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L'approche juridique du navire

Jean Zoa

Qui aurait su que le navire, cet engin marin dont la magnificence active les curiosités cache
en réalité une complexité étonnante ? De fait, il n’existe aucune définition universelle du
navire, on assiste plutôt à de multiples définitions répondant chacune à des situations
juridiques bien précises.

En outre, sa particularité est telle qu’il se trouve sous l’emprise d’un régime dérogatoire de
droit commun qui le situe à cheval entre meuble, immeuble ou personne, de sorte que ce «
monstre marin »[1] apparait ici comme un véritable monstre juridique se contentant de
dévorer ça et là des caractéristiques éparses renvoyant à diverses institutions juridiques.

De cela, il convient de tenter de comprendre ce qui fait l’originalité du régime du navire


(paragraphe I), même s’il s’agit d’un régime qui à certains égards se révèle paradoxal
(paragraphe II).

Paragraphe I : Un bien au régime assez original

L’originalité du navire entendu comme assiette des sûretés tient principalement aux
éléments entrant dans son champ de définition (A) ; dans la même perspective, cette
originalité se trouve également mise en évidence par le statut du navire qui apparait ici non
pas comme un simple meuble, mais plutôt sous la forme d’un meuble individualisé (B).

A-L’originalité de la définition du navire

Parlant du navire, René Rodière disait de lui qu’il est « un engin flottant, de nature mobilière,
destiné à une navigation qui l’expose habituellement aux risques de la mer »[2] . Cette
définition riche de sens, commande que l’on se réfère à deux ordres de critères qui lui
donnent tout son sens. Il s’agira donc tout d’abord des critères dits relatifs (1), et ensuite du
critère pertinent de navigabilité maritime(2).

1-La prise en compte de la relativité de certains critères

De prime abord, l’abordage est très souvent perçu sous l’angle d’un évènement de mer
résultant d’une collision entre navires ou bateaux, peu importe le régime ou la nature des
eaux.[3] Deux engins ne pouvant entrer en collision que s’ils sont en mouvement, on
comprend aisément que critère retenu ici est celui de la flottabilité. Si l’on y va de ce pas, il
faut s’accorder avec le législateur français de 1967 à définir le navire comme étant « tous
engins flottants, à l’exception de ceux qui sont amarrés à poste fixe »[4].

Dans le même ordre d’idées la convention SOLAS[5] offre une autre dimension de la
définition du navire en introduisant le critère de l’aptitude à affronter les périls de la mer. Ce
critère est présent en droit Anglo-Saxon au travers du concept de la « seaworthiness »[6].
Sous cette grille d’analyse, se trouveront donc exclus du champ de définition de la notion de
navire, les jets-skis et autres planches à voile, dans la seule mesure où ces engins ne sont
utilisés qu’à but récréatif.

2-Le critère de navigation maritime

Ce critère constitue un complément indispensable de la définition du navire dans la mesure


où il permet de tenir compte la diversité des choses qui fréquentent le milieu marin. En effet,
de nombreux codes le soulignent avec insistance, comme on peut le voir avec le code
SOLAS qui parle d’engin devant non seulement être apte à affronter les périls de mer, mais
aussi être destiné à « la navigation en mer »[7]. Ainsi en est-il encore du code CEMAC de la
marine marchande qui propose définition selon laquelle le navire est «tout bâtiment utilisé
pour le transport des marchandises en mer »[8]. La doctrine s’est également investie à faire
transparaitre en filigrane ce critère car ayant affirmé que « le navire est un engin…qui est
habituellement utilisé pour effectuer une navigation maritime »[9] . Cependant, la question
qui mérite d’être posée est celle de savoir quant une navigation est-elle dite maritime ?

