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HISTOIRE

DES

GAULOI S
DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS

J U S Q U ’A l ’e n t i è r e SOUMISSION DE LA GAULE

A LA DOMINATION ROMAINE

PAR

AM ÉDÉETH IER RY

D IX IÈ M E É D IT IO N

P A R IS
LIBRAIRIE ACADÉMIQUE

DIDIER ET O , LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DES A UG U STINS
HISTOIRE
DES

GAULOIS
DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS
j u s q u ’a l ’ e n t iè h e SOUMISSION D I LA GAULE
A LA DOMINATION DOMAINE

AMÉDÉE THIERRY
MEMBRE DE L I N S T I T U T

D IX IÈ M E É D IT IO N

P A R IS
L I BR A IR IE A C A D É M I Q U E

D 1L) 1E R E T C ' “, L I B R A I R E S - É D I T E U R S
3 5 , QUAI DES AUGUSTINS

\8 7 7
T o u s dr oi t s rés ervés
A MON FRÈ RE

AUGUSTIN THIERRY

Biblioteka Jagiellortska
PRÉFACE,

En publiant cette nouvelle édition de VHistoire


des Gaulois, je crois utile de reproduire ici quelques
pages qui précédaient la troisième, publiée en 1 8 H -
J’y parlais de mon livre, des raisons qui me l’avaient
fait entreprendre, et aussi de l’état où se trouvait
alors la science ethnologique, en ce qui concerne la
plus obscure p e u t-ê tre , mais non la moins impor­
tante de nos origines nationales.
« Je n’ai point oublié, y disais-je, quelle curio­
sité indulgente accueillit mon livre lors de son appa­
rition en 1828. C’était la première fois qu’ on tentait
d’amener aux proportions d’une histoire ces fragments
sans liaison, ces pages volantes disséminées dans les
auteurs grecs et romains, et qui contiennent le secret
de la vie de nos pères. Bien jeune encore, l’auteur
avait formé le dessein hardi d’introduire l’unité dans
ce chaos, au moyen d’une donnée ethnologique en
rapport avec la double science de l’histoire et des
langues : c ’était essayer d’ organiser un corps avec des
lambeaux, et d’y faire descendre une ûme. Si la nou­
veauté des questions soulevées put étonner d’abord
quelques esprits, ce sentiment n’existe plus mainte­
nant que les mêmes questions agitées, discutées en
France, en Angleterre, en Allemagne, ont pris une
place définitive dans le domaine public de l’histoire.
Je n’ai donc plus à me défendre d’ une hardiesse que
le progrès des sciences historiques a justifiée, mais
seulement à exposer dans quel rapport mon livre se
trouve actuellement avec l’état de nos connaissances
ethnologiques.
« En France, la critique l’a traité avec une ex­
trême bienveillance. Deux éditions d’un travail si sé­
rieux et si spécial se sont écoulées en peu d ’années.
Les idées sur lesquelles il repose ont été admises
généralement dans l’enseignement des écoles; il est
même peu d ’ouvrages considérables publiés dans ces
derniers temps sur l’ histoire de France qui ne m’ aient
fait l’ honneur d’ adopter plus ou moins complètement
le système exposé dans le mien. Enfin, l’attention et
le goût du public s’étant portés depuis lors vers l’étude
des idiomes gaulois, des hommes habiles en ont rap­
proché les dialectes, étudié le mécanisme, et l’ont
comparé à celui des autres idiomes indo-européens.
N’ aurais-je d’autre mérite que d ’avoir coopéré à ce
mouvement d’études, de l’avoir provoqué pour ma
faible part, je me trouverais encore assez payé de tant
de longues années consumées dans un labeur pénible
et souvent ingrat.
« Eu Allemagne, où aucune question ne se traite
à dem i. où l’ érudition patiente et l’hypothèse, même
aventureuse, savent marcher de concert, et jouissent
du même droit de bourgeoisie, la question des ori­
gines gauloises a été abordée aussi, et l’a été sous
toutes ses faces. Dans cette seconde épreuve, il n’est
pas resté un seul point de fait sans examen, une seule
conjecture sans débat; et qu’on me permette de le
dire avec quelque orgueil, le système que je croyais
vrai est non - seulement demeuré debout, mais s’est
encore fortifié par la controverse. Au nombre des ou­
vrages allemands dont les conclusions se sont trouvées
le plus fréquemment conformes aux miennes, il me
suffit de citer la Celtica de M. Dieienbach, publiée de
1838 à 1 8 i0 : livre excellent, qui résume à merveille
l’état de la science; revue critique où toutes les opi­
nions anci nnes et modernes comparaissent devant un
juge d’une compétence irrécusable; inventaire ethno­
graphique érudit, intelligent, impartial; exact comme
ce que font nos voisins, concluant comme ce qui se
fait chez nous. Je dois à M. Diefenbach des remer-
ciment' pour la part bienveillante qu’il y accorde à
mes idées. Quelques dissidences, faciles à expliquer
par la différence du point de vue, me séparent seules
de plusieurs historiens allemands et slaves très-re-
commandables '. J’ajouterai que Niebuhr, dans la

d.Je ne sais comment M. Schaffarich a pu trouver que je rattache les


Galls aux Ibères, et n’assigne que les Kimris à la souche indo-européenne
(Slavisclte Alterthümer, t. I , p. 375). Je dis précisément le contraire.
dernière édition de son Histoire romaine, publiée en
1830, et qui a reçu de grands développements en ce
qui concerne les origines gauloises, était arrivé à
une formule très-rapprochée de la mienne. Je ne veux
certes attribuer à mes travaux aucune influence sur
la direction d’idées d’un homme tel que Niebuhr :
cette prétention me siérait m a l, et est assurément
bien étrangère à ma pensée. Si je signale cette res­
semblance, c ’est qu’elle donne plus d’autorite à des
opinions que je crois bonnes, et qu’ eile peut, quant
à ce qui me regarde, rassurer le public français sur
l’indulgence de ses jugements.
« En Angleterre, M . le docteur Pritchard m ’a
combattu sur plusieurs points avec une science dont
j ’ai fait mon profit, et une courtoisie que je devais
attendre d’ un tel adversaire.
« Je n ’en dirai pas autant de certaines attaques
qui me sont venues d’un pays voisin , au sujet des
origines de la Belgique, et attendu que j ’ai le mal­
heur de croire et d’ affirmer, avec toute l’antiquité,
que les Belges étaient de sang gaulois et non pas
germain. A l’aigreur qui perçait sous la critique, à
l’excessive sévérité des jugements portés sur nos
pères, comparés aux anciens Teutons, il m ’ a été facile
de reconnaître qu’ on mêlait une question de politique
contemporaine à une question d’histoire spéculative
parfaitement désintéressée dans mon livre. Sur ce
terrain, j ’ai pu me dispenser de répondre. Mais je
me suis remémoré cette phrase où Tacite, il y a plus
de dix-sept cents ans, signalait déjà chez quelques
Belges une affectation de germanisme : « Treviri et
« Nervii circa affectationem germanicæ originis ultro
« ambitiosi sunt : tanquaru, per hanc gloriam san-
« guinis, a similitudine et inertia Gallorum separen-
« tur. » Je ne suppose pas que ce soit précisément la
faiblesse de la France qui soulève aujourd’hui mes
critiques contre les vérités de l’histoire. Si j ’en parle
ici, c’est pour blâmer des tendances que je crois moc
telles à la science, et réclamer du moins en ma fa­
veur , à défaut de tout autre titre, la sincérité des
intentions et la bonne foi dans l’étude.
« Grâce à la critique sérieuse, grâce aux travaux
que j ’énonçais tout à l’heure, mon livre s’est nota­
blement amélioré; des choses douteuses ont disparu;
d autres se sont éclaircies; d’autres enfin, présentées
d ’une manière trop concise, ont reçu des développe­
ments propres à en compléter la démonstration.
L’ introduction, qui renferme la discussion des bases
ethnologiques, a été refondue et portée presque au
double. Enfin je crois avoir satisfait aux exigences
de mes Aristarques sur les points vraiment importants
de la question.
« Qu’on me permette d’ajouter un mot sur le but-
que je me suis proposé en entrant dans la carrière des
études historiques. L'Histoire des Gaulois, lorsque
je la composai, se liait intimement dans ma pensée b.
un second ouvrage, YHistoire de la Gaule sous Vad­
ministration romaine. Nous étions alors au plus fort
de cette croisade généreuse qui fonda et popularisa
en France la réforme historique. Peu d’époques lit­
téraires, on s’en souvient, provoquèrent une sympa­
thie plus universelle et plus vive. On eût dit l’exis­
tence même de la patrie intéressée à ces recherches
dont elle était le premier objet. Toutes les imagina­
tions semblaient en éveil ; tous les cœurs battaient
dans l’attente; c ’était à qui apporterait son grain de
sable à l’œuvre de reconstruction, et les mains qui
ne travaillaient pas applaudissaient avec reconnais­
sance aux travailleurs. Une insatiable curiosité de
trouver et d ’apprendre poussait les esprits plus parti­
culièrement vers la découverte de nos origines natio­
nales. Déjà quelques-uns de ces hommes qui savent
s’ approprier les temps en y imprimant le sceau de
leur génie s’étaient emparés de l’époque germanique
et de celle du moyen âge; mais la tête de notre his­
toire restait toujours enveloppée de ténèbres. Ce fut là
que j ’osai me diriger, espérant y taire jaillir un peu
de lumière.
« En partant de la période gallo-franke comme
d’ une des divisions naturelles de nos annales, et re­
montant plus haut, à travers le cours des âges, je
rencontrais deux autres périodes historiques tout aussi
naturellement tracées, et auxquelles se rattachaient
deux grands problèmes non résolus.
« Quand les Burgondes, les Wisigoths, les Franks
vinrent occuper la Gaule, celle-ci était romaine ; elle
formait une province de cet empire universel dont les
maîtres siégeaient au Capitole. Qu’était-ce qu’être
Romain? quelle place tenait la province gauloise dans
l’unité de l’Empire? quel rôle joua-t-elle dans ses des­
tinées? qu’avons-nous reçu, perdu, conservé malgré
les siècles de cette civilisation romaine interrompue
par les Germains? C’était le premier problème qui
s’ offrait à moi.
« Le second appartenait à une époque plus recu­
lée, à l’époque où la Gaule, en possession de son indé­
pendance barbare, n’avait point encore connu la loi
de l’étranger. Il consistait à déterminer les éléments
ethnologiques de cette grande famille qui remplit l’an­
cien monde de ses armes et de son nom, à rechercher
de quelles races elle se com posa; quels furent son
caractère, ses mœurs, et, sur tous les points du globe
où elle mit le pied, ses destinées, avant que la fortune
l’eût abaissée partout sous le joug des Romains.
h Ce dernier problème, le premier à traiter dans
l’ordre des dates, YHistoire des Gaulois en proposait
une solution; j ’ai abordé l’autre dans mon Histoire de
la Gaule sous l'administration rom aine, que j ’espère
compléter incessamment. Conçus dans une même idée,
et se liant l’un à l’autre par un plan com m un, ces
deux ouvrages forment ensemble une introduction à
ce qu’on a coutume d'appeler Yhistoire de France;
introduction nécessaire pour l’ intelligence du reste,
car les événements de la vie des peuples sont bien
souvent une énigme dont le mot, oublié des enfants,
ne se retrouve plus que dans le berceau des pères.
« Yoilà le terrain que j ’ ai passé tant d’années à
déblayer. Quoi que vaille mon œ uvre, elle m ’appar­
tient. S i, dans la division du travail historique, je
n’ai point couru après les tâches brillantes, le public
me rendra du moins cette justice que j’ai accompli
celle-ci avec conscience et courage. »
J’écrivais ces lignes il y a vingt ans; depuis lors,
une thèse autrefois débattue en France et abandon­

n ée, celle qui tend à confondre les races gauloise et


germanique sous l’appellation commune de Celtes, a
été reprise en Allemagne. A ux x v ii6 et xvm e siècles,
des savants français, égarés peut-être par un senti­
ment patriotique mal entendu, s’efforcèrent d’établir
que les Germains étaient des Celtes, c ’est-à-dire des
Gaulois : quelques savants allemands prétendent dé­
montrer aujourd’hui que les Celtes sont d es Germains;
on voit que c’est la même thèse prise à rebours, sui­
vant qu ’on appartient à ce côté du Rhin ou à l’autre.
Nous avons même eu des érudits qui voyaient des
Celtes partout; et les conséquences ridicules où l’es­
prit de système conduisit ces celtomanes passionnés
sont encore présentes à toutes les mémoires. De tels
excès discréditèrent en France les études celtiques peu
danl la moitié du dernier siècle. Puisse-t-il n’en être
pas de même chez nos voisins ! Au reste, la discorde
semble avoir déjà pénétré dans le camp du celto-ger-
manisme, car il a bien fallu se poser de prime abord
cette question : « Quels sont les vrais Germains? »
question (oujours agitée de l’autre côté du Rhin, et
toujours brûlante.
Comme les arguments qui ont fait rejeter la thèse
soutenue autrefois en France s’ appliquent également
à celle qui se soutient en Allemagne, j ’ai dû persis­
ter, avec Fréret et les meilleurs critiques français,
dans mon opinion sur la séparation des races germa­
nique et gauloise, attribuant à celle-ci particulière­
ment la dénomination de Celte, mais reconnaissant
que cette appellation, prise dans un sens géographi­
que, a reçu quelquefois dans les textes des anciens
une extension exagérée.
La numismatique gauloise, fondée depuis moins
de vingt-cinq ans, sous l’inspiration de l’ histoire, jette
déjà de vives lumières dans les obscurités de nos ori­
gines. Débarrassée des interprétations mythologiques
qui en faisaient un chaos d’hypothèses toutes plus
folles les unes que les autres, et désormais assise sur
des principes assurés, l’étude de nos monnaies natio­
nales est devenue une science. Les peuples, les villes,
les chefs gaulois reviennent ainsi à la clarté du jour,
avec leurs attributs, sur leurs propres monuments.
On pourrait presque faire une galerie des médailles
frappées au nom des personnages qui jouèrent un
rôle important dans la guerre de l’ indépendance :
JLuctère, Tasgète, Yiridorix, Durât, Litavie et le grand
Vercingétoiÿx. Nous possédons même des médailles
commémoratives de l’événement qui amena dans les
Saules César et ses légions, et dont le récit ouvre les
Commentaires du conquérant. Je veux p a rle r du Trium-
/irat organisé par Orgétorix, Castic et Dumnorix.
59 ans avant notre ère, dans le ITiirdTènvaT)Tr Toute
la Gaule au moyen de rémigration des Helvètes, et
d’y fonder leur domination. La plus curieuse de ces
médailles, celle qui confirme l’ alliance d’ Orgétorix
avec lesEdues par l’intermédiaire de Dumnorix, porte
d’un côté une tête de Diane avec la légende Eduis, et
au revers un ours avec ce mot, O rcitirix. « La beauté
du travail de la médaille et le choix de la tête qui en
forme le type principal indiquent que le peuple des
Edues. placé par la civilisation avant tous les autres
peuples de la Gaule indépendante, avait attiré chez
lui les artistes de Marseille ou en possédait de natio­
naux formés à l’école de cette ville célèbre. » J’em­
prunte cette observation à mon confrère et ami M. de
La Saussaye, qui a fixé l’ attribution de ce curieux
monument avec sa sagacité ordinaire ‘ .
On a fait quelque bruit, dans ces derniers temps,
de découvertes philologiques qui devaien disait-on.

1. Monnaies des Éduens, par M. L. de t a Saussaye, membre de


l’Académie des inscriptions et belles-lettres (Institut de France), Paris
1846.
bouleverser les bases de l’histoire des Gaules telles
que j ’avais cru les devoir établir d’après les témoi­
gnages historiques directs : voyons ce que ce mouve­
ment a produit.
Nul plus que moi ne rend justice aux études de
linguistique et ne reconnaît les services qu ’elles ren­
dent à l’histoire, quand elles n’ont pas la prétention
de la refaire et de se substituer aux textes qui la
constituent essentiellement. Leur sphère est bornée
comme celle de la numismatique et de la science des
inscriptions : elles assistent, elles éclairent ; elles ne
sont pas tout. Le dernier siècle et même celu i-ci
nous ont montré dans quels excès étranges peuvent
s’égarer parfois, dans les questions étym ologiques,
l’esprit de système et le parti pris.
Sans doute la science philologique des J. Grimm,
des Zeus, des Mone, en Allemagne, celle de MM. A .
Pictet, de La Villemarqué, de Gourson et de quelques
autres érudits en deçà du R hin, est une science sé­
rieuse, avec laquelle l’histoire doit compter. En exa­
minant cependant à quoi est venu aboutir tout ce
mouvement de recherches, de controverses, d’inter­
prétations plus ou moins arbitraires des noms de per­
sonnes et de lieux gaulois, on est forcé d’avouer qu’il
laisse la question entière quant aux bases fondamen­
tales de l’histoire des Gaules, ou plutôt qu’il la con­
firme. Je ne puis mieux faire, à cet égard, que de
m en remettre au jugement de M. A. Pictet, ce sa­
vant collaborateur de M. Grimm , qu’il avait déjà
précédé, si je ne me trompe, dans l’étude passionnée
de la philologie celtique.
Le problème qui s’oflre à résoudre au frontispice
de toute histoire des Gaules est c e lu i-ci : « A -t-il
existé vraiment, dans l’ancienne Gaule, comme les
textes historiques l’affirment, deux idiomes gaulois
distincts? Ont-ils encore aujourd’hui leurs rep résen ­
tants légitimes dans le gaelique et le kymreag ou
kimrique? Ënlin, dans quelle proportion, du moins
approximative, se trouvent-ils répartis sur les terri­
toires de l’ancienne Gaule et de l’ancienne Bretagne?»
Ces questions sont évidemment de la compétence de
la philologie en même temps que de l’histoire. Or, à
quelles conséquences sommes-nous conduits par les
derniers travaux de linguistique?
Il m ’avait semblé, d’après la collation des textes,
que la famille gauloise se divisait en trois groupes de
tribus composées : 1° de Galis ou Gaëls, suivant qu’on
adopte l’orthographe latine ou l’orthographe irlan­
daise actuelle; 2° de Belges appartenant à la race
kimrique; 3° de Kimro-Galls, mélange des deux prin­
cipaux rameaux. A l’époque où j ’établissais celte dis­
tinction, elle concordait avec les résultats philologiques
admis dans le pays de Galles, en Irlande, en France
et même en Allemagne. Les études actuelles ont-elles
changé quelque chose à ces conclusions? Je laisserai
parler M. Pictei.
Suivant l’habile philologue, l’opinion qui place
exclusivement des Galls dans la Celtique et des Kim-
ris dans la Belgique, avec un mélange intermédiaire,
a été partagée par M. Mone dans son savant livre
intitulé Die Gallische Sprache (K arlsrühe, 1851) :
cette opinion est la m ienne, sauf la limite trop res­
treinte indiquée par le mot « exclusivement. » —
Zeus, au contraire, dans sa Grammatica celtica, sou­
tint d ’abord l ’homogénéité de la langue gauloise, en
la rattachant au kimrique, puis il revint sur ses pas,
et se servit principalement du gaelique dans l’inter­
prétation des formules de Marcellus : c ’était au fond
reconnaître deux idiomes distincts, et, par conséquent,
deux rameaux génériques. — Quant à M. J. Grimm,
sa préférence est marquée en faveur du gaelique, qu’ il
regarde comme le plus ancien des idiomes gaulois,
de même que j ’ai vu dans la race des Galls la plus
ancienne branche de la famille primitive.
Ces systèmes allemands ont eu, comme toujours,
un écho en France, et plus d’ un amateur de philo­
logie s’est plu à reproduire l’opinion de Zeus avant
sa conversion. Ona même imaginé un système mixte,
lequel consistait à soutenir que la langue gauloise,
tout unique et homogène qu’elle fût, tenait à la fois
du kimrique et du gaelique : du premier par son vo­
cabulaire, du second par les flexions qu’elle possédait,
encore. Qu’est-ce que cela, suivant la remarque de
M. Pictet, sinon constater par la trace d ’ une dualité
d’ idiomes une dualité de races correspondante? Tout
ceci, ajoute le juge dont j ’aime à invoquer ici l’auto­
rité, tout ceci appuie sans contredit les idées de ceux
qui admettent la division tripartite des Gaulois en
G alls, Kimris et Kimro-Galls. Je présente donc de
nouveau avec conliance mon Histoire des Gaulois
comme reposant sur une base ethnographique que les
récentes études de philologie sont venues confirmer,
loin de l’avoir ébranlée.
INTRODUCTION»

Il ne faut s’attendre à trouver ici ni l’intérêt philoso­


phique qu’ inspire le développem ent progressif d ’un seul
fait grand et fécon d, n i l’intérêt pittoresque qui s’attache
aux destinées successives d’ un seul et m êm e territoire,
im m obile théâtre de m ille scènes m obiles et variées : les
faits que raconte cette histoire sont n om breu x et divers,
leur théâtre est l’ancien m on de tout en tier; mais pourtant
une forte unité y d o m in e ; c’est une biograph ie qui a
p ou r héros un de ces personnages collectifs appelés
peuples, dont se com pose la grande fam ille hum aine.
L’auteur a choisi le peuple gaulois com m e le plus im ­
portant et le plus curieux de tous ceux que les Grecs et
les Romains désignaient sous le n om de barbares, et
parce que son histoire mal con n u e, p ou r ne pas dire
in co n n u e , laissait un vide im m ense dans les prem iers
tem ps de notre Occident. Un autre sentim ent en core, un
sentim ent de justice et presque de p ié t é , l’a déterm iné
et soutenu dans cette longue tâche : Français, il a voulu
connaître et faire connaître une race de laquelle des­
cendent les dix-n eu f vingtièm es d’entre nous Français ;
c’ est avec un soin religieux q u ’il a recueilli ces vieilles
reliques dispersées, qu’ il a été puiser, dans les annales
de vingt peuples, les titres d’une fam ille qui est la nôtre.
U’ ouvrage que je présente au p u b lic a d o n c été com ­
posé dans un but spécial : celui de mettre l’ histoire
narrative des Gaulois en h arm on ie avec les progrès
récents de la critique h isto riq u e , et de restituer, autant
que possible, dans la peinture des événem ents, à la race
prise en masse sa cou leu r g én éra le, aux subdivisions de
la race leurs nuances propres et leur caractère distinc­
tif : vaste tableau dont le plan n ’ embrasse pas m oins de
dix-sept cents ans. Mais à m esure que m a tâche s’ avan­
cait, j ’ éprouvais une préoccu pation p h ilosop h iq u e de
plus en plus forte : il m e semblait v oir qu elqu e chose
d ’individuel, de constant, d’im m u able, sortir du m ilieu
de tant d’aventures si diversifiées, passées en tant de
lieux, se rattachant à tant de situations sociales si diffé­
ren tes; ainsi que dans l’histoire d’un seul h o m m e , à
travers tous les incidents de la vie-la plus rom an esqu e,
on voit se dessiner en traits invariables la p h ysion om ie
du héros.
Les masses ont-elles d o n c aussi un caractère, type
m o r a l, que l’éducation peut bien m odifier, mais qu’ elle
n’ efface p o in t? En d ’autres term es, existe-t-il dans l’es­
pèce h um aine des fam illes et des races, com m e il existe
des individus dans ces races? Ce problèm e, dont la posi­
tion ne rép u gne en rien aux théories ph ilosop h iqu es de
notre tem ps, com m e j ’ achevais ce lo n g ou vrage, m e
parut résolu par le fait. Jamais en core les événem ents
hum ains n ’avaient été exam inés sur une aussi vaste
éch elle, avec autant de m otifs de certitude, pu isqu ’ils
sont pris dans l’ histoire d’ un seul p eu p le, antérieure­
m ent à tou t m élange de sang étranger, du m oins à tout
m élange c o n n u , et que ce peuple est con duit par sa
fortun e vagabonde au m ilieu de dix autres familles
h u m ain es, com m e p ou r contraster avec elles. En O cci­
d en t, il tou ch e aux lb èi'es, aux Germains, aux Italiens;
en O rien t, ses relations sont m ultipliées avec les Grecs,
les C arthaginois, les Asiatiques, etc. De p lu s, les faits
com p ris dans ces dix-sept siècles n ’appartiennent pas à
u ne série uniqu e de fa its, mais à deux âges de la vie
sociale bien différents, à l’âge nom ade et à l’âge séden­
taire. Or, la race gauloise s’y m ontre constam m ent iden­
tique à elle-m êm e.
L orsqu’on veut faire avec fruit un tel travail d ’obser­
vation sur les peuples, c’est à l’état nom ade principale­
m ent qu’il faut les étu d ier; dans cette périod e de leur
existence où l’ ordre social se réduit presque à la subor­
dination m ilitaire, où la civilisation est, si je puis ainsi
p arler, à son minimum. Une h orde est sans patrie
com m e sans len dem ain; chaque jo u r, à chaque com bat,
elle jo u e sa propriété, son existence m êm e ; cette p réoc­
cupation du présent, cette instabilité de fortu n e, ce
besoin de con fian ce de chaque individu en sa force per­
son n elle, neutralisent presque totalem ent, entre autres
influences, celle des idées religieuses, la plus puissante
de toutes sur le caractère hum ain. Alors les penchants
innés se d éploient librem en t avec une vigu eu r toute
sauvage. Qu’on ouvre l’histoire a n cie n n e , q u ’on suive
dans leurs brigandages deux h ordes ou ban d es, l’ une
de G aulois, l’autre de Germ ains : la situation est la
m ê m e , des deux côtés ig n o ra n ce , brutalité, barbarie
é g a le ; mais com m e on sent n éanm oin s .que la nature
n ’a pas jeté ces hom m es-là dans- le ajaême m ou le ! A
l’ étude d ’un peuple pendant sa vie nom ade eji succède
une autre n on m oin s im portante p o u r le but d on t nous
n ous occu p on s : l’étude de ce m ôm e peuple durant Je
P rem ier travail de la vie séd en ta ire, à cette époque de
transition où la liberté hum ain e se débat en core violem ­
m ent contre les lois nécessaires des sociétés et le déve­
loppem ent progressif des idées et des besoins sociaux.
Les traits saillants de la fam ille gauloise, ceux qui la
différencient le p lu s, à m on avis, des autres familles
h um aines, peuvent se résum er ainsi : une bravoure
person nelle que rien n’ égale chez les peuples anciens ;
un esprit franc, im pétueux, ouvert à toutes les im pres­
sion s, ém inem m en t intelligent; mais à côté de cela ,
u ne m obilité extrêm e, p oin t de con stan ce, une répu­
gnance m arquée aux idées de discipline et d’ ordre, si
puissantes chez les races germ an iqu es, beau coup d’ os­
ten tation , enfin une désunion perpétu elle, fruit de
l’excessive vanité. Si l’on voulait com p arer som m aire­
m ent la fam ille gauloise à cette fam ille germ anique que
nous venons de n om m er, on pourrait dire que le senti­
m ent p erson n el, le moi individuel est trop développé
chez la p re m iè re , et q u e , chez l’a u tre , il ne l’est pas
assez; aussi trou von s-n ou s, à chaque page de l’histoire
des G aulois, des personnages originau x qu i excitent
vivem ent et concentrent sur eux notre sym p ath ie, en
nous faisant ou b lier les m asses, tandis q u e , dans l’his­
toire des G erm ains, c’ est ordinairem ent des masses que
ressort tout l’effet.
Tel est le caractère général des peuples de sang
gaulois; m ais, dans ce caractère m êm e, l’ observation
des faits con duit à reconnaître deux nuances distinctes,
correspondant à deux branches distinctes de la fam ille,
à deux races, p ou r m e servir de l’expression consacrée
en histoire. L’ une de ces races, celle que je désigne sous
le n om de Galls, présente de la m anière la plus p ro­
n on cée toutes les dispositions naturelles, tous les dé­
fauts et toutes les vertus de la fam ille; les types gaulois
individuels les plus purs lui appartiennent : l’autre,
celle des Kymris, m oins active, m oins spirituelle peut-
ê tr e , possède en retour plus de constance et d e stabi­
lité : c’est dans son sein prin cipalem en t qu’ on rem arque
les institutions de classem ent et d’ord re; c’ est là que
persévèrent le plus longtem ps les idées de théocratie et
de m on arch ie.
L’ histoire des G aulois, telle que je l’ai co n çu e , se
divise naturellem ent en quatre grandes p ériod es, bien
que les nécessités de la ch ron olog ie ne m ’aient pas tou­
jou rs perm is de m ’astreindre, dans le ré cit, à une clas­
sification aussi rigoureuse.
La prem ière période renferm e les aventures des na­
tions gauloises à l’état nom ade. Aucune des races de
notre O ccident n’ a rem pli u n e carrière plus agitée et
plus brillante. Les courses de celle-ci em brassent l’ Eu­
rope, l’Asie et l’Afrique ; son nom est inscrit avec terreur
dans les annales de presque tous les peuples. Elle brûle
R om e, elle enlève la M acédoine aux vieilles phalanges
d ’Alexandre, force les T herm opyles et pille D elphes;
p u is, elle va planter ses tentes sur les ruines de l’ an­
cienne T roie, dans les places publiques de Milet, aux
bords du Sangarius et à ceux du Nil; elle assiège Car­
tilage, m enace M em phis, com pte parm i ses tributaires
les plus puissants m onarques de l’ O rien t; à deux re­
prises elle fon de dans la haute Italie un grand em p ire,
et elle élève au sein de la Phrygie cet autre em pire des
Galates qui dom ina longtem ps toute l’Asie-Mineure.
Dans la seconde p é r io d e , celle de l’état sédentaire,
on voit se développer, partout où cette race s’est fixée
à dem eure, des institutions sociales, religieuses et p oli­
tiques con form es à son caractère particulier; institu­
tions origin ales, civilisation pleine de m ouvem ent et de
vie, dont la Gaule transalpine offre le m odèle le plus pur
et le plus com plet. On dirait, à suivre les scènes anim ées
de ce tableau, qu e la théocratie de l’ In d e , la féodalité de
notre m oyen âge et la dém ocratie athénienne se sont
don né re n d e z-v o u s sur lé m êm e sol p o u r s’ y com battre
et y régn er tour à tour. Bientôt cette civilisation se m é­
lange et s’altère, des élém ents étrangers s’y introduisent,
im portés par le c o m m e r c e , par les relations du voisi­
n age, par la réaction des populations subjuguées. De
là des com bin aison s m ultiples et souvent bizarres; en
Ita lie , c’est l’ in flu ence rom aine q u i se fait sentir dans
les m œ urs des Cisalpins; dans le m id i de la Transalpine,
c’est d ’abord l’ in flu ence des Grecs de Massalie (l’ancienne
M arseille), puis celle des colon ies italien n es, et il se
form e en Galatie le com posé le plus sin gu lier de civilisa­
tion g a u lo is e , ph rygien ne et grecque.
Vient ensuite la p ériod e des luttes nationales et de la
conquête. Par un hasard dign e de rem a rq u e, c ’est tou ­
jou rs sous l’épée des Rom ains que tom be la puissance
des nations gauloises; à m esure que la d om ination ro­
m aine s’étend, la d om ination g a u loise, jusque-là assu­
rée, recu le et déclin e ; on dirait qu e les vainqueurs et les
vaincus d ’Allia se suivent sur tous les points de la terre
p ou r y vider la vieille querelle du Capitole. En Italie, les
Cisalpins sont su bju g u és, mais seulem ent au b ou t de
deu x siècles d’une résistance ach arnée; quand le reste
de l’Asie a accepté le jo u g , les Galates défendent en core
contre Rom e l’in d épen dan ce de l’ O rien t; la Gaule suc­
co m b e , mais d ’épu isem en t, après un siècle de guerres
partielles, et n eu f ans de guerres générales sous César;
enfin les nom s de Caractac et de Galgac illustrent les der­
niers et in fru ctu eu x efforts de la liberté breton n e. C’est
partout le com bat inégal de l’esprit m ilita ire , a rd e n t,
h éroïqu e, mais sim ple et grossier, con tre le m êm e esprit
discipliné et persévérant.
Peu de nations m ontreraient dans leurs annales une
aussi belle page que cette dernière guerre des Gaules
écrite pourtant par un en nem i. Tout ce qu e l’ am ou r de
la patrie et de la liberté enfanta jam ais d’ héroïsm e et de
p rod ig es, s’ y déploie m algré m ille passions contraires et
funestes : discordes entre les cités, discordes dans les ci­
tés, entreprises des nobles contre le p eu p le, excès de
la d ém ocra tie, inim itiés héréditaires des races. Quels
h om m es que ces Bituriges qui in cen d ien t en un seul
jo u r vin gt de leurs villes ! que cette population carnute,
fugitive, pou rsuivie par l’épée, par la fam ine, par l’hiver,
et que rien ne peut abattre ! Quelle variété de carac­
tères dans les chefs, depuis le druide Divitiac, enthou­
siaste b on et h onn ête de la civilisation rom aine, ju sq u ’au
sauvage A m b io r ix , ru sé, vindicatif, im placable, qui ne
con çoit et n im ite que la rudesse des G erm ains; depuis
D u m n orix , b rou illon a m bitieu x, mais fier, qu i veut se
faire du' con quéran t des Gaules un instrum ent, non pas
un maître, ju sq u ’à ce V ercin gétorix, si pur, si éloquent,
si brave, si m agnanim e dans le m alheur, et à qui il n’a
m anqué, p ou r p ren dre place parm i les plus grands
h o m m e s, que d’avoir eu un autre e n n e m i, surtout un
autre historien que César !
La quatrièm e périod e com p ren d l’ organisation de la
Gaule en provin ce ro m a in e , et l’assimilation lente et
successive des m œ urs transalpines aux m œ urs et aux in­
stitutions de l’Italie; travail com m en cé par Auguste, con ­
tinué par Claude, achevé plus tard. Ce passage d ’une
civilisation à l’ autre ne se fait p oin t sans violence et
sans secousse : de n om breuses révoltes sont com p ri­
m ées par A uguste, une grande insurrection éch oue
sous Tibère. Les déch irem en ts et la ru in e im m in en te de
Home pendant les guerres civiles de Galba, d ’ O thon, de
Vitellius, de Vespasien, donnent lieu à une subite explo­
sion de l’ esprit d’indépendance au nord des Alpes-, les
peuples gaulois reprennent les armes, les sénats se refor-
m en t, les Druides proscrits reparaissent, les légions ro­
m aines cantonnées sur le Rhin sont vaincues ou gagnées,
un E m p ire gaulois est construit à la hâte ; mais bientôt la
Gaule s ’aperçoit qu’ elle est déjà au fond toute rom a in e,
et qu ’un retour à l’ ancien ordre de choses n’ est plus ni
désirable p ou r son bon heu r, riï~ m êm e possible ; elle se
résigne d on c à sa destinée irré v o ca b le , et rentre sans
m urm ure dans la com m unauté de l’ em pire rom ain.
Avec cette dernière période finit l’ histoire de la race
gauloise en tant que nation, c’ est-à-dire en tant que
corps de peuples libres, soum is à des institutions
propres, à la loi de leur développem ent spontané : là
com m en ce une autre série de faits, l’ histoire de cette
m êm e race devenue m em bre d’ un corps politique étran­
ger, et m odifiée par des institutions civiles, p olitiqu es,
religieuses, qui ne sont p oin t siennes. Quelque intérêt
que m érite, sous le poin t de vue de la philosoph ie
com m e sous celui de l’histoire, cette Gaule rom aine qui
jo u e dans le m onde rom ain un rôle si grand et si ori
ginal, je n ’ai p oin t dû m ’ en occu p er dans l’ ouvrage que
je p u blie au jou rd ’hui : les destinées du territoire gau­
lois, depuis le tem ps de Vespasien ju sq u ’à la conquête
des F rancs, form ent un épisode com p let, il est vrai, de
l’ histoire de Rome, mais un épisode qui ne saurait être
isolé tout à fait de l’ ensem ble, sous p ein e de n’ être plus
com pris.
J’ai raisonné jusqu’à présent dans l’hypothèse de
l’existence d’ une famille gauloise qui différerait des
autres familles humaines de l’Occident, et se diviserait
en deux branches ou races bien distinctes : je dois
avant tout à mes lecteurs la démonstration de ces deux
faits fondamentaux, sur lesquels repose tout mon récit.
Persuadé que l’histoire n’est point un champ clos où les
systèmes puissent venir se défier et se prendre corps à
corps, j’ai éliminé avec soin du cours de ma narration
toute digression scientifique, toute discussion de mes
conjectures et de celles d’autrui. Pourtant, comme la
nouveauté de plusieurs opinions émises en ce livre me
fait un devoir d’exposer au public les preuves sur les­
quelles je les appuie, et en quelque sorte ce que vaut ma
conviction personnelle, j’ai résumé, dans les pages qui
suivent, mes principales autorités et mes principaux
arguments de critique historique. Ce travail que j ’avais
fait pour mon propre compte, pour me guider moi-
même dans la recherche de la vérité, et d’après lequel
j’ai cru pouvoir adopter un parti, je le soumets ici avec
confiance à l’examen-, je prie toutefois mes lecteurs
qu’avant d’en condamner ou d’en admettre les bases
absolument, ils veuillent bien parcourir le détail du
récit; car je n’attache pas moins d’importance aux in­
ductions générales qui ressortent des grandes masses de
faits, qu’aux témoignages historiques individuels, si
nombreux et si unanimes qu’ils soient.

PREMIÈRE PARTIE.

PREUVES TIRÉES DES ÉCRIVAINS GRECS ET ROMAINS.

11 faut que l’ethnologie, si elle veut mériter le nom


de science, se plie à la méthode des sciences exactes, et
que, partant com m e elles de questions bien définies, de
faits bien exam inés, adm is p a r to u t le m o n d e , elle p ro­
cède du plus évident au m oins évident, du con n u à l’ in­
con n u . C’ est faute d’ avoir assuré ainsi son p oin t de dé­
part qu ’ elle s’ est égarée trop souvent ; c’est faute d’avoir
disposé à l’avan ce, p o u r ses con stru ctions, un terrain
ferm e et accessible à tous, q u ’elle a bâti dans le vide tant
d ’ édifices im agin aires, d on t se sont éloignés les esprits
sérieux. Convaincu que l’ étude des origines gauloises est
assez avancée a u jou rd ’h u i p o u r supporter l’ épreuve des
m éthodes les plus rigoureuses, j ’ essaierai d’en appliquer
les procédés à m es rech erch es. M’assurant d o n c avant
tout ce p oin t de départ don t je parlais tout à l’heure, je
ch oisirai un fait qu i d om in e tous les autres, d ’abord par
sa p rop re im portan ce, ensuite par la gravité des tém oi­
gnages qui n ous l’ont transm is, car il s’appuie sur les
deux plus grandes autorités qu e n ous puissions invoquer
ici : Jules César et Strabon.
CeiTdeux autorités, en effet, sont tellem ent considé­
rables, elles jo u e n t un tel rôle dans l’eth n ographie de la
Gaule, q u ’ on m e perm ettra de m ’ expliquer en quelques
m ots sur leu r valeur relative, et d’assigner, autant qu’ il
m e sera possible, à ch acun e d’ elles, son caractère spécial
et p rédom in an t, dans les m atières qu i n ous occu pent.
Sans d ou te, le tém oig n a g e de César n ’ est pas aisé­
m ent contestable quand il s’ agit de choses évidem m ent
indifférentes à la politiqu e rom aine et à la gloire du con­
qu éran t: toutefois n’ ou blion s pas que les Commentaires
sont des M ém oires, et que ces esquisses sim ples et ra­
pides, qui font l’adm iration et le désespoir des maîtres
de l’ art, historique, furent tracées dans un but personnel,
dans le but constant de dessiner le grand h om m e au
m ilieu des événem ents qu’ il tranchait si bien par l’épée.
Rarement l’ écrivain perd de vue le héros ; rarem ent il
se laisse dévier de son but par des considérations dé­
sintéressées sur le présent, plus rarem ent par des re­
cherches de sim ple curiosité sur le passé. Les C om m en­
taires de César sont le livre d’ un h o m m e de guerre et
non p oin t d’ un a rch éolog u e.
Strabon, au contraire, m érite p lein em en t ce titre, et
par l’ ob jet de ses travaux, et par son goû t particulier
p ou r l’éru dition. Avec u n e curiosité passionnée, il scrute
tout, il embrasse tout, et la géographie con tem poraine
n’ est habituellem ent p o u r lui q u ’ u ne occasion de sonder
les mystères les plus obscurs de l’ antiquité. Il n'est
étranger à aucune étude, à aucun genre de connais­
sances. Dans les classifications ethnographiques, p ou r
lesquelles il m on tre d’ailleurs une p rédilection très-
m arquée, il ne se born e pas à caractériser les langues,
les m œ urs, les institutions des races, il exam ine leur
nature physique, et se plaît à en com parer les types.
Voyages de terre et de m er, histoire, p h ilosop h ie, poésie
m êm e, il sait tout, il use de tout avec cette réserve et
cette droiture de sens qu i on t fait de lui un des oracles
de la critique an cien n e. Le n om bre des auteurs qu’ il cile
sur la Gaule est considérable ; les n om s d’ H om ère,
Eschyle, Aristote, Éphore, Ératosthène, Hipparque, P o-
lybe, A pollodore, A rtém idore, T im agène, etc., reviennent
à chaque instant dans ses p a g es; il avait en core sous la
m ain les travaux des voyageurs et des savants Massa-
liotes, entre autres ceu x de Pythéas ; mais il puise sur­
tout dans les relations de P osidonius, q u i visita la Gaule
vers la fin du p rem ier siècle avant notre ère, relations
Perdues au jou rd ’ h u i et à jam ais regrettables, à en ju g e r
Par l e s fragm ents qui n ous en restent. C’ est à l’ aide d e
ccs autorités qu ’il com plète les assertions d e César et les
rectifie quelquefois. Lors d on c que César et Strabon
s'accordent sur un tém oignage, on peut sans hésiter le
déclarer certain ; lorsqu’ ils diffèrent, il ne faut point se
hâter de crier à l’ erreur, et de les con dam n er l’ un par
l’ autre, car en étudiant la raison de ce dissentiment, on
finit presque toujours par décou vrir q u ’il n ’existe qu’ en
apparence.
Ceci posé, j ’ entre en matière.
César se porte garant d’un fait auquel il attribue
d’ailleurs assez d’im portance p ou r le placer en tête de
ses Com m entaires com m e une introduction à tout
l’ouvrage ; ce fait, le v o ici : « Toute la Gaule, dit-il, est
« divisée en trois parties, dont l’ une est habitée par les
« Belges, l’ autre par les Aquitains, la troisièm e par ceux
« qui dans leur langue se n om m ent Celtes (Celtæ) et que
« dans la nôtre nous appelons Galls (Gallj), Ces peuples
« diffèrent entre eux par le langage, les m œ urs et les lois.
« Les Galls sont séparés des Aquitains par la Garonne, et
« des Belges par la Marne et la Seine *. » A ces trois di­
visions prises en masse, il applique la dénom ination
collective de Galli, qui, dans ce sens, n’a plus q u ’ une
acception géographique, correspondant au m ot français
Gaulois.
Ce fait sur lequel César ne pouvait, il faut bien en
convenir, ni se trom per lui-m êm e, ni ch erch er à trom ­
per les autres, Strabon le con firm e avec des détails qui
l’ expliquent et le développent. Faisant intervenir, suivant
son habitude, la com paraison des caractères physiolo­
giques des races, il établit :

t . Gallia est omnis divisa in partes très : quarum unam incolunt


Belgæ, aliam Aquitani, tertiam qui ipsorum lingua Celtæ, nostra Galli
appellantur. Hi omnes lingua, institutis, legibus inter se differunt. Cæs,
Bell. Gall., 1 .1, c. 1,
1 ° Que les Aquitains diffèrent des Celtes ou Galls et
des Belges, non-seulem ent par le langage et les institu­
tions, com m e le dit César, mais aussi par la conform a­
tion du corps, et qu’ils ressem blent beau coup plus aux
Ibères, qu ’aux autres habitants de la Gaule 1 ;
2° Que les Celtes et les Belges présentent un type na­
turel com m u n qu ’il qualifie d'extérieur gaulois; que, bien
qu’ ils diffèrent entre eux par les habitudes et le langage,
ces dissem blances sont beaucoup m oindres que celles
qui séparent les uns et les autres du peuple aquitain 2 ;
3° Qu’en outre, les limites indiquées par César ne
term inent pas si exactem ent les territoires occupés par
chaque race, qu’ on ne ren con tre en core au delà la trace
d ’anciens m élanges ou de conquêtes opérées des unes
sur les autres ; qu’ainsi on trouve au m idi de la Garonne,
frontière des Aquitains, u n e tribu galliqu e, celle des
Bituriges-Viviskes 3, et au m idi de la Seine, frontière de
la Belgique, des Belges maritim es occu pant la presqu’île
arm oricain e entre la Seine et la L o ir e 4.
Ce sont là les trois points sur lesquels l’exposé de
Strabon commente ou rectifie celui de César.
Mais q u oiqu e le conquérant, dans le passage que je
viens de citer, em ploie cette expression « toute la Gaule,
omnis Gallia, » les lecteurs des Commentaires savent

1 . T o ù ; (j.èv ’A x cfjïT a v ô ù ;, xeXé w ; £|Y]XXaY(xÉvou; o v tq yXüîxnr) (xovov, àXXà


x.at x o ï ; a-ü>|Aa<jtv, £(xçep£Ï;'Iêripcri jxàXXov r a X à x a i; . S t r a b ., 1. i v , p . 1 7 6 , c .
l n - f o l ., P a r is , 1 6 2 0 . — ‘ AttXü); yàp eiireïv, o l ’A x ou ïxa voi ô ia çé p o v a t xoû
yaX axixou çuX ou , x a x à te x à ; xà>v a-a)(xàxa)v x a x a a x £ v à ;, x a t x a x à xyjv yXa)x-
x a v èoéx a ci oè (xàXXov xI 6Y]pm. I b i d ., p . 1 8 9 , d.
2 . T o u ; ôè X oittoù;, yaXaxix9)v jxèv x9)v ô ^ iv , ôjxoyXcoxxouç 8’ où Ttàvxa;,
àXX’ â v iov ; (xixpov 7tapaXXàxxovxa; x a t ; yX w x xai;- x a i TcoXixEia ôè x a î o l (üioi
ixixpov £$YiXXay(JL£voi Elaiv. Strab., 1. iv, p. 176, c.
3. Strab., 1. iv, p. 190.
4. Strab., 1. iv, p. 194.
bien qu’ il ne veut parler que de la partie de la Gaule
ajou tée par lui aux dom aines de Rom e, en d’autres
termes, de la Gaule chevelue. Soum ise antérieurem ent et
réduite en p rovin ce depuis plus d ’un dem i-siècle, la
Gaule narbonnaise n’ eut rien à dém êler avec les armes
de C ésar; elle ne figure que p o u r m ém oire dans ses
récits, et lorsqu ’il a besoin de la m en tionn er, ce qui
arrive rarem ent, il se sert de l’ expression officielle, la
province, notre province. Sa division ethnographique et
ses récits n e sont d o n c p oin t applicables à cette portion
déjà rom aine de la Transalpine, dont Strabon s’occu p e
au contraire fort en détail. Le savant géographe nous
apprend qu’ elle était habitée, outre les colon ies grecques,
par deux populations de sang barbare, les Celtes et les
L igures1 : les Celtes que n ous avons déjà ren con trés dans
la Gaule chevelue, sous ce n om et sous celui de Galls
com m e une des races gauloises prop rem en t dites ; et les
Ligures qui, m algré quelques con form ités de m œ urs
avec les Gaulois, appartenaient, suivant lui, à u n e tout
autre race hum aine 2.
En com bin an t ces données qui em brassent la totalité
du territoire transalpin, depuis le Rhin ju sq u ’aux Pyré­
nées, et depuis la M éditerranée et les Alpes ju squ ’à
l’ Océan, on peut, d ’après les deu x autorités qu i d o­
m inent, com m e je l’ai dit, toute l’ ethnographie gauloise,
con clu re p rov isoirem en t:
« Que la population des Gaules dérivait de quatre
« sources distinctes, en core reconnaissables au tem ps
« d ’Auguste, sav oir: d’ un cô té , les Aquitains et les
« Ligures, étrangers à la fam ille gauloise proprem ent

i. Strab., 1. iv, passinr.


ï . ‘ E«fOôOvsï;. Sirab., 1. n , p. 128, c.
« d ite; de l’autre, les Celles ou Galls, e lle s fJeIges,-com -
« posant cette m êm e fam ille. »
Ces con clu sion s, auxquelles les nom s de César et
de Strabon im prim ent déjà un si haut degré de p roba­
bilité, concordent-elles avec les tém oignages m oins im ­
posants, mais n om breu x, et souvent très-graves en core
que n ous fournissent les autres écrivains anciens ? Voilà
un poin t à vérifier ; et c’ est aussi ce que je m e propose
d ’exam iner, textes en m ain, dans le cours de cette Intro­
duction. Les questions sont posées par César et Strabon,
il faut les résoudre : les n égliger com m e peu im portantes
ou les n ier sans preuve, ce serait nier l’eth n ologie gau­
loise elle-m êm e, dont elles sont la seule base solide. Et
plus spécialem ent en ce qui regarde la séparation de la
fam ille gauloise en deux branches ou races, différentes
de langage, de m œ urs et d ’institutions, tout système
qui en ferait b on m arch é ne sera jam ais, aux yeu x de la
vraie science, qu’ un système in com p let ou faux. Du
grand fait, du fait fondam ental de la dualité de la fa­
m ille gauloise doit partir toute étude sérieuse sur nos
origines, et c’ est en core à ce fait que toute étude sé­
rieuse doit ram ener.

S E C T IO N I. — PE UPLE S DE LA GAULE É TRANG ER S A L A F AM I LL E G A UL OI S E.

10 A q u it a in s .

Nous savons par Strabon que les plus anciens géo­


graphes ne bornaient pas l’Ibérie à la chaîne des Pyré­
nées; mais qu’ils la prolon geaien t au nord de ces
m on tag n es, dans toute la partie de la Gaule que
resserrent, entre la M éditerranée et l’O céan, les deux
grands golfes que nous appelons au jou rd ’hui golfes de
Gascogne et de L ion '. C’ était une division géogra­
p h iqu e fon d ée sur l’ ethnographie et non sur la configu­
ration des lieux. Lorsque plus tard on considéra prin­
cipalem ent les lim ites naturelles, on fit rétrograder
l’Ibérie ju squ ’ aux P yrénées, et tout le pays com pris
centre cette chaîne et le Rhin fut attribué à la Gaule 2.
La scien ce géographiqu e consacra ce nouveau système ;
mais l’ancien im pliquait évidem m ent la présence au
n ord des Pyrénées d’une population de sang ibérien
assez considérable p o u r constituer un grand appendice
de l’Ibérie.
Voyons ce qu ’au tem ps de César et de Strabon la
Gaule pouvait ren ferm er en core de ces représentants
des races transpyrénéennes.
Nous com m en ceron s par les Aquitains, qui devaient
en faire partie, puisque Strabon leur assigne un carac­
tère gén ériqu e étranger à celui des autres Gaulois et
très-voisin du type naturel des Ib è r e s 3. Le savant géo­
graphe attache tant d’im portance à ces conform ités et
à ces dissem blances qu’ il y revient à deux reprises et
qu’ il signale une peuplade gauloise enclavée parm i les
Aquitains, celle des R ituriges-Viviskes, com m e faisant
ressortir par son contraste la différence bien tranchée
des types 4. N on-seulem ent il nous répète ce que César

1. ’E i t e l xocl ’lê y jp C a v (x è v tu > v u p o T e p w v x a X e ïa ô a i T ta a a v x r jv e£ü>

tg û ^oSavoû x a i to u Ig ô ja o u to u Û 7 t6 t w v T a X a T ix w v x 6 > 7 T ü )V o - ç iY y o ^ e v o u ...

S tra b ., 1. i i i , p. 166, b.
2. 01 8è vuv ôpiov auTYjç TÊOevxai t 9jv ïlu p^vrjv... S tra b ., ib id .
3. Touç ’Axouïtocvoùç teXécû; è^May^évouç où tÿî yXtoTTtt) jaovov, àXXà
xai toÏç aw{xaatv, èjjiçepeïç "Iêiripffi {xaXXov ÿ] ra>aTcuç. Strab., 1. iv, p. 176.
— Atoupépouai tou ya>aTixoû tpOXou, xarà te twv aw^aTtov xaxaGXtuàç, xai
xaTa t9)v y)>wTTav £oixa<ri oè (xaXXov vIêY)p<ri. Idem, 1. iv, p. 189, d.
4. Movov yàp 8r) to twv BiTOuptyaiv toutwv eQvo; £v toÏç ’AxouïTavoT;
àXXo^puXov ÏSpuTai, xai où auvTeXeï aÙToïç. Strab., 1. iv. p. 190, b.
avait én on cé avant l u i , savoir, que le langage et les
institutions des Aquitains étaient autres que ceu x des
Gaulois proprem en t dits, mais il précise la différence,
il la mesure, en quelque sorte, en ajoutant que les Aqui­
tains ressem blaient beaucoup m oins aux autres Gaulois
que ceu x-ci ne se ressem blaient entre e u x 1. De p lu s,
les institutions des Aquitains (ce lle des dévouem ents,
par exem ple) les rattachaient aux Ibères; leur costum e
rappelait celui des Ib è re s2 ; e n fin , dans leurs relations
p olitiq u es, on les voyait presque toujours s’allier avec
les Ibères préférablem ent aux Galls, dont ils n’ étaient
pourtant séparés que par la Garonne.
Si l’on com pare les nom enclatures'cle lieux, de villes
et de nations au nord et au m idi des Pyrénées, on y
trouvera une dém onstration nouvelle de l’ origine ibé­
rique des A qu itain s3. La langue aquitanique paraît
avoir été celle-là m êm e qui se parlait en I b é r ie 4. On
ren con tre en outre çà et là des nom s à physionom ie
ibérie n n e, au n ord de la G aron n e, dans la partie de la
Gaule m éridionale occu p ée par des tribus de sang gau­
lois s, ce qu i fortifie l’ hypothèse d ’une population ibé­
rienne établie dans ce pays antérieurem ent aux Galls, et
refoulée par ceu x-ci au pied des Pyrénées. Les médailles
des Aquitains nous viennent en core en aide dans ces con­
jectu res: quelques-unes, tout en rappelant par leur fabri­

1 . T o u ; 'A x o 'jïx a v o ù ; T£)ia)ç è£rj),).aY (jivov;... T o ù ; 8 s Xoitcoù?, ya>aTix^v


(ièv ty)v ô'j/iv, ôfioyX w rrou c ô ’ où tc&vtou;, àXV èviouç (xixpov 7rapa),).ârrovTa;
T a ï; ‘yXmtcwiç* x a i 7ioXiT£ia ôè x a î oî {iioi juxpôv è£y]X),aY[iévoi e ia t. Strab.,
1. iv, p. 176, c.
2. Valer. Max., II, v i , 11. — Plut. Sertor., 14.
3. Cf. ci-dessous, liv. rv, ch. 1.
4. Pruefung der Untersuchungen ueber die Urbewohner Hispaniens,
vermittelst d e r Waskischen Sprache, v. W . von Humboldt.
5. VV. vou iiumbüldt, ibid., p. 91.
cation les m édailles frappées dans le m idi de la Gaule,
portent des légendes écrites en caractères ce ltib é rie n s4.
Tout ceci co n firm e, ce nous sem b le, l’ assertion de
César com plétée par S trabon , et nous p erm et de poser
ici com m e p rem ier fait d é m o n tr é , que les Aquitains
form aient une branche des Ibères, transplantée de tem ps
im m ém orial sur le territoire des Gaules.

2° L ig u r e s .

P our ceu x -ci, Strabon nous dit plus expressém ent


en core qu’ ils étaient de race étrangère 2, mais en se b o r­
nant à cette affirm ation gén érale, sans spécifier ni la
patrie d’ o rig in e , ni le caractère générique du peuple
qu’ il retranche ainsi de la fam ille gauloise. A défaut des
explications q u ’il n ’a pas ju g é à p ropos de n ous don ner,
nous en ch erch erons d’autres en nous adressant à des
autorités sur lesquelles Strabon lu i-m êm e s’ appuie fré­
qu em m en t, et dont on ne saurait nier, en tout ca s,
l’im portance.
Par suite de leur position sur le littoral de la Médi­
terranée , les Ligures ou Ligyes furent con nu s des navi­
gateurs avant les autres peuples de la Gaule. Les
géographes et les historiens grecs nous les signalent
déjà dans ces parages à une époque très-reculée. On tes
voit figurer parm i les auxiliaires barbares que Carthage
recrute contre le tyran G élon , en 480 : H érodote les y
m entionne après les Libyens et les Ib è re s3. Scylax, ou la

1. lïevue numismatique dirigée par E . Cartier et L . de la Saussaye,


a n n é e 1840, p. 455.
2 . vE 6vrj.......K eXxixà 7 xa>v A iy û w v o u to i 8’ tz eposôveïç jiiv e la t, raxpa-
TCXrjatoi oè xoïç (Moiç. Strab., 1. 1 1 , p. 128, c.
3. «Poivtxtov, xaï Aiêuoùv, xac ’lêrjpcov, xai Aiyuwv. Herodot., vu, 165.
com pilation qui porte son n om et fut rédigée, à ce qu’on
croit, vers 350, nous les m ontre en core établis le long
de la Méditerranée, entre la ville d’ Em poriæ, en Espagne,
et la fron tière de l’ É tru rie 1. Ils occu p en t toute la côte
gauloise, partagés en deux confédérations que sépare le
Rhône ; à droite résident les Ligures m êlés d’Ibères, ou
Ibéro-L igures ; à gauche, les Ligures m êlés de Celtes, ou
Celto-Ligures ; et cette division con tin u e à figurer
depuis Scylax dans la g éog ra p h ie2. Un poète géographe,
d on t le tém oignage n ous est ici bien p récieu x , parce
qu ’il travaillait en grande partie sur des docum ents car­
thaginois, Festus Aviénus fait cou ler le R hône entre
l’ Ibérie et la Ligurie : « C’ est ce fleu ve, dit-il, qu i limite
« la terre ibériqu e et les âpres L ig u re s3. » Tout ceci
rentre m anifestem ent dans cette vieille géographie
eth n olog iq u e, dont nous avons parlé, qui prolongeait
l’ Ibérie au nord des P yrénées, entre les golfes de Gas­
cog n e et de Lion.
C’ était d’ailleurs une op in ion généralem ent reçue,
que ces Ligures tenaient de près à la fam ille ibérien ne ;
et il n’est pas rare de leur voir appliquer la qualification
d’Ibères. Ainsi fait Plutarque sur l’autorité de quelque
auteur très-ancien qu’il ne cite pas 4. Eschyle nous dit
que l’ É ridan, qui d escen d , com m e on sait, des Alpes

1. ’A tto 8è ’ lêrjpw v I^ o v ra i A iy u eç x a i "Iêripeç [AiyàSeç, (J^XP1 TCora[ioü


Ê o ô a v o ü ... aTio ôè P oôa voü A iy u e ç fiix P 1 ’A vxiou....... S c y la x , 3 , 4 .

2. Strab., 1. rv, p. 203.— Plutarch., Paul. Æ m il., G.— Scyrnn., Perieg


v. 201, 202.
3. ..... Hujus (Rhodani) alveo
Ib era tellus et Ligyes asperi
Intersecantur...
( Fest . Av i e n . , Or. mari t . , v. 6 0 8 -6 1 0 .)
4. Plutarch., in Mar.
liguriennes, prend sa source en Ibérie *. Enfin le poëte
alexandrin N on n u s, collecteu r passionné de vieilles
traditions, à la m anière de son é co le , et com pilateur de
vieux docu m en ts géog ra p h iq u es, écrivant au cin qu ièm e
siècle de notre ère, don ne au Rhin lui-m êm e l’épithète
d’ib é r ie n , com m e synonym e de ligurien et de g a u lo is 2.
Mais n ’ était-ce là q u ’une fausse o p in io n , qu’ une
erreur vulgaire dérivant de l’ign ora n ce ou de notions
géographiqu es incom plètes ? La question m érite d’ être
exam inée sérieusem ent, car elle avait été ju g é e très-
im p ortan te, et discutée fort en détail par les anciens.
Si petit que fût le peuple lig u re , son orig in e se liait à
l’ existence de la plus illustre des colon ies grecq u es, la
Sicile, attendu que les Sicanes, conquérants de cette île,
étaient arrivés en Italie par la côte de la M éditerranée
gauloise, fuyant la poursuite des Ligures. Des rech erch es
sur les Sicanes conduisant d o n c nécessairem ent à des
rech erch es sur les L ig u re s, les historiens de la Sicile
durent s’ occu p er et s’ occu p èren t en m êm e tem ps des
uns et des autres.
T hucydide rapporte que les Sicanes étaient des
Ibères établis jadis en Espagne sur les bords du fleuve
S ican u s, a u jou rd ’h u i la S ègre, d ’où les Ligures les
avaient chassés : devant cette irru p tion , ils avaient
fran ch i les Pyrénées du côté de l’est, pénétré en Italie,
et passé de là dans la grande île appelée alors T rin acrie3.

1. Æ schylus in Iberia Eridanum esse dixit. P lia., xxxvn, 2.


2. Nonn. Dionysiac., x x iii , v. 94.
3. E ixa voi 8 è aÙTOÙç (KuxXayrca!; x a i Aai<7Tpu*](6va<;) 'rcpuJToi cpaîvovxai
èvoixi(yà[AEvoi... (î)ç 8è àXrjOeia £Üpt<7X£Tai, "Iêripec; ôvreç, x a i àizb to u Stxavoû
7i:0Ta{A0Û, t o u ev ’lêviptct, uirà Aiyucav àvadTavTEç* x a i àn’ aÙTcâv lix a v É a i\
vy)(70ç èxa)>£ÏTO, 7rpoT£pov T p ivax pta xa^oujAEvr)’ o ix o u a i ôè ê ti x a i vüv Ta rcpo;
étntÉpav tr/v 2ix£X tav. T h u c y d ., v i , 2 .
L’ historien a soin de préven ir ses lecteurs qu’ il n’ expose
pas u n e sim ple c o n je c tu r e , mais « une vérité ; » et il
ajoute q u e , de son tem ps, les descendants des Sicanes
habitaient en core la partie occidentale de l’île. Philiste
de Syracuse, général et m inistre de Denys l’Ancien et
auteur des Siciliques, adm et expressém ent et l’ origin e
ibérien ne des Sicanes et leur exp u lsion d’ Espagne par
les L ig u r e s 1. É p b o re , au rapport de S trabon , et après
lui ce grand g éog ra p h e, n ’hésitent pas n on plus à
recon n aître la certitude du fa it2. Hécatée, T h é o p o m p e ,
A pollodore cités par Étienne de Byzance s’ accorden t à
placer en Ib érie, sur le fleuve Sicanus, l’établissement
p rim itif des Sicanes. Pestus A viénus, qui puisait égale­
m ent aux sources grecques et aux sources p u n iq u es, et
pouvait com p léter les unes par les autres, se range à
cette op in ion , qui, répétée par les poètes et leurs com ­
m entateurs, est entrée com m e un fait à p ein e contes­
table dans le d ou ble dom ain e de l’ im agination et de la
s c ie n c e 3.
Mais si les Sicanes occu p aien t les rives de la Sègre, il
fallait bien que les Ligures qui les poussèrent de là sur
la Gaule, et de la Gaule sur l’ Italie, occupassent aussi
u ne place dans la presqu’île ibérique, et que cette
place fût plus au m idi. C’est en effet près de Tartesse
qu’au dire d’ Hécatée, reprodu it par Étienne de Byzance,
était située l’an cien n e patrie des Ligures et leur ville

1 . K a rE Ïy o v S’ aOxr)v (ZixeXCav) Stxavol, ysvoç 76r]pix<o, où iro X X a 7rpo-


repov a u v o iy .ta à [A £ v o i, ACyua; çevyovTeç. Dion. Halic., i, 22. — Thucyd. et

Philist., ap. eu m d .— <HXkttoç yàp çTjertv, 'IêYipÊa; aù xo ù ç àiroixi-


aôevxaç xaTO ixY jaai x9jv vyjg-ov , à iro xtvoç S ix a v o ô uoxa|xou x a x ’ ’I6Yip(av
ôvtoç T6 T6vyfcÔT0tç xau-n}; tŸ); 7ipo;Y)yopÊa;. Diod. Sicul., v , 6.
2. Strab., 1. vi, p. 270.
3. Avien., Or. mari t., v. 479. — Serv., in Æ noid., viii, 3-8. — SU.
It n l., xrv, 33. — Eustath., ad Hom. Od., xxiv, 304.
qu ’ il n om m e Ligystine f . Un voyageur probablem en t
carthaginois dont Aviénus suivait la relation dans son
P ériple, nous m ontre le berceau des Ligures dépeuplé
et désert, « depuis que, vaincus après de lon gs com bats
« et se retirant devant l’arm ée des Celtes, ils sont venus
« occu p er (en Gaule et en Italie), leurs roch ers et leurs
« bruyères sauvages 2. » Ce texte d ’Aviénus com plète
tous ceux qui précèdent en nous apprenant la cause de
l’ ém igration des L igures : chassés aussi de leur pays par
les Celtes conquérants, ils ren con trèren t sur la côte
orientale de l’ Espagne les Sicanes, qu’ ils poussèrent
devant eu x ju sq u ’ en Italie, puis ils se fixèrent sur le
littoral de la Méditerranée, qui se trouvait ainsi déblayé.
Et cette conquête du m idi de l’ Espagne par les Celtes
n ’est poin t un fait im aginaire, une hypothèse inventée
p ou r expliquer la collision des Ligures et des Sicanes :
nous savons, par les affirm ations unanim es de l’histoire,
que les Celtes ou Galls, traversant les Pyrénées, s’em ­
parèrent de l’ ouest et du m idi de l’ Ibérie, à une époque
que l’ ém igration des Sicanes nous sert à déterm iner.
L’arrivée des Ligures en Gaule par les Pyrénées orien ­
tales fut le con tre-cou p de l’invasion gauloise opérée
en Espagne par les Pyrénées occidentales. Fréret, dont

1. Aiyu<tt£vy), TroXtç Aiyuwv, xr)ç 8utixy)ç ’lêripiaç èyytfç, xal tîîç Tap-
ty]<7(toü icXv](rCov* ol oîxoûvte; Aiyueç xaXoûvrat. Hecat., ap. Steph. Byzant.
— Avienus (Or. m arit., v. 284) place près de Tartesse le lac Ligusticus.
Les Ligures sont appelés Aiyvcmvot dans Lycophron. Eustath.,ad Dionys.,
v . 30.
2. .... Cespitem Ligurum subit
Cassum incolarurn ; namque Celtarum manu
Crebrisque dudura prœliis vacuata sunt;
Liguresque pulsi, ut sœpe fors aliquos a git,
Venere in ista quæ per horrentes tenent
Plerumque dumos.....
(A vien .., Or. marit., v. 132 et seqq.)
je suis ici le calcul, plaçant vers l’année H 00 avant notre
ère le passage des Sicanes dans l’ île de Sicile S la double
m igration des Celtes en Espagne et des Ligures en
Gaule peut avoir eu lieu dans le cours du xvi® ou du
xvne siècle. Au reste, ce n’ est pas dans les dates que gît
la question. Nous ch erch ion s à quelle race appartenaient
les Ligures, que Strabon n ous dit n ’ être pas de sang
gaulois ; et il sem ble bien dém ontré par ce qui précède
que les Ligures étaient u n e nation ibérien ne.
P ou r surcroît de p reu ves, l’ exam en des n om s de
v illes, de peuples, d’ in divid u s, de can ton s, de m on ­
tagnes, de rivières, d ém on tre que l’ id iom e parlé par les
Ligures avait les plus grands rapports avec celu i des
I b è r e s 2. Strabon n ous dit que, par l’ effet du voisinage
et du m élange, ils avaient pris en partie les habitudes
gauloises ; ceci se com pren d sans p ein e : toutefois les
grands traits du caractère national ne s’ effacèrent point,
et le L igure se distingua toujours du Gaulois, soit par
ses tendances m orales, soit par ses institutions les plus
im p ortan tes3.
Si je ne m e trom pe p oin t m oi-m êm e, je crois voir
résolue ici la p rem ière des questions ethnologiques qui
ressortent des textes de César et de Strabon :
1° Il existait réellem ent en Gaule deux peuples étran- (
gers à la fam ille gauloise prop rem en t dite : les Aquitains
jL&ures :
2° Ces. deux i étaient Ib ériens.
Ainsi se trouvé conftrmüf1'"ccïte d on n ée de l’ancien ne

1. Fréret, Œ uvres complètes, t. IV, p. 200.


2. W . von Hum boldt; Pruefung der Untersuchungen ueber die Urbe-
wohner Hispaniens, vermittelst der Waskischen Sprache.
3. Je renvoie pour les détails au livre iv, ch. 1.
géographie grecque qui étendait, sur une partie de la
Gaule m éridionale, les dom aines de la race ibérienne.

S E C T IO N I I .— p e u p le s de la f a m i l l e g a u lo is e .

Les Aquitains et les Ligures ainsi mis hors de la


question prin cip ale, en qualité d’Ibères, il n ous reste
p ou r véritables représentants de la fam ille gauloise, les
Cultes ou Galls et les Belges. Rappelons-nous d ’abord com -
m en T T ésar et S tr â ïïo ïn e s caractérisent. Le prem ier
nous dit qu’ils différaient entre eux par le langage, les
m œ urs et les institutions -, et le second, com m e p ou r
com pléter la pensée de César, s’attache à bien déter­
m iner ces différences au m oyen d ’une com paraison.
Après avoir assigné aux deux peuples un caractère phy­
siologique co m m u n , un type générique qu’ il appelle
Vextérieur gaulois, il ajoute que la dissim ilitude de
m œ urs et d’ idiom es q u ’ on rem arquait entre eux était
petite, relativem ent à celle qu i les séparait l’un et l’autre
des Aquitains. Cela signifle, si je ne m e trom pe, qu’on
reconnaissait les Celtes ou Galls et les Belges p o u r deux
branches d’ un m êm e tron c, p o u r deux fractions d’ une
m êm e fam ille, isolées pendant bien des siècles, dévelop­
pées séparém ent, et arrivées, par l’ effet de leur longue
séparation, à l’état de races distinctes.
A partir de César et de Strabon, la géographie et
l’histoire con tin u en t à constater cette dualité de la fa­
m ille gauloise. Q uoique du tem ps de Mêla, ainsi que
déjà du tem ps de S trabon , Auguste eût rem placé les
an cien n es divisions de la Transalpine en Belges, Galls ou
Celtes et Aquitains, par de nouvelles circon scription s à
l’ usage de l’adm inistration rom aine, ces deux géographes
se servent des prem ières ' , com m e plus p rofon d es,
com m e rendant m ieux com pte des élém ents constitutifs
du pays, puisqu’ elles représentent les races. Pline suit
leur exem ple dans les généralités de sa description des
Gaules ; et en effet l’ état prim ordial des choses ne chan­
gea pas si brusquem ent et si com plètem en t qu’il fût
déjà superflu de le ra p p e le r 8. Si les différences d’ insti­
tutions et de m œ urs durent s’effacer assez vite sous le
niveau de la conquête rom aine, il n’en fut pas de m êm e
des idiom es, qui persévérèrent lon gtem ps avec leurs ca­
ractères individuels et leurs différences relatives. Cela est
si vrai q u ’au cin qu ièm e siècle de notre ère, il se parlait
en core en Gaule deux langues gauloises b ien distinctes3.
Un passage d’Am m ie n Marcellin vient jeter sur la
question eth n ologiqu e, telle que” nos deux grandes au­
torités l’ on t posée, une lu m ière vive et fécon d e.
Ce soldat cu rieu x qu i, tout en guerroyant, écrivait
les m ém oires de son tem ps avec u ne honnêteté et un
talent égalem ent incontestables, aimait à recu eillir sur
sa route les récits populaires et les vieilles traditions des
pays qu ’ il parcourait. Am ené à séjou rn er dans la Gaule,
il y apprit un fait dont la transm ission rem ontait, suivant
lui, aux enseignem ents des collèges druidiques, sup­
prim és depuis déjà trois siècles. « Les Druides rapportent,
« dit-il, qu ’une partie de la population des Gaules était
« in d igèn e, et que l’autre était venue des îles lointaines
•< et des contrées transrhénanes, poussée hors de ses
« dem eures par la fréq u en ce des guerres et par les in on -
« dations de l’ Océan 4. » En don n an t, com m e il faut

1. Strab., 1. iv, p. 1 .7 . — Pomp. Mel.. lu, 2.


2. P lin., iv, 17.
3. Vel celtice aut, si mavis, gallice Ioquere... Sulp. Sev., Dial., i, 20.
4. Drysidæ memorant rêvera fuisse populi partem indigenam, sed
toujours le faire chez les anciens, aux m ots indigène, abo­
rigène, autochthone, l’acception d’ antérieur et de p rem ier
occu p a n t, on est con duit à cette con séqu ence que les
Celtes ou Galls et les Belges s’ établirent en Gaule à des
époques différentes, et assez éloignées p ou r que la tra­
dition eût perdu la trace de la prem ière m igration,
tandis que la seconde restait en core em preinte dans les
souvenirs. Une des deux races habitait d o n c la Gaule
dès l’ aurore des tem ps historiques, l’autre s’y était intro­
duite depuis ; mais quelle était celle qui, en qualité de
plus an cien n e, pouvait revendiquer le titre d'indigène?
A m m ien se tait là-dessus, et son silence nous oblige à
ch erch er des lum ières ailleurs.
Un Grec, auteur d’un ouvrage sur les Gaules, qui
vivait à une époqu e où l’enseignem ent des Druides était
en core dans toute sa force, et qui d’ailleurs paraît avoir
eu connaissance de cette tradition dont parle Am m ien,
T im agène, attribue aux Celtes ou Galls la qualification
d'aborigènes *. Peut-être faut-il rattacher à cette préten­
tion d ’ indigénat l’op in ion exprim ée à César par les
Gaulois, et fon dée en core sur un enseignem ent drui­
dique, q u ’il étaient enfants de P lu ton , c’ est-à-dire, du
m on d e souterrain 2. Mais, sans recou rir aux con jec­
tures, l’histoire suffit p o u r établir que l’antériorité d ’o c­
cupation appartenait réellem ent aux Celtes ou Galls.

alios quoque ab insulis extimis confluxisse et tractibus transrhenanis,


crebritate bellorum et atluvione fervidi maris sedibus suis expulsos.
Amm. M arcell., xv, 0.
1. Aborigines primos in his regionibus quidam visos esse firmarunt,
Celtas nomine regis am abilis, et matris ejus vocabulo Galatas dictos.
Timag., ap. Amm ., xv, 9.
2. Se omnes ab Dite pâtre prognatos prædicant; idque ab Druidibus
proditum dicunt. Cæs., Bell. Gall., vi, 18.
C’ est d’ eux, en effet, que le pays a reçu son n om , et
s’est appelé Keltikê chez les Grecs, Gallia chez les Rom ains :
Celtes et Galls sont pendant b ien longtem ps les seules
dénom inations générales con nu es soit des historiens,
soit des géographes, p ou r désigner les peuples de la
Transalpine. Des Celtes subjuguent l’ Espagne, vers le
xvie siècle avant notre ère 1 ; des Galls descendent en
Italie sous le n om d’Ambra ou d'Ombres, environ deux
siècles après, et les archéologues rom ains désignent ces
ancêtres du peuple om brien par le n om de vieux Galls,
veteres G a lli2, p ou r les distinguer des bandes plus récem ­
m ent ém igrées au m idi des Alpes, entre autres de celle
de Bellovèse. C’est dans le voisinage des Celtes que vient
se fixer la colon ie p h océen n e de Massalie. Enfin, je ne
tarirais pas si je voulais d on n er tous les textes où ces
deux m ots sont em ployés p o u r désigner les peuples
Gaulois les plus a n cien n em en t connus. Au contraire, le
m ot Belge est com parativem ent très-nouveau dans l’ his­
toire : on le lit p o u r la prem ière fois dans César ; les
événem ents auxquels les Belges ont pris part, sous ce
n o m , ne rem ontent pas plus haut que l’ invasion des
Cim bres et l’année 113 avant Jésus-Christ ; ceu x dans
lesquels ils sont m en tionn és sous le n om de Volkes, qui
paraît b ie n , ainsi qu e je le m o n tre ra i, n’ être q u ’une
altération du prem ier, ne rem on ten t pas plus haut que
l’ an 280, et l’invasion des Tectosages en Grèce. Il n’y a
pas là évidem m ent le signe de cette prim itive et lon gu e
occu p ation que les anciens expliquaient par l’indigénat.
Si d o n c la tradition druidique est vraie (et sur q u oi se
fonderait-on p ou r la r e je te r ?), l’antériorité appartien-

1. V. ci-dessous, livre i, ch. 1.


2. Anton. Gniph., ap. Serv. Æn. ad fin. — Bocchus, ap. Solin., 8. —
Isidor., Origin., ix, 2. — Cf. liv. i, ch. 1.
rirait aux Celtes ou Galls, détachés les prem iers du tron c
gaulois ; les Belges seraient les derniers venus, et avant
leur passage en Gaule, ils auraient occu p é les contrées
d’ ou tre -R h in , et le voisinage de l’ Océan du Nord. Il
me sem ble qu e nous p o u v o n s, dès à présent, adopter
cette con clu sion com m e très-probable, en attendant
q u ’elle reçoive, dans les développem ents qu i vont suivre,
une com plète dém onstration.
Qu’ on m e perm ette maintenant de p rop oser à m on
tour u n p roblèm e. « La Gaule étant déjà peuplée par
« une race d’h om m es n om b reu se, u n e secon de arrive
« du n o rd , lon g e le littoral de l’ O céan, et passe le Rhin
« dans son cours in férieu r et m oyen . Ces nouveaux
« venus se fon t jo u r au sein de la population qu’ils ren-
« contrent devant eux, et con quièren t une place dans le
« pays. Quand les bouleversem ents causés par l’ occu pa-
« tion violente auront été calm és, quand ch acun e des
« deux races aura repris son assiette, où les trouvera-
« t-on l’une et l’autre? » — V oici ce q u ’on pourrait
rép on d re, avec quelque certitude, u ne carte de la Gaule
sous les yeu x : — « L’invasion ayant m arch é du n ord -
« ouest au s u d , la race conquérante se sera développée
« dans ces vastes plaines qui s’ étendent entre l’ Océan et
« les hauts plateaux de l’ est, et form ent dans la top o-
« graphie de la Gaule une rég ion si bien caractérisée.
« La race envahie, refou lée à l’est et au m idi, aura pu se
« m aintenir derrière les chaînes de m ontagnes qui se
« suivent et s’ engrènent, p o u r ainsi dire, depuis le Rhin
« ju s q u ’à l’ A uvergne, et à l’ abri des grands fleuves, là
« où les m ontagnes lui auront m anqué. »
Eh b ie n , c’ est là précisém ent la situation relative des
deux branches de la fam ille gauloise, d ’après les lim ites
que leur attribuent César et Strabon. Les Celtes ou Galls
o ccu p en t le m idi et l’ est, ju squ ’au cours de la Marne et
aux V osges; les Belges le n ord et l’ouest, ju sq u ’à la
Seine suivant César, ju squ ’à la Loire suivant Strabon,
dissentim ent apparent qui sera expliqué plus tard, et
n’affecte en rien notre argum entation générale.

I. PEUPLES DU PREM IER RAMEAU GAULOIS.

Celtes ou Galls.

César nous d on n e ces deux m ots com m e parfaite­


m ent syn onym es; et dans une phrase d’u n e con cision
désespérante, il ajoute que ce peuple s’appelait Celte
dans sa langue et Gall dans celle des Bom ains : li qui
lingua sua Celtæ, nostra Galli appellantur. Cela d it, il n’y
revient plus et nous laisse ch erch er ailleurs l’explication
d’un texte si obscu r et au p rem ier cou p d’ œil inexpli­
cable. Adressons-nous d o n c en core cette fois à S trabon ,
notre guide quand César fait défaut, et le m eilleur inter­
prète assurém ent qu e nous puissions avoir des Commen­
taires.
Et d’abord le savant géographe a grand soin de nous
signaler, com m e un écueil dangereux en géographie et
en h isto ire , le dou ble sens d on n é au m ot Celte par les
Grecs ; 1° sens eth n ogra p h iq u e, local et déterm iné;
2° sens géographique indéterm iné et con vention n el.
E thnographiquem ent il en lim ite l’application aux tri­
bus gauloises établies au-dessus de N arbonne, à l’ ouest
des C évennes, et il expose com m en t les Massaliotes,
entrés d’abord en relation avec e lle s 1 parce qu’elles

1 . T a û x a (ilv (>7cèp tw v v£(j.O(A£vü)v t9jv NapêwvTxtv â7tixpàT£tav )iyo|/.ev,


oüç o î 7tpoT£pov KéXxaç <ï>v6 [JiaÇov ànb to utw v ô ’ otjxat x a i tovç au|A7ravTa<;
faX aT O î K e /x o ù ç vnà xwv ‘ EXXtqvwv upogaYopeuO^vat, Sià xrjv £7ct<fàv£iav
avoisinaient Massalie, prirent leur n om p o u r le nom
générique de tous les Gaulois et propagèrent cette
erreu r parm i les Grecs. Une prem ière m éprise en en­
gendra une s e c o n d e , et par u ne extension plus abusive
en core d on née au m ot Celte, H érodote, Éphore et beau­
coup d’autres appelèrent C eltiq u e, non pas seulem ent
le canton de la Gaule m éridionale situé au-dessus de
N arbonne, non pas seulem ent la Gaule e n tière, mais
toute l’ Europe occidentale. Lors m êm e que plus tard les
contrées de l’extrêm e O ccident furent m ieux con n u es,
l’ extension abusive du m ot Celte se m aintint par habi­
tude et par convention. De là la con fu sion qui règne à
ce sujet dans les ouvrages des Grecs. C’est p o u r la dissi­
per, p o u r ram ener ses com patriotes à des idées géogra­
phiques plus justes, que Strabon s’attache à bien fixer
l’ acception locale et ethnographique du m o t, et à en
expliquer l’abus. Ce qu’il dit de l’erreur des Massaliotes,
consacrée ensuite par l’ usage, n ’a rien d’ ailleurs qui
n ous puisse éton n er; pareille chose est arrivée bien
souvent, et arrive en core tous les jou rs aux voyageurs
m odernes, qui pren nen t p ou r le n om de tout un conti­
nent celui du canton où ils a b ord en t, p o u r le n om de
toute une race celui de la peuplade q u ’ils ont visitée la
prem ière.
Au reste, ce qui doit nous d on n er pleine confiance
dans S trabon, c’est q u ’il n’est pas le seul qui restreigne
ainsi la valeur eth n ographique du m ot Celte. On l’avait
déjà fait avant lu i, on l’a fait en core après : P olybe pla­
çait les Celtes vers N a rb o n n e 1; Denys le Périégète, par

x a i TCpoçXaëovTMV îcpèç toüto x a i raiv M auuaXitûtiôv Sià t à TtXrjaiô^Mpov.


Strab., 1. iv, p- 189, c.
1. Polyb., n, 15, et ap. Strab.
delà les sources du P ô ' ; D iodore de Sicile, au-dessus de
Massalie, dans l’ intérieur du pays, entre les Alpes et les
P yrén éess; et le com m entateur de Denys, Eustathe, p ro ­
testait contre l’ ign oran ce vulgaire qui attribuait à toule
la Gaule le n om d ’ un seul ca n to n 3. Bien que ces savants
h om m es ne déterm inent pas, avec toute la p récision
désirable, ce canton où ils placent les Celtes, ils sem ­
blent bien in d iqu er la partie de la Gaule m éridionale
com prise entre les Cévennes à l’est, la Garonne au m idi,
l’ Océan à l’ou est, et au nord le plateau des m onts
Arvernes ou toute autre lim ite voisine. Leur o p in io n se
trouve d’ ailleurs con firm ée par les plus anciens faits de
l’histoire des Gaules. Quinze siècles avant notre ère,
des nations gauloises envahissent l’ Espagne : c’étaient
probablem ent des nations lim itrophes ; or, nous savons
qu’ elles portaient le n om de Celtes. Outre que l’histoire
n ous le dit exp ressém en t, n ous en avons u ne preuve
irrécusable dans les nom s de Celtici et de Celtiberi
qu ’elles transplantèrent avec elles au delà des P y rén ées4.
On rem arque pourtant qu’u n e de leurs p rin cipales tri­
bus portait le n om de Galèke ou Galike, dont le radical
Gai reprodu it la secon d e dén om in ation des peuples de
cette race. Ceci s’expliquerait au m oyen d ’une supposi­
tion qu i n’a rien d’invraisem blable, à savoir, que lors
de l’irru ption des tribus celtiques en Espagne, il s’y
serait m êlé quelques peuplades gauloises étrangères à

4. Dionys. Perieg., v. 288.


2 . T o u ; y à p ÜTuèp M aa-aaX ia; xaTOtxoüvTaç sv tü> [xeffoyetw, x a î TOÙ;7capà
’ AX tcsiç, etl 8s xoùç êrci tixôs tcüv EIupï)vatü>v ôpiov, K sX xoù; ôvo|iàÇovai.
ü i o d . S i c ., v , 3 2 .
3. V. ci-dessous, liv. i, ch. 1.
4. ’A tco os ocüta>v ( K sXtw v ) ol aû[X7ravTSç EupwTcaïoi TaX àtat KsXxoî Orçà
‘EV/TQvüiv èxXiQÔvjaav. Eustath., ad Dionys., v. 288.
celte con fédération, et habitant près d’elle vers le nord.
La position m êm e de ces Galèkes (peuple de la Galice
actuelle) sem ble appuyer notre con jectu re : établis à
l’ entrée de la P éninsule ibérique du côté de la Gaule,
ils occu p en t la place des derniers arrivés, et durent for­
m er u n e sorte d’arrière-garde de la conquête.
Mais si le n om de Celte est loca l, com m e tout ceci le
dém on tre effectivem en t, quel sera le n om générique
applicable au p rem ier ram eau gaulois? Les G recs, et
Strabon en tête, nous in diqu en t celui de Galates : Galat'es
d’ailleurs et Gallus sont deux fo rm e s, l’une g re cq u e ,
l’autre la tin e, du m êm e m ot et on t une signification
id en tique; les anciens le disent ex p ressém en t1. Suivant
D iodore, les Galates habitaient au-dessus des Celtes, vers
le n ord , et s'étendaient sur tout le reste de la Gaule, et
m êm e en core au d e là 2. Déjà T im ée, 260 ans avant notre
ère, nom m ait Galatie3 la contrée que la plupart de ses
com patriotes appelaient Celtique. P ou r beau coup de
G recs, le m ot Galate, lorsqu ’il fut devenu vulgaire, prit
une acception exagérée; on l’ appliqua sans distinction
à tous ces essaims d’aventuriers q u i, sortis de la Gaule
par le nord, vers la fin du me siècle, in on dèrent l’ Illyrie,
la Grèce et l’ Asie-Mineure. Quant à son antiquité, elle
est incontestable, puisqu’il figure dans les plus vieilles
fables eth n ologiqu es que les Grecs aient inventées sur la

1 . K e ) . t û Î o a o i ra/.axat t s x a ï l a / ï o ' . vuv T r p o ç a y o p e u o v T a t . App., Bell.

Hisp., 1. — Galatas... itaenim Gallos sermo græcus appellat. Ammian.,


xv, 9. — Ka),oûai yoüv aCiTOÛç êvioi (jièv raXàxaç, êvioi Sè raXXouç.. . Galen,,
de Antidot., i, 2.
2 . T o ù ç S’ ü-rcèp 'ccyj'TQç tyiç KEX'uixîjç etç Ta irpàç votov veuovxa (j.éprt
ita pâ t e tov wxeavàv y .o ù t o ‘ EpwSviov ôpos xaOiSpujxévouç, y .a l Ttâvta; toù ;

êgÿjç (ié /p t xîjç SxuOiaç, raX àT aç icpoa-afopEijouinv. D io d . S i c ., v , 32.


3 . T a X a tia wvo[j.â(j0ï) (<S; <pr](ri T ifia ïo ç ) àzo TaXâim , K0x),<ütcoc
y.ai TaXaxstaç u ïoù . Etym. M. v. X a/.aTc'.a.
Gaule; on l’y retrouve sous la form e ordinaire Galatès,
et aussi sous la form e vraisem blablem ent plus ancienne
Galas l, dont Galatès paraît n ’ être qu’ un dérivé, et qui se
rapproch e beau coup de la form e laline Gallus. D’après
ces fables, Galas et Celtus sont frères et tous deux fils de
Galatèe, sym bole assez con form e à la vérité ethnolo­
gique *.
Q u oique le tém oign age des écrivains grecs suffise
p ou r nous guider avec sûreté dans tout c e c i, la question
ressortira en core plus claire du tém oignage des Ro­
m ains. Ceux-ci ne con nu ren t le m ot Celte que par les
Grecs; dès les tem ps les plus recu lés, ils appelèrent
Galli les peuples de la Transalpine, et Gallia le pays d ’où
provenaient ces peuples. Les prem iers ém igrés gaulois
dont la tradition italienne fasse m e n tio n , ceu x qui don­
nèrent naissance à la nation o m b rie n n e , vers le xve siè­
cle avant notre ère, portaient le nom de Gall; e t , com m e
je l’ai déjà dit, les arch éologu es rom ains les distinguaient
des bandes venues du tem ps de T arquin , par l’ épilhète
de y ie u x , veteres Galli3. Les Grecs ne furent pas sans
rem arqu er cet usage des Rom ains de prendre toujours
le n om de Gall dans un sens g é n é riq u e 4; D iodore en

4. noXutpruup yàp xû> K v x X u m x a i raXaxEia, KsXxèv x a i 'IXXuptôv x a i


TàXav 7t a ï8a ; ôvxa;, ê£op(jLYj<xat SixEXiaç x a i âpljai xa>v 81’a vx où ; KeXxwv,
’lXXuptwv x a i raX àxw v Xeyojaevwv. A p p ., B e ll. I l l y r . , 2.

2. K eXt o î eôvo; êxEpov raX àxw v. H esy ch .


3. Consulter la note, p. 27. Parmi ces archéologues, il en est un qui
se recommande par deux circonstances très-particulières; c’est M. Anto-
nius Gnipho, précepteur de J. César, et né en Gaule. Suétone nous signale
profonde science dans les lettres grecques et latines. — Fréret, chez
lis modernes, admet pleinement l'origine gaulc'se des Ombres. OEuvrea
complètes, t. IV, p. 201, seqq.
_ ^ Pcojiaïoi TOxvxa xaüxa xà eôvrj ct\>XXï )68y)v |uâ xaxTQYopi*? “KEpi-
Xajiêâvouaiv, ôvojxàÇovxeç TaXàxa; dfouavxaç. Diod. S ic., v, 32.
fait l’ observation. M aintenant, si l’ on veut s’ expliquer
p ou rq u oi les Italiens con n u ren t de toute antiquité le
m ot de Gall, tandis qu’ ils ign oraien t celui de Celte, il
faut con sid érer quelle partie des Gaules était en relation
naturelle avec l’Italie : évidem m ent ce n’ était p oin t la
con fédération celtique séparée de la M éditerranée par
les L igu res; n ous savons d’ailleurs positivem ent que les
prem ières com m u n ication s d’ une terre à l’autre eurent
lieu par les A lpes1. La tradition désigne constam m ent
com m e p rem iers voyageurs ou prem iers conquérants
descendus au m id i de cette ch a în e , des H elvètes2, des
Édues, des Ambarres, des Arvernes, des B itu rig es3, etc.,
c’ est-à-dire des h om m es de l’est et du centre des Gaules ;
et qu oiqu e l’histoire ne n o m m e poin t les tribus qui
com posaient l’ ém igration o m b rie n n e , il est très-vrai­
sem blable qu ’ elles ne furent pas autres que celles de
l’ ém igration de B ellovèse, et q u ’elles venaient soit du
voisinage des A lpes, soit du centre et du n ord de la
Transalpine. Nous voyons d o n c le n om de Gall s’appli­
qu er à tous les peuples gaulois du p rem ier ram eau ^ui
habitaient hors des lim ites de la confédération des
Celtes : son extension eth n ologiqu e et sa grande anti­
quité con cou ren t pareillem ent à lui assigner un carac­
tère gén ériqu e.
On peut con clu re , ce m e se m b le , avec q u elqu e rai­
son de ce qui précède :

1. P olyb ., i i , 17-23. — L iv ., v, 34. — P lin ., x ii, I- — P lut., in


C a m il., 6.
2. On peut voir dans Pline la tradition relative à l’Holvéticfi Élicon.
__Produnt Alpibus coercitas et tum inexsuperabili munimento Gallias,
hanc primum habuisse causam superfundendi se Italiæ, quod... xii, 1.

3. Voir la nomenclature des peuples com pris dans le premier ban de


l’ invasion de l’an ()00 fivunt J.-C. L iv., v, J4,
1° Que le nom gén ériqu e du prem ier ram eau gaulois
était un m ot que les Grecs rendaient par Galas et Galatbs,
et les Rom ains par Gallus, m ot que dans ce livre nous
ren drons par Gall, n ous rapprochant ainsi le plus pos­
sible de la form e latine, laquelle est la plus com m u n é­
m en t reçue ;
2° Que le m ot Celte ne désigne exactem ent q u ’ une
des confédérations dépendantes de la race des Galls, et
par con séqu ent ne doit p oin t être em ployé com m e dé­
nom ination générique.
Maintenant que le fond de la question n ous paraît
gran dem en t éclairci, reven ons à cette phrase de César
d on t nous signalions tout à l’ heure l’ obscu rité : Ii qui
linyua sua Cellæ, nostra Galli appellantur 1 ; et tâchons
d’ en pén étrer le sens, s’il est possible.
D’abord, César n ous dit que les peuples du prem ier
ram eau gaulois admettaient le n om de Celte com m e leur
appartenant dans leur id iom e national : ce fait n’in firm e
p oin t ce que nous avancions tout à l’heure. 11 n’y aurait
rien d ’étonnant si ces peuples avaient accepté, dans
leurs relations de co m m erce et de politique avec les
étrangers, une d én om in ation applicable à une partie
seu lem en t d’ entre eux, mais sous laquelle les Massa-
liotes, et, à leur suite, tous les trafiquants du dehors,
les désignaient depuis des siècles. Pareille chose est
arrivée bien des fois aux peuplades sauvages voisines des
colon ies et des com ptoirs européens. A ujourd’h u i m êm e,
les nations de sang teutonique n’ acceptent-elles pas,
dans leurs rapports avec nous, la d én om in ation d’Alle­
mands, qu ’au cun e d ’elles ne porte plus, et q u ’aucune ne
recon n aît assurém ent p o u r son appellation g én ériq u e?

*• Cæs., Bell. Gall., I, 1.


En secon d lieu, à m oins de prêter à César un jeu do
m ots in d ign e de lu i, Gallus n’ appartient point à la
langue des Romains-, c’ est un m ot gaulois traduit, altéré
sous une form e latine. Les form es Galas et Galatès em ­
ployées par les Grecs, qui ne paraissent p oin t dérivées
de la form e latine, mais prises directem ent sur le m ot
Gaulois, prouveraient assez au besoin que Gallus n’ était
pas d’invention rom aine. En rapprochant toutes ces
form es, on voit qu’ elles rép on d en t à un m êm e radical
qu e n ous tâcherons plus tard de déterm iner, lorsque
nous n ous occu p eron s des restes vivants des langues
gauloises ; p ou r le m om ent, nous nous b orn eron s à dire
que la form e latine s’en écartait probablem ent beaucoup
par le redou blem en t de la con son n e l. Dans ce cas, César
pouvait dire aux Gaulois ce que n ous d irions nous-
m êm es avec grande raison aux tribus de l’Algérie dont
nous francisons les nom s : « Vous vous appelez ainsi
dans notre langue. »

II. PEUPLES DU SECOND RAMEAU GAULOIS, EN GAULE.

Belges et Armorikes.

En cherchant tout à l’ heure à déterm iner l’ancienneté


relative des deux ram eaux gaulois, j ’ai dit que la pré­
sence des Relges en Gaule sem blait com parativem ent
récente, et que leur n om était nouveau. Effectivement
nous le lisons p ou r la prem ière fois dans les C om m en ­
taires de César ; et les événem ents auxquels il se m êle
ne rem ontent pas plus haut que l’invasion des Cimbres,
cent treize ans avant notre ère *. Les Belges, à cette

1. Cæs., Bell. Gall., H, t .


époqu e, occupaient déjà dans le nord des Gaules la
co ntrée où nous les retrouvons du tem ps de César, et
fiui, de leur nom , s’ est appelée Belgique. A ce peu d’in­
dications se born ent les textes p récis; mais une con jectu re
qu e je vais exposer nous autorise à re cu le r, au m oins
ju sq u ’en 280, le m om en t où ce peuple fait son appari­
tion dans les affaires de la Transalpine.
On n ’a p oin t ou blié par quelle suite d’ événem ents la
côte de la M éditerranée gauloise, entre les Pyrénées et
le B hône, tom ba au p ou voir des Ligures, environ seize
cents ans avant Jésus-Christ1. En /|80, ces Ligures l’ occu ­
paient en core, puisque Am ilcar vint recru ter parm i eux
des auxiliaires con tre le tyran Gélon 2 ; ils s’y trouvaient
tou jou rs vers 350, date présum ée de la rédaction du
périple de Scylax, où ils sont m en tionn és 3 ; puis on les
voit disparaître subitem ent ; et m algré l’ éclat qui avait
en viron n é longtem ps les royaum es des Élésykes et des
Bébrykes, il n ’est plus désorm ais question d ’eux, excepté
p o u r u ne partie de la tribu des Sordes 4. A leur place
d om in e un grand peuple de sang gaulois, m aître des
deux versants des Cévennes, qui porte le nom de Volke,
et se partage en Arècomikes et Tectosages. Le canton orien ­
tal, situé entre les m ontagnes, le B hône et la m er, ap­
partient aux prem iers, qui on t placé leur ch ef lieu à
Xemausus, a u jou rd ’hui Nîmes ; les seconds possèdent la
partie de l’ouest, et ont p ou r capitale Tolose, ville de

1 . V. ci-dessus, p. 1 8 , et en outre, ci-après, livre i, ch. 1.


2 . <ï>omxwv x a l A iê ù w v , x a l ’lê ^ p w v , x a î A t 'fjw v , x a i 'E Xtaûxtov, '/.ai
E ï f îo v î w v , x a i K u p viu v, xpirjxovTa [UiptâSaç. l l e r o d . , v u , 165 .
M. Letronne place la rédaction de ce périple, qui n’est qu’une
compilation, entre l’ année 356 et la m ort d’Alexandre. Fragments des
I oauies géographiques, etc., p. 2i6.
M e !., i i ( 5 , — p iin . , iii , 4. — A v ie n ., O r . m a r it ., v . 552 .
n om tout à fait ibérien . Cet état de choses existait déjà
en 280, époque d ’une ém igration des Tectosages p ou r la
Grèce et l’ Asie 1 ; il n’avait point changé en 218, lors du
passage d’ Annibal à travers la Gaule, car l’histoire nous
m ontre ces deux tribus défendant seules, contre les
troupes carthaginoises, les approches du R hône, tenant
m êm e la rive gau che du fleuve, et parlant en souveraines
de tout le pays 2.
A cette apparition des Volkes dans le m idi de la
Gaule sem blent se rattacher de grands bouleversem ents,
dont la côte de la M éditerranée aurait été le théâtre. Un
auteur, peut-être con tem p ora in , dont Aviénus reproduit
le texte dans ses vers, n ous peint, sous de vives couleurs,
la grandeur et la chute de ces dom inations liguriennes.
Ce poëte et le géographe P om p on iu s Mêla n ous parlent
en core de la ville des Sordes, Pyrène ou llliberri, qu i ne
put jam ais se relever de sa ru in e 3. Les dates que nous
ven ons de citer paraissent bien fixer l’arrivée des Volkes
sur les bord s du Rhône entre les années 350 et 280 ; et
si ce peuple, dont il n ’est question nulle part avant ce
m om ent, fut am ené dans le m idi des Gaules par suite de
quelque invasion opérée du côté n ord \ l’ époqu e de cette

1. V. ci-dessous, livre » , ch. 1.


2. Liv., xxi, 26.
3. .......................... Gens Elesycum prius
Loca hæc tenebat, atque Narbo civitas
Erat ferocis maximum regni caput.
........ Dehinc
Besaram stetisse fama casca tradidit.
. A t nuncce Ledus, nunc Orobis flumina
Vacuosque per agros et ruinarum aggeres
Amœnitatis indices priscæ, meant.
(A vien ., Or. mant., v. 584 et seqq.)

4. Vicus llliberri, magnæ quondam urbis et magnarum opum tenue


vestigium. Mel., n, 5. — Illiberis magnæ quondam urbis tenue vestigium.
invasion ne d oit pas être antérieure de beau coup à
l’ année 280. Or, n ous voyons précisém ent, entre 349 et
299, des ém igrations armées, signe d’un grand désordre
intérieur, se ren ouveler de la Gaule sur l’ Italie, et les
Gaulois cisalpins m aintenir avec Rom e une paix de cin ­
quante ans, afin de réu n ir toutes leurs forces contre ces
tentatives, et de ferm er le passage des Alpes. On peut
d o n c con jectu rer q u e , dans la p rem ière m oitié du
ive siècle avant notre ère, il y eut en Gaule une irru p tion
d’ envahisseurs venus du nord, et que les Volkes en firent
partie. Ce qui fortifie en core cette su pposition , c’ est
l’existence au delà du Rhin, dans la forêt H ercynie, d’une
tribu de Tectosages qu i paraissent bien plutôt avoir été
la sou ch e des Tectosages de Toulouse, qu’ une colon ie
de ces derniers ; car on n’ admettra jam ais, com m e un
fait possible, que l’ expédition partie de T oulouse, en
280, ait été assez nom breu se p o u r faire face aux chances
d’ une guerre terrible en Grèce, fon d er un royaum e dans
l’Asie-M ineure, et rentrer ensuite dans ses foyers, tout
on laissant, à son passage, dans la forêt Hercynie, une
colon ie que César appelle « un peuple redoutable *. »

P lin ., m , 4. — On croit que c’ était la même ville que Pyrène dont


parle Aviénus.
In Sordiceni cespitis confinio
Quondam Pyrene, civitas ditis laris,
Stetisse fertur : hicque Massiliæ incolæ
Negotiorum sæpe versabant vices.
(A vien ., Or. marit., v. 558 etseqq.)
1. Cæs., Bell. Gall., vi, 24. — César nous présente les Volkcs-Tecto-
sages de la forêt Hercynie comm e une colonie venue de la Gaule. C’est
en général le système adopté par César : le Rhin étant, de son temps, la
limite entre la Germanie et la Gaule, il fait venir de la Gaule toutes les
Peuplades de sang gaulois qu’il trouve au delà du fleuve; mais l’archéO"
logie ne se contente pas de cette facile explication. Quant aux Volkes
transrhénans, de deux choses l’une : ou bien ils proviendraient de Fémi-
Mais quels pouvaient être ces envahisseurs arrivant
du nord, et dont les Volkes auraient fait partie, sinon
les Belges ? Les Belges étaient récents en Gaule : ils ap­
partenaient au second ram eau gaulois, leq u el, suivant
la tradition druidique, avait o ccu p é d’abord le pays situé
au delà du Rhin et les bords de l’ Océan septentrional.
César, qui reconnaît bien positivem ent les Belges p ou r
Gaulois, les fait ven ir égalem ent d’ outre-R hin, de la
Germ anie, com m e on disait de son temps où, par suite
de l’ extension des peuples Germ ains, le Rhin était
devenu la lim ite séparative des races gauloise et teu­
ton ique. Il est d o n c probable que cette invasion dont
nous parlons était celle des Belges, et que les Volkes en
faisaient partie.
P our suivre l’ hypothèse où nous som m es entré, exa­
m inon s quel rapport ce n om de Volke peut avoir avec
d ’autres nom s déjà con n u s : et disons d ’abord qu’ on le
trouve écrit très-diversem ent dans les auteurs. Strabon
et T ite-L iv e, qui ont fou rn i l’ orth ograph e vulgaire,
écrivent Volcæ \ et César constam m ent Volgæ2. Ausone,

gration de 280, ou bien ils appartiendraient à une émigration postérieure;


mais l’histoire n’en mentionne point d’autre. Admettre que celle de 280
aurait fourni une partie des bandes qui ravagèrent la Grèce, fondé un
royaume dans l’Asie-Mineure, pour revenir ensuite à Tolose après avoir
laissé dans la forêt Hercynie la souche d’un grand peuple, on ne le sau­
rait dans un sens absolu et littéral, mais seulement avec restriction,
dans les limites du possible. Ces Tectosages de la forêt Hercynie, que
César représente comme un peuple redoutable et non moins considéré
de ses voisins pour son esprit de justice que pour son courage, formaient
probablement déjà en 280 une division des Relges restée au delà du Rhin,
et quelques détachements des Volkes-Tectosages, revenus du pillage de
Delphes, restèrent probablement parmi eux.
1. OùoXxai, Volcæ.
2. Les meilleurs manuscrits et les premières éditions n’ont pas d’autre
leçon : ce sont les éditeurs qui ont introduit dans le texte, fort gratui-
tem en U ’orthographe prise dans Strabon.
né dans le m idi de la Gaule, poëte am ou reu x de son pays
dont il célèbre l’h istoire, n ous in form e que Bolgæ avait
été le n om p rim itif des Tectosages *. Enfin, Oicéron,
ayant à parler de ces m êm es Tectosages dans son plai­
d oyer p ou r F ontéius, les appelle Belgæ: les m eilleurs
manuscrits portent cette leçon , soutenue par les plus
savants éditeurs 2. J’ajouterai qu’un des chefs de l’ ém i­
gration tectosage en Grèce reçoit in différem m ent dans
les historiens le n om de Bolgi-us et celu i de Belgius,
com m e si ce n’ étaient que deux form es du m êm e m ot 3.
Qu’on n ous perm ette de dire ici en passant que les tra­
ditions gaeliques d’ Irlande n om m en t Bolg et Volg (Bholg)
les peuplades belges venues du con tin en t gaulois dans
cette île 4. Il n ’y aurait d o n c pas lieu de s’ éton n er si Bolg,
Volg, Vole ou Volk n ’étaient autres que le m ot Belg lui-
m êm e, altéré suivant le génie de la langue des Galls, au
m ilieu desquels les Belges-Tectosages et A récom ikes
avaient établi leur colon ie.
Ce n’ est pas tout, et nous possédons une preuve di­
recte de l’identité de ces dénom inations. On sait (et je
le raconterai plus tard en grand détail) que les V olkes-
Tectosages, après avoir pillé la Grèce eu ropéenn e, pas­
sèrent dans l’Asie-M ineure, et fondèrent en P hrygie un
royaum e qui subsista ju sq u ’à la con quête de l’ Orient
par les Romains. Alors m êm e que la Galatie fut devenue

1- Usque in Tectosagos primævo nomine Bolgas ,


Totum Narbo fuit.
(Auson., Narb., v. 9.)
2. Tous les manuscrits portent Belgarum, à l’exception d’un cité par
Faerne, qui donne Vulgarum. C’est encore une correction tout à fait gra­
tuite que nous devons à Graevius. (V. les notes de l’édition de Cicéron,
Amstel., 1724, et de celle de Graevius, 1666.)
3. Trog. Pom p., apud Justin., xxiv, 6 . — Pausan., x, 20.
4. Les Fir-Bolg jouent un grand rôle dans les traditions irlandaises,
comm e des conquérants venus de l’embouchure du Rhin dans l’île d’Érin.
p rovin ce rom aine, les Galatès conservèrent, avec une
partie de leurs an cien n es mœurs, leu r id iom e national :
saint Jérôm e n ous apprend qu’ ils le parlaient e n core de
son tem ps, c’ est-à-dire au ve siècle de notre ère. Or, cet
id iom e des Galatès parlé dans Ancyre, Tavion ou Pessi-
nunte, se trouvait être celui-là m êm e qu e saint Jérôm e
avait entendu parler à Trêves, dans la capitale de la Bel­
giqu e. Nous transcrirons ici ses paroles : « Au m ilieu de
« cet Orient où l’ usage du g re c est devenu général, dit-
« il, les Galatès on t seuls conservé leur langue parti-
« culière ; et cette langue est à peu de ch ose près celle
« dont on se sert à Trêves ; car il n ’im porte guère si, par
« le contact du grec, il s’ y est introdu it qu elqu e altéra-
« tion *. » Je ne sache rien de plus con clu an t que ce
tém oign age porté par un h o m m e d’ un tel savoir, d ’une
lelle habileté dans l’ étude des langues, et qu i invoque sa
p ropre exp érien ce, puisqu’ il avait vécu successivem ent à
Trêves parm i les Belges, en Asie parm i les Gallo-Grecs.
Les faits aussi directem ent et aussi com plètem en t attestés
sont rares dans l’ h istoire, et il faudrait, à m on avis,
posséder un grand fon ds de scepticism e p o u r n ier celu i-
là. Si l’on adm et ce qui précède, on arrivera naturelle­
m ent à con clu re : l ° Æue les Volkes étaient Belges ; 2° que
les Belges avaient passé d’ outre-lthin en Gaule,"entre les
années et
Il est to u te io isu n e considération qu i doit frapper tout
esprit habitué aux études eth n ologiqu es, c’est que la n ou ­
veauté du m ot belge, join te à son peu d’ exten sion , ne
dénote guère u n e appellation gén ériqu e. Tandis que le
n om de Gall, aussi ancien que les prem ières traditions

1. Galatas, excepta sermone græco, quo omnis Oriens loquitur, pro-


priam linguam eamdem pene habere quam Treviros, nec referre si aliqua
exinde corruperint. Hieron., Prol. Comm. n in Epist. ad Galat., c. 3.
de l’ h istoire, se retrouve dans tout l’ O ccid en t, et n on -
seulem ent en Gaule, mais en Espagne, en Italie, en Illy-
rie, sur les bords du Danube et de la m e r Noire, celui de
Belge ne s’ étend pas originairem en t au delà de la Gaule,
de quelques points des îles B ritanniques où n ous savons
qu’ il a été im porté par des colon ies gauloises \ et enfin
d ’ un canton de la forêt H ercynie. Privé ainsi des deux
caractères essentiels des dén om in ations génériques, la
grande extension et la grande antiquité, il ne peut plus
être con sid éré que com m e un titre de confédération, une
désignation particulière, applicable à u n e fraction seule­
m en t du secon d ram eau gaulois. Alors il faudra ch erch er
le n om de la race chez les autres tribus de cette branche
qui pourraient l’avoir conservé. Mais ces tribus elles-
m êm es, où les trou veron s-n ou s? La rép on se est facile. Le
m id i étant occu p é par le p rem ier ram eau , c’ est au nord
qu ’il faut ch erch er le second. La tradition druidique,
rapportée par A m m ien M arcellin, n ous trace d’ailleurs la
route avec certitude, en n ous m ontrant les contrées trans­
rhénanes : ab insulis exlimis, et traclibus transrhenanis.
Nous dirigerons d o n c notre exam en de ce c ô té , mais
auparavant n ous achèverons ce que nous avions à dire
sur les Belges.
Il existe, au sujet de la lim ite m éridion ale de cette
confédération, u n e différence grave entre le tém oignage
de César et celui de Strabon.
Le p rem ier assigne p o u r frontière à la B elgique le
cou rs de la Marne, puis celui de la Seine ju sq u ’à l’O céa n 2 :
le secon d p rolon g e le territoire des Belges, au m idi de
la Seine, ju sq u ’à l’e m b ou ch u re de la Loire, com prenant

1. Cæs., Bell. Gall., v, 12.


2. Gailos a Belgis Matrona et Sequana dividit. Cæs., i, 1.
sous ce titre les peuples de la presqu’ île qui term ine la
Gaule à l’ ouest *. Ces peuples, César les appelle A rmorikes ;
Strabon Belges parocèanües. César nous apprend que le
m ot Armorike signifiait m aritim e2; telle est aussi la signi­
fication de parocèanite qui sem ble bien n’ être ici q u ’ une
traduction grecqu e du m ot gaulois. Et, com m e pour
insister sur ce qu’ il avance, p o u r bien spécifier que ce
sont les nations arm oricaines q u ’il classe parm i les Belges,
Strabon cite les Osism iiet les Vén'etes, don t il nous entre­
tient lo n g u e m e n t3; puis il répète que la lim ite des Belges
est la Loire.
S’ il y a erreur quelque p a rt, et si n ous devons con ­
dam ner l’ un des deux au n om de l’autre, il est difficile
de choisir. C om m ent César, qui avait fait la guerre dix
ans dans les Gaules, et connaissait si bien la com position
et la force de chaque con féd ération , ainsi que les rela­
tions m utuelles des cités, eût-il pu se trom per sur un fait
aussi évident que l'étendue de la confédération belge?
D’ un autre côté, en admettant, com m e nous l’ avons tou­
jou rs fait, la gravité d’ une assertion de Strabon, on peut
se dem ander s’ il n’ aurait p oin t failli par défaut de lu­
m ières et de renseignem ents sur ce p oin t spécial. On est
forcé de répon d re que non. Strabon, au m om en t m êm e
où if écrivait que les Arm orikes étaient Belges, et où il
appuyait à deux reprises sur cette affirm ation, avait sous
les yeux non-seu lem en t les Com m entaires de César, aux-

1. Tà XoiTtà Be).T<iûV èaxlv e0vr, xü>v Trapiaxsavitwv, «v bùevsxol jjiv eiatv...


Strab., 1. iv, p. 194, d . — ToOxwv & xoùç BcXyà; àpîcrxouç cpaaîv, elç t o v t e -
xaiSsxa èOvi) 8 ii(]pïi[iévov;, xà (j.exa?ii xoü Privou xai xoü Aety/ipoç ixapoi-
xoüvxa; x6 v ’Qxeavàv. Id., 1. iv, p. 196, b.
2. Earum civitatum quæ Armorieæ appellantur... Cæs., Bell. Gall.,
v, 53. — Universis civitatibus quæ Oceanum attingunt quæquo eorum
consuetudine Armorieæ appellantur... Cæs., Bell. Gall., v i i , 75.
3. Strab., 1. iv, p. 194, 19 j ,
quels il em pruntait son analyse de la guerre des Vénètes,
mais en core d’autres relations plus anciennes. La pres­
qu’île arm oricaine avait été de b on n e heure le p oin t de
te Gaule occidentale le m ieux con n u , à cause de sa si­
tuation en face des îles Sorlingues et Britanniques où se
l'aisait un si grand com m erce, dès le tem ps des P hén i­
ciens. Les détails que Strabon lu i-m êm e puise dans les
écrits des Grecs dém ontrent com b ien ce pays, théâtre de
m ystères religieu x qui rappelaient Sam othrace, excitait
de curiosité chez les anciens. Pythéas l’avait visité; il
avait relevé plusieurs points de la côte, déterm iné la p o­
sition du p rom on toire de Calbiurn, a u jou rd ’h u i le cap du
Raz, et celle de l’île d’ Uxisama, a u jou rd ’hui Ouessanl, et
m esuré la p rofon d eu r de la presqu’île avec une exacti­
tude que la géographie m od ern e est ob lig ée de recon ­
naître *. L’affinité possible des Vénètes de l’ Arm orike
avec ceu x des bou ch es du Pô et avec les Hénètes de la
P aphlagonie, était aussi un objet de vive discussion entre
les érudits grecs, et Strabon n’ ignorait rien de ce qui
avait été dit là-dessus, puisqu’ il prend parti dans la dis­
pute *. On ne saurait d o n c le taxer ici de légèreté ni
d’ ou bli : s’ il s’ écarte de l’assertion ém ise par le con q u é­
rant, c’est bien sciem m en t et de p rop os délibéré, en core
qu’ i! sem ble ne p oin t s’ apercevoir q u ’il le contredise.
Mais peut-être aussi la contradiction n ’est-elle point réelle,
et Strabon, au lieu de dém entir les C om m entaires, ne
fait-il que les interpréter ou les com pléter au sujet des
B elges, ainsi qu’ il le fait, et avec ra iso n , au sujet des
Aquitains et des Galls.

1. Strab., 1. iv, p. 195. — Cf. Walckenaer, Géographie de la Gaule,


t. I, p. 99. — Gossel., Côtes occid. de l’Europe.
2. Strab., 1. iv, p. 195.
Qu’ on se rappelle en effet le p rocéd é suivi par le cé­
lèbre géographe, dans la déterm ination des caractères
génériques : son analyse embrasse tout, le type physique,
le langage, l’organisation sociale. Les différences q u ’il
signale, il ch erch e à en d on n er la m esure exacte. On ne
le voit point, com m e César, can ton ner les races dans des
zones topograp h iqu es rigou reu sem en t tranchées, sys­
tèm e ap p rop rié au but des C om m entaires, qu i voulaient
surtout rendre com pte du g rou p em en t p olitiqu e des
peuples, mais que l’ eth n ographie devait souvent rep ou s­
ser com m e insuffisant. Strabon signale, en dehors de ces
lim ites approxim atives, le m oin d re fraction nem ent des
races, partout où il en aperçoit vestige : ainsi, tandis que
César born e l’ Aquitaine au cours de la Garonne, il nous
m ontre des populations gauloises enclavées parm i les
Aquitains, au m idi du fle u v e 1. Fidèle à sa m éthode
d’ observation, il aura rem arqu é sans doute, chez les na­
tions arm oricaines, un extérieur, un langage, un en­
sem ble de caractères, q u i dénotait plus d’affinité avec les
Belges qu’avec les Celtes ou Galls, et il aura p ron o n cé
qu’ ils étaient Belges. P robablem en t en core, il n ’aura pas
été le p rem ier à constater cette parenté, et aura suivi en
cela qu elqu e érudit grec, qui rattachait les Arm orikes
au deu xièm e ram eau gaulois. P osidon iu s nous fournira
bien tôt un exem ple des p rofon des rech erch es auxquelles
les eth n ologu es grecs s’ étaient livrés par rapport à ce
secon d ram eau. Un fait général, d on n é par César lui-
m êm e, vient appuyer l’op in ion de Strabon : c’est que
l’A rm orike, bien que ren ferm ée dans les limites qu’ il
assigne géograp h iqu em en t à la Celtique, figure .dans ses
récits com m e un pays à part, dont les peuples form ent

1. Strab., 1. iv, p. 100. — Cf. ci-dessus, p. 10.


une confédération distincte de celle des nations galliques,
confédération qui entraîne à sa suite les tribus celtiques
voisines, parce qu ’elle est puissante, mais qu i entretient
néanm oin s une alliance b ea u cou p plus in tim e avec la
Belgique *.
On sait, et je reviendrai bien tôt là-dessus avec plus
de détail, on sait qu e le m idi de l’île de Bretagne fut
peu plé par des tribus gauloises venues de l’A rm o rik e 2;
que, dans le n om b re, se trouvait celle des Britanni ou
Bretons, qui donna son n om à l’île, ju sq u ’alors appelée
A lbion 3; qu’ enfin cette ém igration eut lieu à une époque
assez recu lée p ou r que les Bretons aient p u se prétendre
prem iers possesseurs du pays \ préten tion que l’histoire
ne leur accord e poin t, m ais q u i con cou rra it du m oins à
p rou ver l’an cien n eté de leu r établissem ent.
On sait en core, et cette fois par le tém oign a ge exprès
de César, qu e la côte orientale de la m ôm e île de Bre­
tagne reçut à différentes fois des colon ies belges que l’ on
reconnaissait à leurs d én om in ations nationales, car les
bandes con quéran tes avaient conservé p o u r la plupart,
au delà du détroit, le n om des cités gauloises d ’où elles
sorta ien t5. L’ époqu e de ce m ou vem en t des peuples belges
sur la Bretagne ne paraît pas avoir été fort a n cien ; du

1. Cæs., Bell. Gall., m , 9 et passiin.


2. In primis hæc insula Britones solos, a quibus nomen accepit, in­
colas habuit; qui de trac,tu armoricano, ut fertur, Britanniam advecti,
australes sibi partes vindicarunt. Bed., Hist. eccl., i, 1. — Cf. Trioedd.
yn. Pryd.
3. Voir ce qui est dit ci-après de la population des îles Britanniques.
4. Bed., ub. sup. — Cf. Trioedd. yn. Pryd.
5. Maritima pars ab iis (incolitur) qui prædæ ac belli inferendi causa
Belgis transierant : qui omnes fere iis nom inibns civitatum appellan-
tur> quibus orti ex civitatibus eo pervenerunt, et bello illato ibi l euian-
serunt. Cæs., Bell. Gall., v , 12.
m oins le voit-on dans sa plus grande force vers la fin du
prem ier siècle avant notre ère, quand les Belges-Sues-
s io n s 1, au rapport de César, soum irent la plus grande
partie de l’ île à leur d om ination .
11 existait d on c en Bretagne deux bans différents de
population venue du continent gaulois, depuis les tem ps
historiques, savoir : des A rm oricains, au m idi, et des
Belges, au sud en core, et à l’est; néanm oins César en­
globe toutes ces colon ies sous la d én om in ation com m u n e
de B elg es2 ; ce sont les traditions bretonnes qui nous en
révèlent la différence. Elles racontent que les Britanni,
sortis de l’A rm orike, et les autres conquérants, arrivés
com m e eux de la côte gauloise, étaient de la m êm e race,
et parlaient la m êm e la n g u e 3. Le m om en t n’est pas venu
d ’exam iner la valeur de ces traditions; je dirai seulem ent
qu’ un passage de Pline, tiré probablem ent de quelque
écrivain très-ancien et très-peu con n u , car pareille in ­
dication ne se trouve nulle part ailleurs, nous perm et
de rem on ter sur la trace des Britanni ju sq u ’au nord de
la Seine, où le naturaliste rom ain les fait figurer à tort
com m e en core existants, mais où ils avaient existé, et
où l’ on se souvenait q u ’ils avaient séjourné, avant de
passer en A rm o rik e 4. On le voit, dans cette tram e déli­
cate, les fils convergent de tous côtés p o u r rattacher les

1. Apud eos (Suessiones) fuisse regem, nostra etiam memoria, Divi-


tiacum, totius Galliæ potentissimum, qui quum magnæ partis harum
regionum, tum etiam Britanniæ imperium obtinuerit. Cæs., Bell. Gali.,
H , 4.
2. Maritimapars ab iis q u i... ex Belgis transierant... Cæs., Bell. Gall.,
v, 1 2 . — Qui Cantium incolunt... neque multum a gallica différant con-
suetudine. Ibid-, 1 4 . — Gallos vicinum solum occupasse credibile est.
Tac., Agric., 2.
3. Trioedd. yn. Pryd., 5, 6 .
4. Britanni, Ambiani, Bellovaci. Plin., iv, 17.
nations arm oricaines aux nations belges; et de tous côtés
aussi, les faits de l’ histoire se réunissent p ou r con firm er
le tém oignage de Strabon.
Deux points m e sem blent actuellem ent, sinon mis
hors de tout doute, du m oins am enés à un b ien haut
degré de probabilité, savoir :
1° Que le m ot Belge n ’ était q u ’un titre de confédéra­
tion, et qu’ il faut cherch er ailleurs l’ appellation géné­
riqu e du second ram eau;
2° Que les Arm orikes se rattachaient aux Belges, mais
que leur établissement en Gaule était plus ancien.
Il nous reste à dem ander aux nations gauloises rési­
dant h ors de la Gaule, le nom véritable de cette grande
race d’ où étaient sortis les Arm orikes et les Belges. Le
secon d rameau venait du nord, suivant la tradition des
Druides; les Belges venaient du nord, suivant César :
voyons d o n c quelles nations pouvaient représenter au
delà du Bhin cette seconde division de la famille gauloise.

ÏII. PEUPLES TRAN SRH ÉN AN S BU SE C O N D R A M E A U G A U L O IS l.


Kimbri, Kimmerii.

Des tém oignages historiques qui rem ontent au tem ps


d’Alexandre le Grand attestent l’ existence d’ un peuple

1. Plerosque Belgarum a Germanis ortos, Rhenumque antiquitus


transductos... Cæs., Bell. Gall., n , 4. — L’expression de César a Ger­
manis doit s’entendre dans le sens de Germania, et Germania dans
le sens géographique de tractibus transrhenanis. D’après César, il y
avait quelques peuplades de Germains établies parmi les Belges (Con-
drusi, Pæmani, Cæræsi, Segni, Bell. Gall., n, 4 ; vi. 32); mais ce n’est
pas d’elles qu’il est question ici. Il s’agit de la masse des peuples belges,
et César dit qu’elle sortait des domaines de la race germanique, maî­
tresse des contrées transrhénanes, à l’époque où celui-ci écrivait. D’un
4
appelé Kimmerü ou Kimbri sur les bord s de l’ Océan sep­
tentrional, dans la presqu’île qu i porta plus tard la d én o­
m ination de Jutland. Et d’abord les critiques recon n ais­
sent l’identité des m ots Kimmerü et Kimbri, con form es
l’un et l’autre au gén ie différent des langues grecqu e et
latine. « Les Grecs, dit Strabon d’après P osid on iu s, ap­
te pelaient Kimmerü ceu x que m aintenant 011 nom m e
u K im b ri'.)) Plutarque ajoute que ce ch angem ent n’a
rien qui surprenne 2; D iodore de Sicile l’attribue au
te m p s 3, et adopte l’o p in io n de P osidonius qu i devint gé­
nérale parm i les érudits g r e c s 4.
Le plus ancien écrivain qui fasse m en tion de ces
Kimbri est P h ilém on , con tem porain d’Aristote : suivant
lu i, ils appelaient leur océan Mori-Marusa, c’ est-à-dire
m er Morte, ju sq u ’au p rom on toire R ubéas; au delà ils le
n om m aient Cronium 5. Ces deu x m ots s’ expliquen t sans
difficulté par les langues que nous pou vons à b on droit
con sid érer com m e des restes des vieu x id iom es gaulois :
môr, en cam brien, signifie m er, marw, m ou rir, marwsis,
m ort ; et crw nn, c o a g u lé , gelé ; en gaelic, cronn a la
m êm e valeur ; Murchroinn, la mer glaciale 6.

bout à l’autre des Commentaires, les Belges sont pour César un peuple
de race gauloise, tout à fait différent des Germains. Quant au mot pte-
rosque, il s’explique en supposant qu’il était resté en Belgique, après la
conquête des Belges, un fond de population antérieure.
1. toùç Ki'(j.ëpouç 6 vop.a(jàvt(ov twv 'liXXrjvuv. S t r a b ., I. vii,
p. 293, d.
2. Oùx àito Tpoitou. Plut., in Mar., 11.
3. Bpa^ù tou xpâvou ttiv Xéljtv çOstpavToç èv vÿ tojv xaXoujj-svtov Ktfiëpwv
npoçTiYopiœ. Diod. Sic., v, 32.
4. Kî(X.ëpoi oü; Tivéç çorai Ki(i[iepîouç. Steph. Byz-, V. "Aépoi.
5. Philemon Murimarusam a Cimbris vocari, hoc est, Mortuum mare,
usque ad promontorium Rubeas, ultra deinde Cronium. Plin., iv, 13.
(3. Adelung’s Ælteste Geschichte der üeutschen, p. 48. — Toland’s
Several pieces, p. 1, p. 150.
Éphore, qui vivait à la m êm e époque, connaissait les
Kimbri et leur don ne le n om de Celles ; mais dans son
système géog rap h iq u e, cette dénom ination très-vague
désigne tout à la fois un Gaulois et un habitant de l’ Eu­
rop e occidentale *.
L orsque, entre les années 113 et 101 avant notre ère,
un déluge de Kimbri ou Cimbres vint désoler la Gaule,
l’ Espagne et l’ Italie, la croyance générale fut « q u ’ils sor­
taient des extrém ités de l’ Occident, des plages glacées de
l’ Océan du nord, de la Chersonèse cimbrique, des bords
de la Thètis cimbrique 2.
Du tem ps d’Auguste, des Kimbri occu paien t au-dessus
de l’ Elbe une p ortion du Jutland, et ils se reconnais­
saient p o u r les descendants de ceux qui, un siècle aupara­
vant, avaient com m is tant de ravages. Effrayés des co n ­
quêtes des Rom ains au delà du Rhin, et leur supposant des
projets de vengeance contre eux, ils adressèrent à l'em ­
p ereu r une ambassade p ou r obten ir leur pardon 3.
Strabon, qui n ous rapporte ce fait, et Mêla après lui,
placent les Kimbri au nord de l’ Elbe 4 ; Tacite les y re­
trouve de son tem ps : « A ujourd’ hui, dit-il, ils sont petits
« p a r le n o m b re , qu oiq u e grands par la re n o m m é e ;
« m ais des cam ps et de vastes enceintes, sur les deux
« rives, fon t fo i de leur an cien n e puissance et de la
« masse én orm e de leurs arm ées 8. »

1. S t r a b ., 1. vu, p. 203.
2. F lor., m , 3. — Polyæn., v m , 10. — Q uintil., Declam. pro milite
Marii. — A m m ian ., x x xi, 5. — Cimbrica Thetis , Claudian., Bell. Get.,
v. 638. — Plut., in Mar. — Voyez ci-après, livre iv, ch. 3.
3. Strab., 1. vu, p. 203. — Voyez ci-après, t. II.
■i. Strab., loc. cit. — Mel., m , 3.
Manent utraque ripa castra ac spatia, quorum ambitu nunc quoque
metiaris molem mauusque gentis, et tain magni exitus (idem. Tacit.,
Germ ., 3 7 .
Pline d on n e une bien plus grande extension à ce
m ot de K im bri; il sem ble en faire un n om g é n é riq u e :
non-seulem ent il reconnaît des Kimbri dans la presqu’île
jutlandaise, m ais il place en core des Kimbri méditer-
ranès 1 dans le voisinage du R h in , com prenant sous
cette appellation com m u n e des tribus qui portent dans
les autres géographes des nom s particuliers très-divers.
Ces Kimbri habitants du Jutland et des pays voisins
étaient regardés généralem ent com m e Gaulois, c’ est-à-
dire, com m e appartenant à l’ une des deux races qui
occu paien t alors la Gaule ; Gicéron, parlant de la grande
invasion des Kimbri que n ous n om m on s C im bres, dit à
plusieurs reprises et de la m anière la plus form elle que
Marius a vaincu des G aulois2; Salluste é n on ce que le
consul Q. Gæpion défait par les Cim bres, le fut par des
Gaulois 3 ; D iodore de Sicile attribue à des Gaulois les
triom ph es et les dévastations des C im bres 4 ; Plutarque
appelle Gaulois le Cim bre qui voulut tuer Marius 5 ; il dit
qu e Sertorius faisait l’ office d’espion dans le cam p des
Cim bres à l’ aide d’ un vêtem ent gaulois et de la langue

1. Alterum genus Ingævones quorum pars Cimbri, Teutoni ac Chau-


corum gentes. Proximi autem Rheno Istævones, quorum pars Cimbri
mediterranei. Plin., iv, 14.
2. Bellum Gallicum , C. Cæsare imperatore gestum est, antea tan-
tummodo repulsum. Semper illas nationes ( Galliæ ) nostri imperatores
refutandas potius quam lacessendas putaverunt. Ipse ille C. Marius...
influentes in Italiam, Gallorum maximas copias repressit; non ipse ad
eorum urbes sedesque penetravit. C ic., de Provinc. consul., 13. — Ce
dernier trait fait allusion h César et à sa campagne des Gaules, et établit
une assimilation complète entre les Cimbres et les Gaulois. — Idem, pro
Fonteio, 12.
3. Per idem tempus adversum Gallos ab ducibus nostris, C. L. Cæ-
pione et Cn. Manlio maie pugnatum. Sali., Jugurth., 114.
4. Diod. Sic., v, 32.
5. ra),àrrçç xo ysvoç ^ Ki[/.époç. Plut., in Mar., 39.
gauloise qu’ il parlait bien ‘ . La plupart des écrivains pos­
térieurs, entre autres Appien et Dion Cassius, dont le
tém oignage est si grave, tiennent un langage p a r e il2 ;
enfin le bou clier cimbrique de Marius portait la figure
d’ un Gaulois 3. Il faut ajouter que Ceso-rix et Boïo-rix,
n om s des cbefs de l’arm ée cim briqu e, on t toute l’appa­
ren ce de nom s gaulois.
Quand on lit les détails de cette terrible invasion, on
est frappé de la prom ptitude et de la facilité avec laquelle
les Cimbres et les Belges s’ entendent et se m énagent,
tandis que toutes les calamités se concentrent sur la
Gaule centrale et m éridionale. César rapporte que les
Belges soutinrent vigoureusem ent le prem ier c h o c , et
arrêtèrent ce torrent sur leur frontière : cela se peut,
mais on les voit tout aussitôt p actiser; ils cèdent aux
envahisseurs une de leurs forteresses, Aduat, p ou r y
déposer leurs bagages ; les Cimbres ne laissent à la
garde de ces bagages, q u i com posaient toute leur ri­
chesse, qu’ une garnison de six m ille h o m m es, et con ­
tinuent leurs courses ; ils étaient d o n c bien sûrs de la
fidélité des Belges. Après leur exterm ination en Italie,
la garnison cim bre d’A du atn ’ en reste pas m oins en pos­
session de la forteresse et de son territoire et devient
u n e tribu belgique. Lorsque les Cimbres vont attaquer
la p rovin ce narbonnaise, ils fon t alliance tout aussitôt

1. ïs p r â p io ç 8s x a T «(T x o ir i| v 'j t c é t t y ) tw v T r o )x u tw v ê o S îjT i 8è K eV ra q i

ct/. î j a ' j à u . s v o : , x a l *cà x o t v o x a - c a t t i ; ô t a ) i x T o u ir p o ç s t ii x a u p o ü T ta p a -

taêù v... Plut., in Sertor., 3.


2. Kifiêpoi, vcvo_ KeXttSv. Appian., Bell, civ., i , 29; Bell. Gall., i. —
PaXœTia -fj t o ù ; 'Afiëptovixç xai xoùç Ki|J.ëpouç axcChum. Dion. Cass., X L IV ,

— Sext. Ruf., Breviar., 6 . — Cf. Oros., Hist.


3-Gallum in mariano scuto cim brico. C ic., de O r., h , 6 6 .— Cf. Plin.,
4, 8 .
avec les Volkes-Tectosages, colon ie des Belges, tandis
que leurs propositions sont e n core repoussées avec h or­
reur p a rle s autres peuples gaulois *. Ces faits et beau­
cou p d’autres prouvent q u e , s’ il y avait com m unauté
d’ origin e et de langage entre les Kimbri et l’une des
races de la Gaule, c’était plutôt la race d on t les Belges
faisaient partie, que celle des Galls. Un m ot de Tacite
jette sur la question une nouvelle lum ière. 11 affirme
que les Æ stii, peuplade lim itrophe des Kimbri, sur les
bords de la Baltique, et suivant toute probabilité appar­
tenant elle-m êm e à la race k im briqu e, parlaient un
id iom e très-rapproché du breton insulaire 2 : o r nous
avons vu que la langue des Bretons était aussi celle des
Belges et des A rm orikes. Tout cela rattache évidem m ent
les Kimbri au d eu xièm e ram eau gaulois.
J’ai déjà parlé des Volkes ou Belges-Tectosages de la
forêt H ercynie, peuple considérable, et, suivant l’ expres­
sion de César, n on m oin s puissant par sa justice que
par la force de ses arm es 3. J’ai dit q u ’il fallait voir dans
ces Tectosages la souche origin elle de ceu x de la Gaule,
car on ne peut adm ettre raisonnablem ent l’hypothèse
d’une bande partie de Tolose, q u i aurait suffi à toutes
les pertes d’une guerre terrible en Grèce, à la fondation
d’un grand royaum e en Asie, à la fondation d’ un grand
peuple dans la forêt H ercynie, et serait rentrée ensuite
dans ses foyers. Une telle hypothèse, fon dée sur un
sim ple rapport de n om , ne saurait être adoptée par l’ his­
toire : tout ce qu ’on peut dire, c’ est qu’au retour de l’ ex-

1. V. ci-après, livre iv , ch. H.


2 . L i n g u e b r ita n n ic æ p r o p io r . T a c i t ., G e r m ., 4 5 . — C f. S t r a b ., 1 . 1 ,
p. 0 1 .
3. Quæ gens ad hoc tempus iis sedibus se continet, summamquQ
habet justitiæ et bellicse laudis opinionem. Cæs., Bell. Gall., vi, 24.
pédition de Grèce, quelques Tectosages s’arrêtèrent parm i
leurs frères de la forêt H ercynie \ et l’on doit considérer
ces Tectosages transrhénans com m e un des jalons plantés
sur le passage de la secon de des races gauloises. Mais
les cantons voisins de l’ Elbe et du Rhin ne renferm aient
pas tous les peuples transrhénans q u ’on pût rattacher à
ce ram eau. Les fertiles terres de la B ohêm e étaient ha­
bitées par la nation gauloise des Boïes 2, dont le nom ,
d ’après l’ orthographe grecqu e et latine, prend les form es
de Boïi, Boghi, Boghii, et Boci, et qui figure le plus sou­
vent dans l’histoire parm i des peuples non galliques 3.
Tous les historiens attribuent à u n e arm ée gauloise
l’ invasion de la Grèce, dans les années 279 et 280 : Appien
n om m e ces Gaulois K im bri4 ; or, n ous savons que leur
arm ée se com posait d’abord de Volkes-Tectosages, puis en
grande partie de Gaulois du nord du Danube.
Les nations gauloises, pures ou m élangées de Sar-
mates et de Germains, étaient nom breuses sur la rive
septentrionale du bas Danube et dans le voisinage ; la
plus fam euse de toutes, celle des Bastarnes 6, m êlée p ro­
bablem ent de Sarmates, habitait entre la m er Noire et

1. Voir ci-dessous, livre n , ch. 1. — On s’ explique bien comment


César, trouvant des Tectosages dans la forêt Hercynie, leur aura appliqué
le nom de fiolg, devenu si fameux par le courage des Tectosages de Tou­
louse, au lieu de celui de Belg, qu’ils se reconnaissaient probablement
comm e nom générique.
2. Boii, gallica gens... manet adhuc Boiemi nomen : significatque
Ioci veterem memoriam, quamvis mutatis cultoribus. Tacit., Germ ., 28.
— Strab., 1. v u , p. 293.
3. Par exemple en Italie, lors de la conquête des plaines circumpa-
danes, sous Tarquin l’Ancien. Cf. c i-d e s s o u s , livre i, ch. t . — Bwg et
Bug, en gallois, signifie terrible.
4. App., Bell. Illyr., 4.
5. Tac., Germ., 46. — Plin., iv, l ï . — Liv., x x x iv , 26; x x x , 50-
57; xxxi, 1 9 -2 3 .— Polyb., x x vi, 0.
les m onts Carpathes. M ithridate, voulant form er une
ligu e puissante contre Rom e, s’ adressa à ces peuples re­
doutés. « Il envoya, dit Justin, des am bassadeurs aux
Bastarnes, aux K im b r i1 et aux Sarmates. » Il est évident
q u ’il ne faut pas entendre ici les K im bri du Jutland,
éloign és du roi de P ont de toute la largeur du con tin en t
de l’ Europe, mais bien des Kimbri voisins des Bastarnes
et des Sarmates, et sur lesquels avait rejailli la gloire
acquise par leurs frères en Gaule et en N orique. L’exis­
tence des nations k im briqu es, éch elon n ées de distance
en distance depuis le bas Danube ju sq u ’à l’ Elbe, établit,
ce m e sem ble, que tout le pays entre l’ Océan et le P ont-
Euxin, en suivant le cours des fleuves, dut être possédé
par la race des Kimbri, antérieurem ent au grand ac­
croissem ent de la race germ anique.
Mais, sur ces m êm es rives du P on t-E u x in , entre le
Danube et le Tanaïs, avait habité autrefois un grand
peuple con n u des Grecs sous le n om de K im m erii2 dont
nous avons fait Cimmèriens. Outre les rivages occid e n ­
taux de la m er Noire et du Palus-M éotide, il occupait la
presqu’île appelée à cause de lui Kimmèrienne, et aujour­
d’ h u i en core Krimm ou Crimée : son n om est em preint
dans toute l’ ancienne géographie de ces con trées, ainsi
que dans l’histoire et les plus vieilles fables de l’Asie-
M ineure, où il prom en a longtem ps ses ravages. Plu­
sieurs coutum es de ces Kimmerii présentent une singu­
lière con form ité avec celles des Kimbri de la Baltique, et

1. Mithri dates, intelligens quantum bellum suscitaret, legatos ad


Cimbros, alios ad Sarmatas, Bastarnasque, auxilium petitum mittit. Jus­
tin., x x x v m , 3.
‘2. — On trouve encore la forme Kimmeri, Kifijispoi, plus
rapprochée encore de Kimbri (Lycoph., Alex., v. 695).— Cimmeri.Fest.
— Polyen nomme les Cimbres KÎ|x6 pioi. v w , 10.
des Gaulois. Les Kimmerü ch erch aien t à lire les secrets
de l’ avenir dans les entrailles de victim es hum aines ;
leurs horribles sacrifices dans la Tauride ont reçu des
poètes grecs assez de céléb rité; ils plantaient sur des
p oteau x, à la porte de leurs m aison s, les têtes de leurs
en nem is tués en guerre. Ceux d’ entre eux qui habitaient
les m ontagnes de la Chersonèse portaient le n om de
Taures, qu i appartient à la fois aux deux idiom es, repré­
sentants actuels des anciennes langues gauloises, et qui
sign ifie, com m e on sait, montagnards. Les tribus du bas
p ays, au rapport d’ É p h ore, se creusaient des dem eures
sou terrain es, q u ’ elles appelaient a rg il1 ou argel, m ot
gallois et a rm orica in , dont la signification est lieu cou­
vert ou profond *.
Jusqu’ au vne siècle avant notre è re , l’ histoire des
Kimmerii du Pont-E uxin reste enveloppée dans la fabu­
leuse obscurité des traditions ion ien n es ; elle ne com ­
m en ce, avec quelque certitude, q u ’en l’année 631. Cette
ép oqu e fut fécon d e en bouleversem ents dans l’ occiden t
de l’Asie et l’ orien t de l’ Europe. Les Scythes, chassés par
les Massag'etes des steppes de la haute Asie, vinrent
fon d re com m e u ne tem pête sur les bords du Palus-
Méotide et de l’ Euxin : ils avaient déjà passé l’Araxe
(le V o lg a ), lorsque les Kimmerii furent avertis du péril ;
ils con voqu èren t toutes leurs tribus près du fleuve Tyras
(le D n iester), où se trouvait, à ce qu’ il paraît, le siège
p rin cip a l de la n a tion , et y tinrent conseil. Les avis
fu ren t partagés : la noblesse et les rois dem andaient
qu’ on fît face aux Scythes, et q u ’ on leur disputât le sol ;

1 - " E i p o ^ o ;... cpriffiv otÙToùç èv x a T a y e io ti; o i x i a i ç o lx e ï v &ç xocXoüo-iv à py i'X -


Strab., 1. y , p. 244, d.
Taliesin. W . Archæol., t. I, p. 80. — Myrddhin Afallenau. Ib.,
p. 152.
le peuple voulait la retraite ; la querelle s’ é ch a u ffa , on
prit les arm es, les nobles et leurs partisans furent bat­
tu s; libre alors d’exécuter son p rojet, tout le peuple
sortit du pays *. Mais où alla-t-il? Ici co m m e n ce la dif­
ficulté. Les anciens nous on t laissé deu x conjectures
pour la résou dre, nous allons les exam iner l’ une après
l’autre.
La prem ière appartient à H érodote. Trouvant, vers la
m êm e époque (631), quelques bandes kim m érien n es qui
erraient dans l’Asie-M ineure sous la conduite de Lygda-
mis, il rapprocha les deux faits, et il lui parut que les
Kim m erü, revenant sur leurs pas, avaient traversé la
C hersonèse, puis le B osph ore, et s’étaient jetés sur
l’Asie. Mais c’ était aller à la ren con tre m ôm e de l’ennem i
qu ’ il s’ agissait de fu ir; d’ailleurs, la route était lon gu e
et pleine d’obstacles : il fallait fra n ch ir le Borysthène et
l’ Hypanis qui ne sont p oin t guéables, ensuite le Bosphore
k im m érien , et cou rir après tout cela la chance de ren­
contrer les Scythes sur l’autre b o rd , tandis qu’ un pays
vaste et ouvert offrait, au nord et au n ord -ou est du
Tyras, la retraite la plus facile et la plus sûre.
Les érudits grecs, qui exam inèrent plus tard la ques­
tion, furent frappés des invraisem blances de la supposi­
tion d’ H érod ote2. Cette bande de Lygdam is q u i, après
quelques pillages, disparut entièrem ent de l’Asie, ne

1. Herodot., iv, 11. — Plut., in Mar., U .


2. Ces invraisemblances ont été démontrées avec un sens et une
clarté admirables par Fréret, qui n’hésite pas à adopter l’explication de
Posidonius et l’identité des Cimmériens et des Cimbres (Mém. Acad. dos
Inscript, et Bel. Let., t. X IX ; et OEuvres com pl., t. V). Niebuhr a voulu
traiter à son tour ce grand problème historique (Kl. Schr., I, p. et il
est arrivé, comm e Fréret, à reconnaître l’identité des deux peuples; mais
il va plus loin en rattachant les Cimmériens et les Cimbres aux Belges
et aux Cymri de l’Ile de Bretagne,
pouvait être l’im m ense nation dont les bordes occu­
paient depuis le Tanaïs ju sq u ’au D anube; c’ étaient tout
au plus quelques tr ib u s 1 de la Chersonèse qui probable­
m ent n’ avaient p oin t assisté à la diète tum ultueuse du
Tyras. Le corps de la nation avait dû se retirer en
rem ontant le Dniester ou le Danube dans l’ intérieur
d’ un pays qu’ elle connaissait de lon g u e m ain par ses
courses ; et com m e elle m archait avec u n e suite em bar­
rassante, elle dut mettre plusieurs années à traverser le
con tin en t de l’ Europe, campant l’hiver dans ses chariots,
reprenant sa route l’ été, déposant cà et là des colon ies
qui se m u ltip lièren t2. A l’avantage de m ieux s’accorder
au fait particulier, cette hypothèse en joign a it un autre :
elle rendait raison de l’existence de Kimmerii dans le
nord et le centre de toute cette zone de l’ Europe, et
expliquait les rapports de m œ urs et de langage que tous
ces peuples h om on ym es présentaient entre eux.
P osidonius s’ en em para, et lu i donna l’ autorité de
son n om justem ent célèbre. Le p h ilosop h e stoïcien avait
voyagé dans la Gaule, et conversé avec les Gaulois; il
avait vu à Rome des prisonniers cim b re s; Plutarque
nous apprend qu’il avait eu quelques con féren ces avec
Marius, et il pouvait en avoir appris beau coup de choses
touchant la question qui l’agitait, le rapport des Cimbres
et des Cim m ériens. Nul autre ne s’ était trouvé plus à
m êm e que lui d’étu d ierà fond cette question, nul n ’était
plus capable de la résou d re; les précieu x fragm ents qui
nous restent de son voyage en Gaule fon t foi de sa saga­
cité com m e observateur; sa scien ce p rofon d e est du
reste assez con nu e.

*• Où (jLsfa yEiéatiai to ü r o m è ; (lô p io v ,... zà 8è TtXetaTov aù'twv x a i


u a ‘/ ,-ïJ-f')Ta-.ov i n ' È 'T /â 'r o i: oiy.oüv T ta p i t ï)v £ £ « O ôA aacav. Plut., i n Mur., 11.
2- M ., ibid. — V. ci-après, livre i, c. 1.
L’op in ion de P osidon iu s prit cours dans l’ethnogra­
p h ie ; des écrivains que Plutarque cite sans les n om m er
la d év elop p èren t1; elle parut à Strabon juste et b o n n e 2;
D iodore de Sicile la rattacha à ses idées générales sur
les Gaulois : ses paroles sont rem arquables et m éritent
d ’ être m éditées attentivem ent. « Les peuples gaulois les
« plus reculés vers le n ord et voisins de la Scythie sont
« si féroces, dit-il, q u ’ils dévorent les h o m m es; ce qu’on
« raconte aussi des Bretons qui habitent l’île d ’Irin
« (l’Irlande). Leur ren om m ée de bravoure et de barbarie
« s’établit de b on n e h eu re; car, sous le nom de Kim-
« m erii, ils dévastèrent autrefois l’Asie. De toute anti-
« q u ité, ils exercen t le brigandage sur les terres d’au-
« tru i; ils m éprisent tous les autres peuples. Ce sont
« eux qui ont pris R om e, qui ont pillé le tem ple de
« Delphes, qui on t rendu tributaire une grande partie
« de l’ Europe et de l’Asie, et, en Asie, s’ emparant des
« terres des vaincus, on t form é la nation m ixte des
« Gallo-Grecs; ce sont eux enfin qui on t anéanti de
« grandes et nom breu ses arm ées rom aines 3. » Ce pas­
sage nous m on tre réunis dans une seule et m êm e
fam ille les Gim m ériens, les Cim bres et les Gaulois d’en
deçà et d ’au delà des Alpes.
La con cord an ce des dates d o n n e ra , j ’ espère, à ce
système un dern ier degré d’ évidence. C’est en 631 que
les h ordes kim mèriemes sont chassées par les Scythes et
refoulées dans l’intérieur de la Germ anie, vers le Danube
et le R h in ; en 587, nous voyon s la Gaule en proie au
bouleversem ent le plus v iolen t, et une partie de la
population gallique obligée de ch erch er un refu g e, soit

1. Plut., in Mar., I I . — Strab., 1. vu, p. '293.


2. A txœ iw ç... oO x a x w ç eîxàÇei. Strab., 1. vu, p. 293.
3. Diod. S ic., v, 32. Cf. Cic., pro Font., 10.
en Italie, soit dans les Alpes illyrien n es; entre 587 et
521, des peuples du n om de Kim bri, qui est le m êm e
que Kimmerü, franchissent les Alpes pennines, et un de
ces peuples porte le n om fédératif de Boïe, que nous
retrouvons parm i les Kimbri transrhénans.
Malgré l’ occu pation de leu r patrie par les S cythes,
les Kimmerü n’ en disparaissent pas totalem ent. Les
voyageurs et les géographes nous les m o n tr e n t, en core
longtem ps après, « habitant en grand n om b re le pied
« glacé des m ontagnes de T a u r1. » On con tin u e à citer
leur ville de Kimmerü ou Kimmericon 2, dont le n om se
conserve en core au jou rd ’ h u i dans celu i de K rim ; enfin
une inscription signale com m e ennem is de la colon ie
grecqu e d’ Olbia des tribus barbares de l’ancien pays
k im m érien , et leur d on n e le n om de Galatès ou Gaulois3.
C’est le dern ier de ces jalon s qui, ra ttachant les Kimmerü
du Pont-E uxin aux Cimbres du Jutland, aux Belges de
la G au le, aux Bretons d’A lb io n , n ous am èn en t à re co n ­
naître que, dans ce grand peuple, résidait le noyau de la
secon d e des races gauloises, et que son n om , si an cien ,
si re n o m m é , si éten d u , n ’était autre que le n om m êm e
de cette race.

1. Kt|j.|iepiou 8ià B oü itôpou, w iv i nôW oi


K in p ip t o i vatouffiv vno i^u^pü) Troôi T a u p o u .
Dionys. Perieg., v. 165. Cf. Eustath., ad h. loc.
2. Scymn. Perieg., v. 896. — Anon. Peripl. Pont. Eux., 47 et 50. —
Cf. Strab., 1. xi, p. 494. — Plin., vi, 6 . — Mel., i, 19.
3. Sxtpouç xai raXàxaç. Bœckh., Corp. Inscr. Græc., vol. II, fasc. i,
tit. 2058. — Olbia fut détruite par les Gètes, en l’année 700 de Home.
Niebuhr la place sur le liorysthène, et reconnaît dans les Galatès, ses
destructeurs, des Cimmérieus ou Cimbres.
SECTION I I I . — P E UP L E S GAULOI S DES I LES B R I T A N N I Q U E S .

C’ était chez les anciens une op in ion , ou, pou r m ieux


dire, un fait à peu près incontesté, que l’archipel britan­
nique et la Gaule avaient été peuplés prim itivem ent par
les mêm.es races. Hipparque dit que les habitants des
îles de Bretagne et d’ Ierne ou Erin (l’ H ibernie des
Bom ains et l’Irlande actuelle), étaient Celtes 1 ; et P om -
ponius Mêla place dans la Celtique les îles qui p rod u i­
saient l'é ta in 2. Cette o p in ion d’ailleurs ne s’appuyait
p oin t sur de sim ples con jectu res : l’archipel britannique,
théâtre d’un grand com m erce avec les P hén icien s, les
Carthaginois et les Grecs, avait été, dès la plus haute
an tiqu ité3, le poin t le plus fréquenté du grand O céan;
et l’ Irlande, déjà célèbre sous le n om d’île Sacrée, devait
à ses ports n om b reu x et com m odes l’ avantage d’ être
m ieux con n u e que la Bretagne e lle -m ê m e 4.
César trouva en Bretagne la m êm e religion qu’ en
Gaule, et de plus une ressem blance générale dans les

1 . O v ç exetvoç ("IuTiap^oç) fjièv ext KeXxoùç u7coXa{xêàv£i. S t r a b ., 1. n ,


p . 75, b .
2. Pomp. Mel., m , 6 . — Les îles Cassitérides ; on croit que c’étaient
les Sorlingues.
«}• Ast hinc duobus in Sacram (sic insulam
Dixere p risci) solibus cursus rati est.
Hæc inter undas multa cespitem jacet
Eamque late gens Hibernorum colit.
Propinqua rursus insula Albionum patet.
Tartessiisque in terminos Πs t r y m n i d u m
Negotiandi mos erat : Carthaginis
Etiam coloni et vulgus inter Herculis
Agitans columnas hæc adibant æquora.
(Fest. Avien. Or. marit. v, 108 etseq .)

