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Donatello, Judith et Holopherne, Florence, Palazzo Vecchio

Cette œuvre de Donatello conservée au palazzo Vecchio de Florence est un groupe, c’est-
à-dire la réunion sur un même support de deux (ou plusieurs) figures en ronde bosse qui
concourent à une même action ou sont unies par une situation commune. Ce groupe
monumental en bronze de 2,36 m de haut et plus de 1,80 m de large représente les deux figures
en pied de Judith et Holopherne, placées au-dessus d’un imposant piédestal orné de reliefs
sculptés. L’exécution de cette œuvre, l’une des plus complexes et ambitieuses de Donatello, est
située entre 1446 et 1460, soit après le séjour du sculpteur à Padoue. L’œuvre fut signalée pour
la première fois en 1464 dans le jardin du palais Médicis de Florence. Elle constitue un tour de
force dans la composition d’un groupe narratif de grandes dimensions exécuté dans le bronze à
une échelle monumentale.

Je passe ici l’étape de la description.

Analyse iconographique :
Le sujet est assez courant dans l’iconographie de la Renaissance (voir les deux peintures
de Sandro Botticelli, ill., mais aussi celle d’Andrea Mantegna, ill.). Tiré du livre biblique de
Judith, il raconte l’histoire de Judith, jeune veuve habitant la ville de Béthulie assiégée par les
Assyriens conduits par le général Holopherne, qui se rendit sous la tente de ce dernier pour le
tuer. Elle le séduisit puis, alors qu’il était ivre, elle le décapita puis fit exposer sa tête sur les
murailles de la ville, causant ainsi la déroute des assiégeants. Comme David, Judith était
considérée comme un personnage héroïque symbolisant le triomphe de la foi, du courage et de
l’humilité, et au-delà comme l’incarnation des vertus civiques florentines assurant la victoire
de Florence sur ses divers ennemis.
Comme pour David, la tradition iconographique (illustrée de manière différente par
Botticelli et Mantegna) ne représentait pas le meurtre d’Holopherne, mais plutôt la victoire
finale de Judith. Donatello a fait le choix inverse, très audacieux. Le groupe représente l’instant
précis précédant le coup fatal : Judith debout brandit son cimeterre au-dessus de la tête
d’Holopherne, assis à ses pieds, assommé par l’ivresse. Le thème du vin, de la débauche et du
paganisme est explicité sur les reliefs du piédestal, représentant des bacchanales de putti (ill.),
c’est-à-dire des cortèges de petits amours nus se livrant à la boisson en hommage à Bacchus, le
dieu du vin.

Analyse formelle :
La structuration verticale :
L’audace formelle du groupe est sans précédent. Il s’agit de la première transcription
sculpturale depuis l’Antiquité d’une action représentée dans des rondes bosses plus grandes que

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nature et en bronze. L’œuvre est imposante par ses dimensions et sa mise en scène spectaculaire
et complexe. Le groupe repose sur un socle ou piédestal triangulaire (ill.), qui reposait lui-même
à l’origine sur une colonne. Ce socle supporte lui-même un coussin rectangulaire sur lequel est
assis Holopherne, qui lui-même sert de support à Judith debout. Le groupe reprend donc en
l’amplifiant le schéma iconographique courant pour David, à savoir le vainqueur debout
dominant le vaincu : ici il joue de l’opposition entre une figure victorieuse féminine et un
homme vaincu, entre une figure drapée et une figure dénudée, une figure debout et une autre
assise. Judith a un genou contre l’épaule du général, elle pose son pied gauche contre un poignet
d’Holopherne et lui tient fermement la tête de la main gauche. Tout son corps exprime ainsi sa
détermination et sa supériorité.

Les points de vue et composition du groupe :


En raison de la disposition du socle triangulaire et du coussin rectangulaire, le groupe
offre plusieurs points de vue interdépendants. Le point de vue principal correspond à l’un des
côtés du triangle aligné avec le long côté du coussin (ill.). Dans cette vue principale, la
composition joue sur le contraste entre Judith debout et de face, et Holopherne assis, vu de dos
et le visage de profil. S’il tourne vers la gauche, le spectateur aperçoit alors le général de face
et Judith de profil, le bras levé (ill.). Le point de vue est particulièrement saisissant puisque le
regard voit en même temps le bras raidi d’Holopherne et le bras levé de Judith sur le point de
frapper. S’il tourne encore et regarde le groupe sur la face opposée à la face principale (ill.), le
spectateur voit alors Judith de dos, le visage d’Holopherne de profil, mais son buste de face,
avec les deux jambes ballant de part et d’autre d’un des sommets du triangle.
Le groupe est ainsi exploité dans toutes ses possibilités de sculpture indépendante,
destinée à être vue sous des angles multiples par un spectateur tournant autour de lui ; certains
historiens de l’art ont envisagé la possibilité que le groupe ait pu orner une fontaine. La
composition est d'une grande complexité, développant une imbrication étroite des deux figures
qui pousse le spectateur à faire le tour de l’œuvre. Donatello a ainsi créé une scène dramatique
au fort impact émotionnel en trois dimensions, en situant le groupe dans un espace partagé avec
le spectateur, non dans une niche ou devant un mur.

L’expressivité des figures :


Comme toujours, Donatello charge ses figures d’une grande intensité émotionnelle. Vu
de face, le visage de Judith, aux yeux non incisés, affiche une impassibilité inexorable, afin de
montrer que le personnage est un agent de la volonté divine. Mais si on la regarde de profil, on
aperçoit un visage crispé, ouvrant la bouche comme pour laisser passer un cri d’horreur. Le
sculpteur exprime ainsi avec subtilité l’ambivalence émotionnelle du personnage. Le corps
inerte d’Holopherne exprime l’impuissance due à l’ivresse et annonce sa mort prochaine. Son
visage barbu et chevelu, sa morphologie puissante sont directement inspirés par les

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représentations romaines de barbares. La richesse des effets de textures témoigne de la
virtuosité de Donatello dans le modelage de la cire préparatoire à la fonte du bronze : rendu
moelleux du coussin, plis profonds de la robe de Judith, motifs brodés sur le haut, épaisseurs
superposées du voile de la tête. La dorure (encore présente sur l’épée) rehaussait à l’origine
cette richesse du traitement de la surface.

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