Si l’on se réfère au code CEMAC, la navigation maritime est «la navigation pratiquée en
mer, dans les ports ou rades, sur les étangs salés et dans les estuaires et fleuves
fréquentés par les navires de mer, jusqu’à la limite du premier obstacle à la navigation
maritime, fixée par l’autorité maritime compétente ».[10] De ce point de vue, la navigation
pratiquée en mer ne pose pas de problème, même si les autres cas de figure appellent
quelques précisions. D’une part, s’il peut être reconnu un caractère maritime à la navigation
pratiquée dans les fleuves (eaux intérieures), il ne faudrait pas pour autant occulter la
différence fondamentale qui existe entre un navire et un bateau. Prendre donc le risque de
se répéter c’est de repréciser que le navire est cet engin flottant apte à affronter les périls de
mer et qui exerce son activité habituelle dans les eaux maritimes ; le bateau pour sa part est
tout engin flottant, navigant dans les eaux d’un territoire donné ; il est donc en principe
affecté à la navigation fluviale.

Dans la même perspective, le critère de navigation maritime peut prêter à confusion entre
navire et d’autres engins flottant à l’exemple des aéroglisseurs et autres engins de loisir
nautique. Ainsi, la jurisprudence s’investie à appliquer ce critère aux planches à voile et
jets-skis partant du fait qu’ils sont sous l’emprise du code de la navigation maritime ; mais il
s’agit là d’un schéma rejeté par la doctrine qui estime qu’en tout état de cause, il n’ya pas
éloignement de la côte.[11] En ce qui concerne les aéroglisseurs, on assiste à une
controverse doctrinale ; en effet, la tendance doctrinale soutenue par le Pr Antoine Vialard
les rattache aux navires car ils se trouvent exposés exactement aux mêmes risques de mer,
à l’exception de l’échouement. Une autre tendance dans laquelle se retrouve le Pr René
Rodière les exclu du champ des navires du seul fait qu’ils ne remplissent pas la condition de
la poussée d’Archimède ayant été ajouté en complément de la définition du navire par
Rodière.

Bien plus, le critère de navigation maritime implique que le navire ait été conçu pour se
déplacer. Ceci permet de l’en séparer d’une notion voisine, notamment l’épave. En effet,
l’épave de navire peut s’entendre de tout navire abandonné se trouvant en état
d’innavigabilité. Pour tout dire, si le caractère original de la définition du navire est une
chose, l’aspect original de son statut en est une autre.

B-L’originalité de son statut : un meuble individualisé

Le navire, bien qu’étant un bien meuble par nature, n’est pas conforme au statut général de
la propriété mobilière. Ce statut particulier se trouve défini dans les travaux de certains
juristes qui ont encadré la notion d’individualisation du navire. De fait, « les éléments
d’individualisation du navire sont le nom, le port d’ attache, la nationalité, le tonnage » [12],
qu’il convient de à notre sens de les regrouper en deux classes. La première étant
composée d’éléments juridiques(1), et la seconde pour sa part prendra en compte les
éléments techniques d’individualisation(2).

1-Les éléments juridiques d’individualisation du navire

Il est de tradition qu’un navire porte sur ses côtés bâbord et tribord des indications
permettant ipso facto de le reconnaitre dans sa vie juridique. Dans ce contexte, il s’agira
notamment du non (a), de la nationalité (b) et du port d’attache (c).[13]

a) Le nom

Il doit être choisi librement ; toutefois le propriétaire du navire a l’obligation de choisir un nom
différent de ceux qui existent déjà. L’idée ici est donc d’éviter des confusions, dans la
mesure où il est possible en matière de procédure civile d’assigner un capitaine à son
navire. Cette obligation tient également au fait que l’assignation doit porter le nom du navire,
et permet par ailleurs de ne pas opérer des confusions avec les cas dans lesquels le
capitaine serait assigné en raison de fautes personnelles

b) La nationalité du navire

Elle consiste à rattacher le navire à un ordre public, à l’Etat du pavillon. Il s’agit donc d’un
acte administratif conférant au navire le droit de battre le pavillon de l’Etat auquel il
appartient[14]. Il convient également de préciser qu’il s’agit là d’une obligation légale
internationale imposée par la convention de Montego Bay[15].

