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Guillaume Gilbert. Îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer. In: Annuaire français de droit international,
volume 65, 2019. pp. 513-526;
doi : https://doi.org/10.3406/afdi.2019.5323
https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2019_num_65_1_5323
Abstract
Some 600,000 islands dot the oceans. What are the rights that these islands generate to the
benefit of States over the waters that are surrounding them ? What is their influence on the
delimitation of maritime spaces between States ? To answer the first question, an analysis of the
notions of island, low-tide elevation and rock is performed and of their influence on the
determination of territorial seas, exclusive economic zones and continental shelves. The answer to
the second question is based on an in-depth examination of the case law. In conclusion, it appears
that in both cases, the law of the sea is well established, except with regard to the definition of
rocks under Article 121(3) of the Montego Bay Convention. On this last point, the Award rendered
in 2016 in the case concerning the South China Sea is in fact extremely fragile and cannot be
considered as a precedent.
ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL
LXV – 2019 – CNRS Éditions, Paris
Résumé : Quelques 600 000 îles jalonnent les océans. Quels sont les droits que ces îles
engendrent au profit des États sur les eaux qui les entourent ? Quelle est leur influence sur
la délimitation des espaces maritimes entre États ? Pour répondre à la première question,
il est procédé à une analyse des concepts d’île, de haut-fond découvrant et de rocher et
de leur influence dans la détermination des mers territoriales, des zones économiques
exclusives et des plateaux continentaux. La réponse à la seconde question repose sur un
examen approfondi de la jurisprudence. Il apparait en conclusion que dans l’un et l’autre
cas, le droit de la mer est bien fixé, sauf en ce qui concerne la définition des rochers visés
à l’article 121, § 3 de la convention de Montego Bay. Sur ce dernier point, la sentence
rendue en 2016 dans l’affaire de la mer de Chine méridionale est en effet d’une extrême
fragilité et ne saurait faire jurisprudence.
Abstract : Some 600,000 islands dot the oceans. What are the rights that these islands
generate to the benefit of States over the waters that are surrounding them? What is
their influence on the delimitation of maritime spaces between States? To answer the first
question, an analysis of the notions of island, low-tide elevation and rock is performed
and of their influence on the determination of territorial seas, exclusive economic zones
and continental shelves. The answer to the second question is based on an in-depth
examination of the case law. In conclusion, it appears that in both cases, the law of the
sea is well established, except with regard to the definition of rocks under Article 121(3)
of the Montego Bay Convention. On this last point, the Award rendered in 2016 in the
case concerning the South China Sea is in fact extremely fragile and cannot be considered
as a precedent.
En son paragraphe 1, l’article 121 précise qu’« [u]ne île est une étendue natu-
relle de terre entourée d’eau qui reste découverte à marée haute ». Elle se distingue
des hauts-fonds découvrants qui sont définis par l’article 13 de la convention comme
« les élévations naturelles de terrain qui sont entourées par la mer, découvertes à
marée basse et recouvertes à marée haute ».
Cette distinction a été consacrée par la Cour internationale de Justice qui lui
a reconnu un caractère coutumier 8. Elle apparaît à première vue fort claire : dès
lors qu’une formation maritime, découverte à marée basse, est recouverte à marée
haute par les eaux, il ne s’agit plus d’une île, mais d’un haut-fond découvrant.
Une difficulté non négligeable résulte cependant du fait que la convention ne
définit pas ce qu’il faut entendre par marée basse et marée haute. Or il existe une
grande variété de marées. Le marnage, c’est-à-dire la différence entre une pleine
mer et une basse mer successives peut varier considérablement d’un lieu à un autre.
Il peut surtout varier d’une période à une autre. L’amplitude des marées diffère en
effet en fonction de la distance de la terre à la lune. Celle-ci est minimale à l’équinoxe
de printemps et le marnage est alors maximal. On parle de marées de vives eaux.
Mais les marées varient aussi en fonction de la position respective de la lune et
du soleil par rapport à la terre. Environ tous les dix-neuf ans à l’équinoxe, la lune
et le soleil sont alignés par rapport à la terre et de ce fait l’attraction lunaire et
l’attraction solaire se combinent, augmentant encore le marnage. Ce qui semblait
une île peut alors se révéler n’être qu’un haut-fond découvrant.
