espace ; ce qui pourrait favoriser son
urbanisation (A). Par ailleurs, même si ces décrets étendent le champ d'application
géographique du littoral à protéger, ils favorisent paradoxalement le développement
d'une nouvelle forme de mitage (B).

A) LES RISQUES D'ASSOUPLISSEMENT


DU RÉGIME PROTECTEUR DU LITTORAL
Les décrets en cause et notamment celui n° 2004-310 sont le résultat de la
réaction des autorités nationales à l'explosion d'une « économie de cueillette »
du littoral défavorable à sa protection40. La loi littoral partait du constat que les
espaces remarquables, quelle que soit leur distance par rapport au rivage, sont
les plus beaux et les plus riches au plan écologique et donc les plus menacés ;
ils méritent par conséquent une stricte protection. C'est pourquoi cette loi avait
prévu la règle de l'inconstructibilité totale assortie de l'exception sous la forme
d'aménagements légers41. Il n'est donc pas nécessaire d'en rajouter, dans ces
pressions, en agitant l'épouvantai! du « gouvernement des juges » pour
expliquer les difficultés de mise en œuvre de la loi littoral42. Or, la rédaction de ce
décret élargit la liste de ces exceptions et risque, de ce fait, d'impliquer une
urbanisation que même l'exigence d'équilibre réaffirmée ne suffira pas à
atténuer. Cet assouplissement entraîne des risques relatifs à la nature et à la portée
des aménagements qui y sont désormais possibles. Ils concernent des
aménagements liés à la fréquentation du public et ceux liés aux constructions et travaux
portant sur des réalisations existantes.

1 . Les aménagements liés à la fréquentation du public


et la limite de la protection des espaces remarquables
Le décret n° 2004-310 semble être l'expression des partisans de la logique
économique d'aménagement du littoral. Il en est ainsi de l'article premier de ce
décret, nouvel alinéa de l'article R. 146-1 du Code de l'urbanisme. Cet article
érige désormais la nécessité économique comme valeur à partir de laquelle
devra être appréciée la légalité de certains aménagements. Or, cette nécessité
sera fonction d'une demande d'accès au littoral toujours croissante. Même si
ces aménagements doivent préserver l'environnement, il ne semble pas faire de

40. CNADT-Commission nationale du littoral, « 10 mesures pour refonder la politique du littoral »,


op. cit., p. 1.
41 . J.-M. Bécet, « Vers une véritable politique d'urbanisme du littoral ? », op. cit., p. 121.
42. C'est ainsi qu'on peut interpréter cet extrait du rapport du député Jacques Le Guen précité où le
juge administratif est carrément mis « en situation d'excès de pouvoir » car il aurait « en quelque sorte
omis de donner une consistance à l'objectif de mise en valeur du littoral, pourtant énoncé à l'article
premier de la loi littoral, et interprété la quasi-totalité de ses notions dans un sens exceptionnellement
restrictif, faisant ainsi prévaloir sur toute autre considération l'objectif de protection, voire de sanctuari-
sation du littoral », p. 60.

