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COURS DE DROIT MARITIME

Cours du Docteur Marius M. TEBIE


Enseignant à l’Université de Lomé

1
INTRODUCTION

Trois questions doivent retenir l’attention dans cette introduction : quel est l’objet du droit
maritime ; quelles en sont les sources et quels en sont les caractères ?

SECTION 1. OBJET DU DROIT MARITIME

§1. Définition 

Le droit maritime contient, selon le doyen Rodière, l'ensemble des règles juridiques relatives à
la navigation qui se fait sur la mer. Le récent Code des transports rejoint cette analyse, puisque
dans le titre même de la (5e) partie consacrée au droit maritime, il vise le transport et la
navigation maritime, en considérant comme maritimes (art. L. 5000-1) « la navigation de surface
ou sous-marine pratiquée en mer, ainsi que celle pratiquée dans les estuaires et cours d’eau en
aval du premier obstacle à la navigation des navires »1. La définition que donnent Pierre
Bonassies et Christian Scapel2 du droit maritime est plus compréhensible : pour ces éminents
auteurs, la discipline désigne « l’ensemble des règles juridiques spécifiques directement
applicables aux activités que la mer détermine ». Le droit maritime ne se limite plus à la
navigation : il englobe toutes les activités liées à la mer. En tout cas, ce n'est pas la nature des
règles qui détermine l'étendue du droit maritime, mais leur objet. On a depuis la nuit des temps
considéré que les conditions de la navigation sur la mer, et tout spécialement les risques qui y
sont attachés, imposaient des règles particulières. La mer n’est pas, pour l’homme, un milieu
naturel. Alors que les transports sur les fleuves et les canaux sont régis, en principe tout au moins,
par les règles générales des contrats, les transports par mer ont toujours connu et connaissent
encore un régime propre.

§2. Droit maritime, droit maritime commercial et autres branches de la discipline


Dans les différentes disciplines juridiques on étudie les rapports qui naissent de la navigation
maritime. Ainsi, le droit international public maritime comprend une partie très importante
relative aux relations maritimes en temps de paix et en temps de guerre. Il recouvre aujourd’hui le
droit de la mer3 ou « Law of the Sea », expression admise depuis la Conférence de Genève de
1958, consacrée précisément au droit de la mer. Le droit administratif s'occupe de la police de la
navigation et des ports. Le droit pénal connaît des délits qui peuvent être commis à bord des
navires4 ; le droit fiscal, des impôts prélevés pour l'usage des ports et la navigation ; le droit du
travail, de l’activité des gens de mer ; le droit constitutionnel avec le développement d’un certain
nombre de QPC, n’est pas en reste.
Il est naturellement impossible d'étudier dans un simple cours toutes ces règles. Mais d'une
part, l’une des constantes du droit maritime est l’unité de ses activités dans ses aspects de droit
privé ou de droit public5. D'autre part, la mer n'est plus seulement le théâtre de la navigation
maritime, elle reçoit d'autres utilisations ; ses ressources sont exploitées systématiquement dans
1
Rappr. égal. la définition du navire : « engin flottant, construit et équipé pour la navigation maritime… » (art. L.
5000-2, I).
2
MM. Bonassies et Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2e éd., n° 1.
3
J.-P. Pancracio, Le droit de la mer, Précis Dalloz, 2011.
4
 A. Ben Haddou, Le droit pénal de la mer, Thèse Paris II, 1983, dactyl.
5
E. du Pontavice et P. Cordier, La mer et le droit, T. 1, 1984, Avant-propos, n° 1, p. 7.
2
toute sa profondeur et jusqu'à son sol et son sous-sol. C'est pour ces différentes raisons que M.
Jan Løpuski a proposé de définir le droit maritime comme l'ensemble des règles concernant les
divers rapports liés à l'utilisation de la mer et à l'exploitation de ses ressources 6. Cette définition a
l'avantage d'embrasser aussi bien le droit public que le droit privé. Au demeurant, des questions
de plus en plus nombreuses échappent à la classification entre droit privé et droit public
maritimes. Ainsi en est-il des règles concernant le jaugeage du navire, la sécurité de la
navigation, la sûreté, les ports de refuge ou encore, dans une certaine mesure, le droit pénal
maritime.

§3. L’importance du « fait maritime 


« Quiconque contrôle la mer contrôle le commerce ; quiconque contrôle le commerce mondial
contrôle les richesses du monde, et conséquemment le monde en soi »7. L’observation de Sir
Raleigh ne s’est jamais démentie. Il suffit de rappeler quelques chiffres (sources Cluster maritime
français) :
-70, 7 % de la surface du globe sont recouverts par les océans ;
-2 personnes sur 3 vivent à moins de 80 km d’une côte ;
-89 % des importations et 75 % des exportations mondiales de marchandises sont transportées par
la mer ;
-en 2010, le volume d’activité maritime mondial était de 8, 3 milliards de tonnes ;
-le débit portuaire mondial de conteneurs était de 531, 4 millions d’EVP (équivalent 20 pieds) ;
-la flotte mondiale pesait 1, 4 milliards de tonnes ;
-350 millions de passagers ont été transportés.

§4. La marine nationale


La puissance de la Marine nationale française n’est pas étrangère à la vitalité du fait maritime
français. Il est vrai que la Marine américaine avec un budget de 155, 9 Mds USD, 2384 navires et
21 bases navales majeures, domine le monde maritime militaire, mais la Marine nationale
française avec un budget de 44, 7 Mds USD, 289 navires et 7 bases navales majeures est et
demeure l’une des marines les plus performantes au monde. Elle se déploie sur tous les
continents, participe à des opérations de sûreté et de sécurité et exporte son savoir-faire.
Cela dit, les dispositions du Code des transports ne s’appliquent pas aux navires de guerre,
qu’ils soient français ou étrangers (art. L. 5000-2, II), étant précisé que sont considérés comme
navires de guerre tous bâtiments en essais ou en service dans la Marine nationale ou une marine
étrangère.
Pour autant marine nationale collabore à l’essor des activités marchandes. L’exercice par l’État
des pouvoirs de police en mer est évoqué par le Code des transports qui renvoie cependant au
Code de la défense (art. L. 5000-6).

§5. Le droit maritime et le droit de la mer

Comme nous l’avons indiqué plus haut, le droit maritime doit être distingué du droit de la mer
qui définit les compétences respectives des États et de la communauté internationale sur les
espaces maritimes. Le droit de la mer est avant tout du droit international public et fait du reste
6
 V° « Prawo morskie », p. 77 s., in Encyklopedia Podreczna Prawa morskiego, Gdansk (Pologne), 1982
(Encyclopédie pratique de droit maritime) ; Lopuski, Droit international de la mer, op. cit., p. 49.
7
Cf. Sir W. Raleigh, né en 1552, écrivain et explorateur anglais, connu pour avoir conçu le projet de coloniser
l’Amérique du Nord en fondant en 1584 l’établissement de la Virginie. Il contribua à battre la fameuse Invincible
Armada des Espagnols.
3
l’objet d’un cours particulier8. Le droit maritime ne peut, cependant, ignorer le droit de la mer 9.
De très nombreuses règles maritimes en dépendent.

I. La Convention sur le droit de la mer

Le droit de la mer est aujourd’hui contenu dans la Convention des Nations Unies du 10
décembre 1982 sur le droit de la mer, signée à Montego Bay, d’où son nom de Convention de
Montego Bay (CMB)10. Cette Convention, véritable « constitution mondiale pour les océans », est
très largement ratifiée (164 États à ce jour, dont la France, L. 21 déc. 1995 et Décr. 31 août
1996)11 ; les États Unis d’Amérique s’apprêteraient même à le faire. Elle s’est imposée assez
rapidement et, malgré ses imperfections, jouit d’une forte autorité12.
La CMB est un « umbrella treaty » chapeautant de nombreuses conventions spéciales. Elle
établit un cadre juridique global régissant tous les espaces maritimes, leur étendue13, leurs
utilisations et leurs ressources. Elle contient, entre autres dispositions, des mesures sur la mer
territoriale, la zone contiguë, le plateau continental, la zone économique exclusive (ZEE) et la
haute mer14. Elle s’intéresse également à la protection et la préservation du milieu marin, la
recherche scientifique marine, le développement et le transfert de la technologie marine. Une des
parties les plus importantes a trait à l’exploitation et l’exploration des ressources des fonds
marins et de leur sous-sol, au-delà des limites de la juridiction nationale (la haute mer). La
convention déclare la haute mer « patrimoine commun de l’humanité ». L’autorité internationale
des fonds marins est chargée de la gestion des ressources de la haute mer.
Il ne peut être question dans ce simple Précis d’exposer en son entier le droit de la mer 15 : on
se limitera ici à la présentation des zones en indiquant quel est dans chacune d’entre elles le
régime juridique applicable.

II. Les Zones de souveraineté étatique. Eaux intérieures

Les eaux intérieures comprennent les eaux adjacentes au territoire terrestre de l’État riverain
qui y exerce sa souveraineté et au-delà desquelles on mesure l’étendue de la mer territoriale. Il
s’agit des eaux comprises entre la laisse de basse mer et la ligne de base servant de calcul de la
largeur de la mer territoriale16, des eaux de port et de leurs voies d’accès, des eaux des baies,
havres et rades. Ces eaux sont soumises à la souveraineté de l’État côtier qui y exerce l’ensemble
de ses compétences. Mais il a toujours été admis qu’un État ne pouvait refuser à un navire de
commerce étranger le libre accès dans ses ports, sous réserve des dispositions de l’art. 25. 2 CMB
8
V. Gidel, Le droit international de la mer, 3 vol. 1932/1934 ; R-J Dupuy et D. Vignes, Traité du nouveau droit de
la mer, 1985 ; L. Lucchini et M. Voelckel, Droit de la mer, 3 vol., 1990 ; E. Langavant, Le droit international de la
mer, 4 vol. 1980-1984 ; E du Pontavice et P. Corbier, La mer et le droit, PUF 1984. V. égal. Droit international de la
mer et droit de l’UE : coalition, confrontation, coopération, Indermer, oct. 2013.
9
P. Bonassies et Ch. Scapel, n° 40 s.
10
UNCLOS : United Nations Conventions of Law of the Sea.
11
26 Etats restent donc en dehors du traité.
12
V. Colloque Ecole militaire, La Convention… 30 ans après, La Revue Maritime, n° 497, p. 32 s., mettant en relief
les conflits de délimitation des ZEE avec le développement de l’espace arctique, l’importance prise par la recherche
de la protection de l’environnement marin et les difficultés créées par l’essor de la piraterie.
13
L’unité retenue étant le mille marin correspondant à environ 1826 mètres.
14
Sur les difficultés posées par la délimitation des zones, v. P. Von Mühlendahl, L’équidistance dans la délimitation
des frontières maritimes. Etude de la jurisprudence internationale, thèse Paris 11, 2012.
15
Pancracio, Droit de la mer, Précis Dalloz, passim.
16
L’art. 5 CMB prévoit que la ligne de base délimitant la mer territoriale est la laisse de basse mer le long de la côte.
4
permettant à l’État côtier de prendre toute mesure nécessaire afin de prévenir toute violation des
conditions auxquelles est subordonnée l’admission de ces navires dans ses eaux.

III. Le Séjour d’un navire étranger

Le problème juridique essentiel tient ici au séjour d’un navire étranger dans un port : peut-on le
considérer, en tant qu’ensemble organisé, hiérarchisé, placé sous l’autorité du capitaine, comme
une portion du territoire national étranger justiciable de la seule loi du pavillon qui le recouvre ou
doit-on le soumettre à la législation de l’État côtier ? La première thèse a été soutenue avant
d’être, à juste titre, abandonnée17. La souveraineté de l’État côtier s’exerce pleinement dans les
eaux intérieures. S’il n’a jamais été question de donner systématiquement compétence aux
tribunaux civils de l’État côtier ni de méconnaître les règles de conflits de droit privé, la
compétence pénale de l’État côtier a été longtemps discutée. Il ressortait d’un avis du Conseil
d’État du 28 octobre 1806 (S. 1806. 737)18, rendu à propos d’affaires survenues à bord de deux
navires américains en escale en France (le Sally et le Newton), que les autorités françaises
n’étaient pas compétentes pour intervenir sur un navire étranger, sauf à la demande du capitaine
ou encore en cas de trouble à l’ordre public.
Aujourd’hui, les solutions sont radicalement différentes, en ce sens que les navires étrangers,
même les navires de guerre (sous réserve du jeu des immunités) et les navires qui ne sont pas
affectés à des activités commerciales, qui se trouvent dans les eaux intérieures françaises sont
soumis à la loi française, en tout cas pour ce qui concerne les règles de droit public (cf. art. L.
5241-1-I, 2° : sécurité de la navigation ; protection de l’environnement ; lois de police). La loi de
l’État du port, dans ses expressions de souveraineté publique, s’est donc substituée à la loi de
l’État du pavillon. L’État du port peut donc exercer toutes ses prérogatives de souveraineté –
saisie, enquête, immobilisation… - sur le navire étranger en séjour.
Si les principes sont renversés, ce dont la CMB elle-même a pris acte (art. 218 et 219), si le
contrôle de l’État du port s’est considérablement accru et concrétisé, au point de devenir la
règle19, il faut néanmoins se plier aux exigences de la coutume internationale et toujours tenir
compte de ce que dictent l’idée de discrétion des autorités locales 20 et l’idée de libre accès dans
les ports21.

IV. Les Eaux territoriales et le droit de passage inoffensif

L’expression « eaux territoriales » désigne l’espace compris entre les eaux intérieures et les
zones de droits exclusifs. Le principe d’eaux territoriales soumises à la souveraineté de l’État
côtier est défini depuis le XVIIe siècle, avant d’avoir été précisé en 1793 avec l’Italien F. Galiani
concrétisant la distance à la portée des batteries côtières de 36, soit 3 milles marins. La CMB la
fixera à 12 milles au maximum (ce qui est la distance adoptée par la France). Une telle

17
V. du reste, Cons. const. 28 avr. 2005, DMF 2005. 514, obs. P. Bonassies : « il résulte des règles actuelles du droit
de la mer qu’un navire battant pavillon français ne peut être regardé comme constituant une portion du territoire
français ».
18
V. P. Bonassies, Faut-il abroger l’avis du CE du 28 oct. 1806 ? Mélanges Lucchini-Quéneudec, p. 101.
19
Ph. Delebecque, Droit maritime, n° 284.
20
MM. Bonassies et Scapel, n° 45.
21
La question des ports de refuge a été récemment très discutée. Les textes organisent aujourd’hui le régime des ports
de refuge pour les navires en difficulté, en accordant aux autorités étatiques un pouvoir d’injonction : C. transp., art.
L. 5331-3 (v. ss 287).
5
délimitation a un caractère international et doit être reconnue par les autres États. La ligne de base
est représentée par la laisse de basse mer pour une côte rectiligne22.
Quant au régime juridique, la souveraineté de l’État côtier s’étend, au-delà de son territoire et
de ses eaux intérieures, à une zone de mer adjacente désignée sous le nom de mer territoriale. Un
État peut donc exercer toutes ses prérogatives dans les eaux territoriales 23, sauf à respecter le droit
de passage inoffensif réservé aux navires battant pavillon d’un État étranger, y compris les
navires de guerre24 (C. transp., art. L. 5211-1 s.). Le droit de passage inoffensif expressément
reconnu par la CMB consiste dans le fait de traverser les eaux territoriales, soit pour entrer dans
les eaux intérieures, soit, sans entrer dans les eaux intérieures, pour se rendre en un autre point.
Le passage doit être continu et rapide, ce qui exclut, en principe, tout arrêt. Il doit, en outre et
surtout, être inoffensif25
L’autorité compétente prend, dans les eaux territoriales, les mesures de police nécessaires pour
empêcher ou interrompre tout passage qui ne serait pas inoffensif (art. L. 5211-3) 26. On observera
que le droit de passage dans les détroits n’est soumis à aucune autorisation.

V. La Zone contiguë

Cette zone est toujours une zone de souveraineté étatique, mais cette fois limitée. Elle est
d’origine douanière et s’étend sur une largeur de 12 milles au-delà d’une mer de 12 milles. La
compétence de l’État côtier est restreinte, en ce sens qu’il ne peut intervenir que pour prévenir ou
réprimer les infractions en matière douanière, fiscale ou sanitaire (CMB, art. 33). La loi française
du 21 décembre 1987, dans le souci de poursuivre le trafic de stupéfiants, permet aux autorités
douanières d’exercer dans la zone contiguë les contrôles nécessaires pour prévenir les infractions
douanières et poursuivre ces infractions lorsqu’elles ont été commises sur le territoire douanier27.

22
Lorsque la côte n’est pas rectiligne, et spécialement lorsque la distance entre les deux points d’entrée d’une baie
n’excède pas 24 milles ou encore s’il s’agit d’une baie dite historique, une ligne peut être tracée entre ces deux points
d’entrée : cette ligne délimite alors les eaux intérieures (en-deçà) et les eaux territoriales (au-delà). De même, un État
constitué par un archipel (cf. Les Seychelles) peut tracer une ligne de base entre les îles qui le composent dans la
mesure où cette ligne ne dépasse pas 100 milles, les eaux à l’intérieur de cette ligne étant des eaux intérieures.
23
Contrôle de la circulation maritime, réglementation de la pêche (TA Rennes 2 avr. 1998, DMF 1999. 493)…
24
Dans les eaux territoriales, les sous-marins et autres engins submersibles sont tenus de naviguer en surface et
d’arborer leur pavillon (art. L. 5211-2).
25
La CMB définit le passage « agressif », i. e. non inoffensif, comme le fait pour un navire de se livrer à des
exercices ou manœuvres avec armes, de collecter des renseignements, de se livrer à une propagande visant à nuire à
la sécurité de l’État côtier, de commettre des contraventions aux lois et règlements côtiers ou encore d’avoir toute
autre activité sans rapport direct avec le passage – v. en cas de transport de cannabis : Crim. 13 juin 1996, Bull. crim.
n° 252, DMF 1998, HS 2, n° 3, obs. Bonassies : le droit de visite des navires implique pour en permettre l’exercice
effectif le pouvoir de dérouter, si nécessaire, les navires jusqu’au bureau des douanes le plus proche où le moyen de
transport pourra être le plus aisément contrôlé. En d’autres termes, le passage inoffensif doit se faire en conformité
avec les dispositions de Montego Bay et les autres règles du droit international.
26
V. égal. C. transp., art. L. 5211-3, al. 2 et 5211-4.
27
Cf. C. douanes, art. 44 bis et 62 (en application, Crim. 26 juin 2013, n° 12-88.373) V. plus général. G. Castillo, La
zone contiguë dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, ADM 2002, t. VII, 149.
6
VI. La Zone économique

La zone économique exclusive est fondée sur l’idée de développement économique des États 28.
L’idée part de la présomption qu’il est légitime pour l’État le plus proche de jouir des ressources
de la mer côtière, sans pour autant exercer sa souveraineté. La Convention sur le droit de la mer
précise que cette zone ne peut dépasser 180 milles au-delà des eaux territoriales. Tel est le cas en
France29. La ZE de 200 milles marins n’existe pas partout, car il faut pouvoir disposer des
moyens pour assurer sa protection : elle est reconnue au large des côtes atlantiques et de la
plupart des cotes d’outre-mer. Plus récemment une zone économique a été créée au large de la
Méditerranée (Décr. 2012-1148 du 12 oct. 2012).30
L’État y dispose de droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation
et de gestion des ressources naturelles. Le navire étranger doit se soumettre aux règles de l’État
côtier dans ses domaines de compétence.
La question de la nature juridique de la ZEE a été discutée : il s’agit d’une zone de droits
finalisés, plus proche de la haute mer que des eaux territoriales. Du reste, la piraterie est y
universellement punissable et l’article 58 CMB précise que les articles 88 à 115 relatifs à la haute
mer sont applicables à la zone économique. Or, ces articles comprennent l’essentiel du régime
juridique de la haute mer. Ce régime est ainsi transposable intégralement à la ZEE, malgré un
phénomène de territorialisation, notamment pour tout ce qui concerne la libre navigation,
l’application exclusive de la loi du pavillon du navire et la juridiction pénale afférente à tout
incident de navigation.

VII. La Zone de protection écologique (ZPE)

La zone de protection écologique est une nouvelle zone créée en 2003 en Méditerranée par la
France lorsqu’il n’y avait pas de ZE31. Une zone équivalente a été créée en Italie 32. Dans une telle
zone, l’État riverain laisse aux États tiers leur droit de pêche, mais se réserve l’exercer tous les
pouvoirs que leur confère le droit de la mer en matière de protection de l’environnement marin.
Son arsenal répressif en ce domaine en sort renforcé.

VIII. Le Plateau continental

Le plateau continental est la plate-forme sous-marine qui prolonge le continent par une pente
généralement douce. Le plateau désigne les fonds marins et le sous-sol au-delà de la mer
territoriale. Il s’étend sur une distance de 200 milles à partir des lignes de base et même au-delà si
ce que l’on appelle la « marge continentale » est plus importante (jusqu’à 350 milles). L’État
riverain n’y exerce pas sa souveraineté, mais seulement des droits souverains aux fins de
l’exploration et de l’exploitation de ses ressources naturelles (du plateau et du seul plateau). Le
régime est donc identique à celui de la ZEE. Il ressort en France d’une loi du 30 décembre 1968.

IX. La Haute mer. Loi du pavillon


28
J.-P. Queneudec, La zone économique exclusive, RGDIP 1975. 321 ; Voelckel, Comment vit la zone économique
exclusive ? ADM 2001, t. VI, 109.
29
La France a revendiqué dès 1976 une zone économique (L 16 juill. 1976) qui ne saurait cependant, du fait de son
appartenance à l’UE, être exclusive à l’égard des autres Etats membres.
30
V. P. Bonassies, DMF 2013 HS 17, n° 11.
31
L. 16 avr. 2003, P. Bonassies, DMF 2003, HS 7, n° 10 ; Décr. 8 janv. 2004, DMF 2004, HS 8, n° 2.
32
v. La ZPE italienne dans le contexte confus des zones côtières méditerranéennes, Ann. Droit de la mer, T. X. 2005.
7
La Haute mer (High Sea) a longtemps été considérée comme une res nullius. D’où la règle de la
liberté de la haute mer. Aujourd’hui, la situation est un peu différente, dans la mesure où la haute
mer est devenue une res communis soumise au droit international. La haute mer est ouverte à tous
les États côtiers ou sans littoral. L’art. 87 CMB y reconnaît pour tout État :
- la liberté de navigation,
- la liberté de survol,
- la liberté de pose de câbles et de conduites sous-marins,
- la liberté de construire des îles artificielles ou des installations si elles sont autorisées par le
droit international,
- la liberté de pêche,
- la liberté de recherche scientifique.
Il faut ajouter qu’aucun État ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque
de la haute mer à sa souveraineté. Le principe qui domine la haute mer est celui de l’application
de la loi du pavillon33. Les navires en haute mer naviguent sous le pavillon d’un seul État et sont
soumis à sa juridiction exclusive.
La liberté de la haute mer n’est plus absolue. Elle connaît aujourd’hui de nombreuses limites.
D’abord lorsqu’il s’agit de réprimer un acte de piraterie (v. ss 1019). Ensuite lorsqu’il s’agit de
prolonger une action engagée dans les eaux territoriales, cette action pouvant faire l’objet d’une
poursuite en haute mer : c’est l’idée de hot pursuit34. C’est la même idée qui justifie l’intervention
de l’État riverain en haute mer sur un navire à la dérive battant pavillon d’un État tiers en cas de
menace de pollution (Convention du 29 nov. 1969) : l’État partie peut prendre en haute mer, sous
sa responsabilité, les mesures nécessaires pour prévenir, atténuer ou éliminer les dangers graves
et imminents menaçant ses côtes après avoir averti l’État du pavillon et sollicité l’intervention du
propriétaire. On notera aussi que l’art. 110 CMB autorise un navire de la Marine nationale à
exercer un droit de visite en haute mer et arraisonner un navire d’un État tiers lorsqu’il a de
sérieuses raisons de soupçonner que ce navire se livre à la piraterie ou à la traite des esclaves 35.
En cas de trafic de stupéfiants, l’État du pavillon peut demander la coopération d’autres États
pour faire cesser le trafic (art. 108), ce qui n’est pas sans poser de sérieuses difficultés si la
demande est ultérieurement contestée36. En tout cas, l’utilisation de la haute mer ne peut se faire
qu’à des fins pacifiques (art. 88).

X. Le Tribunal international du droit de la mer ◊ C’est l’organe (siégeant à Hambourg et


comprenant 21 juges) dont disposent les États, les organisations internationales et les entités
privées pour régler les différends concernant la manière dont la Convention sur le droit de la mer
doit être appliquée et interprétée. La compétence du Tribunal s’étend à tous les différends qui lui
sont soumis conformément à la convention37. Elle s’étend également à toutes les matières prévues
33
Les navires naviguent sous le pavillon d’un État et d’un seul État, v. Cass. 19 juin 2004, DMF 2005. 433, obs. J. P.
Beurier.
34
Crim. 16 janv. 2007, DMF 2007. 946, obs. Beurier. Le « droit de poursuite inverse », de la haute mer vers les eaux
territoriales a été consacré en matière de lutte contre la piraterie et reçoit certaines applications, v. P. Bonassies,
DMF 2010 HS 14, n° 3.
35
Ce droit de visite peut également être exercé en cas de soupçon de piraterie ou d’émissions radio télévisées non
autorisées. Il existe également à l’égard d’un navire sans nationalité ou refusant d’arborer son pavillon.
36
Cf. Crim. 15 janv. 2003, aff. Winner, DMF 2003. 517, obs. B. Rajot, DMF 2004, HS 8, n° 11 obs. P. Bonassies ;
CEDH 29 mars 2010, DMF 2010. 1021, obs. Bonassies ; Crim. 29 avr. 2009, DMF 2009. 922, obs. A. Bellayer-
Roille ; v. égal. E. Gallouët, Le transport maritime de stupéfiants, PUAM 2013, préface Ch. Scapel.
37
En application des dispositions de son statut, le tribunal a constitué les chambres suivantes :-chambre pour le
règlement des différends relatifs aux fonds marins,- chambres spéciales (de procédure sommaire ; pour le règlement
8
de manière spécifique dans tout autre accord qui confère compétence au Tribunal. À moins que
les parties n’en décident autrement, la compétence est obligatoire dans les affaires de prompte
mainlevée de l’immobilisation des navires (cf. aff. du « Saiga ») et de prompte libération des
équipages en vertu de l’art. 292, et dans les affaires de mesures conservatoires en attendant la
constitution d’un tribunal arbitral, en vertu de l’art. 290-5. La chambre pour le règlement des
différends relatifs aux fonds marins jouit d’une compétence quasi-exclusive pour connaître des
différends relatifs aux activités menées dans la zone internationale des fonds marins.
La chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins est compétente pour
donner des avis consultatifs sur les questions de droit qui se posent dans le domaine d’activité de
l’Autorité internationale des fonds marins. Le Tribunal peut également donner des avis
consultatifs dans certains domaines en vertu d’accords internationaux se rapportant aux fins de la
convention. Les différends sont portés soit par requête, soit par notification d’un compromis. La
procédure à suivre est définie dans le statut et le règlement du Tribunal. Les langues officielles
sont le français et l’anglais.
La CMB pose de nombreuses difficultés d’application qui sont dues, en grande partie, à son
processus d’élaboration : recherche du consensus, négociation politique, intervention de groupes
de pression38…, si bien que certains articles sont vides de sens (art. 74), obscurs (art. 220 s.
« dommage grave »), voire impénétrables (art. 303). Une autre difficulté tient à la jurisprudence
Intertanko qui a considéré que la CMB n’était pas susceptible d’être invoquée par un simple
particulier39. La solution ne va pas de soi, car certaines dispositions peuvent faire grief ou
bénéficier à des individus et pas seulement à des États.
Primauté de la loi du pavillon, liberté de circulation, encadrement des pouvoirs des États,
question des énergies renouvelables… un jour viendra où la communauté internationale voudra
bien s’emparer de ces thèmes. En attendant, il n’est pas exclu d’envisager d’apporter des
amendements à la CMB, en vue notamment de moderniser ses dispositions sur la piraterie, de
redéfinir ce que l’on entend par la bioénergie et de préciser, enfin, la notion de lien substantiel
entre un navire et l’État du pavillon. Cela se fera avec le temps, mais aussi avec l’appui de la
jurisprudence et de la doctrine, jurisprudence et doctrine qui sont aujourd’hui les sources les plus
riches du droit maritime.

SECTION 2. LES SOURCES DU DROIT MARITIME

§ 1. Les Sources historiques

des différends relatifs aux pêcheries ; pour le règlement des différends relatifs au milieu marin ; pour le règlement
des différends relatifs à la délimitation maritime ; chambres ad hoc).
38
Sans compter les problèmes de traduction. On a donc oublié que jurisdiction renvoyait à compétence et non à
juridiction, que promptly ne signifiait pas sans délai, etc.
39
CJCE 3 juin 2008, aff. C-308/08.
9
I. Le Droit romain 

Le droit maritime est un droit traditionnel, fortement marqué par l’histoire. Il porte ainsi le
poids de l’histoire, parfois davantage que celui de la raison. En évoquant l’histoire, on pense
naturellement au droit romain. En la matière cependant, le droit romain n'est pas aussi important
qu’il ne peut l’être en droit civil. Les Romains ont pratiqué un commerce maritime assez actif,
mais ils ne paraissent pas avoir bien connu, ni peut-être bien compris les règles maritimes suivies
par les navigateurs de l'Orient. Venus tard à la vie juridique maritime, ils ont, sans doute dès le
Haut-Empire, recueilli la coutume rhodienne, ensemble de règles suivies en Méditerranée
orientale et qui n'avaient pas toutes pour origine l'Île de Rhodes40. En outre, ils ont connu une
forme de prêt, qui servait au commerce maritime, le nauticum fœnus, contrat aléatoire masquant
la première esquisse de l'idée de l'assurance. Il y eut plus tard, sous les empereurs byzantins, un
livre des Basiliques, consacré exclusivement au commerce maritime, devenu très actif en Orient,
mais ce livre a, semble-t-il, été perdu.

Le droit romain ne fournit donc pas de règles formelles au droit contemporain, et même la
technique du droit romain n'a pas eu une grande influence sur la formation du droit maritime.
Après les invasions barbares et, pour l'Occident chrétien, jusqu'aux croisades, la disparition de
pratiquement tout commerce maritime entraîna la disparition de tout droit maritime. Le terrain
juridique était dès lors vierge au moment de l'éclosion du droit maritime dès le IXe siècle autour
de la place d’Amalfi41. Amalfi, après avoir appartenu au duché byzantin de Naples, va profiter
des invasions lombardes pour se dégager de l’influence byzantine et se constituer peu à peu en
une véritable République. C’est à Amalfi que se constituent les premières sociétés associant un
partenaire à terre et un partenaire en mer. C’est aussi à Amalfi que sont rédigées les Tables
amalfitaines, premier recueil d’usages maritimes.

II. Les Recueils d'usages 

C'est toutefois seulement au Moyen Age que l'on trouve les éléments du droit maritime moderne.
Au-delà des usages propres à telle ou telle ville ou à tel ou tel port, trois recueils ont exercé, à cet
égard, une influence considérable, non seulement en France, mais encore dans toute l'Europe42.
1. Les Rôles d'Oléron, recueil d'actes de notoriété remontant au XIIe siècle et attestant la
jurisprudence maritime en vigueur sur les côtes françaises de l'Océan. On ne sait pas si cette
jurisprudence émanait d'un tribunal siégeant dans l'île d'Oléron ou si le recueil doit son nom au
fait que les décisions avaient été copiées et certifiées par un greffier ou un notaire de cette île.
L'autorité des Rôles d'Oléron s'étendit aux pays du Nord, et jusqu'aux rives de la Baltique : les
Jugements de Damme en Flandre, les Lois de Westcapelle en Zélande, les Lois de Wisby dans l'île
de Gotland, en sont les traductions ou des adaptations.

40
 Les études de droit maritime romain ont été renouvelées en France par J. Rougé, L'organisation du commerce
maritime en Méditerranée sous l'Empire romain, 1966. On ne saurait oublier de citer les travaux de J. Dauvillier, v.
égal. D. Gaurier, Le droit maritime romain, PUR 2004.
41
V. Ph. Chalmain, Le Monde, 6 juill. 2013.
42
 Tous les textes antérieurs au XVIIIe siècle figurent dans la Collection des lois maritimes de Pardessus (six vol.,
1828-1845).
10
2. Le Consulat de la mer, compilation des usages anciennement suivis dans la Méditerranée
occidentale43. C'était le nom du Tribunal maritime de Barcelone. C’est encore à Barcelone que
l’on peut consulter l’original. Il est probable que le recueil soit d'origine catalane, bien que les
Italiens en aient revendiqué la paternité. La première rédaction connue est en langue catalane et
date du XIVe siècle. Les usages sont plus anciens. Le recueil est très complet, mais il est rédigé
sans ordre, et, très vraisemblablement, a fait l’objet d’apports successifs. Il a été traduit dans
toutes les langues. Les anciens auteurs croyaient que le Consulat et les Rôles étaient des
ordonnances de princes souverains. Il n'en est rien : ce sont des recueils d'usages.
3. On peut citer encore le Guidon de la Mer44, composé à Rouen au XVIe siècle, qui donne pour la
première fois des règles détaillées sur l'assurance maritime.

III. Les Statuts des villes et des corporations 

La différence entre l'usage et le statut, c'est que l'usage est suivi par la bonne volonté et l'opinion
commune, tandis que le statut est imposé par une autorité. Sous l’Ancien Régime, les villes
maritimes avaient un statut municipal, reproduisant nombre de règles sur le port, les gens de mer,
les navires, et même la navigation. Les plus célèbres de ces statuts sont ceux des villes italiennes
(Statuts de Trani, au XIe siècle, Tables d'Amalfi, au XIIe…).
Les corporations avaient également leurs statuts, par exemple ceux des « Merchant adventurers »
de Londres ou ceux de la Ligue hanséatique.

IV. L’Ordonnance de 1681 

La première codification du droit maritime remonte au règne de Louis XIV. Colbert45 en prit


l'initiative. On lui doit d’avoir fait nommer par le Roi une commission qui, après de longues
enquêtes dans les ports, élabora la grande Ordonnance de la Marine d'août 168146. Cette
ordonnance, la plus remarquable de celles qui furent prises par Louis XIV, est une œuvre
considérable, très étendue, comprenant à la fois le droit maritime public et le droit maritime privé
de l’époque moderne. Elle acquit dans toute l'Europe une grande autorité et fut imitée par les
nombreux pays qui, à l'exemple de la France, codifièrent cette branche de leur législation (Pays-
Bas, Vénétie, Deux-Siciles, Espagne, Prusse, Suède, etc.). Cette autorité a longtemps rayonné au
point que même la Cour suprême des EU s’en inspira47. Abrogée sans que l’on en comprenne les
raisons (cf. Ord. 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la recodification du droit domanial), ce qui
est l’une des décisions les plus inutiles et regrettables qui aient été prises par des technocrates
incultes, sinon insensibles au monde de la mer, l’Ordonnance de la Marine restera le plus beau
texte de droit maritime jamais écrit.

V. La Doctrine 

43
Sur l’influence du Consulat de la mer : v. M. Ragab, Le droit maritime musulman et sa place dans l’histoire du
droit maritime, thèse Aix-Marseille 1987.
44
 C'est-à-dire le Précis de droit maritime.
45
 V. Colloque de Rochefort sur l'actualité de la politique maritime de Colbert, 17-18 octobre 1983 : compte rendu in
JMM 1983. 2298.
46
 Sur la préparation de l'Ordonnance, v. Chadelat. Revue historique du droit, 1954, p. 74.
47
Cf. P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., n° 12.
11
Il faut retenir au moins quatre noms dans la doctrine française ancienne. Il arrive encore que
l'on consulte ces auteurs pour connaître l'origine de nos règles maritimes.
Cleirac, avocat au Parlement de Bordeaux, a publié, en 1647, un volume intitulé Les us et
coutumes de la mer  ; son œuvre est antérieure à l'Ordonnance.
Valin, conseiller à l'Amirauté de La Rochelle, a commenté au XVIIIe siècle l'Ordonnance de 1681.
Son commentaire est excellent et on continue de le citer. C'était un praticien, mais fort au courant
des principes juridiques.
Emerigon, avocat au Parlement d'Aix et plus tard conseiller à l'Amirauté de Marseille, avait tenté
lui-même de faire un commentaire de l'Ordonnance ; mais quand il apprit que Valin en faisait un,
avec un désintéressement louable, il lui envoya tous ses documents et renonça à cette entreprise.
Il publia cependant un traité des assurances et des contrats de grosse (1783) qui mérite d’être
encore consulté.
Pothier, étudiant les différents contrats, a traité des louages maritimes. Il le fait avec sa finesse
d'analyse juridique habituelle, mais il est bien moins renseigné que les auteurs que l'on vient de
citer sur les usages maritimes.

VI. Le Droit révolutionnaire 

La Révolution n'a pas beaucoup touché au droit maritime. Il y a eu pourtant deux réformes
importantes. La première a été la suppression des tribunaux d'Amirauté, qui jugeaient
uniquement les affaires maritimes, mais, en revanche les connaissaient toutes.
La seconde réforme a consisté dans un Acte de la Convention du 21 septembre 1793, complété
par un décret du 27 vendémiaire an II concernant la nationalité des navires et le transfert de la
propriété.

§ 2. Les Sources contemporaines

A. Le Droit national

Au Togo, c’est d’abord le code togolais de la marine marchande qui régit la matière. Ce code
n’est que la reprise de certaines dispositions des conventions internationales dont le Togo est
partie.
En France, le Code de commerce, rédigé en 1807, promulgué en 1808, contenait un livre II
consacré au commerce maritime (art. 190 à 426). Les rédacteurs du Code de commerce copiant,
ou à peu près, l'Ordonnance de 1681, l'avaient cependant mutilée. L'Ordonnance, comme on l’a
vu, traitait à la fois du droit public et du droit privé maritime. Tout ce qui concerne l'organisation
de la marine s’est retrouvé dans le Code de commerce, d’où, contrairement à ce que l’on dit
parfois, sa bonne facture48, mais ses rédacteurs ont supprimé, à tort, ce qui leur paraissait
concerner de près ou de loin le droit public. Il faut dire que les travaux préparatoires du Code
furent médiocres. Les tribunaux de commerce avaient fait des observations intéressantes, mais le
Conseil d'État n'avait entendu que des discussions sans valeur. Très visiblement, les questions
maritimes ne l'intéressaient pas.
48
Ph. Delebecque, « Le commerce maritime », in D’un code à l’autre ; le droit commercial en mouvement, LGDJ
2008, préf. Le Cannu, p. 297 s.
12
Ce Code, qui est la reproduction du droit du XVIIe siècle, avait peu à peu vieilli. Au moment de sa
rédaction la navigation maritime était encore la même que deux siècles auparavant, mais les
conditions de l'exploitation maritime avaient déjà changé. Les évolutions techniques du XIXe
siècle ainsi que le développement économique dû à la politique de Napoléon III 49 ont mis en
évidence certaines lacunes. Sa modernisation a donc fini par s’imposer à travers un certain
nombre de lois postérieures.
Aujourd’hui, le Code de commerce ne contient plus (ou presque plus, comp. art. L. 110-2) de
dispositions maritimes. Il faut dire que de nombreuses lois postérieures à 1807 sont venues
modifier ou réformer le droit maritime français, quand ce n’est pas le droit européen qui est venu
imposer telle ou telle réglementation au point de « dominer » la matière, à tel point qu’il est
difficile de classer la jurisprudence et la doctrine dans les sources purement nationales50.

Les Usages et les coutume

A côté du droit écrit, le droit maritime fait une place importante à la coutume et aux usages.
1. Certains usages, dit usages conventionnels, tirent leur force de l'adhésion implicite des
intéressés. La force des usages conventionnels est uniquement contractuelle. Il existe, en droit
maritime, de tels usages. Mais il est rare qu'à défaut d'une référence aux usages de tel port ou à
certains usages internationaux, la jurisprudence reconnaisse la force de l'usage. Pourtant, il y en a
des exemples : les délais sur le chargement ou le déchargement des navires, quand ils ne sont pas
déterminés par le contrat, sont réglés par l'usage des ports51.
2. La coutume ne tire pas sa force de la volonté des parties, mais de la volonté commune des
sujets de droit c'est-à-dire de l'idée qu'il est nécessaire de respecter la règle communément suivie
et que l'on se soumet à cette règle par cela même que l'on appartient à la communauté nationale
ou internationale. Pour certains auteurs, la coutume peut arriver, non seulement à suppléer la loi,
mais même à l'abroger. La Cour de cassation a expressément déclaré qu'en matière maritime, les
49
L’Empereur était lui-même très sensible aux questions maritimes : ne nomma-t-il pas des marins (F. Hamelin ; Ch.
Rigault de Grenouilly) et des armateurs (Th. Ducos ; A. Béhic) au Gouvernement ? Dans les années 1860, Marseille
connut un véritable âge d’or : trafic considérable avec le Levant, l’Afrique, l’Orient, l’Extrême Orient, l’Océanie et
l’Amérique du sud ; les principales compagnies maritimes avaient leur siège à Marseille : Messageries maritimes,
Compagnie générale transatlantique, Compagnie Fraissinet, Société générale des transports maritimes à vapeur,
Compagnie de navigation Paquet, Compagnie Fabre, Compagnie maritime des Chargeurs Réunis, armement Daher.
50
B. Bernard, Le droit maritime à l’épreuve de ses sources, thèse Brest 2012.
51
 Ces usages sont fréquents dans l'affrètement maritime. V. pour un cas intéressant, sentence CAMP n°581 du
27 juin 1985, DMF 1986. 243. De même, les systèmes de mesure dans de nombreux trafic (cargaisons de grains en
sortie du continent nord-américain, par ex.) ne sont pas mentionnés dans les chartes-parties, mais résultent de l'usage
reconnu par les praticiens et que nulle partie ne se risque à remettre en cause  : ainsi, le charbon américain est pesé au
départ de la mine par les chemins de fer, wagon par wagon ; s'il pleut ensuite sur les wagons, le charbon absorbe de
l'eau qui ne s'évaporera guère, surtout quand il gèle ensuite ; le navire embarquera un poids sensiblement supérieur à
celui qui avait été reconnu par les chemins de fer (3 % d'écart parfois), ce qui représente une perte notable de fret
pour le navire ; sans être consigné dans la charte-partie, l'usage est établi au point que le fréteur est réputé le
connaître et le prendre en compte – Autre ex., la règle 1 tonne métrique = 1 mètre cube à l’avantage du navire ; cette
règle de 1 :1 est issue du rapport ancien des capacités d’emport (de chargement d’un navire), le poids et le volume
étant dans une relation de 1 à 1. Quel que soit le volume qu’occupait une tonne de marchandise, en raison de la
saturation en poids, cette tonne prenait la place d’un m3. On taxait donc en fonction de l’unité qui saturait le plus les
capacités du navire. Quoique de nos jours, le rapport entre les capacités en poids et les capacités en volume aient
changé, la plupart de armateurs applique toujours cette règle ancestrale - V. égal. les « mises à FOB » Anvers /
Dunkerque qui renvoient à des modalités particulières de pré-transport. V. encore J. Libouton, Les usages du port
d’Anvers, DMF 2013. 534.
13
usages locaux possèdaient une force obligatoire propre qu'ils tiraient de la valeur même qui
s'attache à la coutume et non de la volonté implicite des parties52.
Usages conventionnels et coutumes sont recueillis et appliqués tout spécialement par les
organismes d'arbitrage où siègent notamment des praticiens du droit maritime ; il en est ainsi de
la Chambre arbitrale maritime de Paris, qui tire son nom de la localisation de son siège social à
Paris, mais qui connaît de très nombreux litiges internationaux, même entre entreprises
étrangères53.

B. Le Droit communautaire

1.Les Droits de l’UEMOA et de la CEMAC


Il n’y a pas un Code de la marine marchande de l’UEMOA. Mais il existe un règlement
n° 03/2008/CM/UEMOA relatif aux conditions d’exercice des professions d’intermédiaires
de transport maritime au sein de l’UEMOA
En revanche, dans l’espace CEMAC, il existe un Code communautaire de la marine
marchande de la CEMAC. Il a été adopté le 22 juillet 2012 à Brazzaville au cours d’une
réunion du Conseil des Ministres de l’UEAC2, organe normatif en charge de l’adoption des
règlements, des règlements-cadres et des directives, sur proposition du Président de la
Commission, en vue de la réalisation des objectifs de l’Union Economique3. En vertu de
l’article 2 du Règlement n° 08/12-UEAC088-CM-23 consacrant son adoption officielle, ce
code est entré en vigueur dès son adoption, abrogeant par cela seul le Code du 3 août 2001
qui a cessé de recevoir application. 2. Au-delà de toutes prévisions, jusqu’à l’orée de l’année
2017, soit près de cinq ans après son adoption, ce code n’avait toujours pas été édité, pas plus
que n’avait été publié au B.O. (Bulletin Officiel) de la Communauté le Règlement susvisé,
comme le prévoit son article 24. Le Code n’était pas davantage consultable en ligne5. Seule
une version numérisée ou polycopiée portant les paraphes et signature du Président de la
Commission de la CEMAC, dont l’authenticité n’était pas avérée, était en circulation. Et il
était outrageusement contrefait et commercialisé dans les milieux judiciaires et les milieux
d’affaires à Douala, notamment à l’entrée du prétoire du tribunal de première instance de
Douala-Bonanjo. 3. C’est dire que, jusqu’à son édition et sa publication récentes sur le site
internet de la Communauté, notre Code de la marine marchande n’avait visiblement aucun
caractère officiel.

52
Com. 3 juill. 1952, DMF 1952. 593.
 V. sur ce sujet, R. Jambu-Merlin, L'arbitrage maritime, p. 401 s., in Études offertes à René Rodière, 1981 ; Ph.
53

Delebecque, L’arbitrage maritime, Mélanges Carreau-Julliard, Paris-I ; Y. Vassiliou, L'affrètement dans la


jurisprudence de la Chambre arbitrale maritime de Paris, DESS Droit des transports maritimes, Univ. Aix 1989,
127 p. et annexes ; M. Monetti, Arbitrage et affrètement maritime, étude comparée des sentences françaises et
américaines, Thèse Rouen, 1981, dactyl. ; German Maritime Arbitration Association, Hambourg : IXe International
Congress of maritime arbitrators (ICMA), 1982, 2 vol., ronéot. ; ainsi que les congrès de Paris Londres ; Hambourg
et Vancouver.
Les sommaires de sentences rendues par la Chambre arbitrale maritime de Paris font l'objet d'une publication par
les soins de la chambre moyennant abonnement ; ils sont, en outre, reproduits dans le DMF, après rédaction par le
Comité de la Chambre ou les arbitres eux-mêmes ; v. par ex., DMF, mars 1990, p. 176 s. ; DMF avr. 1990, p. 251 s.,
… et désormais reproduits sous forme de résumé dans la Gazette de la CAMP.
14
2.Le Droit européen

Le Traité de Rome du 25 mars 1957 a institué le Marché Commun entre les pays formant la
Communauté Économique Européenne (CEE) et posé ainsi un certain nombre de principes : la
libre circulation des produits, des capitaux, des travailleurs et des services ainsi que la liberté
d'établissement des ressortissants des États membres dans toute la Communauté, sans parler de la
politique agricole comprenant la pêche54.
Ce Traité comporte des articles relatifs aux transports terrestres, qui ne s'appliquaient pas aux
transports maritimes. Mais en dehors de ces textes et de ceux qui régissent les services (art. 61,
paragraphe 1er du Traité), les autres dispositions du Traité s'appliquaient aux transports maritimes.
C'était la position de la CJCE55. Ce n'est qu'avec les quatre règlements pris par le Conseil le
22 décembre 1986 en matière de transport maritime (JOCE L. 378 du 31 déc. 1986) qu'une
certaine politique communautaire de la mer a été mise en œuvre par le Conseil.
Depuis, l’Union Européenne s’est construite et l’action normative des institutions européennes
n’a cessé de s’amplifier56 en s’efforçant de promouvoir « un développement harmonieux,
équilibré et durable des activités (en cause) »57. C’est à une suite ininterrompue de textes à
laquelle on assiste58. Les récents Paquets Erika ont encore accentué le mouvement, les mesures
prises étant essentielles pour la sécurité européenne en mer.59

Les diverses règles instituées par le Traité de Rome et les traités subséquents ont une grande
incidence sur le statut de notre Marine marchande. Ainsi les privilèges de pavillon réservés un
temps aux armateurs français et les aides à la navigation (v. ss 117 s.) sont condamnés. La liberté
d'échange des services et la liberté d'établissement ont ouvert à tous nos partenaires de l’UE les
trafics réservés jusque-là aux Français. C’est cependant avec l’adoption des règlements de 1986
que la politique communautaire s’est véritablement engagée.
Le premier règlement (n° 4055/86, JOCE n° L. 378, 31 déc. 1986, 1) concerne la libre prestation
de services. Sont visés les transports entre États membres et entre États membres et pays tiers.
Toutes les restrictions à la liberté, notamment les réservations de cargaisons, qu'elles résultent
d'accords bilatéraux ou de dispositions nationales unilatérales, ont ainsi disparues depuis (en
principe) 1er janvier 1993.
54
V. G. Proutière-Maulion, La politique commune de la pêche, in Droits maritimes, Chap. 720 s.
55
 R. Rodière, Traité général, Introduction et Armement, 1976, n° 82. ; MM. Bonassies et Scapel, n° 122 s. G. Mattei-
Dawance, La décentralisation en matière maritime et le droit communautaire, DMF 1986. 195, et du même auteur,
Les ports dans le contexte européen, DMF 1990-350. V. surtout CJCE 4 avr. 1974, Rec. CJCE 1974./359 ; égal.
CJCE 30 avr. 1986, Rec. CJCE 1986/1425 : en l'absence d'une réglementation spécifique de la concurrence, les
règles sur la concurrence du Traité de Rome s'appliquent aux transports aériens et aux transports maritimes. Ce n'est
que le règlement 4056/86/CEE du 22 décembre 1986 (JOCE L. 378) qui a appliqué aux transports maritimes les art.
du Traité de Rome relatifs à la concurrence. La CJCE a fait œuvre féconde d'aiguillon  : du Pontavice, RTD com.
1990. 116 à 128, under community competition Law : comparisons and continuing questions », in Derecho
comercial comparado trabajos en homenaje a Ferran Valls I Taberner, sous la direction de Manuel J. Pelaez, PPU
Editeur, Barcelone, 1989, p. 3241 s.
56
A. Cudennec et G. Gueguen-Hallouët, L’Union européenne et la mer, Pédone 2007 ; L’UE et la mer : perspectives
à 10 ans, DMF 2009. 105 égal. L’Europe des transports, sous la direction de L. Grard, La documentation française,
2005.
57
V. CJCE 11 déc. 2007, C-438/05, DMF 2008. 666, obs. Morin, DMF 2008 HS 12, n° 14, obs. Bonassies.
58
V. par ex. L. 16 janv. 2001 portant diverses dispositions d’adaptation du droit communautaire dans le domaine des
transports, modifiant notamment les conditions de la francisation des navires.
59
V. L. Grard, Panorama des apports du paquet Erika III à la sécurité maritime européenne, RD transp. 2009.
Étude 13 ; en application, v. not. Ord. 2011-635 du 9 juin 2011 intégrée dans le Code des transports.
15
Un autre règlement (n° 4056/86, JOCE L. 378, 31 déc. 1986, 4) détermine les modalités
d'application aux transports maritimes des articles 81 et 82 du Traité de Rome. Concrètement, il
s'agit de réglementer les conférences maritimes. Ce règlement est aujourd’hui abrogé 60. Le
règlement 4056/86 a été prolongé par un règlement sur les consortiums du 25 février 1992, et par
un autre en date du 20 avril 2000, lui-même modifié (Règl. 12 mars 204), puis abrogé mais repris,
en substance, par un règlement du 26 févr. 2009 (JOUE L. 79).
Deux autres règlements organisent la lutte contre les comportements de pays tiers pouvant
affecter le principe de libre concurrence communautaire :
- l'un est relatif aux pratiques tarifaires déloyales (n° 4057/86, JOCE n° L. 378,
31 décembre 1986) d'armateurs bénéficiant d'avantages non commerciaux octroyés par un État
non membre de la Communauté ;
- l'autre concerne la sauvegarde du libre accès au trafic océanique (n° 4058/86, JOCE n° L. 378,
31 décembre 1986, 21) et prévoit que si un pays tiers limite, ou risque de limiter, le libre accès
des compagnies maritimes communautaires au transport des marchandises, les institutions
communautaires pourront décider d'une « action coordonnée » pouvant aller jusqu'à l'application
d'un contingentement ou l'imposition de taxes ou de droits61.
Depuis, de nombreux autres textes ont été pris, qu’il s’agisse de directives ou de règlements. Il est
impossible de les citer tous. En tenant compte des paquets Erika concernant, pour l’essentiel la
sécurité maritime et la protection de l’environnement (v. ss 890) 62, et au-delà de ces paquets, on
retiendra :
- le règlement du 7 déc. 1992 sur la libre circulation des transports maritimes à l’intérieur des
États membres (cabotage maritime) ;
- le règlement 417/2002 du 18 févr. 2002 posant le principe de la double coque pour les pétroliers
(mod. règlement 530/2012 du 13 juin 2012) ;
- le règlement du 27 juin 2002 instituant une Agence européenne pour la sécurité maritime (mod.
règlement 100/213 du 15 janv. 2013, JOUE n° 39 du 9 févr. 2013) ;
- la directive 2002/59 du 25 juin 2002 instituant un système de suivi des navires et d’informations
en vue d’accroître la sécurité et l’efficacité du trafic maritime, conduisant à imposer aux navires
d’être équipés d’un système d’identification automatique (AIS)63 ;
- les directives 2009/17, 18 et 20 du 23 avril 2009, JOUE L. 131, 138, 28 mai 2009) sur les ports
de refuge et les obligations de l’État du pavillon ainsi que sur le contrôle par l’État du port, les
enquêtes après accident, les sociétés de classification 64 et l’obligation d’assurance des armateurs
desservant les ports de l’UE ;

60
Après l’adoption d’un régime de transition, v. MM. Besançon et Fedi, La fin du régime des conférences maritimes,
DMF 2008. 791 ; égal. P. Bonassies, DMF 2008 HS 12, n° 5.
61
 Bonassies, Le droit positif en 1987, DMF 1988, n°s 4 s., p. 5 s. ; Odier, La politique européenne des transports
maritimes, Les quatre Règlements CEE du 22 décembre 1986, Bull. Transp. 1987, 485 ; même auteur, Quel avenir
pour les transports maritimes au sein de la CEE ?, Annuaire du droit maritime et aéro-spatial, Univ. de Nantes, T. X,
1989, 181 s. M. Rémond-Gouilloud, op. cit.
62
Ph. Boisson, DMF 2009. 579.
63
D’où le contrôle des navires par satellites. On en vient progressivement à organiser un contrôle des navires aussi
strict que celui des aéronefs. Sur l’AIS (Automatic Identification System) v. égal. C. Leboeuf, Collecte et utilisation
de l’information en matière de surveillance du domaine maritime : le cas des luttes contre les pollutions marines et
l’immigration clandestines, RD transp. 2011. Étude 7.
64
Sur ces sociétés, v. égal. règlement du 28 mai 2009, JOUE L. 131.
16
- le règlement du 24 nov. 2010 (JOUE n° L. 334, 17 déc. 2010) sur les droits des passagers en
matière de transport maritime, précédé d’un règlement 392/2009 du 23 avril 2009 sur la
responsabilité du transporteur de passagers ;
- le règlement 1255/2011 du 5 déc. 2011 pour le développement d’une politique maritime
intégrée 
- la Directive sur l’accueil dans les ports des États membres des navires en difficulté65 ;
- le Décret 2012-161, du 30 janv. 2012, instituant en application de l’un des paquets Erika le droit
de contrôle de l’administration française sur tout navire étranger faisant escale dans un port
français ou mouillant dans les eaux territoriales françaises ;
- la Décision 2012/22 UE, du 12 déc. 2011 approuvant l’adhésion de l’UE au protocole de 2002 à
la Convention d’Athènes relative au transport par mer de passagers.

C. La Jurisprudence et la doctrine

1)La Jurisprudence 

La valeur de la jurisprudence est relative dans un pays de droit écrit. Mais elle permet d'assouplir
la loi par l'interprétation. Notre jurisprudence use assez largement du pouvoir d'interpréter les
textes législatifs pour arriver à faire naître une règle nouvelle ou à modifier la règle ancienne. De
fait, le droit maritime a, lui aussi, ses grands arrêts 66. La grande majorité des causes maritimes est
en première instance de la compétence des tribunaux de commerce et les tribunaux des grands
ports ont à la fois des juges et des avocats spécialisés. Les appels sont portés devant des cours,
notamment Aix, Rouen et Paris, dont certaines chambres sont en fait spécialisées. Au stade
juridique le plus élevé, de nombreux arrêts de la Cour de cassation (en particulier de la chambre
commerciale) ont exercé ces dernières années une heureuse influence. La jurisprudence locale a
longtemps été rapportée dans les recueils particuliers des ports (cf. Recueil du Havre) dont
beaucoup sont anciens, mais ont tous disparu.
À partir de 1885, la jurisprudence maritime se trouve dans la Revue internationale du droit
maritime, fondée par Autran, qui a été remplacée par la Revue maritime de droit comparé, fondée
par L. Dor avec un supplément pour les décisions françaises sous le nom de Droit maritime
français. La publication de la revue est arrêtée depuis 1940.
Le Droit maritime français est publié depuis 1949 dans une nouvelle série. C’est la Revue de
référence.
La Revue de droit commercial, maritime, aérien et des transports, dite Revue Scapel, du nom de
son fondateur et de ses successeurs, la complète, avec dans une certaine mesure la Revue de
l’Institut de Droit International et des Transports de Rouen (IDIT).

Dans les recueils traditionnels, comme le Dalloz ou la Semaine juridique, les arrêts importants de
la Cour de cassation et des cours d'appel sont également publiés. Ils le sont aussi au Bulletin des
transports et de la Logistique. La Revue de droit des transports et de la mobilité, plus récente,
contient une rubrique consacrée au droit maritime et à ses principales décisions.
La société Lamy, qui édite le Bulletin des transports et de la logistique, publie également chaque
année un ouvrage en trois tomes intitulé Lamy Transport ; le tome 2 est consacré en particulier
65
Rézenthel, Le décret du 2 février 2012 et l’accueil des navires en difficulté : une décision lourde de conséquences
pour les gestionnaires de ports, DMF 2012. 378.
66
« Mercandia », « Draegor Maersk », l’usage est de citer les arrêts par le nom du navire en cause.
17
aux transports maritimes, le tome 3, aux transports des marchandises dangereuses ; le Bulletin
des transports en assure la mise à jour en cours d'année.
La Société du Journal de la marine marchande qui éditait le Droit Maritime Français, édite
également le Journal de la Marine Marchande et du transport multimodal, qui est un instrument
de travail indispensable pour connaître les travaux législatifs et les travaux préparatoires des
conventions internationales ainsi que, de façon générale, l'environnement économique, technique
et réglementaire du droit maritime. Il faut citer aussi la Revue maritime éditée par l’Institut
français de la mer et le journal Le Marin très pratique et très bien informé.
L'association Droit, Littoral et Mer publie sous le même nom une revue de droit maritime, qui a
le mérite de faire une place importante au droit maritime administratif, totalement négligé
d'habitude.
Du point de vue international, on signalera la Revue de droit uniforme, éditée à Rome,
semestrielle, comportant in extenso les décisions les plus importantes, rendues dans le monde
entier pour l'application des conventions internationales, dont les conventions du droit maritime.
Le Comité Maritime International (CMI), qui a été à l'origine de la plupart de ces conventions,
publie un bulletin trimestriel intitulé CMI News Letter, à la fois en anglais et en français. À
Anvers, la revue Droit Européen des Transports, publie dans la langue originale in extenso des
décisions anglaises, belges, allemandes, espagnoles, italiennes, néerlandaises et françaises, avec
un sommaire dans les six langues.
Comme revues de droit maritime étranger, on signalera plus particulièrement, à Londres, la revue
Lloyd's Maritime and Commercial Law Quarterly, mensuelle67, et à Cincinnati (États-Unis), le
Journal of Maritime Law and Commerce, trimestrielle ; à Gênes (Italie) est publiée la Rivista di
diritto marittimo, dirigée par F. Berlingiéri.
Enfin, on signalera des annuaires, l'Annuaire de droit maritime et aérien, devenu en 1987
Annuaire de droit maritime et aéro spatial édité par le Centre de droit maritime et aérien de la
Faculté de droit et des sciences politiques de l'Université de Nantes (Ed. Pédone, Paris) et les
Annales de l'Institut Méditerranéen des Transports Maritimes (Edisud, Aix-en-Provence, France)
ainsi que la « Collection (annuelle) espaces et ressources maritimes », consacrée, depuis sa
création en 1986, à la fois au droit de la mer (droit public) et au droit maritime (droit privé)
(PUF) ; en Espagne (Madrid), il faut citer l'Anuario de Derecho maritimo (sous la responsabilité
de l’Arroyo) et la Revista de Derecho del transporte, éd. Marcial Pons.

2)La Doctrine 
a)La Doctrine française
Il existe en France, en dehors des ouvrages anciens, trois grands traités classiques, d'ailleurs. Ce
sont, par ordre de date :
- Lyon-Caen et Renault, Traité de droit commercial (t. V, Des Navires, des propriétaires de navires et
de leurs propriétaires, et VI, Des avaries, des abordages, du sauvetage et de l’assistance, 5 e édit, par
Amiaud) (1931-1932).
- J. Bonnecase, Le droit commercial maritime, son particularisme, son domaine d’application et sa
méthode d’interprétation, Sirey, 2e éd., 1931.
- D. Danjon, Traité de droit commercial maritime (6 vol., 1910-1916 ; 2e éd., avec le concours de
Lepargneur, t. I à V parus 1926-1932).
L’ouvrage, plus récent, du doyen Ripert (Droit maritime, 4e éd., 3 vol., 1950-1955 ; une mise à jour de
cet ouvrage en 1963 est due au doyen Rodière) reste aussi un grand classique.
67
 V. aussi Lloyd's Maritime Law Newsletter (LMLN) et surtout le Lloyd's List.
18
- Le doyen Rodière a lui-même rédigé une œuvre essentielle, le Traité général de droit maritime. Le
Traité comprend huit volumes : Affrètement et transports, 3 vol. formant les numéros 4, 5 et 6 du
Traité (1967, 1968, 1970) ; Événements de mer (n° 7, paru en 1972) ; Introduction et Armement (n° 1,
paru en 1976) ; Le navire (N° 2), tous écrits par l'auteur ; Gens de mer (n° 3, 1978, dû à R. Jambu-
Merlin).
- Le numéro 8 (Assurance et ventes maritimes) a été écrit, pour les assurances maritimes, par R.
Rodière avec la collaboration de Pierre Lureau, André Pierron et Pierre Latron, et pour les ventes
maritimes, par Jean Calais-Auloy (paru en 1983). Une mise à jour des tomes 1, 4, 5, 6 et 7 est parue en
1978
- Le doyen Rodière est également l’auteur d’un ouvrage intitulé Le Droit Maritime (PUF, Que sais-
je ?, n° 1252, 1980) et, en collaboration avec Martine Rémond-Gouilloud : La mer : droits des
hommes ou proie des États ? (Ed. Pédone, 1980)68.
On citera également les ouvrages de :
- P. Chauveau, Traité de droit maritime, 1958, éd. techniques,
- G. Piette, Droit maritime, Pédone 2016, ayant refondu le M. Rémond-Gouilloud, Droit maritime,
Pédone, 2e éd., 1993 ;
- A. Vialard, Droit maritime, PUF 1997 ;
- A. Montas, Droit maritime, 2ème éd. Vuibert, 2016 ;
- C. de Cet Bertin, Cours de droit maritime, éd. Ellipses 2010.
v. encore, l’ouvrage collectif Droits maritimes (Dalloz Action) que l’on doit aux Professeurs Beurier,
Chaumette, Tassel et Ndendé ;
v. aussi sous la direction de M. de Juglart, Le transport sous connaissement à l'heure du Marché
Commun (LGDJ 1966).
v. égal. du Pontavice et P. Cordier, La mer et le droit, 1er vol. Droit de la mer : problèmes d’actualité,
1984.
Mais incontestablement, l’ouvrage le plus approfondi et le plus moderne est celui de :
- P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ 3e éd., 2016. C’est aujourd’hui le Traité
de référence.
Il faut également signaler les nombreux articles, chroniques et commentaires de P. Bonassies (v. not.
au DMF sa chronique de début d'année sur « Le droit positif » de l'année précédente, chronique
poursuivie en collaboration avec Ph. Delebecque, depuis 2005) et l'œuvre de R. Achard, puis de Y.
Tassel en leur qualité de rédacteurs juridiques au DMF.
Le droit maritime est également présenté et développé dans les Encyclopédies Dalloz (droit
commercial et droit international) et dans le Jurisclasseur Transport (volume 3, 4 et 5).
Le Centre de droit maritime et des transports de l’Université d’Aix-Marseille publie depuis quelques
années, sous la direction de son fondateur, Christian Scapel, les principales thèses de droit maritime
soutenues en France.
Cette bibliothèque prend heureusement la suite de la Bibliothèque de droit maritime, fluvial, aérien et
spatial lancée par MM. de Juglart et du Pontavice et éditée par LGDJ.

b) La Doctrine étrangère

On peut en consulter aujourd’hui de nombreuses sur les sites internet. On relèvera ici quelques
ouvrages, sans prétendre à une quelconque exhaustivité.

 V. E. du Pontavice, L'œuvre du doyen Rodière en droit maritime, DMF 1982. 643 s. et p. 708 s. ; égal. sur le même
68

thème, M. Ndendé, RRJ 2001. 239.


19
Royaume-Uni : v. pour une première orientation, compte tenu de l’abondance des ouvrages de
qualité, Halsbury’s Laws of England, vol. 43. 1 et 2, Butterworths 1997.
États-Unis : on citera le classique The Law of Admiralty (2e éd., 1975), de Gilmore and Black et,
Admiralty and Maritime Law par Thomas J. Schoenbaum et A.N. Yiannopoulos (« The Michie
Company »), Charlottesville, Virginie, 1984). v. égal. l’œuvre de M. Sturley.69
Canada : William Tetley est l’auteur de référence, v. not. Marine Cargo Claims70.
Italie : Francesco Berlingieri, Président honoraire du CMI, Time-Barred Actions (2e éd., LLP 1993) ;
Arrest of ships, ; G. Righetti pour son Trattato di Diritto Marittimo, première partie, A. Giuffre
Editeur, Milan, 1987 (2 tomes), seconde partie (1 tome), 1990 ; égal. Scritti in onore di F. Berlingieri,
Il Diritto Marittimo 2010 ; S. -M. Carbone, Diritto Marittimo, ed. Giappichelli 1997.
Espagne : Ignacio Arroyo, Codigo de comercio y legislacion mercantil (dont le droit maritime), 2e
édition, 1985, Tecnos Editeur, Madrid ; M.-J. Pelaez et J.-F. Viladrich, Cuadernos Informativos de
Derecho Historico Publico, Procesal y de la Navigacion, n° 2-3, novembre 1986, PPU Editeur,
Barcelone 1987 ; égal. I. Arroyo, Estudios de Derecho Maritimo, Lib. Bosch, Barcelona 1985 ; Curso
de Derecho Maritimo, 2e éd. Thomson 2005.
Portugal : Ministère de la justice, Direito Comercial Maritimo, 1987, Centro de Ediçoes do GEPMJ,
Lisbonne.
Grèce, A.M. Antapassis, Les codes maritimes grecs, LGDJ, Paris1983 ; v. égal ; Mélanges
Antapassis, à paraître 2014.
Suisse, V. Mélanges Walter Müller, Zurich, 1993.
Belgique : J. Putzeys, Droit des Transports et Droit Maritime, 1993, avec la collaboration scientifique
de M.-A. Rosseels, 3e édition, Bruxelles, 1993 ; v. égal. les chroniques de Droit Maritime Belge
publiées au DMF ; égal. Liber Amicorum, Lionel Tricot, Kluwer, Anvers, 1988 ; Liber amicorum R.
Rolland, éd. Larcier 2003.
Pays-Bas, les travaux de MM. Van Ziel, Van Hooydonk et Smeele sont les références.
Suède, The swedish Maritime Code, Sjölagen, Stockholm, 2001.
Finlande, H. Honka, New carriage of goods by sea, 1997.

Comme recueils de textes, on signalera :


- J.-P. Quéneudec : Conventions maritimes internationales (Ed. Pédone, Paris, 1979)71 ;
- O. Cachard, Code maritime, Droit international et droits européens, éd. Larcier Bruxelles 2006.
- l'Association Française du Droit Maritime a publié, avec un avant-propos de Me Jacques Villeneau,
un Recueil des textes du droit maritime français au 1er janvier 1988, Ed. Journal de la Marine
Marchande, 1988. Ce recueil a été actualisé sur le site de l’AFDM.
On trouvera enfin, de précieuses références dans la Gazette de la CAMP (arbitrage-maritime. org).

§ 3. Les Sources internationales du droit maritime

69
V. égal. Ch. Kende et alii, Développements récents en droit américain des transports, RD transp. 2012. Chron. 8.
70
Le Code civil du Québec contient un certain nombre de règles particulières aux contrats maritimes (art. 2059 s.).
71
 Le CMI (V. supra même numéro) publie régulièrement un recueil de toutes les conventions maritimes
internationales, et l'éditeur Kluwer (Pays-Bas) un volume sur feuillets mobiles donnant le texte de toutes les
conventions internationales en matière de transport, sous le titre « TRANSPORT ». Dans ces deux volumes,
conventions et protocoles sont édités simultanément en anglais et en français –v. aussi, The ratification of Maritime
Conventions, Lloyd’s Shipping Law Library.
20
A. Les Difficultés

Les difficultés sont nombreuses qui tiennent à la langue, aux interférences entre le droit européen
et le droit international, aux réactions nationales et à la diversité des conceptions du droit qui se
partagent le monde. Pour autant, l’unification du droit maritime est une réalité, sans doute
beaucoup plus présente dans le monde maritime qu’ailleurs. Cela ne signifie pas qu’elle ne
connaisse aucune limite : les questions récurrentes de conflits de lois l’attestent.

1)La Langue anglaise

Un temps, le français était la langue dominante72. C’était du reste la langue aristocratique et


diplomatique. Aujourd’hui, le français demeure une langue majeure : que l’on pense au continent
africain francophone en plein essor ! Le français doit donc conserver sa place. Le droit doit, au
besoin, y contribuer : la loi. 1349 du 31 déc. 1975 relative à l’emploi de la langue française
s’efforce de faire respecter l’usage de la langue de Molière 73. Des arrêtés (not. 28 déc. 1985)
précisent quels sont les expressions et termes et recommandations émises 74. Pour autant, la langue
anglaise ou américano-anglaise est devenue la langue des affaires et de la communication
technique. Dans les milieux maritimes, c’est la langue de base. Il est bien évident que l’anglais
est l’outil principal de documentation et de communication. La jurisprudence en a d’ailleurs pris
acte75. On notera aussi que les textes récents imposent que la langue utilisée à bord d’un navire
soit partagée par l’ensemble de l’équipage (art. L. 5000). Cette langue sera, le plus souvent,
l’anglais.

2)Les Sources internationale et européenne

L’inflation des textes européens et des conventions internationales fait qu’il est devenu souvent
difficile de s’y retrouver, d’autant que la hiérarchisation des sources européennes et
internationales ne va pas de soi. Sans doute, la loi internationale doit-elle primer la loi nationale
et il en va de même de la loi européenne sur la loi nationale. Mais les choses deviennent plus
compliquées lorsque l’on cherche articuler le 2 e étage avec le 3e76. Les difficultés sont donc
réelles77, d’autant que les textes européens se préoccupent aussi d’intégrer les textes de dimension
internationale.78

72
M. Fumaroli, Quand l’Europe parlait français, éd. de Fallois, Paris 2001, commençant par citer Stendhal : « …
tous les gens d’esprit qui ont aperçu en France cette perfection passagère de la société n’ont cessé de l’adorer ».
73
Cette législation ne s’impose qu’au cours de la mise en vente sur le marché intérieur auprès des consommateurs et
non lors des opérations de dédouanement, Rouen 22 mars 1984, BTL 1984. 405, note B. Marguet ; égal. Chao, BTL
1984. 394 s.
74
V. A. du 18 juill. 1989, J0 du 12 août, sur la terminologie à utiliser dans le monde professionnel maritime.
75
V. Com. 11 mars 1997, Rev. crit. DIP 1997. 537, note Rémery, DMF 1998, HS, n° 98, obs. P. Bonassies,
Defrénois 1997. 1348, relevant que dans les contrats d’assurance maritime, l’art. L. 112-3 qui impose la langue
française, n’a pas de raison d’être : « dans les contrats internationaux de droit privé, les parties choisissent librement
la langue dans laquelle elles rédigent leur accord ». Il est également officiellement admis que la langue des manuels
techniques peut être l’anglais, ainsi en est-il pour les manuels aéronautiques, v. D. Corrignan-Carsin, JCP 2012.
1326.
76
Ainsi le règlement 1490/2007 du 11 déc. 2007 qui abroge le règlement du 15 mai 1979 concernant la ratification
par les Etats membres du code de conduite des conférences maritimes est-il en conflit avec l’engagement
international pris par la France d’adopter pareil code.
77
Delebecque, Européanisation et internationalisation des sources du droit : l’exemple du droit maritime, RJ com.
oct. 2012.
21
3)Les Réactions nationales

Surtout, l'unification du droit maritime international, si patiemment tissée, comme on le verra ci-
après, par les siècles, puis par le CMI depuis plus de cent ans, est, de temps à autre, remise en
cause par des réactions nationales, voire nationalistes. Ainsi faut-il rappeler le comportement des
États-Unis, exaspérés par la conduite des représentants d'États conservateurs au sens propre (et
non pas forcément au sens politique du terme), lors du vote de la Convention de 1969 portant
création d'un fonds d'indemnisation et des protocoles additionnels de 1976 et 1984. Face aux
timidités et aux atermoiements manifestés dans la préparation et la rédaction finale des textes, les
États-Unis ont appliqué, dès que la pollution a un lien avec leur sol, des dispositions particulières
dont celles du TAPAA de 1973 et surtout de l'« Oil Pollution Act » de 1990, et ont infligé aux
navires transportant des hydrocarbures qui les déversent dans la mer, involontairement ou non,
des sanctions multiples et parfois démesurées par rapport à l'assurabilité des navires. Ces lois
territoriales pour leur compétence, appartenant donc au droit interne des États-Unis, s'appliquent
à tous les navires porteurs d'hydrocarbures, quelle que soit leur nationalité, et créent une
législation interne en désaccord avec le droit international, consommant ainsi un divorce entre le
droit international uniforme ou uniformisé et le droit interne d'un pays puissant sur un point
considérable en matière maritime. Aujourd’hui, c’est l’Europe, du moins une certaine Europe, qui
cherche à imposer ses propres règles : on le voit notamment avec la difficulté qu’il y a pour faire
admettre les Règles de Rotterdam sur le transport de marchandises par mer. Tout, cependant,
n’est pas négatif : la sécurité de la navigation s’est en effet sensiblement renforcée avec les
paquets Erika qui, au-delà de leur application européenne, ont une valeur de modèle dans la
communauté internationale.

4)Les Principales familles juridiques79

On peut classer les législations étrangères en cinq groupes :


1. Un certain nombre de pays ont pris pour modèle le droit français que ce soit l'Ordonnance de
1681 ou le Code de commerce. C’est le cas, notamment, des Pays-Bas et de l'Italie. Si ce nombre
a diminué, on peut encore citer l'Espagne (1885), le Portugal (1888), l'Egypte (1883) et de
nombreux pays de l'Amérique du Sud.

2. L'Allemagne a, depuis le Code de commerce de 1881, exercé une influence considérable. Son
Code actuel date de 1897. Il est aujourd’hui en cours de révision. Il a été en partie copié au Japon
et il a inspiré le Code turc et dans le prolongement les textes grecs.

3. Les pays influencés par le droit anglais n'ont pas codifié le droit maritime. Au Royaume-Uni, le
Merchant Shipping Act (toujours daté de 1894, quoiqu'il ait été de nombreuses fois modifié
78
C. Legros, L’intégration des conventions internationales dans le droit dérivé de l’UE : l’exemple du droit des
transports, Mélanges Courbe, Dalloz 2012, p. 379.
79
 Plusieurs codes ont été traduits par les soins de l'Institut de droit comparé de Paris et sont publiés dans la
« Collection des lois maritimes étrangères », tous avec une introduction et sous la direction de R. Rodière :
URSS — 1929 (1966) ; Italie — 1942 (1968) ; Pologne — 1961 (1970) ; Nordiques (1972) ; Bulgarie — 1970
(1973) ; URSS — 1968 (1974) ; Argentine — 1973 (1979). L'avant-dernier (Code de commerce turc — partie
maritime) a été publié avec introductions d'E. du Pontavice et de Mes'ût Önen et sous la direction d'E. du Pontavice
(Ed. Pédone, 1984). V. enfin Loi relative à la navigation maritime marchande de la RDA, Introduction de E. du
Pontavice et D. Richter-Hannes, Collection des lois maritimes étrangères, ouvrage publié avec le concours de
l'Association Française du Droit Maritime, Pédone 1986 ; égal. E. du Pontavice, Code maritime de la RFA, Pédone.
22
depuis) fut d'abord une loi administrative et le droit privé restait alors coutumier. Depuis, le droit
écrit gagne chaque jour. En 1906, une loi a réglementé l'assurance ; en 1924, une autre loi, le
Carriage of Goods by Sea Act, le transport par mer ; en 1958, la responsabilité des propriétaires
de navire a été réglée par une autre loi. Aux États-Unis, le droit est également coutumier80, mais il
existe des lois écrites très importantes sur les transports par mer. Les lois scandinaves et
finlandaises, fort semblables entre elles, sont inspirées par les conventions internationales
d'inspiration anglaise, dans un souci d'unification du droit, les méthodes de raisonnement restant
de « droit continental »81.

4. Un quatrième groupe est formé par les législations modernes qui se conforment davantage aux
règles adoptées dans les conventions internationales. La Belgique a réformé son droit en 1879,
puis en 1908 et en 1928, et ce droit moderne s'écarte beaucoup du droit français tel qu'il existait
avant les réformes de 1966-1969, un code est également à l’examen ; de même les Pays-Bas
(1924) (mod. L. 24 juin 1939 et lois récentes) et Monaco (1998).
L'Italie a un Code de la navigation de 1942. Il faut signaler aussi le Maroc (1924), le Liban
(1947), l'État du Vatican (1953), la Suisse (1953), la Turquie (1957), la Grèce (1958), la Pologne
(1962), l'URSS (1969), la Bulgarie (1970), l'Argentine (1973).

Les États d'Afrique francophones se sont dotés peu à peu des Codes modernes influencés par le
droit français : le Cameroun, la République malgache en 1966 (sur la base d'un avant-projet établi
par le doyen Rodière, avant qu’une réforme plus limitée n’intervienne) 82, le Bénin (1974) qui a
reproduit nos lois de 1966/196983.
De même en est-il des États du Maghreb : Tunisie (1962) ; Algérie, en 1976 (puis en 2002, cf.
Code Maritime, 2010, éd. Berti). Au Maroc, une réforme a été engagée depuis de nombreuses
années ; elle devrait voir le jour en 201484.

5. Reste la famille asiatique devenue aujourd’hui particulièrement importante. La Chine s’est


doté d’un Code85 ; de même en est-il de la Corée.86

B. Les Réalisations

1)Les Procédés d'unification 

L'adoption de règles internationales pour la solution des conflits de lois qui avait été tout d'abord
préconisée dans les congrès maritimes, a paru une solution peu satisfaisante et on a songé à une

80
Il est fédéral.
81
V. pour la Suède, v. ss 39.
82
Ph. Delebecque, Le nouveau code maritime de Madagascar, DMF 2001. 931 ; égal. Raharinarivonirina et
Delebecque, La réforme de droit des affaires à Madagascar, Banque Mondiale 1994.
83
V. plus généralement, l’excellente Revue des affaires maritimes et des transports, sous la direction de M. Ndendé.  ;
du même auteur, v. not. la construction du droit des transports maritimes en Afrique, Mélanges Bonassies, p. 239.
84
M. El Khayat, Droit maritime marocain : des Règles de Hambourg aux Règles de Rotterdam, Mélanges Scapel,
UAM 2013, p. 187.
85
V. J. He, Le Code maritime chinois : un systèle ouvert face aux normes mondiales, Mélanges Scapel, PUAM 2013,
p. 257 ; égal. Hou Wei, La liberté contractuelle et les Règles de Rotterdam, PUAM 2012, préf. Delebecque.
86
L. Sik Chai, Une introduction au droit maritime coréen, PUAM 2006, préf. Ch. Scapel.
23
mesure plus radicale : l'unification internationale de ce droit. Plusieurs procédés permettent de la
réaliser.
L'adoption volontaire par les intéressés de règles uniformes est possible toutes les fois qu'il s'agit
de règles contractuelles. L'International Law Association a usé de ce procédé d'unification plus
facile en droit maritime qu'ailleurs, car les intéressés sont groupés et peuvent consentir à une
entente collective. C'est ainsi que, pour le règlement des avaries communes, les Règles d'York et
d'Anvers sont en fait toujours substituées aux lois nationales. C'est ainsi encore que les contrats
de crédit documentaire suivent généralement les Règles et usances de la Chambre de commerce
internationale87. Cependant, ce procédé, qui exige une discipline volontaire, est inefficace en
présence de règles d'ordre public empêchant les intéressés de contracter librement ou
d’oppositions flagrante d'intérêts.
Le deuxième procédé consiste dans l'élaboration d'une règle internationale qui régira les affaires
de caractère international. C'est le procédé adopté par la Conférence de Bruxelles convoquée la
demande du CMI. Il offre cet inconvénient qu'il y a alors pour les intéressés deux lois différentes
qui sont applicables suivant que le conflit a ou non un caractère international 88. De plus, il n'est
pas facile de déterminer quels sont les éléments qui donnent au conflit son caractère international
et les diverses conventions de Bruxelles n'ont pas sur ce point des solutions semblables.
Enfin, on peut arriver encore mieux à l'unification en adoptant dans tous les pays la même loi. Ce
procédé, qui est le plus parfait, suppose l'abdication de la loi nationale devant la convention
internationale portant loi uniforme. C'est le procédé qui est suivi dans les conventions relatives au
travail maritime.
Les deuxième et troisième procédés ci-dessus sont parfois combinés. Dans certains pays, la
convention internationale remplace de plein droit la loi interne. En France, comme dans beaucoup
d'autres pays, il en est autrement, mais, afin de rendre l'unification du droit plus complète, le
législateur français, après avoir ratifié la convention internationale, modifie généralement sa loi
interne pour adopter les règles de la convention internationale. Il en a été ainsi pour l'abordage,
l'assistance, les transports maritimes, les privilèges, la limitation de responsabilité des
propriétaires de navires.
Certains des procédés ci-dessus peuvent se succéder dans le temps dans un pays déterminé ou un
ensemble de pays. On donnera comme exemple les Règles d'York et d'Anvers, ensemble de
règles contractuelles sur l'avarie commune que le législateur suisse a élevées au rang de loi. Ou
bien, celui des Règles de La Haye, règles qui ont été proposées aux armateurs pour être
incorporées, par la volonté des parties, dans les connaissements ; mais, dès 1924, la Convention,
préparée par le Comité Maritime International, a créé une instrument international destiné à régir
les affaires de caractère international sous le nom de Convention du 25 août 1924 sur l'unification
de certaines règles en matière de transports maritimes sous connaissement.
Ajoutons qu’une convention non ratifiée n’a aucune autorité : on estime en effet, en tout cas en
droit français, que les juges ne sont pas tenus de l’appliquer quand bien même la situation
juridique entrerait dans son champ d’application et qu’aucune convention à laquelle la France est
87
V. Droit du commerce international, Précis Dalloz, 3e éd.
88
V. du Pontavice, Interprétation des conventions maritimes internationales en droit français, RIDC 1990. 725 s. ; sur
l'interprétation des conventions internationales de droit maritime à l'étranger, v. décision du United States District
Court, Northern District of California, des 18 novembre 1985 et 12 décembre 1986, UNIDROIT, Bulletin
d'informations, n° 81/82, janv.-avr. 1990, p. 18 ; Chambre des Lords, 13 décembre 1984 et 21 février 1985, deux
décisions rapportées in Bulletin UNIDROIT préc., p. 22. Égal. Kantou-Pampouki A., « The Interprétation of
International Maritime Conventions in Civil Law and in Common Law », in Revue hellénique de droit international,
44 (1991), 7.
24
partie ne serait applicable.89 Cela dit, les conventions internationales sont très présentes dans le
monde maritime, qu’elles soient inspirées par les professionnels eux-mêmes ou dues aux
organisations internationales compétentes.

2)Les Conventions de Bruxelles du CMI 

En 1897 a été fondé, en Belgique, le Comité maritime international (CMI), association de droit
privé regroupant la plupart des représentants de la communauté maritime internationale :
armateurs, assureurs, courtiers, avocats, universitaires, se proposant de réfléchir activement à
l’unification du droit maritime. Le Gouvernement belge a pris l'initiative de réunir à Bruxelles
une Conférence diplomatique qui, avant la guerre de 1914, avait voté deux conventions
internationales et qui en a voté bien d'autres depuis lors. Cette œuvre d'unification a une
importance capitale90. Une partie du droit maritime est actuellement soumise aux mêmes lois dans
tous les pays du monde et nombre de législations nationales ont été modifiées pour faire passer
dans le droit interne les dispositions de conventions internationales 91. Malheureusement, ces
conventions ne sont pas toutes d'une excellente facture juridique. La plupart d’entre elles sont
applicables en France.

On retiendra :
1. Convention du 23 septembre 1910 sur l'abordage maritime (L. 2 août 1912 et décret
12 mars 1913). L'adoption de cette convention a entraîné la réforme des textes du Code de
commerce par la loi du 15 juillet 1915.
2. Convention du 23 septembre 1910 sur l'assistance et le sauvetage maritimes (même date de
promulgation). La loi du 29 avril 1916 a introduit les règles de cette convention dans le droit
interne, avant que l’OMI ne s’empare de la question et n’établisse une nouvelle convention
(1989).
3. Convention du 25 août 1924 sur l'unification de certaines règles en matière de transports
maritimes sous connaissement, votée à la Conférence de 1922, signée en 1924. Elle a été ratifiée
sur autorisation de la loi du 9 avril 1936 et publiée par le décret du 25 mars 1937 et elle a motivé
le vote de la loi du 2 avril 1936 qui prétendait en adopter les principes sans en reproduire le texte.
La loi du 18 juin 1966 en évitant également une reproduction littérale (que le mauvais français de
la Convention interdit) s'en est davantage rapprochée au fond, surtout les modifications
successives qu'elle a subies.

89
Com. 28 mars 2000, « Testa », DMF 2000. 920.
90
 v. Chauveau, L'unification du droit maritime et le CMI, RTD com. 1963. 377 ; égal. J.D. Ray, « The CMI and the
tendency to unification of maritime law », Mélanges Berlingieri, II, p. 819. Les recueils français ou étrangers
consacrés aux conventions de droit maritime ont été cités supra, n°40 de même que les recueils concernant à la fois
les conventions de droit de la mer et de droit maritime. Dans tous ces cas, la présentation des conventions de droit
maritime ne se borne pas aux conventions de Bruxelles énumérées sous le présent numéro, mais également à bien
d'autres conventions.
91
 Le CMI édite actuellement un annuaire régulièrement publié. Il comprend l'état des ratifications et adhésions aux
conventions maritimes CMI, OMI, CNUDCI et CNUCED et les conventions Unidroit, enfin les conférences du CMI,
ainsi que les travaux préparatoires de la conférence du CMI en cours.
Un autre ouvrage du CMI, qui n'a pas de caractère annuel, contient la reproduction in extenso des conventions
maritimes. Ces deux ouvrages sont très précieux. Ils sont complétés par un bulletin qui paraît plusieurs fois par an et
est intitulé : « CMI News Letter », qui donne des nouvelles du CMI (en français et en anglais), des indications sur les
travaux en cours et la date des ratifications récentes et adhésions des conventions internationales.
25
La Convention de 1924 a fait l’objet d’une réforme en 1967-1968. Un protocole signé à Bruxelles
le 27 février 1968 en a modifié l'article 3, paragraphes 4 et 6, l'article 4, paragraphe 5, les articles
9 et 10 et ajouté un paragraphe 6 bis à l'article 3 et un article 4 bis. Il lie la France depuis sa
publication due au décret n° 809 du 8 juillet 1977. Une autre réforme a eu lieu en 1979 : le
Protocole du 21 décembre 1979 signé à Bruxelles a modifié partiellement l'article 4 de la
convention de 1924 amendée par le Protocole de 1968. Entré en vigueur le 14 février 1984, le
Protocole de 1979 a été ratifié par la France le 18 novembre 1986 et publié par décret du
3 avril 198792. La loi du 18 juin 1966 et le décret du 31 décembre 1966 ont été modifiés par la loi
du 23 décembre 1986 et par le décret du 12 novembre 1987 qui harmonisent le droit interne avec
les dispositions des Protocoles de 1968 et de 1979.
4. Convention du 25 août 1924 sur la responsabilité des propriétaires de navires de mer.
5. Convention du 10 avril 1926 sur les privilèges et hypothèques (L. 21 févr. 1935 et décret
29 nov. 1955).
6. Convention du 10 avril 1926 sur l'immunité des navires d'État. La loi du 21 août 1939 autorise
la ratification qui est intervenue par décret du 28 sept. 195593. Aucune loi interne n'est nécessaire
sur ce point.
7. Conventions du 10 mai 1952 :
- sur la compétence pénale en matière d'abordage et autres événements de navigation ;
- sur la compétence civile en matière d'abordage94,
- sur la saisie conservatoire des navires.
Ces conventions ont été ratifiées par la France, la première publiée par le décret n° 987 du
28 juin 1955 et les deux autres par le décret n° 14 du 4 janvier 1958. Cette convention est appelée
à être remplacée par une Convention du 12 mars 1999 sur la saisie conservatoire 95, mais ce
dernier texte reste pour l’instant théorique.
8. Convention du 10 octobre 1957, sur la limitation de responsabilité des propriétaires de
navires, ratifiée par la France et publiée par le décret n° 1365 du 3 décembre 1959 puis dénoncée
le 15 juillet 198796. Cette convention avait conduit à réformer le système de l'abandon tel que
l'article 216 du Code de commerce le réglementait en droit interne. Elle a été remplacée par la
Convention (OMI) de Londres de 1976 (dite LLMC, Limitation Liability Maritime Convention).
9. Convention du 10 octobre 1957 sur les passagers clandestins (non ratifiée par la France).
10. Convention du 29 avril 1961 sur les transports de passagers (ratifiée en 1965, puis dénoncée
par la France en 1975 ; en vigueur entre un petit nombre d'États).
11. Convention du 25 mai 1962 sur la responsabilité des propriétaires de navires nucléaires (non
ratifiée par la France ; non entrée en vigueur).
12. Convention du 27 mai 1967 sur le transport de bagages de passagers. Le projet de cette
Convention devait inspirer la loi du 18 juin 1966 en la matière. Non entrée en vigueur. Non
ratifiée par la France.
13. Convention du 27 mai 1967, sur les hypothèques et privilèges maritimes. Cette Convention
est destinée à remplacer celle de 1926 (v. n° 5). Elle n'a pas été signée par la France et ne

92
Trois conventions de Bruxelles cohabitent donc. Les États contractants n’étant pas les mêmes, il faut déterminer
dans chaque cas le texte applicable.
93
E. du Pontavice, Le statut du navire, 1976, n° 305, p. 325 et note 5.
94
Convention qui contrairement son intitulé ne régit pas uniquement les abordages, cf. C. Legros, Rev. crit. DIP
2013. 399.
95
V. Commentaire F. Berlingieri, DMF 1999. 43.
96
 CMI News Letter, automne 1987, p. 9 ; DMF 1988. 136.
26
correspond pas à la réforme du statut du navire due à notre loi du 3 janvier 1967. Non entrée en
vigueur.
14. Convention du 27 mai 1967, sur l'inscription des droits relatifs aux navires en construction.
Non entrée en vigueur. Non ratifiée par la France.
Certaines conventions du CMI ne sont pas encore entrées en vigueur et la France ne les a pas
toutes ratifiées. Les modifications de conventions internationales présentent de graves
inconvénients. Lorsque deux conventions ont le même objet ou lorsqu'une convention est
modifiée sur certains points, les ratifications de l'une et de l'autre qui n'émanent pas des mêmes
États conduisent à des conflits qui ôtent toute valeur à l'unification promise.

3) Les Conventions de Bruxelles de l'Organisation Maritime Internationale (OMI) en


matière de droit maritime privé97 

L'OMCI (devenue en 1982 l'OMI)98 s'est d'abord intéressée à des questions purement techniques
et a rédigé des conventions de caractère technique. Toutefois, à la suite du sinistre du « Torrey
Canyon », le 18 mars 196799, les États ont décidé de confier à l'OMCI l'ensemble des questions de
droit public et de droit privé que soulevait cette catastrophe et ce, au détriment du CMI qui était
jusqu'alors pratiquement considéré comme seul compétent pour l'établissement des conventions
de droit maritime privé. Toutefois, le CMI a été associé à la préparation de la convention de 1969
dont il sera question ci-après sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par
les hydrocarbures et, depuis lors, il agit en consultant des grandes organisations internationales
dépendant des Nations Unies pour la préparation des conventions en matière de droit maritime
privé ; elle établit un avant-projet mais celui-ci, au lieu d'être transmis au Ministère des Affaires
étrangères de Belgique pour convocation d'une conférence internationale, est transmis à
l'organisation internationale qui a commandé le travail en quelque sorte au CMI et qui examinera
cet avant-projet avant de convoquer, le cas échéant, une conférence diplomatique pour voter le
projet remanié par l'Organisation en question. On citera donc ci-après les conventions qui ont été
rédigées de la sorte par l'OMI sur un avant-projet du CMI.
a). Les Conventions juridiques

Après la catastrophe du « Torrey Canyon », l’OMI s’est engagée dans une politique très ferme
en vue de lutter contre la pollution marine et de régler les nombreuses questions qu’une telle
pollution peut poser. On énumèrera ces conventions, avant d’en entreprendre une étude moins
superficielle (v. ss 892).

97
 L'OMI s'est d'abord appelée l'OMCI (Organisation inter gouvernementale consultative de la navigation maritime) ;
elle a pris son nom actuel à compter du 22 mai 1982. C’est la seule institution spécialisée des NU dont le siège est au
Royaume-Uni. Elle compte 160 membres et deux Etats associés. Son organe directeur, l’Assemblée, se réunit une
fois tous les deux ans. Entre les sessions de l’Assemblée, le Conseil joue le rôle d’organe directeur. Le Secrétariat est
placé sous la direction du Secrétaire Général nommé par le Conseil avec l’approbation de l’Assemblée. L’OMI
effectue ses travaux dans le cadre de Comités : Comité de la sécurité maritime ; Comité de la protection du milieu
marin ; Comité de la coopération technique ; Comité de la simplification des formalités ; Comité juridique.
Il ne faudrait pas oublier, par ailleurs, les nombreuses conventions qui s’inscrivent dans le prolongements de la
Convention sur le droit de la mer, que l’on doit aux Nations Unies, cf. par ex. Convention du 2 nov. 2001sur la
protection du patrimoine subaquatique, dont la ratification a été autorisée par la France (L. 28 déc. 2012) ; sur cette
convention, v. T. Scovazzi, Mélanges Berlingieri, II, p. 892.
98
H. Lefebvre-Chalain, La stratégie normative de l’Organisation Maritime Internationale, PUAM 2012.
99
du Pontavice, La pollution des mers par les hydrocarbures (à propos du « Torrey Canyon »), Paris, 1968.
27
Convention du 29 novembre 1969 sur la responsabilité pour les dommages dus à la pollution par
les hydrocarbures. Cette convention, dite Civil Liability Convention (CLC), est entrée en vigueur
le 19 juin 1975. La France l'a ratifiée le 17 mars 1975100. 38 États en sont parties. Cette
convention a fait l’objet de plusieurs modifications : Protocole du 19 nov. 1976, en vigueur le 8
avr. 1981 ; Protocole du 27 nov. 1992, en vigueur le 3 mai 1996.

Convention internationale portant création d’un Fonds international d’indemnisation pour les
dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FUND 1971), signée à Bruxelles, le 18
décembre 1971. Cette convention, qui complète celle de 1969, est entrée en vigueur le
16 octobre 1978 et la France y a adhéré le 11 mai 1978101. La Convention de 1971 a été modifiée
par un Protocole de Londres du 19  novembre 1976 qui a fait l'objet de l'adhésion de la France le
7 novembre 1980. D’autres protocoles modificatifs sont intervenus : 27 nov. 1992 ; 30 mai 1996 ;
27 sept. 2000 ; 16 mai 2003 ; 3 mai 2005102.

À côté de ces conventions d’indemnisation, il faut faire état des conventions sur la prévention de
la pollution. On citera parmi bien d'autres103 :

- la Convention de Bruxelles du 29 novembre 1969 sur l'intervention en haute mer en cas


d'accident entraînant ou pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures ; cette convention
a été signée à Bruxelles le même jour que la convention précitée sur la responsabilité civile pour
les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. Elle est entrée en vigueur le 6 mai 1975104
et se trouve largement ratifiée (86 États). Des modifications sont intervenues : cf. Protocole du 2
nov. 1973 en vigueur le 30 mars 1983105.

- le Protocole de Londres du 2 novembre 1973 sur l'intervention en haute mer en cas de pollution


par des substances autres que les hydrocarbures. Ce texte étend les règles de la convention de
1969 aux « substances autres que les hydrocarbures ». Il est entré en vigueur le 6 mars 1986106.
La loi n° 1172 du 12 novembre 1985107 autorisa l'adhésion de la France à ce protocole. Les

100
 V. Décr. n° 553 du 26 juin 1975 ; E. du Pontavice et P. Cordier, op. cit., p. 482.
101
 V. L. 23 déc. 1977 autorisant l'adhésion à la convention internationale, JO 24 déc. 1977, p. 6123 ; la convention a
été publiée, v. Décr. n° 1186 du 18 déc. 1978 (JO du 22). V. E. du Pontavice et P. Cordier, op. cit., p. 483 et note 3 ;
Dr David Abecassis, IMO and liability for oil pollution from ships : a retrospective, in Lloyd's Maritime and
Commercial Law Quarterly, feb. 1983, p. 45.
102
Il faut également mentionner les systèmes – volontaires – d’indemnisation mis au point par les armateurs, TOPIA
et STOPIA 2006, v. P. Bonassies, DMF 2006, HS 10, n° 5.
103
 V. E. du Pontavice et P. Cordier, op. cit. ; v. aussi la Convention de Bâle du 22 mars 1989 sur le contrôle des
mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination : M. Rémond-Gouilloud, Insurance, liability
and compensation, Marine policy 1990, 236 s. Y. van der Mensbrugghe, La Convention de Bâle du 22 mars 1989 sur
le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, DET 1990. 267 ; égal. la
Convention de Barcelone de 1976 sur la protection de la Méditerranée contre la pollution, plusieurs fois modifiée, cf.
L. Khoget El Khil, La pollution de la mer méditerranée du fait du transport maritime de marchandises, thèse Aix-
Marseille 2003 ; v. égal. en application, CJCE 15 juill. 2004, aff. C-213-03, DMF 2005. 371.
104
 V. Décret de publication n° 553 du 26 juin 1975, JO 3 juill. 1975 ; E. du Pontavice et P. Cordier, op. cit., p. 455 et
note 1.
105
La convention impose notamment au capitaine de tout navire victime d’un accident de mer (abordage, échouement
ou autre incident de navigation pouvant avoir des conséquences pour le navire ou sa cargaison de signaler cet
accident (dans des conditions qu’il appartient aux autorités nationales de définir, v. Décr. 17 nov. 2004, P. Bonassies,
DMF 2005, HS 9, n° 4).
106
 Bonassies, Le droit positif français en 1985, DMF 1987. 6, n° 3.
28
plafonds d’indemnisation ont été augmentés avec la mise en œuvre de mécanismes simplifiés
(Décr. 2012-265 et 2012-266 du 24 févr. 2012).

- la Convention sur la préparation, la lutte et la coopération en matière de pollution par


hydrocarbures du 30 nov. 1990 (dite OPRC), entrée en vigueur le 13 mai 1995, liant 100 États ;

la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires 17 fév. 1978 (dite
Marpol), mod. 2 oct. 1983, largement ratifiée (150 États 73/78 Annexes III, et IV et V) ; égal.
Protocole du 26 sept 1997, en vigueur le 19 mai 2005 (liant 57 États).

- la Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion des déchets et
autres matières, 29 déc. 1079, mod. Prot LC du 7 mai 1996, en vigueur le 24 mars 2006 ;

- la Convention pour la protection, la gestion et la mise en valeur du milieu marin et des zones
côtières de la région de l'Afrique orientale (ensemble une annexe) et deux protocoles, l'un relatif
aux zones protégées ainsi qu'à la faune et à la flore sauvages dans la région de l'Afrique orientale
(ensemble 4 annexes), l'autre relatif à la coopération en matière de lutte contre la pollution des
mers en cas de situation critique dans la région de l'Afrique orientale (ensemble 1 annexe) (JO
22 juin 1989).

Les conventions OMI portant sur des questions de responsabilité sont tout aussi importantes. On
citera :

Convention relative à la responsabilité civile dans le domaine du transport maritime de matières


nucléaires (Nuclear 1971), signée à Bruxelles le 17 déc. 1971. Liant 17 États parties, pour 20%
du tonnage mondial, elle est entrée en vigueur le 15 juillet 1975 et elle a été ratifiée par la France
le 2 février 1973 (L. 23 déc. 1972).

Convention d’Athènes relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages (PAL 1974),
signée le 13 déc. 1974. Cette convention est entrée en vigueur le 28 avril 1987. La France ne l'a
ni signée, ni ratifiée. La convention est elle-même complétée par un protocole de Londres du
19 novembre 1976, un autre du 29 mars 1990 et un troisième du 1er nov. 2002.

Convention sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes (LLMC),


signée à Londres le 19 nov. 1976. Cette convention a été approuvée par la France le 1 er juillet
1981. Elle est destinée à remplacer la convention de Bruxelles du CMI, du 10 octobre 1957, sur
la limitation de la responsabilité des propriétaires de navires, précitée (v. ss 48). La convention de
1976 est entrée en vigueur le 1er décembre 1986. Elle lie 52 États parties représentant 42, 94 %
tonnage mondial. Elle a fait l’objet d’un protocole modificatif du 9 mai 1996 (37 États parties),
largement ratifié, notamment par la France 108, entré en vigueur le 13 mai 204, relevant d’une
manière substantielle les plafonds.
107
 JO 13 nov., p. 1311. P Bonassies, Le droit positif français en 1985, DMF 1986. 3, n° 1. Un décret du
24 septembre 1986 (JO, 2 octobre 1986, 11814) porte publication de ce protocole. Toutefois, le gouvernement
français a apporté une importante réserve à son adhésion au protocole de 1973. Considérant que les matières
radioactives ne peuvent présenter de danger de pollution, lorsqu'elles sont « entreposées ou transportées sous forme
de matières en colis de type A », le gouvernement français déclare ne pas accepter que les dispositions du protocole
soient appliquées à ces colis (Bonassies, Chron. préc., DMF 1987. 6, n° 3).
108
MM. Brajeux et Mc Donald, Entrée en vigueur du Protocole de 1996 à la Convention de 1976 sur la limitation de
responsabilité, DMF 2007. 965.
29
On ajoutera à cette liste, même s’il ne s’agit pas de responsabilité à proprement parler, la
convention sur l’assistance destinée à remplacer la convention de 1910 : la convention de
Londres du 28 avril 1989 est entrée en vigueur le 14 juillet 1996 109 et a été ratifiée par la France :
cf. L. 23 avril 2002 (58 États parties, 47, 33 % de la flotte).

Sans prétendre, une fois encore, à l’exhaustivité, on relèvera parmi les conventions


internationales de portée juridique :

Convention de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes (Décr. 2011-1599 du 21 nov.


2011).

Convention Internationale pour la Répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation


maritime du 10 mars 1988 (désignée comme la Convention SUA)110. En vigueur le 1er mars 1992,
SUA lie 156 États. Le texte a été modifié en 2005 (cf. SUA 24 oct. 2005, non en vigueur).

Convention internationale de 1993 sur les privilèges et hypothèques maritimes. Cette convention
fut préparée par l'OMI et la CNUCED111. Elle est destinée à remplacer la Convention CMI de
1926.

Convention internationale sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au


transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses dit HNS, du 3 mai
1996112.

Protocole sur la préparation, la réponse et la coopération en matière d’incidents de pollution par


des substances nocives et potentiellement dangereuses du 15 mars 2000 (cf. OPRC HNS) ; entré
en vigueur le 14 juin 2007 (25 États parties).

Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par
les hydrocarbures de soutes 23 mars 2001 (Convention Bunker) entrée en vigueur le 21 nov.
2008, 46 États parties, 79, 24 % (en France, le décret 2011-435 du 20 avril 2011 en a assuré la
publication)113.

Convention internationale sur l’enlèvement des épaves du 18 mai 2007 (dite Convention de
Nairobi) non entrée en vigueur114.

Convention sur le démantèlement sûr et écologiquement rationnel des navires du 15 mai 2009
(dite Convention d’Hong Kong) non entrée en vigueur (15 États parties ; 40 % du tonnage)115. La
loi 2012-1290 du 22 nov. 2012 a autorisé sa ratification.
109
 C. Douay, Le régime juridique de l'assistance en mer selon la Convention de Londres du 28 avril 1989, DMF
1990, 211 s. et spéc. p. 225.
110
 V.P. Bonassies, DMF 1989. 3 ; égal. Von Ziegler, DMF 1993. 754.
111
 La Convention Internationale de 1993, par Bonassies, in Annales IMTM 1993. 1994. égal. Auchter, DMF 1993.
675.
112
Ph. Boisson, DMF 1996. 979 ; P. Bonassies, DMF 1997, HS 1, n° 15 ; R. Shaw, The 1996 HNS Convention : an
impossible dream ? Mélanges Berlingieri, II, p. 906.
113
V. Ph. Boisson, DMF 2001. 659.
114
J.S. Rohart, La Convention de Nairobi sur l’enlèvement des épaves, Mélanges Berlingieri, II, p. 844 ; P.
Bonassies, DMF 2008 HS 12, n° 1.
115
V. M. Le Bihan-Guenolé, DMF 2009. 947 ; P. Bonassies, DMF 2009 HS 13, n° 1.
30
b). Les Conventions techniques
En temps de guerre ou temps de paix, le droit maritime s’est toujours intéressé aux questions de
sécurité. D’où de très nombreux textes sur la sécurité des vies humaines en mer, sur les feux et les
signaux, sur les communications radiotélégraphiques, sur le jaugeage, etc. On citera :
Convention de Londres du 17 juin 1960, sur la sauvegarde de la vie humaine en mer et, plus
récemment, celle du 1er novembre 1974, dites conventions Solas.116 En vigueur le 25 mai 1980, le
texte lie près de 159 États. De très nombreux protocoles ont été adoptés depuis : Prot. Solas 1978
du 17 fév. 1978, en vigueur le 1er mai 81 (114 États) ; Prot. 1988 du 11 nov. 1988 ; du 3 fév. 2000
(94 États) ; et encore plus récemment117.
Convention (OMI) instituant le Code ISM (International Safe Management) du 1993, modifiée
en déc. 2000, imposant à tout armateur la mise en place d’un système à terre et à bord d’un
système de gestion de la sécurité et de prévention de la pollution ; texte rendu obligatoire dans
l’UE (Règl. du 15 févr. 2006, JOUE 4 mars 2006)118 ;
Convention portant code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires
(Code ISPS)119, intégrée dans la Convention SOLAS, instituant pour les compagnies l’obligation
d’établir des plans de sûreté, de désigner un agent de sûreté, les navires devant par ailleurs
justifier d’un certificat international de sûreté120 ;
Convention internationale sur les lignes de charge du 5 avr. 1966, en vigueur le 21 juill. 1968,
liant 159 États, mod. Prot 11 nov. 1988, en vigueur le 3 fév. 2000, liant 90 États ;
Convention internationale sur le jaugeage des navires 23 juin 1969, mod. 18 juill. 1982, (150
États) ;
Convention sur la recherche et le sauvetage maritime du 27 avr. 1979 dite SAR), en vigueur le 22
juin 1985 ;
Convention sur le règlement international pour prévenir les abordages en mer du 20 oct. 1972
(COLREG) en vigueur le 15 juill. 1977 (153 États) ;

Convention internationale visant à faciliter le trafic du 9 avr. 1965 (dite FAL) en vigueur le 5
mars 67, 114 États.

Elles dépendaient de la Société des Nations : Convention de Barcelone de 1921 sur le transit ;
Convention de Genève de 1923 sur les ports maritimes.

116
 Sur l'entrée en vigueur de la Convention de 1974 : JMM 1981. 1970. La convention Solas du 1er nov. 1974, dite
Solas 74, est entrée en vigueur le 26 mai 1980 et elle a été publiée en France au JO du 23 mai 1980. Son protocole du
17 fév. 1978 (Solas 78) a été publié en France par Décr. n° 474 du 7 mai 1981 (JO 13 mai 1981) ; le protocole est
entré lui-même en vigueur le 1 er mai 1981. E. du Pontavice et P. Cordier, op. cit., p. 374 et 375 et note 1 de la p. 375.
V. aussi Décr. n° 305 du 28 février 1986 relatif aux amendements de 1981 à la convention internationale pour la
sauvegarde de la vie humaine en mer (JO 6 et 15 mars 1986, p. 3468 et 4102 ; Décr. du 15 janv. 1986 portant
publication du procès-verbal de rectification, signé à Londres le 18 juin 1985, du protocole de 1978 relatif à la
convention de 1974 (JO, 21 janv. 1986, 1024) ; Décr. du 24 juin 1986, portant publication des amendements de 1983
à cette convention (JO 5 juillet 1986, 8375) ; égal. amendements à la Convention Solas de 1974, adoptés à Londres,
le 23 mai 1991, publiés JO 1er sept. 1994.Chaque année, de nouveaux amendements sont adoptés et sont
régulièrement publiés en France, même avec un certain regard, car l'ardeur pour ces modifications à la Convention
Solas est infatigable.
117
V. P. Bonassies, DMF 2013, HS 17, n° 6 ; égal. DMF 2002 HS 6, n° 2.
118
V. A-M. Chauvel, Le Code ISM, une nouvelle approche de la sécurité maritime, Annales IMTM, 1993-1994, 113.
119
International Ship and Port Security., v. Ph. D. La sûreté des navires et des installations portuaires : les exigences
du code ISPS, Diplomaties, Grands dossiers, n° 10, p. 36.
120
P. Bonassies, DMF 2003, HS 7, n° 3.
31
Encore plus importante est la Convention INMARSAT, convention portant création de
l’Organisation internationale des communications maritimes par satellites, du 3 sept. 1976, en
vigueur le 16 juill. 1979 (mod. en 1985, 1989 et 1994)121.
De même en est-il de la Convention IMSO, convention internationale sur l’organisation des
télécommunications mobiles, du 3 sept. 1976, en vigueur depuis le 16 juillet 1979.
D’autres conventions mi-techniques mi-juridiques règlent des questions éminemment pratiques :
Convention internationale sur la sécurité des conteneurs (CSC) du 2 déc. 1972, en vigueur depuis
le 6 sept. 1977, liant 78 États ;
Convention internationale sur la sécurité des navires de pêche de 1977, mod. Prot. 1993 (dite
Convention de Torremolinos) ;
Convention internationale sur le contrôle des systèmes anti salissure nuisibles sur les navires (dite
anti fouling) du 5 oct. 2001, en vigueur le 17 sept. 2008 ;
Convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments de
navires (BWM) du 13 févr. 2004 (non encore en vigueur).
c). Les Autres institutions

Relatives à la condition sociale des marins et à l'organisation du travail à bord. Il a été reconnu
qu'en raison des conditions spéciales du travail à bord des navires de commerce, il était
nécessaire de conclure des conventions différentes de celles qui régissent le travail industriel.
L’OIT s’est préoccupée dans ces conditions de mettre au point des textes sur la condition sociale
des marins et sur l’organisation du travail à bord. Ses efforts ont abouti à la récente Convention
de 2006 : Convention du travail maritime (Maritime Labour Convention, MLC 2006) La
ratification par la France, autorisée par une loi du 29 nov. 2012, est intervenue 122. Le texte est en
vigueur depuis le 20 août 2013. Il s’agit d’assurer aux gens de mer dont le nombre est estimé
dans le monde à 1, 2 million, des conditions décentes d’emploi et renforcer leurs droits. Le texte
consolide 68 instruments en un seul. Il donne une définition large des gens de mer 123 et s’efforce
de traiter la situation de toute personne travaillant à bord.124
L’autre convention importante – due à l’OMI - est la Convention STCW (Standards of Training,
Certification and Watchkeeping) : Convention internationale sur les normes de formation des
gens de mer, de délivrance des brevets et de veille du 7 juill. 1978. Entrée en vigueur le 28 avril
1984, elle lie 154 États.

Les Nations Unies elles-mêmes et plus précisément la Commission des Nations Unies pour le
Droit du commerce international (CNUDCI – UNCITRAL), sont à l’origine de conventions
importantes de droit commercial. On connaît la Convention de Vienne sur la vente internationale
des marchandises. Cette convention sur le négoce ne pouvait pas ne pas être prolongée par des
instruments relatifs au transport. D’où la Convention des Nations-Unies sur le transport de
marchandises par mer, signée à Hambourg le 31 mars 1978 et dite « Règles de Hambourg ».

121
S. Courteix, INMARSAT, la nouvelle organisation internationale pour la gestion d’un service mondial de
télécommunications maritimes par satellites, DMF 1978. 328 s.
122
L. 2012-1320 du 29 nov. 2012 autorisant la ratification de la convention du travail maritime ; v. La Convention du
travail maritime, Gazette CAMP, n° 32. Sur la Convention, v. P. Bonassies, DMF 2007 HS 11, n° 1 ; Chaumette,
DMF 2013, 975.
123
« Any person who is employed or engaged or works in any capacity on board a ship, to which this Convention
applies ».
124
« The principal intention is to cover all persons employed or working on board a ship, in any capacity whatsoever,
including the self-employed and, crucially, those employed by third parties ».
32
Cette convention, signée mais non ratifiée par la France, est entrée en vigueur le
1er novembre 1992 entre les États l'ayant ratifiée. Elle était destinée à remplacer la convention de
1924 sur l'unification de certaines règles en matière de transports maritimes sous connaissement.
Son insuccès relatif a conduit la CNUDCI à se remettre à l’ouvrage. Ses efforts ont abouti
l’adoption de la Convention du 2009 sur le contrat de transport international de marchandises
entièrement ou partiellement par mer, appelée officiellement Règles de Rotterdam125. Ce texte
signé par de nombreux pays, dont la France, attend désormais les ratifications nécessaires pour
assurer son entrée en vigueur (v. ss 779).
Il faut aussi citer la Convention des nations Unies sur le transport international multi modal de
marchandises, signée à Genève le 24 mai 1980. Cette convention préparée par la CNUCED
(Conférence des Nations-Unies pour le Commerce et le Développement), n'est pas encore entrée
en vigueur et, malgré ses qualités, n’entrera sans doute jamais en vigueur.

On doit aussi à la CNUCED une importante convention concernant les conférences d'armateurs,
intitulée Code de Conduite des Conférences Maritimes, établie par la Convention des Nations-
Unies conclue à Genève le 6 avril 1974 (loi n° 85-541 du 22 mai 1985). Si cet instrument a été
signé et assez largement ratifié, on le doit au fait que les conférences entre armateurs ont
beaucoup diminué d'importance et sont donc considérées comme ayant perdu de leur « danger »
pour la concurrence. Le texte est donc devenu très largement obsolète.

C. Les Limites

1)Les Conflits de lois 

L’unification internationale du droit maritime, si forte soit-elle, a ses limites. D’abord parce que
certaines matières restent trop particulières ou trop nationales et donc rebelles à toute forme
d’unification ou d’harmonisation. Ensuite, parce que toute unification présente des lacunes. Il
n’est possible de tout traiter. D’où la nécessité de recourir au droit national applicable et de régler
de nombreux conflits de lois. Ces conflits sont fort gênants pour la bonne exploitation
économique, car les armateurs et les chargeurs, qui ont l'habitude de se couvrir par l'assurance,
demandent à connaître d'une façon précise l'étendue de leur responsabilité. Ils sont de plus d'une
solution difficile. Lorsqu’un événement se produit en haute mer, il n'y a pas de loi territoriale
applicable, et quand il se produit dans les eaux territoriales, il peut y avoir conflit entre la loi de
police et de sûreté et la loi du pavillon, c'est-à-dire la loi de l'État qui donne au navire sa
nationalité. L'application de la loi du pavillon, tant en droit public qu'en droit privé, donne aux
conflits de lois de nature maritime un caractère singulier. Du reste, la portée d'application de cette
loi et son caractère même sont discutés 126. En matière de contrats la solution des conflits est
souvent plus délicate encore127. Aujourd’hui le règlement du 17 juin 2008, dit Rome I, sur la loi
125
V. Pour les RR, Gazette CAMP, n° 20 ; P. Bonassies, DMF 2010, HS 14, n° 1.
126
P. Bonassies, La loi du pavillon et les conflits de droit maritime, Rec. cours La Haye, 1969, III, 511 ; S. Carbone,
Conflits de lois en droit maritime, Académie de droit int. de La Haye, éd. Martinus Pub., Leiden 2010.Egal. J.P.
Rémery, Regards sur le droit applicable au contrat international de transport maritime de marchandises, Mélanges
Bonassies, p. 277 ; Aspects maritimes du droit international privé communautaire, Mélanges Gaudemet-Tallon, p.
615.
127
 O. N. Sadikov, Pravovoie regoulirovanie mejdounarodnych perevozok (Régime juridique des transports
internationaux), Moscou, 1981, p. 60 s. V. le commentaire qui en est fait par le doyen Batiffol à la Rev. crit. DIP
1982. 461 s.
33
applicable aux obligations contractuelles est le texte de référence 128. Son adoption a entraîné la
caducité d’un certain nombre de règles de conflits, ce dont le Code des transports a (trop
rapidement ?) tenu compte. De même en est-il, s’agissant des obligations extra contractuelles, du
Règlement du 11 juillet 2007, dit Rome II.

2)Les Conflits de juridictions

Ajoutons que ce qui vaut pour les conflits de lois vaut aussi pour les conflits de juridictions 129
relevant aujourd’hui avant tout du règlement 44/2001 sur la compétence des tribunaux et
l’exécution des décisions de justice. Le règlement 1215/2012 destiné à le remplacer et entrant en
vigueur le 10 janvier 2015 ne modifiera pas sensiblement les règles procédurales en la matière 130.
Les litiges non communautaires relèvent encore et toujours de la jurisprudence qui transpose dans
l’ordre international les règles de compétence interne et des articles 14 et 15 du Code civil.

SECTION 3. LES CARACTÈRES DU DROIT MARITIME

§1. L’Influence du droit public 

Le droit maritime est d’abord et avant tout un droit de nature, sinon d’essence internationale.
C’est ainsi l’une des matrices du droit du commerce international 131. Mais au-delà de cet aspect
que l’on vient d’illustrer à travers la présentation des diverses conventions maritimes, il faut
mettre en lumière d’autres caractères, et en premier lieu le fait que l'État ne peut se désintéresser
du développement de sa marine marchande ni des relations internationales établies par mer. Les
préoccupations de la défense militaire et du ravitaillement en temps de crise, les nécessités du
commerce d'importation et d'exportation, le désir d'une influence internationale par des relations
régulières le poussent à encourager la marine marchande par différents moyens.
En outre, l'État exerce la police de la navigation dans les ports et rades132 qui font partie du
domaine public133, dans la mer territoriale qui est soumise à sa souveraineté et, en haute mer,
pour les navires qui portent son pavillon134.

128
Ph. Delebecque, Le règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles  : quelles incidences sur
les contrats maritimes ? Mélanges Berlingieri, I, p.431 ; P. Bonassies, DMF 2008 HS 13, n° 3.
129
V. C. Legros, Compétence juridictionnelle : les conflits de normes en matière de contrats de transport
internationaux, JDI 2007. 799 et 1081.
130
P. Bonassies, DMF 2013, HS 17, n° 7 ; égal. Gazette CAMP, n° 26.
131
Ph. Delebecque, « Droit maritime et droit du commerce international », Mélanges Jacquet 2013, p. 171.
132
 A. Caubert, De la contravention de grande voirie en droit maritime, DMF 1985. 451.
133
Le domaine public maritime naturel est constitué par « le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la
mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer », ce dernier étant constitué par tout ce que la mer couvre et
découvre jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques
exceptionnelles » (CGPPP, art. L. 2111-4). Cette disposition a été jugée conforme la Constitution (Cons. const. 23
mai 2013, JO 29 mai 2013).
134
 V. Société française pour le droit international, Perspectives du droit de la mer à l'issue de la III e Conférence des
Nations-Unies (colloque de Rouen, 1983). Ed. Pedone, 1984 ; Ph. Chapal et B. Jacquier, Le Droit de la mer, in
Documentation et études, Droit international public, n° 3.08, juin 1984 ; cf. égal. sentences arbitrales en la matière
34
Enfin, l'État se préoccupe de la situation des marins qui sont embarqués sur le navire et il
s'efforce aussi d'améliorer leur condition sociale à raison de l'importance et des dangers de la
profession.
Cette nécessité de l'intervention de l'État, même sur des questions considérées comme de pur
droit privé, donne au droit maritime un caractère original. Le droit public exerce une grande
influence sur le droit privé. On en trouvera de nombreux exemples : le contrôle des navires et le
rôle des sociétés de classification ; le régime de la propriété du navire, influencé par l'idée que le
navire a une nationalité ; la réglementation de l'engagement de l'équipage, dominée par l'idée que
le marin entre dans une société constituée à bord ; le rôle du capitaine, considéré à la fois comme
un mandataire de l'armateur et – traditionnellement – comme un représentant de l'autorité
publique ; l'assistance en mer, déclarée obligatoire dans certains cas ; la lutte contre la piraterie,
etc. Ces règles seront expliquées. On les cite pour montrer qu'il ne faut pas, dans l'étude du droit
maritime, sacrifier à cette conception générale de la technique juridique (commode pour
l'enseignement, mais simplificatrice), que le droit public et le droit privé doivent être nettement
distingués.
Depuis des siècles, le droit maritime a, plus que le droit commun, sacrifié les intérêts privés à
l'intérêt général. À notre époque où une politique d'intervention constante de l'État dans les
rapports privés s’exprime dans toutes les branches de l'activité économique, il n'est pas étonnant
que cette politique ait eu pour conséquence la réglementation des opérations maritimes. Dans
l'intérêt du commerce, la loi a même fini par restreindre la liberté contractuelle 135 en imposant des
règles impératives pour une partie du droit des transports réguliers.

§2.Le Caractère commercial

Le Code de commerce (art. L. 110-2, reprenant l’ancien art. 633) classe parmi les actes de
commerce tous les rapports juridiques qui ont trait à la navigation maritime, ce qui est important
sur le terrain de la compétence d’attribution des tribunaux et plus généralement de l’application
des règles du droit commercial (preuve, solidarité…, v. ss 484). Il ne faut cependant pas
confondre « maritime » et « commercial », ni « droit maritime » et « droit des actes de
commerce ».
D'une part, on peut pratiquer la navigation sans se livrer à l'industrie des transports. Il y a, à côté
de la navigation commerciale, une navigation de plaisance, une navigation à la pêche et une
navigation scientifique. La plupart des règles relatives à l'exploitation commerciale s’appliquent
cependant à ces navigations non commerciales (assistance, limitation de responsabilité…).
D'autre part, le droit maritime ne comprend pas seulement des opérations juridiques auxquelles
donne lieu le transport maritime ; sans parler des événements et des accidents de mer, il embrasse
aussi l'étude des biens et des personnes qui y participent. Il faut étudier le régime de la propriété
du navire et celui de l'engagement des marins. De plus, même pour ce qui concerne les rapports
juridiques, certaines règles n'ont pas leur équivalent dans le droit terrestre, par exemple la

(V. par ex., D. Haritimi, « La sentence arbitrale du 10 juin 1992, en l'affaire de la délimitation des espaces maritimes
entre le Canada et la France », JDI 1994. 653). V. encore, les études dédiées au doyen Albert Colliard (Pedone, Paris,
1992) avec notamment, les études suivantes (outre celle de F. Odier sur l'assistance, : « Quéneudec », Accord des
délimitations franco-monégasques du 16 avril 1984 ». N. Voelckel, « Etude sur les cartes marines dans la
Convention de Montego Bay ». Van Der Mensbrugghe, « Etude sur le contrôle de certains navires entrant dans les
ports maritimes ou en sortant ».
135
Dont la valeur constitutionnelle a fini par être reconnue : Cons. const. 13 juin 2013, JCP 2013. 929, note J.
Ghestin.
35
rémunération de l'assistance ou la contribution aux avaries communes, et pendant longtemps la
navigation maritime seule a connu la pratique des assurances, laquelle y a d'ailleurs conservé un
caractère particulier.
Pour toutes ces raisons, on ne peut pas considérer le droit maritime comme une simple
subdivision du droit commercial. En outre et surtout, le droit maritime apparaît dès les temps les
plus anciens avec les traits originaux que nous lui connaissons encore aujourd'hui ; il ne se
détache pas, par conséquent, comme un rameau, des disciplines primitives (droit civil ou droit
commercial) et a ses traits originaux, qui sont identiques d'une époque à l'autre, d'une civilisation
à l'autre. Il s'applique, comme le droit civil, aux personnes, aux obligations et aux biens.

§3. Les Actes de commerce maritimes

Il demeure que l’essentiel est visé par le Code de commerce qui répute actes de commerce (L.
110-2)136 :
1° Toute entreprise de construction et tous achats, ventes et reventes de bâtiments pour la
navigation intérieure et extérieure ;
2° Toutes expéditions maritimes ;
3° Tout achat et vente d’agrès (biens mobiles nécessaires à la manœuvre), apparaux (biens fixes)
et avitaillements ;
4° Tout affrètement ou nolissement, emprunt ou prêt à la grosse ;
5° Toutes assurances et autres contrats concernant le commerce de mer ;
6° Tous accords et conventions pour salaires et loyers d’équipages ;
7° Tous engagements des gens de mer pour le service de bâtiments de commerce.
L’énumération est limitative et a toujours fait l’objet d’une interprétation stricte. Ainsi, le Code
répute acte de commerce «… toutes expéditions maritimes… tout affrètement ou
nolissement… ». Est-ce à dire que la navigation de plaisance soit un acte de commerce et que le
transport de son mobilier par un fonctionnaire qui s'expatrie soit un acte de commerce ? La
réponse est négative. Les travaux préparatoires du Code de commerce 137 montrent que les
rédacteurs du Code ont clairement voulu soumettre l'ensemble de l'activité maritime à la
réglementation des actes de commerce. Dans ses observations sur l'ex-article 633, le tribunal
d'appel de Paris (la future cour d'appel) déclare que le passage de la femme d'un fonctionnaire de
France à Saint-Domingue peut être considéré comme un acte de commerce, bien que l'acte ne soit
commercial que pour le transporteur, car il convient de juger avec célérité toute affaire maritime
comme seule à l'époque la procédure du tribunal de commerce le permettait. Cette explication a
été perdue de vue au cours du XIXe siècle et on est venu à penser que le Code de commerce n'avait
songé qu'aux situations courantes : à l'exploitation commerciale du navire ; aux transports de
marchandises par des importateurs et des exportateurs de métier… Comme en matière terrestre, il
est admis que celui qui traite avec un armateur pour le transport de son mobilier ne fait pas un
acte de commerce et peut assigner l'armateur devant le tribunal civil 138. Il en est de même pour les
passagers, dont l'article L. 110-2 ne parle pas. C'est devant les tribunaux civils que sont
couramment portées les actions en dommages-intérêts qui suivent les naufrages de paquebots ou
les accidents corporels.

136
Le texte est très proche des art. 1 et 2 du titre 1 de l’Ordonnance de la Marine.
137
 Examinés par M. de Juglart et E. du Pontavice au JCP 1966-II-14684, à propos de l'incompétence d'attribution des
tribunaux de commerce en matière de navigation de plaisance.
138
Pour un passager : Req. 11 janv. 1860, DP 1860, 1, 91.
36
La jurisprudence récente n’est pas très fournie sur la question, mais il reste possible de dire
qu’elle s’en tient à une interprétation stricte du texte 139. On aura l’occasion de le vérifier
également en envisageant la situation de la plaisance et de la pêche (v. ss 490 s.).

§4. L’Originalité du droit maritime 

Le droit maritime est tout entier ordonné autour de la notion de risque de mer 140, qui impose une
solidarité (au sens non juridique du terme) entre participants à l'expédition maritime et une
division du risque, et ce d'autant plus que les marchandises mises en risque ont toujours été fort
coûteuses. S'il est identique dans ses traits essentiels à travers toutes les civilisations à tous les
âges historiques de l'humanité, de Babylone à nos jours en passant par le Japon médiéval, il s'est
formé en tant qu'ensemble cohérent au Moyen Âge par la rédaction des usages suivis dans la
navigation. Il n'a pas emprunté grand' chose au droit romain141 et les « bonnes coutumes de la
mer » n'avaient aucun rapport avec les coutumes générales du royaume. Les ports anciens étaient
des entrepôts de richesses, bien défendus par le site naturel, mais par là même isolés. Les
navigateurs et les marchands y suivaient des usages communs à tous les ports de la même mer.
Quand, sous l'ancien régime, ce droit fut codifié par ordonnance royale, il conserva son caractère
traditionnel, il l'a conservé également dans le Code du commerce qui n'a pas innové. Ainsi, par
son origine, le droit maritime a un caractère original remarquable. Des institutions comme
l'avarie commune, l'assurance, le prêt à la grosse n'avaient pas d'équivalent dans le droit commun.
Ce caractère s'est atténué au cours du XIXe siècle. L'insertion des règles maritimes dans le Code
de commerce a conduit les auteurs à lui appliquer la technique générale de l'interprétation. Les
affaires maritimes, confiées autrefois à des juges particuliers, sont soumises en première instance
aux tribunaux de commerce142, et sur recours aux cours d'appel et à la Cour de cassation. De plus,
la plus grande sécurité qu'apporte une technique sans cesse perfectionnée et que réalisent surtout
les télécommunications et les informations météorologiques paraissent avoir diminué, mais dans
139
L’activité de construction de navire n’est commerciale que si elle est effectuée en entreprise : Rouen 30 mars
2006, JCP E 2006, 1377 – De même en est-il des expéditions maritimes : Com. 22 déc. 1958, DMF 1959. 217 –
L’affrètement n’est commercial pour l’affréteur qu’autant qu’il se rattache à des opérations de commerce : Req. 30
juill. 1884, DP 1885, 1, 193 ; égal pour un affrètement conclu par l’État en vue du transport de denrées nécessaires
au ravitaillement de l’armée : Paris 26 oct. 1927, DP 1928, 2, 205 ; ou encore par l’ONIC : Aix 16 oct. 1951,
D. 1951. 676 – La nature maritime d’une vente CAF ou FOB ne suffit pas à la faire considérer comme commerciale :
Alger 19 nov. 1952, D. 1954. 541, note Chauveau.
140
 D. Schadée, La mer comme mère du droit, p. 513, in Études offertes à René Rodière, 1981.
141
 En revanche, à travers Rome qui, si elle n'a pas été créatrice de droit maritime, en a été au moins le conservateur,
le droit maritime remonte au Code babylonien d'Hammourabi, c'est-à-dire à 1700 ans env. avant J.-C. ; le droit
babylonien d'Hammourabi a influencé ensuite les droits phénicien et carthaginois et, par leur intermédiaire, les autres
droits méditerranéens dont le droit romain. L'héritage de Rome nous a été légué par les Arabes et les Juifs jusqu'à ce
que Venise reprenne le flambeau au Xe s. après J.-C. Sur l'histoire conjuguée du droit de la mer et du droit maritime,
v. E. du Pontavice et P. Cordier, La mer et le droit, tome 1, avant-propos par E. du Pontavice, p. 1-41, PUF, 1984 ; v.
aussi les travaux de la section espagnole d'histoire du droit de la navigation, p. 255 s. in Revista Europea de Derecho
de la Navegacion Maritima y Aeronautica, sous la direction de M.J. Pelaez, n° 3/4, 1989, Barcelone.
142
 Les magistrats consulaires sont des techniciens des ports et, à ce titre, ils connaissent parfaitement et appliquent les
usages portuaires (v. sur ces usages, v. ss 18). Il y eut du reste longtemps des recueils de jurisprudence des tribunaux
portuaires, recueil de Marseille, recueil de Nantes, recueil du Havre, qui fut le dernier à disparaître, par exemple  ; les
jugements des tribunaux de commerce faisant état des usages locaux étaient ainsi conservés et la jurisprudence qui se
formait était une source de référence constante pour des générations de magistrats et d'avocats locaux ; de nos jours
encore, on peut observer une différence, dans l'application d'un droit maritime commun, entre le T. com. du Havre et,
sur appel, la cour de Rouen, d'une part, le T. com. Marseille et, sur appel, Aix-en-Provence, d'autre part.
37
une mesure relativement faible, les dangers de la mer. Aussi a-t-on défendu mais à tort cette idée
que les transports et les assurances maritimes devraient être soumis aux règles générales qui
gouvernent ces contrats143. Il paraît plus juste, au contraire, de continuer à penser que relèvent
normalement de la juridiction commerciale ceux qui participent à des activités nautiques144.

En tout cas, le droit maritime ne pourra jamais perdre son caractère original 145 et cela pour trois
raisons.
En premier lieu, la tendance du droit contemporain est de faire, non pas des lois générales, mais
des lois adaptées aux divers genres d'exploitation. Nous ne tenons plus au caractère général de la
règle de droit. Le droit professionnel est souvent considéré comme un idéal désirable 146. Or, il est
certain que le commerce de mer se fait dans des conditions qui justifient une législation spéciale.
L'importance de l'instrument de transport, le genre de vie des salariés, les incidents et les risques
de la navigation, le besoin de sécurité en raison de l'importance des risques, la variété et le
caractère lointain de certaines opérations nécessitent des règles spéciales. Quand la navigation
aérienne est devenue objet d'exploitation commerciale, il a fallu également créer un droit des
transports aériens qui a, lui aussi, son originalité.
En deuxième lieu, le transport maritime est presque toujours un transport international 147. Pour
éviter des conflits de lois quelquefois insolubles, pour calculer exactement leurs droits et leurs
obligations, ceux qui participent aux transports maritimes désirent qu'une même loi s'applique
dans toutes les eaux que les navires sont appelés à traverser. Cette loi uniforme obtenue par une
bonne volonté commune, est naturellement rédigée sur la seule considération des nécessités
pratiques et sans aucun respect des principes généraux du droit international. Alors se forme un
droit maritime nouveau qui, comme l'ancienne « lex mercatoria », a un caractère international et
par là original.
Enfin, au progrès de la technique a répondu une audace croissante des hommes. À cause de la
sécurité relative que donne le radar, les navires continuent de naviguer vite dans le brouillard ou
la neige qui réduit la visibilité. La longue fermeture du canal de Suez a encouragé le gigantisme
des navires qui atteignirent le demi-million de tonnes et dont les accidents sont infiniment plus
graves pour eux, pour les autres et pour la pollution de la nature qu'autrefois les heurts de petits
bâtiments construits en bois.
Ainsi, tant par la conservation des usages anciens que par la création de règles nouvelles à
caractère international et par la persistance des périls de la mer (en moyenne 360 navires de plus
de 100 tonneaux périssent accidentellement chaque année), le droit maritime a conservé une

143
 V. Bonnecase, Le particularisme du droit commercial maritime, Bordeaux, 1931. V. en dernier lieu, D. Richter-
Hannes, Possibility and Necessity of the Unification of International Transports Law, p. 503, in Études offertes à
René Rodière, 1981 ; cf. B. Mercadal, Regards sur le droit des transports, Études Rodière, p. 423 égal. Delebecque,
« Le particularisme des contrats maritimes », Mélanges Bonassies, p. 127 éd. Moreux ; « Le droit maritime à l’aube
du XXIe siècle », Mélanges Catala, p. 929 ; « Droit maritime et droit des obligations », Mélanges offerts à A. Vialard,
DMF ; égal. J. Ha Ngoc, Contrats maritimes et théorie générale des contrats, thèse Paris-I, 2009 et Ph. D.
Flexibility, foreseeability, reasonableness in shipping contracts : the civil law approach, Il Diritto marittimo 2013,
fasc. 2.
144
Y. Tassel, obs. sous Rouen 18 avr. 1991, DMF 1993. 748.
145
 Cf. de Juglart, Droit commun et droit maritime, DMF 1986. 259 ; égal. du Pontavice, « État actuel et avenir du
droit maritime », Mélanges Mateesco-Matte, 1993.
146
Ripert, « Ébauche d'un droit privé professionnel », Études Capitant, 1938.
147
 95 % du trafic de nos ports intéresse des marchandises venant de l'étranger ou qui y partent ; 5 %, le cabotage
national.
38
véritable autonomie par rapport au droit commercial terrestre. C'est justement pour cela que
l'étude de ce droit présente un grand intérêt juridique, en dehors même de son intérêt pratique148.

§5. Le Caractère traditionnel

Pendant longtemps le droit maritime a conservé les anciens usages sans beaucoup les modifier.
Le Code de commerce a reproduit l'Ordonnance de 1681, et l'Ordonnance elle-même était, en
partie, une compilation éclairée des règles coutumières.
Au début du XIXe siècle, la navigation maritime se faisait encore comme dans notre ancienne
France et presque comme au Moyen Âge. Aussi le Code de commerce a-t-il recueilli les
anciennes règles sur l'abordage, le jet à la mer, le prêt à la grosse, le caractère indemnitaire de
l'assurance, l'affrètement.
La doctrine a longtemps insisté sur le caractère traditionnel du droit maritime. « Il a traversé les
âges sans vieillir », écrivait Pardessus. Aujourd'hui encore on retrouve dans ce droit d'anciennes
expressions ou d'anciennes règles dont le caractère historique est remarquable. Les gens de mer
forment un milieu professionnel presque séparé du reste de la nation ; ils suivent ou acceptent des
règles que les « terriens » ne connaissent pas.

§6. Le Caractère évolutif

Mais ce qui était partiellement vrai il y a un siècle ne l'est plus aujourd'hui. Du reste, le Code de
commerce lui-même ne répondait plus à l'état des faits au début du XIXe siècle.
Trois facteurs ont totalement modifié les conditions de l'exploitation maritime. Le premier
remonte au XVIIe siècle. Jusque-là il n'y avait pas d'armateurs de métier, c'est-à-dire de
commerçants en état d'offre permanente de fret. Les armateurs étaient des marchands ou, plus
exactement, il s’agissait de marchands qui se faisaient armateurs pour transporter outre-mer leurs
produits ; il n'y avait que des transports privés, les économistes diraient des transports intégrés.
La division du travail social s'est opérée aux XVIe et XVIIe siècles et c’est à cette période que
l’entreprise maritime est devenue autonome. Désormais, les armateurs attendent les demandes de
chargeurs, exportateurs ou importateurs, avec lesquels ils ne sont pas unis par des liens
d'association.
Le deuxième facteur tient aux progrès techniques qui se poursuivent de nos jours. La construction
en acier substituée à la construction en bois a permis d'avoir des bâtiments considérables et d'une
valeur très grande ; la découverte de la machine à vapeur, de l'hélice, de la turbine, du moteur à
explosion, l'adaptation des découvertes nucléaires permettent d'avoir des navires rapides et d'une
marche régulière. Inutile de dire, par ailleurs, combien les progrès de l’informatique et des
satellites ont été décisifs. Les navires désormais constamment reliés à la terre sont de véritables
usines flottantes.
Le troisième facteur d’évolution date assez précisément de la fin du XIXe siècle et ses effets sont
allés croissant depuis. Les navires ont longtemps voyagé au gré des demandes de fret, suivant des
itinéraires que chaque nouveau contrat façonnait : ils faisaient des transports « à la commande »,
du « tramping » (du mot anglais « tramp » = vagabond). À cette époque où n'étaient guère
industrialisés que les pays de l'Europe occidentale et les États-Unis, le reste du Monde fournissait
ces pays industriels en produits bruts et recevaient d'eux des produits finis ; mais surtout quand

148
 Sur la fausse prétention au « particularisme du droit maritime », qu'il faut distinguer de l'originalité, v. R.
Rodière, Traité de droit maritime, Introduction et armement, n° 23 à 29.
39
un navire chargeait une pleine cargaison pour l'Europe, il pouvait aussitôt repartir chercher une
autre cargaison en un autre point quelconque du Globe car en tous lieux était demandé du
charbon, dont il pouvait emplir ses soutes notamment en Angleterre, ce qui supprimait, pour les
« tramps », le lancinant problème du fret de retour. L'industrialisation du Monde et le moindre
rôle joué par le charbon ont transformé les conditions de l'exploitation maritime. Sauf pour le
pétrole et certaines cargaisons sèches (grains, charbon, minerais), les lignes régulières couvrent
aujourd'hui presque toutes les relations qui correspondent à des courants de trafic stables.
Si l'on ajoute à ces facteurs les raisons de changement qui tiennent aux progrès de la législation
sociale, à la modification dans la structure des entreprises, aux mœurs nouvelles du crédit, on
comprend que le droit maritime, longtemps protégé par son caractère original, ait
considérablement évolué.
Pourtant, bien que les pratiques actuelles du droit maritime soient très différentes de la pratique
ancienne, il n'y avait pas eu, en France, de 1808 jusqu'en 1966, de révision générale de nos lois
maritimes. Mais, comme les règles légales ne sont pas, en général, d'ordre public et que les
contrats maritimes doivent être passés par écrit, il a été facile de remédier à la relative
obsolescence de la législation par le jeu des contrats. Ainsi le droit a-t-il pu suivre l'évolution
économique.
De nos jours, le droit maritime international est confronté à de nouveaux problèmes : alors que
dans l'économie traditionnelle des derniers siècles et jusqu'à 1950, les acteurs de la vie maritime
et portuaire étaient relativement peu nombreux, et formaient comme les membres d'un club, se
connaissant entre eux au moins de réputation et ne pouvant risquer celle-ci par des actes
dérogeant à un Code non écrit de bonne conduite, le développement inouï du commerce de mer
dans les « Trente Glorieuses »149 a amené aux affaires maritimes des nouveaux venus, n'ayant ni
la formation, ni la bienséance des membres du club ; les armateurs sont devenus, pour beaucoup,
des financiers. Ajoutons à cela la relative anarchie de la société internationale et la création de
foyers de guerres endémiques ou de zones troubles. Il s'ensuit, depuis plus de quarante ans, une
violation inquiétante des règles du droit maritime que les Anglais appellent la « fraude
maritime », mais qui comprend, à côté de fraudes sur les connaissements et le crédit
documentaire, des actes de corruption, des actes de violence sur les navires pillés aux abords du
rivage et de nombreuses pratiques illicites (trafic de stupéfiants, de produits contrefaits, de
cigarettes, d’armes…). Dans une société qui n'est plus policée, le négoce de richesses
considérables, qui n'étaient nullement protégées car leur circulation reposait sur la bonne foi des
agents de la vie économique et la discipline des fonctionnaires, suscite des convoitises de la part
de certains escrocs et de voleurs des grands chemins… maritimes ; les ports et rades, en
particulier, sont encore, dans certaines zones, des nasses ou des « prisons maritimes » où les États
et les mouvements de toute obédience sociale, économique ou politique, prennent en otages
navires et équipages150, sans parler de la corruption parfois généralisée. La situation est devenue
si alarmante que, sous les auspices de l'OMI, des initiatives efficaces ont été prises récemment

149
 V. sur ce point, du Pontavice et P. Cordier, La mer et le droit, vol. I, Droit de la mer : Problèmes actuels, p. 27,
note 2.
150
 V. ss 1045 s. sur la piraterie. Comp. Anvers, 19 Juillet 1985, DET, 6-1985, p. 536, à propos de l'abordage,
l'occupation et les dommages infligés à des navires par le mouvement « Green Peace », qualifié par les juges de
« piraterie ».
40
pour contrecarrer cette évolution151. La communauté internationale, de son côté, s’efforce de
réprimer la corruption.152

§6. Les Perspectives

Le monde maritime contemporain ne manque cependant pas de projets et de perspectives plus


réjouissantes. La protection de l’environnement est désormais prise en considération : dans tous
les textes modernes (Convention sur l’assistance de 1989 ; Règles de Rotterdam ; Conventions
sur la pollution), il y a là une donnée essentielle153.
Sur le plan technique, certains projets sont de nature redonner confiance dans l’avenir, à
l’exemple du fabuleux projet sur le nouveau paquebot « France » (www.lenouveaufrance.com),
qui transportera en 2017 d’un continent à l’autre près de 800 passagers dans le plus grand luxe
français et grâce au savoir-faire français, du fantastique projet Hydroptère, prototype conçu par
Alain Thébault et bientôt capable de traverser l’Atlantique en moins de 3 jours avec une vitesse
de près de 50 nœuds (soit 95 km/h) et de l’extraordinaire projet SeaOrbiter de J. Rougerie,
vaisseau unique au monde développant un nouveau concept d’observation sous-marine des
océans.

§8. Les Énergies marines renouvelables (EMR)

Les pouvoirs publics ont aussi pris conscience de l’importance des énergies marines : la mer est
une source d’énergie gratuite non polluante, mais difficile à capter. Le vent, les vagues, l’énergie
thermique, les courants et les marées sont des ressources mal distribuées, mais récupérables en
partie. Elles pourraient fournir en France en 2020 3, 4 % des besoins nationaux et 7, 7% des
énergies renouvelables. Éoliennes et hydroliennes sont ainsi appelées à se développer, mais elles
restent coûteuses154. Leur installation soulève des problèmes juridiques intéressants de droit
public maritime155. À terme, de nouvelles aventures techniques d’intérêt écologique peuvent offrir
des débouchés pour l’industrie nationale. Mais tout ceci suppose, comme dans les autres pays
(Royaume Uni), des aides d’État.
L’Agence Internationale de l’Énergie a récemment indiqué que « Le potentiel de production
offshore en France pour 2020 est estimé à 30 TWh, soit la consommation domestique (chauffage
compris) de 13 millions de Français. ». Avec ses 3 500 kilomètres de côtes, la France dispose du
deuxième gisement éolien offshore d’Europe. D’où une récente politique engagée en vue
d’assurer le développement d’une filière industrielle nationale dédiée à ces énergies 156. De
151
Sur le concept de fraude et la classification des fraudes maritimes, v. déjà, P Kapoor, « Définition and
classification of maritime fraud », p. 29, in Lloyd's Maritime and Commercial Law Quarterly, février 1983. La
CNUDCI a pris plus récemment pour thème de réflexion la fraude dans le commerce international.
152
V. V. Béglé, Due diligence anti-corruption – Vérifications préalables sur certains intermédiaires dans l’industrie
du transport, RD transp. sept. 2012, Formule, 3.
153
V. Colin de la Rue et Ch. B. Anderson, Shipping and the environment, Lloyd’s Shipping Law Library, 2e éd.,
2009, v. égal. A.-C. Urbain, De nouvelles obligations en matière de changement climatique pour les entreprises du
secteur des transports maritimes, Journ. sociétés oct. 2013. 60.
154
Le coût d’un Mégawat-heure serait de 25 euros en hydroélectricité, 50 en nucléaire, 80 en éolien à terre, 150 en
éolien en mer, 150 à 259 en hydrolien.
155
V. Journées Ripert 2013 ; v. égal. Laffoucrière, Les conflits d’usage dans la Manche, thèse Paris-I, 2013.
156
Le Livre Bleu du 12 août 2009 (http ://www.sgmer.gouv.fr/Livre-bleu.html) rappelle l’axe prioritaire de
développement que constituent des énergies marines renouvelables dans la politique maritime de la France, qui s’est
par ailleurs fixée un objectif de 23% d’énergies renouvelables à l’horizon 2020. Le Plan Energie bleue prévoit la
41
nombreux industriels, constructeurs et énergéticiens s’impliquent désormais dans l’éolien
offshore. Une démarche similaire se dessine pour les autres énergies marines renouvelables. Des
zones propices ont été identifiées pour l’hydrolien (Raz Blanchard, Raz de Barfleur, Fromveur).
Les projets d’éolien flottant, d’houlomoteurs et d’énergie thermique des mers avancent à grands
pas.
Les activités maritimes liées aux différentes phases de la conduite des projets EMR sont
nombreuses : transport maritime des composants qui ne peut se concevoir que dans le cadre d’une
logistique globale, comprenant la manutention portuaire avec des navires appropriés.
L’installation de machines en mer suppose aussi une grande ingénierie (pose de câbles,
renforcement de dragues…), sans parler de la maintenance.

§9. Les activités maritimes, un enjeu pour l’emploi

Les activités maritimes liées aux EMR représentent un gisement important de nouveaux emplois.
Emplois directs pour concevoir, construire et opérer les navires. Emplois indirects pour gérer les
structures, organiser la maintenance et la logistique des navires. Les métiers maritimes concernés,
parfois nouveaux, nécessitent des efforts de formation ou d’adaptation professionnelle.
Entretenir, maintenir, exploiter de gros engins dans un environnement maritime sont des tâches
que les mécaniciens de marine maîtrisent. D’où des métiers intéressants et ouverts sur le monde
nouveau, mais supposant un statut adapté : d’où certainement de nouveaux contrats, de nouvelles
conventions collectives…

§10.Les Autres enjeux

L’implantation d’un parc éolien en mer s’accompagne de la création d’une activité portuaire
importante durant les années que dure la phase d’installation d’un parc éolien : fabrication,
stockage, manutention, assemblage, maintenance… Il y a là de nouvelles perspectives très riches
pour le développement des activités maritimes où la France dispose de nombreux atouts :
transport des composants pose/protection des câbles sous-marin, gestion des interfaces,
logistique, autoroutes de la mer… Il reste qu’aujourd’hui l’assistance maritime et
l’exploitation/maintenance des parcs EMR sont dans les mains de nos voisins européens
(hollandais, danois, allemands, britanniques). D’où d’autres efforts qui sont devant nous pour
rendre la filière totalement compétitive.

SECTION 4. PLAN DU COURS

Ce cours sera divisé en cinq parties :


- la première consacrée au navire,
- la deuxième au personnel du navire, ainsi qu’aux administrations concernées,
- la troisième à l'exploitation du navire,
- la quatrième partie aux événements de mer (abordage, assistance, avaries communes, pour
l’essentiel, en y ajoutant notamment la piraterie).
-la dernière partie traitera des assurances et des ventes maritimes.

production de 6 000 MW d’éolien offshore en 2020.


42
43
PREMIÈRE PARTIE
LE NAVIRE

On considérera donc dans un premier titre consacré au statut du navire, successivement ce bien
en lui-même, puis en tant qu'il est l'objet d'un droit de propriété, et enfin comme élément du
patrimoine de l'armateur.
Un second titre portera sur le contrôle du navire : ce sera l’occasion d’aborder les questions
portant sur la sécurité du navire (cf. immobilisation, visites… infractions), sur son accueil dans
les ports, ordinaires (cf. attribution de postes ; traitement des déchets…) ou de refuge, sur son
contrôle par l’État du pavillon et les sociétés de classification, par l’État du port et par les
autorités portuaires elles-mêmes.

44
TITRE 1

LE STATUT DU NAVIRE

Le navire n’est pas un bien comme un autre. C’est d’abord un bien immatriculé, cette
immatriculation n’étant pas seulement administrative eu égard à ses effets de droit privé 157. C’est
ensuite un bien formant l’objet d’un droit de propriété dans des conditions que l’on peut encore
considérer comme originales. C’est enfin un objet de convoitise de la part des créanciers de
l’armateur, en même tant qu’un instrument de crédit pour ce même armateur qui bénéfice, de
surcroît, d’un véritable privilège, celui, comme nous le verrons ultérieurement, de pouvoir limiter
sa responsabilité à raison de la valeur même du navire. Ces trois questions formeront l’objet des
trois chapitres qui suivent :
- le navire en tant que bien immatriculé ;
- le navire en tant qu’objet de propriété ;
- le navire en tant que gage des créanciers.

157
Il faut préciser que le navire fait l’objet d’une immatriculation proprement dite auprès de l’administration des
Affaires maritimes, qui a pour objet d’assurer le contrôle du navire, et d’une inscription auprès de l’administration
des douanes qui tient un fichier par navire assurant la publicité réelle du navire, et délivre l’acte de francisation, i. e.
de nationalité du navire. Il est question de regrouper les deux procédures (cf. Rapport Leroy).
45
Chapitre 1
LE NAVIRE EN TANT QUE BIEN IMMATRICULÉ

Le navire est un bien meuble, mais ce n’est pas une simple chose ou un simple objet de
convoitise. Le doyen Ripert158 l’assimilait à une personne. Ce dernier rapprochement est un peu
romantique, mais n’est cependant pas dénué de pertinence.
Le navire, en effet, a, comme les personnes vivantes, un nom, qui le désigne. Il est d'une certaine
classe sociale, car on distingue les navires de plaisance de ceux qui sont affectés à la pêche, au
commerce ou à la défense du pays ; et parmi ces catégories principales, de nombreuses
distinctions sont faites. Le navire a aussi un domicile : le port d'immatriculation où sont
conservés les actes qui le concernent. Le navire a également une nationalité : on dit de lui qu'il
est français, panaméen, libérien. On plaide en justice contre lui ou il plaide lui-même, car dans
les causes maritimes son capitaine le personnifie. Il donne ainsi son nom aux principaux arrêts du
droit maritime (Lamoricière, Champollion, Mercandia, Cecil Maritima, Erika…). Enfin, on
pourrait presque dire qu'il meurt  : lorsqu’il est trop vieux ou qu'il est déclaré innavigable, il
disparaît en tant que navire et devient une épave.
Si cette comparaison pittoresque, et qu'il ne faudrait pas pousser trop loin, a quelque chose de
vrai, c'est parce que le navire, quoiqu’étant un bien meuble, est un bien juridiquement
immatriculé ou individualisé par un certain nombre de caractères. En outre, ce bien est
immatriculé dans un pays déterminé. L'immatriculation ne lui confère pas seulement une sorte de
situation réelle, elle lui donne un statut et notamment une nationalité159.

Avant de développer tous ces aspects, encore faut-il souligner les principaux intérêts qui
s’attachent à la définition de navire :
- un navire permet à son propriétaire et plus largement à celui qui l’exploite d’invoquer la
limitation de responsabilité aujourd’hui prévue et organisée par la Convention de Londres de
1976 (LLMC, v. ss 839 s.)160 ;
- en cas d’abordage, i. e. de collision entre navires, le droit commun de la responsabilité est
écarté ;
- un navire peut être hypothéqué et grevé d’un ou de plusieurs privilèges dont les caractères sont
assez singuliers (v. ss 210)161 ;
- la saisie de navires obéit à des règles originales ;
- le système de la mutation en douane est propre aux navires (v. ss 176)162 ;
- le transport par un navire comporte des risques particuliers que ne connaît pas le transport
terrestre et l’affrètement d’un navire ne s’identifie pas à une simple location.

En tant que bien immatriculé, le navire a un statut original. Il est individualisé et jouit d’une
nationalité, ce qui est sans doute le trait le plus remarquable. Mais le navire n’est pas éternel : il
est appelé à disparaître, au fond de la mer ou des chantiers de démolition : il peut devenir une

158
Traité de droit maritime, T. 1, 4e éd., n° 303.
159
 J.P. Laborde, La nationalité du navire, DMF 2005. 803.
160
V. déjà CE 15 févr. 1918, Philips, Autran XXXI, 347 ; Req. 25 mai 1938, DH 1938. 403 ; Com. 6 déc. 1976,
DMF 1977. 513, obs. Rodière.
161
Comp. Req. 23 juill. 1896, S. 1897. 1. 81.
162
V. Req. 4 janv. 1898, S. 1898, 1, 216.
46
épave et perdre ainsi son statut. L’immatriculation du navire, la nationalité du navire et sa
réduction à l’état d’épave ou de navire abandonné appellent des précisions.

SECTION 1. L’IMMATRICULATION DU NAVIRE

Tous les navires sont recensés par l'administration et portés sur des registres publics 163.
L'immatriculation n'a pas seulement une valeur administrative, comme elle peut l’avoir, par
exemple, pour les véhicules automobiles : elle a ici une véritable valeur juridique. Certains
meubles échappent, par leur immatriculation, au droit commun de la propriété mobilière. On les
désigne aujourd'hui, en droit civil, sous le nom de meubles immatriculés. La grande règle du droit
civil, qui veut que la possession vaille titre (cf. C. civ., art. 2276), ne leur est pas applicable.
L’étude des caractères du navire et de son individualisation permettra de s’en rendre compte. Des
observations moins juridiques sur le classement des navires rendront compte aussi de la
complexité du statut des navires.

§ 1. Les Caractères du navire

Le navire se présente, dans une première analyse, comme un engin flottant, de nature mobilière,
affecté à une navigation qui l'expose habituellement aux risques de la mer.
- Engin : le terme permet d’éliminer les planches ou les amas ; le mot évoque l'idée d'une
construction, d'un assemblage de pièces en vue de constituer un bâtiment de mer.
- Flottant : parce que la chose serait, si elle était amarrée de façon fixe, un immeuble.
- De nature mobilière : le trait est marqué par le texte même du Code civil (art. 531)164 ; il permet
d'écarter, outre leur caractère non flottant, les digues, les phares qu’une tempête peut jeter à
bas ou encore les îles artificielles165.
- Affecté à une navigation qui l'expose habituellement aux risques de la mer : la navigation
maritime est une navigation soumise aux risques de la mer. Les règles qui font l'originalité du
droit maritime s'expliquent par les périls de la mer. L'engin qui n'y serait pas exposé ne mériterait
pas l'application des règles qui ne se justifient que par l' « aventure maritime » qu'il affronte. Ce
caractère sert du reste à distinguer le navire du simple bateau de rivière (v. ss 85).

Cette première approche donnée, trois traits négatifs permettront de mieux cerner ce qu'est un
navire :

1. Peu en importe la taille ; les navires ont des formes et des dimensions très variées : entre un
pétrolier géant et une petite barque de pêche, il n'y a pas de comparaison possible. Pourtant,
juridiquement, la barque est un navire, tout comme le superpétrolier. La Cour de cassation 166 a

163
V. R. Coles et E. Watt, Ship registration : law & pratice, Lloyd’s Shipping Law Library, 2e éd., 2009. En droit
suisse, l'immatriculation est qualifiée d'enregistrement : A. Von Ziegler, DMF 1993. 754 s.
164
Sur l’évolution juridique, v. A. Castaldo, Propos historiques sur la nature juridique du navire, RHDFE 2005. 247.
165
 Le caractère mobilier du navire s'oppose à l'appartenance de celui-ci, le cas échéant, au domaine public. De
même, la construction d'un navire ou les travaux sur un navire ne peuvent constituer des travaux publics faute de
caractère immobilier (J.-B. Auby et H.-G. Hubrecht, note sous T. confl. 21 mars 1983, UAP c/ ministre des P. et T.,
D. 1984. 33, spéc. 38 ; sur la domanialité privée d'un navire, Civ. 3 août 1892, DP 1892.1.572). Plus généralement,
v. Bergel, le navire, bien meuble à coloration immobilier ?, Mélanges Scapel PUAM 2013, p. 77.
166
Civ. 20 févr. 1844, S. 1844. 1. 197.
47
posé le principe : « il faut entendre par bâtiments de mer, quelles que soient leurs dimensions et
dénominations, tous ceux qui, avec un armement et un équipage qui leur sont propres,
accomplissent un service spécial et suffisent à une industrie particulière. » Ce principe n’a pas
changé.

2. Peu importe la position de l’Administration ; on avait pensé (cf. Danjon) que la navigation
maritime (d'où dépend la qualité de navire) se reconnaissait à ce qu'elle s'effectuait dans les
limites de l'inscription maritime ; la Cour de cassation a rejeté fermement cette solution 167. De
même, la qualification administrative d'un engin est sans portée ; le fait que l'Administration ait
classé un engin dans la catégorie des bâtiments de mer de plaisance ne prouve pas qu'on soit en
présence d'un navire168.

3. Peu importe que l'engin soit hybride et évoque techniquement l'avion : c'est le cas du
« navion »169ou encore de l'aéroglisseur marin qui prend directement appui sur un coussin d'air et
ne touche donc pas les flots quand il est en déplacement. Le Conseil d'État avait été saisi d'une
requête tendant à annuler, pour excès de pouvoir, l'alinéa 2 de l'article R. 212-1 du Code des ports
maritimes, qui considérait comme des navires de commerce les aéroglisseurs effectuant une
navigation maritime et des opérations commerciales ou des séjours dans les ports. La haute
juridiction a rejeté le recours en voyant dans l’aéroglisseur un navire : il « se déplace en prenant
appui sur l'eau » et peut donc être assimilé à un engin flottant ; en outre, la fonction de
l'aéroglisseur « consiste à transporter des passagers ou des marchandises par voie d'eau en reliant
deux rivages ». Les aéroglisseurs sont donc techniquement comparables à des navires et
accomplissent la même fonction commerciale. Le Conseil d'État a cru utile de préciser que le
législateur avait assimilé l'aéroglisseur au navire dans la loi du 26 décembre 1966 sur la
répression du délit de fuite en cas d'accident occasionné par la navigation170.

§2. L’Individualisation du navire

Chaque navire doit être immatriculé administrativement pour être distingué des autres et ainsi
individualisé. La question se pose donc de savoir quels sont les éléments qui assurent
l’individualisation du navire. Un navire porte, gravées sur sa poupe, les indications qui
permettront de le reconnaître dans la vie juridique : son nom et son port d'attache 171. Il faut qu'à
première vue tous les intéressés puissent savoir quel est ce bâtiment. Mais d’autres éléments sont
nécessaires. Au total, son nom, son port d'attache, sa nationalité et son tonnage permettent
d’identifier un navire (C. transp., art. L. 5111-1).

167
Req. 13 janv. 1919, S. 1920. 1. 340.
168
Com. 6 déc. 1976, DMF 1977. 513, obs. Rodière.
169
Décr. 2010-186 du 25 févr. 2010. Contraction de navire et d’avion, la notion désigne « tout engin multimodal
dont le principal mode d’exploitation est le vol à proximité de la surface sous l’effet de surface », v. P. Bonassies,
DMF 2011, HS 15, n° 10.
170
CE 19 déc. 1979, DMF 1980, obs. Rézenthel et Caubert. Les aéroglisseurs n’ont pas à acquitter des droits de
pilotage pour l’unique raison que leur porte se trouve en dehors de leur zone de pilotage (à Calais), v. T. com. Calais
18 nov. 1969, D. 1969. 19, note Rodière.
171
Cf. C. transp. art. L. 5111-1, al. 2. ; égal. Décr. n° 890 du 27 juill. 1977. Est puni de 3 750 euros d’amende le
capitaine qui ne se conforme pas aux dispositions réglementaires sur les marques extérieures d’identification des
navires ou qui efface, altère, couvre ou masque ces marques (C. transp., art. L. 5111-2).
48
A. Le Nom

Nous avons tous dans notre mémoire les noms fabuleux de la Confiance, de l’Astrolabe, du
Ramona, du Karaboudjan, du Nautilus, de La Sémillante, du Kallisté, du Queen Mary, du
France... C’est que le navire, comme la personne physique, porte un nom 172. Chaque navire doit
avoir un nom qui le distingue des autres bâtiments de mer (art. D. 5111-1). Ce nom est librement
choisi par le propriétaire. Les compagnies de navigation ont l'habitude pour les bâtiments de
même type, de prendre la même série des noms (provinces françaises, grands navigateurs, opéras
ou la même terminaison du mot).
D'après les circulaires de l'Administration des douanes, il est interdit de donner à un navire un
nom qui a déjà été pris par un autre navire. Le nom est imposé au navire. Le changement de nom
n'est pas possible sans une autorisation administrative (C. douanes, art. 229).
Ces règles ne s'appliquent avec rigueur qu'aux bâtiments de 500 unités de jauge et plus. Pour les
autres, s'ils sont « francisables » (v. ss 91), ils portent bien un nom contrôlé par l'Administration
des douanes, mais les doubles emplois sont permis soit entre eux, soit avec des bâtiments de plus
de 500 unités dès que leurs caractéristiques et leurs affectations respectives ne permettent pas la
confusion173.
B. Le Tonnage ou jauge du navire

Le tonnage désigne le volume intérieur du navire. C’est l’expression de la capacité intérieure du


navire (art. D. 5111-2)174. Le chiffre donne une idée des dimensions du navire et permet de
l'identifier. Cette capacité intérieure s'est depuis le XVIIe siècle exprimée par une mesure
particulière, le tonneau de jauge, qui ne correspond à aucune mesure de capacité française et qui
vaut 2000 livres anglaises, soit 2,83 m3, soit 100 pieds cubes. Une convention signée à Oslo le
10 octobre 1947 donnait par ailleurs dans chaque État signataire aux certificats délivrés par les
autorités des autres pays signataires la même valeur qu'au certificat dudit État175.
Il existe deux manières de calculer la jauge d'un navire. La jauge brute est la capacité intérieure
complète du navire et de toutes les constructions qui se trouvent sur le pont. C'est donc celle qui
permet de se rendre compte le plus parfaitement des dimensions du navire. La jauge nette est la
capacité intérieure, déduction faite de tous les espaces dans lesquels on ne peut loger ni
passagers, ni marchandises. Elle indique donc la capacité d'utilisation du navire. Le rapport de la
jauge nette et de la jauge brute dépend du mode de construction du navire : sur un voilier, la
jauge nette se rapproche de la jauge brute ; sur un grand navire de croisière, la jauge nette est très
inférieure à la jauge brute.
Dans la pratique moderne, et tout au moins pour certains navires qui déplacent des marchandises
de même nature (charbon, minerais, grains, pétrole), il est une indication commerciale, qui
complète celle-là, c'est l'indication du poids que peut porter ce navire, dénommée la portée en

172
Une thèse s’impose sur le sujet. Elle devrait s’attacher à la question de savoir pourquoi le mot est, en français, au
masculin, alors qu’il est féminin pour nos amis Anglais.
173
 Circulaire (MM) n° 1502 du 6 mars 1959 (BOMM, mars 1959, 235).
174
L’autorité administrative définit les règles du jaugeage et délivre aux propriétaires de navires des certificats de
jauge conformes aux prescriptions des conventions en vigueur (art. D. 5111-3).
175
 Publiée en France, cf. Décr. n° 1182 du 21 nov. 1956 (JO 23 nov.).
49
lourd du navire176. L'indication du port en lourd est une indication commerciale, mais non
réglementaire.
Aujourd’hui, le calcul de la jauge est assuré par le service des douanes (C. douanes, art. 222),
mais la définition de la jauge des navires et son expression en unités de mesure sont effectués
conformément aux stipulations de la Convention de Londres du 23 janvier 1969 sur le jaugeage
des navires ; la Convention de Londres est entrée en vigueur le 18 juillet 1982.
Elle fait l'objet de dispositions transitoires et elle n'est applicable qu'aux navires :
— effectuant des voyages internationaux et d'une longueur principale supérieure à 24 mètres ;
— immatriculés dans l'un des pays contractants ;
— mis en construction à partir du 18 juillet 1982 ou existant à partir de 1984 pour ceux qui ont
été construits avant le 18 juillet 1982.
On trouvera ci-après le coefficient multiplicateur qu'il faut appliquer à l'ancien chiffre de tonnage
brut et net pour trouver l'équivalence dans l’actuelle convention.

Type de navire Coefficient multiplicateur


jauge brute jauge nette
Pétrolier 0,951 1,022
Vraquier 0,965 0,842
Minéralier 0,962 0,691
Roll on/roll off (Ro/Ro) 3,919 2,404
Paquebot 1,006 0,796
Ferry 1,599 1,260
Cargo de moins de 1 600 grt 1,870 1,684
Cargo de plus de 1 600 grt 1,613 1,519

La lecture de ce tableau montre qu'à l'exception des pétroliers, minéraliers et vraquiers,


l'application de la Convention de Londres entraîne une augmentation de jauge177.
La convention dûment ratifiée par la France 178 a modifié les plafonds de limitation de
responsabilité du propriétaire qui sont calculés en fonction de la jauge (v. ss 89).
C. Le Port d'attache

Le port d’attache ou le domicile du navire est son troisième élément d'identification. Comme les
personnes physiques, les navires ont un domicile légal. Il faut cependant bien s’entendre et ne pas
confondre, en attendant une éventuelle réforme, l’immatriculation administrative du navire
relevant des Affaires maritimes et son immatriculation juridique, son inscription au fichier des
navires, relevant de l’administration des douanes. Tous les actes translatifs de propriété ou
constitutifs de droits réels sont réunis à la recette principale des douanes dont ce port relève. La

176
 Elle est exprimée en tonnes de poids dites deadweight dans l'abréviation commerciale : tonnes dw ou tdw. Cette
notation est courante pour les pétroliers et les minéraliers.
177
En 2011, la flotte de commerce française était, en milliers de tonneaux, de 2 601 298 pour les pétroliers, de
1 882 865 pour les porte-conteneurs, de 753 488 pour les transbordeurs, et de 482 060 pour les gaziers.
178
 Décr. n° 725 du 10 août 1982, JO 20 août ; P. Léonard, Les instruments quantitatifs de la politique maritime, op.
cit., dactyl., p. 4 : cette nouvelle jauge est dite UMS (Universal Measurement System). La Convention de 1969,
établie sous l'égide de l'OMI, définit la jauge brute à partir du volume des espaces clos du navire affecté d'un
coefficient correcteur.
50
fixité du port d'attache explique qu'on ait pu constituer un excellent système de publicité des
droits réels et plus généralement de l'état civil du navire ; c'est le système de l'immatriculation des
navires et de la mutation en douane (v. ss 173 s.). Pour autant, le port douanier ne correspond pas
nécessairement au port d’immatriculation administratif. Les deux coïncident le plus souvent et
l’on admet même qu’en cas de discordance le port d’administration prime sur le port douanier. 179
Mais, pas plus que le domicile pour un individu, le port d'attache n'indique la nationalité du
navire180. De même, le port d’attache n’est-il pas le port où se réalise la publicité des actes
constitutifs ou translatifs de propriété relatifs au navire.
D. La Nationalité

Le navire a enfin une nationalité qui s’exprime par le port du pavillon national. Le navire relève
de l’ordre juridique dont il bat le pavillon (v. ss 98 s.). La nationalité des navires est assez
singulière181, mais traduit le lien avec un État. Pour certains, la nationalité d’un navire ne serait
pas une véritable nationalité, mais le moyen de rendre compte du fait qu’un navire est
immatriculé dans un État et que cet État exerce sur lui une surveillance. L’idée d’immatriculation
ne permet cependant pas d’expliquer la richesse de la notion.

Un navire a nécessairement une nationalité : à défaut c’est un pirate et un ennemi commun. Il n’a
qu’une nationalité et ne peut, comme on l’a dit, en avoir deux. Le pavillon qui n’est peut-être plus
aujourd’hui un enjeu politique, détermine la loi applicable en haute mer et permet d’identifier le
navire auquel tel État accordera sa protection. L’attribution de la nationalité à un navire relève de
sa compétence régalienne. C’est un acte de souveraineté182.
E. Les Documents

Un navire emporte avec lui son état civil. Il doit donc être détenteur de pièces officielles
indiquant son état. Plus précisément, tout navire battant pavillon français qui prend la mer doit
avoir à son bord les titres de navigation maritime et les titres de sécurité prévus par la loi, ainsi
que les documents nécessaires à sa conduite et à son exploitation (dont la liste est fixée par voie
réglementaire) (cf. C. transp., art. L. 5221-1).

§3. Le Classement des navires

I.La Cote des navires

179
Vialard, Droit maritime, n° 299 ; Montas, op. cit., p. 53.
180
 Un navire peut être immatriculé dans un État et battre pavillon d’un autre État, mais ne saurait avoir deux
pavillons : Com. 16 juin 2004, Bull. civ. IV, n° 124. On peut admettre qu’un navire étranger ait son port d’attache en
France ; mais l’inverse ne semble pas admis.
Les marques d’identification des navires de plaisance en mer sont : le nom du navire, le nom ou les initiales du
service d’immatriculation, le n° d’immatriculation, art. D. 5111-4 ; sur les marques extérieures d'identité des
navires : décret du 17 avr. 1928, mod. Décr. 17 mars 1966 et Décr. n° 890 du 27 juill. 1977 (JO, 6 août).
181
J.-P. Laborde, De la nationalité du navire et surtout de ce qu’elle peut nous apprendre sur la nationalité tout
court, DMF 2005. 803.
182
Crim. 23 nov. 2004, DMF 2005. 302, obs. J.L. Renard, Rev. crit. DIP 2005. 468, note I. Pingel, DMF 204, HS 9,
n° 21, obs. P. Bonassies.
51
Tous les navires ne sont pas construits et aménagés de la même façon ; il faut donc les classer
d'après leur valeur économique. Ce classement est fait non par l'État, mais par des sociétés
privées spécialisées, dénommées sociétés de classification183. Ces sociétés, à l’exemple du
Bureau Veritas, portent un jugement sur l’état du navire et expriment ce jugement en donnant au
navire une certaine cote.184 Lorsque la société ne veut pas donner à un navire la première cote, ce
navire devient suspect et ceux qui ont à traiter de l'achat, de l'affrètement, de l'assurance du navire
refusent généralement de passer ces contrats. Les sociétés de classification des navires aident les
entreprises à être conformes aux normes de qualité et de sécurité dans la conduite de leurs
activités185. Elles ont un rôle essentiel dans le domaine du transport maritime en permettant aux
navires d’être construits conformément aux normes requises. Elles ont une telle réputation de
capacité professionnelle et d'honnêteté que les États leur ont accordé une sorte de reconnaissance
officielle. Lorsqu’un navire a la première cote d'une des sociétés de classification reconnues par
l'État, celui-ci le dispense de passer les visites officielles de sécurité. La situation des sociétés de
classification n’est pas toujours facile à analyser, d’autant qu’elles sont aujourd’hui, à tort ou à
raison, l’objet d’actions en responsabilité, du moins lorsque le droit français s’applique. Elles
agissent aussi bien dans le cadre de délégations étatiques que dans le cadre de purs contrats de
droit privé conclus avec les armateurs (v. ss 280).

II.L’Affectation

En outre, tous les navires n'ont pas la même affectation. On peut laisser de côté ceux qui sont
affectés à un service public. Ceux-là ne dépendent pas du droit maritime privé. Ce sont d'abord
les bâtiments de guerre appelés les vaisseaux. Ils font partie du domaine public dès qu'ils sont
construits et incorporés dans la flotte d'État. Ils ne sont pas soumis à toutes les règles du droit
maritime186 et jouissent dans les pays étrangers d'une sorte d'exterritorialité et en tout cas d’une
immunité187. Le Code des transports exclut, en principe, de son champ d’application les navires
de guerre français ou étrangers, étant précisé que sont considérés comme navires de guerre tous
bâtiments en essais ou en service dans la Marine nationale ou dans une marine étrangère (art. L.
5000-2, II).
Ce sont aussi les bâtiments affectés à un service public de l'État, par exemple les bâtiments
employés par les services des ponts et chaussées, des douanes et des ports. Leur affectation à un
service public leur fait une condition particulière, qui n'est pas toujours bien définie. Le Code des
transports voient dans ces bâtiments des navires (art. L. 5000-2, I, 2°).

183
M. Ferrer, La responsabilité des sociétés de classification, PUAM, préf. Scapel 2004.
184
 La cote est exprimée par des chiffres, des lettres et des signes (cercles, croix…) qui varient suivant les sociétés.
V. Ph. Boisson, Politiques et droit de la sécurité maritime, éd. Bureau Veritas, 1998.
185
Elles sont aujourd’hui regroupées au sein d’une organisation internationale (IACS, International Association of
Classification Societies) qui s’efforce d’édicter des normes et des règles de bonne conduite. Les paquets Erika ont
également imposé aux États certains critères d’habilitation de telles sociétés (P. Bonassies, DMF 2002, HS 6, n° 7).
186
Leur statut est avant tout défini par la Convention sur le droit de la mer, art. 29 s. L’art. 29 définit le navire de
guerre comme le navire qui fait partie des forces armées d’un État et qui porte les marques extérieures distinctives
des navires militaires de sa nationalité, qui est placé sous le commandement d’un officier de marine au service de cet
État et inscrit sur la liste des officiers ou un document équivalent, et dont l’équipage est soumis aux règles de la
discipline militaire. L’art. 32 rappelle que ces navires, dans la mesure où ils sont utilisés à des fins non
commerciales, bénéficient des immunités d’État.
187
Cf. art. 95 CMB : les navires de guerre jouissent en haute mer de l’immunité complète de juridiction vis-à-vis de
tout État autre que l’État du pavillon.
52
III.Les Classifications commerciales

Les navires de commerce peuvent être classés d'après leur affectation commerciale : certains
sont affectés au transport des voyageurs, on les appelle des paquebots ou de nos jours navires à
passagers ; d'autres au transport des marchandises, on les appelle cargos ou navires de charge.
Quelques-uns sont affectés au double transport des voyageurs et des marchandises, ce sont des
paquebots mixtes ou cargos mixtes : on parle encore de ferries. On distingue aussi parmi les
cargos ceux qui sont construits spécialement en vue de transporter certaines marchandises
(pétroliers, minéraliers, tankers de vins (pinardiers), bananiers, méthaniers, vraquiers…)188.

On classe aussi les bâtiments d'après leur mode de propulsion : voiliers, vapeurs et navires à
moteur ; demain : navires nucléaires189.
On peut classer les navires d'après le service qu'ils accomplissent. Les uns accomplissent un
service régulier : ce sont les navires de ligne, ou, suivant l'expression anglaise, liners. Les autres
courent, à la recherche du fret le plus avantageux ; ceux-ci font un service irrégulier ; on leur
donne le nom anglais de tramps (vagabonds), et ce genre de navigation s'appelle le tramping.
Cette distinction des navires est importante pour le mode de transport, mais au point de vue de
leur qualité juridique, elle ne doit pas être prise en considération.

IV.Le Classement d'après la longueur du parcours

Les navires qui font un long voyage font de la navigation au long cours. Le long cours, comme
les autres zones de navigation, se trouvent encore déterminés par un arrêté du 24 avril 1942. Les
textes fixent les degrés de longitude et de latitude qu'il faut dépasser pour faire un long cours. Par
exemple, les navires qui vont en Amérique ou dans l'Océan Indien, ou qui dépassent le Cap Nord
ou qui vont dans le golfe de Guinée font du long cours.
Ceux qui pratiquent la navigation en deçà de ces limites font du cabotage et on les appelle
quelquefois caboteurs. La navigation entre le Havre et Hambourg ou avec les ports du Maroc, par
exemple, est une navigation au cabotage. Ce cabotage se divise en cabotage international,
lorsqu’il a lieu entre deux ports de pays différents, et cabotage national, lorsqu’il a lieu entre
deux ports français. Selon une autre distinction, on parlera de petit cabotage si, entre deux ports
situés dans la même mer, la navigation se fait dans des limites fixées par des textes anciens mais
toujours en vigueur (par ex., entre France continentale et Corse) et de grand cabotage s'il se fait
au-delà de ces limites ou entre ports situés dans deux mers différentes.
Une troisième navigation, plus réduite encore, appelée autrefois bornage, est la navigation
côtière : c'est la navigation qui est faite par les petits navires, qui n'ont pas plus de 300 unités de
jauge et qui ne s'éloignent pas de plus de 100 milles marins de leur port d'attache, et aussi la
navigation dans les ports et rades ou par des chalands et autres engins remorqués190.
La distinction entre les navigations au long cours, au cabotage et côtière présente de multiples
intérêts, mais qui sont surtout des intérêts administratifs. Les mesures de sécurité qui sont
imposées, la perception des droits fiscaux, certaines question sociales (ENIM), la surveillance des
188
 Les statistiques distinguent aujourd'hui trois catégories : les navires à passagers, les cargos et les pétroliers.
189
 La France ne possède aucun navire à propulsion nucléaire en dehors des sous-marins et du porte-avions Charles
de Gaulle. Du reste, il n'existe plus, à l'heure actuelle, de navire à propulsion nucléaire en service qui ne soit pas un
navire de guerre en dehors des brise-glace russes ; E. Benvéniste et R. Delayre, La propulsion nucléaire des navires,
p. 131 s. et spéc. annexe p. 136, in Revue Défense nationale, mai 1985.
190
Il faut également faire état du pilotage, naturellement plus limité.
53
douanes diffèrent suivant les navigations191. On notera cependant qu’il n’y a plus aujourd’hui de
capitaines au long cours, mais seulement des capitaines de première classe (ou encore de
deuxième classe).

V.Le Classement d'après le but de la navigation

La navigation maritime n’est pas uniforme. Les finalités poursuivies par les armateurs ne sont
pas les mêmes.
La navigation commerciale est celle qui a pour objet les transports maritimes, de passagers ou de
marchandises, ou encore les remorquages en haute mer et les poses de câbles.
La navigation de plaisance192 est caractérisée par l'absence de but lucratif ; le plaisancier n'est pas
un commerçant. Il faut dès lors distinguer parmi les règles de droit maritime : celles qui tiennent
aux dangers de la navigation opèrent pour la navigation de plaisance comme pour la navigation
au commerce ; en revanche, ne sont pas applicables les règles qui s'expliquent par la présence
d'une navigation intéressée, ni celles qui ont trait à la compétence commerciale. Ainsi les textes
concernant la responsabilité du propriétaire de navire ne comportent aucune distinction ni
exclusion qui serait fondée sur le tonnage du navire ou sur sa destination pour le commerce, la
pêche professionnelle ou la plaisance ; les conditions particulières de la navigation en mer étant
identiques pour tous, les règles nées de ces conditions, spécialement celles ayant trait à la
réparation des dommages découlant des risques maritimes propres, doivent s'appliquer à tout
navire effectivement utilisé comme moyen de transport à la mer, quelle que soit sa nature ou son
importance. En conséquence, le propriétaire d'un « Zodiac » utilisé pour la plaisance peut limiter
sa réparation193; de même, les règles de l'engagement de l'équipage doivent être les mêmes pour
les yachts de plaisance que pour les navires de commerce 194 ; en revanche le tribunal de
commerce ne sera pas compétent pour connaître d'une action en réparation du dommage causé
aux enfants d'un matelot décédé au cours du voyage d'un yacht (v. ss 491). De même en est-il des
assurances qui restent soumises aux dispositions du droit terrestre. Les navires de plaisance sont
eux-mêmes l’objet de classement (formation, utilisation commerciale, usage personnel…).

Quant à la pêche195, devenue largement une activité commerciale (v. ss 495), elle relève bien
évidemment du droit maritime. On distingue plusieurs zones de pêche et les divisions se font
selon le tonnage du navire et la durée de la sortie : grande pêche, pêche au large, pêche côtière,
petite pêche, pêche à pied (v. ss 494).
Les conditions dans lesquelles un navire armé à la pêche peut effectuer, occasionnellement et
sans autorisation de l’autorité administrative, des opérations de transport rémunérées, sont fixées
par voie réglementaires (art. L. 5235-1). L’embarquement de passagers à bord d’un navire armé à
la pêche est subordonné à la souscription d’un contrat d’assurance couvrant la responsabilité
civile de l’armateur, du capitaine, des membres de l’équipage et des personnes occasionnellement
191
 Le cabotage est aujourd’hui libéralisé dans l’UE, v. Règl. n° 3577/92 du 7 déc. 1992 concernant l’application du
principe de la libre circulation des services au transport maritime à l’intérieur des États membres (JOCE n° L. 364,
12 déc. 1992) ; v. not. CJCE 21 oct. 2004, DMF 2005. 14, obs. P. Bonassies.
192
 M. de Juglart, « La navigation de plaisance en mer », DMF 1981. 387 ; J. Mestre, « Vers un statut professionnel
pour la grande plaisance », Annales IMTM 1993-1994 ; v. ss 490.
193
Rennes 15 mars 1983, DMF 1983. 739, obs. Godin ; égal. Com. 11 déc. 2012, « Chrisflo », DMF 2013. 142.
194
Civ. 19 févr. 1913, D. 1914. 1, 321, note Ripert.
195
G. Proutière-Maulion, La politique communautaire de réduction de l’effort de pêche des États membres : de la
liberté de pêche au droit d’exploitation des ressources, éd. L’Harmattan, 1998 ; D. Vignes, G. Cataldi et R.C.
Raigon, Le droit international de la pêche maritime, éd. Bruylant, 2000.
54
admises sur le navire pour y exercer une activité d’accompagnement, ainsi qu’au respect de
règles sécurité définies par l’autorité administrative.

Le tribunal maritime sera compétent pour connaître des infractions aux règles de prudence que
sanctionne la loi de 1926 relative à la répression des infractions maritimes.
Certains bâtiments sont enfin des bâtiments d’aide, par exemple les bateaux pilotes, les bateaux
de sauvetage, les remorqueurs. Ces bâtiments, bien qu’ils aient une destination spéciale, doivent
être considérés comme des navires. Ils sont souvent régis, d’un point de vue administratif, par des
dispositions spéciales.

SECTION 2. LA NATIONALITÉ DU NAVIRE

Tout navire a nécessairement une nationalité et ne peut avoir qu’une nationalité (art. 92 CMB).
La comparaison de la personne physique et du navire prend ici une certaine apparence de vérité.
Les choses n'ont pas de nationalité ; on dit bien : une automobile française, mais on veut indiquer
par là le lieu de construction de la voiture. La nationalité d'une personne, c'est le rapport entre
cette personne et le groupement politique. Les navires ont un rapport avec un État ; ils ont donc
une nationalité196.

Une personne physique peut ne pas avoir de nationalité ou peut en avoir deux. Un navire ne peut
pas ne pas avoir de nationalité ; s'il n'en avait pas, il serait considéré comme un navire pirate et le
pirate est l'ennemi commun. Il ne peut pas non plus avoir une double nationalité197.
Le droit de la nationalité des navires obéit à des exigences tirées à la fois du droit international et
du droit interne. Des conditions de fond, générales, de caractère politique, puis techniques, plus
précises, ainsi que des conditions de procédure, doivent être réunies pour qu’un navire acquière
sa nationalité et puisse être doté d’un pavillon.

SECTION 3. L’ÉPAVE, LE NAVIRE ABANDONNÉ, LE NAVIRE DÉMANTELÉ

Le navire perd sa qualité lorsqu’il est réduit en raison de certaines circonstances à l’état
d’épave198. L’épave obéit à un régime particulier qui doit encore certaines règles au droit
maritime. Ces règles ont été très partiellement modifiées lorsque les navires sont seulement
abandonnés. Il faut ajouter que le navire peut purement et simplement disparaître lorsqu’il atteint
sa fin de vie. Il doit alors être démantelé 199. Cette question longtemps ignorée est devenue
essentielle au point d’être désormais saisie par une convention internationale que l’on doit à

196
V. Kamto, La nationalité des navires en droit international, Mélanges Lucchini et Quéneudec, éd. Pédone 2003,
343 s.
197
 Com. 16 juin 2004, Bull. civ. IV, n° 124 : « un navire peut régulièrement battre pavillon d’un État et être
immatriculé dans un autre État, dès lors qu’il est établi qu’il ne navigue pas aussi sous le pavillon de ce dernier
État ».
198
Il peut même être réduit à une condition plus dure encore, celle de déchet, cf. la fameuse et très médiatisée affaire
du Clémenceau, CE 13 févr. 2006, DMF 2006. 457, obs. Rézenthel.
199
V. M. Le Bihan Guenolé, La fin du navire, DMF 2006. 446.
55
l’OMI, la Convention de Hong Kong sur le recyclage sûr et écologiquement rationnel des
navires200.

§ 1. Le Statut des épaves

I. L’Epave

D'une façon générale, on appelle épave tout objet de propriété égaré par son propriétaire. L'épave
n'est ni une res nullius, ni une res derelicta. Elle reste objet de propriété et son propriétaire n'a
pas l'intention de la perdre201. Avec une définition aussi large, l'épave maritime ne se distinguerait
guère d'une épave terrestre. Dans la mesure où il existe une législation propre aux épaves
maritimes, cette définition ne suffit plus.202
Une pareille législation existe depuis longtemps. Elle est aujourd’hui codifiée (art. L. 5142-1 s.).
Elle s’applique aux épaves de navires ou autres engins maritimes flottants, aux marchandises et
cargaisons et aux épaves d’aéronefs trouvés en mer ou sur le littoral maritime203.

Pour qu'il y ait plus précisément épave de navire, il faut (cf. C. transp., art. L. 5142-1) :
- d'abord, qu'avant de se présenter en cet état, la chose fût un navire ;
- ensuite, qu'elle ait été abandonnée, donc que le propriétaire ou l'équipage n'en ait plus le
contrôle, ni la surveillance, la présence d'un seul marin à bord, ou encore une surveillance
exercée depuis un bâtiment proche ne réalisant pas cette condition ;
- enfin, le navire a dû être abandonné parce qu'il était innavigable au sens commun du mot. C'est-
à-dire inapte, même en le prenant en remorque, à être conduit en sécurité dans un havre
quelconque.
L’état d’épave résulte donc de :
- la non flottabilité,
- de l’absence d’équipage à bord,
- et de l’inexistence de mesures de garde et de manœuvre, sauf si cet état résulte d’un abandon
volontaire en vue de soustraire frauduleusement le navire, l’engin flottant, les marchandises et
cargaison à la réglementation douanière204.
200
v. M. Le Bihan Guenolé, DMF 2009. 947.
201
Sous réserve des actions des trafiquants d’épaves, cf. le fameux roman The Wrecker de P.L. Stevenson, trad. E.D.,
éd. Egloff, Paris.
202
 Relevons immédiatement que la Convention de Londres du 28 avril 1989 sur l'assistance, s'applique non seulement
à l'assistance aux navires, mais aussi au sauvetage des épaves (Lapoyade Deschamps, DMF 1993. 688). Sur la
distinction traditionnelle entre sauvetage des épaves et assistance aux navires, V. E. du Pontavice, Les épaves
maritimes, aériennes et spatiales en droit français, thèse dactyl. Paris, 1960, LGDJ.
Aux États-Unis, on distingue entre le droit des épaves (y compris maritimes), qui relèvent de la «  common law », et
le droit de l'assistance maritime, qui relève d'une loi écrite spécifique ; la distinction, subtile, est exposée par P.
Bonassies, in « chronique de droit maritime étranger » (DMF 1994. 813, n° 15) : ce que nous appelons une épave
peut donc, dans certains cas, être objet d'assistance maritime, selon le droit des États-Unis (cf. Bonassies, DMF 1994,
article précité, n° 14, note 1).
203
Des dispositions particulières existent pour les épaves soumises au régime des biens culturels maritimes : chap. 2,
titre 3 du Livre 5 du Code du patrimoine.
204
Une circulaire du 11 mai 2010 relative à la mise en œuvre de la loi 86-662 du 3 juillet 1985 précise que les navires
échoués ou semi-submergés demeurent des navires et ne peuvent être qualifiés d’épaves s’ils sont en mesure de se
déséchouer soit par leurs propres moyens, soit par une aide extérieure.
56
II. Régime : Droit privé

Plusieurs intérêts paraissent engagés dans la définition exacte de l'épave de navire. L’épave n’est
pas une res nullius. Le propriétaire de l’épave en reste maître et gardien. Il est donc responsable
des dommages causés aux tiers205.
Le heurt d'une telle épave ne relevait pas de l'article 407 du Code de commerce, mais des règles
de la responsabilité civile ; cette solution n'est pas contredite par la loi relative aux événements de
mer. Sans doute, dès lors qu'il n'est pas amarré à poste fixe, tout engin flottant est soumis aux
règles de l'abordage maritime ; mais dans la mesure où une épave n’est plus un engin flottant, il
est exclu de parler d’abordage.
La limitation de responsabilité instituée au profit des propriétaires de navires n'opère pas pour les
propriétaires d'épaves (v. ss 852).
L'assurance des dommages causés par un navire ne jouera pas pour les dommages qu'il causerait
une fois réduit à l'état d'épave.

III. Régime international

La Convention OMI de Nairobi sur l’enlèvement des épaves du 23 mai 2007 (dont la ratification
en France a été autorisée par une loi du 10 juill. 2013) est appelée à s’appliquer aux épaves
situées dans la ZEE d’un État ou si un État n’a pas de ZEE dans la zone adjacente à la mer
territoriale. Les épaves dans les eaux territoriales continueront à ressortir de la compétence de
l’État côtier, tandis que les épaves en haute mer resteront soumises à la discrétion du juge. 206 La
convention s’efforce de définir les épaves en incluant tout navire naufragé ou échoué ou sur le
point de couler ou de s’échouer et dont on peut raisonnablement attendre le naufrage ou
l’échouement. La convention vise les navires et plus généralement tout objet perdu en mer par un
navire, ce qui renvoie aux conteneurs. Elle confère aux États le droit de prendre les mesures
propres à faciliter l’enlèvement des épaves, étant précisé que ces mesures doivent être
proportionnées au danger et sont minutieusement décrites par le texte207. La convention impose
ainsi au propriétaire inscrit de payer les frais de localisation, signalisation et enlèvement de
l’épave, sauf s’il prouve que l’événement de mer qui est à l’origine de l’état d’épave provient
d’un cas de force majeure. Elle ne dit cependant rien de la responsabilité du propriétaire quant
aux dommages causés aux tiers.

IV. Régime administratif


Sur le plan administratif, l'épave n'est plus soumise au statut du navire (nécessité de titres de
navigation, de rôle d'équipage…), mais le propriétaire est souvent tenu d'une obligation de
relevage ou de renflouement ou de destruction lorsque l'épave risque de troubler la navigation ou
l'exercice de la pêche.

205
Paris 7 févr. 1997, Ocean Express, DMF 1998. 11 et les obs.
206
V. P. Bonassies, Rép. Dalloz international, V° Épave maritime.
207
V. P. Bonassies, DMF 2008, HS 12, n° 1.
57
C'est l'objet essentiel de la réglementation. Elle tend en effet à accorder à l'administration des
moyens d'action plus efficaces pour lutter contre les épaves dangereuses par elles-mêmes ou par
leurs cargaisons. C'est ainsi que l'obligation de mettre en sécurité l'épave est écartée pour les
épaves dangereuses, la personne qui découvre l'épave devant s'abstenir de toute manipulation et
la signaler immédiatement à l'administrateur des Affaires maritimes.
Surtout, l'obligation du propriétaire d'une épave dangereuse, de procéder au relèvement ou à la
démolition de celle-ci est étendue aux épaves présentant un caractère dangereux pour
l'environnement. Il en est de même du pouvoir d'agir immédiatement conféré à l'administration
en cas de danger grave ou imminent.
Lorsque le propriétaire de l’épave est inconnu ou lorsque, dûment mis en demeure, directement
ou en la personne de son représentant, il refuse ou néglige de procéder aux opérations de
sauvetage, de récupération, d’enlèvement, de destruction ou à celles destinées à supprimer les
dangers que présente cette épave, l’autorité administrative compétente peut intervenir d’office,
aux frais et risques du propriétaire (art. L. 5242-18).

§ 2. Navire abandonné

I. Epave et navire abandonné 

La loi n° 662 du 3 juillet 1985208 crée une catégorie nouvelle, intermédiaire entre celle de navire
et celle d'épave, la catégorie du navire abandonné, l'abandon étant défini comme résultant de
l'absence d'équipage à bord ou de l'inexistence de mesures de garde et de manœuvre (C. transp.,
art. L. 5141-2). Les dispositions ont été précisées et modernisées par une loi du 28 mai 2013.
Dans la mesure où elle maintient au navire abandonné la qualité même de navire, la loi ne peut
qu'inciter à une interprétation stricte de la notion d'épave. Cela permet de résoudre le problème
des navires délaissés par leur propriétaire lorsque, grevés de nombreuses charges, ils ne
présentent plus pour lui aucun intérêt. Parce qu'ils sont encore en état de relative navigabilité et
en tout cas en état de flottabilité, on ne peut appliquer à ces navires la réglementation des épaves.
Des mesures très efficaces ont été prises pour permettre aux autorités de régler les problèmes que
posent ces navires. Dans un premier temps, le propriétaire, armateur ou exploitant, peut être mis
en demeure de faire cesser le danger que représente le navire ; s'il refuse, l'autorité compétente
peut alors intervenir ; dans un second temps, si l'état d'abandon persiste, la déchéance des droits
du propriétaire peut être prononcée. Le navire pourra alors être vendu au profit de l'État, sous
réserve des droits des créanciers privilégiés et hypothécaires. Les navires concernés par cette
situation sont nombreux, leur sort étant parfois incertain. Abandonnés pour des raisons
économiques ou judiciaires (après une constatation de pollution), ils peuvent rester à quai
pendant longtemps, à défaut de savoir qui est responsable de leur évacuation, vente ou
destruction. L’idée qui a justifié la réforme de 2013 a été d’accélérer les procédures en permettant
à l’autorité compétente de prononcer la déchéance des droits du propriétaire, après une mise en
demeure restée vaine.

II. Champ d’application 


208
 D. 1985. 363. Y. Tassel, Des navires et engins flottants abandonnés dans les eaux territoriales et les eaux
intérieures, Loi du 3 juillet 1985, Annuaire de droit maritime et aéro-spatial, Université de Nantes, T. X, 1989,
189 s.
58
La loi s'applique aujourd’hui à tout engin flottant ou navire en état de flottabilité, abandonné dans
les eaux territoriales, dans les eaux intérieures en aval de la limite transversale de la mer ou dans
les limites administratives des ports maritimes ou sur les rivages dépendant du domaine public
maritime ou sur le littoral maritime et présentant un danger ou entravant de façon prolongée
l'exercice des activités maritimes, littorales ou portuaires (art. L. 5141-1). Les navires et autres
engins flottants en état de flottabilité concernés sont ceux dont le tonnage est égal ou supérieur à
25 tonneaux de jauge brute (cf. art. D. 5141-1).

§ 3. Démantèlement

La question longtemps restée inaperçue a pris de l’importance. Il devient essentiel de traiter les
navires en fin de vie. La déconstruction est une opération peut-être encore plus difficile que celle
de construction, car s’y attachent des questions liées à la protection de l’environnement
(désamiantage…)209 que la malheureuse affaire du porte-avions « Clémenceau » a médiatisée
dans les pires conditions (v. supra).
La communauté maritime a souhaité améliorer les pratiques du démantèlement et du recyclage
des navires en fin de vie. Les travaux engagés ont débouché sur l’adoption d’une nouvelle
convention internationale, la Convention de Hong Kong du 15 mai 2009 pour le recyclage sûr et
écologiquement rationnel des navires (ratifiée en juillet 2012, après l’autorisation donnée par la
loi 2012-1290 du 22 nov. 2012, JO 24 nov. 2012)210.

La nouvelle convention met la charge des États parties et des installations de recyclage un certain
nombre d’obligations : contrôler que les navires battant leur pavillon respectent les prescriptions ;
assurer la transparence des informations et respecter des règles de bonne conduite. 211 Elle définit
le recyclage comme l’activité qui consiste à démanteler en tout ou partie un navire, l’installation
étant une zone définie, site ou chantier utilisé pour le recyclage du navire. Le texte, technique et
complet, concerne, on l’aura compris, tant les navires que les installations. Il constitue une
véritable avancée dans la protection de l’environnement et règle, du moins en partie, un véritable
problème économique212.

209
M. Le Bihan Guenolé, La fin du navire, DMF 2006. 446.
210
L’OMI a par ailleurs posé en 1998 le principe d’élimination des plates formes désaffectées. En France, la règle a
été prévue par la loi 68-1181 du 30 déc. 1968 relative à l’exploitation du plateau continental.
211
V. M. Le Bihan Guenolé, La Convention… DMF 2009. 947 ; Piette, Démantèlement des navires et protection de
l’environnement : la France ratifie la Convention OMI de Hong Kong, RD transp. 2013, Études 2.
212
V. P. Bonassies, DMF 2009 HS 13, n° 1.
59
CHAPITRE 2
LE NAVIRE EN TANT QU’OBJET DE PROPRIÉTÉ

Les navires sont des meubles, dit l'article 531 du Code civil. Ce sont des meubles par définition
même, puisque non seulement on peut les déplacer, mais qu'ils se déplacent souvent par leurs
propres moyens213.
C'est à la fin du XVIIIe siècle, et sous l'influence des civilistes, qu'on a commencé à ranger les
navires dans la catégorie des meubles. Autrefois, la division des biens n'était pas aussi rigoureuse
qu'elle l'est dans le Code. Le Code civil a fait de la division en meubles et immeubles la summa
divisio : les immeubles étant les biens attachés à la terre, le navire s'est donc trouvé être un
meuble.
Il faut donc appliquer les règles du droit civil mobilier, quand il s'agit de la disposition des biens.
Si, par exemple, une personne est propriétaire d'un navire et qu'elle a légué tous ses meubles, le
navire sera compris dans le legs. Si elle se marie sous le régime de la communauté d'acquêts, le
navire acquis pendant le mariage tombe en communauté. Ce sont là des conséquences que l'on ne
peut éviter. Mais en étudiant de plus près le statut de la propriété du navire, on s'aperçoit que le
navire n'est pas un meuble comme les autres.
Sur plus d'un point, le statut de la propriété des navires ressemble beaucoup plus à celui des
immeubles qu'à celui des meubles. De nos jours, en effet, le statut réel des biens dépend
essentiellement de la possibilité d'organiser la publicité des droits réels qui les concernent. Or, les
navires, bien que choses mobiles, ont obligatoirement un port d'attache, c'est-à-dire une demeure
fixe ; ils sont en outre rigoureusement individualisés et l'on a pu instituer pour eux un régime de
publicité plus efficace encore que celui des droits réels immobiliers. Pour cette raison, le transfert
de la propriété des navires exige une publicité par inscription sur un registre public qui a pu être
comparée à la transcription des immeubles (v. ss 177). L'hypothèque a été établie sur les navires
(v. ss 194). Les règles de la saisie (exécution) ont été largement copiées sur les règles de la saisie
immobilière (v. ss 256).
L'adoption de ces règles empruntées au statut immobilier entraîne cette conséquence que l'article
2276 du Code civil ne s’applique pas aux navires214. La possession ne vaut pas titre, car le titre
existe légalement. La règle est du reste la même pour les aéronefs (art. L. 6121-2) et pour les
bateaux de rivière (art. L. 4121-2) qui sont également des biens immatriculés.
Toutefois, la comparaison avec la propriété immobilière ne suffit pas à donner une idée exacte du
statut des navires. Il existe en effet cette grande différence qu'un navire se déplace matériellement
et reste pourtant sous le contrôle de l'État qui lui donne le droit de porter le pavillon national.
Aussi y a-t-il une attestation donnée par l'État de la nationalité et de la propriété. Le navire est
inscrit sur un registre public et l'acte de francisation se trouve obligatoirement à bord (C.
douanes, art. 218). Il reste à développer ci-dessous les conséquences juridiques résultant de cette
attestation par l'État du droit de propriété. Nous le ferons après avoir envisagé les modes
d’acquisition de la propriété d’un navire.

213
 Ce n'est d'ailleurs pas une condition de leur qualification : un chaland de mer ne se déplace que remorqué ou
poussé ; il n'en est pas moins un navire. v. R. Jambu-Merlin, Le navire : hybride de meuble ou d’immeuble ?
Mélanges Flour, p. 305, v. ss 81.
214
 Civ. 18 janv. 1870, D. 1870. 1.127 ; S. 1870.1.145, note Labbé.
60
SECTION 1. MODES D'ACQUISITION DE LA PROPRIÉTÉ

Modes spéciaux propres au droit maritime La propriété d’un navire s’acquiert de plusieurs
façons. Certains modes d'acquisition sont particulièrement originaux :
- La prise, admise en temps de guerre.
Depuis l'abolition de la course, la prise n'est possible que de la part des navires de guerre. Elle
peut atteindre tout navire de commerce ennemi et, dans certains cas exceptionnels (assistance
hostile, transfert frauduleux de pavillon), des navires neutres. Toute prise doit être jugée. En
l'absence d'autorité internationale compétente, chaque État organise son système. En France, les
prises sont jugées par le Conseil des Prises et, en appel, par le chef de l'État qui statue par des
décrets qui ont valeur juridictionnelle215. Quand la prise est jugée bonne, le produit net en est
attribué pour les 3/4 à l'État et pour 1/4 au navire capteur. On voit que la prise n'est plus un mode
d'acquisition du navire pour les particuliers216.

- La réquisition par l'État, qui peut se faire soit en propriété, soit seulement en jouissance (v. ss
538).

- La confiscation, admise dans certains cas de contravention aux lois fiscales et qui a un caractère
pénal.

- Le délaissement fait par l'assuré à son assureur quand l'assureur ne refuse pas la propriété du
bâtiment délaissé (v. ss 1143).

Il fallait autrefois signaler aussi le sauvetage, mais ce n'est plus aujourd'hui un titre à l'acquisition
de la propriété ou d'une quote-part de la propriété du navire (v. ss 133).

On s’arrêtera ici aux modes d’acquisition de la propriété résultant de la convention des parties, et
plus précisément à la construction, au crédit-bail et à la vente.

§2. Crédit-bail de navire

I. Nature juridique

Le crédit-bail est une opération de financement bien connue dans le monde des affaires (C. mon
fin., art. L. 313-7 s.) qui connaît un essor certain en matière maritime217 et que certaines lois de
défiscalisation ont, un temps, favorisée. La combinaison est assez simple, puisqu’il s’agit pour
une banque de financer un investissement en se rendant propriétaire du bien convoité, avant de le
louer à un utilisateur, dans la perspective de le lui vendre ultérieurement et, plus précisément,
après la période d’amortissement. Les montages sont assez fréquents et souvent complexes : ils

215
CE 14 mars 1924, S. 1926, 3, 33.
216
D. Mathonnet, Le Conseil des prises, thèse Paris II, 2010. Le Conseil des prises n’a plus été saisi depuis de très
nombreuses années. Théoriquement, il pourrait l’être, mais tous ses membres sont décédés et n’ont pas été
renouvelés. L’institution est donc frappée de caducité.
217
M. Pape et R. Hannes, La nature juridique du contrat de leasing de navire, DMF 1973. 387 ; égal. Paris 12 juin
1998, DMF 1998. 1123 et les obs.
61
donnent lieu à d’intéressantes questions de responsabilité218, mais se réduisent tous à un
financement garanti par un droit de propriété.

II. Régime

L’opération est, un sens, formaliste, car la vente conclue entre l’établissement de crédit et le
vendeur ou constructeur doit, conformément à l’art. L. 5114-1 du Code des transports, être établi
par écrit, à peine de nullité, si du moins le contrat porte sur un navire francisé 219. Les autres
conditions de formation des contrats doivent être, bien entendu, respectées, le contrat étant
annulable en cas de vice du consentement220.
Théoriquement, le crédit-bailleur est tenu à l’égard du crédit-preneur de toutes les obligations qui
pèsent sur un bailleur : délivrance, entretien, garantie. Dans la pratique, cependant, le crédit-
bailleur n’entend assumer que des obligations financières et se dégage ainsi de ses obligations
d’entretien et de garantie. Ces clauses d’allégement d’obligations sont valables, dans la mesure
où le crédit-preneur conserve la possibilité de se défendre. Quant au crédit-preneur, il doit
respecter les termes de son contrat et payer les échéances financières selon les modalités
convenues. Toute défaillance est lourdement sanctionnée : clause résolutoire, clause pénale… La
Cour de cassation a récemment précisé très utilement que le crédit-bailleur et le crédit-preneur
n’étaient pas codébiteurs des dettes nées des fournitures faites pour l’exploitation du navire,
laquelle ne constituait pas « une opération commerciale qui leur soit commune »221.