Dans ces conditions le juriste ne saurait faire l’impasse sur le choix des marées
à prendre en compte pour qualifier en droit ces formations maritimes.
Les travaux préparatoires des conventions de Genève de 1958 et de Montego
Bay de 1982 ne sont à cet égard d’aucun secours 9. Les tribunaux arbitraux 10 et la
Cour internationale de Justice 11 ont eu à faire face au problème. Mais compte tenu
des difficultés de preuve qu’ils ont rencontrées, ils ont préféré tourner l’obstacle et
ne rien trancher. Quant à la pratique des États, elle est d’une grande variété. Les
uns s’en tiennent aux marées d’équinoxe les plus extrêmes survenant tous les 19
ans, dites marées astronomiques 12. Les autres se réfèrent à la moyenne des marées
d’équinoxes sur une période de 19 ans. D’autres enfin usent de formules diverses.
On a pu en recenser dix-sept 13.
Aucune tendance générale ne peut être dégagée de ce chaos. Il n’existe pas de
coutume, même régionale, en ce domaine.
Ces divergences dans la pratique peuvent mener à des difficultés entre États
voisins pour la délimitation de leurs frontières maritimes. Ainsi, lors des négo-
ciations engagées à ce sujet entre la France et la Belgique, il est apparu que les
systèmes de référence des marées retenus par les deux pays étaient différents.
8. CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
fond, arrêt du 16 mars 2001, Rec. CIJ, 2001, p. 100, § 201.
9. Pour les travaux de la Commission du droit international, voir CDI, Doc. A/2693, Annuaire de la
CDI, 1954, vol. II, p. 156. Pour les travaux de la conférence de Genève, voir C. Symmons, « Some Problems
Relating to the Definition of Insular Formations in International Law: Islands and Low-Tide Elevations »,
Maritime Briefing, 1995, vol. 1, n° 5, p. 15.
10. Délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du
nord et République française, décision du 30 juin 1977, RSA, vol. XVIII, p. 198, §§ 122 et s., p. 205, § 139.
11. CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
précit., p. 93, § 194 (pour Qit’ at Jaradah), p. 100, § 200 (pour Fasht ad Dibal) ; CIJ, Différend territorial
et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt du 19 novembre 2012, Rec. CIJ, 2012, pp. 644-645, §§ 35-38
(pour QS 32 et les formations maritimes voisines).
12. Voir G. Guillaume, « Les hauts-fonds découvrants dans la jurisprudence de la Cour », in La Cour
internationale de justice à l’aube du xxie siècle, Paris, Pedone, 2003, p. 303.
13. Ibid., pp. 308-309, notes 17-41.
516 îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer
Par voie de conséquence l’un d’eux considérait un banc de sable dit Banc Breedt,
se trouvant dans la zone à délimiter, comme un haut-fond découvrant à prendre
en considération, tandis que l’autre le regardait comme un haut-fond non décou-
vrant à ignorer. La difficulté fut surmontée par l’adoption d’une ligne de partage
à mi-chemin des prétentions des deux Parties 14.
Au total la distinction entre îles et hauts-fonds découvrants est claire. Mais sa
mise en œuvre peut se heurter à des difficultés qu’il appartient aux négociateurs
et aux juges de surmonter avant qu’une coutume puisse se dégager.
Au regard du droit de la mer, une île ne se définit cependant pas seulement
comme une formation maritime qui reste découverte à marée haute. Il s’agit plus
fondamentalement d’une « étendue naturelle de terre entourée d’eau ». Les îles
« naturelles » ainsi définies par l’article 121 de la convention de Montego Bay
doivent donc être distinguées des « îles artificielles ». Selon l’article 60, § 8 de cette
même convention, ces dernières « n’ont pas le statut d’île » au sens de la convention.
Elles n’ont donc pas de mer territoriale qui leur soit propre et leur présence n’a pas
d’incidence sur la détermination des espaces maritimes.
Le texte de l’article 121 ne fixe aucune autre condition. Peu importe la dimen-
sion des îles. Elles peuvent, selon la jurisprudence de la Cour internationale de
Justice, être minuscules comme l’était QS 32 dans l’affaire Nicaragua c. Colombie
(10 à 20 cm de diamètre à marée haute selon le Nicaragua) 15. Elles peuvent être
très vastes comme le Groenland 16.