RJ»E 1/2OO5

42
F.-F. LISSOUCK- LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

doute qu'il s'agit d'une réponse favorable aux demandes de nombreux élus et
autres professionnels qui essaient de rendre possibles certains aménagements
sur le littoral.
De même, la nouvelle rédaction de l'article R. 146-2 élargit la liste des
aménagements légers pouvant être autorisés dans les espaces remarquables selon
des buts liés à une logique d'urbanisation. Ceux-ci sont notamment relatifs à la
fréquentation du public et rentrent désormais dans la catégorie d'aménagements
légers pouvant être réalisés dans les espaces remarquables. Il s'agit des pistes
cyclables et des sentes équestres qui ne devront être ni bitumées ni cimentées.
Ces travaux concerneront également les constructions et aménagements liés
aux activités marines ou nécessaires à l'exercice des activités agricoles,
pastorales et forestières s'ils ne créent pas plus de cinquante mètres carrés de surface
de plancher43. Enfin ces travaux concerneront des aménagements dont la nature
semble paradoxale. Ils portent, aux termes de l'article R. 146-2 nouveau, sur
«... Les aires de stationnement indispensables à la maîtrise de la fréquentation
automobile et à la prévention de la dégradation de ces espaces par la résorption
du stationnement irrégulier, sans qu'il en résulte un accroissement des capacités
effectives de stationnement ».
En dépit de la précaution prise qui impose que ces voies ne soient ni cimentées,
ni bitumées, elles risquent d'aboutir à la construction des parkings et autres
paillotes suscitant encore un plus grand usage de cet espace, en contradiction
avec l'objectif de protection de la loi littoral44. Sans préjuger de l'application de
cette disposition, il est néanmoins possible d'envisager une difficile conciliation
entre l'aménagement de ces aires au prétexte uniquement de résoudre le
problème posé par le stationnement irrégulier susceptible de s'y produire et la
protection du littoral. En réalité, ces mesures vont permettre d'y réaliser une
augmentation des possibilités de stationnement et des capacités effectives
d'accueil. Or précisément, la notion de capacité d'accueil pour être conforme à
l'esprit de l'article L. 146-2 du Code de l'urbanisme est regardée comme
postulant à la fois la maîtrise des flux touristiques et la préservation des sites. Par
conséquent la possibilité de réaliser ces équipements d'accueil ne saurait être
absolue, ni être justifiée par une volonté de lutter contre la dégradation du littoral.
Le recours à cet argument n'est pas conjoncturel, il procède des pressions
renouvelées qui avaient abouti selon M. Le Louarn à l'adoption, le 18 mai 2000
par le Sénat, de « l'amendement paillotes » voulant introduire deux alinéas à
l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme afin de contrer la jurisprudence Pam-
pelonne45. Il se trouve que le juge administratif a de façon constante développé
une jurisprudence qui a stabilisé le régime juridique du littoral. Il a notamment
jugé que de tels équipements d'accueil constituaient des opérations
d'urbanisation46 incompatibles avec le régime protecteur du littoral.
Par ailleurs, il faut rappeler qu'à l'origine, la loi littoral envisageait, à travers
l'article R. 146-2 du Code de l'urbanisme une stricte protection des terres agricoles
en limitant, dans les espaces remarquables, l'extension des activités liées à

43. Au lieu de vingt mètres carrés dans l'ancien article R. 146-2 b du Code de l'urbanisme.
44. Y. Bonnot, « Pour une politique globale et cohérente du littoral en France », op. cit., p. 45 et 46.
45. P. Le Louarn, « Les espaces naturels du littoral bientôt protégés... par des paillotes ! », op. cit.
46. Voir notamment, CE, 14 janvier 1994, Commune de Rayol-Canadel, Rec. T. 1251 ; D. 1994
Somm. 96, obs. Charles ; Dr. adm. 1994, nc 172, RD publ. 1996, 293 (21) ; TA Nice, 14 avril 1991, Bret
et autres et 3 novembre 1994, Mme Engelsen et autres, TA Nice, 15 mai 1997, Association des amis de
Saint-Raphaël et de Fréjus et autres, req. n° 92229, BJDU, n° 4/1997, p. 297 ; AFDUH, n° 2/1998, p. 293 ;
RJE1997, p. 527, concl. Poujade.

RJ»E 1/2OO5

43
F.-F. LISSOUCK - LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

l'agriculture. Ainsi, le décret n° 92-838 du 25 août 199247 limitait la possibilité de


construire uniquement aux locaux d'une superficie maximale de 20 mètres carrés
de surface hors œuvre nette (SHON). Ce qui impliquait l'impossibilité, selon le
constat même du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer48, d'étendre ou
d'implanter les sièges des exploitations agricoles. L'article 2 du décret
n° 2000-1272 du 26 décembre 2000 49 a limité cette possibilité en substituant la
notion de surface hors œuvre brute (SHOB) à celle de surface hors œuvre nette.
Ce qui impliquait la difficulté de porter atteinte à cet espace sous prétexte de
construire des équipements liés à l'agriculture. En raison du caractère
contraignant de cet article, le Conseil interministériel d'aménagement du territoire (CIAT)
du 7 juillet 2001 a proposé de le modifier50. Le nouvel article R. 146-2 permet
désormais de créer une SHON jusqu'à 50 mètres carrés de surface de plancher.
Dans ces conditions, il devient difficile de comprendre la volonté d'attribuer à
cette agriculture une mission d'entretien de cet espace51. Dès lors, l'argument
selon lequel les aménagements d'accueil du public ou liés aux activités agricoles
du nouvel article R. 146-2 du Code de l'urbanisme viseraient à protéger cet
espace, ne saurait prospérer.
Au contraire, la possibilité de réaliser ces aménagements constitue d'autant plus
des risques d'atteinte à cet espace que la volonté administrative d'un retour au
droit contre les occupants, parfois sans droit ni titre, du domaine public maritime,
peut prendre des formes que la légalité condamne. Dans ce sens, l'affaire des
paillotes en Corse incite à penser qu'il ne faut pas toujours compter sur la
réaction de l'administration après des années d'inertie52. Mieux vaut alors éviter cette
hypothèse en amont, et les dispositions en cause ne semblent pas prendre ce
chemin. Elles consacrent même les dispositions « paillotes » de la loi du 22
janvier 2002 sur la Corse53 qui dérogent a l'article L. 146-4-111 du Code de
l'urbanisme. Ces risques sont d'autant plus élevés que ces mesures concernent
également les constructions et travaux sur des réalisations déjà existantes.