Parlant des conditions d’acquisition de cette nationalité, celles-ci sont variables en fonction
des Etats qui définissent chacun ses modes d’attribution. Ainsi par exemple, il doit exister un
lien substantiel entre le navire et l’Etat, dans la mesure où ce dernier doit pouvoir exercer de
façon effective sa juridiction et son control dans les domaines social, technique et
administratif sur tout navire battant son pavillon.[16]

Elément de rattachement pour le Droit international privé, la nationalité du navire a pour effet
de donner un grand nombre de solutions aux litiges de nature internationale. Dans la même
perspective, le pavillon doit être considéré comme un élément pertinent dans le champ
d’application de la convention internationale.
c) Le port d’attache

Il s’agit du port dans lequel sont accomplies les formalités d’immatriculation. On peut donc
penser que cette notion est fortement inspirée de la notion de domicile en droit des
personnes. Correspondant donc au port d’immatriculation du navire, il obéit au même
régime que le nom notamment lorsque l’on se rend à l’évidence que son choix est
subordonné à la liberté de son propriétaire. En tout état de cause, le port d’attache est le lieu
où l’on peut retrouver toutes les informations concernant le navire, et permet de déterminer
la compétence des affaires maritimes en matière de gestion du personnel maritime.

2-Les éléments techniques d’individualisation du navire

Ces éléments s’inscrivent dans la perspective de mettre en lumière les caractéristiques


économiques et les valeurs techniques du navire durant son existence. Il s’agit de la cotation
(a) et du tonnage (b).

a)La cotation

C’est une technique permettant de classifier les navires au regard de leur fiabilité technique.
Elle est l’œuvre des sociétés de classification à l’instar de Bureau Veritas, l’une des plus
connues du monde maritime. Bien que théoriquement officieuse, l’absence de cote revient
en quelques sortes à conclure à une certaine présomption d’innavigabilité du navire. Ceci se
justifie du fait qu’elle retrace toutes les transactions dont le navire est objet.

L’intérêt de la cotation réside donc dans le souci de permettre une nette appréciation de la
valeur du navire. Pour tout dire, elle est la transcription de toutes les informations servant de
base d’appréciation de la valeur d’un navire.[17]

b) Le tonnage

Il faut entendre par tonnage, l’expression des capacités du navire. Il s’exprime en tonneaux
de jauge[18] et joue un rôle important dans le paiement de certains droits en fonction du
type de jauge en cause. Ainsi, le tonnage obtenu à partir de la jauge brute correspond à la
capacité intérieure du navire et aux constructions sur le pont. Il sert de base de calcul des
taxes portuaires, des taxes de pilotage, et du fonds de limitation.

Le tonnage obtenu à partir de la jauge nette renvoie à la quantité de marchandise pouvant


être contenue par le navire, et donne des indications sur la capacité commerciale de ce
dernier.

Il convient également de noter en dernier ressort que le calcul de la jauge est effectué par
l’administration des douanes qui délivre à cet effet un certificat de jauge.

II : Le navire, un bien au régime paradoxal


Si l’expression paradoxal renvoie au caractère de ce qui est contraire à l’opinion
commune, elle trouve pleine application en matière maritime dans la mesure où le navire est
un bien meuble, mais qui de façon surprenante, échappe à la théorie générale du droit
commun des meubles (A). Parfois, le régime du navire est partagé entre deux tendances, la
première ayant en toile de fond la personnification de cet engin, et la seconde s’attachant
pour sa part, à sa chosification elle-même sujette à caution (B)

A-Un meuble dérogeant au droit commun des meubles

Le navire est soumis à un régime dérogatoire du droit commun des meubles eu égard à ce
qu’on assiste tout d’abord à une affectation des biens meubles vers un autre meuble (1) ;
cette dérogation se justifie ensuite du fait qu’en ce qui concerne le navire, la possession ne
vaut titre(2).