4. Melius aditus portusque per commercia et negotiatores cogniti.


T a c . , A g r i c . , 24.
m œ urs et l’ état social *. Tacite reconnaît cette conform ité
et l'étend aux idiom es q u i, suivant lui, différaient p e u 2.
« Plus rudes et plus sauvages que les Gaulois, ajoute-t-il,
« les Bretons sont au jou rd’ hui ce que ceux-là furent ja­
dis 3. » Fidèle à son habitude de rech erch er et d’analyser
les causes, l’historien ph ilosop h e se dem ande si les simi­
litudes qu’il a rem arquées doivent s’attribuer aux in­
fluences de clim at ou à celles de ra ce; et il con clu t pou r
la dernière hypothèse : « Tout b ien co n s id é ré , d it-il, on
« doit croire qu e les Gaulois o cc u p è r e n t, dans le p rin -
« cip e , ce sol qui les a v oisin e4. »
Strabon sig n ale, quant au caractère p h y siolog iq u e,
une légère différen ce entre le Gaulois et le Breton : celui-
ci est m oin s blon d (ce q u i pouvait tenir à l’ usage admis
en Gaule de se rou g ir la chevelure avec des substances
caustiques), plus élan cé, mais m oins fort et m oins bien
fait; ils se ressem blent d’a ille u rs5. D iodore de S icile,
em brassant, dans une grande form ule générique, toutes
les subdivisions de la fam ille gauloise, depuis le Palus-
Méotide ju squ ’aux m ers de l’Irlande, et depuis la P énin­
sule kim briqu e ju sq u ’aux Pyrénées, nous dit que les plus
sauvages de ces peuples sont anthropophages, et il cite
les Bretons d’É r in 6. Enfin n ous retrouvons les m êm es

1. Cæs., Bell. Gall., v, 12, 14; vi, 13.


2. Eorum sacra deprendas superstitionum persuasione ; sermo haud
multum diversus. Tac., Agric., 11.
3. Plus tamen ferociæ Britanni præferunt, ut quos nondum longa pax
emollierit... manent quales Galli fuerunt. Tac., Agric., c. 11.
4. In universum tamen æstimanti, Gallos vicinum solum occupasse
Credibile est. Tac., Agric., loc. cit.
5. Ta 8’ t « |xàv 8p.oia toîç K e).toï;, Ta 8’ âitXoûcTcpa xai [Sapêapw-
Strab., 1. iv,-p. 200, a.
®. T ü > v B p e T T a v û v toùî x a T O i x o ü v T a ; TTjv ô v o [ i . a Ç o p .é v Y i v ' l p i v . . . Diud..
’ — AypiwTôpoi tüv BpSTravwv. Strab., 1. iv, p. 201, a.
idées de parenté exprim ées dans ces vieilles failles g réco-
tyriennes qui rappellent les généalogies des Hébreux et
cachent souvent, com m e elles, un sens eth n ologiqu e pro­
fon d : elles n ous parlent du roi Pretanus ou B retanus,
don t la fille, n om m ée tantôt Geltiné, tantôt Celto, eut
com m erce avec Hercule, et m it au m on d e Geltus, auteur
de la race des C eltes1. On le voit, l’ histoire et la m ytho­
logie con cou ren t égalem ent, par leurs in dication s posi­
tives ou par leurs sym boles, à n ous faire adm ettre l’ exis­
ten ce d’ une m êm e fam ille h um aine couvrant à la fois de
ses tribus la Gaule et l’a rch ipel britannique.
Voilà le fait dans son expression la plus gén érale;
mais on y voit se dessiner tout d’abord une distinction
qui rappelle cette dualité que présente la fam ille gau­
loise sur le continent.
Ici en core la population se partage en deux branches,
l’ une établie dans le pays de tem ps im m ém oria l, l’autre
venue du dehors depuis les tem ps historiques. César, lors
de sa d ou ble expédition en Bretagne, trouve l’intérieur de
l’ île habité par une race que la tradition désigne com m e
a b o rig è n e , quos natos in ipsa insula mémorisé proditum di-
cu nt2; mais une autre race, arrivée du con tin en t gaulois
et à laquelle l’auteur des C om m entaires attribue la quali­
fication de Belges, peuple la région m a ritim e 3. D iodore
de Sicile recon n aît aussi dans la population de l’île de
Bretagne deux bans distincts, l’ un a u lo ch th o n e , l’autre
étranger, m élangé en partie avec le p r e m ie r 4.

1. KeXttoïi. Parthen., Erot., 30. — KeXxw npeTdtvou Guyà-njo... Etym.


M., v. KeXtoL
2. Britanniæ pars interior ab iis incolitur quos... Cæs., Bell. Gall.,
v, 1 2 .
3. Maritima pars ab iis qui, prædæ ac belli inferendi causa, ex Belgis
transierant... Cæs., Bell. Gall., v, 12.
4 . K aT oixeïv oé cpaai t^ v Bpetxavixrlv auTÔ^Oova yévï], x a i tô v nraXaiàv
A ces distinctions de race correspon dent des distinc
tions de m œ urs indiquées par D iodore d’ une m anière
générale, et plus explicitem ent par d ’autres historiens.
Tandis que dans la partie de l’est et du m id i, dans la ré­
gion m aritim e, com m e dit César, les institutions, la ma­
nière de vivre, la con stru ction des maisons, tout reproduit
aux yeux l’im age à peu près exacte de la Gaule \ l’in ­
térieur offre des différences im portantes : par e x em p le,
l’ ig n oran ce de l’ agricu ltu re, des arts et de tous les tra­
vaux de la vie sédentaire2 ; l’ ign oran ce m êm e du m ariage,
car les fem m es y sont com m u n es et les enfants élevés en
c o m m u n 3. Si le p rin cip e breton de la prom iscuité des
fem m es paraît, com m e on peut l’induire du récit de
César, avoir passé de l’ intérieur de l’ île dans la région
m a ritim e, parm i les colon ies ém igrées de la Gaule, il y
a reçu des m odification s qui en atténuent l’effet et sub­
stituent, quant à la propriété des enfants, la fam ille à la
tribu *.
Entre l'H ibernie et les parties intérieure et septen­
trionale de la B retagne, Strabon ne rem arque pas autre
ch ose qu’ une rudesse tou jou rs croissante à m esure q u ’on

piov t ï î ç àfioTaïÇ StarripoûvTa. Diod. S ic.,v, 21. Afor) 8 è xà |ièv itaXaiàv


àvsTitfitxTOç èysvETO Sevtxat; Suvàjxsffiv. Id ., ibid.
1. Ædificia fere gallicis consimilia. — Ex his om nibus longe aui.t
humanissimi qui Cantium incolunt... neque multum a gallica differunt
consuetudine. Cæs., Bell. Gall., v, 12, 14.
2. Interiores plerique frumenta non serunt, sed lacté et carne vivunt
pellibusque sunt vestiti... Id., ib id ., 14.
3. T a tç yvvaLçiv è7ttxoivoiç x a l Ta 7 Evvoôp.£va Ttàvra exrpÉçov-
teç. Dio Cass., l x v i , 12. — K œ i T taîSaç x a i ■yy v a ï x a ç x o i v à ; v o| u Ç ou ai.
Id., u u i, 6 .
4. Uxores habent déni duodenique inter se comm unes, et maxime
fratres cum fratribus, parentesque cum liberis ; Sed si qui sunt ex bis
nati, eorum habentur liberi, a quibus prim um yirgines deducto sunt.
Gœs., Bell. Gall., v, 14.
s’ éloign e de l’ est et du m idi. Tacite y trouve les m êm es
h o m m e s, et à peu près les m êm es m œ u rs1. Suivant
S trab on , non-seu lem en t les H iberniens ig n oren t le m a­
riage, mais ils m an gen t de ia chair h u m a in e 2; D iodore
l’affirmait déjà avant lu i, et Mêla le répète a p rè s 3. Or,
tous ces traits de m œ urs de la race in d igèn e des îles Bri­
tanniques, la p rom iscu ité des fem m es, l’anthropophagie,
1 ig n ora n ce de l’agriculture et des m oin d res arts, et ju s­
q u ’à l’ usage du tatouage et de la coloration de la peau au
m oyen du pastel, tout cela existait en core parm i les p o ­
pulations tant du n ord de la Bretagne que de l’ H ibernie,
aux me, ive, et v° siècles de notre è r e 4 : nous le savons
par u ne suite de tém oign ages contem porains n on inter­
rom p u e.
On peut d o n c suivre, n on-seu lem en t par la continuité
d’ habitation , mais par la persistance des m œ u rs, l’an­
cien n e race breton n e au toch th one sur les deux points
où elle se conserva indépendante, quelque n om d’ailleurs
q u ’on lu i assigne : C alédoniens, Albans, Méates, etc., en
B retagne; H ibernien s, H ib é rio n a cs5 ou Scots en H iber-
nie. 11 n ’im porte guère, après tout, qu e la Bretagne sep­
tentrionale ait ou n’ait pas re çu quelques ém igrés de la

1. Solum cœlum que et ingénia cultusque horainum non multum a


Britannia differunt. Tac., Agr., 24.
2. 'AvÔpcoîtoçâ'i’oi Te ovrer xai ™Xuçâyot, xotiç te uaTÉpa; TEXeux^CTavra;
xaTEtjOtetv èv xaXi*> Ti6 é|jt.evoi, xai çaveptS; [AtayeaÔai taïç te àXXatç yuvatSi,
xai [xviTpàffi xai àSeXcpat;. Strab., 1. îv, p. 201, a.
3. Mel., m , 0. — Diod. Sic., v, 32.
4. Diod. Sic., l x ii , 0. — Herodian. — C la u d ia n ., Bell. Get. — Ip s o
adolescens in Gallia viderim Attacottos, gentem Britannicam humajiis
vesci carnibus. S. Hierouym. contra Jovian., 36. — Scottorum et Atta-
cottorum l'itu. Idem, Epist., ad Océan., iv, 2. — Amm. Marc., xvu, ü.
— Gild., Ilist., 11, 12.
5. Hiberionaces. S. Patrie. Confes., ap. Bol!, et 0 ’ Conn., lier. liib.
Script., t. I, p. 107-
Germ anie, com m e Tacite le con jectu re, n on d’après une
indication de l’ histoire ou de la tradition, mais d’ après
la haute taille et les cheveux rou ges des C alédoniens1; le
fait général n’ en existe pas m oins. Nous savons en outre
positivem ent que les Scots, représentants prin cipau x de
la race a borig èn e, au ve et au vie s iè cle , parlaient une
langue différente du breton du m i d i2. Ici d o n c , com m e
en Gaule, nous trouvons deux ram eaux que distinguent
des m œ urs, des institutions, un langage particulier, dont
l ’u n , établi de tem ps im m ém oria l dans le pays, est ré­
puté au toch th on e, tandis que l’ autre est venu du con ti­
nent depuis les tem ps historiques ; et ces ram eaux se
relient tous deu x au tro n c gaulois.
Ceci posé, il m e reste à exam iner une question secon­
daire, mais très-im portante e n c o re , et que j ’ ai déjà tou­
ch ée en passant, celle de la constitution intérieure et en
qu elqu e sorte élém entaire du secon d de ces ram eaux.
César, qu i le place, en term es gén éra u x, dans la ré­
gion m a ritim e 3, le com p o se de colonies guerrières sor­
ties d ’entre les Belges et conservant, p o u r la plupart, le
nom des cités gauloises d’où elles p ro v e n a ie n t4. César
avait observé d irectem en t ce fait que n ous con firm e la
nom en clatu re des peuples b reton s, dressée au second
siècle par P tolém ée. Ce géographe nous sign a le, sur la
côte orientale de l’île , près de l’e m b ou ch u re de l’ H um -
ber, des P a r m i; au sud-est, et près de la Tamise, des

1 . Rutilæ Caledoniam habitantium comæ et magni artus gerinauicain


origiuem adseverant. Tac., Agr., 11.
2. Bed., Hist. eccl., i, 1.
3. Maritima pars... Cæs., Bell. Gall., v, 12.
4. Qui omnes fere iis nom inibus civitatum appellantur, quibus orti
ex civitatibus eo pervenerunt, et bello illato ibi remanserunt atque agros
colère cœperunt. Jd., ibid.
Atrebatii; au m id i, plusieurs tribus réunies sous le titre
com m u n de Belges, et dont le chef-lieu, désigné par lui
sous la dén om in ation de Venta, prend dans l’Itinéraire
d’Antonin celle de Venta Belgarum. P to lé m é e , en outre,
p lace, sur la côte orientale de l’ H ibernie, des Manapii,
qui rappellent les Ménapes du nord de la B elgique, et il
leur assigne p o u r voisins des Cauci, colon ie d’ un peuple
germ ain qui habitait le littoral de l’ O céa n , au nord des
F rison s1. On voit que l’ occu p ation belge ne s’ opéra pas
en masse, à u ne seule époqu e, et dans une direction u n i­
que -, qu ’elle embrassa dans son développem ent successif
des points assez divers ; mais qu’ elle form a néanm oins
vers le sud-est et le sud un noyau com pacte considérable.
L’ énum ération des Belges-Bretons, par Ptolém ée, don ne
lieu à une rem arque qui ne m an qu e pas d’ une certaine
gravité, c’ est que les Parisii qu’il y com p ren d ne com p ­
taient p oin t en Gaule parm i les Belges de César, tandis
qu’ils figuraient très-probablem ent au n om bre des peu­
ples de la rive gau che de la Seine, auxquels Strabon éten­
dait cette qualification.
Quant à l’époqu e où le flot des invasions gallo-belges
se serait porté avec le plus de force sur la Bretagne, elle
paraissait en core assez récente du tem ps de César. C’ était
en effet à la ûn du p rem ier siècle avant notre ère, ou au
com m en cem en t du secon d (memoria nostra, dit l’auteur
des C om m entaires), que le roi suession Divitiac avait
réduit la plus grande partie de l’île sous sa dom ination 2.
Du tem ps de César, les ém igrations individuelles, preuve

i . HapEaoi, ’Aipegcaiot, BéXyat, Mavâjitot.— V., pour la situation de


ces peuples, le tome II de cette Histoire.
2. Apud eos (Suessiones) fuisse regem nostra etiam memoria Divitia-
cum , totius Galliæ potentissimum, qui quum magnæ partis harum regio-
num ,tum etiam Britanniæ regnum obtinuerit. Cæs., Bell. Gall., u , 4.
de relations très-suivies, et les subventions a rm ées,
preuve de b on n e intelligence politique, s’ échangeaient
fréqu em m en t entre les peuples belges d’une rive à
l’ autre du détroit *. Le conquérant des Gaules, au m o­
m en t de s’em barquer p o u r sa prem ière expédition en
Bretagne, ne put se p rocu rer sur la côte gauloise aucune
in form ation capable de le guider et de faciliter l’exécu­
tion de son p r o je t 2.
Mais, dans ces populations de l’ est et du sud que
César réunit sous l’appellation générale de Belges, les
h istoriens nationaux de la Bretagne, se fondant à la fois
sur la tradition du pays et sur des particularités appré­
ciables surtout p ou r eux, distinguent une d ou b le origin e,
ils n ous disent qu’ une partie des tribus gallo-bretonnes
était sortie prim itivem ent de la presqu’île arm oricaine,
la B elgique parocéanite de Strabon ; et que, parm i ces
dernières, figuraient les Britanni ou Britones, q u i atta­
ch èren t leu r n om , com m e n om de conquête, à la grande
île appelée ju squ ’alors Albion 3. Ils ajoutent que ces
ém igrés de l’A rm orite trouvèrent l’île d’Albion en core
inhabitée : assertion que l’histoire dém ent, et qui, d’ail­
leurs, s’ accorderait mal avec l’existence d’une d én om i­

1. In Britanniam proficisci contendit, quod, omnibus fere gallicis


bellis, hostibus nostris inde subministrata auxilia intelligebat. Cæs.,
Bell. Gall., iv, 20.
2. Erocatis ad se undique mercatoribus, neque quanta esset insulæ
magnitudo, neque quæ autquantæ nationes incolerent, neque quem usum
belli haberent, aut quibus institutis uterentur, neque qui essent ad ma-
jorum navium multitudinem idonei portus reperire poterat... quæ omnia
fere Gallis erant incognita. Id., ibid.
3. Britannia, Oceani insula, cui quondam nomen Albion fuit. — In
primis hæc insula Britones solum, a quibus nomen accepit, incolas
habuit, qui de tractu armoricano (ut fertur) Britanniam advecti, australes
sibi partes vindicarunt. Bed., Ilist. eccl., i.
nation antérieure, tirée d’ u ne des langues de la fam ille
gauloise. Du m oins cette prétention au titre de p rem ier
occu p an t dén ote-t-elle, chez le peu ple q u i s’ en faisait
gloire, le sou venir d’une très-ancienne possession du sol.
L’ op in ion qui rattachait à l’Arm orike u ne partie des po­
pulations de la Bretagne jouissait d ’u n e créan ce si gé­
nérale, des deux côtés du détroit, au ve siècle de notre
ère, que, lorsqu ’à cette époqu e les Bretons du m idi,
fuyant leu r patrie envahie par les Scots, les Pietés et les
Saxons, allèrent, en grand n om b re, ch erch er un asile au
dehors, ils se d irigèrent de p référen ce vers l’A rm orik e,
dont les habitants les reçu ren t co m m e des frères.
Cette tradition et le récit des annalistes bretons tirent
une grande force de leur con cord a n ce, en plusieurs
points, avec les tém oign ages rom ains et grecs. En pre­
m ier lieu, il est certain que l’île de Bretagne porta
d’abord le n om d’A lbion 1 ; le Carthaginois H im ilcon 2,
dont Aviénus suit le périp le en ce qui con cern e les côtes
et les îles de l’ Océan gaulois, ne paraît m êm e pas lui en
avoir con n u d’ autre, et il appelle ses habitants A lbio-
n ie n s 3; or, H im ilcon fit son célèbre voyage dans le vie
et peut-être le vne siècle avant notre ère. Quant aux Bri­
tanni ou Britones (ces deux form es sont em ployées in d if­
férem m en t par les anciens), P line nous m on tre leurs
vestiges en .Gaule, dans la B elgique p rop rem en t dite, où

1. 'AXëiùv. Arist. — Cf. Plin., iv, 16.


2. Q uæ Him ilco Pœnus, mensibus vix quattuor.
U t ipse semet re probasse rettulit
Enavigantem , posse transmitti adserit.....
Hiec nos, ab imis Punicorum annalibus
Prolata longo tem pore, edidimus tibi.
(Fest. Avien., Or. Marit., i , v. 117-119, 414-415.)

3. Pi opinqua rursus insula Albionum patet. Id., ibid., v. 12.


ils avaient occupé une place, avant de passer dans l’Ar-
morike, et de là dans le sud de l’île d’Albion
En second lieu, une affinité étroite et constante rat­
tache, à toutes les époqu es de l’ histoire des Gaules, les
populations de l’A rm orike à celles du m id i de la Bre­
tagne ; et l’ on ne voit pas entre elles sim ple co m m u ­
nauté d ’ intérêts com m ercia u x 2 ; leur u n ion est d’une
nature plus p rofon d e. Les arm es rom aines on t à peine
m en acé l’A rm orike, que les Bretons accou ren t et co m ­
m en cen t la guerre, au risque d ’attirer sur eux la colère
de l’étranger et les calam ités de l’ invasion. Plusieurs
nations belges en fon t autant ; et les Com m entaires de
César n ous m ontrent une espèce de solidarité établie
entre les A rm orikes, les Belges et les Bretons, com m e
entre peuples très-rapprochés n on -seu lem en t par les
intérêts, mais par le sang 3.
On peut tirer de ce que je viens de dire les consé­
qu en ces suivantes :
1° Que les îles B ritanniques furent peuplées par la
fam illo g a u loise; et que là, com m e en Gaule, cette fa­
m ille se trouvait partagée en deu x ram eau x, l’un in d i­
gèn e, c'est-à-dire établi de tem ps im m ém orial ; l’autre
transplanté de Gaule en Bretagne depuis les tem ps his­
toriques ;
2° Que le second ram eau, en Bretagne co m m e en
Gaule, était com p osé d ’Arm orikes et de Belges, com p ris les
uns et les autres .sous la secon de de ces d én om in ations ;

1. Plin., rv. — Cf. ci-dessus.


2. Cæs., Bell. Gall., m , S, !) et pass. — Strab., rv.
3. Socios sibi ad id bellum (Veneti) Osismios, L exovios, Jiauuetcs,
Arabiliatos, M orinos, Diahlintres, Menapios adsciscunt : auxilia ex Bri-
tan ni a, quæ contra cas regiones posita est, arccssunt. Cæs., Bell. Gall.,
m , 9.
3° Que l’établissem ent des Belges en Bretagne était
r é ce n t; tandis que celui des A rm orikes rem ontait à une
ép oqu e beau coup plus a n cien n e.
Si m aintenant on voulait, ainsi que je l’ai déjà fait,
form u ler en term es abstraits la question qui nous occu p e
et en ch erch er la solution logiqu e, in dépen dam m en t des
faits de l’ histoire, on pourrait poser le p rob lèm e suivant:
« Une grande race d ’h om m es couvre de ses tribus la
« Gaule et l’ archipel britannique ; une autre, n on m oins
« puissante, arrive du nord, en lon gean t l’ Océan germ a-
« nique, traverse le Bhin dans la secon de partie de son
c cours, se fait place en Gaule, et s’ étend de là sur la
a Bretagne : quelle sera, quand les bouleversem ents de la
« con quête auront cessé, la position relative des deux
« ra ces? » A p riori, la réponse serait c e lle -c i: « La race
« conquérante, la dernière venue, occu p era en Gaule le
« nord et l’ ouest, en Bretagne l’est et le m id i : tout au
« contraire, la race envahie se trouvera refou lée en
« Gaule vers l’ est et le m idi, en Bretagne vers l’ ouest et
« le n ord. » Or, les faits ne disent pas autre chose.
Ainsi le raison n em en t abstrait est d ’accord avec les
textes historiques et leur apporte, en qu elqu e façon, une
dém onstration surabondante. Lors d o n c qu’ on voudra
ch erch er sur le sol de la France et de l’Angleterre, les
glossaires à la m ain, qu elqu e débris en core v iv a n t de ces
vieilles races qui form a ien t, il y a deux m ille a n s, la
fam ille gauloise, les jalon s sont plantés, les zones tracées :
l’histoire peut servir de gu ide et d’auxiliaire à la p h ilo­
logie.
RÉSUMÉ.

Nous voici ram enés, par le résultat de nos rech erch es,
au grand fait eth n ologiq u e q u i n ous avait servi de p oin t
de départ. L’antiquité tout entière est ven ue con firm er
les tém oign ages de César et de Strabon, en y ajoutant
des développem ents n ou v ea u x ; et l’on peut considérer
m aintenant com m e dém on trés les points suivants :

ses plus,aac.iens habitants : la fam ille ibériennej&t-la fa­


m ille-gauloise.
Les Aquitains et les Ligures a p p a r t e n a ie n t la fam ille
ibérien ne.
La fam ille g a u lo is e o ccu p a it, outre la Gaule, lés âtes
de l’a rch ip el Jbnlaiialque.
Elle se partageait en deux ram eaux ou races, présen­
tant, sous un type com m u n , des différences essentielles
de langage, de m œ urs et d ’institutions, et form ant deux
individualités bien tranchées.
Le premier rameau avait précédé en Gaule et dans
l’archipel voisin l’aurore des temps historiques ; les an­
ciens l’y considéraient comme autochthone; de la Gaule,
il s’était étendu sur une partie de l’ Espagne, de l’Italie et
de l’Illyrie.
Son nom générique était Gall, ou plutôt un m ot que
les Rom ains rendaient par Gallus, et les Grecs par Galas
et Galatès. Ceux-ci avaient attribué inexactem ent à tout
1e ram eau la d én om in ation de Celte, q u i n ’était appli­
cable q u ’à ses tribus m éridionales.
Le second ram eau, arrivé dans l’occid en t de l’ Europe
depuis les tem ps historiques, était représenté en Gaule
par les A rm orikes et les Belges, et aux îles Britanniques
par des colon ies sorties de ces deu x peuples. Les Volkes
des Cévennes et de la forêt H ercynie étaient Belges, ainsi
qu e les aventuriers q u i, 280 ans avant Jésus-Christ,
allèrent p iller la Grèce et fo n d e r un royaum e dans l’Asie-
M ineure.
Ce ram eau s’ étendait en core dans les contrées trans­
rhénanes et transdanubiennes, où il avait précéd é l’arri­
vée des races germ a n iq u es, et où l’ on pouvait suivre
ses traces depuis le Palus-M éotide ju sq u ’à la presqu ’île
du Jutland.
Armorike était u n e désignation locale ; Belge un nom
de con fédération gu errière ; Kimmerii ou Kimbri le nom
de la race.
La position relative des deu x ram eaux gaulois était
celle-ci : le ram eau kim m eriqu e ou k im briq u e occu pait
le n ord et l’ ouest de la Gaule, l’ est et le m id i de la Bre­
tagne ; le rameau gaüique, au contraire, l’est et le m idi
de la Gaule, avec l’ ouest et le nord des îles B ritanniques.

DEUXIÈME PARTIE.

PREUVES T IR É E S DES A N C IE N S ID IO M E S ET DES

T R A D IT IO N S N A T IO N A L E S .

S E C T IO N 1. — A N C IE N S ID IO M E S DE I.A G A U L E ET D F, S IT, ES
BRITANNIQUES.

Dans les contrées de l’ E urope appelées par les an­


ciens Gaule transalpine et îles Britanniques, embrassant
la France actu elle, la Suisse, les Pays-Bas, l’ Angleterre
et l’Irlande, il se parle de nos jo u rs une m ultitude
de langues qui se rattachent gén éralem en t à deux
grands systèm es : l’ u n , celui des langues du M idi, tire
sa sou rce de la lan gu e latine, et com p ren d tous les dia­
lectes rom an s et fran çais; l’ au tre, celu i des langues du
N ord , dérive de l’ancien teuton ou g erm a in , et règn e
dans u n e partie de la Suisse et des Pays-Bas, en Alsace,
en A ngleterre et dans la basse Écosse. Or, n ous savons
h istoriqu em en t que la langue latine a été introduite en
Gaule p a r le s con quêtes des B om a in s; n ous savons aussi
qu e les langues teutoniques parlées dans la Gaule et l’île
de Bretagne sont dues pareillem ent à des conquêtes de
peuples teutons ou germ ains : ces deu x systèmes de
langues im portées du d eh ors sont d o n c étrangers à la
population p rim itiv e, c’est-à-dire à la population qui
occu p a it le pays an térieu rem en t à ces conquêtes.
Mais, au m ilieu de tant de dialectes néo-latins et n éo-
teu ton iqu es, on trou ve, dans quelques cantons de la
France et de l’A ngleterre, les restes de langues orig i­
nales, isolées com p lètem en t des deux grands systèmes
que n ous ven on s de signaler co m m e étrangers. La
F rance en ren ferm e deux, le basque, parlé dans les Pyré­
nées occid en ta les, et le bas-breton ou armoricain, plus
étendu n a g u è re , resserré m aintenant à l’extrém ité de
l’an cien n e A rm orike ; l’Angleterre deu x ég a lem en t, le
gallois, parlé dans la p rin cipau té de Galles, appelé welsli
par les A nglo-Saxons, par les Gallois eu x-m êm es cymraeg
ou kym riq u e, et le gaelique, usité dans la haute Écosse et
l’ Irlande. Ces langues, originales parm i toutes les autres,
l’ histoire ne n ous apprend p oin t q u ’ elles aient été im ­
portées dans le pays où on les p a rle , postérieurem ent
aux conquêtes rom ain e et germ anique ; nous som m es
d o n c fondés à les regarder co m m e antérieures à ces
con qu êtes, et par con séqu ent co m m e appartenant à la
population prim itive.
Après la question d’antiquité, deux autres se pré­
sentent : 1° Ces langues ont-elles appartenu à la m êm e
race ou à des races différentes? 2° Existe-t-il des preuves
historiques qu ’elles aient été parlées antérieurem ent à
rétablissem ent des B om ains, par con séqu ent des Ger­
m ains; et dans quelles portions des territoires gaulois
et breton ? C’est à q u oi nous essayerons de r é p o n d re , en
exam inant successivem ent ch acun e de ces langues ; et
d ’abord n ous rem arquerons q u e , l’ arm oricain se ratta­
chant d ’une m anière très-étroite au gallois ou kymrique,
les idiom es origin au x dont il s’ agit se réduisent réelle­
m ent à trois : le basque, le kymrique, et le gaelique.

I. LANGUE DE LA FAMILLE G A L L O - 1 B É R I E N NE.

Basque.

On sait que l’ extrém ité occiden tale des Pyrénées est


h abitée, sur ses deux versants, par un peuple qui con ­
serve, au m ilieu des Espagnols et des Français, une
langue et des m œ urs particulières : en Espagne il
occu p e les provin ces de B isca ye, de G uipuzcoa et de la
haute Navarre ; en France, les trois cantons de Labourd,
de Soûle et de la basse Navarre. Les m em bres de cette
petite nation sont n om m és par les Français Basques,
par les Espagnols Vascuences ou V ascongados, mots
qui rappellent celui de Vascons ou Gascons, sous lequel
on les désignait au m oyen âge. Mais eu x -m êm es, en
France com m e en E spagn e, ne se reconnaissent p oin t
d'autre dén om in ation que celle d’Escaldunac, et n’ en
don nen t poin t d’autre à leu r langue que celle d’ escara ou
euscara.
Quant au m ot Vascon, déjà con n u des an cien s, qui
l’appliquaient à une tribu espagnole des bords de
l’ Èbre \ il re çu t un grand éclat au vie siècle de notre
ère, lors de l’in su rrection des peuples escaldunac contre
le gou vern em en t des Francs m érovingiens. Nous possé­
dons deu x m édailles portant la légende Vasesken écrite
en caractères celtibériens : l’u n e , qui rappelle en tout
p oin t les m on n aies des tribus de l’ È b re, est attribuée,
par les num ism ates, aux Vascons esp a gn ols; l’autre,
frappée d ’un coin pareil à celu i des V olkes-T ectosages,
se rapporte évidem m ent aux nations a q u ita n iq u es2.
Enfin le radical Ausc, Ose, Esc, don t Vase paraît n ’ être
qu ’ u n e form e aspirée, figure très-fréquem m ent dans les
anciens n om s de localités et de tribus, soit au nord, soit
au m id i des Pyrénées. On peut induire de là que le m ot
Vascon, ou quelque form e voisine de ce m o t, avait d éjà,
avant les Rom ains, une grande extension en deçà et au
delà de cette chaîne ; et q u ’il y était em ployé dans une
acception gén ériqu e, car le m ot Aquitain paraît étranger
à la langue basque. Lors d o n c que les peuples vascons
de l’ Èbre en voyèren t, en 587, quelques bandes arm ées
dans la basse Navarre, p o u r y .déterm iner un soulève­
m ent con tre l’ em pire fra n c, ils ne firent autre chose
que secou rir des frères et fortifier une résistance natio­
nale déjà préparée chez les Aquitains ; toutefois la part
q u ’ ils priren t à l’affranchissem ent des populations escal­
d u n ac fut tellem ent brillante, que leur n om resta
BM Jay
I- Strab., 1. m , p. ICI. — Sil., Ital., m , v. 358; v, v. 197; ix, v, 234.
— Prudent., Peristeph., i, v. 94.
2. ’ !. de Saulcy, Itevuc numismatique, aun. 1840.
attaché, n on-seu lem en t à la ligue de délivrance, mais
au pays que cette ligue d om ina. Ainsi s’ explique l’ appa­
rition du m ot Vascon dans l’ histoire p o u r d ésign er, en
France et en E spagne, l’ ensem ble des tribus parlant la
langue escara.
Cette langue, par le caractère particulier de ses radi­
ca u x, et surtout par un système de gram m aire très-
original, se distingue nettem ent, et des langues dérivées
du latin, et des langues dérivées du teu ton , et de celles
qu ’ on peu t regarder co m m e ayant appartenu à la
fam ille gauloise p rop rem en t dite. Ses dialectes se ran­
gent sous deux p rin cipau x qui sont parlés, l’un en
Espagne, l’ autre en France, et form en t deu x variétés
d on t l’orig in e rem on te aux époques les plus anciennes.
Si l’ on jette les yeux sur une carte des cantons
escaldu n ac, et des territoires en viron n ants, soit en
F rance, soit en E spagne, on sera aisém ent con vain cu
que la langue basque a été parlée autrefois dans une
zon e b ien plus grande qu’au jou rd’ h ui. En F rance, elle
recule pas à pas devant la langue rom an e, qu i la presse
et sem blé la forcer dans sa retraite ; mais les n om s des
m ontagnes, des rivières, des villes, des villages restent
d errière elle, com m e p o u r attester son passage et in d i­
qu er les dom aines où elle a cessé de régn er. Au m oyen
de ces n om en clatu res, on recon n aît : 1° que la langue
basque a été celle de toute la région située entre les
P yrénées et la Garonne, c’ est-à-dire de toute l’Aquitaine
de César -, 2° qu’ elle a été parlée aussi, mais m oin s géné­
ralem ent ou m oins longtem ps, au nord de la Garonne,
où l’ on trouve plusieurs n om s basques entrem êlés aux
n om s gau lois; 3° que vers l’extrém ité orientale des
P yrén ées, où les d én om in ations basques reparaissent
m oins altérées et plus nom breuses, on t dû exister autre­
fois des populations escalduuac très-condensëes. Du pied
des Pyrénées o rie n ta le s, les m êm es in dication s nous
con d u isen t tou t le lon g de la Méditerranée, sur les deux
versants des Alpes m aritim es et ju sq u ’ en Italie.
Ces contrées sont précisém en t celles q u ’o ccu p a ie n t,
aux prem iers jou rs de notre h istoire, les Aquitains et
les L igu res ; et ces m ots, où se révèle l’existence d’une
race d ’h om m es parlant le b asqu e, appartenaient aux
idiom es de ces deu x peuples. L ig u r e , Li-gora, est d’ail­
leurs un m ot basque qu i signifie m ontagnard 1. Pareil
exam en fait dans l’a n cien n e Espagne dém ontre avec une
éviden ce incontestable que la m êm e langue devait être
parlée, à la m êm e époque, dans la plus grande partie de
cette p én in su le, et, par con séqu ent, que le basque est un
débris vivant des vieilles langues de l’Ibérie. L’ histoire
resterait m uette sur l’ orig in e des Aquitains et des Li­
gures , qu’il y aurait là assez de probabilités p o u r con ­
clure qu e ces deux peuples étaient Ibères.
Mais l’histoire n ous le dit positivem ent ; elle nous
dit en core que les plus anciens g éogra p h es, par des
considérations fon d ées sur ia ressem blance des races,
prolon geaien t l’Ibérie au n ord des P yrénées, entre les
golfes de Gascogne et de L ion . Ainsi se trouve con firm é,
par l’exam en des la n gu es, ce prem ier fait eth n ogra­
ph iqu e : que les Aquitains et les Ligures n’appartenaient
p oin t à la fam ille gauloise, mais à la fam ille ib é r ie u n e a

1. L iy illi, pays, peuple; gora, haut, élevé.


'i. Consulter l’ouvrage de M. Ouillaume <> Humboldt, d3jà cité : f/n -
tersuckuugen uebur die Urbewuliner lituaniens, eermtileUt de>' ü m -
/ .( id iei: ùpi aclie.
II. LANGUES DE LA FAMILLE GAULOISE.

I. LANGUE KYMRIQUE OU DU SECONI1 RAMEAU.

Gallois, com ique, armoricain.

Dans quelques cantons de l’an cien n e A rm orik e, au­


jo u rd ’ hui la Bretagne française, et en A ngleterre, dans
la principauté de Galles, se parle une langue com plète­
m ent différente du français et de l’ anglais, au m ilieu
desquels elle s’est con serv ée, et d ’ailleurs sans aucune
analogie avec le basque. La m êm e langue se parlait
aussi naguère dans le com té de C ornou aille, o ù elle ne
s’est éteinte qu ’à la fin du d ern ier siècle : de sorte
qu ’ elle embrassait e n c o r e , à une époqu e assez voisine
de nous, et partie en France, partie en Angleterre, une
zon e longitudinale bordant l’ O céan, depuis la m er
d ’Irlande ju squ ’à la M anche, et depuis la baie de Saint-
Malo ju sq u ’à l’ em b ou ch u re de la Vilaine.
Cette langue se partageait en trois grands dialectes
attachés aux trois pays que je viens de n om m er, savoir :
le gallois, le comique et le bas-breton ou armoricain. Le
p rem ier et le dern ier subsistent seuls au jou rd ’h u i ;
toutefois nous savons par des m on u m en ts authentiques
que le c o m iq u e se rapprochait beau coup de l’arm ori­
ca in , et servait, en qu elqu e sorte, de p oin t de passage
entre le dialecte du con tin en t et le dialecte occidental de
l’Ile de Bretagne.
Mais le p rom on toire étroit, qui form e la Cornouai le,
n’ est pas le seul canton de l’Angleterre m éridionale où
l’id iom e a u jou rd ’h ui éteint ait laissé des traces : il avait
été parlé, à u n e époqu e plus reculée, dans les com tés
lim itrophes, particulièrem ent dans le D evonshire, l’an­
cien n e D um n on ée. Le gallois, ou une variété du gallois,
s’ est parlé jadis au nord de la p rin cipau té de Galles ju s­
qu ’au golfe de Solw ay ; et il fut u n tem ps où l’arm ori­
cain, resserré de nos jo u rs dans les arrondissem ents de
Vannçs, Q uim per, Léon et Saint-Brieuc, embrassait p ro­
bablem ent tout le du ch é de Bretagne. Dans les trois p ro­
vinces de son d om a in e, la vieille langue a battu en
retraite devant le français et l’anglais, et le m om en t'a p ­
p roch e où, dans la Bretagne française com m e dans la
C ornouaille anglaise, son n om ne sera plus q u ’ un sou­
ven ir.
A m esure qu’ on rem on te dans le m oyen âge, on
trouve des preuves de plus en plus assurées de la grande
extension de cette langue, que les auteurs appellent
bretonne. Giraud le Gallois ou le Cam brien, qu i écrivait
à la fin du xie siècle, en caractérise les trois dialectes,
précisém en t com m e la scien ce p h ilolog iq u e l’ a fait plus
tard *. Après avoir exposé com m en t la langue bretonne,
telle qu ’ on la parlait dans le nord du pays de Galles, était
plus délicate, plus ornée, plus belle, par différentes rai­
sons, et p rin cipalem en t à cause de sa culture littéraire,
il ajoute : « La C ornouaille et l’A rm orike se servent de
« deu x dialectes qui se ressem blent, et que les Gallois
« com p ren n en t gén éralem en t, vu la com m u n e origin e
« des trois idiom es. Plus rude, et m oins cultivé, le lan-
« gage des A rm oricains et des Cornouaillais m e paraît

1. Je ne parle ici que des dialectes principaux : il y avait en outre des


subdivisions nombreuses entre ces dialectes. L ’armoricain en comptait
et en compte encore quatre : ceux de Léon, de Vannes, de Tréguier, et
de Kerné (la Cornouaille armoricaine). Les auteurs gallois en comptent
tantôt trois, tantôt quatre, pour l’île de Bretagne. Trioedd. yn. Pryd., 20.
— Cf. Roberts, Sketch o f the early history o f the Cymry, etc. Lond.,
1803.
« p lu s rap p roch é de celui des anciens B re to n s’ . »
Cette culture du dialecte gallois, que vantait Giraud,
est prouvée surabon dam m en t par une suite de m o n u ­
m ents littéraires, don t l’ authenticité n ’ est plus contestée
par p erson ne, et qui rem on ten t au ve siècle de notre
ère. On ne saurait d o n c douter, q u ’au ve siècle le gallois
n’ait été parlé dans l’ ouest de l’île de Bretagne ; et de
plus n ous avons la preuve, une preuve sans réplique,
q u ’on l’ y parlait auparavant. En effet, si l’on com pare
les n om s de m ontagnes, de rivières, de prom on toires,
de villes, de peuplades, etc., existants dans le pays depuis
cette ëpocple, avec ceu x que la géograp hie an cien n e
nous a transm is com m e bretons, on recon n aît aisém ent,
à la sim ilitude de leurs radicaux et à leur m od e de co m ­
position, que les uns et les autres appartiennent à une
m ôm e lan gu e, laquelle était déjà en usage antérieure­
m ent à la d om ination rom aine : d’ où il suit qu’ on peut
v oir dans le gallois, avec tous les auteurs du m oyen âge,
un reste vivant des vieu x id iom es bretons.
Le m êm e exam en com paratif porté sur les n om en ­
clatures de la C ornouaille anglaise con d u it au m êm e
résultat : ce pays, d’ailleurs, fou rn it aussi son con tin gen t
à la vieille poésie breton n e.
Quand bien m êm e on n ’admettrait pas la tradition
qu i fait de Guenc’ hlan 2 un barde arm oricain de la fin du
ve siècle, on sait q u ’à cette époque il se chantait, en
langue nationale, dans les réu nion s populaires de l’Ar-

1. fîornubiênsës etÂrm oricâniBfitonum lingua utuntur fere persirrlili,


Cambris tamen, propter originem et convenientiam, in multis adhuc et
fere cunctis iritelligibili. Quæ quanto delicata minus et incomposita,
magis tamen antiquo linguæ britannicæ idiom ati, ut arbitror, appro-
priata. Girald. Camb., Descript. Cambr., c. 6 .
2. Barzas Breiz, par M. de la Villemarqué, t. I, Introd., p. x, seqq.
m orike, des chansons d’a m ou r con tre lesquelles s’élèvent
les con ciles 1. On sait e n core que saint Ma gloire, qui
m ou ru t en 575, étant venu p rêch er du pays de Galles en
A rm orike; y trouva, suivant le m ot de son biographe,
« des peuples de la m êm e langue 2 » et y ht une rich e
m oisson d’âm es. B eaucoup d’ églises arm oricaines furent
fon dées par des Gallois, ou du m oins par des prêtres
sortis du fam eux collège breton de S aint-Iltude3. L’ idiom e
breton était d o n c com pris par les A rm oricains. D'un
autre côté, quand n ous voyons, au Ve siècle, saint Ger­
m ain d’Auxerre, et saint Loup de Troyes, envoyés par les
évêques des Gaules p o u r aller com battre le pélagianism e
dans la Bretagne, son foyer, organ iser dans toutes les
parties de cette île une prédication populaire ; catéchiser
n on -seu lem en t dans les églises, mais dans les places,
dans les rues, dans les cham ps, là où certes on ne parlait
ni ne com pren ait le latin ; h aranguer la foule, co m ­
m ander u n e arm ée ; enfin traîner à leur suite, par la
persuasion de leurs discours, des p opulations ignorantes
et sauvages 4 : n ous ne saurions nous expliquer ces faits,

1. Ubi amatoria cantantur, Cone. Y e n ., ap. D. Morice, Hist. de Brct.,


pr. t. I, p. 184. — Cf. De la Villemarqué, Barz. Br., Introd., p. x x ,seqq .
2. Populos ejusdem linguæ. Vit. S. Maglor., ap. Boll., 24 octob. —
Cf. Adel., M ithrid., t. II, p. 157.
3. On peut consulter là-dessus les Vies de saint Malo, saint Pol do
Léon, saint Sampson, etc.
4. Nec tantum sub ecclesiarum parietibus per eos verbi divini se-
mina, verum etiam per rura spargebantur et compita. — Talibus verbis
trahitur populus innumerabilis. — Act. S. Lup., 18, 27, ap. Boll. — Cum
quotidie irruente frequentia stiparentur... per trivia, per rura, per dévia...
— Immensæ m ultitudinis numerositas cum conjugibus ac liberis excita
convenerat. — Aderat populus spectator, futurus et judex. — Populus
arbiter judicium clamore testatur. — Prædicatio deinde ad plebem. —
Exculiabat diebus ac noctibus ante tugurium præsulis turba sine nu­
m éro, etc. Act. S. German. Autiss.
attestés par des écrivains con tem porains, sans l’ hypo­
thèse d’ un id iom e co m m u n in telligible des deux côtés
du détroit. Et ces faits ne sont pas les seuls. En général,
il faut n ier les rapports religieu x de la Gaule et de la
Bretagne aux v° et vie siècles, o u adm ettre qu’ un des
idiom es nationaux de la Gaule pouvait servir de tru ch e­
m ent aux m issionnaires venus du con tin en t ; tandis
qu ’ en retour les m issionnaires breton s parlaient un
langage facile à com p ren d re dans u n e partie de la Gaule.
Si n ous passons de ces considérations h istoriques à
l’ exam en p h ilolog iq u e des nom enclatures, n ous reco n ­
naîtrons que les désignations de lieux, de peuplades,
d’ individus, aux tem ps les plus a n cien s de l’ A rm orike,
et telles qu e les écrivains grecs et rom ains nous les ont
transmises, appartiennent à l’id iom e qu i s’y parle en core
a u jou rd ’h u i. Nous recon n aîtron s, en outre, u n e grande
ressem blance, p o u r ne pas dire une com plète identité,
entre ces nom enclatures, celles de l’an cien n e Belgique,
et celles de la Bretagne m éridion ale ; d’ où n ous p ou r­
rion s con clu re avec beaucoup de probabilité que l’Ar-
m orike, la B elgique et l’île de Bretagne avaient à peu
près le m êm e langage avant l’arrivée des B om ains.
B épugnerait-il aux faits généraux de l’ histoire des
Gaules qu’au ve siècle de n otre ère l’usage de la langue
nationale se "fût m aintenu, sinon sur tout le territoire
arm oricain entre la Seine et la L oire, du m oin s dans une
partie de ce territoire, au sein des classes inférieures
des villes et dans les cam pagn es? A ssurém ent n on ; et
bien des exem ples con firm era ien t la possibilité du fait.
Ainsi, l’historien ecclésiastique Sulpice Sévère én once
positivem ent qu’ en Gaule, de son tem ps, c’est-à-dire à
la fin du IVe siècle, deux idiom es applicables aux deux
ram eaux ga u lois, se parlaient parm i les gens illet-
très ’ . Ainsi en core, dans l’année 234, Alexandre Sévère, ve­
nant en Gaule, fut apostrophé en langue gauloise par une
druidesse qui prophétisa sa m ort *. En 230, il est question
de la lan gu e gauloise dans u n e lo i du m ôm e em pereur,
qui valide les fid éicom m is écrits dans cet id iom e et dans
l’id iom e p u n iq u e 3. Si d o n c les dialectes nationaux ne
cessèrent p oin t d’ être parlés sur certains points de la
G aule, qu elqu e rares q u ’ on les suppose, l’A rm orike,
éloig n ée des grands centres de civilisation rom aine, et en
com m e rce étroit avec l’île de B retagne, dut assurém ent
com p ter parm i ces pays d ’ exception.
Voilà le fait général dém on tré par la p h ilolog ie, in ­
contestable aux yeux de l’histoire. Toutefois, il se co m ­
pliqu e d’ u ne circon stan ce particulière q u i sem ble en
d im in u er l’év id en ce, et qui a servi de fon d em en t à unr
h yp oth èse contraire à celle que n ous d on n on s ici p ou r
vraie.
On a dit : « Des ém igration s nom breu ses eurent lieu
« aux ive, ve et vie siècles, de Bretagne en A rm orike ; ces
« ém igrations ont form é, à l’ extrém ité de la presqu’île
« occiden tale des Gaules, co m m e u ne secon d e nation

1. Dans un de ses Dialogues, Sulpice Sévère introduit un Gaulois du


Nord chargé de raconter à des Gaulois du Midi les actions de saint Mar­
tin. Le narrateur s’excuse d’abord s’il ose parler un latin grossier devant
des hom m es de l’Aquitaine, pays raffiné, où la culture romaine avait
atteint, dans toutes ses branches, un degré de délicatesse extrême. « Parle
« toujours, lui dit un de ses auditeurs; parle celte, si tu veux, parle
a l’autre langue gauloise, si tu le préfères; mais parle-nous de Martin. »
— Dum cogito me hominem Gallum inter Aquitanos verba facturum,
vereor ne offendat vestras nim ium urbanas aures sermo rusticior... Vel
celtice, aut, si inavis, gallice loquere, dummodo jam Martinum loquaris.
Sulp. Sev., D ial., i, 20.
2. SIulier druias eunti exclamavitgallico sermone... Lampr., Alex. Sev.
3. Lingua gallicana. (Jlp., Dig., xxxn, H .
« bretonne, qu i s’ est ren due maîtresse du pays et a n i
« p ropager autour d’elle son langage, en m êm e temps
« qu’elle étendait sa puissance. C’ est d’ elle et d’ elle seule-
« m ent que dérive le breton a rm o rica in . »
Sans doute, il y eut au v® et au vie siècle des ém igra­
tions de l’île de Bretagne sur le con tin en t, et en parti­
cu lier sur la côte a rm oricain e ; mais avant de pren dre
aucune con clu sion , exam inon s de b o n n e fo i leurs dates,
leur im p ortan ce et leu r résultat possible.
Je com m en ce par celles q u ’ on ne peut révoqu er en
doute. Il est certain que le roi breton W ortigern, ou p lu ­
tôt Gvyorteyrn, im puissant à défendre son pays contre
les Pietés et les Scots, appela à son aide les Saxons, qui,
de défenseurs, devinrent tyrans et maîtres. Une guerre
terrible éclata alors entre eux et les Bretons, qui, défaits
dans plusieurs batailles, frappés de crainte ou de déses­
p oir, s’ en allèrent, par grandes bandes, ch erch er un asile
au delà d e la m er. G ildas, con tem p ora in de ces événe­
m ents, qu ’il retrace lu i-m êm e dans un style rude, mais
éloquent, Gildas, restant dans des term es gén éraux, se
contente d e d ire : « Alii transm arinas p eteb a n treg ion es1. »
Par ces région s d’ou tre-m er, les ch ron iq u es postérieures
on t entendu la Gaule et surtout l’A rm orike : la tradition
de tou t le m oyen âge, constante en ceci, fait revenir les
fugitifs bretons à cette m êm e p oin te occidentale des
Gaules, d ’ où leurs ancêtres étaient prim itivem en t partis2.
Les victoires im portantes des Saxons ayant eu lieu de
663 à 673, c’ est vers cette ép oq u e q u ’ il faut placer le
grand courant de l’ ém igration b reton n e. Mais les bandes

1. Gild., de Excid. Britann., c. 25.


2. (Britones) exules Galliæ tenent partes. Chron. Ethel., ad ann. i30.
— Alii in minorem Britanniam. Chron. Sigeb. — Cf. Guill. N eubr., Rcr.
angl. chron., 15.
ém igrées ne form aien t ni u ne arm ée n i u n e nation, car
l’ histoire con tem p orain e n ’ eût pas m an qu é de signaler
l’irruption en Gaule d’ une masse de fugitifs assez forte
p o u r p eu pler les territoires entiers des Vénètes et des
Curiosolites ; or, elle ne le fait pas. Cet établissem ent
ne se fût pas a ccom p li n on plus sans v iolen ce et sans
lutte ; or, il n’y eut n i lutte ni v iolen ce ; l’histoire en est
en core garante : les A rm oricains accu eilliren t tous ces
réfu giés com m e des am is et des frères.
Voilà le seul fait, h istoriqu em en t b ien constaté,
d ’u ne ém igration qui aurait pu transporter en Gaule la
langue et le n om des B retons, et l’on voit à q u oi elle
doit se réd u ire ; mais les écrivains ecclésiastiques en
com p ten t une autre antérieure à celle-ci, et suivant eux
plus con sidérable. Le récit qu’ ils en fo n t , entaché
d’abord d’erreurs h istoriques graves, est en outre défi­
gu ré par des fables si grossières, que la critique la m oins
tim orée n ’hésite pas à le rejeter 1 : on com p ren d que je
veu x parler de la légen d e d e Conan M ériadec, et du
tyran Maxime distribuant à la jeu n esse b re to n n e ,
en 383, les territoires de deux cités a rm o rica in e s2;
légende qui se lie étroitement à celle des onze m ille
vierges et à d’autres fictions non m oin s in d ign es d’ un
exam en sérieux 3. Laissant de côté les fables, mais ch er­

1 . Niebuhr, dont l’autorité est toujours si grande, le rejette complète­


ment. Hist. rom ., t. IV, p. 287, de la trad. française.
2. Occidentales partes Galliæ solo tenus vastaverant ; acceptisque earum
uxoribus et filiabus in conjuginiu,om nesearum linguas amputaverant, ne
eorum successio maternam linguam disceret. Nenn., Hist. Brit., c. 23. —
Cette fable a été inventée après coup pour expliquer l’identité des idiomes.
3. Quæ comitata vestigiis supradicti tyranni, domum nusquam ultra
rediit. G ild., de Excid. Brit., c. 11. — Tota floridæ juventutis alacritate
spoliata Britannia... Bed., Hist, eccl,. i, 12. — Maximus noluit dimittere
domum milites qui cum eo perrexerunt a Britannia, sed dédit eis multa?
chant ce q u ’elles p ou rraien t cach er de vrai, je m e b o r­
nerai à dire qu’aucun écrivain , ni con te m p o ra in , ni
antérieur au vie siècle, ne signale cette colon isa tion ;
que Z osim e, narrateur si exact de l’ usurpation de
Maxime, n’en dit pas un seul m ot, et q u ’ enfin P rocop e
n ’y fait au cun e allusion en racontant l’ in su rrection des
Arm orikes. Ce silence obstiné de l’histoire paraît à beau­
cou p de critiques u n m otif suffisant p o u r repousser le
fon d en m êm e tem ps que les accessoires, et je m e range
de grand cœ u r à leu r avis.
On ne peut n ier pourtant qu’ entre la fin du ive siècle
et les grandes invasions saxonnes qu i p rovoqu èren t la
seule ém igration m en tion n ée positivem ent par l’ histoire,
il ne se soit passé qu elqu e ch ose d’ im portant entre l’A -
m orik e et l’île de Bretagne. En 393, la p rovin ce breton n e
de Valcntia est p e rd u e ; en 402, H onorius dégarnit de
plus en plus la Bretagne des forces qui la protégeaient
con tre les Scots et les Pietés ; en 408, il ren on ce à sa
possession. En 410, 416 et 420, les Bretons, abandonnés
par l’em pire et réclam ant en vain son assistance, s’ orga­
nisent sous des chefs indépendants qui suffisent quelque
tem ps à la défense nationale. En 446, W ortigern intro­
duit les Saxons et c o n so m m e , par son im p ru d en ce,
l’asservissem ent de sa patrie. Voilà les événem ents dont
l’ île de B retagne est le théâtre.
Dès l’année 410, un m ou vem en t politique analogue à
celu i de la Bretagne s’ accom p lit en A rm orike. Les A rm o­
rica in s, se séparant de l’ em pire spontaném ent et non
par suite d’ un abandon, se constituent en état libre sous

regiones... Hi sunt Iiritones Arem orici... Nenn., Hist. Rrit., c. 23. __


Rritonibus tradidit. Chron. Sigeb. — Cf. Girald. Cambr., Descr. Cambr.,
1 . — Trioedd. yn. P ryd., où Maxime est appelé Macsen Vleddig, Maxime
le Fort.
une h iérarch ie de chefs in d ig è n e s 1. Qu’ ils aien t, en de
telles circon stan ces, m ultiplié leurs rapports avec les
Bretons dont ils im itaient l’ex e m p le ; q u ’ils les aient
accueillis avec faveur, q u ’ils les aient m êm e attirés chez
eu x , on peut bien le supposer. Ce qui est certain , c’eut
que le n om de Breton apparaît dès lors com m e dési­
gnant la population d’un petit canton de l’A rm orike.
Sidoine Apollinaire m en tion n e les Bretons qu i résident
au-dessus de la L o ir e 2. On voit, dans u n co n cile tenu à
Tours, en 4 61, figurer un évêque des Bretons parm i les
prêtres de la troisièm e Lyonnaise, c ’est-à-dire de l’A rm o-
r i k e 3. En 468, l’ em pereu r A nthém ius, pressé par les
arm es d’ E uric, roi des V isigoths, obtient de B ioth im us,
roi des B retons, un secours de douze m ille h o m m e s; et
cette arm ée rem ontant la L oire va ravager le pays des
B itu rig es4. Évidem m ent il ne peut être question ici des
Bretons insulaires, qui, au plus fort de leu r guerre contre
les Saxons, n’ avaient pas assez de bras p o u r se sauver
eu x-m êm es ; et d’ ailleurs, le n om de B iothim us est tout
à fait in con n u dans l’histoire de la Bretagne insulaire.
Ces Bretons étaient ceu x de l’A rm orike.

1. K a t ô 'A p êop t^ oç ôbxaç, -/.ai ëxspat raX axw v ÈTCap^tat, B psxxavoùç fu -


|/.r]<7â(j.£vai, x a x à xèv îs o v atpâç J)),EU0Épci>aav xpoitov, ÈxëàXXouaai jjlèv t o u ;
P w [xatouç à p xov xa ç, oIxeTov Se x a x à è^oudtav TioXixsujxa x a ô ta x à a a t. K a t r,
[ièv B p ïx x a v ia ;, x a i x ü v èv K eXxoïç È6vü>v àTiotrxauiç, xaD’ ôv ÈxupâvvEi j(p6vov
ô K m v c t x o v x ïv o ;, ÈyEVExo. Z o s i m ., v i, p . 8 2 0 .
2. Hæc ad regem Gothorum charta videbatur emitti, pacem cum græco
imperatore dissuadens, Britannos super Ligerim sitos impugnari oportere
demonstrans, cum Burgundionibus ju re gentium Gallias dividi debere
confirmans. Sidon. A poll., Epist., i, 7.
3. Mansuetus episcopus Britaunorum interfui et subscripsi. Labb.,
C onc., ad an. 461.
4. Quorum rex Riothimus, cum duodecim millibus veniens, in Bitu-
rigas civitatem, Oceano e navibus egressus, susceptus est. Jornand., de
Reb. Get., 45. — Sidoine Apollinaire l’appelle Riothamus.
Mais tout aussitôt u ne difficulté se présente. Gom ment
supposer qu’ unp population com p osée en partie de fu g i­
tifs qui avaient am ené leurs fem m es, leurs enfants, leurs
vieillards \ ait pu mettre sur pied u n e arm ée de douzfî
m ille h om m es ; et que, de plus, elle ait envoyé cette
arm ée au secours de l’ Em pire, tandis que la Bretagne,
ravagée et conquise, réclam ait l’assistance de tous ses
enfants ? Une telle hypothèse est inadm issible, et l’ap­
pellation de Breton d oit être prise ici dans u ne accep­
tion plus étendue. En considérant l’état m ilitaire de la
Gaule au m ilieu de la dissolution du m on d e rom ain , on
voit qu’ une arm ée de douze m ille h om m es était alors
une grande force, et peut-être tout ce dont la ligue
arm oricain e pouvait disposer au dehors. Ceux que Jor-
nandès appelle Bretons, et que gouvernait Biothim us,
n’étaient d o n c pas autres qu e les A rm oricains in dépen ­
dants, auxquels s’étaient in corp orés les ém igrés venus
de la Bretagne 2 : A rm oricain et Breton on t déjà une
valeur syn onym e dans l’ histoire.
Si l’ o n ch erch e à s’exp liqu er cette syn onym ie, si l ’on
dem ande com m en t la petite com m un au té breton n e, à
p ein e née, d on n e son n om à l’A rm orike, il faut se re­
porter aux circon stan ces politiques dans lesquelles cette
p rov in ce se trouve. Elle vient de s’in su rger con tre l’em ­
pire ro m a in , à l ’instar de l’île de B reta gn e; à son
exem ple, elle a m assacré ou chassé les magistrats ro­

1. Eùv Yuvaili xai mxitriv ëç 4>pàfyou<; xwpoüinv. P rocop., Bell. Goth.,


iv, 20.
ï. Sidoine Apollinaire entretenait un comm erce épistolaire avec Riothi-
m us; et il nous reste deux lettres du célèbre Arverne au ch ef breton. Ces
relations sont, à notre avis, une nouvelle preuve à l’appui de notre conjec­
ture. Les chefs de laBretagne insulaireavaientalors toute autre choseà faire
que de correspondre en latin élégant avec les beaux esprits de la Gaule.
m a in s; elle s’est élu des ch efs nationaux, et tout en
com battant, elle s’organise un g ou vern em en t dont le
m odèle ,st au delà de la M anche. On co n ço it q u ’ une
p oig n ée de Bretons fugitifs, braves, sauvages m êm e, et
en nem is irrécon ciliables d e B om e, tels en un m ot que
l’ histoire con tem p ora in e nous peint ces insulaires, ait
jo u é un rôle p répon déran t dans la form ation de la ligue
arm orirain e, et que ce rôle ait attiré l’attention générale.
Dès lors, leur n om , m êlé à tous les événem ents d e l’ in­
su rrection , sera resté attaché au n ouvel ord re p olitiqu e
créé par elle, et en su ite à tout le pays. Nous devon s nous
born er à des hypothèses sur des faits aussi obscurs, et
que Z osim e in diqu e plutôt q u ’ il ne les raconte ; mais on
ne saurait d ou ter ra ison n ablem ent que la présence des
bandes ém igrées n ’ait dû échauffer chez les A rm oricains
le sen tim ent d e l’ in dépen dan ce, et, par haine de tout ce
q u i était rom a in , favoriser le retour au vieil id iom e
g allo-breton , co m m e aux vieilles m œ urs nationales.
Il m e reste à m ’exp liqu er sur la d én om in ation de
Cymraeg que j ’ai d on n ée plus haut à Hidiome don t le
gallois et l’arm oricain sont des dialectes.
Gallois, en latin du m oyen âge Walius et Guallus, dé­
rive du m ot Wal 1 par lequel les conquérants teutons
désignaient généralem ent les peuples occiden tau x de
l’em p ire rom ain, et, en particulier ceu x de la fam ille
gauloise. Ce m ot n’ est autre qu e celu i de Gall, et nous
le retrou von s en français sous deu x de ses form es adjec-
tives, Welche et Wallon. Mais les habitants du pays de
Galles ne l’ on t jam ais adm is n i p o u r eux ni p o u r leur

1. W ale, wea!,w alah, un Gaulois, un Romain, un étranger. — YVal-


cholant, la G aule.— Cf. W acjiter, -Gloss. — Grimm, Gramjn., 41, 171.
— Pott., 11, 529.
la n g u e ; ils s’appellent Cymry, ou Kym ri, et depuis le
ve siècle ils ne reconnaissent pas d ’autre n om ; le Cym-
raeg est l’id iom e des Cymry. J’ajouterai que Cymraeg et
Cymry ont dans la littérature galloise une acception gé­
nérique qui em brasse les trois dialectes gallois, corn iqu e
et breton, et les population parlant ces dialectes. Le nom
de Brython, B retons, se lit aussi dans les anciennes
sources galloises; mais il y est em p loyé dans un sens
non gén ériqu e, et applicable à u n e partie seulem ent de
la race kym rique.
Cymry est traduit, en latin du m oyen âge, par Cymbri1,
Cumbri et Cambri, variété d’ orthographe qui tient au son
de la voyelle y, que l’ alphabet latin ne peut exprim er
qu ’im parfaitem ent. Cette voyelle, particulière au dialecte
gallois, est représentée dans les dialectes corn iq u e et bre­
ton par è et par et. Les Grecs et les Bom ains la rendaient
tantôt par i, tantôt p a re , com m e on le voit dans le m ot
Brython qui pren d chez eux la dou ble form e de Britanni
et de Bretanni. Les Saxons p ron on ça ien t égalem ent Brû­
las et Brettas ; les Irlandais, Breathnach ou Briannach, par
suite de l’ élision du t a s p iré 2. Les Grecs et les Bomains,
ayant à ren dre le m ot Kym ri, on t d o n c pu l’ orthogra­
p h ier, les p rem iers K im m eri et K im m erii, les derniers
K im bri avec l’intercalation du b e u p h o n iq u e , naturelle
à la langue latine.
Ce m êm e n om de Brython s’ est conservé parm i les
populations qui parlent le dialecte arm oricain ; elles
appellent leur pays Breiz, Bretagne, eu x-m êm es Breiza-
dcd ou Breiziz, et leu r langue Breizonec.

1. Cymbry. Girald. Cambr., Itinerar-, c. 1 1 ,7 .— Cymbri Lloyd,Brov.


of Brit. ap. Betham, p. 385.
2. Cambri sive W alli quos Hiberni Brannas et Britannas appellaruct.
W aræus, de Hib., p. 32, lx x iv et seqq.
Si l’ on rapproch e tout ceci des considérations histo­
riques exposées dans la p rem ière partie de cette Intro­
duction, on n’hésitera pas, je pense, à reconnaître dans
le kym rique un reste de l’ idiom e parlé autrefois par le
secon d ram eau gaulois. J’ajouterai, p o u r surcroît de
preuves, que la plupart des m ots cim m ériens et cim ­
bres qu e nous on t laissés les anciens appartiennent bien
évid em m ent à la m êm e langue 4.

II. LANGUE GAELIQUE OU Dü PREMIER RAUEAC.

Irla n d a is , Alanx, Écossais.

L’ Irlande, l ’île de Man et la haute Écosse sont ha­


bitées au jou rd ’ h u i par des peuples qui pren nen t le nom
gén ériqu e de Gaels, et parlent trois dialectes d’u n e langue
com m u n e, q u ’ils appellent le gaelique. Cette langue dif­
fère com plètem en t des autres idiom es de l’ Europe, ex­
cepté le k y m riq u e; ses rapports avec ce dernier, leurs
analogies et leurs différences seront exam inées plus tard.
Des trois dialectes g a eliq u es, l’irlandais est le plus
considérable par son extension, sa culture et l’an cien n eté
de ses m on u m en ts écrits, dont quelques-uns paraissent
rem on ter au vie siècle de notre ère 2. Les m on u m en ts
écrits du dialecte écossais sont m oin s n om b reu x et plus
récents ; le m anx n ’a au cun e im portan ce historique.
Et d’abord, on trouve dans les plus vieilles d én om i­
nations de peuples et de localités appartenant à l’Irlande

1. Chez les Cimmériens, Tauri et Argillæ. — Chez les Cimbres, Mo-


nmarusa et Cronium, ainsi qu’on l’a vu plus haut.
2. n e l’affinité des langues celtiques avec le sanscrit, par M. Adolphe
Pictet. In-8°, Paris, 1837. — O ’Conn., Rer. liilj. Script.
la preuve irrécusable que le gaelique y fut toujours
parlé. Le n om actuel de cette île, Erin, était con n u des
prem iers voyageurs : les Grecs le traduisirent par Iris et
Ierne, d ’où les Rom ains ont fait Hibernia '.
En secon d lieu, l’ île de Man (Mona, Mannia) repré­
sentée par les an cien s com m e u n e dépend an ce de l’ Hi-
bern ie et peu plée, suivant eux, de nations h ibern ien n es,
devait parler aussi, dès les tem ps les plu s recu lés, la
langue h ibern ien n e. Ce qu e n ous savons par des tém oi­
gnages positifs, c’ est qu e le gaelique n’a p oin t cessé d’ y
être en usage depuis le ve siècle 2.
Si n ous passons de l’ Irlande dans le pays de Galles,
et dans l’île d’Anglesey, appelée aussi Mona par les an­
ciens Bretons, n ous serons étonnés du grand n om b re
d’appellations topograp h iqu es étrangères à la langue
galloise, et don t les radicaux p u rem en t irlandais té­
m oign en t, avec certitude, qu e l’id io m e des Gaels a régn é
sur toute cette côte, antérieurem ent à celu i des K y m ri3.
L’in dication tirée des nom en clatu res se trouve confirm ée
par la tradition. Une croyan ce populaire, qu i se perd
dans la nuit des siècles, attribue à la race q u i a peu plé
l’Irlande certaines ruines, certains vestiges d ’habitations
qu ’ on trouve çà et là sur les m ontagnes de Galles et
d’Anglesey, et qu’ on appelle com m u n é m e n t maisons des
Gaels 4. Hors du pays de Galles, dans les com tés m éri­
d ion au x de l’A ngleterre, un pareil travail sur les n o-

1. ’ Ipiç, Diod. Sic. ’lvjpvi], Strab. — Du latin Hibernia, les Grecs à leur
tour ont fait le mot 'Iouepvià.
2. Ptolem. ; Æ thic.; Oros. — Cf. O ’Conn., Rer. hib. Script., t. I.
p, 03, seqq.
3. Lhuydh, Pref. to Ir. Dict. et Areh. brit.
4. Cyttie’r Gwyddelod. — Bowland’s Mon. antiq. — Hor. britann., t.
II, p. 31, 327.
m enclatures prod u it un résultat analogue : les d én om i­
nations pu rem en t gaeliques s’y m on tren t en core, bien
q u ’en m oin d re n om b re. A l’aide de ce travail que
Lhuydli avait com m e n cé avec une scien ce si p rofon d e,
et qu e d’ autres p h ilologu es on t con tin u é après lui, on
peut suivre, en qu elqu e sorte pas à pas, de l’est vers
l’ ouest, et de l’A ngleterre vers l’Irlande, la d ou ble re­
traite de l’ id iom e gaelique et de la race d’ h om m es qui
le parlait. .
Dans le n ord de l’Angleterre, et â m esure q u ’on ap­
p roch e de la haute Écosse, le m êm e fait se révèle avec
une évidence plus forte, s’il est possible : ici e n core n ous
p ou von s suivre le m ou vem en t de retraité de la langue
et de la race des Gaels du sud au nord et de l’ est à l’ ouest,
ju sq u ’à YAlbainn, où se parle en core a u jou rd ’h u i le
secon d des dialectes gaeliques *.
Sans d ou te, au pied de l’A lbainn, sur le territoire
occu p é par les Pietés (confédération sortie des ancien n es
tribus calédon ien n es), les nom en clatu res fou rn issen t un
très-grand n om b re d’appellations lcym riques 2 qui in d i­
qu ent un grand m élange de Kym ri, ou u n e lon g u e pré­
p on déran ce de la race b reton n e ; toutefois on ne peut
dou ter que le fon d de la population ne fût resté gaelique ;
car on voit de très-bonn e h eu re l’ id iom e des Gaels se
d égager en quelque sorte du kym riqu e et reparaître dans
presque tout le pays. Sur les côtes occidentales, les ém i­
grations scotiques ne tirent que raviver l’an cien élém ent
ab origèn e ; elles opérèrent sur la race gaelique un effet
pareil à celui de l’ ém igration b reton n e sur l’ élém ent
arm oricain .

1. G. Chalrn., Caled., pass.


2. ibid.
L’ u nion étroite q u ’ on rem arque, depuis le me siècle de
notre ère, e n tr e r H ibernie et la Bretagne septentrionale,
dont les peuples sont presque tou jou rs n om m és en­
sem ble et com battent ensem ble les légion s de Borne, un
auteur latin sem ble la recu ler ju sq u ’aux tem ps qui pré­
cédèrent la con quête rom a in e l. Il se représentait alors
ces peuples com m e deu x grandes fractions de la race
au toch th one liguées con tre les envahisseurs breton s et
belges. Sous la d om ination rom a in e, les fam euses tribus
de Calyddon se com posèren t, suivant toute apparence,
de Gaels plus ou m oin s m élangés de Bretons. J’ai déjà
dit que le fon d de la confédération des Pietés devait être
considéré com m e appartenant à la race gaélique. Le
récit traditionnel recu eilli par Bède sur les m ariages des
Pietés avec les filles des Scots d ’Irlande, in diqu e, au
m ilieu des fables qu ’il contient, une croyan ce générale
à la parenté de ces deu x peuples 2. Les Triades galloises
én on cen t positivem ent qu e les Pietés étaient des G a e ls3.
L eur langage, suivant Bède, n ’ était ni celu i des Angles,
n i celu i des Bretons, n i celui des Scots 4 ; il se com posait
p robab lem en t d ’un m élange de gaelique et de kym rique.
L’ orig in e h ibern ien n e des Scots ne saurait d on ner
lieu à aucun doute, leu r passage d’Irlande en Bretagne,
au me siècle, est trop b ien attesté par les co n te m p o ra in ss.

1. Natio etiam tune (sub Julio Cæsare) rudis, et solis Britanni Pictis
m odo et Hibernis assueti hostibus. Eum ., Paneg. Const. Cæs., 11.
2. Bed., Hist. eccl., i, 12.
3. Gwyddyl Fficti. Trioedd. yn. Pryd.
4. Bed., ub. sup.
5. Gild., de Excid. Brit., 11, 12, 15, 21. — Bed., loc. cit.
............ Totam cum Scotus Iernem
M ovit, et infesto spumavit rem ige Tethys...
Scotorum cumulos flevit glacialis Ierne.
(Claud., Laud. Stil., n, v. 251, 252; iv. Consul. Honor., v. CJ.)
Les circonstances de leur établissement, telles que Bède
les raconte d’après la tradition, sem blent dém on trer en
outre que la population au m ilieu de laquelle ils étaient
venus s’asseoir ne leur était étrangère ni par le langage,
ni par les m œ urs, ni par le sang.
Si de l’ Écosse n ous passons aux îles H ébrides, nous
y trouvons en core la langue gaelique 1 ; n ous la retrou­
von s dans les Orcades, au fon d de l’id iom e en partie nor­
végien que leurs habitants parlent depuis le ixe siècle 2.
Il y eut d o n c un tem ps où le gaelique régnait dans
toute la portion de l’archipel britannique n on occu p ée
par les peuples Kym ri, et un tem ps plus éloig n é où il
régnait sur l’archipel tout entier. Ne doit-on pas y re­
connaître, sans h ésiter, la langue que parlait la race
a borig èn e d’A lbion et d’ Érin, c’est-à-dire la langue du
p rem ier ram eau gaulois ?
Mais, s’il en est ainsi, dira-t-on, quelle trace cette
langue a-t-elle laissée dans les provin ces de l’ancienne
Gaule ? M alheureusem ent p o u r la ph ilologie, elle s’ y est
éteinte com plètem en t ; et nos m oyens de rech erch e, si
étendus quant au kym rique, se born en t ici, soit au ca­
talogue des nom s de lieux, de peuples, de personnes,
soit aux m ots signalés com m e gaulois par les auteurs
rom ains et grecs. Sans doute, les nom enclatures sont
un guide assuré, quand il s’ agit de discern er entre les
id iom es de caractère tout à fait différen t, tels que le
basque et le latin, le latin et les langues gauloises ; elles
le sont m oin s, quand il faut p ro n o n ce r entre deux
id iom es très-voisins, qu i ont presque toutes leurs racines

1. Incolæ autem omnes hibernice loquuntur. Polyd. Virg., Angl.


liist., i, |.
2. O C ou n ., Rer. lab. Script., t. 1.
com m u n es ; et c’est le cas du gaelique et du kym rique.
Ce qui rend surtout ce travail difficile, c’est l'état d’ im ­
perfection où les m o ts anciens nous sont -parvenus, en
passant par les orth ograph es latine et grecqu e 1 ; im per­
fection qu i p erm et e n core de recon n aître les radicaux
dans leu r constitution générale, mais n on pas toujours
les form es secondaires qu i différen cien t les branches
d ’ un m êm e grou p e et les dialectes d’ une m êm e bran che.
N éanm oins on peut constater en core, à des signes p h i­
lologiqu es certains 2, l’ antique existence du gaelique

1. On conçoit aisément en quoi le travail des archéologues anglais, et


en particulier du savant auteur de la Calecloma, sur les noms gaeliques
restés en Angleterre, au m ilieu des dénominations bretonnes et saxonnes,
diffère de celui dont nous parlons ici. Le premier porte la plupart du
temps sur des mots encore en usage et peu éloignés de leur forme prim i­
tive; l’autre sur des mots soumis à, des causes innombrables d’altération,
et qui ont dù traverser d’abord, pour nous arriver, l’épreuve périlleuse
d’une prononciation et d’une orthographe étrangères.
2. Pour cette démonstration, que je pourrais donner bien plus com ­
plète si l’espace ne m e manquait, je choisirai des mots gaulois transmis
par les auteurs grecs et latins dans leur intégrité et expliqués par eux,
de préférence aux nom s de lieux, dont l’interprétation laisse toujours plus
de place à l’arbitraire. D’ailleurs la Gaule, avant d’fitre conquise par les
peuples du second rameau, avait reçu de ceux du premier rameau des
dénominations topographiques qui n’ont pas dû toutes disparaître. On
pense bien qu’il est im possible d’en faire le triage et de tracer à chacun
des deux idiomes un cantonnement exact, au moyen des nom s de localité.
La similitude des radicaux produirait d’ailleurs en beaucoup de cas une
confusion inévitable. C’est donc en général et par masses qu’il faut pro­
céder. Si d’ailleurs, en considérant l’ensemble des mots gaulois donnés
en entier par les anciens, on reconnaît qu’ un grand nom bre appartiennent
au gaelique plutôt qu’au kym rique, il faudra bien en conclure que le
gaelique a été parlé dans la Gaule : or, par qui l’aurait-il été, sinon par
les peuples du premier rameau?

MO T S GAULOI S QUI S E R A P P O R T E N T P L UT O T AU GAELI QUE QU’ AU KYMRI QUE.

Galba. Suétone nous dit que ce m ot était gaulois et fut donné à un


dc 3 ancêtres de l’empereur Galba, à cause de son em bonpoint excessif :
dans les provin ces de la Gaule, et en particulier dans
celles de l'est et du m idi, les m ieux con n u es des anciens.
Enfin, la langue gallo-latine du m oyen ûge et nos palois

« Quod præpinguis fuerit visus, quem Galbam Galli vocant. » Suet.,


Galb., 3. En gaelique, Galbha signifie force, grosseur; en kymrique, Gallu
a la même acception, mais est plus éloigné du mot gaulois ; tous deux,
au reste, correspondent au sanscrit Galb’, être fort. Galbe s’ est conservé
dans les arts du dessin pour signifier rotondité, élargissement.
Gæsum. Ce mot, qui indiquait l’arme nationale des Gaulois, se re­
trouve encore dans plusieurs composés gaeliques : gaisde, armé (gæsatus) ;
gaisg, bravoure, e tc.; il manque en kymrique.
Sparus gallicus, l’épieu gaulois : gael. sparr, lan ce; kymr. ysper;
armor. sparr.
Becco ou Beccum. « Id valet gallinacei rostrum. » Suet., Vitel., 18.
— Bec d’oiseau. Gael. beic ; kymr. pig ; l ’armoricain bég et bélc repro­
duit les deux formes.
Mataris et Materis, matras, arme de je t : gael. matag, meadag, cou­
teau ; n’existe pas en kymrique.
Essedum, chariot de transport: gael. ess, un vaisseau.
Combennones. « Benna, lingua gallica, genus vehiculi appellatur:
« unde vocantur Combennones in eadem benna sedentes. » Fest. — ■<In
« vase quod vulgo benna dicitur. » Vit. S. Rom. Von (fen), en gael., voi­
ture; comh, av ec; en kym r., cyf-gwain. Le gaelique est plus rapproché.
V ernemelis. « Quod quasi fanum ingens gallica lingua docet. » For-
tun., carm. 9. — Ce mot s’explique encore parfaitement par le gaelique :
1° Ver (fear), que Fortunat traduit par ingens, signifie, en gaelique,
supérieur, excellent, proém inent; le kymrique gwor a le même sens; le
sanscrit vara correspond à ces deux mots. Le v initial étant étranger aux
langues gaelique et kymrique, on le rend dans la première par f, dans
la seconde par qw, que l’on prononce gou; l’armoricain remplace cette
dernière combinaison par gu et go.
2° Nemelis, temple. Gael. neimheid, consacré, saint. Ce m ot ne se
retrouve plus aujourd’hui en kym rique, quoique plusieurs localités
appartenant au second rameau gaulois se soient appelées Nemelum, Ne-
metacum, Drynemetum, etc. L ’orthographe latine fournit aussi la forme
Nimidœ. « De sacris sylvarum quæ Nimidas vocant. » Conc. Lept. ap.
Adel. Mithr., t. II, p. G5.
Calliomarohus. « Equi unguia. » Marcel. Burdig. March, cheval
dans les deux langues gaelique et kymrique ; cala, gael. dur; en kymr.
caled.
rom ans et français con tien n en t u n grand n om bre de
m ots qui ne se retrouvent que dans le gaelique ou q u ’on
explique plus facilem en t et plus com plètem ent par cette

Leuca, lieue. « Mensuras viarum nos milliaria dicim us, Græci stadia,
Galli leucas. » Isid ., Origin., xv, 16. — AeOy1), |J.éTpov ti raXàtai;. He-
sych. — Au moyen âge, on disait leuga, lega, levia. — Leug, leig, liag,
en gael., pierre, borne; lléch en k y m r.; en armor. lèv, lieue.
"Aêêavaç KeXxoi xoùç xspxoTuQvptouç...... Hesych. Apa, en gaelique,
signifie singe; epa, en kymrique.
U ri « gallica vox est qua feri boves significantur. » Isid. — En gael.
tiras, force, puissance; manque en kymrique.
Volemum, « gallica lingua, bonum et magnum intelligunt. » Isid.,
xvn, 7. En gael. follamhan, grâce, ornem ent; manque en kymrique.
Itix, rigis : mot gaulois qui figure très-fréquemment à la terminaison
des noms propres et parait indiquer le commandement. Gael. righ, chef,
r o i; le kymrique rhuy, qui a le même sens, est plus éloigné; arm. rhy.
Betulla, bouleau. « Gallica hæc arbor, » dit Pline, 1. xvi, c. 30. —
Gael. beilhe; armor. bézô; kymr. bedw.
Ratis, bruyère : mot gaulois suivant Marcellus de Bordeaux, 25. —
Cette plante se nom m e en gaelique raith; en gallois, rhedyne; en armor.
raden.
Brace, fleur de farine, suivant Pline, qui donne ce m ot pour gaulois :
en gael., bracho, braich signifie l ’orge germé, le m alt; en kym r., brâg.
Le latin du moyen âge, entre autres mots encore aujourd’hui gaeliques
nous fournit les suivants :
Lia (Ducange), lie de vin : en gael. lia, flux, hum idité; armor. l i ;
gall. lit.
Mesga, « sérum lactis, » du p etit-lait: en gael. meadgh; en vieux fran­
çais, mesgue et mègue.
liraium, « quod lutum interpretatur: » en vieux français, brai; gael.
brugh; ne se retrouve pas en kymrique.
Braca, moles, agger; en vieux français, braye; gael. bruach; n’existe
pas en kymriqne.
Battus, batellus, bateau : gael. bat; kymr. bad.
Aripennis, arpent.

TERMINAISONS DE NOMS DE LIEUX.

Magum, magus, m ot qui indique ordinairement une ville située en


plaine. Gael. magh, plaine; kymr. maes. — Beaucoup de noms irlandais
lan gu e que par le gallois ou le breton. Ce qu’il im porte
de p rou ver avant tout, dans notre thèse, c’ est qu e le
gaelique a été parlé en Gaule ; et n on -seu lem en t on le

se terminent ainsi : ardmagh (campus excelsus), dearmagh (campus robo-


rum ). — Cf. O ’Connor, Antiq. h ib ., 11, 27.
Dunum, ville située sur une colline : gael. dun ; kymr. din ; armor.
doun.
Dubrum, ruisseau : gael. dobhar, eau. Vernodubrum, ruisseau des
aunes; vern (fearn), verne, aune; kym r. gwern et dwfyr. — Dwr en
kym r. signifie eau; à en juger d’après les anciennes nomenclatures, ce
mot appartient également à l ’idiome gaelique.
Gilum, autre m ot pour désigner un ruisseau : irl. gil , eau ; (en sanscr.
g’ala) ; n’existe pas en kymrique.
Cœnobium Mauzacum in Avernis, « sic cognominatum eo quod inter
« aquas sit conditum. » Gael. meadhon, m ilie u ; aig, eau. — Aig se
retrouve en composition dans plusieurs mots gaeliques, par exemple,
digean, la mer.
Aven, eau, gael. abhainn, entre en composition dans un très-grand
nombre de mots, Avenio, Aventicum, e tc.; la forme kymrique est awon.
Toi, dol, élévation, excroissance. « Tôles lingua gallica dicuntur quæ
in faucibus intumescere soient. » Isid., Orig., ii, 1. — Gael. toi ; corn, et
arm. tal : kymr. tyl.
La plupart des autres radicaux qui entrent dans la composition des
noms de lieux gaulois, et qui sont kymriques, ont des correspondants en
gaelique, ou s’y retrouvent intégralement.
Le suffixe gaelique ach, que le latin rend par acus et acum, et qui
répond au sanscrit aka, sert à former les noms d’agents et les adjectifs ;
le suffixe kymrique est awg, plus éloigné de l’orthographe latine.

NOMS PROPRES.

Ogmius, l’Hercule gaulois, dieu de l’éloquence, ügham, en gael., signifie


lettres, écriture.
Apollon Grannius ou Grannus paraît avoir été une des principales
divinités des Gaels d’Albainn, témoin l’inscription trouvée à Édimbourg:
Apollini Granno. (Ir. Acad., XIV, 1 0 5 ;. — Grianus et Gaelhus, « sol et
ventus. » O ’Connor, i, 24, seqq .; i i , 6 8 . — Irl. Grian, le soleil. Apollon
Grannus n’était pas un dieu topique, mais un dieu commun à toutes les
races gauloises et adoré dans un grand nombre de lieux.
I ergobretus, nom du premier magistrat de la cité éduenne, se traduit
prouve, m ais on fait v oir en outre que la plupart des
mots que les anciens n ous ont donne's p o u r gaulois sont
plus rapproch és des form es du gaelique que de celles du
kym rique.
J’ai raison n é ju sq u ’à présent d ’après les considéra­
tions historiques ou p h ilologiq u es com plètem en t indé­
pendantes de la ressem blance du m ot Gael avec les mots
Gallus, Galas et Galatès qu i n ous on t été d on n és par les
Rom ains et les Grecs, com m e représentant le n om gén é­
rique du p rem ier ram eau gaulois : cette question devait
se présenter enfin, et il est tem ps de l’aborder.
Gael est une con traction de G adhel, lequel s’ écrit
aussi Gaidheal en vertu d’ une règle particulière à l’ ortlio-
graphe gaelique, et d on t l’ explication n ’im porte pas ici.
C’est un des caractères essentiels des langues du groupe
kym ro-gaeliqu e que l’adou cissem en t graduel de la dentale
aspirée dh, ju squ ’ au p oin t où elle disparaît entièrem ent.
Dans les dialectes k y m riq u e s , tantôt elle se ch ange en z
ou en h , tantôt elle s’ élid e; dans les dialectes gaeliques,

en gaelique par Ver-go-breith, hom m e pour le jugem ent, grand juge : il


avait droit de vie et de m ort sur tous les citoyens. Cæs., Bell. Gall.,
I, 16.
Vercingetorix, nom du généralissime des Gaulois dans la guerre de
l’indépendance, se traduit en gaelique par les mots Ver-cinn-ceto-righ ,
grand chef do cent têtes ou capitaine supérieur. On a essayé de rendre
ce mot en kym rique par gwr-cyncad-orwych, vir primus in pugna et
præpotens; explication bien arbitraire, com m e on v oit, et qui produit
un mot bien éloigné de l’orthographe latine.
Ces exemples suffisent, je l’espère, pour prouver la thèse que je sou­
tiens. Je ferai, avant de terminer, une remarque qui concerne l’ortho­
graphe de la langue gaelique. Dans les deux dialectes irlandais et écos­
sais, Ve simple s’écrivait autrefois; mais l’orthographe moderne l’a
éliminé presque partout, et l’a remplacé, au m ilieu et à la tin des mots,
par les diphthongues ea et ei. Ainsi on trouve dans les anciens manuscrits
fer pour fear, cet pour ceit et ceul. C’est cette ancienne orthographe qu’il
faut suivre, autant que possible, dans les étymologies.
elle devient m uette au m ilieu ou à la fin des m ots, et
prend le son de 1’y au co m m e n ce m e n t, lorsqu’ elle est
suivie d ’u n e voyelle d ou ce. Il en résulte, com m e on le peut
penser, u n e grande variété d’orth ograph e p o u r le m êm e
m ot, d’ une bran che à l’autre, et d’ un dialecte à l’au tre,
au sein de la m êm e b ra n ch e ; j ’ajouterai (ce que j ’ai déjà
eu l’occasion de dire) que les com bin aison s de l’alphabet
latin sont insuffisantes p o u r e x p rim er beau coup de sons
des langues k ym ro-ga lliq u es, et en p articulier ceu x qui
se rattachent à cet affaiblissem ent de la dentale as­
pirée *.
Que de b on n e h eure le m ot Gadhel ait éprou vé les
variations de p ron on cia tion et d’ orth ograp h e dérivant de
l’ affaiblissem ent du dh, on n ’ en saurait douter, quand on
suit, à travers l’ orth ogra p h e latine du m oyen â g e , les
form es très-diverses q u i le rep résen ten t, m êm e dans le
seul dialecte irlandais. On trouve b ien Gadelius, Gadhe-
lu s, Goedclus, Gœthulus, Gaylhelus, où la dentale se fait

\. Voici quelques exemples que je dois à l’ obligeance de M. de la Vil-


lemarqué, dont la compétence en ces matières est si grande, com m e on
sait. Ils sont pris dans l’ensemble des idiomes kymro-gaeliques.
Adder (Adher), couleuvre, en gallois, s’écrit et se prononce aer en
breton-armoricai n.
Aradar, charrue, en cornique, et en gallois araddr, s’écrit et se pro­
nonce arazr et arar en armoricain.
Jlleid, loup, cornique, bleidd gallois, bleiz et blei armoricain.
Bliddan, année, corn ., blizen, arm or., blien, manx, irl.
Biodon, fleur, cornique, bloden gallois, bleuzuen et bleuen armoricain.
Boddar, sourd, cornique, beuddar gallois, bouzar et bouar armor.
Brauder, frère, cornique, brawdder gallois, brathair (braher) irlan­
dais, breur armoricain.
Cleden, épée, cornique, cleddeu gallois, klézè arm or., et klchon et klcn
(selon les divers dialectes), claidh (clai) irlandais.
Guidcn, arbre, cornique, gwidden gallois, gwezen et gwehcn armor.
Ces exem ples, pris au hasard, pourraient Être multipliés presque à
l’ infini.
sentir ; mais des d ocu m en ts d ’u n e grande antiquité n na
fournissent égalem ent la form e Gayell, où la dentale a
disparu. La confession de saint Patrice porte Gallicis p ou r
Gadhelicis2. Dans les m ythes irlandais, un des ancêtres de
la race gaelique qui l’am ène d ’ Orient en B reta gn e, est
désigné par le n om de G o l3; et les ch ron iqu eurs appel­
lent souvent les Gaels Geloni. Toutes ces form es indiquent
une disparition com plète de la dentale. Des m odifications
analogues et pareillem ent très-anciennes se m ontrent
dans le dialecte écossais ; tém oin le m ot Argail (le com té
â'Argyle), con traction de Arre-Gaidhel, frontière des Gaels,
m ot qui se trouve e n core orth ograph ié Anh-Galo *. On
peut supposer avec vraisem blance que les dialectes gae-
liques du con tin en t adm ettaient ces con tra ction s, qui
existent en core au jou rd ’ h ui dans l’autre r a m e a u , entre
l’arm oricain et le gallois. Rien ne s’oppose d o n c p h ilo­
logiq u em en t à ce que, chez les nations galliques et gallo-
kym riques de la G a u le, le m ot Gadhel ait été p ro n o n cé
de m anière à représenter, p o u r des oreilles grecques et
rom aines, un son pareil à celu i de Gai ou Gâl.
Une curieuse in dication , con ten ue dans la prem ière
Triade galloise, vient fortifier cette hypothèse. Il y est dit
q u ’avant l’ arrivée des K ym ri, l’ île de Bretagne portait le

1. Ford. ap. Diefenb. Celt., m .


2. Le saint appelle ses frères d’Irlande Gallici fratres. Cf. O ’Conn.,
i, MO.
3. Golamh ou Milesiüs, auteur de a race m ilésienne; il se confond
souvent, dans les légendes irlandaises, avec Gadhel ou Gaythelus, per­
sonnification de la race des Gaels.
4. Arregathel dicitur, quasi margo Scotorum , sive H ibernensium .__
Apud Argail applicuerunt Scoti, qui et Hibernienses, quod sonat latine
margo Scotorum, eo quod Scoti ibidem applicuerunt ad faciendum damna
Britannis, vel quia locus ille proxim ior est Hibernis ad applicaudum.
Cf. Dief., m , p. 301.
nom de Fel-Ynys, île de Miel, que lui avaient don né les
h om m es de la horde Gâl, ses p rem iers habitants. Or, ce
nom de Fel-Ynys est em prunté évidem m ent à celui d’ lnis-
Fal, un des anciens n om s de l’Irlande \ ce qu i ne perm et
guère de douter q u e , par cette h ord e ou tribu Gâl, les
Triades n’ aient entendu les ancêtres com m u n s des Irlan­
dais et des habitants prim itifs d ’A lbion. Le vieux récit
gallois con firm e ainsi, contrairem ent à certaines préten­
tions de la race k ym riqu e exprim ées ailleurs, l’antériorité
des Gaels sur le sol de la Bretagne. A joutons que Gâl,
qui fait au p lu riel Geli, est ap p liqu é, dans un autre en­
droit des Ti’iades, aux peuples du littoral g a u lo is 2.
Nous retom bon s ici, on le voit, dans les form es grec­
ques Galas et Galat'es. Quant à la form e latine Gallus, q u oi­
qu e le passage de sainl Patrice, cité plus h aut, prouve
qu ’ elle était appliquée, au ve siècle, m êm e hors de la Gaule,
elle s’ éloign e assez n otablem ent du m ot gaelique par le
red ou blem en t de Yl qui en ch angé la racine. Gall, au­
jo u r d ’ h u i, en gaelique, signifie étranger; et rien n'auto­
rise à croire que le m ot ou son acception actuelle soit
m o d e rn e ; d’anciennes d én om in ations locales ou person­
nelles prou vent m êm e absolum ent le c o n tr a ire 3. L’ap­
pellation latine Gallus ne rendant ainsi q u ’avec une grande

1. Tri enw Ynys Prydain : cyn ei chiffanneddu y Gai Gre ai galwai


Clas M erddyn; gwedi et chaffael y Fel Y nys... Trioedd. yn. Pryd., 1. —
D’après les chroniques irlandaises, les Tuatha de Danan auraient donné
à l’Irlande le nom d’inisfail, à cause de la pierre fatale appelée Lia-fail.
O ’Connor, Rer. hibern. Script., i, 11, 25, n, 44, 62 et pass. — Cf. Beth.,
Ir. res., I, 32.
2. Geli Llydaw. — Trioedd. yn. Pryd., 14.
. 3. C’est le nom que donnent encore les montagnards d’Écosse aux
Ecossais de la plaine et aux Anglais. Galloway (Gallovidia), le pays des
étrangers. — Derm itius... dicebatur ni-Gal, quasi Anglorum amicus.
W ar., p. 35.
inexactitude le n om gén ériqu e des Gaels, ce u x -ci p ou ­
vaient très-légitim em ent la répudier, et César, à son tour,
pouvait écrire la phrase qu i a tant tourm enté les co m ­
m entateurs : « L ingua nostra, Galli appellantur. »

III. DE L ’A F F I N I T É DES LANGUES GAELIQUE ET KYMRIQUB

ET DE LEUR COMMUNE ORIGINE.

J’ai déjà dit que les langues gaelique et kym rique


on t entre elles des rapports étroits : elles form en t en elïet
deux ram eaux d’ une m ôm e fam ille que les ph ilologu es
appellent la fam ille celtique, et qu i se rattache elle-m êm e
au grand tron c des langues in d o -e u r o p é e n n e s, d on t le
sanscrit est l’id iom e le plus an cien et le plus parfait. On
retrouve dans le sanscrit, n on -seu lem en t la plupart des
radicaux des langues celtiques, mais en core leurs form es
gram m aticales; en un m o t, presque tous leurs élém ents
p rim ordiau x. De savants travaux faits en France et en
Allem agne on t am ené à l’ état de vérité incontestable
cette affinité des langues celtiques au sanscrit, et p roba­
blem ent à u n e langue a n térieu re, parlée sur le plateau
central de l’Asie, par une grande partie de la fam ille h u ­
m aine, à l’ o rig in e des tem ps historiques.
Il résulte des travaux don t je p a rle, et de la com pa­
raison des id iom es kym ro-gaeliqu es avec les autres id io ­
m es in d o -e u ro p é e n s , que le grou p e celtique se serait
séparé un des prem iers du tron c com m u n , et aurait pré­
cédé en E urope les langues germ aniques et slaves;
Que, bien qu’ on retrouve dans le sanscrit l’ ensem ble
du système p h on étiq u e de ce g ro u p e , il présente dans
quelques-uns de ses élém ents vocau x des m odification s
régulières qui le caractérisent et le séparent fortem ent
des autres grou pes in do-eu rop éen s.
Et en ce qui con cern e les rapports du gaelique et du
kym rique, la p h ilolo g ie d ém on tre :
Que ces deu x ram eau x, après leur séparation de la
sou ch e origin elle, ont dû se développer in dépen dam m en t
l’un de l’a u tre, dans des circonstances particulières, et
suivant des lois p ropres à ch acun d’e u x ; q u ’ils on t à la
fois un caractère com m u n qui en fait une m êm e fa­
m ille, et des caractères individuels qui en fon t deux lan­
gues d istin ctes1 ;
Q ue le gaelique, le plus rich e des deu x en radicaux
sanscrits, paraît avoir, avec la langue sacrée de l’ In de,
des liens plus directs et plus n o m b re u x ; ce qui ferait
su pposer que la race parlant gaelique se serait séparée
la p rem ière du centre com m u n des populations in d o-eu ­
rop éen n es, et n ’aurait pas subi de grands m élanges.
Si n ous appliquons à l’histoire ces d on n ées de la ph i­
lologie, n ous en con clu ron s que la fam ille k ym ro-gaeli-
qu e ou gauloise est origin aire des contrées orientales du
m o n d e ; qu ’ elle a précédé en E urope la fam ille germ a­
niqu e, ven ue com m e elle de l’ Asie centrale, et p robable­
m en t aussi la fam ille des peuples slaves; qu e la race
parlant le gaelique, séparée la p rem ière du tron c in d o -
eu rop éen , a dû arriver la p rem ière dans l’ occid en t de
l’ Europe, qu ’ enfin la race parlant le kym riqu e ne se se­
rait de nouveau réunie à la race gaelique q u ’après avoir
lon gtem ps séjou rn é , soit sur la lim ite de l’ E urope et de
l’A sie, soit dans les vastes contrées de l’ E urope septen­
trionale. Je n’ ai pas besoin de faire rem arqu er que c’ est

1. Entre le gallois et l’irlandais, la substitution des gutturales aux


sifflantes est régulière, systématique et non accidentelle. Sous ce rapport
com m e sous d’autres, l’irlandais se rapproche du sanscrit, et le gallois
des groupes zendique et germanique. (Pritchard, Ethn. Celt.')
précisém ent à cette con clu sion que n ous som m es arrivés
déjà par la seule dém onstration historique.

T R A D IT IO N S H IS T O R IQ U E S DE L A F A M IL L E G A U L O IS E .

I. TRADITIONS DES GAELS.

Les p oëm es et les légendes don t se com p osen t les tra­


ditions nationales des Irlandais, portent m alheureuse­
m ent l’em preinte d ’une im agin ation fort désordon née.
Ce ne sont pas seulem ent les anachronism es et la con fu ­
sion des histoires sacrée et profane qui déparent ces m o­
n um en ts; l’ invraisem blance' grossière de leurs fables les
rend indignes la plupart du tem ps d ’un exam en sérieux.
Les m êler aux faits que n ous a transmis l’antiquité grec­
que et rom a in e, ce serait risquer d’ o b scu rcir l’ évidence
de ceu x-ci, et de com prom ettre en qu elqu e sorte leur
certitude. Pourtant les livres qui con tien n en t ces tradi­
tions sont anciens : la plupart on t été écrits entre le vie
siècle et le xne; et qu elqu e juste défiance q u ’ils inspirent,
on peut en core ch erch er sur quel fon d historique la va­
nité nationale et le goû t des A ctions on t construit cet
édifice fantastique. En p rocéd an t avec la p ru d en ce que
de telles rech erch es im p osent, on recon n aît q u ’en efi'et
l’histoire bardique d’Irlande co n tie n t, au m ilieu de ses
con cep tion s les plus bizarres, des indications eth n ologi­
ques qu’ on ne d oit p oin t n é g lig e r, et que je résum erai
com m e il suit.
La race gaelique est originaire des contrées orien ­
tales du m on d e.
L’Irlande a été peuplée en partie par des tribus ve­
nues de la Gaule, en partie par des colon ies sorties de la
Galice et des autres cantons de l’ Espagne habités par des
Celtes. La tradition gaelique des Milèsiens établit entre la
Celtique esp ag n ole, les îles B ritanniques et la Gaule des
rapports d’aftinité, adm is au reste par l’h istoire, mais
développés dans les ch ron iqu es irlandaises sur un fond
autre que celui de l’antiquité classique *.
Les Bolg ou Fir-Bholg, chez lesquels il est facile de
recon n aître une colon ie de peuples belges, figurent, dans
la tradition, com m e des conquérants issus d’ une autre
race qu e les Gaels, m ais appartenant à la m ôm e souche
prim itive, et descendant ainsi q u ’eux de N eim heidh, pa­
triarche oriental, p ère de Gadhelius ou Gayel, auteur de
la race des Gaels. Les Bolgs, en quittant l’Asie, habitèrent
longtem ps sur les bords du P ont-E uxin, où les Grecs les
réduisirent en servitude. De Thrace ils vinrent en Ir­
lande, et en sou m iren t les h abitan ts; puis expulsés
bientôt à la suite d’ une bataille sanglante, ils se dissém i­
n èrent dans l’île de Man et dans les H ébrides, où plu ­
sieurs n om s de lieux rappellent en core leur passage 2.
Voilà ce que n ous fournissent les docu m en ts irlandais.
Quant à la tradition écossaise, elle fait d’ Albanus, héros
et type m yth ologiqu e des Gaels de l’ île de Bretagne, un
frère de Britus ou Brutus, personnification de la race
breton n e. Britus attaque son frère, le chasse des plaines
qui borden t les m onts G ram piens, et le force à passer
la m e r 3; mais les Pietés et les ûls de l’ H ibernie re­
vien n en t et recon q u ièren t 1» vieux royau m e d ’Albanus.

1. On peut consulter, pour tout ce qui regarde les traditions gaeli-


qu es, la curieuse collection publiée par M. O’ Connor, sous le titre de
Rerum hibernicarum Scriptores. Bucking., 1814.
2. O’Conn., t. I, « , 60. — 0 ’ Flaherty, Ogyg., 6 6 . — Beth., Gael, and
Cymr., p. 427, seqq. — Les Belges furent vaincus à la bataille de Moytura,
laquelle est restée presque aussi célèbre dans l’ancienne poésie irlandaise
que le siège de Troye dans la poésie grecque. O ’Connor, III, 37.
3. Duan Albaunach, 3, ap. O ’Conn., II, 125.
Suivant une autre version, le h éros Britannus, petit-fils
de Nemetus (N eim heidli), s’ établit dans l’ île de Bretagne
quand elle est déjà occu p ée par les descendants im m é­
diats du patriarche. On aperçoit dans tous ces sym boles
la d ou ble croyan ce à une affinité prim itive entre les
races gaelique et bretonne, et à l’ antériorité de celle-là
dans toule l’étendue des îles britanniques

II. TRADITIONS DES KYMRI.

Je parlerai avec plus de con fia n ce des m onum ents


traditionnels du pays de Galles. Attaqués d’abord avec
ach arnem ent par u n e critique su perficielle ou m êm e
sottem ent passionnée, ils ne son t plus m aintenant, quant
à leu r authenticité, l’ ob jet d ’aucun d o u te ; et quant à
leur valeur h istoriq u e, ils m éritent assurém ent une
attention sérieuse. Ce n ’est pas q u ’ils ne renferm ent,
com m e les d ocu m en ts irlandais, b ea u cou p d’erreurs,
d ’an achron ism es et de fables, et que leur form e histo­
rique n e contraste par son étrangeté avec la sévérité de
nos m éthodes ; mais on y trouve, m algré tout, des faits
d ’ une grande im p o rta n ce , qu i cadrent bien avec les
don n ées grecqu es et rom aines, q u oiq u e puisés à d ’autres
sources, et conservés évidem m ent par le sou venir na­
tional 2. Il m ’a d o n c été p erm is de recou rir, quand je

1. Cf. Nenn. pass. — O ’Conn., Rer. hib. Script., n.


2. La collection la plus complète des documents littéraires des Gal­
lois a été publiée à Londres sous le titre de The Myvijrian Archaiology
of Wales. Le premier volume est consacré aux bardes ou poètes, en tète
desquels figurent Aneurin, Taliesin, Lywach lien ut Myrddin , appelé
vulgairement Merlin, personnages célèbres de l'ile de Bretagne, au vi®
siècle de l’ère chrétienne; le second contient un recueil de souvenirs
historiques nationaux, classés trois par trois, en raison, non pas de leur
liaison ou de leur dépendance chronologique, mais de quelque analogie
l’ai pu, aux traditions écrites des Kym ri : toutefois je l’ ai
lait avec la réserve que m e com m andaient d ’abord une
critique rig ou reu se, puis le plan m êm e de m on livre,
fon d é prin cip alem en t sur les tém oign ages de l’antiquité
classique. De toutes les branches de la scien ce historique,
l’eth n olog ie est celle que la tradition peut le plus souvent
éclairer ; et c’ est le cas p o u r la tradition kym rique, qui
con firm e p leinem ent, sur plusieurs p oin ts, les solutions
que n ous avions déjà obten u es par u n e autre voie.
En laissant de côté ces rom an s p oétiques où les faits
tradition n els, devenus m écon n aissables, on t disparu
sous la fiction , j ’ arriverai de prim e abord aux docu m en ts
historiques des Gallois. Ils don n en t tous à la race des
Kym ri une orig in e orientale. Les Triades la fon t sortir
de cette partie du pays de « Ha f (pays de l’ été) qui se
« n om m e Deffrobani, et o ù se trouve à présent Constan­
te tin op le. Ils vin ren t de là à travers la mer Brumeuse
« (l’ océan G erm anique), dans l’ île de Bretagne et dans
« le pays de Lydau (l’A rm orike), où ils se fixèrent 1. »

naturelle ou de quelque ressemblance frappante entre eux, et appelés,


à cause de cette form e, Triades historiques. M. Sharon Turner, dans
un excellent ouvrage intitulé Défense de l ’authenticité des anciens poëmes
bretons (London, 1803), a résolu la question relative à Tatiesin, Aneu-
rin, Myrddin et Lywarch Hen de la manière la plus décisive pour tout
esprit juste et impartial. Nombre d’érudits gallois, entre autres M. W il­
liam Owen, se sont occupés aussi avec succès de la question plus épi­
neuse des Triades. Mais je dois recommander surtout à mes lecteurs
français un morceau publié dans lu troisième volume des Archives philo­
sophiques, politiques et littéraires (Paris, 1818), modèle d'une critique
fine et élégante, et où l’on reconnaît aisément la inain du savant éditeur
des Chants populaires de la Grèce moderne. Je saisis vivement cette
occasion de témoigner à M. Fauriel toute ma reconnaissance pour les
secours qu’il m ’a permis de puiser dans son érudition si variée et pour-
tant si profonde. ( Note de la première édition.)
Tri. 4. — Ou se trouve à présent Constantinople paraît Être uno
Le barde Taliésin, qui vivait au vie siècle de notre ère,
expose ainsi la m êm e tradition dans ses vers :
« On dit qu ’u n e race in n om b ra b le et sauvage te pos-
« séda la prem ière, ô B reta gn e, rein e des îles ! Elle
« venait de l’ Asie, de la contrée de Gafis1; mais quelle
« terre avait été son b e rce a u ? On ne le sait pas. C’ était
« un peuple in gén ieu x et adroit, un peu ple de hardis
« pirates. Quand ils parurent vêtus de leurs longs m an-
« teaux, n u l n ’ osa se prétendre leu r égal. Leur génie est
« devenu célèbre ; ils on t rem p li l’ E urope d’ épouvante. »
Cette prétention au titre de p rem ier occu p a n t de l’île
de Bretagne, inspirée et soutenue par la vanité natio­
nale, û gu re souvent dans les m on u m en ts de la race
kym rique, et Bède lu i-m êm e n’a pas craint de l’adopter.
Toutefois les Triades la con tredisen t, d’accord en cela
soit avec l’antiquité classique, soit avec les m onum ents
irlandais 2 ; et cette circon stan ce prouverait à elle seule
qu e les Triades ont été rédigées sur un fond traditionnel
très-ancien. Elles rapportent qu’au m om en t de l’arrivée
des Kym ri, la Bretagne se n om m ait Fel-Ynis, l’île de

addition de quelque copiste postérieur, une espèce de glose pour inter­


préter le mot inconnu de Deffrobani. Cependant cette intercalation n’est
pas sans importance, parce qu’elle se fonde sur la tradition du pays.
1. Taties., Appeas. of Ludd. — Gafis est é v id e m m e n t ici le H af des
T r ia d e s .

2. Je ne puis mieux faire que de transcrire ici le jugement de M. Tur-


ner sur les Triades galloises : « The historical Triads have béen obviously
« put together at very différent periods. Some appear very ancient. Some
<c allude to circumstances about the first population, and early history of
« the island, o f which every other memorial has perished. The Triads
« were noticed by Camden with respect. Mr Vaughan, the antiquary of
« Hengurt, refers them to the seventh century. Some may be the records
« of m ore ancient traditions, and some are o f more recent date. I think
« them the most curious, o f the whole, o f ail the W elsh remains. » Vin-
dic. o f the anc. Brit. poems, p. 131.
m iel, et que ce n om lui avait été d on n é par la horde Gâl \
qui la possédait alors. Ces m ôm es Triades, dans un autre
endroit, appliquent le m ot Gâl aux populations du littoral
de la Gaule 2, d’où il faut con clu re que la tradition
suivie par les Triades rattachait la p opulation prim itive
de la Bretagne au p rem ier ram eau gaulois. Elle le ratta­
chait égalem ent aux Gaels d’ Irlande, car, m algré la
d ifféren ce de signification qui s’ est opérée dans le passage
d’ une langue à l’autre, Fel-Ynis est évidem m ent le m êm e
n om qu ’lnis-Fal, un des surnom s les plus célèbres de
l’ Irlande, d’ après les m on u m en ts gaeliques 3. Enfin, et
n ous l’avons dit plus haut, il existe en core, dans le pays
de Galles et l’île d’Anglesey, un vague souvenir d’ une
race antérieure aux Kym ri, race de chasseurs, qui dres­
sait, au lieu de chiens, des renards et des chats sauvages,
et don t les habitations ruinées portent traditionnelle­
m en t le n om de maisons des Gaels4.
La parenté des A rm orikes avec les Kym ri, et l’époqu e
de leur arrivée en Gaule, sont in diqu ées positivem ent
par les Triades : ils étaient com p ris dans le p rem ier ban
d'in vasion , que Hu-le-Puissant colonisa partie sur le lit­
toral de la Gaule s, partie dans l'île de Miel. Plus tard,
Prydain, fils d’Aedd-le-Grand c, passa dans cette île à la

1. T ri enw Ynys Prydain : cyn ei chyffanneddu y Gai Gre ai galway


Clas Merddyn ; gwedi ei cbaffael y Fel Ynys; a gwedi cafl'ael o Brydyn
ab Aedd mawr hi, y n y s Prydyn. Tri. 1.
2. Geli Llydaw. Tri. 1.
3. Inis-Fail, Insula fatidica, où existait la fameuse pierre appelée
Lia-Fail, siège des rois d’Irlande. — Cf. O ’Connor, Rer. hibern. Script.,
>, 1 1 , 2 5 ; i i , 44, 6 2 .
4. Cvttiaw y gwyddelod: ou cyttiehr. gwyàdeloc. Cf. Lhuydh, Arch.
brit- — R ow l. Mon. Ant. — Hor. brit., II, 3 1 , 3 2 7 .
• Tri. 4 ) dont la t r a d u c t i o n a é t é d o n n é e à la page précédente.
A gwedi cafl'ael o Brydyn ab Aedd mawr hi, Ynys Prydyn. Tri. 1.
Le nom de Prydain ne paraît pas avoir été totalement inconnu aux
8
téle des B rython, tribu des Kymri arm oricains, et lui im p o­
sa le n om d e Prydain o u Bretagne. Les Triades insistent
sur cette circon stan ce, qu e les Brython sortaient de la sou ­
che origin elle des Kym ri ; q u ’ils parlaient le m êm e id iom e
que les Kymri d ’A lbion, et q u ’ ils se ûrent place dans cette
île «sa n s op p osition , ni com bat, en équité et en paix *. »
Quant aux p opulations n on k ym riqu es de l’Irlande
et de la Bretagne septentrionale, les Triades les co n fo n ­
dent sous la com m u n e d én om in a tion de Gaels : suivant
elles, les Irlandais sont des Gwydclyl coch, ou Gaels rou ges,
et les Pietés des Giuyddyl F ftchti2.
Enfin les Triades et les bardes s’ a ccord en t sur p lu ­
sieurs détails de l’ établissem ent des Kym ri lors d e leur
arrivée dans l’ occid en t de l’ Europe. C’ était Hu-le-Puissant
qu i les con d uisait ; p r ê t r e , gu errier, législateur, et dieu
après sa m ort, il réu n it tous les caractères d’ un ch e f de
théocratie : or, o n sait qu’ une partie des nations gau­
loises fut sou m ise lon gtem ps à un g ou vern em en t th éocra-
tique, celu i des Druides. Ce n om m êm e de Hu n ’était
p oin t in co n n u aux Grecs et aux B om ains, q u i appellent
Heus ou Ilesus u n des dieu x du d ru idism e. Un des fa­
m eu x bas-reliefs trouvés sous le ch œ u r de Notre-Dam e
de Paris représente le dieu Ilesus, le corp s cein t d’ un
tablier de b û ch eron , u ne serpe à la m ain, cou p an t un
ch ên e ; or, les traditions gauloises attribuent à H u - l e -
Puissant de grands travaux de d éfrich em en t, et l’en ­
seign em en t de l’agricu lture à la race des Kym ri 3.

anciens. Parthénius, dans ses Érotiques, donne le nom de Pretanos au


héros dans lequel se personnifié la nation bretonne.
1. Trydydd oeddynt y Brython, ac o dir Llydaw y daetliant a’ u hanas
o gyssefin al y Cym ry... Tri. 5.
2. Tri. 7 et 4.
3. Tri. 4, 5, 56, 92. — Bard., pass.
CONCLUSION.

De la con cord a n ce de ces différents ordres d «


preuves résultent incon testablem en t les faits suivants :
1° Les Aquitains et les L ig u res, q u oiq u e habitants
de la G au le, ne sont p oin t de sang gaulois ; ils appar­
tien n en t aux nations de sang ibérien .
2° Les nations de sang gaulois se partagent en deux
b ra n ch e s , les Galls et les K ym ri, que j ’appellerai désor- *
m ais Kimris, p o u r m e co n fo rm e r et à la pron on ciation
a n cie n n e , et aux form es gram m aticales de notre
lan gu e. La parenté des Galls et des K im ris , d on n ée par
l’ h istoire, est con firm ée par le rapport de leu rs idiom es
et de leurs caractères m oraux ; elle paraît surtout évi­
dente quand on les com p a re aux autres fam illes
h um ain es près desquelles ils viven t, aux Ib ères, aux
ita lien s, aux Germ ains. Mais il existe assez de diversité
dans leurs h abitu d es, leurs id io m e s , et les n uances de
leu r caractère m o ra l, p o u r tracer entre eu x une ligne
de d ém a rcation , re co n n u e par leurs p ropres traditions
et attestée par les deu x plus grandes autorités que
l’e tb n o lo g ie gauloise puisse in voqu er. César et Strabôn.
3° L eur orig in e n ’appartient p oin t à l’occid en t :
leurs langues, leurs traditions, l’histoire en fin , la rep or­
tent en Asie. Si la cause qui sépara jadis les deu x grandes
bra n ch es de la fam ille g allo-k im riqu e se perd dans
l’obscu rité des prem iers tem ps du m o n d e , la catas­
troph e qu i les rap p roclia 'a u fon d de l’ O ccident, lorsque
déjà elles étaient devenues étrangères l’ une à l’a u tre,
n ous est du m oin s con n u e dans ses détails, et la date
en peut être fixée historiquem ent.
Aux argum ents sur lesquels j ’ai appuyé dans celte
In trodu ction le fait im portant, fondam ental, de la divi­
sion de la fam ille gauloise en d eu x ra ces, se jo in t un
troisièm e ordre de preuves n on m oin s co n clu a n t, à
m on avis, et dont m on livre est l’ exp osition . C’ est dans
le récit circon stan cié des évén em en ts, dans les in d u c­
tions qui ressortent des faits généraux, q u ’ éclate surtout
cette dualité des nations gau loises; ce fait seul peut
porter la lu m ière dans l’histoire in térieu re de la Gaule
tran salpine, si obscu re sans cela et ju sq u ’à présent si
peu com p rise; lui seul rend raison de la variété des
m œ u rs, des grands m ou vem en ts d ’ém ig ra tion , de
l’ équ ilibre des ligues politiques, des grou pem en ts divers
des tribus, de leurs affection s, de leurs in im itiés, de
leu r d ésu nion vis-à-vis de l’étranger.
Mon o p in ion sur la p erm a n en ce d’ un type m oral
dans les fam illes de peuples a été exposée plus haut ; je
crois n on m oin s ferm em en t à la durée des n uan ces qui
différen cien t les grandes divisions de ces fam illes. P ou r
la Gaule, ces nuances ressortent clairem ent de la masse
des faits, lesquels porten t un caractère différent, suivant
qu ’ ils appartiennent aux tribus de l’ ouest et du n o r d , ou
aux tribus de l’est et du m idi, c ’est-à-dire aux Kimris ou
aux Galls. Les annales des tem ps m od ern es tém oigne­
raient au besoin qu’ elle a existé n a g u ère, q u ’ elle existe
en core de nos jo u rs entre n os p rov in ces occiden tales,
n on m élangées de G erm ains, et n os p rovin ces du sud-
est; on l’ observerait surtout dans toute sa pureté aux
îles B ritanniques, entre les Gaels de l’ Irlande et les
Kimris du pays de Galles.
Des travaux d’ une autre nature sont venus ajouter
une nouvelle éviden ce au résultat de m es rech erch es.
L orsque je fis paraître la p rem ière édition de m on liis-
toire des Gaulois, un h o m m e qu e l’ Institut regrette à
plus d’ un titre, M. le docteu r Edw ards, avait co n çu le
plan d’ u n e histoire naturelle des races h u m a in es, à
com m e n ce r par l’ occid en t de l’ Europe : ce q u ’il a pu blié
de ce grand travail con cern e la population de la F rance,
de l’ Angleterre et de la haute Italie. Après de lon g s
voyages et de nom breu ses observations faites avec toute
la rig u eu r de m éth od e qu’ exigen t les scien ces physiques,
avec toute la sagacité qui distinguait particulièrem en t
l’ esprit de M. Edwards, le savant naturaliste est arrivé à
des con séq u en ces identiques à celles de cette histoire. Il
a constaté dans les p opulations issues de sang gaulois
deu x types physiqu es différents l’ un de l’au tre, et l’un
et l’autre bien distincts des caractères em preints aux
fam illes étrangères ; types q u i se rapportent historique­
m en t aux Galls et aux Kim ris. Bien q u ’il ait trouvé sur
le territoire de l’an cien n e Gaule les deux races générale­
m en t m élangées entre elles (abstraction faite des autres
fam illes qu i s’ y sont com b in ées çà et là ), il a n éanm oin s
observé que ch acun e d’ elles existait plus p u re et plus
n om breu se dans certaines p ro v in ce s, où l’histoire nous
les m on tre en effet plus com plètem en t séparées l’ une de
l’a u t r e , .
Si véritablem en t, m algré toutes les diversités de
te m p s, de lieu x, de m é la n g e s, les caractères physiques
des races persévèrent et se conservent plus ou m oins
purs, suivant des lois qu e les sciences naturelles peuvent
déterm in er ; si pareillem en t les caractères m ora u x de
ces ra ces, résistant aux plus violentes révolutions

Des caractères physiologiques des races humaines, considérées


dans leurs rapports avec l’histoire, lettre d M. Amédée Thierry, par
'V . F. I-.dwards, membre de l’Institut de France et de la Société royal c
de Londres.
sociales, se laissent b ien m odifier, mais jam ais effacer
n i par la puissance des institutions, ni par le développe­
m en t p rog ressif d e l’in telligen ce ; si en un m ot il existe
une individualité perm an en te dans les grandes masses
de l’ espèce h u m ain e, on co n ço it quel rôle elle d oit jo u e r
dans les événem ents de ce m on d e, qu elle base nouvelle
et solide son étude b ien com p rise peut fo u rn ir aux tra­
vaux de l’ a rch éolog ie, quelle im m en se carrière elle ouvre
à la p h ilosop h ie de l’histoire.

FI* DE L’ i N T R O D r C T I O f U
HISTOIRE

DES GAULOIS

LIVRE PREMI ER

O R I G IN E S G A U L O IS E S . — GRANDES M IG R A T IO N S DES PEUPLES

G A U L O IS EN ESPAGNE, EN IL L Y R 1 E , EN IT A L IE . — FON­

D A T IO N DE LA GAULE C IS A L P IN E .

C H A P IT R E P R E M IE R

Dr l a r a c e q a l l i q d e . Son territoire ; ses principales b r a n ch e s . — S e s c o n ­

quêtes en Espagne; elles refoulent les nations ibériennes vers la Gaule,


où les Ligures s'établissent. — Ses conquêtes en Ita lie ; empire om brien;
sa grandeur, sa décadence. — Commerce des peuples de l ’Orient avec la
Gaule ; colonies phéniciennes. — Hercule tyrien. — Colonies rhodiennes.
— Colonie phocéenne do M assalie, sa fondation, ses progrès rapides. —
De l a r a c e k i m r i q u e . Situation de cette race en Orient et en Occident au
vu* siècle avant notre ère ; elle est chassée des bords du Pont-Euxin par
les nations scythiques. — E lle entre dans la Gaule ; ses conquêtes. —
Grandes émigrations des Galls et des Kim ris Bn Illy rie et en Italie. Situa­
tion respective des deux races.

Aussi loin qu ’ on puisse rem on ter dans l’histoire de


l’ O ccident, on trouve la race des Galls occu p a n t le terri­
toire continental com p ris entre le R h in , les A lpes, la
M éditerranée, les Pyrénées et l’ O céan, ainsi que les
deux grandes lies situées au n ord-ou est, à l’op posite des
bou ch es du R hin et de la S eine. De ces deux île s , la
plus voisin e du con tin en t s’ appelait Albion ou Alb-in,
c ’ est-à-dire YIle m ontueuse1 ; l’autre portait le nom
d’ lerne, ou plus correctem en t Er-in, Vile de l’ouest3.
Enfin le territoire continental recevait spécialem ent la
d én om in ation de Terre des Galls ou Gaule.
Mais la Gaule n ’ était pas possédée en totalité par la
race qn i lui avait d on n é son n om . Un petit peu ple,
d’ o rig in e , de lan gu e, de m œ urs toutes d ifféren tes3, le
peu ple aquitain, habitait, à l’extrém ité sud-ouest, l’angle
com p ris entre les Pyrénées et l’ Océan, et ferm é au nord
par le cou rs d em i-circu la ire de la G aronne. C’ était une
confédération de tribus ibérien nes ou espagnoles qui
avaient passé les Pyrénées à des ép oqu es in con n u es :
maîtresses d’ un sol facile à défendre, elles s’ y m ainte­
naient indépendantes de la d om ination gallique.
Les Galls, dans ces tem ps re cu lé s, m enaient la vie
des peuples chasseurs et pasteurs ; plusieurs de leurs
tribus se teignaient le corps avec une substance bleue,
extraite du p a stel4 ; quelques-unes se tatouaient. Leurs
arm es offensives étaient des h aches et des couteaux de
p ierre; des flèches garnies d’ une poin te en silex ou en
c o q u illa g e 5; des m assues, des p ieu x durcis au fe u ,

1. Alb paraît avoir signifié élevé et blanc; inn est contracté de tnms,
lie. — V. le dict. gael. d’Armstrong et le beau lexique de la Société écos­
saise, flighland, Society of Scolland. — Albion insula, sic dicta ab albis
rupibus quas mare alluit. Plin., xiv, 14.
2. E ir, ou Jar, l’occident.
3. Strab., 1. iv, p. 176 et 189. Aquitani, dans les écrivains latins;
’AxouïTavoi, chez les Grecs. — V. l ’In tro d u c tio n .
4. Cæs., Bell. Gall., v, 24. — Mêla, m , 6 . — Plin., xxir, 2. - - Hero-
dian., 1. ni, p. 83. — Claudian., Bell. Get., v. 417.
5 On trouve fréquemment de ces armes en pierre, soit dans les tom­
beaux, soit dans les cavernes qui paraissent avoir servi d’habitation ou
de refuge à la race gallique. Les armes en métal ne les remplacèrent
qu ’ ils n om m a ien t g a is1, et d’autres appelés catèïes q u ’ ils
lançaient tout enflam m és sur l’ e n n e m i2. Leur arm ure
défensive se bornait à un b o u clie r de planches grossiè­
rem en t jo in te s, de form e étroite et allon gée. Ce fut le
co m m erce étranger qui leur apporta des arm es en
m étal, et l’art de les fabriquer eu x-m êm es avec le cuivre
et le fer de leurs m ines. De petites barques d’ osier garni
de cu ir com p osaien t leur m a r in e ; e t, sur ces frêles
esquifs, ils affrontaient les parages les plus dangereux
de l’ O cé a n 3.
L eur société politiqu e avait p o u r élém ent la fam ille
ou la tribu ; les tribus se groupaient en peuples ou
n ation s, les nations en confédérations ou ligues qui
portaient des n om s em pruntés soit à la nature topogra­
ph iqu e de leur canton, soit à qu elqu e particularité de
leur vie sociale.
Telles étaient la con fédération des Celtes4 ou tribus
des bois, qui habitait les vastes forêts situees alors entre

que petit à petit; et, après leur introduction, les Gaulois continuèrent
encore longtemps à faire usage des prem ières: aussi rencontre-t-on assez
souvent les deux espèces réunies sous les mêmes tombelles.
1. En latin gæsum; en grec Tai^ov et l'aidé?. Le mot gais n’ est, plus
usité aujourd’hui dans la langue gaelique, mais un grand nombre de
dérivés lui ont survécu; tels sont : gaisde, armé ; gaisg, bravoure; gas,
force, etc.
2. Cateia, jaculum fervefactum, clava ambusta. — Cf. Virg., Æ u.,
vu, 741; Cæs., Bell. Gall., v, 43; A m m ., Marcell., x xxi; Isid., Origin.,
x vm , 7. On a cru retrouver le m ot cateia dans le gaelique gath-teth,
qui signifie dard brûlant. — V. Armstr., Gael. dict.
3. Naves vitiles corio circumsutæ in Britannico Oceano. Plin., vu,
57. — S olin., 23.
.................. R ei ad miraculum,
N a vigia junctis semper aptant pellibus,
Corioque vastum sæpe percurrunt salum.
(Fest. A vien ., Or. marit.)
4. V. l'Introduction.
les Cévennes et l’ O céa n , la G aronne et le pied des
m onts Arvernes; celle des Arm orikcs' o u tribus m ari­
tim es, qui com p ren ait gén éralem en t les nations rive­
raines de l’ O céa n *; celle des nations Alpines, q u i o cc u ­
paient les vallées des Alpes et se divisaient, suivant les
région s de cette grande c h a în e , en Pennines3 ou des
p ic s , Craighes* o u des rocs, Nanluaks ou des tor­
ren ts8, etc.; celle des Allobroges6 ou h o m m e s du haut
pays, répan du e sur le versant occiden tal des Alpes,
entre l’Arve au n o r d , l’Isère au m id i, et le R hôn e au
cou ch a n t; les puissantes ligues des Arvernes o u h om m es
des hautes terres, q u i possédaient le plateau élèv T q u e
nous appelon s en co re a u jou rd ’ h u i l’ A u vergn e7; des
Helvètes", qu i tiraient peut-être leu r n om de la vie pas­
torale q u ’ ils m en aien t au m ilieu des pâturages des
Alpes; des>Sèquanes, qu i devaient le leur à la rivière de
S eine (S eq u a n a9), don t ils tou ch aien t la sou rce au cou ­
ch an t, tandis q u ’au levant ils s’ étendaient ju sq u ’au

1. Armhuirich et Armhoirick, voisin de la m er (L h u yd, Archæol.


britann.) ; Armorici, Aremorici. — Air, ar, près, sur.
2. On trouve des traces de la grande extension donnée chez les anciens
Galls h cette dénomination dans un passage où Pline constate que le lit­
toral situé entre la Garonne et les Pyrénées s’ était appelé autrefois Ar-
m orike. — Aquitanica, Aremorica antea dicta. P lin., îv, 17.
3. Deinn, benn, penn, sommet.
4. Alpes graiœ ou grœcœ : craig, rocher.
5. Le radical nant a disparu des dialectes gaeliques; il s’est conservé
en gallois, où, suivant Owen, il signifie toujours un courant d’eau.
Nance, vallée, en com ique. Cf. Diefenbach, Celtica, i, 11.
6 . AU, haut; bruig, broig, brog, lieu habité, village.
7. Arverni; Arvernia, A lvernia; — ar, al, élevé; fearann, verann,
terre, habitation.
8 . Elva (ealbha), troupeau, bétail.
9. £rixoavo; itoTap.è;, àcp’ où tô èBvtxè'/ 2r)x6avoi. Artemidor. ap.
Steph. Byz. voc. Irjxôavoç. Les Séquanes furent repoussés plus tard ju s­
qu ’à la Saône.
Ju ra; ^cs Édues, qui avaient peu plé les contrées lim i­
trophes de la m oyen n e Saône et de la haute L o ire ; des
lüturicies, voisin s occid en tau x de la nation é d u e n n e ,
ayant p o u r d em eu re l’ espèce de presqu’ île form ée par la
L oire, l’Ailier et la V ienne, et d ’autres en core.
Les Celtes et les Aquitains, q u i n ’étaient séparés que 1600
à
par la G aron n e, se livrèrent sans doute plus d ’ une 1500
guerre ; sans doute aussi une de ces guerres d on n a occa ­ av.
sion à qu elqu e bande celtique d e fra n ch ir les passages J.-C.
occid en tau x des Pyrénées et de p én étrer dans l’intérieur
d e l’ Espagne, o ù d’autres bandes la suivirent. Le Ilot de
cette p rem ière invasion se dirigea vers le n ord et le
cen tre d e la p én in su le , entre l’ Èbre et la ch aîn e des
m on ts Id u bèd es; mais la p opulation ib é h e n n e ne se
laissa pas aisém ent su bju gu er. Une lutte lon g u e et ter­
rible s’en gagea, su r le territoire en va h i, entre la race
in d ig èn e et la race con quéran te. Affaiblies et fatiguées,
toutes deu x en fin se rap p roch èren t, et de leu r m élange,
disent les h istorien s, sortit la nation ce lt-ib é rien n e ,
m ixte de nom co m m e d’ o r ig in e 1.
La rou te de l’ Espagne u ne fois tra cée, de n om ­
breuses ém igration s galliques s’y p ortèren t successive­
m en t, et, se poussant l’ une l’ autre, finiren t par o ccu p e r
toute la côte occid en tale depuis le g olfe d’A quitaine,
ju sq u ’au détroit qui sépare la presqu’île du con tin en t
africain. Tantôt la population in d ig èn e se retirait devant

1. Ov-rot yà p t 6 Tca>aiôv irEpl ty )<; / top a; àXXrjXoiç 8ta7ro>ejrr)<7avT£(;, ol


re Têrjpsç x a l ol KeXxoî, x a l (xeià tocutoc StaXuOévTe; x a i ttjv x ^ P av xoivvj
xaTotxiQ(7avTE;, ixi 5’ iTriyapLia; Trpè; àMyjXovç (TWÔEfievoi, Sià tt )v è7ri(ju£tav
>ifovTai raurric xu^civ rÇjt; rcpoçriYOpi'a;. Diod. Sic., v, 33. — App., Bell.
Hisp., 2 .
— P r o fu g iq n e a g e n te retu sta
G a l lo r u m , C e ltæ m is ce n te s n o m e n I b e r is .
(Lucan., Pharsal., iv, v. 9.)
1600 ce torren t; tantôt, après u n e résistance plus ou m oins
à
'500 p ro lo n g é e , elle suivait l’exem ple des C eltibères, faisait
la paix, et se m élangeait. Des Celtes allèrent s’établir
dans l’angle sud-ouest de cette côte restée déserte à
leur ap p roch e, et sous leur n om national, Celtici, y fon­
dèrent un petit État qui eut p o u r frontières au sud et à
l’ouest l’ O céan, à l’ orient le fleuve Anas, au jou rd ’ h u i la
Guadiana D’autres Galls, dont la tribu n ’est pas
co n n u e , s’ em parèrent de l’ angle n o rd -ou est; et le n om
actuel du pays, la G alice, rappelle en core leur co n ­
q u ê t e 2. La contrée interm édiaire conserva une partie
de sa population q u i, m élangée avec les vain qu eu rs,
p rodu isit la nation des L u sita in s3, n on m oin s célèbres
que les Celtibères dans l’a n cien n e histoire de l’Jbérie.
Par suite de ces conquêtes, la race gallique se trouva
répandue sur plus de la m oitié de la pén in su le espa­
gn ole. La lim ite du territoire q u ’ elle occu pait, m ixte ou
pure, pou rrait être représentée par u n e lign e qu i parti­
rait des fron tières de la G alice, longerait l’ Èbre ju s­
qu ’au m ilieu de son cou rs, et suivrait la chaîne des
m onts Idubèdes p o u r se term in er à la Guadiana, co m ­
prenant ainsi tout l’ ouest et u ne grande partie de la
con trée centrale.
Mais les victoires des Galls au m idi des P yrénées
eurent, p ou r leur patrie, un con tre-cou p funeste. Tandis

1. Herodot., ir, 33; iv, 49. — Strab., nr, p. 139. — Varr. ap. Plin.,
m . 3.
2 . Gallæcia, Callaicia. Ils étaient divisés en quatre tribus : Artabri,
Nerii, Præsamarcæ, Tamarici. P lin., iv, 34, 35. — Mêla, ni, 1. — Strab.,
loc. cit. et p. 152.
3. Plin., loc. cit. — Strab., ubi supr. — Mêla, m , i et seqq. Consultez
Humboldt, Pniefung der Untersuchungen ueber die Urbewolmer Ilispa-
ntens... Bex’lin, 1821,
qu'ils se pressaient dans l’ occid en t et le centre de l’ Es- io°o
pagne, les nations ibériennes, déplacées et refou lées sur 15ua
la côte de l’est, forcèren t les passages orien tau x de ces
m ontagnes. La nation des Sicanes, la prem ière, pénétra
dans la Gaule, qu ’elle ne fit que traverser, et entra en
ftalie par le littoral de la M éditerranée1. Sur ses traces
arrivèrent les Ligures, originaires de la chaîne de m on ­
tagnes au pied de laquelle coule la G uadiana2, et chassés
de leurs pays par les Celtes conquérants. Trouvant la
côte déblayée par les Sicanes, ils s’ y fixèrent à d em eu re
entre l’ em b ou ch u re de la petite rivière du Ter en
Espagne, et celle de l’ Arno, em brassant dans une zone
d em i-circu la ire, le golfe qui dès lors porta leur n om \
Plus tard, à m esure qu’ ils se m ultiplièrent, leur établis­
sem en t en Gaule s’ étendit à l’occid en t du R hône, ju s­
qu’ aux Cévennes; à l’ orien t ju sq u ’à l’Isère, aux Alpes et
au V a r4. Mais il resta parm i les tribus ligures, à l’ est du
R hône prin cip alem en t, quelques tribus galliques dont
nous aurons plus d’ une l'ois occasion ë e parler dans le
cou rs de cette histoire.
L’irruption des peuples ibérien s avait révélé aux Galls »oo
l’ existence de l’Italie : ce fut de ce côté q u ’ils se d iri- 10à00

\ . Ltxa vo t aTio toü Eixavoû 7to” a|j.où xoû èv ’lêrjpicf V7tà Aiyucov à v a a rà v -
tê ;... Thucyd., vi, 2. — Serv, ad Æ n., vu. — Ephor. ap. Strab., vi, p. 270.
— Philist. ap. Diod. Sic., v, 6 .
2. Aly'Jotivy], rcoXi; Atyvwv tyj; gvtixy); lêrjpia; *ai tyj<; TapTrjaaoû
7r).r)inov. Steph. Byz.
3. ................................. Celtarum manu
Crebrisque dudum prœ liis............
Ligu res... p u lsi, ut sæpe fors aliquos a git,
Ven ere in ista quæ per horrentes tenent
Plerumque dumos.........................
(Fest. A rien ., Or. marit., v. 133 e t seqq.)

La première fut appelée par les géographes anciens Ibéro-Ligurie;


la seconde, Celto-Ligurie.
1400 gèrent, lorsqu e l’ excès de pop ulation ou toute autre cause
à
1000 vint déterm in er chez eux de nouvelles m igrations. Une
bande n om breu se, com p osée d ’ h om m es, de fem m es et
d’ enfants de toute tribu, s’ organisa sous le n om collectif
d'Ombres o u Ambra 1 (les vaillants, les nobles), fran ch it les
Alpes, et se précipita sur l’ Italie.
L’ Italie subalpine 2 présente à l’ œ il un vaste bassin
qu e les Alpes b orn en t au n ord , la m e r su p érieu re 3 au
levant, et du n ord -ou est au sud-est, la ch aîn e des A pen­
nins. D’ o ccid en t en orien t, cette plaine im m en se est
traversée par le P ô, appelé aussi Éridan, qu i, p ren ant sa
sou rce au m on t Viso (V esulus), se jette dans la m er
supérieure, dont il couvre la plage d’ eaux stagnantes. Ce
roi des fleuves italiens \ dans son cou rs de cent vin gt-
cin q lieues, reçoit presque toutes les rivières qu e versent,
d’ un côté, les Alpes occid e n tales, p en n in es et rhétiennes,
d e l’autre, les Alpes m aritim es et l’ A pennin ; sur sa rive
gauche, la Doria (Duria), le Tésin (T icin u s), l’Adda
(Addua), l’ O glio (Ollius), le M incio (Mincius) ; sur sa rive
droite, le Tanaro (Tanarus), sorti des Alpes m aritim es,
la Trébia et le Réno (Rhenus), sortis tous d eu x des A pen­
nins 5. Au n ord du P ô, l’Adige (Athesis), fleuve m oins

1. Plus correctement Amhra. De ce m ot les Latins ont fait Ambro,


on is, et Umber, bri : les Grecs ’Ap.ëptàv, 'O(j.ëpoç, ’ 0[ji6pio;, 'Op.ëpi-
xôç. — V. ci-dessus l’Introduction, et cons. le savant Mémoire de Fréret,
OEuvres compl., t. IV, Paris, 1796; et Académ. des inscript., XVIII, 82.
2. Italia subalpina, circumpadana, ‘TnxXnia.
3. Mare superum. Elle reçut le nom d’Adriatique après la fondation
d’Adria, ou Hatrio, par les Etrusques. Celle qui baigne la côte occiden­
tale de l’Italie s’appelait m or Inférieure, mare Inferum.
A. Fluviorum rex Eridanus........................ Virg., Georg., i.
5. Du temps de Pline, les affluents du Pô étaient au nombre de trente
(nt, 16). — Solin., 8 . — Marcian., Capell., vi. On en compte aujourd’hui
plus de quarante.
considérable qu e celu i-ci, mais pourtant rapide et p ro­ 1400
à
fon d , descend des Alpes rhétiennes p o u r aller se perdre îooo
aussi dans les lagunes d e la côte *.
La con trée circu m p ad an e était célèb re chez les an­
ciens, n on m oins par sa fertilité qu e par sa beauté ; et
plusieurs écrivains n ’hésitent pas à la placer au-dessus
du reste de l’ Italie *. Dès les tem ps les plu s recu lés, on
vantait ses pâturages s, ses vign es, ses cham ps d’org e et
de m illet *, ses bois de peu pliers et d ’érables \ ses l'oréts
de ch ê n e s , où s'engraissaient de n om b reu x troupeaux
de p orcs, n ou rritu re p rin cip ale des peuplades ita liq u e s6.
Elle était alors en presque totalité au p o u v o ir des Si-
cu les 7, nation qu i se prétendait autochthone, c’ est-à-dire
née de la terre m ôm e q u ’elle habitait. Les Vénètes, petit
peu ple illyrien ou slave, s’y étaient con qu is une place à
l’ orien t, entre l’Adige, le Pô et la m er 8. Au couchant,
l’A pennin séparait les Sicules des L ig u res, établis,
co m m e n ous ven on s de le dire, le lo n g du golfe auquel
ils avaient d on n é leur n o m , ju sq u ’à l’e m b o u ch u re de
l’A rno.
Ce ne fut pas sans avoir lon gtem ps résisté que les
Sicules aban donn èren t aux envahisseurs gaulois leur
terre natale ; les com bats q u ’ ils soutinrent alors sont
m en tion n és par l’ histoire co m m e les plus sanglants dont

1. P olyb., h, 15 et seqq.
2. Ici., ibid. — Plut., in Marin, 10. — Tac., Hist., n, 17.
3. Plut., in Camillo, 10.
4. P olyb., n, 15 et seqq.
5. Plin., xvi, 15; xvn, 23. — Dionys. PerieR., v. 292. — Marcian.
Heracl., Pcripl. — O vid., Metam., n.
6- P olyb., ub. supr.
Dion. Hal., i, 9 ; n , 1. — P lin., m , 4.
8 . Hcrodut., L I-V.
i4o» l’Italie eût en core été le théâtre *. Vaincus enfin, ils
1000 firent retraite vers la p oin te m éridion ale *, d’ où ils
passèrent dans la grande île qu i prit d’ eux le n om de
Sicile. On peut fix er à l’an 136/i avant notre ère cet
événem ent, qui livrait à la race gallique toute la vallée
du Pô 3. Les vainqueurs ne s’ arrêtèrent pas là ; leurs
conquêtes furent poussées de p roch e en p roch e ju sq u ’à
l’ em b ou ch u re du T ibre ; et ce fleuve, la Néra (Nar), et le
Trento (Truentus), devinrent la lim ite d’ un em pire gau­
lois, qui, s’ étendant ju sq u ’aux Alpes, embrassa plus de
la m oitié de l’ Italie \
Possesseurs paisibles de ce grand territoire, les Om ­
bres s’y organisèrent suivant les usages des nations gal-
liques. Ils le partagèrent en trois rég ion s ou provinces,
déterm inées par la nature du pays. La p rem ière, sous le
n om d 'Is-Ombrie 6 ou Basse-Om brie, com p rit les plaines
circum padanes ; la s e c o n d e , appelée Oll-Ombrie 6 ou
Ilaute-O m brie, renferm a les deux versants de l’ A pennin
èt le littoral m on tu eu x de la m er su périeure ; la côte de
la m er in férieure, entre l’Arno et le Tibre, form a la troi­
sièm e, et reçu t la dén om in ation de Vil-Ombria 1, qui peut
sign ifier O m brie littorale. Dans ces circon stan ces, les

1. Dion. liai., i, 16.


2. Id., ibid. — Plin., 1 1 1 , 4.
3. Philist. ap. Dionys. Halic., loc. cit. — Fréret, t. IV, p. 200.
4. Dion. Haï., 1 , 20-28. — P lin., ni, 14-15. — Cf. Cluvcr., liai,
antiq., 11 , 4.
5. Is, ios, bas, inférieur, ’laojxëpîa, ’ I<jo(j.ëpoi, "iTO^ëpe-; en latin,
Insubria, Insubres. — Fréret, mém. cité plus haut.
0. Olombria, Olombri, 'O>.op.ëpîa, "O),o[ji6 poi. Ptolem. — OU, ail,
h:uit, élevé. V. le lexique d’Armstrong.
1. Vilombria , OOiXojiëpta. Ptolem. — liil ( i r l .) , byle (gallois), le
bord d’ un objet, la rive d’un fleuve. — V. les lexiques de la Société écos­
saise et d’Armstrong.
O m bres priren t un accroissem ent considérable de p o ­ 1400
à
pulation 1 ; ils com ptèren t dans les seules p rovin ces de
1000
l’ Isom brie et de l’ O llom brie trois cent cinquante-huit
grands bou rgs que les historiens d écoren t du titre de
villes *; leur in flu ence s’ étendit en outre sur toutes les
nations italiques ju sq u ’à l’ extrém ité de la presqu’île.
Mais, dans le cou rs du xie siècle, un peuple nouvelle­ 1000
m ent ém igré du n ord de la Grèce entra en Italie par les à
600
Alpes illyriennes, traversa l’Isom brie com m e un torrent,
fran ch it l’A pen n in , et envahit l’ O m brie m aritim e 3 :
c’était le peu ple des Ras'enes 4, si célèbre dans l’ histoire
sous le n om d’ Étrusques. Bien supérieurs en civilisation
aux races de la Gaule et de l’Italie, les Étrusques co n ­
naissaient l’art de construire des forteresses et de ceindre
leurs places d’habitation de m urailles élevées et solides,
art n ouveau p ou r l’ Italie, où toute l’ industrie se bornait
alors à rassem bler au hasard de grossières cabanes sans
plan et sans m oyens de défense 5. Une ch ose distinguait
en core ce peuple des sauvages tribus om b rien n es, c’ est
q u ’ il ne détruisait ou ne chassait p oin t la population
su b ju g u é e ; organ isé, dans son sein, en caste de p ro ­
priétaires arm és, il la laissait vivre attachée à la glèbe
du cham p d on t il l’avait d ép ouillée. Tel fut le sort des
O m bres dans la partie de leur territoire située entre le
cours du T ibre, l’Arno et la m er inférieure. Là dispa­

1. ’ Hv toûto t£> ëOvoç êv toïç toxvu (ji-fa. Dion. Hal., i , 19.


2. Trecenta eorum oppida Tusci debellasse reperiuntur. Plin., iit, 14.
— II restait encore dans la haute Om brie, du temps de Pline, quarante-
« n villes ; douze avaient péri.
3. Prius, cis Apenninum ad Inferum mare... L iv., v, 33.
Ce peuple ne reconnaissait pour son nom national que celui de
lihasena. On ignore d’où dérivait celui d'Étrusqnes que les Latins lui
donnaient.
5. Tzetzes ad Lycopliron., Alexandr., v. 717. — Rutil., Itinerar., i.
9
100Ü rurent rapidem en t les traces de la dom in a tion gallique.
à Aux villages ouverts et aux cabanes de ch aum e su ccé­
C00
d èren t dou ze grandes villes fortifiées, habitation des
conquérants et ch efs-lieu x d’aulant de divisions p o li­
tiques qu ’ unissait u n lien fé d é r a l1. Le pays p rit le n om
des vainqueurs, et fut appelé dès lors Étrurie.
Une fois constitués, les Étrusques pou rsu iviren t avec
ordre et persévérance l’exp rop riation de la race o m ­
b rien n e ; ils attaquèrent l’ O m brie c ircu m p a d a n e , qu i,
successivem ent et pièce à pièce, passa sous leu r d o m i­
nation. Les dou ze cités étrusques se partagèrent par
p ortion s égales cette secon d e con q u ête ; ch a cu n e d’ elles
eut son lot dans les trois cents villages que les Galls y
avaient p osséd és2; ch acun e d ’elles y construisit une place
de com m erce et de gu erre q u ’ elle peupla de ses c i­
toyens 3 -,-ce fut là la Nouvelle-Étrurie 4. Mais les Isom bres
ne se résign èren t pas tous à la servitude. Un grand
n om b re repassèrent dans la G aule, où ils trouvèrent
place soit parm i les Helvètes \ soit parm i les tribus
éduennes, sur les bords de la Saône 6. Plusieurs se ré­

1. Strab., 1. v , p. 216. — Serv., ad V irg., Æ n., n, vin et x. — Cf.


Cluver., Ital. untiq., t. I, p. 344 et seqq.
2. Trecenta oppida Tusci debellasse reperiuntur. P lin., m , 14. —
Strab., 1. v, p. 216.
3. Trans Apenninum totidem quot capita originis erant coloniis m is-
usque ad Alpes tenuere. Liv., v, 33. — AcoSexa itoXewv... Diod.
b îs ...

Sic., xiv, 113.


4. Serv., ad Virg.
5. Ils y furent connus sous le nom d 'Ambres, Ambro, oms, d ’où
nous avons fait Ambrons. Plut., in Mario. Voyez ci-après, le récit de
l'invasion des Cimbres.
6 . Ils continuèrent à porter le nom d’Isombres, en latin, Insubres.
Insubres, pagus Æ duorum, L iv., v, 34. — Les Umbramci, qui habitaient
un peu plus bas, sur la rive droite du Rhône, étaient probablement une
de ces peuplades émigrées de l’Ombrie.
fu gièren t dans les vallées des A lpes, p a rm i les nations 100C
ligurien nes q u i com m en ça ien t à s’ étendre sur le versant à
GOU
occid en tal d e ces m on tagn es, et vécu rent au m ilieu
d’ elles sans se con fon d re, sans jam ais p erd re ni le sou ­
ven ir de leur nation, ni le n o m de leurs pères. Bien des
siècles après le voyageu r pouvait distin guer e n core des
autres p opulations alpines la race de ces exilés d e l ’Jsom -
brie Même dans la con trée circu m padan e, l’in d ép en ­
dance et le n om isom b rien ne p ériren t pas totalem ent.
Q uelques tribus con cen trées entre le Tésin et l’Adda,
autour des lacs qui baignent le p ied des Alpes p e n n in e s 2,
résistèrent à tous les efforts des Étrusques, q u ’ils trou­
blèren t lon gtem ps dans la jou issa n ce de leur conquête.
Désespérant de les d om pter, ce u x -ci, p o u r les con ten ir
du m oins, construisirent près de leu r fron tière la ville
d e M elpum , u ne des plus fortes places de la N ouvelle-
É trurie 3.
La nation o m b rien n e était réduite au canton m onta­
gn eu x qui s’ étendait entre la rive g a u ch e du T ibre et la
m er supérieure ; les Étrusques vinrent e n co re l’y forcer,
tandis qu e les peu ples italiques, profitant de sa détresse,
envahissaient sa fron tière m érid ion ale ju sq u ’au fleuve
Æsis. Épuisée, elle dem anda la paix et l’obtint. Avec le
tem ps m êm e, elle finit par s’ allier in tim em en t à ses an­
cien s ennem is, don t elle adopta la civilisation, la reli­
g io n , la fortun e p olitiq u e, volon tairem en t toutefois, et

1. Insubrium exules. Plin., ni, 17, 20. — Ils portaient vulgairement


le nom collectif de Ligures. Caturiges Insubrium exules, unde orti Va-
gicni Ligures. Plin., loc. cit. — Plut., in Mario, 1!>..— Mais ils ne recon­
naissaient point d’autre nom national que relui (VAmbre (Am bro). Plut.,
iMd. — Voyez ci-après le récit de l ’invasion des Cimbres.
2 - L iv., v, 33.
3- * Un., m , 17.
1000 sans ren on cer à son in d épen dan ce 1 : m ais dès lors elle
X
ne fut plus q u ’ u n e nation italienne, et p o u r n ous son his­
600
toire finit là. Cependant cette culture étrangère n ’ effaça
pas com p lètem en t son caractère orig in el. L’ habitant des
m ontagnes om brien n es se distingua des autres peuples
de l’ Italie par des qualités et des défauts attribués géné­
ralem ent aux races gauloises : sa bravou re était brillante,
im pétueuse, mais on lui reproch ait de m an qu er de per­
sévérance ; il était irascible, q u erelleur, a m ou reu x des
com bats singuliers : et cette passion avait m êm e fait
naître chez lui l’institution du duel ju d icia ire 2. Quel­
ques axiom es politiques des O m bres, parvenus ju sq u ’à
nous, révèlent une m orale forte et virile. « Ils pensent, »
dit un écrivain, Nicolas de Damas, qu i paraît avoir étudié
particulièrem en t leurs m œ urs, « ils pen sent qu’ il est
« h on teu x de vivre su b ju g u és; et que, d a n s toute guerre,
« il n’y a qu e deu x chances p o u r l’ h o m m e de cœ ur,
« vaincre ou p érir 3. » Malgré l’ a doption des usages
étrusques, il se conserva dans les dern ières classes de
ce peuple qu elqu e ch ose de l’an cien costu m e et de l’ an­
cien n e arm u re nationale : le gais, porté d o u b le , à la
m anière gauloise, fut tou jou rs l’arm e favorite du paysan
de l’ O m brie \

1200 Tandis q u ’au m idi des Alpes, la race gallique ép rou ­


à
vait ces alternatives de fortun e, elle recevait, au n ord et

1. Hist. rom ., passim. — Cf. Micali et Lanzi.


2. ’O p-êp ixoi OTav ttp o ; àll-riXouç ê^cotriv àp.tpnTêyj'aîfftv, xaOoTi^KrOsvTeç
t iç £v TtoXqj.!.), p.â)(ovT ai, x a i S o x o û ct Sixcaétepa Xeyetv o î t o ù ç è vavrfou ;
à7to<Kp<x$avTeç. N ie . n a m a s c . a p . S t o b ., s e r m . x u r.