2. Les constructions et travaux sur existants


et l'augmentation de la surface déjà bâtie
L'autre catégorie d'aménagements légers admis dans les espaces
remarquables porte sur les constructions et travaux sur les réalisations existantes. Il s'agit
de la réfection et de l'extension limitée des bâtiments et installations nécessaires
à l'exercice d'activités économiques. Il est possible encore de prévoir le difficile
équilibre à établir entre la limitation de ces réalisations et la nécessité
économique qui les justifie. Le risque est encore plus grand s'agissant des réalisations

47. Ce décret introduisait le b) de l'article R. 146-2 du Code de l'urbanisme.


48. Selon le constat du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, l'article (ancien) R. 146-2 du Code
de l'urbanisme « ...rend impossible, en espace remarquable, la construction d'un hangar agricole,
conchylicole ou sylvicole... », réponse ministérielle, JOAN CR, n° 42 du 16 octobre 2003, p. 3275,
(p. 3274-3276).
49. Ce décret atténuait la rigueur de l'article R. 146-2 du Code de l'urbanisme en autorisant une SHOB
de 20 mètres carrés maximum.
50. P. Gélard, « Application de la "loi littoral" pour une mutualisation de l'aménagement du territoire »,
op. cit., p. 36.
:

51 . Voir également le rapport, « Bilan de la loi littoral », op. cit, p. 28.


52. P. Silvani, « Les "paillotes" ont prospéré dans un flou juridique », Le Monde, n° 16876 du 29 avril
1999, p. 9.
53. L'article L. 4424-10-11 du CGCT introduit par la loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse
{JO, n° 19 du 23 janvier 2003, p. 1503-1519) précise que « indépendamment des dérogations prévues
au III du même article L. 146-4 et dans les conditions que le plan précise, des aménagements légers
et des constructions non permanents destinés à l'accueil du public, a l'exclusion de toute forme
d'hébergement, dans le respect des paysages et des caractéristiques propres à ces sites ».

RJ«E 1/2OO5

44
F.-F. LISSOUCK- LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

relatives au patrimoine car cet article admet des constructions et aménagements


nécessaires à la gestion et/ou à la remise en état d'éléments de patrimoine bâti,
reconnus par un classement au titre de la loi du 31 décembre 1913 ou localisés
dans un site inscrit ou classé au titre des articles L. 341-1 et R. 314-2 du Code
de l'environnement.
Même si tous les aménagements autorisés exigent le respect de l'environnement
et la mise en œuvre d'une enquête publique, leur réalisation atténue la portée
des barrières érigées de protection de ces espaces et donne aux documents
d'urbanisme, et notamment au Plan local d'urbanisme, une base légale vers le
bétonnage de ces espaces. Les nouveaux articles R. 146-1 et R. 146-2
procèdent par une sorte de « désanctuarisation »54 issue de l'article L. 146-6 et de
l'article R. 146-1 dans son ancienne rédaction. Ils risquent de favoriser un trafic
et un usage dont il est reconnu que le régime de protection n'a pas suffi à enrayer
le rythme des aménagements et constructions qui y sont réalisés55. Cette
situation favorise également le développement d'une nouvelle forme de mitage en
cours dans ces espaces.