Peu importe également leur géologie. Elles peuvent être constituées de roches,
de coraux, de gravier, de sable ou de toute autre matière constituant la terre 17.
Peu importe enfin les modifications que l’homme a pu leur apporter. Quelles
que soient ces modifications, une île reste une île dès lors qu’elle n’est pas engloutie
par les flots.
18. CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
précit., p. 102, § 207.
19. CIJ, Affaire des pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt du 18 décembre 1951, Rec. CIJ, 1951,
pp. 125, 140 et 143.
20. CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
précit. Pour les lignes de base, voir ibid., p. 91, § 167 et p. 97, § 184. Pour les lignes de base droites, voir
ibid., p. 103, § 214.
518 îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer
Les hauts-fonds n’ouvrent en revanche aux États aucun droit en ce qui concerne
la ZEE et le plateau continental. Il n’en est pas de même des îles auxquelles est
reconnu un plein effet.
En effet l’article 121, § 2 de la convention de Montego Bay dispose que, non
seulement la mer territoriale, mais encore « la zone contiguë, la zone économique
exclusive et le plateau continental d’une île sont délimités (« determined ») confor-
mément aux dispositions de la Convention applicables aux autres territoires
terrestres ». Cette règle présente, là encore, selon la Cour internationale de Justice
un caractère coutumier 21 et donne aux îles une importance majeure dans la déter-
mination des espaces maritimes.
Elle comporte cependant une exception. En effet selon le paragraphe 3 du
même article, « [l]es rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à
une vie économique propre n’ont pas de zone économique exclusive ni de plateau
continental ». Ces rochers ouvrent seulement droit à une mer territoriale et à une
zone contiguë.
Ce texte d’une importance capitale a fait l’objet d’abondants commentaires 22
et a été interprété pour la première fois dans la sentence arbitrale du 12 juillet
2016 relative à la mer de Chine méridionale 23 qui, à son tour, a fait l’objet d’appré-
ciations diverses 24. Partant de cette sentence il convient de tenter de dégager la
portée de l’article 121, § 3 en recourant aux méthodes d’interprétation consacrées
par la convention de Vienne sur le droit des traités.
La sentence de 2016 a recherché en premier lieu ce qu’il convenait d’entendre
par « rocher » au sens de la convention. Elle a précisé que ce terme n’impliquait
aucune limitation quant aux matériaux constituant le rocher 25 ou quant à sa
dimension 26, ni d’ailleurs aucune autre limitation. Elle n’a de ce fait donné aucune
portée au mot rocher et a lu le texte comme concernant toute île, quelle qu’en soit
la géologie et l’étendue.
21. CIJ, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit., p. 674, § 139.
22. Voir en particulier : R. Kolb, « L’interprétation de l’article 121, § 3 de la convention de Montego
Bay sur le droit de la mer : les ‘rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique
propre’ », cet Annuaire, 1994, p. 876 ; S. Karagiannis, « Les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation
humaine ou à une vie économique propre et le droit de la mer », Revue belge de droit international, 1996-2,
p. 559 ; H. Dipla, Le régime juridique des îles dans le droit international de la mer, Paris, PUF, 1984 ;
V. Boré Eveno, « L’interprétation de l’article 121 de la convention des Nations Unies sur le droit de la
mer par la Cour internationale de Justice », in A. Del Vecchio et R. Virzo (eds.), Interpretations of the
United Nations Convention on the Law of the Sea by International Courts and Tribunals, Springer, 2019,
pp. 59-77 ; ainsi que les contributions respectives de L. Caflisch, D. Müller, A. Pellet et B. Samson,
in M. Forteau et J.-M. Thouvenin (dir.), Traité de droit international de la mer, Paris, Pedone, 2017,
pp. 477-489, pp. 530-544, pp. 600-603 et le tableau annexé pp. 611-623.
23. CPA, Case n° 2013-19 in the matter of the South China Sea Arbitration between the Republic of
the Philippines and the People’s Republic of China, sentence du 12 juillet 2016.
24. Voir en particulier : P. M. Eisemann, « Qu’est-ce qu’un rocher au sens de la convention de
Montego Bay de 1982 ? Observations sur la sentence arbitrale du 12 juillet 2016 relative à la mer de Chine
méridionale », RGDIP, 2020, p. 7 ; R. Le Boeuf, « Différend en mer de Chine méridionale (Philippines c.