§3. Vente du navire

I. Caractères du contrat

La vente de navire est une opération très fréquente. Les navires de commerce sont en effet
souvent vendus et revendus pour profiter de telle ou telle aubaine. Les navires de plaisance le
sont aussi222. En tout cas, le contrat de vente de navire223 est considéré par l'article L. 110-2, 1 du
Code de commerce comme un acte de commerce. Les opérations qui touchent au commerce
maritime sont, par leur nature même, des actes de commerce. Toutefois, malgré l'expression
générale du texte, il ne faut considérer la vente d'un navire comme un acte de commerce que si
cette vente entre dans la définition générale des actes de commerce. Par exemple, si l'héritier d'un
armateur se défait d'un navire qu'il ne veut pas exploiter, cette vente n'a pas pour lui un caractère
commercial. La vente d'un navire de plaisance doit être également considérée comme un acte
civil, sauf pour son constructeur ou son vendeur professionnel.
La vente internationale de navires est, de son côté, soumise à la loi choisie par les parties, du
moins s’agissant des questions de fond. Encore faut-il réserver l’application des lois de police.
Elle n'est pas soumise à la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur le contrat de vente
internationale de marchandises (art. 2, litt. e) ; rien n’interdit cependant aux parties de décider le
contraire.
218
Com. 13 mars 2001, DMF 2001. 595 et les obs.
219
Com. 10 oct. 2000, DMF 2000. 1001 et les obs. ; v. égal. Com. 30 janv. 2001, DMF 2001. 614.
220
Com. 10 oct. 2000, DMF 2000. 1003 et les obs., nullité pour dol.
221
Com. 5 juin 2012, 09-14.501, DMF 2012. 727, rapp. Rémery et les obs., D. 2012. 2580, note A. Hontebeyrie.
222
V. pour un dépôt-vente, Com. 16 oct. 2012, n° 10-25.387.
223
D. Dhaouadi, La vente de navire, CDMT Aix 2012- I. Goldrein, P. Turner et M. Hannaford, Ship sale and
purchase, Lloyd’s Shipping Law Library, 2012.
62
II. Conditions de validité

On appliquera les règles ordinaires des contrats pour tout ce qui est relatif au consentement 224, à
la cause ou à l'objet. À certaines époques, notamment pendant la guerre, la vente des navires
français à l'étranger a été également prohibée. Cette période est révolue.
Il suffit, pour que le contrat soit valable, que l'objet existe dans l'intention commune des parties :
le navire déjà perdu pourrait donc faire l'objet d'une vente, étant précisé qu’un tel contrat a,
compte tenu de la volonté des parties, un caractère aléatoire. Ce type de contrat porte le nom de
vente sur bonnes ou mauvaises nouvelles  ; c'est la vente d'un navire qui est en voyage et dont le
sort est inconnu. Cette vente est valable, encore que l'objet puisse ne plus exister.
La question de la capacité des parties n’appelle pas d’observations particulières. Au surplus,
comme les navires appartiennent en général à des sociétés, la question de la capacité juridique du
vendeur ne se pose pas.

III. Formes et preuve de la vente

La vente volontaire d'un navire doit être faite par écrit225. Dans l'ancien droit français, il n'y avait
aucune prescription sur la forme de la vente. La loi du 27 vendémiaire an II a exigé pour la
première fois que la vente du navire ait lieu devant un officier public. Cette loi fixe les conditions
de la nationalité du navire, afin de s'assurer que la propriété ne passera pas à des étrangers. Le
Code de commerce n'avait pas voulu faire de la vente du navire un acte solennel et donnait le
choix aux parties entre les deux formes : acte public ou sous seing privé.
La loi du 3 janvier 1967 a couronné l'évolution en imposant la rédaction d'un écrit sans plus de
précisions à peine de nullité (art. L. 5114-1)226. Il y a là une règle de forme exprimant une
solennité sanctionnée par une nullité absolue. La règle s’applique à tout contrat de vente
concernant un navire francisé, même conclu à l’étranger, la règle de l’écrit étant considérée
comme une loi de police au sens de l’art. 7 du règlement Rome I227.

IV. Exigence de l’écrit

Elle vaut pour « tout acte constitutif, translatif ou extinctif de la propriété ou de tout autre droit
réel ». On l'appliquera donc à la vente d'un usufruit, à un apport en société, à une constitution de
copropriété de navire. Une transmission par succession, un partage qui mettra le navire dans le lot
de l'un des copartageants devront également donner lieu à la rédaction d'un écrit228.

224
La vente peut comporter une clause de dédit, même sans contrepartie pécuniaire : Com. 30 oct. 2000, DMF
2001. 126 et les obs., D. 2001. Somm. 3241, obs. Mazeaud, CCC 2001, n° 21, obs. Leveneur. Pour une hypothèse
d’erreur, Rennes 28 juin 2007, DMF 2008. 381, obs. de Lapparent.
225
Ce qui n’est pas le cas si la vente (d’une barge) tend à la destruction du bâtiment et a simplement pour objet une
récupération de matériaux : Poitiers 1re civ., 8 juin 2012, JurisData n° 020032.
226
 V. Com. 21 juill. 1987, DMF 1989. 391 ; Paris 12 juin 1998, DMF 1998. 1123 et les obs. Les modalités de l’écrit
sont définies par l’art. 231 C. douanes selon lequel l’acte de vente doit mentionner le nom, la désignation du navire,
la date et le n° de l’acte de francisation, la copie des extraits de cet acte relatifs au port d‘attache, à l’immatriculation,
au tonnage, à l’identité, à la construction et à l’âge du navire. Sur la question de savoir si les exigences de forme
n’excluent pas toute référence au mandat apparent : Com. 12 janv. 2010, DMF 2010. 214 et les obs.
227
Com. 14 janv. 2004, DMF 2004. 723, obs. Mecarelli, Rev. crit. DIP 2005. 55 note Lagarde, DMF 2005, HS, n°
9, obs. P.B., RTD com. 2004. 845 et les obs.
63
La règle ne vaut que pour les navires francisés, parce qu'elle est en liaison avec l'exigence d'une
publicité qui ne concerne que le statut réel des navires francisés (v. ss 177 s.).

V. Obligations du vendeur

En droit français, le transfert de la propriété s'opère solo consensu. Le transfert de la propriété du


navire s'opérera entre les parties le jour même de la rédaction de l'acte écrit de vente. Mais ce
transfert de propriété ne produit pas grand effet, puisque, pour être opposable aux tiers, la vente
doit être mentionnée sur le fichier des navires. Le transfert de propriété entre les parties n'a donc
de conséquence qu'au point de vue des risques. Si le navire périt après que le contrat de vente a
été passé, la perte est pour l'acquéreur.
Le vendeur est, de plus, tenu, comme tout vendeur, d’une obligation de délivrance229 et doit
mettre le navire à la disposition de l’acheteur dans les termes convenus230.
Le vendeur doit également garantir l'acquéreur contre les vices cachés du navire qui
compromettent son utilisation231. L’action doit être intentée dans les conditions du droit commun,
i. e. aujourd’hui dans le délai de deux ans de la découverte du vice (C. civ., art. 1648)232.

La jurisprudence considère que tout vendeur professionnel doit connaître les défauts de son
navire et qu'il est de mauvaise foi, au sens de l'article 1645 du Code civil, ce qui est sévère.
Application en a été faite aux vendeurs de navires 233. Il est difficile cependant d’admettre qu’un
armateur a la qualité de vendeur professionnel. Tout cela n'est que l'application des règles
ordinaires, même si elles sont contestables, dans la mesure où elles sont sans doute trop rigides.
Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, la liberté contractuelle devrait primer, sauf si
le contrat entre dans la catégorie d’un contrat de consommation.

VI. Paiement du prix

228
À défaut, dans la mesure où il est difficile d’annuler une transmission successorale, la transmission sera tenue
pour inexistante tant qu’un acte de notoriété ne l’aura pas constatée.
229
 Lorsqu'un navire a été vendu et que l'acheteur établit que ce navire n'est pas conforme aux stipulations du
contrat, notamment que les accessoires nécessaires à l'équipement font défaut et que le moteur n'est pas celui qui
avait été prévu par le contrat, l'action de l'acheteur n'est pas fondée sur le vice caché mais sur la non-conformité  :
Com. 13 déc. 1982, DMF 1983. 523, obs. R. A. ; égal. Com. 19 juin 2012, DMF 2013 HS 17, n° 29. Sur l’allocation
de dommages-intérêts punitifs en cas de défaut de conformité, v. Civ. 1re, 1er déc. 2010, D. 2011. 423, note Licari,
DMF 2011. 331, obs. Cachard, DMF 2011 HS 15, n° 33.
230
Rouen 4 mars 1999, DMF 2000. 658. Le vendeur a l’obligation de remettre à l’acheteur l’original de l’acte de
francisation, Com. 9 juill. 2013, DMF 2013. 997, obs. P. L’ Herrou.
231
Com. 11 avr. 1975, DMF 1975. 661 ; 5 janv. 1976, DMF 1976. 218, obs. Villeneau ; Montpellier, 10 févr. 1999,
DMF 2001. 206, obs. C. de Lapparent. L’action en dommages-intérêts est aujourd’hui considérée comme autonome :
Civ. 1re, 26 sept. 2012, D. 2012. 2306.
232
Montpellier 2e ch., 12 févr. 2013, n° 11/07929 : le point de départ du délai ne doit pas être fixé à la date du
constat d’une voie d’eau affectant le navire, mais à la date du constat de l’osmose de la coque ; c’est à ce moment
précis que l’acheteur a pu connaître la gravité des désordres.
233
Com. 1er déc. 1970, DMF 1971. Somm. 441, comp. en droit commun, Com. 19 mars 2013, D. 2013. 835.
64
L'obligation de l'acquéreur est de payer le prix convenu et les frais du contrat.
Le vendeur a pour le paiement du prix les garanties de droit commun. Il peut retenir le navire
jusqu'au paiement ; il peut intenter l'action en résolution des articles 1654 et 1184 du Code
civil234.
Le Code de commerce lui accordait un privilège spécial sur le navire et la classait au huitième
rang (anc. art. 191-8). Quand l'hypothèque maritime fut créée, l'existence d'un privilège occulte
primant les hypothèques et garantissant une créance considérable a paru fâcheuse. La loi du
19 février 1949, reproduisant la disposition de la Convention internationale de 1926, a supprimé
le privilège maritime accordé au vendeur. Celui-ci n'a qu'à se protéger lui-même en se faisant
constituer hypothèque.
La jurisprudence avait, avant cette loi, reconnu au vendeur du navire le privilège du vendeur de
meuble donné par le Code civil (art. 2332-4°). Il faut maintenir cette solution. Mais ce privilège
ne passera qu'après l'hypothèque et il ne comporte pas le droit de suite (v. ss 223).

VII. Publication de la vente

Il résulte des articles 92 et 93 du décret du 27 oct. 1967 (art. D. 5114-4 et 5) que la vente de
navire n’est opposable aux tiers qu’à partir de sa mention sur le fichier d’inscription des navires
au bureau des douanes compétent. L'acquéreur fait opérer la mutation en douane (v. ss 176) et
arrête ainsi le cours des inscriptions hypothécaires. Mais la loi du 19 février 1949 ayant reconnu
aux créanciers privilégiés sur le navire un droit de suite, il a été nécessaire d'organiser une
publicité de la vente destinée à arrêter l'exercice de ce droit. L'acquéreur doit faire une
publication par extrait au Bulletin officiel des annonces commerciales, et deux mois après cette
publication les privilèges qui grevaient le navire sont éteints (art. L. 5114-19, 3°). Comme la loi
accorde des privilèges pour des créances très importantes et de nature extracontractuelle, la
publication de la vente, bien que requise uniquement pour arrêter l'exercice du droit de suite, se
fera toujours dans la pratique.
La vente du navire rend caduc le contrat d'affrètement conclu par le vendeur. Le contrat
d’affrètement ne saurait être considéré comme l’accessoire du navire transmis à son ayant cause
en même temps que le principal. Ce principe connaît cependant des limites :
1° pour des raisons pratiques, il est d’usage constant de faire achever par le navire vendu le
voyage en cours d'exécution réalisé sous l'empire de la charte conclue par le vendeur ;
2° une clause du contrat de vente peut stipuler que l'acheteur respectera la charte en cours et en
fera son affaire ;
3° si le contrat d'affrètement a donné lieu à publicité, ce qui suppose une charte à temps ou coque
nue conclue pour plus d'un an (art. L. 5423-2), le contrat est opposable aux tiers et l’acquéreur du
navire doit donc le respecter.
En revanche, la vente n’entraîne pas la caducité des contrats d’engagement235

SECTION 2. PUBLICITÉ DU STATUT DES


NAVIRES

234
Sentence CAMP n° 1159, DMF 2010. 227.
235
Com. 26 janv. 2005, DMF 2005. 426, obs. Chaumette.
65
I. Mutation en douane

Le transfert de la propriété du navire suppose l'inscription sur le fichier du nom du nouveau


propriétaire et la délivrance d'un nouvel acte de francisation à celui-ci ou tout au moins un
changement de nom sur l'acte. Cette formalité s'accomplit par la présentation de l'acte de vente.
Voilà pourquoi l'acte écrit est indispensable comme premier élément de publicité. La formalité
étant accomplie à la recette principale des douanes porte le nom de mutation en douane.
Le système a parfaitement fonctionné depuis l'an II et il n'y a jamais eu aucune contestation sur la
propriété d'un navire. Cependant le rôle véritable de la mutation en douane a été très discuté en
doctrine et l'expression est devenue impropre depuis que la loi commande la publication de bien
d'autres actes que les ventes ou même plus généralement que les transferts de droits réels sur le
navire.

II. Nature de la publicité

Plusieurs théories ont été soutenues.


1. D'après une théorie ancienne, la mutation en douane serait une simple formalité
administrative, qui n'aurait aucune influence en droit privé. C'est pourquoi le Code de commerce
n'en parle pas et décide que la propriété est transférée par le contrat de vente. Cette théorie est
complètement abandonnée. Si la propriété avait été transférée et que le navire puisse voyager en
ayant à bord un acte de francisation indiquant un autre propriétaire, il y aurait eu deux
propriétaires l'un pour le vendeur, l'autre pour des tiers ; la solution n’était pas admissible.
2. D'après une deuxième théorie, la mutation en douane doit être comparée à la transcription pour
les immeubles, telle qu'elle résultait de la loi de 1855. La propriété est transférée par la seule
convention entre les parties, mais elle n'est transférée à l'égard des tiers que par la mutation en
douane (Lyon-Caen et Renault). Cette théorie est difficile à suivre.
L'origine des règles est différente. La règle relative aux navires vient de la loi de l'an II, qui est
une loi sur la nationalité. Enfin, la sanction n'est pas la même. La loi de 1855 indique quels sont
les tiers qui peuvent se prévaloir du défaut de transcription ; la catégorie des tiers qui peuvent se
prévaloir du défaut de publicité est plus large pour les navires.
3. Une troisième théorie enseigne que la mutation en douane réalise un système beaucoup plus
perfectionné que la transcription, qui ne peut être comparé qu'au système des livres fonciers
(Danjon, Ripert, Rodière). C'est la vérification par l'État du titre de propriété. Un certificat est
délivré officiellement à une personne reconnue propriétaire. L'inscription au registre fait foi à
l'égard des tiers qu'une personne est propriétaire du bien. La force probante du livre foncier va
jusqu'à faire déclarer que tout droit, qui a été acquis sur la foi du registre foncier, est
véritablement acquis, même si celui qui l'a consenti n'était pas le propriétaire.
4. Une quatrième théorie est intermédiaire entre les deux précédentes236. L'article 93 du décret du
27 octobre 1967 (art. D. 5114-5) précise que les actes soumis à publicité ne sont pas opposables
aux tiers tant qu'ils n'ont pas été inscrits sur la fiche matricule. Cet article prend donc parti pour la
théorie selon laquelle la publicité de l'état des navires est destinée, en droit privé, à opposer aux
tiers le transfert de la propriété.

236
 E. du Pontavice, Le statut des navires, n° 97, p. 87 s. V. dans ce texte les raisons qui ont fait repousser
l'application de la troisième théorie et par conséquent le système des livres fonciers.
66
Toutefois, le défaut de publicité entraîne une inopposabilité plus large que dans le domaine de la
publicité foncière, à la fois par la catégorie des personnes qui peuvent s'en prévaloir et par le
défaut de preuve contraire. Ainsi, à la différence de la publicité foncière telle qu'elle résulte
aujourd'hui du décret du 4 janvier 1955, article 30-1, la catégorie des tiers qui peuvent se
prévaloir de l'inopposabilité est, faute de précision, sans restriction : il s'agit de toute personne
intéressée, notamment les créanciers même chirographaires du vendeur ou du propriétaire du
navire, à condition, si le droit du créancier est soumis à publicité, qu'il soit lui-même publié.
La catégorie des tiers est donc aussi large que dans les textes sur le registre du commerce et des
sociétés (C. com., art. L. 123-9). Toutefois, dans ces dispositions, intervient une restriction à
l'inopposabilité, qui ne figure pas dans le décret sur le statut des navires : l'inopposabilité n'est pas
applicable, dit le décret relatif au registre du commerce et des sociétés, si « les assujettis
établissent qu'au moment où ils ont traité, les tiers en cause avaient connaissance des faits et actes
dont il s'agit ». Pareille restriction, faute de figurer dans le texte maritime, ne peut, semble-t-il,
être admise pour les actes concernant les navires.
Au fond, le mécanisme auquel ressemble le plus l'inopposabilité aux tiers prévue par l’art. D.
5114-5, est celui qui résulte de l’article 941 du Code civil en matière de publicité des donations et
substitutions ; en effet, dans ce texte, comme dans l'article maritime, d'une part la catégorie des
tiers qui peuvent se prévaloir du défaut de publicité est très large puisqu'elle englobe toute
personne ayant intérêt (article 941), donc les créanciers. En outre, « le défaut de publication ne
pourra être suppléé ni regardé comme couvert par la connaissance que les créanciers ou les tiers
acquéreurs pourraient avoir eue de la disposition par d'autres voies que celles de la
publication »237. Or, contrairement au système de la publicité immobilière en général, qui est
postérieur à la mutation en douane, laquelle date de l'an II, la publicité des donations et
substitutions était bien connue en l'an II puisqu'elle remonte à l'ordonnance de Villers-Cotterêts
d'août 1539 sur l'insinuation des donations, c'est-à-dire sur la transcription de l'acte de donation
rendant celui-ci opposable aux tiers, parmi lesquels figuraient les héritiers du donateur et les
créanciers chirographaires238.
C’est en tout cas ce dernier système qui a été clairement consacré par la jurisprudence. Dans un
arrêt du 11 décembre 2007239, la Cour de cassation a décidé qu’une présomption simple
s’attachait aux mentions de la fiche matricule du navire, comme aux mentions de l’acte de
francisation. Autant dire que les textes qui prescrivent la tenue de fichiers d’inscription des
navires comportant une fiche matricule sur laquelle figurent différentes informations, dont le nom
du propriétaire, et exigent que l’acte de francisation contienne tous les renseignements figurant
sur la fiche ont pour seule finalité d’assurer la publicité de la propriété et de l’état des navires. En
matière maritime, l’inscription sur les registres ne vaut donc pas titre240.

III. Conséquences de la publicité

237
 E. du Pontavice, Fraude dans les transferts immobiliers et sécurité des tiers, RTD civ. 1963. 649 s. et spéc.
p. 650, 651 et 669.
238
 Il en allait de même des substitutions. V. Les sûretés, la publicité foncière, Précis Dalloz, n° 835.
239
DMF 2008. 27, obs. P. Bonassies ; v. égal. L. d’Avout, Quelques observations sur la valeur des publicités réelles
en droit français, D. 2008. 888.
240
Comp. en droit aérien, art. L. 6121-1. 
67
C'est bien ce qu'il faut admettre en droit maritime : la vente produit le transfert de propriété au
point de vue des risques, mais pour les tiers c'est seulement la mutation en douane qui opère le
transfert de propriété ; en outre, les tiers ne sont pas ici ceux qu'indique la loi de 1855 sur la
transcription : ce sont tous les intéressés.
1. D'abord la mutation en douane produit tous les effets de la transcription, c'est-à-dire que, s'il y
a conflit entre deux acquéreurs, l'emporte celui qui a fait le premier la mutation en douane ; s'il y
a conflit entre un acquéreur et le créancier hypothécaire, le premier ignore le second, si celui-ci
n'a pas fait inscrire son hypothèque avant la mutation en douane. Cette règle doit du reste souffrir
une exception. On admet en matière foncière que les tiers, qui ont frauduleusement publié leur
droit à la hâte, ne peuvent pas se prévaloir de leur diligence ; on hésite seulement sur le point de
savoir si cette sanction s'attache à un concert frauduleux entre le constituant du droit et celui qui
l'a acquis et publié ou si la fraude de celui-ci suffit, à la rigueur même la connaissance par lui que
quelqu'un d'autre a antérieurement acquis un droit incompatible avec celui que lui a transmis le
constituant. Sous le bénéfice d'une plus grande précision, l'exception est certaine : fraus omnia
corrumpit. Aucun texte n'a eu besoin de le rappeler pour la publicité foncière ; la même raison
supérieure de morale doit l'imposer en matière maritime.

2. Celui qui traite avec le propriétaire inscrit au registre doit être considéré comme ayant traité
avec le véritable propriétaire. L'inscription a une force probante absolue. Malgré son caractère
rétroactif, la résolution de la vente n'est donc pas opposable aux sous-acquéreurs ou aux
créanciers hypothécaires qui ont acquis leurs droits de l'acquéreur après la mutation en douane et
avant le jugement prononçant la résolution. Les tiers ne connaissent comme propriétaire que celui
sous le nom de qui voyage le navire241.

3. Enfin, on peut se demander si la propriété du navire peut être acquise par prescription. Dans
certains pays de livres fonciers, la prescription est admise. Le Code de commerce décidait que le
capitaine ne peut pas prescrire la propriété du navire (art. 430). Cette règle n'est que l'application
du principe du droit civil défendant à tout détenteur de prescrire. Aucun texte n'interdit donc, a
contrario, d'appliquer la prescription de trente ans242. La question de la prescription est cependant
purement théorique étant donné le délai nécessaire pour prescrire et la durée relativement courte
de la vie d'un navire.

Civ. 3e, juin 1863, S. 1863, 1, 297 ; Rouen 29 mai 1935, S. 1935, 2, 225, note Rousseau.
241

Civ. 18 janv. 1870, DP 1870, 1, 127, S. 1870, 1, 145, note Labbé. V. égal. Jambu-Merlin, Le navire, hybride de
242

meuble et d’immeuble, Mélanges Flour, p. 305.


68
CHAPITRE 3
LE NAVIRE EN TANT QUE GAGE DES CRÉANCIERS

En tant que composante principale, sinon exclusive du patrimoine de l’armateur, le navire peut
être pour celui-ci un bon moyen de crédit. L’armateur peut offrir en garantie à ses créanciers son
navire. Au demeurant, le navire est déjà pour ces créanciers un élément de leur gage commun (C.
civ., art. 2284 et 2285). Pendant longtemps, c’était, s’agissant du moins des créances
indemnitaires, le seul élément de leur gage, dans la mesure où la limitation de responsabilité de
l’armateur se traduisait par un abandon en nature du navire. Aujourd’hui, la limitation de
responsabilité à l’égard des créances indemnitaires est toujours essentielle, mais elle se calcule
d’après le tonnage du navire, ce qui change les perspectives et ne permet plus d’envisager la
limitation de responsabilité comme une sorte de patrimoine affecté. Cette question – importante –
sera donc traitée ultérieurement dans le prolongement de l’étude des accidents et des événements
de mer (v. ss 845 s.). Il reste que le navire est toujours un objet de convoitise, soit que les
créanciers veuillent le faire vendre pour se payer sur le prix dégagé par la vente, soit qu’ils
entendent simplement immobiliser le navire et faire ainsi pression sur leur débiteur.
Ce double aspect sera étudié en deux sections, la première étant consacrée au crédit tiré du
navire, la seconde aux droits des créanciers.

SECTION 1. CRÉDIT TIRÉ DU NAVIRE

Place particulière du navire dans le patrimoine de l'armateur ¸ Le navire n'a pas, dans le
patrimoine de l'armateur, une place indifférente. En règle commune, tous les biens composant le
patrimoine d'une personne juridique se valent pour ses créanciers en dehors des cas où des sûretés
particulières grèvent tel ou tel de ces biens. C'est cette règle commune que l'on exprime en disant
que les créanciers ont un droit de gage général sur les biens de leur débiteur (cf. C. civ., art. 2284
et 2285). En matière maritime, sans qu'il forme nécessairement un patrimoine à lui seul (ou le
noyau d'un patrimoine indépendant), le navire ne se fond pas dans l'anonymat du patrimoine de
l’armateur. Et cependant le navire, élément de la fortune de l'armateur et souvent d'une très
grande valeur, intéresse tous ses créanciers : il constitue toujours pour l'armateur un élément de
son crédit, qu’il s’agisse de l’exploitation ou de la construction du navire 243. On s’en persuadera
en poursuivant l’examen des opérations de financement de l’armateur et des principales garanties
qu’un armateur peut offrir.

243
V. K. Oilleau, Le crédit tiré du navire, PUAM 2010, préf. A. Vialard.
69
SECTION 2. DROITS DES CRÉANCIERS

§1. Droits sur le patrimoine de l’armateur

Les créanciers de l’armateur ont comme tous les créanciers un droit de gage général sur le
patrimoine de leur débiteur. Ils peuvent ainsi, si la défaillance de leur débiteur est avérée et si
cette défaillance persiste, saisir l’un des biens dont l’armateur est propriétaire et se payer sur le
prix dégagé par la vente de ce bien. Ils peuvent aussi se protéger si leur débiteur est dans une
situation difficile et risque de ne pas faire face à ses dettes. La palette des mesures conservatoires
prévues par le droit commun est offerte à ces créanciers : action oblique, action paulienne, action
en déclaration de simulation, etc. Il reste que le patrimoine de l’armateur se réduit souvent au seul
navire qu’il exploite. Or, ce navire a, comme on l’a vu, un statut particulier. Pour autant, il
n’échappe pas, bien au contraire, à l’emprise des créanciers et à leur convoitise. Les créanciers
sont souvent investis d’un droit spécial sur le navire, qu’il s’agisse d’une hypothèque ou d’un
privilège. Mais même sans garantie particulière, ils peuvent chercher à appréhender le navire, ne
serait-ce que pour l’immobiliser et faire ainsi pression sur l’armateur. Il est vrai que si leur
créance est une simple créance de responsabilité, ils seront exposés à subir les effets de la
limitation de responsabilité, dans la mesure où leur débiteur l’invoque (v. ss 853 s.), mais ils ne
perdent pas pour autant leur droit de gage général : celui-ci sera simplement limité dans ses
effets.

§2. Difficultés

Malgré la diversité et la richesse des prérogatives dont ils jouissent, la situation des créanciers
reste souvent délicate et complexe. L’observation se vérifie lorsque tel ou tel créancier agit
individuellement pour défendre ou recouvrer ses droits. Son droit de poursuite a souvent pour
seule assiette le navire. Or, le navire est par hypothèse un bien qui se déplace et dont la valeur est
variable. D’où de singulières difficultés lorsque la question de la saisie se pose. Heureusement, le
droit maritime a su trouver des réponses appropriées en offrant aux créanciers un instrument
particulièrement adapté à leurs besoins, la saisie conservatoire telle qu’elle est prévue et
organisée par la Convention de Bruxelles de 1952. Lorsque leur débiteur est en état de cessation
de paiements, les créanciers, faut-il le dire, sont devant des difficultés encore plus épineuses.
Leur poursuite ne peut être que collective. D’où des délais, des contraintes diverses et variées,
postulés par le droit des procédures collectives. Ces questions d’insolvabilité sont devenues, crise
aidant, de plus en plus fréquentes 244. Il faudra donc rendre compte de ces situations, après avoir
déterminé les créanciers principalement concernés.

244
V. déjà Colloque CMI, Tulane 1985, « on protection against insolvency in maritime law ».
70
TITRE 2

CONTRÔLE DU NAVIRE

71
Chapitre 1
LE CONTRÔLE PAR L’ÉTAT DU PAVILLON ET LES SOCIÉTÉS DE
CLASSIFICATION

L’Administration maritime a, entre autres rôles, celui de contrôler et de surveiller les navires.
Elle n’en a cependant pas toujours les moyens, si bien qu’elle est appelée à déléguer certaines de
ses prérogatives à des sociétés spécialisées, les sociétés de classification, qui, par ailleurs
reçoivent des missions de pur droit privé.

SECTION 1. LE CONTRÔLE DES NAVIRES PAR L’ADMINISTRATION

§1. Responsabilité

La première question qui vient ici à l’esprit est de savoir si cette mission de contrôle peut être
pour l’Administration qui en est investie une source de responsabilité. Ce n’est pas exclu, mais
encore faut-il que la faute des services de l’État soit établie. 245 Au demeurant, les occasions de
responsabilité sont assez nombreuses, compte tenu de la diversité des contrôles qui incombent à
l’Administration.
Les contrôles sont aujourd’hui très étroits d’autant qu’il existe des services spécialisés en matière
de sécurité246.

§2. Permis de construire et entretien des navires

L’État du pavillon doit enfin s’assurer, dès la construction du navire, du respect d’un certain
nombre d’exigences de sécurité. Quiconque construit, pour son compte ou pour le compte d’un
client, un navire dont la jauge brute dépasse 10 unités doit en faire déclaration à l’autorité
administrative compétente. Il faut alors vérifier que certaines règles essentielles sont observées
relatives à la construction de la coque, des machines, des équipements de lutte contre l’incendie,
des installations électriques et de radiocommunications, au sauvetage des personnes, à l’hygiène
et l’habitabilité, aux moyens médicaux disponibles à bord et à la sécurité du travail maritime.
Les autorités compétentes doivent également s’assurer de la permanence du respect des règles de
sécurité. L’entretien des navires est donc contrôlé, étant précisé que les règles générales
d’entretien et d’exploitation destinées à assurer la sécurité à bord des navires, l’habitabilité de ces
derniers ainsi que la prévention des risques professionnels maritimes et la prévention de la
pollution par les navires sont fixées par voie réglementaire247.

245
CE 12 juin 1998, DMF 1998. 788, obs. Chaumette.
246
Art. R. 5249-1 s. : les Centres de sécurité des navires sont des services spécialisés des directions interrégionales
de la mer compétents en matière de sécurité des navires, d'habitabilité, de prévention des risques professionnels
maritimes, d'hygiène et de vie à bord et de prévention de la pollution par les navires.
Le centre de sécurité compétent est celui du port d'immatriculation, sous réserve de toute autre modalité
d'attribution de compétence arrêtée par le ministre chargé de la mer.
247
V. not. art. D. 5241-35 prévoyant que le navire doit subir un essai de stabilité après son achèvement ou en cas de
transformations importantes et porter sur sa coque des marques de franc bord indiquant la limite supérieure
d’immersion qu’il est licite d’atteindre dans les différentes conditions de navigation et d’exploitation. Les art. D.
5241-36 s. définissent les règles à observer relativement à la construction du navire et de ses équipements.
72
SECTION 2. LES SOCIÉTÉS DE CLASSIFICATION

I. Diversité

Les sociétés de classification ont une place essentielle dans le monde maritime 248. Elles sont
assez nombreuses, mais trois d’entre elles sont universellement connues.
La première est une société anglaise, appelée le Lloyd's Register249 que l'on ne confondra pas avec
les Lloyd's anglais, cercle d'assureurs. L'origine est la même, mais aujourd'hui les deux entités
sont distinctes. Elle tire son nom d'un cabaretier du XVIIe siècle, Edward Lloyd, qui tenait à
Londres une taverne où les marins et les assureurs se réunissaient. Le Lloyd's Register classe des
navires de toutes les nations du monde et publie chaque année le répertoire des navires classés.
Une autre société, créée en Belgique, est aujourd'hui une société française, c'est le Bureau
Veritas. Il fait exactement la même tâche que la précédente. À la différence du Lloyd's, il cote
relativement plus de navires étrangers que de navires français, encore que tous les bâtiments
français soient cotés par lui.
L'American Bureau of Shipping, plus récent, tire son importance du fait que la flotte marchande
des États-Unis, si on y inclut les navires détenus par des capitaux américains sous pavillon de
complaisance, est importante.
On citera encore les societies suivantes :China Classification society ;DET Norske
Veritas;Germanischer Lloyd;Korean Register of Shipping;Nippon Kaiji Kyokai ;Registro Italiano
Navale ;Russian Maritime Register of Shipping.

II. Réglementation et statut

Les sociétés de classification font l’objet d’une réglementation européenne : le règlement


391/2009 et la directive 2009/15 du 23 avril 2009 fixent une série de critères que les États
devront respecter pour habiliter les sociétés de classification. Ces critères ont été mis en musique
par des textes réglementaires qui distinguent (art. R. 5241-17 et 18) les sociétés de classification
agréées (i. e. tout organisme ayant reçu l'agrément de la Commission européenne pour effectuer,
en tout ou partie, les inspections ou visites afférentes à la délivrance, au visa ou au
renouvellement de titres de sécurité ou de prévention de la pollution et, le cas échéant, à délivrer,
viser ou renouveler lesdits titres et figurant sur la liste publiée au JOUE) et les sociétés de
classification habilitées (i. e. tout organisme habilité par le ministre chargé de la mer à effectuer
au nom de l'État, en tout ou partie, les inspections ou visites afférentes à la délivrance, au visa ou
au renouvellement de titres de sécurité ou de prévention de la pollution du navire et, le cas
échéant, à délivrer, viser, renouveler, suspendre, restituer ou retirer lesdits titres ainsi qu'à
effectuer toute opération ou vérification accessoire à ces tâches).
Les sociétés de classification agréées par la Commission européenne en application du règlement
(CE) n° 391/2009 du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 établissant des règles et
normes communes concernant les organismes habilités à effectuer l'inspection et la visite des
navires sont habilitées par le ministre chargé de la mer dans des conditions définies par arrêté.

248
M. Ferrer, Les sociétés de classification, PUAM 2002, préf. Bonassies.
 Paris 10 juill. 1992, DMF 1993-747 obs. Tassel, estimant que le « Lloyd's Register of shipping » relevait de la
249

compétence de la juridiction commerciale sans avoir la qualité de personne morale commerçante.


73
Elles doivent notamment disposer d'un établissement stable et d'une représentation effective sur
le territoire français. Le maintien de leur habilitation est subordonné à des contrôles, étant précisé
qu’elles peuvent faire l’objet de mesures de suspension en cas d’inobservation des règles qui leur
appartient de respecter (art. R. 5241-149 et 150).

III. Missions

Ces sociétés vérifient la construction des navires ; elles procèdent à la réception des matériaux ;
elles surveillent les réparations. Elles obligent les navires à passer périodiquement des visites de
sécurité : une visite chaque année, une visite en cale sèche tous les quatre ans, afin que les experts
puissent porter un jugement sur la qualité du navire. Elles apposent les marques de franc-bord et
délivrent les certificats correspondants. Elles font de nombreux calculs de densité, d'assiette…
En réalité, les sociétés de classification ont plusieurs missions. La première d’entre elles est de
droit public : elles agissent dans le cadre de délégations confiées par les pouvoirs publics. La
seconde relève du seul droit privé.

74
Chapitre 2
LE CONTRÔLE PAR L’ÉTAT DU PORT

I. Principe

Un temps, le contrôle par l’État du port sur les navires étrangers ne pouvait s’exercer qu’en cas
d’atteinte à l’ordre public et devait, en tout état de cause, rester discret (v. ss 10). Cette époque est
révolue. Aujourd’hui, les navires battant pavillon d’un État étranger qui font escale dans un port
ou un mouillage français peuvent faire l’objet d’inspections dans des conditions fixées par voie
réglementaire (art. L. 5241-4-3 ; R. 5241-207 s.), étant précisé que les frais liés à ces inspections
sont à la charge du propriétaire ou de l’exploitant du navire. Cette règle est essentielle.
Aujourd’hui, elle peut paraître relever de l’évidence. Il a fallu cependant beaucoup de temps
avant qu’elle ne s’impose. Le virage a été pris après les catastrophes de l’Amoco Cadiz et du
Torrey Canyon. Les États de l’UE, à l’initiative de la France, ont décidé de prendre des mesures
pour lutter contre les navires à risques. C’est ce qu’ils ont fait dans le Memorandum de Paris250.
Cet accord, purement contractuel, a ensuite été repris par des textes qui ont sans cesse pris de la
densité et de l’ampleur. Ce sont ces textes qui sont contenus et résumés dans l’article précité du
Code des transports.

II. Modalités

La réglementation est aujourd’hui très précise. Elle est d’abord articulée sur des dispositions
générales. Ainsi est-il prévu que tout navire battant pavillon d’un État étranger faisant escale dans
un port français ou une installation terminale en mer, ou mouillant au large d’un tel port ou d’une
telle installation jusqu’à la limite des eaux territoriales, est soumis ou susceptible d’être soumis
aux inspections prévues qui sont effectuée par un inspecteur de la sécurité des navires et de la
prévention des risques professionnels maritimes, seul habilité à les conduire, dans des conditions
définies par l’Administration.

250
Memorandum d'entente sur le contrôle des navires par l'État du port, 26 janvier 1982, entré en vigueur le
1  juillet 1982 ; ce mémorandum a été signé par les ministres responsables de la sécurité maritime de l'Europe de
er

l'Ouest, de la Grèce, des Etats Scandinaves et de la Finlande. Il tend à permettre l'application pratique d'une
proposition de directive présentée par la Commission au Conseil des Communautés européennes le 2 juillet 1980
concernant des normes internationales relatives à la sécurité des transports maritimes et la prévention de la pollution
(JOCE C 192, 30 juill. 1980) ; v. M. Lefebvre, Les memorandums d’entente sur le contrôle des navires par l’État
portuaire, thèse Aix-Marseille 2010.
75
Chapitre 3
LE CONTRÔLE PAR LES AUTORITÉS PORTUAIRES

SECTION 1. Police des ports maritimes

L’État fixe les règles relatives à la sécurité du transport maritime et des opérations portuaires
(art. L. 5331-2). Ce Pouvoir régalien est circonscrit aux limites administratives des ports
maritimes, à l’exclusion des ports militaires. L’État a la police des ports. Il lui appartient donc
d’établir les règlements généraux de police applicables aux ports de commerce, aux ports de
pêche et aux ports de plaisance. Il doit aussi fixer les règles relatives au transport et à la
manutention des marchandises dangereuses. Il est enfin responsable de la définition des mesures
de sûreté portuaire (v. ss 1023).

SECTION 2. Les Ports

Le droit portuaire a été profondément remanié ces dernières années (cf. L. 2008-660 du 4 juill.
2008)251. Il n’est pas question dans ce Précis de développer tous ses aspects 252. Retenons que les
pouvoirs n’ont pas voulu libéraliser totalement les activités portuaires. Un port n’est pas une
entreprise comme une autre. Il reste un établissement public participant à l’exécution d’une
mission de service public. Toutefois, pour certaines de ses activités, le port peut être considéré
comme un établissement public à caractère industriel et commercial : il relève alors du droit
privé253.
Les outillages ne sont plus nécessairement la propriété des ports : ils sont désormais la propriété
des entreprises de manutention. De même, le personnel attaché à ces équipements (grues,
portiques…) est aujourd’hui celui des entreprises de manutention. Inutile de dire que la situation
beaucoup plus cohérente que par le passé, dans la mesure où ce personnel travaillant en fait pour
des entreprises privées était sous les ordres juridiques de l’autorité portuaire254.
Les ports sont exposés à de nombreuses difficultés d’ordre juridique, à commencer par des
questions de responsabilité255. D’autres problèmes ont trait à l’application du droit de la
concurrence256.

SECTION 3. Les droits de port


251
R. Rézenthel, Une nouvelle stratégie pour le développement des grands ports maritimes français, DMF 2008.
943 et 1060. V. égal. L’autorité portuaire en europe : du gestionnaire à l’aménageur, un renouveau, Annales IMTM,
2013, v. sur les Ports du Monde, JMM 21 déc. 2012.
252
Les ports maritimes sont aujourd’hui (art. L. 5311-1) :
- les grands ports maritimes relevant de l’État, (cf. Marseille-Fos, avec un trafic de 86 MT en 2012 ; comp. Ningbo
en chine avec 693 MT),
- les ports autonomes relevant de l’État,
- les ports maritimes relevant des collectivités territoriales et de leurs groupements.
253
Cf. R. Rézenthel, DMF 2008. 944 ; égal. CE 26 juin 1982, n° 16957, Min Budget c/ Port autonome de Bordeaux.
254
V. C. Naudin, Le régime juridique de l’exploitation portuaire, thèse Aix-Marseille 2013.
255
V. en cas de grève, Aix-en-Provence 28 janv. 2010, DMF 2011. 87, obs. L. Fedi ; Aix en Provence 18 juill 2013,
DMF 2014. 70, obs. Rézenthel, égal. Aix-en-Provence 2 févr. 2010, DMF 2011. 961, obs. Miribel, responsabilité
pour avoir accueilli un navire de plaisance non assuré ; v. en cas de chute d’une passerelle, Douai 15 mars 2012, BTL
20012.248 ; v. aussi R. Rézenthel, Les ports maritimes et l’exercice des libertés, Mélanges Scapel, PUAM 2013, p.
323.
256
V. not. Décision 15 avr. 2010, DMF 2011 HS 15, n° 71.
76
Un droit de port peut être perçu dans les ports maritimes relevant de l’État, des collectivités
territoriales ou de leurs groupements, à raison des opérations commerciales ou des séjours des
navires qui y sont effectués (art. L. 5321-1). Ces créances sont assorties d’un privilège maritime
de premier rang (art. L. 5114-8, 2°). Les redevances sont perçues dans les conditions prévues en
matière douanière (C. douanes, art. 345 s.).

SECTION 4. Police portuaire et compétence de l’État

L'État, comme on l’a dit, fixe les règles relatives à la sécurité du transport maritime et des
opérations portuaires. Les règlements généraux de police applicables aux ports de commerce, aux
ports de pêche et aux ports de plaisance sont établis par voie réglementaire.
L'État fixe les règles relatives au transport et à la manutention des marchandises dangereuses. Le
règlement général de transport et de manutention des marchandises dangereuses est établi par
arrêté de l'autorité administrative.
L'État est responsable de la définition des mesures de sûreté portuaire prises en application du
chapitre II et du contrôle de leur application.
L’État est également responsable de la police des eaux et de la police de la signalisation maritime
(art. L. 5331-4).

SECTION 5. Autorité portuaire et autorité investie du pouvoir de police portuaire

Il faut distinguer ces deux autorités : elles n’ont pas les mêmes compétences (art. L. 5331-5 et
5331-6). L’autorité portuaire exerce des prérogatives de puissance publique, ce qui n’est pas
nécessairement le cas de l’autorité de police portuaire. Celle-ci exerce la police de l’exploitation
du port qui comprend notamment l’attribution des postes à quai et l’occupation des terre-pleins.
Elle exerce aussi la police du plan d’eau qui comprend notamment l’organisation des entrées,
sorties et mouvements des navires. Elle exerce également la police des marchandises dangereuses
et contribue au recueil, à la transmission et à la diffusion de l’information nautique.

77
DEUXIÈME PARTIE
LE PERSONNEL DU NAVIRE ET LES AUTORITÉS MARITIMES

Toute entreprise d’une certaine importance emploie du personnel. Le chef d'entreprise est lié aux
membres du personnel par des contrats individuels de travail, aujourd'hui souvent conclus dans le
cadre de conventions collectives, elles-mêmes tenues de respecter un certain nombre de
prescriptions réglementaires impératives. L’armateur est dans cette situation qui, pour autant,
n’est pas exactement la même qu’en matière terrestre.

Cette partie sera ainsi divisée en trois titres :

Un premier consacré aux gens de mer, catégorie qui comprend principalement les marins et le
capitaine formant eux-mêmes l’équipage. Les membres de l’équipage sont considérés comme
embarqués pendant toute la durée de leur inscription sur le rôle d’équipage.

Un deuxième titre portera sur la société du bord, le bord désignant le navire, les embarcations, et
ses moyens de communication fixes avec la terre (art. L. 5511-3), ce qui renvoie principalement à
des questions pénales et disciplinaires (art. L. 5531-1).

Le troisième titre traitera des autorités maritimes, administratives et judiciaires, ce qui fournira
l’occasion d’exposer les politiques sociales, mais aussi économiques, des pouvoirs publics dans
le monde maritime ainsi que les aspects contentieux de la matière.

78
TITRE 1

LES GENS DE MER

L’expression gens de mer désigne aujourd’hui257 « toutes (les) personnes salariées ou non


salariées exerçant à bord d’un navire une activité professionnelle à quelque titre que ce soit » (art.
L. 5511-1 4°). Peu importe désormais que cette activité professionnelle soit liée à l’exploitation
du navire, il suffit qu’elle soit caractérisée. Sont donc des gens de mer les marins qui participent à
l’exploitation du navire, mais pas exclusivement. Si la notion de gens de mer englobe celle de
marin, elle ne s’y identifie pas. Sans doute, les gens de mer, comme les marins, peuvent-ils être
des salariés ou des professionnels indépendants (v. ss 312, 323). Sans doute doivent-ils exercer
leur activité à bord du navire. Mais leur activité n’est pas nécessairement liée à la marche, à la
conduite, à l’entretien ou au fonctionnement du navire : il suffit qu’elle ait un caractère
professionnel, c’est-à-dire non occasionnelle. Ainsi, le gentil organisateur qui se trouve à bord du
Club Med V qui s’efforce de distraire les croisiéristes et qui n’est pas un marin appartient-il à la
catégorie des gens de mer. De même en est-il de celui qui fait partie de ce l’on appelait jadis le
personnel du service général. Les marins sont des gens de mer, car ils ont une activité
professionnelle et exercent leur métier à bord du navire. Ce sont des salariés ou des
professionnels indépendants exerçant une activité directement liée à l’exploitation du navire (art.
L. 5511-1 3°). Cette définition vise la personne qui, répondant aux exigences professionnelles,
contracte un engagement avec un armateur ou s’embarque pour son propre compte en vue
d’occuper à bord d’un navire un emploi relatif à la marche, à la conduite, à l’entretien ou au
fonctionnement du navire258.

Sous le bénéfice des remarques précédentes, on précisera dans un premier temps le statut des
marins et des gens de mer, avant de développer les questions de droit du travail puis de droit
social, c’est-à-dire les questions relevant de la protection sociale des gens de mer.

257
V. P. Chaumette, Les gens de mer en perspective, DMF 2009. 29.
258
La marche, la conduite, l’entretien ou le fonctionnement d’un navire dont parlaient les textes avant juillet 2013
recouvrent l’exploitation du navire.
79
CHAPITRE 1
LA CONDITION DES MARINS ET DES GENS DE MER

Le Code des transports appelle marin (art. L. 5511-1, 3°) « toute personne engagée par un
armateur, ou embarquée pour son propre compte, exerçant, à bord d’un navire, une activité
professionnelle directement liée à l’exploitation du navire ». Cette définition déborde le cadre des
salariés pour viser des entrepreneurs indépendants, pourvu qu'ils répondent à la condition
essentielle : occuper à bord259 une activité professionnelle de surcroît en rapport direct avec
l’exploitation du navire ». Il y a là trois conditions distinctes qu'il faut réunir.
Le capitaine, le subrécargue, une femme de chambre sur un paquebot, un gabier, entrent dans
cette définition ; également, depuis 1967, un artisan lié non par un contrat d'engagement, mais par
un contrat d'entreprise, s'il doit à bord occuper un emploi permanent relatif à l'entretien du navire
par exemple. En revanche, les ouvriers d'un chantier de réparation navale qui montent à bord
pour la durée des réparations ne sont pas des marins ; ils n'ont pas sur le navire un emploi
permanent. La question s’est posée pour les « gentils organisateurs » à bord du superbe voilier
Club Med V. Elle a été résolue en faveur de la qualification de marin.

Quoi qu’il en soit, nul ne peut accéder à la profession de marin s’il ne remplit des conditions de
qualification professionnelle et d’aptitude physique. Les qualifications requises sont précisées par
des textes réglementaires. Il en va de même des conditions relatives à la délivrance des titres de
formation, à leur validité, aux modalités de suspension et de retrait des prérogatives qui leur sont
attachées, ainsi qu’à la reconnaissance des titres de formation professionnelle maritime.
L’aptitude physique requise pour la navigation, l’accès à la profession de marin et pour son
exercice est contrôlé par le service de santé des gens de mer 260. Des conditions de moralité sont
également exigées, puisque nul ne peut exercer la profession de marin si les mentions portées sur
la casier judiciaire s’avèrent incompatibles avec l’exercice de la profession. Ces exigences sont
sanctionnées pénalement (art. L. 5523-2). Par ailleurs, des sanctions professionnelles sont
encourues en cas de manquement à l’honneur professionnel, de faute grave dans l’exercice de la
profession ou de condamnation devenue définitive pour une infraction maritime particulière (art.
L. 5524-2).

L’activité de marin n’est pas nécessairement salariée (v. ss 312). Elle l’est le plus souvent, étant
précisé que les marins sont de plus en plus recrutés par des sociétés spécialisées, les sociétés de
manning dont le statut est aujourd’hui parfaitement légalisé. Mais, un marin peut parfaitement
s’embarquer pour son propre compte. Il peut être engagé à l’exploitation d’un navire sur la base
d’un contrat qui ne serait pas un contrat de travail. Rien ne s’oppose à ce qu’il agisse à titre
indépendant en qualité de prestataire de services lié un armateur par un contrat de louage
d’ouvrage. Naturellement, si le droit français est applicable, il faudra veiller à ce que cette
indépendance soit réelle, sous peine de requalification du contrat en contrat de travail 261. Les

259
 Le terme « bord » désigne « le navire, les embarcations et ses moyens de communication fixes avec la terre »
(art. L. 5511-2). D'où la solution de Soc. 27 juin 1973, DMF 1974. 10, obs. Jambu-Merlin.
260
Soc. 28 janv. 2010, DMF 2010. 681, obs. Le Bihan Guenolé.
261
Le critère du service organisé parfois utilisé pour qualifier le contrat de travail devrait conduire à écarter des
marins indépendants tous les membres d’un équipage.
80
marins opérant en « free-lance » pourraient être plus nombreux qu’on ne l’imagine262. En tout cas,
le législateur a ici visé les hommes d’équipage, le capitaine (i. e. le patron ou toute autre personne
qui exerce en fait le commandement du navire, et les marins tels qu’ils sont définis par l’art. L.
5511-1, 3°.

Si l’on peut distinguer dans la société du bord le capitaine, les officiers et les hommes d'équipage
et du service général, certaines dispositions s’appliquent à tous les marins.
Ainsi en est-il, pour des raisons bien compréhensibles, de la réglementation sur la durée du
travail, sur les heures supplémentaires, sur la répartition et l’aménagement des horaires, sur le
travail à temps partiel et le travail intermittent. L’organisation du travail à bord prévoit que le
marin bénéficie d’un temps de pause d’une durée minimale de 20 minutes par tranche de 6 heures
de travail effectif.
De même en est-il des règles sur le repos et les jours fériés. On précisera que la durée minimale
du repos à laquelle a droit le marin est de dix heures par période de 24 h., que le repos quotidien
ne peut être scindé en plus de deux périodes, que des accords collectifs définissent généralement
les modalités de ces contraintes. De plus, les exigences de la vie en mer expliquent que ne sont
pas considérés comme portant atteinte à la règle du repos hebdomadaire tous travaux nécessités
par les opérations d’assistance, les circonstances de force majeure (cf. tempête), les circonstances
où le salut du navire, des personnes embarquées ou de la cargaison est en jeu, circonstances dont
le capitaine est seul juge.
Comme tout salarié, le marin a droit à des congés payés. Le droit à congés payés du marin
pendant les périodes d’embarquement effectif est calculé à raison de trois jours calendaires par
mois. La prise de congés peut être remplacée par une indemnité compensatrice, sauf si la relation
de travail est arrivée à terme.

D’autres règles de portée générale concernent la santé et la sécurité des marins (art. L. 5545-1 s.).
Ainsi les lieux de travail et de vie à bord sont aménagés et entretenus de manière que leur
utilisation garantisse la santé physique et mentale ainsi que la sécurité des gens de mer. Ils sont
tenus dans un état constant de propreté et présentent les conditions d’hygiène et de salubrité qui
assurent la santé des intéressés.
L’employeur doit également veiller à ce que les denrées destinées à la restauration des gens de
mer soient saines, de bonne qualité, en quantité suffisante et d’une nature appropriée au voyage
entrepris.

SECTION 1. CAPITAINE

À bord de tout navire de commerce doit se trouver un capitaine 263. Le capitaine est le
commandant du navire264. Il est à sa tête. Les Anglais disent de lui qu’il est le maître (« the
262
Dans le monde aérien, les pilotes sont souvent des personnes exerçant à titre libéral. C’est le cas de nombre
pilotes de Ryanair.
263
 V. W. Sahed-Lejri, Le capitaine, thèse Aix-Marseille 2011 ; M. Cormier, Le statut juridique du capitaine en
droit français, thèse Aix-Marseille 1991 ; R. Garron, La responsabilité du capitaine, thèse Aix-Marseille 1966. Sur
la notion de « capitaine » : Crim. 19 juill. 1969, D. 1969. 603. Commandant Fraisse, Adieu au capitaine au long
cours, p. 247 s., in Annales IMTM, 1985 ; M. Ardillon, Gazette CAMP, n° 29 – égal. C. Delher, J. Ph. Côte et M.
Vandevenne, L’aide-mémoire du capitaine, Réglementation, contentieux et rapport de mer, Marines éditions, 2012.
264
Soc. 15 mars 1972, DMF 1972. 403.
81
master »). C’est, selon les textes, le patron ou toute autre personne qui exerce en fait le
commandement du navire (art. L. 5511-4), ce qui suppose de réelles compétences 265. C’est aussi,
d’après la doctrine266, un marin et un membre d’équipage. Un temps, seul patron de l’expédition
maritime et associé à la préparation de l’expédition, le capitaine est aujourd’hui soumis aux
exigences de rentabilité, aux impératifs de gestion, si bien que le lien capitaine/navire,
capitaine/pavillon, capitaine/compagnie s’est distendu. Il faut reconnaître que les progrès
techniques ont fait que le capitaine n’est plus seul maître à bord. Le droit se fait l’écho de cette
evolution

SECTION 2. OFFICIERS ET MAÎTRES

La composition des équipages n’est plus la même aujourd’hui que du temps de l’Ordonnance de
la Marine : l’aumônier, notamment, a disparu.
Les officiers sont cependant encore là : ce sont les personnes portées comme officiers ou élèves
officiers sur le rôle de l’équipage (art. L. 5511-4). Selon l'importance du navire et son genre de
navigation, les officiers doivent être en un certain nombre et munis des diplômes requis 267. Ainsi
sur les grands paquebots, le second capitaine doit avoir également le brevet de capitaine de
première classe. Les officiers mécaniciens ont des brevets de capacité particuliers. Le lieutenant
assure les fonctions d’encadrement des personnels d’exécution, au pont ou à la machine. Son rôle
consiste aussi à assister le second mécanicien ou le second capitaine : organisation de la vie à
bord, des quarts, des opérations commerciales…
Le second capitaine est le bas droit du capitaine pour le service au pont, c’est-à-dire pour la
navigation. Il est également responsable de la sécurité du navire. Il dirige les opérations
commerciales et les opérations d’embarquement et de débarquement de la cargaison.
Le mécanicien chef règne sur le personnel des machines, mais il est lui-même sous les ordres du
capitaine. C’est l’ingénieur du navire assisté du second mécanicien ou d’un ou plusieurs officiers
mécaniciens. Il a la charge du bon fonctionnement des machines, hydrauliques, électroniques ou
informatiques. Le second mécanicien est le bras droit du chef mécanicien pour le service aux
machines. Il a pour mission de veiller aux réparations, à l’entretien et à la maintenance des
machines.
Toujours selon les mêmes critères, il doit y avoir à bord un commissaire qui règne sur les agents
du service général, lui-même sous les ordres du capitaine, et un ou plusieurs médecins.
Les radiotélégraphistes ont un statut défini par une loi du 23 novembre 1933. Ils doivent être
munis de certains certificats d'opérateur et ont rang d'officiers.

Quant aux maîtres, l’expression renvoie aux maîtres d’équipage ainsi qu’à toutes personnes
portées comme maîtres ou chefs de service sur le rôle d’équipage.

265
On connaît le bel alexandrin de Corneille (Le Cid) : « joignez à vos vertus celles d’un capitaine ».
266
MM. Bonassies et Scapel, n° 284 s.
267
 Le Ministre des Transports avait pris, en décembre 1994 et janvier 1995, plusieurs mesures prolongeant les plans
d'aide à la marine marchande, au titre de l'aide à la consolidation et à la modernisation. Or l'innovation d'une mesure
importante consiste, afin de soutenir l'emploi, à réduire le coût du lieutenant : près de 600 emplois sont intéressés par
cette mesure. En contrepartie, les armateurs s'engagent à faire en sorte qu'en fin de formation les jeunes officiers
trouvent un embarquement. Pour le ministre, il s'agissait ici de contribuer « à la sauvegarde du savoir-faire maritime
français ». Sans lieutenants embarqués, il n'y a plus de savoir-faire maritime. Les choses ne se sont malheureusement
pas améliorées depuis.
82
SECTION 3. HOMMES D'ÉQUIPAGE

Depuis des textes remontant aux années 1958-1959, on ne distingue plus trois catégories
d’hommes d’équipage, mais seulement deux. Le Code du travail distinguait le personnel du pont,
celui de la machine et les agents du service général. Un décret du 12 mai 1959 avait déclaré que
le personnel se divisait en deux catégories : d'une part, le personnel du pont, de la machine et du
service radiotélégraphique affecté à la conduite, à la marche et à l'entretien du navire ; d'autre
part, les agents du service général (ADSG). Les récentes réformes issues notamment de la
Convention internationale de 2006 ne permettent sans doute pas de maintenir cette distinction.
On se contentera de dire que les hommes d’équipage sont des marins au sens de l’art. L. 5511-1,
étant précisé que l’équipage comprend le capitaine et les marins (art. L. 5511-3). L’ensemble des
hommes d'équipage doit atteindre un certain nombre, mais il n'y a pas de chiffre réglementaire, si
ce n’est que tout navire doit avoir à son bord un effectif de marins suffisant en nombre et en
niveau de qualification professionnelle pour garantir la sécurité du navire et des personnes à bord
ainsi que le respect des dispositions relatives à la durée du travail et aux repos.

Les jeunes marins sont des mousses jusqu'à 16 ans et des novices de 16 à 18 ans lorsqu'ils servent
sur le pont, des apprentis (divisés en deux classes) lorsqu'ils sont aux machines ou au service
général. Les futurs officiers, élèves à bord, portent le nom de pilotins.

SECTION 4. LES GENS DE MER AUTRES QUE LES MARINS

I. La notion

L’expression gens de mer englobe les marins. Mais si tous les marins sont des gens de mer, tous
les gens de mer ne sont pas des marins. Il se peut en effet qu’à bord d’un navire certaines
personnes aient une activité professionnelle qui ne soit pas liée à « l’exploitation ». Ces
personnes qu’il n’est pas facile d’identifier ne figurent pas au rôle d’équipage, mais sont
mentionnées sur la liste d’effectif. Le législateur a récemment précisé que les gens de mer autres
que les marins ne pouvaient travailler à bord d'un navire que s'ils remplissaient des conditions
d'aptitude médicale. L'aptitude médicale requise pour la navigation est contrôlée par le service de
santé des gens de mer. Les normes d'aptitude médicale, selon les fonctions à bord ou les types de
navigation, les cas de dispense, la durée de validité du certificat d'aptitude médicale délivré à
l'issue du contrôle d'aptitude médicale, sa forme ainsi que les voies et délais de recours en cas de
refus de délivrance du certificat sont précisés par décret en Conseil d'État.
Les gens de mer autres que marins doivent, pour l'exercice de leurs fonctions à bord d'un navire,
avoir suivi une formation minimale dont le contenu est fixé par voie réglementaire.

83
II. La condition juridique

Des textes récemment pris par le législateur il découle que les règles sur la collectivité du bord
ainsi que sur le RIF sont applicables aux gens de mer autres que marins. Ces personnes relèvent
également du droit du travail maritime268 avec un certain nombre d’exceptions269.
Les règles particulières relatives à la durée du travail et au repos hebdomadaire des gens de mer
autres que marins, et embarqués temporairement à bord d'un navire, sont fixées par décret en
Conseil d'État. Lorsque les gens de mer autres que marins sont blessés ou malades pendant le
cours de l'embarquement ou après que le navire a quitté le port où ils ont été embarqués,
l'armateur s'assure qu'ils ont accès à des soins médicaux rapides et adéquats. L'employeur prend
en charge les dépenses liées à ces soins, y compris les frais de transport éventuels, de telle sorte
qu'ils soient intégralement assurés pour l'intéressé jusqu'à son hospitalisation ou son retour à
domicile ou, si le navire est à l'étranger, son rapatriement, sans qu'il ait à en avancer les frais, sauf
lorsque la maladie n'a pas été contractée pendant l'embarquement. Les dispositions du présent
alinéa n'ont pas pour effet de se substituer aux dispositions du Code de la sécurité sociale
relatives à la prise en charge et au remboursement des prestations en nature par le régime de
sécurité sociale dont relève l'intéressé. En cas de décès, les frais funéraires, y compris le
rapatriement du corps et des effets personnels, sont à la charge de l'employeur. En cas de
blessure, les gens de mer autres que marins sont tenus, sauf cas de force majeure, d'en faire la
déclaration au capitaine au plus tard lorsqu'ils quittent le service au cours duquel ils ont été
blessés.
On notera enfin que les créances des gens de mer autres que les marins nées de leur
embarquement sont privilégiées sur le navire et sur le fret dans les conditions du droit commun
maritime (5114-7 à 19).

268
Soc. 25 sept. 2013, n° 12-17.776 : « les dispositions du code du travail maritime concernant l’organisation et la
durée du travail à bord sont applicables pour le temps de leur embarquement, et sous réserve de dispositions
collectives plus favorables, aux personnels non marins, lorsque ces personnels sont conduits, en exécution de leur
contrat de travail, à servir en mer ».
269
art. L. 5542-5 et art. L. 5542-7 et L. 5542-8, L. 5542-15, L. 5542-17, L. 5542-21 à L. 5542-28, L. 5542-34 à L.
5542-38, L. 5542-40 à L. 5542-44, L. 5542-48, L. 5542-52, L. 5544-12, L. 5544-21, L. 5544-34 à L. 5544-41, L.
5544-43 à L. 5544-54, L. 5544-56, L. 5544-57 et L. 5546-2, ainsi que les art. L. 5542-11 à L. 5542-14 en tant qu'ils
concernent le contrat au voyage.
84
Chapitre 2
LE DROIT DU TRAVAIL MARITIME

I. Contrat

Le travail à bord est réglé par le contrat d'engagement du marin et par les ordres du capitaine ou
de ses délégués. On parle plus volontiers aujourd’hui de contrat de travail. Le travail des marins
ne comprend plus aujourd'hui que les soins du navire, non ceux de la cargaison. À l'arrivée au
port de destination, les marins ouvrent les cales en enlevant les panneaux qui les masquaient. Ce
sont aujourd’hui les dockers qui monteront sur le navire pour décharger la cargaison. Plus
généralement, les opérations de chargement et de déchargement ne sont plus accomplies par le
bord, mais par des entreprises spécialisées, les entreprises de manutention.
De nombreuses prescriptions légales ou réglementaires assurent aux marins un confort minimum
(logement et nourriture), fixent le maximum des heures de travail. Le statut du marin se trouve en
outre encadré par une législation d'origine internationale et par des conventions collectives270.

II. Originalité du droit du travail maritime

Les rapports de l'armateur et des marins ont eu pendant des siècles un caractère original. Alors
que les ouvriers terrestres avaient un statut établi à base de corporatisme, les marins étaient l'objet
de la sollicitude des pouvoirs publics. Des lois d'assistance ont fonctionné pour eux à une époque
où la détresse des travailleurs terrestres ne relevait que de la charité privée. Dans le Code de
commerce, les articles 250 et suivants s'inspiraient d'une idée de contrôle par l'État qui contrastait
avec l'esprit individualiste de la codification napoléonienne.

Les progrès de la législation sociale dans les autres domaines ont considérablement atténué
l'originalité du droit du travail maritime. Ils ne l'ont pas fait disparaître. Si la protection
impérative règne partout, elle prend dans le monde maritime un accent particulier. Les hommes
embarqués sur le navire forment une petite société à part. Le marin sur le navire n'est pas comme
un ouvrier dans l'usine. Il a d'autres devoirs, d'autres responsabilités, de même, à l'inverse, que
l'armateur a d'autres devoirs et d'autres responsabilités envers lui (nourrir, soigner, rapatrier). Le
contrat d'engagement maritime engage toute la personne plus que le contrat de travail terrestre.
Par-là, il déborde le cadre du droit privé, plus encore que ne le fait le contrat de travail
ordinaire271.

III. Droit du travail. Champ d’application

Le droit du travail maritime s’est progressivement érodé, en ce sens que ses particularités se sont
effacées au profit du droit commun. La Cour de cassation a fini par avaliser cette évolution en
affirmant que les dispositions du Code du travail, i. e. les dispositions du droit commun,
s’appliquaient aux marins « en l’absence d’une loi particulière »272. C’est exactement ce que
disent aujourd’hui les textes. En effet, aux termes de l’article L. 5541-1, « le Code du travail est
270
V. A.L. Garret, Le statut des marins sous pavillon français, PUAM 2011 ; A. Charbonneau, Marché
international du travail maritime ; un cadre juridique en formation, PUAM 2009.
271
P. Chaumette, Le contrat d’engagement maritime, éd. CNRS, 1993.
272
Cass., ass. plén., 7 mars 1997, DMF 1997. 377, concl. Chauvy.
85
applicable aux marins salariés des entreprises d'armement maritime et des entreprises de cultures
marines ainsi qu'à leurs employeurs273, sous réserve des dérogations ou des dispositions
particulières ainsi que des mesures d'adaptation prises par voie réglementaire ».

L’article L. 5541-1-1 ajoute que les salariés autres que gens de mer, effectuant des travaux ou
exerçant certaines activités définies par voie réglementaire dans les limites des eaux territoriales
et intérieures françaises, en deçà des limites extérieures de la zone économique exclusive ou dans
d'autres eaux en qualité de salariés d'entreprises françaises relèvent, pour les périodes d'exercice
de leurs activités en mer, des articles L. 5544-2 à L. 5544-5, L. 5544-8, L. 5544-11, L. 5544-13,
L. 5544-15, L. 5544-17 à L. 5544-20 et L. 5544-23-1, sous certaines réserves274.

De nombreuses dispositions du droit du travail maritime sont sanctionnées pénalement. On


relèvera les principales infractions suivantes :

273
Pour l'application du présent titre, est considéré comme jeune travailleur : le marin âgé de moins de dix-huit ans ;
ainsi que le jeune âgé de moins de dix-huit ans qui accomplit des stages d'initiation ou d'application en milieu
professionnel dans le cadre d'un enseignement alterné ou d'un enseignement professionnel (art. L. 5541-2).
274
1° Pour tenir compte de la continuité des activités exercées en mer, des contraintes portuaires ou de la
sauvegarde du navire ou des installations et équipements en mer, un accord d'entreprise ou d'établissement peut
organiser la répartition de la durée du travail sur une période de deux semaines de travail consécutives suivies de
deux semaines de repos consécutives ; 2° Pour l'application de l'article L. 5544-13, sont également pris en compte les
installations et équipements.
86
Chapitre 3
LA PROTECTION SOCIALE DES MARINS

Une ordonnance de Colbert du 23 sept. 1673 a institué la caisse des invalides de la marine. C’est,
comme on l’a très justement souligné275, le premier texte essentiel dans l’histoire de la sécurité
sociale. La caisse des invalides est devenue en 1709 l’Établissement royal des invalides de la
marine prenant en charge tous les marins de commerce. L’ENIM l’a remplacé avec une loi du 1 er
janv. 1930 et un décret-loi du 17 juin 1938.

L’Établissement National des Invalides de la Marine est aujourd’hui une caisse de prévoyance
qui gère les retraites et les risques d’accident, maladie invalidité des marins. Elle est entrée
progressivement dans le giron de la Sécurité Sociale276.

Sont affiliés les marins embarqués sur un navire battant pavillon français.
Les marins français sur un navire étranger sont dans une situation différente. Mais, rien ne
s’oppose à ce que l’armateur étranger décide d’appliquer la loi française 277. Le législateur laisse la
possibilité à ces marins de s’assurer volontairement contre le risque vieillesse auprès de
l’ENIM278.
La situation des marins étrangers sur un navire étranger est encore plus complexe279

SECTION 1. SÉCURITÉ SOCIALE

Les marins sont comme tous les salariés exposés à un certain nombre de risques au cours de
leurs activités. Tous ces risques ne sont pas couverts de la même façon.

Les risques à terre relèvent du droit commun.


Les risques à bord, i. e. les maladies et accident du travail280 sont pris en charge par l’armateur281.
Un temps, en revanche, les recours contre l’armateur en cas de faute inexcusable n’étaient pas
couverts. Seuls les recours contre le tiers responsable étaient couverts, 282 puis la solution a été
remise en cause : le Conseil constitutionnel a permis aux gens de mer affiliés à l’ENIM victimes
d’un accident du travail maritime ou d’une maladie professionnelle d’exercer un recours en
indemnisation complémentaire en présence d’une faute inexcusable de l’employeur 283. La
décision est importante, car elle fait observer que « les dispositions maritimes ne sauraient, sans
porter une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs, être interprétées
comme faisant, par elles-mêmes, obstacle à ce qu’un marin victime au cours de l’exécution de
son contrat d’engagement maritime d’un accident du travail imputable à une faute inexcusable de
275
MM. Bonassies et Scapel, n° 319.
276
V Chaumette, obs. sous Civ. 2e, 18 nov. 2010, DMF 2011. 130.
277
Soc. 16 nov. 1993, DMF 1994. 472, obs. Chaumette.
278
P. Bonassies, DMF 1989. 6.
279
Rouen 5 déc. 1991, DMF 1992. 377, obs. Chaumette ; P. Bonassies, DMF 1993. 24.
280
Par ex. Civ. 2e, 20 janv. 2012, DMF 2012. 738, obs. Chaumette.
281
V. pour un problème posé par l’amiante : Civ. 2e, 22 sept. 2011, DMF 2012. 35, obs. Chaumette.
282
Civ. 2e, 23 mars 2004, DMF 2004. 716, obs. Chaumette, DMF 2005, HS 9, n° 61.
283
Cons. const. 6 mai 2011, DMF 2011. 623, obs. Chaumette, RDT 2011, n° 77, obs. Charles.
87
son employeur puisse demander, devant les juridictions de sécurité sociale, une indemnisation
complémentaire dans les termes des textes de sécurité sociale ».

SECTION 2. PENSIONS DE RETRAITE

Le régime d’assurance vieillesse sert aux marins des pensions d’ancienneté (art. L. 5552-1s.),
proportionnelles ou spéciales. Les articles L. 5552-2 à 3 développent ces différents aspects.

Le droit est acquis lorsque se trouvent remplies des conditions d’âge et de durée des services
fixées par décret (v. art. L. 5552-4 à 7).

Le temps de navigation active et professionnelle accompli sur des navires battant pavillon
française entre en compte pour sa durée effective (art. L. 5552-13). Les modalités en sont
précisées par les articles L. 5552-14 à 17)284.

La détermination du montant des pensions se calcule dans des conditions précises fixées, une fois
encore, par les textes (art. L. 5552-19 à 22).

La situation du conjoint et des orphelins a retenu toute l’attention du législateur. On le comprend.


La question de la pension de réversion est ainsi clairement envisagée (art. L. 5552-26).
On notera que lorsqu’un marin est disparu en mer ou a disparu de son domicile depuis plus d’un
an, son conjoint et ses enfants mineurs peuvent obtenir, à titre provisoire, la liquidation des droits
pension qui leur seraient ouverts en cas de décès.

Les services taxables, l’assiette des cotisations et contributions, les exonérations et réductions
sont autant de questions techniques et difficiles que les textes (art. L. 5553-1 s.) s’efforcent de
régler.

SECTION 3. SYSTÈME RIF

I. Bénéficiaires 

Les gens de mer résidant en France et embarqués avant le 31 mars 1999 sur des navires battant
pavillon étranger peuvent, sur leur demande, dès lors qu'ils sont employés à bord d'un navire RIF,
continuer à bénéficier des assurances sociales auxquelles ils ont auparavant souscrit. Ces
assurances doivent leur garantir les risques pris en charge par la loi (maladie, accident, v. ss 434
s.).
Les gens de mer ressortissant d'un État membre de l'UE, d'un État partie à l'AELE ou d'un État lié
à la France par une convention bilatérale de sécurité sociale bénéficient d'une couverture sociale
dans les conditions prévues par les règlements européens portant sur la coordination des systèmes
de sécurité sociale ou par la convention bilatérale qui leur sont applicables.

284
V. égal. Civ. 2e, 30 mai 2013, RD transp. 2013, n° 62.
88
Les gens de mer résidant hors de France et ne relevant pas des règles précédentes sont assurés
contre les risques garantis par la loi (art. L. 5631-4). Leur régime de protection sociale est soumis
à la loi choisie par les parties. Des conventions ou accords collectifs applicables aux non-
résidents peuvent prévoir des dispositions plus favorables.
La protection sociale ne peut être moins favorable que celle résultant des conventions de
l'Organisation internationale du travail applicables aux gens de mer et ratifiées par la France.
L'employeur contribue à son financement à hauteur de 50 % au moins de son coût.

II. Couverture

La protection sociale des bénéficiaires que l’on vient d’énumérer comprend : la prise en charge
intégrale des frais médicaux, d'hospitalisation et de rapatriement en cas de maladie ou d'accident
survenu au service du navire, à laquelle s'ajoute :
- en cas de maladie, la compensation du salaire de base dans la limite de cent vingt jours ;
- en cas d'accident, la compensation du salaire de base jusqu'à la guérison ou jusqu'à
l'intervention d'une décision médicale concernant l'incapacité permanente ;
- le versement d'une indemnité en cas de décès consécutif à une maladie ou à un accident survenu
au service du navire :
- au conjoint du salarié ou, à défaut, à ses ayants droit ;
- à chaque enfant à charge, âgé de moins de vingt et un ans, dans la limite de trois enfants ;
- la prise en charge en cas de maternité de la salariée des frais médicaux et d'hospitalisation
correspondants et la compensation de son salaire de base pendant une durée de deux mois ;
- le versement d’une rente viagère ou d’une indemnité proportionnelle à cette incapacité définie
dans le contrat d’engagement, en cas d’incapacité permanente consécutive à une maladie ou à un
accident survenu au service du navire.
- l’attribution d’une pension de vieillesse dont le niveau n’est pas inférieur, pour chaque année de
service à la mer, à un pourcentage de la rémunération brute perçue chaque année par le salarié.

89
TITRE 2

LA SOCIÉTÉ DU BORD

L'importance des intérêts engagés dans l'expédition et les dangers qui la menacent créent des
devoirs à tous ceux qui se sont embarqués pour la mener à bonne fin. Le navire est comme une
garnison. Les relations sociales n'y sont plus exactement celles de la vie à terre.
Ces nécessités s'expriment dans de nombreuses règles juridiques. On en a vu des exemples. Il
s'agit ici d'en esquisser une synthèse.
Cette petite société que l’on appelle le bord285 a un chef : le capitaine. Ses membres – l’équipage,
le capitaine lui-même et les autres personnes à bord (passagers, visiteurs…) 286 ont des devoirs
particuliers. Mais sa constitution est contrôlée par l'État.

285
L’art. L. 5511-2 précise que le bord désigne le navire, ses embarcations, ses moyens de communication fixe avec
la terre.
286
Les passagers clandestins. sont soumis à bord à l’autorité du capitaine : une difficulté se présente au terme du
voyage, l’autorité devant peut-être se maintenir jusqu’au retour dans le pays (v. CE 29 juill. 1998, DMF 1999. 1013,
obs. Janbon ; égal. Daoulas, La question des passagers clandestins, DMF 1997. 675).
90
Chapitre 1
LES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES

I. Inscription maritime

L'institution de l’inscription maritime était née d'une préoccupation militaire, le souci de trouver
des matelots pour les vaisseaux de l'État. Le système de la presse, qui consistait à fermer un beau
jour tout un bas quartier d'un port et à y lever tous les matelots trouvés dans les bouges ou autres
lieux, finit par ne plus paraître satisfaisant. La qualité des équipages s'en ressentait et, sur les
vaisseaux du Roi, l'ordre n'était maintenu que par une discipline d'une extrême sévérité. En outre,
la nécessité et l'urgence conduisaient parfois à requérir de cette manière les services de marins
indispensables à la poursuite d'une expédition maritime déjà commencée. Les intérêts du
commerce privé n'étaient pas sauvegardés.
Colbert eut alors l'idée, dès 1668, de diviser les marins de profession en classes qui seraient
appelées à tour de rôle à servir sur les bâtiments de l'État. Les inscrits sur l'ensemble des classes
recevaient solde entière à bord et demi-solde à terre ; ils étaient exemptés des charges féodales et
avaient le droit de navigation et de pêche dans les eaux françaises. C'est l'origine de l'inscription
maritime telle qu'elle devait être aménagée en 1784 par le maréchal de Castries, puis en brumaire
an IV par une loi qui lui donna son nom et enfin par une loi du 24 décembre 1896.
Le contrôle de l'État sur les marins était assuré par le corps des administrateurs des Affaires
maritimes. Le régime de ces agents de l'État était complexe : chargés d'administrer un service de
la marine marchande, c'étaient des officiers de l'Armée de mer.
Le littoral de la métropole est divisé en cinq directions (Le Havre, Saint-Servan, Nantes,
Bordeaux et Marseille). Chaque direction est subdivisée en quartiers et ceux-ci en sous-quartiers
parfois. Des quartiers ont été créés dans les Antilles et à La Réunion.

Les attributions des administrateurs de ce corps sont diverses. Elles ne sont plus militaires car ils
ne participent plus au recrutement des équipages de la flotte ni à la levée des inscrits… Elles sont
administratives, parce que les administrateurs collaborent à la police de la pêche et de la
navigation ainsi qu'à la conservation du domaine public maritime ; sociales, car ces
administrateurs ont un rôle de tutelle sur les gens de mer ; judiciaires lorsqu’ils mettent en œuvre
diverses dispositions de caractère pénal ou qu'ils participent au fonctionnement des tribunaux
maritimes.

II. Appréciation critique de l'institution

Administration tricentenaire, l’inscription maritime était ainsi chargée de gérer tout ce qui avait
trait aux gens de mer, à leurs activités et aux navires. L'institution a été très vivement critiquée à
plusieurs reprises. On montrait autrefois que les inscrits avaient une condition très rude et l'on
voyait dans l'institution une brèche au principe de l'égalité des citoyens. En fait, leurs obligations
proprement militaires ne duraient guère plus que dans l'armée de terre. On serait tenté aujourd'hui
d'y voir une condition plus favorable que celle des autres citoyens et une brèche en sens inverse
au principe de l'égalité, mais la généralisation des mesures de sécurité sociale ne permet plus de
le dire. Cependant les tâches professionnelles à bord des navires, surtout des navires de guerre,
n'ont plus généralement de rapport avec l'accoutumance maritime et une vocation maritime.

91
Aujourd'hui, sur un paquebot, les matelots de pont sont en bien petit nombre à côté des marins et
des autres gens de mer. Ces faits condamnaient à plus ou moins longue échéance, un système qui,
pendant des siècles, avait seul assuré le correct recrutement des équipages de la flotte.

III. Affaires maritimes

Cette Administration avait fait l’objet de dispositions précises formant le titre III de la loi du
13 décembre 1932287. Ce titre a été abrogé par la disposition finale de la loi n° 550 du
8 juillet 1965 qui réglait le service national288. Le nom a ensuite disparu (décret n° 67-431 du
26 mai 1967) et les membres du corps ont reçu leurs nouvelles appellations d'un arrêté du
22 juin 1967. C’est aujourd’hui le corps des administrateurs des Affaires maritimes.
Les Affaires maritimes sont aujourd’hui un service décentralisé du Ministère en charge de la mer.
Ce Ministère est naturellement l’autorité administrative maritime de premier rang. Il faudra en
rendre compte en observant qu’elle n’a cessé de se démultiplier. On présentera ensuite les
autorités décentralisées, avant de développer l’action des pouvoirs publics en mer.

287
DP 1933. 4. 209.
288
D. 1965. L. 217.
92
Chapitre 2
LES AUTORITÉS JUDICIAIRES

De deux types : les unes sont répressives, les autres commerciales.

SECTION 1. AUTORITÉS RÉPRESSIVES

L’ordonnance n° 2012-1218 du 2 nov. 2012 portant réforme pénale en matière maritime a


réorganisé nombre de dispositions de caractère pénal289, sans remettre en cause la spécificité de la
matière290.
Le droit pénal maritime a toujours présenté une certaine originalité tenant à la nécessité de
sanctionner les comportements faisant courir un danger à l’expédition maritime et d’assurer une
discipline à bord291. C’est ce qu’avait parfaitement compris l’Ordonnance de la Marine. Après les
méfaits de la Révolution, le code pénal de 1810 ne traita que des infractions concernant la
conduite du navire et la sécurité de la navigation. Il a fallu attendre le décret-loi du 24 mars 1852
pour que l’on voie apparaître, de nouveau, un embryon de droit pénal maritime avec un
classement des infractions en deux catégories : les délits relevant des tribunaux maritimes
commerciaux et les crimes de droit commun. Ultérieurement, après que nombreux textes
particuliers eurent modifié cet équilibre, la loi du 17 décembre 1926 prit le parti d’instaurer un
code disciplinaire et pénal de la marine marchande (CDPMM). Frappé d’une certaine
obsolescence, c’est ce texte que l’ordonnance de 2012 a cherché à réorganiser, la loi de 1926
étant désormais dénommée : « loi relative à la répression en matière maritime ».

Les nouveaux textes s’efforcent d’abord de définir la liste des délits maritimes relevant de la
compétence exclusive des Tribunaux Maritimes (TM). Les TM peuvent connaître de certains
délits touchant à l’intégrité de la personne ou à la mise en danger d’autrui, s’ils sont en lien avec
la sécurité du navire ou de la navigation. En revanche, les contraventions, hormis celles qui sont
connexes à des délits maritimes, relèvent désormais des juridictions de droit commun. Les crimes
ne peuvent jamais constituer une infraction maritime.
L’ordonnance détermine aussi les personnes en charge de l’action publique : le procureur de la
République et la juridiction d’instruction du TGI auprès duquel est institué le TM territorialement
compétent.
Le texte prévoit l’application aux infractions maritimes des règles du Code de procédure pénale
relatives à la poursuite, à l’instruction et au jugement des infractions et redéfinit les conditions
dans lesquelles les infractions sont constatées, en harmonisant la liste des agents verbalisateurs.
L’ordonnance modifie profondément la loi du 17 décembre portant code disciplinaire et pénal de
la marine marchande. Cette loi qui reste formellement en vigueur n’a plus de caractère
disciplinaire et son champ d’application est étendue à d’autres secteurs que celui de la marine
marchande.
289
E. Allain, AJ pénal 2012. 589, D. 2012. 2608 ; P. Rembauville Nicolle et alii, RD transp. 2012/2, 1 à 5, P.
Chaumette, Dr. social 2013, n°1.
290
Le droit pénal et la mer, sous la direction d’A. Cudennec, PUR 2006.
291
C’est pourquoi les textes s’appliquaient et s’appliquent, en principe, encore à toutes les personnes, de quelque
nationalité qu’elles soient, qui se trouvent bord d’un navire.
93
Les tribunaux maritimes commerciaux  L’ordonnance de 2012 a, en outre et surtout, supprimé
les tribunaux maritimes commerciaux. Successeurs des Tribunaux de l’Amirauté 292, supprimés en
1791, et institués en tant que tribunaux maritimes par un décret du 24 mars 1852, les TMC étaient
des tribunaux répressifs compétents en matière de (certains) délits et de contraventions De
nouveau supprimés par la loi de 1926, ils avaient été rétablis, par un décret-loi du 29 juillet 1939
sous le nom de TMC, en n’ayant plus que pour mission de juger des délits intéressant directement
l'ordre à bord et les affaires purement nautiques.

Leur composition en tant que TMC avait été modifiée à la suite d’une loi du 24 août 1993, puis
d’une décision du Conseil constitutionnel. 293. Leurs règles de procédure (pas d’appel ; pas de
défaut ; pas d’action civile) n’allaient pas de soi et l'autorité au pénal comme au civil des leurs
décisions avait l’objet de contestations 294. Les hésitations tenaient à la nature (pénale ou
disciplinaire ?) de la juridiction, à l'étroitesse de sa compétence et à la façon de procéder devant
elle. Les raisons d’une réforme étaient donc rassemblées. Ce fut l’œuvre de l’ordonnance de
2012.

Manifestant leur méfiance à l’égard de ce qui était considéré, à tort, comme une juridiction
d’exception295, les pouvoirs publics ont donc jugé bon de transformer les TMC en Tribunaux
maritimes (TM) et en même temps d’en rationaliser l’implantation, l’organisation et le
fonctionnement, tout en modernisant les règles de procédure et de compétence.

Les TM ne sont jamais compétents en matière criminelle.

Ils connaissent, en principe,


- de tous les délits maritimes, c’est-à-dire des délits définis dans la cinquième partie du Code des
transports296 ;
- des délits prévus à l’art. 30 de la loi n° 68-1181 du 30 déc. 1968 relative à l'exploitation du
plateau continental et à l'exploitation de ses ressources naturelles ;
- des contraventions connexes aux délits maritimes au sens de l’art. 203 C. pr. pén., étant précisé
que les contraventions maritimes sont énumérées par l’art. 17 de l’ordonnance de 2012.297

Il est institué un TM auprès de TGI ou de tribunaux de première instance. La liste, le siège et le


ressort des TM sont fixés par décret.

292
V. Ph. Delebecque, Les Tribunaux de l’Amirauté, Aix-Marseille, 1976.
293
Cons. const. 2 juill. 2010, n° 2010-10 QPC du, D. 2010. 1289, RSC 2011. 193, obs. C. Lazerges, RTD civ. 2010.
517, obs. P. Puig ; égal. L. Briand, TMC et procès équitable, dernier acte, DMF 2010. 999 ; JB. Charles, QPC et droit
maritime, RD transp. 2010, n° 9.
294
 R. Garron, L'autorité de la chose jugée au tribunal maritime commercial, Travaux et mémoires de la Faculté de
droit d'Aix-en-Provence, 1964. Abordage n° 442.
295
Cf. JP. Bloch, Le TMC : un Tribunal qu’il faut maintenir en le modernisant, DMF 2004. 690.
296
À l’exception de ceux mentionnés aux art. L. 5111-2, L. 5111-3, L. 5142-8, L. 5241-15, L. 5273-1, L. 5273-2, L.
5273-3, L. 5336-10, L. 5336-11, L. 5531-6, L. 5531-7, L. 5531-8, L. 5531-9, L. 5531-11, L. 5531-14, L. 5531-14-1,
L. 5542-50, L. 5542-51, L. 5542-52, L. 5542-53, L. 5542-54 et L. 5542-55, L. 5642-1 et L. 5642-2.
297
« Art. 17.-Les contraventions maritimes sont celles qui sont prévues en matière de :
1° Sécurité de la navigation maritime ; 2° Sécurité des personnes et des biens à bord des navires ; 3° Sécurité des
navires ; 4° Prévention de la pollution par les navires ; 5° Sûreté des navires ; 6° Documents de bord et titres de
navigation maritime ; 7° Composition des équipages des navires ; 8° Obligations professionnelles des marins et
discipline à bord ; 9° Santé et sécurité au travail, conditions de travail et de vie des gens de mer à bord des navires. »
94
Le TM territorialement compétent est celui dont la compétence résulte de l'application des
articles 43, 52, 382 et 706-42 du Code de procédure pénale ou qui comprend dans son ressort
selon le cas :
- le port d'immatriculation du navire ;
- le port ou abri où le navire a été conduit ou peut être trouvé ;
- le lieu d'attachement en douane du navire ;
- le port ou abri de débarquement de la personne mise en cause ;
- le lieu d'implantation du centre régional opérationnel de sauvetage et de surveillance désigné
comme point de contact auprès des organisations internationales en application du code
international pour la sûreté des navires et des installations portuaires ;
- la résidence administrative de l'agent qui a constaté l'infraction.
Le procureur de la République et la juridiction d'instruction du TGI ou du tribunal de première
instance auprès duquel est institué un TM exercent, sur toute l'étendue de son ressort, une
compétence exclusive pour l'enquête, l'instruction et la poursuite des délits maritimes définis à
l'article 2 et des contraventions connexes.
« Ils exercent une compétence concurrente à celle qui résulte de l'application des articles 43, 52,
382 et 706-42 pour l'enquête, l'instruction et la poursuite des seuls délits prévus par les articles
221-6, 221-7, 222-19, 222-20, 223-1, 223-6, 223-7, 322-1, 322-2, 322-3 et 434-10 du code pénal
lorsqu'ils sont connexes à un délit maritime au sens de l'article 203 du Code de procédure
pénale. »
La poursuite des délits maritimes est exercée par le procureur de la République du tribunal de
grande instance ou du tribunal de première instance auprès duquel est institué un TM.
Le TM est composé de trois magistrats, dont le président, désignés par le président du TGI ou du
tribunal de première instance auprès duquel il est institué et de deux assesseurs maritimes.
Le nombre d'assesseurs maritimes pour chaque TM est fixé par arrêté du ministre de la justice.
Les assesseurs maritimes sont choisis parmi les personnes âgées de plus de trente ans, de
nationalité française, jouissant des droits civils, civiques et de famille. Ils sont inscrits sur une
liste pour une durée de cinq ans non renouvelable. Avant d'entrer en fonction, les assesseurs
maritimes prêtent serment, devant le TGI auprès duquel est institué le tribunal maritime, de bien
et fidèlement remplir leurs fonctions et de garder le secret des délibérations. Les assesseurs
maritimes d'un tribunal maritime doivent résider dans le ressort de celui-ci et répondre des
conditions de moralité. Des règles de récusation assez précises doivent également être observées.

Sont habilités à constater les infractions maritimes les fonctionnaires et agents mentionnés aux 1°
à 10° de l'article L. 5222-1, ainsi que les agents des douanes.
Les infractions maritimes mentionnées aux articles 2 et 17 sont poursuivies, instruites et jugées
conformément aux règles du C. pr. pén. et de la cinquième partie du Code des transports. Les
procès-verbaux d'infraction maritime font foi jusqu'à preuve du contraire. Ils sont établis en deux
exemplaires dont l'un est transmis au procureur de la République et l'autre au directeur
interrégional de la mer responsable du service dans le ressort duquel l'infraction a été commise.
La poursuite des contraventions maritimes des quatre premières classes est exercée par le
directeur interrégional de la mer ou le fonctionnaire qu'il désigne, sous l'autorité du procureur de
la République, dans les conditions prévues à l'article 44 du Code de procédure pénale. Le
procureur de la République peut occuper les fonctions du ministère public à la place du directeur
interrégional de la mer chaque fois qu'il l'estime opportun.

95
SECTION 2. LES JURIDICTIONS COMMERCIALES

Les Tribunaux de commerce sont par excellence des juridictions maritimes. Il faut dire que le
droit maritime est avant tout du droit commercial et que les Tribunaux de commerce ont
compétence en matière commerciale. Leur composition a été parfois remise en cause, on ne sait
trop pourquoi : toujours est-il que cette question n’est plus d’actualité depuis les récentes prises
de position du Conseil constitutionnel.298
Le contentieux est assez important299 et porte principalement sur les cargo claims. Les
compagnies maritimes ont pris l’habitude de donner compétence, dans leurs connaissements, au
tribunal de commerce de leur siège300. Pour le reste, les questions de fond, de procédure et
notamment d’expertise301 sont réglées, le plus souvent, harmonieusement. La compétence se
détermine, en l’absence de clause attributive, selon les critères habituels (contestations relatives
aux actes de commerce entre toutes personnes). C’est la loi qui détermine ce qu’il faut entendre
par actes de commerce maritimes.

L’essentiel des activités maritimes privées est visé par le Code de commerce qui répute actes de
commerce (L. 110-2)302 :
1° Toute entreprise de construction et tous achats, ventes et reventes de bâtiments pour la
navigation intérieure et extérieure ;
2° Toutes expéditions maritimes ;
3° Tout achat et vente d’agrès (biens mobiles nécessaires à la manœuvre), apparaux (biens fixes)
et avitaillements ;
4° Tout affrètement ou nolissement, emprunt ou prêt à la grosse ;
5° Toutes assurances et autres contrats concernant le commerce de mer ;
6° Tous accords et conventions pour salaires et loyers d’équipages ;
7° Tous engagements des gens de mer pour le service de bâtiments de commerce.
L’énumération est limitative et a toujours fait l’objet d’une interprétation stricte. Ainsi, le code
répute acte de commerce « … toutes expéditions maritimes… tout affrètement ou
nolissement… ». Est-ce à dire que la navigation de plaisance soit un acte de commerce et que le
transport de son mobilier par un fonctionnaire qui s'expatrie soit un acte de commerce ? La
réponse est négative. Les travaux préparatoires du Code de commerce 303 montrent que très
consciemment les rédacteurs ont voulu soumettre l'ensemble de l'activité maritime à la
réglementation des actes de commerce. Dans ses observations sur l'ex-article 633, le tribunal
d'appel de Paris (la future cour d'appel) déclare que le passage de la femme d'un fonctionnaire de
France à Saint-Domingue peut être considéré comme un acte de commerce, bien que l'acte ne soit
commercial que pour le transporteur, car il convient de juger avec célérité toute affaire maritime
comme seule à l'époque la procédure du tribunal de commerce le permettait. Cette explication a

298
Cf. Cons. const. 4 mai 2012, n° 2012-241 QPC.
299
Ce qui n’est pas propre à la France, v. C.N. Meeson et J.A. Kimbell, Admiralty Jurisdiction and Practice,
Lloyd’s Shipping Law Library, 2011 – D.C. Jackson, Enforcement of maritime claims, Lloyd’s Shipping Law
Library, 2005.
300
Le connaissement de ligne CMA donne compétence au TC de Marseille où siège une chambre des transports.
301
V. Th. Desmarais, À propos de l’expertise maritime, Gazette CAMP, n° 32.
302
Le texte est très proche des art. 1 et 2 du titre 1 de l’Ordonnance de la Marine.
303
 Examinés par MM. de Juglart et du Pontavice au JCP 1966. II. 14684, à propos de l'incompétence d'attribution
des tribunaux de commerce en matière de navigation de plaisance.
96
été perdue de vue au cours du XIXe siècle et on est venu à penser que le Code de commerce n'avait
songé qu'aux situations courantes : à l'exploitation commerciale du navire ; aux transports de
marchandises par des importateurs et des exportateurs de métier… Comme en matière terrestre, il
est admis que celui qui traite avec un armateur pour le transport de son mobilier ne fait pas un
acte de commerce et peut assigner l'armateur devant le tribunal civil 304. Il en est de même pour les
passagers, dont l'article L. 110-2 ne parle d'ailleurs pas. C'est devant les tribunaux civils que sont
couramment portées les actions en dommages-intérêts qui suivent les naufrages de paquebots ou
les accidents corporels.

La jurisprudence récente n’est pas très fournie sur la question, mais il reste possible de dire
qu’elle s’en tient à une interprétation stricte du texte 305. On aura l’occasion de le vérifier
également en envisageant la situation de la plaisance et de la pêche (v. ss 490).

Le droit maritime s’est longtemps distingué des autres matières en raison des courtes
prescriptions qu’il institue. La question a perdu de son importance depuis que le délai de droit
commun a été ramené à 5 ans, ce qui vaut aussi en matière commerciale. Toutefois, les textes
continuent prévoir des prescriptions courtes. Ainsi (cf. C. com., art. L. 110-4), sont prescrites
toutes actions en paiement :
- pour nourriture fournie aux matelots par l’ordre du capitaine, un an après la livraison ;
- pour fourniture de matériaux et autres choses nécessaires aux constructions 306, équipements307 et
avitaillements du navire, un an après ces fournitures faites308 ;
Le Code de commerce ajoute que les actions en paiement des salaires des officiers, matelots et
autres membres de l’équipage se prescrivent par 5 ans, ce qui n’est aujourd’hui que le rappel du
droit commun.

Le recours à l’arbitrage309 est fréquent en matière maritime. C’est pratiquement un usage dans les
contrats d’affrètements ou encore de construction. Les compromis sont rares et le plus souvent les
arbitrages se développent sur le fondement de clauses compromissoires proposées par les
organisations professionnelles d’armateurs. L’arbitrage ad hoc se pratique, mais l’arbitrage
institutionnel est, de loin, le plus répandu. La place de Londres a, à cet égard, une influence
essentielle : la LMAA310 ayant un rôle de premier plan, ce qui ne veut pas dire que d’autres
304
Pour un passager : Req. 11 janv. 1860, DP 1860, 1, 91.
305
L’activité de construction de navire n’est commerciale que si elle est effectuée en entreprise : Rouen 30 mars
2006, JCPE 2006. 1377 – De même en est-il des expéditions maritimes : Com. 22 déc. 1958, DMF 1959. 217 –
L’affrètement n’est commercial pour l’affréteur qu’autant qu’il se rattache à des opérations de commerce : Req. 30
juill. 1884, DP 1885, 1, 193 ; égal pour un affrètement conclu par l’État en vue du transport de denrées nécessaires
au ravitaillement de l’armée : Paris 26 oct. 1927, DP 1928. 2. 205 ; ou encore par l’ONIC : Aix-en-Provence 16 oct.
1951, D. 1951. 676 – La nature maritime d’une vente CAF ou FOB ne suffit pas à la faire considérer comme
commerciale : CA Alger 19 nov. 1952, D. 1954. 541, note Chauveau.
306
Ce que n’est pas une vente à livrer : Com. 9 avr. 1991, BT 1991. 364. Sauf impossibilité absolue d’agir, l’action
en paiement du prix de travaux de réparations effectués sur un navire se prescrit dans un délai d’un an à compter de
leur réception : Com. 14 janv. 1997, Bull. civ. IV, n° 16 ; égal. Com. 8 janv. 2008, n° 06-17.357, pour la réparation
du moteur d’un navire de pêche ; v. aussi, A Poitiers 12 déc. 206, RD transp. 2007, n° 140, obs. Staes.
307
Aix 8e ch. B, 6 mars 2009, n° 07/09138 : équipements de télétransmission et de télénavigation.
308
La disposition ne concerne que le commerce maritime : Civ. 3e, 10 oct. 2007, D. 2007. 2677, obs. Delpech, JCP
2008, II, 10089, note Lebel ; égal. Civ. 3e, 2 mars 2010, JCP 2010. 404, note Lebel, DMF 2010, HS 14, n° 29.
309
L’arbitrage peut être classé au sein des juridictions commerciales, car il fonctionne sur le modèle des tribunaux
de commerce, la procédure étant orale. Il faut naturellement réserver les questions d’imperium.
310
C. Ambrose, K. Maxwell et A. Parry, London maritime arbitration, Lloyd’s Shipping Law Library, 2009.
97
chambres n’aient pas leur place311. On pense naturellement à la CAMP312. L’arbitrage est ici
professionnel : il fonctionne sur la base de listes d’arbitres reconnus pour leur expérience et leur
compétence. Il est certain que sens de la navigation, la technicité de l’ingénierie maritime ou
encore l’intelligence des chartes-parties qui sont au cœur des litiges requiert de la « bouteille ».
D’où une réelle spécificité de l’arbitrage maritime313 qui est généralement mal comprise par les
non spécialistes.
On doit en tout cas aux affaires maritimes une contribution précieuse au droit de l’arbitrage314.

311
Les différents congrès ICMA l’attestent (v. Gazette CAMP n° 29).
312
V. site arbitrage. maritime. org – v. égal., Gazette CAMP.
313
R. Jambu-Merlin, L’arbitrage maritime, in Études offertes à René Rodière, Dalloz 1982, 401 ; égal. L’arbitrage
maritime international, in Le droit international économique à l’aube du XXI e siècle : Mélanges en hommage aux
professeurs Carreau et Julliard, Pédone 2007, p. 167. V. encore, F. Berlingeri, Arbitrage maritime et Règles de
Rotterdam, Mélanges Scapel, PUAM 2013, p. 67.
314
Droit du commerce international et droit maritime, Mélanges Jacquet, LexisNexis 2013, p. 171, spéc. 179 ; égal.
Com. 24 avr. 2013, DMF 2014. 132, compétence arbitrale et conséquences préjudiciables d’une saisie. Plus général.,
B. Harris, L’avenir de l’arbitrage, Gazette CAMP, n° 17. Comp. F. Arradon, Les dérives de l’arbitrage maritime,
Gazette CAMP, n°20.
98
TROISIÈME PARTIE
L'EXPLOITATION DU NAVIRE

Sans parler de la recherche scientifique et de l’exploitation sous-marine, les navires ont trois
finalités principales : la plaisance, parfois sportive, la pêche et les transports marchands (v. ss 490
s.). Ce sont là les modes d'exploitation du navire les plus répandus. Le premier répond à une
activité civile ; le deuxième à une activité intéressée de nature mi-civile mi-commerciale ; le
troisième à une activité commerciale. Pour les navires de plaisance, on ne peut pas vraiment
parler d' « exploitation », expression qui a une connotation commerciale, sauf pour ce qu’il est
convenu d’appeler la grande plaisance ; il n'en sera que peu question dans cette troisième
partie315. Quant aux navires de commerce et de pêche, ils posent d'abord le problème de la
structure des entreprises qui les exploitent.
Pour être exploité, le navire doit être doté d'un certain personnel. On a vu comment l'équipage
était formé et recruté, et on l'a considéré en tant que personnel technique du navire (v. ss 316). Ici
c'est sous l'angle de l'exploitation commerciale du navire qu'il faudrait l'étudier. Dans l'équipage
embarqué, seul le capitaine a encore quelques – maigres - fonctions commerciales, sur lesquelles
nous ne reviendrons pas ou peu. Mais à côté du personnel embarqué, d'autres personnes
concourent à l'exploitation du navire de commerce : les transitaires, les consignataires, les
agents… dont on ne peut pas ne pas traiter.
Quant à l'exploitation du navire, en elle-même, elle trouve son expression dans les opérations
dont le navire est l’instrument. Ces opérations s'analysent en des affrètements ou en des
transports.

Cette partie sera ainsi divisée en trois titres : Les formes juridiques de l'exploitation, Le personnel
d'exploitation, Les opérations principales d'exploitation.

315
Sur les compétitions, v. MM. Rizzo et alii, Droit du sport, LGDJ, 2012.
99
TITRE 1

LES FORMES JURIDIQUES DE L'EXPLOITATION

Le mot armement (du bas latin, armamentum) a trois acceptions. C'est d'abord la collectivité des
armateurs  ; on dira par exemple que l'armement français est défavorisé dans la compétition
internationale en raison de telle ou telle donnée. C'est ensuite l'opération qui consiste à équiper un
navire et de le mettre en état de prendre la mer ; dans cette acception, le mot a son antonyme qui
est le désarmement ; c'est en ce sens qu'on dira qu'un navire est désarmé ou qu'il est armé au
« long cours » ou à la grande pêche. L’armement désigne enfin l'ensemble des opérations qui
constituent l'exploitation du navire ; armer un navire, c'est alors l'exploiter, et l'armateur en est
l'exploitant. Comme on le verra, l'armateur n'est pas toujours propriétaire du navire. Le Code des
transports, rappelons-le, précise qu’un navire est « armé lorsqu’il est pourvu des moyens
matériels, administratifs et humains nécessaires à l’activité maritime envisagée » (art. L. 5000-4).
Les « moyens matériels » visent le navire et son équipement, les « moyens administratifs » les
autorisations requises (permis, certificats…) et les « moyens humains » l’équipage. Si l’on met de
côté, les activités de recherche scientifique, cela renvoie à trois types d’armement : la plaisance,
la pêche et le commerce. Il faut présenter ces trois types d’armement avant de développer
l’armement au commerce qui, contrairement aux précédents, est au centre du droit maritime
commercial.

100
CHAPITRE 1
L'EXPLOITATION PAR DES GROUPEMENTS PRIVÉS

Les navires sont aujourd’hui le plus souvent exploités par des groupements privés et spécialement
par des sociétés commerciales. En droit français, il n’existe pas de société maritime en tant que
telle. Ce sont les sociétés de droit commun, anonymes (ordinaires ou simplifiées) ou à
responsabilité limitée, qui servent de structure. Ce sont parfois des sociétés de façade, du moins
des sociétés qui n’ont pour patrimoine que le navire qu’elles exploitent. Le droit maritime connaît
cependant un groupement qui lui est propre : la copropriété de navire dont le régime est très
ancien, en tout cas beaucoup plus ancien que celui de la copropriété immobilière.

101
CHAPITRE 2
L'EXPLOITATION DES NAVIRES DE COMMERCE ET L'ÉTAT

L'intervention de l'État316 tient d'abord à la nécessité pour une grande Nation d'avoir une flotte
marchande puissante ; ensuite à certains handicaps d'ordre économique (parce que la France n'a
guère de produits lourds à exporter) et surtout social, parce que la législation française est
coûteuse sous ce rapport. Enfin, il ne faut pas oublier que derrière le transport s’est toujours
dissimulée une idée de service public. Le transport n’est pas une activité commerciale aussi libre
que le négoce de marchandises. Le transport présente en effet des enjeux déterminants pour
l’économie nationale.

Les modalités de l'intervention de l’État sont diverses :


— monopole de pavillon ;
— subventions postales ;
— soutien financier aux sociétés d'économie mixte et plus largement primes à l'armement ou à la
construction ;
— enfin, gestion directe de la flotte317.
L'intervention de l'État est moins nuancée quand il s'agit d'organiser les transports en vue de la
défense nationale318.

316
Pour plus de détails sur la variété des interventions de l'État, voy. Rodière, Traité préc, n°s 333 et 342 et 366 à
375. v. aussi, d'un point de vue historique, M. Flepp, L'intervention de l'État dans l'exploitation de la marine
marchande, thèse Paris, 1948, dactyl. ; P. Bauchet, Réflexions sur l'intervention de l'État dans le transport maritime
et aérien international, in Annales IMTM 1985. 159 ; Loubigniac, Le contexte concurrentiel des transports maritimes,
Annales IMTM 1985. 171. Beaucoup plus pesante est aujourd'hui non pas l'intervention de l'État du pavillon sur sa
propre flotte, mais l'intervention des États dans le trafic maritime. « Les pays en développement avaient obtenu,
grâce au Code de conduite (v. ss 530), 40 % au moins et 50 % le plus souvent du trafic des conférences » (v. (J.
Ribière, Discussion lors du colloque de Rochefort précité sur Colbert, JMM, 27 oct. 1983, p. 2303).
317
V. M. Ndendé, Les armements d’État et leur participation au transport maritime, thèse Brest 1992.
318
V. Décr. 65-1103 du 15 déc. 1965, mod. Décr. 71-421 du 22 mai 1971, D. 1971, L. 233 ; égal. Rocquemont,
JMM 1974. 301.
102
CHAPITRE 3
L'EXPLOITATION COMMERCIALE DES NAVIRES EN COMMUN

L’armateur est celui qui exploite un navire en toute indépendance. Peu importe sa taille, sa
structure, son organisation. Peu importe qu’il soit ou non propriétaire du ou des navires qu’il
exploite. L’important est qu’il ait la responsabilité du navire et qu’il en assure l’exploitation. Il lui
appartient donc de former un équipage, de gérer les aléas d’une activité et d’en assurer la
continuité, dans un environnement souvent difficile. Les risques auxquels il est exposé sont
nombreux : volatilité du fret ; risques de la mer ; risques commerciaux… On comprend que les
armateurs cherchent ainsi à se diversifier et à externaliser une partie de leurs activités. D’où des
situations très variées où les armateurs propriétaires et non propriétaires se côtoient, où les
exploitants eux-mêmes délèguent certaines de leurs tâches ou au contraire se superposent. Tout
ceci débouche sur une question essentielle qui est de savoir si la qualité d’armateur se divise. En
d’autres termes, la notion de co-armateur a-t-elle un sens ?
Voyons comment le problème se pose, avant de suggérer certaines réponses.

SECTION 1. LE CO-ARMEMENT : UN PHÉNOMÈNE ÉCONOMIQUE

I.Propriété et affrètement

La flotte exploitée par un armateur est souvent partagée entre propriété et affrètement.
L’armateur « travaille » régulièrement avec le navire des autres. C'est une solution que le Code de
commerce n'avait pas prévue, le législateur n'ayant pensé qu'à la situation dans laquelle
l’armateur est en même temps le propriétaire du navire.
Cependant le doublement n’est pas rare : ainsi en est-il en période de crise, par le procédé de la
réquisition ; en période de paix, par la location que consent un propriétaire dont le tonnage se
trouve momentanément excéder ses possibilités d'exploitation.

Dans une stricte acception des mots, l’exploitation par un autre que le propriétaire n’est
caractérisée que dans les situations où le propriétaire du navire n'a conservé aucune part, aucun
intérêt dans cette exploitation (cf. crédit-bail ; affrètement coque-nue). Dans une acception moins
stricte, on admettra qu'il y a exploitation par autrui, même dans les cas où le propriétaire a
conservé un intérêt à l’exploitation et y collabore partiellement. Ainsi, il est une opération qui
consiste pour un propriétaire à armer techniquement son navire, à l'équiper et à l'affréter dans cet
état pour un certain temps : cela renvoie au time-charter (v. ss 643). En pareil cas, il n'y a pas
exploitation par autrui au sens strict, mais elle existe dans un sens plus large.

II.Diversité des situations

Les navires Handy size, entre 30 et 48 000 t., de 20 à 40 millions d’USD, intéressent de
nombreux professionnels. Ils sont interchangeables, parfaitement équipés, peuvent charger et
décharger eux-mêmes les marchandises. Ces navires, sur lequel on peut raisonner, sont exploités
par des armateurs très divers. D’abord par des armateurs traditionnels s’en rendant propriétaires
et jonglant ensuite au mieux, avec leurs clients, entre l’affrètement au voyage et l’affrètement à

103
temps. Ces armateurs disposent donc de navires en propriété avec leur équipage et assurent eux-
mêmes l’entretien et le service technique. Ils n’hésitent pas non plus à revendre leurs navires
lorsque l’occasion se présente.

Le marché comprend aussi des armateurs occasionnels qui ont pour seul souci de faire des profits
en achetant et revendant des navires et de bénéficier d’avantages fiscaux. Il peut s’agir
d’établissements financiers récupérant un navire hypothéqué auprès d’un armateur traditionnel en
difficulté ou bénéficiant d’un pacte commissoire astucieusement stipulé. Ces armateurs ne
s’impliquent pas dans la gestion du navire et cherchent uniquement des faire-valoir.

Les armateurs des navires en question sont enfin des opérateurs qui ont besoin de compléter leur
flotte en propriété en recourant aux navires des autres. Certains d’entre eux sont même des
opérateurs purs, car ils se bornent à prendre des navires sur le marché dans le cadre
d’affrètements à temps et à les employer dans des conditions optimales. Leur profit tient dans la
différence entre la prise du navire (sa prise en location) et le rendement du marché lui-même.

Il est certain que l’activité de ces opérateurs est fluctuante et très exposée 319. Elle suppose de
connaître les clients et les taux de fret, de savoir parfaitement gérer la relation avec le
propriétaire, de mettre en musique la distinction entre la gestion nautique et la gestion
commerciale, de maîtriser les transports en retour en recourant au besoin eux-mêmes à
l’affrètement, de définir une politique économique sérieuse avec des relations fiables. La
possibilité de donner des instructions à l’équipage est également essentielle.

III. Division des tâches. Management

De façon générale, dans l'armement moderne, outre l'affrètement, qui est traditionnel, on
constate une remarquable division des tâches. Une autre dialectique importante tient au choix de
recourir ou non à des agences (des représentants dans les ports de chargement ou de
déchargement). Dans le marché du vrac, cette alternative est cependant moins déterminante que
dans celui du conteneur. C’est souvent une autre problématique qui se présente. En effet, les
armateurs traditionnels ou encore simples opérateurs se trouvent conduits à recourir aux services
de managers320. C’est vrai s’agissant du recrutement des équipages (v. ss 309). C’est vrai aussi
pour le navire lui-même (égal. v. ss 520). Le ship management est devenue une réalité.321
Les sociétés de ship management sont des sociétés spécialisées qui se chargent d’une partie des
opérations de gestion : réparations des navires ; visites ; approvisionnements divers ; assurances.
Les pouvoirs confiés à ces sociétés peuvent être restreints ou au contraire très larges : la palette
des missions est très ouverte et peut porter sur la seule gestion commerciale du navire ou être tout
à fait générale. La liberté contractuelle est ici reine.

IV. Identification de l’armateur


319
D’où des spéculations notamment sur les taux de fret, v. J.-Y. Grondin, Le shipping et les marchés à terme,
Gazette CAMP, n°18.
320
Lesquels se présentent a priori comme des mandataires. En réalité, il faudrait plus exactement parler de contrat
de gestion dont la qualification est proche de celle du mandat : P. F. Cuif, Le contrat de gestion, Economica 2001,
préf. L. Aynès.
321
V. P. Corbier, op. cit. ; Bonassies et Scapel, n° 279.
104
Dans les situations que l’on vient d’exposer – armateur opérateur de navire ; ship management –
le problème juridique est toujours le même : il est dans l’identification de l’armateur. Lorsqu’un
opérateur recourt aux services d’un navire dont il n’est pas propriétaire, prend-il en même temps
la qualité d’armateur ? Lorsqu’un armateur s’adosse à un ship manager conserve-t-il sa qualité ?
Rien ne s’oppose au transfert de la qualité d’armateur. La loi ne l’interdit pas (art. L. 5541) 322. On
parle alors d’affrètement avec dévolution (avec demise). Mais, n’est-ce pas là un moyen bien
commode offert armateur lui permettant de se dérober à ses obligations323 ?
À supposer la loi française applicable (ce qui n’est généralement pas le cas), les ship managers
sont aujourd’hui responsables en tant que mandataires. À l’égard des tiers, ils n’ont en principe
aucune responsabilité, sauf en cas de faute au sens de l’art. 1382 C. civ. Leur responsabilité
délictuelle pourrait venir doubler la responsabilité de l’armateur. Il en irait cependant
différemment si le contrat de management avait fait l’objet d’une publicité : il serait alors
opposable aux tiers,324 étant précisé que les textes français – applicables aux seuls navires
français- imposent une telle condition pour que le transfert des pouvoirs d’armateur au non-
propriétaire soit opposable aux tiers (art. L. 5411-2 ; égal. 5423-2)325.

Mais le problème n’est pas pour autant résolu, car si l’on peut admettre que la qualité d’armateur
se transmet, on peut aussi et surtout se demander si cette qualité peut ou non se diviser326.

SECTION 2. LE CO-ARMEMENT :UNE NON NOTION JURIDIQUE

I.Co-armateur

La Cour de cassation a été confrontée à la question dans un contrat d’affrètement à temps. Elle a
très clairement admis que dans un contrat de ce type la qualité d’armateur se trouve « partagée »
entre le fréteur qui conserve la gestion nautique de son navire et l’affréteur qui en a la gestion
commerciale.327 Il reste que cette décision est, à notre connaissance, encore isolée328 et qu’elle a
été rendue, comme cela a été exactement relevé329, dans une espèce portant sur une simple
question d’interprétation d’un terme anglais (owner of the ship), les Anglais ne connaissant pas le
concept d’armateur.
322
MM. Bonassies et Scapel, n° 273 s.
323
Cf. MM. Bonassies et Scapel, op. cit., n° 275, s’interrogeant sur la licéité de l’opération au regard des exigences
du droit du travail, le personnel d’un employeur, ne pouvant pas, en principe, être à la disposition d’un autre. La
légalisation des sociétés de manning n’a pas changé la donne.
324
Cf. MM. Bonassies et Scapel, n° 279 - Sur la question de la limitation de responsabilité, DMF 1994. 803.
325
Le texte parle de « publicité régulière ». D’où la question de savoir si les contrats qui ne sont pas visés (i. e. les
contrats autres que l’affrètement), sont susceptibles de publicité. Pour MM. Bonassies et Scapel, n° 276, « il serait
raisonnable de l’admettre ».
326
On relèvera qu’en droit du travail, une question analogue se pose, depuis que la jurisprudence a dégagé la notion
de co-employeur, v. Auzero, Les co-employeurs, in Les concepts émergents en droit des affaires, LGDJ 2010, p. 44 ;
égal. G. Loiseau, Co-emploi et groupes de sociétés JCP S 2011. 1528.
327
Com. 24 oct. 1999, Fatima, Bull. civ. IV, n° 197, DMF 2000. 106, rapp. Rémery, RTD com. 2001. 572.
328
V. cependant Aix-en-Provence 25 févr. 1979, Ann Bewa, DMF 1980. 51, obs. crit. Bonassies, considérant que les
tiers victimes d’un incendie déclaré bord d’un navire affrété temps et consécutif des opérations d’arrimage de la
marchandise n’avaient aucune action contre le fréteur à temps, dans la mesure ce dernier n’était pas le commettant du
capitaine pour les opérations de chargement, opérations de chargement relevant de la seule gestion commerciale du
navire.
329
MM. Bonassies et Scapel, n° 278.
105
II.Critique

La meilleure doctrine s’est exprimée sur cette question et a fait observer que la qualité
d’armateur ne saurait se diviser : « dans l’affrètement à temps, la dissociation des responsabilités
de l’armateur à l’égard des tiers, les unes sur la tête du fréteur (s’agissant de la gestion nautique),
les autres sur la tête de l’affréteur (s’agissant de la gestion commerciale) est très contestable…
dans un domaine où la sécurité des tiers est en jeu, il est très dangereux d’admettre une telle
dissociation ». C’est le bon sens même dont les textes de l’ISM (v. ss 268) se font l’écho en
laissant clairement entendre que les règles de sécurité si elles peuvent se déléguer, ne sauraient se
partager. Le co-armement n’est pas donc pas une notion juridique acceptable ni même
concevable.

Les difficultés que nous venons d’aborder sont étroitement liées à une question plus
fondamentale qui est de savoir si l’armateur est dans une situation statutaire ou contractuelle 330. Il
faut observer que les règles de l’affrètement sont avant tout contractuelles et soumises à la
relativité des conventions. La distinction de la gestion nautique et de la gestion commerciale
intéresse avant tout les parties et ne devrait intéresser que les parties contractantes. Il faut ajouter
que la qualité d’armateur a d’autres aspects et concerne non seulement les parties, mais aussi les
tiers. C’est la raison pour laquelle elle doit être certaine. Et c’est pour cela que la loi (française)
impose, en cas de transfert, une publicité qui renvoie à la situation des tiers. Il reste que cette
question est récurrente et nous la retrouverons dans les analyses sur l’affrètement et sur la portée
de la distinction entre la gestion nautique du navire et sa gestion commerciale.

330
P. Bonassies, Statut et contrat dans le droit maritime, Mélanges Scapel, PUAM, 2013, p. 105.
106
TITRE 2

LE PERSONNEL D'EXPLOITATION 331

Le capitaine, à côté de ses fonctions techniques (v. ss 331) et de sa qualité de chef de la société
du bord (v. ss 448), reçoit une certaine mission commerciale qui en fait un agent d'exploitation du
navire. Quoiqu'il n'ait pas d'attributions autres que d'ordre technique, le pilote apparaît aussi
comme un agent de l'exploitation du navire.
À côté de ces personnes, l'armateur fait appel à d’autres agents dont les fonctions devront être
définies : consignataires, transitaires, agents maritimes, courtiers, acconiers… Le rôle juridique
de ces divers auxiliaires n'est pas toujours facile à comprendre, car leurs fonctions s'entremêlent ;
la même entreprise assume une fonction, puis une autre. Les entreprises sont ici polyvalentes 332. Il
n'est pas toujours aisé en fait de savoir à quel personnage l’on a affaire et la qualification de telle
ou telle de leurs diverses activités n'en est pas facilitée. Sous le bénéfice de ces remarques 333, ce
titre sera divisé en deux chapitres : le premier sera consacré aux auxiliaires du navire, le second
aux auxiliaires de la marchandise.

331
 V. Rodière, Traité, Introduction et Armement, 1976, no 576 s.
332
Cf. MM. Bonassies et Scapel, n° 641.
333
v. égal. les règles transversales sur la lutte anti-corruption, cf. V. Beglé, Due diligence anti-corruption ;
vérifications préalables sur certains intermédiaires dans l’industrie du transport, RD transp. sept. 2012, n° 3.
107
CHAPITRE 1
LES AUXILIAIRES DU NAVIRE

Les auxiliaires du navire étaient relativement peu nombreux à l’époque du Code de commerce,
parce que le personnel du bord accomplissaient les tâches les plus variées et notamment la
manutention. Ces tâches se sont diversifiées au fur et mesure des progrès techniques. Elles se sont
aussi, en grand partie, externalisées. Ce sont aujourd’hui les pilotes, les entreprises de
remorquage et les entreprises de manutention qui sont chargées d’aider matériellement le navire
et son armateur. Les autres personnels, comme les agents maritimes, se présentent plus
exactement comme des mandataires en charge d’opérations juridiques334. Quant aux courtiers, ils
ont perdu leur monopole, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’aient plus d’activités.

SECTION 1. PILOTES

Le pilotage consiste dans l’assistance donnée aux capitaines par un personnel commissionné par
l’État, pour la conduite des navires à l’entrée et à la sortie des ports, dans les ports et dans les
eaux maritimes des estuaires, cours d’eau et canaux (art. L. 5341-1). L’existence des pilotes est
aussi ancienne que celle de la navigation maritime 335. La profession est l’une des plus belles et
des plus nobles qui soit, car il s’agit de servir un navire. Elle présente aussi de multiples facettes,
car les pilotes sont un maillon essentiel dans le l’expédition maritime et ce sont aussi
des armateurs : ils exploitent une ou plusieurs pilotines avec leur propre personnel.

Ces impératifs ont toujours conduit à distinguer deux types de pilote :


Le pilote portuaire, d’une part, qui est le pilote lamaneur (loci manes ou locman, hommes du
lieu) d'autrefois336, le personnage dont la présence à bord est nécessaire pour guider le navire à
l'entrée et à la sortie des ports ou des rivières.
Le pilote hauturier, d’autre part, qui est appelé à intervenir en haute mer337.

L'organisation du pilotage portuaire a été remaniée par une loi du 28 mars 1928 qui a codifié les
textes antérieurs et reçu généralement l'interprétation que la jurisprudence en avait donnée. De
nombreux articles de cette loi ont été modifiés par le décret n° 515 du 19 mai 1969 et par les
décrets n° 332 du 26 avril 1974 et n° 976 du 18 septembre 1978. La loi n° 8 du 3 janvier 1969,
relative à l'armement et aux ventes maritimes a consacré les articles 18 et 25 aux pilotes : ce texte
n’a apporté que peu de changements au régime antérieur, mais, outre quelques détails de
modification, il a comblé les lacunes du statut antérieur des pilotes (cette loi abroge l'article 7 de
la loi du 28 mars 1928 sur le régime du pilotage ainsi que la loi du 14 mars 1935 sur la

334
Rappr. MM. Bonassies et Scapel, n° 64 s. qui distinguent les auxiliaires du navire ayant une activité
principalement matérielle et ceux qui ont une activité principalement juridique.
335
Certains pilotes ont joué un rôle important dans les découvertes maritimes. L’un d’eux, Martin Vincente, fut
l’inspirateur de Christophe Colomb.
336
Cf. Ord. de la Marine, livre IV, titre III. Un fragment d’Ulpien (rapporté au Digeste XIX II, 13, § 2) fait allusion
aux pilotes en engageant la responsabilité du maître du navire qui sine gubernatore in flumen navem immiserit.
337
 Les Consulats de la mer se préoccupaient essentiellement du pilote hauturier, chargé de la direction technique de
l’expédition maritime (Pardessus, Collection des lois maritimes antérieures au XVIIIe s. t. II, p. 250). .
108
responsabilité des pilotes). L’ensemble de ces dispositions ont été reprises dans le Code des
transports aux articles L. 5341-1 à 18.
Le pilotage portuaire est, depuis 1869, obligatoire pour tous les navires 338 français ou étrangers, à
l'exception : 1° des bâtiments de servitude des ports (dragues, chalands, remorqueurs…) ; 2° des
navires dont la longueur ne dépasse pas un « certain seuil » fixé pour chaque station en fonction
des conditions locales d'exécution des opérations de pilotage (en général 50 m. de long) ; 3° des
navires dont le capitaine ou le second capitaine a obtenu une licence de capitaine pilote du port
considéré.339 L’activité de pilotage portuaire échappe aux contraintes du droit européen340.

SECTION 2. ENTREPRISES DE REMORQUAGE

Le mutisme du Code de commerce s'expliquait par l'inexistence de l'industrie du remorquage


avant que la machine à vapeur ne fût inventée et mise au service de la navigation maritime. La
sortie des ports était une opération dangereuse et surtout chanceuse, car les ports bien abrités ne
recevaient précisément pas de vent et les navires étaient retenus au port faute de pouvoir aller
chercher le vent à quelques milles. L'un des procédés les plus utilisés était de se faire tirer par un
bâtiment à rames, mais il en fallait de forts lorsque le navire était un navire marchand. Aussi
était-ce un service qu'on attendait spécialement des navires de guerre. À l'entrée, le problème était
facilité : on se halait sur un corps mort ou sur une bitte d'amarrage fixée à terre, après s'être
approché en courant sur son erre, quand la conjonction des vents et de la marée ne l'interdisait
pas.
Aujourd'hui, le remorquage est une industrie maritime importante341. Les compagnies de
remorquage sont assez prospères342. Ce sont des armateurs soumis aux mêmes règles que tous les
armateurs, mais qui opèrent pour des services bien particuliers avec des navires spécialisés. Les
utilisations en sont diverses : remorquage des navires dans les ports pour en hâter les manœuvres
ou parfois même les permettre ; remorquage de chalands de mer, de la même manière qu'il y a
des trains de remorques fluviales ; remorquage des barques de pêche343, de plates-formes de
forage pétrolier, de docks flottants ; enfin remorquage des navires en détresse ayant besoin d’une
assistance344.

On notera que les personnels employés à bord des navires utilisés pour fournir de façon
habituelle, dans les eaux territoriales ou intérieures françaises des prestations de services de
remorquage portuaire sont soumis aux dispositions législatives, réglementaires et
conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche
338
 V. Décr. 207 du 9 mars 1970, DMF 1970. 317. Un aéroglisseur n'y est pas soumis ; T. com. Calais, 18 nov. 1969,
D. 1970. 19, note Rodière ; JCP 1970. II.16389, note de Juglart et du Pontavice ; R. Rezenthel, Le pilotage dans les
eaux portuaires, DMF 1988. 355.
339
V. Décr. 14 mars 1986, D. 1986. 357 - Quid quand une drague recourt aux services d'un pilote ? Rouen,
14 mars 1972, DMF 1972. 362.
340
v. Com. 28 nov. 2006, DMF 2007. 546, sol. impl., à propos des tarifs de pilotage ; égal. Ph. Corruble, Le droit
communautaire de la concurrence appliqué aux activités portuaires, DMF 2002, 160.
341
S. Rainey, The law of tug and tow and offshore contracts, Lloyd’s shipping law library, 3e éd. 2011.
342
En France, c’est le Groupe Bourbon qui est l’armateur de la plupart des remorqueurs en service.
343
 Remorquage en mer s'entend, car le remorquage ou plutôt la traction des barques de pêche sur la plage (par des
couples de bœufs ou des tracteurs) relève du transport ou de la traction terrestre.
344
La Marine nationale affrète ainsi des remorqueurs de grande puissance (cf. Abeille Flandre) pour ses propres
opérations. Elle frète aussi ses propres navires.
109
établies en France, autrement dit au droit du travail français (art. L. 5342-3). Il y a là une
application intéressante du droit du travail en tant que loi de police.

SECTION 3. ENTREPRISES DE MANUTENTION

Les entreprises de lamanage interviennent indépendamment de toute manutention. Ce sont des


entreprises indépendantes qui sont chargées par l’armateur des opérations d’arrimage et de
désarrimage des navires, en général en collaboration avec le remorqueur désigné et les hommes
du bord. Elles jouissent d’un monopole. On s’est un temps demandé si ce monopole était
compatible avec les exigences du droit européen. La Cour de justice a fait preuve en l’occurrence
de compréhension et d’une bonne connaissance du monde maritime, en considérant que la
réglementation nationale confiant à une entreprise portuaire le droit exclusif d’assurer le service
du lamanage n’était pas contraire aux exigences du droit de la concurrence 345. Quant aux
personnels employés à bord des navires utilisés pour fournir de façon habituelle dans les eaux
territoriales ou intérieures françaises, des prestations de lamanage, ils sont soumis aux
dispositions de l’art. L. 1262-4 du Code du travail 346. En cas de liquidation judiciaire de
l’armateur, les entreprises n’ont aucun privilège à faire valoir : les lamaneurs eux-mêmes restent
en effet sous la seule subordination juridique de la personne qui les emploie et les rétribue, c’est-
à-dire la société de lamanage347.

Les contrats passés entre les armateurs et les lamaneurs sont des contrats de louage d’ouvrage de
pur droit privé. Ils n’obéissent à aucune réglementation particulière et relèvent donc de la théorie
générale des contrats. Dans la pratique ces contrats contiennent des clauses d’exonération de
responsabilité en faveur des lamaneurs et qui les protègent en cas de dommages causés aux
navires à l’occasion d’une opération de lamanage. Ces clauses sont valables, sauf faute lourde
prouvée à l’encontre du lamaneur348.

Le consignataire du navire chargé d'opérations juridiques n'est pas celui qui effectue les
opérations matérielles de mise à bord et de déchargement, préalables à la délivrance aux
réceptionnaires. Ce soin est laissé aujourd'hui à des entrepreneurs spécialisés, les entrepreneurs
de manutention maritime appelés dans les ports du Midi les acconiers349 et dans les ports du Nord
les stevedores. Les entreprises de manutention sont confrontées aux exigences du droit de la
concurrence et à de nombreuses questions de droit privé. Pendant longtemps, la question
principale était également d’ordre social, eu égard au statut des dockers : elle a fini par se régler,
mais après bien des péripéties et des drames économiques et sociaux.

345
CJCE 18 juin 1998, DMF 1998. 859, obs. Bonassies, à propos des lamaneurs de La Spezia ; rappr. TA Nice 7 oct.
2009, DMF 2009. 856, obs. Rézenthel.
346
Ce qui signifie que les employeurs sont soumis aux dispositions légales et aux stipulations conventionnelles
applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité établies en France, en matière de
législation du travail, pour ce qui concerne les libertés individuelles, le droit de grève, le travail illégal….
347
V. Com. 29 oct. 2003, DMF 2004. 356, obs. Brajeux.
348
Rouen 21 juin 2001, Challenger, DMF 2002. 119, obs. Tassel et C. Humann ; plus général. Y. Tassel, Le régime
juridique du lamanage : sources et clauses exonératoires, DMF 2002. 99. V. encore, Rouen 22 juin 1989, DMF 1991.
262 ; Rennes 31 oct. 1989, DMF 1990. 486 ; Aix-en-Provence 14 sept. 1984, DMF 1985. 601, obs. Bonassies.
349
 F. Le Louer, L'acconier, in Annales 1985 de l'IMTM, p. 7. Pour une explication historique de la distinction entre
les ports du Midi ou ports du Levant et les autres ports français, c'est-à-dire les ports du Ponant, à cet égard,
v. Histoire de la Chambre de commerce de Marseille, in La Nouvelle revue maritime, janv. 1983, p. 62 s.
110
SECTION 4. AGENTS DE L'ARMEMENT

I.Variété

Un certain nombre de personnages qui exercent leurs fonctions à terre ou à bord, sans sortir du
port, servent d'agents de l'armateur ou de représentants des chargeurs : ils ont des fonctions
d'ordre juridique ou d'ordre matériel, souvent entremêlées. Ils agissent tantôt pour l'armateur ou le
capitaine, tantôt pour les chargeurs. Il s'agit ici de les définir d'abord par leurs fonctions.
L'analyse juridique des contrats qu'ils concluent ne pourra se parfaire qu'avec l'étude des
transports maritimes.
En fait, ces nombreux intermédiaires sont nés de l'intérêt que présente l'établissement de
documents qui, à chaque étape ou rupture de charge dans la chaîne du transport, doivent être
établis. Compte tenu, toutefois, de la « conteneurisation » progressive des expéditions maritimes
ou terrestres, les points d’étape n’ont plus la même importance qu’ils pouvaient avoir naguère ;
d’où la disparition d'un certain nombre de documents et la restructuration des activités
d’intermédiaires tournées davantage vers les aspects commerciaux que purement matériels.
Pour autant, les intermédiaires ne sont pas appelés à disparaître, car le souci d'abréger le temps
d'escale des navires continuera de susciter l'intervention de ces personnages qui accomplissent le
travail que faisait autrefois le capitaine : prendre en charge et délivrer les marchandises,
approvisionner le navire, recruter les équipages complémentaires350…

II.Le capitaine.

Le Code de commerce de 1807 voyait dans le capitaine l’agent principal de l’exploitant du


navire : il passe les contrats d’affrètement, reçoit les marchandises et en délivre reçu, engage
l’équipage, emprunte en cours de route, approvisionne le navire de tout ce qui lui est nécessaire et
va jusqu’à vendre le navire devenu innavigable. Ces pouvoirs importants expliquaient les
précautions prises pour éviter les fraudes du capitaine 351 et sa responsabilité : le capitaine était
responsable des marchandises dont il se chargeait et sa responsabilité ne cessait que par la preuve
d’obstacles de force majeure. Les textes faisaient cependant une réserve importante : si le
capitaine avait de tels pouvoirs, c’est parce qu’il était isolé de l’armateur. S’il se trouvait à côté
de l’armateur, ses pouvoirs s’effaçaient et c’était à l’armateur qu’il appartenait d’agir pour
l’exploitation de son navire.
Cette réserve a pris avec le temps beaucoup d’importance. Les armateurs de lignes régulières ont
établi des agences dans les ports que desservent leurs navires. Les autres armateurs ont souvent,
sinon des agents propres, du moins des consignataires qui en tiennent lieu et agissent en leur
nom. Ainsi, l’armateur se trouve soit en personne, soit par l’intermédiaire de ses agents
(succursalistes) ou de ses représentants (consignataires) dans tous les ports où le navire se
présente. Autrement dit, le capitaine qui assure régulièrement tel ou tel service finit par n’avoir
plus aucune fonction commerciale. Il monte à bord, comme les autres officiers et comme
l’équipage, lorsque tout est paré commercialement pour le départ. Outre ses fonctions de chef

V. O. Darbès, L’escale du navire marchand, Thèse Aix-Marseille 2010.


350

Il devait tenir un registre préalablement coté et paraphé sur lequel il inscrivait les résolutions prises pendant le
351

voyage, la recette et la dépense du navire. La loi prescrivait aussi de stricts comptes rendus aux propriétaires du
navire. Il devait également dans des délais précis déposer son rapport après l’arrivée du navire.
111
pour la société de bord pour lesquelles il est irremplaçable, ce n’est plus qu’un technicien de la
navigation (v. ss 326).

III. Ship planner

Les opérations de chargement sont devenues très délicates sur les porte conteneurs 352. Elles
supposent des calculs très précis et particulièrement complexes tenant compte de nombreux
facteurs. Ces opérations sont le fait, sous le contrôle du capitaine du navire, d’un personnel
qualifié : le « ship planner ». Il y a là un nouveau métier qui prend une réelle importance et une
source de responsabilité pour la compagnie maritime qui recourt aux services du « ship planner ».
Certaines décisions l’ont d’ores et déjà admis353. L’intervention du « ship planner » est également
déterminante lorsqu’il s’agit d’apprécier si le faute dont la compagnie entend se prévaloir pour
échapper à sa responsabilité a ou non un caractère nautique.

IV. Le consignataire du navire354

Le consignataire du navire est un représentant de l'armateur 355. Son rôle est né du souci d'assurer
une rotation des navires plus rapide. Dans le Code de commerce, c'était le capitaine qui assurait
cette fonction de représentation. Aujourd’hui, la situation a changé, car le navire reste trop peu de
temps à l'escale, ou au port de reste, pour que tous les destinataires, prévenus à temps, puissent
reconnaître et venir enlever leurs marchandises. Aussi le capitaine remet-il toute la cargaison à un
représentant de l'armateur qui va assurer, en les étalant dans le temps nécessaire, les opérations de
livraison, allongées encore par les formalités de douane. C'est au personnage chargé de cette
fonction qu'est réservé le nom de consignataire du navire. Il ne faut pas le confondre avec le
consignataire de la cargaison (v. ss 605). Le passage d'une économie de « tramps » à une
économie de « liners » a pu amoindrir le rôle des consignataires de navires. Partout en effet où
l'armateur a une agence maritime, son chef d'escale en joue le rôle et, en fait, les consignataires
de navires sont apparus dans les ports où le trafic de l'armateur n'est pas important au point qu'il y
installe une succursale. Les consignataires de navires n'en conservent pas moins une fonction
importante.
Le consignataire du navire reçoit l'ensemble de la cargaison des mains du capitaine. Il la soigne
jusqu'à sa livraison et son enlèvement par les destinataires. Il fait délivrance à ceux-ci au nom du
capitaine, recouvre le fret dû et conserve les droits de l'armateur, notamment en exerçant, au
besoin, le privilège du transporteur. Il exerce ainsi les attributions commerciales qui,
traditionnellement, incombent au capitaine à l'arrivée. Certains avaient vu en lui un

352
Pour les navires vraquiers, on rappellera que l’art. L. 5334-12 prévoit qu’ « avant de procéder au chargement ou au
déchargement d’une cargaison sèche en vrac, à l’exclusion des grains, le capitaine du navire et le responsable à terre
de l’opération de chargement ou de déchargement conviennent, par écrit, des modalités du plan de chargement ou de
déchargement de la cargaison, selon une procédure permettant de garantir la sécurité du navire » et que « les
modifications apportées au plan initial sont approuvées selon les mêmes formalités. »
353
Rouen, 26 janv. 2012, DMF 2012. 832 ; égal. Le Luyer, Gazette CAMP.
354
 P. Pestel-Debord et J. Bonnaud, L'agent consignataire de navires en France — Aspects économique et juridique,
1983, L'antenne transports, édit. ; J Bonnaud, Définition du consignataire de navire et de l’agent maritime français,
DMF 2001. 1041 ; B. Marguet, « L'agent consignataire de navires : quelques aspects du contentieux actuel »,
Nouveau recueil du Havre (NRH) 1985.66 ; A. Moussa, Le consignataire du navire en droit français et égyptien,
LGDJ, 1983 ; E de Clebsattel, rapport d'activité pour l'exercice 1985 de la Fédération des agents consignataires de
navires et agents maritimes de France, 28 mai 1986, in JMM 1986. 1541.
355
On a, un temps, parlé du recommandataire.
112
commissionnaire de transport responsable du bon état des marchandises en quelque lieu qu'elles
aient été perdues ou avariées. Cette analyse était forcée : le consignataire ne prend pas les
engagements d'un commissionnaire356 comme l'indique assez le moment où il intervient.

Le consignataire du navire est un mandataire, puisque sa mission est d'ordre juridique. C'est un
mandataire de l'armateur357, mais non des destinataires. Il arrive cependant que le consignataire
agisse à la fois pour le compte de l’armateur et des intérêts cargaison : on admet qu’il puisse
recevoir un double mandat358. La solution n’est pas saine et traduit un conflit d’intérêt que
l’intéressé peut, toutefois, étouffer dans l’œuf s’il prend le soin d’agir en toute transparence, à
moins qu'il n'ait reçu de ceux-ci un mandat explicite359.
Dans le cas où le consignataire n'a pas été choisi par l'armateur, mais par le capitaine, on verra en
lui un mandataire substitué360. L’hypothèse est devenue rare, sinon exceptionnelle.
Il est généralement rémunéré par un droit de commission au pourcentage, calculé sur le fret. Il
représente l'armateur, mais n'est pas préposé, comme l'est le commis succursaliste. On comprend
donc qu'il soit personnellement responsable des dommages survenus à la marchandise entre le
moment où il en a pris possession et celui où il la livre ; dans ses rapports avec l'armateur il
apparaît comme un mandataire salarié et sa responsabilité sera appréciée sur cette base 361. En
outre, malgré certaines hésitations, la jurisprudence ne lui a pas reconnu le droit de faire la
conduite du navire au lieu et place du capitaine, alors que le commis succursaliste le peut. Il n'est
d'ailleurs pas dit que ces nuances dans l'analyse juridique soient toujours justifiées en présence du
fréquent enchevêtrement des missions que la même personne exécute à des titres divers.
Les développements qui précèdent considèrent le consignataire du navire comme un auxiliaire du
transport. Mais il est en outre un auxiliaire de l'armateur en ce sens qu'indépendamment de
l'exécution de tel ou tel contrat de transport ou d'affrètement ou de la masse des contrats de

356
 V. sur la distinction entre agent consignataire et commissionnaire de transport, Com. 2 févr. 1982, Bull. civ. IV,
n° 41. V. égal. Civ. 2e, juill. 1923, D. 1923. 1, 165, considérant que le consignataire n’est pas responsable des avaries
ou pertes survenues antérieurement au moment où il a lui-même reçu les marchandises ;
357
 Il s'agit d'un mandat d'intérêt commun ; par conséquent, toute résiliation unilatérale doit être précédée d’un préavis
raisonnable, fixé selon les usages du port : T. com. Marseille, 17 juin 1985, Revue Scapel 1985.35 ; Bonassies, op.
cit., DMF 1986. 67, n° 19 ; Aix-en-Provence 13 mars 1987, DMF 1988. 683, obs. Pestel-Debord et Bonnaud ;
Bonassies, Le droit positif français en 1988, DMF 1989, n° 35 ;Sur la garantie due au mandant, v. Paris,
21 sept. 1988, DMF 1990. 89. Toutefois, la qualité de consignataire n'entraîne pas nécessairement celle de
mandataire : cas d'un contrat conclu à titre personnel (Com. 15 juill. 1987, DMF 1989. 530 ; Bonassies, DMF 1990,
n° 32).
358
 Toutefois, le consignataire du navire peut être, en même temps, le réceptionnaire des marchandises, selon un
double mandat (Rouen, 13 mai 1982, DMF 1983. 167, obs. A. Vialard, et sur pourvoi, Com. 10 mai 1984, Bull.
civ. IV, n° 153, DMF 1985. 396, qui ne prend pas parti : v. en ce sens, Bonassies, op. cit., p. 85, n° 50). En cas
d'affrètement au voyage, quoique désigné par l'affréteur, l'agent consignataire du navire est principalement au service
du navire ; il agit alors comme agent de l'armateur et non pas comme représentant de l'affréteur (Sentence CAMP,
15 mars 1986).
359
 Com. 16 mai 1960, DMF 1960. 523 ; Sur tous ces points, voy. Rodière, Traité préc., Affrètements et transports,
tome 3, n°s 893 à 895.
360
L’armateur pourrait donc agir directement contre lui, cf. C. civ., art. 1994, al. 2 ; v. Montpellier, 17 févr. 1960,
DMF 1960. 538.
361
T. com. Paris, 26 sept. 1984, Revue Scapel 1985.18 ; Bonassies, op. cit., p. 76, n° 38 ; v. sur un avant-projet de loi
qui était destiné à aggraver singulièrement la responsabilité des consignataires de navires, du Pontavice, « La
responsabilité des consignataires de navires ou un exemple de ce qu'il ne faut pas faire lorsqu'on entend réformer le
droit maritime », in Mélanges Rodière, p. 447. Sur l'action en responsabilité délictuelle intentée contre le
consignataire du navire par un tiers, v. Paris, 12 nov. 1985, DMF 1986. 231, obs. crit. D.T.N.
113
transport pour un voyage donné, il agit comme un représentant de l'armateur, chargé par lui de
ravitailler le navire à l'escale. La loi prévoit ainsi qu'il « effectue pour les besoins et le compte du
navire et de l'expédition les opérations que le capitaine n'accomplit pas lui-même » (art. L. 5413-
1)362. En tant que mandataire, le consignataire n’est pas, en principe, engagé personnellement
envers les personnes avec qui il peut traiter 363. Il lui appartient cependant de révéler sa qualité de
mandataire.364

V. Responsabilité du consignataire

Quant à sa responsabilité, le consignataire est responsable dans les conditions du droit commun
(art. L. 5413-2, al. 2). Il est, autrement dit, en tant que mandataire salarié, responsable en cas de
mauvaise exécution : dans ce cas, sa faute doit être prouvée 365. En cas d’inexécution, sa
responsabilité est présumée, sauf pour lui à prouver sa non-faute. Lorsqu’il agit comme
dépositaire ou manutentionnaire il est responsable dans les mêmes conditions qu’une entreprise
de manutention (v. ss 582).
À l’égard des tiers, sa responsabilité n’est pas engagée, à moins qu’il n’ait commis une faute
personnelle de nature délictuelle dans l’exécution de sa mission.366

Pour éviter d'inutiles procès de qualification, la même loi a déclaré prescrites par un an toutes les
actions contre les consignataires (art. L. 5413-5)367.

Il faut ajouter que le consignataire est habilité à représenter l’armateur sur le plan judiciaire, en ce
sens que toutes les actions judiciaires et extra judiciaires que le capitaine est habilité à recevoir
peuvent être notifiées au consignataire du navire (art. D. 5413-3).368 Cette disposition n’est pas,
semble-t-il, applicable à l’agent maritime agent commercial.

Leur fonction et leur situation juridique sont simples. Le développement des liners fixe les ports
que touchent les navires d'une compagnie d'armement. Les armateurs ont établi dans ces ports des
agents commerciaux qui les représentent dans toutes les fonctions de l'armement : équipement du
navire, recrutement de l'équipage, conclusion des divers contrats d'assurances et de transports,
réception des marchandises au départ et livraison à l'arrivée… Ce sont les chefs des agences
maritimes ou encore des succursales de la compagnie d'armement. On les appelle parfois commis
succursalistes ou agents maritimes. Ce sont, parfois, en fait et en droit, de simples préposés
terrestres. Leur situation juridique ne présente aucune difficulté. Ils représentent l'armateur et
362
 Sur la responsabilité du consignataire de navire à cet égard, v. Aix-en-Provence, 15 oct. 1980, 651 1981. 332.
363
V. cependant Aix-en-Provence, 31 janv. 1975, DMF 1975. 725 ; les problèmes en cas d’affrètement, v. ss 651.
364
Com. 15 juill. 1987, DMF 1989. 530.
365
Com. 7 avr. 2004, DMF 2004. 1034, obs. Pestel-Debord ; Sentence CAMP n° 1190 du 19 janv. 2012.
366
Aix-en-Provence 2 juill. 1986, DMF 1988. 693. La solution vaut également vis-à-vis des penitus extranei : Aix-en-
Provence, 15 oct. 1980, DMF 1981. 332.
367
 V. Versailles, 1er avr. 1993, D. 1993. IR. 188 ; Rouen, 12 janv. 1995, DMF 1996. 156, obs. Tassel. Ce délai
s'applique pour toutes les actions en responsabilité, même délictuelles : Com. 9 avr. 1996, DMF 1996. 1030. La
prescription ne dépasse pas le délai prévu lorsque le contrat limite la mission au rôle du consignataire du navire. S'il
est par ailleurs chargé d'écouler la marchandise, la prescription sera différente et, en pratique, plus longue (Com.
4 janv. 1994, Rev. Scapel 1994, p. 67 ; note Bonnaud, Rev. Scapel 1994, p. 87 ; v. égal. Com. 13 mars 2012, DMF
2013. 419, rapp. Lecaroz, obs. Bonnaud.
368
L’intérêt de la disposition a trait notamment à l’interruption de la prescription  : Com. 20 janv. 1987, DMF 1988.
48. Encore faut-il que le consignataire ait été assigné en sa qualité de représentant de l’armateur : Com. 17 juill.
2001, DMF 2001. 1002 ; l’assignation doit prendre le soin de le préciser : Com. 7 nov. 2006, DMF 2007. 501.
114
n'ont pas de responsabilité personnelle autre que celle qui, de droit commun, incombe à un
préposé. Ils sont à la Compagnie d'armement et aux contractants de cette Compagnie ce qu'est un
directeur d'agence pour une banque et ses clients. On verra par exemple que le commis
succursaliste pouvait faire la conduite du navire comme le pouvait l'armateur lui-même, sans
passer par l'intermédiaire des courtiers de la place (v. ss 596). On admettra de même que
l'armateur peut être assigné devant le tribunal dans le ressort duquel se trouve l'agence, en
application de la jurisprudence dite « des gares principales ».
L'agence est cependant organisée par l'armateur comme il l'entend. Lorsqu'elle est importante par
le nombre des passagers, des navires et du trafic qui s'y fait, il arrive que l'armateur charge une
personne du soin particulier de pourvoir aux besoins des capitaines en fait d'équipage : ce
personnage est le capitaine d'armement. C'est un préposé purement terrestre, généralement le chef
d'une division de l'agence maritime, mais il est souvent choisi parmi les anciens capitaines de la
Compagnie. Mais il arrive aussi que l’armateur décide de confier son agence à une personne
indépendante de lui et qui intervient en qualité de mandataire et non plus de simple préposé.
L’agent a alors des pouvoirs importants et reçoit une mission qui dépasse celle de la simple
consignation. Il n’est pas uniquement chargé de préparer l’escale du navire. Il est appelé à
prendre des commandes pour le compte de l’armateur, à développer la clientèle, à organiser le
passage du navire dans les meilleurs conditions commerciales. Il peut ainsi prendre, si le droit
français est applicable, la qualité d'agent commercial (cf. C. com., art. L. 134-1 s.).369

Reconnaître à un agent maritime la qualité d’agent commercial n’est pas sans conséquence. Il
bénéficie alors d’un statut impératif, qui lui permet, en cas de cessation du contrat, de bénéficier
d’une indemnisation qui peut être substantielle (qui représente généralement deux années de
commissions). Lorsque le contrat est franco-français, les textes du Code de commerce
s’appliquent sans aucune difficulté. Lorsque le contrat a une dimension internationale, ce qui est
souvent le cas, le droit international privé dicte les solutions. Il reste, toutefois, que le statut des
agents commerciaux, dans l’UE, résulte d’une directive qui a fait l’objet de transpositions
nationales, mais dans des termes qui ne sont pas les mêmes selon tous les pays. En France et en
Allemagne, notamment, la directive s’applique, via les textes nationaux transposés largement,
aux agents maritimes370, ce qui n’est pas le cas dans le Royaume Uni. D’où des différences
importantes et la nécessité de porter une attention particulière à la loi applicable. On peut en outre
se demander s’il ne serait pas opportun de reconnaître ou de définir en la matière, dès l’instant
que le contrat est international, de véritables règles matérielles371.

SECTION 5. COURTIERS

On appelle généralement courtier celui qui met en relation deux parties à un acte juridique 372. À la
différence du commissionnaire, le courtier n'accomplit pas d'acte juridique pour le compte d'un
autre. C'est un intermédiaire ; ce n'est pas un représentant. On imagine l'intervention des courtiers

369
V. Contrats civils et commerciaux, 9e éd., Précis Dalloz, n° 676 s.
370
Montpellier, 18 nov. 2008, DMF 2010, HS 14, n° 61 ; v. égal. CJUE 17 oct. 2013, aff. C-184/12, DMF 2014 HS
18, agent maritime.
371
V. Droit du commerce international, 3e éd., Précis Dalloz, n° 660.
372
V. Contrats civils et commerciaux, 9e éd., Précis Dalloz, n° 668 ; égal. Maritime agents, some issues, ICMA XVII,
Hambourg oct. 2009.
115
dans toutes les opérations de la vie juridique. Il existe un courtage matrimonial comme des
courtages en vins.
L’institution du courtage maritime, quant à elle, est très ancienne : elle est née de la nécessité
d’assister les capitaines étrangers ignorant la langue et les usages locaux dans les formalités
administratives et commerciales qu’ils avaient à accomplir au cours de leurs escales. C’est un édit
de décembre 1657 qui, le premier, mentionna les courtiers maritimes en imposant à « tout maître
ou capitaine de navire étranger qui ignore la langue du pays où il vient commercer de recourir à
un interprète pour se faire entendre et pour faire dans les bureaux les déclarations auxquelles il
est tenu ». Peu après, l’Ordonnance de la Marine donna aux courtiers un statut : « aucun ne
pourra faire fonction de courtier conducteur de navires qu’il n’ait été immatriculé au Greffe de
l’Amirauté, sur l’attestation que 4 notables marchands du lieu donneront de sa capacité et de sa
probité ». Le texte fut complété par les lettres patentes du 10 juillet 1776 précisant que « les
courtiers interprètes conducteurs de navires sont maintenus dans le droit exclusif d’assister les
capitaines et marchands étrangers qui ne sauraient pas la langue française et de leur servir
d’interprètes pour faire les déclarations dans les greffes et différents bureaux et autres actes
publics ». Après la suppression par la Révolution de toutes les charges, le privilège des courtiers
fut reconnu à nouveau par l’art. 80 du Code de commerce et même complété par une ordonnance
du roi du 14 nov. 1835 prescrivant que les courtiers avaient droit à une rémunération spéciale
pour les 4 activités suivantes :
- la conduite des navires comprenant l’accomplissement des formalités et des obligations à
remplir auprès du Tribunal de commerce, de la Douane et des autres administrations publiques,
- l’affrètement ou le fret procuré,
- la vente des navires,
- la traduction des documents écrits en langue étrangère.
Officier ministériel nommé par le chef de l’État, le courtier avait ainsi un rôle considérable, bien
qu’il fût en même temps exposé aux risques sérieux de faillite et de liquidation judiciaire des
armateurs. Le privilège n’était cependant pas systématique : il ne jouait pas lorsque le capitaine
était français et pouvait déclarer en douane lui-même son navire. En France, de surcroît, les
compagnies de navigation disposaient de leur propre service de courtage les dispensant de
recourir à un courtier extérieur. Le courtier était également un commerçant auprès duquel les
capitaines de navires confiaient les opérations commerciales que ces derniers, souvent
propriétaires de leurs cargaisons, n’avaient pu conclure avant leur départ. Le courtier pouvait
aussi s’adonner, comme intermédiaire, à l’exercice de l’affrètement ou du fret procuré ainsi
qu’à la vente des navires, opérations hautement lucratives.

116
CHAPITRE 2
LES AUXILIAIRES DE LA MARCHANDISE

Les auxiliaires de la marchandise sont également très diversifiés. Réserve étant faite du
commissionnaire qui peut intervenir en matière terrestre, aérienne ou maritime, les professions ne
sont cependant pas réglementées. Sans exhaustivité, on rendra compte ci-après de la situation du
subrécargue, du consignataire de la cargaison, du transitaire, du commissionnaire et de
l’opérateur économique agréé (OEA).

SECTION 1. SUBRÉCARGUE

On a cru un temps que l'institution avait disparu. Il n'en est rien et l'on a pu en signaler la
« réapparition »373, terme impropre parce que le subrécargue n’a jamais vraiment disparu. C'est
tantôt un agent de l'armateur, tantôt un agent des chargeurs. Les codes espagnol, péruvien, chilien
marquent bien cette dualité en disant qu'il est nommé soit par l'armateur, soit par les chargeurs.

Le subrécargue est apparu d'abord comme l'agent des chargeurs. Ils en ont désigné un le jour où
les marchands n'ont plus accompagné eux-mêmes leurs cargaisons à bord. Le personnage était
alors chargé de veiller à leurs intérêts et de surveiller le capitaine, agent de l'armateur.

Dans cette seconde fonction, le subrécargue est désigné par l'armateur pour soulager le capitaine
de fonctions commerciales qu'il est malhabile à remplir, alors que c'est un bon technicien de la
navigation ; le subrécargue va alors relayer partiellement le capitaine en le déchargeant de ses
attributions commerciales, alors que dans la première situation, il ne le décharge de rien.
L'amenuisement des fonctions commerciales des capitaines rend moins utile la nomination d'un
subrécargue par l'armateur. Mais c'est bien cette seconde situation que l'on peut encore rencontrer
sur les navires de pêche lorsque le capitaine, bon navigant, est mauvais pêcheur374.
Les conflits possibles entre subrécargue et capitaine sont résolus par les instructions de l'armateur
dans la seconde situation, sauf à l'armateur à ne pas entamer les compétences que le capitaine
tient de lois impératives. Dans la première situation, le capitaine n'a pas à savoir quelles sont les
fonctions confiées au subrécargue par ses mandants, à moins que son armateur ne les lui ait fait
connaître en les approuvant. De toute façon, le subrécargue doit paraître sur le rôle d'équipage
puisqu'il a une fonction à bord. Il figure parmi les officiers375.

SECTION 2. CONSIGNATAIRE DE LA CARGAISON

Le consignataire du navire permet au bâtiment d'abréger son escale (v. ss 592). Le consignataire
de la cargaison est né d'une autre préoccupation : les risques sont pour l'armateur tant que la
marchandise n'a pas été livrée et elle ne l'est pas tant que le consignataire du navire la détient, car

373
 J. Le Clère, DMF 1963. 541.
374
Rouen, 14 nov. 1961, DMF 1962. 537.
375
À ce titre, il devait être français : Com. 25 mai 1959, DMF 1959. 521. L’exigence a disparu.
117
il le fait pour l'armateur. Le consignataire de la cargaison est le personnage 376 qui prend livraison
pour le compte du destinataire et hâte par conséquent le moment où les risques passent sur sa
tête. C’est ce que décident les textes qui indiquent que le consignataire de la cargaison intervient
comme mandataire salarié des ayants droit à la marchandise » et qu’« il en prend livraison pour
leur compte et en paie le fret quand il est dû » (art. L. 5413-3).
La livraison est une opération juridique qu'il ne faut pas confondre avec la délivrance qui est
d'ordre matériel. Le consignataire de la cargaison prend proprement livraison des mains soit du
capitaine, soit du consignataire du navire. Il arrive même que le consignataire du navire et celui
de la cargaison soient une seule et même personne 377. Cela arrive particulièrement par l'effet de la
clause insérée dans le connaissement dite « clause sous palan ». La livraison s'effectue alors
quand la marchandise est sous le palan, mais elle ne peut pas rester là et il faut l’acheminer en
magasin ; ce déplacement se fera aux risques et aux frais du destinataire par les soins du
consignataire du navire devenu, à l'instant où la marchandise est sous palan, consignataire de la
cargaison. Matériellement, l'opération est assurée par l'entrepreneur de manutention qui agit alors
pour le compte du destinataire, en vertu d'une clause du connaissement qui donne au capitaine la
faculté de choisir l'entrepreneur de manutention pour le destinataire. Il a l’obligation de vérifier le
bon état de la marchandise et de prendre des réserves dans les conditions et délais prévus par la
loi (Décr. 19 juin 1969, art. 20). Il est rémunéré généralement par un pourcentage sur le fret qu'il
peut récupérer, s’il est intervenu également en qualité de commissionnaire, grâce au privilège de
l'article L. 132-2 du Code de commerce. Le consignataire de la cargaison intervient également en
qualité de dépositaire de la marchandise : la loi (art. L. 5413-4) prévoit qu’il assume alors la
même responsabilité qu’un manutentionnaire dans la même situation (art. L. 5422-21 à 5422-
25)378.
L’action en responsabilité contre le consignataire de la cargaison se prescrit par le délai d’un
an379.

SECTION 3. TRANSITAIRE

Le transitaire est avant tout un agent de liaison qui n’est soumis à aucun statut particulier. C'est
un intermédiaire chargé, en qualité de mandataire380, de recevoir les marchandises des mains du
transporteur maritime et d'assurer la réexpédition par les soins d'un autre transporteur, maritime,
fluvial, ferroviaire, aérien… Il accomplit à cette fin, moyennant rémunération librement
déterminée381, des opérations d'ordre juridique :
376
Comme le soulignent MM. Bonassies et Scapel, n° 658, aucune entreprise ne se limite à être «  consignataire de la
cargaison ». C’est souvent le transitaire qui intervient aussi en cette qualité, v. Versailles, 24 nov. 1995, DMF 1997,
HS, n° 41.
377
 V. ss 592, ad notam.
378
Le texte de l’art. L. 5413-4 laisse cependant entendre que la limitation de responsabilité bénéficie au consignataire
de la cargaison pour toutes les opérations qu’il peut accomplir et pas seulement pour les opérations de garde de la
marchandise.
379
L’action en justice intentée contre le consignataire n’interrompt pas la prescription au bénéfice de son mandant :
Com. 24 juin 1986, DMF 1988. 30 ; le consignataire de la cargaison n’a pas de pouvoir de représentation judiciaire.
Jugé que la prescription annale ne jouait pas en matière de stockage de marchandises, ce qui ne va pas de soi  : Com.
21 févr. 1995, DMF 1996. 122, obs. crit. P. Bonassies.
380
Sauf pour lui à préciser qu’il agit bien en cette qualité, Com. 3 juin 1997, DMF 1997. 1007 et les obs.
381
Son unique débiteur est le donneur d’ordres, Rouen 8 sept. 2005, BTL 2006. 170. Sur les usages en matière de
rémunération, v. T. com. Marseille 18 mars 2011, DMF 2012, HS 16, n° 87.
118
- prendre livraison pour le compte de son client, en se préoccupant de la nature de la
marchandise382, et doit ainsi préserver les recours de son mandant contre le transporteur383 ;
- contracter pour lui le second contrat de transport, i. e. réexpédier la marchandise conformément
aux instructions de son client, sans pour autant répondre du transporteur ni s’engager en qualité
de chargeur, n’étant qu’un mandataire ;
- accomplir les prestations annexes à ces opérations principales et accomplir, le cas échéant, les
formalités douanières qui s’imposent, assurer la garde et la bonne conservation des
marchandises384 et prendre une assurance suivant les circonstances ; la jurisprudence
contemporaine lui impose en outre une véritable obligation de conseil385.
Le transitaire est par ailleurs un mandataire, doté par la nature même de son contrat, d’un pouvoir
de substitution. Il n’est pas personnellement engagé envers les tiers avec qui il contracte386
Le transitaire n'est pas un transporteur parce que son obligation principale n'est pas de déplacer la
marchandise. Ce n'est pas davantage un commissionnaire de transport, parce qu'il ne s'engage pas
à soigner un certain déplacement de la marchandise et ses obligations, comme sa responsabilité,
s'arrêteront lorsqu'il aura remis la marchandise au second voiturier ou transporteur maritime. En
fait, il est cependant souvent malaisé de dire si l'on est en présence d'un transitaire ou d'un
commissionnaire. C'est une question d'espèce à résoudre dans chaque cas : il faut rechercher les
obligations qu'a exactement assumées l'intermédiaire considéré387. Les intérêts de la distinction ne
sont pas neutres : ils tiennent à la responsabilité (pour faute pour le transitaire, à la prescription
(de droit commun pour le transitaire)388 et aux sûretés (le transitaire ne jouit d’aucun privilège, si
ce n’est celui du conservateur389).

Le transitaire est un mandataire professionnel. En tant que tel, il est responsable de ses fautes
personnelles mais uniquement de ses fautes personnelles : il n’est pas garant des faits d'autrui
comme peut l’être le commissionnaire. Il faut donc établir sa faute 390 : par exemple, il n’a pas
transmis au consignataire les instructions concernant la chaîne du froid et ne s’est pas assuré
qu’elles avaient été appliquées391 ; il a négligé de prendre des réserves contre le bord au moment
où il a reçu la marchandise pour le compte de son mandant ; dans l'ordre matériel, il a mal

382
Com. 29 févr. 2000, DMF 2000. 448, obs. Rémery.
383
Com. 14 oct. 1997, DMF 1997. 1009, rapp. Rémery, obs. Bonassies.
384
V Aix-en-Provence 8 sept. 1987, DMF 1990. 64, obs. P. Bonassies.
385
Com. 24 mars 2004, DMF 2004. 913, obs. Pestel-Debord.
386
Comp. Com. 3 juin 1997, DMF 1997. 1007 et les obs.
387
 V. Rodière, Traité préc., 3, nos 908 et Mise à jour 1978, même n°— Adde Aix-en-Provence 18 mai 1971, RTD
com. 1972. 194 obs du Pontavice ; Lyon 12 mai 1976, DMF 1978. 204. ; — Com. 5 juillet 1982, Bull. civ. IV,
n° 265 — Paris 25 avr. 1984, DMF 1986. 109, obs. R. A. ; Paris 5 déc. 2013, BTL 2014. 31 ; M. Jullien, « Un métier
de la chaîne de transports : du transitaire à l'OTM », in Annales IMTM, 1986 p. 133 ; P.Y. Nicolas, Le transitaire et le
commissionnaire de transport, DMF 1978. 195.
388
Com. 31 janv. 2012, DMF 2012. 460, rapp. Le Caroz, obs. M.N. Raynaud : le délai de prescription applicable à
l’action du transitaire contre son client en paiement de ses factures est le délai de prescription de droit commun
édicté par l’art. L. 110-4 C. com., soit 5 ans.
389
Il est également en droit d’exercer un droit de rétention, du moins sur les marchandises qui appartiennent à son
débiteur. Les conditions générales de la profession prévoient également un droit de gage conventionnel dont les
conditions, toutefois, ne correspondent pas exactement aux exigences du Code civil, faute d’écrit établi en bonne et
due forme.
390
On peut néanmoins considérer que, conformément au droit commun du mandat, cette faute est présumée en cas
d’inexécution de sa mission et non de mauvaise exécution, v. Contrats civils et commerciaux, 9e éd., Précis Dalloz,
n° 644.
391
Com. 27 nov. 2001, n° 99-14.580.
119
conservé les marchandises qui étaient sous sa garde ou encore il les a chargées en pontée 392 ou sur
un wagon malpropre 393.

Le transitaire peut également engager sa responsabilité à l’égard des tiers : il répond, comme tout
mandataire, des délits et des quasi-délits qu’il peut commettre au préjudice des tiers dans
l’exercice de sa mission, soit spontanément, soit même sur instruction de son mandant.394

SECTION 4. COMMISSIONNAIRE DE TRANSPORT

L’homme-orchestre du transport395  L’article L. 1411-1 du Code des transports définit


aujourd’hui le commissionnaire de transport comme la personne qui organise et fait exécuter,
sous sa responsabilité et en son propre nom, un transport de marchandises selon les modes de son
choix pour le compte d’un commettant. La jurisprudence reste plus accueillante et continue à dire
que le commissionnaire est celui qui dispose d’une latitude suffisante et organise le transport par
les voies et les moyens de son choix396. Cet intermédiaire agit en son nom propre mais pour le
compte d'un commettant généralement expéditeur ou donneur d’ordres ; il se charge de faire
parvenir la marchandise à son point de destination et a le choix des voies et moyens. Il soigne le
transport de bout en bout et il est, à cet égard, tenu d'une obligation de résultat 397. L'importance du
commissionnaire de transport est de plus en plus grande et son intervention est de nature à
bouleverser le fonctionnement normal des institutions du droit maritime qui prévoit le « tête à
tête » du transporteur et du chargeur, alors que l’intermédiation du commissionnaire de transport
vient en fait troubler les règles du jeu. 398. Il est devenu l’homme-orchestre du transport, en sa
qualité d’organisateur399. Ses missions se diversifient, puisqu’il prend souvent en charge des
opérations de logistique qui se traduisent par des activités diverses et variées : dépôt, gestion de
stocks…400 Quoiqu’il en soit, le commissionnaire peut conclure en son nom, mais pour le compte
de son client, des contrats de transport401 comme des contrats d’affrètement 402. Le
commissionnaire est ainsi souvent un chargeur.
392
Com. 17 oct. 1956, BTL 1956. 543.
393
 V. Paris 19 févr. 1957, BTL 1957. 62 ; v. en cas de chargement en pontée, Com. 17 oct. 1956, BTL 1956, 343 ;
pour d'autres exemples de faute du transitaire, Com. 7 fév. 1984, DMF 1985. 25 ; P. Bonassies, op. cit., p. 78, n° 40 ;
Com. 10 mars 1987, DMF 1988. 693. Toutefois, dans un arrêt du 13 mai 1986, rendu sur renvoi de cassation, la Cour
de Rouen déclare que le transitaire, qui a reçu mandat de ne livrer la marchandise que contre remise d'un reçu
bancaire de paiement, n'a pas commis de faute, alors qu'il ne lui a été remis qu'une attestation bancaire de blocage de
fonds qui était un faux (BTL 1988. 265). V. aussi dans un cas où la faute ne pouvait être prouvée, Com. 18  avr. 1989,
BTL 1989. 499 ; Bonassies, Le droit positif français en 1989, DMF 1990, n° 33, p. 63.
394
Com. 17 févr. 2009, n° 07-21.996 ; égal. Com. 24 févr. 1982, DMF 1983. 84 ; Com. 29 févr. 2000, DMF 2000.
448, obs. Rémery.
395
 J. Farhana, Le commissionnaire de transport en droit comparé, thèse Aix-Marseille 2011.
396
Com. 27 nov. 2012, RD transp. 2013. 23, obs. Paulin.
397
Com. 16 févr. 1988, DMF 1990. 311. ; Delebecque, RJDA 1996. 219.
398
 DMF 1986. 222, obs. crit. Achard.
399
C’est cette fonction que remplit le NVOCC (non vessel operating common carrier) qui est moins qu’un armateur
(il n’exploite pas un navire) et plus qu’un transporteur contractuel, dans la mesure où il « vend » et organise du
transport maritime. V. Morinière, Les NVOCC, thèse Nantes 1997.
400
V. M. Tilche, « La logistique et le droit : un mariage de raison », Mélanges Scapel, PUAM, 2014, p. 261 ; égal.
dans le cadre d’un Credoc, Douai 16 janv. 2014, BTL 2014. 66.
401
V. en cas de mise à FOB où la jurisprudence en déduit, à tort, une obligation de charger à bord : Com. 7 sept.
2010, DMF 2010. 978, obs. Godin.
402
V. Versailles 14 févr. 2002, RTD com. 2003. 423.
120
L’une des difficultés récurrentes tient à la distinction entre les deux activités de transitaire et de
commissionnaire. Le fait que le commissionnaire apparaisse sur le connaissement en qualité de
chargeur est un indice déterminant : faut-il rappeler que le commissionnaire contracte en son
propre nom et se trouve directement obligé à l’égard du transporteur ? Les autres critères de
distinction dont la jurisprudence tient compte tiennent au caractère forfaitaire de la
rémunération403 et l’étendue de la mission confiée404.

Droits

Le commissionnaire reçoit ses instructions du commettant et doit donc organiser un transport, en


principe, de bout en bout, moyennant le paiement d’une rémunération qui prend la forme d’une
commission forfaitaire405. Il peut garantir sa créance de prix par les sûretés de droit commun. Il
peut aussi exercer un droit de rétention sur les marchandises qu’il peut avoir entre ses mains.
Cette rétention le met certainement en position de force, mais reste délicate à pratiquer pour des
raisons commerciales. La loi (C. com., art. L. 132-2) 406 lui accorde un privilège – distinct du droit
de rétention - qui s’explique par une idée de gage tacite. Ce privilège spécial mobilier garantit les
créances nées des opérations de commission, même antérieures, et grève les marchandises du
commettant, alors même qu’elles auraient été vendues. Cela suppose cependant que le
commissionnaire soit de bonne foi et ignore le fait que son débiteur n’ait pas ou plus la propriété
des marchandises formant l’objet du privilège407.

Responsabilité

Le commissionnaire de transport peut être responsable, sous réserve de clauses contraires (rares
en pratique, mais parfaitement concevables)408, soit de ses fautes personnelles, soit du fait des
transporteurs auxquels la marchandise a été confiée409, étant précisé que le commissionnaire
engage sa responsabilité contractuelle aussi bien vis-à-vis de son donneur d’ordres que vis-à-vis
du destinataire410.
La responsabilité du commissionnaire est d’abord d’ordre personnel : il répond, comme tout
entrepreneur ou mandataire, de ses fautes personnelles. Ainsi en est-il lorsqu’il accepte un
chargement en pontée, contrairement aux instructions de son commettant411. Ou encore lorsque,
connaissant la valeur de la marchandise, il omet d’en faire état 412. La jurisprudence, de surcroît,
lui impose un devoir de conseil apprécié souvent très (trop ?) sévèrement413.
403
Comp. Crim. 19 févr. 2003, JCP 2004. II. 10019 et les obs., DMF 2005, HS n°9, n° 78.
404
V. Com. 6 mars 2001, DMF 2001. 499 ; égal. Com. 11 juin 1996, DMF 1997. 122, obs. Tantin ; DMF 2013, HS
17, n° 84.
405
Sur l’économie du contrat, v. Com. 12 juill. 2011, DMF 2012. 561.
406
V. cep. pour une rétention conventionnelle : Aix-en-Provence 20 févr. 2009, DMF 2010 HS 14, n° 71.
407
V. Com. 19 juin 1978, Bull. civ. IV, n° 171. Plus général. v. « L’article L. 132-2 du Code de commerce, le
privilège du commissionnaire », Mélanges Bézard, 2002, p. 211 ; Les sûretés, la publicité foncière, Précis Dalloz, 6e
éd., n° 801.
408
V. cep., pour une clause limitative, Com. 11 juin 1996, DMF 1997. 122, obs. Tantin.
409
 I. Bon-Garcin, M. Bernardet et Y. Reinhart, Droit des transports, Précis Dalloz, 2e éd., 2010, n° 299.
410
Com. 4 mai 1982, Bull. civ. IV, n° 151.
411
Com. 14 mai 2002, DMF 2002. 620, et les obs.
412
Com. 26 avr. 1984, DMF 1985. 331.
413
v. DMF 2012, HS 16, n° 97.
121
Le commissionnaire de transport est ensuite garant de la bonne arrivée de la marchandise et à cet
égard il répond des transporteurs auxquels il s’adresse. Il est donc responsable, en cas de pertes,
d’avaries ou encore de retard, en sa seule qualité de commissionnaire, réserve étant faite de la
force majeure ou de la faute de son cocontractant 414. Pour se soustraire à sa responsabilité, le
commissionnaire de transport est fondé à invoquer, comme le transporteur maritime lui-même,
les cas exceptés et par exemple la perte (due à la fortune de mer) du navire transportant les
marchandises confiées415.

Limitation de responsabilité et recours

Le commissionnaire de transport bénéficiera également de la limitation – légale - de réparation


du transporteur maritime dans les mêmes circonstances 416, limitation dont il ne saurait
naturellement se prévaloir lorsque sa responsabilité personnelle est en cause. 417 Les tribunaux
pourraient cependant partager la responsabilité entre le transporteur qui, par exemple, a effectué
le chargement en pontée et le commissionnaire qui l'a toléré 418. Il faut ajouter que le
commissionnaire est protégé par la même prescription que celle dont bénéficie le transporteur
(terrestre), du moins s’agissant des dommages liés au contrat de transport (C. com., art. L. 133-
6).419
Le commissionnaire de transport dispose naturellement d’un recours contre le transporteur
responsable420 et notamment d’un recours subrogatoire. Peut-il agir contre le transporteur avant
même d'avoir indemnisé son client ou avant de s'être engagé à le faire ? On considérait
généralement que cette action était possible et qu'il s'agissait même d'une précaution utile pour
éviter au commettant ultérieurement la forclusion du fait de la prescription annale. La Cour de
cassation a cependant précisé421, que le commissionnaire n'avait qualité pour agir que s'il avait
désintéressé le créancier ou s'était engagé à le faire. À défaut, une telle action est irrecevable et
n'interrompt pas la prescription. La consécration récente des actions préventives conduit à se
demander si cette solution est encore d’actualité.422
414
Com. 20 janv. 1998, DMF 1998. 578 et les obs. ; pour un cas de force majeure, v. Com. 16 mars 1999, DMF
2000. 224, obs. de Cet-Bertin.
415
 Com. 21 déc. 1970, DMF 1970. 273.
416
 Com. 17 déc. 2002, DMF 2003. 151, obs. Tassel ; Com. 22 avr. 1986, BTL 1986. 395. La faute inexcusable du
transporteur est bien entendu opposable au commissionnaire, ce qui le prive alors du bénéfice de la limitation  : Com.
27 oct. 1998, DMF 1998. 1129, rapp. Rémery, obs. Bonassies.
417
 Paris, 25 avr. 1984, DMF 1986. 109, obs. Achard ; Bonassies, op. cit., p. 68, n° 24 ; Com. 26 avr. 1984, DMF
1985. 331 ; Com. 8 févr. 1984, DMF 1985. 203, obs Achard. La jurisprudence ne fait bénéficier le commissionnaire
de transport que des exonérations, limitations de responsabilité ou fins de non recevoir d'origine légale : le
commissionnaire condamné pour retard dans l'exécution du transport ne bénéficie pas de la clause du connaissement
excluant la responsabilité du transporteur maritime en cas de retard, clause contractuelle et limitée aux rapports entre
le commissionnaire et le transporteur (Com. 27 oct. 1998, préc. ; Paris, 4 déc 1987, DMF 1989. 113).
418
 Aix-en-Provence, 22 fév. 1985, BTL 1986. 154. V. pour un autre cas de responsabilité partagée, Aix-en-
Provence 20 sept. 1985, BTL 1986. 305 ; v. au contraire pour un cas où le tribunal a laissé l'entière responsabilité au
commissionnaire de transport, en l'occurrence, à son équivalent aux États-Unis : US District Court, Southern District
Court of New York, 6 sept. 1984, (American Maritime Cases, juin 1985, p. 1681) : « le « freight forwarder » étant
l'agent du chargeur et non celui du transporteur, celui-ci n'est pas responsable envers le chargeur des informations
prétendument frauduleuses du « forwarder ».
419
V. Com. 26 mars 2013, n° 11-21.318. Sur le point de départ du délai, v. Paris 11 janv. 2012, BTL 2012. 79.
420
Com. 5 oct. 2010, DMF 2011, HS 15, n° 81.
421
 Com. 4 mai 1982, Bull. civ. IV, n° 151 ; Com. 17 nov. 2009, DMF 2010, HS 14, n° 74.
422
V. Gazette CAMP, n° 28, éditorial.
122
Le recours du commissionnaire contre le transporteur soulève aussi de nombreuses questions de
procédure (cf. C. pr. civ., art. 333) : les plus délicates tiennent à la compétence et à l’opposabilité
des clauses de compétence423. Ce recours doit être exercé dans un bref délai : un mois en matière
terrestre et 3 mois en matière maritime424.

Plus récemment, la question de savoir si le commissionnaire pouvait se prévaloir également de la


limitation de responsabilité accordée aux armateurs s’est posée. Après d’intenses discussions, la
cour d’appel de Paris ne l’a pas admis 425, à juste titre car la limitation est conçue pour les
armateurs et uniquement pour les armateurs.

Perspectives 

Le commissionnaire de transport est appelé à prendre une importance encore plus considérable
dans le transport maritime sous la forme d'entrepreneur de transport multimodal, comme on le
verra ultérieurement426. La commission « à la française » est sans doute l’instrument juridique le
plus approprié en la circonstance, mais elle n’a pas su séduire, on ne sait trop pourquoi, les autres
États membres de l’Union. L’adoption d’un contrat type commission qui a vocation à s’appliquer
même aux opérations internationales devrait favoriser l’essor de ce type de commission427.
Le contrat type de commission de transport (cf. Décr. 2013-93 du 5 avril 2013) s’en tient à la
définition traditionnelle du commissionnaire entendu comme celui qui organise librement et fait
exécuter, sous sa responsabilité et en son nom propre, le déplacement des marchandises d’un lieu
à un autre selon les modes et les moyens de son choix pour le compte d’un donneur d’ordres
(comp. C. transp., art. L. 1411-1, 1°). Le contrat type fluidifie les relations des parties et les
modernise. Le donneur d’ordres voit ses obligations renforcées : il est notamment tenu d’une
obligation d’information sur la nature et l’objet du transport, sur les modalités particulières
d’exécution, sur le nom de l’expéditeur et du destinataire, sur la nature exacte de la marchandise,
sur son éventuelle dangerosité, sur les prestations accessoires demandées (ce qui renvoie aux
opérations de logistique). Le commissionnaire, de son côté, est tenu d’une série d’obligations, à
commencer par une obligation générale de résultat quant à la bonne fin de l’opération. Il doit,
dans cette perspective, non seulement respecter scrupuleusement les instructions du donneur
d’ordres, mais aussi s’assurer que le substitué auquel il s’adresse est habilité à exécuter les
opérations qui lui sont confiées et « dispose des aptitudes requises ». On retiendra en outre, et
peut-être surtout, que si le contrat type impose au commissionnaire un devoir de conseil, ce
devoir de conseil est contenu dans ses justes proportions : il doit en effet s’exercer dans le
domaine de compétence du commissionnaire, sous réserve de sa disponibilité, et s’apprécie en
fonction du degré de professionnalisme du donneur d’ordres. Cette précision est particulièrement
423
v. Paris 12 sept. 2012, DMF 2013. 26, obs. Bernardot. La clause de compétence stipulée au connaissement n’est
pas opposable au commettant : Com. 9 juill. 2013, n° 12-15.515, DMF 2014 .111 et les obs.
424
Com. 7 déc. 1999, DMF 2001, HS n° 5, n° 110 ; 12 janv. 1988, BTL 1988. 488.
425
Paris 17 oct. 2007, DMF 2008. 250, obs. Cachard, DMF HS 2008, n° 61, obs. Bonassies.
426
 Jan Ramberg, « Multimodal transport. A new dimension of the law of carriage of goods ? », in Études offertes à
René Rodière, p. 481. Sur le commissionnaire de transport et l'entrepreneur de transport multimodal, v. ouvrage
précité Transport maritime-Procédures et documents, sous la direction d'E. du Pontavice, Simprofrance et Librairie
du commerce international, Paris, 10 et s. et 123 et s. ; Ian C. Holloway, « Troubled Waters : The liability of a freight
forwarder as a principal under Anglo-Canadian Law » ; in Journal of Maritime Law and Commerce, vol. 17, n° 2,
avr. 1986.
427
v. déjà, Ph. Delebecque, Actualité de la commission de transport, Mélanges Bouloc, 2006, p. 301.
123
bienvenue, si l’on rappelle que la jurisprudence récente n’a cessé d’hypertrophier le devoir de
conseil des professionnels.
Quant à la responsabilité du commissionnaire, elle est aménagée ou, mieux, réaménagée et ce
dans ses deux aspects : sa responsabilité personnelle, engagée en cas de faute prouvée, est limitée
aussi bien dans les hypothèses de pertes et d’avaries (20 euros par kg) que de retard (prix de la
prestation), sauf faute intentionnelle ou inexcusable ; sa responsabilité pour fait d’autrui est
limitée à celle qui est encourue par le substitué, étant précisé que si les limites d’indemnisation
des substitués ne sont pas connues ou ne résultent pas de dispositions impératives, elles sont
réputées identiques à celles qui jouent relativement à la responsabilité personnelle.

Observons enfin que si le contrat type donne compétence, en cas de litige, au Tribunal de
commerce de Paris, il n’exclut pas, compte tenu de son caractère supplétif, le recours à
l’arbitrage : cette clause de juridiction, sans doute justifiée pour les affaires terrestres, l’est
beaucoup moins pour les affaires maritimes où les opérations sont plus complexes et plus
diversifiées.

Commissionnaire en douane

Le commissionnaire en douane est un professionnel agréé par l’administration. Contrairement


aux apparences, il s’agit d’un véritable mandataire agissant au nom et pour le compte de son
mandant. Le droit du mandat salarié lui est donc applicable, sous réserve des aménagements
contractuels voulus par les parties. Il est donc responsable, en principe, pour faute prouvée 428. Le
commissionnaire en douane, en tant que mandataire, n’est pas investi du privilège du
commissionnaire429, mais il peut être subrogé dans le privilège des Douanes : il peut alors de
prévaloir de ce privilège sur les marchandises appartenant à son débiteur430.
Il est assez fréquent que le commissionnaire en douane sous-traite sa mission. La question se
pose alors de savoir si le mandataire substitué peut exercer une action directe contre le mandant.
La jurisprudence l’admet, l’action directe de l’article 1994, al. 2 du Code civil ayant été bi-
latéralisée. Cette action ne peut toutefois être exercée qu’autant que l’action du mandataire
intermédiaire n’est pas éteinte431.

SECTION 5. OEA

L’Organisateur Économique Agréé 

Des textes récents ont créé le statut de l’OEA. Il s’agit du

428
Com. 23 nov. 1993, Bull. civ. IV, n° 417 ; TGI Paris 7 févr. 2013, DMF 2013. 14 ; il est également tenu d’un
sévère devoir de conseil Com. 18 déc. 2012, DMF 2013, HS 17, n° 82. Il peut arriver qu’il agisse à titre personnel,
Com. 21 janv. 2014, BTL 2014. 79.
429
Montpellier 30 avr. 1996, DMF 1996. 986 et les obs.
430
Montpellier 13 mai 1997, DMF 1997. 885, obs. Tassel.
431
Si le mandataire principal a reçu les fonds du mandant, l’extinction de sa créance fait obstacle à l’action directe
du substitué contre le mandant : Com. 3 déc. 2002, Bull. civ. IV, n° 188. Encore faut-il rechercher si la demande en
paiement adressée par le mandataire substitué au mandant ne l’a pas été avant que ce dernier ait payé le mandataire
intermédiaire : Com. 13 févr. 2007, Bull. civ. IV, n° 42.
124
- règlement CE 648/2005 du Parlement européen et du Conseil du 13 avril 2005 (JOUE L 117, 4
mai 2005), modifiant le Code des douanes communautaires et instituant de nouvelles obligations
en matière de sécurité et de sûreté ; et du

- règlement CE 1875/2006 de la Commission 18 déc. 2006 (JOUE L 360 19 févr. 2006),


précisant les critères d’octroi du statut d’OEA qui sera reconnu dans tous les États membres.

Le règlement du 13 avril 2005 définit le cadre légal qui impose aux opérateurs intervenant dans la
chaîne logistique internationale la transmission électronique anticipée de la déclaration sommaire,
en détail ou simplifiée, à l’importation et l’exportation.

Le règlement du 8 décembre 2006 précise les conditions et modalités auxquelles les opérateurs
du commerce international seront soumis, à compter du 1 er juillet 2009, en vue de transmettre de
manière anticipée les données jugées nécessaires à l’établissement d’une analyse de risque à des
fins de sécurité et de sûreté.
Le statut donné à l’OEA est la traduction communautaire de l’une des mesures internationales de
sécurisation de la chaîne logistique (normes (non contraignantes) SAFE de l’Organisation
Mondiale des Douanes) en réponse aux mesures antiterroristes prises au niveau mondial après les
événements du 11 septembre 2001. 149 membres de l’Organisation Mondiale des Douanes ont
exprimé leur intention de mettre en œuvre un tel statut.
Le statut d’OEA est articulé autour de la délivrance de trois certificats :
- AEOC (Customs simplifications) permettant de bénéficier de simplifications prévues par la
réglementation douanière,
- AEOS (Security and safety) permettant de bénéficier des facilités relatives aux contrôles
douaniers touchant la sécurité et à la sûreté à l’entrée ou à la sortie de l’UE,
- AEOF (Customs simplifications /Security and safety) permettant de bénéficier des
simplifications et des facilités autorisées par les deux certificats précédents.

Les avantages résultant de ces simplifications sont multiples :

diminution du nombre des informations à transmettre dans les déclarations sommaires (entrée et
sortie), bénéfices de certaines simplifications douanières prévues au Code des douanes (gains de
temps), obtention d’un traitement personnalisé par un nombre réduit de contrôles physiques et
documentaires. De plus, la reconnaissance par les pays tiers de L’UE permet d’afficher une
image d’opérateur fiable, tant pour la douane que pour les autres entreprises et permet de
distinguer les opérateurs économiques dont la gestion comptable et logistique ainsi que les
mesures préventives du risque en matière de sécurité et de sûreté présentent des garanties de
qualité et de fiabilité. L’idée est en effet de ne pas pénaliser le commerce légitime au regard des
nouvelles contraintes déclaratives, d’où ces simplifications.

125
TITRE 3

LES OPÉRATIONS PRINCIPALES D'EXPLOITATION DU NAVIRE

L’exploitation commerciale d'un navire suppose qu’il soit affecté au transport de biens
n’appartenant pas à son propriétaire ou encore à l’accomplissement de services en faveur de tiers.
Dans les développements qui suivent, il ne sera question que de cela : il ne sera rien dit de
l'utilisation de ses navires par une entreprise pour les besoins de sa propre exploitation, type
d'utilisation qui ressortit à ce que l'on appelle, dans le domaine terrestre ou fluvial, les transports
privés ou pour compte propre432. En matière maritime ces transports ont été nombreux à l'époque
où des marchands, propriétaires d'un navire, achetaient des marchandises qu'ils revendaient après
les avoir déplacées. Ce type d'utilisation tend à disparaître, même dans le négoce du pétrole où les
sociétés pétrolières préfèrent ne plus transporter avec leurs propres navires, mais avec ceux des
autres, les hydrocarbures, produits par leurs puits, à destination de leurs raffineries ou de pays
tiers, sans doute par crainte de voir leur responsabilité engagée en cas de pollution marine433.

Ce titre sera ainsi divisé en trois sous-titres d'inégale importance :1. — L’affrètement.2. — Le


transport de marchandises. 3. — Le transport de passagers.

432
v. I. Bon-Garcin et alii, Droit des transports, Précis Dalloz, n° 55 s.
433
Rappelons que la responsabilité pèse ici sur le propriétaire du navire, v. ss 893.
126
Sous-titre 1
L'affrètement

La loi n° 420 du 18 juin 1966 et le décret n° 1078 du 31 décembre 1966, et après eux le Code des
transports (art. L. 5423-1 s. ; D. 5423-1 s.), en distinguent les trois types : l'affrètement au
voyage, l'affrètement à temps et l'affrètement coque nue.
La réglementation du Code de commerce, après celle de l'Ordonnance de 1681, n'avait été écrite
que pour le premier qui était pratiqué depuis longtemps et qui était à peu près seul employé
comme cadre juridique de l'exploitation des navires de commerce en 1808. Depuis, on a vu
apparaître les affrètements à temps434 qui sont parfois conclus aujourd'hui pour de longues durées
et les affrètements coque nue qui sont souvent devenus des instruments de financement de
construction de navire.
L'exploitation d'un navire comporte de nombreuses opérations qui se soldent par autant de
dépenses. On peut entre elles distinguer ce qui relève de la gestion nautique (équipement et
armement du bâtiment, paiement de l'équipage, entretien du navire et paiement des réparations,
assurances du navire) et ce qui relève de la gestion commerciale (approvisionnement de la
machine, dépenses d'escales et de ports). Cela étant, on peut dire que l'affrètement au voyage
laisse toute la gestion du navire au fréteur ; que l'affrètement à temps ne lui laisse que la gestion
nautique et lui retire la gestion commerciale qui passe à l'affréteur et que toute la gestion passe à
l'affréteur dans la location coque nue.
Ces différences traduisent, sur le plan des résultats, les obligations qu'assument les parties dans
chacun des trois types d'affrètement. Ces principaux affrètements ont ce trait commun que le
fréteur s'y engage à mettre un navire en bon état de navigabilité à la disposition de l'affréteur.
Aussi tous les affrètements obéissent-ils à des règles communes. Après les avoir exposées, tout
en considérant l'exploitation commerciale du navire affrété, qui pose entre autres questions, la
problématique des sous-affrètements, un chapitre sera réservé à chacun des trois types
principaux. Toutefois, les trois types principaux d'affrètement qui sont décrits dans la loi
n'épuisent pas la diversité de la matière. Il peut exister, à côté des trois types principaux
d’affrètement, d’autres contrats ou d’autres formules435. On les présentera après avoir exposé les
règles applicables à tout affrètement et exposé les trois modèles d’affrètement.

434
 Le Code de commerce connaissait la computation du fret suivant la durée du voyage ; ce n'était pas un
affrètement à temps.
435
 En effet, la loi ne prétend pas décrire toutes les variétés possibles d'affrètement, et ce d'autant plus que, ainsi que
le rappelle l’art. L. 5423, al. 2, les textes sont, en la matière, supplétifs de la volonté des parties. La loi, en effet, après
l’énoncé de règles générales, traite des plus grandes variétés d'affrètement dans les chapitres suivants, mais sans
préciser à aucun moment que tout affrètement est soit un affrètement au voyage, soit un affrètement à temps, soit un
affrètement coque nue. Il faut en outre réserver le cas des contrats conclus entre personnes publiques, qui ont tous les
caractères de l'affrètement, mais qui sont soumis au droit public (T. confl., 21 mars 1983, Aff. UAP et autres
assureurs du CNEXO c/ ministre des P et T, D. 1984. 33, note J.-B. Auby, et H.-G. Hubrecht).
127
CHAPITRE 1
LES RÈGLES COMMUNES

Par le contrat d'affrètement, une personne, appelée fréteur, s'engage à mettre un navire à la
disposition d'un affréteur, moyennant le paiement d'une somme d’argent appelée fret. Ce sont ces
éléments fondamentaux du contrat qu'il faut d'abord examiner.
Ce contrat commercial donne lieu à la rédaction d'une charte-partie et à l’établissement d'un
connaissement qui n’est d’abord qu’un reçu prouvant la remise de marchandises et qui n’est pas
nécessairement appelé à circuler. Ces éléments de forme appellent également quelques
observations.

§1. Conditions de fond

I. Parties 

Deux parties sont en présence. La première est le fréteur. Le fréteur est, le plus souvent, mais pas
nécessairement, l'armateur du navire. C’est le cas dans l’affrètement au voyage, mais sans doute
pas dans l’affrètement à temps et certainement pas dans l’affrètement coque-nue (v. ss 637). Le
contrat est conclu par le fréteur ou son représentant. Aujourd'hui, le capitaine n'intervient plus,
sauf dans le tramping lointain.

L'autre contractant est l'affréteur. Le contrat est conclu par lui-même ou par son représentant ou
encore par un commissionnaire (v. ss 608).
Les parties recourent à des modèles de contrats proposés par les organismes professionnels
qu’elles remplissent, biffent ou complètent par des clauses additionnelles 436. Tout est concevable,
dans le respect de la liberté contractuelle437.

II. Courtier d’affrètement 

V. en cas de rupture de pourparlers, Paris 9 juin 2011, DMF 2011. 795 et les obs.
436

437
La théorie des vices du consentement est naturellement applicable, v. Com. 29 avr. 2002, DMF 2002. 699 et les
obs. ; égal. Paris 26 févr. 2009, DMF 2010 HS 14, n° 96. Sur l’importance des clauses, v. Ph. Delebecque, Les
principales clauses des chartes-parties, Colloque AFDM-ABDM, Jurisprudence du Port d’Anvers 2005, 338.
128
Les parties, le plus souvent, font appel à l'intermédiaire d'un broker ou courtier438. Le courtier
d’affrètement (et de vente) rapproche les deux parties, mais ne prend aucun engagement
concernant l'exécution du contrat. Rien ne l’empêche, si l’une ou l’autre des parties en convient,
d’agir en qualité de mandataire. Ne jouissant d’aucun statut particulier, rémunéré par commission
(v. ss 600), le courtier est responsable pour faute. Une question se pose ou se posera : celle de sa
responsabilité si le navire proposé à l’affréteur n’est pas conforme. Quel est le degré de
vérification imposé ? La jurisprudence rendue à ce jour n’est pas très sévère 439. Il n’est pas exclu
qu’elle évolue si l’on compare avec les solutions admises en matière de classification, ce qui ne
veut pas dire que cette évolution soit souhaitable (v. ss 281).

§2. Éléments de forme : la charte-partie

I. Document type 

Ce nom dérive de l'italien carta partita et vient de l'ancienne pratique qui consistait, après avoir
rédigé le contrat sur un acte unique, à le couper en deux et à en remettre un morceau à chacune
des parties, le rapprochement des deux morceaux rétablissant le texte intégral. La charte-partie est
l'acte qui constate les engagements des parties. La charte est le document, l’affrètement et le
contrat. La loi n’exige la charte-partie qu'à titre probatoire ; elle en dispense les affrètements de
navires de moins de 10 tonneaux de jauge brute (art. D. 5423-2). Puisqu'il ne s'agit que de preuve,
l'aveu ou le serment pourrait, même pour les gros navires, remplacer la preuve par la charte.

438
. Comme le rappelle la sentence CAMP, n° 584, 4 sept. 1985, DMF 1986. 312, « en matière d'affrètement, la voie
de communication normale et acceptée entre les parties passe par l'intermédiaire des courtiers et utilise tous les
moyens de communication disponibles ». Les tribunaux se référeront donc aux télex échangés entre le courtier et son
client et entre les courtiers pour déterminer quelle a été l'intention des parties (sentence CAMP, n°585, DMF 1986.
213). Ce sont les courtiers qui vont adapter les formulaires imprimés de charte-partie par des clauses manuscrites
négociées ou bien des télex. Dans la négociation de la charte-partie, il existe des clauses fondamentales, soit selon
l'usage, soit selon la volonté des parties, et on ne peut tenir l'accord pour intervenu si les deux parties, par
l'intermédiaire de leurs courtiers, ne se sont pas entendues sur ces clauses fondamentales ; en revanche, l'accord peut
être donné « sujet détails » (subject details) dans le cas où il n'y a plus à se mettre d'accord que sur des clauses
secondaires ; on estime alors que le contrat est définitivement conclu parce qu'il reste à adapter matériellement les
termes généraux d'une charte-partie choisie comme modèle et que les clauses fondamentales du contrat sont
énumérées (les « Recommended principles for the use of parties engaged in chartering » du BIMCO) (sentence
CAMP n° 580, 24 juin 1985, DMF 1986. 242).
Rappelons aussi ce qu’écrivait un grand et fin connaisseur du monde maritime, M. Dardelet (Le courtier et la crise,
JMM 13 février 1986, p. 369 s.) : « parfois une compagnie panaméenne… ou d'autre nationalité de « libre
immatriculation », sans capital, sans actionnaires connus, est « réputée » posséder un unique navire dont
l'exploitation est assurée par le propriétaire réel d'une flotte complète, lequel se prétend « agent » ou « courtier » non
responsable. Ce schéma aggrave considérablement tous les risques encourus par les tiers clients ». En particulier, en
Allemagne dont les navires ont été en grande partie transférés sous pavillon de nécessité, il arrive que le propriétaire
du navire soit représenté lors de la rédaction de la charte-partie par un «  agent » ou « courtier » dont la qualité figure
sur la charte et dont l’affréteur peut croire qu’il s’agit de l’armateur réel. Or, l’affréteur, même lorsqu'il est au
courant, ne voit pas d'objection à traiter avec de tels intermédiaires, sans exiger une garantie d'exécution de
l'armateur réel, qui demeure à l'abri de sa société-écran. Ce système procure à l'armateur des facilités d'inexécution
du contrat ou de défaut de paiement des créances. Après avoir constaté cette « fraude », M. Dardelet préconisait de
mettre au point et d'imposer une formule de prise en charge solidaire de la responsabilité contractuelle par l'armateur
réel.
439
Paris, 24 oct. 1984, DMF 1985. 361, et Com. 30 janv. 1987, DMF 1988. 182 ; Paris, 9 juin 1999, DMF HS 5, n°
55 ; v. égal. Com. 12 juin 1990, DMF 1990. 381 et 394, obs. R.A.
129
À côté de mentions communes à toutes les chartes (individualisation du navire, noms du fréteur
et de l'affréteur, taux du fret : art. D. 5423-11 et 18), chacun des trois types d'affrètement
comporte des exigences qui lui sont propres. Ainsi les lieux de chargement et de déchargement,
de même que les temps convenus pour ces opérations, figureront dans les chartes au voyage (art.
D. 5423-18), mais n'auraient aucun sens dans une charte à temps. La charte au voyage contient
également des références à la marchandise (importance et nature de la cargaison). La durée du
contrat sera en revanche une mention fondamentale dans la charte à temps.
Comme il ne s'agit que de preuve, aucune mention n'est sacramentelle : les indications du décret
sont d'ordre descriptif plus que normatif. Si la charte existe, mais qu'une mention essentielle fait
défaut, la charte constituera le commencement de preuve par écrit permettant d'en établir les
lacunes par tous moyens. La charte-partie est rédigée en double original (C. civ., art. 1325), sauf
si elle est établie par un courtier qui la conserve à l'intention de chacune des parties. Ce que le
Code civil énonce est en effet une règle d'égale aptitude à la preuve des divers cocontractants, et
l'égalité est alors sauvegardée. La charte-partie n’est pas nécessairement signée440.
En fait, les chartes-parties sont des imprimés établis sur la base de formules types arrêtées par des
compagnies d'armateurs ou parfois par des chargeurs ou encore par des syndicats professionnels
(cf. Synacomex) ou des Conférences groupant les uns et les autres en même temps que les
assureurs441. Ces imprimés laissent des blancs que les parties remplissent par des mentions
manuscrites. Il arrive que les clauses imprimées et les clauses manuscrites se contredisent. On
applique alors naturellement ces dernières qui répondent à un état d'attention plus poussée des
contractants et sont adaptées à leur convention442.

II. Rôle du BIMCO 

Le Baltic and International Maritime Council, le fameux BIMCO, très représentatif du monde
des armateurs et des affréteurs,443 propose des formules types et suggère régulièrement des
nouvelles clauses en vue de tenir compte de telle ou telle donnée économique ou politique. Ainsi
en est-il pour les clauses stipulées en conséquence d’un acte de piraterie (v. ss 1021) 444. Ainsi en
est-il également des clauses dites sanctions.
Les contrats d'affrètement comportent souvent des zones de navigation énumérant une liste de
pays ou régions interdits pour l'exploitation commerciale du navire affrété. Ils contiennent aussi
des clauses confirmant que le navire n'a pas fait escale dans tel ou tel pays suspect au cours des X
dernières escales.

440
Comp. Com. 5 mai 2004, DMF 2005. 408, obs. crit. F. Arradon.
441
V. par ex. H. Damak, Contribution à l’étude du chargement et du déchargement des marchandises dans les
contrats d’affrètement et de transport maritime, thèse Aix-Marseille 2001, vol. II ; M. Sow, Impact des surestaries
sur les chartes-parties au voyage : de l'effet des clauses de temps sur l'équilibre contractuel dans les affrètements,
thèse Nantes, 2013.
442
 V. T. com. Rouen 18 déc. 1957, DMF 1958. 285 ; v. aussi sentence CAMP, n° 174, 29 mars 1976, DMF 1976.
638 ; sentence n° 752, 13 oct. 1989, DMF 1990. 630. V. le Glossaire des sigles utilisés dans l'affrètement maritime,
édité 1990 par la Chambre syndicale des courtiers d'affrètement maritime de France. V. pour un exemple
caractéristique des abréviations utilisées dans la négociation des chartes-parties et auxquelles il est nécessaire de se
référer en cas de litige.
443
Htpp ://www.bimco.org/
444
Égal. Ph. Boisson, Les clauses de sûreté maritimes dans les chartes-parties, Gazette CAMP, n° 6.
130
Le BIMCO a plus récemment (juillet 2010) proposé la clause « sanctions » envisageant les
risques de guerre, en donnant à l’armateur une option, et en faisant supporter à l’affréteur les
risques économiques de son choix445.

III. Le connaissement 

D'après le Code de commerce (art. 282), une fois le chargement effectué, le capitaine devait en
dresser un connaissement (i. e. une reconnaissance) en quatre exemplaires, un pour le chargeur,
un pour le destinataire, un pour le capitaine et un pour l'armateur du bâtiment. Ce connaissement
comportait un certain nombre d'indications propres à identifier la marchandise et à renseigner le
destinataire.
En fait, ces prescriptions étaient mal suivies parce que mal adaptées au contrat d'affrètement.
Cependant, jusqu'en 1952, la loi fiscale faisait obligation de présenter un connaissement à l'appui
de tout déplacement de marchandises dans les eaux territoriales françaises. L'obligation a disparu
sur le plan fiscal, mais au regard du droit privé, la réforme de 1966 n’a réglé le sort du
connaissement qu'à propos du contrat de transport et plus exactement n'impose d'en délivrer un
que si le chargeur le demande.
En matière d'affrètement, la solution doit être tirée des textes et spécialement de l’art. D. 5422-59
aux termes duquel, le statut du fréteur émetteur du connaissement (B/L) se trouve modifié à
l'égard des porteurs du connaissement, et remplacé par celui du transporteur ; étant donné que
celui-ci est bien moins avantageux pour le fréteur que celui-là, on doit en conclure que, sauf
indication expresse de la charte ou usage contraire, le fréteur n'est pas tenu de délivrer un
connaissement, du moins un connaissement transférable, à l'affréteur qui le lui demanderait. La
question est toutefois théorique, compte tenu des enjeux commerciaux en cause.
Le connaissement émis par le fréteur au voyage ou par l’affréteur à temps « to be used with C/P »
est d’abord un simple reçu446. Il devient un véritable connaissement lorsqu’il est transféré par
l’affréteur à son propre client, généralement tiers acquéreur de la marchandise 447. C’est également
le cas lorsque le connaissement est remis à la banque ayant ouvert un crédit documentaire au
profit de l’acheteur de la marchandise.

445
« (a) The Owners shall not be obliged to comply with any orders for the employment of the Vessel in any
carriage, trade or on a voyage which, in the reasonable judgement of the Owners, will expose the Vessel, Owners,
managers, crew, the Vessel’s insurers, or their re-insurers, to any sanction or prohibition imposed by any State,
Supranational or International Governmental Organisation.
(b) If the Vessel is already performing an employment to which such sanction or prohibition is subsequently
applied, the Owners shall have the right to refuse to proceed with the employment and the Charterers shall be
obliged to issue alternative voyage orders within 48 hours of receipt of Owners’ notification of their refusal to
proceed. If the Charterers do not issue such alternative voyage orders the Owners may discharge any cargo already
loaded at any safe port (including the port of loading). The Vessel to remain on hire pending completion of
Charterers’ alternative voyage orders or delivery of cargo by the Owners and Charterers to remain responsible for
all additional costs and expenses incurred in connection with such orders/delivery of cargo. If in compliance with
this Sub-clause (b) anything is done or not done, such shall not be deemed a deviation.
(c) The Charterers shall indemnify the Owners against any and all claims whatsoever brought by the owners of the
cargo and/or the holders of Bills of Lading and/or sub-charterers against the Owners by reason of the Owners’
compliance with such alternative voyage orders or delivery of the cargo in accordance with Sub-clause (b).
(d) The Charterers shall procure that this Clause shall be incorporated into all sub-charters and Bills of Lading
issued pursuant to this Charter Party. »
446
Aix-en-Provence 3 janv. 2005, DMF 2005. 879, obs. Cachard.
447
V. J. Lerbret, Le tiers porteur du connaissement, le fréteur au voyage, le transporteur maritime et l’arbitrage,
Gazette CAMP, n° 23.
131
IV. Caractère supplétif des textes 

Le principe de la liberté contractuelle domine le droit de l’affrètement. C'est un trait


fondamental. L’art. L. 5423-1, al. 2, et D. 5423-1 le précisent : les conditions et les effets de
l'affrètement sont définis par les parties au contrat 448, et à défaut, par les dispositions qu'ils
édictent.
La règle s'explique : les parties au contrat d'affrètement ne sont pas dans une situation
d'infériorité l'une vis-à-vis de l'autre ; ce sont d’un côté, un armateur et de l’autre, un industriel ou
commerçant ou encore deux armateurs, également puissants. Les règles légales du contrat
d'affrètement ne sont pas systématiquement protectrices de l'une des parties 449. Cependant, la
liberté des contractants n’est pas sans limites :
- les parties ne peuvent pas alléger leurs obligations au point qu'on ne soit plus en présence d'un
contrat d'affrètement, à supposer qu’elles aient bien voulu conclure un pareil contrat ; ainsi, on ne
concevrait pas que le fréteur se dispensât de mettre un navire navigable à la disposition de
l'affréteur ; pareille clause qui viderait l’obligation fondamentale du contrat de toute sa substance
serait nulle450 ;
- les clauses de non-responsabilité par lesquelles un débiteur s'affranchit des suites de la violation
de ses obligations contractuelles sont valables et opèrent, sauf si le créancier établit le dol ou la
faute inexcusable451 du débiteur ; il en est de même des clauses limitatives qui instituent un
plafond conventionnel de réparation.
- le renvoi dans les chartes au voyage aux Règles de La Haye ou de La Haye Visby est de plus en
plus fréquent afin que l'affréteur bénéficie du traitement auquel il est habitué dans les opérations
de transport maritime de marchandises. Comme le disent Lord Justice Saville et Lord Justice
Balcombe452 dans leurs opinions prépondérantes à propos d'un cas où il s'agissait de déterminer le
« duty of care » d'un débiteur dans des circonstances différentes, il convient d'observer « the
intricate and carefully regulated international code constituted by the Hague Rules ». Autrement
dit, sauf précision supprimant par exemple les cas exceptés, la convention internationale, dans
l’une ou l’autre de ses versions, s'appliquera dans les termes du renvoi. Mais il ne s’agit que
d’une incorporation et non d’une soumission453. Dans ces conditions, la convention n’est pas
appelée à s’appliquer implacablement. Elle ne jouera que dans la mesure voulue par les parties.