B) LE DÉVELOPPEMENT D'UNE NOUVELLE FORME DE MITAGE


La frénésie de l'urbanisation et en particulier des constructions des maisons
individuelles a fait naître un habitat souvent diffus et anarchique dans l'espace
littoral. La multiplication de ces constructions, c'est-à-dire l'extension de
l'urbanisation a été considérée comme le phénomène du mitage. Pour y faire face, la
règle de la constructibilité limitée, en fonction des zonages, a été mise en œuvre.
Si cette règle a permis de limiter les constructions excessives dans les espaces
fragiles en général et dans le littoral en particulier, elle a induit un phénomène
nouveau. Il s'agit d'un mitage par épaississement en opposition au mitage par
extension que la nouvelle réglementation semble encourager.

1 . L'effet du contrôle du mitage par étalement de l'urbanisation


La loi littoral a eu le mérite de concevoir un aménagement encadré du littoral.
L'un des moyens de cette politique a été l'article L. 146-4 du Code de l'urbanisme
qui énonce les principes et règles en fonction d'un zonage du littoral. Celui-ci
distingue trois zones : les zones lointaines ou retro-littorales où l'urbanisation est
admise en continuité56, les espaces proches du rivage où les constructions sont
strictement réglementées57 et la bande des cent mètres où les constructions
sont interdites en dehors des espaces urbanisés58. Ce régime de protection, à
côté de la politique du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres,
a permis d'enrayer la forte densification des constructions anarchiques sur le
littoral. Ce régime juridique a ainsi permis de limiter un mitage par extension que
le nouvel article R. 146-2 semble remettre en cause.
En effet, cet article parvient à ce résultat par une double démarche : d'une part,
il confirme59 l'autorisation de certaines constructions notamment celles exigeant
la proximité immédiate de l'eau dont par ailleurs aucune limitation en terme de

54. Ph. Bénoît-Cattin, « Estuaires et deltas », Constr. Urb., n° 5, mai 2004, p. 3.


55. P. Babillot, « La pression de la construction ne se relâche pas sur le littoral métropolitain », op. cit.
56. Article L. 146-4-1 du Code de l'urbanisme.
57. Article L. 146-4-11 du Code de l'urbanisme.
58. Article L. 146-4-1 II du Code de l'urbanisme.
59. En application de l'article L. 146-4-11 du Code de l'urbanisme.

RJ»E 1/2OO5

45
F.-F. LISSOUCK - LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

surface n'est prévue. Cette incertitude quant au seuil de la surface acceptable


de ces aménagements annonce certainement des recours contentieux relatifs à
ces constructions. Même la seule exigence qui voudrait que leur localisation soit
rendue indispensable pour des raisons techniques, semble plus favorable à leur
réalisation qu'au régime de protection de cet espace. D'autre part, ce décret
permet le développement des activités agricoles, pastorales et forestières
jusqu'à une surface de cinquante mètres carrés de plancher, alors que
l'ancienne rédaction n'autorisait pas de surface hors œuvre brute. Si toutes ces
nouvelles possibilités n'ont pas un réel effet sur le mitage par étalement, elles
favorisent et développent en revanche le mitage par épaississement des
constructions existantes.

2. L'implication du mitage
par épaississement des constructions existantes
Le mitage par épaississement est le résultat du succès relatif des dispositions
anti-mitage par extension de la loi littoral. Celles-ci ont pu contenir et même
empêcher la dissémination des constructions diffuses et incontrôlées dans
l'espace littoral. Face à la force de ces dispositions qui s'imposent aux
documents d'urbanisme60, les seules possibilités de constructions envisageables ne
pouvaient plus porter que sur les réalisations existantes. Cette voie a été
empruntée malgré un contrôle rigoureux du juge administratif61 dans de nombreux
espaces littoraux contrairement à l'idée évoquée par deux récents rapports
parlementaires62. Le nouvel article R. 146-2 va impliquer le développement de ce
type de mitage par agrandissement ou épaississement.
Le risque est grand que cet article puisse, en l'occurrence, favoriser
l'augmentation des autorisations de travaux de « réfection des bâtiments existants et
l'extension limitée des bâtiments nécessaires à l'exercice d'activités
économiques » sans que pour autant la nature économique de ces réalisations soit
déterminée. Il laisse donc une marge d'appréciation, entre la logique économique et
les impératifs environnementaux, à ceux-là même qui exigent l'assouplissement
de la loi littoral. Cette situation concerne la question de la possibilité d'extension
de l'urbanisation dans cet espace et de ses limitations, dans un contexte de
jurisprudence hésitante63.
La protection par le contrôle du grignotage ou du gaspillage64 de l'espace littoral
assurée d'une main est atténuée et limitée de l'autre. Même si la protection ne
saurait signifier stérilisation des sols65, ces nouvelles possibilités risquent
d'entraîner une banalisation de l'urbanisation diffuse synonyme d'artificialisa-
tion66 du territoire littoral. Le mitage par épaississement réalisant alors une