3. A”iaxl<7T0v ^Y°ùvxat ^ruripivot Çflv àXV àvatxaïov vix^v ^ & io-


Ovrjdxeiv. I d . , i b id .
4. Pastorali habitu, binis gæsis armati... Liv., îx.
dans sa patrie d’ origin e, quelques germ es de civilisa­ 1206
à
tion apportés par le co m m e rce étranger. Ce fut, selon
900
toute apparence, durant le xine siècle que des naviga­
teurs venus de l’ O rient abordèren t p o u r la p rem ière fois
à la côte m érid ion ale des Gaules : attirés par la richesse
naturelle du pays, ils y revin ren t et y fon dèren t des
com p toirs. Les P yrénées, les Gévennes, les Alpes recé-
laient alors à fleu r de terre des m ines d ’o r et d ’argent ;
les m ontagnes de l’ intérieur, d ’abondantes m ines de
fe r 1 ; la côte de la M éditerranée, un grenat fin q u ’ on
suppose avoir été l’escarbou cle 2 ; et les in digèn es ligures
ou gaulois p éch aien t autour des îles, appelées au jou r­
d’ hui îles d ’ H ières, du corail don t ils orn aien t leurs
a rm e s 3, et qu e sa beauté ût re ch e rch e r dans tou t l’ Orient.
Le com m erce im portait en éch a n ge les articles ordi­
naires de la traite qu i se faisait dans ces m ers du verre,
des tissus de laine, des m étaux ouvrés, des instrum ents
de travail, surtout des arm es 4.
Tout fait p résu m er que le co m m e rce en tie l’Asie et la
Gaule dut son origin e aux P hén icien s, qui, dès le xi" siè­
cle , en tou rant d’ une lign e im m en se de colon ies et de
com p toirs le bassin occidental de la M éditerranée, depuis
.Malte ju sq u ’au détroit de Galpé, s’en étaient arrogé la
possession exclusive. A l’égard de la Gauïe, ils ne se b o r­
nèrent pas à la traite du littoral ; l’existence de leurs

1. Posidon., ap. Athen., vi, 4. — Strab., 1. m , p. 146; 1. iv, p. 190.


— Aristot., Mirabil. ausc., p. 1115.
2. Theopbrast., Lapid., p. 393-396. Lugd. Bat., 1613.
3. Coralium laudatissimum circa Stæchades insulas... Galli gladios
adornabant eo. P lin., xxxn, 2.
•4. Hom., ]]., v i, 29; O d., xv, 424. — Ézéchiel, 27. — Cf. Heereti :
Ideen oeber die P olitik, den Verkehr und den Handel der vornehmst«n
Voelker deralten W elt.
im m édailles dans des lieu x éloign és d e la m er, la nature
A de leu r établissem ent surtout, tém oign en t qu’ ils co lo n i­
000
sèrent assez ayant l’ intérieur. L’exploitation des m ines
les attirait p rin cip a lem en t dans le voisinage des Pyré­
nées, des Cévennes et des Alpes. Ils construisirent m êm e,
p o u r le service de cette exploitation, u n e route qui fai­
sait co m m u n iq u er la Gaule avec l’ Espagne et avec l’Italie,
où ils possédaient égalem ent des m ines et des com p toirs.
Cette route passait par les Pyrénées orientales, longeait
le littoral de la Méditerranée gauloise, et traversait en­
suite les Alpes par le col de Tende : ou vrage p rod igieu x
par sa gran deur et par la solidité de sa con stru ction, et
qui plus tard servit de fon d em en t aux voies massaliotes
et r o m a in e s 1. L orsque ces intrépides navigateurs eurent
d écou vert l’océan Atlantique, ils n ou èren t aussi des re­
lations avec la côte occiden tale de la Gaule ; surtout
avec Albion et les îles voisines, où ils trouvaient à bas
p rix de l’ étain 2 et u n e espèce de m u rex p rop re à la
teinture n oire 3.
Une antique tradition, passée d ’Asie en Grèce et en
Italie, où, n ’étant plus com p rise, elle se défigura, parlait
de voyages a ccom p lis dans tout l’ O ccident par le dieu
tyrien, H ercule, et d’un p rem ier âge de civilisation, que

1. Polyb. (m , 39) nous apprend que cette route existait avant la


seconde guerre punique. Les Massaliotes y posèrent des bornes milliaires
h. l’ usage des armées romaines qui se rendaient 0 11 Espagne. Elle n’était
point l’ouvrage des Massaliotes, qui, à cette époque, n’étaient encore ni
riches ni puissants dans le pays, et qui d’ailleurs ne le furent jamais assez
pour une entreprise aussi colossale. V. ci-après, livre iv. — Les Romains
remirent cette route à neuf, et en firent les deux voies Aurélia et
Domitia.
2. Ce com m erce fit donner aux îles Sorlingues le nom de Cassite-
rides, ou Iles de l ’Ètain.
3. Amat., de Restitutione purpurarum. Cons., Heeren, ouvr. cité.
les travaux du dieu avaient fait luire sur la Gaule. La woc
Gaule, de son côté, conservait une tradition non m oins
an cien n e, et qu i n’ était, pas sans rapport avp^ celle-là. Le
sou ven ir vague d ’un état m eilleu r am en é par les b ien ­
faits d’ étrangers puissants, de conquérants d’ une race
divine, se perpétuait de génération en génération parm i
les peuples g a lliq u es; et lorsq u ’ils entrèrent en relation
avec les Grecs et: les R om ains, frappés de la coïn cid en ce
des d eu x traditions, ils adoptèrent tous les récits que
ceu x -ci leu r débitèrent sur Hercule
Q u icon qu e réfléchit à l'a m ou r de l’antiquité orien ­
tale p o u r les sym boles, cesse de v oir dans l’ H ercule p h é­
n icien un person nage p u rem en t fabuleux, ou u n e pure
abstraction p oétique. Le dieu né à Tyr le jo u r m êm e de
sa fon dation, protecteu r inséparable de cette ville où sa
statue est en ch aîn ée dans les tem ps de périls pu blics ;
voyageu r in trépide, posant et reculant tour à tou r les
b orn es du m on d e ; fondateur de villes lyriennes, con ­
quérant de pays su bju gu és par les arm es lyrienn es ; un
te! dieu n ’est autre en réalité que le peu ple qu i exécuta
ces grandes choses : c’est le gén ie tyrien person n ifié et
déifié. Tel les faits n ous m on tren t le peuple, tel la fiction
n ous p ein t le h éros ; et l’on p ou rrait lire dans la légen de
de la divinité l’histoire de ses adorateurs. Le détail des
cou rses d’ H ercule en Gaule con firm e p lein em en t ce fait
général : on y suit, en q u elqu e sorte pas à pas, la m ar­
c h e , les luttes, le triom p h e, puis la d écad en ce de la
colon ie dont il est le sym bole évident.
C’est à l’ em b ou ch u re du R hône que la tradition o rien ­
tale le fait arriver; c’ est près de là qu’ elle lui fait soute-

1. Inr.oltP id mapia omnibus adseverant., quod etiam n o s legimus in


monumontis corum Incisum, llerculem ......Amm. Marcell., xv, U.
1200 nir un p rem ier et terrible com bat. Assailli à l’ im proviste
à
«00 par Albion et L igu r \ enfants de N eptune, il a bientôt
épuisé ses flèch es, et va su ccom b er, lorsqu e Jupiter en­
voie du ciel une p lu ie de p ierres; H ercule les ram asse,
et, avec leur aide, parvient à repousser ses e n n e m is 2. Le
fruit de cette v ictoire est la fondation de la ville de Ne-
m ausus (Nîmes), à laquelle un de ses co m p a g n o n smî'cTe
ses enfants d on n e son n om 3. Il serait difficile de ne pas
recon n aître sous ces détails m yth ologiqu es le récit d’ un
com bat livré par des m ontagnards de la côte aux colons
p h é n icie n s, dans les cham ps de la Crau 4, sur la rive
gau che du R hône, n on loin de son e m b o u ch u r e ; co m ­
bat dans lequel les cailloux, qui s’y trou ven t accum ulés
en si p rod ig ieu se quantité, auraient servi de m un ition s
aux fron d eu rs ph énicien s.
V ainqueur de ses redoutables e n n e m i s , l e dieu ap­
pelle autour de lui les peuplades in d igèn es éparses dans
les b o is ; h om m es de toute trib u , de toute n a tion , de
toute race, accou ren t à l’envi p o u r participer à ses bien ­
faits. Ces bienfaits sont l’en seign em en t des p rem iers arts
et l’ad ou cissem en t des m œ urs. L u i-m êm e il leur co n ­
struit des villes, il leur apprend à labou rer la terre-, par

1. Æ schyl., Prometh. solut. ap. Strab., I. iv. p. 183. — Mêla, n,


5. — Tzetz. ad Lycophr. Alex. — Eustath. ad Dionys. Perieg.
2. Albion. Mêla, il, 5. — ’A).£<5imv. Apollod., Biblioth., il. — Tzetz.,
ub. supr. — Alb, montagne. Une tribu de montagnards de cette côte
portait le nom d’Albici (Cæs., Bell, civ., i, 34) ou de ’AXëEotxoi (Strab.,
1. I V ) .

3. Steph. Byz., voc. Nenauooç. — M. de la Saussaye a consacré aux


médailles de Nemausus ou Namasus un des chapitres les plus intéres­
sants de son excellent ouvrage intitulé Numismatique de la Gaule nar-
bonnaise.
4. C’est le nom que porte aujourd’hui une plaine immense, couverte
de cailloux, située près du Rhône, entre Arles et la mer. Crau, gael.
craig, pierre.
son in flu ence toute-puissante, les im m olation s d’ étran­ 1200
à
gers sont abolies; les lois devien n ent m oin s inhospita­
900
lières et plus s a g e s 1; enfin les tyrannies, c’ est-à-dire l’au­
torité absolue des chefs de tribu et des chefs m ilita ires,
sont détruites et fon t place à des gou vernem ents aristo­
cratiques *, constitution favorite du peu ple p h én icien .
Tel est le caractère constant des con quêtes de l’ Hercule
tyrien en Gaule, com m e dans tou t l’ Occident.
Si n ous con tin u on s à suivre sa m a r c h e , n ous le
voyons, après avoir civilisé le m idi de la Gaule, s’avancer
dans l’in térieu r par les vallées du R hône et de la Saône.
Mais un nouvel en n em i l’arrête; c ’esl Tauriske 3, m o n ­
tagnard fa rou ch e et avide q u i ravage la plaine, désole les
routes et détruit tout le fruit des travaux bienfaisants du
dieu ; H ercule cou rt l’attaquer dans son repaire et le tue.
Il p ose alors sans obstacle les fondem ents de la ville
d ’AIésia sur le territoire éduen. A in si, q u elqu e part
q ïïT îercu le mette le p ie d , il trouve des am is et des en­
n em is; des am is parmi les tribus de la plaine, des en n e­
m is dans les .m onlagnes où la barbarie et l’indépen dan ce
sauvage se retran ch en t et lu i résistent.
« Alésia, disent les récits traditionnels, fut construite
« grande et m a g n ifiq u e ; elle devint le foy er et la ville
« m ère de toute la G a u le 4. » H ercule l’habita, et, par ses
n a ria g e s avec des filles de rois, la dota d’u ne génération

t . KctzéXvGE Tàç «mv^ôeiç napavojAfaç xai Çevoxtovîaç. Diod. Sic., iv 19.


— Kaôioràç crtoçptmxà woXtTeOpaTa. Dionys. Halic.. i, 4 1 .
2. IlapEÔwxE rr)v fSaffàetav toïç àpîatoi; twv èyxupiMv. Diod. Sic., iv,
19. — Dionys. Halic., i, 41.
3. Tauriscus. Amm. Marcell., xv, 9. — Caton, cité par Pline (m , 20),
place dans les Alpes une grande confédération de peuples tauriskes. —
Tor, hauteur, sommet.
4. 'Extiae toSXiv eOjjLeyéôr) ’A>.ï)<uav... &n6.<t ï){ i Ÿjç K e à t i x ? , ; é<rnav xai
:jr,-p6n<jM v. Diod. S ic., iv , 19.
1200 forte et puissante. C e p e n d a n t, lorsqu’ il eut quitté la
om
' Gaule p ou r passer en Italie, Alésia déch ut ra p id em en t;
les sauvages des contrées voisines s’étant m êlés à ses h a ­
bitants, tout rentra peu à peu dans la barbarie i. Avant
son départ, con tin u en t les m yth ologu es, H ercule vou lu t
laisser de sa gloire un m o n u m e n t im périssable. « Les
« dieu x le con tem p lèren t fendant les nuages et brisant
« les cim es glacées des Alpes 2. » La, route d on t on lui
attribue ici la co n s tru c tio n , et à laquelle son n om fut
attaché, est celle-là m êm e qu e n ous m en tion n ion s tout
à l’ h eu re com m e u n ouvrage des P h én icien s, et qui con­
duisait de la côte gauloise en Italie, par le col de T ende.
900 Au d éclin de l’ em p ire p h é n ic ie n , ses colon ies m ari-
-ÎL
GOO
times en Gaule tom bèren t en tre les m a in s des R hodiens,1
puissants à leur tou r sur la M éditerranée; ses colon ies
intérieures disparurent. Les R hodiens construisirent
qu elqu es villes, entre autres Hlàoïï.ï'o u R h od a n ou sia 3,
près des b ou ch es libyques du lih ôn e ; Triai s leur d om in a ­
tion fut de courte d u rée. Leurs établissem ents étaient
presque déserts, et le co m m e rce en Ire i’.Orient et la
Gaule presqu e tom b é, quand le s P h o cé e ns arrivèrent,
soo Ge fut l’an 600 avant Jésus-Christ que le p re m ie r vais-
5*7 seau p h océen jeta l’ an cre sur la côte gau loise, à l’ est du
R h ô n e ; il était con d u it par un m a r c h a n d n o m m é
E uxène \ occu p é d’ un voyage de découvertes. Le golfe

1., n à w a ç toùç xaTOixoüvTaç èxëocpêapwôîjvai a-uvéëT). Diod. Sic., iv, 19.

2. Scindentem nulles, frangentemquo ardua montis


Spectarunt Superi. . . . S il. Ital., m , v . 4 97 -4 98 .

Virg., Æ n., vi. — Diod. S ic .,iv , 19. — D io n y s . Halic., i, 41. — Amm»


M arcelt., xv, 9.
3. P lin., m , 4. — Ilieronym ., Comment. Epist. ad Galat., il, 3. —
Isid., O rigin., xui, 21. — Voy. ci-après, livre iv.
4. iristot., apud Athenæum, xm, 5,
où il aborda dépendait, du territoire des Ségobriges, une r,on
des tribus galliques qui s’ étaient m aintenues libres au à
m ilieu de la population lig u rien n e. Le ch e f ou ro i des ^
Ségobriges, qu e les historiens appellent Nann, accueillit
avec am itié ces étrangers, et les em m ena dans sa m aison,
où un grand repas était p rép a ré; car ce jou r-là il mariait
sa fille *. Mêlés parm i les prétendants galls et ligures, les
Grecs p riren t place au festin , qui se co m p o sa it, selon
l’ usage, de venaison et d’ h erbes c u ite s 2.
La je u n e fe m m e , n o m m ée Gyptis, selon les u n s , et
Petta suivant les autres 3, ne parut p oin t pendant le re­
pas. La cou tu m e ib é r ie n n e 4, conservée chez les Ligures
et adoptée par les S égobriges, voulait qu’ elle ne se m on ­
trât q u ’à la fin , portant à la m ain un vase rem p li de
qu elqu e boisson 5, et celu i à qui elle présentait à b oire
devait être réputé l’ époux de son ch oix . Au m om en t
où le festin s’ach evait, elle entra d on c, et, soit hasard,
soit toute autre cause 6, dit un a n cien narrateur, elle
s’ arrêta pii face d’ E uxêne et lu i tendit la cou p e. Ce
ch o ix im p révu frappa de surprise tous les convives.
Nann, croyant y recon n aître u n e inspiration su périeure
et un ord re de ses d ie u x 7, appela le P h océen son gen -

1. Aristot., loc. cit. — Just., x u n , 3.


2. Diod. Sic., v , 30.
3. Gyptis. Just., loc. cit. — Ilerca. Aristot., ap. Athen., ubi supr.
4. Elle subsiste encore aujourd’hui dans plusieurs cantons du pays
basque en France et en Espagne.
G. Justin dit que cette boisson était de l’eau : Virgo quum ju beretur...
aquam porrigere ( x l i ï i , 3); Aristotc, que c ’était du vin mêlé d’eau : 'In i-
Xriv xexp*pivY)v (ap. Athen., loc. cit). Ce vin, si c’était du vin, provenait
du com m erce étranger, car la vigne n’était pas encore introduite en
Gaule.
G. Eïte iità -njxri;, eüte y.ai Si’ iXXiqv T iv à alrtav. Aristot. ubi sup.
7. Tou Tiaxpè; àÇioüvToç w ; v.aTà 0e6v Tvj; Sôaewç... Id., ibid.
600 dre, et lu i con céd a p o u r dot le golfe où il avait pris
A . terre. E uxène vou lu t substituer au n om qu e sa fem m e
587
avait porté ju sq u ’alors un n om tiré de sa langue mater­
nelle ; par un e d ou b le allusion au sien et à leur com m u n e
histoire, il la n om m a A ristoxène, c’est-à-dire la meilleure
des hôtesses.
Sans p erdre de tem ps, E uxène avait fait partir p ou r
P hocée son vaisseau et quelques-uns de ses com p agn on s,
chargés de recru ter des colon s dans la m ère patrie. En
attendant, il travailla aux fondations d’ une ville q u ’il ap­
pela Massalie 1. Elle fut construite sur une presqu’île
ire usée en fo rm e de p ort vers le m i d i, et attenante au
con tin en t par u ne lan gu e de terre é tr o ite 2. Le sol de la
p resqu ’ île était sec et p ie rre u x ; N ann, par com p en sa­
tion, y jo ig n it qu elqu es cantons du littoral e n core co u ­
vert d’épaisses forêts a, m ais où la terre, fertile et chaude,
fut ju g é e par les P hocéen s co n v e n ir parfaitem ent à la
culture des arbres de l’Ion ie.
Cependant les m essagers d ’ Euxène atteignirent la côte
de l’Asie-M ineure et le port de P h o cé e ; ils exposèrent aux
m agistrats les m erveilleuses aventures de leu r voyage *,
et com m en t, dans des région s d on t elle ign orait presque
l’ existence, P h océe se trouvait tout à cou p maîtresse d’ un
territoire et de la faveur d ’ un ro i puissant. Exaltés par
ces ré cits, les jeu n es gens s’ en rôlèren t en fo u le , et le

1. MaucraXia, en latin, Massilia, et par corruption dans la basse lati­


nité, Marsilia (Cosmog. Raven. anonym ., i, 17 ); d’où sont venus le mot
provençal Marsillo, et le mot français Marseille.
2. Test. Avien., Or. marit. — Lum en., Paneg. Constant., 10. _ Dio­
nys. Perieg. — Just., x u ii , 3. — Cæs., Bell, civ., m , 1. — Voyez ci-après,
livre iv.
3. Liv., v, 34.
4. Reversi dom u m , refercntes quæ viderant, plures sollicitavere.
Just., XLI1I, 3.
trésor p u b lic , suivant l’ u sage, se chargea des frais de
transport, et fou rn it des vivres, des o u tils , des a r m e s ,
diverses graines ainsi qu e des plants de vign e et d’ o li­
v ie r 1. A leur départ, les ém igrants priren t au foy er sacré
de P h océe du feu destiné à b rû ler perpétu ellem en t au
foyer sacré d e M assalie, vivante et p oétique im age de
l’ affection q u ’ils prom ettaien t à la m ère patrie ; pu is les
lon gu es galères p h océen n es à cinquante r a m e s 2, et p o r­
tant à la p rou e la figure sculptée d ’un p h oq u e, s’ éloig n è­
rent du port. Elles se ren d iren t p rem ièrem en t à Éphèse,
o ù un oracle leu r avait ord o n n é de relâch er. L à , u n e
fem m e d’ un haut ra n g , n om m ée A ristarché, révéla au
ch e f de l’ expéd ition que D iane, la grande déesse éph é-
s ie n n e , lui avait o rd o n n é en son ge de p ren d re u n e de
ses statues, et d’aller établir son culte en Gaule ; trans­
portés d e jo ie , les P h océen s accu eilliren t à leu r bord la
prêtresse et sa d iv in ité , et une h eureuse traversée les
con d u isit dans les parages des S é g o b r ig e s 3.
Massalie alors p rit de grands d év elop p em en ts; des
cultures s’ établirent; une flotte fut con stru ite; et plu ­
sieurs des a n cien s forts, bâtis sur la côte par les P hén i­
ciens et les Khodiens, furent relevés et reçu ren t des gar­
nisons. Ces em piétem ents et une si rapide prospérité
alarm èrent les L ig u res; craignant que la nouvelle co lo ­
nie ne les asservît bie n tô t, co m m e avaient déjà fait les
P h én icien s, ils se ligu èren t p o u r l’exterm in er, et elle no
dut son salut q u ’à l’ assistance du père d’Aristoxène. Mais
ce fidèle protecteu r m ou ru t, et bien loin de partager la
vive affection de Nann à l’égard des P h o cé e n s, son fils

\. J u s t . , X LT II, 3 .

2. H e r o d o t., i . 103.
3, Strab., 1. IV, p. 179 . Voyez ci-iprfta, livre IV.
et h éritier Com an nourrissait con tre eu x une haine se­
crète. Sans en avoir la certitude, la con fédération ligu­
rien n e le sou p çon n a it; p o u r son d er les in ten tion s ca­
chées du ro i sé g o b rig e , elle lu i députa un de ses chefs,
qui s’exprim a en ces term es :
« Un jo u r u ne ch ien n e pria un b erg er de lui prêter
« qu elqu e coin de sa cabane p o u r y faire ses petits ; le
« berger y consentit. Alors la ch ien n e dem anda q u ’il lui
'« fût perm is de les y n ourrir, et elle l’ obtint. Les petits
« gran diren t, et, forte de leu r se co u rs, la m ère se dé-
« clara seule m aîtresse du logis. O r o i! voilà ton his-
« toire. Ces étrangers qui te paraissent au jou rd ’ h u ifa ib le s
« et m éprisables, dem ain te feron t la loi, et op p rim eron t
« notre p a y s l. »
C om an applaudit à la sagesse de ce d iscou rs, et ne
dissim ula plu s ses desseins; il se chargea m êm e de
frapper sans délai sur les Massalioles un cou p aussi sûr
qu ’ im prévu.
On était à l’époqu e de la floraison de la vign e, époque
d’allégresse générale chez les peu ples de race io n ie n n e 2.
La ville de Massalie tout entière était occu p ée de joy eu x
préparatifs; on d écorait de ram eaux verts, de rosea u x ,
de guirlandes de lleu rs, la façade des m aisons et les
places p u bliqu es. Pendant les trois jo u rs que durait la
fête, les tribunaux étaient ferm és et les travaux suspen­
dus. Coman résolut de protiler du désordre et de l’ in ­
sou cian ce qu’ une telle solennité entraînait d’ ord in a ire,
p ou r s'em parer de la ville et en m assacrer les habitants.

1. Non a lite r Massilienses, qui mine inquilini videautur, quandoque


regionum dominos futuros. Just., x liii, 4.
2. Meursii Græc. fer. (t. III, p. 798.) — Cette fête s’appelait les An-
Ihesteria : Justin l’a confondue avec les Floralta des Romains (xliii,

4).
D’abord il y envoya ouvertem ent, et sous prétexte d’ as­
sister aux réjouissances, une trou pe d ’h om m es déterm i­
n és; d’autres s’y in trodu isiren t en se cachant avec leurs
arm es au fon d des chariots q u i , des cam pagnes envi­
ronnantes, con d u isaien t à Massalie une grande quantité
de feuillage *. L ui-m êm e, dès que la fête com m en ça , alla
se poster en em bu scade dans un petit vallon voisin avec
sept m ille soldats, attendant qu e ses ém issaires lu i ou ­
vrissent les portes de la ville p lon g ée dans le d ou ble
som m eil de la fatigue et du plaisir.
Ce co m p lo ts ! perfidem en t ou rdi, l’a m ou r d’ une fem m e
le d éjou a. Une p roch e parente du roi, éprise d’ un jeu n e
Massaliote, cou ru t lu i tou t révéler, le pressant de fu ir et
de la suivre*. C elui-ci d én on ça la ch ose aux magistrats.
Les portes fu ren t aussitôt ferm ées, et l’ on fit m ain basse
sur les S égob rig es qu i se trouvèrent dans l’in térieu r des
m urs. La n u it venue, les habitants, tous arm és, sortirent
à petit bru it p o u r aller su rprendre Coman au lieu m êm e
de son em bu scad e. Ce ne fut pas un com bat, ce fut une
b ou ch erie. Cernés et assaillis subitem ent dans une posi­
tion où ils pou vaien t à pein e agir, les S égobriges n ’ op p o­
sèrent aux Massaliotes au cun e résistan ce; tous furent
tués, y com p ris le r o i 3. Mais cette victoire ne fit q u ’ irriter
davantage la con fédération lig u rie n n e ; la gu erre se p o u r­
suivit avec ach arn em en t; et Massalie, épuisée par des
pertes jou rn a lières, allait s u c c o m b e r, lorsqu ’ un événe­
m en t q u i bouleversait tout le pays d’alentour survint à

1. Plures scirpeis latentes, frondibusque supertectos, induci veliiculis


jubet. Just., x u u , 4.
2. Adulterare cum Græco adolescente solita, in amplexu juvenis,
miserata formæ ejus, insidias aperit, periculumque declinare jubet. Id.
ibid.
3. Cæsa sunt cuui ipso rege sepiem m illia hostium. id ., ibid.
p rop os p ou r la sa u v e r1. Il est nécessaire à l’in telligen ce
de cet évén em en t et de ceu x qui le su ivirent, que nous
in terrom p ion s quelques instants le fil de ce récit, afin de
repren dre les choses d’ un peu plus haut.
Au n ord de la Gaule habitait un grand peu ple lié pri­
m itivem ent à la m êm e fam ille h u m ain e que les G alls,
mais qui leur était deven u étranger par l’effet d’ une lon ­
gue séparation 2 : c’ était le p eu ple des Kim ris. C om m e
toutes les races m enant la vie vagabon de et n o m a d e ,
celle-ci occu p ait u n e im m en se étendue de pays : tandis
que la Chersonèse taurique et la côte occid en tale du
Pont-E uxin étaient le siège de son établissem ent p rin ci­
pal \ son avant-garde errait le lo n g du Danube 4; et les
tribus de son arrière-garde p arcou raien t les bord s du Ta-
naïs et du Palus-M éotide. Les m œ urs sédentaires avaient
pourtant co m m e n cé à s’in trod u ire parm i les K im ris; les
tribus de la Chersonèse taurique bâtissaient des villes et
cultivaient la te r r e 6; mais le gros de la nation tenait en ­
core avec passion à ses habitudes de courses et de bri­
gandages.
Dès le xie s iè c le , les in cu rsion s de ces bandes à tra­
vers la C olclû d e, le P ont, et ju sq u e sur le littoral de la
m er É gée, répan diren t par toute l’Asie l'effroi d e leur

1. Liv., v, 34.
2. Voyez l’Introduction do cet ouvrage.
3. Horodot., iv, 11, 12.
4. Posid. ap. Plut., in Mario, 10 et seqq.
5. Strabon (1. xi, p. 494) appelle Kimrnericum une de leurs villes;
Scymnus lui donne le nom de Kimmeris (v. 201, 202). — Éphore, cité
par Strabon (1. v, p. 244), rapporte que plusieurs d’entre eux habitaient
des caves qu’ils nommaient argil : "Efopôt <pï]<nv ocùtoùç èv xarayeiotî
oîxîaiç oixeiv xaXoümv àpyiXXaç. Argel, en langue cam brienne, signifie
un couvert, un abri. Taliesin. W . Archæol., p. 80. — M efdhin Afallenau.
W . arch., p. 152.
n om *; et l’ on voit les Kimris ou Kimmerii, ainsi qu e les 1100
Grecs les appelaient eu p h o n iq u e m e n t, jo u e r dans les à
631
plus an cien n es traditions de l’ io n ie un rô le im p orta n t,
m oitié historique, m oitié fa b u le u x 2. C om m e la croyan ce
religieu se des Grecs plaçait le royaum e des om b res et
l’entrée des enfers autour du Palus-M éotide, sur le terri­
toire m ôm e occu p é par les K im ris, l’im agination p op u ­
laire, accou p lan t ces deux idées de terreur, ût de la race
k im m érien n e une race in fern a le, a n th ro p o p h a g e , non
m oin s irrésistible et n on m oins im pitoyable que la m ort,
dont elle habitait les d o m a in e s 3.
Pourtant, si l’on en croit d ’autres sources historiques,
ces tribus du Palus-M éotide, si redoutées dans l’A sie,
u’étaient ni les plus belliqueuses, n i les plus sauvages de
leur race. Elles le cédaient de b ea u cou p , sous ces deux
rapports, à celles qui parcou raien t l’ in térieu r du conti­
nent eu rop éen \ m archant l’été, se retranchant l’ hiver
dans leurs cam ps de chariots, et tou jou rs en guerre avec
les peuplades illyriennes ou s la v e s , n on m o in s sauvages
q u ’elles. Il est très-probable que ces tribus avancées co m ­
m en cèren t de b on n e h eu re à in qu iéter la fron tière sep­
tentrionale de la G aule, et q u ’elles passèrent le R h in ,
d’abord p ou r p iller, ensuite p o u r co n q u é rir; tou tefois,
ju sq u ’ au vu' siècle avant n otre ère, leurs irru ptions n ’ eu­

1. Strab., 1. i, n i, xi, m . — Euseb., Chron. ad au n u m m lx w i . —


O ros., i, 21.
2. Kaxà ti xotvàv tüv ’Iwvwv tüo; npà; t 6 çû),ov touto... Strab., 1. m ,
p. 149.
3. H om ., O d., xi, v . 14. — Strab., loc. cit. — Callir;., ap. euu.J.,
av. — Diod. S ic., v, 29 et 32.
4. T à Sè î t ) . e ï < r r o v a O tü v x a l pLa^ifjicÔ TO CTO v i n ’ ta y â to u o lx o ü v jta p à v jjv

G iÀ a c a a v ... T o ü t o 'j ; d £ a v a < rtâ v T a ; o jx èx (iià ; ô p jif,;, o jS è a u v s ^ u j;,

i/>, etouç xaO’ ËxaffTOv èviauTOV el; toüjiitpotjÔÊv «e! y_<opoârta;, jta'j,
^povoi; irg/,/,oïi; èra/.OeCv -Tqv ipuipov. Plut., in Jlurio, 11.
rent lieu qu e partiellem ent et par intervalles, l a i s à cette
ép oq u e, des m igration s de peuples sans n om b re vinrent
se croiser et se ch o q u e r dans les plaines de la haute Asie.
Les nations scythiques ou teutoniques, chassées en masse
par d’autres nations fu g itiv e s , envahirent les bord s du
Palus-M éotids et du P on t-E u x in ; et, à leu r tou r, chas­
sèrent plus avant dans l’ O ccident u n e grande partie des
h ord es kim riqu es d ép osséd ées1. C elles-ci rem on tèren t le
cou rs du Tyras ou Dniester, et, poussant devant elles leur
avant-garde déjà maîtresse du pays, la forcèren t à ch er­
ch er vers le su d-ouest un autre territoire. Ce fut alors
que, suivant les traditions nationales, u n e arm ée con si­
dérable de K im ris, con d u ite par Hu ou Hesus le Puis­
san t, ch e f de g u e r r e , législateur et p r ê tr e 2, longeant
l’Océan « b r u m e u x 3, » fran ch it le llh in , à son cou rs in ­
férieur, et pénétra dans la Gaule.
L’ h istd ire'ü e n ous a pas laissé le détail de cette co n ­
q u ête; mais l’état relatif des deu x races, lorsq u ’elle se fut
a ccom p lie et q u e ses résultats se trouvèrent con solid és,
peut ju sq u ’à un certain p oin t n ous en faire devin er la
m arch e. Le grand effort de l’invasion paraît s’ être porté
sur le littoral de l’ Océan, appelé Ai*morike dans les deux
id iom es des Kim ris et des Galls. Ce serait dans la d irec­
tion du n ord au sud et de l’ouest à T ed t q u ’elle se serait
avancée su ccessivem en t, soum ettant une partie de la
p op u la tion , et refoulant l’autre au pied des chaînes de
m on tagn es qu i cou pent d iagon alem ent la Gaule, du n ord-
est au sud-ouest, depuis les Vosges ju sq u ’aux m onts Ar-
vernes. Dans quelques endroits, les grands fletivès ser­

1. Herodot., iv, 11, 12, 13. — Voyez ci-dessus l’Introduction, où j ’ai


exposé l’hypothèse de Posidonius, renouvelée par Fréret et Niebuhr.
2. Voyez ci-dessous, livre iv.
3. Fôr Tawch. Trioedd yny. Pryd., iv.
viren t de barrière à l’invasion : ainsi les JRiluriges se
m aintin ren t derrière la m oy en n e L oire et la Vienne ; les
Aquitains, d errière la G aronne. Ce d ern ier fleuve cep en ­
dant fut .franchi à son e m b o u ch u re par un détachem ent
de la tribu k im riqu e des Boïes, q u i s’ établit dans les lan­
des d on t l’ Océan est b o rd é ,(ie ce côté. G énéralem ent et
en masse, on p ou rra it se représepter la lim ite com m u n e
des deu x populations, après la c o n q u ê te , par u n e ligne
ob liq u e et sinueuse qui suivrait la chaîne des Vosges et
son appendice, celle des m onts éduens, la m oy en n e L oire,
la V ien n e, et tou rn erait ,1e plateau des Arvernes p o u r se
term in er à la G a ron n e, divisant ainsi la Gaule en deu x
p ortion s à p eu près légales : l’ u n e m on ta g n eu se, étroite
au n ord, large.au m idi, et com p ren a n t la con trée o rie n ­
tale dans toute sa lo n g u e u r; l’autre form ée de plaines,
large au n o r d , étroite au m id i, et ren ferm an t toute la
c ô t e d e l’ Océan depuis l’em b ou ch u re du Rhin ju sq u ’à celle
de la G aronne. C elle-ci fut au pou voir de la race con q u é­
rante ; celle-là servit de boulevard à la race envahie *.
Mais ce partage ne s’ opéra p oin t instantaném ent, ré­
g u lièrem en t; la Gaule fut le théâtre d ’ un lo n g désordre,
de croisem ents et de ch ocs m ultipliés entre toutes ces

1. L'hypothèse que je présente ici sur la situation relative des races


gallique et kimrique se déduit bien logiquem ent, ce me semble, de la
discussion contenue dans l ’Introduction de mon livre : elle est vraie, si
cette discussion est fondée. Je l’ai déjà dit, le point important, dans l’eth­
nographie gauloise, est de concilier les données de César avec celles de
Strabon, et je crois mes conjectures de nature à le faire. La question,
non-seulem ent est importante com m e question partielle, mais elle tient
à ce qu’il y a de plus fondamental dans les origines gauloises : il faut
l’examiner, tâcher de la résoudre, ou renoncer à l’histoire de la Gaule.
Q u’on crie donc tant qu ’on voudra à l’hypothèse : je n ’ai jam ais eu lu
prétention d ’offrir ici autre chose,.attendant que mes critiques, veuillent
bien nous donner mieux.
peuplades errantes, sédentaires, envahissantes, envahies,
victorieuses, vain cu es; il fallut lon gtem ps p o u r qu e cha­
cu n e d ’elles pût ou se con server o u se faire u n e place,
et s’ y rasseoir en paix. Une p o rtio n de la pop ulation gal-
liq u e, appartenant au territoire co n q u is , s’ y m aintint
m êlée à la p op u la tion con q u éra n te; q u elqu es tribus
m ê m e , qu i appartenaient au territoire n on e n v a h i, se
trou vèren t am enées au m ilieu des possessions k im riqu es.
A insi, tandis qu e le m ou v em en t p rim itif d e l’invasion
poussait de l’ouest à l’est la plu s gran de partie des Galls
cé n om a n s, au lerk es, carn utes, sur les B itu riges, les
É dues, le sA rv e rn e s, u ne tribu de B itu riges, entraînée
par u n e im p ulsion con traire, vint de l’est à l’ouest s’ éta­
blir au-dessus des Boïes, entre la G ironde et l’ Océan.
Le refou lem ent de la p opulation gallique dans le
centre et l’ouest d e la Gaule nécessita bien tôt des ém i­
grations considérables. Les tribus accu m u lées, au n ord -
est, dans la Séquanie et l’ Helvétie, en voyèrent au deh ors
u ne trou pe de guerriers, de fem m es et d ’enfants, sous la
con d u ite d’ un c h e f n o m m é Sigovèse. Sortie de la Gaule
par le cours su p érieu r du Bhin, elle se d irigea d’ un côté
vers la forêt H e r c y n ie 4, de l’autre vers les Alpes illy-
rie n n e s, culbutant et m assacrant tou t devant e l l e 2. Ce
fut la sou ch e de tribus n om breu ses et puissantes q u i
p eu p lèren t, dans la suite des tem p s, la rive droite du
Danube et la ch aîn e orientale des Alpes. Une secon de
bande qu i s’ organisait en m êm e tem ps parm i les nations
du centre, Bituriges, Édues, Arvernes, Am barres, se m it
en m arch e vers l’ Italie : elle avait p o u r c h e f le Biturige

1. Sigoveso sortibus dati Horcynii saltus. L iv,, v, 34.


2. Portio Illyricos sinus... per stragem barbarorum, penetravit, et in
Panoonia consedit. Just., xxiv, 4.
Bellovèse *. La force des deux arm ées réunies m o n ta it,
dit-on , à trois cent m ille â m es*. Ces m igration s sim ul­
tanées d on n èren t naissance à la fable si con n u e d’ un
Am bigat, ro i des B itu riges, q u i, trouvant son royaum e
trop p e u p lé , envoya ses deux n eveux fo n d e r au loin
d eu x colon ies en se guidant sur le v o l des o ise a u x 3. Une
autre fable, com m u n e aux annales prim itives de beau­
cou p de nations, attribuait l’ arrivée des Galls en Italie à
la ven g ea n ce d’ un m ari ou tra g é , d’ un citoyen étrusque
n o m m é Aruns, qu i, voyant sa fem m e séduite et enlevée
par un L u cu m on de Clusium , et ne pou vant ob ten ir ju s­
tice, avait passé les Alpes, m u n i d’ une abondante provi­
sion de vin , et, au m oyen de cet appât irrésistible, avait
attiré les Gaulois sur sa patrie 4. Les écrivains de l’his­
toire rom ain e rapportent sérieusem ent ces traditions
futiles et con tradictoires 5; un seu l, don t les assertions
m ériten t gén éralem en t con fia n ce p o u r tou t ce qui re­
garde la Gaule, parce q u ’ il est Gaulois lu i-m é m e , en fait
ju stice en les m éprisant. « Ce fu re n t, d it-il, des b ou le-
ci versem ents intérieurs qui pou ssèrent les Galls h ors de
leu r pays 6. »
L’ hiver durait en core lorsqu e Bellovèse et sa troupe

1. Belloveso haud paulo lætiorem in Italiam viam Dii dabant. L iv.,


v, 34.
2. Trecenta m illia hom inum. Just., xxiv, 4.
3. L iv., v , 34.
4. Id ., ibid. — P lut., in Cam ill., 15.
5. Equidem haud abnuerim Gallos ab Arunte adductos... L iv., v, 33.
■- Plut., in Cam ill., 15.
6 . Gallis causa in Italiam veniondi, sedesque novas quærendi, intes-
tina discordia. Just., xx, 5. Trogue Pompée, dont Justin a abrégé l’ou-
rrage, était, autant qu ’on en peut juger d’après son abréviateur, origi­
naire du pays des Voconces, et il avait donné aux faits de l’histoire de la
Gaule un soin tout particulier.
arrivèrent au pied des Alpes; ils y firent halte en atten­
dant que leurs guides eussent exam iné l’ état des ch e­
m in s S et dressèrent leurs tentes sur les bord s de la
D urance et du R hône. Ils y étaient cam pés depuis plu ­
sieurs jou rs, quand ils viren t arriver à eu x des étrangers
qu i im p loraien t leur assistance; c ’ étaient des députés de
la ville de Massalie, alors assiégée par les L igures et ré­
duite à toute extrém ité. Les Galls écou tèren t avec intérêt
la prière des P h océen s et le récit de leu r ém igration , de
leurs com bats, de leurs revers; ils cru ren t v oir dans
l’ h istoire de ce petit peu ple u n e im age de leu r p rop re
histoire, dans sa destinée un présage du sort qui les at­
tendait e u x -m ê m e s 2, et ils résolu ren t de le faire triom ­
p h e r de ses en nem is. Conduits par les députés, ils atta­
quèrent à l’ im proviste l’ arm ée lig u rie n n e , la battirent,
aidèrent les Massalioles à re co n q u é r ir les terres q u i leur
avaient été enlevées, et leu r en livrèrent de n o u v e lle s 3.
Sitôt que cette expédition fut te rm in é e , Rellovèse
entra dans les Alpes, d éb ou ch a par le m on t G cnèvre sur
les terres des L igures taurins \ q u i habitaient entre le
P ô et la Doria, et m archa vers la fron tière de la Nouvelle-
Étrurie. Les Étrusques a ccou ru ren t lui disputer le pas­
sage du Tésin, m ais ils fu ren t défaits et m is en d é ro u te 5,
laissant au p ou voir du vainqueur tout le pays com pris
entre ce fleuve, le P ô et la rivière Humatia, a u jou rd ’hui
le S erio. Un canton de ce territoire ren ferm ait, ainsi

1 . Qnum circumspectarent quanam per juncta coelo ju ga transirent.


Liv., v , 34.
2. ld Galli fortunæ suae omen rati... Td., ibid.
3. Adjuvere ut quem prim um , in terram egressi, occuparant locum,
patentibus silvis communirent. Id ., ibid.
4. Taurino saltu Alpes transcenderunt. Id., ibid.
5. Fusis acie Tuscis, haud procul Ticino flumine. Id., ibid.
qu e nous l’ avons raconté plus liaut, qu elqu es tribus gal-
liqu es, restes de l’antique nation o m b r ie n n e , qui se
m aintenaient, depuis trois cents ans, libres du jo u g des
E trusques; et ce canton portait en core le n om d’Isom -
b r ie 1. On peut présu m er, q u oiq u e l’ histoire ne l’ én on ce
Pas p ositivem en t, qu e les descendants des Ambra reçu ­
rent, com m e des frères et des libérateurs, les Galls qui
leur arrivaient d’au delà des Alpes, et q u ’ils ne restèrent
p oin t étrangers au succès de la jo u rn é e du Tésin. Quam
à la trou p e de Bellovèse, ce fut p o u r elle un événem ent
de favorable au gure qu e de ren con trer, sur ce sol en ­
n em i, une Isom b rie qui rappelait aux Édues et aux Am-
barres l’Isom brie des bord s de la Saône et leu r terre
n a ta le 2. Frappés de cette c o ïn c id e n c e , et la regardant
com m e un présage h eureu x, tous, É dues, A rvernes, Bi-
turiges, adoptèrent p o u r leur n om national celu i d ’Isom -
bres ou d’Insubres, suivant l’ orth ograp h e rom a in e. Bello­
vèse jeta les fon d em en ts d’ une b ou rga d e q u i dut servir
de ch ef-lieu à ses com p a g n on s devenus sédentaires; il
la plaça dans une plaine à six lieues du T ésin , et à six
de l’ Adda, et la n om m a M ediolanum : elle form a depuis
u ne grande el illustre ville, qui a u jou rd ’ hui m êm e co n ­
serve la trace de son a n cien n o m 3. "
C’ étaient les nations de l’orien t et d u . centre de la
Gaule q u i, refoulées par les nations galliques de l’ o cci­
dent, avaient d éch argé leu r p opulation de l’autre côté des
Alpes; ce fut bien tôt le tou r de celles-ci. Des Aulerkes,
d esC a rn u te s, surtout des C énom ans, se form èren t en

1. Voyez ci-dessus, p. 131.


^ Quum *n quo consederant, agrum Insubrium appellari audissent,
1 î, omen sequentes loci, condidcre urbem. L iv., v, 3 i .

3. Mediolanum appellarunt. Id., ibid. — C’est la ville de Milan.


ban d es, sous un ch e f n o m m é Elitovius *, et, après avoif
erré qu elqu e tem ps sur les bord s du R hône 2, passèrent
en Italie, o ù , avec le secours des Insubres ils chas-
sèrsn t les Étrusques de tou t le reste de la T ranspadane,
ju sq u ’ à la fron tière des Vénètes. Les p rin cipales b o u r­
gades q u ’ils fon d èren t, avec les débris des cités étrusques,
fu ren t Brixia 4 près du Mêla, et V érone sur l’Adige.
A qu elq u e tem ps de là, u n e troisièm e ém igration
partit en core de la Gaule p o u r se d irig e r vers l’ Italie.
Elle était m oin s n om b reu se que les p rem ières et se co m ­
posait de tribus lig u rien n es (Salies, Læ ves, Lebekes) que
les Galls avaient déplacées dans leurs cou rses; elle passa
les Alpes m aritim es, et s’ établit à l’ occid en t des Insubres,
d on t elle ne fut séparée qu e par le Tésin \
Mais au sein de la G aule, le m ou v em en t de la c o n ­
qu ête em portait les con quéran ts eu x-m êm es. L’ avant-
garde des K im ris, poussée par la masse des envahisseurs
qui se pressaient d errière elle, se vit contrainte de suivre
la route tracée par les va in cu s, et d ’ é m ig rer à son tour.
Une grande arm ée com p osée de B oïes, d ’ Anam ans et de
L in gon s (ceu x-ci s’ étaient em parés du territoire situé
au-dessus des sources de la S ein e) traversa l’ Helvétie,
et fran ch it les Alpes p en n in es. Trouvant la Transpadane
en tièrem ent o ccu p é e par les ém igration s p récéd en tes,
les n ouveaux venus p a s sè re n t6 sur des radeaux le fleuve

1. Elitovio duce. L iv., v, 35.


2. Auctor est Cato Cenomannos juxta Massiliam habitasse in Volcis.
P lin ., m , 19.
3. Favente Belloveso. L iv., v, 35.
4. En langue gallique, brifja indiquait une ville fortifiée.
5. L iv., v , 35. — l’ oly b., h , t7 . — P lin ., m , 17:
G. Pennino deinde Boii Lingonesque transgressi... Pado ratibus tra-
Jecto... L iv., v, 35. — Au sujet des Anamans, voyez P olyb., n, 17.
sans fond (c’ est ainsi q u ’ ils su rn om m èren t le P ô 4) , et es:
chassèrent les Étrusques de toute la rive droite. Voici ^
com m en t ils firent entre eux le partage du pays.
Les B oïes eu rent p o u r frontières à l’ est la petite rivière
d’ U tens, a u jou rd ’h u i le M on ton e, à l’ ouest le T aro, au
nord le P ô , au m idi l’Apennin ligu rien . Cette tribu était
la plus puissante des trois, et jo u a tou jou rs le prin cipal
rôle dans leu r con fédération. Les L in gon s habitèrent le
triangle com pris entre le lit du P ô , sa b ra n ch e la plus
m é rid io n a le , n om m é e Paduza, et la rner. Les Anam ans
se placèrent à l’ occid en t des B oïes, entre le Taro et la
petite rivière V arusa, a u jou rd 'h u i la Versa. Les Boïes éta­
bliren t leur chef-lieu sur les ru in es de la cité de F el-
sina, capitale de toute la C ircum padane pendant la d o ­
m ination étru squ e; ils ch an gèren t son nom en celui de
B ononia 2.
Les Étrusques se trouvaient ainsi repoussés au delà de
l’ A p en n in , et la con trée circu m p ad an e envahie tou t en­
tière, lorsqu ’ une nouvelle bande d ’ém igrés kim ris arriva :
c ’étaient des S e n o n s 3, partis des fron tières biturige et
é d u e n n e , où leur nation s’ était fixée. N’ayant pas de place
sur les bord s du P ô , ils chassèrent les O m bres du littoral
de la m er su p érieu re, depuis l’ Utens ju sq u ’au fleuve
Æ sis\ et, non loin de ce d ern ier fleu ve, ils fon d èren t leur
ch ef-lieu d’ h abitation , q u i porta leur n om n ation al, et

1. Hapà yt (xèv t o ï; iy/uipioi; 6 TCOTa|xè; itpotraYopEÛetai RôSsyxo;.


P olyb., ii, 10. — Bodincus, quod significat fundo carens. P lin., m , 10.
— D ’après un étymologiste grec, l’autre nom du Pô, Padus, serait dérivé
u m ot gaulois paies, signifiant sapin : « Metrodorus Scepsius dicit,
quoniam circa fontom arbor multa sit picoa, quæ pades gallice vocetur,
P«dum hoc nomen accepisse. » P lin., loc. cit.
2- Felsina vocitata quum prinerps Etruriæ esset. P lin., m, 15.
3. Tum S cnones, rocentissimi advenaruin... Liv., v, 35.
4 . Ab m ente flumine ad Æsim fines babuere. Id., ibid.
fut appelé Sena *. La date de cet év én em en t, qu i term in a
la série des m igrations ga llo-k im riqu es en Italie, p eu t
être fixée à l’ année 521 2, soixante-sixièm e après l’ expé­
d ition de B ellovèse, cent dixièm e après le départ des
grandes h ordes kim riques p o u r l’o ccid e n t de l’ Europe.
Le repos des p opulations transalpines, à partir de cette
é p oq u e, sem ble a n n on cer qu e la Gaule se reconstitue,
et que les désordres de la con q u ête sont à p eu près calm és.
Si m aintenant n ous p orton s successivem ent n os re­
gards sur toutes les contrées où les deu x races se trou ­
vent en p ré se n ce , n ous p ou rron s n ous fig u re r, com m e
il su it, leur situation relative, dans la p rem ière m oitié
du vie siècle.
En Italie, la lig n e de dém arcation est tracée par le
cour!-' du P ô ; les Galls o ccu p e n t la T ranspadane; les
K im ris, la Gispadane.
En G a u le, la ré g io n m ontagneuse orientale et m éri­
d ion ale appartient aux Galls; le reste du pays ju sq u ’à la
G aronne est au p o u v o ir de la race k im r iq u e , plus ou
m oin s m élangée de Galls vers le m id i et le ce n tre , p u re
dans le n ord .
Dans l’île d’A lb ion , qu e les Kim ris on t envahie en
m êm e tem ps qu e le con tin en t g a u lois, et à laquelle une
de leurs tribus, partie de l’A rm orik e, a im p osé le n ou ­
veau n om de Bretagne ou terre des Bretons 3, la race kim -
riqu e habite le m id i, celle des Galls se m aintient au

1. Serunum de nomine Sena. Sil. Italie., vm , v. 455.


2. Dans cette année 23‘2e de Rome et Î S ' du règne de Tarquin le Su­
perbe, correspondant à la 4e année d e la l x i v c olympiade, les Ombres
dépossédés par les Senons assiégèrent la ville grecque de Cumes dans le
pays des Opiques. ’ 0 (xëpixot 0 - 6 Ks/.tojv s^eXaOévreç... Ku[ay]v èv ’Otu-
xoîç éXXr,v(Sa JtôXiv ètoxe‘ àveXesv. Dion. Hal., vu, 3.
3. Voyez l'Introduction.
centre, au nord et dans les îles de l’ ouest. Peu à peu le pro
grès de l'invasion kim riqu e la refoulera du côté du n ord ,
dans la région sauvage des m onts Gram piens. Nous l’y
retrou veron s plus tard divisée en trois nations : les tribus
des hautes terres ou Albans celles des basses terres ou
Maïales s ; et celles q u i, habitant l’ épaisse forêt située au
pied des m onts G ram piens, portaient vraisem blablem ent
dans leu r id iom e le n om de Celtes, mais que les Kimris
appelèren t dans le leur tribus de Celyddon, Calédoniens s.
Au n ord du R h in , la race gallique o ccu p e la rive
droite du Danube et les vallées des Alpes illyrien n es, où ,
par sa m ultiplication et ses con q u êtes, elle form e déjà
des peuplades con sid érables, Lant de p u r sang gallique
que d e sang gallique et illyrien m élangés, telles qu e les
C arnes, les Tauriskes, las Japodes. La race kim riqu e pos­
sède la rive gau che du fleu v e, et s’ étend à l’ ouest et au
nord vers l’ Océan. Elle se divise en trois grandes con fé­
dérations :
1° Le noyau de la ra ce , portant spécialem en t le n om
n ation al, et habitant la presqu ’île k im riq u e ou cim ­
briqu e 4 et la côte circon v oisin e.
2° Les Boïes ou B ogs, c’ est-à-dire h o m m e s terribles 5;
ayant p ou r séjou r le fertile bassin qu’ en tou rent les m onts
Sudètes et la forêt H ercynie 6. P lusieurs tribus b oïen n es

t . Albani. Les montagnards écossais se donnent encore aujourd’hui


lo nom d 'Albanach.
2. Maiatœ, de magh-aite : magh, plaine; aite, contrée. — Armstrong’s
Gael. diction.
3- Cyntaf oeddynt Ciwdawd Celyddon yn y Gogledd. Trioedd j" l ,
Pryd. Celyddon est le pluriel de celydd, lieu couvert, forêt.
i . Aujourd’hui le Jutland.
B °gi, Boci. — Bw, la peur; Bwg et Bug, terrible. V. Owen’s
W elsh diction.
6 . Aujourd hui la Bohême, fJoio-hemum. Ce nom , qui signifie, en
587 avaient pris part à la con quête d e là Gaule; mais, co m m e
nous l’avons dit plus h a u t, u n e seule d ’entre elles s’y
fixa, dans un petit canton du territoire a q u ita in , à l'e m ­
b ou ch u re de la G aron n e; les autres passèrent en Italie.
3° Les Belgs ou B elges, don t le n o m paraît sign ifier
guerriers ' : errant dans les forêts qui b ord en t la rive
droite du R h in , leur con fédération m enace la Gaule, où
n ous la verrons b ien tôt jo u e r à son tou r le rôle de co n ­
quérante.
Toutes les fois q u e , dans le cou rs de cette h istoire,
les deu x races se trou veron t en op p o sitio n , n ous con ti­
n u eron s à les distin guer l’ une de l’autre par leurs nom s
génériques de Galls et de Kimris. Mais lo rsq u e , abs­
traction faite de la diversité d’o r ig in e , nous les m on tre­
rons en contact avec des peu ples appartenant à d’autres
fam illes h u m ain es, la d é n o m i n a t i o n vulgairem ent reçue
de Gaulois n ous servira p o u r d ésig n er, soit les deux races
en co m m u n , soit l’ une d’ elles séparém ent; quelquefois
m êm e ce m ot sera pris dans une acception toute géogra­
p h iq u e, et signifiera collectivem ent les habitants de la
Gaule, de qu elqu es aïeux q u ’ils d escen dent, Galls, Kim ­
ris, Aquitains ou L igures. Nous adopterons aussi, p ou r
n ous co n fo rm e r à l’ usage, la division du territoire gau­
lois con tigu aux Alpes, en deu x Gaules : l’ une transalpine,
et l’autre cisalpine, et la subdivision de celle-ci en trans-
padane et cispaclane, conservant à ces m ots la signification
q u ’ ils avaient chez les R om ains, et que l’histoire a co n ­
sacrée.

langue germanique, demeure des Boïes ( Boio-lieim ), lui fut donné par
Marcomans, qui s’en emparèrent après en avoir expulsé les habitants.
le s

T ac., Germ ., 28.


1. Belgiaidd, dont le radical est Del, guerre.
C H A P IT R E II.

G a u lb c is a l p in s . T a b le a u d e la h a u te I ta lie so u s le s É t r u s q u e s ; e n su ite
so u s le s G a u lo is . — C o u r s e s d e s C isa lp in s da n s le c e n t r e e t le m id i d e la
p r e sq u ’ îl e . — L e s iè g e d e C lu siu m le s m e t en c o n t a c t a v e c les R om a in * —
B a taille d ’ A llia . — Ils in c e n d ie n t R o m e e t a s s iè g e n t le C a p it o le . — L ig u e
d é fe n s iv e d e s n a tion s la tin e s e t é t r u s q u e s ; le s G a u lo is so n t b a ttu s p rès
d ’A r d é e p a r F u riu s C a m illu s . — Ils te n te n t d ’e sc a la d e r le C a p i t o le , e t son t
r e p o u s s é s . — C o n fé r e n c e s a v e c le s R o m a in s ; e lle s son t r o m p u e s ; e lle s se
r e n o u e n t ; u n tr a ité d e p a ix e s t c o n c lu . — L e s R o m a in s le v io le n t . — P lu ­
s ie u rs b a n d e s g a u lo is e s s o n t d é tr u ite s p a r t r a h is o n ; le s a u tre s r e g a g n e n t
la C is a lp in e .

391 — 390.

Au m om en t où les ém igrants gaulois fran ch iren t les


Alpes, la haute Italie présentait le spectacle d ’ une civili­
sation florissante. L’industrie étrusque avait con stru it des
v illes, défriché les ca m p a g n es, creusé des ports et de
n om b reu x can a u x, ren du le Pô navigable dans la pres­
qu e totalité de son cours1; et la place m aritim e d ’Adria,
par son im portan ce com m ercia le, avait m érité de d o n n e r
son n om au golfe qui en baignait les m u r s 2. Toute cette
prospérité, toute cette civilisation, disparurent devant l’in ­
vasion : les cham ps aban donn és se recou vriren t de forêts
et de pâturages ; et des chaum ières g a u lo is e s3 s’ élevèrent
de nouveau sur l’ em p lacem en t de ces grandes cités, qu i

Omnia ea flumina fossasque primi a Pado fecere Tusci. P lin., m ,


~ Cluver., Ital. antiq., p. 419 et seqq.
Nobilis portus Hatriæ a quo llatriaticum mare appellabatur. P lin.,
loc. cit. 1 '
158 H IS T O IR E DES G A U L O IS .
»
581 avaient su ccéd é elles-m êm es à des ch aum ières et à des
* bou rgad es gauloises.
C ependant les villes étrusques ne périren t pas toutes;
par un con cou rs de circon stan ces au jou rd ’ h u i in con n u es,
cin q restèrent d ebou t : deu x dans la Transpadane, et trois
dans la partie de l’ O m brie don t les Senons s’étaient em pa­
rés. Les p rem ières furent M antua1 (Mantoue), défendue
par le M incio, qu i form ait au tou r d’ elle un lac p ro fon d , et
M elpum , place de gu erre et de co m m e rce , l’ u n e des plus
rich es de la N ouvelle-É trurie 2, et jadis le bou levard du
pays con tre les in cu rsion s des Iso m b re s ; les secon d es,
R a ven n e, bâtie en b o is , au m ilieu des m arécages de
l’A driatique 3, Butrium , d ép en d a n ce de R aven n e4, et Ari-
m in u m 5. Q uelque raison qui les eût fait ép a rgn er, leur
existence, o n le com p ren d , restait b ien in certain e et b ien
p ré ca ire ; M elpum en fou rn it u ne preuve terrible : p o u r
avoir m écon ten té ses nouveaux m aîtres, elle se vit assail­
lie à l’ im proviste, pillée et détruite de fo n d ,e n c o m b l e e.
Mais celles qu i fu ren t assez prudentes ou assez h eu reu ­
ses p o u r éviter un sort pareil n ’eu rent dans la suite q u ’à
se féliciter de leur situation. Placées au sein d’ une p o p u ­
lation qui n ’avait p ou r le co m m e rce ni goût, ni habileté,
elles exploitèren t sans co n cu rre n ce toute la C ircum pa­
d an e, form a n t de grands entrepôts oû les Gaulois p re-

1. Mantua Tuscorum trans Padum sola relicta. P lin., ni, 19. — Virg.,
Æ n., x, v. 197 et soqq. — Serv., ad Æ n., x.
2. P lin ., m , 17.
3 . ’Ev 8à t o ï ç ë).ô<7i iie y itm ) (iàv è a t l P a o u é vv a SXrjixal ôiàp-
p'j'.'jc . . . '0 |i.8pixw v x a x o tx ta . S t r a b ., 1. v , p . 2 1 3 .
4. Id., ibid. — Plin., m , 15.
5 . A u jo u r d ’h u i R i m i n i . — To 8 ’ ’Apî|J.iMov ’0(j.ëpix£î>v i s r l xa-roixtqf,
xaO ârap x a i i] P a ou év v a ,'S s ô s x u a i ô ’ ètco£xq\;« P œ jM ia u ; é x « i é p a .:S t r a b ., lo c .
c it .
0 . P l i n ., m , 1 7 .
naient les m archandises grecqu es et italien n es, >et p or­ GS7
à
taient les produits de leurs cham ps ou le butin de leurs 891
guerres. C’étaient de petits États in dépen dan ts, quant à
leur gou vern em en t intérieur, mais tributaires, selon toute
apparence, des nations cisalpines, qui les laissaient sul>-
sister. Aussi les vit-on garder con stam m ent entre ces
nations et le reste de l’ Italie u n e neutralité rigou reu se ;
les nom s de Ravenne, d’ A rim inu m , de M antoue, ne sont
pas m êm e m en tionn és dans la lon g u e série des guerres
que les peuples gaulois et italiens se livreront pendant
trois siècles dans toutes les parties de la pén in su le.
A part ces p oin ts is o lé s , où la civilisation s ’était en
qu elqu e sorte retran ch ée, le pays ne présenta plus que
l’aspect de la barbarie. V oici le tableau q u ’un historien
n ous trace des peuplades cisalpines à cette ép oq u e Elles
« habitaient des bou rgs sans m u ra illes, m anquant de
« m eu b les, dorm an t sur l’ h erbe ou sur la paille, ne se
« nourrissant qu e de via n d e, ne s’ occu p a n t que de In
« gu erre et d’ un peu de cu ltu re ; là. se born aien t leur
« scien ce et leur industrie. L’ o r et les troupeaux eonsti-
« tuaient à leurs yeu x toute la richesse, parce que ce sont
« des biens qu ’ on peut transporter avec s o i, à tou t évé-
« n e m e n t1. » Chaque prin tem ps, des bandes d’aventuriers
partaient de ces villages p o u r aller piller q u elq u e ville
opu len te de l’ Étrurie , de la C am panie, de la Grande-
G rèce; l’ h iver les ram enait dans leurs lo y e rs, où elles
d ép osaien t en com m u n le bu tin con q u is durant l’expé­
dition : c’ était là le trésor p u b lic de la cité.

^ Q x o v v 8è xorrà xa>[j.a; àtei^tiTTOUî, TŸjç Xotirij; xaTaaxEUÎii; Spioipot x a -


, Stà f à p -tà G TiêaSoxoiteiv x a t xpew ipayeïv, h i 8è (*rj5èv à),},o 7iX^v
litx à x a î Ta xoreà yeM pytav à a x e ïv , à7t),oüç Et/_ov t o ü ; fif o u ;’ o ü t ’ ém a ­

il 'J-l i
o ü te T^yvr,; toco’ a ù n ï ç t o ita p ân av yi'jcom ou.évriç. "V n x pH c yc
\~ r ,i .xutCTTOi; xal l ’ u l ^ b . , I l , 17.
La Grande-G rèce fut d’ abord le but privilégié de ces
courses. La cu pidité des Gaulois trouvait un appât in ép u i­
sable, et leur audace une p roie facile dans ces répu bliqu es
si fam euses par leu r lu xe et leu r m ollesse, Sybaris, Ta­
rante, Grotone, Locres, Métaponte. Aussi toute cette côte
fut h orriblem en t saccagée. A Colon, on vit la p opulation,
fatiguée de tant de ravages, s’em b a rq u er tout entière, et
se réfu gier en S icile. Dans ces exp éditions lointaines, les
Cisalpins lon geaien t ordin airem ent la m er su périeure
ju sq u ’à l’ extrém ité de la p é n in su le , évitant avec le plus
grand soin le voisin age des m ontagnards de l’A pen n in ,
mais su rtou tles ap p roch es du Latium , petit canton peuplé
de nations belliqueuses et pauvres, p a rm i lesquelles les
R om ains tenaient alors le p re m ie r rang.
R om e com ptait trois cent soixante ans d’ existence.
Après avoir ob éi lon gtem ps à des rois, elle s ’était org a n i­
sée en rép u bliqu e aristocratique, sous un e classe de nobles
ou patriciens, qu i réunissaient le triple caractère de chefs
m ilitaires, de magistrats civils et de pontifes. Depuis sa
fon dation, R om e suivait, à l’ égard de ses voisins, un sys­
tèm e régu lier de co n q u ê te ; la gu erre, dans le but d’ac­
croître son territoire, était p o u r elle ce q u ’ était p o u r les
nations gauloises la gu erre d’aventures et de pillage. Déjà
contraints par ses a rm es, les autres peu ples du Latium
avaient recon n u sa su p rém a tie; et sous le n om d ’a llics,
elle les tenait dans une su jétion tellem en t étroite, q u ’ils
ne pouvaient ni faire ni ro m p re la guerre ou la paix sans
son assentim ent. Maîtresse de la rive gau che du T ib re ,
elle aspirait à s’ étendre égalem ent sur la rive droite ; Yéies
et Faléries, deu x des plus puissantes cités de l’Étrurie
m érid ion ale, venaient de tom b er entre ses m ains, lorsque
le hasard la m it en con tact avec les Gaulois cisalpins.
Malgré leurs con tin u elles expéditions dans les trois
quarts de l’ Italie et ta m ortalité qui devait en être la suite,
les Cisalpins croissaient rapidem en t en p opulation ; et
bientôt, se trouvant trop à l’ étroit sur leu r te rritoire, ils
son gèrent à en recu ler les lim ites. P ou r cela, ils ch oisirent
^ Élrurie septentrionale, don t ils n ’ étaient séparés que par
l’Apennin. Trente m ille gu erriers s e n o n s 1, franchissant
tout à cou p ces m ontagnes, vin ren t p rop oser aux Étrus­
ques un partage fraternel de leurs terres. Ils s’ adressè­
rent d ’abord aux habitants de C lu siu m , qui, p o u r toute
répon se, p riren t les arm es et ferm èren t les portes de leur
v ille ; les Gaulois y m iren t le siège.
Clu'sium, située à l’extrém ité des marais qui portent
son n om , occu pait dans la con fédération étrusque un rang
distin g u é; m ais cette con féd éra tion , harcelée au nord
par les Gaulois, au m id i par les R om ains, n’ était plu s en
état de p rotéger ses m e m b re s; elle avait m êm e déclaré
dans u n e assem blée solen n elle qu e chaque cité serait
laissée désorm ais à ses p ropres ressources, « tant il serait
« im prudent, disait-on, que l’ Étrurie s’ engageât dans des
» querelles générales, ayant à sa porte cette race gau-
« loise avec laquelle il n’ existait ni gu erre d écla rée, ni
« paix a ssu ré e ! ! »
En ce pressant danger, les Clusins im p lorèren t l’ assis­
tance de R om e, dont ils n’ étaient éloignés que de trois
jo u rn é e s de m arch e. R om e, tou jou rs em pressée de mettre
un pied dans les affaires de ses voisins, accu eillit la de­
m a n d e; m ais avant de fo u rn ir des secours effectifs, elle
envoya sur les lieu x des am bassadeurs chargés d ’exam iner
les causes de la gu erre, et d’aviser, s’ il se pouvait, à un

’ ■ H e p î T PW ^ P£0 U Î. D i o d S ic ., x iv , 1 1 3 .

2. Novos accolas Galles esse, cum quibus nec pax satis fida, ncc hél­
ium pro certo sit. L iv., v, 17.
a ccom m od em en t. Cette m ission fut con fiée à trois jeu n es
patricien s de l’antique et célèbre fam ille des Fabius.
Le caractère hautain et violent des Fabius convenait
mal à u n e m ission de p a ix 1; n éa n m oin s l’ ouverture de la
con féren ce fut assez calm e. Le ch e f su prêm e des Senons,
q u i portait dans leu r langue le titre de Brenn2, exposa
que, m écon ten ts de leurs terres, ses com patriotes et lui
venaient en ch erch er d ’autres dans l’ É tru rie; voyant les
Clusins possesseurs de plus de pays q u ’ils n ’ en pou vaien t
cultiver, les Gaulois en avaient récla m é u ne partie, que,
su r le refus des C lusins, ils enlevaient à m ain a rm é e ;
l’aban don de ces terres était, disait-il, l’ u niqu e con d ition
de la paix, com m e le seul m otif de la g u e r r e 3. Il ajouta :
« Les R om ains n ous sont p eu con n u s ; mais n ous les
« croyon s un peu ple brave, p u isqu e les Étrusques se sont
« m is sous leur protection . Restez d o n c ici spectateurs de
« notre qu erelle; n ous la videron s en votre p résen ce, aûn
« q u e vou s puissiez red ire chez vou s co m b ie n les Gaulois
« l’em porten t en vaillance sur le reste des h o m m e s 4. » À
ces paroles, les envoyés eu rent p ein e à ré p rim e r leu r co ­
lère. « Quel est ce droit qu e vou s vous arrogez sur les terres
« d’autrui? s’ écria l’ aîné des trois frè re s, Q. A m bu stu s;
« qu e sign ifien t ces m en aces? q u ’avez-vous affaire avec
« l’ É tru rie5? — Ce d ro it, reprit en riant le Brenn se n o -

1. Milis iegatio, ni præferoces legatos... habuisset. L iv., v, 30.


2. Bren, Brenin, r o i; en latin Brennus. Les Romains prirent ce nom
de dignité pour le nom propre du ch ef gaulois.
3. Si Gallis egentibus agro, quem latius possideant quam colant Clu-
sini, partem iinium concédant; aliter pacem impetrari non posse. Liv.,
v, 36.
4. Coram Romanis dimicaturos, ut nuntiare dom um possent quantum
Galli virtute ceteros mortales præstarent. id ., ibid.
5. Quid in Etruria rei Gallis esset?... Quodnam id ju s? Id ., ibid.
« n a is 1, es1 celui-là m ôm e que vous faites valoir, vous sgi
« autres R om ains, sur les peu ples qui vou s a v oisin en t,
« quand vous les réduisez en escla va ge, quand vous
« pillez leurs b ien s, quand vou s détruisez leurs villes
« c’ est le droit du plus fort. Nous le porton s à la poin te
« de nos épées : tou t appartient aux h om m es de cœ u r \ »
Les Fabius dissim u lèren t leur ressen tim en t, et sous
prétexte de v o u lo ir, en qualité de m édiateu rs, con férer
avec les Glusins, ils d em an dèrent à en trer dans la place.
Ils y trouvèrent les esprits in clin és à la paix. Les assiégés
avaient tenu co n s e il; pressés d ’en fin ir à tout p rix , ils
avaient résolu de p rop oser aux Gaulois la cession de
qu elqu es cantons de leu r te rrito ire , si l’ in terven tion des
am bassadeurs rom a in s restait sans e f f e t 4. Mais les Fa­
biu s com battiren t vivem en t ces disp osition s; ils e x h o r­
tèrent les Clusins à persévérer, e t , dans la colère qui les
transportait, ou blian t le caractère p acifiqu e de leu r m is­
sio n , eu x -m êm es s’ offriren t à d iriger u n e sortie sur le
cam p en n em i.
Les assiégés n’ eu rent garde de rejeter u n e telle pro­
position : ils sentaient que R om e, com p rom ise par une
si criante violation du d roit des g en s, se verrait fo rcé e ,
quoi qu’ elle en eû t, d’agir plus efficacem en t com m e
alliée, et peut-être d ’adopter cette guerre p o u r son p ropre
com pte. Conduits par les trois Fabius 8, ils attaquèrent
un parti gaulois q u i traversait la plaine en désordre, sur

1. r ù i f i a ; ô paaiXeùi; tüv TaXatüv BpEvvo;...... Plut., in C am ill., 17.


2. ’E ç’ ü 'jç 0(xeïç GTpocTEUovTEç, iàv (xexaSwaiv ùiuv twv àyaOtov, àvfipa-
XeïiXatEÏTC, xa l xaTamtnrtETE t o ? n ô \ tiç aOitiv. I d ., ib id .
3. lu armis ju s ferre et omnia fortiorum viroi'um esse. Liv., V, 3ii.
4. D io C a ss., Kragm. U rsin ., exLi, I , 2.
5- Ulod. S ic., xiv, 113. — L iv., v, 30. - Plut., in Cainiil., 17. —
O ros., ii , 19.
la fo i des p rélim in aires de paix. C om m e la m êlée co m ­
m en çait, Q. Am bustus poussa son cheval contre un ch ef
sen on d’u n e haute stature, q u e l’ardeur de com battre
avait porté en avant des prem iers ra n gs, le perça de sa
javelin e, et, suivant l’usage de sa nation, m it aussitôt pied
â terre p o u r le d épouiller. La cou rse rapide du R om ain et
l’éclat de ses arm es ne p erm iren t pas aux Gaulois de le
distin guer d’ abord 1 ; mais sitôt q u ’il fut r e c o n n u , ce
cri : L’ambassadeur romain ! circula de b o u ch e en b ou ch e
dans les rangs 2. Le Brenn fit cesser le com b a t, disant
q u ’il n ’ en voulait plus aux C lusins, que tou t le ressen­
tim en t des Senons devait se tou rn er con tre les Rom ains,
violateurs du droit des gens ; et sans délai il rassembla
les chefs de son arm ée p o u r en con férer avec eux.
Les v oix fu ren t partagées dans le con seil senonais.
Les plus jeu n es et les plus fou g u eu x voulaient m arch er
sur R om e, sans retard, à grandes jo u rn é e s 3; ceu x à qui
l’ Age et l’ exp érien ce don n aien t plus d’autorité firent
sentir quelle im p ru d en ce il y aurait à s’ e n g a g er avec si
peu de forces dans un pays in c o n n u , ayant en face de
soi le peu ple le plus b elliq u eu x de l’Italie, et derrière,
l’ Étrurie en arm es. Ils insistèrent p o u r qu’ on fît ven ir
avant tout des recru es de la C ircum padane. Les chefs
gaulois se rangèrent à cet avis; voulant m êm e d o n n e r à
leu r cause toutes les apparences de la ju stice, ils arrê­
tèrent qu’ une députation serait d’abord en voyée à Rom e
p ou r d én o n ce r le crim e des Fabius, et d em an d er qu e les
coupables leur fussent livrés. On ch oisit p o u r cette m is­

1. ’A'YVOvjBstç êv T^v suYoôov oijeîav yeveaSai, xai tà. tin\a


TOpi),â|j.itovTa t9]V ô^ iv àitoxpüirretv. Plut., in Cam ill., 17.
2. Pertotam acicm romanum legatum esse.,. Liv., v, 36.
3. Erant qui extemplo Romara eundum censerent; vicere seniores...
L iv., v , 36.
sion plusieurs chefs dont la taille extraordinaire pouvait 390

im p oser aux R om ains *. D’autres ém issaires se rendirent


chez les Senons et chez les Roïes 2, et l’arm ée gauloise
se tint ren ferm ée dans son cam p, sans in qu iéter davan­
tage Clusium .
La vue de ces étrangers et la m en ace d’ u n e guerre
inattendue jetèren t la surprise dans Rom e. Le sénat co n ­
vint des torts de ses am bassadeurs ; il offrit aux Gaulois,
en réparation, de fortes som m es d ’a r g e n t 3, les pressant
de ren on cer à leur poursuite : ceu x-ci persistèrent. La
con d a m n ation des coupables fut alors m ise en délibé­
ra tion ; m ais la fam ille Fabia était puissante par ses
clien ts, par ses rich esses, et par les m agistratures q u ’elle
occu p ait. L’assem blée aristocratique craign it de prendre
sur elle l’ od ieu x d’ une telle con dam n ation aux yeu x des
patricien s; et co m m e elle ne redoutait pas m oin s q u e,
dans le cas d ’u ne a b so lu tio n , le peu ple ne la rendît res­
p on sable des suites de la g u e r r e 4, p o u r s o r t i r d’ embarras,
elle renvoya le ju g em e n t à la d écision de l’assem blée
p lébéien n e.
Le crim e des F abius, d’après la loi ro m a in e , n ’ était
pas seulem ent un crim e p o litiq u e , c’était aussi un attentat
religieu x. Nulle g u erre, chez les R om ains, ne co m ­
m en çait sans l’intervention de feciales ou fé cia u x , sorte
de p rêtres-h éra u ts, q u i, la tête cou ro n n é e de verveine,
d’après un cérém on ial con sa cré, lançaient sur le sol
en n em i u n e javelin e ensanglantée : tel était le prélim i­
naire ob lig é des hostilités. La corp ora tion des féciaux,

î- A pp., de Reb. Gall., Exc. III.


2. Diod. Sic., xiv, 114.
• H 8è Y e p o u ffta ... êtteiOe xoùç itpEaëEV xàç xcôv K e).tw v x à y p ^ j.a x a ) a & î v
T ttpi; t m v ^ 5 t x T in É v U v . i d > ) X I V t 1 1 3

*• Ne pênes ipsos culpa esset cladis... Liv., v , 30.


intéressée au m aintien de ses p rivilèges, se chargea de
p ou rsuivre devant le peuple l’accusation capitale contre
Q. Fabius et ses frères. Ces prêtres parlèrent avec cha­
leur de la relig ion violée et de la ju stice divine et h u ­
m aine qu i réclam ait les cou pables. « Ne vous faites pas
« leurs co m p lice s, disaient-ils au p e u p le , ils on t attiré
« sur n ous u n e guerre inique-, qu e leu r tête soit livrée
« en ex p ia tion , si vous n ’aim ez m ieu x qu e l’expiation
« retom be sur la vôtre M » L’a ssem blée, gagnée par les
largesses de la fam ille Fabia, et d’ailleurs com p osée en
grande partie de ses clien ts, traita avec le d ern ier m é­
pris les accusateurs et l’accusation *. Les trois jeu n es
gens fu ren t absous. Bien p lu s, co m m e l’ ép oq u e du re­
nouvellem en t des grandes magistratures était a rriv ée, ils
fu ren t n om m és à la plus haute ch arge de la répu bliqu e,
celle de tribuns militaires avec puissance consulaire 3, et
reçu ren t le com m a n d em en t de la guerre qu’ ils avaient
si follem en t et si in ju stem en t p rovoq u ée. Les am bas­
sadeurs gaulois sortirent de R om e plus im ités q u ’ ils n’y
étaient entrés.
A leu r d ép art, la ville fut pleine d’agitation. Un des
tribun s consulaires p ron on ça les paroles qui appelaient
aux arm es tous les citoyens en masse : « Q u icon q u e veut
« le salut de la rép u b liq u e m e suive 4! » C’ était la for­
m u le usitée dans les cas de guerres soudaines et dange­
reu ses, de tumulte 83 suivant l’ expression latine. Aussitôt
deu x pavillons fu ren t arborés à la citadelle p o u r co n v o -

1. Plut., in Cam ill., 18.


2 . I k p iü ë p iffa v o'i jtoXXoi i à Oôïa x a l xorcefé),curav. I d . , i b i d .
3. Tribuni militum consulari potostate. — Ils étaient six , et parta­
geaient entre eux l’autorité et les attributions des consuls.
4. Qui rempublicam salvam essevu lt me sequatur. L iv., passim.
5. Tumultus, quasi tremor multus, vel a tumendo. Cic. P hilip., v, 31 ;
viu, 1. — Quint., vu, 3.
quer le peuple de la ville : l’un bleu, autour duquel les 390
cavaliers se réu n iren t; l’autre r o u g e , q u i servit de signe
de ralliem ent aux fantassins 1 ; et des com m issaires par­
coururent la ban lieu e de R om e , en rôlan t le peu ple de
la cam pagn e. Seize m ille h om m es furent pris sur ces
m ilices levées à la h âte; on y jo ig n it vingt-quatre m ille
soldais de vieilles tro u p e s, et l’on pressa les préparatifs
du départ.
Le récit des événem ents qui s’étaient passés à Rome
sous les yeux m êm es des am bassadeurs porta au plus
haut d egré l’irritation des Gaulois. Q u oiqu ’ils n ’ eussent
en co re reçu que dix m ille h om m es des renforts q u ’ils
attendaient des bord s du P ô , ils se m irent en m arch e à
l’instant m ê m e , sans désordre cep en d an t, et sans co m ­
m ettre de dévastations sur leur rou ie. T out fuyait devant
eu x. Les habitants des bou rgad es et des villages déser­
taient à leur a p p ro ch e , el les villes ferm aient leu r portes;
m a i s les Gaulois s’ efforcaient de rassurer les esprits. Pas­
saient-ils près des m urailles d ’ une v ille , 011 les entendait
p rocla m er à grands cris « qu’ ils allaient à R om e, qu’ ils
« 11’en voulaient qu’aux seuls R om ain s, et regardaient
« tou s les autres peuples co m m e des am is *. » Ils traver­
sèrent le T ib re , e t , côtoyant sa rive g a u c h e , ils descen­
d iren t ju sq u ’au lieu o ù la petite rivière d ’A llia, sortie
des m onts C rustum ins, se resserre, et se perd avec im ­
pétuosité dans le fleuve. C’est là , à une d em i-jo u rn é e de
R om e, qu’ ils virent l’ en n em i s’a p p roch er. Sans lui laisser
le tem ps de ch oisir et de fortifier un c a m p , sans lu i per­
m ettre d ’a cco m p lir certaines cérém on ies religieuses
q u i, chez lu i, devaient p récéd er indispensablem ent les

1. Serv. ad Virg. Æ n ., v in , v. 1.
s, * *um^m ire. L iv ., v , 37. — Movoiç 7roX£[xetv Pa)(xa(oti; toù;
û a/AOvç cpuovç £7uoTa<rôai. Plut., in Camill., 18.
300 grandes batailles \ ils en ton n èren t le chant de guerre
et appelèrent les Rom ains au com bat par des hurlem ents
qu e l’éch o des m ontagnes rendait e n core plus effroya­
bles s.
De l’autre côté de l’Allia s’ étendait une vaste plaine
b orn ée à l’o ccid e n t par le T ib re , à l’orien t par des co l­
lines assez éloignées : les R om ains s’y ran gèrent en ba­
taille. Leur droite s’appuya sur les collin es, leur gau che
sur le fleu ve; mais la distance d ’ une aile à l’ autre étant
trop gran de p ou r que la ligne fût partout égalem ent
g a rn ie, le centre m anqua de p rofon d eu r et d e force.
Outre cela , com m e ils tenaient à la possession de ces
h auteurs, q u i les em p êch aien t d’ être d é b o rd é s, ils y pla­
cèren t toute leur réserve, com p osée de vétérans d ’élite
appelés subsidiarii, parce q u ’ ils attendaient le m om en t
de d on n er, un ge n o u en terre, sous le couvert de leur
bou clier 3.
Ainsi que les tribuns m ilitaires l’avaient p rév u , le
com bat s’ engagea par la gau che des Gaulois. Le Brenn
en p erson n e entreprit de d ébu squer l’ en n em i des m o n ­
ticules ; il fut reçu vigou reu sem en t par la réserve rom aine
soutenue de l’aile droite. L’ en ga gem en t fut v if , et se p r o ­
lon gea avec égalité de succès de part et d ’autre. Mais
lorsqu e le centre de l’arm ée gauloise s’ ébranla et m archa
sur le centre en n em i avec la fou g u e ordin aire à cette
n a tion , les cris et té b ru it des ai'mes frappées sur les
b ou cliers, les R om ains, sans attendre le c h o c , se déban ­
d èren t, entraînant dans leur m ou vem en t l’aile gauche,
qui bordait le T ibre. Ce fut dès lors une véritable b ou -

1. Liv., v, 38. — Plut., in Camill., 18.


2. Truci cantu, clamoribusque variis, horrendo cuncta compleverant.
sono. Liv., v, 37.
3. Subsidebant : laine dicti subsidia. Festus.
ch erie. Les fuyards, pressés entre les Gaulois et le fleuve,
fu ren t, p o u r la plu p art, massacrés sur la rive m êm e. Un
grand n o m b re , en voulant traverser le fleuve, qui dans
ce lieu n ’ était pas gu éa b le, se n oyèren t, ou percés par
>es traits de l’e n n e m i, ou em portés par le c o u r a n tl . Ceux
qui parvinrent à gagn er le b ord op p o sé , ou blian t dans
leur frayeur et fam ille et p a trie, cou ru ren t se ren ferm er
à V éies, qu e la rép u b liq u e avait fait récem m en t forti­
f i e r 2. Quant aux troupes de l’aile d roite, leur résistance
était désorm ais inutile : elles battirent en retraite le plus
vite qu ’ elles pu ren t C om m e elles se croyaien t l’en n em i
a d o s , elles traversèrent, sans s’ a rrêter, la ville d ’une
extrém ité à l’autre, et se réfu gièren t dans la citadelle,
pu blian t p o u r tout détail que l’arm ée était anéantie et les
Gaulois aux portes de R om e 3. Cette bataille m ém orable
fut livrée le 16-du m ois de ju illet.
Il n’y avait que douze m illes du cham p de bataille d ’AIlia
à R om e, et si les G aulois avaient m a rc h é à l’ instant m êm e
sur la ville, c’ en était fait de la rép u b liq u e et du n om
r o m a in 4. Mais, dans la d ou b le jo ie et d’ un grand bu tin et
d’u n e grande victoire gagnée sans pein e, les vainqueurs
s’aban d on n èren t au repos el à la d ébau che. Ils passèrent
le reste du jo u r , la n uit et u n e partie du len dem ain à
p iller les bagages des R om ain s, à b o ire et à cou p er les
têtes des m o rts 8, qu’ ils plantaient en guise de troph ées au

1. D iod., Sic., xiv, 114. — L iv., v, 38.


2. Plut., in Camill., 18.
3- Romam petiere, et, ne clausis quidem portis urbis, in arcem con-
fugerunt. L iv., v, 38. — 'AvoitXot çuy ôvte; elç P to^ v , àirijffEl^av toxvtgcç
àTcoXwXévat. Diod. Sic., xiv, 115.
4. El fièv eOOùç èTtYptoXouQyjarav oî FaXàxai toï; qpeuyovai, oùôèv àv èxwXude
trjv àvaipeOyjvou. P lut., in Cam ill., 20.
o. Avax67rrovTEç Tàç xeçaXà; tüjv xexeXeu'nrixÔTwv. Diod. S ic., xiv, 115.
b ou t de leurs p iq u e s, o u q u ’ ils suspendaient par la che­
velure au poitrail de leurs chevaux.
Après s’ être partagé ce q u ’ il y avait de plus p récieu x
dans le b u tin , ils entassèrent le reste et y m iren t le feu.
Le jo u r suivant, un peu avant le co u ch e r du so le il, ils
arrivèrent au con flu en t du T ibre et de l’A n io 1. Là, ils
fu ren t in form és par leurs éclaireurs que les R om ains ne
faisaient paraître au cun signe extérieur de défense ; que
les portes de la ville restaient ouvertes ; qu e n u l drapeau,
n u l soldat arm é ne se m ontrait sur les m u r a ille s 2. Ce
rapport les inquiéta. Ils craign iren t q u ’ une tranquillité
aussi in explica ble ne cachât qu elq u e e m b û c h e ; et, rem et­
tant l’ attaque au le n d e m a in , ils dressèrent leurs tentes
au pied du m on t Sacré.
L’ évén em en t d’Allia avait frappé les R om ains de la plus
accablante con stern ation : un abattem ent stupide régna
d’abord dans la v ille ; le sénat ne s’ assem blait p o in t; au­
cu n citoyen ne s’a rm a it; aucun ch e f ne com m a n d a it; on
ne songeait m êm e pas à fe rm e r les portes. B ien tôt, et
d’ un soudain élan, on passa de cet extrêm e accablem en t
à des résolu tion s d’ une én ergie e x trê m e ; on décréta que
le sénat se retirerait dans la citadelle avec m ille des
h om m es en état de co m b a ttre 3, et que le reste de la p o p u ­
lation irait d em an der un refu ge aux peu ples voisins. On
travailla d o n c avec activité à a p p rovision n er la citadelle
d ’arm es et de vivres; on y transporta l’o r et l’argent des
tem ples ; ch aque fam ille y m it en dép ôt ce q u ’ elle possé­
dait de plus p r é c ie u x 4; et les ch em in s co m m e n cè re n t â se
1. Geli., v, 17. — M acrob., i, 16. — Plut., in Cam ill., 23.
2. Non portas clausas, non stationem pro portis excubare, non arma-
tos esse in m ûris. L iv., v, 39.
3. Juventus, quam satis constat vix m ille hom inum fuisse. F lor., i, 13.
4. ’E I ô/r,; rcoXewç eîç £va tôtcov t ü v à ^ a O to V (7uvrjôpoio'p.£vtüv. Diod.
S ic., xiv, 115.
co u v rir d’ une m ultitude de fem m es, d’ enfants, de vieil­
lards fugitifs. Cependant la ville ne dem eura pas en tière­
m en t déserte. Plusieurs citoyens qu e retenaient l’âge et
les infirm ités, ou le m an qu e absolu de re s so u rce s, ou le
désespoir et la h on te d’ aller traîner à l’étranger le spec­
tacle de leu r m isère, résolu ren t d ’attendre une prom p te
m ort au foyer dom estiqu e, au sein de leurs fam illes, qui
refusaient de les aba n d on n er. Ceux d ’entre eux q u i avaient
rem p li des charges p u bliqu es se parèrent des in signes de
leu r ran g, et, com m e dans les occa sion s solen n elles, se
placèren t sur leurs sièges orn és d ’ ivoire, un bâton d’ivoire
à la m ain. Telle était la situation in térieu re de R om e,
lorsqu e les éclaireurs gaulois s’ avancèrent ju sq u e sous les
m u rs de la ville, le soir du jo u r qui suivit la bataille. A la
vue de cette cavalerie, les R om ains cru ren t l’heure fatale
arrivée, et se ren ferm èren t précip itam m en t dans leurs
m aisons. Le jo u r continuant à baisser, ils pensèrent que
l’ en n em i ne différait que p o u r profiter de la lum ière
douteuse du crépu scule, et l’attente redou blait la frayeu r;
m ais la frayeur fut à son co m b le quand on vit la nuil
s’avancer. « Ils on t attendu les té n è b re s, se disait-on ,
« afin d’ ajou ter à la destruction lou tes les h orreu rs d ’ un
<( sac n o c tu r n e 1. » La nuit s’ écoula dans ces angoisses.
Au lever de l’a u rore, on entendit le bruit des bataillons
qui entraient par la porte Colline.
Le m êm e sou p çon q u i avait fait hésiter les Gaulois aux
portes de R o m e , les accom p a gn a à travers les rues et les
carrefou rs déserts, ils s’avan cèrent avec précau tion ju s-
qu à la grande place appelée forum magnum, et située au
pmd du m on t Capitolin. Là, ils pu ren t a p ercev oir la cila-
delle qu i cou ron n a it ce petit m on t, et les h om m es arm és

noctum ililatum consilium esse quo plus pavons iiiferreut,


L iv., v, 39.
dont ses crén eaux étaient garnis : c’ étaient les p rem iers
q u i se fussent m ontrés à eu x depuis la jo u rn é e d’Allia.
Tandis qu e le gros de l’arm ée faisait halte sur ce vaste
fo ru m , quelques détachem ents se répandirent par les
rues adjacentes p o u r p ille r ; m ais trouvant toutes les
m aisons du peu ple ferm ées, ils n ’ osèrent les fo r c e r ; et,
bien tôt effrayés du silence et de la solitude qu i les envi­
ron naien t, craignant d’ être surpris et enveloppés à l’ im -
proviste, ils se con cen trèren t de n ouveau dans la p la ce,
sans oser s’en écarter d a va n ta ge1.
Cependant, qu elqu es soldats rem arqu èren t des m ai­
sons plus apparentes qu e les autres, don t les portes n ’ é­
taient p o in t fe rm é e s 2, et ils se hasardèrent à y pénétrer.
Ils trouvèrent dans le vestibule in térieu r des vieillards
assis, qu i ne se levaient p oin t à leur a p p roch e, qui ne
ch angeaien t p oin t de visage, mais q u i dem euraient ap­
puyés sur leurs bâtons, l’ œil calm e, et im m ob iles. Un
tel spectacle surprit les Gaulois ; incertains s’ ils voyaient
des h om m es, ou des statues, o u des êtres surnaturels, ils
s’ arrêtèrent qu elqu e tem ps à les r e g a rd e r3. L’ un d ’eux
en fin , plus hardi et plus cu rieu x, s’ app roch an t d’ un de
ces vieillards qui portait, suivant les usages rom ains, une
barbe lon gu e et épaisse, la lui caressa d o u ce m e n t avec la
m a in ; mais le vieillard, levant son bâton d ’iv o ire , en
frappa si ru d em en t le soldat à la tête q u ’ il lui lit u ne
blessure d a n g e re u se 4; celu i-ci, irrité, le tua : ce fut le

1. Inde rursus ipsa solitudine absterriti, ne qua fraus hostilis vagos


exciperet, in forum ac prçpinqua foro loca conglobati redibant. L iv., v , 41.
2. Patentibus atriis principum . Id., ibid.
3. Ad eos velut simulacre versi cum starent. Id-, Ibid. — Plut., in
Cam ill., 22.
4. '0 jièv IlaTOipioç •qj paxTyjp îcj. t ^ v xeçaXrçv aÙTOü jtaïâ^aç oruvÉTpt<J/e.
Plut., ibid.
signal d’ un m assacre général. Tout ce qui tom ba vivant
au p ou v oir des Gaulois périt par le fe r; les m aisons fu­
rent pillées et in cen d iées.
La citadelle de R om e, appelée aussi Capiiolium, le Ca-
pitole, parce qu ’ on avait, dit-on , trouvé u n e tête d’h om m e
en creusant ses fon d a tion s, était un éd ifice de form e
carrée, de deux cents pieds en viron sur chaque face, d o ­
m inant la ville. Déjà suffisam m ent forte par sa position
au-dessus d’ un ro ch e r inaccessible de trois côtés, de
hautes et épaisses m urailles la défendaient en outre du
côté où le ro ch e r était abordable. Le Gapitole c o m m u n i­
quait alors au grand foru m par u n e m on tée faite de
m ain d’ h o m m e , et e n co re très-escarpée, qu e rem plaça
plus tard un escalier de cent m arches *.
Dans u n e position si favorable, u n e garnison tant soit
peu n om b reu se ne devait céd er q u ’à la fam in e : aussi les
assiégés reçu ren t-ils avec m épris la som m ation de se
ren dre. Le Brenn alors tenta d’ em p orter la place de vive
force. Un m atin, à la poin te du jo u r, il ra n ge ses troupes
su r le foru m 2, et com m e n ce à gravir avec elles la m o n ­
tée qui con duisait au Gapitole. Jusqu’à la m oitié du ch e­
m in , les Gaulois s’avancèrent sans trou ver d ’obstacles,
p oussant de grands cris et jo ig n a n t leurs b ou cliers au-
dessus de leurs têtes, par cette m anœ uvre que les anciens
désign aien t sous le n om de lorlu e3. Les assiégés, se fiant
à la rapidité de la pente, les laissaient a p p roch er p o u r
les fa tig u er; bien tôt ils les ch argèrent avec fu rie, les cu l­
butèrent, et en firent un tel carnage, q u e le fire n n n ’ osa

1. L iv., vui, 6. — T ac., Hist., m , 71.


■2. l'r im a lu C0, sig n o d a to , m u ltitu d o o m n is in foro in s tru itu r . L iv .,
v , 43.

3. In d e , c la a io r e su b la to ac te s tu d in e fa cta , su b eu n t. Id ., ib id .
pas livrer un second assaut, et se contenta d’ établir au­
tou r de la m on tagn e une lign e de b locu s *.
Tandis que les deu x partis, dans l’ in a ction , s’ obser­
vaient m utuellem ent, les Gaulois viren t un jo u r descen ­
dre à pas lents du Capitole un jeu n e Rom ain vêtu à la
m an ière des prêtres de sa n a tion , et portant dans ses
m ains des objets c o n s a c r é s 2. Il pén ètre dans leu r cam p ;
et, sans paraître ém u ni de leurs cris ni de leurs gestes, il
le traverse tout entier, ainsi qu e les ru in es am on celées de
la ville, ju sq u ’ au m on t Q uirinal. Là, il s’ arrête, a ccom p lit
certaines cérém on ies religieuses particulières à la fam ille
Fabia, don t il était m e m b r e 3, et retou rn e p a r le m êm e
ch em in au Capitole, avec la m êm e gravité, la m êm e im ­
passibilité, le m êm e silence. Chaque fois les Gaulois le
laissèrent passer sans lu i faire le m oin d re m al, soit qu’ ils
respectassent son cou rage, soit que la singularité du cos­
tu m e, de la d ém arch e et de l’action les eût frappés d’ une
de ces frayeurs superstitieuses auxquelles n ous les ver­
ron s plus d ’u n e fois s’a b a n d o n n e r4.
Le siège com m en ça it à p ein e, et déjà la disette tou r­
m entait les assiégeants. Dans leu r avidité im prévoyante,
ils avaient dissipé en p eu de jo u rs les subsistances que les
flam m es avaient épargnées, et se voyaient réduits à vivre
du pillage des cam p a gn es, ressou rce faible et p récaire
p o u r u n e m ultitude in d iscip lin é e , et don t le n om b re
s’ augm entait de m om en t en m o m e n t ; car les recru es de
la Gaule cisalpine arrivaient su ccessivem ent, et bientôt

1. Amissa itaque spe per vim atque arma subeundi, obsidionem pa­
rant. Liv., v, 43.
2. Gabino cinctu, sacra inanibus gerens... nihil ad vocem cujusquam
torroremve motus; Id., v, 46. — Dio Cass., Fragm. Pciresc., xxix, 1 , 2.
3. Sacrificium erat statum... genti Fabiæ. Liv., v, 46.
4. Seu religione etiam m otis... Id., ibid. — Dio Cass., loc. cit.
l’arm ée du Brenn ne com pta pas m oin s de soixante et
dix m ille h om m es *. Des divisions de cavaliers et de fan­
tassins allaient d on c battre la plaine de tous côtés et à de
grandes distances de R om e 2; ils s’avancèrent ju s q u ’aux
portes d ’Ardée, antique ville des llutules, peu éloignée
de la m er in férieure.
Dans Ardée vivait un patricien rom ain , Marcus Fu-
rius Gamillus, qu i, après avoir ren du à la répu bliqu e
d’ ém inents services à la tête des arm ées, s’ était attiré la
haine de ses con citoy en s par la dureté de son com m a n ­
dem en t, son arrogan ce, son faste aristocratique et l’ im ­
popularité obstinée de sa con d u ite. Appelé en ju g e m e n t
devant le peu ple co m m e p réven u de con cu ssion , Marcus
Furius, p o u r éch ap per à u n e con d a m n a tion d ésh on o­
rante, s’ était exilé volon tairem en t, et, depuis u n e année,
il dem eu rait p arm i les A rdéates3. T out aigri q u ’il était
con tre ceu x à l’in ju stice desquels il attribuait sa disgrâce,
les m alheurs et l’ h um iliation de Home l’affligèrent vive­
m e n t; et quand il vit ces Gaulois destructeurs de sa patrie
p orter im p u n ém en t le ravage ju sq u e sous les m u rs q u ’ il
habitait, il sentit se sou lever en lu i le cœ u r du patriote
et du soldat. Jou r et nuit il haranguait les Ardéates, les
pressant de s’arm er, et com battant par ses raison n em en ts
la rép u gn a n ce de leurs magistrats à s’em barqu er dans
u n e gu erre d on t R om e devait recu eillir presqu e tout le
fr u it4. « Mes vieu x am is, et m es n ouveau x co m p a trio te s5,
« leu r disait-il, laissez-m oi vous payer, en vou s servant,
“ l’hospitalité qu e je tiens de vous. C’ est dans la guerre

» io d . S ic., xiv, 114.


L- l xercitu diviso, partim per flnitimos prædari placuit! Liv., v, 43.
3. L iv., v.
4. Plut., in Camill., 23.
5. Aiduates, fetures arnici, uovi etiam civos m ei. Liv., v, 41.
« que je vaux qu elqu e ch ose, et dans la guerre seule-
« m en t qu e je pu is recon n aître vos bienfaits \ Ne croyez
« pas, Ardéates, que les calam ités présentes soien t pas-
« sagères, et se b orn en t à la rép u b liq u e de R om e : vous
« vous abuseriez. C’ est un in ce n d ie q u i ne s’ éteindra pas
« qu’ il n ’ait tout d é v o ré ... Les Gaulois vos en nem is ont
« reçu de la nature m oin s de force que de fou g u e. Déjà
« rebutés d’un siège qui c o m m e n ce , vou s les voyez se
« disperser dans les cam pagnes, se gorgean t de viandes
« et d e v in , et d orm an t cou ch és, co m m e des bêtes fauves,
« là o ù la nuit les surprend, le lo n g des rivières, sans
« retran ch em en t, sans corp s de garde n i sen tin elles*.
« D on n ez-m oi q u elqu es-u n s de vos jeu n es gens à co n -
« duire : ce n ’est pas un com bat que je leur p rop ose, c’ est
« une b ou ch erie. Si je ne vous livre les Gaulois à ég org er
« com m e des m ou ton s, qu e j ’ ép rou ve à Ardée le m êm e
« traitem ent qu ’à R om e! »
Les talents m ilitaires de Marcus Furius inspiraient
u ne con fian ce sans bornes-, d’ ailleurs la circon stan ce
pressait, car l’ en n em i, en hardi par l’ im pu n ité, devenait
ch aqu e jo u r plus entreprenant. On don na d o n c une
trou p e de soldats d’ élite à l’exilé rom ain , qu i, sans faire
au cu n e dém onstration hostile, ren ferm é dans les m u ­
railles d’Ardée, épia p atiem m en t l’ h eu re favorable.
Elle ne se fit pas lon gtem ps désirer. Les Gaulois, dans
u n e de leu rs courses, vin ren t faire halte à qu elqu es m illes
de là. Us em portaien t avec eux du butin q u ’ils se parta­
gèrent, et du vin d on t ils bu rent avec e x cès; chefs et

1 . Ubi usus erit m ei vobis, si in bello non fuerit? Hac arte in patria
steti. L iv., v, U .
2. Ubi nox appétit, prope rivos aquarum, sine munim ento, sine sta-
tionibus ac custodiis, passim, ferarum ritu, sternuntur... M esequim ini
ad cædem, non ad pugnam, Id ., ibid. — Plut., in Camill., 23.
soldats ne son gèrent à autre chose qu’ à s’en ivrer, et la aÿ0
nuit les ayant surpris incapables de con tin u er leur route,
et m êm e de dresser leurs tentes, ils s’ étendirent sur la
terre p êle-m êle au m ilieu de leurs arm es. Le som m eil et
un silen ce p rofon d régn èren t bien tôt sur toute la b a n d e 1.
Ce fut alors qu e Furius Camillus, averti par ses espions,
sortit d’Ardée, et tom ba sur les cam pem ents des Gaulois,
au m ilieu de la nuit. 11 avait o rd o n n é à ses trom pettes de
son n er, et à ses soldats de pou sser de grands cris 2, dès
qu ’ ils seraient arrivés ; mais ce tuin ulte üt à p ein e reven ir
les G aulois d e leu r som m eil : qu elqu es-u n s se battirent;
la plupart fu ren t tués e n co re en d orm is. Ceux qu i, p rofi­
tant de l’ obscu rité, parvinrent à s’ éch apper, la cavalerie
ardéate les atteignit au p oin t du j o u r 3; enfin un détache­
m en t n om b reu x qu i avait gagn é le territoire d’Antium , à
d ix m illes d ’Ardée, fut exterm in é par les paysans4.
Ce su ccès en cou ragea les peuples du L atiu m ; ils s’ar­
m èren t à l’ instar des Ardéates. De l'en cein te des villes où
ju sq u ’alors ils s’ étaient tenus ren ferm és sans co u p férir,
ils se m irent à fon d re de tous côtés sur les bandes qui
cou raien t la cam pagn e, et la rive gau ch e du T ibre ne fut
plus sûre p ou r les fou rrageu rs gaulois. Sur la rive droite,
la défense, m ieu x organ isée en core, agit avec plus d’effi­
cacité. L’ Étrurie avait son gé d ’abord à p rofiter des désas­
tres des R om ains, et leu r avait d éclaré la g u e r r e 6 ; mais

1. Nù£ è7r^X6e |A£0uou<rrv auxot;, xal <tiu>7t9) xaxécr^e xà axpax67rôôc^


in Cam ill., 23.
Kpaufîj te xp(i(i&voç TroXXr, xai m t i oiXmyZi itavtaxoOev èxrapiXTcaft
^ O p w t o u ç . I d -i i b j d _
3- Id., ibid.
4. Magna pars in agrum Antiatcm delati, incursione ab oppidanis il
palatos facta, circumveniuntur. L iv., v, 45.
O. lu p ^ voi, ;j,£Ta 6uvà(j.ew; àSpà;, èireTTOpeijovTO ti ry i ùv Pwp.atüjv
jfcipav Xe^ÀaTOÛvte;. D iod., Sic., xiv, 110.
390 voyant son territoire foulé et épuisé, sans plus de m éna­
gem en t que les terres des Latins, elle in clin a à des senti­
m ents plus gén éreu x. Ses villes m érid ion ales com b in èren t
leurs arm es avec celles des fugitifs rom ains réu n isà Véies,
quelques-unes guidées, co m m e Cæré, par u ne antique
affection p ou r Rom e, les autres par l’ en nu i de l’ occu p a ­
tion gauloise. Véies, cité forte et bien défendue, devint
le centre des opérations de ce côté du T ibre.
Le n om de Marcus Furius, m êlé au p re m ie r succès
des peuples latins con tre les Gaulois, réveilla dans le cœ u r
des enfants de R om e le sou ven ir de ce grand général. Ses
torts furent ou bliés. D’ une résolution u nan im e, ils lui
p rop osèren t de ven ir à Véies se m ettre à la tête de ses
vieux com p a g n on s d’arm es, ou de perm ettre q u ’ ils allas­
sent com battre sous ses drapeaux à A r d é e 1. Mais Cam illus
s’ y refusa. « Banni par vos lois, leu r répon dit-il, je ne
« puis reparaître au m ilieu de vous. D’ ailleurs le suffrage
« du sénat doit seul m ’ élever au com m a n d em en t : qu e le
« sénat ord on n e, et j ’o b é is 2. » En vain les réfu giés de
Véies m irent tout en œ uvre p o u r flé ch ir sa résolu tion .
« Tu n’ es plus exilé, lui disaient-ils, et n ous ne som m es
« plus citoyens de R om e. La patrie! en est-il en core une
« p o u r nous, quand l’en n em i o ccu p e en m aître ses cen -
« dres et ses ru in e s 32, Et co m m e n t espérer de pén étrer au
« Capitole pou r y con su lter le sénat? G om m ent espérer
« d ’en reven ir sain et sauf, lorsque les barbares inves-
« tissent la place? » Marcus Furius fut in é b ra n la b le 1.
Les scru pules de l’ exilé d’Ardée p ren aien t sans doute

1. L iv., v, 40. — Plut., in Camill., W.


2. Id., ibid.
3. Oùx sxi y*P êffti ÿ'J'f-t;, oüO’ ^[Wt; îroXîiai, itaxp£8oç oùx oüctï);, à.X i
xpaxou[iivYi; Ciità xüv noXsjMWV. Plut., iu Camill., 24.
4. Id., ibid. — Liv , ub. supr.
leur sou rce dans un respect exalté p o u r les devoirs du
cito y e n , dans l’idée h o n o ra b le , q u oiq u e étroite, d’ une
obéissance absolue et passive à la lettre de la loi. Mais
peut-être s’ y m êlait-il à son insu q u elqu e ressouvenir
d’ u n e in ju re récen te, ou du m oin s q u elqu e levain de cet
org u eil aristocratique q u i avait causé sa disgrâce. Véies
ren ferm a it, il est v ra i, la m ajorité des citoyens rom ains
arm és et en état de d é lib é re r; Véies représentait Rom e,
m ais R om e p léb éien n e. P ou r un patricien aussi in flexible
qu e Marcus F uriu s, la véritable R om e pouvait-elle se
trouver ailleurs q u ’au Capitale, avec le sénat, avec le
corp s des ch evaliers, avec toute la jeu n esse p atricien n e?
Au reste, à q u elqu e m o tif q u ’ on veuille attribuer sa ré­
ponse, il est évident q u ’ elle équivalait à un refus. P ou r
qu e les assiégés pussent être consultés, et qu e leur dé­
term in ation fût con n u e, il fallait n on -seu lem en t pén étrer
dans la ville occu p é e par les Gaulois, mais escalader le
ro ch e r ju s q u ’ à la citadelle sans être aperçu de l’ en nem i,
sans exciter l’ alarm e p a rm i la garnison ; il fallait être non
m oin s h eu reu x au retou r. D’ailleurs nul des R om ains
n’ ign orait qu e les ap p rovisionn em en ts du Capitale de­
vaient être à p eu près épuisés, p u isqu ’ on tou ch ait au
septièm e m ois du b locu s. Le m o in d re retard pouvait
d o n c anéantir tout esp oir de salut.
Les difficultés presqu e insu rm on tables qu i interdi­
saient l’accès de la citadelle n ’effrayèrent p oin t Pontius
C om inius, jeu n e plébéien p lein d’intrépidité, de patrio­
tism e et d ’am ou r de la gloire. 11 part de Véies, il arrive à
la ch ute du jo u r en vue de R om e; trouvant le pont gardé
par les sentinelles en nem ies, il passe sans bruit le Tibre
à la nage, aidé par des écorces de liè g e 1 don t il avait eu

1. Incubaus cortici. Liv., v, 40. Plut., in Camill., '25.


soin de se m u n ir , et se d irig e du côté o ù les feu x lui
paraissent m oin s n om b re u x , les patrouilles m oin s fré­
quentes, le silen ce plus p ro fo n d . Parvenu au p ied de la
côte la plus roid e et la m oin s accessible du m on t Capi-
tolin , il se m et à l’ escalader, et, après des peines in ou ïes,
pén ètre ju sq u ’aux p rem ières sentinelles rom a in es, se
fait con naître et con d u ire aux magistrats. Les nouvelles
apportées par cet in trépide je u n e h o m m e ra n im èren t les
assiégés, don t la co n fia n ce com m en ça it à s’abattre; car
leu rs m agasins étaient presqu e vides, et rien n’avait percé
ju sq u ’à eux, ni tou ch a n t l’avantage rem p orté par Camil-
lus p rès d ’Ardée, n i tou ch a n t les ligues organisées sur
les deu x rives du T ibre, tant le b locu s était sévèrem ent
m aintenu. La sen ten ce q u i con dam n ait Marcus Furius
fut levée sans op p osition , et le p re m ie r m agistrat, ayant
con su lté les auspices en silen ce, à la lu eu r des flam beaux,
dans la secon d e m oitié de la nuit, suivant le cérém on ial
con sacré, p roclam a dictateur l’exilé d’A rd é e 1. La dicta­
ture con férait à celu i qu i en était revêtu u ne autorité
absolue en tem ps de paix co m m e en tem ps de guerre,
et le d roit de disposer de la vie et de la p rop riété des ci­
toyens sans la participation du sénat ni du peu ple : c ’é­
tait un p ou v oir véritablem ent despotique, m ais lim ité
par la courte durée de son ex ercice. P ontiu s descen dit
le roch er, repassa le T ibre, et, aussi h eu reu x cette fois
qu e l’ autre, arriva à Véies sans en co m b re .
Mais, le len dem ain, au lever du jo u r , une patrouille
gauloise rem arqua le lo n g du ro ch e r les traces de son
passage, des h erbes et des arbrisseaux arrachés, d ’autres
qui paraissaient avoir été fou lés ré ce m m e n t, la terre

1. O i 8’ àxoûcravTeç, xai {Jo u k u (îâ (/.£ v o i, tov Kocjj-tXXov o m o & txv û o u a i oix-
tâxMpa. Plut., in Cam ill., 25.
ébou lée en plusieurs endroits, et çà et là l’ em preinte de
pas h um ains. Le bren n se ren dit sur les lieu x, et, après
avoir tou t con sidéré, recom m an d a le secret à ses soldats.
Le soir il con voqu a dans sa tente ceu x de ses guerriers
en qui il mettait le plus de con fian ce, et leur ayant ex­
p osé ce qu ’ il avait vu et ce q u ’ on pouvait tenter sans
crainte : « Nous croyion s ce ro c h e r inaccessible, ajouta-
« t-il; eh b ie n , les assiégés eu x-m êm es nous révèlent les
« m oyen s de l’ escalader. La route est tracée : il y aurait
« à h ésiter de la lâcheté et de la h onte. Là où peut m o n -
« ter un h om m e , plusieurs y m on leron t à la file, en
« s’ en tr’aidant. Ceux qui se d istin gueron t peuvent com p ­
u t e r su r d es récom pen ses d i gn es d’ un e telle e n trep rise1. »
T ous p rom ettent gaiem ent d ’ob éir. Ils partent en effet,
et, à la faveur d’ u n e nuit é p a isse s, ils se mettent à gra­
vir à la file, s’accroch a n t aux bran ches des arbrisseaux,
aux poin tes et aux fentes des roch ers, se soutenant les
uns les autres, et se prêtant m utu ellem en t les m ains ou
les ép a u les8. Avec les plus grandes peines, ils parvien­
nent peu à peu ju sq u ’au pied de la m uraille, qu i, de ce
côté-là, était peu élevée, parce q u ’ un en droit si escarpé
sem blait tou t à fait h ors d’ insulte. La m êm e raison p or­
tait les soldats qu i en avaient la garde à se relâch er de la
vigilan ce o rd in a ire 4, de sorte que les Gaulois trouvèrent
les sentinelles en d orm ies d ’un p rofon d s o m m e il11.
Le m u r qu’ ils com m en ça ien t à escalader faisait partie

1. Tr)v fùv 68àv, eiirev, ^)(xîv i n ’ aùxoù; àYV00 U|iévr)V ol uoXé(Uot Seix-
vûouoi, tu; oûx’ àmôpEuxo; oüx’ dëaxoç àvOptiitoi; èaxlv, x. t . X. Plut., in
Cam ill., 26.
2. Defensi tenebris et dono noctis opacæ. Virg., Æ n., viii , 058.
3. Alterni innixi, sublevantcsque invicem alii alios. Liv., v, 47.
^ 4. Ot çu/ay.tt; r.ap£^pa0'j[ir]v.6t£; r]ffav xŸj; çvXaxîj; 8ià x^v i^\jpéxr,xa
•toü xôrcou. Diod. S ic,, xiv, 116. - Æ lian., de Animal, natur., xn, 33.
sco de l’ enceinte d’ une chapelle de Junon, autour de laquelle
rôdaient qu elques-uns de ces ch ien s préposés à la défense
des tem ples. II s’ y trouvait aussi des oies consacrées à la
déesse, et que, p o u r cette raison, les assiégés avaient épar­
gnées au fort de la disette qu i les tourm entait. Souffrants
et abattus par une lon g u e diète, les ch ien s faisaient m au­
vaise garde, et les Gaulois leu r ayant lancé par-dessus le
rem part quelques m orcea u x de pain, ils se jetèren t dessus
avec avidité et les dévorèren t, sans aboyer n i d o n n e r le
m oin d re sign e d’a la r m e 1 ; m ais, à l’od eu r de la n ou rri­
ture, les oies, qu i en m an qu aien t depuis plusieurs jou rs,
sa m irent à battre des ailes et à pousser de tels cris, que
toute la garnison se réveilla en su rsau t2. On s’arm e à la
h âte; on cou rt vers le lieu d’ où parlen t ces cris : il était
tem ps, car déjà deux des assiégeants avaient atteint le
haut du rem part. Marcus M anlius, h o m m e robuste et
in trép id e, fait face lui seul aux Gaulois : d ’un revers
d’ épée, il abat la m ain de l’ un d’ eu x q u i allait lui fendre
la tête d’ un cou p de h a ch e ; en m êm e tem ps il frappe si
ru dem en t l’autre au visage avec son b o u clie r, q u ’il le
fait ro u le r du haut en bas du r o c h e r 3. T oute la garnison
arrive pendant ce tem ps-là et se porte le lo n g du rem part.
Les assiégeants, repoussés à cou p s d ’épée et accablés de
traits et de p ierres, se culbutent les uns sur les autres;
ils ne peuvent fuir, et la plupart, en vou lan t éviter le îel
en n em i, se p erd en t dans les p récip ices. Un petit n om b re
seu lem en t regagna le cam p.
Cet é ch e c acheva de d écou ra g er les Gaulois. Un fléau

1. o i (*èv fà p Ttpo; tr)v ^içôeïcrav xpo^v xaTeotiàmricrav. Ælian ,


d e Animal, natur., x i i , 33.
2. Clangore, alarum crepitu. Liv., v, 47. — Diod. Sic., xiv, 110. —
Plut., in Cam ill., 27. — Æ lian., ubi supra, etc.
3. Plut., in Camill., 27. — Liv., v, 47.
non m oin s cruel que la fam ine décim ait ces corps affai­
blis tout à la fois par les excès et par les privations. Un
au tom n e chaud et p lu vieu x avait développé parm i eux
des germ es de fièvres contagieuses dont l’état des localités
aggravait en core le caractère. Us avaient b rû lé o u d ém oli
les m aisons et les édifices p u blics indistinctem ent dans
tous les quartiers de la ville, sans son g er à se conserver
un abri aux environs du Capitole, où se tenaient les
trou pes du blocu s. Depuis sept m ois ils étaient d o n c
forcés de cam p er sur des d écom b res et des cendres accu ­
m ulées, d’ où s’ élevait, au m o in d re vent, u ne poussière
âcre et pénétrante qui leu r desséchait les entrailles, et
d ’où s’exhalaient aussi, lorsque des pluies abondantes
avaient d étrem pé le terrain, des vapeurs pestilentielles *.
Ils su ccom ba ien t en grand n o m b re à ces maladies, et des
b û ch ers étaient allum és jo u r et nuit sur les hauteurs
p ou r b rû ler les m orts*.
Les souffrances n’ étaient pas m o in d res dans l’ intérieur
de la citadelle, et chaque m om ent les aggravait; ni ren ­
forts, ni vivres, n i nouvelles qu i soutinssent le courage,
rien n ’arrivait du dehors. Les assiégés étaient réduits,
p ou r subsister, à faire b ou illir le cu ir de leurs chaussures3.
Cam illus n e paraissait poin t. Ses scru pules étaient levés,
les difficultés aplan ies; ce général avait vu a ccou rir
a u tou r de lui la jeu n esse rom a in e et latine; il ne co m p ­
tait pas m oin s de quarante m ille h om m es sous ses en
seig n es4 ; et cependant au cun e tentative ne se faisait p ou r

t . L oco... ab incendiis torrido et vaporis pleno, cineremque, non pul-


verem m odo, forente... L iv., v, 48. — Plut., in Camill., 28.
2. Bustorum indeG allicorum nom ineinsignem locum fecere. L iv .,v ,48.
3. Serv., ad Æ n., vin, v. 055.
4. 7
H oy) |j.èv èv Ô t ).o ic S io -^ u p t o u ; KazéXaëz, tc),e£ov(xc Sè a\jvr,yev àno tû t.
C\W«y.“ v- Plut., in Camill., 28.
qpo d éb loq u er ou secou rir le Capitole : soit qu’ il eût assez de
protéger la cam pagne con tre les bandes affam ées qui
l’ infestaient, soit que les m ilices latines et étrusques, qui
avaient des com bats jou rn aliers à livrer à leurs portes »
m ôm es, se souciassent peu d’a b a n d on n er leurs foyers à
la m erci d’ un cou p de m a in , p o u r aller tenter, sur les
d écom b res de Rom e, une bataille incertaine.
Dans cette com m u n a u té de m isères, les deu x partis
étaient im patients de n ég ocier. Les sentinelles du Capitole
et celles de l’arm ée en n em ie com m en cèren t les pourpar­
lers, et bien tôt il s’ établit entre les chefs des co m m u n ica ­
tions ré g u liè re s1. Mais les dem andes des Gaulois parurent
aux assiégés trop dures et trop hum iliantes. C om m e elles
avaient p o u r fon d em en t l’ état de disette q u i forçait les
R om ains de ca p itu le r2, on raconte que, dans la vue de
d ém en tir ce b r u it, les tribuns m ilitaires firent jeter du
haut des m urailles aux avant-postes q u elqu es pains qui
leu r restaient 3. Il est possible que ce stratagèm e, ainsi
qu e le prétendent les h istorien s, ait porté le Rrenn à
rabattre de ses p réten tion s; mais d ’autres causes influè­
rent plus puissam m ent sans doute sur sa déterm ination.
In form é que les Vénètes s’ étaient jetés sur les terres des
Roïes et des L in gon s, et que, du côté opposé, les m onta­
gnards des Alpes inquiétaient les provin ces occidentales
de la C isalp in e4, il s’ em pressa de ren ou er les n égocia­
tions, se m ontra m oin s exigea n t, et la paix fut con clu e.
V oici quelles en furent les con d ition s : 1° Que les Romains

1. L iv., v, 48. — Plut., in Camill., 28.


2. Q u u m G a lli fa m c m o b jic e r e n t. L i v . , v , 48.
3. Dicitur... multis locis panis de Capitolio jactatus esse. Id., ibid.
— Val. Max., vu, 4.
4. revouivou S’ àvTurrouriAaTO;, xat twv Oùevetüv è|j.ëa)ovTtov ei? triv
/u pav aùtwv, îiots aèv 7totï)(jix|xevoi avvO^xaç Ttpôc Pwjiaiou;. P olyb., n, 18.
payeraient aux Gaulois m ille livres pesant d’ o r 1; 2° q u ’ ils
leur feraient fou rn ir, par leurs colon ies ou leurs villes
alliées, des vivres et des m oyens de tran sport2; 3° q u ’ils
leu r cédaient u n e certaine portion du territoire rom ain,
et s’engageaient à laisser, dans la nouvelle ville qu’ ils
bâtiraient, u n e porte perpétu ellem en t ou verte, en sou­
ven ir éternel de l’ occu pation g a u lo is e 3. Cette capitulation
fut ju ré e de part et d ’autre avec solennité, le 13 février,
sept m ois accom p lis après la bataille d’A llia 4.
A lors, les assiégés réu n iren t tou t ce que le Capitole
renferm ait d ’o r ; le û sc, les orn em en ts des tem p les, tou t
fut m is à con trib u tion , ju sq u ’aux jo y a u x que les fem m es,
à leu r départ, avaient déposés dans le trésor p u b lic 5. Le
Brenn attendait au pied du ro ch e r les com m issaires ro ­
m ains, avec un e balance et des p oids. Quand il fut ques­
tion d e peser, un d’eu x s’aperçut qu e les poids étaient
faux, et que le soldat gaulois qui tenait la balance la fai­
sait p e n ch er frauduleusem ent. Les Rom ains se récrièren t
con tre cette su percherie ; mais le Brenn, sans s’ém ou voir,
détachant son épée, la plaça, ainsi qu e le baudrier, dans
le plat qu i contre-pesait l’ or. « Que sign ifie cette action?
« dem anda avec surprise le tribun m ilitaire S u lpicius.—
« Que p eu t-elle signifier, rép on d it le B ren n , sinon m al-

1. Diod. Sic., xiv, 110. — Liv., v, 48. — Plut., in Cam ill., 28. — Val.
Max., v, 6. — Quelques écrivains portent cette rançon au double. Varr.
ap. Non., in Torq. — P lin ., x x x ii , 1.
2. Transvehendos et commeatibus persequendos. Front., Stratag.,
n, 6.
3. nûXriv ^vewy(j.évt|v itapsyciv 6ià navrôî, xal ■pi'1 iprburijuiv. Polyœn.,
Stratag., ynr, 2 5 !
4. Plut., in Cam ill., 28 et 30.
5. Ex ædibus sacris et matronarum ornamentis. Varr. ap. Non. —
Val. Max., v, 6----- L iv., v , 50.
« h eur aux v a in cu s1? » Cette raillerie parut intolérable
aux R om ains; les uns voulaient que l’ or fût enlevé et la
capitulation rév o q u é e ; mais les plus sages conseillèrent
de tout souffrir sans m u rm u rer : « La h on te, disaient-ils,
« ne consiste pas à d on n er plus que n ous n ’avons prom is,
« elle consiste à d o n n e r ; résig n on s-n ou s d o n c à des
« affronts qu e n ous ne p ou von s ni éviter ni p u n ir 2. » Le
siège étant levé, l’arm ée gauloise se m it en m a rch e par
différents ch em in s et en plusieurs d iv ision s, a fin , sans
doute, qu ’ elle pût m oin s difficilem en t se p ro cu re r des
subsistances. Le B re n n , à la tête du prin cipal co rp s,
sortit de la ville par la voie G a b in ie n n e 3, à l’orien t du
Tibre. Les autres prirent, sur la rive droite du fleuve, la
d irection de l’Étrurie.
Mais ix pein e étaient-ils à q u elqu e distance de Rom e,
qu ’ une proclam ation du dictateur Marcus F urius vint
annuler, com m e illégal, le traité sur la fo i duquel ils
avaient m is fin aux hostilités. Le dictateur déclarait « qu’à
« lui seul, d’après la lo i rom aine, appartenant le droit de
« paix et de gu erre et celu i de faire des traités, le traité
« du Capitole n ég o cié et co n clu par des magistrats in fé-
« rieurs, qui n ’en avaient pas le p ou v oir, était illégitim e
« et nul ; q u ’ en un m ot, la gu erre n ’avait pas cessé entre
« R om e et les G a u lois4. » Les colon ies rom ain es et les
a illes alliées, se fon dan t sur un pareil subterfuge, refusè­
rent partout au x Gaulois les subsides stipulés, et ceu x-ci

1. T£ yàp àXXo, e ît t : v , r] t o ï ç vevix-riiiévoi:; àôOvri; Plut., in Camill., 2 8 .


— Væ victis! L iv., v, 4 8 .
2. Plut., in Camill., 28.
3. Ilapà t ï |v TaSiviav 636v. Id., ibid., 2!), — Liv., v, 49.
4. Negat eam pactionem ratam esse, quæ , postquam ipse dictator
crèatus esset, injussu suo ab inferioris ju ris magistratu facta esset. Liv.,
■reid. — Plut., in Cam ill., 29.
sc virent contraints de m ettre le siège devant chaque 390
place, p o u r obten ir à fo rce ouverte ce que les con vention s
leur assuraient. Gom m e ils attaquaient la petite ville de
Veascium , Cam illus arriva à l’ im proviste, fon d it sur eux,
les défit et leur enleva u n e partie de leur butin '. Les
divisions qu i avaient pris par la rive droite du Tibre ne
fu ren t gu ère m ieu x traitées. Les villes leur barraient
le passage, les paysans m assacraient leurs traîneu rs, un
corps n om b reu x don na de nuit dans une em buscade que
lui dressèrent les Cærites dans la plaine de Trausium , et
y périt presque tou t e n tie r 2.
Débarrassée de ses en nem is, Rom e se reconstruisit
avec rapidité. Par un scru pule bizarre et q u ’on a p ein e à
con cev oir, le sénat, qu i avait violé si com p lètem en t dans
ses dispositions fondam entales le traité du Capitole, crut
d evoir respecter l’ en gagem en t de ten ir u n e des portes de
la ville perpétu ellem en t ou verte; m ais cette porte, il eut
soin q u e lle fût placée dans un lieu in a cce ssib le 8. P e u t -
être se crut-il lié par la religion du serm ent en tout ce qui
ne contrariait pas les lois p olitiq u es; peut-être a u s s i,,
com m e les p ortes, ainsi qu e les m urailles des villes,
étaient sacrées et m ises sous la p rotection spéciale des
dieu x nationaux, les Rom ains craignirent-ils de rebâtir
leu r patrie sous les auspices d ’ un sacrilège.

Ainsi se term ina cette expédition devenue depuis lors

1. T w v à ~ e ),r ,)u flo T to v r a / a t ô ï v à n b ïV > ;x r jç O ù e c o t x io v x9|V ~ o ) a v G T jfj.jj.a -

X0^ o u c a v Ptopiatcov Tcopôouvxwv, èirtOé^Evoi; aÜTOÏç ô aÙTOxpàTwp... D io d .


Sic., xiv, 117.
2. ln o K ep i'w v È 7ri6ou ).£ u 6 év T £ ;, v u x tè ç 6ctoxvteç xaT E xoirrjffa v T to
T p a v oi'w 7tE5i(ü. I d . , i b id .

3. E ? :i 7rÉTpat; a n p o a S â t o u T r'j/rjv -?jvEtjjyp.ÉvYiv xaTEffXEuatrav. P o l y æ n . ,


StraUg., vin, 25.
si fa m eu se, et don t la vanité nationale des historiens
rom ains a tant altéré la vérité. Il est p rob a b le q u ’ elle
n’ eut d’a b ord , chez les G aulois, d’autre célébrité que
celle d’ u n e expédition peu prod u ctive et m a 'h e u re u se ,
et qu e l’in cen d ie de la petite ville aux sept collin es frappa
m oin s vivem ent les im agin ation s qu e le pillage de telle
opulente cité de l’ É trurie, de la G am panie, ou de la
G rande-G rèce. Mais plus ta rd , lorsqu e R om e plu s puis­
sante vou lu t parler en despote au reste de l’ Italie, les fds
des R oïes et des Senons se ressou vin ren t de l’avoir h u m i­
liée. Alors on m ontra dans les b ou rgs de R rixia, de R o-
nonia, de Sena, les d épouilles de la ville de R om ulus, les
arm es enlevées à ses vieu x h é ro s , les parures de ses
fem m es et l’ o r de ses tem ples. Plus d’ un Rrenn, p rov o­
quant q u elqu e con su l au com bat sin gu lier, lu i présenta,
ciselée sur son bou clie r, l’ épée gauloise dans la b a la n ce 1;
et plus d’ u n e fois le Rom ain captif aux bords du Pô en­
tendit un m aître farou ch e lu i répéter avec outrage :
« Malheur aux vaincus I »

4. In t itu lo s (C h ry x u s ) C a p it o lia c a p ta tr& h eb a t;


T a r p e io q u e j u g o , d e m e n s , e t v e r t ic e s a cr o
P en sa n tes a u ru m C elta s u in b o n e fe r e b a t.
(S i li u s It a l., i v , v . 151*153.)
CHAPITRE III.

G a ü lb c is a l p in e . R o m e s ’o r g a n is e p o u r ré s is te r a u x G a u lo is . — L e s C isa lp in s
ra v a g e n t le L a tiu m p e n d a n t d ix -s e p t a n s. — D u e ls fa b u le u x d e T . M a n liu s
e t d e V a lé r iu s C o r v in u s . — P a ix e n tr e le s G a u lo is e t le s R o m a in s . — I r r u p ­
t io n d’ u n e b a n d e d e T ra n sa lp in s d a n s la C ir c u m p a d a n e ; sa d e s t r u c t io n p a r
le s C isa lp in s. — L ig u e d e s p e u p le s it a lie n s c o n t r e R o m e ; le s G a u lo is en
fo n t p a r t ie ; b a ta ille d e S e n t in u m .— L e s S e n o n s é g o r g e n t d e s a m b a ssa d e u r s
ro m a in s ; ils so n t d é fa its à la jo u r n é e d e V a d im o n ; le te rr ito ire s e n o n a is
e st c o n q u is e t c o lo n is é . — D ru su s r a p p o r t e à R o m e la ra n ço n d u C a p ito le .

389 — 28 3 .

Les deux invasions étrangères qui avaient précipité


le retou r de l’arm ée boïo-sen on aise se term in èren t à l’ a­
vantage des Gaulois; les Vénètes fu ren t repoussés au fond
de leurs lagunes, et les m ontagnards dans les vallées des
Alpes. Mais à ces guerres extérieures succédèrent des qu e­
relles in testin es1 qui absorbèren t pendant vin gt-trois ans
toute l’activité de ces peuplades turbu len tes : ce fu ren t
vin gt-trois années de répit p o u r l’ Italie.
R om e sut en profiter. L’ apparition des Gaulois, si
brusque et si désastreuse, avait laissé après elle un sen­
tim en t de terreur, qu e l’ on retrouve p ro fo n d é m e n t em ­
p rein t dans toutes les institutions rom aines de cette
é p oq u e. L’ anniversaire d e la bataille d’Allia fut m is au

1, Metà 8è taÜTa t o îç a u v e î^ o v x o it0 Xé|A0 iç. P olyb., Il, 18.


2S9 n om b re des jou rs m audits et f u n e s t e s t o u t e guerre avec
g^8 les nations gauloises fut déclarée, par cela seul, tumulte,
et toute exem ption suspendue, pendant la du rée de ces
guerres, m êm e p o u r les vieillards et les p rê tre s 2 ; enfin
un trésor, consacré exclusivem ent à su bvenir à leurs
dépenses, fut fon d é à perpétuité et placé au Capitole. La
relig ion appela les m alédictions les plus te rrib le s 3 sur
qu icon q u e oserait en détou rn er les fonds, à quelque
intention et p ou r qu elqu e nécessité qu e ce f û t 4. On vit
aussi les R om ains p rofiter d e l’ exp érien ce de leurs re­
vers p o u r in trodu ire dans l’a rm em en t et la tactique de
leurs légions d’im portantes réform es. La bataille d ’Allia
et les suivantes ayant d ém on tré l’insuffisance du casque
de cuivre p o u r résister au tranchant des lon gs sabres
gaulois, les généraux rom ains y substituèrent un casque
en fer battu, et garnirent le reb ord des b ou cliers d’ une
large bande du m êm e métal. Ils rem placèrent pareille­
m en t les javelines frêles et allongées, don t certains corps
de la légion étaient arm és, par un épieu solide appelé
pilum, propre à parer les cou ps du sabre en n em i, com m e
à frapper, soit de près soit de l o i n 6. Cette arm e n ’était
vraisem blablem ent que le gais gaulois perfection n é.
3|6 Cependant les Cisalpins repriren t leurs habitudes va-
831

1. Varr., de Ling. Lat., p. 60, ed. Bipont. — Epit. Pomp. Fest. —


Plut., in Camill., 29. — L iv., vi. — Aur. Vict., 23, etc.
..... Damnata diu romanis A llia fastis.
(Lucan., v il, v. 409.)
2 . Oütu) S’ ou v ô ç ôSo; ïjv iu^ upôj, ioaxt OsuOai vôfiov, àçEÏ'jO ai t o ù ;
lepeïi; urpoTsiaç, xcopi; àv p.r| IV/aT'.v.à; rt -oÀeixor. Plut., in Cam ill,, 41.
— Id., in M arcell., 3. — Liv., passim. — App., Bell, civ., n, 41.
3. Eùv àpâ 8r,(j.ocict. App., ibid.
4. Id., ibid. — Plut., in Cæsar. — Flor., iv, 2. — Dio Cass., lu , 39.
5. Plut., in Cam ill., 41. — App., Bell. Gall., t . — Polyæ n., Stratag.,
vin, 7, sect. 2.
gabondes. Une de leurs bandes parut dans la cam pagne
de R om e, et la traversa p o u r aller plus avant dans le
m id i1; mais les Rom ains n ’osèrent l’attaquer, et se tin­
rent p ru d em m en t ren ferm és dans leurs m u ra ille s2. Pen­
dant cin q ans, les courses des Gaulois se succédèrent
presqu e sans interruption dans le Latium et la Campanie,
et pendant cin q ans la rép u bliqu e s’ abstint, à leur égard,
de toute dém onstration liostile. Au b ou t de ce tem ps, une
de ces bandes, cam pée sur la rive droite de l’Anio, ayant
m en acé directem en t la ville, les légion s sortirent enfin,
et se pi’ésentôrent en face de l’ en n em i, de l’autre côté de
la rivière. « Cetle nouveauté, dit u n h istorien , surprit
« gran dem en t les G a u lois3 ; » ils hésitèrent à leu r tour,
et, après u ne délibération tum ultueuse où des avis co n ­
traires furent débattus avec clialeur, le parti de la retraite
fut adopté. D écam pant à petit bruit, à la nuit close, et
rem on tan t l’A nio, ils cou ru ren t se retran ch er dans une
posiu oii in exp u g u a blea u m ilieu des m ontagnes d eT ib u r*.
Telle fut l’issue de cette cam pagne tout à fait in signi­
fiante, si nous n ous en tenons au tém oign age de l’ histo­
rien rom ain le plus d ig n e de foi. Mais chez la plupart des
autres, n ous la trouvons em bellie d’ un de ces exploits
m erveilleux, q u i plaisent tant à l’im agination populaire,
et q u ’on voit se reprodu ire presque id en tiquem ent dans
les annales prim itives de toutes les nations.
On raconte d o n c qu e dans le tem ps qu e les arm ées
rom ain e et gauloise, cam pées des deu x côtés de l’ Anio,
s’ observaient l’ une l’ autre, un Gaulois, don t la taille sur-

1 . Liv., vu, i.
2. Oùx ÈxoXjjwidav avie^ayaifEiv i>ü>(ji.aïoi xà irxpaxÔTOÔa. Polyb., u, 18.
3. 01 5c IV/â-.at xaxauXa’fEvtEç xriv ëçoôov aùxüv... Id ., ibid.
4. In Tiburteui agrum ... arcom belli Gullici. L iv., vu, 2. — Polyb.,
u, 18.
passait de beau cou p la stature des autres, s’avança sur
un pont qui séparait les deu x cam ps. 11 était nu ; m ais le
collier d ’or et les bracelets d on t il était orn é in d iqu aien t
son ran g distingué parm i les siens. A son bras gauche
était passée la cou rroie de son b ou clier, et de ses deux
m ains, élevant au-dessus de sa tête deu x én orm es sabres,
il les brandissait d ’un air m e n a ça n t1. Se plaçant ainsi au
m ilieu du pon t, le géant se m it à p ro v o q u e r au com bat
sin gu lier les guerriers rom a in s; et, co m m e n ul n ’ osait
se présenter con lre un tel adversaire, il les accablait de
m oqu eries et d’outrages, et leur tirait, dit-on , la langue
en signe de m é p r is 2. P iqu é d’ h o n n e u r p o u r sa nation, le
je u n e Titus Manlius, descendant d e celu i q u i avait sauvé
le Capitole de l’escalade n octu rn e des Senons, va trouver
alors le dictateur q u i com m an d ait l’a rm ée. « P erm ets-
« m oi, lui dit-il, de m on trer à cette bête féroce qu e je
« p orte dans m es veines le sang des M an lius3. » Le dicta­
teu r l’en cou rage, et Manlius, s’arm ant du b o u clie r de
fantassin et de l’ épée espagnole, épée cou rte, poin tu e, à
d eu x tranchants, s’avance vers le p o n t 4; il était d e taille
m éd iocre, et ce contraste faisait ressortir d’ autant plus
la grandeur de son en n em i, qu i, suivant l’ expression de
Tite-Live, le d om in a it co m m e u ne c ita d e lle '.

1. Nudus, præter scutum et gladios duos, torque atque armillis deco-


ratus. Q. Claud., ap. G ell.. ix, 3.
2. Nemo audebat propter magnitudinem atque immanitatem faciei.
Deinde Gallus irridere atque linguam exsertare. Q. Claud., loc. cit. —
L iv., v i i , 10.
3. « Si tu permittis, volo ego illi belluæ ostendere m e ex ea famiiia
« ortum, quæ Gallorum agmen ex rupo Tarpeia dejecit. » L iv., loc. cit.
4. Scuto pedestri et gladio hispanico cinctus... Q. Claud., ub. supr.
— L iv., loc. cit. Les critiques ont relevé ici un anachronisme choquant;
l’épée espagnole ne fut connue des Romains que 150 ans plus tard.
5. Gallus velut m oles superne im mineus. L iv., v u , 10.
Tandis que le Gaulois chantait, bondissait, se fatiguait s<n
par des con torsion s b iza rres1, le R om ain s’a p p roch e avec
calm e. Il esquive d’abord un p rem ier cou p déch argé sur
sa tête, revient, écarte par un c h o c violent le b o u clie r de
son adversaire, se glisse entre ce b o u clie r et lui, et le
p erce à cou p s redoublés dans la p oitrin e et sur les flancs;
puis le colosse va cou vrir dans sa chute un espace im ­
m ense 2. Manlius alors détache le collier du vaincu, et le
passe tout ensanglanté autour de son c o u ; cette action,
ajou te-t-on , lui valut de la part des soldats le su rn om de
Torqmlus, qu i signifiait l'homme au collier. C’ est à la ter­
reur p rodu ite par ce beau fait d’arm es qu e les m êm es
historiens ne m anquent pas d’attribuer la retraite p ré ci­
pitée des Cisalpins. Ce récit forgé, suivant toute appa­
ren ce, par la fam ille Manlia, p o u r exp liqu er le surnom
d’ un de ses a n cêtres3, tom ba sans doute de b o n n e heure
dans le dom ain e de la poésie p op u la ire; la peinture s’en
em para égalem ent, et la tête du Gaulois tirant la langue
jo u it lon gtem ps du privilège de divertir la populace ro­
m aine. Marius, com m e on le verra plus tard, en noblit
cette con cep tion grotesque, en l’adoptant p ou r sa devise,
lorsqu e, dans deux batailles célèbres, il eut anéanti deux
nations entières de ces redoutables e n n e m is 4.
L’arm ée gauloise, dans sa retraite sur l’Anio, avait «ou
Jrouvé à T ibu r b on accu eil et des vivres en a b on d a n ce; A
358
puis elle avait gagné la Cam panie en côtoyant l’A pennin.

1. Gallus, sua disciplina, cantabundus. Q. Claud., ap. G ell., loc. cit.


— Cantus, exsultatio, armorumquo agitatio vana. L iv., v ii, 10.
2. Quum insinuasset sese inter corpus armaque, uno alteroque sub-
inde ictu ventrem atque inguina hausit et in spatium ingens ruentem
porrexit hostem. L iv., vu, 10. — Q. Claud., ub. supr.
3. Niebuhr, Rœmisch. Gesch., t. II.
4. Les Cimbres ot les Ambrons. V. ci-dessous.
360 Les Rom ains, p o u r se venger, saccagèrent le territoire
*8 tiburtin ; et les Gaulois, par représailles, passant dans le
Latium , p rom en èren t la dévastation sur Lavicum , Tus-
cu lu m , Albe, et tou t le plat pays ju sq u ’aux portes de
R o m e 1. On envoya con tre eux le dictateur C. S ulpicius :
rom p u à cette guerre et connaissant b ien son en n em i ; il
évita d ’abord avec soin toute affaire décisive, harcelant
les bandes gauloises par des escarm ou ch es continuelles,
les fatiguant par de lon gu es m arch es et les affamant le
plu s qu ’ il pouvait. Grâce à cette tactique, elles étaient
déjà détruites en partie, quand il leu r livra une bataille
ran gée q u i les acheva. L eur cam p, don t les Rom ains
s’ em parèrent, se trouva rich em en t garni des dépouilles
de la Cam panie et du Latium : Sulpicius réserva les ob­
jets les plus p récieu x p o u r les déposer dans le trésor
spécial qu e la rép u b liq u e avait con sacré aux dépenses
des guerres g a u lo is e s 2.
850 Cette défaite inspira plus de circon sp ection aux Cisal­
pins, qui pendant h uit ans n ’osèrent plus se rem on trer
dans le Latium . Ayant reparu au b ou t de ce tem ps, ils
allèrent ca m p er sur le m on t A lb a n o 3, où trente-six m ille
Latins et Rom ains vin ren t les attaquer, tandis q u ’ une
division de d ix -h u it m ille h om m es restait près de Rom e
p o u r en cou vrir l’a p p r o c h e 4. Le con su l P opilius Lénas,
chargé de la con d u ite de cette gu erre, a v a it p o u r lui
l’exem p le de Sulpicius, et n’hésita pas à le suivre. Après
avoir, par des m anœ uvres habiles, fait descendre les Gau­
lois du m on t Albano q u i leur servait de forteresse, il les

1. Fœdæ populationes in Lavicano, Tusculano, Albano agro. Liv., vu, 11.


2. Id ., vu, 1.
3. Quod editissimum inter æquales tum ulos occurrebat oculis, ai'cem
Albanam petunt. Id., vu, 24.
4. Id ., vu, 23.
attira en rase cam pagne ju sq u ’ au pied d ’ une collin e assez
roid e où il alla pren dre position. Arrivé au som m et, il ût
com m en cer les travaux d’un cam p retranché, re co m ­
m andant bien aux soldats de travailler sans trou ble, et
de n e p oin t s’in qu iéter de ce qu i se passerait dans la
plaine.
Il voulait p rov oq u er u ne attaque; et en effet, sitôt
qu e les Gaulois aperçurent les légions à l’ ou vrage, la
p ioch e et la bêch e en m a in , et les enseignes plantées en
terre \ ju gean t l’ occasion favorable et d’ailleurs im pa­
tients de se battre, ils en ton n èren t le chant de guerre et
déployèren t leur ligne de bataille. Indifférente et com m e
étrangère à toute cette agitation, l’arm ée rom ain e resta
ca lm e, et poursuivit tranquillem ent ses travaux ju squ ’à
l’instant où les G aulois, s’ ébranlant sur toute la lig n e ,
escaladèrent le coteau. Alors P opilius fit passer entre les
travailleurs et les assaillants deux rangs de légionnaires
arm és, le p rem ier de lon gu es piques ou hastes, le secon d
de javelots et de différents projectiles. Lancés de haut en
bas, les traits tom baien t à p lo m b , et il n’y en eut guère
qu i ne portassent juste. Malgré cette grêle q u i les criblait
de blessures, ou surchargeait leurs b ou cliers d’ un poids
én o rm e , les Gaulois gravirent hardim en t la p en te; mais
parvenus au som m et, ils éprou vèrent un m om en t d’hési­
tation à l’aspect de ce rem part de piques qui en garnis­
sait l’app roch e : ce m om en t les perdit. Par u n e charge
im pétueuse des R om ain s, leurs p rem iers rangs furent
cu lbu tés, et entraînèrent dans leur m ou vem en t rétro­
grade la masse qui les suivait. Dans cette presse m eu r­
trière, beau coup p ériren t écrasés, beau coup tom bèrent

1- Gens ferox et.ingenii avidi ad pugnam, procul visis Romanorum


giguis... L iv., v u , 23.
850 sous le fer e n n e m i; pourtant le gros de l’arm ée put faire
retraite vers l’ extrém ité de la p la in e , où il reprit ses an­
cien n es position s
Ce p rem ier succès avait an im é l’arm ée rom a in e ; les
travailleurs jetèren t leurs ou tils, saisirent leurs arm es;
et P op iliu s, cédant à l’ élan de ses troupes, dut à son tour
p ren d re l’ offensive. Il descendit le coteau , et vin t atta­
q u er les Gaulois dans leurs cam p em en ts; mais là , la for­
tune changea. A con d ition égale de te rra in , le gu errier
cisalpin reprit son avantage ordin aire. La lég ion que
com m and ait le consul fut e n fo n cé e ; lui m êm e, ayant eu
l’ épaule gau ch e presqu e traversée d’un matar ou matras,
espèce de javelot ga u lois, fut enlevé tout sanglant du
ch am p de b a ta ille 2. Cet événem ent mit le com b le au
d ésord re, et la fuite devenait gén éra le, lorsqu e P opilius,
à p ein e p a n sé, se lit rapporter dans la m êlée. « Que fai-
« tes-vous, soldats? cria it-il; ce n ’est pas à des Sabins, à
« des Latins que vous avez affaire ; vous avez tiré l’ épée
« con tre des bêtes féroces qu i b oiron t tou t votre sang, si
« vous n ’ épuisez tou t le leur. Vous les avez chassés de
« votre ca m p , la m on tagn e est couverte de leurs m orts;
« il faut en jo n c h e r aussi la plaine. En avant les ensei-
« gn es! à l’e n n e m i3! » Ces exh ortations ne furent pas
vain es; les légion s ralliées, se form ant en tria n g le, atta­
qu èren t le centre de l’arm ée gauloise et le rom pirent.

1. Impulsi rétro, ruere alii super a lios, stragemque inter se cæde


ipsa fœdiorem dare : adeo præcipiti turba obtriti plures quam ferro
necati. L iv., vu, 23.
2. Lævo humero matari prope trajecto. L iv., vu, 24. — On appelait
encore matras, au moyen âge, un trait qui se décochait avec l’arbalète,
Ct dont le fer était moins pointu que celui de la flèche.
3. Non cum Latino Sabinoque hoste res e st; in belluas strinximus
ferrum ; hauriendus aut dandus est sanguis... inferenda sunt signa,
vadendum in hostem . Id ., ibid.
A ccouru es p o u r sou ten ir le cen tre, les ailes éprouvèrent
le m êm e éch ec. T out fut perdu dès lors p o u r les Cisal­
p in s, qui n ’étaient pas gens à se rallier com m e les Ro­
m a in s, et connaissaient à p ein e u ne discipline et un
ch e f *. L eur fuite les ram ena au m on t A lbano, où ils se
fortifièren t; mais l’arm ée de Popilius avait assez de sa
v ictoire et s’em pressa de rentrer dans R om e *.
D urant l’h iver qui suivit, ce furent la rig u eu r du froid
et le m anque de vivres qui chassèrent les Gaulois de leur
citadelle ord in a ire, et les firent descen dre dans le plat
pays, qu’ ils parcou ru ren t ju sq u ’à la m er. La côte était
alors désolée par des pirates g r e c s , qui infestaient sur­
tout le voisinage du T ib re , et une fois les brigands de
te r r e , suivant l’ expression d ’un h isto rie n , en vinrent aux
prises avec les brigan ds de m e r 3; m ais on se sépara
sans résultat décisif. Les Gaulois, après avoir erré çà et
là, se can ton nèren t enfin près de P om p tin u m . Aux p re-
jo u r s du p rin tem ps, l’arm ée du L atiu m , forte de quatre
lég ion s, reprit la cam p a g n e; et, suivant la tactique adop­
tée par les généraux rom ains depuis S u lpicius, se co n ­
tenta d’observer les m ou vem en ts de l’ e n n e m i4. On peut
croire que le voisinage des deux arm ées, pendant cette
in action , am ena plus d ’u n e provocation et plus d’ un co m ­
bat sin g u lier; et en effet, les annalistes rom ains nous
on t transm is le récit d’ un événem ent de ce g en re, mais
en le dénaturant par des détails qui rappellent le duel
de Manlius Torquatus, et en surpassent e n core les m er­
veilles.

1. Quibus nec certa im peria, nec duces essent. L iv., vu, 24.
2. Id ., ibid.
3. Prædones maritimi cum terrestribus congressi. Id ., vu, 25.
4. Quia neque in campis congredi nulla cogente re volebat (consul)i
et prohibendo populationibus... satis domari credcbat hostom. Id ., ibid.
I c i, com m e au pon t de l’A n io, le p rovocateu r est un
géant cisalpin qu i m arche à grandes en ja m b ées, et qu i
brandit un lo n g épieu dans sa m ain droite 1 ; le ven geu r
de R om e est un je u n e trib u n , n o m m é Valérius; mais il
ne suffit pas seul à la v ictoire, et il faut que le ciel vien n e
à son aide. Un corb ea u , envoyé par les dieu x 2, descend
sur son casqu e; et de là, attaquant le Gaulois à coups
d’ on gles et de b e c , lui déch ire le visage et les m ains, lui
crève les yeu x , l’ étourdit du battem ent de ses a iles; si
bien qu e le m alheureux n ’a plus qu’à tendre le cou au
R om ain qui l’égorg e 3.
Ce q u ’il y a de certain, c’ est qu e R om e, n e jugeant
pas p ru dent de pousser à b ou t l’ arm ée gau loise, fit avec
elle u n e trêve de trois a n s, en vertu de laquelle celle-ci
pu t se retirer sans être inquiétée ni par la rép u bliqu e, n i
par ses alliés : la rou le qu’ elle p a rcou rut dans cette re­
traite reçu t alors et porta depuis le n om de voie Gauloise1.
Bientôt m êm e la trêve se chan gea en une paix définitive que
les Gaulois observèrent scru p u leu sem en t5, q u oiq u e leurs
am is les T iburtins fussent cru ellem en t châtiés à cause
d’ e u x 6. Une seule fois, le bruit de m ouvem ents guerriers,
don t la Cisalpine était le théâtre, vint alarm er le peuple
de Rom e. «Q u a n d il s’agissait de cet en nem i, dit un his-
« torien latin , les ru m eu rs m êm e les plus vagues n ’étaient

1. Dux Gallorum vasta et ardua proceritate, grandia ingrediens et


manu telum reciprocans. Gell., ix, I I .
2. Ibi vis quædam divina fit. Id ., ibid.
3. Insilicbat, obturbabat, unguibus manum laniabat, ot prospectum
alis arcebat. Id ., ibid. — L iv., v u , 20.
4. Via data est quæ Gallica appcllatur. Fronto, Stratag., n, 6.
5 . Etprjvriv èTiûi'faavTô x a i au vO rjxa ;, iv a î ; hï) T p tcba m a jxetvavTeç
è[j.TtéSwç... P olyb., n , 18 et 19.
6. Liv., vui, 14.
« jam ais n égligées 1 : le consul à qui était éch u e la con -
« duite de cette guerre p résu m ée enrôla ju sq u ’aux ou -
« vriers les plus sédentaires, bien qu e ce genre de vie
« ne dispose n ullem en t au service des arm es : u ne grande
« arm ée fut aussi rassem blée à V éies, et on lu i défendit
« de s’ écarter, crainte de m an qu er l’ en n em i s’ il se p o r-
« tait sur R om e par un autre ch em in 2. » L’alarm e était
sans fon d em en t : les précautions furent d o n c superflues,
mais elles tém oign en t assez quelle épouvante le nom
gaulois inspirait aux R om a in s, et peuvent servir de co n ­
firm ation à ces paroles m ém orables d’ un de leurs écri­
vains célèbres : « Avec les peuples d e l’Italie, R om e co m -
« battit p o u r l’em p ire; avec les Gaulois, p o u r la v i e 3. »
Depuis cinquante ans, les nations cisalpines sem ­
blaient avoir ren on cé aux courses et au brigan dage,
lorsqu ’ une bande n om breu se de Transalpins débou cha
des m onts et pénétra ju sq u ’au centre de la C ircum pa-
d a n e, dem andant à grands cris des terres. Pris au dé­
p o u rv u , les Cisalpins ch erch èren t à détou rn er plus loin
l’ ora ge q u ’ ils n ’ avaient pas su p rév en ir. Us reçu ren t les
n ouveaux venus en frères, et partagèrent avec eux leurs
tr é s o r s 4. « V oilà, leur dirent-ils en m ontrant le m idi de
« l’Italie, voilà le pays qui n ous fou rn it tout cela ; de l’or,
« des trou p eau x , des cham ps fertiles vous y attendent,
« si vous vou lez seulem ent n ous suivre. » Et, s’armant
avec e u x , ils les em m en èren t sur le territoire é tru s q u e 5.