§3. Autres règles communes

I. Privilège454 

448
 Le respect de la volonté des parties et de la parole donnée, si « passé de mode » en droit terrestre, reste
fondamental dans le droit de l'affrètement. V. par ex. sentence CAMP, du 23 juin 1986, s’appuyant sur le respect de
la parole donnée. Sur l’exigence de bonne foi, Sentence CAMP n° 992, DMF 1999. 164.
449
 Du reste, les courtiers d'affrètement, agissant chacun pour l'une des parties en présence, contribuent à maintenir
l'égalité entre les deux parties dans la négociation. Il est vrai, cependant, qu’aujourd’hui, le plus souvent, un seul
courtier intervient.
450
V. Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse Aix-Marseille 1981, passim ;
égal. Sentence 5 nov. 1974, DMF 1975. 297.
451
Le concept de faute inexcusable a été généralisé par la loi du 8 déc. 2009 intégré dans l’art. L. 133-8 C. com. Ce
texte vise le « voiturier » et le « commissionnaire », mais il a vocation à écarter toute référence à la faute lourde (v.
RD transp. 2009, Repères 10).
452
Cour d’appel de Londres 3 févr. 1994, DET 1994. 47, 55 et 64.
453
V. sentence CAMP n° 841 du 18 juill. 1996 (DMF 1996. 1152) ; et surtout, sentence n° 999 du 2 févr. 1999.
132
Les textes prévoient d’autres règles communes à tous les affrètements. Ainsi en est-il de la règle
qui veut que le fréteur ait un privilège sur les marchandises pour le paiement du fret (art. L. 5423-
3).455 Il s’agit d’un privilège spécial mobilier dont tout fréteur peut se prévaloir et qui grève les
marchandises transportées. Encore faut-il que ces marchandises appartiennent à l’affréteur et que
l’affréteur soit bien débiteur du fréteur. Une sûreté, comme peut l’être un privilège spécial
mobilier, ne peut, en principe, grever que les biens du débiteur. Il reste qu’en la matière, il est
fréquent que les marchandises transportées ne soient pas la propriété de l’affréteur, mais celle du
porteur du connaissement ou encore d’un sous-affréteur. Après certaines hésitations, la
jurisprudence a fini par admettre que le privilège leur était opposable, mais dans la limite des
sommes encore dues par le porteur du connaissement à l’affréteur 456 ou par le sous-affréteur à
l’affréteur principal457.

II. Prescription de l'action 

Le législateur a posé la règle que les actions se prescrivent par un an et l’a généralisée aux
« actions nées du contrat d'affrètement » (art. L. 5423-4), sans restriction, ce qui évite les
difficultés rencontrées autrefois sur le domaine de l'article 433 du Code de commerce458.
La loi de 1966 avait précisé que cette prescription était interrompue ou suspendue et produisait
ses effets conformément au droit commun (art. 4). Cette disposition, curieusement supprimée par
le Code des transports, était destinée à éviter des discussions nées de la brièveté du délai ; il est
en effet des prescriptions aussi brèves, qui sont proprement des « courtes prescriptions » ; celles-
ci sont fondées sur une idée de présomption de paiement, ce qui justifie un régime spécial des
causes et de l'effet de l'interruption, l'éviction des causes de suspension et le jeu subsidiaire du
serment. Ces « courtes prescriptions » ne constituent pas le droit commun. On doit donc en
écarter ici le régime ; la brièveté du délai de prescription se justifie par le souci d'éviter des
procès ayant trait à des faits anciens et dont la preuve est particulièrement périssable puisqu'elle
porte sur l'état du navire et les fautes commises de part et d'autre. Même si la précision n’est plus
contenue dans la loi, on peut continuer à dire :
- que les causes ordinaires d'interruption opèrent : demande en justice, acte d’exécution forcée,
reconnaissance du débiteur ;
- que l'interruption a pour effet de faire courir une nouvelle prescription d'un an et n’entraîne
aucune interversion du délai ;
454
Les Anglais parlent de « lien » (du latin, ligamen, a binding) qui peut aussi être compris comme un droit de
rétention.
455
L’art. D. 5423-3 prévoit que le fréteur ne peut exercer de droit de rétention à bord  ; il peut cependant consigner les
marchandises en mains tierces et les faire vendre, sauf à l’affréteur à fournir caution :v. sentence CAMP n° 157, 30
oct. 1975, DMF 1976. 254 ; égal. Douai, 20 avr. 1995, DMF 1997 HS 1, n° 98, obs. Bonassies).
456
Com. 26 mai 1997, « Nobility », DMF 1997. 891, rapp. Rémery, obs. Rémond-Gouilloud, DMF 1998 HS 2, n°
131, obs. Bonassies ; l’arrêt précise par ailleurs que la loi applicable est la lex rei sitae, en ajoutant que cette loi doit
être combinée avec la loi de la source du privilège ; v. sur renvoi, Rouen, 14 mars 2000, DMF 2000. 1006, obs.
Tassel ; égal. Com. 3 mars 1998, DMF 1999, HS 3, n° 126, obs. Bonassies.
457
Com. 17 mars 1991, DMF 1991. 428, obs. Vialard.
458
 La loi applicable à la prescription était la loi du pavillon en matière d'affrètement maritime et spécialement
d'affrètement au voyage (Com. 20 mars 1984, DMF 1985. 97, obs. R.A. Fall, La prescription de l'action née du
contrat d'affrètement, DMF 1986. 521 s.). La loi applicable à la prescription est aujourd’hui la loi applicable au fond
(C. civ., art. 2221).
133
- que les causes ordinaires de suspension opèrent ;
- que la prescription ne peut pas être combattue par la délation du serment au débiteur.

V. Point de départ 

Le délai de prescription court du jour où l’intéressé a connaissance de ses droits. Il diffère


suivant la nature de l'affrètement (art. D. 5423-4)459.
Dans l'affrètement au voyage, le délai d'un an court depuis le déchargement complet de la
marchandise ou l'événement qui a mis fin au voyage. En cas d'achèvement normal, seul le
déchargement complet (qui peut durer des semaines dans les ports mal équipés) permet de savoir
s'il y a des pertes. On a voulu simplifier le système en adoptant la même règle pour les avaries,
alors qu'on aurait pu concevoir pour elles que l'action commence à se prescrire dès que l'avarie
est découverte.
Dans l'affrètement à temps et dans l'affrètement coque nue, le délai court depuis l'expiration de la
durée du contrat ou depuis l'interruption définitive de son exécution. En cas de résolution, ce sera
le jour de la décision prise par le contractant non défaillant s'il y a une clause de résolution
automatique stipulée dans la charte ; en cas de résolution judiciaire, ce sera le jour où elle aura été
prononcée par un jugement passé en force de chose jugée.

VI. Conflits de lois et de juridiction 

Ajoutons que le Code des transports n’a pas repris l’ancienne règle de conflit donnant
compétence à la loi du pavillon460. Ce sont donc les règles ordinaires issues du règlement Rome I
(art. 5) qui ont vocation à s’appliquer 461. On rappellera462 que la loi applicable est avant tout celle
choisie par les parties463 ; à défaut, il faut, en application du règlement Rome I sur la loi
applicable aux obligations contractuelles, distinguer :
En cas d’affrètement au voyage, on peut admettre que les règles de conflit sont les mêmes qu’en
cas de transport, compte tenu de la parenté entre ces deux contrats. L’article 5 du règlement est
donc la référence.
En cas d’affrètement à temps ou coque-nue, à défaut de choix exprimé par les parties, il faudrait
s’en tenir la loi du pays dans lequel le débiteur de la prestation caractéristique, i. e. ici le fréteur, a
sa résidence.
S’agissant des conflits de juridiction, le règlement 44/2001 est aujourd’hui le texte de référence,
du moins dans les litiges intra-européens. On peut considérer que le contrat d’affrètement est un
contrat de fourniture de services au sens de l’art. 5-1 du texte, du moins si l’affrètement est un

459
v. Fr. Berlingieri, « Time-barred actions », 2e éd. 1993 ; v. Aix-en-Provence, 29 oct. 1992, DMF 1993-784, obs.
Tassel, sur l'interruption et le point de départ de la prescription en matière d'affrètement. V. plus général. J. Klein, Le
point de départ de la prescription, thèse Paris 2, 2010.
460
V. Com. 20 mars 1984, Bull. civ. IV, n° 110.
461
En ce qui concerne les modalités d’exécution et les mesures à prendre par le créancier en cas de défaut dans
l’exécution, il faut « avoir égard » à la loi du pays où l’exécution a lieu ; art. 12. 2, Règlement Rome 1.
462
V. Le règlement Rome I : quelles incidences sur les contrats maritimes, Mélanges F. Berlingieri, I, p. 430 ; v.
égal. CJCE 6 oct. 2009, JCP 2009. 550, note d’Avout et Perreau Saussine, DMF 2010, HS 14, n° 95.
463
F. Arradon, « Loi française » et contrats maritimes, Gazette CAMP, n° 10.
134
affrètement au voyage464. La question n’est cependant pas capitale, puisque la plupart des chartes-
parties contiennent des clauses d’arbitrage que la jurisprudence ne cesse de valoriser465.

VII. Identification de l’armateur 

Le contrat d'affrètement n'a pas par lui-même d'effet sur les tiers (C. civ., art. 1165). Mais il crée
une situation durable et complexe qui va mettre les contractants en rapport avec des tiers. Les
problèmes qui se posent alors sont d'autant plus aigus que l'affréteur aura, du fait de la nature du
contrat, une part plus grande dans la gestion du navire. Ils se poseront donc surtout dans
l'affrètement à temps et dans l'affrètement coque nue. Pour nous borner au time charter, c'est
l'affréteur qui aura la gestion commerciale et partiellement même la gestion technique (non pas
nautique) du navire. Il commandera les voyages, les escales, donnera des ordres au capitaine.
D’où la question de savoir s’il ne doit pas être tenu des engagements pris par l’affréteur.
L’admettre, comme l’a fait parfois la jurisprudence, revient à donner à la qualité d’armateur un
aspect statutaire, ce qui ne va pas de soi. Si par ailleurs, la créance est privilégiée, elle pourra
grever le navire, sans pour autant que l’armateur soit débiteur. Il ne faut pas confondre l’assiette
du privilège avec sa cause (v. ss 225).
On dit aussi que dans un affrètement à temps, on est en présence d’un affréteur-armateur : est-ce
exact ? S’il est vrai que la jurisprudence a considéré que dans un tel cas la qualité d’armateur était
partagée entre le fréteur et l’affréteur, cette solution est loin d’être convaincante466.

VIII. Identification du transporteur

Dans l’affrètement à temps doublé d’un affrètement au voyage, il est fréquent que le
connaissement soit émis par l’affréteur à temps en même temps fréteur au voyage467. La question
se pose alors de savoir si le porteur du connaissement qui a certainement une action contractuelle
contre l’émetteur du connaissement, le fréteur au voyage, dispose également d’un recours contre
le fréteur à temps lui-même. Si l’on considère que toute faute contractuelle est en même temps
une faute délictuelle, on peut l’admettre. En effet, le porteur du connaissement est un tiers par
rapport à la charte à temps et si, au regard de ce contrat, le fréteur a manqué à ses obligations à
l’égard de l’affréteur, et si cette faute contractuelle est à l’origine d’un dommage causé au porteur
du connaissement, ce dernier pourrait engager la responsabilité délictuelle du fréteur 468. Cette
solution qui ne manque pas de logique, n’est cependant pas satisfaisante. Elle conforte le
contournement des règles du transport par le droit délictuel469 et méconnaît l’idée d’opération
contractuelle dans laquelle le fréteur à temps apparaît comme une partie maritime exécutante.
464
Le critère de la fourniture de services est en effet l’obligation d’effectuer une activité déterminée en contrepartie
d’une rémunération, v. en ce sens, pour un contrat de transport maritime : Com. 16 nov. 2010, Rev. crit. DIP 2011.
139, rapp. Potocki.
465
Cf. règle compétence-compétence jouant sous ses deux aspects, positif et négatif ; sous ce dernier aspect, la règle
est éminemment critiquable. On ajoutera que la procédure d’anti-suit injunction n’a pas été, à ce jour, clairement
condamnée par la jurisprudence, alors qu’elle a quelque chose de surannée : v. DMF 2010, HS 14, n° 98.
466
Com. 26 oct. 1999, Bull. civ. IV, n° 197, DMF 2000. 106, rapp. Rémery, DMF 2001, HS 5, n° 23, obs crit.
Bonassies, RTD com. 2001. 572 et obs.
467
V. égal. lorsque l’affréteur à temps n’a pas émis le connaissement ; sur cette question, v. S. Lootgieter,
L’affréteur à temps qui n’a pas émis le connaissement à son en-tête peut-il être identifié comme transporteur  ? DMF
2012. 103. Le fréteur à temps qui ne figure pas au connaissement ne peut, en principe, être engagé en qualité de
transporteur : Com. 20 janv. 2009, Bull. civ. IV, n° 9, DMF 2009. 235, rapp. Potocki, obs. Bonassies.
468
V. MM. Bonassies et Scapel, n° 858 ; v. égal. Com. 20 janv. 2009, préc., refusant d’appliquer dans cette
hypothèse la prescription annale du transport.
135
Chapitre 2
L’AFFRÈTEMENT COQUE NUE

I. Définition du contrat

Dans l’affrètement coque-nue (bare boat charter)470, le fréteur s’engage contre paiement d'un
loyer, à mettre, pour un temps défini, à la disposition d'un affréteur, un navire déterminé sans
armement ni équipement ou pourvu d'un armement et d’un équipement incomplets (art. L 5423-
8). Armer un navire c'est le pourvoir d'un équipage qui lui permette de prendre la mer dans des
conditions réglementaires. L'absence d'armement est la différence apparente la plus sensible avec
l'affrètement à temps. Mais il y a des degrés dans l'armement et le contrat ne cesse pas d'être une
location coque nue parce que le fréteur aura désigné le capitaine ou même le capitaine et le maître
d'équipage ou tout autre membre important de l'équipage. Cela s'explique parce que le fréteur, qui
va abandonner, pour plusieurs années parfois, son navire à l'affréteur lequel en aura toute la
gestion, n'en reste pas moins le propriétaire du bâtiment et peut souhaiter de pourvoir à ses
intérêts en confiant le navire à un capitaine de son choix471.

Quoiqu'il se rapproche d'une location (et l'on emploie assez couramment le mot) 472, l'affrètement
coque nue est un affrètement et les textes l'ont traité comme tel. C'est un affrètement parce qu'il a
pour objet un engin apte à naviguer en mer. On ne le confondra pas avec la pure location du droit
civil, qui existe également dans la pratique maritime et qu'on utilise par exemple pour des engins
portuaires ou encore pour des véritables navires loués pour une soirée mondaine ou pour servir
d'hôtel flottant dans un port. Des gradations imperceptibles peuvent d'ailleurs faire passer de
l'affrètement coque nue à une pure et simple location.
En pratique, les affrètements coque nue sont assez fréquents 473, d’autant que la faculté, reconnue
désormais, de faire battre pavillon français à un navire étranger affrété coque nue pourra les

469
Cf. Ph. D., La diversification des actions contre le transporteur maritime de marchandises, Mélanges Scapel,
2013, p. 103.
470
V. M. Davis, Bareboat Charters, Lloyd’s Shipping Law Library, 2e éd., 2005
471
Com. 28 janv. 2004, DMF 2004. 419 et les obs., DMF 2005, HS 9, n° 12.
472
 Le droit suisse désigne l'affrètement coque nue sous le nom de location et le réglemente à ce titre (cf. A. Von
Ziegler, DMF 1993. 758). Le contrat se rapproche du leasing, Pape et Richter, DMF 1973. 387.
473
 De nos jours, au-delà de sa fonction traditionnelle — contrat commercial d'affrètement du navire sans
armement — l'affrètement coque nue est utilisé comme instrument de crédit. L'armateur qui fait construire un navire
et a besoin de crédit à cette fin le fait construire au nom de l'établissement de crédit bailleur de fonds, qui le lui frète
coque nue. Ce schéma financier qui met en présence le banquier, l'armateur et le chantier est décrit avec précision
dans le contrat-type Barecon B consacré à l'affrètement coque nue d'un navire en construction suivant lequel :
.Le fréteur-banquier conclut le contrat de construction avec le chantier mais c'est l'affréteur qui négocie les
conditions contractuelles, suit les travaux, approuve les aménagements ou modifications, accepte ou rejette le navire
selon les procédures prévues par le contrat de construction. L’affréteur reçoit souvent mandat d’agir contre le
chantier (Com. 27 mars 1983, DMF 1984. 88).
Après la livraison, l'affréteur se fait céder par le fréteur le bénéfice des clauses contractuelles de garantie et c'est lui
qui exerce l'action en garantie à l'encontre du chantier.
Le banquier-fréteur encaisse les loyers et en cas de défaut de paiement, récupère de plein droit la possession du
navire sans passer par la procédure complexe de la mise en œuvre d'une garantie hypothécaire (Fontaine,
L'affrètement coque nue, DMF 1990. 265).
136
rendre plus attrayants474. En fait encore, l'affrètement coque nue peut être considéré comme une
sorte de vente quand il doit durer à peu près aussi longtemps que le navire lui-même. Les navires
de grande compétition sont aussi l’objet d’affrètement coque-nue. Ce sont ici les sponsors qui
financent les activités nautiques et donc les acquisitions.
Dans ces contrats, toute la gestion, nautique et commerciale, va passer à l'affréteur. Sauf s'il a
nommé le capitaine, et sauf vice propre du navire, le fréteur n'a pratiquement plus de rapports
avec son bâtiment pendant toute la durée de la charte.

II. Conclusion du contrat. 

Le contrat d’affrètement coque-nue n’est pas un contrat solennel. Il se conclut comme tout
contrat par le consentement des parties. Ce sont les parties qui sont totalement maîtresses de leur
décision. Toutefois, dès l’instant que le contrat est conclu pour une durée supérieure à un an, le
contrat, s’il a pour objet un navire français, doit être passé par écrit (art. L. 5423-2) et faire l’objet
d’une publicité (art. D. 5114-4). Cette publicité est imposée pour rendre le contrat d’affrètement
opposable aux tiers. À défaut, les tiers à l’affrètement, notamment les fournisseurs, peuvent se
retourner contre le fréteur475.
L’acte doit comporter les mentions propres à l’identification des parties intéressées et du navire.
L’écrit n’est pas requis à peine de nullité, mais, une fois encore, à peine d’inopposabilité, ce qui,
en fait, est aussi strict.

III. Obligations du fréteur 

Elles sont fondamentales, mais simples.


Le fréteur doit présenter à la date et au lieu convenus le navire désigné dans la charte ; ce navire
doit être en bon état de navigabilité et apte au service auquel il est destiné (art. D. 5423-5)476.
La navigabilité ne compte pas seulement la réunion des qualités nautiques qui permettront à
l'engin de flotter et de se propulser ou d'être propulsé. Le navire doit servir à une certaine
exploitation que la charte précisera plus ou moins ; de ces précisions dépendront les exigences
relatives à l'aménagement du navire ; ce sont les éléments de sa navigabilité commerciale. Ainsi,
un bananier affrété pour des transports de bananes devra être pourvu d'un équipement intérieur de
chambres froides en état de fonctionnement, faute de quoi on dira que ce bâtiment n'est pas en
état de navigabilité477. L'exigence que le navire soit navigable est commune à tous les
affrètements, mais il y a des nuances. Elle est généralement sanctionnée par une clause
474
 L'affrètement coque nue connaît un regain d’intérêt en tant que procédé de dérogation provisoire aux règles du
pavillon (ibid). Il s'agit en effet d'accorder provisoirement au navire le pavillon de l'affréteur tout en le laissant inscrit
sur le registre de propriété des navires ouvert dans le pays du fréteur. Le procédé permet ainsi aux armateurs des pays
dont le pavillon a des coûts d'exploitation élevés d'exploiter leur navire sous pavillon économique sans le sortir de
leur patrimoine (ibid.). Le caractère fictif de l'opération apparaît dans le fait que dans la majorité des cas, le navire
frété coque nue à une filiale off-shore est aussitôt ré-affrété à temps par le fréteur lui-même, après avoir simplement
changé de pavillon (cf. flagging out).
V. P. Curcic, « Registration of ships under bareboat charter with particular référence to dual registration », Diritto
Maritimo, 91 (1989), 415.
475
À défaut de publicité, la jurisprudence considère que le fréteur est tenu des dettes engagées par l’affréteur  : Com.
28 avr. 1998, Bull. civ. IV, n° 140, DMF 1998. 680. L’arrêt ne semble pas réserver le cas de la mauvaise foi (au sens
du droit des biens, cf. connaissance) des tiers, ce qui est critiquable.
476
Sentence CAMP n° 1128 du 31 janv. 2006.
477
 Rodière, Traité, Affrètements et transports, tome 1, n°s 143 s., 174 et 272.
137
résolutoire (« cancelling clause ») dont la mise en œuvre peut s’accompagner d’une demande de
dommages-intérêts.
Le fréteur a également la charge des réparations et des remplacements qui sont dus au vice
propre du bâtiment (art. D. 5423-6)478. C'est un prolongement de l'obligation précédente en ce que
le vice révèle l'état d'innavigabilité du navire, mais il ne faut pas dire pour autant que le fréteur
soit tenu de maintenir le navire en cet état pendant toute la durée de la charte. La comparaison des
articles D. 5423-5, d'une part (« le fréteur s'oblige à présenter »), et 5423-12, d'autre part
(« présenter et maintenir pendant… »), des textes réglementaires indique bien la différence qui
sépare sur ce point l'affrètement coque nue des deux autres types d'affrètements. Dans la charte
Barecon, la garantie est limitée aux vices révélés dans les 18 mois de la délivrance du navire. Une
telle clause est valable même au regard des exigences du droit français 479, à condition cependant
qu’elle ne vide pas l’obligation d’assurer la bonne navigabilité du navire de toute sa substance.
Le fréteur n'a pas d'autre obligation parce qu'il concède à l'affréteur toute la gestion de son navire,
si ce n’est qu’il engage, en tant que propriétaire du navire, sa responsabilité en cas de dommages
de pollution par hydrocarbures (v. ss 893).

IV. Droits et obligations de l'affréteur 

L'affréteur va disposer du navire pendant la durée de la charte. C’est donc l’affréteur qui exploite
le navire et prend la qualité d’armateur. Si la charte imposait quelques limites, l’affréteur devrait
les respecter, mais la chose est rare. Il peut donc utiliser le navire à toutes fins conformes à son
utilisation normale et peut se servir du matériel et des équipements à bord. L'affréteur peut du
reste soit exploiter directement le navire soit à son tour le fréter en coque nue, à temps, ou au
voyage. La règle est posée pour tous les affréteurs par l'article L. 5423-5. Il est rare que le contrat
y déroge dans la location coque nue.

En revanche, l'affréteur doit :


1. payer le fret convenu480 : dans cette variété d'affrètement, le fret se nomme « loyer » ; le loyer
est généralement calculé suivant quelque unité de temps, le jour, le mois… ; si le navire est
immobilisé par suite d'un vice propre, aucun loyer n'est dû quand l'immobilisation dure plus de
vingt-quatre heures (art. D. 5423-6, al. 2)481 ; cette précision est destinée à éviter les petits
règlements ;
2. entretenir le navire, procéder aux réparations et aux remplacements 482, sauf le cas de vice
propre du bâtiment (art. D. 5423-8, al. 1er) ;
3. payer l'équipage et acquitter les dettes afférentes à son emploi (dettes sociales ou fiscales) ;
4. assurer le navire (art. D. 5423-8, al. 2) ;
5. restituer le navire en fin de contrat, dans l'état où il l'a reçu, sauf l'effet de l'usure normale du
bâtiment (art. D. 5423-9) (on parle de « redélivraison »). Il en va de même des appareils et des
équipements. En cas de retard dans la restitution, l’affréteur doit une indemnité calculée pendant

478
Paris 7 juin 2006, DMF 2007. 300.
479
égal. MM. Bonassies et Scapel, n° 866.
480
Sentence CAMP n° 1115 du 13 juin 2005, DMF 2006. 331. V. sur une délégation de loyer doublée d’une
cession, Paris 7 juin 2006, DMF 2007. 300 et les obs.
481
La Barecon ne prévoit aucune suspension de loyer, ce qui paraît licite, sauf faute caractérisée du fréteur.
482
La Barecon considère que si les réparations sont imposées par la réglementation ou les règles de classification,
les parties devront renégocier leur accord, dans la mesure où le montant des dépenses dépasse de 5% la valeur
d’assurance du navire (P. Bonassies et Ch. Scapel, n° 867).
138
les quinze premiers jours sur le prix du loyer et postérieurement sur le double de ce prix ; le
fréteur pourra toujours obtenir une indemnisation plus importante s’il prouve que son préjudice
est plus élevé (art. D. 5423-10).

En outre, mais il est à peine besoin de le dire, l'affréteur supporte toutes les dépenses tenant à
l'utilisation du navire : soutes, taxes de ports ou de quais, frais de chargement et déchargement.

V.Responsabilités 

Les responsabilités doivent être appréciées à un double point de vue.


Dans les rapports entre fréteur et affréteur, chacun sera responsable envers l'autre du
manquement à ses obligations dans les termes du contrat et sera tenu à ce titre de réparer toutes
les suites directes et prévisibles de ses défaillances. Ainsi l'innavigabilité du navire, qui aurait
causé un dommage à une cargaison de l'affréteur, obligerait le fréteur à le réparer ; encore ne
faudrait-il pas que cette innavigabilité fût imprévue, car elle ne serait pas une source de
responsabilité contractuelle pour ce débiteur. En d'autres termes, on appliquera rigoureusement
les règles du droit commun de la responsabilité d'un débiteur tenu d'une obligation de moyens et
l'on se gardera de l'erreur qui consisterait à croire que le fréteur est en quoi que ce soit garant de
la bonne arrivée de la cargaison qu'il a plu à l'affréteur de placer dans les cales du navire ; en soi,
les avaries ou les pertes subies par la cargaison ne prouvent rien contre le fréteur.
À l'égard des tiers, les dommages causés par le navire seront supportés finalement par l'affréteur
seul ; il faut préciser « finalement », parce qu'il se pourrait que le fréteur fût obligé à la dette : il
en sera ainsi lorsque les tiers seront en droit d'ignorer la charte (en cas d’absence de publicité) et
pourront tenir le fréteur, propriétaire du navire, comme seul responsable des dommages causés
par ce bâtiment. En pareil cas, le fréteur sera bien obligé envers eux, mais il ne devra contribuer
en rien à la dette ; l'affréteur qui seul avait la gestion du navire doit la supporter. C'est ce
qu'indique l'article L. 5423-9 du Code des transports.
VI.Sort des recours contre le fréteur 
En précisant que l'affréteur doit ainsi garantir le fréteur de tous recours « qui sont la conséquence
de l'exploitation du navire », la loi exclut les dommages dus au vice du navire : c'est au fréteur de
les supporter en définitive ; encore faudrait-il alors faire exception pour les cas où l'affréteur
aurait négligé d'aviser le fréteur de la surveillance de quelque défaut inopiné du navire, défaut qui
aurait précisément causé plus tard dommage à autrui. Des responsabilités partagées peuvent dans
ces conditions se concevoir. Il ne faut cependant pas oublier que cette question de recours dépend
avant tout de ce que les parties et leurs assureurs ont prévu. Des clauses de non recours sont à cet
égard envisageables qui cèdent en cas de dol ou de faute inexcusable

139
Chapitre 3
L’AFFRÈTEMENT À TEMPS

I. Notion 

Par ce contrat (time charter ou T/C)483, le fréteur s'oblige à mettre à la disposition de l'affréteur un
navire armé, pour un temps défini, moyennant le paiement d'un fret (art. L. 5423-10).
Ce contrat se distingue de la location coque nue par le fait que le fréteur s’oblige à armer et
équiper le navire, alors qu'il n'en fait rien ou qu'il ne le fait qu'incomplètement dans l'affrètement
coque nue ; aussi le fréteur conservera-t-il la gestion nautique de son bâtiment (art. D. 5423-13),
alors qu'elle passe à l'affréteur dans la location coque nue. Il se distingue de l'affrètement au
voyage en ce que l'affréteur sera libre d'utiliser selon ses besoins le navire pendant la durée de la
charte (sous les réserves indiquées, v. ss 655) ; aussi l'affréteur va-t-il recevoir la gestion
commerciale du navire (comme l'affréteur en coque nue qui, lui, reçoit toute la gestion du navire),
alors que l'affréteur au voyage ne la reçoit pas 484. Cette répartition n’est cependant pas, en elle-
même, opposable aux tiers, car elle n’a pas de portée statutaire. Seuls des intérêts privés sont en
cause et la loi n’a nullement organisé une solidarité entre le fréteur et l’affréteur485.
À ce trait fondamental s'en ajoute un autre qui caractérise le contrat ; il s'agit d'une donnée de
base, dont les conséquences juridiques seront importantes : le temps court pour le fréteur, contre
l'affréteur ; peu importe au fréteur que le navire soit ou non utilisé ; on ne concevrait pas que le
fréteur imposât des délais pour le chargement ou le déchargement ; comme dans la location coque
nue, peu lui importe que ces opérations traînent ou soient menées avec diligence ; l'intense
exploitation commerciale du navire ne profitera qu'à l'affréteur.
Enfin, et tout se tient, il n'est, en principe, pas question dans la charte de la cargaison, des ports de
chargement ou de déchargement. En effet, l'affréteur va utiliser le navire comme il le souhaite
pendant la durée du contrat ; que va-t-il transporter ? Le fréteur n'en sait rien ; entre quels ports ?
Il ne le sait pas davantage. En d’autres termes, à aucun degré, le fréteur ne prend en charge les
marchandises de l'affréteur ; son ignorance est ici la même que dans la location coque nue486.

II.Conclusion du contrat 

Les parties recourent aux formules proposées par la pratique : NYPE, Baltime, Gentime,
Gastime, Boxtime… Les négociations sont fréquentes et portent sur tous les aspects de la mise à
disposition : caractéristiques du navire, durée, loyers, assurances, charges diverses…
Plusieurs modalités sont concevables. Le fréteur confie généralement à l’affréteur la gestion
commerciale du navire et se réserve ou en conserve la gestion nautique. Mais il peut arriver que
le fréteur abandonne ou transfère à l’affréteur la gestion commerciale, mais aussi la gestion
nautique. L’affréteur exercera ainsi son autorité sur le capitaine et les membres de l’équipage. On
parle dans la pratique d’affrètement with demise (avec dévolution), l’affréteur étant qualifié de
483
V. T. Coghlin, A.W. Baker, J. Kenny et J.D. Kimball, Time charters, Lloyd’s Shipping Law Library, 7 e éd.,
2014 ; M. Wilford, T. Coghlin, N. J. Healy Jr., J. D. Kimball, Time Charters, Lloyd's of London Press Ltd. 2e édition,
1983.
484
 La charte-partie Marine Nationale n° 1 (v. ss 541), contrat administratif pour l'affrètement des navires de la
marine marchande par la Marine Nationale, est une charte-partie à temps.
485
P. Bonassies, Statut et contrat dans le droit maritime, Mélanges Scapel, PUAM 2013.
486
Sur les questions de fiscalité, v. CAA Marseille 7 févr. 2011, DMF 2011. 701 et les obs.
140
demise charterer. Ce type d’affrètement n’est pas un affrètement coque-nue, car le navire a un
équipage recruté par le fréteur et c’est cet équipage qui, avec le navire, est confié l’affréteur. Il est
cependant devenu tout à fait exceptionnel et pose des problèmes dans la mesure où il porte non
seulement sur un navire, mais aussi sur un équipage et donc sur du personnel. Or, le prêt de main-
d’œuvre est très sévèrement encadré, du moins en droit français.
Il peut arriver également que l’affrètement à temps soit conclu pour un seul voyage, ce qui
rapproche ce type d’affrètement (cf. trip charter) du voyage charter. À l’inverse, des
affrètements à temps de longue durée sont parfaitement concevables. Les aménagements
contractuels des uns et des autres diffèrent alors487.
Les obligations des parties, du fréteur et de l’affréteur, doivent être présentées, avant que l’on
envisage les questions de responsabilité.

SECTION 1. OBLIGATIONS DES PARTIES

§1.Obligations du fréteur 

Ce sont d'abord, comme dans l'affrètement coque nue :


1. celle de mettre à la disposition de l'affréteur 488, au temps et au lieu convenus 489 dans la charte,
un navire déterminé en bon état de navigabilité 490, celle-ci s'entend comme l'ensemble des
qualités nautiques et commerciales qui permettent au navire d'assurer le service pour lequel il a
été affrété ; si la charte précise à quels services particuliers le navire doit être affecté, il ne sera
navigable que s'il est apte à les rendre ;
2. celle d'assurer les réparations et de pourvoir aux remplacements dus au vice propre du navire.
Mais, en outre, et ici se marque dans les effets une première différence avec la location coque
nue, le fréteur doit :

487
MM. Bonassies et Scapel, n° 823.
488
 C'est, dans le jargon maritime, la « délivraison ». Le procès-verbal de délivraison fait courir la charte : T. com.
Paris, 8 janv. 1975, DMF 1973. 482, note Lafage. La redélivraison marque le terme du contrat, sinon la cessation des
relations entre les parties.
489
 Lorsqu'il est manifeste que le navire ne pourra être à la date convenue au port de chargement par suite d'un retard
au cours de son précédent voyage, l'affréteur peut déclarer par avance son intention de résilier (ce qui est une
anticipatory breach, v. Pour ou contre l’anticipatory breach, Gazette CAMP, n° 19), ce qui évitera au navire
d'effectuer le trajet et d'en supporter les frais pour s'entendre annuler à la date de « cancelling » ; on peut se
demander si le fréteur peut lui-même prendre les devants et obliger l’affréteur à résilier. À l'inverse, si le navire est
au port mais n'est pas prêt, l'affréteur ne peut résilier si la date de cancelling est passée, le non-exercice du droit
d'annulation devant être interprété comme une acceptation du navire (P. Simon, Les règles non écrites des contrats
d'affrètement, conférence AFDM, 20 nov. 1986, DMF 1987. 117 s. ; v. aussi JMM 1989. 2424).
490
 V. P. Raymond, La description du navire dans l’affrètement à temps, Gazette CAMP, n° 2. Sur la preuve de
l’innavigabilité, Rodière, Traité, tome 1, 1967, n° 146 ; Com. 21 oct. 1963, DMF 1964. 14. La mise en bon état de
navigabilité suppose entre autres obligations la fourniture du combustible de soute nécessaire pour atteindre le poste
de soutage le plus proche, si par hypothèse, il n'y avait pas de combustible au port dans lequel le navire est délivré à
l'affréteur, alors même que la charte-partie prévoit que l'affréteur doit fournir le combustible de soute pendant
l'exécution du contrat d'affrètement (Auchter, Le combustible de soute dans l'affrètement à temps, DMF 1982.
455 s.).
Sur la saisie des soutes par les créanciers affréteurs, v. Rouen, 28 janv. 1993, DMF 1993. 306 ; Bonassies, Le Droit
positif français en 1993, DMF 1994, n° 99, obs. approbatives.
141
3. maintenir le navire en état de navigabilité pendant la durée de la charte 491 : il n'en perd pas le
contrôle et la gestion nautique relève de lui ;
4. armer le navire, c'est-à-dire le pourvoir de l'équipage complet nécessaire à sa marche et payer
tout ce qui constitue la rétribution directe ou indirecte de l'équipage (salaires, contributions
sociales, nourriture, soins, rapatriements, éventuels, charges fiscales correspondantes).
5. assurer le navire contre tous les risques dont il peut être l’objet et ne pas oublier d’assurer sa
propre responsabilité (ce qui est en général pris en charge par les Clubs de protection).

Les obligations du fréteur sont sanctionnées dans les conditions du droit commun, étant précisé
que le droit maritime admet depuis longtemps la faculté de résiliation unilatérale du contrat en
cas de manquement grave par l’une des parties à ses obligations.

§2.Situation du capitaine 

Comme tout l'équipage, le capitaine est engagé et payé par le fréteur. Généralement, la charte
prévoit qu'il est mis à la disposition de l'affréteur et qu'il sera à ses ordres « pour ce qui concerne
l'emploi, l'agencement ou autres dispositions »492.
Le capitaine devra exécuter avec célérité tous les voyages que lui commandera l'affréteur dans le
cadre de la convention. L'équipage devra s'y prêter avec sa diligence coutumière. Si l'affréteur
était mécontent du capitaine, d'un officier ou de l'équipage, il ne pourrait pas les remplacer lui-
même, ceux-ci tenant leurs pouvoirs du fréteur ; il en référera au fréteur qui, après enquête,
procédera aux changements, si la chose lui paraît nécessaire et réalisable493.

§3.Obligations de l’affréteur : emploi du navire 

Les affréteurs s'engagent à employer le navire à des trafics licites pour le transport de
marchandises dans le commerce juridique494 « entre des ports ou lieux bons et sûrs (cf. range) où
il pourra demeurer toujours à flot et en sécurité dans les limites » données ; par exemple
« Europe, côte ouest d'Afrique (rivières incluses) ». Il est parfois spécifié qu'il ne s'en servira que
pour tel genre de marchandises (minerai de fer, par ex.), ou à l'inverse qu'il ne l'utilisera pas pour
tel ou tel genre de marchandise (grumes, par ex.)495.

491
 Par ex. : T. com. Marseille, 22 févr. 1972, DMF 1972. 731 ; Cf. Aix-en-Provence, 20 juin 1972, Scapel, 1972.44.
Indisponibilité du navire en cours de contrat, en raison d'un accident de navigation ; rupture du contrat par l'affréteur,
conséquences (sentence CAMP, n° 572 15 mars 1985, DMF 1986. 183). Sur l'obligation de maintenir le navire en
état d'efficacité et le boycott par l'ITF (« International Transport Workers Federation »), v., dans des circonstances de
fait différentes, sentences 15 janv. 1980 (second degré, sentence n° 330, DMF 1980. 443) et 15 juin 1986 (sentence
CAMP n° 623, DMF 1987. 54-55). du Pontavice, L'immobilisation forcée du navire du fait des mouvements sociaux,
colloque Bordeaux, AFDM, 20-22 octobre 1988, compte rendu DMF 1989. 209 s. et in « L'immobilisation forcée des
navires » (ouvrage du Colloque, Presses Universitaires de Bordeaux, mai 1990, p. 73-119). du Pontavice et
P. Cordier, Transport et affrètement maritimes, op. cit., V 4. Sur l'effet de l'obligation de maintenir le navire en état
de navigabilité, à l'égard des tiers, v. Com. 3 déc. 1985, Bull, civ. IV, n° 287.
492
« The captain shall be under the orders and direction of the charterers as regards employment and agency ».
493
 J. Potier, Le capitaine aux ordres de l'affréteur à temps, in Études offertes à René Rodière, 1981, p. 465. Une
faute du capitaine dans la gestion commerciale du navire entraîne la responsabilité de l'affréteur à l'égard du fréteur  :
v. Com. 24 févr. 1982, Bull, civ. IV, n° 73 ; égal. Sentence CAMP n° 977, 20 févr. 1998, DMF 1998. 929.
494
S’il s’agit de marchandises contrefaites, la solution (de la nullité) admise en matière de vente (Com. 24 sept.
2003, Bull. civ. IV, n° 147, D. 2003. 2683, note Caron) devrait être transposée.
495
Cf « Trading limits », v. en application Sentence CAMP 8 juill. 1999, n° 1011.
142
Le point de savoir si un quai496 ou encore un port est « bon et sûr » (safe port) ou s'il ne l'est pas
(unsafe port) soulève des difficultés. Le capitaine refusera de se rendre dans un port qu'il estime
non sûr et l'affréteur s'en plaindra, demandera à résilier la charte ou encore le capitaine sera entré
dans un port, la mer l'aura drossé sur des rochers à l'entrée ou à la sortie et le fréteur demandera
des dommages-intérêts parce que l'affréteur aura commandé le navire pour un port non sûr. La
jurisprudence anglaise est ici la référence497. On peut, semble-t-il, poser les règles suivantes :
- on ne doit pas juger de la sécurité d'un port après l'événement ; c'est au moment où il entre dans
le port qu'il faut se placer, compte tenu du reste du temps nécessaire pour y opérer et des
conditions prévisibles à la sortie du port ;
- quand le port est désigné dès le contrat, le fréteur ne peut pas prétendre qu'il n'est pas sûr ; cela
se présente surtout dans l'affrètement au voyage498.
- la notion de port sûr est liée à la sécurité physique du navire et de son équipage ; elle ne renvoie
pas aux capacités commerciales du port.499
L’obligation pesant sur l’affréteur de se rendre dans un port sûr est sanctionnée par des
dommages-intérêts si le fréteur fait état d’un préjudice500. Il n’est pas exclu qu’elle soit plus
strictement sanctionnée et donne le droit au fréteur de s’opposer à ce que l’affréteur rejoigne un
port considéré comme non sûr. Lorsque des questions de sûreté (actes illicites et/ou piraterie) se
posent, les chartes vont souvent jusque-là. Les clauses limitant ou interdisant l’accès à certains
ports soulèvent cependant de sérieuses difficultés.501

§4. Chargement/déchargement 

Comment l'affréteur chargera-t-il, déchargera-t-il ? La charte n'en dit jamais rien parce que ces
questions n'intéressent pas le fréteur ; c'est au chargeur de s'organiser comme il l'entend. Ce qui
est spécifié, c'est l'équipement du navire en mâts de charge et en bigues. On dira par exemple que
« le navire est muni de 10 treuils, 7 mâts de charge capables de manipuler des palanquées (on
appelle ainsi la charge d'un palan) de 5 tonnes et 3 bigues de 10 tonnes ». Il sera également
précisé que le navire sera pourvu d'un treuilliste par écoutille (on appelle ainsi l'ouverture
pratiquée dans le pont pour accéder à l'intérieur).
Aucun délai n'est davantage fixé pour le chargement ou le déchargement. Le temps employé
regarde l'affréteur. Le prix de location court. Il est indifférent au fréteur que tel ou tel délai

496
Rappr. The Moorcock (1889) 14 P.D. 64, opposant armateur et exploitant du quai à propos de la responsabilité
des dommages survenus au navire à la suite de son échouage et où les juges considèrent que le contrat d’utilisation
du quai comporte une clause implicite relative à la sécurité du navire.
497
 La décision de principe, généralement citée et observée, est Queen’s Bench 30 juill. 1958, « Eastern City » LLR
1958. 2, 17 : « a port will not be safe unless, in the relevant period of time, a particular ship can reach it, use it and
return from it without, in the absence of some abnormal occurrence being exposed to danger which cannot be
avoided by good navigation and seamanship » ; v. égal. Rodière, Traité, op. cit., n° 156 ; J. Ramberg, Unsafe ports
unsafe berths, Oslo, 1968.
498
 Sur la notion de port sûr et de poste sûr dans l'affrètement au voyage et les obligations qui en découlent pour
l'affréteur au voyage, v. sentence CAMP n° 625, 17 juin 1986, DMF 1987. 172. V. en général, Le port dans les
chartes-parties, compte rendu du colloque AFDM de Dunkerque 16-18 mai 1984, DMF 1986. 579 s. Buhler,
Obligations des affréteurs quant à la sécurité du port et du poste, DMF 1984. 131 s.
499
MM. Bonassies et Scapel, n° 843.
500
Sentence CAMP 31 déc. 1998, n°997 ; et 751 du 20 oct. 1989.
501
G. Piette, La clause BIMCO « radioactivity Risk » dans les contrats d’affrètement maritime à temps, RD transp.
2012, n° 2.
143
normal soit dépassé. Le fait que toutes ces opérations matérielles incombent à l'affréteur résulte
de la clause qui les met à sa charge financière. L'arrimage lui-même est à sa charge.
Ainsi, l'emploi du navire est-il libre pour l'affréteur à l'intérieur de certaines limites
géographiques, de temps et de nature des marchandises, fixées par la charte-partie. L'affréteur va
soit utiliser le navire à transporter des cargaisons entières lui appartenant (il fera du transport
privé) ou confiées par des chargeurs, soit même exploiter le navire sur une ligne régulière.
Ainsi, l’affréteur lui-même va, à l'occasion, sous-fréter le navire ou délivrer des connaissements.
Dans un cas, comme dans l'autre (mis à part le cas de transports privés), l'affréteur, à son tour,
encaissera des frets. Il aura un double visage : affréteur vis-à-vis du fréteur propriétaire du
navire : fréteur vis-à-vis des sous-affréteurs ou transporteur vis-à-vis des chargeurs.

§5. Loyers 

L'affréteur contracte l'obligation principale de payer le loyer (art. D. 5423-21), les soutes et tous
les frais de l'exploitation commerciale du navire (frais de port, de pilotage, taxes de douane sur
les marchandises…)502. La convention des parties fixe le loyer à tant par jour ou par mois, depuis
le jour où le navire est mis à la disposition de l'affréteur jusqu'à sa « redélivraison »503.
Le contrat ne manque pas de préciser les conditions du paiement : « à tel endroit, chaque trente
jours et d'avance à telle banque », par exemple. Dans le silence de la charte, les textes précisent
que le fret est payable d'avance et par mensualités et qu'il n'est pas acquis à tout événement
(art. D. 5423-16) ; enfin qu'il n'est pas dû pour les périodes excédant 24 heures pendant lesquelles
le navire n'est pas commercialement utilisable (art. D. 5423-17). On remarquera la différence de
formule avec la location coque nue (v. ss 640) où le loyer n'est suspendu que si l'immobilisation
est due au vice du bâtiment ; cela tient à ce que le fréteur à temps est tenu de maintenir le navire
en bon état de navigabilité et pas seulement de ses vices propres.
Les chartes prévoient généralement les circonstances entraînant la suspension du loyer (périodes
de off hire : grève de l’équipage ; incidents mécaniques sérieux ; saisie du navire…) ou même
l’extinction de la créance de loyer (perte du navire). Ces clauses sont parfaitement valables,
même si elles soulèvent parfois des difficultés d’interprétation.504
Les chartes de longue durée envisagent aussi les questions de révision financière lorsque
l’équilibre économique du contrat se trouve bouleversé en raison d’une crise extérieure : c’est ce
que l’on appelle le « hardship ».505
Quant aux garanties, le fréteur est d’abord protégé par son privilège (v. ss 631). Il bénéficie aussi,
en application de la charte, de sûretés contractuelles : gage ou même rétention contractuelle (C.
civ., art. 2286-1)506.

502
Com. 14 oct. 1997, Bull. civ. IV, n° 268, DMF 1997. 1094, obs. Bonassies, précisant que l’affréteur est seul
débiteur des frais d’exploitation commerciale envers l’agent consignataire et que l’existence du privilège sur le
navire n’a pas pour effet de rendre le propriétaire-fréteur personnellement débiteur des frais d’escale commerciaux.
La solution est logique dans la mesure où il est établi que le consignataire a contracté avec l’affréteur. Il ne faudrait
pas en déduire que la répartition entre la gestion commerciale et nautique est opposable aux tiers. V. P. Bonassies,
DMF 1998, HS 2, n° 74 ; comp. Versailles 18 mai 1995, DMF 1997. 137, obs. Tassel ; égal. Basse-Terre 7 juin
2010, n° 07/01326, considérant qu’une T/C non publiée est inopposable au fournisseur de soutes.
503
 Sur les modalités de calcul du fret, v. sentence CAMP, n° 160 du 16 janv. 1976, DMF 1976. 762.
504
Bonassies et Scapel, n° 849. La clause ne joue pas si le « off hire » est imputable à l’affréteur : Sentence CAMP,
n° 977 2 févr. 1998, DMF 1998. 929 ; égal. Sentence 14 mai 1974, DMF 1974. 653.
505
Cachard, Les clauses de hardship dans les contrats maritimes : prévisions et imprévisions, DMF 2011. 399 ; égal.
J.Y. Thomas, Les clauses de hardship sont-elles efficaces ?, Gazette CAMP, n° 27.
144
SECTION 2. QUESTIONS DE RESPONSABILITÉ

§1. Responsabilité 

Il faut distinguer les rapports contractuels et les dommages aux tiers et rappeler que les règles
sont ici purement supplétives de la volonté des parties.
Entre fréteur et affréteur, chacun est tenu de réparer les suites dommageables des manquements à
ses obligations contractuelles. Ainsi, l'affréteur est responsable des dommages causés au navire
du fait de son exploitation commerciale (art. L. 5423-12). Il devra réparer les dommages causés
au navire qu'il a envoyé dans un port dangereux (v. ss 647)507.
Le fréteur, de son côté, sera responsable d'une part des suites de l'innavigabilité du navire ; d'autre
part, des fautes commises par l'équipage puisque celui-ci a été nommé par lui et, pour tout ce qui
concerne la gestion nautique508 du navire, demeure attaché à lui par des liens de préposition. Mais
c'est à l'affréteur d'établir l'innavigabilité du navire ou la faute du capitaine ou de l'équipage. En
d'autres termes et comme pour la location coque nue (v. ss 641), le fréteur n'est pas a priori
responsable des dommages subis par les cargaisons de l'affréteur ; il ne les connaît pas davantage
que dans le précédent type d'affrètement.
Il y a cependant une différence qui tient à ce que le fréteur a fourni l'équipage avec le navire et
qu'il doit donc répondre des fautes que l'équipage a pu commettre. Mais la situation de l'équipage
est ambivalente parce que la gestion du navire est partagée ; obéissant d'une façon générale à son
commettant, le fréteur, il doit obéir aux instructions que lui donne l'affréteur pour ce qui concerne
la gestion commerciale du bâtiment, du moins si ces instructions cadrent avec les limites
assignées à l'emploi du navire par les clauses de la charte-partie (art. D. 5423-15). On comprend
dès lors la solution de la loi concernant la responsabilité en cas de dommages dus aux fautes du
capitaine ou de l'équipage : le fréteur n'est pas responsable de la faute nautique du capitaine ou de
ses autres préposés (art. L. 5423-11, al. 2).
On retrouvera la notion de faute nautique avec l'étude du contrat de transport. Mais la définition
n'en est pas nécessairement la même. Il faut ici entendre la faute nautique de façon simple : c'est
la faute commise dans la gestion nautique du bâtiment ; ainsi la faute d'arrimage, dont on discute
la nature dans le contrat de transport, est certainement ici une faute non nautique. Seulement, il
n'est pas dit que le fréteur devra répondre de ces fautes non nautiques ; normalement même il ne
le devra pas parce que ces fautes, commises dans l'exécution des instructions de l'affréteur, sont
commises par des personnes qui sont, sous ce rapport, les préposés de l'affréteur et dont celui-ci
doit donc répondre. Il faut supposer pour que le fréteur soit tenu des fautes de l'équipage, d'une
part qu'il s'agit de fautes non nautiques, d'autre part que ces fautes trahissent la faute personnelle

506
Ce qui correspondant à la « lien clause » du droit anglais ; cette clause est inopposable au sous-affréteur : Com.
18 mars 2003, DMF 2004. 595, obs. Vialard, RTD com. 2003. 418.
507
 Selon l'art. L. 5423-12, « l'affréteur est responsable des dommages causés au navire du fait de son exploitation
commerciale ». Cette responsabilité de l'affréteur existe notamment à l'égard du fréteur : v. en ce sens, Com.
24 févr. 1982, Bull. civ. IV, n° 41, la Cour de cassation avait à statuer sur la clause d'avaries de manutention que la
cour d'appel avait qualifiée d'ambiguë : Sur la signification de cette clause, v. Bernard, « L'affrètement : tendances et
perspectives », op. cit., p. 57. Sur la responsabilité de l'affréteur en cas d'avaries aux machines ou aux chaudières à la
suite de l'emploi de combustible de mauvaise qualité, v. Sentence CAMP, n° 597, 2d. degré, 10  déc. 1985, DMF
1986. 382.
508
 Cf. Sentence CAMP, n° 879 du 20 avr. 1994 : « S'agissant d'un affrètement à temps, les risques de navigation
entrent dans le cadre de la gestion nautique incombant au navire du fréteur » ; égal. Com. 27 févr. 2007, BTL 2007.
206, RGDA 2007. 677, obs. Turgné.
145
du fréteur ; on n'en voit guère d'autre qu'une faute de choix. Si par exemple, mécontent
d'arrimages antérieurs, l'affréteur avait demandé au fréteur de changer le capitaine ou le second et
que le fréteur n'en ait rien fait, une faute d'arrimage ultérieure, quoique commise dans l'exécution
des instructions commerciales de l'affréteur, engagerait la responsabilité contractuelle du fréteur.

§2. Responsabilité à l’égard des tiers 

À l’égard des tiers, la distinction des gestions est, prima facie, essentielle : le fréteur sera
responsable des dommages dus à son navire à moins qu'ils n'aient été causés du fait de son
exploitation commerciale (art. L. 5423-12). Ce dernier point a d'ailleurs été contesté ; on a
soutenu que la distinction entre la gestion nautique et la gestion commerciale n'intéressait pas les
tiers, qui pouvaient toujours mettre en cause la responsabilité de l'armateur-fréteur 509. L’opinion
soutenue est exacte car il ne faut pas confondre ce qui relève des aspects contractuels et ce qui
concerne les aspects statutaires510.
La solution est en tout cas nécessairement moins favorable au fréteur que dans la location coque
nue puisqu'ici le fréteur a conservé une partie de la gestion du navire.

§3. Fin du contrat 

Au terme du contrat, l’affréteur doit restituer le navire. L’adéquation entre le terme du contrat et
la redélivraison du navire n’est pas facile, comme on peut l’imaginer, à traiter 511. Le sort de
l’équipage, celui des combustibles, des réparations, des assurances pose des problèmes très
concrets qui doivent être gérés au mieux des intérêts des deux parties. Les parties sont alors
appelées à faire leurs comptes, ce qui peut entraîner des difficultés. Il faudra répartir
définitivement les frais financiers, régler les recours et penser aussi aux relations futures.
Rappelons aussi que le contrat peut prendre fin d’une manière anticipée (v. ss 645). Les ruptures
des chartes sont assez fréquentes et débouchent sur des questions difficiles d’évaluation du
préjudice512.

509
 P. Bonassies, « La responsabilité du fréteur à temps à l'égard des tiers », DMF 1980. 131.
510
P. Bonassies, art. préc. ; égal. art. in Mélanges Scapel, 2013, p. 105, spec. 106.
511
V. Sentence CAMP, n° 1007 du 7 juill. 1999. Une redélivraison tardive peut causer au fréteur un préjudice
important, trouvant son expression dans la perte de chance d’une nouvelle location à taux favorable.
512
En droit anglais les « consequential losses » (« outside the usual course of things that the parties contemplated »)
ne sont généralement pas indemnisés (cf. Hadley v. Baxendale 1854.9 Exch. 341). En droit français, l’art. 1150 C.
civ. dicte les solutions.
146
Chapitre 4
L’AFFRÈTEMENT AU VOYAGE

Par le contrat d’affrètement au voyage513, le fréteur met à la disposition de l’affréteur, en tout ou


partie, un navire en vue d’accomplir un ou plusieurs voyages (art. L. 5423-13). Le fréteur s'oblige
à présenter à une date fixée (ou aux environs d'une date précise) un navire spécifié, dans un port
défini, mais, et tout de suite la différence éclate avec l'affrètement à temps, la cargaison est
immédiatement définie. Ce sera par exemple « une pleine et entière cargaison de fruits sous
emballage ». Là encore, les chartes-parties types sont nombreuses514.
Il sera précisé plus loin515 que l'armateur doit mettre son navire en état de bonne navigabilité et
s'assurer qu'il est convenablement armé, équipé et approvisionné, mais cette exigence ne se
présente plus comme une obligation directe de l'armateur ; la bonne navigabilité du bâtiment est
une condition de la bonne exécution du contrat ; elle paraît moins inhérente à l'objet même de la
convention.
À la différence de l'affrètement à temps, il n'y a plus location d'un navire dont les affréteurs feront
ce que bon leur semblera dans les limites de la convention ; c'est le fréteur qui exécutera le
voyage du port de charge au port du reste. On ne trouve pas dans la convention au voyage de
clauses concernant l'approvisionnement du navire par l'armateur, la charge des assurances du
navire, celle des gages de l'équipage. Ces questions ne se posent pas. L'affréteur ne loue plus un
navire, il attend un service : le déplacement d'Abidjan à Bordeaux et Nantes du navire dans lequel
il aura mis sa marchandise. L’affrètement au voyage est donc assez proche du contrat de
transport. Il y confine même. Les moyens ne le regardent pas directement. Il n'est même pas utile
d'expliciter que les frais indiqués ci-dessus sont à la charge du fréteur ; c'est le résultat de
l’économie même de l’opération.
D'un autre côté, on ne trouve pas de clause relative à la mise du capitaine à la disposition de
l'affréteur, ni à la faculté qui serait laissée à celui-ci de faire effectuer par le navire les opérations
qu'il voudra dans le cadre de la convention. Toutes ces libertés sont inconciliables avec la nature
de l'opération ; c'est le fréteur ou son représentant, le capitaine, qui commandera les escales au
cours du voyage. Aussi, l’art. D. 5423-19, 2° précise-t-il en une formule dont on ne trouvera pas
l'équivalent pour les deux autres types d'affrètements, que le fréteur « s'oblige à faire toutes
diligences qui dépendent de lui pour exécuter le voyage ou les voyages prévus à la charte-
partie ». Une importante conséquence s'en inférera concernant la responsabilité du fréteur (v.
ss 666).
Sous le bénéfice de ces premières observations, l’affrètement au voyage appelle deux séries
d’observations, les unes sur le contenu du contrat, c’est-à-dire sur les obligations des parties, les
autres sur la responsabilité encourue par le fréteur.

513
J. Cooke, T. Young, A. Taylor, J.D. Kimball, D. Martowski et Leroy Lambert, Voyage charters, Lloyd’s
Shipping Law Library, 2007.
514
La charte-partie type dans l'affrètement au voyage est la « Gencon » ou, notamment pour la France, la
Synacomex : V. pour un exemple de charte-partie Gencon, sentence CAMP, n° 568, 26 févr. 1985, DMF 1986. 180 ;
V. pour des exemples de charte-partie Synacomex, sentences CAMP, n° 569, 570 et 571, DMF 1986-181 à 183.
515
 V. ss 654 ; v. aussi sur les obligations du fréteur, sentence CAMP 585, second degré, 17 oct. 1985, DMF 1986.
313 (II) ; égal. Sentence CAMP n° 879 du 6 mars 1994 : « Manque à ses obligations contractuelles, l'armateur-
fréteur qui ne disposait pas d'un tel navire lors de l'affrètement, puisqu'il sera affrété par lui et nommé vingt-deux
jours après la date du sous-affrètement ».
147
SECTION 1. OBLIGATIONS DES PARTIES

§1.Obligations du fréteur 

Le fréteur a pour obligation fondamentale de désigner le navire 516, si du moins aucun nom de
navire ne figure dans la charte, de le présenter 517 et de mettre à la disposition de l’affréteur un
navire en bon état de navigabilité d’un point de vue nautique, mais aussi commercial518.
Cette obligation est évidemment fondamentale : il faut la combiner avec l'obligation d'effectuer le
transport au point prévu519. Il faut également l’articuler avec diverses clauses manuscrites dûment
convenues. Ainsi lorsque le navire est affrété pour un voyage direct avec la possibilité d'une seule
escale complémentaire, on peut admettre que le chargement complémentaire ne déroge pas à
l'obligation fondamentale de l'armateur d'éliminer « tout risque lié à l'embarquement des
compléments de cargaison »520. En conséquence, la faculté de charger en cours de route une
marchandise supplémentaire signifie que l'armateur a l'obligation, restée fondamentale, de
supporter l'entière responsabilité des dommages directement causés par ce chargement
complémentaire521.

§2.Obligations de l'affréteur 

L'affréteur s'oblige d'abord522 à présenter la marchandise en vue de son chargement et, ici on voit
apparaître dans les chartes des clauses de délais : « La cargaison sera amenée le long du bord, de
manière à permettre au navire de prendre les marchandises avec ses propres palans et de charger
la cargaison complète en trois jours ouvrables… Le temps commencera à compter de 1 heure de
l'après-midi si le navire donne avis qu'il est prêt à charger avant midi, et de 6 heures du matin du
jour ouvrable suivant, si l'avis est donné pendant les heures d'ouverture de bureaux après-
midi… », et seconde clause : « La cargaison sera reçue par les commerçants le long du navire,
pas au-delà de la portée de ses palans et sera débarquée en trois jours ouvrables… ».

516
Com. 17 juill. 2001, DMF 2002. 212 et les obs., DMF 2003 HS 7, n° 95, obs. Bonassies ; Versailles 24 juin
1999, DMF 2002, HS 6, n° 107, obs. Bonassies.
517
Comp. Paris 26 sept. 2012, DMF 2013. 17, obs. F. Arradon ; sur renvoi de Com. 9 mai 2007, DMF 2007. 779,
obs. M.N. Raynaud. ; égal. Paris 30 juin 1995, DMF 1996. 891, obs. Tassel.
518
Com. 29 mai 2004, Bull. civ. IV, n° 182. Si le navire est inapte, l’affréteur peut le refuser : Sentence CAMP, n°
968, 6 juin 1997. V. égal. Sentence CAMP, n° 1137 14 mars 2007 sur la clause « maximum safe speed », Sentence
CAMP, n°1207 du 31 janv. 2013.
519
V. en cas de refus d’embarquement, faute contractuelle à l’égard de l’affréteur et faute délictuelle ( ?) à l’égard
du vendeur F0B : Com. 2 avr. 1996, D. 1996. 559 et la note, DMF 2006. 702, rapp. Rémery, DMF 1997 HS 1, n° 94,
obs. Bonassies, sur l’obligation de poursuivre le voyage, v. Sentence CAMP, n° 1197 du 9 juill. 2012.
520
Sentence CAMP, n° 876 du 14 févr. 1994.
521
 Cf. Com. 26 févr. 1991, Bull civ. IV, n° 89 : une faute commise au cours du déchargement des marchandises qui
a compromis la sécurité du navire dont le sauvetage a nécessité de sacrifier une partie de cette cargaison, constitue
non pas une faute nautique, mais une faute commerciale qui n'exonère pas le transporteur de responsabilité en vertu
de la convention ; v. sur les obligations du fréteur au voyage, sentence CAMP, n° 882 du 12 avr. 1994 : « Le fréteur
exerce dans l'affrètement au voyage la gestion commerciale du navire… Il est donc responsable des frais entraînés
par la description inexacte du navire et par sa négligence à s'assurer qu'il convenait pour le voyage contracté ».
522
 Sur la responsabilité de l'affréteur en cas de chargement de marchandise dangereuse, sentence arbitrale
14 sept. 1984, Jurisprudence du port d'Anvers 1985/1984, vol. IX et X, p. 480 s.; égal. en cas de dommages causés à
un panneau de cale, Sentence CAMP, n° 1205 et 1206 du 28 mai 2013.
148
Ces délais sont sanctionnés par des surestaries. Voici encore une clause type : « Dix jours
courants de surestaries au taux de 1 000 USD par jour, payables jour par jour, seront mis à la
charge des affréteurs pour l'ensemble des ports de charge et de débarquement ».
Ces clauses et cette institution sont inconnues de la charte à temps. Et l'on voit bien le
renversement des situations : le temps court pour l'armateur dans le time-charter  : il court contre
lui dans l'affrètement au voyage, et il s'en prémunit par des clauses, sans objet dans le premier.
Elles sont généralement répercutées dans les ventes elles-mêmes523.
Le chargement et le déchargement incombent aux affréteurs 524. La convention le précise ; ce sont
eux qui procurent et rémunèrent les hommes nécessaires à terre ou à bord des allèges pour
effectuer les diverses opérations de manipulation et utiliser les appareils de levage, bigues et
treuils du navire ou grues du port. L'arrimage dans les flancs du navire en dépend 525. Les frais en
seront supportés par l'affréteur, dans un compte spécial, mais le travail aura incombé au fréteur.

§ 1. Staries

I. Jours de planche 

Le fréteur qui met engins et treuillistes du navire à la disposition des chargeurs ou des
destinataires entend que le travail soit achevé dans un délai fixé en jours et en heures. Ce sont les
staries (du latin stare  : demeurer ; le navire reste dans le port à la disposition des chargeurs). On
les nomme encore les « jours de planche » (en anglais, les « lay days »)526.
S'il n'y a rien dans la convention des parties, ces délais sont réglés par les usages des ports,
d'après la nature de la marchandise et d'après le nombre des panneaux du navire, parce que plus
un navire a de panneaux, plus il peut être chargé et déchargé rapidement.
Pratiquement, ces usages sont assez faciles à connaître ; des arrêtés préfectoraux règlent, en effet,
le temps pendant lequel le navire peut rester à quai pour charger ou décharger. Ces arrêtés n'ont
évidemment aucune force juridique pour régler les rapports des parties, mais ils sont révélateurs
des usages du port ; on les prend comme règles de preuve et non pas comme règle de droit. En
pratique, la charte-partie fixe toujours le nombre des jours de planche et, de la sorte, l'usage n'a
plus d'intérêt.

II. Calcul des staries 

Il est la source d'innombrables difficultés 527. Le nombre des contentieux atteste l'importance que
la rotation de leurs navires présente pour les armateurs. Tout d'abord, il faut déterminer le point
de départ des staries. C'est le moment où le navire est « arrivé », prêt à charger ou à décharger.
Mais à quel moment le navire est-il prêt ? Quand le navire est rangé le long du quai et a ouvert
523
Ch. Debattista, Laytime and demurrage clauses in contracts of sale ; links and connections, Lloyd’s Maritime
and commercial Law Quaterly 2004 (4), 508 s.
524
Sur l’obligation de décharger complètement, Sentence CAMP n° 1193 du 12 juin 2012.
525
 L’arrimage incombe, sécurité oblige, au fréteur : Sentence CAMP 1063, du 27 mai 2002, DMF 2003. 170 ;
comp. Aix-en-Provence 24 avr. 1984, DMF 1986. 356, obs. Ollu. Sur la clause FIOS et sur les obligations du
capitaine, v. à propos d'une charte-partie Gencon, Sentence CAMP n° 574 du 19 avr. 1985, DMF 1986. 184 et 185 ;
sur la signification de l'expression « FIO Stowed Trimmed » ou encore « FIOST », v. Sentence CAMP, n° 583 du
18 juillet 1985, DMF 1986. 312 ; Sentence CAMP n° 1086 du 31 juill. 2003, DMF 2004. 595. v. égal. F. Arradon,
FIO, un mode de transport défini en trois lettres, Gazette CAMP n° 6.
526
J. Schofield, Laytime and demurrage, Lloyd’s Shipping Law Library, 6e éd., 2011.
527
V. P. Raymond, Les franchises de temps dans le déroulement de la planche, Gazette CAMP, n° 23.
149
ses panneaux, il n'y a pas de doute. Mais dans certains ports, tous les navires ne peuvent pas être
placés le long du quai ; l'encombrement est tel qu'ils sont obligés d'être en pointe et qu'il est
même parfois nécessaire de les charger par chalands. On distingue alors pour savoir si en fait le
navire était prêt à charger ou à décharger.
Dans la pratique moderne, le capitaine doit donner un avertissement aux chargeurs ou aux
destinataires et le délai ne court que vingt-quatre heures après cet avertissement, pour que le
chargeur puisse préparer ses marchandises. Cet avertissement est connu dans la pratique sous le
nom de « notice » qui est l'expression anglaise 528 et la charte précisera que les jours de planche ne
commenceront pas à courir avant que la « notice » ait été envoyée aux affréteurs ou à leurs
représentants au port. Mais il fallait alors redouter que le capitaine n'envoie sa « notice » avant
d'être dans le port. C'est encore un point que la charte devra prévoir en lui permettant d'envoyer
sa « notice » dès que le navire aura pénétré dans la zone du port, qu'il soit dans un bassin ou non.
Tous ces détails sont de la plus grande importance pratique parce que le coût des surestaries est
très élevé. Qu'il suffise de savoir que l'immobilisation d'un grand méthanier moderne coûte 100 à
200 000 euros par jour.
La deuxième difficulté est relative au calcul du délai. Il y a, par exemple, huit jours de staries ;
comment calculer ces huit jours ? Ce sont huit jours pendant lesquels on peut travailler, donc des
jours ouvrables. Il faut déduire les jours fériés. Mais la détermination de ces jours, qui sont fixés
par la loi ou les usages, est discutée.
Il y a d'autres difficultés en ce qui concerne la possibilité de travailler les jours où le temps est
mauvais. Dans beaucoup de contrats, on trouve la clause « le temps le permettant », (weather
permitting) mais il faut encore déterminer si le temps permettait ou non le travail.
Les clauses relatives aux staries sont variées et leur sens donne lieu à de nombreux procès. Il y a
notamment une très abondante jurisprudence anglaise qu'il est bon de connaître parce qu'elle fixe
la pratique mondiale. Le Comité maritime international, lors de la Conférence d'Athènes de 1962,
s'était essayé sans succès à définir les clauses et les termes usités en la matière et s'y emploie
parfois encore529.

528
 Sur la NOR (« Notice of readiness »), v. Gazette CAMP, n°3 ; v. sur le fait qu'une notice est essentiellement
portable, outre P. Bernard, op. et loc. cit., sentence CAMP, n°568, 26 févr. 1985, DMF 1986. 181 ; v. sur le refus de
la NOR, sentence CAMP 571, 15 mars 1985, DMF 1986. 182 ; sur le moment de la remise de la NOR, dans une
« Port charter », par opposition à une « berth charter », sentence CAMP n° 582, 12 juillet 1985, DMF 1986. 311 ;
égal. Sentence CAMP n° 1200 du 12 déc. 2012. La notice remise par radio vaut notice écrite à condition qu'elle ait
été envoyée pendant les heures d'ouverture des bureaux (27 nov. 1980, sentence n° 381, DMF 1981. 575). La NOR
ne doit pas être confondue avec le préavis d'arrivée ou ETA (expected time of arrival) qui indique à l'affréteur la date
d'arrivée probable du navire mais ne peut en aucun cas faire courir les staries (sentence CAMP, n° 439, 9 mars 1982,
DMF 1982. 630). V. aussi sentence CAMP n° 877 du 14 févr. 1994 :
« La notice doit être présentée pendant les heures ouvrables, donc en l'espèce, le lundi à l'ouverture des bureaux ; la
notice envoyée depuis la rade n'a pu être validée que le lendemain au matin ; la notice fait preuve, prima facie, de
l'aptitude du navire à entreprendre les opérations prévues à la charte, sauf preuve contraire, à la charge de l'affréteur,
que le navire n'est pas réellement prêt à être « opéré ». L'inspection des cales du navire le lendemain du jour de la
notice, n'ayant pas révélé l'inaptitude du navire à être chargé, les staries ont commencé à courir, le jour de la notice, à
14 heures, alors que le navire était encore à un poste d'attente, le poste désigné n'ayant été libéré que le lendemain ».
La NOR peut être démentie par les faits, Sentence CAMP n° 1213 du 14 oct. 2013.
529
 Cons. Rodière, Traité, op. cit., et Mise à jour 1978 ; n°s 211 à 257 ; H Tiberg, The Law of Demurrage, 2e éd.,
Stockholm, 1971 ; F. Berlingieri, Stallie e controstallie, Gênes, t. 1, 1970 ; L. Aisenstein, Staries et surestaries en
droit français et comparé, LGDJ, Paris, 1965 ; Bernard, « L'affrètement : tendances et perspectives », p. 51 pour la
suspension des staries v. par ex. Bordeaux, 28 mai 1968, DMF 1969. 215, et Aix-en-Provence, 5 juin 1974, DMF
1975. 462. Les clauses de suspension doivent faire l’objet d’une interprétation stricte, v. Sentence CAMP, n° 1204,
13 mai 2013 ; égal. Sentence CAMP, n° 1208 du 12 juin 2013.
150
III. Réversibilité des staries et « dispatch money » 

Les staries sont comptées par jour et par heure : on contrôle la durée des opérations par la feuille
de temps (time sheet) qui en fait le compte par heures et par minutes530.
L'armateur a tout intérêt à ce que l'affréteur n'épuise pas la durée des staries. Pour l'intéresser à un
chargement rapide, il consent à la réversibilité des staries. Le temps gagné au chargement, appelé
temps sauvé, peut être utilisé en plus pour le déchargement. Mais il faut le stipuler. La règle
légale est qu'il n'y a pas réversibilité (art. D. 5423-28, al. 2).
Les contrats prévoient parfois une prime de célérité, à laquelle on donne le nom anglais de
dispatch money. Le temps sauvé donne le droit au chargeur ou au destinataire de la demander à
l'armateur. En général, le taux de la dispatch money est égal à la moitié du taux des surestaries.
C'est ce qui donne un intérêt pratique au point de savoir si les staries sont ou non réversibles.

§ 2. Surestaries

I. Notion 

Le mot (en anglais, demurrage) désigne d'une part le délai de dépassement des jours de planche
et, d'autre part, la somme qui est payée par l'affréteur en compensation du temps supplémentaire
pendant lequel il immobilise le navire531.
Les surestaries courent de plein droit à l'expiration du délai des staries. Il n'est pas nécessaire de
mettre le chargeur ou le destinataire en demeure.
Pendant combien de temps faudra-t-il attendre ? Ni la loi ni les usages ne le disent. Le navire, au
port de charge, ne peut rester indéfiniment à attendre la bonne volonté du chargeur.
Régulièrement, il faudrait intenter l'action en résolution judiciaire. C'est impossible dans la
pratique maritime. Au bout d'un certain temps, le capitaine, constatant que personne ne se
présente pour charger, quittera le port (ou la rade, parce qu'il n'aura pas voulu exposer inutilement
des frais de pilotage, remorquage…) et réclamera des dommages-intérêts à l'affréteur.
Quand il s'agit du déchargement qui doit être fait par le destinataire, il n'y aurait aucun moyen de
lutter contre la mauvaise volonté de ce destinataire. C'est pourquoi, la plupart du temps, le contrat
contient la clause de déchargement d'office.
On calcule la durée des surestaries suivant le time sheet. Le taux des surestaries se trouve fixé par
la charte-partie ou les usages du port. Il arrive même quelquefois qu'au bout d'un certain temps, le
taux augmente. La pratique donne à ces délais supplémentaires et à l'indemnité plus forte qui doit
être payée, le nom de sur-surestaries ou de contre-surestaries. La nature en est la même, il y a
simplement augmentation de taux.

530
 Sur la valeur probante du « statement of facts » contradictoirement établi, v. Sentence CAMP, n° 586,
29 oct. 1985, DMF 1986. 314.
Selon la Sentence CAMP, n° 877 du 14 févr. 1994, le collège arbitral a donné raison à l'affréteur pour le calcul des
surestaries au déchargement, en considérant que les difficultés au déchargement provenaient de manquements du
fréteur à son obligation fondamentale de charger un complément de fret à la condition qu'il soit « harmless », i. e.
non susceptible d'occasionner un dommage quelconque à la marchandise, selon les clauses manuscrites de la charte-
partie. En conséquence, au vu des circonstances d'espèce, la prétention à des surestaries au déchargement a été
rejetée.
531
V. P. Bonassies, Les surestaries en matière de transport de produits pétroliers, in Le Transport de produits
pétroliers par mer, IMTM 2004.
151
Le calcul du détail des surestaries est très différent du calcul du délai des staries. Les jours fériés,
qui ne comptent pas dans le délai des staries, comptent dans celui des surestaries. En effet, les
surestaries représentent une immobilisation indue du navire. Pendant les jours fériés le navire
aurait pu naviguer. Si donc il a été retenu plus longtemps au port, l'affréteur lui a causé un
dommage, dont il lui est dû réparation.
La même règle devrait être appliquée en cas de force majeure. La force majeure suspend le délai
des staries,532 mais elle ne devrait pas suspendre le cours des surestaries, car c'est une règle de
droit commun qu'après la mise en demeure la force majeure pèse sur le débiteur. Sur cette
solution juridique, la jurisprudence hésite, parce que la solution est très rigoureuse. Un retard de
quelques heures pourrait avoir pour conséquence des journées de surestaries si la force majeure
persistait. Aussi y a-t-il des arrêts admettant la suspension533. Il faut naturellement réserver les
conventions contraires. La règle « once in demurrage, always in demurrage » reste supplétive de
la volonté des parties.

II. Nature juridique 

La question juridique de la nature des surestaries a été discutée. Quand on considère les
surestaries comme une indemnité à payer par l'affréteur à l'armateur pour avoir dépassé le délai
prévu dans la charte, on est tenté de dire que les surestaries représentent des dommages-intérêts
dont le taux est fixé conventionnellement par les parties à raison du retard, donc par une clause
pénale (ou liquidated damages). La jurisprudence française (et américaine) n'a pas analysé ainsi
les surestaries. Considérant que le terme désigne tout aussi bien le temps supplémentaire employé
par l'affréteur que l'indemnité afférente à ce temps, elle a considéré que l'indemnité est en réalité
un supplément de fret. Cette solution est exacte : les surestaries sont un élément de l'économie du
contrat comme l'est le fret. Un fret élevé sera compensé par un long délai de staries qui n'ouvrira
aucune chance raisonnable à une créance de surestaries ; inversement, à un fret bas
correspondront de brèves staries qui feront espérer des surestaries à l'armateur. Il y a du reste des
avantages à considérer les surestaries comme un supplément de fret et diverses conséquences
pratiques ont été tirées de cette qualification534.
1. Les surestaries courent sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure. Mais cette conséquence
heureuse peut être admise même avec l'idée d'indemnité. Il n'est pas vrai en effet qu'en matière de
dommages-intérêts moratoires la mise en demeure soit toujours nécessaire. Toutes les fois qu'une
obligation ne peut être exécutée que dans un temps déterminé, la seule expiration du temps
d'exécution suffit à mettre le débiteur en demeure.
2. Le décompte des surestaries est fait en même temps que le décompte du fret. C'est là un
résultat utile, mais rien ne s'oppose à ce que l'on puisse ajouter une clause pénale au calcul du
fret.

532
Com. 28 avr. 1998, DMF 1998. 919, rapp. Rémery.
533
 Sur un cas où le fréteur a été privé d'une partie des surestaries par suite d'une faute du capitaine laissant
l'affréteur procéder à un arrimage manifestement contraire au règles de l'art sans attirer son attention, v. Aix-en-
Provence, 24 avr. 1984, DMF 1986. 356, note J.-J. Ollu ; et sur pourvoi Com. 4 nov. 1986, DMF 1987. 225, obs. R.
A. ; Sentence CAMP n° 537 du 18 juin 1984, DMF 1985. 117. Plus général. A. Fall, Regard sur la règle de la non
suspension des surestaries, DMF 1986. 465. V. encore sentence CAMP n° 1212 du 19 nov. 2013 et F. Arradon,
Gazette CAMP, n°12.
534
 V. sur d'autres conséquences, J. Trappe, « Laytime problems and comparison of Law », in Lloyd's Maritime and
Commercial Law Quarterly, mai 1986, p. 251 s., et spéc. p. 255 s.
152
3. Les surestaries constituent une créance privilégiée. Ici, très certainement, le résultat est
heureux ; les privilèges sont de droit étroit, ils ne peuvent pas être étendus.
4. La prescription des surestaries est d'un an, comme la prescription de la créance du fret, ce qui
vaut mieux que de laisser jouer la prescription décennale.
5. Si la responsabilité du propriétaire du navire était limitée par l'abandon du navire et du fret, on
comprendrait les surestaries dans le fret, ce qui est juste.
6. Enfin, si dans la charte un tribunal a été déclaré compétent pour le règlement du fret, la clause
attributive de juridiction s'étend à la créance de surestaries535.
Toutes ces solutions sont heureuses au point de vue pratique. C'est pourquoi la jurisprudence
française a toujours compté les surestaries dans le calcul du fret. La réforme de 1966 a retenu
cette solution et a prescrit de traiter les surestaries « comme un supplément de fret » (art. D.
5423-24).

§3. Le fret

I. Montant 

L'affréteur est tenu de payer le fret convenu. Ce fret est fixé pour le voyage. Ainsi il sera dit :
« taux du fret : une somme forfaitaire de x. USD correspondant à la capacité totale du chargement
du navire »536. Les modalités de paiement seront également fixées par la convention. On trouve
cette clause : « le fret sera payé comptant et sans escompte dans les huit jours suivant la signature
des connaissements à Londres » ou « à la livraison de la cargaison ».
Quel est l'effet de certains incidents sur cette dette de fret ? Le Code de commerce était sur ce
point inutilement abondant et compliqué. Le décret de 1966 a simplifié les solutions. Il a retenu
trois règles537 :
1. en cas d'empêchement durable d'entrer dans le port où il doit décharger, le capitaine demandera
les ordres du fréteur et de l'affréteur ; ils devront se mettre d'accord puisqu'il s'agit de modifier la
charte ; s'ils n'y réussissent pas, le capitaine se rendra au port voisin où il pourra décharger
(art. D. 5423-28) ; le fret convenu sera dû encore que l'opération, par les frais de manutention
supplémentaire et de transbordement ou d'acheminement qu'elle imposera en fait, doive coûter
cher à l'affréteur ;
2. en cas d'empêchement temporaire d'exécuter la charte, l'affréteur peut faire décharger sa
marchandise, mais doit le fret entier ; sinon il attendra et paiera le fret sans prétendre à des
dommages-intérêts pour cause de retard ; la solution est la même que l'événement empêche la
sortie du port (art. D. 5423-21, al. 1er), qu'il se produise en cours de route (al. 2) ou qu'il interdise
momentanément l'entrée dans le port de reste (arg. a contrario, art. 5423-28) ;
535
V. égal. pour une saisie conservatoire, Com. 11 juin 1996, DMF 1996. 896, rapp. Rémery.
536
 Sur le faux-fret dû au cas où la cargaison n'a pas été présentée au chargement, v. sentence CAMP, n° 573 du
27 févr. 1985, DMF 1986. 184 ; sur le rajustement du fret forfaitaire (en diminution) lorsque le chargement était
prévu pour 4 000 tonnes métriques, 10 % en plus ou en moins à l'option de l'affréteur alors que le fréteur n'a pas
voulu prendre plus de 4 000 tonnes, v. Sentence CAMP n° 579 du 10 mai 1985, DMF 1986. 242. Sur le caractère
fondamental du taux de fret et des conditions de son paiement, v. Sentence CAMP n° 580 du 24 juin 1985, DMF
1986. 242.
537
 Sur le cas où la charte-partie a été irrégulièrement résiliée, lors du chargement, par l'affréteur, v. Sentence
arbitrale 14 sept. 1984, Jurisprudence du port d'Anvers 1983/1984, vol. IX et X, p. 480 s. Sur les conséquences à
l'égard du fret de la rupture de l'affrètement par l'affréteur avant tout début de chargement, v. Paris, 10  déc. 1985
(DMF 1986. 375) et sentence CAMP, 25 juin 1986.
153
3. en cas d'arrêt définitif du navire en cours de route par l'effet d'un événement non imputable au
fréteur, l'affréteur devra le fret de distance (art. 5423-29).

II. Fret de distance 

Si le capitaine ne peut pas trouver un autre navire pour achever le déplacement, l'affréteur devra
donc payer le fret proportionnel à la distance que le navire aura fait parcourir à sa marchandise
par rapport à celle qu'il aurait parcourue pour arriver au port de déchargement.
On s'est étonné de ce que le code eût ainsi pris en considération la distance et non le temps
pendant lequel le contrat s'était normalement exécuté ; on a dit que cette référence était contraire
à la conception du contrat d'affrètement-louage de choses. C'est exact, mais cela prouve que pour
l'affrètement au voyage cette conception était déjà dépassée lors du Code de commerce.
Si l'article 296 du Code de commerce et aujourd'hui l'article D. 5423-28 n'existait pas, le droit
commun conduirait à d'autres solutions ; on devrait alors combiner les règles de la résolution (ou
des risques, si l'arrêt est fortuit) et de l'enrichissement sans cause ; en particulier la règle relative
au fret de distance serait entièrement toujours écartée. On comprend qu'on ne la propose pas pour
les transports non maritimes538.

III. Clause « fret acquis à tout événement » 

Ces dispositions ne sont pas impératives. La convention des parties les écarte souvent par la
clause : « fret acquis à tout événement » (en anglais, « freight shall be deemed earned and non
returnable and or cargo lost or not lost »). On en avait discuté la validité à l'époque où l'assurance
du fret paraissait contraire aux principes de l'assurance-contrat d'indemnisation. Notre droit des
assurances n'a plus ces scrupules. Aussi la validité de la clause indiquée, qui équivaut à une
assurance du fret contractée par le fréteur auprès de l'affréteur, n'est-elle plus contestée, sans
distinguer suivant que le fret a été payé d'avance (fret acquis) ou pas (fret dû) 539. Il n'y a
d'exception que si le navire était perdu par la faute personnelle de l'armateur… parce qu'il ne peut
pas faire jouer, par sa faute, une clause qu'il a stipulée à son profit. Mais si le navire est perdu par
la faute du capitaine, l'armateur profitera de la clause, parce qu'il est déchargé
conventionnellement ou légalement de la faute du capitaine. Autrement dit, la clause de fret
acquis à tout événement ne peut justifier la créance de fret en cas de manquement par l’armateur
à son obligation fondamentale d’assurer la navigabilité du navire540.
Il est permis de se demander si la clause fret acquis… joue non seulement lorsque le navire est
perdu et en cas d’impossibilité d’exécuter le contrat, mais également en cas d’avarie survenue à
la marchandise. En d’autres termes peut-elle jouer comme une clause de non responsabilité ou
limitative de responsabilité privant les intérêts cargaison du droit de demander le remboursement
du prix qu’ils ont pu payer pour rien ? Cette question est mal résolue : certains tribunaux
n’hésitent pas à inclure le montant du fret payé en pure perte dans les chefs de préjudice 541. Dans
la mesure où, dans l’affrètement au voyage, les clauses de responsabilité sont valables, la clause
devrait couvrir toutes les hypothèses.

538
Com. 20 janv. 1953, JCP 1953, II, 7697.
539
Civ. 23 janv. 1892, D. 1894. 1, 49, S. 1892, 1, 153, concl. Desjardins.
540
P. Bonassies, DMF HS, 1995, n° 55.
541
Aix-en-Provence 25 oct. 2007, BTL 2007, n° 3198 ; comp. Versailles 28 févr. 2008, BTL 2008, n° 3218.
154
En tout cas, il ne faut pas confondre la clause « fret acquis » avec la clause « fret payé
d'avance »542. En général, pour ne pas dire presque toujours, le fret payé d'avance est acquis, car si
on se le fait payer d'avance, c'est pour ne pas le restituer. Mieux, les deux clauses ne se
confondent pas et parfois coexistent.

IV. Paiement du fret 

Le fret est en principe dû et payé par l’affréteur avant le départ du navire. Il peut cependant être
convenu que le fret sera payé au port de déchargement et par le destinataire ou encore dans le
cadre d’une délégation543. Ce dernier, toutefois, ne peut en être tenu qu’avec son accord, ce qui ne
va pas de soi lorsqu’il est simple endossataire du connaissement 544. Le paiement du fret est
garanti par un privilège (art. L. 5423-3). L'assiette en est la marchandise. Les créances garanties
sont le fret et ses accessoires545 et ce qui y est assimilé, comme les surestaries. Rien ne s’oppose à
ce qu’il exerce un droit de rétention sur les marchandises. Mais pour des raisons qu’il est facile
de comprendre, la loi interdit toute rétention sur le navire (art. D. 5423-3). Cette garantie est donc
d’une mise en œuvre délicate, d’autant que son efficacité est subordonnée à la lex rei. Le
capitaine peut éviter le danger résultant de l'obligation où il se trouve de livrer la marchandise à
un réceptionnaire qui peut, le lendemain, la vendre et la livrer à un tiers de bonne foi. À cette fin,
le capitaine consignera la marchandise chez un tiers546. L'article précité le prévoit ; c'est l'une des
utilités de la consignation.

SECTION 2. RESPONSABILITÉ DU FRÉTEUR

§1. Evolution sur la responsabilité.


La théorie de la responsabilité du fréteur avait été rendue difficile parce que les rédacteurs du
code ne l'avaient pas clairement exprimée. La doctrine, pendant la première moitié de ce siècle,
avait été attirée par le régime de la responsabilité du transporteur terrestre (moins les
particularités rigoureuses de ce régime) qui, pourtant, confondait l'affrètement et le transport ; la

542
 Sur le danger que fait courir la clause « fret payé d'avance » (freight prepaid) et sur les moyens de se prémunir
contre ce danger, v. Dardelet, Le courtier et la crise, op. cit., JMM 13 février 1986, p. 370. Sur un modèle de cette
clause, v. P. Bernard, « L'affrètement : tendances et perspectives » op. cit., p. 66. V. égal. ss 719.
543
Com. 16 avr. 1996, Bull. civ. IV, n° 120, D. 1996. 571, note Larroumet, DMF 1996. 796, rapp. Rémery.
544
En pratique, les cesser clauses s’efforcent de régler la difficulté («a cesser clause is a clause inserted in a C/P when
the charterer intends to transfer to a shipper his right to have goods carried ; it provides that the shipowner is to have
a lien over the shipper’s goods for the freight payable under the C/P, and that the charterer’s liability for that freight
will cease accordingly on shipment of a full cargo ») : malgré leur nom, elles font de l’affréteur un garant du prix :
« the cesser clause in the C/P does not relieve the charterer from his liability », Am. Tobacco Co. v. The Katingo
Hadlipatera, 81 F. Supp. 438 (SDNY 1948) ; égal. Sentence CAMP, n° 650, 13 mai 1987, DMF 1987. 674.
545
 Sur les effets de la clause « payé d'avance », v. Com. 11 juill. 1995, Bull. civ. IV, n° 199 : « ayant relevé qu'un
agent maritime s'était engagé, par contrat passé avec un transporteur maritime, à faire son affaire personnelle du
recouvrement du fret dû à celui-ci par le chargeur, une cour d'appel a fait ainsi apparaître que l'agent était
contractuellement tenu au paiement du fret, et a exactement décidé, après avoir constaté qu'il avait réglé les sommes
dues à ce titre au transporteur maritime, qu'il se trouvait subrogé légalement, sur le fondement de l'article 1251-3° C.
civ., dans les droits de ce dernier à rencontre du chargeur, débiteur du fret, dont il avait payé la dette. Si la mention
« fret prépayé » portée sur un connaissement fait foi du paiement effectif du fret maritime, sauf preuve contraire, elle
n'a valeur libératoire que si le connaissement est signé du transporteur maritime ou de son représentant » ; v. égal. ss
719.
546
 Cf. Sentence CAMP n° 157 du 30 oct. 1975, DMF 1976. 254.
155
confusion était particulièrement nette pour l'affrètement au voyage. En bref, on tendait ainsi à
déclarer le fréteur au voyage tenu d'une obligation de résultat concernant la cargaison de
l'affréteur à la manière dont un transporteur est responsable de la marchandise qu'il a prise en
charge. Cependant les textes du code ne mettaient en avant que le capitaine et la Cour de
cassation l'avait nettement marqué dans les circonstances suivantes : au cours du XIXe siècle
s'étaient multipliées les clauses par lesquelles les armateurs déclinaient toute responsabilité du
fait de leurs capitaines. En présence d'une telle clause, l'armateur assigné en réparation d'une
avarie à la cargaison devait-il établir que le dommage était arrivé par le fait du capitaine ? Non,
avait dit la Cour de cassation : « attendu qu'aux termes de l'article 222 du Code de commerce le
capitaine est responsable de marchandises dont il prend charge et que d'après l'article 230 sa
responsabilité ne cesse que par la preuve de la force majeure ; qu'à défaut de cette preuve, la perte
ou les avaries lui sont, en conséquence, imputables et qu'ainsi il est présumé en faute quand il ne
représente pas les marchandises à l'arrivée du navire ; que (l'armateur) n'avait, donc pas, dans
l'espèce, à faire une preuve qui résultait de la loi elle-même ». C'était alors aux affréteurs d'établir
la faute personnelle du fréteur547.
Ainsi, le fréteur ne paraissait pas directement responsable de la cargaison ; il ne l'était que sur le
fondement de l'article 216 du Code de commerce, en tant que propriétaire du navire, tenu de
réparer les conséquences dommageables des faits du capitaine.
En fait, les hésitations sur la règle légale avaient moins d'importance qu'on ne pourrait croire
parce que les chartes ne manquaient pas de régler, à l'avantage des fréteurs généralement, par des
clauses assez précises la question de responsabilité en cas de pertes ou d'avaries à la cargaison.

L'article L. 5423-14, al. 1er (cf. art. 6, L. 1966), pose pour le seul affrètement au voyage une
présomption favorable à l'affréteur : le fréteur est responsable des marchandises reçues à bord par
le capitaine dans les limites prévues à la charte. La règle se rapproche du régime des
transporteurs, en ce que l'avarie ou la perte rendra a priori le fréteur tenu de réparer, mais la
différence reste considérable : sur le fréteur au voyage, c'est une présomption simple qui pèse,
une présomption de faute classique, que le débiteur (le fréteur) peut renverser par la preuve qu'il a
fait diligence. L'alinéa 2 du même article le précise. Le fréteur se libère de sa responsabilité en
établissant, soit qu’il a satisfait à ses obligations de fréteur, soit que les dommages ne tiennent pas
à un manquement à ces obligations, soit que le dommage est dû à la faute nautique du capitaine
ou de ses préposés.
Dans le droit commun des obligations de moyens, le débiteur se libèrerait par la preuve qu'il a
satisfait à ses obligations ou que les dommages ne tiennent pas à ses manquements ; le
particularisme du droit maritime ajoute à ces deux causes possibles de libération, la preuve par le
fréteur que le dommage est dû à la faute nautique du capitaine ou de ses préposés.
Si la différence avec le transport maritime est nette, puisque la preuve de ses diligences va libérer
le fréteur alors que seule la preuve d'une cause topique qui ne lui soit pas imputable libère le
transporteur, la différence avec l'affrètement à temps est également sensible, car la perte ou
l'avarie de la cargaison de l'affréteur au voyage rend le fréteur responsable prima facie, alors
qu'elle ne prouve rien contre le fréteur dans l'affrètement à temps.
Quant aux rapports avec les tiers, seul le fréteur au voyage est tenu de réparer les dommages
qu'ils ont subis du fait de la conduite du navire ou des marchandises (sauf de leur manutention
qui incombe à l'affréteur) car il a conservé toute la gestion du bâtiment (sur la situation du porteur
du BL, v. ss 691).
547
Civ. 18 juill. 1900, S. 1902, 1, 14 ; Civ. 2e, janv. 1901, S. 1902, 1, 457.
156
Lorsque le fréteur est responsable (fréteur au voyage qui n'a pas pu écarter la légère présomption
de faute qui pèse sur lui ou fréteur à temps, ou coque nue, dont la faute a été établie), il doit
réparer tout le dommage subi par l'affréteur548. Il ne peut pas invoquer les limites posées par la loi
en faveur du transporteur, mais il peut avoir inséré dans la charte-partie une clause limitative de
réparation.

§2. Clauses de non-responsabilité 

Comme toutes les règles légales, en matière d'affrètement, les dispositions de la loi sur la
responsabilité ont un caractère supplétif. Les chartes n'ont pas manqué jusqu'ici d'user de la
faculté, reconnue dans l'affrètement, d'écarter les règles légales. La réforme de 1966 a rendu
moins utiles les prévisions des parties, puisque le régime légal s'est éloigné définitivement de la
construction du contrat de transport, mais, pour autant, les chartes continuent de régler cette
question, et cela pour deux motifs : d'abord, par le poids de l’habitude  ; ensuite, parce que bon
nombre d'affrètements de navires, même conclus entre Français, sont établis sur le modèle de
chartes étrangères, anglaises surtout, que leurs auteurs n'ont aucune raison de modifier après la
réforme française.
Ainsi dans la charte Gencon, trouve-t-on une clause (cf. art. 2) qui déclare que le fréteur ne sera
responsable que des défauts d'arrimage et des déficiences personnelles de l'armateur, en
particulier lorsqu'il n'a pas mis le navire en bon état de navigabilité ou qu'il l'a insuffisamment
armé ou équipé et qui précise encore que l'armateur ne sera pas responsable des fautes du
capitaine, de l'équipage ou de tous autres préposés de l'armateur et une seconde clause qui stipule
qu'en tout état de cause, l'armateur ne devra pas réparer le dommage éprouvé au-delà de la valeur
estimée du fret.

Selon les types de chartes, les clauses sont rédigées différemment. Il faut dans chaque cas scruter
attentivement la convention des parties, tenir compte de leur intention et de la manière dont elles
l'ont exprimée et, à l'occasion, replacer la clause litigieuse dans le contexte du contrat tout entier
pour en donner l'interprétation qui lui convient.
Celle qui a été indiquée ci-dessus tend à produire deux effets :
- C'est à l'affréteur de démontrer que le dommage subi par sa marchandise est dû soit au mauvais
arrimage par le capitaine, soit au défaut de navigabilité du navire, ou plus exactement à un défaut
laissant présumer le manque de diligence de l'armateur. Cette règle est inspirée du droit anglais
qui requiert en pareil cas du fréteur qu'il ait fait « due diligence ». Nous le traduirons en langage
juridique moderne en disant que la clause crée une obligation de moyens à la charge du fréteur549.

548
Sauf pour le réceptionnaire à minimiser son préjudice, Sentence CAMP n° 1196 du 29 août 2012.
 Par conséquent, dans les chartes-parties au voyage usuelles, le fréteur ne prend pas en charge la marchandise à la
549

différence du transporteur maritime ; cela a une importance fondamentale, notamment du point de vue de la charge
de la preuve, comme le montre la jurisprudence de la CAMP ou P. Bonassies (op. cit., DMF 1986, n° 54, p. 86) ;
c'est, sous l'empire de la charte-partie Gencon, à l'affréteur à prouver que le dommage résulte de l'innavigabilité ou
du défaut d'arrimage : cette preuve serait-elle apportée, le fréteur a encore la possibilité de prouver qu'il a rempli son
obligation de « due diligence » (Com. 29 mai 1984, DMF 1985. 151 ; Aix-en-Provence 28 févr. 1984, DMF 1985.
402 ; cf. pour un contrat de tonnage, Aix-en-Provence 19 avr. 1984, DMF 1985. 216, obs. Achard). Cf. Sentence
CAMP n° 574, 19 avr. 1985, DMF 1986 in fine et 185 ; Sentence CAMP du 29 mai 1990 (second degré). v. encore,
P. Raymond, Défaut d'arrimage de la cargaison, clause de responsabilité de la charte-partie « Gencon », JMM 1990.
1656 s.
157
- Elle exclut explicitement certaines causes de responsabilité : l'armateur se déclare non tenu des
fautes de ses préposés de tous genres, depuis le capitaine jusqu'au dernier de ses agents terrestres.
C'est cette partie de la clause qui lui a donné son nom de negligence clause550.

§3. Validité et portée 

La validité de cette clause dans ses deux parties a été contestée, mais la Cour de cassation, avec
raison, l'a validée551, malgré la résistance de certains tribunaux inférieurs. Il n'est pas question de
reprendre une discussion dont les éléments sont supposés connus. On observera seulement : pour
la première partie de la clause, qu'elle répond à l'effet généralement reconnu par la Cour de
cassation aux clauses de non-responsabilité depuis 1874 ; pour la seconde partie, que si elle
exclut complètement certaines causes de responsabilité, cette exclusion ménage la preuve que,
malgré la faute du capitaine ou de tout autre préposé, le dommage est dû à l'absence de
l'armateur, ce qui aboutit par un détour à admettre la preuve de la faute de l'armateur.
Si l'on ajoute que la responsabilité du débiteur dans ces prétendus cas n'est qu'une responsabilité
pour faute personnelle, il suffira d'admettre que le chargeur peut faire la preuve de la faute lourde
de l'armateur pour que, cette réserve faite, la negligence clause soit sans plus d'examen déclarée
valable.
Sa validité reconnue, il faut en définir la portée. On a vu que, dans la rédaction indiquée, il n'y
avait pas lieu de distinguer suivant les préposés dont la faute expliquait le dommage. Dans
d'autres cas, la clause est moins générale et ne vise que les préposés maritimes. L'interprétation
dépend de la rédaction de la clause.
Suivant ce type de clause, la responsabilité de l'armateur reste engagée lorsque le chargeur
démontre que le dommage est dû soit à un défaut d'arrimage, soit au défaut de navigabilité 552. Il
faut ajouter qu'elle est également engagée par toute faute inexcusable de l'armateur, de quelque
ordre qu'elle soit. Cela, en application du droit commun des clauses de non-responsabilité 553.
Enfin, et ceci est plus particulier au droit maritime, la faute lucrative du capitaine écarte la
negligence clause. La faute lucrative d'un préposé implique celle de son commettant et une faute
de cet ordre est presque intentionnelle. La Cour de cassation a écarté par exemple la clause de
non-responsabilité dans le cas où le capitaine avait chargé en pontée des marchandises payant un
fret de cale, alors que le dommage avait été causé à la marchandise parce qu'elle était chargée sur
le tillac du navire. Dans la mesure où le fret pour la pontée aurait été moindre, il y avait là une
faute lucrative554.

§4. Clauses limitatives de responsabilité 


Elles sont valables, et opèrent sous plusieurs conditions. D'abord, le fréteur doit établir que son
cocontractant en avait connaissance. Ensuite, comme pour les clauses de non responsabilité,
550
 Cf. « Negligence-Clause », par Boi, in Diritto Marittimo, 95 (1993, 609).
551
 Com. 2 juin 1977, DMF 1977. 589, obs. Rodière.
552
 V. en cas de « personal want of due diligence », Sentence CAMP n°1192 du 27 févr. 2012.
553
 V. des ex. d'interprétation des clauses dans Com. 24 mars 1969, Scapel, 1970.3 ; Aix-en-Provence, 20 juin 1972,
DMF 1973. 276 ; Paris, 21 avr. 1976, DMF ; 1977.74. Cf. sentence CAMP n° 1207 du 31 janv. 2013, à propos d’une
« reefer clause » ; égal n° 1201, du 12 oct. 2012.
554
 Req. 5 juin 1920, S. 1921, 1, 293 ; V. dans le même sens, sentence CAMP n° 571 du 15 mars 1985, DMF 1986.
182 s. et spéc. 183. V. plus général. R. Mésa, Les fautes lucratives en droit privé, thèse Univ. Boulogne 2006.
158
l'armateur ne peut pas s'exonérer ainsi de sa propre faute inexcusable ou de son dol. La
jurisprudence ajoute encore comme limite la faute du capitaine, lucrative pour l'armateur.
Quant aux fautes inexcusables non lucratives du capitaine, on dit qu'elles écartent ces clauses.
Ainsi exprimée, la réponse est contestable car l'armateur n'endosse pas, avec sa qualification, la
faute de son préposé. Mais la faute inexcusable du capitaine implique généralement une autre
faute inexcusable, personnelle à l'armateur celle-ci, ce qui justifie alors la solution.
L'action en responsabilité  L'action en responsabilité est intentée par l'affréteur ou par le
destinataire (porteur du BL, v. ss 691) contre le capitaine de l'armateur et l’armateur lui-même.
Elle peut l'être également par l'assureur, subrogé au droit de l'assuré qu'il a désintéressé, si les
conditions de la subrogation légale ou conventionnelle sont remplies555.
Afin que cette action soit rapidement réglée, le Code de commerce avait établi une fin de non-
recevoir et une prescription spéciale.
Avec la réforme de 1966, la fin de non-recevoir a disparu de l'affrètement. Elle n'opérera sous la
forme atténuée des réserves que si le régime de responsabilité du transporteur se substitue à celui
du fréteur par l'effet de l'émission et de la transmission à un tiers du connaissement représentatif
de la cargaison.556

§5. Prescription de l'action 

Rappelons que la loi du 18 juin 1966 a posé la règle que les actions se prescrivent par un an et l'a
généralisée à toutes les actions nées du contrat d'affrètement (art. L. 5423-4) et que les causes de
suspension et d’interruption s’apprécient dans les conditions du droit commun. Quant au point de
départ du délai, il court depuis le déchargement complet de la marchandise ou l'événement qui a
mis fin au voyage. En cas d'achèvement normal, seul le déchargement complet (qui peut durer
des semaines dans les ports mal équipés) permet de savoir s'il y a des pertes. On a voulu
simplifier le système en adoptant la même règle pour les avaries, alors qu'on aurait pu concevoir
pour elles que l'action ne commence à se prescrire qu’à la découverte de l'avarie. Ce délai d’un an
est aujourd’hui, du moins en droit français, incompressible (C. civ., art. 2254).

555
V. not. P. Bonassies, Gazette CAMP, n° 1 ; égal. éditorial, Gazette CAMP, n° 22, Vers une meilleure
reconnaissance des droits des assureurs facultés.
556
 Selon Paris, 24 mars 1993 (DMF 1993-656), l'article 333 du C. pr. civ. énonçant que le tiers mis en cause devant
la juridiction saisie de la demande originaire ne peut décliner la compétence territoriale de cette juridiction, même en
invoquant une clause attributive de compétence, ne s'applique pas à la clause compromissoire et ce, « même dans les
rapports de droit interne » ; a fortiori en est-il dans les rapports internationaux, v. Com. 30 mars 1993, DMF 93-294,
note Y. Tassel ; Bonassies, Le droit positif français en 1993, DMF 1994. 163, n° 8, p. 100.
159
CHAPITRE 5
LES AUTRES CONVENTIONS

SECTION I. VARIANTES : CONTRAT DE TONNAGE, CONTRAT DE VOLUME ET


CONTRAT DE SERVICES 

Le contrat de fret – les Anglais parlent de contrat d’affreightment (COA) - est utilisé pour le
transport maritime de grandes quantités en plusieurs voyages échelonnés dans le temps. La nature
juridique du contrat est déterminée par les parties et il faut examiner soigneusement chaque
contrat de tonnage pour savoir de quelle catégorie juridique il relève. Il s'agit d'un accord entre un
chargeur qui s'engage à remettre toutes ses expéditions ou une fraction plus ou moins importante
(moitié par exemple) à une compagnie qui s'oblige à fournir tous les navires nécessaires à leur
acheminement pendant une certaine période. Le contrat de tonnage est donc une promesse de
passer le nombre de contrats d'affrètement nécessaires à l'évacuation de la marchandise ou encore
une promesse de passer le nombre de contrats de transport nécessaires à cette même évacuation ;
tantôt il s'agit donc d'un contrat-cadre préparatoire à d'autres contrats qui peuvent être des
contrats d'affrètement ou des contrats de transport557. Tantôt, le contrat-cadre lui-même est
considéré comme un contrat d'affrètement, les contrats d'application étant également des contrats
d'affrètement558. Il n’est pas exclu, non plus, d’analyser ces contrats comme relevant de la

557
 V. en ce sens Com. 22 juin 1981, Bull. civ. IV, n° 287, qui déclare que le contrat-cadre de tonnage n'est en lui-
même ni un affrètement, ni un transport, mais ajoute que toutes les variétés des contrats d'affrètement figurant
limitativement dans le titre I de la loi de 1966, le contrat en question (ainsi que les contrats auxquels il donne lieu) ne
peut être par conséquent qu'un contrat régi par le titre II de la loi du 18 juin 1966, qui est intitulé « Transport de
marchandises ». Cette conclusion selon laquelle il n'y aurait pas de contrat d'affrètement en dehors des trois types
examinés par le titre 1er de la loi et qu'il n'y aurait pas d'autre part de contrat possible portant sur l'utilisation d'un
navire pour acheminer une marchandise en dehors du contrat d'affrètement et du contrat de transport, oublie d'une
part que le contrat d'affrètement est totalement libre et d'autre part que si le contrat de transport est réglementé, il est
possible de créer une catégorie qui n'est ni un affrètement ni un transport en vue de l'acheminement de marchandises.
Bien entendu, une fraude à la loi entraînerait une disqualification du contrat : or, puisqu'il ne s'agit pas ici, comme
dans le contrat de transport, de protéger un chargeur d'une marchandise déterminée, contre un transporteur de
marchandises diverses, mais d'organiser à moyen terme les relations entre deux parties également puissantes dont
l'une s'engage à évacuer toute la production de l'autre sur un certain temps par de nombreux navires, les parties sont
libres de régler leurs relations comme elles l'entendent : le contrat de tonnage est conclu « sur mesure » entre deux
parties qui sont de puissance économique égale pour négocier entre elles. L'IDIT avait, en mai 1985, mis au point
deux contrats type, l'un qui est un contrat-cadre en vue de contrats de transport (type « IDITRANS »), l'autre qui est
un contrat-cadre en vue de contrats d'affrètement (type « AFFIDIT »). V. également sur la possibilité de recourir à
ces deux types distincts, contrat d'affrètement et contrat de transport, P. Bernard, op. cit., p. 73 s. V. aussi Sentence
CAMP, n° 552 du 10 déc. 1984 (DMF 1985. 510). 
Les contrats de volume envisagés par les règles de Rotterdam relèvent de la catégorie transport et non affrètement.
558
 V. en ce sens et contrairement par conséquent à l’arrêt précité du 22 juin 1981, Com. 29 janv. 1985, BT 1985, 422,
et obs. Rémond-Gouilloud ; DMF 1985. 400, obs. R. A. ; Bonassies, op. et loc. cit. ; en particulier, le pourvoi
prétendait à tort qu'il s'agissait d'un contrat de transport au prétexte que des connaissements avaient été émis par le
fréteur, alors que ceux-ci n'avaient pas été endossés par l'affréteur ; v. dans le même sens Aix-en-Provence,
19 avr. 1984, DMF 1985. 216, obs. Achard : « la qualification de contrat d'affrètement a pour effet de faire échapper
l'armateur à la présomption de responsabilité pesant sur le transporteur, en ne laissant à sa charge que les
insuffisances prouvées dans l'exécution de ses obligations » ; de même, le connaissement étant resté entre les mains
de l'affréteur et ne faisant par conséquent qu'exécuter la charte-partie, « doit recevoir application la clause de ce
connaissement limitant la réparation due par l'armateur au prix coûtant des marchandises au port de charge ». V.
aussi Sentence CAMP, n° 592 du 2 déc. 1985 (second degré), DMF 1986. 380. V. encore Sentence CAMP, n° 615,
5 mai 1986. Comp. Versailles, 10 déc. 1986, DMF 1988. 748 : le contrat de tonnage « a pour objet la mise à la
160
commission de transport559. En tout cas, il n’est peut-être pas inutile de reproduire la clause
compromissoire figurant dans le contrat de tonnage signé par l'exportateur, sur le connaissement
couvrant l'une des opérations effectuées en exécution du contrat de tonnage560.

SECTION 2. VARIANTES : « BOOKING NOTE » OU « BERTH NOTE » 

Comme cela a été relevé 561, « les contrats nés d'une pratique commerciale répondant, sous la
dénomination de « booking note » ou arrêté de fret, aux besoins de commodité et de sécurité des
déplacements de certaines catégories de marchandises (telles que les céréales), ne peuvent être
comparés ni aux transports maritimes ni aux affrètements ; ils doivent être assimilés aux premiers
ou aux seconds selon les stipulations qu'ils contiennent »562.
Il s’agit, plus exactement d’une promesse unilatérale de contrat, car la compagnie s’engage
envers un client à réserver un emplacement sur un navire pour telle ou telle marchandise. Le
contrat visé peut être un contrat de transport ou encore un contrat d’affrètement (au voyage). Il
est généralement unilatéral ; il pourrait être aussi synallagmatique.

SECTION 3. AFFRETEMENTS D'ESPACES 

Dans ce type d’affrètement un armateur fréteur met une partie de son navire à la disposition d’un
chargeur affréteur et définit d’un commun des ports de chargement et de déchargement. La
prestation caractéristique pèse sur le fréteur qui s’engager à « louer », moyennant rémunération,
et pour une durée généralement indéterminée, une partie de la capacité de transport disponible sur
le navire qu’il exploite563. Le contrat a pour objet le déplacement d’un navire pour le compte de
l’affréteur564 et pour finalité économique le déplacement d’une marchandise565. L’opération se
complique lorsque les affrètements sont croisés, ce qui est fréquent et ce qui permet, grâce, à une
combinaison de renonciation à recours, de réduire les coûts d’assurance. Il ne faut pas confondre
les relations de l’affréteur avec ses propres clients justiciables des termes du connaissement qu’il
a pu émettre, et les relations internes établies entre le fréteur et l’affréteur. C’est pourquoi l’action
récursoire du transporteur contre l’affréteur d’espace n’est pas soumise aux règles du transport,
disposition d'un expéditeur de navires déterminés ou déterminables, en vue de transporter dans un délai donné une
quantité déterminée ou déterminable de marchandises sur un trajet déterminé ». Ces contrats contiennent souvent des
clauses de hardship, souvent mal rédigées et source de contentieux, v. Sentence CAMP n° 1172, DMF 2011. 442.
559
V. Contrats de services : quelle qualification ? Gazette CAMP n° 12.
560
Comp. Aix-en-Provence 12 oct. 1992, DMF 1993. 655, DMF 1994, HS, 163, n° 82, obs. Bonassies.
561
 Aix-en-Provence, 2 mars 1972, DMF 1973. 74.
562
 V. à cet égard, H. Tainturier, « Note de synthèse : « booking note «, DMF 1986. 447 s. : « Lorsque la booking note
contient tous les éléments requis par une charte-partie sans en porter le nom, elle doit être considérée comme une
charte-partie » (T. com. Marseille 19 juin 1979, DMF 1979. 556) ; en revanche (cf. Rouen 14 mars 1985, DMF 1986.
153, note R. A.), « lorsque l'arrêté de fret ne contient aucune des dispositions essentielles d'un contrat d'affrètement
au voyage, notamment : délais de chargement et de déchargement, surestaries et surtout une quelconque date de mise
à disposition du navire par l'armateur, la convention ainsi souscrite s'analyse en un contrat de transport ». Toutefois,
les exemples de « booking notes » qui, selon M. Tainturier (op. cit., p. 148), relèvent plutôt du contrat de transport,
comme la « Conline booking », peuvent dans certains cas constituer des contrats d'affrètement (v. en ce sens
Sentence CAMP, n° 585 du 17 oct. 1985 DMF 1986. 313, à propos d'une « Conline booking » incorporant une
charte-partie).
563
Sabadie, L’affrètement d’espaces, PUAM 2006, préf. Y. Tassel ; Y. Tassel, L’affrètement d’espaces, DMF 2005.
3. Le « slot charter », ici visé, se distingue du « space charter » qui renvoie au contrat de tonnage.
564
D’où l’obligation – fondamentale – d’assurer la bonne navigabilité du navire : Rouen 15 nov. 2001, DMF 2003,
HS 7, n° 96.
565
Sabadie, op. cit., n° 458.
161
mais à celles de l’affrètement566. Les règles de responsabilité sont définies par les parties elles-
mêmes, généralement en termes d’obligations de moyens567.

SECTION 4. SOUS-AFFRETEMENTS568 

Les sous-affrètements posent d'abord le problème de leur validité. La crainte des accaparements
et des spéculations avait inspiré, dans l'Ordonnance de 1681, l'interdiction de sous-fréter à un
taux plus élevé que le taux payé pour l'affrètement principal. Cette mesure légale n'a pas été
reproduite par le Code de commerce et la réforme de 1966 donne expressément la solution
contraire (art. L. 5423-5, précisant que « l’affréteur peut sous-fréter le navire ou l’utiliser à des
transports sous connaissements »). Mais il faut réserver les interdictions conventionnelles
exprimées par la charte-partie. On trouve dans la charte Baltime cette clause : « Les affréteurs
auront l'option de sous-louer le navire en donnant avis régulier aux armateurs, mais les affréteurs
d'origine resteront toujours responsables à l'égard des armateurs de la bonne exécution de la
charte » (clause 20).
On s'interroge ensuite sur la nature juridique de l'opération. La clause ci-dessus y voit une sous-
location. C'est une qualification concevable lorsque la charte-partie principale est à temps et que
le sous-affrètement l'est également. Elle ne va pas de soi lorsque ces deux conditions ne sont pas
remplies.

Ces effets sont liés à l'analyse que l’on peut faire de l’opération : il s’agit d’un sous-contrat et
non pas d’une cession de contrat. Un contrat d’affrètement de même nature que le contrat initial
vient donc s’adosser au contrat principal. Ce contrat ne fait pas l’objet d’une cession : il abrite
simplement un deuxième contrat de même nature, exactement comme dans une opération de
sous-traitance. Il n’y a, en principe, aucun lien entre les parties extrêmes. Il faut cependant
compter sur ce que dit la loi. Distinguer deux séries de rapports entre les parties La réforme de
1966 a donné les solutions essentielles que l’on attendait. D'abord une règle négative est posée :
le sous-affrètement ne change rien à la situation des parties à l'affrètement principal ; l'affréteur
reste tenu des obligations qu'il avait assumées envers le fréteur ; il ne peut pas prétendre les faire
assumer par son propre affréteur (art. L. 5423-6). Le même texte ne prévoit pas la situation
inverse ; il ne dit pas que le fréteur reste tenu envers l'affréteur des obligations qu'il avait
assumées, parce que c'est l'évidence et qu'on ne voit pas en quoi le contrat conclu par l'affréteur
pourrait modifier les engagements du fréteur.
L'article L. 5423-7 ajoute que le fréteur, dans la mesure de ce qui lui est encore dû par l'affréteur,
peut agir contre le sous-affréteur ; il lui réclamera paiement de ce que celui-ci doit lui-même
encore à son cocontractant. En précisant dans l'alinéa 2 que le sous-affrètement ne crée pas
« d'autres relations directes » entre les deux contractants extrêmes, le fréteur principal et le sous-
affréteur, le même texte indique bien que l'alinéa 1er, relatif au fret, établit une relation directe ;
on peut préciser qu'on est en présence d'une action directe en paiement. Cette action n’est pas bi-
latéralisée, si bien que le sous-affréteur n’a aucune action directe en responsabilité contractuelle
566
Aix-en-Provence, 14 sept. 2011, DMF 2012. 534, obs. de Sentenac.
567
Rouen 18 avr. 2002, DMF 2003. 115, obs. Achard. D’où des contentieux sur la preuve de la faute du fréteur :
Rouen 10 oct. 2002 et 28 nov. 2002, DMF 2003. 357 ; égal. Paris 26 janv. 2005, DMF 2006. 289, obs. Tassel : le
fréteur doit connaître les conditions nautiques d’accès du port. À l’égard des intérêts cargaison, la responsabilité du
fréteur est délictuelle, Paris 27 févr. 2013, BTL 2013. 176.
568
 De nombreux problèmes juridiques sont posés par cette combinaison. Voy. Rodière, op. cit. et Mise à jour 1978,
n°s 292 s. J. Néret, Le sous-contrat, LGDJ 1980, préf. Catala.
162
contre le fréteur principal. Tout au plus doit-on admettre, dans la mesure où la notion de groupe
de contrat n’est plus de droit positif, une action en responsabilité délictuelle du sous-affréteur
contre le fréteur, à condition que la faute de ce dernier soit dûment prouvée569.
L’existence de l’action directe pose la question du privilège : la question a été déjà abordée (v. ss
631) et discutée.570 Rappelons que le fréteur peut exercer son privilège sur les marchandises à
bord (art. L. 5423-3). Mais il est permis de se demander quelle est l’étendue du privilège en cas
de sous-affrètement. Il paraît raisonnable de limiter le privilège au montant des sommes dues par
le sous affréteur à l’affréteur principal571. Le privilège peut être exercé sur les marchandises du
sous-affréteur, mais ne peut être exercé que dans la mesure où le sous affréteur est redevable
envers le fréteur intermédiaire572

SECTION 5. AUTRES ACCORDS 

On trouve dans la pratique des accords pour l'acheminement de marchandises qui ne résultent ni
d'une charte-partie ni d'une « booking note », ni naturellement d'un connaissement ou d'un autre
titre de transport proprement dit. La rédaction d'une charte-partie n'est soumise à aucune forme
solennelle et ses différentes mentions — qui varient selon le type d'affrètement — ne sont
énumérées qu'à titre indicatif par les textes ; la charte-partie n'est prévue qu'à titre de preuve (art.
D. 5423-2). Inversement, l'existence d'une convention intitulée « charte-partie » n'est pas
suffisante pour qu'il y ait obligatoirement affrètement ; ainsi, si cette « charte-partie » ne stipule
aucun prix de location, prévoit que tous les frais d'exploitation restent à la charge de l'armateur, et
de plus, octroie au prétendu affréteur une commission sur fret, la convention n'est pas une charte-
partie mais un contrat de courtage de fret, c'est-à-dire un mandat, et l'armateur conserve la
gestion technique et commerciale de son navire573.
En outre, lorsque la convention des parties ne résulte que d'un échange de messages par télex 574
au caractère ambigu et imprécis, sans jamais avoir été transcrite dans une charte-partie, dans une
« booking note » ou tout simplement dans une récapitulation — en anglais « recap » — établie
par un courtier d'affrètement et soumise à l'approbation des parties, il n'est pas possible de savoir
s'il s'agit d'une réservation d'espace selon les conditions des lignes régulières, constituant un
contrat de transport, ou s'il s'agit d'un affrètement d'espace, relevant du contrat d'affrètement 575.
On voit par conséquent que la pratique est souvent riche de conventions ne relevant ni du
transport ni de l'un des trois types principaux de contrats d'affrètement et que les juges doivent
alors qualifier au cas par cas, en prenant garde que la loi maritime n'épuise pas les variétés
possibles des modes juridiques d'acheminement d'une marchandise d'un point à un autre. Le droit

569
Com. 16 avr. 1973, DMF 1973. 337, obs. Achard ; Com. 24 mars 1975, DMF 1976. 145, obs. Rodière.
570
Certains (cf. Aix-en-Provence 18 mars 1977, DMF 1979. 709) avaient dit que cette action directe n'impliquait pas
pour autant que le fréteur puisse exercer son privilège sur la cargaison du sous-affréteur. Pour d’autres, le privilège
conféré au fréteur pour le paiement de son fret créait un droit réel sur la cargaison du sous-affréteur (Rouen
20 mars 1986, DMF 1986. 753, obs. Achard ; Bonassies, Le droit positif français en 1986, DMF 1987. 143, n° 75 ;
contra Rouen 27 avr. 1989, DMF 1989. 663, obs. Achard). Comp. Rennes 24 oct. 1989, DMF 1990. 313, obs.
Vialard.
571
Cf. Com. 20 mai 1997, Bull. civ. IV, n° 153.
572
Com. 19 mars 1991, Bull. civ. IV, n° 114, DMF 1991. 428, obs. Vialard.
573
 CA, 26 févr. 1981, DMF 1982. 77, obs. R. A.
574
 Le télex constitue un mode de preuve du contrat, puisqu'il s'agit d'un contrat de droit commercial et que dans cette
matière la preuve est libre : Aix-en-Provence, 2 mars 1972, DMF 1973. 74.
575
 V. sentence CAMP, n° 573, 27 févr. 1985, DMF 1986. 184. Sur les conséquences de cette ambiguïté, v. la même
sentence.
163
maritime est un droit vivant qu'il faut se garder de figer une fois pour toutes dans des formules
dogmatiques, dès lors qu'il n'y a pas de fraude à la loi et que les parties en présence sont
également puissantes et peuvent par conséquent négocier librement les conclusions des modalités
d'un contrat, de façon à répondre à leurs besoins réciproques, ajustés au cours d'une négociation
serrée par l'intermédiaire de leurs courtiers respectifs ou même d’un seul courtier. Le juge
intervient alors pour qualifier l'opération et non pas pour la dénaturer.

164
SOUS-TITRE 2
Le contrat de transport de marchandises

I. Définition

Le contrat de transport de marchandises576 se distingue, prima facie, du contrat d’affrètement577.


L'armateur, transporteur en l’occurrence, s'engage à déplacer une marchandise déterminée, d’un
port à un autre, moyennant le paiement d'un fret déterminé 578. L'article L. 5422-1 C. transp. (issu
de l’art. 15 de la loi du 18 juin 1966) donne ainsi une définition semblable à celle du contrat de
transport terrestre. En effet, même si les deux contrats sont, pour des raisons tenant à la tradition
et aux données économiques, réglés de façon différente et, pour tout dire, moins sévères pour le
transporteur maritime que pour le transporteur terrestre, les deux situations du point de vue
juridique sont proches, du moins si l’on raisonne sur l’affrètement au voyage. Les obligations
essentielles des parties sont les mêmes : engagement de déplacer d'une part, promesse d'un fret
(ou port) d'autre part.
Peu importe le titre sous lequel voyage la marchandise. La loi du 2 mai 1936 avait eu le tort de
laisser croire qu'elle concernait seulement les transports sous connaissement. C'était certainement
une erreur car l'idée de protection des chargeurs qui l'inspirait ne pouvait pas lui donner un
empire auquel il était trop facile aux parties de se soustraire. Que le transporteur ait délivré un
connaissement, une lettre de transport maritime, un reçu, peu importe ; dès lors que les parties
sont convenues l'une de transporter, l'autre de payer le fret, le contrat de transport est caractérisé.
La qualification n’est pas secondaire car le régime de ce contrat et, en particulier, les règles de
responsabilité du transporteur sont, dans leur ensemble, impératives. L'esprit de la réglementation
est opposé à celui du contrat d'affrètement. La liberté qui règne dans l'affrètement se marque par
le caractère supplétif des dispositions légales ; au contraire, les règles sur le contrat de transport
maritime sont en général et en principe impératives. C'est le résultat d’une longue évolution.

II. Du Code de commerce à 1924

Le Code de commerce ignorait le contrat de transport maritime et ne connaissait que le contrat


d'affrètement. Il avait fallu cependant adapter les textes légaux aux transports par mer. En bref, le
régime de responsabilité en cas d'avaries ou de pertes de la cargaison était un régime légal sévère,
mais les parties pouvaient l'écarter et les contrats d’adhésion dont les armateurs en fait imposaient
l'emploi, substituaient à ces règles des clauses de non responsabilité ou limitatives de réparation
qui leur étaient très favorables. Les chargeurs étaient moins puissants que les armateurs et
l'économie des conventions traduisait cette inégalité économique.
En fait encore, la situation était moins dramatique qu'il le paraissait, car les chargeurs assuraient
leurs marchandises ; de la sorte, les défaillances de la responsabilité étaient compensées pour eux
par la garantie que leur contrat d'assurance leur promettait. Tout le problème revenait à savoir qui
576
MM. Bonassies et Scapel, n° 881 s.
577
 V. en dernier lieu, sur la différence entre l'affrètement au voyage et le transport, sentence CAMP, 28 avr. 1986 ; du
Pontavice, Observations sur la distinction entre contrat d'affrètement et contrat de transport de marchandises par mer,
in Derecho de la navigacion en Europa, vol. VI de los Estudios interdisciplinares en homenaje a Ferran Valls I
Taberner con ocasion del centenario de su nacimiento, Barcelona, 1987, p. 1791 s. ; v. aussi Contrats civils et
commerciaux, Précis Dalloz, n° 772.
578
 Le remorquage d'une barge ne constitue pas un contrat de transport : Com. 21 juin 1983, Bull, civ. IV, n° 179.
165
devait soigner une assurance : alors que le régime légal rassurait le chargeur par la perspective
d'une responsabilité opérant presque toujours et conduisait l'armateur à s'assurer contre le recours
de ses clients, la pratique conventionnelle tranquillisait l'armateur et engageait le chargeur à
s'assurer contre les risques de perte de sa marchandise. Il ne s'agissait même pas de savoir qui en
aurait la charge financière, car l'armateur ne manquait pas de tenir compte du fait que la
« negligence clause » allégeait ses charges financières, de sorte que le choix entre l'un et l'autre
système était assez indifférent.
Ce n'était pas tout à fait exact, si l’on ne veut pas oublier les résistances opposées par les
armateurs pour réformer leur pratique et admettre une réglementation nationale ou internationale
plus contraignante pour eux. Les difficultés apparurent sur le plan plus général des relations
internationales. Il y avait et il y a encore des nations de chargeurs et des nations d'armateurs. Ce
sont les nations de chargeurs qui s'insurgèrent579.
Le mouvement est venu des États-Unis, qui jusqu'à la dernière guerre mondiale, n'avaient qu'une
faible flotte commerciale et se trouvaient donc clients de l'Angleterre et de la Norvège, grandes
puissances de l'armement international. Sous l'influence des exportateurs et importateurs
américains, tous également intéressés à la situation des chargeurs, le Congrès vota le
13 février 1893 la loi connue sous le nom de son promoteur, le Harter Act. Cette loi américaine
substitua au régime antérieur qui, comme chez nous, était supplétif de la volonté des parties, un
régime légal impératif. Désormais toute clause insérée dans les connaissements et contraire aux
dispositions de la loi était nulle.
Quant au système légal, il consistait à poser en règles :
1. que l'armateur devait faire toute diligence pour que le navire fût en état de tenir la mer et
dûment équipé pour le voyage ;
2. que si cette condition était réalisée, l'armateur serait déclaré non responsable d'une part des cas
fortuits, d'autre part des fautes nautiques du capitaine et de l'équipage. La preuve de la
navigabilité du navire était ainsi conçue comme une condition d’accès aux cas exceptés.
C'est dans cette dernière proposition que réside l'originalité à l'époque du Harter Act. Il distingue
les fautes commerciales des fautes nautiques, qu'il appelle faults or errors in the management or
in the navigation of the vessel. Le fréteur répond donc des premières et ne peut pas s'en exonérer.
Il ne répond pas des secondes, du moins s'il s’est comporté avec due diligence.
Les chargeurs américains furent assez puissants pour que ce système devînt non seulement la loi
interne américaine, mais aussi la loi des contrats qu'ils concluaient avec les armateurs étrangers.
Ils étaient aidés en cela par le texte même de l'Act qui se déclarait applicable aux contrats conclus
à destination ou au départ d'un port quelconque des États-Unis, de telle sorte que chaque fois que
les litiges se présentaient devant les juges américains, cet Act, en tant que loi de police, était
appliqué sans qu'il y eût de rattachement à une autre loi. Les chargeurs américains obtenaient
donc sans grande peine, dans les chartes-parties ou connaissements, avec des armateurs étrangers,
l'insertion de clauses se référant au système du Harter Act.

III. Convention internationale du 25 août 1924

Les dominions anglais, également pays de chargeurs, suivirent le mouvement et promulguèrent


des lois semblables au début de ce siècle. Ils réussirent après la guerre à ébranler les certitudes de
la Cité de Londres. Une conférence tenue sous les auspices de l'International Law Association
arrêta en 1921 des règles dont on espéra qu'elles deviendraient, par l'acceptation de tous, le droit
V. K. S. Goddard, Flexibility in contracts for the carriage of goods by sea : historical perspective, Il Diritto
579

Marittimo 2013, 304.


166
commun international de la responsabilité des fréteurs. Ce sont les Règles de La Haye, 1921, qui
proposaient un modèle de connaissement-type. L'expérience montra l'échec de cet espoir. Il fallut
bientôt procéder autrement. Au lieu de règles proposées à l'agrément des contractants privés, on
s'orienta vers la formule de la Convention internationale obligatoire pour les pays contractants et
leurs ressortissants. Ce fut l'œuvre de la Convention signée à Bruxelles en 1924580.
Cette convention fut ratifiée par la France (L. 9 avr. 1936) dont le droit interne fut lui-même
modifié par une loi du 2 avril 1936. Un long intervalle de 12 ans s'est écoulé entre, d'une part la
signature de la convention par la France, et d'autre part, sa ratification, et la modification de notre
droit interne. Ce retard s'explique par l'opposition des chargeurs français et plus particulièrement
des chargeurs algériens à une convention qu'ils estimaient trop favorable à l'armement. Les
progrès réalisés sur la pratique commerciale antérieure leur paraissaient insuffisants. Ils auraient
souhaité un régime approchant de celui du droit terrestre. Mais il était difficile de leur donner
satisfaction car on aurait alors placé le pavillon français en trop mauvaise posture sur le plan de la
concurrence internationale. On a donc ratifié la convention et, en contrepartie, donné satisfaction
aux chargeurs français et suisses sur le plan du droit interne par la loi du 2 avril 1936.

La réforme qui a été réalisée en France l'a été également dans beaucoup de pays étrangers. En
Angleterre, l'Act du 1er août 1924 a rendu obligatoires les règles de la convention 581. La Belgique,
par la loi du 28 novembre 1928, a introduit le texte même de la convention internationale dans le
droit interne. Les États-Unis ont modifié le Harter Act par la loi du 16 avril 1936. L'Allemagne
par la loi du 10 août 1937 et l'Italie dans le Code de 1942 ont modifié leurs législations. Le Japon
a ratifié la convention et l'a adaptée à l'usage interne en 1957. Les Pays-Bas l'ont introduite par
une loi du 26 août 1956. Jusqu'en 1961, aucun État de l'Amérique latine n'avait ratifié la
convention. L'Argentine fut la première à le faire par sa loi n° 15-787 de 1961 (aujourd'hui, Code
de 1973).

IV. Protocoles modificatifs 

La Convention de 1924 a été modifiée par un Protocole signé à Bruxelles le 23 février 1968. Ce


protocole, dit Règles de Visby, est entré en vigueur le 23 juin 1977 ; il lie la France depuis sa
publication due au décret n° 809 du 8 juillet 1977582. Ce Protocole ne modifie pas les principes de
la convention et se borne, avec quelques précisions utiles, notamment quant au champ
d’application, à relever les chiffres de réparation.
Un second Protocole signé à Bruxelles le 21 décembre 1979 et entré en vigueur le
14 février 1984583 modifie les dispositions relatives au montant de la répartition et à l'unité de
compte (DTS : Droits de Tirage Spéciaux ; SDR : Special Drawing Rights).

V. Réforme de 1966 
580
M. Sturley, The legislative history of the carriage of goods by sea Act and the Travaux preparatoires of the Hague
Rules, Fred B. Rothman & Co 1990.
581
Colinvaux, The carriage of goods by sea Act 1924, Stevens & Sons Ltd, 1954.
582
 JO 20 juill., D. 1977. 331.
583
 Décr. 3 avr. 1987, JO 5 avril 1987. V. texte de la Convention internationale de Bruxelles du 25 août 1924 pour
l'unification de certaines règles en matière de connaissement telle qu'amendée par les Protocoles de 1968 et de 1979,
in DMF 1987. 562 s.
167
La loi française de 1936 s'était écartée de la Convention de Bruxelles sur plusieurs points,
théoriquement peu importants pour un comparatiste, mais suffisamment appréciables en fait pour
avoir soulevé de nombreux litiges concernant la démarcation des frontières. La réforme de 1966,
complétée par ses réformes successives, a supprimé presque toutes ces différences et c'est surtout
par la présentation que les textes diffèrent désormais entre la loi interne française et la convention
internationale584. La loi française du 18 juin 1966, minutieusement préparée par le Doyen
Rodière, n'a rien changé aux principes nouveaux : le contrat de transport continue d'être régi par
des dispositions impératives inspirées de l'intérêt des chargeurs. Elle a néanmoins apporté
d'importantes modifications au régime antérieur :
1. en se rapprochant davantage de la Convention de Bruxelles de 1924 ; 
2. en marquant nettement que l'empire de cette réglementation n'est pas le contrat de transport
sous connaissement, mais plus largement le contrat de transport maritime ;
3. en prohibant les lettres de garantie frauduleuses ;
4. en rétablissant l'unité de régime juridique du contrat de transport.

VI. Réformes ultérieures 

Le choix s'offrait à la France entre soit introduire dans la loi de 1966 les nouvelles règles du
Protocole de 1968 soit adopter les Règles de Hambourg qui conduiraient à des changements plus
substantiels. C'est le premier terme de l'alternative qui a été retenu : la loi n° 1103 du
21 décembre 1979 et le décret n° 1111 du même jour ont modifié respectivement la loi du
18 juin 1966 et le décret du 23 mars 1967 fixant les limites de responsabilité afin d'introduire
dans notre loi interne certaines des modifications apportées par le Protocole de 1968 à la
Convention de 1924. Cette mise en harmonie a été très partielle. C'est la raison pour laquelle la
loi du 23 décembre 1986, et le décret du 12 novembre 1987 ont achevé de mettre en harmonie le
droit interne avec le Protocole de 1968 et avec le Protocole du 21 décembre 1979 qui, on l'a vu,
modifie partiellement l'article 4 de la convention telle qu'amendée par le précédent Protocole.

Le Code des transports s’est borné à reprendre les dispositions existantes (art. L. 5422-1 s.).

Règles de Hambourg

Le 31 mars 1978, la Conférence des Nations Unies sur le transport par mer a adopté le texte d'une
nouvelle convention, préparée de longue date par la CNUCED et la CNUDCI585.
Cette conférence, inspirée par les demandes des pays en développement, était destinée à
remplacer la Convention de Bruxelles de 1924, amendée en 1968 et en 1979. Elle présentait un
net progrès par rapport à la Convention de Bruxelles. Elle ne se proposait pas de régler quelques
points sur le connaissement et la responsabilité, mais voulait constituer un code complet
(international) du contrat de transport maritime. Inspirée à bien des égards par la loi française de
1966, elle n'en présentait pas moins des défauts586.

584
Comp. G. Branellec, La coexistence de règles applicables au transport international de marchandises par mer ;
contribution à l’étude de l’uniformité du droit, thèse Brest 2007.
585
 v. Texte in DMF 1978. 396.
586
 voy. les commentaires nuancés de Rodière, BT, 1978.294 et DMF 1978. 387 ; F. Berlingieri, Diritto marittimo,
1978.185 ; plus général. N. Sorensen, Les Règles de Hambourg, thèse Aix-Marseille 1981.
168
Cette nouvelle convention, appelée Règles de Hambourg (fin de l'Annexe III), a été rédigée en six
langues originales (anglais, arabe, chinois, espagnol, français, russe). Elle a l’ambition d’être un
modèle et a, de fait, inspiré notamment la Convention de Budapest sur les transports fluviaux
internationaux.587
Les Règles de Hambourg couvrent tous les contrats de transport par mer, sans distinction suivant
le document émis. Lorsqu’elles visent le connaissement, elles ajoutent aussitôt « ou autre
document faisant preuve du contrat ».
Cependant, cela n'est pas rigoureusement vrai, car ce n'est que pour le connaissement que les
Règles se préoccupent d'en faire le titre sûr d'une marchandise bien définie (art. 14 s.). Elles
n'admettent de réserves que dans les deux hypothèses classiques : soupçons concernant les
déclarations du chargeur et impossibilité de les vérifier. Elles ne manquent pas au surplus
d'annuler les lettres de garantie. Enfin, leur ambition se marque, d'une part, parce que les
transports internationaux qu'elles régissent sont plus nombreux que ceux de la convention ;
d'autre part, parce qu'elles n'excluent plus les pontées, ni les animaux vivants, sauf à adopter pour
les uns et les autres des régimes de responsabilité particuliers (art. 9 pour les pontées et art. 5, § 5,
pour les animaux vivants).
Dans les Règles de Hambourg, le régime de responsabilité du transporteur est modifié. La liste
des cas exceptés de la Convention, imitée par la loi française de 1966, disparaît pour faire face à
la règle que le transporteur est responsable des pertes et avaries (ainsi que du retard, oublié par la
convention de Bruxelles), à moins qu'il n'établisse que lui-même, ses préposés et ses mandataires
ont pris toutes « les mesures qui pouvaient raisonnablement être exigées pour éviter l'événement
et ses conséquences » (art. 5. 1). Cette règle est à première vue moins sévère pour les
transporteurs que celle de 1924.
La réparation est semblable à celle de la Convention de 1924/1969/1979 (mais les plafonds sont
plus élevés ; le transporteur ne pouvant cependant pas s'en prévaloir en cas de dol ou de faute
inexcusable de sa part : art. 8. 1). D’utiles précisions sont également données sur les conteneurs.

 G. Auchter, « La Convention sur le transport de marchandises par mer » (Règles de Hambourg 1978), Droit
587

Européen des transports, 1979, vol. XIV, n° 1, 2 et 3, p. 3 s. et 215 s. ; v. aussi les avis divergents de Rodière, DMF
1978. 451 et Sweeney, Les Règles de Hambourg, Point de vue d'un juriste « anglo-saxon », DMF 1979. 323 ;
Nubukpo, La Convention des Nations Unies sur le transport international des marchandises par mer dix ans après,
DMF 1989. 538 s. ; Bonassies, « La responsabilité du transporteur maritime dans les Règles de La Haye et dans les
Règles de Hambourg, in Diritto Maritimo, 91 (1989), 949 ; J. Ramberg, « Risk Distribution in the Carriage of Goods
by Sea », in Liber Amicorum Lionel Tricot, p. 417, 1988, Anvers, Kluwer. Le projet de convention avait été élaboré
par la Commission des Nations Unies pour le droit du commerce international (CNUDCI) ; le titre de la convention
est Convention des Nations Unies sur le transport des marchandises par mer, 1978. Elle a été adoptée à Hambourg
lors d'une conférence internationale le 31 mars 1978. Elle est destinée, non pas à compléter, comme le font les
protocoles, la Convention de Bruxelles de 1924, mais à la remplacer ; du reste tout État devenant partie à la
Convention de Hambourg doit dénoncer la Convention de Bruxelles, cette dénonciation prenant effet à la date à
laquelle les Règles de Hambourg entreront en vigueur à l'égard de cet État. Une loi 81-348 du 15 avril 1981 a
autorisé le Président de la République française à ratifier la Convention de Hambourg, ce qui n’aurait pas été une
mauvaise décision. Les Règles de Hambourg ont été, à de jour, ratifiées par 33 États, mais au nombre desquels ne
figurent pas les grands pays maritimes (Japon, Norvège, Royaume-Uni, États-Unis…). Face aux difficultés
d'envisager une adhésion généralisée aux Règles de Hambourg, le CMI s'est interrogé sur la possibilité de rédiger un
texte de transaction qui reprendrait dans les Règles de La Haye et dans les Règles de Hambourg ce que chaque texte
a de meilleur (Bonassies, Règles de La Haye, Règles de Hambourg, Règles de Marseille, IMTM Annales 1989,
105 s. ; Latron, Uniformisation de la loi du transport de marchandises par mer dans les années 1990, conférence
prononcée à l'AFDM le 21 décembre 1989. Cette situation est à l’origine des Règles de Rotterdam.
169
L’application des Règles de Hambourg a suscité un certain contentieux. Sur l'application de la
Convention de Hambourg, deux premiers jugements rendus par le tribunal de commerce de
Marseille sont intéressants588 :
1. Selon le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 11 janvier 1994, la
Convention de Hambourg est inapplicable parce qu'elle n'était pas encore en vigueur à la date
d'émission des connaissements. Autrement dit, bien que le tribunal soit français, le litige peut être
soumis à la Convention de Hambourg dès lors que cette convention est entrée en vigueur.
2. Selon la même juridiction, aux termes d'un jugement du 15 février 1994, la Convention de
Hambourg n'aurait pu être appliquée par le tribunal d'un État ne l'ayant pas ratifiée, — en
l'occurrence la France —.
Depuis, d’autres décisions ont été prises589 et la Cour de cassation a clairement affirmé que la
France n’étant pas partie à la Convention de Hambourg, celle-ci n’est pas applicable par les juges
français en tant que convention internationale590. Elles ne peuvent donc s’appliquer que si les
parties s’y sont expressément référées (par le truchement d’une clause paramount), si du moins,
ce renvoi et clair et dénué de toute ambiguïté 591, ou encore lorsque ces Règles sont appelées à
jouer en tant que loi compétente592.

Règles de Rotterdam 

Le 23 septembre 2009, a été signé à Rotterdam, la « Convention sur les contrats internationaux
de transport de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer ». Ce texte - baptisé
par les Nations Unies elles-mêmes « Règles de Rotterdam » - est ouvert à la ratification des États
et entrera en vigueur à l’issue de la vingtième ratification 593. Les États concernés devront alors
dénoncer les Conventions qui les lient, que ce soit les Règles de La Haye, les Règles de La Haye
Visby (HVR) ou encore les Règles de Hambourg. La convention est ainsi appelée à régir les
transports maritimes du XXIe siècle et à rétablir l’uniformité qui fait tant défaut à la matière. Le
texte a fait l’objet d’intenses discussions et de longues analyses. Dès 1988, le CMI, sous
l’impulsion de son Président, F. Berlingieri, avait engagé une réflexion sur les lacunes des Règles
de La Haye Visby et sur les raisons du relatif échec des Règles de Hambourg. De son côté, la
CNUDCI s’était interrogée sur la nécessité de prolonger ses travaux sur le droit du commerce
international et de compléter la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises
par un texte sur les transports. D’où des liens entre le CMI et la CNUDCI, qui ont fini par se
concrétiser dans un projet de réforme des conventions maritimes existantes et sur la constitution,
au sein des Nations Unies, d’un Groupe de travail chargé d’étudier ce projet et de le transformer,
si possible, en convention internationale de droit matériel. Le Groupe s’est réuni pour la première
fois à New York en avril 2002, puis en alternance à Vienne pendant près de 12 sessions
biannuelles. Entre-temps, des réunions informelles, des colloques, des échanges se sont
multipliés, jusqu’à l’adoption en juillet 2008 du texte par l’assemblée plénière de la CNUDCI,
588
Rev. Scapel, sept. 1994, 103 et 105.
589
P.-Y. Nicolas, Les premières applications, DMF 1998. 547. V. égal. J. N. Nteppé, Les conflits des conventions
internationales de droit privé : le cas de la Convention de Bruxelles et des Règles de Hambourg, thèse Nantes, 2007.
590
Com. 28 mars 2000, DMF 2000. 920, obs. Bonassies.
591
Com. 1er oct. 2013, DMF 2013. 1014, rapp. Rémery, obs. Nicolas, BTL 2013. 603.
592
Com. 28 mai 2002, DMF 2002. 613, rapp. Rémery, obs. Nicolas, RTD com. 2002. 598.
593
V. Delebecque, DMF 2008. 211 et 787 ; M. Ndendé, L’activité normative des Nations Unies dans le domaine des
transports maritimes internationaux, Mélanges A. Fenet, LexisNexis 2009 ; MM. Sturley, Fujita et Van Ziel, The
Rotterdam rules, Sweet and Maxwell 2010 ; Les règles de Rotterdam : le droit des transports maritimes du XXIe s. ?
Annales IMTM 2010.
170
l’Assemblée Générale des Nations Unies donnant son aval au mois de décembre de la même
année.
Les Règles de Rotterdam sont longues et complexes. De fait, la nouvelle convention qui se veut
partiellement multimodale ou plus exactement qui organise le transport « maritime plus », c’est-
à-dire le transport maritime international éventuellement précédé ou prolongé par des segments
routiers ou ferroviaires, voire aériens, contient 96 articles et pas moins de 18 chapitres, ainsi
conçus :
- « dispositions générales » - cette technique qui consiste à définir par avance les termes utilisés
est désormais usuelle dans les instruments internationaux : les définitions ne sont plus
conceptuelles, mais téléologiques ; on retiendra la définition donnée du contrat de transport 594 et
de certains nouveaux termes, à l’exemple de la « partie exécutante » et du « chargeur
documentaire » - ;
- « champ d’application » - la convention élargit d’un côté son domaine d’application
géographique, et, d’un autre côté, rompt avec l’approche documentaire des Règles de la Haye
Visby, sans pour autant retenir l’approche contractuelle des Règles de Hambourg, tout en
introduisant une approche commerciale (art. 6, renvoyant au transport de ligne régulière) - ;
- « documents électroniques de transport » - ce qui est le premier signe de la modernité des RR - ;
- « obligations du transporteur » - ce nouveau chapitre traite de la période de responsabilité du
transporteur (de la réception des marchandises jusqu’à leur livraison), puis des obligations
proprement dites du transporteur, fondamentales comme accessoires - ;
- « responsabilité du transporteur pour perte, dommage ou retard » - c’est assurément le cœur du
texte et en même temps le complément du chapitre précédent, puisqu’un lien entre les obligations
et la responsabilité est établi, mais pour autant ce chapitre apporte, sur le fond, peu de
changement, si ce n’est qu’il supprime la faute nautique en tant que cas excepté - ;
- « dispositions supplémentaires relatives à des étapes particulières du transport » - d’où des
dispositions particulières consacrées au déroutement, à la pontée et au traitement des dommages
survenus pendant une phase non maritime du transport (art. 26) - ;
- « obligations du chargeur envers le transporteur » - si les Règles de Hambourg avaient abordé
ce thème particulièrement important, la convention le développe et l’approfondit, en envisageant
ses différents aspects sous l’angle des prestations attendues du chargeur et de sa responsabilité, au
demeurant non limitée - ;
- « documents de transport et documents électroniques de transport » - sous cette rubrique, sont
traitées des questions techniques dont les conséquences pratiques sont considérables, la force
probante des documents, notamment, étant sensiblement renforcée (art. 41) - ;
- « livraison des marchandises » - les RR comblent ici un vide, en posant une obligation de
prendre livraison, en autorisant, sous certaines conditions, la livraison de la marchandise sans
remise d’un document et en réglant la situation dans laquelle la marchandise est en souffrance - ;
- « droits de la partie contrôlante » - qui se traduisent par un droit de disposition élargi et trouvent
leur expression dans la possibilité de donner de nouvelles instructions au transporteur, voire de
modifier le contrat de transport, à charge de dédommager le transporteur - ;
- « transfert de droits » - prévoyant pour la première fois dans un instrument international les
procédures d’endossement de documents négociables - ;

594
Art. 1-1 : « le terme contrat de transport désigne le contrat par lequel un transporteur s’engage, moyennant
paiement d’un fret, à déplacer des marchandises d’un lieu à un autre. Le contrat prévoit le transport par mer et peut
prévoir, en outre, le transport par d’autres modes ».
171
- « limites de responsabilité » - rehaussé, le plafond de réparation couvre la responsabilité du
transporteur en cas de perte ou d’avarie, mais aussi en cas de manquement aux obligations lui
incombant en vertu de la convention - ;
- « délai pour agir » - la durée de ce délai est portée à deux ans, étant précisé qu’il s’agit
désormais d’un délai de déchéance et non d’un délai de prescription - ;
- « compétence » et « arbitrage » - ces deux chapitres sont, selon nous, ceux qui soulèvent le plus
de problèmes ; ils sont heureusement supplétifs ou, plus exactement, applicables sous réserve
d’une déclaration en leur faveur au moment de la ratification (système d’« opting-in ») - ;
- « validité des clauses contractuelles » - d’un côté, le texte est très strict, car il prohibe
pratiquement toutes les clauses d’exonération et de l’autre, il reste très ouvert, en reconnaissant,
mais au prix de conditions bien précises, le jeu de la liberté contractuelle dans les contrats dits de
volume - ;
- « matières non régies par la présente convention » - sont envisagées à ce stade les relations avec
autres les autres conventions notamment multimodales, ces dernières l’emportant sur les RR – 
- « clauses finales » - ces dispositions ont, pour l’essentiel, une portée diplomatique.
Tout ceci est assurément long et en même temps relativement complexe ; mais on ne voit pas
comment il eût été possible d’être plus court et plus concis, sauf à se cantonner dans le seul
domaine véritablement envisagé par les HVR, i. e. la responsabilité du transporteur. La
convention a voulu moderniser le droit des transports et aborder le contenu même du contrat de
transport, ce qui se traduit nécessairement par de nouvelles dispositions s’efforçant de régler les
problèmes soulevés par la pratique.
Le style de la convention est souvent lourd et répétitif, notamment dans les dispositions sur la
livraison (art. 45 s.). Les doubles négations, parfois utilisées (art. 6, al. 2), ne facilitent pas la
lecture. Certaines définitions sont purement tautologiques (cf. art. 1-4, 1-16, 1-20), les renvois
trop nombreux (cf. art. 3) et quelques articles inutiles, car sans réel contenu (cf. art. 57). Il faut
dire aussi que le texte a été conçu en anglais et rédigé en anglais et que la traduction, si précise
soit-elle, ne va pas toujours de soi (cf. art. 41-b-ii, art. 41-c ; art. 46, al. 1 ; art. 26). Le souci de
l’exhaustivité, propre à la culture juridique anglo-américaine, est également quelque peu
déroutant pour les juristes de civil law. D’où aussi la difficulté de trouver des soubassements
théoriques commandant telle ou telle conséquence pratique 595. Mais, là encore, cette
préoccupation, n’est pas celle de la convention qui a cherché avant tout à régler au fil de ses
dispositions les problèmes rencontrés par la pratique.
Sur le fond, si l’on peut nourrir de sérieuses réserves sur les chapitres relatifs à la compétence et à
l’arbitrage, mais qui ne sont pas, comme nous l’avons vu, de plein droit intégrés dans
l’instrument, si l’on peut marquer son désaccord sur certains points techniques (cf. art. 17-6, sur
la causalité partielle excluant le partage des fautes ; art 62, sur la nature du délai pour agir), il faut
reconnaître que les avancées réalisées par les RR sont certaines et importantes. Ces Règles
réussissent, globalement, à moderniser le droit des transports maritimes, tout en assurant un bon
équilibre entre les intérêts des parties en cause (v. ss 779).

On étudiera successivement en cinq chapitres 596 :1. Le domaine de la législation.2. La conclusion


du contrat : prise en charge et les documents de transport.3. Le contenu du contrat et les
595
Notamment quant à la situation du destinataire, tiers ou partie au contrat de transport ; égal. art. 42, sur le fret payé
d’avance, dont on peut se demander s’il édicte une règle de fond ou de preuve.
596
Les ouvrages essentiels sont : MM. Bonassies et Scapel, n° 880 ; Carver, Th. Gilbert et R. P. Colinvaux, Carver’s
carriage by sea, Stevens, 13th / by Colinvaux, ed. 1982 ; égal. R. Alkens, R. Lord et M. Bools, Bills of lading, Loyd’s
Shipping Law Library, 2006.
172
obligations des parties.4. L’exécution et l’inexécution du contrat et notamment la responsabilité
du transporteur.5. les questions de contentieux : action en responsabilité, compétence et
prescription.

173
Chapitre 1
L'EMPIRE DES DISPOSITIONS RELATIVES AUX CONTRATS DE TRANSPORT
MARITIME

Il faut se demander successivement :


1. si un contrat est un contrat de transport au sens de la loi et de la convention ;
2. quelles sont les opérations qui sont alors couvertes par la législation applicable ;
3. comment articuler le droit national avec le droit issu des conventions internationales.

La première question conduit, d'une part, à tracer la frontière entre le droit maritime et le droit
terrestre ; d'autre part, à séparer les contrats de transport des contrats d'affrètement. La seconde
conduit à dire quand commence et quand se termine la situation contractuelle régie par les
dispositions concernant le contrat de transport maritime. La troisième débouche sur la
présentation des Règles de La Haye et des Règles de La Haye Visby et sur leur articulation avec
le droit national.

SECTION 1. CONTRATS RÉGIS PAR LES ARTICLES L. 5422-1 ET S.

§1. Contrats de transport maritime

Par le contrat de transport maritime, le chargeur s’engage à payer un fret déterminé et le


transporteur à acheminer une marchandise déterminée « d'un port à un autre » (art. 5422-1). Ce
contrat s’applique depuis la prise en charge jusqu’à la livraison. Le transport maritime suppose
donc un déplacement entre ports maritimes, du moins en principe. En effet, une navigation ne
cesse pas d'être maritime parce que le navire emprunte sur une partie de son trajet une voie d'eau
intérieure. Les plus grands ports maritimes sont sur des voies d'eau douce. Un transport de
Hambourg à Rouen sera un transport maritime parce que la plus grande partie du trajet se fera par
mer.
Aucune confusion n'est possible avec les transports terrestres ou aériens. Il peut arriver qu'une
marchandise, en vertu d'un même titre de transport, voyage successivement par mer et par fer, par
route ou par air. C'est le cas des marchandises transportées sous un connaissement direct597. La

597
 Le connaissement direct est le connaissement destiné à régir de bout en bout soit un transport exclusivement
maritime, mais effectué par plusieurs transporteurs successifs, soit un transport mixte, c'est-à-dire en partie maritime
et en partie terrestre, fluvial ou aérien (du Pontavice et P. Cordier, Transport et affrètement maritimes, op. cit., 2e éd.,
p. G 7 ; obs. R.A. sous Aix-en-Provence, 24 mars 1983, DMF 1984. 670 et sous Com. 8 nov. 1983, JCP E 1984.
14301 ; le plus souvent, les connaissements directs contiennent des clauses leur retirant leur fonction essentielle qui
consiste à réaliser l'unité du transport et font de l'émetteur de ces titres un commissionnaire pour les transports
exécutés par la suite. En l'absence de pareilles clauses, le document unique qui régit le transport de bout en bout, est
également soumis à un régime juridique unique, tous les transporteurs étant en principe solidairement responsables
vis-à-vis des ayants-droit à la marchandise. Les Anglais distinguent volontiers le « through bill of lading » qui est le
titre unique pour des transports maritimes successifs et le « through/transport bill of lading » qui est un titre de
transport mixte ou plus exactement de transport combiné selon la terminologie qui s'est imposée. Comme on le verra
infra (v. ss 778), le titre de transport combiné ou transport multimodal est différent de la pratique actuelle du
connaissement direct car l'émetteur du titre a le plus souvent la qualité de commissionnaire de transport pour
l'ensemble de l'acheminement de la marchandise.
174
question de savoir comment se combinent les divers régimes propres à chaque mode de
locomotion et comment parfois l'un d'eux s'efface au profit d'un autre, même pour le trajet qu'il
devrait régir, est trop compliquée. La Convention de 1924 pour l’unification de certaines règles
en matière de connaissement impose seulement que « chaque transporteur soit responsable de la
part du transport qu'il assume, laissant pour le surplus les parties libres d'organiser à leur gré,
l'articulation de leurs relations. »598

§2. Contrat de transport et affrètement

I.Rapprochement 

On a vu que ces deux contrats étaient distincts et que la différence principale tenait à leur
organisation juridique, libérale dans l'affrètement, contraignante, parce que protectrice des
chargeurs, dans le contrat de transport.
Alors que les contrats d'affrètement sont régis par les dispositions supplétives de la loi (et du
décret), les contrats de transport obéissent à des dispositions impératives. Apparemment les
choses sont claires, les obligations des parties sont distinctes dans l'affrètement et dans le
transport. Il reste cependant que les documents rédigés pour l'un et l'autre des contrats prêtent
parfois à la confusion. On a vu que l'affréteur pouvait demander au fréteur de lui établir un
connaissement (v. ss 629). Or, les connaissements ont été la marque des contrats de transport si
bien même qu'on disait « contrat de transport sous connaissement » et la pratique, appuyée par la
tradition, a donné au connaissement des fonctions et une portée qui dépassent le cadre des
relations directes entre celui qui l'a émis et celui qui l'a reçu. Le connaissement atteste que le
capitaine a reçu telle marchandise dans son navire et comme ce titre représente cette
marchandise, il en est redevable envers le porteur. L'armateur, pour le compte de qui le capitaine
a délivré le connaissement, se trouve alors dans la situation du débiteur d'une obligation de
résultat. Or, c’est bien la situation d'un transporteur ; ce n'est pas exactement celle d'un fréteur.
Si, pour l'exécution d'un contrat d'affrètement, il n'y a pas eu délivrance de connaissement, si l'on
s'est borné à rédiger une charte-partie, aucune difficulté n'apparaît ; le contrat est régi par les
seules stipulations de l'affrètement. Mais s'il n'existe pas de contrat de transport avec charte-
partie, en revanche il arrive fréquemment que le fréteur délivre un connaissement. D’où certaines
difficultés.

II.Coexistence d'un connaissement et d'une charte-partie

Pour que la difficulté existe, il faut que le connaissement soit délivré au nom du fréteur. Tel n'est
pas le cas dans l'affrètement à temps où le capitaine est l'agent commercial de l'affréteur. Le
connaissement délivré par le capitaine à l'affréteur n'engage donc pas le fréteur. Celui-ci reste
tenu des seules obligations qui résultent du contrat d'affrètement. Il en est a fortiori de même
dans la location coque nue où le capitaine n'est à aucun titre l'agent du fréteur.
La difficulté se cantonne au cas de l'affrètement au voyage599. La loi doit faire taire les
controverses parce qu'elle édicte une règle claire. L'article L. 5422-2, 2° prescrit, en effet, que les
dispositions sur le transport de marchandises s'appliquent :

P. Bonassies, DMF 1984. 180, n° 89 ; Com. 21 juin 1960, DMF 1960. 661.
598

V. P.A.M. Seck, Affrètement au voyage, connaissement et contrat de transport, thèse Rotterdam, Univ. Erasmus,
599

2011, dir. K. F. Haak.


175
« 1. entre tous les intéressés au transport, en l'absence de charte-partie » ;
« 2. dans les rapports du transporteur et des tiers porteurs, aux connaissements émis en
exécution d'une charte-partie ».
C'est cette seconde proposition qui donne la règle applicable à la situation définie. Pour en
comprendre la portée, il faut connaître la jurisprudence antérieure et les critiques qui lui étaient
couramment adressées.
Sous l'empire de la loi de 1936, on a fait valoir que cette loi comprenait deux séries de
dispositions distinctes : les unes destinées à donner pleine valeur au connaissement, les autres
relatives à la responsabilité des transporteurs. Cette loi aurait voulu soumettre aux seules règles
de la première série les cas où il y a connaissement émis en vertu d'une charte-partie. On
distinguerait alors : le connaissement a-t-il été émis en vue de sa transmission ? Alors la loi de
1936 dans sa première partie devrait s'appliquer ; a-t-il été émis sans idée de transmission ? Alors
cette loi ne s'appliquait en rien. Les auteurs étaient favorables à cette distinction.
La Cour de cassation était cependant plus réservée, en observant qu’« il n'y a pas lieu de
distinguer selon que le connaissement était entre les mains de l'affréteur ou entre les mains du
tiers-porteur tenant ses droits de celui-ci »600. Cette solution était fâcheuse. La Cour de cassation
du reste l'écartait quand le transport était soumis à la Convention internationale de 1924, sans que
les arguments de textes par lesquels elle justifiait cette disparité fussent convaincants. C'est la
solution internationale que la réforme de 1966 a étendue au droit interne, obéissant en cela à une
jurisprudence des cours d'appel qui ne s'inclinaient pas devant les solutions de la Cour de
cassation601.
La solution est donc aujourd'hui la suivante : tant que le connaissement reste entre les mains de
l'affréteur, la situation entre toutes les parties est soumise aux règles de l'affrètement 602 ; dès que
le connaissement est légitimement détenu par un tiers, les règles de l'affrètement continuent de
régir les relations entre fréteur et affréteur mais, à l'égard du tiers porteur, le fréteur se
transforme en transporteur et on lui applique toutes les règles du droit des transports. Pour
autant, il ne faudrait pas systématiser cette espèce de novation, dans la mesure où la charte partie
et le connaissement émis dans le cadre de la charte et les deux contrats qu’ils sous-tendent,
affrètement et transport, entretiennent d’étroites relations, voire constituent un même « bloc
contractuel603 ».

§3. Indifférence aux titres de transport et aux marchandises

La question précédente se posait parce qu'il y avait à la base une convention, le contrat
d'affrètement, qui n'était pas un contrat de transport. Si l'on suppose qu'il y a bien eu entre les
parties conclusion d'un contrat de transport maritime, peu importe le titre remis par le
transporteur au chargeur, comme peu importe la nature de la marchandise.
a) Sous l'empire de la loi de 1936, et depuis que la rédaction d'un connaissement n'était plus
imposée par la loi fiscale, on avait pensé que les transports effectués sous un autre titre que le
connaissement échapperaient à cette loi ; la tradition, attestée par Valin et Pothier, voulait que
l'on ne délivrât pas de connaissement dans le petit cabotage ; si cette tradition devait reprendre,
600
Com. 9 févr. 1959, DMF 1959. 344, note Rodière.
601
Douai 10 mars 1955, DMF 1955. 735 ; Montpellier 28 juin 1956, DMF 1956. 647.
602
 V. sentence CAMP du 22 mars 1986. Comp. dans la situation inverse, Sentence CAMP, n° 1209 du 10 sept. 2013.
603
F. Arradon, Charte-partie et connaissement, Gazette CAMP, n° 2 ; égal. J.Y. Thomas, Identification du
transporteur maritime dans les connaissements de charte-partie, Gazette CAMP n° 24.
176
on avait supposé que ces transports ne seraient pas soumis à la loi de 1936 604 ; tel devrait être le
cas notamment des transports maritimes effectués sous une lettre de voiture maritime, document
non signé par le capitaine, attestant la prise en charge d'une marchandise par l'armateur. C'eût été
regrettable, car l'application d'une loi protectrice des chargeurs, réputés économiquement faibles,
ne devrait pas dépendre de la seule volonté de l'armateur et du choix qu'il ferait du document
remis au chargeur.

La loi nouvelle évite une telle solution. L'article L. 5422-1 définit le contrat de transport sans
référence au titre qui sera remis au chargeur ; dès que l'armateur a pris en charge une marchandise
qu'il s'engage à acheminer d'un port à un autre, les règles prévues s'appliquent et ses règles sur la
responsabilité sont inévitables (art. 5422-15)605.
b) La nature de la marchandise est également indifférente. Si la loi de 1966, comme celle de 1936
et, à l'imitation de la Convention de Bruxelles de 1924, retirent leur caractère impératif aux règles
de responsabilité quand le transport a pour objet des animaux vivants ou des marchandises
chargées en pontée (v. ss 696), elle ne les exclut pas de son domaine 606. S'il n'y a pas de clause de
ce genre, les règles légales de responsabilité du transporteur s'appliqueront et, s'il y a une clause
de non responsabilité, on n'en appliquera pas moins les autres règles impératives par exemple
celles qui limitent la possibilité pour le capitaine de faire des réserves sur le connaissement que le
chargeur peut exiger de lui.

SECTION 2. OPÉRATIONS ENTRANT DANS LE CONTRAT DE TRANSPORT


MARITIME

§1. État antérieur du droit

La réforme de 1966 a profondément modifié le régime antérieur, tel qu'il était dû à la mauvaise
conception et à la mauvaise rédaction de la loi de 1936607.
Cette loi déclarait s'appliquer depuis la prise en charge sous palan jusqu'à la livraison au
destinataire sous palan. La solution était mauvaise dans son expression puisque certaines
marchandises ne sont pas manœuvrées par palanquées (exemples : les hydrocarbures refoulés par
sea line et les grains aspirés par suceuse) et parce qu'il y a des modes de manutention qui
n'utilisent pas le palan ou la grue portuaire, comme à l'époque les coltinages à dos d'homme et
aujourd'hui la manutention horizontale à bord des navires rouliers. Elle était également fâcheuse
dans sa conception car elle laissait, hors du champ régi par la loi du transport maritime, les phases
antérieures à la mise sous palan, même si le transporteur avait déjà pris la marchandise en charge
(phase dite ante palan) et postérieures à la remise sous palan, même si le transporteur avait
toujours la marchandise en charge parce qu'il ne l'avait pas encore livrée (phase dite post palan).
Quel régime fallait-il appliquer à ces phases ? On avait beaucoup discuté et les thèses les plus
aventureuses avaient parfois tenté les tribunaux.
604
de Juglart, Le transport au petit cabotage, DMF 1959. 131.
605
 La pratique dans les transports par cargos rouliers opérant par roll on/roll off et qui embarquent des camions ou
des remorques chargés de marchandises est de délivrer non pas un connaissement mais un « ordre de mouvement de
véhicules commerciaux ». Peu importe le nom donné au document de transport : les dispositions de la loi sur les
transports maritimes s'appliquent.
606
Com. 5 janv. 1965, DMF 1965. 213, rendu sous l’empire de la loi de 1936.
607
v. P. Scapel, La nouvelle législation sur les transports de marchandises par mer, S. 1936, 108.
177
La jurisprudence y avait mis bon ordre dans la mesure de ce qui dépendait d'elle.
1. Elle avait décidé que les opérations mêmes de chargement et de déchargement étaient régies
par la loi de 1936 ; ces opérations sont proprement maritimes ; elles participent en effet de la
nature même des engins maritimes et des problèmes de manutention (généralement verticale)
qu'ils posent ; on en concluait que les dommages causés à la marchandise au cours des opérations
de mise à bord ou de débarquement étaient soumis au régime de la loi de 1936608.
Bien des difficultés subsistaient concernant notamment ce qu'il fallait entendre par prise sous
palan dans les manutentions par sea line des vins ou des pétroles609 ou le régime des
transbordements par allèges610.
2. Pendant les phases ante et post palan, les marchandises étaient soumises au droit commun
maritime, tel qu'on pouvait l'induire des textes du Code de commerce. Cette solution était acquise
depuis deux arrêts de la Cour de cassation611.
On en concluait qu'en l'absence de toute convention contraire, le transporteur était présumé
responsable et était tenu de réparer tout le dommage, mais que les clauses limitatives ou même de
non-responsabilité étaient valables dans les termes du droit commun ; on écartait donc aussi bien
le régime de la loi de 1936, qui aurait annulé ces clauses, mais étendu les causes de libération du
transporteur, que le régime du droit des transports terrestres, qui aurait annulé les clauses de non-
responsabilité (loi Rabier de 1905, modifiant l'article 103 de l’ancien Code de commerce, devenu
C. com., art. L. 133-1)612.

§2. Réforme de 1966

Depuis la loi du 18 juin 1966, la solution est plus simple : « Les dispositions du présent titre
s'appliquent depuis la prise en charge jusqu'à la livraison », déclare l'article L. 5422-1 C. transp.
dans sa seconde proposition.
C'est une réforme radicale613 destinée à éradiquer les chicanes antérieures. La prise en charge et la
livraison sont des actes juridiques dont la définition théorique ne présente pas de difficulté. On
pourra certes hésiter devant certaines situations pour savoir s'il y a eu prise en charge ou
livraison, mais ce genre de procès est inévitable car il tient à la diversité possible des faits et des
circonstances.
Lorsqu’il y a eu prise en charge de la marchandise par l'armateur ou son représentant qualifié, et
tant qu'il n'y a pas eu livraison au réceptionnaire ou à son représentant qualifié, la marchandise
est soumise aux règles sur le contrat de transport614 ; en particulier, elle est soumise aux règles
légales de responsabilité du transporteur, telles que les articles de la loi les définissent 615. C'est

608
Com. 16 mai 1959, D. 1959. 411, note Ripert ; Com. 2 janv. 1963, D. 1963. 183, note Rodière.
609
v. Nîmes 19 mai 1958, BTL 1958. 291.
610
Gilles, Le transport de marchandises sur allèges, 1958.
611
Com. 17 mai 1960, D. 1960. 496 ; 17 mai 1961, DMF 1961. 519, note Rodière.
612
Cf. Rodière, D. 1961. Chron. 1.
613
 A l'inverse, la Convention de Bruxelles ne s'applique qu'à la phase maritime du transport, i. e. du chargement au
déchargement (Com. 19 mars 1985, Bull. civ. IV, n° 102 ; Com. 24 nov. 1975, Bull. civ. IV, n° 280 ; Com.
4 juill. 1989, DMF 1989. 639, obs. RA). Par conséquent, en deçà et au-delà des opérations de chargement à bord du
navire et de déchargement, la loi française régit, si elle est applicable en vertu de la règle de conflit (cf. Règl. Rome
I), le contrat de transport maritime dont la phase centrale obéit à la Convention de Bruxelles.
614
 Com. 16 janv. 1973, Bull. civ. IV, n° 27.
615
 Cf. Com. 21 juin 1994, DMF 1994. 757, obs. Tassel. La réussite de l'action intentée à l'encontre du transporteur
maritime… est subordonnée (seulement, mais nécessairement) à la preuve par lui faite de ce que les avaries se sont
produites au cours du transport maritime… Autrement dit, il n'est pas nécessaire de prouver la faute  : encore faut-il
178
dire qu'il n'y a plus lieu de distinguer suivant qu'on est avant ou après palan, suivant que le
dommage survient à quai ou à bord, ni suivant que la marchandise est immobilisée dans les flancs
du navire ou qu'elle est en cours de manutention.
Le seul point auquel il faille donc désormais prendre garde concerne la prise en charge et la
livraison. La volonté des parties peut agir pour retarder la première ou avancer la seconde ; ainsi
la période couverte par les règles du contrat de transport peut être écourtée, mais pas au-delà du
chargement ni en deçà du déchargement ; la règle de l'article 38 du décret de 1966 (art. D. 5422-
8) est impérative et c'est cette règle qui donne un sens précis aux dispositions de l'article L. 5422-
1.

SECTION 3. CONVENTIONS INTERNATIONALES

§1. Transports internationaux 

La Convention de 1924 régit les transports de marchandises sous connaissement, par opposition
aux transports sous charte-partie616, et la convention précise que, s'il y a un connaissement émis
en vertu d'une charte-partie, elle ne s'appliquera qu'à partir du moment où ce titre régit les
rapports du transporteur et du porteur du connaissement. Cette formule permet de ne pas faire
jouer la convention tant que le chargeur reste porteur du connaissement 617. On appliquera la
charte-partie aux rapports de l'affréteur avec le fréteur lorsqu’ils ont par ce titre défini leurs
obligations618. Le système est le même en droit interne.

S'il n'y a ni connaissement, ni « document similaire », on a pu se demander si la convention


jouait. Certains ne l’ont pas admis619, mais, semble-t-il, à tort620.
La convention n'opère que dans les rapports internationaux 621. Il ne suffit cependant pas
d'introduire un élément international quelconque dans un contrat de transport pour qu'il soit régi
par la Convention de Bruxelles. Ainsi un transport entre deux États non signataires de la
convention, exécuté en vertu d'un connaissement émis dans un État non signataire, n'y est pas
soumis.
Cet exemple négatif donné, il était difficile de définir le domaine de la convention. L'art. 10
déclarait simplement : « les dispositions de la présente convention s'appliqueront à tout
connaissement créé dans un des États contractants ». Les difficultés d'interprétation de ce texte en
France ont conduit à réviser l'article 10 de la convention lors de la conférence de Bruxelles de
1968. Du texte actuel – appelé dans la phraséologie anglaise Règles de La Haye-Visby (Visby
étant l’île à l’est de la Suède dans laquelle le Protocole a été négocié) - il résulte que la
convention modifiée par le protocole s'applique qu’au prix de certaines conditions.

prouver le temps du dommage.


616
Cf. art. 1. b. : « Contrat de transport s’applique uniquement au contrat de transport constaté par un connaissement
ou par tout document similaire formant titre pour le transport des marchandises par mer ».
617
Rouen 1er avr. 1954, DMF 1954. 530 ; Paris 6 févr. 1959, DMF 1959. 476.
618
 Com. 24 mai 1967, D. 1967. 709, note Rodière.
619
 V. Toulouse 13 mai 1977, DMF 1977. 721 ; comp. pour un delivery order, Rennes 21 juin 1985, DMF 1986. 675,
obs. R.A. ; v. aussi du Pontavice et P. Cordier, Transport et affrètement maritimes, op. cit., C 2 s. La jurisprudence
anglaise est également en ce sens.
620
Cf. MM. Bonassies et Scapel, n° 905.
621
Ne l’est pas un transport entre le Havre et Papeete : Aix-en-Provence 2e ch., 23 févr. 2011, n° 2011/86.
179
Les États parties au Protocole de 1968 étant relativement peu nombreux par rapport notamment à
ceux que lie la Convention de 1924, la question se pose de savoir si le protocole peut s'appliquer
dans les transports d'un État partie à la convention amendée par le protocole, à destination d'un
État partie à la Convention de 1924 seule ou n'étant même pas membre de la Convention de 1924.
Il faut donc appliquer à la lettre l'article 10 du Protocole de Bruxelles de 1968, qui est clair ; à cet
égard, le texte pose deux conditions cumulatives :
a) le protocole ne s'applique qu'aux transports relevant de deux États différents.
b) Il faut en outre que le transport réponde à l'une des trois conditions suivantes :
1. Le connaissement est émis dans un État contractant, c'est-à-dire dans un État membre de la
Convention de 1924 modifiée par le protocole ;
2. ou bien le transport a lieu au départ d'un port d'un État contractant, c'est-à-dire d'un État
membre de la Convention de 1924 modifiée par le protocole ;
3. ou bien le connaissement, quel que soit son lieu d'émission et quel que soit le port de départ,
prévoit que les dispositions de la présente convention, c'est-à-dire de la Convention de 1924
modifiée par le protocole, ou de toute législation appliquant les dispositions de la Convention de
1924 modifiée ou leur donnant effet régiront le contrat, quelle que soit la nationalité du navire, du
transporteur, du chargeur, du destinataire ou de toute autre personne intéressée. Il s'agit de la
clause « Paramount », c'est-à-dire littéralement de la clause souveraine, l'emportant sur toute les
autres622. Il faut que cette clause Paramount donne effet aux dispositions de la Convention de
1924 modifiée non pas, comme cela existe dans beaucoup de connaissements, au seul cas où ces
dispositions s'appliquent impérativement, mais également dans les cas où normalement la
Convention de 1924 modifiée ne prévoit pas son application ; il en va également lorsque le
connaissement donne effet, même dans les cas où la convention modifiée ne s'applique pas
obligatoirement, à toute législation interne appliquant des dispositions « équivalentes »
(« corresponding legislation of the country of destination ») à celles de la Convention de 1924
modifiée par le protocole623.
La clause Paramount du BIMCO prévoit et organise un mécanisme à quatre étapes :
- application des Règles de La Haye-Visby telles qu’incorporées dans le pays de chargement624 ;
- à défaut, application de la corresponding legislation du pays de destination ;
- à défaut, application des Règles de La Haye si elles sont impératives dans le pays de
chargement ou de déchargement ;
- à défaut, application des Règles de La Haye-Visby.
Bien entendu, le Protocole de Bruxelles de 1968 l'emporte sur notre droit interne 625 ou encore sur
la convention initiale626 ; lorsque les conditions précises du Protocole de Bruxelles de 1968 sont
remplies, celui-ci s'applique d'une part par préférence au droit interne et d'autre part sans tenir

622
v. par ex. Rouen 25 sept. 2008, DMF 2008. 1011, obs. Bonassies ; égal. P. Raymond, Clause Paramount ; régime
juridique applicable, Gazette CAMP, n° 20 ; plus général. R. Mathieu, La clause Paramount dans les contrats
maritimes, RD transp. 2013. 46.
623
 v. Com. 28 mai 2002, DMF 2002. 613, rapp. de Monteynard, obs. Nicolas ; par corresponding legislation, il ne
faut donc pas entendre la législation équivalente, pour son contenu, aux Règles de La Haye-Visby, il faut simplement
comprendre la législation du pays déchargement.
624
As enacted, i. e. ratifié en droit interne, Sentence CAMP, n° 1156 du 25 août 2008.
625
 Cf. Const. art. 55. Une autre question est de savoir si le choix de la convention internationale se traduit par une
soumission au texte ou par une simple incorporation ; la jurisprudence est favorable à la première branche de
l’alternative (Com. 4 févr. 1992, Hilaire Maurel, DMF 1992. 289, obs. Lemaître, Rev. crit. DIP 1992. 495, note
Lagarde) ; comp. en matière d’affrètement, v. ss 630.
626
Com. 16 oct. 2012, DMF 2013. 170, obs. C. Bloch ; plus general. P. Y Nicolas, Les conflits de conventions
internationales dans le transport maritime de marchandises, Mélanges Bonassies, p. 265.
180
compte du fait que le point de départ et le point de destination sont situés dans des États qui ne
sont pas parties au protocole si le connaissement est émis dans un État lié par le protocole 627 et
sans tenir compte davantage du fait que le point de destination est situé dans un État qui n'est pas
partie au protocole, dès lors que le transport a lieu au départ d'un État partie au protocole 628 ;
enfin, lorsque le connaissement contient une clause Paramount telle que précisée ci-dessus, le fait
que l'État où le connaissement a été émis et les États où se trouvent le point de départ et le point
de destination du transport ne sont pas parties au protocole n'a pas d'importance.

§2. Domaine de la Convention de 1924

La Convention de 1924, mod. 1968, ne s'applique pas aux transports en pontée, déclarés comme
tels, ni aux transports d'animaux vivants. Il y a là une différence avec le système de la loi de 1966
qui ne les exclut pas de son empire, tout en exigeant un « consentement » du chargeur mentionné
sur le connaissement629. Si l’accord du chargeur est obtenu, ce qui suppose, semble-t-il, un accord
exprès630, la loi autorise (cf. art. L. 5422-16) pour ces transports les clauses de non-responsabilité
qui écartent le régime qu'elle édicte631. En d’autres termes, le transporteur sera exonéré de toute
responsabilité pour les dommages dus à la pontée et bénéficiera des cas exceptés ordinaires.
Dans les Règles de Rotterdam, la pontée est désormais soumise à des règles précises et non
dérogatoires (art. 25). Des dispositions particulières ont également été prévues pour le transport
d’animaux vivants et certaines autres marchandises (art. 83).
Sous l’empire des Règles de La Haye Visby, la pontée doit faire l’objet d’une « déclaration », i.
e. d’un acte juridique unilatéral du transporteur (art. 1.c). Si cette déclaration est faite, le
transporteur pourra se prévaloir des clauses du connaissement qui, dans une telle situation,
aménagent sa responsabilité, du moins si la loi applicable admet ce type de clause (ce qui est le
cas de la loi française). À défaut, la convention reste applicable 632, la pontée pouvant alors
apparaître fautive, car incompatible avec l’obligation de soigner le transport. La jurisprudence a
cependant déformé ce régime en considérant que la pontée était fautive dès l’instant qu’elle est
réalisée sans l’accord du chargeur633.
Dans le même ordre d'idées, la convention précise qu'elle ne s'applique impérativement qu'aux
« cargaisons commerciales ordinaires, faites au cours d'opérations commerciales ordinaires », et
que les parties recouvreront leur pleine liberté de contracter lorsque le « caractère, et la condition

627
 Cf. Paris, 16 oct. 1985, DET 1986. 137 et spéc. p. 144. Aix-en-Provence, 28 févr. 1985, BT 1986, 138.
628
 Aix-en-Provence, 28 févr. 1985, BT 1986. 138 ; Montpellier, 1er déc. 1987, DMF 1988. 250, obs. R.A. ; Bonassies,
Le droit positif français en 1988, DMF 1989, n° 59, p. 148.
629
À défaut, la pontée est considérée comme fautive et le transporteur ne pourra plus se libérer de sa responsabilité.
Sa faute n’est cependant pas, ipso facto, inexcusable.
630
Le consentement doit être doublé d’une notification de la pontée pour que le chargeur prenne les assurances
nécessaires ou prévienne son assureur. La validité des clauses dispensant le transporteur de toute notification n’est
généralement pas admise.
631
Ces clauses sont valables dans les conditions du droit maritime et se heurtent ainsi à la limite du dol et de la faute
inexcusable : Com. 7 janv. 1997, Bull. civ. IV, n° 10. Il faut ajouter que ces clauses sont interdites dans les transports
par porte conteneurs (art. 5422-16, in fine) et que dans ces transports le consentement à la pontée est supposé donné
par le chargeur (comp. pour des conteneurs ouverts : Com. 7 févr. 2006, DMF 2006. 499, obs. Tassel).
632
Com. 29 avr. 2002, Cam Iroko, DMF 2004, HS 8, n° 79. V. égal. Aix-en-Provence 13 mars 2014, BTL 2014. 193.
633
Com. 18 mars 2008, Ville de Tanya, DMF 2008. 538, DMF 2009 HS 13, n° 76 ; v. égal. l’arrêt d’appel Aix-en-
Provence 16 nov. 2006, DMF 2007. 1002 ; v. encore Aix-en-Provence, 14 sept. 2011, DMF 2012. 534, obs. de
Sentenac ; Rouen 30 mai 2013, DMF 2013. 899, obs. Raison. Pour la critique de cette jurisprudence, v. P. Bonassies,
Le droit du transport de conteneurs à l’orée du XXIe s., DMF 2009. 7.
181
des biens à transporter, les circonstances, les termes et les conditions auxquelles le transport doit
se faire sont de nature à justifier une convention spéciale » (art. 6, al. 3).
Il y a là une règle vague ; notre loi nationale n'a pas reproduit cette exception, ce qui est d'ailleurs
fâcheux parce qu'effectivement certains transports se présentent, au moins pendant un certain
temps, dans des conditions très particulières qui font souhaiter qu'on puisse les exclure des
prévisions générales. On en a donné comme exemple, lors de la discussion de la convention, les
transports de viandes frigorifiées au début de l'industrie du froid. Les Règles de Rotterdam, à cet
égard, ont maintenu la solution (art. 83, al. 2), mais sont allées beaucoup plus loin en autorisant
les parties à déroger à la convention dans les contrats de volume (art. 80).

§3. Transports internationaux non régis par la convention

Tous les transports internationaux sous connaissement ne tombent pas sous le coup de la
Convention de Bruxelles initiale ou amendée. La question se pose donc de savoir quelle loi on
doit leur appliquer.
La règle ordinaire de droit international privé conduisait à rechercher la loi à laquelle les parties
avaient entendu se référer, dite loi d'autonomie. La Cour de cassation a pu suivre cette
indication634. La loi de 1966 avait adopté une démarche plus nationaliste et unilatéraliste 635. Elle
avait posé en règle que les dispositions qu'elle édictait en matière de transport maritime
s'appliqueraient aux transports effectués au départ ou à destination d'un port français, si du moins,
ils n’étaient pas régis par une convention internationale qui lierait la France (art. 16, al. 1er). Cette
disposition, imitée du Harter Act et de diverses autres lois maritimes étrangères, était considérée
comme d'ordre public, en ce sens que la soumission du contrat à une autre loi n’était efficace que
si elle ne conduisait pas à appliquer des règles plus défavorables aux chargeurs que celles de la
loi française.
La loi de 1966 précisait par ailleurs que la « loi du contrat » détermine les conditions et les effets
du contrat, y compris les règles de responsabilité. En revanche, on lui soustrayait : 1° ce qui
concerne les diligences extrajudiciaires, les mesures conservatoires et les mesures d'exécution sur
la marchandise, matières soumises à la loi du lieu où ces opérations doivent être effectuées
(art. 16, al. 2) ; 2° la prescription, qui était régie par la loi du tribunal devant lequel l'action est
portée (al. 3)636.
À l’occasion de l’adoption du Code des transports, l’article 16 de la loi de 1966 a été abrogé
(dans tous ses alinéas). Les rédacteurs du code ont considéré, sans doute un peu hâtivement et, en
tout cas, sans véritable concertation, que cette disposition était trop nationaliste et désormais
incompatible avec les dispositions du règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations
contractuelles.637

634
Com. 14 oct. 1957, D. 1958. 333, note Jambu-Merlin.
635
Cette démarche avait été dictée au Doyen Rodière, auteur intellectuel de la loi de 1966, par réaction contre la loi
belge identique. Cf. R. de Smet, Droit maritime et droit fluvial belges, T. I, 1971, n° 351.
636
 Pour la description et la critique de cette disposition Hage-Chahine, La vérité jurisprudentielle sur la loi applicable
à la prescription extinctive de l'obligation, in Études dédiées à Alex Weill, p. 305.
637
V. déjà, Rémery, Remarques sur le droit applicable au contrat international de transport maritime de marchandises,
Mélanges Bonassies, p. 277 ; Aspects maritimes du droit international privé communautaire, Mélanges Gaudemet-
Tallon, éd. Dalloz, p. 601 s. ; égal. S. Sana Chaillé de Néré, L’art. 16, al. 1 er de la loi de 1966 : charnière ou verrou
pour la détermination de la loi applicable au contrat international de transport maritime ? ADMO 2008, t. 26, 505.
182
Il faut désormais s’en tenir, si l’on recherche la loi applicable, aux règles de conflit édictées par le
règlement Rome I638. Ces règles ne sont pas aisées à mettre en musique639. Les limites tirées de
l’ordre public ont bien entendu vocation à jouer. De même que celles tenant aux lois de police.640

§4. Autres conventions 

Les Règles de Rotterdam ont un champ d’application assez large car elles sont appelées à
s’appliquer aux transports internationaux, c’est-à-dire aux transports dans lesquels le lieu de
réception et le lieu de livraison, ainsi que le port de chargement et le port de déchargement sont
situés dans des États différents, si, selon le contrat de transport, l’un quelconque des lieux
suivants se trouve dans un État contractant : le lieu de réception, le port de chargement, le lieu de
livraison ou le port de déchargement.
Les RR s’appliquent nécessairement à la partie maritime du transport et peuvent s’appliquer
également, si les parties le souhaitent, aux phases de pré et de post acheminement. Les RR
peuvent ainsi couvrir un transport « door to door ». Elles jouent quelle que soit la nationalité du
navire, du transporteur, des parties exécutantes, du chargeur, du destinataire ou de toute autre
partie intéressée.

638
Art. 5.1 : « à défaut de choix…, la loi applicable au contrat de transport de marchandises est la loi du pays dans
lequel le transporteur a sa résidence habituelle, pourvu que le lieu de chargement ou le lieu de livraison ou encore la
résidence habituelle de l’expéditeur se situe aussi dans ce pays. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, la loi du
pays dans lequel se situe le lieu de livraison convenu par les parties s’applique. »
639
V. Le règlement Rome I : quelles incidences sur les contrats maritimes ?, Mélanges Berlingiéri, I, p. 431 ; v.
égal. Cass. 4 mars 2003, DMF 2003. 556 et les obs., Rev. crit. DIP 2003. 285, note Lagarde, JCP 2004, II, 10071,
note A. Sinay-Cytermann ; pour des ex. de choix des parties, Paris 12 sept. 2002 et 26 nov. 2003, DMF 2004, HS 8,
n° 77 ; adde : Rouen 13 mars 2014, BTL 2014. 192.
640
V. Rouen, 9 sept. 2004, DMF 2005. 851, obs. S. Sana Chaillé de Néré. Pour un ex. de loi de police, Com. 16
mars 2010, DMF 2010. 389, rapp. Potocki, obs. S. Sana Chaillé de Néré, Il Diritto Marittimo 2010, 403 et les obs. ;
sur renvoi, Poitiers, 29 nov. 2011, DMF 2012. 622, obs. Cachard.
183
CHAPITRE 2
LA CONCLUSION DU CONTRAT

SECTION 1. CONSENTEMENT DES PARTIES

Le contrat de transport est un contrat consensuel. Il est conclu par un transporteur 641 qui contracte
avec un chargeur et sera, le plus souvent, accompli avec une troisième personne qui est le
destinataire. Ce n’est ni un contrat réel dont la validité serait subordonnée à la remise de la
marchandise, ni un contrat solennel supposant pour sa validité l’émission de tel ou tel document.
Il se forme comme la plupart des contrats par la rencontre d’une offre et d’une acceptation. Le
transporteur, dans la mesure où il assure des lignes régulières et aujourd’hui inscrites sur des sites
informatiques, peut être considéré comme étant en état d’offre publique permanente 642. Le contrat
est, le plus souvent, pré-rédigé et proposé sur la base de conditions générales offertes à
l’acceptation643. C’est un contrat d’adhésion : la simple acceptation d’un chargeur suffira donc à
former le contrat. Rien ne s’oppose, par ailleurs, à ce que le contrat soit précédé d’un avant-
contrat, d’une promesse unilatérale de transport (à l’exemple d’une booking note, i. e. arrêté de
fret)644 ou même d’une promesse synallagmatique.
Une fois le contrat conclu, il appartient au chargeur de présenter sa marchandise dans le temps et
au lieu convenus. Tout dépend en fait des usages du port et des aménagements de la compagnie
d'armement dans ce port. Quelles que soient les circonstances, vient un moment où le
transporteur accepte la marchandise pour le transport et ce moment, suivant les textes français
applicables, ne peut pas être retardé au-delà de l'instant où la mise à bord de la marchandise
considérée a commencé. C'est la prise en charge, acte juridique à l'occasion duquel le transporteur
reconnaît l'emballage, l'étiquetage si besoin est, ou le marquage des colis, leur nombre,
l'importance ou le poids des marchandises selon les cas.

L'instant de cette prise en charge est d'une importance capitale puisqu'il ouvre la période
contractuelle couverte par la loi (art. 5422-12)645. Prise en charge et réception des marchandises
au sens de l'article D. 5422-3 sont une seule et même chose. C'est à partir de cette réception que
le transporteur est tenu de délivrer un connaissement à la demande du chargeur, mais ce titre ne
641
La question de l’identification du transporteur est récurrente, v. par ex. les décisions in DMF 2004, HS 8, n° 80,
v. ss 767. Le fréteur à temps dont le nom ne figure pas sur le connaissement n’a pas la qualité de transporteur  : Com.
20 janv. 2009, DMF 2009. 235, rapp. Potocki, obs. Bonassies ; égal. en cas de VSA, T. com. Marseille 28 oct. 2011,
Rev. Scapel 2012, 52. Sur la portée des mentions « as agent » et de l’en-tête du connaissement, v. Paris, 8 janv. 2008,
DMF 2009, HS 13, n° 78. Sur la portée d’une enseigne, Aix-en-Provence, 25 avr. 2005, DMF 2006. 207, obs.
Ndendé et 437, obs. Javelaud. – V. égal. sur le NVOCC, n° 608.
642
Cette offre est du reste accessible sur les sites internet des compagnies. Les tribunaux hésitent cependant à
reconnaître leur force juridique, v. Aix-en-Provence, 21 févr. 2013, DMF 2014, à paraître.
643
Les conditions générales sont reprises au verso du connaissement. On y trouve toute une série de clauses sur la
délivrance du connaissement, les marchandises, les garanties, la responsabilité, les avaries communes, la loi
applicable, la juridiction compétente et encore les clauses suivantes sur la modification du contrat :« no servant or
agent of the carrier shall have the power to waive or vary any of the terms of this bill of lading, unless such waiver
or variation is in writing and is specifically authorised or ratified in writing by the carrier  » ; ou encore sa validité :
« in the event that anything herein contained is inconsistent with any applicable international convention or national
law which cannot be departed from by private contract, the provisions hereof shall to the extent of such
inconsistency but no further be null and void ».
644
Aix-en-Provence, 2 mars 1972, DMF 1973. 74.
645
 Com. 20 mai 1986, Bull. civ. IV, n° 96.
184
sera un connaissement embarqué qu'après le chargement de la marchandise à bord du navire
(art. D. 5422-4).

Le transporteur peut stipuler qu'il ne prendra la marchandise en charge qu'à l'instant de son
chargement. Il ne peut pas retarder davantage ce moment parce que le décret met impérativement
au nombre de ses obligations celle de procéder « de façon appropriée et soigneuse au chargement,
à la manutention, à l'arrimage… de la marchandise » (art. D. 5422-8). Dans la pratique, les
marchandises sont remises à un acconier ou un entrepreneur de manutention : celui-ci peut,
jusqu'au chargement, agir suivant les conventions des parties soit au nom du transporteur, qui
aura donc déjà pris la marchandise en charge, soit au nom du chargeur, auquel cas il n'y aura pas
encore eu prise en charge par le transporteur. La situation, dans ce dernier cas, changera
nécessairement avec le commencement des opérations de manutention en vue de la mise à bord,
puisque ces opérations entrent, nonobstant toute clause contraire, dans les obligations du
transporteur646.

SECTION 2. DELIVRANCE D'UN CONNAISSEMENT

En droit commun, la délivrance d'un titre dépend de la volonté des parties. Un transporteur
routier pourrait refuser de délivrer tout reçu pour les marchandises qu'il prend en charge. Peut-
être n'aurait-il plus de clients, mais il n'enfreindrait alors aucune règle de droit privé. Il en est
autrement en droit maritime. Le transporteur doit délivrer un titre à son cocontractant dès qu'il a
pris sa marchandise en charge. L'article L. 5422-3 précise en termes non ambigus que « le
transporteur ou son représentant, doit, sur la demande du « chargeur », lui délivrer un
connaissement ». Cette proposition mérite attention647.
On remarquera d'abord que l'obligation de délivrer un connaissement n'existe qu'à la demande du
chargeur. Celui-ci peut n'en pas demander ; il peut même renoncer à en demander, car l'article L.

646
 La preuve de la prise en charge peut résulter de la délivrance par l'acconier agissant au nom du transporteur d'une
note de chargement (T. com. Marseille, 27 avr. 1976, DMF 1976. 610). En ce qui concerne le transport de produits
liquides, la prise en charge se situe au point de raccordement des canalisations fixes du port avec les tuyaux souples
du navire (Douai, 4 juill. 1980, DMF 1981. 37).
647
 Sur le refus de délivrer un connaissement, v. dans la jurisprudence de la cour d'Anvers, une décision en harmonie
avec le droit français, citée par L. Delwaide, Les grandes lignes de la jurisprudence maritime de la cour d'appel
d'Anvers depuis sa constitution en 1975, DMF 1986. 244 s. et spéc. p. 248, n° 12. Sur les conséquences du retard
dans la délivrance du connaissement, v. Aix-en-Provence, 28 avr. 1983, DMF 1984. 727, obs. R.A.
Dans la pratique actuelle, le connaissement est délivré aux risques du chargeur. La clause suivante est usuelle :
« The bill of lading shall be sent or released to the merchant at its sole risk, expense and responsibility and shall
be construed remitted to the merchant upon sending. In accepting the bill of lading, the merchant agrees to be bound
by all stipulation, exceptions, terms and conditions on the face and back hereof, whether written, typed, stamped or
printed, as fully as if signed by the merchant, any local custom or privilege to the contrary notwithstanding, and
agrees that all agreements or freight engagements for and in connection with the carriage of the goods are
superseded by the bill of lading, including any previous engagements between the merchant and the carrier, its
agents, sub-contractors, employees, captains or vessels ».
185
5422-3 n'est pas d'ordre public648. Dans les transports intra-communautaires, c’est devenu
pratiquement la règle.
Ensuite, tant que la marchandise n'est pas mise à bord, le connaissement qui en sera délivré n'aura
pas grande signification pour les tiers. Ce qui leur importe c'est la certitude que telle marchandise
est acheminée sur tel navire. Elle ne leur est donnée que par le connaissement dit « embarqué »,
qui fera foi du chargement de la marchandise à bord du navire, mais qui ne pourra pas être délivré
avant ce chargement (art. D. 5422-4). Jusque-là, ce que le chargeur pourra exiger, c'est un
connaissement « reçu pour embarquement  », qui, juridiquement, n’est pas un connaissement.

Le connaissement doit comporter certaines mentions. Il porte, dit l'article D. 5422-3, « les
inscriptions propres à identifier les parties, les marchandises à transporter, les éléments du voyage
à effectuer et le fret à payer ». En outre, chaque connaissement est établi en deux originaux au
moins, un pour le chargeur et l’autre pour le capitaine. Ces originaux doivent être datés (D. 5422-
7)649. Les originaux sont signés par le transporteur ou son représentant. La signature du chargeur
n'est plus, aujourd’hui, requise.
En pratique, le connaissement, avant de préciser les droits et les obligations des parties,
commence par donner une série de définitions. Elles méritent d’être connues :

§1. Formes de connaissement 

Avant les Règles de Rotterdam650, aucun texte ne s’intéressait à la question pourtant essentielle
de l’expression formelle du connaissement651.
Il a cependant toujours été admis que le connaissement pouvait être à ordre, au porteur ou à
personne dénommée652.

648
 Ainsi, dans le titre de mouvement de véhicules commerciaux dans les embarquements de camions sur rouliers, le
document dispose expressément que les parties conviennent de n'émettre aucun connaissement. v. sur ces documents,
qui sont évidemment des titres de transport comme le connaissement, mais ne sont pas, à l'inverse du connaissement,
des titres représentatifs de la marchandise, la brochure intitulée Colloquium on bills of lading, éditée par le CMI, not.
p. 53, 57 et 62. Une des raisons qui poussent la communauté internationale à essayer de trouver un substitut au
connaissement est la fraude dont est victime ce titre, v. à cet égard, Jan Schultsz, « Bills of lading and fraud »,
colloque de Venise, CMI 1983. 43 s. Sur les succédanés du connaissement dans la pratique actuelle, v. aussi
« Modem Liner Contracts », op. cit., p. 73, 79 et 80 ; Y. Tassel, Les documents maritimes autres que le
connaissement, Mélanges Blaise, économica 1995, p. 69. Egal. Pour un « ordre de mouvement » : Com. 18 oct.
1994, Bull. civ. IV, n° 308.
649
 L'irrégularité dans la date engage la responsabilité de l'émetteur, une anti-date constitue une faute lourde
engageant la responsabilité de l'armateur et des chargeurs (T. com. Marseille 20 mai 1975, Revue Scapel 1975,
p. 36 ; DMF 1975. 676, obs. Lafage ; Aix-en-Provence, 28 avr. 1976, BT 1977. 73 ; DMF 1977. 27, obs. Renard ;
T. com. Marseille, 15 mai 1984, Scapel 1984. 39. Aix-en-Provence, 26 févr. 1987, BTL 1988. 456 ; Bonassies, Le
droit positif français en 1988, DMF 199, n° 65, p. 151 ; Aix-en-Provence, 27 sept. 1985, DMF 1986. 686, obs.
Bonassies, DMF 1987. 80 ; La pratique du connaissement antidaté, BT 1977. 70. Pour un connaissement antidaté
conduisant à l'annulation du crédit documentaire, v. Aix-en-Provence, 27 sept. 1985, DMF 1986. 686, obs. Pestel-
Debord ; sur la réparation du préjudice, qui doit être intégrale, v. Rouen 12 nov. 1981, DMF 1982. 219, à condition
que le lien de causalité entre la date erronée et le préjudice soit prouvé ; v. de façon générale IMTM, Problèmes posés
par les aspects juridiques et pratiques de la rédaction des connaissements, séminaire de mars 1985, éd. CCI
Marseille.
650
Les RR distinguent 3 hypothèses : celle où aucun document n’est remis, celle où un document nominatif est
délivré et celle où un document négociable est émis (v. ss 781).
651
v. A. Royer-Fleury, Essai d’une théorie juridique du connaissement et des autres titres de transport maritime,
thèse. Nantes 2004.
186
S’il est à ordre (to order), il circule par voie d’endossement, i. e. par simple signature apposée au
dos du titre. Il est alors négociable.
Au porteur, il circule par voie de tradition – i. e. remise de la main à la main -. Un connaissement
à ordre en blanc, c’est-à-dire ne comportant pas de nom d’endossataire (ce qui est assez fréquent),
est considéré comme un connaissement au porteur653.
Le connaissement peut être aussi à personne dénommée. C’est un connaissement nominatif
(straight bill of lading). Il circule alors selon les modes du droit civil (C. civ., art. 1690). Ce
connaissement couvre généralement les expéditions qui ne sont pas destinées à la vente. Bien
qu’il soit alors cessible et non négociable, il reste un véritable connaissement654.

§2. Les réserves du connaissement

La pratique antérieure à la loi du 2 avril 1936 avait imaginé, dans l'intérêt des armateurs, des
clauses qui détruisaient la portée du connaissement en tant qu'il atteste la prise en charge par le
capitaine d'une certaine quantité de marchandises. Ces clauses se fondaient en droit et en fait sur
cette considération, toujours exacte, que le connaissement est établi sur la déclaration du
chargeur. Il déclare par exemple qu'il charge 300 sacs de blé dur de telle espèce, pesant 80 kilos
chacun. Le capitaine, recevant ce chargement, indiquait cette mention et ajoutait : « que dit être »
(said to be), ou encore : « poids inconnu » (said to contain). Aussi le connaissement ne prouvait
rien contre le capitaine. Si le réceptionnaire se plaignait d'un manquant, il lui fallait établir ce
manquant et la seule confrontation du poids constaté à l'arrivée et du poids indiqué dans le
connaissement n'y suffisait pas.
Ces clauses générales sont interdites depuis 1936. Cependant, le capitaine n'a pas toujours la
possibilité de vérifier les déclarations des chargeurs. Il lui est alors permis de prendre des
réserves dans le connaissement ; mais, dans la crainte de voir reparaître les clauses passe-partout
d'antan, les textes précisent que le transporteur peut refuser d'inscrire les déclarations du chargeur
relatives aux marques, au nombre, à la quantité, à la qualité ou au poids des marchandises dans
deux cas seulement :
1. s'il sait ou a des raisons de soupçonner que les indications du chargeur ne sont pas exactes, ou,
2. s'il n'a pas eu les moyens suffisants de contrôler les indications du chargeur. Avant d'être
modifié par le décret du 12 novembre 1987, l'article 36 du décret de 1966 précisait que les
réserves devaient être spéciales et motivées : le transporteur « doit faire mention spéciale et
motivée ». Cette précision qui ne figure pas en ces termes dans le nouvel article 36, alinéa 1,
(devenu art. D. 5422-6) est néanmoins reprise sous une formule différente : le transporteur doit
désormais préciser « les inexactitudes, la raison de ses soupçons ou l'absence de moyens de
contrôle suffisant ».
On indiquera par exemple : « marchandise reçue dix minutes avant le départ et vérification
rendue impossible » ; cette clause sera valable. Au contraire, la mention : « vérification
impossible » ou encore « indications douteuses » n'aurait aucune portée.

