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Annuaire français de droit

international

Îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer


M. le Président Gilbert Guillaume

Citer ce document / Cite this document :

Guillaume Gilbert. Îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer. In: Annuaire français de droit international,
volume 65, 2019. pp. 513-526;

doi : https://doi.org/10.3406/afdi.2019.5323

https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2019_num_65_1_5323

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Résumé
Quelques 600 000 îles jalonnent les océans. Quels sont les droits que ces îles engendrent au
profit des États sur les eaux qui les entourent ? Quelle est leur influence sur la délimitation des
espaces maritimes entre États ? Pour répondre à la première question, il est procédé à une
analyse des concepts d’île, de haut-fond découvrant et de rocher et de leur influence dans la
détermination des mers territoriales, des zones économiques exclusives et des plateaux
continentaux. La réponse à la seconde question repose sur un examen approfondi de la
jurisprudence. Il apparait en conclusion que dans l’un et l’autre cas, le droit de la mer est bien fixé,
sauf en ce qui concerne la définition des rochers visés à l’article 121, § 3 de la convention de
Montego Bay. Sur ce dernier point, la sentence rendue en 2016 dans l’affaire de la mer de Chine
méridionale est en effet d’une extrême fragilité et ne saurait faire jurisprudence.

Abstract
Some 600,000 islands dot the oceans. What are the rights that these islands generate to the
benefit of States over the waters that are surrounding them ? What is their influence on the
delimitation of maritime spaces between States ? To answer the first question, an analysis of the
notions of island, low-tide elevation and rock is performed and of their influence on the
determination of territorial seas, exclusive economic zones and continental shelves. The answer to
the second question is based on an in-depth examination of the case law. In conclusion, it appears
that in both cases, the law of the sea is well established, except with regard to the definition of
rocks under Article 121(3) of the Montego Bay Convention. On this last point, the Award rendered
in 2016 in the case concerning the South China Sea is in fact extremely fragile and cannot be
considered as a precedent.
ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL
LXV – 2019 – CNRS Éditions, Paris

ÎLES, ROCHERS ET HAUTS-FONDS


DÉCOUVRANTS EN DROIT DE LA MER
Gilbert GUILLAUME*

Résumé : Quelques 600 000 îles jalonnent les océans. Quels sont les droits que ces îles
engendrent au profit des États sur les eaux qui les entourent ? Quelle est leur influence sur
la délimitation des espaces maritimes entre États ? Pour répondre à la première question,
il est procédé à une analyse des concepts d’île, de haut-fond découvrant et de rocher et
de leur influence dans la détermination des mers territoriales, des zones économiques
exclusives et des plateaux continentaux. La réponse à la seconde question repose sur un
examen approfondi de la jurisprudence. Il apparait en conclusion que dans l’un et l’autre
cas, le droit de la mer est bien fixé, sauf en ce qui concerne la définition des rochers visés
à l’article 121, § 3 de la convention de Montego Bay. Sur ce dernier point, la sentence
rendue en 2016 dans l’affaire de la mer de Chine méridionale est en effet d’une extrême
fragilité et ne saurait faire jurisprudence.
Abstract : Some 600,000 islands dot the oceans. What are the rights that these islands
generate to the benefit of States over the waters that are surrounding them? What is
their influence on the delimitation of maritime spaces between States? To answer the first
question, an analysis of the notions of island, low-tide elevation and rock is performed
and of their influence on the determination of territorial seas, exclusive economic zones
and continental shelves. The answer to the second question is based on an in-depth
examination of the case law. In conclusion, it appears that in both cases, the law of the
sea is well established, except with regard to the definition of rocks under Article 121(3)
of the Montego Bay Convention. On this last point, the Award rendered in 2016 in the
case concerning the South China Sea is in fact extremely fragile and cannot be considered
as a precedent.

Rochers et hauts-fonds découvrants ont toujours été des obstacles à la navi-


gation sur lesquels les navires risquaient de se fracasser, attirés par le chant des
sirènes. En revanche les hommes ont toujours perçu les îles de manière ambiva-
lente. Elles leur sont apparues comme des lieux d’enfermement redoutés et comme
des refuges souhaités. Elles sont à la fois enfer et paradis tant dans la littérature
que dans la réalité.
Il en est ainsi des îles imaginaires qui se comptent par centaines. On y cueille
des pommes d’or et on y fait face à des dinosaures. Rackham-le-rouge y enfouit
ses trésors et Arsène Lupin y découvrit trente cercueils. On y rencontre des fées
bienveillantes et des magiciennes inquiétantes, des lilliputiens rusés et des géants
redoutables. Robinson Crusoé y survécut et le capitaine Nemo y disparut.

(*)  Membre de l’Institut, ancien Président de la Cour internationale de Justice.


514 îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer

Cette ambivalence reflète le réel. La garnison mexicaine de Clipperton 1 et


les esclaves malgaches débarqués sur Tromelin 2 connurent un destin tragique,
tandis que les mutins du Bounty trouvèrent refuge sur Pitcairn. Il existe encore des
îles paradisiaques de par le monde, comme les rêvaient Gauguin et Jacques Brel.
Mais il en est d’autres telles Bikini ou Nauru qui ont connu un sort moins favorable.
Les progrès de la technique, et notamment de l’aviation, ont cependant permis
de sortir un grand nombre d’îles de leur isolement naturel pour le meilleur et pour
le pire. Le tourisme s’y est développé des Canaries à Bali, les chercheurs les ont
explorées et les installations militaires y ont connu un nouvel essor des Chagos à
la mer de Chine méridionale.
Les États ont de ce fait porté une attention nouvelle aux îles. Les querelles
de souveraineté se sont multipliées, des Malouines aux Spratleys. Certaines
ont été tranchées par des tribunaux arbitraux ou par la Cour internationale de
Justice depuis l’île de Palmas 3 jusqu’à Pulau Ligitan et Pulau Sipadan 4. D’autres
demeurent pendantes, des présides espagnols 5 aux îles éparses du canal de Mozam-
bique 6 jusqu’aux rochers Liancourt 7.
Le droit de la mer n’est pas demeuré étranger à ces évolutions et y a lui-même
contribué. 600 000 îles environ sont dispersées sur toutes les mers du globe. Du
fait de l’élargissement des mers territoriales à 12 milles marins, de la création des
zones économiques exclusives (ZEE) et de la reconnaissance de plateaux continen-
taux pouvant aller au-delà de 200 milles, ces îles ont pris une importance nouvelle.
Quels sont les droits que ces îles, comme les hauts-fonds découvrants, engendrent
au profit des États sur les eaux qui les entourent ? Quelle est leur influence sur la
délimitation des espaces maritimes entre États ? Telles sont les deux questions
auxquelles il convient de tenter de répondre à la lumière des conventions multilaté-
rales et bilatérales en vigueur, de la coutume et de la jurisprudence internationales.
Pour répondre à la première question, il faut distinguer entre les titres à mer
territoriale et ceux relatifs à la ZEE et au plateau continental. Dans le premier cas,
toutes les îles et certains hauts-fonds découvrants sont à prendre en considération.
Dans le second, les hauts-fonds découvrants et certaines îles qualifiées de rocher
ne jouent aucun rôle.