1. Tumultus Gallici fama atrox invasit, haud ferme unquam neglecta


patribus. L iv., vm , 20.
2. Id ., ibid.
3. Cum Gallis pro salute, non progloriacertari. Sali., Bell. Jug., 114.
4. 'A t.o (ièv aÙTÜv êxpeij'®'1 l à ; ôptiàç tw v JI;avi<rTa|AÉv<j>v, SwpoipopoüvTe;
xai 7ipoxtOÉ(jt,Evoi ir.v truyfEVEKiv. P olyb., II, 19.
5. Id ., ibid. — L iv., x , 10.
Mais l’ Étrurie était à l’ abri d’ un cou p de m ain. Il y
avait déjà lon gtem ps qu e la con fédération préparait en
secret un grand arm em ent destiné con tre R om e, dont
l’am bition m enaçait de plus en plus son existence : ses pla­
ces étaient approvisionnées, ses troupes sur pied ; et il lui
était facile de faire face aux bandes qu i venaient l’ atta­
q u e r; toutefois cette nouvelle gu erre dérangeait le plan
qu ’ elle avait form é p o u r u ne autre plus im portante. Dans
son em barras, elle eut recou rs à un sin gu lier expédient.
Elle fit p rop oser aux Gaulois de s’ e n rôler à son service
tou t arm és, tou t équipés, dans l’ état où ils se trouvaient,
et d’ éch a n g er im m édiatem ent le n om d ’en nem is contre
celu i d ’alliés, m oyen n ant une solde *. L’ offre parut co n ­
v e n ir; la solde fut stipulée et livrée d ’avance, m ais alors
les Gaulois refusèrent de m arch er. « L’ argent qu e nous
« avons r e ç u , dirent-ils aux Étrusques, n’ est autre chose
« qu ’ u n déd om m a g em en t p o u r le butin que n ous devions
« faire dans vos villes; c’ est la rançon de vos cham ps, le
« p rix de la tranquillité que n ous laissons à vos labou -
« r e u r s 2. M aintenant, si vous avez besoin de nos bras
« con tre vos en n em is les R om ain s, les v o ilà , mais à une
« con d ition : d on n ez-n ou s des terres! »
Malgré l’in sign e mauvaise foi dont les Gaulois ve­
naient de faire preuve, leur nouvelle préten tion fut exa­
m in ée par le con seil su prêm e de l ’É tru rie , tant était
grand le désir de se les attacher co m m e a u xiliaires; et
si elle fut rejetée, ce fut m oins parce q u ’ il eût fallu sa­
crifier qu elqu e p ortion du te r rito ire , que parce q u ’au­
cu n e des cités ne consentait à adm ettre parm i ses h abi-

1. Socios ex hostibus facere Gallos conantur. Liv., x , 10.


2. Quidquid acceperint, actepisse ne agrum Etruscum vastarent, arm is-
que lacesserent cultores : militaturos tamen se... sed nulla alia mercede
quam ut in partem agri accipiantur. Id., ibid.
tants « des h om m es d’ une espèce si féroce *. » Les d eu x 29a
bandes repassèrent l’Apennin avec l’ o r qu i leur avait
coû té si p e u ; m ais, quand il fallut partager, la discorde
se m it entre elles; Transalpins et Cisalpins se livrèrent
u n e bataille ach arnée où les p rem iers périren t presque
tous. « De tels accès de fu reu r, dit P olybe, n ’ étaient rien
« m oin s que rares chez ces peuples, à la suite du pillage
« de qu elqu e ville o p u le n te , surtout lorsq u ’ils étaient
« excités par le v i n 2. »
Sur ces en trefa ites, u n e coalition générale se form a 296
con tre R om e. Les Sam nites, poussés à bout, sollicitaient
vivem en t les O m bres et les Étrusques « de se lig u er avec
« eu x p o u r u ne cause juste, u ne cause sainte, p o u r déli-
« vrer l’ Italie d ’ une rép u b liq u e insatiable, perfide, tyran-
« n iq u e, q u i ne voulait sou ffrir, autour d’e lle , de paix
« qu e la paix de l’ esclavage, et don t la d om ination était
« plu s insupportable m ille fois qu e toutes les horreu rs
« de la gu erre 3. » — « Vous seuls pouvez sauver l’Italie,
« disait au con seil des L u cu m on s l’am bassadeur sam -
« n ite ; vou s êtes v a illa n ts, n o m b r e u x , ric h e s , et vous
« avez à vos portes une race d’ h om m es née au m ilieu du
« fer, n ou rrie dans le tum ulte des batailles, et qu i à son
« intrépidité naturelle jo in t u ne haine invétérée contre
« le p eu ple rom ain , don t elle se vante, à juste titre, d’a-
« v o ir brû lé la ville et réduit l’ orgu eil à se racheter à
« p rix d’o r 4. » Il insistait sur l’en voi im m édiat d ’ém is-

1. Non tam quia im minui agrum , quam quia accolas sibi quisquo
adjungere tam efferatæ gentis homines horrebat. Liv., x, 10.
2. Toüto Sè (TÙvriBé; i a x i r<*Xdnaiç irpàrrEiv, èraifiàv <r<pETept(T«ma[ xi
îü v raîia;, xat (iâ^tcrra Sià t a ; àXô-youç otvoepXufîa; xai TtXïio'p.ovà;. P olyb,,
il, 19.
3. Pia arm a... justum bellum . Pax servientibus gravior quam liberis
bellum . L iv., x , 16.
4. Habere accolas Gallos inter ferrum et arma natos, feroces quum
saires q u i, parcou rant la C ircum padane l’argent à la
m ain , solliciteraient les ch efs gaulois à p ren dre les
arm es. L’ Étrurie et l’ O m hrie entrèrent avec em presse­
m ent dans le plan des Sam nites; et des ambassadeurs
envoyés à Sena, à B ononia, à M ed iolan u m , parvinrent à
con clu re une alliance entre les nations cisalpines et la
coalition italique.
Cette nouvelle, qu e suivit l’a n n on ce d ’un grand arm e­
m en t sur les rives du P ô, rem p lit R om e d’ un trou ble de­
puis lon gtem ps in co n n u . Dans cette con ju ration de toute
l’Italie, ce qu i frappait le plus vivem ent les im aginations,
ce qu i excitait surtout la frayeur p opulaire, c’ était la m e­
nace de ces Gaulois arrivant, en bandes in n om b ra b les,
p ou r u n e secon d e jo u rn é e d ’Allia. De prétendus p ro­
diges, fruit de l’ épouvante, circulant de b o u ch e en b ou ­
ch e, ajoutaient en core à l’ épouvante : on avait vu , disait-
on , la statue de la V ictoire descen due de son piédestal,
com m e si elle eût voulu quitter R om e , se tou rn er vers
la porte Colline, porte de fatale m ém oire qu i avait d on n é
passage aux Gaulois u n siècle auparavant. Cependant la
constance rom ain e l’ em porta. C itoy en s, a llié s , sujets de
la rép u bliqu e se levèrent en m asse; on organisa ju sq u ’à
des coh ortes d e vieillards *. Trois arm ées ayant été mises
ainsi sur p ied, le sénat en réserva d eu x p o u r garder les
approch es de la v ille, tandis qu e la tro is iè m e , forte de
soixante m ille h om m es, devait agir à l’extérieur.
C’était entre la rive gau che du Tibre et l’Apennin,
dans l’ O m brie, près d e la ville d ’Aharna, que les coalisés
se réu nissaien t, mais lentem ent, à cause de l’ hiver. A
m esure qu e leurs forces arrivaient, elles se distribuaient

suopte ingenio, tum adversus populum R om anum , quem captum a se


auroque redemptum, haud vana jactantes, memorent. Liv., x , 16.
1. Seniorum etiam cohortes factæ. Id., x, 21.
dans deux grands cam ps, don t le p re m ie r recevait les
Gaulois et les Sam nites, l’autre les Étrusques et les Om­
bres. Non loin de cette m êm e ville d’Aharna se trouvaient
alors cantonnées deu x légion s rom aines que le sénat y
avait envoyées p récéd em m en t p o u r con ten ir le pays.
Surprises par la réu nion in op in ée des con féd érés, et ne
pou vant faire retraite sans être a cc a b lé e s , elles atten­
daient des secours de Rom e, dans u n e position d’ailleurs
assez forte, et bien décidées elles-m êm es à s’y m aintenir
ju sq u ’à ce qu ’ on les vîn t délivrer. Le sénat hésitait, de
peu r d’exposer en pu re perte d ’autres lé g io n s , lorsque
Q. Fabius Maximus, l’ un des consuls, déclara hautem ent
qu ’ il se portait garant du succès *.
Fabius était un vieillard actif, e n tre p re n a n t, bon
p o u r un cou p de m ain, et à qui l’âge n’avait enlevé ni
l’ audace de la jeu n esse, ni, par m alheur, sa tém érité. Se
m ettant en m arche avec cin q m ille h om m es, il passa le
T ibre, rejoig n it les deu x légions, et les ram ena à Rome
sans ren con trer d’ obstacle : c ’était b ie n , mais Fabius,
incapable d’ une lon gu e p ru d en ce, et prenant p ou r de
la p eu r l’ inaction des confédérés, se m it en tête de co n ­
ten ir l’ Étrurie, et de faire face à la coalition avec le peu
de forces qu ’ il com m andait. Éparpillant son arm ée de
côté et d’autre, il envoya une légion en observation de­
vant Glusium, et il ne craignit pas de la laisser isolée si
près d e la fron tière om b rien n e. Au m ilieu de l’épou ­
vante générale qu ’il sem blait braver, Fabius affectait une
con fian ce sans bornes, on l’ entendait répéter à ses sol­
dats : « Soyez tranquilles; m oins n om b reu x vous serez,
« plus rich es je vous ra m è n e r a i2. » Ces bravades fini­

1. L iv., x , ül et seqq.
2. Miijori mihi curæ est ut omnes locupletes reducam, quam ut înu'-
tis rem geram militibus. Id., x, 25.
rent par alarm er le sénat, qui le rappela à R om e p o u r le
réprim ander et le contraindre à partager avec son collè­
gu e, P . Décius, la con duite de la gu erre. Les deux c o n ­
suls partirent d o n c ensem ble à la tête de cin qu an te-cinq
m ille h om m es, qu i, avec onze m ille que Fabius avait dis­
sém inés dans le pays, form aien t l’effectif de l’arm ée d’ o­
pération. Ils approch aien t déjà de G lusium , quand ils
en ten diren t des chants sauvages, et aperçurent à travers
la cam pagn e des cavaliers gaulois qui portaient des têtes
plantées au bou t de leurs la n c e s , ou attachées au p oi­
trail de leurs c h e v a u x 1. C’ était la p rem ière nouvelle du
m assacre de toute u n e lég ion .
En e ffe t, à p ein e Fabius a v a it-il quitté l’ Étrurie,
q u ’ une trou pe de cavaliers senons, passant le T ibre pen­
dant la n u it, était ven u e cern er dans le plus grand si­
len ce la légion can ton née près de Clusium 2. Tout, ju s­
qu ’au d ern ier h om m e , y fut exterm in é 3. Un sort pareil
attendait inévitablem ent les autres divisions rom aines
dissém inées en Étrurie, si P. Décius et ses cinquante-
cin q m ille h om m es avaient tardé davantage. A la vue
des en seignes consulaires, les Senons repassèrent p réci-
tam m ent le fleuve.
Le plan de cam pagne prescrit par le sénat aux co n ­
suls était tracé avec sagesse et habileté. C eux-ci devaient,
à la tête de leurs soixante-six m ille h om m es, faire face
aux troupes réunies des coalisés, m ais en évitant une
affaire gén érale; tandis qu e les deux arm ées qu i co u ­
vraient R om e pénétreraient, par la rive gau che du T ibre,
dans r o m b r ie m éridion ale, par la rive droite, dans l’ É-

1. Pectoribus equorum suspensa gestantes capita et lanceis infixa,


ovantesque m oris sui carminé. L iv., x , 26.
% Id., ibid. — P olyb., n , 25.
3. Deletam legionem, ita ut nuncius non superesset. L iv., x , 26.
trurie, et m ettraient tout à feu et à sang, afin d’ obliger
les O m bres et les Étrusques à reven ir défen dre leurs
foyers. Si le stratagème réussissait, l’arm ée consulaire
devait attaquer im m édiatem ent les Sam nites et les Gau­
lois, d on t on espérait alors avoir b on m arch é. C onform é­
m en t à ce plan, les deu x consuls, après avoir p ro m en é
lon gtem ps la masse des con fédérés d’ un canton à l’autre
de l’ O m brie, sans v o u lo ir jam ais accepter le com bat,
passèrent l’A pennin, et allèrent se poster au pied orien ­
tal de cette ch aîn e, n on loin de la ville de Sentinum .
Les O m bres et les Étrusques à la fin p erdiren t patience;
ils recevaien t de leur pays des nouvelles chaque jo u r
plus alarm antes; leurs villes étaient in cen d iées, leurs
cham ps dévastés, leurs fem m es traînées en esclavage;
q u o i qu ’ en pût sou ffrir la cause co m m u n e , ils se sépa
rèrent de leurs con féd érés '.
Aussitôt les rôles changèrent. Ce furent les Rom ains
q u i ch erch èren t avec em pressem ent l’ occa sion d’ une
bataille décisive, et les G allo-Sam nites qui l’ évitèrent;
cependant, après deux jo u rs d ’ h é s i t a t i o n , ceu x -ci pri­
rent leu r parti, et déployèren t leurs lign es dans une
vaste plaine devant Sentinum . Les Gaulois occu p èren t la
droite d e l’ord re de bataille; et leu r infanterie, soutenue
par u ne cavalerie n om breu se, fut en core flanquée de
m ille c h a rio ts 2. Eux seuls en Italie faisaient usage de
ces chars de gu erre, q u ’ ils m anœ uvraient avec u n e dex­
térité rem arqu able. Chaque chariot, attelé de chevaux
très-fou gu eu x, con ten ait plusieurs h om m es arm és de
traits, qu i tantôt com battaient d’ en haut, tantôt sau­
taient au m ilieu de la m êlée p o u r y com battre à pied,

1. L iv., x, 26 et 27. — Front., Stratag., t, 8. — O ros., iv, 21.


2. L iv., ubi supra. — O ros., loc. cit.
réunissant à la ferm eté du fantassin la prom ptitude du
ca va lier1. Le dan ger devenait-il pressant, ils s’y réfu ­
giaient en un clin d’ œil, et se portaient à toute b rid e
sur un autre poin t. Les R om ains adm iraient l’adresse
du gu errier gaulois à lancer son ch a rio t, à l’arrêter
sur les pentes les plus rapides, à faire exécu ter à cette
lou rd e m ach in e toutes les évolu tions exigées par les
m ouvem ents de la bataille : on le voyait co u rir sur le
tim o n , se ten ir ferm e sur le j o u g , se rejeter en ar­
rière, descendre, re m o n te r; tout cela avec la rapidité de
l’ é cla ir2.
Les Rom ains sortirent avec jo ie de leu r cam p, et
form èren t leu r ordre de bataille : Fabius se plaça à la
droite, vis-à-vis des Sainnites; Décius, à la gau ch e, fit
face au x Gaulois. C om m e les préparatifs étaient term i­
nés, et que les R om ains n’attendaient plus que le signal
de l’ attaque, u n e b ich e, chassée des m ontagnes voisines
par un lou p , entra dans l’intervalle qui séparait les deux
arm ées, el se réfugia du côté des Gaulois, qui la tu èren t;
le lou p tourna vers les Rom ains, mais ce u x -ci ou vriren t
leurs rangs p o u r le laisser p a s se r 3. Alors un légionn aire,
de la tête de la lign e, cria d ’u n e voix forte : « Camarades,
« la fuite et la m ort passent de ce côté o ù vous voyez
« étendu par terre l’anim al con sacré à Diane. Le loup,
« au contraire, échappé au péril sans blessure, présage
« notre victoire par la sie n n e ; le lou p con sacré à Mars
« nous rappelle qu e n ous som m es enfants de ce dieu,

1. Mobilitatem equitum, stabilitatem peditum ... Cæs., Bell. Gall.,


iv, 33.
2. In declivi ac præcipiti loco incitatos equos sustinere, et brevi m o-
derari ac flectere, et per temonem percurrere, et in ju go insistere, et
inde s e in currus citissime recipere consuerunt. Id ., ibid.
3. Cerva ad Gallos, lupus ad Romanos cursum deflexit... L iv., x, 27.
« et que notre p ère a les yeu x sur n o u s 1. » Ce fut avec sas
cette con fia n ce que l’arm ée rom a in e engagea le com bat.
Le c h o c com m en ça par la droite qu e com m andait
Fabius; il fut reçu avec ferm eté par les Samnites, et de
part et d ’autre les avantages se balancèrent lon gtem ps.
A la gauche, l’infanterie de D écius chargea les Gaulois,
mais ne produ isit rien de décisif. Décius, dans la vi­
gu eu r de l’àge, brûlait d’en lever la victoire à son vieux
collègue. Il rassem ble toute sa cavalerie, com p osée de
l’ élite de la jeu n esse rom aine, l’an im e par ses discours,
se m et à sa tête, et va fon d re sur la cavalerie gauloise
qu’ il disperse aisém ent; elle essaye d e se rallier, il l’ en­
fo n ce u n e secon de fois. Mais alors l’ infanterie gauloise
s’ en tr’ouvre, et, avec un bruit épouvantable, s’ élancent
les chars, qui rom p en t et culbutent les escadrons e n n e­
m i s 2. En un m om en t toute cette cavalerie victorieuse
est anéantie. Les chariots se d irigen t ensuite vers les
légions, et pénètrent dans leu r masse com p a cte ; l’ infan­
terie et la cavalerie gau loise, a ccou ran t, com plèten t la
déroute. Décius s’ épuise en efforts p o u r reten ir les siens
qui fu ien t; il les arrête, il les co n ju re : « M alheureux!
« leur crie-t-il, pensez-vous q u ’ on se sauve en fu yan t! »
C onvaincu enfin de l’inutilité de tout effort h u m ain , se
maudissant lu i-m êm e, il p ren d la résolu tion de m ou rir,
mais d ’ une m ort qui expie du m oin s sa faute, et répare
le mal q u ’ il a c a u s é 3.
C’ était, chez les peu ples latins, une croyan ce ferm e-

1. Illac fu g aet cædes vertit, ubi sacram Dianæ feram jacentem vide-
tis ; hinc victor martius lupus integer et intactus, gentis nos martiæ et
conditoris nostri admonuit. L iv., x, 27.
2. Essedis carrisque superstans armatus hostis ingenti sonitu equoruni
rotarumque advenit. Id ., x , 28.
3. Id ., ibid.
m ent établie, qu ’ un général qu i, dans une bataille déses­
pérée, se dévouait aux dieux infernaux, prévenait par là
la destruction de son arm ée, et q u ’alors, suivant l’ ex­
pression consacrée, « la terreur, la fuite, le carnage, la
« m ort, la colère des dieu x du ciel, la colère des dieu x
« des e n fe rs1, » passaient des rangs des vaincus dans
ceu x des vainqueurs. Un évén em en t très-récent, où le
père m êm e de Décius avait jo u é le prin cip al rôle, d on ­
nait à cette croyan ce religieuse u ne autorité qu i sem blait
la m ettre au-dessus de tout doute. Dans un e des dernières
guerres, entre les Rom ains et les Latins, on avait vu les
p rem iers, déjà vaincus et fugitifs, se rallier par la vertu
d’ un sem blable dévou em en t, et ren trer v ictorieu x sur le
ch am p de bataille. Ce sou venir se retraça vivem ent à
l’ im agin ation de D écius : « O m on père ! s’ écria-t-il, je
« te suis, puisque le destin des D écius est de m ou rir p o u r
« con ju rer les désastres p u b lic s 2. » Il fit sign e au grand
pontife, qui se tenait près de lui, de l’a ccom p a gn er, se
retira à qu elqu e distance, hors de la m êlée, et m it pied
à terre.
Suivant le cérém on ia l établi, D écius plaça sous ses
pieds u n javelot, et, la tête couverte d ’ un pan de sa rob e,
le m en ton appuyé sur sa m ain droite J, il répéta phrase
par phrase la form u le qu e le grand prêtre récita à son
côté. « Janus, Jupiter, père Mars, Q uirinus, Bellone,
« Lares, Dieux n ou vea u x, Dieux in d igètes, Dieux q u i
« avez puissance sur n ous et sur nos en nem is, Dieux
« Mânes, je vous offre m es vœ ux, je vous p rie, je vous

1. Formidinem ac fugam, csedemque ac cruorem, ccelestium infero-


rum que iras... L iv., x , 26.
2. Datum hoc nostro generi eat, ut luendis periculis publicis piacula
simus. Id., x , 28.
3. Id ., ibid. ; Cf. vm , 9.
k con ju re d 'octroyer force et victoire au peuple rom ain,
« filsde Quirinus; defaire passer la terreur, l’ épouvante,
« la m ort, sur les en n em is du peu ple rom a in , fds de
« Quirinus. Par ces paroles j ’ entends dévou er aux D ieux
« Mânes etàla Terre leslégion s en nem ies p o u r le salut
« de la rép u bliq u e rom a in e, et p o u r celui des auxiliaires
« des enfants de Q uirinus » Ensuite il p ro n o n ça les
plus terribles im précation s con tre sa téte, contre les
têtes, les corps, les arm es, les drapeaux de l’ e n n e m i; et
com m an d an t à ses licteurs de p u b lier par toute l’arm ée
ce qu’ ils avaient vu, il m on te à cheval, s’ élance et dis­
paraît au m ilieu d’ un épais bataillon de Gaulois.
Ce n oble sacrifice ne fut p oin t sans fru it; à p ein e la
ru m eu r en est-elle répandue, que les fuyards s’arrêtent,
el que, p leins d ’un cou ra ge superstitieux, ils revien n en t
au com bat. Ils croien t v o ir l’ arm ée gauloise en p roie à
la p eu r et aux furies. « Voyez, disent les uns, ils restent
« im m ob iles et en gou rd is au tou r du cadavre du consul.
« — Ils s’agitent com m e des aliénés, disaient les autres,
« m ais leurs traits ne blessent plus *. » Le grand prêtre
cepen dan t courait à cheval de ran g en ran g. « La victoire
« est à nous, cria it-il; les Gaulois plient : Décius les ap-
« pelle à lu i; D écius les entraîne chez les m o r t s 3! »
Dans ce m om en t Fabius, qui avait pris l’avantage sur
les Sam nites, in form é de la détresse de l’aile gauche,
détache, p ou r la secou rir, une division de son arm ée.
L’aile gau che rom ain e regagn e du terrain. Les Gaulois,
réduits à la défensive, se fo rm e n t en carré, et, joig n a n t

1- L iv., x, 2 8 ; C f., vin, 0.


2. Furiarum ac form idinis plena omnia ad hostes esse. — Galli, velut
alienata m ente, vana incassum jactare tela. Torpere quidam. Id., x, 29.
•!. Rapere ad se ac vocare Decium dovutam secuin aciom ... vicisse
Romanos. Id ., ib id .
leurs bou cliers l’ un contre l’autre com m e une enceinte
de palissades, reçoiven t l’ en n em i de pied ferm e. Les Ro­
m ains les entourent, et, ramassant les javelots et les
épieux dont la terre était jo n ch é e , brisent les b ou cliers
gaulois, et ch erch en t à se faire jo u r dans l’in térieu r du
c a r r é 1; mais les b rèch es étaient aussitôt referm ées. Ce­
pendant l’arm ée sam nite, après avoir lon g tem p s résisté
à l’aile droite des Rom ains, lâche p ied, et traverse le
cham p de bataille p rès du carré g a u lois; toutefois, au
lieu de s’y rallier et de le secou rir, elle passe ou tre, et
cou rt se ren ferm er dans son cam p. L’arm ée rom ain e
tout entière pu t alors se réu n ir con tre les Cisalpins : ils
fu ren t rom p u s de toutes parts et écrasés. La coalition ,
dans celte jou rn ée fatale, perdit v in g t-cin q m ille h om m es,
la plupart Gaulois : le nombre des blessés fut plus g r a n d 2.
284 Le désastre d e S entinum dégoûta les Cisalpins d’ une
alliance dans laquelle ils avaient été si h onteusem en t
sacrifiés; au bou t de quelques années cependant, ils re­
p riren t les arm es à la sollicitation des É trusques. Mais
déjà le Sam niuin se résignait au jo u g des R om a in s; p lu ­
sieurs m êm e des cités de l’Étrurie, gagnées par les intri­
gues du sénat, avaient fait leur paix p articulière ; et la
cause de l’ Italie était presqu e désespérée. Ce fu ren t les
Senons qui con sen tiren t à secon d er les d ern ières tenta­
tives du parti national étrusque; gu idés par lui, ils v in ­
ren t m ettre le siège devant Arétium , la plu s im portante
des cités vendues aux R om a in s3. R om e n ’abandonna pas
ses partisans; elle envoya dans le cam p senonais des com ­

1. Collecta humi pila, quæ strata inter duas acies jacebant, atque in
testitudinem hostium conjecta. L iv., x. 29.
2. Id., ibid. — Paul Orose (iv, 21) fait m onter le nombre dos morts
à 40,000. — Diodore de Sicile n’en com pte pas moins de 100,000.
3. Aujourd'hui Arezzo,
missaires chargés de déclarer aux chefs cisalpins que la
rép u bliqu e prenait Arétium sous sa protection, et qu’ ils
eussent à lever le siège sans délai s’ils ne voulaient entrer
en gu erre avec elle. On ig n o re ce qu i se passa dans la
con féren ce, si les R om ains préten diren t em ployer, à l’é­
gard de cette nation û ère et irritable, le langage arrogant
q u ’ils parlaient au reste de l’Italie, ou si, com m e un his­
torien le fait entendre, la ven geance p erson nelle d’ un
des chefs cisalpins am ena l’ h orrib le catastrophe; mais
les com m issaires furent m assacrés, et leurs m em bres dis­
persés, avec les lam beaux de leurs robes et les insignes
de leu rs dignités, a u tou r des m urailles d’A rétiu m 1.
A cette n ou velle, le sénat irrité lit m arch er deux ar­
m ées con tre les Senons. La p re m iè re , con d u ite par Corn.
D olabella, entrant à l’ im proviste sur leu r territoire, y
com m it toutes les dévastations d’ u n e guerre sans quar­
tier : les h om m es étaient passés au fil de l’ épée ; les
m aisons et les récoltes brû lées; les fem m es et les enfants
traînés en s e rv itu d e 2. La se co n d e , sous le com m ande­
m en t du préteu r C écilius M étellus, attaqua le cam p gau­
lois d ’Arétium ; mais dès le p rem ier com bat elle fut m ise
en d érou te; Métellus resta sur la place avec treize m ille
lég ion n a ires, sept tribuns et l’élite des jeu n es cheva­
lie r s 3.
Jamais plus violente colère n ’avait transporté les Se­
n o n s ; la gu erre leu r paraissait trop lente à quarante lieues
du Capitole. « C’est à R om e q u ’il faut m a rch er, s’ é-

1. P olyb., h , 19. — L i v . , E pit., x i . — O ros., m , 22. — App., d e


R e b . Gall., Exe. xi, et de Reb. Samn., Exc. v i .
2- AîravTaç ror.ôov xaTé<r<palUv. Dion. Hal., Exe., ed. Leips., p. 2344.
~ F1or., ,, 13.
3. C æ c iliu s , v u t r ib u n i m il i t u m , m u lt i n o b i l e s t r u c id a t i , x iii m i 'l 'a
m tu m p r o s tr a ta . O iu s . , m , 3 2 . _ L iv , E p it ., XII. — P o l y b . , H, 20.
« criaient-ils ; les Gaulois savent com m e n t on la p r e n d 1 ! »
Ils entraînèrent avec eu x les Étrusques, et atteignirent
sans obstacle le lac V a dim on , situé sur la fron tière du
territoire rom ain . Mais l’arm ée de Dolabella avait eu le
tem ps de se rep lier sur la ville ; grossie par les débris fie
l’arm ée de Métellus et par des renforts arrivés de R om e,
elle livra aux troupes gallo-étrusques une bataille dans
laquelle celles-ci fu ren t accablées. Les Senons firent des
p rodiges de v a leu r, et un petit n om b re seu lem en t rega­
gn èren t leu r p a y s 2. Les E oïes essayèrent de v en g er leurs
com p atriotes; vaincus eu x -m ê m e s , ils se virent contraints
de d em an d er la paix 3 ; ce fu t la p rem ière que les Ro­
m ains im p osèren t aux nations cisalpines.
Le sénat put alors ach ever sans trouble et avec régu ­
larité, sur le territoire sen on ais, l’ œ uvre d’exterm in ation
co m m e n cé e par Dolabella. Tous les h om m es q u i ne se
réfu gièren t pas chez les nations voisines p ériren t par
l’é p é e ; les enfants et les fem m es furent ép a rgn és, mais,
com m e la terre, ils devinrent u n e p ropriété de la répu ­
bliqu e. Puis, on s’occu p a , à Rom e, d’en voyer u n e colon ie
dans le p rin cip al b o u rg des v a in cu s, à S en a, sur la côte
de l’A d ria tiq u e4.
V oici la m arch e qu e suivaient les R om a in s, lorsqu ’ils
fon daien t u ne colo n ie . D’ordin aire le peu ple assem blé
n om m a it les fam illes auxquelles il était a ssigné des parts

1. lntratam Senonum capietis m illibus urbem


Assuetam que c a p i !... (Sil. Ital.)

2. P olyb., ii , 20. — L iv., Epit,, xii. — F lor., i, 13. — O ros., m , 22.


3 . Aia7rps<Tê£vaà[j.£voi ra p ï <77: ovgü>v xoù oiaXu<j£wv, cruvQrjxas eOevto 7Tpô;
Pwjxatou;. P olyb., ii, 20.
4. Sena ou Sena Gallica.
................ .. Qua Sena relictum
Gallorum a populis servat per sæcula nomen.
(Sil. Ital., 1. xv, y. 556.)
sur le territoire con q u is; ces fam illes s’y rendaient m ili­
tairem ent, enseign es d ép loyées, sous la con d u ite de trois
com m issaires appelés trium virs *. Arrivés sur les lie u x ,
avant de co m m e n ce r aucun travail d’ établissem ent, les
trium virs faisaient creuser u ne fosse r o n d e , au fon d de
laquelle ils déposaient des fruits et u n e p o ig n é e de terre
apportée du sol rom ain : p u is , attelant à u n e ch a rru l
d on t le soc était de cuivre un taureau b la n c et u n e gé­
nisse b la n cb e , ils m arquaient par un sillon p rofon d l’en­
cein te de la ville fu tu re ; et les colon s suivaient, rejetant
dans l’ in térieu r de la lig n e les mottes soulevées par la
ch arru e. Un pareil sillon circon scrivait l’en cein te to­
tale du territoire co lo n isé ; un autre servait de lim ite
au x propriétés particulières. Le taureau et la génisse
étaient ensuite sacrifiés en grande p o m p e aux divinités
q u e la ville choisissait p o u r protectrices. Deux m agis­
trats, n om m és d u u m virs, et un sénat élu parm i les
p rin cip a u x h abitan ts, com p osaien t le gouvernem ent
de la c o lo n ie ; ses lois étaient les lois de Home. C’ est
ainsi qu e s’ éleva parm i les nations gauloises de l’ Italie
u n e ville ro m a in e , sentinelle avancée de la rép u b li­
que, foy er d’ intrigues et d’ e sp io n n a g e , ju sq u ’à ce
q u ’elle pût servir de p oin t d’appui à des opérations de
con qu ête.
L’am bition des lîom ains était satisfaite, leur vanité ne
l’était pas. Ils vou lu ren t avoir recon q u is cet or au prix
d u qu el ils s’ étaient rachetés, il y avait alors cent sept ans,
et qu e les nations italiennes leu r avaient tant de fois et
si am èrem en t rep roch é. Le p rop réteu r Drusus rapporta
on grande p om p e à R om e, et déposa au Capitole des lin­
gots d 'or et d ’argent et des b ijo u x trouvés dans le trésor

t • Irium viri coloniæ deducendæ. L iv., passim.


283 com m u n des S e n o n s 1 ; et l’ on proclam a avec orgu eil que
la h on te des anciens revers était effacée, puisque la ran­
çon du Capitole était rentrée dans ses m u rs, et qu e les
fils des incendiaires de Rome avaient p é ri ju sq u ’au der
n i e r 2.

1. Traditur (Drusus) ex provincia Gallia extulisse aurum Senonibus


olim in obsidione Capitolii datum, nec, ut fama est, extortum a Camillo-
Suet., T iber., 3.
2. Ne quis exstaret in ea gente quæ incensam a se fiom am urbem
gloriaretur. F lor., i, 13.
L I V R E II

M IG R A T IO N S DES G A U L O IS EN GRÈCE ET EN A S IE . — F O N D A T IO N

DU ROYAUM E DE G A L A T I E .— G A U L O IS A LA SOLDE DES ÉTATS

DE L ’ O R IE N T .

CHAPITRE PREMI ER

A r riv é e e t é ta b lis s e m e n t d e s B e lg e s d a n s la G a u le . — U n e b a n d e d e T e c t o ­
s a g e s ém igre d a n s la v a llé e d u D a n u b e . — N a tion s g a lliq u e s d e l ’ I lly r ie e t
d e la P æ o n ie ; le u rs re la tio n s a v e c le s p e u p le s g r e c s . — L e s G a lls e t les
K im r is s e ré u n iss e n t p o u r e n v a h ir la G r è c e . — P re m iè r e e x p é d it io n en
T h r a c e e t en M a c é d o in e ; e ll e é c h o u e . — S e c o n d e e x p é d it io n ; le s G a u lo is
s ’e m p a re n t d e la M a c é d o in e e t d e la T h e ssa lie ; ils so n t v a in cu s a u x T h e r -
m opyles; ils dévastent l’É to lie; ils forcent le passage de l ’ Œ t a ; s iè g e et
prise de Delphes; p illage du temple. — Retraite désastreuse d e s G a u l o is ,
le u r r o i s’enivre e t se tue ; ils regagnent le u r p a y s e t se sé p a r e n t.

281 — 279.

L’ irruption en Italie de cette bande de Gaulois trans- 400


alpins, don t n ous avons raconté dans le chapitre p récé- à
dent l’alliance avec les Cisalpins, et bientôt la destruction 281
com p lète, se rattachait, selon toute apparence, à de n ou ­
veaux m ou vem en ts de peuples d on t la Gaule transalpine
était redevenue le théâtre. Celle des trois grandes confé­
dérations kim riques d’ outre-R hin qui avoisinait de plus
près ce pays, la con fédération des Belgs ou Relges, dans
la p rem ière m oitié du ive siè cle 1, avait fran ch i le Rhin tout
à cou p et envahi la Gaule septentrionale, ju sq u ’à la chaîne
des Vosges à l’est, et au m idi, ju sq u ’au cours de la Marne
et de la Seine. La résistance des Gails et des Kim ris, en ­
fants de la p rem ière con quête, ne perm i t pas a u x 'n o u ­
veaux venus de dépasser ces barrières. D eux de leurs tri­
bus seulem ent, les A récom ikes et les Tectosages, parvin­
rent à se faire jo u r, et après avoir traversé le territoire
gaulois dans toute sa lon gu eu r, s’ em parèrent d ’u ne partie
du pays situé entre le R hône et les Pyrénées orientales.
Les A récom ikes su b ju gu èren t l’Ib é ro -L ig u rie entre les
Gévennes et la m e r; les Tectosages s’ établirent entre ces
m on tagn es et la Garonne, et adoptèrent p o u r leu r ch ef-
lieu Tolosa, ville d’ orig in e, selon toute apparence, ib é -
rien n e, qu i avait passé autrefois des m ains des Aquitains
dans les m ains des Galls p o u r to m b e r ensuite et rester
dans celles des K im ris. Séparées l’ une de l’autre par la
seule chaîne des Cévennes, les tribus arécom ik e et tecto-
sage form èren t u ne nation u niqu e qui con tin u a de porter
le n om de Belg, auquel les Galls et les Ibères donnaient
la form e de Bolg, Volg et Volk2.

1. On peut voir dans l ’Introduction les bases sur lesquelles j ’ai fondé
ce calcul. J’ajouterai que l ’époque que j ’ai déterminée ainsi approximati­
vement, au moyen d ’événements pris dans la Gaule transalpine, coïncide
avec celle d’une longue paix entre les Cisalpins et Rome. (V. le chapitre
précédent à l ’année 299.) Les Cisalpins, inquiets des bouleversements
qui agitaient les Transalpins et les poussaient de nouveau vers l’Italie,
avaient tourné toute leur prévoyance et toutes leurs forces de ce côté.
2. J’ai consacré une partie de l’Introduction à exposer mon opinion
sur les Belges, sur l ’époque approximative de leur arrivée en deçà du
Rhin, enfin sur leur affinité avec les Volkes. Jo ne puis qu’y renvoyer le
lecteur. Pour ce point de ma théorie com m e pour tous les autres, j ’ai
cru devoir réunir toute la discussion dans le morceau général qui pré­
cède mon récit, afin de dégager l ’histoire narrative des dissertations qui
ne sont bonnes qu ’à l ’embarrasser et à la morceler : l’histoire, à mon
Nous ne savons rien des guerres que les Belges, avant
de rester possesseurs paisibles du pays q u ’ils avaient en­
vahi, soutinrent con tre les populations antérieures. L’ his­
toire n ous m on tre seulem ent les Tectosages, vers l’année
281, faisant partir de Tolosa u ne ém igration considéra­
ble, sur les m otifs de laquelle les écrivains n e sont pas
d ’accord . Les uns l’attribuent à l’excès de p o p u la tio n 1
qu i de b on n e h eu re se serait fait sentir parm i les Vol-
kes, serrés étroitem en t de tout côté par les peuplades
galliques, aquitaniques et lig u rien n es; d’autres lu i assi­
gn en t p o u r cause des révoltes et des guerres intestines.
« Il s’éleva chez les Tectosages, disent-ils, de violentes
« dissensions, par suite desquelles un grand n om b re
« d ’h om m es furent chassés et contraints d’aller ch erch er
« fortun e au d e h o rs 2. » Les ém igrants, quel qu e fût le
m o tif de leu r départ, sortirent de la Gaule par la forêt
H ercynie et entrèrent dans la vallée du D an u be; c’ était
la route qu ’avaient suivie, trois cent vingt et un ans au­
paravant, les Galls com p a g n on s de S ig ov èse”. Dans ce
laps de tem ps, ces anciens ém igrés de la Gaule s’étaient
p rod igieu sem en t a ccru s; m aîtres des m eilleures vallées
des Alpes, ils form aien t de grands corp s de nations qui
s’étendaient ju sq u ’ aux m on tagn es de l’ Épire, de la Macé­
d oin e et de la T hrace. Bien que placés sur la fron tière

avis, ne doit pas marcher autrement. Il y aurait donc injustice à m ’im­


puter, dans le récit, des affirmations gratuites, faute de recourir aux
preuves que j ’ai développées dans l ’Introduction. Cette critique m ’a déjà
été faite, et je la repousse comm e entachée d’inadvertance ou de mau­
vaise foi.
t . Just., xxiv, 4.
2. 2/ccx<teiü(; à(jLTT£rTO'jaT];, è£e),à(Tai ttoîù u).r|0o; êautcov dx TT; olxtaç.,.
Strab., 1. iv, p. 187. — P olyb., u.
3. Voy. ci-dessus, livre I, ch. 1,
des peu ples grecs, ils n’ étaient entrés en relation avec
eu x qu e fort tard, et v o ici à quelle occa sion .
L’an 3^0 avant notre ère, Alexandre, fils d e P hilip pe,
roi de M acédoine, ayant fait u ne expédition vers les
.bouches du Danube, contre les tribus scythiques o u teu -
ton iqu es q u i ravageaient la fron tière de Thrace, q u el­
ques Galls se ren d iren t dans son cam p, attirés soit par
la cu riosité du spectacle, soit par le désir de v o ir ce roi
déjà fam eux. Alexandre les reçu t avec affabilité, les fit
asseoir à sa table, au m ilieu de sa cou r, et prit plaisir à
les éblou ir de cette m a g n ifice n ce d on t il aim ait à s’en­
v iron n er ju sq u e sur les ch am ps de bataille. Tout en bu­
vant, il causait avec eu x par interprète : « Quelle est la
« ch ose qu e tous craign ez le plus au m o n d e ? » leur de­
m anda-t-il, faisant allusion à la célébrité de son n om et
au m otif qu’ il supposait à leu r visite. « Nous ne crai-
« gn ons, répliquèren t ce u x -ci, rien que la chute du ciel.
« Cependant, ajoutèrent-ils, n ous estim ons l’am itié d’ un
« h o m m e tel qu e t o i i . » Alexandre dissim ula p ru d em ­
m ent la m ortification que cette rép on se dut lui faire
éprou ver, et se tou rn ant vers ses courtisans n on m oins
surpris qu e lui, il se contenta de dire « Voilà u n p eu -
ci p ie bien f i e r 2 ! » T outefois, avant de quitter ses hôtes,
il con clu t avec eu x un traité d’am itié et d’alliance.
Mais A lexandre m o u ru t à la fleu r de l’âge, au fort de
ses conquêtes, à m ille lieues de sa patrie, et le vaste em ­
p ire qu ’ il avait créé fut dissous. Tandis qu e ses généraux
pren aien t les arm es p o u r se disputer son héritage, les
rép u bliqu es asservies par lui ou par son père s’arm aient

1 . ’E péaB ai ita p à t 6v itox ov (t à v (SairiXéa) t£ [lâX iara etr) 8 tpoëoïvro-


a v x où ç 8’ àTtoxpivacrôcti, o ü 8 é va , et (*•?) à p a 6 oùpa voç a û f o ï ; h tm é io v ç O ia v
ye. (A àvàvSpi; to io û to u r a p l itav-cè; TÎSeaSai. S t r a b ., 1. v u , p . 3 0 2 .
2. ’AXocÇove; KeXxo£ elaiv... Arrian., Alex., i, 6.
aussi p o u r recon q u érir leu r in dépen dan ce. T out présa­
geait à la Grèce u n e lon gu e suite de bouleversem en ts;
tout semblait con v ier à cette rich e p roie de sauvages voi­
sins, avides de pillage et de com bats. Dès les prem iers
sym ptôm es de gu erre civile, les Galls s’ adressèrent aux
répu bliqu es du P élopon èse et de la Ilellade, offrant d’ être
leurs auxiliaires contre le ro i de M acédoine; m ais une
telle p roposition fut repoussée avec h a u te u r 1. Rebutés
par les répu bliqu es, ils s’adressèrent au roi de Macé­
d oin e, qui se m on tra m oin s d éd a ig n eu x; il en prit à son
service et en ût passer aux rois d’Asie, ses amis, des
bandes n o m b re u se s2.
P lus les affaires de la G rèce s’ em b rou illèren t, plus
s’accru t l’im portan ce des Gaulois soldés; ils furent d’un
grand secours aux rois dans leurs in term in ables que­
relles; m ais souvent aussi ils leur firent payer ch e r les
servi ces du ch am p de bataille. On racon te à ce sujet
qu’A ntigone, u n des successeurs d’Alexandre, ayant en gagé
dans ses trou pes une bande de Galls du D anube, à raison
d’ u ne pièce d’ or par tête, ce u x -ci am en èren t avec eux
leurs fem m es et leurs enfants, et, qu’ à la ûn de la cam ­
pagne, ils réclam èrent la solde p o u r leu r fam ille com m e
p o u r eux. « Une p ièce d’ o r a été prom ise par tête de
« Gaulois, disaient-ils; ne sont-ce pas là des G a u lo is3? »
Cette interprétation c o m m o d e , qui faisait m on ter la
som m e stipulée à cent talents au lieu de tr e n te 4, ne

1. raXorccti (jlc8’ 'EXX^viûv où* è|Aay_éiraVTO, KXe«>vù|iO\> xai Aoix£8ai[i.5v£Mv


<nrs''<raCTÛat (ncovSà; (7<pi<riv où fiEXvjffàvTcov. P a u s ., m .
2. Polyæ n., Stratag., iv, 8. — Just., xxv, 2 et 3. — P olyb., i, 65, et
v> 3, 1 /, 53j (j5 — Stob., Serm. x.
_ 3 . O l IV ,à -ca t y.a! t o ï ç àÔTtXoiç x a i TaTç Y vvaiçt x a l toïç TOCidtv i n ^ r o u v
feÏKO y à p EÎvcct twv TaXaTwv Êv êxâarM . P o l y æ n ., S t r a t a g ., IV, G.
4. Un talent pouvait équivaloir à 5,500 fr.
840 pouvait être du g oû t d’A ntigone : la dispute s’ échauffa,
à et les Galls m en acèren t de tuer les otages q u ’ils avaient
£81 ° H
entre les m ains. 11 fallut au ro i g re c toute l’ habileté qui
caractérisait sa- nation p o u r sauver ses otages et spn ar­
gent, et se délivrer lu i-m êm e de ces auxiliaires dange­
reux.
Introduits au sein d e cette Grèce d é ch irée par tant de
faction s, les Galls sentirent bien tôt sa faiblesse et leur
fo r c e ; ils se lassèrent de com battre à la solde d’ un peu ple
qu ’ ils pouvaient d ép ou iller. Un ch e f de bande, n o m m é
Cambaules, entra p o u r son p rop re com p te dans la Thrace,
don t il ravagea la fro n tiè re ; et, q u o iq u ’il n ’y fût resté
qu e très-peu de tem ps, il en rapporta assez de bu tin p o u r
exciter la cu pidité de toute sa nation '. Les ém igrés tec­
tosages, arrivés su r ces entrefaites, d écid èren t l’ im p u l­
sion gén érale; de con cert avec les peu ples galliques, ils
organisèrent u n e expédition dont la con d u ite fut con fiée
à un ch e f qui paraît avoir été de race k im riq u e. Le nom
de cet h o m m e n ou s est in c o n n u ; l’histoire n ous apprend
seulem ent q u ’il tirait son o rig in e de la tribu des Praus
ou hommes terribles2; et, co m m e l’autre chef, n on m oin s
fam eux, qu i prit et brûla R om e, elle ne le d ésign e h abi­
tuellem en t qu e par son titre de Brenn ou ro i de guerre.
Ses talents co m m e gêhéral, son intrépidité, ses saillies
spirituelles et railleuses, son éloq u en ce m êm e, lui valu­
rent une grande re n o m m é e dans l’ antiquité, et les éloges
d’ écrivains qu i certes n ’avaient au cun m o tif de partialité,
ni p ou r l’homme, n i p o u r la nation.

1. Paus., x , 19.
2 . T ov Rpévvov, xàv èTO>0ovTa êwi A e ^ ço ù ç, Ilp aü ffôv tivéç çootiv àXX’ où
toüç npaOtrouç i/ojxev elneïv, 8ttou yfiç üx^rrav npôtepov. Strab., 1. rv,
p. 187. — Draw, en langue galloise, signifie terreur; bras, en gaelique,
terrible.
Des région s de la haute M acédoine, co m m e d’ un p oin t ssi
central, parlent quatre grandes chaînes de m ontagnes.
La plus considérable, celle du m on t Hém us, se dirige vers
l’ est, entoure la T hrace, b ord e le Pont-E uxin et envoie
une bran ch e de collin es vers Byzance et vers l’ H ellespont.
Une secon d e chaîne se détache du plateau de la haute
M acédoine en m êm e tem ps qu e l’ H ém us, mais se p ro­
lon g e vers le sud-est : c ’est le R hodope. Une troisièm e
cou rt de l’est vers l’ou est, celle des m onts qu e les Galls
avaient n om m és Alban1. Enfin la q u a trièm e, s’ étendant
au sud et ù l’est, d on n e naissance à toutes les m ontagnes
de la Thessalie, de l’ É pire, de la Grèce p rop re et de l’Ar­
c h ip e l2. C on form ém en t à cette disposition géograp h iqu e,
le R renn dirigea sur trois p oin ts les forces de l’ invasion.
Son aile gau che, com m a n d ée par C éréth riu s3, entra dans
la T hrace avec ord re de la saccager et de passer ensuite
dans le n ord de la M acédoin e, soit par le R h o d o p e , soit
en côtoyant la m er É gée. Son aile d roite m archa vers la
frontière de l’Épire p ou r envahir de ce cô lé la M acédoine
m érid ion ale et la T hessalie, tandis que lu i-m ê m e , à la
tête de l’arm ée du centre, pénétrait dans les hautes m on ­
tagnes qu i bord en t la M acédoine au n ord . Ces m ontagnes
servaient de retraite à des peuplades sauvages d’orig in e
th raciqu e et illy rien n e , con tin u ellem en t en g u erre avec
les Galls. Il im portait au succès d e l’expédition et à la
sauvegarde des tribus gau loises, durant l’ absence d ’une
Partie d e leurs gu erriers, qu e ces peuplades en nem ies
fussent ou soum ises ou détruitesdès l’ ouverture d elà cam ­
pagn e : mais, retranchées dans d’épaisses forêts, au m ilieu

‘ étaient appelés par les Grecs Albani et aussi Albii. (Strab.)


3* Géogr. de l’Europe, t. VI, p. 185 et, suiv.
• " *» célèbre, rem arquable; Certhrwyz, gloire. Owen’s W elsh
*8i de roch ers in accessibles, elles surent résister plusieurs
m ois à tous les efforts du Brenn. C elui-ci n ’épargna au­
cu n m oyen p ou r en triom p h er. On prétend q u ’il em p oi­
sonna des bandes entières avec des vivres qu’ il se laissait
en lever dans des l'uites sim u lé e s1; enfin ces peuplades
furent exterm inées par le fe r, le feu et le p o is o n , ou
contraintes de livrer au vainqueur, sous le n o m de sol­
dats auxiliaires, l’ élite de leur je u n e s s e 2. Le Brenn son­
gea alors à descendre le revers m éridion al de l’ H ém us,
p ou r aller rejoin d re en M acédoine la division de Céré-
thrius et l’arm ée de droite ; m a is , com m e on le verra
tout à l’ h e u r e , des événem ents contraires l’ arrêtèrent
dans sa m arche et le û rent ch a n ger de résolution.
Tandis qu e le Brenn bataillait con tre les m ontagnards
de l’ Hém us, l’aile droite arriva sans difficulté sur la fron ­
tière occiden tale de la M acédoin e; elle avait p o u r ch e f un
gu errier p roba blem en t tectosage, appelé Bolg ou B e lg 3.
Avant de p oser le pied sur le territoire de la Grèce, Belg
s’avisa d’ une form alité q u ’il crut sans doute équivaloir à
u ne déclaration de g u e rre ; il fit som m er le ro i de Ma­
céd oin e, alors P tolém ée, fils de P tolém ée r o i d ’ Égypte,
de lu i payer im m éd iatem ent une som m e p o u r la ran çon
de ses États, s’il voulait con server la p a ix 4. Une telle
so m m a tio n , si nouvelle p o u r les soldats de P hilippe et
d ’A lexandre, surprit à juste titre les M acédoniens, mais
elle jeta dans u n e colère terrible le ro i P tolém ée, à qui
la v iolen ce de son caractère avait m érité le su rn om de

t . Oi KeXxol xàç Tpoçàç x a i tôv otvov itôais Sï)XriT<ipîoiç xaTaçap|j.a-


x sû o u fft, x a l x aT aX iiro v x s; £v xaTç oxYjvatç a ù x o i vuxTwp P o l y æ n .,
Stratag. vu, 42. — Athen., x , 12.
2: A pp., deR ell. I lly r.,4 .
3. RoXyio{. Paus., x, 19. — Ddgius, Justin.
4. Offerentes pacem, si em ere velit. Just., sm v , 5.
Foudre *. « Si vou s avez q u elqu e ch ose à espérer de m oi,
« dit-il avec em p ortem ent aux députés gaulois, a n n on cez
« à ceu x qui vous envoient q u ’ils déposent su r-le-ch a m p
« leurs arm es et m e livrent leurs ch e fs; et q u ’alors je
« verrai quelle paix il m e con vien t de vous a ccord er 2. »
Les m essa g ers, en entendant ces p a r o le s , se m irent à
rire. « Tu verras b ien tô t, lui d iren t-ils, si c’ était dans
« notre intérêt ou dans le tien que n ous te p rop osion s
« la p a ix 3. » Belg passa la fron tière, et s’avança â m ar­
ches forcées dans l’in térieu r du royau m e ; il ne tarda pas
à ren con trer l’ arm ée m a céd on ien n e, qu;> le F oudre lui-
m êm e com m a n d a it, m on té sur u n élép h an t, A la m a­
n ière des rois d’ A s ie 4.
De part et d’autre on fit ses dispositions p o u r la ba­
taille. P tolém ée, suivant la tactique grecq u e, rangea sur
les lianes son infanterie légère et sa cavalerie; au centre,
son infanterie pesante, arm ée de lon g u es piq u es, se form a
en ph a la n ge. Les Grecs appelaient de ce n o m un batail­
lon carré de cin q cents h om m es de f r o n t , sur seize de
p rofon d eu r, tous tellem ent serrés les uns con tre les au­
tres que les piques du cin q u ièm e ran g dépassaient de
trois pieds la p rem ière lig n e ; les rangs les plus inté­
rieurs, ne pouvant se servir de leurs arm es, appuyaient
les prem iers, soit p o u r a u gm en ter la fo rce de l’attaque,
soit p o u r soutenir le c h o c des charges en n em ies. La p h a­
lange était la g loire de l’arm ée m a cé d o n ie n n e ; P hilippe,
Alexandre et les successeurs d e ce con qu éran t, lu i avaient

Kepauvo;. Ceraunus chez les historiens latins.


A lit e r se pacem daturum negando, nisi principes suos obsides dede-
n n t, et arma tradiderint. Just., xxiv, 5.
Risure ü a lli, acclamantes brevi sensurum sibi an illi consulentes
pacem obtulorint. Id ., ibid .
4. Memnon, ü l st„ ap. ,,hoU> 15>
«si été redevables de leurs plus grands succès. Cependant ce
corps si redoutable ne résista pas à l’ audace im pétueuse
des Gaulois : après un com bat terrible, il fut e n fo n c é ;
l’ éléph an t qui portait le ro i tom ba criblé de javelots-; lu i-
m êm e, saisi vivant, fut m is en pièces, et sa tête p r o ­
m en ée au b ou t d’ u ne p iqu e, à la vu e des ailes m acé­
d on ien n es qui tenaient e n c o r e i. Alors la dérou te devint
gén érale; la plupart des chefs et des soldats périren t ou
fu ren t contraints de se ren d re ; mais le sort des captifs fut
plus h orrib le que celu i des gu erriers m orts sur le cham p
de bataille; Belg en fit é g o rg e r dans un sacrifice solen ­
nel les plus jeu n es et les m ieu x faits; les autres, garrottés
à des arbres, servirent de bu t aux gais des Galls et aux
matars des Kim ris*.
Cette défaite et les atrocités don t elle était suivie je tè ­
rent la M acédoine dans la con stern ation . De toutes parts
on se réfugia dans les villes. « De l’en cein te de leurs m u -
« railles, dit u n h istorien , les M acédoniens, levant les
« m ains vers le ciel, in voqu aien t les n om s de P hilippe et
« d’Alexandre, dieu x protecteu rs de la p a tr ie 3; » mais
cette patrie, nul ne s’arm ait p o u r la sauver. Ce qu i m et­
tait le com b le à la m isère p u b liq u e, c ’était l’anarchie qui
régnait dans l’arm ée : les soldats, après avoir élu ro i Mé-
léagre, frère de P tolém ée, le chassèrent p o u r m ettre à sa
place un certain Antipater q u i fut su rn om m é l’ Étésien,
parce qu e son règn e ne dépassa pas en du rée la saison où

t. Memnon, Hist., ap. Phot., 15. — Caput ejus amputatum et lancca


fixum. Just., xxiv, 5. — Paus., x, 19. — Polyb., ix, 35. — Diod. Sic.,
xxii, 3, Exc. Ilœschel.
2. Tous ts fà p toïç $ï8e<n xaXXi'aTOoç, xai tou; ^ixi'aet; ixiiaiorirovi
xaTasTé^/aç, ëOvae toîç 0eoiç... toùç S’ àM.ou; TtâvTaç xoot)x6vti<js. Diod.
Sic., x x x i, 13, Exe. de Virt. et vit.
3. Just., xxiv, S.
soufflent les vents ëtésiens ’ . Les désordres des soldats, 281
l’absence d ’ un ch ef m ilitaire, et l’ épouvante des citoyens,
pendant plus de trois m ois, livrèrent sans défense la Ma­
céd oin e aux dévastations des Gaulois. Belg p a rcou ru t
tranquillem ent le m idi de ce royau m e et le n ord de la
T h essa lie2, entassant dans ses chariots un im m en se b u ­
tin que p erson n e ne venait lui disputer.
Un je u n e Grec, n o m m é Sosthènes, h o m m e ob scu r et
in c o n n u 3, mais p lein de patriotism e et d ’én ergie, entre­
prit enlin d’ arrêter ou du m oin s de trou b ler le cours de
ces ravages. Il rassem bla q u elqu es je u n e s gens, co m m e
lui p lébéiens, et se m it à in qu iéter par des sorties les di­
visions gauloises séparées du gros de l’ arm ée, à enlever
les traîneurs et les bagages, à in tercepter les vivres. Peu
à p eu le n om b re de ses co m p a g n o n s s’ a ccru t; et il se
hasarda à ten ir la cam pagne. L’ arm ée m a céd on ien n e ac­
cou ru t alors sous ses drapeaux, et, déposant son roi Anti-
pater, vin t offrir à Sosthènes la co u ro n n e et le com m a n ­
d em en t; le je u n e gu errier dédaign a le titre de roi, et ne
vou lu t accepter qu’ un com m a n d em en t te m p o ra ire 4, lielg
fut bientôt réduit à se ten ir sur la défensive. C om m e ses
bagages étaient chargés de d ép ou illes et de richesses de
tout gen re, craignant d ’aventurer ces fruits de sa cam ­
pagn e, il se sou cia peu d’ en ven ir à u ne bataille ra n g é e ;
h arcelé par Sosthènes, m ais éludant tou jou rs u n e action
d écisive, il regagna les m on tagn es, n on sans avoir perdu
b eau cou p de m o n d e 8. Tels étaient les événem ents qui ar-

Cotte saison est de quarante-cinq jours.


I' !>aus'; ^ 19.
• Ignoliiiig ipse... Just., xxiv, 5.
jljj | ' l|ls‘ Hon in regis, sed ducis nomen jurare milites rompulit. Id.,

y ' W -’ XX1V’ - l ’aus., x, 1 ».


281 rêtèrent îe Brenn et l’ arm ée du centre au m om en t où,
ayant réduit les peuplades de l’ H ém us, ils allaient fon d re
sur la M acédoine. Quant à l’ aile gau che qu e com m andait
Céréthrius, elle était toujours en Thrace ; trop o ccu p é e à
com battre ou à piller, elle n ’avait op éré a u cu n m ou ve­
m en t p o u r rejoin d re le corp s d’ arm ée de B e lg ; en un
m ot, tout sem blait avoir con sp iré p o u r faire avorter le
plan de cam pagne qu i devait livrer aux Gaulois la Grèce
septentrionale. D’ ailleurs, l’ h iver approchait. Le Brenn
évacua les m on tagn es, et retourna dans les villages des
Galls presser les préparatifs d’ u n e secon d e expédition
p o u r le p rin tem ps suivant,
eso Le Brenn sentit q u ’ il était nécessaire d e relever la
con fia n ce de ses com p atriotes, un peu affaiblie par ce
p re m ier revers ; il se m it à voyager de tribu en tribu,
anim ant les jeu n es gens par ses discours, et appelant aux
arm es tout ce q u ’il restait de gu erriers. 1.1 ne se born a pas
au territoire g a lliq u e; il alla solliciter les Boïes, habitants
du fertile bassin situé entre le haut D anube et l’ O d e r 1,
ainsi que les nations teu ton iqu es qui occu p a ien t déjà
u ne partie des vastes rég ion s au n ord des Kim ris. Durant
ce voy age, Le Brenn traînait après lui des prison n iers
m acéd on ien s qu ’ il avait ch oisis petits et de peu d’ appa­
ren ce, et d on t il avait fait raser la tête. Il les prom en ait
dans les assem blées p u bliqu es, et faisant paraître à côté
d’ eu x de jeu n es gu erriers galls et k im ris de haute taille,
parés de la ch aîn e d’ o r et de la lon g u e ch evelu re : « Voilà
« ce que n ous som m es, disait-il ; grands, forts et n o m -
« b re u x ; et voilà ce qu e son t nos e n n e m is 2! » Alors, avec
ces im ages vives et poétiques q u i form aien t le caractère

4. Voyez ci-dessus.
2. ‘HfiEïç... ol t t ) ) . i x o ü t o i xat TOtoÜTOi wpèç toùç oütwç àtrOevetç xal
(iixpo'i; iroX£!J.vi<TO[uv... Polyæ n., Stratag., vu, 35.
de l’ éloq u en ce gauloise, le Brenn peignait la faiblesse de 2sj
la Grèce et sa richesse im m e n se ; les trésors de ses rois
ravageurs du m on d e e n tier; les trésors de ses tem ples,
et surtout de ce tem ple de Delphes, si re n o m m é ju squ e
chez les nations les plus étrangères à la G rèce, où les
plus lointaines con trées envoyaient leur tribut d’ of­
fra n d e s1. Les efforts du Brenn fu ren t cou ron n és d’ un
com plet s u ccè s ; il eut bien tôt m is su r pied deu x cent
quarante m ille g u erriers; et de ce n om b re, détachant
qu in ze m ille fantassins et trois m ille cavaliers q u ’ il laissa
dans le pays à la défense des fem m es, des enfants et des
habitations, il organisa le reste en toute hâte *.
Le Brenn se ch oisit p a rm i les chefs un lieutenant ou
collègue, don t le titre, en langue kim riqu e, paraît avoir été
K ikhou ïaour ou A kikhouïaour, m ot que les Grecs ortho­
graphiaient K ikhorios et A kikhorios, et q u ’ ils prenaient
p o u r un n om p rop re de p e r s o n n e 3. L’ arm ée réu n ie sous
ses ordres se trouva com p osée : 1° de Galls, 2° de Tecto­
sages, 3° de B oïes qu i pren aien t le n o m de T olisto-
B oïes4, h° d’ un corps peu n om b reu x , levé chez les nations
teutoniques, portant la dén om in ation de Teuto-B old ou
T eutobodes, les vaillants, p arm i les Teutons, et com m a n ­
dés par L u th a r5; 5° d’ un corps d’Illy rie n s6. Ces forces

1. ’AdOevElâv TE 'EÎ.Xrjvwv t ?|v èv t ï > itapévxt Strj-yoùjievo;, x a i iiç


(ia x a itoXXà [xèv Èv x o tv û , itXeiova 8è èv lepotç. Paus., x, 19.
2. Ad terminos gentis tuendos... peditum xv millia, equitum lu. Just.
XXV, 1.

3. Cyçwïawr et, avec l ’addition de l ’a augmentatif, Acyçwïawr, col


lègue, copartageant. Owcn’s W elsh d iction.; — Euvap^œv. Paus., loc- cit.
Diodore de Sicile écrit lvr/wpto;, Pausanias, ’Axixwpio;.
Peut-Être Tolosato-Roîes, Boïes unis à des Tolosatus. — Cette con­
jecture appartient à M. Diefenbach. Celt., il.
o. Lui, glorieu x; har, lier, guerrier, Lutarius. L iv., xxxvm , lti. —
M emn., ap. Phot. 20.
a. A pp., Bell. I 4_
form a ien t en tout cent d n q u a n te -d e u x m ille h om m es
d’ infanterie et vin gt m ille quatre cents h o m m e s de cava­
lerie, organisés de m anière que le u r n om b re fût réelle­
m en t de soixante et un m ille deu x cents. En effet, chaque
cavalier était suivi de d eu x dom estiques ou écuyers m o n ­
tés et équipés, qu i se ten aien t d errière le corp s d ’arm ée
lorsque la cavalerie engageait le com bat. Le m aître était-il
d ém on té, ils lu i d on n a ien t s u r -le -c h a m p u n ch e v a l;
était-il tué, un d’ eu x m on tait son cheval et pren ait son
ra n g ; en fin , si le cheval et le cavalier étaient tués en­
sem ble ou que le m aître blessé fût em porté du ch am p de
bataille par l’ un des écuyers, l’ autre occu p ait, dans l’es­
cad ron , la place qu e le cavalier laissait vacante. Ce corps
de cavalerie s’appelait t r iv ia r k is ia , de deu x m ots q u i,
dans la langue des Galls, co m m e dans celle des Kimris,
signifiaient trois chevaux±. Outre les gu erriers sous les
arm es, u ne fou le de vivandiers et de m arch an ds forains
de toutes nations grossissait la suite du Brenn ; deux
m ille chariots suivaient, destinés à transporter les vivres,
les blessés et le b u tin 2.
Cette form id a b le arm ée se m it en m a rch e ; m ais au
m o m e n t où elle tou ch ait la fron tière de M acédoine, la
division éclata p arm i ses chefs. Luthar et ses T eutons se
séparèrent du Brenn ; leu r exem p le fut suivi par L éonor,
ch e f d’ u n e des bandes gauloises, et les d eu x troupes, fo r­
m ant en viron vin gt m ille h om m es, priren t le ch em in de
la T h r a c e 3. Quant au B renn, il avait re n o n cé à ses plans

1. Tri, trois; marc, cheval. — Tpi(iapxî<jia. Paus., x, 19. — Cet


écrivain ajoute que les Gaulois appelaient les chevaux, marcan : fanwv
ôvojaoc taxto tiç (xàpxav ôv-ua ûrcà xwv KsXxâiv.
2. ’Ayopouov xal ejjiTcopujv tcXeigtiov, xal à(xa£ü)v 6. Diod. S ic.,
5LX.ll,9.
3. Ibi seditio orta, et viginti millia horainum cum Leonorio etLuta-
de l’ a n n ée p récéd en te, et m éditait u n e irru p tion en 280
m asse; il fon d it sur la M acédoine, écrasa l’ arm ée de Sos-
thènes dans u n e bataille où ce je u n e patriote périt avec
g lo ir e 1, et força les débris des phalanges en nem ies à se
ren ferm er dans les places fortifiées : tou t le reste du pays
lui appartint. P endant six m ois, ses soldats vécu ren t à
discrétion dans les cam pagnes et les villes ouvertes de
la M acédoin e et de la haute Thessalie ; mais les places
de gu erre éch appèrent aux calam ités de l’ invasion, parce
qu e les G aulois n ’avaient p o u r les sièges régu liers ni
g oû t n i habileté. Vers la fin de l’a u tom n e, le Brenn ral­
lia ses trou p es et établit son cam p dans la Thessalie, non
loin du m on t O ly m p e ; tout le butin fut accu m u lé en
co m m u n , et l’ on attendit, p o u r p én étrer vers les contrées
plu s m érid ion ales, le retou r de la b elle saison. Tandis
qu e ces évén em en ts se passaient en Thessalie et en Ma­
céd oin e, la T hrace était n on m oin s cru ellem en t ravagée
par les bandes de Luthar et de L éon or, auxquelles s’ é­
tait jo in te , selon toute apparence, la division qu e Céré-
thrius y avait conduite l’ année p récéd en te. Les exploits
et les con qu êtes de cette autre arm ée, sur les deux rives
de la P rop on tid e, devant n ous o ccu p e r plus tard et fort
en détail, n ou s nou s b orn eron s, p o u r le m om en t, à suivre
la m arch e du Brenn à travers la Grèce centrale.
La Thessalie est un riant et fertile bassin en viron n é 2™
de m o n ta g n es, sur les terrasses desquelles soixante-
qu in ze villes s’ élevaient alors co m m e sur les gradins
d’ un a m p h ith éâtre*; à l’occid en t, la lo n g u e ch aîn e du
P in d e la sépare de l’ Épire et de l’É tolie; au m idi, le m on t

rio regulis, secessione facta a Brenno, in Thraciam iter averterunl. L iv.,


xxxvui, 16.
1. Diod. S ic., x xii, 9.
2. Strab. — Malte-Rrun, Géoar. de l'Rn*., t. VI, p. 224 et suiv.
OEta, qui d’ un côté se co n fo n d avec le Pinde, et de l’ autre
se p ro lo n g e ju sq u ’ au g olfe Maliaque, form e u n e barrière
p resqu e in accessible entre elle et les p rov in ces de la
H ellade. Q uelques sentiers cachés et difficiles à fran ch ir
p ou vaien t con d u ire d ’un revers à l’autre de l’ OEta des
in d ivid u s isolés, ou m êm e des corps de fantassins; mais
p o u r u n e arm ée traînant après elle des chevaux, des
chariots et des bagages, le seul passage pralicable était
un lo n g et étroit défilé, b o rd é à droite par les derniers
escarpem ents de la m on tagn e, et à gau ch e par des m a­
rais où séjou rn aien t les eaux pluviales avant de se perdre
dans le golfe M aliaque. Ce défilé, n o m m é T herm opyles
(portes des bains) à cause d’ u n e sou rce d’ eaux therm ales
q u i le traversait, était célèb re dans l’h istoire des Hel­
lènes : c’ était là que, deu x siècles auparavant, trois cents
Spartiates, chargés d’arrêter la m arche d’ u n e arm ée de
Perses q u i venait envahir la Grèce, avaient d o n n é au
m on d e l’exem p le d’ un d évou em en t su blim e.
Une secon d e invasion bien plus terrible qu e la pre­
m ière m enaçait alors cette m êm e Grèce, et déjà touchait
à ces m êm es T herm opyles. Les Hellènes ne s’ aveuglèrent
p oin t sur le p éril de leu r situation. « Ce n’ était plus, dit
« un an cien h istorien , une gu erre de liberté, com m e
« celle qu’ ils avaient sou ten u e con tre Darius et Xerxès-,
« c’était une gu erre d’ exterm in ation . L ivrer l’ eau et la
« terre n’ eût p oin t désarm é leurs fa rou ch es e n n e m is 1,
o La Grèce le sentait; elle n ’a v a it qu e d eu x ch ances de-
« vaut les yeux, vaincre ou être effacée du m o n d e 2. » A

1. ‘ Etàpiov tàv èv itî> Ttapôvxt aytova oùx üirèp èXeuOeptaç Yevr)<j6|iêvov,


xa6à £7Ù tou Mrjôou 7toxé, ovôè Souciv OSajp xal yrjv, xà àiro xouxou <T<p£ariv
iSeiav cpépovxa. Paus., x , 20.
2 . ‘ Q ; ovv à7ro>a)Xévac Seov, yjô’ èTuixpaxecrxépouç e iv a i, x a x ’ àv8pa xe I8ta
x a l a l TioXeiç ôiexeivxo èv xoiv<}>. I d . , ib id .
de toiles réflexion s inspirées par le caractère d’u n e lutte
où la barbarie était aux prises avec la civilisation, se jo i­
gnaient e n co re dans l’esprit des Hellènes certaines im ­
p ression s relatives à la race d’h o m m es contre laquelle il
leu r fallait défendre leu r vie. Les peu ples de la Hellade,
et surtout ceu x du P élopon èse, avaient à p ein e vu les
Galls auxiliaires en rôlés, durant les trou bles civils, dans
les arm ées épirotes et m a céd on ien n es. D’ailleurs ces bar­
bares, co m m e ils les appelaient, arm és et en régim en tés
p o u r la plupart à la façon des Grecs, avaient beau coup
perdu de leu r extérieur effrayant, et différaient de la
fou le in d iscip lin ée et sauvage qui se précipitait m ainte­
nant vers les T herm opyles.
Ce qu e savaient, à cette é p o q u e , les plu s savants
h o m m e s de la Grèce sur les nations gauloises se réd u i­
sait à qu elqu es in form a tion s vagues, défigurées par d’ab­
surdes contes. L ’op in ion la plu s accréditée parm i les
érudits plaçait leur berceau à l’extrém ité de la terre, au
delà du vent du n o r d ’ , sur un sol glacé, im puissant à
p rod u ire des fleurs*, des fruits ou des anim aux utiles à
l’h o m m e 8, m ais fécon d en m onstres et en plantes véné­
neuses. Un de ces p oison s passait p o u r être si v io le n t,
qu e l’h om m e ou l’anim al atteint dans sa course par une
flèch e qui en aurait été in fectée, tom bait m ort sur-le-
ch am p , co m m e frappé de la fo u d r e 4. On se plaisait à ra­
con ter, tou ch ant les Gaulois, des traits d’ audace et de
fo rce qui sem blaient surnaturels. On disait que, les pre­
m iers de tous les m ortels après H ercu le , ils avaient
ù'anchi les Alpes, p ou r aller brû ler dans l’ Italie une ville

Heracl. Pontic. ap. Plut.., in Cam ill., 22.


-• r *iïK èx raXatwv livôea... Antliolog., il, 43, Kpigr. 14.
■ 'n u tot., do Generut animal., u , 25.
1J.> de mirabil. Auscultât.
819 grecq u e appelée R o m e 1. Cette race in dom ptable, ajou ­
tait-on, avait déclaré la guerre n on -seu lem en t au genre
h u m a in , mais aux dieux et à la n atu re; elle prenait les
arm es contre les tem pêtes, la fou d re et les trem blem ents
de te rre2 ; durant le»flu x et le reflux de la m er, ou les
in on d ation s des fleuves, on la voyait s’ élancer, l’ épée à
la m ain, au-devant des vagues, p o u r les braver ou les
com b a ttre 3. Ces récits, propagés par la classe éclairée,
cou raien t de b o u ch e en L ou ch e parm i le p eu ple, et ré­
pandaient un effroi général, du m on t Olym pe au p ro­
m on toire du Ténare.
Les rép u bliqu es h elléniques, autrefois si florissantes,
avaient été ru in ées par la dom in a tion des rois de Macé­
d oin e depuis P h ilip p e ; et de récentes et m alheureuses
tentatives d'affranchissem ent leur avaient porté un der­
n ier c o u p , don t elles n ’avaient pu se relever en core.
L eur faiblesse et la gravité des circon stan ces auraient dû
les en gager à se rap p roch er, et ce fut précisém en t ce
q u i les d é su n it4. Plusieurs d’ entre elles, alléguant ces
m otifs m êm es, cru ren t p o u v o ir sans honte se refuser à
la com m u n e défense. Les nations du P élop on èse se co n ­
tentèrent de fortifier l’ isthm e de C orinthe par une m u ­
raille qu i le cou pait d’ une m er à l’autre, et d ’attendre
d errière ce rem part l’issue des événem ents dont la P h o-
cide, la Béotie et l’Attique allaient être le th éâ tre6. Dans
l’ H ellad e, les Athéniens parvinrent à form er u ne ligue
offensive et défensive ; mais les con fédérés agirent avec

1. néXiv D'i.r,'/iSa Pw(i.yiv. Heracl. Pontic. ap. Plut., in Camill., 22.


2. Aristot., de M orib., m , 10.
3. 0 ! K eXtoî Ttpà; xà xù|/.axa ÔTtXa « toxvtüiti Xa66vxe<;. Aristot., Eudem.,
m, 1.
4. Paus., i, 4.
5. Id., v u , 0.
tant de len teu r que leurs con tin gen ts étaient à peine
réu n is aux T herm opyles, dans les prem iers jo u rs du
printem ps, quand le Brenn, s’approchant du Sperchius,
m en açait déjà les d é filé s1. V oici en q u o i consistaient
leurs forces : Béotiens, dix m ille h om m es d ’infanterie,
cin q cents ch eva u x; P h o cid ie n s 2, trois m ille fantassins,
cin q cents chevaux ; L ocrien s, sept cents h om m es ; Mé­
gariens, quatre cents fantassins, qu elqu es escadrons de
cavalerie ; Étoliens, sept m ille h o m m e s de grosse infan­
terie , u ne centaine d’ infanterie légère é p r o u v é e , une
n om b reu se cavalerie; Athéniens, m ille fantassins, cin q
cents cavaliers et trois cen t cin q galères qu i m ou illaient
dans le golfe M aliaque; il s’y jo ig n it m ille M acédoniens
et Syriens qui étaient arrivés de l’ Orient. Callipus, gén é­
ral des A th én ien s, fut ch argé du com m a n d em en t su­
prêm e de l’ a r m é e 3.
Sitôt qu ’il apprit la m arche des Gaulois, Callipus dé­
tacha m ille h om m es d’ infanterie légère et autant de
cavaliers p o u r rom p re les p on fs du Sperchius et en dis­
p u ter le passage. Us arrivèrent à tem p s, et les co m m u n i­
cations étaient com p lètem en t cou p ées lorsqu e le Brenn
parvint au b ord du fleuve. En cet endroit, co m m e dans
presqu e toute l’ étendue de son cou rs, le Sperchius était
rapide, p rofon d , encaissé entre d eu x rives à p ic. Le ch e f
gau lois n’ eut garde de tenter ce passage d a n g ere u x ,
ayant en face l’ en n em i posté sur l’ autre b o r d ; il feignit

1. Paus., i, 4.
2. A l’exemple de Malte-Brun, nous avons adopté le m ot de Pho-
"iilipns, pour désigner les habitants de la Phocide, h la place de celui de
Phocéens, plus usité, et plus conform e en effet au génie de la langue
ftrecque. Nous avons cru ce changement nécessaire, afin d’éviter toute
confusion entre les habitants de la Phocide et ceux de P hocée, ville
giecque de l’Asie-Mineure, et métropole de Marseille.
3. Paus., x , 20.
279 pourtant de l’ entrepren dre, mais tandis qu’ il amusait les
Grecs par des préparatifs sim ulés, il descen dit p ré cip i­
tam m ent le fleuve avec dix m ille h o m m e s des plus ro ­
bustes et des m eilleurs nageurs de son a rm ée, ch er­
ch ant u n lieu guéable. Il ch oisit celu i où , près de se
p erd re dans la m er, le S perchius déverse à droite et à
gau che sur ses rives et y form e de larges étangs peu p ro ­
fon d s. Ses soldats, profitant de l’obscu rité de la nuit, tra­
versèrent, les uns à la nage, les autres de p ie d ferm e,
plu sieu rs sur leu rs b o u clie rs qu i, lo n g s et plats, p ou ­
vaient servir de radeaux. Au p o in t du jo u r les Hellènes
apprirent cette n ou velle, et, craign an t d ’être en veloppés,
se retirèrent vers les T herm opyles *.
Le B renn, maître des deu x rives du S percLius, or­
d on n a aux habitants des villages en viron n ants d’ établir
un p on t sur le fleuve, et ce u x -ci, im patients de se d éli­
vrer du sé jo u r des Gaulois, exécu tèren t les travaux avec
la plu s grande prom p titu d e ; bien tôt les Kim ro-G alls ar­
rivèren t aux portes d’ IIéraclée. Ils com m iren t de grands
ravages tou t autour de cette v ille , et tuèrent ceu x des
habitants qu i étaient restés aux ch a m p s; m ais la ville, ils
ne l’assiégèrent pas. Le Brenn s’inquiétait peu de s’ en
ren d re m aître; ce q u i lu i tenait le plu s au cœ ur, c ’ était
de chasser p rom p tem en t l’a?m ée e n n e m ie des défilés,
afin de p én étrer, par delà les T h erm opyles, dans cette
Grèce m érid ion a le si p op uleu se et si opu len te. L orsqu’ il
eut con n u , par les rapports des transfuges, le d én om b re­
m en t des troupes grecqu es, p lein de m épris p o u r elles,
il se porta en avant d’ H éraclée, et attaqua les défilés dès
le len d em ain , au lever du soleil, « sans avoir consulté
« sur le succès futur de la bataille, rem arqu e un écrivain

1. Paus., x, 2Ü.
« an cien , aucun prêtre de sa nation, ni, à défaut de «n
« ceu x -ci, aucnn devin g r e c 1. »
Au m om en t où les Gaulois com m en cèren t à pénétrer
dans les T h erm op yles, les H ellènes m arch èren t à leur
ren con tre, en bon ord re , et dans un grand silen ce. Au
p rem ier signal de l’ en g a g em en t, leu r grosse infanterie
s’ avança an pas de cou rse , de m anière pourtant à ne pas
rom p re sa p h alan ge, tandis qu e l’ infanterie légère, gar­
dant aussi ses ran gs, faisait p le u v o ir u n e grêle de traits
sur l’ e n n e m i, et lu i tuait b ea u cou p de m on d e à cou p s
de fron d es et de flèches. De part et d'autre la cavalerie
fut in u tile, non-seulem ent, à cause du peu de largeur du
d éfilé, mais en core parce que les roch es naturellem ent
polies étaient, devenues très - glissantes par l’ effet, des
p lu ies du prin tem ps. L’arm ure défensive des Gaulois
était p resqu e n u lle, car ils n’ avaient p o u r se cou vrir
q u ’un m auvais b o u clie r ; et à ce désavantage se joig n a it
u n e in fériorité m arqu ée dans le m an iem ent des arm es
offensives et dans la tactique du com bat. Ils se p récip i­
taient en m asse, avec u ne im p étu osilé qui rappelait aux
Hellènes la rage aveugle des bêtes féroces*. Mais p ou r­
fen du s à cou ps de h ach e, ou tou t percés de cou p s d’ épée,
ils n e lâchaient, p oin t prise et ne quittaient p oin t cet, air
terrible qui épouvantait leurs e n n e m is 3; ils ne faiblis­
saient p o in t, tant qu ’ il leu r restait un souffle de vie. On
les voyait arracher de leu r blessure le dard «pii les attei
g n ait, p o u r le lan cer de n ou vea u , ou p o u r en frapper
qu elqu e G rec qui se trouvait à leur portée.

Ovte £»r|va !x wv JJ-àvrtv, oûxe Upoïç èuix<*>p£oi; xPaV evoÇ* Pau*»*


x , 2 t.
2. Ka0à7tep xà 9r)pta. Id ., ibid.
3. O ù t e 7re)ixe<ri Ôtoctpôvpiévov;, 9) uti6 |iaj(aipwv, à7i6voia xovç Jxi é|A-
itvÉovxaç xi à7cÉXncev,.. Id., ibid.
2i<) Cependant les galères d’A thènes, m ou illées au large,
sn vue du défilé, s’ ap p roch èren t de la côte, n on sans pein e
et sans danger, à cause de la vase dont cette partie du
golfe était e n co m b r é e , et les Gaulois fu ren t battus en
flanc par u ne grêle fl« traits et de pierres qu i partaient
sans interruption des vaisseaux. La position D’ étiult plus
ten a ble, car le peu de largeu r du passage le.s em p êch a it
de dép loyer leurs forces contre l’en nem i q u ’ ils avaient
en front, et celui q u ’ ils avaient sur les flan cs, sans rien
souffrir d’ eu x , les accablait à cou p sû r; ils priren t le
parti de la retraite. Mais cette retraite s’ opéra sans ordre
et avec trop de p récip ita tion ; u n grand n o m b re furent
écrasés sous les pieds de leurs co m p a g n o n s ; un plus
grand n om b re périren t abîm és dans la vase p rofon d e
des m a ra is; en tou t, leu r perte fut con sid érable. Les
Hellènes n’ eu rent ii p leu rer, d it-o n , que quarante des
leurs. La gloire de la jo u rn é e resta aux A th é n ien s, et
parm i eu x au jeu n e Cydias qui faisait alors ses prem ières
arm es et resta sur le cham p de bataille. En m ém oire de
son cou rage et de la v ictoire de l’ arm ée h ellèn e, le b ou ­
clier du jeu n e h éros fut suspendu aux m urailles du tem ­
p le de Jupiter Libérateur, à A thènes, avec u n e in scrip ­
tion don t v oici le sens :
« Ce b o u clier con sacré à Jupiter est celui d’ un vaillant
« m ortel, de Cydias; il regrette en core son je u n e maître.
« P our la p rem ière fois, il chargeait son bras gau che,
« quand le redou table Mars écrasa les Gaulois 1. »
Après le com b a t, les Grecs d on n èren t la sépulture à

ir "*H |ià>a Ttoôeovcra véav êxi KvSCov -rç&rçv


’Affirlç àpi^ X ou cpüvuoç, àya>(j,a A u,
*Aç Ôià 89) 7rpcoTaç Xaïov iroxs ëxeivsv,
E u x ’ èrcl x ô v T a ^ a x a v ô o û p o ç " A p ir jç ,

Paus., x, 21.
leurs m orts, mais les Kim ro-G alls n’en voyèrent aucun m
héraut red em an d er les le u r s , s’inquiétant peu qu’ ils
fussent enterrés ou q u ’ils servissent de pâture aux bêtes
fauves et aux vautours. Cette in d ifféren ce p o u r un de­
voir sacré aux yeux des Hellènes augm enta l’ effroi que
leur inspirait le n om ga u lois; tou tefois, ils n’en furent
que plus vigilants et plus déterm inés à repou sser de
leurs foyers des h om m es qu i sem blaient ig n o re r ou
braver les plus com m u n s sentim ents de la nature h u ­
m a in e 1.
Sept jou rs s’ étaient écou lés depuis la bataille des
T h erm op yles, lorsqu ’un corps de Gaulois entreprit de
gravir 1’ (JEta au-dessus d’ H é ra d é e , par un sentier étroit
et esca rp é, qui passait derrière les ru in es de l’antique
ville de T rachin e. Non loin de cette v ille , vers le haut
de la m on tagn e, était un tem ple de M inerve, o ù les peu­
ples du pays avaient déposé d’assez rich es offrandes : les
Gaulois en avaient été in fo rm é s; ils cru ren t qu e ce sen­
tier d érobé les con d u ira it au som m et de l’ Olita, e t , ch e­
m in faisant, ils se proposaien t de p iller le tem ple. Mais
les Grecs chargés de garder les passages tom b èren t sur
eu x si à p rop os qu ’ ils les taillèrent en pièces et les cu l­
butèrent de roch ers en roch ers. Cet é ch e c et la défaite
des T herm opyles ébranlèrent la con fian ce des chefs de
l’ a rm ée, q u i, p réju gean t de l’ avenir par le présent, co m ­
m en cèren t à désespérer du succès ; le Brenn seul ne
Perdit p oin t cou rage. Sop esprit, fertile en stratagèm es,
lui .suggéra le m oyen de tenter, avec m oin s de désavan­
ta ge, u n e secon d e attaque sur les T herm opyles. Ce
m oyen consistait d’ abord à en lever aux con fédérés les
gu erriers étoliens q.ui eu form aien t la plus n om breu se

1. Paus., x, 21.
*79 et la meilleure infanterie pesante; pour y parvenir, il
médita une diversion terrible sur l’Étolie 1.
D’après ses instructions, le ch e f ga u lois G om butis par­
tit a ccom p agn é d’ un certain O restorios, que la ph ysio­
n om ie grecqu e de son n om pourrait faire regarder com m e
un tran sfu ge, ou du m oin s com m e un aventurier d ’ori­
gin e grecqu e établi parm i les G aulois, et parvenu chez
ce peu ple à la dignité de com m an d an t m ilitaire. Tous
les deu x repassèrent le S perchiu s à la tête de quarante
m ille fantassins et de h uit cents ch ev a u x ; et, se dirigeant
à l’ouest vers les défilés du P in d e qui n ’étaient point
gardés, ils les fra n ch iren t; pu is ils tou rn èren t vers le
m id i, entre le p ied occid en ta l des m on tagn es de l’Aclié-
loiis, et fon d iren t à l’ im proviste sur l’ É tolie, qu’ ils trai­
tèrent avec la cruauté brutale de deu x chefs de sauvages.
Plusieurs v illes, celle de Caltion en particulier, furent
le théâtre d’h orreu rs dont le sou ven ir effraya lon gtem ps
les peuples de ces contrées. Nous re p rod u iron s ic i le ta­
bleau de ces scènes affligeantes, tel que Pausanias le re­
cu eillit dans ses voyages, tableau tou ch ant, m ais em p rein t
dans qu elqu es détails de cette exagération q u i s’ attache
ord in airem en t aux traditions p o p u la ir e s 2. « Ce furent
« eux, dit-il (G om butis et Orestorios), q u i saccagèrent la
« ville de Gullion, et q u i ensuite y autorisèrent des bar-
« baries si h orribles q u ’il n’ en existait, que je sa ch e,
« aucun exem ple dans le m o n d e ... L’ hum anité est forcée
« de les désavouer, car elles ren draien t croyable ce q u ’ on
« raconte des Gyclopes et des L estrigon s... Ils m assacrè-
« rent tout ce qu i était du sexe m asculin, sans épargn er
u les vieillards, n i m êm e les enfants, q u ’ ils arrachai.Mit

1. Paus., x, 22.
2. Id., ibid.
« du sein de leu r m ère p o u r les é g org er. S’ il y en avail 2 19

« qui parussent plus gras qu e les autres ou nourris d’ un


« m eilleu r lait, les Gaulois buvaient leu r sang e tse rassa-
« siaient de leu r c h a ir ‘ .L e s fem m es et les je u n e s vierges
« qu i avaient q u elqu e p u d eu r se d on n èren t elles-m êm es
« la m o rt; les autres se viren t livrées à tous les outrages,
« à toutes les in d ign ités que peu vent im a g in e r des bar-
« bares aussi étrangers aux sentim ents de l’am ou r q u ’à
« ceu x de la pitié. Celles d o n c q u i pouvaient s’ em parer
« d’ u n e épée se la p lon gea ien t dans le s e in ; d’autres se
« laissaient m ou rir par le défaut de n ourritu re et de
« som m eil. Mais ces barbares im pitoyables assouvissaient
« en co re sur elles leu r brutalité, lors m êm e q u ’ elles ren -
« daient l'âm e, et, sur quelqu es-u n es, lorsqu ’ elles étaient
« déjà m o r t e s 2. »
On a vu plus haut qu e les m ilices étolien n es, dès le
com m e n ce m e n t de la ca m p a gn e, s’ étaient rendues au
cam p des T herm opyles : le pays était d o n c presque en ­
tièrem en t désarm é. A.u p rem ier bruit de l’ invasion de
Conibutis, la ville de Patras, située en face de la côte éto-
lien ne, sur l’autre bord du détroit oùcommence le golfe
C orinthiaque, envoya l’ élite de ses je u n e s gens secou rir
l'ÉtoIie; ce fut le seul peu ple du P élop on èse qu i a cco m ­
plit ce d ev oir d ’ hum anité 3 : m alheu reu sem en t il en fut
mal récom p en sé par la fortu n e. Les Patréens étaient peu
n o m b re u x ; com ptant sur la supériorité de leurs arm es
et sur leur adresse à les m a n ier, ils osèrent attaquer de
fron t les Gaulois. Dans ce com bat si in é g a l, ils dép loyè­
rent u u e audace et u n e bravoure adm irables, mais ces

1. T outwv 5è x a i x à utt6 xoü y à )a x x o ; uioxepa à7ioxxeîvovx£;, èîtivov xe


ol r a ).à x a i tou al'jxaxo;, x a i f,7rrovxo x£>v <rapxa>v. P a u s ., x , ‘2 2.

2. Id ., ibid.
3 . id ., ib id ., et vu.
270 qualités n ’ étaient pas m oin d res chez leurs a dversaires,
qui avaient p o u r eux la force du n om b re 1; les Patréens
fu ren t écrasés, et Patras ne se releva jam ais de cette
perte de toute sa jeu n esse. Cependant les événem ents de
l’Étolie avaient produit au cam p des T herm opyles l’effet
que le Brenn en attendait; les n e u f ou dix m ille Éto-
liens, altérés de v e n g e a n ce , quittèrent su r-le-cham p les
confédérés p o u r retou rn er dans leur patrie. Alors Com -
butis battit en retraite, com m e il en avait l’o rd re , in c e n ­
diant tou t sur sa rou te; mais la pop ulation a ccou ru t de
toutes parts sur lu i; tou t le m on d e s’a rm a , ju sq u ’aux
vieillards et aux fem m es : celles-ci m êm e m on trèren t
plus de résolu tion et de fu reu r que les h om m es 2. Tan­
dis qu e les troupes régu lières poursuivaient l’arm ée en ­
n em ie, la p opulation soulevée lu i tom bait sur les flancs,
et l’ accablait sans in terru ption d’ une grêle de pierres et
de p rojectiles de tout gen re. Les Gaulois s’arrêtaient-ils
p ou r riposter, ces paysans, ces fem m es se dispersaient
dans les bois, dans les m ontagnes, dans les m aisons des
villages p ou r reparaître aussitôt que l’en n em i reprenait
sa m arch e. La perte des Gaulois fut im m e n s e , et Com -
butis ram ena à p ein e la m oitié de ses trou pes au cam p
d ’ H éraclée, m ais le bu t était r e m p li3. J?
Le B ren n , pendant ce tem p s, n ’éKut pas resté oisif
en T hessalie; il accablait le pays de ravages et les h abi­
tants de mauvais traitem en ts, p rin cip a lem en t vers la
lisière de l’ OEta; son but, en agissant a in si, était de les
con train dre à lui d écou vrir, p o u r se délivrer de sa pré­
sen ce, qu elqu e ch em in secret qui le con duisit de l’autre

1. P a u s ., x , 2 2 .
2. Xvvecxpaxs'jovxo ôé <7cpi<Jt al yuvaïxeç éxouaico; tcXsov èç roùç Ta),axa;
xai xu>v avSpwv xw ôu(j.a> xpo)(jt.evat. ici., ibid.
3. Id., ibid.
côté de leurs m on tagn es; c’ est à q u oi ces m alheureux nt
con sen tiren t enfin *. Ils p rom irent de gu ider une de ses
division s par un sentier assez praticable qui traversait le
pays des Énianes. C’ était précisém ent l’ époqu e où les
Étoliens venaient de quitter le cam p des H ellèn es, et
circon stan ce plus favorable ne pouvait se présenter au
B ren n ; il résolut d o n c de tenter tout à la fo is , dès le
len d em ain , les attaques sim ultanées des Therm opyles et
du sentier des Énianes. Conduit par ses guides h éra-
cléotes, lu i-m êm e, avant qu e la nuit fût dissipée, entra
dans la m on tagn e avec quarante m ille guerriers d’ élite.
Le hasard vou lu t qu e ce jou r-là le ciel fût couvert d’ un
brou illard si épais, q u ’on pouvait à p ein e a percevoir le
soleil. Le passage du sentier était gardé par un corps de
P h o cid ie n s, mais l’ obscu rité les em pêcha de d écou vrir
les Gaulois avant que ceu x-ci fussent déjà à p ortée du
trait. L’ en gagem en t fut chaud et m eurtrier, les Grecs se
con d u isiren t avec bra vou re; débusqués enfin de leur
p o ste , ils arrivèrent à toutes jam bes au cam p des con fé­
d é ré s, criant « q u ’ils étaient to u rn é s, qu e les barbares
a p p roch aien t. » Dans le m êm e instant, le lieutenant du
B re n n , in form é de ce succès par un signal c o n v e n u ,
attaquait les T herm opyles, C’en était fait de l’arm ée grec­
que tout en tière, si les A lh én ien s, approch an t leurs na­
vires en grande h âte, ne l’ eussent re cu e illie ; en core y
eut-il dans ces m anœ uvres b ea u cou p de fatigue et de
p éril, parce que les galères, surchargées d’ h o m m e s, de
chevaux et de bagages, faisaient e a u , et no pouvaient
s’ é loig n er qu e très-len tem en t, les ram es s’ embarrassant
dans les eaux bou rbeuses du golfe *,

1. Paus., x, 22.
2 . Id ., ibid. — Id.. * 4 .
Le Brenn ne voyait plus u n seul en n em i devant lui
dans toute la P h ocid e. Il s’ avança à la tête de soixante-
cin q m ille h om m es ju sq u ’à la ville d ’Élatia, sur les bords
du fleuve Géphise, tandis que son lieutenant, rentré dans
le cam p d’ Héraclde, faisait des préparatifs p o u r le suivre
avec u n e partie de ses forces. Une petite jo u rn é e de
m arche séparait Élatia de la ville et du tem ple de Del­
p h es; la route en était facile, q u oiq u ’ elle traversât une
des branches du Parnasse, et entretenue avec soin , à
cause du con cou rs im m en se de Grecs et d ’étrangers qui,
de toutes les parties de l’ Europe et de l’Asie, venaient
chaque année consulter l’oracle d’A pollon D elphien. Le
ch ef gaulois se dirigea de ce côté im m édiatem ent, afin
de m ettre à profit l’ éloign em en t des troupes con fédérées
et la stupeur qu e sa victoire inattendue avait jetée dans
le pays. L’ idée que des étrangers, des barbares allaient
p rofan er et dép ou iller le lieu le plus révéré de toute la
Grèce, épouvantait et affligeait les H ellènes; un tel évé­
nem ent, à leurs yeux, n ’était pas une des m oin d res cala­
mités de cette guerre funeste. Plusieurs fois, ils tentèrent
de d étou rn er le Brenn de ce q u ’ils appelaient u n acte sa­
crilège, en s’ efforçant de lu i in sp irer qu elqu es craintes
superstitieuses; m ais le Brenn répon dait en raillant « que
« les d ieu x rich es devaient faire des largesses aux
« h o m m e s 1. Les im m ortels, disait-il en core, n ’on t pas
« besoin qu e vou s leu r amassiez des bien s, quand leur
« occu p ation jou rn a lière est de les répartir parm i les
« h u m a in s2. » Dès la secon d e m oitié de la jo u rn é e , les
Gaulois aperçu rent la ville et le tem ple, d on t les avenues,

t. Locupletes Deos largiri hom inibus oportere. Just., xxiv, 6.


2. Quos (D eos immortales) nullis opibus egere ut qui eas largiri
hom inibus soleaut. Id ., ibid.
orn ées d’u n e m ultitude de statues, de vases, de chars
tou t brillants d’ or, réverbéraient au loin l’ éclat du soleil.
La ville de D elphes, bâtie sur le p en chan t d’ un des
p ics du Parnasse, au m ilieu d’ une vaste excavation natu­
relle, et en viron n ée de p récip ices dans presque toute sa
circon féren ce, n ’ était protégée ni par des m urailles, ni
par des ouvrages fortifiés; sa situation paraissait suffire
ù sa sauvegarde. L’espèce d’am phithéâtre sur lequel elle
posait, possédait, d it-o n , la p ropriété de rép ercu ter le
m oin d re son ; grossis par cet éch o et m ultipliés par les
n om breu ses cavernes dont les environs du Parnasse
étaient rem plis, le rou lem en t du ton n erre, ou le b ru it de
la trom pette, ou le cri de la v oix hum ain e, retentissaient
et se p rolon geaien t lon gtem ps avec u n e intensité prod i­
g ie u s e 1. Ce p h én om èn e, qu e le vulgaire ne pouvait s’ ex­
p liq u er, jo in t à l’aspect sauvage du lieu, le pénétrait
d ’ une m ystérieuse frayeur, et, suivant l’ expression d ’ un
a n cien , con cou rait à faire sentir plu s puissam m ent la
p résen ce de la divinité*.
Au-dessus de la ville, vers le n ord , paraissait le tem ple
d’A pollon, m agn ifiqu em en t con stru it et orn é d’ un fron ­
tispice en m arbre b la n c de Paros. L’ intérieur de l’ édifice
com m u n iq u a it par des soupiraux à un gouffre souterrain,
d ’ où s’ exhalaient des m ofettes qu i jetaient q u icon q u e
les respirait dans un état d ’extase et de d é lir e 3; c’ était
près d ’ une de ces bou ch es, d ’autres disent m êm e au-des­

1. Quamobrem et hominum clam or et si quando accedit tubarum


sonus, personantibus et respondentibus inter se rupibus, multiplex audiri
solet. Just., x x iv, 6.
2. Quæ res majorera majestatis terrorem ignarisrei et admirationem
stupentibus plerumque àffert. Id., ibid.
3. Mentes in vecordiam vertit. Id. ibid. — Diod. S ic., x v i, 20. —
Paus., x, 5. — P lut., de Orac. def., 43.
sus, qu e la grande prêtresse d’A pollon, assise sur le siège
à trois pieds, dictait les réponses de son dieu, au m ilieu
des plus effroyables con vulsion s. Rien n’ était plus révéré
et réputé plus infaillible qu e les paroles prophétiques
descendues du tKépied ; les colon ies grecqu es en avaient
porté la célébrité dans toutes les parties du m on d e con n u ,
et ju squ e chez les nations les plus sauvages. Aussi voyait-
on en Grèce, com m e h ors de la Grèce, les peuples, les
rois, les sim ples citoyens faire assaut de gén érosité en ­
vers A pollon D elphien, don t le trésor devint tellem ent
considérable, qu ’ il passa en p roverbe p o u r sign ifier une
im m en se fo r tu n e 1. Il est vrai q u e , soixante-treize ans
avant l’ arrivée des Gaulois, le tem ple avait été dépouillé
p a rle s P h ocid ien sd e ses objets les plus p r é c ie u x 2; mais,
depuis lors, de nouveaux don s avaient afflué à Delphes,
et le dieu avait déjà recou v ré u n e partie de son an cien n e
op u len ce, quand les Gaulois vinrent dresser leurs tentes
au pied du Parnasse.
Du plus loin que le Brenn aperçut les m illiers de
m on u m en ts votifs qui garnissaient les alentours du tem ­
ple, il se fit am en er qu elqu es pâtres qu e ses soldats
avaient pris, et leur dem anda en p articulier si ces objets
étaient d’o r et sans alliage. Les captifs le détrom pèrent.
« Ce n ’est, lui répon diren t-ils, que de l’airain légèrement
« couvert d’ or à la su p e rficie 3. » Mais le Gaulois les m e­
naça des plus grands supplices s’ ils dévoilaient un tel se-

1. Xp7)[».aTa Acpïjxopoi;. ’Açrjxtop, l’archer, un des surnoms d’Apollon.


2. Diodore de Sicile (x v i, 56) estime à dix m ille talents, cinquante-
cinq m illions de notre monnaie, les matières d’or et d ’argent que les
Phocidiens firent fondre après le pillage du tem ple; il s’y trouvait en
outre des sommes considérables en argent monnayé.
3. T à [J.£V ëvSov l(7xt /aXxO;, xa ôè )Ôev ^puaoç èTieX^Xaxai Xetcxoç»
Polyæ n., Stratag., v u , 35.
cret à qui que ce fût dans son arm ée ; il voulut m êm e 279
q u 'ils affirm assent p u b liq u em en t le contraire ; et, co n ­
voqu ant sous sa tente ses p rin cip a u x chefs, il interrogea
à haute voix les prisonniers, qu i déclarèrent, suivant ses
instructions, qu e les m on u m en ts dont la collin e était
cou verte ne contenaient que de l’ or, de l’ or p u r et mas­
s i f 1. Cette b on n e nouvelle se répandit aussitôt parm i les
soldats, et tous en con çu ren t un red ou b lem en t de courage.
Le Brenn avait fait halte au pied de la m on tagn e ; il
y délibéra avec les chefs de son conseil s’ il fallait laisser
aux soldats la nuit p o u r se rep oser des fatigues de la
m arch e, ou entreprendre im m édiatem ent l’escalade de
D elphes. La forte situation de la place, q u i n ’ était acces­
sible q u e par un roch e r étroit, et qu’ il était si aisé de dé­
fen d re avec une p oig n ée d ’h om m es, l’ in tim id a it; il de­
m andait la nuit p ou r reconnaître les lieux, p o u r disposer
ses m esures, p ou r rafraîchir ses troupes*. Mais les autres
ch efs ém iren t un avis con tra ire; d eu x surtout, le Gall
E m a n 3 et T h essa loros, q u i était vraisem blablem ent
co m m e Orestorios un aventurier d’ orig in e grecqu e, in ­
sistèrent p o u r que l’assaut fût tenté à l’ instant m êm e.
« P oin t de délai, dirent-ils ; profiton s du trou ble de l’en-
« n em i : dem ain, les D elphiens au ront eu le tem ps de se
« rassurer, sans doute aussi de recev oir des secou rs et
« de ferm er les passages qu e la surprise et la confusion
« n ou s laissent actuellem ent ou v erts4. » Les soldats m i­
ren t fin à ces hésitations en se débandant p o u r cou rir la
cam p agn e et piller.

1. T0 : toxvto Ht] xpus6ç. Polyæn.. Stratag., vu, 35.


2 . Just., xxiv, 7.
3. Aimhean, agréable, beau.
4. Amputari moras ju ben t, dum imparati hostes... interjecta nocte et
animos hostibus forsitan et auxilia accessura. Just., xxiv, 7.
*79 Depuis qu elqu e tem ps, ils souffraient de la disette de
subsistances; car eu x -m êm es avaient épuisé le pays au
nord de l’ OEta, et le lo n g sé jo u r de l’arm ée g recq u e avait
eu le m êm e résultat dans les cam pagnes situées au m idi.
Se trouvant tout à cou p dans la i pays abon d am m en t
pou rvu de vin et de vivres de toute espèce, parce que
l’ im m en se con cou rs de m o n d e q j i visitait an nu ellem en t
le tem ple de Delphes mettait les habitants de la ville et
des b ou rg s environnants dans la nécessité de faire de
grandes p rovision s, les Gaulois n e son gèren t plus q u ’à
se d éd om m a ger des privations passées, avec autant de
jo ie et d e con fian ce qu e s’ ils avaient déjà v a in c u 1. On
prétend q u ’à ce sujet l’ oracle d’A pollon avait d on n é un
avis p lein de sagesse : dès la p rem ière ru m eu r de l’ap­
p roch e de l’en n em i, il défendit aux gens de la cam pagne
d’enlever et de cach er leurs m agasins de vivres. Les Del-
phiens, à qu i cette défense parut d’ abord bizarre et in ­
com p réh en sible, sentirent plus tard com b ien elle leur
avait été salutaire2. On dit aussi que, les habitants ayant
con su lté le Dieu sur le sort qu e l’avenir leu r réservait, il
leur rép on dit par ce vers :

a J’y saurai bien pourvoir avec les vierges bla n ch es3. »

Cette prom esse leur rendit la con fian ce, et ils firent
avec activité leurs préparatifs. Durant cette nuit, Delphes
reçu t de tous côtés, par les sentiers des m ontagnes, de
n om b reu x renforts des peuples voisins. Il s’y réu nit suc-

Desertis signis ad occupanda omnia pro victoribus vagabantur.


Just., xxiv, 7.
2. Prohibiti agrestes messes vinaque villis elîerre. Id., ibid.
3. Ferunt ex oraculo hæc fatam esse Pythiam :
«t E g o p r o v id e b o re m is ta m e t a lb æ v ir g in e s . 8
Cic. de Divinat., i. — Paus., x , 22.
cessivem ent douze cents Éloliens bien arm és, quatre cents 279
h op lites d’Am physse, un détach em en t de P hocid ien s, ce
q u i, avec les citoyens de Delphes, form a un corps de
quatre m ille h om m es. On apprit en m êm e tem ps qu e la
vaillante arm ée étolien n e, après avoir chassé Com butis,
s’ était rep ortée sur le ch em in d’ Élatia, et, grossie de
ban des p h ocid ien n es et béotienn es, travaillait à em p êch er
la jo n ctio n de l’arm ée gauloise d ’ Héraclée avec la divi­
sion qui assiégeait D elp h es'.
P endant cette m êm e nuit, le cam p des Gaulois fut le
théâtre de la plus grossière d ébau che, et lorsque le jo u r
parut, la plupart d’ entre eu x étaient e n core iv re s 2. Ce­
p en dan t il fallait livrer l’assaut sans plus de délai, car le
Brenn sentait déjà tou t ce que lu i coûtait le retard de
qu elqu es heures. 11 rangea d o n c ses troupes en bataille,
leu r én um érant de nouveau tous l e s ‘ trésors q u ’ elles
avaient sous les yeux, et ceu x qui les attendaient dans le
te m p le 3, puis il donna le signal de l’ escalade. L’attaque
fut vive et sou ten u e par les Grecs avec ferm eté. Du haut
de la pente étroite et roide qu e les a s s a i l l a n t s avaient à
gravir p ou r ap p roch er de la ville, les assiégés faisaient
p leu v oir une m ultitude de traits et de pierres don t aucun
ne tom bait à faux. Les Gaulois jo n ch è re n t plusieurs fois
la m on tée de leurs m o rts; mais chaque fois ils revinrent
à la ch arge avec audace, et forcèren t enfin le passage.
Les assiégés, contraints de battre en retraite, se retirè­
rent dans les prem ières rues de la v ille , laissant libre
l’avenue qui conduisait au te m p le ; le flot des Gaulois s’y
précipita : bien tôt toute cette m ultitude fut occu p ée à

4. Paus., x , 23.
2. HPbtcrno mero saucii. Just., xxiv, 8.
3. Id ., xxiv, 7.
d épouiller les oratoires qui avoisinaient l’édifice, et enfin
le tem ple lu i-m ê m e 1.
On était alors en autom ne, et durant le com bat, il s’ é­
tait form é un de ces orages soudains si fréquents dans
les hautes chaînas de l’ H ellade; il éclata tout à cou p,
versant sur la m on tagn e des torrents de pluie et de grêle.
Les prêtres et les devins attachés au tem ple d’Apollon se
saisirent d’ un in cid en t propre à frapper l’esprit supersti­
tieux des Grecs. L’ œil hagard, la chevelure hérissée, l’ es­
prit com m e a lié n é 2, ils se répandirent dans la ville et
dans les rangs de l’arm ée, criant que le Dieu était arrivé.
« Il est ici, disaient-ils; n ous l’ avons vu s’ élancer à tra-
« vers la voûte du tem ple, qui s’ est fendue sous ses pieds :
« deux vierges arm ées, Minerve et Diane, l’accom pagn en t.
« Nous avons entendu le sifflem ent de leurs arcs et. le
« cliquetis de leurs lances. A cco u re z, ô G recs! sur les
« pas de vos d ie u x , si vous voulez partager leur v ic-
« toire 3 ! » Ce spectacle, ces discours p ron on cés au bruit
de la fou d re, à la lueur des éclairs, rem plissent les Hel­
lènes d’ un enthousiasm e surnaturel; ils se reform ent en
bataille et se précip iten t, l’épée h aute, vers l’en n em i.
Les m êm es circonstances agissaient n on m oin s én ergi­
q u em en t, mais en sens con tra ire, sur les bandes victo­
rieu ses; les Gaulois cru ren t reconnaître le p o u v oir d ’ une

1. Brennus Apollinis templum ingressus... Val. Max., r, 1. — Delphos


Galli spoliaverunt. Liv., x x x v i i i , 48; x l , 5 8 . — Diod. Sic., v, 6 . — Just.,
xxiv, 8 ; x x x i i , 3. — App., Bell. Illy r., 5. — Schol. ad Callim. Hymn. in
Del., v. 173.
2. Repente universorum templorum antistites, simul et ipsi vates,
Bparsis crinibus... pavidi vecordesque... Just., xxiv, 8.
3. Adesse Deum ; eum se vidisse desilientem in templum p e rcu lm i-
ois aperta fastigia... audisse stridorem arcus ac strepitum armorum.
Id., ibid
divinité, mais d ’une divinité ir r ité e 1. La fo u d re , à p lu ­
sieurs reprises, avait frappé leurs bataillons, et ses déto­
nations , répétées par les é clio s, produisaient autour
d’ eux un tel retentissem ent qu’ ils n ’ entendaient plus la
voix d e leurs c h e fs 2. Ceux qui pénétrèrent dans l’ inté­
rieu r du lem p le avaient senti le pavé trem bler sous leurs
p a s 3; ils avaient été saisis par une vapeur épaisse et
m ép h itiqu e qu i les consum ait et les faisait tom b er dans
un d élire v io le n t4. Les historiens rapportent q u ’au m i­
lieu de ce désordre on vit apparaître trois guerriers d’un
aspect sinistre, d’ une stature plus q u ’h u m a in e, couverts
de vieilles arm u res, et qui frappèrent les Gaulois de
leurs lances. Les D elphiens recon n u ren t, dit-on , les om ­
bres de trois h é r o s , H ypérochus et L a o d o ch u s, don t les
tom beaux étaient voisins du tem p le, et P y rrh u s, fils
d’A c h ille 5. Quant aux Gaulois, une terreur panique les
entraîna en désordre ju sq u ’ à leur ca m p , où ils ne par­
vin ren t q u ’à grand’p e in e , accablés par les traits des
Grecs et par la chute d’ én orm es rocs qu i roulaient sur
eu x du haut du P arnasse6. Dans les rangs des assiégés,
la perte ne laissa pas non plus que d’ ètre considérable.
A cette désastreuse jo u rn é e succéda, p ou r les K im ro-
Galls, une nuit n on m oin s terrib le; le froid était très-vif,
et la neige tom bait en a b on dance ; outre ce la , des frag-

1. Præsentiam Dci et ipsi statim sensere. Just., xxiv, 8.


2. B povrai te x a t xepauvol (tuve)(£ Ï; èyÉvovTO, x a ï oî (xèv è$e'irXY)TTôv re
to ù ; K eXto ù ; , x a l SÉ ^E ^ai x o ï; cixrl Ta TcapayyeXXojxeva èxwXutov. P a u s.,
x , 23.
3. "H te 7câaa piau*>; èaEÊETO. Id ., ibid. — Terræ motu. Just.,
xxiv, 8.
4. Paus., loc. cit.
•*. T a te tû>v i?)pu>a>v TY]vixaÜTCC cr<pi<iiv içxfcvï] <pdc<T(j.aTa... I d ., ib id . —
Ac{[xarâ te àvôpe; èçtcrravTO Ô7rXÏTai toi ; (Sapêàpoi;. I d ., I, 4.
6. Id., x , 23, et i, 4. — Portio m oatis abrupta. Just., xxiv, 8.
279 m ents de r o c s , arrivant sans interruption dans le cam p
situé trop près de la m on ta g n e, écrasaient les soldais,
n on par un ou deux à la fo is , m ais par masses de trente
et quarante, lorsqu ’ils se rassem blaient ou p o u r faire la
garde, ou p o u r p ren dre du repos 1. Le soleil ne fut pas
plutôt levé que les Grecs qui se trouvaient dans la ville
firent u n e vigou reu se sortie, tandis qu e ceu x de la cam ­
pagne attaquaient l’ en n em i par derrière. En m êm e tem ps,
les P h ocid ien s, descendus à travers les neiges par des
sentiers qu i n ’étaient con n u s qu e d’ e u x , le priren t en
flanc, et l’assaillirent de flèches et de pierres, sans cou rir
eu x-m êm es le m oin d re danger. Cernés de toutes parts,
d écou rag és, et d’ailleurs fortem en t in co m m o d é s par le
froid qu i leur avait enlevé b ea u cou p de m o n d e durant
la n u it, les Gaulois com m en ça ien t à p lie r; ils fu ren t sou­
tenus q u elqu e tem ps par l’ intrépidité des guerriers d’ é­
lite qu i com battaient auprès du Brenn et lui servaient de
garde. La force, la haute taille, le cou rage de cette garde
frappèrent d ’ éton n em en t les H e llè n e s 2 ; à la fin, le Brenn
ayant été blessé dan gereu sem en t, ces vaillants h om m es
ne son gèren t plus q u ’à lui faire un rem part de leurs
corps et à l’ em porter. Les chefs alors d on n èren t le signal
de la retraite, et, p o u r ne pas laisser leurs blessés entre
les m ains de l’ e n n e m i, ils firen t ég o rg e r tous ceu x qui
n ’étaient pas en état de su ivre; l’arm ée s’arrêta où la
nuit la s u r p r it3.
La p rem ière veille de cette secon d e nuit était à peine
com m en cée, lorsqu e des soldats, qu i faisaient la g a rd e,
s’im agin èrent entendre le m ou vem en t d ’ une m arche n oc­
turne et le pas lointain des chevaux. L’ obscu rité déjà

1. Paus., x, 23.
2. Id., ibid.
3. Id ., ibid.
p rofon d e ne leu r perm ettant pas de recon n aître leur
m éprise, ils jetèrent l’alarm e, et crièren t q u ’ils étaient
su rp ris, qu e l’ en n em i arrivait. La fa im , les dangers et
les événem ents extraordinaires qui s’ élaient su ccédé de­
p u is deu x jo u rs avaient ébranlé fortem en t toutes les
im agin ation s. A ce cri : « L’ en n em i arrive! » les Gaulois,
réveillés en sursaut, saisirent leurs a rm es, et croyant le
cam p déjà en va h i, ils se jetaient les uns contre les au­
tres, et s’entre-tuaient. L eur trou ble était si grand q u ’à
ch aqu e m ot qui frappait leurs oreilles, ils s’im agin aien t
en ten dre parler g r e c , co m m e s’ils eussent ou b lié leur
p ro p re langue. D’ ailleurs l’ obscu rité ne leur perm ettait
n i de se recon n aître, ni de distin guer la form e de leurs
b ou cliers l . Le jo u r m it fin à cette m êlée affreuse; mais,
p en dan t la n u it, les pâtres p liocid ien s, qui étaient restés
dans la cam pagne à la garde des tro u p e a u x , cou ru ren t
in fo rm e r les H ellènes du désordre qui se faisait rem ar­
qu er dans le cam p gaulois. Ceux-ci attribuèrent un évé­
n em en t aussi inattendu à l’ intervention du dieu P a n 2,
de qui provenaient, dans la croyan ce religieuse des Grecs,
les terreurs sans fon d em en t réel. Pleins d ’ardeur et de
co n fia n ce , ils se p ortèren t sur l’arrière-garde en n em ie.
Les G aulois avaient déjà repris leur m a rch e , m ais avec
la n g u eu r, com m e des h om m es d écou ra g és, épuisés par
les m aladies, la faim et les fatigues. Sur leur passage, la
p op u lation faisait disparaître le bétail et les viv res, de
sorte q u ’ ils n e pouvaient se p ro cu re r q u elqu e subsis­
tance q u ’ après des peines infinies et à la poin te de l’ epée.
Les h istorien s évaluent à dix m ille le n om b re de ceux

1. ’A v a X a ê ô v x E i; o ïiv xà frrc X a , x a i ô ia a r à v x E ; ê x x E iv o v t e àXXrjXou;, xai

à v à jx É p o ; Ix x e C v o v x o , o v t e y X u x k t y i; t y j ; è ir i^ a ip t o u tr u v ié v x E ;, o u x e x à ; àXXr|Xü)v
jxopçà', o u t e x u > v ô u p e w v x a O o p a m E ç x à axa. Paus., x, 23.
2. *H è x x o ô Osoû ( x a v i a . Id., ibid.
q u i su ccom bèren t à ces souffrances-, le froid et le com bat
de la n uit en avaient enlevé tout au ta n t, et six m ille
avaient p éri à l’assaut de D e lp h e s1; il ne restait d o n c
plus au Brenn que tr e n te -n e u f m ille h om m es lorsqu ’ il
rejoign it le gros de son arm ée dans les plaines que tra­
verse le C éph ise, le quatrièm e jo u r depuis son départ
des T herm opyles.
On a vu plus haut q u ’après la déroute des Hellènes
dans ce d éfd é fam eux, le lieutenant du Brenn était ren­
tré au cam p d ’H éraclée; il y avait can ton né u n e partie
de ses forces p o u r le garantir d’ u ne surprise durant son
absence, et il s’était rem is en route sur les traces de son
gén éra l; mais u n seul jo u r avait bien ch an gé la face des
choses. L’arm ée étolienne était arrivée dans la Phocide,
et les troupes grecques qu i s’étaient réfugiées sur les
galères athéniennes dans le g olfe Maliaque venaient de
débarquer en Héotie. La p ru d en ce ne perm ettait d o n c
p oin t au ch e f gaulois de s’en gager dans les défilés du
Parnasse avec tant d’en n em is d errière lu i, et force lui
fut d’attendre, sur la d éfen sive, le retour de la division
de D elp h es; il se trouva à tem ps p o u r en cou v rir la
retra ite2.
Les blessures du Brenn n’ étaient pas d é se sp é ré e s3;
cependant, soit crainte du ressentim ent de ses com pa­
triotes , soit d ou leu r causée par le mauvais succès de
l’ entreprise, aussitôt q u ’il vit son arm ée h ors de danger,
il résolut de quitter la vie. Ayant con voq u é autour de lui
les p rin cipau x c h e fs , il rem it son titre et son autorité
entre les m ains de son lieutenant, et s’adressant à scs

1. Paus., x , 23.
2. Id ., ibid.
3. Tw 8è Bpévvti) xotîà (jièv t à Tpaûjj.aTa é k tT O to êrt o w n jp î » ,
Id., ibid.
com p a gn on s : « Débarrassez-vous, leu r dit-il, de tous vos 2™
« blessés sans excep tio n , et brûlez vos ch ariots; c ’est
« le seul m oyen de salut qui vous r e s le 1. » Il dem anda
alors du v in , en bu t ju sq u ’à l’ ivresse, et s’ enfonça un
p oig n ard dans la p oitrin e 2. Ses derniers avis furent sui­
vis p o u r ce qui regardait les blessés, car le nouveau
B renn fit égorger dix m ille h om m es q u i ne pouvaient
sou ten ir la m arch e 3; mais il conserva la plus grande
partie des bagages.
C om m e il approchait des T h erm op y les, les G r e c s ,
sortant d’ une e m b u s c a d e , se jetèrent sur son arrière-
g a rd e, qu ’ils taillèrent en pièces. Ce fut dans ce pitoyable
état qu e les Gaulois gagnèrent le cam p d ’ H éraclée. Ils
s’y rep osèren t quelques jo u rs avant de repren dre leur
rou te vers le nord. Tous les ponts du Sperchius avaient
été rom p u s, et la rive gauche du fleuve était occu p ée par
les Thessaliens accou ru s en m asse; n éanm oin s l’arm ée
gauloise effectua le p a ssa g e4. Ce fut au m ilieu d ’une
popu lation tout entière arm ée et altérée de vengeance
qu ’ elle traversa d’ une extrém ité à l’autre la Thessalie et
la M acédoin e, exp osée à des périls, à des souffrances, à
des privations tou jou rs croissantes, com battant sans re­
lâch e le jo u r, et la nuit n ’ayant d ’autre abri q u ’ un ciel
froid el p lu v ie u x 5. Elle atteignit enfin la fron tière sep­
ten trionale de la M acédoine. Là se fit la distribution du
butin ; pu is les Kim ro-G alls se séparèrent en plusieurs

1. Diod. Sic., xxii, 9.


2. 'Axforeov tio/'jv i(i.çopr](7à|j.evoî êautôv àitéafa&. Id ., ibid. — Pugionc
vitam finivit. Just., xxiv, 8. — Paus., x , 23,
3. Diod. Sic., x x n , 9.
4. Paus., x, 23.
5. Nulla sub tectis acta nox, assidui imbres et gelu... famés... lassl-
tudo. Just., xxiv, 8.
219 ban des, les uns retournant dans leu r pays, les autres
ch erch ant ailleurs de n ouveaux alim ents à leu r tu rbu ­
lente activité.
Ceux qu i se résign èren t au repos ch oisiren t un can­
ton à leur con venan ce au pied septentrional du m on t
Scardus ou Scordus, sur la fron tière m êm e de la G rèce;
ils y firent ven ir leurs fem m es et leurs enfants, et s’y
établirent sous le com m a n d em en t d’ un c h e f de race k im ­
riq u e n om m é Bathanat, c’ e s t-à -d ir e /ils du sanglier1 -,
cette co lon ie fut la sou ch e des Gaulois Scordiskes. Les
Tectosages échappés au désastre de la retraite se divisè­
rent en deux bandes. Les uns retou rn èren t en G au le,
em portant dans le b o u rg de Tolosa le bu tin qu i leu r re­
venait du pillage de la G rèce; mais ch em in faisant, p lu ­
sieurs s’arrêtèrent dans la forêt H ercynie et s’ y fix è r e n t2.
La secon de bande, réu n ie aux T o lislo b o ïes et à une h ord e
de Galls, prit le ch em in de la T hrace sous la con d u ite de
G o m o n to r3. C’est à cette dern ière qu e n ous n ous attache­
ron s de p référen ce; ses courses et ses exploits m erveil­
leux en Thrace et dans la m oitié de l’Asie feron t la m a­
tière du chapitre suivant.

1. BdOotvoreo;. Athen., v i, 5. — Baedhan, cochon m âle; nat, gnat,


‘ils.. Baedhan fut aussi le nom d ’un guerrier fameux du temps du roi
Artur. Cf. Owen’s W elsh diction.
2. ïxe8a<T0évTeç âXXoi èw’ àXXa [xep7) xercà Sixo<Jtaa£av. Strab., 1. iv,
p. 188. — Purs in antiquam patriam Tolosam ... pars in Thraciain. Just.,
axxii , 3. — Circum Hercyniam silvam ... Cæs., Bell. Gall., vi, 24.
3. Kojioftôpio;. P olyb., îv, 45.
CHAPITRE II.

P a s s a g e d e s G a u lo is da n s l ’ A s ie -M in e u r e ; ils p la c e n t N ic o m è d e s u r le trô n e d e
B ith y n ie . — I ls se r e n d e n t m a îtres d e t o u t le lit t o r a l d e la m e r É g é e ; situa ­
tio n m a lh e u r e u s e d e c e p a y s . — T o u s le s É tats d e l’ A s ie le u r p a y e n t tr ib u t.
— C o m m e n c e m e n t d e ré a c t io n c o n t r e e u x ; A n t io c h u s S a u v e u r ch a sso le s
T e c t o s a g e s ju s q u e d a n s la h a u te P h r y g ie . — G a u lo is s o ld é s a u s e r v ic e d es
p u is s a n c e s a s ia t iq u e s ; le u r im p o r ta n c e et le u r a u d a c e . — F in d e la d o m i­
n a tio n d e s h o r d e s ; a v a n ta g e r e m p o r t é p a r E u m ô n e s u r le s T o l i s t o b o ï e s ; ils
s o n t v a in cu s p a r A tta le , e t r o p o u s s é s , a in si q u e le s T r o c h m e s , d a n s la
h a u te P h r y g ie ; r é jo u is s a n c e s p u b liq u e s d a n s t o u t l ’O rie n t.

278 — 241.

Le lecteu r se rappelle sans doute que, lors du départ 278


de la grande expédition gauloise p o u r la Grèce, deux
chefs, se détachant du gros de l’arm ée, avaient passé en
T hrace, L éon or avec dix m ille Galls, Lutliar avec le corps
des T eu tob od es; ils y faisaient, alors la loi. Maîtres de la
C hersonèse tbracique et de L ysim achie, don t ils s’ étaient
em parés par surprise, ils étendaient leurs ravages sur
toute la côle depuis l’ Iiellespont ju sq u ’à lJyzance, forçant
la plupart des villes et lîyzance m êm e ;’i se racheter de
pillages con tin u els par d’én orm es con tribu tion s *. La
p rox im ité de l’Asie, et ce q u ’ils apprenaient de la fertilité
de ce beau pays, leur inspirèrent bientôt le désir d ’y
passer *. Mais quelque étroit que fût le bras de m e r qui

1. Lysimachia fraude capta, Chersonesoque om ni armis posscssa...


oram I>ropontidis vectigaleni habendo, regionis ejus urbes obtinuerunt.
L iv.. xxx vu i, 16.
2. Cupido inde eos in Asiam transeundi, audientes ex propinquo
quanta ubertas terra; kujus esset, cepit. Id., ibid.
les en séparait, L éo n o r et Luthar n’avaient p oin t de vais­
seaux, et toutes leurs tentatives p o u r s’ en p rocu rer res­
tèrent lon gtem ps infructueuses. A l’ arrivée des com pa­
gn on s de C om ontor, ils son gèrent plus que jam ais à
quitter l’ Europe. La Thrace, presque épuisée par deux ans
de dévastations, était, entre tant de prétendants, u ne trop
pauvre p roie à partager. L éon or et Luthar s’ adressèrent
d o n c con join tem en t au ro i de M acédoine, de q u i la Thrace
d épendait, depuis q u ’elle ne form ait plus un royaum e
particulier. Ils offrirent de lui ren dre L ysim achie et la
Chersonèse thracique, s’il voulait leu r fo u rn ir une flotte
suffisante p ou r les transporter au delà de l’ Hellespont.
Antipater, qui gouvernait alors la M acédoine, ch erch a à
traîner les choses en lon g u eu r par des réponses évasives
S i, d’ un cô té , il lui tardait d’affranch ir le n ord de ses
États d’ une aussi rude op p ression ; de l’autre, il avait de
fortes raisons de craindre que ce sou lagem en t ne fût que
m om en ta n é; qu e l’ H ellespont u n e fois fran ch i, la route
de l’ Asie u n e fois tracée, de n ouveaux essaim s plus n om ­
breu x d’aventuriers gaulois n ’accou ru ssent sur les pas
des p rem iers, et que, par là, la situation de la Grèce ne
se trouvât em p irée. Pendant ces hésitations de la p o li­
tique m acéd on ien n e, L éon or et Luthar poussaient avec
activité leurs préparatifs ; les Tectosages, les Tolistoboïes
et une partie des Galls aban d on n èren t C om on tor p o u r se
réu n ir à eu x, et les deu x chefs com p tèren t sous leurs en ­
seignes ju sq u ’à qu in ze petits chefs s u b o rd o n n é s 2.
Mais la m ésintelligen ce ne tarda pas à se m ettre entre
les d eu x chefs s u p r ê m e s 3; L éon or et les siens quittèrent

1. Res quum lcntius traheretur... L iv., xxxvm , 16.


2. Ils étaient dix-sept chefs, y compris Léonor et Luthar. ’ £iv Tcepi-
■pavsïç (jiv èm to àpxeiv êirtooca(8s*o tôv àp iôp v ïjtrav. M em n., ap. Phot., 20.
3. Rursus nova inter regulos orta seditio est. L iv., xxxvm , 16.
la Chersonèse thracique, et se d irigèren t vers le Bos- 273
pliore, q u ’ils espéraient fra n ch ir plus aisém ent et plus
vite qu e les autres ne passeraient l’ H ellespont. Us co m ­
m en cèren t par lever sur la ville de Byzance u ne forte
con tribu tion , avec laquelle p robablem ent ils ch erch èren t
à se p rocu rer des vaisseaux. Mais à p ein e avaient-ils
quitté le cam p de Luthar et la Chersonèse, q u ’u n e am ­
bassade y arriva de la part du ro i de M acédoine, en ap­
p aren ce p o u r traiter, en réalité p o u r observer les forces
des Gaulois. Deux grands vaisseaux pontés et deu x bâti­
m ents de transport l’a cco m p a g n a ie n t 1 ; Luthar s’ en saisit
sans autre form alité : en les faisant voyager nuit et jou r,
il eut bien tôt débarqu é tout son m on d e sur la côte d’Asie *,
et le passage était com plètem en t effectu é, lorsque les
am bassadeurs en p ortèren t la nouvelle à leur roi. Du
côté du B osphore, un in ciden t n on m oin s h eu reu x vint
au secours de L éonor.

La Bithynie était à cette époque le théâtre d’une guerre


ach arnée entre les deux fils du d ern ier roi, N icom ède et
Zibæas, qui se disputaient la succession p a te rn e lle 3. Leurs
forces, dans l’ intérieur du royaum e, se balançaient à peu
près égalem ent; mais au dehors, Zibæas avait entraîné
dans son alliance le puissant roi de Syrie A ntiochus, tan­
dis qu e N icom ède ne com ptait dans la sienne que les
petites républiques grecqu es du B osphore et du Pont-
Euxin, C halcédoine, Iléraclée de P ont, Tios, et quelques

1. Lutarius, Masedonibus per speciem legationis ab Antipatro ad spe-


culandum missis, duas tectas naves et très lem bos adimit. Liv., x x xv w ,
10.
2. His alios atque alios noctes diosqua transvehendo, intra paucoa
dics om nos copias trajecit. Id., ibid.
3 . I d ., Ib id .
autres. Ce n’ était pas sans p ein e qu e ces petites cités dé­
m ocratiques avaient sauvé leur in d ép en dan ce au m ilieu
de tant de grands em pires. Il leur avait fallu pren dre
part à toutes les querelles de l’Asie, et travailler sans
cesse à se faire des alliés p o u r se garantir de leurs en n e­
m is ; et, com m e elles n ’ign oraien t pas q u ’A ntiochus avait
form é le dessein de les asservir tôt ou tard, la crainte et
la liaine les avaient jetées dans le parti de N icom ède,
q u ’elles servaient alors avec la plus grande chaleur. A n-
tioch u s en m ontrait beau cou p m oin s p o u r son protégé
Zibæas, de sorte que la guerre traînait en lon g u eu r. Sur
ces entrefaites, N icom ède, voyant de l’autre côté du Bos­
p h ore ces bandes gauloises q u i ch erch aien t à le traverser,
im agina de leu r en fo u rn ir les m oyens p o u r les rendre
utiles à ses intérêts. Il fit m êm e a ccéd er les rép u bliqu es
grecqu es à ce projet, que dans tou le autre circon stan ce
elles eussent repou ssé avec effroi. N icom ède proposa
d o n c à L é o n o r de lui en voyer u n e flotte de transport,
s ’ il voulait sou scrire aux con d ition s suivantes :
1° Que lu i et ses h om m es resteraient attachés à N ico-
m ôde et à sa postérité par u ne alliance in d issolu b le; qu’ ils
ne feraient au cu n e gu erre sans sa volon té, n’ auraient
d’am is que ses am is, et d’ en n em is que ses e n n e m is 1 ;
2° Qu’ ils regarderaient co m m e leurs am ies et alliées
les villes d’ tléraclée, de C halcédoine, de Tios, de Ciéro?
et qu elqu es autres m étropoles d ’Ëtats indépendants;
3° Q u’eux et leurs com patriotes s’abstiendraient désor­
mais de toute hostilité envers Byzance, et qu e m êm e,
dans l’ occasion , ils défendraient cette ville co m m e leu ï
a llié e 2.

1. Eîvat cpO.ouç [xèv t o ï; <pi'),otc, ■rcoXe[x£oUî 8è toï? où çtXoûiri. Memn.,


ap. Phot., 20.
2. 2u|i|j.axsïv 5è xai BvÇavîioiî, eî 7tov Serjaoi, xai TiOTOÏ^êè, xai 'Hpct-
Cette d ern ière clause avait été insérée dans le traité
su r la dem ande des rép u bliqu es grecques à la ligu e des­
quelles Byzance s’ était réu n ie. L éon or accepta tout, et
ses trou pes furent transportées par delà le détroit *.
Son départ ayant laissé C om on tor m aître de presque
toute la T hrace, ce ch e f s’établit au pied du m on t Hém us,
dans la ville de Thyle, don t il fit le siège de son royaum e.
P o u r se soustraire à ses brigandages, les villes in dépen ­
dantes con tin u èren t à lui payer tribut co m m e à L éon or
et à Luthar; Byzance m êm e, m algré la con ven tion qui
devait la garantir contre les attaques des Gaulois, fut
im p osée à u n e ran çon plu s forte qu’ auparavant2. Cette
ra n çon annuelle s’ éleva successivem ent de trois ou quatre
m ille pièces d’o r 3 à cin q m ille, à d ix m ille, et enfin,
sou s les successeurs de C om on tor, à l’ én orm e som m e de
quatre-vingts ta len ts4. Les Gaulois tyrannisèrent ainsi
la T hrace pendant plus d’ un siècle-, ils furent enfin ex­
term in és par un soulèvem ent général de la population.
Aussitôt que L éon or fut débarqu é en Asie, il se ré co n ­
cilia avec Luthar, et le fit entrer, com m e lui, à la solde
de N icom èd es : leurs bandes réunies eu rent bien tôt mis
la fortun e du côté de ce prétendant. Zibæas vaincu s’ex­
patria-, m ais A ntiochus voulut pou rsuivre la guerre p ou r
son p rop re com p te; il attaqua la Bithynie p a rte rre , et
par m er les rép u bliqu es du B osp h ore; de part et d ’autre

*>cii toi;, xai Ka),j(r|8ovioiç, xal Ktepavoï;, xai xiaiv éTépotç iOvüv ipyouai.
M em n., ub. supr.
1. Liv., xxxvm , 1G. — Strab., 1. x ii, p. 5G0.
2. P olyb., iv, 40.
3. M emn., ap. P hot., 20.
4 - P olyb., iv , 40. — 440,000 fr.
J- Coeunt deinde in unum rureus Galli, et auxilia Nicomodi dant.
L iv-, xxxvm , 1 0 .
il éch oua, et c’ est aux services des Gaulois que les histo­
riens attribuent le salut de C lialcédoine et des autres pe­
tits États dém ocratiqu es. « L’in trod u ction de ces barbares
« en Asie, disent-ils, fut avantageuse, sous quelques rap-
c ports, aux peuples de ce pays. Les rois successeurs
« d’Alexandre s’ épuisaient en efforts p o u r anéantir le
« peu qu ’ il restait d ’États lib re s; les Gaulois s’en m o n -
« trèrent les protecteu rs; ils repoussèrent les rois, et raf-
« ferm iren t les intérêts d é m o cra tiq u e s1.» Cet événem ent,
que l’histoire p rocla m e h eu reu x p o u r l’ Asie, il ne faut
p oin t se trop hâter d’en faire h o n n e u r aux affections ou
au d iscern em en t politiqu e des G aulois; la suite d é m o n ­
tra qu e ces considérations m orales n ’ y tenaient aucune
place : car N icom ède, à q u elqu e tem ps de là, s’ étant
b rou illé avec les citoyens d’ H éraclée, les Gaulois s’ em ­
parèrent de cette ville par surprise, et offrirent de la
livrer au roi, à con d ition q u ’ il leur aban donn erait toutes
les propriétés tra n sp orta b les2. Ce traité de brigands eut
lie u , et vraisem blablem ent la p opulation héracléote
com pta au n om b re des b ien s m eu b les don t les Gaulois
s’étaient réservé la possession.
Tant de grands services m éritaient u ne grande ré co m ­
pense : le ro i bith yn ien con céd a au x Gaulois des terres
considérables sur la fron tière m érid ion a le de ses États 3.
Sa gén érosité pourtant n’ était pas tou t à fait exem pte de
ca lcu l; il espérait, par là, d o n n e r à son royau m e une

1. Aiiro xoivuv xu>v raXaxwv èrtl xrjv ’AcrCav ûtàéacriç, xax’ àpyà; jxàv
Ittî xaxto xwv oixyjTopwv repos),Qstv âvo[u<jOY)* xà 8è xeXo; ëSsiSjsv àreoxpiOèv
repô; xô av^ spov. Tu>v yàp {JaffiXsttV x^v xu>v reoXewv 8Y]|ioxpax''av àçeXstv
<77iou3aÇ6vTtov, aOxoc [jiàXXov aux^v I6s6ociovv àvxixaQi<rxà[Jievot xoî; êreixiQs-
psvoi;. Meinn., ap. Pliot., 20.
2. Id., ibid.
3. Regnum diviscrunt. Just., xxv, 2.
population forte et belliqueuse, du côté où il ëlait le plus 27s
vulnérable, et élever en q u elqu e sorte u n e barrière qui
le garantirait des attaques de ses voisins de P ergam e,
de Syrie et d’ Égypte. Mais N icom ède n ’avait pas bien
réfléch i au caractère de ses n ouveaux colon s, en les pla­
çant si pi’ès des ricb es cam pagnes arrosées par le Méan­
d re et l’ H erm us, si près de ces villes de l’ É olide et de
l’ Ion ie, m erveilles de la civilisation antique, où le génie
des H ellènes se m ariait à toute la délicatesse de l’Asie.
Aussi à p ein e furent-ils arrivés dans leurs concessions
q u 'ils com m en cèren t à piller, et bien tôt à envahir le lit­
toral de la T roade. L’ organisation des bandes gauloises
n ’était plus la m êm e alors q u ’à l’ ép oqu e de leu r passage
en B ith yn ie; L éon or et Luthar étaient m orts ou avaient
été d épouillés du com m a n d e m e n t, et leurs arm ées, fo n ­
du es en sem ble et augm entées de renforts tirés de la
T hrace, s’ étaient form ées en trois h ord es sous les nom s
de Tectosages, T olistoboïes et T rocm es '. P ou r éviter tout
con flit et tout sujet de qu erelle dans la con quête q u ’elles
m éditaient, ces trois hordes, avant de quitter la frontière
bith y n ien n e, distribuèrent l’Asie-M ineure en trois lots
q u ’ elles se partagèrent à l’ a m ia b le*; les T rocm es eurent
l’ H ellespont et la T roade, les T olistoboïes l’ É olide et
l'Io n ie , et la con trée m éditerranee, qui s’étendait à l’o c­
cid en t du m on t Taurus, entre la Bithynie et les eaux de
r.hodes et de C h y p re , appartint aux T ectosa g es3. Tous

1. Trocmi (Liy., passim,— Stral)., 1. xn, p. 568); Trogmi (Memn., ap.


P hot., 20 ); Trogmeni (Steph. Byz.). Au rapport de Strabon (loc. cit.),
la l> *"d e des Trocmes tenait son nom du chef qui la commandait.
2. Quum très essent gontes, in très partes diviserunt.Liv., xxxvm , 10.
3. Trocm is Ilellesponti ora data, Tolistobogii Æolida atqne Ioniam,
Tertosagi mediterranea Asiæ sortit! suut, et stipendium tota cis Taurum
Asia exigebant. Id., ibid.
alors se m irent en m ou v em en t, et la con quete fut b ien ­
tôt achevée. Une tribu gauloise établit sa place d’armes
su r les ru in es de l’ a n cien n e T r o ie 1; et « les chariots
« am enés de Tolosa stationnèrent dans les plaines qu’ ar-
« rose le C avstre2. »
L’ histoire ne nous a pas laissé le récit détaillé de celte
co n q u ê te ; mais qu e l’im agin ation se rep résen te, d’ un
côté la force et le cou rage physiques à l’ un des plus bas
d egrés de la civilisation , de l’autre ce que la culture in ­
tellectu elle produ isit jam ais de plus raffiné, et elle pourra
se créer le tableau des calam ités q u i d éb ord èren t sur
l’ Asie-M ineure. Devant la h ord e tectosage, la population
p h ry g ien n e fuyait co m m e un troupeau de m ou ton s, et
cou rait se réfu g ier dans les cavernes du m on t Taurus ;
en Io n ie , les fem m e s se tuaient à la seule nouvelle de
l’ a p p roch e des G aulois; trois jeu n es filles de Milet p ré­
vin ren t ainsi par u n e m ort volontaire les traitem ents
h orrib les qu’ elles redoutaient. Un p o ë te , sans doute Mi-
lésien co m m e e lle s , a con sacré q u elqu es vers à la m é­
m oire de ces touchantes victim es; ces vers sont placés
dans leu r b ou ch e ; elles-m êm es s’ adressent à leur ville
n atale, et sem blent lui reprocli.gr avec tendresse de n’ a­
v oir p o in t su les p rotéger :
« O M ilet! ô ch ère patrie! n ous som m es m ortes p o u r
« n ous soustraire aux outrages des barbares G aulois,
« toutes trois vierges et tes citoyenn es. C’est M ars, c’ est
« l’ im p itoyable dieu des Gaulois, qui nous a précipitées
« dans cet abîm e de m alheurs, car n ous n ’avons p oin t
« attendu l’h ym en im p ie q u ’il n ous préparait; et si n ous

1. E ï; xr,v itoXiv Strab., 1. xm , p. 591,


2. . . . i i KaûuTfitj) ë<rrav â|ia!jai, C allim ., Hymn. ad Dian.,
v. 257.
u som m es m ortes sans avoir co n n u d’ épou x, ici, du m oins, 27*
« c h e z Pluton, n ous avons trouvé un p ro te c te u r1. »
Il ne faut entendre ici par le m ot de con quête n i l’ex­
p rop riation des habitants, ni m êm e u n e occu pation du
sol tant soit peu régu lière. Chaque h ord e se tenait re­
tra n ch ée u n e partie de l’année, soit dans son cam p de
chariots, soit dans une place d’ arm es; le reste du tem ps
elle faisait sa tou rn ée par le pays, suivie de ses trou ­
p eau x, et tou jou rs prête à se porter sur le p oin t où q u el­
q u e résistance se serait m on trée. Les villes lui payaient
trib u t en argent, les cam pagnes en vivres; mais à cela
se born ait l’action des con qu éran ts; ils ne s’ im m iscaient
en rien dans le g ou vern em en t in térieu r de leurs tribu­
taires. P ergam e pu t con server ses chefs absolus; les con ­
seils d ém ocratiqu es des villes d’Ion ie p u ren t se réu n ir en
tou te liberté co m m e auparavant, pou rvu que les subsides
ne se fissent pas attendre et qu e la h o rd e fût entretenue
grassem ent. Cette vie abondante et co m m o d e , sous le
p lu s beau clim at de la terre, dut attirer dans les rangs
gau lois une m ultitude d’h o m m es perdus de tous les coins
d e l’ Orient, et b eau cou p de ces aventuriers militaires
d o n t les guerres d’A lexandre et de ses successeurs avaient
infesté l’Asie. Cette hypoth èse peut seule ren d re com pte
des forces con sidérables d on t les h ord es se trouvèrent
tou t à cou p disposer, p u isqu e, si l’on en croit Tite-Live,
elles ren d iren t tributaire ju sq u ’ au roi de Syrie lu i-m ê m e 1.

1. 'ü/6y.e(i\ w MiXrvrc, <jî).ï| itorcpï, tü > v à0e[iî(iT(OV


Trjv àvop.ov F a X atw v vGpiv à v a iv o jA S v a i,

llapG evixat Tpt<T<ral 7ïo>,t^xi8e;, &; 6 piarrTÔç


KeXxwv eIç TaOrr)v jxoïpav ErpE'J'EV "Apriç*
O ù y à p È|xeiva(xev aljj.a xo 6u<j<T£6èç, o ù o ’ 0(j.Evai'ou
N u | x ç io v , àXX’ ’ A t Ô Y jv xrjSEjxov’ eupàjj.£0a.
Antholog., m , 23, Epigr. 29.
2. Tantus terror eorum nominis crut, m ultitudine etiam magna sobolo
Il se peut que le ro i de Syrie, A ntiochus, consentit
d ’abord à leu r payer tribut, du m oin s ne s’y résigna-t-il
pas lon gtem ps ; car c ’ est de lui que partirent les prem iers
cou p s. Il vint attaquer à l’im proviste, au n ord de la chaîne
du Taurus, la h ord e tectosage qu i com ptait en ce m om ent
vin g t m ille cavaliers, u ne infanterie à l’ avenant, et deux
cent quarante chars arm és de faux à deu x et à quatre
chevaux. Mais sur le p oin t d’ en ven ir aux m ains, les
troupes syriennes se m on trèren t tellem en t effrayées du
n om b re et de la b o n n e con ten a n ce de l’ en n em i, qu’An­
tioch u s parlait déjà de faire retraite lorsqu ’ un de ses
gén éraux, T héodotas le R hodien, se porta garant de la
victoire. Il se trouvait dans l’ a n n ée syrienne seize élé­
phants dressés à com battre, et T héodotas espérait s’ en
servir de m an ière à trou bler les Gaulois, en core peu
fam iliarisés avec l’aspect de ces an im au x. A n tioch us,
p ersu ad é, lui laissa la direction de la b a ta ille 1.
L’ infanterie tectosage se form a en masse com pacte do
vingt-quatre h om m es de p rofon d eu r, d on t le p rem ier
rang était revêtu de cuirasses d ’airain \ et com p osé ou
d’ auxiliaires grecs, ou de ces corps gaulois arm és et dis­
cip lin és à la grecq u e par le ro i de B ithynie; les chariots
se rangèrent au centre, et la cavalerie sur les ailes. Les
Syriens, de leu r côté, placèrent quatre éléphants à cha­
cu n e de leurs ailes, et les huit autres au centre. L’en gage­
m en t com m en ça par les ailes; les huit éléphants, suivis
de la cavalerie syrienne, m arch èren t au-devant de la ca­
valerie tectosage : celle-ci ne soutint pas le ch o c, et se

aucta, ut Syriæ quoque reges stipendium dare non abnuerint. Liv.,


xxxvm , 16.
1. Lucian., in Zoux, vol Antioch.
‘2. ’Etù [ i E T i i r a u ( i è v 7 t p o 3 c i7 m ';o v T a ; toù ; yoàxoOtôpaxa; aOtùv, è; pàOo;
Si ItcJ TSTtüpwv Y .y.\ s'.y.oai TEiayjJiEvo'Jç ou),lia;... Id., ibid.
débanda. P ou r l’appuyer, l’infanterie gauloise s’ ouvrit, 2-n
et d on na passage aux chariots, q u i s’ avancèrent avec im ­
pétuosité entre les deu x lignes de bataille; mais, à ce
m om en t, les huit éléphants du centre, anim és par l’a i­
g u illon et par le son des instrum ents guerriers, s’ élan­
cen t en poussant des cris sauvages, et en agitant leurs
trom p es et leurs défenses *. Les chevaux qui traînaient
les chars, effrayés, 's’arrêtent co u rt; les uns se cabrent,
et cu lbu ten t p êle-m êle chars et con d u cteu rs; les autres
retou rn en t en arrière, et se précipiten t sur les rangs de
l’ infanterie gauloise où ils jettent le trou b le. L’arm ée
d ’A ntioch us n’ eut pas de p ein e à com pléter la v ic t o ir e 2.
R om p u e de tous côtés, la h ord e des Tectosages se retira,
laissant la terre jo n ch é e de ses m orts; m ais, sans lui
d o n n e r un instant de relâche, A ntiochus la poursuivit
n u it et jo u r, à travers la basse Phrygie, ju squ ’ au delà des
m on ts A doréen s; là, il lui p erm it de s’arrêter et de pren ­
dre un établissem ent à son ch o ix . Elle adopta les bords
du fleuve Ilalys et l’an cien n e ville d’Ancyre, d on t elle fit
son clief-lieu d ’habitation ; trop faible dès lors p o u r ten­
ter de recon q u érir ce que la bataille du Taurus lui avait
enlevé, elle se renferm a paisiblem ent dans les lim ites de
ce can ton , ou du m oin s dans celles de la P hrygie supé­
rieu re. Quant à Antiochus, sa victoire fut accu eillie dans
toute l’Asie par des acclam ations de jo ie ; et la recon n ais­
sance p u b liq u e lu i décerna le titre de Sauveur, que l’ his­
toire a jo in t à son n o m 3.
H eureusem ent p o u r les Gaulois, de grandes guerres,
survenues entre les peuples de l’ Orient, arrêtèrent ce 243

1. Lucian., Zcux. vel Antioch.


2. Id., ibid.
3- Antiochus Soter. — App., de Bell, fy r ., 05.
m ou vem en t de réaction, et les h ordes trocm e et tolisto-
b oïen n e con tin u èren t à op p rim er, sans résistance, toute
la con trée m aritim e. Il arriva m êm e qu e ces guerres ac­
crurent con sidérablem ent leur im p ortan ce et leur force.
R echerch és par les parties belligérantes, tantôt com m e
alliés, tantôt com m e m ercenaires, les Gaulois firent ven ir
d'E u rope, par terre et par m er, avec l’ aide des puissances
asiatiques, des bandes n om breu ses dé leurs com patriotes;
et, suivant l’expression d’ un historien , ils se répandirent
co m m e un essaim dans toute l’Asie *. Ils devin ren t la
m ilice nécessaire de tous les États de l’ Orient, belliqu eu x
ou pacifiques, m on a rch iq u es ou rép u blicain s. L’ Égypte,
la Syrie, la Cappadoce, le Pont, la B ithynie, e:J entre­
tinren t des corps à leu r solde-, ils trou vèren t surtout un
em p loi lu cratif de leu r épée chez les petites dém ocraties
com m erçantes, qu i, trop faibles en p opulation p o u r suf­
fire seules à leur défense, étaient assez rich es p o u r la
bien payer. Durant u n e lon g u e p ériod e de tem ps, il ne
se passa guère dans toute l’Asie d ’évén em en t tant soit
p eu rem arqu able où les Gaulois n’ eussent quelque part.
« Tels étaient, dit l’historien cité plus haut, la terreur
« de leur n om et le b o n h e u r constant de leurs arm es,
« qu e nul ro i sur le trôn e ne s’y croyait en sûreté, et
« que nul roi d éch u n ’ espérait d’y rem on ter, s’ ils n’a-
« vaient p o u r eux le bras des G a u lo is2. »
L’ in flu en ce des m ilices gauloises ne se borna pas aux
services du cham p de b ataille; elles jo u è re n t un rôle
dans les révoltes p olitiq u es; et plus d’ une fois, on les vit

1. Asiam om nem , velut examine aliquo, implerunt. Just., xxv, 2.


2. Reges Orientis sine mercenarto Gallorum exercitu nulla bella ges-
serunt. Tantus terror gallici nom inis et armorum invicta félicitas, ut
aliter neque majestatem suam tutari, neque amissam recuperare se
posse sine gallica virtute arbitrarentur. Id.,ibid.
fom en ter des soulèvem ents, ra n çon n er des provin ces,
assassiner des rois, disposer des plus puissantes m on ar- 213
ch ies. Ainsi quatre m ille Gaulois en garnison dans la
p ro v in ce de M em pliis, profitant de l’ absence du roi Pto-
lém ée-P hilad elp h e, o ccu p é à com battre une insurrection
à l’ autre b ou t de son royau m e, com p lotèren t de piller le
trésor royal, et de s’ em parer de la basse É gy p te1. Le tem ps
leu r m anqua p o u r exécu ter ce p rojet, mais P tolém ée en
eu t ven t : n ’osant pas les p u n ir à m ain arm ée, il les fit
passer, sous un prétexte sp écieu x, dans u ne des îles du
Nil, où il les laissa m o u rir de faim . En B ilbyn ie, le roi
Zéilas, fils d e N icom ède, sou p çon n a n t de la part des
G aulois à sa solde, qu elqu e m achination pareille, résolut
de faire assassiner tous leurs chefs, dans un grand repas
o ù il les invita. Mais ce u x -ci, avertis à tem ps, le pré­
vin ren t en l’ égorgean t à sa table m êm e *.
Q u ’on ne s’ im agin e pas cepen dan t qu e ces coups
hardis de quelques m illiers d ’h om m es, au sein de p op u ­
lations in n om brables, fussent en réalité aussi p rod igieu x
q u ’ ils n ous le paraissent a u jou rd ’h u i. Sous le gou verne­
m en t des successeurs d ’Alexandre, les peuples asiatiques
s’ y étaient en qu elqu e sorte habitués. Les gardes m acé­
d on ien n es, entretenues lon gtem ps par les Ptolém ées, les
Séleucus, les A ntigones, les Eum ônes, n ’avaient gu ère été
p lu s fidèles au p rin ce qui les soudoyait, n i m oin s funestes
au pays. Les Gaulois profitèren t des traditions déjà éta­
blies, avec d’autant m oin s de scrupule que, s’ ils n’ étaient
pas les com patriotes des sujets, ils n’ étaient pas non plus
ceu x des rois.

1. H6ovM)ÔY)<rav xaî tov IÏToXe[/.afov 8iap7tà<rai tà j(prj|j.aTa... Schol.


ad Callim. Hymn. in D el., v. 173. — Kocxaayeïv AÏy^tttov. Paus., i, 7.
2. Athen., n , 17.
De toutes ces révoltes, la plus fam euse fut celle qui
éclata dans le cam p du petit-fils d ’A ntioclius Sauveur,
Antiochus su rn om m é l’Èpervicr 1, à cause de sa rapacité
et de sôn am bition sans m esure. A ntiochus disputait à
Séleucus, son frère aîné, le royau m e de Syrie, et il avait
en rôlé'd a n s ses troupes u ne forte bande des Gaulois To­
listoboïes. Les deu x frères en vin ren t aux m ains, près du
Taurtis, dans u n e bataille terrible où Séleucus fut défait,
où l’ on crut m ôm e qu’ il avait p éri. Ce b ru it fut dém enti
plus tard; mais il inspira aux T olistoboïes l’idée de tuer
A ntioch us et d ’envahir la S yrie; ils espéraient sin on la
su bju gu er, du m oin s la ravager plus lib rem en t, à la
faveur du trou b le que ferait naître l’ extin ction subite et
entière de la dynastie des S éleu cid es2. Ils s’em parèrent
d o n c d ’A ntiochus, q u i ne parvint à con server sa vie qu’en
leur abandonnant son trésor. « Il se racheta, dit un liis-
« torien, com m e u n voyageu r se rachète des m ains des
« brigands, à p rix d ’o r 3. » Il fit plus : n ’ osant pas les re n ­
voyer, il contracta avec eux un nouvel e n g a g e m e n t4. Tel
était, devant quelques bandes gauloises, rabaissem ent
de ces m on arqu es qui faisaient trem bler tant de m illion s
d ’ûm es!
Mais, tandis que cette rébellion occu p a it tous les es­
prits dans le cam p d’A ntiochus, un en n em i com m u n des
Syriens et des Gaulois vint fon d re sur eu x ;'i l’ im proviste :
c’ était Eum ène, ch e f du petit État de P ergam c. Com m e
souverain d’ un territoire situé dans l’ Éolide, E um ène

1. Antiocliu? llierax.
2. Galli arbitrantes Seleucum in prælio cecidisse, in ipsum Antio-
ebum arma vertere : liberius depopulaturi Asiam , si omnem stirpom
rogiam exstinxissent. Just., x x v i i , 2.
3. Volut. a prædonibus, auro so redimit. Id., ibid.
4. Socictatem cum mcrccnariis suis jungit. Id., ibid.
payait tribut aux T olistoboïes ; et son plus ardent désir 213
était d e secou er cette sujétion h u m ilia n te; il ne souhai­
tait pas m oin s vivem ent de se v en ger des Séleucidës, qui
faisaient revivre de vieilles prétentions sur l’État de P er-
gam e. La qu erelle d’A ntiochus et de Séleucus, ainsi que
l’ éloig n em en t d’ une partie de la h ord e tolistoboïe, favori­
saient ses plans secrets; il avait rassem blé une arm ée en
toute hâte; et, s’approch an t du théâtre de la guerre, il
attendait l’ issue de la bataille p o u r tom b er in op in ém en t
sur le vain qu eu r quel q u ’il fût. 11 arriva dans le m om en t
où le cam p syrien, en core trou blé des scènes de révolte,
n’ était rien m oin s qu e préparé à soutenir l’attaque : au
p rem ier c h o c les Gaulois, les Syriens et A ntiochus prirent
la fuite '. Cette v ictoire exalta la con fia n ce d’ E um ène, qui
travailla dès lors à réu n ir dans une ligue co m m u n e contre
les Gaulois toutes les cités de la Troade, de l’ ÉoIide et de
l’Ion ie. La m ort le surprit au m ilieu de ces patriotiques
travaux, d on t il légua l’accom plissem en t à Attale, son
cou sin et son successeur.
Le prem ier acte du nouveau p rin ce fut de refuser aux 211
T olistoboïes le tribut qui leur avait été payé ju squ e-là 2.
Q u oiqu e les esprits dussent être préparés à cette m esure
décisive, lorsqu ’ on apprit que la h o rd e gauloise m archait
vers P ergam e, les villes liguées furent saisies de frayeur,
et les soldats d ’Attale firent m in e de l’aban donn er. Attale
avait auprès de lui un prêtre chaldéen, son am i et le
devin de l’arm ée : ils im a gin èren t p o u r la rassurer un
stratagèm e bizarre, m ais in g én ieu x . Le devin ordon na
qu ’ un sacrifice solen n el fût offert au m ilieu du cam p, à

Just., xxvii, 3. — Front., Stratag., 1 ,1 1 .


Primus Asiam incolentium abnuit (stipondium ) Attalus. Liv.,
XXXVIII, 10.
l’ effet de consulter les dieux sur le succès de la bataille ;
et Attale, qui, suivant l’ usage, ouvrit le corps de la v ic­
tim e, trouva m oyen d ’appliquer sur un des lobes du foie
u n e em preinte préparée, où se lisait le m o t g rec qu i si­
gn ifie v icto ire'. Le prêtre s’ap p roch a co m m e p o u r exa- ‘
m in er les entrailles, et, poussant un cri de jo ie , il lit
v oir à l’arm ée pergam éen n e la prom esse tracée, disait-il,
par la m ain des dieu x. Cette vue excita parm i les troupes
un enthousiasm e don t Attale se hâta de p rofiter; il m archa
au-devant des Gaulois et les d é fit2 : c’est ce qu’ attendait
l’Ion ie p o u r se déclarer.' Les T olistoboïes, battus en p lu ­
sieurs ren con tres, fu ren t chassés au delà de la chaîne du
Taurus, et les T rocm es, après s’ être défendus q u elqu e
tem ps dans la Troade, allèrent rejoin d re leurs com p a ­
gnons à l’orien t des m on tagn es. Poursuivies et, si l’on
peut dire, traquées par toute la p opulation de l’Asie-
M ineure, les deu x hordes furent poussées, de p roch e en
p roch e, ju squ e dans la haute P hrygie, où elles se réu ­
n iren t aux Tectosages. Ceux-ci, co m m e on l’a vu, h a b i­
taient depuis tren te-cin q ans la rive gau che du fleuve
Ilalys, et.A n cyre était leur capitale. Les T olistoboïes se
fixèrent, à l’occid en t, a u tou r du fleuve Sangarius, et
ch oisiren t p o u r ch ef-lieu l’antique ville p h ry g ien n e de
Pessinunte. Quant aux T rocm es, ils occu p èren t depuis
la rive droite de t’ Halys ju sq u ’ aux fron tières du royau m e
de Pont, et construisirent, p o u r quartier général de leur
peuplade, un grand b o u rg q u ’ils n om m èren t T a v 8, et

1. Polyæ n., Stratag., iv, 19. — Suivant cet historien, l ’inscription


tracée par Attale était victoire du roi, v i 'x ï ) ; mais Attale ne por­

tait pas encore le titre de roi ; il ne le prit qu’après la bataille.