652
 Sur le connaissement à personne dénommée, v. Bonassies, Exposé au colloque de Venise précité, intitulé « Le
Connaissement, observations générales », 13 s. ; sur le connaissement au porteur, v. Com. 22 févr. 1983, DMF 1983.
660. Sur le connaissement à ordre, v. décisions rapportées in D. 1984. IR. 214, obs. Mercadal.
653
Com. 22 févr. 1983, DMF 1983. 660 ; 16 janv. 1990, DMF 1991. 33.
654
V. Com. 19 juin 2007, DMF 2007. 536, rapp. Potocki, obs. Tassel, D. 2007. 1870, obs. Delpech, JCP 2007, II,
10165, note Kenfack ; égal. Ch. Lords 5 juin 2005, Rafaela S, LLR 2005. 1, 347 ; Y. Tassel, Le cas du Rafaela S. ou
l’indélicat connaissement nominatif, DMF 2005. 785.
187
De nombreux litiges se sont élevés sur ces textes. Les décisions intervenues sont surtout des
décisions d'espèce. On peut néanmoins dégager quelques règles, étant précisé que, de nos jours,
les réserves sont devenues dans les opérations de ligne régulière très rares.
D'abord, au point de vue de la forme, les mentions doivent être en principe datées et signées 655,
mais cette exigence n'a rien de sacramentel. Elles doivent surtout être concrètes et précises, ce qui
interdit les réserves portées au composteur parce qu'elles sont nécessairement d'ordre général et
passe-partout656 ; on retrouve la règle de fond.
D'après celle-ci, les réserves générales sont sans valeur657. Cependant, suivant les circonstances,
les tribunaux se contentent, parfois, de formules bien vagues 658. Malgré ces accommodements, il
a été exactement jugé que la réserve « poids et qualités inconnus » ne répondait pas aux
exigences de la loi659.
Pour ce qui concerne les marchandises placées en conteneur, si le transporteur accepte sur un
connaissement les mentions qui individualisent les colis placés dans un conteneur, la clause
« said to contain » qu'il ajoute sur le connaissement ne constitue pas une réserve suffisamment
motivée et est donc sans valeur660. La mention « said to contain » apposée systématiquement sur
le connaissement ne constituerait une réserve valable que si les autres mentions portées au
connaissement ne permettaient pas d'identifier la marchandise placée dans le conteneur et si
aucun contrôle n'était possible à l'embarquement pour vérifier la véracité des dires du chargeur.
Tel n'est pas le cas lorsque le connaissement précise, outre le nombre des conteneurs, celui de
sacs ainsi que leur poids et celui du chargement complet661.
L'acceptation des réserves par le chargeur n'est pas nécessaire à leur validité et ne peut être
imposée à ce dernier662.
L'article D. 5422-6 vise deux séries de situations différentes. La première concerne les cas où le
capitaine a des raisons de douter de l'exactitude des affirmations du chargeur. La seconde, les cas
où le capitaine n'a pas eu les moyens suffisants de vérifier ces affirmations 663. Ces deux séries ne
doivent pas interférer. Ainsi, pour les premières, on n'a pas à exiger du capitaine qu'il indique
qu'il n'a pas eu les moyens de vérifier si ses doutes étaient fondés ; mais il aura dû motiver ses
raisons de douter.664
655
 Le chargeur peut obtenir en référé l'immobilisation du navire pour vérifier si les réserves ont été émises par le
capitaine au cours des opérations de chargement et non après leur achèvement : Com. 12 nov. 1985, Bull. civ. IV,
n° 271.
656
 Aix-en-Provence 17 avr. 1956, DMF 1956. 16 ; Paris 24 nov. 1976, DMF 1977. 271 ; BT 1976, 536 ; L. Brunat,
BT 1976. 530.
657
Com. 21 oct. 1958, DMF 1959. 86 ; Com. 14 oct. 2008, D. 2008. 2118, obs. Delpech, DMF 2008. 1034, et les
obs.
658
Com. 2 mars 1959, DMF 1959. 395.
659
 V. Aix-en-Provence 9 déc. 1959, DMF 1961. 21 ; v. aussi Com. 29 janv. 1980, JCP 1980.II.19388, obs. Rodière,
et DMF 1981. 267, obs. Achard, p. 259 ; Com. 22 févr. 1983, BT 1983.587 ; CA Anvers, 8 mars 1985, DET n° 6-
1985, p. 552.
660
 Com. 29 janv. 1980, BT 1980, p. 152 ; DMF 1981. 267, obs Achard ; JCP 1980.II.19388, obs. Rodière. Rouen,
22 oct. 1976, DMF 1977. 234. Rouen, 21 mars 1985, Nouveau Recueil du Havre, n° 13, 1987, p. 228, note Coste
Doat-Maleville ; Tetley, Marine Cargo Claims, 3e éd., 1987. 647 et 286.
661
 Rouen, 2 déc. 1982, BT 1983. 210. Rétrospective 1983, BT 1984. 90.
662
 Paris, 17 janv. 1986, DMF 1988. 313, note R.A., réformant Sentence CAMP n° 384, 2 déc. 1980, DMF 1981.
698 ; Bonassies, Le droit positif français en 1988, DMF 1989, n° 68, p. 154.
663
 Le « titre de mouvement de véhicules commerciaux » précise que les mentions de poids et quantité n'ont pas été
vérifiées par le transporteur « qui n'a disposé d'aucun moyen… le véhicule lui ayant été présenté fermé à
l'embarquement… ». La clause, quoiqu'imprimée, peut-être tenue pour valable.
664
 Com. 15 juin 1956, DMF 1956. 712. La jurisprudence française est aussi exigeante lorsque le transport est régi
par la Convention de 1924. v. sur une tendance encore plus exigeante en matière de transports soumis à la
188
La réglementation des réserves telle qu’elle résulte des Règles de Rotterdam (art. 40) est
aujourd’hui la plus claire : elle mériterait, à tout le moins, de servir de modèle.
Reste une dernière question qui est de savoir si les réserves sont une simple faculté pour le
transporteur ou peuvent se dénaturer en une véritable obligation sanctionnée par une
responsabilité. En ne prenant pas de réserves alors que la marchandise est en mauvais état, le
transporteur peut favoriser une vente alors que l’acheteur, mieux informé, aurait pu ne pas
contracter. La faute est alors caractérisée. On ne voit pas ce qui pourrait s’opposer à ce que le
transporteur en réponde.665 Il reste qu’en ne prenant pas de réserve, le transporteur ne se prive pas
pour autant d’invoquer, le moment venu, tel ou tel cas excepté pouvant le libérer de sa
responsabilité (v. ss 742).

§3. État apparent des marchandises

Selon l'article D. 54422-5, le connaissement doit notamment indiquer « l'état et le


conditionnement apparent des marchandises »666. L'article suivant permet que les réserves, dans
les deux cas susmentionnés, concernent l'état de la marchandise.
Il faut nécessairement aller plus loin. Si par exemple, le capitaine inscrit au connaissement que
les fruits qu’il prend en charge présentent des traces de piquetage, cette indication aura pleine
valeur ; il n'a pas à faire mention spéciale et motivée des sérieuses raisons qu'il a de douter de
l'exactitude des déclarations du chargeur. C'est un fait qui est aussi objectif que lorsqu'il déclare
que sur 150 sacs de ciment, 27 ont leur emballage crevé. De même, s'il indique que des tuyaux
sont présentés « à nu », l'indication aura pleine valeur, sauf à savoir quel sens lui attacher667.

§4. Devoir de sincérité des chargeurs

La loi impose aux chargeurs le devoir strict d'être sincères dans leurs déclarations 668 et ce devoir
est lourdement sanctionné. D’abord pénalement, en cas de faux 669. Ensuite civilement : l'article L.
5422-4, al. 2, précise que toute inexactitude engage la responsabilité du chargeur à l'égard du
transporteur.
En outre, d'après l'article L. 5422-17, en cas de déclaration sciemment inexacte, le transporteur
n'encourt aucune responsabilité pour les pertes ou dommages survenus aux marchandises. Il y a
là une véritable peine privée, car la sanction opère même quand il n'y a pas de rapport entre le
Convention de 1924 : Rouen 21 mars 1985, BT 1985.283 et obs. Bonassies in DMF 1986. 75, n° 36. Une sévérité
analogue se retrouve fréquemment à l'étranger (v. par ex. T. de première instance du Pirée [Grèce], 1624.83, Journal
of Maritime Law and Commerce, avril 1985, p. 282 s. ; US District Court, Southern District of New York,
9 avr. 1985, DET 1986. 1.86).
665
MM. Bonassies et Scapel, n° 978 ; rappr. les décisions citées in DMF 2004, HS 8, n° 83. Le transporteur qui
omet volontairement de prendre des réserves doit rester cohérent avec lui-même et ne peut donc plus se prévaloir des
avaries affectant la marchandise avant même leur chargement : Com. 4 avr. 2006, Bull. civ. IV, n° 94, DMF 2007.
49, obs. S. Sana Chaillé de Néré.
666
 En ne mentionnant pas au connaissement que le calibrage d'oignons placés à l'intérieur d'emballages, et donc
« inapparent » de l'extérieur, n'était pas conforme aux marques portées à cet égard sur les étiquettes, le transporteur
ne commet pas de faute envers le destinataire : Com. 2 déc. 1974, Bull, civ. IV, n° 307.
667
Aix-en-Provence, 24 mai 1960, DMF 1960. 499.
668
Par ailleurs, le chargeur garantit par convention qu’il a bien toutes les capacités requises : « The merchant
warrants that in accepting the bill of lading it is, or has the authority of, the person owning or entitled to the
possession of the goods and the bill of lading ». Ce type de clause est usuel dans les contrats internationaux et n’est
pas propre aux contrats maritimes.
669
Crim. 10 mai 2007, DMF 2007. 887, obs. Tassel.
189
mensonge et le dommage. Ce rapport peut exister ; par exemple, le capitaine n'aura pas pris telle
précaution quant à l'emplacement des marchandises parce que le chargeur aura dissimulé qu'elles
étaient inflammables et le dommage s'expliquera par cette dissimulation ; alors, les règles du droit
commun de la responsabilité conduiraient à la même solution. Mais si, par exemple, les
marchandises périssent dans un incendie et qu'il est établi qu'elles étaient d'une autre nature, au
demeurant pas plus inflammable que celle qui a été déclarée (par ex. pour payer un moindre fret),
alors la sanction du droit commun serait seulement l'obligation pour le chargeur de payer la
différence de fret. En refusant toute indemnité au chargeur, la loi édicte une peine privée à son
encontre.

§5. Conséquences des indications inexactes du chargeur figurant au connaissement

Il résulte de l'article L. 5422-4, concernant les déclarations inexactes :


- que les inexactitudes du chargeur n'engagent pas le transporteur qui, par conséquent : a. peut
en faire la preuve pour ne pas payer de prétendus manquants ; b. peut, lorsqu'il a payé, se faire
rembourser,
-que le transporteur ne peut pas s'en prévaloir à l'égard d'autres personnes que le chargeur.
Cette disposition est destinée à conférer au connaissement une valeur sûre. Elle donne la plus
grande sécurité aux diverses opérations sur marchandises embarquées, qu'il s'agisse de ventes ou
de crédit documentaire. Une abondante jurisprudence indique que cette solution est fréquemment
mise en œuvre devant les tribunaux.

Il en est de même sous l'empire de la Convention de Bruxelles et pour les contrats régis par cette
convention. Les textes y sont moins clairs et l'on a discuté si la présomption résultant du
connaissement était irréfragable à l'égard des tiers. La solution admise pour la loi interne y a
pareillement prévalu : « décider autrement aboutirait à enlever toute valeur justificative et toute
garantie à un titre qui constate le contrat de transport et dont les intéressés à la vente peuvent faire
état pour justifier tant de la qualité que de la quantité de marchandise vendue »670. Une
réserve doit cependant être notée : le tiers doit être de bonne foi671.

La solution retenue par la jurisprudence française est désormais explicitement énoncée par
l’article L. 5422-3, al. 2 (issu de la loi du 23 déc. 1986 relatif à la force probante du
connaissement et qui reprend les dispositions de la Convention de Bruxelles modifiée par le
Protocole de 1968). Aux termes de cet article : « Ce document vaut présomption, sauf preuve
contraire, de la réception par le transporteur des marchandises, telles qu'elles y sont décrites 672.
Toutefois, la preuve contraire n'est pas admise lorsque le connaissement a été transféré à un tiers
porteur de bonne foi »673.

En revanche, le transporteur peut prouver, même contre le tiers porteur de bonne foi du
connaissement, que les pertes ou dommages proviennent d'une des circonstances énumérées par

670
 V. Com. 21 oct. 1958, DMF 1959. 86 ; pour des applications : Com. 7 déc. 1983, BT 1984. 414 ; Aix-en-
Provence 6 déc ; 1984, DMF 1985. 737, obs. R. Achard ; Bonassies, DMF 1986. 74, n° 35 ; Paris 7 juin 1982, D.
1983. IR. 121, obs. Mercadal.
671
 V. pour une application Paris 7 juin 1982, préc.
672
 Rouen, 26 nov. 1987, BT 1989.99.
673
 Com. 24 sept. 2003, DMF 2004, HS 8, n° 82 ; égal. Com. 25 mai 1993, DET 1994. 31.
190
l'article L. 5422-12 ou par le texte correspondant de la Convention de Bruxelles 674 ; ces
circonstances qui sont appelées dans la pratique « cas exceptés » sont des causes de renversement
de la présomption de responsabilité du transporteur maritime675.
Sur le premier point, l’art. L. 5422-4 déclare que le transporteur ne peut se prévaloir de
l'inexactitude des mentions relatives à la marchandise inscrites au connaissement qu'à l'égard du
chargeur ; il ne peut donc s'en prévaloir à l'égard des tiers. La Convention de Bruxelles, article
3.4 dispose qu’« un tel connaissement vaudra présomption, sauf preuve contraire, de la réception
par le transporteur des marchandises telles qu'elles y sont décrites… ». Le Protocole de Bruxelles
ajoute, comme on l’a vu : « Toutefois, la preuve contraire n'est pas admise lorsque le
connaissement a été transféré à un tiers porteur de bonne foi ». Cette précision va de soi en droit
français, puisque le connaissement est un titre littéral et abstrait. Sans doute également dans la
convention internationale.

§6. Les lettres de garantie

Cette solution accroît l'intérêt pour le capitaine de faire, dans les limites autorisées par la loi, les
réserves qui s'imposent compte tenu des circonstances. Mais les réserves qu'il va légitimement
prendre dans le connaissement vont enlever à ce dernier sa valeur de titre sûr.
La pratique a alors imaginé d'engager le capitaine à délivrer un connaissement net (clean) en le
protégeant contre les révélations ultérieures d'inexactitude par une lettre de garantie. Ainsi le
chargeur déclare 10 000 pièces alors que le capitaine prétend qu'il y en a 9 600 d'après les
pointages. On ne va pas, à grands frais et longuement, recompter les pièces déjà arrimées dans la
cale. Le capitaine délivre un connaissement net, sans réserves, pour 10 000 planches et le
chargeur lui remet une lettre de garantie suivant laquelle si, à l'arrivée le capitaine ne représente
que 9 600 pièces, il sera tenu pour responsable vis-à-vis du porteur du connaissement dont le titre
indique qu'il doit recevoir 10 000 pièces, tout en ayant un recours contre le signataire de la lettre.
Ces lettres de garantie ont paru dangereuses et particulièrement propres à tromper les assureurs
sur facultés676 ; la réforme de 1966 s'est attachée à leur ôter toute nocivité.
L'article L. 5422-5 fait une distinction. Il commence par poser en règle que ces lettres de garantie
sont nulles et de nul effet à l'égard des tiers 677, qui en revanche peuvent s'en prévaloir à l'encontre
du chargeur. Dans l'exemple précité, le porteur du connaissement, qui n'obtiendra pas les 10 000
planches qu'il pensait avoir achetées, pourra réclamer le complément au chargeur.
L'alinéa 2 du texte envisage plus particulièrement les cas où la réserve volontairement omise
concerne l'état de la marchandise et où le capitaine avait connaissance ou devait avoir
connaissance du défaut qu'il a omis de noter sur le connaissement. Lorsque ces deux conditions
674
 Lorsque le connaissement est dépourvu de réserves et que des manquants sont constatés à l'arrivée, c'est au
transporteur de prouver qu'il n'est pas responsable : Com. 9 janv. 1990, BT 1990.492.
675
 Sur les cas exceptés, v. ss 744. En particulier, l'absence de réserves au connaissement ne prive pas le transporteur
de la possibilité d'établir le vice propre de la marchandise, quelle que soit la nature de celui-ci, notamment et même
lorsque ce vice est apparent (Com. 22 fév. 1983, DMF 1983. 660 ; Com. 16 févr. 1988, Bull. civ. IV, n° 74 ; v. plus
restrictive, Paris, 17 avr. 1985, DMF 1986. 173 : si l'absence de réserves au connaissement ne prive pas le
transporteur de la possibilité de s'exonérer de sa responsabilité en faisant la preuve que le dommage résulte de l'un ou
plusieurs des faits exonératoires légalement prévus, il en ira autrement si le porteur du connaissement démontre que
le capitaine a eu ou devait avoir connaissance de l'état défectueux de la marchandise et que c'est volontairement qu'il
a omis de porter des réserves sur le connaissement.
676
Rodière, Connaissement clean et lettre de garantie, BTL 1962. 185.
677
 Ne peuvent être considérés comme tiers les subrogés du chargeur. Une lettre de garantie opposable au chargeur
peut également l'être à l'assureur subrogé dans ses droits (Montpellier, 30 avr. 1981, DMF 1982. 35, obs. Vialard).
191
sont réunies, le transporteur ne pourra pas se prévaloir de ce défaut pour éluder sa responsabilité ;
de surcroît, il ne bénéficiera pas de la limitation de responsabilité édictée par la loi. Il y a là une
sanction grave qui retentira sur les armateurs et pourrait les engager à donner à leurs capitaines
des instructions propres à faire disparaître des abus contre lesquels la jurisprudence avait déjà
réagi678.
Toutefois, cette seconde sanction n'a plus guère de sens pratique depuis que les Protocoles de
Bruxelles de 1968 et de 1979, le décret du 21 décembre 1979 puis la loi du 23 décembre 1986 ont
fixé le montant maximum de la responsabilité du transporteur soit par colis ou par unité, soit
aussi par kg. de poids brut des marchandises perdues ou endommagées, la limite la plus élevée
étant applicable. En effet, l'expérience montre que la limitation de la réparation par kg est très
avantageuse pour les propriétaires des marchandises car la somme retenue (2 DTS par kg) est
généralement supérieure ou égale au montant exact de la marchandise perdue ou avariée. Il est
donc rare aujourd'hui que la limite de réparation ait un effet bienfaisant pour le transporteur. Il
fera donc peu de cas de la privation de la limitation de réparation679.

Les Règles de Hambourg de 1978 se sont inspirées de la solution française. Les Règles de
Rotterdam n’envisagent pas la question.

§7. Clauses contre les fausses déclarations des chargeurs

Les transporteurs ont un intérêt évident à percevoir un fret correspondant à la réalité du


chargement.
Cet intérêt a suscité l'insertion de clauses aux termes desquelles le chargeur paiera un double fret
en cas de déclaration inexacte de poids. On s'est demandé si ces clauses n'étaient pas contraires à
la réglementation impérative sur la responsabilité ; il a été jugé avec raison qu'il ne s’agissait pas
des clauses de non-responsabilité et qu'il fallait les appliquer comme des clauses pénales 680. La
même décision en a conclu qu'elles devaient opérer sans distinguer si le chargeur était de bonne
ou de mauvaise foi.
Il faut reconnaître aux armateurs la faculté de lutter contre cette pratique désastreuse des fausses
déclarations de la nature des marchandises en faisant opérer, au départ ou à l'arrivée, que la
marchandise soit mise en conteneur (ce qui facilite la fraude) ou non, l'expertise de l'article L.
133- 4 C. com.

§8. Les fonctions du connaissement 

678
 Com. 20 juin 1960, DMF 1960. 659. Pour l'application de la loi de 1966, v. Paris 12 sept. 22, DMF 2003, HS 7,
n° 71 ; Montpellier 30 avr 1981, DMF 1982. 35, obs. Vialard ; Com. 23 févr. 1983, Bull. civ. IV, n° 84 ; DMF 1983.
478, obs. Achard ; BT 1984. 326, et obs. du Pontavice, ibid., p. 315 ; v. aussi du Pontavice et P. Cordier, Transport et
affrètement maritimes, 2.e éd., p. G. 19 s. ; l’arrêt du 23 février 1983, précise qu'en cas de lettre de garantie
frauduleuse, le transporteur maritime ne peut se prévaloir de l'accord du chargeur pour obtenir sa garantie. v. dans le
même sens Paris, 7 nov. 1988, DMF 1989. 655, obs. RA et chronique Bonassies, DMF 1990. 78, n° 59. V. aussi
sentence CAMP, n° 577, 10 juin 1985, second degré, DMF 1986. 187 ; cf. Paris 17 avr. 1985, DMF 1986. 173. Une
sentence CAMP du 24 juin 1986 décrit la pratique consistant, de la part de l'affréteur-chargeur, à contresigner une
lettre de réserve du capitaine lors de la signature du connaissement net destiné au réceptionnaire.
679
 v. du Pontavice, La lettre de garantie dite « frauduleuse », délivrée par le chargeur au transporteur maritime et le
recours du transporteur contre le chargeur, Miscellanea of maritime law, Greek maritime law association, 1, Athènes
1988,82. Pour la jurisprudence italienne en matière de lettre de garantie, v. Cour de Gênes, 20 juin 1987, Bull.
Unidroit, janv./avr. 1990, n° 81/82, p. 21.
680
Paris 3 mai 1957, DMF 1958. 397.
192
Le connaissement a plusieurs fonctions681. Il a d’abord une fonction contractuelle. C’est l'écrit qui
prouve le contrat passé entre le chargeur et le transporteur. Sous l'empire du Code de commerce,
c'est à la charte-partie de jouer ce rôle. Le connaissement fait seulement preuve que la
marchandise a été prise en charge, que le contrat a reçu un commencement d'exécution. La
dualité des documents pose même des problèmes d'interprétation du fait de leur divergence
possible. Dans les contrats de transport, cette dualité n'existe pas.
Si le connaissement était resté simplement un reçu des marchandises embarquées, il ne serait pas
apte à faire preuve des conditions entières du contrat, même s'il comprenait toutes les mentions
demandées par la loi. Mais en fait, au dos du connaissement sont imprimées les conditions
générales sous lesquelles le transport s'effectuera. Le connaissement peut alors pleinement
remplir cette première fonction. Il joue alors dans le contrat de transport le rôle de la charte-partie
dans le contrat d'affrètement682.
En deuxième lieu, et c'est là sa mission propre, sa fonction d'origine, le connaissement fait preuve
que le capitaine a reçu les marchandises qu'il décrit. Le connaissement a une fonction probatoire.
L'article L. 5422-3, al. 2, déclare : « ce document vaut présomption, sauf preuve contraire, de la
réception par le transporteur des marchandises, telles qu'elles y sont décrites ». Si, à l'arrivée,
l'ayant droit se plaint d'un manquant ou d'une avarie, c'est la confrontation de l'état de la
marchandise à l'arrivée et de son état tel qu'il est décrit dans le connaissement 683 qui fera preuve
du manquant ou de l'avarie. D'où l'intérêt des réserves inscrites par le capitaine.
Cette preuve n'est du reste pas absolue684. Même s'il n'y a pas de réserves, le capitaine peut faire
contre le chargeur la preuve qu'il n'a pas reçu la quantité de marchandises ou le nombre de colis
indiqué au connaissement. En revanche, le transporteur ne pourra faire cette preuve lorsque le
connaissement a été transféré à un tiers porteur de bonne foi (art. L. 5422-3, al. 2). On retrouve la
règle de l’inopposabilité des exceptions. Mais, s'il s'agit, non pas de la quantité des marchandises
ou de leur poids (et plus généralement des mentions apposées sous la dictée du chargeur), mais de
l'état et du conditionnement de la marchandise, la solution est différente. Le transporteur pourra
alors faire la preuve, non seulement contre le chargeur, mais contre le tiers porteur du
connaissement, que le vice de la marchandise était antérieur à l'embarquement ou que le
conditionnement ou l'emballage était impropre685. La preuve sera difficile, mais elle est permise.
Malgré cette atténuation, cette deuxième fonction du connaissement est d'une grande importance.
Enfin, le connaissement permet de faire foi envers le transporteur du droit de réclamer la
marchandise à l'arrivée : il a une fonction commerciale. C’est ici toute l'originalité du droit
maritime. Une comparaison avec le droit terrestre permet de mieux le comprendre.
Lorsque, par exemple, les marchandises sont chargées sur le chemin de fer, deux récépissés sont
établis ; l'un est remis à l'expéditeur ; l'autre est conservé par le voiturier et accompagne l'envoi
pour être remis au destinataire dénommé. Le récépissé est en effet nominatif puisqu’il désigne le
destinataire. À l'arrivée, le chemin de fer avertit le destinataire et lui remet son récépissé. Dès
lors, le récépissé est une pièce de justification pour retirer les marchandises uniquement s'il est
présenté par le destinataire lui-même : s'il l'est par un autre, il faut que le réclamant présente soit
un acte de cession des droits du destinataire, dans les formes de l'article 1690 du Code civil, soit
une procuration (un mandat) du destinataire. Celle-ci n'appelle aucune remarque, si ce n’est
681
V. égal. sur les effets juridiques du connaissement administratif : Paris 22 oct. 2003, RTD com. 2004. 396 et les
obs. ; Versailles 3 nov. 2005, DMF 2006. 219, obs. Tassel.
682
 Il se peut qu’une « superseding clause » prévoit que le « BL supersedes all agreements or freight engagements ».
683
 Aix-en-Provence, 6 déc. 1984, DMF 1985. 737.
684
 Com. 21 déc. 1970, Bull. civ. IV, n° 350.
685
 du Pontavice et P. Cordier, Transport et affrètement maritimes, op. cit., p. G 16 et 17.
193
qu’elle doit être dûment établie. La cession est plus singulière. Il s'agit d'une cession de
créance686, car le destinataire se présente comme le créancier du transporteur ; il ne s'agit pas de
savoir à quel titre il reçoit cette marchandise, s'il est propriétaire ou pas ; cela importe peu au
voiturier qui est débiteur d'une dette de livraison dont il s'acquitte entre les mains du créancier
légitime. Le voiturier va donc s'assurer que celui qui lui réclame la marchandise est bien le
créancier de l'obligation de livraison ; c'est pourquoi, si le réclamant n'est pas la personne
indiquée dans le récépissé, il demandera une justification qui sera soit une procuration attestant
que le réclamant est l'ayant droit de l’expéditeur, soit une cession signifiée dans les termes de
l'article 1690 C. civ., attestant que le créancier de l'obligation de livraison est bien la personne qui
se présente à lui comme tel. En matière maritime 687, les choses se passent, depuis toujours,
autrement.

§9. Fonction commerciale : le connaissement représente la marchandise

Des divers exemplaires du connaissement, celui qui est entre les mains du chargeur est appelé à
circuler. Le chargeur peut adresser le connaissement à la personne qu’il veut investir du droit de
réclamer la marchandise à destination. Cette personne est, le plus souvent, mais pas
nécessairement, l’acheteur de la marchandise.
Ce « connaissement-chargeur » est le titre représentatif de la marchandise. Il a donc une fonction
commerciale. Sa transmission transfère la possession de la marchandise. Cette idée d'une
représentation symbolique nous est aujourd'hui assez familière ; en droit maritime elle est
ancienne. Le doyen Ripert a bien montré comment elle se concilie avec les principes qui régissent
la possession des meubles en droit français. Le capitaine qui détient les marchandises en a le
corpus pour le compte d'autrui ; cet autrui, qui doit avoir l'animus, est d'abord le chargeur ; il est
ensuite celui que désigne le connaissement. Si le titre est à personne dénommée, il s’agit de la
personne ainsi nominativement désignée par ledit connaissement. Si le connaissement est à ordre,
il s’agit de la personne désignée par l'endossement ou le dernier des endossements. Si le
connaissement est au porteur, il s’agit de son dernier porteur.
C'est particulièrement pour les cas où le connaissement est à ordre ou au porteur qu'il faut être
certain de l'exactitude des mentions qu'il comporte. Il ne faut pas que le capitaine puisse dire qu'il
n'a pas reçu les marchandises désignées dans le titre. D'où les précautions prises par la loi pour en
assurer la sincérité et pour interdire l'insertion de clauses qui feraient du connaissement le titre
dubitatif d'une marchandise incertaine.

Le connaissement est donc un quasi effet de commerce, avec cette différence qu’il n’intègre pas
une créance, mais représente une marchandise 688. Cette représentation de la marchandise par le
connaissement facilite et favorise la réalisation des ventes de marchandises embarquées. Au
demeurant, ce sont des raisons pratiques qui expliquent que la jurisprudence ait reconnu, en
dehors de tout texte, que le connaissement avait une fonction commerciale689.

686
La créance n’est pas une créance de somme d’argent, mais une créance portant sur un droit personnel, le droit
d’obtenir la livraison de la marchandise : en effet, tous les droits incorporels peuvent faire l’objet d’une cession, sauf
s’ils sont hors du commerce ou si leur aliénation est prohibée par une loi particulière, Paris 12 déc. 1934, DH 1935,
89.
687
 Ou fluviale, cf. Com. 1er oct. 1985, Bull. civ. IV, n° 224, DET 1986. 91, à propos d’un connaissement fluvial.
688
V. Roblot, Les effets de commerce, Sirey, 1975, n° 4.
689
Cass. 17 août 1859, D. 1859. 347 ; Com. 10 juill. 2012, DMF 2012. 821, rapp. Rémery, obs. Bonassies.
194
Le connaissement facilite également la réalisation du gage sur marchandises embarquées. Le
connaissement représentant la marchandise, sa remise symbolise la dépossession du débiteur 690.
Le connaissement est à la base de ce mode de crédit auquel on donne le nom suggestif de crédit
documentaire691.

Dans l'accomplissement des deux premières fonctions, le connaissement peut être remplacé par
un autre titre. Tout document qui identifie suffisamment la marchandise, qui indique que
l'armateur l'a reçue et qui contient les clauses et conditions du contrat, peut assurer les fonctions
contractuelle et probatoire. En revanche, il ne saurait représenter la marchandise au point que sa
transmission réalise la mise en possession de l'accipiens par la voie médiate de la détention du
capitaine. Ainsi la lettre de voiture maritime ne saurait remplacer le connaissement dans cette
fonction692.

§10. Conflits entre porteurs de connaissements

En fait, le connaissement est souvent rédigé en quatre exemplaires (alors qu’en droit deux
exemplaires suffisent, art. D. 5422-7) : celui du capitaine, dit connaissement-chef, celui de
l'armateur et deux exemplaires pour le chargeur. Les deux premiers ne sont pas négociables. Les
autres le sont. Il peut y avoir de ce fait conflit entre porteurs du connaissement. Ces conflits sont
résolus de la même manière qu'en matière cambiaire : celui qui se présente au capitaine le
premier pour retirer les marchandises l'emporte sur celui qui se présente plus tard. Ce système a
des inconvénients, mais il a fallu compter avec la perte possible d'un connaissement ; d'où le
maintien de cette pratique. En fait, les inconvénients sont inexistants, car ils supposent une fraude
qui ne se produit jamais. On dit que le connaissement est accompli lorsque le capitaine l'a honoré
en livrant les marchandises à celui qui le présente régulièrement. Les connaissements précisent :
« l'un des exemplaires négociables étant accompli, l'autre est de nulle valeur. »

§11. L'avenir du connaissement : autres documents de transport maritime et informatique

D'une part, beaucoup de marchandises transportées par mer ne font plus à l'heure actuelle l'objet
d'un contrat de vente, le chargeur, une multinationale par exemple, se les expédiant à lui-même ;
le connaissement, sur lequel se fonde le mécanisme traditionnel du crédit documentaire maritime,
perd donc de son utilité. D'autre part, l'accroissement relatif de la vitesse des navires ou plus
exactement le fait qu'ils passent moins de temps dans les ports que naguère, de sorte que la
rotation est accélérée, comme la lourdeur des circuits bancaires, la diminution des horaires de
travail du personnel sédentaire des compagnies de transports maritimes, ces trois facteurs se
conjuguent pour expliquer que la marchandise arrive souvent à destination plus tôt que le
690
 V. M. Julienne, Le nantissement de créance, économica 2012, préf. L. Aynès - Sur le conflit entre connaissement
et clause de réserve de propriété, v. Com. 1er oct. 1985, préc.
691
 du Pontavice, Connaissement maritime : clé de voûte du « CREDOC », in Le MOCI, Moniteur du commerce
international, février 1983,25 s. Metz, 8 avr. 1987, D. 1988. Somm. 184 : en endossant le connaissement à l'ordre du
donneur d'ordre pour permettre à celui-ci de prendre livraison des marchandises, la banque qui a émis le crédit
documentaire se dessaisit de son gage et court le risque de le perdre ; égal. sur le crédoc, Droit du commerce
international, Précis Dalloz, n° 680 s.
692
 De même « l'ordre de mouvement d'un véhicule commercial », utilisé sur les cargos rouliers. En revanche,
remplace le connaissement dans cette fonction le « ship's delivery order » ; il en va de même dans des conditions très
particulières de la note de chargement selon Aix-en-Provence, 16 mars 1982 (DMF 1984. 291, obs. appr. Bonassies ;
v. sur ce point les réflexions dubitatives de H. Tainturier, « Note de synthèse : la booking note », DMF 1986. 143 s.
et spéc. p. 149). Pour un modèle de « ship's delivery order », v. Simprofrance, Transport maritime, op. cit., p. 43.
195
connaissement ; la fable du lièvre et de la tortue est donc devenue d'application quotidienne et
notamment dans les relations des ports de l'Atlantique-nord, de la Manche, de la mer du Nord et
de la Baltique.
Deux questions se posent donc : celle des autres documents ; celle du connaissement
électronique.

§12. La lettre de transport maritime

Faut-il remplacer le connaissement par une lettre de transport maritime dans ses fonctions
banales à l'exception par conséquent du caractère négociable du titre représentatif de la
marchandise ? La lettre de transport maritime (ou en anglais « Sea way-bill ») a de nombreuses
applications en particulier sur l'Atlantique-nord et une de ses variantes, le « Data freight receipt »
est un document qui peut être transmis par télématique, cette expression désignant la transmission
à longue distance d'un document informatisé.
Quelle que soit sa forme, la lettre de transport maritime est un document de transport de
marchandises par mer et, à ce titre, en droit français, obéit aux règles qui sont édictées pour
l'ensemble des transports de marchandises par mer par la loi du 18 juin 1966 titre II. La loi
française s'applique en effet à tout transport de marchandises par mer, même s'il n'est pas constaté
par un document. Le droit français s'applique à tous les transports, effectués au départ ou à
destination d'un port français, qui ne sont pas soumis à la Convention de 1924. Celle-ci, ainsi que
le Protocole de 1968 qui l'a modifiée, ne s'appliquant qu'au connaissement et aux autres
documents constituant des titres représentatifs de la marchandise, la loi de 1966 s'appliquera
donc à tous les transports maritimes sans connaissement au départ ou à destination d'un port
français, sans qu'il y ait à rechercher si le droit français est désigné par la règle de conflit. La loi
française de 1966 est très proche de la Convention de Bruxelles. Lorsque la lettre de transport
maritime relève d'une loi étrangère, le tribunal compétent devra également rechercher, à défaut de
pouvoir appliquer la Convention de Bruxelles directement, quelle est la loi nationale compétente,
celle-ci pouvant du reste renvoyer purement et simplement à la Convention de Bruxelles. Comme
on le voit, si l’on admet que la Convention de Bruxelles décline encore son application
lorsqu'aucun connaissement n'a été émis, la lettre de transport maritime engendre une grande
confusion sur le plan international, du point de vue des règles de droit applicables. Il faudrait
donc adopter une convention internationale ou plus exactement un protocole à la Convention de
1924 disposant que celle-ci s'applique à tous les transports de marchandises par mer, même en
l'absence de connaissement ; c'est ce que précise du reste la Convention de Hambourg de 1978.
De toute façon, pour la commodité du traitement et notamment en vue de son informatisation, la
lettre de transport maritime n'est généralement remplie qu'au recto, le verso restant vierge. Or, les
conditions générales des compagnies figurent au verso sur les connaissements traditionnels. Les
compagnies qui utilisent la lettre de transport maritime doivent donc renvoyer du document de
transport bref (dit « short form ») à un document de transport plus complet (dit « long form »),
qui peut être consulté dans les bureaux de la compagnie693.
Une autre question se pose à propos de ces documents de transport distincts du connaissement : le
transfert du droit de disposer de la marchandise. En France cela est possible en utilisant l'exploit

693
 Sur l'inopposabilité de ce procédé au destinataire et même au chargeur de la marchandise, v. Bonassies, Exposé
précité au Colloque de Venise sur les connaissements, de 1983, p. 25-26 ; Simprofrance, Transport maritime, op.
cit., p. 62 ; « Modern Liner Contracts », op. cit., p. 75 ; v. ; Paris 2 mars 1984, DMF 1985. 548. Les conditions
générales sont aujourd’hui susceptibles d’être consultées en ligne ; d’où, logiquement, leur opposabilité.
196
d'huissier, par application de l'article 1690 du Code civil mais c'est un procédé trop lourd pour
être utilisé dans la pratique694.

§13. Connaissement électronique

Une question tout à fait différente est de savoir s'il est possible d'informatiser le connaissement
lui-même. La supériorité du connaissement sur les autres documents de transport est en effet son
caractère négociable et représentatif de la marchandise. On se demande donc s'il serait possible
de trouver l'équivalent du connaissement dans un procédé informatisé dont la fiabilité serait
identique à celle du connaissement695.
Les Règles de Rotterdam reconnaissent le connaissement électronique ou « virtuel ». À la lecture
de la Résolution 63/122, le connaissement électronique est un « rubis cube » offert aux avocats
maritimistes, et autres praticiens des transports maritimes internationaux. Elle lui consacre
d’ailleurs plus d’une vingtaine de paragraphes témoignant ainsi de l’intérêt qu’ont porté les
rédacteurs de la Résolution 63/122 à la modernisation des outils internationaux de régulations des
contrats de transport au XXIe siècle.
Ainsi l’article 6 du texte prévoit-il que : « la présente convention ne s’applique pas aux contrats
[de transport] dans le transport autre que de ligne régulière. (...) Elle s’applique néanmoins : b)
En cas d’émission d’un document de transport ou d’un document électronique de transport  ».
Le régime du connaissement virtuel est expressément prévu au chapitre 3 de la Résolution
63/122. Le premier article de ce chapitre est particulièrement clair : on ne doit faire aucune
différence entre le connaissement papier et le connaissement virtuel, l’un et l’autre produisant les
mêmes effets. L’article 8 b) dispose de son côté que : « l’émission, le contrôle exclusif ou le
transfert d’un document électronique de transport a le même effet que l’émission, la possession
ou le transfert d’un document de transport ».
La procédure de diffusion des informations concernant le contrat de transport par la voie
électronique répond à une procédure autonome. Elle doit, en effet, permettre la sauvegarde et la
protection des données et constitue la preuve qu’il existe bel et bien un contrat de transport de
marchandises international. De plus, en cas de substitution des connaissements (entre virtuel et
papier), cette opération doit être faite de manière claire et connue des contractants qui doivent
approuver ce changement pour que les documents ne puissent se superposer.

694
 V. pour une analyse de droit comparé, v. K. Rodhe, « Légal aspects on document replacement », in Modern
transport and sales financing sous la direction de K. Grönfors, Göteborg, Suède, 1974, p. 112 s. ; v. égal. A Tinayre,
la lettre de transport maritime ou le serpent de mer, BT 1985. 473 s. et spéc. p. 474 ; égal. « La lettre de transport
maritime » ou le « complexe documentaire », DMF 1988. 344 s. ; Tetley, Marine cargo claims, 3e éd. 1987, 944 s. et
953 s. ; Way-bills : the modern contract carriage of goods by sea, Journal of maritime law and commerce, oct. 1983.
465 s. et janv. 1984,41 s. C. Debattista, « Sea way-bills and the Carriage of Goods by Sea Act 1971. The European
Enterprise », in LMCLQ (1989), 403. C. Debattista, « Way-bills : conclusive évidence with respect to details of the
cargo », in Diritto Maritimo, 91 (1989), 127. J.F. Wilson, « Légal problems at common law associated with the use
of the sea way-bill », Diritto Maritimo, 91 (1989), 115. P. Rembauville-Nicolle, « Le droit maritime français et le
droit de disposition », BT 1990. 403 s.
695
 V. sur ce point comme sur le précédent, Garo, L’adaptation des transports maritimes au droit du commerce
électronique, thèse Aix-Marseille, 2010 ; Gazette CAMP, n° 24 ; L. Fedi, La dématérialisation du connaissement
maritime : utopie ou réalité du XXIe siècle ? Mélanges Scapel, p. 219 ; du Pontavice, « L'informatique et les
documents du commerce extérieur », in RJ com, n° spécial 1979, p. 435 s., et in Revue française de comptabilité
nov.-déc. 1979, 629 s. ; du Pontavice, L'informatique et les connaissements, DMF 1983. 376 s. ; du Pontavice, Le
connaissement et l'informatique, Annales 1985 de l'IMTM, p. 223 s. V. aussi Bonassies, in colloque de Venise 1983,
p. 25 s.
197
L’article 10 du même texte énonce de manière précise que : « 1. Si un document de transport
négociable a été émis et que le transporteur et le porteur conviennent de lui substituer un
document électronique de transport négociable :a) Le porteur restitue le document de transport
négociable, ou tous les documents s’il en a été émis plusieurs, au transporteur ;b) Le
transporteur émet en faveur du porteur un document électronique de transport négociable
mentionnant qu’il se substitue au document de transport négociable ; et c) Le document de
transport négociable cesse ensuite d’être valable ou de produire effet.2. Si le document
électronique de transport négociable a été émis et que le transporteur et le porteur conviennent
de lui substituer un document de transport négociable :a) Le transporteur émet en faveur du
porteur, en lieu et place du document électronique, un document de transport négociable
mentionnant qu’il se substitue à ce dernier ; et b) Le document électronique cesse ensuite d’être
valable ou de produire effet ».
À l’aide d’un document virtuel établi dans le cadre d’un transport de ligne régulière, les
chargeurs vont pouvoir changer rapidement la structure du document avant de recevoir
l’acceptation du document par le transporteur. La facilité de modification de la structure du
document électronique est un véritable gain pour les chargeurs qui, à mesure que les données du
chargement se modifient, font évoluer le connaissement électronique sans que sa nature de
document contractuel en soit changée.
L’adéquation de la structure virtuelle du connaissement au chargement physique est ainsi
facilitée ; la sécurité juridique en sort renforcée. Il suffira, en cas de chargement inopiné,
d’insérer la nature, le poids et le nombre de colis de ce nouveau chargement avant de transmettre
le nouveau connaissement virtuel au transporteur pour endossement. Cette facilité peut, semble-t-
il, s’appliquer au partage des documents entre le chargeur, le commissionnaire et le transporteur
par une simple insertion. Cette faculté permet de rationaliser d’autant la capacité de transport des
différents cocontractants au transport international.

La Résolution 63/122 consacre enfin ce que l’on pourrait appeler « l’informatisation des données
du transport international de marchandises » puisque la communication électronique est définie
largement et englobe les communications optiques.

198
CHAPITRE 3
LE CONTENU DU CONTRAT

C'est la pratique qu'il faut ici interroger. Les textes, en effet, ne règlent que peu de points sur le
contenu du contrat de transport696. Cependant, ils posent la règle que « nonobstant toute clause
contraire, le transporteur procède de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la
manutention, à l'arrimage, au transport, à la garde et au déchargement de la marchandise » (art. D.
5422-8). Cette règle est importante. Les clauses par lesquelles le transporteur s'en affranchirait
sont nulles. On note bien qu'il s'agit d'un minimum légal impératif des obligations contractuelles
du transporteur. Étant donné que la loi et la Convention de Bruxelles (dont les dispositions ont le
même sens) sont impératives697, les connaissements contiennent souvent une clause initiale qui
est à la fois prudente et ferme : « Dans le cas où l'une des conditions ou stipulations ci-dessous
serait prohibée en tout ou en partie par la législation française qui lui est applicable, elle serait,
mais dans cette mesure seulement, considérée comme non écrite698.
Préciser le contenu du contrat de transport conduit à dénombrer les obligations des parties, en
commençant par celles du chargeur avant de déterminer celles qui pèsent sur le transporteur.

SECTION 1. OBLIGATIONS DU CHARGEUR

Le chargeur est le cocontractant du transporteur. C’est un industriel ou un commerçant qui


s’adresse à un transporteur en vue d’une expédition qui peut le concerner directement (envoi à
une filiale) ou qui sera faite à un tiers acquéreur (destinataire). Aujourd’hui, le chargeur est le
plus souvent un commissionnaire de transport. Il peut s’agir aussi d’un NVOCC organisateur de
transport699 et dont la qualité de commissionnaire est, au regard du droit français, certaine (v. ss
608). On l’aura compris, le NVOCC est un commissionnaire ou un transporteur contractuel, dans
les relations qu’il entretient avec « la marchandise ». C’est, en revanche, un chargeur dans les
relations avec l’armateur-transporteur.
Le chargeur a deux obligations principales : remettre la marchandise entre les mains du
transporteur ou de son représentant ; payer le prix du transport.

§1. Remise de la marchandise

696
On s’est récemment demandé si la question relevait du domaine réglementaire ou législatif. Ce juridisme semble
ici excessif.
697
 En ce sens, Aix-en-Provence 18 déc. 1980, DMF 1981. 552 ; Revue Scapel, 1981, p. 46 ; 29 oct. 1980, DMF
1981. 544 ; Paris 9 févr. 1976, DMF 1977. 173 ; v. spécialement pour la Convention de Bruxelles, Com.
19 mars 1985, DMF 1986. 20 ; BT 1985. 332 ; Bonassies, op. cit., DMF 1986. 75, n° 37 ; pour la doctrine, v. aussi
les références citées par Achard, obs. sous Rouen 16 nov 1983, DMF 1984. 671.
698
 v. par ex. : Aix-en-Provence 29 oct. 1980, DMF 1981. 544, obs R.A.
699
V. Morinière, le NVOCC, Essai sur le concept de transporteur maritime contractuel, thèse Nantes 1997. Les
connaissements imposent au NVOCC des obligations particulières : « If the merchant is a non vessel operating
common carrier (NVOCC), and has issued, or intends to issue, other contracts of carriage to third parties covering
the goods, or part of the goods, transported by the bill of lading, said NVOCC hereby warrants and guarantee that
all contracts of carriage issued by him in respect of the goods under the bill of lading shall incorporate the terms
and conditions of the bill of lading. Should the said NVOCC fail to incorporate those terms and conditions, the
NVOCC shall indemnify the carrier, its servants, agents and sub-contractors against all resulting consequences. »
199
I.Présentation de la marchandise 

La première obligation du chargeur est de remettre la marchandise entre les mains du


transporteur ou de son représentant. Il doit plus précisément remettre une marchandise appropriée
au transport. La règle est contenue dans les Règles de Rotterdam (art. 26) qui ne sont pas encore
en vigueur, mais elle a vocation à fixer d’ores et déjà les usages. Cela induit diverses prestations
ou précautions qui concernent tant les marchandises que leur conditionnement700.
Le chargeur doit d’abord décrire les marchandises qu’il remet au transporteur. La description en
est actée dans le connaissement qui prouve, prima facie, que la marchandise (nombre de
conteneurs ou de colis) a été prise en charge par le transporteur en bon état (« in apparent good
order and condition »), sauf « otherwise noted ». Le transporteur n’accepte aucune responsabilité
à cet égard.

Le chargeur doit ensuite préciser la nature et le caractère des marchandises. S’il s’agit de
marchandises dangereuses701, celles-ci doivent être déclarées comme telles, sans réserve. La
responsabilité du chargeur est engagée de plein droit et les marchandises non déclarées pourraient
même être détruites.702
Les marchandises périssables appellent des soins particuliers, mais c’est au chargeur à les exiger :
les connaissements précisent alors quelles sont les droits et les obligations du chargeur, ce qui
limite ou cantonne d’autant les obligations du transporteur.703
700
Ces questions sont de la seule responsabilité du chargeur ; le transporteur n’assume ici aucune responsabilité
comme le précisent les connaissements : « The carrier, its agents and servants shall not in any circumstances
whatsoever be under any liability for insufficient packing or inaccuracies, obliteration or absence of marks,
numbers, addresses or description, nor for misdelivery due to marks or countermarks or numbers, nor for failure to
notify the consignee of the arrival of the goods, any custom of the port to the contrary notwithstanding. »
701
v P. Forestal, Les transports de matières dangereuses, in Lloyd anversois, 5 août 1985, p. 1. Toutefois, il n'est pas
nécessaire que la marchandise figure sous la rubrique des marchandises dangereuses pour que la responsabilité du
chargeur soit engagée : il peut y avoir une incompatibilité pour la présence dans le même local ou l'une contre l'autre
de deux marchandises en raison de leur nature. Informé, le capitaine aurait dû veiller à ce que ces marchandises
incompatibles soient séparées. Le dommage subi par l'une d'entre elles du fait du contact avec l'autre marchandise
sera donc réparé par le chargeur réticent comme en droit commun.
702
« No goods which are or may become dangerous, inflammable or damaging (including radio-active materials),
or which are or may become liable to damage any property whatsoever, shall be tendered to the carrier for carriage
without its express consent in writing, and without the container as well as the goods themselves being distinctly
marked on the outside so as to indicate the nature and character of any such goods and so as to comply with any
applicable laws, regulations or requirements. If any such goods are delivered to the carrier without such written
consent and/or marking, or if in the opinion of the carrier the goods are liable or deemed liable to become of
dangerous, inflammable or damaging nature, they may at any time be destroyed, disposed of, abandoned, or
rendered harmless without compensation to the merchant and without prejudice to the carrier’s right to freight.
Whether or not the merchant was aware of the nature of the goods, the merchant shall indemnify the carrier
against all claims, losses, damages or expenses arising in consequence of the carriage of such goods. »
703
« Goods of a perishable nature shall be carried in ordinary containers without special protection, services or
other measures unless there is noted on the reverse side of the bill of lading that the goods will be carried in a
refrigerated, heated, electrically ventilated or otherwise specially equipped container or are to receive special
attention in any way. The merchant undertakes not to tender for transportation any goods which require
refrigeration without giving written notice of their nature and the required temperature setting of the thermostatic
controls before receipt of the goods by the carrier in case of refrigerated container(s) packed by or on behalf of the
merchant. The merchant undertakes that the goods have been properly stowed in the container and that the
thermostatic controls have been adequately set by him before receipt of the goods by the carrier and, if necessary,
that the goods have been pre-chilled before the loading into the container. The merchant’s attention is drawn to the
fact that refrigerated containers are not designed to freeze down goods which have not been presented for stuffing at
200
Le chargeur doit également accepter que sa marchandise puisse être inspectée.704

Enfin, les obligations du chargeur relativement à la marchandise peuvent se traduire par des
droits accordés au transporteur et spécialement le droit de se séparer de la marchandise qui
présenterait un danger.705
Il est fréquent par ailleurs que des conteneurs706 soient mis à la disposition du chargeur. Cette
« location » est intégrée dans le contenu du contrat de transport ; elle en est l’accessoire707.
Le chargeur a donc le droit de se servir de ces conteneurs et d’y empoter la marchandise 708.
L’expression FCL (full container load) renvoie à la quantité maximale (en poids ou en volume)
pouvant être arrimée dans un conteneur ; dans cette situation, le conteneur est remis empoté par le
chargeur. L’expression de LCL (less than container load) qualifie un volume insuffisant pour
or below its designated carrying temperature and the carrier shall not be responsible for the consequences of cargo
presented at a higher temperature than that required for the transportation. If the above requirements are not
complied with the carrier shall not be liable for any loss of or damage to the goods howsoever arising. »
704
« If by order of the authorities at any place, a container has to be opened for the goods to be inspected, the
carrier will not be liable for any loss or damage incurred as a result of any opening, unpacking, inspection or re-
packing. The carrier shall be entitled to recover the cost of such opening, unpacking, inspection and re-packing from
the merchant.
-By tendering the goods for carriage, the merchant authorises the carrier to open the container at its sole
discretion and to proceed with the inspection of the goods. Should the goods be misdeclared, the carrier reserves its
right to stop the transport at any time.
- In no circumstance whatsoever, the carrier shall be liable for any loss, damage or delay howsoever arising from
any action taken under this clause. »
705
« If it appears at any time that, due to their condition, the goods cannot safely or properly be carried (or carried
further), either at all or without incurring any additional expense or taking any measure(s) in relation to the
container or the goods the carrier may without notice to the merchant (but as its agent only) take any measure(s)
and/or incur any additional expense to carry or to continue the carriage thereof, and/or sell or dispose of the goods,
and/or abandon the carriage and/or store them ashore or afloat, under cover or in the open, at any place, whichever
the carrier, in its absolute discretion, considers most appropriate, which abandonment, storage, sale or disposal
shall be deemed to constitute due delivery under the bill of lading. The merchant shall indemnify the carrier against
any additional expense and liability so incurred. »
706
Les conteneurs, selon le doyen Rodière, ne poseraient pas de problème vraiment juridique (Rodière, « Un faux
problème juridique : celui des containers », DMF 1968. 717). La remarque appelle des nuances. A défaut de
convention juridique sur les conteneurs, il existe une convention technique : la Convention de Genève du 2 déc. 1972
sur la sécurité des conteneurs (CSC). Son but est de normaliser les règles de construction des conteneurs en vue de
garantir la sécurité de leur manutention, de leur gerbage et de leur transport dans des conditions normales
d'exploitation : les conteneurs doivent porter une plaque d'agrément justifiant que leur construction a été faite selon
les règles et que les essais ont été subis conformément aux prescriptions énoncées. Cette convention, entrée en
vigueur, a été publiée par un décret du 9 septembre 1977 (Décr. n° 1043, JO 18 sept.). Un décret du 22 octobre 1980
interdit l'utilisation de conteneurs en transport international s'ils n'ont pas la plaque d'agrément prévue par la CSC et
le même décret définit les modalités de cet agrément (Décr. n° 837, JO, 26 octobre). Du point de vue juridique, le
conteneur pose dans le transport maritime en particulier des problèmes importants, notamment lorsque le cadre a été
« empoté » par le chargeur. v. à cet égard Bonassies, « Le connaissement-observations générales », p. 13 s. in CMI,
Colloquium on bills of lading, 1983, « Modern Liner Contracts », op. cit., p. 38 et 76 ; plus général. Le conteneur
dans tous ses états, Colloque AFBM et AFDM, DMF 2013. 579 s.
707
v. not. Rouen 19 mai 2008, DMF 2009. 245, obs. Humann.
708
« The shipper is responsible for the packing and sealing of all shipper-packed containers and, if a shipper-
packed container is delivered by the carrier with its original seal as affixed by the shipper intact, the carrier shall
not be liable for any shortage of goods ascertained at delivery.
- If a container has not been packed by or on behalf of the carrier :
- the carrier shall not be liable for loss of or damage to the goods caused by :
- the manner in which the goods has been packed, stowed, stuffed or secured, or
-the unsuitability of the goods for carriage in the container supplied, or
201
remplir un conteneur : dans ce cas, les marchandises ayant la même destination sont regroupées
dans le même conteneur, cette opération étant faite par le transporteur ou sous sa responsabilité.
En cas de perte ou d’avarie, puisque cette location n’est pas détachée du transport, les règles du
transport s’appliqueront709. Le chargeur devra restituer les conteneurs dans les conditions prévues
par le connaissement. Il s’expose à payer des surestaries en cas de retard dans la restitution 710. La
prescription afférente à cette créance court, curieusement, pour ne pas dire brutalement et
aveuglément, dès la livraison des marchandises711.

II.Responsabilité du chargeur 

La question de la responsabilité du chargeur est encore relativement vierge ; elle est cependant
cruciale,712 d’autant plus qu’elle ne fait l’objet, à la différence de celle du transporteur, d’aucune
limitation713. Les connaissements prévoient et détaillent cette responsabilité. Ces clauses lient les
parties714. On peut, d’une façon plus générale, considérer que le chargeur est responsable des
dommages – de tous ordres : matériel ou économique (cf. retard) - que sa marchandise peut
causer au transporteur. Sa responsabilité est, en principe, une responsabilité pour faute.

-the unsuitability or defective condition of the container or the incorrect setting of any refrigeration controls
thereof, provided that, if the container has been supplied by or on behalf of the carrier, this unsuitability or defective
condition would have been apparent upon inspection by the merchant at or prior to the time when the container was
packed, or- packing refrigerated goods that are not at the correct temperature for carriage. »
L’empotage ne relève pas des obligations de base du commissionnaire, Versailles 4 sept. 2012, DMF 2013. 402,
obs. C. Humann.
709
Com. 5 mars 2002, Bull. civ. IV, n° 49, DMF 2002. 969, obs. M.-N. Raynaud, RTD com. 2002. 773 et les obs. :
« quel que soit son fondement, l’action en responsabilité contre le transporteur à raison des pertes ou dommages
subis par la marchandise depuis la prise en charge jusqu’à la livraison, ne peut être exercée que dans les conditions et
limites fixées au chapitre IV de la loi du 18 juin 1966 » ; v. égal. O. Raison, Les problèmes engendrés par la location
de conteneur, DMF 2013. 581.
710
« The merchant is responsible for returning any empty container, with interior clean, at the designated place
and within 60 days following to the date of delivery, failing which the container can be construed as lost by the
carrier. The merchant shall be liable to indemnify the carrier for any loss or expense whatsoever arising out of the
foregoing, including but not limited to liquidated damages equivalent to either the sound market value or the
depreciated value due by the carrier to a container lessor. The carrier is entitled to collect a deposit from the
merchant at the time of release of the container which shall be remitted as security for payment of any sums due to
the carrier, in particular for payment of all freight detention and demurrage and/or container indemnity as referred
above and may be kept by the carrier fully or partially. In no case shall this deposit accrue any interest.
- containers released into the care of the merchant for packing, unpacking or any other purpose whatsoever are at
the sole risk of the merchant until redelivered to the carrier. The merchant shall indemnify the carrier of all loss,
damage, injury, fines or expenses caused or incurred by to such containers whilst in merchant control and/or until
redelivery to the carrier. Merchants are deemed to be aware of the dimensions of any containers released to them. »
Comp. Com. 22 nov. 2011, DMF 2012. 631, et l’article de O. Cachard, p. 591.
711
Com. 3 déc. 2013, DMF 2014, à paraitre, obs. Piette.
712
V. Colloque ADBM et AFDM, DMF févr. 2008 ; égal. O. Lebrun, Responsabilité du chargeur, BTL 2012, n°
3424.
713
Lors de la discussion des Règles de Rotterdam, cette question avait été abordée : aucun consensus ne s’est
cependant dégagé ; il faut dire qu’aucun critère pertinent n’avait été proposé pour déterminer le plafond éventuel de
réparation.
714
«All of the persons coming within the definition of merchant shall be jointly and severally liable to the carrier
for the due fulfilment of all obligations undertaken by the merchant in the bill of lading, and remain so liable
throughout carriage notwithstanding their having transferred the bill of lading and/or title to the goods to any third
party. Such liability shall include but not be limited to court costs, expenses and attorney’s fees incurred in
collecting charges and sums due to the carrier ».
202
Le chargeur est également responsable s’il a communiqué au transporteur des données inexactes
sur les marchandises715, sans parler de la responsabilité – de plein droit - qu’il peut encourir s’il
n’a pas respecté la réglementation sur les marchandises dangereuses. La responsabilité du
chargeur est également engagée lorsque ses marchandises en endommagent d’autres en cours de
transport716 et, bien entendu, lorsqu’elles endommagent le navire lui-même717.

§2. Paiement du fret

I. Les composantes 

Le fret ou prix du transport est fixé par la convention des parties. En pratique, il est calculé sur la
base des données fournies par le chargeur ou son représentant. Si ces données sont incorrectes,
des indemnités peuvent être réclamées au chargeur.
Il est établi tantôt suivant le poids (FAK ; freight all kind), tantôt suivant le volume ou encore
suivant la longueur (cf. transports de camions). Pour les envois de masses importantes, le fret
peut être fixé à la pièce. Il peut aussi donner lieu à un forfait. Pour les envois de marchandises
dont la valeur est déclarée au connaissement parce qu'elle est grande, le fret est fixé ad
valorem718. Le fret varie également selon que le conteneur est complet et empoté (FCL) ou selon
qu’il s’agit d’un groupage (LCL).
Il faut tenir compte aussi des spécificités de la marchandise qui appellent des surcharges :
Marchandises dangereuses (hazardous surcharge) ; réfrigérées ou ventilées (reefer) ; infectantes
ou salissantes (dirty). Des surcharges commerciales ou conjoncturelles peuvent être dues : elles
sont liées par ex. à la variation des monnaies (Currency adjustment factor), des combustibles
(Bunker adjustment factor), au risque de guerre (War risk), d’intempéries (Port congestion ;
winter surcharge), de grève (Labour dispute surcharge). La commission due à l’agent doit aussi
être intégrée dans le fret (forwarding agent commission). Des rabais immédiats ou différés sont
concevables (Fidelity rebate).
D’autres frais peuvent s’ajouter au fret : frais d’empotage et de dépotage ; surestaries ;… 719

715
« The shipper warrants to the carrier that the particulars relating to the goods as set out overleaf have been
checked by the shipper on receipt of this bill of lading and that such particulars, and any other particulars furnished
by or on behalf of the shipper, are adequate and correct. The shipper also warrants that the goods are lawful goods
and contain no contraband.
The merchant shall comply with all regulations or requirements of customs, port and other authorities, and shall
bear and pay all duties, taxes, fines, imposts, expenses or losses (including, without prejudice to the generality of the
foregoing, freight for any additional carriage undertaken) incurred or suffered by reason of any failure to so
comply, or by reason of any illegal, incorrect or insufficient marking, numbering or addressing of the goods, or the
discovery of any drugs, narcotics or other illegal substances within containers packed by the merchant or inside
goods supplied by the merchant or any stowaways discovered inside the container and shall indemnify the carrier in
respect thereof ».
716
V. C. Bloch, La responsabilité des chargeurs entre eux, Mélanges Scapel 2013, p. 87 ; égal. sur la prescription,
Com. 10 mars 2009, DMF 2009. 369, rapp. Potocki et les obs.
717
Montpellier 11 avr. 2005, DMF 2008. 56, obs. Tassel, DMF 2009 HS 13, n° 86.
718
 Si le transporteur maritime appartient à une conférence d'armateurs, le taux de fret à retenir est celui qui figure
au tarif de la conférence ; les conditions annexes, notamment le taux de ristourne figurant au tarif de la conférence,
font partie intégrante du contrat de transport comme le taux de fret ; mais toute modification ou révision du tarif de la
conférence ne peut entrer en vigueur qu'à compter de sa publication (Aix-en-Provence 12 mars 1981, Scapel oct.-
nov. 1981, p. 52). Ces pratiques ont cependant disparu, du moins dans l’UE, depuis que les conférences ont été
interdites.
203
II. Le paiement du fret 

Pour remettre la marchandise à l’ayant droit, le capitaine ou le représentant du transporteur va


requérir le paiement préalable du fret720. En pratique, le bon d'enlèvement ne sera remis que sur
justification de ce paiement. Les connaissements s'en expliquent. On lit par exemple la formule
suivante : « La livraison ne sera faite par le capitaine qu'après remise du connaissement
régulièrement acquitté entre les mains de l'agent et sur visa du connaissement par ce dernier,
après paiement du fret et de tous frais à la charge de la marchandise pendant le voyage et à
l'occasion des opérations dans les ports. »721 Le capitaine, on le voit, est toujours mis en avant. En
fait, il est souvent parti quand ces opérations ont lieu et c'est un autre qui les accomplit pour lui.
Le chargeur répond non seulement du fret qu’il doit, mais il répond aussi des dépenses engagées
pour son compte. Là encore, les connaissements contiennent de larges clauses en ce sens. 722 Ils
prévoient aussi que le fret doit être payé dans un délai de 30 jours et qu’à défaut des intérêts
courent.723 Le fret est en principe dû par le chargeur 724. Il se peut toutefois que le fret soit payable

719
CFS : container freight station (entrepôt pour marchandises conteneurisées) ; CY : container yard (quai à
conteneurs dans un port).
720
 Sur la clause « freight prepaid » et les fraudes auxquelles elle donne lieu, v. Ed. de Clebsattel, Rapport d'activité
1985 de la Fédération des agents consignataires de navires et agents maritimes de France, 28 mai 1986, in
JMM.1986.1541 s., et spéc. p. 1543 et 1544. ; égal. Com. 2 mars 1999, DMF 1999. 551, rapp. Rémery et les obs.,
considérant que la mention « prepaid » fait foi, sauf au transporteur à établir que cette quittance n’avait pas la valeur
libératoire qu’impliquait son libellé. »
721
 Cette clause du connaissement oblige le transporteur à ne délivrer les marchandises que contre remboursement
du fret ; en présence d'une telle clause qui prévaut sur les conditions générales, le transporteur maritime a pris
l'engagement de réclamer le remboursement du fret et de ne livrer la marchandise que contre ce remboursement  ; à
défaut de remboursement, il doit conserver la marchandise, faute de quoi il engage sa responsabilité et ce, quelles
que soient ses conditions générales (Aix-en-Provence 9 déc. 1982, Rev. Scapel 1982.53). En pratique, le transporteur
maritime ou son agent ne remet le bon à délivrer qu'après paiement du fret ; (Rouen 24 nov. 1983, BT 1984.461) a
justifié cette pratique, en considérant que « le droit de préférence (art. 23 et 24 de la loi de 1966) paraît plus précis et
plus large que celui dont usent les transporteurs terrestres en s'appuyant sur les articles 2102-6 et 2082 C. civ.  »
(devenus C. com., art. L. 133-7 et C. civ., art. 2333 s.). En effet, ce droit peut encore être exercé dans la quinzaine de
la délivrance des marchandises ; il est donc expressément attaché à la détention des marchandises, puisque le délai
d'action a pour point de départ la remise de la marchandise. La cour a même précisé que le propriétaire de conteneurs
vides, tiers au contrat de transport, ne peut obtenir du transporteur maritime livraison des conteneurs donnés en
location alors même que le locataire, partie au contrat de transport et qui n'a pas réglé le fret, est en règlement
judiciaire, et que le transporteur ne peut ignorer la qualité du propriétaire.
722
« The merchant shall be responsible for the full payment to the carrier, its agent, representatives, successors or
assignees, of the entire freight due pursuant to the bill of lading on the agreed date and for its full amount, without
possible deduction or set off of any sort. Merchant irrevocably agrees to waive any right of set-off between the
freight and any amount due under a contractual or tortious claim, which he has or may have against the carrier
and/or its sub-contractors, agents, officers, employees or assignees, whether or not the claim is related to the
carriage under the bill of lading and without prejudice to its right to file such claim subsequently.
Any person engaged by the merchant to perform forwarding services in respect of the goods shall be considered to
be the exclusive agent of the merchant for all purposes and any payment of freight to such person shall not be
considered payment to the carrier in any event. Failure of such person to pay any part of the freight to the carrier
shall be considered a default by the merchant in the payment of freight ».
723
« If the merchant fails to pay the freight within a delay of thirty days, it shall be liable to the carrier for the
payment of all freight (including without limitation storage, demurrage, detention and reefer services), and all other
charges and expenses without discount together with any court costs, attorneys and bailiffs fees and expenses
incurred for collecting any sums due to the carrier, and with a monthly interest rate of 1,5%, immediately
applicable, without need of a notice or reminder, until full payment is made ».
724
Qui est souvent le commissionnaire (et non dans ce cas le commettant) : Com. 30 oct. 2000, DMF 2001. 582.
204
à destination : le réceptionnaire en est alors débiteur s’il accepte la livraison (art. D. 5422-21),
mais sans pour autant libérer le chargeur.

La créance de fret est la contrepartie du service rendu par le transporteur. Le Code de commerce
édictait diverses règles concernant l'incidence de certains événements sur le fret. La loi de 1966
ne les a pas reproduites parce qu'elles se référaient à des faits devenus rares. Le décret
d’application se borne à prévoir l'incidence du transbordement (v. ss 725). Il distingue : s'il a été
rendu nécessaire par un événement qui libérerait le transporteur en cas de dommage à la
cargaison, les frais de transbordement et le fret dû pour achever le voyage sont à la charge de la
marchandise ; dans les autres cas, ils sont à la charge du transporteur. Dans l'un et l'autre cas, le
transporteur garde le fret initial (art. D. 5422-17). Hors de là, il n'y a pas lieu d'appliquer les
règles spéciales du contrat d'affrètement, mais d'interroger le droit commun des contrats. On aura
du reste rarement l'occasion de le faire parce que le connaissement comporte généralement la
clause suivant laquelle le fret est acquis à tout événement.
La clause « fret acquis à tout événement » (freight non returnable in any event ; freight acquired
or due in any event)725 déroge au droit commun. En principe, si le transporteur ne peut exécuter
ses obligations en raison d’un cas de force majeure, le chargeur est libéré de son obligation de
payer le fret : ce n’est là qu’une application de la théorie des risques 726. Elle est en principe
valable.

III. Les Garanties 

La première des garanties est le droit de rétention. Rien ne s’oppose à ce que le transporteur
garantisse sa créance certaine et exigible en retenant les marchandises qu’il doit livrer. Les textes
lui interdisent cependant de retenir la marchandise alors qu’elle est encore à bord (art. D. 5422-
18). Le procédé n’est pas très commercial, mais il est très efficace puisque le droit de rétention
est considéré comme opposable à tous, au débiteur lui-même ou à ses ayant cause. Il est soumis à
la loi du lieu de situation727.
En outre, le transporteur impayé jouit d’un privilège spécial mobilier sur les marchandises : il est
privilégié, pour son fret, sur les marchandises de son chargement pendant les quinze jours suivant
leur délivrance si elles ne sont pas passées dans les mains de tiers (art. L. 5422-8) 728. Le privilège
confère un droit de préférence ; le droit de suite est ici expressément exclu, pour favoriser la
sécurité des transactions, en l’occurrence nombreuses.

725
Elle est généralement largement stipulée : « Freight shall be deemed fully earned upon booking of the goods for
the carriage and shall be paid and non-returnable in any event. Should the merchant cancel the booking of the
goods for the carriage, at any time and for any reason whatsoever, he shall be liable for the payment to the carrier
its agents, successors, or assignee, of a penalty equal to the value of the freight, including all charges, costs and
expenses deriving from the cancellation of the booking ».
726
En cas d’avarie imputable au transporteur, le transporteur a droit au fret : comp. Aix-en-Provence 25 oct. 2007,
BTL 2007, n° 3198, considérant que le montant du fret payé au destinataire, alors qu’il n’a tiré aucun profit de la
prestation de transport constitue un élément du préjudice indemnisable ; BTL 2008, n° 3218. Il en va différemment
en cas de manquement par le transporteur à son obligation essentielle d’assurer la navigabilité du navire : la clause
« fret acquis… » devrait alors être considérée comme nulle (v. P. Bonassies, DMF 1994, n° 535, § 55).
727
Com. 2 mars 1999, Bull. civ. IV, n° 52, DMF 2000. 245 et les obs.
728
Dans le cas où les chargeurs ou les ayants droit sont soumis à une procédure collective avant l’expiration du
délai de 15 jours, le transporteur est privilégié sur tous les créanciers pour le paiement de son fret et des avaries qui
lui sont dues (art. L. 5422-9).
205
Quant à l’action directe en paiement de l’art. L. 132-8 du Code de commerce, elle ne joue qu’en
matière terrestre729.
On peut enfin se demander si les clauses de gage sur marchandises stipulées dans les
connaissements sont valables730. Sans doute est-on en matière commerciale, mais le gage avec
dépossession est aujourd’hui un contrat solennel (C. civ., art. 2336) : un écrit est donc nécessaire,
ce que n’est pas un connaissement dans la mesure où il n’est pas dûment signé par le chargeur.

Le chargeur n’a pas que des obligations : il a aussi des droits, dont le droit de disposition 731. Il
peut ainsi modifier les termes du contrat et spécialement demander au transporteur de livrer la
marchandise à une autre personne que le destinataire. Mais il perd ce droit dès l’instant qu’il s’est
dessaisi du connaissement732.
Les Règles de Rotterdam ont développé cette question en organisant ce qu’elles ont appelé le
droit de contrôle (v. ss 781).

SECTION 2. OBLIGATIONS DU TRANSPORTEUR

§1. Le chargement

Le transporteur a de nombreuses obligations qui découlent de la nature même du contrat de


transport. Certaines sont implicites à l’exemple sans doute de celle de prendre des réserves (v. ss
702) ou encore d’agir de bonne foi, obligation qui du reste pèse sur les deux parties 733. D’autres
sont expresses ; du reste, les obligations du transporteur sont généralement précisées par les
conditions générales de transport reprise dans les connaissements. Le transporteur peut aussi
accepter d’autres obligations, mais il le fait alors en qualité de mandataire du chargeur734.
La première de ces obligations est le chargement de la marchandise. Cette opération incombe
juridiquement au transporteur (art. D. 5422-8), ce qui ne signifie pas que le prix n'en puisse pas
être décompté séparément aux frais du chargeur735.

729
v. Com. 13 avr. 2002, DMF 2012, HS 16, n° 107.
730
« The carrier, its servants or agents shall have a lien on the goods and any documents related thereto and a
right to sell the goods whether privately or (by public auction for all freight, dead freight, pre-carriage and/or
inland carriage whatsoever, demurrage, container demurrage and storage charges, detention charges, salvage,
general average contributions and all other charges and expenses whatsoever which are for the account of the
goods or of the merchant and for the costs and expenses of exercising such lien and of such sale and also for all
previously unsatisfied debits whatsoever due to him by the merchant.
The carrier, its servants or agents shall also have a lien on the goods carried under the bill of lading and any
document relating thereto for all sums including freights and charges due and outstanding on any other contracts
for the carriage of goods concluded between the carrier, its servants or agents and the merchant, at any time where
such sums or freights remains due and unpaid ».
731
M. Rémond-Gouilloud, Du droit de disposition, DMF 1990. 587 ; égal. P. Bonassies, Le droit de disposition de
la marchandise en droit français, ouvrage coll., La disciplina del trasporto di cose : presente e futuro, Gênes 2001.
732
Com. 3 févr. 2001, DMF 2002. 38 et les obs.
733
Sur l’exigence de bonne foi contractuelle, v. Delebecque, Gazette CAMP n° 15.
734
« Whenever the carrier undertakes to accomplish any act, operation or service not initially agreed or mentioned
on the bill of lading, he shall act as merchant’s agent and shall be under no liability whatsoever for any loss or
damage to the goods or any direct, indirect or consequential loss arising out or resulting from such act, operation,
or service. If, for any reason whatsoever, the carrier is denied the right to act as agent as mentioned above, its
liability for loss, damage or delays shall be determined in accordance with the bill of lading ».
206
C'est souvent avec le chargement que commence la prise en charge de la marchandise par le
transporteur. La chose reste juridiquement possible (v. ss 694). C'est à quoi tendent et tendront
encore les clauses stipulant que la marchandise sera « prise à quai » ou « le long du bord » ou
encore « sous palan ».
En fait le chargement est opéré par des manutentionnaires qui agiront nécessairement pour le
compte du transporteur736, même s'ils avaient déjà la marchandise en garde pour le compte du
chargeur. Quand il n'y a pas eu prise en charge auparavant – ce qui est la conséquence des clauses
sous palan, « prise à quai »… -, le pointage de la marchandise est nécessaire pour vérifier les
allégations du chargeur concernant le nombre et le poids des colis. Selon les usages du port, les
relations commerciales entre les parties, les possibilités ou les commodités de fait, ce pointage est
ou n'est pas fait contradictoirement ; s'il l'est, il y a double pointage, un pointeur opérant à quai
pour le compte du chargeur et un pointeur à bord pour le compte du transporteur. Il en sera de
même à l'arrivée. Le déchargement se fait rarement dans l'ordre du chargement ; le pointage « à la
volée » à la sortie des cales est souvent en fait impossible : on ne le fera que lorsque la cargaison,
entièrement déchargée, aura été rangée en « piles compatibles » sur un terre-plein ou dans un
entrepôt.

§2. L’arrimage

Dans les cales, la marchandise est arrimée. Cette opération qui intéresse la stabilité du navire
dépend du capitaine, même si elle est exécutée par les manutentionnaires, comme c'est courant, et
non pas par des gens de l’équipage. Un usage constant veut que l'arrimage, comme le
chargement, se fasse sous la surveillance personnelle du second. L'arrimage se fait donc sous la
responsabilité du capitaine, et cette règle n'est pas contredite par la disposition, fréquente dans les
connaissements, suivant laquelle les frais de l'arrimage (ou du désarrimage) sont supportés par les
chargeurs (ou les réceptionnaires).

Sur la qualification et l'incidence d'une faute d'arrimage ; v. ss 745.

§3. Chargement en pontée

Les marchandises étaient jadis normalement chargées en cale : la loi française, après le Code de
commerce, avait ainsi prohibé le chargement en pontée, sauf dans le petit cabotage et sauf
consentement écrit du chargeur ou disposition réglementaire. Cette réglementation est totalement
dépassée depuis la conteneurisation. Aujourd’hui, du reste, le consentement est supposé donné en
cas de chargement en conteneurs à bord de navires appropriés (v. ss 696). En application des
Règles de La Haye Visby, la pontée est régulière dès lors qu’elle est déclarée.

735
La clause FI0 transférant la responsabilité du chargement au chargeur est en elle-même nulle, v. Com. 30 nov.
2010, DMF 2011. 261 et les obs. ; Comp. The Jordan II (2003) 2 Lloyd’s Rep. 87. Dans les connaissements de
charte-partie, cette jurisprudence est plus discutable, v. Y. Tassel, Pratique et théorie : certitudes et incertitudes de la
clause FI0 du connaissement émis en exécution d’une charte-partie, Mélanges Scapel, 357 ; égal. S. Miribel, À
propos de la clause FI0, Mélanges Berlingieri 2010, vol. 2, p. 749 s. ; F. Arradon, Un mode de transport défini en
trois lettres, Gazette CAMP, n° 6. Comp. Sentence CAMP n° 1211 du 9 août 2013 ; égal. n° 1189 du 6 janv. 2012.
736
 Sur la responsabilité du transporteur, v. Com. 20 oct 1984, DMF 1985. 438, à la suite d'une manutention sans
soin au cours du chargement.
207
Les connaissements prévoient cette déclaration et même la présument 737. Dans la pratique, il
arrive aussi que le transporteur obtienne du chargeur une lettre le garantissant de la responsabilité
encourue en raison d’un chargement irrégulier en pontée. Cette garantie est indépendante du
contrat de transport738.

Les Règles de Rotterdam ont traité de la question : les solutions retenues sont très pratiques et
répondent aux attentes des professionnels (v. ss 780).

§4. Déplacement. Route à suivre739

L'armateur doit transporter la marchandise au lieu de destination indiqué par le connaissement.


Le capitaine y parvient « en droiture », c'est-à-dire suivant la route habituellement suivie 740. Mais
les connaissements, ici encore, assouplissent la règle et laissent au capitaine et à l'armateur une
grande liberté : « Le capitaine, disent les connaissements, pourra entrer dans tous les ports, rades
ou rivières et en sortir sans prendre de pilote, se faire remorquer ou remorquer, assister tous
navires en détresse, toucher et séjourner en tous ports et lieux, faire toutes escales directes ou
rétrogrades, le tout en dehors ou non de son itinéraire et pour quelque cause que ce soit… »741. Il
737
« Goods, whether or not packed in containers, may be carried on deck or under deck without notice to the
merchant. In the absence of the mention « under deck » of the back hereof, or any similar mention, the goods shall
be presumed carried on ship’s deck. All such goods whether carried on deck or under deck, shall participate in
general average and shall be deemed to be within the definition of goods for the purposes of The Hague Rules and
shall be carried subject to those Rules.
In the even the goods which are stated on the back hereof as being carried on deck (or in the event of the absence of
the mention « under deck » or any similar mention), and which are so carried, the Hague Rules shall not apply and
the carrier shall be under no liability whatsoever for loss, damage or delay, howsoever arising, and whether or not
caused by the negligence on the part of the carrier, its servants, agents or sub-contractors. If carrier’s liability is
anyway implicated, the liability of the carrier shall be limited according to the terms and conditions of this contract
and otherwise to the Hague Rules or Hague and Visby Rules ».
738
Lyon 1er déc. 2005, DMF 2007. 22, obs. Humann.
739
 C. Katsigeras, Le déroutement en droit maritime comparé, préf. Rodière, 1970.
740
 L'expression « voyage en droiture » signifie également « sans escale ». Puisque le contrat de vente financé par un
crédit documentaire exige de la part de la compagnie de navigation l'attestation de « voyage en droiture » au sens ci-
dessus indiqué, le consignataire qui a délivré une fausse attestation est responsable en cas de préjudice subi par la
marchandise du fait de son retard (Paris, 12 nov. 1985, BT 1986.306).
741
« The carrier may at any time and without notice to the merchant,
- use any means of carriage whatsoever,
- transfer the goods from one conveyance to another, including but not limited to transshipping or carrying them
on another vessel than that named on the back hereof,
- unpack and remove the goods which have been packed into a container and forward them in a container or
otherwise,
- proceed by any route, place, or port, in its discretion (whether or not the nearest or most direct or customary or
advertised route), at any speed, and proceed to or stay at any place or port whatsoever, once or more often and in
any order,
- load or unload the goods at any place or port (whether or not such port is named overleaf as the port of loading
or port of discharge) and store the goods at any such place or port,
- comply with any orders or recommendations given by any government or authority, or any person acting or
purporting to act as or on behalf of such government or authority, or having under the terms of any insurance on
any conveyance employed by the carrier the right to give orders or directions.
- permit the vessel to proceed with or without pilots, to tow or be towed or to be dry-docked.
The liberties set out in this clause may be invoked by the carrier for any purpose whatsoever, whether or not
connected with the carriage of the goods, including loading or unloading other goods, bunkering, undergoing
repairs, adjusting instruments, picking up or landing any persons… »
208
n'y a donc pas d'itinéraire imposé. Si la marchandise arrive en retard ou si elle est avariée, le
transporteur sera peut-être responsable, mais ce n'est pas du seul fait qu'il aura fait telle ou telle
escale, même rétrograde, qu'on pourra le déclarer en faute742.
Les connaissements envisagent aussi les circonstances qui peuvent compromettre la bonne
exécution du contrat (« hindrance, risk, delay, difficulty or disadvantage of any kind ») et
accordent alors certaines prérogatives au transporteur743.

§5. « Sub-contracting » 

Une autre question se rencontre qui est celle de savoir si le transporteur peut sous-traiter tout ou
partie de sa mission. Sous-contracter n’est pas nécessairement un droit. Le Code civil le
subordonne à l’accord du cocontractant (C. civ., art. 1237), mais cet accord peut être donné par
avance. Les connaissements le prévoient le plus souvent et en envisagent toutes les conséquences
en s’efforçant de protéger le sous-contractant744. Si ces clauses n’existaient pas, les intérêts
cargaison seraient en droit, en application du droit français, du moins, d’agir contre le sous-
transporteur sur un fondement délictuel, ce qui, évidemment, n’est pas satisfaisant745. À cet égard,
les Règles de Rotterdam sont beaucoup plus appropriées, le sous-transporteur étant considéré
comme une partie maritime exécutante engageant sa responsabilité dans les mêmes termes que le
transporteur contractuel lui-même.

§6. Soins à la cargaison

En cours de route le capitaine doit soigner la cargaison. Tout ici dépend de la nature de la
marchandise et de la convention des parties. En fait encore, le capitaine est déchargé de toute
obligation de soins personnels. Par exemple, pour les animaux, il est spécifié au connaissement
qu'en aucune circonstance, il ne leur devra de l'eau ou de la nourriture. C'est au chargeur d'y
pourvoir.
742
 La faute résultera par exemple de ce que le déroutement a été décidé à des fins lucratives : Montpellier,
1  mars 1976, Revue Scapel, 1976.14. Pareille clause est donc valable sous réserve que le déroutement ne soit pas
er

fautif (T. com. Marseille, Revue Scapel 1982, p. 20). On retrouve ici l’exigence de bonne foi contractuelle.
743
« Carry the goods to the contracted port of discharge or place of delivery, whichever is applicable, either by the
intended or the alternative route to that indicated in the bill of lading or that which is usual for goods consigned to
that port of discharge or place of delivery, or (b) suspend the carriage of the goods and store them ashore or afloat
upon the terms and conditions of the bill of lading and endeavour to forward them as soon as possible, but the
carrier makes no representations as to the maximum period of suspension, or
(c) abandon the carriage of the goods and place the goods at the merchant’s disposal at any place or port which
the carrier may deem safe and convenient, whereupon the responsibility of the carrier in respect of such goods shall
cease.
744
«The carrier shall be entitled to sub-contract the carriage on any terms whatsoever.
The merchant undertakes that no claim or allegation shall be made against any person whomsoever by whom the
carriage is performed or under-taken (including all sub-contractors of the carrier), other than the carrier, which
imposes or attempts to impose upon any such person, or any vessel owned by any such person, any liability
whatsoever in connection with the goods or the carriage of the goods, whether or not arising out of negligence on
the part of such person and, if any such claim or allegation should nevertheless be made, to indemnify the carrier
against all consequences thereof. Without prejudice to the foregoing every such person shall have the benefit of
every right, defence, limitation and liberty of whatsoever nature herein contained or otherwise available to the
carrier as if such provisions were expressly for its benefit ; and in entering into this contract, the carrier, to the
extent of these provisions, does so not only on its own behalf but also as agent and trustee for such persons. »
745
Rappr. sur une question de compétence, CJCE 27 oct. 1998, navire Ablasgracht, DMF 1999. 9, et les obs.
Précisons que la clause indiquée au texte laisse entière la responsabilité du transporteur contractuel lui-même.
209
Mais les soins généraux qui dépendent du seul capitaine ne peuvent pas être évités par lui : ainsi
pour l'aération, ce n'est pas le chargeur qui peut prescrire l'ouverture de tel panneau ou la mise en
marche de telle installation de ventilation. Les défaillances en cette matière constitueront des
fautes commerciales du capitaine746.
On peut considérer comme entrant dans les soins à la cargaison l'obligation pour le capitaine de
procéder au transbordement des marchandises quand le navire devient innavigable. L'article D.
5422-10 le prévoit, mais les connaissements ne manquent pas de transformer ce qui est un
devoir747, en une faculté générale pour le capitaine. La faculté est réservée au transporteur de
transborder les marchandises à toute époque, sur un navire lui appartenant ou non, naviguant sous
pavillon français ou étranger748. Les frais de transbordement sont en principe à la charge de la
marchandise ; il en va différemment lorsque l’interruption du voyage est due à une faute du
transporteur749

§7. Désarrimage et déchargement

Le transporteur doit se rendre au port prévu ou, en cas d’empêchement, au port le plus proche 750.
À l'arrivée, la marchandise est désarrimée et déchargée suivant les mêmes processus matériels et
juridiques que ceux qui ont été reconnus au départ pour le chargement et l'arrimage. Si pour un
voyage donné, les procédés sont dissemblables, cela tiendra à ce que les usages des ports sont
différents ou à ce que l'aménagement des services de l'armateur est différent dans l'un et l'autre
des ports. Ni pour le chargement, ni pour le déchargement, les connaissements ne contiennent de
clauses relatives aux staries et surestaries. En effet, ces opérations n'incombent pas aux chargeurs
et aux destinataires. On ne voit pas bien chacun des 50 ou 100 chargeurs d'une escale se
présentant avec son équipe de manutentionnaires pour effectuer le chargement de sa marchandise.
Les chargeurs auront dû s'adresser aux services de la compagnie d'armement, ou encore à
l'acconier ou au stevedore désigné par elle. Si les opérations sont plus lentes qu'il ne le prévoyait,
le transporteur ne peut pas s'en prendre à tel ou tel chargeur. Aussi, bien qu'elle n'ait pas perdu
pour le transporteur son importance, la question de la rapidité des opérations ne souffre plus de
difficultés entre lui et ses chargeurs, alors qu'elle continue de se poser dans les contrats
d'affrètement au voyage. C'est un point très important sur lequel l'affrètement au voyage diffère
du contrat de transport.

§8. Clauses relatives au déchargement

Les mêmes considérations expliquent que la règle d'après laquelle le capitaine peut, à l'arrivée,
décharger d'office la marchandise, parce qu'il ne peut pas indéfiniment attendre que le
réceptionnaire vienne la réclamer, ne présente plus l'intérêt qu'elle pouvait avoir autrefois.

746
 Cf. Douai, 19 oct. 1973, DMF 1974. 94.
747
 Il s'agit d'une obligation de moyens (Rodière, t. II n° 530 ; Sentence CAMP, 10 juin 1986). Sur le
transbordement, du point de vue du fret, v. ss 719.
748
 v. Com. 25 févr. 2004, DMF 2004. 1037. Sur la situation juridique et la responsabilité du transporteur originaire,
après transbordement, v. Aix-en-Provence, 24 mars 1983, DMF 1984. 431, note RA ; Bordeaux, 17 déc. 1984,
Cahiers de jurisprudence d'Aquitaine, 1985-2, p. 344, sommaire AV.
749
Com. 25 févr. 2004, Bull. civ. IV, n° 41, DMF 2004. 735 et les obs. ; Com. 1er déc. 2009, DMF 2010. 19, rapp.
Potocki, obs. Bernié.
750
Sur la validité des clauses de grève, de glace, v. par ex. Paris 18 sept. 2008, DMF 2009, HS 13, n° 81. Ces
clauses n’aménagent pas la responsabilité du transporteur : elles ne portent que sur les obligations du transporteur,
comp. Com. 15 nov. 2005, DMF 2006. 146, obs. Tassel, DMF 2006, HS 10, n° 76.
210
L'accroissement des agences maritimes, la pratique de la consignation et les usages concernant la
manutention des marchandises sont venus modifier les conditions de l'exploitation commerciale
des navires.
Dans la pratique moderne, cette règle prenait la forme d'une autorisation donnée par le chargeur
au capitaine de choisir, pour lui, au port de destination, le manutentionnaire qui opérait le
déchargement. Cette pratique était d'ailleurs à l'origine de bien des difficultés et avait suscité bien
des procès portant sur la nature juridique des relations alors nouées entre le chargeur et le
manutentionnaire751.
Ces difficultés ont disparu. En effet aux termes de l'article D. 5422-8 du décret, le transporteur ne
peut pas se libérer de l'obligation où il se trouve d'assurer le déchargement de la marchandise752. Il
n'est plus question que le capitaine choisisse pour lui le manutentionnaire. Cette fiction, car il ne
s'agissait pas d'autre chose que d'un artifice destiné à esquiver les responsabilités, ne pouvait pas
se maintenir. Le manutentionnaire assure désormais le déchargement pour le compte du
transporteur, dans les conditions définies par les articles L. 5422-19 s. On ajoutera que
l’obligation de décharger la marchandise au port convenu est bien une obligation de résultat, sous
réserve des clauses d’allégement stipulées dans le contrat de transport753.

§9. Livraison

C'est l'opération juridique par laquelle le transporteur remet à l'ayant droit 754 qui l'accepte755, la
marchandise qu'il a transportée. Elle marque la fin du contrat de transport (art. L. 5422-1).
Selon les cas, la livraison se fera dès la fin du débarquement de la marchandise, quand elle sera
« sous le palan à quai » ou plus tard. Elle ne peut pas avoir lieu avant la fin du déchargement
puisque celui-ci entre dans les obligations que le transporteur assume inéluctablement par l'effet
du contrat de transport756.

751
Cf. Rodière, obs. DMF 1964. 588.
752
 V. dans le même sens, T. com. Anvers, 2 oct. 1985, DET 1986. 2.156.
753
Com. 13 nov. 2001, DMF 2003, HS 7, n° 74, obs. Bonassies.
754
 L'ayant droit est celui qui peut réclamer la marchandise. C'est couramment le destinataire (le consignee) ; on dit
aussi le réceptionnaire.
755
 Sur la faculté pour le destinataire de refuser de prendre livraison de la marchandise lorsqu'il y a eu défardelage
des marchandises nécessitant des frais, des risques d'accident corporel, des problèmes commerciaux, voire des
difficultés avec la douane, Com. 22 févr. 1983, BT 1983, 552 ; D. 1984. 214, 5e esp., obs. B. Mercadal. La livraison
sans réserves écrites du destinataire vaut présomption de livraison conforme, sauf preuve contraire (Com.
6 nov. 1979, Bull. civ. IV, n° 275 ; l'art. L. 133-3 du Code de commerce n’est pas applicable aux transports
maritimes : Com. 28 févr. 1984, Bull. civ. IV, n° 80.
756
v. Aix-en-Provence, 29 juin 1972, Scapel, 1972.31 ; Aix-en-Provence, 18 déc. 1980, Scapel, 1981.46 ; Paris
16 oct. 1985, DET 1986. 2.137 s. et spéc. p. 143 ; si le connaissement prévoit que, dans les cas où les opérations de
réception, de déchargement ou de livraison des marchandises sont en tout ou en partie effectuées par un organisme
public ou semi-public, la livraison intervient lors de la remise de la marchandise par le transporteur à cet organisme,
v. Paris, 10 juillet 1981, DMF 1981. 723, obs Bouloy (cet auteur considère que l'intervention de l'organisme public à
monopole met nécessairement fin à l'exécution du contrat de transport maritime) ; v. dans le même sens, Com. 13
juin 1989, DMF 1990. 228. C'est à ce moment que cesse la responsabilité du transporteur qui ne saurait être tenu des
dommages et pertes survenus postérieurement (Aix-en-Provence, 20 mars 1986, DMF 1988. 466), alors même que la
marchandise a été livrée sans présentation par le réclamant d'un original du connaissement (Aix-en-Provence,
17 déc. 1986, DMF 1988. 43). La pratique de la nomination du « curateur aux intérêts absents », née au Tribunal de
commerce du Havre, s'est généralisée en France. v. en cas d'embargo ou de blocus au port de destination : G. Ripert,
T. II, n° 1514, 1515 et 1577.
211
En cas de consignation du navire la livraison aura lieu plus tard. De même si des clauses
prévoient que la livraison se fera dans les entrepôts que la compagnie d'armement peut avoir au
port de reste. Il faut dans chaque cas, analyser avec soin les clauses du contrat pour résoudre
correctement ce point.
La livraison ne doit pas être confondue avec l'enlèvement. La délivrance se fera au vu d'un bon
d'enlèvement que le capitaine, ou l'agent de l'armateur, ou le consignataire du navire, aura remis
au réceptionnaire.
La livraison est aujourd’hui strictement conçue : la jurisprudence n’en a plus une conception
purement juridique. Il appartient donc au transporteur de mettre en mesure le destinataire ou son
représentant de prendre effectivement possession de la marchandise 757. La livraison n’est
accomplie que lorsque la marchandise peut être appréhendée effectivement par son destinataire758.

Les connaissements s’efforcent de régler les problèmes pratiques soulevés par la livraison, à
commencer par l’information due au destinataire. Il doit être prévenu de l’arrivée de la
marchandise759, mais tout manquement à cet égard ne saurait engager la responsabilité du
transporteur ni même soustraire le destinataire à sa propre responsabilité. Le destinataire doit
prendre livraison au temps et au lieu convenus. À défaut, le transporteur est en droit d’entreposer
la marchandise aux frais des intérêts cargaison et cet entreposage sera considéré comme valant
livraison760. Il n’est pas rare non plus que le connaissement précis que la livraison interviendra
dans le parc à conteneurs761 ou se fera « sous palan ». En elle-même cette clause est parfaitement
valable, car elle ne fait que déterminer les obligations du transporteur et participe de son
économie762 ; il reste que sa mise en œuvre est subordonnée à l’exigence de bonne foi
contractuelle763.

757
Com. 17 nov. 1992, navire Rolline, DMF 1993. 563, obs. Bonassies : « Les juges du fond ne sauraient considérer
que la remise au destinataire d'un connaissement revêtu de la mention : « bon à délivrer… telle date », caractérise la
livraison de la marchandise transportée, sans rechercher si, celle-ci ayant été mise à sa disposition, il l'a appréhendée
matériellement et l'a acceptée le jour indiqué au document, ou encore, s'il était tenu par une clause du contrat de
transport, acceptée par lui, de prendre livraison dans des conditions de temps stipulées par rapport à l'arrivée du
navire et au déchargement des marchandises » ; v. égal. Com. 19 mars 1996, DMF 1996. 636, rapp. Rémery ; Rouen,
9 janv. 2003, DMF 2003. 1097 ; Aix-en-Provence 6 mai 2010, DMF 2011. 149, obs. Bernié.
758
v. encore, Com. 19 juin 2012, DMF 2013. 40, rapp. Rémery, obs. Le Louer.
759
Com. 27 juin 2006, DMF 2007. 536, obs. Tassel.
760
D’autres droits sont accordés par le connaissement au transporteur : « If, whether by act or omission, the
merchant directly or indirectly prevents, delays or hinder the discharge or the delivery of the goods, any costs,
expenses or liability so resulting shall be for its full account.
- If the merchant fails to take delivery of the goods within ten days of delivery becoming due under latter clause, or
if in the opinion of the carrier they are likely to deteriorate, decay, become worthless or incur charges whether for
storage or otherwise in excess of their value, the carrier may, without prejudice to any other rights which he may
have against the merchant, without notice and without any responsibility whatsoever attaching to him, sell, destroy
or dispose of the goods and apply any proceeds of sale in reduction of the sums due to the carrier from the merchant
in respect of the bill of lading.
- Refusal by the merchant to take delivery of the goods in accordance with the terms of this clause and/or to
mitigate any loss or damage thereto shall constitute a waiver by the merchant to the carrier of any claim whatsoever
relating to the goods or the carriage thereof. »
761
La livraison se fait alors « container yard » (CY), c’est-à-dire dans la zone portuaire réservée à l’entreposage des
conteneurs : Com. 2 févr. 1999, DMF 2000, HS 4, n° 74 ; Com. 13 nov. 2002, DMF 2003, HS 7, n° 76, obs.
Bonassies ; v. égal. Com. 17 nov. 2009, DMF 2010. 219, rapp. Potocki, obs. Tassel. v. égal. I. Dor, A propos des
clauses CY, BTL 2010. 458.
762
Com. 16 janv. 1996, DMF 1996. 627 et les obs. ; v. égal. Aix-en-Provence 18 juill. 2013, BTL 2013. 525, DMF
2013. 905, obs. Lecat.
212
Les Règles de Rotterdam sont relativement à la livraison particulièrement intéressantes et utiles
(v. ss 781).

§10. La lettre de garantie pour défaut de présentation du connaissement à l'arrivée

Il ne faut pas confondre la lettre de garantie dont il va être question ici et qui est remise par le
destinataire à l'arrivée764, avec la lettre de garantie pour obtenir un connaissement net qui est au
contraire remise par le chargeur au départ (v. ss 706). L'article D. 5422-19 oblige le capitaine à
délivrer la marchandise, s'il s'agit d'un connaissement au porteur, à celui qui présente le
connaissement à l'arrivée, et s'il s'agit d'un connaissement à ordre, au dernier endossataire. La
présentation de l’original est requise même lorsque le connaissement est à personne dénommée et
dépourvue de mention à ordre765. La règle est impérative, si bien que le transporteur qui livre la
marchandise en l’absence de connaissement engage certainement sa responsabilité 766. Plusieurs
difficultés peuvent se présenter.
D’abord, compte tenu de certaines clauses du connaissement, favorable au transporteur, dont la
mise en œuvre n’est pas simple.767 

Ensuite, le destinataire peut, à l'arrivée du navire, ne pas encore avoir reçu le connaissement
grâce auquel il pourra réclamer la marchandise. Le transporteur sera alors tenté de remettre cette
marchandise à un professionnel qu'il connaît bien au port de destination et qui se dit être le tiers
porteur du connaissement à recevoir. Le transporteur court le risque que d'autres personnes,
ultérieurement, se présentent avec le connaissement ou bien encore que l'importation ait été
financée par les moyens d'un crédit documentaire et dans ce cas que ce soit un banquier qui soit
titulaire du connaissement. Pour faire face au risque, le transporteur exigera une lettre de garantie
de la part du destinataire prétendu. Il peut exiger cette lettre de garantie du destinataire prétendu
seul768. Toutefois, sauf rapports de force interdisant cette exigence, le transporteur réclame
763
Com. 22 mai 2007, Bull. civ. IV, n° 143, DMF 2007. 811, rapp. Potocki et les obs. ; égal. Com. 14 mai 1991,
DET 1992. 344 : « doit être confirmé l'arrêt d'appel qui, sans tenir pour nulle la clause du connaissement excluant la
responsabilité du transporteur après la fin des opérations de déchargement, et par une interprétation souveraine de sa
portée, a jugé que la clause ne s'appliquait pas eu égard aux circonstances exceptionnelles de l'espèce, où le
mandataire du destinataire avait informé le commandant du navire de l'impossibilité temporaire de prendre livraison
de la marchandise périssable par suite de la cessation du travail des employés du dépositaire, en raison du ramadan,
et a estimé qu'il appartenait au transporteur maritime de prendre, en concertation avec le consignataire, toutes les
mesures utiles pour assurer, dans des conditions ne la mettant pas en péril, la livraison de la marchandise  ». La clause
LCL (qui impose au transporteur de dépoter) est incompatible avec une livraison sous palan, à la différence de la
clause FCL : Com. 24 avr. 2007, DMF 2007. 601, obs. Tassel.
764
V. La lettre de garantie pour absence de connaissement régulier, BTL 1984, 283 s.
765
Com. 19 juin 2007, Bull. civ. IV, n° 171, DMF 2007. 790, rapp. Potocki, obs. Tassel, RTD com. 2008. 210 et les
obs.
766
v. par ex. Com. 15 juin 2011, RD transp. 2011, n° 132, obs. Ndendé. Lorsqu’il y a plusieurs lots de
marchandises, le destinataire ne peut se contenter de remettre un seul connaissement : Com. 10 juill. 2012, DMF
2012. 821 ; égal. sur cette règle, L’équivalence des législations à l’épreuve du droit maritime algérien et du droit
maritime français, Mélanges Benhamou, Tlemcen, 2013.
767
« Goods will only be delivered in a container to the merchant if all bills of lading in respect of the contents of
the container have been surrendered authorising delivery to a single merchant at a single place of delivery. In the
event that this requirement is not fulfilled the carrier may unpack the container and, in respect of goods for which
bills of lading have been surrendered, deliver them to the merchant on a LCL basis ».
768
 V. par ex., Com. 15 janv. 1968, DET, n° 6-1985, p. 532. L'acte de la puissance publique libyenne qui consiste à
exiger que le transporteur remette la marchandise à la société d'État libyenne importatrice sans connaissement, contre
une simple lettre de garantie, constitue un fait exonérant le transporteur de toute responsabilité à l'égard du chargeur
213
aujourd'hui une lettre de garantie bancaire et c'est une faute de la part du consignataire du navire
de s'être contenté de la garantie du prétendu destinataire769.

L'exécution de la lettre de garantie bancaire n'a aucun rapport avec le contrat de vente, même si la
résolution de ce dernier intervient ; en effet, les « contrats de transport maritime et de vente
n'ayant ni les mêmes parties, ni le même objet, ni la même cause, les obligations nées de l'un lui
demeurent propres »770.

La lettre de garantie bancaire doit s'analyser comme un engagement cautionné d'avoir à remettre
un certain document, le réceptionnaire s'engageant à remettre au transporteur maritime le
connaissement. Il y a là plus exactement une garantie autonome obéissant à sa propre logique et à
son propre régime (C. civ., art. 2321)771. C’est pourquoi l'action du transporteur maritime fondée
sur la lettre de garantie souscrite par le transitaire à l'effet d'obtenir la délivrance des
marchandises en l'absence de l'original du connaissement est soumise à la prescription décennale,
en effet, l'action du transporteur contre le garant conventionnel de la livraison irrégulière ne
procède manifestement pas du contrat de transport proprement dit mais d'une convention entre
commerçants, créatrice d'obligations soumises à la prescription décennale de droit commun 772. La
lettre de garantie n'est pas nulle pour indétermination du montant et de la durée des engagements
du réceptionnaire qui l'a cautionnée. Si le texte de la lettre le prévoit, le transporteur maritime
peut prétendre à la réparation de tous les dommages qu'il n'aurait pas subis s'il avait délivré la
marchandise contre le connaissement original et cela sans tenir compte du fait que des dommages
excèdent la valeur réelle de la marchandise773.

Dans la pratique contemporaine, il est fréquent que le chargeur donne par avance l’autorisation au
transporteur de remettre la marchandise sans présentation du connaissement, mais moyennant le
fourniture d’une garantie bancaire. Il y a là un « aménagement des obligations usuelles du
transporteur » parfaitement valable, de sorte que l’action en responsabilité intentée par le
chargeur contre le transporteur qui n’aurait pas exigé la garantie est soumise au droit des
transports et ainsi à la prescription annale774.

demeuré impayé (cf., BT 1988,680).


769
 T. com. Paris 26 sept. 1984, Rev. Scapel, 1985.18.
770
 Rouen 27 janv. 1979, DMF 1979. 734 ; égal. sur l’étendue des engagements, T. com. Marseille 30 août 1988,
D. 1989. Somm. 326, obs. Vasseur.
771
La délivrance de la garantie n’est pas subordonnée à une autorisation du CA (cf. C. com., art. L. 225-35 in fine) :
v. Com. 25 nov. 1986, DMF 1986. 358. De même, la prescription est indépendante de celle qui joue en matière de
transport : Com. 17 juin 1997, Bull. civ. IV, n° 196, DMF 1997. 725, rapp. Rémery.
772
 Com. 7 févr. 1984, DMF 1985. 25 ; Bonassies, op. cit., p. 78, n° 40 ; BT 1984.596 ; Revue Scapel 1984, p. 29 ;
égal. T. com. Marseille 11 déc. 1979, Rev. Scapel juin 1980, 29.
773
 Aix-en-Provence 16 sept. 1980, DMF 1981. 91, obs. RA, et sur pourvoi Com. 24 nov 1982, DMF 1983. 472 ; v.
sur nouveau renvoi, Aix-en-Provence 27 avr. 1984, Scapel 1985.6 ; Bonassies, op. cit., p. 77, n° 39 : la cour d'Aix a
admis en particulier que la banque ayant émis la lettre de garantie peut être condamnée à payer les dommages-
intérêts résultant du boycott, en Egypte, motivé par la livraison irrégulière effectuée par le transporteur ; la cour
d'appel a ainsi condamné la banque à verser à un armateur marseillais la somme de 4 M. FF pour compenser une
perte de fret due au boycott égyptien. v. en ce sens P. Bonassies et P. Emo, La lettre de garantie pour absence de
connaissement : un projet de lettre type, in Annales 1986 IMTM, p. 145 s. V. aussi P.-Y. Nicolas, Point de vue sur la
lettre de garantie « pour absence de connaissement », BT 1986.331. M. Rémond-Gouilloud, La lettre de garantie pour
absence de connaissement, BT 1986,69 ; Gazette CAMP, n° 15 ; Tetley, Contre-lettres d'indemnité et lettres de
garantie, DMF 1988. 258 s.
774
Com. 22 mai 2007, DMF 2007. 607, rapp. Potocki, obs. Rémond-Gouilloud, JCP 2007, II, 10139 et les obs.
214
§11. Le droit du destinataire775

Le destinataire a un droit direct contre le transporteur ou son représentant. La même solution est
admise en droit terrestre. On a cherché à expliquer comment le destinataire, qui ne conclut pas le
contrat de transport, pouvait en invoquer les clauses 776. L'idée de stipulation pour autrui peut être
avancée : le chargeur aurait stipulé en faveur du destinataire, tiers bénéficiaire, et le transporteur
ferait office de promettant. La jurisprudence a reçu cette explication qui n’est cependant pas
parfaitement convaincante dans la mesure où le destinataire n’a pas que des droits. Certains ont
fait observer que le contrat de transport était normalement noué pour amener la marchandise chez
le destinataire et qu’il serait ainsi un contrat à trois personnages777. Ce n’est pas inexact, mais le
destinataire n’est pas forcément distinct du chargeur. Il s’agit assez souvent, ne serait –ce qu’en
fait, de la même personne. Le contrat de transport est plus exactement un contrat à deux, appelé à
devenir, le cas échéant, un contrat à trois avec le consentement du destinataire qui intervient le
plus souvent avec l’acceptation de la marchandise, mais pas nécessairement. Le destinataire, en
tant que partie au contrat de transport, et non comme ayant-cause du chargeur, peut donc se
prévaloir du contrat conclu entre le chargeur et le transporteur 778 ; à l'inverse, le transporteur peut
en faire valoir toutes les clauses contre lui.
Il ne suffirait pas pour l'expliquer d'observer que le connaissement rend son porteur propriétaire
des marchandises, car le contrat de transport ne peut pas être invoqué par le propriétaire des
marchandises, en tant que tel. La jurisprudence l'a souvent jugé, avec raison, compte tenu de
l’indépendance de la vente et du transport : le contrat de transport fait naître une créance contre le
transporteur, et il s'agit de savoir qui est créancier de l'obligation de livraison dont le transporteur
est le débiteur ; il ne s'agit pas de la propriété des marchandises, ni de déterminer leur
propriétaire. En outre, le connaissement ne saurait attribuer une quelconque qualité pour agir,
comme la jurisprudence Mercandia l’a parfaitement reconnu (v. ss 763)779.

§12. Delivery order

La délivrance ne se fait pas toujours à une seule personne. Quand il s'agit d'un envoi important, il
arrive que le réceptionnaire l'ait vendu en plusieurs lots avant de prendre livraison. En pareil cas,

775
 F. Berlingieri, The period of responsibility and the basis of liability of the carrier, in Diritto Marittimo, 1993.
925.
776
Le destinataire, tiers ou partie au contrat de transport, D. 1995. 189. Sur l’identification du destinataire, v. Com.
29 avr. 2003, DMF 2004, HS 8, n° 81.
777
C’était la thèse du doyen Rodière.
778
 Lorsque le fret est coté bord et a été payé d'avance, le destinataire n'est tenu que des frais de désarrimage et de
déchargement, à l'exception d'une surtaxe portuaire propre au port de Marseille, même si la mention «  (SPM)
payable à destination » figure sur le connaissement signé par le chargeur (Aix-en-Provence, 22 avr. 1983, BT
1984.191, et sur pourvoi, Com. 19 déc. 1983, BT 1984.445). Au surplus les décisions précitées mettent en question la
validité de cette majoration dans les circonstances où elle est intervenue ; v. dans le même sens, Aix-en-Provence,
18 févr. 1983 et sur pourvoi, Com. 5 févr. 1985, DMF 1985. 559. Sur les hypothèses où ce n'est pas le destinataire tel
qu'il est déterminé par le connaissement, mais la personne mentionnée dans la clause « notify » qui a été livrée par
erreur et sans présentation de connaissement, par un organisme d'État ayant le monopole des tâches de manutention
et d'acconage, sur la clause du connaissement prévue pour ce cas où la livraison est effectuée par un organisme
public et monopolistique, et sur la supériorité, en pareille circonstance, du crédit documentaire sur le paiement
comptant contre documents, v. obs Achard, DMF 1986. 170 s. sous trois arrêts : Aix-en-Provence 6 sept. 1984, DMF
1986. 157 ; Aix-en-Provence 3 oct. 1984, DMF 1986. 160 et Paris 11 janv. 1985, DMF 1986. 166.
Le notify n’a pas la qualité de destinataire : Com. 3 déc. 2013, BTL 2014. 33.
779
Comp. Ch. Paulin, Le destinataire et le connaissement de transport maritime, Mélanges Scapel, p. 307.
215
il peut soit en prendre livraison lui-même et procéder ensuite à la distribution entre ses divers
acquéreurs, soit faire éclater le connaissement en remettant, ou plutôt en faisant remettre à ses
divers acquéreurs, des bons d'enlèvement partiel. C'est la pratique des delivery orders780.

Le delivery order est une coupure du connaissement et constitue un titre représentatif de la


marchandise lorsqu'il est signé ou contresigné par le capitaine ou un autre représentant du
transporteur. Aussi donne-t-il droit à son porteur d'agir en réclamation ou en dommages-intérêts
contre le transporteur, d'agir directement et non par l'intermédiaire d'un recours préalable contre
celui qui a émis le delivery order 781. Il est établi à ordre, comme l'est généralement le
connaissement lui-même. En pratique il est très utilisé, et peut l'être non seulement pour les lots
de marchandises fongibles entre elles (un connaissement couvrant 200 sacs de café, éclaté entre
quatre porteurs), mais aussi pour des lots non homogènes. En effet, il suffit que les marchandises
puissent être distinguées les unes des autres, par des marques différentes par exemple, pour que
l'identification de l'objet du delivery order soit elle-même possible782.
Le delivery order précise lui-même qu'il ne fait pas novation aux clauses du connaissement en
échange duquel il est délivré. Les rapports du porteur du delivery order avec l'armateur seront
régis par ce connaissement comme l'étaient les relations de l'armateur avec le porteur du
connaissement.

780
 Un delivery order se présente ainsi : « Au capitaine du… ou à son représentant à… Veuillez délivrer à… ou à
son ordre, contre paiement s'il y a lieu, du fret et des frais indiqués et remise du présent delivery order les
marchandises suivantes faisant partie des marchandises couvertes par le connaissement n°… ex-navire… émis le…
à… pour (tant de colis ou de tonnes de marchandises), à destination de… et comportant les réserves suivantes… ».
781
T. com. Nantes 16 oct. 1975, DMF 1976. 306.
782
Si tel n’est pas le cas, le connaissement s’efforce de proposer une solution : « If the carrier is required to deliver
the goods to more than one merchant and if all or part of the total goods within the container consists of bulk goods
or inappropriate goods or is or becomes mixed or unmarked or unidentifiable, the holders of bills of lading relating
to goods within the container shall take delivery thereof (including any damaged portion) and bear any shortage in
such proportions as the carrier shall in its absolute discretion determine, and such delivery shall constitute due
delivery hereunder ».
216
CHAPITRE 4
EXÉCUTION ET INEXÉCUTION DU CONTRAT

Le contrat de transport doit être exécuté conformément aux prévisions des parties. Elles sont
généralement précises quant au temps, au lieu ou encore aux circonstances. Si besoin était, il faut
cependant se référer aux prescriptions du droit des obligations. La théorie du paiement (C. civ.,
art. 1235 s.) s’applique sans réserve, si du moins le droit français est en cause. Au demeurant,
tous les mécanismes du droit des obligations sont mis à l’épreuve 783. Il ne faut pas oublier, non
plus, les exigences de la bonne foi contractuelle.784

En cas d’inexécution ou de mauvaise exécution par l’une ou l’autre partie au contrat de transport
de ses obligations, des sanctions s’imposent. Ce sont d’abord les sanctions prévues par les parties
elles-mêmes – clause pénale, clause résolutoire… - qui doivent être appliquées. Ce sont ensuite,
et si les parties n’ont rien prévu, les sanctions prévues par le droit commun qui dicteront aux
parties leurs nouvelles obligations : payer des dommages-intérêts, restituer ce qui a été reçu
indûment ou encore accomplir effectivement les prestations promises.
Précisément, il est permis de se demander si le transporteur défaillant – le transporteur qui
oublierait de prendre en charge tel conteneur – pourrait être condamné à exécuter le contrat. La
jurisprudence ne l’exclut pas. N’a-t-elle pas condamné une compagnie maritime à rembourser à
un chargeur les frais d’un transport aérien de substitution, la compagnie n’ayant pu ou voulu
acheminer un conteneur785. La solution s’inscrit dans le droit fil du droit commun786.

Le contrat de transport en tant que contrat synallagmatique est susceptible de résolution, en cas
de manquement par l’une des parties à ses obligations. Les textes prévoient par ailleurs une série
de situations où la résolution s’impose787. En droit français, la résolution est en principe
judiciaire. Cette solution est cependant très rigide et elle a précisément connu des
assouplissements. C’est ainsi que le contrat peut être résilié unilatéralement lorsque l’une des
parties a commis une faute grave rendant impossible la poursuite des relations contractuelles.
Cette résiliation se fait aux risques et périls de celui qui en prend l’initiative. Elle se conçoit que
le contrat soit à durée déterminée ou indéterminée. Il est permis de se demander s’il est possible
d’aller encore plus loin et de consacrer ce que les Anglais appellent l’« anticipatory breach »,788
c’est-à-dire le droit de résilier le contrat lorsque l’on est pratiquement sûr qu’il ne pourra plus être
exécuté. On rappellera par ailleurs que la pratique du laissé pour compte est depuis longtemps

783
J. Ha Ngoc, Les contrats maritimes, thèse Paris I, 2009 ; Delebecque, Droit maritime et régime général des
obligations, DMF 2005. 785.
784
v. MM. Bonassies et Scapel, n° 1007 ; égal. Delebecque, Gazette CAMP, n° 15, Editorial.
785
Com. 27 mai 2003, navire Jiffar DMF 2003. 854 et les obs., BTL 2003. 408.
786
Civ. 1re, 16 janv. 2007, Bull. civ. I, n° 19 ; égal. Civ. 3e, 11 mai 2005, Bull. civ. III, n° 103.
787
Art. D. 5422-1 : « le contrat est résolu si, par cas de force majeure, le départ du navire qui devait effectuer le
transport est empêché ou retardé d’une manière telle que le transport ne puisse se faire utilement pour le chargeur et
sans risque d’engager sa responsabilité pour le transporteur. En ce cas, la résolution a lieu sans dommages-intérêts de
part ni d’autre » ;
art. D. 5422-2 : « si le même effet est produit par la faute du transporteur, le contrat peut être résolu à la demande
du chargeur ou de son ayant droit. Celui-ci a droit à des dommages-intérêts d’après le préjudice qu’il subit. Le
montant ne peut en excéder le (montant fixé en application de la limitation de responsabilité du transporteur). »
788
Pour ou contre l’anticipatory breach, Gazette CAMP, n° 19 ; égal. Y. Tassel, Gazette CAMP, n° 30.
217
admise.789 Il y a là une faculté de résiliation unilatérale reconnue aux intérêts cargaison qui
consiste à abandonner au transporteur la marchandise très gravement endommagée pour obtenir
en contrepartie l’intégralité de sa valeur.

On ajoutera que la théorie des risques qui répond à la question de savoir qui, en cas d’inexécution
du contrat due à un cas de force majeure, en supporte les conséquences financières, est réglée par
le droit commun et par la règle « res perit debitori » : la charge des risques pèse donc sur le
transporteur, débiteur de l’obligation inexécutée. Le transporteur perd donc dans ce genre de
situation sa créance de fret. Cette règle est cependant supplétive ; elle est le plus souvent
aménagée par les parties (cf. clause de fret acquis à tout événement, v. ss 719).

La responsabilité contractuelle est engagée en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution par le


transporteur de ses obligations. Tel est le cas en cas de pertes et d’avaries, mais également de non
livraison ou encore de retard. Toutefois, le droit des transports ne règle pas de la même façon les
pertes, les avaries, le retard et les autres préjudices. Il se préoccupe essentiellement des pertes et
des avaries (des dommages subis par la marchandise) et accessoirement du retard. Les autres
préjudices sont donc réglés en application du droit commun tel qu’il est défini par la loi régissant
le contrat. Les conditions générales ne manquent pas de rappeler les termes de la responsabilité
propre au transport790.
On développera ci-après les différents aspects de la responsabilité contractuelle du transporteur.
Après l’exposé du principe et des caractères de cette responsabilité, seront précisées les règles sur
la mise et jeu de la responsabilité et sur la réparation, avant de traiter les questions de procédure
ou de quasi procédure portant sur l’action en responsabilité.

SECTION 1. PRINCIPE ET CARACTÈRES DE LA RESPONSABILITÉ DU


TRANSPORTEUR

§1. Responsabilité du transporteur791

789
Com. 8 oct. 1996, DMF 1997, HS 1, n° 90, D. 1996. IR 236.
790
« When loss or damage has occurred between the time of loading of the goods by the carrier, or any underlying
carrier, at the port of loading and the time of discharge by the carrier, or any underlying carrier, at the port of
discharge, the responsibility of the carrier shall be determined in accordance with the Hague Rules or any national
law incorporating or making the Hague Rules, or any amendments thereto, compulsorily applicable to this bill of
lading. The carrier shall be under no liability whatsoever for loss of or damage to the goods, howsoever occurring,
if such loss or damage arises prior to loading on to or subsequent to the discharge from the vessel carrying the
goods. Notwithstanding the foregoing, where any applicable compulsory law provides to the contrary, the carrier
shall have the benefit of every right, defence, limitation and liberty in the Hague Rules as applied by this clause
during such additional compulsory period of responsibility, notwithstanding that the loss or damage did not occur at
sea ».
791
 Outre les auteurs français précités, v. M. Pourcelet, Le transport maritime sous connaissement, Droits canadien,
américain et anglais, Les presses de l'Université de Montréal, 1972 ; Scrutton on Charterparties and Bills of Lading,
19e éd., par Sir Alan Abraham Mocatta, Sir Michaël Mustill et Stewart C. Boyd, Londres, Sweet and Maxwell ; W.
Tetley, Marine Cargo Claims, Toronto (Canada), éd. Butterworths, 3 e éd., 1987 ; égal. Von Ziegler et Delebecque,
Le droit international des transports maritimes, Académie de La Haye, éd. Martinus Publishers, 1999.
218
La convention établit, comme notre loi interne, un système impératif de responsabilité 792. Elle
pose le principe que « le transporteur sera tenu, avant et au début du voyage, d'exercer une
diligence raisonnable » pour mettre le navire en bon état de navigabilité, l'armer, l'équiper et
l'approvisionner et, pour mettre en état convenable les lieux où la marchandise sera entreposée
(cales, magasins, chambres frigorifiques…) (art. 3, n° 1). La due diligence – la diligence requise -
est celle du bon armateur diligent et professionnel. Le standard visé est celui du bon
professionnel. Si le transporteur y a satisfait, il ne sera pas responsable des pertes dues à un état
d'innavigabilité survenant postérieurement (art. 4. 1°). C'est du reste au transporteur de faire la
preuve qu'il y a satisfait (même texte, in fine).
La Convention de Bruxelles, en posant ces règles de fond et de preuve, n'est pas éloignée de notre
loi qui a maintenu, conformément à nos traditions, le principe d'une présomption de
responsabilité à la charge du transporteur. La différence est surtout dans la présentation qui
répond, dans l'une et l'autre, aux génies juridiques français et anglais.
La convention énumère 17 cas exceptés793. La liste correspond à peu près à celle de notre loi. Ici
encore ce sont les techniques des systèmes continentaux et de common law qui s'affrontent, mais
les différences sont peu importantes. Ainsi la convention énumère l'acte de Dieu, les faits de
guerre, les faits d'ennemis publics, l'arrêt ou contrainte du prince, la restriction de quarantaine
comme des cas exceptés, alors que nous les groupons sous l'appellation de « cas fortuit ou de
force majeure » dans la loi de 1936 et « faits non imputables au transporteur » dans la loi de
1966. Cependant, il y a cette différence qu'en droit français (sauf la grève et l'incendie), aucun
événement n'est en soi un cas fortuit ou de force majeure, qu'il faut donc dans le système français
de la loi de 1936, prouver que l'événement en a bien les caractères, et dans la loi de 1966 prouver
que l'événement constituant le dommage est dû à un fait non imputable au transporteur, tandis
que dans la convention, la preuve qu'il y a eu « fait de guerre » ou « arrêt du prince » suffit à
libérer le transporteur794. De ce fait, la loi française reste peut-être un peu plus sévère que la
convention pour les transporteurs795.

§2. Nature et caractères de la responsabilité 

792
 Le transporteur ne peut s'exonérer à l'avance de sa responsabilité, même pour des marchandises périssables :
Com. 6 nov. 1979, Bull. civ. IV, n° 275 ; Com. 13 févr. 1978, Bull. civ. IV, n° 62.
793
 Com. 27 mai 1975, Bull. civ. IV, n° 140. Ne constituent pas un cas excepté les difficultés de déchargement
existant dans un port dès lors qu'elles sont connues du transporteur maritime (Com. 6 nov. 1979, 2 espèces, Bull.
civ. IV, n° 274 et n° 276). Pour un calage inapproprié des marchandises à l'intérieur du conteneur transporté, v. Com.
27 mars 1973, Bull. civ. IV, n° 140. Pour un ex. de vice caché et de faute nautique, v. CAMP, sentence du
1er juin 1990 (Second degré).
794
 Cf. Com. 20 févr. 1990 (Bull. civ. IV, n° 51 : « celui qui invoque et établit l'un des cas d'irresponsabilité
énumérés à l'art. 4-2 g de la Convention de Bruxelles, tel « La contrainte du prince, de l'autorité ou du peuple », n'a
pas à prouver que ce cas revêt les caractères de la force majeure ».
Le fait que le conteneur avant le chargement par les autorités de l'administration dominicaine au port
d'embarquement a conduit à l'endommagement et au chapardage des marchandises permet au transporteur d'invoquer
la contrainte du prince, puisqu'il n'avait pas accès au conteneur pendant qu'il était sous la détention des autorités
dominicaines (U.S. District Court, Southern District of New-York, 28 juillet 1986, Bull. Unidroit, janv./avr. 1990,
n° 81/82, p. 20).
795
 V. aussi sur la notion de fortune de mer, Paris, 2 févr. 1971, DMF 1971. 222, obs. Rodière ; Paris, 23 nov. 1983,
BT 1984.86, note P.B. ; le transporteur qui prouve l'existence de la fortune de mer n'a pas à établir en outre qu'il avait
apporté une diligence raisonnable à l'arrimage des fûts, le désarrimage ayant été provoqué par le mauvais temps
(Com. 2 avr. 1974, Bull. civ. IV, n° 120).
219
La loi de 1966 a conçu la responsabilité du transporteur maritime de marchandises comme une
responsabilité de plein droit. La convention internationale est dans le même sens 796. Le
transporteur est donc ipso facto responsable dès l’instant qu’un dommage est prouvé et que ce
dommage est survenu en cours de transport 797. Il lui appartient de se libérer de sa responsabilité
en établissant que tel ou tel cas excepté est à l’origine du dommage : la balle est alors de nouveau
dans le camp du demandeur, à charge pour lui de démontrer que le dommage provient d’une autre
cause ou que le dommage résulte d’une faute du transporteur. S’il n’y parvient pas, si la cause du
dommage est inconnue, le transporteur reste responsable. Le système de la convention
internationale est le même.
La loi a, en outre, édicté des règles impératives. L’article L. 5422-15 annule toute clause ayant
directement ou indirectement pour objet de soustraire le transporteur à la responsabilité que le
droit commun ou la loi mettent à sa charge ou de renverser le fardeau de la preuve tel qu'il résulte
de cette loi798. La convention dit la même chose (art. 3.8).
Ces règles impératives s'appliquent inéluctablement à toute la période qui va depuis la prise en
charge de la marchandise par le transporteur jusqu'à sa livraison à l'ayant droit. Ce principe
fondamental, qui résulte de l'article L. 5422-12, éclairé par l'article D. 5422-8, est contraire au
régime antérieur. La loi française a supprimé tout sectionnement légal. Elle ne laisse à la liberté
des parties que la faculté de retarder la prise en charge jusqu'au début du chargement de la
marchandise ou de stipuler que la marchandise sera livrée dès sa mise à terre ; le transporteur ne
peut pas retarder davantage le moment de la prise en charge, ni anticiper davantage la livraison de
la marchandise799.

§3. Exceptions

Cependant, ce caractère impératif s'efface d'abord dans deux cas : pour les transports des
marchandises régulièrement chargées sur le pont par application de l'art. L. 5422-7, sauf s'il s'agit
de conteneurs chargés à bord de navires appropriés, et pour les transports d'animaux vivants (art.
5422-16). Pour les transports en pontée, la règle s'explique parce que le fret payé serait moins
élevé, de sorte que la clause favorable à l'armateur se présente comme une compensation de
l'avantage économique que le chargeur trouve et prend à ses risques. Cette explication est
cependant bien théorique quand, ce qui est courant, le connaissement donne au capitaine la
faculté de charger en pontée, sans pour autant diminuer le fret dû par la marchandise. En pareil
cas, le chargement en pontée est régulier et la clause produit son effet en ce sens que, s'il y a une
relation entre le dommage subi et ce mode de chargement, le transporteur n'est pas responsable.
Dans la convention, la pontée autorise aussi des exclusions de responsabilité (v. ss 696). De
même en est-il pour les transports exceptionnels (art. 6).

796
Com. 10 juill. 2001, DMF 2002. 247, obs. P.-Y. Nicolas.
797
V. a contrario, Com. 4 mars 2014, BTL 2014. 175.
798
 Com. 22 juin 1981, Bull. civ. IV, n° 288 ; Com. 13 févr. 1978, Bull. civ. IV, n° 62 ; rappr. Com. 18 avr. 1989,
Bull. civ. IV, n° 127 ; Com. 14 oct. 2008, DMF 2008. 1034 et les obs. v. égal. en cas de mise à disposition d’un
conteneur, Rouen 28 févr. 2002, DMF 2003, HS 7, n° 79, obs. P. Bonassies, relevant que la clause portait davantage
sur les obligations et non sur la responsabilité, d’où un doute sur la nullité de la clause  ; sur ce point, v. plus général.
Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse Aix-Marseille 1981.
799
 Voy. Rodière, Traité, Affrètements et transports, tome 2, n°s 589-590 ; Com. 19 janv. 1976, DMF 1976. 488 ;
Aix-en-Provence, 15 mai 1971, Scapel, 1979-29 ; Com. 19 mars 1985, JCP 1985.IV.198. Delebecque, thèse préc.
220
En outre, mais cela est moins une véritable exception qu'une limite au domaine du caractère
impératif des règles légales, les parties sont libres de ne pas s’engager en cas de retard 800 et
stipuler la non-responsabilité du transporteur ou de fixer la limite de réparation – calculé
généralement sur le fret payé - qu'il devra en cas de retard801. Il ne faudrait pas, du reste, que la
non-responsabilité en cas de retard aboutît à ce que le transporteur ne s'engageât pas à transporter.
Enfin, les clauses de libertés qui ne jouent que sur les obligations des parties restent parfaitement
valables802. De même, rien ne s’oppose à ce que les parties aménagent leur responsabilité pour
des faits antérieurs au chargement ou postérieurs au déchargement (conv. art. 7) ou encore
antérieurs à la prise en charge ou postérieurs à la livraison (régime interne).

§4. Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle 

Le transporteur est souvent l’objet d’actions délictuelles,803 émanant de tiers ou même des
intérêts cargaison invoquant un manquement autre que contractuel. Ces actions sont aujourd’hui
très justement cantonnées et ne permettent plus de tourner le statut du transporteur, du moins s’il
s’agit du transporteur contractuel (v. ss 726). La convention le dit clairement (art. 4 bis. 1 : « les
exonérations et limitations prévues sont applicables à toute action contre le transporteur en
réparation de pertes ou dommages à des marchandises faisant l’objet du contrat de transport, que
l’action soit fondée sur la responsabilité contractuelle ou sur une responsabilité extra
contractuelle »). Le droit interne est dans le même sens (art. L. 5422-18, al. 3) 804. Dans les
connaissements, il est stipulé que le chargeur garantit le transporteur contre les actions qui
pourraient être engagées par des tiers805.

800
« The carrier does not undertake that the goods shall arrive at the port of discharge or place of delivery at any
particular time or to meet any particular market or use and the carrier shall in no circumstances whatsoever, and
however arising be liable for direct, indirect or consequential loss or damage caused by delay. If notwithstanding
the foregoing the carrier is held responsible of any delay, it is hereby expressly agreed that the carrier’s liability
shall be limited to the ocean freight paid under the bill of lading for the delayed goods, exclusive of local charges
and/or demurrage ».
801
 En revanche, sous l'empire de la Convention de Bruxelles, qui est rédigée différemment, le transporteur est
déclaré responsable du retard et par conséquent la limitation de réparation prévue par la Convention s'applique en cas
de retard (Paris, 4 déc. 1987, DMF 1989. 113, obs R. Achard ; Bonassies, Le droit positif en 1988, DMF 1989, n° 87,
p. 162 s.) ; le transporteur maritime ne peut stipuler ni une clause de non-responsabilité ni une clause fixant la limite
de réparation à un montant inférieur à celui qui résulte de la Convention de Bruxelles (Paris 20 avr. 1982, BT 1983.
369. Cass. 25 oct. 1982, BT 1983. 13. V. dans le même sens, pour le Royaume-Uni, Chambre des Lords, décisions
citées par du Pontavice et P. Cordier, Transport et affrètement maritimes, op. cit., p. I.4 et notes 18 et 19) ; la clause
d’exonération en cas de retard ne s’applique pas en cas d’avaries consécutives à un retard : Com. 19 mars 2002, n°
99-21.177. v. Racine, Le retard dans le transport maritime de marchandises, RTD com. 2003. 223. Laazizi, M. Le
retard à la livraison et la responsabilité du transporteur international de marchandises par mer, in Annuaire de droit
maritime et aéro-spatial, 12 (1993), 325.
802
v. Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse Aix-Marseille 1981. Réserve
étant faite, naturellement, des situations dans lesquelles les obligations du transporteur sont impératives : Com. 30
nov. 2010, DMF 2011. 261 et les obs.
803
Delebecque, la diversification des actions en responsabilité contre le transporteur maritime de marchandises,
Mélanges Scapel, 2013, p. 167.
804
v. par ex. Aix-en-Provence 14 mai 2004, DMF 2005. 322, obs. Cachard ; Aix-en-Provence 28 nov. 2013, BTL
2013. 722.
805
« The merchant further undertakes that no claim or allegation in respect of the goods shall be made against the
carrier by any person other than in accordance with the terms and conditions of the bill of lading which imposes or
attempts to impose upon the carrier any liability whatsoever in connection with the goods or the carriage of the
goods, whether or not arising out of negligence on the part of the carrier and, if any such claim or allegation should
nevertheless be made, to indemnify the carrier against all consequences thereof ».
221
Il faut ajouter que le système de responsabilité tel qu’il est organisé par les textes bénéficie non
seulement au transporteur lui-même, mais aussi à ses préposés et agents, sauf faute intentionnelle
ou inexcusable (art. L. 5422-14 ; Conv. art. 4 bis. 2). C’est la généralisation de la fameuse clause
« Himalaya ».

Une autre question est de savoir si les intérêts cargaison peuvent rechercher la responsabilité
délictuelle de l’armateur propriétaire du navire en raison de la faute qu’il aurait pu commettre,
cette responsabilité échappant aux règles du transport maritime. Les tribunaux commencent
l’admettre, sans que l’on sache exactement sur quel fondement 806. Sans doute faut-il y voir une
application de la théorie du transporteur de fait (v. ss 726). Les Règles de Rotterdam qui
soumettent la partie exécutante maritime au même régime que le transporteur contractuel
apportent ici encore une réponse plus satisfaisante.

§ 1. Principe de responsabilité du transporteur

I.Responsabilité de plein droit

Le principe de responsabilité du transporteur maritime est posé dans l'article L. 5422-12 in


principio : « Le transporteur est responsable des pertes ou dommages subis par la
marchandise »807.
C'est au transporteur qu'incombe la preuve contraire808, mais cette preuve contraire lui est
facilitée. Les causes d'exonération prévues par la loi elle-même sont plus nombreuses que pour
les transporteurs terrestres. Toutefois, il importe de souligner que, aussi bien dans la loi de 1966
que dans la Convention de Bruxelles, le « catalogue » des « cas exceptés » ne représente pas une
liste de causes d'exonération de la responsabilité du transporteur maritime comme on le croit ou
comme on l'écrit trop souvent. Les textes établissent clairement qu’il s’agit d’un simple système
de libération du transporteur maritime quant à sa responsabilité ; même si le transporteur établit
que le dommage tient à l'une des causes énumérées de la sorte, les ayants-droits à la marchandise
conservent la faculté de prouver « néanmoins, dans ces cas… que les pertes ou dommages sont
dus, en tout ou en partie, à une faute du transporteur ou de ses préposés, autre que la faute  »
nautique (art. L. 5422-12). Or, cette preuve est faite plus fréquemment qu'on peut le penser, car la
plupart du temps le procès est intenté non par l'ayant-droit à la marchandise, qui est réglé par son
assureur facultés, mais par l'assureur lui-même, ainsi subrogé dans les droits de son client et
ayant professionnellement des moyens d'investigation et une connaissance du droit et de la
pratique maritimes que n'a pas le chargeur ordinaire809.

806
Aix-en-Provence 26 oct. 2006, DMF 2007. 539.
807
 Sur la preuve des pertes et dommages, v. pour les réserves à prendre en cas de manquants (perte partielle) ou de
dommages, v. ss 768 ; v. aussi sur la position du transporteur maritime, Paris, 16 janv 1985, DMF 1986. 297 ; Paris
16 oct.1985, DMF 1986. 309 (I) ; l'existence de manquants au déchargement du navire résulte suffisamment de ce
que l'état de la marchandise a été contradictoirement constaté entre le bord et un représentant de la marchandise au
moment de la réception : Com. 10 mai 1984, Bull. civ. IV, n° 153.
808
v. par ex. Com. 27 mai 1975, Bull. civ. IV, n° 140.
809
 C'est parce que cette possibilité qui existe pour l'ayant droit à la marchandise de faire la preuve de la faute du
transporteur, en dépit de la preuve préalable d'un cas excepté, est, de façon inexplicable passée sous silence la plupart
du temps alors que les textes sont clairs et que l'application en est courante, que les « cas exceptés » de la Convention
de Bruxelles ont été présentés de façon caricaturale comme s'ils étaient de véritables causes d'exonération de la
222
Le transporteur maritime cesse d'être responsable s'il prouve que le dommage subi par la
marchandise provient de l'une des causes énumérées par l'article L. 5422-12810. Il n'est pas
nécessaire qu'il établisse en outre ses diligences 811. En revanche, il doit établir de façon topique
que le dommage tient à l'un des cas exceptés qu'énonce la loi ; il ne lui suffit pas de montrer par
des motifs hypothétiques que la perte ou l'avarie ne saurait s'expliquer autrement que par l'une de
ces causes ; il doit en faire la preuve positive ; cette règle trouve en particulier son application
dans les cas où le transporteur tente d'expliquer que le dommage ne peut provenir que du vice
propre de la chose812. En d'autres termes, il faut redire que les dommages d'origine inconnue
restent à la charge du transporteur813.

Il faut encore préciser que la responsabilité du transporteur telle qu’elle est organisée par les
textes ne couvre pas tous les dommages : la loi française vise les pertes ou dommages subis par la
marchandise, si bien que les dommages qui ne sont pas subis par la marchandise seront réparés
dans les conditions du droit commun et non pas du droit des transports 814. La convention est plus
ouverte : elle s’applique aux « pertes et dommages », sans autre précision (art. 4) ; la limitation
s’applique cependant aux « pertes ou dommages des marchandises ou concernant celles-ci ». Ces
imprécisions sont souvent source de difficultés, difficultés que les Règles de Rotterdam ont
précisément résolues, notamment en étendant le champ de la limitation de responsabilité à tous
les manquements contractuels.
La loi de 1966 s'est rapprochée de la Convention de 1924 sur les deux points où la loi de 1936
s'en écartait : 1. en prévoyant l'incidence de l'innavigabilité dans les mêmes termes que cette
convention ; 2. en ajoutant l'incendie aux causes légales automatiques d'exonération de la
présomption de responsabilité du transporteur. Elle s’en démarque sur un point, en ce sens que la
loi française évoque la faute du chargeur, sans parler de la faute du destinataire, alors que la
convention sur cette question est plus ouverte815.

§ 2. Limites : la théorie des « cas exceptés »

I.Causes de libération.

Les causes de renversement de la présomption de responsabilité « ou cas exceptés » sont


nombreuses816. La charge de leur preuve pèse sur le transporteur817. Ces causes de libération
correspondent aux situations très concrètes auxquelles sont exposés les armateurs. Il aurait été
possible de les synthétiser, mais c’eût été sans doute les appauvrir et occulter certaines nuances
qui ont leur importance dans le contentieux maritime. Au demeurant, s’il est vrai que le système
responsabilité et ont été supprimés sauf deux d'entre eux dans la Convention de Hambourg de 1978 ( v. ss 684). V.
sur ce point, du Pontavice et P. Cordier, Transport et affrètement maritimes, p. I.25.
810
 Les juges du fond doivent, par une motivation précise, mettre à même la Cour de cassation d'exercer son contrôle
sur l'existence d'un cas excepté allégué (Com. 15 oct. 1974, Bull. civ. IV, n° 249.
811
 Com. 2 avr. 1974, BTL 1974. 369.
812
Com. 4 déc. 1962, DMF 1963. 145 ; 26 févr. 1963, DMF 1963. 334.
813
 Le transporteur doit, en outre, prouver que la totalité des dommages subis par la marchandise résulte du cas
excepté. Il n'est en effet libéré de sa responsabilité que dans la limite des dommages résultant directement du cas
excepté lui-même (Sentence CAMP 10 juin 1986).
814
MM. Bonassies et Scapel, n° 1069.
815
V. Com. 15 nov. 2005, BTL 2005. 351, DMF 2006. 146, obs. Tassel, RTD com. 2006, 250 et les obs.,
considérant qu’en droit interne la faute du destinataire n’était pas un cas excepté de responsabilité.
816
V. Quarante ans d’application des cas exceptés de responsabilité des Règles de La Haye, Visby, DMF 2005. 908.
817
Le transporteur peut rapporter cette preuve contre le chargeur et contre tous les tiers porteurs du connaissement.
223
est, prima facie, plutôt favorable aux armateurs, la jurisprudence a su faire évoluer certains
concepts et repenser même certaines qualifications.
Les progrès de l'expertise, depuis de nombreuses années, sont considérables, et par conséquent,
les tribunaux sont en mesure de se persuader de la cause réelle d'accident ou en tout cas d'écarter
le cas excepté qui s’oppose à la condamnation du transporteur. Il sera facile aux tribunaux de
prouver que l'accident est dû à la faute personnelle, et de la sorte, il y aura bien libération pour tel
ou tel cas excepté, mais il y aura, aussi, une responsabilité pour faute prouvée.
Ainsi sera-t-il possible d'invoquer la négligence du transporteur, à surveiller efficacement
l'équipage, lorsque l'accident né de l'incendie sera invoqué par le transporteur comme un cas
excepté ; il sera facile au tribunal de prouver que le transporteur a eu connaissance de la faute
d'un marin, par exemple, en ne faisant pas réparer un câble. Autrement dit, la première faute du
marin aurait dû susciter une réaction de réparation du vice par le transporteur, et faute d'avoir
réparé le vice, en connaissance de cause, il sera condamné si, par la suite, le câble, qui aurait dû
être remplacé, entraîne ultérieurement l'incendie de la cale du navire où il se trouve.
C'est le cas aussi de l'incendie d'une cale, parce que les instruments dangereux qu'elle contient
n'ont pas été régulièrement surveillés par le capitaine, faute d'ordre de l'armateur à ce sujet. Il y
aura donc manquement à la « due diligence » envisagée au sens strict de diligence raisonnable,
indépendamment des perversions que la notion de « due diligence » a pu subir dans la
jurisprudence anglaise. Il faut prouver la faute de l'armateur, le privant du droit de faire état d’un
cas excepté : il est responsable et ne peut donc faire la preuve d'une indifférence choquante en sa
qualité de transporteur, faute pour lui d'avoir surveillé la conduite de l'équipage et d'avoir fait
attirer l'attention des hommes de l'équipage par le capitaine.
Autrement dit, les cas exceptés818, lorsqu’ils sont prouvés819 et lorsqu’il est établi qu’ils sont à
l’origine du dommage, ne libèrent pas définitivement le transporteur. L’effet du cas excepté peut
être neutralisé par la preuve d’une faute du transporteur. La question se pose alors de savoir si la
responsabilité du transporteur est totalement ou partiellement réintroduite.

II.Neutralisation du cas excepté

Quand le transporteur a établi que le dommage est dû à l'un des neuf cas énumérés ci-dessus, il
est a priori, libéré ou plus exactement, il est déchargé de la dette de responsabilité qui pèse sur
lui. La précision est nécessaire, car sa libération n'est pas nécessairement définitive. La loi ajoute
en effet que le chargeur ou son ayant droit peut « néanmoins faire la preuve que les pertes ou
dommages sont dus, en tout ou en partie, à une faute du transporteur ou de ses préposés », autre
qu'une faute nautique (art. L. 5422-12, in fine)820. Cette dernière précision s'explique puisque
justement la faute nautique libère le transporteur.

818
Ces cas ne se cumulent pas : le transporteur, en effet, ne peut se prévaloir au sujet des mêmes circonstances de
fait, du fait des ennemis publics et de l’absence de faute du transporteur ou de ses agents : Com. 14 févr. 1989, Bull.
civ. IV, n° 69, DMF 1989. 419, obs. Bonassies.
819
Sur l’importance de la preuve (pesant naturellement sur le transporteur), v. Com. 12 mars 2013, DMF 2013. 828,
obs. Le Borgne. L’absence de réserves n’interdit pas au transporteur d’établir que le dommage est dû à une cause de
nature à le libérer de sa responsabilité : Com. 3 mai 2006, n° 04-20.857 ; égal. Com. 22 févr. 1983, Bull. civ. IV, n°
71.
820
La convention ne prévoit ce système de neutralisation que pour certains cas exceptés, mais la doctrine et la
jurisprudence en ont, à juste titre, généralisé l’application, v. MM. Bonassies et Scapel, n° 1102 ; égal. décisions in
DMF 2011, HS 15, n° 100.
224
Cette possibilité de preuve contraire est importante en pratique. Elle explique la condamnation
partielle du transporteur qui, par exemple, a démontré la faute d'emballage du chargeur, celui-ci,
à son tour, prouvant que cette faute n'a eu une conséquence aussi grave que par suite de telle faute
commerciale d'arrimage. Ainsi, la preuve que le dommage peut être référé à l'un des cas exceptés
prévus par les textes ne clôt pas toujours le débat en faveur du transporteur821.
La doctrine822 a essayé de systématiser les effets de la faute du transporteur sur le jeu des cas
exceptés. Il faudrait distinguer selon la nature du cas excepté qui, sous le rapport de sa cause
efficiente, peut relever de la faute du chargeur, du fait d’un tiers ou du fait du transporteur. Il est
alors logique de soutenir qu’en cas de cumul entre un cas excepté tenant à une faute du chargeur
et une faute du transporteur, la responsabilité doit être finalement partagée. En revanche, lorsque
l’on se trouve dans des situations de non faute (force majeure…) contre faute, aucune
neutralisation partielle ne serait concevable. La faute du transporteur absorbe l’entière causalité.
La jurisprudence reste ici plutôt pragmatique, refusant un certain esprit de système, ce qui ne veut
pas dire qu’elle n’ait pas montré une certaine inclinaison en faveur de la thèse proposée823.
Les Règles de Rotterdam ont opté pour un système différent, en un sens plus brutal, reposant sur
la causalité (v. ss 782).
1. Innavigabilité du navire

À l'imitation de la convention internationale, la loi de 1966 précise que le transporteur se libère


s'il établit que le dommage survenu à la cargaison tient à l'innavigabilité du navire, si du moins il
montre en même temps qu'il avait satisfait à son obligation fondamentale de mettre le navire en
état, de l'approvisionner, de l'armer, de l'équiper et d'approprier et mettre en bon état les parties
du navire où les marchandises devaient être chargées (art. L. 5422-6)824.
Pour se rapprocher de la Convention de 1924, la loi de 1966 a dû participer de l'ambiguïté du
droit anglais qui avait inspiré cette convention. En effet, le transporteur va se libérer par la double
preuve d'un fait (l'innavigabilité de son bâtiment) qui, en soi, ne devrait avoir aucune influence
sur sa responsabilité si celle-ci doit sanctionner une obligation de résultat, et des diligences qu'il
aura manifestées, ce qui confirme que son obligation de transporter la cargaison entre plutôt dans
la catégorie des obligations de moyens. Cependant, cette idée n'est pas décisive, d’abord parce
que l'article L. 5422-12 commence par poser la règle qui exprime généralement la violation d'une
obligation de résultat, ensuite parce que les autres causes de libération cadrent bien avec la
construction d'une obligation de résultat. Celle-ci domine notre loi mais n'en rend pas entièrement
compte.

821
 Montpellier 9 févr. 1966, DMF 1966. 673. En cas de cumul de causes : force majeure et faute du transporteur,
sans qu'il soit possible de privilégier l'une des causes sur l'autre, la Chambre arbitrale maritime de Paris a imputé la
responsabilité des dommages pour moitié à la force majeure et pour moitié à la faute du transporteur (sentence du
5 juillet 1990).
822
Cf. Sériaux, La faute du transporteur, 2e éd., économica, préf. Bonassies, n° 258.
823
Sentence CAMP. n° 971, 24 oct. 1997, DMF 1998, HS 2, n° 111 ; Com. 7 juill. 1998, DMF 1998. 826, Rémery,
obs. Bonassies ; Com. 20 janv. 1998, Bull. civ. IV, n° 37, DMF 1998. 578, et les obs. : dès lors que la faute du
transporteur n’a fait qu’aggraver les conséquences du vice propre de la marchandise, le transporteur n’encourt
qu’une condamnation partielle ; égal. Com. 28 juin 2011, DMF 2011. 446, rapp. Potocki, obs. Nicolas. – plus
général. M. Follin et O. Raison, La pluralité des causes en droit maritime, DMF 2012. 3.
824
 Hamdalla Mohamed, La navigabilité du navire (contrats d'affrètement, de transport et d'assurance maritime),
thèse Montpellier I, 1986, dactyl. Ni l'abordage en lui-même, ni l'innavigabilité consécutive à un tel événement ne
constituent un cas excepté : Com. 14 févr. 1983, Bull. civ. IV, n° 57, Rev. crit. DIP 1984. 119, note Batiffol.
225
Les textes ne sont pas conçus de la même façon : dans la convention, l’innavigabilité ne se
présente pas véritablement comme un cas excepté mais plutôt comme une condition d’accès aux
cas exceptés. Les tribunaux, toutefois, ne semblent faire aucune différence et admettent que si le
navire est innavigable, le transporteur peut se libérer de sa responsabilité, dans la mesure où les
dommages survenus à la marchandise sont liés à cette circonstance et dans la mesure où le
transporteur est à même d’établir qu’il a accompli toutes les diligences que l’on peut attendre
d’un bon armateur pour mettre son navire en état de navigabilité825. Le cas excepté
d’innavigabilité se rapproche de celui tenant au vice caché du navire, mais ne s’y identifie pas,
l’innavigabilité étant un concept plus large que celui de vice caché.
2. Faute nautique

La faute nautique libère le transporteur, qu'elle ait été causé par le fait du capitaine, des marins,
du pilote ou des autres préposés du transporteur.
Tant que les armateurs avaient eu la sagesse de ne stipuler leur non responsabilité qu'en cas de
faute nautique de l'équipage, c'était une règle conventionnelle courante. Imitant le Harter Act, la
Convention de Bruxelles en a fait une règle légale. Notre loi l'a reçue à son tour. On doit mesurer
ce qu'elle présente d'avantage pour les armateurs, car suivant le droit commun (C. civ., art. 1797),
l'entrepreneur répond du fait des personnes qu'il emploie. On saisit l'esprit de la convention et de
notre loi qui ont admis, en faisant la part du feu, comme causes légales de renversement de la
présomption de responsabilité, des événements qui étaient considérés comme tels par la
convention des parties mais qui, de droit commun, n'auraient pas eu cette portée.
Le concept de faute nautique est d’un autre âge826 et c’est pourquoi, après de très nombreuses
discussions, les rédacteurs des Règles de Rotterdam n’ont pas souhaité le maintenir.
En droit positif, le point de savoir si l'on est en présence d'une faute « nautique » est souvent
discuté devant les tribunaux et les solutions de la jurisprudence n'ont pas été toujours cohérentes ;
il faut dire qu’elles dépendent largement des circonstances de fait827.
La règle s'exprime dans le texte anglais de la Convention de Bruxelles de la manière suivante : le
transporteur est libéré lorsque le dommage provient d'une faute « in the navigation or in the
management of the ship ». Les rédacteurs de la loi de 1936 s'y sont référés, mais ils ont pensé que
ces notions causeraient des difficultés et ils ont substitué à cette expression celle de faute
nautique, étant « ainsi entendu que l'armateur ne saurait se décharger de ses fautes commerciales,
c'est-à-dire de celles commises dans l'embarquement et le débarquement, l'arrimage, la
manutention et la conservation des marchandises ». La même idée a inspiré les rédacteurs de la
loi de 1966. On est ainsi conduit à opposer d'une part les fautes commises in the management of
the ship (fautes nautiques) et celles commises in the management of the cargo (fautes
commerciales). Les premières sont libératrices, à la différence des secondes.
La loi ne parle que de fautes nautiques et déclare qu'une faute de cette nature libérera le
transporteur de sa responsabilité. D'où l'on conclut que le transporteur, devant établir cette faute
pour se libérer, les deux catégories de fautes ne sont pas sur le même plan et qu'il y a une sorte de
présomption que la faute est commerciale.

825
Com. 27 juin 1995, DMF 1996. 302, obs. Régnier ; v. égal. Sentence CAMP 27 nov. 1997, DMF 1998. 710 ;
décisions in DMF 2003, HS 7, n° 86, obs. Bonassies.
826
Molfessis, Requiem pour la faute nautique, Mélanges Bonassies ; comp. P. Corbier, La faute nautique, une
notion à préserver, Mélanges Rolland, p. 87 ; Lemarié, Moribonde la faute nautique ? Mélanges Scapel, p. 269.
827
v. Com. 3 déc. 2003, DMF 204, HS 8, n° 91 ; Com. 20 févr. 2001, DMF 2001. 919, obs. Molfessis ; Com. 9 juill.
2013, n° 12-18.504.
226
Si l'on se réfère à la Convention de Bruxelles, la « faute » doit couvrir d'une part les fautes in the
navigation, d'autre part les fautes in the management of the ship. Les premières sont assez claires.
Les secondes beaucoup moins.
Sont certainement des fautes nautiques les fautes in the navigation qui désignent toutes les fautes
commises par le capitaine et l'équipage dans le choix de la route, les manœuvres exécutées, les
relevés…, le manque d’attention828. De même en est-il de la faute du pilote829.
Ce sont les fautes in the management, dans l'administration du navire, comme le dit le texte
français de la Convention de Bruxelles qui donnent lieu à des difficultés et qui sont contestées.
La formule vient de la jurisprudence anglaise antérieure à la Convention de Bruxelles et les
Anglais la résument de la sorte : il y a administration du navire830 en toute matière qui intéresse le
navire comme tel et non d'abord la cargaison ou les appareils établis sur le navire pour la
conservation de la cargaison.
Une bonne application de ce critère peut être faite aux cas, si fréquents, de dommages causés par
le mauvais branchement d'un tuyau. Si ce tuyau était établi pour la sauvegarde ou le
fonctionnement du navire, la faute est nautique. S'il était établi pour la sauvegarde ou dans
l'intérêt de la marchandise, la fauté est commerciale. Ainsi, l'inondation d'une cale, due à ce que
le mécanicien a négligé de fermer une robinetterie de prise à la mer établie pour assurer la
sécurité du navire provient d'une faute nautique 831 ; si, en revanche, un tuyau a été branché sur
une cale destinée à recevoir du vin, la faute est commerciale832.
Cependant, ce critère a parfois cédé dans les cas où la faute est de nature à compromettre la
sécurité du navire, de l'expédition entière. En pareil cas, la faute serait nautique, quel que fût le
point d'application de la faute commise. Cela explique les hésitations de la jurisprudence
concernant la nature de la faute d'arrimage. Il faut pourtant la déclarer d'ordre commercial en
tirant argumentant de l'art. D. 5422-18 et comme le prévoyait explicitement l'exposé des motifs
de la loi de 1966833.

828
 V. par ex. Sentence CAMP 10 juin 1986. La même sentence distingue le cas de la faute nautique proprement dite
de celui où la faute procède d'une incapacité foncière du capitaine, impliquant un comportement fautif du
transporteur lui-même, susceptible de mettre en cause l'obligation générale de diligence qui pèse sur lui  ; v. égal.
Rouen 19 avr. 2012, DMF 2012. 740.
829
Com. 17 déc. 2013, n° 12-28.226, BTL 2014. 16, DMF 2014. 256, obs. Miribel ; ; Rouen 19 avr. 2012, DMF
2012. 740, obs. Montas.
830
 Gestion technique selon l'expression utilisée par la Cour de cassation des Pays-Bas le 21 mars 1985
(Rechtskundig Weekblad 1985-1986, p. 112 s.).
831
Aix-en-Provence 6 mars 1956, DMF 1957. 287 ; égal. Com. 30 mars 2010, DMF 2010. 414, obs. I. Corbier, RD
transp. 2010, n° 112, obs. Ndendé.
832
 Com. 11 mars 1965, DMF 1965. 408 ; dans le même sens, Com. 17 juill 1980, DMF 1981. 209, obs Achard ; BT
1980.567 ; ce dernier arrêt précise que « le caractère nautique de l'opération n'entraîne pas nécessairement le
caractère nautique de la faute. » Appelée à statuer sur une manœuvre défectueuse s'étant produite pendant une
opération de ballastage, la chambre commerciale censure un arrêt au motif que les juges d'appel n'ont pas recherché
si la faute commise lors de cette opération nautique était ou non de nature à intéresser l'équilibre et la sécurité du
navire. Sur renvoi, v. Rouen, 9 févr. 1982, DMF 1982. 669, obs Achard ; égal. Achard, obs sous Rouen 5 mars 1981,
DMF 1982. 161.
833
 Com. 12 avr. 1976, Gaz. Pal. 1976. 740, note Rodière ; Scapel, 1976.57 ; Aix-en-Provence, 9 mai 1973, DMF
1974. 654 ; Paris, 30 avr. 1974, DMF 1974. 738 ; contra : Paris, 29 nov. 1978, DMF 1979. 80, obs R. Rodière et
Villeneau. Plus exactement, la cour déclare : « … une distinction doit être faite selon le cas où la faute d'arrimage
n'intéresse que la conservation de la marchandise, auquel cas, elle constitue une faute commerciale autorisant le juge
à écarter le cas excepté, et celui où elle affecte la navigation ou l'administration du navire en compromettant la
conduite, l'équilibre ou la sécurité de celui-ci ; elle constitue alors une faute nautique… ». Com. 4 juill. 1972, Bull.
civ. IV, n° 214. V. aussi notes Rodière D. 1973. 41 ; RJ com 1972.140 ; A. Chao, BT 1972. 330 ; T. com. Marseille,
1er juill. 1975, DMF 1976. 100 distingue l'arrimage nautique et l'arrimage commercial, ce qui complique faussement
227
Le même fait peut-il constituer à la fois une faute nautique et une faute commerciale ? La Cour
de cassation a paru le nier834. La faute commerciale peut venir neutraliser la faute nautique, mais
encore faut-il l’établir835.
3. Vices cachés du navire

C'est, en droit interne, la deuxième cause de libération du transporteur. Ici la loi précise dans son
intérêt un point qui était controversé. En effet le vice caché aurait pu sans doute être décelé par un
examen plus approfondi et le seul fait que l'armateur ne l'ait pas reconnu ne saurait, suivant le
droit commun, l'exonérer. La loi, en matière de vente ou de louage, indique que le vice caché de
la chose ne saurait a priori être assimilé à un cas de force majeure. Aussi la jurisprudence était-
elle hésitante autrefois.
La solution maritime est néanmoins raisonnable si l'on tient compte de la complexité d'un navire
moderne et du fait que les visites techniques des agents de l'administration et des représentants
des sociétés de classification permettent aujourd'hui de penser qu'un vice caché, c'est-à-dire un
vice que ces visites n'ont pas révélé, était imprévisible pour l'armateur.
Telle étant la justification de ce cas excepté, une jurisprudence ferme avait admis qu'il n'y a vice
caché que s'il a pu échapper à un examen vigilant et attentif 836. Tout est question d'espèce. Dans
un cas apparemment semblable, le vice a été reconnu caché 837. La loi a retenu cette solution en
précisant que le vice a dû échapper à un examen vigilant (art. L. 5422-12, 7°).
Lorsqu'un vice caché du navire est ainsi allégué, l'armateur invoque très souvent, pour bien le
montrer, le fait que le navire avait été visité par des agents d’une société de classification qui
n'avaient rien relevé d'anormal. Une pareille indication constitue, en effet, une forte présomption
que le vice était caché. Mais cette présomption n'est pas absolue et la preuve contraire est
couramment admise par les tribunaux838.
4. Faits constituant un événement non imputable au transporteur

Des remarques importantes doivent être faites ici. Tout d'abord, l'énoncé de ce cas excepté
constitue une des rares disparités entre la Convention de Bruxelles et la loi de 1966 : la
Convention de Bruxelles énumère à l'article 4, § 2, c à h et k, un certain nombre de cas exceptés
qui libèrent le transporteur de la présomption de responsabilité et qu'il est difficile de réduire à
une expression synthétique. Il faut commencer par les évoquer.
- 4.2 c. : Périls, dangers ou accidents de la mer ou d’autres eaux navigables. La jurisprudence en
donne de nombreux exemples839 :

le problème.
834
Com. 6 juill. 1954, JCP 1955, II 8460 bis.
835
Com. 9 juill. 2013, n° 12-18.504.
836
 V. ainsi : Paris, 5 mai 1957, DMF 1958. 397 ; Com. 4 déc. 1962, BT 1963.107. Rouen 20 juin 1985, Nouveau
recueil du Havre n° 5, 1985, p. 75 s. Aix-en-Provence, 20 sept. 1985, BT 1986, 214 ; de Juglart, Le vice de la chose
en droit maritime : essai de synthèse, DMF 1982. 1 s.
837
Com. 19 janv. 1959, BTL. 1959, 64.
838
Paris 21 févr. 1957, DMF 1958. 21.
839
Voy. Paris, 2 févr. 1971, DMF 1971. 222, obs. Rodière ; ces cas exceptés sont connus en France sous le nom
générique de fortune de mer ; M. Poupard en donne la définition suivante (DMF 1984. 424) : « il suffit de tout
événement anormalement pénible ; (la fortune de mer) résulte d'un concours de circonstances dans lesquelles entrent
en cause la force du vent, l'état de la mer et la hauteur des vagues  ». V. aussi sentence CAMP n° 535, 21 mai 1984
(DMF 1985. 116) : un vent de force 8 à 9 ne constitue pas en l'espèce, en raison de la taille du navire, un événement
assimilable à la fortune de mer. V. dans le même sens, également pour un vent de force 8 à 9, Paris, 23  nov. 1983,
228
- 4.2. d. : Acte de Dieu : le concept est défini comme un « overwhelming, unpreventable event
caused exclusively by forces of nature, such as an earthquake, flood or tornado »,840 ce qui
renvoie un accident dû directement et exclusivement à des causes naturelles et sans aucune
intervention humaine.841 C’est une application de l’idée de force majeure sans connotation
religieuse842 ;
- 4.2. e. : Faits de guerre (King’s enemies) ;
- 4.2. f. : Fait d’ennemis publics : l’expression renvoie notamment aux attaques de pirates843 ;
- 4.2 g. : Arrêt ou contrainte de prince, autorités ou peuple, ou saisie judiciaire ; le fait du prince
est souvent invoqué844 ;
- 4.2 h. : Restriction de quarantaine ;
- 4.2 k. : Émeutes ou troubles civils.

5.Force majeure 

L'auteur de la loi de 1966 a utilisé à l'article 27 d, l'expression « faits constituant un événement
non imputable au transporteur ». Reste à interpréter cette expression certes élégante, mais qui n'a
pas le caractère concret des faits énumérés par la Convention de Bruxelles sous les rubriques
précitées. Les textes de 1966, malgré des différences de rédaction, sont restés fidèles ici à l'esprit
de la loi de 1936845 et n’ont pas cherché à renverser la jurisprudence qui s'était formée sous
l'empire de la loi de 1936. En réalité, puisque la loi de 1966 a substitué à tort, dans la mesure où
elle voulait rester proche de la Convention de Bruxelles, à l'énumération de cas concrets comme
le sont les autres cas exceptés, une expression synthétique et abstraite : « faits constituant un
événement non imputable au transporteur », il convient de rechercher ce que signifie cette
expression. Comme l’observe un auteur846, l'événement non imputable est un fait qui ne peut être
attribué à l'inexécution des obligations contractuelles du transporteur ; la preuve de cette
inexécution résulte du fait que la marchandise a subi un dommage sous la garde contractuelle du

BT 1984. 86 et la note P.B., montrant l'extrême variété des décisions à propos de la fortune de mer dans la
jurisprudence de 1979 à 1983. L'incertitude est totale sur la solution qu'adoptera le tribunal. V. aussi admettant la
fortune de mer : Paris 13 oct. 1986, DMF 1988. 101 ; Aix-en-Provence, 27 févr. 1985, DMF 1987. 147 ; Rouen 30
mai 2013, BTL 2013. 429 ; Paris 27 juin 2013, BTL 2013. 543. Plus nuancée, Sentence CAMP 10 mai 2006, DMF
2007. 621 ; Com. 1er déc. 2009, DMF 2010. 19.
840
Black’s law library, 9e éd., West Pub. 2009, 39.
841
L.J. Constantinesco, Inexécution et faute contractuelle en droit comparé, Bruxelles 1960, p. 254. Le «  leading
case anglais » est Nugent v. Smith (1876) 1 CPD 423, libérant un armateur de toute responsabilité à la suite du décès
d’une jument qu’il transportait, la jument effrayée par la tempête essuyée au cours de la traversée s’étant
mortellement blessée. Le juge James relevant les « … natural causes directly and exclusively without human
intervention and that could not have been prevented by any amount of foresight and pains and care reasonably to
have been expected ».
842
A. Sériaux, L’acte de Dieu, in Le Droit dans le souvenir, Liber amicorum B. Savelli, PUAM 1998, 325.
843
v. Com. 2 juill. 1996, DMF 1996. 1145 et les obs. ; T. com. Marseille 18 déc. 1998, DMF 1999. 336, obs. Coste ;
comp. Com. 14 févr. 1989, Bull. civ. IV, n° 69, DMF 1989. 419, obs. Bonassies : l’abordage et le pillage d’un navire,
même commis en bande et à force ouverte ne constituent pas, en l’absence de toute autre circonstance, le fait
d’ennemis publics, dès lors qu’ils ont été accomplis dans les eaux territoriales d’un Etat souverain et relevaient en
conséquence de l’autorité de cet Etat ; dans le même sens, s’agissant d’un pillage en rade de Lagos, Aix-en-Provence
29 avr. 1986, DMF 1987. 661.
844
Il n’est pas nécessaire qu’il présente exactement les caractères de la force majeure : Com. 24 avr. 2007, DMF
2007. 818, rapp. Potocki, obs. Vialard ; Com. 20 févr. 1990, Bull. civ. IV, n° 51 ; Rouen 23 mai 2001, DMF 2002.
44, obs. Vialard. Égal. Y. Tassel, Le fait du prince, Gazette CAMP, n° 22.
845
 V. contra : du Pontavice et P. Cordier, Transport et affrètement maritimes, op. cit., p. I.18.
846
P.Y. Nicolas, obs. sous Rouen 31 oct. 1984, Nouveau Recueil du Havre, n° 5, 1985, 171
229
transporteur ou d'un prestataire de service agissant pour le compte de celui-ci. D'une part, il n'est
pas besoin d'établir à la charge du transporteur, un manquement à l'obligation générale de
prudence et de diligence puisque le transporteur maritime assume, en vertu de la loi, une
obligation déterminée ou de résultat. D'autre part, le transporteur ne peut davantage se libérer en
prouvant l'absence de faute ou la diligence raisonnable, puisqu'il est tenu d'une obligation de
résultat. Il devra donc prouver, selon le droit français, applicable à l'interprétation de la loi, la
force majeure, le cas fortuit, la faute d'un tiers ou la faute de la victime. On observera simplement
que la preuve de la faute de la victime constitue un cas excepté distinct. Toutefois, on préférera
faire sienne, une autre interprétation plus nuancée : le transporteur maritime qui estime que le
dommage a pour cause un fait qui ne lui est pas imputable, doit faire la preuve qu'il n'a aucune
part au dommage et au fait qui sont connus le cas échéant comme étant cause du dommage 847. De
fait, la jurisprudence interprète l'expression « faits constituant un événement non imputable au
transporteur » d'une manière stricte848. De très nombreux arrêts décident ainsi que le gros temps,
le phénomène de la barre, voire la tempête ne sont pas nécessairement des événements pouvant
libérer le transporteur maritime ; il faut encore s'assurer que ces faits étaient imprévisibles et que
les suites n'en pouvaient pas être surmontées849.
Ainsi, la barre sur les côtes d'Afrique « n'est pas un fait imprévisible, mais un phénomène bien
connu de tous les navigateurs »850. Un gros temps, même soudain, ne libère pas l'armateur, même
quand il était imprévisible, si le capitaine pouvait, lorsqu'il s'est produit, prendre les mesures
propres à protéger la marchandise851. Le fait du tiers peut aussi constituer une cause de libération
du transporteur852.
6. Grèves, lock-out, arrêts de travail

Avec un tel cas excepté, l'on s'éloigne du droit commun. La grève n'est pas nécessairement un
événement de force majeure, alors que la loi maritime ne distingue pas. La cause exonératoire se
caractérise ici non par les traits généraux de la force majeure, mais par la nature et l'origine de
l'événement853.
Il faut que la grève ou le lock-out854 soit la cause du dommage. Cette relation sera facilement
établie lorsqu'une marchandise périssable s'est avariée parce qu'elle n'a pas pu être déchargée à
temps, ou, en cas de perte, lorsque les conditions de la manutention ont été perturbées au point
que la surveillance coutumière n'a pas pu être exercée. C'est au transporteur d'établir cette relation

847
 Cf. Bonassies, op. cit., DMF 1986. 79, n° 42 in fine.
848
 V. toutefois pour une analyse très large de l'expression « faits non imputables au transporteur », Com.
21 févr. 1984, DMF 1985. 208, note R.A. ; Bonassies, op. cit., DMF 1986. 79, n° 42 in fine, critiquant cet arrêt.
849
 La force majeure peut être constituée par le cumul de plusieurs éléments qui, pris individuellement, ne répondent
pas à la rigueur de la force majeure : v. T. com. Paris 15 févr 1978, DMF 1978. 727 ; égal., Rouen 31 oct. 1984,
Nouveau recueil du Havre no 5, 1985, p. 69 s. et note P.Y. Nicolas : « les vols de denrées de valeur et notamment de
spiritueux dans les ports… sont constatés quotidiennement et sont bien connus des transporteurs… la banalité
contemporaine de ces vols en fait un événement précis, contre lequel il appartient à tout transporteur de se prémunir
par des mesures appropriées… ».
850
Com. 21 janv. 1959, BTL. 1959, 70.
851
Aix-en-Provence 9 déc. 1958, DMF 1959. 735 ; égal. Com. 16 janv. 1973, DMF 1973. 399, obs Rodière.
852
Paris, 25 janv. 1977, DMF 1977. 645 et 12 déc. 1979, DMF 1981. 21.
853
 Par ex. Paris, 7 déc. 2011, DMF 2012. 554, obs. C. Humann ; Rouen 24 nov. 2005, DMF 2006. 506, obs.
Humann. Une grève prévisible n’a pas de caractère libératoire, Paris 18 sept. 2008, DMF 2009 HS 13, n° 89.
854
Au demeurant rarement reconnu, v. Paris 3 mai 1995, DMF 1996. 251, obs. Bonassies.
230
de cause à effet855. Les Règles de Rotterdam ont maintenu ce cas excepté, alors que l’on voit plus
tellement aujourd’hui sa justification.
7. Incendie

La loi de 1936 ne parlait pas spécialement de cas excepté. Il fallait donc que l'incendie répondît
aux exigences de la force majeure pour libérer le transporteur maritime. C'était la solution du
droit commun, mais pas celle de la Convention de 1924. D'où un contentieux concernant le point
de savoir si l'on était en présence d'un transport régi par la convention ou par la loi interne856.
La disparité a cessé et cette source de litiges est tarie. La réforme de 1966 a énuméré l'incendie
parmi les causes de libération du transporteur857. Il en va de même dans les Règles de La Haye
Visby. Ce cas excepté est assez souvent invoqué, compte tenu du phénomène d’auto combustion
de certaines marchandises. Lorsque le cause de l’incendie est inconnue, il est permis de se
demander si le cas excepté peut être neutralisé par la preuve de la faute du transporteur. On ne
saurait l’exclure en l’état d’une jurisprudence incertaine858.
8. Vice propre de la marchandise

C'est un cas excepté souvent invoqué par les transporteurs. Le vice propre est la propension qu’a
la marchandise à se détériorer par elle-même sous l’effet d’un transport normal. Si elle rend
compte de l'avarie ou de la perte, le transporteur sera libéré. A fortiori en est-il du vice caché de la
chose. En fait cette source d'exonération est souvent couplée avec une faute du chargeur 859. Ainsi,
au cours du voyage, un animal s'échappe et tombe à l'eau ; à moins qu'une autre raison ne
l'explique, cette perte sera imputée à la nature même de l'animal et au fait qu'étant donné cette
nature, le chargeur n'aura pas pris les précautions requises pour l'attacher ou le guider.
Comme tout cas excepté, la preuve du vice propre incombe au transporteur. Elle est parfois
facilitée par les réserves, concernant l'état de la marchandise, que le capitaine a prises et insérées
dans le connaissement.
Lorsque le connaissement est net de toute réserve, la preuve peut être très difficile à rapporter
pour le transporteur, mais le vice propre est un fait qui peut s'établir par tous moyens, notamment
par indices860.
La preuve d'un vice propre de la chose 861 ne libère pas toujours le transporteur de sa
responsabilité. Le chargeur (ou le destinataire), peut en effet, à son tour, établir que l'effet du vice

855
Paris 23 juin 1971, DMF 1972. 308.
856
Paris 16 juin 1959, D. 1960. 209, note Rodière.
857
 Par ex. Paris, 9 mars 1977, DMF 1978. 14. L'incendie est un cas excepté, sauf pour le demandeur à prouver qu'il
a été causé par le fait ou la faute du transporteur, ce qui est le cas dès l’instant où il est établi que l'incendie a été
causé par l'arrimage défectueux au regard de la nature dangereuse de la marchandise, le transporteur ayant manqué à
son obligation en vertu de la convention de procéder de façon appropriée à son arrimage dans les soutes du navire.
858
Com. 10 juill. 2012, DMF 2012. 821, rapp. Rémery, obs. P. Bonassies, DMF 2013, HS 17, n° 106.
859
 V. par ex. Rouen, 31 oct. 1984, Nouveau recueil du Havre n° 5, 1985, p. 72.
860
 Com. 22 févr. 1983, BT 1983.470 ; DMF 1983. 660 ; Rouen 31 oct. 1984, Nouveau recueil du Havre n° 5, 1985,
p. 72 ; Paris 29 nov. 1984, DMF 1985. 469.
861
 Il suffit que le vice propre constitue la cause déterminante de l'avarie, même en présence d'autres causes
secondaires ; dans l'hypothèse où, sans vice propre, la marchandise serait parvenue à destination en parfait état, le
vice propre constitue la seule cause déterminante du dommage et le transporteur maritime ne doit pas être tenu pour
responsable, même si la durée anormale du voyage ou d'autres circonstances se rapportant à celui-ci ont pu favoriser
la dégradation partielle du chargement (Com. 24 févr. 1981, DMF 1982. 74 ; v. aussi : Rouen, 31 oct. 1984 préc ;
Paris, 29 nov. 1984, préc ; Bonassies, op. cit., DMF 1986. 79, n° 43).
231
de la chose a été aggravé par la faute du transporteur voire que celle-ci efface toute incidence du
vice propre862. Les annales judiciaires fournissent de nombreux exemples de pareils débats 863.
Cette situation se rencontre souvent en présence du phénomène de condensation dû à des écarts
de températures (cf. « buée de cale »)864.

9.Freinte de route

C'est une variété de vice propre de la chose. L'expérience enseigne que certaines marchandises,
par le seul fait du voyage, subissent des pertes de poids ou de volume. Si la perte n'excède pas
cette diminution, le transporteur ne sera pas tenu de réparer la différence. Il y a déchet de route ou
encore freinte de route. Comme la freinte varie suivant les marchandises et les ports, la loi se
réfère à l'usage du port de destination865.
Ainsi, suivant le port et la nature de la marchandise (orge, ciment, farine, vin…), la freinte est de
1 %, de 1,50 %, de 2 %, de 3 %… Lorsque, d'après l'usage du port, il est admis que telle
marchandise peut avoir perdu 2 % de son poids par exemple, le transporteur peut invoquer cet
usage sans autre démonstration. Il y a moins un cas excepté qu'une présomption qu'il n'y a pas de
perte.
Cette analyse est importante : si la perte dépasse la freinte d'usage et que le transporteur n'en
propose pas d'explication, devra-t-il tout réparer ou pourra-t-il déduire la freinte ? Exemple : un
chargement de 100 quintaux de maïs avec freinte de 1 %. Pas de difficultés si le transporteur
représente 99 quintaux. Il ne devra rien. Mais qu'arrive-t-il s'il représente 95 quintaux seulement
et n'explique nullement le manquant ? Dans l'analyse d'après laquelle il y a tolérance pour 1 %,
on admettra de toute manière cette tolérance et le capitaine ne devra la réparation que pour la
perte de 4 quintaux.
Dans l'analyse suivant laquelle une freinte de 1 % fait présumer qu'il n'y a pas de perte, on dira
que l'importance du manquant détruit cette présomption et que le capitaine doit réparer le
dommage non plus pour 4, mais pour 5 quintaux. Cette seconde analyse paraissait au doyen
Rodière, plus exacte, car l'importance même du manquant laisse supposer une autre cause que
l'incidence de la seule nature de la marchandise. Il y a quelque cause, sur laquelle le transporteur
doit s'expliquer. S'il n'y parvient pas, on attribuera à sa faute présumée l'intégralité du manquant.

La jurisprudence n'est pas, à cet égard, très claire. Sur un autre genre de difficultés, la cour
d'Aix866 a évité d'en faire une tolérance, une franchise. La cour de Montpellier 867 a déclaré à juste
titre : « La freinte de route est, non pas exactement une tolérance, mais l'appréciation forfaitaire
d'une perte tenue pour normale en raison de la nature de la marchandise et des conditions de sa
manutention ». En conséquence, les conditions de la manutention, les caractéristiques du produit,
la durée du trajet, les conditions atmosphériques propres à ce trajet expliquent que pour chaque
862
Com. 6 mars 1962, DMF 1962. 343.
863
Paris 17 févr. 1977, DMF 1977. 535.
864
v. MM. Bonassies et Scapel, n° 1085.
865
 Sur la preuve de l'usage : Rodière, BT, 1968.246 et 1971.180. Sur la preuve de l'usage aux États-Unis, v.
décision de la cour fédérale de district de Pennsylvanie 29 déc 1982, in Haight's Mémo, vol. II, n° 1, Janvier 1983,
p. 7, pour la freinte de route en matière de pétrole ; son existence a été reconnue et fixée selon l'usage à 0,5 % ; on
notera que c'est le même pourcentage qui est admis en France (Paris 16 janv. 1985, DMF 1986. 297 s. et spéc.
p. 300).
866
Aix-en-Provence 13 oct. 1959, DMF 1960. 153.
867
 Montpellier 24 juin 1968, BT 1968.253 et obs. Rodière, p. 246 ; RTD com. 1968. 829, obs. du Pontavice.
232
port, un usage fixe la freinte de route, appréciation forfaitaire d'une perte tenue pour normale ; si
le manquant est supérieur à la freinte de route, il y a donc lieu de déduire de la totalité du
manquant, le montant de la freinte de route selon l'usage et le transporteur devra payer le solde868.
La freinte de route peut se combiner avec les défauts d'emballage pour permettre la libération du
transporteur lorsque le manquant n'excède pas ladite freinte calculée sur les seules marchandises
autres que celles qui sont déjà tenues pour perdues par la faute établie du chargeur 869. D’autres
exemples peuvent être donnés870.
10. Faute du chargeur

La loi en cite des exemples, le défaut d'emballage et le défaut de marques, mais toute autre faute
causale qui rendrait compte de la perte ou de l'avarie libérerait pareillement le transporteur. La
faute du chargeur est un événement fortuit pour le transporteur. Ainsi, le chargeur peut
commettre la faute de charger « par temps de pluie » s'il le commande 871. La convention parle
(art. 4.2 i) de l’acte ou de l’omission du chargeur ou propriétaire de la marchandise, de son agent
ou de son représentant (sur la faute du destinataire, v. ss 741).
Lorsque les fautes sont apparentes, le transporteur ne manque pas de le noter par une mention
appropriée dans le connaissement. Mais, conformément au droit commun des preuves, l'absence
de réserves n'empêche pas d'établir que le défaut allégué par le transporteur est à l'origine du
dommage subi par la marchandise872. Si cette preuve est rendue plus difficile par l'absence de
réserves, elle n'est pas interdite873.
La faute du chargeur consistera souvent dans un vice de l'emballage ou dans son insuffisance.
Tout est question d'appréciation des faits, d'expérience et d'usage généralement suivis pour le
genre de marchandises considérées et la relation exécutée 874. On s'est demandé si l'absence totale

868
 v. en ce sens Sentence CAMP n° 421, 28 sept. 1981, DMF 1982. 440. v. aussi Camara Nacional de Apelaciones
(Argentine), 21 novembre 1980, Revue de droit uniforme 1981, II, p. 146 ; Comp. Com. 16 juin 1987 rejetant le
pourvoi contre un arrêt de la cour de Paris qui avait déclaré le transporteur responsable de la totalité du manquant au
motif « qu'il n'était pas établi que le manquant constaté provenait de la freinte de route » (DMF 1988. 236 s. ;
Bonassies, Le droit positif français en 1988, DMF 1989, n° 86, p. 162).
869
Aix-en-Provence 5 févr. 1957, BTL. 1957, 183, sacs de ciment crevés au départ.
870
 Sur la « freinte de route » : Rodière, op. cit., 2e éd., n° 307. Toutefois, s'agissant en l'espèce de sacs, on notera
que selon le tribunal de première instance du Pirée (Grèce) (1624/ 83, in Journal of Maritime Law and Commerce,
avril 1985, p. 282), l'exception de freinte de route, applicable aux cargaisons en vrac, ne peut être invoquée pour les
manquants d'une cargaison en sacs. Il s'agissait en l'espèce d'un manquant de 315 sacs sur 61 728. Il n'y a pas lieu en
effet à assimiler à la freinte de route, une prétendue freinte en matière d'emballage ou une freinte de casse (du
Pontavice et P. Cordier, Transport et affrètement maritimes, op. cit., page I 21). Enfin, les résidus impompables dans
les cuves du navire, ce qu'on appelle de façon générale les impompables, ne peuvent être assimilés à la freinte de
route (Paris 16 janv. 1985, DMF 1986. 297).
871
 Toutefois, si l'opération a été acceptée sans réserves par le transporteur, celui-ci reste entièrement responsable
(Aix-en-Provence 14 févr. 1984, DMF 1985. 542 note Ollu ; Bonassies, op. cit., DMF 1986. 78, n° 41).
872
 Com. 22 févr. 1983, DMF 1983. 660 ; BT 1983.470 ; v. aussi Bonassies, op. cit., DMF 1986. 78, n° 42, et les
décisions citées.
873
 V. aussi. Paris 3 déc. 1984, DMF 1986. 287. Comme le transporteur a la charge de la preuve, il devra prouver
non seulement l'insuffisance d'emballage mais le rôle causal de ce défaut ; en l'espèce, l'insuffisance d'emballage n'a
joué aucun rôle causal : Com. 20 oct. 1984, DMF 1985. 438.
874
 V. pour l'absence de faute du chargeur en cas d'emballage classique, Com. 15 mars 1983, BT 1984.31. Le
transporteur maritime ne peut modifier le conditionnement de la marchandise sans instructions de l'expéditeur : Com.
11 mars 1975, Bull. civ. IV, n° 78 ; Aix-en-Provence 21 févr. 2013, BTL 2013. 177, à propos de palmiers ayant péri
par déshydratation, l’emballage étant approprié. Selon une sentence CAMP (5 juill. 1990), l'insuffisance d'emballage
« ne peut s'apprécier que par rapport à un emballage normal, capable de protéger les marchandises contre les risques
233
d'emballage était prévue par la loi. Si l'on se pose la question, c'est sans doute pour lui donner
une réponse différente de celle qui est donnée en cas d'emballage insuffisant. Dans ces
conditions, cette question n'a pas de sens. Il s'agit, dans un cas comme dans l'autre, de savoir si
les faits constituent une faute de la part des chargeurs. Les décisions qui ont fait la différence
indiquée auraient fort bien pu s'en passer, car, si elles ont refusé d'exonérer le transporteur pour
des avaries survenues à des marchandises dépourvues de tout emballage, ce n'est pas parce que, a
priori, le défaut d'emballage n'est pas un cas excepté ; c'est parce que ces décisions ont reconnu
que le fait de faire voyager « à nu » les marchandises considérées ne constituait pas, dans ces cas,
une faute du chargeur875.
Le mauvais arrimage à l'intérieur d'un conteneur peut constituer la faute du chargeur876 ou
encore une pré-réfrigération insuffisante877.
L’emploi d’un terme imprécis dans le connaissement afin de décrire l’état de la marchandise n’a
pas été considéré comme constitutif d’une faute878.
11. Actes d'assistance

La loi ajoute : ou tentative faite dans ce but ou encore déroutement du navire effectué à cet effet.
La convention parle (art. 4.2 l) d’un sauvetage ou d’une tentative de sauvetage de vies ou de
biens en mer. Si la loi maritime n'avait fait que traduire le droit commun et l'appliquer à la
matière des transports, de pareils faits ne libéreraient pas le transporteur. L'état de nécessité, créé
par un autre que la victime, n'est pas une excuse pour l'agent du dommage, parce qu'il ne peut pas
prétendre jouer le rôle de la Providence et élire, entre la personne qu'il secourt et celle qu'il lèse,
celle qui finalement subira sans recours un préjudice. Mais ce droit commun devait être écarté en
matière maritime où pèse sur le capitaine un devoir moral et parfois légal d'assistance.

Le système que l’on vient de décrire est-il si critiquable ? Est-il trop ouvert ? Les Règles de
Hambourg l’ont sans doute mieux conceptualisé. Lors de la discussion des Règles de Rotterdam,
le problème a été de nouveau posé. Les rédacteurs de la nouvelle convention ont finalement
préféré, et à juste titre, maintenir le système du catalogue qui, une fois encore, correspond aux
situations concrètes auxquelles sont confrontés les armateurs et les chargeurs. Peut-être faudrait-il
réduire le nombre des cas envisagés. C’est ce qui a été fait pour la faute nautique. L’exception
tenant à la grève n’a, par ailleurs, plus guère de justification. Il ne faudrait certainement pas en
rajouter.
usuels du transport maritime. On ne peut imposer à un chargeur de réaliser un emballage garantissant sa marchandise
dans toutes les circonstances, même les plus exceptionnelles, tel un risque de contamination nucléaire ou de
contamination chimique tout à fait imprévisible ».
875
Aix-en-Provence 24 févr. 1960, DMF 1960. 406 ; Paris 19 déc. 1960, DMF 1962. 215.
876
 Com. 27 mars 1973, DMF 1973. 466, obs. P.L. ; Scapel, 1973.20 ; Paris, 13 déc. 1979, Gaz. Pal. 1980. 296, note
Rodière ;CA Rouen 27 oct. 1983, DMF 1985. 270 ; Rouen, 2 fév. 1984, DMF 1985. 275 ; Com. 21 fév. 1984, DMF
1985. 208, obs. R.A. ; obs. Bonassies ; op. cit., DMF 1986. 79, n° 42 in fine. Il en va de même pour les dégâts causés
par le choc des marchandises désarrimées à l'intérieur des remorques (Paris 23 nov. 1983, BT 1984.86 et note P.B.).
En revanche, le transporteur ne pourra évidemment invoquer le défaut d'emballage lorsque c'est lui-même qui a
fourni le conteneur défectueux et effectué le transport sans réserve (T. com. Havre, 12 juillet 1985, in Les transports
au fil des revues, sept.-déc. 1985, Jurisprudence des tribunaux du ressort de la cour de Rouen, n° 278). La
responsabilité pourra être partagée entre les ayants droits à la marchandise en raison des défauts dans l'emballage et
le transporteur (Paris, 12 janv. 1984, DMF 1984. 413, obs. Poupard) ou non (Com. 30 janv. 1978, deux arrêts, DMF
1978. 663) selon que la faute dans l'emballage n'a pas été retenue ou au contraire a été retenue comme la cause
déterminante du dommage subi par la marchandise.
877
Aix-en-Provence 16 janv. 2003, DMF 2003. 588, obs. MM. Bonnaud et Garo.
878
Com. 27 mai 1975, Bull. civ. IV, n° 140.
234
Avec le mécanisme qui consiste à réintroduire la faute du transporteur, le système de
responsabilité assure l’équilibre des intérêts en cause. Il faut aussi redire que les expertises sont
aujourd’hui plus fiables, que la navigation est plus sûre et que les pertes et avaries se localisent, le
plus souvent, pendant les périodes de chargement et de déchargement. Le droit positif de la
responsabilité du transporteur maritime de marchandises n’est donc pas si critiquable que certains
veulent bien le dire. Il reste qu’une attention plus grande mériterait d’être portée aux
dommages autres que ceux subis par la marchandise. Ils sont encore aujourd’hui très largement
en dehors du droit des transports et ne relèvent que du droit commun. Ce n’est certainement pas
très cohérent.

SECTION 2. RÉPARATION DES DOMMAGES

§1. Limitation légale879. Nature de la règle 

Ici encore la loi maritime substitue un régime rigide à la liberté des conventions antérieures. Si
l'on appliquait le droit commun, le transporteur devrait réparer le dommage lorsqu’aucune cause
d'exonération prévue par la loi ne peut être établie par lui ; cette réparation s’établirait
conformément aux règles des articles 1150 et 1151 du Code civil. Le transporteur pourrait
cependant, par convention, fixer le plafond de la réparation.
Ces règles sont donc écartées : aux termes de l'article L. 5422-13, la responsabilité du
transporteur880 est limitée, pour les « pertes ou dommages subis par les marchandises »881. De
même en est-il, en application de la convention, « pour les pertes ou dommages des marchandises
ou concernant celles-ci » (art. 4.5)882. Cette limitation est impérative, en ce sens qu’il n’est pas
possible de l’abaisser. Rien ne s’oppose cependant à ce que les parties décident d’aller au-delà (v.
ss 759).
La limitation s’établit aujourd’hui conformément aux montants fixés au a) du paragraphe 5 de
l'article 4 des Règles de La Haye Visby, soit 666,67 droits de tirage spéciaux (DTS) par colis ou
unité, ou 2 DTS par kg. de poids brut des marchandises perdues ou endommagées, la limite la
879
 J. Bonnaud, La limite d'indemnisation du transporteur maritime, Annales IMTM 1986. 181.
880
 La limitation de réparation doit toujours être invoquée par le transporteur, elle ne peut être accordée d'office par
le tribunal (v. en ce sens Com. 25 oct. 1982, BT 1983. 13).
881
 Le dommage résultant du seul retard n’est donc pas couvert par la limitation. Mais le plafond s’applique aux
frais de manutention et de dépotage rendus nécessaires pour vérifier l’état des marchandises et les transporter lorsque
le conteneur a été défoncé : Aix-en-Provence 18 déc. 1980, Rev. Scapel 1981. 46.
882
Le plafond s'applique donc aux conséquences du retard : Com. 29 mai 1990, DMF 1990. 683. Comp. Com. 15
févr. 1994, DMF 1994. 700, obs. Tassel, qui, après avoir constaté que le chargeur avait demandé à être indemnisé
des frais occasionnés par le dépotage, la neutralisation et le reconditionnement d'un produit chimique et non pas des
dommages subis par les marchandises, a rejeté le pourvoi contre l'arrêt, estimant que les dispositions sur la limitation
de responsabilité n'étaient pas applicables aux conséquences de l'avarie et que, par conséquent, le transporteur ne
profitait pas de la limitation légale de réparation, mais devait rembourser intégralement. Il s’applique aussi aux
dommages causés aux conteneurs, v. ss 583.
Les connaissements précisent par ailleurs et limitativement quels sont les dommages réparables : « without
prejudice to any applicable limitation of liability in accordance with the provision set forth in sub-clause 6 hereof,
the basis of compensation shall be limited to the sound value of the goods so damaged or lost (excluding insurance,
custom fees or taxes) and the freight on a pro-rata basis, if paid. In no circumstance whatsoever, the carrier shall be
responsible for indirect damage, loss of profit or consequential damage ».
235
plus élevée étant applicable. La loi a donc elle-même prévu une limitation de responsabilité ; un
plafond : l'indemnité de réparation ne dépassera pas, par colis ou par unité, telle somme. Cela ne
signifie pas que l'indemnité atteindra toujours ce chiffre. Conformément au droit commun le
demandeur doit établir le montant de la réparation à laquelle il prétend et ce montant sera
déterminé suivant les dispositions des articles 1150 et 1151 C. civ. 883. Une clause limitative n'est
pas une clause pénale ; un plafond légal n'équivaut pas à un forfait légal.
Le plafond est établi « par colis ou par unité ». Que faut-il entendre par unité ? La question s'est
posée dans les cargaisons en vrac. La Cour de cassation a jugé que le connaissement déterminait
l'unité : si le poids est indiqué en tonnes, ce sera la tonne ; s'il est indiqué en kilogrammes, ce sera
le kilo884. Cette solution a été critiquée, mais à partir du moment où elle est formulée, elle
présente l'avantage d'un critère simple qui peut servir de guide aux parties. On sait désormais à
quoi tend l'indication que le chargement est exprimé en kilos, en quintaux, ou en tonnes. On est
en présence d'une règle de droit pur, qui vaut parce qu'elle est885.
Dans le même ordre d'idée, le colis est ce que le transporteur prend spécifiquement en charge.
C'est un élément de cargaison, individualisé par des marques distinctives et noté sur le titre de
transport. Chaque élément ainsi défini est spécifiquement pris en charge par le transporteur. S'il
délivre un connaissement pour un conteneur sans autre précision, le colis est le conteneur ; s'il le
délivre pour un cadre contenant 100 colis eux-mêmes individualisés par des marques et leur
contenu886 (par ex. « 100 caisses de transistors marqués D 1 à D 100 »), il aura pris en charge 1
conteneur et 100 transistors et devra jusqu'à 666,67 x 101 = 67 333,67 DTS. C'est cette dernière
solution qui est retenue par la convention internationale (art. 4.5) et par les Règles de Hambourg
(art. 6.2). Cette distinction suivant ce que porte le connaissement est également acquise en droit
interne887.
La même solution doit prévaloir pour les grosses pièces portées au connaissement par leur seule
unité : « un camion chargé » ou « un camion-grue ». Il n'y a pas à tenir compte de leurs grandes
dimensions888.
En cas de perte partielle, il n’est pas question d’appliquer une règle de proportionnalité et dire
que si un colis perd la moitié de son contenu ou de sa valeur, la répartition ne dépassera pas 333,
335 DTS. On est, en effet, en présence non pas d'une évaluation légale des dommages, mais d'un
plafond de réparation.

Il faut ajouter qu’un partage de responsabilité est sans incidence sur l’application du plafond de
responsabilité889.
883
v. par ex. Com. 29 janv. 1973, DMF 1973. 132.
884
Req. 28 avr. 1947, DMF 1949. 11.
885
 C'est la solution retenue par les Règles de Hambourg en précisant « autre unité de chargement », art. 6. 1, a).
886
 La solution sera autre si le contenu n'est pas individualisé : Aix-en-Provence 13 oct. 1978, BT 1978. 600. T. com.
Le Havre, 17 mai 1983, Nouveau recueil du Havre n° 3 (1985) page 45.
887
 Cf. Décr. n° 1111 du 21 déc. 1979, art. 1, al. 2 : « lorsqu'un conteneur, une palette ou tout engin similaire est
utilisé pour grouper des marchandises, tout colis ou unité énumérés au connaissement comme étant inclus dans ce
conteneur, cette palette ou cet engin sera considéré comme colis ou unité au sens de l'art. 1er. Dans les autres cas, ce
conteneur, cette palette ou cet engin sera considéré comme un colis ou une unité ».
888
 Un camion chargé est un seul colis pour T. com. Paris 5 nov. 1974, DMF 1975. 352 ; de même, un camion-grue
pour T. com. Paris 21 juin 1977, BT 1977. 459. Il en va de même encore d'une machine 1 200 kg car le terme de colis
désigne « toute charge unitaire acceptée telle quelle, quels que soient son poids, son volume et sa maniabilité » (Paris
25 mai 1984, BT 1985. 43) ; en revanche, une pile de glaces, composée d'éléments ayant conservé leur individualité,
susceptibles d'être manipulés isolément, ne peut être assimilée à un colis, bien que le titre de transport fasse mention
de « huit piles de glaces sur pupitres » (Paris, 30 mai 1984, BT 1985. 43).
889
Com. 19 oct. 2011, DMF 2011. 155, obs. Miribel.
236
§2. Bénéficiaires 

La limitation de responsabilité bénéficie aujourd’hui non seulement au transporteur, mais aussi à


ses préposés, sous réserve de leur faute intentionnelle ou de leur faute inexcusable. La règle vaut
en droit interne (art. L. 5422-14) comme sous l’empire de la convention internationale (art. 4. bis.
2).
La notion de préposé renvoie au capitaine et aux membres de l’équipage ; elle n’englobe
cependant pas les mandataires ni les entrepreneurs, à l’exemple des consignataires, des
manutentionnaires ou encore des sous-traitants. En droit interne, les manutentionnaires sont
protégés de la même façon que les transporteurs. La solution est donc moins gênante que sous
l’empire de la convention internationale qui ne prévoit rien de particulier. Dans la pratique,
toutefois, les connaissements ne manquent pas de préciser que tout préposé, agent ou
entrepreneur indépendant auquel le transporteur s’adresse bénéficie des mêmes protections que le
transporteur lui-même. C’est ce que l’on appelle du nom d’une affaire célèbre, l’« Himalaya
clause »890. Les Règles de Rotterdam sont à cet égard très précieuses, car elles en ont systématisé
l’application (v. ss 782).

§3. Déchéance

L'insuffisance de la loi de 1936 avait suscité beaucoup de contentieux. Elle disait que la
réparation ne pouvait « en aucun cas » dépasser le plafond qu'elle fixait. C'était exagéré, car le
dol devait sans aucun doute le faire écarter. Mais la discussion avait été surtout vive pour la faute
lourde. Fallait-il, conformément à la tradition française (Culpa lata dolo aequiparatur) l'assimiler
au dol et écarter le plafond en faveur d'une réparation intégrale lorsque le transporteur avait
commis une faute lourde ? La Cour de cassation s'y était refusée 891. On l'avait approuvée en
conjecturant que peut-être, en revanche, la faute lucrative écarterait le plafond892.
Il n'en est rien. La réforme de 1966 a été nette. Si elle a admis que le dol écarterait le plafond
(art. L. 5422-14, 1°), elle a entendu entériner la solution de la Cour de cassation sur la faute
lourde893. Le premier avant-projet prévoyait que le plafond serait écarté en cas de faute lucrative.
Cette prévision a disparu non par oubli mais dans le dessein d'admettre que seul le dol aurait cet
effet894.
Depuis sa modification en 1986, tenant compte des Règles de La Haye Visby (art. 4.5 e.), l'article
L. 5422-14 prévoit un nouveau cas de réparation illimitée : outre le dol, la faute personnelle
inexcusable du transporteur lui fait perdre le bénéfice de la limitation de responsabilité.
L'exception étant de droit strict, la faute intentionnelle (dol) ou la faute inexcusable des préposés
n'écarte donc pas la limitation de responsabilité du transporteur. Du reste, le texte est en ce sens.
Le droit interne et le droit international se rejoignent une fois encore sur ce terrain de la
déchéance de la limitation de responsabilité, mais le droit interne est plus strict que ne l’est le

890
Ch. lords Adler v. Dickson, 29 oct. 1954, LLR 1954. 2, 267. Pour une application très large, mais fondée, de la
clause Himalaya, v. C. suprême EU 9 nov. 2004, Norfolk Southern railway v. Kirby, RTD com. 2005. 189. La clause
est parfois combinée une « Circular indemnity clause ».
891
Cass., ch. réun., 11 mars 1960, D. 1960. 277, note Rodière.
892
Sur la notion de faute lucrative, v. R. Mesa, Des fautes lucratives en droit privé, thèse Univ. Littoral 2006 ; égal.
Fasquelle et Mesa, La faute lucrative et les assurances de dommages, RGDA 2005. 351.
893
 V. Com. 18 mars 1986, BT 1986. 336.
894
 En ce sens : Com. 29 avr. 1969, DMF 1969. 613.
237
droit international en ne visant que la faute personnelle intentionnelle ou inexcusable du
transporteur895.
La jurisprudence ne semble cependant pas faire de différence entre la faute personnelle
inexcusable du transporteur et sa « simple » faute inexcusable qui engloberait aussi celle du
préposé en tant que membre de l’entreprise de transport. En outre, elle n’a pas toujours une
position très ferme sur la faute inexcusable du transporteur : la carence du transporteur en est un
exemple,896 de même que le fait d’avoir laissé stationner à quai un conteneur chargé de produits
sensibles pendant près de 6 jours.897
La question est, une fois encore, celle de l’interprétation in abstracto ou in concreto de la faute
inexcusable. Il serait bon qu’elle soit réglée une bonne fois pour toutes. Mais sans doute la Cour
de cassation ne souhaite-t-elle pas s’enfermer dans un système. La casuistique 898 n’a pas toujours
que des inconvénients.

§4. Stipulations contraires

La loi annule expressément toute clause par laquelle le transporteur limiterait sa responsabilité à
une somme inférieure au plafond qu'elle établit (art. L. 5422-15-c), mais elle autorise les clauses
qui fixeraient un plafond plus élevé899 (art. L. 5422-17, al. 2). La système est celui du « one way
mandatory ». Rien ne s’oppose donc à ce que les parties rehaussent le plafond et stipulent ainsi
des clauses appropriées 900. En pratique, de telles clauses n'existent pas sous cette forme simple.
Ce qui existe, et que la loi elle-même prévoit, c'est la clause de déclaration de valeur901. Le
chargeur peut déclarer, avant l'embarquement de la marchandise, sa nature et sa valeur. En pareil
cas, le transporteur réparera le dommage sur la base de cette valeur déclarée, sans tenir compte du
plafond légal. La déclaration de valeur est insérée au connaissement902. Elle fait foi à l'égard du
transporteur, mais prima facie seulement. Le transporteur peut établir que la marchandise n'a pas
la valeur indiquée. Il peut même faire des réserves sur ce point lors de la déclaration initiale et ces
réserves, insérées au connaissement, ôteront à la déclaration toute valeur de présomption contre le
transporteur. Mais cela ne se présente pratiquement jamais, car la déclaration de valeur entraîne
895
Ce qui veut pas dire que les préposés eux-mêmes ne peuvent pas se prévaloir de la limitation, sous réserve
naturellement de leur propre faute inexcusable (v. ss 757).
896
Com. 4 janv. 2000, DMF 2000. 466, Il Diritto Marittimo 2000, 595 et les obs. ; comp. Com. 7 févr. 2006, Bull.
civ. IV, n° 34, DMF 2006. 516, obs. M. Rémond-Gouilloud, RTD com. 2006. 521 et les obs.
897
Com. 5 déc. 2006, DMF 2008, HS 12, n° 93 ; égal. Com. 14 mai 2002, DMF 2002. 620 ; comp. Com. 3 juin
2009, DMF 2010. 57.
898
v. décisions in DMF 2011 HS 15, n° 104. Comp. S. Miribel, L’affaire Rosa Delmas : limitation et faute
inexcusable, une nouvelle approche, DMF 2011. 863.
899
 Le Protocole de Bruxelles de 1968 prévoit expressément la validité de pareilles clauses et le législateur a
introduit cette faculté dans la loi de 1966 modifiée en 1986 ; elle va de soi.
900
 V. MM. Bonassies et Scapel, n° 1112.
901
Ad valorem : The merchant agrees and acknowledges that the carrier has no knowledge of the value of the
goods, and that compensation higher than that provided for in the bill of lading may not be claimed unless, with the
consent of the carrier, the value of such goods is declared by the shipper prior to the commencement of the carriage
and is stated in writing on the bill of lading and extra freight is paid. In such a case, the amount of the declared
value shall be substituted for the limits laid down in the bill of lading. Any partial loss or damage shall be adjusted
pro rata on the basis of such declared value. In any event, the compensation shall not exceed the actual commercial
value of the goods.
902
 Toutefois, cette exigence ne doit pas être entourée d'un trop grand formalisme : la déclaration de valeur
mentionnée sur une note de chargement produit effet, alors même qu'elle n'a pas été reprise dans le connaissement
(Rouen, 18 oct. 1984, DMF 1986. 33). La contrepartie pécuniaire n’est pas une condition substantielle de la validité
de la déclaration de valeur : Aix-en-Provence, 30 juin 2010, DMF 2011. 224, obs. C. Humann.
238
l'application d'un supplément de fret, calculé ad valorem (i. e. according to value), et le chargeur
n'exposerait pas ces frais supplémentaires si sa déclaration devait appeler des réserves.
Ce système est inspiré de la pratique suivie par les chemins de fer depuis longtemps et du
système qu'ont retenu la Convention de Berne sur les transports ferroviaires internationaux et la
Convention de Varsovie sur les transports aériens internationaux. Au lieu de déclaration de
valeur, ces conventions parlent de « déclaration d'intérêt à la livraison ». C'est, en fait, la même
chose.
Quant à la nature juridique de la déclaration de valeur, elle équivaut à une appréciation
conventionnelle de la valeur de la chose ; plus exactement, puisque le transporteur peut demander
à prouver que la marchandise n'avait pas la valeur déclarée, elle équivaut à une présomption
conventionnelle d'appréciation de la valeur de la chose. Ce n'est donc pas un plafond
conventionnel. C'est pourquoi sans récuser la sincérité de la déclaration du chargeur, le
transporteur ne devra pas la somme déclarée dans les cas où il y a seulement perte partielle ou
avarie. On applique alors la règle de proportionnalité que l'on a écartée pour le plafond légal
666,67 DTS. Il n'y a du reste pas de jurisprudence sur cette question parce que pratiquement
l'assurance sur facultés est beaucoup plus usitée que la déclaration de valeur de l'article L. 5422-
14-b903.

§5. Calcul de l'indemnité en cas de réparation intégrale

Que la réparation soit intégrale à la suite d'un dol ou d'une faute inexcusable, ou bien en raison
d'une déclaration de valeur, ou bien encore que la réparation soit limitée mais que l'indemnité due
soit inférieure au plafond, il faut savoir comment calculer cette indemnité et ce même en cas de
déclaration de valeur, lorsque, comme on l'a vu, la déclaration est ultérieurement contestée par le
transporteur.
Reprenant les dispositions du Protocole de 1968, l’article L. 5422-13 précise la méthode
permettant d'apprécier le montant réel de l'indemnité : « La somme totale due est calculée par
référence à la valeur des marchandises au lieu et au jour où elles sont déchargées, conformément
au contrat ou au jour où elles auraient dû être déchargées ». « La valeur de la marchandise est
déterminée d'après le cours en bourse, ou à défaut d'après le prix courant sur le marché ou, à
défaut, d'après la valeur usuelle de marchandises de même nature et qualité » (art. 5422-13, al. 4).
La convention est dans le même sens (art. 4.5 b.)904.
Normalement le transporteur doit réparer le « montant du préjudice effectivement subi »905 ;
toutefois, afin de faciliter le règlement des litiges, il existe dans la pratique une certaine souplesse

903
 Comp. Com. 26 avr. 1984, BTL 1985.10, ayant condamné à la réparation intégrale, sans qu'il puisse limiter sa
réparation, le commissionnaire de transport qui, connaissant la valeur de la marchandise, ne l'avait pas déclarée au
transporteur, autrement dit n'avait pas fait une déclaration de valeur au sens indiqué au texte. L'assurance couvre la
quasi-totalité des marchandises transportées par mer, alors que la déclaration de valeur est rare ; en recourant à la
première solution, le chargeur parvient au même résultat sans supplément de fret ; en outre, il sera indemnisé en fait
plus rapidement ; enfin, il ne subira pas l'effet des cas exceptés alors que ceux-ci jouent en cas de déclaration de
valeur (BT 1983. 559) ; rappr. Com. 22 avr. 1986 BT 1986. 395.
904
Com. 28 nov. 1995, DMF 1996. 1025, obs. Achard ; Com. 8 janv. 208, DMF 208, 445, obs. Tassel ; comp.
T. com. Marseille 31 mai 1996, Rev. Scapel 1996, 158, qui se réfère au prix du marché au jour et au lieu où la
transaction est ou serait intervenue, ce qui traduit une confusion (compréhensible) entre la vente et le transport ; v.
égal. décisions in DMF 2008 HS 12, n° 92.
905
 Sur cette expression, figurant dans la loi américaine, v. cour de district des États-Unis, pour le district sud de
Géorgie, 13 juin 1982 American Maritime Cases, juin 1985, p. 1766 s.
239
qui est parfois entérinée par les tribunaux 906. Il ne faut pas oublier, en outre, les exigences qui
tiennent à la mitigation, notion bien admise en droit maritime907.

§6. Réparation

Au chiffre près, la Convention de 1924 adoptait le système auquel se sont ralliés successivement
la loi du 2 avril 1936 et la loi du 18 juin 1966 : elle établissait un plafond de 100 livres sterling908
par colis ou par unité.
La révision de 1968 a, comme on l’a vu, modifié la situation.
Il faut rappeler que sous l'empire de la convention et du protocole comme en droit interne, la
limite de réparation du transporteur maritime doit se combiner et se cumuler le cas échéant avec
la limitation de responsabilité du propriétaire du navire ou des personnes assimilées à ce
dernier909.