I. – LES TITRES À MER TERRITORIALE –


ÎLES ET HAUTS-FONDS DÉCOUVRANTS

A. Définition des îles et des hauts-fonds découvrants

La convention des Nations Unies sur le droit de la mer distingue clairement


les îles des hauts‑fonds découvrants. Son titre VIII intitulé «  Régime des îles »
comporte un article unique, l’article 121.

1.  A. Rossfelder, Clipperton, l’île tragique, Paris, Albin Michel, 1976.


2.  M. Guerout et T. Romon, Tromelin. L’île aux esclaves oubliés, Paris, CNRS Éditions, 2011.
3.  CPA, Arbitration on the Island of Palmas (Netherlands v. United States of America), sentence du
4 avril 1928, RSA, vol. II, p. 830 (version française : RGDIP 1935, p. 156).
4.  CIJ, Affaire relative à la souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie),
arrêt du 17 décembre 2002, Rec. CIJ, 2002, p. 625.
5.  Présides mineurs, îles Zaffarine, îlot d’Alhucemas et Vélez de la Gomera, administrés par l’Espagne
et revendiqués par le Maroc.
6.  Bassas da India, Europa et Juan de Nova administrés par la France et revendiqués par Madagascar.
7.  Rochers Liancourt administrés par la République de Corée sous le nom de Dokdo et revendiqués
par le Japon sous le nom de Takeshima.
îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer 515

En son paragraphe 1, l’article 121 précise qu’« [u]ne île est une étendue natu-
relle de terre entourée d’eau qui reste découverte à marée haute ». Elle se distingue
des hauts-fonds découvrants qui sont définis par l’article 13 de la convention comme
« les élévations naturelles de terrain qui sont entourées par la mer, découvertes à
marée basse et recouvertes à marée haute ».
Cette distinction a été consacrée par la Cour internationale de Justice qui lui
a reconnu un caractère coutumier 8. Elle apparaît à première vue fort claire : dès
lors qu’une formation maritime, découverte à marée basse, est recouverte à marée
haute par les eaux, il ne s’agit plus d’une île, mais d’un haut-fond découvrant.
Une difficulté non négligeable résulte cependant du fait que la convention ne
définit pas ce qu’il faut entendre par marée basse et marée haute. Or il existe une
grande variété de marées. Le marnage, c’est-à-dire la différence entre une pleine
mer et une basse mer successives peut varier considérablement d’un lieu à un autre.
Il peut surtout varier d’une période à une autre. L’amplitude des marées diffère en
effet en fonction de la distance de la terre à la lune. Celle-ci est minimale à l’équinoxe
de printemps et le marnage est alors maximal. On parle de marées de vives eaux.
Mais les marées varient aussi en fonction de la position respective de la lune et
du soleil par rapport à la terre. Environ tous les dix-neuf ans à l’équinoxe, la lune
et le soleil sont alignés par rapport à la terre et de ce fait l’attraction lunaire et
l’attraction solaire se combinent, augmentant encore le marnage. Ce qui semblait
une île peut alors se révéler n’être qu’un haut-fond découvrant.
Dans ces conditions le juriste ne saurait faire l’impasse sur le choix des marées
à prendre en compte pour qualifier en droit ces formations maritimes.
Les travaux préparatoires des conventions de Genève de 1958 et de Montego
Bay de 1982 ne sont à cet égard d’aucun secours 9. Les tribunaux arbitraux 10 et la
Cour internationale de Justice 11 ont eu à faire face au problème. Mais compte tenu
des difficultés de preuve qu’ils ont rencontrées, ils ont préféré tourner l’obstacle et
ne rien trancher. Quant à la pratique des États, elle est d’une grande variété. Les
uns s’en tiennent aux marées d’équinoxe les plus extrêmes survenant tous les 19
ans, dites marées astronomiques 12. Les autres se réfèrent à la moyenne des marées
d’équinoxes sur une période de 19 ans. D’autres enfin usent de formules diverses.
On a pu en recenser dix-sept 13.
Aucune tendance générale ne peut être dégagée de ce chaos. Il n’existe pas de
coutume, même régionale, en ce domaine.
Ces divergences dans la pratique peuvent mener à des difficultés entre États
voisins pour la délimitation de leurs frontières maritimes. Ainsi, lors des négo-
ciations engagées à ce sujet entre la France et la Belgique, il est apparu que les
systèmes de référence des marées retenus par les deux pays étaient différents.

8.  CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
fond, arrêt du 16 mars 2001, Rec. CIJ, 2001, p. 100, § 201.
9.  Pour les travaux de la Commission du droit international, voir CDI, Doc. A/2693, Annuaire de la
CDI, 1954, vol. II, p. 156. Pour les travaux de la conférence de Genève, voir C. Symmons, « Some Problems
Relating to the Definition of Insular Formations in International Law: Islands and Low-Tide Elevations »,
Maritime Briefing, 1995, vol. 1, n° 5, p. 15.
10.  Délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du
nord et République française, décision du 30 juin 1977, RSA, vol. XVIII, p. 198, §§ 122 et s., p. 205, § 139.
11.  CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
précit., p. 93, § 194 (pour Qit’ at Jaradah), p. 100, § 200 (pour Fasht ad Dibal) ; CIJ, Différend territorial
et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt du 19 novembre 2012, Rec. CIJ, 2012, pp. 644-645, §§ 35-38
(pour QS 32 et les formations maritimes voisines).
12.  Voir G. Guillaume, « Les hauts-fonds découvrants dans la jurisprudence de la Cour », in La Cour
internationale de justice à l’aube du xxie siècle, Paris, Pedone, 2003, p. 303.
13.  Ibid., pp. 308-309, notes 17-41.
516 îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer

Par voie de conséquence l’un d’eux considérait un banc de sable dit Banc Breedt,
se trouvant dans la zone à délimiter, comme un haut-fond découvrant à prendre
en considération, tandis que l’autre le regardait comme un haut-fond non décou-
vrant à ignorer. La difficulté fut surmontée par l’adoption d’une ligne de partage
à mi-chemin des prétentions des deux Parties 14.
Au total la distinction entre îles et hauts-fonds découvrants est claire. Mais sa
mise en œuvre peut se heurter à des difficultés qu’il appartient aux négociateurs
et aux juges de surmonter avant qu’une coutume puisse se dégager.
Au regard du droit de la mer, une île ne se définit cependant pas seulement
comme une formation maritime qui reste découverte à marée haute. Il s’agit plus
fondamentalement d’une « étendue naturelle de terre entourée d’eau ». Les îles
« naturelles » ainsi définies par l’article 121 de la convention de Montego Bay
doivent donc être distinguées des « îles artificielles ». Selon l’article 60, § 8 de cette
même convention, ces dernières « n’ont pas le statut d’île » au sens de la convention.
Elles n’ont donc pas de mer territoriale qui leur soit propre et leur présence n’a pas
d’incidence sur la détermination des espaces maritimes.
Le texte de l’article 121 ne fixe aucune autre condition. Peu importe la dimen-
sion des îles. Elles peuvent, selon la jurisprudence de la Cour internationale de
Justice, être minuscules comme l’était QS 32 dans l’affaire Nicaragua c. Colombie
(10 à 20 cm de diamètre à marée haute selon le Nicaragua) 15. Elles peuvent être
très vastes comme le Groenland 16.
Peu importe également leur géologie. Elles peuvent être constituées de roches,
de coraux, de gravier, de sable ou de toute autre matière constituant la terre 17.
Peu importe enfin les modifications que l’homme a pu leur apporter. Quelles
que soient ces modifications, une île reste une île dès lors qu’elle n’est pas engloutie
par les flots.