Chine), Sentence arbitrale du 12 juillet 2016 », cet Annuaire, 2016, p. 159 ; A. G. Oude Elferink, « The
South China Sea Arbitration’s Interpretation of Article 121(3) of the LOSC : A Disquieting First », The
JCLOS Blog, 7 September 2016 ; S. Talmon, « The South China Sea Arbitration and the Finality of
‘Final’ Awards », Journal of International Dispute Settlement, 2017, vol. 8, pp. 388-401 ; Chinese Society
of International Law, « The South China Sea Arbitration Awards : A Critical Study », Chinese Journal of
International Law, 2018, vol. 17, n° 2.
25. Sentence du 12 juillet 2016, précit., §§ 479-482 et 540.
26. Ibid., § 538.
îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer 519
Le texte de l’article 121, § 3 trouve son origine dans trois propositions faites à
la conférence. L’une émanait de la Roumanie. Elle couvrait initialement les îlots
et les petites îles inhabitées et sans vie économique 33. Par la suite, la Roumanie
définit l’îlot comme ayant une superficie inférieure à un km2. Elle précisa en outre
que devaient être assimilées aux îlots les petites îles qui ne sont pas ou ne peuvent
pas être habitées (de manière permanente) ou qui n’ont pas ou ne peuvent avoir
de vie économique propre 34.
Cette proposition fut reprise par la Turquie, mais celle-ci distingua entre les
îles sans vie économique et les rochers. Ces derniers étaient exclus par eux-mêmes
du bénéfice de l’article 121, § 2 35.
Enfin, une proposition fut faite par quatorze États africains qui, de manière
particulièrement claire, distinguait île, îlot, rocher et haut-fond découvrant. Elle
définissait le rocher comme « une élévation rocheuse naturelle de terrain qui est
entourée par la mer et découverte à marée haute » 36.
C’est sur la base de ces trois propositions que le président de la commission
compétente proposa l’actuel paragraphe 3 de l’article 121 37. On notera que, contrai-
rement à certaines propositions, le texte avancé n’excluait du bénéfice du para-
graphe 2 que les rochers et non les îlots. On observera en outre que par la suite
certaines délégations tentèrent d’élargir la portée du paragraphe 3 en proposant
de couvrir les îlots plutôt que les rochers. Leur proposition fut rejetée 38. De ce fait,
les travaux préparatoires confortent l’interprétation littérale à donner à ce texte
qui ne concerne que les rochers au sens usuel du terme.
En tout état de cause, même si l’on ne devait pas donner du mot rocher le sens
qu’il a naturellement, il resterait que les auteurs de la convention n’ont entendu
exclure du bénéfice du paragraphe 2 de l’article 121 que les formations maritimes
de dimension réduite. Au cours de la conférence avait été évoquée la classification
de l’Institut géologique international, qui définit les îles, les îlots et les rochers
en fonction de leur surface 39. Aucun accord ne put intervenir sur la dimension
maximale des îles à exclure du bénéfice de l’article 121, § 2. Mais il est clair qu’il
s’agissait de formations maritimes de faible étendue.
En définitive et, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, un rocher au sens de
l’article 121, § 3 est une éminence abrupte de dimension réduite composée de roches
dures. Rockall est un rocher, Tromelin n’est pas un rocher. De même, comme le
Maroc l’a très justement marqué dans la déclaration qu’il a faite lors de la ratifica-
tion de la convention de Montego Bay, il convient de distinguer parmi les présides
espagnols, l’îlot d’Alhocelma, le rocher de Badis et les îles Chaffarines.
Ceci étant dit, l’article 121, § 3 de la convention exclut du bénéfice du para-
graphe 2 non pas tous les rochers, mais seulement ceux qui ne se prêtent pas
à l’habitation humaine ou à une vie économique propre. Si un rocher n’est pas
habitable et ne se prête pas à une telle vie, il n’ouvre pas droit à une ZEE et à un
33. Doc. A/CONF.62/C.2/L.18 (23 juillet 1974) ; Doc. off. vol. III, p. 227.
34. Doc. A/CONF.62/C.2/L.53 (12 août 1974) ; Doc. off. vol. III, pp. 264-265.
35. Doc. A/CONF.62/C.2/L.23 (26 juillet 1974) ; Doc. Off., vol. III, p. 234 ; Doc. A/CONF.62/C2/L.34
(1er août 1974) ; Doc. off. vol. III, p. 247 ; Doc. A/CONF.62/C.2/L.55 (13 août 1974) ; Doc. off., vol. II,
pp. 266-267.