Pour le reste, on précisera que la difficulté de calculer la valeur du franc Poincaré a provoqué la
réunion d'une conférence diplomatique à Bruxelles ; celle-ci a adopté le 21 décembre 1979 un
protocole préparé par le CMI, texte modifiant les dispositions relatives à l'unité de compte : le
DTS remplace le franc Poincaré. Le protocole portant modification de la convention
internationale pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement du 25 août 1924,
telle qu'amendée par le protocole de modification du 23 février 1968 a été signé par un certain
nombre d'États au nombre desquels figure la France ; il est entré en vigueur le 14 février 1984. Le
protocole prévoit que la limite de réparation par colis ou par unité sera de 666,67 DTS et la limite
par poids brut de 2 DTS910.

SECTION 3. EXERCICE DE L'ACTION EN RESPONSABILITÉ

906
 T. com Marseille 10 mai 1977, DMF 1978. 171, confirmé par Aix-en-Provence 9 nov. 1977, Scapel 1978, p. 47 :
« en ce qui concerne le règlement à 90 % des manquants, cette règle devenue traditionnelle à Marseille reste valable
et consacrée par l'usage. » Pour ce qui concerne l'importation de sacs de café du Brésil, le tribunal de commerce de
Marseille a entériné l'usage des assureurs de la marchandise qui calculent le montant de leur réclamation en prenant
comme base la différence du poids des sacs en vidange avec le poids moyen des sacs sains. De façon générale, les
transports par conteneurs de certains produits, en régime français ou en régime international, qu'il s'agisse par
exemple de produits chimiques ou de « stocks de vêtements » (Com. 9 nov. 1993, Bull, civ., IV, n° 397), « empotés »
dans un conteneur, donnent lieu à une responsabilité standardisée, inférieure à la limitation légale, mais non
dérisoire, dès lors que la clause limitative a été signée par le chargeur comme le stipule une clause particulière du
connaissement (Com. 9 nov. 1993 préc.).
907
v. Delebecque, Gazette CAMP, n° 28.
908
 Il s'agit de livres sterling-or ; la conversion en francs français était d'autant plus difficile que la livre sterling
n'était plus rattachée à l'or depuis longtemps ; on estimait en général, en se fondant sur des calculs contestables, que
cent livres-or représentaient 4 576, 50 francs (Paris 18 avr. 1974, DMF 1974. 524 ; Aix-en-Provence 6 déc. 1984,
DMF 1985. 737, obs. Achard). Par unité, on entendait, dans l'arrêt précité d'Aix, la tonne métrique retenue au
connaissement.
909
 V. sur ce point Bonassies note in fine p. 678 et 679, sous Paris 31 oct. 1984, » Laura », DMF 1985. 668 s. ; du
Pontavice, Le statut des navires, p. 231.
910
 Il s'agit d'un montant dans les deux cas, très légèrement supérieur, à l'équivalence 1 franc Poincaré = 1/15e DTS.
La limitation est donc unifiée aujourd'hui entre la loi maritime française et la Convention de Bruxelles amendée par
le protocole de 1979.
240
Toute action en responsabilité est subordonnée à un certain nombre de conditions d’ordre
procédural ou quasi-procédural911. À commencer par les exigences de preuve. Le demandeur doit,
avant toutes choses, établir la réalité et l’importance des dommages dont il demande réparation
(art. D. 5422-26). Puisque l’on est en matière commerciale et puisqu’il s’agit d’éléments de fait,
cette preuve est libre. Encore faut-il qu’elle soit pertinente et de nature à convaincre les juges 912.
Inutile de dire que ces aspects sont particulièrement importants. Au demeurant, ils ne sont pas
purement factuels, car les expertises unilatérales ou même judiciaires sont de plus en plus
encadrées913. On s’interroge aussi sur les vertus réciproques des techniques de droit civil et de
common law. D’autres questions tout aussi importantes se posent qui intéressent les acteurs, les
diligences à observer et la compétence des tribunaux.

§1. Les acteurs

I.Qui peut agir en responsabilité ?914 

L'action en responsabilité, dans le cadre de la loi de 1966, est une action contractuelle. Seul peut
l'intenter le créancier de l'obligation contractuelle mal exécutée. C'est le cas du chargeur ou du
destinataire, associé au contrat (v. ss 731). En revanche, le propriétaire de la marchandise en tant
que tel ne le peut pas915. Le commissionnaire, en sa qualité de cocontractant du transporteur,
dispose d’un recours contractuel916
Quand un connaissement est émis, des difficultés se présentent concernant la détermination du
destinataire, habilité à agir contractuellement contre le transporteur.
Dans les connaissements à ordre ou au porteur, la jurisprudence s’en est tenue pendant longtemps
à une position très formelle917 : seul le porteur régulier du titre pouvait agir comme réceptionnaire
911
L’expression (quasi-procédure) que nous nous permettons de reprendre est de P. Bonassies. Les Anglais
parleraient sans doute d’adjective law.
912
Com. 24 oct. 1995, DMF 1996. 44, rapp. Rémery ; Com. 19 nov. 1996, DMF 1997. 402, rapp. Rémery ; égal. sur
l’importance des problèmes de preuve, Delebecque, Gazette CAMP, n° 16. Un P. V. des douanes n’est pas
contestable, sentence CAMP n° 1827 du 14 déc. 2011, plus général. F.-X. Balme, Le droit de la preuve et les
transports maritimes, thèse Paris I, 2014.
913
v. L. Cadiet, L’expertise dans les sinistres maritimes, DMF 2001. 710 ; Desmorais, Gazette CAMP, n° 32.
914
 W. Tetley, « Who May Claim or Sue for Cargo Loss or Damage ? » p. 153, in Journal of Maritime Law and
Commerce, vol. 17, 2 april 1986.
915
Aix-en-Provence 9 déc. 1958, DMF 1959. 735.
916
Aix-en-Provence 30 mai 1991, DMF 1993. 232 ; Paris 27 févr. 2013, DMF 2013. 736, obs. M.-N. Raynaud.
917
 V. Com. 25 juin 1985, DMF 1985. 659, obs crit. Bonassies ; BT 1985.518 et obs. M. Rémond-Gouilloud, p. 513 ;
JCP 1986. II. 20592, note Pestel-Debord : « L'action en réparation du préjudice résultant des avaries causées à la
marchandise par la mauvaise exécution du contrat de transport ne peut être exercée, en cas d'émission d'un
connaissement à ordre, que par le dernier endossataire ou le cessionnaire de sa créance.  » v. encore obs. crit.
Bonassies, DMF 1986. 80, n° 45. La Cour de cassation avait confirmé et généralisé sa position dans un arrêt du
7 avr. 1987 (DMF 1987. 417, obs. R.A. ; D. 1987. 471, note M. Rémond-Gouilloud), qui précise que « lorsqu'un
connaissement a été émis, l'action en réparation du préjudice résultant des avaries ou des pertes causées par la
mauvaise exécution du contrat de transport ne peut être exercée que par le porteur régulier de ce titre, titulaire des
droits sur la marchandise ». V. aussi Com. 16 juin 1987, Bull civ, IV, n° 153. Comp. Com. 19 mars 1985 (JCP
1985.IV.198, Rev. Scapel 1985, p. 62) faisant une exception à cette solution rigoureuse en faveur du consignataire
de la cargaison qui n'était pas le dernier endossataire, mais auquel l'expéditeur avait transmis le connaissement pour
lui permettre de réceptionner la marchandise ; à vrai dire on ne voit pas pourquoi un simple consignataire de la
cargaison a le droit d'agir en justice contre le transporteur alors que l'expéditeur, qui a endossé le connaissement et
qui est partie au contrat de transport, n'est pas censé avoir la dignité nécessaire ; égal. Com. 15 juill. 1987, DMF
1988. 239, obs. Achard accueillant l'action des assureurs subrogés dans les droits du transitaire-expéditeur, lui-même
241
de la marchandise. Admettre l'action d'une autre personne enlèverait, disait-on, toute sécurité au
titre. Cette solution est heureusement abandonnée. En effet, mettant fin à la célèbre affaire
Mercandia, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt
précité de la cour de Montpellier du 1 er décembre 1987, et n'a pas suivi, dans un arrêt du
22 décembre 1989, la doctrine de la chambre commerciale, en déclarant : « si l'action en
responsabilité, pour pertes ou avaries, contre le transporteur maritime, n'appartient qu'au dernier
endossataire du connaissement à ordre, cette action est ouverte au chargeur lorsque celui-ci est
seul à avoir supporté le préjudice résultant du transport »918.

Dans les connaissements à personne dénommée, le titulaire de la créance est celui dont le nom
figure sur le titre919 mais la solution rigide qui n'admettrait d'action que de la part du destinataire
désigné est assouplie dans deux cas. D'abord, ce destinataire a pu céder sa créance ; en pareil cas
le capitaine, qui doit délivrer la marchandise au cessionnaire lorsqu'il y a eu signification dans les
termes de l'article 1690 du Code civil 920, doit pareillement subir l'action en responsabilité de ce
cessionnaire. En pratique, cette première exception n'opère que très rarement.

En second lieu, une jurisprudence aujourd'hui constante admet l'action de celui qu'on appelle le
destinataire réel (« notify ») de la marchandise, la personne désignée au connaissement faisant
alors figure de destinataire apparent. Il en est ainsi lorsque ce sont les énonciations mêmes du
connaissement qui indiquent les droits de ce destinataire réel. Cette solution921 a été exprimée
avec netteté par la Cour de cassation922 qui a bien précisé que cette exception était subordonnée
aux énonciations mêmes du connaissement923. Ainsi, celui-ci ne perd pas sa valeur de titre sûr des
droits des parties. Les juridictions inférieures ne font pas toujours preuve des mêmes

cessionnaire des droits du chargeur, dès lors qu'ils étaient porteurs du deuxième original du connaissement comme
l'ayant reçu du précédent porteur qui était le chargeur désigné au titre et alors que le connaissement avait été
accompli par le destinataire, c'est-à-dire remis au capitaine en échange de la marchandise  ; v. encore, P.-Y. Nicolas,
La subrogation légale et la théorie du connaissement (À propos de l'arrêt « Touggourt » de la Cour de cassation),
DMF 1989. 563 ; Bouloy, Connaissement et droit d'action, DMF 1989. 580 s.
918
 BT 1990, 27 ; DMF 1990. 29, obs. Bonassies ; JCP 1989. II. 21503 et la note ; BT 1990, p. 155, note Rémond-
Gouilloud ; RTD com. 1990. 131 s., obs. du Pontavice. Sur le droit anglais, v. Tetley, Marine cargo claims, op. cit.,
177 s.
919
Celui-ci dispose d’un droit d’action contre le transporteur maritime : Com. 21 févr. 2006, Bull. civ. IV, n° 47,
DMF 2006. 601, rapp. de Monteynard, obs. Tassel.
920
 Selon la Cour de cassation, il suffit que les cessionnaires (assureurs dans le cas d'espèce) aient dénoncé (c'est-à-
dire simplement fait connaître dans l'assignation leur qualité de cessionnaire des droits du destinataire :
10 mars 1987, Scapel 1987, p. 3, rejetant le pourvoi formé contre Aix-en-Provence, 22 févr 1985, Scapel 1985,
p. 35). La cession de créance doit être notifiée au débiteur avant l'expiration du délai de prescription (Paris
10 mai 1989, DMF 1989. 52, obs. Achard).
921
Admise dès 1951, cf. CB, JCP 1952, II, 6999.
922
Com. 23 juin 1958, DMF 1958. 657 et 4 mars 1963.
923
 Com. 24 nov. 1975, BTL. 1976, 86 ; V. aussi : Com. 7 avr. 1987, Bull. civ. IV, n° 91 ; D. 1987. 474, note
Rémond-Gouilloud ; Com. 15 juillet 1987, BT 1987, 532, Somm. ; M. Rémond-Gouilloud, Droit maritime, op. cit.,
n° 612.
242
précautions924. La jurisprudence Renée Delmas 925 est allée plus loin en reconnaissant sans réserve
le droit d'agir en responsabilité contre les transporteurs aux assureurs, subrogés à la personne
dont le nom avait été porté au « notify du connaissement ».

Depuis, d’autres décisions ont été rendues qui reconnaissent, sans aucune allusion au
connaissement, le droit d’agir à toute personne qui subit un préjudice en raison de la mauvaise
exécution du contrat de transport. Peu importe que le demandeur soit le seul à avoir subi un
préjudice : il suffit de faire état d’un préjudice926.

II.Intérêt à agir 

Toute demande en justice est subordonnée à la preuve d’un intérêt à agir (C. pr. civ., art. 31). Les
intérêts cargaison qui recherchent la responsabilité du transporteur doit donc faire état d’un
intérêt. L’existence de cet intérêt n’est pas subordonnée à la démonstration ab initio du bien-
fondé de l’action.
Le contrat de vente et le contrat de transport étant indépendants juridiquement le transporteur ne
peut se prévaloir des effets et conditions de la vente quant aux droits et obligations du vendeur
pour soutenir que celui-ci serait dépourvu d’intérêt à agir927. L’action en responsabilité est en
effet ouverte au profit du chargeur contre le transporteur maritime dès lors que le premier fait état
d’un préjudice résultant du transport effectué par le second. Cela vise aussi et bien naturellement
le commissionnaire dans ses relations avec le transporteur928.

En cas de vente à la commission, les propriétaires de la marchandise destinée à être vendue à la


commission, ces derniers ont intérêt à agir en réparation des avaries affectant la marchandise.929

III.Effet de l'assurance

L'action en responsabilité suppose que le demandeur ait subi un dommage. S'il a été dédommagé
– entièrement - par un assureur, il n'a plus d'action parce qu'il n'a plus d'intérêt 930. Quant à
l'assureur lui-même, il a un recours contre le transporteur soit qu'il ait été subrogé dans les droits
de l'assuré, soit qu'il ait quelque droit direct à agir. Telles sont les indications que donnent les
principes. Sont-ils appliqués par la jurisprudence ? La réponse est aujourd’hui clairement
affirmative, après, il faut bien le reconnaître, de nombreuses hésitations.

924
 Mais le destinataire réel ne peut agir sous l'angle de la responsabilité délictuelle, en l'absence de dommage
« propre », c'est-à-dire de dommage distinct de celui causé par la seule inexécution ou la mauvaise exécution du
contrat de transport. (Aix-en-Provence 8 oct. 1980, DMF 1981. 269, obs. R. Achard, et P. Bonassies « L'action en
responsabilité délictuelle du destinataire réel », DMF 1981. 515. M. Rémond-Gouilloud, « De l'action contractuelle à
l'action délictuelle : Les pièges du non-cumul », BT 7 févr. 1986, p. 97). Cette solution, qui pouvait se justifier dans
la mesure où le destinataire, agissant sur le terrain délictuel, échappait aux exonérations et limitations de
responsabilité contractuelle, n'a plus de raison d'être depuis que l’article 5422-18, al. 3, étend le bénéfice des
exonérations et des limitations de responsabilité du transporteur aux actions extracontractuelles.
925
Cass. 22 déc. 1989, DMF 1990. 29 ; v. égal. Com. 27 avr. 1993, DMF 1994. 168, n° 72, obs. Bonassies ; Aix-en-
Provence 4 déc. 1994, Rev. Scapel 1993, 14.
926
Com. 19 déc. 2000, DMF 2001. 222, rapp. de Monteyard, obs. Bonassies.
927
Com. 1er déc. 2009, DMF 2010. 21, rapp. Potocki, obs. Bernié, RD transp. 2010, n° 37, obs. Ndendé.
928
Com. 2 févr. 1999, DMF 2000 HS 4, n° 85.
929
Montpellier 24 avr. 2012, BTL 2012. 348 ; égal. Aix-en-Provence 2e ch. 7 déc. 2011, n° 2011/481.
930
Aix-en-Provence 10 janv. 2013, DMF 2013. 1027, obs. A.-L. Michel.
243
L'action de l'assuré indemnisé a été admise autrefois par la Cour de cassation au motif que le
transporteur ne saurait opposer au demandeur l'effet d'un contrat auquel il n'était pas lui-même
partie, mais la jurisprudence plus récente est en sens contraire 931 et se fonde sur ce que le
transporteur n'oppose pas tant le contrat que le fait du paiement qui dédommage l'assuré.
Quant à l'action de l'assureur, la loi du 3 juillet 1967 sur l'assurance maritime a adopté une
solution semblable à celle de la loi de 1930 en matière d'assurance terrestre : « l'assureur qui a
payé l'indemnité d'assurance acquiert à due concurrence de son paiement tous les droits de
l'assuré nés des dommages qui ont donné lieu à garantie » (C. assur., art. L. 172-29). Il pourra
donc agir contre le transporteur, comme l'aurait fait l'assuré lui-même. La loi maritime ne qualifie
pas la nature juridique de cette opération de transfert, alors que la loi terrestre parle de
subrogation932.
L’assureur peut donc se prétendre légalement subrogé dans les droits de son assuré s’il justifie
qu’il a payé l’indemnité et que le paiement est bien intervenu en exécution de l’obligation
souscrite par le contrat933.

L’assureur peut également agir sur le fondement d’une subrogation conventionnelle (C. civ., art.
1250) : encore faut-il en justifier par une quittance subrogative et justifier d’un paiement
contemporain934 et réalisé avant l’expiration du délai de prescription935.

IV.Autres transmissions d’action 

C’est, le plus souvent, l’assureur qui est concerné par une transmission d’action. Comme on l’a
vu, sa situation est aujourd’hui clarifiée, réserve étant faite de la loi applicable 936. La pratique
révèle cependant d’autres hypothèses dans lesquelles l’action en responsabilité se trouve
transmise937 à un tiers ou encore au chargeur lui-même938. Le droit de la cession de créance
autorise incontestablement ce type de transmission. Encore faut-il, naturellement, que les
conditions en soient respectées (C. civ., art. 1690). La difficulté essentielle tient à la portée de la

931
V. déjà Rouen 4 oct. 1957, DMF 1958. 583. comp. en cas de « bailee clause » : T. com. Le Havre 4 févr. 1958,
DMF 1959. 609.
932
 V. P. Bonassies, Gazette CAMP, n° 1 - Sur l'action de l'assureur, v. Com. 18 juin 1985, BT 1985.520 ;
Bonassies, DMF 1986. 87, n° 56 : L'assureur de la marchandise agit en responsabilité contre le transporteur avant
d'avoir indemnisé son client, l'indemnisation intervient ultérieurement plus d'un an après le sinistre ; la cour déclare
l'action des assureurs recevable par application de l'article 126 al. 1 CPC énonçant que, dans les cas où la situation
donnant lieu à une fin de non recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité doit être écartée si sa cause a
disparu au moment où le juge statue. v. égal. nouvelles avancées en faveur des assureurs facultés, Gazette CAMP, n°
23 ; égal. Tantin, Le droit d’action de l’assureur subrogé : pièges et paroles, DMF 2002. 803 ; La subrogation : 7 ans
de réflexion, DMF 2009. 117.
933
v. en application, not. Civ. 2e, 5 juill. 2006, DMF 2007. 220 et les obs. ; Com. 12 mars 2013, DMF 2013. 828,
obs. Le Borgne ; v. égal. décisions rapportées in DMF 2004, HS 8, n° 112.
934
v. DMF 2010 HS 14, n° 106 ; DMF 2011 HS 15, n° 124.
935
Comp. Com. 12 oct. 2004, DMF 2005. 245, obs. Cachard.
936
V. Gruber, Les règles de conflit de lois applicable à la subrogation de l’assureur, DMF 2010. 3 ; égal. décisions
in DMF 2010, HS 14, n° 107.
937
Les connaissements eux-mêmes prévoient que si le transporteur paye les intérêts cargaison, il recueille alors
leurs propres droits : « When any claims are paid by the carrier to the merchant, the carrier shall be automatically
subrogated to all rights of the merchant against all other third party, including underlying carriers and sub-
contractors, on account of such loss or damage ». Cette subrogation conventionnelle ne pourra se réaliser que si les
conditions en sont respectées.
938
Rouen 17 nov. 2011, DMF 2012. 545, obs. C. de Cet Bertin.
244
cession et à la détermination des droits cédés, spécialement lorsque le destinataire de la
marchandise, porteur d’un connaissement de charte-partie, cède ses droits à l’affréteur qui l’a
indemnisé. L’affréteur qui se retourne alors contre le fréteur agit-il exclusivement en qualité de
destinataire ? Se place-t-il dans les seules « chaussures » du destinataire et peut-il ignorer dans
ces conditions sa qualité initiale d’affréteur tenu par les clauses de la charte-partie ? La
jurisprudence est, sur ce point, controversée939. Il n’est pas certain que la solution qui permet à
l’affréteur cessionnaire d’oublier la charte soit la plus exacte, dans la mesure où un cessionnaire
ne devient pas partie au contrat à l’origine de la créance cédée et qu’il n’est sans doute pas à
même d’exercer lui-même en sa qualité de cessionnaire l’action contractuelle propre au cédant.940

V.Contre qui peut-on agir en responsabilité ?

L'action doit être dirigée contre celui qui a émis le connaissement. Face à un consortium
d'armateurs, il est cependant permis de se demander qui est le transporteur lorsque le
connaissement ne l'indique pas clairement. Un consortium n'est « pas par lui-même une
compagnie de navigation maritime et n'effectue pas d'opérations de transport maritime, cette
nature et cette activité revenant aux seules compagnies membres du groupement et pas au
groupement lui-même », d’autant que le groupement n’a pas la personnalité morale. Il faut
ajouter que les navires navigant sous la marque commune sont arrimés et exploités par l'un ou
l'autre des membres du groupement de manière autonome, chacun de ceux-ci ayant la qualité de
transporteur maritime, bien que pour des raisons pratiques et d'ordre administratif les
connaissements soient, mais seulement en apparence, émis par le groupement941. De même,
l'agent maritime du groupement est en réalité l'agent de chacune des compagnies de navigation
qui en sont membres.
Toutefois, en cas d'affrètement, il peut arriver qu'un connaissement ne porte ni en-tête, ni
signature lisible, ni cachet lisible et que l'ayant-droit à la marchandise ne sache qui, du fréteur ou
de l'affréteur, a émis le connaissement et ce notamment lorsqu'il s'agit d'un affrètement à temps942.

Un temps, la Cour de cassation refusait d’admettre que le propriétaire du navire pût être
considéré comme le transporteur943 : s'agissant de connaissements à ordre et de « delivery-
orders » signés « for the Master » et ne comportant que le nom du navire à l'exclusion du nom de
l'armateur-propriétaire, il avait été dit que l’on pouvait admettre que ces documents n'avaient pas
été émis pour le compte de ce dernier et qu'il n'avait donc pas la qualité de transporteur. La
solution était critiquable, dans la mesure où les circonstances ne permettaient pas de dire que les
porteurs du connaissement connaissaient ou pouvaient connaître le transporteur. La Cour de
939
v. en faveur de l’inopposabilité des clauses de la charte-partie à l’affréteur (et à ses assureurs subrogés)
cessionnaire des droits du destinataire : Com. 8 oct. 2003, DMF 2004. 339, obs. Rémond-Gouilloud, Rev. arb. 2004.
77, note Cachard ; contra, Civ. 1re, 16 nov. 2004, DMF 2004. 423, obs. M. Rémond-Gouilloud.
940
v. obs. DMF 2004 HS 8, n° 103 ; DMF 2005, HS 9, n° 116. comp. MM. Bonassies et Scapel, n° 1147.
941
Paris 2 déc. 1985, DMF 1986. 551 ; égal. DMF 1987. 13, n° 6, obs. P. Bonassies.
942
cf. Tassel, Le connaissement de charte-partie sans en-tête, DMF 1987. 547 ; égal. A. Kozubovkaya-Pellé, De la
qualité juridique de transporteur maritime de marchandises : notion et identification, PUAM 2010. En cas
d’affrètement à temps, le fréteur ne peut être considéré comme le transporteur : Com. 20 janv. 2009, DMF 2009. 235,
rapp. Potocki, obs. Bonassies, précisant que l’action engagée contre lui n’est pas soumise à la prescription du droit
des transports.
943
 v. Com. 10 mai 1983, DMF 1984. 269 ; égal. Achard, L'action directe des porteurs de connaissements contre le
propriétaire du navire dans l'affrètement à temps, à propos de l'arrêt du 10 mai 1983 navire « Julia », DMF 1984.
351.
245
cassation a fini par admettre, à la suite des juges du fond944, que dès lors que le connaissement ne
portait aucune mention permettant d'identifier le transporteur, les réceptionnaires étaient fondés à
adresser leur réclamation au propriétaire armateur du navire945. Cette solution est aujourd’hui bien
acquise946.

On rappellera que la clause « identity of carrier » dont l’objet est d’assimiler shipowner et carrier
est inopposable aux tiers. Cette clause dont la validité est incontestable 947, ne peut être opposée au
propriétaire d’un navire par les parties au contrat de transport auquel il est étranger948.

Il se peut enfin que le transport soit exécuté par un transporteur de fait 949. Le transporteur
contractuel en est responsable : il assume comme tout débiteur contractuel une responsabilité
contractuelle pour fait d’autrui lorsqu’il a lui-même introduit dans le cercle contractuel cet
exécutant. Il reste cependant possible d’agir directement contre le transporteur de fait, mais cette
action, en l’état du droit positif, ne peut avoir qu’une nature extra contractuelle (v. ss 740) 950. Le
droit des transports n’étant pas applicable, il ne saurait être question d’une responsabilité de plein
droit. Le transporteur de fait n’est donc responsable qu’en cas de faute prouvée.

§ 2. Diligences requises

I.Réserves au déchargement 

En l’absence de réserves au déchargement, le transporteur bénéficie d’une présomption de


livraison conforme951. Cette présomption joue notamment en ce qui concerne l’absence de plomb
d’origine ou des colis manquants. La prise de réserves est cependant possible. Notice et réserves
sont également prévues par les conditions générales952 : le Code de commerce imposait au
réceptionnaire de telles diligences et les érigeait en fin de non-recevoir.

944
 Rouen 15 juin 1984, DMF 1985. 351, obs R. Achard ; Aix-en-Provence 14 févr. 1984, DMF 1985. 542, obs.
Ollu ; égal. Bonassies, DMF 1986. 74, n° 34 ; égal. CA Anvers 11 sept. 1985, DET 1986. 1. 72.
945
 Com. 21 juill. 1987, Vomar, DMF 1987. 573, confirmant Aix-en-Provence 22 oct. 1985, Scapel 1987,40 ;
Bonassies, Le droit positif français en 1987, DMF 1988. 141, n° 45 ; Aix-en-Provence 26 juin 2006, DMF 2007. 531,
obs. Tassel ; Aix-en-Provence 9 nov. 2011, Rev. Scapel 2012, 59, note Roulette ; comp. Com. 8 janv. 2002, DMF
2002. 445, rapp. de Monteynard.
946
MM Bonassies et Scapel, n° 948 ; égal. Règles de Rotterdam, art. 37. Sur la possibilité d’agir contre le
propriétaire et contre l’émetteur du connaissement : Aix-en-Provence 8 sept. 1994, DMF 1995. 52.
947
Com. 5 nov. 2003, DMF 2004. 368, obs. Tassel.
948
Paris 29 sept. 1988, DMF 1990. 381, obs. Achard ; Com. 7 avr. 2004, DMF 2004. 1022, obs. Cachard ; égal. W.
Tetley, Whom to sue : identity of the carrier, Mélanges L. Tricot, Kluwer 1988, p. 501 ; égal. Ch. Lords 13 mars
2003, The Starsin, LLR 2003, I, 571.
949
Si le transporteur contractuel et le transporteur de fait sont condamnés conjointement, le recours de l’un contre
l’autre ne peut être fondé que sur le paiement de l’indu : Com. 5 mai 2004, DMF 2005. 554.
950
V. Paris 27 févr. 2013, DMF 2013. 736, obs. M.-N. Raynaud, DMF 2013, HS 17, n° 107, BTL 2013. 176, à
propos d’une action intentée par les destinataires contre le transporteur maritime « réel », émetteur d’un
connaissement de service, à la suite de l’affrètement d’espace sur son navire, affrètement conclu par le NVOCC,
transporteur contractuel.
951
Com. 8 mars 2011, DMF 2011. 641, obs. C. Bloch.
952
« Unless notice of loss or damage to the goods specifying or describing the exact nature of such loss or damage
is given in writing to the carrier at the port of discharge or place of delivery before or at the time of delivery of the
goods or, if the loss or damage is not apparent, within three (3) consecutive days after delivery, the goods shall be
deemed to have been delivered as described in the bill of lading ».
246
La loi de 1936 a retenu un système plus souple, plus favorable aux clients des transporteurs et
imité de la common law ; la réforme de 1966 l'a conservé. La règle est énoncée en ces termes :
« En cas de pertes ou de dommages survenus aux marchandises, le réceptionnaire doit adresser
des réserves écrites au transporteur ou à son représentant au port de déchargement, au plus tard au
moment de la livraison, faute de quoi les marchandises sont présumées, sauf preuve contraire,
avoir été reçues par lui telles qu'elle sont décrites au connaissement » (art. D. 5422-27). Le
transporteur est réputé n'avoir rien perdu, ni rien endommagé, puisque les marchandises sont
présumées livrées par lui dans l'état où il les avait reçues au départ.
Il ne s'agit plus d'une fin de non-recevoir. Le destinataire qui laisse passer le délai de 24 heures
n'est pas forclos. Il peut agir en responsabilité. La preuve lui incombera qu'une perte ou une
avarie s'est produite et cette preuve sera difficile parce qu'il lui faut établir que le dommage s'est
produit avant qu'il ait pris livraison ; le transporteur aura beau jeu de dire que la perte ou l'avarie
s'est produite entre les mains du destinataire, ou entre les mains du camionneur qui les a
transportées du quai chez le destinataire.
Le système n'en reste pas moins dangereux pour le transporteur que la forclusion ne protège plus.
Aussi est-il prévu que le « transporteur peut toujours demander qu'une constatation contradictoire
de l'état de la marchandise soit faite lors de sa réception » (al. 3), ce qui lui permettra plus tard de
combattre plus sûrement les prétentions du destinataire953.
Pour éviter la présomption de réception conforme au connaissement, l'article D. 5422-27 prévoit
un moyen : le destinataire doit adresser des réserves écrites au transporteur ou à son
représentant954. Il doit le faire au plus tard au moment de la livraison. Faites ainsi, les réserves
empêchent la présomption de jouer. Mais elles ne sont pas nécessairement la preuve suffisante
qu'il y a perte ou avarie.
Le régime qui vient d'être décrit concerne les dommages apparents. En cas de dommages non
apparents, un délai de trois jours955 est ouvert au destinataire pour éviter la présomption. Mais en
pareil cas, un doute subsistera malgré la diligence du destinataire : le dommage ne s'est-il pas
produit quand la marchandise était entre ses mains ?
Ainsi, le système de la loi maritime, qui paraît supérieur par sa souplesse à la forclusion de
l'article L. 133-3 C. com., ne rassure ni le transporteur, ni les réceptionnaires, mais on ne peut pas
faire davantage pour eux.
La loi attache donc au silence du destinataire la présomption que le transport a été bien exécuté.
Mais cette présomption n'est pas irréfragable et le destinataire peut faire la preuve de la réalité du
dommage.
Cette question des réserves est en pratique extrêmement importante. De nombreux procès de fait
portent sur le point de savoir si les dommages sont apparents ou non. De nombreux procès de
droit visent à déterminer si tel ou tel intermédiaire doit, pour le compte du destinataire faire les
réserves que comporte l'état de la marchandise à l'arrivée. Cette question s'est posée pour les
acconiers, les wharfs, les transitaires. Il entre certainement dans l'objet du mandat de ces derniers
de prendre contre le bord les réserves appropriées ; s'ils compromettent par leur négligence le
recours de leur mandant, ils commettent une faute dans l'accomplissement de leur mandat et en
doivent réparation. La situation tend à être la même pour les acconiers et les wharfs956.

953
Com. 10 mai 1984, JCP 1984, IV, 8.
954
 Sur cette efficacité : Paris, 13 nov. 1976, DMF 1977. 267, obs. Rodière. Les réserves doivent être précises.
955
 Sur le point de départ du délai de trois jours, v. Rouen, 30 mai 1985, DMF 1986. 310.
956
 Cons. pour ces divers intermédiaires, Rodière, Taité préc., tome 3, n° 856, 858, 877 et Mise à jour 1978. V. ainsi
Paris, 12 mars 1975, DMF 1975. 348 (acconier).
247
II.Prescription de l'action

Une autre diligence est requise, c’est celle qui est impliquée par la prescription. Elle est d'un an,
comme le rappellent les connaissements957, courant, en cas de perte totale, du jour où les
marchandises auraient dû être livrées et, dans les autres cas (pertes partielles, avaries, retard) du
jour où la marchandise a été livrée ou offerte 958 au destinataire (art. L. 5422-18 et art. D. 5422-
28 ; Conv. art. 3 § 6). Ces dispositions s’articulent sur les règles du droit commun issues du Code
civil récemment modernisées.959
Ce délai ne peut être abrégé (C. civ., art. 2254), mais il peut être prorogé 960. La loi française,
comme le Protocole de 1968 (art. 1 § 2), autorisent la prorogation conventionnelle du délai de
prescription par un accord conclu entre les parties postérieurement à l'événement qui a donné
naissance à l'action. Il reste que le dol commis par le transporteur dans l’exécution du contrat ne
lui interdit pas de se prévaloir de la courte prescription961

Il s'agit d'une véritable prescription962 et non d'un délai préfix, ni d'une courte prescription
soumise au régime exceptionnel réservé aux prescriptions fondées sur une présomption de
paiement. La prescription s'explique ici par un souci d'ordre. Il ne faut pas obliger les
transporteurs à conserver indéfiniment les pièces afférentes à des opérations achevées, bien ou
mal. On admettra donc que la prescription est suspendue dans les termes du droit commun, que
l'interruption n'a pas, en principe, d’effet interversif963 et que le serment ne peut pas être déféré964.

On expliquera par là la responsabilité de l'acconier qui n'a pas établi un état différentiel : T. com. Paris, 7 avr. 1976,
DMF 1976. 603.
957
« In any event the carrier and its sub-contractors shall be discharged from all liability in respect of non-
delivery, mis-delivery, delay, loss or damage unless suit is brought within one (1) year after delivery of the goods or
the date when the goods should have been delivered ».
958
 L'offre implique un avis de mise à la disposition du destinataire : Com. 16 janv. 1973, DMF 1973. 399, obs
Rodière. En cas d'inexécution de la clause « disbursment » mettant à la charge du transporteur l'obligation d'encaisser
auprès du destinataire la somme indiquée à titre de remboursement des débours engagés par le chargeur, ce dernier
doit intenter l'action dans le délai d'un an (T. com. Le Havre, 15 mars 1988, BT 1988, 305) ; v. en cas de perte totale,
Com. 15 juin 2011, DMF 2012, rapp. Lecaroz, obs. Tassel.
Pour le point de départ de la prescription de l'action contre le transporteur maritime, la date n'est pas celle du jour
où le déchargement de la cargaison du navire avait pris fin, mais la date à laquelle le transporteur a effectivement mis
la marchandise à la disposition du destinataire, preuve qui lui incombe (Com. 17 nov. 1992, DMF 1993. 563, obs.
Bonassies ; égal. Com. 4 janv. 1994, Bull. civ. IV, n° 12 : les juges du fond ont pu retenir de circonstances non
équivoques constitutives de suspension et non d’interruption, que la date de remise d’un « bon à délivrer » ne
constituait pas le point de départ du délai de la prescription annale). C’est en effet uniquement à cette date que le
destinataire peut avoir connaissance de ses droits (C. civ., art. 2224) ; v. encore Rouen, 1er oct. 2009, DMF 2010, HS
14, n° 90. En cas de rétention de la marchandise, la prescription ne saurait évidemment courir.
959
P. Bonassies, Nouveaux aspects du droit de la prescription, DMF 2005. 677.
960
Il pourrait aussi être allongé, cf. MM. Bonassies et Scapel, n° 1178.
961
Com. 11 avr. 2012, DMF 2012. 632, rapp. Lecaroz, obs. Bonassies, D. 2012. 1121, obs. Delpech, RD transp.
2012, n° 26, obs. Ndendé.
962
v. sur la loi applicable, Sentence CAMP n° 578, 30 mai 1985, DMF 1986. 241 ; et aujourd’hui, C. civ., art. 2221.
963
Le droit commun est en ce sens, cf. C. civ., art. 2231. Il reste que si le transporteur reconnaît clairement sa
responsabilité, une nouvelle obligation se substitue à l’ancienne et qu’en raison de cette novation, il faudrait
admettre, comme on le faisait jadis, l’interversion de la prescription ; v. en ce sens, MM. Bonassies et Scapel, n°
1187.
964
 Sur l'interruption, il faut aujourd’hui se référer aux dispositions du Code civil : art. 2240 s. et préciser qu’elle n’a
qu’un caractère personnel : Com. 7 avr. 2004, DMF 2004. 1022, obs. Cachard. Une demande d’arbitrage interrompt
la prescription (Com. 7 déc. 1999, BTL 2000. 140), de même qu’une déclaration de créance dans une procédure
collective. Une mesure conservatoire interrompt également la prescription (art. 2244), ce qui vise, semble-t-il, une
248
Le champ d’application des règles sur la prescription fait parfois difficulté. En effet, la loi interne
vise les actions pour « pertes ou dommages » (art. L. 5422-18), tandis que la convention (art. 3. 6,
al. 3) envisage toute « action en responsabilité » contre le transporteur,965 ce qui est, on en
conviendra, beaucoup plus large.
Quant au point de départ, on s'est demandé si la date n'en est pas retardée au jour où le
transporteur a délivré au réceptionnaire un « certificat de non-débarquement ». C'est une pratique
assez courante, qui facilite par exemple à un transitaire la preuve auprès de son mandant que telle
ou telle cargaison ne lui a pas été remise. Il a été jugé que le point de départ n'en était pas retardé
et restait le jour de la livraison ou le jour où elle aurait dû se produire 966. La Cour de cassation
s’en tient parfois aveuglément à la date de livraison : ainsi, en est-il en matière de surestaries de
conteneurs, alors qu’une créance (d’indemnité pour non restitution dans les délais) n’est –
naturellement – pas exigible à la livraison, mais bien postérieurement967.

III.Actions récursoires 

Une autre difficulté a été tardivement soulevée. Il peut arriver que le défendeur, assigné en
réparation, ait lui-même un recours contre une autre personne ; la succession des transporteurs
peut se produire en matière maritime comme en matière terrestre. Le droit terrestre a prévu la
situation et l'a réglée en donnant à celui qui est assigné un mois pour agir en recours, ce mois
courant du jour où il est lui-même assigné (C. com., art. L. 133-6, al. 4). Le droit maritime n'avait
rien prévu, de sorte que si l'action principale était intentée à la limite du délai de la prescription
annale, le défendeur risquait de ne pas pouvoir lui-même recourir en temps utile. Cette lacune a
été comblée lors de la réforme de 1966. La loi a prévu en ce cas que l'action récursoire pourrait
être intentée, même après l'expiration du délai d'un an éventuellement augmenté de la
prolongation conventionnelle, pendant trois mois à compter de l'action contre le garanti ou du
jour où il aurait à l'amiable réglé la réclamation (art. L. 5422-18, al. 2)968. La convention
internationale est dans le même sens (art. 3. 6 bis).969

Ces actions récursoires ne concernent que les actions intentées contre le transporteur sous-traitant
ou contre l’entrepreneur de manutention (parties maritimes exécutantes) et non contre le chargeur
ou encore le vendeur de la marchandise 970. La jurisprudence considère que l’action récursoire est
encore recevable, même si au moment de son exercice l’action principale est prescrite. Toutefois,
l’action récursoire ne se conçoit pas sans action principale, si bien que celle-là n’est plus
requête aux fins de saisie d’un navire.
965
Ce qui renvoie à une action en réparation d’un dommage matériel ou économique, à l’exemple du préjudice subi
par le destinataire en raison de la livraison de la marchandise sans connaissement : Com. 29 avr. 1994, DMF 1995.
364, obs. Achard ; comp. Aix-en-Provence, 7 mars 1997, DMF 1998. 146 et les obs. crit. Une action en résolution
n’est pas une action en responsabilité : elle échappe donc à la prescription annale : Paris 14 déc. 2005, DMF 2006,
HS 10, n° 91.
966
Com. 13 nov. 1961, Bull. civ. IV, n° 404.
967
Com. 3 déc. 2013, DMF 2014. 38, obs. Piette : la solution n’a aucun sens.
968
 Rouen, 29 mai 1986, BT 1987, 312 ; Bonassies, Le droit positif français en 1987, DMF1988, p. 160, n° 78. Le
délai de 3 mois est sans doute un délai de prescription.
969
« Les actions récursoires pourront être exercées même après l'expiration du délai prévu… si elles le sont dans le
délai déterminé par la loi du tribunal saisi de l'affaire. Toutefois, ce délai ne pourra être inférieur à trois mois à partir
du jour où la personne qui exerce l'action récursoire a réglé la réclamation ou a elle-même reçu signification de
l'assignation ».
970
Com. 15 mai 2005, Bull. civ. IV, n° 65, DMF 2005. 535, obs. Tassel.
249
recevable si celle-ci est prescrite.971 En cas de règlement amiable, le recours ne pourra, au plus
tard, être exercé qu’à la date d’expiration du délai de prescription d’un an 972, étant précisé que la
prorogation conventionnelle du délai pour agir peut concerner tant le délai d’un an que le délai de
trois mois973.

§ 3. Règles de compétence

I.Compétence territoriale

Les tribunaux compétents sont ceux du droit commun, auxquels s'ajoute le tribunal du port de
chargement ou celui du port de déchargement s'il est situé sur le territoire de la République
Française. En cas de pluralité de défendeurs, ce qui est assez habituel, les règles traditionnelles
ont vocation à s’appliquer. 974
Il reste que les contentieux maritimes ont, le plus souvent, une dimension internationale. Il faut
alors déterminer les règles de conflits de juridiction. Si les litiges sont extracommunautaires, il
faut s’en tenir au droit commun des conflits de juridiction 975, ce qui conduit à transposer les règles
de compétence interne dans l’ordre international et, le cas échéant, à s’en tenir aux articles 14 et
15 du Code civil976. On rappellera que l’ordre public international français, s’il permettait à une
juridiction française d’écarter une loi étrangère qui normalement régirait le litige mais qui
contreviendrait à cet ordre, n’autorise pas d’écarter la compétence territoriale d’une juridiction
étrangère au profit d’un tribunal français977.

L’application des textes européens conduit à rechercher le lieu où l’obligation doit être exécutée,
en tenant compte de la loi applicable (Règl. n° 44/2001, art. 5-1). Il est cependant permis de se
demander si le transport ne peut pas être considéré comme une « fourniture de services », auquel
cas le lieu d’exécution qui fonde la compétence est celui où, en vertu du contrat, les services ont
été ou auraient dû être fournis978. Cela dit, les règles générales de compétence ont assez rarement
l’occasion de s’appliquer. En effet, la pratique des clauses attributives de compétence est
courante dans l'exploitation des navires. Pour les connaissements, la pratique des clauses
compromissoires est rare. Ces clauses sont la source d’un abondant contentieux et sont difficiles à
admettre dans les opérations de transport, dans la mesure où elles mettent le réceptionnaire dans
une situation délicate en le privant du droit d’être jugé par son juge naturel.

971
Aix-en-Provence 30 sept. 2003, DMF 2004, HS 8, n° 97.
972
Com. 7 déc. 2004, DMF 2005. 552 ; Caen ch. réun. 11 mai 2006, DMF 2007. 242, obs. P.-Y. Nicolas.
973
Com. 30 mars 2005, DMF 2005. 699, obs. M.-N. Raynaud ; v. égal. Paris 13 juin 207, BTL 2007. 463.
974
Cf. RTD com. 2001. 305.
975
V. MM. Niboyet et de la Pradelle, Droit international privé, LGDJ 3e éd., 2013 ; Droit du commerce
international, Précis Dalloz, 3e éd., n° 926 s.
976
Le privilège de juridiction est souvent invoqué par les assureurs subrogés : Civ. 1re, 14 déc. 2004, Bull. civ. I, n°
311, DMF 2005. 423 et les obs. ; égal. Civ. 1re, 1er juill. 2009, DMF 2010, HS 14, n° 104.
977
Cass. 11 juin 2002, DMF 2002. 919, obs. L. Raison-Rebufat et O. Raison.
978
En ce sens, Com. 16 nov. 2010, You King, D. 2010. 2917, Delpech, DMF 2011. 231, rapp. Potocki, et les obs. ;
égal. Aff. Rehder, CJCE 9 juill. 2009, D. 2010. 1592, Jault Seseke.
250
II.Clauses attributives de juridiction

la question des clauses attributives de compétence est, en droit des transports, très sensible. 979 Il
faut dire qu’elle suscite un contentieux important et souvent complexe. Il faut bien comprendre
que la clause de compétence n’est pas une clause comme une autre, car en dérogeant aux règles
habituelles de compétence, elles placent le transporteur dans une position avantageuse. La
jurisprudence a du reste toujours manifesté une certaine réserve à l’égard de ce type de clause, du
moins dans les relations transporteur / réceptionnaire980. Depuis quelques années cependant, les
choses ont changé, en l’état d’une politique jurisprudentielle délibérément libérale, voire ultra
libérale. Toujours est-il que les conditions de validité de la clause attributive de juridiction ne
sont pas les mêmes selon que la clause attribue compétence aux tribunaux d'un autre État-
membre de l’UE ou attribue compétence soit à un autre tribunal à l'intérieur de la France soit aux
tribunaux d'un État extérieur à l’UE.

Dans la première hypothèse, s'applique le Règlement 44/2001 concernant la compétence


judiciaire et l'exécution des décisions de justice 981. Selon la jurisprudence de la CJCE, « une
clause attributive de juridiction qui a été convenue entre un transporteur et un chargeur et qui a
été insérée dans un connaissement produit ses effets à l’égard du tiers porteur du connaissement,
pour autant que, en acquérant ce dernier, il ait succédé aux droits et aux obligations du chargeur
en vertu du droit national applicable. Si tel n’est pas le cas, il convient de vérifier son
consentement à ladite clause au regard des exigences de l’art. 23982 ».

Cette jurisprudence compliquée à souhait a été reprise mot à mot par la jurisprudence française 983.
Il faut commencer par rechercher la loi applicable à la situation du destinataire, cette loi étant la
loi du contrat : si en vertu de cette loi, le destinataire est considéré comme un ayant cause, il est
lié mécaniquement par la clause984. Si la loi applicable ne considère pas le destinataire comme un
ayant cause, mais comme un tiers appelé à devenir partie, il faut s’assurer qu’il a bien donné son
consentement. Il suffit cependant qu’il ait donné son consentement dans les conditions du texte ;
or, ces conditions sont très libérales (art. 23). Si le consentement répond aux usages, la cause est
entendue, ce qui n’impose pratiquement aucune vérification, car tous les connaissements des
compagnies maritimes attribuent compétence au Tribunal de leur siège.985 La solution n’est pas
979
V. MM. Bonassies et Scapel, n° 1152 s. ; Cachard, La force obligatoire vis-à-vis du destinataire des clauses
relatives à la compétence internationale dans les connaissements, Mélanges Gaudemet-Tallon, p. 201 ; égal. A
Amoussou, Les clauses attributives de compétence dans le transport maritime de marchandises, thèse Aix-Marseille
1999 ; G. Héligon, Opposabilité des clauses de compétence et contrat de transport, Gazette CAMP, n° 3 ; égal.
Béguin, L’extension de la clause compromissoire au destinataire dans le transport maritime, in Mélanges Bigot.
980
La clause s’applique dès l’instant que le litige trouve son origine dans l’exécution du contrat de transport, v.
Com. 24 sept. 2003, Bull. civ. IV, n° 145, DMF 2004. 10 et les obs.
981
 V. le texte de l'art. 23. Désormais, la « convention attributive de juridiction doit être conclue par écrit, soit
verbalement avec confirmation écrite, soit dans le commerce international, en une forme admise par les usages dans
ce domaine et que les parties connaissent ou sont censées connaître ».
982
CJCE 9 nov. 2000, Coreck, aff. C-387/98, DMF 2001. 187 et les obs., RTD com. 2001. 307.
983
Civ. 1re, 16 déc. 2008, Bull. civ. I, n° 283, DMF 2009. 124 et les obs., D. 2009. 1565, note F. Jault-Seseke.
984
Rouen 10 sept. 2009, DMF 2010. 35, obs. S. Sana Chaillé de Néré ; égal. décisions in DMF 2010 HS 14, n° 91 ;
égal. DMF 2012, HS 16, n° 122 ; DMF 2013 HS 17, n° 114.
985
Civ. 1re, 12 mars 2013, D. 2013. 1603, note Paulin, DMF 2013. 712, obs. J.-L. Renard : « il est d’usage,
largement connu et observé qu’en transport maritime, une branche spécifique du commerce international, les
transporteurs incluent dans les connaissements une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux dans le
ressort desquels se trouve le siège social » ; v. égal. Com. 19 nov. 2013, n° 12-24.668.
251
satisfaisante. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la Cour de cassation a introduit une limite
importante en considérant que le commettant n’était pas lié par la clause jouant dans les relations
commissionnaire / transporteur : dans une telle situation, en effet, le donneur d’ordre n’a peut
avoir donné son consentement à la clause, fût-ce dans les conditions de l’art. 23986.

Si la clause attributive de compétence désigne un autre tribunal du même État (la France en
particulier), on appliquera l'art. 48 du Code de procédure civile et l'art. 1134 du Code civil987.
Si la clause attributive de compétence désigne le tribunal d'un État étranger non membre de
l’UE988, la clause n'a pas à répondre aux exigences de l'article 48 Code de procédure civile 989.
Reste cependant la question de son opposabilité au destinataire. Si le droit français est applicable,
le destinataire n’est lié par la clause qu’autant qu’il l’a spécialement acceptée990.

III.Clauses compromissoires 

Les clauses d’arbitrage sont exceptionnelles dans les connaissements de ligne. Elles sont en
revanche fréquentes dans les connaissements de charte-partie. Plus précisément, le connaissement
renvoie alors à la charte qui, elle-même, contient une clause d’arbitrage. Un temps, la
jurisprudence était réservée à l’égard de ces clauses de renvoi. Elle est aujourd’hui très
accueillante en ayant dans deux arrêts de principe très clairement indiqué que l’appréciation de
cette question relevait de la compétence des arbitres eux-mêmes991. Ce qui suppose que la clause
d’arbitrage est, a priori, opposable au destinataire ou, à tout le moins, applicable, si ce n’est non
manifestement inapplicable. La même souplesse s’observe lorsque le réceptionnaire transfère ses
droits à l’affréteur et que celui-ci se présente en tant que porteur : il est alors jugé que l’affréteur-
réceptionnaire ne saurait oublier la clause initiale.992

IV.Clauses de compétence et lettres de garantie 

Depuis quelques années, une nouvelle pratique s’est développée. Il est assez fréquent que les
intérêts cargaison éprouvant ou subodorant un dommage engagent une saisie à l’encontre de
l’armateur transporteur. Dans la discussion qui s’ensuit, l’armateur, via son Club, accepte de
986
Com. 9 juill. 2013, n° 12-15.515, DMF 2014. 111 et les obs.
987
 Rouen 24 mai 1984, Nouveau recueil du Havre n° 2-1984, p. 24, note B. Marguet. Pour l'application de
l'art. 1134, v. Com. 28 févr. 1983, DMF 1983. 720, obs. Achard.
988
 Sur la validité de ces clauses, v. Com. 10 mars 1987, DMF 1987. 713 ; Bonnaud et Pestel-Debord, op. cit., 77 ;
Bonassies, Le droit positif français en 1987, DMF 1988. 156, n° 70. Sur la validité d'une clause de compétence au
profit du tribunal d'Alger sans que la clause ait à exclure expressément l'art. 54 du décret du 31 décembre 1966, v.
Com. 24 mai 1982, Bull., IV, n° 194.
989
 Cass. 25 nov 1986, DMF 1987. 706 ; Rev. crit. DIP 1987. 396, note Gaudemet-Tallon. Cass. 17 déc. 1985, Rev.
crit. DIP 1986. 537. Contra, Cass. 25 sept. 1984, Scapel 1986, 22 ; Bonassies, Le droit positif français en 1986,
DMF 1987. 138, n° 63. Ces clauses s'imposent tant à l'égard de l'ancien titulaire du droit que de l'assureur français
subrogé (Cass. 25 nov. 1986 et 10 mars 1987 précités).
990
Com. 25 juin 2002, Bull. civ. IV, n° 111, DMF 2003. 41.
991
Civ. 1re, 22 nov. 2005, DMF 2006. 16, RTD com. 2006. 251 et les obs. Com. 21 févr. 2006, DMF 2006. 379,
rapp. Potocki et les obs. ; égal. DMF 2006 HS 10, n° 100. Ces arrêts s’en tiennent à la règle compétence-compétence
en lui faisant produire un double effet : positif et négatif ; ce second effet n’allant vraiment pas de soi. La seule limite
à la compétence des arbitres est l’hypothèse dans laquelle la clause est « manifestement nulle ou inapplicable » ; v.
par ex. Civ. 1re, 6 nov. 2013, DMF 2014. 107, obs. Ch. Scapel ; comp. décisions in DMF 2007 HS 11, n° 99.
992
Civ. 1re, 16 mars 2004, DMF 2004. 423 ; contra Com. 8 oct. 2003, DMF 2004. 339.
252
délivrer une lettre de garantie de x. USD ou euros moyennant la mainlevée de la saisie. Dans
cette lettre, il est convenu que la garantie deviendra exécutoire si une action est ultérieurement
engagée devant tel tribunal (généralement arbitral) et si la décision est favorable aux intérêts
cargaison. Cette pratique respecte les intérêts des parties et facilite le développement des
affaires993. La jurisprudence y est favorable994, ce dont il faut se féliciter.

V.Compétence et « anti-suit injunction » 

Une autre pratique, d’un autre âge, s’est développée ou redéveloppée il y a une dizaine d’années
dans les circonstances suivantes. Des intérêts cargaison s’opposent à l’application d’une clause de
compétence ou d’une clause d’arbitrage et agissent devant une juridiction étatique. L’armateur
réagit aussitôt en réclamant à une juridiction de common law de prononcer à leur encontre une
« anti-suit injunction », c’est-à-dire un ordre de déférer à la clause de compétence ou à la clause
d’arbitrage sous peine d’une sanction pénale (qui peut aller jusqu’à un emprisonnement). Le fait
de ne pas respecter la clause serait une infraction pénale, l’offense étant celle d’un « contempt of
court ». On comprend que devant de telles menaces, de nombreux intérêts cargaison aient cédé.
D’autres, sans doute bien conseillé, ont considéré qu’il y avait là un procédé intolérable et, en
tout cas, contraire aux exigences d’une justice élémentaire. C’est du reste ce que la Cour de
justice a reconnu dans une décision Turner c/ Grovit995, non maritime, puis dans la fameuse
affaire Front Comor996, en considérant qu’une anti-suit, délivrée par un armateur à l’encontre des
assureurs d’un affréteur ayant subi un préjudice causé par le navire affrété, n’était pas compatible
avec le règlement 44/2001. Certains cherchent, bien naturellement, à minorer la portée de ces
décisions : elles ne joueraient que dans les litiges intracommunautaires et ne sauraient remettre en
cause le principe compétence-compétence, en tout cas sous son aspect négatif.
La discussion est, à ce jour, encore ouverte, mais, au-delà des arguments techniques qui peuvent
être avancés en faveur d’une interprétation large de cette jurisprudence 997, on ne voit pas
comment on peut encore justifier de nos jours la pratique de l’anti-suit et de l’hostilité, sinon du
mépris, qu’elle témoigne à l’égard de certaines juridictions. Est-ce, de surcroît, rendre service à
l’arbitrage que de le défendre par des menaces de caractère pénal ?

§2.Conclusion : Transport multimodal et Règles de Rotterdam 

De même que le droit international de la responsabilité des propriétaires de navires se disperse,


de même, le droit international de la responsabilité des transporteurs tend à se diversifier suivant
les marchandises transportées. Le CMI avait mis à l'étude un projet relatif à la responsabilité des
transporteurs par mer des substances nucléaires998. Un autre projet du CMI concernait les
transports de conteneurs. Les Règles de Hambourg l’ont rendu caduc. La Convention de Genève
de 1980 avait voulu organiser les opérations multimodales : elle n’a cependant jamais été ratifiée
993
V. Ch. Scapel, Lettres de garantie et compétence, Gazette CAMP, n° 14.
994
Aix-en-Provence 29 juin 2000, Rev. Scapel 2001, 47, précisant que le P and I, en tant que mandataire, engage
valablement son mandant, l’armateur lui-même ; Paris 19 mars 2003, DMF 2003. 597, obs. Coste et DMF 2004, HS
8, n° 102, et les obs., rejetant une action de l’armateur en nullité pour violence morale.
995
CJCE 27 avr. 2004, aff. C-159/02, DMF 2004. 413, obs. Carrier.
996
CJCE 10 févr. 2009, DMF 2009. 211, obs. approb. Carrier, DMF 2009 HS 13, n° 98, et les obs. approb. Rev.
arb. 2009. 407, note crit. Bollée, Rev. crit. DIP 2009. 373, note Muir-Watt.
997
v. MM. Bonassies et Scapel, n° 1176 ; v. égal. Ph. D., Anti-suit injunction and arbitration what remedies ?, Il
Diritto Marittimo, 2007, 979.
998
 R. Rodière, Traité, Introduction et armement, 1976, n° 47.
253
et ne le sera sans doute jamais. La communauté maritime internationale lui étant opposée. Les
Règles de Rotterdam devraient permettre de régler, en grande partie, le problème, même si cette
convention n’est pas en elle-même une convention multimodale. On s’en convaincra à travers
une présentation plus générale.

§3.Le transport multimodal

Le transport multimodal, dit également inter-modal ou combiné, consiste à acheminer des


marchandises en vertu d'un titre unique et en utilisant au moins deux modes de transport soumis à
des régimes différents (terrestre, fluvial, maritime, aérien). Le plus souvent, les lieux de prise en
charge et de livraison sont situés dans deux États différents : il s'agit alors d'un transport
multimodal international999.

Pour donner une idée de l'importance du transport multimodal, il suffira de rappeler que 70 à
80 % des transports sont aujourd'hui pris en charge par des professionnels qui les assument de
bout en bout, en combinant les voies maritimes, aériennes, routières et ferroviaires, voire
fluviales1000.
Sur le plan juridique, la question oppose les commissionnaires de transport, quelle que soit
l'appellation qui leur est donnée dans chaque pays, aux compagnies maritimes elles-mêmes. Les
projets concernant les transports combinés ont été pendant longtemps mis au point par le Comité
maritime international et par l'Institut pour l'unification du droit privé, de Rome (UNIDROIT) ;
dans l'optique du CMI, la compagnie d'armement maritime doit avoir le pas sur les
commissionnaires eux-mêmes en pouvant organiser elle-même le transport multimodal ou
combiné. La CNUCED a défendu une position différente qui a trouvé son aboutissement dans la
fameuse Convention de Genève du 24 mai 1980 sur le transport multimodal. On sait ce qu’il en
est advenu, cette convention s’étant heurtée à l’hostilité de la communauté maritime
internationale. Aujourd’hui, les armements maritimes se tournent de plus en plus vers le transport
terrestre pour limiter le nombre de leurs escales et pour ce faire investissent directement dans le
transport terrestre en exploitant des trains de marchandises où les wagons sont adaptés au
transport de conteneurs sur deux étages. Les professionnels eux-mêmes et notamment le
GACEF1001, organisme qui groupe les plus grands commissionnaires de transport français, se sont
efforcés de mettre au point des formules de contrat de transport multimodal répondant à leurs
attentes (cf. contrat « Organisateur de Transport Multimodal » ou OTM).

§4.Transport multimodal de type maritime

999
 Sur la distinction proposée par le doyen Rodière entre transport mixte et transport combiné, v. Précis Dalloz
Droit des transports terrestres et aériens, 1re éd., n° 321 ; Perrin, Transport multimodal. L'approche technico-
commerciale vue par un armateur, IMTM, Annales 1988, 122 ; Bonassies, Le transport multimodal transmaritime,
ibid., 93 s. ; égal. Ph. Delebecque, Le transport multimodal, RID comp. 1998. 527 ; I. Bon-Garcin, Le transport
multimodal en Europe, Mélanges Mercadal, p. 405 ; A. Kiantou-Pampouki, Multimodal transport, Bruylant 2000.
1000
 V. déjà, Mercadal, « Le transport multimodal et le concept de l'OTM, à propos du contrat Organisateur de
Transport Multimodal »…, Bull, transp. 1986, p. 277. On peut s'étonner de la modestie du transport multimodal
transmaritime qui ne couvrirait que 5 à 10 % des opérations de transport (Le transport multimodal transmaritime,
Colloque de l'IMTM Marseille, 7 décembre 1988, Rapport de synthèse de P. Bonassies, JMM 1989. 22 s.).
1001
 Groupement des Entreprises de Transport françaises auxiliaires du Commerce Extérieur de la France.
254
Il s'agit de ce que les Anglais appellent, dans leur vocabulaire faussement imagé, qui ne peut être
compris que des initiés, le système réseau (network). Ce système s'applique lorsqu'il est possible
d'isoler le lieu où le dommage s'est produit. Le régime de responsabilité applicable aux avaries est
alors celui qui correspond au mode de transport employé au moment où l'accident est survenu.
Ainsi, lorsque l'avarie ou la perte a lieu pendant la phase maritime, la réparation du préjudice est
calculée en fonction des dispositions jouant pour ce type de transport et dont on sait qu'elles sont
particulièrement favorables au transporteur maritime ; ce système a l'inconvénient, à travers la
pluralité de régimes qu'il comporte, de compliquer le règlement. Cet inconvénient est, toutefois,
largement compensé par l'avantage que représente la facilité de recourir d'un transporteur à
l'autre, sans qu'il y ait un hiatus dans les réparations accordées par l'OTM à son client et par le
transporteur à l'OTM. Ce système est celui qui opère, de la façon la plus économique, le partage
des risques et permet une meilleure répartition des charges d'assurance… Il est beaucoup plus
économique et à ce titre attractif pour les chargeurs qui… se révèlent plus intéressés par un taux
de fret plus bas que par un mécanisme de responsabilité protecteur »1002.
Bien que le transport multimodal soit très répandu comme on l'a vu, le contentieux n’est pas très
développé : en raison de l'incertitude sur la validité des documents de transport multimodal,
surtout dans le système réseau, les opérateurs préfèrent transiger et payer à l'amiable1003.

Comme nous l’avons indiqué plus haut, les Règles de Rotterdam devraient faire évoluer
avantageusement transport multimodal et plus généralement le droit des transports maritimes.
Elles modernisent sensiblement le droit des contrats de transport maritime en tenant compte de
l’évolution économique et technique du monde des transports comme des exigences politiques
contemporaines : conteneurisation, globalisation, développement de la logistique, qualité des
services, protection de l’environnement, sécurité du transport… L’observation se vérifie tant au
regard du nombre de questions abordées qu’au regard de la manière dont elles sont traitées.

Le domaine du nouveau droit des contrats de transport maritime : un domaine élargi  Champ
d’application (art. 5 ; art. 6). D’un point de vue géographique, la nouvelle convention s’applique
aux transports internationaux et plus précisément aux transports qui comportent nécessairement
une partie maritime internationale et qui peuvent également comprendre un segment terrestre,
fluvial ou aérien. Le transport doit être rattaché à un État contractant. Les RR se séparent des
HVR, dans la mesure où si le critère du port de chargement est conservé, ceux du port de
déchargement, du lieu de réception et du lieu de livraison sont ajoutés, tandis qu’aucune
référence n’est faite à la clause « paramount ». Elles s’appliquent si le port de chargement et le
port de déchargement ne sont pas dans des États contractants, mais à condition que ces ports se
trouvent dans des États différents et dans la mesure où le lieu de réception ou le lieu de livraison

1002
 Cf. F. Odier, JMM 1986. 1477. v. aussi « À propos du nouveau contrat GACEF », article in JMM 1986. 1610 ;
cf. M. Jullien, « Un métier de la chaîne de transports : du Transitaire à l'OTM », in Annales IMTM 1986. 133. Sur les
rapports entre l'opérateur de transport multimodal et les sous-traitants, v., JMM 1986. 1478.
1003
 V. cep. T. com. Le Havre le 2 nov. 1984, Nouveau Recueil du Havre, n° 4, 1985, p. 62. On trouvera le modèle
de connaissement de transport combiné d'OCL (« Overseas Containers Ltd ») in Le crédit documentaire dans le
commerce extérieur, précité, p. 176. V. aussi in Modern Liner Contracts, précité, p. 26, 77 s., la présentation et
l'analyse du connaissement-type du transport combiné dit « COBRA » et d'autres connaissements types de transport
multimodal. Il existe un certain nombre de décisions relatives au transport multimodal transmaritime (naguère appelé
« transport combiné ») et notamment au transport multimodal transmaritime CMR (v. décisions analysées par
Bonassies, DMF 1990. 156, n° 95 à 98) ; J. Putzeys, « Quand la mer devient route », Liber Amicorum Lionel Tricot,
p. 411 s. (Anvers, 1988, Kluwer).
255
se trouve dans un État contractant (v. art. 5). Le champ d’application de la convention
internationale est donc sensiblement élargi.

D’un point de vue matériel, la convention s’applique principalement aux opérations de ligne
régulière en excluant ainsi les opérations de « tramping » couvertes par des affrètements au
voyage ou à temps. Plus précisément, les RR s’appliquent (art. 6-1) aux contrats dans le transport
de ligne régulière1004, à l’exclusion des chartes-parties (i. e. V/C et T/C) et des autres contrats
d’utilisation de tout ou partie d’un navire (slot charter).

Dans le transport de ligne autre que régulière (tramping), la convention ne s’applique pas aux
contrats qui peuvent l’organiser, à moins que les parties n’aient pas conclu de charte-partie ou de
contrat équivalent ou encore à moins qu’un document de transport ait été émis (art. 6-2). Si la
formulation n’est pas, on en conviendra, très heureuse, le domaine d’application de la convention
ne s’en trouve pas moins, là encore, élargi1005.

• Door-to-door ou transport maritime plus. Les RR cherchent à couvrir l’intégralité de


l’opération de transport : elles sont ainsi une dimension multimodale et s’appliquent d’un bout à
l’autre du voyage dans la mesure où les parties en sont convenues dans leur contrat. Ce contrat
peut être un contrat « port-to-port »1006 comme un contrat « door-to-door »1007. On ne peut pas
mieux faire. Il reste que si la première formule est utilisée, le contrat peut théoriquement relever à
la fois des RR et d’autres conventions multimodales (CMR ; CIM). Pour éviter ce type de conflit,
l’article 82 RR prévoit expressément que les conventions multimodales existantes priment la
nouvelle convention. L’important article 2 de la CMR est ainsi préservé1008.

De surcroît, lorsqu’un dommage survient pendant la phase terrestre du transport et qu’il apparaît
que, compte tenu de la situation, les dispositions d’une convention internationale impérative 1009
auraient été normalement applicables, ce sont les dispositions (relatives à la responsabilité, au
délai pour agir ou à la limitation de responsabilité) de cette convention qui doivent s’appliquer
(art. 26) : les RR organisent ainsi un système réseau limité (« limited network rule »). Une fois
encore, l’ambition des RR n’a pas été de repenser le transport multimodal, mais plutôt de
moderniser le droit des transports maritimes.

• Deck cargo. Dans les HVR, le régime de la pontée, déclarée comme telle, est un régime de
liberté, ce qui n’est pas sans soulever de sérieux problèmes1010. Les RR traient désormais très
largement de la question en intégrant la pontée dans leur champ d’application (« under the
instrument  »). L’art. 25 précise que les marchandises ne peuvent être transportées en pontée que
1004
La notion de transport de ligne régulière est définie par l’art. 1-3.
1005
On notera que les connaissements de charte-partie relèvent, comme par le passé, du droit du transport (art. 7), du
moins dans les relations fréteur/porteur.
1006
Les clauses sous palan restent valables (« tackle to tackle »), cf. art. 12-3.
1007
Dans ce cas qui repose sur la seule volonté des parties, le transporteur assume l’intégralité du transport,
maritime comme terrestre.
1008
Il en va sans doute de même, sous réserve de vérification, de la Convention OHADA sur les transports routiers,
proche de la CMR.
1009
Certains auraient souhaité réserver également l’application des dispositions nationales impératives. Cela peut se
comprendre pour des pays comme l’Inde ou la Chine qui, à notre connaissance, n’ont ratifié aucune convention
terrestre. C’eût été cependant réduire le champ de la nouvelle convention.
1010
V. not. Com. 18 mars 2008, Ville de Tanya, DMF 2008. 538, préc.
256
si ce transport est exigé par la loi, est conforme aux usages ou encore s’effectue dans un ou sur
des conteneurs adaptés au transport en pontée et sur des ponts qui sont spécialement équipés pour
transporter de tels conteneurs. Le droit a ainsi rejoint la réalité technique et le transport par porte-
conteneurs est juridiquement devenu un transport comme les autres. Cette modernisation attendue
depuis de nombreuses années est enfin réalisée (rappr. en droit français, L. 1979, intégrée dans
l’art. 22 de la loi du 18 juin 1966). Celle-ci, au demeurant, n’affecte pas le seul champ
d’application du droit international des transports maritimes : elle porte également sur son
contenu.

§5. Le contenu du nouveau droit des contrats de transport maritime 

• Documents de transport. L’équivalence fonctionnelle de la documentation papier et de la


documentation électronique est enfin reconnue (art. 8). Le recours aux documents électroniques
va certainement favoriser les transmissions instantanées de données et de droits et permettra
notamment de régler les questions pratiques que l’on connaît lorsque le navire ou l’engin de
transport arrive à destination avant même les documents et d’épargner au transporteur les
pressions que l’on sait pour qu’il remette sans tarder les marchandises.
Au demeurant, c’est l’ensemble de la réglementation sur les documents de transport qui est
repensée. La nouvelle convention se sépare des précédentes, en ce sens qu’elle entend régir tous
les documents de transport négociables comme non négociables (bill of lading comme sea way
bill)1011, qu’elle précise les situations dans lesquelles le transporteur est à même de prendre des
réserves, en assurant par-là la protection du transporteur et du porteur (art. 40) et qu’elle s’attache
tout particulièrement aux réserves propres aux marchandises remises dans des conteneurs (art.
40-4). De même en est-il de la force probante des documents, puisque si ceux-ci font
normalement foi, sauf preuve contraire, de la réception par le transporteur des marchandises
indiquées dans les données du contrat, la preuve contraire précisément n’est pas admise à
l’encontre non seulement d’un tiers porteur de bonne foi (d’un document négociable), mais
encore d’un cessionnaire de bonne foi titulaire d’un document non négociable exigé pour la
remise des marchandises et d’un destinataire qui a agi de bonne foi en se fiant à certaines données
du contrat figurant dans un document non négociable (art. 41).
• Droit de contrôle. Le droit de contrôle, connu jusqu’à présent sous le nom de droit de
disposition, n’était envisagé que très partiellement. Les RR vont aujourd’hui beaucoup plus loin
en accordant à la partie contrôlante, i. e. le chargeur, son ayant-droit cessionnaire, le chargeur
documentaire, le tiers porteur du document négociable, le droit de donner de nouvelles
instructions au transporteur et même de modifier le contrat de transport, notamment en
remplaçant le destinataire (art. 50). Cet assouplissement des règles du transport est le bienvenu,
d’autant que les dispositions prévues déterminent précisément les titulaires du droit de contrôle,
son étendue et les contreparties que le transporteur peut attendre.
• Obligations des parties1012. Les obligations du transporteur sont désormais dûment déterminées.
Le transporteur doit déplacer les marchandises jusqu’au lieu de destination et les livrer au
destinataire. À ces obligations essentielles de portée générale, s’ajoute l’obligation d’assurer la
navigabilité nautique et commerciale du navire, s’agissant du trajet maritime, cette obligation
1011
La liste des données devant figurer dans les documents est enrichie, art. 36. Le nom du transporteur doit être
précisément indiqué, étant précisé qu’à défaut, le propriétaire du navire sera considéré comme le transporteur (art.
37). Cette disposition est excellente et permettra de régler nombre de difficultés pratiques.
1012
Les parties ont une obligation commune, c’est celle d’agir de bonne foi, cf. art. 2.
257
étant considérée désormais comme continue. Le transporteur assume par ailleurs des obligations
dites « particulières » (art. 13), consistant à prendre réception, charger, manutentionner, arrimer,
garder, soigner, décharger. La responsabilité du chargement, de la manutention, de l’arrimage et
du déchargement peut, par convention spéciale (art. 13-2), être transférée au chargeur ou au
destinataire (cf. clause FIO). Là encore, l’innovation est remarquable.

Quant au chargeur, les RR font preuve de pédagogie en dénombrant avec précision ses
obligations : il doit remettre les marchandises pour le transport et ce, d’une manière appropriée
(art. 27), transmettre au transporteur les informations, instructions et documents nécessaires à
l’acheminement des marchandises (art. 29), fournir au transporteur les informations nécessaires
pour l’établissement des données du contrat art. 31) et, le cas, échéant, faire les déclarations qui
s’imposent relativement aux marchandises dangereuses (art. 32). Dans les deux premiers cas, la
responsabilité du chargeur est une responsabilité pour faute prouvée. Dans les deux autres, il
s’agit d’une responsabilité stricte.

• Livraison. La réglementation de la livraison est également nouvelle et de nature à moderniser le


droit des transports maritimes. Ni les Règles de la Haye Visby, ni les Règles de Hambourg ne
disent quoi que ce soit sur les droits et les obligations du transporteur à l’arrivée des
marchandises à destination. Les rédacteurs des RR n’ont pas voulu laisser cet aspect important du
transport – ne s’agit-il pas de son dénouement ? – à la loi applicable. D’où des dispositions très
utiles1013 insistant sur l’obligation même de prendre livraison, déterminant les parties en droit de
retirer les marchandises, dans des conditions différentes selon qu’un document (négociable ou
non négociable) a été émis (art. 45 s.)1014 et s’intéressant au sort des marchandises en souffrance.

La modernisation du droit des contrats de transport maritime est donc certaine. D’autres
exemples permettraient de l’illustrer. Nous laisserons à la pratique, mais aussi à la jurisprudence
le soin de le faire. En tout cas, cette modernisation n’est pas le seul trait positif des nouvelles
Règles. S’ajoute un souci constant d’équilibre entre les intérêts des parties en présence.

§6. Obligations du transporteur 


• Transporteur et partie exécutante.

Le transporteur, i. e. la personne qui conclut un contrat de transport avec le chargeur, est dans
une situation plus exigeante que par le passé. Ses obligations sont plus clairement identifiées et
même alourdies (navigabilité continue). Il répond par ailleurs de toute partie exécutante 1015,
maritime (transporteur substitué, entreprise de manutention…) comme terrestre, étant précisé que
la partie exécutante terrestre, contrairement à la partie exécutante maritime, n’est pas soumise à la
convention (art. 18 et 19). Au demeurant, le fait que la partie exécutante maritime soit soumise à
la convention est un avantage pour les chargeurs, dans la mesure où l’action qui leur est offerte
obéit à un régime juridique prévisible. Jusqu’à présent, mis à part quelques législations nationales

1013
V. notre article, La livraison : art. 43 à 49 des Règles de Rotterdam, Rev. Unidroit 2009.
1014
La disposition de l’art. 47-2 mérite d’être soulignée : elle réglemente la situation des marchandises qui ne
peuvent être livrées en permettant néanmoins au transporteur, sous certaines conditions, de se libérer de son
obligation de livraison et donc d’y satisfaire juridiquement.
1015
La notion de partie exécutante est une création très heureuses des RR, v. art. 1-6. Elle comporte une variante  : la
partie exécutante maritime, art. 1-7.
258
en avance, l’action contre les substitués et exécutants, faute de relation contractuelle entre le
demandeur et l’auteur du dommage, n’est que de nature délictuelle.

• Responsabilité. Le transporteur est, comme par le passé, responsable des dommages survenus
aux marchandises sous sa garde et il le demeure si l’origine de ces dommages reste inconnue. Le
système est très proche de celui des HVR. Le transporteur peut se libérer en faisant état de tel ou
tel cas excepté prévu par le texte. Ces cas exceptés sont des cas de renversement de la charge de
la preuve. Leur liste a été quelque peu modifiée, en ce sens que le cas tenant à la faute nautique a
été supprimé et celui tenant à l’incendie ne peut plus être invoqué que si cet événement se déclare
à bord du navire. De son côté, le chargeur peut neutraliser la défense du transporteur en prouvant
que le dommage est imputable audit transporteur ou encore en établissant que le dommage
provient d’une circonstance autre qu’un cas excepté. De surcroît, le transporteur est encore
responsable si l’ayant droit prouve que le dommage provient ou peut provenir de l’innavigabilité
du navire et dans la mesure où le transporteur ne parvient à prouver la parfaite navigabilité dudit
navire. On relèvera, car la règle n’a pas été toujours bien comprise, que le nouveau système
cherche avant tout à régler des questions de preuve, étant entendu que la victime n’a, à aucun
moment, la charge de la preuve de la faute du transporteur.

• Réparation. De même, les RR n’ont pas modifié fondamentalement les règles de procédure ou
de quasi procédure régissant la responsabilité du transporteur. La technique de la limitation de
réparation, essentielle dans le monde des transports, a été maintenue. Les plafonds ont été
rehaussés, puisqu’ils passent à 875 DTS/colis et 3 DTS/kg. Ils couvrent la réparation en cas de
perte et de dommage survenu aux marchandises et jouent également en cas de dommage
consécutif à un manquement du transporteur à ses obligations au sens de la convention (e.g.
« misdelivery »). En cas de retard, lui-même sanctionné si les parties sont convenues d’un délai
de transport (art. 21), la réparation est fixée à 2,5 le montant du fret. Le délai pour adresser les
réserves au déchargement a été porté à 7 jours (art. 23), tandis que, chose plus importante, le délai
pour agir (qui n’est cependant pas un délai de prescription) a été porté à 2 ans.

• Liberté contractuelle1016. Il est vrai qu’en contrepartie de ces changements, le transporteur s’est
vu reconnaître la possibilité de déroger à telle ou telle disposition de la convention (cf. art. 13-2)
et surtout de s’engager dans des contrats de volume où la liberté contractuelle est de mise (art.
80). D’aucuns ont dénoncé cette situation qu’ils n’ont pas hésité à qualifier de régression. On a
même fait valoir que les transporteurs seraient revenus à l’époque des « negligence clauses »,
c’est-à-dire à l’époque où ils dictaient à leurs cocontractants tous les termes du contrat. La
critique est excessive et donc largement illusoire, dans la mesure où – il est vrai après de
nombreuses discussions au sein du Groupe de travail – le texte a subordonné les dérogations à de
sérieuses conditions de forme et de fond (art. 80)1017.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’en dehors des contrats de volume, et donc dans le droit des
contrats de transport, les clauses d’exonération, quelles qu’elles soient, que le transporteur aurait
pris le soin de stipuler sont frappées de nullité (art. 79). Au demeurant, cette prohibition a été bi-

1016
v. Wei Hou, La liberté contractuelle en droit des transport maritimes de marchandises, PUAM 2013, préf.
Delebecque.
1017
Ph. Delebecque, La liberté contractuelle et les RR, ADMO 2008. 485 ; égal. A. Kozubovskaya, Contractual
flexibility in volume contracts : RR and French law perspective, Il Diritto Marittimo, 2013, 326.
259
latéralisée, ce qui témoigne, une fois encore, du souci des rédacteurs de la convention d’assurer
l’équilibre entre les intérêts en présence1018.

§7. Obligations du chargeur

• Chargeur contractuel et chargeur documentaire. À côté du chargeur contractuel, c’est-à-dire


de la personne qui conclut un contrat de transport avec le transporteur, apparaît le chargeur
documentaire, en pratique le vendeur FOB. Ce dernier est soumis aux obligations et
responsabilités imposées au chargeur lui-même (art. 33). Le parallèle s’impose avec le
transporteur et la partie exécutante. De même, le chargeur est-il responsable des personnes
auxquelles il peut confier telle ou telle de ses obligations (art. 34).

Les obligations du chargeur, précisément, sont, comme on l’a vu, mieux identifiées (v. ss 782).
De même, sa responsabilité est-elle clarifiée, bien qu’elle ne soit pas, à la différence de celle du
transporteur, plafonnée.

• Destinataire. Quant au destinataire, sa situation juridique – tiers ou partie au contrat de


transport – n’a pas été définie. On relèvera néanmoins qu’il a lui aussi, des droits, recevoir la
livraison de la marchandise (art. 11) et des obligations, prendre livraison et accuser réception (art.
43 et 44)1019. Si le destinataire prend la qualité de « porteur » du document (cf. art. 1.10), il est en
droit de se prévaloir du contrat de transport, mais il en assume en même temps toutes les
responsabilités qui lui incombent en vertu dudit contrat (art. 58.2).

• Autres protagonistes. Le bilan des Règles de Rotterdam, si satisfaisant soit-il si l’on compare
les droits et les obligations des chargeurs et des transporteurs, ne peut être complet que si l’on
envisage la situation de l’ensemble des protagonistes. Les banques, les assureurs, les négociants,
les clubs de protection, les transporteurs autres que maritimes ont également leur mot à dire.
Nous sommes convaincus qu’ils sauront, eux aussi, tirer parti des Règles de Rotterdam. Si celles-
ci n’ont pas été conçues pour eux, mais avant tout pour les armateurs et les chargeurs, la
communauté maritime et plus largement le monde du commerce international se persuaderont
assez vite que les avantages de la Convention des Nations Unies sur les contrats internationaux de
transport entièrement ou partiellement par mer l’emportent très largement sur les quelques
défauts de forme ou les quelques problèmes d’interprétation que l’on peut identifier ici ou là et
qui sont le lot de tous les textes bien que modernes et équilibrés.

Les Règles de Rotterdam ont-elles un avenir ? 

La Convention des Nations Unies sur le contrat de transport international de marchandises


effectué entièrement ou partiellement par mer, officiellement appelée Règles de Rotterdam, est
ouverte depuis le 23 septembre 2009 à la ratification des États. À ce jour, parmi les 21 pays
signataires, seuls trois d’entre eux, l’Espagne, le Togo et le Congo sont passés à l’acte. Les autres
restent plus réservés, attendant sans doute un signe des États-Unis, compte tenu, comme on le

1018
Etant précisé que si le transporteur ne peut alléger ses obligations (art. 79.1.a), il peut les étendre, alors que les
obligations du chargeur ne peuvent être ni allégées ni alourdies (art. 79.2.a).
1019
S. Lamont-Black, « Transferee liability under the RR ; a dance between flexibility and foreseeability », Il
Diritto Marittimo, 2013, 333.
260
sait, de la grande implication américaine dans la nouvelle convention ; inutile de rappeler que
l’on doit aux États-Unis trois des chapitres ou des parties de chapitre les plus controversés, sur la
compétence, sur l’arbitrage et sur la liberté contractuelle dans les contrats de volume. La Chine,
sans être défavorable au texte, organise des conférences et des commissions. De même en est-il
des États du Maghreb. Les États d’Afrique de l’Ouest aimeraient aller plus loin, mais n’ont
encore pris aucune décision définitive. Les États de l’Union Européenne ont même été invités à
soutenir le texte et à le mettre rapidement en œuvre (cf. Résolution du Parlement européen de juin
2010), mais même si des réunions importantes se tiennent, rien de très concret ne transparaît.
Cette situation va-t-elle durer ? Il est bien difficile de le savoir. On est ainsi conduit à se
demander si les Règles de Rotterdam qui sont maintenant connues des professionnels - le nombre
de colloques qui se sont tenus sur le sujet est là pour l’attester - ont un avenir. De nombreux
arguments ont été échangés, à charge et à décharge. Il est impossible de les reprendre ici, mais
l’honnêteté conduit à dire que les arguments positifs l’emportent très largement sur les arguments
négatifs1020.

1020
V. Berlingieri et Delebecque, Analyse des critiques des RR, DMF 2011. 967 ; égal. Delebecque, La déclaration
de Montevideo et les Règles de Rotterdam, Rev. Scapel, 2011. V. encore, G. Ngamkan, Les RR : le point de vue d’un
avocat maritimiste africain, DMF 2014. 151 ; P. bonassies, Les RR, DMF 2010, HS, n° 1.
261
Sous-titre 3
Le transport de passagers

La navigation maritime pour le transport des passagers a pratiquement cessé hors le cas des
« ferries » et des navires de croisière. Cela résulte de la concurrence de l'aéronef. Plus le
déplacement est long, plus la concurrence victorieuse de l'air s'accuse. L'avion réussit d'autant
mieux qu'il opère sur une plus grande distance : il est spécialement avantagé par la ligne droite
quand son concurrent maritime doit contourner les péninsules.
Sur la courte distance de la traversée de la Manche, « car ferries »1021 et avions se sont fait une
concurrence redoutable, les premiers ayant eu l'avantage sur l'avion de pouvoir embarquer les
voitures automobiles de leurs clients. La concurrence est désormais celle du transport ferroviaire :
le succès d’Eurotunnel l’atteste amplement. Sea France en a fait les frais. Dans le trafic
Continent/Corse, la situation est différente et, malgré les difficultés économiques et sociales que
l’on connaît, c’est encore le « bateau » qui a l’avantage, du moins pour le fret.
À l'heure actuelle, les paquebots compensent leur recul sur les lignes régulières par le succès et la
vogue des croisières1022. La flotte française ne comporte guère plus de paquebots classiques, mais
les car ferries (ou transbordeurs) les remplacent, sauf pour les voyages touristiques1023.
État des textes  La réforme de 1966 a consacré un Titre dans la loi et un Titre dans le décret au
transport de passagers. Elle s'est inspirée sur le point le plus important, la question de la
responsabilité du transporteur, de la solution adoptée par la Convention internationale de
Bruxelles de 19611024. Depuis, de nombreux textes ont été adoptés : le paysage juridique est
devenu particulièrement complexe, sinon confus. Il faut donc commencer par énumérer les textes
applicables.
Le Code des transports, dans les articles L. 5421-1 s., (et D. 5421-1 s.) reprend les dispositions
de la loi de 1966, sous réserve des textes sur les croisières. Il joue dans les relations internes, sans
traiter cependant de toutes les questions juridiques qui peuvent se poser.
Le règlement 392/2009 du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relatif à la
responsabilité des transporteurs de passagers par mer en cas d’accident1025. Ce règlement n’est pas
applicable aux transports de passagers régis par le Code des transports (cf. art. L. 5420-1). Il
couvre plus précisément tout transport international dont le lieu de départ et le lieu de destination
sont, selon le contrat de transport, situés dans deux États différents ou dans un seul État si, selon
le contrat ou l’itinéraire, il y a un port d’escale intermédiaire dans un autre État, lorsque soit le

1021
 En 2013, la flotte française de commerce française comportait, sous la rubrique « Navires à passagers «, 42
transbordeurs (car ferries), 3 navires à grande vitesse, 25 rouliers et 88 navires de desserte locale (de 25 m. et plus).
Les principaux armements sont : Brittany Ferries, SNCM, La Compagnie du Ponant.
1022
Les croisières font vivre en France près de 16 000 salariés pour un chiffre d’affaires de près d’1, 2 milliard
d’euros. Le nombre de croisiéristes est en constante évolution. Les navires de croisière sont de plus en plus
gigantesques (Queen Mary II : 3 090 passagers ; Costa Concordia : 3 780 ; Allure of the Seas : 5 400).
1023
Les problèmes de concurrence sont récurrents pour certains trafics, notamment pour la desserte de la Corse ;
mais pas uniquement, v. par ex. pour l’île d’Yeu : Com. 17 juin 2008, DMF 2008. 1038, obs. Bazex.
1024
 La Convention de Bruxelles de 1961 avait été ratifiée par la France (décr. n° 533 du ler juill. 1965, D. 1965. L.
210) avec le texte de la Convention. Depuis, la France l'a dénoncée (3 déc. 1975).
1025
Ce règlement s’inscrit dans la suite des règlements sur le transport aérien (règl. n° 2027 du 9 oct. 1997 sur la
responsabilité des transporteurs aériens, désormais fondu dans la Convention de Montréal), le transport ferroviaire
(règl. n°1371/2007 du 23 oct. 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires, cf. RTD com. 2008. 209)
et le transport routier (règl. n°181/2011 du 16 févr. 2011 ; v. RD transp. 2011. 11).
262
navire bat pavillon d’un État membre ou est immatriculé dans celui-ci ; soit le contrat a été
conclu dans un État membre ; ou si en vertu des stipulations du contrat, le lieu de départ ou de
destination se trouve dans un État membre. Le règlement s’applique également au transport par
mer à l’intérieur d’un seul État membre à bord de navires de classes A 70 et B 71 au titre de
l’article 4 de la directive 98/18 du 17 mars 1998 établissant des règles et normes de sécurité pour
les navires à passagers1026.
Le règlement 1177/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 nov. 2010 concernant les
droits des passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure et modifiant le
règlement 2006/2004 : il concerne les droits des passagers en cas de retard et d’annulation ainsi
que les droits des passagers à mobilité réduite 1027. Ce règlement, applicable depuis le 18 déc.
2012, couvre les services de transport de passagers entre des ports situés sur le territoire de pays
membres de l’UE, ainsi que les services de transport entre ces ports et des ports situés en dehors
de l’UE1028.
La Convention d’Athènes du 13 déc. 1974, entrée en vigueur en 1987, et intégrée, dans sa version
de 2002, avec des lignes directrices, dans le règlement 392/2009. Elle s’applique à tout transport
international lorsque le navire bat le pavillon d’un État contractant ou est immatriculé dans un
État contractant, lorsque le contrat a été conclu dans un État contractant ou encore lorsque, selon
le port, le lieu de départ ou de destination se trouve dans un État contractant.
Les dispositions des articles 47 à 49 de la loi du 18 juin 1966 sur les croisières maritimes,
dispositions qui n’ont pas été reprises dans le Code des transports, mais qui, pour autant, n’ont
pas été abrogées. La loi de 1966 avait également eu le mérite de consacrer quelques dispositions
au contrat de croisière. La croisière se distingue du transport en ce sens que celle-là offre et
fournit à des clients une prestation principale de voyage maritime, dans des conditions
particulières de confort et d’agrément, cette prestation étant généralement accompagnée de
prestations complémentaires. Le droit de la croisière a été singulièrement secoué à l’occasion des
réformes récentes. L’ordonnance de codification du droit des transports n’y faisait plus allusion,
sans avoir abrogé les dispositions correspondantes. De surcroît, la jurisprudence s’était interrogée
sur la compatibilité des dispositions maritimes avec le droit des agents de voyages aujourd’hui
intégré dans le Code du tourisme. Il faut dire que forfait touristique et croisière maritime sont
appelés à se recouper.
Plan.  L’ensemble des textes applicables conduisent à distinguer le contrat de transport de
passagers du contrat de croisière. Il faudrait sans doute pour être plus précis : traiter du simple
transport sans autre prestation non accessoire – du contrat de passage - qui est le contrat de base
et qui se distingue de la location, mais non de l’affrètement (au voyage), si ce n’est par le fait
qu’il est soumis à une réglementation impérative ; puis, envisager la croisière qui est du
« transport plus », si l’on ose dire1029 et terminer en développant le forfait touristique qui est de la
« croisière plus »1030. Tout en observant que la distinction entre la croisière et le forfait n’a plus
vraiment de raison d’être et contribue à une certaine confusion juridique, on rendra compte de
1026
Les navires de la classe A sont les navires qui s’éloignent à plus de 20 milles des côtes, ceux de la classe B, ceux
qui s’éloignent pas à plus de 20 milles, sans entrer toutefois dans les classes C et D. Des mesures transitoires ont
cependant été prévues. L’application des mesures pouvant être différée jusqu’en 2017 (classe A) et 2019 (classe B).
1027
Il s’inscrit dans la suite des règlements sur les droits des passagers aériens (Règl. n° 261/2004 du 11 févr. 2004),
des passagers par chemin de fer (Règl. préc.) et des passagers dans le transport par bus et autocar (Règl. préc.).
1028
Son champ d’application est large : n’en sont exclus que les petits navires et les petits trajets touristiques (Mairie /
Place aux huiles à Marseille ; desserte du Château d’If ;…), v. règlement, art. 2, a, b, c et d.
1029
Comprenant des prestations supplémentaires, tels des services d’hôtellerie ou d’agrément ou bien des services
accessoires fournis à terre lors des escales, faisant que le passager qui n’est plus dans le simple «  passage », sans
pour autant entrer dans le voyage, v. Aix-en-Provence 7 mars 2006, DMF 2006. 523, obs. Mouren.
263
cette trilogie, en regroupant, dans une certaine mesure, croisière et forfait, et en en précisant que
les règles ne sont pas exactement les mêmes dans l’ordre interne et dans l’ordre international1031.

1030
Le « forfait touristique » consiste (cf. C. tourisme, art. L. 211-2) en une prestation : - résultant de la combinaison
préalable d’au moins deux opérations portant respectivement sur le transport, le logement ou d’autres services
touristiques non accessoires au transport ou au logement et représentant une part significative dans le forfait ; -
dépassant 24 h. ou incluant une nuitée ; - vendue ou offerte à la vente à un prix tout compris.
1031
V. égal. sur la catastrophe du Joola et les différents problèmes posés de droit pénal, de droit des immunités…
Rev. africaine des affaires maritimes et des transports, 2011, n° 3.
264
Chapitre 1
LE CONTRAT DE TRANSPORT

SECTION 1. DROIT INTERNE

§1. Formation du contrat

A. Analyse juridique et définition 


Le contrat de transport de passagers est défini comme « le contrat par lequel un armateur
s’oblige à transporter par mer, sur un trajet défini, un voyageur qui s’oblige à acquitter le prix du
passage » (art. L. 5421-1)1032. Le contrat par lequel un armateur s'engage à conduire une personne
d'un port à un autre sur un navire moyennant rémunération est un contrat de transport. Personne
n'en a jamais douté. On n'y voit pas un contrat de location de chose, sous le prétexte que le
passager doit occuper une certaine partie du navire ; cette occupation, qui varie du reste en fait
suivant qu'il s'agit d'un passager de pont ou d'un passager de cabine, existe aussi pour les
marchandises ; c'est une nécessité inhérente au déplacement, un simple aspect de celui-ci : le
déplacement reste l'objet même du contrat. Le transport est donc caractérisé.
Le transporteur s'engage parfois aussi à nourrir le passager et souvent à lui assurer tout le confort
et tous les avantages qu'il aurait dans un hôtel. On peut bien dire que le paquebot est un hôtel
flottant mais cette vue des choses ne doit pas faire oublier qu'il flotte pour arriver à un certain
point de destination. L'hébergement est cependant secondaire. Ce qui importe, c'est qu'il ait lieu
sur un navire, avec les risques que comporte toute navigation en mer.
Depuis la réforme de 1966, le contrat de transport de passagers se présente comme une variété de
contrat de transport. La loi a ici utilisé les leçons d'une longue jurisprudence à laquelle on doit
presque tout entier, en matière maritime comme terrestre, le statut du contrat de transport de
personnes. Ce que la loi (Code des transports) régit, c'est, une fois encore, le contrat par lequel
l'armateur s'oblige à transporter par mer, sur un trajet défini 1033, un voyageur qui s'oblige à
acquitter le prix du passage. Le titre de passage constate l’obligation du transporteur et celle du
passager (art. L. 5421-1) Cette réglementation ne concernerait pas l'affrètement d'un paquebot,
d'un yacht ou d’u navire de grande plaisance.
La loi (art. L. 5421-8) et le décret (art. 62, al. 1er) précisent que cette réglementation ne s'applique
ni aux passagers clandestins, ni aux transports bénévoles1034. Ceux-ci sont à la fois gratuits et
désintéressés. Ne le sont pas les transports effectués par une entreprise de transports maritimes
qui peuvent être gratuits et ne donner donc lieu à aucun paiement, mais ne sont jamais
désintéressés. L'article 62, alinéa 2, du décret le précise, imitant en cela la Convention de
Varsovie en matière de transports aériens internationaux (art. 1er, § 1) et la Convention de
Montréal (art. 1er).

1032
La définition que donne le règlement (art. 1.2) est, de son côté, très pauvre : « contrat conclu par un transporteur
ou pour son compte pour le transport par mer d’un passager ou, le cas échéant, d’un passager et des ses bagages. »
1033
La simple promenade en mer n’entre donc pas dans la définition du contrat de transport ; cette promenade relève
du seul droit commun de la responsabilité contractuelle (C. civ., art. 1147).
1034
 En conséquence, le transport bénévole échappe à la limite de réparation prévue au préjudice des passagers par
l'art. 2 du décret du 23 mars 1967 portant fixation des limites de responsabilité du transporteur maritime : v. en ce
sens, Aix-en-Provence 8 oct. 1985, Scapel 1985. 51.
265
Les rapports d'un concurrent avec l'organisateur d'une régate ne sont pas ceux d'un contrat de
transport, encore qu'un contrat les lie (v. ss 837) ; mais la responsabilité de l'organisateur ne sera
pas celle d'un transporteur de personnes ; quant aux rapports avec les tiers, spectateurs ou
surveillants de la course, ils en diffèrent aussi.

B. Contrat de consommation 

Les dispositions sur le contrat de transport de passagers sont, semble-t-il, impératives. Plus
précisément, les textes antérieurs indiquaient (L. 1966, art. 33 ; égal. Décr. art. 61) que « les
dispositions ne pouvaient pas être écartées au préjudice des passagers ». Elles étaient impératives
à sens unique (« one way mandatory »). Dans la mesure où elles étaient avantageuses aux
transporteurs, elles pouvaient être écartées par la convention des parties. Dans la mesure où elles
étaient profitables aux passagers, elles ne pouvaient pas l'être. Le Code des transports n’a pas
repris cette prescription. Pour autant, il est difficile de dire que la liberté contractuelle est
désormais la règle. D’abord, parce que la codification s’est faite à droit constant. Ensuite, parce
que le contrat de transport de passagers est aujourd’hui, à tort ou à raison, dominé par le
consumérisme1035. C’est vrai dans tous les modes, même le mode maritime. Du reste, la
jurisprudence n’a pas hésité à lui appliquer la théorie des clauses abusives1036.

C. Formation et preuve du contrat 


Le contrat de transport de passagers est un contrat consensuel. Le titre de transport « constate »
simplement l’obligation du transporteur et celle du passager (art. L. 5421-1, al. 1 er). L’écrit est
seulement exigé à des fins de preuve. Le billet de passage dont le décret prescrit l'établissement et
qui doit comporter certaines mentions (art. D. 5421-2) n'est lui-même requis qu'à titre probatoire.
Ces mentions sont les indications propres à identifier les parties au contrat (transporteur et
passager), le voyage à accomplir (nom du navire, lieu et date d'embarquement, port de
débarquement, au besoin escales prévues), le prix du transport, la classe et le numéro de la
cabine, s'il y a lieu. Aucune de ces mentions n'est imposée à peine de nullité1037.
Ce contrat est conclu intuitu personae. Le bénéfice n'en est pas cessible par le passager, sauf
autorisation du transporteur (art. D. 5421-3).
Le contrat est commercial pour l'armateur. Pour le passager il est civil, à moins qu'il ne voyage
pour les besoins de son commerce, auquel cas on appliquerait la théorie des actes de commerce
par accessoire.

§2. Contenu du contrat

A.Obligations du transporteur 

Le transporteur doit en premier lieu assurer la bonne navigabilité du navire et de ses


équipements ; plus précisément, il doit mettre et conserver – l’obligation est donc continue – le
navire en état de navigabilité, convenablement armé, équipé et approvisionné pour le voyage
considéré et faire toute diligence pour assurer la sécurité des passagers (art. L. 5421-2). Il y a là
une obligation fondamentale du contrat dont les conséquences s’apprécient aussi au regard de sa
1035
J.-P. Tosi, Droit des transports et droits des consommateurs de transport, Mélanges Calais-Auloy, éd. Dalloz
2004, p. 1121.
1036
Bastia 2 févr. 2011, RD transp. 2011, n° 102, obs. Ndendé.
1037
L’ancien art. 35 de la loi prévoyait une exception pour les petites navires. Le code des transports n’en parle plus.
266
responsabilité. Le transporteur doit encore accueillir les passagers, réaliser le voyage convenu,
offrir les prestations prévues et respecter les horaires. Les textes législatifs du Code des transports
n’envisagent plus ces dernières obligations (comp. L. 1966, art. 36 s.). Il n’y a cependant aucun
raison de ne pas s’y référer pour connaître le contenu minimum du contrat.
S’agissant du respect des horaires, la loi actuelle indique simplement que le transporteur engage
sa responsabilité pour les dommages dus au retard tenant au manquement à son obligation de
bonne navigabilité ou encore à la faute commerciale de ses préposés (art. L. 5421-2, al. 2) 1038. Il
ne faut cependant pas exclure le jeu de clauses d’exonération et d’allégement d’obligations1039.

B.Obligations accessoires 

Le contrat particulier conclu entre la compagnie et son passager reste bien entendu la référence. Il
y a, le plus souvent, des conditions générales qui font la loi des parties.
La loi peut ajouter certaines prévisions : elle accorde ainsi au transporteur, pour les transports
internationaux, le droit de refuser l’embarquement ou le débarquement du passager qui ne
présente pas de document l’autorisant à débarquer au point d’arrivée et aux escales prévues. Il en
résulte que le transporteur peut exiger de ses passagers qu’ils soient à jour. Il y a là une
prérogative du transporteur qui se traduit par une obligation des passagers et qui peut aussi se
retourner contre le transporteur.1040.

C.Obligations du passager 

Le passager contracte d’abord et avant tout l'obligation de payer le fret convenu, on dit encore le
« prix du passage ». Le prix est librement déterminé, sous réserve des contraintes dictées par les
exigences du droit de la concurrence. Deux questions importantes sont envisagées par les textes.
La première tient aux garanties. Les créances nées à l’occasion du contrat de passage sont
privilégiées sur le prix provenant de la vente des bagages et véhicules de tourisme
enregistrés (art. L. 5421-11)1041. Il faut cependant reconnaître que ce privilège est rarement
exercé, dans la mesure où, le plus souvent, le prix du passage est payé d’avance.
Une seconde question a trait à l'incidence de certains événements sur la dette de fret. Le décret
distingue les diverses situations qui ont des chances de se présenter en fait.
Si le passager ne se présente pas à l'embarquement dans les conditions prévues par le billet de
passage, il reste débiteur du prix de passage ; de même en est-il en cas de renonciation explicite
au voyage (art. D. 5421-5).
Si c'est par un événement de force majeure ou par le décès du passager que le voyage ne peut pas
avoir lieu, le contrat est résilié par l'avis qui en est donné au transporteur avant l'embarquement ;
en pareil cas, le quart du prix du passage est dû au transporteur (art. D. 5421-7) ; si, en revanche,
l'avis n'était pas donné à temps, le prix du passage entier resterait dû. Les mêmes règles valent
pour les membres de la famille du passager, empêché par force majeure ou décédé, qui devaient
voyager avec lui (al. 2).

1038
v. Toulouse 22 mars 2007, DMF 2008 HS 12, n° 101 : l’exercice du droit de grève, même sans préavis, n’est pas
une faute commerciale.
1039
Toulouse préc.
1040
Rappr. en matière aérienne, Paris 8 sept. 2011, RD transp. 2012, n° 12.
1041
A l’inverse, les dommages-intérêts dus par le transporteur sont garantis par un privilège sur le navire, art. L.
5114-8, 5°.
267
Ces mêmes événements n'ont aucune incidence sur le prix du passage s'ils surviennent après le
commencement du voyage (art. D. 5421-7).
Si le départ du navire est empêché par un événement non imputable au transporteur, le contrat est
résolu sans indemnité de part, ni d'autre. S'il n'a pas lieu, sans que le transporteur puisse établir
que le défaut de départ ne lui est pas imputable, il doit la moitié du prix du passage à titre
d'indemnité (art. D. 5421-8).

Ces diverses fractions sont évidemment arbitraires parce qu'il a fallu composer entre des intérêts
contraires. Ces règles valent par leur précision, destinée à éviter des litiges sur les préjudices
réellement soufferts dans ces diverses situations par l'un ou par l'autre.

D.Autres obligations 

Le passager doit en outre respecter les obligations dictées par les conditions générales et, surtout,
se soumettre à la discipline du bord. L'article L. 5531-1 indique que le capitaine a sur toutes les
personnes, de quelque nationalité qu’elles soient, présentes à bord, pour quelque cause que ce
soit, l’autorité que justifient le maintien de l’ordre, la sûreté et la sécurité du navire et des
personnes embarquées. L’art. D. 5421-11 rappelle cette obligation essentielle.

E.Droits des passagers 

Les passagers ont aujourd’hui, en application du règlement 1177/2010 des droits équivalents à
ceux qui sont accordés en matière aérienne, ferroviaire ou encore routière 1042. Le règlement qui a
un champ d’application très large (v. ss 787), prévoit en effet que les passagers ont sans doute
quelques devoirs – respecter la discipline du bord ; respecter les consignes de sécurité -, mais
aussi toute une série de droits impératifs et toujours susceptibles d’être renforcés, à commencer
par un droit à l’information1043 : cf. 16 (information en cas de départs annulés ou retardés) ; art. 22
(droit à l’information sur les voyages, se traduisant par la fourniture aux passagers tout au long du
voyage des informations « adéquates » dans des formats accessibles à tous et dans les mêmes
langues que celles dans lesquelles les informations sont généralement fournies à l’ensemble des
passagers) ; art. 23 (informations relatives aux droits des passagers).
Les passagers ont par ailleurs des droits à faire valoir en cas de retard et d’annulation qui
s’ajoutent aux prérogatives qui jouent en application des textes de 1966 : l’art. 17 impose à la
compagnie une assistance en cas de départ retardé (de plus de 90 mn) ou annulé ; l’art. 18 lui
impose, dans la même situation, d’offrir une option au passager entre le réacheminement dans les
meilleurs délais et aux mêmes conditions ou le remboursement du prix du billet. L’art.19, enfin,
accorde aux passagers qui subissent un retard à l’arrivée le droit de demander une indemnisation
selon des modalités définies par le texte. Ces mesures de protection des passagers connaissent des
limites (cf. art. 20).1044
1042
Cf. règlements cités ss 787. Le règlement aérien a déjà suscité une jurisprudence importante qui peut
naturellement inspirer l’interprétation du règlement maritime. Tous ces règlements prévoient des dispositions
particulières en faveur des personnes à mobilité réduite appelées naturellement à être respectées à la lettre.
1043
Le règlement responsabilité (392/2009) prévoit de son côté que le transporteur et/ou le transporteur substitué
veillent à ce que les passagers reçoivent des informations « pertinentes et compréhensibles » concernant leurs droits
au sens dudit règlement.
1044
L’art. 17.2 ne s’applique pas lorsque le transporteur prouve que l’annulation ou le retard sont dus à des
conditions météorologiques compromettant l’exploitation du navire en toute sécurité. L’art. 19 prévoit la même
excuse et en ajoute une autre tenant aux « circonstances extraordinaires empêchant l’exécution du service de
268
Enfin, des règles de procédure spécifiques sont prévues pour assurer la mise en œuvre concrète
des dispositions précédentes. Ainsi, les réclamations doivent-elles être faites dans des conditions
très accessibles et efficaces (cf. art. 24 et 25). Il faut ajouter que ces mesures spécialement
prévues ne sauraient empêcher les passagers de saisir les juridictions nationales pour demander
des dommages-intérêts conformément au droit national en réparation du préjudice résultant de
l’annulation ou du retard de services de transport (art. 21). Autrement dit, les voies de recours
fondées sur le contrat de transport lui-même sont toujours susceptibles d’être exercées.

§3. Exécution et inexécution du contrat

A.Résolution du contrat 

Le droit commun de la résolution est certainement applicable en cas de manquement par l’une ou
l’autre des parties à ses obligations. En outre, le décret (art. D. 5421-9 s.) prévoit plusieurs
applications de la résolution des contrats synallagmatiques pour inexécution de ses obligations
par un contractant (C. civ., art. 1184).
Du côté du transporteur, toute modification importante dans les horaires, l'itinéraire ou les escales
prévues donne au passager le droit de demander la résolution du contrat et d'obtenir, s'il y a lieu,
des dommages-intérêts (art. D. 5421-9). On reconnaît là les principes du droit commun : il faut
que l'inexécution revête une certaine gravité ; il faut également qu'elle manifeste le défaut de
diligence du transporteur. L'article D. 5421-9 le précise. La résolution est en effet une sanction.
Elle pourrait être unilatérale en l’état de la jurisprudence actuelle admettant la résiliation aux
risques et périls de celui qui en prend l’initiative en cas de comportement gravement
répréhensible de son cocontractant.
Il y a également, d’après les textes, lieu à résolution en cas d'interruption prolongée du voyage si,
d'une part, le transporteur n'établit pas que cette interruption ne lui est pas imputable, et d'autre
part, ne pourvoit pas au transport du passager à destination sur un navire de même qualité (art. D.
5421-10).
Rappelons aussi qu'il y a lieu à résolution en cas de non-départ du navire par suite d'un
événement de force majeure, mais ici on est en présence d'une application de la théorie des
risques dans le contrat, plutôt que de la théorie de la résolution, car l'inexécution n'est pas fautive.
Toutes ces dispositions paraissent très désuètes au regard des dispositions du règlement sur les
droits des passagers auxquelles il faut sans doute donner la priorité. Il reste que ces dispositions
ne couvrent pas toutes les hypothèses de défaillance du transporteur et que son champ
d’application n’est pas systématique.

B.Responsabilité 

En cas d’inexécution ou de mauvaise exécution des obligations résultant du contrat, le


transporteur engage sa responsabilité contractuelle : il doit exécuter le transport, partir à la date
prévue, suivre l’itinéraire établi, faire les escales envisagées, arriver au port de destination. Tout
manquement à l’une ou l’autre de ces obligations est, pour lui, source de responsabilité. Il est
simplement permis de se demander si la responsabilité suppose pour être engagée que soit
transport des passagers qui n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises » ;
rappr. CJUE 22 déc. 2008, aff. C-549-07, décidant qu’un problème technique (d’un aéronef) n’est pas une
circonstance extraordinaire. Sur la notion d’annulation, v. CJUE 13 oct. 2011, D. 2012. 475, dont la solution est
transposable en matière maritime.
269
rapportée la preuve d’une faute imputable au transporteur. Il serait plus logique et plus juridique
d’admettre que tout manquement est source ipso facto de responsabilité, sauf pour le transporteur
à prouver que le manquement ne lui est pas imputable.
Le retard à destination est également une source de responsabilité. 1045 Encore faut-il que le
transporteur se soit engagé sur des délais, ce qui est rare. Comme en matière aérienne, les
conditions générales prévoient que les délais ne sont pas garantis. Ces clauses sont a fortiori
valables en matière maritime, mais n’autorisent pas le transporteur à se comporter avec
désinvolture.

C.Obligation de sécurité 

Le transporteur doit conduire le passager sain et sauf à destination 1046. Il en prend l'engagement
par le contrat. En cas d'accident corporel survenu au passager, le transporteur est donc
contractuellement responsable. Ces solutions sont aujourd’hui bien acquises. La réforme de 1966
les avait consacrées, mais en leur donnant une expression particulière, à l'imitation de la
Convention de 1961. La Cour de cassation avait d'abord raisonné, contrairement à la majorité de
la doctrine, en termes de responsabilité délictuelle 1047. Ce sont les compagnies de transport qui,
avec persévérance, et dans une petite affaire, ont fait triompher la thèse de la responsabilité
contractuelle qui, depuis, a renforcé leur responsabilité. Un passager de pont avait été blessé par
un fût mal arrimé dans l'entrepont du navire qui le conduisait de Tunis à Bône. La Compagnie de
navigation opposait à l'action, intentée devant le Tribunal d'Alger, la clause du contrat qui
attribuait compétence au Tribunal de commerce de Marseille, et elle obtint gain de cause par ces
motifs : « l'exécution du contrat de transport comporte l'obligation de conduire le voyageur sain
et sauf à destination » ; dès lors, puisque c'était au cours de l'exécution de ce contrat que
l'accident s'était produit, il convenait de donner effet à la clause de compétence insérée au
contrat1048. Depuis, la Cour de cassation n'a plus varié et l'obligation de sécurité, dérivée du
contrat et donc de nature contractuelle, est admise par toute la jurisprudence et pour tous les
transports de personnes.
Cette jurisprudence a été critiquée par Josserand et par Ripert, puis par Carbonnier : on aurait eu
tort de transposer aux personnes une règle bonne pour les marchandises ; un passager conserve la
liberté de ses mouvements ; ce n'est pas une chose inerte et l'accident peut tenir à sa conduite
aussi bien qu'aux défaillances du transporteur. On peut répondre à cela que l'organisation des
transports est complexe dans tous ses éléments, aussi bien dans l'engin qui les réalise et dans son
mouvement, que dans l'aménagement de l'entreprise. Le passager se confie au transporteur et
celui-ci lui assure une certaine sécurité. Qu'il ne lui promette pas toute la sécurité, c'est autre
chose, qui concerne le contenu de l'obligation. Mais il est indéniable que, par le contrat, le
transporteur s'engage à transporter le voyageur à destination et c'est sain et sauf que le voyageur
entend y parvenir. Du reste, si, en matière de chemins de fer, les accidents survenus aux
voyageurs à la descente des trains peuvent effectivement alimenter la critique, dans la mesure où
la Cour de cassation les soumet à la responsabilité contractuelle du chemin de fer, il faut bien

1045
T. com. Marseille, 9 nov. 2004, DMF 2006. 234, obs. Pierronnet.
1046
V. plus général. C. Bloch, L’obligation contractuelle de sécurité, PUAM 2002 ; égal. A. Vialard, L’obligation
de sécurité du transporteur maritime de passagers, in L’obligation de sécurité, PU Bordeaux 2003, 129 ; égal. A.
Sam-Lefebvre, La sécurité dans le transport maritime de passagers, thèse Nantes 2011.
1047
Civ. 10 nov. 1884, S. 1885, 1, 129.
1048
Civ. 21 nov. 1911, D. 1913. 1, 249, note Sarrut.
270
avouer que dans les catastrophes maritimes, la part éventuelle du passager est négligeable à côté
de la part possible de l'entreprise dans la production du sinistre.

D.Conséquences de cette obligation avant 1966 

La jurisprudence tirait de cette construction les conséquences suivantes.


En cas de dommage corporel survenu au passager, le transporteur était de plein responsable et ne
pouvait se libérer de sa responsabilité qu'en établissant que le dommage avait pour seule cause un
événement de force majeure, la faute du passager ou celle d'un tiers dont il ne répondait pas  ; la
seule preuve par le transporteur maritime de ses diligences et des soins qu'il avait apportés à
l'exécution de ses obligations ne suffisait pas à le libérer.
En l'absence de textes contraires, il fallait admettre la validité des clauses par lesquelles le
transporteur allégeait sa responsabilité, soit en la transformant en une obligation de moyens
(auquel cas il se libérait par la preuve de ses diligences normales), soit en limitant le montant de
la réparation due au passager, soit même en stipulant qu'il ne serait pas responsable. En fait ces
clauses étaient assez fréquemment insérées dans les contrats de passage ; la jurisprudence les
considérait comme valables et leur faisait produire effet dans les conditions du droit commun,
c'est-à-dire qu'elles produisaient tout l'effet attendu par le transporteur, sauf démonstration de son
dol ou de sa faute lourde1049.
En cas d'accident mortel, les héritiers du passager pouvaient invoquer le bénéfice de son contrat,
pour obtenir aussi bien réparation du dommage souffert avant sa mort par le passager, que
l'indemnisation des dommages qu'ils avaient personnellement soufferts dans leurs intérêts
pécuniaires ou moraux. Cette jurisprudence (qui n'était pas particulière aux transports maritimes)
se fondait sur une prétendue stipulation pour autrui que le passager aurait tacitement faite en
faveur de ses proches1050, de sorte que le transporteur aurait promis la sécurité du passager non
seulement à celui-ci, mais encore auxdits proches.
 Lorsque les proches parents du passager décédé invoquaient ainsi le contrat de passage, auquel
ils se trouvaient fictivement mais juridiquement associés, ils s'inséraient dans le jeu contractuel.
La conséquence en était certes qu'ils pouvaient invoquer contre le transporteur l'obligation
contractuelle assumée par celui-ci pour lui demander réparation de leurs dommages personnels.
Mais une autre conséquence était que le transporteur pouvait de son côté lui opposer les clauses
insérées dans le contrat – à les supposer valables - par lesquelles il avait pu limiter sa
responsabilité. C'était le jeu contractuel.
Cette dernière solution a néanmoins été écartée en faisant intervenir l'article 1384, al. 1 er C. civ. Il
est vrai que la partie à un contrat ne peut pas invoquer les art. 1382 s. C. civ. : c'est l'effet de la
règle du non-concours des responsabilités contractuelle et délictuelle. Mais si les demandeurs
renoncent au bénéfice de la stipulation pour autrui, plus exactement s'ils n'en acceptent pas le
bénéfice, ils peuvent alors, libérés sur le plan contractuel, agir sur le terrain délictuel. Sans doute
l’art. 1384 ne les avantage-t-il pas sur le plan probatoire, puisque la présomption de
responsabilité qui pèse sur le transporteur est aussi forte que la présomption qui pèse sur le
gardien d'une chose ; mais les demandeurs, ne s'appuyant plus sur le contrat, ne peuvent plus se
voir opposer les clauses insérées par le transporteur dans le billet de passage. La jurisprudence
1049
Com. 11 févr. 1965, DMF 1965. 352 ; 19 oct. 1965, D. 1966. 238. Cette jurisprudence n’avait cependant jamais
été bien admise, d’autant qu’un raisonnement juridique rigoureux conduisait à dire que de telles clauses étaient
contraires à l’ordre public, v. Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse Aix-
Marseille 1981, n° 394 s.
1050
Rappr. Civ. 1re, 28 oct. 2003, D. 2004. 233 et la note, RTD civ. 2004. 96, obs. Jourdain.
271
s'est montrée très ferme en ce sens1051. Elle s’est maintenue pendant longtemps, malgré certaines
critiques, ce qui a sans doute facilité les réformes intervenues avec la Convention de Bruxelles de
1961, puis la loi de 1966 elle-même.

E.Loi de 1966. Règles générales 

Si on les reprend, dans l'ordre où elles ont été exposées, d'après la jurisprudence antérieure à la
réforme, les solutions issues de la loi de 1966 et toujours contenues dans le Code des transports
sont les suivantes :
La loi impose toujours au transporteur d’assurer la sécurité des passagers (art. L. 5421-2). Les
clauses de responsabilité ne sont certainement plus permises (art. D. 61).
En cas d'accident mortel, les ayants droit peuvent réclamer réparation au transporteur, mais ils
doivent le faire dans les mêmes conditions que leur auteur aurait pu le faire ; il n'est plus utile de
parler de stipulation pour autrui ; l'article L. 5421-7 donne la règle, en indiquant que « toute
action en responsabilité, à quelque titre que ce soit, ne peut être exercée que dans les conditions
et limites prévues par les textes. La responsabilité est donc légale.
La réparation est plafonnée dans les conditions de l’art. L. 5421-5.
Le système de responsabilité est par ailleurs totalement réorganisé, puisqu’il dépend désormais
d’une distinction entre deux types d’accidents.

F.Système de responsabilité1052 

La loi de 1966 a réorganisé la responsabilité des compagnies maritimes à partir d’une distinction
entre les deux catégories d’accidents qui peuvent survenir aux passagers. L’idée est que les
dommages corporels1053 survenus au passager en cours de voyage ou pendant les opérations
d’embarquement ou de débarquement, soit aux ports de départ ou de destination, soit aux ports
d’escale1054 ne donnent pas toujours lieu à une présomption contre le transporteur. Il faut donc
distinguer entre les accidents collectifs et les accidents individuels. Dans le premier cas, le
système repose sur la théorie de l’obligation de résultat atténuée ; dans le second sur la théorie de
l’obligation de moyens.
Accidents collectifs. Une présomption de responsabilité pèse sur le transporteur lorsque le
dommage a été causé « par naufrage, abordage, échouement, explosion, incendie ou tout sinistre
majeur1055 » ; le caractère collectif de l'accident indique que le passager ne doit pas être l'artisan
de son malheur ; le transporteur est tenu prima facie, à moins qu'il n'établisse que l'accident n'est
1051
Civ. 19 juin 1951, D. 1951. 717, note Ripert ; Civ. 23 janv. 1952, D. 1952. 400 ; 23 janv. 1959, D. 1959. 277,
note Rodière.
1052
v. F.X. Pierronnet, Responsabilité civile et passagers maritimes, PUAM 2004, 2 vol., préf. Chaumette ; égal. H.
Tassy, À propos du transport de passagers, DMF 1998. 883.
1053
Ne sont pas visés les dommages économiques ni les dommages psychologiques (angoisse ?…) pour lesquels le
droit commun de la responsabilité contractuelle devrait s’appliquer, sauf à considérer que ces dommages ne sont pas
couverts. En raisonnant d’après la jurisprudence qui s’est développée en matière aérienne, la première branche de
l’alternative pourrait s’imposer, rappr. Delebecque, La dispersion des sources de la responsabilité du transporteur
aérien de passagers, Mélanges Le Tourneau, éd. Dalloz, 2004, p. 327 : comp. Civ. 1re, 15 janv. 2014, RD transp.
2014, n°7.
1054
 Sur le champ couvert par ce régime contractuel : v. Aix-en-Provence, 4 juill. 1973, DMF 1974. 24, note O.
Maurin ; TGI Bastia 8 sept. 2005, BTL 2005. 622.
1055
Sur la notion de sinistre majeur, v. Bonassies et Scapel, n° 1244 ; égal. Delebecque, Le sinistre majeur : les
mesures provisoires et conservatoires, Annales IMTM 2012.
272
dû ni à sa faute, ni à celle de ses préposés (art. L. 5421-4) ; il ne s'agit pas ici de distinguer
suivant que la faute de ses préposés est nautique ou commerciale : le transporteur ne se libérera
pas en prouvant que le dommage est dû à une faute nautique du capitaine. Il reste que l’on peut se
demander si le transporteur peut se libérer en établissant qu’il a pris toutes les mesures pour
éviter le dommage. Les auteurs considèrent qu’il appartient au transporteur d’identifier la cause
du sinistre et d’établir qu’elle lui est étrangère.1056 Cette interprétation n’est sans doute pas
littérale, mais elle rejoint les solutions admises en matière aérienne lorsque la Convention de
Varsovie était encore applicable1057. La preuve de la non faute confinait à la preuve de la cause
étrangère. Cette solution est, en l’occurrence, la plus appropriée.
Accidents individuels. Aucune présomption de responsabilité ne pèse sur le transporteur, si
l'accident corporel est d'ordre individuel, plus exactement s'il n'entre pas dans les catégories
énumérées ci-dessus ; en pareil cas, c'est à la victime d'établir que le transporteur a contrevenu
aux obligations de diligence que définit l'article L. 5421-1 de la loi, i. e. :
- obligation « de mettre et de conserver le navire en bon état de navigabilité, convenablement
armé, équipé et approvisionné pour effectuer le voyage considéré »1058 ;
- et plus généralement obligation de faire toutes « diligences » pour assurer la sécurité des
passagers.
Le texte ajoute que la victime peut aussi prouver, pour engager la responsabilité du transporteur,
qu’« une faute » (même nautique) a été commise par le transporteur ou l’un de ses préposés.
La preuve du manquement par le transporteur à ses obligations est bien à la charge de la victime ;
elle conditionne la réparation due par le transporteur1059. On est bien dans la théorie de
l’obligation de moyens1060.

G.Réparation 

Lorsque le transporteur est reconnu responsable, il ne doit une entière réparation qu'au cas de dol
ou de faute inexcusable de sa part ou de la part de son préposé. La faute personnelle inexcusable
est la faute commise avec l'intention de provoquer un tel dommage ou commise témérairement et
avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement (art. L. 5421-5, al. 2) ; la faute
lourde ne suffira donc pas à écarter le plafond de réparation. La faute personnelle inexcusable du
transporteur doit être appréciée, en la circonstance, in abstracto. Cette faute est en tout cas
caractérisée lorsque l’armateur a laissé naviguer un navire innavigable 1061, ou lorsqu’il a mis en
danger ses passagers en les embarquant en nombre excessif, ce dont il résultait que le navire
n’était plus manœuvrable1062.

1056
MM. Bonassies et Scapel, n° 1244.
1057
V. Sériaux, La faute du transporteur, 2e éd., n° 50 s.
1058
Le manquement à la navigabilité devrait justifier une responsabilité de plein droit ; la jurisprudence n’est
cependant pas en ce sens.
1059
 Ex. positifs de fautes : Rennes, 3 mai 1971, DMF 1972. 31 ; Aix-en-Provence, 5 janv. 1976, DMF 1977. 46. ; ex
négatif TGI Marseille 29 avr. 1971, DMF 1972. 278 ; TGI Marseille 24 mai 2007, BTL 2007. 479 ; Aix-en-Provence
26 juin 2013, n° 11/15213, chute causée par un dénivelé – normal et signalé - permettant d’accéder à la passerelle
d’embarquement ; égal. Basse –Terre 4 mai 2009, n° 401, accident corporel d’un passager (alcoolisé) ayant
volontairement plongé du bateau, alors qu’il avait connaissance de la faible profondeur de l’eau. Sur la nécessité de
la preuve de la faute : Aix-en-Provence 2 nov. 2011, DMF 2012. 368, obs. Tassy.
1060
V. Paris 7 févr. 1997, DMF 1998. 11 et les obs.
1061
Com. 5 janv. 1999, DMF 1999. 312, rapp. Rémery, obs. Latron.
1062
Com. 16 avr. 1991, Bull. civ. IV, n° 146, DMF 1992. 171, obs. Bonassies.
273
Hors le dol et la faute personnelle inexcusable, le transporteur est tenu dans les limites fixées par
l’article 7 de la Convention de Londres du 19 nov. 1976 (art. L. 5421-5) 1063. La limitation, un
temps, correspondait, en cas de créances résultant de la mort ou de lésions corporelles nées d’un
même événement1064, à une somme de 46 666 DTS par passager soit environ 53 858 euros), sans
pouvoir excéder 25 millions de DTS1065.
Le protocole de 1996 a porté le plafond à la somme de 175 000 DTS, multipliés par le nombre de
passagers que le navire est autorisé à transporter conformément à son certificat. Autrement dit, la
limitation s’établit aujourd’hui à 175 00 DTS par passager et le plafond ne peut excéder cette
somme multipliée par le nombre de passagers que le navire est autorisé à transporter1066.
S'agissant de créances résultant d'un retard dans le transport des passagers, la réparation est
limitée dans les conditions fixées par l’article 6.1 b. de la Convention internationale.

H.Action en responsabilité 

L’action en responsabilité contre le transporteur maritime de passagers se prescrit par deux ans
(art. L. 5421-6) ; il s'agit d'une véritable prescription, non d'une « courte prescription », ni d'une
déchéance1067. La règle vaut quel que soit le demandeur et à quelque titre qu'il agisse. Le point de
départ est le jour où le passager a débarqué ou aurait dû l'être (art. D. 5421-13) ; en cas de décès
postérieur au débarquement, le délai court du jour du décès, sans pouvoir excéder trois ans à
compter du débarquement (al. 2, art. D. 5421-13).
L'action en responsabilité, comme d'une façon générale toutes les actions nées du contrat de
transport de passagers, peut être portée devant le tribunal compétent de droit commun ou devant
le tribunal du port d'embarquement ou du port de débarquement lorsqu'il est situé sur le territoire
de la République française (art. D. 5421-12)1068.

I.Bagages 

Les textes se préoccupent également des impedimenta des passagers. Le transporteur doit
délivrer un récépissé des bagages enregistrés. L’art. L. 5421-9 dispose que le transporteur est
responsable des bagages et véhicules de tourisme enregistrés dans les limites fixées par voie
réglementaire. Cette responsabilité est engagée comme en matière de transport de marchandises.

1063
Ce qui n’exclut pas les indemnisations transactionnelles, cf. en ce sens dans l’affaire « Costa Concordia », Civ.
1 , 14 nov. 2013, DMF 2014. 199, obs. P. Simon et B. Courtois.
re

1064
L’événement est ici l’accident cause du dommage. L’expression créances résultant de la mort ou de lésions
corporelles signifie « toute créance formée par toute personne transportée sur le navire ou pour le compte de cette
personne, en vertu d’un contrat de transport de passagers ou qui, avec le consentement du transporteur, accompagne
un véhicule ou des animaux vivants faisant l’objet d’un contrat de transport de marchandises » (art. 7.2, conv. 1976).
1065
Par conséquent, au-delà de 535 victimes (46 666 x 535 = env. 25 M), l’indemnité sera réduite à due proportion.
1066
V. MM. Brajeux et Mc Donald, Entrée en vigueur du Protocole de 1996 à la Convention de 1976 sur la
limitation de responsabilité, DMF 2007. 965.
1067
 Elle est donc susceptible d'interruption selon les règles du droit commun. Ainsi, la constitution de partie civile
devant une juridiction incompétente interrompt le délai et ouvre un nouveau délai de deux ans à compter de la
décision d'incompétence du tribunal correctionnel (T. com. Toulon, 15 mai 1981, in chron. L. Scapel, « À propos de
la Vénus des Iles », Revue Scapel juin 1981).
1068
 Le tribunal correctionnel est incompétent pour se prononcer sur la condamnation civile, l'action en
responsabilité « différant, tant par son fondement que par les règles de procédure édictées pour son exercice, de
l'action ouverte aux victimes d'une infraction… » (Cass. 19 juin 1984, DMF 1985. 333 ; Bonassies, op. cit., DMF
1986. 86 n° 53 ; Basse-Terre, 2 oct. 1979, DMF 1980. 172, obs. Bouloy, et pour l'affaire soumise à la Cour de
cassation, Toulon 15 mai 1981, Scapel 1981.30).
274
Quant aux bagages de cabines et effets personnels1069, la responsabilité du transporteur est
également engagée s’ils sont perdus en endommagés. Mais la responsabilité suppose alors que le
demandeur rapporte la preuve de la faute du transporteur ou de l’un de ses préposés (art. L. 5421-
10).
Pour chaque passager, la réparation due par le transporteur ne peut excéder une somme dont le
montant est fixé par voie réglementaire (cf. Décr. 23 mars 1967, art. 3). Cette limite s’établit
aujourd’hui à :
- 1 140 euros par passager en ce concerne les bagages de cabine enregistrés ;
- 4 600 euros par véhicule de tourisme, y compris les bagages se trouvant à l’intérieur ;
- 1 520 euros par passager pour les bagages autres que ceux visés précédemment ;
- 460 euros par passager pour les effets personnels et bagages non enregistrés.
Le plafond de réparation est écarté en cas de dol ou de faute inexcusable 1070. De même, toute
limitation est supprimée pour les biens précieux déposés entre les mains du capitaine ou du
commissaire de bord.
Le délai de prescription des actions nées à l’occasion des transports de bagages est d’un an (art.
L. 5421-12). Il court à compter du débarquement des passagers ou du jour où il devait avoir lieu
(art. D. 5421-16).

SECTION 2. OPÉRATIONS INTERNATIONALES

§1. Conflits de lois 

En matière de transport de passagers, les conflits de lois sont rares, mais ne sont
pas exclus.L’article 5.2 du règlement Rome I précise quelles sont les règles de conflit. Le
principe est celui de la loi d’autonomie 1071. Toutefois, les parties ne peuvent choisir comme loi
applicable que la loi du pays dans lequel le passager a sa résidence habituelle, le transporteur a sa
résidence habituelle, le transporteur a son lieu d’administration centrale, le lieu de départ est
situé, ou le lieu de destination est situé.
À défaut de choix, la loi applicable est la loi du pays dans lequel le passager a sa résidence
habituelle, pourvu que le lieu de départ ou le lieu d’arrivée se situe dans ce pays. Si ces
conditions ne sont pas réunies, la loi du pays dans lequel le transporteur a sa résidence habituelle
s’applique. Enfin, s’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente
des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui prévu à défaut de choix, la loi de
cet autre pays s’applique sous réserve des règles d’ordre public.
Ces dispositions ne sont pas propres aux transports de passagers. Elles s’appliquent également
aux croisières pour lesquelles l’art. 6.2 relatif aux contrats de consommation, pose une limite
supplémentaire : le choix de la loi ne peut avoir pour effet de priver le consommateur de la
protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé en vertu de la loi qui
aurait été applicable en l’absence de choix.

§2. Convention de Bruxelles de 1961 


1069
Ces impedimenta ne peuvent servir d’assiette au droit de rétention du transporteur en cas de défaut de paiement
du prix de passage (art. D. 5421-15).
1070
Paris 7 févr. 1997, DMF 1998. 11 et les obs.
1071
La clause de choix d’une loi ne présente, en elle-même, aucun caractère abusif : Bastia 2 févr. 2011, DMF 2011.
892, obs. Cachard, RD transp. 2011, n° 102, obs. Ndendé, DMF 2012, HS 16, n° 125.
275
La Convention signée à Bruxelles en 1961, un temps adoptée par la France, avant d’être
dénoncée le 3 déc. 1975, proposait un système original de responsabilité. La responsabilité légale
du transporteur y est moins sévèrement appréciée, mais ses dispositions ne souffrent aucune
disposition contraire. Le système qu'elle institue tient en plusieurs règles. La première est que le
transporteur doit exercer une diligence raisonnable pour mettre et conserver le navire en état de
navigabilité pendant le voyage et assurer la sécurité des passagers à tous égards. Sur ce
préliminaire, en cas d'accident, c'est en principe au passager d'établir que le transporteur a failli à
son obligation. Mais ce principe de charge de la preuve se renverse lorsque la mort ou les
blessures ont été causées par naufrage, abordage, échouement, explosion ou incendie.
Cette règle peut paraître singulière, car on était autrefois porté à considérer en pareil cas qu'il y
avait force majeure. Elle est en réalité, parfaitement raisonnable, car c'est précisément dans des
cas de cet ordre que le passager ne peut pas prouver la faute du transporteur ; en outre, c'est
précisément dans ces cas qu'il n'est plus vraisemblable que le dommage soit dû à une faute du
passager. Il ne faut en effet pas omettre d'observer que dans les transports maritimes, du moins
traditionnels, les passagers jouissent d'une certaine liberté de mouvement, de sorte que l'accident
survenu en dehors de ces catastrophes, l'accident qui arrive isolément à un passager a beaucoup
plus de risques d'être dû à son fait personnel qu'au fait du transporteur.
Enfin, dernière règle, lorsque la responsabilité du transporteur est engagée, la convention limite le
montant de la réparation à la somme de 250 000 francs Poincaré par voyageur1072.
La convention a inspiré la loi de 1966. Mais, aujourd’hui, elle n’a plus guère d’influence.

§3. Convention d’Athènes 

La Convention signée à Athènes le 13 décembre 19741073 concerne à la fois le transport des


passagers et de leurs bagages. Elle est entrée en vigueur le 28 avril 1987 mais n'a pas été ratifiée
par la France, ce qui ne suffisait pas à la rendre inapplicable à tous les navires français
(art. 2 c)1074. Modifiée notamment par trois séries de Protocoles de 1976, de 1990 et de 2002, elle
est aujourd’hui annexée au règlement européen du 23 avril 2009 et lie donc les États membres,
dont la France.
La Convention d'Athènes pose le principe de la responsabilité a priori du transporteur de
voyageurs et de bagages dès lors que le préjudice (mort ou lésion corporelle pour les premiers,
perte ou avarie pour les seconds) s'est produit à bord 1075. La responsabilité est impérative (cf. art.
18, prévoyant la nullité des dispositions contractuelles contraires). Elle est également légale (art.
14, prévoyant qu’aucune action en responsabilité ne peut être intentée autrement que sur la base

1072
 Soit, à l’époque, 92 000 FF environ selon le mode de calcul très contestable qui était utilisé jusqu'à l'avis du
ministre des relations extérieures du 20 juin 1985 (DMF 1985. 767, obs. R. A.), selon lequel 15 075 F. Poincaré
égalent 1 DTS, celui-ci étant alors aisément convertible en franc français.
1073
 Texte dans DMF 1976. 462 ; v. Commentaires Cl. Legendre, DMF 1976. 451 ; Markianos, Diritto marittimo,
1975.135.
1074
 du Pontavice et P. Cordier, Transport et affrètement maritimes, op. cit., M 11 s. ; v. pour une application à un
contrat au départ d’un port français, Paris 19 mai 1999, DMF 2000. 26, obs. Rohart, DMF 2001, HS 5, n° 113, obs.
Bonassies.
1075
La convention couvre les périodes pendant lesquelles le passager est à bord, en cours d’embarquement et de
débarquement, ainsi que la période (accessoire) pendant laquelle les passagers sont transportés par eau du quai au
navire et vice versa. Le transport ne comprend pas la période pendant laquelle le passager se trouve dans une gare
maritime ou sur un quai ou une autre installation portuaire.
276
de la convention). Elle pèse sur le transporteur i. e. le transporteur contractuel (art. 1. a) et sur le
transporteur substitué (art. 4).1076
Le système de responsabilité n’est pas le même selon que l’accident est dû à un événement
maritime – naufrage, chavirement, abordage, échouement, explosion à bord, incendie à bord,
défaut du navire – ou à une autre cause.

En cas de préjudice résultant de la mort ou de lésions corporelles d’un passager causées par un
événement maritime, le transporteur est de plein droit responsable, dans la mesure où le préjudice
subi par le passager pour un même événement ne dépasse pas 250 000 DTS. Il peut cependant
s’exonérer s’il prouve que le préjudice résulte d’un acte de guerre, d’hostilités, d’une guerre
civile, d’une insurrection ou d’un phénomène naturel de caractère exceptionnel, inévitable et
irrésistible ou résulte en totalité du fait qu’un tiers a délibérément agi ou omis d’agir dans
l’intention de causer le préjudice.
Si le préjudice résulte d’un même événement, mais dépasse la somme de 250 000 DTS, le
transporteur peut s’exonérer, pour la part dépassant ce montant, en prouvant que l’événement
générateur du préjudice est survenu sans faute ou négligence de sa part.
Si le préjudice ne résulte pas d’un événement maritime, la responsabilité du transporteur n’est
engagée qu’en cas de faute prouvée de sa part1077. La faute est aussi bien celle du transporteur que
celle de ses préposés dont il répond (agissant donc dans l’exercice de leurs fonctions). On
retombe donc dans la théorie de l’obligation de moyens. Il faut ajouter que le transporteur peut,
en toute hypothèse, s’exonérer en tout ou partie de sa responsabilité s’il établit que le préjudice a
pour cause directe ou indirecte la faute ou la négligence du passager (art. 9).

Quant à la réparation, l’indemnisation a été un temps augmentée pour les lésions corporelles à
700 000 F Poincaré par transport (art. 7 et 9), soit 46 434,49 DTS. La limitation ainsi fixée était
donc proche de celle de la Convention de 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de
créances maritimes (46 666 DTS), dans sa version de 1986. Depuis, un Protocole du 29 mars
1990, à la suite du sinistre du Free Herald Enterprise, a porté la limitation à 175 000 DTS. Plus
récemment, la limitation a été fixée par un Protocole de 2002 à 400 000 DTS. Ces limites sont
écartées s’il est établi que le dommage résulte d’une faute intentionnelle ou d’une faute
inexcusable du transporteur (le texte ne précise pas si cette faute est personnelle ou non au
transporteur).
Précisons que, contrairement à la législation nationale, la Convention d'Athènes, pas plus que la
Convention de 1961, ne prévoient de limitation spécifique pour le dommage dû au retard des
passagers.

§4. Règlement européen sur la responsabilité 

1076
Le transporteur contractuel reste responsable de son substitué. Rien ne s’oppose à ce qu’une action soit
directement engagée contre le substitué qui sera protégé par les dispositions de la convention. Une responsabilité
solidaire est parfaitement concevable.
1077
Encore faut-il que le demandeur rapporte la preuve de la survenance d’un dommage qui lui est extérieur  : rappr.
Civ. 1re, 23 juin 2011, RD transp. 2011, n° 160, décidant, en matière aérienne, que le transporteur n’est pas
responsable de la thrombose veineuse survenue à l’un des ses passagers.
277
La Convention d’Athènes, dans sa dernière version, est désormais annexée au règlement (CE)
392/2009 du 23 avril 2009 relatif à la responsabilité des transporteurs de passagers par mer en cas
d’accident. C’est donc elle qui régit la responsabilité des transporteurs de passagers dans l’UE 1078,
l’objectif étant d’assurer un niveau d’indemnisation approprié aux passagers victimes d’accidents
en mer1079. Le règlement, rappelons-le, s’applique, dans les conditions indiquées plus haut (v. ss
787), à tout transport international ayant une connexion avec l’UE et aux transports intérieurs de
grande distance.
Le système de responsabilité est donc le même dans l’UE et dans les États qui ont ratifié la
Convention d’Athènes. Le modèle de la responsabilité se trouve aujourd’hui dans ce texte. On ne
reviendra pas sur son contenu (v. ss 808), si ce n’est pour insister sur certaines dispositions
particulièrement protectrices des victimes. Ainsi, en cas de décès ou de lésion corporelle, le
transporteur ayant assuré effectivement tout ou partie du transport au cours duquel l’événement
dommageable s’est produit, doit verser une avance. Cette avance doit être d’un montant suffisant
pour couvrir les besoins économiques immédiats, sur une base proportionnelle aux dommages
subis et doit être versé dans les quinze jours à compter de l’identification de la personne ayant
droit l’indemnisation. En cas de décès, cette avance ne peut être inférieure à 21 000 euros.

§5. Obligation d’assurance 

De son côté, le transporteur qui assure effectivement tout ou partie d'un transport de passagers,
au sens de l’art. 1. 1, c. de la convention 1080 doit souscrire une assurance ou une autre garantie
financière satisfaisant aux exigences de cette convention et du règlement européen, lorsque ce
navire est exploité sous pavillon français, ou touche ou quitte un port français. Un certificat
attestant que la garantie est en cours de validité doit se trouver à bord du navire. Les modalités en
sont définies par l’art. 4 bis de la convention. Le système de l’assurance obligatoire fait donc
florès.
Il est d’autant plus efficace qu’il est doublé d’une action directe en faveur des victimes (art. 4.2).
L’assureur peut toutefois invoquer les moyens de défense que le transporteur est fondé à invoquer
(faute de la victime, plafonds de réparation, prescription…). Il peut aussi se prévaloir du fait que
le dommage résulte d’une faute intentionnelle de l’assuré, mais il ne peut se prévaloir d’aucun
des autres moyens de défense qu’il aurait pu être fondé à invoquer dans une action intentée par
l’assuré contre lui.

§6. Bagages 

La convention d’Athènes et donc le règlement européen se préoccupent aussi du sort des


impedimenta des passagers. Pour les pertes ou dommages aux bagages de cabine, le passager
devra prouver la faute ou la négligence du transporteur, sauf en cas de préjudice causé par un
événement maritime. Dans cette hypothèse, la présomption de responsabilité retrouve son empire,
le transporteur pouvant s’en libérer en prouvant son absence de faute. Pour les pertes ou
1078
La comparaison avec le transport aérien s’impose, puisque dans ce domaine, le règlement communautaire de
1997 a été repris, en substance, par la Convention de Montréal et c’est désormais cette convention qui régit les
transports dans l’UE et dans les autres Etats visés par les conditions d’application du texte.
1079
V. C. Legros, À propos de l’affaire du Costa Concordia : les méandres des sources applicables à la
responsabilité contractuelle du transporteur de passagers par voie maritime : qu’apporte le règlement « accidents
maritimes » du 23 avril 2009 ?, Rev. crit. DIP 2013. 395.
1080
Cela vise le transporteur exécutant qui est aussi bien le transporteur contractuel que le transporteur substitué.
278
dommages aux bagages enregistrés qui font l’objet d’un contrat de transport ainsi que les
véhicules, le transporteur en sera pareillement responsable, la présomption de responsabilité
cédant devant la démonstration de l’absence de faute ou de négligence.
Les limites d’indemnisation s’établissent comme suit (art. 8), sous réserve de la preuve de la faute
intentionnelle ou inexcusable du transporteur :
- bagages de cabine : 2 250 DTS par passager et par transport ;
- bagages enregistrés : 3 375 DTS par passager et par transport ;
- véhicules, y compris les bagages transportés dans le véhicule : 12 270 DTS par passager et par
transport.
- biens de valeur : le transporteur n’en est pas responsable, sauf si ces biens ont été déposés
auprès du transporteur qui a accepté de les garder ; dans ce cas, le même plafond que pour les
bagages enregistrés s’applique, sauf convention contraire en vue d’une limite plus élevée.

§7. Procédure 

En cas de perte ou de dommages survenus aux bagages, le passager doit adresser des
notifications écrites au transporteur ou à son mandataire (art. 15). Pour les actions en
responsabilité en cas de préjudice résultant de la mort ou de lésions corporelles d’un passager, ou
de perte ou de dommages survenus aux bagages, un délai particulier de prescription a été prévu
(art. 16). Ce délai est de deux ans. La convention détaille les différents points de départ en
fonction des dommages en cause. Les causes de suspension et d’interruption sont soumises à la
lex fori, étant précisé qu’en aucun cas une action intentée en application de la convention ne peut
être introduite après l’expiration d’un délai de 5 ans ou d’un délai de 3 ans suivant les
circonstances (art. 16. 3 a et b). On retrouve donc le jeu, très actuel, des doubles délais. Rien ne
s’oppose, enfin, à ce que le délai de prescription soit prorogé : encore faut-il justifier d’une
déclaration du transporteur ou d’un accord entre les parties conclu après la survenance du
dommage.

§8. Compétence 

Dans la Convention d’Athènes, des règles particulières de compétence ont été prévues. L’article
17 détermine les tribunaux compétents à même de connaître des actions en responsabilité sur le
fondement de la convention, à savoir : le tribunal du principal établissement, le tribunal du lieu de
conclusion (si le transporteur dispose d’un siège de son activité et est soumis à la juridiction de
cet État), le tribunal du lieu de départ, le tribunal du lieu de destination, et le tribunal du domicile
ou de la résidence habituelle de la victime (si du moins le transporteur a un siège de son activité
dans cet État). C’est la consécration de la fameuse « cinquième juridiction » dont on a beaucoup
parlé en matière aérienne.
Le règlement européen ne reprend pas ces règles, tout simplement parce que les matières
couvertes par les art. 17 et 17 bis relèvent de la compétence exclusive de l’UE, dans la mesure où
ces articles affectent les règles établies par le règlement 44/2001. Les dispositions des deux
articles font partie intégrante de l’ordre juridique européen. Il en résulte que la compétence se
détermine en application du seul règlement 44/2001. La compétence du tribunal du lieu où en
vertu du contrat les services ont été ou auraient dû être fournis (art. 5. 1 b.) sera souvent
sollicitée, le transport de passagers devant être considéré comme « une fourniture de services ».
En matière de transport aérien, il a été admis que le tribunal du lieu où les services ont fournis est
279
aussi bien le tribunal du lieu de départ que le tribunal du lieu d’arrivée. 1081 Cette solution devrait
être transposée aux transports maritimes.
Ce sont ces mêmes règles de compétence qui sont appelées à jouer dans les contrats de croisière
ou de forfait touristique.

1081
Rappr. CJCE 9 juill. 2009, Redher, aff. C-204/08.
280
Chapitre 2
LE CONTRAT DE CROISIÈRE

La loi de 1966 consacrait trois dispositions (art. 47 à 49) aux organisateurs de croisières
maritimes1082. Ces dispositions avaient été inspirées par la préoccupation du rôle croissant que
joue dans la vie d'un grand nombre de Français l'espoir d'accomplir lors des vacances une
croisière en mer et par les sacrifices qu'ils peuvent faire dans cette perspective en cours d'année.
Or l'expérience prouvait que, souvent, les clients des organisateurs de croisières avaient été déçus
dans leurs espérances et qu'il fallait les protéger contre certaines promesses imprécises ou
fallacieuses. C'est à quoi tendaient les mesures nouvelles dont les unes précisaient les droits des
clients, les autres fixaient la responsabilité des organisateurs de croisières maritimes1083.
La loi n’avait cependant pas pris le soin de définir la croisière maritime 1084. D’où des premières
difficultés1085 en présence de croisières mixtes, par mer et par terre. On s’est alors interrogé sur le
critère de qualification1086. Puis la question de la compatibilité du régime des croisières avec celui
des agents de voyages (issu de textes de 1992) s’est posée, dans la mesure où l’agent de voyages
peut être un organisateur1087 et proposer des voyages en tout ou partie maritimes à des clients.
Avec l’entrée en vigueur du Code des transports, on s’est même demandé si le droit des croisières
n’avait pas été abrogé, les articles 47 à 49 n’ayant pas été repris dans ledit code. La codification
s’étant faite à droit constant, l’abrogation n’est cependant pas acquise : d’où de sérieuses et
pertinentes interrogations1088, notamment pour se prononcer sur la question des recours agence /
transporteur.
Il semble, si l’on tient compte de l’ensemble de la législation, touffue et dépourvue de cohérence,
que les textes sur la croisière soient encore de droit positif : ils sont en concurrence avec le Code
du tourisme et les dispositions sur le forfait touristique, étant précisé que pour la jurisprudence le
régime du forfait touristique l’emporte sur celui de la croisière maritime lorsque la prestation
offerte comporte au moins deux opérations i. e. la croisière + une autre prestation telle que le
transport aller et/ou retour jusqu’au lieu d’embarquement1089, des excursions ou des services
d’hôtellerie à terre, une activité sportive ou bien encore une poursuite de la croisière par une voie
non maritime1090. On rendra compte ci-après de la croisière sans forfait touristique, puis de la
croisière avec forfait touristique1091.
1082
V. plus général. DMF numéro spécial Croisière, 2012, 299 s.
1083
P. Bonassies, La responsabilité de l’armateur de croisière, Rev. Scapel 1998, 84.
1084
v. cependant en doctrine, MM. Bonassies et Scapel, n° 1264 : « la croisière maritime est l’activité qui consiste à
offrir et à fournir à des clients dénommés « croisiéristes », une prestation principale de voyage maritime, dans des
conditions particulières de confort et d’agrément, prestation généralement accompagnée de prestations
complémentaires ».
1085
Un stage de voile ne saurait être considéré comme une croisière, Aix-en-Provence 19 sept. 2011, DMF 2013 HS
17, n° 117.
1086
 Civ. 1re, 15 févr. 1977, aff. Mazerand, JCP 1977. II. 18757, note Rodière, sur pourvoi contre Paris,
27 janv. 1975, D. 1975. 336, note Rodière, DMF 1976. 409.
1087
Si l’agent n’est qu’un mandataire, il n’est responsable qu’en tant que tel, v. Contrats civils et commerciaux,
Précis Dalloz, n° 686.
1088
C. Scapel, Le droit positif de la croisière maritime en France, DMF 2012. 306.
1089
Civ. 1re, 18 oct. 2005, Bull. civ. I, n° 376, DMF 2006. 243, obs. Tassy.
1090
Civ. 1re, 8 juin 2004, n° 01-13.402 ; égal. Civ. 1re, 16 nov. 2004, Bull. civ. I, n° 277.
1091
Ne sont pas soumises au régime du forfait, les prestations « hors forfait » souscrites en cours de croisière à
l’occasion d’une escale et dont le prix est réglé sur place : Civ. 1re, 13 déc. 2005, DMF 2006. 520, obs. J. Bonnaud ;
égal. TGI Paris 1er févr. 2008, DMF 2009. 520, obs. Marguet.
281
SECTION 1. CROISIÈRE SANS FORFAIT TOURISTIQUE

§1. Contrat solennel 

À peine de nullité du contrat, l'organisateur de croisière doit délivrer un billet de croisière à


chaque passager ou groupe de passagers (L. 1966, art. 47)1092. Il s'agit d'une nullité de protection
que seul peut invoquer celui que l'on a voulu protéger : le client. Ce titre doit définir les
obligations assumées par l'organisateur envers ses clients, À cette fin, le titre doit porter un
certain nombre de mentions qui présentent un grand intérêt puisque l'on doit considérer qu'un titre
incomplet entraîne la nullité du contrat.
Ces mentions sont énumérées à l'article D. 5421-17. Elles définissent essentiellement le voyage
promis (nom et type du navire ; classe, numéro de cabine), le prix du voyage et des frais compris
dans le prix ; les ports de départ et des destinations et les escales prévues ; les dates prévues de
départ et d'arrivée ; enfin, les services accessoires promis au passager. Le billet doit en outre
identifier les parties ; noms et adresse de l'organisateur de la croisière et du passager ou de son
représentant (cela surtout pour les voyages de groupes). Les clients savent ainsi désormais ce qui
leur est promis et peuvent supputer les « faux frais », souvent importants, que la croisière pourra
leur coûter, en plus du prix de passage.

Si une escale, une excursion… a été promise, les « croisiéristes » y ont droit, de sorte que, sauf
s'il établit que leur déception tient à une défaillance du transporteur maritime, l'organisateur de
croisière en est responsable envers eux (L. art. 48). Une responsabilité contractuelle pour fait
d’autrui est ainsi organisée.

Pour mieux marquer les obligations de l'organisateur de la croisière, le décret (art. D. 5421-18)
lui fait le devoir de remettre à ses clients un carnet de croisière qui réunit les coupons
correspondants pour chaque escale aux services qui lui sont promis à terre (visites, excursions,
repas…).

§2. Responsabilité de l'organisateur 

En cas de manquement par l’organisateur de croisière à ses obligations, les sanctions prévues par
le droit commun des contrats s’appliquent. Ainsi en est-il de la résolution 1093. La responsabilité de
l’organisateur de croisière est parfaitement susceptible d’être mise en œuvre. Elle est précisément
reconnue dans deux séries d’hypothèses.
L’organisateur est tenu de réparer les suites des manquements aux obligations inscrites au titre de
croisière (constitué par le billet et le carnet de croisière), sauf s'il s'agit de l’exécution du contrat
de transport proprement dit (art. 48 L. du 18 juin 1966).
Il est personnellement responsable des dommages survenus aux passagers ou à leurs bagages
(art. 49).

1092
 v. Aix-en-Provence, 18 déc. 1978, DMF 1979. 722. Comp. pour un forfait touristique, Civ. 1 re,17 déc. 2013, n°
12-25.365.
1093
Aix-en-Provence 4 déc. 2008, DMF 2009 HS 13, n° 103 ; rappr. Paris 19 déc. 2008, JCP 2009. II. 1058, note
Boulanger.
282
Ces solutions se comprennent aisément, mais il faut rappeler qu’avant la réforme de 1966, les
organisateurs de croisière faisaient valoir qu'ils n'étaient pas des armateurs maritimes et qu'ils
n'étaient donc pas responsables des accidents qui relevaient de la non-exécution du contrat de
transport. La loi de 1966 a permis aux clients de ne connaître que celui avec lequel ils avaient
traité : l'organisateur de la croisière. Si celui-ci, comme il arrive parfois, est le transporteur
maritime lui-même, il est normal qu'il soit directement assigné par le passager victime d’un
dommage ou dont les bagages ont été perdus. Si c'est une agence de voyages, non propriétaire, ni
affréteur de navires, le client pourra néanmoins s'adresser à elle, sauf son recours contre le
transporteur. Mais il était alors nécessaire de prévoir que l'organisateur de croisière ne serait pas
davantage tenu que ne le serait le transporteur maritime. D'où la précision de l'alinéa 2 de l'article
49 : « si le dommage résulte de l'exécution du contrat de transport maritime, l'organisateur de
croisière est responsable dans les conditions et les limites des articles 37 à 44 » (i. e. L. 5421-2
s.).

Le manquement à l’une des obligations contractuelles inscrites au titre de la croisière engage la


responsabilité contractuelle de l’organisateur : la responsabilité est une responsabilité de plein
droit et joue pour tous les manquements liés à la partie maritime de la croisière : retard,
modification du trajet, suppression d’escales, panne d’électricité 1094. L’organisateur peut toutefois
s’exonérer : il le peut en démontrant telle ou telle cause étrangère, mais il le peut aussi en
établissant que le manquement est lié à « l’exécution du contrat de transport ». Il est précisément
admis, dans le prolongement de la règle précédente, que le client puisse agir directement contre le
transporteur, voire contre l’armateur.1095

L’organisateur est par ailleurs responsable personnellement des dommages survenus aux
passagers. Il faut cependant distinguer selon que les dommages sont survenus au cours du
transport maritime ou au cours d’opérations terrestres ou fluviales.
Dans la première hypothèse, l’organisateur n’est responsable que dans les conditions du droit
maritime (v. ss 802).
Dans la seconde hypothèse, l’organisateur encourt une responsabilité de plein droit, dans la
mesure où la loi le rend personnellement responsable et ne prévoit pas de cause d’exonération 1096.
Les clauses d’exonération sont sans doute nulles.

§3. Contrat international 

En matière de croisière, les conflits de lois sont plus importants qu’en matière de transport
proprement dit. Les règles sont cependant les mêmes (v. ss 806), avec toutefois une addition
essentielle. Le Règlement Rome I prévoit en effet des règles particulières de conflit pour les
contrats de consommation, en prenant le soin de préciser que le contrat de transport y échappe, à
moins que le contrat porte sur un voyage à forfait au sens de la directive du 13 juin 1990
concernant les voyages, vacances et circuits à forfait. Il faut donc, pour déterminer le cas échéant
la loi applicable au contrat de croisière, se reporter à ces règles spéciales. Sans doute a-t-on pris
ici le soin de distinguer la croisière maritime du forfait touristique, mais dans la mesure où cette
distinction est discutable et fragile, on ne pense qu’il faille la systématiser et la maintenir là où les

1094
Com. 18 oct. 2005, JCP 2005, IV, 3422 ; Aix-en-Provence 4 déc. 2008, DMF 2009 HS 13, n° 103.
1095
Civ. 1re, 18 oct. 2006, DMF 2006. 243, obs. Tassy ; égal. MM. Bonassies et Scapel, n° 1271.
1096
v. Aix-en-Provence 1er juin 2001, D. 2002. Somm. 1319 et les obs.
283
textes ne l’autorisent pas, ce qui est le cas pour les conflits de lois comme du reste pour les
conflits de juridiction.
Dans le droit des conflits de juridictions, des dispositions particulières ont été également prises en
matière de contrats conclus par les consommateurs (art. 15, règlement 44/2001). Il est prévu des
règles de compétence protectrices qui ont vocation à s’appliquer en matière de transport dans la
mesure où ce transport combine, moyennant un prix forfaitaire, voyage et hébergement 1097. Cette
disposition a déjà été appliquée d’une manière assez ouverte 1098 : elle a vocation à jouer en
matière de croisière maritime, et a fortiori de forfait touristique1099.

SECTION 2. CROISIÈRE AVEC FORFAIT TOURISTIQUE

§1. Agent de voyages1100 

L'activité des agences de voyages est aujourd’hui réglementée1101. Elle est source de
responsabilités, pour elles-mêmes, mais aussi pour les acteurs du transport de passagers, qui
doivent répondre de leurs défaillances dans le cadre de mises en cause et de recours. L'agence de
voyages est une société commerciale, dirigée par une personne physique ou morale titulaire d'une
licence. Elle propose à sa clientèle des prestations touristiques relatives à des transports et des
séjours individuels ou collectifs donnant lieu ou non à un forfait. Elle joue le rôle d'intermédiaire
entre les clients et divers prestataires de services. L'activité d'agent de voyages se segmente en
voyagistes (tour-opérateurs) et en agences proprement dite. Il faut donc distinguer l'agence de
voyages, distributrice de séjours, et le voyagiste, le professionnel rassemblant différentes
prestations touristiques pour les « vendre » à un prix forfaitaire.
L'agent de voyages peut agir à la fois en position de mandataire et de « vendeur » quand il
assemble un produit touristique. Quand il est mandataire, il représente son client et/ou un
transporteur. Quand il est « vendeur », il délivre à son client un service à titre onéreux : c’est
alors un entrepreneur.
1097
L’article 23 du règlement limite par ailleurs l’application des clauses de compétence au demeurant fréquentes
dans les conditions générales des compagnies maritimes. Ces clauses ne sont pas admises si la loi du lieu de
résidence du consommateur les interdit (ce qui est le cas de la loi française, C. pr. civ., art. 48).
1098
Ces dispositions s’appliquent à un voyage à forfait sur un cargo : CJUE 7 déc. 2010, aff. C-585/08, DMF 2011.
387, obs. Morin, Rev. crit. DIP 2011. 414, note Cachard.
1099
Sur les problèmes de compétence soulevés par l’affaire du Costa Concordia, v. C. Legros, art. préc. ; égal. O.
Cachard, Le « forum conveniens » et l’auto limitation des juridictions fédérales des États-Unis dans l’exercice de
leurs compétences dans l’affaire du Costa Concordia, DMF 2013. 986 ; v. égal. P. Bonassies, Sinistre du Concordia,
droit de la mer et problèmes de compétence judiciaire pour les victimes françaises, DMF 2012. 314.
1100
Né au milieu du XIXe siècle, le métier d'agent de voyages a considérablement évolué, et s'est transformé en
organisateur de voyages et de séjours touristiques. Dans leurs relations avec leurs clients et fournisseurs, on pourrait
les comparer, mutatis mutandis, à des « commissionnaires de transports » chargés de l'organisation d'un transport de
marchandises : les deux métiers ont finalement un régime de responsabilité civile qui est assez proche. Cela devrait
conduire les marchés de l'assurance transport à s'intéresser à cette profession, qu'ils sont particulièrement à même de
garantir, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Cependant, les plafonds de garantie (quelques dizaines de millions
d'euros) offerts aux agents de voyages par le marché sont insuffisants si ceux-ci devaient faire face à une catastrophe
majeure, comme un naufrage ou un abordage de navires qu'ils auraient affrétés, et bien peu sont à même -
financièrement - de souscrire des garanties complémentaires coûteuses.
1101
Cf. Directive européenne du 13 juin 1990 (Dir. 90/314/CEE du Conseil, 13 juin 1990, concernant les voyages,
vacances et circuits à forfait, JOUE n° L158 du 23 juin 1990, p. 0059 à 0064), transposée par la loi du 13 juillet
1992, intégrée dans les art. L. 211-1 s. C. tourisme.
284
§2. Responsabilité de plein droit de l'agent de voyages 

Le Code du tourisme régit aujourd’hui le régime de responsabilité des agences de voyages et des
tour-opérateurs. Ces acteurs sont dans l’organisation des voyages forfait (définis, v. ss 788),
soumis à une responsabilité professionnelle de plein droit et impérative. L'article L. 221-17 C.
tourisme prévoit plus précisément que « toute personne physique ou morale qui se livre aux
opérations mentionnées à l'article L. 211-1 est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de
la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ce contrat ait été conclu à distance ou
non et que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de services,
sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci et dans la limite des dédommagements
prévus par les conventions internationales. » Le texte ajoute que l’agence peut toutefois
« s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l'inexécution ou la
mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et
insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas
de force majeure. »
La loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services
touristiques, codifiée aux articles L. 211-16 et L. 211-17 du Code du tourisme, étend cette
responsabilité de plein droit aux agences délivrant des prestations par Internet.
Pour couvrir leur lourde responsabilité civile, les agents bénéficient systématiquement
d’assurances régies par les titres I et II du Code des assurances. L'assurance des agences de
voyages comporte divers volets, mais l'assurance responsabilité civile professionnelle est de loin
la plus importante. Elle protège l'agence contre les dommages matériels ou immatériels
(financiers, etc.) qu'elle cause de par son activité professionnelle. Elle est composée de garanties
avant et après livraison, afin de garantir l'activité pendant l'exécution de la prestation touristique
et après celle-ci.

§3. Responsabilité personnelle de l’agence de voyages 

Le législateur a prévu des conditions particulières de mise en œuvre de la responsabilité de


l'agent de voyages. En cas d'inexécution du contrat, d’annulation du voyage, de suppression
d’une escale, de défaut d’exécution d’une prestation contractuelle, l’agent est d’abord
responsable de l'inexécution de son obligation à l'égard de son client. Tel est le cas lorsque le
dommage résulte de l’inexécution de son obligation de conseil, en tant que professionnel, ou
encore de son obligation de sécurité en tant qu’organisateur de voyages. La responsabilité de
l'agent de voyages peut être mise en cause dès que le manquement contractuel est constaté.
L’inexécution de l’une de ses obligations contractuelles engage sa responsabilité contractuelle1102.
Cependant, l'agent peut s’exonérer s'il peut apporter la preuve que l'inexécution du contrat est due
à l'un des trois cas précis prévus par l'article L. 211-17, al. 2, C. tourisme : la faute de la victime,
celle d'un tiers étranger au contrat de voyage, autre que l'un des prestataires auxquels il s’est
adressé, ou encore le cas de force majeure. Ces causes d’exonération s’appliquent également

1102
Com. 15 déc. 2011, D. 2012. 93, obs. Delpech, DMF 2012. 356, obs. M. Le Bihan Guénolé, reconnaissant la
responsabilité de l’agence eu égard à une gastro-entérite sévère subie par des croisiéristes.
285
lorsque la responsabilité contractuelle de l’agence est recherchée en raison des manquements
imputables à ses prestataires1103.

§4. Responsabilité pour fait d’autrui 

L’agent de voyages répond des prestataires auxquels il s’adresse. Il faut dire que la loi lui impose
à cet égard des obligations précises :
- la prudence dans le choix des prestataires de services ;
- la surveillance de ces prestataires ;
- la prudence dans l'organisation des excursions ;
- l'information des clients et l'assistance.
Dès lors que l'une de ces obligations n'est pas remplie, l'agence de voyages voit sa responsabilité
engagée du fait de son prestataire 1104. Avant la loi de 1992, les clients victimes hésitaient avant
d'agir contre des prestataires étrangers en raison de l'éloignement géographique, du droit
applicable ou de la juridiction compétente. Désormais, le recours contre l'agence de voyages qui a
organisé le séjour, généralement proche du domicile de la victime, est facilité par la loi. Le
dommage subi par le client victime à l'occasion de prestations de l'agence de tourisme locale
entraîne la responsabilité de l'agence. Le recours contre cette agence est plus aisé que celui contre
le prestataire, spécialement lorsque le dommage est subi à l'étranger. Bien entendu, l'assureur en
responsabilité civile de l'agence pourra exercer un recours subrogatoire contre ce prestataire après
avoir indemnisé la victime.
Il reste1105 que la responsabilité d'une agence de voyages ne saurait excéder celle des prestataires
de services qui lui sont substitués pour l'exécution du contrat. Les responsables pour fait d'autrui
ne sont pas tenus à des obligations plus lourdes que celles de ceux dont ils sont responsables. La
responsabilité de l'agence de voyages ne saurait donc être supérieure à celle du prestataire de
services local, dont les obligations s'apprécient en fonction du droit et des circonstances locales.
Une loi du 22 juillet 2009 est venue très heureusement préciser que la responsabilité des agents
ne pouvait jouer que dans les limites des conventions internationales applicables. A contrario, les
limitations de droit interne ne sont pas opposables au client. Ainsi, en matière de transport
maritime, l'agent pourra opposer les limites des conventions internationales lorsqu'elles
s'appliquent, mais pas celles prévues par telle ou telle loi locale et non reprises dans une
convention internationale applicable en France.

§5. Recours de l'agence de voyages contre le transporteur 

Si l’agent répond vis-à-vis de son client des prestataires auxquels il s’adresse et notamment des
transporteurs auxquels il s’adresse, il est parfaitement en droit d’exercer un recours contre eux.
La jurisprudence1106 affirme très clairement que si l'agence de voyages est responsable de plein
droit de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient

1103
Encore faut-il que ces manquements soient caractérisés, Nancy 20 janv. 2011, DMF 2012. 604, obs. S.
Schweitzer ; égal. Civ. 1re, 16 janv. 2013, DMF 2013. 743, obs. Ch. Scapel.
1104
V. en cas de chute du client dans un escalier de l’hôtel choisi par l’agence : Civ. 1re, 3 mai 2000, D. 2001. 670,
note Dagorne-Labbé, DMF 2001, HS 5, n° 114, obs. Bonassies.
1105
Le « vendeur de voyages » doit cependant prendre à sa charge le coût des prestations de remplacement : Civ. 1re,
8 mars 2012, n° 10-25.913.
1106
Civ. 1re, 24 sept. 2009, n° 08-18.177 et 178.
286
exécutées par elle-même ou par des prestataires de services, son droit de recours contre ses
prestataires est susceptible d'être exercé dès lors que l'agence apporte la preuve de leurs
manquements1107. Lorsque ce recours est exercé sur le fondement de la Convention d’Athènes, la
responsabilité du transporteur ne pourra être appréciée que dans les conditions de la convention,
cette responsabilité étant légale (v. ss 803).

Ce recours peut être aménagé par des clauses particulières stipulées entre l’agent et ses
prestataires. On peut parfaitement concevoir des renonciations à recours.

1107
En cas de condamnation in solidum, toujours possible (Aix-en-Provence 21 avr. 2010, RD transp. 2011, n° 26 ;
égal. Toulouse 31 mars 2010, DMF 2012. 364, obs. Miribel), le recours est bien naturellement admis.
287
QUATRIÈME PARTIE
LES INCIDENTS, ACCIDENTS ET ÉVÉNEMENTS DE MER

§1. Incidents de mer et accidents de mer

La notion d’incident de mer est récente. Elle est empruntée au droit aérien pour qui l’incident est
un « événement autre qu’un accident lié à l’utilisation d’un aéronef qui compromet ou pourrait
compromettre la sécurité de l’exploitation » (art. L. 6222-3, 2°). L’incident peut être léger et n’est
alors qu’une circonstance de l’exploitation sans conséquence, mais dont il faut néanmoins
prendre acte. Il peut, en outre, être grave : tel est le cas lorsque les circonstances indiquent qu’un
accident a failli se produire. La notion d’incident se comprend donc au regard de celle d’accident.
Au demeurant, l’accident aérien se définit comme un événement lié à l’utilisation d’un aéronef au
cours duquel une personne est mortellement ou grièvement blessée, l’aéronef subit des
dommages ou une rupture structurelle ou encore a disparu ou est totalement inaccessible (art. L.
6222-3, 1°). Dans de telles occurrences, une enquête technique doit être diligentée afin d’éviter
que le problème ne se reproduise. Il ne s’agit pas ici de considérer la situation de telle ou telle
victime lésée dans tel ou tel droit subjectif. Les mesures envisagées s’inscrivent dans une
politique de prévention et de sécurité du public. La terminologie est cependant intéressante et
permet d’affiner les concepts.
La notion d’événement de mer, au sens du droit de la sécurité maritime 1108, recouvre celle
d’accident et d’incident de mer. L’incident étant un premier événement déclenchant une
procédure administrative qui peut être simple ou grave et même encore plus grave au point de
recevoir la qualification d’accident de mer, ce qui suppose la survenance d’un dommage. La
distinction entre incident et accident mérite en tout cas d’être retenue : elle postule une différence
de régime.

§2. Politique de sécurité

On doit au droit aérien un double enrichissement du droit des transports, pour avoir dégagé les
concepts de sécurité et de sûreté. Sur le plan de la sécurité (safety, en anglais), c’est-à-dire la
prévention et la réparation des accidents, les enquêtes techniques après un accident ou un incident
de transport, un temps imposées dans le seul monde de l’aéronautique, sont désormais
généralisées. En cas d’accident ou d’incident de transport routier, ferroviaire ou fluvial, une
enquête doit être diligentée dont le seul objet est de prévenir de futurs dommages : il s’agit de
collecter et analyser les informations utiles, de déterminer les circonstances et les causes certaines
ou possibles de l’incident ou de l’accident et s’il y a lieu d’établir des recommandations de
sécurité. Il en va de même en cas d’événement de mer affectant les navires civils battant pavillon
français où qu’ils se trouvent ou de navires civils battant un autre pavillon lorsque l’événement
s’est produit dans les eaux intérieures ou les eaux territoriales françaises. D’où toute une batterie

1108
Le règlement sur la responsabilité des transporteurs évoque aussi la notion, v. ss 796.
288
de mesures qui s’inscrivent dans le cadre d’une politique de sécurité. Elles sont aujourd’hui
énoncées par le Code des transports dans sa partie générale, i. e. transversale.

§3. Définitions

Les définitions aujourd’hui données par la loi (cf. art. L 1621-1) méritent d’être connues :

- par « événement de mer », on entend tout accident de mer et incident de mer tels que définis par
le Code de normes internationales et pratiques recommandées applicables à une enquête de
sécurité sur un accident de mer ou un incident de mer (code pour les enquêtes sur les accidents),
adopté à Londres le 16 mai 2008 ;

- les événements de mer pouvant donner lieu à une enquête technique, conduite dans le respect du
code susmentionné sont :

• ceux affectant les navires civils battant pavillon français où qu'ils se trouvent ainsi que les
navires civils battant un autre pavillon lorsque l'événement de mer s'est produit dans les eaux
intérieures ou dans la mer territoriale française ;

• ceux, où qu'ils se soient produit, qui ont coûté la vie ou infligé des blessures graves à des
ressortissants français ou causé ou menacé de causer un grave préjudice au territoire français, à
l'environnement, aux installations ou ouvrages sur lesquels la France exerce sa compétence.

§4. Enquête nautique

Depuis la loi 2013-431 du 28 mai 2013 (cf. art. L. 5281-1), après tout événement de mer, le
capitaine doit transmettre sans délai un rapport de mer au directeur interrégional de la mer
responsable du service dans le ressort duquel il se trouve. Le directeur interrégional de la mer
peut procéder, dès qu'il a connaissance d'un événement de mer, à une enquête administrative, dite
"enquête nautique", qui comporte l'établissement d'un rapport circonstancié sur les faits, en vue
notamment de prendre toute mesure administrative, y compris d'urgence. Pour les besoins de
l'enquête nautique, le directeur interrégional de la mer et les agents qu'il désigne à cet effet ont
droit d'accéder à bord du navire, de procéder à sa visite, de recueillir tous renseignements et
justifications nécessaires, d'exiger la communication de tous documents, titres, certificats ou
pièces utiles, quel qu'en soit le support, et d'en prendre copie. Lorsque l'enquête nautique révèle la
commission d'une ou de plusieurs infractions pénales, y compris les infractions maritimes, le
directeur interrégional de la mer en informe immédiatement le procureur de la République
territorialement compétent et lui adresse le rapport d'enquête nautique dès sa clôture.

§5. Accidents de mer et événements de mer

La notion d’accident de mer recouvre la notion de fait dommageable au sens du droit privé. En
cas d’accident, le gardien du navire engage sa responsabilité. Plus généralement, il faut observer
que le navire est, en cas d’accident, une source de responsabilité. Dans cette perspective, la
notion d’accident1109 est plus large que celle d’événement de mer qui renvoie, dans la

1109
V. S. Mankabady, The international Maritime Organization, vol. 2 : Accidents at Sea, Croom Helm éd.,
Londres.
289
terminologie traditionnelle, à des événements particuliers tels que l’abordage et les avaries
communes ou encore qui ne supposent aucun dommage à l’exemple de l’assistance.

§6. Événements et accidents de navigation

Il faut préciser qu’au cours de sa navigation, le navire peut être en prise avec certains
événements exceptionnels1110 qui, en raison de leur importance, donnent lieu à une législation
particulière. Trois événements de mer, dénommés aujourd’hui, prosaïquement, « accidents de
navigation » (Code des transports, 5e partie, Titre III), font l'objet d'une règle spéciale :
1. la collision entre navires, appelée abordage1111 ;
2. l'assistance prêtée à un navire en péril, de laquelle on rapprochera le sauvetage porté aux
personnes en danger ;
3. l'avarie1112 volontairement engagée par le capitaine dans l'intérêt de l'expédition maritime,
qualifiée avarie commune.
Les événements de mer envisagés par le droit commercial maritime donnent lieu à des recours
entre les parties prenantes. Mais les intéressés sont généralement assurés contre les conséquences
qui s’ensuivent. Il en résulte que ce sont, finalement, les assureurs qui en supportent la charge.
D'où la nécessité d’assurer le traitement de ces recours, alors même que les biens endommagés
appartiennent à ceux-là mêmes qui ont causé le dommage. Les recours se règlent comme si le
rapport juridique était né entre deux personnes différentes.
Ainsi, après un abordage, il y a lieu à règlement de la responsabilité encourue même si les deux
navires entrés en collision appartiennent au même propriétaire.
En cas d'assistance, il y a lieu de fixer la rémunération d'assistance même si le navire assisté et le
navire assistant appartiennent au même propriétaire.
Enfin, il faut admettre, bien que la question soit discutée, qu'on doive procéder au règlement
d'avaries communes, même lorsque l'armateur transporte une cargaison qui lui appartient.
La matière législative est aujourd'hui contenue, en droit interne, dans les articles L. 5131-1 s. du
Code des transports. Ces dispositions ont repris les textes issus de la loi du 7 juillet 1967, relative
aux événements de mer, à l’exception des dispositions sur l’assistance devenues caduques en
raison de l’adoption de la Convention internationale de 1989.

§7. Autres événements

Au-delà des événements de mer traditionnels et répertoriés comme tels, on doit faire état des
sources de responsabilité des armateurs et des autres circonstances qui peuvent affecter leurs
entreprises : on pense naturellement à la piraterie qui a repris un certain essor depuis quelques
années, mais aussi aux phénomènes de blocus, d’embargo et de terrorisme.
Nous rendrons compte ci-après des événements de mer nommés et des événements de mer
innommés, après avoir exposé la responsabilité de l’armateur à l’occasion des accidents de mer.
1110
Rodière, Traité général de droit maritime, Evénements de mer, 1972 (avec la collaboration de P. Lureau, pour
les avaries communes) et Mise à jour 1978 ; MM. Bonassies et Scapel, n° 373 s. Il existe de nos jours une
prodigieuse interaction, voire une synergie, entre les événements en provenance de la terre et les événements de mer,
v. du Pontavice et P. Cordier, La mer et le droit, vol. 1, avant-propos ; égal. Qing-Nan, Land-Based Marine
Pollution International Law Development, Martinus Nijhoff Editeur, Pays-Bas, 1987.
1111
L’étymologie renvoie au « heurt des bords »
1112
Selon Littré, on tire ce mot de l’allemand Haferey, droit d’ancrage, dédommagement pour marchandises jetées à
la mer, de Hafen, port (cf. Havre). L’anglais dit average.
290
TITRE 1

ACCIDENTS DE MER :LA RESPONSABILIT DE L’ARMATEUR

Les occasions de responsabilité de l’armateur sont nombreuses. Elles tiennent avant tout aux
fautes contractuelles susceptibles d’être commises par un armateur dans l’exécution des contrats
qu’il est appelé à conclure dans le cadre de ses activités en lien avec l’exploitation du navire.
Elles résultent aussi des dommages occasionnés aux tiers lors de cette exploitation. On pense
naturellement aux abordages. Mais la notion d'abordage, au sens du Code des transports est
stricte, si bien que les accidents qui n'entrent pas dans cette définition ne peuvent être soumis
qu’au droit commun. Il peut s'agir de dommages causés aux ouvrages d'un port par une fausse
manœuvre ou par suite de l'état de la mer ou de dommages causés à des biens ou à des personnes
en dehors de toutes relations contractuelles (v. ss 832 s.).
Comme souvent aujourd’hui le droit commun de la responsabilité est doublé par des règles
spéciales conçues en raison de situations très spécifiques et appelant un régime sur-mesure. Ce
droit spécial apparu avec l’énergie nucléaire puis les grandes pollutions marines, n’a cessé de se
diversifier. Des régimes spéciaux sont aujourd’hui applicables en cas de pollution causée par
hydrocarbures de soutes ou encore par des produits toxiques. On s’interroge également sur les
pollutions pouvant survenir d’extractions en mer, comme cela a pu se produire dans le golfe du
Mexique (Deep Water Horizon).
Un premier chapitre sera consacré la présentation du droit commun de la responsabilité de
l’armateur. Il sera suivi d’un chapitre portant sur les régimes spéciaux.

291
Chapitre 1
LE DROIT COMMUN DE LA RESPONSABILITÉ DE L’ARMATEUR

La détermination des sources de responsabilité de l’armateur précédera la présentation de son


régime. Si ces sources sont nombreuses et variées, le régime applicable reste en grande partie
dominé par une seule et même règle, celle de la limitation de responsabilité de l’armateur.

SECTION 1. SOURCES DE RESPONSABILITÉ DE L’ARMATEUR

§1. Diversité des situations

La notion d’abordage est relativement étroite. Les accidents qui ne répondent pas à la définition
de l’abordage échappent au droit maritime, mais ne sont pas pour autant dans un vide juridique :
ils sont tout simplement soumis au droit commun 1113. Tel est le cas de la série de dommages
suivants.
Précisons préalablement que les dommages subis par le navire peuvent donner lieu à la
responsabilité de l'État lorsque l'accident est dû à une faute de l'Administration, à la mauvaise
gestion du service des sondages, à un mauvais balisage ou encore à la fausse manœuvre d’un pont
tournant1114. Ils peuvent aussi relever du droit commun et donc de l’article 1384 ou de l’article
1382 C. civ.1115.

§2. Contraventions de grande voirie

Les dommages causés aux ouvrages d'un port peuvent donner lieu à une contravention de grande
voirie1116. En pareil cas, l'action en responsabilité devra être portée devant les tribunaux de l'ordre
administratif ; mais en l'absence de toute poursuite administrative, compétence doit être reconnue
aux tribunaux de l'ordre judiciaire1117.
Quant au fond, la contravention de grande voirie rend le contrevenant automatiquement
responsable et tenu de réparer le dommage causé au domaine public 1118. Le contrevenant peut
néanmoins être exonéré si le dommage est dû à un événement de force majeure ou à une faute
inexcusable de l'administration1119. Cette responsabilité est de plus en plus sollicitée, notamment
en cas de dommages de pollution causés aux eaux des ports1120.
1113
Lorsque le dommage n’est pas un dommage d’ordre contractuel lié à l’exécution d’un contrat maritime :
transport, affrètement…
1114
V. CE 22 mai 1953, DMF 1953. 495 ; CE 21 juin 1961, DMF 1962. 14 ; CE 16 déc. 1961, 202.
1115
Civ. 2e, 13 janv. 2012, DMF 2012. 566.
1116
V. en dernier, lieu, G. Mulsant et autres auteurs, Les contraventions de grande voirie, un outil de protection du
domaine public ? DMF 2013. 915 s.
1117
V. Civ. 3e, janv. 1948, DMF 1949. 101 – plus général. Rodière, n° 123 à 125 – v. CE 27 nov. 1985, Tarragona,
DMF 1986. 343, obs. Vialard ; Langavant et Rézenthel, Le revers de l’autonomie ou la notion de port victime, DMF
1986. 387 ; Grosdidier de Matons, La contravention de grande voirie en matière portuaire, DMF 1967. 67.
1118
V. pour un « plagiste », CAA Marseille 4 févr. 2010, DMF 2010. 531, obs. Bordereaux ; égal. CAA Marseille 3
oct. 2011, DMF 2012. 170, obs. Bordereaux.
1119
CE 31 janv. 1986, DMF 1986. 607, obs. Rézenthel ; CE 27 nov. 1985, DMF 1986. 343, obs. Vialard ; Le
Garrec, L’exonération de la responsabilité du contrevenant en grande voirie, DMF 1994. 611.
1120
MM. Bonassies et Scapel, n° 381.
292
§3. Dommages causés aux tiers. Responsabilité civile

Les dommages causés aux tiers, sur le plan privé, donnent lieu à l'application des articles 1382
et suivants du code civil1121. L’armateur peut d’abord engager sa responsabilité sur le fondement
de l’article 1382 en raison de sa faute personnelle. On pense à la faute qu’il pourrait commettre
dans l’entretien ou dans l’équipement du navire.
L’armateur, en tant que gardien du navire, est également justiciable de l'article 1384, alinéa 1 er.
Après quelques hésitations, la Cour de cassation a fini par admettre dans l’affaire du Lamoricière,
paquebot assurant le passage Alger - Marseille ayant essuyé une tempête effroyable au large des
Baléares, que l’article 1384 s’appliquait à la navigation maritime toutes les fois qu’une
disposition spéciale de la loi ne l’avait pas expressément ou implicitement écarté1122.
La solution a été reprise à l’occasion du naufrage du Champollion au large du Liban1123 ; et,
depuis, dans d’autres espèces. Cette solution ne souffre aucun doute 1124. On hésite parfois sur la
détermination du gardien : ainsi en est-il lorsque le dommage est causé par un navire en cours
d'essais1125 ou un navire en réparation1126 ou encore un navire affrété1127.
Dans l’affaire du France, on a pu se demander qui de l’armateur ou des marins mutinés en
avaient la garde. Il a fallu une chambre mixte pour que l’on maintienne la qualité de gardien sur
la tête de l’armateur1128
Il est donc incontestable que l’article 1384, al. 1er, a aujourd’hui vocation à s’appliquer en matière
maritime. On précisera que le gardien se libérera en tout ou partie de la présomption qui pèse sur
lui en établissant la force majeure ou la faute exclusive ou partielle d'un tiers ou de la victime.
C'est le droit commun de l'article 1384 qui joue1129. Rappelons aussi que l’article 1384, al. 1er,
avait été appliqué aux actions en réparation du dommage personnel souffert par les ayants cause
des passagers décédés en cours de voyage. Il n'en est plus ainsi.
Ajoutons que les dommages causés aux tiers par des « véhicules » appartenant aux personnes
morales du droit public échappent à la compétence administrative depuis la loi du 31 décembre
1957. Cette loi opère pour les navires de l'État qui ont été considérés comme des véhicules au
sens de cette loi.1130
L’armateur est également responsable des fautes ou des agissements de ses préposés. La règle est
rappelée par l’article L. 5412-1 du Code des transports (l’armateur répond de ses préposés
terrestres et maritimes dans les conditions du droit commun, sous réserve de l’application
éventuelle de la limitation de responsabilité). En tant que commettant, l’armateur répond des faits
de son capitaine et /ou de l’équipage (C. civ., art. 1384, al. 5).

§4. Dommages causés aux cocontractants 


1121
V. P. Riotte, La responsabilité extracontractuelle de l’armateur, thèse Aix-Marseille 1985.
1122
Com. 19 juin 1951, D. 1951. 717, note Ripert ; com. 23 janv. 1952, D. 1952. 400.
1123
Civ. 23 janv. 1959, D. 1959. 281, DMF 1959. 277 obs. Rodière.
1124
V. en dernier lieu, Com. 13 mars 2007, DMF 2008. 416, rapp. Potocki ; Rouen 5 juin 2008, DMF 2008. 804,
obs. Bonassies ; v. égal. Rodière, L’article 1384, al. 1er et la garde du navire, D. 1957. Chron. 171.
1125
Com. 7 janv. 1952, DMF 1952. 240.
1126
Rouen 28 mars 1956, DMF 1957. 405.
1127
Civ. 16 mai 1962, JCP 1963, II, 13070.
1128
Ch mixte, 4 déc. 1981, DMF 1982. 140 et Achard, DMF 1982. 137.
1129
V. encore, Com. 13 mars 2007, DMF 2008. 416, rapp. Potocki ; en cas d’accident causé par une vague d’étrave,
Com. 10 juin 2004, DMF 2005. 109, obs. Vialard.
1130
T. confl. 14 nov. 1960, DMF 1961. 77 ; Civ. 8 janv. 1964, DMF 1964. 272 ; v. pour les navires de guerre, Paris
25 févr. 1963, DMF 1963. 552.
293
La responsabilité contractuelle de l’armateur est engagée chaque fois qu’il manque aux
obligations issues d’un contrat auquel il est partie : transport ; affrètement ; engagement
maritime, assistance, remorquage… Il doit alors, comme toute partie contractante, réparer le
dommage prévisible résultant du manquement contractuel. Les textes du Code civil et
spécialement l’article 1147 permettent de régler les difficultés qui peuvent se poser, étant précisé
que, le plus souvent, les réponses sont dans le contrat lui-même et dans les clauses d’exonération
ou d’aménagement de responsabilité qu’il peut contenir. Les contrats maritimes prévoient
souvent de larges clauses de responsabilité qui s’analysent parfois en de véritables clauses
d’obligations. Dans ce domaine, la distinction des clauses de non responsabilité et de clauses
relatives aux obligations est particulièrement pertinente1131.

§5. Responsabilité pénale 

L’armateur peut se rendre coupable d’infractions pénales, de droit commun comme proprement
maritimes. L’infraction de droit commun qui lui est le plus souvent reprochée est la mise en
danger de la vie d’autrui ou encore l’homicide involontaire. Les tribunaux sont souvent sévères à
l’égard de l’armateur. Les exemples de responsabilité pénale, en tout cas, ne manquent pas 1132. La
responsabilité s’impose d’autant plus qu’elle peut être imputée à l’armateur personne morale. Il a
été notamment décidé que la délégation générale en matière d’hygiène et de sécurité du capitaine
d’un navire ne déchargeait pas l’armateur de la responsabilité pénale qu’il pouvait encourir
personnellement pour des actes et abstentions fautifs qui lui étaient imputables et entretenant un
lien certain de causalité avec le dommage1133.
Quant aux infractions proprement maritimes, il faut aujourd’hui, pour les dénombrer, se référer à
la loi portant répression en matière maritime (issue de l’ordonnance du 2 nov. 2012) et reprise
dans le Code des transports. On retiendra ici les dispositions concernant l’abordage,
l’échouement et l’abandon, i. e. :
- l’article L. 5263-1 punissant de trois mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende le fait,
pour le capitaine de chacun des navires abordés, de ne pas faire connaître au capitaine de l'autre
ou des autres navires 
-1° le nom de son propre navire ;
-2° le port d'immatriculation, de départ et de destination de ce navire, s'il peut le faire sans danger
pour son navire, son équipage et ses passagers.
- l’article L. 5263-2 punissant des peines encourues pour les destructions, dégradations et
détériorations dangereuses pour les personnes, réprimées par les art. 322-6 et 322-7à 322-11 du
code pénal, le fait d'échouer, de perdre ou de détruire, volontairement et dans une intention
criminelle, un navire par quelque moyen que ce soit.
- l’article L. 5263-3 punissant de six mois d'emprisonnement le fait, pour le capitaine,
d'abandonner le navire sans l'avis des officiers et maîtres d'équipage ;punissant de deux ans
d'emprisonnement le fait, pour tout capitaine, avant d'abandonner son navire, de négliger
d'organiser le sauvetage de l'équipage et des passagers et de sauver les papiers de bord, les
dépêches postales et les marchandises les plus précieuses de la cargaison (la même peine est
applicable au capitaine qui, forcé d'abandonner son navire, ne reste pas à bord le dernier).

1131
Ph. D., Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse Aix-Marseille III, 1981.
1132
V. en cas de débarquement de passagers clandestins, TA Rouen 5 juill. 2007, DMF 2008. 610.
1133
Crim. 25 juin 2013, n° 11-88.037.
294
- l’article L. 5263-4 punissant des peines prévues aux articles L. 5263-1 et 2 le propriétaire du
navire, l'exploitant du navire ou leur représentant légal ou dirigeant de fait s'il s'agit d'une
personne morale, ou toute autre personne exerçant, en droit ou en fait, un pouvoir de contrôle ou
de direction dans la gestion ou la marche du navire lorsque ce propriétaire, cet exploitant ou cette
personne a été à l'origine de l'infraction prévue par ces articles.
On ajoutera (cf. art. L. 5263-5) que lorsqu'il prononce des amendes en application des articles
L. 52631 et 2 à l'encontre du capitaine, du chef de quart ou de toute personne exerçant la conduite
du navire, le tribunal peut, compte tenu des circonstances de fait et notamment des conditions
d'exercice de ses fonctions, mettre, en totalité ou en partie, à la charge du propriétaire ou de
l'exploitant du navire le paiement des amendes ainsi prononcées (il ne peut user de cette faculté
que si le propriétaire ou l'exploitant du navire a été cité à l'audience).

§6. Régates

Reste le cas des accidents causés dans le cadre des activités de plaisance1134 et de régates. Dans la
mesure où les participants s’engagent sur le fondement d’un règlement commun et sont soumis à
des règles de course, il est permis de penser que les accidents survenus doivent être réglés en
application de la convention de régate et que ces règles contractuelles doivent l’emporter sur le
droit de l’abordage. La jurisprudence considère cependant qu’en cas de collision survenue entre
les navires participants à la régate, le droit de l’abordage s’applique 1135. La solution est
critiquable. Précisons, toutefois, qu’une question difficile peut se poser quant à la détermination
du gardien. Après quelques hésitations, la jurisprudence considère que la qualité de gardien doit
être reconnue au skipper1136. Quant aux autres dommages causés à l’occasion d’une régate (e. g.
heurt d’un équipier par une bôme en l’absence de tout contact avec un autre navire), ils relèvent
de l’article 13841137.
Si des infractions pénales sont commises à l’occasion d’une régate, il faudra désormais s’en tenir
à l’ordonnance du 2 novembre 2012 portant réforme pénale en matière maritime1138.

§7. Circulation maritime

De nombreuses dispositions de caractère pénal ont été prises pour assurer préventivement la
sécurité de la circulation maritime. D’où de nombreuses infractions venant incriminer le
manquement aux règles de conduite en mer. On retiendra les articles :

1134
V. Civ. 2e, 18 oct. 2012, DMF 2013. 748, obs. Bonassies : l’art. 1384, al.1er, n’est pas applicable à l’accident
causé à un plaisancier à l’occasion d’un stage de formation, l’organisateur de ce stage ne pouvant engager que sa
responsabilité contractuelle.
1135
Com. 18 mars 2008, DMF 208, 671, rapp. Potocki, obs. crit. Bonassies et Delebecque ; v. égal. Aix-en-Provence
12 oct. 2011, DMF 2012. 671, obs. Rebufat. Plus général. O. Jambu-Merlin, A l’abordage : pour une unicité du
régime de l’abordage, DMF 2009. 375.
1136
Cass. 9 mai 1990, Airel, D. 1991. 367, DMF 1992. 27, obs. Y. Tassel ; v. l’arrêt de renvoi : Lyon 13 mai 1991,
DMF 1992. 27, obs. Tassel.
1137
Encore faut-il réserver l’application de l’art. L. 321-3-1 code du sport précisant que « les pratiquants ne peuvent
être tenus pour responsables des dommages matériels causés à un autre pratiquant par le fait d’une chose qu’ils ont
sous leur garde, à l’occasion de l’exercice d’une pratique sportive au cours d’une manifestation sportive ou d’un
entraînement en vue de cette manifestation sportive sur un lieu réservé de manière permanente ou temporaire à cette
pratique » (v. P. Bonassies, DMF HS 16, n° 17).
1138
V. O. Jambu-Merlin, Droit pénal maritime et navigation de plaisance, RD transp. 2013/2, p. 9.
295
- art. L. 5242-1 punissant de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende le fait, pour
tout capitaine, chef de quart ou toute personne exerçant la responsabilité ou la conduite d'un
navire, d'enfreindre, y compris par imprudence ou négligence, dans les eaux territoriales ou dans
les eaux intérieures maritimes françaises :

1° Les règles de circulation maritime édictées en application de la convention sur le règlement


international de 1972 pour prévenir les abordages en mer, faite à Londres le 20 octobre 1972 (dite
Colreg), et relatives aux dispositifs de séparation de trafic ainsi que les instructions particulières
des préfets maritimes et les ordres des agents des centres régionaux opérationnels de surveillance
et de sauvetage et des agents chargés de la police de la navigation, édictés pour mettre en œuvre
ces dispositifs de séparation de trafic 

2° Les règles édictées par le ministre chargé de la mer et les préfets maritimes relatives :

- aux distances minimales de passage le long des côtes françaises ;

- à la circulation dans les zones maritimes et fluviales de régulation définies à l'art. L. 5331-1 ;

- à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-


Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, et dans les Terres australes et antarctiques
françaises, à la circulation dans une zone maritime et fluviale de régulation comprenant, en
dehors des limites administratives du port, les espaces nécessaires à l'approche et au départ du
port. Ces espaces sont constitués des chenaux d'accès au port et des zones d'attente et de
mouillage.

L'amende est portée à 150 000 € lorsque l'infraction est commise par le capitaine, chef de quart
ou toute personne exerçant la responsabilité ou la conduite d'un navire transportant une cargaison
d'hydrocarbures ou d'autres substances dangereuses.

- art. L. 5242-2 : punissant de six mois d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende le fait pour
une personne embarquée sur un navire de ne pas se conformer, dans les eaux intérieures
maritimes et jusqu'à la limite extérieure des eaux territoriales françaises :

1° Aux règlements pris par le ministre chargé de la mer et les préfets maritimes relatifs :

a) Aux zones ou périodes d'interdiction de la navigation, du mouillage ou de certaines activités,


édictés en vue d'assurer la sécurité de la navigation ou le maintien de l'ordre public en mer ;

b) Aux obligations de signalement ou d'information, de veille de fréquences et de réponse aux


appels ;

c) Aux restrictions ou prescriptions particulières de navigation relatives au passage inoffensif, ou


au transport de matières sensibles ;

d) À la conduite à tenir en cas de découverte d'engins dangereux ;

2° Aux instructions particulières des préfets maritimes et aux ordres des agents des centres
régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage et des agents chargés de la police de la

296
navigation, relatives à la sécurité de la navigation maritime ou au maintien de l'ordre public en
mer.

Est puni des mêmes peines (art. L. 5242-2. I) le fait, en dehors des eaux territoriales, pour tout
capitaine, chef de quart ou toute personne exerçant la responsabilité ou la conduite d'un navire
battant pavillon français, de ne pas se conformer aux décrets pris pour l'instauration d'un contrôle
naval, aux instructions particulières émanant des préfets maritimes ou d'une autorité consulaire
ou aux ordres des agents des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, des
commandants des bâtiments de l'État et des agents chargés de la police de la navigation, relatifs à
la sécurité de la navigation maritime.

- art. L. 5242-3 : punissant de six mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende le fait, pour le
capitaine ou le chef de quart d'un navire battant pavillon français ou étranger, d'enfreindre, y
compris par imprudence ou négligence, les règles fixées par la convention sur le règlement
international de 1972 pour prévenir les abordages en mer, faite à Londres le 20 octobre 1972, et
relatives 

1° Aux feux à allumer la nuit et aux signaux à faire en temps de brume ;

2° A la route à suivre et aux manœuvres à exécuter en cas de rencontre d'un navire ou autre
bâtiment ;

3° A la veille visuelle et auditive à assurer en permanence avec tous les moyens disponibles et
adaptés aux circonstances et aux conditions existantes, de manière à permettre une pleine
appréciation du risque d'abordage ;

4° Au maintien en permanence d'une vitesse de sécurité permettant de prendre des mesures


appropriées et efficaces pour éviter un abordage et de s'arrêter sur une distance adaptée aux
circonstances et aux conditions existantes.
Est puni de trois mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende le pilote qui se rend coupable
d'une infraction aux règles sur la route à suivre.

Lorsque le navire est étranger, les dispositions en cause sont applicables aux infractions
commises dans les eaux intérieures maritimes ou les eaux territoriales.

- art. L. 5242-4 : punissant de six mois d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende le fait, pour le
capitaine, le chef de quart ou le pilote d'un navire, de commettre l'une des infractions définies par
l’art. L. 5242-3ou tout autre fait de négligence occasionnant, pour le navire ou un autre navire :
1° Soit un abordage ;

2° Soit un échouement ou un choc contre un obstacle visible ou connu ;

3° Soit une avarie grave du navire ou de sa cargaison ;

4° Soit des blessures n'ayant pas entraîné d'incapacité totale de travail ou d'une durée inférieure
ou égale à trois mois pour une ou plusieurs personnes.

297
Les peines prévues sont portées à deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende si l'infraction
a entraîné :

1° Soit la perte ou l'innavigabilité absolue d'un navire ;

2° Soit la perte d'une cargaison ; 3° Soit des blessures ayant entraîné une incapacité totale de
travail d'une durée supérieure à trois mois pour une ou plusieurs personnes. Les peines
précédentes sont portées à trois ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende si l'infraction a
entraîné la mort pour une ou plusieurs personnes.

Lorsque le navire est étranger, les dispositions en cause sont applicables lorsque l'infraction est
commise dans les eaux intérieures maritimes ou les eaux territoriales.

- art. L. 5242-5 : punissant de huit mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende le fait, pour
toute personne de l'équipage autre que le capitaine, le chef de quart ou le pilote, de se rendre
coupable, pendant son service, d'un fait de négligence sans excuse, d'un défaut de vigilance ou de
tout autre manquement aux obligations de son service ayant soit occasionné la perte ou
l'innavigabilité absolue d'un navire ou la perte d'une cargaison, soit entraîné des blessures graves
ou la mort d'une ou de plusieurs personnes.

Lorsque le navire bat pavillon étranger, les dispositions ci-dessus sont applicables lorsque
l'infraction a lieu dans les eaux intérieures maritimes ou les eaux territoriales.

- art. L. 5242-6 : punissant de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende le fait, pour le
capitaine d'un navire français ou étranger, de ne pas signaler au préfet maritime tout accident de
mer dont son navire a été victime alors qu'il naviguait dans les eaux territoriales ou dans les eaux
maritimes intérieures.

- art. L. 5242-6-1 : punissant de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende le fait


d'utiliser ou d'envoyer, en dehors de toute situation de danger, des signaux internationaux de
détresse.

- art. L. 5242-6-2 : punissant d’une amende de 3 750 € le fait pour une personne embarquée sur
un navire étranger de pratiquer la navigation dans les eaux territoriales ou les eaux intérieures
maritimes françaises, alors qu'elle fait l'objet d'une interdiction temporaire ou définitive d'y
naviguer.

- art. L. 5242-6-3 punissant de deux ans d’emprisonnement, en dehors du cas prévu par l'article L.
321-5 du Code de justice militaire pour l'armée de mer, le fait pour un capitaine en mer de ne pas
obéir à l'appel d'un navire de guerre français et de le contraindre à faire usage de la force.

Selon l’article L. 5242-6-4, est passible des peines prévues aux articles L. 5242-1, L. 5242-4 et à
l'article L. 5242-6 le propriétaire du navire, l'exploitant du navire ou leur représentant légal ou
dirigeant de fait s'il s'agit d'une personne morale, ou toute autre personne exerçant, en droit ou en
fait, un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire, lorsque ce
propriétaire, cet exploitant ou cette personne a été à l'origine de l'infraction prévue par ces
articles.

298
Lorsqu'il prononce des amendes en application des articles L. 5242-1 à L. 5242-4 ou L. 5242-6 à
l'encontre du capitaine, du chef de quart ou de toute personne exerçant la conduite du navire, le
tribunal peut, compte tenu des circonstances de fait et notamment des conditions d'exercice de ses
fonctions, mettre, en totalité ou en partie, à la charge du propriétaire ou de l'exploitant du navire
le paiement des amendes ainsi prononcées. Il ne peut user de cette faculté que si le propriétaire ou
l'exploitant du navire a été cité à l'audience.

SECTION 2. RÉGIME DE RESPONSABILITÉ DE L’ARMATEUR : LA LIMITATION


DE RESPONSABILITÉ

§1. Principes 

L’article 216 du Code de commerce prescrivait : « Tout propriétaire de navire est civilement
responsable des faits du capitaine pour ce qui est relatif au navire et à l'expédition. La
responsabilité cesse par l'abandon du navire et du fret. » Cette disposition fut entendue par la
jurisprudence comme ne visant que les faits illicites du capitaine et n'opérant pas pour les
engagements contractés par lui comme mandataire du propriétaire du navire. La fermeté de cette
position conduisit à une réforme législative. Elle aboutit à la loi du 15 juin 1841 qui modifia le
texte du Code de commerce en ces termes : « Tout propriétaire de navire est civilement
responsable des faits du capitaine et tenu des engagements contractés par ce dernier. Il peut dans
tous les cas s'affranchir des obligations ci-dessus par l'abandon du navire et du fret. » Depuis, la
règle concerne aussi bien les obligations nées des faits illicites du capitaine que les engagements
qu'il a régulièrement et valablement contractés pour le compte de l'armateur.
Cette règle qui trouve son expression dans une limitation de responsabilité est l’une des
originalités du droit maritime. Elle n’a pas son équivalent en droit terrestre où la responsabilité
qui pèse sur le mandant ou sur le commettant est une responsabilité personnelle intégrale : les
créanciers peuvent poursuivre le débiteur jusqu'à l'épuisement de tous les biens qui composent
son patrimoine, et, si les biens présents sont insuffisants pour désintéresser les créanciers, ceux-ci
conservent leurs droits sur les biens futurs (C. civ., art. 2284 et 2285). Contrairement à cette
règle, les créanciers de l’armateur sont exposés au risque de se voir opposer par leur débiteur la
limitation de responsabilité. Cette limitation s’est longtemps traduite par un abandon du navire et
du fret. Le navire et le fret constituaient pour l'armateur un patrimoine séparé, qui répondait des
engagements relatifs à l'expédition. On séparait de la fortune terrestre la fortune de mer dont les
créanciers, en raison des actes du capitaine, devaient se contenter, ou même les fortunes de mer,
car chaque navire constituait une fortune de mer distincte. Aujourd’hui, la règle demeure, mais
elle ne se traduit plus que par une limitation en valeur calculée d’après le tonnage du navire.

I. Universalité du principe 

Toutes les législations maritimes connaissent une règle de limitation, mais elles ne l'aménagent
pas toutes de la même manière1139.
À côté du système français de l'article 216 que la réforme de 1967 a totalement réaménagé, mais
que l'on trouve encore dans bon nombre de législations imitées de notre Code de commerce, il
1139
V. MM. Bonassies et Scapel, n° 402 ; P. Criggs, R. Williams et J. Farr, Limitation of liability for maritime
claims, Lloyd’s Shipping Law Library, 2004.
299
existe deux grands systèmes : l'allemand qui a peu de rayonnement en la matière et l'anglais qui a
inspiré les conventions internationales (en dernier lieu la Convention de Londres de 1976) et par
là toutes les législations contemporaines qui l'ont imitée, entre autres la loi française du
3 janvier 1967 et aujourd’hui le Code des transports.