1-les accessoires du navire : meubles affectés à un meuble

L’observation de la structure externe du navire permet de constater des objets mobiliers qui
lui sont unis en raison de la destination qu’ils reçoivent. Ces biens accessoires sont pour
certains matériellement liés au navire, comme on peut le voir avec les palans, apparaux de
manutention, ancres. D’autres objets à l’exemple des canots de sauvetage ne sont
matériellement pas rattachés au navire, mais leur présence en son sein se justifie par les
nécessités de la navigation. Il se pose donc le problème du rattachement de ces objets au
navire.

Si l’on s’était accordé à définir le navire comme étant un bien immeuble, le problème aurait
été résolu de lui-même en vertu de la règle de l’immobilisation par destination et de la
théorie de l’accessoire. Pour mémoire, il est de principe qu’en droit civil, les meubles par
nature deviennent des immeubles par destination[19] du fait qu’ils sont affectés au service
d’un immeuble. De par leur caractère qui dans cette logique est accessoire, ils suivent tous
le sort d’un immeuble, car faut-il le rappeler, l’accessoire suit le sort du principal.

Cependant, l’originalité du droit maritime nous offre une autre réalité : le navire est de par sa
nature un meuble et les accessoires qui lui sont liés constituent également d’autres biens
meubles. Le constat en est donc que des biens meubles sont affectés à un bien meuble.
Mais seulement, il convient de souligner au passage que le droit civil des biens ignore cette
règle des meubles par destination affectés à un meuble

2-Un droit de propriété dérogatoire du droit commun des meubles

De prime abord, il convient de faire ce rappel non moins sans pertinence qu’ en droit civil et
parlant précisément des meubles, la règle cardinale consistant à faire valoir son droit de
propriété est clairement énoncée par l’article 2279 du Code Civil en ces termes : « en fait de
meuble, la possession vaut titre ». Selon cette règle, le détenteur de bonne foi d’un bien
meuble n’a pas à prouver sa propriété, la possession de ce bien étant elle-même
constitutive d’un droit de propriété. Cependant, l’article 2279 sus-cité est-il applicable au
navire ?
A première vue, la question parait «mal venue » et par conséquent ne mérite pas d’être
posée, surtout lorsqu’on se rappelle du caractère mobilier attaché au navire de par sa
nature. Et pourtant, la réponse semble surprenante, donnant ainsi à cette question tout son
sens. En effet, le navire est un meuble spécial qui dans diverses hypothèses, se trouve
soumis à des régimes particuliers différents du régime des meubles. De ce point de vue, il
ressort que la spécificité de ces régimes constitue pour le navire une sorte d’issue
échappatoire à l’application de l’article 2279 du Code Civil. Il ya donc lieu d’affirmer sans
risque de se tromper que le droit maritime consacre sur le navire, une application mutatis
mutandis de la règle « en fait de meuble, la possession vaut titre ». Par ricochet, il s’ensuit
la tentation de croire que le changement est intervenu en sens inverse, d’où la nécessité
pour nous d’affirmer que lorsqu’on a en face de soi un navire, le langage à tenir est « en fait
de meuble, la possession ne vaut titre ». De fait, le droit de propriété d’un navire est prouvé
au travers de l’immatriculation dont il est l’objet ; loin donc d’être un simple facteur de
publicité et de contrôle de la situation juridique du navire , l’immatriculation est également
une formalité administrative conférant au propriétaire du navire un véritable titre de
propriété.

B- l’ambiguïté de sa classification

Deux observations méritent ici d’être faites ; il s’agit notamment de la tendance à la


personnification du navire (1), et le caractère hybride du navire entant que bien (2).