2. Collatis signis superior fuit. Liv., xxxvm , 10; xxxm , 2. — Strab.,
1. xiii, p. 024. — Paus., i, 8.
3. Taobh, place, quartier, séjour, en langue gaelique (Armstrong’s
les G recs Tavion. La totalité du pays que possédèrent 241
les trois h ordes fu i appelée par les Grecs Galalic i, c ’est-
à-dire terre des Gaulois.
A insi fin it, dans l’ Asie-M ineure, la d om ination de ce
p eu ple en qualité de con qu éran t n om a d e; u ne autre pé­
riod e d ’ existence com m e n ce m aintenant p o u r lu i. Re­
n on ça n t à la vie vaga b on de, il va se m êler à la popula­
tion in d ig è n e , m élangée elle-m êm e de colon s grecs et
d’ Asiatiques. Cette fusion de trois races inégales en puis­
san ce et en civilisation prod u ira u n e nation m ixte, celle
des G allo-G recs, don t les institutions civiles, politiques
et religieu ses p orteron t la triple em preinte des m œ urs
ga u loises, grecqu es et p h rygien n es. L’ in flu en ce rég u ­
lière qu e les Gaulois sont destinés à e xercer dans l’ Asie-
M in eu re, co m m e puissance asiatique, ne le cédera p oin t
à celle don t ils on t été d é p o u illé s , et n ous les verrons
défen dre presque les dern iers la liberté de l’ Orient con tre
les arm es rom aines.
Il n ous reste qu elqu es m ots à a jou ter sur Attale. Ses
v ictoires rapides et inespérées c a u sè re n t, en O ccident
co m m e en Orient, un enthousiasm e universel : son n om
fut révéré à l’ égal de celu i d ’un d ie u ; on fit m êm e co u ­
rir u n e préten du e prop h étie qui le désignait depuis lon g ­
tem ps sous le titre d ’envoyé de J u p ite r2. L ui-m êm e, dans
l’ ivresse de sa jo ie , prit le titre de r o i, q u ’au cun de ses
prédécesseurs n ’avait e n core osé p o r te r 3. On dit aussi
q u ’ il m it au co n co u rs , parm i les peintres de la Grèce et

D iction.) ; Tau>, grand, largo, éten d u , en langue cam brienne. (Owen’s


D iction.)
1. Galatia, Gallia orientalis, Gallia asiatica, Gallo-Græcia, Ilellcno-
Galatia.
2. Paus., x, 15.
3. Regium adscivit nomen. Liv., xxxm , 21. — Strab. 1. tm , p. 024,
2-u de l’Asie, le sujet de ses batailles, et que sa libéralité fut
un v if en cou ragem en t p o u r les arts *. II eut la vanité de
triom p h er en m êm e tem ps sur les deu x rives de la m er
Égée, dans les d eu x Grèces, en envoyant à A lhènes un de
ces tableau x, qu i fut suspendu au m u r m érid ion al de la
citadelle, et s’y voyait e n core plus de trois siècles ap rès,
au rapport d’ un tém oin o c u la ir e 2.

( , Plin., x x x i v , 8.
i - Paus., i, 8 et 23.
C HAP I T RE III.

Gaulois à la solde de Pyrrhus; estime qu’en faisait 'c e r o i ; ils v io le n t le s sé p u U


tures des rois macédoniens ; ils assiègent Sparte ; ils périssent à Argos avec
Pyrrhus. — Prem ière guerre punique ; Gaulois à la solde de C arth age,
leurs révoltes et leurs trahisons; ils livrent Éryx aux Romains et pillent le
temple de Vénus. — Ils se révoltent contre Carthage et font révolter les
autres mercenaires; guerre sanglante sous les murs de Carthage; ils sont
vaincus; Autarite est mis en croix. — Am ilcar Barcas est tué par un
Gaulois.

21k — 220.

Tandis qu ’u ne p oig n é e de Gaulois faisait ainsi le des­


tin des m on a rch ies grecqu es de l’Asie, u n e guerre susci­
tée par Pyrrhus, dans la Grèce eu rop éen n e, fournissait à
leurs frères occid en tau x un em p loi fréquent et lucratil’
d e leur activité.
Pyrrhus, souverain de l’ Épire, petit État situé sur la
fron tière illy rien n e, à l’ occid en t de la Thessalie et de la
M acédoine, aim ait la guerre sans autre but qu e la guerre.
Aventurier infatigable, en tou ré d’aventuriers qu’ il appe­
lait de toutes parts, mais que sa pauvreté ne lui perm et­
tait pas de payer bien grassem ent, il ch erch ait à les en ­
tretenir aux dépens de ses v o is in s , et guerroyait sans
relâche p o u r avoir une arm ée. Après avoir m is une pre­
m ière fois la Grèce en co m b u stio n , il était passé en Ita­
lie, d’où il retourna en G rèce, tou jou rs aussi incertain
dans ses p ro jets, aussi im m od éré dans ses désirs, aussi
p eu avancé d e ses batailles. Nul ch e f ne convenait m ieux
aux Gaulois que ce roi, leu r im age sous tant de rapports;
18
’ 274 aussi le prirent-ils en affection. Une foule de Galls de
l’ illyrie et du D anube s’ en rôlèren t dans ses a rm é e s1 ; lui,
de son côté, les traitait avec estim e et faveu r, leur co u ­
dant les postes les plus p érilleu x dans le com b a t, e t ,
après la v ictoire, la garde de ses plus im portantes co n ­
quêtes.
P yrrh u s, que de vieux 'griefs animaient con tre le roi
de M acédoine, A ntigone G on a ta s2, entreprit de le détrô­
ner, et vint l’ assaillir au cœ u r de son roya u m e. Mais An­
tigone avait aussi ses Gaulois à op p oser aux Gaulois de
son e n n e m i; eux seuls retardèrent sa d éfaite, et tandis
qu e les troupes m acéd on ien n es fuyaient ou passaient aux
É pirotes, ils se firent tuer ju sq u ’ au d ern ier 3. Dans une
victoire qu i lui livrait tou t le n ord de la Grèce, cette cir­
constance, q u ’elle avait été rem p ortée sur les Gaulois, ne
fut pas ce qu i chatouilla le m oin s l’org u eil de Pyrrhus.
« P ou r se faire gloire et h on n eu r, dit son b io g ra p h e , il
« voulut qu e les d épouilles choisies de ces braves lussent
« ramassées et suspendues aux m urs du tem ple d e Minerve
« llo n id e , avec une in scription en v ers, » dont v oici le
sens :
« A M inerve Iton ide le Molosse P yrrhus a consacré
« ces b ou cliers des fiers Gaulois, après avoir détruit Far­
ci n iée entière d’A ntigon e. Qui s’ étonnerait de ces ex-
« ploits? Les Éacides sont e n co re a u jou rd ’ h u i ce q u ’ils
« furent jadis, les plus vaillants des h o m m e s 4. »

1. Paus., x, 12. — P lut., in Pyrr., 26.


2. Paus., i, 13. — Just., x x v , 3.
3. Toijxwv ol |asv itXeîatot xaTexôîiyi<rav. Plut., in Pyrr., 20.
4. ïo ù ç Oupeoùç ô MoXoaaôt; ’I tojvCSi ôcopov ’AOavâ
Ilup(5o; à n o Opadéwv èxp£[xaa£v T a Xaxà v,
f là v T a to v ’AvTiyovou xaQsXâ>v crzç,axov- oO fiEya Ü au(ia-
A t / ^ T a i x a i vuv x a t ràçjo; A la x iS a u
Devenu par ce su ccès m aître de presque toute la Ma­
céd oin e, P yrrhus m it ses troupes en can ton n em en t dans
les principales villes; et É gées, an cien n e capitale du
royaum e et lieu de sépulture de ses rois, reçu t u n e gar­
nison gauloise. C’était un antique usage que les m on ar­
ques m acédon ien s lussent ensevelis dans de rich es étoiles,
et que des objets de grand p rix fussent déposés près
d ’eux dans leurs tom bes. T ou jou rs avides de p illa g e , les
Gaulois violèrent ces sépultures, et, après les avoir d é ­
pouillées, ils jetèren t au vent les cendres des r o i s 1. Un
tel attentat, in ou ï dans les annales de la G rèce, excita
une in d ign ation g én éra le; am is et en n em is de P yrrhu s,
tous réclam èrent avec ch aleu r un sévère ch âtim ent p ou r
les coupables. Mais P yrrhus ne s’ en m it pas fort en
pein e, soit que des affaires q u ’il ju g ea it plus im portantes
l’absorbassent tout entier, soit q u 'il craignît de m é co n ­
tenter ses auxiliaires par des rech erch es qui le m ettraient
dans la nécessité d ’en p u n ir b eau coup. Cette indiffé­
ren ce passa p o u r com p licité aux yeux des H ellènes, et
le roi épirote en souffrit dans sa con sidération et dans
ses in té rê ts2.
Mais déjà, cédant à son in con slan ce naturelle, le des­
cendant d’Achille avait bâti de nouveaux projets. Un ro i
de L acédém on e chassé par ses co n cito y e n s, G léon ym e,
étant venu solliciter de lui son rétablissem ent, il n’avait
pas hésité à s’em barq u er dans u n e expédition p o u r la-

Plut., in l’ yrr., 20. — Paus., 1 , l:). Le temple do Minerve Itonide Otait


situé dans la Thessalie, entre Phères et Larisse.
1. Ol rcOiâxat, yévoç à70,r,ax6xaxov )(pYif;.âx<i>v ôvxeç, ètté Oe v x o tü>v fla<7i~
Xéa>v aÙTOÔi y.sy.r,ôs'Juivrov xoùç T àçou; ôpûxxeiv, xai Ta p.èv /priu.aTa Siripua-
oav, xà Sè ôffxà 7tpè; üêpiv 3iép£i4<av. Plut.., in Pyrr., 20. — l)iod. Sic.,
XXI>, 12. Excerpt. de Virt. et vit.
2- Plut., in Pyrr., 20. — Diod. S ic., loc. cit.
m quelle il n’avait rien de préparé. A la tête de vingt-cinq
m ille h om m es d’ infanterie, deux m ille chevaux et vin gt-
quatre éléphants, rassem blés à la hâte, il passa l’ isthnie
de C orin th e, et alla, sans déclaration de guerre, se pré­
senter in op in ém en t devant Sparte *.
Sparte, com m e on le sait, n’ était p oin t entourée de
m u railles; et du côté où le ro i épirote venait l’attaquer,
rien n ’en garantissait les approch es con tre la cavalerie
et les éléphants. Les habitants avaient bien son gé à creu­
ser, parallèlem ent au cam p en n em i, u n e tran ch ée c o m ­
m u n iqu an t avec l’ Euro tas et palissadée à chaque bout
par plusieurs rangées de chariots enterrés ju sq u ’au
m oy eu ; mais p ou r faire ce lo n g travail, il n e leur res­
tait q u ’ une n u it, tant la m arch e de Pyrrhus avait été ra­
p id e ; et après les fatigues de cette jo u r n é e , pu is celles
de la n u it, il fallait qu’ ils fussent prêts à com battre le
lendem ain. Dans cette situation presqu e désesp érée, les
fem m es leu r vin ren t en aide ; m u n ies de p ioch es et de
pelles, elles se m iren t à l’ ouvrage, tandis que les h om m es
pren aien t un p eu de repos, et avant le jo u r tout était ter­
m in é. A la vue de ce rem part élevé co m m e par m a g ie,
l’arm ée épirote, se rappelant l’antique Sparte et les m er­
veilles de son h istoire, sentit se ralentir sa p rem ière ar­
d eu r. Elle hésitait à d o n n e r l’ assaut, quand les Gaulois,
qu e com m andait le fils du roi en p e r s o n n e 2, s’offrirent
à pratiquer u n passage du côté où la tranchée aboutis­
sait à l’ Eurotas, côté le plus faiblem en t g a r d é , parce
q u ’on le ju geait le m oins attaquable. D eu x m ille de ces
intrépides soldats s’y portèrent d o n c, com blèren t h dem i
le fossé, et, gravissant le talus, se m irent à déterrer les

1 . P lut., in Pyrr., 26. — Paus., i, 1 3.


2. Plut., in Pyrr., 28.
chariots, q u ’ils faisaient rou ler à m esure dans le fleuve.
La brèch e était déjà très-avancée, lorsqu e les L acédém o-
niens, accou ru s en force, parvinrent à les repousser : on
se battit corps à corps dans le fossé m êm e que les Gau­
lois laissèrent e n com b ré de leurs m o r t s *. D’autres as­
sauts livrés le m êm e jo u r et les jo u rs suivants é ch o u è ­
rent égalem ent. Ce succès don na aux habitants des villes
voisines le tem ps de se rem ettre de leu r surprise et d ’en­
voyer des renforts aux Spartiates. Il n’ en fallait pas tant
p o u r lasser la constance de P yrrhus : s’éloignan t aussi
bru squ em en t q u ’ il était arrivé, il abandonna Sparte et
se dirigea sur A rgos, o ù venait d’ éclater u n e guerre ci­
vile. D eux factions s’ y disputaient la p rép on déra n ce, et
l’une d ’elles, profitant du voisinage du ro i Pyrrhus, l’ ap­
pela à son a id e, tandis que l’autre, par op p o sitio n , ap­
puyait la cause des L a cé d é m o n ie n s2.
Entre Sparte et Argos, les P élop on ésien s avaient dressé
u ne em bu scade où l’ arm ée épirote vint tom ber, et elle y
eût p éri tout entière sans le d évou em en t des Gaulois
qui com p osaien t son arrière-garde : ces braves furent
écrasés ; le fils du roi m ou ru t en com battant à leur tête.
De cette vaillante division gauloise q u i avait suivi Pyr­
rhus dans le P élop on èse, deu x m ille h om m es seule­
m ent survivaient, et ce fut à eu x q u ’arrivé devant Argos
l’Épirote con fia la périlleuse m ission de pénétrer de nuit
et les prem iers dans les rues de la v ille, par u n e porte
qu ’ un de ses partisans lui livra. L u i-m êm e, arrêté près de
cetle p o rte , dirigeait l’ entrée des éléphants et du reste
des troupes. Tout sem blait secon d er sa fortune ; plein
d ’u ne con fia n ce im m o d é ré e , il faisait b o n d ir son cheval
et poussait des hurlem en ts de jo ie \ quand il entendit
les Gaulois lui rép on d re de loin par un cri de d étresse2.
Il les com prit, et, faisant sign e à sa cavalerie, il se pré­
cipita avec elle à toute brid e à travers les rues tortueuses
d’A rg os, vers le lieu d ’où partait le cri. On sait quelle
fut l’ issue de ce com bat n octu rn e et de l’ en gagem en t du
lendem ain : on sait aussi co m m e n t p é rit, par u n e tuile
lancée de la m ain d ’ une fe m m e , ce ro i don t la m ort ne
fut pas m oin s bizarre qu e la vie. Quant ù ses fidèles
Gaulois, l’ histoire ne n ous en parle plus, mais n ous pou­
vons su pposer que peu d ’entre eu x sortirent d’Argos
sains et saufs.
Les querelles des rois grecs ne finiren t pas avec P yr- *
rhus, et les Gaulois con tin u èren t à se battre p o u r tous
les partis : m ais le Molosse ne les guidait p lu s, et leur
h istoire rentre dans l’ om b re. De toutes leurs actions du ­
rant ces g u e rre s , on n ’a con servé qu’ u n seul trait, qui
m éritait en effet de l’ être par son caractère d’én ergie fé­
roce. Une des b an d es, à la solde de P tolém ée P liiladel-
p h e, ro i d’ Égypte, com battait dans le P élop on èse contre
ce m êm e A ntigone don t il a été question tout à l’heure,
quand, se voyant cern ée par u n e m anœ uvre des troupes
m acéd on ien n es, elle voulut consulter les entrailles d’ une
victim e sur l’issue de la bataille qui allait s’engager. Les
Gaulois du Brenn ne l’avaient p oin t fait ja d is, au pas­
sage des T herm opyles, et l’absence de tout rite religieu x
dans leurs guerres avait alors effrayé et surpris les Hel­
lènes : mais on ap erçoit que les auxiliaires soldés avaient
su se p lier aux idées religieuses en m êm e tem ps qu’à la

1. Met’ àXaXayjAOÎi xal (3o9j<;. P lut., in P yrr., 32.


2. CQ ; o l F aX àxai t o Ï ç 7repi aO t o v àvry)XàXa!;av, oùx ita|j.àv, oOôè
OapfaXéov e tx a a e, TapaTTOjiévwv ôè eîvai x a l 7ï <m û v t ü >v . I d . ,
i b id .
d isciplin e m ilitaire de la Grèce. Les présages leur ayant
paru tout à fait défavorables, ces barbares, co m m e saisis
de d é lire , égorgèren t leurs enfants et leurs fe m m es;
puis, se jetant l’épée à la m ain à travers la phalange ma­
cé d o n ie n n e , ils se firent tuer ju sq u ’au dern ier sur des
m on ceau x de cadavres en n em is *.
C ependant l’ O ccident vit éclater u ne gu erre q u i ou ­
vrait aux aventuriers de la Gaule transalpine un d éb ou ­
ch é co m m o d e et abondant. Carthage était alors, dans la
M éditerranée, la puissance m aritim e prépondérante. Ses
établissem ents com m e rcia u x et m ilitaires em brassaient
une partie de l’A friqu e, l’ E spagn e, les îles Baléares, la
Corse, la Sardaigne et la Sicile. V oisine de la république
rom ain e par ses possessions dans cette d ern ière île , ('lie
avait tenté de s’im m iscer dans les affaires de la Grande-
Grèce, où R om e dom in ait et prétendait b ien d om in er
sans partage : ce fut là l’orig in e d’ une lutte deven ue si
fam euse par l’ ach arnem ent des deu x nations rivales, et
par l’im portan ce des intérêts débattus.
Carthage 2, république de n égocian ts et de m atelots,
faisait la guerre avec des étrangers stipendiés; elle ap­
pela les Gaulois transalpins à son se rv ice , et en in co r­
pora des bandes con sidérables, soit dans ses troupes ac­
tives, soit dans la garnison des places q u ’elle avait à dé­
fen dre en Corse, en Sardaigne, en Sicile. La Sicile, co m m e
on sait, fut le p rem ier théâtre des hostilités; et Agrigente,
É ryx, L ilybée, les villes les plu s considérables des pos­
sessions carth agin oises, reçu ren t des auxiliaires gaulois

1. G alli, quum et ipsi se prælio parafent, in auspicia pugnæ hostias


cædunt : quarum extis quum magna cædes interitusquë omnium prædi-
ceretur, non in timorem, sed in furorem versi... conjuges etliberos suos
trucidant. Just., xxvi, 2.
2. En phénicien Karlha hadalli, ville neuve.
com m an dés tantôt par des chefs n a tion a u x, tantôt par
des officiers africains. Tant qu e la fortun e se m ontra fa­
vorable au parti qu i leu r avait m is les arm es à la m ain,
tant qu e les vivres n e m an qu èrent poin t, et qu e la solde
fut régu lièrem en t payée, les Gaulois rem pliren t leurs
engagem ents avec u ne fidélité égale à leu r cou rage : ils
en don n èren t des preuves n om b reu ses, et entre autres
au siège de L ily b é e 1. Mais sitôt qu e les affaires de cette
rép u bliqu e parurent d é c lin e r , et q u e , les com m u n ica ­
tions avec la m étropole étant interceptées, il advint que
la paye s’arriéra, ou qu e les a p p rovisionn em en ts d im i­
nuèrent, Carthage eut tout à souffrir de leu r esprit d’ in ­
d iscip lin e. On vit, dans les m u rs d’A grigen te, au m ilieu
d’u n e garn ison de cinquante m ille h o m m e s 2, trois ou
quatre m ille G a u lo is3 se d éclarer en état de réb ellion , et,
sans que le reste de la garn ison osât tenter de les désar­
m e r ou de les co m b a ttre , m en a cer la ville du pillage :
p o u r préven ir ces m a lh eu rs, il fallut qu e les généraux
carthaginois appelassent à leu r aide toutes les ressources
de l’astuce p u n iq u e. En effet, le com m andan t d’Agri­
gente p rom it secrètem ent aux rebelles, et leur engagea
sa foi, que, dès le len dem ain, il les ferait passer au quar­
tier du général en ch e f, H a n n on , où ils recevraient des
vivres, leu r solde arriérée, et, en o u tr e , u n e forte grati­
fication en récom p en se de leurs pein es. Ils sortirent au
p oin t du jo u r ; H annon les accu eillit gracieu sem en t; il
leu r dit q u e , com ptant sur leur cou rage et voulant les
d éd om m a ger am plem ent, il les choisissait p o u r surpren­

1. P olyb., i, 43.
2. Zonar., vin, p . 386.
3. "Ovieç tote uXeîou; xüv P olyb., u , 7. — Circiter qua­
tuor millia. Front., Stratsg., n i, 16.
dre u ne ville v oisin e, où il s’était pratiqué des i n t e l ­
lig e n ce s , et d on t il leur abandonnait le p illa g e : c’ était
la ville d’ Entelle, qui tenait p o u r la rép u b liq u e r o m a in e 1.
Le p iège était trop séduisant p o u r qu e les Gaulois n ’y
donnassent pas aveuglém ent. Le jo u r fixé par H a n n o n ,
ils partirent à la nuit tom b a n te, et priren t le ch em in
d’E ntelle; mais le Carthaginois avait fait p rév en ir, par
des transfuges sim ulés, l’arm ée ro m a in e , q u ’il préparait
un cou p de m ain sur la ville-, à p ein e les Gaulois eu-
renl-ils perdu de vue les tentes d’ H an n on , qu’ ils furent
assaillis à l’ im proviste par le con su l Otacilius et exter­
m in é s 2.
Cependant, le m écon ten tem en t croissant avec la m i­
sère et les traitem ents rig ou reu x des chefs carthaginois,
les Transalpins se m iren t à déserter de toutes parts, et
il ne s’ écoulait pas de jo u r que q u elqu e détachem ent ne
passât au cam p en n em i Les Rom ains les accueillaient
avec em pressem ent et les in corp ora ien t à leurs tr o u p e s 3 :
ce furent, dit-on , les p rem iers étrangers adm is dans les
arm ées rom ain es en qualité de stip en d iés4. Il n’est pas
de m oyens que les généraux carthaginois ne m issent en
œuvre p o u r rép rim er ces désertions. Un historien affirm e
qu ’ils firent m ou rir sur la croix plus de trois m ille Gau­
lois 5 coupables ou seulem ent suspects de com p lots de ce
genre : enfin Am ilcar, qui rem plaçait H annon au gou ver­

1. Diod. S ic., xvi, 57. — Front., Stratag., m , 16.


2. Fidelissimum dispensatorem ad Otacilium consulem m isit, q u i,
tanquam rationibus interversis transfugisset, nuntiavit nocte proxima
Gallorum quatuor m illia, quæ prædatum forent missa, posso excipi...
ipsi om nes interfecti sunt. Front., ub. supr. — Diod. Sic., xvi, 57.
3. Front., ub. supr. — A pp., de Reb. Punie., 5.
4. Zonar., v in , p- 198. — App., loc. cit.
5* A pp., de Reb. Sic. excerpt., ii , 3.
nem ent de la Sicile, s’ avisa d’ un stratagème qu i, p o u r
qu elqu e tem ps du m oins, en suspendit le cours. Il s’ était
attaché depuis plusieurs années, par ses largesses et sa
bien veillan ce particulière, un corps de Gaulois qui lui
avait d on n é des preuves m ultipliées de d év ou em en t; il
lu i com m an d a de se présenter aux avant-postes rom ains,
com m e s’il eût vou lu déserter, de dem ander, suivant
l’ usage, u ne entrevue avec qu elqu es officiers p o u r traiter
des con ditions, et de tuer ces officiers ou de les am ener
captifs dans le c a m p 1. L’ ord re d’A m ilcar fut exécuté de
p oin t en poin t, et cette perfidie ren dit les désertions dès
lors plus difficiles, en inspirant aux Rom ains b eau coup
de m éfian ce.
Sur une m on tagn e q u i d om in e la pointe occidentale
de l’ île, était située la ville d’ Éryx, forte et par son as­
siette et par ses ouvrages de défense. Les Rom ains en
avaient entrepris le siège, presque sans probabilité de
succès. Éryx était alors célèbre par un tem ple de Vénus,
le plus rich e de tou t le pays. Cette richesse allum a la
con voitise des Gaulois q u i faisaient partie de la garnison ;
mais le reste des troupes et les habitants avaient l’ œil
sur eux et les contenaient. Voyant q u ’ ils ne parvien ­
draient pas aisém ent à leu r but, ils désertèrent une nuit,
et passèrent dans le cam p des R om ains, auxquels ils
fou rn iren t les m oyen s de se ren dre maîtres de la place,
ils y rentrèrent aussi avec eux, et, dans le p re m ie r m o­
m ent de trou ble, ils p illèren t de fon d en com b le le trésor
de Vénus É ry cin e 2. Sur un autre p oin t de la Sicile, l’in­

1. Uomanos excipiendorum causa eorum progressos ceciderunt. Front.,


S tratag, ni, 16.
2 . H ùtofioX riaav itpèç t o u ç 7to),e|xîouç, u a p ’ otç mcnrsuOévTeî, TtâXiv èavXr,-
jxav t 6 x îj; ’A cppoSm i; TÏ5; ’Epuxivÿ); iepôv. P o l y b . , 11 , 7.
tem pérance d’ u ne autre bande gauloise fit p erdre aux 2C.4
A
Carthaginois vin gt m ille h om m es et soixante é lé p h a n ts1. 241

On sait que l’évacuation de la Sicile fut u n e des co n ­ 241


à
ditions de la paix accord ée par Rom e victorieuse à la 2 37
rép u bliqu e de Carthage. 11 s’ y trouvait e n core vin gt m ille
étrangers stipendiés, et, sur ce n om b re, deu x m ille Gau­
lois, com m an d és par un ch e f n o m m é A u torité2. Le sénat
carthaginois avait o rd o n n é au g ou vern eu r de Lilybée de
licen cier les troupes m ercen a ires; mais le trésor était
vide, et ces troupes réclam aient à grands cris, outre leur
solde arriérée depuis lon gtem ps, des gratifications ex­
traordinaires, dont la prom esse leur avait été p rod igu ée,
dans les jou rs de d écou ra g em en t et de défection . Crai­
gnant p ou r sa vie, le gou vern eu r conseilla aux stipen­
diantes d ’aller eu x-m êm es rég ler leurs com ptes, en Afri­
que, avec le sénat. Ils p riren t en effet ce parti, et,
s’ em barqu an t par détachem ents, ils allèrent se réu nir
à Carthage, où ils com m iren t de si grands désordres,
qu’ on fut bien tôt contraint de les é lo ig n e r 3. Mais les
finances de la rép u b liq u e étaient dans un état de dé­
tresse extrêm e; toutes scs ressources avaient été épuisées
par les dépenses d’ u ne guerre de vingt-quatre ans, et par
les sacrifices au prix desquels il lui avait fallu ach eter la
paix. Rien loin de réaliser les prom esses m agnifiques de
ses généraux, le sénat fit p rop oser aux stipendiés d’ aban­
d on n er une partie de la solde qui leu r était due*. Aux
m u rm u res q u ’ une telle prop osition excita, su ccédèrent
les m enaces, et bien tôt la révolte; les Gaulois saisirent
leurs arm es, et entraînèrent, par leur exem ple, le reste

1. Diod. Sic., x x m , 21.


2 . AO-ràpixo; xa>v T a /a x to v P o l y b . , I. 77.
3 . I d . , i , 00 .
des m ercen aires *. Trois chefs d irigèrent ce m ou vem en t
Spendius, natif de la Gampanie, esclave fu gitif des Ro­
mains-, un Africain n o m m é Mathos, mais surtout le Gau­
lois Autarite, h om m e d ’u n e én ergie sauvage, puissant
par son éloq u en ce et l’ orateur de l’in su rrection, parce
qu e de lon gs services chez les Carthaginois lui avaient
ren du la langue p u n iq u e fa m iliè re s.
Le p rem ier acte des rebelles fut d’ appeler à l’ indé­
p en dan ce les villes africaines, qu i n e portaient q u ’à re­
gret le jo u g de la tyrannique aristocratie de Cartilage. La
déclaration ne fut p oin t vain e; les peuples de l’Afrique
cou ru ren t aux arm es; ils fou rn iren t aux étrangers de
l’ argent et des vivres; on vit ju sq u ’aux fem m es vendre
leurs b ijo u x et leurs parures p o u r subvenir aux frais de
la gu erre; et bien lôt l’arm ée étrangère, grossie d’ un
n om b re considérable d’Africains, m it le siège devant
Carthage. La rép u bliqu e, rédu ite à ses seules ressources,
enrôla tous ses citoyens en état de com battre, et fit solli­
citer des secours en Sicile et ju sq u ’ en Italie; m ais avant
qu e ces renforts fussent arrivés, les insurgés rem p or­
tèrent u n e victoire com p lète sur l’ arm ée p u n iq u e. Pen­
dant trois ans, la gu erre se p rolon g ea autour de Car­
tilage, avec la m êm e habileté de part et d’autre, un
succès égal, mais aussi une égale férocité. Les étrangers
m utilaient leurs p rison n iers; les p rison n iers des Cartha­
gin ois étaient m is en croix , ou, tout vivants, servaient
de pâture aux lions. A plusieurs reprises, Carthage co u ­
rut les plus grands d a n g e rs3.
Enfin A m ilcar Rarcas, com m andant des forces répu­

1. A pp., de Reb. Sic. excorpt., n, 3, et de Reb. Punie., 5.


2. nâXai yàp (jxpaTeu6|xevoç fjSsi SiaXévesôat çoivixtcrrE. P olyb., i, 80.
3. Id., ibid. — App., de R eb., Punie., 5.
blicaines, mettant à profit l’ éloig n em en t de Mathos, qui
s’ était porté sur Tunis, isola par des m anœ uvres habiles
l’arm ée étrangère des villes d’ où elle tirait sa subsistance
et tint bloqu és à leur tou r Autarite et Spendius. Leur
cam p était mal approvisionn é, et la fam ine ne tarda pas
à s’y faire sentir. Les in su rgés m a n gèren t ju sq u ’à leurs
prison n iers, ju sq u ’à leurs escla v es1: quand tou t fut dé­
voré, ils se m u tinèren t con tre leurs généraux, m enaçant
de les massacrer, s’ils ne les tiraient de cet état cruel par
une capitulation. Autarite, Spendius et huit autres chefs
se ren diren t d o n c auprès d’Am ilcar, p o u r y traiter de la
paix. « La rép u bliqu e, leur dit le Carthaginois, n ’est ni
« exigeante, ni sévère; elle se contentera de dix h om m es
« choisis parm i vou s tous, et laissera aux autres la vie
« et le v ê te m e n t2 ; » et il leur présenta le traité à signer.
Sans hésiter, les n égociateu rs sign èren t; mais aussitôt,
à un geste d’Am ilcar, des soldats se jetèren t sur eux, et
les garrottèrent. « C’ est vous qu e je choisis en vertu du
« traité, » ajouta froid em en t le g é n é r a l3.
Sur ces entrefaites, les insurgés, inquiets du retard
de leurs com m issaires, et sou p çon n an t qu elqu e perfidie,
p riren t les arm es. Ils étaient alors dans un lieu qu’ on
nom m ait la Hache, p arce que la disposition du terrain
rappelait la figu re de cet instrum ent. A m ilcar les y en­
veloppa avec ses éléphants et toute son arm ée, si bien
qu ’il n ’ en put éch ap per un seul, q u oiq u ’ ils fussent plus
de quarante m ille. Les Carthaginois allèrent ensuite as-

1. ’E ra î Ôè x a x e x p ï)< y a v T O [A è v à a e é â ); to ù ç a t y j J 'a X t t T O u ç , x p o ^ r j t o v t o i;

Xpw(ji£voi, xaTE^piQa-avTO 8è xà SouXixà ta>v <Tco(j.àxa)V... P olyb., i, 85.


2 . ’E fe ïv a i K ap^Yjôovîoiç èxXÉ£aaOai t & v 7toX£[xiwv ou ; àv a u x o l p o u -
W v x a t Séxa, toù ; 6è Xoitcoùç àcpiévai [AExà x ix w v o ;. I d . , i b id .
EùÔéto; ’A u tX x a ; êçyj toù ; 7iapovxa; èxXéyEffÔai, x a x à T a ; ôfAoXoyÊa;.
I d -, ib id .
241 siéger Tunis, où Mathos s’était ren ferm é avec le reste des
'l étra n gers1.
Am ilcar, sous les m urs de Tunis, établit son cam p
du côté op p osé à Carthage ; un autre général, nommé
A nnibal, se plaça du côté de Carthage, et fit planter sur
u ne é m in e n ce , entre son cam p et la ville assiégée, des
croix où fu ren t attachés Autarite et Spendius; ces mal­
h eu reu x exp irèren t ainsi, sous les yeu x m êm es de leurs
com p agn on s, trop faibles p o u r les sauver. L eur m ort du
m oin s ne resta pas sans ven geance. Au b ou t de quelques
jou rs, les assiégés ayant fait une sortie, à l’ im proviste,
pén étrèren t ju squ e dans le cam p p u n iq u e, enlevèrent
A nnibal, et l’attachèrent à la croix de Spendius, où il
expira. Cependant les affaires des in surgés allaient de
mal en pis, et bientôt ce qui restait de Gaulois, traînés
avec Mathos à la suite d’ Am ilcar, le jo u r de son triom ­
p h e, p ériren t au m ilieu des tortures, qu e les Carthagi­
nois se plaisaient à en trem êler, dans les solennités pu­
bliques, aux joies de leurs v ic to ir e s s.
230 Tel fut le sort des Gaulois qui, ju sq u ’à la fin de la
gu erre p u n iqu e, avaient fait partie des garnisons cartha­
gin oises en S icile. Quant aux déserteurs qu e les Ro­
m ains avaient pris à leur sçrtde, sitôt que la guerre fut
term in ée, ils fu ren t désarm és par ord re du sénat, et dé­
portés sur la côte d’ illy r ie 3. Là, ils entrèrent au service
des Épirotes, qui, en m ém oire de P yrrhus et de leur
affection m utuelle, con fièren t à huit cents d ’entre eux

1. P olyb., i, 85.
2. Id., i, 80, 87, 88.
3. Ato xai 'jacfwç èTreyvtoxoxeç Ptupiatoi x9)v àffg&eiav aùxwv, <Jc[ia xw 8ia-
XOtfaa-Oai xov 7ipo<; K a p ^ S o v i o u ; 7roXe[J.ov, o v o è v STrot^aavxo T rp ou pytatxepov
to u TOxpo7r),{(TavTaç a ù x o ù ç è ^ -ê a ) e îv e iç TrXota, x a i x ^ ç ’I x a X t a ; 7râ(7Y)ç eSopt<j-
x o u ; x ax a < m i< T a i. Id., ii, 7.
la défense de P h én ice, ville m aritim e, située dans la *ao
Chaonie, une des plus rich es et des plus im portantes de
tout le royau m e. Les lllyriens exerçaient alors la pira­
terie sur la côte occiden tale du con tin en t g re c; ils abor­
dèrent, un jo u r, au p ort de P hén ice, p o u r s’ y p rocu rer
des vivres, et, étant entrés en conversation avec quelques
Gaulois de la garnison, ils com p lotèren t en sem ble de
s’em parer de la place. La trahison s’accom p lit. Au jo u r
con v en u , les lllyrien s s’étant approch és en force des
m urailles, les Gaulois, dans l’intérieur, se jetèren t l’ épée
à la m ain sur les habitants, et ou vriren t les portes à
leurs com p lices 1.
Cependant A m ilcar Barcas, vain qu eu r d’ Autarite et 2*o
des Gaulois révoltés, était passé d’Afrique en Espagne
p ou r y com battre en core d’autres Gaulois. La peuplade
gallique des Celtici, établie, com m e n ous l’avons dit
plus h a u t 2, dans l’angle sud-ouest de la presqu’ île ibé­
rique, entre la Guadiana et le grand Océan, pendant
tou t le cou rs de la guerre p u n iq u e, n’ avait cessé de har­
celer les colon ies carthaginoises voisines. A m ilcar fut
en voyé p o u r la châtier, et con q u érir à sa rép u b liq u e la
partie occiden tale de l’ Espagne, qui était e n core indé­
pendante ou mal .soum ise. A la tête des Celtici co m ­
battaient deux frères d’ une grande intrépidité, et dont
l’ un, n o m m é Istolat ou Istolatius, avait étonné plus d’ une
fois les C arthaginois par son a u d a ce; mais, con tre un
en n em i tel q u ’Am ilcar, le cou rage seul ne suffisait pas.
Istolat et son frère furent tués dans la p rem ière bataille
qu ’ ils livrèrent; de toute leur arm ée, il ne se sauva que
trois m ille h om m es, qui m irent bas les arm es, et co n -

*• P olyb., u , 7.
2 . L iv ie i , ch .
220 sentirent à se laisser in co rp o re r parm i les m ercenaires
d ’A m ilca r1.
Indortès, parent des deu x frères, et leu r successeur
au com m a n d em en t des Geltici, entreprit de v en ger leur
défaite. Il m it sur pied une arm ée de plus de cinquante
m ille h o m m e s; m ais il fut com p lètem en t battu. P our
s’ attacher ce peu ple brave, et l’attirer dans les intérêts
de sa rép u bliqu e, A m ilcar accorda la liberté à dix m ille
p rison n iers que la victoire fit to m b e r en son p ou v oir.
Il se m ontra m oin s g én éreu x à l’ égard d ’In dortès; car,
après lui avoir fait arracher les yeux, et l’avoir fait dé­
ch irer de verges, à la vue de son arm ée, il le condam na
au su pplice de la cro ix . A m ilcar su bju gu a pareillem ent
la plupart des autres peuplades galliques ou g a llo-ib é-
riennes, qui occu p a ien t la côte occiden tale de l’ Espagne-,
il trouva la m ort dans ces conquêtes2. Son gen dre As-
drubal, qu i le rem plaça, périt assassiné par un Gaulois,
esclave d’ un ch e f lusitanien q u ’ Asdrubal avait mis à
m ort par trahison. L’esclave gaulois s’attacha pendant
plusieurs années aux pas du Carthaginois, épiant l’ occa­
sion de le tu er; il le poign arda enfin au pied des autels,
dans le tem ps qu ’ il offrait un sacrifice p o u r le succès de
ses entreprises. Le m eu rtrier fut saisi et appliqué à la
torture ; mais, au m ilieu des plus grands tourm ents, in­
sensible à la dou leu r et heu reu x d’ avoir vengé, u n h om m e
qu ’il aim ait, il expira en insultant aux A frica in s3.

1. Diod. Sic., xxv, 10, Excerpt. Hœschel.


2. P olyb., il, t . — Diod. S ic., loc. cit. — C. Nep., in Am ilc. — A pp.,
de Reb. Iberic., 5.
3. Id., ibid., 8.
LIVRE III

GUERRE DES R O M A IN S CONTRE LES G A U L O IS C IS A L P IN S ; D É C L IN

E T CONQUÊTE D E LA GAULE C I S A L P I N E .— G U E R R E DES R O M A IN S

CONTRE LES GALATES. — F IN DU ROYAUM E DE G A L A T IE .

C H A P IT R E P R E M IE R

G a u le c is a lp in e . S itu a tio n d e c e p a y s da n s l'in t e r v a lle d e s d e u x prem ière»


g u e rr e s p u n iq u e s . — L e s B o ïe s t u e n t le u rs r o is A t et G a ll. — In trig u e s d es
c o lo n ie s ro m a in e s fo n d é e s su r le s b o r d s d u P ô . — L e s C é n o m a n s tra h issen t
la c a u s e g a u lo is e . — L e p a r ta g e d es t e rr e s d u P ic e n u m fa it p r e n d r e le s
a rm e s a u x C isa lp in s. — L e u r a m b a ssa d e a u x G ésa tes d e s A lp e s . — U n
G a u lo is et u n e G a u lo is e son t e n te rr é s v ifs su r u n d e s m a rch é s d e R o m e . —
B a ta ille d e F é s u le s o ù le s R o m a in s s o n t d é fa its . — D é fa ite d es G a u lo is à
T é la m o n . — L a co n fé d é r a t io n b o le n n e se so u m e t. — G u e r r e d a n s l’ In su b rie ,
e t c o n d u it e p e r fid e d es R o m a in s . — M a rc e llu s t u e le r o i Y ir d u m a r , — S o u ­
m is sio n d e l’ In su b rie . — T r io m p h e d e M a rc e llu s .

238 — 222.

Quarante-cinq a n s 1 s’ étaient écou lés depuis l’ exter- 238


m ination du peu ple sénonais, et la terreur don t cet *
exem p le des vengeances de R om e avait frappé les n a- 236
tions cisalpines n ’était pas en core effacée. La jeunesse,
il est vrai, m u rm u rait de son in action ; elle se flattait de
recon qu érir aisém ent le territoire en levé à ses pères, et

1. P olyb., U, 21.
« « de laver la h on te de leurs défaites; et les chefs suprêm es,
ou rois du p e u p le .b o ïe n , At et Gall \ tous deu x ardents
en nem is des Rom ains, et am bitieux de se signaler, favo­
risaient hautem ent ces dispositions belliqueuses. Mais
les anciens dont les conseils nationaux étaient com posés,
et la masse du peuple, désapprouvaient les m en ées des
rois boïen s et l’ardeu r des je u n e s gens, q u ’ ils traitaient
d’in ex p érien ce et de folie 2. Après un dem i-siècle de
tranquillité, ils craign aien t d ’en gager de nouveau une
lutte qui paraissait devoir être d’autant plus terrible que
la répu bliqu e ro m a in e , depuis les dern ières g u erres,
avait fait d’ im m en ses progrès en puissance. At et Gall
ch erch èren t des secours au d e h o rs; à p rix d’argent, ils
firent descendre en Italie plu sieu rs m illiers de m onta­
gnards des Alpes 3, dans l’esp oir qu e leur présen ce d on ­
nerait de l’ élan aux peuples cisalpin s; et, à la tête de
ces étrangers, ils m archèrent sur A rim inu m , celle des
colon ies rom aines qui touchait de plus près à leu r fron ­
tière. Déjà la jeu n esse b o ïe n n e s’agitait et prenait les
arm es, quand les partisans de la paix, in d ign és qu e ces
rois précipitassent la nation, con tre sa volonté, dans une
g u erre qu ’ elle redoutait, se saisirent d’ eu x et les massa­
crè re n t4. Ils tom bèren t ensuite sur les m ontagnards, q u ’ils
con traign iren t à rega gn er leurs Alpes en toute hAte; de
sorte qu e la tranquillité était déjà rétablie lorsque l’ar­
m ée rom ain e, a ccou ru e à la défense d’A rim inu m , arriva
sur la fron tière b o ïe n n e 6.

1. Ates et Galatus, "A tti; xai râXaTOç, dans Polybe, II, 21. — Al ou
Atta, père : Galatos ou Galatus est l’altération grecque de Gall.
2. Néot, 6v (aoü à),OYÎ<JTOU 7iXiipeiç, foteipoi... P olyb., loc. cit.
3. 'Hpijavro... èiuanàraOai t o ù ; ix tu>v ’ AXtocov r a ).« a ç . Id ., ibid.
4 . ’A veO.ov çièv t o u ; IS Îo v ; pamXeî; ’ A tyjv xai I’aXatov. Id., ibid.
5. Id ., ibid.
Cependant ces m ou vem en ts inquiétèrent le sénat; il
défendit par u ne loi, à tous les m arch an ds soit rom ains,
soit sujets ou alliés de R om e, de vendre des arm es dans
la C ircu m p ad an e; il suspendit m ôm e, si l’on en croit un
historien, tout co m m e rce entre ce pays et le reste de
l’ Ita lie 1. Au m écon ten tem en t violent que de telles m e­
sures durent exciter sur les rives du P ô, d’autres m e'
sures en core plus hostiles vin ren t bien tôt m ettre le
co m b le ; celles-ci étaient relatives au partage de l’ an­
cien territoire senonais.
Rom e, longtem ps absorbée par les soins de la guerre 232

p u n iq u e, n’ avait en core établi que deu x colon ies dans


le pays en levé aux Senons : c ’ étaient Sena, fon d ée im ­
m édiatem ent après la con quête, et A rim inu m , posté­
rieu re à la p rem ière de quinze a n n é e s 8. Les terres n on
colon isées restaient, depuis cinquante ans, entre les
m ains de rich es patriciens, qui en retiraient l’ usufruit,
et m êm e s’ en étaient ap p rop rié illégalem ent la m eilleu re
partie. Le tribun Flam inius ayant éveillé sur cette usur­
pation l’attention des p lébéiens, m algré tous les efforts
du sénat, u n e loi passa qu i restituait au peu ple les terres
distraites et en réglait la répartition, par têtes, entre les
fam illes p a u v re s3. Des trium virs partirent aussitôt p o u r
m esu rer le terrain, fixer les lots, et pren dre toutes les
dispositions nécessaires à l’établissem ent de la m ultitude
qu i devait les suivre. L’ arrivée de ces com m issaires jeta
l’ inquiétude parm i les Cisalpins, e t , en dépit d’ eu x-
m êm es, les tira de leur inaction.
Le mal que leur avait fait une seule des colon ies déjà

Zonar., 1. vm , p. 402.
2. La colonie de Sena date de l’an 283; Ariminum de l’an 268.
3. P olyb., il, 21. — C ic., de Senect.
fon dées était in calcu lable. A rim in u m , a n cien n e ville
om b rien n e, qu e les Sen ons avaient jadis laissée subsister
au m ilieu d’ eux, avait été transform ée par les Romains
en u ne place de gu erre form id able, sans cesser d’ être le
p rin cip al m arch é d e la Cispadane. Sentinelle avancée
de la p olitiqu e rom a in e dans la Gaule \ A rim inum était,
depuis tren te-cin q ans, un foyer de corru p tion et d’in ­
trigues qu i m alheu reu sem en t avaient porté fruit. De
l’argen t distribué aux chefs, et des prom esses qui flat­
taient la vanité nationale, avaient gagné les Cénom ans
à l’ alliance de R o m e 2. Sous m ain, ils la secondaient
dans ses vues am bitieu ses; et, ju sq u ’à ce qu’ ils pussent
trahir leurs com patriotes ou vertem en t et sur les cham ps
de bataille, ils les vendaient dans t’ om b re, sem ant la
d ésu n ion au sein des conseils nationaux, don t ils révé­
laient à l’ en n em i les projets les plus secrets. Par le m oyen
de ces traîtres et des Vénètes, dévoués d e tou t tem ps aux
en n em is de la Gaule, l’ in flu en ce rom a in e dom in ait déjà
sur la m oitié de la Transpadane.
Dans la Cispadane, les intrigues de R om e avaient
é c h o u é ; mais ses arm es poussaient avec activité, depuis
six ans, l’ asservissem ent des L igures de l’A pennin, et
n’ inquiétaient pas m oins la con féd ération b oïe n n e de
ce côté qu e du côté de l’Adriatique 3. Ces dangers de
jo u r en jo u r plus pressants, et ceu x dont le nouveau
partage était ven u subitem ent m en a cer la Gaule, justi­
fiaient les prévisions, ou tout au m oin s l’ h u m eu r gu er­
rière d ’At et de Gall. Les Boïes recon n u ren t leu r faute,
et travaillèrent à form er entre toutes les nations circu m -

1. Spécula populi romani. C ic., pro Fonteio.


2. Oî Kevojiàvot, 8ta7ipecrë£u(ja|uvwv ï ’ wij.auov, t o û t o i; e ïXo v t o c u y .-

P olyb ., I I , 23.
(ia j(e tv .

3. L iv., Epit., xx. — F lor,, n , 3. — O ros., iv, 12. — Zonar., vm .


padanes u n e ligue offensive et d éfen sive; mais les Vé-
nètes rejetèrent hautem ent la p rop osition d’ en faire
p artie; les Génom ans se m on trèren t tièdes et in certain s;
quant aux L igures, épuisés par u n e lon g u e guerre, ils
avaient besoin de rep os. Les B oïes et les Insubres res­
taient seuls. Ils furent d o n c contraints de recou rir à ces
m êm es Transalpins q u ’ils avaient si du rem en t chassés
quelques années auparavant. Au n om de la ligu e in su -
b ro-b oïen n e, ils envoyèrent des am bassadeurs à plu ­
sieurs des peuples établis sur le revers occidental et
septentrional des A lp e s 1, peuples auxquels les Gaulois
d ’Italie appliquaient la d én om in a tion collective de Gais-
d a 2, d’ où les R om ains avaient fait Gæsatæ. V oici quelles
étaient la sign ification et l’ orig in e de ce su rn om .
Les Gaulois d ’ Italie, dans le cou rs de trois siècles,
avaient adopté successivem ent u n e partie de l’arm ure
italienne, et p erfection n é leurs arm es nationales; m ais,
sur ce poin t, com m e sur tout le reste, leurs voisins des
vallées des Alpes n’avaient rien ch angé aux usages anti­
ques de leurs pères. A l’ exception du lo n g sabre de cuivre
ou de fer, sans pointe, et à un seul tranchant, le m onta­
gnard allob roge ou helvétien ne connaissait pas d’ autre
arm e que le vieu x gais ga lliqu e, don t il se servait d’ail­
leurs avec une grande h abileté; cette circon stan ce avait
fait d on n er, par les Cisalpins, aux bandes q u ’ ils tiraient
des m on ta g n es, le n om de gaisda, c’ est-à-dire arm ées
du gais. Plus ta rd , par extension et par a b u s , ce m ot
s’ em ploya p o u r désign er u ne trou p e soldée d’au delà
des A lp es, quelles que fussent sa tribu et son arm ure.

1. n p è t to ù; xctrà to; ’ A X t o i; x a ï to v PoSavèv TOTa|xèv x a T O t x o t m a ;..,


r a ïa à T o u ;. P o ly b . , il, 22.

2. Gaisde, en langue gaelique, signifie, encore aujourd’hui, armé.


C’ était l’acception q u ’ il portait du tem ps de P o ly b e , et
Gèsate ne signifiait plus dès lors q u ’ un soldat m erce­
naire
Nous ig n oron s auxquelles des tribus arm ées du gais
les députés cisalpins s’adressèrent; m ais rien ne fut épar­
gn é p o u r a ig u illon n er des h om m es sauvages et b elli­
q u eu x. Deux chefs ou rois, C o n co lita n 2 etA n éroëste, re­
çu ren t des présents considérables en argent, et de grandes
p rom esses p o u r l’avenir. Les am bassadeurs étaient char­
gés de rappeler aux Gésates qu e jadis une bande des­
cen d u e de leurs m on tagn es avait assisté les Senons au
sac et à l’ in cen d ie de Rom e, et o ccu p é sept m ois entiers
cette ville fam euse, ju sq u ’à ce qu e les R om ains olfrissent
de la racheter à p rix d’ o r ; q u ’ alors les Gaulois l’avaient
ren due, mais b én évolem en t, de leur plein gré, et étaient
rentrés dans leurs foyers, sans obstacle, joyeu sem en t, et
chargés de butin 3. « L’ expédition q u ’ ils venaient prop o-
« ser serait, ajoutaient-ils, bien plus facile et bien plus
« lu crative; plus facile, puisque la presque totalité des
« Gaulois cisalpins s’arm ait p o u r y p ren dre part; plus
« lucrative, parce qu e R om e, depuis ses anciens désas-
« très, avait amassé des richesses inestim ables. » L’ élo­
qu en ce des am bassadeurs eut tout le succès désiré; A m -
roëste et C oncolitan se m iren t en m a rch e ; « et jam ais,

1. P olyb., ii, 22. — Quod nomen non gentia, sed mercenarioruni


Gallorum est. O ros., iv, 12. La ressemblance du mot Gæsatæ avec le
m ot grec ou plutôt persan, Gaza, qui veut dire trésor, richesse, donna
Heu chez les Grecs à une étym ologie absurde ; ils transformèrent Gæsatæ
en Gazitœ et Gazetæ, qu’ils traduisaient par Chrysophoroi, qui portent
ou emportent de l’or, stipendiés, mercenaires. Voyez Étienne de Byzance
et Polybe lui-m êm e répété par Plutarque.
2. KoyxoXmxvoç xai ’Avy)poé<ro]ç. P olyb., loc. cit.
3. TéXoç £Ô£XovtI xai [j-sra ^àpito; Tiapaôovxeç t t j v 7t6Xtv, àôpavaroi xai
àaiveï; ë^ovre? ■rir» ùqpéXeiav, ei; r?|v oixeîav èTtavïjXOov. Id ., ub. sup.
« dit P olybe, arm ée plus belle et plus form id a b le n’ avait 231
« en core fran ch i les Alpes *. »
Le rendez-vous était sur les bords du P ô ; L in g o n s ,
B oïes, A nam ans , In su bres, s’y rassem blèrent de toutes
parts ; les Cénom ans seuls m an qu èrent à l’appel des na­
tions gauloises. Une députation du sénat rom ain les
avait déterm inés à je ter enfin le m a s q u e 2; ils s’ étaient
arm és, mais p o u r se réu n ir aux Vénètes et m en acer le
territoire insubrien de q u elqu e irruption durant l’ab­
sence des troupes nationales. Cette trahison obligea les
con fédérés à diviser leurs forces ; ils ne m irent en cam­
pagne qu e cinquante m ille h om m es d ’infanterie et vingt
m ille de cavalerie, le surplus restant p o u r la défense des
fo y e r s 3. L’ arm ée active fut partagée en deux corps : le
corps des Gésates, com m a n d é par les rois Anéroëste et
C oncolilan, et celui des C isalpins, com m a n d é par l’In-
subrien B rito m a r4.
A la nouvelle de ces préparatifs, dont les C énom ans 220
envoyaient à l’ en n em i le rapport tidèle, u n e frayeur gé­
nérale s’em para de B o m e , et le sénat fit con su lter les
livres sibyllins, ce qui ne se pratiquait que dans l’attente
de grandes calam ités publiques : ces livres, vendus au­
trefois au roi Tarquin l’A n c ie n , par la sibylle ou p ro -
phétesse A m a lth ée, étaient réputés con ten ir l’ histoire
des destinées de la république. Ils furent feuilletés avec
so in ; m ais, p ou r com b le d ’ épouvante, 011 y trouva une
p rop h étie qui sem blait a n n on cer que deu x fois les Gau-

1. P olyb,, n , 22.
2. Id., n , 23.
3 . A 10 x a i |AÉpo; t i TÎj; Suv àfiew ; xaTaXiTCEÏv ^vayttarcOYicrav ot fla'TiXeTç
■twv KeÀTÙ>v, 9 'j / a x r j; x®Ptv TŸjç y w p a ;. I d ., i b id .
Co nom parait signifier le grand Breton. Mor, en langue gaelique,
mawr, en cam brien, voulait dire grand.
lois pren draien t possession de R om e. Le sénat s’ em pressa
de con su lter le collèg e des prêtres sur le sens de cette
p rop h étie m enaçante : il lu i fut rép on d u qu e le m alheur
préd it pouvait être d étou rn é et l’oracle rem p li, si quel­
ques Gaulois étaient enterrés vifs dans l’en cein te des
m u ra illes; car, par ce m o y e n , ils prendraient possession
du sol de R om e. Soit superstition, soit politiqu e, le sénat
accu eillit cette absurde et atroce interprétation. Une
fosse m a çon n ée fut préparée dans le quartier le plus p o ­
pu leu x de la ville, au m ilieu du m arch é aux bœ ufs Là
fu ren t descendus, en grande p o m p e , avec l’appareil des
plus graves cérém on ies re lig ie u s e s, deu x G a u lo is , un
h o m m e et u ne fem m e, afin de représenter toute la ra ce;
p u is la p ierre fatale se referm a sur eu x. Mais les b o u r­
reaux eu rent p eu r des v ictim es; et p o u r apaiser, com m e
ils disaient, « leurs m ânes, » ils instituèrent un sacrifice
qu i se célébrait sur cette p ie rre , ch aqu e a n n é e , dans le
m ois de n ov em bre 2.
226 C ependant des levées générales s’organisaient dans
le centre et le m idi de la p resq u ’île, car les peuples ita­
liens croyaien t tous leur existence en péril. De toutes
parts on am enait à R o m e , co m m e dans le boulevard
co m m u n de l’Italie, des vivres et des arm es, et « l’on ne
« se souvenait p a s , dit un h istorien , d’ en avoir jam ais
« vu un tel a m a s3. » La rép u b liq u e fut b ien tôt en m e­
sure d ’ op p oser aux Gaulois sept cent soixan te-dix m ille
soldats, don t une partie fut can ton née dans les provin ces

1. In foro boario... in locum saxo conscptum . L iv., x x i i , 57.


2. Plut., in M arcell., 3. — Id ., Quæst. rom ., 83. — Dio Cass., ap.
Vales. — O ros., iv, 13. — Zonar., vin.
3. E Ito u 8 è x a i p é X w v x a l t t ) ? à / / . r ( ; è 7 t ix r )8 e i6 T Y )T O i; T t p è ç T T O / i a ^ v t ï ) ) a x a û -

ty jv ÈTtoirjffavro 7tapasxevr|v, r,),ixriv o ù S d ; » |M||jiovsûsi TtpÔTtpov. P olyb.,


ii, 23.
du centre. C inquante m ille h o m m e s , sous la conduite
d ’ un préteur, allèrent en Étrurie garder les passages de
l’A p en n in ; le con su l Æ m ilius P appus, avec u ne arm ée
con su laire, fut chargé de défendre la fron tière du Ru-
b ic o n ; le secon d con su l, Atilius R égulus, dut se rendre
d ’abord en Sardaigne, où quelques troubles l’appelaient,
pu is rejoin d re en Étrurie l ’arm ée de l’A pen n in ; e n fin ,
vin g t m ille C énom ans et Vénètes eu rent l’ordre de se
p orter dans l’ ancien pays se n o n a is , p o u r ren fo rce r les
légion s d’ Æ m ilius et in qu iéter la frontière b oïen n e
Sans s’effrayer de ces disp osition s, l’arm ée gauloise tra­
versa l’A pennin par des défilés q u i n ’ étaient p oin t gar­
dés, et parut in op in ém en t dans l’ Étrurie.
En mettant le pied sur le territoire e n n e m i, les rois 225
de l'arm ée g a u loise, C oncolitan, Anéroëste et Rritom ar,
ju rèren t solen n ellem en t à la tête de leurs tro u p e s, et
firent ju rer à leurs soldats, « q u ’ ils ne détacheraient pas
« leurs baudriers avant d’ être m on tés au Capitale; » et
ils priren t à grandes jo u rn ée s la rou te de R om e 2. Les
dévastations qu ’ ils exercèren t sur leu r passage furent ter­
rib les; ils em portaien t ju sq u ’aux m eu bles des m aison s;
ils traînaient après eux p ê le -m ê le les troupeaux et la
population p rison n ière , q u ’ ils faisaient m a rch er sous le
fou et. Rien ne les arrêtait, et l’arm ée rom ain e d’ Étrurie
les attendait en core aux passages septentrionaux de
l’ Apennin qu e déjà ils ravageaient le cœ u r du pays. Trois
jou rn ées à pein e les séparaient des m urs de Rom e, lors-

1. Toutou; 8’ Ê ta Ç o t v èrcl t ü >v 8p<>)V tv; ; ra X a d a ç, <!>ç &v è|iëaXôvTEç et;


x-fjv twv Boiwv x “ Pav> ivttwtpwncim toùç èÜeXïi)u06Ta;. P olyb., 1 1 , 24. —
Diod. Sic., xxv, 13. — L iv., Epit. xx. — Plut., in Marcell., 3. — Oros.,
«v, 13.
2- Non prius soluturos se baltca, quam Capitolium ascendissent, jura-
vorunt. F lor., h , 4.
225 qu ’ ils apprirent que le préteur, averti en fin , les suivait à
m arches forcées ; craignant de se laisser en ferm er entre
cette arm ée et la ville, ils firent volte-face, et s’avancè­
rent à leur tour au-devant du préteur. La ren con tre eut
lieu entre Arétium et Fésules, au co u ch e r du soleil ; les
Gaulois vinrent cam per en vue de l’ e n n e m i, et séparés
de lui seu lem en t par un intervalle étroit. A la nuit
pleine, ils allum èrent des fe u x , com m e p o u r bivoua­
q u e r; pu is ils firent défiler dans le plus grand silence
toute leu r infanterie du côté de F é su le s, où elle devait
s’arrêter et établir un secon d cam p, tandis que la cava­
lerie restait dans le p rem ier p ou r entretenir l’erreu r des
Rom ains. Au p oin t du jo u r , l’ erreu r se dissipa : les tentes
gauloises avaient disparu, et les cavaliers m ontant à che­
val disparurent bien tôt à leur tour, mais en laissant aux
Rom ains le tem ps de s’arm er et de les suivre. De p ro ch e
en p ro ch e , le préteur s’ avan ça, attiré par la retraite si­
m ulée de l’ en n em i et par l’ esp oir d ’avoir b on m arché de
ces fuyards; il apercevait déjà Fésules dans le lo in ta in ,
quand l’infanterie gauloise, reposée et en b on o rd re, se
m ontra et fon dit sur les légions. La victoire ne fut pas
un instant dou teu se; faisant retraite à son tour, le préteur
parvint à grand’p ein e à gagner une collin e où il se re­
tran ch a, laissant derrière lui six m ille m orts dans la
plaine. Les Gaulois son gèren t d’ abord à le fo rce r dans
son ca m p ; mais la jo u rn é e avait été ru d e, la nuit appro­
chait, ils se contentèrent de pla cer en observation une
partie de leur cavalerie, et allèrent d o r m i r 1.
Cependant le consul Æ m iliu s, q u i , sur les in form a­
tions qu’ il avait reçues, venait de passer l’A pen n in , ar­
riva fort à propos à Fésules dans la nuit m êm e qui sui-

1. P olyb., n , 25. — Diod. Sic., xxy, 13.


vit ce co m b a t, et vint cam p er près de la collin e où le
préteu r était retranché. A la vue des feu x allum és dans
le cam p du c o n s u l, celu i-ci devina b ien ce que la for­
tune lu i envoyait et reprit cou rage. Il parvint m ôm e à
com m u n iq u er, par le m oyen d’ une forêt qui longeait le
pied de la collin e, et dont la cavalerie gauloise intercep­
tait mal l’ap p roch e. Le con su l p rom it au préteu r de le
d éb loq u er dès le p oin t du jo u r ; il passa la nuit en pré­
paratifs de com b a t; et le soleil était à p ein e levé q u ’il
partit à la tête de sa cavalerie, tandis qu e l’ infanterie le
suivait en b o n ordre.
Mais les Gaulois aussi avaient rem arqu é les bivouacs
du con su l, et con jectu ré ce qu e ces feu x signifiaient : ils
avaient tenu conseil. A néroëste leu r avait rem on tré « que,
« possesseurs d’ un aussi rich e butin, ils ne devaient pas
« s’exp oser au hasard d’ une bataille q u i pouvait le leur
« en lever tout en tier; q u ’ il valait b ea u cou p m ieu x re-
« tou rn er sur les rives du P ô , y m ettre ce butin en sû-
« r e t é , et reven ir ensuite se m esu rer avec les Rom ains ;
« que la guerre en serait plus facile et m oin s ch an-
« ceuse *. » La plupart des chefs se rangèrent à cet avis;
et tandis que l’ arm ée d'Æ m ilius se portait vers la colline
p ou r faire sa jo n ctio n avec le p r é te u r , par un m ou ve­
m en t con traire, l’ arm ée gauloise se dirigea vers la m er
p ou r gagn er de là la L igu rie; m ais les chariots de ba­
gage, les trou peau x et le grand n om b re de captifs q u ’elle
traînait avec elle em barrassaient beau cou p sa m arche.
Æ m ilius pu t d o n c la rejoin d re aisém ent. Sans ch er­
ch er u n e action décisive qu e d’ ailleurs les Gaulois élu -

1. O l ; ’A vrjpoecmr); ô pa<rtXsù; yvcopnriv elfféçepe Xéytov, frrt ôet xoaaÜTyj;


XeCa; è*pcpaT£t; y e y o v o x a ; ( tjv y à p , d ); èotxe, x a l to ta>v <7a>[i.àTü>v uX^Oo; xat
exi 8e tyj; à7ro<7X£urj; r); e fy o v , à(xuOY)xov). A tou ep ëçr) ôeïv
xtvôuveû£lv ëxt, (iTjÔe TiapaêàXXeaôai toÏ ; Ô X ot;... P o ly b ., il, 26.
225 daient avec soin, il se contenta de les h a r c e le r , épiant
l’occasion de les surprendre et de leur enlever quelque
p ortion de leur butin. Les m arch es et les con tre-m ar­
ches auxquelles la p ou rsuite du con su l les o b lig e a , les
firent dévier de la d irection qu’ ils s’ étaient p ro p o sé e , et
les jetèrent fort avant vers le m idi de l’ Étrurie. Ils n’at­
teignirent guère le littoral q u ’à la hauteur du cap Té-
la m o n 1.
Le hasard vou lu t que, dans ce te m p s -là m ê m e , le
secon d con su l Atilius R égu lus, après avoir étouffé les
troubles de la Sardaigne, vînt débarquer à Pise. In form é
que les Gaulois avaient passé l’A p e n n in , il se porta en
toute hâte du côté de Rom e, en lon gean t la m er d’ Étru-
rie , de m anière q u ’il m archait, sans le savoir, au-devant
de l’ en n em i. Ce fut dans le voisin age de Télam on que
qu elqu es cavaliers de la tête de l’ arm ée gauloise d on ­
nèrent dans l’avant-garde ro m a in e ; pris et con duits de­
vant le con su l, ils racon tèren t le com bat de Fésules, leur
position actuelle et celle d’ Æ m ilius. R égulus alors, c o m p ­
tant sur une victoire infaillible, com m anda à ses tribuns
de d on n er au fron t de son arm ée autant d ’étendue que
le terrain p ou rrait le p erm ettre, et de con tin u er tran­
qu illem en t la m a rch e ; lu i-m ê m e , à la tête de sa cava­
lerie, cou ru t s’ em parer d’ une ém in en ce q u i d om inait la
rou te. Les Gaulois étaient loin de s o u p ço n n e r ce qu i se
passait ; à la vue des cavaliers qu i occu p aien t la hauteur,
ils cru ren t seulem ent qu e L. Æ m ilius, pendant la n u it,
les avait fait tou rn er par une division de ses trou p es, et
ils envoyèrent quelques corp s de cavalerie et d’ infanterie
p ou r le d ébu squer de la p osition . L eur erreu r ne fut pas
lo n g u e ; instruits à leu r tou r par un p rison n ier rom ain

i . P olyb., n , 26, 27.


j i i véritable état des choses, ils se préparèrent à faire 225
face aux deux arm ées en nem ies à la fois. Æ m ilius avait
bien ouï parler du d ébarqu em en t des légion s d’Atilius,
mais il ign orait qu’ elles fussent si p roch e, et il n’ eut la
plein e connaissance du secours qu i lu i arrivait que par
le com bat en gagé p o u r l’occu p a tion du m on ticu le. Il en­
voya alors de la cavalerie vers ce poin t, et m archa avec
ses légion s sur l’arrière-garde g a u lo is e *.
E nferm és ainsi, sans possibilité de faire retraite, les
Gaulois don n èren t à leur ligne un d ou b le front. Les
Gésates et les Insubres, qui com posaient l’arrière-garde,
firent face au con su l Æ m iliu s; les troupes de la con fé­
dération b oïe n n e et les Tauriskes, à l’autre con su l : les
chariots de gu erre priren t place aux deux ailes, et le
bu tin fut porté sur une m on tagn e voisine gardée par un
fort détachem ent. Les Insubres et les Boïes étaient vêtus
seulem ent de braies ou de saies légères 2; m ais, soit par
bravade, soit par un p oin t d’h o n n e u r bizarre, les Gésates
m irent bas tou t vêtem ent, et se placèrent nus au pre­
m ier rang, n ’ayant que leurs arm es offensives, et leur
b o u c lie r 3. Durant ces apprêts, le com bat c o m m e n cé sur
la collin e devenait plus vif d’instant en ins tant, et com m e
la cavalerie, en voyée de côté et d’ autre était nom breu se,
les trois arm ées pouvaient en suivre les m ouvem ents.
Le con su l Atilius y p érit; et sa tête, séparée du tron c,
fut portée par un cavalier aux rois g a u lo is4. Cependant

1. P olyb., n , 27.
2. Ol (ièv ouv ’ I< j 0 |j.ëp0 i x a l Roiol T a ? à v a ? v p !6 a ; êx0VTE? xa'1T°ù? eÙTCexeï;
Id., I I , 28.
tü>v <rav£i>v Ttepi aù x o ù ç è ^ T a Ç o v .

3. Ot 8è I’aiaaTai Stac xe TY]v çiXoSoSîav xai to Oàprro; Taux’ àiro(5-


f!<|/avxeç, yup-voi |a e x ’ aùxüv xüv SttXwv npûxoi TÎjc Suvâ|ieto{ xaT£cmi<iav.
Id ., ibid.
4. Id., ibid. — O ros., iv, 13.
225 la cavalerie rom ain e ne se décou ragea p oin t et dem eura
maîtresse du poste. Æ m ilius fit avancer alors son infan­
terie, et le com bat s’engagea sur tous les points. Un m o ­
m ent, l’aspect des rangs en n em is et le tum ulte qui s’ en
échappait frappèrent les R om ains de terreur : « car, dit
« un h istorien , outre les trom pettes qui s’y trouvaient en
« grand n om b re, et faisaient un b ru it con tin u , il s’ éleva
« tout à cou p un tel co n ce rt de h urlem ents, que n o n -
« seulem ent les h o m m e s et les instrum ents de m usique,
« mais la terre m êm e et les lieu x d’alentour sem blèrent
« à l’envi pou sser des cris. Il y avait e n core quelque chose
« de bizarre et d’ effrayant dans la con ten ance et les gestes
« de ces corps én orm es et v ig ou reu x qui se m on traient
« aux prem iers rangs sans autre vêtem ent qu e leurs ar-
« m es; on n’ en voyait aucun q u i ne fût paré de chaînes,
« de colliers et de bracelets d’ or. Et si ce spectacle excita
« d’abord l’étonnernent des Rom ains, il excita b ien plus
« leur cupidité et les a igu illon n a à payer de cou rage
« p o u r se ren d re m aîtres d’ un pareil butin 1. »
Les archers des deu x arm ées rom aines s’avancèrent
d’ abord, et firent p leu v oir une grêle de traits. Garantis
un peu par leurs vêtem ents, les Cisalpins soutinrent
assez bien la d éch a rg e ; il n ’en fut pas de m êm e des
Gésates, qui étaient nus, et qu e leur étroit b o u clie r ne
p rotégeait qu ’ im parfaitem ent. Les uns, transportés de
rage, se précipitaient hors des rangs, p o u r aller saisir
corp s à corps les archers rom a in s; les autres rom p aient
la seconde ligne, form ée par les Insubres, et se m ettaient
à l’abri derrière elle. Quand les arch ers se fu ren t retirés,

i. npàç â pX É T tovis; ol Pw[j.aïot Ta (Jtèv èÊenXi'iTTOVTO, Ta 8’ Û7tà toü


X u d iT eX oû ç èXiuSoç àf<>|J.£voi SiitXaaîwi ua pw ip jv ov T O 7 tp è ; t 6 v x £ v § v v o v . Polyb.,
u, 29.
les légions arrivèrent au pas de ch a rg e ; reçues à grands 225
cou p s de sabre, elles ne pu rent jam ais entam er les lignes
gauloises. Le com bat fut lo n g et acharné, q u oiq u e les
Gésates, criblés de blessures, eussent perdu beau coup de
leurs forces. Enfin la cavalerie rom a in e, descendant de
la collin e, vint attaquer à l’im proviste une des ailes en­
nem ies, et décida la v icto ire ; quarante m ille Gaulois
restèrent sur la p la ce ; dix m ille furent pris. L’histoire
leu r rend cette ju stice, q u ’à égalité d ’arm es, ils n ’eus­
sent p oin t été v a in c u s 1. En effet leur b o u clie r leur était
presque inutile, et leu r épée, qui ne frappait que de
taille, était de si m auvaise trem pe, que le p rem ier cou p
la faisait p lier; et, tandis que les soldats gaulois per­
daient le tem ps à la redresser avec le pied, les Rom ains
les égorgeaien t *. Le roi C oncolitan fut fait p riso n n ier;
A néroëste, voyant la bataille perdu e, se retira dans un
lieu écarté avec les am is dévoués à sa fortun e, les tua
d’ abord de sa m ain, puis se cou pa la g org e 3. On ne sait
ce que devint Britom ar.
Le con su l Æ m iliu s fit ram asser les d épouilles des
Gaulois et les envoya à R om e ; quant au butin que ceu x-
ci avaient en levé dans l’ Étrurie, il le rendit aux habi­
tants. II con tin u a sa m arche ju sq u ’au territoire boïen ,
d on t il livra une partie au p illa g e ; après q u o i il retourna
à liom e. 11 y fut reçu avec d’autant plus de jo ie qu e la
frayeur avait été plus vive. Le sénat lui d écern a le trio m ­
p h e ; et C oncolitan, ainsi que les plus illustres captifs

P olyb., 1 1 , 3 0 .
2. I d .. 11 , 30, 31.
3 . 'O 8’ £repoç aÙTwv ((ia ffiX E v ;) ’A v ï)poé< m ); e t; Tiva tottov <nj|içvy<î>v
ôXiyw v, 7tpotrrivEYxE r à ; x E Ïp a ; aÛTÜ y.ai x o î ; à v a f x a t o i ; . Id ., ibid. —
••• Tov (jléykjtov aùt/àv pœaiXeoi iavixoù Oepiuai tôv Tpây_iÿ.ov.„ Diod. Sic..
Xxv, 13.
gaulois, furent traînés devant son char, revêtus de leurs
baudriers, « p o u r a ccom p lir, dit un historien, le vœu
« solennel qu’ ils avaient fait de ne p oin t déposer le bau-
« drier, qu’ ils ne fussent m on tés au C a pita le4. » Les en ­
seignes, les colliers et les bracelets d’ o r con q u is sur les
vaincus furent suspendus par le triom ph ateu r dans le
tem ple de Jupiter.
P ou r m ettre à profit sa victoire, la rép u b liq u e envoya
im m édiatem ent dans la Cispadane les deux consuls n ou ­
vellem ent n o m m é s, Q. Fulvius et T. Manlius. La con fé­
dération b oïen n e d écou ragée n’ était plus en état de ré­
sister : les Anam ans, les p rem iers, se sou m iren t, et leur
exem p le entraîna les L in gon s et les Boïes. Ils livrèrent
des otages, et plusieurs de leurs villes, entre autres Mu­
tine, Tanète et cia stid iu m , reçu ren t des garnisons e n ­
nem ies.
L’an née 223 fut célèbre dans les annales rom aines
p ou r avoir vu les enseignes de la rép u b liq u e fra n ch ir le
P ô , et flotter sur le territoire in su b rie n ; ce furent les
consuls L. Furius et C. Flam inius qui effectuèrent ce
passage, près de l’e m b o u ch u re de l’Adda. Les A n am an s,
nouveaux am is de R om e , avaient ouvert le ch em in et
d im in u é les difficultés du p a ssa g e2. N éanm oins l’im pé­
tuosité tém éraire de F lam inius occasion n a de grandes
pertes aux légion s. Au delà du P ô, les co n su ls, assaillis
bru squ em en t tandis q u ’ils faisaient retran ch er leur cam p,
éprou vèrent un nouveau revers; leurs m eilleures troupes
périren t ou dans ce com bat, ou dans la traversée du
fle u v e 3. Affaiblis et h u m iliés, ils furent contraints de de-

1. Victos Ætnilius in Capitolio discinxit. Flor., n , 4.


2 . P olyb., h, 32.
3. Aaëôvxe; TrXrjyà; TOp£ T£ 8iâ6airtv xai Ttspi t^v <jrpaT07te8s£av...
Id ., ibid.
m ander la p a ix ; et après quelques n ég ocia tion s, ils si- 223
gn èren t un traité en vertu duquel il leur fut perm is de
sortir sains et saul's du territoire in su brien *. Flam inius
et son collègu e se retirèrent chez les C énom ans, où ils
passèrent quelque tem ps à faire reposer leurs soldats;
lorsq u ’ils se virent en état de ten ir la cam p agn e, ils p ri­
rent avec eu x u n e forte division de Cénom ans ; e t, de
con cert avec ces traîtres, Flam inius se m it à saccager
les villes de l’ In su brie et à égorger la p opulation q u i,
sur la foi du traité, avait m is bas les arm es et s’ était dis­
persée dans les cham ps *.
Une si criante p erfidie révolta le peuple in su b rien ; il
se prépara aux dern iers efforts. P ou r d éclarer que la
patrie était en p é ril, et que la lutte qu i s’engageait était
u n e lutte à m o r t , les chefs se rendirent en p o m p e au
tem ple de la déesse de la guerre 3, et d ép loyèren t cer­
taines en seignes con sa crées, q u i n ’ en sortaient jam ais
qu e dans les grandes calam ités nationales; on les sur­
n om m ait, p o u r cette ra ison , les immobiles; elles étaient
fabriquées de l’ or le plus fin 4. Dès que les immobiles
flottèrent au vent, la pop ulation a ccou ru t en arm es; au
b o u t de p eu de jo u r s , cinquante m ille h om m es furent
réu n is; mais ils n ’ étaient pas organisés, q u ’il fallut déjà
livrer bataille.
Le sénat approuvait com p lètem en t la h onteuse guerre

1. Zmisânsvot xaO’ ô^oXofCav èXuaav èx t ô >v t o t im v . P olyb., n, 32.


2. Id., ibid.
3. Polybe lui donne le nom grec de Minerve,i ’AOrjvâ; on croit qu’elle
P°ruùt dans les idiomes gaulois celui de Duddig ou liuadhach, que les
lo m ains orthographiaient Doadicea.
*■ ~u v3L9jj0[ao,VTCç ouv ànian i êiti Taù tàv, x a i Taç x p u ffîç <ni|ia!a; tà ç
ttxtv7)T0u; Xeyop.£va; xaTÉy_ovT£; èx toü tŸ); ’A Orivâ; iepoü x a i T â U a Ttapa-
K'jst'rànEvoi SeovTtu;... P o ly b . , u b. su pr.
223 qui se faisait dans la T ranspadane, et la perfidie de
F lam iniu s; toutefois ce con su l lui était p erson nellem en t
od ieu x, com m e ayant p rovoq u é le partage des terres se-
n on aises, et il eût vou lu lui enlever la gloire d’ ajouter
u ne p rovin ce à la rép u b liq u e. Dans ce b u t, il fit parler
les dieux, et épouvanta le peu ple par des p rod iges. Le
b ru it cou ru t que trois lunes avaient paru au-dessus d’Ari-
m inu rn , et q u ’ un des fleuves senonais avait rou lé ses
eaux teintes de s a n g 1. On consulta là-dessus les augures,
et la n om in ation des con su ls fut re co n n u e illégale. Le
sénat leur envoya im m éd iatem en t l’ ord re de se dém ettre
et de reven ir à R o m e , sans rien en trep ren d re con tre
l’en n em i. Mais F la m in iu s, in form é par ses partisans
q u ’il se tram ait con tre lu i q u elqu e ch o s e , so u p çon n a le
con ten u de la d ép êch e, et résolut de ne l’ ou vrir qu’ après
avoir tenté la fortun e. Ayant fait partager ce dessein à
son collègu e, ils pressèrent leurs préparatifs de bataille.
Les deu x arm ées se trouvaient alors en p résen ce sur les
•bords du Pô 2.
C ertes, depuis le co m m e n ce m e n t de la g u e rre , les
C énom ans, par leu r trahison, avaient ren d u aux Rom ains
d’assez grands services, et s’ étaient assez co m p ro m is aux
yeux de leurs frères, p o u r que les consuls pussent se fier
à eu x dans le com bat qui allait se livrer. C e u x -c i p ou r­
tant, on ne sait sur qu el s o u p ç o n , en ju g è re n t autre­
m ent. Ils envoyèrent la division cén om a n e de l’autre
côté du fleuve, sous prétexte de garder la tête d ’ un p on t
qu i le traversait dans cet en droit, et de servir de réserve
aux lég ion s; mais à p ein e eut-elle tou ch é l’autre rive, que

1 . 'O iO yj ijiv cci'iAceti fÉwv ô Stà tt, ; TlixïiviSoç y w p a ; 7t0TO(/.àî, 34


Tpetç e7E).riva; çavÿ|vat irspî TtôXiv ’A p iju v o v . P lut., in M arcell., 4.
2. Id., i b i d . — Oros., IV , 13.
Flam inius fit cou p er le pon t. L’ arm ée rom a in e, adossée au
au fleuve, se trouva par là dans l’alternative de vaincre
ou d être a n é a n tie , puisque son u niqu e m oyen de rc*
traite était détru it; mais F lam inius jou a it le tout p ou r U
t o u t 1. Ce fut le gén ie de ses tribuns qui le sauva. Ayant
rem arqué dans les précéden ts com bats l’ im p erfection et
la mauvaise trem pe des sabres g a u lois, q u ’ un ou deux
cou p s suffisaient p ou r m ettre hors de serv ice, ils distri­
bu èrent au p rem ier rang des légions ces lon gu es piques
ou hastes qu i étaient l’ arm e ord in aire du troisièm e, et
firent ch arger d’abord à la pointe des hastes. Les Insu­
b r e s , qu i n ’avaient que leu r sabre p o u r d étou rn er les
cou p s, l’ eu rent bien tôt é b réch é et faussé*. A ce m o ­
m en t, les R om ain s, jetant bas les p iq u e s , tirèrent leur
ép ée affilée et à deu x tranchants, et frappèren t de poin te
la p oitrin e et le visage de leurs en n em is désarm és. Huit
m ille Insubres furent tu és, seize m ille furent faits pri­
son n iers. Flam inius ou vrit alors les dép êch es du sén at,
et prit la route de R om e, avec une gran de v ictoire p o u r
sa ju stification . M. Cl. Marcellus et Cn. C ornélius furent
ch oisis p o u r con tin u er la g u e rre , dès le prin tem ps sui­
van t, en qualité de c o n s u ls 3.
Les Insubres m iren t à profit le rep os de l’h iv er, en 22a
fortifiant leurs v illes, et faisant ven ir des auxiliaires
transalpins; le roi V ir d u m a r 4 leu r am ena trente m ille
Gésates. Aussitôt qu e la saison le p e r m it, les consuls

*• P olyb., II, 32. I


Id-, h , 33, 34.
__F' I U)id. — P lut., in M arcell., 0. — Flor., il, 4. — O ros., IV, 13.
*M- Capitol.
( fa
verdliamar \ *lo m m o î verdha ( feardha), brave; mor, mar, grand;
form es • r .v i ' aVe et grand. On trouve en latin ce mot sous les deux
• ' " ‘' “ "m r tts e t Viridamarut.
222 passèrent le P ô , et vin ren t assiéger Acerres, b o u rg situé
au con flu en t de l’Adda et de l’ Humatia. Les Insubres ne
s’ étaient p oin t attendus que les hostilités co m m e n ce ­
raient de ce cô té ; de sorte qu e les assiégeants eurent
tout le tem ps de se retran ch er dans u n e p osition im ­
prenable , où l’arm ée in su b rien n e n ’ osa pas les attaquer.
P ou r les attirer sur un terrain plus é g a l, V irdum ar, pre­
nant avec lui dix m ille de ses Gésates, presqu e tous ca­
valiers, traversa le P ô , et tom ba sur le territoire des
A nam ans, q u i, cette fo is, co m m e dans la précéden te
cam pagne, avaient livré passage aux con su ls; leurs terres
fu ren t saccagées sur plusieurs lieues d ’éten d u e; et Vir­
du m ar enfin investit Glastidium, que les Anam ans avaient
céd é à la rép u b liq u e, et don t celle-ci avait fait u n e place
d’ arm es. Cette diversion obligea les Rom ains de diviser
aussi leurs forces. S cipion fut laissé devant Acerres avec
le tiers de la cavalerie et la presque totalité de l’infante­
rie. M arcellus, à la tète de la cavalerie restante et de six
cents h om m es d’ infanterie lé g è re , se porta sur Clasti-
d iu m à m arch e forcée. Les Gaulois n e lui laissèrent pas
le tem ps de se rep oser; voyant le petit n om bre de ses
fantassins, et ne tenant pas grand com pte de sa cava­
lerie, « parce que, dit un historien , habiles cavaliers eu x-
« m ôm es, ils se croyaient la supériorité de l’adresse,
« com m e ils avaient celle du n o m b r e 1, » ils vou lu ren t
en ven ir aux m ains su r-le-ch a m p .'
M arceüus craignait d ’être débordé, à cause de son peu
de trou p es; il étendit le plus q u ’il pu t ses ailes de cava­
lerie, ju squ ’ à ce qu’ elles présentassent un fron t à peu
près égal à celu i de l’en n em i. P endant ces évolutions, le

1. KpàxKTTot yàp ôvtîî; \tziko\


lw/jXv, xat {j.àXiora toOtw 8ia<pép£iv Soxoûv-
T î;, tots xai 7v).yj0st noXv xôv MàpxeXXov vKîpéêMov. P lu t , in M arcell., 6.
clieval q u ’ il montait,, effrayé par les cris et les gestes m e­
naçants des Gaulois, tourna co u rt, em portant le con su l
m algré lu i. Dans u n e arm ée aussi superstitieuse que
1 année ro m a in e , u n tel a ccid en t pouvait être pris à
m auvais présage, et glacer la con fia n ce du soldat; Mar-
cellus s’ en tira avec u n e présen ce d’esprit rem arquable.
Comme si ce m ou vem en t eût été volontaire, il fit ache­
ver à son cheval le cercle co m m e n cé , et, revenant sur
lu i-m êm e, il adora le s o le il1; car c’ était là, chez les Ro­
m ains, u n e des cérém on ies de l’adoration des dieux. Il
voua aussi solen n ellem en t à Jupiter F ereiriu s2 les plus
beîles arm es qui seraient con qu ises sur l’ en n em i. Au
m om en t où il faisait ce vœ u, V irdum ar, placé au fron t
de la lig n e gauloise, l’a p erçu t; ju gean t, par le m anteau
écarlate et par les autres signes distinctifs du com m a n ­
d em en t su p rêm e, qu e c’était le co n s u l, il poussa son
cheval dans l’intervalle des deu x arm ées, et, brandissant
un gais lo n g et pesant, il le provoqu a au com bat singu­
lier. « Ce r o i, dit le b iog ra p h e de Marcellus, était de
« haute stature, dépassant m êm e tous les autres Gaulois.
« Il était revêtu d ’arm es en rich ies d’ or et d’argent, et
« rehaussées de p ou rp re et de cou leu rs si vives, qu’ il
« éblouissait com m e l’é c la ir 3. »
Frappé de ce spectacle, le consul parcou rut des yeux
le fron t de l'arm ée en n em ie, et, n ’y trouvant pas d’arm es

1- Tèv "H).tov apôtrexOvrjffe. P Iu t.,in Marcell., 6. — Frontin., Stratag.J


i v , 5.

2. Feretrius a feriendo : le dieu qui frappe ou qui fait frapper. P lut.,


R°ro u lo , 1 6 ; in M arcell., 8. — Omine qund certo dux ferit ense
n 'i r ”1' P r° I’ ert-> Ivi v. 46. — Vel a ferendo, quod ei spolia opima affe-
3 " '* ^ercu'° ve^ fcretro gesta. L iv., 1 , 10.
- 1 'X' V -:ér^ ’. te utàiiaTo; ê$oyo; TaXaTwv, xai TtavoîïÀi'a èv àpyûpii) xai
ZP'jgw xai Ba~aï> - - ’ 1 «
P lu t in M a r 11 XKt ,r o t x ^ ! Aa(Ttv> à<TTpa 7trj Siatyépw v ffT t/ ë o u a a ,
m plus belles : « Ce son t bien là, d it-il, les dépouilles que
« j ’ai vouées à Jupiter. » En disant ces m ots, il part à
toute brid e, frappe de sa lance le Gaulois, qui n’ était
p oin t en core sur ses gardes, le renverse, lu i porte un
secon d, un troisièm e cou p , et m et p ied à terre p o u r le
dép ouiller. « Jupiter! s’ écria-t-il alors, en élevant dans
« ses bras les arm es ensanglantées, toi qui con tem ples
« et diriges les grands exploits des chefs de guerre au
« m ilieu des batailles, je te prends à tém oin qu e je suis
« le troisièm e général q u i, ayant tué de sa p ro p re m ain
« le général en n em i, t’a con sacré ses d ép ou illes opim es
« A ccord e-m oi d o n c, dieu puissant, u ne fortun e sein
« blable dans tou t le cou rs de cette g u erre '. » 11 avait à
p ein e achevé que la cavalerie rom a in e chargea la ligne
gauloise, oii la cavalerie et l’ infanterie étaient en trem ê­
lées en sem ble. Le com b a t fut lo n g et acharné, mais la
victoire resta au con su l. B eaucoup de Gésates périrent
dans l’ a ction ; les autres se d isp e rsè re n t4.
De Clastidium, M arcellus se reporta sur Acerres. Du­
rant son absence, la garnison d’Acerres, après avoir aban­
d on n é cette ville, s’ était repliée sur M ediolanum , capitale
et la plus forte place de l’ Insubrie. Le con su l S cip ion l’y
avait suivie, mais les Gaulois s’ étaient con duits avec tant
de bravou re, que, d ’assiégés, ils s’ étaient ren dus assié­
geants, et bloqu aien t les légions dans leur cam p. A l’ar­
rivée de Marcellus, les choses ch a ngèren t. Les Gésates,
décou ragés par la défaite de leurs frères et la m ort de leur
r o i, vou lu ren t à toute fo rce retou rn er dans leur pays.
Réduite à ses seules ressources, M ediolanum su ccom ba, el

1. Plut., in M arcell., 7.
2. P olyb., n , 34. — Plut., in M arcell., 7. — Liv., Epit., xx. — Flor.,
n , 4. — O ros., iv, 13. — Val. Max., m , 2. — Virg., Æ n., v i, v. 855
et seqq.
lesln su b res furent bien tôt contraints d’ ou vrir toutes leurs 222
autres places. La rép u b liq u e leu r im posa u n e in dem n ité
con sidérable en argent, et confisqua plusieurs portions de
leu r territoire, afin d’y établir des c o lo n ie s 1. Marcellus
fut reçu avec enthousiasm e par le peu ple et par le sénat,
et la cérém on ie de son triom p h e fut la plus brillante
q u ’ on eût en core vue dans Rom e.
Le triom p h e, com m e on sait, était chez les Rom ains
le plu s grand de tous les h on n eu rs m ilitaires ; il consis­
tait en une m arche solen n elle du général vainqueur et
de son arm ée au tem ple de Jupiter Capitolin. Rom ulus,
fondateur et p rem ier ro i de R om e, en avait institué
l’ usage en p rom en an t sur ses épaules, à travers les rues
de sa ville naissante, les arm es et les vêtem ents de l’ en­
n em i qu ’il avait terra ssés. L orsque le général en ch ef
de l’arm ée rom a in e, com m e avait fait Rom ulus, tuait de
sa p rop re m ain le général en c h e f de l’arm ée en n em ie,
cette circon stan ce rehaussait l’éclat de la solennité, et
les dépouilles con quises p ren aien t le n om de dépouilles
op im es3. Dans la série presque in n om b ra b le des triom ­
phes décern és par la rép u bliqu e, elle ne s’ était e n core
présentée que deu x fois ; tout ce qu e l’appareil des fêles
rom aines avait de plus m agn ifiqu e fut d o n c déployé p ou r
céléb rer la victoire de Claudius M arcellus, troisièm e
triomphateur op im e4.
Le cortège partit du Champ-de-Mars, se dirigeant par
lu voie des T riom p h es et par les prin cipales places, p ou r
b(‘ ren dre au Capitole : les rues q u ’il devait traverser

P o l y b . , il 34. — Plut., in M arcel!., 7.


.Dion- Haï., h .
■ 1 polia epima (ab ope vcl opibus). Feslus. — Liv., iv, 20.
«t-, loc. cit. — L iv., Epit., \\. — Virg., Æ n., VI, v. 859. —
rrop ert., iv, 2 .
étaient jon ch ées de fleu rs; l’ en cens fum ait de tout c ô t é ';
la m arch e était ouverte par u n e trou pe de m usicien s qui
chantaient des h ym n es guerriers, et jou a ien t de toute
sorte d’ instrum ents. Après eu x s’avancaient les bœufs
destinés au sacrifice : leurs corn es étaient dorées, leurs
têtes orn ées de tresses et de gu irla n d es; suivaient, en­
tassés dans des chariots rangés en lon gu es files, les arm es
et les vêtem ents gaulois, ainsi que le butin provenant
du pillage des villes boïen n es et in s u b r ie n n e s 2; puis les
captifs de d istin ction , vêtus de la braie et de la saie, et
chargés de chaînes : leu r haute stature, leur figure mar­
tiale et fière, attirèrent lon gtem ps les regards de la m u l­
titude rom a in e. Derrière les captifs m archaient un pan­
tom im e habillé en fem m e et une troupe de satyres, dont
les regards, les gestes, les chants, la brutale gaieté, insul­
taient sans relâche à leur d ou leu r. Plus loin, au m ilieu
de la fu m ée des parfum s, paraissait le triom phateur
traîné sur un char à quatre chevaux. II avait p o u r vête­
m ent u n e robe de p ou rp re brod ée d’ o r ; son visage était
peint de v erm illon co m m e les statues des dieu x, et sa
tête cou ron n ée de la u r ie r 3. « Mais ce qu’ il y eut, dans
« toute cette p om p e, de plus superbe et de plus nouveau,
n dit le biogra p h e de M arcellus, ce fut de v oir le consul
« portant lu i-m êm e l’arm u re de V ird u m a r; ca r il avait
« fait tailler exprès u n grand tron c de ch êne, autour
« d u quel il avait ajusté le casque, la cuirasse et la tu n i-
« que du roi b a rb a r e 4. » L’épaule ch argée de ce trophée

1. Ovid., Trist., iv, 2, 4.


2. L iv., xx xm , 24 ; xxxvm , 5, 8 ; x xxix, 5, 7 ; x l, 43; x l v , 40. —
Virg., Æ n., v m , v. 720.
3. L iv., il, 47 ; x, 8. — Dion. lia i., v, 47. — P lin., xv, 30; v , 39. —
Plut,, in Æ m il., 32 et seqq.
4. P lut., in M arcell., 7.
q u i présentait la figure d ’un géant arm é, Marcellus Ira- 22a
versa la ville. Ses soldats, cavaliers et fantassins, se pres­
saient autour et à la suite de son char, chantant des
hym nes com p osés p o u r la fête, et poussant, par inter­
valles, le cri de : Triomphe! triomphe ! qu e répétait à l’ envi
la fou le des spectateurs.
Dès qu e le ch ar triom ph al com m en ça à tou rn er du
Forum vers le Capitole, Marcellus fit un signe, et l’ élite
des captifs g a u l o i s fut con duite dans une prison , où des
bou rreaux étaient apostés et des haches p ré p a ré e s1; puis
le cortège, suivant la cou tu m e, alla attendre au Capitole,
dans le tem ple de Jupiter, q u ’ un licteu r apportât la n ou ­
velle « que les barbares avaient v é c u 2.» Alors Marcellus en ­
tonna l’ h ym n e d ’action de grâces, e tle sacrifice s’acheva.
Avant de quitter le Capitole, le triom ph ateu r planta, de
ses mains, son troph ée dans l’ en cein te du tem ple, dont
il avait fait creuser le pavé 3. Le reste du jo u r se passa
en réjouissances, en festins; et le len dem ain, peut-être,
quelque orateur du sénat ou du peu ple recom m en ça les
déclam ations d’ usage con tre cette race gauloise qu’ il
fallait exterm in er, parce q u ’elle égorgeait ses prison n iers,
et q u ’elle offrait à ses dieux le sang des h om m es.

1. C ic., in V err., v, 30. — L iv., xxxvi, 13. — Dio Cass., xl, 41;
x u ii ,19.
2. Joseph., Bell. Jud., vu. 24.
3. Plut., in Marcell., 7.
CHAPITRE II.

G aulk c is a lp in e . A llia n c e d e s G a u lo is a v e c A n n ib a l.— L e s R o m a in s e n v o ie n t


d e s c o lo n ie s à C r é m o n e et à P la ce n tia . — S o u lè v e m e n t d e s B o ïe s e t d e s
I n s u b r e s ; ils d is p e rs e n t le s c o l o n ie s , e n lè v e n t le s t r iu m v ir s , e t d é fo n t u n e
a rm ée ro m a in e d a n s la fo r ê t d e M u tin e. — A n n ib a l tra v e rse la T ra n sa l­
p in e e t le s A lp e s . — I n ce r titu d e d es C is a lp in s ; c o m b a t d u T é sin . — L e s
C isa lp in s se d é c la r e n t p o u r A n n ib a l; b a t a ille s d e T r é b ie , d e T h ra sy m è n e ,
d e C a n n es, g a g n é e s p a r le s G a u lo is . — D é fa ite d e s R o m a in s da n s la f o r ê t L i-
ta n a . — T e n ta tiv e s in fr u c t u e u s e s d ’ A n n ib a l p o u r ra m e n e r la g u e rr e d a n s le
n o rd d e l ’ Ita lie . — A s d r u b a l p a sse le s A l p e s ; il est v a in c u p r è s d u M éta u re.
— M a g o n d é b a rq u e à G e n u a ; il e s t v a in cu d a n s l ’ I n s u b rie . — L e s G a u lo is
su iv e n t A n n ib a l e n A fr iq u e .

218 — 202 .

Les Cisalpins avaient à p ein e posé les arm es qu’ ils


virent arriver dans leu r pays des étrangers qu i en solli­
citaient la rep rise; c’ étaient des ém issaires envoyés par
le Carthaginois Annibal, com m an d an t des forces p u n i­
ques en Espagne. La b o n n e in telligence avait déjà cessé
entre les rép u bliq u es de R om e et de Carthage, et tout
faisait p rév oir la ru ptu re p roch a in e de la paix. Dans cette
co n jo n ctu re , Annibal résolut de frapper les p rem iers
cou ps. Il con çu t le p rojet de descendre en Italie, et de
transporter la gu erre sous les m urailles m êm es de R om e;
mais ce plan hardi était inexécutable sans la coopération
active de Cisalpins : Annibal travailla d o n c à le leu r faire
adopter. Ses envoyés distribuèrent de l’argent aux chefs,
et réveillèrent par leurs d iscou rs l’ én ergie gauloise, que
les dern ières défaites avaient abattue l. « Les Carthagi-

1 . I l a v Orciff^veÏTO oia7re|A7ro(ÀEvo; èwtjJieXw; Tcpô; toù; o u v à < rc a ; tw v K s /*


« nois. disaient-ils aux Roïes et aux Insubres, s’ engagent,
« si vous les secondez, à chasser les R om ains de votre
(( Pays, à vous ren dre le territoire con q u is sur vos pères,
(( à partager avec vous fraternellem ent les d épouilles de
" R om e et des nations sujettes ou alliées de R om e. » Les
Insubres accu eilliren t ces ouvertures avec faveur, mais
en m êm e tem ps avec une réserve pru dente. P ou r les
Roïes, don t plusieurs villes étaient occu p ées par des gar­
nisons rom aines, im patients de les recou vrer, ils s’ enga­
gèrent à tou t ce qu e les Carthaginois dem andaient.
Com ptant sur ces prom esses, Annibal envoya d’ autres
ém issaires dans la Transalpine p o u r s’y assurer un pas­
sage ju sq u ’aux Alpes. L’argent des m ines espagnoles
lui gagna tou t de suite l’am itié des p rin cip a u x chefs du
m idi
Averti des m enées d’A nnibal par les Massaliotes, ses
anciens alliés et ses espions dans la Gaule, le sénat
rom a in fit partir de son côte des am bassadeurs chargés
d’ u n e m ission toute sem b la b le; il proposait aux nations
gauloises, ligu rien n es et aquitaniques, de se lig u er avec
lui pou r ferm er aux C arthaginois les passages des Pyré­
nées et des Alpes. Ces am bassadeurs s’adressèrent p re­
m ièrem en t au peu ple de R uscinon, qu i, habitant le pied
septentrional des Pyrénées, du côté de la m er Intérieure,
était m aître des défilés vers lesquels s’avançait Annibal.
Ils fu ren t adm is dans l’assem blée où, suivant la cou tu m e,
les gu erriers s’ étaient rendus tout arm és. D’abord ce
spectacle parut étrange aux envoyés ro m a in s2 ; ce fut

T<ov’ y-at toù; £tù t o 8 e, xœl toùç i'j aÙTaïç tatç ’ AXrceffiv èvotxoüvra;. P olyb.,
m , 34. — Liv-i XH< 25t 29i 52-
*• P olyb., m , 3 4 . _ L iv., xxi, 23.
- Nova terribilisque spccics visa est : quod armati (ita mos gentis
erat) m c o n c i l i a venerunt. Liv., XXI, 20.
bien pis lorsqu e, après a voir vanté la gloire et la gran­
deur de R om e, ils exposèrent l’o b jet de leur m ission . Il
s’ éleva dans l’ assem blée de si bruyants éclats de rire,
accom p agn és d’ un tel m u rm u re d’in d ign ation, que les
magistrats et les vieillards q u i la présidaient eurent la
plus grande p ein e à ra m en er le c a lm e 1, tant ce peu ple
trouvait d ’extravagance et d’ im p u d eu r à ce q u ’on lui
proposât d’attirer la gu erre sur son p rop re territoire,
p o u r qu ’elle n e passât poin t en Italie. Quand le tum ulte
fut apaisé, les chefs rép on d iren t qu e, « n’ayant point à
« se plaindre des Carthaginois pas plus qu’ à se lou er des
« Rom ains, nulle raison ne les portait à p ren d re les ar-
« m es con tre les p rem iers en faveur des secon d s; qu’ au
« con traire, il leur était co n n u qu e le peu ple rom a in d é-
« possédait de leurs terres en Italie ceu x des Gaulois qui
« s’y étaient établis; q u ’il leur im posait des tributs, et
« leur faisait essuyer m ille h um iliation s pareilles. » Les
am bassadeurs reçu ren t le m êm e accu eil des autres na­
tions de la Gaule, et ils n e rapportèrent à Massalie que
des duretés et des m en a ces2. Là, du m oins, leurs fidèles
am is ne leu r épargn èrent pas les consolations. « Annibal,
« leu r disaient-ils, n e peut com p ter longtem ps sur la ficlé-
« lité des Gaulois ; nous savons trop co m b ie n ces nations
« sont féroces, inconstantes et insatiables d’a rg e n t3. »
Le sénat apprit tout à la fois le m auvais su ccès de son
am bassade, la m arch e rapide d’Annibal, qui déjà avait
passé l’ Èbre, et les arm em ents secrets, s y m p tô m e de la
défection p roch a in e des Roïes. Il s’ o c c u p a d’ abord de

1. Tantus cum fremitu risus dicitur ortus, ut vix a magistratibus


m ajoribusque natu juventus scdaretur. Liv., xxi, 20.
2. Nec hospitale quidquam pacatumve satis prius auditnm quam
ïlassaliam venerunt. Id., ibid.
3. Scd ne illi (Galli) quidem ipsi satis mitem gentcm fore... Id ., ibid.
l’ Italie. Le préteur L. Manlius fut envoyé avec u ne arm ée s,s
d’ observation sur la frontière de la L igu rie et de la Cisal­
pin e, et deux colon ies, fortes ch acun e de six m ille â m e s1,
partirent de R om e en toute hâte p o u r aller occu p er, en
deçà et au delà du P ô, deu x des points les plus im p or­
tants de la C ircum padane : c’étaient, au n ord , chez les
Insubres, le b o u rg ou la ville de C rém one, au m idi, chez
les Anamans, u n e ville située près du fleuve, dont le
n om gaulois n ous est in co n n u , et que les Rom ains n om ­
m èrent Placentia, P laisance2. L’arrivée de ces deux co­
lon ies excita au dern ier degré la colère des Boïes : ils se
jetèrent sur les travailleurs occu p és aux fortifications de
Placentia, et les dispersèrent dans la cam pagne. Non
m oin s irrités, les Insubres attaquèrent les colon s de Cré­
m on e, qui n’ eurent que le tem ps de passer le Pô et de se
réfu gier avec les trium virs colon iaux dans les m urs de
M utine3, place enlevée aux Boïes par les Bom ains durant
la dernière guerre, et que ceu x-ci avaient fortifiée avec
soin. Les Boïes, réu nis aux Insubres, y vinrent m ettre le
sièg e: m ais, tou t à fait in h abiles dans l’ art de pren dre
les places, ils restaient inactifs autour des m urailles : le
tem ps s’ écoulait cependant, et l’ on savait que le préteur
L. Manlius s’avancait à grandes jou rn ées au secours des
trium virs. Ainsi la guerre recom m en ça it, et les Gaulois
avaient tout à craindre p o u r les otages livrés à la répu­
blique lors de la con clu sion de la paix. Us auraient voulu
tenir entre leurs m ains q u elqu e haut p erson nage rom ain
qui rép on d ît sur sa tète des traitem ents faits à leurs

m 4 0 TàV ®VTa; E'l î êxaTÉpav t^]v itâXiv eiç ^axitr^iXiouç... P olyb.,


2 n
P°WYopeu<ravTE; IIXoMceviÉav. P o l y b . , ni, 40 .
Polvh Sy trillmviri romani Mutinam confugcrunt. Liv., x x i, 25.
j •> un. supr.
frères. Dans ce bu t, ils attirèrent les trium virs hors de
Mutine, sous prétexte de con férer avec eux, les saisirent
sans leu r faire d ’ailleurs le m oin d re mal, m ais déclarè­
rent qu’ ils les retiendraient prison n iers ju sq u ’à ce qu e la
rép u bliq u e eût rendu les otages boïen s*. Se portant en­
suite au-devant de Manlius, ils s’ em bu squ èren t dans une
forêt par laquelle il devait passer.
La forêt où Manlius vint effectivem ent s’en gager était
épaisse, em barrassée de broussailles, et traversée par un
seul ch em in fort étroit. Attaqué à l’ im proviste par les
Gaulois, il souffrit b eau coup, et pu t difficilem en t gagner
la plaine, où d’abord la tactique lui rendit l’avantage. Sa
m arch e ne fut plus inqu iétée tant q u ’il rencontra des
lieu x découverts; mais à sa rentrée dans le bois, u n e n ou ­
velle attaque l’assaillit; son arrière-garde, rom p u e et dis­
persée, laissa après elle huit cents m orts, un grand n om ­
b re de prison n iers et six étendards2 ; et le gros de l’ ar­
m ée cou ru t se ren ferm er à Tanetum ou Tanète, village
boïen situé sur le P ô, o ccu p é et fortifié par les Rom ains,
com m e Mutine, durant la d ern ière gu erre. Manlius y
trouva des approvisionn em en ts d on t il avait grand be­
so in ; et des secours en h om m es lu i arrivèrent de la part
des C énom ans de Brixia qui tenaient p o u r la ré p u b liq u e 3.
Sitôt qu e ces événem ents furent con n u s à R om e, le
préteur Atilius se m it en m arche avec un corps de dix
m ille h om m es, et m algré la difficulté du passage, il par­
vint à se faire jo u r ju sq u ’à Tanète.

1. Evocati legati ad colloquium ... comprehenduntur, negantibus Gal-


» s , nisi obsides sibi redderentur, eos dimissuros. L iv., x xi, 25. — P olyb.,
lu , 40.
2. Ubi rursus sylvæ intratæ, tum postremos adorti, cum magna tre-
pidatione et pavore om nium , octingentos milites occiderunt, sex signa
ademere. Liv., xxi, 25. — P olyb., loc. cit.
3. Brixianorum Gallorum auxilio... L iv., ub. supr.
Cependant, de l’autre côté des Alpes et de la m er, l’ in ­
stigateur de l’ insurrection des Cisalpins et leur nouvel
allié, Annibal, venait d ’atteindre le som m et des Pyrénées ;
n on sans p ein e assurém ent, car les peuplades ibérien nes
n ’avaient cessé de le h arceler sur toute sa route ; chaque
jo u r il avait eu qu elqu e com bat à livrer, quelque village
à p ren dre d ’assaut1. Mais cette nécessité de m on trer sa
force ne nuisait pas m éd iocrem en t à la con fian ce que ses
déclarations pacifiques avaient d’abord inspirée. Les na­
tions du m idi de la Gaule, p leines d ’inquiétude, co m ­
m en çaien t à craindre que son véritable dessein ne fût de
les su b ju g u e r2; de toutes parts, elles se préparèrent, et
lorsqu e le Carthaginois, descendant le revers septentrio­
nal des Pyrénées, alla ca m p er près d ’Illiberri \ il trouva
les tribus in digèn es rassem blées en arm es à lluscinon et
toutes prêtes h lui disputer le passage. A nnibal ne négli­
gea rien p ou r les rassurer; il fit dem ander u ne entrevue
à leurs chefs, protestant q u ’il était ven u com m e hôte et
n on co m m e en n em i, et q u ’il ne tirerait l’épée q u ’autant
que les Gaulois eu x-m êm es l’y forcera ien t4; il leur offrit
m êm e de se ren dre près d ’eux ù R uscinon, s’ ils répu­
gnaient à le v en ir trou ver dans son cam p. Une con fé­
ren ce eut lieu non loin d’Illiberri ; et les protestations du
général carthaginois, son argent surtout, dissipèrent
toutes les craintes. 11 en résulta un traité d’alliance, cé­
lèbre par la singularité d’une de ses clauses : on y stipu-

1. T '.v a ; itôXeiç xaT à x p â t o ; IXt iv ... (jx tà 7to),).£iv il x a i pLÊyàXwv à f t o -


vwv- P olyb., m , 35.
2- Quia vi subactos Hiapanos fama erat, metu ssrvitutis ad arma con-
Bternati, Ruscinonem aliquot populi conveniunt. L iv., xxi, 24.
lllib e r r i signifie en langue ibérienne Ville-Neuve.
gladimn°SPitem se Galliæ non hostem advenisse : nec stricturum ante
’ 81 per Gallos liceat, quam in Italiam venisset. L iv., loc. cit.
aïs lait que les plaintes des in d igèn es contre les Carthagi­
nois seraient portées soit devant Annibal, soit devant ses
lieutenants en E spagne: mais que les réclam ations des
Carthaginois contre les indigèn es seraient ju g ées sans
appel par les fem m es de ces d e rn ie rs1. Cette cou tu m e de
soum ettre à l’ arbitrage des fem m es les plus im portantes
décisions politiques, particulière aux Aquitains et aux
Ligures, prenait sa sou rce dans la con d escen d an ce res­
pectueuse don t la civilisation ib érien n e entourait ce
sexe : et les h om m es, si l’on en croit le tém oign age des
historiens, n ’avaient pas à se repen tir d’ une si courtoise
institution. Plus d’ une fois, quand des querelles de per­
sonnes ou de parti leur avaient mis les arm es à la m ain,
leurs fem m es s’ étaient érigées en tribunal p o u r exam iner
le m otif de la guerre, et, le déclarant injuste et illégi­
tim e, s’ étaient précipitées entre les com battants p o u r les
sé p a re r2. Chez les Galls et les Kimris, il s’en fallait bien
q u ’elles jou issent de la m êm e autorité : on verra plus
tard q u ’ elles y étaient réduites à la plus com plète servi­
tude.
De Iiuscinon, les troupes p u niques se dirigèrent vers
le rdiône, à travers le pays des Volkes, q u ’elles trouvè­
rent presque désert, parce qu’à leur a p p roch e ces deux
nations s’ étaient retirées au delà du fle u v e , où elles
avaient form é un cam p défendu par son lit. Lorsque
Annibal arriva, il aperçut u n e m ultitude d’ h om m es
arm és, cavaliers et fantassins, qui garnissaient la rive
op posée. Sa con d u ite fut la m êm e q u ’à R uscinon . Il

1. K eXtüv fièv ÈyxaXoûvT(ov KapxriSovîotç, xoùç èv ’lê^pia KapxilSovû.v


iitàp'/ouç xai crpaTYiYoù; sivai Sixaaxœ;- âv Ss Kapp]3ôvtoi KsXtoî; èfxaXüai
tàç KsXxôiv yuvatxa;. Plut., de Virtut. m illier., G.
2 . A l y v v a ïx eç sv (xé<xw twv ôtcXwv yevojjiEvai, x a l TrapaXaêoûcai x à vetxrj
Si^TYiuavoutco; à[xs(xnTw; x a i âiéxptvav Id ., ibid. — P o l y æ n ., vu» 50
com m en ça par rassurer ceu x des Volkes q u i étaient res­
tés à l’occid en t du R hône, en m aintenant dans son arm ée
une d isciplin e sévère; il fit ensuite p u b lier parm i les in­
digènes qu’ il achèterait tous les navires de transport que
ceu x-ci voudraient lui c é d e r; et co m m e les nations ri­
veraines du R hône faisaient toutes le co m m e rce m ari­
tim e 1, soit avec les colon ies massaliotes, soit avec la côte
ligurienne et espagnole, et que d ’ailleurs Annibal payait
largem ent, n om bre de grands bateaux lui furent am e­
n és; il y jo ig n it les batelets qui servaient à la co m m u ­
nication des deu x rives. De plus, les Gaulois, donnant
l’exem ple aux soldats carthaginois, construisirent sous
leurs yeux, à la m anière du pays, des canots d ’un seul
tron c d’arbre creusé dans sa lon g u eu r ; et toute l’arm ée
s’ étant m ise à l’ ouvrage, au b ou t <’ e deu x jo u rs la flotte
fut p rê te 2.
Restait l’ op position des troupes volkes, qui, maîtresses
du bord opp osé, pouvaient em p êch er le débarqu em en t,
ou du m oins le g ên er beau cou p . Annibal, durant ces deux
jou rs, n’ était pas resté o isif; il avait fait am ener devant
lui des gens du pays, et de toutes les in form ation s recu eil­
lies tou ch ant les gués du fleuve, il avait co n clu qu’à
vin gt-cin q m ille s 3 au-dessus du lieu où il se trouvait
(il était à quatre jou rn ées de la m e r * ), le R hône, entre­
cou p é d’ îles et perdant de sa p ro fo n d e u r et de sa rapi­
dité, pouvait être traversé avec m oin s de danger. Il en ­
voya d o n c, à la p rem ière veille de la nuit, H annon, fils de

I. Aià xà xaî; èy. xr,; ôaXàxxrjç èjMtopsiatç iroXXoù; y_pf,d0at twv ixapo.-
xoûvxüjv xèiv Po5ow6v. P olyb ., ut, 42.
-■ Liv., xxi, 26.
] nde inillia quinque et viginti ferme. Id ., xxi, 27.
r *' p° 'y b ., m , 42.— Au-dessus d’Avignon, entre Roquemaure et Cade-
218 B om ilcar, avec une partie des troupes, effectuer dans cet
en d roit le passage, le plus secrètem ent possible, lui d on ­
nant l’ ord re d’ assaillir à l’ im proviste les cam pem en ts des
Volkes, dès que l’ arm ée com m en cera it son débarqu em en t. '
H annon partit; con d u it par des guides gaulois, il arriva
le lendem ain au lieu in d iq u é, et ût abattre en toute dili­
gen ce du b ois p o u r construire des radeaux ; mais les
Espagnols, sans tous ces apprêts, jetant leurs habits sui­
des outres et se m ettant eu x-m êm es sur leurs b ou cliers,
traversèrent d’un b ord à l’a u tre1; le reste des troupes
et les chevaux passèrent au m oyen de trains grossière­
m en t fabriqués. Après vingt-quatre heures de h a lte,
Hannon se rem it en m arch e, et par des signaux de
feu x inform a Annibal q u ’il avait effectué le passage, et
qu ’ il n ’était plus q u ’à une petitç distance des Volkes. C’est
ce qu’ attendait le général carthaginois p ou r co m m e n ­
ce r l’em barqu em en t. L’infanterie avait d é j à ses barques
toutes prêtes et con ven ablem en t rangées ; les gros bateaux
étaient p ou r les cavaliers, qui presqu e tous conduisaient
près d’ eux leurs chevaux à la nage ; et cette file de
navires, placés au-dessus du courant, en rom pait la
p rem ière im pétuosité, et rendait la traversée plus facile
aux petits esq u ifs2. Outre les chevaux q u i passaient à la
nage (c’était le plus grand n om b re), et que du haut de
la p ou p e on con duisait par la b rid e, d’autres avaient été
placés à b ord tou t harnachés, afin de p o u v o ir être m o n ­
tés lors du d éb a rq u em en t3. Jusqu’à ce qu e l’affaire eût

1. Hispani, sine «lia m ole, in utres vestimentis conjectis, ipsi ceti is


suppositis incubantes, flumen tranavere. Liv., xxi, 27.
2. Tranquiilitatem infra trajicientibus lintribus præbebat. Id ., ibid.
— P olyb., m , 43.
i , Equorum pars magna nantes loris a puppibus trahebautur, præter
été d é c id é e , Annibal laissa ses éléphants sur la rive
droite.
A la vue des prem ières barques, les Volkes entonnèrent
le chant de gu erre, et se ran gèrent en üle le lon g de la
rive gauche, brandissant leurs arm es et agitant leurs
bou cliers sur leurs tê te s1 ; puis des décharges de flèches
et de traits partirent, et con tin u èren t, sans in terru ption,
de leurs rangs sur la flottille p u n iq u e. Dans l’ incertitude
de l’ événem ent, une égale frayeur saisit les deux arm ées :
d’ un côté, les hurlem en ts des Gaulois et leurs traits don t
le ciel était o b s cu rci; de l’ autre, ces barques in n om brables
chargées d 'h om m es, de ch evaux et d ’arm es ; le h en n is­
sem ent des coursiers, les clam eurs des h om m es qui lut­
taient con tre le courant, ou s’exhortaient m u tu ellem en t;
le bruit du fleuve q u i se brisait entre tant de navires;
tout ce tum ulte, tout ce spectacle, agissaient avec la
m ôm e force et en sens inverse sur u n e rive et sur l’autre*.
Mais tout à cou p de grands cris se fon t entendre, et des
flam m es s’ élèvent d errière l’arm ée dos Volkes : c ’était
H annon qui venait de prendre et d’ in cen d ier leur cam p.
Alors les Gaulois se divisent; les uns co u re n ta u cam p où
se trouvent leurs fem m es, les autres fon t face à H annon,
tandis que les Carthaginois d’A nnibal débarquent sans
trop de péril, cl à m esure q u ’ ils débarquent, se form en t
en bataille sur le rivage. Le com b a t n’ était plus égal, et les
V olk es, assaillis de toutes parts, se dispersent dans les
bourgades voisines. A nnibal acheva à s o n a is e le d é b a rq u e -

e°9 , quos instratos fronatosquo, ut extemplo cgresso in ripam equitl


Usui essent, imposuerant in naves. Liv., xxi, 27.
1 • Galli occursant in ripam cum variis ululatibus cantuque moris sui,
quatieutes scuta supra capita, vibrantesque de*tris tel». Id ., xxi, 28,
W ., ibid. — P olyb., m , 43.
m en t du reste de l’ arm ée et celu i de ses éléphants, et
passa la nuit sur la rive gau che du fleu v e1.
Le lendem ain, ayant été in form é que la flotte rom aine,
forte de soixante vaisseaux longs, avait a b ord éà Massalie,
et qu e le con su l P. C ornélius S cip ion était déjà cam pé
près de l’ em b ou ch u re du R hône, il fit partir dans cette
direction cin q cents éclaireurs num ides. Le hasard voulut
qu e ce jou r-là m ê m e , tandis qu e l’arm ée rom a in e se
rem ettait des fatigues de la traversée, le con su l envoyât
dans la direction con traire u ne reconnaissance de trois
cents cavaliers. Les deux corp s ne fu ren t pas lon gtem ps
sans se re n con tre r; l’ en gagem en t fut vif, et les Rom ains
perdiren t d ’abord cent soixante h om m es, m ais ils repri­
rent l’avantage et firent tou rn er b rid e aux Numides, qui
laissèrent sur la place deu x cents des leurs2. L’ issue de ce
com bat jeta de l’hésitation dans l’esprit d’Annibal ; il resta
qu elqu e tem ps in décis s’ il poursuivrait sa m arch e vers
l’Italie ou s’il irait ch e rch e r d ’abord cette arm ée rom aine
p o u r q u i la fortun e paraissait se déclarer. Une députation
de la Gaule cisalpine, arrivée à p rop os dans son cam p,
et con d u ite par Magal, ch e f ou ro i des Boïes, le rafferm it
dans son p rem ier p rojet. Ces députés venaient lui servir
de gu id es; et ils p riren t, au n om de leurs com patriotes,
l’ en gagem en t form el de partager toutes les chances de
son en trep rise3. Il se décida d o n c â m arch er sans plus de
retard d roit aux A lpes; afin d ’ éviter la ren con tre de
l’ arm ée rom ain e, il p rit un détou r et se dirigea im m éd ia ­
tem ent vers le cours su p érieu r du R hône.

1. P olyb., ni, 4 3 ,4 4 . — L iv., xxi, 28.


2. Victores ad centnm sexaginta ; nec omnes Romani, sed pars Gallo-
ruin ; victi amplius ducenti ceciderunt. L iv., xxi, 30. 11 y avait, parmi
les Romains quelques Gaulois à la solde de Massalie.
3. Avertit a præsenti certamino Boiorum legatorum regulique Magali
L’arm ée carthaginoise était loin de partager la con ­
fiance de son général. Quelques ressouvenirs de l’autre
guerre venaient parfois l’ in qu iéter ; mais ce q u ’elle redou ­
tait surtout, c’ était la lon g u eu r du ch em in , la hauteur et
la difficulté de ces Alpes, que l’im agination des soldats se
peignait sous des form es effrayantes. Annibal travaillait
à dissiper ces terreurs. Durant les m arches, il haranguait
ses soldats, il les instruisait et les encourageait. « Ces Alpes
« qui vous épou vantent, leur disait-il, sont habitées et
d cultivées ; elles nourrissent des êtres vivants. Vous voyez
« ces am bassadeurs boïen s : pensez-vous q u ’ils se soient
« élevés en l’ air sur des ailes? Leurs ancêtres n’ on t pas
« pris naissance en Italie; c’ étaient des étrangers arrivés
« de bien loin p o u r fo rm e r leu r établissem ent, et qui,
« traînant avec eu x tou t l’attirail de leurs fem m es et de
« leurs enfants, on t cent et cent fois, et sans le m oindre
« risque, fran ch i ces hauteurs que vous vous figurez in ac-
« cessibles. Eh! q u ’y a-t-il d ’inaccessible et d ’in su rm on -
« table p o u r un soldat arm é qui ne porte avec lui que
« son équipage m ilitaire? Vous m ontrerez-vou s in fé-
« rieurs aux Gaulois que vou s venez de vain cre 1î »
Après quatre jou rs de m arche, en rem ontant le Rhône,
Annibal arriva au con flu en t de ce fleuve et de l’ Isère, dans
un canton fertile et bien peuple' que les habitants p o m ­
m aient 17 / e 2, parce que, born é au n ord et au m idi par le

adventus, qui se duces itinerum , socios periculi fore affirmantes... Liv.,


xxi, 30. — P olyb., iii, Vi.
I. Eos ipsos qnos cernant legatos non pennis sublime elatos Alpos
transgresses... iniliti quidem armato niliil secum præter instrumenta
belii portanti, quid invium aut ineisuperabile esse?... Proinde codèrent
genti per P0S j ; es toties ab se victæ. Liv., xxi, 30.
p |'j xa).0 u|i£vr|v NŸjtfov, ywça.'i Ko'/'joylvi -/.ai uiTosipov.
• ’•> ni, 4 (), — Mediis campis Insnlæ nomen inditnm. Liv , \xi, 31.
R hôn e et l’ Isère, il est e n core ferm é à l’est par les pre­
m ières élévations des Alpes, qu i s’ étendent co m m e une
barrière d’un fleuve à l’autre. Deux chefs, enfants du der­
n ier roi, se disputaient la souveraineté de ce canton, et
l’aîn é, auquel les historiens rom ains d on n en t le n om de
B ran cu s1, avait été chassé du trôn e par son frère, que sou­
tenait toute la jeu n esse. La d écision de leur querelle ayant
été rem ise d’ un co m m u n a ccord au ju g e m e n t d ’Annibal,
le Carthaginois se déclara en faveur de Brancus, ce qui lui
valut u ne grande réputation de sagesse, parce que tel avait
été l’avis des vieillards et des p rin cip a u x de la nation.
B rancus, par recon n aissan ce, lu i fou rn it des vivres, des
p rovision s de toute espèce, et surtout des vêtem ents, don t
la rigu eu r de la saison faisait déjà sentir le b e s o in ; il l’ac­
com p agn a en outre ju sq u ’aux prem ières vallées des Alpes,
p o u r le garantir contre les attaques des A llobroges, dont
ils tou ch aien t la fron tière. En quittant l’Ile, Annibal ne
m archa pas en lign e droite aux A lpes; il dévia un peu au
m idi, p o u r gagn er le col du m on t Genèvre (Matrona),
côtoya la rive gau che de l’Isère, puis la rive gau che du
Drac, passa la D urance, n on sans beau coup de fatigues
et de pertes, et rem onta ce torrent, tantôt sur une rive,
tantôt sur l’ au tre2.
Ce fut dans les dern iers jo u rs d’ o ctob re q u ’Annibal
com m en ça à gravir les Alpes. L’aspect de ces m ontagnes
était vraim ent effrayant : leurs masses couvertes de neige

1. Brancus nom ine. L iv., xxi, 31.


2. P olyb., m , 49. — L iv., loc. cit. — J’ai suivi dans ce récit l'hy­
pothèse soutenue par M. Letronne (Journ. des Savants, janv. 1810), et
qui me paraît la plus probable. On peut néanmoins consulter encore, sur
l’importante question du passage d’Annibal, MM. J.-A. Doluc, Genève,
1818. — F.-G. de Vaudoncourt, Milan, 1812. — Larauza, Paris, 1820; et
la remarquable Dissertation de M. H. W ickam , Londres, 1828,
c l de glace, con fon dues avec le cie l; à p ein e quelques
m isérables cabanes éparses sur des pointes de ro ch e rs;
des h om m es à d em i sauvages dans un h ideu x délabre­
m en t; le bétail, les chevaux, les arbres, grêles et rape­
tisses ; en un m ot, la nature vivante et la nature inanim ée
frappées d’ un égal e n g o u rd iss e m e n t1 : ce spectacle de
désolation universelle frappa de tristesse, et de d écou ­
ragem en t l'arm ée carthaginoise. Tant q u ’ elle ch em in a
dans un vallon spacieux et découvert, sa m arch e fut
tranquille, et nul en n em i ne l ’in qu iéta; m ais parvenue
dans un en d roit où le vallon, en se resserrant brusque­
m ent, n’ offrait p ou r issue qu’ un étroit passage, elle aper­
çut des bandes n om b reu ses de m ontagnards qui cou ­
vraient les hauteurs. B ordé d’ un côté par d ’ énorines
roch ers à p ic, de l’autre par des p récip ices sans fon d , ce
passage ne pouvait être fo rcé sans les plus grands périls;
et si les m on tagn ard s, dressant m ieu x leu r em b u sca d e,
fussent tom bés à I’ im proviste sur l’arm ée déjà en gagée
dans le défilé, elle y serait restée presqu e tout entière,
Annibal fit faire halte, et détacha, p o u r aller à la d écou ­
verte, les Gaulois qui lui servaient de g u id e s 2; mais il
apprit b ien tôt qu’ au cun e autre issue n’ existait, et qu’ il
fallait de toute nécessité em p orter celle-ci, ou retou rn er
sur ses pas. P ou r Annibal le ch o ix n’ était pas dou teu x : il
ord on n a de d ép loyer les tentes, et de cam per à l’ ouver­
ture du défilé ju sq u ’à ce q u ’ il se présentât une occasion
favorable.
Cependant les gu ides gaulois, s’ étant a b ou chés avec

1• Nives cœlo prope im mistæ, tecta inform ia imposita rupibus, pecora


Jumentaque torrida frigore, homines intonsi et incuM , anim atia inani-
«•atftque omnja rjgentia gelu... Liv., xxi, 3‘2.
CaUis ad visoiida loca præmissis. Id., ibid. — P olyb., m , C>0.
sis les m ontagnards, décou vriren t que les hauteurs étaient
occu p ées pendant le jo u r seu lem en t, et q u ’à la nuit les
postes en descendaient p o u r se retirer dans les villages.
A nnibal, sur cet avis, com m en ça dès le soleil levé une
fausse attaque, com m e si son p rojet eût été de passer en
plein jo u r et à m ain a rm ée; il con tin u a cette m anœ uvre
ju sq u ’au soir : le soir ven u, il fit allum er les feu x com m e
à l’ordin aire et dresser les tentes; mais au m ilieu de la
n u it, s’ étant m is à la tête de son infanterie, il traversa
le défilé dans le plus grand silence, gravit les hauteurs,
et s’ em para des position s que les Gaulois venaient de
quitter. Aux prem ières lueurs du m a tin , le reste de l’ar­
m ée se m it en m arche le lo n g du précip ice. Les m onta­
gnards sortaient de leurs forts p o u r aller p ren dre leurs
stations a ccou tu m é e s, lorsqu’ ils virent l’ infanterie lé­
gère d’Annibal au-dessus de leurs têtes, et dans le ravin
l’infanterie pesante et la cavalerie qu i s’avançaient en
toute hâte; ils ne perd iren t p oin t cou rage : habitués à
se jo u e r des pentes les plus rapides, ils se m irent à co u ­
rir sur le flanc de la m on ta gn e, faisant pleu voir au-des­
sous d’ eux les pierres et les traits. Les Carthaginois eu­
rent dès lors à lutter tout ensem ble et contre l’ en n em i,
et con tre les difficultés du terrain, et contre eu x -m êm es;
car, dans ce tu m u lte, ils se ch oquaien t et s’ entraînaient
les uns les autres. Mais c’ était des chevaux qu e provenait
le plus grand désordre : outre la frayeur que leur cau­
saient les cris sauvages des m ontagnards, grossis en core
par l’ éch o, s’ ils venaient à être blessés ou frappés seule
m ent, ils se cabraient avec v iolen ce et renversaient au
tour d’eu x h om m es et bagages. 11 y eut beau cou p de
con ducteurs et de soldats qu’ en se débattant ils lire ni
tom ber au fond des abîm es, et l’ on eût cru entendre le
fracas d’ un vaste écrou lem en t lorsqu e, précipités eux-
m êm es, ils allaient avec toute leu r charge rou ler et se 418
perdre â des p rofon d eu rs im m e n s e s '.
Annibal, tém oin de ce désordre, n ’en resta pas m oins
qu elqu e tem ps sur la hauteur avec son détachem ent,
dans la crainte d’au gm en ter en core la con fu sion ; p o u r­
tant, quand il vit ses troupes co u p é e s, et le risque q u ’ il
c o u r a itd e perdre ses bagages, ce qui eût infailliblem ent
entraîné la ru in e de l’arm ée en tière, il se décida à des­
cen dre, et du p rem ier ch o c il eut bientôt balayé le sen­
tier. T outefois il ne pu t exécu ter ce m ou vem en t sans
je te r un nouveau trou ble dans la m arche tum ultueuse
de ses trou p es; mais du m om en t qu e les ch em in s eu­
rent été dégagés par la retraite des m ontagnards, l’ordre
se rétablit, et ensuite l’arm ée carthaginoise défila si tran­
q u ille m e n t, qu ’à peine entendait-on quelques v oix de
loin en loin . A nnibal prit d’assaut le village fortifié qui
servait de retraite aux m on ta gn a rd s, et plusieurs b o u r ­
gades en viron n antes; le bétail q u ’ il y trouva n ourrit son
arm ée durant trois jo u r s , et. co m m e ta route devenait
.m e ille u re et qu e les in d igèn es étaient frappés de crainte,
ces trois jou rs se passèrent sans a c c id e n t2.
Le q u a triè m e , il arriva chez une autre peuplade fort
n om breu se pou r un pays de m o n ta g n e s 8; au lieu de lui
ftire guerre ou verte, c e lle -c i l'attaqua par la r u se ; et,
pou r la secon d e fois, le C arthaginois faillit su ccom b er.
Des chefs et des vieillards députés par ce peu ple vinrent
le trouver, portant en signe de paix des cou ron n es et des

Inde ru in e maximæ modo jum enta cum oneribus devolvebantiir.


L l v -i x x i , 3 3 . _ P o ly b ., m , 5 t .

• P olyb., ibid. — I ,iv., loc. cit.


Perventum
^ e r v e n t u m ij n
n(j
d ee a
f d fr e q u e n t a m c u l t o r i b u s a liu r p , u t in tn r m on t:i:i& ,
Populum. LiV ) 34
ram eaux d’ olivier \ et lui dirent q u e, « le m alheu r d’au-
« irui étant p o u r eu x une utile leçon , ils aim aient m ieux
« éprou ver l’am itié que la valeur des Carthaginois , et
« q u e , prêts à exécu ter p on ctu ellem en t tout ce qui leur
« serait co m m a n d é , ils lu i offraient des vivres et des
« guides p o u r sa r o u t e 2. » En garantie de leur fo i, ils
lui rem irent des otages. A nnibal, sans leur d o n n er une
con fian ce aveu gle, ne vou lu t pas, en repoussant leurs
offres, s’ en faire des en n em is déclarés, et leu r rép on d it
ob lig ea m m en t; il accepta les otages qu’ ils lu i livraient,
les provisions qu’ ils avaient eu x -m êm es apportées sur la
rou te; m ais, bien loin de se croire avec des am is sûrs,
il ne se m it à la suite de leurs guides q u ’après avoir pris
toutes les précau tion s que sa p ru d en ce in gén ieu se put
im a gin er. Il plaça à son avant-garde la cavalerie et les
éléphants, dont la vu e, toute nouvelle dans ces m onta­
g n e s, en effarouchait les sauvages habitants; il se char­
gea de con d u ire en p erson n e t’arrière-garde avec l’ élite
de l’ infanterie : on le voyait s’avancer len tem en t, p o u r­
voyant à tou t, et portant autour de lui des regards in ­
quiets et attentifs. Arrivé à un ch em in étroit que d o m i­
naient les escarpem ents d’ u n e haute m o n ta g n e , il fut
assailli bru squ em en t par les m ontagnards, qu i l’attaquè­
ren t tou t à la fois en tête, en queue et sur les flancs-, ils
réussirent à cou p er son arm ée et à s’ établir eu x-m êm es
sur le ch em in , de sorte q u ’Annibal passa u n e nuit en­
tière séparé de ses bagages et de sa cavalerie3.
Le len d em ain , les d eu x corps d ’arm ée se réu niren t,
1 . S u ^ p o v V a v r e ç èwi 86Xm , cu vrjvw iv a ù tw OaXXoùç (rreçâ-
vouç. P olyb., m , 52.
2. Alienis malis, utili exemple» doctos,.,. amicitiam mallo quam vim
experiri Pœnorum : itaque obedienter imperata facturas ; commeatum
itinerisque duces... acciperet. Liv., xxi, 'M. — P olyb., loc. cit.
I!. Occursantes per obliqua m ontani, perrupto medio agminc, viam
et franchirent ce second défilé, non sans de grandes per­
tes, en chevaux toutefois plus qu’ en h om m es. Depuis
ce m om en t, les m ontagnards ne se m on trèren t plus que
par petits pelotons, harcelant l’ avant-garde ou l’arrière-
garde et enlevant les traîneurs. Les éléphants, dans les
ch em in s étroits et dans les pentes rapides, retardaient
beau cou p la m a rch e; mais les Carthaginois étaient sûrs
de n ’ être p oin t inquiétés dans leur voisinage, tant l’ en­
nem i redoutait l’app roch e de ces én orm es anim aux si
étranges p ou r lu i1. Plusieurs fois Annibal fut contraint
de s’ou vrir un passage par des lieux n on frayés, plusieurs
fois il s’égara soit par la perfidie des guides, soit par les
fausses con jectu res, qui, voulant suppléer à l’ infidélité
des inform ations, engageaient l’arm ée dans des vallons
sans issue. Enfin, au b ou t de n e u f jou rs, ayant atteint le
som m et des Alpes, il arriva sur le revers m éridion al,
dans un en droit d’ où la vue embrassait, dans toute son
étendue, le m agn ifiqu e bassin q u ’arrose le P ô. Là, il fit
halte, et p ou r ran im er ses com p a gn on s rebutés par tant
de fatigues souffertes, et tant d ’autres en core à souffrir,
il leur m ontra du doigt, dans le lointain, la situation de
R om e, pu is tes villages gaulois qui se déployaient sous
leurs pieds : « Là-bas, dit-il, est cette R om e dont vous
achevez m aintenant de fran ch ir tes m u ra illes2; ici sont
nos auxiliaires et nos a m is 3. »

'nsedere : noxque una Annibali sine equitibus ac impedimentis acta est.


L'V., xxi, 34. — P olyb., iii, 52, 53.
1 . MEyt<7Tr1v 8’ ccOta> TrapEi^ETo ’/ ozîm Ta 6v]p£a* x a ô ’ 5v àv y à p totcov
UTO*PXot Tri; it o p e i a ; T a ïk a , itp ô ; touto to p i p o ; o ù x âTo),|j.wv ol r a ) i [ j . i o i
to racpâSoIjov èx7tXr)TT6|xevotxrt: tüv Çûmv qjavTaaiaç. P olyb., n i , 5 3 .
“ • EvSeixvûfAEVo; aÙTOÏ; Ta Trept tôv Ilàoov T O O ia ... au.a Ss xal t o v T r , ;
nonT Ù7ioSeixvv&>v. Id ., ni, 54. — Mœnia eos transcendere
>* modo, sed etiam urbis Romæ. L iv., xxi, 38.
3 - Po'y b . , „ , , 5 4 .
]1 lui fallut en core six jo u rs p o u r descendre le revers
italique des Alpes, et, le qu in zièm e depuis son départ de
l’ Ile, vain qu eu r de tous les obstacles et de tous les dan­
gers, il entra sur le territoire des Taurins. Son arm ée
était réduite à vingt-six m ille h om m es, savoir : douze
m ille fantassins africains, huit m ille espagnols et six
m ille cavaliers, la plupart num ides, tous dans un état
de m aigreur et de d élabrem ent épouvantables ‘ . Il s’atten­
dait à v o ir les Cisalpins se lever en arm es, à son appro­
c h e ; loin de là, les Taurins, alors en gu erre avec les
Insubres, repoussèrent son alliance, et lui refusèrent des
vivres qu ’ il dem andait. Annibal, tant p o u r se p rocu rer
ce qu i lui m anquait, q u e p o u r d o n n e r un exem p le aux
nations ligu rien n es et gauloises, prit d’assaut et saccagea
T aurin um , ch ef-lieu du pays; après q u o i il descendit la
rive gauche du P ô, se portant sur la fron tière in su -
b r ie n n e s.
D eux factions partageaient alors toute la Cisalpine.
L’ une, com p osée des Vénètes, des C énom ans, des Li­
gures des Alpes, gagnés à la cause rom a in e, s’opposait
avec v igu eu r à tout m ou vem en t en faveur d’ A nnibal;
l’autre, qui com ptait les L igures de l’ A pennin, les In su ­
bres et les peuples de la con fédération b oïe n n e , avait
em brassé le parti de Carthage, mais le soutenait sans
beau cou p de chaleur. Les Boïes surtout, qu i a v a ie n t tant
con tribu é à jeter les Carthaginois dans cette entreprise,
se m on traient froids et incertains, C’est qu e les affaires
de la Gaule avaient bien ch angé. A l’ ép oq u e où les pro­
positions d’A nnibal furent accu eillies avec enthousiasm e,
la Gaule était h u m ilié e et vain cu e, des trou pes rom ain es

L iv., XXI, 39. — P olyb., m , 56.


2. Polyb., m, 60. — Liv., loc, cit.
occupaient son territoire, des colon ies rom aines se ras- sis
sem blaient dans ses villes. Mais depuis la dispersion des
colons de C rém one et de Placentia, depuis la défaite de
L. Manlius dans la forêt de Mutine, les Boïes et les Insu­
bres, satisfaits d ’avoir recou v ré leur in d ép en dan ce par
leurs p ropres forces, se sou ciaient peu de la com p rom et­
tre au profit d’ étrangers don t l’apparence et le n om bre
n’ inspiraient q u ’ une m éd iocre con fian ce.
D’ailleurs, l’arm ée rom aine destinée à agir contre
Annibal n ’avait pas tardé à entrer dans la Cispadane, où
elle cam pait sur les terres des Anamans, com p rim a n t les
Boïes et les L igures de l’A pennin, et surveillant les Insu­
bres, don t elle n’ était séparée que par le P ô 1. Sa présence
d on n an t de l’ audace au parti de R om e, les Taurins
s’étaient m is à ravager le territoire in su b rien . Les Insu­
bres et les Boïes, contraints par m en ace, avaient m êm e
con d u it qu elqu es trou pes dans le cam p r o m a in 5. Sur­
pris et alarm é de cet étal de, choses, Annibal, après avoir
d on n é, au siège de T aurin um , un exem p le sévère, m ar­
chait vers les Insubres, afin de fixer de force ou de gré
leu r irrésolu tion . De son côté, S cipion , qui avait quitté
la Gaule transalpine, p o u r p ren dre le com m a n d em en t
des légions de la Cisalpine, avant q u ’Annibal eût atteint
les bords du Tésin, vint cam p er près du fleuve, p o u r lui
en disputer le passage. Les deux arm ées carthaginoise et
rom ain e ne tardèrent pas à se trouver en présence*.
Annibal sentait toute l’im p orta n ce du com bat q u ’il
allait livrer : de ce com bat dépendait la d écision des
Gaulois, et par con séqu ent sa ru in e ou son trio m p h e ; et

t . Eos circuinspectantes defectionis tornpus subito advetitus consul!*


JPprt:ssit. L iv., xxi, 39.
®. Tivè; ',z xal (Tuirrpa'reùetv rivaYxâÇovTO toï? P((laaio1
.;. P olyb., tir, 00.
3> Id., m , 01, 02. — L iv., xxi, 39.
p o u r tenter ce cou p aventureux, il n ’avait qu’ une arm ée
faible en n om bre, exténuée par des fatigues et des p ri­
vations in ou ïes. Voulant rem on ter ses soldats d écou ­
ragés, il eut recou rs à un spectacle capable de rem u er
fortem en t ces im agin ation s grossières. 11 rangea l’ arm ée
en cercle dans u ne vaste plaine, et fit am ener, au m ilieu,
de jeu n es m ontagnards pris dans les Alpes, harcelant sa
m arch e, et qu i, p o u r cette raison, avaient été d u rem en t
traités; leurs corps décharnés et livides portaient l'e m ­
preinte des fers et les cicatrices des fouets dont ils
avaient été châtiés. Mornes et le visage baissé, ils atten­
daient en silence ce que les Carthaginois voulaient d ’eux,
lorsqu ’ on plaça, n o n loin de là, des arm es pareilles à
celles don t leurs rois se servaient dan s les com bats sin­
guliers, des chevaux de bataille, et de rich es costum es
militaires à la façon de leur pays. Annibal alors leur de­
manda s’ils vou laien t com battre en sem ble, prom ettant
aux vainqueurs ces rich es présents et la liberté. Tous
n’ eurent q u ’un cri p o u r d em an der des arm es. Leurs
nom s, m êlés dans u ne u rne, furent tirés deu x à d e u x ; à
m esure qu ’ils sortaient, on voyait les jeu n es captifs que
le sort avait désignés lever les bras au ciel avec trans­
port, saisir une épée en bondissant, et se p récip iter l’ un
con tre l’autre. « Tel était, dit un historien, le m ou ve-
« m en t des esprits, n on-seu lem en t parm i les prison n iers,
« m ais en core dans toute la foule des spectateurs, q u ’ on
« n ’estim ait pas m oin s h eu reu x ceu x qui su ccom baien t
« que ceu x q u i sortaient vainqueurs du c o m b a t1. » Anni­
bal saisit le m o m e n t; il harangua ses soldais, leu r rap­
pelant la tyrannie de Rom e, qui voulait les rédu ire à la

1. Is habitas animornm non inter ejusdem modo conditionis homines


erat, scd etiam intcr spectantes vulgo, ut non vincentlum magis quam
bene morientium fortuna laudaretur. Liv., xxi, 42.
con d ition de ces m isérables esclaves, et le pillage de sis
l’ Italie, qu i serait le prix de leur v ictoire; p u is, soulevant
u n e pierre, il en écrasa la tête d’ u n'agneau, q u ’ il im m o­
lait aux dieux, adjurant ces dieux de l’ écraser ainsi lui-
m êm e s’ il était infidèle à ses p ro m e sse s1.
Voyant ses soldats échauffés à son gré, il se m it à la
têle de sa cavalerie n u m id e p o u r aller reconnaître les
p osition s de l’e n n e m i; le m êm e dessein avait éloign é
S cip ion de son cam p : les deu x troupes se rencontrèrent
et se ch argèrent aussitôt. S cipion avait placé au centre
de son corps de bataille des escadrons de cavalerie gau­
loise, p roba blem en t cé n o m a n e ; ils furent en fon cés par
les Numides, don t les chevaux, rapides com m e l’éclair,
110 portaient ni selle ni m ors. Le consul, blessé et ren­
versé à terre, ne dut la vie qu’ au cou rage de son je u n e
fils. Les légions battirent en retraite la nuit suivante,
repassèren t le Pô et repriren t leu r p rem ière position sous
les m urs de Placentia : A nnibal les y suivit, et plaça son
cam p à six m illes du leur. Le com b at du Tésin n’ avait
été q u ’ un en gagem en t de cavalerie, qui ne com p rom et­
tait le salut ni de l’ une ni de l’ autre arm ée, m ais il re­
leva Annibal aux yeu x des G aulois; les chefs insubriens
a ccou ru ren t le féliciter et lui offrir des vivres et d estrou ­
pes. Le Carthaginois, en retour, garantit leurs terres du
p illa g e ; il ord on na m êm e à ses fourrageurs de respecter
le territoire des C énom ans et des autres peuples cisal­
p in s qu i, soit par affection, soit par in d écision , tenaient
en core po.ur la cause de ses e n n e m is2.
A p ein e les Carthaginois étaient-ils arrivés en vue de
Placentia, que le cam p rom ain fut le théâtre d’u n e défec-

1. P olyb., i *i , 62, 63. — Liv., xxi, 42, 43.


2. P olyb., ni, 65, 66. — L iv., xxi, 44, 45, 46. — A pp., Bell. Auni-
b»U 6.
as tion sanglante. Deux m ille fantassins et deux cents cava­
liers gaulois, faisant partie sans doute de ces corps auxi­
liaires que le consul S cip ion s’ était fait livrer de force
par les Boïes et les Insubres, priren t tout à cou p les
arm es vers la quatrièm e h eure de la nuit, lorsque le
silence et le som m eil régn aien t dans tout le cam p, et se
jetèrent avec u ne sorte de rage sur les quartiers voisins
des leurs. Un grand n om b re de R om ains furent blessés,
un grand n om b re furent tués : les Gaulois, après leur
avoir cou p é la tète, sortirent, et, précédés de ces trophées
sauvages, se présentèrent aux portes du cam p d’A nni-
b a l1. Le Carthaginois les com b la d’éloges et d’ argent,
m ais il les renvoya ch acu n dans sa nation, les chargeant
d’ y travaillera ses intérêts : il espérait que la crainte des
vengeances du consul forcerait leurs com patriotes à se
ran ger im m édiatem ent, b o n gré, m al gré, sous ses dra­
peaux. Il reçut en m ôm e tem ps une ambassade solen­
nelle des Boïes, qui offraient de lui livrer les trium virs
q u ’ils avaient enlevés par ruse au siège de Mutine : A nni-
bal leu r conseilla de les garder co m m e otages et de s ’en
servir à retirer, s’ils pouvaient, leurs an cien s otages des
m ains de la rép u b liq u e*. Quant à S cip ion , dès q u ’ il vit
Annibal s’ap p roch er, il quitta la plaine de Placentia ; et
p o u r se mettre à l’abri de la cavalerie n u m id e, que la
jo u rn é e du Tésin lui avait appris à redou ter, il alla se
retran ch er au delà de la T rébie, sur les hauteurs qui
b )i'd e n t cette rivière. L’arm ée carthaginoise plaça son
cam p près de l’autre rive,
Le territoire des Anam ans était d o n c le théâtre de la

t . HoXXoù; jièv àitsx-ceivav, oùx oxifou; 3è xa-ceTpaviiiâTisav' tiXo; 8s ix :


Xï^aXà; àir0TS[A0VTS; twv tsOvcwtwv, 'J.r.v/foçvyi TCpè; TOÙ; Kapj£/|8ov£ou;.
P olyb., ui, 07.
2 . I d . , i b i d . — L i v . , x x i , 48 .
gu erre et devait l’être lon g tem ps; car S cip ion , ren ferm é
dans ses palissades et sourd aux p rovocation s d’Annibal,
refusait obstiném ent de com battre. Pressés tou t à la fois
par les deu x arm ées, les Anam ans, voulant éviter de plus
grands ravages, prétendaient garder la neutralité : c’était
tout ce qu e dem andaient les Rom ains ; m ais Annibal
avait droit d’ exiger davantage. « Je ne suis ven u que sur
« vos sollicitations, leur disait-il avec co lè re ; c’ est p o u r
« d élivrer la Gaule qu e j ’ ai traversé les A lp e s1. » Irrité
d e leur in a ction , et ayant d’ailleurs épuisé ses p rovi­
sion s de b ou ch e, il fit du rem en t saccager le pays entre
la T rébie et le P ô. Irrités à leu r to u r , ces peu ples offri­
rent au con su l de se d éclarer hautem ent p o u r lui, s’il
arrêtait par sa cavalerie les déprédations des fou rra-
geu rs n u m id es; ils se plaignirent, m êm e qu e leurs
m aux actuels, ils les devaient à leu r p réd ilection m ar­
q u ée p ou r la cause rom a in e ; « P unis de n otre atta­
ch em en t à la rép u b liq u e , disaient-ils, n ous avons droit
de réclam er qu e la rép u b liq u e n ous p r o tè g e 1.»
S cip ion , instruit à se d élier de l’attachem ent des Gau­
lois, laissa les Num ides dévaster tran qu illem en t leurs
terres; mais le secon d consul S em p ron iu s, ja lo u x et pré­
som p tu eu x, tandis que son collèg u e était retenu sous sa
tente par les souffrances de sa blessure, envoya une forte
division au delà de la T rébie ch a rger qu elqu es escadrons
de fourrageurs qui battaient la cam pagne, et les chassa
sans bea u cou p de p e in e . Ce léger avantage l’ en orgueillit
ou tre m esure. 11 ne rêva plus q u ’ une grande bataille el la
défaite com plète d’ A nnibal, qu i, de son côté, s’ em pressa

1 • A Gallis accitum se venisse ad liberandos eos, dictitans. L iv., xxi,

• Auxilium Romanorum terne ob n innam cultorum fidem in llonia-


nos laboranti, oram. Liv., x x ,, 52.
de faire naître un e occasion q u ’il désirait e n co re plus vive­
m en t : rien ne fut si aisé au C arthaginois que d ’attirer son
en n em i dans le p iège. S em p ron iu s passa la Trébie avec
trente-huit m ille Rom ains ou Latins et une division de
Cénom ans ; Annibal com ptait dans son arm ée quatre m ille
Gaulois auxiliaires, ce qu i portait ses forces à trente m ille
h om m es, cavalerie et infanterie. De part et d’autre, les
Gaulois com battirent avec ach arnem ent ; mais tandis qu e
la cavalerie rom ain e fuyait à toute brid e devant les Nu­
m ides, A n n ib a l, ayant d irig é tous ses éléphants réunis
con tre la division cén om a n e, l’ écrasa et la m it en déroute.
Les auxiliaires cisalpins lu i ren diren t d’im portants ser­
vices dans cette jo u r n é e , p rélu d e de ses deu x grands
triom p h es; et lorsq u ’il fit com p ter ses m orts, il trouva
qu e la presque totalité appartenait aux rangs de ces
braves a lliés1.
La fortun e d ’Annibal était dès lors con solidée ; plus d(;
soixante m ille Boïes, Insubres et L igures accou ru ren t, eri
p eu de jo u rs, sous ses drapeaux, et p ortèren t ses forces à
quatre-vingt-dix m ille h o m m e s 2. Avec u n e telle dispro­
p ortion entre le noyau de l’ arm ée p u n iq u e et ses auxi­
liaires, Annibal n’était plus en réalité q u ’ un ch e f de Gau­
lois; et si, dans les instants critiques, il n’eu t pas à se
rep en tir de sa n ouvelle situation, plus d ’ une fois pourtant
il en m audit avec am ertum e les in con vén ien ts. Rien n’ é­
galait, dans les hasards du cliam p de bataille, l’audace et
Je d évou em en t du soldat g a u lois; mais, sous la tente, il
n ’avait ni l’habitude ni le goû t de la subordination m ili­
taire. La hauteur des co n cep tion s d ’Annibal surpassait

1. Euveêaive yàp èXfyouç [xàv t w v ’lê^pwv xal AtBOwv, toùç 8è 7t),s£ov


di7TO).wXéva! twv Ke>Twv. P olyb., n i, 74. — L iv., xxi, 52,
2. L iv., xxi, 38.
son in telligence; il ne com pren ait la guerre qu e telle qu 'il 211
la faisait lu i-m êm e, co m m e un brigandage hardi, rapide,
d on t le m om en t présent recueillait tout le fruit. Il aurait
v ou lu m arch er sur Itome im m éd iatem ent, ou du m oins
aller passer l’hiver dans qu elqu ’ une des p rovin ces alliées
o u sujettes de la rép u b liq u e, en Étrurie ou en O m brie,
p o u r y vivre â discrétion dans le pillage et la licen ce.
Annibal essayait-il de représenter q u ’il fallait m én a ger
ces provin ces, afin de les gagn er à la cause co m m u n e , les
Cisalpins éclataient en m u rm u re s; les com b in a ison s de la
p ru d en ce et du gén ie ne paraissaient à leurs yeux q u ’ un
vil prétexte p ou r les frustrer d ’avantages qu i leur étaient
légitim em en t dévolus. Contraint de céder, Annibal se m il
en rou le p ou r l’ Étrurie, avant qu e l'h iver fût tout h fait
ach evé. Mais des froids rig ou reu x et un ouragan terrible
l’ arrêtèrent dans les défilés de l’A p e n n in i. 11 revint sur ses
pas, bien d écid é à braver le m écon ten tem en t des Gaulois,
et m it le blocu s devant Placentia, où s’ étaient renferm és
en partie les débris de l'arm ée de S cip ion .
S 011 retou r porta au degré le plus extrêm e l’ exaspéra­
tion des Cisalpins; ils l'accu sèren t d’ aspirer à la conquête
d e leur pays; et, au m ilieu m êm e de son cam p, des co m ­
plots s’ ou rd iren t con tre sa v ie 2. II n ’y échappa que par
les précau tion s sans n om b re que lui suggérait un esprit
inépuisable en ruses. Une de ces p récau tion s, s’ il faut en
croire les historien s, était de ch a n g er fréq u em m en t de
coiffu re e td e vêtem en t3, paraissant tantôt sous le costum e
d’ un je u n e h om m e, tantôt sous celu i d’ un h o m m e m û r
0,i d ’ un vieillard; et par ces travestissem ents subits et

*• Liv., xxii, 1. — O ros., iv, 14.