II. Fondement de la règle

Comment expliquer une règle aussi générale et consubstantielle au droit maritime ?1140
On pense d'abord à l'indépendance du capitaine. Le propriétaire n'est pas, vis-à-vis du capitaine,
dans la situation d'un commettant ordinaire. On ne saurait généralement lui reprocher
sérieusement une faute de choix, encore moins de surveillance. Dans toute la conduite technique
du navire, le capitaine jouit d'une indépendance de fait et de droit qui engage à modérer la
responsabilité civile de son commettant. En vérité, on rencontre dans bien d'autres situations cette
même indépendance sans que l'on y fasse produire un tel un effet. Une entreprise qui s'est attaché
un médecin est responsable indéfiniment des fautes de ce praticien et aucun de ses biens
n'échappe aux créanciers dont le droit est né du chef de ce médecin, et pourtant, dans l'exercice
de son art, l'indépendance de fait et de droit du médecin vis-à-vis de celui qui l'emploie est
entière. Dans le domaine aérien même, la dette du transporteur de marchandises est limitée en ce
qu'il n'est pas tenu, en principe, de réparer tout le dommage, mais une fois le chiffre de sa dette
établi, le créancier, dont le droit est né d'une faute du pilote, peut saisir n'importe quel bien de
l'entreprise aérienne et aucun abandon, ni cautionnement en valeur, ne limite leurs droits de
poursuite1141.
Aussi faut-il combiner cette explication tirée de l'indépendance du capitaine avec une autre idée
tenant à l’histoire. La règle de la limitation est née à une époque où chaque expédition maritime
réalisait l'association du capitaine, du propriétaire du navire et des marchands propriétaires des
marchandises embarquées. Dans cette association, le propriétaire du navire faisait son propre
apport en affectant son navire à l’expédition. Cet apport représentait le montant de ses
engagements dans la société dont le capitaine était le gérant. La règle a survécu à ce régime
juridique d'exploitation des navires. L'expédition maritime n'est plus, depuis longtemps, le fait
d'une association du propriétaire avec le capitaine et avec les chargeurs. C'est le fait du seul
propriétaire. Il paraît cependant toujours rationnel de permettre au propriétaire de ne pas engager
toute sa fortune sur le navire ou sur chacun de ses navires en raison de l'importance du risque de
mer et de la valeur des biens mis en risque. L'entreprise maritime est historiquement une
entreprise à responsabilité limitée. Ce fondement a été expressément donné par l'exposé des
motifs de la loi du 14 juin 1841.
Le principe de limitation se fonde encore sur une troisième raison, de caractère sociologique cette
fois. Pratiquement, la limitation s'applique surtout aux créanciers à la suite d’un abordage ou
1140
 v. Rodière, « La limitation de responsabilité du propriétaire de navire, passé, présent et avenir », DMF 1973.
259 ; comp. L. Delwaide, Considérations sur le caractère réel de la responsabilité du propriétaire du navire,
Mélanges Roland, éd. Larcier, 109.
1141
 Il faut bien distinguer entre l'obligation et la responsabilité (Schuld et Haftung en droit allemand). L'article 216
du Code de commerce propose un exemple d'obligation illimitée et de responsabilité limitée. La loi aérienne et plus
généralement le droit des transports de marchandises proposent un exemple d'obligation limitée et de responsabilité
illimitée. L'armateur dans l'article 216 doit le montant intégral du préjudice causé par le capitaine (obligation
illimitée) mais il n'en est tenu que sur le patrimoine de mer (responsabilité limitée). Le transporteur de marchandises
ne doit qu'une somme maximum au chargeur mais il en est tenu, en tant que transporteur, sur tout son patrimoine.
Cons. pour l'application de ces notions à notre matière : W. Muller, « Obligation restreinte ou responsabilité
limitée ? » DMF 1964. 195 ; égal. du Pontavice, Le statut du navire, n° 245 s.
300
d'une assistance. Les armateurs sont réciproquement créanciers et débiteurs les uns des autres. Ils
souffrent comme créanciers de la responsabilité limitée, mais ils en profitent comme débiteurs. Il
faut combiner cette observation avec celle-ci : chaque armateur aura assuré son navire ; or, son
assureur sait que l'assuré ne pourra pas, sur le recours des tiers victimes d'abordage ou créanciers
d'une indemnité d'assistance, être tenu de payer plus que la valeur du navire (et du fret du
voyage) ; aussi les assureurs ont-ils compris, dans les dommages qu'ils réparent, le recours des
tiers. De toute façon, que le navire fût endommagé ou qu'il endommageât un autre bâtiment,
l'assureur ne payait pas à l'assuré et au tiers plus que la valeur du navire assuré. Ainsi, la
limitation de responsabilité avait permis de rendre l'assurance maritime plus simple et plus
économique que l'assurance terrestre. Mais la solution a changé en pratique depuis que les
assureurs français ont admis le doublement du capital.
On présente aussi l'institution comme une mesure de faveur pour l'armement maritime. Cette
présentation, de caractère économique, voire politique, engage, a priori, à l'interpréter
restrictivement, le droit français n’appréciant guère les ruptures d’égalité. Il est bien certain que
l'institution est avantageuse pour l'armement. Mais cet avantage répond à l'esprit du droit
maritime. L'expédition maritime continue d'être une opération pleine de risques, qui comporte des
aléas pour tous ceux qui y participent et qui engage des capitaux importants. Il est juste que les
risques soient répartis sur les uns et les autres. Autrefois, les matelots risquaient de perdre leurs
salaires, les marchands leurs biens embarqués et l'armateur son navire. Si des considérations
d'ordre social ont exclu les matelots de ces risques, l'idée vaut toujours pour les autres. Elle s'est
exprimée pour l'armateur dans sa disposition de l'article 216 : le navire est confié au capitaine.
Celui-ci ne peut pas engager le maître de la nef à plus que la valeur de celle-ci, ensemble ce
qu'elle devait rapporter au cours du voyage, le navire et le fret. Mais si cette idée rend compte de
l'ancien droit français, et encore aujourd'hui d’autres systèmes inspirés du droit allemand, elle ne
correspond pas au système anglais ni à celui de la loi de 1967. Le porte-à-faux est sensible, et
quelques esprits faux comprennent de moins en moins l'institution, qui s'en trouve décriée.
Une dernière raison, technique cette fois, rend compte du maintien de l'institution en l’état de la
Convention du 19 novembre 1976, entrée en vigueur le 1er décembre 1986, qui non seulement
maintient la limitation de réparation, mais encore restreint le champ de ses exceptions. Les
assureurs expliquent que le marché mondial de l'assurance, même s'il est en expansion ou s'il l'a
été continûment, ne peut faire face à un système de réparation intégrale pour les exploitants de
navires. Il faut donc limiter la réparation du propriétaire de navire et des personnes assimilées par
la loi ou la convention, à un montant qui soit assurable sur le marché. La notion de seuil
d'assurabilité explique donc, avec les autres raisons avancées, l'existence et le montant de la
limite de réparation. C'est dans cet esprit notamment qu'a été établie la Convention de 1976.

§2. Régime interne et régime international 

La diversité des législations est source de déconvenues et d'insécurité patrimoniale. Comme on le


sait, on s'est efforcé, en matière maritime, de réduire ces troubles en élaborant des conventions
internationales, la Convention de 1957, puis celle de 1976, ratifiées par la France. Pour éviter que
deux régimes s'appliquent suivant que l'affaire relèverait de la loi française interne ou de la
convention internationale, les textes internes successifs ont introduit dans notre législation les
règles des conventions internationales. Il reste toutefois certaines différences, mais assez
minimes. On s’efforcera de les relever.

301
Pour comprendre le système actuel, on exposera sommairement le système de l'article 216
aujourd'hui abrogé, puis celui de la Convention de 1957, avant de développer celui de la
Convention de Londres du 19 novembre 1976 repris par la loi de 1967, amendée en 1984, et
aujourd’hui par le Code des transports.

I.Conflits de lois 

On observera préalablement que les conflits de lois sont, en la matière, rares. À supposer connue
la loi qui régit les conditions de la responsabilité (par exemple, à la suite d'un abordage, la loi
territoriale des eaux où l'abordage s'est produit), le propriétaire du navire déclaré responsable va
sans doute pouvoir exciper de quelque système de limitation de responsabilité puisque
l'institution se rencontre dans tous les pays, même si les modalités en varient. Quelle sera la loi
qui désignera le système de limitation applicable ? Suivant une première thèse, la loi compétente
pour régler les conditions de la responsabilité l'est aussi pour fixer les modalités de la limitation
de responsabilité. Suivant la seconde, les deux problèmes sont distincts et le second mérite un
règlement particulier du conflit de lois. La Cour de cassation s'est successivement prononcée dans
les deux sens1142.
La dualité est préférable. Les deux problèmes, en effet, sont différents. La limitation de
responsabilité renvoie à la question de savoir si l'armateur ne doit pas au-delà d'une certaine
somme ou s'il n'est pas obligé au-delà et évoque (v. ss 841) la distinction allemande de la Schuld
et de la Haftung. La limitation de responsabilité est une question d’étendue de l’obligation et non
pas de naissance de la dette. L’institution n'a aucun rapport avec la question des conditions de
mise en jeu de la responsabilité. La considération du lieu de commission de l'acte dommageable
n'a aucune pertinence. L’institution concerne l’obligation à la dette, laquelle ne peut être
appréciée que par le juge saisi. Comme on l’a très justement souligné, et pour reprendre une
terminologie anglaise, la question relève de l’adjective law et non de la substantive law : d’où
l’application de la lex fori1143.

II.La limitation de responsabilité dans le Code de commerce (art. 216)

L'institution était centrée autour de la notion d'expédition. On pouvait s'en faire la représentation
suivante : pour chaque expédition l'armateur isole de son patrimoine ce qui constitue son apport à
l'opération entreprise ; cet apport est le navire ; au cours de l'expédition, le navire peut être
endommagé. Il peut aussi rapporter des profits car il navigue dans ce but. Il se constitue ainsi une
masse active et une masse passive : à l'actif, le navire et les produits de son voyage ; au passif, les
dettes nées de l'accomplissement de ce voyage par le capitaine ; l'actif est affecté au passif et les
créanciers de l'entreprise, sauf immixtion de l'armateur, n'ont pas d'action utile sur les autres
biens de celui-ci. L'abandon commande la liquidation de l'opération entreprise et l'isole de
l'ensemble des activités de l'armateur.
1142
Dans le sens de l’unité : Civ. 18 juill. 1895, S. 1895, 1, 315, note Lyon-Caen ; Req. 15 févr. 1905, D. 1908. 1,
37, note Ripert ; égal. Com. 9 mars 1966, D. 1966. 577, note Jambu-Merlin, JCP 1967, II, 14994, note de Juglart et
du Pontavice ; Caen 12 sept. 1991, DMF 1993. 50, BT 1992, 446, obs. Tinayre - dans le sens de la dualité, Civ. 4
nov. 1891, D. 1892. 1, 401, note Levillain.
1143
V. MM. Bonassies et Scapel, n° 410 ; égal. M. Simon-Depitre et C. Legendre, Rev. crit. DIP 1962. 314. Rappr.
Com. 28 mai 1991, DMF 1992. 565, obs. Godin et Bonassies, qui, en matière d’application de la loi dans le temps,
retient la compétence de la loi en vigueur au jour où l’ordonnance a été rendue, en considérant que les lois en cause
sont des lois de procédure.

302
On peut rapprocher l'abandon d'autres institutions : de la situation du commanditaire ; de la
responsabilité limitée du commerçant individu, telle qu'elle existe dans certaines législations
étrangères et désormais dans la loi française (cf. statut de l’EIRL, C. com., art. L. 526-6). Mais
elle ne se confond avec aucune et reste originale.

§3.. Régime dans le Code de commerce 

Deux conditions devaient être réunies pour que le propriétaire puisse invoquer la limitation : les
engagements devaient être nés au cours d'une expédition maritime et du fait du capitaine. Ces
deux conditions étaient postulées par la raison d'être de l’institution. L’abandon avait pour cause
la « fortune de mer » et se faisait en nature. C'est donc le navire dans l'état où il se trouvait qui
était abandonné par le propriétaire à ses créanciers. La grande valeur des navires avait cette
conséquence qu’à l’époque moderne, l'abandon n'était guère utilisé que dans de rares occasions.
Mais à quel moment fallait-il se placer ? Le système du code ne pouvait plus correctement
fonctionner. Il avait été conçu pour une époque où les voyages en mer étaient rares et où, en
particulier, les navires de long cours n'en faisaient guère qu'un par an. Mais comment l'appliquer
à un caboteur qui fait deux fois par semaine le service Marseille-Alger ou à un bateau de pêche
qui fait une sortie chaque jour ? Voici un exemple schématique : le navire N au cours d'un
premier voyage aborde par sa faute le navire A ; il est lui-même endommagé, mais poursuit sa
route ; à l'entrée du port, il endommage un mur de quai par suite d'une fausse manœuvre et se
trouve lui-même subir quelques nouvelles avaries. Au cours d'un second voyage, toujours par sa
faute, ce même navire aborde le navire B et sombre. Son propriétaire invoque la faculté
d'abandon et l'oppose à la demande de paiement de l'indemnité au navire A. Fallait-il se placer
après le premier abordage avec A ? Ou à la fin du voyage ? Ou au moment de l'abandon ? La
jurisprudence avait décidé qu'il fallait se placer à la fin du voyage au cours duquel est née la
créance à laquelle l'abandon est opposé, ici à la fin du premier voyage. Ce n'était plus l'abandon
en nature voulu par le code, car l'abandon aurait dû porter sur le navire au fond de la mer.
Le fret, second élément de la fortune de mer était remplacé en fait par une somme forfaitaire
(10 % de la valeur du navire, par exemple), ce qui évitait une difficulté concernant la preuve du
fret que le navire devait rapporter au cours du voyage considéré. Le navire se trouvait remplacé,
ou sa valeur était complétée à l'occasion, par certaines créances : créance de l'indemnité due par
un autre navire par exemple. En revanche, après hésitation, on décidait que l'indemnité
d'assurance due à l'armateur n'était pas subrogée au navire. La solution était conforme à l'idée que
le propriétaire du navire avait mis en risque son navire et non les primes d'assurance qui étaient la
cause de sa créance contre l'assureur. Mais elle choquait en ce que le propriétaire du navire
pouvait faire abandon d'une épave sans valeur et conserver pour lui l'indemnité d'assurance, de
sorte qu'il retrouvait l'équivalent de son navire tandis que ses créanciers devaient se contenter du
néant.
Exercice de l’abandon. Aucune forme ni aucun délai n'était prescrit. On se contentait d'une
manifestation de volonté claire du propriétaire qu'il exprimait généralement lorsque le créancier
prétendait saisir un élément de sa fortune de terre ou un autre navire que celui dont le capitaine
par sa faute avait fait naître la créance du saisissant. Le propriétaire opposait alors à cette saisie
l'exercice de la faculté que lui ouvrait l'article 216. Le propriétaire pouvait cependant renoncer à
l'abandon.
Effets de l’abandon. L’abandon libérait le propriétaire. Les créanciers auxquels il était fait, dits
créanciers abandonnataires, voyaient leur droit de gage général réduit aux éléments de la fortune

303
de mer. L'abandon, cependant, ne se traduisait pas par un transfert de la propriété du navire aux
créanciers abandonnataires. On pouvait donc abandonner le navire à ses créanciers et le délaisser
aux assureurs, pourvu que l'abandon eût lieu le premier, parce que le délaissement opère, comme
on le verra, transfert de la propriété du navire assuré (v. ss 1143).

I.La limitation de responsabilité dans les conventions internationales 

La France a ratifié en 1935 une Convention signée à Bruxelles en 1924, se proposant déjà
d’unifier la matière. Cette tentative fut un échec. La France a accepté dans un esprit de
transaction la thèse anglaise sur bien des points, et ce sont la Grande-Bretagne et les États-Unis
qui, depuis lors, ont déclaré inacceptable le système de cette convention. Celle-ci, signée le
25 août 1924, avait été votée par la Conférence diplomatique de Bruxelles en 1922, après des
travaux qui duraient depuis un quart de siècle. Elle est entrée en vigueur entre les pays qui l'ont
ratifiée. La France était du nombre, mais la convention n'a eu que rarement l'occasion de
s'appliquer parce que de nombreux pays à grandes flottes ne l'avaient pas ratifiée (Grande-
Bretagne, États-Unis, Italie, Grèce, Panama, Liberia…).

L'hostilité de la Grande-Bretagne à la Convention de 1924 a conduit à mettre en chantier


l'élaboration d'un nouvel instrument. Les travaux ont abouti à la signature de la Convention du
10 octobre 1957. Celle-ci est plus purement anglaise. La France l'a ratifiée, puis publiée par le
décret n° 1565 du 3 décembre 1959, mais elle n'était entrée en vigueur que le 31 mai 1968. Dans
l'ordre interne, elle s'appliquait en Grande-Bretagne qui l'avait introduite dans sa législation par
un Act de 1958 et dans divers autres pays qui en avaient fait autant. Depuis lors, elle a été à
nouveau remise en chantier et une nouvelle convention a été signée le 19 novembre 19761144.
Cette dernière convention, sur un projet du CMI, a été conclue au cours d'une conférence
organisée à Londres par l'OMI. Selon son article 17, elle était destinée à entrer en vigueur un an
après la date à laquelle douze États l'auraient ratifiée, acceptée ou approuvée ou bien encore y
auraient adhéré condition effective au 1er déc. 1986).

II.Convention de 1957 

Les créances sur le propriétaire dont la cause entre dans les catégories énumérées par l'article 1 er
de la Convention, ne donnent lieu qu'à une responsabilité limitée du débiteur.
Il s'agit des créances qui ont pour cause la mort ou les blessures de toute personne se trouvant à
bord pour y être transportée ;
— des dommages de tous biens se trouvant à bord du navire ;
— de la mort ou des blessures de toute autre personne sur terre ou sur l'eau ; ainsi que des
dommages à tous biens hors du navire lorsqu'ils sont causés par la faute d'une personne à bord du
navire et dont le propriétaire est responsable ou par la faute d'une personne ne se trouvant pas à
bord et dont le propriétaire est responsable pourvu, dans ce dernier cas, que la faute se rapporte à
l'exploitation nautique ou commerciale du navire (par exemple les dommages causés par une

 Voy. Documentation CMI 1976. 167 où l'on trouvera à la suite d'une analyse par S. Carbone, les textes du CMI
1144

et de l'OMI. Voir aussi, pour le texte de la convention, DMF 1977. 205 ; Unidroit (Revue de droit uniforme)
1977.1.120 ; sur cette convention, cons. Cl. Legendre, DMF 1977. 195 ; A. Xerri, Diritto Marittimo, 1977.340. P.
Bonassies, « Une mutation juridique : la nouvelle réglementation de la limitation de responsabilité de l'armateur », in
Annales IMTM 1985. 143 s.
304
camionnette du propriétaire transportant au bureau le personnel de la compagnie ne seront pas
visés par cette convention) ;
— enfin des obligations légales relatives à l'enlèvement des épaves ou à leur destruction et de
celles qui résultent des dommages causés par le navire aux ouvrages portuaires.
Trois points sont bien précisés. Le premier, au désavantage du propriétaire, reprend la règle
traditionnelle suivant laquelle sa faute le prive de la limitation de responsabilité. Une faute
quelconque suffit.
Le deuxième, introduit à la demande de la délégation française, est destiné à éviter les
débordements opérés par la jurisprudence française qui avait utilisé la responsabilité née de la
garde du navire pour déclarer le propriétaire tenu comme gardien et non plus comme commettant
du capitaine. Le paragraphe 3 de l'article 1 er précise à cette fin que « le droit d'un propriétaire de
navire de limiter sa responsabilité… lui est reconnu même si sa responsabilité dérive de la
propriété, de la possession, de la garde ou du contrôle du navire, sans preuve de sa faute ou de
celle des personnes dont il doit répondre ».
Enfin, la convention n'ouvre le droit à la limitation que pour des créances de « responsabilité ».
En conséquence, un contrat de « prêt » de matériel et de personnel conclu entre le capitaine et
l'Administration pour lutter contre l'incendie survenu à bord d'un navire est un contrat de
prestation de services et de fournitures et les créances qui en découlent échappent, par leur nature
même, à la limitation de réparation de l'armateur1145.
Pour toutes ces dettes, la responsabilité du propriétaire était limitée suivant un système imité de la
loi anglaise. La responsabilité est fixée d'emblée à un plafond qui varie suivant qu'il n'y a que des
dommages matériels, que des dommages corporels ou qu'il y a l'un et l'autre. Les chiffres suivants
ont été respectivement retenus :
- 1 000 francs Poincaré par tonneau de jauge lorsqu'il n'y a que des dommages matériels ;
- 3 100 francs Poincaré lorsqu'il n'y a que des dommages corporels1146.

III.Convention de 1976 

Sans modifier l’économie de la Convention de 1957, la Convention de 1976 a retenu d'autres


chiffres et précisé d'autres points.
- Les taux ne sont plus établis en francs Poincaré mais en DTS, sauf, paradoxe plaisant, pour les
États non membres du Fonds monétaire international qui ignoraient les DTS et continueraient à
vivre sous le régime du franc Poincaré (art. 8, Convention du 19 nov. 1976), par exemple à
l'époque l'URSS.
- Pour les États membres de ce Fonds, dont la France, 333 000 DTS par événement, pour un
navire ne dépassant pas 500 tjb1147, et 500 DTS par tonneau entre 500 et 3 000 tjb, et des chiffres
décroissant par paliers, les gros navires bénéficiant d'un taux moins défavorable ; ce premier
chiffre (330 000 + X) est réservé aux créances pour mort ou lésions corporelles à des non-

1145
 Aix-en-Provence, 21 févr. 1979, DMF 1980. 151, obs. Bonassies.
1146
 Il faut savoir qu'en pratique, lorsque le propriétaire d'un navire ou les personnes assimilées sont amenées à
limiter leur réparation par application de la convention internationale ou de la loi interne, la plupart du temps il n'y a
que des dommages matériels ou, en tout cas, la valeur des dommages corporels est très faible par comparaison avec
les dommages matériels.
1147
 L'unité de jauge n'est plus la même que celle de la Convention de 1957. La Convention de 1957 se fonde sur la
Convention de jaugeage d'Oslo de 1947. La Convention de 1976 se fonde sur la Convention internationale de
Londres du 23 juin 1969 sur le calcul des tonnages des navires, entrée en vigueur le 18 juillet 1982 (Décr. n° 725 du
10 août 1982, JO 20 août).
305
passagers ; pour les autres créances un autre fonds constitué de la même manière dégressive
comprendra, pour les navires de 500 tnx au plus, la somme de 167 000 DTS (soit par événement,
selon le même taux de conversion).
- À ces deux fonds s'en ajoute un troisième si des dommages sont causés à des passagers ; le
fonds est alors de 46 666 DTS multiplié non plus par la jauge, mais par le nombre des passagers,
sans pouvoir excéder 25 millions de DTS (art. 7).
- Les ports obtiennent une satisfaction : ils passeront les premiers sur le fonds créé pour les
dommages matériels, si du moins les États le jugent bon (art. 6. 3).
- Quant au champ d’application de la convention, l’article 15 précise que le texte s’applique à
tout armateur étranger qui, à la fois, a sa résidence ou son principal établissement dans un État
signataire et dont le navire bat pavillon d’un État signataire (v. ss 849).

IV.Droit interne 

La loi du 3 janvier 1967 a adopté le système de la Convention de 19571148, c'est-à-dire la


conception anglaise. Elle est incontestablement mieux adaptée aux réalités du commerce
maritime moderne que la conception traditionnelle française, mais comme elle est d'inspiration
anglaise, il a fallu, tout en obéissant exactement à cette conception, la traduire en langage
juridique français, ce que la Convention de 1957 avait négligé de faire1149.
Ce système a été consigné dans les articles 58 et suivants de la loi précitée de 1967, complétés
par les articles 59 et suivants du décret du 27 octobre 1967 (art. L. 5121-1 s.). Le propriétaire du
navire peut se libérer en constituant un fonds de limitation sur lequel viendront se payer les
créanciers auxquels il peut opposer le système nouveau. L'originalité réside dans la constitution
du fonds de limitation, non dans les conditions de la limitation, qui, pour l'essentiel, reproduisent
les grandes lignes du système classique. Puis les dispositions de la Convention de 1976 ont été
intégrées dans le droit interne par les lois des 21 et 22 déc. 1984 entrées en vigueur le jour où la
convention est entrée en application (1er déc. 1986).
Les deux textes présentent peu de différences, mais ne sont cependant pas identiques. D’où la
nécessité de cerner leur champ d’application. Les navires battant pavillon français sont, devant
les tribunaux français soumis aux seules dispositions nationales. Pour les navires battant pavillon
étranger, une distinction s’impose. La convention s’applique si l’armateur a sa résidence ou son
principal établissement dans un État signataire et le navire est immatriculé dans un État
signataire. Si tel n’est pas le cas, la convention s’applique si et seulement si l’État signataire
concerné par la procédure de limitation a décidé d’exclure l’application de la convention. Dans la
mesure où la France n’a pris aucune mesure en ce sens, on doit décider que devant un tribunal
français la convention s’applique au bénéfice de tout armateur étranger1150.
V.Protocole de 1996 

Par un Protocole de Bruxelles du 2 mai 1996, ratifié par la France (L. 5 juill. 2006, entrée en
vigueur le 25 juill. 2007), les plafonds de limitation ont été sensiblement relevés (v. ss 869). En
outre, le protocole a simplifié la procédure d’augmentation : la Commission juridique de l’OMI
peut augmenter les montants sans avoir à convoquer une conférence diplomatique. On a ainsi

1148
 Rodière, Traité, Introduction et armement, 1976, n° 592 s. ; du Pontavice, Le statut des navires, 1976, n° 232 s.
1149
 Les Conventions de Bruxelles sont officiellement rédigées en français et en anglais, mais c'est l'esprit juridique
anglais qui, ayant inspiré la convention, a fait que le texte français n'est que la traduction d'un texte peu cartésien.
1150
Rouen 5 sept. 2002, Jerba, DMF 2003. 55, obs. C. Humann.
306
institué un système de consentement par le silence, ce qui est très pragmatique et mérite d’être
approuvé.

§1. Règles de fond

A. Accident causé par un navire

1)Caractère maritime de l'expédition 

Peu importe que le navire soit affecté à la pêche ou au commerce ; peu importe qu'il s'agisse d'un
engin de commerce ou d'un engin de servitude1151 comme un remorqueur de port. Quant aux
navires de plaisance, un arrêt avait, sous l’empire de l’art. 216 C. com., refusé 1152 le jeu de la
limitation de responsabilité. Cette solution ne tenait pas compte du fait que le navire de plaisance
est exposé aux risques de mer comme tout navire et peut occasionner de graves accidents à des
navires importants par ses manœuvres intempestives dont les conséquences ne peuvent être
assurées de façon illimitée. La loi de 1967 l’a rejetée. La règle résulte clairement de l'article 63,
al. 2, de la loi n° 522 du 3 juillet 1967 sur les assurances maritimes (art. L. 173-24). Après avoir
énoncé qu'elle ne s'applique pas à l'assurance des navires de plaisance, cette loi précise que
l'indemnité d'assurance (assurance selon les principes de la loi terrestre) sera affectée à la
constitution du fonds de limitation. La règle est donc certaine 1153. Il faut simplement préciser que,
sur le fondement du droit interne, la faculté ouverte au propriétaire d’un navire de limiter sa
responsabilité bénéficie aussi à l’assureur de responsabilité, c’est à la condition qu’un fonds de
limitation soit constitué.
On n'hésitera pas à refuser la limitation de réparation lorsqu'il n'y a ni navire, ni bâtiment de mer,
ni navigation maritime. C'est ce qui a été jugé après la collision, en rade de Lorient, de deux
vedettes qui servaient au transport des voyageurs d'une rive à l'autre ; le bâtiment responsable
n'était pas exposé aux dangers des expéditions en mer qu'il eût été impuissant du reste à
affronter1154 ; ce n'était pas un navire. La Convention de 1976 exclut cependant de son application
les plates-formes flottantes ainsi que les aéroglisseurs, sans pour autant interdire aux législations
nationales d’être plus généreuses (pour les armateurs).
Du caractère maritime de l'expédition il ne faut pas conclure que l'événement doit constituer une
« fortune de mer » ni qu'il doit tenir aux périls de la navigation1155. La faculté d’invoquer la
limitation n’est pas subordonnée à l’exigence d’un risque de mer. De même, la limitation peut-

1151
 A. Vialard, La qualification juridique des engins de servitude portuaire, in Aspects du droit privé en fin du
xxe siècle, Études réunies en l'honneur de Michel de Juglart, 1986, n° 339 s.
1152
Aix-en-Provence 25 juill. 1908, D. 1909. 2, 137, note Ripert.
1153
 V. Com. 11 déc. 2012, DMF 2013. 136, rapport Lecaroz ; v. déjà Rennes, 15 mars 1983, DMF 1983. 739, obs.
Ph. Godin : « … Les conditions particulières de la navigation en mer étant identiques pour tous, les règles nées de
ces conditions, spécialement celles ayant trait à la réparation des dommages découlant des risques maritimes propres,
doivent s'appliquer à tout bâtiment effectivement utilisé comme moyen de transport à la mer  », la loi du
3 janvier 1967 ne comportant « aucune distinction ni exclusion qui serait fondée sur le tonnage du navire ou sur sa
destination pour… la plaisance ».
1154
Req. 25 mai 1938, DH 1938, 403.
1155
Com. 18 nov. 1980, Mélissa, D. 1981. 397, note Rodière, DMF 1981. 535, obs. C. Legendre ; J. Bonnaud, La
limite de réparation du transporteur maritime de marchandises et la loi du 3 janvier 1967, « A propos de l'arrêt de la
Cour de cassation du 18 novembre 1980 », Revue Scapel 1981-1. 7.
307
elle être invoquée si l’accident survient dans des eaux fluviales, si, toutefois, le dommage est lié à
l’exploitation du navire1156. La notion de risque de mer n’est pas ici le critère déterminant1157.

2)Épave 

L’épave n’est plus un navire : son propriétaire ne doit donc pas bénéficier de la limitation de
responsabilité. Il reste que la situation n’est pas aussi simple 1158, car les épaves ont toujours donné
lieu à des difficultés, notamment dans les rapports avec l'État. Autrefois, l'État refusait d'admettre
que l'abandon lui fût opposable lorsqu'il réclamait le remboursement des frais qu'il avait exposés
(par le service des Ponts et Chaussées) pour renflouer et éloigner les épaves situées dans les ports
ou dans les passes. Pour éviter toute discussion (et pour engager les capitaines à tenter de se
réfugier dans les ports sans être arrêtés par la perspective de s'y échouer et d'exposer alors leur
armateur à des frais auxquels ils ne pourraient pas échapper par l'abandon), la loi du 12 août 1885
avait modifié l'article 216 dont l'alinéa 4 disposait que le propriétaire pouvait, en pareil cas,
recourir à l'abandon. Ainsi, les frais de renflouement et de remorquage qui étaient la suite du
naufrage entraient dans la catégorie des créances auxquelles le propriétaire pouvait opposer
l'article 216. Mais la discussion s’est prolongée, car il peut arriver qu'au cours du remorquage qui
suit le premier renflouement, le navire vienne à s'échouer une nouvelle fois ou à sombrer (et
généralement dans une position qui le rend encore plus dangereux pour la navigation). L'État
prétendit alors que les frais du second renflouement et du second remorquage qu'il avait effectué
pour faire quitter ce lieu dangereux ne pouvaient pas donner lieu à l'abandon, parce que ce n'était
plus à l'occasion d'une expédition maritime entreprise par un navire que la créance était née. Le
Conseil d'État lui avait donné plusieurs fois raison1159.
Sous l’empire de la loi de 1967, la solution avait été renversée : le propriétaire du navire pouvait,
dans les mêmes conditions qu'à l'égard des particuliers, limiter sa responsabilité « même envers
l'État, pour les frais d'extraction ou de destruction du navire ou de l'épave et de la cargaison se
trouvant à bord » (art. 59)1160. Le texte, toutefois, n’envisageait pas les dommages causés par
l'épave.
La Convention de 1976 va, en substance, dans le même sens (art. 2, d. et e), en soumettant à
limitation les créances pour avoir renfloué, enlevé, détruit ou rendu inoffensif un navire coulé,
naufragé, échoué ou abandonné, la règle valant également pour les cargaisons1161.
Cependant, le texte précise que la limitation ne joue pas pour les créances d’enlèvement d’un
navire relatives à la rémunération due en application d’un contrat conclu avec la personne
responsable (art. 2, al. 2). Autrement dit, il n’est pas question de limitation de responsabilité
lorsqu’un l’armateur passe avec une société spécialisé un contrat d’assistance. En outre, et
surtout, la convention (art. 18) laisse la possibilité à tout État signataire de se réserver le droit

1156
Com. 4 oct. 2005, Laura, DMF 2006. 118, rapp. de Monteynard, et les obs.
1157
MM. Bonassies et Scapel, n° 420.
1158
M. Ndendé, Les épaves et la limitation de responsabilité, DMF 2002. 1049.
1159
CE 15 févr. 1918, S. 1922, 3, 6, concl. L. Blum ; égal. CE 11 mai 1959, DMF 1959. 725.
1160
 Sur les difficultés incessamment reprises par les services administratifs des ports : Rodière, op. cit., n° 482 ; du
Pontavice, Le statut des navires, n° 263, p. 275 à 281.
1161
Sur les conteneurs à la mer, v. ss 132.
308
d’exclure l’application de l’article 2 (al. d et e), ce qui a été fait par la France 1162 et de nombreux
autres États.
Enfin, sur le plan national, la loi n° 1151 du 21 décembre 1984 est venue modifier la loi du
3 janvier 1967 pour la mettre précisément en harmonie avec la Convention de 1976 ; elle est
entrée en vigueur en même temps que la Convention de 1976, c'est-à-dire au 1 er décembre 1986
(art. 4). Cette loi a remplacé les dispositions précitées de l'article 59 par les dispositions
suivantes (cf. art. L. 5121-4, 4°) : « Le propriétaire d'un navire ne peut opposer la limitation de sa
responsabilité aux créances de l'État ou de toute autre personne morale de droit public qui aurait,
au lieu et place du propriétaire, renfloué, enlevé, détruit ou rendu inoffensif un navire coulé,
naufragé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui se trouve ou s'est trouvé à bord ». Il en
résulte que les armateurs soumis la loi française ne peuvent certainement pas de prévaloir de la
limitation de réparation pour les opérations de relèvement et assimilées, que le navire ait conservé
cette qualité ou qu'il soit devenu épave à l'occasion du sinistre donnant lieu à relèvement.
Quant aux armateurs étrangers ressortissants d’un État partie à la Convention de 1976, la règle
leur est opposable, conformément à la réserve prise par la France1163.

B. Créances auxquelles la limitation est opposable

1)Principes 

La limitation de responsabilité s’applique aux seules de créances de responsabilité contre


l’armateur1164. Elle ne joue pas pour les créances de sommes d’argent nées de contrats de
fournitures ou de services1165. Mais peu importe qu’il s’agisse d’une responsabilité contractuelle
ou d’une responsabilité extracontractuelle, dans la mesure où les autres conditions de la limitation
sont remplies. Ainsi, la limitation de responsabilité est opposable à un passager victime d’un
accident à bord du navire ou aux intérêts cargaison en cas de pertes ou d’avaries subies par la
marchandise à l’occasion d’un transport1166.

2)Diversité des créances de responsabilité

1162
v. Décr. du 23 déc 1986, D. 1987. 71. La réserve faite par le Gouvernement français a pu être interprétée de
deux manières. Certains y ont vu une réserve effective, une exclusion expresse des dispositions en cause, les
créances de renflouement n'étant plus dès lors soumises à limitation. D’autres y ont vu une simple possibilité prise
par le gouvernement français de se réserver le droit de déclarer dans l'avenir que ces créances ne sont pas limitables,
une telle réserve étant indispensable si telle est l'intention du gouvernement français, puisqu'aux termes de l'art. 18 de
la convention, les réserves doivent être faites lors de la signature ou de l'acceptation du texte. Cette seconde
interprétation a été un temps retenue (Bordeaux 8 sept. 1987, DMF 1988. 591, obs. Vialard, De l'opposabilité du
fonds de limitation de responsabilité aux créances « publiques » de renflouement ou destruction d'épaves, DMF
1988. 584 s. ; Bonassies, Le droit positif français en 1988, DMF 1989. 18, n° 17), avant d’être, à juste titre,
abandonnée.
1163
Com. 11 juill. 2006, Jerba, DMF 2006. 684, obs. Bonassies.
1164
Mais, sauf texte contraire, la limitation est applicable à toutes les créances de responsabilité, même aux
condamnation à des dommages-intérêts pour contravention de grande voirie, MM. Bonassies et Scapel, n° 416.
1165
MM. Bonassies et Scapel, n° 414.
1166
Dans ce cas, les limitations de responsabilité peuvent se cumuler ; v. Aix-en-Provence 31 oct. 1998, DMF 1989.
708, obs. Guérin et Riotte.
309
La loi française prévoit très simplement (art. L. 5121-3) que la limitation peut être opposée par
l’armateur à ses cocontractants ou aux tiers, même s’il s’agit de l’État, dès l’instant que les
dommages se sont produits à bord du navire ou qu’ils sont en relation directe avec la navigation
ou l’utilisation du navire. De son côté, la Convention de 1976 énumère, selon la méthode de
common law, les créances soumises à limitation et envisage les :

a. créances pour mort, pour lésions corporelles, pour pertes et pour dommages à tous biens,
survenus à bord du navire ou en relation directe avec l'exploitation de celui-ci ou avec des
opérations d'assistance ou de sauvetage, ainsi que de tout autre préjudice en résultant ;

b. créances pour tout préjudice résultant d'un retard dans le transport par mer de la cargaison, des
passagers ou de leurs bagages ;

c. créances pour d'autres préjudices résultant de l'atteinte à tous droits de source extra-
contractuelle, et survenus en relation directe avec l'exploitation du navire ou avec des opérations
d'assistance ou de sauvetage ;

d. créances pour avoir renfloué, enlevé, détruit ou rendu inoffensif un navire coulé, naufragé,
échoué ou abandonné, y compris tout ce qui se trouve et s'est trouvé à bord 

e. créances pour avoir enlevé, détruit ou rendu inoffensive la cargaison du navire ;

f. créances produites par une autre personne que la personne responsable pour les mesures prises
afin de prévenir ou de réduire un dommage pour lequel la personne responsable peut limiter sa
responsabilité conformément à la présente convention, et pour les dommages ultérieurement
causés par ces mesures.

3)Exclusion de certaines créances 

Par faveur pour certains créanciers ou pour des considérations de politique générale, certaines
créances ne se voient pas opposer la constitution d'un fonds de limitation (cf. Conv. art. 3 ; art. L.
5121-4). En conséquence, l’armateur est tenu de les régler intégralement.
Entrent dans la première catégorie les créances (de responsabilité, rares dans la pratique, du
moins en droit français) du capitaine et des autres membres de l’équipage nées de
l’embarquement, ainsi que les créances de toute personne employée à bord en vertu d'un contrat
de travail1167.
On fera entrer dans la seconde catégorie les créances d'indemnité d'assistance, de sauvetage ou de
contribution aux avaries communes, qui au demeurant, ne sont pas des créances de responsabilité.
En avantageant ces créanciers, la loi a moins en vue leur intérêt que celui des choses sauvées par
l'assistance ou le sacrifice volontaire qui motive l'action en avaries communes. Celui qui assiste
ou celui qui subit ce sacrifice peut ainsi espérer un paiement intégral qui l'incitera à agir ou à
subir.

Si les créances nées du chef d’assistance ou de sauvetage sont exclues de la limitation, n’est
cependant visée que l’indemnité due, à titre de rémunération, à l’assistant ou au sauveteur. La
1167
La loi française exclut ces créances sans restriction. La Convention de 1976 ne les exclut que si une même
exclusion est prévue par la loi régissant le contrat d’engagement.
310
créance du chargeur (ou de son assureur) qui a pour objet le remboursement d’une avance faite à
l’assistant pour obtenir la mainlevée de la saisie des marchandises transportées est soumise à
limitation dans la mesure où il ne s’agit pas d’une créance de l’entreprise de sauvetage1168.
C. Origine nautique des créances

1)Créances nées de l’exploitation d’un navire 

Selon la loi nationale, les dommages qui ouvrent des droits de créance que le propriétaire du
navire peut renvoyer à se payer sur le fonds de limitation doivent s'être « produits à bord du
navire » ou être en « relation directe avec la navigation ou l'utilisation du navire » (art. L. 5121-
3). Cette formule a été très étudiée et on doit l'interpréter à la lettre. Ainsi, pour les dommages qui
se sont produits à bord, on n'a pas à s'interroger sur le point de savoir s'ils sont en relation directe
avec la navigation ou l'exploitation du navire. Le texte initial a été complété comme on l'a vu par
la loi du 21  décembre 1984 afin de viser les créances, qui, selon la Convention de 1976, donnent
également lieu à limitation : le propriétaire d'un navire « peut, dans les mêmes conditions, limiter
sa responsabilité pour les mesures prises afin de prévenir ou de réduire les dommages mentionnés
à l'alinéa précédent (art. L. 5121-3, al. 1), ou pour les dommages causés par ces mesures ».
La Convention de 1976 définit dans son article 2 comme créances soumises à la limitation,
notamment « les créances pour dommages… survenus à bord du navire en relation directe… avec
l’exploitation de celui-ci. », tout en précisant qu’il peut s’agir d’« opérations d'assistance ou de
sauvetage, ainsi que tout autre préjudice en résultant »1169.

2)Unité d'événement 

Cette condition est liée au système général de la limitation à l'anglaise. Le propriétaire ne se


libère pas une fois pour toutes de toutes les dettes qui répondent aux conditions ci-dessus, même
si elles sont nées au cours d'un seul voyage, en constituant un fonds de limitation. Il ne se libère
de la sorte que des dettes qui sont nées d'un même événement et il peut y avoir plusieurs
événements dans un même voyage. L'événement c'est le ou les faits qui donnent naissance aux
créances, le ou les faits qui contribuent au même dommage. Du même naufrage résultera une
dette d'indemnisation envers chaque chargeur, chaque passager, chaque personne qui en souffrira
d'une manière ou d'une autre dans des conditions qui donnent naissance à une dette de réparation
du propriétaire. Si quelque temps auparavant et sans relation avec ce naufrage, le même navire
avait coulé par sa faute un autre navire, la dette née de l'abordage ne serait pas née du même
événement que les dettes nées du naufrage. Le fonds constitué pour le naufrage ne limitera pas la
responsabilité du propriétaire pour l'abordage et inversement. Il reste que le propriétaire pourra en
pareil cas limiter sa responsabilité à l'égard des uns et des autres, mais en constituant deux fonds,
dont chacun aura son affectation.
D. Bénéficiaires

1)Qui peut se prévaloir de la limitation ?


1168
Com. 9 juill. 2013, n° 12-18.504, DMF 2014. 795, rapp. Remery, obs. Bonassies, RD transp. 20123/4, p. 37,
obs. Ndendé.
1169
Cette dernière précision résulte de la jurisprudence de la Chambre des Lords dans l’affaire du Tojo Maru (16
mars 1971) où un navire assistant avait, à l’occasion de ses opérations, endommagé, via des plongeurs, le navire
assisté : la limitation n’avait pas été admise, car le dommage n’avait pas été causé à bord du navire. D’où le
changement législatif.
311
Le système de l'article 216 n’était pas applicable à tout autre que le propriétaire du navire. Quand
il l'avait frété, il était difficile de le faire jouer au bénéfice de l'affréteur et on n'y parvenait qu'en
transformant l'abandon en nature en un abandon en valeur, ce qui était un contresens.
Le système ultérieur ne se heurte pas à cette difficulté, et il est précisé dans la Convention de
1976 comme dans la loi nationale que les règles en la matière s'appliquent non seulement au
propriétaire, mais également à l'affréteur, à l'armateur, à l'armateur gérant, ainsi qu'au capitaine
ou à leurs préposés terrestres ou nautiques agissant dans l’exercice de leurs fonctions (art. L.
5121-2). Tous les aménagements sont possibles et l'on voit ainsi que, dans une pensée de
protection, le capitaine et les autres membres de l'équipage peuvent les invoquer même lorsqu'ils
ont commis une faute personnelle (al. 2)1170, ce qui les fait mieux traiter que le propriétaire (v.
ss 862). La convention parle de toute personne dont les faits, négligences et fautes entraînent la
responsabilité du propriétaire ou de l’assistant. Ce qui vise les préposés dans la mesure où ils
agissent dans l’exercice de leurs fonctions, mais pas les sous-traitants, ni les sociétés de
classification1171.
L’armateur propriétaire est le principal bénéficiaire. On lui assimile l’armateur non propriétaire,
l’armateur « manager » ou gestionnaire1172 et l’affréteur, même s’il s’agit d’un affréteur
d’espaces ; de même que l’assistant agissant ou non à partir d’un navire. Mais pas l’affréteur à
temps ou coque-nue qui endommage le navire1173 : le bien qui a subi le dommage ne peut être la
chose même dont l’exploitation a causé le dommage.
Quant à l’assureur, la Convention de 1957 n’avait rien envisagé et la pratique s’était efforcée de
faire coïncider le montant de la couverture d’assurance avec le montant de la limitation de
responsabilité. La loi de 1967 ne le vise pas. Les textes sur les assurances se bornent à dire qu’en
cas de constitution d’un fonds, les créanciers dont le droit est sujet à limitation n’ont pas d’action
contre l’assureur (art. L. 173-24). Il en résulte que l’assureur ne bénéficie de la limitation que
dans la mesure où un fonds a été constitué 1174. La Convention de 1976 est plus directe car elle
prévoit que l’assureur qui couvre la responsabilité à l’égard des créances soumises à limitation est
en droit de se prévaloir de celle-ci dans la même mesure que l’assuré lui-même.

2)Pluralité de bénéficiaires

La multiplication des bénéficiaires n’entraîne pas une multiplication des montants de la


limitation. En effet, le fonds constitué par l’un des bénéficiaires est réputé constitué pour les
autres1175. Les bénéficiaires se représentent ainsi les uns les autres, ce qui est un nouvel exemple
de la solidarité maritime.

3)Absence de faute : de la simple faute à la faute personnelle intentionnelle ou inexcusable 

Sous l'empire de l’article 216 du Code de commerce, il fallait que la dette du propriétaire fût née
du chef du capitaine. On étendait la solution aux dettes nées du chef de tous autres préposés
nautiques, alors que les préposés terrestres engageaient la pleine responsabilité du propriétaire du
1170
 Fût-elle lourde ou inexcusable (mais non pas intentionnelle ou dolosive) : Aix-en-Provence 26 oct. 1984, DMF
1985. 423, obs. Bonassies.
1171
MM. Bonassies et Scapel, n° 423.
1172
T. féd. New-York 6 oct. 1992, DMF 1994. 803, n° 3, obs. Bonassies.
1173
Court of appeal 12 févr. 2004, navire Djakarta, LLR 2004. 1, 460.
1174
Com. 11 déc. 2012, deux arrêts, Chrisflo et Dizzy, DMF 2013. 136, rapp. Lecaroz, 142, rapp. Rémery, obs. S.
Sana Chaillé de Néré, DMF 2013, HS 17, n° 54, Il Diritto Marittimo 2014. 148 et les obs.
1175
MM. Bonassies et Scapel, n° 427.
312
navire. Cette distinction a été écartée par la loi de 1967. La règle s'énonçait de façon négative : il
ne fallait pas que le propriétaire fût personnellement débiteur par suite d'une faute prouvée à sa
charge ; peu importait du reste la gravité de ladite faute ; peu importait également qu'elle fût
d'ordre nautique ou commercial ; toute faute personnellement imputable au propriétaire le privait
de la faculté de constituer le fonds de limitation afin de cantonner l'action de ses créanciers.
En fait, les fautes personnelles du propriétaire sont rares. La plus commune consiste à avoir fait
naviguer un navire en mauvais état de navigabilité 1176. L'abordage dû à ce fait ou l'avarie de la
cargaison due à cet état donne naissance à une dette du propriétaire qu'il devra réparer
intégralement, c'est-à-dire à la mesure de sa dette de réparation. Cette précision est nécessaire et
sera l'occasion d'éviter une confusion, grossière, mais souvent commise, entre la limitation de
responsabilité du propriétaire et la limitation de responsabilité du transporteur. Ce sont deux
institutions tout à fait différentes, encore que l'une et l'autre concourent à alléger la charge
financière des armateurs. Les deux institutions peuvent opérer l'une après l'autre. Qu'on suppose
par exemple l'abordage, par la faute du capitaine, qui fait couler le navire chargé de marchandises
et de passagers et qui cause des dommages à un autre navire. En ce cas, le propriétaire du navire
(à supposer qu'il soit le transporteur) va faire le compte des dettes qui naissent de cet événement ;
pour ce faire, il va tenir compte des limitations de responsabilité instituées par les textes ; il
ajoutera à ces sommes le montant de la réparation (celle-ci intégrale) qu'il doit au propriétaire du
navire abordé et si ce total lui paraît dépasser le montant du fonds de limitation, il demandera à le
constituer1177.

4)Faute personnelle inexcusable

Avec la Convention de 1976 et la loi du 21 décembre 1984, les armateurs ont obtenu satisfaction
sur un point important : désormais seule leur faute personnelle inexcusable ou leur faute
personnelle intentionnelle les privera de la faculté de constituer un fonds de limitation.
Aux termes mêmes de l’article 4 de la Convention de Londres « une personne responsable n’est
pas en droit de limiter sa responsabilité s’il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de
son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis
témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement » (la formule
est la même en droit interne, art. L. 5121-3, al. 3). Pour désigner les deux fautes évoquées par le
texte on parle de faute intentionnelle et de faute personnelle inexcusable. Cette dernière faute est
une faute caractérisée dont la gravité tient à ce qu’elle a créé un danger réel et sérieux dont
l’auteur devait, sinon pouvait se rendre compte, mais qu’il a finalement décidé d’outrepasser.
Cette notion alimente les discussions1178 et le contentieux1179.
1176
 La solution peut être sévère pour l'armateur si tout défaut de navigabilité est retenu et si l'on y comprend ce qui
est parfois la mauvaise utilisation d'un appareil par le capitaine. v. Com. 3 déc. 1974, DMF 1975. 211, obs. Lureau et
Bouloy. Contra : Aix-en-Provence 18 mars 1977, DMF 1979. 72. V. comme autre exemple de faute prouvée : Paris,
3 févr. 1977, DET 1977. 232 ; Aix-en-Provence, 18 mars 1977, DMF 1979. 72 ; TGI Marseille 1er juin 1977, DMF
1978. 99, obs. Rodière. Sur l'inobservation volontaire par l'armateur des instructions du chargeur, v. Aix-en-
Provence, 9 juin 1988, DMF 1989. 708 s., obs. Guerin et Riotte.
1177
du Pontavice, Le statut des navires, n° 234 ; contra, à tort, Paris 31 oct. 1984, DMF 1985. 668 et obs. crit.
Bonassies, dans l'affaire « Laura » ; v. aussi Bonassies, op. cit., p. 17, n° 15. Rennes, 30 mars 1988, préc.
1178
P. Bonassies, La faute inexcusable de l’armateur en droit français, Mélanges R. Roland, Bruxelles 2003, 75 s. ;
I. Corbier, La notion de faute inexcusable et le principe de limitation de responsabilité, Mélanges Bonassies, 103 s. ;
MM. Bonassies et Scapel, n° 430 s. ; égal. P. Bonassies, DMF 2006 HS 10, n° 49.
1179
Les mêmes débats se retrouvent en matière de transport : dans le transport de passagers, la jurisprudence reste
rigoureuse et considère que la faute inexcusable du transporteur doit s’apprécier « in abstracto » (v. Civ. 1re, 2 oct.
313
a)Notion. Faute personnelle 

Alors que la limitation de réparation est écartée en cas de faute simple sous l'empire de la
Convention de 1957, elle ne l'est, sous l'empire de la Convention de 1976, que « s'il est prouvé
(contre la personne responsable) que le dommage résulte de son fait ou de son omission
personnels, commis avec l'intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et
avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement ». Il s'agit donc de ce qu'on
appelle généralement, d’une part, la faute intentionnelle et, d’autre part, la faute inexcusable. On
remarquera que la faute intentionnelle ou inexcusable des préposés n'est pas prise en
considération. La faute doit être personnelle à l’armateur, ce qui renvoie à un concept original.
En effet, la faute personnelle de l’armateur, ce n’est pas la faute du commandant lui-même,
juridiquement simple préposé disposant néanmoins d’une certaine indépendance 1180. La question
est bien de savoir si la faute du capitaine permet d’induire une faute de l’armateur, car la
Convention de Londres envisage la seule faute personnelle inexcusable de l’armateur. Les juges
ne manquent pas de distinguer la situation du commandant de celle de l’armateur. La faute du
capitaine ne traduit pas ipso facto une faute de l’armateur1181. Lorsqu'il s'agit d'une personne
morale, la faute personnelle est celle qui est commise par les dirigeants sociaux ou par toute
personne à qui a été confiée une tâche générale assimilable à celle dévolue à ces dirigeants, à
l'exception du personnel — quel qu'en soit le grade — ne disposant que d'une délégation limitée.

En outre, la faute personnelle doit être une faute « téméraire »1182. La définition de la faute
intentionnelle et de la faute inexcusable comporte, ici, une particularité : la faute ne sera prise en
considération que si la personne responsable savait à l'avance que son acte ou son omission
causerait sûrement (cas de la faute intentionnelle) ou probablement (cas de la faute inexcusable)
le dommage qui a effectivement eu lieu. Par exemple, si la personne responsable savait que son
attitude entraînerait probablement le heurt d'un quai, elle ne sera pas tenue à une réparation
illimitée lorsque, contrairement à ce qu'elle avait envisagé, sa manœuvre entraînera non pas un
heurt avec le quai mais un abordage avec un navire à quai.

b)Jurisprudence

Dans plusieurs des affaires maritimes traitées par la jurisprudence classique, il est peu probable
que les juges aient relevé une faute inexcusable personnelle de l'armateur. « On pourrait sans
doute voir dans la faute d'un capitaine à ne pas se reporter aux cartes à jour qu'il détient une faute
inexcusable. Mais comment voir une faute de ce type dans le comportement de l'armateur qui a
mis à la disposition de son capitaine des cartes parfaitement à jour, simplement parce qu'il
n'aurait pas contrôlé que son capitaine, en apparence parfaitement qualifié, suivait les règles
normales de comportement d'un bon professionnel ». De même, ce n'est pas agir témérairement
que de confier la construction d'un navire à un chantier naval réputé, mais qui se révélera
2007, Bull. civ. I, n° 317 et 318, JCP 2007, II, 10190). En revanche, en matière de marchandises, l’appréciation « in
concreto », c’est-à-dire objective semble s’imposer (v. pour un transport aérien : Com. 21 mars 2006, Bull. civ. IV,
n° 77 – égal pour un transport maritime : Com. 7 févr. 2006, DMF 2006. 516 ; Paris 16 nov. 2006, RD transp. 2007.
27).
1180
Aix-en-Provence 11 oct. 2012, DMF 2013. 221, obs. Bonassies.
1181
La faute du capitaine n'implique pas l'existence d'une faute de l'armateur et ne prive pas ce dernier du bénéfice
de la limitation : Com. 26 oct. 1982, Gaz. Pal. 1983-1, Pan. 46 ; égal. Rennes 30 mars 1988, DMF 1989. 24, obs. M.
Rémond-Gouilloud et D. Lefort.
1182
C’est la terminologie employée par la Cour de cassation dans l’arrêt Erika (Crim. 25 sept. 2012, v. ss 886).
314
négligent. Il n’en va sans doute pas ainsi lorsqu’un capitaine poursuit sa route sans se préoccuper
des avaries qu’il vient d’occasionner par une collision.1183
Il ne faut pas en conclure qu'il n'y aura jamais de faute inexcusable de l'armateur. Un tribunal
américain a appliqué la notion de « wilful misconduct », très proche de la faute inexcusable, à
l'armateur qui avait confié à un pilote inexpérimenté un remorqueur naviguant de nuit en hiver
sur l'Hudson1184. De même, il y aurait sans doute faute inexcusable de l'armateur qui n'aurait pas
suffisamment formé un équipage à l'utilisation d'un nouvel appareil à gouverner ou qui aurait
choisi un équipage incompétent pour faire naviguer un pétrolier exposé des risques sérieux de
pollution. L'exploitation de certains navires modernes est en effet devenue une activité lourde de
dangers. On est donc fondé à exiger des armateurs de ces navires la plus grande attention aux
impératifs de sécurité1185.
La jurisprudence attend des juges qu’ils motivent clairement leur décision1186. L’affaire du
« Heidberg » est à cet égard l’une des affaires les plus emblématiques. On rappellera que, le 8
mars 1991, alors que l’officier mécanicien s’était retiré dans sa cabine pour prendre du repos, le
capitaine du navire Heidberg (remontant l’estuaire de la Gironde) était descendu dans la salle des
machines pour veiller à des opérations de ballastage. Le pilote resté à la passerelle n’ayant pu
maintenir une bonne trajectoire, le navire avait percuté et endommagé les appontements de la
compagnie Shell. Le Tribunal de commerce de Bordeaux refusait ultérieurement d’accorder à
l’armateur le bénéfice de la limitation de responsabilité. Le Tribunal avait considéré que
l’armateur ne pouvait compter sur la limitation, dès lors qu’il était possible de lui reprocher une
grave insuffisance de l’effectif des officiers pouvant assurer les quarts. L’équipage en cause était
nouveau. Après de nombreuses péripéties judiciaires, notamment procédurales, la cour d’appel de
Bordeaux, appelée à se prononcer sur la caractérisation de la faute inexcusable, a conclu à
l’existence d’une faute personnelle inexcusable de l’armateur, après avoir fait observer que s’il
n’existait pas d’irrégularité dans la composition formelle de l’équipage et que cette composition
était donc conforme à la réglementation en vigueur, l’on pouvait cependant reprocher à
l’armateur de ne pas s’être informé auprès du capitaine des conditions d’exploitation du navire et,
compte tenu des contraintes du cabotage et de la faiblesse numérique de l’équipage, de n’avoir
pas fait en sorte qu’il existât entre le capitaine et les hommes de l’équipage la confiance et la
cohésion indispensable pour faire face aux événements. Cet arrêt a été censuré, mais,
précisément, uniquement pour des raisons de procédure1187.

1183
Com. 2 nov. 2005, DMF 2006. 43, obs. M. Rémond-Gouilloud.
1184
 CA New-York, 7 août 1978, DMF 1979. 435.
1185
V. Montpellier 18 nov. 2003, DMF 2005. 708 : « en sa qualité de professionnel de la pêche, de surcroît
parfaitement informé sur la fréquentation importante de la zone traversée par les chalutiers, x. n’a pris aucune
précaution de sécurité ; il ne pouvait donc qu’avoir conscience que son attitude entraînerait probablement le
dommage » ; comp. Rouen 2e ch. 2 oct. 2008, « Darfur », n° 04/02830 :« la seule faute personnelle des armateurs
ayant consisté à ne pas afficher les consignes écrites permettant à l’équipage de prendre les mesures urgentes en cas
de panne du moteur principal, ne peut être qualifiée de faute inexcusable commise avec témérité et en violation d’une
obligation essentielle au sens de la Convention de Londres ».
1186
Com. 8 oct. 2003, « Multitank Arcadia », DMF 2003. 1057, obs. P. Bonassies : «en retenant pour caractériser sa
faute inexcusable, que l’armement devait veiller à ce que la manœuvre d’accostage soit exécutée dans des conditions
de sécurité maximales en donnant instruction permanente au bord de faire démarrer les trois groupes électrogènes
nécessaires à l’alimentation du propulseur d’étrave, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
1187
Com. 30 oct. 2007, n° 05-19577 ; v. l’arrêt frappé de pourvoi, Bordeaux 13 mai 2005, DMF 2005. 839, obs.
Vialard.
315
La cour de renvoi1188 n’a pas hésité à dire que l’accident ne résultait pas d’un nombre insuffisant
d’officiers et de l’incompétence des marins, mais directement de la faute du capitaine, et de
relever que les armateurs ne pouvaient raisonnablement imaginer qu’un capitaine de navire
expérimenté, déciderait, de nuit, alors que son navire naviguait dans une zone dangereuse d’un
estuaire à proximité d’installations gazières et pétrolières, de quitter la passerelle, pour y laisser
seul le pilote, afin de se rendre dans la salle des machines pour effectuer une opération de
ballastage ne présentant aucun caractère d’urgence, alors même que son second se reposait et
qu’aucun marin n’effectuait une veille.

c)Appréciation

La faute inexcusable doit s’apprécier indépendamment des exigences du droit pénal. Ainsi
s’apprécie-t-elle de façon distincte des éléments constitutifs de l’infraction d’homicide
involontaire.1189 On peut se demander, en revanche, si l’appréciation doit se faire a priori ou a
posteriori. La seconde paraît préférable, car elle conduit le juge à rechercher ce qu’il aurait fallu
faire pour que le dommage – effectivement réalisé - n’arrive pas 1190. Un armateur peut subodorer
que son acte ou son omission causera sûrement (cas de la faute intentionnelle) ou probablement
(cas de la faute inexcusable) le dommage qui a effectivement eu lieu. Pour autant, sa faute n’est
pas nécessairement qualifiée. Par exemple, si la personne responsable savait que son attitude
entraînerait probablement le heurt d'un quai, elle ne sera pas tenue à une réparation illimitée
lorsque, contrairement à ce qu'elle avait envisagé, sa manœuvre entraînera non pas un heurt avec
le quai mais un abordage avec un navire à quai. La véritable question tient, semble-t-il, dans une
appréciation in abstracto ou in concreto du comportement de l’armateur1191.
Selon la méthode d’appréciation « in abstracto », le juge se réfère à un modèle abstrait, à un
modèle de conduite prédéterminé, en évitant ainsi de tenir compte des particularités affectant la
situation de la personne dont il juge la conduite. D’où le recours aux notions telles que celles du
« bon père de famille », du « bon professionnel », de l’homme « prudent et avisé », de l’« homme
raisonnable ».

La méthode d’appréciation « in concreto » conduit le juge à prendre en considération toutes les
circonstances concrètes, y compris celles qui touchent aux aptitudes de la personne dont il
analyse le comportement. Il s’agit ici d’apprécier la conduite de l’auteur du dommage par rapport
à lui-même : par rapport à la prudence et à la diligence qu’il exerce dans ses propres affaires. On
se demande alors s’il a fait le nécessaire ou du moins son possible, compte tenu de ses aptitudes
et de la connaissance effective de la situation.

Une appréciation « in concreto », subjective, de la faute inexcusable tenant compte des aptitudes
et des qualités de l’agent paraît préférable et, en tout cas, plus conforme aux intentions du
législateur international. La conscience de la gravité du dommage, élément déterminant de la
faute inexcusable, doit s’apprécier non pas à l’aune de ce que peut estimer un armateur prudent et
diligent, mais par rapport à ce que l’armateur en cause peut éprouver. C’est par rapport à ce que
l’on peut attendre de l’intéressé lui-même qu’il faut raisonner. Si, en tout cas, l’appréciation de la
1188
Bordeaux 14 janv. 2013, DMF 2013. 201, obs. Cachard.
1189
Com. 11 déc. 2012, DMF 2013. 142, rapp. Rémery, obs. S. Sana Chaillé de Néré, RD transp. 2013, n° 5, obs.
M. Ndendé, Il Diritto marittimo 2013. 148 et les obs.
1190
V. A. Sériaux, La faute du transporteur, 2e éd., n° 47.
1191
cf. Dejean de la Bâtie, Appréciation in abstracto et in concreto en droit positif français, LGDJ 1965.
316
faute inexcusable du transporteur de marchandises se fait aujourd’hui plutôt « in concreto », ce
n’est pas une raison pour dire que l’appréciation de la faute inexcusable de l’armateur doit se
faire avec les mêmes critères, car l’armateur a un statut qui intéresse les tiers.

Plus fondamentalement, il faut souligner que la faute inexcusable est une faute délibérée. Or, la
délibération ne se réduit pas à la seule volonté. Toute faute est volontaire, mais toute faute n’est
pas commise délibérément. La délibération suppose la prise en considération des conséquences
de l’acte que l’on veut poser, pour en peser les avantages et les inconvénients. Il existe un lien
étroit entre la faute délibérée et la conscience subjective des conséquences dommageables
probables ou certaines qui peuvent en découler.
La faute inexcusable suppose chez son auteur la conscience qu’il devait avoir de la probabilité du
dommage. C’est un acte téméraire commis en sachant qu’un dommage pourra probablement en
résulter. Une telle faute n’est donc juridiquement caractérisée que dans la mesure où son auteur
est effectivement disposé à en accepter les risques. Elle repose ainsi sur une appréciation
subjective.

La faute inexcusable exige de son auteur qu’il persiste dans un acte ou une omission sans avoir
égard à ses conséquences. Elle confine à la mauvaise foi, notion qui s’apprécie nécessairement
d’une manière subjective. En la matière, la mauvaise foi de l’agent ne traduit cependant aucune
intention de nuire ou de provoquer le dommage, ni même ne suppose la certitude que le
dommage va se réaliser. La mauvaise foi résulte simplement de ce que l’auteur de la faute avait
conscience du dommage devant lui et n’a rien fait pour l’empêcher, tout en ne pouvant pas
invoquer un motif légitime justifiant son inaction. Un tel comportement est assurément contraire
aux exigences de la bonne foi : il traduit une duplicité, élément qui au cœur de la mauvaise foi.
Dans la même perspective, il ne faut pas oublier que la faute inexcusable est considérée par les
textes comme une faute équivalente au dol, notion qui recouvre celle de mauvaise foi et se trouve
par hypothèse appréciée « in concreto ».

Dans ces conditions, lorsqu’il s’agit d’apprécier la notion de faute inexcusable, on ne saurait dire
que l’intéressé ne pouvait pas ne pas avoir conscience des conséquences dommageables de son
action ou de son omission personnels. Il faut s’assurer que l’intéressé avait effectivement
conscience du dommage. Il ne suffit pas de dire qu’il devait avoir une conscience aiguë des
risques de son action ou de son abstention. Pour caractériser la faute inexcusable, il faut se
demander si l’auteur avait des raisons de prévoir que l’événement dommageable surviendrait s’il
adoptait telle ou telle conduite, ce qui suppose, une fois encore, une appréciation concrète de la
diligence de l’intéressé.

Il faut ajouter que les textes parlent de « probabilité du dommage » et non de simple possibilité.
L’expression est utilisée à dessein, car le dommage possible est le dommage prévisible, le
dommage dont la survenance est particulièrement évidente. Or, celui qui ne prend pas les
mesures pour éviter un dommage prévisible commet une faute légère. La faute inexcusable ne
peut être juridiquement caractérisée que si son auteur a conscience de la probabilité du dommage
et non pas conscience de sa simple possibilité. Se contenter d’une simple possibilité du dommage
revient à diluer la notion de faute inexcusable au prix, en l’occurrence, d’une interprétation « très
rigoureuse pour les armateurs »1192. Cette dernière conception pose de surcroît le problème du

1192
MM. Bonassies et Scapel, n° 433.
317
degré de prévision (du dommage) exigé. Il est certain que plus on élève ce degré, plus on
dénature la notion de faute inexcusable, celle-ci perdant son caractère de faute d’une
exceptionnelle gravité.

d)Preuve

L'auteur de la faute intentionnelle ou inexcusable bénéficie de la limitation de responsabilité par


la simple preuve en justice, avant toute détermination du degré de sa faute par le tribunal, qu'il a
constitué la garantie exigée, par la convention et par la loi interne, du propriétaire du navire
responsable, et fixée par la Convention du 19 novembre 1976 en des chiffres destinés à une
dévaluation constante. Quant à la faute inexcusable, la charge de la preuve incombe certainement
à la victime. Elle peut être rapportée par tous moyens.
E. Obligation d’assurance

Aujourd’hui (cf. art. L. 5123-1), tout propriétaire inscrit d'un navire (à l’exception d’un navire
d’État ou d’un navire utilisé pour un service non commercial d’État) ou toute autre personne,
telle que l'affréteur coque nue, qui est responsable de l'exploitation du navire, doit souscrire une
assurance ou une autre garantie financière, avec ou sans franchise, lorsque ce navire bat pavillon
français ou entre dans un port français et que sa jauge brute est égale ou supérieure à 300. Cette
assurance ou cette garantie doit couvrir les créances maritimes soumises à limitation au titre de la
convention de 1976. En outre, le montant de l'assurance, pour chaque navire et par événement, ne
doit pas être inférieur au montant maximal applicable pour la limitation de responsabilité
conformément à la convention.
Un certificat d’assurance, dûment réglementé,1193 attestant que la garantie est en cours de validité
doit se trouver à bord. Cette obligation est sévèrement sanctionnée1194. En effet, lorsqu'un navire
ne dispose pas d'un certificat d'assurance conforme, l'autorité administrative compétente peut,
sans préjudice des mesures d'immobilisation ou d'ajournement de départ du navire qui peuvent
être rendues nécessaires pour des motifs de sécurité, prendre une décision d'expulsion du navire
(art. L. 5123-5) ; une telle décision ne va pas de soi et appelle de sérieuses précautions 1195. De
lourdes sanctions pénales sont également prévues (art. L. 5123-6).
1193
Art. D. 5123-1 : Les renseignements devant figurer dans le certificat mentionné à l'article L. 5123-1 émis par le
fournisseur de l'assurance ou de la garantie financière sont :
1° Le nom du navire, le numéro OMI d'identification du navire et le port d'immatriculation ;
2° Le nom et le lieu du principal établissement du propriétaire du navire ou, le cas échéant, du responsable de son
exploitation ;
3° Le type et la durée de l'assurance ou de la garantie financière ;
4° Le nom et le lieu du principal établissement de l'assureur ou du garant et, le cas échéant, le lieu de
l'établissement auprès duquel l'assurance ou la garantie a été souscrite.
Le certificat est traduit en français, en anglais ou en espagnol, s'il n'est pas rédigé dans l'une de ces langues.
1194
Art. R. 5123-2 - S'il est constaté, lors d'un contrôle opéré par les agents habilités en application de l'article L.
5123-7, l'absence à bord du navire du certificat requis en vertu de l'article L. 5123-1, ce constat est transmis au préfet
de département du port d'escale.
1195
cf. les prescriptions ci-dessous reproduites :
- art. R. 5123-3 - La décision d'expulsion d'un navire prévue à l'article L. 5123-5 est prise par le préfet du
département du port d'escale. Elle comporte mise en demeure de quitter le port dans un délai de 48 heures. Elle est
immédiatement notifiée au capitaine du navire, à l'autorité portuaire, au préfet maritime, à l'Etat du pavillon ou au
représentant consulaire ou diplomatique de ce dernier, à la Commission de l’UE et aux autres Etats membres.
Le capitaine est informé des sanctions prévues en cas de non-exécution de la mise en demeure, ainsi que de son
droit de recours.
318
§ 2. Règles de procédure

I.Constitution du fonds 

Lorsque l’ensemble des créances nées d’un même événement dépasse les limites de la
responsabilité déterminées par les textes, le montant global des répartitions dues par le
responsable est constitué, à sa diligence, en un fonds de limitation unique. Le fonds ainsi
constitué est affecté exclusivement au règlement des créances auxquelles la limitation est
opposable. Les autres créanciers, fussent-ils privilégiés, n’ont aucun droit sur ce fonds. Le fonds
prend la forme d’un dépôt en banque ; il peut aussi trouver son expression dans la délivrance
d’une garantie pour une somme correspondant aux limites de la responsabilité de l’armateur,
cette garantie servant au paiement de toutes les créances nées d’un même événement et pour
lesquelles la responsabilité peut être limitée1196.
La constitution du fonds n’est pas obligatoire1197. Elle est naturellement à conseiller en pratique et
intéressante pour l’armateur qui est ainsi débarrassé de ses créanciers, lesquels ne peuvent plus
exercer leurs droits que contre le fonds, et qui n’a plus à supporter les effets d’une saisie. Mais
rien ne s’oppose à ce que la limitation soit opposée ultérieurement. La limitation peut être
invoquée même si aucun fonds n’a été constitué. Elle peut être invoquée notamment devant le
juge saisi de l’action en responsabilité, voire devant le juge de l’exécution1198.
À l’inverse, rien ne s’oppose à ce que la limitation soit invoquée préventivement à l’initiative de
toute personne, tel le transporteur maritime dont la responsabilité peut être mise en cause, sans
que celle-ci ait été recherchée au préalable par une action en justice engagée à cette fin1199.

- art. R. 5123-4 - Le ministre chargé des transports maritimes est saisi des recours administratifs contre les
décisions de mise en demeure dans un délai de quinze jours francs à compter de leur notification.
Le recours ne suspend pas la décision d'expulsion du navire. Les autorités mentionnées à l'article R. 5123-3 sont
informées des suites de ces recours. Les notifications donnent lieu, le cas échéant, à des notifications rectificatives
aux mêmes autorités.
- art. R. 5123-5 - Le propriétaire ou l'exploitant d'un navire ayant fait l'objet d'une mesure d'expulsion d'un port
français en application de l'article L. 5123-5 doit, pour obtenir la levée de la mesure de refus d'accès consécutive à
cette expulsion, transmettre à l'autorité qui a prononcé l'expulsion un certificat d'assurance conforme aux dispositions
de l'article L. 5123-1.
La décision de lever un refus d'accès est notifiée dans les mêmes conditions que l'expulsion qui l'a motivé.
1196
Art. D. 5121-4 - En cas de versement en espèces, le juge-commissaire désigne l'organisme qui recevra les fonds
en dépôt. Ce dépôt est fait au nom du requérant ; aucun retrait ne peut intervenir sans autorisation du juge-
commissaire.
Les intérêts des sommes déposées grossissent le fonds (semble-t-il au taux légal, Douai 28 mai 1998, DMF 2001.
613.
v. égal. art. D. 5121-5 : Dans le cas où le fonds est représenté par une caution solidaire ou une autre garantie, cette
sûreté est constituée au nom du liquidateur. Aucune modification ne peut être apportée à la sûreté ainsi constituée
sans autorisation du juge-commissaire.
Les « produits » de la sûreté ainsi fournie grossissent le fonds (cette notion originale renvoie semble-t-il aux
intérêts.
1197
Elle est certainement facultative sous l'empire de la Convention de 1957 (contra CE 22 avr. 1988, DMF 1989.
94 concl. Guillaume et obs. Rézenthel ; Bonassies, Le droit positif français en 1989, DMF 1990. 26, n° 22) ; elle l'est
également sous l'empire de la Convention de 1976 (art. 10, § 1) : v. Rennes, 15 mars 1983, DMF 1983. 739, note Ph.
Godin ; Com. 2 févr. 2001, DMF 2002. 144, DMF 2003, HS 7, n° 46.
1198
MM. Bonassies et Scapel, n° 453.
1199
Com. 9 juill. 2013, n° 12-18.504, DMF 2014. 795, rapp. Rémery, obs. Bonassies, RD transp. 2013/4, p. 37, obs.
Ndendé.
319
Dans l'affaire du Heidberg, soumise à la convention internationale, la Cour de cassation a déclaré
que la constitution régulière du fonds par le propriétaire du navire responsable de l'accident
entraînait le bénéfice de la limitation, sans qu'il y eut lieu de rechercher si telle faute
intentionnelle ou inexcusable avait été commise par le bénéficiaire du fonds.
Il est permis de se demander si le propriétaire du navire, auteur de la faute, qui désire limiter sa
responsabilité, est à même de s'en prévaloir, uniquement lorsqu'une discussion contradictoire a
établi qu'il n'a commis aucune faute susceptible de mettre en échec la limitation de responsabilité.
La question se pose de savoir si le tribunal a le droit, par application de la Convention de 1976 et
de l'article 58 alinéa 3 de la loi du 3 janvier 1967, modifié par la loi du 21 décembre 1984 (art. L.
5121-9), de surseoir à statuer tant que la victime n'a pu prouver dans un temps raisonnable que
« le dommage résulte du fait ou de l'omission personnels du propriétaire du navire, commis avec
l'intention de provoquer un tel dommage ou commis témérairement et avec conscience qu'un tel
dommage en résulterait probablement. » Pour certains auteurs, 1200 ce serait au propriétaire qui
désire limiter sa responsabilité de s'en prévaloir, mais il ne pourrait le faire que lorsqu'une
discussion contradictoire a établi qu'il n'a commis aucune faute pouvant mettre en échec la
limitation de responsabilité, ou bien lorsque la victime, par son inaction prolongée, a renoncé à
apporter la preuve requise ou a échoué dans sa tentative. Pour d’autres, la convention imposerait
la mainlevée « automatique » de toute saisie pratiquée sur les biens du débiteur, dès lors qu'un
fonds de limitation avait été régulièrement constitué. C’est cette solution, discutée 1201, qui a
convaincu la Cour de cassation1202.
Rien ne s’oppose cependant à ce que les créanciers interviennent dans une procédure de
constitution d’un fonds, pour bloquer le mécanisme de mainlevée de la saisie1203.

II.Montant 

Le propriétaire se libère des dettes nées d'un même événement et répondant aux conditions ci-
dessus en constituant un fonds de limitation. « Il n'est pas responsable au-delà ». Ce fonds est
d'un montant égal au produit de deux nombres : le premier est l'expression du tonnage du navire,
le second une certaine somme. Le tonnage est établi compte tenu des indications de la
Convention internationale de 1957 dans les 5e et 7e de son article 3 (art. 66). Le second est le
chiffre même de la Convention.

Ainsi, dans l'affaire du Torrey Canyon, ce pétrolier libérien qui sombra au large des îles
Sorlingues déversant dans la Manche son énorme cargaison de pétrole, le propriétaire pouvait se
libérer des dettes nées de cet événement en constituant, si la loi anglaise (identique à la loi
française de 1967) était applicable, un fond de limitation de 48 500 x 1 000 francs Poincaré, soit
48 500 000 F, ou approximativement 154 millions FF., alors que les dépenses faites par les
Gouvernements anglais et français pour conjurer ou limiter les effets de cette « marée noire »
dépassaient de beaucoup ce chiffre. À l’époque, il n'y avait pas de règle particulière aux pétroliers
(v. ss 892 s.).
1200
Vialard, DMF 1993. 706 s.
1201
 Cf. T. com. Bordeaux, 23 sept. 1993, DMF 1993. 706, obs. Clemens Jones.
1202
Com. 23 nov. 1993, DMF 1994. 36, obs. Bonassies ; égal. DMF 1993. 706, obs. Vialard : « après la constitution
d’un fonds, la mainlevée de la saisie conservatoire doit être ordonnée ». Plus général. P. Bonassies, problèmes et
avenir de la limitation de responsabilité, DMF 1993. 95 s. Il faut préciser que la mainlevée doit être automatiquement
prononcée si le fonds a été constitué dans l’un des quatre lieux mentionnés par la convention (art. 13), v. Com. 5
janv. 1999, DMF 1999. 130, rapp. Rémery, obs. Vialard.
1203
MM. Bonassies et Scapel, n° 446.
320
Conformément à la Convention de 1976, le fonds de limitation comporte trois parties affectées
respectivement :- au règlement des créances pour mort ou lésions corporelles des passagers.
- au règlement des créances pour mort ou lésions corporelles des personnes autres que les
passagers.
- au règlement des autres créances.
Pour chaque partie du fonds, la répartition se fait entre les créanciers proportionnellement au
montant de leurs créances reconnues.
Lorsque le montant des créances pour mort ou lésions corporelles de personnes autres que les
passagers dépasse le montant de la limitation de responsabilité fixée pour ces créances prévues au
2e, l'excédent vient en concurrence avec toutes les créances autres que celles résultant ou de mort
ou de lésions corporelles prévues au 3e.

Le Protocole du 2 mai 1996 est venu accroître sensiblement le montant des limitations. Il est en
vigueur depuis le 23 juillet 2007.

Pour les créances pour mort ou lésions corporelles, la réparation sera limitée à 2 millions de DTS
pour un navire dont la jauge n’excède pas 2 000 unités ; pour les navires de jauge supérieure,
seront ajoutés 800 DTS par tonneau de 2001 à 30 000 unités ; 600 DTS par unité de 30 001 à
70 000 tonneaux ; 400 DTS au-delà de 70 000 unités.

Pour les autres créances, les limites sont fixées à 1 million de DTS pour un navire dont la jauge
ne dépasse pas 2 000 unités ; pour les navires de jauge supérieure, seront ajoutés 400 DTS par
tonneau de 2 001 à 30 000 unités de jauge ; 300 DTS par tonneau de 30 001 à 70 000 unités ; 200
DTS par tonneau au-dessus de 70 000 unités.
En ce qui concerne les limites de responsabilité applicables aux navires d’une jauge inférieure à
300 tonneaux, l’ordonnance 2011-635 du 9 juin 2011 est venue mettre fin aux incertitudes
juridiques nées de l’entrée en vigueur du protocole en modifiant le dernier alinéa de l’art. L.
5121-5 du Code des transports. Désormais, il est acquis, pour ces navires, que les limites de
responsabilité sont égales à la moitié de celles fixées par les dispositions de l’art. 6 de la
convention pour les navires dont la jauge est inférieure ou égale1204

III.Procédure 

Les règles sur la mise en œuvre du fonds sont assez proches de celles applicables dans le cadre
d’une procédure collective classique, c’est-à-dire de liquidation judiciaire : il faut ouvrir la
procédure, puis inviter les créanciers à se manifester, vérifier leurs créances, les admettre,
procéder aux répartitions et réaliser les paiements. Il s'agit d'appliquer à des créanciers (qu'il faut
déterminer) une somme d'argent fixe, produite ici non par la vente des biens d'un débiteur, mais
par un fonds de garantie. Une différence profonde, il est vrai, sépare les deux procédures. Le
commerçant qui cesse ses paiements est en difficulté et le jugement qui prononce la procédure de
liquidation va lui ôter au moins provisoirement la libre administration de ses biens, tandis que le
propriétaire du navire reste in bonis. Aussi ne va-t-on pas rencontrer ces mesures de quasi
inquisition qui caractérisent les procédures de faillite. On comprend également que le propriétaire
du navire soit davantage associé à la procédure que ne l'est un débiteur défaillant. Ici, la situation
1204
v. déjà, TGI Sables d’Olonne 7 janv. 2011, DMF 2011. 607, obs. de Sentenac. Ainsi, la limite est-elle de 1
million de DTS pour les créances de lésions corporelles et pour les autres de 500 000 DTS ; égal. Rouen 14 févr.
2013, DMF 2013. 875, obs. Bonassies.
321
est plus simple. Si la « faillite » oblige les créanciers à se contenter de ce que son issue leur
donnera, ils resteront créanciers pour le surplus, sauf à leur créance à n'avoir plus que la force
d'une obligation naturelle, tandis que le propriétaire du navire est définitivement libéré par la
constitution du fonds. Il reste qu’il s'agit dans un cas comme dans l'autre d'éviter des paiements
anarchiques dus à la plus grande célérité de certains créanciers. L'égalité sera l'âme de
l'institution, comme elle est celle de la « faillite ».

IV.Requête

La procédure est détaillée : elle est réglée par les articles D. 5121-1 s. C. transp. reprenant les art.
59 s. du décret n° 967 du 27 octobre 1967. Cette procédure, que la convention internationale ne
règle pas, a été inspirée par un projet établi au cours des années 1958-1959 par l'Association
française du droit maritime.
La procédure s'ouvre à la diligence de la personne qui entend bénéficier de la limitation (art. D.
5121-1). Aucune condition de délai n’est prévue1205. L’intéressé doit présenter sa requête au
Président du tribunal de commerce1206 du port d'attache du navire s'il s’agit d’un navire français,
s'il s'agit d'un navire étranger, du port français où l'accident s'est produit ou du premier port
français atteint après l'accident ou, à défaut de l'un de ces ports, du lieu de la première saisie ou
du lieu où la première sûreté a été fournie.
La requête doit énoncer (art. D. 5121-2) :
1° l'événement au cours duquel les dommages sont survenus ;
2° le montant maximum du fonds de limitation, calculé conformément aux dispositions de
l’article L. 5121-6 ;
3° les modalités de constitution de ce fonds.
À la requête sont annexés :
1° l'état certifié par le requérant des créanciers connus de lui, avec, pour chacun, les indications
de son domicile, de la nature et du montant définitif ou provisoire de sa créance ;
2° toutes pièces justifiant le calcul du montant du fonds de limitation.

Le Président du tribunal vérifie l'exactitude du calcul présenté par le requérant ; il ouvre, s'il en
est satisfait, la procédure de constitution du fonds, se prononce sur les modalités de constitution
du fonds et nomme un juge-commissaire1207 et un liquidateur. Il se prononce par ordonnance au

1205
Com. 16 nov. 2010, DMF 2011. 212, rapp. Rémery, obs. Bonassies.
1206
 Dont la compétence exclut celle du tribunal administratif, même si, au fond, celui-ci est compétent pour
connaître de l'existence et fixer le montant de la dette du propriétaire du navire : Rodière, Traité, Introduction et
armement, 1976, n° 497. v. en ce sens TA Marseille 7 juill. 1983, Préfet des Bouches-du-Rhône c. Société bretonne
de cabotage, Revue Scapel 1983, p. 37 ; DMF 1984. 155, obs. P. Pestel-Debord ; CE 22 avr. 1988, DMF 1989. 311,
obs. Pestel-Debord ; Bonassies, Le droit positif français en 1989, DMF 1990. 28, n° 25. Dans les litiges
intracommunautaires, il faut se référer à l’art. 7 du règlement 44/2001 qui prévoit que le Tribunal compétent des
actions en responsabilité du fait de l’exploitation d’un navire connaît aussi des demandes relatives à la limitation : v.
Rouen 26 juill. 2000, Darfur, DMF 2001. 109, obs. Bonassies ; la question est de savoir si le tribunal du fonds a une
compétence exclusive pour se prononcer sur le droit à limitation : rien n’est moins sûr. L’action en constitution du
fonds et l’action en responsabilité n’ont ni le même objet ni la même cause, v. CJCE 14 oct. 2004, DMF 2005. 26,
obs. Bonassies, Rev. crit. DIP 2005. 118, note Pataut.
1207
 L'absence de désignation d'un juge commissaire entraîne la nullité de la constitution du fonds (Rennes
30 mars 1988, DMF 1989. 24, obs. Rémond-Gouilloud et D. Lefort ; Bonassies, Le droit positif français en 1989,
DMF 1990. 27, n° 23). Mais cette nullité ne fait pas obstacle à la présentation d'une nouvelle requête, l'exercice du
droit à la limitation de responsabilité n'étant soumis à aucun délai de prescription ou de déchéance.
322
pied de la requête (art. D. 5121-3)1208. Nonobstant la désignation du juge-commissaire et du
liquidateur, le requérant est appelé et peut intervenir à tous les actes de la procédure (art. D.
5121-8).

V.Effets de la constitution du fonds. Perte des privilèges 

Une ordonnance du Président du tribunal constate la constitution du fonds, à la demande du


requérant et sur le rapport du juge-commissaire (art. D. 5121-6).
Tout créancier est en droit de la contester, même après la constitution du fonds 1209. Il peut le faire
devant le tribunal saisi de l’action principale et pas nécessairement devant le tribunal où le fonds
a été constitué. Le fonds est affecté au règlement des créances concernées. Après sa constitution,
aucun droit ne peut être exercé, pour les mêmes créances, sur d’autres biens du responsable par
les créanciers auxquels le fonds est réservé, dans la mesure où le fonds de limitation est
disponible (art. L. 5121-6, al. 3). Il est même prévu que l’éventuelle procédure collective ouverte
contre le requérant postérieurement la constitution du fonds n’affecte pas les droits des créanciers
(art. D. 5121-12)1210.
Il résulte de ces textes, mais aussi de l’institution même de la limitation de responsabilité, que les
créanciers perdent le droit d’invoquer leurs éventuels privilèges. La règle ne porte pas atteinte au
droit des privilèges dont on sait qu’ils sont reconnus par la loi. En effet, elle vise en fait tous les
créanciers de l’armateur ou du responsable qui bénéficient en raison de la situation (abordage,
avarie…) d’un privilège. Dans la mesure où chacun des créanciers concernés perd son privilège
et puisqu’aucun privilège n’est maintenu, la règle ne lèse aucun créancier1211.

En revanche, on notera que cette constitution ne traduit de la part de l’intéressé une


reconnaissance de responsabilité (art. L. 5121-8)1212. Elle peut n'avoir qu'un effet conservatoire de
son droit à obtenir ultérieurement et éventuellement le bénéfice de la limitation de responsabilité
et lui servir sur-le-champ à obtenir mainlevée de la saisie de ses biens.

VI.Procédures d’exécution

À partir de l’ordonnance constatant la constitution du fonds, les créances cessent de produire


intérêt et aucune mesure d'exécution n'est possible contre le requérant pour des créances
auxquelles la limitation est opposable (art. D. 5121-7). Le décret emploie ici une expression
insuffisamment forte. Il est exact que toute mesure d'exécution est alors interdite à ces créanciers,
mais cela tient à une raison supérieure à savoir que l’armateur n'est pas obligé à plus que le
montant du fonds. En d'autres termes, pour employer la distinction allemande du Schuld et de

1208
 Le juge auquel est demandée l'ouverture d'une procédure de constitution d'un fonds de limitation ne peut refuser
cette constitution au motif que l'armateur requérant aurait commis une faute inexcusable lui interdisant de se
prévaloir de la limitation de responsabilité (v. ss 868 ; égal. Bastia, 24 mai 1988, DMF 1989. 532). En effet, l'article
D. 5121-3 n'accorde au juge saisi d'une requête en constitution d'un fonds de limitation que le pouvoir de vérifier si
le montant du fonds de limitation a été correctement calculé. Toutefois, dans une phase ultérieure de la procédure, ce
juge pourra se prononcer sur la question parce que tout juge statuant sur requête peut rétracter son ordonnance (C. pr.
civ., art. 17).
1209
Com. 3 avr. 2002, Stella Prima, DMF 2002. 460, obs. I. Corbier, DMF 2003, HS 7, n° 47, obs. Bonassies.
1210
Sous réserve des articles 631-8 et 632-1 C. com.
1211
MM. Bonassies et Scapel, n° 451.
1212
 T. com. Marseille 10 sept. 1985, Revue Scapel p. 47. Il en va de même du simple fait d’invoquer la limitation.
323
l’Haftung, ce n'est pas seulement l'obligation, c'est la dette elle-même qui se trouve limitée. Aussi
l'article D. 5121-26 dira-t-il que le paiement sur le fonds éteint la dette.
L'article L. 5121-9 tire de cet effet principal la conséquence que le propriétaire, en justifiant de la
constitution du fonds, peut obtenir la mainlevée de la saisie de son navire ou de tout autre bien lui
appartenant. C'est avec cette ordonnance que commencera la procédure destinée à assurer la juste
répartition du fonds. En effet, postérieurement à l'ordonnance prévue à l'article D. 5121-6, le
liquidateur informe de la constitution du fonds tous les créanciers dont le nom et le domicile sont
indiqués par le requérant.
Cette communication, faite par LRAR, porte copie de l'ordonnance susvisée et indique :
1° Le nom et le domicile du propriétaire du navire ou de tout autre requérant avec mention de sa
qualité ;
2° Le nom du navire et son port d'attache ;
3° L'événement au cours duquel les dommages sont survenus ;
4° Le montant de la créance du destinataire de la lettre d'après le requérant.

VII.Procédure en vue de la répartition du fonds

Une fois le fonds constitué, il appartient aux créanciers dûment informés, de déclarer leurs
créances. Aucune forme particulière n’est requise : il revient aux créanciers de justifier de leurs
créances1213. L’armateur lui-même peut être appelé à déclarer sa créance : tel est le cas si avant la
répartition du fonds, il a payé en tout ou partie un créancier. Il est alors autorisé à prendre, à due
concurrence, les lieu et place de son créancier dans la distribution du fonds (art. L. 5121-11) 1214.
La loi prévoit également le cas où le constituant se trouve de son côté créancier d'un des
créanciers, pour une créance née du même événement : la compensation peut jouer (art. D. 5121-
97). Hors ce cas, les créances ne peuvent bénéficier de la compensation.
Enfin se trouvent réglées deux situations : celle des versements provisoires (art. D. 5121-25) et
celle des retenues pour paiement à effectuer par le constituant (art. D. 5121-11) - Lorsque le
requérant établit qu'il pourrait être ultérieurement contraint de payer en tout ou en partie une des
créances visées à l'article L. 5121-11, le juge-commissaire peut ordonner qu'une somme
suffisante soit provisoirement réservée pour permettre au requérant de faire ultérieurement valoir
ses droits sur le fonds aux conditions indiquées audit article L. 5121-11).

La procédure se réduit à des actes qui tendent à aviser les créanciers dont le droit est né de
l'événement qui a motivé la constitution du fonds. D'où, d'une part, des mesures de publicité
(art. 5121-15) ; d'autre part, des avis individuels ou collectifs (art. D. 5121-13, 14 et 15) ; enfin,
des mesures de vérification de ceux qui se prétendent créanciers (art. D. 5121-16)1215. 
L'état des créances est arrêté par le juge-commissaire (art. D. 5121-17) et copie en est adressée à
chaque créancier (art. 5121-18).
1213
Un titre n’est pas nécessaire : Aix-en-Provence 2 déc. 1986, DMF 1989. 694.
1214
Cette possibilité ne peut cependant s’exercer que si le droit de l’Etat où le fonds est constitué permet au
créancier de faire reconnaître sa créance à l’encontre de l’armateur (art. L. 5121-11, al. 2).
1215
Le liquidateur procède à la vérification des créances en présence du requérant. Si le liquidateur ou le requérant
conteste l'existence ou le montant d'une créance, le liquidateur en avise aussitôt le créancier intéressé par lettre
recommandée avec demande d'avis de réception ; ce créancier a un délai de trente jours pour exprimer ses
observations, écrites ou verbales. Ce délai est augmenté de dix jours pour les créanciers domiciliés hors de la France
métropolitaine et en Europe et de vingt jours pour ceux domiciliés dans toute autre partie du monde.
Le liquidateur présente au juge-commissaire ses propositions d'admission ou de rejet des créances).
324
Le décret règle également les diverses questions que pose une procédure de ce type et qui
tiennent essentiellement au souci de ménager à chaque intéressé la défense de ses intérêts tout en
évitant que l’affaire ne traîne en longueur ; c’est pourquoi :
- Tout créancier porté sur l'état mentionné à l’article D. 5121-17 est admis, pendant un délai de
trente jours à compter de la date d'envoi de la lettre visée à l'article D. 5121-18, à formuler au
greffe, par voie de mention sur l'état, des contredits sur toute créance autre que la sienne. Ce délai
est augmenté de dix jours pour les créanciers domiciliés hors de la France métropolitaine et en
Europe et de vingt jours pour ceux domiciliés dans toute autre partie du monde. Le requérant a le
droit de formuler des contredits dans les mêmes formes et délais (art. D. 5121-19) ;

- Les contredits sont renvoyés par les soins du greffier, après avis donné aux parties trois jours au
moins à l'avance par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à la première
audience, pour être jugés sur le rapport du juge-commissaire si la matière est de la compétence du
tribunal de commerce (D. 5121-20).

- Tout créancier peut, jusqu'à l'expiration des délais fixés à l'article D. 5121-19, contester le
montant du fonds de limitation par réclamations déposées au greffe. Ces réclamations sont
renvoyées par les soins du greffier au tribunal de commerce pour être jugées dans le délai prévu à
l'article D. 5121-19 (art. 5121-21).

- Les créances qui échappent à la compétence du tribunal de commerce du lieu de constitution du


fonds ne peuvent être inscrites pour leur montant définitif que lorsque la décision de la juridiction
compétente est devenue définitive, mais elles doivent être mentionnées à titre provisoire (art. D.
5121-22).

VIII.Voies de recours

Le délai d'appel est de quinze jours à compter de la signification des jugements statuant sur le
montant des créances, les contredits ou le montant du fonds de limitation. L'appel est jugé
sommairement par la cour dans les trois mois. L'arrêt est exécutoire sur minute (art. D. 5121-27).
Les ordonnances du juge-commissaire prises en application des articles D. 5121-17 et D. 5121-25
peuvent être frappées d'opposition dans le délai prévu à l'article D. 5121-19. L'opposition est
formée par simple déclaration au greffe. Le tribunal statue à la première audience. (art. D. 5121-
28).
Les ordonnances du président du tribunal de commerce relatives à la nomination ou au
remplacement du juge-commissaire ou du liquidateur ne sont susceptibles d'aucune voie de
recours (art. D. 5121-29).

IX.Répartition. Égalité des créanciers

Le principe de la répartition est l'égalité des créanciers auxquels la limitation est opposable pour
un événement donné. La répartition se fait entre eux proportionnellement au montant de leurs
créances reconnues. Il n'y a pas, comme nous l’avons vu, de créanciers privilégiés sur le fonds.

325
L'application en est proposée par le liquidateur 1216 en tenant compte d'une part du montant du
fonds, d'autre part de l'état des créances admises.
Précisons que la distribution des fonds ne concerne que les créanciers dont la créance est affectée
par la limitation. Les autres (marins et assistants) ne peuvent agir que dans les conditions du droit
commun, ce qui, en fait, ne leur est pas favorable 1217. En effet, ces derniers ne peuvent recouvrer
leurs créances que sur le patrimoine de leur débiteur ; mais encore faut-il que ce patrimoine
puisse servir de gage à ces créanciers. Le plus souvent, il s’agit d’une coquille vide ou trop
lointaine pour être appréhendée.

X.Règlement des créanciers

Lorsque le montant du fonds de limitation est définitivement fixé et que l'état des créances
admises est devenu définitif, le liquidateur présente le tableau de distribution au juge-
commissaire.
Chaque créancier en est informé par le liquidateur, avec indication du montant du dividende qui
lui reviendra. Il reçoit en même temps un titre de perception signé du liquidateur et du juge-
commissaire et revêtu de la formule exécutoire. Sur présentation de ce titre, le créancier est réglé
par le « dépositaire des fonds » ou par le requérant s'il n'y a pas eu versement en espèces ; à
défaut, il est réglé au moyen de la garantie ou pour la caution fournie.

Le paiement à chaque créancier du dividende qui lui revient éteint sa créance à l'égard du
requérant (art. D. 5121-26). Lorsque tous les paiements ont eu lieu, la procédure est déclarée
close par le président du tribunal sur le rapport du liquidateur, visé par le juge-commissaire.

Le liquidateur, ayant fait ses comptes, informe chaque créancier du résultat et prépare un titre de
perception qu'il signera avec le juge-commissaire. Le créancier sera réglé sur ce titre.

On voit comment, avec le temps, la règle de la limitation a perdu ses contours fermes. Son sens
historique s'est effacé. Dans le système de la Convention de 1957, à l'imitation de la common
law, la responsabilité forfaitaire calculée à tant de francs par tonneau de jauge ne représente plus
la valeur du navire et du fret. Elle n'en est qu'une représentation fictive mais commode, obtenue
après des tractations et des discussions d'intérêts entre armateurs et autres usagers de la mer. Mais
l'institution ne perd pas totalement son sens primitif. Seule la technique qui l'exprime varie. Et
cette technique est elle-même fonction des changements de l'exploitation commerciale des
navires. La fortune de mer était liée à la notion de voyage en mer. Celle-ci ne répond plus à une
réalité. Il est désormais difficile d'isoler, dans la suite des campagnes ou des rotations d'un navire,
la fortune de mer afférente à tel ou tel de ses voyages. Le système forfaitaire des Conventions de
1957 et de 1976 et de la loi du 3 janvier 1967 est d'un maniement autrement commode que
l'abandon de notre article 216, trop proche des modes anciens de la navigation commerciale, trop

1216
 La procédure de liquidation du fonds implique la mise en cause du liquidateur. Il ressort en effet de Rennes 3
oct. 1985 (DMF 1986. 99 ; Rémond-Gouilloud, Les surprises du « fonds », ibid., 89 s., pourvoi rejeté par Com.
21 juill. 1987, DMF 1988. 731), rendu dans l'affaire de l'Amoco-Cadiz, que le liquidateur avait été mis en cause (op.
cit. 102). C'est parce que la cour estime que la Convention CLC de 1969 postule la création d'un système autonome
d'évaluation des créances et de répartition du fonds, solution qui conduit à écarter l'application du décret du
27 oct. 1967, que le liquidateur se voit mis hors de cause (op. cit., 104). A contrario, dans le cadre de la Convention
de 1976, le liquidateur doit donc être mis en cause.
1217
MM. Bonassies et Scapel, n° 450.
326
représentatif d'un état économique disparu1218. Les Conventions de 1957 et 1976 ne s'arrêtent plus
au voyage en mer et il n'y a plus de fortune de mer par voyage. L'unité indivisible de compte est
l'événement qui est à l’origine des créances contre le propriétaire. La même notion va dominer le
régime spécial de la responsabilité des propriétaires de navires à propulsion nucléaire (v. ss 880).

1218
 Sans contester la supériorité du système de la Convention de 1957 (adopté par notre loi de 1967), le doyen
Rodière lui préférait un autre système, celui de l'abandon en valeur (cf. Rodière, « La limitation de responsabilité du
propriétaire de navire ; passé, présent et avenir », DMF 1973. 259).
327
CHAPITRE 2
LES RÉGIMES SPÉCIAUX DE RESPONSABILITÉ

L'article L. 5121-1 réserve expressément l’application des régimes spéciaux de responsabilité.


Autrement dit, le régime général de responsabilité que l’on vient de décrire souffre un certain
nombre de dérogations compte tenu de régimes spéciaux de responsabilité prévus par certains
textes nationaux ou internationaux. Ces régimes sont de plus en plus nombreux et concernent les
créances nées de dommages nucléaires, les créances nées de dommages résultant de la pollution
par les hydrocarbures et des créances encore plus particulières en raison de dommages causés par
des substances toxiques ou encore par les hydrocarbures de soutes. Il faudra aussi se demander,
même si les textes spéciaux ne disent rien pour l’instant, comment traiter les dommages liés à
l’exploitation des plates-formes.

SECTION 1. DOMMAGES NUCLÉAIRES

§1. Navires à propulsion nucléaire et cargaisons nucléaires 

Les règles établies anciennement pour la marine à voile ont pu sans injustice être appliquées aux
dommages causés par les engins motorisés. Il n'en va pas de même pour les navires à propulsion
nucléaire.
L'immensité des dommages que l'on croit susceptibles d'être causés par l'explosion de réacteurs,
leur diffusion dans l'espace et leur étalement dans le temps, d'une part ; le souci de concilier les
besoins d'indemnisation des victimes avec les possibilités de l'exploitation commerciale des
navires atomiques, d'autre part ; enfin, le besoin de rechercher, à l'échelle mondiale, la solution
d'un problème qui intéresse tous les peuples, aussi bien ceux des exploitants que ceux des
éventuelles victimes, ces diverses raisons ont conduit à mettre en chantier une convention
internationale spéciale.
Après des travaux conduits par le Comité maritime international, en particulier à Anvers en
juillet 1959, et à Rijeka en septembre 1959, un projet de convention fut soumis à la Conférence
diplomatique de Bruxelles. Après un échec en 1961, le texte fut repris et discuté à Bruxelles en
1962 et aboutit alors à une convention signée le 25 mai 1962. Mais le texte de cette convention
n'a été signé ni par les États-Unis, ni par l'URSS, car il eut l'audace de ne pas exclure totalement
les navires de guerre du champ d'application de la convention (v. art. 1-11, et a contrario art. X-
3). Trois seulement des 15 pays qui l'ont signée l'ont ratifiée et cette convention n'est pas entrée
en vigueur.
L'annonce de l'arrivée du navire « Savannah » dans les eaux européennes avait conduit les pays
qui devaient l'accueillir à conclure un accord bilatéral avec les États-Unis et à élaborer une loi
nationale sur le modèle de la Convention de 1962. Tel fut le cas de la Belgique, des Pays-Bas, de
la République Fédérale d'Allemagne.
Le consensus sur les principes est établi. De cet accord témoigne l'étude comparée des divers
textes que l'on rencontre en la matière, dont un seul intéresse l'unique problème de la
responsabilité des navires à propulsion nucléaire, tous les autres concernant d'une façon générale
les suites dommageables de l'emploi pacifique de l'énergie nucléaire. Le premier visé est le texte
américain relatif à l'exploitation du navire « Savannah ». Les autres sont la loi américaine de

328
1954, modifiée par l'amendement Price-Anderson de 1957, la loi allemande du
29 décembre 1959, les lois suédoise et suisse de 1960, la Convention complémentaire signée à
Bruxelles le 31 janvier 1963, l'une et l'autre avec un protocole additionnel (Paris,
28 janv. 1964)1219, enfin la loi française de portée transitoire n° 955 du 12 novembre 1965,
modifiée par la loi n° 1045 du 29 novembre 19681220 et par la loi n° 88-1093 du
1er décembre 1988 (D. 1988. 489) pour ne citer que les plus importantes. La loi française est
désormais contenue dans les articles L. 5122-1 à 24 du Code des transports et complétée par les
articles D. 5122-1 et 21221.

§2. Convention de 1962 

Le texte est assez complet et prévoit une responsabilité très originale.


Son domaine est limité quant aux navires et aux dommages.
Seuls sont intéressés par la convention les bâtiments de mer à propulsion nucléaire ; le seul fait de
transporter des produits nucléaires ne fait pas tomber le navire sous l'empire de la convention 1222.
La convention ne distingue pas suivant l'affectation du navire ; les navires de guerre y sont
soumis comme les navires de commerce.
Les dommages corporels et matériels sont seuls visés par la convention. Encore en exclut-on ceux
qui ont été causés au navire lui-même, à ses agrès et apparaux. La convention ne joue pas lorsque
l'origine de l'accident est la guerre, la rébellion ou l'insurrection.
Le régime institué par la convention s'inspire de principes que l'on rencontre dans les divers
textes précités.
- La responsabilité est concentrée sur l'exploitant du réacteur ; elle ne remonte pas au
constructeur ni au vendeur ; c'est donc la responsabilité de l'armateur qui a obtenu l'autorisation
d'exploiter le réacteur qui est en cause ;
- cette responsabilité opère de plein droit ; elle est objective, si bien qu’il n'est pas besoin de
découvrir la faute du capitaine ou celle de quelque autre personne ;
- elle est absolue en ce sens que l'armateur responsable ne peut pas se libérer en établissant que le
dommage est dû à la force majeure ; c’est, à notre connaissance, le seul texte qui va aussi loin
dans l’alourdissement de la responsabilité qui confine ainsi à la garantie.
1219
 Publiés par le décret n° 196 du 18 mars 1975, JO, 27 mars ; JCP 1975.III.42681.
1220
 La loi de 1965 (JO 13 nov.), modifiée par la loi du 29 nov. 1968 (JO 30 nov.) a été complétée par le décret
n° 690 du 19 juin 1969 (JO 22 juin) pris pour son application. Les conventions nucléaires de Paris et de Bruxelles
précitées furent révisées enfin en 1982 mais les protocoles n'entreront pas en vigueur avant plusieurs années. Ces
conventions s'appliquent aux accidents nucléaires survenus sur des installations nucléaires et aux dommages subis
sur le territoire d'une partie contractante y compris les eaux territoriales, ainsi qu'au transport de substances
nucléaires (du Pontavice et P. Cordier, Droit de la mer : problèmes actuels, p. 468). Sur la réparation, v. en dernier
lieu Deprimoz, Les exploitants nucléaires face aux organismes de protection sociale ou les faux semblants d'un droit
universel, JCP 1985-I-3199. La Convention de 1962 déroge au droit commun de la limitation de responsabilité (cf.
Convention de 1976, art. 3).
1221
D’autres mesures particulières sont prévues. Ainsi, cf. art. R 5122-2, l’entrée de tout navire nucléaire étranger
dans les eaux intérieures et les ports français est subordonnée à une autorisation des autorités françaises. Cette
autorisation est demandée par l'Etat du pavillon au ministre des relations extérieures.
La demande d'autorisation est accompagnée de toutes indications relatives à la nature et au montant des garanties
fournies par l'Etat du pavillon et l'exploitant du navire pour la réparation des dommages nucléaires.
1222
V. à cet égard, la Convention relative à la responsabilité civile dans le domaine du transport maritime de
matières nucléaires, signée à Bruxelles le 17 sept. 1971 sous les auspices de l’OMI, entrée en vigueur le 15 juill.
1975 et ratifiée par la France.
329
Ces règles sont évidemment contraires à la tradition maritime. Il ne faut pas dire que celle-ci doit
être écartée parce que le risque nucléaire n'est pas un risque maritime ; car si le motif était bon il
aurait dû exclure l'incendie des prévisions des lois maritimes. Il faut reconnaître que le droit
maritime traditionnel a été élaboré, conçu et s'est développé dans des conditions qui ne
permettent pas de l'adapter aux risques nucléaires. Si l'on en était resté là, les exploitants de
navires nucléaires eussent été justement effrayés par la perspective de leur responsabilité, cela
d'autant plus qu'aucun groupement d'assureurs n'eût accepté de les couvrir contre de pareils
risques.
Il fallait donc prévoir une limitation de responsabilité. On s'est arrêté à l'idée d'une limitation de
responsabilité par accident, indépendamment du nombre des navires ou des réacteurs impliqués
dans l'événement. Toutes les victimes d'un accident donné devront se contenter d'une certaine
somme forfaitaire : un milliard et demi de francs-or Poincaré (ou aujourd’hui l’équivalent en
DTS), pour un même accident nucléaire, en ce qui concerne un même navire nucléaire (art. 3).
L'exploitant est tenu de maintenir une assurance (ou toute autre garantie financière) pour couvrir
sa responsabilité. L'État dont émane la licence d'exploitation garantit d'ailleurs subsidiairement le
paiement des indemnités dans la limite du milliard et demi, plafond de la réparation due par
l'exploitant.
La convention a fixé à 10 ans en principe la durée de la prescription extinctive du droit des
victimes (art. 5). On pouvait hésiter parce que, d'un côté il faut assez vite savoir à quelle somme
de dommages on aura affaire et que, d'un autre côté, la révélation des dommages d'origine
nucléaire peut être très tardive.
On notera enfin que la signature de la convention ne préjuge en rien du droit que conservent les
États de refuser l'accès de leurs eaux et de leurs ports aux navires nucléaires dont l'exploitation a
été autorisée par un autre État contractant et même si ce navire s'est en tout point conformé aux
obligations que lui impose la convention nouvelle (art. 17).

§3. Droit interne. Conditions de la responsabilité 

La loi française de 1965 n'a pas été calquée sur la Convention de 1962, mais s'inspire des mêmes
principes (art. L. 5122-1 à 24).
La responsabilité pèse sur l'exploitant. Le propriétaire du navire en est considéré comme
l'exploitant depuis le lancement du bâtiment jusqu'au jour où l'exploitation du navire est
autorisée. À partir de ce jour l'exploitant est la personne autorisée à exploiter. Pratiquement, la
licence d'exploitation sera donnée au propriétaire.
Cet exploitant est responsable de plein droit et à l'exclusion de toute autre personne des
dommages nucléaires causés par un accident nucléaire. Les représentants du Commissariat à
l'Énergie Atomique, lors des discussions préparatoires de la loi, ont tenu à cette double précision.
On appelle « dommage nucléaire » celui qui provient en tout ou en partie des propriétés
radioactives du combustible nucléaire ou des produits ou déchets radioactifs du navire. En
revanche, « l'accident nucléaire » n'est pas, en lui-même, défini.
Cependant, trois catégories de dommages nucléaires ne donnent pas lieu à responsabilité :
- les dommages subis par le navire lui-même, ses agrès ou apparaux, son combustible et ses
provisions ;
- les dommages imputables à la guerre, civile ou étrangère, à des hostilités ou à une insurrection ;
- les dommages subis par la victime lorsque l'origine en est imputable à la faute de cette victime.

330
Hors de ces cas, l'exploitant est donc seul responsable. Cependant il a un recours dans trois
situations :
- lorsque l'accident est dû à la faute exclusive de quelqu'un, le recours lui est alors donné contre
cet agent du dommage ;
- lorsque par contrat, quelqu'un est obligé à supporter tout ou partie des dommages ;
- dans le cas de travaux de relèvement de l'épave sans l'autorisation de l'exploitant, lorsque le
dommage est la conséquence de ces travaux (art. 8).

§4. Régime de la réparation et action en responsabilité 

La réparation est limitée à 76 224 509 euros pour un même accident nucléaire, sauf, semble-t-il,
faute intentionnelle de l'exploitant ; s'y ajoutent cependant les intérêts et les dépenses liées aux
instances. L'État garantit subsidiairement ce paiement, du moins quand il s'agit de navires battant
pavillon français. Cette prévision a paru nécessaire, encore que la loi fasse obligation à
l'exploitant de maintenir une assurance ou d'offrir une autre garantie financière couvrant sa
responsabilité. Toutefois, afin de faciliter les escales des navires nucléaires français d'État dans
certains pays étrangers, lesquels estimaient trop faible le plafond organisé, la loi prévoit qu’« en
cas de dommages nucléaires causés sur le territoire ou dans les eaux soumises à la souveraineté
d'un État étranger par un navire nucléaire français affecté à un service public de l'État, le montant
maximum de la responsabilité de l'exploitant est, sauf accord passé avec l'État concerné,
déterminé par la loi de cet État » et ajoute que « la responsabilité est illimitée si cette loi ne fixe
aucune limite ». Le texte ne concernant que les navires non commerciaux d'État, et les seuls
bâtiments nucléaires français ressortissant à cette catégorie étant les sous-marins de la force
navale stratégique, ces derniers seuls semblent visés1223.
Lorsque plusieurs exploitants sont responsables parce que les dommages ont été causés par les
propriétés radioactives des combustibles qu'ils emploient ou des déchets de leurs navires, ils sont
« cumulativement » (i. e. solidairement) responsables lorsqu'on ne peut pas déterminer ce qui est
afférent à chacun de leurs bâtiments.
Si, à la suite d'un accident nucléaire, il apparaît que l'ensemble des dommages causés doit
excéder la limite de responsabilité, un décret doit constater cette situation et aviser à ses suites
(art. 5122-12). C'est la partie la plus originale de notre loi. On comprend que, à cause des
incertitudes des hommes de science devant l'ampleur et la fréquence possibles des accidents
nucléaires graves, le législateur français n'ait pas voulu se lier et ait prévu qu'un texte ajusté à
chaque situation serait pris. L'expérience des lois ou décrets d'indemnisation à la suite de diverses
calamités ces dernières années pouvait servir de guide et engager à l'idée qu'on ne saurait prévoir
un texte général en la matière et s'arrêter une fois pour toutes à un chiffre.
L'action en responsabilité est portée devant les seuls tribunaux judiciaires. Elle est intentée par la
victime ou par celui qui l'aura indemnisée1224.

1223
 V. Bonassies, Le droit positif français en 1988, DMF 1989. 7, n° 8. On notera qu’à l’inverse, tout navire
nucléaire battant pavillon d’un Etat étranger peut se voir refuser l’accès aux eaux maritimes intérieures et aux ports
français si son exploitant et l’Etat du pavillon ne fournissent pas des garanties au moins égales à celles prévues par
les art. L. 5122-6 et L. 5122-8. Le fait d’enfreindre l’interdiction est sévèrement réprimée par la loi pénale (art. L.
5242-15).
1224
Article R. 5122-1 : « l'Etat peut intervenir, même pour la première fois en cause d'appel, en vue de contester les
principes ou le montant des indemnités dans toutes les instances engagés contre l'exploitant, son assureur ou garant.
Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi ».
331
L'action doit être intentée dans les 15 ans à compter du jour de l'accident et dans les trois ans à
compter du jour où le demandeur a su qu'il était victime d'un accident nucléaire donné. Le
premier délai est préfix ; le second, un délai de prescription ordinaire.

SECTION 2. POLLUTION MARINE

§1. Histoire 

Le Code des transports (cf. art. L. 5122-25 s.) contient aujourd’hui des dispositions sur la
responsabilité des armateurs en cas de pollution marine. Ces dispositions reprennent ce que dit la
convention internationale. Il faut y ajouter les textes, essentiellement de caractère pénal, du Code
de l’environnement, d’inspiration nationale et européenne. D’autres textes, plus particuliers,
s’efforcent aussi de prévenir, de réprimer et d’assurer la réparation des pollutions marines par
hydrocarbures1225.
Tout est venu de plusieurs marées noires dramatiques. La catastrophe du Torrey Canyon,
pétrolier libérien qui, à la suite d'une fausse manœuvre, s'échoua sur des récifs anglais et déversa
dans la mer 119 000 tonnes de pétrole brut qui polluèrent les mers et rivages d'Angleterre et de
Bretagne, avait conduit l'OMCI et, sur sa demande, le Comité maritime International, à mettre à
l'ordre du jour de leurs travaux l'élaboration de nouvelles conventions.
Deux conventions ont été ainsi signées le 20 novembre 19691226.

La catastrophe plus grave encore de l'Amoco Cadiz, pétrolier libérien transportant 220 000 tonnes
de pétrole brut et échoué après une vaine tentative de remorquage sur la côte bretonne le
16 mars 19781227, a par la suite conduit le gouvernement français à prendre tardivement de
nombreuses mesures préventives et répressives. Les accidents survenus en peu de temps (Elena
V, mai 1978 : Andros Patria, 1er janv. 1979 ; Betelgeuse, 18 janv. 1979 ; Olympic Bravery,
Boehlen, Gino, Tanio…) ont mobilisé et sensibilisé l'opinion publique 1228 et conduit la
communauté internationale à modifier les textes existants en vue, notamment d’augmenter les
plafonds de réparation (Protocole de 1992 à la CLC de 1969) et d’instituer un fonds de garantie
(Convention du 18 déc. 1971 portant création du Fonds international d’indemnisation pour les
dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, FIPOL 1971, elle-même modifiée par un
Protocole du 27 nov. 1992). Plus près de nous, la catastrophe et de l’Erika et celle du Prestige ont
précipité d’autres réformes1229.

1225
Ph. Delebecque, La pollution marine, in Les responsabilités environnementales, éd. Bruylant 2006, p. 375 s. ;
Douay, L’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, DMF 1981. 451 ; K. Le Couviour,
La responsabilité civile à l’épreuve des pollutions majeures résultant du transport maritime, Tome 1, PUAM, 2007,
préf. A. Vialard.
1226
 V. les textes de ces conventions, DMF 1970-521 et 728. Elles ont été ratifiées par la France : Décr. n° 553 du
26 juin 1975, JCP 1975.III.43096 ; Rodière, Traité, Introduction et armement, 1976, n° 513 s. ;du Pontavice et P.
Cordier, Droit de la mer : problèmes actuels, 1984, p. 445 s. pour la Convention de 1969 de droit public et p. 482 s.
pour la Convention de 1969 de droit privé.
1227
 Rodière, « Le naufrage de l'Amoco Cadiz », BT 1979.214 et 238 ; du Pontavice, Aff. « Droit de l'environnement
vs. droit maritime » ou la décision rendue le 18 avril 1984 concernant l'« Amoco-Cadiz », in Annuaire de droit
maritime et aérien de Nantes, tome VIII 1985. 9-60 ; P. Bonassies, La décision « Amoco-Cadiz », DMF 1984.
689 s. 
1228
 V. sur ces différents sinistres, v. du Pontavice et P. Cordier, p. 517 s.
332
§2. Réaction américaine 

En 1989, le pétrolier Exxon-Valdez percute de plein fouet un récif et déverse en Alaska plus de
38 000 tonnes de brut, qu'il venait chercher à Valdez. On savait depuis longtemps que l'Alaska
était une zone très fragile du point de vue écologique et on avait critiqué vainement l'exploitation
du pétrole dans la région. La compagnie pétrolière fut condamnée à payer 280,8 millions de
dollars aux pêcheurs de l'Alaska. En sus des procédures d'indemnisation, la compagnie pétrolière,
armateur du navire, a dû payer 2,5 millions de dollars pour participer au nettoyage des côtes.
Puis, il fut convenu par négociations, en août 1994, qu'Exxon paierait 1, 25 millions de dollars en
réparation pour mettre fin aux plaintes du gouvernement fédéral et de l'État ayant déclaré que la
compagnie avait lésé nombre de pêcheurs qui travaillaient dans la zone polluée. En outre,
l'importance de la pollution en l'espèce a entraîné un mouvement psychologique très important
aux États-Unis : jusqu'alors, comme on l’a vu, les grands sinistres étaient extérieurs à ce pays. À
partir du moment où ils étaient durement frappés, les Américains ont estimé que les réparations
internationales et les protocoles en vue étaient insuffisants. D'où le vote de l'Oil Pollution Act
1990, qui prévoit des réparations très importantes, et surtout distingue la loi des États-Unis en ce
domaine des textes applicables au reste du monde.
Cette loi a un double intérêt : elle rompt d’abord avec l'harmonisation constante du droit maritime
par l'intermédiaire des conventions internationales. En effet, les États-Unis ont agi, en adoptant
cette loi, de façon unilatérale. Le second enseignement est complémentaire : les États, au sein des
institutions internationales ont constaté que, notamment par une convention insuffisante, mais
aussi par des protocoles complémentaires accentuant le déséquilibre, il serait aisé de diminuer le
montant des indemnités dues en matière de pollution.
L’« Oil Pollution Act 1990 » n'est pas le seul texte étendant la sanction en droit maritime de la
pollution aux États-Unis, comme le montre l'application du TAPAA 1973.
Selon ce texte, le propriétaire et l'exploitant d'un navire transportant du pétrole issu du pipe line
trans-Alaska seront de droit responsables de toute fuite ou rejet (volontaire ou non, semble-t-il).
Cette responsabilité ne sera écartée que si le responsable prouve que le dommage est la
conséquence, soit d'une faute du gouvernement américain ou d'une autre personne morale
publique, soit de la faute de la victime. La responsabilité est limitée à un montant de 100 millions
de dollars, l'armateur ou propriétaire du navire étant responsable à hauteur de 14 millions de
dollars, le surplus étant pris en charge par un fonds spécialement créé pour l'exploitation
pétrolière de l'Alaska1230.
Or, le propriétaire du navire qui avait déversé du pétrole prétendait limiter sa responsabilité à un
montant beaucoup plus faible que 14 millions, en vertu du « Limitation Act » américain. La cour
fédérale de San Francisco, le 13 septembre 1993, l'a refusé, arguant de l'incompatibilité entre la
limitation légale de responsabilité et le TAPAA 1993, et déclarant appliquer celui-ci dans son
cadre légal, nonobstant la disposition de toute autre loi. Les États-Unis ont, par les lois de 1973 et
de 1990, rompu l'unité du droit maritime créée par des siècles de pratique dès avant l'ère
chrétienne, et qui avait été maintenue par le CMI. Ainsi, s'est trouvé déchirée « la tunique sans
couture » que représentait ce cas absolument unique, le droit maritime, pour le plus grand bien
des intérêts nationaux1231.
1229
V. DMF Spécial Erika, DMF 2010. 719 et DMF 2012. 983 ; égal. M. Ndendé, Les enseignements de la
jurisprudence Erika, RAAMT, juill. 2013.10.
1230
V. Bonassies, DMF 1994. 805, n° 6.
1231
 du Pontavice, « Etat actuel et avenir du droit maritime », Mélanges Mateesco, in Annuaire de Droit maritime et
aérospatial de la Faculté de Nantes 1995, tome XII.
333
§3. Affaire Erika

Le 12 décembre 1999, le pétrolier Erika, chargé de 30 884 t. de fioul lourd, parti de Dunkerque à
destination du port de Livourne en Italie, se brise en deux dans la ZE française au large des côtes
de la Bretagne du sud. Il s’ensuit une pollution considérable sur près de 400 km de côtes, puis un
procès d’une grande ampleur qui mettra à l’épreuve pratiquement tous les textes auxquels les
juristes pouvaient songer, mais donnera en même temps l’occasion d’une réelle prise de
conscience des catastrophes liées aux marées noires, de réfléchir sur ces textes, de mieux les
connaître et de révéler leurs limites1232. Ce procès retentissant a fini par trouver son épilogue,
alors que l’affaire était principalement, sinon essentiellement, civile, dans une décision de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation1233.
Étaient en cause, de nombreux intervenants : le propriétaire de navire (Tevere shipping et son
dirigeant M. Savarese), l’affréteur à temps (Selmont), le gestionnaire technique (Panship, et son
dirigeant M. Pollara), l’affréteur au voyage TTC (Total transport corporation), la société de
classification (Rina), et de nombreuses questions de droit pénal (délit de pollution), de droit
purement maritime (CLC, Fipol), de droit international privé (immunités), de droit pénal
international (Marpol vs. L. 1983) et de droit de la mer (compétence des tribunaux), sans parler
de droit civil proprement dit (réparation des préjudices et notamment du préjudice dit
écologique).
Sur le plan pénal, il a fallu caractériser le délit de pollution marine par imprudence susceptible
d’être imputé à tout opérateur exerçant en droit ou en fait un pouvoir de contrôle ou de direction
dans la gestion ou la marche du navire, tout en faisant application de l’art. L. 121-3 C. pénal. qui
subordonne la culpabilité de l’auteur indirect d’un dommage à la preuve de sa faute caractérisée,
notamment celle qui expose autrui à un risque d’une particulière gravité que son auteur ne
pouvait ignorer. Sur cette base, ont été condamnés le propriétaire du navire (en la personne du
dirigeant) pour avoir négligé et minimisé l’entretien du navire dans des proportions telles qu’il ne
pouvait en ignorer les risques pour la sécurité, le gestionnaire du navire (et son dirigeant) pour
des raisons équivalentes, la société de classification pour avoir visé un certificat de classe, alors
que les inspections avaient révélé la corrosion du navire et l’affréteur « de fait » du navire, en
l’espèce Total SA, société mère de TTC, pour avoir procédé à des opérations de « vetting » (i. e.
de contrôle interne) prétendument insuffisantes1234.
Sur le plan civil, de nombreuses condamnations ont été prononcées : contre le propriétaire,
condamné au-delà du plafond en raison de sa faute inexcusable, contre le gestionnaire déchu de la
protection liée à la CLC en raison de sa faute inexcusable, contre l’« affréteur de fait » du navire
et contre la société de classification en raison également d’une faute inexcusable.
Enfin, la Cour de cassation après avoir admis la réparation des préjudices patrimoniaux liés aux
activités de dépollution (frais de remise en état…), aux pertes économiques (pertes et gains
manqués), aux dépenses accessoires engagées notamment par des associations de protection de
l’environnement (campagnes de communication), ainsi qu’aux préjudices extra patrimoniaux
(troubles de jouissance, atteinte à la réputation, à l’image de marque et à des valeurs fondant
1232
Delebecque, Après l’Erika, Mélanges G. Martin, éd. Frison-Roche 2013, 163.
1233
Crim. 25 sept. 2012, D. 2012. 2711 et la note, JCP 2012. 2095, note K. Le Couviour, DMF 2012. 985, RD
transp. 2012, n° 52, obs. M. Ndendé ; v. égal. Spécial Erika, DMF 2012, n° 742 : égal. l’arrêt d’appel, Paris 30 mars
2010, DMF nov. 2010, Spécial Erika, RTD com. 2010. 623.
1234
Ce qui est, pour le moins, paradoxal, quand on sait que le « vetting » est précisément un procédé que la société
s’était imposée à elle-même, v. O. Jambu-Merlin, Quelques réflexions sur le vetting des navires citernes, Gazette
CAMP, n° 11.
334
l’identité de la victime), a consacré la notion de préjudice écologique pur. La cour d’appel avait
pris le soin de le définir en déclarant qu’un tel préjudice « s’entend de toute atteinte non
négligeable à l’environnement naturel, à savoir, notamment, l’air, l’atmosphère, l’eau, les sols,
les terres, les paysages, les sites naturels, la biodiversité et l’interaction entre ces éléments, qui est
sans répercussion sur un intérêt humain particulier mais affecte un intérêt collectif légitime ». La
Cour de cassation s’est contentée plus sobrement de le qualifier d’« atteinte directe ou indirecte à
l’environnement et découlant de l’infraction ».1235 Cette consécration ne devrait pas rester sans
suite. Outre qu’elle fait jurisprudence, les pouvoirs publics s’en sont emparés pour annoncer une
série de textes appelés à s’intégrer dans le Code civil lui-même1236.

§4. Conventions internationales. Montego Bay

La partie XII de la convention est consacrée aux pollutions marines. La convention impose aux
États de prendre les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu
marin1237. Plusieurs dispositions convergent en ce sens, dont, entre autres textes :

- art. 192 imposant aux États de préserver le milieu marin ;

- art. 197 imposant aux États de coopérer à l’élaboration de règles et de procédures pour protéger
te préserver le milieu marin en tenant compte des particularités régionales ;- art. 198 imposant
une obligation d’information, en cas de connaissance de cas où le milieu marin risque de subir ou
subit une pollution, des États menacés et des organisations internationales compétentes ;

- art. 235 imposant aux États de coopérer pour assurer l’application du droit international de la
responsabilité en ce qui concerne l’évaluation et l’indemnisation des dommages.

La Convention sur le droit de la mer insiste aussi sur les obligations des États :

- du pavillon : veiller à ce que les navires respectent les normes applicables afin de lutter contre la
pollution et s’assurer que les sanctions soient suffisamment sévères pour décourager les
infractions en quelque lieu que ce soit (art. 217) ;

- côtier, lequel peut dans sa mer territoriale adopter des textes pour lettre contre la pollution par
les navires étrangers y compris les navires passant en libre passage inoffensif ; et dans la ZEE,
adopter des normes pour combattre la pollution et intenter une action pour toute infraction
relative à la lutte contre la pollution (art. 220) ;

- et du port : ouvrir une enquête et intenter une action pour tout rejet au-delà des eaux intérieures
(art. 218).

Sur la compétence proprement dite des tribunaux, des nombreuses dispositions fondent la
compétence de l’État côtier victime, avec ses ressortissants, de la pollution. Dans l’affaire de
l’Erika, la thèse contraire avait été soutenue1238, avec des arguments bien éloignés de tout bon
sens : la Cour de cassation l’a très justement écartée en observant que l’application combinée des
1235
V. L. Neyret, Le préjudice écologique : un levier pour la réforme du droit des obligations, D. 2012. 2673.
1236
V. Rapport Jegouzo, du 17 sept. 2013, D. 2013. 2347, obs. G. Martin, DMF 2014. 175, obs. C. Bellord.
1237
Les engagements du Grenelle de la mer (10 au 15 juill. 2009) vont en ce sens.
335
articles 220 et 228 conduisait à fonder la compétence française 1239 et que « lorsque des poursuites
ont été engagées par l’État côtier en vue de réprimer une infraction aux lois et règlements
applicables ou aux règles et normes internationales visant à prévenir, réduire et maîtriser la
pollution par les navires, commise au-delà de sa mer territoriale par un navire étranger, la
compétence de cet État est acquise lorsqu’elle porte sur un cas de dommage grave ».

§5. Convention MARPOL

La Convention Marpol a été adoptée le 2 nov. 1973 à la suite du naufrage du Torrey Canyon
pour combler les insuffisances de la convention Oipol. Elle est entrée en vigueur le 2 oct. 1983 et,
depuis, a fait l’objet de nombreux amendements.
Le but de la convention est de mettre fin à la pollution du milieu marin par les hydrocarbures,
sinon d’en réduire les conséquences. Cette convention s'applique à tous les navires sauf aux
navires d'État. En fait, les navires concernés sont les pétroliers de plus de 150 tonneaux et les
autres navires de plus de 400 tonneaux battant pavillon des États parties à la convention. Celle-ci
prévoit (annexe I)1240 des règles relatives à la prévention de la pollution par les hydrocarbures.
Elle institue notamment des certificats délivrés aux navires après des visites de vérification. Elle
réglemente les rejets d'hydrocarbures, délimite des zones spéciales, prévoit des installations de
réception, des dispositions techniques particulières en fonction des navires et instaure un registre
des hydrocarbures1241. Les textes réglementent de façon stricte et précise la navigation des navires
transportant des hydrocarbures à l'approche et dans les eaux territoriales. Si ces navires, étant à
moins de 50 milles marins des côtes françaises, sont victimes d'un accident entraînant ou pouvant
entraîner une pollution par les hydrocarbures, ils doivent immédiatement en aviser le préfet
maritime.
Dans l’affaire de l’Erika, la question s’était posée, en substance, de savoir si la convention devait
nécessairement primer la loi nationale. La loi pénale française (L. 1983, et aujourd’hui C. envir.)
sanctionne en effet la faute simple commise par le propriétaire, l’exploitant ou toute autre
personne exerçant un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire :
elle était donc plus sévère que la convention, punissant uniquement la faute intentionnelle ou
inexcusable commise par le propriétaire ou le capitaine du navire à l’exclusion de toute autre
personne. Au regard de la hiérarchie des normes, la convention, seule, s’imposait. À quoi l’on
pouvait objecter que problème était ici un simple problème de compatibilité entre l’ordre
juridique international et l’ordre juridique interne et que rien ne s’opposait à ce que la loi interne
fût, dans le domaine de la protection de l’environnement, plus sévère que la convention. C’est ce
point de vue, le plus pertinent,1242 qui l’a emporté.
1238
Il avait été soutenu que seules les juridictions du pavillon (et donc en l’espèce de Malte) avaient compétence
dans la mesure où l’infraction avait été commise en haute mer. C’était oublier que si la ZEE fait partie de la haute
mer, elle présente des particularités et que Malte n’avait jamais voulu exercer une quelconque compétence ; v. P.
Bonassies, Sur l’Erika ou avant qu’il ne soit trop tard, DMF 2012. 403.
1239
V. Bonassies, Observations sur la compétence des juridictions françaises après abordage en haute mer, DMF
2013. 195.
1240
Une annexe II détermine les critères de rejet et les mesures de la pollution par les substances liquides nocives
transportées en vrac. D’autres annexes, facultatives, cette fois, concernent d’autres types de pollution, notamment par
les eaux usées, par les ordures et de l’atmosphère.
1241
V. Décr. n° 421 du 24 mars 1978 et circulaire du 24 mars 1978 relative à la circulation dans les eaux
territoriales françaises des navires transportant des hydrocarbures. Ces textes ont été, à plusieurs reprises amendés et
complétés, v. A. Montas, Droit maritime, p. 221 s. 
1242
Cf. P. Bonassies, La compatibilité de la loi du 5 juillet 1983 avec la Convention Marpol, DMF 2010. 892.
336
§6. Autres instruments

On citera entre autres conventions internationales traitant de diverses façons de la pollution


marine :

- La Convention du 29 nov. 1969 sur l’intervention en haute mer en cas d’accident entraînant ou
pouvant entraîner une pollution par hydrocarbures permet aux États contractants de prendre les
mesures nécessaires pour prévenir ou atténuer les dommages causés par la pollution des eaux de
mer. Ces mesures doivent être prises après consultation des autres États mis en cause par
l'accident de mer, en particulier de l'État dont le navire porteur bat le pavillon et après notification
au propriétaire de ce navire, mais il est prévu qu'en cas d'urgence, ces deux formalités préalables
seront écartées. C'est sur la base d'un pareil texte que les États intéressés pourront bombarder,
incendier, couler ou remorquer au large un navire porteur d'huile qui menace de s'échapper de ses
flancs.

- La Convention de Londres du 30 nov. 1990 sur la préparation, la lutte et la coopération en


matière de pollution par hydrocarbures (Oil Pollution Preparedness, Response and Cooperation)
prévoit l’obligation pour les États parties d’organiser individuellement ou dans le cadre d’une
coopération bilatérale ou multilatérale des dispositifs proportionnés de lutte contre les
déversements d’hydrocarbures et leur impose d’élaborer des plans d’urgence.

- La Convention de Londres du 13 févr. 2004 pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et
de sédiments de navires.

- Il faut ajouter la directive du 27 nov. 2000 sur les installations de réception portuaires pour les
déchets d’exploitation des navires et des résidus de cargaison.

§7. Paquets Erika

Le mérite, si l’on ose dire, de la catastrophe de l’Erika est d’avoir provoqué une forte réaction
des pouvoirs publics et notamment de l’UE. Le Parlement lui-même s’est montré résolu à
combattre la pollution marine en adoptant une résolution politique européenne de la mer, globale,
destinée à la création d’un espace européen de sécurité maritime (27 avr. 2004). Plus
concrètement, ce sont les « Paquets Erika » qui sont venus mettre de l’ordre et réglementer très
sérieusement la question :

- Paquet 1 du 21 mars 20001243 ;

- Paquet 2 du 27 juin 2002 renforçant la surveillance du trafic (cf. système AIS) dans les eaux de
l’UE et demandant aux États d’établir des plans destinés à l’accueil des navires en détresse ; c’est
dans ce cadre aussi qu’a été instituée l’Agence européenne de sécurité maritime chargée de
fournir une assistance scientifique et technique à la Commission dans le domaine de la sécurité
maritime ;

- Paquet 3 comprenant une série de textes d’avril 2009 en vue de renforcer la prévention et
d’améliorer le traitement de la pollution (contrôle des navires par l’État du port, inspections
1243
Refondu dans le règlement 391/2009 et la directive 2009/15 du 23 avr. 2009 dont les dispositions ont été
reprises dans le code des transports (ord. 9 juin 2011).
337
systématiques, exigences supplémentaires pour les sociétés de classification, procédures
d’enquête, indemnisation des passagers, base de données de contrôle des flottes européennes,
obligation d’assurance en cas de dommages à l’environnement).

§8. Droit de l’environnement

L’affaire de l’Erika, affaire maritime et civile, a mobilisé d’autres dispositions juridiques. Au-
delà du droit pénal, c’est le droit de l’environnement qui a suscité la curiosité. Certains ont essayé
d’obtenir une condamnation (en nature) de l’affréteur du navire en tant que vendeur et producteur
de déchets, après avoir fait juger que les produits échappés du pétrolier étaient devenus des
déchets. La Cour de justice l’avait admis 1244 et la Cour de cassation en a tiré les conséquences 1245.
Autrement dit, le droit des déchets et, dans le prolongement, le droit de l’environnement, peuvent,
pour la jurisprudence, coexister avec le droit maritime. Il n’est pas certain que cette coexistence
puisse rester pacifique, car les logiques de ces disciplines sont différentes, ce qui ne veut pas dire
que le droit maritime ne doive pas intégrer dans sa propre logique une certaine dimension
écologique1246.
Pour l’heure, ce sont les volets indemnitaire et répressif qui restent les plus importants. On s’y
tiendra dans les développements qui suivent.

§ 1. La réparation des dommages de pollution par hydrocarbures

I)CLC

Le texte de référence est ici la Convention de Bruxelles du 29 novembre 1969 sur la


responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et son protocole
modificatif de 1992 (CLC 1969/1992)1247. La France a ratifié cette convention le 17 mars 1975.
La Belgique, le 12 janvier 19771248. Cette convention a été plusieurs fois amendée. Deux
protocoles ont été adoptés par la conférence réunie par l'OMI, en date du 25 mai 1984. La France
les a ratifiés le 8 septembre 19871249.

La loi 2013-431 du 28 mai 2013 a renvoyé à la CLC dans ses articles L. 5122-25 s.1250

1244
CJCE 24 juin 2008, aff. C-188/07, Commune de Mesquer, DMF 2008. 704, obs. O. Cachard, DMF 2009 HS 13,
n° 12, obs. Bonassies.
1245
Civ. 3e, 17 déc. 2008, Bull. civ. III, n° 206, D. 2009. 701, note Boutonnet, DMF 2009 HS 13, n° 12, obs.
Bonassies, condamnant Total, en tant que détenteur et/ou producteur de déchets, à prendre en charge les coûts liés à
l’élimination des déchets, dès l’instant qu’il avait contribué au risque de survenance de la pollution.
1246
Comme il a su si bien le faire dans le droit de l’assistance, v. ss 967.
1247
Bourgeois, M., Desrosier, M., Le droit maritime, Cowansville, Les édition Yvon Blais Inc, 2005, 88 ; Faure, M.,
Tiebley, Y. Wang, H., Responsabilité civile et réparation des pollutions marines – Leçons à tirer des déversements
provenant des plateformes pétrolières, Amén. 2011, liv. 2, 89 ; MM. Bonassies et Scapel, n° 325 ; Montas, op. cit.,
237 ; A. Tan, Vessel-source, Marine Pollution, Cambridge, University Press, 2006, 288 ; Colin de la Rue et Ch. B.
Anderson, Shipping and the environment, Lloyd’s Shipping Law Library, 2e éd., 2009.
1248
Van Hooydonk, E., Schip van staat met slagzij. Sterkten en zwakten van maritiem recht en beleid in België,
Antwerpen/Apeldoorn, Maklu, 2006, 153.
1249
CMI News Letter, automne 1987, p. 10 ; Annuaire CMI 1988-1989, p. 147 et 152 ; du Pontavice, Les rayons et
les ombres des Protocoles du 25 mai 1984 modifiant les conventions concernant les dommages dus à la pollution par
les hydrocarbures, Liber Amicorum Lionel Tricot, Kluwer éd., 1988, 225 s.).
1250
Le texte en reprend aussi les définitions, cf. art. L. 5122-25 : pour l'application de la présente section, les mots :
"propriétaire", "navire", "événement", "dommages par pollution" et "hydrocarbures" s'entendent au sens qui leur est
338
Le régime de cette convention fait peser de plein droit la responsabilité sur le propriétaire du
navire-citerne. La responsabilité est cependant plafonnée en fonction de la jauge du navire 1251. Ce
plafond a été augmenté dans le cadre d’un Protocole signé le 27 novembre 1992 (CLC 1992). La
Belgique a adhéré à cette convention le 6 octobre 1998 et la France le 29 septembre 1994 1252. La
convention s’applique aux navires citernes en charge et dans certaines circonstances aux navires
citernes à lège. À l’inverse, les dommages causés par les hydrocarbures non persistants (essence,
huile diesel légères…) ne sont pas visés par la convention.

1)Responsabilité du propriétaire du navire

La CLC pose le principe de la responsabilité objective du propriétaire du navire. Le droit interne


est dans le même sens : cf. art. L. 5122-26 affirmant que « le propriétaire d'un navire transportant
une cargaison d'hydrocarbures en vrac est responsable de tout dommage par pollution causé par
son navire, dans les conditions et limites fixées par la convention mentionnée à l'article L. 5122-
25 ».
La responsabilité est ici de plein droit1253. Le propriétaire est déclaré responsable, alors même
qu’il n’a commis aucune faute, du seul fait du lien de causalité entre l’accident survenu à son
navire et le dommage de pollution. La victime est ainsi libérée de la charge de la preuve.
L’existence d’un lien de causalité entre l’accident et le dommage est suffisante pour engager la
responsabilité du propriétaire. Il ne s’agit cependant pas d’une responsabilité absolue : plusieurs
causes d’exonération sont prévues. Le propriétaire peut prouver que le dommage résulte d’un
acte de guerre, d’hostilités, d’une guerre civile, d’une insurrection ou d’un phénomène naturel de
caractère exceptionnel, inévitable et irrésistible (art. III-2). De même en est-il si le dommage
résulte en totalité du fait qu’un tiers a délibérément agi ou omis d’agir dans l’intention de causer
tel dommage. De même encore si le dommage résulte d’une faute volontaire ou d’une négligence
de la victime. Enfin, chose plus remarquable encore, le propriétaire peut s’exonérer en
démontrant que la pollution provient de la négligence d’un gouvernement ou d’une autre autorité
responsable de l’entretien des feux ou autres « aides à la navigation ».
La responsabilité prévue par la convention ne s’applique qu’aux dommages par pollution. La
convention donne une définition précise de ces dommages. Il s’agit du « dommage causé à
l’extérieur du navire par une contamination survenue à la suite d’une fuite ou d’un rejet
d’hydrocarbures du navire, où que cette fuite ou ce rejet se produise, étant étendu que les
indemnités versées au titre de l’altération de l’environnement autres que le manque à gagner dû à
cette altération seront limitées au coût des mesures raisonnables de remise en état qui ont été
effectivement prises ou qui le seront » (I 6).

2)Canalisation de la responsabilité

donné à l'art. 1er de la convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par
les hydrocarbures, faite à Londres le 27 novembre 1992.
1251
K. Le Couviour, op. cit., 36.
1252
Van Hooydonk, E., Schip van staat met slagzij. Sterkten en zwakten van maritiem recht en beleid in België,
Antwerpen/Apeldoorn, Maklu, 2006, 153.
1253
Montas, op. cit., 238 ; Cougoule, E., Mirailles, A., La réparation du préjudice en cas de pollution par les
hydrocarbures, Neptunus 2004, vol. 10, afl. 2, 5 ; Slabbinck, R., Vergoeding voor slachtoffers van schadegevallen
met olietankers. Hertekent de Erikarechtspraak het landschap?, in Liber Amicorum Hubert Bocken, Brugge, Die
Keure, 2009, 457.
339
La CLC canalise la responsabilité sur la tête du propriétaire du navire. C’est lui la cible, ce qui
peut se comprendre car les propriétaires des navires sont nécessairement identifiés, à la différence
des exploitants. Dans la même perspective, la convention prend le soin d’édicter un certain
nombre d’immunités – ou de protection - en faveur de certains opérateurs participant à
l’exploitation du navire qui sont donc, en principe, à l’abri d’une action en responsabilité.

Ce sont plus précisément :

- les préposés et mandataires du propriétaire du navire ou les membres de l’équipage ;

- le pilote ou une autre personne qui, sans être membre de l’équipage, s’acquitte de services pour
le navire ;

- un affréteur, armateur-gérant ou exploitant du navire ;

- toute personne accomplissant des opérations d’assistance avec l’accord du propriétaire ; 

- toute personne accomplissant des opérations d’assistance sur les instructions d’une autorité
publique compétente 

- toute personne prenant des mesures de sauvegarde ;

- les préposés ou mandataire des personnes susmentionnées.

Ces immunités sont relatives, car elles cèdent devant la preuve de la faute intentionnelle ou
inexcusable des intéressés.
La liste est limitative, si bien que la question s’est posée de savoir s’il était possible d’engager la
responsabilité d’autres intervenants, à l’exemple du courtier, de la société de classification ou
même du chantier naval.

3)Autres intéressés

Les intervenants qui ne figurent pas dans la liste de la CLC sont exposés à des actions en
responsabilité dans les conditions du droit commun et spécialement, à supposer le droit français
applicable, dans les conditions du droit commun, i. e. de l’art. 1382 C. civ. Si ces intervenants ne
sont pas spécialement protégés par la convention, il n’y a aucune raison d’exclure l’application
du droit commun, alors même qu’aucune limitation de responsabilité n’est envisagée.
Dans l’affaire de l’Erika, la responsabilité de la société de classification a été ainsi retenue. La
question s’est posée de savoir s’il s’agissait d’une « personne s’acquittant de services pour le
navire » ou, à tout le moins, d’une personne participant directement à l’opération maritime. Les
premiers, à juste titre, ne l’avaient pas admis. L’analyse de la Cour de cassation a cependant été
différente.1254

4)Limitation de responsabilité 

1254
La solution est critiquable, car une société de classification ne participe pas aux opérations nautiques ni même
aux opérations commerciales, v. F. Berlingieri, DMF 2012. 1015 ; comp. dans l’affaire du Prestige, l’arrêt de la CA
de Etats-Unis du 29 août 2012, DMF 2012. 1023, obs. J.L. Goni.
340
Lorsque sa responsabilité est engagée de la sorte, le propriétaire du navire est en droit de limiter
sa responsabilité en constituant un fonds de limitation 1255. Ce fonds qui, par événement par
tonneau de jauge. Il s’établit aujourd’hui à un montant de base de 4 510 000 DTS, étant augmenté
de 631 DTS par unité de jauge au-delà de 5 000 unités, avec un maximum de 89 770 000 DTS.
La limitation est écartée en cas de faute intentionnelle ou inexcusable du propriétaire, ce qui était
le cas dans l’affaire de l’Erika.
Les textes lient aujourd’hui limitation de responsabilité et fonds de garantie : cf. art. L. 5122-27 :
« Sous réserve de l'application de l'article V.2 de la convention mentionnée à l'art. L. 5122-25, le
propriétaire du navire est en droit de bénéficier de la limitation de responsabilité s'il constitue
auprès d'un tribunal un fonds de limitation pour un montant s'élevant à la limite de sa
responsabilité déterminée dans les conditions fixées par la même convention. »
Après la constitution du fonds de limitation, aucun droit ne peut être exercé, pour les mêmes
créances, sur d'autres biens du propriétaire, à condition que le demandeur ait accès au tribunal qui
contrôle le fonds de limitation et que le fonds de limitation soit effectivement disponible au profit
du demandeur (art. L. 5122-28).
Le fonds de limitation est réparti entre les créanciers proportionnellement au montant des
créances admises (art. L. 5122-29). Si, avant la répartition du fonds de limitation, le propriétaire
du navire, son préposé ou son mandataire, ou toute personne qui lui fournit l'assurance ou une
autre garantie financière, a indemnisé en tout ou partie certains créanciers, il est autorisé à
prendre, à due concurrence, la place de ces créanciers dans la distribution du fonds de limitation.

5)Action en responsabilité

Toute demande en réparation de dommages dus à la pollution peut être formée directement
contre l’assureur1256. Celui-ci peut opposer la limitation de responsabilité alors même que l’assuré
aurait commis une faute inexcusable1257.

1255
 La procédure instituée par le Décr. 27 oct. 1967 ne peut être étendue à l'application des dispositions de la
convention de 1969 qui postule la création d'un système autonome d'évaluation des créances et de répartition du
fonds (Rennes 3 oct. 1985, DMF 1986. 99 ; M. Rémond-Gouilloud, Les surprises du « fonds », ibid., 89 s. ; pourvoi
rejeté par Com. 21 juill. 1987, DMF 1988. 731 ; Bonassies, Le droit positif français en 1988, DMF 1989. 22, n° 21).
1256
Etant précisé que le propriétaire d’un navire immatriculé dans un Etat partie est tenu de souscrire une assurance
pour couvrir sa responsabilité. L’article 5123-2 prévoit que le propriétaire d'un navire, au sens de la CLC (art. 1-3),
doit souscrire une assurance ou une autre garantie financière satisfaisant aux exigences de cette convention, lorsque
ce navire est exploité sous pavillon français ou touche ou quitte un port français ou une installation située dans la mer
territoriale française. Le texte ajoute qu’un certificat attestant que la garantie est en cours de validité doit se trouver à
bord du navire. La délivrance des certificats d'assurance en cause peut être déléguée à des organismes agréés par
l'autorité administrative, lorsqu'en application des instruments internationaux ou des textes européens pertinents ces
certificats peuvent faire l'objet d'une délégation (art. 5121-3). Ces certificats sont alors délivrés pour le compte et
sous la responsabilité de l'Etat. Leur délivrance peut donner lieu à perception d'une rémunération par le délégataire.
Ces prescriptions sont sévèrement sanctionnées.
De plus, lorsqu'un navire ne dispose pas d'un certificat d'assurance conforme, l'autorité administrative compétente
peut, sans préjudice des mesures d'immobilisation ou d'ajournement de départ du navire qui peuvent être rendues
nécessaires pour des motifs de sécurité, prendre une décision d'expulsion du navire.
1257
Montas, op. cit., 239 ; Cougoule, E., Mirailles, A., La réparation du préjudice en cas de pollution par les
hydrocarbures, Neptunus 2004, vol. 10, afl. 2, 5 ; A. Tan, Vessel-source, Marine Pollution, Cambridge, University
Press, 2006, 300.
341
L’article VII.8 de la Convention énonce que les victimes de pollution pourront agir directement
contre l’assureur du propriétaire, l’assureur pouvant toutefois opposer la limitation de
responsabilité même en cas de faute inexcusable du propriétaire1258.

La responsabilité du propriétaire est limitée dans le temps : l’action en réparation doit être
intentée dans un délai de trois ans à partir de la date de survenance du dommage. En plus, elle ne
sera plus admise après l’écoulement d’un délai de six ans à compter de la même date (art. VIII).

Quant à la compétence, il faut préciser que l’action en responsabilité ne peut être intentée que
devant les tribunaux de l’État où le dommage a été subi, ou encore prises les mesures de
sauvegarde (art. IX). Si un fonds a été constitué, sont compétents les seuls tribunaux de l’État du
fonds1259.

II.FIPOL

La Convention de Bruxelles du 18 novembre 1971 a institué un Fonds International


d’indemnisation pour les pollutions par hydrocarbures (FIPOL 1971) 1260. Un temps volontaire (cf.
système TOVALOP), cette garantie a été systématisée par une convention internationale : la
convention FIPOL. La convention a été modifié par le Protocole du 27 novembre 19921261 - qui
prévoit un plafond d’indemnisation plus élevé (FIPOL 1992). On parle aussi du « Fonds de
1992 »1262. La Belgique a adhéré le 6 octobre 1998 et la France le 29 septembre 19941263.
Le FIPOL est une organisation intergouvernementale distincte de l’OMI dont la principale
fonction consiste dans l’examen de demandes d’indemnisation 1264. Le FIPOL 1992 est financé et
alimenté par les compagnies pétrolières qui y contribuent sur la base des importations annuelles
de pétrole par voie maritime dans les États membres du Fonds. Le plus important contributeur du
FIPOL est le Japon, qui est un très gros importateur de pétrole. Les États-Unis ne contribuent pas
au FIPOL, puisqu’ils ont leur propre système d’indemnisation (l’Oil Pollution Act).
Cette organisation intervient pour compléter l’indemnisation des victimes de dommages de
pollution qui n’ont pas été pleinement indemnisées dans le cadre de la CLC pour une ou plusieurs
des raisons suivantes : soit que le propriétaire de navire est dégagé de sa responsabilité dans les
1258
MM. Bonassies et Scapel, n° 472.
1259
Cette règle vaut pour la compétence civile. S’agissant de la compétence pénale, la règle jurisprudentielle qui
veut que les tribunaux répressifs ne peuvent prononcer d’indemnisation que sur le fondement du droit commun et
non sur le fondement de conventions internationales, doit être respectée (v. Delebecque, Mélanges Martin, préc., n°
12). Plus général., P. Bonassies, DMF 2014. 103.
1260
M. Bourgeois, M. Desrosier, Le droit martime, Cowansville, Les édition Yvon Blais Inc, 2005, 89 ; Faure,
Tiebley, Wang, Responsabilité civile et réparation des pollutions marines – Leçons à tirer des déversements
provenant des plateformes pétrolières, Amén. 2011, liv. 2, 89 ; Faure, Lixin, Hongjun, Maritime pollution liability
and policy, china, europe and the US, London, Wolters Kluwer, 2010, 28 ; P. Simon, thèse Paris 1977 ; Jacobsson,
Le régime d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures établi par les conventions
internationales et le rôle du FIPOL, DMF 1989. 619 s. ; plus général., v. J. Knetsch, Le droit de la responsabilité et
les fonds d’indemnisation, LGDJ 2013.
1261
Protocole de Londres du 27 novembre 1992, d’amendement à la convention internationale portant création d’un
fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par hydrocarbures.
1262
Vincent, Droit de la mer, Bruxelles, Larcier, 2008, 191.
1263
E., Van Hooydonk, Schip van staat met slagzij. Sterkten en zwakten van maritiem recht en beleid in België,
Antwerpen/Apeldoorn, Maklu, 2006, 153.
1264
Cougoule, Mirailles, La réparation du préjudice en cas de pollution par les hydrocarbures, Neptunus 2004, vol.
10, afl. 2, 7.
342
cas prévus par la CLC 1992, soit que le propriétaire ou son assureur n’est pas solvable, soit enfin
que le montant des dommages excède la responsabilité du propriétaire du navire telle qu’elle est
définie par la convention.
Le FIPOL ne prend en charge les dommages de pollution, i. e. le dommage causé à l’extérieur du
navire par une contamination survenue à la suite d’une fuite ou d’un rejet d’hydrocarbures ainsi
que le coût des mesures de sauvegarde et les autres préjudices ou dommages causés par ces
mesures1265, qu’au-delà du montant de la responsabilité du propriétaire du pétrolier. Cependant, il
peut en être différemment, le FIPOL, et le Fonds complémentaire, prenant en charge la totalité de
la garantie assurée eux victimes. Il en est ainsi lorsque le propriétaire du navire et son assureur ne
peuvent assumer les obligations qui découlent pour eux de la CLC en raison d’une cause
d’exonération dûment établie. Il s’agit là des situations où les dommages résultent d’un
phénomène naturel de caractère exceptionnel, ou d’une faute de l’État dans l’entretien de son
système d’aides à la navigation, cas non couverts par la responsabilité du propriétaire de navire.
La Convention de 1971/1992 contient un certain nombre de dispositions concernant la procédure
de distribution aux victimes des contributions du FIPOL1266. Retenons seulement que, sauf accord
amiable, les victimes peuvent agir soit devant les juridictions anglaises (tribunal du lieu du siège
du FIPOL), soit devant les juridictions de l’État où le dommage par pollution a été causé1267.
La prescription de l’action des victimes contre le FIPOL est identique à celle qui concerne leur
action contre le propriétaire du pétrolier : prescription de trois ans à partir de la date à laquelle le
dommage est survenu. De plus, toute action engagée après un délai de six ans à compter de la
date de l’événement ayant causé le dommage est irrecevable. L’indemnisation par le FIPOL
complète celle du propriétaire. Depuis une augmentation en date du 1er nov. 2003,
l’indemnisation peut atteindre 203 millions de DTS (233 millions d’euros).

III.Fonds complémentaire

Après le naufrage du Prestige au large des côtes espagnoles en 2002, un fonds complémentaire a
été créé le 16 mai 20031268. Seuls les États membres du FIPOL 1992 peuvent y adhérer ;
l’adhésion est facultative1269. Ce fonds fonctionne selon des mécanismes similaires au FIPOL
1992 et n’interviendra que lorsque l’ampleur du sinistre dépassera le plafond prévu par lui. Le but
de ce fonds est de porter la garantie assurée aux victimes de pollution, dans les États ayant ratifié
le protocole de 2003, à un montant de 750 millions de DTS (soit environ 862 millions d’euros).

TOPIA. STOPIA

L’International Group of P & I Clubs, une association qui regroupe les treize plus grands P & I
Clubs (mutuelles d’assurance créées par les armateurs), a pensé que les armateurs pétroliers, par
1265
V. les décisions rapportées in DMF 2007 HS 11, n° 57, obs. Bonassies.- Les critères d’indemnisations retenus
par le FIPOL n’ont pas de force contraignante, mais sont une référence pour les tribunaux : Paris 5e ch., 23 oct. 2008,
RG n° 05/21121.
1266
Une question intéressante s’est posée à propos du caractère obligatoire des indications portées dans le Manuel
du FIPOL sur les demandes d’indemnisation : il a été jugé que ces indications n’avaient pas la valeur d’actes dérivés
d’un accord international, Rennes 25 mai 2004, DMF 2005. 529, obs. Bonassies.
1267
Les indemnisations donnent lieu, le plus souvent, à des transactions, v. Com. 6 déc. 2007, DMF 2009. 435, obs.
J.S. Rohart ; égal. Rennes 9 mai 2006, DMF 2006. 1024.
1268
Faure, Lixin, Hongjun, Maritime pollution liability and policy, China, Europe and the US, London, Wolters
Kluwer, 2010, 29. Le nouveau fonds est entré en vigueur le 3 mars 2005 dans les 8 Etats ayant ratifié le protocole
(Allemagne, Danemark, Espagne, Finlande, France, Irlande, Japon et Norvège).
1269
Vincent, Droit de la mer, Bruxelles, Larcier, 2008, 191.
343
l’intermédiaire des Clubs, devaient s’associer à l’effort des entreprises pétrolières. D’où un
double dispositif privé d’indemnisation volontaire, consacré par deux accords contraignants
(TOPIA 2006 et STOPIA 2006) et propres à assurer leur contribution à la réparation des
dommages par hydrocarbures. L’accord STOPIA 2006 (Small Tanker Oil Pollution
Indemnification Agreement) concerne les petits navires pétroliers (moins de 29 548 unités de
jauge). Cet accord prévoit une limite de 20 millions de DTS au montant pris en charge par le
Fonds complémentaire. L’accord TOPIA 2006 (Tanker Oil Pollution Indemnification Agreement)
est fondé à solliciter des propriétaires du navire le remboursement de 50% des indemnités versées
aux victimes par le fonds si le sinistre met en cause un navire relevant de l’accord. Comme
l’accord STOPIA 2006, il est prévu que les armateurs participeront dans la limite de 20 millions
de DTS au montant pris en charge par le Fonds complémentaire1270.

§2. Répression

I.Droit pénal

Le législateur s’est préoccupé assez tôt de réprimer la pollution marine. La loi du 2  janvier 1979
complétant la loi du 17 décembre 1926 portant Code disciplinaire et pénal de la Marine
marchande avait sanctionné les infractions au règlement pour prévenir les abordages en mer, aux
dispositifs de séparation de trafic et aux règles concernant les distances minimales de passage le
long des côtes françaises. Ces dispositions avaient été étendues par la loi du 15 décembre 1986
(n° 86-1271) aux infractions commises en dehors des eaux territoriales ou intérieures françaises
par le capitaine de tout navire français. En outre, une loi du 2 janvier 1979 (n° 79-5) était venue
sanctionner les infractions aux dispositions relatives à la circulation dans les eaux territoriales
françaises des navires transportant des hydrocarbures. Cette loi avait été abrogée en raison de sa
sévérité à l'égard des capitaines, avant d’être remplacée par la loi n°  581 du 5 juillet 1983
réprimant la pollution de la mer par les hydrocarbures. La loi de 1983 avait pour but d'adapter les
textes à la ratification par la France de la Convention Marpol précitée. Elle a été très critiquée en
doctrine1271 ; cette loi n° 583 prévoit la responsabilité pénale des dirigeants de droit ou de fait des
personnes morales propriétaires ou exploitants des navires ayant effectué en mer des rejets
d'hydrocarbures. Enfin, une autre loi (581) du 5 juillet 1983 sur la sauvegarde de la vie humaine
en mer, l'habitabilité à bord des navires et la prévention de la pollution prévoyait des sanctions en
cas de violation des conventions internationales, notamment en matière de prévention de la
pollution ; elle déterminait le montant des amendes et des peines d'emprisonnement en cas
d'infraction aux conventions internationales1272. Ces textes ont été intégrés dans le Code de
l’environnement, avant d’être à nouveau modifiés par une ordonnance du 21 oct. 2010 (C. envir.,
art. L. 218-10)1273.
1270
MM. Bonassies et Scapel, n° 474 ; Montas, op. cit., 242-243.
1271
M. Rémond-Gouilloud, « Anatomie d'un monstre marin : la loi du 5 juillet 1983 réprimant la pollution des mers
par les hydrocarbures, DMF 1983. 703) 
1272
v. E. Gold, Handbook on Marine Pollution, édité par Gard, 1985, Arendal, Norvège. V. aussi J.P. Thépot, « A
propos de la prévention de la pollution par les navires : Marpol 1973/1978 », in Annales IMTM 1986.
1273
Issues de la directive du 21 oct. 2009 relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions
en cas d’infractions, comblant le vide créé par l’annulation par la CJCE d’une décision cadre du 12 juill. 2005 visant
à renforcer le cadre pénal de la répression de la pollution marine. La directive incrimine les rejets de substances
polluantes par les navires y compris les rejets de moindre importance s’ils ont été commis intentionnellement,
témérairement ou à la suite d’une négligence grave, étant précisé qu’il appartient à chaque Etat de prendre les
mesures nécessaires pour que ces infractions soient passibles de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives.
344
II.Principales infractions1274

L’art. L. 218-10 C. envir. commence par donner un certain nombre de définitions :

- la « Convention MARPOL » désigne la convention internationale pour la prévention de la


pollution par les navires, faite à Londres le 2 novembre 1973, telle que modifiée par le protocole
du 17 février 1978 et par ses modificatifs ultérieurs régulièrement approuvés ou ratifiés ;

- le terme : « navire » désigne un bâtiment de mer exploité en milieu marin de quelque type que
ce soit, notamment les hydroptères, les aéroglisseurs, les engins submersibles, les engins flottants.
Sont assimilés aux navires les plates-formes fixes ou flottantes et les bateaux ou engins flottants
fluviaux lorsqu'ils se trouvent en aval de la limite transversale de la mer ;

- le terme : « capitaine » désigne le capitaine ou le responsable à bord d'un navire. Sont assimilés
au capitaine le responsable de l'exploitation à bord d'une plate-forme fixe ou flottante ou le
responsable à bord d'un bateau ou engin flottant fluvial ;

- la définition des rejets est celle figurant au 3 de l'article 2 de la Convention MARPOL.

Les infractions sont susceptibles d’être imputées au propriétaire du navire, mais aussi à son
exploitant ou à son représentant légal ainsi qu’à toute autre personne que le capitaine ou le
responsable de bord exerçant en droit ou en fait un pouvoir de contrôle ou de direction dans la
gestion ou la marche du navire ou de la plate-forme, lorsque l’une de ces personnes a été à
l’origine d’un rejet ou n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’éviter1275.

Les textes suivants incriminent un certain nombre de comportements délictueux, à commencer


par les infractions à la Convention Marpol (i. e. les rejets volontaires ou opérationnels)1276 :

- art. L. 218-11 : est puni de 50 000 euros d'amende le fait, pour tout capitaine de se rendre
coupable d'un rejet de substance polluante en infraction aux dispositions des règles 15 et 34 de
l'annexe I, relatives aux contrôles des rejets d'hydrocarbures, ou en infraction aux dispositions de
la règle 13 de l'annexe II, relative aux contrôles des résidus de substances liquides nocives
transportées en vrac, de la Convention Marpol.

En cas de récidive, les peines encourues sont portées à un an d'emprisonnement et 100 000 euros
d'amende. Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 15 millions d'euros d'amende
pour tout capitaine d'un navire-citerne d'une jauge brute inférieure à 150 tonneaux, ou de tout
autre navire d'une jauge brute inférieure à 400 tonneaux dont la machine propulsive a une
puissance installée supérieure à 150 kilowatts. Elles sont portées à dix ans d'emprisonnement et
15 millions d'euros d'amende pour tout capitaine d'un navire-citerne d'une jauge brute supérieure

1274
V. Y. Rabuteau, Marées noires : le dispositif pénal issu de la loi sur la responsabilité environnementale, DMF
2008. 1078 ; égal. DMF 2009. 481.
1275
Lorsque l’infraction a été commise au-delà de la mer territoriale, seules des peines d’amende peuvent être
prononcées.
1276
Si les faits constitutifs des infractions énumérées aux articles L. 218-11 à L. 218-19 ont causé des dommages au
domaine public maritime, l'administration ne peut poursuivre devant la juridiction administrative selon la procédure
des contraventions de grande voirie que la réparation de ce dommage (218-31).

345
ou égale à 150 tonneaux ou de tout autre navire d'une jauge brute supérieure ou égale à 400
tonneaux, ainsi que pour tout responsable de l'exploitation à bord d'une plate-forme.

- art. L. 218-14 : est puni de sept ans d'emprisonnement et de 1 million d'euros d'amende le fait,
pour tout capitaine de jeter à la mer des substances nuisibles transportées en colis en infraction
aux dispositions de la règle 7 de l'annexe III de la Convention Marpol.

- art. L. 218-15 : est puni d'un an d'emprisonnement et de 200 000 € d'amende le fait, pour tout
capitaine d'un navire, de se rendre coupable d'infractions aux dispositions de la règle 8 de
l'annexe IV, des règles 3, 4 et 5 de l'annexe V et des règles 12, 13, 14, 16 et 18 de l'annexe VI de
la Convention Marpol.

- art. L. 218-17 : est puni de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 euros d'amende le fait,
pour tout capitaine de navire auquel est survenu, en mer ou dans les eaux intérieures et les voies
navigables françaises jusqu'aux limites de la navigation maritime, un des événements mentionnés
par le protocole I de la Convention Marpol, ou pour toute autre personne ayant charge dudit
navire, au sens de l'article 1er de ce protocole, de ne pas établir et transmettre un rapport
conformément aux dispositions dudit protocole.

III.Infractions involontaires

D’autres dispositions du Code de l’environnement incriminent les pollutions involontaires :

- art. L. 218-19 I : est puni de 4 000 euros d'amende le fait, pour tout capitaine, de provoquer un
rejet de substance polluante par imprudence, négligence ou inobservation des lois et règlements.
Est puni de la même peine le fait, pour tout capitaine de provoquer par imprudence, négligence
ou inobservation des lois et règlements un accident de mer tel que défini par la Convention du 29
novembre 1969 sur l'intervention en haute mer en cas d'accident entraînant ou pouvant entraîner
une pollution par les hydrocarbures, ou de ne pas prendre les mesures nécessaires pour l'éviter,
lorsque cet accident a entraîné une pollution des eaux.

Les peines sont augmentées en fonction de la taille des navires et peuvent atteindre 7, 5 millions
d'euros d'amende lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les
catégories définies à l'article L. 218-13 et qu'elle a pour conséquence, directement ou
indirectement, un dommage irréversible ou d'une particulière gravité à l'environnement.

Lorsque les infractions précédentes ont pour origine directe ou indirecte soit la violation
manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la
loi ou le règlement, soit une faute caractérisée qui exposait l'environnement à un risque d'une
particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer, les peines sont portées à 6 000 euros
d'amende, lorsque l'infraction est commise au moyen d'un petit navire (n'entrant pas dans les
catégories définies aux articles L. 218-12 ou L. 218-13) et sont portées à cinq ans
d'emprisonnement et 7, 5 millions d'euros d'amende, lorsque l'infraction est commise au moyen
d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-13 ou d'une plate-forme.

Lorsque les infractions pré-mentionnées ont pour conséquence directe ou indirecte un dommage
irréversible ou d'une particulière gravité à l'environnement, les peines sont encore augmentées et
peuvent atteindre plus de 10 millions d’euros d’amende.
346
Les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou
contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les
mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont soit violé
de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue
par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait l'environnement à un
risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.

IV.Excuses

Les infractions ne sont pas toujours répréhensibles. Des excuses ont été prévues (cf. art. L. 218-
20). Ainsi, un rejet effectué par un navire à des fins de sécurité, de sauvetage ou de lutte contre la
pollution n'est pas punissable s'il remplit certaines conditions (énoncées par les règles 4.1 ou 4.3
de l’annexe I, les règles 3.1 ou 3.3 de l’annexe II, la règle 7.1 de l’annexe III, la règle 9.a de
l’annexe 4, les règles 6 a. et 6 c. de l’annexe V ou la règle 3.1 de l’annexe VI de Marpol.
Un rejet se produisant au-delà des eaux territoriales françaises et provenant d'une avarie survenue
au navire ou à son équipement n'est pas considéré comme une infraction de la part du
propriétaire, du capitaine ou de l'équipage agissant sous l'autorité du capitaine également s'il
remplit certaines conditions (énoncées par la règle 4.2 de l'annexe I, la règle 3.2 de l'annexe II, la
règle 9.b de l'annexe IV, la règle 6.b de l'annexe V ou la règle 3.1.2 de l'annexe VI de MARPOL).
Il faut ajouter que les articles L. 18-11 à 218-19 ne sont pas applicables aux navires de guerre et
navires de guerre auxiliaires, ainsi qu'aux autres navires appartenant à un État ou exploités par un
État et affectés exclusivement, au moment considéré, à un service public non commercial.

V.Condamnations

Le tribunal peut, compte tenu des circonstances de fait et notamment des conditions de travail de
l'intéressé, décider que le paiement des amendes prononcées à l'encontre du capitaine, est en
totalité ou en partie à la charge du propriétaire ou de l'exploitant. Cette faculté suppose cependant
que le propriétaire ou l'exploitant ait été cité à l'audience (cf. art. L. 218-23). Le principe de la
personnalité des peines est ainsi quelque peu remis en cause, mais ce n’est pas la première des
dérogations qu’il connaît. Elle est ici, en tout cas, parfaitement justifiée.

VI.Règles de procédure

Les textes (cf. art. L. 218-26) commencent par déterminer, indépendamment des officiers et
agents de police judiciaire, les personnes habilitées constater les infractions (administrateurs des
affaires maritimes, différentes fonctionnaires, officiers de port, commandants…).

Sont ensuite identifiées (art. L. 218-27) les personnes chargées de rechercher les infractions
constituant le délit de pollution des eaux de mer, de recueillir à cet effet tous renseignements en
vue de découvrir les auteurs de ces infractions et d'en rendre compte soit à un officier de police
judiciaire exerçant ses pouvoirs conformément aux dispositions du Code de procédure pénale,
soit à un officier ou un fonctionnaire de catégorie A affecté dans les services exerçant des
missions de contrôle dans le domaine des affaires maritimes sous l'autorité ou à la disposition du
ministre chargé de la mer (i. e. les commandants des navires océanographiques de l’État, les
commandants de bord des aéronefs de la protection civile et des aéronefs de l'État affectés à la
347
surveillance des eaux maritimes, les agents du service des phares et balises, les agents de l'Institut
français de recherche pour l'exploitation de la mer et les agents de la police de la pêche fluviale).

Les procès-verbaux dressés par les agents mentionnés à l’art. L. 218-26 font foi jusqu'à preuve
contraire1277. Ils sont transmis immédiatement au procureur de la République par l'agent
verbalisateur qui en adresse en même temps copie à l'administrateur des affaires maritimes
lorsqu'il s'agit de navires ou de plates-formes ou à l'ingénieur des ponts, des eaux et des forêts
chargé du service maritime s'il s'agit d'engins portuaires, de chalands ou de bateaux-citernes
fluviaux.
Les règles relatives à la compétence des juridictions pénales spécialisées pour connaître des
infractions en matière de pollution sont fixées par les articles. L. 706-107 à 706-111 C. pr.
pén.1278.

On notera également que le navire qui a servi à commettre l'une des infractions de pollution peut
être immobilisé sur décision du procureur de la République ou du juge d'instruction saisi. Un
recours est possible dans un délai de 5 jours. Cette immobilisation est faite aux frais de
l'armateur. À tout moment, l'autorité judiciaire compétente peut ordonner la levée de
l'immobilisation s'il est fourni un cautionnement dont elle fixe le montant et les modalités de
versement.

La lutte contre la pollution n’est pas une affaire simple. L’Europe a pris de très nombreuses
mesures qui ont certainement contribué à renforcer la sécurité. Il ne faudrait cependant pas
multiplier les initiatives régionales, car se serait oublier que le droit maritime est par essence
international. Il est bon, en tout cas, d’encourager les mesures techniques dans la mesure toutefois
où elles émanent des professionnels eux-mêmes et ne sont pas imposées par les seules
administrations. Il faut reconnaître que l’OMI a beaucoup fait en ce domaine et que ces cinq
dernières années, la lutte contre la pollution marine a davantage progressé qu’elle n’avait pu le
faire tout au long du XXe siècle.

SECTION 3. DOMMAGES LIÉS AU TRANSPORT PAR MER DE SUBSTANCES


NOCIVES ET PARTICULIÈREMENT DANGEREUSES

La Convention de Londres ici présentée est connue également sous son nom anglais : HNS
Convention (Hazardous and Nocious Substancies)1279. La loi 2010-831 du 22 juill. 2010 a
autorisé l’adhésion à la convention. Elle dresse la liste des produits nocifs ou dangereux. Elle
organise, comme les précédentes, un système de responsabilité objective et plafonnée pesant sur
le propriétaire du navire. Les causes d’exonération de responsabilité sont limitativement
énumérées : acte de guerre ou d’hostilité, fait intentionnel d’un tiers, faute de la victime. Une
indemnisation complémentaire est prévue, financée par des redevances versées par les industriels
concernés.

1277
Aix-en-Provence 30 avr. 2013, DMF 2013. 809, obs. Bernié ; égal. Rennes 10 janv. 2013, DMF 2013. 437, obs.
Grellet.
1278
Dans les affaires de grande complexité, le TGI compétent peut se dessaisir au profit du TGI de Paris.
1279
Ph. Boisson, La nouvelle Convention HNS, DMF 1989. 286.
348
Le texte a été modifié par un Protocole du 30 avril 2010 qui a relevé les plafonds et élargi le
champ d’application à de nouvelles substances. Pour l’heure, la convention n’est pas encore
ratifiée par la France pour des raisons purement techniques.

SECTION 4. DOMMAGES PAR HYDROCARBURES DE SOUTES

La Convention de Londres du 23 mars 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages de
pollution par les hydrocarbures de soute (Bunker Oil) 1280 est entrée en vigueur le 21 nov. 2008 et
publiée en France par un décret du 2 avril 2011. La convention organise la responsabilité de plein
droit du propriétaire du navire pour les dommages de pollution causés par les hydrocarbures de
soute. Elle repose sur les mêmes principes que les conventions précédentes, en ce sens que la
responsabilité est de plein droit, sous réserve des actes de guerre, des cas de force majeure, du fait
délibéré d’un tiers, d’un fait de la victime ou encore d’une faute d’un gouvernement dans
l’entretien des aides à la navigation.
Toutefois, la responsabilité n’est pas canalisée et peut être imputée au capitaine, au pilote, à
l’assistant ou encore à l’armateur non propriétaire. Aucune limitation de responsabilité n’est
prévue (si ce n’est celle du droit commun) et aucun fonds n’est institué. Une assurance
obligatoire est cependant prévue (art. L. 5123-2). Comme P. Bonassies l’a parfaitement relevé,
l’entrée en application de la nouvelle convention ne devrait pas changer les choses au regard du
droit français dans la mesure où l’article 1384, al. 1 er, permet déjà de mettre en cause l’armateur
du navire en tant que gardien des soutes.1281

SECTION 5. PLATES-FORMES

Les plates-formes off shore à L'exploitation du pétrole en mer pose des problèmes de prévention
et de réparation spécifiques. Aux incertitudes du droit applicable suivant que les engins de forage
peuvent ou non être assimilés à des navires s'ajoute l'applicabilité du droit minier. On a pu de la
sorte proposer de distinguer les accidents tenant à l'exploitation elle-même (risques du puits) des
accidents tenant à sa présence dans le milieu marin (risques de mer) 1282. Les uns et les autres
appellent des mesures de prévention et de réparation civile, mais pour celle-ci, aucune disposition
internationale en vigueur ne limite la responsabilité de l'exploitant, alors que des règles
internationales diverses s'occupent soit à l'échelle du monde, soit à l'échelle régionale (Mer du
Nord, Mer Baltique) de la prévention. Pour les risques de mer, il est parfois nécessaire de
qualifier au préalable les plates-formes : navire ou non ? Cette démarche intellectuelle sera
nécessaire tant qu'une réglementation spéciale ne définira pas le statut des plates-formes de
forage (pétrole aujourd'hui, nodules polymétalliques demain). Le Comité maritime international a
tenté de mettre sur pied une convention internationale définissant le statut des plates-formes de
forage1283. En vain ?
1280
Ph. Boisson, La nouvelle Convention, DMF 2001. 659.
1281
DMF 2012, HS 16, n° 1.
1282
 M. Rémond-Gouilloud, « Quelques remarques sur le statut des installations pétrolières en mer », DMF 1977.
675 et 738 ; DMF 2010 ; v. encore, L. grellet, Sommes-nous en Europe face à un accident majeur d’installations
pétrolières ou gazières en mer ? DMF 2012. 199.
1283
 Documentation CMI, 1977, I, p. 27, s. La Convention sur la limitation de responsabilité en matière de créances
maritimes (Londres, 1976) les exclut explicitement de son champ d'application (art. 15. 5. b).
349
Les dommages causés par les hydrocarbures au milieu marin ne sont pas exclusivement liés à la
navigation. L’exploitation du pétrole en mer, à partir d’une plate-forme offshore, est une autre
source de pollution. Un cas intéressant est l’exploitation d’une plateforme de forage en eaux
profonde (le Deepwater Horizon) dans le Golfe du Mexique – dans les eaux territoriales
américaines – le 20 avril 2010. Cette catastrophe a causé des dommages considérables, compte
tenu du rejet d’environ 4,9 million de barils de pétrole. La catastrophe est la plus grande marée
noire de l’histoire des États-Unis, ce qui est un défi au regard des plafonds de l’Oil Pollution Act.
La question posée est celle de savoir qui sera civilement responsable et quelle est l’étendue du
dédommagement dont pourraient bénéficier les victimes de cette catastrophe1284.

§1. Responsabilité objective

L’Oil Pollution Act (OPA) dispose que la personne civilement responsable d’une installation
offshore de laquelle s’écoule du pétrole ou qui constitue une menace certaine d’écoulement sera
tenue de supporter les coûts d’enlèvement et d’autres dommages 1285. Est responsable « le titulaire
d’un contrat de bail ou d’une autorisation portant occupation d’une aire sur laquelle est située
l’installation, ou le bénéficiaire d’un droit d’usage ou d’une servitude accordée sur la base d’une
loi étatique ou de la Outer Continental Shelf Lands Act lorsque ce droit d’usage ou cette servitude
grève une aire sur laquelle est située l’installation (si le bénéficiaire du droit d’usage ou de la
servitude est une personne autre que le titulaire du contrat de bail ou de l’autorisation
d’occupation). » Étant précisé que « ne peut être considérée comme civilement responsable, une
agence fédérale, une commission étatique, municipale ou un démembrement d’un État, ou toute
autre entité interétatique, qui, en tant que propriétaire, transfère la jouissance ou le droit d’usage
de son bien à une autre personne au moyen d’un bail, d’une cession ou d’une autorisation ».1286
La personne civilement responsable est donc celle qui est autorisée à explorer une aire et qui, de
ce fait, tire profit d’une installation offshore.

Il faut ajouter que la responsabilité du la personne civilement responsable d’une installation


offshore est plafonnée à « tous les coûts d’enlèvement, plus 75 millions de dollars »1287.

§2. Indemnisation

La personne civilement responsable d’une installation offshore est tenue de produire et maintenir
la preuve de sa garantie financière lorsque l’installation « est utilisée pour explorer, forer,
produire ou transporter du pétrole provenant d’installation d’exploration pétrolière, de forage ou
de production pétrolière »1288 et lorsque l’installation « constitue un risque extrême de
déversement de pétrole d’une quantité excédant de 1000 barils1289 ».
L’OPA dispose que la garantie financière relative aux installations offshore est de 35 US M
dollars (pour une installation offshore située au large des frontières maritimes d’un État) ou de 10
US M dollars (pour une installation située sur le plateau continental) 1290. Ce montant peut être
1284
Faure, M., Tiebley, Y., Wang, H., Responsabilité civile et réparation des pollutions marines – Leçons à tirer
des déversements provenant des plateformes pétrolières, Amén. 2011, liv. 2, p. 88.
1285
33 U.S.C. §2702 (a).
1286
33 U.S.C. §2701 (32) (C).
1287
33 U.S.C. §2704 (a) (3).
1288
33 U.S.C. §2716 (c) (1) (ii).
1289
33 U.S.C. §2716 (c) (1) (iii).
1290
33 U.S.C. §2716 (c) (1) (B).
350
relevé si cela est nécessaire et justifié. Mais, ce relèvement ne saurait excéder 150 millions de
dollars1291. Ainsi, le montant de la garantie financière relative aux installations offshore n’est pas
lié aux plafonds de responsabilité. Excepté dans des cas spéciaux, la garantie financière requise
(35 ou 10 millions de dollars) est moins élevée que le plafond de responsabilité (75 millions de
dollars plus les coûts d’enlèvement).

L’Oil Pollution Act a, par ailleurs, créé la Oil Spill Liability Trust Fund (OSLTF). Ce fonds est
disponible pour payer les coûts de dépollution supportés par les gouvernements fédéraux et
étatiques, les coûts supportés par les gouvernements lors de l’évaluation des dommages aux
ressources naturelles, le développement et la mise en œuvre de plans de restauration, les coûts de
dépollution non remboursés et les dommages non indemnisés, ainsi que les coûts administratifs
liés aux marées noires1292.
Ce fonds a cinq sources de financement. La première et la plus importante source de financement
provient d’une taxe de 5% prélevée sur chaque baril de pétrole transporté ou produit aux États-
Unis. La deuxième source majeure de financement provient du transfert des fonds
« antipollution ». La troisième source provient des intérêts produits par le Fonds principal
d’investissement du Trésor des États-Unis. La quatrième source de financement provient du
recouvrement des coûts et dommages supportés par les civilement responsables et leurs garants.
La dernière source est constituée par les amendes. Les personnes civilement responsables sont
passibles d’amendes et indemnités par application de l’Oil Pollution Act ou de toute autre
législation fédérale consacrée au contrôle des pollutions aquatiques. Ces amendes et indemnités
sont reversées dans le fonds OSTLF1293.

1291
33 U.S.C. §2716 (c) (1) (C).
1292
33 U.S.C. § 2712 (a).
1293
Faure, M., Tiebley, Y., Wang, H., Responsabilité civile et réparation des pollutions marines – Leçons à tirer
des déversements provenant des plateformes pétrolières, Amén. 2011, liv. 2, p. 94.
351
TITRE 2

LES ÉVÉNEMENTS DE MER

Le droit classique identifie trois événements de mer : l’abordage, l’assistance et les avaries
communes. Le Code des transports parle d’« accidents de navigation », ce qui n’a sans doute plus
la même connotation. Du reste, la terminologie n’est pas encore abandonnée (notamment en
matière d’assurance). D’autres événements prennent ou reprennent aujourd’hui de l’importance :
on pense naturellement à la piraterie ou encore à des phénomènes tels que le terrorisme qui ont
des répercussions sur la navigation maritime. On les regroupera, faute de mieux et par opposition
aux précédents, sous l’expression d’événements de mer innommés.

352
SOUS-TITRE 1
LES EVENEMENTS DE MER NOMMES

Les trois événements de mer répertoriés comme tels depuis les origines du droit maritime, i. e.
l’abordage, l’assistance et les avaries communes, appellent les remarques suivantes.

353
CHAPITRE 1
L’ABORDAGE

L'abordage est un fait matériel qui est une source de responsabilité pour l'armateur 1294. Depuis
longtemps, le droit maritime s'est occupé de ce risque spécial de la navigation. Les abordages
étaient autrefois très fréquents : le nombre des navires était plus important qu'aujourd'hui, car il y
avait beaucoup de petites embarcations et ces navires, encore à voile, manœuvraient plus mal que
les unités actuelles. À l'entrée et à la sortie des ports, les abordages entre les voiliers qui avaient
perdu leur force de propulsion étaient des événements presque ordinaires. Mais ces abordages
étaient en revanche beaucoup moins graves : la masse du navire était moins forte, la vitesse plus
réduite et la construction en bois donnait aux navires une certaine élasticité, qui les faisait
relativement mieux résister aux chocs.
Aujourd’hui, l'abordage est devenu un péril plus rare parce que les navires sont plus mobiles,
suivent une route plus droite et sont plus réactifs. Mais en cas d’abordage, le péril est plus grand
qu'il n'a jamais été. La construction des navires modernes est telle, leur masse et leur vitesse sont
si considérables, que les conséquences d'un abordage peuvent être catastrophiques.
Valin disait déjà que les abordages sont souvent inévitables et qu'on doit même « les présumer
tous tels ». L'homme n'a toujours pas su dompter les forces de la mer. Mais il est permis de se
demander pourquoi le droit de l'abordage est si différent de celui qui régit la collision des
véhicules terrestres. Sans doute parce que le droit terrestre tend à assurer la sécurité collective,
tandis que le droit maritime conserve l'idée que chaque intéressé doit se pourvoir lui-même contre
les hasards du sort ; d'où, dans le monde maritime, le rôle considérable des assurances
volontairement prises par les parties concernées. Ainsi, tandis que le heurt d'un appontement
donne lieu de nos jours à la responsabilité automatique du gardien du navire, le heurt d'un autre
bâtiment n'engagera la responsabilité du propriétaire du navire abordeur qu'en cas de faute établie
contre lui. Il faut donc définir le domaine de l'abordage maritime et l'idée avancée plus haut doit
conduire à distinguer ce qui relève de la Mer et ce qui participe de la Terre.
L'abordage était réglementé par le Code de commerce qui avait suivi les dispositions de
l'Ordonnance de 1681. Le texte a été refondu et l'économie du système a été transformée par la
loi du 15 juillet 1915.
Cette loi a tenu compte de la réglementation internationale. Lorsqu’un abordage intéresse des
navires de pavillons différents, celui qui a subi des dommages (ou les plus importants dommages)
est conduit à plaider devant les juridictions du navire abordeur et subit ainsi généralement une loi
différente de la sienne, alors qu'il a lui-même aménagé son entreprise en considération de sa
propre loi. Des discordances fâcheuses peuvent en résulter : si des lois différentes régissent
l'abordage, il n’est pas facile de démêler les questions d'assurance et de régler les avaries subies
par les chargeurs en relation avec l’armateur du navire abordé. Un règlement uniforme des litiges
internationaux était nécessaire. Ce fut l'œuvre de la Convention internationale de Bruxelles du
23 septembre 1910, ratifiée par une loi du 12 août 1912 et un décret du 12 mars 1913 (v. DP
1919. 4. 281). La loi du 15 juillet 1915 a modifié les articles 407 et 436 du Code de commerce
pour mettre la loi française en harmonie avec ses dispositions. La plupart des pays étrangers 1295

1294
I. Bourbonnais-Jacquard, L’abordage, thèse Aix-Marseille 2010, PUAM, 2012, préface Ch. Scapel ; J.
Villeneau, « Survol de deux mille ans d'abordage » in Liber Amicorum Lionel Tricot, Anvers, Kluwer Editeur, 1988,
561 s.
1295
 V. pour l'Espagne, I. Arroyo, Estudios de derecho maritimo, étude n° 5, Libreria Bosch, Barcelone, Espagne.
354
ont, comme la France, adopté dans leur loi interne, les règles de la Convention internationale de
1910. Une partie importante du droit maritime se trouve ainsi unifiée. La loi n° 545 du
7 juillet 1967 a recueilli les dispositions de la convention (ou de la loi de 1915) dans ses articles 1
à 8, complétés par l'article 1er du décret n° 65 du 19 janv. 1968. C’est ce texte qui a été repris à
droit constant par le Code des transports (art. L. 5131-1 s.).

L’abordage est une faute disciplinaire et une infraction pénale. L’art. L. 5242-4 du Code des
transports punit de trois mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende le fait pour le
capitaine (le chef de quart ou le pilote) d’un navire, de commettre tout fait de négligence
occasionnant pour le navire ou un autre navire un abordage. L’abordage appelle aussi d’autres
sanctions : l’art. L. 5263-1 du Code des transports punit de trois mois d’emprisonnement et de
3 750 euros d’amende le fait pour le capitaine de chacun des navires abordés, de ne pas faire
connaître au capitaine de l’autre ou des autres navires : le nom de son propre navire, le port
d’immatriculation, de départ et de destination de ce navire, s’il peut le faire sans danger pour son
navire, son équipage et ses passagers.

Une convention sur le règlement international pour prévenir les abordages en mer (RIPAM –
COLREG, en anglais : « collisions regulations ») adoptée à Londres le 20 octobre 1972
détermine une série de règles de barre et de route sur la vitesse, la veille, la sécurité, afin de
réduire les abordages1296. Il y a là un véritable « Code de la route de la mer » (P. Bonassies) qui
fixe ainsi des règles de sécurité élémentaires 1297. Ces règles ne sont pas, en elles-mêmes,
contraignantes, mais dictent la conduite raisonnable que l’on est en droit d’attendre d’un bon
marin. Leur inobservation peut, dans ces conditions, constituer une faute au sens de l’article 1382
du Code civil1298.

Dans les cas – rares - non régis par la Convention de Bruxelles de 1910, l'abordage ou l'accident
sera régi par une loi nationale. Laquelle ? La solution générale des conflits de lois en matière de
délits et quasi-délits civils donne compétence à la lex loci delicti, plus précisément à la lex loci
damni depuis le règlement Rome II. Au demeurant, selon ce règlement, si le fait de l'agent et le
dommage se réalisent en des lieux différents, cette loi s’entend non de la loi du fait générateur du
dommage, mais plutôt de la loi de sa réalisation1299.
Mais cette règle générale qui est applicable lorsque l'événement se produit dans un port ou dans
les eaux territoriales (encore hésite-t-on dans ce second cas parce que le rattachement paraît bien
fragile)1300 ne l'est pas quand il a lieu en haute mer. Si l'accident met en cause deux navires battant

1296
V. Décr. 77-733 du 6 juill. 1977, D. 1977. 273 et Décr. 77-778 du 7 juill. 1977, mod. Décr. 81-229 du 9 mars
1981.
1297
Règle 6 : « tout navire doit maintenir en permanence une vitesse de sécurité telle que le (capitaine) puisse
prendre des mesures appropriées et efficaces pour éviter un abordage et pour s’arrêter sur une distance adaptée aux
circonstances et conditions existantes ».
Règle 9 : « les navires faisant route dans un chenal étroit ou une voie d’accès doivent, lorsque cela peut se faire
sans danger, naviguer aussi près que possible de la limite extérieure droite du chenal ou de la voie d’accès ».
1298
V. Aix-en-Provence 22 févr. 2010, navire Illusion, DMF 2010. 971, DMF HS 15, n° 58, observant que les règles
du RIPAM s’apparentent à des recommandations données au capitaine de navire dont l’application est laissée à
l’appréciation de ce dernier et qu’ainsi, en l’absence de violation d’une obligation particulière de prudence ou de
sécurité imposée par la loi ou le règlement, le prévenu doit être relaxé du chef de mise en danger de la vie d’autrui.
1299
V. Règlement Rome II, art. 4-1.
1300
Cf. P. Bonassies, La loi du pavillon, Recueil des cours de l’Académie de droit international, 1969, vol. 3, 547.
355
le même pavillon, on appliquera la loi de leurs pavillons. Sinon, les juges se rabattront sur le lex
fori, comme loi d'application subsidiaire1301.
Après avoir cerné la notion d’abordage, il faudra s’interroger sur les règles de responsabilité
applicables et sur la manière dont une action peut être engagée.

SECTION 1. DÉFINITION DE L’ABORDAGE

§1. Notion originelle

Le mot abordage (collision en anglais) indique par son étymologie qu'il s'agit de la collision de
deux bâtiments dont les bords se heurtent1302.
L’article L. 5131-1 du Code des transports indique que les règles qu’il détermine s’appliquent à
l’« abordage survenu entre navires, y compris les navires de guerre, ou entre de tels navires et
bateaux » et que dans ce dernier cas, elles s’appliquent également au bateau. Le texte ajoute
qu’en l’occurrence « est assimilé au navire ou au bateau, tout engin flottant non amarré à poste
fixe ». L’article L. 5131-2 précise que « les indemnités dues à raison des dommages causés aux
navires, aux choses ou personnes se trouvant à bord, sont réglées (conformément aux dispositions
légales), sans qu'il y ait à tenir compte des eaux où l'abordage s'est produit ».
Il suffit donc que l'un des bâtiments en cause soit un navire pour que les règles sur l’abordage
opèrent. Peu importe que l'autre bâtiment soit un navire de mer ou un bateau de rivière ; peu
importe que l'abordage se soit produit en haute mer, dans un port ou dans une rivière.
Mais encore faut-il que l’un des bâtiments soit un engin flottant 1303. Le heurt d'un mur de quai ou
d'un ponton amarré à poste fixe n'est pas un abordage. Le législateur a bien précisé que « tous
engins flottants, à l'exception de ceux qui sont amarrés à poste fixe, sont assimilés selon les cas
aux navires ou aux bateaux ». La loi n° 1181 du 30 décembre  1968 relative à l'exploration du
plateau continental et à l'exploitation de ses ressources naturelles en donne un exemple
intéressant. Dans son article 3, l'expression « installations et dispositifs » désigne les plates-
formes et autres engins d'exploration ou d'exploitation et les bâtiments de mer qui participent
directement aux opérations d'exploration ou d'exploitation. Or, aux termes de l'article 10, ces
installations et dispositifs, « lorsqu'ils sont capables de flotter… sont soumis… au règlement
relatif à la prévention des abordages en mer pour le temps où ils flottent. » On ajoutera, par
application de la loi, que ces engins, pendant le temps où ils flottent, sont assimilés aux navires
pour l'application du droit de l'abordage. En revanche, une épave, même flottante, de navire ou de
bateau n'est pas un engin flottant (rappr. v. ss 127)1304 ; un engin flottant est un bâtiment qui a
reçu originairement une structure déterminée pour accomplir un certain service ; ce n'est pas un
navire dégradé ; une épave de navire est simplement un ancien navire et ne devient pas un engin
flottant au prétexte qu'elle n'est plus un navire et qu'elle flotte encore.
Tous les bâtiments, quelle que soit leur taille 1305, leur qualité ou leur appartenance, entrent dans
cette définition. Les navires de pêche et de plaisance sont soumis aux mêmes règles, celles-ci se
1301
 Com. 9 mars 1966, DMF 1966. 408, D. 1966. 577, note R. Jambu-Merlin ; égal. du même auteur note D. 1962.
155 ; — Rodière, op. cit., n°s 106 à 109. — CMI, Private International Law, Synopsis of the Replies to the
Questionnaire, 31.12.1985, p. 99 s., inédit, dactyl. V. MM. Bonassies et Scapel, n° 401.
1302
Cf. Littré, V° Abordage.
1303
V. T. com. Marseille 1er avr. 2011, DMF HS 17, n° 67 ; rappr. Civ. 1re, 2 avr. 2009, DMF 2009. 955, obs.
Montas.
1304
TGI Quimper 12 janv. 2010, DMF 2011. 13, obs. Montas.
356
rapportant non à l'exploitation commerciale mais à la navigation maritime. Il n'y a pas lieu non
plus, depuis 1967, d'en excepter les navires de guerre (art. L. 5131-1).

Lorsqu’un navire aborde un bateau de rivière, les règles maritimes sont applicables, même si la
collision a lieu dans les eaux intérieures. C'est seulement s'il y a collision entre deux bateaux
qu'elles ne sont pas applicables et cela alors même que la collision aurait lieu dans les eaux
maritimes1306. C'est la qualité des bâtiments qui détermine l'application des règles sur l’abordage
et non le lieu de leur rencontre.
Suivant l'article L. 5131-7 : « les dispositions qui précèdent sont applicables à la réparation des
dommages que, soit par exécution ou par omission de manœuvre, soit par inobservation des
règlements, un navire a causé soit à un autre navire, soit aux choses ou personnes se trouvant à
leur bord, alors même qu'il n'y aurait pas eu abordage ».
Grâce à la précision du texte, on n'hésitera donc pas à appliquer les règles de l’abordage aux
dommages subis par un petit navire du fait du remous provoqué par le déplacement ou les hélices
d'un gros navire1307. C’est ce que l’on appelle l’effet de wash1308.

§2. Limites : non-application à certains abordages 

Les règles spéciales définies ci-dessous ne s'appliquent pas :


- aux abordages entre bateaux de rivière, même si le régime fluvial et le régime maritime restent
assez proches ;
- en cas de heurt par un navire d’une structure terrestre, à l’exemple d’un ponton non mobile.

- Reste le cas de l’abordage entre deux engins nautiques dont aucun n’est un navire. Les règles de
l’abordage étant dérogatoires du droit commun, elles ne devraient pas s’appliquer. Mais la

1305
. D’où les discussions déjà évoquées sur les planches à voile. Il suffit qu'un engin sans tirant d'eau soit utilisé ou
susceptible d'être utilisé comme moyen de transport sur mer, même à titre de loisir. Cela pourra s'appliquer aussi à
une barge, remorquée, dépourvue d'équipage, de moyens propres de propulsion et même de gouvernail (Com. 24 oct.
1989, n° 87-17.357). L'abordage peut être causé par un accessoire d'un navire ou à un accessoire de navire (v. pour
un dommage causé à un filet de pêche, T. com. Marseille 8 mars 1960, DMF 1960. 755).
1306
 Com. 5 nov. 2003, DMF 2004. 331, obs. P. Bonassies ; Sur l'abordage fluvial », v. J. Delmas Saint-Hilaire, in
Études de droit fluvial, dirigées par R. Rodière, 1959, p. 342 s.
1307
 Com. 1er oct. 1991, n° 89-21.228 ; pour un ex. négatif, T. com. Marseille 8 juin 2004, DMF 2006. 284 et les obs.
v. aussi, Douai 29 janv. 1987, DMF 1988. 739. Pour le choc entre la mâture de deux navires mouillés côte à côte, v.
Rouen, 4 oct. 1984, Gaz. Pal. 1985. 1. som. 29 ; En revanche, il est excessif d'appliquer les règles de l'abordage aux
dommages subis par un navire du fait de l'explosion d'une canalisation de gaz accrochée par l'ancre d'un autre navire
(Aix-en-Provence, 14 sept. 1984, DMF 1985. 601, obs. Bonassies ; pourvoi rejeté par Com. 7 avr. 1987, Bull.
civ. IV, n° 87, DMF 1988. 670). L'éperonnage volontaire d'un voilier de plaisance par des chalutiers ne constitue pas
un abordage mais des voies de fait dont la responsabilité doit être recherchée selon le droit commun (Caen,
19 oct. 1987, DMF 1988. 743 ; Bonassies, DMF 1989, HS, p. 17, n° 13). Cette notion d'abordage sans contact est
propre au domaine de la responsabilité civile et n'est pas admise par le droit des assurances, dans le cas de l'assurance
corps de navire : « Lorsque dans une police d'assurance maritime sur corps de navire, les conséquences de l'abordage
sont garanties, il faut entendre cette notion au sens strict et précis du terme qui implique l'existence d'un choc bord
contre bord de deux navires… cette garantie contractuelle ne s'applique pas à l'hypothèse visée par la loi, qui étend
les règles relatives à la réparation des dommages par abordage causés par un navire à un autre, alors même qu'il n'y
aurait pas eu contact entre les deux navires » (T. com. Boulogne, 28 déc. 1982 et Douai, 10 mai 1984, DMF 1985.
45, obs. JCC).
1308
Lorsqu’un accident est causé à terre par des remous, l’art. 1384, al. 1 er fonde la responsabilité du navire : Com.
10 juin 2004, DMF 2005. 109, obs. Vialard.
357
question est discutée1309. La Cour de cassation en considérant qu’une collision entre jet-skis
évoluant en mer relevait du régime légal de l’abordage maritime 1310 a peut-être laissé entendre
qu’elle était sa préférence.

Plus fondamentalement, on observera que le régime de l’abordage est un régime extra-


contractuel : Il ne s’applique plus si la faute commise est une faute intentionnelle 1311 qui fait
échec à toutes les règles et surtout dans les situations contractuelles de remorquage1312, de
lamanage ou encore de pilotage (v. ss 563, étant précisé que la responsabilité subsiste dans le cas
où l’abordage est causé par la faute d’un pilote). En cas d’abordage à l’occasion d’une régate, il
est permis de penser que les règles les plus appropriées sont d’ordre contractuel (v. ss 837).

SECTION 2. RÈGLES DE RESPONSABILITÉ

§1. Distinction de la loi 

Le droit de l’abordage est dominé par l’idée de faute. Cette idée pourrait paraître surannée dans
le droit contemporain de la responsabilité civile, mais elle est en la matière essentielle. Les
tribunaux ne s’y trompent pas et la Cour de cassation censure régulièrement les décisions qui s’en
tiennent aux dispositions de l’article 1384, al. 1 er, du Code civil. On distinguait autrefois suivant
que l'abordage était fortuit, douteux ou fautif. La réforme de 1915 a assimilé le second au
premier, et fait une sous-distinction dans le cas où l'abordage est fautif. Les solutions sont les
mêmes dans le Code des transports1313 : il faut exclure toute référence à l’art. 1384, al. 1 er, comme
à l’art. 13821314. Précisons que lorsqu’il s’agit non pas d’identifier le navire responsable, mais de
savoir comment la contribution à la dette s’organise1315, les règles ordinaires de la responsabilité
civile retrouvent leur empire.

§2. Abordage fortuit ou douteux 

Suivant l'article L. 5131-3, al. 2 : « si l'abordage est fortuit, s'il est dû à un cas de force majeure
ou s'il y a doute sur les causes de l'accident, les dommages sont supportés par ceux qui les ont
éprouvés, sans qu'il y ait à distinguer le cas où, soit les navires soit l'un d'eux, auraient été au
mouillage au moment de l'abordage ». C'était la solution traditionnelle déjà pour l'abordage
fortuit, celui qui est dû à un événement de force majeure que l'on peut démontrer. On remarque
que la loi précise utilement que la règle jouera même si l'un des navires est au mouillage, ce qui
évite des discussions concernant le rôle actif ou passif des navires entrés en collision.
Faut-il du reste avoir de la notion d'abordage fortuit une compréhension aussi étroite que celle qui
prévaut généralement en droit français concernant la définition de l'événement de force majeure ?
1309
V. en faveur du droit de l’abordage, Montas, DMF 2009. 955 ; v. égal. Aix-en-Provence 24 juin 2008, DMF
2010. 516, appliquant le règlement international sur la prévention des abordages à une collision entre véliplanchistes.
1310
Com. 3 juill. 2012, D. 2012. 1882, DMF 2012. 938 rapp. Rémery, obs. Miribel, D. 2012. 2550.
1311
Caen 19 oct. 1987, Kyria DMF 1988. 743.
1312
Com. 21 mars 2006, DMF 2006. 1008 et les obs.
1313
 Villeneau, Evénements de mer : abordage, collision et assistance, Annuaire de droit maritime et aéro-spatial,
Université de Nantes, T. IX, 1987, 75 s.
1314
Com. 5 oct. 2010, DMF 2010. 917, obs. Bonassies ; 1er avr. 1999, DMF 2000. 315 et les obs.
1315
v. Com. 24 janv. 2006, DMF 2006. 1003, obs. Raison, s’agissant du recours exercé par un club de voile contre
le skipper à qui le dommage pouvait finalement être imputé.
358
Faut-il y requérir avec la même sévérité l'imprévisibilité et l'irrésistibilité ? Ce n'est pas certain,
car le droit maritime ne s'est jamais fait une idée aussi stricte des événements qui exonèrent les
capitaines et leurs armateurs. Il faut aussi tenir compte de ce que la convention internationale a
été rédigée sous l'inspiration de juristes de common law qui se font de la force majeure une idée
beaucoup plus large que celle qui est de mise dans les pays de droit civil. Cependant, la Cour de
cassation reste fidèle à la tradition de sévérité1316.
L'abordage est douteux lorsque les causes n'en sont pas établies. En pareil cas, le Code de 1807
faisait masse des dommages subis par les deux navires et en répartissait la charge entre les deux
navires par moitié. Cette règle, dont Cleirac disait qu'elle relevait d'une équité de rustres,
judicium rusticorum, a été supprimée. L'abordage douteux est traité comme l'abordage fortuit1317.

§3. Abordage fautif 

L'abordage est fautif lorsqu'une ou plusieurs fautes sont établies. Il faut alors distinguer :
« Si l'abordage est causé par la faute de l'un des navires, la réparation des dommages incombe à
celui qui l’a commise » (art. 5131-3, al. 1er).
C'est la règle simple de l'article 1382. On ne distingue pas suivant la gravité de la faute. Mais la
faute doit être établie1318. Il n'y a pas de place ici pour la présomption de faute.
« S'il y a faute commune, la responsabilité de chacun des navires est proportionnelle à la gravité
des fautes respectivement commises. Toutefois, si d'après les circonstances, la proportion ne peut
être établie, ou si les fautes apparaissent comme équivalentes, la responsabilité est partagée par
parties égales » (art. 5131-4)1319.
Lorsque l’abordage est causé par la faute d’un pilote, même lorsque le service de celui-ci est
obligatoire, la responsabilité du navire abordeur subsiste (art. L. 5131-5).

§4. Nature de la faute 

La faute fondant ici la responsabilité peut être la faute de l’armateur exploitant un navire affecté
d’un vice qui aurait dû être décelé 1320. C’est aussi la faute du capitaine, faute qui peut au
demeurant consister soit dans une violation des règles sur la route de mer, les feux et les signaux,
fixés par les conventions internationales et les règlements, soit dans une imprudence ou une
négligence quelconque. Ce peut être aussi la faute d’un autre des préposés (terrestres ou
maritimes) de l’armateur.
Elle consistera souvent dans l'inobservation d'une des nombreuses prescriptions détaillées par le
« règlement pour prévenir les abordages » (v. ss 918)1321. Ce règlement prescrit la conduite à tenir
1316
Com. 2 nov. 1960, DMF 1961. 82 ; 1er mars 1994, Bull. civ. IV, n° 87 ; 12 juin 2001, DMF 2002. 208 et les obs.
1317
 V. Com. 21 juin 2001, navire Basque, DMF 2002. 208 et les obs. ; égal. Rouen, 4 oct. 1984, DMF 1986. 17,
n° 13 ; Sentence CAMP n° 1203 du 24 mai 2013.
1318
 En l'absence de force majeure, le juge doit relever une faute pour condamner l'armateur du navire abordeur
(Com. 12 mai 1987, DMF 1988. 735 ; v. égal. Rouen 14 févr. 2013, DMF 2013. 875, obs. Bonassies.
1319
 Exemple : dans l'abordage, le navire A subit un dommage de 40, le navire B un dommage de 60. Le partage des
responsabilités, compte tenu de la gravité des fautes, engage à faire peser les 3/4 des dommages sur A, 1/4 sur B.
Solution : 40 + 60 = 100. A supportera ses dommages et versera 35 à B. Celui-ci recevant 35, supportera 25, soit le
¼ ; v. égal. Aix-en-Provence 23 févr. 2011, DMF 2012. 586.
1320
Aix-en-Provence 11 avr. 1988, DMF 1989. 26.
1321
Le décret du 7 juillet 1977 et un arrêté du même jour du ministre de l'Equipement (JO 13 juill.) ont rendu
obligatoires les recommandations concernant les dispositifs de séparation du trafic maritime prévus pour les
passages étroits à navigation intense à partir du 15 juillet 1977. Pour ce qui concerne la France, ces zones sont
359
dans un certain nombre de circonstances : croisement, dépassements, routes en sens contraire
avec risque de collision, marche par temps de brume, marche de nuit… On s'est demandé si les
règles, ainsi prescrites pour les cas où chacun des navires a la vue claire de l'autre, valaient,
lorsque par temps de brume, chacun des navires a connaissance de la position de l'autre par le
radar1322.
On a soutenu qu'en visant la « faute du navire », la règle relative à l'abordage fautif devait opérer
quand le comportement du navire avait été anormal, encore qu'aucune faute pût être reprochée à
l'équipage ou au capitaine1323. Cette thèse – séduisante - qui s'autorise du vocabulaire emprunté
par la loi à la terminologie anglaise, est controversée1324. Il est vrai que lorsque l'article 5131-7
vise l'exécution ou l'omission de manœuvres ou l'inobservation des règlements, il s'agit de fautes
qu'on ne saurait attribuer au navire. Il reste seulement que les circonstances peuvent entraîner des
présomptions de fait qui dispenseront de prouver de façon positive la faute du capitaine ou de tel
membre désigné de l'équipage.