36. Algérie, Côte d’Ivoire, Dahomey, Guinée, Haute Volta, Libéria, Madagascar, Mali, Maroc, Mauri-
tanie, Sierra Leone, Soudan, Tunisie et Zambie : projet d’articles sur le régime des îles (27 août 1974), Doc.
A/CONF.62/C.2/L.62/Rev.1 ; Doc. off., vol. III, p. 269.
37. Doc. A/CONF.62/WP.8/Part II ; Doc. off., vol. IV, pp. 157-176.
38. Algérie, Bangladesh, Cameroun, Irak, Libye, Madagascar, Maroc, Nicaragua, Somalie, Turquie :
Doc. C.2/Informal Meeting/21 (28 avril 1978).
39. Voir R. D. Hodgson et R. W. Smith, « The Informal Single Negotiating Text (Committee II) : A
Geographical Perspective », Ocean Development and International Law, 1975-1976, vol. 3, p. 230.
îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer 521
plateau continental. Mais s’il remplit l’une ou l’autre de ces conditions, il ouvre
un tel droit. Le tribunal arbitral l’a d’ailleurs reconnu, tout en ajoutant qu’aucune
vie économique propre ne saurait se développer sans installation de communautés
humaines faisant de l’île leur lieu de vie (« home ») et en en déduisant que les deux
concepts sont nécessairement liés 40 (ce qui paraît excessif).
Reste à savoir ce qu’il convient d’entendre par l’une et l’autre de ces conditions.
Se fondant une nouvelle fois sur le seul texte anglais de la convention, le tribunal
a observé que pour engendrer une ZEE et un plateau continental, une île doit
pouvoir « soutenir », « servir de base à » (« to sustain ») l’habitation humaine ou
une vie économique propre. Il a estimé que, du fait de l’emploi de ce verbe, une île
n’ouvre droit à une ZEE et un plateau continental que si elle offre des conditions
permettant à l’habitation humaine ou à la vie économique de se développer de
manière permanente selon des standards minimums 41.
Poursuivant son analyse, le tribunal a ajouté que, par « habitation humaine »,
il fallait entendre l’installation (« settlement ») pour une période de temps indéfinie
d’une communauté humaine susceptible de se nourrir et de s’abriter sur l’île sans
aide extérieure 42.
De même, pour qu’il y ait « vie économique propre », il faut, selon le tribunal,
que l’île ait la capacité de soutenir une vie économique indépendante de l’extérieur.
Ainsi n’entrerait pas dans les prévisions de ce texte l’hypothèse dans laquelle l’île
est « utilisée comme un simple objet en vue d’activités d’extraction, sans qu’une
population locale soit impliquée » (« serving purely as an object for extractive acti-
vities, without the involvement of a local population ») 43.
Le Tribunal a enfin ajouté que le statut de l’île doit être déterminé sur la base
de ses capacités naturelles sans prendre en considération les modifications « subs-
tantielles » que l’homme pourrait apporter à ces capacités 44.
Cette construction audacieuse est difficilement compatible avec le texte fran-
çais de la convention qui vise les rochers qui « ne se prêtent pas » à l’habitation
humaine ou à une vie économique propre. Elle a surtout un rapport lointain avec
l’article 121, § 3, quelle qu’en soit la version linguistique. La capacité de se prêter à
une habitation humaine n’est pas celle de permettre l’établissement permanent de
communautés humaines vivant sans aucun secours de l’extérieur. En outre, si un
État ne peut transformer un haut-fond découvrant ou un rocher en île ouvrant droit
en tant que telle à plateau continental et ZEE, rien ne lui interdit d’améliorer les
capacités d’accueil d’un rocher 45. Le tribunal n’a pas procédé à une interprétation,
mais à une réécriture complète du texte.