n° 942465.
60. TA Nice, 11 mai 1995, Association de défense de Juan-les-Pins et a. c/ Commune d'Antibes, req.
61. Voir notamment : TA Nice, 23 décembre 1996, Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez et a.
c/ Commune de Ramatuelle, op. cit.
62. Dans le rapport précité de M. Le Guen, il est écrit que la loi littoral « est principalement devenue
un instrument de gestion de l'urbanisme aux mains de l'administration et des juges », p. 10 et 11. De
même, il est affirmé dans le rapport précité de M. Gélard, que pour les maires la loi littoral est considérée
« comme une source importante de complications, sinon d'entrave au développement », p. 40.
63. Voir le développement de cette question et notamment la position opposée du Conseil d'Etat à
celle de certaines cours administratives d'appel, in H. Jacquot et F. Priet, « Droit de l'urbanisme », Paris,
Dalloz, 4e éd. 2001 , p. 262.
64. « Construire ensemble un développement équilibré du littoral », op. cit., p. 146.
65. J.-M. Bécet, « Vers une véritable politique d'urbanisme du littoral ? », op. cit., p. 117.
66. Selon le rapport de la DATAR précité, le linéaire côtier artificialisé est passé en métropole de 39 %
des côtes en 1960 à 61 % dans les années quatre-vingt-dix, p. 58.

RJ»E 1/2OO5

46
F.-F. LISSOUCK- LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

augmentation de la surface déjà bâtie que les dispositions anti-mitage avaient


difficilement contenue. Il n'en faudrait pas tant pour lancer un appel d'air à tous
ceux qui espèrent développer des activités en particulier touristiques, agricoles
ou tout simplement réaménager un habitat permanent, qui n'ont pas en partage
la vertu du respect de l'esprit de la loi littoral. Cette situation procède d'un
ensemble de pressions qui ont déjà obtenu l'assouplissement de la loi littoral par la
possibilité offerte par la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse67. Celle-ci
permet d'assouplir des dispositions législatives et donc des règles d'urbanisme.
Il s'agit notamment de celle de l'inconstructibilité totale de la bande des cent
mètres sur cette île, de la dérogation à la règle de l'extension de l'urbanisation
en continuité dans les communes littorales en fonction des particularités
géographiques locales68, et de la possibilité reconnue à la collectivité de Corse de
fixer la liste des espaces remarquables69. Cette logique d'assouplissements est
poursuivie et renforcée par la loi urbanisme et habitat70 dont le communiqué du
conseil des ministres, qui accompagnait ce qui en était encore le projet de loi,
résume la volonté de limitation71. Autant d'assouplissements permanents sous
forme d'exemptions, d'exceptions ou de dérogations qui risquent plutôt
d'obscurcir l'identité et la vocation du littoral.

CONCLUSION
Le littoral français n'est pas homogène en ce sens que certaines de ses parties,
telle que méditerranéenne, connaissent de plus graves atteintes que d'autres72.
Toutefois, cette entité interpelle et mérite dans son ensemble une égale
protection et mise en valeur. Dans ce sens, les décrets d'application en cause de la
loi littoral, notamment celui n° 2004-310 semblent revenir sur un équilibre qui,
s'il n'a pas enrayé les constructions anarchiques dans cet espace, a néanmoins
pu les contenir. Ils procèdent d'un empilement de rapports et de textes, sous
prétexte de recherche d'une approche globale et partenariale, qui visent le
renversement de l'esprit de la loi littoral. Celui-ci voudrait que les exigences de
protection l'emportent sur les impératifs de l'aménagement de ces espaces
surtout pour les plus remarquables d'entre eux. Ils sont surtout le résultat de l'attrait
de cet espace, de la combinaison des pressions continues en vue d'assouplir
les dispositions considérées comme rigoureuses de la loi littoral et certainement

67. Loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse, op. cit. Cette loi a été introduite notamment
aux articles L. 4424-1 et L. 4424-2 du CGCT.
68. Cette loi autorise (art. 12 introduit à l'art. L. 4424-11 du CGCT) le Plan d'aménagement et de
développement durable de la Corse à « préciser les modalités d'application, adaptées aux particularités
géographiques locales, des articles L. 145-1 à L. 146-9 » du Code de l'urbanisme et décide que les
dispositions ainsi édictées par le Plan « sont applicables aux personnes et opérations mentionnées à
ces articles ».
69. L'article 12 de la loi précitée introduit à l'article L. 4424-10-1 du CGCT laisse la possibilité au Plan
de décider « par délibération motivée de l'Assemblée de Corse, de fixer, pour l'application du premier
alinéa de l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme, une liste complémentaire à la liste des espaces
terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel
du littoral et des milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques à préserver. Cette
délibération tient lieu du décret prévu au premier alinéa de l'article L. 146-6 ».
70. Loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 « urbanisme et habitat », JO, n° 152, du 3 juillet 2003,
p. 11176-11192.
71 . Le communiqué du Conseil des ministres du 27 novembre 2002 indique notamment que ce projet
de loi répond aux souhaits exprimés par de nombreux élus locaux et consiste entre autre à « assouplir
les limitations apportées à l'urbanisation en l'absence de schéma de cohérence territoriale dans
certaines zones des communes littorales ou dans les agglomérations » : www.urbanisme.equipement.gouv.fr/
actu/uh/uh/.htm
72. Voir Ph. Chiaverini, op. cit., et J.-L. Rey, « Protection des espaces remarquables ou proches du
rivage des landes et de la côte basque », RJE, n° spécial, 1997, p. 63-75.

RJ»E 1/2OO5

47
F.-F. LISSOUCK- LE LITTORAL ENTRE PROTECTION RENFORCEE ET PRESSION DE L'URBANISATION

des transformations de l'agriculture dans cette zone. Ils visent enfin à libérer les
élus locaux des contraintes liées à la maîtrise du foncier littoral.
Toutes ces pressions sociales et économiques sont de nature à brouiller l'identité
de cet espace et à limiter l'effet des dispositions protectrices de la loi littoral. Il
paraît donc légitime de se mobiliser pour défendre cet espace73 afin d'assurer
une véritable politique intégrée du littoral74. Dans ce sens, la création du Conseil
national du littoral entérinée par le CIADT du 14 septembre 2004 75 participe de
cette politique. La protection intégrée du littoral ne saurait faire de la limitation
de la loi littoral un objectif, elle ne peut être mise en œuvre qu'à partir du respect
de cette loi faute de quoi serait alors ouverte une période difficile pour la
protection équilibrée du littoral annoncée. On peut comprendre qu'une telle politique
soit difficile à mener au plan national en raison des usages multiples de cet
espace, les politiques de protection et de mise en valeur ne peuvent conduire
qu'à un empilement de textes. Une harmonisation communautaire de la gestion
du littoral s'avère alors nécessaire76.
Dans ce contexte, le principe d'équilibre entre les exigences de la protection et
celles de l'aménagement, ne semble plus suffisant, si tant est qu'il l'a
effectivement été, pour servir de référence au régime juridique du littoral. L'application
de ces décrets annonce le développement d'un contentieux en particulier
administratif, relatif à cette volonté d'assouplissement. A cette occasion, seul le
contrôle juridictionnel serait de nature à rétablir la prédominance de l'exigence
de protection qui semble bousculée par des logiques d'urbanisation de toute
nature sur cette zone.

73. F. Jeancard, « Défendons la loi littoral », Et. foncières, n° 110, juillet-août 2004, p. 15-17.
74. Voir à cet effet le travail de référence de S. Caudal-Sizaret, « La protection intégrée de
l'environnement en droit public français », Thèse, Lyon 3, 1993, 735 pages.
75. Voir le compte rendu de ce CIADT : www.datar.gouv.fr
76. M. Ghezali, « Statut des espaces littoraux », RJE, n° spécial, 2001, p. 11-51.

RJ»E 1/2OO5

48

Vous aimerez peut-être aussi