1-La tendance à la personnalisation du navire

Une pratique très courante du contentieux maritime consiste assez souvent à designer une
affaire par le nom du navire mis en cause et à éclipser les noms des parties au procès.
Cette tendance à la personnification du navire est encore plus accentuée notamment si l’on
se réfère non seulement à tous ces éléments qui permettent de l’individualiser, mais
également à la théorie du patrimoine d’affectation reconnue à tout navire au regard des
instruments financiers qui lui sont attachés et qui confèrent sur lui des droits réels.[20]

En droit commun, la notion de patrimoine renvoie à un caractère personnel et indivisible en


ce sens que seule une personne peut le détenir, et il ne peut être scindé au gré des
affectations des éléments qui le composent. Il va donc de soit qu’un civiliste perçoive mal
l’idée de faire d’un bien un patrimoine d’affectation. La tendance à la personnification du
navire peut donc trouver son fondement dans ce contexte, car comme il a été dit, il est
reconnu au navire un patrimoine d’affectation. De ce fait, un regard jeté sur certaines
institutions du droit maritime à l’instar de la limitation de la responsabilité de l’armateur,
permet de retrouver les traces du patrimoine d’affectation dans la notion de navire. En
effet, s’il est vrai que les propriétaires de navires sont responsables des faits du capitaine, il
est aussi vrai qu’ils peuvent s’en décharger en abandonnant notamment le navire et le fret.
Cette particularité de la responsabilité du fait d’autrui laisse entrevoir le patrimoine
d’affectation puisqu’elle consacre le navire et son fret comme le gage exclusif des créanciers
dont la créance est née à l’occasion d’une expédition maritime qui elle-même, fait naitre le
patrimoine d’affectation. Ceci permet de comprendre que les autres biens du propriétaire du
navire notamment un navire à quai, sont préservés de ce qui peut constituer l’assiette des
créances maritimes. La théorie du patrimoine d’affectation appliquée sur le navire n’est pour
tout dire, qu’un bel exemple de personnification du navire puisque les créances nées de
l’expédition maritime trouvent leur siège non plus chez l’armateur, mais plutôt sur le navire et
son fret que l’on peut désigner ici par l’expression « patrimoine de mer ».[21]

Bien plus, l’une des particularités du droit maritime est d’avoir institué des droits réels
accessoires qui s’exercent directement sur le navire et non à l’encontre du débiteur de la
créance. Ainsi donc, la possibilité est offerte au titulaire d’une créance maritime d’exercer
directement son action à l’encontre du navire. Or, il vaut la peine de rappeler que ces droits
réels accessoires ne peuvent s’exercer en croit civil, que sur une personne physique. Une
fois de plus, la tentation est grande d’assimiler le navire à une personne, dans la mesure où
il ne fait l’ombre d’aucun doute que les instruments juridiques qui ont été taillés à la mesure
des personnes lui sont applicables.

L’on peut prendre le risque de se répéter en reprécisant qu’en matière de contentieux


maritime, il est de tradition que l’affaire soit désignée par le nom du navire. En restant dans
cette logique mais observant les plaidoiries du côté des cours anglaises, on finit par y
constater une personnification du navire fortement accentuée du fait de l’usage du pronom
personnel anglais « she » auquel le navire se substitue. Pour mémoire, la conjugaison
anglaise prévoit un pronom personnel pour désigner des choses, ce qui aurait pu aboutir en
toute logique à la substitution du navire au pronom « It » ; la pratique anglaise ayant donc
opté pour le «She » pronom personnel désignant une personne, a trouvé là un excellent
moyen de personnifier le navire, ceci en déterminant d’ailleurs son sexe. Doit-on encore se
donner la peine de rappeler l’implication féminine du « She » ?

2-L’hybridisme du navire comme bien : une nature mobilière, un régime

immobilier

Le navire est d’une complexité extrême, laquelle complexité tire son origine d’un bien
certes rangé dans la catégorie des meubles, mais qui par le jeu d’une ingénierie juridique
«paradoxale et étonnante »,se retrouve dans la ligne de mire d’un certain nombre de règles
qui ont vocation à s’appliquer au seul régime immobilier, de sorte que l’on pourrait le situer «
à mi-chemin des meubles et des immeubles »[22]. A ce propos, Jean Dumerlin est sorti de
sa réserve pour faire un constat riche de sens tenant à 7 mots : « le navire hybride de
meubles et immeubles ».