Les auteurs de la sentence en ont peut-être été conscients et ont cherché à
justifier cette réécriture en invoquant le but de la convention tel qu’il se dégagerait
des travaux préparatoires. Dans cette perspective ils ont souligné que l’article 121,
§ 3 avait pour but de limiter les droits nés des îles en vue de préserver le patri-
moine commun de l’humanité et qu’il convenait par suite d’en étendre largement
la portée 46. Mais cette interprétation téléologique de la convention ne correspond
pas à la réalité.
Les travaux préparatoires montrent que deux courants se sont opposés lors de
la conférence. Le premier réunissait les États ayant des territoires insulaires qui
Ayant ainsi précisé les titres à des espaces maritimes qu’ouvrent les îles, les
hauts-fonds découvrants et les rochers, il reste à déterminer le rôle qu’ils jouent
dans la délimitation de ces espaces en cas de revendications concurrentes des États.
Au terme d’une longue évolution, la Cour internationale de Justice a mis
au point une méthode de délimitation en trois temps permettant de parvenir à
des résultats équitables ainsi que l’exige la convention de Montego Bay en ce qui
concerne la ZEE et le plateau continental (art. 74 et 83) 54. À cet effet,
a) la Cour trace en premier lieu une ligne d’équidistance provisoire ;
b) elle recherche ensuite s’il existe des circonstances pertinentes ou spéciales
susceptibles de justifier un ajustement ou un déplacement de cette ligne ;
c) elle s’assure enfin que la ligne retenue « n’entraîne pas de disproportion
marquée entre les longueurs respectives des côtes et les espaces répartis par
ladite ligne » 55.
généraient des « projections maritimes ». Elle a écarté ces prétentions, le Nicaragua n’ayant « produit
aucun élément attestant qu’elles se prêtent ‘à l’habitation humaine ou à une vie économique propre’ ». Se
plaçant sur le terrain de la preuve, elle n’a pas eu dans ce cas à interpréter l’article 121, § 3 (CIJ, Déli-
mitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa-Rica c. Nicaragua) et Frontière
terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt du 2 février 2018,
Rec. CIJ, 2018, p. 184, § 113.
54. En ce qui concerne la mer territoriale, l’article 15 de la convention prescrit l’application de l’équi-
distance sauf circonstances spéciales. La jurisprudence a assimilé ces circonstances aux circonstances
pertinentes à prendre en considération en vue d’aboutir à des résultats équitables en application des
articles 74 et 83 (CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.
Bahreïn), précit., p. 84, § 176).
55. CIJ, Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt du 3 février 2009, Rec.
CIJ, 2009, pp. 101-103, §§ 115-122 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit.,
pp. 695-696, §§ 190-193 ; CIJ, Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa-
Rica c. Nicaragua) et Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nica-
ragua), précit., p. 190, § 135.
524 îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer
56. TIDM, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Ghana et la Côte
d’Ivoire dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte d’Ivoire), arrêt du 23 septembre 2017, affaire n° 23, pp. 91-92,
§§ 288-289.
57. CPA, Arbitration between Barbados and the Republic of Trinidad and Tobago, sentence du
11 avril 2006, § 306 ; CPA, Arbitration between Guyana and Suriname, sentence du 17 septembre 2007,
§ 335 ; CPA, Arbitration between the Republic of Croatia and the Republic of Slovenia, sentence du 29 juin
2017, §§ 997‑1014.
58. CIJ, Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Honduras), arrêt du 8 octobre 2007, Rec. CIJ, 2007, pp. 742-745, §§ 277-281.
59. CIJ, Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt du 27 janvier 2014, Rec. CIJ, 2014, p. 59, § 151.
60. CIJ, Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), précit., pp. 109-110, § 149.
61. CIJ, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit., p. 699, § 202.
62. CIJ, Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen, précit.,
pp. 79-81, §§ 90-92.
63. CIJ, Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt du 3 juin 1985, Rec. CIJ,
1985, p. 52, § 73.
îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer 525
64. CIJ, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit., pp. 707-708, § 229.
65. Affaire de la délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord et République française, précit., pp. 223-232, §§ 180-203.
66. Ibid., p. 207, § 144.
67. Ibid., pp. 251-258, §§ 243-255.
68. CIJ, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit., p. 713, § 238.
69. CIJ, Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt du 24 février 1982, Rec.
CIJ, 1982, p. 89, § 129.