B. Titres engendrés par les îles et les hauts-fonds découvrants


dans la mer territoriale

Ayant ainsi défini l’île et le haut-fond découvrant, il convient de déterminer le


rôle que ces formations maritimes jouent dans la fixation de la largeur des mers
territoriales à travers le tracé des lignes de base, des lignes de base droites et des
lignes de base archipélagiques, telles que définies par la convention de Montego Bay.
Les lignes de base normales suivent la laisse de basse mer et épousent les sinuo-
sités des côtes (art. 5 de la convention). C’est à partir d’elles que sont normalement
construites les limites extérieures des eaux territoriales (art. 3), puis celles de la zone
contiguë (art. 33, § 2) et de la ZEE (art. 57). Il en va de même en principe pour les
limites extérieures du plateau continental (art. 76, § 1).
Si une île appartenant à un État côtier est située à une distance de la côte infé-
rieure à la largeur de la mer territoriale, sa laisse de basse mer peut être utilisée
pour tracer des lignes de base. La mer territoriale en est élargie d’autant.

14.  Accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume de


Belgique relatif à la délimitation du plateau continental du 8 octobre 1990 (JORF n° 128 du 5 juin 1993,
p. 8162). Selon l’article 2 de cet accord, les limites retenues « résultent de la recherche d’une solution
équitable fondée principalement sur un compromis entre deux hypothèses, celle consistant à prendre en
compte les hauts fonds découvrants aux abords des côtes française et belge et celle prenant en compte la
laisse de basse mer sur la côte ».
15.  CIJ, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit., pp. 643-645, §§ 33-37.
16.  CIJ, Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark
c. Norvège), arrêt du 14 juin 1993, Rec. CIJ, 1993, p. 38.
17.  CIJ, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit., pp. 644-645, §§ 35-37.
îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer 517

De même, un haut-fond découvrant situé dans les limites de la mer territoriale


peut être utilisé aux fins de la détermination de la largeur de cette mer (art. 13).
Toutefois, selon la Cour internationale de Justice, « il n’en va pas de même
pour un haut-fond découvrant situé à moins de 12 milles marins du précédent,
mais au-delà desdites limites. Le droit de la mer ne permet pas l’application dans
ce cas de la méthode dite du ‘saute-mouton’ » 18. Il autorise les États à élargir leur
mer territoriale lorsqu’un haut-fond découvrant se situe à l’intérieur de celle-ci. Il
ne leur permet pas de poursuivre l’opération de haut-fond en haut-fond découvrant
en allant vers le large.
Dans le cas de côtes profondément échancrées ou découpées ou s’il existe un
chapelet d’îles le long de la côte, à proximité immédiate de celle-ci, les États peuvent
sous certaines conditions tirer des lignes de base droites qui leur sont plus favo-
rables que les lignes de base normales. Les îles jouent à cet égard un rôle détermi-
nant, comme le montre l’exemple de la Norvège 19.
En revanche l’influence des hauts-fonds découvrants est en pareil cas plus
réduite. En effet des « lignes de base droites ne doivent pas être tirées vers ou
depuis des hauts-fonds découvrants, à moins que des phares ou des installations
similaires émergées en permanence n’y aient été construits ou que le tracé de
telles lignes de base droites n’ait fait l’objet d’une reconnaissance internationale
générale » (art. 7, § 4 de la convention).
La convention de Montego Bay a enfin mis sur pied un régime novateur concer-
nant les États archipels. Un archipel est un groupe d’îles situées à faible distance les
unes des autres qui peuvent appartenir à un ou plusieurs États. Un État archipel
est constitué « entièrement par un ou plusieurs archipels et éventuellement d’autres
îles » (art. 46).
Un État archipel peut tracer des lignes de base archipélagiques droites reliant
les îles les plus éloignées du centre de l’archipel si ces lignes enferment une surface
où le rapport mer-terre se situe entre 9/1 et 1/1 (formule qui exclut par exemple le
Japon ou la Grande-Bretagne).
Certains hauts-fonds découvrants peuvent être pris en considération pour le
tracé des lignes de base archipélagiques. Il s’agit de ceux portant des phares ou
installations similaires ou de ceux situés « à une distance de l’île la plus proche ne
dépassant pas la largeur de la mer territoriale » (art. 47, § 4).
La question se pose de savoir si toutes les dispositions ainsi rappelées de la
convention de Montego Bay ont valeur de droit coutumier. La Cour internationale
de Justice en a jugé ainsi pour ce qui est du tracé des lignes de base normales et
des lignes de base droites 20. La question demeure ouverte pour les lignes de base
archipélagiques.
Au total, les îles jouent un rôle important dans la fixation de toutes les lignes
de base. Les hauts-fonds découvrants ont une influence analogue dans la déter-
mination des lignes de base normales. Ils ont un rôle plus réduit dans le cas des
lignes de base droites et des lignes de base archipélagiques.

18.  CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
précit., p. 102, § 207.
19.  CIJ, Affaire des pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt du 18 décembre 1951, Rec. CIJ, 1951,
pp. 125, 140 et 143.
20.  CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
précit. Pour les lignes de base, voir ibid., p. 91, § 167 et p. 97, § 184. Pour les lignes de base droites, voir
ibid., p. 103, § 214.
518 îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer

II. – LES TITRES À ZEE ET PLATEAU CONTINENTAL – ÎLES ET ROCHERS

Les hauts-fonds n’ouvrent en revanche aux États aucun droit en ce qui concerne
la ZEE et le plateau continental. Il n’en est pas de même des îles auxquelles est
reconnu un plein effet.
En effet l’article 121, § 2 de la convention de Montego Bay dispose que, non
seulement la mer territoriale, mais encore « la zone contiguë, la zone économique
exclusive et le plateau continental d’une île sont délimités (« determined ») confor-
mément aux dispositions de la Convention applicables aux autres territoires
terrestres ». Cette règle présente, là encore, selon la Cour internationale de Justice
un caractère coutumier 21 et donne aux îles une importance majeure dans la déter-
mination des espaces maritimes.
Elle comporte cependant une exception. En effet selon le paragraphe 3 du
même article, « [l]es rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à
une vie économique propre n’ont pas de zone économique exclusive ni de plateau
continental ». Ces rochers ouvrent seulement droit à une mer territoriale et à une
zone contiguë.
Ce texte d’une importance capitale a fait l’objet d’abondants commentaires 22
et a été interprété pour la première fois dans la sentence arbitrale du 12 juillet
2016 relative à la mer de Chine méridionale 23 qui, à son tour, a fait l’objet d’appré-
ciations diverses 24. Partant de cette sentence il convient de tenter de dégager la
portée de l’article 121, § 3 en recourant aux méthodes d’interprétation consacrées
par la convention de Vienne sur le droit des traités.
La sentence de 2016 a recherché en premier lieu ce qu’il convenait d’entendre
par « rocher » au sens de la convention. Elle a précisé que ce terme n’impliquait
aucune limitation quant aux matériaux constituant le rocher 25 ou quant à sa
dimension 26, ni d’ailleurs aucune autre limitation. Elle n’a de ce fait donné aucune
portée au mot rocher et a lu le texte comme concernant toute île, quelle qu’en soit
la géologie et l’étendue.