H !u0t' t u s Raîpfi Pr >n c 'P ,im i n s id ii s . L i v . , xxn, 1 . — P o l y b . , m , 78.
p „,„v utan<lo mine vestem, nunc tegumenta canitis. Liv., xxn, 1. —
, ni, 78.
m ultipliés, ou il se rendait m éconnaissable, ou du m oin s
il im prim ait à ses grossiers en nem is une sorte de terreur
su perstitieu se1. Étant parvenu ainsi à gagner du tem ps,
dès qu ’ il vit la saison un peu favorable, il se m it en m arche
p o u r Arétium , où le con su l Flam inius avait rassem blé
une forte arm ée.
Deux ch em in s con duisaien t de l’A pennin dans le voi­
sinage d’Arétium : le plus fréquenté, qui était aussi le plus
lon g, traversait des défilés dont les R om ains étaient m aî­
tres ; l’autre, à p ein e frayé, passait par des m arais qu e le
d ébord em en t de l ’Arno rendait alors presque im prati­
cables. C’était ce d ern ier q u ’Annibal avait ch oisi, parce
q u ’il était le plus cou rt, et que l’ en n em i ne songeait pas
à le lu i d isp u ter. A son départ, les trou p es gauloises
l’avaient suivi avec accla m a tion , m ais cette jo ie fut
co u rte ; à p ein e virent-elles la route où il s’engageait,
qu’ elles se m u tinèren t et v ou lu ren t l’a b a n d on n er: ce ne
fut q u ’avec la plus grande pein e, et presque par force,
qu’ il les entraîna avec lui dans ces m arais. Une fois en ­
gagées, Annibal leur assigna p o u r la m arch e le poste le
plus p én ible et le plus dan gereu x. L’ infanterie africaine
et espagnole form a l’avant-garde ; la cavalerie n u m id e
l’arrière-garde, et les Cisalpins le corps de bataille
L ’avant-garde, fou lan t un terrain e n core ferm e, q u o i­
q u ’elle en fon çât qu elqu efois ju sq u ’à m i-co rp s dan sla vase
et dans l’eau, suivait pourtant ses enseignes avec assez
d’o rd re ; mais lorsqu e les Gaulois arrivaient, ils ne trou -

1. A ûtov ol K eàto I. .., «pedêO T^v ôpüvTeç, e ît a v io v , c.Ta [iîo a m ôX iov,


x a l <tuvex“ Ç ëtepov d? éTÉpov, OocuiAâÇovte;, èSôxouv OétOTSpa; « û a ïw ç Xa^eiv.
A pp., Bell. A nnib., 6 .
2. Primos ire (Hispanos et Afros) ju ssit; sequi Gallos, ut id agminis
medium esset; novissimos ire équités : Magonein iode cum expeditis
Numidis cogéré agmen. L iv., xxn, 2.
vaient plus sous leurs pieds q u ’un sol am olli et glissant, en
d ’où ils ne pouvaient se relever s’ils venaient à tom ber.
Essayaient-ils de m a rch er sur les côtés de la route, ils
s’abîm aient dans les gouffres et les fon drières. Plusieurs
tentèrent de rétrograder, mais la cavalerie leur barrait le
passage et les poursuivait sur les flancs de l’arm ée. On en
vit alors un grand n o m b re , s’abandonnant au désespoir,
se cou ch er sur les cadavres a m on celés des h om m es et des
chevaux, ou sur les bagages jetés çà et là, et s’y laisser
m ou rir d’accablem ent. Durant quatre jo u rs et trois nuits,
l’arm ée ch em in a dans ces m arais, sans prendre ni repos
ni som m eil. Q uoique les souffrances des Africains et des
Espagnols ne fussent p oin t com parables à celles des Gau­
lois, elles ne laissèrent pas d ’être très-vives ; la fatigue des
veilles et les exhalaisons m alsaines causèrent à Annibal la
perte d ’ un œ il. Malgré tout, dès qu’ on eut tou ch é la terre
ferm e, dès qu e les tours d ’Arétium parurent dans le
lointain, ou blian t leu r colère et leurs m aux, les Gaulois
lu ren t les prem iers à c r ie r aux a r m e s 1.
Annibal attira son en n em i dans u ne plaine triangu­
laire, resserrée d’ un côté par les m on tagn es de Cortone,
d ’un autre par le lac Thrasym ène, au fon d par des co l­
lines. On entrait dans ce triangle par u n e étroite chaus­
sée, non loin de laquelle Annibal avait cach é un corps de
N u m ides; le reste de son arm ée était rangé en cercle sur
les hauteurs qui cernaient la plaine. A p ein e l’arrière-
garde rom ain e eut-elle dépassé la chaussée, que les Nu­
m ides, accou ran t à toute brid e, s'en em parèrent et atta­
quèrent Flam inius en q u e u e , tandis q u ’Annibal I’ en -
' eloppait de face et sur les flancs. Ce fut une b ou ch erie
h orrible C ependant, autour du con su l, le com bat se

1 olyb., m , — y v-i XXI,t 2 . — Oros., iv, 15.


soutenait depuis trois heures, lorsqu ’ un cavalier insu­
brien , n om m é D u ca r1, rem arqua le général rom ain,
qu’ il connaissait de vue. « Voilà, cria-t-il à ses com pa­
ct triotes, voilà l’ h o m m e qu i a ég org é nos arm ées, ravagé
« nos cham ps et nos villes; c ’est u n e victim e qu e j ’ im -
» m ole à nos frères assassinés2. » En disant ces mots,
Ducar s’ élance à b ride abattue, culbute tou t sur son pas­
sage, frappe de son gais l’ écu yer du consul, qui s’ était
jeté en avant p ou r le cou v rir de son corps, puis le con su l
lu i-m ê m e , qu ’ il p erce de part en part, le renverse à
terre, et saute de cheval p o u r lui cou p er la tête ou p o u r
le d ép ou iller. Les R om ains a cco u re n t; m ais les Gaulois
sont là p o u r leur faire face, ils les repoussent et co m ­
plètent la d é ro u te . Les Rom ains laissèrent su r la place
qu in ze m ille m orts; du côté d’Annibal, la perte ne fut
qu e de quinze cents hommes, presque tous G a u lo is3.
En recon n aissan ce de ces services signalés, les Cartha­
gin ois ab an donn èren t aux Cisalpins la plus grande
partie du bu tin trouvé dans le cam p de F la m in iu s4.
Du ch am p de bataille de Thrasym ène, Annibal passa
dans l’ Italie m érid ion ale, et livra une troisièm e bataille
aux R om ains, près du village de Cannes, sur les bords
d u lleuve Auiide, a u jou rd ’ hui l’ Offanto. 11 avait alors sous
ses drapeaux quarante m ille h om m es d’ infanterie et dix
m ille de cavalerie, et sur ces cin qu an te m ille com battants,
au m oin s trente m ille Gaulois. Dans l’ ord re de bataille, il
plaça leu r cavalerie à l’aile droite, et au centre le u rin fa n -

1. Ducarius. — L iv., x x .i i , 6 . — Sil. Ital., v, v. 645.


2. Consul en hic est, inquit popularibus suis, qui legiones nostras
cecidit agrosque et urbem est depopulatus. Jain ego hanc victimam Ma-
nibus peremptorum fædo civium dabo. Liv., xxu, 6 .
3. Oî [J-Èv yàp itàvre{ eiç /iXÎO'jç xai TOVTaxoai'ov; ètceuov , <Lv rjo-av ol
rcXsîou; KeXtoî. P olyb., ni, 85.
4. App., Bell, Annib., 6 .
terie, q u ’il réu n it à l’ infanterie espagnole, et q u ’il coin - an
manda lu i-m êm e en p erson n e; les fantassins gaulois,
com m e ils le pratiquaient dans les occasion s où ils étaient
d écidés à vaincre ou à m ou rir, jetèren t bas leur tunique
et leur saie, et com battiren t nus de la cein tu re en haut,
arm és de leurs sabres lon gs et sans p o in t e 1. Ce furent
eu x qu i en gagèrent l’a ctio n ; leu r cavalerie et celle des
Num ides la term in èren t. On sait com b ien le carnage fut
h orrib le dans cette bataille cé lèb re, la plus glorieuse des
victoires d ’A nnibal, la plus désastreuse des défaites de
Home. L orsque le général carthaginois, ém u de pitié,
criait à ses soldats « d’arrêter, d’ épargner les vaincus, »
sans d ou te que les Gaulois, acharnés à la destruction de
leurs m ortels en nem is, portaient dans cette tuerie plus
qu e l’ irritation ordinaire des gu erres, la satisfaction d’ une
vengeance ard em m en t souhaitée et lon gtem ps différée.
Soixan te-dix m ille R om ains y p é rire n t; la perte, du côté
des vainqueurs, fut de cin q m ille cin q cents, sur lesquels
quatre m ille G a u lo is3.
Des soixante milleCisalpins qu’Annibal avait com ptés
au tou r de lui après le com bat de la T rébie, vin gt-cin q
m ille seulem ent d em eu ra ien t; les batailles, les m aladies,
surtout la fatale traversée des marais de l’ Étrurie, avaient
absorbé tout le reste; car ju sq u ’alors ils avaient porté
presque sans partage le poids de la gu erre. La victoire
d o Cannes am ena aux C atbaginois d’autres a u xiliaires;
une m ultitude d’ h om m e s de la Cam panie, de la Lucr.-
nie, du Brutium , de l’Apulie, rem p lit son ca m p ; mais
ce n’ était pas là cette race belliqueuse q u ’ il recrutait

Gallis prælongi ac sine m ucronibus gtadti. L iv., xxn, 40. Super


umhiliC|lm erant nudi. Id., ibid.
* ' Sà 'A v v ië o u , K eV toi u.ev ibiecrov elç TETpaxurj^iXtou;- ’ lë r ip s ; Si
Xa' xiMouç xai TCVTaxoTiouç. P olyb,, m , 117. — Liv., 45, 50,
*i7 naguère sur les rives du P ô. Cannes fut le term e de ses
su ccès; et certes la faute n’eu doit p oin t être im putée à
son gén ie, plus adm irable en core dans les revers que
dans la b o n n e fortun e : son arm ée seule avait ch angé.
Depuis deux m ille ans, l’histoire l’ accuse avec am ertum e
de son in action après la bataille de l’ Aufide et de son
séjou r à Capoue ; peut-être lui reproch erait-elle plus ju s­
tem ent de s’ être éloig n é du n ord de l’ Italie, et d ’avoir
laissé cou p er ses com m u n ica tion s avec les soldats qui
vainquirent sous lu i à Thrasym ène et à Cannes.
*ie Rom e sentit la faute d’A nnibal, elle se hâta d ’en pro­
fiter. Deux arm ées éch elon n ées, l’ une au nord, l’ autre
au m id i, interceptèrent la route entre la Cisalpine et la
Grande-G rèce. Celle du n o r d , par ses in cu rsion s ou par
son attitude m enaçante, occu p a les Gaulois dans leurs
foyers, tandis que la secon d e faisait face aux Carthaginois.
L’année qui suivit la bataille de Cannes, vin g t-cin q m ille
h om m es détachés des légions du n ord sous le com m a n ­
dem en t du préteu r L. P osth u m iu s, s’ étant aventurés
im p ru d em m en t sur le territoire b oïen , y périren t tous
avec leur ch ef. Q uoique le récit de cette catastrophe ren ­
ferm e quelques circon stan ces que l’ on pourrait raison­
nablem ent m ettre en doute, n ous le d on n eron s cep en ­
dant ici tel que les historiens rom ains n ous l’ on t laissé.
Posthum ius, p ou r pén étrer au cœ u r du pays boïen , devait
traverser u ne forêt don t n ous ne con naisson s pas bien la
position : cette forêt était appelée par les Gaulois fJlhann *,
c’ est-à-dire la grande, et par les Rom ains Litana. Les
Boïes s’y placèrent en em b u sca d e, et im agin èrent de
scier les arbres sur pied, ju sq u ’à une certaine distance
de chaque côté de la route, de m anière q u ’ ils restassent

1, Leithann (gaeF), Leadan (corn.), Leilan arm or.),-


en core debout, mais q u ’ une légère im pulsion suffit p o u r sis
les renverser. Quand ils virent les soldais ennem is bien
engagés dans la rou te, qui d’ ailleurs était étroite et em ­
barrassée, ils don n èren t l’im pulsion aux arbres les plus
éloign és du ch em in , et, l’ébranlem ent se com m u n iqu an t
de p roch e en p r o c h e , la forêt s’abattit à droite et à
gau che : h om m es et chevaux tom bèrent é cra sé s1; ce qui
échappa périt sous les sabres gaulois. P osthum ius vendit
ch èrem en t sa v ie; mais enfin il fut, tué et dépouillé. Sa
tête et son arm ure furent portées en grande p om p e par
les Boïes dans le tem ple le plus révéré de leur nation ; et
son crâne, nettoyé et entouré d’ or, servit de cou p e au
grand prêtre et aux desservants de l’autel dans les solen­
nités re lig ie u se s2. Ce que les Gaulois prisaient bien au­
tant que la victoire, ce fut le butin im m ense qu’ elle leur
p rocu ra ; car, à l’exception des chevaux et du bétail, écrasés
en presque totalité par la chute des arbres, tout le reste
était intact et facile à retrouver : il suffisait de suivre les
iiles de l’arm ée ensevelie sous un im m en se abatis.
Cette année, la superstition rom ain e et la superstition
gauloise se trouvèrent co m m e en p résen ce; et certes, dans
cette com paraison, la superstition gauloise ne se m ontra
pas la plus in h u m ain e. Tandis que les Boïes vouaient à
leurs dieu x le crâne d'u n général en n em i tué les arm es
à la m ain, les Romains, p ou r la secon d e fois, tiraient
des cachots deu x Gaulois désarm és, et les enterraient
vivants su r la place du m arché aux bœ ufs 3.

I. T u m extremas arborum succisarum i m p e ll u n t , quse alia in aliam


’ Qstabilem per sc ac maie liærentem incidentes, ancipiti strage, arma,
v" “ s, equos obruerunt. L iv., xxm , 24. — Frontin., Stratag., i, ü.
— P u rg a to inde capite, ut mos iis est, calvam auro cæiavere; idque
iac‘ um vas iis erat, que solem nibus libarent, pocultimque idem sacer-
i oti^esset ac templi antistitibus. L iv., xxm , 24.
■' fatalibits libris sacrificia facta; inter qute Gallus et G alla. Cru»-
sot Cependant A nn ibal, con fin é dans le m id i de l’Italie,
essaya par un coup hardi de ram en er la guerre vers le
n ord , et de rétablir ses com m u n ica tion s avec la Cisal­
p in e. Il envoya l’ ordre à son frère A sdrubal, qu i co m ­
m andait en Espagne les forces pu niques, de passer les
P yrénées et de m arch er droit en Italie par la route q u ’ il
avait frayée, il y avait alors près de douze ans. Asdrubal
reçu t dans la Gaule un accu eil tou t à fait bien veilla n t;
plusieurs nations, entre autres celle des Arvernes, lui fou r­
niren t des s e c o u r s 1. Les sauvages habitants des Alpes
eu x-m êm es ne m iren t aucun obstacle à son passage, ras­
surés qu ’ ils étaient sur les intentions des Carthaginois, et
habitués, depuis le co m m e n ce m e n t de la gu erre, à voir
des bandes d’hommes armés traverser con tin u ellem en t
leurs vallées. En deu x m ois, Asdrubal avait fra n ch i les
Pyrénées et les Alpes; il entra dans la Cisalpine, à la tête
de cin qu an te-deu x m ille com battants, E spagnols et Gau­
lois transalpins : h uit m ille Ligures et un plus grand
n om b re de Gaulois cisalpins se réu n iren t aussitôt à lui.
La p rod igieu se rapidité de sa m arch e avait m is la répu ­
blique en d éfau t: les légions du n ord étaient h ors d’état
de lui résister; et s’ il eût gagné im m édiatem ent l’ Italie
centrale p o u r op érer sa jo n ctio n avec A n n ib a l, Carthage
aurait réparé en peu de jo u r s tout ce q u ’elle avait perdu
depuis la jou rn ée de Cannes. Mais Asdrubal, par u n e suite
fatale de fautes et de m alheurs, précipita la ru in e de son
frère et la sien n e. D’abord il perdit un t^mps irréparable
au siège de Placentia. La résistance p rolon g ée de cette co ­

cus et Græca, in foro boario sub terra vivi demissi sunt in locum saxo
conseptum. L iv., xxu, 57. — P lut., Quæst. R om ., 33.
1. Non enim receperunt m odo Arverni eum, deincepsque aliæ Gallicæ
atque Alpinæ gentes; sed etiam secutæ sunt ad bellum . I jv ., xxvu, 39.
— App., Bell. A nnib., 6 . — Sil. Ital., xv, v. 496 et seqq.
Ion ie ayant perm is aux Rom ains de réu n ir des forces, le 207
consul Livius Salinator vint se poster dans l’ O m brie, sur
les rives du fleuve Métaure, a u jou rd ’h u i le Métro, tandis
qu e Claudius Néron, l’autre co n su l, alla tenir Annibal
en écliec dans le B rutium , avec une arm ée de quarante-
d eu x m ille h om m es. Asdrubal sentit sa faute, et voulut
la rép a rer; m a lheu reu sem en t il était trop tard. Gom m e
le plan de son frère était de transporter le théâtre de la
gu erre en O m brie, afin de s’appuyer sur la Cisalpine, il
lui écrivit de se m ettre en m arch e, que lu i-m êm e s’avan­
cait à sa ren con tre ; m ais ayant n égligé de p ren d re toutes
les p récau tion s nécessaires p o u r lui faire ten ir cette
d ép êch e, elle fut interceptée, et le con su l Néron co n n u t
le secret d ’oïl dépendait le salut des Carthaginois
Il con çu t alors un p rojet hardi qui eût fait h o n n e u r
à A nnibal. Prenant avec lui sept m ille h om m es d’élite,
il part de son cam p dans le plu s grand m ystère, et après
six jou rs de m arch e forcée il arrive sur les bord s du
Métaure, au cam p de son collègu e Livius; ses soldats sont
reçu s de n u il sous les tenles de leurs co m p a g n on s; et
rien n ’est ch an gé à l’ enceinte des retranchem ents, de
p eu r q u ’ A sdrubal, sou p çon n a n t l’arrivée de N éron, ne
refuse le co m b a t; les consuls con vien n ent qu’ on le livrera
le lendem ain. Le lendem ain aussi Asdrubal, qu i venait
d ’arriver, se proposait d ’offrir la bataille; mais, a cco u ­
tu m é à faire la guerre aux R om ains, il observe que la
trom pette son n e deux fois dans leur cam p : il en con clu t
qu e les deu x consuls sont réunis, qu’ Annibal a éprouvé
u 'ie grande défaile ou que sa lettre a été interceptée et
*e nr pian d écon certé. N’osant livrer bataille en de telles
Clrconstances, il fait retraite à la hüte, en rem ontant la

*' xxvn, 41, 42, 43.


rive du fleuve-, la nuit survient, ses guides le Irom pent et
l’abandonnent, et ses soldats, m archant au hasard, s’ éga­
ren t et se dispersent. Au p oin t du jo u r , co m m e il faisait
son d er la rivière p o u r trouver un gué, il aperçoit les en­
seignes rom aines q u i s’ avançaient en b on ordre sur sa
trace. Réduit à la nécessité d’ accepter le com bat, il fait
ran ger son arm ée, e t, alin d ’in tim id er l’e n n e m i, dit un
h istorien , il op pose u n e division gauloise à Néron et à sa
troupe d’élite *.
Pendant les préparatifs des deux arm ées la m atinée
s’ écoula, et une chaleur accablante vint enlever aux sol­
dats d’Asdrubal le peu de forces qu e leu r avaient laissées
les veilles, la fatigue et la s o if2; il m anquait d ’ailleurs
plusieurs corps qui s’étaient égarés durant la nuit, et une
m ultitude de traîneurs restés su rle s routes. Aussi le co m ­
bat ne fut pas lon g à se d é cid e r; les Espagnols et les
L igures plièrent les p rem iers; N éron, sans beau coup de
résistance, culbuta aussi l’arm ée g a u lo is e 3. Ce furent les
représailles de Cannes: cin qu an te-cinq m ille h om m es des
rangs d ’Asdrubal, tués ou blessés, restèrent sur le cham p
de bataille avec leu r g é n é ra l; six m ille furent p ris; les
Rom ains ne perdirent que huit m ille des le u r s 4. Asdru­
b a l, dans cette jou rn é e désastreuse, déploya un cou rage
d ign e de sa fa m ille ; quatre fois il rallia ses troupes

1. Adversus Claudium Gallos opponit, haud tantum eis fidens quantum


ab hoste timeri eos credebat. Liv.. xxvii, 48.
2. Jam diei medium erat, sitisque et calor hiantes cædendos capien-
dnsque affatim præbebat. Id., ibid.
3. Ad Gallos jam cædes pervenerat : ibi minimum certaminis fuit.
Id., ibid.
4. Liv., x x v i i , 49. — Oros., iv, 18 . — Selon Polybe, la perte des
Carthaginois ne monta qu’ à dix m ille hom m es, et celle des Romains
qu’à deux mille.
débandées, et quatre fois il lut aban donn é : ayant enfin
p erdu toute espérance, il se jeta sur une coh orte rom aine,
et tom ba p ercé de cou ps. Vers la fin de la bataille arriva,
du côté du cam p rom ain, un corps de Cisalpins égarés
pen dan t la n u it; Livius ord on n a de les épargner, tant il
était rassasié de carnage : « Laissez-en vivre quelques-
« uns, dit-il à ses soldats, afin q u ’ ils an n on cen t eu x-
« m êm es leur défaite, et q u ’ ils rendent tém oign age de
« notre v a le u r 1. » Pourtant, à la prise du c a m p d ’Asdru-
bal, les vain qu eu rs égorgèren t un grand n om bre de Gau­
lois que la fatigue avait retenus dans leurs tentes, ou qui,
appesantis par l’ivresse, s’ étaient en dorm is sur la paille
et su r la litière de leurs chevaux 2. La vente des captifs
rapporta au trésor p u b lic plus de trois cents ta le n ts3.
La nuit m êm e qu i suivit la bataille du Métaure, Néron
reprit sa m arch e, et retourna dans son cam p du Brutium
avec autant de célérité q u ’il en était ven u. Se réservant la
jou issan ce de porter lu i-m êm e à son en n em i la con firm a­
tion d’ un désastre qu e ce lu i-ci n ’aurait e n co re appris que
par de vagues rum eurs, il avait fait co u p e r et em bau m er
soign eu sem en t la tête de l’ in fortun é Asdrubal. C’était là
la m issive que sa cruauté in gén ieu se im aginait d ’envoyer
à un frère. Arrivé en vue des retran ch em en ts pu niques,
il l’y fit jeter. Cette tête n ’était pas tellem ent défigurée
qu ’A nnibal ne la recon n û t aussitôt. Les p rem ières larm es
de ce grand h om m e furent p o u r son pays. «O Carthage!
« s’écria-t-il, m alheureuse Carthage! je su ccom b e sous le
« p oid s de tes m au x. » L’avenir de cette gu erre et le sien

1. Supersint aliqui nuncii et hostium cladis et nostræ virtutis. Liv.,


x xy n , 40.

• noX).oùç t o v K e ). t w v , èv Taïç fftiéâfft xoijiw jjiévouç, 8ià t ^v fiifbiv,


■'Wt.çxo7tTOv ; , p S; wv Tpo 7tov. P o l y b . , x i , 3 .

m .s ito tüjv T fiaxoaiiiiv TodâvTwv. I d . , i b id . (1 ,6 5 0 ,0 0 (1 fr .)


*07 se m ontraient à ses yeu x sous les plus som bres co u le u rs;
il voyait la Gaule cisalpine d écou ragée m ettre bas les
arm es, et lu i-m êm e, privé de tou t secours, n’ ayant plus
q u ’à p érir ou à quitter h on teusem en t l’ Italie. Telles sont
aussi les pensées que lui prête un célèbre p oëte rom ain ,
dans u n e ode con sacrée à la g loire de Glaudius Néron :
« Je n’ adresserai plus au delà des m ers des m essages
« su p erb es; la m ort d ’Asdrubal a tu é toute notre espé
« ran ce, elle a tué la fortun e de Carthage 1 ! »
Cependant Carthage ne ren on ça pas à ses projets sur
le n ord de l’ Italie, avant d’avoir essayé une troisièm e
exp éd ition . Magon, frère d’ Asdrubal et d’ Annibal, à la
tête de quatorze m ille h om m es, vint débarqu er au port
de Gênes, dans la L igu rie italienne. Dès que le bruit de
son d ébarqu em en t se fut répandu, il vit a cco u rir au tou r
de lui des bandes nombreuses de G a u lois2 qui fuyaient
les dévastations des R om ains; car, depuis la bataille du
Métaure, u n e arm ée rom a in e cam pait au sein de la
Cispadane, brûlant el saccageant tout dans ses courses.
Mais qu elqu es m illiers de volontaires isolés ne pouvaient
suffire au général carthaginois, il lui fallait la co o p é ­
ration fran ch e et entière des nations elles-m êm es; il
voulait qu ’elles s’ armassent en masse p o u r le secon d er
dans ce grand et d ern ier effort.
Ayant d o n c con v oq u é près de lui à Gènes les prin cip a u x
chefs gaulois, il leur parla en ces term es : « Je viens pou r
« vous ren dre la liberté, vous le voyez, c a r je vous am èn e

1. Carthagini jam non ogo nuncios


Mittam superbos. Occidit, occidit
Spes omnis et fortuna nostri
Nominis, Asdrubale interempto.
H o r a t ., O d ., iv , 4 .

2. Crescebat exercitus in dics, ad famara nom inis ejus Gallis undîque


confluentibus. L iv., xxvm , 46.
« des secou rs; toutefois le succès dépend de vous. Vous 207
« savez assez qu ’ u ne arm ée rom aine dévaste m aintenant
« voire territoire, et q u ’u n e autre arm ée vou s observe,
« cam pée en É trurie; c’est à vous de d écid er com b ien
« d ’arm ées et de gén éraux vou s voulez op p oser à deux
« gén éraux et à d eu x arm ées ro m a in e s 1. » C eux-ci rép on ­
diren t « qu e leur b o n n e volon té n ’ était pas équ ivoqu e ;
« m ais qu e ces deux arm ées rom aines don t parlait Magon
« étaient p récisém ent ce qui les forçait à 11e rien p ré ci-
« p iter; q u ’ils devaient, à leurs com patriotes, à leurs
« p ropres fam illes, de ne p oin t aggraver im p ru d em m en t
« leur situation déjà si m isérable. D e m a n d e -n o u s, A
« M agon ! ajoutèrent-ils, des secou rs q u i ne com p rom et-
« tent pas notre sû reté, tu les trouveras chez nous. Les
« m otifs qui n ous lient les m ains ne peuvent p oin t ar-
« réter les L igures, d on t le territoire n ’est pas occu p é.
« 11 leur est libre de p ren dre ou vertem en t tel parti q u ’ ils
« ju g e n t co n v e n a b le ; il est m êm e juste q u ’ils m ettent
« tou te leu r jeu n esse sous les a r m e s 2. »
Les L igures ne refu sèren t pas; seu lem en t ils dem an­
dèren t deu x m ois p o u r faire leurs levées. Quant aux chefs
gaulois, m algré leu r refus apparent, ils laissèrent Magon
recru ter fies h om m es dans leurs ca m p a gn es, et lui firent 2«5
passer secrètem ent en L igu rie des arm es et des v iv res3.
En peu de temps le Carthaginois se vi t à la tête d’ une arm ée

1. Multa m illia ipsis etiam armanda esse, ut duobus ducibus, duobus


exeroitibus romanis resistatur. L iv., xxix, 30.
2. Ea ab Gallis desideraret quibus occulte adjuvari posset : Liguribus
libéra consilia esse : illos armave juventutom , et capessere pro parte bel­
lum æquum esse. Liv., xxix, 5.
3. Mago m ilites... clam per agros eorum m crcede conducere : com -
nieatus quoque om nis generis occulte ad eum a gallicis populis mitte-
bantur. Id ., ibid.
îo5 considérable, et entra p ou r.lors dans la Gaule. Là, pen­
dant deux ans, il tint tête à deux arm ées rom aines, mais
sans p ou v oir jam ais op érer sa jo n ctio n avec A nnibal;
vaincu en fin dans une grande bataille sur les terres des
203 Insubres, et blessé à la cuisse, il se fit transporter à Gênes,
où les débris de son arm ée co m m e n cè re n t à se rallier.
Sur ces entrefaites, des députés arrivèrent de Carthage,
avec ordre de le ram en er en A friq u e1. Son frère aussi,
rappelé par le sénat carthaginois, fut contraint de s’em ­
barqu er à l’autre extrém ité de l’ Italie. Les soldats gaulois
et ligures, qu i avaient servi fidèlem en t Annibal pendant
200 dix-sept ans, ne l’aban donn èren t p oin t dans ses jou rs de
revers : réunis à ceu x de leurs com patriotes q u i avaient
suivi Magon, ils form aien t en core le tiers de l’arm ée
p u n iq u e à Zarna2, dans la jo u rn é e célèbre qui term ina
celte lon gu e gu erre à l’ avantage des Rom ains, et fit voir
le gén ie d’Annibal h u m ilié devant la fortun e de S cipion.
L’ach arnem ent avec lequel les Gaulois com battiren t a été
signalé par les h istorien s ; « Ils se m on trèren t, dit Tite-
« Live, enflam m és de cette haine con tre le peuple rom ain
« particulière à leur r a c e 3. »

1. Liv., xxix, 5.
2. To TpiTOv rrçç (irpaxiaç, KeXxoc xat Acyus;. App., Bell. Pu n., 50.
3. Galli proprio atque insito in Romanos odio inceuduntur. Liv»,
i x x , 33*
CHAPITRE III.

g u e r r e s D R K o a u l o i 8 c i s a l p i n s . Mouvement national d e toute»


D K R N if c R K s

les tribus circumpadanes ; conduites par le Carthaginois Amilcar, elles brû­


lent Placentia ; elles sont défaites. — La guerre se continue avec des succès
divers.— Trahison des Cénomans; désastre de l’armée transpadane.— N o u ­
veaux efforts de la nation boïenne; elle est vaincue. — Cruauté du consul
Quintius Flamininus. — Les débris de la nation boïenne se retirent sur les
bords du Danube.— Brigandages des Romains dans les Alpes, et ambassade
du roi Cincibil.— Des émigrés transalpins veulent s’établir dans la Vén étie;
ils sont chassés. — L a république romaine d é c la r e q u e l ’I ta lie e s t fe r m é e
aux Gaulois.

201 — 17 0.

Magon, en partant p o u r l’Afrique, avait laissé dans la


Cispadanc un de ses officiers, n o m m é Am ilcar, gu errier
exp érim en té, qui s’était attiré la con fia n ce et l’ am itié des
Gaulois durant les d ern ières expéditions ca rth agin oises1.
Reçu par eux co m m e un frère, et adm is dans leurs co n ­
seils, Am ilcar les aidait des lum ières de son exp érien ce.
II les en courageait ch audem ent â ne p oin t dép oser les
arm es, soit qu’ il s’attendit à v oir bien tôt les hostilités se
rallu m er entre R om e et Cartilage, et qu’ il eût m ission de
ten ir les Gaulois en h a le in e ; soit plutôt qu’ il n’envisageât
qu e l’ intérêt du pays où il trouvait l’ hospitalité, et que,
en n em i im placable de Rom e, il préférât u n e vie dure et
agitée parm i des en nem is de R om e à la paix désh onoran te
qu e sa patrie venait de subir. A p ein e le sénat avait-il été

L In iis lotis de Asdrubalis exercitu subititerat. L iv., xxxi. 10.


‘23
débarrassé de la gu erre p u n iq u e, q u ’il s’ était hâté de
ren ou er ses intrigues auprès des nations cisalpines, sur­
tou t auprès des C énom ans. Déjà il était parvenu à déta­
ch er de la con fédération quelques tribus lig u r ie n n e s 1;
mais la pru d en ce et l’activité d ’A inilcar d éjou èren t ces
m en ées; il pressa les Gaulois de re co m m e n ce r la guerre
avant qu e ces défection s les eussent affaiblis, et entraîna
m êm e la jeu n esse cén om an e à p ren dre les arm es m algré
ses chefs. La rép u b liq u e alarm ée sollicita son extradition,
les Gaulois la refusèrent. Elle s’adressa avec m en ace au
sénat de Carthage ; mais le sénat de Carthage protesta
qu’ A m ilcar n ’ était p oin t son agent, q u ’ il n ’était m êm e plus
son sujet-, et il fallut qu e R om e se contentât de ces raisons
bon n es ou m auvaises2. Quant aux Cisalpins, elle lit contre
eu x de grands préparatifs d’ arm es.
L’ ouverture des hostilités ne lu i fut p oin t h eu reu se;
d eu x légions et quatre coh ortes supplém entaires, entrées
par l’ O m brie sur le territoire b o ïe n , pén étrèren t d’abord
assez paisiblem ent ju sq u ’au petit fort de M utilum, où elles
se can ton nèren t; mais, au bout de quelques jou rs, s’étant
écartées dans la cam pagn e p o u r co u p e r les blés, elles
furent surprises et en veloppées. Sept m ille légionnaires,
occu p és aux travaux, p ériren t sur la place avec leu r
général, Caius O p p iu s3; le reste se sauva d’ abord à Muti­
lum , et, dès la nuit suivante, regagna la fron tière dans
une déroute com plète, sans chefs et sans bagages. Undes
consuls, en station dans le voisin age, les réu n it à son
arm ée, fit quelques dégâts sur les terres b oïen n es, puis
revint à R om e sans avoir rien exécuté de plus rem ar­

1. Cum Ingaunis Liguribus fœdus icit. L iv., xxxi, 2.


2. Id., xxxi, 11, 19.
3. Ad septem m illia hom inum palata per segetes sunt cæsa; inter
quos ipse C, Oppius præfectus, Id ., xxxi, 2.
quable Il fut rem placé dans son com m a n d em en t par
le préteur L. Furius P u rpu réo, qu i se rendit avec cin q
m ille alliés latins au quartier d ’hiver d’ A rim inum .
Aux prem iers jou rs du printem ps, quarante m ille co n ­ 200

fédérés, B oïes, In su b res, C énom ans, L igu res, conduits


par le Carthaginois Am ilcar, assaillirent Placentia à l’ im -
proviste, la pillèrent, l’ in cen dièren t, et, d’ une population
de six m ille âmes, en laissèrent à pein e deux m ille sur
des cendres et des ruines 2 : passant ensuite le PO, ils se
d irigèren t vers C rém one, à qu i ils destinaient le m êm e
sort ; mais les habitants, instruits du désastre des Placen-
tins, avaient eu le tem ps de ferm er leurs portes et de se
préparer à la défense, décidés à ven dre ch er leu r vie. Ils
en voyèrent prom p tem ent un cou rrier au préteur Furius
p ou r lui d em an der du secours. Contraint de refuser,
Furius transm it au sénat la lettre des C rém onais, avec
uu tableau inquiétant de la situation et du péril où se
trouvait la colon ie. « De deu x villes échappées à l’h or-
« rible tem pête de la guerre p u n iq u e, écrivait-il, l’une
« est pillée et saccagée, l’autre cernée par l’ en n em i ».
« P orter assistance aux m a lheu reu x Crém onais avec le
« peu de troupes cam pées à A rim inum , ce serait sacri-
« lier en pure perte de nouvelles victim es. La destruc-
« tion d’ uue colon ie rom aine n ’a déjà qu e trop enflé
« l’ orgu eil des barbares, sans que j ’aille l’accroître en -
« core par la perle de m on arm ée 4. » A la reception de

1. Qui nisi quod populatus est Boiorum fines, nihil quod esset m e-
■norabite aliud gessit. Liv., xxxi, 2.
8. Direpta urbe, ac per iram magna ex parte incensa, vix duobus
millibus hominum inter incendia ruinasque relictis... Liv., xxxi, 10.
^*Uarum coloniarum, quæingentem illam tempestatem punici belli
J wl f i s s e n t , alteram captam ac direptam ab hostibus, alteram op-
pugnan. i d., ibid, r
4, Id ., ibid.
cette d ép êch e, le sénat d on na ordre à C. Aurélius, l’un
des consuls, de se ren dre su r-le-ch am p à A rim inum :
quelques affaires retardèrent le départ du con su l ; mais ses
légion s se d irigèrent vers la Gaule à grandes jou rn ées.
Dès q u ’elles furent arrivées, le préteu r L. Furius se
m it en route p ou r C rém one, et vint cam per à cin q cents
pas de l’arm ée des con fédérés. Il avait une belle occa sion
de les battre par surprise, si, dès le m êm e jo u r, il eût
m en é droit ses trou p es attaquer leu r cam p ; car les Gau­
lois, épars dans la cam pagn e, n’ avaient laissé à sa garde
qu e des forces tou t à fait insuffisantes. Furius voulut m é­
n ager ses soldats fatigués par u ne m arche lon g u e et pré­
cipitée, et il laissa aux Gaulois restés dans te cam p le
tem ps de son n er l’alarm e. Les autres, avertis par leurs
cris, eurent bien tôt regagn é les retranchem ents. Dès le
lendem ain, ils en sortirent en bon ord re p o u r présenter
la bataille; Furius l’accepta sans b a la n c e r 1. La charge
des confédérés fut si im pétu euse et si bru squ e, que les
Rom ains pu rent à grand’p ein e o rd o n n e r leurs troupes.
Réunissant tous leurs efforts sur un seul poin t, ils atta­
quèrent d’abord l’aile droite en n em ie, q u ’ ils se flattaient
d’écraser fa cilem e n t; voyant q u ’elle résistait, ils ch er­
ch èren t à la tou rn er, tandis q u e , par un m ou vem en t
pareil, leur aile droite essayait d’ en velop p er l’aile gauche.
Aussitôt qu e Furius aperçut cette m anœ uvre, il lit avan­
cer sa réserve, dont il se servit poui' étendre son fron t
de bataille; au m êm e instant, il fit ch arger à droite et
à gauche par sa cavalerie l’ extrém ité des ailes gauloises;
et lu i-m êm e, à la tête d’ un corps serré de fantassins, se

4. Galli clamore suorum ex agris revocati, oniissa præda, quæ in ma-


nibus erat, castra repetivere; et postero die in aciem progressi : nec Ro
manus moram pugnandi fecit. L iv., xxxi, 21.
porta sur le centre p o u r essayer de le rom p re. Le centre, x »
q u e le d éveloppem en t des ailes avait a ffaibli, fut en fon cé
par l’infanterie rom aine, les ailes par la cavalerie ; les
con fédérés, culbutés de toutes parts, regagnèrent leur
cam p dans le plus grand désordre ; les légions vin ren t
bien tôt les y forcer. Le n om b re des m orts et des p rison ­
niers gaulois fut de tren te-cin q m ille ; quatre-vingts dra­
p eau x et plus de deu x cents chariots tout chargés de
butin tom b èren t entre les m ains du vain qu eu r *. Le Car­
th agin ois Am ilcar et trois des p rin cip a u x chefs cisalpins
périren t en com battant 2. Deux m ille habitants de Pla­
centia, réduits en servitude par les Gaulois, furent ren­
dus à la liberté et renvoyés dans leur ville en ru in e. P our
récom p en se de cette victoire, Furius obtint le triom ph e,
et porta au trésor p u b lic de Rom e trois cent vin gt m ille
livres pesant de cu ivre, et cent soixante-dix m ille d’ar­
g e n t 3. Mais la jo ie des Rom ains "fut de courte durée. îa
L’année suivante, le préteur Cn. llébius Pam philus, étant à
entré tém érairem en t sur le territoire in su brien , tom ba
dans une em buscade où il perdit six m ille six cents
h o m m e s ; ce qui le força d’ évacuer aussitôt le p a y s 4.
Pendant le cou rs de l’année 198, le consul qui le re m ­
plaça se borna à laire ren trer dans leurs foyers les habi­
tants de Placentia et de C rém one qu e les m alheurs de
la guerre avaient d isp e rs é s 8.

1. Cæsa et capta supra quinque et triginta millia, cum signis m ilita-


r ib u s octoginta, carpentis gallicis, multa præda oneratis, plus ducentis.
Liv., xxxi, 21.
“ • Am ilcar, dux pœnus, eo prælio cecidit et très imperatores nobiles
Galiorum. Id ., ibid. - Oros., iv, 20.
3. La livre romaine équivalait il 10 onces 5 gros 40 grains métr.
. Prope cum toto exercitu circumventus, supra sex m illia et sexcen-
tos milites amisit. L iv., xxxu , 7.
Cependant le sénat rom ain se préparait à frapper dans
la Gaule des coups décisifs. Au printem ps de l’année 197,
il ord on n a aux consuls G. Cornélius C éth égu set Q. Mi-
n uciu s Rufus de m archer tous deux en m êm e tem ps vers
le P ô. Le p rem ier se dirigea droit sur l’Insubrie, où des
troupes boïen n es, in su brien n es et cén om an es se réunis­
saient de nouveau ; M inucius, longeant la M éditerranée,
com m en ça ses opérations parla L igu rie cispadane, qu’ en
peu de tem ps il parvint à su bju gu er, ou du m oin s à
détacher de l’ alliance des Gaulois, tout entière, à l’ex­
ception de la tribu des Ilvates; il soum it, dit-on, quinze
villes don t la population se m ontait en masse à vingt
m ille âm es 4. De la L ig u rie , le con su l con d u isit ses
légion s sur les terres b oïen n es. Céthégus, retranché dans
u n e position avantageuse sur la rive gau che du P ô,
attendait, p o u r risquer le com bat, que son collègu e, par
u ne diversion sur la rive droite, obligeât les confédérés
à partager leurs forces. En effet, dès que la nouvelle se
répandit dans la Transpadane que le pays des Boïes était,
à feu et à sang, l’arm ée b oïen n e dem anda à grands cris
que les troupes coalisées l’aidassent d’ abord à délivrer
son territoire; les Insubres, de leur côté,.sou tin ren t la
m ôm e préten tion : « Nous serions fo u s , répon diren t-ils
« aux Boïes, d’ aban d onn er nos p ropres terres au pillage
« p ou r aller défen dre les vôtres 2. » M écontentes l’ une
de l’autre, les deux arm ées se séparèrent ; les Boïes re­
passèrent le P ô ; les Insubres, réunis aux Cénom ans,
allèrent p ren dre position dans le pays de ces derniers,
sur la rive droite du M incio ; et le con su l, les suivant de

1. xv oppida, hom inum xx. m. esse dicebantur, quæ se dediderant.


L iv., x x x i i , 29.
2. Postulare Boii ut laborantibus opem universi ferrent; Insubres ne-
gare se sua deserturos, L iv., x x x i i , 30.
loin, vint adosser son cam p au m ôm e fleuve, environ cin q j
m ille pas au-dessous du leur.
C’était p ou r l’ en n em i une b on n e fortune que le
théâtre de la guerre eût été transporté sur la terre des
Cénom ans, ces vieu x instrum ents de l’ am bition étran­
gère, si lon gtem ps traîtres à leur propre race. Aussi se
hâta-t-il d’ envoyer des ém issaires dans toutes les villes
du pays, surtout à Brixia \ où le con seil national des
chefs et des vieillards s’ était rassem blé. Gagnés par
crainte ou par argent, les p rin cip a u x chefs et les anciens
protestèrent aux agents rom ains q u ’ils étaient étrangers
à tout ce qui s’ était passé, et que, si la jeu nesse avait
pris les arm es, c’ était tou t à fait sans leu r aveu. Plu­
sieurs m êm e se ren diren t au cam p en n em i p o u r con fé­
rer avec le co n s u l, qu i les trouva dévoués à ses intérêts,
mais incertains sur les m oyens de le s e r v ir s. Céthégus
vou lu t que, par leu r a u torité, ou à force d’a rg en t, ils
décidassent l’arm ée cén om a n e à passer im m édiatem ent
aux Homains, ou du m oins à quitter le cam p des In su bres;
les entrem etteurs de la trahison com battirent ce p rojet
com m e im praticable. S eu lem en t, ils en gagèrent leur
parole qu e les troupes resteraient neutres pendant le
p roch ain com b a t, et m êm e tou rn eraien t du côté des
Rom ains, si l’ occasion s’en p ré se n ta it3. Ils entrèrent
alors en pou rparler avec les chefs de l’a rm ée; en peu
de jo u rs, l’od ieu x co m p lo t fut con so m m é , et un traité

1. Mittendo in vicos Cenom anorum , Brixiamque, quod caput gentls


orat... L iv., xxxn, 30. »
2. Non ex auctoritate seniorum juventutem in a m is esse, nec publico
consilio Insubrium defectioni Cenomanos se adjunxisse. Id., ibid. (Cethe-
gus), excitis ad se principibus, ibi agere ac m oliri ccepit, ut... Id ., ibid.
•• Data iides consuli est ut in acie aut quiescerent, aut si qua etiam
occasio fuisset, adjuvarent Romanos. Id., ibid.
iot secret assura à l’en n em i, dans la bataille q u i se prépa­
rait, la coop ération active ou tou t au m oin s passive des
Cénom ans. Bien que ces in trigues eussent été conduites
avec un p rofon d m ystère, les Insubres en con çu ren t
qu elqu e sou p çon \ et, lorsque le jo u r de la bataille arriva,
n ’osant con fier à de tels alliés une des ailes, de p eu r
qu e leu r trahison n ’entraînât la déroute de toute l’ar­
m ée, ils les placèren t à la réserve, derrière les enseignes.
Mais cette précau tion fut in u tile. Au plus fort de la m ê­
lée, les perfides, voyant l’arm ée in su b rien n e p lier, la
ch argèren t tou t à co u p à dos, et o cca sion n èren t sa des­
tru ction totale.
Tandis qu e ces événem ents se passaient dans la Trans-
padane, M inucius avait d ’abord dévasté les terres des
B oïes par des in cu rsion s rap id es; mais lorsque l’arm ée
b oïen n e eut quitté le cam p des coalisés p o u r ven ir dé­
fen dre ses foyers, le con su l s’ était ren ferm é dans ses
retran ch em en ts, attendant l’occa sion de risquer une
bataille décisive. Les Boïes la provoqu aien t avec ardeur,
quand la nouvelle du com bat du M incio et de la d éfec­
tion des C énom ans vint ébran ler leu r con fia n ce ; bientôt
m êm e, le d écou ra g em en t gagnant, ils désertèrent leurs
drapeaux, p o u r aller défendre ch acun sa p ropriété et sa
fam ille. L’arm ée consulaire se vit o b lig ée de ch a n g er son
plan de cam p agn e *. Elle se rem it à ravager les terres, à
brû ler les m aisons, à fo rce r les villes. Clastidium fut
livré aux flam m es : les dévastations durèrent ju sq u ’au
com m en cem en t de l’ h iver; puis les con su ls retournè­
rent à R om e, o ù ils triom p h èren t, C. Céthégus des

1. Suberat tamen quædam suspicio. L iv., xxxn, 30.


2. Relicto duce castrisque, dissipati per vicos, sua ut quisque defen-
derent, rationem gerendi beili hosti mutarunt. Id., xxxn, 31.
Insubres et des Génom ans, Q. M inucius des Boïes. Le 197
p rem ier versa au trésor d eu x cent tre n te -se p t m ille
cin q cents livres pesant de cuivre \ et soixa n te-dix-n eu f
m ille p ièces d’ argent portant p o u r em preinte u n char
attelé de d eu x chevaux 2 ; le secon d u ne quantité d ’ar­
gent équivalente à cin qu an te-trois m ille deux cents de­
niers, et deu x cent cinquante-quatre m ille as en m on ­
naie de cuivre 3. Mais ce qu i fixait surtout les yeux
de la fou le, au triom p h e de Céthégus, c’ était une troupe
de C rém onais et de P lacentins, suivant le ch ar du
triom ph ateu r, la tète couverte du b o n n e t, sym bole de
la lib e rté 4.
Autant les deu x grandes nations gauloises m on traient 19a
de con stan ce à défen dre leu r liberté, autant R om e m it
d ’acharnem ent à v ou lo ir l’étouffer. Pendant l’année 196,
co m m e p en dan t la précédente, les consuls fu ren t em ­
ployés tous deux dans la Gisalpine; leur ch o ix m êm e pa­
raissait dicté par la circon stan ce. L’ un d ’eux, L. Furius
p u rp u réo, s’ était distingué co m m e préteu r dans u n e des
dern ières cam pagn es ; l’autre, Claudius Marcellus, portait
u n n om de b on au gure p o u r u n e guerre gauloise. Tandis
qu e Furius se préparait â le suivre à petites jou rn ées,
Marcellus, se portant directem en t sur la Transpadane,
attaqua et défit l’arm ée in su brien n e dans u ne bataille où,
si les récits des historiens ne sont pas exagérés, elle perdit

1. La livre romaine est évaluée, com m e nous l’avons dit plus haut, à
10 onc. 5 gr. 40 gr., ou 327 gram., 18.
2. C’était une monnaie romaine qui portait le nom de bigati (scil.
num m i), et équivalait à un denier.
3. L’as valait à cette époque une onco (as uncialis) ; le denier peut
être évalué à 82 centimes.
4. Ceterum magis in so convertit oculos Cremonensium Placentino-
rum que colonorum turbapileatorum ,currum sequentium .L iv., x x x i i i , 2 3 .
: quarante m ille h o m m e s 1. La forte ville de Com ou
C om um , située à l’extrém ité m éridion ale du lac Larius
et d on t le n om signifiait garde ou protection*, tom ba en
son p ou voir, ainsi que vin gt-hu it châteaux q u i se ren­
d ire n t3. Le consul revint ensuite sur ses pas p o u r faire
tôte aux Boïes, qu i s’ étaient rassem blés en n om b re con si­
dérable. Mais le jo u r m ôm e de son arrivée, avant q u ’il
eût achevé les retranchem ents de son cam p, assailli brus­
quem ent, il éprouva de grandes pertes, et, après un
com bat lon g et opin iâtre, laissa sur la place trois m ille
légionnaires, ainsi qu e plusieurs chefs de distinction*.
Néanm oins il réussit à term in er les travaux, et, une fois
retranché, il soutint avec assez de b o n h e u r les assauts que
les Gaulois lui livraient sans relâch e. Telle était sa situa­
tion, lorsque son collègu e Furius P urpu réo entra dans
la partie du territoire boïen qu i con û n e avec l’ O m brie et
q u ’on n om m ait la tribu Sappinia.
A cette nouvelle, les lloïes levèrent le siège du cam p
de Marcellus, et cou ru ren t sur la route que l’autre consul
devait traverser, route boisée et p rop re aux em buscades
m ilitaires. P urpu réo approch ait déjà du fort de M utilum,
lorsqu ’ayant eu vent de q u elqu e chose, il rétrograda; et
com m e il connaissait parfaitem ent le pays, par de longs
détours en plaine, il réussit à re jo in d re sans d a n ge r son
collègu e. Les deu x consuls réu nis dévastèrent un grand

1. In eo prælio supra xi. m illia hominum cæsa, Valerius Antius scribit.


L iv., xxxm , 30.
2. Com, en langue gaelique, signifie sein, giron, et dans le sens
figuré, garde, protection. — Comas, pouvoir; comaraich, protéger, etc.
— Comum est aujourd'hui la ville de Côme.
3. Comum oppidum intra dies paucos captum ; castella inde duodetri-
ginta ad consulem defecerunt. L iv., xxxm , 36.
A. Ad tria m illia hom inum ... illustres viri aliquot in illo tumultuario
prælio ceciderunt. Id., ibid.
n om b re de villes fortifiées et non fortifiées, et B ononia,
capitale de tout le territoire *; partout où ils prom en aien t
leu rs ravages, les vieillards, les fem m es, la population
désarm ée des cam pagnes, s’ em pressaient de faire acte ap­
parent de soum ission à la rép u bliqu e ro m a in e ; mais toute
la jeunesse, réfugiée en arm es au fond des forêts, suivait
leur m arche, ne les perdant jam ais de vue et épiant l’o c­
casion favorable p o u r tes surprendre et les e n v elop p er2.
B oïes et Rom ains traversèrent ainsi, en s’ observant m u ­
tuellem ent, une grande partie de la Cispadane, et passè­
rent ensuite en L igurie. A la fin, 1!arm ée b oïen n e, déses­
pérant de faire tom ber dans le p iège un général tel que
L. Furius, accou tu m é de lon gu e m ain à ce genre de guerre,
fran ch it le P ô, et se jeta sur les terres de quelques tribus
ligurien nes qu i avaient fait leur paix avec R o m e 3. A son
retour, elle longeait l’ extrêm e frontière ligurien ne, char­
gée de butin, lorsqu’ elle rencontra l’arm ée des consuls.
Le com bat s’ engagea plus brusquem ent et se soutint plus
vivem ent que si les deux partis b ien préparés eussent
ch oisi le tem ps et le lieu à leur con venan ce. « On vit en
« cette occasion , dit un historien latin, com b ien les
« haines nationales ajoutent d’ én ergie au co u ra g e; plus
« altérés de sang que désireux de victoire, les Rom ains
« com battirent avec un tel ach arnem ent qu’à pein e lais-

1. üsque ad Felsinam oppidum populantes peragraverunt. L iv., xxxni,


37. — Felsina était, comme on l’a vu plus haut, l’ancien nom de Bononia
fiiez les Étrusques.
2. Boii fere omnes, præter juventutem, quæ prædandi causa in armis
erat (tune in dévias silvas recesserat), in ditionem venerunt... Boii ne-
gligentius coactum agmen Romanorum quia ipsi procul abesso viderentur,
im proviso aggressurosse rati,per occultos saltus sccuti sunt. Liv., xxxm ,
37.
3. Lævos, Libuosque qimm pervastassent. Id., ibid.
« sèrent-ils éch ap per un Gaulois *. » P ou r rem ercier les
dieu x de l’ heureu se issue de la cam pagne, le sénat dé­
créta trois jo u rs de prières p u bliqu es. Le pillage de cette
année valut au trésor p u b lic de llom etrois cent vingt m ille
livres d’ a ira in , et deu x cen t trente-quatre m ille pièces
d’argent à l’ em preinte d ’un ch ar attelé de deu x chevaux.
La cam pagn e de 195 s’ ou vrit en core, p o u r les Rom ains,
sous les auspices les plus favorables; le consul L. Valé-
rius Flaccus battit l’arm ée b oïe n n e , près de la forêt Li-
tana, et lu i tua h uit m ille h o m m e s; mais ce fut là tout :
Valérius perdit le reste de la saison à faire recon stru ire
les m aisons de Placentia et de C ré m o n e 2. Chargé, l’année
suivante, en qualité de p rocon su l, des opérations m ili­
taires dans la Transpadane, il y m ontra plus d’ activité.
Une arm ée boïen n e , sous la con duite d’ un ch e f n om m é
D orulac, était ven ue soulever les In su b re s: Valérius atta­
qua, près de M édiolanum , leurs forces réunies, les défit,
et leu r tua dix m ille h o m m e s 3.
R om e em ploya contre la Cisalpine trois arm ées â la fois.
Tandis qu’ un p rocon su l tenait en respect la Transpadane,
les deux consuls avec leurs légion s occu p a ien t la rive
droite du P ô, ce qu i fit m on ter à soixa n te-cin q m ille
h om m es en viron les troupes actives, sans p réju d ice des
garnisons des places et des m ilices colon iales. l)e son
côté, la courageuse nation b oïen n eép u isa it toutes les res­
sources du patriotism e. Son ch e f suprêm e, qu e les anna­
listes latins appelaient B oïo-rix, transform ant en core ici

1. Ibi quantam vim ad stimulandos animos ira haberet apparuit :


nam ita cædis magis quam victoriæ avidi pugnarunt Romani, ut vix nun-
cium cladis hosti relinquerent. Liv., x x x m , 37, — O ros., iv, 20. —
Fasti Capitol.
2. Liv., xxxiv, 21, 42.
3. Id ., xxxiv, 40. — Oros., iv, 20.
en nom propre un titre de com m a n d em en t, son c h e f1 10*
organisa l’arm em ent de toute la population, et pourvut
à la défense de la Cispadane', pendant que D orulac faisait
sur l’Insubrie sa m alheureuse tentative; de sorte que le
con su l Tib. S em pron iu s L ongus, arrivé le p rem ier à la
fron tière gauloise, la trouva gardée par des forces respec­
tables. Le n om bre et la con fia n ce des Gaulois l’in tim idè­
ren t; n’ osant livrer bataille, il se retrancha dans un poste
avantageux, et écrivit à son collègu e, I*. Scipion l’ Afri­
cain , de ven ir le rejoin d re im m édiatem ent, espérant,
ajoutait-il, traîner les choses en lon g u eu r ju sq u ’à ce
m om en t*. Mais le m otif qui portait le consul à refuser le
com b a t était celui-là m êm e qui poussait les Gaulois à le
p rov oq u er : ils voulaient b ru squ er l'affaire avant la jo n c ­
tion des légions. Deux jo u rs de suite, ils sortirent de leurs
cam pem ents, et se ran gèrenten bataille, appelant à grands
cris l’en nem i et l’accablant de railleries et d’ outrages;
le troisièm e, ils se décidèrent à attaquer, s’ avancèrent au
pied des retranchem ents, et livrèrent un assaut général.
Le con su l fit prendre les arm es en toute hâte, et ordonna
à deux légions de sortir par les deu x portes p rin cip a les;
mais les passages étaient déjà ferm és par les assiégeants.
Longtem ps on lutta dans ces étroites issues, n on -seu le­
m ent à grands cou p s d ’épée, mais b ou cliers con tre b o u ­
lie r s et corps à corps, les Rom ains p o u r se faire jo u r, les
Gaulois p ou r pénétrer dans le cam p, ou p o u r em p êch er
leurs en n em is d’ en s o r tir 3. Aucun parti n ’avait l’avantage,

1. Boiorix tune régulus eorum ... L iv., xxxiv, 40. Righ, roi, en gae-
li(iue; rhûy (kim r.), un petit roi, un chef.
Nuncium ad collegam m ittit, ut si videretur ei, maturaret venire;
80 '"g iv e rs a n d o in advontum ejus rem tracturum. Id ., ibid.
batur 'J'" ' n angust'>s pugnatum est; nec dextris magis gladiisqne gere-
’ scutis corporibusque ipsis obnixi urgebant : Romani ut
lorsque le p rem ier cen tu rion de la secon d e lég ion et un
trib u n de la quatrièm e tentèrent un stratagème qui sou ­
vent avait réussi dans des m om ents critiqu es; ils lancè­
rent leurs en seignes au m ilieu des rangs en n em is ; ja­
lou x de recou vrer leur drapeau, les soldats de la secon de
légion ch argèrent avec tant d ’im pétuosité, q u ’ ils parvin­
rent les prem iers à s’ ou vrir une route.
Déjà ils com battaient hors des retranchem ents, et la
quatrièm e légion restait en core arrêtée à la porte, lorsque
les Rom ains en ten d iren t un grand b ru it à l’autre extré­
m ité de leur cam p ; c’ étaient les Gaulois qui avaient forcé
la porte qu estorien n e, et tué le questeur, deux préfets
des alliés et en viron deu x cents soldats ‘ . Le cam p était
pris de ce côté, sans une coh orte extraordinaire, laquelle,
envoyée par le consul p o u r défendre la porte questorienne,
tailla en pièces ou chassa ceu x des assiégean ts qui avaient
déjà p én étré dans l’ enceinte, et repoussa l’irru ption des
autres. Vers le m êm e tem ps, la quatrièm e lég ion , avec
deux coh ortes extraordinaires, vin t à b ou t d ’effectuer sa
sortie. 11 se livrait d o n c trois com bats sim ultanés en trois
différents endroits autour du cam p, et l’attention des
com battants était partagée entre l’ en n em i q u ’ils avaient
en tête, et leurs com p a g n on s, don t les cris con fu s les
tenaient dans l’in certitu de sur leu r sort et sur le résultat
de l’affaire. La lutte dura ju sq u ’au m ilieu du jo u r , avec
des forces et des espérances égales. Enfin les Gaulois,
cédant à une ch arge im pétueuse, recu lèren t ju sq u ’à leur
cam p, mais ils s’ y rallièrent, et à leu r tour, se précipitant

signa foras clïerrent, Galli ut aut ipsi in castra pénétreront, aut exire
Romanos prohibèrent. L iv., xxxiv, 40.
I . In portam quæstoriam irruperant Galli ; resistentesque pertinacius
occiderant L. Posthumium quæstorem, et M. Atinium et P. Sempronium,
præfeçtos sociorum, et ducentos ferme milites. Id., ibid., 47.
sur l’e n n e m i, ils le culbutèrent et le pou rsuiviren t ju s­
q u ’à ses retranchem ents, où. il se renferm a de nouveau.
Ainsi, dans cette jo u rn é e , les deu x partis se virent suc­
cessivem ent v ictorieu x et su ccessivem ent en fu ite 1. Les
Rom ains p u blièren t qu’ ils n’avaient perdu que cin q m ille
h om m es, tandis q u ’ ils en avaient tué on ze m i l l e m a l ­
h eu reu sem en t, les Gaulois ne n ous on t pas laissé leur
bulletin. S em p ron iu s se réfugia dans Placenlia. Si l’on en
croit quelques historiens, S cip ion , après avoir op éré sa
jo n ctio n avec lui, dévasta le territoire des Boïes et des
Ligures, lant que leurs b ois et leurs m arais ne lui o p p o ­
sèrent p oin t de b arrières; d’ autres préten den t que, sans
avoir rien fait de rem arquable, il retourna à R o m e 3.
Cette cam pagne n ’ avait pas été sans gloire p o u r la
nation b o ïe n n e ; mais u ne guerre ch aque année renais­
sante con su m ait rapidem en t sa p op ulation. Elle ren ou ­
vela cepen dan t le m ou v em en t d e l’ année précédente, prit
les arm es en masse, et parvint à so u lev er la L igurie. Le
sénat alarm é p roclam a q u ’ il y avait tum ulte4; des levées
extraordinaires furent mises sur pied, et les deu x consuls
C ornélius Mérula et M inucius T erm us partirent, celu i-ci
pou r la L igurie, celui-là p o u r le pays b oïen . Tant de ba­
tailles perdues, m algré tant d’ efforts de cou rage, avaient
enfin en seign éa u x Gaulois que le m an qu e de d isciplin e et
l’ig n ora n ce de la tactique étaient les véritables causes
de leur faiblesse; ils ren on cèren t d on c, mais trop tard,
au x batailles rangées et aux affaires décisives par masses

1. Ita varia liinc atque illinc nunc Victoria, nunc fuga fuit. Liv.,
**xiv, 4 7 .
Gallorum tamen ad undecim millia, Romanorum quinque miilia
sur>t occisa. Id., ibid.

4 o * " ’ XXXIV’ — O ros., iv, ‘20.


cas res tumultum osse. L iv., xxxiv, 50.
d’ hom ines et en rase cam pagne. Au lieu de ten ir la plaine
com m e auparavant, ils se ralliaient dans les forêts p ou r
tom b er à l’ im proviste sur l’en n em i, dès qu’ il approchait
des bois. Ils fatiguèrent qu elqu e tem ps, par ces m an œ u ­
vres, l’ arm ée du con su l Mérula ; m ais celu i-ci, ayant
d éjou é u n e de leurs em buscades, les força d ’accepter la
bataille; ils se trouvaient alors n on loin de Mutine. La
bataille fut terrible, et dura depuis le com m en cem en t
ju squ ’au m ilieu du jo u r. Le corps des vétérans rom ains,
rom p u par u n e ch arge des Gaulois, fut anéanti. Pendant
lon gtem ps les Boïes, qui n’ avaient que très-peu de cava­
lerie, soutinrent les charges répétées de la cavalerie
rom aine, sans que leur ord on n a n ce en souffrît : leurs
files restaient serrées, s’appuyant les unes sur les autres,
et les chefs, le gais en m ain, frappaient q u icon q u e chan­
celait ou faisait m ine de quitter son r a n g l . Enfin la cava­
lerie des auxiliaires rom ains les entam a, et, pénétrant
p rofon d ém en t au m ilieu d ’eux, ne leur p erm it plus de
se rallier. Les historiens de Rom e avouent que la victoire
fut lon gtem ps incertaine, et coûta b ien du san g; quatorze
m ille Gaulois restèrent sur la place, dix-h u it cents seu­
lem ent m irent bas les a r m e s 2.
Les consuls D om itius Æ nobarbus et L. Quintius Fla-
m in in u s eu rent ordre de con tin u er la gu erre. Les ravages
qu ’ ils exercèren t dans tout le pays durant l’année 192
furent si terribles, q u ’ un grand n om b re de rich es fam illes
gauloises, ne voyant plus de sauvegarde ailleurs, se réfu ­
gièrent dans le cam p m êm e des R o m a in s. Le con seil na­
tional des Iîoïes ne tarda pas n on plus à faire sa paix, et

1. Obstabant duces, hastilibus cædentes terga trepidantium, et redire


in ordines cogentes. Liv., xxxv, 5.
2. Quatuordecim m illia Boiorum cæsa sunt : vivi capti m ille 110 11 a-
ginta d u o ; équités septingenti viginti unus. Id ., ibid.
les p rin cip au x chefs se transportèrent avec leurs fem m es
et leurs enfants auprès des consuls. Le n om b re de ces
m alheureux qui croyaient trouver dans le cam p rom ain,
sous la garantie de l’hospitalité rom aine, repos et respect
p ou r leurs person nes, s’ élevait à quinze cents, appartenant
tous à la classe opulente et la plus élevée en d ig n it é 1.
Mais, plus d’ une fois, ils du rent regretter les cham ps de
bataille, où du m oin s la m ort était utile et glorieuse, où
les souffrances et les outrages ne restaient pas im punis.
Le trait suivant, conservé par l’histoire, fera assez co n ­
naître quelles étaient p ou r les Gaulois suppliants et dés­
arm és la paix du peuple rom ain et l’ hospitalité de ses
consuls.
Q uintius F lam ininus avait am ené de R om e une pros­
tituée qu ’ il aim ait, et co m m e ils s’ étaient m is en route
la veille d ’ un com bat de gladiateurs, cette fem m e lui
rep roch a it quelquefois, en badinant, de l’avoir privée
d’ un spectacle auq u el elle attachait beau cou p de prix. Un
jo u r qu’ il était à table, dans sa tente, avec elle et quel­
ques com p ag n on s de débau che, un licteur l’avertit qu’ un
n oble b oïen arrivait, accom p a g n é de ses enfants, et se
rem ettait sous sa sauvegarde. « Qu’on les a m èn e! »
dit F lam ininus. Introduit sous la tente consulaire, le
Gaulois exposa, par interprète, l’ o b jet de sa visite; et il
s'étudiait, dans ses discours, à intéresser le Rom ain au
sort de sa fam ille et au sien. Mais tandis qu’ il parlait,
une h orrib le idée se présenta à l’esprit de Flam ininus :
« Tu m ’as sacrifié un com bat de gladiateurs, dit-il en
« s’adressant à sa m aîtresse; p ou r t’en d édom m ager,

1. Primo équités pauci cum præfectis, deinde universus senatus, pos-


tremo in quibus aut fortuna aliqua aut diguitas erat, ad m ille quingenti
ad consules transfugerunt. L iv., xxxv, 22.
« veux-tu v oir m ou rir ce G a u lo is1? » Bien éloignée de
croire sérieuse une sem blable prop osition , la courtisane
lit un signe. Aussitôt Flam ininus se lève, saisit son épée
suspendue aux parois de la tente, et frappe à tour de
bras le Gaulois sur fa tète. Étourdi, chancelant, le mal­
h eureu x ch erch e à s’ échapper, im ploran t la fo i divine
et h u m a in e; mais un secon d cou p l’atteint dans le côté,
et, sous les yeu x de ses enfants qui poussaient des cris
lam entables, le fait rou ler aux pieds de la prostituée de
Flam ininus 2. Que devait d o n c faire la soldatesque ro ­
m aine dans sa brutalité, quand ces h orreu rs se passaient
sous la tente des consuls?
La nation b oïen n e avait épuisé toutes ses ressources;
cependant elle ne m it p oin t bas les arm es, mais un pro­
fon d d écou ragem en t paraissait s’être em paré d’ elle. A
com p ter le n om bre de ses m orts dans cette dernière et
funeste année, on eût dit q u ’elle s’em pressait de périr,
tandis que la patrie était en core libre, et qu 'elle n’ a ccou ­
rait plus sur les cham ps de bataille que p o u r y rester.
Dans une seule jou rn ée, le consul Scipion Nasica lui tua
vingt m ille h om m es, en prit trois m ille, et ne perdit lui-
m ôine que quatorze cent quatre-vingt-quatre des siens.
S cipion usa de sa victoire en barbare; il se fit livrer à
litre d’otages ce qu’ il y avait en core dans la nation de
chefs et de défenseurs én ergiq u es, et confisqua au pro­
fit de sa rép u bliqu e ta m oitié du territoire des vain-

1. Vis tu, quoniam gladiatorium spectaculum reliquisti, jam hune


Gallum morientem aspicere? L iv., xxxix, 42.
2. Et quum is vixdum serio annuisset, ad nutum scorti consulem
stricto gladio, qui super caput pendebat, loquenti Gallo caput primum
percussisse, deindc fugienti... latus transfodisse. Id., ibid. — Flamininus
ne fut recherché pour ce crim e que huit ans après, sous la rigoureuse
Censure de Caton.
cas '. Tels furent les massacres et les dévastations com m is
par ses soldats, que lai-m êm e, réclam ant les h onn eu rs du
triom ph e, osa se vanter en plein sénat de n ’avoir laissé
vivants de toute la race b oïen n e, que les enfants et les
v ieillard s2. Par une m oqu erie in d ign e d’ un h o m m e à
q u i les Rom ains avaient décern é le prix de la vertu, il
fit m arch er dans la p om p e de son triom ph e, l’ élite des
captifs gaulois pêle-m êle avec les chevaux prison n iers *.
Le butin de cette cam pagne rapporta au trésor p u b lic
quatorze cent soixante-dix colliers d’ or, deu x cent qua­
ran te-cinq livres pesant d’ or, deux m ille trois cent qua­
rante livres d’argent, tant en barres qu’ en vases de fabri­
cation gauloise, et deux cent trente m ille pièces du m êm e
m é t a l4.
Scipion fut chargé par le sénat de com p léter l’ ou ­
vrage de l’année précédente, en prenant possession à
m ain arm ée du pays con fisq u é; mais la vue des en­
seignes rom aines qu e devaient suivre bientôt des m il­
liers de colon s, porta d a n s ra m e des Roïes u n e d ou ­
leur et un désespoir profon d s : ne pouvant se résigner
à livrer eu x-m êm es leurs villes, à accepter la con dition
d’ esclaves a u sein de leur patrie, p u isqu ’ils ne pouvaient
plus la défendre, ils vou lu ren t l’ a b a n d on n er; les débris
des cent douze tribus boïen n es se levèrent en masse et
partirent. L’histoire, qui s’est com p lu à nous én um érer

5. Agri parte fere dimidia eos mulctavit. Liv., xxxvi, 39. — Obsidoa
tbduxit. Id., ibid., 40.
2- Senes pucrosque Boiis superesse. Id., ibid.
3. Cum captivis nobilibus equorum quoque captorufli gregem tradiïxit.
Id ., ibid.
4. Aureos torques transtulit si. cccc. i.xx, ad hæc auri pondo cc. xi.v;
argenti infecti factique in gallicis vasis, non infabre suo m ore factis, dua
>i. ccc. x l p o n d o ; bigat. nom m . cc. xxxnr. Id., ibid.
si m inutieusem ent leurs défaites, garde un silence pres­
que absolu sur ce tou ch ant et dern ier acte de leu r vie
nationale. Un historien se contente d’ én on cer vague­
m ent que la nation entière fut ch a s sé e 1; un géographe
ajoute qu’ elle traversa les Alpes n oriqu es p o u r aller se
réfu gier sur les bord s du D anube, au con flu en t de ce
fleuve et de la Save 2. Là, elle devint la sou ch e d ’ un petit
peuple dont il sera parlé plus tard 3. Le n o m des Boïes,
des L in gon s, des Anam ans, fut effacé de l’ Italie, ainsi
qu e l’avait été, quatre-vingt-treize ans auparavant, le
n om senonais. Les an cien n es colon ies de C rém one, Pla­
centia 4 et M u tin e 8 fu ren t rep eu p lées; Parm e 6 reçu t
une colon ie de citoyens ro m a in s; l’an cien n e capitale,
B ononia, trois m ille colon s du L a tiu m 7.
Instruits par l’exem p le de leurs frères, les Insubres
s’ étaient hâtés de faire la paix, c ’ est-à-dire, de se re co n ­
naître sujets de R om e ; il y avait déjà cin q ans que leur
in action dans la gu erre b oïen n e leur m éritait l’ in d u l­
g en ce de cette rép u b liq u e. Quant aux C énom ans, la for­
tune récom p en sa leur con d u ite p erfide et lâche. Au m i­
lieu des calam ités qu i accablaient depuis on ze ans la race
gallo-k im riqu e, ce fu ren t ceu x qui sou ffriren t le m oins :
peu d’ entre eux p ériren t sur le cham p de bataille, et le
pillage à p ein e toucha leurs terres. Cette richesse m êm e,

t . IIspt T O Û tto v (juvO suprjaavueî aÙ TO Ù ? ( t o ù î K eV roùç) êx tw v T.l'j


TOV IlâSov TCïSiwv È $ w o 8 s v T a ;... P olyb., il, 35.

2. Me-raorovre; ei; toù; rapt tôv ’ latpov tôtio'jç, nsrà Taupiuxwv cüx&vv.
Strab., 1. v, p. 213.
3. Cæs., Bell. Gall., i, 28. — Strab., 1. v, p . 213.
4. En 190. L iv., xxxvn, 46, 47.
6. En 183. L iv., xxxix, 55.
0. Dans la même année. Id., ibid.
7. En 189. Liv., xxxvn, 57.
il est vrai, excita la cupidité d ’un préteu r rom ain, M. Fu­
rius, can ton né dans la T ranspadane; il ne leur épargna
aucune vexation p o u r faire naître, s’ il était possible,
qu elqu e soulèvem ent don t son am bition et son avarice
pussent tirer p a rti; il alla ju squ ’à les désarm er en
masse ‘ . Mais les Cénom ans ne se soulevèrent p o in t; ils
se contentèrent de porter leurs plaintes au sénat, q u i,
peu sou cieu x de favoriser les vues personnelles de son
préteur, le censura et rendit aux Gaulois leurs arm es*.
Les Vénètes aussi se livrèrent sans cou p férir à la ré­
p u bliqu e r o m a in e , dès q u ’ elle souhaita leur terri­
toire. Il n ’en fut pas de m êm e des L ig u res; cette valeu­
reuse nation résista lon g tem p s, retranchée dans ses
m ontagnes et dans ses b o is ; m ais enfin elle céda com m e
avaient fait les B oïes, après avoir été presque exter­
m inée.
Maîtres de toule l’ Italie circu m padan e, où de n om ­
breuses colon ies répandaient rapidem ent tes m œ urs, les
lois, la langue de Rom e, les Bom ains com m en cèren t à
p rovoq u er les peuplades gauloises des Alpes. Ceux de
leurs généraux qui com m andaient: l’arm ée d ’occu pation
dans la Transpadane s’am usaient, par passe-tem ps, et en
p leine paix, à se jeter sur les villages des pauvres m on ­
tagnards, qu ’ils enlevaient avec leurs troupeaux p o u r les
vendre ensuite à leur profit dans les m archés aux bes­
tiaux et aux esclaves, à C rém one, à Mantua, à Placentia. Le
consul C. Cassius en em m ena ainsi plusieurs m illie r s 3.

1. M. Furius, prætor, insontibus Cenomanis, in pace speciom bclli


qnærens, ademerat arma. Liv., xxxix, 3. — nape),0wv elç tou; Ktvoaavoù;
ç & o ; , TiapeO.eTo Ta ôixÀa, |ir,3àv ëy_wv ÉYx),ïi|ia. D io d . S i c ., x x i x , 14 ,
2. Id ., ibid. — Liv., ioc. cit.
3. Inde (C. Cassium) multa m illia in servitutem abripuisse... Liv.,
De si od ieu x brigandages révoltèrent les peuples des
Alpes ; ils priren t les a rm e s, et dem andèrent du se­
cours au roi C in cib il, un des plus puissants chefs de
la Transalpine orientale. Mais l’ expu lsion des Boïes et
la con quête de toute la C ircum padane avaient répandu
au delà des m onts la terreur du n om rom a in . Avant d ’en
ven ir à la force, Cincibil voulut essayer les voies de pa­
cification. Il envoya à R om e, porter les plaintes des peu­
plades des Alpes, une ambassade présidée par son propre
frère. Le sénat rép on dit « q u ’il n ’avait pu p révoir ces
« violen ces et q u ’il était loin de les a p p rou ver; mais que
« G. Cassius étant absent p o u r le service de la rép u b li-
« que, la ju stice ne perm ettait pas de le condamner sans
« l’e n te n d r e 1. » L’affaire en resta là ; toutefois le sénat
n’ épargna rien p o u r faire ou b lier au ch ef gaulois ses
sujets de m écon ten tem ent. Son frère et lu i reçu ren t en
présent deux colliers d’o r pesant en sem ble cin q livres,
cin q vases d’argent du poids de vin gt livres, deu x che­
vaux caparaçonnés, avec les palefreniers et toute l’ar­
m ure du cavalier; 011 y ajouta des habits rom ains p ou r
tous les gens de l’am bassade, libres ou esclaves. Us o b ­
tinren t en outre la perm ission d’acheter dix chevaux
ch acun et de les faire sortir d ’I ta lie 2.
Un autre évén em en t prouva en core m ieu x à quel point
la catastrophe des Gaulois cisalpins avait effrayé leurs
frères d’au delà des m o n ts, et combien ceux-ci red ou ­
taient d ’entrer en querelle avec la rép u bliqu e.
Une bande de douze m ille Transalpins, franchissant

1. « Senatum ea, quoo facta querantur, uequcscisse futura, neque si


0 sint facta probare : sed indicta causa damnari absontem consularem
« virnm injurium esse... » L iv., x l iii, 5.
2. Ilia petentibus data, ut denorum equorum illis comm crcium esset,
educendique ex Italia potestas fieret. Id., ibid.
tout à coup les Alpes par des défilés ju sq u ’alors in co n - im
nus, descendit dans la Vénétie, et sans exercer aucun ^
ravage, vint poser les fon dem en ts d’ une ville sur le ter­
ritoire où depuis fut construite A quilée ». Le sénat pres­
crivit au com m andan t des forces rom aines dans la Cisal­
p in e de s’ op p oser ù l’ établissem ent de cette c o lo n ie ,
d’abord, s’ il élait possible, sans em p loyer la force des
arm es; sin on , d’appeler â son secours q u elq u ’une des
légion s consulaires. Ce dern ier parti fut celui q u ’ il adopta.
A l’ arrivée du consul, les ém igrants se sou m iren t. Plu­
sieurs d’ entre eux avaient enlevé dans la cam pagne des
instrum ents de labour dont ils avaient besoin ; le consul
les força de livrer, outre ces objets qui ne leur apparte­
naient pas, tous ceu x q u ’ ils avaient apportés de leur
pays, et m êm e leurs propres armes. Irrités de ce traite­
m en t, ils adressèrent leurs plaintes à Rom o. Leurs d é­
putés, introduits dans le sénat, représentèrent « que
« l’excès de la pop u lation , le m anque de terre et la disette
« ieu r avaient fait u n e nécessité de passer les Alpes pou r
ii aller ch erch er ailleurs u n e autre patrie Trouvant un
n lieu inculte et inhabité, ils s’ y étaient fixés sans faire
« tort à p e rso n n e ; ils y avaient m êm e bâti une ville,
« preuve évidente qu ’ ils n ’ étaient venus dans aucun des-
« sein hostile, ni con tre les villes, ni con tre le territoire
« des autres, Som m és de fléch ir devant le peuple rom ain,
« ils avaient préféré une paix sûre plutôt qu’ h on orable,
« aux chances incertaines de la guerre, et s’étaient rc-

1. Galli transalpini transgressi in V enetiam , sine populationc aut


bello, haud procul inde ubi nunc Aquileia est, locum oppido condcndo
ceperunt. L iv., xxxix, 22. — P uodeçim m illia armatorum erant, Jd„
ibid., 54.
2. Se, suporante in Gallia m ultitudino, inopin coactos agri et egestate,
ad quærendam sedem Alpes transgresses,,. Id-, ibid.
« m is à la b on n e fo i de la rép u b liq u e avant de se sou­
ci m ettre à sa puissance. Peu de jo u rs après, ils avaient
« reçu l’ ordre d’ évacuer leur ville et son territoire. Alors
« ils n ’avaient plus son gé q u ’à s’éloig n er sans bruit p ou r
« ch erch er qu elqu e autre asile. Mais v o ici q u ’ on leur
« enlevait leurs arm es, leu r m ob ilier, leurs troupeaux.
« Ils suppliaient d o n c le sénat et le peu ple rom a in de
« ne pas traiter plus cru ellem en t que des en n em is, des
« h om m es à qu i l’on n ’avait à re p ro ch e r au cu n e hosti-
« lité 1. » Le sénat rép on dit « q u ’ils avaient tort de ven ir
« en Italie et de bâtir sur le terrain d ’a u tru i, et sans la
« p erm ission du m agistrat qui com m andait dans la p ro-
« v in c e 2 ; qu e pourtant la spoliation don t ils se plaignaient
« ne pouvait être a p p ro u v é e ; q u ’ on allait en voyer avec
« eu x des com m issaires vers le con su l, p o u r leur faire
« rendre tous leurs effets, mais sous la con d ition qu’ ils
« retourneraient sans délai au lieu d’ où ils étaient partis.
« Ces m êm es com m issaires, ajou tait-on , vous suivront
« de p rè s ; ils passeront les Alpes p o u r sign ifier aux
« peu ples gaulois de préven ir désorm ais toute ém igra-
« tion, de s’abstenir de toute tentative d’irru p tion . La
« nature elle-m êm e a placé les Alpes entre la Gaule et
« l’ Italie, co m m e une barrière in su rm on ta b le; m alh eu r
« à q u icon q u e tenterait de la fr a n c h ir 3 ! »
Les ém igrants, après avoir ramassé ceu x de leurs effets
qu i leur appartenaient réellem ent, sortirent de l’Italie, et
les com m issaires rom a in s se ren d iren t chez les principales

1. Orare se senatum populumque romanum, ne in se innoxios deditos


acerbius quam in hostes sævirent, Liv., xxxix, 54.
2. Neque illos recte gessisse quum in Italiam venirent, oppidumque
in alieno agro, nullius romani magistratus, qui ei provinciæ præesset,
permissu, ædificare conati sint. Id., ibid.
3. Alpes prope inexsuperabilem finem in medio esse : non utique iis
melius fore, quam qui eas primi pervias fecissent. Id., ibid.
nations transalpines, afin d ’y p u blier la déclaration du
sénat. Les réponses de ces peu ples révélèrent assez la
^crainte don t ils étaient frappés. Les anciens allèrent ju s­
qu’à se plaindre de la d ou ceu r excessive du peu ple rom ain
« à l’égard d ’une trou pe de vagabonds qu i, sortis de leur
« patrie sans autorisation légitim e, n ’avaient pas craint
« d’ envaliir des terres dépendantes de R om e et de bâtir
« u n e ville sur un sol usurpé. Au lieu de les laisser par-
« tir im p un is, R om e, disaient-ils, aurait dû leur faire
« exp ier sévèrem ent leur tém érité insolente; la restitution
« de leurs effets étail m êm e un excès d ’in d u lgen ce ca-
« pable d’ en cou rager d ’autres tentatives non m oins
« cr im in e lle s 1. » A ces discou rs dictés par la p eu r les
T ransalpins jo ig n ire n t des présents, et recon duisiren t
h on orab lem en t les am bassadeurs ju sq u ’aux frontières.
N éanm oins, quatre ans après, u n e secon de bande d ’aven­
turiers descen dit en core le revers m éridion al des m onts,
et, s’abstenant de toute hostilité, dem anda des terres
p o u r y vivre en paix sous les lois de la rép u b liq u e. Mais
le sénat lui ordon na im p érieu sem en t de quitter l’Italie, et
chargea l’ un des con su ls de pou rsuivre et de faire p u n ir
p a r leurs nations m êm es les auteurs de cette d é m a r ch e 2.
Ainsi d o n c la haute Italie fut irrévocablem en t perdue
p o u r la race gallo-k im riqu e. Une seule fois, la défaite de
qu elqu es légion s rom aines en Istrie donna lieu à des
m ou vem en ts in su rrectionn els parm i les restes des nations
cisalp in es; mais le tumulte, co m m e disent les historiens

Debuisse gravem temoritatis morcedem statui ; quod vero etiam


Su? reddideriut, vereri ne tanta indulgentia plures ad talia audenda im -
Pellaotur. L iv., xxxix, 55.
rere e t f ° S-800:11118 Ra' ' a excedere jussit, et consulem Q. Fulvium quæ-
f a.nimadvertere in eos, qui principes et auctores transcendendi
A>pes fuissenti Id.t XI>53
latins, fut étouffé sans beau cou p de p ein e. Une seule fois
aussi, et soixante-dix ans plus tard, des Kim ris, venus du
n ord, firent irruption dans l’an cien n e patrie de leurs
frères, mais p o u r y tom b er sous l’ épée victorieuse de Ma­
rius. Les Gaulois avaient habité la haute Italie pendant
quatre cent un ans, à dater de l’invasion de Bellovèse. La
p ériod e de leu r a ccroissem en t com p rit soixante-seize ans,
depuis l’arrivée de leur p rem ière ban de d’ ém igrants ju s­
q u ’à ce qu ’ils eussent con q u is toute la C ircu m padane; la
p ériod e de leu r puissance fut de deu x cent trente-deux
ans, depuis l’entière con quête de la C ircum padane ju s­
q u ’à l’extinction de la nation sen on aise; et de quatre-
vingt-treize celle de leu r décadence, depuis la ru in e des
Senons ju sq u ’à celle des Boïes.
Le territoire gaulois, réu n i à la rép u b liq u e rom a in e,
porta dès lors le n om de Province gauloise cisalpine ou
citèrieure; elle reçu t aussi, mais plus tard, le n om de
Gaule togèe1, qu i signifiait que la toge ou le vêtem ent
rom ain rem plaçait, sur les rives du Pô, la braie et la saie
gauloises; c’est-à-dire que ce q u ’ il.y a de plus tenace dans
les habitudes nationales avait enfin cédé à la force ou à
l’ ascendant m oral du peu ple con quéran t.

1. Gallia togata. Quelques savants pensent que la Gaule cisalpine ne


fut réduite en province romaine qu'après la défaite des Cimlires par ida-
rius, l’an 101 avant notre ère. Elle aurait été jusqu’ à cette époque Consi­
dérée et traitée comme pays subjugué ou préfecture.
CHAPITRE IV.

GAi.r.o-CrFifecB. D e s cr ip tio n g ô o g r a p h iq u o d o c o p a y s ; r a c e s q u i l’ h a b it a io n t ;
s a c o n s titu tio n p o lit iq u e . — C u lte p h r y g ie n d e la G r a n d e -D é e s s e . — Rela~
ii o u d e s G a u lo is a v o c le s a u tres p u iss a n ce s d e l ’ O rie n t. — I.os R om a in s
c o m m e n c e n t la conquête d o l'Asie-Mineuro. — Cn. M a n liu s a tta q u e la
G a l a t i e ; les T o lis t o b o ïe s s o n t v a in cu s s u r le m o n t O ly m p e ; le s T e c t o s a g e s
su r le m o n t M a g a b a . T ra it d e ch a ste té de C h io m a r a . — L a r é p u b liq u e
r o m a in e m é n a g e le s G a la te s . — I.o tr io m p h e e s t r e fu sé , p u is a c c o r d é à
M a n liu s . — L es m œ u r s d es G a la te s s’ a lt ô r o n t ; lu x o e t m a g n ific e n c e d e le u rs
té tra rq u o s. — C a r a c lè r o d es fem m e s g a la t e s ; h isto ir e to u ch a n te d o C a m m a .
— D é c a d e n c e d e la co n s titu tio n p o l it i q u e ; les té tra rq u o s s 'e m p a r e n t do
l'a u t o r it é a b s o lu e . — M ith rid -ito fa it a ssa ssin er le s tétrarejues dans u n festin .
— C o ro i m ou rt d e la m a in d ’u n G a u lo is .

191 — 63.

La Galatie ou Gaule asiatique avait p o u r fron tière : au 241


n ord , la chaîne de m ontagnes qui s’ étend du fleuve San- m
g a riu sa u fleuve Ilalys; nu m idi, cette autre chaîne paral­
lèle à la p rem ière, que les Grecs n om m a ien t Dindyme, et
les Rom ains Adorcus; au levant, elle se term inait à q u el­
qu es m illes par delà Tavion, et n on loin de Pessinonte,
du côté du cou ch an t. Elle avait p o u r voisins im m édiats
les rois de Pont, de Paphlagonie, de Bithynie, d eP erga m e,
de S y ri* et de C appadoce1. Deux grands fleuves et des
affluents n om b reu x arrosaient son territoire en tous sens :
l’ IIalys, sorti des m ontagnes de la Cappadoce, dans la d irec­
tion de l’ouest à l’est, se recou rb a n t ensuite vers le nord,

1. Strab., 1. xii , p. 500. — P lin., v, 32. — L iv., x x xv w , 16 et seqq,


— P tolem ., v, 4. — Zonar., ix, t. I, p. 457, cd. reg.
puis vers le nord-est, en parcourait les parties centrale et
orien tale1; le Sangarius, re n o m m é p o u r ses eaux p ois­
sonneuses 2, coulait du m on t D indym e, à travers la partie
occidentale, et se jetait ensuite dans le P ont-E uxin, non
loin du B osphore.
C’étaient, com m e on l’a vu plus haut, les T olistoboïes
qu i occu p aien t la Galatie occiden tale et les bord s du San­
garius. La ville p h ry g ie n n e de P essinonte, située au pied
du m on t Agdistis, et célèbre dans l’h istoire religieu se de
l’Asie, se trouvait dans leurs d om a in es; ils en avaient fait
leur capitale. Ils possédaient e n core deu x autres places,
P é ïo n 3 et B lou k io n 4, construites postérieurem ent ù la
con qu ête : com m e leurs n om s l’ in diqu aien t en effet, la
p rem ière servait de lieu de plaisance aux chefs tolisto­
boïes, l’autre renferm ait le trésor p u b lic 5.
Les Tectosages habitaient le centre, et avaient p o u r
capitale l’antique ville d’A ncyre, bâtie sur une élévation
à cin q m illes à l’ ouest du cou rs de l’ H a ly s6 et regardée
co m m e la m étropole de toutes les possessions gallo-
grecq u es7.
Les Trocm es, établis à l’orien t, avaient fon d é p o u r leur
chef-lieu Tavion, ou plus correctem ent Taw\ Cette place

1. Strab., 1. xii, p. 546. — Tournefort, Voyage dans le Levant, t. II,


p. 451 et suiv.
2. Piscium accolis ingentem vim præbet. Liv., xxxvm , 18.
3. Pau, Peues, en langue kimrique, loisir et lieu de repos.
4. Blouck, caisse, coffre; par extension, lieu de dépôt.
5. <I>poijpia 8’ aÙThiv l<rc\ te BXoûxiov xai tô n rjïov tSv tà jxàv potaî-
Vaov AïiîOTctpou, x i 8è YaÇocpuXâxiov. Strab., 1. xii, p. 507.
0. Id., ibid. — L iv., x x x v m , 24. — T ournef., Voyage dans le Levant,
t. II, p. ^41 et suiv.
7. Ptolem., v, 4. — Liban., Orat. xxvi. — Inscript. d’Ancyre.
8. Taw (kim r.), taobh (gael.) : lieu habité. Owen’s W elsch dict, —
Armstr., Gael. dict.
devint florissante par la suite et entretint des relations
de com m erce étendues avec la Cappadoce, l’A rm énie et
le P o n t2.
Les trois nations galatès se partageaient en plusieurs
subdivisions ou tribus, telles que : les Votures et les Am-
bitues, chez les T o lis to b o ïe s 3 ; chez les Tectosages, les
T eu tob od es4, an cien s com p a g n on s de Lixtliar, Teutons
d’ orig in e, m êlés m aintenant aux Kim ris, dont ils ont
adopté la la n g u e 5; en fin les T o sio p e s0, don t 011 ig n o re la
p osition .
Q u an ta la p opulation su bju gu ée, elle se com posait de
P hrygiens et de colon ie s grecqu es qui s’ étaient introduites
à différentes époqu es dans le pays, et que la d om ination
d’A lexandre et de ses successeurs en avait ren dues m aî­
tresses. Les P hrygiens étaient n om b reu x , su rlo u td a n s la
partie occiden tale où ils habitaient, sur les deu x rives du
Sangarius, des villages bâtis avec les ru in es de leurs an­
cien n es cités7. G ordium , autrefois capitale d’ u n e grande
m on a rch ie, ne com ptait pius qu e parm i les b ou rg s des
T ectosages; cepen dan t sa situation lui conservait en core
qu elq u e im p ortan ce com m ercia le : placée à une distance
â peu près égale de l’Hellespont, du Pont-E uxin et du
golfe de Cilicie, elle servait de lieu de halte p o u r les m ar­
chands et d’ entrepôt p ou r les m archandises proven ant de

1. Steph. Byz., voc. Ancyra.


2. Strab., 1. xu, p. 567.
3. Voturi et Ambitui. P lin ., v, 32 .
4. Teutobodi, Teutobodiaci. Voy. ci-dessus, livre il.
5. Tptwv Sè 6 v t ( » v àOvwv ôiaoyXwttmv, xai x xt’ âXk’ oOSiv dSï)X\aY|uvwv...
Strab., 1. xii, p. 566.
6. T oüiwtio'.. Plut., de Virtut. m ulier., 33.
7. \Eîù Sè to ü tw ( t S la y y a p ifo ) xà 7ta).aià tw v <I>p\jyâ>v olxY)TY;pta, M î5ou ,
x a i tx\ Tcpoxepov T opoiov x a i âXXiov tivûW, oùô’ fy v ïi crwÇovTa 7tô).swv,
*<»(iai (j.txpt}i (aei'Çoviî àÀXwv. Strab., 1. xu, p. 568.
ces m e r s 1. On ign ore quelle était la disposition des colo­
nies grecques au m ilieu des tribus p h rygien nes. L’ indus­
trie p rin cipale des races subju gu ées consistait à élever
des troupeaux de chèvres, d o n t le p oil fin et soyeux était
aussi rech erch é dans l’antiquité qu’ il l’ est en core de nos
jo u r s 2. La p opulation totale, en y com pren an t les Gau­
lois, les Grecs et les Asiatiques, se subdivisait en cent
quatre-vingt-quinze Cantons3.
Le gou vern em en t que les Kim ro-G alls organisèrent
entre eux fut une espèce de gou vernem ent aristocratique
et militaire. Chacune des nations T olistoboïe, Tectosage
et Trôcrne fut partagée en quatre districts ou tétrarchies,
com m e les Grecs les appelaient, et chaque district régi
par un ch e f suprême ou tétrarque4. Ce n om , tiré de
l’ idiom e des vaincus et d on n é par eux au p rem ier m agis­
trat des conquérants, passa bien tôt dans la langue p oli­
tique de ceu x-ci, et rem plaça le titre gaulois que le ch ef
de district avait dû p orter d’abord. Après le tétrarque, et
au second rang, étaient un magistrat civil ou ju g é , un
com m andan t des troupes, et d eu x lieutenants du co m ­
m an d an t5. En cas de guerre générale, co m m e cela sè
pratiquait chez les autres nations gauloises, un seul ch ef
était investi de l’ autorité souveraine et absolue. Les tétrar­
ch ies étaient électives et tem poraires. Les douze tétrarqùes
réu nis com posaien t le grand con seil du gou vernem ent ;

t. Gordium... haud magnum quidem oppidum est, sed plus qnam


mediterraneum célébré et frequens em porium . Tria maria pari ferme
distantia intervallo lialiet... Liv., xxxvw , 18.
2. Strab., 1. xn, 508. — TourneCort, Voyage dans le Levant, t. II.
3. Populi ac tetrarchiæ om nes, numéro cxcv. Plin., v, 32.
4 . "E x o o tto ëOvr) S ieW v ts; e l ; xi-xxapaç jiE ptîaç, xexpap^tav vÀ.âi/vr,'/
trav, Tetpdpjpiv'fybwav ’iSiov... Strab., 1. xu, p. 507.
5 ........... Ai>'.a<rxr1v ëva, 7-a i ffxpaxosùX axa s v a , virà xo> TSTfâp/ir)' xeraY -
ttévouç {mcKTipaxowXKy.a; êè Svo. Id., ibid,
m ais il existait un secon d con seil de trois cênts m em bres, 241
pris, selon toute apparence, parm i les chefs de tribus cl *
les officiers des arm ées \ et d on t le p o u v o ir était, dans
certains cas, su périeu r à celui du prem ier. Gardien des
privilèges de la race conquérante, il form ait une haute
cou r de ju stice à laquelle ressortissaient toutes les causes
crim in elles relatives aux h om m es de cette race, et nul
Gaulois ne pouvait être p u n i de m ort que sur ses ju g e ­
m ents. Les trois cents se rassem blaient chaque année à
cet effet dans un bois de chênes consacré, appelé Dry-
n é m e t 2.
Les ju g es des tétrarchies et les tétrarques avaient la
d écision des affaires civiles entre Gaulois, et probable­
m en t de toute cause con cern a n t les v a in c u s 3.
La con dition des deu x bran ch es de la p opulation sub­
ju g u é e paraît n’ avoir pas été la m êm e. Les P hrygiens
étaient réduits à la servitude la plus com p lète; mais les
Grecs, rich es, industrieux, adroits, du rent conserver un
peu de liberté, et peut-être u ne partie de leur ancienne
suprém atie à l’ égard de la race asiatique. Par la suite
m êm e, ils acqu iren t des droits politiqu es; u n d ’entre eux,
sous le titre de prem ier des Grecs, prôtos ton Hellènôn, fut
investi d’ une sorte de magistrature nationale, sans doute
de la défense officielle des h om m es de race hellénique,
auprès des con seils et des tétrarques gaulois. Ce person ­
nage, avec le tem ps, prit beau coup d’ im p orta n ce; une
in scription d’Ancyre qui en fait m en tion, n ous le m ontre

1. 'H 6è twv SwSc>t« TeTpafyjJv pouXr], àvSpsç ^crav Tpiay.ôo-ioi. Strab.,


1. x ii, p- 507.

2. EuvTrfYOVTO cz cl; tôv xa),oü[j.svov Apuvaitmov... Id., ibid. — Dcr


Derw, chêne; nemet, temple.
3 . T a |i£v o-jv œ ovixà rj pouW) ïx p iv e , Ta S’ â).).a. o l TtTpap^ai, xat o! fit-
* a ®Ta;. Id ., loc. cit.
24i m arié à u n e fem m e gauloise du plus haut rang et de la
à plus haute orig in e l .
Les Gaulois apportèrent en Asie leurs croyances et
leurs usages religieu x, entre autres celu i de sacrifier les
captifs faits à la g u e r r e 2 ; m ais ils ne se m on trèren t poin t
intolérants p o u r les superstitions des in d igèn es : ils lais­
sèrent les Grecs adorer paisiblem en t Jupiter et Diane, et
les P hrygiens vendre, co m m e auparavant, à toute l’Asie,
les oracles de la Mère des Dieux.
C’ était à Pessinonte, au p ied du m on t Agdistis, que se
célébraien t les grands mystères de la m ère des d ie u x ; là
résidaient son pontife su prêm e et le haut co llè g e de ses
prêtres 3. Elle était représentée par une pierre n oire
in fo rm e, qu’ on disait tom b ée du c i e l 4; et les tem ples
fam eu x élevés en son h o n n e u r, à Pessinonte, sur les
m onts D indym e et Ida, et en b ea u cou p d’autres lieux,
lu i avaient fait d on n e r les su rn om s d’Agdistis, de D indy-
m èn e, d’Idæa, de B érécynthia, de Cybèle c’ était sous ce
d ern ier que les Grecs la désignaient de p référen ce. Ses
prêtres appelés galles, de la petite rivière Gallus q u i passait
p ou r s a cré e 5, se soum ettaient, com m e on sait, à des m u­
tilations honteuses, et sou illaien t le culte de leur divinité
par u ne in fâm e d issolu tion ; mais leurs oracles n’ étaient
pas m oin s en grand crédit, et ils produ isaien t à la Phry­
g ie un reven u im m en se. Si la dom in a tion gauloise ne fit

1. KapaxuXatav ’Ap^iepeCav, ànovovov paaiXétov, Ouya-rsp* tv); MrjTpOTtô-


Xeioç, yuvaty.a ’IouXîou Etoy/ipou, toü 'tpwitou twv ‘ EXXrivwv... Inscription
trouvée à Ancyrc par Tournefort, t. II, p. 450.
2. Athen., îv, 10. — L iv., xxxvin, 47. — Eustath., in Hom er., p.
1294.
3. Strab., 1. xii, p. 507.
4. Lapis nigellus, muliebris oris. Prudent., Peristeph. hym n. x. —
L iv., xxix, 11.
5. O vid., Fast., iv v. 310.
pas en tièrem ent tom b er cette industrie, au m oins dut- 211
elle l’ entraver beau cou p \ et exciter par ce m o tif la haine ^
violente du sacerdoce p h rygien . La d im in u tion de ses re­
ven u s n’ était pas d’ ailleurs la seule ch ose q u i aigu illon ­
nait son patriotism e. A ntérieurem ent à la con quête, il
s’ était arrogé sur la race in d igèn e u ne autorité presque
absolu e, il form a itp a rm i les P hrygiens u n e théocratie que
la con qu ête a b o lit2. Ces m otifs d ’intérêt, fortifiés par un
ju ste ressentim ent de l’ oppression étrangère, suscitèrent
entre les prêtres d’Agdistis et leurs m aîtres une in im itié
m ortelle qui con tribu a puissam m ent à la ruine de ceux-ci.
Ce fut la déesse de P essinonte q u i m it en rapport,
p o u r la p rem ière fois, les Gaulois asiatiques et les Ro­
m ains. Durant la secon d e guerre p u n iq u e, au plus fort des
désastres de Rom e, les prêtres préposés à la garde des
livres sibyllins, en feuilletant ces vieu x oracles p o u r y
trouver l’explication de certains prodiges, lurent que si
jam ais un ennem i étranger envahissait l’Italie, il fallait
transporter de P essinonte à R om e la statue de la m ère des
dieu x, et qu ’ alors la rép u b liq u e serait sauvée 3. Le sénat
s’ em pressa de p ren dre des in form ation s et sur la déesse
et sur les m oyen s de l’attirer en Italie. P ou r toutes ces
ch oses il s’ adressa au roi de P ergam e, qu i, depuis plu ­
sieurs années, était en relation d’am itié avec lui. Le ro i de
P ergam e était ce m êm e Attale qui avait chassé les h ordes
gauloises du littoral de la m er Égée. Une ambassade de
cin q p erson nages distingués se rendit en grande p om p e

1. Strab., x i i , 507.
2. Ol S’ tepeïç to jta).atèv [Uv Suvànrat Tivèç ifaav, lepwdûvriv xapnov-
t'.svoi |AEyà),Y|v... Id ., ibid.
3. Quandoque hostis alienigena terræ Italiæ belium intulisset, cum
1>c" i itaija vinciquc p osse, si mater ldæa Pessinunte Romain advccta
Css« . L iv., xxix, 10.
2ii auprès de lui, sur cin q galères à cin q rangs de ram es.
à Attale les reçu t dans sa ville, avec tout l’ em pressem ent
101
d’ un am i d év ou é; de P ergam e, il les con duisit à Pessi­
nonte, où il obtint p o u r eu x la p ropriété de la pierre
n oire qu i représentait Agdistis ‘ . Q uoique l’ histoire n’ é­
n on ce pas à quelles con d itions les T olistoboïes se dessai­
sirent de leu r grande déesse, on peut croire qu ’ ils la firent
payer ch èrem en t; mais cette aventure élablit entre les
prêtres ph rygien s et les Rom ains des rapports dont les
Gaulois ne tardèrent pas à sentir la con séq u en ce.
Après le partage de la P hrygie et leu r organisation
com m e conquérants sédentaires, les Gaulois s’étaient re­
levés p rom p tem en t des pertes q u ’Attale leur avait fait
éprouver, et ils avaient repris sur l’Asie-M ineure leur
an cien ascendant. Ils sou tin ren t plusieurs guerres contre
l’em pire de Syrie, et presque tou jou rs avec b o n h e u r; deux
rois syriens périren t de leur m ain 2. R éconciliés m êm e
avec le roi de Pergam e, ils lui fou rn iren t des bandes sti­
pendiées au m oyen desquelles cc p rin ce am bitieux éten­
dit sa d om ination su r toute la côte de la m er Égée et de
la P ropontide, et su bju gu a en outre plusieurs provin ces
syriennes. Il faut avouer aussi que plus d’ une fois ces
auxiliaires lui causèrent de terribles em barras. Dans une
218 de ses guerres contre la Syrie, Attale avait loué des Tec­
tosages qu i, d’après la cou tu m e de leur nation, s’étaient
fait suivre par leurs fem m es et leurs enfants 3. Déjà l’ar­
m ée pergam éen n e, après u ne route lon g u e et pén ible,

1. Is legatos comiter acceptos Pessinuntem in Plirygiam deduxit, sa-


trum queeis lapideni, quem matrem deum incolm esse dieebant, tradidit.
Liv., xxix, 11.
2. P olyb., iv, 48. — Plin., vm , 42. — Æ lian., de Anim al., vr, i l ,
3. n o io u jis v o i ttîv < T T p a « f a v | i£ fà y v v a iy . w v xai té x v iü v , £ jr o [jiv c i)v a Ù T O Ïj

to O tw v iv T a ï ; â | iâ !;a iç . P o ly b ., v , 78.
était sur le p oin t île livrer bataille, lorsque, effrayes par
u n e éclipse de lune, les Galates refusèrent obstiném ent
de m arch er plus avant il fallut qu’ AUale leur obéît et
retournât sur ses pas. Craignant m êm e de les m écon ten ­
ter en les licenciant, il leur abandonna quelques terres
sur le bord de l’ Hellespont. Mais les Tectosages, placés
dans u ne con trée enlevée naguère à leurs frères, crurent
p ou v o ir s’ y con d uire en maîtres : ils assaillirent des
villes, ravagèrent des cam pagnes et im posèrent des tri­
buts. Leurs com patriotes, ainsi qu’ une m ultitude de va­
gabon ds et de bandits, a ccou ru ren t se jo in d re à eux, et
grossiren t tellem en t leur n om b re q u ’il fallut deux ans et
le secours du roi de Bithynie p o u r m ettre fin à cette
nouvelle occupation 2.
Sur ces entrefaites, la secon de gu erre pu nique se ter­
m ina. A nnibal, contraint de s’expatrier, vint ch erch er un
refu ge dans l’ A sie-M ineure; là il travailla, de toutes les
ressources de son génie, à susciter aux Rom ains des en ne­
m is et u ne autre gu erre. Rome, par ses victoires dans la
Grèce eu rop éen n e, m enaçait l'Asie d ’ une con quête im m i­
nente, qu i était m êm e en quelque sorte déjà com m e n cé e .
Attale venait de m ou rir, et le royaum e de P ergam e avait
passé entre les m ains d’ E um ène, plus dévoué e n co req u e
ne l’ éla itson prédécesseur aux volontés du sé n a tro m a in ;
de sorte que la répu bliqu e trouvait en lui m oins un allié
q u ’ un lieutenant. Annibal suivait d’un œil inquiet les in ­
trigues et les progrès de ses m ortels ennemis; il s'effor­
ç â t , par ses discours, d’alarm er les rois d’Asie et d’ai-
g u iiion n er leur in d olen ce ; mais ce u x -ci traitaient scs

l î f i f f ô - v ' Vp |J^ v r ' ' k d e tij/ s io ; usM jvriç... oùx âv aaav £ ti rtpoEXOetv tic 16
appréhensions de frayeurs person nelles et de chim ères.
« Nous serions étonnés, lui disaient-ils un jo u r, qu e les
« Rom ains osassent p én étrer en Asie. — Moi, répliqua ce
« grand h om m e, ce qui m ’ étonne b ien davantage, c ’est
« qu’ ils n ’y soient pas déjà *. » Ses sollicitations réussi­
rent enfin auprès d ’A ntiochus, ro i de Syrie, et de son
gen dre Ariarathe, ro i de Gappadoce.
Annibal, dans ses plans d’ une ligu e asiatique con tre
Rom e, avait com p té b ea u cou p sur la coop ération des
Gaulois, dont il connaissait et appréciait si b ien la bra­
vou re. A ntiochus, d’ après ses conseils, alla d o n c hiver­
n er en P hrygie 2, où il con clu t u n e alliance avec les té-
trarques gâtâtes; mais il n ’ obtin t qu’ un petit n o m b re de
troupes, ceu x -ci prétextant que la Galatie n’ était p oin t
m enacée, et que son éloig n em en t de toute m er la m et­
tait à l’ abri des insultes de l’ Italie 3. Les secou rs que le
roi de Syrie ram ena avec lui m ontaient seulem ent à dix
ou douze m ille h om m es, tant auxiliaires qu e volontaires
stipendiés. Il en envoya aussitôt quatre m ille su r le ter­
ritoire de P ergam e, où ils co m m ire n t de tels ravages,
que le ro iE u m è n e , alors absent p o u r le service des Ro­
m ains, se vit contraint de reven ir en hâte; il eut pein e à
sauver sa capitale et la vie de son p ro p re frère 4.
Mais A ntiochus, si mal à p rop os su rn om m é le Grand,
avait trop de p résom ption p o u r se laisser lon gtem ps diri­
ger par A nnibal. Il n’ est pas de notre sujet de ra co n te rici
ses folies et ses revers : on sait que, vaincu en Grèce, il le

1. Magis mirari quod non jam in Asia essent Romani, quam venturos
dubitaro."*Liv., xxxvi, 41.
2. In Phrygia hibernavit undique auxilia accersens. Id ., xxxvn, 8 . —
A pp., Bell, syriac., 6. Suidas, voc, TaXaria.
3. Quia procul mari incolerent,,. L iv., xxxvm , 10.
4. Id., xxxvn, 18.
fut de nouveau en Orient par L. S cipion , près de la ville îoo
de Magnésie. Q uelques jo u rs avant cette bataille fam euse,
lorsqu e l’a n n ée rom a in e était cam pée au b ord d’ une p e­
tite rivière, en face des trou pes d’A ntiochus, m ille Gaulois,
traversant la rivière, allèrent insulter le con su l au m ilieu
de son cam p ; après y avoir m is le désordre, cette troupe
audacieuse fit retraite et repassa le fleuve sans beau coup
de perte ‘ . P endant la bataille, ils ne m on trèren t pas
m oin s d ’ intrépidité-, ils avaient aux ailes de l’arm ée sy­
rien n e huit m ille h om m es de cavalerie et un corps d’ in ­
fanterie ; là, le com bat fut vif, et là s e u le m e n t2.
Les Rom ains avaient anéanti à Magnésie les forces asia­
tiques et grecqu es; toutefois la con quête du pays ne leur
parut rien m oin s qu ’ assurée 3. Ils avaient ren con tré sous
les drapeaux d’A ntioch us q u elqu es bandes d’ u n e race
m oin s facile à vaincre que des Syriens ou des P h ry g ien s:
à l’arm ure, à la bau le stature, aux ch eveux blonds, ou
teints de rou g e, aux cris de guerre, au cliquetis bruyant des
arm es, à l’audace surtout, les légion s avaient aisém ent
re co n n u ce vieil en n em i de R om e q u ’ elles étaient h abi­
tuées à r e d o u t e r 4. Avant de rien arrêter sur le sort des
vaincus, les gén éraux rom ains se d écid èren t d o n c à p o r­
ter la gu erre en Galatie ; et dans cette circon stan ce, les
prétextes ne leu r m anquaient pas. Le con su l Cnéius Man ­
lius, su ccesseu r de Lucius Scipion dans le com m a n d e­
m en t de. l’arm ée d ’Orient, se disposa à en trer en cam ­
pagne dès le p rin tem ps suivant.

1. L iv.yxxxvu i, 48.
2. Tumultuose amno trajecto, in stationes impetum fecerunt; primo
turbaverunt incom positos... Id ., xxxvn, 38.
3. Id., xxxvn, 39, 40 ) xxxvm , 48. — A pp., Bell, syriac., 32.
4. Procora corpora, promiHsæ ctrutilatæ comm, vasta scula, proelongi
B' ad>i, ad hoc cantus inclioantium præ lium ... armorum crepitns... Liv.,
* x x v i„ )
189 Sans doute, les Gaulois avaient été longtem ps pour
l’Asie un épouvantable fléau; mais eux seuls au jou rd ’hui
pouvaient la sauver. Le péril q u i les m enaçait fut p ou r
tous les am is de l’ in dépen dan ce asiatique un p éril vrai­
m en t national. Si Antiochus, faisant un n ouvel effort,
était ven u se réu n ir aux Galates, les choses peut-être
eussent ch an gé de face; mais ce ro i pusillanim e ne son­
geait plus qu ’à la paix, quelle qu’ elle lïlt. H onteux de sa
lâcheté, le roi de Gappadoce, son gen dre, rallia quelques
troupes échappées au désastre de M agnésie, et les co n ­
duisit lu i-m êm e à Ancyre. Le roi de P aphlagonie, Mur-
zês, suivit son ex em p le; ces auxiliaires m alheu reu sem en t
ne form aient que quatre m ille h om m es d ’élite, qu i se
jo ig n ire n t aux Tectosages '. Ortiagon était alors ch e f m i­
litaire de cette nation, ou m êm e, co m m e le fon t présu­
m er quelques circonstances, il était investi de la direction
su prêm e de la guerre. C om b olom a retG a u lotu s com m a n ­
daient, l’ un les ïr o c m e s , l’ autre les T o listo b o ïe s2. « Ortia-
« gon , dit un historien qui l’ a co n n u p erson nellem en t,
« n ’ était pas exem pt d’am bition ; mais il possédait toutes
« les qualités q u i la fon t p a rd on n er. A des sentim ents
« élevés il joig n a it beau cou p de générosité, d’affabilité,
« de p ru d en ce ; et, ce que ses com patriotes estim aient
« plus que tout le reste, nul ne l’égalait en bravoure 3. »
Il avait p o u r fem m e la belle Chiom ara, n on m oins cé­
lèbre par sa vertu et sa force d’âm e que par l’ éclat de sa
beauté.
Cependant le je u n e Attale, frère d’ Eum ène (ce lu i-ci

1. Liv., xxxvm , ‘26.


2. Id., xxxvm , 9. — Suidas, voc. 'Oçmivm.
3. E ùspyETixè; ï)V x a î (/.EvaXôt{/uy_oç, xat x a t à T a ; ÈvT£v!;£t; £Ü-/apt; xat
o u v sto ç t o «tuvé/ov ica pà T a X a ra i;, àvSpwôr); Ÿjv x a i ovvajjuxo; itpo; T a ;
7 ;o).£ jj.tx à ; x p stœ5- P o l y b - i x x i l , 21 ,
était alors à R om e), ne restait pas inactif, et, par ses in - «s®
trigues, cherchait à p réparer les voies aux Romains. Il
attira dans leurs intérêts le tétrarque Épossognat, ami
particulier d’ Eum ène, et qui, seul de tous les tétrarques
gaulois, s’ était op posé dans le con seil à ce que la nation
secou rû t A ntiochus '. Mais la con n iv en ce d’ Épossognat
les servit peu ; car aucun ch ef ne partagea sa défection,
et le peuple repoussa avec m épris la p roposition de parler
de paix 2, tandis qu ’il avait les arm es à la m ain. Dès les
p rem iersjou rs du printem ps, Cn. Manlius se m it en route
avec son arm ée, forte de vingt-deux m ille lé g io n n a ire s3,
et il se ût suivre par Attale et l’arm ée pergam éen n e, qui
renferm ait les m eilleures troupes de la Grèce asiatique, et
des corps d’élite levés soit en Thrace, soit en M acédoin e4.
Avant de m ettre le pied sur le territoire gaulois, le consul
fit faire halte à ses légions, et crut nécessaire de les ha­
ranguer. D 'abord il regardait cette guerre co m m e dan­
gereu se; mais surtout il craignait que les discours des
Asiatiques, en exagérant en core le péril, n’ eussent agi
défavorablem ent sur l’esprit du soldat rom ain . 11 s’ étudia
d o n c à com battre ces terreurs, ch erch ant à dém on trer,
par des raisons qu ’il supposait évidentes, que ces m êm es
Gaulois, redoutables aux bords du Rhône ou du P ô, ne
p ouvaient plus l’être aux bords du Sangarius et de l’ Ha-
lys, du m oins p ou r des légions rom aines.
« Soldats, leur dit-il, je sais que, de toutes les nations
« qui habitent l’Asie, aucune n’ égale les Gaulois en re -
« n om m ée gu errière. C’ est au m ilieu des plus pacifiques
« des h um ain s que ces h ordes féroces, après avoir par-

1- Liv., xxxvm , 18.


2- Id., xxu, 20.
^ Liv., x x x v i i , 39.
L 'v., xxxvm, 12, IN; xxxvn, 30,
« cou ru tout l’ univers, son t venues fon d er un établisse-
« m ent. Cette taille gigantesque, cette épaisse et ardente
« crin ière, ces lon gu es épées, ces h urlem ents, ces danses
« convulsives, tout en eu x sem ble avoir été calculé poui'
« in spirer l’effroi *. Mais que cet appareil im pose à des
« Grecs, à des P hrygiens, à des C ariens; p ou r nous,
« qu’ est-ce autre ch ose qu’ un vain épouvantail? Une
« seule fois jadis, et dans une p rem ière ren con tre, ils
« défirent nos ancêtres sur les bord s de l’Allia. Depuis
« cette ép oqu e, voilà près de deu x cents ans que n ous
« les ég org eon s ou qu e n ous les chassons devant nous,
« co m m e de vils tro u p e a u x ; et les Gaulois on t valu à
« R om e plu s de triom p h es que le reste du m on d e. D’ ail-
« leurs l’ exp érien ce n ous l’a m on tré, p o u r peu q u ’ on
« sache sou ten ir le p rem ier ch o c de ces guerriers fo u -
« gu eu x, ils sont va in cu s; des flots de sueur les in on dent,
« leurs bras faiblissent, et le soleil, la poussière, la soif,
« au défaut du fer, suffisent p o u r les terra sser2. Ce n’ est
« pas seulem ent dans les com bats réglés de lég ion s contre
« légion s que n ous avons éprouvé leurs forces, m ais aussi
« dans les com bats d’ h o m m e à h o m m e . E ncore était-ce
« à de véritables Gaulois, à des Gaulois in d igèn es, élevés
« dans leu r pays, que nos ancêtres avaient*affaire. Ceux-
ci ci ne sont plu s qu’ une race abâtardie, q u ’ un m élange
« de Gaulois et de Grecs, co m m e leu r n om l’in d iqu e
« assez 3. Il en est des h o m m es co m m e des plantes et

1. Omnia de industria composita ad terrorem. L iv., xxxvin, 17.


2. Jam usu hoc cognitum est, si prim um im petum , quem fervido
ingenio et cæca ira effundunt, sustinueris, fliuint sudore et lassitudinc
membra, labantarm a; ......sol, pulvis, sitis, ut ferrum non admoveas,
prosternunt. I d ., i b id .
3. Et illis m ajoribus nostris, cum haud dubiis Gallis, in terra sua
genitis, res erat; hi jam dégénérés sunt m isti, et Gallo-Græci vere, quod
appellantur. Id ., ibid-
« des anim aux, qui, m algré leurs qualités prim itives, isa
« d égén èren t dans un sol étranger, sous l’ in flu en ce d’ un
« autre clim at. Vos en n em is ne sont que des P hrygiens
« accablés sous le p oid s des arm es gauloises 1; vous les
« avez battus quand ils faisaient partie de l’arm ée d’An-
« tiochu s, vous les battrez en core. Des vaincus ne tien -
« d ron t pas con tre leurs vainqueurs, et tout ce qu e je
« crains, c’ est que la m ollesse de la résistance ne d im i-
« nue la gloire du triom p h e.
« Les bêtes sauvages n ou vellem en t prises conservent
« d’ abord leur férocité naturelle, puis s’ apprivoisent peu
« à peu ; il en est de m êm e des h om m es. Croyez-vous que
« les Gaulois soient en core a u jou rd ’hui ce qu’ ont été leurs
« pères et leurs aïeu x? F orcés de ch e rch e r hors de leur
« patrie la subsistance q u ’elle leur refusait, ils on t lon gé
« les côtes de l’Illyrie, p a rcou ru la P éonie et la Thrace,
« en s’ ouvrant un passage à travers des nations presque
« in d om p tables; enfin ils ne se sont établis dans ces con -
« trées que les arm es à la m ain, endurcis, irrités même
« par tant de privations et d’ o b sta cle s2. Mais l’abondance
« et les com m odités de la vie, la beauté du ciel, la d ou -
« ceu r des habitants, on t peu à peu am olli l’àpreté qu ’ ils
« avaient apportée dans ces clim ats. P ou r vous, enfants
n d e Mars, soyez en garde con tre les délices de l’Asie ;
« fuyez au plus tôt cette terre d on t les voluptés peuvent
« co rro m p re les plus m âles courages, d on t les m œ urs
« con tagieu ses deviendraient fatales à la sévérité de votre
« d iscip lin e. H eureusem ent vos en nem is, tout incapables

1. Phrygas igitur gallicis oncratos armis, sicut in acie Antiochi ceci-


üistis, victos victores cædetis. L iv., xxxvm , 17.
'i. Extorres inopia agrorum profecti domo, per asporrimam Illyrici
oram , Pæoniam inde et Thrdciam, ptignando cum fcrocissimis gontibus,
em ensi, lias terras ceperunt... Id., ibid.
« qu’ ils sont de vous résister, n’en on t pas m oins con -
« serve parm i les Grecs la ren om m ée qui fraya la route à
« leurs pères. La victoire que vous rem porterez sur ces
« Gaulois dégénérés vous fera autant d’ h o n n e u r qu e si
« vous trouviez dans les descendants un en n em i dign e
« des ancêtres et de vous l. »
Manlius se dirigea du côté de Pessinonte. Pendant sa
m arch e, la p opulation p h rygien n e et grecqu e lui adressait
de toutes parts des députés p ou r faire acte de soum is­
sion 2. Il reçu t aussi des ém issaires du tétrarque Éposso-
gnat, qui le priait de ne p oin t attaquer les T olistoboïes
avant que lui Épossognat eût fait une nouvelle tentative
p o u r am en er la p a ix ; car il se rendait lu i-m êm e auprès
des chefs tolistoboïes dans cette intention. Le consul con ­
sentit à différer les hostilités quelques jours e n c o r e ; c<>-
p endant il entra plus avant dans la Galatie, et traversa le
pays que l’ on n om m ait Axylon 3, et qui devait ce n o m au
m anque absolu de bois, m ôm e de broussailles, si bien
que les habitants se servaient de fiente de b œ u f p ou r
com bu stible. Tandis qu e les Rom ains étaient cam pés
près du fort de Cuballe, un corps de cavalerie gauloise
parut tout cou p en poussant de grands cris, chargea les
postes avancés des légions, les m it en désordre, et ijia
qu elqu es soldats-, m ais l’alarm e étant parvenue au cam p,
la cavalerie du con su l en sortit par toutes les portes, et
repoussa les assaillants 4. Manlius dès lors se tint sur ses
gardes, m archa en bon ordre, et n ’avança pius sans avoir

1. Belli gloriam victores eamdem inter socios liabcbitis, quam si ser­


vantes antiquum specimen animorum Gallos vicisselis. Liv., xxxvm ,
17.
2. Id., xxxvm , 18.
3. 'Aluî.ov, sans bois.
L iv., xxxvm , 18,
bien fait reconnaître le pays. Arrivé ail bord du Sanga- iro
rius, qui n ’était p oin t guéable, il y fit jeler un pon t et le
traversa.
P endant qu’ il suivait la rive du fleuve, un spectacle
bizarre frappa sesy eu x e tce u x de l’ arm ée. 11 vit s’ avancer
vers lu i les prêtres de la grande déesse, en habits sacer­
dotaux, déclam ant avec em phase des vers où Cybèle p ro­
mettait aux Rom ains u ne route facile, une victoire assu­
rée et l'em p ire du pays \ Le con su l rép on d it qu’ il en
acceptait l’ au gu re; il accueillit avec jo ie ces utiles trans­
fu ges et les retint près de lui dans son cam p. Le lende­
m ain, il atteignit la ville de G ordium q u ’ il trouva co m -
p létem en tvid e d’ habitants, mais b ien fou rn ie de provisions
de toute e s p è c e 2. Là, il apprit qu e toutes les sollicitations
d’ É possognat avaient éch o u é , et que les Gaulois, aban­
d on n an t leurs habitations de la plaine, avec leurs fem m es,
leurs enfants, leurs troupeaux et tout ce q u ’ils pouvaient
em porter, se fortifiaient dans les m ontagnes. C’était au
m ilieu de tout ce désordre qu e les prêtres de la grande
déesse s’ étaient déclarés p o u r les Rom ains, et, désertant
Pessinonte, étaient venus mettre au service du consul
l’autorité d ’A gdislis et de ses m inistres.
L'avis u n an im e des trois chefs de guerre Ortiagon,
Gaulotus et C om bolom ar, avait fait adopter aux Galatès
ce plan de défense. Voyant la population in d ig èn e fu ir ou
se soum ettre sans com bat, et le sacerdoce phrygien tour­
ner son in flu en ce contre eux, ils crurent prudent d’ éva­
cu er leui’s villes, m êm e leurs châteaux forts, et de se trans­
p orter en masse dans des lieux d ’accès difficile, p ou r s’y

1. Galli Matris Magnæ a Pessinunte occurrere cum insignibus sais,


vaticinantes fanatico carm iné, deam Romanis viam belli et victoriam
dare, imperiumque ejus regionis. Liv., xxxvn i, 18.— Suid., voc. râM oi.
2. Liv., ub. supr. — Flor., n, I I ,
0 défendre autant qu ’ils le pourraient. Les T olistoboïes se
retranchèrent sur le m on t Olym pe, les Tectosages sur le
m on t Magaba, à dix m illes d’A n cy re; les T rocm es m irent
leurs fem m es et leurs enfants en dépôt dans le cam p des
Tectosages, et se ren diren t à celu i des T olistoboïes, m e­
nacé directem ent par le consul *. Maîtres des plus hautes
m ontagnes du pays, et approvisionnés de vivres p o u r plu ­
sieurs m ois, ils se flattaient de lasser la patience de l’en­
n em i. Ou bien, p en saien t-ils, il n’ oserait pas les ven ir
ch erch er sur ces hauteurs presque inaccessibles ; ou bien,
s’ il en avait l’ audace, u n e po ig n é e d’h om m es suffirait p ou r
l’arrêter. Si, au contraire, il restait in a ctif a u p ie d de m o n ­
tagnes couvertes de neiges et de glaces perpétuelles, dès
que l’ h iver approcherait, le froid et la faim ne tarderaient
pas à l’en chasser. Bien que l’élévation et l’escarpem ent
des lieux les défendissent suffisam m ent, ils en viron n è­
rent leurs positions d’ un fossé et d’ u ne palissade. Gom me
leurs arm es habituelles étaient le sabre et la lance, ils ne
firent pas grande provision de traits et d ’arm es de jet,
com ptant d’ailleurs sur les caillou x qu e ces m ontagnes
Apres et pierreuses leur fou rn iraient en a b o n d a n c e 2.
Le con su l s’ était b ien attendu q u ’au lieu de jo in d re
son en n em i corps à corps, il aurait à com battre contre la
difficulté du terrain, et il s’ était approvisionn é am plem ent
de dards, de h a s t e s , de b a l l e s de p lom b , et de cailloux
propres à être lancés avec la fron de. Pourvu de ces m u -

1. Tolistobogiorum civitatem Olympum montem cepisse; diversos


Tectosagos aliutn monteri.r qui Magaba dicitur, potisse; Trocm os, conju-
gibus ac liberis apud Tectosagos depositis, armatorum agmino Tolisto-
bogiis statuisse auxilium ferre. L iv., xxxvm , 19. — Flor., i i , 11. — App.,
Bell. Syriac., 42.
2. Saxa affatini pnebiturum asperitatem ipsum locorum credebant,
Liv., loc. cit.
nitions, il m archa vers le m on t Olym pe et s’ arrêta à cin q 189
m illes du cam p gaulois. Le lendem ain, il s’avança avec
Attale et quatre cents cavaliers p o u r reconnaître ce cam p
et la m on tagn e ; mais tout à cou p un détachem ent de ca­
valerie tolistob oïen n c fon d it sur lui, le força de tou rn er
brid e, lu i tua plusieurs soldats, et en blessa un grand
n om bre. Le jo u r suivant, Manlius revint avec toute sa
cavalerie p ou r achever la reconnaissance, et les Gaulois
n ’étant p oin t sortis de leurs retranchem ents, il üt à loisir
le tou r de la m on tagn e. 11 vit que, du côté du m idi, des
collin es revêtues de terre s’ élevaient en pente dou ce ju s­
qu’ à u n e assez grande hauteur ; mais que, vers le nord,
des roch ers à p ic rendaient tous les abords im praticables,
à l’excep tion de trois ; l’ un au m ilieu de la m ontagne,
recou verte en cet en d roi td’un peu de terre; les deux
autres, sur le ro c vif, au levant d’h iver et au cou ch an t
d’ été. Ces observations term inées, il vint le m ôm e jo u r
dresser ses tentes au pied de la m o n ta g n e *.
Dès le lendem ain, il se m it en devoir d’ attaquer. Par­
tageant son armée en trois corps, il se dirigea par la
pente du m id i à la tête du plus con sidérable. L. Man­
lius, son frère, eut l’ ordre de m on ter avec le secon d par
le levant d’hiver, tant que le perm ettrait la nature des
lieux et qu’ il ne courrait aucun risq u e; mais il lui fut
recom m an d é de s’arrêter, s’il ren con trait des escarpe­
m ents dangereux et de rejoin d re la division principale
par des sentiers obliques. G. Helvius, com m andant du
troisièm e corps, devait tou rn er insensiblem ent le pied
de la m on tagn e et tâcher de la gravir par le cou ch an t
d ’été. Les troupes auxiliaires furent égalem ent divisées
en trois corp s; le consul prit avec lui le jeu n e Attale

*• Liv., xxxvm, 20.


quant à la cavalerie, elle resta, ainsi que les éléphants,
sur le plateau le plus voisin du p oin t d ’attaque. Il fut en­
jo in t aux p rin cipau x officiers d’ avoir l’ œil à tout, afin de
porter rapidem ent du secours là où il en serait besoin l .
Rassurés sur leurs lianes, qu’ ils regardaient com m e
inabordables, les Gaulois envoyèrent d ’abord quatre m ille
h om m es ferm er le passage du côté du m idi, en occu p an t
une hauteur éloig n ée de leur cam p de près d’un m ille ;
cette hauteur com m a n d a n t la route, ils croyaien t p o u ­
v oir s’ en servir co m m e d ’ un fort p o u r arrêter la m arch e
de l’e n n e m i2. A cette vue, Cn. Manlius se prépara au
com bat. Ses vélites se p ortèren t en avant des enseignes,
avec les archers crétois d ’Attale, les fron deu rs, et les
corp s de Tralles et de Thraces. L’ infanterie légionn aire
suivit au petit pas, com m e l’exigeait la ro id e u r de la
pente, ramassée sous le b ou clier, de m anière à éviter les
pierres et les flèches. A u ne assez forte distance, le co m ­
bat s’ engagea à cou p s de traits, d ’abord avec un su c­
cès égal. Les Gaulois avaient l’avantage du lieu, les Ro­
m ains celui de l’a b on dance et de la variété des arm es.
Mais, l’ action se p rolon g ea n t, l’ égalité ne se soutint plus.
Les b ou cliers étroits et plats des Gaulois ne les proté­
geaient pas suffisam m ent : bien tôt m êm e, ayant épuisé
leurs javelots et leurs dards, ils se trouvèrent tout à l'ait
désarm és; car, à cette distance, les sabres leur devenaient
inutiles. C om m e ils n’avaient pas fait ch o ix de cailloux
et de pierres à l’avance, ils saisissaient les prem iers qu e
le hasard leu r offrait, la plupart trop gros pou r être m a­
niables et p ou r que des bras in expérim entés sussent en
d irig e r et en assurer les coups 3. Les Rom ains cependant

t. Liv., x x x v i i i , 20.
2. Eo se rati velut castello iter impedituros. Id., ibid., 21.
3. Saxis, nec m odicis, ut quæ non præparassent, sed quod cniqne
faisaient pleu voir sur eux u n e grêle m eurtrière de traits,
de javelots, de balles de p lom b qui les blessaient, sans
qu’ il leu r fût possible d'en éviter les atteintes. L'historien
de cette gu erre, Tite-Live, n ous a laissé un tableau ef­
frayant du désespoir et de la fu reu r où cette lutte inégale
jeta les Tolistoboïes.
« Aveuglés, dit-il, par la rage et par la peu r, leur tète
« s’ égarait; ils n ’ im ag in a ien tp lu sa u cu n m oyen de défense
« con tre un genre d’attaque tout nouveau p o u r eu x. Car,
« tant qu e les Gaulois se battent de près, les cou p s q u ’ils
« peu vent ren dre ne fon t q u ’en flam m er leur co u ra g e ;
« mais lorsque, atteints par des flèch es lancées de loin ,
« ils ne trouvent pas sur qu i se ven ger, ils rugissent, ils
« se précip iten t les uns contre les autres com m e des bêles
« féroces que l’ épieu du chasseur a frappées i. Une chose
d rendait leurs blessures e n core plus apparentes, c ’est
« qu ’ ils étaient com plètem en t nus. C om m e ils ne quittent
« jam ais leurs habits qu e p ou r com battre, leurs corps
« blancs et charnus faisaient alors ressortir et la largeur
« des plaies et le sang q u i en sortait à gros b ou illon s.
« Cette largeur des blessures ne les effraye pas ; ils se
« plaisent, au con traire, à agrandir par des in cision s
« celles qu i sont peu p rofon d es, et se fon t gloire de ces
« cicatrices com m e d’ u n e preuve de valeur 2. Mais la
« p oin te d ’un dard affilé leur pénètre-t-elle fort avant
« dans les chairs, sans laisser d’ ouverture bien apparente,

temore trepidanti ad manum venisset, ut insueti, nec artc, nec viribus


adjuvantes ictum, utobantur. Liv., xxxvm, 21.
1. Ubi ex occulto et procul levibus telis vulnerantur, nec qno ruant
cæco impetu babent, velut feræ trausllMe in b.ios temere iucurrunt. Id.,
ibid.
2. lntcrdum insccta cutc, ubi latlor quam altior plnga est, etiam glo-
jlosius se pugnare putant. Id., ibid.
« et sans qu’ ils puissent arracher le trait, h on teu x et fo r-
« cenés, com m e s’ils m ou raien t dans le désh onn eu r, ils
« se rou len t à terre avec toutes les con vulsion s de la
« rage *. » Tel était le spectacle qu e présentait la divi­
sion gauloise opposée à M anlius; un grand n om bre
avaient m ord u la poussière ; d’ autres priren t le parti d’al­
ler d roit à l’en n em i, et du m oin s ce u x -ci ne périren t pas
sans ven geance. Ce fut le corps des vélites rom ains qui
leur fit le plus de m al. Ces vélites portaient au bras
gauche un b ou clie r de trois pieds, dans la m ain droite
des javelots qu’ ils lançaient de loin, et à la cein tu re une
épée esp a g n ole; lorsq u ’il fallait jo in d re l’ en n em i de près,
ils passaient leurs javelots dans la m ain gauche, et ti-
raient l’ e p é e 2. P eu de Gaulois restaient en core sur pied ;
voyant d on c les légions s’avancer au pas de charge,
ils regagnèrent p récipitam m en t leur cam p, qu e la frayeur
de cette m ultitude de fem m es, d’ enfants, de vieillards
qui y étaient renferm és, rem plissait déjà de tumulte et
de con fu sion . Le vain qu eu r s’ em para de la collin e q u ’ils
venaient d’aban donn er.
C ependant L. Manlius et G. Ilelvius, ch acun dans sa
d irection , avaient m on té au cou ch an t et au levant tant
q u ’ils avaient trouvé des sentiers praticables; arrivés à
des obstacles qu’ ils ne pu rent fran ch ir, ils rétrogradèrent
vers la partie m érid ion ale, et com m en cèren t à suivre
d’assez près la division du consul. C elui-ci avec ses lé­
gion s gagnait déjà la hauteur que ses troupes légères
avaient d ’abord occu p ée. Là il fit faire halte et reprit
1. Iidem, quum aculcus sagittæ introrsus tenui vulnere in speciem
urit... tum in rabiem et pudorem tani parvæ perimentis pestis ver si,
prosternunt eorpora humi... L iv., xxxvm, 21.
2. Hic m iles tripedalem parmam liabet, et in dextera hastas, quibus
eminus utitur ; gladio hispaniensi est cinctus, quod si pede collato pu-
gnandum est, transiatis in lævam liastis, stringit gladium. Id ., ibid.
h alein e; et m ontrant aux légionn aires le plateau jo n c h é
de cadavres gaulois, il s’ écria : « Si la trou pe légère vient
« de com battre avec tant de succès, qu e ne dois-je pas
« attendre de m es légions arm ées de toutes pièces et com -
« posées de l’ élite des braves? Les vélites on t repoussé
« l’ en n em i ju sq u ’à son cam p, où l’a suivi la terreu r; c’ est
« à vous de le forcer dans son dern ier retranchem ent*. »
T outefois il fit p ren dre en core les devants à la troupe lé­
gère, qu i, loin de rester oisive, pendant que les légions
faisaient halte, avait ram assé tou t alentour les traits
épars, afin d’en avoir une p rovision suffisante. A l’ap­
p ro ch e des assiégeants, les Gaulois se rangèrent en ligne
serrée devant les palissades de leur ca m p ; mais exposés
là aux projectiles com m e ils l’avaient été sur la collin e,
ils ren trèren t derrière le retranchem ent, laissant aux
portes u n e forte garde p o u r les défendre. Manlius alors
ord on n a de faire p leu voir sur la m ultitude dont l’ en­
ceinte du cam p était en com b rée, u ne grêle b ien n ourrie
de dards, de balles et de pierres. Les cris effrayants des
h om m es, les gém issem ents des fem m es et des enfants,
an n on ça ien t aux Rom ains qu’aucun de leurs coups n’ é­
tait perd u 5. A l’assaut des portes, les légionn aires eurent
beau cou p à sou ffrir; mais, leurs colon n es d’attaque se
ren ouvelan t, tandis que les Gaulois q u i garnissaient le
rem part, privés d ’arm es de jet, ne pouvaient être d ’au­
cun secours à leurs frères, u n e de ces portes fut forcée,
et les légions se p récipitèren t dans l’ in té r ie u r 3.
Alors la foule desassiégés d éb ou ch a tum ultueusem ent

1. Castra illis capienda esse, in quæ compulsus ab levi armatura


nostis trepidet. L iv., xx xv m , 22.
2. Vulnerari multos clam or permixtus m ulierum atque puerorum
ploratibus significabat. Id., ibid. — App., Bell. Syr., 42.
3. Liv., xxxvni, 22.
par toutes les issues qui restaient e n core libres. Dans
son épouvante, nul danger, nul obstacle, nul p récip ice
ne l’arrêtait; un grand n om b re, roulant au fon d des
abîm es, se tuèrent de la chute, ou restèrent à d em i bri­
sés sur la place. Le con su l, m aître du cam p, en interdit
le pillage à ses troupes et leu r ord on n a de s’ach arner à
la poursuite des fuyards. L. Manlius arriva dans cet in ­
stant avec la secon d e division ; le con su l lui fit la m êm e
défense, et l’envoya aussi poursuivre : lu i-m êm e, laissant
les p rison n iers sous la garde de qu elqu es tribuns, partit
de sa p erson ne. A p ein e s’ était-il éloigné, que C. Helvius
survint avec le troisièm e co rp s ; mais cet o fficier ne put
em p êch er ses soldats de piller le cam p. La cavalerie ro­
m aine était restée pendant qu elq u e tem ps dans l’ in ac­
tion, ign oran t et le com b a t et la v ictoire ; bien tôt aperce­
vant les Gaulois qu e la fuite avait am en és au bas de la
m ontagne, elle leu r donna la chasse, en massacra et en
lit prison n iers un grand n om b re. Il ne fut pas aisé au
consul de com p ter les m orts, parce qu e l’effroi ayant dis­
persé les fuyards dans les sinuosités des m on tagnes, beau ­
cou p s’ étaient perdus dans les p récip ices, ou avaient été
tués dans l’épaisseur des forêts. Des récits invraisem ­
blables p ortèren t leur n om b re à quarante m ille ; les
autres ne le firent m on ter q u ’à dix m ille. Celui des cap­
tifs, com p osé en grande partie de fem m es, d ’enfants et
de vieillards, paraît avoir été de quarante m ille 1.
Après la v icto ire , le con su l ord on n a de réu n ir en
m on ceau les arm es des vaincus et d’y m ettre le feu. Sans
p erdre u n m om en t, il dirigea sa m arch e du côté dos

1. Claudius, qui bis pugnatum in Olympo monte scribit, ad quadia-


gintam illia bominum cæsa, auctor est; Valérius Antias, non plus decein
millia, Numerus captivorum haud dubie millia quadraginta explevit.
Liv., xxxvm , 23. — App., Bell. Syr., 42.
Tectosages, et arriva le surlendem ain à A n cy re; là il
n’était plus qu’à dix m illes du second cam p gaulois,
form é sur le m on t Magaba. Pendant le séjou r qu’ il lit
dans cette ville, u n e des captives se signala par une action
m ém orable : c’était C hiom ara, épouse du tétrarque Or-
tiagon, ch e f su prêm e des trois nations. Elle avait suivi
son m ari au m on t Olym pe, où il dirigeait la défense, et
les désastres de cette jo u rn é e l’avaient fait tom b er p ri­
son n ière au p ou v oir des R om ains. P ou r Ortiagon,
éch ap pé à grand’p ein e à la m ort, il avait regagn é An­
cyre, et de là le cam p lectosage '.
Les captives gauloises avaient été placées sous la
garde d’ un cen tu rion avide et déb a u ch é, com m e le sont
souvent les gens de g u e r r e 2. La beauté de Chiom ara
était ju stem ent célèb re ; cet h o m m e s’en éprit. D’abord
il essaya la séduction ; désespérant bien tôt d ’y réussir, il
em ploya la v io le n ce ; puis, p o u r calm er l’indignation de
sa victim e, il lui p rom it la lib e r té 3. Mais, plus avare en­
core qu ’am ou reu x, il exigea d’elle à titre de ran çon une
forte som m e d’argent, lui perm ettant de ch oisir entre ses
com p a g n on s d’ esclavage celui q u ’elle vou drait envoyer à
ses parents, p o u r les préven ir d ’apporter l’or dem andé.
Il fixa le lieu de l’éch a n ge près d’ u n e petite rivière qui
baignait le pied du coteau d’A ncyre. Au n om b re des pri­
son n iers détenus avec l’épouse d’ Ortiagon, était u n de
ses an cien s esclaves; elle le désigna, et le cen tu rion , à la

1. Ab O ljm p o domum refugerat. Liv., xxxvm , 24.


1. Cui custodiæ centurio prsocrat, et libidinis et avaritiæ militaris.
Id ., ibid.
3. Is primo ejus animum tcntavit : quem quum abhorrentem a volun-
tario videret stupro, corpori, quod servum fortuna eiat, vim fecit. Deindo
ad leniendam indignitatem injuria;, spcm roditns ad suos m ulieri facil.
Id ., ibid. — P lut., de Virtut. m ulier., ‘22. — Val. Max., v i, 1. — Suid.,
toc . ’OpTtàywv. — Flor., u, 11. — Aur. Vict., 55.
faveur de la nuit, le con duisit hors des postes avancés.
La nuit suivante, deu x des parents de Chiom ara arrivè­
rent près du fleuve, avec la som m e con venu e en lingots
d’ o r; le R om ain les attendait déjà, m ais seul avec la cap­
tive, car il n ’avait m is dans la con fid en ce aucun de ses
com p a gn on s. Pendant qu’ il pèse l’ or q u ’on vient de lui
présenter (c’ était, aux term es de l’a ccord , la valeur d’ un
talent a ttiq u e *), Chiom ara, s’ adressant aux deu x Gaulois
dans sa langue m aternelle, leu r o rd on n e de tirer leurs
sabres et d’ égorg e r le cen tu rion 2. L’ ordre est aussitôt
exécute. Alors elle pren d la tête, l’en veloppe d ’ un des
pans de sa robe, et va rejoin d re son épou x. H eureux de
la revoir, Ortiagon accou rait p o u r l’em brasser; Chiom ara
l’ arrête, dép loie sa robe, et laisse to m b e r la tête du Ro­
m ain. Surpris d’ un tel spectacle, Ortiagon l’in te rro g e ;
il apprend tout à la fois l’outrage et la v e n g e a n c e 3. « O
« fem m e ! s’ écria-t-il, qu e la fidélité est une belle ch o se !
« — Q uelque ch ose de plus beau, reprit celle-ci, c’ est de
« p ou voir dire : deux h om m es vivants ne se vanteront
« pas de m ’ avoir p o ssé d é e 4. » L’ h istorien P olybe raconte
qu ’il eut à Sardes u n entretien avec cette fem m e éton­
nante, et qu’ il n ’adm ira pas m oin s la finesse de son es­
prit que l’élévation et l’ én ergie de son â m e B.
Tandis que cet évén em en t tenait en ém oi tou t le

1. Summam talenti attici (tanti enim pepigerat)... L iv., xxxvm , 24.


2. Mulier, lingua sua, stringerent ferrum, et ceuturionem pensantem
aurum occiderent, imperavit. Id., ibid. — Val. Max., vi, i .
i. Priusquam complecteretur, caput centurionis ante pedes ejus abje-
cit. L iv., loc. cit. — Et injuriæ et ultionis suæ ordinem exposuit. Val.
Max., vi, t .
4. " ü - f j v a t , xa),àv m a T iç . Nai, eTicev, à),).à xàM.tov Eva |i6vov Çîjv è[i.ol
Plut., de Virtut. m ulier., 22.
<juYYeYsv7!tJi ' v o v -
5. TaÛTYiv [iiv ô IloXOëiâ; (puât 8tà Xôym èv Zàpfoci yev<3|t3vo; Oav}j.â<îai
t6 ts çpovv)|A« xal t^v uu vsw . Id., ibid.
cam p rom ain, des envoyés gaulois y arrivèrent, priant le îso
con su l de ne p oin t se mettre en m arch e sans avoir accordé
à leurs chefs une entrevue, protestant qu’ il n ’ était poin t de
con d ition s q u ’ils n ’acceptassent plutôt que de con tin u er
la guerre. Manlius leu r donna rendez-vous p o u r le len­
dem ain à égale distance d’Ancyre et de leu r ca m p ; il s’y
ren d it à l’h eu re con v en u e avec u n e escorte de cin q cents
cavaliers; mais il ne vit paraître aucun Gaulois. Dès qu’ il
fu t rentré, les m êm es envoyés revinrent p o u r excuser
leurs chefs, auxquels des m otifs de relig ion , disaient-ils,
n ’ avaient pas perm is de so rtir1, et an non cèren t que les
p rem iers de la nation se présenteraient à u n e secon d e
con féren ce, ni unis de pleins p ou v o irs; le consul p rom it d’ y
en v oyer Attale. La con féren ce eut lieu en effet entre les
députés gaulois et le je u n e p rin ce de Pergam e, qui avait
un e escorle de trois cents chevaux, et l’ on y arrêta les
hases d’u n traité. Mais co m m e la p résen ce du général
rom ain était nécessaire p o u r con clu re, on con vin t que
Manlius et les chefs gaulois s’ abou cheraien t le lendem ain.
La tergiversation des Tectosages avait deux m otifs : le
p rem ier, de d on n er à leurs fem m es et à leurs enfanls le
tem ps de se m ettre en sûreté avec leurs effets au delà du
fleuve Halys, et le secon d, de surprendre le consul lu i-
m êm e et de l’en lev e r2. C’ est ce que devait exécuter un
corp s de m ille cavaliers d’ élite, d’ u ne audace à toute
épreuve.
La fortun e voulut que ce jou r-là m êm e les tribuns en­

1. Oratores redeunt, excusantes, religione objecta, venire reges non


posse. Liv., xxxvm , 25.
2. Frustratio G allorun eo spcctabat, primum ut terercnt tempus do-
nec res suas cum conjugibns ac liberis trans Halyn (lumen trajicerent :
deinde quod ipsi consuli... insidiabantur. Liv., xxxvm , 25. — Polyb.,
xxu, 22.
voyassent au fou rrage et au bois, vers l’ en d roit fixé p o u r
l’ entrevue, u n corps n om b reu x de cavalerie, et qu’ ils
plaçassent plus près du cam p, dans la m ôm e direction ,
un secon d poste de six cents chevaux, qu i devait appuyer
les fou rrageu rs. Manlius se m it en route, co m m e la pre­
m ière fois, avec u n e escorte de cin q cents h o m m e s; mais
à p ein e eut-il fait cin q m illes, q u ’ il aperçut les Gaulois
qu i accou raien t sur lu i à toute bride. Il s’arrête, an im e sa
troupe, et soutient la charge. Bientôt, fo rcé de battre en
retraite, il le fait au petit pas, sans tou rn er le dos ni
rom p re les ran g s; en fin le danger devenant plus pres­
sant, les R om ains se débandent et se dispersent. Les
Gaulois les pou rsuivent l’épée dans les rein s, en tuent
un grand n om b re, et allaient s’em parer du consul,
lorsqu e les six cents cavaliers destinés à sou ten ir les
fo u rra geu rs s u rv ien n e n t attirés par les cris de leurs ca­
m arades. Alors le com bat se rétablit; m ais en m êm e temps
accou ren t de tous côtés les fou rrageu rs; partout les Gau­
lois on t des en n em is sur les bras. Harassés et serrés de
près par des troupes fraîches, la fuite ne leur fut ni fa­
cile, n i sûre *. Les R om ains ne firent p oin t de p rison ­
niers, et le lendem ain l’arm ée entière, ne respirant que
ven geance, arriva en p résen ce du cam p g a u lo is 2.
Le consul on p erson n e passa deu x jo u rs à re co n ­
naître la m on tagn e, afin qu e rien n’ échappât à ses o b ­
servations ; le tro is iè m e , il partagea son arm ée en
quatre corps, d on t deux devaient m arch er de fron t à
l’ e n n e m i, tandis qu e les d eu x autres iraien t le pren dre
en liane. L’ infanterie tectosage et troem e, élite de l’arm ée

1. L iv., X X X V III, 25. — P olyb., xxn, 22. — A pp., Bell. Syr., 42.
2. Captus est nemo : Romani, ardentibus ira anim is, postero die,
om nibus copiis ad hostem perveniunt, L iv., xxxvm , 25,
et form ant cinquante m ille com battants, occu p a it le cen ­
tre ; la cavalerie, don t les chevaux étaient inutiles au
m ilieu de ces roch ers escarpés, avait m is pied à terre au
n om b re de dix m ille h om m es, et pris son poste à l’aile
droite. A la gauche étaient les quatre m ille auxiliaires
com m an d és par Ariarathe, ro i de Cappadoce, et Murzês,
ro i de P aphlagonie. Les dispositions du con su l furent
les m êm es q u ’au m on t O lym pe; il plaça en p rem ière
lig n e les trou pes arm ées à la légère, sous la m ain des­
qu elles il eut soin de faire m ettre u n e am ple provision
de traits de tou le espèce. Ainsi les choses se trouvaient de
part et d’autre dans le m êm e état q u ’à la bataille précé­
dente, sauf la con fia n ce plus grande chez les Rom ains,
affaiblie chez les Gaulois ; car les Tectosages ressentaient
com m e un é ch e c person nel la défaite de leurs frères *.
Aussi l’action, en gagée de pareille m an ière, eu tpareil dé-
n oû m en t. Assaillis par u ne nuée de traits, les Gaulois
n ’osaient s’ élan cer h ors des rangs, de p eu r de s’ exp oser à
d écou vert ; et plus ils se tenaient serrés, plus les projectiles
portaient cou p sur des masses qui servaient de but aux
tireurs. Manlius, persuadé que le seul aspect des drapeaux
légion n a ires déciderait la dérou le, lit ren trer dans les
intervalles les divisions de vélites et les autres auxi­
liaires, et avancer le corps de bataille. Les Gaulois, ef­
frayés par le sou venir de la défaite des T olistoboïes,
criblés de traits, épuisés de lassitude, ne soutinrent pas
le choc-, ils battirent en retraite vers leur ca m p ; u n pelil
n om b re seu lem en t s’y renferm a, la plupart se disper­
sèrent à droite et à gauche. Aux deux a iles, le com bat

1. Omnia eadem utrimque, qu® fuerant in priore prælio, erant, prætcr


animos et vlctoribus ab re secunda anctos, et bost.ibus fraetos : quia rtsl
non ipsi victi erant, suæ gentis bom inum cladera pro sua ducebant. Id .,
ibid., 26.
dura plus lon gtem p s; mais enfin la déroute devint
générale. Le cam p fut pris et p illé ; huit m ille Gaulois
dem eu rèren t sur la p la c e 1 ; le reste se retira au delà du
fleuve Halys, où les fem m es et les enfants avaient été m is
en sûreté. Tel fut le désespoir ou plutôt la rage des vain­
cus, q u ’ on vit des prison n iers m ord re leu rs chaînes et
ch erch er à s’ étrangler les uns les autres*. Le hutin
trouvé dans le cam p fut im m en se. Les Galates, ralliés
sur l’autre rive de l’ Halys, vou lu ren t d’abord con tin u er
la guerre ; m ais se voyant la plupart blessés, sans armes,
et dans u n entier dén ùm ent, ils fléchiren t et dem andè­
rent à traiter. Manlius leu r ord on na d’ envoyer des députés
à É phèse; p o u r lui, com m e on était au m ilieu de l’a u ­
tom n e, il se hâta de quitter le voisin age du Tau ru s où
le froid se faisait déjà sentir, et ram ena son arm ée h i­
v ern er le lon g des c ô t e s 3.
Les acclam ations de toutes les villes q u i avaient em ­
brassé le parti rom ain l’ a ccu eilliren t à son passage. « Si
« la victoire rem p ortée sur A ntiochus était plus brillante,
« disent les historiens, celle-ci fut plus agréable aux alliés
« de la r é p u b liq u e 4; car la d om ination syrienne, avec ses
« tributs et son oppression , paraissait en core plus sup-
« portable qu e le voisinage de ces h ordes tou jou rs prêtes
« à fon d re su r l’Asie co m m e un orage im p é tu e u x 5. »

1. Octo m illia ceciderunt. L iv., xxxvm , 27. — App., Bell. Syr., 42.
2. Sed alligati miraculo quodam fuere, quum catenas morsibus et ora
tentassent, quum offocandas invicem fauces præbuissent. Flor., ir, I I .
3. Ipse (jam enim medium autumni erat) locis gelidis propinquitate
Tauri montis excedere properans, victorem exercitum in hiberna m ari-
timæ oræ reduxit. Liv., xxxvm , 27.
4. O ' j / O ' j t w ; 'Amô%ov XrifOénoç i i t ï t m S o x e ï v à7io),e>ü<j(Sai,
Ttvàç pisv ç 6 p « v , oi os «ppoupïç, y.a06).o'j 8s TOxvte; fia a O ix w v itpoaT«Y|j.àTMv...
P olyb., xxu, 24. t
5. Tolerabilior regia servitus fuerat, quam feritas inunanium barba-
Voilà ce que pensaient les villes de la Troade, de l’ Éolide
et de l’Io n ie ; et elles envoyèrent en grande p om p e à
Éphèse des am bassadeurs chargés d’offrir des cou ron n es
d’ o r à Manlius, com m e au libérateur de l’A sie 1. Ce fut
au m ilieu de ces réjou issances que les plénipotentiaires
gaulois et ceu x d’Ariarathe arrivèrent auprès du consul,
les p rem iers p o u r traiter de la paix, les secon ds pour
solliciter le pardon de leu r m aître, coupable d’avoir se­
cou ru A ntiochus son beau -père et les Galatès ses alliés.
Ce roi, vivem ent réprim andé, fut taxé à deux cents ta­
lents d’argent, en réparation de son crim e. Bien au co n ­
traire, le con su l fit aux Kim ro-Galls l’accu eil le plus b ien ­
v eilla n t2; n éanm oin s n e voulant rien term in er sans les
conseils d’ Eum ène, alors absent, il fixa, p o u r l’ été sui­
vant, une secon d e con féren ce dans la ville d’Apam ée,
sur l’ H ellespont. Satisfait du cou p dont ils venaient de
frapper la Galatie, les Rom ains, loin de pousser à bout
cette race belliqu eu se, qui conservait e n core une partie
d e sa force, em ployèren t tous leurs efforts à se l’attacher.
Aux con féren ces d’Apam ée, il ne fut question ni de tri­
but, n i de ch angem ents dans les lois ou le gou vernem ent
des Galatès. T out ce q u ’ exigeait Manlius, c’était qu’ils
rendissent les terres enlevées aux alliés de R o m e 3, q u ’ils
renonçassent à leu r vagabondage inquiétant p o u r leurs
voisins, en fin , q u ’ils fissent avec E um ène u n e alliance
in tim e et d u ra b le 4. Ces con d itions fu ren t acceptées.

rorum , incertusque in dies terror, quo velut tempestas eos populantes


inferret. L iv., xxxvm , 37.
\. Coronas aureas attulerant. Id., ibid. — P olyb., xxn, 24.
2. 4>i).o(v6pÛTtM; àjto8eÇiï[j.evo;. P olyb., ub. sup. — Liv., loc. cit.
3. Suid., voc. raXoctîa.
4 . Ut morem vagandi cum armis finirent, agrorumque suorum ter-
m inis se continerent; pacem ... cum Eumenç servarent. Liv., xxxvm , 40.
L’h u m iliation des Gaulois, p u b liée chez toutes les na­
tions orientales par des récits lointains et exagérés, en vi­
ron n a le n om rom ain d ’un n ouvel éclat. « Juda, dit un
« annaliste ju if con tem porain, Juda a entendu le n om de
« Rom e, et le bru it de sa p u issan ce... Il a appris ses co m -
« bats et les grandes choses q u ’ elle a op érées en Galatie,
« com m en t elle a su b ju g u é les Galates et leu r a im posé
« tribut *. » A R om e les su ccès du consul eu rent m oins
de faveu r; plusieurs patriciens trouvèrent m auvais q u ’ il
eût entrepris la guerre sans ordres form els du sénat; et
deu x de ses lieutenants, ja lou x de lui, firent op p osition
lorsqu ’ il dem anda le triom p h e. On lui objectait l’ illégalité
d’ une guerre qui n’ avait été p récéd ée n i de l’ en voi d’am ­
bassadeurs, ni des cérém on ies exigées par la religion .
« Manlius, ajou tait-on , avait con su lté dans cette affaire
« beau coup plus son am bition que l’intérêt p u b lic.
« Que de peines ses lieutenants n ’avaient-ils pas eues à
« l’em p êch er de fra n ch ir le Taurus m algré les m alheurs
« dont la Sibylle m enaçait R om e, si jam ais ses enseign es
« osaient dépasser celte b o rn e fatale ! Le consul pourtant
« s’ en était ap p roch é autant q u ’ il avait p u ; n’avait-il pas
« été cam p er sur la cim e m êm e, au p oin t de départ des
« eaux 2 ? » Enfin on reproduisait con tre lui, p o u r rava­
ler la gloire du succès, des argum ents pareils à ceu x dont
il s’ était lu i-m êm e se rv i, près de la fron tière gallo-
grecqu e, p ou r com battre les terreurs de ses soldats.