Le Pr Antoine Vialard a même fait une remarque sur la question en soutenant que « le
navire , incontestablement meuble, ne se trouve cependant soumis au statut mobilier
ordinaire tel qu’élaboré par le droit civil, voire commercial ».[23] Cette précision valant le
coup, il faudrait également souligner le caractère embarrassant de cette problématique pour
certains auteurs dont l’analyse de leur propos peut être considérée comme une prudence,
une fuite en avant ou encore un laxisme de leur part quant à la situation exacte du navire
dans la théorie générale du droit des biens. Rien d’étonnant donc si d’aucuns ont pu dire
que « le navire est une chose affectée à une expédition en mer qui par ses qualités propres
rend possible cette fonction »[24], laissant au passage et de manière très subtile, un débat
ouvert sur la nature de cette « chose » .

Toutefois, la nature mobilière du navire réside dans l’une des définitions formulées à son
égard, à savoir qu’il est un engin flottant destiné à la navigation maritime . On peut donc
conclure par ricochet qu’il est comme tout autre bien meuble, susceptible de déplacement,
et c’est cette mobilité qui lui confère la qualité de meuble. Dans cette logique, le code civil
bien que muet sur de nombreux points en ce qui concerne le droit maritime, a au moins le
mérite de s’être prononcé en faveur de la classification du navire dans le registre des biens
meubles. Son article 531 en dit long : « les bateaux, bacs, navires…sont meubles… ». Cet
article laisse tout de même transparaitre en filigrane la particularité du statut de la propriété
du navire notamment au travers de la précision qui en est faite par la suite : « la saisie de
quelques uns de ces objets peut cependant, à cause de leur importance, être soumises à
des formes particulières ». Comme on peut donc le voir, le navire n’est pas un meuble
comme les autres, son statut obéissant pour l’essentiellement à une fiction juridique qui le
fait tomber sous l’emprise du régime des immeubles.

Dans l’esprit du code civil, est considéré comme bien immeuble, tout ce qui est solidement
lié au sol c'est-à-dire les objets dont le déplacement ne peut être envisageable sans causer
un dommage à leur finalité. De ce point de vue, il est logiquement évident que le navire ne
saurait s’arrimer au régime des immeubles, et ce d’autant plus qu’il est mobile, l’article 528
du Code Civil définissant les meubles par leur mobilité; Cependant, la réalité est toute autre.
En effet, un regard sur la doctrine permet de tirer les conséquences suivantes : un auteur
russe en la personne de Shershenevitch aurait soutenu à l’aube du XXe siècle que les
navires, contrairement à leur nature mobilière reposant sur des considérations
économiques, « du point de vue juridique, ce sont plutôt des biens immobiliers,… »[25] ;
Ceci s’explique par le fait que de nombreux instruments juridiques qui en principe
s’appliquent aux immeubles, sont aussi applicables navires, comme peuvent le témoigner
les institutions de l’hypothèque maritime et de la saisie conservatoire des navires. Dans le
même ordre d’idées, s’appuyant sur une certaine théorie de l’individualisation comme critère
pertinent de classification des biens entre meubles et immeubles, monsieur Nemets a lui
aussi attribué au navire l’étiquette d’immeuble ; son raisonnement est simple : les biens
mobiliers peuvent être individualisé ce qui implique le caractère facultatif de
l’individualisation pour cette catégorie des biens, tandis que les biens immobiliers sont
toujours individualisés [26]ce qui implique ici une obligation d’individualisation, laquelle
obligation pèse sur le navire comme nous l’indique le Code CEMAC de la Marine
Marchande[27] fortement inspiré des convections maritimes internationales.