§5. Preuve de la faute 

Les fautes pourront être prouvées par tous moyens. La confrontation des rapports de mer y sera
souvent utilisée. Il n'y a plus de présomptions comme le droit ancien en connaissait ; on admettait
ainsi que le navire au mouillage, ne pouvant pas manœuvrer, n'avait pas dû commettre de faute
ou encore, dans l'abordage d'un vapeur et d'un voilier, que le premier devait être responsable
parce qu'il pouvait manœuvrer plus facilement que le voilier. C'étaient là des présomptions
légales ; elles ont disparu. En revanche, les juges peuvent user des présomptions du fait de
l'homme au même titre que des témoignages (C. civ., art. 1353) et asseoir leur conviction sur des
indices matériels et les raisonnements qu'ils peuvent autoriser1325.
La preuve de la faute en matière d'abordage a posé une question d'autorité de la chose jugée. On
sait que la chose jugée au criminel a autorité au civil. Du moins, le juge civil ne peut-il
méconnaître ce qui a été nécessairement et certainement décidé par le juge criminel sur
l’existence du fait incriminé qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale,
sur sa qualification et la culpabilité de celui à qui le fait est imputé. Cette autorité qui est d’intérêt
purement privé n’est attachée qu’aux décisions des juridictions françaises et parmi elles,
exclusivement à celles qui ont été rendues par les juridictions de jugement.
Ouessant, les Casquets et le Pas-de-Calais ; la liste des dispositifs de séparation de trafic adoptés par l'OMI a été
publiée par un arrêté du 22 décembre 1978 et complétée par un arrêté du 27 décembre 1979 (JO 9 janv. 1980) et est
en vigueur depuis le 15 février 1980. Les « amendements au règlement international de 1972 pour prévenir les
abordages en mer » ont été adoptés le 19 novembre 1981 et sont entrés en vigueur le 1 er juin 1983 ; il s'agit
notamment de la Résolution A.464 (XII) intitulée « Recommandation sur les navires à capacité de manœuvre
restreinte effectuant une opération destinée au maintien de la sécurité de la navigation dans un dispositif de
séparation de trafic ». Un décret n° 448 du 27 mai 1983 (JO 5 juin) a fait entrer ces amendements dans le droit
positif français. Une loi du 15 déc. 1986 (JO 16 déc.) permet de réprimer les infractions relevées dans les dispositifs
de séparation du trafic lorsqu'elles sont commises, même en dehors des eaux territoriales, par des navires français (P.
Bonassies, Le droit positif français en 1987, DMF 1988. 4, n° 2).
1322
La connaissance par le radar ne peut pas être ignorée par celui qui l’a eue de cette manière : Paris 24 juin 1958,
D. 1958. 660, note Rodière ; T. com. Rouen 10 mai 1963, DMF 1969. 679.
1323
v. R. Garron, La faute du navire dans le droit de l’abordage, DMF 1964. 579.
1324
Pro : MM. Bonassies et Scapel, n° 391 ; Montpellier 27 févr. 1997, DMF 1997. 975 et les obs. ; contra Rodière,
La faute dans l’abordage, DMF 1971. 195.
1325
 Ainsi autrefois, une présomption de droit accablait le navire en mouvement qui avait abordé un navire au
mouillage. Cette présomption n'existe plus comme telle, mais les juges peuvent tenir compte de cette situation à titre
de présomption de fait : ex. dans Poitiers, 23 juin 1976, DMF 1977. 85.
360
En outre et surtout, depuis la loi du 10 juillet 2000 qui a distingué la faute pénale d’imprudence
de la faute civile de l’art. 1383, la déclaration par le juge pénal de l’absence de faute non
intentionnelle n’empêche pas le juge civil de retenir une faute d’imprudence ou de reconnaître
l’existence d’une faute inexcusable1326. Il est intéressant de noter que cette solution avait été
anticipée par la Cour de cassation elle-même dans une espèce où un capitaine poursuivi sur le
fondement de l’art. 81 CDPMM avait été acquitté : « le juge civil avait pu, sans méconnaître le
principe de l’autorité de chose jugée, rechercher si le capitaine avait commis des fautes engageant
sa responsabilité civile et par là celle de l’armateur ».1327

§6. Dommages aux tiers 

Dans les cas de dommages causés aux tiers, notamment aux passagers ou aux chargeurs, la
jurisprudence admettait autrefois la solidarité des condamnations prononcées contre les deux
navires en cas de fautes communes 1328. C'était le droit commun de la responsabilité. On dirait
seulement aujourd'hui : condamnation in solidum et non condamnation solidaire. Le chargeur se
gardait bien alors de s'adresser à son transporteur lorsqu'une clause limitative du contrat de
transport le gênait ou encore en cas de faute nautique libératoire (v. ss 745). Il s'adressait à l'autre
navire et en obtenait pleine réparation ; ce navire se retournait alors contre le transporteur
indemnisé et la clause limitative ou le cas excepté lui était inopposable. Par ce circuit, les clauses
contractuelles du contrat de transport étaient tournées.
La loi, après la convention internationale, a supprimé cette possibilité pour les dommages
matériels causés aux marchandises (art. L. 5134-4, al. 2), mais l'a maintenue pour les dommages
corporels aux causés passagers (art. 5134-4, al. 3). Dans cette situation, le passager blessé par
l’un des navires pourra obtenir réparation intégrale de l’armateur de l’autre navire, celui-ci
pouvant alors exercer contre le premier une action récursoire pour sa part de responsabilité. Les
clauses conventionnelles insérées dans le contrat de transport de passagers ou les plafonds de la
loi pour ces mêmes contrats peuvent, de la sorte, être tournées ou écartées. Cependant, il ne faut
pas oublier que si l'abordage est dû à la faute du capitaine, les dettes de l'armateur sont de celles
qui peuvent donner lieu à la constitution du fonds de limitation de la Convention de 1976.

§7. Both to Blame Collision clause

La convention n’est cependant pas d’application systématique, puisque certains États, comme les
États-Unis, ne l’ont pas ratifiée. Le circuit des recours est donc parfaitement envisageable et
même organisé par certaines clauses habituelles dans les connaissements. Tel est le but de la
fameuse « both to blame collision ». Elle est ainsi conçue : « If the vessel comes into collision
with another ship as a result of the negligence of the other ship and any act, neglect or default of
the master, mariner, pilot or the servants of the carrier in the navigation or in the management of
the vessel, the merchant hereunder will indemnify the carrier against all loss or liability to the
other or non-carrying ship or her owners in so far as such loss or liability represents loss of, or
1326
Bouloc, Procédure pénale, Précis Dalloz, 24e éd., n° 1192.
1327
Com. 29 oct. 1963, JCP 1964, II, 13589, note de Juglart, RTD com. 1964. 406 ; le Tribunal maritime n’avait pas
pu décider quelle était l’importance respective des fautes au regard de l’art. 407 C. com., puisqu’il ne connaît pas de
l’action civile en réparation des dommages causés par l’abordage ; égal. MM. Bonassies et Scapel, n° 121.
1328
Du reste, v. l’arrêt de principe sur l’obligation in solidum rendu dans une affaire d’abordage : Civ. 11 juill. 1892,
GAJC, n° 243 : « quand il y a participation de plusieurs à un fait dommageable, la réparation doit en être ordonnée
pour le tout contre chacun, s’il est impossible de déterminer la proportion dans laquelle chaque faute a concouru à
produire le dommage subi par la partie lésée ».
361
damage to, or any claim whatsoever of the merchant, paid or payable by the other or non-
carrying ship or her owners to the merchant and set-off, recouped or recovered by the other or
non-carrying ship or her owners as part of their claim against the carrying vessel or carrier. The
foregoing provisions shall also apply where the owners, operators or those in charge of any ship
or ships or objects other than, or in addition to, the colliding ships or objects are at fault in
respect of a collision or contact ».
Malgré son habileté, les tribunaux lui sont hostiles,1329 au regard, sans doute, de sa trop grande
généralité.

§8. Véritables tiers 

Une dernière question se pose en matière d'abordage : elle est de savoir quelle est la situation des
véritables tiers. Quelle est, par exemple, la situation du propriétaire d’un troisième navire qui
subit les conséquences d’un abordage auquel il est resté totalement étranger. Les auteurs
admettent que le droit commun retrouve alors son application, car la règle de la non solidarité ne
concerne que les cargaisons des navires en cause1330.

SECTION 3. ACTION D'ABORDAGE

§1. Réparation 

L'action d'abordage est l'action en réparation du dommage causé. C'est une action en
responsabilité civile. C'est au demandeur1331 d'établir les dommages dont il réclame
indemnisation.
Le montant de la réparation doit être égal au préjudice causé (damnum emergens et lucrum
cessans). Il comprend le coût des réparations et doit compenser la perte due à l'immobilisation du
navire pendant les expertises et les réparations1332. Les tribunaux ont alors songé que cette
1329
v. MM. Bonassies et Scapel, n° 395.
1330
MM. Bonassies et Scapel, n° 397.
1331
 Au Royaume-Uni, un affréteur à temps, n'ayant aucun droit de propriété ou de possession sur le navire, ne peut
réclamer l'indemnisation du préjudice subi du fait d'un dommage par abordage causé par un tiers au navire affrété
(« Judicial Committee of the Privy Council », 1er juill. 1985, Journal of Maritime Law and Commerce, oct. 1985,
p. 565 s.).
1332
 Ce calcul donne lieu à un contentieux classique. Ainsi, pour le cas où l'armateur fait des travaux dans son intérêt
en même temps que les travaux nécessités par l'abordage, v. ainsi une décision américaine du 18 oct. 1982,
Bouchard, Transportation C°. Inc. et Al. v. Tug « Océan Prince », Haight's Mémo, nov. 1982, p. 7. Aussi, pour
faciliter, accélérer et harmoniser l'indemnisation des dommages d'abordage, le CMI a mis au point, en avril 1987, un
ensemble de Règles dénommées « Règles de Lisbonne ». L'adoption de ces Règles qui n'ont pas force de loi et ne
peuvent être imposées à quiconque, fournit des recommandations utiles aux juges et aux arbitres pour fixer de façon
uniforme les dommages et intérêts consécutifs aux abordages (Warot et Villeneau, La fixation des dommages-
intérêts en matière d'abordage, DMF 1987. 195 s., et conférence prononcée à l'AFDM, séance du 15 janvier 1987 ;
Warot, « La fixation des dommages-intérêts en matière d'abordage », in Liber Amicorum Lionel Tricot, Kluwer éd.
1988, 605). L'adoption de ces Règles n'implique aucune reconnaissance de responsabilité. Plusieurs principes
classiques y sont affirmés : caractère direct du dommage réparable, restitutio in integrum, non indemnisation de la
victime qui n'a pas fait diligence raisonnable pour éviter ou diminuer le dommage. En cas de perte totale,
l'indemnisation comprend, outre la valeur de remplacement du navire au jour de l'abordage, le remboursement de la
rémunération d'assistance, des avaries communes et des dépenses raisonnablement exposées du fait de l'abordage, le
remboursement des sommes versées à des tiers par la victime de l'abordage à raison de sa responsabilité, le
362
indemnité pour chômage du navire pourrait être calculée sur le taux des surestaries. Mais la Cour
de cassation a fini très justement par admettre que l'indemnité devait être calquée sur le préjudice
réel subi par l'armateur1333.
Depuis la loi du 19 février 1949, la créance d'indemnité pour abordage est privilégiée pendant un
an à compter du jour où le dommage a été causé (art. L. 5114-8, v. ss 220). En outre, en
application du droit commun (C. civ., art. 2332-8, 5), les créances nées de l'abordage sont
privilégiées sur l'indemnité que peut devoir à l'armateur, responsable de l'abordage, son assureur
de responsabilité ; les créanciers peuvent donc agir directement contre l'assureur corps du navire
en faute1334.

§2. Répression

Les articles L. 5242-1 et 3 du Code des transports punissent de deux ans d’emprisonnement et de
7 500 euros d’amende, le fait pour le capitaine d’un navire battant pavillon français ou étranger,
le fait d’enfreindre, y compris par imprudence ou négligence, dans les eaux sous souveraineté
française, les règles de circulation édictées par le RIPAM.
Si la commission de l’infraction occasionne un abordage pour le navire concerné ou pour un autre
navire, le capitaine, ainsi que le chef de quart ou le pilote du navire, pourra être condamné à des
peines de 3 mois d’emprisonnement et/ou de 3 750 euros d’amende.

§3. Compétence d'attribution 

Il faut la déterminer sous divers aspects :


La distribution de compétence entre tribunaux civils et tribunaux de commerce suit le droit
commun. L'application de la théorie de l'accessoire aux quasi-délits est couramment admise. Les
actions entre armateurs de navires de commerce (aujourd'hui de navires de pêche également) sont
portées devant le tribunal de commerce. Échappent à cette compétence les actions contre les
armateurs de plaisance (v. ss 491) ; les actions en réparation de dommages corporels ou de
bagages perdus, intentées par des passagers qui ne voyageaient pas pour le commerce, encore
qu'ils puissent, à leur gré, les porter devant les tribunaux consulaires.
L'action en réparation de dommages corporels peut être portée devant le tribunal correctionnel
saisi de l'action publique sur la base de l’article L. 221-6 du Code pénal. Elle ne peut pas l'être
devant un tribunal maritime.
Enfin, lorsque le navire en faute appartenait à une personne morale de droit public, c'était devant
le tribunal de l'ordre administratif que la réparation devait être demandée. Mais la loi du
31 décembre 1957 a ordonné que les actions en réparation de dommages causés par des
« véhicules » appartenant aux personnes morales de droit public seraient désormais portées

remboursement du fret net perdu, des soutes, des objets perdus, la perte due au chômage du navire. Lorsque le navire
en état d'avarie n'est pas admis en « perte totale », la victime a droit au remboursement des réparations provisoires et
définitives. Le manque à gagner et les frais exposés pendant la période de chômage sont également retenus. v. égal.
Sentence CAMP n° 875 du 9 mars 1994, décidant que le navire victime ne peut obtenir indemnisation du gain
manqué pendant la période de remise en état, dans la mesure où la durée d’immobilisation n’a pas excédé l’arrêt
technique normal du navire ; égal. Sentence CAMP n° 1101 du 17 juin 2004.
1333
Civ. 16 juin 1927, DP 1928, 1, 21, note Legris ; v. égal. Rouen 4 juill. 1959, DMF 1960. 348 ; T. com. Seine 24
juin 1960, DMF 1962. 37.
1334
Com. 9 mars 1965, DMF 1966. 408.
363
exclusivement devant les tribunaux de l'ordre judiciaire. Ce texte concerne les navires aussi bien
que tous autres véhicules1335.

§4. Compétence territoriale interne 

Le Code de commerce ne donnait aucune règle particulière. Le souci de favoriser l'action des
demandeurs a conduit la loi du 14 novembre 1897 à régler cette compétence. Elle constitue
aujourd'hui l'article D. 5131-1 du Code des transports, qui reconnaît compétence à quatre
tribunaux pour statuer en matière d'abordage :
Le tribunal du domicile du défendeur, en application de la règle générale.
Le tribunal du lieu de collision. Cela suppose que la collision se soit produite dans les eaux
territoriales françaises. En 1897, c'était là une disposition originale. Une loi du
26 novembre 1923, modifiant l'article 59 du Code de procédure civile ancien en avait fait une
règle de droit général. Elle est de nos jours consignée au Code de procédure civile (art. 46), qui
d'ailleurs prévoit la compétence en matière délictuelle aussi bien du lieu du fait dommageable que
du lieu où le dommage a été subi. Faut-il introduire dans la loi maritime cette double
compétence ? On ne saurait l’exclure.
Le tribunal du port de refuge. Le texte dit : « devant celui du port français, dans lequel, en
premier lieu, soit l'un, soit l'autre des deux navires s'est réfugié ». Peu importe que ce soit l'auteur
ou la victime. Le législateur a pensé que ce serait dans ce premier port de refuge que serait faite
l'enquête sur l'abordage et que, par conséquent, il n'y aurait aucun inconvénient à ce que l'on
saisisse ce tribunal de l'action en réparation au fond.
Le tribunal du port où l'un des navires a été saisi en premier lieu. Cette règle a été ajoutée pour
pallier une lacune de nos lois. Lacune gênante non pour les navires français car il est assez facile
d'aller plaider devant le tribunal du défendeur, mais pour les navires étrangers.

§5. Compétence internationale 

Sur le plan international, il a paru nécessaire d'unifier les règles de compétence comme on avait
unifié les règles de fond et une convention internationale a été signée à cette fin le 10 mai 1952 à
Bruxelles. Elle a été publiée en France par le décret n° 14 du 4 janvier 1958. Elle s'applique aux
abordages survenus entre navires ressortissants d'États différents et tous liés par la convention
(art. 8). En pareil cas, le demandeur, à son choix, peut porter l'action soit devant le tribunal de la
résidence du défendeur ou d'un siège de son exploitation, soit devant le tribunal du lieu où la
saisie a été pratiquée ou aurait pu l'être, soit enfin devant le tribunal du lieu où l'abordage s'est
produit, si c'est dans un port, dans une rade ou dans les eaux intérieures (art. 1er)1336.
Le règlement 44/2001 concernant la compétence judiciaire pose un délicat problème de conflits.
En effet, il ne prévoit en matière délictuelle, outre la compétence générale du tribunal de l'État où
un ressortissant de l’UE est domicilié (art. 2), que celle du tribunal où le fait dommageable s'est
produit (art. 5-3°). C'est dire que ni le tribunal du port de refuge, ni celui du port de la saisie ne
sont visés et que, s'ils ne coïncident pas avec l'un des deux tribunaux indiqués (domicile du
défendeur ou tribunal du lieu de l'abordage), ils sont a priori écartés par le règlement.

T. confl., 14 nov. 1960, DMF 1961. 77.


1335

V. Aix-en-Provence 4 oct. 2012, Triton II, DMF 2013. 310, obs. P. Bonassies, égal. Poitiers 31 oct. 2013, DMF
1336

2013. 993, obs. P. Bonassies.


364
Il faut cependant distinguer : le tribunal du lieu de la saisie est en effet prévu par la Convention
de 1952 et par suite le règlement européen n'y met pas obstacle puisqu'il s'efface devant les
conventions spéciales ; cela bien entendu, sous la condition que la Convention de 1952 s'applique
(ce qui ne serait pas le cas par exemple si un Néerlandais était impliqué dans l'affaire puisque les
Pays-Bas ne l'ont pas ratifiée).
Quant au tribunal du lieu du port de refuge, comme il n'est pas visé par la Convention de 1952, il
semble devoir être écarté par application du règlement dans la mesure du champ d'application de
celui-ci1337.
Il est également permis de se demander si le règlement ne doit pas tout simplement l’emporter sur
la convention lorsque le litige est intracommunautaire : on a, dans cette situation, défendu l’idée
de caducité relative1338.

§6. Compétence pénale

En matière pénale, une convention signée à Bruxelles également le 10 mai 1952 donne


compétence exclusive aux autorités de l'État dont le navire porte le pavillon 1339. La ratification de
cette convention a été suivie du décret de publication (décret n° 987 du 28 juin 1955). La
Convention pose de singuliers problèmes d’articulations avec la Convention sur le droit de la
mer1340, à telle enseigne que l’on peut se demander si le texte de 1952 a encore un avenir1341.
La Convention sur le droit de la mer (art. 97) donne compétence aux juridictions de l’État du
pavillon ou encore de l’État de l’intéressé (capitaine auteur de l’abordage). Ce texte conduit, a
priori, à exclure toute compétence française lorsque l’infraction est commise en haute mer ou
encore dans la ZEE par un navire étranger à l’encontre de victimes françaises. Cette solution est
regrettable lorsque l’État du pavillon, comme cela est souvent le cas, reste silencieux et surtout
lorsque l’auteur de l’infraction disparaît ou tente de disparaître. De fait, ce silence conduit à une
immunité de juridiction.
À la réflexion, il est permis de se demander si l’on ne pourrait pas fonder la compétence
française, en cas de délit de fuite, sur les dispositions de l’article L. 434-10 du code pénal,
réprimant le délit de fuite et visant les engins et les véhicules maritimes 1342 mais aussi sur celles
de l’article L. 133-7 qui donnent compétence au droit français lorsqu’un crime ou un délit
(susceptible d’emprisonnement) est commis à l’étranger et fait une ou des « victimes » françaises.
Rien ne s’oppose non plus à ce que des accords soient conclus entre l’État du pavillon et les
autorités françaises dans ce type de situation pour éviter tout déni de justice. Rien ne s’oppose par
ailleurs à ce que des sanctions soient prononcées par les autorités internationales compétentes à
l’encontre de l’État du pavillon lui-même pour inobservation de ses obligations internationale.

1337
 V égal. Rodière, « La compétence des tribunaux français en matière d'abordage et la Convention de Bruxelles de
1968 », Rev. crit. DIP 1977. 341.
1338
P. Bonassies, Sinistre du Concordia, droit de la mer et problèmes de compétence judiciaire pour les victimes
françaises, DMF 2012. 314.
1339
 V. sur la Convention de 1952, L. Saadé, La loi du pavillon en droit pénal, Thèse Paris II dactyl., 27 juin 1990.
1340
 V. MM. Beurier et Chaumette, L’Ocean Jasper, source d’une régression ? Les conflits de compétence
juridictionnelle en cas d’abordage en haute mer, DMF 2013. 302 ; égal. P. Bonassies, Après la décision Erika,
observations sur la compétence des juridictions pénales françaises après abordage en haute mer, DMF 2013. 195.
1341
V. L’article précité particulièrement pertinent de P. Bonassies, DMF 2012. 314.
1342
Qui sont des navires, même si cette qualification est contestée. Le véhicule maritime ne peut se réduire à un
engin de plage. Un autre texte sanctionne la non-assistance : ce sont les art. L. 5262-1 et 4 s. qui, cependant, ne
s’appliquent que dans les eaux territoriales (art. L. 5262-7).
365
Cette question est en tout cas suivie de près par les pouvoirs publics qui devraient proposer
quelques lignes directrices.

§7. Prescription de l'action 

Le Code de commerce prévoyait que le demandeur devait dans les 24 heures élever une
protestation. Cette fin de non-recevoir a été supprimée. Il reste seulement un délai de
prescription. Suivant l'article 5131-6, al. 1, les actions en réparation se prescrivent par deux ans à
compter de l'événement1343. Toutefois, l'action prévue à l'article 5131-4, alinéa 2 est prescrite un
an après le jour où le paiement qui donne lieu à recours a été effectué. Ces délais ne courent pas
lorsque le navire défendeur n'a pas pu être saisi dans les eaux territoriales françaises (art. 5131-6,
al. 3).

Ces textes sont clairs. On observera seulement :


- que le 3e alinéa de l'article 5131-6 est assez singulier si l'on songe que le navire n'est pas le seul
bien du patrimoine de l'armateur que ses créanciers puissent saisir ;
- qu'en cas de poursuite pour blessures ou homicide par imprudence où l'action publique se
prescrit au bout de trois ans, l'action civile devant les tribunaux correctionnels ne peut pas se
prescrire par un moindre délai ; mais, après des hésitations, la Cour de cassation a statué en
matière aérienne que l'action civile ne pouvait pas être intentée après deux ans et que les
tribunaux répressifs ne pourraient pas même en connaître, et la même solution est admise en
matière maritime, de telle sorte que dans ces cas l'originalité du texte spécial (aérien ou maritime)
est respectée1344.

§8. Interruption et suspension de la prescription 

L'interruption de la prescription est déterminée par la loi du tribunal saisi 1345. De même en est-il
des causes de suspension. Mais la convention internationale, après avoir donné cette solution,
ajoute que les parties contractantes se réservent d'admettre comme cause de suspension de
prescription le cas où le navire défendeur n'a pas pu être saisi dans les eaux territoriales. Notre loi
a usé de cette réserve.

1343
 Com. 3 juill. 2012, Bull. civ. IV, n° 14, DMF 2012. 938. Il faut évidemment que cet événement constitue un
abordage. Ainsi le fait pour un chalutier de briser les amarres d'une vedette et de l'entraîner dans son sillage avant de
l'abandonner en pleine mer où elle a sombré ne constitue ni un abordage ni un événement assimilé et la prescription
de deux ans n'est pas applicable (Com. 11 mars 1980, JCP 1980. IV.204). Il faut également qu'il s'agisse d'une action
en réparation des dommages consécutifs à l'abordage ; cette condition est satisfaite dans le cas de l'action d'une
caisse de sécurité sociale en remboursement de prestations relatives à un accident du travail ayant eu lieu au cours
d'un abordage (Soc. 2 mai 1979, Bull. civ. V, n° 368). Sur la constitutionnalité du délai, v. Com. 7 avr. 2011, DMF
2011. 707, obs. Briand.
1344
 Cass., ch. mixte, 24 févr. 1978, Gaz. Pal. 1978. 331, note R. Rodière ; D. 1978. 552, obs. P.C., JCP 1978.
18961, note A. Chao (en matière aérienne) ; Com. 29 janv. 1974, DMF 1974. 281 ; Douai, 9 mars 1990, DMF 1991.
42 (en matière maritime).
1345
 En France, on applique les causes générales d'interruption et de suspension prévues par les articles 2240 s. du
Code civil (cf. Bonassies, op. cit., DMF 1986, n° 14, p. 17) ; égal. Com. 18 mars 2008, D. 2008. 986, obs. Delpech ;
en cas de référé expertise, le délai recommence à courir dès la nomination de l’expert, Com. 3 juill. 2012, préc. Pour
une interversion de la prescription à la suite d’une reconnaissance de responsabilité, Com. 4 janv. 2000, DMF 2000.
426, obs. Bruschi. Le délai de prescription ne court pas lorsque le navire n’a pu être saisi dans les eaux soumises à la
juridiction française : Aix-en-Provence 24 oct. 2012, DMF HS 17, n° 61.
366
La règle est maladroite et n'a aucune raison d'être. En droit anglais, certaines actions supposent la
saisie préalable du navire, ce sont les actions dites in rem ; on agit contre le navire lui-même :
d'où la nécessité d'une saisie préalable. Mais en France, il n'est pas nécessaire, pour agir contre un
armateur étranger, de saisir le navire dans les eaux françaises. Il n'y avait donc aucune raison
pour admettre cette cause de suspension. Tout ce que l'on peut dire, en faveur de la disposition
légale, c'est que le demandeur hésitera sans doute à agir, s'il ne trouve pas un bien susceptible
d’être saisi.

367
CHAPITRE 2
L’ASSISTANCE

Le droit de l’assistance a singulièrement évolué depuis le Code de commerce 1346. Alors que l’on
pouvait opposer assez clairement le régime du sauvetage des épaves de celui de l’assistance des
personnes et des biens, la Convention internationale du 23 avril 1989, dûment ratifiée par la
France, a redistribué la donne en considérant que l’assistance pouvait concerner tous les « biens »
en danger dans les eaux maritimes. Il semble, cependant, que l’on puisse maintenir l’opposition,
si atténuée soit-elle, d’autant qu’il paraît difficile aujourd’hui de parler d’assistance aux
personnes et que le sauvetage des biens, contrairement à l’assistance, suppose une perte et non un
simple péril. On envisagera donc le sauvetage en mer des personnes et des épaves, avant de
développer l’assistance proprement dite.

SECTION 1. SAUVETAGE EN MER

Le sauvetage maritime a longtemps concerné les épaves et les personnes. S’agissant des épaves,
elles sont aujourd’hui justiciables du droit de l’assistance dans la mesure où la Convention de
1989 sur l’assistance s’applique à tout acte ou activité entrepris pour assister un navire ou « tout
autre bien en danger », ce qui vise l’épave. Par conséquent, dans la plupart des situations,
puisqu’une épave est un bien en danger, le sauvetage des épaves sera soumis aux dispositions de
la convention internationale. La rémunération due au sauveteur se calculera en application des
critères de ce texte et non du décret du 26 déc. 19611347, ce qui, au demeurant, ne change pas
grand-chose, car les textes sont très proches. Il reste que le statut des épaves obéit à une
réglementation de police administrative assez particulière.
Pour ce qui est des personnes, la loi maritime a, au moins depuis la fin du Moyen Âge, proclamé
l’obligation d’assistance en cas de péril. S’il n’existe aucune obligation d’assistance à l’égard
d’un navire en péril, sauf à la suite d’un abordage, il en va différemment des personnes. Il y a là
une véritable coutume du droit maritime1348.

§ 1. Sauvetage des personnes

1346
J.F. Rebora, L’assistance maritime, PUAM 2003, préf. Bonassies ; Rodière, Traité général de droit maritime,
Evénements de mer, 1972, n° 138 s. ; MM. de Juglart et Villeneau, Répertoire méthodique et pratique de l'assistance
en mer, 1962 ; N. Reuter, La notion d’assistance en mer, Litec, 1975 ; Bulot, Remorqueurs de haute mer et de
sauvetage, Ed. de l'Estran, 1985 ; V. Solé de Sojo, La asistencia maritima, publication du Comité de droit maritime
de Barcelone, Madrid (Libreria Bosch, éd., Barcelone, Espagne) ; G. Brice, Maritime Law of Salvage, Londres,
Stevens and Son, 1983 ; égal. Lapoyade Deschamps, La Convention internationale de Londres sur l'assistance
maritime et le droit français des contrats, DMF 1993 ; J. Warot, in Rép. Dalloz, Droit commercial, V°. Assistance
maritime ; F. Odier, La Convention de Londres du 28 avril 1989, in Mélanges Colliard, éd. Pédone 1992, 65 s. ;
W.L. Neilson, The 1989 International Convention on Salvage, in Connecticut Law Review, 24 (1992), 1203.
1347
D. 1962. 41, texte refondu par le Décr. n° 847 du 3 août 1978 et par la loi n° 990 du 23 nov. 1982 ainsi que par le
Décr. du 21 juin 1985.
1348
En droit terrestre, il a fallu attendre la loi du 25 oct. 1941 pour que l’obligation de porter assistance à une
personne en danger soit sanctionnée pénalement (C. pén., anc. art. 63, devenu art. L. 223-6).
368
I.Obligation 

En matière maritime, l’obligation d’aider les personnes en danger 1349 a été rappelée par la
Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 pour l’unification de certaines règles en matière
d’assistance et de sauvetage (art. 11) et reprise par d’autres textes techniques :
Convention SOLAS, règle 10.1 : « le capitaine d’un navire en mer qui est dans une position lui
permettant de prêter assistance et qui reçoit, de quelque source que ce soit, un signal indiquant
que des personnes se trouvent en détresse, est tenu de se porter à toute vitesse à leur secours ».
CMB, art. 98-2 : « tous les États côtiers facilitent la création et le fonctionnement d’un service
permanent… de sauvetage adéquat et efficace… ».
La Convention de Hambourg du 27 avril 1979 sur la recherche et le sauvetage maritime (SAR
1979) précise que les États contractants doivent veiller à ce que les services requis de recherche
et de sauvetage soient fournis aux personnes en détresse au large de leurs côtes1350.
En droit interne, l’obligation d’assistance aux personnes en danger sera reconnue par l’article 85
de la loi du 17 décembre 1926 portant code disciplinaire et pénal de la marine marchande, avant
d’être reprise par les articles L 5262-2 et L. 5262-5 du Code des transports1351.
Rappelons aussi que les textes sur le transport libèrent le transporteur de sa responsabilité si le
dommage subi résulte d’un acte ou d’une tentative de sauvetage de vies en mer (Conv. 1924, art.
4-4, al. 21 ; C. transp., art. L. 5422-12).

II.Principe de gratuité 

Le sauvetage des personnes ne donne lieu à aucune rémunération. La règle est inscrite dans les
textes (art. L. 5132-8 ; Conv. 1910, art. 9 ; Conv. 1989, art. 16). La vie humaine n'a pas ou n’a
que trop de valeur1352. La règle est traditionnelle et exprime une nouvelle fois la solidarité des
gens de mer.

1349
V. en application, Crim. 13 mars 2007, DMF 2007, 893, obs. Montas.
1350
Publiée par Décr. n° 580 du 5 juin 1985 (JO 9 juin), cette convention a pour correspondant sur le plan interne le
Décr. n° 531 du 2 mai 1988, qui porte organisation du secours, de la recherche et du sauvetage des personnes en
détresse en mer (JO 6 mai). Ce décret, article 6, institue les centres régionaux opérationnels de surveillance et de
sauvetage (CROSS).
1351
Tout capitaine est tenu de prêter assistance à toute personne trouvée en mer en danger de se perdre  ; mais il n’y
est tenu qu’autant qu’il peut le faire sans danger pour son navire, son équipage ou ses passagers. L’armateur n’est
pas, en cette circonstance, responsable des manquements du capitaine (art. L. 5262-3).
1352
 Dans la Convention internationale de Bruxelles de 1938 sur l'assistance des aéronefs en mer, une indemnité pour
frais et avaries est accordée pour le sauvetage des personnes avec une limitation forfaitaire légale. Sur la pratique des
sociétés de sauvetage quant à leur indemnisation : circulaire du 12 mars 1952, DMF 1952. 278 et T. com. Seine,
3 mars 1966, DMF 1966. 368 ; — Cf. sur le principe Com. 18 déc. 1951, DMF 1952. 184 ; — M. Amman, Le
sauvetage des personnes en détresse, Académie de marine, 8 oct. 1971. Sur l'obligation d'assistance aux personnes,
incombant au service des affaires maritimes et sur les limites de cette obligation, Cons. Et., 27 juill. 1984, Renucci,
Rec, p. 304 ; RFDA 1985. 429, concl. A. Cazin d'Honincthun ; D. 1986. IR 32, obs. F. Moderne et P. Bon ; sur
l'organisation, v. Convention internationale de Hambourg du 27 avril 1979 sur la recherche et le sauvetage
maritimes, entrée en vigueur le 22 juin 1985. Sur la rémunération de la marine nationale pour ses interventions
humanitaires en mer, indépendamment de l'assistance proprement dite, v. TA Rennes, 28 févr. 1985, DMF 1986.
150, refusant le remboursement des frais de l'Etat à la suite d'une évacuation sanitaire par des moyens militaires d'un
marin-pêcheur blessé en mer, et ce pour des raisons de texte et non pas pour des raisons générales ; v. aussi R Le
Brun, Des interventions de la marine nationale en matière d'événements de mer, DMF 1986. 131 s. ; égal. Vialard, La
gratuité du sauvetage maritime des personnes, Etude critique d'un tabou, Annuaire de droit maritime et aéro-spatial,
Université de Nantes, T. X, 1989.133 s.
369
Si l’acte de sauvetage n’est pas rémunéré, il n’en demeure pas moins que le sauveteur est en droit
d’obtenir une indemnité en raison des frais qu’il aurait pu exposer ou encore des dommages qu’il
aurait pu éprouver. La convention d‘assistance telle qu’elle est consacrée par le droit des
obligations pourrait servir de fondement à l’indemnisation réclamée par la victime. Le recours à
la théorie de la gestion d’affaires est également envisageable.
En cas d’assistance maritime mixte, portée à la fois à des biens et à des personnes, les solutions
sont un peu différentes. Les textes (art. L. 5132-8 et Conv. Londres, art. 16-2) prévoient que les
sauveteurs de vies humaines qui sont intervenus à l’occasion de l’accident ayant donné lieu au
sauvetage ou à l’assistance, ont droit à une équitable part de la rémunération accordée aux
sauveteurs du navire, de la cargaison et de leurs accessoires. La référence à l’équité est, ici
encore, déterminante.

III.Indemnisation du sauveteur 

Le sauveteur doit bénéficier de la théorie de la gestion d‘affaires pour obtenir indemnisation du


préjudice qu’il a subi.1353

La théorie du collaborateur bénévole est également applicable1354.


Au-delà de ces fondements, un auteur a proposé, pour justifier l’indemnisation du préjudice subi
et l’allocation du remboursement des coûts engagés par le sauveteur, de reconnaître un nouveau
quasi-contrat, le quasi-contrat d’assistance. La thèse est intéressante1355.

IV.Recherche et sauvetage en mer 

Le sauvetage fait l’objet d’une organisation administrative dont les dispositions ont été
regroupées dans le Code des transports autour des articles 5261-1 à L. 5263-3. Dans la mesure où
le sauvetage des personnes en danger relève des fonctions régaliennes de l’État, les textes
reconnaissent l’implication de l’État. Il appartient, plus précisément, à l’État de coordonner la
mise en œuvre opérationnelle de l’ensemble des moyens de secours pour la recherche et le
sauvetage des personnes en détresse en mer.
S’agissant des secours, une société spécialisée a en l’occurrence toute compétence : Il s’agit de la
SNSM. Pour le reste, les textes fixent quelques règles directrices en renvoyant au pouvoir
réglementaire le soin de déterminer les modalités.

V.SNSM 

La Société Nationale de Secours en Mer est une association loi 1901 reconnue d’utilité publique.
Sa mission est fondée sur l’engagement bénévole au service de la sauvegarde de la vie humaine
en mer. Elle dispose d’un budget d’environ 20 millions d’euros financé à 30 par l’État et les
1353
V. à propos d’un baigneur qui, sollicité par le père des enfants exposés à un risque de noyade, a décidé
d’intervenir dans l’urgence et s’est lui-même noyé : Civ. 1re, 28 janv. 2010, JCP 2010, II, 532, note Duméry.
1354
Le pilote dont l’hélicoptère s’est abîmé en mer lors d’un appontage au large du Gabon nécessité par l’évacuation
d’un marin blessé sur une barge doit être considéré comme un collaborateur du service public, compte tenu de sa
mission de sauvetage en mer ; les ayants droits du pilote sont ainsi en droit d’obtenir une indemnisation en raison du
préjudice consécutif au décès du pilote : CE 12 oct. 2009, DMF HS 15, n° 60, DMF 2011. 314, obs. Rézenthel, RD
transp. 2011, n° 228, obs. S. Carré.
1355
V. A. Montas, Le quasi-contrat d’assistance. Essai sur le droit maritime comme source de droit, LGDJ 2007,
préf. Tassel.
370
collectivités publiques et 70 % par des dons et des ressources privées, d’une flotte comprenant
230 canots, vedettes et semi rigides plus 400 bateaux pneumatiques et de moyens mis en œuvre
par 7 000 bénévoles permanents qui forment les équipages (1 200 bénévoles permanents
d’encadrement ; 1 400 nageurs sauveteurs). La société est organisée autour de 220 stations en
France et dans les D0M T0M. 50 % des sauvetages sont réalisés par des moyens de la SNSM et
ce pourcentage est de 80 % la nuit. En d’autres termes, la SNSM est un « véritable « trésor » de
compétences, de respect de la mer, de solidarité et d’esprit d’équipage, et par-dessus tout une
passion.1356 »

§2. Sauvetage des épaves

I.Épaves

Le sauvetage des épaves a longtemps été régi par une législation touffue, extrêmement
compliquée, dont les règles se trouvaient éparses dans de nombreux textes, certains archaïques (v.
ss 127). Cette législation, constituée par le titre IX de l'ordonnance de la Marine de 1681, par des
déclarations du Roi de 1735 et 1770, par des arrêtés de l'époque révolutionnaire et par diverses
lois du XIXe siècle, a été refondue. La loi n° 1262 du 24 novembre 1961 a annoncé cette refonte et
l'a permise par décret n° 1547 du 26 décembre 1961, entré en vigueur un an après sa
promulgation. Les chapitres Ier et II du décret de 1961 ont été refondus par le décret n° 847 du
3 août 19781357. Depuis lors, la loi n° 990 du 23 novembre  1982 a modifié les articles 1er, 2 et 6
de la loi du 24 novembre 1961. Le décret n° 632 du 21 juin 1985 a modifié à nouveau le décret
du 26 décembre 1961. Le Code des transports s’est efforcé de codifier la matière (art. L. 5141-1
s. ; et L. 5242-16 s. ; v. égal. ss 127).

II.Régime particulier : épaves culturelles

La sauvegarde des intérêts culturels a conduit à organiser un régime particulier pour les épaves
qui présentent un intérêt archéologique1358, historique ou artistique. L’art. L. 5142-1 le prévoit et
1356
Amiral Lagane, Les sauveteurs en mer bénévoles de la SNSM : cent cinquante années de passion, de raison, de
tradition et de modernité, Communications Académie de Marine, 2012-2013, p. 89.
1357
DMF 1978. 696 ; v. déjà, de Juglart et du Pontavice, JCP 1965, I, 1942.
1358
 Une carte archéologique sous-marine de la Méditerranée a été achevée par le CNRS et la direction des
recherches en archéologie, avec la collaboration des Espagnols et des Italiens (cf. Centre Camille Jullian de
l'Université d'Aix-Marseille).
Une loi du 1er décembre 1989 relative aux biens culturels maritimes (JO 5 déc., p. 15033 ; D. 1989. 368) modifie
la loi du 27 septembre 1941 portant réglementation des fouilles archéologiques et précise le statut des « biens
culturels maritimes » définis comme « les gisements, épaves, vestiges ou généralement tout bien qui, présentant un
intérêt préhistorique, archéologique ou historique, sont situés dans le domaine public maritime, ou au fond de la mer
dans la zone contiguë (art. 1er). Cette loi attribue à l'Etat la propriété des biens culturels maritimes dont le propriétaire
n'est pas susceptible d'être retrouvé ou dont le propriétaire n'a pu être retrouvé à l'expiration d'un délai de trois ans
suivant la date à laquelle la découverte a été rendue publique (art. 2). Elle renverse le principe imposé jusqu'alors aux
personnes qui découvraient une épave présentant un intérêt historique ou archéologique : l'obligation de laisser le
bien en place se substitue à celle de sauvetage (art. 3). Ce changement ne dispense pas l'inventeur d'un bien culturel
maritime de procéder à la déclaration de sa découverte à l'autorité administrative. L'article 6 de la loi modifie les
règles relatives à l'indemnisation des inventeurs de biens culturels maritimes : il supprime le caractère automatique
de la rémunération qui était le corollaire de l'obligation de procéder au sauvetage du bien et substitue la notion de
récompense à celle d'indemnité. La loi définit les conditions dans lesquelles il pourra être procédé à des fouilles,
sondages, prospections, déplacements et prélèvements. Enfin, elle édicte les sanctions pénales qui s'appliqueront à
quiconque aura enfreint les obligations qu'elle impose (Bonassies, Le droit positif en 1989, DMF 1990. 9, n° 9).
371
renvoie au Code du patrimoine. L’art. L. 5132-1 IV ajoute que le droit de l’assistance ne
s’applique pas lorsqu’est en cause un bien maritime culturel présentant un intérêt préhistorique,
archéologique ou historique et qui se trouve au fond de la mer. Lorsque l'épave présente un
intérêt archéologique, historique ou artistique, les textes s'efforcent de réserver les droits de nos
collections nationales. La règle est posée que de pareilles épaves appartiennent à l'État 1359, ce qui
supprime les difficultés de qualification pénale que l'on a pu rencontrer lorsque l’on voulait
poursuivre notamment les « voleurs » d'amphores antiques ; malgré certaines décisions, il n'était
pas possible de qualifier de vol la prise de possession d'une chose qui n'appartenait plus à
personne.

III.Régime administratif 

La complexité tient aussi à celle de notre Administration. L'Ordonnance de 1681 ne connaissait


que l'Amirauté. Aujourd'hui, il faut tenir compte de l'Administration des affaires maritimes, du
Service des Ponts et Chaussées, du Service des Douanes, du ministère de des transports et, à
l'occasion, des autorités militaires. D'où un système assez complexe qui s’articule sur trois points
essentiels :
- la définition des épaves régies par la législation nouvelle ; ce sont les engins flottants et les
navires en état de non-flottabilité et qui sont abandonnés par leur équipage qui n'en assure plus la
garde ou la surveillance ;
- l'obligation faite à tout inventeur d'épave d'en faire la déclaration dans un bref délai à
l'inscription maritime ;
- la tutelle des affaires maritimes qui vont d'abord assurer la conservation des épaves ; ensuite
aviser le propriétaire, le mettre en demeure de procéder au relèvement ou l'autoriser à le faire ; au
besoin conclure le contrat de relèvement et de récupération ; établir les liaisons nécessaires avec
les autres administrations intéressées ; enfin, procéder à la vente.

Il faut ajouter que la loi de 1961 sur la police des épaves ne fait pas obstacle au droit que l’État
tient des articles 1382 s. de rechercher la responsabilité de celui qui est à l’origine du sinistre 1360.
L’administration peut même recouvrer les dépenses de relèvement sur le fondement des textes sur
l’assistance.1361 Ces solutions sont aujourd’hui mises en œuvre dans les situations, fréquentes, où
des conteneurs sont tombés à la mer (v. ss 132).

IV.Droit privé 

Au regard du droit privé, la première question porte sur la créance du sauveteur. Le sauveteur a
droit à une indemnité calculée en tenant compte : des frais exposés ; de l’habileté déployée, du
risque couru et de l’importance du matériel engagé ; de la valeur en l'état de l'épave sauvée. S’il y
a plusieurs sauveteurs, l’indemnité se partage d’après les mêmes bases. Aujourd’hui, cette
créance s’établit au regard des critères de la Convention de 1989 1362. La rémunération du

1359
 v. une conséquence au point de vue de la compétence : Bastia, 25 janv. 1968, D. 1968. 370 ; DMF 1968. 623.
1360
Com. 16 déc. 2008, Sherbro, DMF 2009. 221 obs. P. Bonassies.
1361
CE 15 avr. 2011, DMF 2011. 552, obs. P. Bonassies.
1362
Les modalités sont fixées par les textes réglementaires : art. R. 5142-13 s. Le droit français de l’assistance (art.
L. 5132-1) ne s’applique aux épaves, s’agissant de la rémunération due, que dans la mesure où le sauvetage émane
d’un navire ou, plus exactement, d’un engin flottant (art. L. 5132-1, al. 3).
372
sauveteur est assortie d’un privilège sur l'épave sauvée (art. L. 5142-5) 1363. Cette règle ne
contredit pas la Convention internationale de 1926 (v. ss 213), qui ne concerne que les privilèges
sur navires. Ce privilège est de même rang que le privilège des frais pour la conservation de la
chose et bénéficie aussi aux administrations qui ont procédé aux travaux de sauvetage.
Une autre question a trait à la propriété de l’épave. L’épave n’est pas une res nullius, si bien que
son propriétaire peut en revendiquer la propriété tant que le possesseur n’est pas lui-même en
mesure d’opposer une prescription acquisitive1364. Ce droit est imprescriptible (C. civ. art. 2227).
Le propriétaire qui réclame l’épave n’en obtiendra toutefois la restitution qu’après paiement de la
rémunération due au sauveteur et des frais, droits et taxes ou, en cas de litige, la consignation
d’une somme suffisant pour en assurer le paiement.

V.Loi applicable au sauvetage des épaves 

En cas de sauvetage en haute mer, on s'est demandé quelle loi devait s'appliquer. Dans une
affaire célèbre où un navire français avait ramené dans un port portugais un navire anglais
abandonné par son équipage, la Cour de cassation a statué que la loi compétente était celle du
navire sauveteur1365.
Sous cette réserve, le régime des épaves est soumis à la lex rei sitae. Le droit français s’applique
donc à toute épave dans les eaux françaises ou ramenées dans les eaux françaises. Il faut
cependant tenir compte de la loi du pavillon pour déterminer le propriétaire de l’épave trouvée en
haute mer1366.

SECTION 2. ASSISTANCE PROPREMENT DITE

§1. Réglementation nationale et internationale

L'assistance en mer est réglementée depuis longtemps suivant les principes modernes. La loi du
19 avril 1891 sur l'abordage avait déjà posé le principe de l'obligation de porter assistance au
navire victime d’un abordage. Mais cette loi n'avait pas fait cesser les difficultés concernant la
rémunération du navire assistant. Il est apparu que l'on pouvait se montrer plus exigeant sur le
plan des devoirs nés de la solidarité des marins et, en outre, qu’il ne fallait pas se borner à
réserver l'assistance aux navires avec lesquels on est entré en collision. Une convention
internationale a réglé ces questions : c'est la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910, que
la France a ratifiée 1367 et dont elle a introduit les principes dans notre droit interne. Ce fut l'œuvre
d'une loi du 29 avril 1916, qui n'a pas pris place dans le Code de commerce. Depuis, les règles en
sont passées dans la loi n° 545 du 7 juillet 1967 (art. 9 à 21) et dans le décret correspondant n° 65

1363
Les frais éventuellement engagés par un service public en application de l’article R. 5242-23 sont assortis du
même privilège.
1364
Pour MM. Bonassies et Scapel (op. cit., n° 526), le tiers possesseur pourrait opposer une prescription acquisitive
au bout de 30 ans. Il reste qu’en droit positif, la prescription trentenaire ne s’applique qu’aux immeubles ce que n’est
pas l’épave d’un navire. Une prescription quinquennale est-elle pour autant de nature à fonder les droits du
possesseur ? La question mérite d’être posée.
1365
Req. 6 avr. 1884, D. 1884. 1, 217, S. 1884, 1, 337.
1366
v. P. Bonassies, Rép. Int., V° Epaves maritimes.
1367
 Sur les points que ne règle pas la convention, v. CMI, Private International Maritime Law, 31/12/85, op. cit.,
p. 106.
373
du 19 janvier 1968. Les textes avaient été repris dans le Code des transports dans sa version
initiale. C’était oublier que la loi de 1967 était devenue entre-temps caduque.
En effet, une importante convention, destinée à remplacer celle de 1910, a été adoptée à Londres
le 28 avril 19891368. La nouvelle convention, très largement ratifiée (même par les EU) et
supprimant ainsi les conflits de lois1369, est très moderne. D’abord parce qu’elle est largement
supplétive1370. Ensuite parce qu’elle intègre d’importantes considérations écologiques. Plusieurs
motifs l'inspirent : le souci d'une assistance certaine apportée aux navires pouvant causer une
pollution des mers et aux navires qui pourraient devenir de dangereuses épaves ; le dessein de
rassurer les entreprises de remorquage, peu disposées à porter aide à un navire qui, au cours de
l'opération, peut causer une pollution dont on les rendra responsables ; enfin, le souhait
d'encourager tous ceux qui, même sans succès, contribuent à la prévention des dommages.
Dûment ratifiée par la France (Décr. 23 avr. 2002), la convention a finalement été intégrée dans
le Code des transports dans les articles L. 5132-1 à 13 ; 5262-6, à la suite de l’ordonnance 2011-
635 du 9 juin 2011.

§2. Première approche 

On peut, d'une façon large, dire qu'il y a assistance en mer chaque fois qu'un secours est porté
par un navire à un autre navire en danger de se perdre. La loi a institué une réglementation
particulière applicable un temps aux rapports de droit privé entre navire assistant et navire assisté
et aujourd’hui, aux mêmes rapports entre une personne assistante et un bien assisté. Pour autant,
cette réglementation est exorbitante du droit commun et ne s'applique pas à toute assistance ;
l’assistance est, le plus souvent, contractuelle, et le régime légal n’a qu’une valeur supplétive, ce
qui ne veut pas dire que toute opération peut être qualifiée d’assistance. Même si l’assistance
n’émane plus nécessairement d’un navire et ne concerne plus forcément un navire – l’assistance
peut être celle d’une personne à un bien -, l’existence d’un péril, dans les eaux maritimes, reste
une condition essentielle.
Il faut en tout cas se persuader de l’intérêt de l’assistance et de ce que le droit maritime cherche à
l’« encourager » (art. L. 5132-4) : la limitation de responsabilité n’est pas « opposable » aux
créances d’indemnité d’assistance (art. L. 5124-4, 1°) ; les assistants bénéficient de l’immunité
prévue par la CLC (v. ss 892) ; les opérations d’assistance ne sont pas considérées comme portant
atteinte à la règle du repose hebdomadaire (art. L. 5544-20, 3°) ; les marins d’un navire qui a
prêté assistance ont droit à une part de la rémunération d’assistance (art. L. 5544-46°)…

§3. Fondement juridique 

1368
 Texte in DMF 1990. 226 et CMI News Letter, été (septembre) 1989, p. 1 s. V. aussi Bent Nielsen, Rapport sur la
convention internationale de 1989 sur l'assistance, CMI News Letter, automne (décembre) 1989, p. 1 s. ; Bonassies,
Le droit positif français en 1989, DMF 1990. 3, n° 1 ; La Convention… DMF 2003. 239 ; Cl. Douay, Le régime
juridique de l'assistance en mer selon la Convention de Londres du 28 avril 1989, DMF 1990. 211 ; F. Berlingieri, Le
projet d'une nouvelle convention sur l'assistance et le sauvetage, et le sauvetage d'épaves maritimes, Liber Amicorum
Lionel Tricot, Kluwer, Anvers, 1988, p. 61 ; E. Gold, « Marine salvage : towards a new regime », in JMLC, 20
(1989), 487 ; M. –P. Rizzo, The criterion of reasonableness in the conversion..., Il Dirritto Maritimo 2013. 376.
1369
Si le problème se posait, on devrait considérer l’assistance comme une prestation de services au sens du
règlement Rome I et, également, du règlement 44/2001.
1370
La loi française l’est également (art. L. 5132-1, al. 2), à l’exception des dispositions sur les pouvoirs du
capitaine, des dispositions permettant au juge d’annuler ou de réviser les clauses inéquitables et des dispositions
protectrices de l’environnement (art. 5132-5, not.).
374
La nature des relations entre l'assistant et l'assisté est d'une analyse difficile. On ne peut les faire
entrer dans les cadres classiques du droit privé. On a songé d'abord au contrat et l’expression est
utilisée par les textes (art. L. 5132-2). On en rencontre souvent le premier élément. Le navire
assisté a fait appel à l'assistant, ce qui indique un accord de volontés. De toute manière, il a
participé à l'opération, ne serait-ce qu'en saisissant la remorque qui lui a été jetée et en
l'assujettissant, ce qui marque encore sa volonté. Mais la loi admet que l'assistance puisse être
prêtée malgré l'interdiction du navire en danger, si sa défense n'est pas raisonnable ; non
seulement elle l'admet, mais elle ne fait pas cesser le devoir d'assistance devant une défense
déraisonnable (art. L. 5123-3, II). En outre, il y a sans doute un accord, voire une convention,
mais il n'y a pas un contrat. Le contrat est le produit de la volonté de deux contractants qui
s'accordent sur un certain objet ; il crée des obligations définies. Ici, ni le genre de secours prêté,
ni la durée du secours, ni le montant de la rémunération ne sont toujours fixés. Il peut arriver que
la relation se réduise à un : « vous ferez ce que vous pourrez pour sauver ce que vous pourrez ;
moyennant quoi, vous serez rémunéré. » Ce ne sont pas là des termes bien déterminés, voire
déterminables, pour un contrat.
Aussi certains auteurs ont soutenu qu'il y avait un quasi-contrat. L'opération paraît en effet se
rapprocher de la gestion d'affaires et certains traits accréditent cette analyse. Mais la différence
est profonde. Le gérant d'affaires peut bien se faire rembourser tous les frais qu'il a exposés pour
la conservation de la chose, mais il ne peut obtenir une rémunération proprement dite. Son acte
est désintéressé et doit le rester. Dans cette conception, les professionnels de l'assistance en mer
devraient disparaître. À l’inverse, parce que l'altruisme le guidait, il a droit au remboursement de
ses frais, même si finalement son intervention n'a servi à rien, alors qu'en principe, aucune
rémunération ni remboursement de dépenses ou de dommages subis par l'assistant n'est dû s'il n'y
a pas de valeur sauvée.
Ainsi l'acte d'assistance maritime résiste aux analyses du droit civil. C'est une opération
rémunérée supposant une exposition de l’assisté à un danger. C'est une institution propre au droit
maritime et des plus originales. Elle s'explique par la solidarité qui existe entre gens qui
pratiquent la navigation maritime. La loi les presse de secourir leur prochain, mais en même
temps, elle stimule leur zèle par l'espoir d'une forte rémunération s'ils réussissent.
Voilà pourquoi la rémunération d'assistance est élevée. On considère que l'assistant et l'assisté
font en quelque sorte à frais communs une opération heureuse et l'on donne à l'assistant une partie
des valeurs sauvées à titre de rémunération. Pour autant, la loi, désormais en principe supplétive,
accorde un crédit à la convention des parties. Il reste que les circonstances imposent
l’intervention et que le souci de faire pour le mieux inspire les acteurs du drame. Le règlement de
comptes se fera après, en toute connaissance des résultats de l'opération.

Il faut ajouter que l'institution est née de la solidarité des marins en présence des périls de la mer.
Elle s'est maintenue grâce à l'assurance. Tous les intéressés sont en fait assurés. Ce sont les
assureurs qui règlent l'indemnité d'assurance. Ils ne s'en plaignent du reste pas, car si le navire et
la cargaison s'étaient perdus, ils auraient payé beaucoup plus. On rendra compte de l’assistance
maritime en essayant d’abord de cerner son champ d’application, puis de préciser son régime
aussi bien sur le fond que sur le terrain de la procédure.

§ 1. Champ d’application

I.Convention de 1989 

375
La nouvelle convention a un champ d’application très large dans la mesure où la « chose »
assistée peut être un simple bien, dans la mesure où elle considère que l’opération d’assistance
peut se dérouler « dans n’importe quelles eaux » en excluant donc uniquement les services rendus
à terre, et dans la mesure où elle est d’application quasi-universelle. Aux termes de son art. 2, elle
s’applique en effet dès l’instant que des actions judiciaires relatives aux questions qu’elle
envisage sont engagées dans un État contractant. Ni la nationalité des personnes visées ni le
caractère des eaux où l’assistance est intervenue ne sont pris en considération. Dans ces
conditions, la loi nationale n’avait plus ou pratiquement plus d’intérêt 1371, sous réserve des
dispositions susceptibles d’être prises par les États contractants conformément aux dérogations
laissées possibles par la convention (art. 30). La France les avait utilisées à propos des biens
maritimes culturels et surtout à propos des opérations d’assistance faites dans les eaux intérieures
et sans implication d’un navire (Décr. 2002-645 du 23 avr. 2002). Aujourd’hui, la situation est un
peu différente, car le législateur lui-même a, dans l’ordonnance du 9 juin 2011 intégré dans l’art.
L. 5132-1, repensé les conditions d’application de la loi française, tout en adoptant l’essentiel des
dispositions de la convention internationale. C’est ce texte dont le champ d’application est large
qu’il faut désormais considérer.

II.Droit interne 

Les dispositions du droit français sont applicables aux opérations d’assistance chaque fois
qu’une action judiciaire ou arbitrale est introduite devant une juridiction ou une instance arbitrale
française1372 (art. L. 5132-1). Elles ont un caractère supplétif, à l’exception, comme on l’a dit, de
celles figurant aux art. L. 5132-2 et 5132-6 et de celles tendant à prévenir ou limiter les
dommages à l’environnement. Elles s’appliquent, dans toutes les eaux, aux navires, bateaux et
biens, à la condition que les opérations d’assistance répondent à l’une au moins des deux
conditions suivantes :
Les opérations se déroulent, en tout ou partie, dans les eaux maritimes ; un navire, fût-il de
plaisance (ou tout engin flottant)1373, est concerné soit comme assisté, soit comme assistant.
Peu importe que le navire assisté et le navire assistant appartiennent au même propriétaire.
Dans ce cadre – maritime, puisque la loi prévoit que les opérations doivent se dérouler dans de
telles eaux, alors que la convention parle de n’importe quelles eaux - la réunion de plusieurs
conditions précises est nécessaire pour que l’on puisse parler d’assistance. Les unes sont
positives ; les autres d'ordre négatif.

III.Conditions à satisfaire 

On observera immédiatement que certaines conditions sont neutres. Ainsi, l’assistance n’est-elle
pas nécessairement contractuelle. Elle l’est souvent1374 et du reste il est prévu que le capitaine
1371
Cf. P. Bonassies, Le domaine d’application de la loi française sur l’assistance après l’arrêt Jerba ou la peau de
chagrin, DMF 2006. 851.
1372
La notion d’instance arbitrale française peut soulever des difficultés : faut-il (vraisemblablement) s’en tenir au
siège de l’arbitrage ? A la nationalité des parties ?
1373
Les dispositions de la loi sont applicables aux navires et bateaux de l'Etat ou à ceux affectés à un service public.
Le II de l’art. L. 5132-7, sur la répartition de la rémunération, n’est pas applicables aux navires et bateaux de l'Etat.
1374
La convention peut être négociée. Mais, en pratique, les parties se réfèrent à des formules types. La formule
française, la formule Villeneau, n’est malheureusement plus ou pratiquement plus utilisée (comp. Villeneau, Le
contrat français d'assistance maritime, DMF1990.236). Ce sont les formules anglaises (la Lloyds Open Form, LOF)
auxquelles on recourt, sans doute plus par habitude que par raison. V. sur ces formules, J.F. Rebora, op. cit.
376
peut conclure des contrats d’assistance au nom du propriétaire du navire (art. L. 5132-2, qui
ajoute même que le capitaine ou le propriétaire du navire peut conclure de tels contrats au nom du
propriétaire des biens se trouvant à bord). Mais, rappelons-le, l’assistance peut être imposée, ne
serait-ce qu’in directement. Ainsi en est-il (art. L. 5132-3, II) lorsque le propriétaire du navire (ou
du bien) en danger s’est opposé d’une manière « déraisonnable » à l’opération.
Par ailleurs, l’assistance n’est pas, en principe, obligatoire. Toutefois, il en va différemment après
un abordage ; En effet, commet une infraction pénale sévèrement punie (art. L. 5262-6) le
capitaine qui, après abordage et sans danger pour son navire, son équipage et ses passagers,
n’emploie pas tous les moyens dont il dispose pour sauver du danger créé par l’abordage l’autre
navire, son équipage et ses passagers. On rapprochera le délit de fuite du droit terrestre (loi du
17 juil. 1928) et cette infraction maritime. Il y a donc dans ce genre de situation une obligation
d’assistance au navire en danger. L’assistance réalisée relève alors du droit de l’assistance et
l’assistant est en droit d’obtenir une rémunération1375.

L'assistance est généralement prêtée à un navire. L’assisté est, le plus souvent, un navire. Le mot
doit toutefois être entendu de façon large ; on comprend par là non seulement le bâtiment lui-
même, mais la cargaison qui se trouve sur le bâtiment et les personnes en péril.
La loi a précisé que le terme navire pouvait ici désigner tout engin flottant (art. L. 5132-1, V).
Mais on peut parfaitement concevoir que l’« assisté » soit le propriétaire d’un simple bien se
trouvant dans des eaux maritimes. Encore faudra-t-il, pour que l’assistance soit caractérisée, que
l’assistance provienne d’un navire. L'opération consistera généralement dans le remorquage du
navire. Ce peut être aussi le fait d'alléger le navire pour lui permettre de flotter ou encore
l'extinction d'un incendie.

L'assistance est, en effet, prêtée par un navire. Du moins est-ce la situation habituelle. Mais
aujourd’hui l’assistance peut parfaitement émaner d’un aéronef ou même d’une personne (par ex.
hélitreuillée sur un navire). On devrait même admettre, compte tenu de l’ouverture des textes, que
l’assistance est caractérisée en cas d'amarres lancées de la côte. En tout cas, lorsque l’assistance
n’est pas prêtée par un navire, il est nécessaire que l’assisté ne peut être qu’un navire ou encore
un bien en péril.

Quant à l’aide apportée, elle doit être matérielle. On ne saurait se contenter d’un secours spirituel
ou intellectuel1376.

IV.Péril 

L'assistance doit avoir été prêtée à un navire ou un bien en danger de se perdre. Un péril est
nécessaire1377. C’est le critère – l’élément essentiel - de qualification de l’opération. La
jurisprudence se montre toutefois assez large sur la question. Si l’appréciation du péril doit se
faire au moment où l’assistance est apportée1378, peu importe que le péril soit imminent, dans la
1375
Contra, Poitiers 16 déc. 2003, DMF 2004. 699, obs. crit. Raison et Bonassies.
1376
Comp. Paris 7 mars 1955, D. 1955. 759, note Ripert.
1377
Com. 25 oct. 1961, D. 1962. 1, note Rodière.
1378
MM. Bonassies et Scapel, n° 497.
377
mesure où il est réel. Les tribunaux admettent ainsi que tout navire échoué est en péril de se
perdre ; de même un navire privé de son hélice ou de son gouvernail est considéré comme un
navire en péril, même si la mer est calme, parce qu'il est à la merci des événements de mer. Au
contraire, il n'y a pas assistance si le navire, étant dans un port ou dans une rade sûre, demande
les services d'un autre navire. C’est là toute la distinction entre l’assistance et le remorquage. La
plupart des assistances se font par des remorqueurs très puissants et équipés à cet effet. Or, un
navire peut se faire remorquer alors qu'il ne court aucun péril. Le remorqueur passe alors
simplement un contrat de louage de services ; il sera payé à la journée ou à l'heure et ne pourra
pas prétendre avoir rendu un service d'assistance1379.
Si l'état de danger du navire ou du bien assisté est une condition nécessaire pour qu'il y ait
assistance au sens juridique du terme, faut-il en dire autant du péril couru par le navire
assistant ou la personne assistante ? Cette question peut aussi se poser ainsi : faut-il que le navire
assistant ou la personne ait agi de façon aléatoire ? Ce n'est cependant pas la même chose parce
que l'aléa peut tenir non pas au danger couru par l'assistant mais au caractère conjectural de
l'opération, compte tenu des circonstances et notamment de la position très critique du navire
assisté. On peut, pour exiger plus que les conditions déjà présentées, observer que la
rémunération d'assistance, en fait très avantageuse, ne doit récompenser que ceux qui ont rendu
un service périlleux pour eux-mêmes ou du moins dont les chances de succès n'étaient pas
certaines. La Cour de cassation n'a cependant pas retenu cette idée : l'aléa résulte suffisamment de
la situation périlleuse du navire assisté1380. Peut-être doit-on dire seulement que le danger (ou le
risque) couru par l’assistant est un élément qui indique le péril couru par le navire assisté1381.

V.Causes d'exclusion 

Quoique les conditions qui précèdent soient réunies, il n'y a pas d'assistance au sens de la loi :
lorsque les parties ont expressément décidé, bien la qualification d’assistance s’impose, de ne pas
recourir au droit de l’assistance, mais par exemple au droit du remorquage. 1382 Les parties ont
donc une certaine maîtrise sur la qualification de contrat, mais il reste que si le péril n’est pas
caractérisé, les parties ne sauraient se placer dans une situation d’assistance.
Il se peut que l'assistance se confonde avec l'exécution d'un autre contrat, en cours au moment où
se produit le péril. Ainsi, en cours de remorquage, le navire remorqué a une avarie qui le
désempare et le met en danger. Le remorqueur doit achever sa tâche, quoiqu'elle soit devenue
plus délicate, dans le cadre du contrat de remorquage. Cependant, dans ces cas, le remorqueur ne
se contentera pas de la rémunération prévue par le contrat de remorquage ; il aura droit à une
indemnité pour services exceptionnels qui sera calculée comme l'indemnité d'assistance. Les
textes sont aujourd’hui très clairs en ce sens : « aucune rémunération n’est due pour des services
rendus en vertu de contrats conclus avant que le danger ne survienne, à moins que les services
rendus n’excèdent ce qui peut raisonnablement être considéré comme l’exécution normale du
contrat ». Un contrat de remorquage conclu en l’absence de tout danger pour le navire remorqué
ne peut être qu’un contrat de remorquage ou, plus exactement, n’est pas un contrat d’assistance.
Il peut cependant le devenir en cours d’exécution s’il s’avère que le remorqueur dépasse ce que

1379
v. par ex. Com. 20 nov. 1963, Bull. civ. IV, n° 49, DMF 1964. 152, obs. Lureau.
1380
Com. 23 avr. 1969, DMF 1969. 607, JCP 1969, II, 15993, note de Juglart et du Pontavice.
1381
 Chauveau, « Sauvetage et remorquage devant les tribunaux français », RTD com. 1965. 773 ; Rodière, op. cit.,
n° 164 ; N. Reuter, op. cit., n° 223 s.
1382
Com. 14 déc. 2010, DMF 2011. 806, obs. Bonassies.
378
l’on peut raisonnablement attendre de lui et procure au remorqué des services allant au-delà du
cadre du remorquage.

§ 2. Régime juridique

A. Obligations de l’assistant

1)Directives

Les textes récents, convention internationale et loi française, ont insisté sur les obligations des
parties et notamment sur celles de l’assistant. Il faut s’en féliciter, car l’interprète dispose
désormais de lignes directrices pour mesurer le contenu de l’assistance. Comme le dit aujourd’hui
l’article L. 5132-10, l'assistant a l'obligation :

1° D'exécuter les opérations d'assistance avec le soin voulu ;

2° Lorsqu'il s'acquitte de l'obligation mentionnée à l'alinéa précédent, d'agir avec le soin voulu
pour prévenir ou limiter les dommages à l'environnement ;

3° Chaque fois que les circonstances l'exigent raisonnablement, de chercher à obtenir l'aide
d'autres assistants ;

4° D'accepter l'intervention d'autres assistants lorsqu'il est raisonnablement prié de le faire par le
capitaine ou le propriétaire du navire ou des autres biens en danger ; le montant de sa
rémunération n'est pas affecté s'il s'avère que cette demande n'était pas raisonnable.

2)Responsabilité de l’assistant 

La Convention de Londres du 19 novembre 1976 a prévu, pour les créances de l'assistant de


limiter les cas où l'assistant pourrait être responsable de façon illimitée, c'est-à-dire sans pouvoir
limiter sa réparation au fond de limitation. Ce texte, relatif aux assistants fautifs figure désormais
dans le Code des transports (art. L. 5132-12) : « la responsabilité de l'assistant, engagée à raison
des dommages corporels ou matériels qui sont en relation directe avec des opérations d'assistance
ou de sauvetage, au sens de la Convention sur la limitation de la responsabilité en matière de
créances maritimes faite à Londres, le 19 novembre 1976, ainsi qu'à raison de tous autres
préjudices résultant de ces opérations, peut être soumise à limitation, quel que soit le fondement
de la responsabilité ». Cette limitation est soumise aux conditions habituelles de la limitation de
responsabilité de l’armateur.

Les préposés de l'assistant ont le droit de se prévaloir de la limitation de responsabilité dans les
mêmes conditions que l'assistant lui-même.
Les limites de responsabilité de l'assistant agissant à partir d'un navire autre que celui auquel il
fournit des services d'assistance sont calculées suivant les règles prévues pour le propriétaire de
navire à l’art. L. 5121-5. Par ailleurs, la loi a réglé la situation dans laquelle l’assistance émane
d’une personne et non d’un navire : les limites de responsabilité de l'assistant n'agissant pas à
partir d'un navire ou agissant uniquement à bord du navire auquel il fournit des services

379
d'assistance sont calculées selon les mêmes règles et sur la base d'une jauge de 2000 (art. L.
5132-13).
B. Obligations de l’assisté

1)Diligence 

Le capitaine, le propriétaire du navire et le propriétaire des autres biens en danger ont l'obligation
(cf. art. L. 5132-11) :
- de coopérer pleinement avec l'assistant pendant les opérations d'assistance ;
- d'agir avec le soin voulu pour prévenir ou limiter les dommages à l'environnement ;
- lorsque le navire ou les autres biens ont été conduits en lieu sûr, d'en accepter la restitution
lorsque l'assistant le leur demande raisonnablement.

2)Dette financière : l’indemnité d’assistance 

L'assistance des navires et des choses à bord est rémunérée, à condition qu’elle ait eu un résultat
utile (art. L. 5132-3, al. 1er, reprenant la fameuse règle « no cure, no pay »), qu'elle ait été prêtée
par devoir strict, qu'elle ait été spontanée ou qu'elle ait été sollicitée. Avant la loi de 1916, aucune
disposition singulière ne faisait échapper la matière au droit commun. Lorsqu'une convention
d'assistance avait été passée, on devait l'appliquer à moins qu'elle ne fût viciée. La Cour de
cassation avait reconnu que la violence des événements suffisait à constituer le vice de violence,
lorsque le sauveteur avait abusé de la situation pour obtenir une promesse de rémunération
excessive1383. Mais l'annulation d'un contrat implique le retour au statu quo ante, tandis qu'ici, il
fallait substituer une appréciation du juge à celle des parties. De plus, l'incertitude du fondement
juridique de l'opération embarrassait les juges. La gestion d'affaires eût été avantageuse en ce qui
concerne le remboursement des frais, mais ne permettait d'asseoir aucune récompense, aucune
rémunération proprement dite. L'enrichissement sans cause eût été moins bénéfique encore à
l'assistant.
Après la loi de 1916, la loi de 1967 et désormais le Code des transports sont venus régler la
question. Les textes distinguent suivant qu'il y a une convention équilibrée ou qu'il n'y a pas de
convention (ou que la convention passée doit être annulée). Le cas où est intervenue une
convention d'assistance entre les deux parties fixant à l'avance un prix est l'hypothèse la plus rare.
Les conventions d'assistance que les professionnels font accepter aux capitaines ne fixent
généralement pas le prix et renvoient à des arbitres le soin de le fixer1384.

1383
Req. 27 avr. 1887, S. 1887, 1, 372, DP 1888, 1, 263 : la nullité doit être prononcée lorsque le consentement
n’est donné que sous l’empire de la crainte inspirée par un mal considérable et présent auquel la fortune est exposée,
et que le capitaine du navire a dû subir comme une nécessité la convention que le capitaine du remorqueur, abusant
de sa situation désespérée, lui a imposée.
1384
 Cf. Arbitrage des Lloyd's (« Standard form of Salvage Agreement »). L’arbitrage à Paris (CAMP) est devenu en
l’occurrence malheureusement rare. On est en tout cas en présence d'un contrat incomplet. Il est permis, rappelons-le,
de renvoyer la fixation du prix à l'arbitrage d'un tiers. Le mot arbitrage est pris alors dans un sens particulier. Ce n'est
plus l'arbitrage-jugement, c'est le renvoi à la volonté du tiers qui fixe lui-même le prix (Cf. C. civ., art. 1592). Mais
comme le tiers, pour fixer la rémunération, s'appuie sur les bases de la détermination légale de l'indemnité, on en
revient à la fixation de l'indemnité par la loi. Cette stipulation, pour autant, ne manque pas d'intérêt car elle conduit à
présumer qu'il y a bien eu « assistance maritime ». Mais cette qualification intéressée et par là imposée par le
prétendu assistant, peut être inexacte et le tribunal aura, si la demande lui en est faite, le devoir de la vérifier.
380
3)Rémunération fixée par le contrat 

Le contrat obéit à deux règles juridiques, qui sont très importantes.


Tout d'abord, le prix, bien qu'il ait été fixé à forfait entre les parties, n'est dû que si l’opération a
un résultat utile. Dans tout contrat d’assistance se trouve la clause no cure no pay1385, c'est-à-dire
pas de résultat, pas de payement. Cette clause explique le chiffre élevé des rémunérations
d'assistance. Cette économie contractuelle résulte de la nature des choses, plus encore que de la
convention des parties. Faut-il pour autant tenir pour nulle la clause no cure no pay lorsque les
conditions de l'assistance ne sont pas remplies ? Il arrive que des remorqueurs fassent admettre
cette clause, à première vue désavantageuse pour eux, dans le seul but de caractériser l'opération
et de justifier leur prétention à une rémunération d'assistance 1386. Si tel est le cas et s’il n’y a pas
de péril, le contrat doit être requalifié. Logiquement, la clause devrait être en même temps privée
d’effet.

4)Annulation et révision du contrat 

En outre, bien que passé entre deux personnes capables et maîtresses de leurs droits, le contrat
est susceptible d'annulation ou de révision. Rejetant d'inutiles distinctions que la loi de 1916 avait
empruntées à la convention et par là à la common law, la loi pose la règle simple que toute
convention d'assistance peut, à la demande d'une partie, être annulée ou modifiée si le contrat a
été conclu sous une pression abusive ou sous l’influence du danger et que ses clauses ne sont pas
équitables ou encore si le paiement convenu en vertu du contrat est beaucoup trop élevé ou
beaucoup trop faible pour les services effectivement rendus (art. L. 5132-6). Ces solutions
dérogent ouvertement au principe de la force obligatoire des contrats. Elles sont cependant le fruit
de l’histoire et en tout cas propres à l’assistance. Elles ont rarement l’occasion d’être mises en
œuvre.

5)Rémunération fixée par la loi 

On y assimilera les cas où la convention est écartée en application de l'article L. 5132-6. Ce sont
alors les règles légales de rémunération qu'il faut appliquer.

Deux conditions préalables sont nécessaires pour qu'une rémunération soit due1387 :

- qu'il n'y ait pas eu défense expresse de l'assisté, à la condition que la défense d'assister soit
raisonnable ;
- que l’assistant n'ait pas lui-même, par sa faute, commencé par mettre le navire en péril, sans
quoi il ne ferait que remplir une obligation à sa charge en le sauvant.

1385
 Bulot, Remorqueurs de haute mer et de sauvetage, op. cit., p. 87 à 92. Les principes sont modifiés par la
Convention de 1989.
1386
On pourrait se demander pourquoi le navire assisté passe un tel contrat, alors qu'il lui serait possible de passer
un contrat ordinaire de remorquage. La raison est que si le capitaine passe un contrat de remorquage, il fait une
dépense d'armement, qui est supportée par son armateur ; s'il passe un contrat de sauvetage, il fait une opération dont
la dépense, classée en avaries communes, est à la charge des assureurs de tous les biens engagés dans l'expédition
lorsqu'un résultat utile est obtenu et, s'il n'y a pas de résultat utile, aucune rémunération n'est due.
1387
Les textes anciens en ajoutaient une troisième tenant à l’absence de comportement frauduleux. Cette condition
négative n’a pas été expressément reprise, mais elle est encore de droit positif.
381
Une troisième condition doit être remplie : il faut que l'assistant ait obtenu un résultat utile. Cette
condition empêche d'analyser l'opération en une gestion d'affaires. Il n'est pas nécessaire que
l’assistance ait été complète. Ainsi, l'assistant qui n'ayant assuré qu'une meilleure position au
navire qu'il a dû ensuite abandonner, a droit à une rémunération parce qu'il a facilité le sauvetage
par un second navire assistant qui l'aura relayé dans ses efforts1388.

Critères de la rémunération 

Suivant l’art. L. 5132-4, l'indemnité qui est fixée pour « encourager » l’assistance, doit tenir
compte de divers éléments que l'on peut grouper sous deux chefs : d'une part, les peines et soins
de l'assistant ; d'autre part le résultat de l'opération.

1°— Peines et soins. Le juge ou l’arbitre doit commencer par apprécier les divers éléments de
l'opération entreprise. Il doit prendre en considération :

- La dépense faite par le sauveteur, le temps passé, la dépense de combustible, les salaires des
hommes d'équipage ou des hommes supplémentaires qui ont été engagés.

- Les pertes subies par le sauveteur ; comme il faut souvent approcher d'un navire qui ne
gouverne plus, les navires se heurtent ou bien les câbles cassent.

- l’habileté et les efforts des assistants pour prévenir ou limiter les dommages à l’environnement 

- La nature et l’importance du danger couru par le sauveteur.

- L'appropriation spéciale du sauveteur1389 ; i. e. la disponibilité et l’usage des navires ou d’autres


matériels destinés aux opérations d’assistance et l’état de préparation ainsi que l’efficacité et la
valeur du matériel de l’assistant (certains navires sont construits spécialement pour faire le
sauvetage maritime ; ce sont des remorqueurs de très grande puissance, qui pour des opérations
commerciales normales useraient beaucoup trop de combustible et seraient trop onéreux ; ces
navires ne sont guère utilisables que pour des opérations de sauvetage et il faut que ces opérations
soient fructueuses pour que le capital engagé soit rémunéré) ;

- La nature et l’importance du danger couru par le navire assisté, ses passagers et son équipage ;
dans certains cas, le navire pouvait attendre ; dans d'autres, au contraire, c'est la rapidité de
l'opération qui a permis le sauvetage.

- Le risque de responsabilité et les autres risques encourus par les assistants et leur matériel ;

- L’étendue du succès obtenu par le sauveteur ;

1388
 Sur cette situation, v. Rodière, op. cit., n° 175 ; N. Reuter, op. cit., n° 47. v. un cas de défaut de rémunération
pour absence totale d'utilité dans Rennes, 27 juin 1973, DMF 1974. 154.
1389
 L'appropriation peut tenir à l'adaptation du navire aux opérations d'assistance ou à la spécialisation de son
propriétaire aux opérations d'assistance par la fréquentation de cours spécialisés dans l'assistance ; ces spécialisations
coexistaient dans l'espèce jugée par le tribunal fédéral de Rhode Island, le 14 juil. 1991, DMF 1994. 812, n° 14,
chroniques P. Bonassies : Droit Maritime des Etats-Unis.
382
- La promptitude des services rendus : la rapidité de la manœuvre, par exemple, étant précisé que
si on renfloue très facilement le navire, il ne se fatiguera pas dans l'échouement, l'opération ayant
été bien conduite et le succès étant plus complet.

2°— Utilité du résultat. C'est de ce second chef que l'assistant va retirer une rémunération
substantielle. Les juges doivent tenir compte de la valeur du navire et des autres biens sauvés :
on donne au sauveteur une somme qui représente une fraction de la valeur des objets sauvés. On
se persuade ici de l'idée d'association d'intérêts en vue d'arriver au sauvetage ; c'est une
association aux risques et aux profits. Le sauveteur n'a rien s'il ne sauve rien, mais s'il arrive à
sauver un navire et une cargaison qui ont une grande valeur, il a droit à une rémunération élevée.
La loi ne fixe pas le maximum et en fait les rémunérations vont de 2 à 60 % de la valeur des biens
sauvés. On avait prétendu que la rémunération ne pouvait pas dépasser 53 %, parce que, en
matière de sauvetage des épaves, l'Ordonnance de 1681 ne donnait jamais plus du tiers au
sauveteur. Mais la jurisprudence n'a pas admis cette solution : la rémunération peut donc dépasser
le tiers. La seule limite est la valeur des objets sauvés. En effet, les rémunérations, à l’exclusion
de tous intérêts et frais juridiques récupérables qui peuvent être dus à cet égard, ne doivent pas
dépasser la valeur du navire et des autres biens sauvés (art. L. 5132-4, II). Naturellement la
proportion est d'autant plus forte que la valeur des objets sauvés est plus faible. C'est pourquoi, de
nos jours, les rémunérations ne représentent qu'un faible pourcentage de la valeur des objets
sauvés : 1 %, 2 %…1390

La Cour de cassation tient à ce que les juges du fond fassent état de toutes ces indications de la
loi1391 et aujourd’hui de l’habileté dans la défense de l’environnement. En pratique, les tribunaux
prennent principalement en considération les risques encourus par les uns et les autres dans
l’opération, l’appropriation spéciale du navire assistant et le montant des valeurs sauvées1392.

On observera que la rémunération est toujours une somme d'argent et non, comme autrefois, une
partie concrète des objets sauvés. Le sauvetage n'est plus un mode d'acquisition de la propriété.
Dans la pratique, les indemnités sont de plus en plus fixées sur une base forfaitaire et déclenchées
à la demande de l’assistant, tout en comportant de lourdes garanties (Scopic clauses)1393.

6)Indemnité spéciale 

La règle no cure no pay est, comme on l’a vu, essentielle en matière d’assistance. Son
application, cependant, ne peut être systématique. Que l’on songe aux pétroliers en difficulté. Si
l’assistance apparaît trop difficile et, dès le départ compromise, personne ne se présentera. Or,
tout doit être fait pour éviter une catastrophe écologique. D’où l’idée formalisée dans la
Convention de 1989 (art. 14) d’accorder néanmoins une indemnité « spéciale » à l’assistant qui,
ayant tenté d’éviter la pollution, n’a cependant pas pu sauver le navire ou la cargaison 1394. La
1390
 G. Brice, Salvage and enhanced awards, in Lloyd's Maritime and Commercial Law Quarterly (1985), 33.
1391
Com. 21 janv. 1958, D. 1958. 634, note Rodière, censurant une décision ayant fixé la rémunération sans
indiquer dans ses motifs quels étaient les faits relatifs à certains des éléments que la loi invite à considérer.
1392
MM. Bonassies et Scapel, n° 510, insistant aussi sur le rôle de l’équité.
1393
V. Rebora, op. cit.
1394
Si l'assistant a prévenu ou limité les dommages à l'environnement, l'indemnité spéciale peut être augmentée
jusqu'à 30 % des dépenses engagées par l'assistant, voire jusqu'à 100 %. Dans une annexe jointe à la convention, la
conférence diplomatique a demandé que soit exclue de l'avarie commune l'indemnité spéciale, puisqu'elle vise à
protéger un intérêt « tiers », l'environnement, non engagé dans l'aventure maritime, et qu'elle est payable par un
383
règle a été reprise par la loi française dans l’art. L. 5132-5 : l’assistant qui a réalisé des opérations
d’assistance à un navire qui, par lui-même ou du fait de sa cargaison, menaçait de causer des
dommages à l’environnement et n’a pu obtenir une rémunération au moins égale à l’indemnité
spéciale prévue par le texte, a droit de la part du propriétaire à une telle indemnité.
Cette indemnité est due dès l’instant que l’assistant a prévenu ou limité par ses opérations
d’assistance des dommages à l’environnement. Elle peut être augmentée jusqu’à un maximum de
30 % des dépenses engagées par l’assistant1395. Toutefois, si le tribunal le juge équitable et juste,
au regard des critères habituels de détermination de l’indemnité de base, il peut encore augmenter
cette indemnité spéciales sans que l’augmentation totale représente plus de 100 % des dépenses
engagées par l’assistant1396.

L’indemnité spéciale n’est pas de droit pour l’assistant. Ce dernier peut en être privé, en tout ou
partie, s’il a été négligent et si, de ce fait, il n’a pu prévenir ou limiter les dommages à
l’environnement. En outre, ce n’est parce que l’assistant peut avoir droit à une telle indemnité que
le propriétaire du navire est privé de son recours contre l’assistant. Il conserve donc ce recours
(art. L. 5132-5, in fine).

L’évaluation de cette indemnité spéciale ne va pas de soi. Elle doit être calculée en tenant compte
des frais encourus par l’assistant et des critères énumérés par les textes (art. L. 5132-5, III). Il
faudrait raisonnablement y inclure la marge bénéficiaire de l’assistant, mais la jurisprudence n’y
semble pas favorable1397.

7)Répartition et paiement de la rémunération 

S'il y a plusieurs sauveteurs, ils répartissent entre eux la rémunération totale d'après les bases de
l'article 5132-4 (art. 5132-7. I), c'est-à-dire que, pour chacun d'eux, on devra reprendre les
éléments qui viennent d'être considérés. En tout cas, ce n’est pas, semble-t-il, parce qu’il y a
plusieurs sauveteurs que l’indemnité doit être réduite1398.

« seul » intérêt, le propriétaire du navire. Un groupe de travail a étudié la modification des Règles d'York et d'Anvers
de 1974 afin que l'indemnité spéciale de l'article 14 ne soit pas classée en avarie commune, v. Villeneau, L'assistance
maritime à l'heure de la pollution, in Aspects du droit privé enfin du xx e siècle, Études réunies en l'honneur de
Michel de Juglart, 1986, p. 355 s. ; même auteur, Evénements de mer : abordage, collision et assistance, Annuaire de
droit maritime et aéro-spatial, Université de Nantes, T. IX, 1987,75 s. ; Bulot, Remorqueurs de haute mer et de
sauvetage, op. cit., p. 169 s. : « Le sauvetage du Tanio : une marée noire au bout de la remorque ». Latron, Révision
des Règles d'York et d'Anvers, exposé à l'AFDM, séance du 26 oct. 1989 ; JMM 1989. 3278 s. C'est pour la même
raison que le fameux contrat « Lloyd's open form » (LOF) a été modifié en 1980 afin de tenir compte de la protection
de l'environnement par l'assistant (Villeneau, op. cit., p. 356 ; pour le texte de la LOF 1980, v. J.-P. Beurier et D.
Ponzoni, Recueil de documents (dactyl.) de l'Université de Bretagne Occidentale, tome I, p. 112 s. Sans attendre
l'entrée en vigueur de la Convention de 1989, le Lloyd a proposé un nouveau contrat-type, le Lloyd's Open Form
1990 (LOF 90) qui fait obligation aux parties d'introduire une clause de prévention de la pollution et met ainsi en
pratique les dispositions de la convention (JMM 1989. 2563). La nouvelle version, LOF 2000, est dans le même sens
et renvoie même à une Scopic clause fixant forfaitairement l’indemnité due à l’assistant.
1395
Les dépenses en cause comprennent les débours raisonnablement engagés par l’assistant dans les opérations
d’assistance ainsi qu’une somme équitable pour le matériel et le personnel effectivement et raisonnablement utilisés
dans les opérations d’assistance.
1396
L’indemnité spéciale totale n’est payée que dans le cas et dans la mesure où elle excède la rémunération –
ordinaire - pouvant être obtenue par l’assistant.
1397
V. P. Bonassies, La fin de l’affaire du Nagasaki Spirit, une espérance déçue, DMF 1997. 451.
1398
V. MM. Bonassies et Scapel, n° 511.
384
Le capitaine et l'équipage du navire assistant ont droit à une partie de la rémunération. La
répartition doit se faire en application de la loi du pavillon du navire assistant 1399. Si l’assistance
n’a pas été réalisée à partir d’un navire, la répartition s’opère selon la législation régissant le
contrat conclu entre l’assistant et ses préposés. On donne en général au capitaine et à l'équipage 5
ou 10 % de la rémunération, sauf toutefois, pour les sauveteurs professionnels, qui sont
rémunérés par leur salaire plus élevé.
La rémunération d'assistance n'était pas privilégiée par le Code de commerce, mais la
jurisprudence avait pu reconnaître à l'assistant le privilège de celui qui a fait des frais pour la
conservation de la chose. La loi actuelle déclare privilégiées au 4 e rang les rémunérations dues
pour sauvetage et assistance (art. L. 5114-8. 4°). Le délai d'extinction du privilège est d'un an à
dater du jour où les opérations sont terminées. La même loi décide que tous les créanciers ayant
un privilège maritime sur le navire assistant verront leur droit de préférence transporté sur la
rémunération d'assistance (art. L. 5114-1. 3°).
La rémunération est payée par les assureurs, et c'est ce qui évite toute difficulté. Les assureurs
prennent à leur charge le payement de la rémunération, parce que c'est grâce à l'assistance qu'ils
ont évité la perte du navire ou de la cargaison.
De plus, comme nous le verrons (v. ss 991), la rémunération d'assistance entre dans les frais
bonifiés en avaries communes1400. Il y aura donc une répartition de la somme payée entre
l'armateur1401 et les propriétaires de marchandises. C'est ce qui explique que l'on peut dans la
pratique, accorder des rémunérations très importantes sans que le fardeau paraisse trop lourd aux
intéressés1402.

§ 3. Procédure

I.Prescription 

En vertu de l’art. L. 5132-9, toute action en paiement intentée en application d’une assistance est
prescrite si une procédure judiciaire ou arbitrale n'a pas été engagée dans un délai de deux ans. Le
délai de prescription court du jour où les opérations d'assistance ont été terminées.
La personne contre laquelle une créance a été formée peut à tout moment, pendant le délai de
prescription, prolonger celui-ci par une déclaration adressée au créancier. Le délai peut, de la
même façon, être à nouveau prolongé.
Pour le reste, les règles habituelles de suspension et d’interruption doivent être observées.

II.Compétence 

1399
V. par ex. s’agissant d’une assistance soumise au droit américain, Sentence 15 nov. 1991, DMF 1994. 812, n°
15, obs. Bonassies : valeur des biens sauvés 2 500 000 USD ; indemnité 275 000 ; 50 000 à l’équipage de 13
hommes et double part pour le capitaine et le chef mécanicien.
1400
 J. Crump, General average, salvage and the contract of affreightment, in Lloyd's Maritime and Commercial Law
Quarterly, (1985), 19.
1401
En cas d’affrètement, l’indemnité est due par la personne pour le compte de qui l’assistance a été conclue  : c’est
généralement le fréteur à temps ou au voyage.
1402
 Dans le domaine international, v. K. Pineus : « Comment obtenir les garanties pour la rémunération due aux
sauveteurs : un problème actuel », p. 311 s. in Aspects du droit privé en fin du xx e siècle, Études réunies en l'honneur
de Michel de Juglart, 1986.
385
Le capitaine du navire assisté représente non seulement l'armateur, mais la cargaison, car on tient
compte, dans les valeurs sauvées, de la cargaison qui a été sauvée.
La loi n’énonce pas de règle spéciale de compétence1403. Il faut donc agir conformément à la règle
générale devant le tribunal du domicile du défendeur. Mais le lieu où le navire assisté est l'objet
d'une saisie conservatoire détermine la compétence de ce même tribunal si l'affaire relève de la
Convention de Bruxelles de 1952 sur la saisie-conservatoire1404.

L'article D. 5132-1 annule les clauses qui attribuent compétence à un tribunal étranger lorsque
navire assistant et navire assisté sont français et que l'assistance a été rendue dans les eaux
intérieures ou territoriales françaises. Il annule dans les mêmes conditions les clauses
compromissoires qui donnent compétence à un tribunal arbitral siégeant à l'étranger. Cette
disposition peut être considérée comme très, voire trop, nationaliste, mais son application est
limitée aux seules situations dans lesquelles seuls des intérêts français sont en cause et répond,
dans une certaine mesure, à l’« impérialisme » des clauses des contrats LOF donnant
systématiquement compétence à la place de Londres.

1403
 Un tribunal arbitral est fréquemment saisi, qu'il soit créé ad hoc ou qu'il soit fixé par une Chambre Arbitrale
Maritime. En principe, sa sentence ne peut être publiée sans l'accord des parties.
1404
 L'article 5.7 du règlement 44/2001 reconnaît, en matière d'assistance, en cas de contestation relative au paiement
de la rémunération, la compétence du tribunal dans le ressort duquel la cargaison ou le fret qui bénéficie de
l'assistance a été saisi pour garantir le paiement ou aurait pu être saisi si une caution ou autre sûreté n'avait été
donnée. Cette disposition, il faut le rappeler, ne joue que dans la mesure où le défendeur est domicilié sur le territoire
d’un Etat membre de l’UE. Elle ne s’applique aussi que s’il est prétendu que le défendeur a un droit sur la cargaison
ou sur le fret ou qu’il avait un tel droit au moment de l’assistance.
386
CHAPITRE 3
LES AVARIES COMMUNES

Le mot avaries a un sens très général : il désigne tous les dommages et toutes les pertes qui
peuvent survenir au cours de l'expédition maritime, aussi bien la perte totale que le dommage
matériel subi par le navire ou par la marchandise. En outre, le terme avaries comprend toutes les
dépenses, d'un caractère exceptionnel ou anormal, qui peuvent être exposées au cours du voyage
pour parvenir à le sauver.
L'expression avaries communes n'a de sens que si on l'oppose à l'expression avaries
particulières. À vrai dire, l'expression est mal forgée, car ce n'est pas l'avarie qui en elle-même
est commune ou particulière ; il faudrait, dans un langage juridique correct, parler de la
contribution commune aux avaries. On appelle, en effet, avarie particulière, la perte ou la
dépense supportée par celui qui l'a subie ou exposée, et qui ne donne lieu à aucun recours.
L’expression désigne aussi l’avarie qui provient de la faute d'un tiers, le recours étant alors un
recours de responsabilité civile. Comme le disent les textes (art. L. 5133-2), sont particulières
toutes les avaries qui ne sont pas classées en avaries communes. Elles sont supportées par le
propriétaire de la chose qui a souffert le dommage ou par celui qui a exposé la dépense, sauf leurs
éventuelles actions en responsabilité, en remboursement ou en indemnité.

L'avarie est commune1405 lorsqu’elle donne lieu à une contribution de ceux qui sont intéressés à
l'expédition maritime : l'armateur d’un côté ; les chargeurs de l’autre 1406. La question qui se pose
n’est donc pas une question d’obligation ; c’est une question de contribution : comment les
différents intéressés vont-ils répartir entre eux la perte subie, la dépense faite ? Mais pour
comprendre cette question, il faut commencer par expliquer le fondement de la règle et les
caractères de l'avarie commune.

L'institution sur laquelle il y a assez peu de statistiques 1407 est propre au droit maritime. En droit
terrestre, les dommages subis par les marchandises ou par les engins de transport ne donnent lieu
qu'à des recours en responsabilité ou au jeu de l'assurance. Si l'on excepte celle-ci, les dommages
seront réparés par un autre que la victime, si du moins ce tiers a commis une faute ou est présumé
en faute ; à défaut, les dommages resteront à la charge de celui dans le patrimoine duquel les
dommages ont été soufferts, à la charge donc de la victime, à moins qu’elle n’ait elle-même pris
le soin de s’assurer. En droit maritime, ces mêmes principes opèrent, mais ils ne sont pas seuls à
jouer. Ils doivent interférer avec les règles des avaries communes.

1405
L’expression avaries grosses n’a plus guère cours. Il ne s’agissait pas d’avaries plus importantes que les autres,
mais d’avaries supportées par le gros, i. e. l’ensemble des intérêts de l’expédition maritime.
1406
Rodière, Traité, Evénements de mer, n° 255 s., avec la collaboration de P. Lureau, 1972 ; Ch. Bettex, L'avarie
commune, étude de la loi sur la navigation maritime sous pavillon suisse, à la lumière des droits français et anglo-
saxons, thèse Lausanne, 1985 ; du Pontavice, Les avaries communes, actualité de l'institution, BT 1983. 134 s.
Latron, Avaries communes : quelques problèmes actuels, Gazette CAMP, n° 8 ; G. Hudson et M. D. Harvey, The
York-Antwerp Rules, Lloyd’s Shipping Law Library, 3e éd., 2010 ; égal. F. Denèfle, La pratique des avaries
communes, Gazette CAMP, n° 34 ; v. égal. W. Tetley, General average, now and in the future, Mélanges Roland, éd.
Larcier, 2003, p. 419 ; Tassel, Regards sur l’avarie commune. Le coeur du droit maritime, Mélanges Roland, p. 406.
1407
On estime toutefois qu’elle porte sur des sommes d’environ 300 M. USD par an et concerne à hauteur de 40%
les indemnités d’assistance, de 20 % les sacrifices de la cargaison.
387
SECTION 1. ORIGINE ET FONDEMENT

§1. Origine de l'institution 

L’institution des avaries communes est très ancienne. Il est probable qu'elle ait été connue par
tous les peuples navigateurs de l'antiquité. Un des rares textes du droit romain relatif à la
navigation maritime est justement un texte sur les avaries communes ; c'est la célèbre lex Rhodia
de jactu (Dig. XIV, 2.I). Les Romains avaient recueilli cet usage pratiqué par les navigateurs de
Rhodes, d'après lequel l'armateur et les propriétaires de marchandises devaient contribuer à la
réparation des avaries survenues au cours de l'expédition1408.
On retrouve l'institution, avec son caractère propre dans les recueils d'usages du Moyen Âge. Le
Consulat de la mer qui décrit les usages méditerranéens, nous apprend que les marchands
montaient à bord des navires et accompagnaient les marchandises. Le propriétaire apportant sa
nef et les marchands leurs marchandises formaient unum germen (agerminamento), et tous se
considéraient comme unis d'intérêt pour résister aux périls de la navigation. Peut-être, à l'origine,
l'union d'intérêts fut-elle complète et à un moment où l'assurance n'existait pas, il est possible que
l'association ait été conclue contre tous les périls de la mer, quels qu'ils fussent. Mais bien vite
l'association fut créée simplement dans le but de sauver, par des mesures appropriées, l'expédition
maritime, lorsqu'elle était en péril.
L'Ordonnance de 1681 n'a fait que reproduire les règles traditionnelles et le Code de commerce a
copié l'Ordonnance. Le plan en était défectueux et les règles vieilles et insuffisantes. En fait, ces
défauts de la loi étaient peu sensibles, parce que les règles qu'elle posait étaient supplétives de la
volonté des parties et que, très couramment, les intéressés les écartaient en faveur des Règles
dites « d'York et d'Anvers ».
La réforme de 1967 a complètement refondu le code à travers les articles 22 à 42 de la loi n° 545
du 7 juillet 1967 et les articles 3 à 6 du décret n° 65 du 19 janvier 1968. Cette réforme est inspirée
des critiques portées contre l'institution et a tenu compte de la pratique internationale
qu'expriment les Règles d'York et d'Anvers. Aujourd’hui, la théorie est enfermée dans les articles
L. 5133-1 s. du Code des transports, la codification s’étant faite ici à droit – parfaitement -
constant.

§2. Fondement juridique 

L'avarie commune produit cet effet de créer un droit à contribution et une obligation de
contribution au profit et à la charge de toute personne qui est intéressée dans l'expédition
maritime. C'est ce qu'il est juridiquement difficile d'expliquer. Les Romains admettaient l'action
des chargeurs contre le capitaine, et du capitaine contre les chargeurs qu'ils soumettaient aux
actions nées du louage (locatio-conductio) ; mais dans l'avarie commune, il y a quelque chose de
plus, c'est l'action du chargeur contre les autres chargeurs, qui ne sont que des tiers les uns par
rapport aux autres.
L'institution ne doit rien au droit commun. La Cour de cassation a décidé qu'il n'y avait pas avarie
commune en dehors de la navigation maritime1409. La question aurait pu se poser d'une façon utile

1408
v. D. Gaurier, Le droit maritime romain, PUR 2004, 97 s.
 Cf. Req. 4 mars 1863, DP 1863.1.399 : « les art. 410 s. c. com. qui, en matière de transport maritime, établissent
1409

une contribution entre les effets jetés à la mer, pour sauver le surplus du chargement contre la poursuite de l’ennemi
ou des pirates, et les effets sauvés, est inapplicable aux transports par terre. Dès lors, si le conducteur d’une diligence
388
dans la navigation fluviale, où des incidents semblables à ceux de la navigation maritime
pourraient donner naissance à la contribution commune aux avaries. Mais en droit français, sauf
dans la navigation rhénane régie par une loi allemande imitée du droit maritime 1410, il n'y a pas
pour la navigation fluviale de contribution commune aux avaries. En droit aérien, la théorie est
exclue (C. transp., art. L. 6131-3). La théorie des avaries communes est donc propre au droit
maritime.

On s'est demandé d'abord comment qualifier l'institution ; est-elle légale ou conventionnelle ?


Plus précisément, est-elle susceptible d’aménagements par les parties elles-mêmes ? Plus
précisément encore, relève-t-elle du droit délictuel ou du droit contractuel ? La question n’est pas
sans intérêt si l’on rappelle que jurisprudence n'admet pas, en principe, la validité des clauses
concernant la responsabilité délictuelle. Ce n'est ni l'un, ni l'autre, car l’institution ne pose pas des
questions de responsabilité. Aucune faute n'est commise, ni alléguée : il s'agit d’assurer la
répartition de certains risques en dehors de l’accord des parties.

Une autre explication a été avancée, tirée cette fois de la théorie de l’enrichissement sans cause.
On en rencontre en effet les éléments : un sacrifice est subi par les uns ; grâce à ce sacrifice, qui
représente un appauvrissement, les biens des autres sont sauvés : il y a enrichissement. L'action
de in rem verso permettrait aux propriétaires des biens sacrifiés de demander une indemnité aux
propriétaires des biens sauvés. L’explication n’est cependant pas parfaitement convaincante.
D'abord, parce que la théorie des avaries communes est très ancienne et que la Cour de cassation
n’a reconnu l'existence de l'action de in rem verso qu’en 1898. Ensuite, parce que les règles
techniques de la contribution ne sont pas celles de l'action de in rem verso. La contribution
commune est réglée suivant des règles savantes, avec une répartition de la dépense faite d'une
façon inégale entre les intéressés, ce qui ne correspond pas à la simplicité du règlement de
l'enrichissement sans cause qu’il faut assurer dans la double limite de l’enrichissement et de
l’appauvrissement1411.

La théorie de l'avarie commune ne doit rien au droit commun. Elle repose sur la communauté
d'intérêts entre l'armateur et les chargeurs. L'idée ancienne qui, au Moyen Âge, a donné naissance
à la théorie en est restée le fondement. Dans le transport terrestre, on considère que le
transporteur est un entrepreneur, qui prend à sa charge tous les risques du transport. Dans la
navigation maritime, où ses risques sont plus grands, on a considéré que par des mesures utiles,
mais coûteuses, on pouvait parfois sauver le navire et les marchandises, et pour pousser le
capitaine à prendre ces mesures, on a admis que, si elles étaient prises, elles l'étaient dans l'intérêt
de tous, le capitaine représentant les chargeurs aussi bien que l'armateur. L'association se formait
autrefois au moment du danger. Le Consulat de la mer nous a légué le discours que le « seigneur
de la nef » tenait aux marchands voyageant avec leurs marchandises : « Messieurs les marchands,
nous sommes en grand péril de périr ; s'il vous plaît que les marchandises répondent pour le

remet à des voleurs à main armée, et sur leur injonction, une certaine partie des objets qu’il transporte, la perte des
objets volés est supportée exclusivement par leur propriétaire, sans que le surplus du chargement soit tenu de
contribuer à cette perte. »
1410
 V. Rép. com. Vis Navigation rhénane, par R. Mischlich, n° 127 s. Sur les Règles du Rhin dites IVR 1979 : H.
Schades, IVR 1979. 2e éd., Rotterdam, 1980.
1411
 On a pu également contester que soit satisfaite la condition de l'actio de in rem verso suivant laquelle
l'enrichissement doit encore exister lors de l'action ; la règle est moins simple et, en un sens, plus brutale dans les
avaries commune, Rodière et P. Lureau, op. cit., n° 324.
389
navire et que le navire réponde pour les marchandises, nous allons tenter de sauver le navire ». Le
maître de la nef leur proposait déjà une association en vue du péril commun. Plus tard, les
marchands cessèrent de monter à bord et confièrent leurs marchandises au capitaine. C’est alors
dès le départ que l'association était conclue. Le capitaine représentant dès l’origine du voyage les
intérêts communs déciderait par la suite des mesures à prendre. Toutefois, pour ne pas laisser au
capitaine le droit arbitraire de prendre toutes mesures, on lui imposa l'obligation de consulter les
principaux de l'équipage. Aujourd'hui l'association est une association plus légale que
contractuelle ; elle se forme dès le moment où les marchandises sont chargées : elle naît de
l'union d'intérêts qui existe, en fait, de la communauté de péril et de l'utilité de la mesure prise.
C'est bien là justement ce qui rend difficile de distinguer les avaries communes des avaries
particulières. Il faut apprécier, d'après les caractères de ces avaries, quelles sont les mesures qui
sont vraiment utiles à l'expédition maritime.

§3. Utilité de l'institution 

On peut se demander ce que vaut l'institution qui est, de fait, critiquée de nos jours. Si elle est en
dehors du droit commun, elle repose encore sur la vieille idée d'association qui avait de la valeur
au Moyen Âge, mais peut-être un peu moins aujourd’hui, ne serait-ce qu’en raison des
changements sociologiques intervenus, la société moderne cultivant l’individualisme. En outre, le
règlement des avaries est devenu une opération très complexe. Dans une expédition maritime, ce
n'est parfois que plusieurs années après la fin de l'expédition que l'on parvient à dénouer la
situation. Ce serait une institution presque inapplicable si, derrière les intéressés, ne se trouvaient
pas leurs assureurs. C'est au fond l'assureur du navire qui règle avec les assureurs des
marchandises la contribution commune aux avaries. Dès lors, s'il ne s'agit que des recours entre
les assureurs, il est permis de s’interroger sur le maintien de la théorie. Ne serait-il pas plus
simple que chaque assureur indemnisât son assuré et renonçât à tout recours ? Certains l’ont
souhaité et les assureurs se sont parfois concertés pour abolir l'institution.
La théorie des avaries communes a cependant conservé son utilité qui est d'autoriser dans
l'expédition maritime des dépenses très coûteuses, que le capitaine hésiterait à faire, s'il ne savait
pas qu'elles seront réparties entre tous les intéressés. L'avarie commune a ainsi progressivement
changé de caractère. Telle qu'elle était prévue dans l'ancien Droit, et encore dans le Code de
commerce, elle existait surtout au profit du chargeur dont on avait sacrifié la marchandise. À
l'heure actuelle, la majeure partie des avaries communes consiste dans des dépenses faites par le
capitaine et la règle joue au préjudice des chargeurs ou de leurs assureurs qui doivent contribuer à
ces dépenses. Les assureurs acceptent ainsi la contribution, de peur que le capitaine ne prenne pas
la mesure utile et laisse périr les marchandises et le navire. L’institution favorise au fond la
sécurité de l’expédition.
Il reste qu’elle permet parfois des règlements favorables aux armateurs 1412. L'expérience le
prouve. La réforme de 1967 en a tenu compte, en s’efforçant de marquer le caractère
exceptionnel de l'institution par une définition plus étroite et d'éviter des bonifications abusives
en avaries communes, et en exigeant un lien de causalité rigoureux entre le sacrifice qui donne
droit au règlement et les dommages ou frais réclamés par celui qui a subi ledit sacrifice.
De nos jours, l'avarie commune est volontiers considérée par les chargeurs comme une institution
abusive1413. La critique est, une fois encore, excessive. Du reste, alors que l'on pouvait penser que

1412
 A. Pierron, Les frais de déchargement et l'avarie commune, préface Rodière, 1962.
390
les Règles de Hambourg n'y feraient pas allusion, sinon même tenteraient de les supprimer, il n'en
a rien été (cf. art. 24). De même en est-il dans les Règles de Rotterdam (art. 84).

§4. Caractère des règles légales 

Les règles légales offrent ce caractère particulier de ne pas être des règles impératives. Elles ne
s'imposent pas aux parties (art. L. 5133-1, al. 2, code transp). Si elles le voulaient, elles
pourraient supprimer la contribution aux avaries communes. Elles ne le font jamais. En revanche,
les parties substituent très souvent aux règles du Code des règles différentes.
La loi interdit du reste une pratique fâcheuse qui consistait de la part des armateurs à stipuler dans
les connaissements que le transporteur se réservait d'appliquer les Règles d'York et d'Anvers.
Cette clause permettait aux armateurs, après que l'acte d'avarie eut été décidé et exécuté, de
choisir, selon leurs intérêts, entre ces Règles et les dispositions légales. Ils ne manquaient pas en
fait de se décider après avoir comparé les résultats approximatifs des unes et des autres. Qu'ils
puissent, avant l'événement, stipuler l'application des Règles d'York et d'Anvers est conforme à la
liberté des conventions. Qu'ils puissent choisir après coup n'était pas équitable. Le souci de
protéger les chargeurs contre cette pratique a conduit à l'interdire. « La mention prévue dans un
connaissement, permettant au transporteur de se réserver d’autres dispositions que celles (de la
loi), est réputée non écrite » (cf. art. L. 5133-1, al. 3). La précision « dans un connaissement »
conduit à s'interroger sur la valeur de la même clause si elle est stipulée dans un autre document
de transport1414. L'intention de la loi est sans doute de l'annuler dans tous les cas. À quoi l’on peut
répondre que toute dérogation à la liberté contractuelle – essentielle dans le monde maritime -
appelle une interprétation stricte.

§5. Règles d'York et d'Anvers 

En pratique, les intéressés écartent les règles légales pour y substituer des règles
conventionnelles fixées à l'avance. Ces règles portent le nom de Règles d'York et d'Anvers
(connues aussi sous le sigle anglais YAR). Pour les adopter, il suffit d'insérer dans les
connaissements la clause : « Les avaries communes seront réglées suivant les Règles d'York et
d'Anvers ». Cette simple formule écarte l'application des règles légales.
Les Règles d'York et d'Anvers sont l’une des plus belles expressions de la lex maritima. Ce sont
des règles purement privées, qui ont été adoptées par l'International Law Association. Les règles
qui étaient adoptées autrefois avaient été votées à Liverpool en 1890. Il y en avait 18 et elles
étaient citées par une numérotation en chiffres romains1415.
Les Règles d'York et d'Anvers constituaient, suivant l'habitude britannique, une collection de cas
particuliers. Si un événement se produisait qui ne rentrait pas sous l'une des règles, la XVIIIe et
dernière règle décidait qu'il y avait lieu d'appliquer la loi normalement compétente. Les
difficultés réapparaissaient, car il fallait déterminer d'après les principes des conflits de lois quelle
était la loi compétente. On admettait généralement que cette loi était celle du port de reste, mais
1413
V. Bokalli, Réflexions critiques sur une institution traditionnelle du droit maritime : les avaries communes,
DMF 2001. 83.
1414
Les chartes-parties font souvent référence aux YAR, ce qui ne signifie pas qu’elles soient ipso facto opposables
aux porteurs des connaissements, v. Com. 4 juin 1985, Bull. civ. IV, n° 180.
1415
 V. pour un cas où il s'agissait de savoir si la règle XI (b) était applicable, Ellerman Lines Ltd. v. Gibbs Nathaniel
(Canada) Limited, (1986) 66 N.R. 81, 1986, AMC 2217 (Canadian Fed. Ct. of Appeal), in Journal of Maritime Law
and Commerce, 20 (1989), 80.
391
la question était discutée. Aussi ces règles ont-elles été modifiées déjà plusieurs fois. La
Conférence de Stockholm de 1924 a adopté un nouveau texte concernant des règles générales qui
figurent en tête. Pour ne pas modifier la numérotation, qui était bien connue, elles sont indiquées
par les lettres de l'alphabet : A à G. La liste ancienne des cas a été allongée, de sorte
qu'aujourd'hui, il y a d'abord sept règles affectées de lettres A à G, puis vingt-deux règles
affectées de chiffres romains I à XXII. Le conflit possible entre elles est résolu par une
disposition liminaire dite « Règle d'interprétation » qui assure la prééminence des règles chiffrées
sur les premières. C'est une solution critiquable qui doit faire place à une solution opposée car les
règles dites « lettrées » contiennent les principes que les règles chiffrées peuvent contredire sur
des points particuliers, mais sans prétendre créer à leur tour des principes différents.
Une autre révision préparée par le Comité maritime international a été adoptée en 1950. Elle
porte sur des détails. Une nouvelle révision plus importante, toujours sous l'égide du CMI a
abouti en 19741416. De nouvelles modifications ont été apportées en 2004, à l’occasion de la
conférence du CMI de Vancouver. Elles ne sont pas encore en vigueur. D’autres modifications
ont été envisagées lors du Congrès du CMI de Pékin en 2012.1417
On est ainsi arrivé à l'unification internationale du droit de l'avarie commune. L'instrument
d'unification n'est cependant pas une convention entre États, c'est un usage conventionnel
international. Ces règles ont la plus grande importance. En Angleterre, en Allemagne, dans les
Pays Scandinaves, on adopte toujours les Règles d'York et d'Anvers. En France, certains
intéressés résistent davantage1418.

§6. Conflits de lois 

Compte tenu de l’autorité de fait des YAR, les conflits de lois sont rares. Lorsque la question se
pose, on se réfère, le plus souvent, à la loi du « port de reste », c’est-à-dire la loi où le navire s’est
rendu après la décision d’avaries communes et où a été déclarée la procédure d’avaries 1419. Cette
loi a le mérite d’éviter tout éparpillement, du moins dans le transport par conteneurs où les
connaissements sont multiples : elle fait aussi de la déclaration du capitaine l’élément essentiel de
la théorie des avaries communes, ce qui ne manque pas de justification.

1416
 Texte dans Documentation CMI, 1974.II.284 ; Comm. A. Pierron et Parenthou, DMF 1974. 325.
1417
V. P. Rembauville-Nicolle, La révision manquée des YAR à la Conférence de Pékin, DMF 2013. 120.
1418
 Les règles d'York et d'Anvers ont été adaptées à la Convention sur l'assistance de 1989, lors de la Conférence de
Paris de 1900 du CMI. Elles ont été élevées au rang de loi par le législateur suisse, v. A. Von Ziegler, DMF 1993.
764.
B. Tetley présenta à la conférence du CMI d'octobre 1994 un rapport concluant au maintien des règles d'York et
d'Anvers, moyennant : 1) l'élimination des procédures portant sur un montant très faible ; 2) la simplification des
procédures ; 3) l'encouragement à régler plus rapidement qu'à l'heure actuelle les procédures d'avaries communes.
Une autre révision (OMI 1994) a été publiée en janvier avec une traduction française dans la Revue Scapel de
septembre 1995 à la suite d'un article de M. Parenthou intitulé « Les nouvelles règles d'York et d'Anvers 1994 »,
p. 93 s. v. égal., H. Voet, Le droit des avaries communes, un droit propre à la navigation, Mélanges W. Müller,
Zurich, 1993, p. 273 s. ; J.L. Bilat, « Développement dans le secteur du sauvetage et de l'avarie commune », in
Mélanges W. Müller, p. 281 s.
Sur les modifications apportées lors du CMI de 2004, v. DMF 2005. 405.
1419
MM Bonassies et Scapel, n° 545 ; égal. CMI, Private international Maritime Law, 1985.
392
SECTION 2. CARACTÈRES DE L’AVARIE COMMUNE

Énumération des caractères  Toutes les avaries ne sont pas mises en commun. Pour que les
avaries et les dépenses donnent lieu à une contribution et puissent être qualifiées d'avaries
communes, quatre conditions – parfois difficiles à apprécier - doivent être réunies :1. un sacrifice
volontaire ;2. pour éviter un danger ;3. fait dans un intérêt commun ;4. ayant eu un résultat utile.
A. Sacrifice volontaire

1)« Sacrifice » 

L'avarie commune est essentiellement et nécessairement un sacrifice résultant d'un acte


volontaire. La perte fortuite retombe sur celui qui l'a éprouvée ; la perte fautive sur celui qui l'a
causée. Si un navire perd au cours d'une tempête son hélice puis son gouvernail, c'est tant pis
pour l'armateur. Si un navire est abordé par un autre, l'action d'abordage est envisageable, mais il
n'y a pas avarie commune. Si une marchandise est enlevée par la mer ou mouillée par l'eau, il y a,
suivant les cas, cas fortuit ou faute du transporteur, mais il n'y a pas avarie commune. À la base
de l'avarie commune existe nécessairement un acte volontaire.
Cet acte volontaire, c'est l'acte du capitaine, relevant de sa décision. Le capitaine, gérant des
intérêts communs, représentant tous les intérêts maritimes engagés dans l'expédition, peut décider
le sacrifice de l'un d'eux art. L. 5133-3)1420. La décision volontaire du capitaine est cependant plus
facile à établir pour les avaries frais que pour les avaries dommages. Les Règles d’York et
d’Anvers s’efforcent de régler la difficulté (cf. Règle VI).

2)Formalités à accomplir 

L'acte du capitaine doit être fait dans certaines formes et suivant certaines conditions : il s’agit
d’éviter la fraude du capitaine qui consisterait à transformer des avaries particulières, arrivées par
la violence des événements, en avaries communes, ceci en déclarant volontaires des dommages
survenus fortuitement.
Le Code de commerce demandait au capitaine de prendre « l'avis des principaux de l'équipage ».
Cette consultation était le reflet de la vieille règle qui lui commandait de consulter les
marchands ; lorsque ceux-ci embarquaient avec leurs marchandises, il était normal de recueillir
leur avis avant de jeter leur cargaison par-dessus bord. La consultation des « principaux de
l'équipage », officiers et maîtres n'avait pas la même valeur. En fait, le capitaine décidait seul. La
réforme de 1967 a supprimé une formalité qui n'avait plus guère de sens.
Le capitaine doit, dès qu'il en a les moyens, porter sur le journal de bord les date, heure et lieu de
l'événement, les motifs qui ont déterminé sa décision et les mesures qu'il a ordonnées. Il doit, en
outre, au premier port qu'il touche, affirmer les faits qu'il a consignés de la sorte sur le journal de
bord (art. D. 5133-1).

1420
L’armateur a sans doute l’obligation, lorsque les conditions sont réalisées, d’ouvrir une procédure d’avaries
communes : Com. 29 mai 2001, DMF 2001. 882 obs. M. N Raynaud, DMF 2002, HS, n° 49, RTD com. 2002. 1051
et les obs. ; rappr. Sentence CAMP 6 mai 2005, DMF 2006. 1109.
La déclaration d’avarie commune qui ouvre une procédure de répartition des frais et dommages entraînés par des
mesures de sauvetage décidées dans l’intérêt commun, n’a pas pour effet de mettre fin au contrat de transport, qui,
hors le cas de la disparition des marchandises, s’achève lors de leur livraison : Com. 1er déc. 2009, Carima, DMF
2010. 19, rapp. Potocki, obs. Bernié.
393
B. Danger couru par l’exploitation

1)Péril 

Il n'y a pas avarie commune sans danger couru par l'expédition maritime. L'article 400 du code
parlait du « bien et du salut commun » ; l'article 410 du « salut du navire ». Il ne suffit pas que la
manœuvre soit utile ; un capitaine doit certainement faire tout ce qui est utile dans une navigation
normale. Par exemple, le capitaine fait remorquer le navire pour gagner le bassin d'un port : c'est
une dépense qui incombe à l'armateur. Le capitaine le fait remorquer pour le déséchouer : c'est
une avarie commune. Par exemple encore, le capitaine décide de faire relâche, parce que
l'équipage est fatigué, ou bien pour prendre des marchandises ; la dépense n'est pas faite en vue
du danger. Le capitaine décide, parce que la mer est intenable, de faire relâche : c'est un acte
d'avarie commune.
On n'exige pas que le péril soit imminent : il suffit qu'il soit possible.
Il n'est même pas nécessaire que le danger soit réel ; ce qui est important, c'est la conviction du
capitaine qu'il accomplit cet acte pour sauver le navire du danger.
En Angleterre on a très longtemps discuté pour savoir si l'acte d'avarie commune devait être fait
pour la sécurité commune (common safety) ou pour l'utilité commune (common benefit). Les
règles d'York et d'Anvers emploient l'expression de common safety. Dans le dessein de réduire le
domaine de l'institution, la loi française exige que les avaries consistent en sacrifices faits et en
dépenses extraordinaires exposées « pour le salut commun et pressant des intérêts engagés dans
l'expédition » (art. L. 5133-3). Ce qualificatif a été médité. Il indique à la fois la nécessité du
sacrifice ou de la dépense et l'urgence relative qu'il y avait à l'accomplir. Mais dans les faits, c’est
la conception anglaise qui l’emporte encore. Comme on l’a exactement relevé 1421, on est passé de
la notion de salut commun à celle de bénéfice commun, ce qui valorise la théorie des avaries
communes1422.

2)Faute d'une partie 

Le danger peut provenir d'un événement fortuit ou de la faute de l'une des parties : du capitaine
qui a mal manœuvré, du transporteur qui a mal arrimé ou d'un chargeur qui a donné des fausses
indications de poids ou de nature ou qui a mal emballé ses marchandises. Alors que la tradition
eût été en pareil cas de refuser le règlement en avaries communes, la Règle D d'York et d'Anvers
dispose : « lorsque l'événement qui a donné lieu au sacrifice ou à la dépense aura été la
conséquence d'une faute commise par l'une des parties engagées dans l'aventure, il n'y en aura pas
moins lieu à contribution, mais sans préjudice des recours pouvant être ouverts contre cette partie
à raison d'une telle faute »1423.
1421
MM. Bonassies et Scapel, n° 535.
1422
V. encore Versailles 15 janv. 2009, DMF 2009 HS 13, n° 55 : « l’existence d’une solution temporelle de
continuité entre l’événement qui a conduit à la déclaration d’avarie et les dépenses dont il est demandé qu’elles
doivent donner lieu à contribution ne saurait retirer à celles-ci le caractère de dépenses encourues pour le salut
commun dans le but de préserver d’un péril les propriétés engagées dans une aventure maritime commune. »
1423
 Toutefois la jurisprudence tant française qu'étrangère ne donne pas à la Règle une portée absolue lorsque le
responsable de l'avarie commune est celui qui en revendique l'application ; c'est spécialement le cas à l'égard de
l'armateur quand l'innavigabilité de son navire est la cause déterminante de l'acte d'avarie commune. En pareil cas,
l'armateur est privé du droit de réclamer une contribution à la livraison : v. en ce sens T. com. Le Havre 18 juin 1982,
in Nouveau recueil du Havre n° 1-1984, p. 7, note B. Marguet et, sur appel, Rouen 4 oct. 1984, Nouveau recueil du
Havre 1985-n° 5, p. 91, note M.-H. Costedoat-Maleville ; DMF 1985. 411, note Achard ; contra Paris 17 avr. 1984,
394
Les textes ont adopté une règle semblable (art. L. 5133-5 : lorsque l’événement qui a causé
l’avarie est la conséquence d’une faute commise par l’une des parties engagées dans l’expédition,
il y a également lieu à règlement d’avaries communes, sauf recours contre celui auquel cette faute
est imputable)1424.
C. Intérêt commun

1)Communauté d’intérêts 

La troisième condition, c'est que le sacrifice soit souffert ou la dépense faite dans l'intérêt
commun. Cette expression est parfois la source d'une erreur. On croit que l'avarie commune porte
à la fois sur le navire et sur les marchandises et qu'elle n'a ce caractère qu'en atteignant tous ces
éléments unis. Il n'en est rien ; ce n'est pas l'avarie qui est commune, c'est la contribution. Si l'on
emploie l'expression avarie commune, c'est que le sacrifice est fait dans l'intérêt commun, c'est-à-
dire l'intérêt de l'expédition maritime entière, de l'union qui est formée par le navire et les
marchandises. Comme le disent les textes (art. L. 5133-4), seuls sont admis en avaries
communes, les dommages et pertes atteignant matériellement les biens engagés dans l’expédition
ainsi que les dépenses exposées pour ces biens lorsque ces dommages, pertes ou dépenses sont la
conséquence directe de l’acte d’avarie commune décidée par le capitaine.
Il faut tout avant tout déterminer quels sont les éléments qui sont unis d'intérêts. C'est le navire et
la cargaison ; ils sont unis d'intérêts, alors même qu'ils appartiendraient au même propriétaire car
les assureurs ne sont pas toujours les mêmes.
En revanche, il n'y aura pas avarie commune si les intérêts unis ne sont pas ceux d'une cargaison
et d'un navire1425. Par exemple, il n'y aurait pas avarie commune entre le remorqueur et le navire
remorqué1426, parce que le navire remorqué n'est pas considéré comme pris en charge par le
remorqueur et qu'il ne s'agit plus de l'expédition unie pour laquelle l'institution a été conçue et
aménagée. De même l’avarie commune est-elle exclue entre la pilotine et le navire piloté ; ou
encore entre les personnes qui sont sauvées et le navire et la cargaison, la vie humaine n'étant pas
appréciable à prix d'argent et puisque d'après une solution maritime traditionnelle, les personnes
sauvées ne contribuent pas. Du reste, il n’est accordé aucune indemnité spéciale pour le
sauvetage des personnes.
DMF 1985. 281, interprétant la Règle comme signifiant que le règlement d'avarie commune doit recevoir application
en tout état de cause, alors même que le dommage proviendrait du mauvais état du navire et de la négligence de
l'armateur ; il est vrai qu'en l'espèce la preuve de la responsabilité de l'armateur n'était pas apportée. V., dans le même
sens que Paris, préc., Sentence CAMP, 10 juin 1986 ; v. encore, T. com. Marseille 25 mars 2011, DMF 2011, HS 16,
n° 75. Le recours des intérêts cargaison contre l’armateur est d’ordre contractuel ; il est extracontractuel contre le
fréteur coque-nue, Rouen 2 oct. 2008, DMF 2010. 101, obs. M.N. Raynaud. Le recours de l’assureur faculté ayant
contribué à la créance d’assistance contre le fautif ne constitue pas une créance maritime au sens de la Convention de
1952 : Com. 23 nov. 1993, Bulll. civ. IV, n° 419.
1424
 Le recours prévu par la Règle D d'York et d'Anvers et par l'article 5133-5 c. transp. est indépendant de la
procédure d'avaries communes et peut être introduit contre toute partie ayant participé à l'expédition, qu'elle soit
armateur ou affréteur, à condition qu'elle ait commis une faute contractuelle ou délictuelle à l'origine de la procédure
d'avaries communes, alors même qu'elle n'a pas été mise en cause dans la procédure de répartition des avaries
communes (Paris, 13 févr. 1988, DMF 1988. 395, obs. H. de Richemont ; Bonassies, Le droit positif français en
1988, DMF 1989. 174, n° 114).
1425
Ce qui est le cas lorsqu’une partie de la marchandise est déjà déchargée et que certaines marchandises sont
noyées dans l’une des cales, Aix-en-Provence 17 sept. 1985, BTL 1986. 266.
1426
 Sur cette question, v. J. Delaporte, Les problèmes juridiques soulevés par l'apparition des usines flottantes,
thèse 3e cycle, dactyl., Rouen ; v. aussi la jurisprudence américaine à ce sujet citée par G. Rostain, thèse préc., Paris-
II ; v. ss 573.
395
2)Unions partielles, solutions partiales et solutions douteuses

Le navire et la cargaison régulièrement embarquée sont unis pour le meilleur et pour le pire.
C'est la solution normale qu'on appliquera entre autres aux conteneurs. Il existe cependant des
unions d'intérêts à sens unique. Elles sont l'exception, mais on les conçoit dans les deux sens, qui
existent, l'un et l'autre, en droit positif.
- La première concerne les objets qui ne contribuent pas aux règlements lorsqu’ils sont sauvés
mais à l'inverse, peuvent y prétendre quand ils ont été sacrifiés. Ici l'union n'existe que dans leur
intérêt.
Tel est le cas (cf. art. L. 5133-14) :
1. des biens et bagages de l'équipage et des passagers pour lesquels il n'y a pas de
connaissement, ni de reçu (les bagages de cabine par exemple). L'exclusion de la contribution est
admise pour des motifs d'intérêt pratique. La valeur des bagages n'est pas connue : il paraît
difficile, au moment où le passager retire ses bagages, de lui demander une caution ; souvent du
reste les bagages ne sont pas assurés ;
2. des envois postaux. S'ils sont sacrifiés, l'expéditeur n'a droit qu'à l'indemnité forfaitaire prévue
par les conventions internationales ou la loi. Cette règle se traduit très souvent par une injustice.
Il est certains transports, par exemple entre Marseille et l'Algérie, pour lesquels les colis postaux
représentent une valeur considérable. Pourtant, ces colis postaux ne contribuent pas, ce qui fait
peser sur le reste du chargement une contribution importante. On a demandé plusieurs fois une
réforme légale. Elle est difficile, car on ne voit pas comment à l'arrivée, étant donné la
multiplicité de ces colis et la faible valeur de chacun d'eux, on pourrait exiger de chaque
destinataire un cautionnement pour répondre de la contribution d'avarie commune.
- La seconde concerne, au contraire, des objets qui ne donnent pas lieu à répartition quand ils sont
sacrifiés, mais contribuent lorsqu’ils sont sauvés. Ici il n'y a d'union d'intérêts qu'à leur
détriment. La règle apparaît comme une pénalité.
Tel est le cas :
1. des marchandises pour lesquelles il n'a pas été établi de connaissement ni de reçu alors qu'il
aurait fallu le faire (art. L. 5133-12). La règle est d'autant plus utile que la cargaison clandestine
peut être une source de péril pour l'expédition ;
2. des marchandises chargées en pontée de façon irrégulière (art. L. 5133-12, al. 2 et 5133-13).
On s'est posé la même question pour les boutiques installées à bord des navires à passagers. La
pratique paraît admettre qu'elles sont unies d'intérêt à l'expédition. Quoique la solution cadre
assez mal avec les textes (il n'y a ni connaissement, ni reçu du capitaine, mais il est vrai qu'il n'y
avait pas à en dresser), elle répond à l'esprit de l'institution.
La question est plus aiguë pour les automobiles embarquées avec leurs passagers1427. On ne
saurait les traiter avantageusement comme les bagages, ni les pénaliser comme une cargaison
clandestine. L'esprit de l'institution est de les traiter comme des marchandises régulièrement
transportées et de les déclarer unies d'intérêt pour le meilleur et pour le pire. La solution s'impose

 K. Pineus, DMF 1965. 13 ; Rodière et Lureau, op. cit., n° 341. L'hésitation pour les automobiles a tenu à la 2e
1427

règle XVII d'York et d'Anvers qui exclut « les bagages et effets personnels pour lesquelles il n'est pas établi de
connaissement ». Observons que cette règle ne concerne pas les marchandises pour lesquelles il n'est pas établi de
connaissement, car, sauf le cas des marchandises embarquées clandestinement, on ne doit pas hésiter à les admettre  :
ainsi pour les camions chargés en vertu d'un ordre de mouvement de véhicules commerciaux ou pour celles qui
voyagent sous un connaissement collectif qui n'est pas un connaissement véritable ou encore sous une lettre de
voiture maritime.
396
en particulier pour les cars-ferries dont les automobiles accompagnées constituent pratiquement
toute la cargaison.

3)Durée de l'union d'intérêts

L'union d'intérêts commence à partir du moment où la cargaison est mise à bord du navire et
dure jusqu'au moment où elle est déchargée. Pourtant si on décharge la cargaison dans l'intention
de la recharger, l'union d'intérêts ne cesse pas1428. Plusieurs hypothèses peuvent se présenter.
- La cargaison est abandonnée en mer ; l'union d'intérêts entre le navire et les marchandises se
trouve rompue. Par exemple, on a jeté à la mer une partie de la cargaison, puis le navire continue
son voyage et dans une deuxième tempête le capitaine est obligé de sacrifier une autre partie de la
cargaison. Il y a deux avaries communes successives. Dans la première avarie commune, toute la
cargaison est intéressée, mais dans la deuxième, la partie qui a déjà été jetée à la mer n'a plus
aucun intérêt. Une marchandise est considérée comme cessant d'être unie d'intérêt au navire, au
moment où elle se sépare définitivement du navire pour courir une aventure séparée.
- La marchandise n'est pas perdue, mais elle est débarquée en cours de route 1429. Si elle est
débarquée parce qu'on est arrivé au port d'escale et de livraison pour cette marchandise, le voyage
est terminé. Elle ne contribuera pas aux avaries communes qui pourraient être exposées dans la
suite du voyage. Au contraire, lorsqu'une marchandise est débarquée temporairement, mais pour
être remise ensuite sur le navire, l'union d'intérêts n'est pas rompue. Cela se produit très souvent
quand le navire est échoué et qu'il est décidé de l'alléger.
- La marchandise est réexpédiée par le capitaine sur un autre navire. On se demande si le fret de
réexpédition doit être classé en avarie commune. La réponse dépend de plusieurs éléments : de la
cause qui a interrompu le voyage initialement prévu ; des stipulations du premier contrat ; des
solutions admises concernant les dépenses substituées1430.
D. Résultat utile

1)Inutilité 

On dit enfin que, pour qu'il y ait avarie commune, il faut que l'acte du capitaine ait eu un résultat
utile. Cette solution a été soutenue dans la doctrine française sur un argument de texte et sur un
raisonnement théorique. L'argument de texte était tiré de l'article 423 C. com. : « Si le jet ne
sauve le navire, il n'y a lieu à aucune contribution ». L'argument théorique est tiré des règles de
l'enrichissement sans cause : il n'y a lieu à contribution que si quelque chose a été conservé ou
sauvé ; si l'acte n'a pas eu de résultat utile, la contribution ne doit pas avoir lieu. Cette théorie est
contestable. Il ne faut pas exiger dans l'avarie commune que l'acte du capitaine ait eu un résultat
utile ; il suffit qu'il ait été fait dans l'intérêt commun, quel que soit le résultat.

1428
Plus fondamentalement, « l’existence d’une solution temporelle de continuité entre l’événement qui a conduit à
la déclaration d’avarie commune et les dépenses dont il est demandé qu’elles doivent donner lieu à contribution ne
saurait retirer à celles-ci le caractère de dépenses encourues pour le salut commun dans le but de préserver d’un péril
les propriétés engagées dans une aventure maritime commune » : Versailles 15 janv. 2009, DMF 2009 HS 13, n° 55.
1429
 Si l'avarie survient lorsque la marchandise est partiellement débarquée à destination, v. Aix-en-Provence,
17 sept. 1985, BT. 1986. 266.
1430
 Une convention de non-séparation (cons. A. Pierron, DMF 1970. 195) peut artificiellement maintenir une union
d'intérêts qui en fait est rompue. v. le jeu de la fin d'union d'intérêts dans T. com. Paris, 17 juin 1969, DMF 1970.
356 ; plus général. Rodière et P Lureau, op. cit., n°s 355 à 361.
397
Voici l'hypothèse : un navire est échoué et le capitaine fait une tentative de sauvetage en louant
un remorqueur et il n'y a aucun résultat obtenu ; deux jours plus tard, la marée étant plus forte, le
navire se renfloue de lui-même. Le capitaine peut-il faire figurer cette dépense de remorquage en
avarie commune ? S'il a passé un contrat de remorquage ferme et qu'il doive au remorqueur le
prix de ce remorquage, le capitaine a le droit, semble-t-il, de faire classer cette dépense
extraordinaire en avarie commune. Il a fait, en effet, volontairement et sous l'influence d'un
danger que l'on pouvait raisonnablement croire « pressant », un acte dans d'intérêt commun. Sans
doute, cet acte n'a pas eu de résultat utile par lui-même ; le résultat a été obtenu plus tard et par la
nature ; mais n'est-il pas juste que le navire et la cargaison supportent en commun cette dépense,
qui a été faite dans l'intérêt de l'expédition ? Quand on ne s'embarrasse pas de l'idée fausse
d'enrichissement sans cause, on arrive naturellement à ce résultat. Le capitaine, gérant du
consortium d'intérêts que représentent le navire et la cargaison, a fait une dépense dans l'intérêt
commun ; il a donc le droit de la faire classer en avarie commune. On ne doit pas après coup
juger des circonstances.
Quant à l'article 423, il s'expliquait autrement et d'une façon bien simple. Pour qu'il y ait lieu à
contribution, il faut qu'il y ait des éléments sauvés. L'article 423 supposait le navire perdu ; dans
ce cas, l'armateur ne doit pas de contribution. La disposition légale vise la limite de la
contribution aux valeurs sauvées, et non le caractère de l'avarie commune et la condition des
admissions.
La Règle A d'York et d'Anvers suppose que l'acte du capitaine ait été fait pour la sécurité
commune, dans le but de préserver du péril les propriétés engagées dans une aventure maritime
commune, mais ne dit en aucune façon que l'acte du capitaine doit avoir un résultat utile. La loi
française n'autorise pas davantage cette exigence.

2)Classement des avaries postérieures 

Lorsqu’un acte volontaire répondant aux conditions qui précèdent a été accompli, l'avarie est
commune ; lorsque ces conditions ne sont pas réunies, l'avarie est particulière. Mais une avarie
commune peut entraîner des dépenses ou d'autres dommages. Comment va-t-on les classer à leur
tour ? La Cour de cassation a commencé par poser en règle qu'il fallait classer en avaries
communes toutes les conséquences directes de l'acte volontaire accompli par le capitaine pour
sauver les intérêts unis d'un danger commun1431. Par exemple, le capitaine décide de jeter à la mer
une partie de la cargaison. En enlevant cette partie, on endommage d'autres marchandises qui
restent à bord du navire ; ces dommages sont des avaries communes. De même, en jetant les
marchandises, on démolit le bordage du navire ; le dommage causé au navire pour faciliter le jet
est une avarie commune. Pourtant, ces avaries aux marchandises qui demeurent en place ou au
bordage du navire ne seraient pas, considérées isolément et abstraction faite de leur cause,
classées en avaries communes. Peu importe, disait la Cour de cassation s'appuyant sur les textes ;
du moment qu'elles sont la conséquence nécessaire d'une avarie commune, elles empruntent le
caractère de celle-ci1432.
Cette solution semblait appeler la règle parallèle suivant laquelle les suites nécessaires d'une
avarie particulière devaient être rangées dans la même catégorie. La Cour de cassation ne l'a
pourtant pas admise. Ainsi, lorsqu'une voie d'eau s'est déclarée dans le navire par cas fortuit, on
est en présence d'une avarie particulière. Néanmoins, si le capitaine décide de relâcher pour
1431
Req. 18 déc. 1867, D. 1868. 145.
1432
Civ. 5 mars 1934, S. 1934, 177.
398
réparer et continuer le voyage, les frais de la relâche seront bonifiés en avaries communes 1433. La
raison qui en a été donnée est que si l'avarie initiale est particulière, l'acte volontaire du capitaine,
qui décide de faire relâche, crée une situation nouvelle. Ce n'est pas satisfaisant car, au vrai, la
relâche n'est pas délibérée, mais imposée par les circonstances au capitaine. Elle est une suite
nécessaire de l'avarie initiale.
La réforme de 1967 a cependant entendu lutter contre cette extension de l'institution. La loi a
précisé que seules seraient admises en avaries communes les dépenses exposées pour les biens
engagés dans l'expédition qui sont « la conséquence directe de l'acte d'avarie commune décidé par
le capitaine » (art. L. 5133-4)1434.

SECTION 3. CLASSEMENT EN AVARIES COMMUNES

Il est deux types d'avaries communes : tantôt l'avarie commune consiste dans le dommage
volontairement causé au navire ou à la cargaison : de telles avaries portent le nom d'avaries-
dommages ; tantôt l'avarie commune consiste dans une dépense faite par le capitaine dans l'intérêt
commun : de telles avaries sont dénommées avaries-frais. Encore faut-il, naturellement, pour que
ces avaries soient classées en avaries communes, que le capitaine ait pris la précaution de les
déclarer en temps et en lieu requis (v. ss 980). La déclaration d’avarie commune déclenche donc
la procédure1435

§ 1. Avaries-dommages

I.Avaries de la cargaison 

Les avaries causées à la cargaison ne sont pas suspectes. L'acte est fait par le capitaine et non par
le chargeur. Il est juste, si l'acte est fait dans l'intérêt commun de l'expédition, que tous
contribuent à réparer cette avarie. Il y en a plusieurs genres.
Le premier cas – le jet à la mer - et le plus ancien (C. com., art. 410 à 429). Autrefois, c'était une
manœuvre utile et fréquente qui permettait d'alléger un navire pour lui permettre de résister à la
tempête, ou de fuir plus rapidement devant le mauvais temps ou devant l'ennemi. La manœuvre
était relativement facile, étant donné la nature des marchandises transportées et l'importance
relative de la pontée. Aujourd'hui, le jet à la mer est devenu une hypothèse presque théorique 1436.
D'abord, le chargement n'est jamais exagéré, car, dans les navires modernes, le degré
d'enfoncement du navire est marqué par la ligne de charge. Ensuite, ce ne serait pas une
manœuvre forcément utile que d'alléger un navire. Enfin, on se trouverait la plupart du temps
dans l'impossibilité de le faire : les cargaisons sont arrimées ; les plus lourdes sont à fond de
cale ; par un mauvais temps et à l'aide des moyens du bord, on ne parviendrait pas à alléger le
navire. Dans deux cas, en toute hypothèse, le jet n'est pas classé en avaries communes : le
premier, c'est le jet de la pontée, le deuxième, le jet des marchandises chargées clandestinement.
D’autres avaries à la cargaison sont concevables :

1433
Com. 5 janv. 1954, D. 1954. 417, note Ripert.
1434
Les Règles C et X des YAR résolvent quelques une des difficultés évoquées. Mais comme chaque fois que la
causalité est en cause, les questions sont quasi insolubles.
1435
Parenthou, La procédure d’avarie commune, Annales IMTM, 1984.
1436
 Voy. pourtant JMM 1970. 3287 (jet de 2 conteneurs chargés de whisky).
399
- les marchandises sacrifiées à l'ennemi pour composition ou rachat ; ou encore les marchandises
sacrifiées comme combustible (cf. Règle IX d'York et d'Anvers) ;
- la perte des marchandises placées sur allèges. Le navire, qui ne peut pas franchir la passe d'un
port ou la barre d'une rivière, décharge sur des chalands ou allèges une partie de la cargaison.
Cette hypothèse se rencontre également quand il faut renflouer un navire. Si la marchandise périt
sur allèges, la perte peut être fortuite, mais l'acte initial, qui a mis cette marchandise en danger,
est un acte volontaire du capitaine (v. les Règles VII et XII d'York et d'Anvers) ;
- tous autres dommages causés aux marchandises par l'acte volontaire du capitaine. L'article
400-5° C. com. donnait à titre d'exemple les dommages occasionnés par le jet aux marchandises
restées dans le navire. Autre hypothèse plus fréquente : l'extinction de l'incendie ; pour les
marchandises qui n'étaient pas en feu et qui sont avariées par l'eau, le dommage provient de l'acte
du capitaine, c'est donc une avarie commune (Règle III d'York et d'Anvers)1437.

II.Avaries du navire 

Les avaries du navire résultant d'actes volontaires, la tentation est grande pour l'armateur de
porter en avaries communes un certain nombre de pertes ou d'avaries subies par le navire. D'où
une plus grande défiance à bonifier en avaries communes de telles avaries. Il faut que la nature de
l'acte démontre que le sacrifice a été volontaire pour reconnaître l'avarie commune. Tel serait le
cas :
- du sacrifice des agrès et des accessoires (C. com., anc. art. 400 et 411 : « câbles ou mâts
rompus ou coupés », « ancres et autres effets abandonnés pour le salut commun » ; rappr. Règles
II, IV et IX YAR) ;
- de l'échouement volontaire du navire décidé par le capitaine pour sauver la cargaison. La Règle
V d'York et d'Anvers a prévu ce cas d'échouement volontaire. Elle exclut l'avarie commune
lorsque l'échouement était fatal ; elle l'admet au contraire quand l'échouement a été provoqué par
le capitaine ;
- des dommages qui seraient causés au navire par un acte volontaire de sauvetage du capitaine. Il
s'agit, par exemple, de l'hypothèse où, pour sauver la cargaison, il est décidé de pratiquer un
sabord dans la coque, ou encore des manœuvres de renflouement, qui causent souvent au navire
de graves avaries.
- Une hypothèse ancienne est celle du forcement de voiles ; le capitaine fait porter au navire plus
de voiles qu'il ne peut en porter pour forcer sa vitesse et échapper à la tempête ou à l'ennemi ; la
conséquence est que les mâts très souvent sont brisés, les voiles rompues et emportées. Comme la
mesure est prise dans l'intérêt commun, il y a avarie commune. Cette hypothèse ancienne s'est
rajeunie de nos jours ; c'est le forcement de vapeur, puis de vitesse. Mais dans la pratique, il a été
démontré que des capitaines, dont les machines avaient été surmenées par le mauvais temps ou
par l'usure, n'hésitaient pas à écrire sur leur livre de bord qu'ils avaient forcé la vapeur et la
vitesse et faisaient ainsi passer en avaries communes la réparation de la machine. D'où la Règle
VII d'York et d'Anvers, qui décide que le dommage causé aux machines d'un navire échoué est
admis en avarie commune, mais exclut l'avarie commune si le navire est à flot. Dans les textes, la
distinction n'est pas aussi tranchée. Mais la nécessité de faire la preuve que les conditions de
l'avarie commune sont réunies y aboutit en fait.

1437
v. Com. 29 mai 2001, Bull. civ. IV, n° 102.
400
§ 2. Avaries-frais

I.Nature de ces avaries 

La deuxième catégorie, celle des avaries-frais, est d'une détermination plus délicate. Ce sont là
les dépenses engagées par le capitaine pour le salut commun de l'expédition maritime. C'est
aujourd'hui la forme usuelle de l'avarie commune. L'institution, qui autrefois était en faveur des
chargeurs, a aujourd'hui changé de sens : elle profite, le plus souvent, à l'armateur, qui oblige les
chargeurs à contribuer à ses dépenses. La difficulté consiste à distinguer les dépenses qui sont
avaries communes des dépenses que l'armateur doit normalement supporter, parce qu'il a la
charge de l'expédition maritime.
- Les dépenses exposées pour le règlement même de l'avarie commune sont, en premier lieu,
concernées. Ces dépenses sont souvent assez importantes, à cause de la complexité des
règlements et des frais d'arbitrage et de contentieux qu'entraînent parfois les contestations.
- Certaines dépenses se reconnaissent par leur caractère : ce sont celles qui ne seraient jamais
engagées dans une navigation normale ; on est averti par la nature de la dépense qu'il s'est produit
un événement extraordinaire et que la dépense a été faite à raison de cet événement. Ce sont :
- les frais de renflouement, dans l'intention d'éviter la perte totale ou la prise (la Règle VIII
d'York et d'Anvers vise les « dépenses pour alléger un navire échoué et dommage résultant de
cette mesure ») ;
- les frais de rançon et de composition prévus par le Code de commerce, avaient pratiquement
disparu mais certaines formes modernes de piraterie lui ont redonné toute leur actualité (v. ss
1019).
-Il faut compter aussi sur les dépenses qui, en elles-mêmes, paraissent des dépenses normales,
mais qui sont dues à un événement exceptionnel 1438. On est alors averti non pas par la nature,
mais par la cause de la dépense, que c'est sans doute une avarie commune. Il en est ainsi des
indemnités d’assistance et des frais de remorquage1439. Le remorquage d'un navire à l'entrée et à
la sortie du port est une opération normale, qui incombe à l'armateur. Mais le remorquage d'un
navire pour le conduire dans un port où il pourrait être plus facilement réparé après une avarie
commune est une dépense faite dans l'intérêt même de tous les intéressés, donc à classer en avarie
commune. Quant à l’assistance, on a pu se persuader de son intérêt au regard de la sécurité
maritime (v. ss 953). Inutile d’y revenir1440.
- Les frais de relâche sont des dépenses normales de navigation. Mais, si la relâche est faite dans
le but d'éviter le péril, ces frais deviennent des avaries communes. La Règle X d'York et d'Anvers
sous les trois lettres a, b, c, a prévu minutieusement les dépenses faites par le capitaine dans un
port de relâche, pour indiquer quelles sont les dépenses à classer en avaries communes.

1438
 v. Sentence CAMP, 20 avr. 1994 : « sur l'application de la règle d'York et d'Anvers, les arbitres ont décidé,
puisqu'il n'y avait en l'espèce qu'un intérêt navire et un seul intérêt cargaison (un seul chargeur), qu'il n'y avait que
des avaries-frais représentées principalement par une indemnité d'assistance ; de ce fait, il n'y aurait p as d'autre
règlement d'avaries communes de la part contributive mise à la charge de chacun de ces intérêts… ».
1439
 Cf. J. Crump, General average, salvage and the contract of affreightment, in Lloyd's Maritime and Commercial
Law Quarterly (1985), p. 19.
1440
Il faut cependant préciser que les indemnités d’assistance sont souvent négociées entre les intérêts cargaison et
les sauveteurs et sont ainsi sorties de l’avarie commune.
401
- Les salaires et frais de nourriture de l'équipage exposés à la suite d'un événement exceptionnel
deviennent avaries communes. Par exemple, le code prévoyait les frais de traitement des marins
qui auraient été blessés en défendant le navire au cours de la guerre maritime, les frais qui
seraient exposés pendant que le navire est détenu par arrêt de puissance, ou encore les frais de
nourriture et salaires pendant que le navire relâche pour réparer une avarie commune. Sur ce
point, des évolutions se sont produites et d’autres sont attendues : on sort de plus en plus les frais
de l’équipage de l’avarie commune.

II.Dépenses substituées 

Une catégorie importante de dépenses a été admise par la pratique en avaries communes sous le
nom de dépenses substituées1441. Au lieu de faire une dépense déterminée qui serait bonifiée en
avarie commune, on en fait une supplémentaire, qui sera moins élevée que la première, ou qui ne
le sera pas plus. Il est juste alors, par une sorte de subrogation réelle, de remplacer la première
dépense par la seconde. En voilà un exemple : un navire a subi, par un acte du capitaine, un
dommage qui doit être classé en avarie commune ; le port de refuge est mal outillé mais, un peu
plus loin, se trouve un chantier qui ferait de meilleures conditions ; le capitaine prend alors la
décision de faire remorquer le navire dans le port où se trouve ce chantier qui fera la réparation à
meilleur compte dans de meilleures conditions. Les frais de remorquage ne sont pas des frais
exposés en vue du salut commun et au moment du danger. Mais la dépense est considérée comme
une dépense substituée : elle est faite en remplacement de la dépense qui aurait dû être faite au
port de refuge et qui aurait été bonifiée en avarie commune. Le capitaine, gérant de l'intérêt
commun, est libre de substituer à la dépense, qu'il aurait pu mettre aux frais de tous, une autre
dépense qui par elle-même est propre à l'armateur, mais qui prend la place de la première.
La question des dépenses substituées a soulevé dans la pratique de grandes difficultés. La règle F.
d'York et d'Anvers pose le principe que « la dépense supplémentaire encourue en substitution
d'une autre dépense qui aurait été admissible en avarie commune sera réputée elle-même avarie
commune…, mais seulement jusqu'à concurrence du montant de la dépense d'avarie commune
ainsi évitée » (rappr. art. L. 5133-6 : « toute dépense supplémentaire, volontairement exposée
pour éviter une dépense ou une perte qui aurait été classée en avaries communes, est bonifiée
comme telle, à concurrence du montant de la dépense économisée ou de la perte évitée »).

SECTION 4. CONTRIBUTION AUX AVARIES COMMUNES

§1. Règlement d'avaries communes 

Les avaries communes sont supportées par le navire, le fret et la cargaison après les évaluations
qui s’imposent. Le navire contribue en proportion de sa valeur au port où s’achève l’expédition,
augmentée s’il y a lieu du montant des dommages, pertes et dépenses qu’il a subis. Le fret et le
prix du passage, même lorsqu’ils ne sont pas encore acquis à l’armateur, contribuent pour les
deux tiers de leur valeur. Quant aux marchandises sauvées ou sacrifiées, elles contribuent à
proportion de leur valeur marchande réelle ou supposée au port de déchargement. D’où des
calculs parfois difficiles.

1441
Rodière et Lureau, nos 282 s. ; 425 s.
402
Une fois l’évaluation faite, un règlement d’avaries communes s’impose, sauf perte totale des
intérêts engagés dans l’expédition. Ce règlement est proposé par des grands spécialistes nommés
dispacheurs1442. Le dispacheur dans chaque règlement est nommé par l'armateur et souvent choisi
parmi les secrétaires du Comité des assureurs maritimes ; mais la cargaison (ou ses assureurs)
peut demander à être représentée au règlement par un co-dispacheur. Le ou les dispacheurs vont
se faire, au besoin, aider par des experts, auxquels on donne, lorsqu'il s'agit d'estimer des
marchandises, le nom de sapiteurs.
Le règlement d'avaries communes n'est pas la dispache. Ce nom, qu'on emploie aussi bien en
matière d'avaries particulières et plus encore que dans l'avarie commune, désigne l'application
comptable du montant brut du dommage aux conditions du contrat d'assurance ; il est la
traduction en chiffres du système juridique institué par la police et appliqué au sinistre considéré.
À défaut d'accord entre les parties, les dispacheurs sont désignés dans les conditions de l'article 5
du décret n° 65 du 18 janvier 1968. Le règlement peut être fait à l'amiable et accepté par tous les
intéressés ; il l'est souvent, étant donné que les intéressés sont presque uniquement des assureurs.
Si des contestations s'élèvent sur la dispache, il y a lieu à règlement judiciaire. En fait, le
contentieux des avaries communes vient rarement devant les tribunaux.

L'avarie n'étant pas réputée commune, il appartient au demandeur de prouver le caractère de


l'avarie. La Règle E d'York et d'Anvers rappelle ce principe : « La preuve qu'une perte ou une
dépense doit effectivement être admise en avarie commune incombe à celui qui réclame cette
admission ». La loi française a voulu le marquer avec netteté en posant clairement la règle :
« Sont particulières toutes les avaries qui ne sont pas classées en avaries communes » (art. L.
5133-2). Celles-ci sont donc l'exception et les avaries particulières la règle. C'est à celui qui
l'invoque d'établir l'exception. L'article D. 5133-2 le dit expressément.

§2. Les deux masses 

La question qui se pose n'est pas de réparation, mais de contribution. Il s'agit de déterminer
comment chacun des intéressés dans l'expédition maritime doit contribuer à l'avarie faite dans
l'intérêt commun. Pour régler cette question, il faut déterminer, d'une part, quels sont ceux qui ont
quelque chose à réclamer et quel est le montant des avaries communes, d'autre part, quels sont
ceux qui doivent contribuer et quel est le montant de leur contribution.
Le travail du dispacheur consiste à établir ces deux masses qui portent le nom de masses active et
passive. On dit aussi masse créancière et masse débitrice, ce qui est plus exact, parce que les
mots de « actif » et « passif » prêtent à confusion. La masse active est, en effet, la masse de ceux
qui ont quelque chose à réclamer, de telle sorte, que ce prétendu actif est, en réalité, un passif, et
si on emploie le mot masse active, c'est dans le sens de demande. La masse passive, c'est la masse
de ceux dont les biens ont été sauvés et on l'appelle masse passive, parce qu'ils auront à supporter
le paiement. C'est la masse débitrice.

1442
V. Parenthou, La procédure d’avarie commune, Annales IMTM, 1984. Sur la possibilité de nommer un expert,
T. com. Marseille 14 juin 2001, Rev. Scapel 2001, 186. Pour désigner les dispatcheurs qui ont aujourd’hui
pratiquement disparu en France, on parlait des « notaires de la mer » : l’expression est très significative.
403
§ 1. La masse créancière

I. Avaries-frais 

Pour les avaries-frais, la dépense extraordinaire, qui a été faite par le capitaine, est toujours
chiffrée. Pendant longtemps, il n'y a eu aucune difficulté dans le classement des avaries-frais. À
l'heure actuelle, les calculs deviennent complexes. Cela tient notamment aux variations des
monnaies. La dépense faite par le capitaine aura été faite, en général, dans un pays étranger, et au
moment où le règlement est établi, il peut arriver que la parité de la monnaie dans laquelle la
dépense a été faite ne soit plus la même. À la Conférence de Vienne de 1926, l'International Law
Association a essayé de compléter les Règles d'York et d'Anvers par des règles sur le change. On
a recommandé également aux dispacheurs d'établir le règlement sur des valeurs-or, en ramenant
immédiatement la dépense à sa valeur-or1443, mais ceci ne signifie plus rien depuis qu'aucune
monnaie n'est rattachée à l'or.

II. Avaries du navire 

Le dispacheur détermine quels sont les dommages subis par le navire. Si le navire est
complètement perdu, il détermine la valeur du navire. Comme tous les navires sont assurés et que
la valeur du navire se trouve exprimée dans la police d'assurance, il y a là un élément assez précis
d'appréciation. Le plus souvent, il n'y aura pas perte totale du navire mais simplement avarie. Le
montant des réparations à effectuer sert alors à déterminer le montant du sacrifice. Mais des
difficultés se présentent.
Lorsque le navire aura été réparé, il se peut, si la réparation consiste dans un remplacement, qu'il
vaille davantage après la réparation qu'avant. Il faudrait donc déduire une somme qui
représenterait l'enrichissement causé à l'armateur par le remplacement d'une partie vieillie par une
partie neuve. C'est la déduction du vieux au neuf. La Règle XII d'York et d'Anvers indique avec
précision quelles sont les déductions qu'il faut admettre suivant l'âge du navire et la nature de la
réparation. Par exemple, « la première année, toutes les réparations seront admises en entier,
excepté le piquetage, le nettoyage et la peinture ou l'enduit de la coque, dont un tiers sera réduit ».
Au-delà de 15 ans, « un tiers sera déduit de tous les remplacements, excepté pour les chaînes
d'ancre pour lesquelles il sera déduit un sixième et pour les ancres qui seront admises en entier ».
Dans un souci de simplifications, la loi française n'impose aucune déduction de cet ordre (art. L.
5133-9 : « le montant des dommages ou pertes à admettre en avaries communes est déterminé
pour le navire au port où s’achève l’expédition. Il est égal au coût des réparations consécutives
aux dommages, pertes et dépenses subis, au coût réel si elles ont été effectuées, au coût estimatif
s’il n’y a pas été procédé »).
Une deuxième difficulté est relative aux réparations provisoires, qui ont été effectuées au port de
refuge. On ne doit pas compter deux fois en avaries communes le coût des réparations. Toutefois,
il se peut que les réparations provisoires aient été utiles pour éviter des réparations définitives
trop importantes. Elles entrent alors dans la catégorie des dépenses substituées.
Enfin, une sérieuse difficulté a porté sur les frais de chômage du navire. Pendant la durée des
réparations, le navire ne pourra pas être employé, et il y aura un manque à gagner, que l'on ne
compte pas. Mais, de plus, pendant la durée des réparations, des frais sont exposés : frais de
gardiennage et d'assurance par exemple. Les dispacheurs ne comptaient pas ces frais dans l'avarie

1443
 Sur ces problèmes de change, voy. R. Rodière et P. Lureau, n°s 489 et 494.
404
commune, jusqu'à l’affaire du Willesden1444 : depuis, il est admis que les frais de chômage
devaient être comptés dans l'avarie commune. La loi française écarte cette solution, puisque selon
l’art. L. 5133-4 « sont seuls admis en avaries communes les dommages et pertes atteignant
matériellement les biens engagés dans l'expédition… » La Règle C d'York et d'Anvers est dans le
même sens.

III.Perte ou avarie de la marchandise 

Pour la perte ou l'avarie de la marchandise, la complication est encore plus grande. Il faut,
d'après l'article L. 5133-10, estimer la valeur des marchandises au lieu du déchargement. Le
montant des dommages ou pertes à admettre en avaries communes est égal au coût des
dommages et pertes subis et dépenses faites, calculé sur la base de la valeur marchande de la
marchandise à l’état sain au même port. Il faut donc déduire de la valeur de la marchandise à
l'état sain, la valeur de la marchandise à l'état d'avarie. C'est un mode de calcul compréhensible
(cf. règlement par différence).
Cependant, le prix d'une marchandise obtenu dans la vente publique dépend du cours commercial
de cette marchandise, et non pas seulement de l'état d'avarie. Si on vendait la marchandise le jour
même de l'arrivée du navire, on pourrait régler par différence, et c'est pourquoi les dispacheurs
l'ont toujours fait : ils ont procédé au cas de vente comme ils procédaient au cas d'expertise,
prenant la valeur au moment même du déchargement. Mais quand la vente ne se fait que
plusieurs mois après, le prix obtenu dépend des variations des cours des marchandises et non plus
uniquement de l'avarie soufferte. Régler par différence, c'est faire rentrer dans l'avarie un élément
commercial. Il faut donc régler par quotité.
Le règlement par quotité consiste à prendre la proportion de dépréciation de la marchandise. Si le
jour où la vente est faite, la marchandise se vend 25, alors que la même marchandise ce jour-là, à
l'état sain, se serait vendue 100, on a une dépréciation des trois quarts. Il n'y a plus qu'à appliquer
cette dépréciation en prenant la valeur de la marchandise au jour de l'arrivée du navire. Le prix de
vente sert simplement à calculer par comparaison avec le prix de vente de la marchandise à l'état
sain, quelle est la quotité de dépréciation de la marchandise. Avec ce mode de calcul par quotité,
on parvient à exclure complètement les variations des cours commerciaux. La formule de l'article
L. 5133-10 ne contredit pas cette solution1445.
Quant à la preuve de l'état des marchandises chargées, elle se fait d'après les connaissements. Le
connaissement fait preuve de la réception à bord à l'égard de tous. Ce n'est pas seulement
l'armateur, qui est intéressé dans la discussion de l'avarie commune, ce sont aussi les autres
chargeurs, et chacun fait sa preuve en produisant son connaissement. L'article L. 5133-11 prévoit
le cas où la valeur et la qualité des marchandises auraient été déguisées par les parties, et il donne
la solution la moins favorable aux chargeurs : les marchandises qui ont été déclarées pour une
valeur moindre que leur valeur réelle contribuent à proportion de la valeur réelle, mais leur perte
ou leur avarie ne donne lieu à classement en avaries communes qu’à proportion de leur valeur
déclarée.

1444
Req. 17 nov. 1926, DH 1927. 53.
1445
v. Cass., ch. réun., 7 juill. 1932, DP 1933, 1, 177, note Ripert : pour calculer la valeur des marchandises
sacrifiées, il y a lieu, si ces marchandises ont fait l’objet d’une vente publique après leur déchargement, d’appliquer à
leur valeur à l’état sain au jour de la fin du déchargement la quotité de dépréciation révélée par la comparaison entre
le prix produit par la vente et la valeur des mêmes marchandises l’état sain au jour de ladite vente ; Haralambidis,
« La fin heureuse d'un long débat. A propos d'un règlement d'avaries communes », Dor., 1932, tome 26, p. 59.
405
§2. La masse débitrice

I.Contribution des chargeurs 

Les chargeurs contribuent pour la valeur de leurs marchandises 1446. On prend la valeur des
marchandises sauvées au port et au jour du déchargement, avec la même règle de l'article L.
5133-11 pour le cas de dissimulation de cette valeur. On déduit les frais que doit payer le
destinataire, par exemple les droits d'entrée, les droits de douane, et on obtient ainsi la valeur
nette.
Les marchandises qui ont été sacrifiées doivent aussi contribuer. Cela se comprend. Si ces
chargeurs ne contribuaient pas, ils se trouveraient dans une situation meilleure que les autres,
recevant une indemnité égale à la valeur de la marchandise et n'étant pas obligés de payer une
contribution. Ainsi, les marchandises sacrifiées figurent à la fois dans la masse créancière et dans
la masse débitrice, mais elles y figurent à côté de valeurs inégales.

II.Contribution du navire

Jusqu'en 1967 l'armateur contribuait à l'avarie commune pour la moitié de la valeur du navire et
du fret. Cette règle avait une origine très ancienne. Autrefois, les usages donnaient l'option à
l'armateur entre la contribution pour le navire ou pour le fret. On l'a ensuite fait contribuer pour
les deux, et on a pris la moitié, par une sorte de forfait. L'Ordonnance de 1681 prenait la valeur
du navire au départ, et, comme le navire était censé avoir moins de valeur à l'arrivée, elle ne
faisait contribuer l'armateur que pour la moitié. Explication peu rationnelle, parce que le navire
ne perd pas la moitié de sa valeur pendant le voyage. Comme le code prenait la moitié de la
valeur à la fin du voyage, la règle ne s'expliquait plus que par une faveur faite à l'armateur, qui
contribuait moins que les chargeurs.
Cette règle injuste a été supprimée par la Règle XVII d'York et d'Anvers, qui fait contribuer à
l'avarie commune sur la valeur nette réelle des propriétés à la fin du voyage et indique
simplement quels sont les frais que l'armateur pourra déduire. La réforme de 1967 l'a également
supprimée. Le navire contribue désormais pour sa valeur au jour où s'achève l'expédition,
augmentée, s'il y a lieu, du montant des sacrifices qu'il a subis (art. L. 5133-8).
Le fret est l'un des intérêts engagés dans l'expédition. Il l'est du moins lorsque la dette de fret est
liée à l'heureuse arrivée de la marchandise. Aussi le fréteur doit-il contribuer au règlement pour le
fret non acquis à tout événement. S'il était acquis à tout événement, aucun sacrifice, aucune
dépense ne l'intéresserait. On peut dire que le fret acquis à tout événement n'est pas uni d'intérêts
au sort de l'expédition. C'était la solution qu'avait donnée la Cour de cassation 1447. La réforme de
1967 a précisé que dans ce cas le fret brut contribuerait pour les deux tiers (art. L. 5133-8, al. 2),
ce qui représente à peu près le fret net. La même règle vaut pour le prix du passage.
Lorsque le navire est exploité par son propriétaire, il contribue pour sa valeur et pour le fret (ou le
prix du passage). La distinction entre le navire et le fret est intéressante lorsque le navire est
exploité par un tiers.

1446
Le transitaire qui, sans spécifier sa qualité de mandataire, a accepté le compromis d’avarie commune et fourni
une caution en son propre nom est personnellement tenu de contribuer : Com. 8 févr. 1965, Bull. civ. IV, n° 97.
1447
Civ. 4 mars 1912, D. 1913. 1, 117, S. 1912, 1, 241, note Lyon-Caen.
406
§3. Répartition et paiement

I.Contribution 

Il appartient au dispacheur d’établir les deux masses et d’en assurer ensuite la répartition.
L’article 5133-15 indique que les créances comprises dans chacun des numéros viennent en
concurrence et sont donc supportées au marc le franc de la valeur. En cas d’insuffisance du prix,
les créances sont payées en proportion de leur montant. En cas d’insolvabilité de l’un des
contribuables, sa part est répartie entre les autres proportionnellement à leurs intérêts.
Si le règlement d'avarie est accepté aimablement par toutes les parties, les assureurs du corps et
les assureurs des facultés règlent entre eux cette contribution. S'il y a une contestation sur le
caractère des avaries, des problèmes de compétence, parfois délicats, se posent 1448. Le Code de
commerce édictait une fin de non-recevoir : les destinataires des marchandises devaient protester
dans les 24 heures. Cette règle a disparu en 1967, à l’occasion de la réforme du droit maritime.
Quand il n'y a pas d'accord entre les parties le Président du tribunal de commerce (ou à défaut du
tribunal de grande instance) du dernier port de déchargement nomme un ou plusieurs experts
répartiteurs (art. D. 5133-3).
Le règlement des experts sera proposé à l'agrément des parties. Si elles ne le donnent pas, il
faudra le soumettre à l'homologation du tribunal et si le tribunal ne l'homologue pas, il devra
désigner de nouveaux experts (art. D. 5133-4).

II.Prescription 

Le Code de commerce n'avait pas réglé la prescription de cette action. Après quelques
hésitations jurisprudentielles1449, la loi de 1967 a fixé le délai de prescription à cinq ans à compter
de la date à laquelle l'expédition s'est achevée (art. 40)1450. La solution a été maintenue (art. L.
5133-17), mais il reste possible d’y déroger (cf. C. civ., art. 2254).

III.Action directe 

Ce qu'il y a de curieux dans le règlement d'avaries communes, c'est qu'il établit au profit de
chaque intéressé une action directe contre les autres. Elle a comme limite, pour chaque intéressé,
la valeur de la contribution. Cette action directe trouve très rarement l'occasion de s'exercer, parce
que, pratiquement, les assureurs prennent à leur charge le règlement d'avaries communes. Mais,

1448
V. Com. 22 juin 1999, Bull. civ. IV, n° 135, DMF 2000. 16, rapp. Rémery, Rev. crit. DIP 1999. 774, D. 2000.
211, note Ammar : l’assureur corps du navire ne peut être tenu au-delà de la contribution de celui-ci aux avaries
communes et à ce titre est fondé à demander au propriétaire des marchandises sauvées et à l’assureur faculté la
contribution de la cargaison à l’avarie dont il a avancé le montant, sauf leurs recours ultérieurs en responsabilité à
l’encontre des armateurs, dont l’assureur corps, ne couvre pas la faute, de sorte qu’ils n’ont pas des intérêts
identiques et indissociables justifiant qu’une seule juridiction soit saisie de l’ensemble des actions et que la
juridiction saisie par l’assureur corps soit dessaisie – v. égal. sur cette question de litispendance dans le cadre
européen et dans la même affaire, CJCE 19 mai 1988, Rev. crit. DIP 2000. 58, note Droz.
1449
Civ. 9 janv. 1934, DP 1934, 1, 22, S. 1934, 1, 201, note Niboyet.
1450
 Rouen 4 oct. 1984, DMF 1985. 411, obs. Achard ; Bonassies, op. cit., DMF 1986. 88 n° 57, applique la
prescription quinquennale de la loi interne française au règlement d'avaries communes postérieures à un affrètement
international ; apparemment la question du droit applicable n'était pas soulevée car la cour ne justifie pas le fait
qu'elle ait recouru au droit français (v. sur ce point les observations précitées de MM. Achard et Bonassies).
407
juridiquement, chacune des parties se trouve créancière de ceux qui doivent leur contribution à
l'avarie commune.
Un des intéressés peut être insolvable. L'insolvabilité, comme on l’a dit, doit se répartir sur tous
les autres, non pas qu'il y ait solidarité, mais parce qu'il y a une répartition et que la répartition ne
peut se faire qu'entre les personnes solvables (art. L. 5133-15, al. 2). Cette règle s'explique par
l'idée d'association des intérêts en cause.

IV.Privilège pour la contribution 

La loi (art. L. 5114-8.4°) déclare privilégiée au quatrième rang, dans la même catégorie que la
rémunération d'assistance, la contribution du navire aux avaries communes (cf. 4°). Le même
texte reporte tous les privilèges sur les indemnités dues au propriétaire du navire pour avaries
communes en tant qu'elles constituent les dommages matériels subis par le navire ou pour perte
de fret (art. 5114-10, 2°). Ce privilège grève le navire.
Si l'armateur est le créancier des chargeurs, ce qui est le cas le plus fréquent, il possède également
un privilège sur la marchandise au titre de l'article 2332-3° du Code civil, mais ce privilège n'a
aucun intérêt dès l’instant que la marchandise aura été délivrée bien avant que le règlement ne
soit établi. En outre, l’armateur est privilégié pour le paiement des contributions en avaries
communes qui lui sont dues, sur les marchandises ou sur le produit de leur vente, pendant quinze
jours après leur délivrance si elles ne sont pas passées dans les mains de tiers (art. L. 5133-19).

V.Contribution provisoire

Pratiquement, la question du règlement de la contribution est difficile. Il s'agit presque toujours


aujourd'hui d'une dépense qui a été faite par l'armateur et qui doit être supportée par les
chargeurs. Il faut donc que l'armateur agisse contre tous les chargeurs et cette action se produira
parfois trois ou quatre ans après le déchargement des marchandises. Comment pourra-t-on
retrouver les chargeurs et les poursuivre utilement ?
Pour remédier à cet inconvénient, l’armateur s’est vu reconnaître un droit de rétention (le refus de
délivrer les marchandises jusqu’au paiement de la contribution qui leur correspond), sauf caution
suffisante de l’ayant droit (art. L. 5133-18). On a ainsi pris l'habitude, dans la pratique maritime,
avant de délivrer les marchandises, de faire donner aux destinataires caution du paiement des
avaries communes1451. Ils donnent une caution de banque, ou encore ils font un dépôt en banque,
dépôt qui a reçu dans la pratique le nom de deposit. En fait ce sont les assureurs qui donnent cette
caution. Quant au « destinataire » débiteur de la contribution fixée par la dispache, c'est celui
dont le nom figurait au connaissement1452.
On trouve dans les Règles d'York et d'Anvers (Règle XXII) un règlement de ces dépôts.
Il doit être ouvert un compte joint1453 au nom du représentant de l'armateur et du représentant des
déposants dans une banque agréée par les deux. Les sommes déposées sont conservées en
règlement des droits des intéressés et des paiements d'acomptes peuvent être faits avec
l'autorisation écrite du dispacheur. Cette règle nouvelle, adoptée en 1950, unifie les pratiques qui
étaient différentes suivant les ports.
1451
 Voy. le procédé ordonné par T. com. Marseille (référés), 28 févr. 1978, Scapel, 1978.14 ; 13 janv. 1998, DMF
1998, HS, n° 45, obs. Bonassies.
1452
Et non le destinataire réel, Com. 8 févr. 1965, DMF 1965. 344, obs. Lureau.
1453
 Cf. Parenthou, DMF 1973. 515.
408
Lors des derniers Congrès du CMI (Vancouver et Pékin notamment), la question de
l’« abolition » des avaries communes a été clairement posée. Aucune unanimité ne s’est
cependant dégagée pour remettre en cause une institution aussi universelle. Les déclarations
d’avaries se font encore et continueront sans doute encore longtemps à se faire, d’autant qu’elles
peuvent concerner les dépenses inhérentes à la piraterie qui connaissent aujourd’hui un nouvel
essor.

409
Sous-titre 2
Les autres événements
de mer :événements innomés

À côté des avaries communes, de l’assistance et de l’abordage, on peut faire état d’autres
événements, comme la piraterie. Ce phénomène a un nom, mais on ne saurait dire qu’il y a là un
événement de mer nommé au sens du droit maritime. C’est un événement particulier qui appelle
un traitement spécifique. On peut faire la même observation pour le terrorisme.

410
CHAPITRE 1
LA PIRATERIE

SECTION 1.Crime universel 

La loi maritime connaît trois événements de mer auxquels elle donne un régime juridique :
l’assistance, l’abordage et les avaries communes. Sans doute faut-il ajouter à cette liste un
quatrième événement : la piraterie1454. Il est vrai qu’en elle-même la piraterie n’est qu’une
infraction pénale, un crime universel, appelant au demeurant des sanctions radicales s’il est
commis en haute mer. Ainsi la piraterie doit-elle être traitée comme le prévoient les textes  : la
Convention sur le droit de la mer (ci-après CMB)1455 et les lois internes (cf. pour la France, Loi n°
2011-13 du 5 janv. 2011)1456. Il reste que la piraterie pose aujourd’hui d’autres et singulières
difficultés et que son incidence sur les contrats maritimes est de plus en perceptible. Le droit
maritime commercial en prend conscience.

Les questions de droit pénal n’ont pas pour autant disparu. Elles demeurent et se sont même
diversifiées, si l’on considère les premières décisions rendues par la Cour de cassation elle-même
confrontée aux exigences des droits de l’homme et aux nécessités de respecter les règles de
procédure pénale dans des situations pourtant insolites. Les affaires récentes du « Ponant » et du
« Carré d’As » en témoignent. Il y a là assurément un gisement de problèmes juridiques qui sont
loin d’être tous résolus.
Ces difficultés ne sont cependant pas les plus importantes et celles qui préoccupent le plus les
armateurs. Ceux-ci sont, en raison du développement des actes de piraterie, exposés à des frais
supplémentaires liés aux déroutements, au renforcement de la sécurité de la cargaison et de
l’équipage, à la gestion des risques et des assurances, etc. Lorsque le navire est affrété, ce qui est
habituel dans la marine marchande, il faut désormais s’interroger sur la répartition des coûts
engendrés par la piraterie entre l’armateur et l’affréteur du navire objet de l’attaque. Ces
questions, un temps inaperçues, sont devenues malheureusement essentielles. Avant de les
envisager et de revenir sur les aspects de droit pénal, deux remarques préalables s’imposent.

SECTION 2. Convention de Montego Bay 

La Convention sur le droit de la mer permet (art. 105) la saisie en haute mer de tout navire pirate
ou de tout navire capturé à la suite d’un acte de piraterie et aux mains de pirates. Il est aussi
possible d’appréhender les personnes et de saisir les biens qui se trouvent à bord, cette saisie ne
pouvant toutefois être faite que par la Marine nationale (art 107). Les tribunaux de l’État qui a
opéré la saisie peuvent se prononcer sur les peines à infliger, ainsi que sur les mesures à prendre
en ce qui concerne le navire ou les biens, réserve faite des tiers de bonne foi. En France, c’est le

1454
Le phénomène de la piraterie connaît depuis quelques années une recrudescence : 120 attaques au cours du
premier semestre 2013 ; 297 attaques en 2012 ; 493 en 2011, principalement dans le détroit de Malacca, au large de
la Somalie et dans le golfe de Guinée.
1455
Sur la définition de la piraterie, v. CMB art. 101 : acte illicite de violence… d’un navire, agissant à des fins
privées, et dirigé contre un autre navire… en haute mer » ; v. plus général. F. Odier, Piraterie, terrorisme : une
menace pour les navires, un défi pour le droit de la mer, Annuaire du droit de la mer, t. X.
1456
V. L. Briand, La loi sur la piraterie, DMF 2011 ; MM. Charles et Couty, RD transp. 2011. Étude 6.
411
Conseil des prises qui, en la matière, a compétence 1457. Mais ce Conseil, si prestigieux soit-il,
encore actif après la seconde guerre mondiale, ne comprend aujourd’hui plus aucun membre et
les pouvoirs publics ne semblent pas très disposés à le réactiver. Le Tribunal de commerce,
juridiction traditionnelle du monde maritime, serait peut-être une instance plus appropriée pour
considérer, après une prise, les droits des tiers et notamment les droits des chargeurs ou des
réceptionnaires.
Une seconde remarque préalable doit être faite pour rappeler la disposition de l’article 106 CMB.
Ce texte prévoit que lorsque la saisie d’un navire suspect de piraterie a été effectuée sans motif
suffisant, l’État qui y a procédé est responsable vis-à-vis de l’État dont le navire a la nationalité
de toute perte ou de tout dommage causé de ce fait. Autrement dit, une saisie arbitraire est, dans
la loi internationale, une source de responsabilité. Il est permis toutefois de se demander quelle
instance est à même d’apprécier cette responsabilité ? Une procédure d’arbitrage peut être
envisagée (art. 279), mais à défaut, sans doute faut-il laisser compétence au tribunal international
du droit de la mer qui est habilité à connaître de tout différend relatif à l’application de la CMB
ou à son interprétation (art. 288). En tout cas, un jour ou l’autre la question se posera.

1457
V. D. Mathonnet, Le Conseil des prises, thèse Paris 2, 2010.
412
CHAPITRE 2
LE TERRORISME ET LES MESURES DE SÛRETÉ

SECTION 1. Mesures de sûreté 

On doit au droit aérien un double enrichissement du droit des transports, pour avoir consacré les
concepts de sécurité et de sûreté. Sur le plan de la sécurité (safety, en anglais), c’est-à-dire la
prévention et la réparation des accidents, les enquêtes techniques après un accident ou un incident
de transport, un temps imposées dans le seul monde de l’aéronautique, sont désormais
généralisées. En cas d’accident ou d’incident de transport routier, ferroviaire ou fluvial, une
enquête doit être diligentée dont le seul objet est de prévenir de futurs dommages : il s’agit de
collecter et analyser les informations utiles, de déterminer les circonstances et les causes certaines
ou possibles de l’incident ou de l’accident et s’il y a lieu d’établir des recommandations de
sécurité. Il en va de même en cas d’événement de mer affectant les navires civils battant pavillon
français où qu’ils se trouvent ou de navires civils battant un autre pavillon lorsque l’événement
s’est produit dans les eaux intérieures ou les territoriales françaises.
La sûreté (security en anglais) renvoie à la prévention des actes illicites (piraterie,
terrorisme…)1458. Dans le monde de l’aéronautique, les exigences de sûreté sont essentielles,
puisque les agents civils et militaires de l’État ainsi que les personnels des entreprises agissant
pour le compte et sous le contrôle de l’administration et habilités à cet effet doivent vérifier que
les entreprises ou organismes installés sur les aérodromes respectent les mesures de prévention
prescrites. De même en est-il pour le fret, puisque les compagnies doivent effectuer les visites de
sûreté ou s’assurer qu’elles ont été accomplies par un agent habilité à cet effet, cet agent pouvant
lui-même engager sa responsabilité en cas d’inobservation des procédures et mesures
réglementaires applicables (art. L. 6343-4). Cette idée de prévention des actes illicites s’est
récemment systématisée après les événements abominables du 11 septembre 2001. Elle a assez
naturellement gagné le monde maritime.
Ainsi, après une conférence diplomatique tenue à Londres en décembre 2002, l’Organisation
internationale Maritime a adopté, le 12 décembre 2002, le Code international pour la sûreté des
navires et des installations portuaires (Code ISPS). Ce texte a été intégré dans la Convention pour
la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) consolidée en 1974. Le code ISPS qui a la
valeur d’une convention internationale prévoit en substance que les compagnies maritimes
doivent établir pour chacun de leurs navires un plan de sûreté précisant les mesures propres à
empêcher l’introduction à bord d’armes, de produits ou engins dangereux, et déterminer des
procédures d’intervention en cas de menace contre la sûreté ainsi que des procédures
d’évacuation. Les mesures imposées par le code ISPS se traduisent également, comme pour le
code ISM, par la désignation d’un agent de sûreté chargé de gérer tous les problèmes de sûreté se
posant à la compagnie. Cet agent doit être en relation constante avec le commandant du navire,
lequel ne perd pas pour autant son autorité, bien au contraire. Le code ISPS indique également
que tout navire à passagers ou tout navire de charge d’un tonnage supérieur à 500 unités de jauge
doit faire l’objet d’une visite initiale comprenant une inspection complète de son système de
sûreté et reçoit en conséquence un certificat international de sûreté, soumis à des visites de

1458
V. Le Bihan-Guenolé, Sûreté maritime et terrorisme, Rev. Scapel 2003, 86 ; F. Odier, La sûreté maritime ou les
lacunes du droit international, Mélanges Lucchini-Quéneudec, 455 ; égal. n° spécial, Sûreté et transports, IDIT
2008 ; M. Boutin-Mathmy, La sûreté et les transports, thèse Aix-Marseille 2009 ;
413
renouvellement à des intervalles ne dépassant pas cinq ans. Le code prévoit enfin que des
mesures équivalentes doivent être prises pour la sûreté des installations portuaires.
Ces dispositions ont été prolongées par des textes communautaires :
- règlement 725/2004 relatif à l’amélioration de la sûreté des navires et des installations
portuaires (JOUE L. 129 du 29 avr. 2004),
- directive 2005/65 relative à l’amélioration de la sûreté des ports (JOUE L. 310/28 du 25 nov.
2005),
Ces textes transposent à l’échelle européenne les prescriptions du code ISPS et les complètent
(extension au trafic national ; conversion en obligations de certaines recommandations du code ;
contrôle par la Commission des dispositions adoptées).
Les ordonnances n° 2004-691 du 12 juill. 2004 et n° 2005-898 du 2 août 2005 ont introduit les
dispositions communautaires dans le Code des ports maritimes (art. L. 324-1 s., abrogés) dont la
substance a été reprise par le Code des transports.
Le droit de la sûreté maritime a désormais son siège dans le Code des transports (art. L. 5251-1
s.). Son domaine est exactement le même que celui que fixe la convention internationale : les
dispositions s’appliquent aux navires à passagers et aux navires de charge d’une jauge brute
supérieure à 500. Pour le reste, le droit s’est efforcé de préciser le contenu des mesures de sûreté
et d’assurer leur sanction.

SECTION 2.Contenu des mesures de sûreté 

L’article L. 5251-2 du Code des transports prévoit que les propriétaires, armateurs et exploitants
de navires élaborent et mettent en œuvre pour chaque navire de leur flotte le plan de sûreté exigé
par le code ISPS. Cette obligation est impérative et constitue une charge de plus pour les
armateurs. Elle fait partie de ce que la communauté internationale est en droit d’attendre de tout
armateur professionnel et renforce le statut de l’armateur.
Il appartient à l’autorité administrative compétente d’approuver ces plans de sûreté et de contrôler
leur application concrète sur chaque navire. À cette fin, des organismes de sûreté maritime
peuvent être habilités par l’autorité administrative pour effectuer des missions d’évaluation et de
contrôle de la sûreté des navires. Seules peuvent bénéficier de cette habilitation les personnes
établies en France, dans un autre État membre de l’UE ou dans un État partie à l’AELE, qui y
exercent des activités correspondant à ces activités.
Dans la même perspective de vérification et de contrôle, les propriétaires doivent tenir à la
disposition des fonctionnaires compétents tous renseignements et justifications propres à
l’accomplissement de leur mission. Il en va de même pour les organismes habilités et pour les
organismes agréés de formation à la sûreté maritime.
Pour que les vérifications puissent effectivement se réaliser, les locaux et les équipements des
navires en relation avec l’activité (professionnelle) des armateurs doivent rester accessibles.
Peuvent également accéder à bord pour vérification :
- les commandants ou commandants en second des bâtiments d’État,
- les officiers de la marine marchande exerçant les fonctions relatives à la sûreté et à la protection
d’éléments navals,
- les officiers et agents publics commis par le Préfet maritime,
- et les agents publics en charge de la sûreté désignés par le Ministre chargé de la mer.

414
La sûreté n’est pas requise seulement quant aux navires eux-mêmes. Elle s’impose aussi dans les
zones portuaires (port dans ses limites administratives et zones terrestres contiguës) et d’une
manière plus intense encore dans les zones d’accès restreint à l’intérieur même des zones
portuaires. À cette fin, des mesures visant à assurer la sûreté du transport maritime et des
opérations portuaires doivent être prises. Ces mesures sont mises en œuvre, sous l’autorité de
l’État, par les exploitants d’installations portuaires, les compagnies de transport maritime, les
prestataires de services portuaires et les organismes habilités en matière de sûreté. Il appartient
plus précisément à l’autorité portuaire d’élaborer un plan de sûreté portuaire qui est appelé à être
dupliqué dans chacune des installations portuaires.
En vue d’assurer préventivement la sûreté du transport maritime et des opérations portuaires qui
s’y rattachent, les officiers de police judiciaire et les agents des douanes peuvent procéder à la
visite des navires ainsi que des personnes, des bagages, des colis, des marchandises et des
véhicules pénétrant ou se trouvant dans les zones d’accès restreint ou embarqués à bord des
navires se trouvant dans ces mêmes zones. Des agents habilités peuvent également, sous certaines
conditions, procéder à de telles visites.
L’autorité administrative est investie de larges pouvoirs pour assurer l’efficacité des mesures de
sûreté, puisqu’elle peut enjoindre à l’autorité investie du pouvoir de police portuaire d’interdire
ou de restreindre l’accès et les mouvements de navires dans la zone portuaire de sûreté.
L’expulsion d’un navire peut même être décidée. Ces décisions ne vont pas soi et ne doivent pas
être prises à la légère. Elles sont une source de responsabilité potentielle, comme du reste toutes
les mesures de sûreté.

SECTION 3. Sanction des mesures de sûreté 

La loi a prévu que les manquements aux dispositions des plans de sûreté doivent être constatés
par les fonctionnaires habilités à cet effet par l’autorité administrative. Quant aux sanctions
proprement dites des mesures de sûreté, elles sont multiples. Elles sont, d’après la loi, de
caractère administratif et pénal, ce qui ne veut pas dire que l’on ne puisse en envisager d’autres.
Les sanctions prévues par la loi sont d’abord administratives. L’autorité administrative peut
suspendre les effets des décisions d’approbation des plans de sûretés des navires en cas de
manquement. Les habilitations délivrées aux organismes de sûreté et les agréments donnés aux
organismes de formation peuvent également être suspendues ou retirées.
S’agissant des plans de sûretés portuaires, il va de soi, même si la loi ne le dit pas expressément,
qu’ils doivent être élaborés et respectés, et que si l’administration fait défaut, sa responsabilité est
engagée.
Les sanctions légales sont ensuite pénales. La loi punit d’une peine d’un an d’emprisonnement et
de 15 000 euros d’amende le fait de s’opposer à l’exercice des missions de contrôle dont sont
chargés les fonctionnaires et agents habilités. Les personnes morales reconnues coupables des
infractions engagent à cet égard leur responsabilité pénale (C. transp., art. L. 5253-3).

415
CINQUIÈME PARTIE
LES ASSURANCES ET VENTES MARITIMES 1459

Les assurances dominent toute la vie maritime. Depuis fort longtemps, il n'est pas de navire qui
ne prenne la mer sans assurance et il est peu de chargeurs qui ne prennent la précaution d'assurer
leurs marchandises. En cas d'accident de navigation, ce n'est plus l'armateur qui est en première
ligne dans le contentieux qui s’ensuit, mais son assureur qui l'a déjà indemnisé et qui, en qualité
de subrogé, fait valoir les droits de son assuré, pour récupérer tout ou partie de ses débours. En
cas de dommages ou d'avaries aux marchandises, c'est l'assureur de la responsabilité du navire et
l'assureur de la cargaison qui sont aux prises. En cas d'avaries communes, les règlements se font
entre compagnies d'assurances… Certes, le contrat d'assurance n'est pas propre au commerce
maritime, mais il y puise son origine et, en outre, il y joue un rôle essentiel : certaines institutions
fondamentales du droit maritime ne s'expliquent que par l'assurance (e. g. : les avaries
communes) ou ne sont acceptables qu’en raison de la généralisation de l'assurance (e. g. : la
rémunération élevée de l'assistance en mer). Pendant de longs siècles, l'assurance n'a existé que
dans le monde maritime. Si, aujourd'hui, elle s'est étendue à toutes les activités économiques, elle
ne règne nulle part comme sur la mer. La branche « Transports » des compagnies d'assurances
qui opèrent dans tous les secteurs accuse couramment des rentrées de primes quatre fois plus
élevées dans le domaine maritime que pour l'ensemble des autres modes de transport (routiers,
ferroviaires, fluviaux et aériens).
Quant aux ventes de marchandises, elles sont tout aussi inhérentes à la vie maritime. Le plus
souvent, les transports par mer réalisent ou préparent l’exécution d’une vente. Les négociants
sont des affréteurs et des chargeurs rompus aux arcanes du monde maritime. Les liens entre la
vente et le transport ne sont pas toujours faciles à comprendre : si, juridiquement, les contrats
sont distincts, il n’en reste pas moins que les opérations sont économiquement complémentaires,
1459
Sur les ventes maritimes, v. Rodière, Traité général de droit maritime, « Les ventes maritimes » par J. Calais-
Auloy ; F. Eisemann, « Usages de la vente commerciale internationale », 1972.
Sur les assurances maritimes : Rodière, Traité général de droit maritime, Assurances maritimes, 1983 (avec la
collaboration de MM. Lureau, Pierron et Latron) ; P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité, n° 1280 s. ; P. Y. Nicolas, Rép.
com., V° Assurances maritimes ; Tassel ; Assurances maritimes, J.-Cl. Transport ; Fédération Française des sociétés
d’assurance, Recueil des polices et clauses d’assurance maritime et transport 2003 ; Latron, Guide de l’assurance
des corps de navires de commerce, éd. Seddita Paris 2003 ; Gustin, L’assurance des marchandises transportées,
Economica 1998 ; Hoursiangou et Latron, Les polices françaises d’assurance maritime sur facultés, Litec 1984 ;
Marcq, Risques et assuranes transports et logistiques, 2e éd. L’Argus, 2011 ; Hermida Higueras, Luis (el derecho
maritimo y el seguro) et Monfort Belenguer. Juan Aspectos de la cobertura de los riesgos en el seguro maritimo,
publicaciones del comite de derecho maritimo de Barcelona, Libreria Bosch, éd., Barcelone (Espagne) ; S. Ferrarini,
Le Assicurazioni Marittime, 1971, Giuffrè éd., Milan (Italie) ; — E.R. Hardy Ivamy, Marine Insurance,
Butterworths, Londres ; Hudson et Allen, Marine Claims Handbook, Lloyd's of London Press Ltd., 4 e éd. F.D. Rose,
Marine Insurance : law and practice, Lloyd’s Shipping Law Library, 2 nd ed., 2012 ; J. Dunt, International cargo
Insurance, Lloyd’s Shipping Law Library, 2012 – du même auteur, Marine cargo Insurance, 2009 – R. Merkin,
Marine Insurance Legislation, Lloyd’s Shipping Law Library, 201 - Pour une contribution à l'histoire du droit des
assurances maritimes, v. Manuel J. Pelaez, Cambios y Seguros Maritimos en Derecho Catalan y Balear,
Publicaciones del Real Colegio de España, Bolonia 1984 ; Saragosse.
416
ce dont, du reste, le législateur a pris acte en consacrant, dans un titre sur les contrats relatifs à
l’exploitation du navire (art. L. 5421-1 s.), un chapitre aux ventes maritimes (art. L. 5424-1 s.).
La vente n’est sans doute pas un contrat « relatif à l’exploitation du navire », comme peut l’être
l’affrètement, mais elle en est souvent le préalable. On rendra compte successivement dans les
deux titres qui suivent des assurances maritimes et des ventes maritimes.

417
TITRE 1

LES ASSURANCES MARITIMES

Avec 2 milliards d’euros de primes encaissées par exercice, la France figure parmi les cinq
premiers acteurs du marché mondial de l'assurance transport, avec une part de marché d’environ
6 à 8 % selon les critères statistiques retenus. Ce succès, si relatif soit-il, est, une fois encore, le
fruit de l’histoire. En effet, si l'assurance transport (maritime) est connue depuis la nuit des temps
(il est fait mention de ses techniques dans le code d'Hammourabi), le régime « moderne »
remonte au XVIIe siècle avec la création par un édit royal, en 1668 à Paris, de la Chambre
d’Assurance et de Grosse Aventure de France1460, au demeurant dix ans avant la création du
Cercle d'assureurs maritimes d'Edward Lloyds' (1696). Ultérieurement, en 1836, les assureurs
décidèrent de se réorganiser et instituèrent la Réunion des Assureurs Maritimes de Paris qui
recruta un « capitaine sauveteur », désigna de nombreux agents, futurs commissaires d’avaries,
créa un secrétariat avec de nombreux services, techniques et juridiques et prit le nom de Comité
des Assureurs Maritimes de Paris. En 1942, ce Comité fut transformé en Comité des assureurs
maritimes de France qui devint en 1988 le Comité d’Etudes et de Services des Assureurs
Maritimes et Transport (CESAM). Ce dernier Comité, organisé en GIE, regroupe des sociétés
d’assurances françaises et étrangères qui pratiquent la branche « maritime et transport » en
France. Le CESAM gère aujourd’hui un réseau mondial de commissaires d’avaries et d’experts.
Il est également conseil en matière d’événement majeurs et offre de nombreux services
administratifs et financiers. C’est, à cet égard, une chambre de compensation des assureurs
maritimes. Le CESAM a su fédérer les professions et donner un nouvel essor à l’assurance
française.
Aujourd’hui, le marché de l'assurance transport dans le monde est d’abord un marché de
« niche ». Il représente moins de 4% des primes d’assurance non vie collectées en Europe. Il se
caractérise ensuite par une offre de capacité globalement excédentaire. Il connaît de ce fait des
résultats techniques trop souvent déficitaires, quelle que soit la « sous-branche », avec une
amplitude particulière pour les corps de navire ou les corps aériens. En outre, l'assurance
transport est un marché mondial de coassurance, par essence, peut-être aussi par nécessité : les
besoins de couverture en responsabilité civile d'une compagnie maritime majeure avoisinent
aujourd'hui les 2 Md€ par événement, ce que le marché français, si important soit-il, ne saurait
garantir seul.
Sur les marchés corps de navire et corps de véhicule aérien et responsabilité civile aérienne se
pratique ce que l’on appelle la « verticalisation » : chaque co-assureur propose à son client, par
l'intermédiaire des courtiers spécialisés, son prix et la part qu'il entend souscrire. Le prix de
l'assurance est donc « composite », avec des écarts considérables entre assureurs, qui sont
fonction de la qualité ou du risque politique ou encore financier. Les courtiers qui rassemblent les
capacités tiennent jalousement confidentielle la composition des montages et des prix. Le Marché
est enfin étroitement lié à la conjoncture économique : il est largement dépendant du volume des
1460
Cette Chambre était une sorte de Club où les professionnels recevaient les courtiers et les clients, échangeaient
des informations et codifiaient leurs usages. Ils avaient déjà mis au point une police type et réglaient les litiges au
sein d’une Commission paritaire d’arbitrage.
418
échanges internationaux et reste très « volatil ». Il suit ou anticipe les mouvements réels ou
supposés des taux de croissance des échanges marchands.
En France, l'assurance marchandises transportées représente 42% du volume de primes
encaissées. Elle est suivie par l'assurance corps de navire (29%) et par l'assurance aviation,
responsabilité civile et corps confondus (24%). Le spatial (5%) - assurance lancement et vie en
orbite - reste anecdotique (la responsabilité civile spatiale est incluse dans l'aviation).
La part de la France dans l'assurance marchandise transportée mondiale s'élevait à 6,3% en 2010,
contre 9% pour la Chine et l'Allemagne et 8% pour le Royaume-Uni (source : International
Union of Marine Insurance, IUMI, 2011). Quant à sa part dans l'assurance corps de navire
mondiale en 2010, elle représentait 6%, derrière le Royaume-Uni (17%). Ce pays représente en
plus 62% des primes P and I en responsabilité civile des armateurs. Suivent ensuite la Chine
(10%), les pays nordiques (14%) et le Japon (9%).

419
CHAPITRE 1
LES ÉLÉMENTS DE L’ASSURANCE MARITIME

Pour qu'il y ait assurance maritime il faut nécessairement que des valeurs assurées soient
soumises à des risques maritimes. Ces éléments doivent, du fait des exigences légales, répondre à
certaines conditions. Sous cette réserve, la liberté des parties est la règle. Elle s'exprimera dans le
contrat.

SECTION 1. VALEURS ASSURÉES

Les assurances maritimes sont toutes des assurances de dommages. Les assurances de personnes,
de leur côté, peuvent avoir un rapport avec la mer : il en est ainsi lorsque le risque qui donne lieu
à garantie est d'origine nautique. En fait, rien de spécifiquement maritime ne peut être alors relevé
dans la législation sur les assurances, ni dans les polices. Le risque de la mer se trouvera compris
(ou parfois exclu) de l'ordre des sinistres contre lesquels l'assuré se prémunit. Il arrivera même
qu'une assurance soit spécialement prise contre les sinistres pouvant atteindre l'assuré au cours
d'un voyage exclusivement maritime. Une pareille assurance sera en tous points soumise aux
règles des assurances contre les accidents corporels, et, quoique le Code des assurances dans sa
partie générale ne concerne pas les assurances maritimes, relèvera de ces règles générales.
Les assurances maritimes étant des assurances de dommages, elles sont dominées par le principe
indemnitaire. L'assurance ne doit pas devenir une source d'enrichissement pour l'assuré. Elle ne
doit servir qu'à indemniser ses pertes ou ses gains manqués. Cette règle s'exprime d'abord dans la
détermination des valeurs assurables ; ensuite dans l'indication du maximum possible des intérêts
assurés1461.

§1. Détermination des valeurs assurables

I.L’intérêt légitime 

« L'assurance peut avoir pour objet : les corps et quille du vaisseau, vide ou chargé, armé ou non
armé, seul ou accompagné ; les agrès et apparaux ; les armements ; les victuailles ; les sommes
prêtées à la grosse ; les marchandises du chargement et toutes autres choses ou valeurs estimables
à prix d'argent, sujettes aux risques de la navigation. » Ainsi s’exprimait l’ancien droit des
assurances (C. com., art. 334, reprenant les dispositions de l’Ordonnance de la Marine). L'idée
que l'assurance est un contrat d'indemnité avait conduit à considérer comme nulles l'assurance du
fret ainsi que l'assurance de la valeur des marchandises à leur port d'arrivée, sous prétexte qu'en
pareil cas l'assurance aurait non pas indemnisé des pertes, mais compensé la disparition de
l'espoir d'un gain, ce qui, l’époque, était interdit. Pour étouffer ces scrupules, la loi du
12 août 1885 a étendu l'énumération de l'article 334, tout en conservant la formule finale à
laquelle on donnait alors toute sa portée. On dit aujourd’hui plus simplement : « Tout intérêt
légitime, y compris le profit espéré, peut faire l'objet d'une assurance » (art. L. 171-3, qui ajoute,
al. 2, que « nul ne peut réclamer le bénéfice d’une assurance s’il n’a pas éprouvé un préjudice »).

Rappr. E. Relave-Svendsen, Présentation comparative de l’intérêt assurable en droit maritime anglais, DMF 2012.
1461

691.
420
La règle est impérative. Plus exactement, il y a là un élément essentiel de l’assurance.
L’assurance maritime ne peut couvrir que le préjudice – et non le simple dommage – que l’on
peut encourir à l’occasion d’une activité maritime, professionnelle et régulière.
L'assurance maritime est divisée en deux grandes branches : l'assurance du navire ou assurance
sur corps, l'assurance des marchandises ou assurance sur facultés1462. À côté de ces deux
branches, il faut mentionner, en troisième lieu, l'assurance de l'indemnité, ou réassurance, qui a
une grande importance, mais sur laquelle nous ne reviendrons pas (v. supra).
Après l'étude de ces deux formes, on dira quelques mots des autres valeurs assurables dont la plus
importante est l'assurance de responsabilité.
A. Assurance sur corps1463

Le navire et ses accessoires 

L'assurance sur corps – l’assurance navire, selon la nouvelle terminologie 1464 - couvre la perte ou
l’avarie du corps : en cela c’est une assurance de chose. Elle couvre également certains
dommages causés aux tiers (abordage et dommages matériels occasionnés par les accessoires du
navire)1465 ; par conséquent, c’est aussi une assurance de responsabilité.
L’assurance corps concerne le navire lui-même et tous ses accessoires, le navire étant considéré
comme une entité juridique. Autrefois, on distinguait dans l'assurance la coque et la machine ;
aujourd'hui, la police sur corps ne donne plus cette division et ne tolère même plus l'assurance
distincte de la coque ou de la machine. On peut indiquer deux valeurs différentes, mais il faut les
assurer indivisément. Dans le délaissement, on calcule la perte ou les avaries sur la valeur totale.
L'assureur ne veut pas qu'en assurant séparément la coque ou la machine, l'assuré puisse délaisser
le navire, si la coque a subi une avarie grave, alors que la machine est intacte. Le corps comprend
les frais d'armement, c'est-à-dire tout ce que l'armateur a mis à bord comme nourriture de
l'équipage et des passagers, comme soutes…

Le fret

L'armateur est exposé au risque de perdre non seulement son navire, mais aussi le fret de
l'expédition maritime. En effet, le fréteur ou le transporteur perd parfois son fret, ou d'autres fois
n'a droit qu'à un fret de distance. Pourtant, le Code de commerce, à l'exemple de l'ancien Droit,
défendait à l'armateur d'assurer son fret. Il y avait à cela deux raisons, l'une théorique et l'autre
pratique.
1462
L’expression officielle est aujourd’hui (simplification du droit oblige !) « assurance marchandises » ; elle
correspond aussi au fait que l’assurance maritime est de plus en plus multimodale. Dans la pratique cependant,
l’expression traditionnelle a encore de longs jours devant elle : on se permettra de la conserver.
1463
Avec 7% du marché international de l'assurance des corps de navires, la France se place en troisième position, si
l'on excepte le Japon, dont les assureurs transports accordent leur priorité aux risques domestiques, i. e. intérieurs.
Les principaux acteurs français disposent d'implantations (filiales, délégations, agences) dans plus de soixante pays
et participent à l'assurance de plus d'un tiers de la flotte mondiale. Au-delà de ces éléments statistiques, il est
important de rappeler que le marché international de l'assurance corps de navires fonctionne sur une base de
coassurance et utilise pour l'essentiel des modèles de polices élaborés par des associations nationales ou des
organismes fédérateurs. Les principaux référentiels employés sur ce marché sont les clauses anglaises et, dans une
moindre mesure, norvégiennes et américaines.
1464
V. J.P. Thomas, La nouvelle police française corps de navires, Gazette CAMP, n° 23 ; égal. Larue, RD transp.
2010, Focus, n° 6 ; S. Miribel, DMF 2010. 713.
1465
MM. Bonassies et Scapel, n° 1300.
421
La raison théorique était tirée du principe que l'assurance maritime est un contrat d'indemnité.
Les anciens auteurs disaient que l'assureur peut remettre dans le patrimoine de l'assuré une valeur
égale à celle qui a été détruite, mais que le caractère indemnitaire s'oppose à ce que l'assureur
verse à l'assuré une indemnité qui ne représenterait pas une perte réelle éprouvée. L'armateur qui
perd son fret ne voit aucune valeur sortir de son patrimoine ; il y aurait seulement pour lui un gain
manqué non susceptible d’être assuré. Ce qu'il a dépensé se trouverait compris dans les frais
d'armement, déjà garantis par l'assurance du navire ; le reste ne serait qu'un bénéfice commercial
que l'assurance ne couvre pas. La raison pratique est qu'on voulait inciter les armateurs à la plus
grande vigilance. Il fallait que l'armateur, dans le cas de naufrage, perdît quelque chose. Si on
l'avait remis dans la même situation qu'au cas d'heureuse fin de l'expédition maritime, il eût été à
craindre qu'il ne fût pas suffisamment soigneux. Cette règle était gênante et ne se trouvait pas
dans la plupart des codes étrangers. Les armateurs français en étaient arrivés à contracter des
polices d'honneur, par lesquelles l'assureur s'engageait, après avoir assuré le fret, à ne pas plaider
la nullité de l'assurance pour objet illicite. C'est qu'en effet l'armateur est créancier du fret et il est
faux de prétendre que celui qui perd une créance ne perd pas un élément de son patrimoine. Les
armateurs, qui ne pouvaient pas assurer le fret, en avaient été réduits à développer la clause de
« fret acquis à tout événement », pour percevoir le fret malgré le naufrage du navire.
La loi du 12 août 1885 a réalisé la réforme souhaitée, ce qui n'a pas entraîné pour autant la
disparition de la fameuse clause. La réforme est heureuse car le fret est pour un armateur un
intérêt légitime assurable.
L'armateur ne peut cependant faire assurer que son fret net, car l'assurance des frais d'armement
est déjà comprise dans l'assurance du corps. S'il fallait assurer le fret brut, il gagnerait. Pour
pouvoir assurer son fret brut, il faudrait qu'il eût soin d'exclure dans l'assurance du corps les frais
d'armement. La police fixe forfaitairement le montant du fret net à 60 % du fret brut, ce qui évite
toute discussion et des justifications détaillées par l'armateur. L'assurance du fret est restée une
chose rare. Elle se fait quelquefois dans le cas d'une cargaison complète, jamais dans le transport
de marchandises isolées. L'armateur préfère la clause de « fret acquis », et, lorsqu’une telle clause
existe, comme il ne peut pas perdre son fret, il ne peut pas le faire assurer. Quant au chargeur qui
doit payer, dans ce cas, le montant du fret, il a lui-même assuré la marchandise pour sa valeur à
l'arrivée ; il a donc, d’une certaine manière, déjà fait assurer le fret qu'il doit payer.
B. Assurance sur facultés1466

L'assurance sur facultés est l'assurance des marchandises 1467. Cette assurance se fait de deux
manières différentes : par police particulière ou par police fonctionnant par déclaration d’aliment.
1. Assurance sur police particulière

Cargaison 

L'assurance sur police particulière peut être conclue pour toutes sortes de marchandises ; elle est
pratiquement conclue pour une cargaison importante. C'est une police au voyage, largement
supplantée aujourd’hui par la police d’abonnement.