1. Et audivit Judas nomen Romanorum, quia sunt potentes viribus...


Et audierunt prælia eorum, et virtutes bonas quas fecerunt in Galatia :
quia obtinuerunt oos et duxerunt sub tributum, Machab., r, 8, v. t et 2.
2. Cupientcn transire Taurum, ægre om nium legatorum precibus, ne
carminibus Sibyllæ prædictam suporantibus terminos fatales cladem ex-
periri vellet, retentum : admovisse tamen exercitum, et prope ipsis jugis
ad divortia aquarura castra posuisse. Liv., xxxvur, iti,
Manlius rép on d it avec éloq u en ce 1 ; il prouva qu e sa
con d u ite avait été con fo rm e aux intérêts et à la politique
du sén at; il adjura son prédécesseur L. Scipion de tém oi­
gn er qu e cette guerre ne pouvait être différée sans dan­
ger. Il ajouta : « Je n’ ex ig e pas, sénateurs, que vous ju -
« giez des Gaulois habitants de l’Asie par la barbarie co n ­
te nue de la nation gauloise, par sa haine im placable
« con tre le n om rom ain . Laissez de côté ces justes p ré-
« ventions, et n ’appréciez les Gallo-Grecs q u ’ en eu x -
« m êm es, in d ép en dam m en t de toute autre con sidération.
« Plût aux dieu x qu’ E um ène fût ici présent avec les m a-
« gistrats de toutes les villes de l’Asie! C ertes, leurs
« plaintes auraient bien tôt fait ju stice de ces accusations.
« A leu r défaut, envoyez des com m issaires chez tous les
« peu ples de l’ O rien t; faites-leur d em an der si on ne les
« a pas affranchis d’ un jo u g plus rig ou reu x en réduisant
« les Gaulois à l’ im puissan ce de nuire, qu’ en reléguant
« A ntioch us au delà du m on t Taurus. Que l’Asie tout en -
« tière vous dise com b ien de fois ses cam pagnes on t été
« ravagées, ses belles ci tés pi liées, ses troupeaux enlevés;
« qu ’ elle vous exp rim e son affreux désespoir, quand elle
« n e pouvait obten ir le rachat de ses captifs, quand elle
« apprenait que ses enfants étaient im m olés par lesG au-
« lois à des dieux farouches etsan gu in aires co m m e e u x * .
« Sachez qu e vos alliés on t été les tributaires des Gallo-
« Grecs, et qu ’affranchis par vous de la d om ination d’un
« ro i, ils n ’ en con tin u eraien t pas m oins de payer tribut,
« si je m ’ étais en d orm i dans une honteuse inaction.
« L’ éloign em en t d’A ntiochus n ’aurait servi q u ’à rendre

1. Tito-Live donne comm e authentique le discours q u ’il lui fait tenir.-


M a n liu m in hune m a x im e m o d u m re sp o n d is so ac.cepim us. L i v . , xxxvm , 47.
2. Q u u m v ix r e d im e n d i c a p tivo s co p ia e s s e t , e t mactatas humanas
hostias im m o la to s q u e lib e r o s suos audirent, Id., ib id ., 47,
« le jo u g des Gaulois plus oppressif, et vos conquêtes en
« deçà du m on t Taurus auraient agrandi leur em pire et
« n on le vôtre *. »
Après ces vives discussions, Manlius obtint le triom ­
p h e. Il étala dans celte solennité les cou ron n es d’ o r que
lu i avaient décernées les villes d ’Asie, des som m es c o n ­
sidérables en lingots et en m on n a ie d’ or et d’ argent,
ainsi qu’ u n im m en se amas d’arm es et de d épouilles en­
tassées dans des chariots. C inquante-deux chefs gaulois,
les m ains liées d errière le dos, p récédaien t son char 2.
A la faveur de cette paix forcée où l’asservissement
de l’Asie réduisait les Galates, ce u x -ci s’adou ciren t rapi­
dem en t et entrèrent dans la civilisation asiatique. On les
voit ren on cer à leu r culte national, dont il ne se m ontre
plus dès lors une seule trace, et figu rer com m e grands
prêtres dans les tem ples des religion s grecq u e et ph ry­
gien n e. Ainsi on trouve un Brogitar, pontife de la m ère
des dieux, à P essin on te3 ; un Dytœt, fils d’Adiatorix, grand
pontife de la C o m a n e 4 et plusieurs fem m es, entre autres
la courageuse et in fortu n ée Gamma, dont n ous parlerons
tout à l’heure, desservant les tem ples des déesses in d i­
gènes 5. Une statue colossale de Jupiter fut élevée à Ta-
vion 6; Ancyre se rendit fam euse par ses fêtes en l’h o n ­
n eur d ’ Esculape, et par des je u x isthiniens, pythiens,
olym piens, qui attirèrent le co n co u rs de toute la G rè ce 7.

1. G a llo r u m im p e r io , n on v e s tro a d jecis setis. L i v . , x x x u i r ; 48.


2. Id., xxxix, 6.
3. C ic., de Arusp. respons., 28.
4. S tr a b ., 1. x ii , p. 558.
5. Plut., de Virtut. m ulier., 20. — Polyæn., Stratn?., vm , 30. —
Inscript. d’Ancyre, Tournef., t. II, p. 450. — Montfauc., P alæ ogr.,p. -154,
155 et suiv.
6. Atà; y.oXoaaiç yy.tv.o'j:. Strab., 1. x ii, p. 567,
7. Spanheim, Galat. num., p. 462 et suiv.
Les tétrarques gaulois se p iqu èren t bien tôt d’ im iler les
m anières des despotes et des satrapes asiatiques. Us vou ­
lu ren t faire avec eux assaut de som ptuosité, et étalèrent
dans leurs festins cette prodigalité absurde, m a gn ificen ce
des peuples à dem i barbares. On rapporte q u ’un certain
Ariam ne, jalou x d’ effacer en savoir-vivre tous les tétrar­
ques ses rivaux, pu blia qu’ il tiendrait table ouverte à tout
venant pendant u n e année e n tiè re 1. Il fit construire à cet
effet autour de sa m aison de vastes en clos de roseaux et
de feuillages et dresser des tables perm anentes qui p ou ­
vaient recev oir plus de quatre cents personnes. De dis­
tance en distance furent établis des feux, où des chau­
dières de toutes d im ensions, rem plies de toutes sortes de
viandes, bou illaien t jo u r et nuit. Des m agasins, construits
dans le voisinage, renferm aient les approvisionnem ents
en vin et en farine amassés de lon g u e m ain, et des parcs
à bœ ufs, à p orcs, à m ou ton s, à chèvres, placés à p ro x i­
m ité, alim entaient le service des ta b le s 2. 11 est perm is de
croire q u ’A riam ne n’ ou blia pas, dans celle occasion , ces
ja m b on s de Galatie dont la réputation était si g r a n d e 9.
Ce festin dura un an, et n on -seu lem en t A riam ne traita à
discrétion la fou le qu i accou rait chaque jo u r des villes et
des cam pagnes voisines, mais il faisait arrêter sur les che­
m in s les voyageurs et les étrangers, ne leur laissant p oin t
la liberté de con tin u er leur route q u ’ils ne se fussent assis
à ses ta b le s4.
Ce goût p ou r la m a gn ificen ce se développa chez les
fem m es gallo-grecqu es avec non m oins de vivacité que

Athen., rv, 10.


2. Id ., ib id ., 13.
3. KiXXurrai jièv yàp al ya'/aiixai (itépvai). Id., xiv, 21.
4. ’ AXXà xal ol TiaptéivTe< Üëvoi ûnà xwv ûçearoxo'UM v n a îS u v oCx ^çievto,
Icoç àv fiiToXaêtoai xwv TtapadxeuaaOÉVTwv. Id ., iv, 13.
chez leurs m aris. Les anciens vêtem ents de laine gros­
sière firent place aux tissus de p ou rp re, que rehaussaient
de rich es paru res; et l’on ne vit plus l’ épouse du tétrar-
que d ’A ncyre ou de P essinonte se con ten ter d e là bou illie
qu ’elle em portait jadis dans u n e m arm ite, p ou r son repas
et celui de ses enfants, quand elle allait passer la jo u rn é e
au bain 1. Cependant ce progrès du luxe chez les dam es
galatès 11e co rrom p it p oin t l’ én ergiqu e sévérité de leurs
m œ urs. Au m ilieu de la dissolution asiatique, elles m éri­
tèrent tou jou rs d ’ être citées com m e des m od èles de chas­
teté, et les traits recu eillis dans leur vie ne fon t pas les
pages les m oin s édifiantes des livres qu e les anciens ont
consacrés aux vertus des femmes. Nous rapporteron s ici
un de ces traits fam eux dans l’antiquité, et que deu x
écrivains grecs n ous on t transm is.
Le tétrarque Sinat avait épou sé une je u n e et belle
fem m e n om m ée Camma, prêtresse de Diane, p o u r qui
elle entretenait u ne dévotion toute particulière. C’était
dans les pom p es religieuses, quand la prêtresse, vêtue
de m agnifiques habits, offrait l’en cen s et les sacritices,
c’ était alors qu e sa beauté paraissait b riller d’ un éclat
tou t c é le s t e -; S in orix, je u n e tétrarque, parent de Sinat,
la vit, et ne form a plus d ’autre désir au m on d e que le
désir d’en être aim é. Il essaya tout, mais vainem ent.
D ésespéré, il s’en prit à celui q u ’il regardait co m m e le
plu s grand obstacle à son b o n h e u r ; il attaqua Sinat par
trah ison , et le fit périr. C om m e le m eu rtrier était puis­
sant et rich e, les ju g es ferm èren t les yeux, et le m eurtre

1 . A i 8s IV/a-côV/ Y w aîxeç eiç - à fiaX aveïa uô ),tov eiççép ou ca i,


Ijxrà tw v TtaiSuv ^aQiov, ôjioü ).ouo(i.svat. Plut., Sympos., vin, quæst. 9.
2. ’EmçpavEffTépav S i aùtrjv ÈTtoîei x a i xà 'A p t £(ju S o ; Upeiav eiva i, wepi
t e x à ( no(j.n à; à ei x a i Overiaç XEX0<x|Ar|[i!piv ôpàaOai ]i?yaXo7ipEitwç. P lu t ., do
V ir t u t . m u lie r ., 20.
dem eu ra im p u n i. Camma supporta ce cou p avec une
am e forte et ré sig n é e ; on ne la vit ni pleu rer ni se
p la in d re; mais ren on çan t à toute société, m ôm e à celle
de ses p roch es, et dévou ée en tièrem ent au service de la
déesse, elle ne vou lu t plus quitter son tem ple, ni le jo u r
ni la nuit. Q uelques m ois se passèrent, et S in orix l’y
vint poursuivre en core de son am ou r. « Si je suis co u -
« pable, lui répétait-il, c’ est p o u r t’ avoir a im é e ; nul autre
« sen tim ent n ’a égaré ma m a in 1. » Camma, d’ un autre
côté, se vit persécutée par sa fam ille, q u i, appuyant avec
ch aleu r la poursuite du jeu n e tétrarque, ne cessait d’ exal­
ter sa puissance, sa richesse et les autres avantages par
lesquels rl surpassait de b eau coup, disait-on, l’ h om m e
q u ’ elle s’ obstinait à regretter. Dès lors elle n’ eut plus de-
rep os q u ’elle n e con sen tît à ces liens od ieu x. Elle feignit
d o n c de céd er, et le jo u r du m ariage fut con ven u .
Dès que parut ce jo u r tant souhaité, S in orix, en vi­
ron n é d ’un cortège n om b reu x et brillant, a ccou ru t au
tem ple de Diane. Camma l’ y attendait; elle s’approch a de
lui avec calm e, le con duisit à l’ autel, et prenant, suivant
l’ usage, u n e cou p e d’or rem p lie de vin, après en avoir
répan du qu elqu es gouttes en l’h o n n e u r de la déesse, elle
but, e i la présenta au tétrarque*. Ivre de b on h eu r, le
je u n e h om m e la porte à ses lèvres et la vide d ’ un seul
trait®, mais ce vin était e m p oison n é. On dit q u ’ en cet
instant, u n e jo ie depuis lon gtem ps in a ccou tu m ée se p ei­
gn it su r le visage de la prêtresse. Étendant ses bras vers

1. ’AveXwv è x e ï v w ïpwtt T Ïj; K 6 [J .| J .a ç , [rr, 8 t’ éxépav tivà m>vï)p£av...


Plut., de Virtut. m ulier., 20.
'1. 'Ara> y.puffiiî çicc>.r,ç... Polyæn., Stratag., vin, 30. — l’Iut., loc. cit.
3. 'O Sè ola 69j vv(iç£o; itapà vvjtçr,; ^aîtôv, itîvst. Polyæ n.,
Stratag., vin, 39.
l’ im age de Diane : « Chaste déesse! s’ écria-t-elle d’ une
« voix forte; sois bén ie de ce q u ’ici m êm e j ’ai pu ven ger
« la m ort de m on épou x assassiné à cause de m o i 1 ;
« m aintenant que tout est con som m é, je suis prête à
« descendre vers lui aux enfers. P our toi, ô le plus scé-
« lérat des h om m es, Sinorix, dis aux liens qu’ ils te prê­
ts paren t un lin ceul et une tom b e, car voilà la cou ch e
« nuptiale que je t’ ai destinée 2. » Alors elle se précipita
vers l’autel qu ’elle enlaça de ses bras, et elle ne le quitta
plus qu e la vie ne l’ eût abandonnée. Sinorix, q u i res­
sentait déjà les atteintes du p oison , m onta dans son cha­
riot et partit à toute bride, espérant que l’ agitation et des
secousses violentes le soulageraient; mais bientôt, ne
pouvant plus supporter aucun m ou vem en t, il s’ étendit
dans une litière, où il expira le m êm e soir. Lorsqu’on
vint lui apporter cette nouvelle, Camma vivait e n co re ;
elle dit q u ’elle m ourait contente, et rendit l’âm e.
La constitution politiqu e s’ altéra bientôt, com m e les
habitudes nationales. D’ électives et tem poraires qu’ a­
vaient été les tétrarchies, elles devinrent héréditaires, et
les fam illes qui en usurpèrent le privilège form èrent, par
la suite des tem ps, u n e haute classe aristocratique, qui
dom ina le reste de la n a tio n 3. L’am bition des chefs tra­
vailla en outre à resserrer le n om b re de ces magistra­
tures, qui fu ren t successivem ent réduites de douze à
q u a tre 4, puis à trois, à deux, entin con cen trées dans une

1. Xàçitv oioà coi, io 7co>.uti(Xc "Apre^iç, ÔTi (aoi Trapsa^eç ev xto <7tj) leptp
fiîxaç ü r è p t o u avSpo; ).aê s ï v , àSty.w; 8i* ejxs àvatp& ôivT O ç. Polyæn, ub. supr.
2. Soc ôs, w t:âvTü>v àvoo-iovraTS àvQpwTtwv, xàçov àvxi OaXà(xou xai yà[iou
7rapa'7y.£vaÇ£Tcorrav ol Tcpocr/jxovTeç. Plut., loc. cit.
3. Ilist. græc. et latin ; Inscript, galatic. passim.
4. App., Bell. Mithridat.
seule m ain *. Le pays était gou verné par un de ces rois,
lorsqu’ il fut réu ni com m e p rovin ce à l’ em pire rom ain.
Malgré cette usurpation du p ou v oir souverain, le conseil
national des trois cents continua d’ exister et de coop érer
à l’adm inistration du p a y s3. Il est à présu m er que la
con d ition des in digèn es ph rygien s et surtout grecs s’a­
m é lio ra ; car les mariages devinrent assez fréquents entre
eu x et les Kim ro-Galls de rang élevé. Cependant il n’y
eut jam ais fusion ; et, tandis que les vaincus parlaient
le grec, la langue gauloise se conserva, sans m élange
étranger, parm i les fils des conquérants. Un écrivain
ecclésiastique cé lè b re , q u i voyagea dans l’ Orient au
ive siècle de no tre ère, six cents ans après le passage des
h ordes en Asie, tém oig n e que, de son tem ps, les Galatès
étaient les seuls, entre tous les peuples asiatiques, qui
ne se servissent p oin t de la langue g re cq u e ; et que leur
id iom e national était à p eu près le m êm e que celui des
Trévires, les différences de l’ un à l’autre n ’étant ni n om ­
breuses, ni im p orta n tes3. Cette identité de langage entre
les Gaulois des bords du Rhin et les Gaulois des bords
du Sangarius et de l’ Halys s’ explique d ’elle-m êm e si l’on
se rappelle que les Tectosages et les Tolistoboïes» les deux
prin cip au x peuples galatès, appartenaient originaire­
m en t, com m e les Belges, à la race des Kimris.
La b o n n e in telligence et la paix subsistèrent pendant
vin gt ans entre les Galatès et les puissances asiatiques.
Au bou t de ce tem ps la guerre éclata, on ne sait pour

1. Strab., 1. x i i , p. 567. — App., Bell. Alexandr., 67.


2. Inscript. Ancyran. passim.
3. Galatas, excepto sermone græco, quo omnis Oriens loquitur, pro-
priam linguam eamdem pene habere quam Treviros, nec referre si a li­
gna exinde corruperint. Hieronym ., Prolog, in lib. n , Comment, in
epist. ad Galat., c. 3.
qu el m otif, et les Gaulois ravagèrent le territoire d ’ Eu-
m èn e et celu i de leur a n cien am i Ariarathe, alors dévoué
au ro i de P e r g a m e ', si cru ellem en t, q u ’Attale cou ru t à
Home en porter plainte au sénat. Il dit « q u ’un tum ulte
« gaulois (suivant l’expression rom a in e) mettait le
« royaum e de P ergam e dans le plus grand p é r il2. » La
rép u bliqu e envoya des com m issaires aux tétrarques,
sans réussir à les désarm er. Les dévastations ayant re­
c om m en cé avec plus de force, E um ène partit lu i-m êm e
p ou r R om e; mais ses plaintes fu ren t m al reçu es. Dans
ces n égociations et dans quelques autres, le sénat m o n ­
tra envers les Gaulois des m énagem ents qui lu i étaient
p eu ordinaires, et qu i ne causèrent pas m oin s de sur­
prise qu e l’ opiniâtreté hardie de ce p eu ple. « 11 fut perm is
« de s’ éton n er, dit un historien, que tous les discours
« des Rom ains eussent été sans effet sur l’ esprit des Ga-
« laies, tandis q u ’ un seul m ot de leurs am bassadeurs
« suffisait p ou r arm er ou désarm er les puissants rois
« d ’ Égypte et de S y r ie 3. »
A l’ époqu e des guerres de Mithridate, la Galatie pa
rut se réveiller et v o u lo ir secou er cette hum iliante p r o ­
tection . Elle se ligua avec le roi de P on t qu i, em pressé
à rech erch er l’alliance des Gaulois en O ccid en t com m e
en Orient, envoyait des am bassadeurs chez les Kimris
des rives du Danube *. Durant ses p rem ières cam pagnes,

1. P olyb., Exc. leg., 97, 102, 106, 10 7,10 8. — Strab., 1. xir, p. 539.
— L iv., xlv , 16 et 34.
2. Querimonia gallici tum ultus... regnum in dubium adductum esse.
L iv., x l v , 19.
3. Mirum videri posset, inter opulentos reg es, Antiochum Ptole-
mæumque, tantum legatorum romanorum verba valuisse... apud Gallos
nullius momenti fuisse. L iv., x l v , 34.
4. Legatos ad Cim bros... auxilium petitum mittit. Just., x x x v m , 3,
— A pp., Eell. M ithrid., 27.
Mithridate exaltait, dans tous ses discours, les services
de ses alliés galatès ; il se vantait « de p ou v oir opposer
« à Rom e u n peu ple des m ains duquel R om e ne s’ était
« tirée q u ’à prix d’ o r 1. » Mais bientôt leu r fidélité lui
devint suspecte, et dans un des accès de son h u m eu r
som bre et sou pçonn eu se, il retint prisonniers auprès de
lui tous les tétrarques et leurs fam illes, au n om b re de
soixante p e rs o n n e s 2. In d ign é de cette perfidie, T oré-
d orix, tétrarque des Tosiopes, com p lola sa m o r t; et
co m m e le roi de Pont avait cou tu m e de ren dre la ju s­
tice, à certains jou rs de la sem aine, assis sur une estrade
fort élevée, T oréd orix, aussi robuste q u ’audacieux, ne
se proposait pas m oins qu e de le saisir corps à corps, et
de le précip iter du haut de l’ estrade, avec son tr ib u n a l3.
Le hasard vou lu t que Mithridate s'absentât ce jou r-là et
qu’ il fît m ander, au b ou t de quelques heures, les tétrar­
ques galatès; T oréd orix, craignant que le com p lot n’ eût
été découvert, exhorta ses com p a g n on s à se jeter tous
ensem ble sur le roi et à le m ettre en p iè c e s 4. Ce second
com p lot m anqua égalem ent; et Mithridate, après avoir
fait tuer su r-le-ch am p les plus dangereux des conspira­
teurs, acheva les autres, u ne nuit, dans un festin où il
les avait invités sous cou leu r de récon cilia tion . Trois
d ’entre eux échappèrent seuls au massacre en se faisant
jo u r , le sabre à la m ain, au travers des assassins; tout

1. Nec bello hostem , sed pretio remotum. Oratio Mithrid. ap. Just.,
xx xv m , 4.
2. P lut., de Virt. m ulier., 23. — App., Bell. M ithrid., 40.
3. xèv M i6pi8âxr)v, crcav èv xà) (3-^jj.axi Tpj[ivaerfo> xpïijjuxuÇr,
j>wapTO«îaç ] &<j£,v aùxtj) xaxà xîiç çàpafyo;. Plut., de Virt. m u-
lier., 23.

4- At0lp™raai xà (jeûna. Id ., ibid.


le reste périt, h om m es, fem m es et enfants *. Parm i ces
derniers se trouvait un je u n e garçon appelé Bépolitan,
que son esprit et sa beauté avaient fait rem arqu er du
r o i; Mithridate se ressouvint de lui dans cette nuit fa­
tale, et ord on n a à ses officiers de co u rir et de le sauver.
Il était tem ps en core, parce que le m eurtrier, con voi­
tant u n e rob e p récieu se que portait le je u n e Gaulois,
avait vou lu le d ép ou iller avant de fra p p er; celu i-ci résis­
tait et se débattait avec v io le n ce ; cette lutte perm it aux
officiers royaux de préven ir le c o u p 3. Le cadavre de
T orédorix avait été jeté à la voirie, avec défense expresse
de lui ren d re les derniers devoirs ; mais u n e fem m e per-
gam éen n e, qu i l’ avait aim é, l’ensevelit en cachette, au
péril de ses jo u r s 3.
Mithridate, à la tête de son arm ée, alla fondre sur la
Galatie, avant (pie la nouvelle de ses barbaries s’ y fût ré­
pan du e, confisqua les biens des tétrarques assassinés,
et renversant la form e du gou vernem ent, im posa p o u r
roi absolu un de ses satrapes n o m m é Eum aque \ Cette
tyrannie dura douze ans, et chaque année avec un re­
d ou blem en t de cruauté. Enfin les trois tétrarques sauvés
du festin sanglant du ro i de Pont, et l’ un d ’eu x surtout,
Déjotar, depuis si célèbre dans les guerres civiles de
R om e, réussirent à soulever le pays, battirent Eum aque
et le ch a ssèren t5. Les victoires des arm ées rom ain es sur
Mithridate assurèrent aux K im ro-G alls, p o u r quelque

1. nâvTOt; exteive ira£8wv xaî fw a ixw V j /w p iç Tpiwv twv 8iaçuy6v-


tuv... £7Ù Siafrnj (uaç vuxtoç. App., Bell. Mithrid., 40.
2. Plut., de Virt. m ulier., 23.
3 . r û v a io v Ttepya(jiy]vàv, èyv w a jjiv o v àçp’ w paç Çwvti tm I ’aAâ'nfl, napExivSv-
v'euoe Oâ^iai xat TCpiaTeïXai tôv vexpôv. Id., ibid.
4. A pp., Bell. M ithrid., 46.
5. Id., ib id ., 50. — L iv., Epit., xciv, — O ros., vi, 2.
tem ps, l’ in d épen dan ce q u ’ ils venaient de re co n q u é rir;
m ais, dans les circonstances où se trouvait l’ Orient, cette
in dépen dan ce p récaire ne pouvait pas être de longue
durée. E nveloppée et pressée de tous côtés par la d om i­
nation rom ain e, la Galatie su ccom b a après tout le reste
de l’Asie; elle fut réduite en provin ce, sous l’em pereu r
Auguste.
P ou r term in er cette d ern ière p ériod e de l’ histoire des
Gaulois orientaux, n ous avons e n core un m ot à dire sur
leu rs rapports avec Mithridate. Le ro i de P ont avait tou­
jo u rs entretenu auprès de sa person n e u n e garde d’a­
venturiers galates, soldés â grands frais. Ce fut à eux
q u ’il rem it le soin de sa m ort, lorsque, d écidé à ne poin t
tom b er vivant au p ou v oir de ses en nem is, il vit que le
poison n ’ agissait pas sur ses entrailles. Ayant fait ven ir
le c h e f d e cette garde, n o m m é B itu it1, il lui présenta sa
p oitrin e nue : « Frappe, lui dit-il, tu m ’as déjà ren du de
« grands et fidèles services; celu i-ci ne sera pas le m oin -
« d r e ! . » Bituit obéit, et les historiens ajoutent que ses
com p ag n on s, se précipitant aussitôt sur le roi, le per­
cèrent à l’ envi de leurs lances et de leurs épées. Peut-
être y eut-il dans l’ em pressem ent de ces Gaulois un se­
cret plaisir de ven geance à verser le sang d’un h om m e
qu i avait fait tant de mal â leur pays.

1. B ît o it o ; . App., Bell. Gall. cx c., 12. — Bitœtus. Liv., Epit. en. —


On verra plus tard un B ituit, chef des Arvernes, jou er un grand rôle
dans la Gaule. ,
2. n o U à jxèv èx x < r i j ç Sella; è; raAep.£ou? à v à ji r i v <I>W|<jO(iai Se p i f t s »
®v... App., Bell. M ithrid., 114.
GAULE T R A N S A L P IN E . — SES D IV E n S E S F A M IL L E S DE PEUPLES;

LEURS M OEURS, LEURS G O UVERNEM EN TS.

PRE5IIÈRES CONQUÊTES DES ROMAINS AU DELA DES ALPES.

CHAPITRE PREMIER

Situation de la G aule t r a n s a l p i n e , pendant les second e t p r e m ie r siècles


avant notre ère. — Description géographique du pays; ses productions
végétales, animales, minérales; sa population divisée en trois familles hu­
maines. — I. F amille ibérienne : 1° Aquitains ; topographie et gouver­
nement. 2° Ligures: leur caractère, leurs mœurs; description de leur
territoire; tribus et confédérations. II . Famille gauloise : 1° Galls;
topographie du pays, subdivisions de la race. 2° Kimris de la prem ière
invasion, leur territoire, leurs tribus. 3° Kimris-Bdges; territoire et na­
tions. — Caractère, mœurs, industrie, religion, gouvernement des Gaulois.
I I I . F amille grecque ionienne : Continuation de l ’histoire des Massa­
liotes. — Désastre de Phocée. — Agrandissement de Massalie. — T o p o ­
graphie de cette v ille ; ses lois; son gouvernement; sa religion ; ses mœurs;
sa littérature et ses hommes illustres; ses colonies; son commerce; son
alliance avec Rome ; époque de sa grande prospérité commerciale et de sa
puissance maritime.

La nature elle-m êm e sem blait avoir tracé les frontières


de la Gaule, circon scrite par deux chaînes de m ontagnes,
deux m ers et un large fleuve.
Les Alpes la born aien t à l’ orien t par une barrière de
dix m ille à quinze m ille pieds d’élévalion, et envoyaient
à l’ intérieur des chaînes secondaires, qui la coupaient
dans diverses directions : c’ étaient, du sud au nord, le
Jura et les Vosges ; du n ord-est au sud-ouest, lesC évennes
et leur appendice, le plateau des m ontagnes Arvernes.
Au m idi, les Pyrénées, hautes de n eu f à dix m ille
pieds, la ferm aient d’ une m er à l’ autre. Baignée au sud-
est par la M éditerranée, à l’ ouest par l’ Océan, elle se
term inait, du côté du n ord , au cours du R hin qui, ayant
son em b ou ch u re dans l’ Océan, pren d sa sou rce dans les
Alpes.
Cinq grands fleuves sillonnaient en tous sens ce vaste
et beau territoire :
A l’est, le Rhône \ célèbre par le volu m e et la rapi­
dité de ses eaux. Né des glaciers des Alpes Pennines, et
grossi des eaux tributaires de la Saône 2, de l’Isère 3 et
de la D urance 4, il se jette dans la M éditerranée par
trois b o u c h e s 5.
Au sud, la Garonne 6 coulant des Pyrénées à l’ Océan,
faible et à p ein e navigable dans la p ortion supérieure de
son cours, mais, près de son e m b ou ch u re, large et p ro -
{pnde com m e une m er 7; et augm entée, dans sa route,
par le Tarn qui roulait alors de l’o r m êlé à ses sables \

t. R hodanus; i’oSavôç. Rhed-an et Rhod-an, eau rapide. Adelung,


Mithrid., t. II, p. 68. — Gael. et W elsh diction.
2. Arar, Araris. On trouve dans Ammien Marcellin (xv, -11) Saucon-
na, d ’où vient le nom français actuel. Sogh-an (gael.), eau tranqu ille,
lentus Arar.
3. Isara. 'O 'Itrap. Ptolem.
4. Druentia. 'O Apouev-uias. Strab. — ‘ O Apouévno;. Ptolem.
5. Plin., m , 4.
6. Garumna, ‘ O Tapouvâç. Strab. — Ptolem.
7. Diu vadosus et vix navigabilis fertur... ad postremum magni freti
sim ilis. Mêla, ni, 2.
8. Aurifer Tarnis. Auson., Mosel., v, 465.
par le Lot1 , sorti com m e lui des Cévennes, puis par la
D ordogn e 2 descendue des m onts Arvernes.
A l’ouest, la L oire 3 dont le cours, depuis les Cévennes
ju sq u ’à l’ Océan, traversait le centre et l’occid en t de la
Gaule, d’abord du sud au nord, ensuite de l’est à l’ ouest,
recevant successivem ent l’ A ilie r 4, le Cher s, la V ienne 0
et la Mayenne 7.
Au nord-ouest, la Seine 8, avec ses affluents la Marne 9
et l’ Oise 10.
Au nord, le Rhin Ce fleuve, après avoir form é deux
lacs au p ied des Alpes 12, se resserrant de nouveau, tra­
çait la lim ite de la Gaule, p o u r aller se perdre ensuite,
par plusieurs b o u ch e s , dans les sables de l’ O cé a n 13, en ­
traînant avec lu i les eaux, de la Moselle 14 et celles de la
Meuse “ .

1. Olitis ou Oltis. Sid. A pollin., Paneg. Majorian., v. 209.


2. Duranius et Duranus. Auson., M osel., v. 404. — Sid. A pollin.,
ÿarm. x x ii, v. 103.
3. Liger, Ligeris. 'O Aefyïip. Strab.
4. Elaver; Elaris; Elauris. Sid. Apollin.
5. Carus; Caris.
0. Vigenna. Fortunat.
7. Meduana. Lucan., Phars. i, v. 438.
8. Sequana. ‘ O Eexôavo;. Strab. Ptolem . — 'O Stjxoavoç. Steph. Byz.
9. Matrona. Cæs., Bell. Gall., passim.
10. Isara; Isura. Itiner. Anton. — Tabul. Peut.
11. R henus; ô i ’ ïjvo;. Strab.
12. Venetus et Acronius. Le lac Venetus fut appelé plus tard Brigan-
tinus et Constantiensis; c ’est aujourd’hui le lac de Constance.
13. Cæs., Bell. G all., iv, 10.
14. Mosella. Tac., Hist. iv , 71. — Auson., Mosel.
15- Mosa. Cæs., passim.— La branche du Rhin qui recevait la Meuse
portait le nom de Vahal ou Wal. — Parte quadam Rheni recepta quæ
appellatur Walis. Cæs., Bell. Gai!., iv, 10. — Vahalis. Tac. — Vachalis.
Sid. Apollin.
La Gaule était partagée naturellem ent en deux grandes
région s, bien m arquées par la d irection des rivières :
l’une, la rég ion haute et orientale, com pren ait tout le
pays situé entre la crête des Alpes et les dern ières éléva­
tions des Vosges, des m onts Éduens, du plateau Arverne
et des Gévennes; l’autre, la rég ion basse et occiden tale,
s’ étendait de là à l’ O céan. Nous insistons sur cette division,
qu i, loin d’ être indifférente à l’histoire que n ous écrivons,
jette, au contraire, u n e vive lu m ière sur les divers g ro u ­
pem ents des races dont la p opulation gauloise se trouvait
com p osée. Vers la co m m u n e lim ite des deu x rég ion s s’ é­
tait arrêtée à deu x reprises l’invasion des h ord es k im -
riques venues d’ outre-R hin : la rég ion basse, su bju gu ée
par les nouveaux-venus, était restée entre leurs m ains,
tandis qu e la rég io n haute avait servi de refu ge et de
boulevard à la race gallique en partie dépossédée. Celte
lim ite était d o n c em preinte clans la p opulation aussi p ro­
fon d ém en t qu e sur le sol : elle séparait d eu x sociétés
différentes d’ origin e, d’intérêts, de langage, et longtem ps
opposées par u n e m ortelle in im itié.
Exam inées sous le p oin t de vue de la sûreté extérieure,
les frontières de la Gaule n ’avaient pas toutes une égale
im portan ce. Par le Rhin, elle avoisinait les dern iers bans
k im ris établis sur les bord s de l ’Océan du Nord, et les
peu ples d e là race teu ton iqu e, qui, ch aque an née, faisant
des progrès vers le m id i, s’a pproch aien t de plus en plus
du fleu ve; par les Alpes, elle touchait à la rép u b liq u e ro­
m aine. De ces deux côtés seu lem en t la Gaule était m e­
n acée, mais elle l’était fortem en t. Ici, elle avait à red ou ­
ter l’ esprit systém atique de con q u ête aidé de toute la
puissance de la civilisation; là, l’esprit de brigandage et
d’ invasion soutenu par l’ én ergie aventureuse de la vie
nom ade.
Le sol de la Gaule était gén éralem en t très-fertile '. Nul
lieu du m on d e ne surpassait les cantons m érid ion au x, ni
p ou r la fécon dité variée de la terre, ni p ou r la d o u ce u r du
clim at. Les p rod u ction s délicates de l’ Orient, l’ olivier,
le figuier, le grenadier, y croissaient sans p ein e à côté
des céréales et des hautes futaies de l’o c c id e n t 2. Ce fut,
co m m e n ous l’ avons racon té précéd em m en t, la co lo n ie
p h océen n e de Massalie q u i apporta les p rem iers plants de
vign e cultivés en G au le3; mais cet arbuste, 011 le recon n u t
plus tard, y existait déjà à l’état sauvage : plusieurs es­
pèces originaires des Gévennes \ des Alpes allobroges \
des coteaux de la Saône, du R hône, de l’Ailier et de la
G ironde G, fu ren t découvertes et propagées successive­
m en t. N éan m oin s, la culture de la vign e resta lon g ­
tem ps born é e au littoral de la M éditerranée; au co m ­
m en cem en t de l’ ère c h r é tie n n e , elle n’avait p oin t
en co re dépassé la chaîne des Gévennes et la vallée de la
D urance 7.
Q uelques fléaux venaient, il est vrai, désoler par inter­
valles ce fertile pays. La côte de la M éditerranée était
exp osée à des vents d ’ une v iolen ce extrêm e ; le plus ter­
rible soufflait du n o r d -o u e s t8; les Gaulois le n om m a ien t

1. Strab., 1. iv, p. 1 7 8 .— P lin., ni, 4. — Mart. Capell., vi. — Script,


rer. Gallic., passim.
2. Strab., loc. cit. — P lin., m , 4. — Just., xliii , 4.
3. Voyez ci-dessus, liv. i, ch. 1.
4. Helvicum genus. P lin., xiv, 1.
5. Vitis allobrogica. Id., ib id ., 2.
*>• Sequanum, Viennense, Arvernum (généra). Id., xiv, t.—Vitis bitu-
rica- Id., ibid., 2. — Cf. ib id ., capit. 3, 0, 0, 21, 22.
1. Strab. 1 . iv, p. 178.
8. ’A no Oepivîi; 5'jaew; xai âpxTou. Diod. S ic., v , 2G.
kirk \ qu i signifiait le fougueux 2 ou le destructeur ; il en­
levait les toits des m aisons, et renversait sur les roules les
piétons, les cavaliers, et, dit-on, ju sq u ’à des chariots
chargés 3. Sur la côte de l’ Océan, les ouragans descendus
des Pyrénées ne causaient guère m oin s de ravages ; ils y
soulevaient les sables co m m e des vagues ; et, suivant l’ ex­
pression d’ un écrivain an cien , « surpris au m ilieu de ces
« syrtes gauloises, le voyageu r pouvait en qu elqu e sorte
« faire naufrage par terre 4. » Les b ord s du R hône, de la
Durance et de l’ Hérault avaient aussi à redou ter le char­
bon \ m aladie pestilentielle.
Dans le reste de la Gaule, p rin cip a lem en t au n ord et
à l’ouest, l’ air était b ru m eu x et fr o id ; des rivières souvent
débordées et des bois im m enses entretenaient une perpé­
tuelle h u m id ité 0. Le ch ên e, le bou leau , l’ orm eau , le p in \
com posaient ces vastes forêts dont t’A rm orique et la Belgi­
que étaient en com b ré e s; l’if était com m u n dans le n ord ",

1. Circius. Favorin. Gallus ap. G ell., 1 1 , 22. — Sen., Quæst. nat., v,


17. — P lin., ii, 47. — Lucan., i, v. 408. — Cercius. Cato, ap. Gell., ii,
22. — K irk (arm or.), impétuosité, fougue, et aussi ouragan. (Adelung,
M ithrid., t. II, p. 53. — Camden, Britan., p. 10.) — Ciurrach (gael.),
qui frappe, qui détruit.
2. Nostri Galli ventum ex sua terra flantem quem sævissimum pa-
tiuntur Circium appellant a turbine, opinor, ejus ac vertigine. Favor.
Gall. ap. Gell., ii, 22.
3. Ventus Cercius armatum hom inem ...plaustrum oneratum percellit.
Cato, loc. cit. — Strab., 1. iv, p. 182. — Diod. S ic., v, 20. — P lin., i i ,
47. — S en., Quæst. nat., v , 17.
4. Q u o d d a m in itinere terreno pedestre n a u f r a g i u m . Sid. Apollin.,
l '.p i s t . v i n , 1 2 .
5. Carbunculus, p e c u lia r e N a r b o n e n s is p r o v in c iæ m a lu m . Plin.,
xxvi, 1.
6. Cæs., Bell. Gall., passim. — Diod. S ic., v , 25 et 2ü. — Strab., 1.
îv , p. 178. — Aristot., Gener. animal., u, 25.
7. P lin., xvi, 8, 17, 18. — Script, rer. Gallic., passim.
8. Cæs., Bell. Gall., VI, 31. — P lin., xvi, 10.
et dans les Pyrénées le buis v igou reu x, arborescent, de
form e con iqu e A l’ époqu e où n ous som m es arrivés,
l’ est, le centre et le m idi, défrichés et cultivés en grande
partie, produisaient a b on d a m m en t du blé, du m illet et
de l’ orge 2. C’ était par les grands fleuves que le co m ­
m erce avait apporté aux in d igèn es le besoin et le goût
de la vie sociale ; c’était aussi dans le voisinage des grands
fleuves, du R hône, de la Saône, de la Seine et de la Loire,
q u ’avaient eu lieu les p rem iers travaux agricoles, et
qu e la civilisation avait pris ses p rem iers développe­
ments.
Maigre l’extension progressive de l’agriculture, l’ édu­
cation des bestiaux fut toujours la p rin cipale industrie
des peu ples gaulois, qui con som m a ien t beau coup m oins
d e grain que de viande et de lait. Ils engraissaient des
trou peau x in n om brables de grand et de petit b étail; et
des p orcs d ’une grosseur én orm e erraient par bandes et
à l’ abandon dans leurs bois, où , devenus tout à fait sau­
vages, ils n’ étaient guère m oin s dan gereux à ren con trer
q u e des loups 3. Les pâturages de la R elgique nourris­
saient u ne race de chevaux excellente et entretenue avec
le plus grand soin 4.
Telles étaient les p rod u ction s végétales et anim ales de
la Gaule ; nous avons déjà parlé de ses richesses m in é­
rales, qu i consistaient en m ines d’ or, d’argent, de cuivre,
de fer et de p lo m b 5. La côte des îles appelées a u jou rd ’ hui

1. (Buxi genus) gallicum, quod in metas emittitur, amplitudinemquo


proceriorem . Plin., xvi, 16.
2. Strab., 1. iv, p. 197. — Diod. Sic., v, 26.
3. Ai 8’ ie ç xai àyauXoüatv, te xai à/xr] xai Staçépovcrar
youv l<rrt tu> àr]0Ei 7rpo<rt6vTi üxrauTtoç xai Xuxw. Strab., 1. I V , p. 197.
4. Cæs., Bell. Gall., îv, 2. — Script, rer. Gall., passim.
__ Posidon. ap. Athen., vi, 4. — Strab., 1. ni, p. 14 6; 1. IV , p. 191.
iod- S ic., v , 27. — Cæs., Bell. Gall., n et vu.
les d'Hi'ms fournissait de beau c o ra il1 ; et le continent,
ce grenat brillant et précieux qu’on nomme escarboucle2.
Les escarboucles gauloises furent tellement recherchées
dans tout l’ Orient, où les Massaliotes en faisaient le com­
merce, que, du temps d’Alexandre, les moindres s’y ven­
daient jusqu’à quarante pièces d’or 3.
Quand on récapitule ces productions si nombreuses,
si diverses, si riches ; quand on parcourt des yeux la to­
pographie si variée de ce sol fécond, on est tenté de dire
avec un illustre géographe de l’antiquité : « Il semble
« qu’une Providence tutélaire éleva ces chaînes de mon-
« tagnes, rapprocha ces mers, traça et dirigea le cours
« de tant de fleuves, pour faire un jour de la Gaule le
« lieu le plus florissant du monde i . »
Trois familles humaines se partageaient ces richesses
et ce beau territoire : 1° la famille ibéiuenne, divisée en
deux branches, les Aquitains et les Ligures; 2° la famille
cAULoisic proprement dite, comprenant : la race gallique
et la race kim riq u e , partagée elle-même en deux bran­
chas, tes -Kiam s de la première invasion, mélangés en
grande partie avec les Galls, et qu’ on pourrait appeler
Gctirh-Kènris, et les Kimris de la seconde invasion, ou
Belges; 3° la famille ohecque-ionienne, composée des Mas-
'saliôïëTét de leurs colonies.

•1. Curalium laudatissimum, in Gallico sin u,circa Stœchadas insula».


P lin., x x x i i , 2 .
2. ’ AvOpai; xa/oû|j.sv'};.,. d y s t a i S’ o v t o ; èx MatreaÀîac;. Theophr., de
Lapid., p. 393.
3 . M ix p o v y à p <rcp68pa TET TapàxovT a / p ’J 'iw v . Id., ibid,
4 . "ilaze. èn t TWV TotouTtov x a v t 6 t ï i ; itp o v o îa j ëp fo v Èm[j.apTV)peï<ïOc(i t t ;
à y S o ^ îisv , o u / o m > f zv jy y i , à / V ojç àv (j.sxa Xoyt(T(j.oü t;v o ç ôtaxEtp-svwv
t ô t m ù v ... x . t . X. Strab., 1. iv, p. 189,
I. F A M IL L E IB É IU E N N E .

1° A q u itain s . La cou rb e qu e décrit la Garonne, enlre


sa sou rce et son em b o u ch u re , lim itait l’Aquilaine à l’est
et au n ord ; les P yrénées et l’ Océan la born aien t au m idi
et à l’ouest. La partie voisin e de la m er n’ était q u ’ une
plaine stérile, couverte de sables ou de bruyères, et par­
sem ée seulem ent de qu elqu es b ois de pin s : p o u r toute
culture, on y récoltait un peu de m illet *. Dans les can­
tons élevés, où l’ab on dance des eaux vives favorisait la
végétation 2, le pays inculte devait présenter l’aspect
d’ u n e grande forêt. La pauvreté du sol était com p en sée,
il est vrai, par la richesse des m étaux. Les Pyrénées re -
célaien t des m in es d ’o r peu profon d es, d’ o ù le m inerai
était tiré, la plupart du tem ps, à l’ état vierge et en lin ­
gots de la grosseur du p o in g 3. Des paillettes d’ o r rou ­
laient aussi m êlées aux sables de l’A dour ; les in d igèn es
les recueillaient et les séparaient de la vase successive­
m en t par le lavage et par la fusion 4.
La nation aquitanique se subdivisait en vin gt petites
peuplades d o n tle s n om s sont à pein e con n u s B. Les p rin ­
cipales étaient : les Tarbellcs6, riverains du bas A dour et

1. ’Eaxi 5’ 7) rapwxeavm ; t <J v 'AmmÏTavüv àpixtôSrjç x a l Xe7rrr), X5YXPV


to£ipou<ja, t o ï ; S’ àXXoiç x a p i i o ï; à ^ op u n ép a. Strab., I. IV, p. 190.— Paulin,
ad Auson. epist. m , 5.
2. Strab., 1. iv, p. 189.
3. XEipoît).r,0£Ï5 xpvjiov itXàxe;... Strab., 1. IV, p. 190.
lk. Id., ibid. — Diod. S ic., v, 27. — L ’Adour, Aturis, Aduru-> (Au­
son .); Atur (Vib. Sequest.).
5. Strab., 1. iv , p. 189. — P lin ., 4 , 1 9 . — Cæs., Bell. Gall., m .
6. Tarbelli. Leur territoiro contenait les Landes, la Terre do Labour
et le Béarn.
de l’ O céa n ; les Digerrions *, riverains du haut A dou r; les
Garumnes \ qu i habitaient près des sources de la Garonne;
enfin les Auscii ou Auske s 3, don t le territoire, situé entre
le pied des Pyrénées et la m oyen n e Garonne, passait
p o u r le m eilleu r e tle m ieu x cultivé de toute l’ A quitaine4;
leur chef-lieu se n om m ait E lim berrum 6.
L’Aquitain avait conservé presqu e sans altération le
type orig in el de sa race : à ses traits, à sa taille, à son
langage, à ses m œ urs, on le reconnaissait aussitôt p ou r
u n enfant de l’ Ibérie 15. Il con tin u ait de p orter le vête­
m en t ibérien , court, fabriqué de laine grossière et à lon g
p o i l 7 ; la prop reté et l’ élégance ib érien n e se retrouvaient
aussi parm i ses fem m es sur les rives du Gave et de l’A-
d ou r 8. L’Aquitain était brave, mais rusé 9. Un esprit vif
et intelligent le rendait très-habile à saisir et à im iter la
tactique de son e n n e m i10. L’habitude d ’exploiter les
m ines lui donnait u n e adresse rem arqu able dans tous
les travaux souterrains applicables à la défense ou à l’at-

1. Bigerriones, Bigerrones. Peuple du Bigorre.


2. Garumni. Peuple de Valence et de Montréjaut.
3. Auscii, Aù<rxt'oi. Peuple d’Auch. Ausk, Osk, Eusk parait être le véri­
table nom générique de la race dite ibérienne. Les Basques portent
encore dans leur langue celui d ’Eusc-aldunac. Vase, Base et Gasq 110
sont évidemment que des formes aspirées de ce radical.
4. Ka/Ÿi S’ f] xwpaxwv Aùaxiwv... Strab., 1. iv, p. 190.
5. Plus correctement Eli-berri ou Illi-b e r r i, Ville-Neuve. Cons.
M. Guillaume de Ilum boldt : Pruefrng der Untersuchungen ueber die
Urbewohner Hispaniens.
6. *Atc).wç yàp elratv, oî ’Axouïravol Sta^spoum tou i ’a/aTiv.oü ç-j/rju,
xaxâ te iàç twv (xwjjumov xaTaaxeuàç xai xaxà tr)v y),ÛTTav èoixasi cè [ià),),ov
'Ië»]p<Tiv. Strab., 1. iv, p. 189; id ., 1. iv, p. 170.
7. Paulin, epist. n i, ad Auson., v, 143. — Bigerricam vestem brevem
atque liispidam ... Sulp. Sev., Dial, i i , 1. — Diod. Sic., v, 33.
8. Aurai. M arcell., xv, 12. — Diod. S ic., loc. cit.
9. Callidum genus. F lor., n i, 10— Cæs., Bell. Gall., ni.
10. Cæs., Bell. Gall., n i, 20 et seqq.
laque des places L’infanterie a qu ilan ique était re n o m ­
m ée p o u r sa lé g è r e té 2. » *
L’A quitaine paraît avoir été soum ise à la dom in a tion
absolue de chefs de tribus ; n éanm oin s la con d u ite de
ses guerres im portantes et générales était con fiée ord i­
nairem en t à des guerriers con som m és, élevés par élec­
tion au su prêm e com m a n d em en t m ilitaire 3. Elle avait
con servé dans toute sa v ig u eu r l’institution ib érien n e des
dévouements, étrangère au reste de la Gaule. Des braves,
appelés Soldures ou plus correctem en t Saldunes \ s'atta­
chaient à la p erson n e d’ un chef, p o u r la vie et p o u r la
m ort ; ils appartenaient irrévocablem en t à lui et à sa
fortun e. Tant q u ’ il était rich e, puissant, h eureu x, ils
jouissaient, co m m e lui et avec lui, de toutes les p rosp é­
rités de la v ie ; le sort lui devenait-il contraire, ils en par­
tageaient tous les revers ; si le c h e f périssait de m ort v io ­
lente, ils s’ arrachaient eu x -m êm es le jo u r. J1 était in ou ï
q u ’ un Saldune eût refusé de m o u rir avec son m a ître 5. Le
n om b re des braves dévoués à un seul ch e f était illim ité ;
on verra Adcanluan, roi des Sotiates, en com p ter ju sq u ’à
six cents *.

1. Cujus roi sunt longe peritissirni A quitain, propterea quoi] multis


locis apud cos ærariæ structura; sunt. Cæs., Bell. Gall., 20.
2. Id., ib id ., passim. — Id., Bell, civ., i.
3. Id., Bull. Gall., ni et v ii , passim.
4 . Devoti quos illi Soldurios appellant. Id., ibid., n i, 22. — Athé­
n é e , d’après Nicolas de Damas, leur donne le nom de Silodunes, Ou;
xaXïîoOcu tî) 7iaTpup y Xwtt ^ S iXogovvou; (1. iv, c. 13). — lin basque,

Zaldi ou Saldi signifie cheval; Saldi-a, un cheval; Saldun-a, celui qui


a u n clieval, cavalier, chevalier, gentilhom m e; plur. Saldun-cic. Dans la

traduction d’ un auteur ancien, le m ot Romains, Quintes, est rendu par


Saldunac.
5. Neque adhuc hom inum m emoria repertus est quisquam qui, eo in-
terfecto cujus se amicitiæ devovissct, mori rccusaret. Cæs., loc. cit.
6 - W ., ibid.
Outre sa population de descen dance ibériqu e, l’Aqui­
taine contenait les deux petites tribus gauloises des B oïes1
I et des Biluriges-Vivisques, resserrées dans l’angle que for­
m ait l’ e m b ou ch u re de la G aronne et l’ Océan 2. Ce voisi­
nage, au rapport d’ un écrivain a n cien , servait d’autant
plus à faire ressortir la différen ce tranchée des deux fa­
m illes 3. Les Bituriges-Vivisques, peuplade gallique déta­
ch ée des B ituriges-Cubes à l’ époqu e de l’invasion des
Kim ris, occu p aien t les bord s du fleuve, et, par leur acti­
vité, s’ étaient créé une m a rin e ; leu r capitale, B u rd igala4,
était deven ue un des entrepôts du co m m e rce entre la
M éditerranée et l’ Océan. Les B oïes, d ’o rig in e k im riqu e,
h abitaient plu s au m idi, dans les landes des T arbelles; ils
étaient pauvres, et leur industrie se bornait à extraire la
résine des bois de pin qui croissaient sur leu r terri­
toire 5.
2" L iguhes. Cette bran che de la fam ille ibérien n e avait
conservé m oins p u rem en t que la bran che aquitanique le
type orig in el, à cause de son éloig n em en t de l’ Espagne
et de son m élange, soit avec les Gaulois, soit avec les
Massaliotes. Le L igu re était de petite taille et d’ une co m -
p lex ion sèche m ais nerveuse °. Sobre, é co n o m e , d u r au
tra v a il7, il gâtait ces vertus par des vices q u i lui d o n n e -

1. Boii (Voy. ci-dessus, liv. i, ch. 1), peuple du pays deB uchs.
2 . B it u r ig e s V iv is c i. O ù ï ££<txoç, B ië ia x o ç .

3. Strab. 1. IV , p. 176 et 189.


4. B u r d ig a la et B u r d e g a la . T à BoupSîyaXa (Strab., 1. iv, p. 190). Au­
jo u r d ’h u i B ord ea u x .
5. Picei Boii. Paulin, ad Auson. epist., m , 5.
G. Toîç Syxotç eial <7Uve<TTa}.[/ivoi, xai 8ià r?|V duve/îj fup.va<ria'/ eûxovot.
Diod. S ic., iv, 20.
7. Assuetum malo Ligurem. Virg., Georg., n. — Durum genus. Liv.,
x x v u . — Strab., 1. m , p . 105. — Diod. S ic., iv, 20; v, 39.
rent, chez les an cien s, u n e célébrité m alheureuse : il
passait p o u r fou rb e, perfide, intéressé *. Dans la contrée
voisin e de Massalie, où l’in flu en ce de la civilisation grec­
qu e s’ était fait sentir im m édiatem ent, les Ligures culti-
vaient l’olivier, la vign e et les céréales, soit p ou r eux,
soit p ou r le com p te des m arch an ds massaliotes. Plus loin,
dans la m on tagn e, ils vivaient de chasse ou venaient dans
la plaine se lou er co m m e ouvriers aux propriétaires de
c u ltu r e s 2. Sur la côte, ils faisaient la p êch e et la pirate­
rie. Dès qu e la tem pête com m en ça it à trou b ler la m er, 011
voyait ces hardis corsaires m ettre à flot leurs fragiles
barques ou leurs larges radeaux, soutenus sur des outres,
et aller assaillir les vaisseaux étrangers surpris par le
gros tem ps loin des p o rts; ils revenaient ensuite dép o­
ser leur bu tin dans les îles voisines de la cAte. lia répres­
sion de ces brigandages coûta u ne pein e in fin ie à la m a­
rin e m assaliote; en vain les Grecs s’ em parèren t des îles,
con stru isirent dans qu elqu es-u n es des forts, e ty p la cè re n t
des garnisons 3, les pirates se liront d’ autres repaires sur
le con tin en t, et 11e cessèrent que très-tard d’ infester les
parages de la Gaule et de l’ Italie.
Les fem m es ligu rien n es partageaient d’ ordinaire avec
leurs m aris les plus p én ibles travaux de l’agriculture :
co m m e eux, on les voyait descendre par bandes de la
m on tagn e, p o u r aller travailler, m oyen n an t salaire, sur
les terres de Massalie et de ses dépendan ces. Un voya­
g eu r grec, que n ous citerons plus d’ une fois, le célèbre

Latrones, insidiosi, m endaces, fallaces. Cato, ap. Serviura ad Æ n.,


x i. — V irg., Æ n., loc. cit. — Claudian., Idyll. x i i , etc.
2. Strab., 1. iv et v.
3-. To 7taXai6v, çpouoàv £ij(ov t5pu|jivYiv aOxéOi 7tpô; to? twv Xi(i<ro)p£ti)v
ifoS ov ;. Strab., 1. iv, p. 184.
I’ osidon iu s \ fut tém oin d ’un fait q u i m on tre à quel
p oin t u ne vie sobre et laborieuse avait en d u rci ces fem ­
m es. Une d’ elles, em p loyée avec une trou pe de ses co m ­
patriotes sur la p ropriété d’ u n certain Charm olaüs, Mas-
saliote, se sentit tou t à cou p saisie des dou leu rs de l’ en -
fantem ent. Sans m ot dire, elle se retira dans un petit b ois
v oisin , se délivra e lle -m ê m e , déposa son enfant su r un
lit de feuilles, à l’abri d’ un taillis épais, et vin t repren dre
son ou vrage 2. Les cris de l’enfant et la pâleur d elà m ère
révélèrent la ch ose. Le surveillant des travaux voulait la
con g é d ier ; mais elie s’obstina à d em eu rer ju sq u ’à ce que
celu i-ci, par pitié, lu i eût fait d on de son salaire 3. Alors
elle se leva, prit l’enfant, le baigna dans une sou rce d ’eau
vive q u i coulait auprès, et l’ em porta chez elle en veloppé
de quelques lam beaux 4. De pareils faits n ’ étaient rien
m oin s qu e rares dans la vie de ce peu ple d u r et p a tie n t5.
A cette com m u n a u té de travaux et de souffrances ne
se born ait pourtant pas l’égalité des deu x sexes. La L igu­
rien n e était p o u r son m ari u ne com p a g n e, suivant toute
l’acception du m ot, tandis qu e la fem m e gauloise, livrée
aux caprices du despotism e le plus illim ité, pouvait en ­
vier la destinée de ses esclaves; et cette opposition si
tranchée dans l’ organisation in tim e et le caractère des
deu x sociétés, n’ est pas un des m oin d res traits qui dis­
tin gu en t l’ une de l’autre ces fam illes hum aines. G’ était
par le ch o ix d’ un m ari qu e la je u n e L igu rien n e entrait

1. Strab., I. n i, p. 166. — Le même récit se trouve dans Diodore de


Sicile, iv, 20.
2. To 7tai8£ov çüXXoiç àveiXïiaacra, a ù tï ) Sà 'juu.jj.fça'Ta xoïc âpyaîjopiivotç...
Diod. S ic., iv, 20.
3. Strab., ub. supr. •— Diod. S ic., loc. cit.
/*. ’Jiy.xojAÎffOMja tèv vrj7uov Ttpâç ti xprjviov, XoO<raua... Strab., I. n i,
p. 105.
5. Aristot., de Mirab, auscult.
dans l'exercice de sa liberté. Les prétendants, réunis
ch ez son père à un grand repas, attendaient, im patients
et inquiets, qu ’ elle-m êm e vînt d écid er de leu r sort. Vers
la fin du repas, elle paraissait tenant à la m ain un vase
p lein de qu elqu e breu vage ; et l’h o m m e à qui elle versait
à b oire était l’ ép ou x p référé : ce ch o ix devenait p o u r les
parents u ne loi irrévocable *.
Les fem m es ligu rien n es durent m êm e à qu elqu es cir­
con stan ces d’ être investies d’ u ne autorité p olitiq u e supé­
rieu re à celle des h om m es : autorité d’ailleurs Ion le p a ci­
fique, toute conservatrice, el qui con venait parfaitem ent
à leu r rôle. « De vives et interm inables querelles s’ étaient,
« jadis élevées chez ce peu ple, racon ten t les historiens,
« et l’ am en èren t à u n e g u erre civile. Déjà les deu x partis
« avaient cou ru aux a rm es; déjà ils se m esuraient des
« yeu x sur le ch am p de bataille, lorsque les fem m es, se
« p récipitan t entre eux, v ou lu ren t con naître le sujet de
« la d iscord e. Elles le discutèrent et le ju g è re n t avec tant
« d’ équité et de raison, q u ’ u n e adm irable am itié de tous
« avec tous régn a dès lors, n on -seu lem en t dans chaque
« cité, mais dans ch aque fam ille 2. De là naquit l’ usage
« d’appeler les fem m es aux d élibération s su r la paix et
« su r la gu erre, et de leu r sou m ettre les différends sur-
« ven us avec les a llié s 3. » On se souvient qu’Annibal,
après les con féren ces de R u scinon , re co n n u t cette a u lo-

1. Aristot. ap. Athen., x iii, 5. — Just., x l iii, 3. — Voyez ci-dessus,


liv. i, c. 1.
2. Ai Yuvœîxeç, èv (lécrw tmv 8tc),mv yevo|XEvat, xal mxpa),a6oüffai xà
vdxï), Siijnriaotv oütiü; àu.qj.'üiw; xai Siéxptvav, mctte çiXîav 7tâ<ri Üa-jjjaffTr.v
xai xatà itôl.ei; xai xax’ oïxou; ■y&vécïTat Ttpàç mmaç. Plut., de Virt. mil­
lier., 0. — Polyæn., vu, 50.
3. ’E x toutou S iët ê Xouv nepE t e 7 :o )ifj.o 'j x a i elprjvTic [3ou),e\j6|i.Evoi (j.£Tà
Twv y jv a ix w v , x a i T a rcpàç to ù ; fT‘J|j.|j.â/oij ; à|/.ç£8oXa S i’ dxeivwv fip a -
ÊeûovTs;. P lut., loc. cit. — Polyæ n., vu, 50.
rité si n ouvelle p o u r u n C a rth a gin ois1. Q uelques fem ­
m es, à dem i sauvages, siégeant aux b ord s du Tet, p ro ­
n on cèren t en d ern ie r ressort sur les dem an des et les
plaintes de celu i q u i allait ébran ler R om e et ch anger
peut-être la fortun e du m o n d e . Il paraît, au reste, q u ’il
n ’ eut qu’à se féliciter des arrêts de ce sin g u lier tribunal.
Massalie entretenait à sa solde des L igures arm és et
disciplin és à la grecq u e. L’ usage du b o u clie r de cuivre,
fabriqué sur le m od èle grec, devint m êm e assez général
parm i ces peu ples p o u r d o n n e r lieu à q u elqu es étym olo-
gistes an cien s de leu r su pposer u n e o rig in e h e llé n iq u e 2.
L eur vêtem ent de gu erre national était u n e tu n iqu e de
laine ou de peau de bête, arrêtée au m ilieu du corp s par
un e large cein tu re en c u i r 3.
Il n ous reste à passer en revue les différentes nations
don t se com p osait au secon d siècle, ou s’ était com p osée
antél’ieu rem en t la race lig u rien n e. Nous com m e n ce ro n s
par la p ortion de la L igu rie située à l’ occid en t d p R hône,
entre ce fleuve et les P yrénées, et qu e les géographes
an cien s n om m aien t YIbèro-Ligurie.
Dans les siècles qu i p récèd en t de b ea u cou p l’ ép oq u e
qu i n ous occu p e, l’ Ib éro-L igu rie avait été possédée par
trois grands peuples, les Sorties, les Èlèsykes et les Bcbry-
kes. Les Sordes ou S ard es4, établis le lo n g de la côte au
p ied des P yrénées, avaient éten du de là leu r dom in a tion
assez loin sur le littoral de l’ E spagne; leurs villes p rin ci­
pales, en Gaule, étaient llli-R erri, ou la Ville-Neuve, et

4. Plut., de Virt. m ulicr., G. — Polyten., loc. cit.


2. ’Atcô xa).xa<T7t!8aç r iv a i, TexfiaCpovrai Tive; "E).)j]va; a0Toùç eivat.
Strab., 1. i v , p. 205.
3. Diod. S ic., v , 30.
4. Sordi, Sardi, Sardones. Mêla, n, 5. — P lin., w , t . — A vion., Ora
niarit., v. 552.
R uscinon , plu s correctem en t R ouskino, que la p h y sion o­
m ie p h én icien n e de son n om pou rrait faire regarder
co m m e u n e vieille c olo n ie de Tyr ou de C arthage1. Les
Élésvkes habitaient a u -d e sso u s des Sordes ju sq u ’au
R h ô n e 2; ils com ptaient p arm i leurs villes Némausus et
N arbo; Ném ausus, de fon dation tyrienne, si l’on en croit
les traditions sym boliqu es sur H ercu le3; Narbo o u Nar-
b on n e, déjà célèbre par son co m m e rce m aritim e, célèbre
aussi par l’éclat de ses arm es, capitale d’ un petit royaum e,
et cen tre de la civilisation lig u r ie n n e 4. Les B éb ryk es'■
occu p aien t, à ce q u ’ on suppose, les Pyrénées, à leur
jo n ctio n avec les Cévennes, et en partie le revers o cci­
dental de cette d ern ière ch aîn e.
Mais au tem ps où n ous som m es arrivés, cette puissance
et cette prospérité avaient disparu. Depuis deu x cent
cin qu an te ans, l’Ibéro-L igu rie, enlevée presque tou t e n -

1. On trouve en Afrique quelques lieux de ce nom . Ruscinon était


situé à l’endroit où est maintenant C astel-Roussillon, à une lieue de
Perpignan. — Je dois dire ici un mot d’une curieuse explication de mé­
daille. M. deSaulcy attribue à Perpignan, Perpinianum ou Parpiniacum,
une médaille sur laquelle sont gravées les lettres P a k p , en caractères cel-
tibériens. Voyez la Numismatique de la Gaule narbonnaise, par M. de
La Saussaye, p. 189 et 190. Cette conjecture, qu’admet pleinement M. de
La Saussaye, si bon juge en pareille m atière, reculerait bien plus loin
qu'on ne le croit vulgairement l’âge de Perpinianum, et fournirait une
preuve de plus quant à l’affinité des Ligures avec les Ibères.
2. . . . Gens Elesycum p r iu s
L oca hæc tenebat.
Avien., Ora marit., v. 585-586.
3. Steph. Byz., voc. Né|i«u(xo;. — Cf. liv. i, ch. 1. C’est aujourd’hui la
ville de N îm es, département du Gard.
4. Strab., 1. iv, p. 180. — P olyb., m , xxxiv, 0. — P olyb., apurt Strab.,
loc. c i t .— Id., apud Athen., vin, 2.
. . . . A t q u e N a r b o c iv ita s
E r a t fe r o c is m a x im u m r e g n i ca p u t.
A vien., Ora maritim., v. 586-587.
5. S cym n., Orbis descr., v. 200, 201. — Steph. Byz.— Sil. Ital., n, v.
421 et seqq. — Tzetzes ad Lycophr. Cassandr., v. 510,
tière aux in d igèn es, était au p o u v o ir de deu x tribus
belges ou volkes, venues en con quéran tes du n ord de la
G au le1. Les V olk es-A récom ik es, maîtres du pays des
Élésykes, lui avaient im p osé leu r n o m . Les Volkes-
Tectosages, après avoir chassé les Bébrykes et occu p é
leur territoire, s’ étaient étendus ju sq u ’à la G aronne et
au cou rs in férieu r du Tarn : Tolosa, qu e leurs aventures
et leurs conquêtes on t déjà ren d u e célèbre, était deve­
nue leu r cap itale2. Quant aux Sordes, ils surent sauver
leur lib erté; m ais, réduits à un petit n o m b re , au m ilieu
de cette ru in e p resqu e totale de leu r race, ils d éch uren t
ra p id em en t; leurs villes d’Illi-B erri et de llu scin o n’ of­
frirent bien tôt plu s q u ’ une om b re de ce q u ’elles avaient
été jad is 3.
La côte ibéro-ligurienne était généralement basse et
m arécageu se; elle renferm ait p eu de ports, d’ailleurs mal
garantis con tre les vents dan gereu x du sud et du sud-
est4. Les anciens on t b ea u cou p parlé d’
u n p h én om èn e
cu rieu x q u ’ on y rem arquait près de la co m m u n e fron tière
des A récom ikes et des Sordes. C’ était un lac souterrain,
alim enté en partie par des sources d’ eau d ou ce, en
partie par les eaux de la m er, qu i s’ y ren daien t au m oyen
d’infiltrations et de con duits cachés. R ecouvert de gazon
et de roseaux sur toute sa surface, il présentait à l’œil
l’aspect d’u ne verte et fraîche p ra irie ; m ais si l’ on ro m ­
pait cette croûte, à q u elqu es pieds on trouvait l’ eau. Les
indigènes y faisaient des crevasses p o u r p êch er, à coups

1. Voir ci-dessus, liv. 1, ch. 4.


2. Le territoire occupé par le s Volkes comprenait le Languedoc actuel,
haut et bas.
3. Ruscino, vicus llliberri, magnæ quondam urbis et magnarum opum
tenue vestigium. Mêla, n , 5. — Avien., Ora m arit., loc. cit.
4. Rari portus, et om nisplaga Austro atque Africo expositaest. Mêla, h , 5.
de trident, d’ én orm es m ulets qu i venaient s’ y engraisser
de vase *. Renchérissant e n co re sur cette bizarrerie de la
nature, les voyageurs et les auteurs grecs et rom ains ne
tarissaient pas en récits m erveilleu x tou ch ant les poissons
fossiles de la Gaule et les p êch es du champ suspendu2.
L’autre p ortion de la L igurie, située à l’ orien t du
R hône, entre ce fleuve et les Alpes, l’ Isère et la Méditer­
ranée, et désignée chez les géographes anciens par le
n om de CeUo-Liguric, ren ferm ait u n e m ultitude de tribus
ligu rien n es ou g allo-lig u rien n es, qu i se grou paien t en
plusieurs con fédérations. Les Ségobriges, ce peu ple gau­
lois d on t n ou s avons racon té la gracieuse hospitalité à
l’ égard des p rem iers colon s p h o c é e n s 3, les Ségobriges
avaient disparu, soit qu e qu elqu e désastre in co n n u les
eût anéantis ju sq u ’ au dern ier, soit q u ’ en se refon dan t
avec d’ autres peuplades, ils eussent perdu et éch angé leur
n om nation al. C’ étaient les Salyes-Salluvesi dont n ous avons
aussi parlé p récéd em m en t, qu i dom inaient sur presque
tout le pays au sud de la D u ran ce; Arelale, plus co rrec­
tem ent Arlatli5, situé su r la rive gauche du R hône, n on
loin de son em b ou ch u re , était leu r ville prin cip ale. A
l’ orien t des Salyes, du côté de la D urance et des m onta­
gnes, se trouvaient les Albikes6, petite tribu gauloise. Au-

1. Polyb. apud Athen., vm , 2. — Strab., 1. iv, p. 182. — Mêla, ii, 5.


— Avien., Ora m arit., v. 570 et seqq.
2. Polyb. ap. Athen., vm , 2, et alii supr. laud.
3. Voyez ci-dessus, liv. i, ch. I .
4. ïoü.ueç, Sallyes, S alvii, Salluvii. D e l ig u m b u s v o c o n t ie is s a i .u i -

v ie is q . Gruter, Inscript., p . 298, n. 3. — Script, rer. Gall., pass.


5. Arelate, Arelatum, Arelas, dans les poëtes. Ar, su r, vers; Lalh
feael.), Llaeth (kim r.) marais. C’est aujourd’hui la ville d’Arles, départe-
m°nt des B ouches-du-Rhône.
6. A lb ici, ’AXëîoty-oi, ’AXSisï;. Leur capitale était, suivant Pline, A le-
’eco ^ejorum ; c ’est aujourd’hui liiez.
dessous des Albikes, vers la m er, venaient les V errucins,
les Sueltères, les Oxibes, les Décéates et les N éruses; ces
dern iers avaient p o u r fron tière le Var, co m m u n e lim ite
de la Gaule et de FItalie l .
Ainsi que la côte à l’ouest du R hône, celle-ci avait
son p h én om èn e cu rie u x , c’ était le champ des p ie r r e s 2,
célèbre dans la m yth olog ie sym boliqu e de l’ Orient, p ou r
avoir été le théâtre d ’u n e des grandes victoires d ’ Her-
cule, de sa v ictoire sur Alb et Ligur, m ontagnards, en ­
fants de N ep tu n e3. Une plaine à peu près circu laire, et
de plus de trois lieues de d ia m è tre 4, s’ étendait entre
Arelate et la m er, jo n c h é e sur toute sa su perficie d’ une
in n om bra ble quantité de pierres arrondies et lisses, dont
les plus fortes n e dépassaient pas la grosseur du p o in g ;
on eût dit d’ une p lu ie de c a illo u x 6; vers le m ilieu ja il­
lissaient qu elqu es sources d’eau salce °. Malgré la sté­
rilité qu i frappait ce lieu, il croissait p arm i les pierres
quelques h erbes, surtout du thym , don t les brebis se
m on traient extrêm em ent friandes; on les y am enait par
m illiers, et de pays fort é lo ig n é s 7.

1. Finis et Hesperiæ promoto limita Varus.


Lucan., i, v. 404.
2. Campus lapideus (Mêla, ii,5 .), Cam pilapidei (P lin., xxi, 10), ueSiov
Xi6w§e; (Strab., I. îv, p. 182); aujourd’hui la Crau. Craig (gael.), Carreg
(kim r.), p ierre, rocher. Crau, en patois savoyard, a encore aujourd’hui
la m ême signification.
3. Voy. ci-dessus, 1 . 1, c. 1.
4. Cent stades. Strab., 1. iv, p. 182. Les stades dont il est ici ques­
tion sont des stades grecs, dits olym piques, dont huit étaient compris
dans un m ille rom ain, et six cents dans un degré. Il en faut dix pour un
m ille géographique et trente pour une lieue de vingt au degré. ;
5. Credas pluisse. Mêla, n, 5. — Strab., 1., iv, p. 182.
0. ’Ev 8’ viSaxa x a î âX uxîS e; èvi<rravTai, x a i icXeç. Strab.,ub.supr.
7, Thym is lapideos caïupos refertos scim us, hoc pene solo reditu, e
Au nord de la Durance, depuis ce torrent ju sq u ’à
l’Isère, la plus considérable des nations ligurien nes, ou,
p o u r m ieu x dire, la seule con sidérable, était celle des
Voconces ou V oconlii1, q u i avait p o u r frontières, au sud
la Durance, au n ord le Drac, à l’est le pied des Alpes.
Entre sa fron tière occiden tale et le lîliône habitaient
trois peuples de sang gallique : les Sègalaunes2, les Tri-
castins3, et les Cavares \ q u i s’ étendaient ju sq u ’à la Du­
rance, et avaient p o u r ch efs-lieu x A v é n io 5 et Gabellio °.
Les Tricastins et les Sègalaunes paraissent n’ avoir été
q u e des clients de la puissante nation cavare, q u i parta­
geait avec les V ocon ces la d om ination de tout le pays
entre l’Isère et la D u ra n ce 7.
Si n ous avons classé parm i les L igures les Cavares,
les Sègalaunes, les Tricastins et les Volkes, m algré leur
descen d ance gauloise, c’est q u ’ en effet ces nations, par
leu r situation, par leurs intérêts politiqu es et co m m e r­
ciaux, et par leurs liens fédératifs, appartenaient beau­
cou p plus à la race ligu rien n e q u ’elles n’appartenaient à
leu r p rop re race.

longinquis regionibus pecudum m illibus convenientibus, ut thym o ves-


cantur. Plin., xxi, 10. — Strab., loc. cit.
1 De Liguribus Vocontieis. Grut., Inscr., p . 298, n. 3 .— Leur terri­
toire comprenait une partie du D auphiné, du Venaissin et de la Pro­
vence.
2. Segalauni (Ptolem .), Segovellauni (Plin.).
3. Peuple du Tricastin, partie du bas Dauphiné.
4. Cavari et Cavares. Plin.
5. Abhainn (gael.), Avon (k im r.), eau. Cette ville devait son nom à
la fontaine de Vaucluse ou à sa position sur le Rhône. C’est aujourd’ hui
Avignon, chef-lieu du département de Vaucluse.
6. Cabellio, Cabalion. Strab., 1. tv. A ujourd’hui Cavaillon.
7. Strab., 1. iv, p. 185.
II . F A M IL L E G A U L O IS E .

Ce q u i restait du territoire de la Gaule, en retran­


chant les contrées que n ous ven on s de décrire, form ait
le dom aine de la fam ille gauloise p roprem en t dite.
Une lign e qui, partant de l’ em b ou ch u re du Tarn,
lon geait ce fleuve, puis le R hône, l’Isère, les Alpes, le
R hin, les Vosges, les m onts Éduens, la L oire, la V ienne,
et venait rejoin d re la Garonne, en. tou rn ant le plateau
de l’A rvernie; cette lign e circon scrivait à p eu près les
possessions de la race gallique. Le territoire situé au
cou ch an t de cette lim ite appartenait à la race kim riqu e ;
il é t a i t ù s o n t o u r divisé en d e u x p a r t i e s , l’ u n e septen­
trionale, l’autre m éridion ale, par la lign e de la Seine et
de la M arne; au m idi, entre la Seine et la G aronne, habi­
taient les Kim ris de la p rem ière invasion, m ôles de s a n g
gallique, ou Gallo-Kimns : au nord, entre la Seine et le
Rhin, les Kim ris de la secon d e invasion ou Belges. Les
Galls com ptaien t vin gt-deu x n ation s; les Gallo-Kim ris,
dix-sept, et les Relges, vingt-trois ; ces soixante-deux
nations se subdivisaient en plusieurs centaines de tribus.
1° G a l l s . Trois grands peuples, les Arvernes, les Éclucs
et les Sèquanes se disputaient la suprém atie parm i les
Galls. G roupées autour d’ eu x p o u r la p l u p a r t , soit p a r la
con q u ête, soit par les liens de la clientèle fédérative, les
peuplades in férieu res form aient sous leur patronage trois
puissantes ligues rivales, presqu e con stam m ent armées
l’ une contre l’autre.
Les Arvernes* occu p a ien t la con trée m ontagneuse

1. Arverni, Arvernia, Alvernia, Auvergne, Ar, Al, haut: Verann (fea-


rann ), contrée.
q u i portait et, Sauf une légère altération, porte e n core
a u jou rd ’ hui leu r n o m ; G ergovie, leur capitale, tenait le
p rem ier ran g p arm i les places fortes de la G au le1. Leur
clientèle se com p osait des Helves ou Helvii \ des Vê­
lâm es 3, des Gabales4 et des Ruth'enes5, tous habitants ou
voisins des Cévennes septentrionales* Les Gabales et les
Ruthènes étaient rich e s ; ils possédaient d’abondantes
m ines d’ argent, et le Tarn, q u i baignait leur pays, r o u ­
lait dans ses sables des paillettes d’ or. Sans être ni sujets
ni clients des Arvernes, les Cadurkes et les Nitiobriges se
rattachaient ord in airem ent, co m m e auxiliaires, aux en­
treprises de cette nation redou tée. Les N itiob rig es6 nous
sont p eu co n n u s; quant aux C adurkes7, établis sur les
bord s du Lot, ils cultivaient le lin en grand, et fabri­
quaient des toiles q u i acqu iren t par la suite b eau coup
de réputation.
La con féd ération éd u en n e embrassait tout l’ espace
com p ris entre l’Ailier, la m oyen n e Loire et la S aôn e, et
m êm e un peu au delà de cette rivière, vers le m id i8. Le
territoire p rop re de la cité avait p o u r capitale Bibracte,
d on t il sera gran dem en t question plus tard; p o u r se­

1. Cæs., Bell. G all., vu. — Gergovia, repfooufa. Strab., 1. iv. — Cette


ville était située à une lieue de l’emplacement actuel de Clermont, sur
une colline qui porte encore le nom de mont Gergoie ou Gergoviat.
2. Peuple du Vivarais.
3. Peuple du Puy en Vélay.
4. Peuple du Gévaudan. — ’ Exouuiv àp-jupia ol TaSaXet;. Strab., 1. iv,
p. 191.
5. Peuple du Rouergue. — Rutheni et Ruteni. ITapà t o ï ç ' P o u t t i v o î ;
àpYÛpia. Strab., 1. iv, p. 191. — Aurifer Tarnis. Auson., Mosell., v. 405.
6. Peuple de l ’Agénois.
7. Peuple du Quercy. — napà toï; KaSoupxoïç Xivoupyta. Strab., I. iv,
P- 191, — P lin., xix, 1.
Partie de l’ancien duché de Bourgogne, Nivernais, partio du Bour­
bonnais et du Forez.
con d e ville K oviodun u m , port et place de co m m e rce sur
la L o ir e l . Son patronage politiqu e s’ étendait sur les
Manclubes ou M a n d u b i i dont le chef-lieu Alésia datait
des tem ps les plus antiques de la Gaule, et passait p ou r
u n e création de l’ H ercule tyrien 3; sur les Ambarres \ les
Isombres ou Insubres8, et les Ségusiens 6 : ces trois der­
nières peuplades habitaient les rives de la Saône entre
les deux con flu en ts du R hône et du Doubs. Les Biluriges
e u x -m ê m e s 7, jadis u ne des plu s florissantes nations de
la Gaule, étaient tenus par les Édues dans une con dition
voisin e de celle de sujets. Le territoire éduen était rich e
en trou peau x et en blé 9; les Bituriges exploitaient des
m ines de fer d’ un grand r a p p o r t9.
Le pîiys des Séquanes, lim ité par le Jura, la Saône
et la fron tière ségusienne, était un des plus beau x de
toute la G a u le10. Le D o u b s 11, qui cou le du Jura dans la
Saône, le traversait ob liq u em en t. Sur u ne presqu’ île que
form aien t les replis de cette rivière, s’ élevait V esontio,
capitale de la nation, place fortifiée par la nature et par
toutes les ressources du gén ie m ilitaire g a u lo is 12. Les Sé­
quanes s’étaien t étendus an cien n em en t ju s q u ’aux sources

\. Bibractc, aujourd’hui Autun. — Noviodunum, Nevers.


2. Peuple de l ’Auxois.
3. Voyez ci-dessus, 1. i, c. 1, — A lesia, aujourd’hui Alise.
4. Peuple de la Bresse.
5. Voyez ci-dessus, 1. i, c. 1.
0. Pouple du Forez,
7. Peuple du Berri.
8. Cæs., Bell. Gall., passim.
9. Ilapà t ü ï ; Bttoüpiiji aiîïifoupyeTâ îutiv à<TTSÏa, Strab,, 1. iv, p. 101.
10. 11 répondait la Franche-Comté augmentée d ’une partie de l ’Al-
sace,
H . Dubis, Duba et Dubrà.
12. Vesontio et Visantio. — Cæs., Bell. Gall., i, 37. — Julian. lm p,
epist. 37, ad Maxim. Phil. — Aujourd’hui Besançon,
do la Seine, d’ où ils tiraient leur n om 1 ; mais les inva­
sions des Kim ris les avaient rejetés au cou ch an t des
Vosges et de la Saône.
La p rin cip ale industrie de ce peu ple était la prépara­
tion de la ch air de p o r c ; les ja m b o n s et généralem ent
toutes les salaisons séquanaises, transportés par la Saône
et le R hône dans les entrepôts massaliotes, se répan­
daient de là en Italie et en G rèce, où. ils étaient fort re­
c h e r c h é s 2. A cause de ce co m m e rce déjà très-productif,
et qu i, dans la suite, devint im m en se, les Séquanes s’ in ­
téressaient vivem ent à la libre navigation des deux ri­
vières par lesquelles ils com m u n iq u a ien t avec le m idi.
Ils eu rent des discussions fréquentes avec les Édues,
riverains co m m e eu x de la Saône, au sujet de certains
droits de péage 3; et souvent ces discussions leur m irent
les arm es à la m ain ; de là naquit entre les deux peuples
une p rofon d e et im placable in im itié. Nous verron s b ie n ­
tôt qu elle in flu en ce désastreuse ces rivalités exercèren t
sur la paix et sur la liberté de la Gaule.
Après ces trois grandes nations et leurs clieoitèles
venaient, dans un degré d’im p orta n ce in férieu r, trois
autres nations galliques indépendantes, et ne recon n ais­
sant au cu n e suprém atie, du m oin s im m édiate. C’ étaient :
les Helvètes1*, d on t les quatre tribus dem euraient entre

\. 2ïix6avo;TCoxan6;... ou xà ê0vixàv2r)xôavoi. Artem idor., ap. Stepli.


Ryz., voc. Sïixôavo;.
2 . 'O O ev at x â ).).ia x a i x a p t/E ia i xwv ûeiwv xpEwv t ic xr,v i ’ w(j.Yiv x a x a -
x o iit ïo v c a t . Strab., 1. î v , p. 1 9 2 . — Id ., 1. IV, p. 1 9 7 .

3. ’AXÀ’ è to t s iv e tt)v èx®Pav ^ T° ü rcoxap-oü àpt; xotj 8ce!pY <m o; aù xoù ç,


êxoiÉ pou êôvûvç ïSiov àÇioùvTOç EÎvai xov ’A p a p a , x a i éavxw itpoorjxEiv xà
SiafuYixà xeXy). Strub., 1. iv, p. 192.
4. A ujourd’hui 1rs Suisses; leur territoire était com pris entre le
Rhin, le Jura et le Rhône.
le lac Vénétus et le lac L ém a n ; les tribus pennines, habi­
tantes des âpres vallées des Hautes-Alpes \ et les Allo­
broges2, peuple brave et n om b reu x qui occu pait le revers
occiden tal des Alpes entre l’Arve, l’ Isère et le R hône.
Les villes prin cipales des A llobroges étaient V ienne et
Genève, située à L’extrém ité m érid ion ale du L é m a n 3.
2° Gallo- K imuis. Les d om aines de cette p rem ière
bra n ch e de la race k im riq u e étaient born és, com m e
n ous l’avons dit, par la ligne de la Seine et de la Marne
au n ord , par la fron tière des Galls à l ’orient, par la Ga­
ron n e au m idi, et au cou ch an t par l’océan Atlantique.
Elle com ptait parm i ses nations les plus m é rid io ­
nales : les Pèlrocores4, don t le p a y s r e n f e r m a it des m ines
de fe r; les L m o v ïk e s5; les Santons6, qui occu p aien t co n ­
join tem en t avec les P iclons7 le littoral de l’ Océan, entre
l'e m b o u ch u re de la G aronne et celle de la Loire-, les
Nannèles8, établis sur la rive gau ch e de la L oire, à son

1. Gentcs Penninæ ; aux environs du grand Saint-Bernard. Penn,


tûte, pic de montagne.
2. All-brog (gael.), hauts lieux. Leur territoire comprend aujourd’hui
la Savoie, une partie du Dauphiné et du canton de Genève. On trouve
dans les anciens, Allobroges et Allobryges. Amm ien Marcellin (1. xv,
c . H ) connaissait déjà le nom de Sapaudia (Savoie), que porta plus tard
ce pays.
3. V ienna, Oùïévva. — Geneva, Genava. — Cen, p oin te; Av, eau
(gael.). Ce m ot exprime très-bien la situation do cette ville au sommet
d’un angle aigu formé par le Léman.
4 . Petrocorii et Petragori ; ils occupaient tout le pays qui composa
depuis les diocèses de Péi igueux et de Sarlat.
5. Peuples du Lim ousin.
G. Peuples de la Saintonge.
7. Peuples du Poitou, nîxxoveç (Strab.), II ixtwveç (Ptolem .).
8. Nannetes etNamnitæ (par corruption Samnitæ). Strab., 1. iv.— Peu­
ples du diocèse de Nantes. — Nant, dans les langues gauloises, signi­
fiait rivière. On retrouve ce radical dans plusieurs noms de peuples ou
de lieux : Nantuates, Nantuacum, etc. Aujourd’hui encore, dans le dia-
em b ou ch u re, et d on t le p ort, appelé C o r b ilo 1, était le
grand en trepôt du co m m e rce entre la Gaule et les îles
B ritanniques.
En rem on tan t le cou rs de la L oire, on trouvait les
Ancles ou Andègaves, d on t les plaines basses et m aréca­
geuses étaient infectées par les débordem en ts de la
M ayenne2; les Turons3, puis les Carnutes*, nation im ­
portante dans l’ ordre politique et surtout dans l’ ordre
religieu x de la Gaule, ayant p ou r capitale Autricum \
en tou ré de vastes forêts, et réputé le p o in t central de
tout le territoire gaulois. L eur secon de ville, Genabum ,
bâtie au som m et de la cou rb u re que form e la Loire en
se repliant dans la direction de t’ est à l’o u e s t6, était une
place de co m m erce florissan te7, en relation d’ un côté
avec C orbilo, et de l’autre avec N oviodunum des Édues.
Les Carnutes, ainsi que les T urons, et probablem ent
aussi les Andes, possédaient des terres sur la ri\e gauche
de la L o ire ; m ais on ne con naît que très-vaguem ent les

lccte savoyard, Nant est le nom générique pour désigner les torrents des
Alpes.
1. H p o tep o v S è K opëD xü V Ù Tnip'/ev è|j.7topEÏov to v tm tw h o to ^ m ...
P o l y b . , a p . S t r a b . , 1. i v , p . "190.
2. Andes, A ndi, Andegavi, Andicavi ; peuple do l’Anjou.
I n n o b u lis , M e d u a n a , t u is m a r c e r e p e r o su s
A n d u s, ja m p la c id a L ig e r is re c r e a tu r a b u n d a .
L u c a n ., P h a r s ., i, v . 438.
3. Turones (Cæs., P lin.), Turonii (Tac.), Turini (Amm. Marcel.), Tu-
rupii et Turpii (P tolem .); peuple de la Touraine.
4. Carnutes (Cæs., L iv.), Carnuti (P lin.), Carnutæ (KapvoÜTai) (Ptol.) ;
peuple du pays Chartrain et do l'Orléanais.
5. A ujourd’hui Chartres.
6. Genabum, Genabos, Cenabum : plus tard Aureliani; aujourd’hui
Orléans. Le mot Gen-abum paraît être le même que celui de Gcn-ava,
désigner la position de la première de ces villes à l ’angle formé par la
Loire.
7. Trfvaëov to twv Kapvovtwv èjwtopsTov, Strab., 1. iv ; p. 191.
lim ites de la plupart des cités gauloises, surtout à
l’ép oq u e que nous essayons de retracer. A l’ orien t des
Garnutes, entre la L oire et la Seine, venaient les Senons
d on t le n om fut si lon gtem ps la terreu r de l’Italie, et les
Lingons, qu i portaient au com bat des arm es b a r io lé e s 2;
à l’ occid en t des Carnutes, les Cénomans3, don t les frères,
établis en Italie, avaient été si funestes à la liberté cisal­
p in e 4. Les C énom ans transalpins faisaient partie de la
petite confédération aulerke, à laquelle appartenaient en ­
core les Aulerltes-Êburovikcss, et les Aulerkes-Diablintes6.
Les d om aines des Gallo-Kim ris se term inaient au cou ­
chant par u n e vaste presqu’ île bifurqu ée, com p rise entre
l’ e m b o u ch u re de la L oire et l’e m b o u ch u re de la Seine.
Q u oique la d én om in a tion d’Armorike, m aritim e, con vîn t
à tou t le littoral de l’ Océan, cepen dan t elle était appli­
qu ée d’ u n e m anière plus spéciale à cette presqu’île, soit
à cause du grand d éveloppem en t de ses côtes, et de sa
situation, en qu elqu e sorte plus m aritim e en core que
celle du reste du littoral; soit parce que les peuples qui
l’ habitaient, adonnés u n iq u em en t à la navigation, possé­

1. Peuple du Senonais. — Cons., sur les Senons d ’Italie, le liv. i,


ch. 1, 2 et 3 de cet ouvrage.
•2. Peuple de Langres.
• • . P ic tis c o h ib e b a n t L in g o n a s a rm is .
L u c a n ., P h a r s ., I, v . 398.

3. Cenomani, Kevo;j.avoî. Peuple d’une partie du Maine.


4. Les Cénomans transalpins dont nous parlons n ’étaient frères dos
Cénomans cisalpins que par le sang g a l l i q u e , car la population des bords
de la Sarthe avait été fortement mêlée de Kim ris. Ici, com m e chez les
Carnutes, les vainqueurs avaient adopté le nom de la population subju­
guée. A illeurs, et particulièrement chez les Senons et les L ingons, le
contraire avait eu lieu, et les conquérants avaient imposé leur nom au
pays.
5. A ulerci-Eburovices; AùXspxcoi ’ Eëoupctïxou Peuple d’Évreux.
(>. Peuple de Jubleins, dans le Maine.
daient une m arine considérable, et faisaient la loi sur
toute cette m er. Les peuples réunis en confédération
sous le n om de Cilès armorikes ou armoricainesl, étaient
les Nann'etes, déjà m en tionn és, les Vén'eles, les Curiosolilesï,
les Osismess, les Rèdonsi, les ÂbrincalucsB, les Unelles6, les
Baïocasscs ou Biducasses1, et les Lexovii ou Lexoves8. Les
Vénètes 0 tenaient le p rem ier ra n g dans la ligue arm o­
rica in e : c’ étaient eu x qu i, en tem ps de guerre, co m ­
m andaient les flottes com b in ées. Leurs grands mais
in form es navires, qui avaient p o u r voiles des peaux pré­
parées, et p o u r câbles des chaînes de f e r 10, entretenaient
avec les îles B ritanniques d’actives relations com m er­
ciales, et en rapportaient, dans les entrepôts de la côte,
l’ étain, le cuivre, les pelleteries, les esclaves, les chiens
et les autres objets de trafic qu e les Gaulois et les Mas-
saliotes y venaient ensuite ch erch er u .
Un sol Apre et inculte, couvert de bruyères, de marais,
de sables, et battu par u ne m er perpétuellem ent agitée,
don n ait à celte p resqu ’île un caractère sauvage etsom b re,
en h arm on ie avec les croyances religieuses de la Gaule;
aussi les druides avaient-ils ch oisi l’A rm orike p o u r la cé­
lébration de qu elqu es-u n s de leurs plus secrets mystères.

1. A rm orici, Aremorici. — Civitatcs armoricæ, armoricanæ,


2. Peuple, de Corsault, diocèse de Saint-Malo.
3. Peuple des diocèses de Saint-Pol-de-Léon et de Tréguier.
4. Peuple de Rennes en Bretagne.
G. Peuple d’AvrancDes.
6. Peuple do Valognes et de Cherbourg.
7. Peuple du diocèse de Baveux.
8. Peuple de Lisieux.
0. Peuple du diocèse de Vannes.
10. Anchoræ, pro fu n ibu s, ferreis catenis revinctæ, pelles pro velis.
Cæs., Bell. Gall., m , 13. — Strab., 1. iv, p. 195.
11.V. ci-après le com m erce des Massaliotes avec les îles Britanniques*
Les cités arm oricain es servaient de centre com m u n
à tou t l’ ouest de la Gaule. C’ était le noyau fédéral où se
rattachaient, dans les circonstances im portantes, les San­
tons, les P ictons, les L ém ovikes, les Andes, les Cénom ans,
en u n m ot, la presqu e totalité des nations qu i tiraient leur
orig in e des prem iers Kim ris.
La con fédération a rm orica in e représentait d o n c en
masse la con quête des p rem ières h ord es kim riqu es, mais
le tem ps avait effacé les haines nées de la possession v io ­
lente. La lign e des m onts Arvernes et de la L oire n e sé­
parait plu s deux races en nem ies, elle séparait seulem ent
d eu x peu ples étrangers et deu x con fédérations de cités
rivales. Sur plusieurs p oin ts m êm e, d’ une confédération
à l’ autre, les intérêts locau x avaient créé des ra pproch e­
m ents entre les peuplades lim itrop h es. Ainsi les Senons
et les Carnutes étaient en liaison in tim e avec clés nations
galliqu es; les L in gon s, lesL ex ov es, les V énètes, avec des
peu ples b elges. Mais le fait général n ’ en subsistait pas
m o in s ; il y avait p o u r les masses com p lète séparation
d ’affections et d ’in térêts; elles ne le firent v oir que trop
clairem en t lorsqu e le dan ger d’ u ne servitude co m ­
m u n e vin t m en a cer toutes les races qu i habitaient la
Gaule.
3 ° K i m r i s - B e l g e s . La Seine, la Marne, la chaîne des

Vosges, le R hin et l’ Océan circon scrivaien t la B elgique,


ou le territoire con qu is par les secon des bandes k im ri­
ques sur les p rem ières. La plus orientale des nations
belg es, entre la Haute-Marne et les Vosges, était celle des
Leukes, habiles à lan cer l’ épieu gaulois *. Au n ord des

1. Peuple du duché de Bar et d’ une petite partie de la Champagne et


de la Lorraine.
Optimus excusso Leucus Rem usque la certo.
Lucan., Phars,, i, v. 42-1.
Leukes venaient les Mèdiomatrikes1 ; à l’ ouest, les Renies2,
déjà puissants, et destinés à s’ agrandir e n core dans les
désastres de la G aule; pu is les Suessions, don t l’ infanterie
m anœ uvrait avec u n e adm irable légèreté, m algré ses
arrhes lon gu es et pesantes 3 : les Suessions exercèren t
qu elqu e tem ps la suprém atie sur tout le n ord de la
Gaule, et fran ch iren t m ôm e en con quéran ts le détroit
de B reta g n e4. Suivaient, to u jo u rs à l’ ouest, les Dellovakcs,
qui p rim èren t aussi dans la B elgique, et pouvaient m ettre
cent m ille h om m es sur pied 5 ; les Cal'etes, d on t le nom
indiquait leur p osition à l’ e m b o u ch u re de la S e in e 6 ;
plus haut vers le n ord , les Ambiens, don t le chef-lieu
s’ appelait Samaro-Briva, P o n t-su r-S o m m e 7 ; les Atrèbates*,
et les Morins °, q u i habitaient la côte du détroit de Bre­
tagne, à l’en d roit de sa m oin d re largeur.
Entre la côte des M orins et la Moselle, d epuis les fron ­
tières des llèm es et des Suessions ju sq u ’au R hin, s’ éten­
daient d’ im m en ses forêts en trecou pées de m arécages,
p rin cip alem en t dans le voisinage de la m er el des grands
lle u v e s 10; elles cou vraien t plus de la m oitié de la Belgi­
qu e. La partie de ces b o is qu e la Meuse traversait, plus

i. Pays mossin et cantons de Sarregueraines, Sarrelouis, Hombourg,


Deux-Ponts, Salins et llitchc.
‘2. Peuple du diocèse de Reims.
3. Peuple du Soissonnais.
L o n g is q u e le v e s S u e s s io n e s in a rm is.
L a c a n ., P h a rs., i, v . 42a.
4. Cæs., Bell. Gall., n, 3.
5. Peuple du Beauvoisis. — Cæs., Bell. Gall., i i , 4.
G. Cal, Cala, une baie, un havre. — Habitants du pays de ('.aux.
7. Ilriva, pont. Adelung, Mithridates, t. II, p. 50. C’est aujourd’hui
la ville d’Amiens.
8. Peuple de l’Artois.
9. Mor, mer. Le Boulonnais.
10. Cæs., Bell. Gall., passim.
épaisse et m oin s praticable que le reste, était n om m ée
par les Gaulois Ar-Denn, c’ est-à-dire la profonde 1 ; elle
existe en core m aintenant en partie, et conserve le n om
de forêt des Ardennes. Les can tons orientaux des A rdennes
appartenaient aux Trèvires, nation con sidérable établie Sur
les deu x rives de la Moselle, entre la fron tière rém oise et
le Rhin 2. La cavalerie trévire était re n o m m é e p arm i les
Belges, qu i, eu x-m êm es, passaient p o u r les m eilleurs ca­
valiers de toute la Gaule 3 ; le Trévire excellait à diriger
dans ses évolu tions le lou rd ch ariot appelé C ovinn4.
A l’occid en t de la cité trévire, dans l’in térieu r des
bois, 011 trouvait les Éburons, les Nerves ou Nervii et les
Mènapes 5, tribus farou ch es, qu i ferm aient l’accès de leur
pays aux m a r c h a n d s étrangers ne déposaient jamais les
arm es, et n’ avaient p o u r villes que les îlots des marais ou
des retraites p rofon d es dans les bois. Les Nerves surtout
connaissaient l’art de ren dre leurs forêts im pénétrables,
en cou rbant à terre et replantant les jeu n es bran ches qui,
entrelacées les unes dans les autres en réseaux, finissaient
par form er de véritables m u ra ille s1. Plus au n ord enfin,

1. A r est l’article, Den (kim r.), Don (bas-bret.), Domhamn (gael.),


profond, épais. En latin, Arduenna (C æ s., Bell. Gall., vi), et Ai’duinna
dans deux inscriptions.
2. Peuple de Trêves.
3. Cæs., Bell. Gall., v, 3.
4. Cobhain (gael.), Cowain (kim r.), cliariot. Les Romains ortogra-
pliiaient Covinus et Covinnus. Mola, nr, 0.
D o c ilis r e c t o r ros tra ti Belga c o v in i.
L u c a n ., P h a r s., I, v . 4 20 .

5. Eburones, peuple de Liège. Nervii, peuple du Hainault et du midi


de la Flandre : de petites tribus soumises aux Norviens occupaient la
côte de la Flandre actuelle. Menapii, peuple de la Gueldre, du duché do
Clèves et du Brabant hollandais.
0. Nullus aditus ad eosm ercatoribus. Cæs., Bell. Gall., tt, 15.
7. Id., ibid, 17. — Strab., 1. iv, p. 194.
et à l’extrém ité de la Gaule, vivaient, dans les îles fo r­
m ées par les bou ch es de la Meuse et du Rhin, quelques
pauvres peuplades, au plus bas degré de l’ état s o c ia l;
elles ign oraien t toute culture, elles ne possédaient p oin t
de troupeaux : du poisson , des coquillages, des œufs
d ’oiseaux faisaient leu r n ourriture 1. Le pays stérile et
m arécageux occu p é par ces sauvages portait le n o m de
B alavie2, c’ est-à-dire eaux profondes.
Le Gaulois était robuste et de haute stature ; il avait
le teint blan c, les yeu x bleus, les ch eveux b lon d s ou
châtains, auxquels il s’ étudiait à d o n n e r u n e cou leu r
rou ge ardente, soit en les lessivant avec de l’eau de
chaux 3, soit en les enduisant fréq u em m en t d ’u n e p o m ­
m ade caustique, com p osée de su if et de certaines cen ­
dres 4. Il les portait dans toute leur lon gu eu r, tantôt
flottants sur les épaules, tantôt relevés et liés en toufle
au som m et de la tête 5. Le peu ple se laissait croître la
b a rb e ; les n obles se rasaient le visage, à l’ exception de
la lèvre su périeure où ils entretenaient d’épaisses
m oustaches.
L’ habillem ent com m u n à toutes les tribus se co m p o ­
sait d ’ un pantalon ou b ra ie7, très-large chez les Belges,

1. Piscibus atque ovis avium vivere existimantur. Cæs., Bell. Gall.,


iv, 10.
2. Batavia et Patavia (Tabul. Peuting.). Les habitants, Batavi, n<x-
xaoûoi (Dio). lia i, Pad, profond; Av, eau.
3. T it o v o u ànojiW(iaTi c iiS m e ; xàç T p fy a ; cru veyw ?. Diod. Sic.,
v , 28. .
4 . Galliarum hoc inventum rutilandis capillis fît ex sebo et cinere.
Plin., xxvm , 12. — Martial., vin, ep. 33. — Theod. Priscian., i, 3.
D. Diod. S ic., v, 28.
G. O î ô ’ sù-feveT; xà ç |j.èv Ttapsiàç à 7toXeiatvo\j<7i, T a ; 8’ (m rçva; àveijxévot
Êw civ, ü g t e là . a T o^ a ra a ù tw v èjuxaX07rre<iôai. I d . , i b id .
7. Braca, bracca, braga; Brykan (kim r.), Bragu (armov.)c
plus étroit chez les Galls m érid ion a u x 1 ; d’ u n e chem ise
à m an ch es, d’ étoffe rayée, descendant au m ilieu des
cuisses 2, et d’u ne casaque ou saie 3, rayée co m m e la
ch em ise, ou bariolée de fleurs, de disques, de figures de
toute espèce, et chez les rich es, su p erbem en t brod ée d ’or
et d’a r g e n t /| : elle couvrait le dos et les épaules, et s’at­
tachait sous le m en ton avec u ne agrafe en m étal. Les
dernières classes du peuple la rem plaçaient par une peau
de bête fauve ou de m ou ton , ou par u ne espèce de cou ­
verture en laine grossière, appelée dans les dialectes
gallo-kim riqu es Linn ou Lenn s. Les Gaulois m ontraient
un goû t très-vif p o u r la p a ru re; il était d’ usage que tes
h om m es riclics et élevés on d ign ité étalassent sur leur
corps une grande p rofu sion d ’or, en colliers, en brace­
lets, en anneaux p o u r les bras, an neau x p o u r les doigts,
et ceintures
Nos récits p récéden ts on t fait suffisam m ent con naître
au lecteur et les arm es nationales des Kim ro-Galls et la
m anière dont ils s’ en servaient; toutes se retrouvaient
chez lesTiaulois transalpins ; le gais, le matras, la catéie,
la flèche, la fron de et le lo n g sabre, à un seul tranchant,
fabriqué soit en fer, soit en cuivre. Mais, outre ces armes,

1. ’AvaÇupiat (o l BéXyaO itep n:eT a[/ivaiç. Strab., I. iv, p . 190.


— Laxis braccis. Lucan., i.
2. Strab., 1. iv, p. 100.
3. Sagum, gallicum nomen. Isid., O rigin., x ix , 2 î. — Sae (armor.).
4. Saga virgata. Virg., Æ n., vin, v. G00. — Auro virgata vcstis. Sil.
Ital., IV, v. 152. — iâyot paSocoToi. — ID.ivOtoi; noXuavOscyi xat tcuxvgïçSisi-
).Y)|i[xévoc. Diod. Sic., v, 30. — Ilistor. roman, script., passim.
5. Lmnæ, saga quadra et mollia. Isid., O rigin., xix, 2 3 .— Plaut., ap.
eumd. — Læna (Varr., v , 133). Activa (Strab. 1. îv, 196). Lein (gael.), une
casaque de soldat. Len (arm or.), une couverture.
0. llep't xoïi Ppaxtoai ‘/.ai tôt? xapmoïç >pé>,ta. Strab., 1. iv, p. 197. —
Diod. S ic., v , 27, — Sil. Ital., iv. — Virg., Æ n., vm , etc.
ils en avaient u n e particulière, et de leur invention ;
c’ était u n e espèce de p iqu e don t le fer, lo n g de plus d’ une
cou d ée, et large de deux palm es, se recou rb a it vers sa
base en form e de croissant, à peu près co m m e nos balle-
barbes ; arm e form id a b le qui hachait et lacérait les chairs,
et don t l’ atteinte était réputée m ortelle.
L ongtem ps le gu errier transalpin, de m êm e que le
Cisalpin et le Galate, avait repoussé l’em p lo i des arm es
défensives, com m e in d ig n e du vrai co u ra g e ; longtem ps
un p oin t d’h on n eu r absurde l’ avait porté à se dép ou iller
m êm e de ses vêtem ents, et à com battre nu con tre des
en n em is couverts de fer ; mais ce p ré ju g é , fruit de l’os­
tentation naturelle à cette race, était presque entièrem ent
effacé au second siècle. Les relations m ultipliées avec les
Massaliotes, les Italiens, les Carthaginois, avaient d’abord
répandu le goût des arm ures co m m e o r n e m e n t; bien tôt
leur utilité s’ etait fait sentir, et la ten u e m ilitaire de Home
et de la Grèce, adoptée aux b ord s de la L oire, du Rhône
et de la Saône, s’y co m b in a bizarrem ent avec le costum e
el l’ an cien n e tenue m ilitaire gauloise *. Sur un casque
en métal plus ou m oin s p récieu x , suivant la fortun e du
gu errier, on attachait des corn es d ’élan, de buffle ou de
cerf, et p o u r les rich es, un cim ie r représentant en bosse
qu elqu e figure d’oiseau, ou de bête fa ro u ch e ; le tout sur­
m on té de panaches hauts et touffus qui don n aien t à
l’ h om m e un aspect gigantesque 2. On clouait aussi de
sem blables figures, plates ou en bosse, sur les bou cliers,
qu i étaient allongés, quadrangulaires, et peints des plus
vives couleurs 3. Ces représentations servaient de devises

\. Diod. S ic., v, 30.


2. T ôt; f à p u p ôa xeiT a i u\;|j.çuîi x é p x r a , t o T ; 8’ àpvéwv 9] TETpa-ïtéêwv
stitov ÈxTETumi>(j.Evai itpoTOiwu. I d . , i b id .
3 . I d . , i b id ,
aux guerriers ; c’ étaient des em blèm es au m oyen desquels
ch acun d’eu x ch erch ait à caractériser son gen re de co u ­
rage ou à frapper son en n em i de te rre u r1.
Un b ou clier et un casque sur ce m od èle, u n e cuirasse
en métal battu, à la m anière grecq u e et rom a in e, ou u n e
cotte à mailles de fer, d’ in ven tion g a u lo is e 2 ; u n én orm e
sabre pendant sur la cuisse droite à des chaînes de fer
ou de cuivre, qu elqu efois à un bau d rier tout brillant
d’or, d’a r g e n t 3 et de c o r a il4 ; avec cela le collier, les
bracelets, les anneaux d’ o r autour du bras et au d oigt
m édian s -, le pantalon, la saie à 'carreaux éclatants ou
m agn ifiqu em en t b r o d é e ; en fin , de lon gu es m ou stach es
rou sses : tel on peu t se fig u re r l’ a cco u trem e n t militaire
du n oble arverne, édu en ou biturige, au nc siècle avant
notre ère. Restreint d’abord aux chefs et aux rich es, l’u­
sage des arm ures se propagea peu à peu dans la masse
du p eu p le; cependant il ne paraît pas être jam ais devenu
général.
Hardi, bruyant, im pétu eux, né surtout p o u r les en ­
treprises du cham p de bataille, ce peu ple possédait p o u r­
tant un esprit in g én ieu x et actif, p rop re à tou t co m ­
p ren d re et à tout faire. 11 n ’avait pas tardé à égaler ses
maîtres p h én icien s et grecs dans l’art d ’exploiter les
m ines, et il s’ était m is à les travailler à son profit, ven ­

1. Galli peculiare et suum sibi quisque habuerunt insigne... Veget.,


i ( 18. — "OrcXot; /p âm as, Oupeoï; [ùv àv6po[/.ïî>c£<7i, TOTtoixiXfiévotç ÎSioxpô-
tu>;. Diod. Sic., v, 30. — Sil. Ital., iv, v. 148-150.
2. Otopaxaç e/outriv oï [Jxv t7t57]poù; à).u<n5wroûç. Diod. Sic,, v. 30. —
Subinduerunt Galli e ferro... ex annulis ferream tunicam. Varr., de Ling.
lat., iv.
3. SitâOaç l'/_ovai [ianpàç, a'iSïipaïç rj yaXxaïç àX0<rsffiv èç^pr/^uva:, iropà
-tÿiv ôe?iàv Xafôva TtapaTera(xévaç. Diod. Sic., v, 30.
4. P lin., x x x i i , 2.
5. Galliæ in medio digito annulis dicuntur usæ. Id ., xxxm , 1.
dant aux m archands étrangers le métal p u rifié, tout prêt
p o u r la fabrication. Bientôt m êm e il s’appliqua à im iter
ces arm es et ces orn em en ts provenant de ses propres
m étaux, qu ’ on venait ainsi lui reven dre à grand p rix, et
des fabriques s’ élevèrent chez les Bituriges p o u r le fer,
chez les Êdues p o u r l’ o r et l’ argent.
La m êm e supériorité que les Espagnols avaient ac­
quise p o u r la trem pe de l’acier, les Gaulois y parvinrent
p o u r la trem pe du cuivre *. Si leurs m édailles, par la
rudesse de la fabrication et la barbarie du dessin, a n n on ­
cen t gén éralem en t un goû t e n core grossier, on ne peut
n ier du m oin s que des découvertes im portantes n ’eus­
sent déjà révélé en eux le génie des arts. L’ antiquité leur
fait h on n eu r d’ une m ultitude d’inventions utiles qui
avaient échappé à la vieille civilisation de l’ Orient et de
l’Italie. Ce furent les Bituriges qui trouvèrent les p ro cé ­
dés de l’ étamage-, les Édues ceu x du placage. Les pre­
m iers appliquèrent à chaud l’étain sur le cuivre avec
u n e telle habileté, q u ’à p ein e pouvait-on distinguer de
l’ argent les vases qu i avaient subi cette préparation 2;
ensuite des ouvriers d’Alésia in corp orèren t l ’argent lui-
m êm e au cuivre, p o u r en orn er les m ors et les harnais
des chevaux. Des chars' entiers étaient fabriqués ainsi en
cuivre ciselé et plaqué 3.
La Gaule ne marqua pas m oin s par ses découvertes
dans l’art de tisser et de b ro ch e r les é toffes4; ses tein-

1. P lin., xxxiv, 8.
2. (Stannum) album incoquitur æreis operibus, Galliarum invento,
ita ut vix discerni possit ab argento. — Gloria Biturigum fuit. Id.,
x xxiv, 17.
3. Deinde et argentum incoquere simili m odo cœpere, equorum
maxime ornamentis, jumentorum jugis, in Alesia oppido. Id ., ibid. —
Fl° r . , m , 2.
4. Plin., vin, 48.
tures n’ étaient pas sans rép u ta tion 1. En agricu lture, elle
im agin a la charrue à r o u e s 2, le crible de c r in 3, et l’em ­
p lo i d e là m arne com m e e n g ra is 4. Les from ages du m on t
Lozère, chez les Gabales, ceu x de Némausus, et deux es­
p èces con fection n ées dans les Alpes, devinrent, par la
suite, fort rech erch és en Italie5, q u oiq u e les Italiens re­
proch assent gén éralem en t aux from ages de la Gaule une
saveur trop aigre et un peu m é d icin a le 6. Les Gaulois
com posaient diverses sortes de boissons ferm entées, telles
que la bière d ’ orge, appelée ccrvisia7, la b ière de from en t
m êlée de m ie l8, l’ h y d ro m e l9, l’in fu sion de c u m in 10, etc.
L’écu m e de b ière servait de ferm en t p o u r le p a in 11 ; elle
passait aussi p ou r u n excellent cosm étiqu e, et les dam es
gauloises, q u i s’ en lavaient fréq u em m en t le visage, pen­
saient par là en treten ir la fraîcheur de leur te in t12.
Quant au vin , c’ était aux com m erça n ts étrangers que
les Gaulois, et les L igu res en devaient l’ usage, et c’était
des Grecs massaliotes q u ’ils avaient appris les p rocéd és
gén éraux de sa fabrication , ainsi qu e la culture de la
vign e. La Gaule produ isait du vin de qualités fort variées.

1. Plin., vm , 48.
2. Id., xvm , 18.
3. Cribrorum généra Galli e setis equorum invenere. Id., xvm , I I .
4. Id ., xvm , 0, 7, 8.
5. Id ., x i, 49.
G. Galliarum sapor medicam enti vim obtinet. Id ., ibid.
7. Cervisia (P lin., xxn, 15), en vieux français, Cervoise. C w v (k im r .),
or (corn.). — Cf. Anthol., i, 59, epigr. 5.
8. Posidon., ap. Athen., iv, 13.
9. Diod. S ic., v, 20.
10. T outo ('O xOjuvov) eîç to tcotov È(j.ëâ)lXo'j<ji. P osidon., ap. Athen.,
. cit.
11. Plin., xvm , 7.
12. Spuma cutem feminarum in facie nutrit. Id., xxn, 25.
Autour de Massalie, il était n oir, épais, peu estim é on
lu i préférait de bea u cou p le vin blan c récolté par les
Volkes-A récom ikes, sur les coteaux de Biterræ 2. Une
cou tu m e ath én ien n e, naturalisée sur toute cette côte,
consistait à asperger de pou ssière le tron c, les tiges et le
fru it de la v ign e, p o u r accélérer la m atu rité3; si, m algré
cette p récau tion , elle restait in com p lète, on corrigeait
l’acidité de la liqu eur en y faisant infuser de la p o ix -ré ­
sine 4. C’était d’ord in aire par la fu m ée qu e les Gaulois
con cen traien t le vin, et ce p ro cé d é le gâtait s o u v e n t5. Les
m arch an ds italiens s’ en p la ign iren t; ils se plaignirent
aussi des falsifications qu’ on lui faisait subir en y m êlant
des in gréd ien ts et des h erbes, n om m é m e n t l’aloès, p o u r
lu i d o n n e r de la cou leu r et u n e légère a m ertu m e0. Dans
qu elqu es cantons, en p articulier dans la vallée de la
D urance, on obtenait un vin d o u x et liq u oreu x en tordant
la q u eue des grappes, et les laissant exposées sur le cep
au x p rem ières gelées de l'h iv er 7. Les anciens attribuent
à l’ industrie gauloise les tonneaux et les vases en bois
cerclés p rop res à transporter et à con serv erie v in 8.
Les m aisons, spacieuses et ron des, étaient construites
de poteaux et de claies, en deh ors et en dedans desquelles
on appliquait des cloisons en terre; une large toiture,

1. n a /ù c xai (TapxiiS»);. Athen., i, 12. — Pinguius, P lin ., xiv, 0.


2. Bæterrarum intra Gallias consistit auctoritas. Id., ibid .— Biterræ,
Bcterræ, Bæterræ : Béiters.
3. P lin., x v i i , 9.
4. D ioscorid., v , 43. — nuraiTri; oîvoç. Plut., Syrap., vm , quæst. 9.
Yina picata. Martial., u n , epigr. 107.
5. P lin., xiv, 6. — Martial., m , epigr. 82; x, ep. 30; xin, ep. 123;
x iv ,op. 118.
G. Aloenm ercantur,quasaporem colorcm quo adultérant.P lin.,loc. cit.
^ Id., xi v, 9.
8. Vina ligneis vasis condunt, circulisque cingunt. Id ., xiv, 21.
com p osée de bardeaux de ch ên e et de chaum e, ou de
paille hachée et pétrie dans l’argile, recouvrait le to u t1.
La Gaule renferm ait des villages ouverts et des villes;
celles-ci, entourées de m urs, étaient défendues par un
systèm e de fortification don t il n ’ existait pas ailleurs
d’exem ple. V oici com m en t se construisaient ces rem ­
parts : on posait d’abord u n e rangée de poutres de toute
leur lon gu eu r, à la distance de deux p ied s; on les liait
l’ une à l’autre en dedans, et on les revêtait d’u n e grande
quantité de terre; les vides étaient com b lés en avant
avec de grosses pierres. O n recom m en ça it alors un second
ran g, en conservant les mêmes intervalles, m ais de ma­
nière que les poutres de c e secon d r a n g se trouvassent
superposées aux p ierres du prem ier, et récip roq u em en t
les pierres aux p ou tres; on achevait ainsi l’ ouvrage ju s­
q u ’à ce que le m u r eût atteint sa hauteur. Ces poutres
et ces pierres, entrem êlées avec ordre, présentaient un
aspect où la régularité se joig n a it à la variété; et ce m ode
de fortifications avait de grands avantages p o u r la défense,
car la p ierre bravait le fe u , tandis que le b ois n ’avait
rien à craindre du c h o c du b é lie r 2. Les poutres ayant
ord in airem ent quarante pieds de lon g, et se trouvant assu­
jetties l’ une à l’autre en dedans, aucun effort n e pouvait
les disjoin d re ni les arracher. Telles on peut se représen­
ter les fortifications des villes dans la partie civilisée et
pop uleu se de la Gaule. Au n ord et à l’ouest, parm i les
iribus les plus sauvages, il n ’existait pas de villes p ro -

d . ÏÛ Ù ; o îx o v ç £■/. cavESiov x a i yép^wv ^ y x lo v i;, OoXoetôeïç, ê p o fo v


7to),ùv teiëàUovTïç. Strab., I. îv, p. 197. — Scandulis robusteis aut stra-
m entis... Vitr., i, 1.
2. Hoc quum in speciem varietatemque opus déformé non est... tum
ad utilitatem et defensionem urbium summam habet opportunitatem.
Cæs., Bell. G all., vn, 23*
p rem en t d ites; les lieux d ’habitation ordinaires n’ étaient
protégés par aucuns travaux ; mais de vastes en clos con
struits au m oyen d’abatis d’arbres croisés en tout sens,
dans q u elqu e îlot au m ilieu des marais, ou dans qu elqu e
re co in em barrassé des bois, servaient de refuges et de
citadelles. C’ était là q u ’ au p re m ie r cri de guerre, la p o ­
p u lation, désertant ses chétives cabanes, courait se ren ­
ferm er avec ses troupeaux et ses m eu b les1.
Outre son habitation de ville, le rich e Gaulois en pos­
sédait ord in airem en t u n e secon d e à la cam pagne, dans
la profon d eu r des forêts, au b ord de quelque riv iè re 2. Là,
durant les jou rs pesants de l’été, il allait se reposer des
fatigues de la gu erre; mais il en traînait après lui tout
l’attirail : ses arm es, ses chevaux, ses chars, ses écuyers
ne le quittaient p o in t3. Au m ilieu de ce tou rbillon de
factions et de querelles intestines, q u i form aien t, aux pre­
m ier et d eu x ièm e siècles, la vie du n ob le gaulois, ces
précau tion s n ’ étaient rien m oins que superflues. Assailli
par ses en n em is dans la paix de sa retraite, souvent le
m aître ch angeait sa m aison de plaisance en u ne forte­
resse; et ces bois, cette rivière, qu i charm aient la vue et
lui apportaient la fraîcheu r, savaient aussi ren d re au
besoin de plus chers et de plus im portants services.
C’ était, com m e on l’ a vu plus haut, dans la guerre,
et dans les arts applicables à la gu erre, que le gén ie gau­
lois avait surtout pris son essor. Ce p eu ple faisait de la
guerre sa profession p rivilégiée, du m an iem ent des armes
sou occu p a tion favorite. Avoir u n e belle tenue m ilitaire,
se con server lon gtem ps dispos et agile, était n on -seu le­

1. Cæs., Bell. Gall., passim. — Strab., 1. iv, p. 104.


. Æ dificio circumdato silva... — Vitandi æstus causa, plerumque
Slivarum ac fluminum petunt propinquitates. Cæs., Bell. Gall., vr, 30.
3- W ., ibid. et 31.
m en t un p oin t d’ h o n n e u r p o u r les individus, mais un
devoir envers la cité. A des intervalles de tem ps réglés,
les je u n es gens allaient se m esu rer la taille à une cein ­
ture déposée chez le clie f p olitiq u e de ch aque village ;
et ceu x qui dépassaient la corp u len ce officielle, sévère­
m en t réprim andés co m m e oisifs et intem pérants, étaient
en outre p u nis d ’une forte a m en de '.
Le lecteur sait, par les récits q u i précèdent, de quelle
m anière se form aien t les expéd ition s guerrières à l’exté­
rieur. Un ch e f d’ u n e bravoure et d’une habileté ép rou ­
vées recrutait des aventuriers de b o n n e volon té, et par­
tait avec e u x : l’en ga gem en t était facultatif. Mais, dans
les guerres intérieures ou défensives de q u elqu e im ­
p ortan ce, les levées d’h o m m es avaient lieu fo rcé m e n t;
et des p u n ition s terribles frappaient les réfractaires,
telles qu e la perte du nez, des oreilles, d ’ un œil, ou de
qu elqu e m em b re s. S’il se présentait de graves co n jo n c­
tures, si l’h on n eu r ou le salut de la cité venaient à être
com p rom is, alors le ch e f su prêm e con voqu ait un Conseil
a r m é 3 : c’ était la p roclam ation d’alarm e. Tous les h o m ­
m es en état de com battre, depuis l’adolescent ju sq u ’au
vieillard, devaient alors se rassem bler au lieu et au jo u r
in d iqu és, p o u r d élib érer sur la situation du pays, élire
u n ch e f de guerre, et discu ter le plan de cam pagne. La
loi voulait que le d ern ier ven u au rendez-vous fût im p i­
toyablem ent torturé sous les yeux de l’a s s e m b lé e 4. Cette

1. Tàv 8’ un£fêa>.X6^.£vov rtov vÉtov to ttj; (j.£Tpov, Ç'/vnou'rOa;,


Strab., !• iv, 109.
2. Auribus dcsectis, aut singulis deibssis oculis. Cæs., Bell. Gall.,
vu, 4.
3. Armatum concilium indicebatur. Id., v, 56.
4. Qui ex iis novissim us v e n it, in conspectu muUitudinis om nibus
cruciatibus affectus necatur. Id., ibid.
form e de con vocation était rare ; on n ’y recou rait qu’à la
dern ière extrém ité, et plutôt dans les cités d ém ocra­
tiques q u e dans celles où l’aristocratie avait la p rép on ­
déran ce. Ni les infirm ités ni l’âge ne dispensaient le
n oble gaulois d ’accep ter ou de b rig u er les com m an d e­
m ents m ilitaires : souvent on voyait à la tête de la je u ­
nesse des chefs tout blanchis et tout cassés, qui m ôm e
avaient p ein e à se tenir sur leurs chevaux ‘ . Ce peuple
am ou reu x des arm es eût cru d ésh on orer ses vieu x gu er­
riers en les forçan t à m o u rir ailleurs qu e sur un cham p
de bataille.
A la brusque vivacité de l’attaque et à la v iolen ce du
p rem ier c h o c se réduisait à peu près toute la tactique
des arm ées gauloises, en plaine et en bataille rangée.
Dans les terrains m on ta g n eu x et boisés, surtout dans ces
vastes et épaisses forêts du nord, la guerre ressem blait
davantage à une ch asse; elle se faisait par petits corps,
par em buscades, par ruses ; et des d ogu es dressés à chas­
ser l’ h o m m e dépistaient., assaillaient, poursuivaient l’en­
n em i. Ces chiens, égalem ent b on s à la chasse des bêtes
fauves, étaient tirés, soit de la B elgique, soit de l’Ile de
Bretagne 2. Une arm ée gauloise traînait habituellem ent
à sa suite u n e m ultitude de chariots de bagages q u i em ­
barrassaient sa m a r c h e 3. Chaque gu errier portait pendue
à son dos, en guise de sac, u n e botte de paille ou de
bran chages, sur laquelle il s’asseyait dans les cam pem ents,

1. Qui quum vix equo propter ætatem posset, uti, tamen, consuetudine
Gallorum , neque ætatis excusatione in suscipienda præfoctura usus erat...
•Iirt., Bell. Gall., vin, 12.
2. K s à t o ï 8è x a i T tpo ç t o ù ; 7toXé(iOUÇ y p w v T a i x a i t o û t o i i ; ( xuct I ( î p e x T a v i -

x°'ç) xai toÏç èm/iopicn;. Strab., 1. iv, p. 199. — Canis belgicus. S il.lta l.,
x>v- 77 ; — gallicus. O v., M etam., i, v. 533. — Mart., m , epigr. 47.
H irt., Bell. Gall., vra, 1 4 .— Cæs., Bell. Gall., i, 51.
30
ou m êm e en ligne, en attendant l’instant de com b a ttre1.
Les Gaulois, com m e tous les peuples du m on d e, tuè­
rent lon gtem ps leurs p rison n iers de guerre, les crucifiant
à des poteaux, les garrottant à des arbres p ou r en faire un
bu t à leurs gais e t à leurs matras, ou les livrant aux flam ­
m es des b û ch ers dans d’ effroyables sacrifices. Mais déjà
bien antérieurem ent au secon d siècle, ces usages bar­
bares étaient abolis, et les captifs des nations transalpines
n’avaient plus à craindre que la servitude. Une autre
cou tu m e n on m oin s sauvage, celle de cou p er sur le
cham p de bataille les têtes des en n em is m orts, disparut
plus lentem ent. Il fut lon gtem ps de règle, dans toutes
les guerres, que l’arm ée victorieu se s’ em parât de ces h i­
deu x troph ées ; les fantassins les plantaient à la pointe
de leurs p iq u es; les cavaliers les suspendaient par la
ch evelure au poitrail de leu rs chevaux ; et l’ expédition
rentrait ainsi en grande p om p e dans ses foyers, faisant
retentir des cris de triom p h e et des h ym n es à sa gloire *.
Chacun alors s’ em pressait de clou er à sa porte ou aux
portes de sa ville l’irrécusable tém oin de sa vaillance ; el
com m e on traitait de m êm e les anim aux féroces tués à
la chasse 3, un village gaulois ne ressem blait pas mal à
un charnier. E m baum ées et soign eu sem en t enduites
d’h uile de cèdre, les têtes des chefs en n em is et des g u er­
riers fam eux étaient déposées dans de grands coffres, au
fon d desquels le possesseur les rangeait par ordre de date4;

t . Fasces stramentorum aut virgultorum ... nam in acie sedore con-


suesse... Hirt., Bell. Gall., v m , 15.
2. Strab., 1. iv, p. 197, 198. — Diod. S ic., v, 29.
3 . "ÜTKsp Èv xu vriyiaiç Ttal xej(eip<<>|Jiéva Oyjpta. I d . , i b id .
4 . T à ç 8è twv èvfioÇtov x sça X à ç xeS p oùvteç, iw eSeîxvuo'/ TOÏÇ fjs v o iî...
S t r a b ., 1. i v , p . 1 9 8 . — K e 8 pw < javre;... èmp.eXwç ■tripoüo'iv èv X â o v a x i...
D io d . S i c ., lo c . c it .
c’ était le livre où le je u n e Gaulois aim ait à étudier les
Bxploits de ses aïeux, et chaque génération, en passant,
s’ efforcait d’y ajouter u n e nouvelle page. Se dessaisir, à
p rix d’ argent, d’ u ne tête con quise par soi-m êm e ou par
ses pères, passait p o u r le com b le de la bassesse, et eût
im p rim é sur le coupable une tache ineffaçable d’avarice
et d ’im piété. Plusieurs se vantaient d’avoir refusé aux pa­
rents ou aux com patriotes du m ort, p o u r telle tête, un
égal poids d’ o r 1. Q uelquefois le crâne, nettoyé et en­
châssé p récieu sem en t, servait de cou pe dans les te m p le s2,
ou circu lait à la table des festins, et les convives y bu­
vaient à la gloire du vainqueur et aux triom ph es de la
patrie. Ces m œ urs brutales et féroces régn èren t lon g­
tem ps sur toute la Gaule : la civilisation, dans sa m arche
graduelle, les abolit petit à petit et de p roch e en p r o c h e ;
au com m en cem en t du second siècle, elles étaient relé­
guées chez les plus farouches tribus du n ord et de l’ ouest.
C’est là que P osidon iu s les trouva en core en vigu eu r. La
vue de toutes ces têtes défigurées par les outrages, et
n oircies par l’air et la pluie, d’abord lui souleva le cœ ur
d’ h orreu r et de d ég oû t; « mais, ajoute n aïvem en tle voya-
« geu r stoïcien, m es yeu x s’ y accou tu m èren t peu à p e u 3. »
Avant le m ilieu du p re m ie r siècle, il ne restait pas, dans
toute la Gaule, trace de cette barbarie.
Les Gaulois affectaient, co m m e plus viril, un son de

1. tl’ i u i ô é r t v a ç aÙTÜv xauy-r,<7aa0at S iô t i ^ p u ir iv àvtitTta9|j.ov r f n x ï ç * *

>,îjç o-jy. è S é ija v io , flà p ë a p o v T iv a iiefa)io4<'JX‘ ro àiïtüeuw û |i.evoi. Uiod. S ic., v ,


29. — Strab., 1. iv, p. 198.
2. Calvam auro cælavere, idque sacrum vas iis era t, quo solem ni-
bus libaren t, poculum que idem sacerdoti ac templi antistitibus. Liv.
xxm , 24.
3. yoüv nooeiSwvio; aÙ T Ô ç îosïv ■ko'aXcc^oÏi , xal to piv îip w T O v àiqBi-
|j.£Tà 8è raÜTa cpÉpeiv rcpâw ; 5 i à t^v auvr|0et«v, Strab., 1. iv, p. 108*
voix fort et r u d e 1, auquel prêtaient d’ailleurs leurs id io ­
m es très-gutturaux. Ils conversaient peu , par phrases
brèves et coupées, que l’ em p loi con tin u el de m étaphores
et d’h yperboles de con ven tion rendait obscures et presque
in intelligibles p ou r les étra n g ers2. Mais une fois anim és
par la dispute ou a igu illon n és par q u elqu e grand intérêt,
à la tête des arm ées et dans les assem blées politiqu es, 011
les entendait s’ exp rim er avec u n e ab on d a n ce et u n e faci­
lité surprenantes, et l’habitude du langage figuré leur
fournissait alors m ille im ages vives et pittoresques, soit
p o u r exalter leu r p rop re m érite, soit p o u r ravaler leurs
adversaires. Le goû t plus p u r ou plus tim ide des Grecs
qualifiait celte éloq u en ce de « fanfaronne, bou rsou flée,
« et par trop tragique, » en accordan t toutefois au génie
gaulois le don de la parole et des arts lib é ra u x 3. Passion­
née p ou r les discou rs, la m ultitude écoutait ses orateurs
avec u n religieu x silence, p o u r laisser éclater ensuite des
tém oign ages bruyants d’approbation ou de blâm e. A l’ ar­
m ée, on m arquait son assentim ent en ch oq u a n t le gais
ou le sabre con tre le bo u clie r. In terrom pre une harangue
et trou bler l’attention pu b liq u e, était réputé un acte gros­
sier et punissable. « Dans les assem blées politiques, dit
« un écrivain an cien , lorsque q u elq u ’ un faisait du bruit
« ou in terrom pait l’ orateur, un huissier s’avancait l’ épée
« à la m ain, et lu i im posait silence avec m e n a ce s; il re-
« nouvelait cette som m ation deux ou trois fo is ; et si l’in -
« terrupteur persistait, l’huissier lui cou pait un pan de sa

1. Eîffl xai Tatç çwvaïç p a p u le ??, xai TcavxEXw; Tpa/Oipwvot. Diod. Sic.,
v , 31.
2. Katà t a ; éjuXCaç Ppa/uXofoi xai aîv'.vij.cmat, xai rà itoXXà aïvirtô-
[jxvoi <nivsx8oxw2>Ç> noXXà 8è XéyûVTeç èv OitepëoXaïi;... Id ., ibid.
3. ’AraiXïi'rai, x a i à v a T a x t x o i , x a i x e T p a y o ï S r i i i é v o i Ù T t â p x o v a i - xaïç 8è Sia-
voiai4 0 ?eîç, xai vepôç |iâOr)<nv oùx àçueïç. Id., ibid. *
« saie, assez grand p o u r que le reste lui devînt in u tile 1. »
On accusait gén éralem en t les Gaulois d’ un m alheu ­
reu x p en ch a n t à l’ iv rog n erie, p en chan t qu i prenait sa
sou rce à la fois dans la grossièreté des m œ urs et dans les
b esoin s d’ un clim at h u m id e et froid. Les m archands ita­
lien s, et surtout les Massaliotes, avaient grand soin d ’en ­
tretenir ce vice afin de l’ exploiter. Des cargaisons de vin
p én étraien t dans les recoin s les plus recu lés du pays, au
m oyen des fleuves et des rivières affluentes, et ensuite
p a r te r r e sur des ch a rio ts2; de distance en distance se
trou vaien t des entrepôts de traite; les Gaulois a cco u ­
raient de tous côtés p o u r éch a n ger contre le p récieu x
breu vage leurs m étaux, leurs pelleteries, leurs grains,
leurs bestiaux, leurs esclaves. Ce co m m erce était si p ro ­
d u ctif aux traitants, que souvent un je u n e esclave ne leur
coûtait qu’ u ne cru ch e de vin : « p o u r la liqu eur, dit un his-
« torien , on avait l’é ch a n s o n 3 : » aussi n ’ était-il pas rare
de ren con trer sur les ch em in s des Gaulois ivres m orts ou
ivres fu rie u x 4. Cependant, vers le p rem ier siècle, ce vice
ne se rem arquait plus, à ce degré de brutalité, que dans
les classes inférieures, du m oin s p arm i les nations du
m id i et de l’est. Le lecteu r peut se rappeler com b ien de
défaites sanglantes avait attirées jadis aux arm ées gau­
loises l’in tem pérance des soldats et des chefs, et com bien
d e fois elle avait neutralisé le fruil :!n leurs victoires. Les

1 . Te),£'JTatov Sà à ç a t p e ï t o ü c à v o u t o g o ü t o v , ô a o v â)(pvi<rtov n o l i s a i xè
),o(7tôv. Strab., 1. iv, p. 197.
2. Aià (j.èv t w v wv m )T a (j.ü > v T Ù o io i;, Sià 6è TŸjç t o S i â ô o ; x “ Pa î>
x o jju Ç o v te ; tè v ôîvov, àvTiXafJtëtxvoucri Tt[XŸjç TrJ.rjOoç S t i i t t o v . D io d .
S ic., v, 20.
3. A iS ô v t e ; f à p oïvou x E p â | u o v àvti}.a[i.6âvov<n r a û ô a , t o ü 7tô(j.axo; 5t«-
xovov à(j.etëô(j.evot. Id ., ibid.
4. MeôvaûévTeç sîç vrcvov î| (/.aviwSetç SiaOéyet; Tpenovrai, Id ., ibid.
n om breu ses guerres qu i von t suivre ne présenteront pas
un seul fait de cette nature ; nouvelle preuve d’un per­
fection n em en t notable dans l’état m oral de la ra ce, à
l’ époque don t n ous n ous occu p on s.
Le lait et la ch air des anim aux sauvages ou dom es­
tiques, surtout la chair de p o r c fraîche et sa lé e1, for­
m aient la p rin cipale n ourritu re de ces peuplades. Il nous
est resté des repas des Gaulois u n e description curieuse
tracée de la m ain d’ un h o m m e qu i souvent s’ assit à leurs
tables, et souvent aussi dut les intéresser par son savoir,
ou les divertir par le récit de ses aventures variées :
nous vou lon s parler de P osidonius.
« Autour d’ une table fort basse, dit le célèbre voyageur,
« on trouve disposées par ordre des bottes de foin ou de
« paille : ce sont les sièges des convives. Les mets co n -
« sistent d’ habitude en un p eu de pain et beau coup de
« viande bou illie, grillée, ou rôtie à la b roch e : le tout
« servi p rop rem en t dans des plats de terre ou de bois
« chez les pauvres, d’argent ou de cuivre chez les rich es.
« Quand le service est prêt, ch acun fait ch oix de quelque
« m em b re entier de l’anim al, le saisit à deu x m ains, et
« m ange en m ordant à m ê m e ; on dirait un repas de
« lio n s 2. Si le m orceau est trop dur, on le d ép èce avec
« u n petit couteau don t la gaîne est attachée au fourreau
« du sabre. On b oit à la ron de dans un seul vase en terre
« ou en métal, qu e les serviteurs fon t c ircu le r; on boit
« p eu ù la l'ois, mais en y revenant fréqu em m en t. Les
« rich es on t du vin d’ Italie et de Gaule, qu’ ils pren nen t
« p u r ou légèrem en t trem pé d’ eau ; la boisson des pan-

1. Tpocprj tiXeioty) (xerà yàXaxxoç xocl xpe£>v tcocvxouov, (j.à>,i<7xa ôè xwv


vüwvxat vétov xaî &X«rcûv. Strab., 1. iv, p. 107.
2. Aeovxwôwç xaïç yepcfo àfxçoxépatç a’îpovxeç ôXa {liXv], xaî àiroââxvov-
Posidon., ap. Athen., iv, 13,
« vres est la b ière et l’ h yd rom el. Près de la m er et des
« fleu ves, on con so m m e beau cou p de p oisson grillé,
« q u ’on asperge de sel, de vinaigre et de cu m in ; l’huile
« par tou t le pays est rare et p eu rech erch ée.
« Dans les festins n om b reu x et d’ apparat, la table est
« ron d e, et les convives se ran gent en cercle alen tou r; la
« place du m ilieu appartient au plus considéré par la
« vaillance, la noblesse ou la fortun e ; c ’est co m m e le co-
« ryplùe du ch œ u r 1. A côté de lui s’ assied le patron du
« logis et successivem ent chaque convive, d’ après sa di-
« gn ité person nelle et sa classe : voilà le cercle des maîtres.
« D errière eu x se form e un secon d cercle con cen triq u e
« au prem ier, celu i des servants d’arm es; u ne rangée
« porte les bou cliers, l’autre ran gée porte les lan ces; ils
« sont traités et m angent co m m e leurs m aîtres2. » L’ hôte
étranger avait aussi sa place m arquée dans les festins gau­
lois. D’abord on le laissait discrètem ent se délasser et se
rassasier à son aise, sans le troubler par la m oin d re ques­
tion ; mais, à la fin du repas, on s’ enquérait de son nom ,
de sa patrie, des m otifs de son voya ge; on lui faisait ra­
con ter les m œ urs de son pays, celles des contrées diverses
q u ’ il avait parcourues, en un m ot, tout ce qui pouvait
p iq u er la curiosité d’ un peu ple a m ou reu x d’ entendre et
de c o n n a ître 3. Cette passion des récits était si vive, que
les m archands arrivés de loin se voyaient accostés au m i­
lieu des foires et assaillis de questions par la fou le. Quel­
qu efois m ôm e les voyageurs étaient retenus m algré eux
sur les routes et forcés de rép on d re aux passants4.

1. ¥5; âv xopuçatoç %opoü. Posidon., ap. Athen., îv, 13.


2. Id., ibid.
3. KaXGÜm BÈxaï toùç Üe' v o u ; êm Tàç eùtoxiaç xai (i e t « t6 Bsïttvov È7tepa>-

Twat tive; elat, xai tivlov XPE^av “Xr/JCT-- Diod. Sic., v, 28.
4. Est autem hoc gallicæ consuetudinis, ut et viatores etiam invitos
« Après des repas cop ieu x , con tin u e le voyageur que
« n ous ven on s de citer, les Gaulois aim ent à pren dre les
« arm es et à se p rov oq u er m u tu ellem en t à des duels
« sim ulés. D’abord, ce n ’est q u ’ un je u , ils attaquent et se
« défen den t du b ou t des m a in s; mais leur arrive-t-il de
« se blesser, la colère les g a g n e; ils se battent alors p o u r
« tout de bon , avec un tel acharnem ent, que, si l’ on ne
« s’ em pressait de les séparer, l’ un des deux resterait sur
« la place. Il était d’ usage autrefois qu e la cuisse des
« anim aux servis sur la table appartînt au plus brave, ou
« du m oins à celu i q u i se prétendait tel ; si qu elqu ’ un osait
« la lu i disputer, il en résultait un duel à o u tra n ce 1. »
Ils poussaient si loin le m épris de la m ort et l’ ostentation
du cou rage, qu ’ on en voyait s’ en gager p o u r telle som m e
d’ argent ou p ou r tant de m esures de vin à se laisser tuer :
m ontés sur u n e estrade, ils distribuaient la liqu eu r ou
l’ or entre leurs plus ch ers am is, se cou ch aien t sur leurs
bou cliers, et tendaient sans sou rciller la g orge au f e r 2.
D’aulüres, de p eu r de sem bler fu ir, se faisaient un p oin t
d’ h on n eu r de rester sous leurs toits crou lan ts, et de ne se
retirer ni devant l’in cen d ie, ni devant le flux de l’ Océan,
ni devant le débord em en t des fleu ves3. C’ était à ces
folles bravades qu e les Gaulois devaient leu r fabuleux re­
n om de race im p ie, en guerre déclarée avec la nature,

consistera cog an t;... et mercatores in oppidis vulgus circumsistat. Cæs.,


Bell. G all., iv, 5.
1. Posidon., ap. Athen., iv, 13.
2 . ”A )A o i 8’ èv Oeorcpw XaëôvTeç àp^upiov rt y ç - j r r i r y j - o l 8è o ïvou xepap.iwv
àpi0|x6v -'.v a , x a i 7U<7TMcxàfievcH ~ry Souiv, x a i t o ï ç a v a y n a ïo is çtXotç SiaSw -
pviaàfievoi, ü titio i èxxaOévTeç S7ti 6upeüv x s iv r a i- îtapacrtàç 8s t i ç iji'çei to v
),cuaôv àjtoxô'îtTei. Id ., ib id .