21.  CIJ, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit., p. 674, § 139.
22.  Voir en particulier : R. Kolb, « L’interprétation de l’article 121, § 3 de la convention de Montego
Bay sur le droit de la mer : les ‘rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique
propre’ », cet Annuaire, 1994, p. 876 ; S. Karagiannis, « Les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation
humaine ou à une vie économique propre et le droit de la mer », Revue belge de droit international, 1996-2,
p. 559 ; H. Dipla, Le régime juridique des îles dans le droit international de la mer, Paris, PUF, 1984 ;
V. Boré Eveno, « L’interprétation de l’article 121 de la convention des Nations Unies sur le droit de la
mer par la Cour internationale de Justice », in A. Del Vecchio et R. Virzo (eds.), Interpretations of the
United Nations Convention on the Law of the Sea by International Courts and Tribunals, Springer, 2019,
pp. 59-77 ; ainsi que les contributions respectives de L. Caflisch, D. Müller, A. Pellet et B. Samson,
in M. Forteau et J.-M. Thouvenin (dir.), Traité de droit international de la mer, Paris, Pedone, 2017,
pp. 477-489, pp. 530-544, pp. 600-603 et le tableau annexé pp. 611-623.
23.  CPA, Case n° 2013-19 in the matter of the South China Sea Arbitration between the Republic of
the Philippines and the People’s Republic of China, sentence du 12 juillet 2016.
24.  Voir en particulier : P. M. Eisemann, « Qu’est-ce qu’un rocher au sens de la convention de
Montego Bay de 1982 ? Observations sur la sentence arbitrale du 12 juillet 2016 relative à la mer de Chine
méridionale », RGDIP, 2020, p. 7 ; R. Le Boeuf, « Différend en mer de Chine méridionale (Philippines c.
Chine), Sentence arbitrale du 12 juillet 2016 », cet Annuaire, 2016, p. 159 ; A. G. Oude Elferink, « The
South China Sea Arbitration’s Interpretation of Article 121(3) of the LOSC : A Disquieting First », The
JCLOS Blog, 7 September 2016 ; S. Talmon, « The South China Sea Arbitration and the Finality of
‘Final’ Awards », Journal of International Dispute Settlement, 2017, vol. 8, pp. 388-401 ; Chinese Society
of International Law, « The South China Sea Arbitration Awards : A Critical Study », Chinese Journal of
International Law, 2018, vol. 17, n° 2.
25.  Sentence du 12 juillet 2016, précit., §§ 479-482 et 540.
26.  Ibid., § 538.
îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer 519

Cette interprétation soulève une difficulté majeure : la convention use du mot


île (« island ») aux paragraphes 1 et 2 de l’article 121 et du mot rocher (« rock ») au
paragraphe 3 et l’on voit mal a priori comment on pourrait donner la même portée
à ces deux mots.
La sentence a assimilé les rochers aux îles en usant de trois arguments. Elle
a noté tout d’abord que, selon l’Oxford English Dictionary, « rocks ‘may consist of
aggregates of minerals […] and occasionally also organic matter […] They vary in
hardness, and include soft materials such as clays’ » 27. Cette citation est exacte,
mais incomplète, car, si le dictionnaire d’Oxford donne bien cette définition des
« rocks » en second rang, il fournit comme première définition celle d’une « large
rugged mass of hard mineral material ». Dans le premier sens il s’agit en français
d’une roche, dans le second sens d’un rocher. Mais si la version anglaise contient
ainsi une part d’ambiguïté, il n’en est rien de la version française qui se réfère
non aux roches, mais aux rochers, c’est-à-dire selon le dictionnaire de l’Académie
à des « masses de pierre dures escarpées ». Les versions chinoise 28, espagnole 29 et
russe 30 vont toutes dans le même sens et l’on peut regretter que, compte tenu de
l’ambiguïté de l’anglais, le tribunal ne se soit pas penché sur les autres versions.
S’il l’avait fait, il aurait été amené à distinguer roches et rochers et à donner au mot
rocher son sens ordinaire, celui d’une éminence abrupte composée de roches dures.
Afin de justifier une interprétation différente, le tribunal se prévaut par ailleurs
de l’autorité de la Cour internationale de Justice qui, dans l’affaire de la délimita-
tion territoriale et maritime entre le Nicaragua et la Colombie aurait écarté tout
critère géologique avant de qualifier l’îlot corallien dénommé QS 32 de rocher au
sens de l’article 121, § 3. Cette affirmation est cependant erronée. Dans cette affaire,
la Cour avait en effet à décider si Quitasueño était un haut-fond découvrant ou une
île. Dans cette perspective elle a rappelé qu’une île était une étendue naturelle de
terre entourée d’eau qui reste découverte à marée haute. Elle a ensuite souligné
que la définition de l’île ne comportait aucune composante géologique. Mais elle n’a
eu à aucun moment à s’interroger sur le sens du mot « rocher » 31.
En vue de justifier la solution retenue, le tribunal arbitral observe enfin que
donner une interprétation étroite du mot « rocher » conduirait à un résultat absurde.
Il souligne que, si une telle interprétation était acceptée, certaines îles formées de
sable, de boue, de galets ou de corail généreraient de vastes espaces maritimes,
tandis qu’il n’en serait pas de même pour les îles composées de roches dures. Telle
n’aurait pu être l’intention des auteurs de la convention 32. Aussi conviendrait-il
de prendre en compte les travaux préparatoires de l’article 121, § 3 conformément
à l’article 32 de la convention de Vienne sur le droit des traités.
Ces travaux préparatoires ne vont cependant pas dans le sens retenu par la
sentence.

27.  Ibid., § 480.


28.  La version chinoise use de deux caractères, ceux de récif et de roche (« 礁 岩 »). Elle couvre ainsi
les récifs rocheux.
29.  La version espagnole use du mot « Roca » qui selon le dictionnaire de la langue espagnole de la
Real Academia Española signifie : « rocher qui se dresse sur la terre et dans la mer » (« Peñasco que se
levanta en la tierra y en el mar »).
30.  La version russe use du mot « Скалы », le pluriel du mot « Скалa », qui, selon le Grand dictionnaire
de la langue russe de S.A. Kuznetsov de 2014, signifie « un rocher de pierre (bloc de pierre), une falaise aux
pentes raides et aux rebords aigus » (« Каменная глыба, утёс с крутыми склонами и острыми выступами »). Le
dictionnaire de la langue russe de S.I. Ozhegov et N.Y. Schvedova de 2010 fournit une définition légèrement
remaniée : « une montagne de pierre avec des arêtes vives, des pentes raides » (« Kaмeннaя гopa c ocтpыми
выcтyпaми, oтвecными кpyтыми cклoнaми »).
31.  CIJ, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit., p. 645, § 37.
32.  Sentence du 12 juillet 2016, précit., § 481.
520 îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer

Le texte de l’article 121, § 3 trouve son origine dans trois propositions faites à
la conférence. L’une émanait de la Roumanie. Elle couvrait initialement les îlots
et les petites îles inhabitées et sans vie économique 33. Par la suite, la Roumanie
définit l’îlot comme ayant une superficie inférieure à un km2. Elle précisa en outre
que devaient être assimilées aux îlots les petites îles qui ne sont pas ou ne peuvent
pas être habitées (de manière permanente) ou qui n’ont pas ou ne peuvent avoir
de vie économique propre 34.
Cette proposition fut reprise par la Turquie, mais celle-ci distingua entre les
îles sans vie économique et les rochers. Ces derniers étaient exclus par eux-mêmes
du bénéfice de l’article 121, § 2 35.
Enfin, une proposition fut faite par quatorze États africains qui, de manière
particulièrement claire, distinguait île, îlot, rocher et haut-fond découvrant. Elle
définissait le rocher comme « une élévation rocheuse naturelle de terrain qui est
entourée par la mer et découverte à marée haute » 36.
C’est sur la base de ces trois propositions que le président de la commission
compétente proposa l’actuel paragraphe 3 de l’article 121 37. On notera que, contrai-
rement à certaines propositions, le texte avancé n’excluait du bénéfice du para-
graphe 2 que les rochers et non les îlots. On observera en outre que par la suite
certaines délégations tentèrent d’élargir la portée du paragraphe 3 en proposant
de couvrir les îlots plutôt que les rochers. Leur proposition fut rejetée 38. De ce fait,
les travaux préparatoires confortent l’interprétation littérale à donner à ce texte
qui ne concerne que les rochers au sens usuel du terme.
En tout état de cause, même si l’on ne devait pas donner du mot rocher le sens
qu’il a naturellement, il resterait que les auteurs de la convention n’ont entendu
exclure du bénéfice du paragraphe 2 de l’article 121 que les formations maritimes
de dimension réduite. Au cours de la conférence avait été évoquée la classification
de l’Institut géologique international, qui définit les îles, les îlots et les rochers
en fonction de leur surface 39. Aucun accord ne put intervenir sur la dimension
maximale des îles à exclure du bénéfice de l’article 121, § 2. Mais il est clair qu’il
s’agissait de formations maritimes de faible étendue.
En définitive et, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, un rocher au sens de
l’article 121, § 3 est une éminence abrupte de dimension réduite composée de roches
dures. Rockall est un rocher, Tromelin n’est pas un rocher. De même, comme le
Maroc l’a très justement marqué dans la déclaration qu’il a faite lors de la ratifica-
tion de la convention de Montego Bay, il convient de distinguer parmi les présides
espagnols, l’îlot d’Alhocelma, le rocher de Badis et les îles Chaffarines.
Ceci étant dit, l’article 121, § 3 de la convention exclut du bénéfice du para-
graphe 2 non pas tous les rochers, mais seulement ceux qui ne se prêtent pas
à l’habitation humaine ou à une vie économique propre. Si un rocher n’est pas
habitable et ne se prête pas à une telle vie, il n’ouvre pas droit à une ZEE et à un

33.  Doc. A/CONF.62/C.2/L.18 (23 juillet 1974) ; Doc. off. vol. III, p. 227.
34.  Doc. A/CONF.62/C.2/L.53 (12 août 1974) ; Doc. off. vol. III, pp. 264-265.
35.  Doc. A/CONF.62/C.2/L.23 (26 juillet 1974) ; Doc. Off., vol. III, p. 234 ; Doc. A/CONF.62/C2/L.34
(1er août 1974) ; Doc. off. vol. III, p. 247 ; Doc. A/CONF.62/C.2/L.55 (13 août 1974) ; Doc. off., vol. II,
pp. 266-267.
36.  Algérie, Côte d’Ivoire, Dahomey, Guinée, Haute Volta, Libéria, Madagascar, Mali, Maroc, Mauri-
tanie, Sierra Leone, Soudan, Tunisie et Zambie : projet d’articles sur le régime des îles (27 août 1974), Doc.
A/CONF.62/C.2/L.62/Rev.1 ; Doc. off., vol. III, p. 269.
37.  Doc. A/CONF.62/WP.8/Part II ; Doc. off., vol. IV, pp. 157-176.
38.  Algérie, Bangladesh, Cameroun, Irak, Libye, Madagascar, Maroc, Nicaragua, Somalie, Turquie :
Doc. C.2/Informal Meeting/21 (28 avril 1978).
39.  Voir R. D. Hodgson et R. W. Smith, « The Informal Single Negotiating Text (Committee II) : A
Geographical Perspective », Ocean Development and International Law, 1975-1976, vol. 3, p. 230.
îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer 521

plateau continental. Mais s’il remplit l’une ou l’autre de ces conditions, il ouvre
un tel droit. Le tribunal arbitral l’a d’ailleurs reconnu, tout en ajoutant qu’aucune
vie économique propre ne saurait se développer sans installation de communautés
humaines faisant de l’île leur lieu de vie (« home ») et en en déduisant que les deux
concepts sont nécessairement liés 40 (ce qui paraît excessif).
Reste à savoir ce qu’il convient d’entendre par l’une et l’autre de ces conditions.
Se fondant une nouvelle fois sur le seul texte anglais de la convention, le tribunal
a observé que pour engendrer une ZEE et un plateau continental, une île doit
pouvoir « soutenir », « servir de base à » (« to sustain ») l’habitation humaine ou
une vie économique propre. Il a estimé que, du fait de l’emploi de ce verbe, une île
n’ouvre droit à une ZEE et un plateau continental que si elle offre des conditions
permettant à l’habitation humaine ou à la vie économique de se développer de
manière permanente selon des standards minimums 41.
Poursuivant son analyse, le tribunal a ajouté que, par « habitation humaine »,
il fallait entendre l’installation (« settlement ») pour une période de temps indéfinie
d’une communauté humaine susceptible de se nourrir et de s’abriter sur l’île sans
aide extérieure 42.
De même, pour qu’il y ait « vie économique propre », il faut, selon le tribunal,
que l’île ait la capacité de soutenir une vie économique indépendante de l’extérieur.
Ainsi n’entrerait pas dans les prévisions de ce texte l’hypothèse dans laquelle l’île
est « utilisée comme un simple objet en vue d’activités d’extraction, sans qu’une
population locale soit impliquée » (« serving purely as an object for extractive acti-
vities, without the involvement of a local population ») 43.
Le Tribunal a enfin ajouté que le statut de l’île doit être déterminé sur la base
de ses capacités naturelles sans prendre en considération les modifications « subs-
tantielles » que l’homme pourrait apporter à ces capacités 44.
Cette construction audacieuse est difficilement compatible avec le texte fran-
çais de la convention qui vise les rochers qui « ne se prêtent pas » à l’habitation
humaine ou à une vie économique propre. Elle a surtout un rapport lointain avec
l’article 121, § 3, quelle qu’en soit la version linguistique. La capacité de se prêter à
une habitation humaine n’est pas celle de permettre l’établissement permanent de
communautés humaines vivant sans aucun secours de l’extérieur. En outre, si un
État ne peut transformer un haut-fond découvrant ou un rocher en île ouvrant droit
en tant que telle à plateau continental et ZEE, rien ne lui interdit d’améliorer les
capacités d’accueil d’un rocher 45. Le tribunal n’a pas procédé à une interprétation,
mais à une réécriture complète du texte.
Les auteurs de la sentence en ont peut-être été conscients et ont cherché à
justifier cette réécriture en invoquant le but de la convention tel qu’il se dégagerait
des travaux préparatoires. Dans cette perspective ils ont souligné que l’article 121,
§ 3 avait pour but de limiter les droits nés des îles en vue de préserver le patri-
moine commun de l’humanité et qu’il convenait par suite d’en étendre largement
la portée 46. Mais cette interprétation téléologique de la convention ne correspond
pas à la réalité.
Les travaux préparatoires montrent que deux courants se sont opposés lors de
la conférence. Le premier réunissait les États ayant des territoires insulaires qui