1466
 Rodière, « L'assurance des marchandises transportées par mer », BT., 1981.66, 94, 146, 250, 262, 286, 310 et
322.
1467
 Plus exactement l'assurance sur facultés a pour objet de garantir les marchandises chargées à bord et le profit
espéré de ces marchandises. Il s'agit de toutes les marchandises sauf les colis postaux et les valeurs, mais aussi de
tout ce qui voyage à bord et qui n'est ni la propriété de l'armateur (corps), ni l'objet d'une vente (marchandises).
422
La police type ne couvre pas les billets de banque, les valeurs mobilières, les métaux précieux et
objets semblables qui doivent être l'objet d'une acceptation spéciale. Elle ne couvre pas non plus
les colis postaux. D'après le Code de commerce (art. 334), l'assurance était possible pour la valeur
des marchandises au port de départ, mais non pour leur valeur au port d'arrivée. La différence
entre ces deux valeurs représente le profit que le chargeur doit tirer de l'expédition de ses
marchandises : il est dénommé le profit espéré.

Le profit espéré 

Le Code de commerce en interdisait l'assurance pour la même raison que l'assurance du fret. Le
principe indemnitaire avait paru, dans l'ancien Droit, s'opposer à cette assurance. En effet, disait-
on, l'expression même indique qu'il ne s'agit pas pour le chargeur d'une perte : le profit est un
bénéfice commercial qui n'est pas susceptible d'une assurance maritime. Ici encore, la règle du
code était extrêmement gênante. Dans le commerce, ce que l'on considère c'est la valeur des
marchandises au port d'arrivée, où, en général, les marchandises sont vendues à l'avance.
Depuis la loi du 12 août 1885, il est possible d’assurer « les marchandises chargées à bord et le
profit espéré de ces marchandises ». Aujourd'hui l'article L. 171-3 le prévoit expressément.
Mais il est en fait difficile d'apprécier la valeur des marchandises au port de destination.
L'assurance est conclue au départ et, à ce moment-là, on ne sait pas à quel prix seront vendues les
marchandises. On peut craindre des prétentions fantaisistes des chargeurs, prompts à s'illusionner
de bonne foi sur les gains qu'ils auraient réalisés. Aussi, pour éviter les discussions, la police
française sur facultés (art. 12) s'arrêtait à un chiffre forfaitaire : le chargeur était autorisé à
augmenter le prix coûtant de 20 %, à moins qu'il n'établisse une valeur réelle à destination,
supérieure à celle-là, auquel cas il est réglé sur la valeur à destination. Si l'assuré établit qu'il a
vendu les marchandises assurées, la valeur est calculée sur le prix de vente tel qu'il résulte du
contrat. La nouvelle police permet d'assurer le bénéfice espéré sans limitation de taux, mais il
appartiendra à l'assuré d'en justifier le montant en cas de sinistre, étant précisé que la valeur
assurée ne peut dépasser la plus élevée des sommes déterminées comme suit :
- soit par le prix de revient des facultés assurées au lieu de destination, majoré du profit espéré ; 
- soit par la valeur destination à la date d’arrivée, telle que déterminée par les cours usuellement
publiés ;
- soit par les dispositions figurant au contrat de vente ;
- soit par la valeur de remplacement lorsqu’il s’agit de biens manufacturés, à condition qu’il soit
en outre justifié du remplacement effectif par la production des factures correspondantes.
2. Police fonctionnant par déclaration d’aliment

Diversité 

La réforme de 2011 a substitué à l’expression police flottante celle de police fonctionnant par
déclaration d’aliment1468. La police reste malgré ce changement de terminologie la même : il
s’agit toujours d’une police par période, l’assurance couvrant plusieurs expéditions pendant une
période donnée. La technique est intéressante pour l’assuré, mais moins pour l’assureur1469. Il y a
deux formes différentes de la police « flottante » :

1468
V. déjà art. R 172-3-1 ; égal. sur l’explication du changement, P.- Y. Nicolas, art. préc. DMF 2011. 789.
1469
v. T. com. Marseille 3 août 2004, DMF 2005 HS 9, n° 124 et les obs.
423
La police d'abonnement proprement dite dans laquelle l'assureur est tenu jusqu'à concurrence d'un
chiffre déterminé (le plein de l'assurance), quel que soit le nombre des applications que l'assuré
en fera et quel que soit le nombre des événements qui donnent lieu à garantie1470 ;
La police à alimenter dans laquelle le « plein » de l'assurance constitue une fois pour toute la
limite de la garantie de l'assureur, de sorte que chaque application qui en est faite diminue
d'autant ce « plein ».
L'une et l'autre représentent un genre de police commode pour l'assuré et dangereux pour
l'assureur ; par ce fait, elles ne sont mises qu'à la disposition de clients sérieux et connus de
l'assureur. Lorsqu’un commerçant ou un industriel envoie ou reçoit à longueur d'année des
marchandises dont le volume et l'importance varient d'un jour à l'autre, la conclusion d'assurances
adaptées à chaque envoi serait source de frais et de dérangements considérables. En outre, la
nécessité de conclure le contrat avant le départ de la marchandise est assujettissante et du reste
difficile à respecter si l'industriel n'est pas sur place au port d'embarquement. Aussi, par la
conclusion d'une police flottante, l'assureur s'engagera à couvrir (dans les conditions de temps et
de lieu, de nature de dommages et d'origine de sinistres définies par la police) toutes les
marchandises expédiées ou reçues par l'assuré, sous la condition suspensive que l'assuré lui donne
connaissance de toutes les mises en risque dans un délai défini ; on donne à cette déclaration le
nom de déclaration d'aliments. La validité de cette forme d'assurance n'est plus contestée. Elle est
prévue par l’art. L. 173-17.
La police flottante présente de tels avantages que l'assurance sur facultés est presque toujours
aujourd'hui conclue sous cette forme.
Outre sa simplicité et sa commodité, la police flottante permet, par la combinaison avec
l'assurance pour compte, de couvrir automatiquement toutes les marchandises qui entreront dans
un cadre prédéterminé. Un commissionnaire aura une police d'abonnement qu'il appliquera à
toutes les expéditions qu'il traite. Les compagnies de navigation elles-mêmes ont une police
flottante pour compte qui couvre tous les chargeurs, qui leur demandent d'assurer les
marchandises qu'ils leur confient. Mais elle présente des risques de fraude qui expliquent les
exigences de la police quant à la déclaration d'aliments et quant aux sanctions qui menacent les
fraudeurs.

Déclaration d'aliments1471 

C'est la déclaration par laquelle l'assuré avise l'assureur qu'il a mis en risques un lot déterminé de
marchandises. Elle doit être faite dans un délai que l'assuré s'oblige à respecter. L'assuré s'oblige
généralement à déclarer en aliment aux assureurs et les assureurs s'obligent à accepter pendant la
durée de la police et en tant qu'elles y sont applicables, d’une part, toutes les expéditions faites
pour son compte et d’autre part, toutes expéditions faites pour le compte de tiers qui auraient
régulièrement donné à l'assuré mandat de pourvoir à l'assurance. Le délai est fixé par la police
(habituellement à 8 jours à compter de l'envoi ou de la connaissance que l'assuré en a eue).
Lorsque la déclaration est faite dans les conditions requises, l'expédition est couverte par
l'assureur. Elle l'est, même si le sinistre est déjà survenu et même si l'assuré en avait
1470
La police par abonnement a pour objet de couvrir automatiquement toutes les expéditions, sans qu’il y ait à faire
de déclaration préalable, la seule mise en risque de la marchandise entraînant la garantie des assureurs auxquels il
suffit de déclarer dans le délai convenu les expéditions effectuées, la déclaration d’aliment étant une régularisation,
mais ne faisant pas naître l’engagement des assureurs qui est préexistant, cf. T. com. Marseille 3 août 2004, DMF
2005 HS 9, n° 124.
1471
 v. Lureau « La police d'abonnement et l'obligation de déclaration », DMF 1950. 263.
424
connaissance. On n'est donc pas en présence d'un cas d'assurances sur bonnes et mauvaises
nouvelles. L'assurance couvre la marchandise en vertu de la police antérieure.
Ainsi la déclaration d'aliments n'est-elle qu'un procédé technique destiné à fixer la prime. Elle ne
crée pas le contrat et ne fait pas courir l'assurance. Si elle fait défaut, le contrat ne joue pas, non
pas parce qu'il n'a pas existé, mais parce que l'assuré n'a pas respecté son obligation de
déclaration dans certains délais. C'est une déchéance conventionnelle. Cet automatisme de la
police flottante paraît compromis lorsque des clauses complémentaires y sont ajoutées. Par
exemple, il est spécifié que la police couvrira les chargements de café au départ de l'Afrique en
direction de l'Europe, mais que l'assuré aura la faculté d'y comprendre dans les mêmes conditions
ses expéditions de riz. En pareil cas, la déclaration d'aliments concernant des chargements de riz
fera bien courir l'assurance. Si le sinistre est antérieur, l'assurance ne pourra pas avoir joué : on
conservera alors l'automatisme de la police flottante pour les chargements de café ; pour les
chargements de riz, l'absence d'automatisme empêchera l'assurance d'opérer par le seul fait du
chargement. On tomberait autrement sous le coup de l’interdiction des engagements purement
potestatifs, l'assuré ayant la faculté, selon ses intérêts, de déclarer (pour le riz) que la police a ou
non opéré1472.
La solution extrême qui vient d'être indiquée donne la mesure du danger que présente la police
d'abonnement pour l'assureur. Plus exactement : du danger qu'elle présente pour lui, si l'assuré
n'exécute pas fidèlement son obligation qui est de lui déclarer, dans les délais prévus, toutes les
expéditions entrant dans les conditions de la police. Cela explique :
- que l'assureur se réserve de contrôler la véracité des déclarations et que l'assuré s'oblige à cette
fin à lui ouvrir ses livres et sa correspondance ;
- la sanction en cas d'inexécution par l'assuré de son obligation : l'assureur ne devra rien pour les
sinistres encore qu'ils entrent dans les conditions de la police, si la marchandise n'a pas été
déclarée dans les délais requis1473 ; bien plus, mis en éveil par cette défaillance, l'assureur pourra,
après vérification, exiger le paiement des primes afférentes aux expéditions déjà faites mais non
déclarées et résilier sans délai la police (art. L. 173-22). Il y a, dans ce rappel des primes
afférentes à des expéditions non déclarées, une véritable peine privée puisque, faute de
déclaration, l'assureur n'avait pas couvert ces expéditions.

En outre, si l'assuré est de mauvaise foi (la preuve en incombe à l'assureur), l'assureur peut
exercer le droit de répétition des versements qu'il a effectués pour les sinistres relatifs à des
expéditions postérieures à la première omission intentionnelle de l'assuré (art. L. 173-22, al. 2).
C'est encore une peine privée caractérisée, car si l'assureur a fait des versements, c'est qu'il y avait
eu, pour les marchandises atteintes par les sinistres qui y ont donné lieu, des déclarations
d'aliments régulières ; il conservera la prime et récupérera ses versements.

Sans même qu'il y ait fraude prouvée, la combinaison est dangereuse pour l'assureur et
astreignante pour l'assuré. Aussi la police prévoit-elle, de la part de chacune des parties, la libre
faculté de résilier le contrat après un préavis d'un mois et par simple lettre. En cas de résiliation,
la police cessera d'avoir effet pour tous les risques qui n'auraient pas commencé à courir avant
l'expiration du délai de préavis1474.
Le système ne fonctionne pas de la même manière dans l'assurance pour compte.

1472
 Sur ces clauses complémentaires, v. Lureau, DMF 1953. 63.
1473
Com. 26 janv. 1966, DMF 1966. 331, obs. Lureau.
1474
 Sur les différentes sanctions encourues, Pau 22 juin 1988, DMF 1990. 80.
425
Objet des assurances sur facultés

Les assurances sur corps présentent un double aspect : elles sont une assurance de choses pour
l'assuré et une assurance de sa responsabilité. Ce double aspect ne se retrouve pas dans les
assurances sur facultés par police particulière. Mais il existe dans les assurances flottantes prises
pour le compte de qui il appartiendra : ainsi pour les assurances prises par les commissionnaires
(pour le compte de leurs clients) ; par les transitaires (de même) ; par les transporteurs (c'est ce
qu'on appelle les polices « tiers chargeurs »). En pareil cas, l'assureur garantit, pour le compte du
client ou du chargeur, la perte ou l'avarie (c'est son aspect assurance de choses) et pour le compte
du souscripteur le recours des tiers (clients, chargeurs) ; c'est son aspect assurance de
responsabilité. L'article L. 171-4 le prescrit expressément. La Cour de cassation l'a jugé.1475
Il y a cependant une différence au moins descriptive : l'assureur du corps garantit certaines pertes
ou avaries du navire et couvre l'assuré contre certains dommages causés par son navire.
L'assureur d'un transitaire par police flottante garantit certaines pertes ou avaries à des
marchandises qui n'appartiennent pas au transitaire et couvre celui-ci contre certains dommages
causés par son comportement personnel. Ce décalage explique l'hésitation à admettre que ce type
d'assurances facultés comporte une part d'assurance de responsabilité.
C. Assurances maritimes diverses et assurances de responsabilité

Code de commerce : interdictions

Le Code de commerce défendait à l'équipage de faire assurer ses salaires dans les cas de perte du
navire. Il voulait par là inciter les marins à être particulièrement vigilants. L'idée était purement
théorique. La loi du 12 août 1885 a supprimé cette règle mais la suppression n'a pas plus
d'importance que la règle, car on n'a jamais vu aucun marin faire assurer ses salaires.
Le code prévoyait, en second lieu, l'assurance du prêt à la grosse ; cette forme de prêt a disparu.
Un assuré peut faire assurer sa prime d'assurance. Cela a toujours été très rare en pratique ; de
toute façon, une clause additionnelle de la police corps interdit d'assurer la prime.

Assurance corps et recours des tiers 

En fait, il n'y avait pas d'assurance particulière des armateurs contre le recours des tiers, car
l'assurance corps l'englobait dans ses règlements. Cela tient à ce que la responsabilité de
l'armateur envers les tiers était, au moins lorsqu'il s'agit de créances nées du fait du capitaine,
limitée à la valeur du navire par le jeu de l'article 216 du code. Et cela expliquait qu'aucun capital
particulier ne fût stipulé comme constituant la limite de garantie de l'assureur ; la somme
maximum assurée étant celle du corps même du navire, l'assurance de responsabilité était dans
celle-ci. Supposons un navire valant 1 000 ; il n'y avait pas une assurance sur corps pour 1 000 et
une assurance de responsabilité pour 1 500, 800 ou un autre chiffre, mais une seule assurance sur
corps pour 1 000 ; en cas de sinistre couvert par la police, l'assureur était tenu au maximum à
payer 1 000, que le sinistre eût causé des dommages au navire seul ou au navire et à des tiers,
puisque, de toutes manières, la « fortune de mer » limitait le recours utile des tiers et que, dans la
mesure où il y avait dommage au navire (mettant en cause l'assurance corps), la valeur de la
fortune de mer pour les tiers en était diminuée.

1475
Cass.com. 13 mars 1968, DMF 1968. 649, obs. crit. Lureau. 
426
La réforme de 1967 a en revanche prévu et réglementé les assurances de responsabilité. D'une
part, le système de limitation de responsabilité du propriétaire de navire a changé. D'autre part, un
transporteur peut être responsable de dommages non couverts par un fonds de limitation. Le seul
cas où, d'après la loi, l'assurance-corps abrite automatiquement une assurance de responsabilité
concerne les dommages causés par un abordage ou une collision quelconque, à l'exception encore
des dommages aux personnes ; l'assureur est alors garant du remboursement de ces dommages
(art. L. 173-8 : « à l’exception des dommages aux personnes, l’assureur est garant du
remboursement des dommages de toute nature dont l’assuré serait tenu sur le recours des tiers au
cas d’abordage par le navire assuré ou de heurt de ce navire contre un bâtiment, corps fixe,
mobile ou flottant. »).
L'imprimé de police du 1er janv. 2012 va plus loin en ce qu'il institue une triple couverture de
risques :
- les pertes et dommages matériels subis par le navire lui-même, les équipements en location et le
retrait provisoire de pièces du navire,
- le recours de tiers pour abordage et heurt, exercé contre le navire assuré pour abordage ou
contre le navire assuré en raison de dommages occasionnés par ses aussières, ancres, chaînes ou
embarcations,
- les assistances, avaries communes, dépenses raisonnablement exposées et frais de procédure1476.
Il est indiqué que l'engagement des assureurs, pour les pertes et dommages, ne peut excéder par
événement la valeur agréée du navire assuré. Le même engagement est pris s’agissant du recours
de tiers, ainsi que pour la troisième série de risques garantis.

Assurances de responsabilité. Action directe 

En dehors de cet aspect que présente l'assurance-corps, l'armateur peut avoir intérêt à garantir la
responsabilité qu'il encourt envers des tiers ; par exemple, à couvrir la responsabilité que peuvent
mettre en cause ses passagers pour leurs dommages personnels dans un abordage ou des nageurs
ou des skieurs atteints par son canot de course ou de sport… Un chargeur peut avoir intérêt à
couvrir sa responsabilité résultant de ce qu'il a chargé une marchandise dangereuse pour le navire
ou pour des marchandises voisines1477. Un transitaire ou un commissionnaire peut avoir intérêt à
couvrir la responsabilité qu'il encourt en cas de mauvaise exécution de ses obligations.
Dans ces diverses situations, l'assuré va souscrire une assurance de responsabilité spéciale qui lui
donnera droit au remboursement de ce qu'il aura dû payer pour indemniser les tiers lésés.
L'assurance de responsabilité peut être souscrite sur le marché français auprès d'une compagnie à
prime fixe avec un imprimé spécial ou auprès d’une mutuelle ; mais, la plupart du temps, les
transporteurs français ainsi que les auxiliaires du transport recourent aux associations de
protection et d'indemnisation mutuelle du Royaume-Uni (P & I Clubs).

L’ordonnance de 2011 a expressément institué une action directe en faveur des tiers. L’art. L.
173-23 prévoit en effet que le tiers lésé, sous réserve des dispositions de l’art. L. 173-24, dispose
d’« un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la
personne responsable » et ajoute que l’assureur « ne peut payer à un autre que le tiers tout ou
partie de la somme due par lui, tant que le tiers n’a pas été désintéressé et dans cette mesure »,

1476
 v. déjà, Latron, De l'assurance du navire de mer à l'assurance du fait du navire, Annuaire de droit maritime et
aéro-spatial, Université de Nantes, T. IX, 1987, 81 s.
1477
On sait que la responsabilité des chargeurs – non limitée – est devenue une vraie question, v. ss 717 s.
427
sauf en cas d’affectation de l’indemnité d’assurance à la constitution d’un fonds de limitation. La
solution avait été reconnue par la jurisprudence 1478. On en connaît les mérites. Elle a désormais
une assise légale et une portée générale (rappr. en matière terrestre, art. L. 124-3). Elle connaît
cependant une limite lorsque l’indemnité est affectée à la constitution d’un fonds dans les termes
du droit national ou international.
La loi applicable à l’action directe n’est pas unitaire. Son existence dépend de la loi de la créance
garantie (la loi du lieu de survenance du dommage), tandis que sa mise en œuvre est soumise à la
loi du contrat d’assurance1479.

Autres assurances 

Par ailleurs, en dehors de la police-type facultés, de la police-type corps et des assurances de


responsabilité, il existe un grand nombre d'autres polices, et notamment une police sur corps
spéciale du 1er janvier 1974, modifiée le 1er janvier 1982, pour les navires de pêche.
En relève aussi la police de responsabilité civile pour la pratique de la pêche sous-marine de
loisirs, qui est obligatoire, aux termes de l'art. 13 de la « loi littoral » (L. n° 2 du 3 janv. 1986).
On citera encore l'assurance relais et la contre-assurance, variétés de l'assurance « contingency
risk », par laquelle la partie au contrat de vente de marchandises ou à un autre contrat, et à qui
n'incombe pas normalement la charge de l'assurance, assure néanmoins les risques qui leur restent
propres ou la défaillance de l'assureur de son cocontractant1480.
Il faut mentionner que de nouvelles polices sont apparues sur le marché en raison des progrès
techniques comme la police « conteneurs »1481. Il ne faut pas oublier, non plus, les assurances
obligatoires imposées aux propriétaires de navires, notamment lorsqu’ils sont exposés à des
risques de pollution.
Les agents maritimes ont également leur police pour couvrir leur éventuelle responsabilité.1482

§2. L’intérêt assurable

Conséquences du caractère indemnitaire 

Les valeurs assurables étant déterminées, il s'agit maintenant de rechercher quel est l'intérêt
assurable. Il ne suffit pas qu'il y ait une chose exposée aux risques de mer, il faut encore un
rapport entre l'indemnité d'assurance et la valeur de la chose. Partant du principe que l'assurance
maritime a un caractère indemnitaire, on peut dégager les trois propositions suivantes :1. le risque
1478
Com. 9 mars 1966, Bull. civ. IV 1966, n° 137, DMF 1966. 408, JCP 1967, II, 14994.
1479
Paris, 3 avr. 2012, BTL 2012. 282 ; égal. Rennes 1er déc. 2011, DMF 2012. 425, obs. Gruber. Sur l’opposabilité au
tiers victime de la clause compromissoire contenue dans le règlement du Club, v. Bordeaux 31 mai 2005, DMF 2006
HS 10, n° 111.
1480
 Par exemple, le chargeur-vendeur peut avoir payé le fret d'avance, et il désire s'assurer contre le risque de non-
remboursement par le destinataire de la marchandise. R. Perillier, op. cit., p. 30 s. ; Paris 17 avr. 1984, DMF 1985.
281, à propos d'une « contingency clause ». V. aussi, dans le Recueil des polices précité, parmi les clauses
additionnelles à la police sur facultés 1983, les clauses 61, 64, 83 à 87 toutes datées du 15 janvier 1985, et répondant
aux préoccupations exprimées au texte ; égal. Com. 22 nov. 2011, DMF 2013 HS 17, n° 125. V. aussi. sur la
question de savoir si la police couvre les détournements commis par les préposés, Com. 5 févr. 2013, DMF 2013.
497, obs. J. Bonnaud.
1481
 Paris 2 oct. 1985, BTL.1986, p. 149.
1482
v. Aix-en-Provence 21 juin 2008, DMF 2008. 741, obs. Boisson, observant que la faute dans la mise en œuvre du
chargement et dans l’organisation du transport maritime relève de l’activité du transporteur et non de celle de son
agent dont la police RC couvre exclusivement l’activité d’agent maritime.
428
maritime doit causer un préjudice à l'assuré ;2. l'indemnité ne peut pas dépasser le préjudice qui
est causé ;3. le même préjudice ne peut pas être réparé deux fois par deux contrats différents.
A. Préjudice causé à l'assuré

L'intéressé 

L'assuré doit en effet avoir un intérêt assurable, faute de quoi, ne perdant rien en cas de sinistre
couvert par la police, il profiterait de l'accident. Il ne suffit donc pas que le navire soit exposé à
des risques ; il faut encore que ces risques existent pour l'assuré, faute de quoi celui-ci ferait un
pari (arg. art. L. 171-3). En France, on ne l'a guère fait, mais les Anglais ont beaucoup pratiqué
ces jeux sur fortune de mer et une loi a dû intervenir (Act du 20 oct. 1909).
Normalement, l'assuré est le propriétaire du navire ou des marchandises ; c'est l'assureur du
risque dans la réassurance ; c'est l'éventuel débiteur d'indemnités dans l'assurance de
responsabilité. Mais, à considérer les situations les plus pratiques de l'assurance sur corps et de
l'assurance sur facultés (les autres ne faisant pas de difficultés sous ce rapport), toute personne
autre que le propriétaire peut jouer le rôle d'assuré si, et dans la mesure où, elle a un intérêt à la
conservation du navire ou des marchandises. Encore faut-il préciser les choses. Ainsi, on dit
parfois que le commissionnaire peut faire assurer les marchandises qui lui sont confiées. Mais la
question est de savoir à quel titre il agit. S'il conclut l'assurance pour le compte du propriétaire, la
situation n'a rien d'irrégulier ; c'est comme si l'assurance avait été prise par le propriétaire de la
marchandise. Pour son compte propre, le commissaire ne peut conclure d'assurance qu'à la
mesure de son intérêt et celui-ci ne se rencontre que si le sinistre engage sa responsabilité ; prise
pour son compte, l'assurance se traduit par une assurance de responsabilité. C’est ce que
reconnaît la jurisprudence (v. ss 1084).

Les créanciers 

On s'est également demandé si les créanciers pouvaient faire assurer le navire. S'ils ont un droit
réel sur le navire, la chose est certaine. Un créancier hypothécaire a un intérêt propre à la
conservation du navire et sa perte est pour lui un préjudice. Encore l'analyse mériterait-elle plus
de précision, car le créancier hypothécaire devrait perdre non pas seulement sa sûreté (qui, en soi,
ne représente rien), mais encore sa créance ou plus exactement toute chance de recouvrer sa
créance pour que son préjudice apparaisse. Quoiqu’il en soit, en cas de sinistre, l’indemnité
bénéficie au créancier hypothécaire (v. ss 203).
Quant aux créanciers chirographaires, ils peuvent agir de deux façons : soit que le créancier
assure le navire du chef du débiteur ; dans ce cas, la survenance du sinistre fera tomber
l'indemnité dans le patrimoine du débiteur et le créancier diligent n'aura aucun avantage sur les
autres créanciers du propriétaire du navire. Soit que le créancier s'assure pour son propre compte,
mais en pareil cas, ce n'est pas le navire qu'il assure, c'est le recouvrement de sa créance ; on est
en présence d'une assurance contre l'insolvabilité du débiteur, i. e. d'une assurance-crédit. On
notera cependant que cette assurance participe des assurances maritimes, parce que c'est contre
une insolvabilité résultant précisément de la survenance d'un sinistre maritime que l'assuré se
prémunit.
B. Valeur des biens assurés

429
L'indemnité ne peut dépasser la valeur des biens assurés  L'indemnité d'assurance ne peut pas
dépasser la valeur des biens assurés ; elle ne doit pas donner un profit à l'assuré. C'est un autre
aspect du caractère indemnitaire, d'un intérêt pratique beaucoup plus grand que le précédent. Il
serait trop dangereux de permettre à un assuré de réaliser un profit par la destruction des objets
assurés. Le danger serait plus grand encore dans l'assurance maritime que dans l'assurance
terrestre, car l'assureur n'a aucun moyen de surveiller la conduite de l'assuré.
La règle a toujours été admise. L'ancien droit français l'interprétait de façon stricte. L'Ordonnance
de 1681 ne permettait pas de couvrir la pleine valeur du bien et n'autorisait l'assurance que pour
les neuf dixièmes, le dixième qui devait rester à la charge de l'assuré était une garantie de sa
vigilance. Cette règle n'existe plus. Elle n'a été conservée que dans le cas de recours des tiers,
c'est-à-dire pour l'assurance de la responsabilité. Les assureurs laissent généralement un dixième
à la charge de l'assuré, afin de l'inciter à être vigilant. Mais ce n'est pas une règle impérative. Il est
permis aux parties d'assurer ce dixième, que les assureurs ne prennent pas à leur charge. On le fait
quelquefois garantir par les P & I Clubs.

Valeur agréée 

Dans l'assurance sur corps on évalue le navire. La police contient la fixation de la valeur,
dénommée valeur agréée. À l'inverse de la valeur de marché, qui est tributaire de la conjoncture
économique internationale, la valeur agréée est convenue de gré à gré entre l'assuré et l'assureur.
Elle fait l'objet d'un débat contradictoire à la souscription. Une fois fixée, elle reste valable pour
la durée du contrat, les parties s'interdisant toute autre estimation (art. L. 173-6).
L'agrément de valeur est une convention entre l'assuré et l'assureur qui, d'un commun accord,
fixent la valeur d'un navire. Cette convention comporte une limite, en ce sens qu’elle ne peut pas
porter atteinte au principe indemnitaire. Les parties ne sont pas libres de fixer une valeur du
navire qui serait supérieure à sa valeur réelle. L'agrément signifie donc simplement que l'assureur
renonce à discuter la valeur du navire au moment du sinistre, ce qui est une heureuse
simplification. La valeur du navire étant prise au moment du départ, théoriquement les assureurs
pourraient faire la preuve que la valeur agréée dépasse la valeur réelle. Ils y ont donc été tentés et
les tribunaux avaient accueilli leurs demandes, de sorte que la clause de valeur agréée avait pour
seul effet de mettre à la charge des assureurs, la preuve de l'importance du dommage. Cette
solution est insuffisante. Il y a, en effet, des variations de prix contre lesquelles on ne peut rien.
L'assurance sur corps est conclue pour une année de navigation 1483. Le prix des navires en un an a
parfois doublé ou inversement diminué de moitié. Les assureurs ne tiennent pas à discuter à
propos de chaque sinistre quelle était la valeur commerciale précise au moment du sinistre. Les
assureurs du reste craignent peu l'exagération de valeur. Ils luttent au contraire contre
l'appréciation trop basse faite par les assurés de la valeur des navires, car la perte totale est rare et
le montant de la prime est appliqué à la valeur du navire. Le danger pour les assureurs, c'est que
si l'avarie est importante, ils sont obligés parfois d'accepter le délaissement. En outre, si le navire
est trop faiblement assuré, il ne contribuera pas suffisamment aux avaries communes si l'on prend
les valeurs assurées comme bases du calcul de la masse passive.
Ces solutions déjà perçues par la Cour de cassation 1484 et proposées par la police type, ont été
reprises par les textes (art. L. 172-7 : « en l’absence de fraude, le contrat est valable à

1483
 Sauf contrat dit « de durée » et conclu aujourd'hui pour deux années au maximum.
1484
Req. 3 juill. 1923, Dor supp. 1, 98.
430
concurrence de la valeur réelle des choses assurées et, si elle a été agréée, pour toute la somme
assurée »). La disposition n’est pas impérative.1485.

Justification des valeurs réelles dans la police sur facultés 

Pour les marchandises, le système est différent. L'assureur accepte, généralement les yeux
fermés, la déclaration qui lui est faite par l'assuré et perçoit la prime sur cette déclaration. Mais la
police sur facultés contient une clause d'une importance capitale, d'après laquelle : « la valeur
assurée… doit être justifiée en cas de sinistre » (art. 12).
Ainsi, l'assuré n'a aucun intérêt à déclarer une somme supérieure à la valeur réelle. Il paierait la
prime sur la somme déclarée et ne serait jamais payé que sur la valeur réelle. Cette clause de la
police a découragé ceux qui essaient de spéculer en déclarant une valeur supérieure à la valeur
réelle des marchandises1486.
L'article L. 172-7 n'y est pas contraire. Il n'en faut pas conclure que l'assureur ne peut dicter la
valeur agréée qu'une fois démontrée la mauvaise foi de l'assuré. Mais il faut que la police lui
réserve clairement une faculté de discussion.
Si la valeur déclarée est insuffisante, si par exemple un navire vaut cinq millions de dollars et a
été assuré pour trois, l'assurance est insuffisante. En ce cas, joue la règle proportionnelle qui
opère aussi bien dans l'assurance sur corps que dans l'assurance sur facultés ; l'assurance
insuffisante n'est qu'une assurance partielle. L'assuré est censé rester son propre assureur pour
partie (v. art. L. 172-10 : « lorsque la somme assurée est inférieure à la valeur réelle des objets
assurés, sauf le cas de valeur agréée, l’assuré demeure son propre assureur pour la différence. »)
Là encore, la disposition n’est pas impérative.
Si la valeur non agréée a été exagérée par erreur et dépasse la valeur réelle, il y a réduction à la
valeur réelle.
Si c'est par fraude (de l’assuré ou de son mandataire) que l’assurance a été contractée pour une
somme supérieure à la valeur réelle de la chose assurée, l'assureur peut faire valoir la nullité du
contrat (art. L. 172-6) et la prime lui reste acquise - la disposition est ici impérative -. Il en est de
même si la valeur assurée est une valeur agréée. La règle vaut donc qu'il y ait eu ou non valeur
agréée. On l'admettra aussi sans distinguer s'il y a eu sinistre ou si la valeur assurée est arrivée à
bon port sans dommage. Ainsi l'assuré n'a rien à gagner à un pareil contrat : il doit toujours la
prime et il n'est pas payé en cas de sinistre.
C. Cumul d'assurances

Définition de l'assurance cumulative 

Le sinistre ne peut pas être réparé par plusieurs indemnités d'assurance. L'assuré n'est pas libre
de conclure pour le même risque plusieurs assurances auprès d'assureurs différents. Il ne peut le
faire que si l'addition de ces contrats ne dépasse pas la valeur des objets assurés. La pratique en
est constante dans l'assurance sur corps. On parle alors d'assurances successives.

1485
 En réalité, le montant de la valeur agréée est l'un des cinq moyens par lesquels l'armateur peut fixer la politique
d'assurance de sa flotte avec le montant des franchises, la durée du contrat, les risques couverts et la statistique des
navires (c'est-à-dire les accidents et autres sinistres des cinq années précédentes).
1486
 Pour l'incidence sur l'assurance facultés des prix minima obligatoires fixés par certaines législations, v. T. com.
Paris 26 sept. 1984 (DMF 1986. 475) qui retient pour chaque produit assuré le « trigger price » (prix de seuil)
déterminé par les autorités fédérales américaines.
431
L'assuré est libre d'assurer deux fois la même chose, mais à la condition qu'il ne l'assure pas
contre les mêmes risques. Il est, par exemple, fréquent qu'il assure son navire contre les risques
maritimes auprès d'un assureur, contre les risques de guerre auprès d'un autre. Il ne peut pas, dans
ce cas, faire de bénéfices, car l'éventualité qui se produira fera jouer seulement l'un ou l'autre des
contrats. On dit alors qu'il y a assurances alternatives. Ce qui lui est interdit, c'est de garantir
auprès de deux assureurs, pour leur pleine valeur, des choses qui seraient assurées contre les
mêmes risques. Il y a, dans ce cas, cumul d'assurance, ou assurance cumulative.
En droit terrestre, l’assuré peut demander à l’assureur de son choix de payer intégralement
l’indemnité dont il est redevable (art. L. 121-4). En droit maritime, les solutions ont évolué. Un
temps, seul le premier assureur dans l’ordre des dates était tenu (c. com. art. 359). Puis, on a
admis que chacun des assureurs était tenu d’une indemnité proportionnelle à son engagement. La
règle, longtemps supplétive est aujourd’hui impérative (art. L. 172-9, al. 2 : « chacune (des
assurances cumulatives) produit ses effets en proportion de la somme à laquelle elle s’applique,
jusqu’à concurrence de l’entière valeur de la chose assurée »).

Règlement de l'assurance cumulative 

Pour régler le cas de l'assurance cumulative, la loi distingue suivant la bonne ou la mauvaise foi
de l'assuré. On peut se demander comment un assuré peut être de bonne foi lorsqu'il pratique
l'assurance cumulative. Cela arrive pourtant, et pour deux raisons.
En premier lieu, l'assuré peut ne pas savoir exactement quelle est la couverture qui résulte du
contrat d'assurance conclu. Il en passe alors un autre, ignorant que le second fait double emploi
avec le premier. Par exemple, il assure son navire, puis le fret brut ; il y a partiellement une
assurance cumulative, car dans l'assurance du navire, il a assuré les frais d'armement et il les a
assurés également dans l'assurance du fret brut.
Il y a une seconde cause d'erreur : l'un de ces contrats peut être passé par l'assuré lui-même et
l'autre par un commissionnaire ou un mandataire de l'assuré. Par exemple, un expéditeur d'une
caisse de marchandises la fait assurer, puis la remet à un commissionnaire de transport, et le
commissionnaire de transport la fait lui-même assurer.

Selon les textes (art. L. 172-9), les assurances cumulatives contractées sans fraude pour une
somme totale excédant la valeur de la chose assurée sont valables, mais elles ne le sont que dans
la mesure où l’assuré les a portées à la connaissance de l’assureur à qui il demande le règlement.
Chaque contrat produit alors son effet à concurrence de l'entière valeur de la chose assurée et en
proportion de la somme pour laquelle il s'applique. Si, par exemple, une valeur assurée valant 100
a été, sans fraude, assurée auprès d'une compagnie A pour 80, puis auprès d'une compagnie B
pour 70, le règlement demandé à la compagnie A, à qui l'assurance auprès de B est signalée
donnera lieu au paiement de 100 x 80 /80+70 = 53, de la part de A, et au paiement de 100 x
70/80+70 = 47 de la part de B. Cette règle proportionnelle n’a pas été modifiée, mais elle est
désormais, comme on l’a vu, impérative (depuis l’ordonnance de 2011). Il n’est pas certain que
cette dernière solution soit très heureuse, car elle peut conduire à un risque de découvert en cas de
défaillance de l’un des assureurs1487.

S'il y a mauvaise foi de l'assuré qui essaie de se faire couvrir deux fois, tous les contrats sont
frappés de nullité. C'est la conséquence de la fraude (art. L. 172-8 : « les assurances cumulatives

1487
P.Y. Nicolas, art. préc. DMF 2011. 787.
432
pour une somme totale supérieure la valeur de la chose assurée sont nulles si elles ont été
contractées dans une intention de fraude »).

SECTION 2. RISQUES MARITIMES

Exposition à des risques maritimes 

Les valeurs assurées doivent être exposées à des risques maritimes pour que l’assurance ait un
caractère maritime1488. Ainsi, l'assurance sur corps d'un ponton amarré n'est pas une assurance
maritime. L'assurance de marchandises qui ne quitteront pas la terre ne l'est pas davantage. Le
régime qui spécifie celle-ci est lié à la nature des risques qui menacent les valeurs assurées.
C'est à ce principe que se rattache l'article L. 173-17-1 suivant lequel l'assurance facultés ne
produit aucun effet si les risques n'ont pas commencé dans les deux mois de l'engagement des
parties ou de la date qui a été fixée pour la prise en charge 1489. Ainsi l'incendie en mer est-il
couvert par la police, mais si cet incendie se produit alors que les marchandises sont à quai
encore plus de deux mois après la conclusion du contrat ou alors que le navire est immobilisé au
port depuis plus de deux mois, le sinistre ne sera pas couvert par la police d'assurance maritime.
Depuis l’ordonnance de 2011, le droit des assurances maritimes s’applique à tout contrat
d’assurance qui a pour objet de garantir « les risques maritimes », ainsi qu’à tout contrat
d’assurance qui a pour objet de garantir les risques relatifs au transport de marchandises par voie
maritime, aérienne ou terrestre (art. L. 171-1, 1° et 4°). Il n’est plus nécessaire que le contrat
garantisse des risques « relatifs à une opération maritime » (art. L. 171-1, anc.). Les risques
assurés doivent ainsi se rattacher par leur cause aux périls de la navigation en mer. Cette causalité
s'exprime de deux façons : quant à la nature des risques ; quant au temps et au lieu couverts.

§ 1. Causes des risques

Les fortunes de mer 

L'article 350 du Code de commerce décidait : « Sont aux risques des assureurs, toutes pertes et
dommages, qui arrivent aux objets assurés par tempête, naufrage, échouement, abordage fortuit,
changements forcés de route, de voyage ou de vaisseau, par jet, feu, prise, pillage, arrêt par ordre
de puissance, déclaration de guerre, représailles... » Après avoir donné cette énumération, le texte
se terminait ainsi : « … et généralement par toutes les autres fortunes de mer ». L'expression
finale détruisait la portée de l'énumération, qui n'était pas limitative. En revanche le texte posait
la question de savoir ce qu'est une fortune de mer. Le texte actuel dit plus sobrement : « l'assureur
répond des dommages matériels causés aux objets assurés par toute fortune de mer ou par un
événement de force majeure » (art. L 172-11). La même question se pose donc.
Un changement important s'est produit depuis le Code de commerce. Le code imposait à
l'assureur de garantir en principe les diverses fortunes de mer, mais excluait de la garantie tous les
sinistres dus à la faute de l'assuré. L'idée qui commandait alors la matière était que l'assurance est
1488
Rien ne s’oppose cependant à ce que les parties étendent la garantie à certains risques commerciaux, Com. 13
mars 2007, RGDA 2007. 672, obs. Turgné.
1489
Etant précisé que pour les polices fonctionnant par déclaration d’aliment, cette disposition n’est applicable que
pour le premier aliment.
433
faite pour les sinistres qui ne sont aucunement imputables à l'assuré, c’est-à-dire que l’assurance
ne jouait que pour les cas fortuits. Le code allait même jusqu'à exclure de la garantie des
dommages dus à des fautes des préposés de l'assuré. Sans doute concevait-il que la convention
des parties pût étendre la garantie aux fautes des préposés, mais il ne tolérait pas qu'elle s'étendît
aux fautes de l'assuré. Cette assurance des fautes de l'assuré paraissait attentatoire aussi bien à la
morale qu'à l'idée même de l'assurance. L’essence de l’assurance était de garantir l’assuré contre
les hasards de la mer, contre les fortunes de mer, mais pas au-delà.
Le mot fortune renvoie au cas fortuit ; l'origine du mot est la même et le sens est le même 1490. Le
Code de commerce a voulu distinguer les cas qui se produisent fortuitement de ceux qui sont la
conséquence de la faute de l'assuré. Selon le code, le contrat d'assurance est un contrat aléatoire ;
les parties ne doivent donc en rien contribuer à la réalisation du risque. Par conséquent, si l'assuré
a commis une faute, qui est la cause de la perte ou de l'avarie, le contrat d'assurance ne joue pas,
car l'assuré par son fait a facilité le risque. Pour que le contrat conserve son caractère aléatoire, il
faut qu'il y ait fortune de mer, c'est-à-dire cas fortuit.
Alors que l'assurance des fautes de l'assuré eût été en 1807 un véritable contresens, elle est
aujourd'hui courante. Ce n'est pas seulement par comparaison avec le droit de l'assurance terrestre
qui admet l'assurance des fautes, pourvu qu'elles ne soient pas intentionnelles, mais aussi parce
que l’ingénierie maritime (appareils et entreprise) est devenue très complexe et que, suivant le
sens commun, il n'est presque plus concevable qu'un sinistre ne puisse être, au moins pour partie,
adossé à quelque faute de l'assuré et de ses préposés. Sous peine, dès lors, de réduire
pratiquement à néant la garantie de l'assureur, il fallait admettre en principe que celui-ci garantît
les sinistres dus à la faute de l'assuré ou à celle de ses préposés. C'est à quoi répondent désormais
les articles L. 172-11 à 172-14.

Risques de mer et risques de guerre 

La solution actuelle est à l’inverse de celle du Code de commerce. L'énumération (énonciative


du reste) de l'article 350 comprenait d'abord des risques proprement maritimes (tempête,
échouement, naufrage, abordage fortuit), continuait par des risques qui peuvent également se
produire à terre, mais présentent, sans paradoxe, plus de gravité en mer (l'incendie) et s'achevait
sur une liste de risques de guerre. Pourquoi le Code de commerce avait-il prévu ces derniers
risques ? La règle datait de l'Ordonnance de 1681, rendue à une époque où la guerre maritime
sévissait sans relâche avec les Hollandais ou les Anglais, soit sous forme de guerre ouverte, soit
parce que les Gouvernements délivraient des lettres « de course » ou « de marque » à leurs
marins les plus hardis. Au reste, les pirates barbaresques faisaient, en Méditerranée, de ce genre
de risques un danger aussi fréquent que celui des risques maritimes proprement dits. Lorsque le
Code de commerce fut rédigé, la guerre avec les Anglais n'avait guère changé les circonstances.
La règle qui incluait les risques de guerre dans la garantie de l'assureur n'était cependant pas
d'ordre public. En fait, au cours du XIXe et du XXe siècle, la pratique des polices avait fini par
exclure tous les risques de guerre. Elle était favorisée par l'institution, de la part de l'État, d'un
système d'assurance obligatoire contre ces risques ; à chaque conflit ouvert, une loi intervenait
pour créer un organisme public ou parapublic qui se chargeait de ces risques.
La loi de 1967 a posé en règle que l'assureur ne garantirait pas les risques de guerre. Cette règle,
inverse de celle du code, est, comme elle, supplétive de la volonté des parties, puisque (cf. art. L.

Cf. Fortune de mer est, pour le Littré, le 6 e sens du mot Fortune et renvoie aux accidents qui surviennent aux
1490

navigateurs, tempêtes, naufrages, pirates…


434
172-16), sauf convention contraire, l’assureur ne couvre pas les dommages et pertes subis par les
biens assurés et résultant :
- de guerre civile ou étrangère, de mines et tous engins de guerre ;
- de piraterie ;
- de capture, prise ou détention par tous gouvernements ou autorités quelconques ;
- d'émeutes, de mouvements populaires, de grèves ou lock-out, d'actes de sabotage ou de
terrorisme ;
- de sinistres dus aux effets directs ou indirects d’explosion, de dégagement de chaleur,
d’irradiation provenant de transmutation de noyaux d’atomes ou de la radioactivité, ainsi que les
sinistres dus aux effets de radiation provoqués par l’accélération artificielle des particules 1491.
En outre, sous réserve des dispositions de l’art. L. 173-18, l’assureur ne couvre pas, sauf
convention contraire, les dommages causés par l’objet assuré à d’autres biens ou personnes.
Lorsque les risques de guerre sont couverts, il n’est pas toujours simple de déterminer l’étendue
de la garantie, car les dommages sont souvent collatéraux1492.

Exclusion des risques de guerre 

L’exclusion – de principe - des risques de guerre fait naître plusieurs questions juridiques.
La première est relative à la définition de la guerre et elle se présente à plusieurs points de vue :
1. Tout d'abord pour la durée de la guerre : il y a des risques qui se produisent avant que la
guerre ne soit déclarée ; en outre, une guerre qui est terminée continue à créer des dangers pour la
navigation maritime, principalement à cause des mines flottantes. À la fin de la guerre de 1914-
1918, une assurance spéciale contre le risque de mines était pratiquée. La loi a prévu cette
situation (art. 172-16.1° : « sauf convention contraire, l’assureur ne couvre pas les dommages et
pertes subis par les biens assurés et résultant de guerre civile ou étrangère, de mines et de tous
engins de guerre »).
2. S'il se produit des actes contraires aux lois de la guerre, on s'est demandé si le risque de guerre
ou piraterie était caractérisé. Les tribunaux ont admis que la violation des lois de la guerre n'était
pas une raison pour que ces actes ne soient pas qualifiés d’actes de guerre.
3. La troisième difficulté consisterait à distinguer la guerre de l'insurrection ou guerre civile. La
loi exclut aussi bien la guerre civile que la guerre étrangère.
À l’exclusion de la piraterie, les mots employés par la loi impliquent un mouvement général
d'hostilités. Un acte isolé, même s'il témoigne de mœurs fâcheuses assez courantes dans un État,
ne saurait être considéré comme un acte de guerre civile. Les polices doivent le couvrir.
La nouvelle police corps exclut toute piraterie, qu'elle soit lucrative ou de caractère politique, ou
se rattachant à la guerre, de la police corps et sa prise en garantie dans le cadre des conditions
risques de guerre. Pour mémoire, le marché français de l'assurance maritime établit
traditionnellement une distinction entre la piraterie dite « lucrative », qui est garantie dans le
cadre de polices risques ordinaires, et la piraterie ayant un caractère politique ou se rattachant à la
guerre, qui est couverture dans le cadre des risques de guerre et assimilés. Ce basculement a une
logique dans le cadre d'une garantie corps : il présente, tant pour l'assureur que pour l'assuré,
davantage de souplesse et permet une parfaite identification de ce risque particulier. Par ailleurs,
les situations de « blocking and trapping » (le navire est bloqué dans un port ou capturé), qui

1491
Ces exclusions sont reprises avec quelques variantes par la police type, v. imprimé 2009, art. 7.
1492
V. not. Aix-en-Provence 27 mai 2003, DMF 2004 HS 8, n° 111.
435
entraînent une dépossession du navire assuré, sont prises en compte : après un an, ce navire
pourra être considéré comme totalement perdu.

Détermination de la cause du sinistre 

La seconde difficulté est relative à la détermination de la cause du risque. Il arrive assez souvent
qu'une perte ou avarie soit due à un concours de causes et que parmi ces causes les unes
constituent des risques maritimes et les autres des risques de guerre.
La question est célèbre depuis l'affaire de l'Iris1493. Elle émut les juristes parce qu'elle manifestait
un déni de justice que rendait possible alors l'absence de communication entre la justice
administrative et la justice civile. Le navire l'Iris avait été frété pour des transports militaires en
Crimée. Son armateur avait pris toutes les précautions : il avait assuré son navire contre les
risques de mer. En outre, un système d'assurances d'État le couvrait contre les risques de guerre.
Naviguant en Mer Noire, le navire fut drossé par la tempête jusque sous les canons du fort de
Sébastopol qui le coulèrent. L'armateur demanda indemnisation à son assureur. Il fut débouté,
motif pris de ce que, coulé par les canons du fort, le navire avait sombré par suite d'un événement
de guerre. S'étant alors adressé à la juridiction administrative, il fut débouté par le Conseil d'État,
motif pris de ce que les canons n'avaient pu l'atteindre que parce que l'Iris avait été chassé par la
tempête.
Un pareil conflit de décisions serait aujourd'hui tranché par le Conseil d'État statuant au fond.
Mais peu importe ici la solution du problème au point de vue de l'organisation judiciaire générale.
Ce qu'il faut retenir, c'est la difficulté des problèmes de causalité soulevés par la distinction des
risques de guerre et des risques de mer. Des difficultés de fait semblables se sont plusieurs fois
présentées au cours de la guerre de 1914 et à nouveau pendant celle de 1939. Plusieurs théories
ont été soutenues :
1. La plus ancienne, adoptée autrefois en Angleterre, mais qui a été abandonnée dans ce pays,
était la théorie de la causa proxima. On prenait en considération l'événement qui,
chronologiquement, était le plus près de la perte.
2. D'après une deuxième théorie qui a été celle de la jurisprudence française, il faut rechercher
quelle est la cause principale du risque ; les tribunaux disent : cause déterminante, prépondérante,
nécessaire, adéquate… Ils ont adopté tous les adjectifs possibles. La formule est facile, mais la
solution n'est nullement satisfaisante. Il est impossible de doser l'efficience des causes, car si l’on
supprime l’une des causes, l'événement ne se produit pas.
3. D'après une troisième théorie, qui a été adoptée finalement par les tribunaux anglais, il faut
s'attacher aux faits de guerre. Le navire est-il engagé dans des opérations de guerre, le risque est
un risque de guerre ; si, au contraire, il n'est pas engagé dans ces opérations, le risque est un
risque maritime. Par exemple, si un navire de commerce est camouflé pour la défense militaire, il
est engagé dans une opération de guerre.
Il semble, suivant la jurisprudence française, qu'il ne soit nécessaire ni que le sinistre se soit
produit au cours d'une action de guerre, ni que le fait de guerre soit la cause unique ou directe du
sinistre. En revanche, ce fait doit avoir exercé une influence constitutive d'un rapport de causalité
sur la création ou l'aggravation du sinistre1494.
La question du concours des causes s'est souvent présentée au cas d'abordage survenu dans la
navigation sans feux et dans la navigation en convoi, prescrites par l'autorité militaire. Elle s’est

1493
CE 13 juill. 1857 et Civ. 11 août 1858, D. 1858. 1, 366.
1494
 V. les références en matière terrestre dans la note A. Besson, JCP 1966.II, 14613.
436
aussi posée pour l'échouement dû à l'extinction des phares et des feux ordonnée par mesure de
défense. La jurisprudence française défend l’idée que l'aggravation des difficultés de la
navigation due à l'état de guerre ne supprime pas le caractère maritime du risque.
Aujourd’hui, lorsqu’il n’est pas possible d’établir si le sinistre a pour origine un risque de guerre,
il est réputé résulter d’un événement de mer (art. L. 172-17). La règle est impérative.

Perte sans nouvelles 

Dans la situation que l’on vient d’examiner, la cause du sinistre était connue, mais on ne savait
pas s'il fallait ou non la rattacher à la guerre. La situation est différente lorsque le navire a disparu
corps et biens sans que l'on connaisse les circonstances du naufrage. Le délaissement est possible
pour défaut de nouvelles. Si le navire était assuré contre les risques de mer auprès d'une
compagnie et contre les risques de guerre auprès d'un autre assureur, on peut se demander à qui il
va demander sa garantie en faisant délaissement.
Il est impossible d'admettre le partage, comme l'ont fait certaines décisions rendues peut-être un
peu rapidement. On n'a pas admis non plus le choix laissé à l'assuré : il avait été ingénieusement
soutenu que dans les deux polices les conditions du délaissement étant remplies, l'assuré pouvait
à son choix délaisser à chacun des assureurs. La solution retenue par la jurisprudence française
consiste à présumer l’existence du risque maritime. Cette solution était conforme à l'article 350
C. com., mais dans la pratique, assez singulière. En temps de guerre, lorsqu’un navire disparaît
dans certains parages, par temps calme, il est certain en fait qu'il a été détruit par une torpille, une
mine ou la bombe d'un avion. La solution juridique était en contradiction avec la vraisemblance
des faits. Aussi les tribunaux ont-ils admis très facilement la preuve des risques de guerre par des
présomptions tirées des faits : l'état de la mer et du ciel, des débris flottants du navire, les listes de
navires torpillés publiées par l'ennemi, etc.
Cette solution n'est pas controuvée par la loi actuelle. Celle-ci pose en règle que s'il n'est pas
possible d'établir si la cause du sinistre est un risque de guerre ou un risque de mer, il est réputé
résulter d'un événement de mer (art. L. 172-17). Il s'agit d'une présomption de droit, mais simple,
i. e qui peut être écartée par la preuve contraire (cf. C. civ., art. 1353).

Caractère maritime des risques

Sous le bénéfice des explications qui précèdent, les valeurs assurées doivent être soumises à une
« fortune de mer ». Les dommages qui ne s'y rattachent pas ne seront pas couverts1495. L'assurance
maritime étant soumise à une réglementation différente de celle qui régit l'assurance terrestre, il
est important de reconnaître le caractère maritime du contrat.
S'il s'agit de l'assurance corps, l'assurance est maritime dès l’instant qu’elle a pour objet un
bâtiment affecté à la navigation maritime1496. Si le bâtiment de mer fait accessoirement une
navigation fluviale, il est couvert pendant la navigation fluviale.

1495
V. par ex. Bordeaux, 2 déc. 1958, DMF 1959. 733, pour la rupture d’un arbre-manivelle due à des efforts
anormaux de torsion sans relation avec l’état de la mer.
1496
 Toutefois, dans la pratique, comme le remarque A. Vialard (La qualification juridique des engins de servitude
portuaire, p. 340 s. (et spéc. p. 345, n° 11), in Aspect du droit privé en fin du XXe siècle, Études réunies en l'honneur
de Michel de Juglart, 1986), « les assureurs maritimes acceptent, si cela leur est demandé, de considérer (les engins
portuaires) comme des navires », sans s'interroger sur la qualification de ces engins.
437
S'il s'agit de l'assurance facultés, les marchandises chargées sur un bâtiment de mer sont
couvertes par le contrat d'assurance maritime, que l'avarie se produise au cours de la navigation
maritime ou au cours d'une navigation fluviale ou aérienne accessoire à celle-là.
Le risque est donc le risque de la navigation. On l'appelle quelquefois risque ou fortune de mer.
Mais il ne faut pas prendre cette expression dans son sens étroit ; ce n'est pas le risque causé par
l'état de la mer, ni même le risque causé par la navigation. L'expression s'applique à tout risque
qui peut se produire au cours de la navigation maritime, quelle que soit la cause du risque. On a
vu, à l'époque récente, l'assurance maritime gagner du terrain et s'appliquer à tous les risques que
la marchandise peut courir, lorsqu'elle est destinée à un transport maritime. C'est ainsi qu'à l'heure
actuelle l'assurance sur facultés couvre la marchandise à sa sortie du magasin ou de l'usine,
pendant qu'elle voyage par voie ferrée et pendant qu'elle est sur les quais du port. Sont prévus
dans la police d'assurance maritime des événements tels que le déraillement des trains ! Il y a là
une extension très remarquable de l'assurance maritime aux risques terrestres. Mais il faut que ce
risque terrestre soit l'accessoire d'un transport maritime. Si, par exemple, une personne fait
assurer sa marchandise pour un voyage de Paris à New York, l'assurance maritime couvrira cette
marchandise de Paris au Havre. Mais si elle prend une assurance incendie pour le séjour de cette
marchandise dans les docks du Havre, cette assurance sera purement terrestre, parce qu'elle ne se
rattachera pas juridiquement à un voyage maritime. Pour que l'assurance ait le caractère maritime,
il faut que le risque terrestre se rapporte nécessairement à la navigation ou aux opérations de
transports qui en sont l'accessoire. Le transport est considéré dans son indivisibilité depuis le
départ de la marchandise jusqu'à son arrivée1497.
Ainsi la potentialité de la survenance d’un risque de mer suffirait-elle à imprimer à l’assurance
maritime un caractère maritime. Cette analyse n’est cependant plus parfaitement compatible avec
les exigences du droit positif, du moins d’agissant de l’assurance facultés, l’ordonnance de 2011
ayant soumis à ses dispositions « tout contrat d’assurance qui a pour objet de garantir les risques
relatifs au transport de marchandises par voie maritime, aérienne ou terrestre ». Il suffit
aujourd’hui que le risque soit relatif à un transport de marchandises pour que l’assurance soit
régie par le droit des assurances maritimes, ce droit étant devenu le droit commun de l’assurance
transport.
Au-delà de l’assurance marchandises, on rappellera que jusqu’à l’ordonnance de 2011,
l’assurance maritime garantissait les risques relatifs à une « opération maritime » : aussi était-ce
moins la nature intrinsèque du risque que celle de l’opération dans laquelle il s’inscrivait qui
comptait. Désormais, les textes ne parlent plus de l’opération maritime : la notion est supprimée,
le contrat d’assurance maritime ayant pour objet de garantir des risques maritimes.
Ce changement pose un certain nombre de questions. Le risque d’avarie corps dans une cale
sèche n’est pas un risque de transport, mais un risque maritime. De même en est-il de l’incendie
dans un hangar ou du vol sur un terminal. Il faudra alors rechercher si le risque en cause est
l’accessoire d’un risque maritime.1498 Compte tenu de ces difficultés, la solution la plus
raisonnable serait de continuer à comprendre le risque maritime comme étant le risque relatif à
une opération maritime.

1497
 Sur cette notion : Com. 30 nov. 1970, DMF 1971. 213, obs. P. Lureau. C'est l'objet de l'assurance dite « de bout
en bout ».
1498
V. P.-Y. Nicolas, art. préc. DMF 2011. 786.
438
§ 2. Temps et lieu des risques

Durée de l'assurance 

L'assureur ne répond des risques maritimes que s'ils se produisent dans le temps et dans le lieu
prévus par la police1499. Il y a donc une question de durée et une question de lieu.
Pour la durée, tout dépend du contenu de la police.
Lorsque l'assurance est à temps, conclue par exemple pour une année de navigation, il s'agit de
savoir si le contrat est encore en cours au moment où le risque s'est produit.
Lorsque l'assurance est au voyage, il s'agit de déterminer ce qu'il faut entendre par voyage. Le
voyage peut durer plus longtemps qu'on ne le prévoit ; il peut être précédé ou suivi d'un séjour de
la marchandise sur les quais.
La loi nouvelle donne quelques précisions conformes à la pratique des polices et au demeurant
supplétives de la volonté des parties.

L'assurance-corps au voyage couvre le navire depuis le début du chargement jusqu'à la fin du


déchargement, au plus tard cependant 15 jours après l'arrivée du navire à destination ; si le navire
est sur lest, l'assurance court du démarrage au départ jusqu'à l'amarrage à l'arrivée (art. L. 173-2).

L'assurance des facultés au voyage garantit les marchandises sans interruption en quelque endroit
qu'elles se trouvent dans les limites du voyage défini par la police (art. L. 173-18). Ainsi, la
garantie joue-t-elle aussi bien pendant les trajets accessoires, terrestres ou aériens, que pendant
les séjours à quai, dans les docks ou sous hangar avant l'embarquement ou après le
débarquement1500.

Lieu du risque

Il est important pour l'assureur de savoir en quel lieu les risques se produiront, car les
navigations ne présentent pas toutes les mêmes dangers.
Si l'assurance est conclue à temps, on se borne à indiquer quels sont les lieux géographiques dans
lesquels l'assurance jouera : par exemple, on indique dans quelles mers le navire naviguera pour
être couvert par l'assurance ; ou bien, sans indiquer ces mers, on exclut certaines navigations, qui
offrent trop de dangers ou pour lesquelles l'assureur exige des surprimes. Les polices
d'abonnement sur facultés fixent également les limites géographiques des opérations qu'elles
couvrent.
Si l'assurance est conclue au voyage, il faut déterminer exactement quel est le voyage entrepris
par le navire.
Ajoutons que la construction d’un navire s’exécute principalement, sinon exclusivement à terre,
sous réserve des essais. L’assurance du chantier n’est donc pas une assurance maritime1501.
1499
Cf. Versailles 23 mai 2006, DMF 2007 HS 11, n° 111 : « le voyage assuré a été défini par la volonté commune
des parties comme indissociable de la phase exclusivement maritime… ».
1500
 Certaines polices contiennent des dispositions garantissant les expéditions maritimes à condition qu'il ne s'agisse
pas de « facultés réexpédiées ». En présence d'une clause de ce type, un arrêt a estimé qu'on ne peut qualifier de
« réexpédition » un transport par voie maritime de Marseille à Nouméa, nonobstant le fait que cette marchandise
avait fait l'objet d'un premier transport routier d'Italie (lieu de production) jusqu'à Marseille (port d'embarquement),
v. Com. 12 janv. 1988, BT 1988. 193.
1501
Rappr. P. Bonassies, obs. DMF 1998 HS 2, n° 148.
439
Changements survenus dans l'opération couverte

Une expédition maritime est exposée à de nombreux aléas. D’où de nombreux changements
potentiels.
- Si l'armateur change le voyage convenu, il faut faire une distinction : l'assureur n'est pas tenu de
réparer en cas de changement volontaire de voyage, parce que l'assuré modifie les conditions du
risque : si, au contraire, il y a changement forcé de route, de voyage ou de navire, l'assureur
continue d'être tenu (art. L. 172-15).

- S'il s'agit de marchandises, il faut que l'assureur sache sur quel navire la marchandise sera
chargée. Pendant longtemps, la police sur facultés a exigé impérieusement l'indication du navire
porteur, car tous les navires n'avaient pas les mêmes conditions de navigabilité. Aujourd'hui, les
polices sur facultés sont généralement des polices flottantes, dans lesquelles les noms des navires
ne sont pas indiqués ; les navires sont considérés comme équivalents et l'assureur garantit la
marchandise quel que soit le navire sur lequel elle est chargée. Cependant, les déclarations
d'aliments indiquent le navire sur lequel sont chargées les marchandises à couvrir. Si l'indication
du navire est inexacte, on peut se demander si l’on est en présence d’une fausse déclaration. Il est
aujourd’hui permis d’en douter.

- Le voyage est déterminé par le port de départ et le port d'arrivée ; la route est déterminée par les
pratiques habituelles de la navigation. On rencontre quelquefois des changements de route par
suite des escales qu'il est intéressant pour le navire de faire.
La jurisprudence était très sévère. Le sinistre qui se produit sur la route habituelle n'était pas
couvert par l'assureur s'il y avait eu précédemment changement de route, quoiqu'au moment du
sinistre le navire se trouvât bien sur sa route. S'il avait suivi son chemin en ligne droite, comme il
aurait dû le faire, il ne se serait pas trouvé en ce lieu au même moment. Progressivement, cette
question ne s'est plus posée parce que les polices acceptent les clauses des connaissements qui
laissent au capitaine toute liberté d'escales. L'article L. 172-15 précise que l'assureur couvre les
risques assurés en cas de changement de route ou de navire décidé par le capitaine en dehors de
l'armateur et de l'assuré ; or, pratiquement tous les connaissements accordent cette faculté au
capitaine. Il reste que le capitaine, aujourd’hui, ne décide plus seul. Il prend le temps et la peine
de consulter son armateur.

440
CHAPITRE 2
LA CONCLUSION DU CONTRAT

Droit commun et règles particulières 

Le contrat d'assurance maritime est soumis en principe aux règles générales de formation et de
validité des contrats (C. civ. art. 1108). Mais certaines de ces règles sont modifiées ou écartées
pour tenir compte des traits particuliers de ce contrat et de la pratique relative à sa conclusion.
Celle-ci appelle quelques remarques de fait et de droit concernant les parties au contrat. Le
caractère aléatoire impose que les valeurs assurées soient réellement soumises à des risques. Les
circonstances de la conclusion ont conduit à renforcer les règles ordinaires de validité relatives au
consentement. La nécessité de définir exactement les engagements de chacun a conduit à exiger
la rédaction d'un écrit.

Caractères du contrat 

Le contrat d’assurance est d'abord un contrat consensuel, malgré l'exigence de l’écrit.


C'est ensuite un contrat aléatoire aux termes de l'article 1965 du Code civil, car l'avantage ou la
perte qui peut en résulter pour chacune des parties dépend d'un événement incertain 1502. L'une ou
l'autre des parties retire un avantage du contrat, suivant que le risque se réalise ou non.
C’est également un contrat commercial, car l'assurance maritime est un acte de commerce aux
termes mêmes de l'article L. 110-2 du Code de commerce. Du côté de l'assureur, la règle est
absolue pour toutes les compagnies d'assurances à primes fixes, aussi bien terrestres que
maritimes, qui sont réputées commerciales par la jurisprudence. Si l’on se place du côté de
l'assuré, la question donne lieu à la même controverse que lorsqu'il s'agit des autres contrats
maritimes prévus par l'article L. 110-2. Beaucoup d'auteurs admettent la commercialité sans
aucune distinction. D'après une autre opinion, elle n'existe que dans le cas où l'assuré contracte
pour les besoins et dans l'intérêt de son commerce : c'est la solution de la Cour de cassation1503.
On dit encore que le contrat d'assurance est un contrat d'adhésion. La police est imprimée et
l'assuré ne peut pas en discuter les termes, arrêtés d'avance par l'entente des assureurs. Mais on ne
saurait tirer de l'idée de contrat d'adhésion autre chose que la possibilité ou la nécessité d'une
intervention législative. Dans l'assurance maritime, armateurs et chargeurs sont des personnes
averties et aussi prévoyantes que les assureurs, si bien que le législateur n'a pas jugé bon
d'intervenir pour protéger l'assuré ; il lui arrive même de protéger l'assureur.
On dit aussi que l'assurance maritime est un contrat de droit strict. Cette expression n'a pas de
sens dans le droit moderne. Quand on l'emploie, on veut dire qu'il faut interpréter le contrat
d'après ses clauses expresses, ce qui conduit sans doute à une interprétation relativement plus
littérale des contrats d'assurance que des autres contrats. Il n'est pas contestable que la
jurisprudence suive cette voie1504.

1502
 Paris 2 oct. 1985, à propos d'une clause mettant à la charge de l'assureur les détériorations consécutives à l'usure
normale des conteneurs, B.T. 1986.149.
1503
 Com. 2 déc. 1965, D. 1966. 501, note Rodière (l'assurance d'un yacht de plaisance est un acte mixte).
1504
L’interprétation n’est cependant possible que si la clause est obscure et ambiguë : Civ. 2e, 10 juill. 2008, DMF
2009. 384, obs. Turgné ; égal. Civ. 1re, 23 sept. 2003, Rev. Scapel 2004, 19. Encore faut-il aussi qu’il y ait matière à
interprétation : Com. 24 mars 2004, DMF 2004. 890, obs. Tassel.
441
On dit parfois, à l'inverse, que l'on est en présence d'un contrat de bonne foi et même d’extrême
bonne foi (utmost good faith)1505. On veut signifier par là que le contrat doit être interprété d'après
la volonté probable des parties et l'on pense aussi par là rendre compte de la règle particulière aux
réticences.

Enfin, le contrat d’assurance maritime est, le plus souvent, un contrat international posant des
questions de conflits de lois et de juridictions. Le règlement Rome I sur la loi applicable aux
obligations contractuelles contient des dispositions propres au contrat d’assurance (art. 7). De
même en est-il du règlement 44/2001 sur la compétence des tribunaux (art. 8 s.).

On rendra compte dans les développements qui suivent des règles communes aux diverses
assurances, avant d’exposer les règles respectivement propres aux assurances corps et aux
assurances marchandises.

SECTION 1. RÈGLES COMMUNES AUX DIVERSES ASSURANCES MARITIMES

§ 1. Parties au contrat

L'assureur 

Le contrat est passé entre l'assureur et l'assuré. Celui-ci agit souvent pour le compte d'un autre et
il faut tenir compte de l'intervention des courtiers. L'évolution des entreprises d'assurances a été
décrite. Il faut ici parler seulement du rôle de l'État. Pendant la guerre de 1914-1918, l'État a été
appelé à créer lui-même une caisse d'assurance contre les risques de guerre (décret 13 août 1914
et L. 10 avr. 1915). Il rendit ensuite l'assurance obligatoire pour tous les navires de plus de 500
tonneaux (L. 19 avr. 1917). La situation de la caisse, devint alors bien meilleure et on a pu même
après la guerre ristourner aux armateurs une partie des primes (L. 25 févr. 1931). Dans la période
de tension qui a précédé la guerre de 1939, l'État se préoccupa de la garantie des risques de
guerre. L'assurance de ces risques fut déclarée obligatoire pour les navires de plus de 500
tonneaux auprès d'un groupement constitué par les compagnies d'assurances ; elle resta
facultative pour les marchandises (décr. 20 mai 1939). L'État prenait sa part dans ces risques.
À la déclaration de guerre, l'État assuma lui-même l'assurance des risques de guerre, l'assurance
du corps étant obligatoire et l'assurance des marchandises facultative (décrets 6 mai et
1er sept. 1939, L. 30 juill. 1941). Après l'armistice, l'impossibilité de recourir à la réassurance
anglaise obligea l'État à pratiquer la réassurance (L. 16 juill. et 18 sept. 1940, 25 mai 1944). Par
la suite, la nationalisation d'un grand nombre de compagnies d'assurances par la loi du
25 avril 1946 eut pour effet de créer des entreprises commerciales d'assurances d'État. Puis, la
plupart de ces compagnies ont été privatisées et l’on vit toujours sous ce régime. Le marché est
étroit, mais dynamique.

1505
Cf. Marine Insurance Act 1906, art. 17 : «a contract of marine insurance is a contract based upon the utmost
good faith and, if the utmost good faith be not observed by either party, the contract may be avoided by the other
party ».
442
Les assureurs sont parfois représentés par des mandataires dont la mission n’est pas toujours
facile à cerner1506. Par ailleurs, ils se regroupent souvent en GIE. Le GIE a intérêt et qualité pour
agir en son nom propre pour le recouvrement des indemnités versées auprès des tiers
responsables1507.

L'assuré 

L'assuré, dans l'assurance sur corps, est l'armateur. À un certain moment, certaines compagnies
de navigation puissantes avaient renoncé à l'assurance maritime et restaient leur propre assureur,
en créant des réserves. Elles ont renoncé à ce procédé. Pourtant, plusieurs d'entre elles ne sont
assurées qu'en cas de perte totale de leur navire et gardent à leur charge les avaries.
Dans l'assurance sur facultés, l'assuré est le chargeur1508. Mais, le chargeur n'est pas forcément le
propriétaire de la marchandise et en transfère souvent le bénéfice à son acheteur.
Dans la pratique, les contrats se concluent par l’intermédiaire de courtiers tenus, rappelons-le,
d’un devoir de conseil1509.
Il n’est pas rare, non plus, que la police soit conclu par un commissionnaire 1510. Celui-ci doit alors
prendre le soin de dire qu'il ne contracte pas pour lui-même, mais en qualité de commissionnaire.
L'obligation de payer la prime pèse sur le commissionnaire ; c'est lui qui a signé le contrat, c'est
donc lui qui est tenu. Mais au cas de sinistre, on considère que l'assureur peut compenser la prime
qui n'a pas été payée avec l'indemnité qu'il doit à l'assuré. La solution n’est pas très orthodoxe,
car la compensation ne joue, en principe, qu’en cas de créances et de dettes réciproques.

Assurance pour compte 

En cas d’assurance pris par un commissionnaire, le commissionnaire connaît le nom du


commettant, mais ne l'indique pas. Dans l'assurance pour compte, le signataire de la police
contracte pour le compte de qui il appartiendra, c'est-à-dire de celui qui aura un intérêt
assurable.
Dans l'assurance sur corps, cette clause est rare ; on sait presque toujours qui est et qui sera le
propriétaire d'un navire. Au contraire la clause est fréquente dans l'assurance des marchandises,
parce qu'on ne sait pas forcément à l'avance quel en sera le propriétaire et cela pour deux raisons.
La première est que la marchandise expédiée par mer peut être vendue ou revendue, au besoin de
nombreuses fois, en cours de route, de telle sorte que nul ne peut savoir qui en sera propriétaire le
jour où le sinistre se produira. Le souscripteur est obligé d'assurer pour le compte de qui il
appartiendra, c'est-à-dire pour le compte de celui qui, le jour du sinistre, sera propriétaire.

La seconde raison est que la police sur facultés s'applique très souvent non pas à une marchandise
déterminée, mais à une série de marchandises à expédier ; c'est la police dite police flottante (v. ss
1055). Un commissionnaire de transport a une police couvrant, par exemple, toutes les
marchandises qu'il expédiera pendant un an aux États-Unis ; il ne sait pas à qui appartiendront ces
1506
v. sur l’ « assekurader » allemand, Civ. 1re, 14 avr. 2010, DMF 2011 HS 15, n° 117.
1507
Paris 4 juin 2003, DMF 2004. 27, obs. Tassel.
1508
v. sur un problème d’identification de l’assuré, Com. 5 févr. 2008, DMF 2008. 520, obs. Dablemont et Turgné.
1509
v. par ex. T. com. Marseille 29 janv. 2010, Rev. Scapel 2010, 246, DMF 2012 HS 16, n° 134 ; Paris 7 oct. 208,
DMF 2009. 962, obs. Turgné ; v. ss 599.
1510
Etant précisé que l’art. R. 172-3 indique qu’il faut dans le contrat d’assurance mentionner le nom et le domicile
de celui qui fait assurer, sa qualité de propriétaire ou de commissionnaire.
443
marchandises ; il contracte pour lui-même, s'il est propriétaire ou s'il est responsable, et en outre
pour tous ceux qui lui confieront des marchandises pendant l'année, autant de personnes qu'il ne
peut connaître à l'avance.

La validité de cette assurance avait déjà été reconnue dans l'ancien Droit français. Depuis le Code
de commerce elle l'a toujours été. Les textes récents confirment cette solution (art. L. 171-4 :
« l’assurance peut être contractée, soit pour le compte du souscripteur de la police, soit pour le
compte d’une autre personne déterminée, soit pour le compte de qui il appartiendra. La
déclaration que l’assurance est contractée pour le compte de qui il appartiendra vaut tant comme
assurance au profit du souscripteur de la police que comme stipulation pour autrui au profit du
bénéficiaire de ladite clause »).
L'assurance pour compte a été analysée comme une gestion d'affaires, mais cette qualification est
difficile à admettre, car le gérant connaît et représente le maître de l'affaire, tandis que le
signataire de la police ne connaît pas le propriétaire futur. Aussi l'explique-t-on, en général,
comme une stipulation pour autrui C. civ., art. 1121), ce que, du reste, dit le texte lui-même. Le
souscripteur de la police stipule pour le compte d'un tiers, qui est la personne intéressée au jour
du sinistre. Ce tiers n'est pas déterminé, mais la stipulation pour autrui n'en est pas moins valable,
dans la mesure où le tiers est déterminable. Il est en effet facile de déterminer celui qui aura un
intérêt assurable : c'est celui qui sera propriétaire des marchandises au jour du sinistre. D'où, en
pratique, les conséquences suivantes :
1. Le souscripteur de la police est partie au contrat ; c'est lui qui joue le rôle de stipulant ; il doit
payer la prime à l'assureur et il est responsable des réticences ou des fausses déclarations1511.
2. Le tiers est déterminé au moment même du sinistre : c'est celui qui détient le connaissement le
jour où l'avarie ou le sinistre se produit.
3. Le tiers bénéficiaire doit accepter la stipulation pour autrui pour la rendre irrévocable, mais il
établit son acceptation par cela seul qu'il produit le connaissement et réclame l'indemnité.
4. Le tiers bénéficiaire a un droit propre. Il peut donc agir directement contre l'assureur.
Toutefois, comme, dans la stipulation pour autrui, le droit propre du tiers bénéficiaire dépend de
la validité du contrat qui est passé entre le promettant et le stipulant, le tiers ne pourra réclamer
l'indemnité d'assurance que si le contrat d'assurance passé entre le souscripteur et l'assureur est
valable. Les exceptions inhérentes au contrat base sont en effet opposables au tiers bénéficiaire.

Seconde fonction de l'assurance pour compte 

L'assurance pour compte se présente comme une assurance de choses dont le propriétaire
bénéficie par le jeu d'une stipulation pour autrui. Mais, si le commissionnaire (ou le transporteur)
a pris cette initiative, on peut penser qu'il y trouve un intérêt personnel. Par une interprétation
raisonnable de sa volonté, la jurisprudence a conclu que le commissionnaire avait agi dans son
intérêt personnel en assurant sa propre responsabilité. En matière terrestre, la loi de 1930 a
consacré cette solution (art. L. 112-1, al. 2). En matière maritime, la jurisprudence indirectement
confirmée par cette loi, a été légalisée (art. L. 171-4).
On peut donc dire que l'assurance pour compte contient deux assurances : une assurance de
choses pour leur propriétaire et une assurance de responsabilité pour son souscripteur 1512. Reste à
1511
Le souscripteur a qualité pour exiger l’exécution du contrat d’assurance, même s’il a été conclu pour compte de
qui il appartiendra, Com. 3 nov. 2010, DMF 2010. 115, rapp. Rémery, obs. Nicolas ; égal. Com. 25 nov. 1997, DMF
1998. 806, obs. Nicolas.
1512
 Com. 4 juin 1971, DMF 1971. 654, obs. P. Chauveau, et, sur renvoi, Rennes, 5 mars 1973, DMF 1973. 588.
444
savoir si ces deux assurances sont à mettre sur le même plan ou si la seconde ne doit pas opérer
subsidiairement à l'autre. En effet, le propriétaire, en cas de sinistre couvert par la police, peut
agir par deux voies : en tant que bénéficiaire de l'assurance pour compte ou par l'action directe
qu'il possède contre l'assureur de responsabilité de son commissionnaire ou transporteur. Or, les
régimes de ces deux actions ne sont pas les mêmes. Il a été jugé que l'usager pouvait opter pour la
voie qui lui était la plus favorable1513.

Co-assurance : apérition 

En pratique, lorsqu’un risque est important, aucune compagnie ne consent à le couvrir tout
entier. L'intéressé devra alors s'adresser à plusieurs compagnies. En fait, le courtier auquel il s'est
adressé s'en charge pour lui et va estimer le risque pour les divers assureurs auxquels il va faire
prendre une part de la garantie. Le premier des assureurs auxquels il s'adresse ainsi avec succès et
qui va par exemple souscrire 2,75 % ou 3,5 % de la garantie prend le nom d'apériteur (du latin
aperire, ouvrir), parce que c'est lui qui ouvre la liste des assureurs1514.
En cas de litige, l’apériteur jouera un certain rôle pour les autres assureurs. La mesure de ce rôle
est délicate à définir. L'apériteur a-t-il le mandat de représenter ses co-assureurs en justice ? Dans
l'affirmative, l'assuré pourrait s'adresser à lui pour obtenir la totalité de l'indemnité d'assurance à
laquelle il peut avoir droit d'après l'ensemble de son contrat 1515. Il est difficile d’en présumer
l’existence et encore faut-il s’assurer de la qualité d’apériteur.1516

Lorsqu'il y a un mandat explicite, ces solutions sont certaines (on déduit ce mandat de la clause
dite « d'apérition »)1517 ; dans les cas où ce mandat a été reconnu, des circonstances spéciales
justifiaient la solution. Hors de ces cas et hors de la clause d'apérition (dont la portée ne va peut-
être pas au-delà du mandat de gérer la police dans l'intérêt de tous), la règle que « Nul en France
ne plaide par procureur » ne permet pas d'assigner l'apériteur pour tous, encore moins de le faire

1513
 Soc. 14 mars 1947, B.T., 1949.581. Sur cette question v. Rodière, Droit des transports, 2e éd., n° 760.
1514
 Dans le langage imagé des techniciens de l'assurance, on distingue, d'une part, l'apériteur ou les apériteurs des
autres assureurs auprès desquels le premier ou les premiers placent le capital assuré, ou encore le souscripteur de
l'assurance, et d'autre part, les « suiveurs » (E. Hervé-Bazin, Rapport à la Fédération Française des sociétés
d'assurances, sur les conditions de développement de Paris comme place internationale d'assurances ; et analyse de
l'ouvrage par l'« Assureur », Revue de la Fédération, intitulé « Une place pour Paris », n° 21 de la Revue, juin 1995,
p. 8). Les apériteurs bénéficient, dans l’UE, de la liberté de prestation de services, v. CJCE 4 déc. 1986, aff. 205-84.
1515
Paris 13 mai 1959, DMF 1959. 666.
1516
Com. 21 juin 1994, DMF 1996. 201.
1517
CAMP 7 janv. 1988 ; CAMP 29 mai 1990 (second degré) et 5 juin 1990 (second degré).
Même en l'absence d'assurance pour compte et d'apériteur, les assureurs, énumérés dans l'assignation, peuvent être
fort nombreux : par exemple, 105 assureurs distincts, dont « un mandataire général de souscription du Lloyd's de
Londres » concernés par ce contrat, en l'espèce, reposant sur un transport de bobines d'acier (Aix-en-Provence, 2 e ch.,
8 sept. 1994, inédit). De même, en Grande-Bretagne, les souscripteurs du Lloyd's qui peuvent être fort nombreux à
avoir accepté la souscription d'un risque, peuvent être représentés dans les assignations et actes de procédure par un
mandataire général.
Inversement, v. pour un cas où la qualité d'apériteur n'était pas manifeste (Com. 2 févr. 1995, DMF 1993. 533 ;
chron. Bonassies, DMF 1994. 184, n° 101) : l'assignation émanant de l'apériteur mentionnait seulement que la société
était « mandataire général d'assurance ». La Cour de cassation rejette le pourvoi contre l'arrêt qui avait déclaré
irrecevable l'assignation en cause, au motif « qu'il n'était indiqué dans l'acte, ni la nature, ni l'étendue du mandat
d'une compagnie dont elle ne précisait pas le nom ». Comp. Aix-en-Provence 10 avr. 2008, DMF 2008. 530, obs.
Bernié : le paiement de l’indemnité par l’apériteur mandaté par les autres assureurs donne le droit d’agir à tous les co
assureurs.
445
condamner pour les autres, alors qu'il n'a pris en charge qu'une partie des risques assurés 1518. En
cas de pluralité d'assureurs, ils ne seront pas condamnés solidairement au paiement de
l'indemnité. Ils ne sont pas codébiteurs, car chacun est tenu, en vertu de son contrat, d'une dette
distincte de celle des autres. Il n'y a pas unité de dette 1519. Il n’y a pas non plus unité de créance, et
donc, en principe, aucune solidarité active, mais la jurisprudence reste pragmatique 1520. En tout
cas, rien ne s’oppose à ce que les parties envisagent entre eux une solidarité, mais encore faut-il
que la convention soit dénuée de toute équivoque.

§2. Conditions de validité du contrat

Droit commun et règles particulières 

Le contrat d'assurance est en principe soumis aux règles ordinaires concernant la validité du
consentement, la capacité des parties, la licéité et l'existence de l'objet et de la cause.
Les règles de capacité ne présentent pas d'intérêt du côté de l'assureur. Pour l'assuré, il devra
avoir la capacité commerciale si le contrat est un acte de commerce pour lui.
L'objet du contrat comme sa cause doivent être licites. Un contrat d'assurance qui serait destiné à
garantir de la contrebande en France, par exemple, serait nul pour cause illicite. La jurisprudence
a été moins sévère pour la contrebande douanière à l'étranger et la Chambre des requêtes 1521 n'a
pas considéré comme illicite l'assurance conclue pour une cargaison qui devait entrer par
contrebande dans un pays étranger. En temps de guerre, il y a lieu de tenir compte des
interdictions de commerce avec l'ennemi. L'article L. 172-18 exclut de la garantie les dommages
consécutifs à des violations de blocus, actes de commerce prohibé ou clandestin et actes de

1518
Bordeaux 10 juill. 1962, DMF 1963. 529. Sur la clause dite du « respect de l’apériteur », Rouen 2 oct. 1969,
DMF 1970. 208.
1519
 Civ. 3e, mars 1852, S. 1952, 225 ; Paris 7 janv. 1957, DMF 1957. 414. L'article 3.2 de la police française
d’assurance maritime sur corps de tous navires, formule du 1 er janv. 2012, prévoit que si le contrat est souscrit auprès
de plusieurs assureurs : les sinistres sont gérés par l’assureur apériteur du contrat. La clause ajoute que chaque
assureur n’est tenu, sans solidarité avec les autres, que dans la proportion de la somme assurée par lui et que
l’assureur apériteur est habilité à recevoir, au nom de tous les assureurs intéressés, les pièces et documents relatifs à
la gestion des sinistres, mais il n’a pas pour autant mandat de représenter en justice les co-assureurs. v. dans ce sens,
T. com. Marseille 8 nov. 1985, Revue Scapel 1986,8. En conséquence, l'apériteur ne peut être condamné que dans la
proportion de la somme par lui assurée. Sur la question de l'apériteur et la solidarité des co-assureurs, v. Berr et
Groutel, obs. sous Civ. 1re, 10 juin 1981, D.1983. IR 215, à propos de l'assurance terrestre ; jugé que l’assignation
délivrée à l’apériteur interrompt la prescription à l’égard des assureurs, ce qui ne va pas de soi s’il n’y a pas de
solidarité : T. com. Nantes 5 janv. 1959, JCP 1959. II. 11200 - Sur le droit de l'apériteur d'agir en demande pour
l'ensemble des assureurs, subrogée dans les droits de l'endossataire du connaissement comme ayant réglé par
versements successifs les sommes au remboursement desquelles elle prétend, v. Sentence arbitrale CAMP, n° 772,
1er juin 1990 (second degré).
1520
Ainsi la compagnie apéritrice, subrogée pour l'ensemble de la créance de dommages dans les droits de l'assuré,
est-elle autorisée à agir seule au nom de la collectivité des assureurs (Cass. 26 avr. 1984, Bull., civ. I, n° 138 ;
Sentence CAMP 3 oct. 1988, n° 701 ; Sentence CAMP 29 mai 1990, n° 770, second degré, appliquant le principe de
bonne foi au déroulement de la procédure ; cette sentence comme la sentence 701 estiment inapplicable à la cause le
principe « Nul ne plaide par procureur » ; égal. T. com. Dunkerque 25 avr. 1988 (DMF 1989. 535) et 17 avr. 1989
(DMF 1989. 425. Chronique Bonassies, DMF 1990. 161, n° 104).
1521
Req. 28 mars 1928, DH 1928, 287, observant que le fait de transporter, pour être vendues, en eaux neutres, des
liquides dont le commerce est absolument libre en France ne constitue pas un acte illicite.
446
contrebande1522, mais sa disposition peut être écartée par la volonté des parties. Ce texte ne figure
pas dans l'énumération des textes impératifs (art. L. 171-2).
On observera que les conséquences des saisies ne sont pas couvertes, ce qui peut soulever des
difficultés pour savoir quel est le sort des marchandises en attente du dénouement de la saisie.1523
Si le contrat d’assurance obéit aux règles du droit commun, il est aussi soumis à des règles
particulières. L'article L. 172-2 censure les réticences et les fausses déclarations. Les risques
doivent exister, faute de quoi le contrat ne serait plus aléatoire et l'obligation de l'une des parties
se trouverait sans cause. Il faut développer ces deux points.
A. Réticences et fausses déclarations

Évolution 

Suivant le Code de commerce, toute réticence et toute fausse déclaration de la part de l'assuré,
qui diminuaient l'opinion du risque, annulaient l'assurance. À l’époque où n'existait pas de loi sur
l'assurance terrestre, la jurisprudence avait appliqué le principe posé dans ce texte à toutes les
assurances. La loi du 13 juillet 1930 (art. L. 113-8 et 113-9) a beaucoup atténué la règle
antérieure. Elle déclarait que l'omission et la fausse déclaration n'entraînaient pas nécessairement
la nullité et elle distingue suivant la bonne ou la mauvaise foi de l'assuré. À partir de 1930, la
règle terrestre a donc été moins sévère que la règle maritime, ce qui se justifie par le fait que
l'assurance terrestre la plus importante, celle qui donne le ton à l'institution, est l'assurance de
responsabilité automobile où il a paru nécessaire de protéger les victimes et, pour leur ménager
un droit direct utile contre l'assureur, d'éviter contre les assurés d'édicter une sanction qui eût
rejailli sur les victimes. La loi maritime n'a pas les mêmes préoccupations et doit tenir compte de
cette vérité de fait que les assurés sont des professionnels avertis.
Lors de la réforme de 1967, cette différence n'a plus été suffisamment marquée et la vieille règle
maritime a été rabotée, sans pour autant aller jusqu'au libéralisme de la loi terrestre de 1930. La
règle s'énonce aujourd'hui de la sorte (art. L 172-2, le texte étant bien entendu impératif) :
« Toute omission ou toute déclaration inexacte de l'assuré de nature à diminuer sensiblement
l'opinion de l'assureur sur le risque, qu'elle ait ou non influé sur le dommage ou sur la perte de
l'objet assuré, annule l'assurance à la demande de l'assureur. »
« Toutefois, si l'assuré rapporte la preuve de sa bonne foi, l'assureur sera, sauf stipulation plus
favorable à l'égard de l'assuré, garant du risque proportionnellement à la prime perçue par rapport
à celle qu'il aurait dû percevoir, sauf les cas où il établirait qu'il n'aurait pas couvert les risques s'il
les avait connus. »
« La prime demeure acquise à l'assureur en cas de fraude de l'assuré. »
Il y a donc désormais comme sanction soit la nullité de la police, soit la réduction de l'indemnité.
La première reste la sanction courante. La seconde opère lorsque l'assuré a rapporté la preuve de
sa bonne foi.

Conditions et régime de la nullité 

Le contrat d’assurance est exposé à plusieurs causes de nullité. On en dénombre trois.

1522
v. en cas de pêche prohibée, Com. 30 mars 2005, DMF 2005. 1006, rapp. de Monteynard, obs. Job et de
Francisis.
1523
Sentence CAMP 23 oct. 2013, n° 1214.
447
1. Une fausse déclaration ou une réticence. — Ces mots s'entendent d'eux-mêmes. Mais faut-il
les qualifier autrement ? La jurisprudence s’efforce de distinguer. Si toute fausse déclaration lui
paraît entraîner la nullité (sous réserve que la seconde condition soit satisfaite), la réticence
trouve parfois grâce à ses yeux. Dans les cas où l'assureur pouvait se renseigner personnellement,
elle n'admet pas d'annuler le contrat. On en a donné comme exemple le cas où l'assuré n'indique
pas un fait qui est de notoriété publique, ainsi une déclaration de guerre entre deux pays. Mais
c'est mal interpréter la règle. La loi n'exige pas que l'assuré explique l'état du monde à l'assureur,
mais qu'il le renseigne sur les éléments propres au contrat qu'il lui propose1524. Une déclaration de
guerre entre deux pays, même petits et lointains, n'est pas un élément propre au contrat que
propose l'assuré. D'un autre côté, les tribunaux ont cherché à écarter la nullité lorsque la réticence
ne témoignait d'aucune mauvaise foi de la part de l'assuré. Cette dernière piste relevait
certainement d'un contresens, car comme le disait la Cour de cassation, « la réticence est une
cause absolue d'annulation du contrat »1525. Aujourd'hui, la solution donnée en cas de bonne foi
prouvée rend cette discussion sans objet.

2. Une modification dans l'opinion que l'assureur se fait du risque qu'il va couvrir. Si l'assureur
avait été éclairé, il n'aurait pas contracté ou l'aurait fait à d'autres conditions.

La loi a spécifié que la réticence ou la fausse déclaration a dû diminuer sensiblement l'opinion de


l'assureur sur le risque. C'est une indication, car la mesure est difficile à apprécier. En revanche,
la loi ne requiert pas que le sinistre soit arrivé par le fait de la circonstance cachée ou niée par
l'assuré. Le texte le dit expressément1526.

Puisqu'il s'agit de l'opinion de l'assureur, la nullité n'aura pas lieu lorsque l'assureur connaissait la
vérité (dans le cas de fausse déclaration) ou l'élément du risque (dans le cas de réticence)1527.

3. L'absence de preuve par l'assuré qu'il était de bonne foi.

Lorsque ces trois conditions sont réunies, l'assureur peut demander la nullité du contrat. L'idée
qu'il faut le protéger transparaît dans cette règle qui lui réserve l'exercice de l'action. La nullité
aura pour conséquence que le risque n'est pas couvert et ne l'a jamais été. À titre de sanction
supplémentaire, la prime lui reste acquise en cas de fraude. Cette dernière sanction n'opérera pas
dans tous les cas d'annulation. Celle-ci ne suppose pas en effet la preuve de la fraude de l'assuré,
mais seulement l'absence de preuve qu'il était de bonne foi. Si l'assureur n'établit pas la fraude de
l'assuré, il devra, malgré la nullité (ou à cause d'elle), restituer la prime.

Conditions et régime de la réduction 

1524
Ainsi, l’assuré doit-il déclarer l’existence de l’hypothèque grevant le navire formant l’objet d’une assurance
corps : Montpellier, 16 févr. 2010, DMF 2012 HS 16, n° 135 ; égal. Paris 29 mai 1996, DMF 1996. 1107, obs.
Nicolas.
1525
Civ. 8 mai 1935, DH 1935, 378.
1526
 La solution n'a pas changé ici depuis le code de commerce : peu importe que le fait caché ou faussement déclaré
ait eu quelqu' incidence sur la production du sinistre ou n'en ait eu aucune, Cf. Paris, 16 mai 1959, D. 1959. 623,
DMF 1960. 33, obs. Sauvage.
1527
v. par ex. pour l’irrégularité d’un certificat de navigabilité que l’assuré n’avait pas déclarée, mais que l’assureur
connaissait, Paris 13 mai 1959, DMF 1959. 665.
448
Elle opère lorsque trois conditions sont réunies :1. une réticence ou une fausse
déclaration ;2. ayant eu pour effet de diminuer sensiblement l'opinion de l'assureur sur le
risque ;3. la preuve par l'assuré de sa bonne foi.
Cette bonne foi peut tenir à deux ordres de circonstances distinctes : soit à l'ignorance par l'assuré
du fait qu'il a omis ou qu'il a mal déclaré ; soit à l'ignorance où il se trouvait de l'intérêt que
l'assureur attachait à la connaissance exacte dudit fait. On trouve dans les polices de longues
énumérations concernant les qualités de la valeur assurée et les circonstances de la mise en
risque, ce qui peut avoir pour effet d'empêcher l'assuré d'invoquer ce second ordre de bonne foi,
le plus dangereux pour les assureurs.

Lorsque ces conditions sont réunies, l'assureur, en cas de sinistre, devra une indemnité
proportionnelle à la prime perçue par rapport à celle qu'il aurait dû percevoir. Soit une valeur
assurée pour 1 000 qui a été entièrement perdue ; l'assuré a payé une prime de 20 ; l'assureur
établit que, s'il avait connu exactement le risque, il aurait demandé une prime de 30. En pareil
cas, l'indemnité due sera de : x/1000 = 20/30, soit de 666 et non de 1 000.

L'application de cette règle sera rendue difficile par l'absence de barème courant chez les
assureurs. L'imitation de la règle terrestre est mal venue. Elle est cependant corrigée par la
dernière proposition selon laquelle si l'assureur établit qu'il n'aurait pas couvert le risque s'il avait
été au courant du fait omis ou dissimulé par l'assuré, le contrat doit être considéré comme n'ayant
pas été conclu ou, si l'on préfère, se trouve annulé.

Nature juridique des sanctions 

On avait soutenu que l'article 348 faisait application des règles du Code civil en matière de vices
du consentement. C'est sans doute inexact. D'une part, en ce que la réticence n'est une cause de
dol que si elle est intentionnelle. D’autre part et surtout, parce que la loi commune ne retient le
dol que dans la mesure où il est déterminant, que dans la mesure où le cocontractant trompé
montre qu'il n'aurait pas contracté s'il avait été éclairé. Or, en général, l'assureur éclairé sur le fait
omis ou dissimulé aurait couvert le risque mais à un autre tarif ; le droit commun aurait alors dit
que c'est un cas de dol incident et qu'il n'y avait pas lieu d'annuler le contrat. Si, depuis la réforme
de 1967, la loi tient compte de ce fait (l'assureur aurait ou n'aurait pas contracté s'il avait été
mieux éclairé), ce n'est que dans le cas où l'assuré a commencé par établir sa bonne foi. Il n'y a
pas une rigoureuse coïncidence entre la loi civile générale et l'article L. 172-2, même si sur un
point celle-ci s'est alignée sur celle-là.

Quant au rapprochement avec l'erreur de l'article 1110 du Code civil, il faut l'écarter parce que, si
largement que la jurisprudence ait interprété la notion de « substance de la chose », elle n'a pas
été jusqu'à l'appliquer aux qualités accidentelles de la chose, alors que la réticence ou la fausse
déclaration pourra à l'occasion concerner une qualité secondaire de la chose.

D'après une deuxième explication, la règle maritime aurait été édictée dans un but de protection
exceptionnelle de l'assureur. Les anciens auteurs comparaient l'assureur à un incapable, qui ne
pourrait pas se renseigner suffisamment. D’où ce raisonnement : le contrat d'assurance est un
contrat de bonne foi. Il appartient à l'assuré de se comporter de bonne foi, en renseignant
l'assureur aussi complètement qu'il le peut sur les conditions du risque. L'assurance n'est pas un

449
de ces contrats dans lesquels les deux parties ont des intérêts totalement antagonistes ; l'assureur
et l'assuré sont, dans une certaine mesure, des co-intéressés, qui doivent se renseigner l'un l'autre.

Mais à ces idées, justes en elles-mêmes, ne répond aucune règle juridique. Si l’on peut distinguer
les contrats dans lesquels les intéressés ont des positions antagonistes et ceux dans lesquels leurs
intérêts se rejoignent, dans l'assurance maritime, les deux parties ont des intérêts différents.
Comme ils sont l'un et l'autre des commerçants, il leur appartient de les défendre. Il n'y a donc
aucune raison pour que l'assureur soit considéré comme un incapable qu'il faudrait spécialement
protéger.

En réalité, il n'y a pas là une question de consentement. Dans le contrat d'assurance, l'assuré a
l'obligation légale de faire connaître à l'assureur les conditions du contrat. Cette obligation légale
lui est imposée tant par son propre intérêt que dans l'intérêt de l'assureur. Si la règle n'existait pas,
l'assureur chercherait à se renseigner lui-même. On ne pourrait donc conclure d'assurance
maritime qu'après une longue enquête sur l'état des valeurs assurées. Or, le contrat doit être très
rapidement passé. L'assureur se fie aux déclarations de l'assuré, mais pour qu'il puisse s'y fier, il
faut qu'il ait la certitude de leur exactitude. Aussi la loi a-t-elle imposé à l'assuré l'obligation de
faire une déclaration exacte. S'il ne la fait pas, il est responsable de la fausseté de sa déclaration,
et la meilleure manière de réparer le préjudice qu'il a causé à l'assureur est de déclarer nul le
contrat d'assurance.

Jusqu'à la réforme de 1967, on pouvait même serrer l'analyse juridique de plus près en disant que
les déclarations de l'assuré ont strictement défini les risques courus, de telle sorte que, si elles
sont inexactes ou incomplètes, la définition contractuelle du risque n'est plus satisfaite. C'est
comme si le risque réellement couru n'était pas couvert. Mieux encore que l'idée de
responsabilité, cette explication objective expliquait que la règle fût applicable non seulement à
celui qui est de mauvaise foi, mais aussi à celui qui est de bonne foi. Cette dernière explication
n'est plus possible. En distinguant suivant que la bonne foi de l'assuré n'est pas établie ou qu'elle
l'est, la loi appelle une explication d'ordre moral. Il n'y a plus un mécanisme rigoureux du droit
contractuel de l'assurance ; la loi punit l'assuré. Il est alors permis de s’interroger sur la raison
d’être de cette réduction proportionnelle lorsque la bonne foi de l’assuré est établie. C'est l'idée
d'un équilibre économique du contrat qui l'explique : même de bonne foi, l'assuré n'a pas joué le
jeu et il faut le rétablir. L'idée pénale et l'idée de l'équilibre économique du contrat doivent l'une
et l'autre être retenues pour rendre compte des quatre règles :1. la fraude de l'assuré annule le
contrat et le laisse néanmoins débiteur de la prime ;2. l'impossibilité de démontrer sa bonne foi
annule le contrat, mais la prime est restituée ;3. la preuve de sa bonne foi n'empêche pas
l'annulation si l'assureur montre qu'il n'aurait pas contracté ;4. la preuve de sa bonne foi conduit à
un réajustement de l'indemnité, si l'assureur ne montre pas qu'il n'aurait pas contracté.
B. L’existence même des risques

Défaut de cause 

Par le contrat d'assurance l'assuré se prémunit contre des risques possibles, et l'assureur l'en
garantit. Si les risques sont déjà réalisés ou si l'expédition s'est déjà achevée heureusement au
moment où le contrat est conclu, il manque à ce contrat un élément fondamental. Il est nul pour
défaut d'aléa.

450
Cette nullité ne devrait pas participer du régime des vices du consentement. On ne devrait pas
interroger la psychologie des parties et subordonner la nullité à la connaissance par l'assuré que le
sinistre s'était déjà produit ou, à l'inverse, à la connaissance chez l'assureur que le navire était déjà
arrivé à bon port quand l'assurance a été contractée. L'aléa est un élément fondamental du contrat,
indépendamment de toute considération de la psychologie des parties.

Telle n'est cependant pas la solution de la loi. Celle-ci s'exprime aujourd'hui dans deux textes, les
articles L. 172.4 et 5, qui ne sont pas impératifs. Suivant le premier, « toute assurance faite après
le sinistre ou l'arrivée des objets assurés ou du navire transporteur est nulle, si la nouvelle en était
connue, avant la conclusion du contrat, au lieu où il a été signé ou au lieu où se trouvait l'assuré
ou l'assureur ». D'où il résulte que la perte antérieure au contrat n'empêche pas celui-ci d'avoir été
conclu si la nouvelle n'en était pas connue sur place.

Mais la loi va plus loin dans le second texte : « l'assurance sur bonnes ou mauvaises nouvelles est
nulle s'il est établi qu'avant la conclusion du contrat l'assuré avait personnellement connaissance
du sinistre ou l'assureur de l'arrivée des objets assurés ». Ici les parties ont prévu que le risque
pouvait être déjà survenu ou qu'il n'était plus à craindre. La loi maintient néanmoins le contrat si
l'intéressé n'en avait pas personnellement connaissance. Le contrat est valable alors même que la
perte serait déjà consommée ou, au contraire, ne serait plus possible. La différence avec la
situation précédente est qu'on ne s'arrête pas à la connaissance générale sur la place, chose
relativement facile à établir, mais à la connaissance personnelle des intéressés. On voit qu'alors le
contrat couvre des risques qui n'existent que dans la pensée des parties ; il n'y a d'aléa que dans
leur esprit ; on dit que le contrat couvre des risques putatifs et la loi maritime tolère un genre que
la loi terrestre n'admet pas, ce qui sans doute est une survivance d'un temps où les nouvelles
cheminaient lentement1528.
On évitera du reste une erreur : lorsque, en matière de polices flottantes, on admet que l'assureur
couvre le risque déjà couru au moment où l'assuré a envoyé sa déclaration d'aliment, on ne fait
pas application des règles qui viennent d'être indiquées. La police a été conclue avant l'événement
et c'est ce qui compte. La déclaration d'aliments ne fait pas courir l'assurance pour les
marchandises qu'elle énonce ; elle ne fait qu'appliquer une police déjà en vigueur, de sorte que la
connaissance par l'assuré que le risque est déjà survenu n'a aucune importance.

Pratique des polices

Il faut signaler quelques points des polices types dans leurs imprimés antérieurs à la réforme de
1967. Suivant la police corps ancienne (art. 19), « quiconque, après avoir donné de bonne foi un
ordre d'assurance, apprend un sinistre concernant le navire, avant d'être avisé de l'exécution, est
tenu de donner aussitôt contre-ordre, à peine de nullité de la police, laquelle sera maintenue, si le
contre-ordre ainsi donné n'arrive qu'après l'exécution ». On a interprété cette clause en ce sens
que si le commettant a donné un ordre qui parvient trop tard après la signature de la police, la
police reste valable, quoi qu'elle ait été signée matériellement après que la perte fût consommée,
ou qu'au contraire le navire fût arrivé à bon port1529.

1528
 Cf. sur le principe : Com. 16 janv. 1968, DMF 1968. 330, obs. P. L.
1529
Civ. 29 juin 1927, DP 1928, 1, 45, rapport A. Colin.
451
L'interprétation pourrait être la même sous l'empire des textes nouveaux ; leur fermeté n'est pas
plus grande que celle du Code de commerce et l'on en doit déduire la validité de toute assurance
de risques putatifs quand la bonne foi de l'assuré est hors de doute.

La police sur facultés prévoit aujourd’hui (imprimé du 1 er juill. 2009) que l’assurance ne peut
produire ses effets s’il est établi qu’avant la conclusion du contrat, la nouvelle d’un événement
concernant les facultés était parvenue au lieu de la souscription de la police ou au lieu où se
trouvait l’assuré, sans qu’il soit besoin d’établir la preuve que l’assuré en avait personnellement
connaissance.

§3. Formes et preuves

La police 

Le contrat d'assurance maritime est un contrat consensuel, mais qui doit, comme la plupart des
contrats maritimes, être prouvé par écrit (art. R. 172-1).
Cet écrit porte un nom traditionnel qui, depuis lors, a été généralisé à toutes les assurances : c'est
la police. La police peut être sous seing privé. L'article R. 172-3 en indique les énonciations.

Avant l’établissement de la police ou d’un avenant, la preuve de l’engagement des parties peut
être établie par tout autre écrit, notamment par arrêté d’assurance ou note de couverture.

Pratiquement, les polices d'assurance sont toujours passées dans la même forme suivant des
proforma révisés périodiquement1530. La police porte en tête : Police française d'assurance
maritime sur corps, ou sur marchandises.
Du moment que l'acte doit être écrit, il faut le rédiger en double original. Mais la règle du double
original trouve une exception, lorsque l'acte est confié à la garde d'un tiers qui le tient à la
disposition des deux parties. Lorsque la police est confiée à un courtier, la sanction de l'article
1325 C. civ. n'opère pas, quoiqu'il n'y ait pas double original. Au reste, parfois les originaux ne
sont pas tous les deux signés par les parties ; il y en a donc un des deux qui n'a pas valeur
d'original.

La police n’est pas nécessairement rédigée en langue française 1531, contrairement à ce que l’on
exige en matière terrestre (art. L. 112-3).

La police peut être passée par un notaire, auquel cas elle a la force d'un acte authentique. En fait,
la chose n'arrive plus ; du reste, les textes (art. R. 172-2) ne l’envisagent plus. En revanche, les
courtiers interviennent toujours. Le code prévoyait que le courtier rédigeait la police. La loi ne le
dit plus, mais la pratique n'a pas changé. Le courtier signe la police pour l'assuré et la conserve ;
l'assureur la signe de son côté en indiquant la part du risque qu'il prend ; cela parce que les

1530
 En cas de contradiction entre les « conditions générales » et les conditions particulières de la police, celles-ci
l'emportent : Bordeaux, l0 juil. 1962, DMF 1963. 529 ; Poitiers 29 janv. 2009, DMF 2009. 566, obs. Turgné. Sur la
question de savoir quand il y a contradiction, v. Paris, 9 juil. 1959, DMF 1959. 539.
1531
Com. 29 févr. 2000, DMF 2000. 621, obs. Rémery : « les parties au contrat d’assurance destiné à garantir des
marchandises contre les risques d’un transport international, quel que soit le mode utilisé pour celui-ci, choisissent
librement la langue dans laquelle elles rédigent leurs accords. »
452
risques sont couramment couverts par plusieurs assureurs sur une seule et même police. La
suppression du privilège des courtiers n'a rien changé à ces règles et à cette pratique.
Les courtiers devaient autrefois recopier les polices. Une loi du 18 janvier 1929 a supprimé cette
obligation, mais les courtiers doivent tenir un livre jour par jour et y mentionner les polices.

SECTION 2. RÈGLES PARTICULIÈRES À L’ASSURANCE CORPS

Fonction et durée des risques 

L’assurance corps (v. ss 1050) est contractée pour un voyage déterminé (ou plusieurs voyages
consécutifs également définis) ou pour une durée déterminée (art. L 173-1).
La durée des risques couverts dans l'assurance au voyage a été indiquée (v. ss 1077).

L'assurance à temps couvre les risques du premier et du dernier jour ; les jours se comptent de
zéro à vingt-quatre heures, d'après l'heure du pays où la police a été émise ; c'est l'un des intérêts
de l'indication du lieu, requise par l'article R. 172-3.

L'assurance sur corps est conclue intuitu personae. Les polices stipulaient que la vente publique
du navire, à la différence de la vente privée, ferait cesser de plein droit l'assurance sur corps. La
loi par une disposition que la convention peut écarter, prévoit désormais que l'assurance continue
de plein droit au profit de l'acquéreur, à charge par lui d'exécuter les obligations de la police et
d'informer l'assureur dans le délai de 10 jours. L'assureur peut alors résilier le contrat dans le
mois qui suit cette notification. Sa résiliation prend effet 15 jours après sa notification (art. L.
173-14). Ces délais sont longs, mais la solution se justifie puisqu'elle laisse à l'assureur un
pouvoir de décision, tout en évitant toute solution de continuité dans la couverture des sinistres.
Les mêmes règles sont données par la loi en cas d'affrètement coque nue qui, faisant passer la
gestion du navire à l'affréteur, présente, du point de vue de la personne de l’armateur, le même
danger pour l'assureur que la vente du bien.

Assurance sur bonne arrivée 

C'est une assurance complémentaire de l'assurance sur corps. Elle opère dans le cas de perte
totale ou de délaissement (v. ss 1143). Dans ces cas, l'armateur malgré le paiement de
l'indemnité, se trouve privé de son navire pendant quelque temps et perd de ce fait de l'argent ; en
outre, la perte lui occasionne des frais divers qu'il est difficile de chiffrer mais qui sont hors de la
valeur du navire ; l'assurance sur bonne arrivée est destinée à couvrir ce manque à gagner et ces
frais. Mais comme on se préoccupe d'éviter la sur-assurance et que les assureurs craignent des
majorations dans l'évaluation des dommages subis par les armateurs, ils n'acceptent depuis
longtemps de couvrir ce genre de dommages qu'avec des précautions ; notamment, ils fixent à
10 % au maximum le montant des valeurs ainsi assurées. La loi précise, en ce qui la concerne,
conformément aussi à une pratique antérieure des polices, que l'assurance sur bonne arrivée ne
peut être contractée à peine de nullité qu'avec l'accord des assureurs du navire (art. L. 173-7).
Cette disposition ne figure pas parmi les articles déclarés impératifs par l'article L. 171-2 ; mais
453
est-il permis d'écarter une règle qui part du principe que l'assurance maritime est d'essence
indemnitaire ? Il paraît difficile de le refuser car l'assurance sur bonne arrivée couvre des
dommages réellement subis, de sorte qu'on doit admettre la clause qui ne ferait pas dépendre la
conclusion d'une assurance sur bonne arrivée des facultés d'une autorisation donnée par
l'assureur-corps.

Nouvelle police internationale d'assurance corps 

Depuis le 1er juillet 2010, le marché français de l'assurance maritime propose une nouvelle offre,
sous la forme d'un « package » de garanties, pour la couverture des corps de navires1532.
L'élaboration de ce modèle de contrat a été conduite de façon collégiale avec les organisations
professionnelles des armateurs et des courtiers1533.
Bien que mise à jour en 2002, la dernière police française pour la couverture des corps de navires
datait de 1983 et était utilisée principalement par des assurés français. Or, les compagnies
d'assurances françaises couvrent un grand nombre de risques étrangers et ont acquis au fil du
temps une excellente réputation, notamment au travers de la rapidité du règlement des sinistres.
Forte de ces atouts et désirant en faire bénéficier les assurés du monde entier, la commission des
assurances transports de la FFSA a souhaité disposer également d'un instrument contractuel
moderne, sous la forme d'un « package » de garanties soumis au droit français1534.
Le « package » s'adresse à tous les propriétaires et exploitants de navires de commerce, dans le
monde entier. En revanche, il ne s'applique pas à des catégories de navires ou de risques qui
disposent de garanties spécifiques (bateaux de navigation fluviale, de plaisance, navires de pêche,
risques de la construction navale). Il est naturellement susceptible d’amendement, de
modification… à la discrétion des parties.
La nouvelle police conserve les principales solutions mises en œuvre dans les polices françaises
antérieures, avec quelques améliorations. Le nouveau modèle de police 1535 prévoit trois types de
garanties : les dommages subis par le navire assuré, le recours de tiers exercé contre le navire
assuré pour abordage ou heurt, divers frais et contributions (contribution d'avarie commune, frais
de sauvetage et d'assistance, dépenses exposées pour prévenir un sinistre ou en réduire les
conséquences). Toutefois, alors que la police de 1983 proposait une indemnité maximale par
événement équivalente à deux fois la valeur agréée, le package prévoit qu'à chaque type de
garantie soit attribué un capital dans la limite de la valeur agréée, ce qui paraît plus cohérent.
Ainsi, l'indemnité maximale par événement est équivalente à trois fois la valeur agréée.

1532
La version en langue anglaise et en langue française de ces conditions d'assurance est disponible sur le site
Internet de la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (http://www.ffsa.fr/assurancetransports).
1533
Le commentaire qui suit est directement inspiré d’une présentation faite par les responsables de la FFSA en
2012 (sous la direction de. M. Thomas).
1534
Ce « package » est le fruit d'un long travail et d'échanges menés par les assureurs transports membres de la
FFSA avec Armateurs de France et l'Union des courtiers d'assurance maritime et transports.
1535
Les documents contractuels s’accompagnent de commentaires, ce qui est une nouveauté. Ceux-ci établissent une
présentation générale du « package » et mettent en lumière certaines de ses dispositions. En outre, ils fournissent une
information sur le droit français, qui est protecteur des intérêts des preneurs d'assurances.
454
En outre, il est proposé qu'aucune franchise ne soit appliquée en cas d'événement majeur (perte
totale, délaissement, assistance, etc.), ainsi que pour les dépenses d'avarie commune, les frais de
sauvetage et d'assistance, et les frais et dépenses exposés dans l'intérêt du navire.
Enfin, l'assuré peut demander que les dommages non réparés soient pris en charge, ce qui n'était
pas le cas dans les précédentes conditions.
Les conditions pertes financières permettent à l'armateur de se prémunir contre ses pertes de
revenus à la suite d'un événement entrant dans le champ d'application de la police corps ou des
conditions relatives aux risques de guerre. La couverture est conçue sur la base d'une indemnité
forfaitaire journalière fixée au moment de la souscription. Lorsqu'un navire assuré perd une partie
de sa capacité (une cale de chargement, par exemple), ou lorsqu'il est amené à naviguer en allure
réduite à la suite d'une avarie, la perte partielle de revenus en résultant peut être indemnisée. Une
clause complémentaire permet aussi de couvrir les pertes de revenus consécutives à des
événements qui ne sont pas couverts par la police corps et machines et qui ressortent des risques
de guerre et assimilés.
Outre la police et les deux conditions précitées, des clauses additionnelles, comme les clauses
FAP (franc d’avaries particulière), la garantie bonne arrivée (versement d'un capital permettant à
l'assuré de faire face aux difficultés financières liées à la disparition du navire consécutive à un
événement assuré), l'extension de recours, les frais de retirement (frais occasionnés par le
retirement du navire s'il coule dans un lieu qui gêne ou met en péril d'autres navires, dans un port,
par exemple) ou la garantie perte de fret permettent d'étendre ou de limiter les garanties en
fonction des besoins de l'assuré.
Les conditions risques de guerre et pertes financières peuvent être souscrites séparément, même
si elles se réfèrent, pour les besoins de leur fonctionnement, à telle ou telle disposition de la
police corps. La police corps est un contrat « tous risques », ce qui signifie qu'en cas de sinistre,
l'assureur doit prouver que le risque est exclu. Ce point constitue un avantage important par
rapport à d'autres modèles de garanties disponibles sur le marché international, qui fonctionnent
sur une base de périls énumérés avec l'obligation pour l'assuré de prouver que le risque est
couvert. Enfin, le « package » favorise la médiation et l'arbitrage, par rapport à toute forme de
procès, ce qui contribue également à réduire les coûts de procédure.

455
CHAPITRE 3
LES OBLIGATIONS DE L’ASSURÉ

L'assureur ne contracte qu'une obligation conditionnelle : payer l'indemnité d'assurance si le


risque survient. L'assuré a deux obligations contractuelles ; l'une est ferme : le paiement de la
prime ; l'autre, qui consiste à faire des déclarations ou prendre des mesures, plus ou moins
définies, est tout aussi essentielle, mais ne se concrétise que dans certaines situations.

§1. Paiement de la prime

Fixation de la prime

La prime ou coût de l'assurance est déterminée, en droit maritime, à tant pour cent de la valeur
assurée. Le taux des primes varie suivant que l'assuré présente à l'assureur des valeurs
importantes ou suivant qu'il s'agit d'assurer dans des conditions fâcheuses. La prime ainsi fixée a
une valeur contractuelle et pour indiquer qu'elle ne peut être modifiée, on énonce, le principe de
l'invariabilité ou de l’intangibilité de la prime. On attribue parfois cette règle au caractère
aléatoire du contrat. Il faut plus simplement y voir une application de la force obligatoire du
contrat (C. civ. art. 1134, al. 1er). Même si le risque augmente considérablement, une fois le
contrat conclu, aucune des deux parties n'a le droit d'en faire modifier les clauses. Son montant ne
détermine pas l’étendue de la garantie1536.
Comme il faut prévoir dans la pratique maritime des circonstances nombreuses qui peuvent
influer sur le risque, les parties ont pris l'habitude d'insérer dans la police des clauses qui font
varier les primes et cela de deux façons :
- D'abord, des remises de primes sont consenties à l'assuré lorsque les risques diminuent. Par
exemple, pour un vapeur ou un motorship assuré pour une année de navigation, la prime sera
diminuée pendant les séjours au port.

- Inversement, des surprimes conventionnelles sont prévues : si l'assuré envoie son navire dans
certaines mers, où il y a des dangers particuliers, une surprime sera payée ; de même au cas de
quarantaine ou de blocus.

Indivisibilité de la prime 

Les assureurs ont soutenu que la prime était légalement indivisible. Ainsi, au cas où un sinistre
survient (que le contrat ne couvre pas, faute de quoi la question ne se poserait pas), la prime reste
due pour la somme convenue d'avance. Voici un navire assuré contre les seuls risques de mer
pour un voyage. La prime est fixée pour le voyage. Le navire sombre parce qu'il est torpillé au
quart de sa route. Les assureurs doivent-ils restituer les 3/4 de la prime ? Non, prétendraient-ils.
La Cour de cassation n'a pas retenu leurs prétentions1537.
La loi a réglementé cette question par des dispositions supplétives de la volonté des parties. Dans
l'assurance sur corps, elle distingue : l'assurance au voyage laisse la prime acquise à l'assureur dès

1536
Rappr. Com. 22 sept. 2009, DMF 2010. 485, obs. M. Bernié.
1537
Civ. 6 juin 1923, DP 1924, 25, note Ripert.
456
que le voyage a commencé (art. L. 173-9 : dans l’assurance au voyage ou pour plusieurs voyages
consécutifs, la prime entière est acquise à l’assureur, dès que les risques ont commencé à courir).
Dans l'assurance à temps, la prime stipulée pour toute la durée du contrat, est acquise en cas de
perte totale ou de délaissement à la charge de l'assureur ; si la perte totale ou le délaissement n'est
pas à sa charge, la prime n'est acquise qu'en fonction du temps couru jusqu'à la perte totale ou à la
notification du délaissement (art. L 173-10). Il y a dans cette sous-distinction une solution plus
économique que juridique.

Conditions du paiement

La prime d'assurance est payée comptant pour les assurances sur facultés. Faute de paiement
dans les huit jours, la police permet la suspension du contrat.
Autrefois, elle n'était payée pour l'assureur sur corps qu'à l'arrivée du navire. L'idée était que
l'armateur payait la prime sur les bénéfices de l'expédition. L'assureur faisait crédit d'autant plus
facilement qu'il avait d'après l'article 191, un privilège sur le navire pour les primes dues pour le
dernier voyage. La loi du 19 février 1949 a supprimé ce privilège. Aussi la précédente police sur
corps décidait-elle que la prime est payable comptant. Néanmoins la faculté de paiement par
quarts était accordée à l'assuré lorsque l'assurance était prise pour un an1538.
Le non-paiement de la prime à l'échéance fixée par la police ouvre une option à l'assureur : il peut
soit suspendre l'assurance, soit demander sa résiliation. L'une ou l'autre ne prend effet que huit
jours après l'envoi à l'assuré, à son dernier domicile connu de l'assureur, d'une mise en demeure
par lettre recommandée (art. L. 172-20)1539. Cette protection de l'assuré (étrange car l'assuré sait
qu'il doit payer la prime) n'a pas paru suffisante, car l'assurance facultés est un document sur la
base duquel des tractations peuvent avoir eu lieu (ventes ou ouvertures de crédit sur
connaissements accompagné de la police).
Aussi l'article L. 173-22-1 ajoute-t-il que la suspension ou la résiliation est sans effet à l'égard des
tiers de bonne foi, bénéficiaires de l’assurance en vertu d’un transfert antérieur à là notification
de la suspension ou de la résiliation. Il y a là une dérogation à la règle de l’opposabilité des
exceptions qui permet au bénéficiaire de l’assurance d’échapper à la suspension ou à la résiliation
de l’assurance pour non paiement des primes s’il ignorait légitimement ce défaut de paiement au
moment du transfert de l’assurance à son profit. Cette disposition est aujourd’hui (cf. ord. 2011)
cantonnée aux assurances marchandises.
L’article L. 172-20, étant impératif, ne peut pas être écarté par les assureurs au profit de
dispositions qui leur seraient plus avantageuses. Ce texte traduit l'influence excessive de
préoccupations protectrices des assurés qui ne devraient pas être de mise en matière maritime1540.

§ 2. Autres obligations
1538
 La police corps dans sa dernière version de 2012, a simplement prévu à l'article 2.3, que « l'assuré doit payer la
prime aux assureurs aux conditions, lieux et dates convenus par les conditions particulières ».
1539
 Sur l'inefficacité d'une mise en demeure adressée à une personne sans qualité : Aix-en-Provence, 22 févr. 1974,
DMF 1974. 729.
1540
 Sur les abus auxquels la loi doit mettre fin, v. obs. P. Lureau, DMF 1969. 144 -Pour une police corps de navire
de pêche : Rouen, 10 mars 1972, Rev. Scapel, 1972.60 ; DMF 1972. 597.
457
Énumération 
L’assuré doit remplir, en raison du contrat, certaines obligations en cas de sinistre. Il doit,
déclarer les circonstances qui modifient l’opinion de l’assureur sur le risque. Dans les polices
flottantes, l'assuré doit déclarer les expéditions qui entrent dans les prévisions du contrat.
Modification et aggravation du risque 
L'assuré s'oblige en premier lieu à ne pas modifier les risques ; à ne pas vendre le navire ou à le
faire accepter par l'acquéreur ; à ne pas fréter le navire ou à faire accepter l’affréteur ; à ne pas
modifier l'état matériel du navire.
Il ne doit pas, par son fait, aggraver le risque. Si quelque circonstance survient qui a cet effet, il
doit en aviser l'assureur. Cette obligation de déclarer les circonstances propres à modifier
l'opinion du risque chez l'assureur rappelle l'obligation de déclarer le risque (v. ss 1088). On
comprend que la jurisprudence, à l'instar de l'ancien article 348 du Code de commerce, ait vu
dans la modification du risque une réticence entraînant la nullité du contrat. Cette solution se
heurtait cependant à l'observation technique que la nullité est une sanction mal adaptée à un fait
postérieur à la conclusion du contrat.
La loi règle autrement la question. Elle prescrit d’abord que toute modification en cours de
contrat, soit de ce qui a été convenu lors de sa formation1541, soit de l'objet assuré, qui aggrave
sensiblement le risque1542, doit être déclarée à l'assureur dans les 3 jours où l'assuré en a
connaissance, faute de quoi, à moins que l'assuré n'apporte la preuve de sa bonne foi, le contrat se
trouve résilié. Outre cette règle, le texte en apporte une seconde qui varie suivant que la
modification est due au fait de l'assuré ou non. Si elle est due à son fait, l'assureur peut soit
résilier le contrat, dans les 3 jours où il a connaissance de l'aggravation, soit exiger une
augmentation de prime correspondant à cette aggravation. Si elle n'est pas due à son fait, l'assuré
(à condition qu'il ait fait sa déclaration à temps ou qu'il soit de bonne foi) n'est pas menacé par la
résiliation et l'assureur ne peut qu'exiger une augmentation de la prime (art. L. 172-3). Ces règles,
qui sont impératives, réalisent un équilibre heureux entre les intérêts opposés des parties. Elles
diffèrent assez sensiblement des règles du droit terrestre (art. L. 113-4).

La loi, en outre, impose à l’assuré de déclarer à l’assureur, dans la mesure où il les connaît, les
aggravations de risques survenus au cours du contrat (art. L. 172-19, 4°). À défaut et s’il est de
mauvaise foi, sa faute est inexcusable1543

Obligations en cas de sinistre 

Si le sinistre couvert se réalise, plusieurs obligations pèsent alors sur l'assuré.


- Il doit d’abord déclarer le sinistre1544. La police sur facultés impose presque toujours pour cette
déclaration un délai de trois jours et la police corps demande que l'assuré s'adresse
« immédiatement » aux assureurs. Ceux-ci tiennent fermement la main au respect de ces
prescriptions, non par souci des formes mais parce qu'ils veulent pouvoir contrôler rapidement les
circonstances dans lesquelles le sinistre s'est produit et se renseigner sur son importance. Les

1541
 v. pour un litige en la matière, Paris, 3 mai 1982, Nouveau recueil du Havre n° 3, 1985, p. 44.
1542
v. pour un ex. Com. 13 oct. 1998, DMF 1998. 1010, obs. Rémery.
1543
Paris 17 mai 2005, DMF 2005. 1001, obs. I. Corbier.
1544
Généralement à peine de déchéance, v. T. com. Marseille 9 avr. 1997, DMF 1998, HS 2, n° 142, obs. Bonassies.
458
assureurs entretiennent à cette fin dans tous les ports du monde des agents, des experts ou des
correspondants, les commissaires d'avaries.
- L’assuré doit également faire constater les avaries : immédiatement dès qu’il a connaissance de
l’événement et au plus tard dans les 90 jours suivant la date où il en a connaissance (art. 3.1 de la
police corps). Selon l'article 17 de la police facultés, l'assuré doit, lors de l'arrivée des facultés au
lieu de destination du voyage assuré et lorsque leur état le justifie, requérir l'intervention du
commissaire d'avaries en vue d’une expertise contradictoire dans les 3 jours de la cessation de la
garantie1545.
L'assuré doit à cette fin s'adresser à ceux qui sont chargés par la police de procéder aux
constatations : les commissaires d'avaries du Comité central des assureurs maritimes ou, à défaut,
tout organisme indiqué à la rubrique « Commissaire d'avaries » des conditions particulières.
L'article 18 de l'ancienne police facultés prévoyait qu'à défaut des commissaires d'avaries du
CESAM, il fallait s'adresser au commissaire d'avaries du Lloyd's ou à défaut au Président du
tribunal de commerce dans les ports français et au Consul de France dans les pays étrangers. Le
choix des experts est primordial pour les assureurs. Ils redoutent également la partialité et
l'incompétence. Mais les commissaires étant nommés par eux peuvent faire redouter une partialité
en leur faveur. C'est à quoi répond aujourd’hui (nouvel art. 18 de la police) la faculté pour les
parties de demander une contre-expertise dans les 15 jours qui suivent la première. En l'absence
d'une pareille demande, l'expertise faite par les commissaires désignés dans la police est réputée
amiable et contradictoire ; c'est-à-dire qu'elle lie les deux parties ; mais il n'en est ainsi que pour
ce qui concerne la mission de l'expert : celui-ci doit rechercher et décrire la nature, la cause et
l'importance des dommages ; il n'a pas à exprimer de conclusion concernant leur garantie, leur
couverture ou leur exclusion des risques couverts par la police.
- L’assuré doit aussi atténuer dans la mesure du possible les effets du sinistre. C’est l’idée de
« mitigation »1546. Les textes du Code de commerce lui faisaient déjà obligation :
- de recouvrer les effets naufragés ;
- d'obtenir mainlevée en cas d'arrêt de puissance, règle née dans les Échelles du Levant et qui
n'impliquait pas une grande confiance dans l'honnêteté des fonctionnaires de l'Empire Ottoman ;
- de s'efforcer de racheter en cas de prise.
En fait, les polices substituent à cette obligation le devoir de prévenir aussitôt l'assureur parce que
les assureurs préfèrent s'occuper eux-mêmes des mesures de sauvetage1547. Cette obligation de
mitigation s’inscrit en réalité dans le prolongement de l’obligation de conservation des recours.

Conservation des droits de l'assuré 

Précisément, l’art. L. 172-23 ajoute que l’assuré doit contribuer au sauvetage des objets assurés et
prendre toutes mesures conservatoires de ses droits contre les tiers responsables. L'obligation ne
lui en est pas faite dans son intérêt, mais dans celui de l'assureur. L'assuré, indemnisé par son
1545
 Sur la nature des délais stipulés par la police, v. T. com. Le Havre, 6 août 1970, DMF 1971. 243.
Sur la validité de la clause stipulant la déchéance de garantie en cas de non-constatation des avaries : Com.
13 avr. 1967, BT., 1967.328.
La loi n'édictant aucune règle en la matière, les stipulations des polices doivent être suivies et les sanctions qu'elles
y attachent doivent être appliquées : Paris, 20 avr. 1974, Gaz. Pal. 1974. 611.
1546
V. Gazette CAMP, n° 28.
1547
 Ce qui ne dispense pas l'assuré de faire lui-même diligence : Aix-en-Provence, 20 déc. 1972, DMF 1973. 540.
L'article 15 de la police facultés prévoit que l'assuré doit apporter « les soins raisonnables à tout ce qui est relatif aux
marchandises. » De même, il doit prendre « toutes les mesures conservatoires en vue de prévenir ou de limiter les
dommages et les pertes. » Sur la portée des diligences de l’assureur, v. Lureau, obs. DMF 1965. 608.
459
assureur, avait tendance à négliger la conservation de ses droits contre le tiers responsable du
sinistre. Les polices se sont prémunies contre ce relâchement et la loi a édicté elle-même
l'obligation de l'assuré.
Ainsi, en cas d'abordage, l'armateur, assuré sur le corps, prendra toutes les mesures propres à
conserver et à rendre efficace son action en responsabilité contre le propriétaire du navire en
faute. Dans l'assurance sur facultés, le réceptionnaire assuré évitera la présomption de livraison
conforme au profit du transporteur en prenant contre lui les réserves appropriées1548.

Sanctions 

Les polices avaient pour règle de prévoir la suspension ou la résolution de plein droit en cas de
manquement de l'assuré à telle ou telle de ses obligations. Ces clauses étaient du reste interprétées
à la lettre. La loi de 1967 a pris d'autres dispositions. On a vu la sanction du non-paiement de la
prime (v. ss 1104) et celle de l'interdiction d'augmenter les risques.
Quant aux obligations accessoires (déclaration de sinistre, sauvetage, conservation des droits de
l'assuré), l'article L. 172-23, al. 2, précise que l’assuré est responsable envers l'assureur du
dommage causé par l'inexécution de cette obligation résultant de sa faute ou de sa négligence »,
formule qui calque la sanction sur le dommage causé, suivant les principes du droit de la
responsabilité civile contractuelle.
Le texte n'est cependant pas impératif : l'assureur pourrait donc stipuler dans la police une
sanction plus dure, comme la suspension ou la résolution du contrat, voire la déchéance de
l'assuré1549. Les polices se bornent, le plus souvent, à reproduire la règle légale.

Redressement judiciaire de l'assuré ou de l'assureur 

L'art. L. 172-22 du Code des assurances, en définit l'incidence.


En cas de redressement ou de liquidation judiciaire de l'assuré, l'assureur peut résilier la police en
cours si l'assuré (ou l’administrateur) n'obtempère pas à la mise en demeure de payer la prime
qu'il lui adresse. Comme dans le cas ordinaire de non-paiement de la prime, cette sanction est
inopposable au tiers de bonne foi, bénéficiaire d'un transfert antérieur au sinistre et à la
notification de la résiliation (al. 1er).
La loi a prévu les cas où l'assureur est mis en redressement ou liquidation et celui où son
agrément lui est retiré. L'assuré a le droit de résilier la police comme l'assureur l'avait, dans
l'hypothèse inverse (art. L. 172-22).
Ces dispositions sont impératives.

Nullité, résiliation et cessation faute d'objet 

Ce sont trois notions qu'il ne faut pas confondre. On emploie pourtant le même mot « ristourne »
en cas de nullité ou de résiliation. La différence est simple. La nullité résulte d'un vice

1548
 Cette conservation des droits de l'assureur n'implique pas nécessairement l'exercice de l'action contre le
transporteur maritime : Com. 12 avr. 1976, DMF 1976. 683 ; Paris, 11 mars 1976, DMF 1976. 525 ; Com. 8 nov.
2011, DMF 2012 HS 16, n° 140 ; v. l'étude A. Chao, BT 1974.222.
1549
Com. 13 avr. 1967, BT 1967. 328.
460
contemporain de la formation du contrat ; la résiliation a pour cause un fait postérieur, survenant
pendant la durée de l'exécution du contrat.
L'assurance étant un contrat successif, il est impossible d'empêcher qu'elle ait produit ses effets
jusqu'au moment où survient la cause de résiliation ; jusque-là, l'assureur a couru les risques et,
par conséquent, les primes ou fractions de primes échues lui restent acquises. C'est pourquoi
l'expression de résiliation doit être employée de préférence à celle de résolution, qui implique
l'anéantissement du contrat avec effet rétroactif.
Pour que l'assurance soit résiliée, il faut que la cause de résiliation survienne avant que le contrat
ait produit tous ses effets, donc avant que le risque se soit réalisé. Toutefois, on admet que la
résiliation est possible, même après l'arrivée d'un sinistre, tant que ce sinistre reste ignoré des
parties. C'est une application de la règle qui assimile les risques putatifs aux risques réels.
Au cas de disparition des valeurs assurées pour une cause qui n'est pas à la charge des assureurs,
le contrat prend fin faute d'objet. C'est ce qui fait naître la question de l'indivisibilité de la prime.

461
CHAPITRE 4
LES OBLIGATIONS DE L’ASSUREUR

L'assureur a deux obligations : une obligation de couverture et une obligation de règlement. La


première dessine les contours de la garantie et délimite les risques garantis. Elle dépend de la
nature du contrat d’assurance et de la volonté des parties. L’obligation de règlement s’inscrit dans
ce cadre et se concrétise lorsque le sinistre se réalise. Il faut alors payer l'indemnité
conformément aux clauses contractuelles. Il faut examiner successivement dans quelles
conditions naît l’obligation de règlement, quelle en est l'importance, et les modalités de son
exécution. Nous verrons que les deux dernières questions doivent être traitées de front.
L'obligation de règlement de l'assureur étant subordonnée la survenance du risque, il ne servirait
en rien à l'assuré de demander la résiliation du contrat si l'assureur refusait le paiement de
l'indemnité.

SECTION 1. NAISSANCE DE L’OBLIGATION

L'assureur doit se comporter loyalement à l’égard de son assuré 1550. Il doit aussi payer l'indemnité
d'assurance calculée comme il sera indiqué lorsque la valeur assurée a subi un dommage du fait
d'un risque garanti par la police et survenu dans les conditions de lieu et de temps définies par la
police. C’est son obligation de règlement qui s’inscrit dans la couverture qu’il a acceptée.
Cependant, quoique toutes ces conditions soient remplies, l'obligation de règlement ne naît pas si
le dommage est dû à certaines causes. Le Code de commerce attachait cet effet au vice de la
chose, à la faute de l'assuré et à la baraterie de patron. Mais ses dispositions étaient supplétives de
la volonté des parties et les polices étaient moins strictes. La loi de 1967 a couronné l’évolution
développée entre-temps.
Lorsqu'il n'y a pas de cause d'exclusion, l'assureur garantit les dommages décrits dans la police. Il
n'est pas dit a priori que toute conséquence dommageable d'un sinistre couvert doive être garantie
par l'assureur, d’autant qu’il appartient à l’assuré d’établir que les conditions de couverture du
risque requises par la police sont réunies1551.

§1. Exclusion de certaines causes de sinistre

Vice propre de la chose 

L'assureur n'est pas garant des dommages et pertes matériels provenant du vice propre de l'objet
assuré (art. L. 172-18, a.).
Pour ceux qui réduisent le vice propre au défaut de la chose assurée, l'exclusion peut s'expliquer
par l'idée de faute. Telle n'est pas la position du droit positif français ; du moins est-elle plus
subtile. Le vice propre n'est pas un défaut ; c'est la propension naturelle que la chose a à se
détériorer. Des germes de blé arrivent avariés après une navigation en mer chaude. L'assureur
peut invoquer le vice de la chose, encore que les germes de blé fussent parfaitement sains au

1550
Encore faut-il rapporter la preuve de la déloyauté : Com. 10 mai 2012, DMF 2013 HS 17, n° 123.
1551
Rappr. en matière fluviale, Com. 16 déc. 2008, DMF 2009. 401, obs. Hubner.
462
départ ; c'est leur nature même d'avoir germé et rempli trop tôt leur office, ce qui les rend
inutilisables et sans valeur à l'arrivée1552. L'exclusion est traditionnelle. L'assurance protège contre
la survenance d'accidents, i. e. de risques, et non contre le cours naturel et courant des choses.
On peut alors soutenir qu'il y a un lien entre l'exclusion du vice propre et celle de la faute, mais
on précisera :
- que le vice propre doit être distingué du vice caché qu'un examen vigilant aurait pu déceler ;
- que la faute consiste dans la non-conformité entre le voyage maritime, tel qu'il a été aménagé
par les parties, et la nature de la marchandise ou les aptitudes du navire.
En fait, l'exclusion joue souvent dans les polices sur facultés, où il faut une clause expresse pour
que le vice de la chose soit garanti 1553 ; la preuve que le vice est ainsi garanti doit en être
administrée par l'assuré1554. En fait aussi, il est fréquent que le vice de la chose se conjugue avec
un défaut, l'insuffisance de l'emballage1555. Il est également fréquent que le vice propre aggrave
un dommage couvert par l'assureur. Il faut alors procéder à une ventilation qui n’est pas simple.

Dans l'assurance sur corps, le vice propre du navire est en principe exclu par la loi. Les polices
appliquent aussi la règle légale. Cependant, la règle a aujourd'hui beaucoup moins d'importance
qu'autrefois. Il est rare qu'un navire soit atteint d'un vice propre, et plus rare encore qu'on puisse
le démontrer. Le navire part muni d'un certificat de navigabilité, délivré par l'État ou par l'agent
de la société de classification ; il est à peu près impossible de démontrer, lorsqu'il est muni de ce
certificat régulier, qu'il a péri en mer par suite de son vice propre. C'est pourquoi la loi admet la
garantie du vice caché (cf. art. L. 173-4), sauf clause contraire1556.
Il faut avoir soin de distinguer le vice propre de la vétusté. Les assureurs connaissent l'âge du
navire et, à moins qu'il n'y ait une réticence, ils ne peuvent pas soutenir que le navire était trop
âgé pour résister aux dangers de la mer, puisqu'ils ont accepté de l'assurer. Le vice propre doit
s'entendre ici d'un défaut, qui serait inconnu de l'armateur et qui empêcherait le navire de résister
aux périls de la navigation1557.

Fait personnel de l'assuré 

Suivant le Code de commerce, « les dommages causés par le fait et faute des propriétaires… »
n'étaient pas à la charge des assureurs. Cette règle ne répondait plus à la conception moderne de
la sécurité civile et la loi, suivant l'usage des polices, l'a édulcorée. Aujourd'hui trois règles se
dégagent.
La première n'est pas impérative. Les risques assurés demeurent couverts même en cas de faute
de l'assuré ou de ses préposés terrestres, à moins que l'assureur ne démontre que le dommage est
dû à un manque de soins raisonnables de l'assuré pour mettre ses objets à l'abri des risques
survenus (art. L. 172-13, al. 1er)1558. L'assureur doit établir non pas n'importe quelle faute de
l'assuré, mais la faute qui consiste en bref à avoir aggravé par sa négligence les risques

1552
Com. 28 avr. 1965, Rev. Scapel 1965, 45.
1553
 v. la clause de rejet (« Rejection clause ») garantissant contre versement d'une surprime le risque de rejet de la
marchandise périssable par les autorités sanitaires pour quelque raison que ce soit, Paris 29 avr. 1985, DMF 1986.
406 ; égal. Paris 15 févr. 1996, DMF 1996. 712, obs. Nicolas.
1554
Com. 13 févr. 1963, DMF 1963. 280, obs. Lureau.
1555
Com. 16 mars1966, DMF 1966. 411.
1556
 v. A Bessé, DMF 1968. 451 ; Paris, 9 janv. 1973, DMF 1973. 345,où la preuve est rapportée.
1557
 Sur l'effet de l'innavigabilité, v. P. Lureau, DMF 1973. 259.
1558
v. Rouen 5 mars 1998, DMF 1998. 890, obs. Tantin.
463
normalement courus par ses objets. La règle légale se présente de façon différente qu'à l’époque
du Code de commerce ; au fond, elle n'a guère changé pour les fautes de l'assuré, mais la loi de
1967 a couronné l'évolution de la pratique pour celles du capitaine (ou de l'équipage).
La deuxième est impérative, sans doute même d'ordre public. L'assuré ne peut pas se couvrir
contre ses fautes intentionnelles ou inexcusables (art. L. 172-13, al. 2).
L'imprimé de police sur corps de 1941 avait mis à la charge des assureurs les dommages dus à un
vice caché du corps, pourvu qu'ils ne soient pas dus à une faute caractérisée des armateurs, de
leurs directeurs, chefs d'agence ou chefs de service technique. Cette notion de « faute
caractérisée » était difficile à cerner ; elle paraît n'être pas autre chose qu'une faute certaine, donc
une faute prouvée. La loi de 1967 est donc allée un peu plus loin que la pratique des polices, en
excluant de la garantie les fautes lourdes.

La loi du 22 décembre 1984 sur l'assurance maritime a introduit une réforme considérable :


désormais l'assuré peut couvrir ses fautes lourdes, puisque l'assureur ne répond pas des fautes
intentionnelles1559 ou inexcusables de l'assuré. La faute inexcusable est donc substituée à la faute
lourde de l'assuré comme cause d'exclusion - impérative - de la garantie 1560. Cette réforme
s'applique à tous les contrats d'assurance maritime soumis au droit français, assurance corps,
assurance facultés ou assurance de responsabilité ou encore assurance des auxiliaires du
transport. On a voulu aligner le statut de l'assuré sur celui des conventions internationales en
matière de transport ou de limitation de responsabilité qui exclut le bénéfice de la limitation de la
réparation en cas de faute intentionnelle ou inexcusable.
La troisième qui était également d'ordre public concerne ce qu'on appelait la baraterie de patron.

Baraterie du patron 

Traditionnellement, l'assurance maritime ne couvrait pas les faits et fautes du patron de la nef.
On considérait qu'une fois le contrat conclu et les risques définis, la force des éléments seule,
c'est-à-dire le hasard ou la Providence, devait compter pour faire jouer l'assurance. Cela d'autant
mieux que les préposés nautiques, et particulièrement le capitaine, étaient, sous ce rapport, traités
comme le patron. L'assurance était née à une époque où le patron était à bord et où le capitaine (le
pilote hauturier) dépendait immédiatement de lui. Dans cette conception, le fait (on ne dit même
pas : la faute) de l'assuré ne pouvait pas faire jouer la garantie de l'assureur. L'évolution se
manifesta d'abord pour les fautes du capitaine et de l'équipage. L'Ordonnance de 1681 ajoutait la
« baraterie du patron » au nombre des risques qu'il était permis de couvrir, mais les mots ont
changé de sens et la sémantique traduit l'évolution du commerce maritime : la baraterie de patron
ce sont les prévarications et autres fautes du capitaine. Il n'est toujours pas question de faire
supporter par l'assureur l'incidence de quelque agissement personnel de l'assuré (l'ancien patron).
L'imprimé de police sur corps du 1er décembre 1941 opéra un changement important en mettant
aux risques des assureurs les sinistres qu'il énumère même lorsqu'ils sont dus aux fautes des
préposés terrestres (la Direction à terre) de l'assuré (sauf leur dol et leur fraude). La même
formule se retrouve dans l'imprimé de 1979 et désormais dans la police de 2012.
1559
 Pour un ex. négatif, Paris 28 oct. 2009, BTL 2010. 11, DMF 2011 HS 15, n° 127. Pour un ex. positif, Com. 6
juill. 1999, DMF 2000. 515, rapp. Rémery, obs. P.L. Pour un cas de fraude à l'assurance qui a réellement défrayé la
chronique dans les années 60, v. le roman de Christian Harrel-Courtès, L'armateur, Ed. Olivier Orban, 1986.
1560
Pour des ex. de fautes inexcusables inassurables, v. DMF 2002, HS 6, n° 102. Une infraction à une règle de
sécurité peut être considérée comme une faute inexcusable ; mais, généralement, les polices prévoient directement
cette exclusion, v. Civ. 2e, 15 déc. 2005, Rev. Scapel 2006, 21.
464
Cette clause introduit dans l'assurance maritime, et sans doute par contagion, une règle admise
par le droit de l'assurance terrestre. La loi du 13 juillet 1930 autorise l'assurance des fautes, même
des fautes lourdes et ne prohibe que l'assurance des fautes intentionnelles ou dolosives (art. L.
113-1, al. 2). Seule celle-ci paraît contraire à l'esprit de l'assurance et le restera sans doute tant
que l'assurance existera. Quant à la police maritime, elle marquait, relativement à la pratique
terrestre, un plus grand attachement à la vieille conception : ce ne sont pas seulement les fautes
intentionnelles (le dol ou la fraude), mais encore les fautes caractérisées de l'assuré qui mettaient
obstacle à l'obligation de l'assureur.
L'équivoque est venue du changement dans l'acception du mot « patron ». C'était le patron de la
nef, notre armateur. Dans l'expression « baraterie de patron », le patron devenu est le capitaine.
Quant au mot baraterie c'est un vieux mot de la langue maritime qui a lui-même évolué ; c'était la
fourberie, la tromperie ; c'est devenu une faute quelconque du capitaine. Sur la base de ces
acceptions, la règle de droit a changé en 1967.
Le Code de commerce excluait de la garantie ce qui tenait aux prévarications et aux fautes du
capitaine et de l'équipage connues sous le nom de « baraterie de patron ». La règle était sévère.
Elle a d'abord été exclue des polices sur facultés : lorsque le chargeur s'assure contre des risques
maritimes, il lui importe peu que l'abordage ou l'échouement qui va gâter ses marchandises soit
dû à la faute du capitaine ou à un cas fortuit ; il n'a aucune action sur le capitaine et celui-ci ne le
représente pas.
Ensuite, la règle est passée dans l'assurance sur corps. Les armateurs ont fait remarquer qu'ils ne
pouvaient pas, comme les autres commettants, surveiller leurs préposés nautiques ; que la loi
maritime, par la règle de la limitation de responsabilité du propriétaire ou par la règle qui exclut
la responsabilité du transporteur en cas de faute nautique du capitaine, reconnaît que le lien qui
unit le capitaine à son armateur est moins serré que celui qui unit un préposé à son commettant.
On s'habitua peu à peu à l'idée que l'armateur pouvait s'assurer contre les fautes de son capitaine
ou de son équipage.

La loi de 1967 avait retenu cette évolution en marquant un seul point d'arrêt : « Les risques
demeurent couverts dans les mêmes conditions en cas de faute du capitaine ou de l'équipage, sauf
ce qui est dit à l'article L. 173-5 », étant précisé que dans l'assurance sur corps, « l'assureur ne
garantit pas les dommages et pertes causées par la faute intentionnelle du capitaine ».
Ainsi, dans l'assurance sur facultés, l'assuré était couvert même en cas de faute intentionnelle du
capitaine, tel étant le cas si le capitaine avait vendu à son compte les marchandises embarquées ;
dans l'assurance sur corps, le même genre de dommages n'était pas couvert par l'assurance, et ne
pouvait pas l'être, l'interdiction étant d'ordre public.

Faute intentionnelle du capitaine 

Ici encore, la loi du 22 décembre 1984 a apporté une modification profonde : l'article 40 (art. L.
173-5) qui interdisait de couvrir par l'assurance la faute intentionnelle du capitaine est conservé,
mais il n'est plus impératif. Les parties peuvent donc déroger à cette disposition pour couvrir dans
la police la faute intentionnelle du capitaine. On rappellera que de toute façon cette disposition ne
concerne que la police corps. À la suite de cette profonde modification, les polices corps ne
mentionnent pas dans les risques exclus la faute du capitaine et, à propos de l'assuré et de ceux
qui lui sont assimilés, elle ne mentionne plus les fautes caractérisées de ceux-ci, mais uniquement
leur faute intentionnelle ou inexcusable.

465
Dans le silence de la police, il est permis de penser que les parties n'ont pas écarté la faute
intentionnelle du capitaine comme cause d'exclusion. Il faut en effet rappeler que la loi précise
que : « Ne peuvent être écartées par les parties au contrat les dispositions des articles… » ; suit
une énumération où ne figure pas l'article L. 173-5. Cela veut donc dire a contrario que les
articles au contrat peuvent écarter les dispositions de l'article L. 173-5, puisque cet article n'a pas
été maintenu dans la liste des dispositions impératives. La faute intentionnelle du capitaine est
donc normalement exclue de la garantie. Si l'assuré désire être garanti dans ce cas, il doit donc
demander que cela soit expressément prévu dans les conditions de la police. N'étant plus
légalement inassurable, la faute intentionnelle du capitaine pourra désormais, si les assureurs
l'estiment possible, être garantie moyennant une surprime.

§2. Exclusion de certains types de dommages

Principe 

En règle générale, l'assuré demande à être indemnisé de toutes les conséquences dommageables
pour lui des sinistres couverts par la police. L'assurance couvrant, par exemple, l'incendie, toutes
les suites dommageables de l'incendie, pourvu que ce sinistre ne soit pas dû à l'une des causes
d'exclusion énumérées ci-dessus (v. ss 1114 s.), devront être supportées par l'assureur. C'est le
vœu de l'assuré, mais il faut encore que la police s'en explique et les polices types ne sont pas
aussi générales. Il faut d’abord tenir compte des exclusions de garanties 1561. En outre, les polices
ne garantissent pas sans distinction les suites des sinistres garantis, mais précisent les dommages
couverts et introduisent des exceptions.
Le dommage subi par l'assuré peut consister en une perte ou une avarie matérielle, dans un
préjudice commercial, dans une dépense exposée ou enfin dans le recours à un tiers et exercé par
lui contre l'assuré. C’est ce qu’il convient d’envisager.
A. Pertes et avaries matérielles

Dommages matériels 

Les assureurs répondent en principe de la perte et des avaries du navire, de la perte totale ou
partielle et des avaries de la cargaison. Mais ils ne répondent que des dommages matériels1562.
Les risques commerciaux ne sont pas garantis 1563. L’assurance facultés ne couvre donc pas la
disparition de la marchandise ayant pour origine des relations commerciales 1564. Les polices font
au moins deux applications de cette idée :

1561
Les déchéances et les exclusions de garantie doivent être prouvées par l’assureur. Il appartient néanmoins à
l’assuré d’établir que le sinistre est survenu dans des conditions conformes aux prévisions de la police, Aix-en-
Provence 18 oct. 2012, DMF 2013. 314, obs. Nicolas.
1562
V. en cas de fumigation, Com. 11 avr. 2012, DMF 2012. 711, rapp. Lecaroz, obs. Nicolas. L’image du produit
est immatérielle et son altération n’est donc pas garantie. Le problème se pose lorsque, par exemple, un incendie
survient à bord, que la marchandise est sauvée, mais qu’elle acquiert aussitôt une mauvaise réputation. V. Rouen 9
sept. 2004, DMF 2005. 1026, obs. Hubner ; égal. Com. 9 déc. 1997, DMF 1998. 472, obs. Latron.
1563
C’est pourquoi le défaut de paiement et la livraison irrégulière des marchandises ne sont pas couverts, sauf à
assimiler remise de la marchandise dans des conditions irrégulières et perte de la marchandise : Com. 3 nov. 2010,
DMF 2011. 115, rapp. Rémery, obs. Nicolas, RGDA 2011. 216, obs. Turgné.
1564
V. Com. 13 mars 2007, RGDA 2007. 672, note Turgné.
466
1. La saisie du navire, quelle qu’en soit la forme, même pratiquée par les créanciers en raison de
l'expédition maritime, n'est pas garantie par l'assurance (Police corps, art. 1.2.1, 5). La loi précise
que l'assureur n'est pas garant des dommages-intérêts ou autres indemnités à raison de toutes
saisies ou cautions données pour libérer les objets saisis (aujourd'hui art. L. 172-18, c).
2. Au cas de retard dans le transport, il n'y a pas garantie des assureurs1565.
On peut également faire entrer dans cette rubrique la règle que l'assureur ne répond pas des
dommages qui n'atteignent pas directement l'objet assuré, comme le chômage pour le navire, ou
la différence des cours pour les facultés (art. L. 172.18, d).

Franchises 

Pour éviter que de minimes réclamations ne soient adressées, les assureurs stipulent dans la
police une franchise. L'ordonnance de 1681 avait fait de cette pratique une règle légale et le Code
de commerce l'avait imitée.
La loi maritime n'en souffle mot. Les polices sont toujours libres d'établir ces franchises,
l’étendue de la garantie étant délimitée par la volonté des parties (v art. 25 de la police facultés :
« dans les cas où il est convenu d’une franchise, celle-ci est indépendante de la freinte usuelle de
route »).

Clause « franc d'avaries particulières » 

La pratique est née dans les polices sur facultés de la difficulté qu'éprouvent les assureurs à
établir le vice propre des marchandises à l'origine d'une avarie qui n'a atteint que tel ou tel lot et,
dans les polices sur corps, du souci d'éviter des contestations de fait sur l'origine des dommages
prétendus : un filin cassé, un foc déchiré, un arbre manivelle tordu l'ont-ils été par fortune de mer
ou par usure ? La clause s'est répandue avec la robustesse croissante des navires qui a fini par
rendre inutilement coûteuse la police tous risques et tous dommages. C'est la clause franc
d'avaries particulières (FAP). Insérée dans la police corps, par exemple, elle aura pour effet
d’exclure ces avaries, tout en couvrant encore les pertes totales, les dépenses d'assistance et de
sauvetage, les recours des tiers (parce que tous ces dommages ne sont pas des avaries) et les
avaries communes (parce qu'elles ne sont pas particulières). Ainsi conçue, cette clause présentait
un danger : les assurés avaient intérêt à la perte totale qui les défrayait, alors qu'une avarie les
laissait sans recours. Il y avait là une tentation à leur épargner. Aussi admit-on que si le navire
(ou les marchandises) avait couru le risque d'une perte totale sans qu'elle se soit réalisée, le
dommage serait couvert. Le Code de commerce avait recueilli cette tradition et lui avait donné
une ferme expression juridique (art. 409).
Malgré la clause « Franc d'avaries », l'assureur est tenu si le sinistre donne ouverture au
délaissement (art. L. 172-12 : « la clause franc d’avaries affranchit l’assureur de toutes avaries,
soit communes, soit particulières, excepté dans les cas qui donnent ouverture au délaissement ;

 Toutefois, l'article 7, 5° de la police facultés 2009 est plus libéral : il exclut les dommages et pertes matériels, les
1565

pertes de poids ou de quantités subies par les facultés assurées et résultant de « retard dans l'expédition ou l'arrivée
des facultés assurées, à moins qu'il ne résulte du naufrage, du chavirement ou de l'échouement du navire ou de
l'embarcation ; d'incendie ou d'explosion ; d'abordage ou de heurt du navire… une voie d'eau ayant obligé le
navire… à entrer dans un port de refuge et à y décharger tout ou partie de sa cargaison ». Il reste que le retard dans le
transport n'est pris en considération que dans la mesure où il affecte les particularités physico-chimiques de la
marchandise et non pas le prix de marché de celle-ci.
467
dans ces cas, l’assuré a l’option entre le délaissement et l’action d’avarie »). Mais c'est là une
règle supplétive de la volonté des parties et les assureurs peuvent donc l'écarter.

Clause « franc sauf » (FAP, sauf…)1566 

Un autre tempérament consista à prévoir dans les polices l'énumération des genres de sinistres
qui, quoiqu'ils ne donnent naissance qu'à des avaries particulières, seront couverts par l'assureur.
C'est la clause « franc sauf … » que l'on a vu apparaître dans des polices aux environs de 1840 et
qui s’est répandue. Cette clause rejoint la tradition de l'assurance maritime française, mais il
subsiste avec l'assurance « tous risques » des différences dont la plus importante concerne la
preuve : dans l'assurance tous risques, l'assuré doit établir la réalité du dommage et n'a pas à
établir que le sinistre est dû à une fortune de mer ; dans l'assurance « franc sauf », il faut
successivement établir la réalité du dommage et son origine qui doit entrer dans l'énumération
ouverte par la préposition « sauf ». La couverture étant restrictive, ne sont couverts, dans les
polices facultés, que les pertes et dommages causés aux marchandises par l’un des événements
envisagés dans l’énumération limitative énoncée par le contrat. La règle courante dans les polices
sur corps est d'excepter les risques d'abordage, de heurt contre un corps fixe, mobile ou flottant,
d'échouement1567 et d'incendie. L'assuré doit alors faire la preuve de l'une de ces quatre sortes
d'événements, moyennant quoi les avaries, même particulières, donneront lieu à indemnité 1568.
L'imprimé de police de 2009 ne propose pas en règle ce système et garantit l'assuré contre « les
dommages et pertes matériels ainsi que les pertes de poids et quantités causés aux facultés
assurées par un des événements dûment énumérés… ».
L'imprimé d'assurances sur facultés du 18 août 1940 laissait aux assurés le choix entre l'assurance
« tous risques »1569 (expression d'ailleurs inexacte et qui serait même trompeuse si elle ne
s'adressait à des initiés) et l'assurance « franc d'avaries particulières sauf… », mais précisait qu'en
l'absence de stipulation expresse accordant la garantie « tous risques », les facultés seront
assurées aux conditions « FAP sauf ».
Ce second mode d'assurance met aux risques des assureurs les dommages et pertes matériels ainsi
que les pertes de poids ou de quantités causées aux objets assurés par un des événements figurant
dans certaine énumération limitative. La liste en est très longue, mais elle est limitative et c'est à
l'assuré d'établir que le dommage tient à l'une des causes ainsi énumérées. À l’origine, cette liste
ne comprenait que l'incendie, l'échouement et la collision. Elle s'est peu à peu allongée et
comprend depuis l'imprimé de 1968 des risques non maritimes comme la chute d'arbres ou
l'inondation, l’éruption volcanique et la chute d’aéronefs. Cette preuve faite, l'assureur peut
établir qu'il y a quelque cause d'exclusion comme le vice de la chose1570.
1566
 A. Bessé, Assurance maritime sur corps. La clause « Franc sauf », 1957.
1567
 L'échouement est l'état d'un navire qui touche le fond ou heurte le rivage et se trouve immobilisé faute d'eau
suffisante sous la quille. Est-il nécessaire que l'immobilisation dure un certain temps ? La situation restera-t-elle celle
d'un échouement si le navire réussit à se décharger par ses seuls moyens, même forcés ?
L'échouement ne sera pas réalisé si l'événement a été volontaire (c'est l'échouage dans un port à marée) ou même si,
sans être volontaire, les circonstances étaient telles qu'il devait s'échouer (amarrage au quai dans un port à marée).
1568
Seule la preuve par l’assuré d’un événement visé par la police peut déclencher l’assurance. Il n’est cependant
pas nécessaire qu’il y ait une causalité directe ou immédiate. Il suffit de retenir la cause déterminante ou efficiente,
sans laquelle la matérialité du préjudice ne se serait pas manifestée ou développée, en donnant naissance au
dommage subi et en justifiant ainsi le règlement de l’indemnité, cf. Latron, obs. sous Angers 12 sept. 2006, DMF
2007. 17.
1569
 Sur l'assurance « tous risques », v. P. Bonassies, chron. DMF 1994. 185, n° 102.
1570
Aix-en-Provence 26 juin 1973, Rev Scapel 1973, 35.
468
Selon les imprimés actuels, les assureurs offrent l'une ou l'autre des polices : ou bien une police
garantie « tous risques »1571 ou une police garantie « FAP sauf… » (Événements majeurs :
naufrage, abordage, voie d’eau, chute de colis…). Les deux polices sont tout à fait comparables
dans leur présentation.
B. Avaries frais

Frais exposés 

Les assureurs prennent à leur charge les frais exposés pour éviter un dommage dans le cas où ils
répondraient du dommage souffert. Les frais, dans ce cas, sont faits dans leur intérêt (art. L. 172-
11, 2° : « l’assureur répond… des frais exposés par suite d’un risque couvert en vue de préserver
l’objet assuré d’un dommage matériel ou de limiter le dommage »)1572.
Le plus souvent, ces frais sont classés en avaries communes. Il en est ainsi notamment de la
rémunération d'assistance. Mais les assureurs répondent même des frais qui seraient classés en
avaries particulières, à la condition que ces frais ne rentrent pas dans les dépenses normales de
l'expédition.

Pour la même raison les assureurs prennent à leur charge les frais de sauvetage ; du reste, le plus
souvent, c'est le représentant des assureurs qui dirige lui-même le sauvetage.

Enfin les assureurs supportent les frais d'expertise ou les frais de justice exposés à raison d'un
risque dont ils répondent1573.
C. Recours des tiers

Recours de responsabilité 

L’assuré est d’abord exposé au recours des tiers victimes d’un accident de navigation. Soit un
navire auteur d’un abordage. L’armateur responsable de cet abordage n'a pas besoin d'assurer
spécialement sa responsabilité : elle se trouve assurée en même temps que son navire. L'assureur
du navire prend à sa charge le recours des tiers, ce qui ne se produit généralement pas dans
l'assurance terrestre. En matière maritime, les assureurs acceptent de prendre à leur charge ce
type de recours, parce qu'ils ont pour eux la limitation légale de responsabilité. Les polices ont
tenu compte des modalités modernes de cette limitation et prévu que le fonds de limitation étant
affecté à l'indemnisation des victimes, il fallait, outre cette fonction de l'assurance, garantir
l'assureur contre les dommages et pertes au navire.
C'est la police qu'il faut considérer pour apprécier l'ordre de garantie due par l'assureur. La loi se
borne, dans l'assurance sur corps, à donner cette règle, supplétive de la volonté des parties, que
l'assureur est garant, sauf les dommages aux personnes, des dommages de toute nature dont
l'assuré serait tenu sur le recours des tiers en cas d'abordage par le navire assuré ou de heurt de ce

1571
 Sur la garantie complémentaire qui peut se superposer à une assurance facultés, et sur l'application de l'article
1157 C. civ., selon lequel, lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec
lequel elle peut avoir quelque effet, Paris, 21 janv. 1993, BT 1993.290 ; chron. P. Bonassies, DMF 1994. 185, n° 103.
1572
v. Rouen 21 sept. 2006, DMF 2007. 211, obs. Turgné.
1573
 V. pour les frais de renflouement de l'épave du navire assuré et sur leur imputation propre à ne pas dépasser la
limite de la somme assurée, Rennes, 17 févr. 1969, DMF 1969. 673.
469
navire contre un corps fixe ou mobile (art. L. 173-8)1574. La règle qui n’est pas impérative, est
précise et ne doit pas être étendue à d'autres genres de sinistres. Elle est susceptible de
modification dans un sens ou dans l'autre, soit que l'assureur accepte de garantir l'assuré contre
les recours des personnes blessées ou les ayants droit des personnes décédées, soit à l'inverse qu'il
se refuse à le garantir contre les recours pour dommages matériels.
Les polices sur facultés ne prévoient pas la garantie du recours des tiers. La chose ne serait
pourtant pas sans intérêt pour les marchandises qui peuvent en contaminer d'autres ou qui
peuvent provoquer un incendie, une explosion…

Recours en contribution d'avarie commune 

L'armateur et les chargeurs peuvent être, en outre, appelés à verser une contribution pour avarie
commune. Les assureurs acceptent de prendre à leur charge cette contribution. Si le sacrifice
n'avait pas été fait, les objets assurés auraient en effet péri. Ils sont donc les premiers intéressés à
l'acte constitutif de l'avarie commune. La police sur facultés (imprimé de 2009) prévoit cette
garantie (art. 5-3°), comme le fait la police sur corps (art. 1.1.3).
Dans le silence des polices, c'est ce que prévoit la loi, puisqu’il est dit que l’assureur répond de la
contribution des objets assurés à l’avarie commune, sauf si celle-ci provient d’un risque exclu par
l’assurance (art. L. 172-11).

SECTION 2. RÈGLEMENT D’INDEMNITÉ

Il serait logique d'examiner distinctement et successivement l'importance de l'indemnité et les


modalités de son règlement. Mais, en matière maritime, il existe, à côté du règlement d'avaries
qui, comme en matière terrestre, consiste à calculer et à établir le montant de l'indemnité, un
mode de règlement qui dispense d'un pareil calcul ou qui du moins dispense de l'affiner : c'est le
règlement par délaissement. C'est donc suivant les modalités du règlement qu'il faut diviser la
matière.
L'assuré a la faculté de demander dans certains cas un règlement par délaissement au lieu et place
du règlement d'avaries qui est plus habituel.

§ 1. Règlement d’avaries

Principe indemnitaire et action d'avarie

L'assureur est tenu, en vertu du contrat d’assurance, de payer l'indemnité si le risque couvert
vient à se réaliser. Mais l'assurance ayant un caractère indemnitaire, l'assuré ne peut recevoir une
somme supérieure au préjudice subi. De plus, l'assuré peut n'être que partiellement assuré ; il y a
lieu alors à règlement proportionnel. Enfin, les parties sont libres de faire peser sur l'indemnité
promise des réductions conventionnelles. Pour toutes ces raisons, le règlement de l'indemnité est
assez complexe. Ce règlement se fait par une action d'avaries. Bien que l'on emploie cette
expression, le règlement peut être amiable. Il n'est judiciaire que si l'assuré n'accepte pas le
1574
 Le tiers victime d'un dommage causé par un abordage a donc un droit direct d'action contre l'assureur-corps
(Com. 3 févr. 1987, DMF 1988. 306, obs. R.A. ; Bonassies, Le droit positif français en 1988, DMF 1989. 173,
n° 112).
470
règlement proposé par les assureurs. Il s'agit de calculer la partie du risque subi par l'assuré qui
doit être à la charge de l'assureur. Cette question est plus compliquée dans l'assurance sur facultés
que dans l'assurance sur corps, par suite des clauses des polices.
A. Indemnité dans l'assurance sur corps

Montant des réparations 

Les règles de l'assurance sur corps sont assez simples. Le navire est assuré, en général, pour une
valeur agréée. Il a pu subir une perte totale ou être vendu comme navigable, mais il est rare, dans
l'hypothèse d'une perte totale, qu'on fasse le règlement par avarie ; en général l'assuré délaissera.
L'hypothèse pratique est celle où le navire a subi des avaries qui nécessitent des réparations. Le
montant du préjudice est alors facile à calculer d'après le coût des réparations. Tout l'effort des
assureurs a consisté à éviter, par les clauses de la police, que l'assuré ne majore frauduleusement
le préjudice qui lui est causé ; à cette fin, les assureurs se réservent le droit de surveiller eux-
mêmes les réparations ou, mieux, de les mettre en adjudication.
Dans le cas où l'assuré refuse cette adjudication, par exemple parce qu'il ne veut pas que tel
chantier répare son navire, la clause de la police l'oblige à subir une diminution de l'indemnité de
25 %, afin que sa résistance ne soit pas injustifiée.
Le navire réparé peut subir une dépréciation commerciale tenant à la réparation. Les polices
déclarent qu'elles ne répondent pas de cette dépréciation commerciale et la loi du 3 juillet 1967 a
recueilli cette pratique, à titre supplétif (art. L. 173-11 : « dans le règlement d’avaries, l’assureur
ne rembourse que le coût des remplacements et réparations reconnus nécessaires pour remettre le
navire en bon état de navigabilité, à l’exclusion de toute autre indemnité pour dépréciation ou
chômage ou quelque autre cause que ce soit »).
L'article L. 173-12 donne une règle intéressante spéciale à l'assurance sur corps : « Quel que soit
le nombre d'événements survenus pendant la durée de la police, l'assuré est garanti pour chaque
événement jusqu'au montant du capital assuré, sauf le droit pour l'assureur de demander après
chaque événement un complément de prime ». Sans cette règle, on eût peut-être décidé que la
valeur assurée constituait le plafond de l'indemnité due par l'assureur au cours de la police.
L'origine de cette règle est dans l'article 21 de l'imprimé de police sur corps de 1941, mais la
règle a changé depuis. D'après cette police type, il y avait un règlement distinct par voyage de
sorte que l'assuré était aussi bien garanti par une police à temps que s'il avait conclu autant de
polices aux voyages qu'il devait faire de voyages pendant la durée de sa police. Ainsi, il arrivait
qu'un assureur, en cas d'accidents dans plusieurs voyages différents, fût tenu au-delà de la somme
assurée. La loi va plus loin, et fait, après chaque événement, repartir la police à zéro comme si
l'assureur n'avait encore rien payé. Il y a règlement distinct par événement et non plus par
voyage1575. L’art. L. 173-12 n’est cependant pas impératif.

Différence du vieux au neuf 

 La loi prévoit donc une limitation pour chaque événement avec reconstitution du capital moyennant une
1575

surprime. La police corps prévoit que chaque événement fait l’objet d’un règlement distinct et ajoute qu’en cas de
plusieurs événements survenus au cours du même voyage, chaque événement fait l’objet d’un règlement distinct.
Toutefois, sont considérés comme attribuables à un même événement : les pertes ou dommages subis par le navire
assuré lorsqu’ils résultent d’une même cause ; les pertes ou dommages subis par le navire assuré durant un voyage
entre deux ports lorsque ces pertes et dommages sont dus au mauvais temps ou causés par les glaces, même si le
navire a connu plusieurs périodes de mauvais temps ou de glaces en cours de voyage.
471
Inversement, il se peut que le navire réparé vaille plus que le navire neuf : par exemple si on
change la machine. Dans ce cas, pour éviter que l'assuré ne s'enrichisse par la réparation, il y a
lieu de lui faire subir la différence du vieux au neuf. Autrefois, on fixait cette déduction au chiffre
arbitraire du tiers. Aujourd'hui, il n’est admis dans les avaries particulières que les remplacements
et réparations nécessaires pour remettre le navire dans son état précédant l’événement, tel
qu’estimé par les experts sur la base de documents justificatifs. L’assuré ne peut prétendre à
aucune indemnité, ni pour dépréciation, ni pour une autre cause quelconque. Les assureurs
règlent l’indemnité correspondante à l’assuré sur présentation de factures acquittées. À la
demande expresse et écrite de l’assuré, les assureurs peuvent régler ces factures directement au
tiers qui les a émises dans les limites du montant de l’indemnité. L’assuré doit informer les
assureurs préalablement toute décision relative aux réparations ; les assureurs ont le droit d’exiger
que les remplacements et réparations soient exécutés après avoir procédé à un appel d’offres.

Frais accessoires 

La réparation peut entraîner des frais accessoires ; les assureurs déclarent dans la police qu'ils ne
payeront pas certains frais. :
Ainsi, les vivres et gages de l'équipage ainsi que les matières consommées pendant la durée des
réparations ne sont pas à la charge des assureurs, sauf dans les cas suivants :
- pendant le délai qui s’écoule entre la date d’établissement du cahier des charges et celle de
l’adjudication ;
- pendant le séjour du navire dans l’attente des pièces de rechange indispensables à la poursuite
du voyage, les gages et vivres d’équipage ainsi que les matières consommées sont, pendant la
durée du transport des pièces, à la charge des assureurs. Les dépenses supplémentaires engagées
en vue d’accélérer la livraison des pièces de rechange sont également à la charge des assureurs.

En l'absence de clause, l'assureur ne devrait pas davantage ces frais parce qu'ils n'entrent pas dans
l'ordre des « dommages matériels causés aux objets assurés », selon l’expression de l'article
L. 172-11.

Franchise 

Le Code de commerce instituait une franchise légale de 1 % qui avait une double fonction : d'une
part, elle écartait tout règlement lorsque l'avarie n'atteignait pas 1 % ; c'était une sorte de fin de
non-recevoir des trop petits règlements ; d'autre part, elle était déduite du montant du préjudice
lorsque l'avarie dépassait ce chiffre ; en cela, elle était une marge qui restait à la charge de
l'assuré.
La police corps de 2012 ne fixe pas de chiffre et prévoit que les indemnités dues au titre d’un seul
événement sont réglées :
- sous déduction de la franchise indiquée aux conditions particulières, étant précisé que
lorsqu’une réclamation concerne plusieurs risques couverts, une seule franchise sera appliquée ;
- sans franchise, en cas de dépassement ou délaissement du navire assuré et de sinistres dûment
garantis.

Cette déduction de la franchise laisse parfois l'assuré sans indemnisation suffisante, et les
armateurs contractent une assurance auprès des clubs de protection et d'indemnité, qui répondent

472
des avaries que les assureurs ne couvrent pas. En fait, la franchise a pour but d'obtenir des taux de
primes plus réduits. Prime et franchise sont des éléments qui opèrent en sens inverse.

Lorsqu'on cherche à laisser à l'assuré un intérêt à ce que le sinistre ne se produise pas, on stipule
non pas une franchise, mais un découvert. Par exemple, un navire sera assuré à 90 % de sa valeur
agréée, ce qui interdit à l'assuré de couvrir le dixième restant. La règle de proportionnalité opérera
alors. La mise en œuvre de cette règle ne tient pas ici à l’existence d’une sous-assurance, mais
d’un simple découvert.

B. Indemnité dans l'assurance sur facultés

Expertise et vente

Au cas d'avarie subie par les marchandises, on peut déterminer le montant de l'avarie par
expertise. De nos jours, l’expertise établie et produite par l’une des parties, le chargeur ou le
destinataire, dans l’assurance facultés, est assez répandue1576. Il arrive aussi, comme la
marchandise expédiée par mer est en général vendue à l'arrivée et qu'elle sera, au cas d'avarie,
refusée par le destinataire, qu’elle passe en vente publique. On dit alors qu'il y a mévente. Le prix
inférieur obtenu indique le préjudice souffert par l'assuré.

Règlement par différence et règlement par quotité

Le règlement par différence consiste à déduire la valeur des marchandises à l'état d'avarie de leur
valeur à l'état sain, pour connaître exactement le préjudice souffert par l'assuré. Ce règlement
offre des inconvénients si, pour calculer la valeur de la marchandise à l'état d'avarie, on prend le
résultat de la vente publique. En effet, dans le résultat de la vente entrent en ligne de compte non
seulement l'avarie matérielle de la marchandise, mais les fluctuations des cours commerciaux, de
telle sorte que le calcul par différence fait subir à l'assureur la baisse du cours de la marchandise,
ou inversement, le fait profiter de la hausse. On mêle donc à la question de l'assurance une
question commerciale, alors que l'assurance maritime doit garantir l'assuré contre les
détériorations matérielles, mais non pas contre la baisse des cours.
C'est pour cette raison que depuis longtemps, dans l'assurance maritime, on règle par quotité,
c'est-à-dire que l'on cherche le rapport existant entre la valeur de la marchandise à l'état sain et sa
valeur à l'état d'avarie. On applique ensuite cette proportion à la valeur d'assurance, c'est-à-dire à
la valeur des marchandises au jour du débarquement. Cette règle s'est imposée depuis très
longtemps dans l'assurance maritime, parce que, avant 1885, il était défendu d'assurer le profit
espéré. Il fallait donc retrouver exactement la valeur de la marchandise au jour de départ, et l'on
ne pouvait pas tenir compte des fluctuations commerciales. La règle s'est maintenue, même après
la loi de 1885, par application de ce principe que l'assurance ne couvre que les détériorations
matérielles.

1576
Cette expertise est un élément de preuve important. Mais les juges conservent leur pouvoir d’appréciation ; plus
précisément, ils ne peuvent se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties :
Cass., ch. mixte, 28 sept. 2012, D. 2012. 2317.De même en est-il à l’égard d’une expertise judiciaire. Une expertise
judiciaire irrégulière est sanctionnée par une nullité : Cass., ch. mixte, 28 sept. 2012, D. 2012. 2317.
473
Supposons par exemple une marchandise assurée pour sa pleine valeur qui à l'arrivée se serait
vendue 1 000 au jour prévu, au port de destination et supposons qu'après le sinistre, elle ait, en
fait, été vendue 500. Va-t-on dire qu'elle a perdu la moitié de sa valeur, de sorte que l'assureur
devra, dans notre hypothèse, payer une indemnité de 500 ? Non, parce que le prix de vente après
l'avarie tient compte certes de cette avarie, mais peut aussi tenir à un effondrement des cours, ou
au contraire à une hausse imprévue. Or, l'assurance, contrat d'indemnité, ne doit pas tenir compte
des éléments commerciaux du marché. Aussi, en pareil cas, on doit rechercher ce qu'aurait valu la
marchandise à l'état sain si elle avait été vendue dans les mêmes conditions, et c'est le rapport
entre ce prix de vente fictif et le prix auquel la marchandise est vendue qui déterminera la quotité
réelle de l'avarie.

Ainsi, dans notre exemple supposons que la marchandise après avarie se soit vendue 500. On ne
fixera pas le rapport de 500 à 1 000, valeur de la marchandise agréée au départ. On se demandera
ce qu'aurait rapporté la marchandise si elle avait été vendue saine au jour et au lieu où la
marchandise avariée l'a été. On trouvera ainsi par exemple (parce qu'il y a un effondrement des
cours à cet endroit et à ce jour) qu'elle n'aurait rapporté que 800. En pareil cas, la perte réelle est
donc dans le rapport de 500 à 800. Elle est des 3/8, non de 1/2 et l'assureur devra donc  : 1 000 x
3/8 = 375. La dette sera de 375, alors que si l'on n'avait pas pris cette précaution, elle aurait été de
500. L'assureur y gagne, ce qui est juste car si la marchandise avariée n'a été vendue que 500, ce
n'est pas seulement parce qu'elle avait perdu de sa valeur, c'est aussi parce que la conjoncture du
marché était défavorable aux vendeurs au moment où la vente a eu lieu.

L'inverse peut se produire. Supposons maintenant que la marchandise ait été vendue en fait 500,
mais que si elle avait été saine, elle se serait vendue 1 200, non pas 1 000. En pareil cas, la perte
de l'assuré a été plus forte qu'il ne paraîtrait d'abord. Il aura droit à une indemnité de
1 000 x 7/12 = 583. On dit en pareil cas qu'on procède par quotité, non par différence.

Règle proportionnelle en cas de sous-assurance 

En cas de sous-assurance, c'est-à-dire lorsque la valeur assurée est plus forte que la somme
assurée, l'assureur ne doit jamais plus que la somme assurée, et il ne la doit tout entière que si le
sinistre est total. Des marchandises valant 1 000 ont été assurées pour 800. C'est seulement en cas
de perte totale, que l'indemnité d'assurance atteindra 800. Si la perte est partielle (ou en cas
d'avarie) il y aura lieu d'appliquer la règle dite de proportionnalité. On considère en pareil cas que
l'assureur et l'assuré sont en contribution et qu'ils doivent l'un et l'autre contribuer au règlement
du sinistre en proportion de leurs intérêts. En l'espèce, on considère donc que l'assureur a assuré
pour 800 et l'assuré pour 200. L'assureur paiera donc les 8/10, soit les 4/5 du sinistre. Si celui-ci
se traduit par une perte de 100, l'indemnité sera de 4/5 x 100 = 80.
Cette règle n'opère pas pour les navires qui sont toujours assurés « en valeur agréée » au sens fort
des mots. La valeur agréée est, par l'effet de la convention des parties, la valeur réelle du navire.
Dès lors, il n'y a pas de proportionnalité à faire jouer, car la valeur agréée supprime le soupçon
d'une sous-assurance.

Si l'on combine cette règle de proportionnalité avec le règlement par quotité, le calcul sera plus
complexe. Reprenant l'exemple chiffré précédent, on aboutira à ce résultat : si la marchandise, qui
aurait valu 1 000 a été assurée pour 800 et si elle a été vendue 500 alors qu'à l'état sain, elle aurait

474
été vendue 700, la perte de l'assuré, dont l'assureur doit tenir compte, est alors de
1 000 x 4/5 x 2/7 = 228. Si elle a été vendue 500 alors qu'à l'état sain elle aurait valu 1 200,
l'assureur devra payer : 1 000 x 4/5 x 7/12 = 466. En bref, on applique aux résultats du calcul par
quotité la fraction qui représente la part de l'assureur dans la contribution au sinistre (dans notre
exemple : 4/5 pour lui et 1/5 pour l'assuré).

Règlement au brut 

Quand le règlement par quotité a été adopté, on a voulu le rendre aussi favorable que possible à
l'assuré. On s'est demandé s'il fallait régler au brut ou au net. Le destinataire de la marchandise a
des frais de douane ou de débarquement. Si on règle au brut, on ne déduit pas les frais à l'arrivée ;
si on règle au net, on les déduit.
La jurisprudence a admis qu'il fallait régler au brut, parce que, de toute façon, les frais auraient
été supportés par l'assuré, même si la marchandise était arrivée en bon état. On replace l'assuré
dans la situation où il serait si la marchandise était arrivée en bon état. C'est tout ce que l'on peut
faire pour lui.

Franchises 

Le Code de commerce commandait également en matière d'assurance sur facultés une franchise
de 1 %, mais elle n'avait pas grand sens si l'on pensait par là inciter l'assuré à montrer plus de zèle
pour sauver ses marchandises en l'intéressant à ce qu'il n'y ait pas de sinistre ; depuis qu'ils ne
montent plus à bord des navires, les marchands n'ont guère le moyen d'éviter les sinistres ou d'en
circonscrire les effets. Les assureurs avaient substitué à la franchise légale des franchises
conventionnelles, énumérées par la police et présentées sous forme de tableau. La franchise
représentait la sensibilité de la marchandise aux risques de mer et constituait l'équivalent d'un
supplément de prime acquis aux assureurs. Elle compensait l'uniformité de la prime.
La police de 1979, après celle de 1944, avait supprimé ce tableau et établi sur les avaries
particulières une franchise de 5 % à l'exception de celles qui proviennent des événements prévus
dans une assurance FAP. Elle posait en outre la règle que la franchise est toujours indépendante
du coulage, déchet ou freinte de route tel qu'il résulte des usages.

Les franchises avaient un inconvénient assez grave, celui de ne plus donner à l'assuré une
garantie suffisante. On y avait remédié par le règlement par séries. L'usage était de diviser la
cargaison en plusieurs séries distinctes, dont chacune est censée avoir fait l'objet d'une assurance
séparée, sur laquelle se calcule le taux de la franchise. Par exemple, une cargaison assurée pour
100 000 euros est divisée en dix séries de 10 000 euros chacune. La franchise étant de 5 %, un
manquant ou une détérioration portant sur l'une des séries fera naître pour l'assuré le droit à
l'indemnité, pourvu que la perte dépasse 500 euros.

La police-type actuelle (imprimé 2009 ; art. 19) accentue en principe ce mode de règlement en


décidant que le règlement de l’indemnité d’assurance est établi séparément sur chaque colis, sauf
pour les marchandises chargées en vrac pour lesquelles il est établi par cale, par citerne, ou sur
l’ensemble.

475
CHAPITRE 5
L’EXTINCTION DU CONTRAT D’ASSURANCE

Nullité. Non renouvellement. Résiliation 

Le contrat d’assurance est exposé à une série de causes de nullité. Sans doute est-il encore plus
exposé que les autres contrats, car la loi organise d’une manière particulière la théorie des vices
du consentement. La réticence, même non intentionnelle, peut justifier une annulation du contrat
(art. L. 172-2). Il se peut aussi qu’une seule de ses clauses soit nulle 1577. Cette nullité n’affecte
cependant pas le contrat lui-même. Si l’objet est illicite, si par exemple, les facultés font l’objet
d’u commerce prohibé ou illicite, l’assurance ne s’applique pas.
Le contrat peut aussi être frappé de caducité : ainsi en est-il, en matière de facultés (art. L. 173-
17-1), si les risques n’ont pas commencé courir dans les deux mois de l’engagement des parties
ou de la date qui a été fixée pour prise en charge, cette disposition n’étant applicable aux polices
fonctionnant par déclaration d’aliment que pour le premier aliment.
Le contrat cesse également de produire ses effets si, conclu pour une période déterminée – ce qui
est généralement le cas (un an, le plus souvent) -, il n’est pas renouvelé ou reconduit tacitement.
Il est également susceptible d’être résilié chaque fois que l’assuré manque à ses obligations dans
des conditions qui sont plus ouvertes qu’en droit commun (art. L. 172-20).

Il faut également tenir compte des causes spéciales de résiliation, prévues par les contrats eux-
mêmes (retrait d’agrément de l’assureur ; changement de pavillon du navire ; changement de la
compagnie chargée de la gestion du sinistre ; commun accord des parties ;…) ou encore par des
textes particuliers : ainsi, l’art. L. 173-22 prévoit-il que si l’assuré qui a contracté une police
fonctionnant par déclaration d’aliment ne s’est pas conformé aux obligations prévues par les
textes réglementaires, le contrat peut être résilié sans délai à la demande de l’assureur qui a droit,
en outre, aux primes correspondant aux expéditions non déclarées ; si l’assuré est de mauvaise
foi, l’assureur peut exercer le droit de répétition sur les versements qu’il a effectués pour les
sinistres relatifs aux expéditions postérieures à la première omission intentionnelle de l’assuré.

Cession de la police 

En revanche, le contrat d’assurance (corps) ne s’éteint pas si le bien assuré vient être cédé. La
solution existe en droit commun des assurances (art. L. 121-10). En droit maritime, l’art. L. 173-
14 indique qu’en cas d’aliénation ou d’affrètement coque-nue du navire, l’assurance continue de
plein droit au profit du nouveau propriétaire ou de l’affréteur, à charge pour lui d’en informer
l’assureur dans le délai de 10 jours et d’exécuter toutes les obligations dont l’assuré était tenu
envers l’assureur en vertu du contrat1578.

1577
Est nulle, au regard de la théorie de la cause contrepartie, la clause qui tend à réduire la durée de la garantie de
l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré, v. Com. 14 déc. 2010, DMF 2011 HS 15,
n° 129.
1578
L’aliénation de la majorité des parts d’un navire en copropriété entraîne seule l’application de l’art. L. 173-14
(cf. art. L. 173-15).
476
Le texte laisse cependant la possibilité à l’assureur de résilier le contrat dans le mois du jour où il
aura reçu notification de l’aliénation ou de l’affrètement. Cette résiliation ne prendra toutefois
effet que quinze jours après sa notification.
C’est donc une cession de contrat qui se trouve clairement organisée par le droit des assurances
maritime qui va jusqu’à en préciser le régime : l’aliénateur ou le fréteur reste en effet tenu au
paiement des primes échues antérieurement à l’aliénation ou à l’affrètement, ce qui correspond
parfaitement à la théorie de la cession de contrat. Le texte de l’art. L. 173-14 n’est cependant pas
impératif. Rien ne s’oppose à ce que le cessionnaire fasse son affaire de ces primes antérieures.
Rien ne s’oppose non plus à ce qu’à l’inverse le cédant se porte garant des dettes du cessionnaire.

Prescription 

Aux termes de l'article (art. L. 172-31), toute action née du contrat d'assurance se prescrit par
deux ans. Le texte est impératif, ce qui interdit toute clause contraire (art. L. 171-2). Mais rien ne
s’oppose à ce que le créancier renonce au bénéfice de la prescription.
Le Code de commerce fixait un délai de cinq ans mais le faisait courir du jour du contrat, ce qui
était contraire, pour les actions d'avaries à la règle actioni non natae non praescribitur, mais ceci
n'avait pas d'inconvénient, compte tenu du long délai donné pour agir.
L’art. R. 172-6 a substitué à cette règle les dispositions plus appropriées aux diverses actions ; le
délai court :
- En ce qui concerne l'action en paiement de la prime, de la date d'exigibilité ;
- En ce qui concerne l'action d'avarie, de la date de l'événement qui donne lieu à l'action 1579 ; pour
la marchandise, de la date de, l'arrivée du navire ou autre véhicule de transport, ou, à défaut de la
date à laquelle il aurait dû arriver ou, si l'événement est postérieur, de la date de cet événement ;
- Pour l'action en délaissement, de la date de l'événement qui y donne droit ou, si un délai est fixé
pour donner ouverture à l'action, de la date d'expiration de ce délai ;
- Lorsque l'action de l'assuré a pour cause la contribution d'avarie commune ou la rémunération
d'assistance du jour de paiement. Pour l'action en répétition de toute somme payée en vertu du
contrat d'assurance, le délai court alors de la date du paiement indu. Lorsque l’action de l’assuré a
pour cause le recours d’un tiers, la prescription court du jour de l’action contre l’assuré1580.
Cette prescription ne concerne que les actions nées du contrat entre les parties. Elle ne concerne
pas l'action en subrogation de l'assureur contre le tiers responsable, laquelle est soumise au
régime de l'action que l'assuré avait lui-même contre ce tiers et dans laquelle il a subrogé
l'assureur. Ainsi, en cas d'action de l'assureur contre le transporteur, celui-ci pourra invoquer la
prescription annale1581. De même aujourd'hui en cas d'action contre l'acconier.

Les textes anciens précisaient que le délai courrait même contre les mineurs et les autres
incapables. Cette règle a été supprimée (cf. ord. 2011) ; il faut dire qu’elle était incompatible avec
les exigences du droit commun (C. civ., art. 2235). Le délai de 2 ans ici institué est un délai de

1579
Paris 23 oct. 2007, RD transp. 2008, n° 201, obs. Ndendé.
1580
V. Com. 2 mars 2010, DMF 2010. 380, obs. J. Bonnaud, DMF 2011 HS 15, n° 128. Dans une assurance
« contingency », le point de départ de l’action de l’assuré est la date à laquelle l’assuré a eu connaissance du principe
de la prise en charge par son assureur des frais d’avance : Com. 10 mars 2009, DMF 2010. 481, obs. Nicolas.
1581
Com. 3 févr. 1964, DMF 1964. 274, obs. Lureau.
477
prescription ordinaire, qui est donc susceptible de suspension et d'interruption dans les conditions
du droit commun1582.

Compétence 

Les litiges entre les assurés et leurs assureurs ne sont pas très fréquents et se règlent le plus
souvent à l’amiable. Le droit de l’assurance maritime ne prévoit rien de particulier à cet égard ;
d’où le renvoi au droit commun. Le règlement 44/2001 contient des dispositions spéciales en
matière d’assurance qui dérogent aux dispositions générales (art. 8 s.). Il est prévu notamment
que l’action contre l’assureur ne peut être portée que devant le tribunal de l’État membre où il est
domicilié ou devant le tribunal (d’un État membre) du lieu où le demandeur a son domicile, si
l’action émane de l’assuré ou du bénéficiaire de la police. L’action de l’assureur lui-même ne
peut être portée que devant le tribunal de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié
l’assuré ou le bénéficiaire. Ces règles ne sont toutefois pas impératives, dès l’instant que les
assurances sont des assurances maritimes, corps ou facultés (cf. art. 14).
Il n’y a pas d’identité d’intérêts entre l’assureur corps qui fait renflouer le navire et demande une
contribution en avaries communes aux intérêts cargaison et l’armateur du navire attrait dans une
autre instance engagée par les intérêts cargaison et refusant de contribuer aux avaries
communes.1583
Ajoutons que les polices corps contiennent assez souvent des clauses attributives de compétence.
Ces clauses sont valables, mais ne peuvent être invoquées par l’assureur que dans la mesure où
l’assuré a pu en avoir connaissance1584. La solution vaut aussi pour les clauses de médiation et les
clauses d’arbitrage. Il reste que ces clauses sont aujourd’hui, le plus souvent, stipulées très
clairement et contenues dans la police elle-même, si bien que le problème de leur opposabilité ne
se pose plus. Précisons aussi qu’un assureur français bénéficie, comme tout national français, du
privilège de l’art. 14 C. civ. et que le fait d’introduire une action judiciaire à l’étranger avant de
se désister en faveur d’un tribunal français ne caractérise une renonciation – toujours possible - à
ce privilège.1585 Pour le reste, on ne peut que renvoyer au droit commun.

1582
 Com. 19 oct. 1970, Rev. Scapel 1971, 12 ; Montpellier 1er mars 1966, 1966, DMF 1967. 32 ; une citation en
justice délivrée à la compagnie apéritrice n'interrompt pas la prescription vis-à-vis des autres compagnies (T. com.
Marseille 12 sept. 1986, Rev. Scapel 1988, 2), sans doute faute de solidarité. Sur la possibilité de prévoir, dans la
police, une cause d'interruption de la prescription non prévue par la loi. V. Aix-en-Provence, 9 mai 1985, DMF 1987.
52. v. encore sur l’application de la règle « contra non valentem agere… », P. Bonassies, obs. DMF 1994. 185, n°
104 ; v. pour un bon ex. de suspension, Com. 8 nov. 2011, DMF 2012 HS 16, n° 139. Pour un cas discuté
d’interruption, Civ. 2e, 11 mars 2010, RGDA 2010. 445, obs. Turgné.
1583
Com. 22 juin 1999, DMF 2000. 16 rapp. Rémery, obs. Hubner et Latron.
1584
Civ. 1re, 10 mars 2009, DMF 2009. 681, obs. Nicolas.
1585
Civ. 1re, 10 mars 2009, préc.
478
TITRE 2

LES VENTES MARITIMES 1586

Règles générales. Contrat de vente et contrat de transport 

Les transports par mer réalisent ou préparent souvent l'exécution d'une vente. Il n'en est pas
toujours ainsi : des marchandises sont transportées par leur propriétaire qui les change de lieu ;
d'autres marchandises sont acheminées pour être vendues, mais il n'est pas encore question de
vente à l'époque de leur transport. Sous ces réserves, il est courant que le déplacement maritime
corresponde à une opération de vente déjà conclue au moment du transport 1587. Les ventes
maritimes sont donc les ventes de marchandises expédiées par mer.
Dans ces conditions, le contrat de transport apparaît sur le plan économique comme l'accessoire
du contrat de vente. Mais juridiquement, ce sont deux opérations distinctes et de très importantes
conséquences pratiques s'en infèrent. On en citera tout de suite une1588 : un importateur reçoit des
marchandises qu’il a achetées peu auparavant ; il prétend qu'elles sont en mauvais état et ne
correspondent pas à sa commande. Va-t-on pouvoir lui répondre que sa prétention est mal fondée
puisque le capitaine avait reçu ces marchandises sans faire de réserves et qu'il les remet à l'arrivée
dans l'état où il les a reçues ? Assurément, non. Le contrat de transport est une chose, le contrat
de vente en est une autre. Le contrat de transport a pu être correctement exécuté ; cela ne signifie
pas que le contrat de vente l'ait été. Du reste, les parties à l'un et l'autre de ces contrats sont
différentes. Dans les ventes à l'arrivée, le vendeur a conclu le contrat de transport qui doit
acheminer les marchandises entre les mains du destinataire acheteur. Mais, pour le transporteur,
le chargeur n'est pas un vendeur ; cette qualité ne l'intéresse pas ; il n'est à ses yeux qu'un
chargeur et le contrat de vente est pour lui res inter alios acta1589. Les tribunaux affirment
aujourd’hui que le contrat de vente et le contrat de transport sont indépendants juridiquement, si
bien que le transporteur ne peut se prévaloir des effets et conditions de la vente quant aux droits
et obligations du vendeur, notamment pour soutenir que celui-ci serait dépourvu d’intérêt à
agir1590. Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’apprécier le
1586
 F. Eisemann, Usages de la vente commerciale internationale, 1972 ; Rodière, Traité général de droit maritime,
Assurances et ventes maritimes, Les ventes maritimes, par J. Calais-Auloy, 1983. Sur les différentes ventes
maritimes, v. Putzeys et M.-A. Rosseels, 1993, Bruxelles, p. 25 s.
1587
 Cela est de moins en moins vrai, aussi bien dans le transport maritime que dans le transport aérien : de plus en
plus, une firme, multinationale par exemple, s'adresse à elle-même des produits qui n'ont donc pas fait l'objet d'un
contrat de vente.
1588
 Cf. Paris 8 avr. 2009, BTL 2009. 353.
1589
 Cf. Cass., ass. plén., 22 déc. 1989, Mercandia, JCP 1990. II. 21503, et la note ; égal. Com. 30 mai 1995, DMF
1996. 193 ; Com. 14 avr. 1964, BT., 1964.196 ; Com. 7 nov. 1973, Rev. Scapel, 1973.57 ; Com. 17 juill. 1978, DMF
1979. 7, obs. Rodière ; Com. 24 mai 1982, Bull. civ. IV, n° 194 ; Rouen 2 fév. 1984, BT., 1984.237 ; Paris
25 avril 1984, DMF 1986. 109 ; Bonassies, op. cit., DMF 1986. 68, n° 24. v. plus généralement, R. Herro, Vente et
transport : indépendance ou interdépendance ?, PUAM 2008, préf. Delebecque ; v. encore, Tassel, Le transport
dans la vente maritime, Mélanges Bonassies, 345.
1590
Aix-en-Provence 2e ch., 15 déc. 2010, n° 21/470, Sté Marr c. Ste China shipping ; v. égal. Com. 15 mars 2005,
Bull. civ. IV, n° 65 : le vendeur qui, assigné par son acheteur en résolution de la vente, appelle en garantie le
transporteur maritime de la marchandise vendue, n’exerce pas une action récursoire au sens de la loi maritime.
479
préjudice subi par le destinataire à l’arrivée de la marchandise doit-on prendre en considération
uniquement la valeur de la marchandise au jour du déchargement conformément à ce que postule
le doit des transports (art. 4-5 b. des Règles de La Haye Visby) ? S’interdit-on de faire référence à
la valeur de la marchandise sur le marché au jour et au lieu où la transaction est ou serait
intervenue ? Le principe de la relativité des contrats ne doit pas conduire à cloisonner les contrats,
du moins lorsqu’il ne s’agit pas d’imposer des obligations ou d’accorder des droits aux tiers. Ce
principe ne doit pas gommer l’idée d’opposabilité du contrat en tant que fait.
Ce qui vaut pour la vente et le transport vaut aussi pour la vente et l’affrètement : ce sont deux
contrats distincts. De même faut-il préciser que lorsque le transporteur, ce qui est fréquent, est
chargé de transmettre les documents nécessaires à l’exécution d’un crédit documentaire, il agit
sur la base d’un contrat de mandat distinct du contrat de transport1591. Il n’en demeure pas moins
que certaines clauses d’une charte-partie peuvent être répercutées dans la vente elle-même. Ainsi
en est-il des surestaries souvent prises en charge par l’acheteur1592.

Droit applicable 

On appelle ventes maritimes les ventes commerciales 1593 de marchandises1594 qui sont expédiées
par mer du vendeur à l'acheteur. Ce type de vente relève avant tout de la liberté contractuelle :
1591
Com. 14 mai 2008, Bull. civ. IV, n° 109, D. 2008. 1476, obs. Delpech.
1592
Com. 28 avr. 1998, DMF 1998. 919. La question posée est souvent celle-ci : « Could the seller recover
demurrage from his buyer when he had time-chartered the vessel » ? La réponse est dans la charte elle-même, mais
les clauses ne sont pas toujours parfaitement claires.
1593
La vente n’est cependant pas nécessairement commerciale, v. CA Alger 19 nov. 1952, D. 1954. 541, note
Chauveau.
1594
 Puisque la vente maritime est fondamentalement une vente commerciale internationale de marchandises, deux
conventions sont susceptibles de s'appliquer :
- la Convention internationale du 15 juin 1955, sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets
mobiliers corporels, ratifiée par la France, entrée en vigueur le 1 er sept 1964 entre un petit nombre de pays ; ses
dispositions constituent donc le droit international privé de la France en matière de vente maritime ; elle permet de
déterminer la loi applicable aux rapports entre les parties contractantes, lorsque celles-ci ne se sont pas clairement
exprimées sur ce point. Cette convention est elle-même destinée à être remplacée par la Convention de La Haye
relative à la loi applicable aux contrats de vente internationale de marchandises, ouverte à la signature des Etats le
30 octobre 1985 et qui n'est pas encore en vigueur et qui le sera sans doute jamais, v. Pelichet, Note introductive à la
Convention de La Haye sur la loi applicable aux contrats de vente internationale de marchandises, Revue de droit
uniforme 1986, 1, p. 94. — V. le texte de la convention en annexe à D. Cohen et B. Ughetto, La nouvelle Convention
de La Haye relative à la loi applicable aux ventes internationales de marchandises, D. 1986. Chron. 149 ;
- la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sous l'égide de la Commission des Nations Unies pour le droit
commercial international (CNUDCI), qui unifie partiellement les règles matérielles applicables aux ventes
internationales de marchandises ; cette convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de
marchandises, dite CVIM (en anglais CISG), ratifiée par la France, entrée en vigueur le 1 er janvier 1988, connaît
aujourd’hui un réel succès ; v. not. P. Schlechtriem et C. Witz, Convention de Vienne sur les contrats de vente
internationale de marchandises, éd. Dalloz 2008 ; v. égal. Droit du commerce international, précis Dalloz, 3e éd.,
n° 525 s.
La Convention de Vienne, tout en incluant les navires dans les marchandises, déclare, art. 2, (d), qu'elle « ne régit
pas les ventes » de navires, bateaux, aéroglisseurs et aéronefs, mais rien ne s’oppose à ce que les parties décident le
contraire. La convention s'applique même dans le cas où les marchandises proprement dites sont en cours de route,
au moment où se révèle le risque d'inexécution par l'acheteur ; l'art. 71-2 autorise dans ce cas le vendeur à s'opposer à
ce que les marchandises soient remises à l'acheteur quand bien même celui-ci détient un document lui permettant de
les obtenir tel que le connaissement. Mais le texte ajoute qu'il « ne concerne que les droits respectifs du vendeur et de
l'acheteur sur les marchandises ». La question de savoir si le transporteur est tenu de se plier aux instructions du
vendeur relèvera des dispositions, légales ou contractuelles, gouvernant leurs rapports, et notamment du
connaissement.
480
elle ne contient pas de règle impérative, les parties étant à même de défendre leurs intérêts. Elle
est aussi largement soumise aux usages. Au demeurant, les parties ont pris l’habitude de
contracter de telle ou telle manière. D’où le recours aux Incoterms qui ne sont rien d’autre que
des usages codifiés, la codification étant ici purement privée car établie par la chambre de
commerce internationale. La CCI propose des Incoterms depuis de très nombreuses années ; la
dernière version remonte à 20101595. La multiplication de ces versions conduit à douter de la
nature d’usages des Incoterms.

Variété et fonction 

Les ventes maritimes se divisent en deux grandes catégories suivant que la vente est exécutée au
départ ou à l'arrivée1596.
En principe, dans la vente au départ, la propriété de la marchandise passe sur la tête de l'acheteur
avant son chargement ou lors de son déchargement. Les risques de la traversée seront pour lui. Le
vendeur n'a pas même à s'occuper d'une marchandise qu'il a déjà vendue et livrée. C'est à
l'acheteur de l'acheminer jusque chez lui et de conclure le contrat d'affrètement à cette fin. On ne
voit pas d'abord comment le vendeur pourrait être mêlé au transport. C'est ici que le génie
commercial a brouillé les cartes juridiques et réintroduit le vendeur dans une opération qu'il aurait
dû ignorer. C'est le fait de la vente coût-assurance-fret, dite CAF (ou CIF)1597.
Les ventes à l'arrivée présentent d'autres particularités, d’autant qu’elles ne sont pas toutes
homogènes.
La loi du 3 janvier 1969 sur l'armement et sur les ventes maritimes (art. 31 s.) a reçu la plupart
des règles qu'avaient su dégager la jurisprudence et la pratique tant commerciale que bancaire,
mais, contrairement au projet initial, toutes ses dispositions sont supplétives de la volonté des
parties. Les dispositions ont été reprises à l’identique par le Code des transports (art. L. 5424-1
s.).
Ces dernières années, le droit des ventes maritimes a connu un regain de tension, compte tenu des
variations de prix des matières premières formant l’objet des ventes (swings in commodity
prices), des exigences des acheteurs voulant minimiser les risques de non-conformité (minimise
the risk of default), des difficultés récurrentes pour connaître l’incoterm de référence, des
incertitudes sur le transfert de propriété dont les incoterms ne parlent pas ou sur la confirmations
de contrats, la fixation le fret, la nomination du navire, le jeu des clauses de force majeure ou
encore la répercussion des laytime and demurrage dans les contrats de vente.
On rendra compte ci-après des différentes ventes maritimes, en partant de la formule la plus
simple, la vente FOB, pour aller jusqu’à la plus complexe, la vente CAF, en passant par les ventes
à l’arrivée.

1595
L. Fedi, La nouvelle codification des Incoterms, DMF 2011. 303 ; Incoterms 2010, Les règles de l’ICC, ICC
2011. V. plus général. E. Jolivet, Les Incoterms, étude d’une norme du commerce international, Litec 2002, préf.
Ferrier. v. aussi, Com. 19 déc. 2006, DMF HS 12, n° 111.
1596
Les clauses « franco-frontières » incluses dans les contrats de vente ne concernent que les frais de transport et
n’ont pas pour effet de différer le transfert de propriété : Com. 23 juin 1998, Bull. civ. IV, n° 210. V. égal. du
Pontavice, La clause d’expédition franco dans le contrat de vente et les risques du transport, BT 1984, 466 s.
1597
 E. du Pontavice, « L'évolution récente des ventes à l'embarquement », DMF 1966. 387 et 451.
481

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