D’autres auteurs ont tenue en compte le critère de publicité en considérant que le statut d’un
bien est largement tributaire de la possibilité de ne pas occulter les droits réels qui lui sont
attachés. Ainsi, en dépit de leur mobilité, les navire ont une situation fixe de par leur port
d’attache, et bénéficient même d’un régime de publicité très favorable à l’image de la
publicité par transcription sur un registre public exigé sur tout transfert propriété dont un
navire est l’objet. On pourrait même penser que c’est ce critère qui a motivé le législateur à
copier le régime des immeubles et le coller au navire vue que cet engin de transport exprime
autant que les immeubles, le même besoin de publicité.
En tout état de cause, qu’il soit taxé de meuble ou immeuble, le navire est un bien « quelque
peu unique en son genre »[28] et dont le régime se situe au carrefour des caractéristiques
appartenant aux biens aussi bien mobiliers qu’immobiliers.

[1] - Tonellot (Roger-Didier), Les Mégaships, mémoire de master II, CDMT 2007-2008, P9

[2] - Rodière (René), Navire et Navigation maritime, DMF, 1975, p 323

[3] -En ce sens, faire une lecture combinée des articles 164 et 166 du Code CEMAC de la
Marine Marchande

[4]- Article 1er de la loi française de juillet 1967 sur l’abordage.

[5] -Convention de Londres de 1974 sur la sauvegarde de la vie humaine en mer.

[6] -Par traduction : en état de navigabilité

[7] - Beurrier (Sous la direction de Jean Pierre), Droits Maritimes 2006/2007, Dalloz Action

[8] -Article 1er (47) du code CEMAC en sa version 2012

[9] - Vialard (Antoine), Droit Maritime, éd PUF, 1997, Section 1 sur les bâtiments de mer

[10] -Article du CCMM, version de 2012

[11] - Vialard (Antoine), Op.cit., PUF, 1997

[12] - Beurrier (Sous la direction de Jean Pierre), Op.cit. , 2006 /2007 Dalloz action, p219.

[13] - Abdelhamid Berchiche (Ali ), cours de Droit maritime

[14] -Lecture interprétative de l’article 21 du code CEMAC de la marine marchande, version


de mai 2001

[15] _Convention des nations unies sur le droit de la mer, signée en 1982

[16] -Article 5 de la Convention de Genève du29 avril 1958 sur le plateau continental

[17] - Zoa Zoa (Jean), L’apport de l’expertise maritime pour les sociétés d’assurances,
mémoire de fin de formation en Expertise Maritime, CEFOMAR 2011
[18] - le tonneau est égal à 2,83 mètres cubes et les jauges sont calculées conformément
aux règles 3 et 4 de l’Annexe I à la Convention internationale de Londres du 23 juin 1969 sur
le jaugeage des navires.

[19] -Voir en ce sens l’article 524 du Code Civil

[20] -Chauveau (Pierre), Traité de droit maritime n°158 s

[21] - Hyest (Jean Jacques), rapport n°362 du 24 mars 2010 sur le projet de loi relatif à
l’EIRL(Entreprise Individuelle à Responsabilité Limité)

[22] - Bonassies (Pierre), Cours du droit maritime de 2005-2006 pour le Master II Droit
maritime et des Transports (Aix-Marseille III), N 147, page 99.

[23] - Vialard (Antoine), Droit maritime, PUF 1997, n°295 p257

[24] - Beurrier (Sous la direction de Jean Pierre), Droit maritimes, 2006 /2007 Dalloz action
p228

[25] -G. Shershenevitch, cours de droit commercial, SPB 1909, tome III p 252

[26] -U. Nemets, Les biens mobiliers et immobiliers, revue Economie et Droit, 1998, n°6,
p102

[27] -il s’agit de la version de Mai 2001 dont l’article 20 situé au livre II précise les éléments
d’individualisation qui constituent des points obligatoires du statut administratif d’un navire.

[28] - Vialard (Antoine), Droit Maritime, PUF 1997, N 295, page 257.

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