40.  Sentence du 12 juillet 2016, précit., §§ 493-497.


41.  Ibid., §§ 485-487.
42.  Ibid., §§ 488-492.
43.  Ibid., §§ 498-503.
44.  Ibid., §§ 508-512.
45.  Les rochers du Mont Saint Michel et de Gibraltar offrent de bons exemples de tels aménagements.
46.  Sentence du 12 juillet 2016, précit., § 535.
522 îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer

entendaient maintenir la règle traditionnelle reconnaissant aux îles les mêmes


droits qu’aux masses continentales. Le second regroupait les États qui craignaient
de voir leurs espaces maritimes réduits du fait d’îles appartenant à leurs voisins
et se sont en outre tardivement présentés comme les défenseurs du patrimoine
commun de l’humanité. L’article 121 est le résultat d’un compromis entre les deux
tendances, comme constaté d’ailleurs dans la sentence arbitrale 47. Il doit être
interprété comme tel. Il pose un principe et lui apporte une exception qui en est
indissociable 48. Celle-ci doit être interprétée à la lumière de toutes les déclarations
faites par les diverses délégations au cours de la conférence, sans privilégier celles
de certains États comme l’a fait la sentence.
La solution du tribunal est par ailleurs contraire à la pratique générale des
États que la sentence a superbement ignorée. En effet nombreux sont les pays qui,
sans se heurter à la moindre protestation, ont établi des ZEE ou revendiqué des
plateaux continentaux autour d’îles qui, selon le tribunal, entreraient dans la caté-
gorie des rochers visés par l’article 121, § 3. Il en est notamment ainsi de l’Afrique
du sud, de l’Australie, du Brésil, du Chili, du Costa Rica, de la France, du Japon,
de Kiribati, du Mexique, de la Norvège, de la Nouvelle-Zélande ou du Portugal 49.
Nombreux sont également les accords bilatéraux de délimitation reconnaissant
de telles situations 50. Nombreux sont enfin les cas dans lesquels la commission des
limites du plateau continental au-delà de 200 milles a examiné des demandes repo-
sant sur ce type de revendication (un cas et un seul ayant soulevé une objection) 51.
Le tribunal a enfin ignoré la jurisprudence de la Cour internationale de Justice.
Celle-ci dans l’affaire ayant opposé le Danemark à la Norvège avait eu en 1993 à
délimiter les espaces maritimes entre le Groenland danois et l’île norvégienne de
Jan Mayen. Le Danemark soutenait que cette île ne se prêtait pas à l’habitation
humaine ou à une vie économique propre. La Cour a relevé qu’elle n’avait pas de
population établie de manière permanente et était seulement habitée par les vingt-
cinq personnes des stations météo et radio 52 ravitaillées depuis le continent. Elle
n’en a pas moins reconnu implicitement, mais nécessairement à Jan Mayen un
droit à ZEE et plateau continental 53.

47.  Ibid., § 532.


48.  CIJ, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit., p. 674, § 139.
49.  Afrique du sud (Prince Edward Islands), Australie (Heard Island, McDonald Islands, Elizabeth
et Middleton Reef, Macquarie Island), Brésil (Penados de Sao Pedro et Sao Paulo, Trindade et Martim
Vaz), Chili (Isla Sala y Gómez, Islas Desventuradas), Costa Rica (Isla Cocos), États-Unis d’Amérique
(Howland et Baker Islands, Johnston Atoll, Jarvis Island, Kingman Reef, Palmyra Atoll, Wake Island), Fidji
(Ceva-i-Ra), France (Clipperton, îles Chesterfield, Crozet, îles Éparses du canal de Mozambique, Matthew
et Hunter, Saint Paul et Amsterdam, Tromelin), Japon (Minamitori-shima), Kiribati (McKean Island),
Mexique (Clarion et Roca Partida), Norvège (Bouvet), Nouvelle-Zélande (Antipodes Islands, Auckland
Islands, Bounty Islands, Campbell Island, Kermadec Islands), Portugal (Selvagens Ilhas).
50.  Une liste de tels accords est fournie dans l’étude de B. Kwiatkowska et A. H. A. Soons, « Some
Reflections on the Ever Puzzling Rocks-Principle under UNCLOS Article 121 (3) », The Global Community
– Yearbook of International Law and Jurisprudence, New-York, Oceana, 2011, vol. 1, p. 11. Depuis 2011
de nombreux autres accords de ce type ont été conclus.
51.  La Commission des limites du plateau continental a précisé qu’elle « n’avait aucun rôle à jouer
concernant les questions ayant trait à l’interprétation juridique de l’article 121 » (déclaration du président
de la Commission lors de la 24e session, § 23). Elle n’en a pas moins formulé des recommandations sur un
grand nombre de demandes tenant compte d’îles qui, selon la sentence arbitrale, n’auraient pas dû être
prises en considération (par exemple pour l’Australie, Middleton Reef et Elizabeth Reef, Macquarie ; pour
le Brésil, Fernando de Noronha, Rocas et Saint Peter and Saint Paul ; pour la Nouvelle-Zélande, Kermadec
Islands, y compris L’Espérance Rock, Raoul, Macauley, Curtis). En outre de nombreuses demandes analo-
gues sont en cours d’examen sans qu’aucune objection ait été formulée par quiconque (sauf le cas unique
de Okinotori-shima).
52.  CIJ, Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark
c. Norvège), précit., p. 46, § 15.
53.  Dans l’affaire de la délimitation maritime entre le Costa-Rica et le Nicaragua, la Cour a été
amenée en 2018 à se prononcer sur les prétentions du Nicaragua selon lesquelles les Cayos de Perlas
îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer 523

Au total la sentence arbitrale dans l’affaire de la mer de Chine méridionale a


donné de l’article 121, § 3 une interprétation d’une grande fragilité. Cette inter-
prétation téléologique méconnaît le sens ordinaire des mots utilisés, l’histoire de
la négociation et la pratique généralisée des États. La solution retenue s’explique
peut-être par les circonstances particulières de l’espèce. Elle ne saurait faire juris-
prudence.
Un rocher demeure un rocher, c’est-à-dire une éminence abrupte de dimension
réduite composée de roches dures. Les rochers ne peuvent ouvrir droit à une ZEE
et à un plateau continental que s’ils se prêtent à l’habitation humaine ou à une vie
économique propre. L’habitation humaine implique la possibilité pour des hommes
de vivre en ces lieux, mais le texte n’exige nullement qu’il s’agisse de communautés
humaines installées pour une durée indéterminée et subsistant sans aide exté-
rieure. Quant à la vie économique propre, elle n’a pas nécessairement à bénéficier
aux seules communautés insulaires s’il en existe. Enfin rien n’interdit aux États
d’agir en vue d’améliorer les conditions de vie et de développer des activités sur
ces rochers.