70. Arbitrage entre la province de Terre-Neuve et du Labrador et la province de la Nouvelle-Écosse
concernant certaines parties des limites de leurs zones extracôtières au sens de la loi de mise en œuvre de
l’accord Canada‑Nouvelle‑Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers et de la loi de mise en œuvre de l’accord
atlantique Canada-Terre-Neuve, sentence du 17 mai 2001, § 5.13.
526 îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer
le droit à une mer territoriale, mais lui a refusé tout effet sur la délimitation de la
ZEE et du plateau continental 71. Une solution analogue a été retenue par la Cour
pour Filfla dans l’affaire Malte/Libye 72.
Dans le litige ayant opposé le Bahreïn et le Qatar devant la Cour, celle-ci s’est
montrée encore plus restrictive puisqu’elle a privé d’une partie de sa mer territo-
riale Fasht al Jarim, « formation maritime [revendiquée par Bahreïn] située très
au large [des côtes de cet État] et dont, au plus, une partie infime serait découverte
à marée haute » 73.
Mais à l’inverse il est des cas dans lesquels un plein effet a été reconnu aux
îles, par exemple par la Cour dans la délimitation en mer des Caraïbes entre des
îles relevant du Nicaragua et du Honduras 74.
Il est enfin des hypothèses complexes dans lesquelles des effets différents ont
été donnés à différentes îles, comme dans l’arbitrage entre l’Érythrée et le Yémen 75.
En définitive tout est question d’espèce. La question fondamentale est, dans
chaque cas, de savoir si l’île a une influence sur le tracé de la ligne d’équidistance
telle que retenir cette ligne conduirait à des résultats inéquitables. S’il en est
ainsi l’île doit être regardée comme une circonstance pertinente ou spéciale en vue
d’aboutir à une solution différente. La dimension de l’île et sa situation géogra-
phique sont à cet égard déterminantes.
Les prévisions demeurent difficiles en ce domaine. C’est que les auteurs de
la convention de Montego Bay ont posé en matière de délimitation des règles très
générales laissant une large liberté aux négociateurs et aux juges. La pratique,
comme la jurisprudence, ont privilégié une méthode pour parvenir à ce résultat :
tracé de la ligne d’équidistance, puis prise en compte d’éventuelles circonstances
pertinentes ou spéciales. La place des îles dans les délimitations a été fixée dans
ce cadre par la jurisprudence. Le cadre est clairement tracé, mais, dans ce cadre,
chaque affaire est un cas particulier dont la solution repose sur la sagesse des
négociateurs et des juges.
Évoquant les vagues qui, l’une après l’autre, viennent se briser sur le rivage,
Paul Valéry célébrait « la mer, la mer toujours recommencée ». Il en est de même
du droit de la mer, en perpétuelle évolution dans le cadre de principes fermement
établis qui permettront de répondre demain aux nouveaux problèmes qui pourraient
se poser du fait du réchauffement climatique et de la montée du niveau des océans 76.
Nous avons voyagé sur toutes les mers du globe. Nous avons reconnu beaucoup
d’îles, entraperçu nombre de hauts-fonds découvrants et rencontré quelques rochers.
Dans cette navigation juridique, nous avons dû faire face à de nombreux écueils.
Certains sont maintenant clairement identifiés, qu’il s’agisse de la définition des îles,
des espaces maritimes qu’elles engendrent ou de leur influence sur les délimitations
maritimes. D’autres laissent encore la place à quelques hésitations marginales, ce
sont les hauts-fonds découvrants. Quant aux rochers, ils demeurent l’objet de débats
que la sentence sur la mer de Chine méridionale n’a pas contribué à clarifier.
71. Arbitration concerning the border between the Emirates of Dubaï and Sharjah, sentence du
19 octobre 1981, pp. 264-265.
72. CIJ, Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), précit., p. 48, § 64.
73. CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
précit., pp. 114-115, §§ 247-248.
74. CIJ, Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Honduras), précit., pp. 749-752, §§ 299-305.
75. CPA, Arbitrage entre le gouvernement de l’État d’Érythrée et le gouvernement de la République
du Yémen, sentence du 17 décembre 1999, §§ 139-162.
76. Cette question a été mise à l’étude par la Commission du droit international (voir doc. A/74/10,
2019, § 265 ; voir notamment le document préparé en 2020 par les co-présidents du groupe d’étude de la
CDI, 28 février 2020, A/CN.4/740).