III. – LES ÎLES DANS LA DÉLIMITATION DES ESPACES MARITIMES

Ayant ainsi précisé les titres à des espaces maritimes qu’ouvrent les îles, les
hauts-fonds découvrants et les rochers, il reste à déterminer le rôle qu’ils jouent
dans la délimitation de ces espaces en cas de revendications concurrentes des États.
Au terme d’une longue évolution, la Cour internationale de Justice a mis
au point une méthode de délimitation en trois temps permettant de parvenir à
des résultats équitables ainsi que l’exige la convention de Montego Bay en ce qui
concerne la ZEE et le plateau continental (art. 74 et 83) 54. À cet effet,
a) la Cour trace en premier lieu une ligne d’équidistance provisoire ;
b) elle recherche ensuite s’il existe des circonstances pertinentes ou spéciales
susceptibles de justifier un ajustement ou un déplacement de cette ligne ;
c) elle s’assure enfin que la ligne retenue «  n’entraîne pas de disproportion
marquée entre les longueurs respectives des côtes et les espaces répartis par
ladite ligne » 55.

généraient des « projections maritimes ». Elle a écarté ces prétentions, le Nicaragua n’ayant « produit
aucun élément attestant qu’elles se prêtent ‘à l’habitation humaine ou à une vie économique propre’ ». Se
plaçant sur le terrain de la preuve, elle n’a pas eu dans ce cas à interpréter l’article 121, § 3 (CIJ, Déli-
mitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa-Rica c. Nicaragua) et Frontière
terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt du 2 février 2018,
Rec. CIJ, 2018, p. 184, § 113.
54.  En ce qui concerne la mer territoriale, l’article 15 de la convention prescrit l’application de l’équi-
distance sauf circonstances spéciales. La jurisprudence a assimilé ces circonstances aux circonstances
pertinentes à prendre en considération en vue d’aboutir à des résultats équitables en application des
articles 74 et 83 (CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.
Bahreïn), précit., p. 84, § 176).
55.  CIJ, Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt du 3 février 2009, Rec.
CIJ, 2009, pp. 101-103, §§ 115-122 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit.,
pp. 695-696, §§ 190-193 ; CIJ, Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa-
Rica c. Nicaragua) et Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nica-
ragua), précit., p. 190, § 135.
524 îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer

Le Tribunal du droit de la mer 56 et les tribunaux arbitraux 57 se sont ralliés à


cette méthode. La Cour n’y apporte exception que lorsqu’il est impossible de tracer
la ligne d’équidistance 58 ou s’il existe un accord entre les Parties pour user d’une
autre méthode 59.
C’est donc dans ce cadre qu’il convient d’apprécier le rôle que les îles et les
hauts-fonds découvrants peuvent jouer dans la délimitation des espaces maritimes.
Tracer la ligne d’équidistance, c’est tracer la ligne dont chaque point se trouve
à égale distance des points les plus proches des deux côtes pertinentes. Ces côtes
sont celles qui génèrent des titres se chevauchant. Ainsi la ligne d’équidistance
a un caractère objectif échappant à l’appréciation du juge. La Cour cependant
a cru pouvoir à deux reprises exclure des côtes pertinentes des îlots se trouvant
à quelque distance des côtes principales. Ce fut le cas de l’île des Serpents dans
l’affaire opposant la Roumanie à l’Ukraine 60 et des îles Quitasueño et Serrana
dans l’affaire opposant le Nicaragua à la Colombie 61. Cette approche me paraît
contestable. La Cour eût dû, à mon sentiment, tracer une ligne d’équidistance
provisoire tenant compte de ces îles, puis en limiter l’influence en les considérant
comme une circonstance pertinente (ce qui d’ailleurs ne lui eût nullement interdit
d’aboutir au même résultat).
L’existence des îles est en effet très souvent regardée comme une telle circons-
tance. Tout varie cependant d’un cas à un autre et diverses situations géogra-
phiques se présentent à cet égard.
La première est celle dans laquelle il convient de fixer une frontière maritime
entre deux îles se faisant face ou entre une île et une masse continentale lui faisant
face. En pareil cas l’équidistance s’impose en général. Mais elle peut être écartée
lorsqu’il existe une forte disparité entre la longueur respective des côtes des deux
États. Ainsi la Cour a noté en 1993 qu’il existait une telle disparité (9 à 1) entre
le Groenland danois et l’île norvégienne de Jan Mayen. Elle a par suite écarté les
conclusions de la Norvège fondées sur la ligne d’équidistance et adopté une ligne
de délimitation plus proche des côtes de Jan Mayen sans aller jusqu’aux 200 milles
des côtes groenlandaises revendiqués par le Danemark 62.
De même lors de la délimitation opérée entre Malte et la Libye, la Cour a
tenu compte de la longueur des côtes pertinentes (8 à 1). Elle a déplacé la ligne
d’équidistance provisoire vers le nord pour laisser à la Libye les deux tiers de la
zone en litige 63.
Elle a fait de même dans l’affaire opposant le Nicaragua à la Colombie en
laissant au Nicaragua les trois quarts des eaux s’étendant entre ses côtes et les

56.  TIDM, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Ghana et la Côte
d’Ivoire dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte d’Ivoire), arrêt du 23 septembre 2017, affaire n° 23, pp. 91-92,
§§ 288-289.
57.  CPA, Arbitration between Barbados and the Republic of Trinidad and Tobago, sentence du
11 avril 2006, § 306 ; CPA, Arbitration between Guyana and Suriname, sentence du 17 septembre 2007,
§ 335 ; CPA, Arbitration between the Republic of Croatia and the Republic of Slovenia, sentence du 29 juin
2017, §§ 997‑1014.
58.  CIJ, Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Honduras), arrêt du 8 octobre 2007, Rec. CIJ, 2007, pp. 742-745, §§ 277-281.
59.  CIJ, Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt du 27 janvier 2014, Rec. CIJ, 2014, p. 59, § 151.
60.  CIJ, Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), précit., pp. 109-110, § 149.
61.  CIJ, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit., p. 699, § 202.
62.  CIJ, Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen, précit.,
pp. 79-81, §§ 90-92.
63.  CIJ, Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt du 3 juin 1985, Rec. CIJ,
1985, p. 52, § 73.
îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer 525

petites îles colombiennes alignées à proximité de la côte nicaraguayenne (pour un


rapport de 8,2 à 1) 64.
La situation se complique lorsque deux États ont des côtes opposées et que des
îles se trouvent dans l’espace maritime qui les sépare.
Un bon exemple de ces difficultés est fourni par la sentence arbitrale rendue en
1977 lors de la délimitation du plateau continental entre la France et le Royaume-
Uni dans la Manche et en mer d’Iroise. Deux problèmes se posaient.
Le premier concernait les îles anglo-normandes. Le Royaume-Uni prétendait
que les espaces maritimes engendrés par ces îles devaient être reliés aux espaces
maritimes engendrés par la côte anglaise. La France soutenait que la frontière
devait suivre dans la Manche la ligne d’équidistance, que les îles anglo-normandes
ne devaient bénéficier que d’eaux territoriales réduites et qu’elles devaient de ce
fait être enclavées dans les espaces maritimes français. Le tribunal a observé que
ces îles étaient du côté français de la ligne d’équidistance et très proches des côtes
de Normandie. Il a pour ces motifs adopté la solution avancée par la France 65.
En mer d’Iroise, se posait un autre problème, celui de l’influence à donner du
côté français à l’île d’Ouessant et du côté anglais à l’archipel des Sorlingues (Scilly)
et à un rocher dit Eddystone Rock. Le tribunal a donné plein effet à ce rocher 66,
comme à Ouessant. En revanche il a estimé qu’afin d’aboutir à un résultat équitable
il convenait de ne donner qu’un demi-effet aux Sorlingues 67.
Des solutions de ce type ont été reprises depuis lors en de nombreuses occasions
par la Cour internationale de Justice, le Tribunal international du droit de la mer
et les tribunaux arbitraux dans des contextes divers.
Ainsi dans l’affaire opposant le Nicaragua et la Colombie, la Cour a relevé
que les îles colombiennes de Quitasueño et de Serrana étaient situées du côté
nicaraguayen de la ligne frontière qu’elle avait fixée. Elle a noté qu’il s’agissait
de « formations de petite taille isolées et très éloignées des principales îles colom-
biennes ». Elle a estimé qu’il ne fallait pas leur donner un « effet disproportionné ».
Elle les a par suite enclavées dans les eaux nicaraguayennes 68.
La jurisprudence fournit par ailleurs de nombreux exemples dans lesquels
les juges ou les arbitres ont décidé de ne pas donner un plein effet à certaines îles
lorsque celles-ci risquaient d’avoir une influence excessive sur la délimitation.
Comme dans l’affaire franco-britannique, ils ont souvent donné à ces îles un
demi-effet. Il en a été ainsi devant la Cour des îles Kerkennah dans le différend
opposant la Tunisie et la Libye 69. Le tribunal arbitral a procédé de même pour
l’île de Sable dans l’arbitrage entre Terre-Neuve et la Nouvelle Écosse, s’agissant
d’une « petite île non peuplée se situant loin des côtes et ayant un effet très dispro-
portionné » sur la délimitation 70.
Mais il est aussi des cas dans lesquels cet effet a été encore plus réduit. Ainsi
dans l’arbitrage entre Dubaï et Sharjah, le tribunal a reconnu à l’île d’Abou Moussa

64.  CIJ, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit., pp. 707-708, § 229.
65.  Affaire de la délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord et République française, précit., pp. 223-232, §§ 180-203.
66.  Ibid., p. 207, § 144.
67.  Ibid., pp. 251-258, §§ 243-255.
68.  CIJ, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), précit., p. 713, § 238.
69.  CIJ, Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt du 24 février 1982, Rec.
CIJ, 1982, p. 89, § 129.
70.  Arbitrage entre la province de Terre-Neuve et du Labrador et la province de la Nouvelle-Écosse
concernant certaines parties des limites de leurs zones extracôtières au sens de la loi de mise en œuvre de
l’accord Canada‑Nouvelle‑Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers et de la loi de mise en œuvre de l’accord
atlantique Canada-Terre-Neuve, sentence du 17 mai 2001, § 5.13.
526 îles, rochers et hauts-fonds découvrants en droit de la mer

le droit à une mer territoriale, mais lui a refusé tout effet sur la délimitation de la
ZEE et du plateau continental 71. Une solution analogue a été retenue par la Cour
pour Filfla dans l’affaire Malte/Libye 72.
Dans le litige ayant opposé le Bahreïn et le Qatar devant la Cour, celle-ci s’est
montrée encore plus restrictive puisqu’elle a privé d’une partie de sa mer territo-
riale Fasht al Jarim, « formation maritime [revendiquée par Bahreïn] située très
au large [des côtes de cet État] et dont, au plus, une partie infime serait découverte
à marée haute » 73.
Mais à l’inverse il est des cas dans lesquels un plein effet a été reconnu aux
îles, par exemple par la Cour dans la délimitation en mer des Caraïbes entre des
îles relevant du Nicaragua et du Honduras 74.
Il est enfin des hypothèses complexes dans lesquelles des effets différents ont
été donnés à différentes îles, comme dans l’arbitrage entre l’Érythrée et le Yémen 75.
En définitive tout est question d’espèce. La question fondamentale est, dans
chaque cas, de savoir si l’île a une influence sur le tracé de la ligne d’équidistance
telle que retenir cette ligne conduirait à des résultats inéquitables. S’il en est
ainsi l’île doit être regardée comme une circonstance pertinente ou spéciale en vue
d’aboutir à une solution différente. La dimension de l’île et sa situation géogra-
phique sont à cet égard déterminantes.
Les prévisions demeurent difficiles en ce domaine. C’est que les auteurs de
la convention de Montego Bay ont posé en matière de délimitation des règles très
générales laissant une large liberté aux négociateurs et aux juges. La pratique,
comme la jurisprudence, ont privilégié une méthode pour parvenir à ce résultat :
tracé de la ligne d’équidistance, puis prise en compte d’éventuelles circonstances
pertinentes ou spéciales. La place des îles dans les délimitations a été fixée dans
ce cadre par la jurisprudence. Le cadre est clairement tracé, mais, dans ce cadre,
chaque affaire est un cas particulier dont la solution repose sur la sagesse des
négociateurs et des juges.
Évoquant les vagues qui, l’une après l’autre, viennent se briser sur le rivage,
Paul Valéry célébrait « la mer, la mer toujours recommencée ». Il en est de même
du droit de la mer, en perpétuelle évolution dans le cadre de principes fermement
établis qui permettront de répondre demain aux nouveaux problèmes qui pourraient
se poser du fait du réchauffement climatique et de la montée du niveau des océans 76.
Nous avons voyagé sur toutes les mers du globe. Nous avons reconnu beaucoup
d’îles, entraperçu nombre de hauts-fonds découvrants et rencontré quelques rochers.
Dans cette navigation juridique, nous avons dû faire face à de nombreux écueils.
Certains sont maintenant clairement identifiés, qu’il s’agisse de la définition des îles,
des espaces maritimes qu’elles engendrent ou de leur influence sur les délimitations
maritimes. D’autres laissent encore la place à quelques hésitations marginales, ce
sont les hauts-fonds découvrants. Quant aux rochers, ils demeurent l’objet de débats
que la sentence sur la mer de Chine méridionale n’a pas contribué à clarifier.

71.  Arbitration concerning the border between the Emirates of Dubaï and Sharjah, sentence du
19 octobre 1981, pp. 264-265.
72.  CIJ, Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), précit., p. 48, § 64.
73.  CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
précit., pp. 114-115, §§ 247-248.
74.  CIJ, Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Honduras), précit., pp. 749-752, §§ 299-305.
75.  CPA, Arbitrage entre le gouvernement de l’État d’Érythrée et le gouvernement de la République
du Yémen, sentence du 17 décembre 1999, §§ 139-162.
76.  Cette question a été mise à l’étude par la Commission du droit international (voir doc. A/74/10,
2019, § 265 ; voir notamment le document préparé en 2020 par les co-présidents du groupe d’étude de la
CDI, 28 février 2020, A/CN.4/740).

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