3. O’j- w ; aitrxpov vo^om ui tô çeÛY£lvi <*>?••• Æ lian., x ii, 23 ,— Aristot.,


do Morib., ni, 10.
qu i tirait l’ épée con tre les vagues, et lançait ses flèches
dans la tem pête.
L’exploitation des m ines et certains m on op oles exei’-
cé sp a r les chefs de tribus avaient con cen tré en quelques
m ains d’ én orm es cap itau x; de là la réputation d’ op u ­
len ce d on t la Gaule jouissait lors de l’arrivée des Ro­
m ains, et beau cou p plus tard en core : c ’était le Pérou de
l’a n cien m on d e. La richesse gauloise passa m êm e en pro­
v e r b e 1. La vue des n om b reu x objets plaqués et étam és
don t ce peu ple se servait, soit p o u r les usages dom es­
tiques, soit p o u r la gu erre, tels q u ’ ustensiles de cu isin e,
arm ures, harnais des ch evaux, jo u g s des m ulets, et ju sq u ’à
des chars en tiers2; cette vue, disons-nous, dut exagérer
chez les prem iers voyageurs l’ idée de l’op u len ce du pays,
et con tribu a sans doute à je te r u n e co u le u r rom an esqu e
sur des récits laits de b o n n e fo i. A cela se jo ig n a ie n t les
habitudes m agn ifiqu es et la p rodigalité des ch e fs, qui
versaient à p lein es m ains la fortune de leur fam ille et de
leurs clients, p o u r parvenir au p ou v oir suprêm e, ou p ou r
capter la m ultitude. P osidon iu s parle d ’un certain Luern
ou Luer*, ro i des A rvernes, qu i faisait to m b e r sur la
fou le u n e p lu ie d’or et d’argent chaque fois q u ’il parais­
sait en p u b lic 4. Il don nait aussi de ces festins grossière­
m ent som p tu eu x, don t nous avons rem arqu é le goût
parm i les Gaulois de la P h rygie, faisant e n clore un terrain

1. Plut, et Suet., in Cæsar., pussim. — C ic., Philipp. x ii, et passim.


— Strab., 1. iv. — Diod. Sic., v. — Tt oiv ù[/.etç TtXovaiwxepoi IV/axtjjv,
iuX’Jpô-cEpOL rEf|j.av5)v, 'EXXijvcov uuvsTWTCpoi. Joseph., ii , 28.
2. Carpentum argenteum. Flor., m , 2.
3. Aouépvioç. Posidon., ap. Athen., iv, 13. — Aouépioç. Strab., 1. iv,
p. 191.
4. 'O Ilo'TEiîwvtei;... çïiul, 6ï]|i.aYWYOÜVT« aùxiv xoù; 8;(Xou;, èv üpjiaxi
çspe<rOac S ià xüv TteStwv, xai aitetpeiv xpusov xai âpyupov xaïç àxoXouOoO-
aai; twv KeXxwv |uipiâcr',. AtJiOO., iv, 1 3 .— Strab., 1. iv, p. 191.
de douze stades carrés, et creuser dans l’en cein te des
citernes qu’ il rem plissait de v i n , d’h y d rom el et de
b iè r e 1.
Nulle vie de fam ille n ’existait chez les nations gau­
loises ; les fem m es y étaient tenues dans cet asservisse­
m en t et cette nullité q u i dén oten t un état social très-
im parfait. Le m ari avait droit de vie et de m ort sur la
fem m e com m e sur les en fa n ts2. L orsqu’ un h o m m e de
haut ran g venait à m o u rir de m ort subite ou extraordi­
naire, on saisissait sa fem m e ou ses fem m es (car la poly­
gam ie était en usage parm i les riches) et on les appli­
quait à la tortu re; s’ il y avait le m oin d re sou pçon
d’attentat aux jou rs du défunt, les malheureuses vic­
tim es périssaient toutes au m ilieu des flam m es, après
d’ etfroyahles su pplices ; d ’ordin aire, c’ étaient les parents
, du m ari qu i poursuivaient ces cruelles ex é cu tio n s3. Une
cou tu m e en vigu eu r vers le m ilieu du p rem ier siècle
an n on ce pourtant q u ’à cette é p o q u e , la con d ition des
fem m es avait déjà subi des am éliorations notables : la
com m u n au té des biens était adm ise entre ép ou x . Autant
le m ari recevait de sa fe m m e , à titre de d o t, autant il
déposait de son p rop re avoir ; un état des deux valeurs
\ était dressé, et les fruits m is en réserve : le tout apparte­
nait au survivant4. Les enfants restaient sous la tutelle

1. <I>pàY(/.a Te Ttotsïv StoSexœiTTàSiov TeTpâyw vov, êv m TtXvipoüv Xtjvoùç


ixoXutsXoüç itojAaToç... Posidon., ap. Athen., iv, 13.
2. Viri in uxores, sicuti in liberos, vitæ necisquo habent potestateni.
Cæs., Bell. Gall., vi, 19.
3. Quum paterfamilias illustriore loco natus decessît, ejus propinqui
con vcn iu n t; et de morte si res in suspicionem venit, de uxoribus in
servilem modum quæstionem habent... Id., ibid.
Viri, quantas pecunias ab uxoribus dotis nomine acceperunt, tantas
ex suis bonis, æstimatione facta, cum dotibus communicant. Hujus om -
nis pecuniæ conjunctim ratio habetur, fructusque servantur. Utereorum
des fem m es ju sq u ’à l’âge de p u b erté; un père eût rou gi
de laisser son fils paraître p u b liq u em en t en sa présence,
avant que ce fils pût m an ier une épée et figurer sur la
liste des g u e rrie rs1.
Chez qu elqu es nations de la B elgique, où le Rhin était
l’objet d ’ un culte superstitieux, on trouvait une institu­
tion bizarre; c’ était ce fleuve qu i éprouvait la fidélité
des épouses. L orsqu’un m ari dont la fem m e était en
cou ch es avait quelques raisons de douter de sa pater­
nité , il pren ait l’ enfant n o u v e a u -n é , le plaçait sur une
p lan ch e, et l’ exposait au courant du fleuve.-L a plan ch e
et son p récieu x fardeau surnageaient-ils lib rem en t,
l’épreuve était réputée fa v o ra b le , tous les sou pçons
s’ évanouissaient, et le Gaulois retournait plein de jo ie
et de con fian ce au foy er dom estique. S i , au contraire,
la p lan ch e com m en ça it à en fon cer, l’illégitim ité de l’en ­
fant paraissait d ém on trée, et le p è re , devenu im p i­
toyable, laissait s’en glou tir un être don t l’ existence le
d ésh on ora it2. Cette folle et in h u m a in e superstition in ­
spira à un poëte g rec in co n n u quelques vers pleins de
grâce, q u i m éritent de trouver place ici.
« C’est le R h in , ce fleuve au cours im pétu eux, qui
« éprouve, chez les Gaulois, la sainteté du lit co n ju g a l...
« A p ein e le nouveau -n é, descendu du sein m aternel, a
« poussé le p rem ier c r i, qu e l’ époux s’en em p are; il le
« cou ch e sur son bou clier, il court l’exposer aux caprices

vita superarit, ad cum pars utriusque cum fructibus superiorum tempo-


rum pervenit. Cæs., Bell. Gall., v i, 19.
1. Suos liberos, nisi quum adoleverint, ut munus militiæ sustinere
possint, palam ad se adiré non patiuntur, filiumque in puerili ætate, in
Publico, in conspectu patris assistere turpe ducunt. Id., ib id ., 18.
2. Juüan., Epist. xv, ad Maxim, philos. — Id., Orat. ii , in Constant,
imper.
« des ilô t s : car il ne sentira p o in t, dans sa p oitrin e,
« battre un cœ u r de p è r e , avant que le fleuve, ju g e et
« ven geu r du m a ria g e 1, ait p ro n o n cé le fatal arrêt. Ainsi
« d o n c aux douleurs de l’ enfantem ent su ccèdent p o u r
« la m ère d’ autres d ou leu rs : elle con n aît le véritable
« père, et pourtant elle trem ble ; dans de m ortelles an-
« goisses, elle attend ce que décidera l’ on de in co n -
« stante \ »
Les fem m es de la Gaule étaient généralem ent blan­
ch e s , d’u ne taille élégante et élevée; leu r beauté était
célèbre chez les a n cie n s3. C ependant, ces m êm es an­
ciens, soit à tort, soit à raison, accusent les Gaulois d’ un
vice h on teu x que p rod u it trop souvent, dans cet état de
société, la grossièreté des mœurs unie à la séquestration
des fe m m e s 4.
Deux ordres p rivilégiés d om in a ien t en Gaule le reste
de la pop ulation : l’ord re électif des p rê tr e s , qui se
recrutait in distin ctem en t dans tous les ran gs, et l’ordre
héréditaire, des n obles ou ch evaliers; celu i-ci se cô n ip o -
sâit des an cien n es fam illes souveraines des tribus et des
notabilités récentes c r é é e s , soit par la g u e r r e , soit par
l’ in flu ence de la rich e sse 3. La m ultitude se partageait en

S. OÜTiM yàp yevéxao çépet v o o v , irpîv y' iaaQprfiXl


K ex p tp iv ov XouTpotatv irorap .oto.
Anthol. i, 43, ep. 1.
S, ‘ H 81 (/.et’ E ’tXeîSvtav in ’ âXYsertv ÆXyoç ê j'o u a a
M / (t /|P, et x a t iraiààç àX^Oea otSe xoxr.x,
E x o s /e x a t , x p o p io u a a x£ [Arja-exat a a x a x o v {iStop.
Ibid.
3 I\watxaç sxovxe; eùeiSeïç... Diod. S ic., v , 32. — KaXXtsxaç... Athen.,
xiii , 8. — Amm. Marcel., xv, 12.
4. Diod. S ic., v, 32. — Strab., 1. iv, p. 199. — Athen., xm , 8.
5. In om ni Gallia, eorum hom inum qui aliquo sunt numéro atquc
honore, généra sunt d u o... alterum est D ruidum , alterum Equitum.
Cæs.. Bell. G all., vi, 13-15, et passim.
deu x classes : le p eu ple des cam pagnes et le peu ple des
villes. Le p rem ier form ait les tribus ou la clientèle des
n obles fa m ille s l . Le client appartenait au patron, dont il
cultivait les d o m a in e s , don t il suivait l’ étendard à la
gu erre, sous lequel il était m em b re d 'u n e petite auto­
cratie p atriarcale; son devoir était de le défendre ju squ ’ à
la m ort envers et con tre tous : a ban d on n er son patron
dans u n e circon stan ce périlleuse passait p o u r le com b le
de la h on te et p ou r un c r im e 2. Le peu ple des villes, par
sa situation en deh ors de la vieille h iérarch ie des tribus,
jou issait d’ une plus grande liberté, et se trouvait h eu ­
reu sem en t placé p o u r la sou ten ir et p o u r I’ étendre. Au-
dessous de la masse du peu ple venaient les esclaves, qui
ne paraissent pas avoir été fort n om b reu x .
Les d eu x ordres privilégiés firen t peser tou r à tou r sur
la Gaule le jo u g de leur desp otism e; tour à tour ils exer­
cèrent l’autorité ab solu e, et la perdirent par suite de
révolu tions p o litiq u es. L’ histoire du g ou vern em en t gau­
lois offre d o n c trois p ériod es bien distinctes : celle du
règ n e des prêtres ou de la théocratie; celle du règn e des
chefs de tribus ou de Yaristocratie m ilitaire; enfin celle
des constitutions populaires, fon dées sur le p rin cip e de
l’élection et de la volon té du plus grand n om b re.
L’ ép oqu e d on t n ous n ous o ccu p o n s vit s’ a cco m p lir cette
dern ière et grande ré v o lu tio n ; et des c o nstitutions
p op u la ires, q u oiqu e e n core mal a fferm ies, régissaient
enfin toute la Gaule au m ilieu du Ier siècle. Mais, avant
d’entrevr dans le détail des événem ents de cette époque,
nous devons exp oser la situation antérieure du pays, et

1. Clientes, clientela. Cæs., Bell. Gall., passim.


2. Clientibus nefas, etiam in extrema fortuna, desercrc patronos.
Id., ib id ., v u , 40.
faire con naître d’abord ses croyances et ses rites reli­
g ieu x, qu i furent tou jou rs liés d ’une m an ière plus ou
m oin s in tim e à son état politique.
Lorsqu’ on exam ine attentivem ent le caractère des
faits relatifs aux croyances religieuses de la Gaule, 011
est am en é à y reconnaître deu x systèmes d’ id é e s , deu x
corps de sym boles et de superstitions tou t à fait dis­
tincts, en un m ot, deu x religion s : l’une toute sensible,
dérivant de l’adoration des p h én om èn es naturels, el, par
ses form es ainsi que par la m arch e libre de son déve­
loppem en t, rappelant le polythéism e de la G rèce; l’autre
fondée sur un panthéisme matériel, m étaphysique,
m ystérieuse, sacerdotale, présentant avec tes religion s de
l’ Orient la plus étonnante con form ité. Cette dernière a
reçu le n om de druidisme, à cause des druides q u i en
étaient les fondateurs et les prêtres; n ou s d o n n eron s à
la p rem ière le n om de polythéisme gaulois, s
Quand bien m êm e aucun tém oign a ge historique
n’attesterait l’antériorité du polythéism e gaulois sur le
d ru id ism e, la p rogression naturelle et invariable des
idées religieuses chez tous les peuples du g lob e suffirait
p o u r l’ établir : m ais il n ’en est pas ainsi. Les antiques et
précieu ses traditions des Kim ris attribuent à cette race,
de la m an ière la plus form elle et la plus exclu sive, l’in ­
trod u ction de la doctrine d ru id iqu e dans la Gaule et
dans la Grande-Bretagne, ainsi que l’organisation d’ un
sacerdoce souverain. Suivant elles, ce fut le ch e f de la
p rem ière in v a sion , H u, l-leus ou Ilesus, su rn om m é le
;puissant, qui im planta su r le territoire con qu is par son
peu ple le systèm e religieu x et p olitiqu e du druidism e.
Guerrier, prêtre et législateur durant sa vie, Hésus jo u it
en outre d ’un privilège com m u n à tous les fondateurs de
théocraties, il fut dieu après sa m ort.
Maintenant, si l’ on dem andait com m en t le druidism e
prit naissance chez les K im ris , et de quelle sou rce dé­
cou laient ces frappantes sim ilitudes entre sa doctrine
fondam entale et la d octrin e fondam entale des religion s
secrètes de l’ Orient, entre plusieurs de ses cérém on ies et
les cérém on ies pratiquées à Sam othrace, en Asie, dans
l’I n d e , o n n e trouverait p oin t cette question éclaircie
par l’ h istoire. Ni les d ocu m en ts recu eillis par les écri­
vains étrangers, n i les traditions nationales n ’en don nen t
u ne solu tion positive. Mais on peut raisonnablem ent
su pposer qu e les K im ris, durant leur lo n g séjou r soit
en Asie, soit sur les frontières de l’Asie et de l’ Europe,
furent initiés à des idées et à des institutions qu i, circu ­
lant alors d’ un peu ple à l’autre, p arcou raien t toutes les
région s orientales du m on d e.
Le dru idism e, im p orté dans la Gaule par la conquête,
s’organisa dans les d om aines des conquérants plus forte­
m ent q u e partout a ille u r s; et après q u ’il eut converti à
sa croyan ce toute la pop ulation gallique, et p robable­
m ent u n e partie des L igures, il continua d’avoir au m i­
lieu des Kim ris, dans l’A rm orike et l’île de Bretagne, ses
collèges de prêtres les plus puissants et ses mystères les
plus secrets.
L’em p ire du dru idism e n ’étoufïa p oin t cette religion
de la nature extérieure qu i régn ait avant lui en Bretagne
et en Gaule. Toutes les religion s savan tes et mystérieuses
tolèrent au-dessous d’ elles un fétich ism e grossier, p ropre
à occu p e r et à n ou rrir la superstition de la m ultitude, et
qu’ elles on t soin de ten ir tou jou rs stationnaire. Tel il
resta dans l’île de Bretagne. Mais en Gaule, dans les par­
ties de l’ est et du m idi, où le dru idism e n ’avait pas été
im posé par les arm es, q u o iq u ’il fût devenu le culle d o ­
m inant, l’an cien culte national conserva plus d’in dépen ­
dance, m êm e sous le m inistère des druides, qu i s’en
constituèrent les prêtres. Il con tin u a d ’être cultivé, si
j ’ ose em p loyer ce m ot, et, suivant la m arche progressive
de la civilisation et de l’in telligen ce p u b liq u e, il s’ éleva
gradu ellem ent du fétich ism e à des con cep tion s reli­
gieuses de plus en plus épurées.
Ainsi l’adoration im m édiate de la m atière b ru te, des
p h én om èn es et des agents naturels, tels que les p ierres,
les arbres \ les vents et en p articulier le terrible Kirk ou
Circius2, les lacs et les r iv iè r e s 3, le ton n erre, le so­
leil, etc., fit place avec le tem ps à la notion abstraite
d 'esprits ou divinités réglant ces p h é n o m è n e s, im p ri­
m ant u ne volon té à ces agents : de là le dieu Tarann \
esprit du to n n e rr e , le dieu Vos'ege5, déification des
V osges, le dieu P enn in6 des A lpes, la déesse Arduinne7
de la forêt des A rdennes ; de là le Génie des Arvernes s,
la déesse Bibraclc9, déification de la ville capitale des
Édues, le dieu Nèmausus40 chez les A récom ikes, la déesse

1. Maxim. T yr., Serm. xxxvm . Dans la religion gauloise, com m e dans


toutes les religions du m on d e, le fétichism e resta toujours la croyance
des classes ignorantes du peuple, aussi voit-on très-tard les prêtres et
les conciles chrétiens tonner encore contre les adorateurs des pierres et
des arbres.
2. Sen., Quæst. natur., v, 17.
3. Posidon., ap. Strab., iv, p. 188. — O ros., v , 16. — Gregor. Turon.,
de Glor. confess. 5.
4. Taranis. Lucan., Phars., i , v. 446. — Torann (g a e l.), Tarann
(kimr. corn, et arm .), Tonnerre.
5. Inscript, ap. Grut., p. 94, num . 10.
0. L iv., xxi, 38.
7. Ardoinne. Inscript, ap. Grut., p. 40, num. 9. — Deana Arduinna.
Inscript, ap. D. Martin., Dict. topog., voc. Arduenna.
8. Genio Arvernorum. Reines., Append. 5.
9. Deæ Bibracli. In duab. inscr. Cf. Dom Bouquet, t. I, p. 24.
10. Grut., Inscript,, p. 111, num. 1 2 .— Spon, p. 109,
Aveniia1 chez les Helvètes, et un grand n o m b re d’autres.
Par un degré d’abstraction de plus, les forces gén é­
rales de la nature, celles de l’âm e h um ain e et de la so­
ciété, fu ren t aussi déifiées. Farn»» d evint le dieu du ciel,
le m oteu r de l ’univers, le ju g e suprêm e q u i lançait sa
fou d re sur les m ortels. Le soleil, sous le n om de Bel et de
Belen2, fut u n e divinité bienfaisante, qui faisait croître
lfës plantes salulaires et présidait à la m éd ecin e. Heus ou
Hesus3, m algré son orig in e d ru id iqu e, prit place"dans le
p olyth éism e gairiois com m e dieu de la guerre et des
co n q u ê tes; ce fut prob a b lem en t une intercalation des
druides. Un bas-relief n ous m on tre ce prêtre-législateur
cou ron n é de feuillage, à dem i n u, u n e cog n é e à la m ain,
et le g en ou gau che appuyé sur u n arbre q u ’il coupe,
don nan t à ses sujets l’exem p le des travaux ru stiq u e s 4.
Dans les traditions des Kim ris, lleu s a quelquefois le ca­
ractère du dieu par excellen ce, de l’ être suprême B. Le
génie du c o m m e r c e reçu t aussi les adorations des Gau­
lois sous le n om de Teutat'es6, in ven teu r de tous les arts

1. Deæ Aventiæ et gen. incolar. Grut., p. HO, num. 2.


2. Helenus. Auson., de Profess. Burdigal., n. — T crtull., A polog.,24.
— Hérodien rapporte que ce dieu était adoré à Aquilée. BéXiv Sè xaXoüoi
toÜtov aéëo\>tji te ünepçvwç, ’AitoXXwva eîvat ÊOéXovreç. — Inscript, div.,
R itter.,p . 257.
3. Hesus. Lucan., P h a rs.,i, v. 445. — Heusus. Lactant., Divin. Inst.,
i, 21. — Esus. I n s c r ip t , a ræ P a r is ie n s . — Hu-cadarn ( H u l e P u is s a n t ) ,
dans les traditions et poésies du pays de Galles. Archæolog. o f W ales,
passim.
4. Fameux bas-relief trouvé sous l ’église Notre-Dame de Paris en
1711.
5. W elsh Archæolog., ap. Edw. Davies, p. 110.
0. Tentâtes. Lucan., Phars., loc. c i t . — Lactant., loc. c i t . — Minut.
Félix., 30. — Le nom de Teutatès rappelle le dieu Theut des Phéniciens
et d’ une grande partie de l ’Orient. Si l ’on songe que les Phéniciens pro­
pageaient volontiers leur religion chez les peuples au m ilieu desquels
31
et protecteur des routes. Les arts m anuels avaient leurs
divinités particulières et u ne divinité collective. Enfin
le sym bole des arts libéraux, de l’ éloq u en ce et d e la p o é ­
sie, fut déifié sous la figu re d ’ un vieillard arm é, com m e
l’ H ercule grec, de la massue et de l’arc, mais qu e ses
captifs suivaient gaiem ent, attachés par l’ oreille à des
chaînes d’ or et d’am bre qui sortaient de sa b o u ch e : il
portait le n om d’ Ogmius1 où l’ on croit recon n aître le
m ot gaelique Ogham, q u i sign ifie écriture.
Se rattachait-il à ce sym bole de l’ éloq u en ce quelque
allusion à l’ H ercule tyrien, autre sym bole du peu ple qui
fit luire sur la Gaule le p rem ier rayon de civilisation ? Je
n e sais. Nous ne connaissons l’ H ercule gaulois q u e par
un récit de L ucien , récit spirituel et gracieux, com m e
tout ce qu i sort de la plu m e de ce rhéteur charm ant,
mais dans lequel il ne faut ch erch er ni plus de p rofon ­
deur, n i plus de sérieux que l’auteur n ’a prétendu en
m ettre.
« Les Gaulois, dans leur langage, dit-il, appellent
« H ercule O gm ius et le p eig n en t sous la figure la plus
« étrange dont on ait jam ais gratifié u n dieu . Ils en font
« un vieillard décrépit, chauve sur le devant de la tête,
« blan c sur le derrière, quand ils lui laissent des ch e-
« v e u x ; ru g u eu x de peau, n o ir et calcin é co m m e un
« vieu x m arin 2. Vous le p ren driez p o u r Caron, p ou r

ils s’établissaient, et q u ’ils introduisirent ainsi le culte de ce m ême Teu-


tatès en Espagne (Mercurium-Teutaten. L iv., xxvi, 44); si l’on songe en
outre qu’ayant com m ercé les premiers avec les Gaulois encore sauvages,
ils ont dû chercher à leur inspirer du respect pour les relations commer­
ciales et pour les voyageurs, en répandant le culte d ’un dieu qui proté­
geait les routes et l ’industrie, on sera tenté, peut-être avec quelque rai­
son, d’attribuer au Teutatès gaulois une origine phénicienne.
1. ’ Oy|xiov ôvo^âÇouffi çwvrç x7} èr'./wpio), Lucian., Herc. Gall.
2. Tô 8s sTSoç tou 8eoü Ttàvu âXXôxotov fp â ç o im . Téptov £<rav aùxoî?
« Japet, p ou r un habitant q u elcon q u e des enfers, ou
« tout ce que vous voudrez, plutôt que p o u r H ercule,
« don t il p orte cependant les attributs, savoir : la peau
« de lion sur son épaule, la m assue dans sa m ain droite,
« le carquois sur son dos, et dans sa m ain gau che, l’arc
« tout arm é. En un m ot, c ’est H ercule. Je crus d’ abord
« que les Gaulois, en arrangeant si in d ig n em en t le p or-
« trait d’ H ercule, avaient v ou lu rid icu liser les dieux de
« la Grèce et se v en g er en particulier de celui-là, parce
« q u ’ il avait jadis ravagé leur pays, à l’ époque où, p ou r-
« suivant les bœ ufs de Géryon, il ravagea tout l’ O ccident.
« Mais je n’ ai pas en core dit ce qu’ il y avait de plus in -
« croyable dans le tableau qu e j ’ avais sous les yeux : c’ est
« que ce vieil H ercule traînait après lui une foule d’ h om -
« m es sans n om bre, tous enchaînés par l’oreille. Leurs
« chaînes, légères com m es des flls, étaient fabriquées
« d’ or et d’am bre, et com parables aux plus beau x col-
« lie r s 1. B ien q u ’entraînés p ar des attaches si frêles, ces
« h om m es ne son geaien t p oin t à fu ir (ce q u i eût sem blé
« d’ailleurs bien facile) ; on ne les voyait ni se roidir, ni
« résister du pied, n i se renverser en arrière com m e
« p ou r con trarier celu i qui les e m m e n a it2. L’ allégresse
<( au front, des h ym m es jo y e u x à la b ou ch e, ils se hâ-
« laient sur ses p as; et au peu de tension de leurs
« chaînes, o n eût dit q u ’ils allaient le devancer, tant ils
« craignaient de perdre leu r servitude.

éç t ô i'7'/U'zo't, à v a ç a X a v r îa ç , 7toXiàç à x p iê w ç, ôaai X o w a ï t c ô v Tpiyw v, puGo?


Tà 8épp.a, x a i Siay.Bxau(iivoç âç tô (xeXâvraTov, oloi eîcriv o l SaXaTroupYoi
ïé p o v T E ç . L u c i a n . , H e r c . G a l l .

1 . Ae<y(i.à os eld iv ol astpal Xe-rrraî /p u iro û x a l ?)>ixxpou dpya<r(iévai,


°pp.otç lo ix v ï a i x o ïç xaX X iorotç. I d . , i b i d .
2. K at à<p’ oüxw:; àaôevw v ayoïAevot, oüxe 8paa|j.ôv pov>£uo\j(Tt, ô u v à-
{J-evot àv eO[xapâ>;, ouxe oàw ç àvxixeCvoucnv x o iç ixotrîv àvx e p siô o v a i, 7rpôc;
t0 ivavxCov xr,; ay iayr\S ^vmiàÇovxeç. Id., ibid.
« Faut-il racon ter m aintenant u ne absurdité qui dé-
« passe toutes les autres? Le peintre, ne sachant plus où
« faire abou tir lés liens, puisque le dieu avait la m ain
« droite occu p ée par sa massue et la gau che par son arc,
« im agin a de lui p ercer la langue et de les y réu n ir en
« les rivant. C’ est ainsi qu’ H ercule traînait tout ce peuple,
« la tête tou rn ée en arrière et le sourire dans les yeux.
« Ébahi, in d ig n é tou r à tour, je restai d roit devant ce
« tableau, ne sachant qu e penser, lorsqu ’ un Gaulois, m on
« voisin, h om m e instruit dans les lettres grecqu es (à en
« ju g e r par la m an ière don t il parlait notre langue), et
« vraisem blablem ent du n om b re de ces ph ilosoph es
« qu ’ on trouve au delà des Alpes l , m ’adressa la parole
« en ces term es :
« O étranger, m e dit-il, je t’ expliquerai l’én ig m e de
« cette peinture don t tu sem bles tou t ém erveillé. Vous
« autres Grecs, vous faites M ercure dieu de l’ éloq u en ce ;
« nous, n ous avons ch oisi H ercule co m m e plus v ig o u -
« r e u x ; et il n ’ y a pas à s’ éton n er si n ous le représen -
« ton s v ieu x, car c’ est dans la vieillesse qu e l’ éloqu en ce
« atteint sa force la plus com p lète. Un de vos poètes l’a
« dit avec raison : — L’ esprit de la jeu n esse est ob scu rci ;
« c’ est la vieillesse qu i sait parler sa g e m e n t2. — Aussi
« faites-vous d écou ler du m iel de la langue de N estor....
« Ce vieil H ercule, qu i n’ est pas autre ch ose que la fa-
« con d e elle-m êm e, traîne tou t ce peuple attaché à sa
u lan gu e par l’ oreille ; or, tu n ’ig n ores pas qu elle rela-

1. KeXTèç Sé tiç 7rape<JTWÇ, oüx àitaiSsuxo; Ta %éTepa, û? êSe^ev,


àxoiëwç iXXàSa <ptovï)v à^ietç, ftXôaofo;, oip.ai, Ta imxwpia. Lucian., Herc.
Gall.
2. 'O tti |aèv at twv ônloréptov <ppéve; ^epéOovxai-
Tà Ss fripa; svei Tt îiijat twv veoov tre^MTepov.
Id., ibid.
« tion existe entre l’oreille et la la n g u e... En résum é,
« n ous pensons que cet H ercule, h o m m e sage et p er-
« suasif, a con qu is le m on d e par la parole. Quant à ses
« flèches, ce son t les m ots aigus, in g én ieu x , rapides,
« qu i pénètrent dans l’â m e ; d’ où vient aussi qu e votre
« H om ère m et des ailes aux m ots et les appelle em-
« pennés » Voilà ce que dit m o n Gaulois. »
Le rapport qu ’ il était facile d ’établir entre les dieux
de la Gaule et ceu x de R om e et de la Grèce ne fut pas
sans éton n er les observateurs étrangers, qu i retrouvaient
là presqu e tout leur olym pe. « Les Gaulois, dit César, re -
« connaissent Mercure, Apollon, Jupiler, Mars et Minerve.
« Mais ils on t p o u r M ercure u n e vénération particulière.
« L eur croyan ce à l’égard de ces divinités est presque la
« m êm e que la croyan ce des autres peuples : ils regar-
« den t M ercure com m e l’inventeur de tous les arts; ils
« pen sent q u ’ il préside aux ch em in s, et q u ’ il a une
« grande in flu en ce sur le co m m e rce et les richesses,
« q u ’A pollon éloig n e les m aladies, q u ’ on doit à Minerve
« les élém ents de l’ industrie et des arts m écan iqu es, que
« Jupiter régit sou verain em en t le ciel, et que Mars est le
« dieu de la gu erre 2. »
La ressem blance se changea m êm e en u ne entière
iden tité lorsqu e la Gaule, soum ise à la d om ination de
Hom e, eut subi, qu elqu es années seulem ent, l’in flu en ce

1 . K a i xàye péXï] aùxoü ol Xofot eI sîv , oi|j.at, ôijEÏç, x a ï eü<tto)(oi, xai


Tayeïç, x a i xàç vj/J/àç x t t p • 7rr£poËvm yoüv xà x a i OjAetç <paxè
etvai. Lucian., Herc. Gall.
2. Deum maxime Mercurium colunt... P osth u n c, Apollinem , et Mar-
tem , et Jovem, et Minervam : de liis eamdem fere quam reliquæ gentes
habent opinionem : Apollinem m orbos depellere, Minervam operum atque
artificiorum initia transdere; Jovem im perium cœlestium teuere, Martem
bella gerere. Cæs., Bell. G all., vi, 17.
des idées rom aines. Alors le polythéism e gaulois, h o n o ré
et favorisé par les em pereurs, après un règn e brillant,
finit par se fon d re dans le polyth éism e de l’Italie, tandis
que le druidism e, ses mystères, sa d octrin e, son sacer­
d oce, étaient cru ellem en t proscrits et furent éteints dans
des flots de sang. Cette fortune si différente des deux re­
ligion s, et les rapports q u ’elle eut avec la situation p o li­
tique du pays, n ous o ccu p e ro n t plus en détail dans la
suite de cet ouvrage ; qu’ il n ous suffise p o u r le m om en t
d’avoir m arqué leur séparation et fait connaître leurs
caractères distinctifs : n ous allons passer à l’ exam en du
druidism e.
Les druides en seign aien t que la m atière et l’esp rit
son l-étern cls; q u e l’u n iv e r s , b ie n q u e sou m is à de p e r ­
pétuelles variations de form e, reste inaltérable et indes­
tructible dans sa substance-; q u e l’ eau et le feu sont les
agents tout-puissants de ces variations, et, par l’effet de
leur p réd om in an ce successive, opèrent les grandes révo­
lutions de la n a tu re 1; qu’ en fin l’âm e h u m ain e, au sor­
tir du corps, va d on n e r la vie et le m ou vem en t à d’autres
ê tre s 2. L’idée m orale de peines et de récom p en ses n’ était
p oin t étrangère à leu r système de m étem psycose : ils
considéraient les degrés de transm igration inférieurs à
la con d ition h u m ain e co m m e des états d’ épreuve ou de

1. ’Ay0âpTOUi; l é y o \ i a t Taç tj/uyàç xai t ô v x6<T(J.ov • ÈiuxpaTrjrav Sé rate xai


■jiûp xal <lSwp. Strab., liv. iv, p. 197. — In primis hoc volunt persuadere
non interire animas. Cæs., Rell. Gall., iv, 14. — Æternas esse animas.
Mêla, ni, 2 . — Animas esse im mortales. Amm. Marc., xv, 9 . — Val.
Max., n.
2. Anim as... ab illis post mortem transire ad alios. Cæs., ub. supra.—
’Evitr/Oet itap’ aÙTotç ô HuOayopou Xôyoç, ôxt xàç «j/u/àç twv àvOpwTTMv à8a-
và-rouç etvai aup-êéêrixs, xai s t w v wpi<7p.evcùv “ â/iv fiioüv, si; £tspov n m i a

■rijî eloîuonévriç. Diod. Sic., v , 2 8 .— Idem senserunt... quod Pytha-


goras. Val. M ax., n, 9.
ch âtim ent; ils avaient m êm e un autre mondei, sem bla­
ble à celu i-ci, m ais où la vie était constam m ent heu­
reuse. L’âm e qui passait dans ce séjou r d’ élection y con ­
servait son identité, ses passion s, ses h a b itu d es; le
g u errier y retrouvait son cheval, ses armes et des co m ­
bats ; le chasseur avec ses ch ien s continuait à y p ou r­
suivre le buffle et le loup dans d’éternelles forêts; le
prêtre à instruire les fidèles ; le client à servir son pa­
tron . Ce n’ étaient poin t des om bres, mais des h om m es, vi­
vant d’ une vie pareille à celle q u ’ils avaient m en ée sur la
terre. Toutes relations ne cessaient pas entre les habi­
tants du pays des âm es et ceu x q u ’ils avaient laissés ici-
bas, et la flam m e des bû ch ers pouvait leu r porter des
nouvelles de notre m on d e : aussi, durant les funérailles,
o n brûlait des lettres que le m ort devait lire ou qu’ il de­
vait rem ettre à d’autres m o r ts 2.
Cette croyance, en augm entant chez les Gaulois le
m épris de la vie, entretenait leur ardeur guerrière.
C om m e toutes les superstitions fortes, elle donna nais­
sance à des dévouem ents adm irables et à des actions
atroces. Il n’ était pas rare de v oir des fils, des fem m es,
des clients se p récip iter sur le b û ch er p o u r n ’ être point
séparés du père, du m ari, du patron qu’ ils pleuraient.
La tyrannie s’em para de ces touchantes m arques d’affec­
tion et les transform a en un devoir affreux. Dès q u ’un
p erson nage im portant avait ferm é les yeux, sa fam ille

1. . . . R é g it id e m sp iritu s a rtu s
Orbe alio : lo n g æ (c a n itis s i c o g n it a ) v itæ
M o r s m e d ia est. L u ca n ., P h a r s ., i, v. 456
— Y ita m a lt e r a m ad mânes . M ê l a , m , 8-.

2 . A t o x a t x a r à x à ç r a ç à ç r to v reTeX euTriX oitov é v t o v ç eTrto’T oX à ç y e y p a jj*


j i s v a ; T o t ç o ix e t o t ç TETeXeuTrixôoiv È ^ êotM eiv e t ; xrjv m jp à v , to? tw v reT eX evn r-

xotüjv à v a y v w a o jx é v w v r a u r a ç . D i o d . S i c . , v , 2 8 .
faisait é g org er u n certain n om b re de ses clients et les
esclaves qu’ il avait le plus aim és 1 ; on les brûlait ou on
les enterrait à ses côtés, ainsi que son cheval de bataille,
ses arm es et ses parures, afin que le défunt pû t paraître
con ven ablem en t dans l’autre vie et y con server le rang
d on t il jouissait dans celle-ci. La fo i des Gaulois en ce
m on d e à v en ir était si ardente et si ferm e qu’ ils y ren ­
voyaient souvent la d écision de leurs affaires d’ intérêt;
souvent aussi ils se prêtaient m utuellem ent de l’argent
payable après leur co m m u n décès 2.
Ces deu x notion s com b in ées de la m étem psycose et
d’ u n e vie future form aient la base du système p h iloso­
p h iq u e et religieu x des dru id es; m ais leu r scien ce ne se
bornait p a s là. I l s prétendaient c o n n a î t r e la nature des
choses, l’ essence et la puissance des dieux, ainsi que
leu r m od e d ’aclion sur le m on d e, la grandeur de l’ u ni­
vers, celle de la terre, la form e et les m ouvem ents des
astres, la vertu des plantes, les forces occu ltes qui chan­
gent l’ordre naturel et dévoilent l’ avenir : en un m ot, ils
étaient m étaphysiciens, physiciens, astronom es, m éde­
cins, sorciers et d e v in s 3.
M alheureusem ent p o u r l’ histoire, rien n’est resté de
toutes ces discussions m étaphysiques qui agitaient si vi­
vem en t les prêtres de la Gaule dans leurs solitudes. Le
peu que n ous savons de leur astron om ie fait pen ser q u ’ils

1. Omnia quæ vivis cordi fuisse arbitrantur in ignem inferunt, etiam


animalia : ac paulo supra liane memoriam servi et clientes, quos ab iis
dilectos esse constabat, una cremabantur. Cæs., Bell. Gall., yi, 19. —
Cum m ortuis cremant et defodiunt apta viventibus olim . Mola, iii, 2.
2. Negotiorum ratio etiam et exactio crediti differebatur ad inferos.
Mêla, m , 2. — Val. Max., n, 9.
3. Multa de sideribus atque eorum motu, de mundi ac terrarum ma-
gnitudine, de rerum natura, de Deorum immortalium vi ac potestate
disputant. Cæs., Bell. Gall., vi, 14. — Mêla, m , 2. — P lin ,, xvr, 44.
ne s’ étaient pas appliqués sans succès à cette scien ce, du
m oin s à sa partie pratique ; l’ observation des ph én om èn es
planétaires jou a n t un rôle im portan t dans tous leurs rites
relig ieu x com m e dans b ea u cou p d’ actes de leur vie ci­
vile. Leur année se com posait de lunaisons. L eur m ois
com m en ça it n on à la syzygie ou nouvelle lune, ni à la
p rem ière apparition de cet astre, mais au p rem ier quar­
tier, lorsque près de la m oitié de son disque est é cla iré e 1,
p h é n o m è n e invariable, tandis que la syzygie dépend tou ­
jo u r s d ’ un calcul, et que le tem ps de la p rem ière appa­
rition est sujet à des variations.
L eur plus lon g u e p ériod e d’années ou siècle était de
trente a n s 2, au b ou t desquels il y avait con cord a n ce
entre l’année civile et l’ année solaire; c’ est-à-dire que
les points cardinaux des éq u in oxes et des solstices,
ch aqu e tren tièm e année civile, revenaient au m êm e
qu antièm e des m êm es lunes. Ce retou r suppose n éces­
sairem ent dans le calen drier u ne intercalation de onze
lunes en trente ans, ou, ce qui est la m êm e chose, sur
les trente années, onze années de treize lunes. Par le
m oyen de cette intercalation, les lunaisons dem euraient
attachées sensiblem en t aux m êm es saisons, et, à la fin
du siècle gaulois, il s’en fallait seulem ent d’ un jo u r et de
d ix heures que la con cord a n ce de l’ année civile avec la
révolution solaire fût com plète ; différen ce qui pouvait
se corrig er a isé m e n t3, et q u ’ ils faisaient sans doute dis­
paraître. Ces résultats p rou vent que les druides recu eil­
laient des observations et se livraient à des études suivies.

1. Sexta luna principia annorum m ensiumque liis facit et sæculi.


P lin., xvi, 44.
2. Sæculum post tricesimum annum. Id., ibid.
3. Fréret, Œ u vres com plètes, t. X VIII, p. 22G, édit. in-12. Paris,
1796.
Le sixièm e jo u r de la lune était d o n c chez les Gaulois un
jo u r sacré q u i ouvrait le m ois, l’année et le siècle, et
présidait aux plus augustes solennités de la relig ion . On
représentait souvent les druides tenant dans leurs m ains
un croissant pareil au croissant de la lu n e à son p rem ier
q u a rtie r1. Cette supputation du tem ps par lunaisons fit
dire aux Rom ains que les Gaulois m esuraient la durée
par nuits et n on par jo u rs ; usage q u ’ils attribuaient à
l’ origin e infernale de ce peuple, et à sa descendance du
dieu Pluton 2.
La m éd ecin e des druides était fon dée presque uniqu e­
m ent sur la m agie, q u oiq u e les herbes qu ’ils em ployaient,
telles que le sélage et la jusquiame, ne fussent p oin t dé­
nuées de toute p ropriété naturelle. Mais leur r e c h e r c h e
et leur préparation devaient être accom pagn ées d’un cé­
rém on ial bizarre et de form ules m ystérieuses, d ’où elles
étaient censées tirer, au m oin s en grande partie, leurs
vertus salutaires. Ainsi il fallait cu eillir le samolus à jeu n
et de la m ain gau che, l’arracher de terre sans le regarder,
et le jeter de la m ôm e m anière dans les réservoirs où les
bestiaux allaient b oire ; c’ était un préservatif contre leurs
m a la d ies3. Le sélage, espèce de m ousse qui croît dans les
lieux om bragés des m ontagnes et dans les fentes des ro ­
chers, et qui agit assez violem m en t com m e purgatif, de­
m andait, p o u r être récolté, bien plus de précautions
en core. On s’ y préparait par des ablutions et une offrande

1 . B a s - r e l ie f d ’A u t u n . — M o n t fa u o o n , A n t iq u it é d é v o ilé e .
2. Ob eam causam (q u od a Dite pâtre sint prognati) spatia omnis
tem poris, non numéro dierum , sed noctium finiunt : dies natales et
m ensium et annorum initia sic observant, ut noctem dies subsequatur.
Cæs., Bell. Gall., vi, 18.
3. P lin ., xxiv, 11. — On croit que le samolus est la plante aquatique
que nous nommons mouron d’eau.
de pain et de vin ; on partait nu-pieds, habillé de b la n c :
sitôt q u ’on avait aperçu la plante, on se baissait com m e
par hasard; et, glissant sa m ain droite sous son bras gau­
ch e, on l’arrachait sans jam ais em p loyer le fer, pu is on
l’ enveloppait d’ un lin ge qu i ne devait servir q u ’ une fois *.
C’était un autre cérém on ial p o u r la verveine, très-esti-
m ée co m m e rem ède souverain contre les m aux de tête.
Mais, de tous les spécifiques de la m éd ecin e druidique,
au cun ne pouvait être m is en parallèle avec le fam eux
gui de ch ên e; il réunissait à lui seul plus de vertus que
tous les autres ensem ble, et son n om exprim ait l’éten­
due de son efficacité : les druides l’appelaient d’ un m ot
qu i signifiait guèrit-tout2.
Le gui est u n e plante vivace et ligneuse qui ne croît
p oin t dans la terre, m ais sur les branches des arbres, où
elle sem ble greffée ; elle y végète dans toutes les saisons,
et s’y n ou rrit de leu r séve par ses racines fixées dans leur
éco rce . Ses fleurs, taillées en cloch e, jaunes et ramassées
par bouquets, paraissent à la fin de l’hiver, en février ou
en mars, quand les forêts sont e n core dépouillées de
feuilles : elles produ isen t de petites baies ovales, m olles
et blanches, qu i m ûrissent en autom ne. Le gui se trouve
co m m u n ém en t sur le p o m m ie r, le p o irie r, le tilleul,
l’ orm e, le frên e, le peu plier, le noyer, etc., rarem ent sur
le ch ê n e, dont ses radicules on t p ein e à pén étrer l’ é c o r c e 3.

1. P lin ., x xiv, i l .
2. Omnia sanantem appellantes suo vocabulo. Id., ibid.
3. Est autem id rarum admodum inventu. P lin., xvi, 44. — M. D e-
candolle, qui a beaucoup herborisé en France et dans les pays voisins,
n’ a jam ais rencontré le gui de chêne. L ’auteur de l ’article gui, dans le
Dictionnaire des sciences medicales, énonce l’avoir vu une seule fois.
Duhamel le croyait plus comm un. ( Valmont-Bomare, Dict. d’hist. nat.,
t. III.)
A cette rareté qui avait mis en grand crédit le gui né
sur cet arbre, se joig n a it la vénération don t le ch ên e lui-
m êm e était l’o b je t; car les druides habitaient des forêts
de chênes et n ’accom plissaien t au cun sacrifice où le
ch ên e ne fig u r â t1. Ils croyaient qu’ il était sem é du ciel
par u ne m ain d iv in e 2. L’ u n ion de leu r arbre sacré avec
u n e plante dont la verdure perpétuelle rappelait l’ éter­
nité du m on de, était à leurs yeux un sym bole q u i a jou ­
tait aux propriétés naturelles du gu i des propriétés o c­
cultes. On le ch erch ait avec soin dans les forêts; et
lorsqu ’ on l’ avait tro u v é , les prêtres se rassem blaient
p o u r l’aller cu eillir en grande p om p e. Cette cérém on ie
se pratiquait en hiver, à l’ ép oq u e de la floraison, lorsqu e
la plante est le plus visib le, et qu e ses lon gs ram eaux
verts, ses feuilles et les touffes jau n es de ses fleurs, en ­
lacés à l’ arbre d ép ouillé, présentent seuls l’im age de la
vie au m ilieu d’ une nature stérile et m o r t e 3.
C’ était le sixièm e jo u r de la lu n e que le gu i devait
être cou p é, et il devait tom ber, n on pas sous le fer, mais
sous le tranchant d’ une faucille d’or. Une fou le im m en se
accou rait de toutes parts p o u r assister à la fête, et les ap­
prêts d ’un grand sacrifice et d’ un grand festin étaient
faits sous le ch êne p rivilégié. A l’instant m arqué, un
druide en robe b la n ch e m ontait sur l’arbre, la serpe
d ’o r à la m ain, et tranchait la racine de la plante, que
d’ autres druides recevaient dans une saie blan ch e, car

1. Jam p cr se roborum eligunt lucos, nec ulla sacra sine ea fronde


conficiunt. P lin., xvi, 44.
2. E cœlo missum putant. Id., ibid.
3. Q u a le s o le t s ilv is b r u m a li fr ig o r e v iseu m
F r o n d e v ir e r o n o v a , q u o d n o n su a se m in a t a r b o r ,
E t c r o c e o fœ tu te re te s c ir c u m d a r e ra m o s.
Virg., Æ n ., v i , v. 205.
il ne fallait pas q u ’elle touchât la terre Alors on im m o ­
lait deu x taureaux blancs don t les corn es étaient liées
p o u r la p rem ière fois, et l’on priait le ciel de ren d re son
p résen t salutaire à ceu x q u 'il en avait gratifiés 2. Le reste
de la jo u rn é e se passait en réjo u is sa n ce s3.
Le gui de ch ên e, co m m e n ous l’avons dit, était aux
yeu x des Gaulois un rem ède u n iversel; spécialem ent il
passait p ou r un antidote à tous les poisons, et, pris par
in fu sion , il guérissait la stérilité4. Tout porte à croire
qu e les druides faisaient co m m e rce de cette panacée,
d on t la vente devait p rod u ire à leur ord re u n e source
inépuisable de revenus 6.

1. Sacerdos candida veste cultus arborem scandit; falce aurea denie-


tit; candido id excipitur sago. P lin., xvi, 44.
2. Precantes ut suum donura Deus prosperum faciat his quibus dedc-
rit. Id ., ibid.
3. Un usage général en France dans le m oyen âge, et pratiqué encore
do nos jou rs dans quelques localités, se rattache, sans le m oindro doute,
à cette vieille superstition de nos pères. Le premier jou r de l ’année,
des troupes d ’enfants parcouraient les rues, en frappant aux portes et
en criant au gui Van-né! ou au gui l'an-ncuf! C’était probablement
dans cette forme que la récolte du gui était publiée chez les Gaulois;
probablem ent aussi elle se pratiquait au renouvellem ent de l ’année, qui,
dans cette hypothèse, aurait eu lieu au sixième jo u r de la lune de
mars.
4. Fecunditatem eo poto dari... contra venena omnia esse remedio.
P lin ., xvi, 44.
5. La croyance aux vertus occultes du gui se conserva en France,
pendant le moyen â g e , parmi le peuple et même parmi les m édecins; il
n ’y a pas encore longtemps que l’eau distillée de gui de chêne était fort
en crédit dans les pharmacies. Le gui n’est pourtant pas une substance
complètem ent inerte. Do célèbres praticiens du dernier siècle, Coerhaave,
Van-Swieten et de Haen assurent l’avoir em ployé avec succès dans les
affections nerveuses; mais aujourd’hui l’ usage en est tout à fait aban­
donné. L’écorce de ce végétal et s e s baies amères et visqueuses possèdent
une faculté astringente assez active; du reste le gui de chêne ne diffère
en rien de. celui qui pousse sur les autres arbres.
L’A rm orike, mais surtout l’ île de Bretagne, acquirent
une haute célébrité p o u r tout ce qu i con cern ait la ma­
gie ; et les récits extraordinaires pu bliés par les voya­
geurs sur les prodiges dont cette île, ainsi que les petites
îles de l’archipel a rm orica in , étaient le théâtre, m irent
la réputation des druides au-dessus m êm e de celle des
m ages de la P erse 1. L’art de la divination ne fut pas
cultivé avec m oin s de soin par ces prêtres, qui préten­
daient connaître l’avenir, m oitié par co n je ctu re , m oitié
par les signes m ystérieux qu’ ils savaient lire dans le vol
des oiseaux, et dans les victim es des sacrifices2. Ils fabri­
quaient aussi des talism ans, dont la vertu garantissait
de tous les accidents de la vie ; tels étaient les chapelets
d ’ a m b r e i j u e les g u e r r i e r s p o r t a i e n t sur e u x dans les

batailles, p ou r éloig n er la m ort, et q u ’ on retrouve sou­


vent en fou is à leur côté dans les to m b e a u x 3. Mais aucun
de ces préservatifs sacrés ne pouvait sou ten ir la com p a ­
raison avec l’ œ u f sym bolique, con n u sous le nom d’œuf
de serpent1'.
Ce prétendu œ u f, qui paraît bien n ’avoir été autre
ch ose q u ’u n e èchinite ou pétrification d’ou rsin de m e r 6,
présentait la figure d’ une p o m m e de m oyen n e grosseur
don t la substance dure et blanchâtre était recouverte de
libres et d’ excroissances pareilles aux tentacules du
poly p e. La religion n’ était pas étrangère au ch oix que

1. Britannia eam (m a g ia m ) attonite célébrât tantis cærimoniis, ut


eam Persis dédisse v i d e r i possit. P l i n . , x x i x , 1 .
2. Parti in auguriis, pariim conjectura. Cic., Divin., i.
3. L ’ambre est signalé parles prêtres chrétiens com m e une substance
employée à la magie. S. E lig., de R e d it. Cathol. fid. — Voir aussi les
poètes gallois, passim.
4. Anguinum appellatur. P lin., xxix, 3.
ÿ. Fréret, OEuvres com pl., t. XVIII, p. 211.
les druides avaient fait de ce fossile et à l’ orig in e q u ’ils
lu i su pposaien t, car ces idées d ’œ u f et de serpent rap­
p ellen t l’œ u f cosm og on iq u e des m vth ologies orientales,
ainsi que la m étem psycose et l’éternelle rénovation dont
le serpent était l’ em blèm e. Au reste, ils répandaient sur
la form ation et sur la con quête de ce p récieu x talisman
des fables absurdes, auxquelles pourtant le plus célèbre
des naturalistes rom ains sem ble ne pas refuser toute
croyan ce. « Durant l’ été, raconte-t-il, on voit se rassem -
« b le r dans certaines cavernes de la Gaule des serpents
« sans n o m b re , qui se m êlen t, s’ entrelacent, et avec
« leu r salive, join te à l’écu m e qu i suinte de leur p ea u ,
« p rod u isen t cette espèce d’œ u f1. L orsqu’il est parfait,
« ils l’élèvent et le soutiennent en l’air par leurs siffle-
« m ents ; c’est alors q u ’il faut s’ en em parer, avant qu’il
« ait tou ch é la terre. Un h o m m e aposté à cet effet
« s’élan ce, reçoit l’œ u f dans un lin ge, saute sur un
« cheval qu i l’attend, et s’ éloig n e à toute brid e, car les
« serpents le po u rsu iv en t ju sq u ’à ce q u ’ il ait m is une
« rivière entre eu x et lui. » P ou r que cet œ u f fût réputé
de b on aloi au ju g em en t des druides, il devait surnager
lorsqu ’ on le plon geait dans l’e a u , m êm e en tou ré d’ un
cercle d ’o r ; il fallait aussi qu’ il eût été enlevé à u ne cer­
taine ép oq u e de la lu n e 2. Quand il avait été éprouvé,
on l’enchâssait précieu sem en t, et on le suspendait à son
c o u ; il était d ou é d ’ une vertu m iraculeuse p o u r faire
gagn er les p rocès et ou vrir un libre accès auprès des
rois. Les druides le portaient parm i leurs ornem ents

1. Angues innum eri, æstate convoluti, salivis faucium corporumque


Spumis artifici complexu glomerantur. P lin., xxix, 3.
2. Experimentum ejus esse si contra aquas fluitet, vel auro vinctum ...
Certa luna capiendum c o n s e n t , I d . , ibid.
d istin ctifs1; ils ne refusaient pourtant pas de s’ en dé­
faire, à très-haut p rix , en faveur des rich es Gaulois qui
avaient des p ro cè s ou voulaient faire leur cou r aux
p u issan ts2.
Des m a gicien n es et des prophétesses étaient affiliées
à l’ ordre des druides, m ais sans partager n i les p rérog a ­
tives, ni le rang élevé du sacerdoce : elles servaient
d ’ instrum ents au x volon tés des p rêtres; elles rendaient
des o ra cles, présidaient à certains sa crifice s, et a ccom ­
plissaient des rites m ystérieux, d ’où les h om m es étaient
sévèrem ent exclu s. L eur institut leur im p osa it, de la
façon la plus bizarre, tantôt la violation des lois de la
pu deu r, tantôt la violation des lois de la nature : ici la
prêtresse ne pouvait dévoiler l’ avenir q u ’à l’h o m m e qui
l’avait p rofa n ée; là elle se vouait à u n e virginité per­
p étu elle; ailleu rs, q u oiq u e m a rié e , elle était astreinte
à de lon gs célibats. Q uelquefois ces fem m es devaient
assister à des sacrifices n octu rn es, toutes nues, le corps
teint de n o ir 3, les ch eveux en d é s o r d r e , s’ agitant dans
des transports frénétiques, u n e torche enflam m ée à la
m a in 4.
C’ était sur des écueils sauvages, au m ilieu des tem ­
pêtes d e l’arch ipel arm orica in , que les plus ren om m ées
de ces m agicien n es avaient placé leur résidence. Le
navigateur gaulois n’abordait q u ’avec respect et terreur
leurs îles red ou tées; on disait que plus d’ u n e fois des
étran gers, assez hardis p o u r y descen dre, avaient été

1. Ad victorias litium et regum aditus mire laudatur. Insigne drui-


dum. P lin., xxix, 3.
2. Id ., ibid.
3. Id ., x x i i , 2 .
4. In modum furiarum, criniÊus dejectis, faces præierebant... furore
turbatæ. Tac., A nn ., xiv.
repoussés par les ou ragans, par la fou dre et par d’ ef­
frayantes v ision s1.
^L’ oracle de Scna. plus qu e tous les autres, attirait les
navigateurs de la Gaule. Cette ire, située vis-à-vis du cap
le plus occiden tal de l’A rm orike, renferm ait un collège
de n e u f vierges qui, de son n om , étaient appelées Sbncs*.
P ou r avoir le droit de les consulter, il fallait être m a rin ,
et en core avoir fait le trajet dans ce seul b u t3. On croyait
à ces fem m es un p ou v oir illim ité sur la nature : elles
con naissaien t l’ a ven ir, elles guérissaient les m aux in ­
cu rables; la m er se soulevait ou s’apaisait, les vents s’ é­
veillaient ou s’en d orm a ien t à leurs paroles ; elles p o u ­
vaient revêtir toute form e , em pru n ter toute figu re
d’ an im au x 4. * S ----------
Un a u tre-«tllége de prêtresses, soum ises à u ne autre
r è g le , habitait un des îlots qu i se trou ven t à l’ em b ou ­
ch u re de la L oire. Celles-ci appartenaient toutes à la
nation des Nam nètes. Q u oiqu ’ elles fussent m ariées, nul
h o m m e n’ osait ap p roch er de leur d em eu re ; c’ étaient,
elles q u i, à des époques prescrites, venaient visiter leurs
m aris sur le con tin en t. Parties de l’ île, à la nuit close,
sur de légères barques q u ’ elles conduisaient elles-m êm es,
elles passaient la n uit dans des cabanes préparées p o u r
les re ce v o ir; mais dès que l’au be com m en ça it à paraître,

1. P lut., de Def. Oràc., 17.


2. Galli Senas vocant. Mêla, ni, 6. — On trouve dans les manuscrits,
Gallizenas, Gallisenas,Galligenas, Barrigenas et d’autres variantes plus
ou m oins corrom pues. — Sena est aujourd’hui l’île de Sain.
3. Non nisi deditas navigantibus, et in id tantum ut se consulerent
profectis. Mêla, n i, 6.
4. Putant ingeniis singularibus præditas, maria ac ventos concitare
carm inibus, seque in quæ velint animalia vertere, sanare quœj apud
alios insanabilia sunt, scire ventura et pnEdicarc. Id., ibid.
32,
s’ arrachant des bras de leurs é p o u x , elles cou raien t â
leurs n acelles, et regagnaient leu r solitude à force de
ra m es1.
Une fois ch aque an née, si l’ on en croit les écrivains
an cien s, ces fem m es célébraien t u ne fête sanguinaire,
où elles-m êm es étaient m eurtrières et victim es. 11 leur
était ord o n n é d’abattre et de recon stru ire le toit de leur
tem ple, tous les a n s, dans l’ intervalle d’ une nuit à
l’a u tre2; cérém on ie sym boliqu e, qu i retraçait sans doute
le d ogm e fondam ental du dru idism e. Au jo u r m arqué,
aussitôt qu e le p rem ier rayon du soleil avait brillé, c o u ­
ron n ées de lierre et de vert feu illa g e3, elles se rendaient
au tem p le; là ch acu n e se hâtait de d é m o lir l’an cien toit,
de briser sa ch arp en te, de disperser le ch aum e qui le
recou v ra it; pu is elles travaillaient avec ardeur à porter
et à p oser les m atériaux du nouveau. Mais si l’ une
d’e lle s , par m alheur, laissait tom b er à terre quelque
ch ose de ces m atériaux sacrés, elle était perd u e : un
h orrib le cri poussé par toute la bande était son arrêt
de m o r t; transportées d ’une frén ésie sou d a in e, toutes
accou raien t se jeter sur leur com p a g n e, la frappaient, la
m ettaient en p ièces, et sem aient çà et là ses chairs san­
glan tes4. Les Grecs cru ren t retrou ver dans ces a b om i­
nables rites le culte non m oin s abom in able de leur

1. ’Ev Sà t w (ixsavtj) çaircv eîvat vŸjaov [iix p à v, où uàvu neXayiocv, itp oxst-
|jivY|V TÎjç èxëoXîii; toü A e ifr ip o ; TO Tafioir olxEÎv 8è toûtïiv T a ; tû v Sap.vtTwv
( NafJivtTWv) y u v a tx a ç ... S t r a b ., 1. i v , p . 1 9 8 .

2 . "Efloç S’ eîvai x a t ’ èviay-càv & c a î tà îepôv &itoatt'(&Çe.<iïu, x a i axzyà-


ÇeaSai toxXiv aù8?i(j.epàv n p o S û a e io ç, ix à fr o iç cpoptCov èTcttpepoOa-rjç. I d .,
ibid.
3. Dionys. Perieg., v. 565 et seqq.
i. ’ IIç S’ âv êxrcsiroi to «poptiov, SiantâuOai TaÛTrjv (mô tôiv dcXXwv..,
Strab., loc. cit.
B a cch u s1 ; ils assim ilèrent aussi aux orgies de Sam o-
tlirace d ’autres orgies d ru id iq u es, célébrées dans une
île voisine de la B retagne2, où les voyageurs n ’abor­
daien t pas, m ais d ’où retentissaient au loin , sur la m er,
des cris fu rieu x et l’h a rm on ie bruyante des cym bales.
La religion d ru id iqu e avait sin on institué, du m oins
m ultiplié en Gaule les sacrifices h u m a in s; elle professait
q u e la vie d ’un h om m e pouvait être rachetée par la vie
d ’ un autre h o m m e 3, co m m e s’ il eût d épendu du prêtre
de con ju rer u ne transm igration im m in en te, en livrant
aux agents de la m étem psycose u ne autre créature de la
m êm e espèce. C’était d o n c autant par intérêt supersti­
tieux que par ven geance barbare, que les Gaulois massa­
crèren t longtem ps leurs p rison n iers de guerre ; la m êm e
superstition leur fit ch erch er dans le sein d ’un ennem i
tortu ré les secrets de leur p rop re destinée, ou les succès
d ’ une bataille p roch a in e et l’avenir de leu r patrie. De
vieilles fem m es, aux pieds nus, aux ch eveux blancs, aux
vêtem ents blancs, retenus par une ceinture garnie d ’ai­
r a in 4, accom pagn aien t chez les Kim ris transrhénans
toutes les expéd ition s m ilitaires, et dressaient au m ilieu
du cam p leur appareil de sorcellerie, consistant en une
én orm e chaudière de cu iv re , de lon g s couteaux et un
escabeau. L orsque ces hideuses prêtresses avaient choisi
une victim e parm i les captifs, elles la garrottaient et la

1. H i c c h o r u s in g e n s
F e m in e i cœ t u s p u lc b r i c o l i t o r g ia B a c c h i. '
A v ie n ., D e s c r ip t . o r b is , v. 751-752
— Dionys. Perieg., v. 505 et seqq.
2. e lv a i v r js o v T tp ô; T ï, R p e n a v u r ç ), x a O 1 rjv i> a ü ia t o ïç cv EaiioO pâxij)

r.zçii Trjv ArKirjTpav x a i xr|V K6pï]V U p onoieÏT ai. S t r a b ., 1. I V , p . 1 9 8 .


3 . Cæs., Bell. Gall., i v , 1 6 .
4. IIc/iaùTpi/e;, )ævx£i|j.ove{, Çüoua /.aÀxciiv é/ouiat, YU|ivoit68e;. Strab.,
1. vu, p. 294.
suspendaient au-dessus de la ch a u d ière; une d ’e lle s,
m ontant sur l’escabeau, la frappait à la g o r g e , et rece­
vait le sang dans une cou p e : la cou leu r de ce sang,
sa rapidité, sa d irection , faisaient autant de signes p ro ­
phétiques q u ’on interprétait; ses com p agn es se parta­
geaient ensuite les m em bres et les entrailles palpitantes1.
En Gaule, c’ étaient les h om m es qu i présidaient à ces
superstitions barbares; ils perçaient la victim e au-dessus
d u diaphragm e \ et tiraient leurs p ron ostics de la pose
dans laquelle elle tom bait, des con vu lsion s de ses m em ­
bres, de l’abon dance et de la cou leu r de son san g; qu el­
qu efois ils la cru cifiaien t à des poteaux dans l’in térieu r
des tem ples, ou faisaient p leu voir sur elle, ju sq u ’ à la
m ort, u ne n uée de flèches et de dards 3.
Le cérém on ial le plus usité et le plus solen n el, p o u r
les sacrifices h um ains, était aussi le plus affreux. On con ­
struisait en osier ou en foin un im m en se colosse à figure
h u m ain e, on le rem plissait d’h om m es vivants, on le pla­
çait sur un bû cher, un prêtre y jetait une to rch e brû ­
lante, et le colosse disparaissait bien tôt dans les flots de
fu m ée et de fla m m e s 4. Alors le chant des druides, la
m usique des bardes, les acclam ations de la fou le co u ­
vraient les cris des victim es, et le Gaulois crédu le p en -

1. Strab., 1. vu, p. 294.


2. >Av0pW7iov xaTaOTteicravTsç mnrovai aJt/aica x a t à to v ûîrèp tb Sidt-
<ppaY[j.tx TÔitov x a i t o u o v t o ; toü itXv)Y£VTO;, èx tÿjï îtiw asM c x a i toü o t o -
pay[J.ou t m v 1-j.E/wv, ëti oh tïjç toü a!i\i.a.xoz (Süaeto;, tô (léXXov vooüai. Diod.
S ic., v, 31.
3. Strab., 1. iv, p. 198.
4. Immani magnitudine simulacre baiient, quorum contexta vim ini-
bus membra vivis hom inibus com ptent, quibus succensis, circumventi
flamma exanimantur homines. Cæs., Bell. Gall., vi, i 6. — KaTaaxeuâ-
cavTCç xoXousàv xai £üXov i(j.ëaX6vTC; elç 'toütov. Strab., 1. iv,
p. 198.
sait avoir sauvé les jo u rs de sa fam ille, p ro lo n g é les siens,
afferm i la gloire de sa patrie, et fait m on ter vers le ciel
un en cen s de préd ilection . Au reste le polyth éism e gau­
lois n ’était pas m oin s cruel que le druidism e : les autels
de Tarann et de Teutatès ne virent pas cou ler m oins de
sang que le ch ên e consaci'é à Hésus ou les orgies de
l’A rm o r ik e i .
D étournons nos regards de ces h orreu rs, qui, hâtons-
nous de le dire, n’ étaient heureu sem ent plus qu’ un sou­
venir à l’ ép oq u e don t nous retraçons le tableau. A cette 1
ép oqu e, si le colosse d’ osier s’ ouvrait en core, si des voix
hum ain es sortaient e n core du m ilieu des flam m es, c’ é­
taient les v oix des m alfaiteurs con dam n és par la justice
à la p ein e capitale; car la loi, chez les druides, dérivant i
d’ u n e sou rce céleste, le châtim ent était in fligé au n om j
de la religion , par le m inistère des prêtres. Les m eu r­
triers, les brigands, les voleurs subissaient ainsi le sup­
p lice du f e u 2. Un historien affirm e, il est vrai, qu’à défaut
de crim in els, le b û ch e r recevait quelquefois des in n o -
cents 3; mais les victim es volontaires ne m anquaient ja - j

m ais chez ce p eu plé, p rod igu e de sa vie ; et les fanatiques


qu i se tuaient p ou r a ccom p a gn er au pays des âm es un
père, un am i, un patron, ne recu laient pas devant quel-
qu es souffrances de plus, quand il s’ agissait de sauver
ses jou rs. C’ était aux druides qu ’appartenait la garde des j
con d a m n és réservés aux sacrifices privés et pu blics ; ils

1. Lucan., Phars., i, v. 444 et se q q .; n i, v. 400 et seqq. — L a ct.,D i­


vin. Inst., i, 21. — Minut. Fel., 30.
2. Supplicia eorum qui in furto, aut latrocinio, aut aliqua noxa sint
com prehensi, gratiora Diis immortalibus esse arbitrantur. Cæs., B ell.
G all., vi, 1G.
3. Sed quum ejus generis copia déficit, etiam ad innocentium suppli­
cia descendunt. Id ., ibid.
les tenaient qu elqu efois ju sq u ’à cin q années en prison ,
p ou r en disposer plus avantageusem ent ; et lorsque, par
l’adou cissem en t des m œ urs, les im m olation s hum aines
devinrent très-rares, ils firent payer ch èrem en t aux
rich es malades le privilège de pareilles victim es. P ou r
la fou le qu i n’ y pouvait prétendre, des don s votifs les
rem placèrent, et d’im m en ses richesses en lin gots d’ o r et
d’ argent, en m onnaies, en vases précieu x, en butin co n ­
quis sur l’ en n em i, s’a ccu m u lèren t dans les tem ples et
dans les lacs sacrés. Elles y restaient en sûreté, q u oiq u e
ces lacs et ces tem ples fussent la plu part du tem ps sans
clôture ni gardien ; mais nul n ’eût osé porter une main
sacrilège sur cette p ropriété des dieux *.
Il est tem ps que nous exposion s l’organisation du sa­
cerd oce d ru idiqu e ainsi que l'éten du e de ses p réroga­
tives ; et d’ abord il renferm ait trois degrés de h iéra rch ie :
les druides p rop rem en t d it s , les ovales ou vates2 et les
bardes5.
' Les druides ou hommes des chênes4 devaient ce n om à
la vie solitaire q u ’ils m en aien t dans de vieilles forêts
consacrées au culte, et qui étaient de préféren ce des l'o-

1. Neque sæpe accidit ut, neglecta quispiam religione, aut capta apud
se occultare, aut posita tollere auderet. Cæs., Bell. Gall., vr, 17. — Diod.
S ic., v, 27. — Strab., 1. îv, p. 188.
2. Où<jrceiç. Strab., 1. iv, p. 197. — Eubages, ou plutôt Eubates.
Amm. Marc., xv, 9. — Dans les traditions galloises, Ovydd. Ar-
chæolog. of. W a l., passim. — W . Owen, Pref. o f Llywarç. H en., p. 21
et suiv.
3. Bardi, BâpSot, Bard (gael.), Bardd (kim r.), Bars (arm or.). —
Bardus gallice cantor appellatur. Fest. Epit.
4. Druides, Apuîfiat, Drysidœ : Derwydd, Dervyddon, en langue kim ­
rique. Derw (k im r.), Deru (arm or.), Dair (gael.) : chêne. Diodore de
Sicile traduit en grec le m ot Druides par Eap<<>v£5a;, qui signifie aussi
hommes des chênes.
rêts de c h ê n e s 1. Ils form aient la classe supérieure et sa­
vante de l’ord re ; car l’étude des hautes sciences reli­
gieuses et civiles, de la th éolog ie, de la m orale, de la
législation, leur était dévolue e x c lu s iv e m e n t2. L’ éduca­
tion p u bliqu e form ait aussi u n e partie de leurs attribu­
tions, et n’ en était pas la m oin s im portante. L eur en -
seign em en t, tou t verbal, était rédigé en vers p o u r q u ’ il se
gravât m ieu x dans la m ém oire. Ils n’écrivaient rien , ou
du m oin s lorsque, par suite des relations com m erciales
avec Massalie, l’ usage des caractères grecs fut devenu
com m u n dans la G a u le 3, ils ne perm iren t pas aux p ro­
fanes de rien écrire de ce q u ’ ils enseignaient.
Les ovales étaient chargés de la partie extérieure et
m atérielle du culte et de la célébration des sacrifices. En
cette qualité, ils étudiaient spécialem ent les scien ces na­
turelles appliquées à la religion : l’ astronom ie, la divina­
tion par les oiseaux et par lès entrailles des victim es,
la m é d e cin e ; en un m ot, ce que les Grecs entendaient
sous le n om de physiologie4. Us vivaient dans la société,
d on t ils dirigeaient en grande partie lés m ouvem en ts.
Au sein des villes, à la co u r des chefs, à la suite des ar­

1. Clam in abditis saltibus. Mêla, m , 2.


2. iluXoirocpoi xai 0eoXoYoi. Diod. S ic., v, 31. — Apu'i'Sat xait?]V ^jôix^v
çO.orocpîav ÔOTXoüat. Strab., 1. iv, p. 197. — Druidæ, ingeniis celsiores,
quaestionibus occultarum rerum altarumque erecti sunt. Amm. Marc.,
xv, 9.
3. Neque fas esse existimant ea litteris mandare, quum in reliquis
fere rebus, publicis privatisque rationibus, græcis litteris utantur. Cæs.,
Bell. Gall., vi, 14.
4. O 'j à x E i ; lepomnoi xai ç 'jff io X o y o ï. Strab., 1. IV , p. 197. — O û to i Sè
8 i ô t e t ÿ (; o iw v o a x o m a ç x a i S ià tŸ|Ç t m v U pd w v 6 u a îa ; T a p iX X o v T a it p o X é -

fouai. Diod. Sic., loc. cit. — Eubates vero scrutantes seriem et sublimia
naturæ pandere conabantur. Amm. Marc, xv, 9 . — Pbysiologiam Græci
appellant. C ic., de Divinat., i.
m ées, dans toutes les circonstances de la vie, ils im p o­
saient la volon té du corps puissant dont ils étaient les
in terprètes : au cun e cérém on ie p u bliqu e ou privée, au­
cun acte civil ou religieu x ne pouvait s’a cco m p lir sans
leur m inistère.
Le troisièm e et d ern ier degré du sacerdoce com p re­
nait les bardes, qui étaient les poëtes sacrés et profanes
de la G a u le1. C om m e les ovates, ils m en aien t la vie sé­
cu lière ; leur m inistère était tout d’in stru ction et de plai­
s ir : c’ étaient eux qui récitaient dans les assem blées du
peu ple les traditions nationales, au foyer du ch e f les tra­
ditions de la fam ille ; eux qu i anim aient les guerriers sur
1 ; cham p de bataille, célébraient leur gloire après le suc­
cès, et distribu aien t à tou s le blâm e et l’ éloge, avec une
liberté que pouvait seule donner un caractère inviolable2.
Aussi l’ autorité de leurs paroles était grande et i’ efl'et de
leurs vers tout-puissant sur les âm es. Souvent on les vit,
dans les guerres intestines de la Gaule, désarm er, par
leur seule intervention, des com battants fu rieu x, et ar­
rêter l’ effusion du s a n g 3 : à l’ h arm on ie touchante de
leurs lyres, disait un écrivain de l’antiquité, les pas­
sions les plus sauvages s’apaisent, com m e les bêtes fé ­
roces au charm e du m agicien ’ . En chantant, ils s’ ac­
com pagn aien t sur un instrum ent appelé rotte, q u i avait

1. BâpSoi u|avï)tk1 xai tcoiyitki. Strab., 1. îv, p. 197. — Diod. Sic., v, 31.
— Posidon., ap. Athen., iv, 13. — Lucan., i, v. 449.
2. Fortia virorum illustrium facta... cantitant. Amm, M arc.,xv , 9 .—
Diod. S ic., v , 31.
V o s q u o q u e q u i fo r te s a n im a s b e ll o q u e p e r e m p ta s
L a u d ib u s in lo n g u m , v a t e s , d im ittitis æ v u m ,
P lu r im a , s e c u r i , fu d is tis c a r m in a , b a r d i.
L u c a n ., i , v . 4 47 -4 49 .
3. Diod. Sic., v, 31. — Strab., 1. iv, p. 197.
4. "Qa-Tivip xtvà ÔYjpia xaTSTîaaavTE;, Diod. Sic., v, 31.
b eau cou p de ressem blance avec la lyre des Hellènes K
L’ ordre des druides était électif, et com m e il possé­
dait le m on op ole de l’ éducation, il pouvait à loisir se
form er des adeptes au m oyen desquels il se recrutait.
Le tem ps du noviciat, m êlé de sévères épreuves, et passé
dans la solitude au fon d des b ois ou dans les cavernes
des m ontagnes, durait quelquefois vingt ans ; car il fal­
lait apprendre de m ém oire cette im m en se en cyclop éd ie
poétiqu e qui contenait la scien ce du sacerdoce 2. Cha­
cu n e des deu x classes in férieu res de la h iérarch ie étu­
diait la partie relative à son m inistère; m ais le druide
devait tout savoir. Un druide suprêm e ou grand pontife,
investi, p o u r toute sa vie, d’ u ne autorité absolue, veillait
au m aintien de l’ in stitu tion ; à sa m ort, il était rem placé
par le druide le plus élevé en dignité après lui ; s’ il se
trouvait plusieurs prétendants dont les litres fussent
égaux, l’ ordre p ron on ça it, en conseil général, à la p lu ­
ralité des voix. 11 n ’était pas sans exem ple que ces élec­
tions se term inassent par la v iolen ce ; les candidats ri­
vaux déployaient, ch acun de son côté, l’élendard de la
gu erre civile, et l’ épée d é c id a it3. Les druides se for­
m aient, à certaines époques de l’année, en c o u r de ju s-
lice. Là se rendaient ceux qui avaient des différends;
on y conduisait aussi les prévenus de crim es et de dé­

1. ’ Opyava Taïç W pai; 8|Mia. Diod. Sic., v , 31. — Chrotta britanna ca-
nat. Fortunat., carm. v u , 8. — Cruit (gael.), Crwdd (kimr.). — On ap­
pelait rotte, dans le moyen âge, une espèce de vielle dont les ménestrels
se servaient.
2. Magnum ibi numerum versuum discere' dicuntur : itaque annos
nonnulli vicenos in disciplina permanent. Cæs., Bell. Gall., vi, 14. — In
specu, aut in abditis saltibus. Mêla, n i, 2.
3. Hoc mortuo, si quis ex reliquis excellît dignitate, succedit ; at si
sunt plures pares, suffragio druidum deligitur, nonnunquam etiam de
principatu srmis contendunt. Cæs., Bell, Gall., vj, 13.
lits ; les questions de m eurtre et de vol, les contesta­
tions sur les héritages, sur les lim ites des p ro p rié té s, en
un m ot, toutes les affaires d’intérêt général et privé,
étaient soum ises à leur arbitrage. Ils infligeaient des
peines, Axaient des d éd om m agem en ts, octroyaient des
ré c o m p e n s e s l . La plus solennelle de ces assem blées se
tenait une fois l’ an sur le territoire des Carnutes, dans
un lieu consacré qui passait p o u r être le p oin t central
de toute la G aule; on y accourait avec em pressem ent
des provin ces les plus é lo ig n é e s 2.
Qu’ on s’ im agin e m aintenant quel despotism e pouvait
et devait exercer sur un e nation superstitieuse cette caste
d’ h om m es dépositaires de tout savoir, auteurs et inter­
prètes de toute loi divine et h u m ain e, rém unérateurs,
ju g es et bou rreau x ; en partie répandus dans la vie ci­
vile, d on t ils épiaient et obsédaient toutes les acLions, en
partie cachés aux regards dans de som bres retraites, d’ où
partaient leurs arrêts sans appel. Malheur à qui m é co n ­
naissait ces arrêts redoutables ! Son exclu sion des choses
saintes était p r o n o n c é e ; il était signalé à l ’h orreu r pu ­
blique com m e un sacrilège et un in fâ m e; ses proch es
l’a b a n d on n a ien t; sa seule p résen ce eût co m m u n iq u é ie
mal con tagieu x qu’ il traînait à sa suite ; on pouvait im ­
p u n ém en t le dépouiller, le frapper, le tuer, car il n ’exis­
tait plus p ou r lu i ni pitié ni ju s t ic e 3. Aucune con sidéra-

1. Si quod est admissum facinus, si cædes facta, si de liæreditate,


si de finibus controversia est, iidem decérnunt, præmia pcenasquo con­
stituant. Cæs., Bell. Gall., vi, 13. — Strab., 1. iv, p. 197.
2. Corto anni tempore in finibus Carnutum, quæ regio totius Gallia;
media habetur, considunt in loco consecrato : hic om nes undique qui
controversias habent conveniunt. Cæs., loc. cit.
3. Quibus ita est interdictum , ii numéro impiorum ac sceleratoram
habentur; iis omnes decedunt, aditum eorum sermonemque defugiunt,
ne quid ex contagione incommodi accipiant... Id ., ibid.
lion , aucun rang, ne garantissaient contre les atteintes
de l’ex com m u n ica tion . Tant que cette arm e subsista toute-
puissante dans la m ain des druides, leur em pire n’ eu t pas
de born es, e tle s écrivains étra n g ersp u ren td ire « que les
« rois de la Gaule, sur leurs sièges dorés, au m ilieu de
« toutes les p om pes de leur m agn ificen ce, n ’ étaient que
« les m inistres et les serviteurs de leurs p rêtres1. »
Ils ne se résignèrent pas éternellem ent à l’ être. Les
fam illes souveraines des tribus s’ insurgèrent, et, après
avoir brisé u ne partie de l’ancien jo u g , établirent une
aristocratie m ilitaire indépendante. La Gaule présenta
alors un spectacle pareil à celu i de l’ E urope m od ern e
durant la féodalité, ou plutôt à celui de l’ Irlande et de
l’ Écosse sous l ’autocratie des chefs de clans : ce fut le
règn e illim ité, m ais passager, de la violence et de l’anar­
ch ie. Celte anarchie était dans toute sa force pendant la
p rem ière m oitié du n r siècle et la dernière m oitié du
secon d . II ne se faisait plus d ’expéditions à l’ extérieur,
l’ in térieu r étant déch iré par des guerres sans n om b re et
sans term e. Chaque petit chef, despote absolu chez lui,
ne voulait recon n aître au d eh ors de règle de su bordin a­
tion qu e la force n u m ériq u e des trib u s; des coalitions se
form aien t p ou r con q u érir et p ille r; des m on a rch ies éphé­
m ères, construites par le sabre en peu d’années, en m oins
de tem ps en core étaient renversées par le sabre. C’ estainsi
que les roisarvern es op p rim èren t un m o m e n tto u tle m id i
de la Gaule, depuis la M éditerranée ju sq u ’à l’ O céan 2: c’ est
ainsi qu e les rois bellovalces et atrébates bouleversèrent
tou r à tou r la B elgique, et que le roi suession Divitiac
n on -seu lem en t m it la B elgique sous le jo u g , mais en ­

1. TTtïipÉTai x a i Siâxovoi. D in Chrysost., Orat. x l i x .


2. Strab., 1. iv, p. 100.
core l’Ile de Bretagne, don t il sou m it et envahit toute la
côte o rien ta le1.
P ourtant cette révolution ne dépouilla pas com plète­
m ent le sacerdoce ; son in flu en ce com m e ordre religieu x
et savant resta intacte, et avec elle une p ortion de ses
prérogatives civiles. Son rôle fut en core assez beau : il
f continua d’ être exem p t des charges pu bliqu es et du ser-
, vice m ilitaire, de d iriger l’ éducation, d’appliquer les lois
! tant civiles que crim in elles. Ces privilèges sauvés du nau­
frage regardaient presque uniqu em en t, il est vrai, le
degré su périeu r de l’ordre, cette classe de druides spécu­
latifs qui vivaient solitaires, h ors du m ou vem en t de la
so cié té ; mais les deux classes séculières des ovates et
des bai'des ressen tirent fortem en t l’ atteinte, et p o rtè ­
rent dès lors la marque d’une dégradation p rofon d e. Les
ovates ne furent plus que les devins des arm ées, et, si
j ’ ose m e servir de ce term e, les au m ôn iers des chefs de
tribus et des rois. Le caractère du barde se corrom p it
davantage; avec la con sidération de son m inistère il
perdit toute dignité person nelle. On cessa de trouver en
lui ce poëte si lier qui puisait son inspiration dans une
autorité supérieure au m on d e, don t ta voix faisait taire
le bru it des arm es, dont l’éloge tou jou rs véridique était
u n e récom p en se enviée, et le blâm e un châtim ent. Les
bardes du n ou v ea u ré g im e fu re n t des dom estiquesattachés
à la cou r des grands, des parasites* (c’est le term e par le­
quel les étrangers les désignèrent), louangeurs officiels du
m aître, et satiriques gagés p o u r dén igrer ses ennem is.
Le trait suivant fera assez connaître com b ien leur

1. C æ s ., Bell. Gall., xi.


2. Oü; xaXoùcji irapaoîtouç... tà àxo0<7[iata aûtwv siutv oi xa).bO;jtcvot
BâpSot. Posidon., ap. Athen., vi, 12.
con d ition servile fit d é ch o ir en peu de tem ps ces n obles
m inistres de la scien ce. Un ro i des Arvernes, le fam eux
L uern dont n ous avons racon té plus haut la m a gn ificen ce
et les festins som ptu eu x, entretenait auprès de lui p lu ­
sieurs de ces bardes à gages. Un jo u r qu’il traitait gran­
d em en t sa cou r, un d’ eux, ayant m an qu é l’ h eu re du
repas, arriva com m e on quittait la table et que Luern
rem on tait dans son char. Chagrin de ce con tre-tem ps, le
p oëte saisit sa rotte, et, sur une m odu lation triste et grave,
il célébra d ’abord la générosité de son m aître et la splen­
d eu r de ses festins; puis il déplora le sort du pauvre
barde que sa mauvaise fortun e y am enait trop ta rd 1. To ut
en chantant il cou rait auprès du char royal. Ses vers
p lu ren t au m on arqu e, q u i, p o u r le con soler, lu i jeta u n e
b ou rse rem p lie d’ or. Le barde se cou rb a , la ramassa et
reprit aussitôt ses chants; m ais la m od u lation était bien
ch a n g ée; de grave elle était deven ue g a ie; au lieu de la
tristesse c ’était le c o n te n te m e n t q u ’ elle respirait: « O r o i!
« s’écriait le poëte dans l’ivresse de sa re con n a issa n ce,
« l’or germ e sous les rou es de ton ch ar, et tu fais naître
« su r ton passage les félicités des m o r te ls 2. n
Malgré les prérogatives restées aux druides p rop re­
m en t dits, l’avilissem ent des deu x classes in férieu res, en
désorganisant le corp s sacerdotal, enlevait à la théocratie
to u t esp oir de se relever. Et m êm e, à m esure que le
n ouvel état de choses se con solid a , que la civilisation fit
des p rog rès, que les lu m ières apportées du dehors v in ­
rent dissiper la nuit d ’ig n ora n ce où le sacerdoce gau­
lois retenait la Gaule, il se vit enlever p ièce à p iè ce q u el­

1. ‘Eautov S’ ÜTroOûr/jEiv ôxt \jaiéçr\v.z. Position., ap. Athen., IV , 13.


2. ’Ave),ô(jisvov 8’ è x e îv o v uâXiv ujivîïv Xéfovta, Sio xai tù fyvr] T’ iî
i-f’ ï); apiiamiXaTEÏ, xpucàv xai eÙEpfEaîa; àvôpwTtoiç çsçsi. Id ., ibid.
qu es-u n s de ses privilèges; l’autorité p olitiq u e resserra
cfiaque jo u r davantage la suprém atie civile des prêtres.
Les études et la scien ce des dru ides se ressentirent de
cet état de lutte et d ’in fériorité : il fallut bien tôt que les
jeu n es gens q u i se destinaient au m inistère sacré pas­
sassent dans l’île de Bretagne p o u r y trou ver u ne instruc­
tion plu s forte, en m êm e tem ps q u ’une im age vivante
de l’organisation et de la puissance don t la Gaule n ’of­
frait plus q u ’u ne o m b re et un s o u v e n ir1.
Si la rév olu tion aristocratique apporta qu elq u e avan-
lage à la Gaule, c ’est q u ’ elle ÿ développa le germ e d’ une
autre révolu tion plus salutaire. Les villes, en s’étendant
et se m ultipliant, avaient créé un p e u p le à part, h eu reu ­
sem ent placé p o u r com p ren d re et p o u r v o u lo ir l’ in d é­
pen dan ce. 11 la vo u lu t; et, favorisé par les dissensions
des chefs de l’ aristocratie, il parvint peu à p eu à la c o n ­
quérir. Un p rin cip e n ouveau et des form es nouvelles
de gou vern em en t priren t naissance dans l’en cein te des
villes : l’élection pop ulaire rem plaça l’antique privilège
de l’hérédité ; les rois et les ch efs absolus furent expulsés,
et le p o u v o ir rem is aux m ains de magistratures libre­
m en t consenties. Mais l’aristocratie héréditaire ne se
laissa pas déposséder sans com b a t : appuyée sur le
p eu ple des cam pagnes, elle engagea con tre les villes u n q
guerre lon g u e et m êlée de ch ances diverses, d ’abord
p o u r défen dre, ensuite p o u r recou v rer ses prérogatives
m écon n u es. Les villes soutinrent cette lutte sanglante avec
non m oin s de constance q u e d ’enthousiasm e.
L’organisation que les villes s’ étaient d on n ée de b on n e

1. Et nunc qui diligentius eam reni (disciplinam) cognoscere volunt,


plerumque illo (in Britanniam) discendi causa proficiscuntur. Cæs., Bell.
Gall., v i, 13.
heure con tribu a sans doute beau cou p à leu r triom p h e.
Soit habitude d’un vieil état social, soit besoin d ’op p oser
à un en n em i discip lin é la fo rce d’ une d isciplin e pareille,
la p op u lation u rbain e s’était partagée en tribus, et for­
m ait sou s des patrons de son ch o ix des clientèles fictives.
L esîa îb les, les pauvres, les artisans s’ engageaient v o lo n ­
tairem ent à des h om m es puissants, p o u r la durée de leu r
vie, aux m êm es con d itio n s que les clients de la cam pagne
étaient engagés nécessairem ent au c h e f héréditaire de
leur ca n to n 1. Mais ces deu x ordres de clientèles diffé­
raient essentiellem ent dans le fon d . La clientèle urbaine
était p erson n elle ; elle ne liait p oin t les fam illes, elle n ’ o c ­
troyait au cun droit au fils du patron , elle n’ im posait
au cun e charge au fils du clie n t; le patron m ort, les clients
redevenaient libres ou se reportaient à leu r volon té
sous la d ép en d an ce d’ un autre patron. En outre, co m m e
une nom b reu se clien tèle était la preuve d ’un grand cré­
dit et con duisait par là a u x plus hautes charges de la
cité 2, les patrons avaient intérêt à traiter leurs clien tsa v ec
m én agem en t, et à les p rotéger con tre les vexations soit
des particuliers, soit du gou vernem ent. Un patron qui
aurait o p p r im é o u laissé o p p rim er les siens, perdait toute
in flu en ce dans l ’État, et sa clientèle ne faisait plu s que
d é p é rir3. Cette institution, utile p o u r les tem ps de lutte,
parce q u ’ elle mettait de l’unité dans les efforts, ne fut
pas sans in con v én ien t après la victoire. Trop souvent,

1. In hos eadem omnia sunt jura quæ dom inis in servos. Cæs., Bell.
Gall., Vi, 13. — Ambacti, clicntesque. Id., ib id ., 15.
‘2. Plurimos circum se ambactos clientesque liabent ; hanc unam gra-
tiam potentiamque noverunt. Id ., vi, 1 5 .— Factionum principes sunt,
qui summam auctoritatem eorum ju dicio habere existimantur, quorum
ad arbitrium judicium que summa omnium rerum consiliorum que redcat.
Id., ib id ., I I .
3. Id., ibid.
com m e on peut d’avance le p rév oir, et co m m e le m o n ­
trera la suite de cette h istoire, elle m it en péril la liberté
gauloise q u ’ elle avait été appelée à soutenir.
11 paraît que le sacerdoce ne resta pas neutre et inac­
tif en face de cette révolu tion , qu i pouvait lui rendre
qu elqu e ch ose de son autorité passée, ou du m oins le
ven ger de ses en n em is. Dans plusieurs cités, il favorisa
efficacem en t la causedu peu ple, et s’ en trouva bien : quel­
ques constitutions adm irent les prêtres parm i les pou voirs
de la cité avec des prérogatives plus ou m oin s grandes.
Ce serait ici le lieu de n ous étendre sur la com b in a i­
son des pouvoirs politiques dans les nouveaux gou ver­
n e m e n t s , sur l e u r s b a l a n c e m e n t s et l e u r s luttes ; m ais le
détail des événem ents historiques exposera tout ce m é­
canism e d’ une m anière à la fois plus claire et plus vi­
vante. Nous ferons seu lem en t pressentir un fait. Les
constitutions sorties de la révolu tion populaire ne p or­
tèrent p o in t un caractère u n ifo r m e ; variées presque à
l’in fin i d’ une cité à l’autre, par des circonstances parti­
culières et locales, elles ne se ressem blèrent qu e par le
p rin cip e : toutes invariablem ent reposèrent sur le droit
de libre élection. Malgré cette m ultiplicité d é fo r m é s , on
;unir toutes sous trois classes générales :
vern em en t des notables1 et des prêtres form és
en sénat, n om m an t un ju ge ou Verÿobr&L*, investi du droit
de vie et de m ort sur tous les citoyens 3. Ce qui con tre­
balançait cette dictature redoutable, c’est que le V ergo-
bret était a n n u e l4 ; q u ’ il ne pouvait pas sortir des lim ites

1. Principes, potentiores, nobiles, optimates, équités.


2. Ver-go-breith (g a e l.) , homme pour le jugement. Vergobretum
appellant. Cæs., Bell. Gall., i, 10.
3. Vitæ necisque in suos habet potestatem. Id ., ibid.
4. Creatur annuus. Id., ibid. ;
de la cité, q u ’il ne devait avoir eu dans sa famille aucun
V e rg o b r e f encore viva n t; q u ’aucun de ses proches ne de­
vait siéger dans le sénat pendant la durée de sa ch a rg e ';
enfin q u ’il y avait, dans les circonstances im portantes,
u n ch e f de gu erre n on m oins puissant que lu i, et nom m é
par la m ultitude. Les Édues avaient adopté cette consti­
tu tion 2.
G ouvernem ent des notables, form és en sénat souve­
rain, ou élisant des chefs civils ou m ilitaires, tem poraires
o u v i e 3.
(Jîy Démocratie pure, où le peu ple en corps n om m ait
soit des sénats souverains, soit des magistrats et des rois, et
o ù , suivant l’expression d’ un de ces petits rois p op u ­
laires, la m ultitude conservait tou t autant de droits sur
le ch e f que le ch e f sui la m u ltitu d e 4.
Il est im possible de f u e r avec exactitude l’ époqu e où
ce grand m ou vem en t se fit sentir dans ch acun e des ci tés
de la Gaule ; tout ce q u ’on sait, c’ est qu’ il com m en ça par
les nations de l’ est et du m id i, et q u ’au m ilieu du pre­
m ier siècle, il avait déjà p arcou ru la Gaule entière, mais
sans y être partout égalem ent con solidé. La nation des
Arvernes est la seule sur laquelle on puisse in d iq u er
deux dates uu peu précises. L’ an 121 avant notre ère,
elle était g ou vern ée par un roi, fils de r o i; vers l’ an 60,
les magistrats et le peuple arvernes condam naient au
su p p lice du feu un n oble arverne, cou pable d’avoir at­

1. Excedere ex finibus non liceret... duos ex una familia, vivo utro-


que, non soluui magistralus creari (leges) vetarent, sed etiam in senatu
esse prohibèrent,,. Gæs,, Bell Gall., vu, 33.
2. id ., ib id ., yas??îm ,
3. Id ., ib id ., passim.
4. Sua esse ejusm odi imperia, ut non minus haberet juris in se mul-
titu d o, quam ipse in multitudinem . Id ., ibid., v , 27.
tenté à la libel lé p u b liqu e, et vou lu rétablir le régim e
proscrit et abh orré des rois.
Tout le système politique d e là Gaule reposait sur l’es-
p n U T assocïation . De m êm e que des individus clients se
grou paien t autour d’un patron, de petits États se décla­
raient clients d’ un État plus puissant, et s’engageaient
sous son patron age; les États égalem ent puissants s’al­
liaient.ensuite et se fédéraient entre eux. Des lois fédé­
rales invariables et u niversellem ent recon n u es réglaient
les rapports de tous ces États grands ou petits, fixaient
les services m utuels, déterm inaient les droits et les de­
voirs.
Un peuple con q u is par les arm es devenait sujet et
était enclavé com m e tel dans' les frontières du peuple
con q u éra n t; il lu i payait tribut, il en recevait des lois,
et lu i fournissait des otages perpétuels en garantie de sa
fidélité.
Au-dessus de la con d ition de sujet était celle de client.
Le peu ple clien t reconnaissait le gou vern em en t du peuple
qu ’ il avait ch oisi p o u r p a tro n ; il ne prenait et ne dépo­
sait les arm es que par son ordre ; il n ’avait d ’am is que
ses am is, d ’ en nem is qu e ses en n em is. En retou r il ex i­
geait de lu i u ne p rotection entière au dehors, et de
grands m énagem en ts dans les rapports d’adm inistration
in térieu re. Les liens de la clientèle n ’étaient pas indis­
solubles, et les États clients pou vaien t, p o u r raisons
graves, aban d onn er un patron ou trop faible ou trop
tyrannique : ces désertions, lorsq u ’elles étaient n o m ­
breuses, bouleversaient subitem ent tout l’équ ilibre p o li­
tique de la Gaule.
D eux peuples égalem ent puissan ts, et placés au m êm e
rang de la h iérarch ie fédérale, m ettaient qu elqu efois en
co m m u n leurs intérêts, leurs lois, leur gou v ern em en t;
ils devenaient frères1, suivant l’ expression con sacrée; c ’é­
tait l’alliance la plus in tim e et la plus sainte. Des motifs
d’u n e extrêm e gravité pouvaient seuls légitim er entre
eu x u n e ru p tu re ; m ais quelle que fût la dissidence de
leurs op in ion s, au m ilieu de l’anim osité des guerres ci­
viles, ils n ’ou bliaien t jam ais que des liens sacrés les
avaient jadis u n is, et qu’ ils avaient éch a n g é le n om de
frères s.
Les petites confédérations se liaient entré elles le plus
ord in airem en t par de sim ples traités offensifs et défensifs.
A des intervalles réglés, les cités de chaque confédé-
ration envoyaient des députés à u ne assem blée particu­
lière qu i s’occu p a it des affaires de la con fédération. Des
assem blées générales de toute la Gaule avaient lieu aussi
en certaines circon stan ces, et toutes les cités sans excep ­
tion devaient s’ y faire représenter.
Chaque m em bre adm is dans ces assem blées s’ ob li­
geait par serm en t â garder le plu s p rofon d silence sur
les m atières mises en d élib éra tion ; l’ indiscret et le traître
eussent en cou ru un châtim ent rig ou reu x .
Dans qu elqu es cités, les magistrats étouffaient, par
des p récau tion s sévères, les rum eurs fausses ou im p ru ­
d em m en t répandues qu i auraient pu agiter la m ultitude.
T ou t voyageu r ou étranger apportant d’ un autre lieu des
nouvelles q u i intéressaient la cité, devait les déclarer
d’abord aux magistrats ; et si le secret paraissait néces­
saire, il lu i était en join t de le garder sous des peines
graves
Au m ilieu de cette société troublée par tant d ’intérêts

1. Frutres, consanguiuei. Cæs., Bell. Gull., xi.


2. 1(1., ib id ., p::süitri
3. Id ., ib id ., vi, 2 ).
et de passions, o ù les m oindres in ciden ts avaient q u el­
qu efois une grande im portan ce, on avait im a g in é un
m oyen de corresp on d an ce aussi in g é n ie u x qu e rapide.
Les paysans occu p és aux travaux de la cam pagne se
com m u n iqu aien t la nouvelle en la criant de l’un à
l’ autre, et elle volait ainsi de b o u rg en b o u rg et de cité
en cité avec la rapidité du son ‘ . U n évén em en t passé à
Genabum des Carnutes, au lever du soleil, dans le m ois
le plus cou rt de l’an née, pouvait être co n n u à cent
soixante m illes de là, chez les Arvernes, avant la fin de
la p rem ière veille de n u i t a.
Voilà ce qu e n ous avions à dire sur les m œ urs, la re­
ligion , la politiqu e des nations gauloises, p o u r faciliter
l’intelligence des récits qui von t suivre. Nous com p léte­
ron s m aintenant ce tableau général de la Gaule transal­
p in e, au deu xièm e et au p rem ier siècle, en parlant de la
famille grecque-ioniem e, laquelle se com posait de Massalie
et de ses dépendances.

III. FAMILLE GRECQUE- IONIENNE.

Il faut qu e le lecteu r rem on te avec n ous en arrière


l’espace de quatre siècles, et q u ’il se rappelle par quelle
aventure Massalie dut sa fondation à l’ a m ou r d’ une jeûna
Gauloise p o u r un voyageu r p h océen ; quel rapide ac­
croissem en t la co lon ie naissante prit d ’abord sous le pa­

1. Ubi m ajor atque illustrior incidit res, clamore per agros regiones*
que significant, liunc alii deinceps excipiunt et proxim is tradunt. Cæs.,
Bell. Gall., vu, 3.
2. Quæ Genabi oriente sole gesta essent, ante primam confectam
vigiliam, in finibus Arvernorum audita sunt : quod spatium est m iliiu m
passuum circiter c l x . Id., ibid.
tron age des S ég ob rig es; puis ses guerres, ses dangers,
sa ru in e im m in en te, au m om en t où Bellovèse et la troupe
q u ’ il conduisait arrivèrent sur les bords de la D u ra n ce 1,
et com m en t leur assistance la sauva 2. A partir de cette
ép oqu e, les L igures, plus inquiets et plus occu p és des
bouleversem ents qui agitaient l’in térieu r de la Gaule
que de l’ existence de la petite ville grecqu e, la laissèrent
vivre et se relever en plein e sécurité.
Tandis que, dans u n recoin d’ une terre sauvage et
loin tain e, les colon s p h océen s éprouvaient ces alterna­
tives de b on h eu r et de revers, leur m étropole, à l’autre
bou t de la M éditerranée, se voyait réduite aux plus ex­
trêm es périls : Cyrus, ro i de Perse, con quéran t d ’une
partie de l’Asie-M ineure, faisait assiéger P h océe par Har-
pagus, un de ses lieutenants. Une résistance lon g u e et
h éroïqu e, tout en couvrant de gloire les assiégés, épuisa
enfin leurs dernières ressou rces; ils parlèrent alors de
se ren dre, et p o u r e x a m in e r , disaient-ils, les con d ition s
qu ’ Harpagus prétendait leur im poser, ils dem andèrent
et obtinren t u n e trêve de quelques h eures. Mais ce n ’é­
tait p oin t réellem en t p o u r un tel acte, h on teu x à leurs
yeux, qu ’ ils sollicitaient u n e suspension d’ arm es; et la
capitulation n’était qu’ un prétexte. Profitant de ce peu
d ’heures, ils tirèrent, à la liâte, des arsenaux et des han­
gars, tou s leurs navires, les m iren t à flot, y transpor­
tèrent leurs m eubles, leurs vivres, leurs fam illes, leurs
dieu x, et levèrent l’ancre. Quand les Perses im patients,
voyant la trêve expirée, rom p iren t les portes et se pré-
l ipitèrent dans la ville, ils ne trouvèrent plus que des
rues solitaires et des m aisons désertes et dépouillées

1. Voyez ci-dessus, liv. i, ch. i.


2. Ibid.
3. Herodot., i, IC i.
De P h o cé e , ies fugitifs firent voile p rem ièrem en t
vers C h io: ils vou laien t ach eter des Chiotes, qui en
étaient propriétaires, les îlots appelés OEnusses, situés
entre leur île et la terre ferm e. Ceux-ci, a n cien s rivaux
des P h océen s, en vieu x et om b ra geu x, les repoussèrent
sans pitié, tandis que les peuples du continent, qui re­
doutaient la ven geance d’ Harpagus, n ’osaient pas les
recevoir. Sans am is et sans refuge dans tou le l’Asie, les
P h océen s résolu ren t de gagn er les parages de l’ O ccident
et l’île de Corse, où, vin gt ans auparavant, ils avaient
fon dé la colon ie d ’Alalia \ sur la recom m an d ation d’ un
oracle.
P ourtant, avant de qu itter p o u r jam ais la m er et la
tci’re de leurs aï eux, ils vou lu ren t rev oir P h océe. Leur
flotte fit force de voiles et de ram es, entra à l’im proviste
dans le p o r t , et surprit la garnison en n em ie qui fut
massacrée : en un m o m e n t, tou t ce peu ple se dispersa
p o u r aller fou ler e n c o r e , en p leu ra n t, le foyer dom es­
tique, les tem p les, les places publiques-, au b ou t de
quelques heures il fallut repartir. Alors un des chefs
prit une masse de fer, la fit ro u g ir au feu, et la précipita
au fond de la m er : « Que n u l de n o u s , s’ écria-t-il, ne
« reparaisse dans ces m u railles, avant que ce fer ait
« reparu aussi, rou g e et ard en t, au-dessus des flots! »
Tous répétèrent après lu i le m êm e serm ent, en char­
geant d ’im précation s la tête des parjures. Mais à p ein e
com m en cèren t-ils à perdre de vue le port et la côte,
que leurs cœurs s’ém u ren t plus fortem ent. Vain eue enfin
dans ce d ern ier adieu, la m oitié d’ entre eux vira de b ord ,
et rentra sous le p oid s de ses p ropres m alédictions.

1. Herodot., i, IGo.— Sur le nom et l ’histoire de la colonie d’Alalia,


v .y. Diodore de Sicile, v, '13.
L’autre m oitié, inébranlable, continua sa route et aborda
dans I’îlé de C orse1.
Les P h océen s furent reçus en frères par les Alaliotes:
mais la Corse était in cu lte ; il fallut que cette p opulation
ém ig rée se procu rât de force sa su bsistance; et com m e
elle avait u ne flotte n om b reu se et bien a rm é e , elle fit la
piraterie. Ce m étier n ’avait alors rien de d ésh on ora n t4,
et au cu n e différen ce n ’ était e n co re établie entre les
entreprises de m er et les con quêtes sur la terre ferm e.
Pendant cin q an s, ils cou ru ren t tous les parages de
l’ Italie et de l’ Espagne, enlevant les c o n v o is , pillant les
cô te s , et troublant le co m m e rce des Étrusques et des
Carthaginois, qui se coalisèrent p o u r m ettre un term e
à ces ravages. Leur flotte c o m b in é e , forte de cent vingt
va issea u x , vin t p rov oq u er la flotte p h o cé e n n e dans les
eaux de la Sardaigne ; et q u oiq u e celle-ci n ’ en com ptât
qu e soixante, elle n ’hésita pas à accep ter le co m b a t3.
Il fut sanglant et a ch a rn é ; les Grecs restèrent vain­
q u eu rs; mais leur victoire m êm e les avait tellem ent
affaiblis, qu’ ils désespérèrent de p o u v o ir sou ten ir une
secon d e attaque-, ils s'em barqu èrent d o n c de nouveau,
et, se dissém inant par ban d es, ils allèrent ch erch er fo r­
tune soit du côté de l’Italie, soit du côté de la G au le4.
La plus con sidérable de ces divisions vint dem ander
asile aux Massaliotes. Par cet a ccroissem en t subit de
p op u la tion , de richesse et de force m aritim e, Massalie

1. H crodot., i, 165, 166.


2. Latrocinio maris, quod il lis temporibus gloriæ habebatur, vitam
tolerabant. Just., x l ii i , 3.
3. H crodot., i, 106. — Thucyd., 1 , 13. — Paus., x , 8.
4. Hcrodot., i, 167. — Strab., 1. vi, p. 252. — P lin., m , 5. — Gell., x ,
16. — Amm. Marc., xv, 19. — Scym n. Perieg., v. 185, 202, 2 1 1 .—
S olin ., 11.
s’éleva clu ran g de co lo n ie à celu i de m étropole, et m êm e
elle ne tarda pas à laisser loin derrière elle sa propre
m étropole, l’antique P hocée.
Des travaux h abilem ent d irig é s’ ren diren t Massalie
presque in expu gnable. Elle avait été construite, com m e
n ous l’avons dit, sur un petit p rom on toire attenant à la
terre ferm e dans une largeur de qu in ze cents p a s 2 : u n e
m uraille flanquée de tours, garnie d’ un fo s sé 3 et défen­
due en outre par une citadelle4, isola ce p rom on toire du
con tin en t, et, p rolo n g é e du côté de la m er, enveloppa
dans une seule enceinte toute la ville et le port. Le p ort,
vaste et de form e à peu près circulaire, était creusé natu­
rellem en t au m ilieu d’ un am phithéâtre de rochers,
regardant le m i d i5; des ouvrages faits de m ain d ’h om m e
le ren diren t plus régu lier et plus com m o d e ; on y élova
un grand arsenal et des chantiers6. La ville, co m m e n cé e
sur ces roch es en am phithéâtre, s’ agrandit successive­
m ent, et bien tôt cou vrit tout le p rom on toire de ses m ai­
sons de bois et de ch a u m e ; car les Massaliotes n ’en
eurent pas d’autres ju sq u ’à l’ époqu e de la dom in a tion
ro m a in e 7. Ils réservaient p o u r les édifices p u blics et

L â b o s e t o lim co n d it o r u m d ilig e n s
r-orm a m lo c o r u m a tq u e a rv a n a tu ra lia
E v ic it a r t e ...
Avieu-, Ora marit., v. ÏOO )f. -joqq
2. Civitas pene insula est. Avien., Ora. m arit,, v. 098, — Solis md
passibus terræ cohæret. Eum en., Paneg. Constant., 19.
3. Firmissimus et turribus frequens murus. E u m 9n .,loc. cit. -Vallis
altissima. Cæ s ., Bell, civ il., ir, I .
4. Cæs., Bell, civil., n, 1 et seqq. — Strab., 1. lv , p. 119.
5. Munîtissimo accincta portu in quem angusto aditu mediterraneua
refluit sinus. Eum en., Paneg. Constantin., 19. — 0-,acrpoeifeï Tcéxp<». Strab.,
1. iv, p. 179.
6. Newaoixot xat <5tc),o0ïijc-/). Strab., I. iv, p. 180.
7. Massiliæ animadverterepossum us sine tegu 1is,‘uibactacyitn palcis
terra, tecta. Vitruv., i, 1.
sacrés le m arbre et une espèce de tuile qu’ ils savaient
fabriquer, d’u n e légèreté si éton n a n te, q u e , plongée
dans l’eau, elle surnageait et flottait*.
Massalie fut gou vernée d’ abord par u n e aristocratie
h é ré d ita ire , peu n om breu se et a b s o lu e , en d’autres
term es, par une oligarchieï . Ces fam illes souveraines
étaient issu es, à ce q u ’il paraît, des fondateurs et des
p rem iers habitants de la c o lo n ie ; les P rotiad es, une
d’ entre elles, rem on taient à P rotis, fils d’ Euxène et de
la Gauloise Aristoxène ou P etta 3. Cette form e de gou ­
vern em en t ne subsista pas lon gtem ps. La paix extérieure
et le c o m m e rce , en enrichissant un grand n om b re de
citoyens, am enèrent u n e révolu tion. L’ oligarchie dépos­
sédée fit place à u ne aristocratie fon d ée sur le ce n s, à
une tim ocralie; ou, p o u r parler plus exactem ent, il y eut
eom prom is et alliance entre la puissance fon d ée sur des
droits héréditaires et celle de la fortune. Prem ièrem ent,
.es fam illes possédant un certain revenu ob tinren t l’ac-
îession de leurs aînés aux charges et dignités p u bliqu es;
ensuite elles l’ exigèren t p o u r leurs seconds fils4. Dans
tout cela , il ne fut p oin t question du p eu ple, dont les
droits et l’autorité restèrent sous la tim ocratie ce qu’ ils
étaient avant elle, c’est-à-dire com plètem en t nuls. « Bien
« q u ’à Massalie la puissance des notables citoyens soit
« équitable et d ou ce, écrivait C icéron dans le plus cé-

1. In Galliis Massilia, ubi lateres, quum sunt ducti et arefacti, projecti


natant in aqua. Vitruv., i, 3.
2. "O ra v ô )iy o t <7qjoopa 5><xtv ol èv x aiç Ti(xa?ç, olov èv Ma<7craX£a... Aris-
tot., P olit., v, 6.
3 . " E o n y è v o ; èv Ma<r<raXta à n b t o u àvô^t£>7cou (Eù^evotj) jjix P 1 vtvJÏTp«*>-
Tià o ai xa),ou{xevov* Iïp w T iç yà p èyÉVETO u îè ; EOÇévou x a i ’ApidTO^svTK. Id .,
Massil. resp., ap. Athen., xm , 5.
4. O l yàp (AT) (X£I£^ovt£; TÔjv àpycov èxtvouv, ecoç |XETÉXaêov, ol upea-Sux*
pet irpoxEpov Tcôv àSôX çw v, ü(>T£pov 6’ o l v£u>T£poi toxXiv. I d . , P o l i t . , V, 6 .
« lèbre de ses ouvrages politiques, pourtant la con dition
« du peu ple y paraît voisin e de la se rv itu d e 1. « Un peu
plus b as, revenant sur ce gou vernem ent, il le com pare
à ce qu ’avait été jadis dans Athènes la tyrannie des
tren te2.
L’ exercice de la souveraineté résidait dans u ne as­
sem blée dé six cen ls m agistrats3 n om m és Timouhhes; ils
étaient choisis, p o u r la v ie 4, parm i les fam illes possédant
le reven u d éterm in é; il fallait en outre q u ’ ils fussent
m a riés, q u ’ils eussent des e n fa n ts, et que leu r m aison
jo u ît du droit de cité depuis trois générations au m o in s 5.
Deux m em bres de la m êm e fam ille, par exem ple, deu x
frères, ou tin p ère et son fils , 11e pou vaien t siéger en­
sem ble au co n s e il6. On n e sait pas p ositivem en t c o m ­
m ent et par qui se faisaient les rem p la cem en ts; m ais le
peu ple n’ était p ou r rien dans l’ é le ctio n , et il est p ro ­
bable que l’assem blée elle-m êm e choisissait parm i les
candidats présentés par les fam illes. La loi qu i défendait

1. Si Massilienses, nostri clientes, per selectos ot principes cives


gumma justitia reguntur, inest tamen in ea conditione populi similitudo
quædam servitutis. C.ic., de R ep., i, 27.
2. Id., ib id .,i,2 8 . — Cicéron était loin de désapprouver cette nullité du
peuple dans le gouvernement républicain. 11 écrivit et parla toute sa vie
dans ce sens ; son idée favorite était la formation d’ une aristocratie tim o-
cratique du même genre que celle de M a s s a l i e . A u s s i ne laisse-t-il échap­
per aucune occasion d’exalter les institutions de cette ville. « Massalie!
« s’écrie-t-il dans son plaidoyer pour Flaccus, république admirable,
« qu’ il est plus facile de louer que d’imiter. »
3. ’Avôpcov x ’ «ruvéSptov. Strab., 1. iv, p. 179. — Sexcenti; id enim se-
natus liujus nomen est. Val. Max., u , 0. — Oi Êi;ax6<7iot. Lucian., Toxar.
siv. amicit. — GO: Tijxoûy.ovç y.oO.oüai. Strab., 1. îv, p. 179.
4 . A ià fjfou TaÜTrjv è y /m w v t Vjv xqA^v... Id., ibid.
5 . ToÛTtüV 8e elç T iix o ü ^ o ; où y ivexai p.rj Tc'xva e/a>v, (in]8fc 8 ià TpiYOvta;
ex t.o),itw v y^Ywvmç. I d . , i b i d .
6. Aristot., P olit., v, 6.
qu’ u n e fam ille pû t avoir deux de ses m em bres dans
l’assem blée des T im ou kh es avait été d irigée prim itive­
m en t con tre l ’oligarch ie, et elle fut, à ce qu’ il paraît, une
garantie suffisante p o u r la conservation du rég im e lim o-
cratique.
An sein de ce con seil su p rêm e existait un second
conseil com p osé de quinze m e m b re s1; et, au-dessus de
c e lu i-c i, un trium virat, en qui résidait ce qu e, dans le
langage p olitiqu e m od ern e, on appelle le pouvoir exécu­
tif-. Le conseil des quinze paraît n’ avoir été q u ’ une
com m ission des six ce n ts , ren ouvelée par intervalles,
dont les fon ction s consistaient ;'i expédier, p o u r plu s de
d ilig e n ce , les affaires cou ra n tes’ , et à présenter aux
délibération s du grand conseil celles qui se recom m a n ­
daient par leur gravité. Dans les con jon ctu res im p or­
tantes, telles que le cas de paix ou de gu erre, c ’ étaient
les quinze, et n on les trium virs, q u i traitaient avec l’en ­
n em i , et tou jou rs d ’après les in stru ction s et sous la
sanction de l’assem blée g én éra le4. Nous avons dit que
le peu ple était déshérité de toute participation au gou ­
vern em en t; cepen dan t son n om , le m ot Demos, se lit sur
qu elqu es in scrip tio n s5, ce qui p ou rrait faire présu m er
qu ’ il exerçait, en certains c a s , u n e action collective et
pu bliqu e. Il y aurait erreu r : Demos désigne évidem m ent
dans ces m on u m en ts, ou la cité tou t entière, ou les p ou ­
voirs politiques réunis. Une seule révélation n ous est

1. IUvTsy.aî8exà eîiri toù «TWESpCou irpoEorwisc. Strab., 1. iv, p. 170. —


Q n in d c c i m p r im i. C æ s ., B e ll, c i v . , i , 3 5 .
2. l i a ) r.v Sè t ü v irEVTExai'Sexct w poxâOriVTat T pE tç ol tcXeüttov ia^üovTeç,
Strab., 1. iv, p. 179.
3. Toü-ot; Se là itpô^Eipa ôimxEÎv Ss'Sotat. Id., ibid.
i . Cæs., B ell, civ., i, 35.
5. Grosson, p. 143 et seqq. — Spon, Miscoll. erud. ant., p. 350.
faite sur la con d ition de la masse p léb éien n e, c fcest qu’ elle
était divisée en trib u s1.
Les Massaliotes conservèrent la législation ion ienn e,
n on pas toutefois sans quelques ch a n g em en ts2. Cette
législation n ous est p eu con n u e ; mais on y peut rem ar­
quer, co m m e dans toutes les institutions aristocratiques,
un grand caractère de m odération, ainsi que cette appa­
ren ce séduisante d ’ égalité sociale, q u i dissim ule et sauve
l’inégalité politiqu e.
Des tables d’airain ou de m arbre con ten ant le texte
des lois étaient exposées en p u b lic 3, afin que ch aque ci­
toyen pût con naître ses devoirs et ses droits, et ten ir l’œil
sur ses magistrats. De m êm e qu e la plupart des légis­
lations grecqu es, celle-ci infligeait deux p ein es graves,
l'infamie * e lla m o r t . L’infam ie était, com m e on sait, une
espèce d’ excom m u n ica tion politiqu e et civ ile ; elle en­
traînait avec elle la con fiscation des biens et la dégra­
dation de la noblesse et des h on n eu rs p u blics. Sous le
poids de cet arrêt terrible, mais dont la tache pouvait
s’ effacer, u n e fam ille, rich e et puissante h ier, au jou r­
d ’h u i setrouvaitpauvre, m endiante, ren iée de ses proch es,
repoussée m êm e par la plus vile pop u lace : tel était à
Massalie le sort des magistrats prévaricateurs. Une anec­
dote curieuse et touchante, que n ous a transm ise le Grec
L ucien , exposera plus com plètem en t au lecteur la situa­
tion du Massaliote déclaré infâme, et fera connaître
en passant quelques traits de la vie sociale et du carac­
tère de ce peu ple :

1. *H TEYTAAEQN <Ï>ÏAH. Inscript, ap. Spon, M iscell., p . 3 4 9 .—


Spanh., de Præst. et usu numism., I, p. 574.
2. Strab., 1. iv, p. 1 7 9 .— Val. Max., n , 6.
3. Oivo|jtoi ’l a m x o î, Tipôxeivxai Sè 8vj[AocxiGf. Strab., 1. iv , p. 179.
4. ’A-i-'/’ a.
« Je m e trouvais en Italie, chargé d’ une m ission de
« m es com patriotes, dit le spirituel narrateur, lorsqu’ on
« m e ût rem arqu er un h o m m e beau, d’ une laille m ajes-
« tueuse, d on t les m anières et l’ entourage annonçaient
« l’op u len ce. Il voyageait; et près de lui était assise dans
« le ch ar u n e fem m e difform e de visage, paralysée de
« tout le côté droit du co rp s, b o rg n e ; en u n m ot, un
« m onstre, u n véritable épouvantail *. Surpris, je dem an-
« dai com m en t il se pouvait faire q u ’un tel h o m m e se fût
« ch oisi une telle fem m e. Alors celu i qui m e les avait
« m on trés m ’expliqua l’ origin e et les raisons de ce m a-
« ria g e; il connaissait parfaitem ent toute la chose, étant
« Massaliote ainsi que les deux voyageurs.— Cet h om m e-ci,
« m e dit-il, est de Massalie et se n o m m e Z énothém is, fils
« de C harm oléus. Une vive et étroite am itié l’ unissait au
u père de cette fem m e si laide, appelé Ménécrate : tous
« deu x étaient égalem ent riches, égalem ent élevés en
« dign ité. Il arriva que M énécrate fu ta ccu sé d’avoir rendu
« u n e sentence in iqu e2 ; les six cents le ju gèren t, et le re-
« con n u ren t coupable. Déclaré infâm e, on le dégrada, et
« on le dépouilla de ses b ie n s; car c ’est le châtim ent dont
« on punit, dans m a patrie, les ju g es corrom p u s. Méné-
« crate déplorait sa condam nation ; il déplorait cette pau-
« vreté qu i avait su ccédé si rapidem ent à sa richesse, cet
« op p robre à sa noblesse et à ses h on n eu rs. Mais ce qui,
« sur toutes choses, lui déchirait l’âm e, c ’est qu’il en-
« traînait dans sa m isère u n e fille déjà nubile, pu isqu ’ elle

1. IlapsxàÔYiTO 8s a'jTw yuvr) è-rci Çeuyou; ôSotTtopoüvn, Taxe àXXa


xai Çripa xà t è ôeljiôv, xai tôv èyOaXjiôv èxxexofA(jivY], itav).û>ëriTOv xi
xai àTtpoo-iTov p.opp.oXux£Îov. Lucian., Toxar. siv. amicitia.
2 . X p ôvw 8s 6 M svsxpâxïiç àçiflpsâï) tïjv oùcriav Èx xaxaôtxYiç, Sxs Ttepxai
gcti(j.oç è-j-évîTo (m o t ü v éÇaxoaiw v, w ? à 7coyr)vs|j.svo; Y v iip iv « a p à v o n o v . Id.,
i b id .
« tou ch ait à ses dix-h u it ans; à p ein e, au tem ps de sa
« prospérité, avait-il espéré de lui faire ép ou ser quelque
« h om m e bien né, q u oiq u e pauvre; car elle était hideuse
« à v oir : on disait m ôm e q u ’ elle tom bait du haut mal
« vei's la croissance de la lu n e l .
« Z énothém is n’ avait pas aban d onn é son a m i; il écouta
« ses plaintes et essaya de le con soler. — Ne perds p oin t
« cou rage, lui dit-il, jam ais le nécessaire ne te m an-
« qu era, et ta fille trouvera un ép ou x dign e de sa nais-
u sance. il le prit ensuite par la m ain, le con duisit dans
« sa m aison, et partagea avec lui ses trésors : puis il
« com m anda un grand souper, où il convia tous ses am is,
« ainsi qu e M énécrate, auquel il fit entendre q u ’il s’o ccu -
« pait de m arier sa fille. Le repas finissait, et les pieuses
« libations avaient cou lé en l’ h o n n eu r des dieux, quand
« Z énothém is, rem plissant une co u p e , ta présenta à son
« m alheureux am i : — P rends cette cou pe, lui dit-il,
« prends-la de la m ain d ’ un g en d re, en signe de parenté
« et d ’alliance, car a u jou rd ’h u i j ’ épouse ta fille Cydim a-
« clié ; j ’ai reçu de to i autrefois v in g t-cin q talents pour
« sa dot. A ces m ots Ménécrate se récrie :— Non, Z énothé-
« mis, non, tu ne le feras pas ! Je n e suis pas assez insensé
« p ou r sou ffrir qu e to i, qu i es un beau je u n e h o m m e ,
« tu épouses une pauvre fille d isgra ciée.— Il parlait en
« vain ; Z én oth ém is avait saisi la m ain de Cydim aché
« et l’entraînait vers sa ch am bre : ils disparurent un
» instant; qu and ils revin ren t, elle était sa fem m e.
« l)e ce jo u r , il vit avec elle, l’aim ant par-dessus tout,
« et, com m e tu vois, ne la quittant jam ais. La fortu n e a
« récom p en sé sa constante et vertueuse am itié : cette
« fem m e si laide lu i a d on n é le plus beau des fils. Il n’ y

I. ’D iy s T O î î x x ! xsraxirfTî-rEtv, itp o ; iriv ffïÀjjvïjv ocù5avo[jivrçv. Lucian.,


Toxai'.
« a pas lon gtem ps que le père, prenant ce bel enfant dans
« ses bras, l’ apporta au m ilieu du con seil des six cents;
« il l’ avait co u ro n n é de bran ch es d ’ olivier et en velop p é
« d ’un vêtem en t n oir, afin d ’ inspirer p o u r l’aïeul une
« com m isération plus v iv e 1. Le petit suppliant souriait à
« ses ju g e s et leur battait des m ains. L’ assem blée tout
« entière fut é m u e ; et, levant la sentence qui pesait sur
« M énécrate, elle lu i ren dit ses dignités et sa fo rtu n e 2.
La législation m assaliote ne prod igu ait p oin t la pein
capitale. Un seul et m êm e glaive, depuis la fon dation de
la ville, servait à l’ exécu tion des crim in e ls; il était ron gé
par la rou ille et presqu e h ors de se rv ice 3. La vente du
poison était sévèrem ent interdite, et le su icide frappé de
réprobation ; n éanm oin s, dans certains cas, la m ort v olon ­
taire pouvait devenir in n o c e n le e tin ô m e légale. L’h om m e
qu i, se voyant p ou rsuivi par u n e adversité ou une pros­
périté trop opiniâtres, souhaitait de goû ter enfin le repos
ou de p rév en ir un revers in évita b le4, se rendait au co n ­
seil des six cen ts; là, il exposait son h istoire; il plaidait
les raisons q u ’il avait de m o u rir; il s’efforcait de tou ch er
la pitié des ju g e s, avec la m êm e chaleur qu e le con dam n é
prie p o u r sa vie. Le sénat exam inait el pron on çait. Si la
dem ande paraissait ju ste, il faisait d élivrer au réclam ant
de la cig u ë déposée en un lieu p u b lic, sous la garde des
m agistrats5; et alors l’h o m m e trop h eu reu x ou trop m al-

1. K a i T.Çjôrry y e , ir .ïi àpâu.evo; a-j-ro eitr£xô|ju<rev à itaxrip xà pouX eut^-


ptov, 6a> jü) èo-rip-névov, y.ai |ié).ava àjiTteyopevüv ü ; èj.eeivoxepov (paveir, Onèp
xoO t o — ou . L u c ia n ., T o x a r .
2. ‘II po'jJ.r 6’ ràiv.).a'j0sï<7a 7ipo; avxà, àçîïi ai xw Msvsxpàxei xr,v xaxa-
xai riô'O è m i i f i o ; ê<m. Id., ibid.
5 i x y |V,

3. A condila urbe gladitis est ib i, quo noxii jugulantur; rubigine


quidem exesus et vix suffirions ministerio. Val. Max., ii , 0.
4. Vei adversa, vel prospéra ni mis usus fortuna. Id., ibid.
5. Venenum cicuta temperatum publice eustnditnr, quod daiur ei qui
h eu reu x, à son ju g e m e n t et au ju g e m e n t de ses co n ci­
toyens, p o u r rester dans ce m on d e, pouvait en sortir sans
ig n om in ie et sans rem ords. « L oi excellente ! dit à ce su-
« jet u n poëte grec, p u isq u ’ elle dispense de m al vivre
« celui qui ne saurait vivre b ie n 1. »
Deux bières étaient placées en p erm a n en ce aux portes
de la ville, l’ une destinée aux m orts de con d ition libre,
sans d istin ction de ran g, l’ autre aux esclaves; de là,
elles étaient con duites sur des chariots au lieu de la sé­
pulture. On ne pleurait p oin t les m orts; les funérailles se
passaient sans lam entations, sans cris ; le deuil finissait
avec elles; un sacrifice d om estiqu e, suivi d ’un repas
entre les parents, com posait tou t le cérém on ial fu nèbre*.
Nul étranger ne pouvait entrer dans la ville avec des
arm es; il les déposait aux portes, entre les m ains des
gardes, qui les lu i rem ettaient à sa so rtie 3. L’ usage était
aussi de fermer, les portes les jou rs de fête, de m on ter la
garde, de garnir les rem parts de sentinelles, d ’avoir l’œil
sur les étrangers, en un m ot, de dép loyer, au m ilieu des
jo ie s de la paix, toute la surveillance d’ un état de g u e rre 4.
Les historiens rapportent cette institution aux prem iers
tem ps de la c o lo n ie ; ils la fo n t rem on ter ju sq u ’à cette
fête des fleurs, durant laquelle Massalie n ’échappa que par
m iracle aux em bû ch es du ro i Com an et de ses sept m ille

causas Sexcentis exbibuit, propter quas mors sit illi expetenda. Val.
M m ., n , 6.
K gc>.ôv to K yjwv v6[xiîj.6v <ï»avicc,
'O |iï) o\jvâ[X£voç Çîjv xa),wç, où l7] xaxwî.
Menandr. Fragm. — La même loi ütait aussi en vigueur dans l’Ile de
Céos, du temps de Valère-Maxime (n, 7).
2. Val. Max., u , 7.
3. Id., il, 9.
4. Festis diebus portas claudere, vigilias agere, stationem in mûris
observare, peregrinos recognoscere, curas habere, ac veluti bellu.-n ha-
beant, sic urbein pacis temporibus custodire. Just., x l iii , 4.
S ég ob rig es1. Ce qu i est certain, c’est que de telles pré­
cautions n ’avaient rien de superflu dans le voisinage de
tant de tribus belliqu eu ses et en nem ies, don t les IVlassa-
liotes avaient tou jou rs à craindre qu elqu es surprises.
La loi con cern a n t les affranchissem ents était peu h u ­
m aine, et laissait au m aître un droit presque in d éfin i sur
l’ esclave libéré. On pouvait révoqu er ju sq u ’à trois fois
successives la liberté qu’ on avait con céd ée à son esclave,
sous prétexte qu ’ on s’ était trom p é ou que celu i-ci m an­
quait de reconnaissance. La quatrièm e m an u m ission
était pourtant ir r é v o c a b le , m o i n s , il est v r a i, p ou r
que la con d ition du m alheu reu x affranchi fût enfin
garantie, que p ou r châtier le maître de son inconstance
ou de son irré fle x io n 2.
Les Massaliotes se recom m a n d a ien t gén éralem en t par
un caractère affable, une vie tem pérante, des m œ urs
h onnêtes et graves. L’am itié était à leurs yeux la pre­
m ière des vertus. Pendant longtem ps une loi som ptuaire
lixa à cent écus d’ o r la dot la plus rich e et à cin q la plus
rich e parure d ’ une fe m m e 3. Les fem m es ne buvaient
pas de v in 4. Les spectacles des m im es étaient sévèrem ent
p roscrits5 com m e p ern icieu x à la m orale. Avec n on m oins
de rigu eu r on repoussait ces m agicien s et ces prêtres
m endiants qui, p o u r n ous servir des paroles d ’un écri-

t. Just., x u ii, 4. — Voy. ci-dessus, livre i, ch. 1.


'1. Très in eodem manumissiones rescindi permittunt, si ter ab eodcm
deceptum dominum cognorerint : quarto errori subveniendum non pu-
tant, quia sua jam culpa injuriam accepit, qui ei se toties objecit. Val.
Max., h, 6.
3. 'H (ie-yi'ffxvi it p o t ? a & ïo t ç è<jxlv é x a x o v x p u a o ï . . . y .x i tovts e îç x P UITOùv
Strab., 1. îv, p. 181.
4. notpà Mao-t-aXiwTOi; â » .o ; v o jio ;, toc; Yuvatxaç ûSpoTtoTeïv. Athen., x,
8. — Æ lian., Var. hist., n, 38.
5. Val. Max., h , 6.
vain rom ain , «p a r faux-sem blant de relig ion et sous le
« m asque d’ une superstition m enteuse, circu laien t de
« ville en ville, engraissant leu r p a resse1. » Un seul m ot
fera connaître de quel haut degré d ’estim e la nation mas-
saliote jo u it lon gtem ps à l’ étranger. D eux siècles avant
notre ère, à l’ ép oqu e de la secon d e guerre p u n iq u e, l’ex­
pression mœurs de Massalie était proverbiale à R om e p o u r
sign ifier l’idéal de la gravité, de la fidélité, de l’ h o n n ê ­
teté2. Quatre cents ans plus tard, le m êm e proverbe su b­
sistait en core, mais sa signification avait b ien c h a n g é ; il
réveillait alors l’ idée de ce q u ’il y a de plus h on teu x dans
les excès de la co rru p tio n 3. Ce peu ple fut d u rem en t p u n i
du m al qu ’il attira sur la Gaule. En se ravalant au rôle
d’instrum ent des Romains, en corrom pan t, en asservissant
ses voisins au profit d’u ne tyrannie étrangère, il perdit
tout, sa puissance, sa liberté, ses m œ urs : Massalie, de­
venue ville rom aine, fit ro u g ir la R om e d ’ Héliogabale.
Trois grandes divinités d om in a ien t tout le culte m as-
saliote, et, p rotectrices de la ville, avaient leurs tem ples
dans la citadelle; c’étaient Artémis ou Diane l’Éphé-
sienne, A pollon D elphinien et M inerve, appelée par les
Grecs Athènè 4.
La Diane d’ Éphèse n ’était p oin t une création du p o ­
lythéism e g r e c ; elle tirait son orig in e des religion s sym­
boliqu es de l’Asie, don t on l’avait su rn om m ée la Grande
Reine. Elle représentait la nature, et ses im ages, co u ­

1. Om nibus autem qui per aliquam religionis simulationem alimenta


inertiæ quærunt, clausas portas habet, et mendacem et fucosam super-
stitionem submovendam esse existimans. Val. Mux., ir, G.
2. U bi tu e s , qui colere m ores raassilienses postulas?
Plaut., Casin., act. 5 , sc. 4.
3. Athen., xir, 5. — Suid., t. I, p. 695, 869.
4 . ’E v oéxpcc tô ’Eçeo-iov l'SpuTOti, x a i to tou A é X çm o u ’AuoXXtovo;
ï»pov, Strab., 1. iv, p. 179* — Arx Minervæ. Just., x liii, 5.
vertes de m am elles et de form es variées d’ anim aux, figu ­
raient cette puissance m ystérieuse éternellem ent o c c u ­
p ée de créer et de n ou rrir ; son culte était secret. On a
vu ci-dessus com m en t il fut in trodu it à Massalie par
l’ É phésienne Àristarché, qu i, avertie par un songe, suivit
la secon d e ém igration p h o cé e n n e dans les "parages de la
Gaule *. Diane avait d o n c présidé à la naissance de Mas­
salie; aussi eut-elle le p re m ie r ra n g parm i ses divinités
nationales. Son tem ple fut construit sur le m od èle du
grand tem ple d’ Éphèse, et son culte p rescrit à toutes les
colon ies massaliotes, con fo rm é m e n t au rite é p lié s ie n 2.
Aristarché rem plit ju sq u ’à sa m ort les fon ction s de prê­
tresse de la déesse; et après elle, les Massaliotes con ti­
n u èren t à tirer soit d’ Éphèse, soit de P h océe, les fem m es
qu i devaient o ccu p e r ce su prêm e sa cerd oce3. Il parait
que Massalie était re g a rd é e , m êm e en Asie, co m m e un
des sièges les plus h onorables et les plus lucratifs du
culte de D iane; car u ne in scription n ous m on tre une
archiprêtresse d ’un des tem ples d’ Éphèse ne dédaignant
pas d ’aller au delà des m ers desservir la colon ie p h o­
c é e n n e 4. S’il faut en croire Strabon, ce fut Massalie qui
eut l’ h on n eu r in signe d’in itier R om e aux mystères de la
Diane d’ É ph èse6.
La secon de place dans la h iérarch ie des divinités
m assaliotes appartenait de droit à Minerve ; car si Diane
avait veillé sur le berceau de la c o lo n ie naissante, Mi­

1. Voy. ci-dessus, livre i, ch . 1.


2. Strab., 1. iv, p. 179, 180.
3. Celeberr. inscript, ap. Spon, Miscell. erud. ant., p. 340. ’Apx1- •
p eta v ’Aat'a; v i o u to ü i v ’E ç é s i p T tpvxaviv <7TSçavï)<p6pov 8 iç x a i ié p e ta v M w -
[J a ) :a ç ...

4. Inscript, sup. cit.


5. Strab., 1. iv, p. 180, cum not. Casaub.
nerve aussi l’avait couvert de son é g id e ; et vo ici à quelle
occasion . Dans une des n om breu ses guerres que Massa­
lie eut à sou ten ir con tre les Ligures, et don t le détail ne
n ous est pas resté, le ro i C atum and1, à la tête d ’une for­
m idable arm ée, en faisait le siège et la pressait vive­
m ent. A ucun «ffo rt h u m a in ne pouvait plus la sauver,
lorsqu e Catumand eut, dit-on, une vision : une fem m e,
don t l’ aspect était m ajestueux, mais terrible, lui apparut
pendant son som m eil : « Je suis déesse, lu i dit-elle d ’ une
« voix irritée, et je p rotège cette v ille 2. » Dès le p oin t
du jou r, C atum and, tou t trou blé de ce rêve, s’em pressa
d 'offrir la paix aux M assaliotes; il dem anda aussi q u ’il
lui fût perm is d’ en trer dans la ville, p o u r en adorer les
dieu x. Au m om en t d o n c où il mettait le pied sur le
seuil de la citadelle, il aperçut sous le portiqu e cette
m êm e figu re que la frayeur avait si p rofon d ém en t em ­
prein te dans son souvenir. « C’est elle! s’écria-t-il, voilà
« celle que j ’ ai vue cette nuit, et qu i m ’a o rd o n n é de
« lever le siè g e 3! » Détachant alors son collier d’ or, il le
passa au cou de la déesse, et après avoir vanté le b on ­
h eu r des Massaliotes o b je t d ’une si haute et si vive p ro ­
tection, il fit avec eu x une alliance durable.
Apollon, su rn om m é Delphinius ou D elp h in ien , était
la troisièm e grande divinité des Massaliotes. Tout ce que
nous savons de lu i, c’ est q u ’ il présidait à la m er et à la
n avigation, et que son culte florissait dans plusieurs
villes com m erçantes de l’ A sie-M ineure4. Massalie, com m e

1. Dux consensu omnium Catum andusreguluseligitur. Ju st.,xt,m , r>.


2. Per quietem specie toryae mulieris, quse se deam dicebat, exterri-
tus. Id., ibid.
3. Illam esse quæ se nocte exterruisset ; illam quæ recedere ab o b u -
dione jussisset. Id ., ibid.
4. Otf. M illier., Æ ginet., p. 150 et seqq.
tou s les États grecs de q u elqu e im p o rta n ce , avait à
Delphes un trésor p articu lier où étaient déposées scs
offrandes à A pollon P y th ien 1; et com m e A thènes, la
m étropole des cités io n ie n n e s , elle se souillait d’ une
superstition barbare q u i paraît se rapporter au culte de
ce d ie u 2. Chaque fois que la ville était attaquée de la
p e s te , un pauvre se présentait p o u r être nourri, toute
u n e an née, d élicatem en t, aux frais du trésor p u b lic. Ce
tem ps écou lé, on le cou ron n a it de verveine, on le c o u ­
vrait de vêtem ents sacrés, et après l’ avoir p rom en é par
les rues et les places publiques, en le chargeant d’ exé­
crations, afin que tous les m aux de la vilie retom bassent
su r lui, on le précipitait à la m e r 3. La relig ion des Mas-
saliotes admettait en core la plupart des grandes divinités
du polythéism e g r e c 4, mais rien de p articulier ne nous
est con n u sur le culte qu’ on leur rendait.
De b o n n e h eure, les lettres et les scien ces jetèrent
su r cette rép u bliqu e u ne brillante lu m ière. La littérature
g recq u e dut à des gram m airiens massaliotes une des
p rem ières et plus correctes révisions des poèm es h om é­
r iq u e s 8. Travailler p ou r H om ère était, aux yeux de Massa­
lie, u n e œ uvre en qu elqu e sorte n ation ale; car la colon ie
p h océen n e devait sou ten ir les prétentions de sa m étropole

1. Just., xuii, 5.
2. Meursii Græc. fer. — Otf. M üller., Orchom ., p. 106 et seqq. —
Id ., Dorier, t. I, p. 326 et seqq. — Tzetz., Chiliad., v , 25.
3. Massilienses quoties peste laborabant, unus ex pauperibus se offe-
rebat, alendus anno integro publicis et purioribus cibis. Hic postea, or-
natus verbenis et vestibus sacris, circumducebatur per totam civitatem
cum execrationibus ut in eum recidereut mala civitatis : et sic de rupo
projiciebatur. Petron., Satyr., ad fin.
4. P lin., iv, 1. — Just., x u ii. — Consult. les inscriptions et les mon­
naies massaliotes.
5. W o lf., Proleg. in Hom er., p. clxxv.
au titre de véritable patrie du grand poëte. Les sciences
exactes et d ’observation, les m athém atiques, l’astrono­
m ie , la p h ysiqu e, la g éog ra p h ie, la m éd ecin e, y furent
cultivées avec autant d’ éclat q u ’en aucun lieu de la Grèce.
Le Massaliote Pythéas, con tem p orain d’Alexandre, déter­
m ina la latitude de sa ville natale d’après l’ om b re du
g n o m o n , et l’exactitude de ses calculs a surpris les
savants m od ern es1. 11 fut aussi le p rem ier qui constata
la relation des m arées avec les phases de la lu n e. O bscur
en core et sans fo r tu n e , P yth éas, par son infatigable
persévéran ce, trouva le m oyen d ’a cco m p lir un voyage
p rod ig ieu x p o u r son tem ps : il parcou rut dans toute leur
lon g u eu r les côtes orientale et occiden tale de l’ Europe,
depuis l’em b ou ch u re du Tanaïs dans la m er Noire, ju s­
qu’ à la presqu’île Scandinave dans l’océan du Nord. Il
est vrai que des récits exagérés, fruit d’ une im agination
qu i s’ enivrait de ses p ropres découvertes, ou qui, brû ­
lant de tout con naître et de tou t expliquer, tantôt ac­
cueillait des contes popu laires, tantôt s’ égarait dans des
hypothèses trop h a rd ie s, décréditèren t chez les anciens
les travaux et le n om de Pythéas2 : mais ceu x m ôm es qui
le p ou rsuiviren t avec le plus d ’am ertum e ne pu rent
s’ em p êch er de reconnaître son m érite et se parèrent
sans scru pule de ses dépouilles. La scien ce géographiqu e
a u jou rd ’h u i lu i ren d plus de ju stice. Il avait com p osé
un Périple du monde, et un Livre sur l’Océan; ces ouvrages

1. La différence avec les calculs modernes n’est que de quarante


secondes.
2. P olyb., xxxiv, 5, 10, et Strab., 1. h , p. 71 et. 75; 1. iv, p. 190. —
Cf. Bougainville, Mém. de l’Acad. des Inscript., t. X IX , p. 140 et
su iv.; D’Anville, ib id ., t. XXXVII, p. 436 et su iv.; Murray, Nov. Comm.
Societ. Gott,, t. VI, p. 59 -98; Mannert, Geogr. der Griech. und I!œ m .,
t. 1, p. 71 et seqq ,; Ucl<crt, Geogr., t. I, p. 112; t. II, p. 298 et suiv-
on t été perdus, à l’exception de fragm ents p eu n om ­
b r e u x 1. Tandis qu e Pythéas faisait le tou r de l’ Europe,
son com patriote Euthym ènes, auteur égalem ent d ’un
P é rip le 2, partait des colon n es d’ H ercule p o u r explorer
la côte d’A friq u e3. Toutes les scien ces applicables à l’art
nautique et à la construction des vaisseaux, la m écan iqu e
entre autres, avaient atteint chez les Massaliotes un très-
haut. degré de perfection 4.
En général ce peu ple possédait plutôt la finesse et la
rectitude p rop res aux découvertes scientifiques et à la
critique littéraire qu e cette verve d’ im agination q u i crée
les chefs-d’ œuvre des arts. Ni poètes, n i grands orateurs,
ni peintres célèbres ne sortirent de ses écoles. Sa part
fut belle n éa n m o in s, pu isqu ’ il a p rod u it deu x h om m es
dign es peut-être de p ren d re place à cô lé d’Aristote et
d’ E uclide, si le tem ps n ’avait pas effacé leurs titres de
gloire.
L ’habileté et le goût des Massaliotes clans le travail

1. On en compte vulgairement trois : 1° Orbis Periplus (Artemid., ap.


Marcian. Heracl., p. 03) ; 2° Terres Periodus (Apoll. Rhod-, iv, v. 7G1 ) ;
3» De Oceano liber (G em in., ap. Pctav., Uranol., p. 22). Les deux pre­
m iers probablem ent ne font qu’ un.
2. Marcian. Heracl., ap. Uckert, Geog., t. I, p. 235.
3. Euthymenes Massiliensis testimonium dicit : Navigari, in q u it,
Atlanticum mare. Sen., Nat. Quæst., iv, 2. — Plut., de Plac. Philosopli.,
iv, 1. — On attribue généralement h Euthymènes deux assertions dont
les anciens mêmes se sont moqués : la première, que les eaux de l’Océan
méridional sont douces, parce que la proximité du soleil leur donne une
espèce de coclion ; la seconde, que les inondations périodiques du Nil
proviennent des vents étésiens, qui refoulent pendant un certain temps
les eaux du fleuve vers sa source, puis, en cessant de souffler, les laissent
retom ber avec violence. Ces opinions, ridicules en effet, avaient été pro­
fessées par nombre de philosophes et de physiciens avant Euthymènes,
qui n’ a fait que les répéter. Cf. Uckert, Geogr., t. II.
4. n e p i T à ? ô p y a v o u o u a ; , x a l t ^jv v a u n x r iv T rapatnteuiiv. Strab., 1. i v , p.
180. — Nîjeç xa)(U7tXooîi<rai MtxdaxXiümxai. P olyb., iii, 95,
des m étaux sont assez p rou vés par leurs m édailles, gé­
néralem ent élégantes et pures. Elles étaient frappées au
coin ou fon du es en b ron ze et en a rgen t; ju sq u ’à ce m o ­
m en t, il n ’ en a été trouvé au cun e en o r 1. Leurs types
ordinaires étaient le lion et le taureau m enaçant, ainsi
qu e les têtes d’A pollon et de D ian e2.
Dès qu e Massalie se vit assez peuplée et assez forte
p o u r ne plus redou ter les attaques des Ligures, elle s’ap­
pliqua à étendre son co m m e rce et ses colonisations. Elle
trouvait les choses m erveilleusem ent préparées. Bornés
à leurs établissem ents du m idi de l’ Espagne, les P héni­
cien s et les C arthaginois ne visitaient plus qu e rarement
les eaux de la G aule; et U hode, en pleine décadence,
abandonnait les deux seules colon ies qui lui restaient
dans ces parages, R hodanousia, située près de l’e m b o u ­
ch ure occiden tale du Rhône, et Rhoda, en Espagne, à
peu de distance des P yrén ées3. Quant aux Étrusques,
leur puissance m aritim e était tom b ée : assaillis d’un côté

4. Cette absence complète de monnaie d’or est une singularité d’au­


tant plus remarquable, qu’on trouve une grande quantité de pièces mas­
saliotes fourrées, c ’est-à-dire fabriquées en mauvais métal recouvert
d’ une lame d’or ou d’argent : falsification qui prouve du m oins l’exis­
tence de la monnaie qu ’on avait intérêt à falsifier. Quelques savants, il
est vrai, attribuent la fraude aux Massaliotes eux-mêmes, et peuvent
s’appuyer du mauvais renom qu’avait chez les anciens la monnaie pho­
céenne, puisque or de Phocée avait passé en proverbe pour signifier de
l’or détestable, <I>wxctîç, 6vo,ua I0vou ç, x a i tô xâxwxov /p u t r io v . Hesych. —
Erasm ., Adag., p . 291. — Cf. Eckhel, Doctr. num ., t. I, p. 08 ; t. II, p.
535. — Mionnet, t. I, p. 07, et Suppl., t. I, p. 133. — Papon, p. 647.
— Grosson, p. 24-30. — Couche, p. 79, etc.
2. On peut consulter sur les médailles de Massalie un excellent cha­
pitre de la Numismatique de la Gaule narbonaise, par M. de la Saus­
saye.
3. Scym n., Orb. descript., v . 207. — P lin., n i, 4. — Steph. Ryz. —
Isid., Orig., xm , 21. U ieronym., Comm. epist. ad Galat., 3. — Strab.,
1. m , p. 141; 1. xiv, p. 957. — Rhoda, aujourd’hui Roses.
par la rép u bliqu e rom aine, de l’autre par les invasions
gauloises, ils n ’étaient plus occu p és que de la défense de
leurs foyers. Les Massaliotes héritèrent d o n c des d éb ou ­
chés créés par ces nations, et d om in èren t sans co n cu r­
ren ce sur toute la côte gauloise entre les Alpes et les Py­
rénées, et m êm e assez avant sur le littoral ibérien .
Livrées à la discrétion de cette puissante v ille 1, Rhoda
et R hodanousia préférèrent en être les alliées plutôt que
les sujettes; elles s’em pressèrent de reconnaître Massalie
p o u r leur p rotectrice et leur nouvelle m étropole. C’est
du m oin s ce qu e sem blent n ous révéler les types sym bo­
liques de leurs m édailles, où la rose, em blèm e de lîhode
et de ses colon ies, est placée ordin airem ent à côté du lion
massaliote. Q u elqu efois, par u n e a llégorie plein e de
p oésie et de grâce, cette rose est suspendue à l’ oreille de
Diane, com m e u n e parure précieuse qui em bellit la
déesse de Massalie et relève en core l’éclat de sa m a jesté2.
Progressivem ent, et tantôt par des concessions obte­
nues des in digèn es, tantôt à m ain arm ée, les Massaliotes
occu p èren t les points im portants du rivage ; ils y con stru i­
siren t des forts et des com ptoirs qui, p o u r la plupart,
devinrent des villes florissantes. Au temps de sa plus
haute prospérité, Massalie p rolon geait la ligne de ses éta­
blissem ents depuis le pied des Alpes m aritim es ju sq u ’au

1. TaÛTï)v |ièv o î v ol vcpiv xpaTOÛvTeç ëxTiuav


PoStot* (j-eO* o u ; èXôôvtsç £Ïç 'I6y]çi av,
Oi Ma<7<ra),iav y.TÎuavTE; ï<r/ov <I>uy.aetc.
S cym n., Ch. Orb. descript., v. 204, 205, 20G. — Strab., 1. m , p. 141;
1. xiv, p. 9G7. — Ptolem.
2. Grosson, Tab. 9 et 89. — Eckhel, Doctr. num ., 1.1, p. 70. — M ion-
net, 1.1, p . 48. — Cf. Creuzer, Sym bol., t. I, p. 115-118. — Je dois dire
néanmoins que 11. do la Saussaye (Numism. de la Gaul. narb.) combat
l’attribution de ces médailles à Rhodanousia, et les transporte à la ville
même de Rhode.
i grand p rom on toire qui porte a u jou rd ’h u i le n om de cap
Saint-Martin : de ce côté, elle s’enchevêtrait avec les co­
lon ies carthaginoises; de l’autre, elle touchait à la répu­
b liq u e rom aine. Le petit p ort d ’H ercule Monœcus1, sous
les derniers escarpem ents des Alpes, form ait à l’ est la tête
de cette ligne ; ensuite venaient Nicæai. dont le n om sign i­
fiait Victoire, bâtie sur la rive gauche du Var, après quel­
que com bat contre les Italo-L igures; puis en deçà du Var,
sur le territoire des G allo-Ligures, Antipolis3, destinée à
con ten ir les Décéates, les Oxybes et les Néruses; Atheno-
|p olisi, Olbia5, le petit fort de T a u r o e n t u m et Massalie.
A l’ ouest, entre Massalie et les Pyrénées, se trouvaient
Ilcraclæa Cacabaria7, q u i p a r a ît a v o ir été u n ancien
com p toir p h é n icie n ; Rhodanousia, don t nous avons parlé
précéd em m en t, et Agatha ou Agathe Tyeh'e8, Bonne-For­

1. 'O MovoExou ë/wv îepèv 'HpaxXéouç Movoîxou xaXou(iivou.


Portus Herculis Monœci : aujourd’hui Monaco. Strab., 1. iv, p. 202. —
Plin., ni, 5.
2. Nixata, aujourd’hui Nice. Strab., 1. iv, p. 184. — P lin., m, 5. —
T/.scluick. ad Mclani, i i , 5.
3. ’AviiiTo>,tç, aujourd’hui Antibes. — Strab., 1. iv, p. 180-184. —
Tzschuck. ad Melam, i i , 5, p. 466. — Ptolem ., n , 10.
4. Athenopolis Massiliensium. P l i n .,i n ,4 .— Cf. Tzschuck. ad Melam,
loc. cit.
5. ’O lgla, ajourd’hui Eaube. Strab., 1. iv, p. 180-184. — Scym n., v.
215. — Ptolem ., ub. supr.
0. TauposvTiov, Taupôeiç, Taupév-nov : Tauroentum , aujourd’hui h
Bras île Saint-Georges et de l’Êvescat. — Strab., 1. iv, p. 180-184. —
P tolem ., loc. cit. — Steph. Byz. — Castellum Massiliensium. Cæs., Bell,
civ., n, 4. — Cons. Marin : Mém. sur l ’ancienne ville do Tauroentum.
Avignon, 1782; — Thibaudeau : Mém. de l’Acad. de Marseille, t. III, p.
108; — et l’ excellente Statistique des Bouches-du-Bhône.
7. P lin., iv, 4. — Aujourd’hui Saint-Gilles. Hist. gén. du Langued.,
t. I, p. 4.
8. ’Aya0ïj et 'AyaOri T0/r,. Agatha. Strab., 1. iv, p. 180-182. —
Tzschuck. ad Melam, n, 5, 6, p. 487. — Scym n., v. 207, — Steph. Byz.
— Aujourd’hui Agde.
tune, construite à l’ em b ou ch u re de l’ H érault; enfin au
delà des Pyrénées, sur le littoral espagnol, Rhoda, Empo-
riæ \ Halonis2 et Hemeroscopium ou Dianium3, ainsi ap­
pelé d ’u n tem ple de Diane qui dom inait tout le p ro m o n ­
toire et la m er.
Les îles situées au large, à trois lieues du cap d’ Olbia,
et qu e les Massaliotes n om m aient Stœchades \ servirent
lon gtem ps de repaire aux pirates liguriens qu i infestaient
ce golfe ; Massalie dut s’en ren d re maîtresse p o u r la sûreté
de son com m erce. Sous la p rotection de quelques forts,
elle y form a des exploitations de cu ltu re 5 et des p êch e­
ries p o u r le c o r a il0. L’extirpation de la piraterie ligu­
rien n e lui coûta beau coup de tem ps et de fatigues, et ne
fut pourtant jam ais com plète.
T out en assurant ainsi, par tous les m oyens, la prospé­
rité de leur com m erce extérieur, les Massaliotes ne n é­
gligeaient pas le com m erce in térieu r; ils s’ étendaient
progressivem ent du côté de la terre ferm e, mais par des
con quêtes toutes pacifiques. De la libre volon té des in d i­
gènes, ils fondaient d’abord un com p toir dans quelque
ville gauloise ou ligu rien n e ; d’année en année le n om bre
de leurs agents s’y m ultipliait, et chacun de ces établis­

1. Emporiæ et Emporium. Strab., 1. m , p. 159, 160. — L iv., xxvn,


4 2 ; x x i, 6 0 ; xxxiv, 8. — Aujourd’hui Ampurias.
2. ’AXmviç. Stepli. Byz. — ’AXcovaî. Ptolem ., n , 6. — Alane. Mêla,
h, 6. — On ignore la position de cette ville.
3. Aujourd’hui Dénia. — ‘ H f/.spo(7xoratov et ’ApTqxtrrtov. Strab., l.iir,
p. 159. — C ic., Verr., i, 2, 3.
4. ÎTotyo;, ordre, rangée. Les anciens en comptaient c in q , trois
grandes et deux petites. Les grandes se nommaient Prote (aujourd’hui
Porquerolles), Mese (plus tard Pomponiana, et aujourd’hui Portecroz), et
Ihjpœa (aujourd’hui l’île du Levant). Strab., 1. iv, p. 184. — Schol. Apol­
lon ., iv, v. 553. — Plin., m , 5. — Mêla, n, 7.
5. Strab., 1. iv, p. 184.
6. Curalium Iaudatjssimutn circa Stœcbadas insiilas. Plin., xxxii, 2
sem ents devenait un centre de civilisation, d’où se p ro­
pageaient le goût des m œ urs de Massalie, l’intelligence
de sa langue et le besoin de ses m archandises. C’est ainsi
qu e Cabellio et Avenio, chez les Cavares, ressem blèrent,
à quelques égards, à de petites villes grecques, et purent
passer, aux yeu x de voyageurs superficiels, p o u r des co­
lonies m assaliotes1. Arelate su rtou t, si h eureusem ent
située, avait attiré dans son sein une m ultitude de ces
colon s trafiquants. On y parlait le g rec autant que les
idiom es in d ig èn es; l’antique n om d'Arlalh fut m êm e
ch angé par les n ouveaux venus en celu i de Thèlin'e2, qui
signifiait la nourricière, la féconde; mais cette d én om in a­
tion étrangère no prévalut p o in t; cllo n’ eut gu ère cours
qu e parm i les Grecs, et périt avec leur com p toir. Les
Massaliotes élevèrent des tours, p ou r servir de phare, à
la barre dangereuse du R h ô n e 3; ils construisirent aussi,
sur l’ île triangulaire qu e form en t ses b ou ches, un tem ple
à Diane, leur grande d é e sse 4 : c’ était une sorte de prise
de possession du fleuve.

1. KtxSeMtwv tcoXiç MaaaaXiaç. Artemidor. Geogr., ap. Steph. Byz.


— ’Aouevitov MauuaXiotç, npo; xô> i’ oSavç, Steph. Byz.
2 . 0 ï| M j, m a m e l l e .
T h e lin e v o ca ta su b p r io r i s æ c u l o ,
G r a io in c o le n to .
A v ie n ., O r a m a r it ., v . 682.
3. Strab., 1. iv, p. 184.
4. Kai 6r) xai vr\ç ’Eçeaîaç ’Apxé(/.i5oi; xàvxaüfla iSpunavro îepôv, xwP*ov
aTCoXaëovxsç, o noie? v^aov T a axop.axa xoü 7roxap.oü. Strab., 1. I V , p. 18i.
Aux possessions maritimes et continentales des Massaliotes, il faut joindre
encore les suivantes, dont l’importance était m oindre et dont la position
n’est pas bien certaine : Abanius (Steph. B yz.); Trœzene (Stepb. Byz.).
— Eustath. ad II., n , v. 500), aujourd’hui Tretz; Cyrenc (Steph. Byz.),
peut-être aujourd’hui Correns ou Covrens: Cilharista (P lin., m , 5. —
P tolem ., ii, 10), aujourd’hui la Ciolat; en Espagne, Mœnace; et quelques
îles sur les côtes gauloise et italienne. Cons. la Statistique des Bouchcs-
du-Uhône déjà citée.
Le R hône en effet, par la d irection de son cours et par
ses n om breu x affluents, était le grand véh icu le du co m ­
m erce avec l’ intérieur de la Gaule, et de là avec les Iles
Britanniques. V oici com m en t se pratiquaient, aux second
et p rém ier siècles avant notre ère, les com m un ication s
d’ une m er à l’ autre, à travers le continent. Les Massaliotes
avaient ren on cé de b on n e h eure à la com m u n ica tion -ma­
ritim e par le détroit de Gadès, soit à cause de la lon gu eu r
du voyage, soit à cause des obstacles qu’ opposaient les
colon ies carthaginoises : c ’étaient les in d igèn es bretons
qu i apportaient eu x-m êm es l’ étain et les autres articles
d’ échange sur la côte de la Gaule; et lorsque la m arine
gauloise arm oricain e eut pris un grand développem ent,
elle s’ empara de ce service d’ ex p orta tion 1. L’ étain était
déposé dans des entrepôts aux em b ou ch u res de la Seine,
de la L oire et de la Garonne. Là se rendaient les trafi­
quants massaliotes par plusieurs routes q u i coupaient du
sud-est au n ord-ou est tout le con tin en t de la Gaule. Tan­
tôt ils rem ontaient le Ilhône et puis la Saône dans une
certaine p ortion de son cours ; des transports par terre
les con d u isaien t en su ite à la Seine où ils s’ em barquaient
de n ou v ea u 2; chem in faisant, ils traitaient avec les in di­
gènes riverains. Une com m u n ica tion pareille était ou­
verte entre le R hône et la L oire. P ou r éviter m êm e le
trajet du R hône que les frêles bateaux massaliotes et gau­
lois ne rem ontaient qu’ avec b ea u cou p de tem ps et de
danger, u ne rou te de terre fut établie directem ent entre
la côte de la M éditerranée et la haute L oire, en traver­
sant les G éven n es3. La route par la L oire était la plus

1. Cæs., Bell. Gall., ni, 8. — Strab., 1. iv, p. 494. - Diod. S ic., V,


22-38.
2. Strab., 1. iv, p. 189.
3 . ’ E r a i S ’ £<7xiv y.ai ovaavàuX ovç 6 P oôav ôç, xivà t w v âvrsvOev ^ o p -
fréquentée de toutes ; sur les bord s de ce fleuve se trou­
vaient les p rin cip au x com ptoirs de la Gaule : N oviodu-
n um des Édues, Genabum des Carnutes et C orbilo des
Nannètes. Q uelquefois on rem ontait l’Aude à Narbonne,
puis un portage conduisait à la Garonne qu’ on descen­
dait ju sq u ’à B u rd ig ala 1 ; cette voie était plus courte que
les précédentes, m ais m oin s lucrative, à cause du peu
d’abon dance de la traite à l’intérieur. Enfin un service
de terre, organisé entre l’ Océan et la Méditerranée, se
faisait partie à dos de c h e v a l2, partie par ces m ulets du
R hône que leur force et leur in telligence avaient déjà
rendus fa m e u x 3; le trajet était de trente jours.
On peut se figu rer aisém ent l’intluence exercée par
le com m erce massaliote sur la civilisation des indigènes.
11 fallut que ces nations apprissent à connaître les m on ­
naies et les signes n u m ériq u es, par con séqu ent l’alpha­
bet du peu ple avec lequel elles étaient en relation conti­
nuelle et nécessaire. Des traités politiques du rent être
con clu s, des con vention s particulières passées entre les
gou vernem ents et les individus des deu x races ; et ces
écrits furent rédigés dans la langue des Massaliotes.
Aussi les Rom ains trouvèrent-ils les n om bres et l’alpha­
bet grecs em ployés m êm e parm i les tribus barbares du

Ttwv 7ueÇeij£T0a [xaM ov t a ï ç àp(j.a(jià£ai<;, Ôaa etç ’A pouepvoùç xojJuÇsxai x a i


t o v A £ t Y Y ip a 7 c o T a [ x o v , xaircep t o u P oôa v ou x a i t o u t o i ç 7r),Y )(7tàÇ ovToç èx ^ é p o v ç .
Strab., 1. iv, p. 189.
1. ’Ex Se Nàpêwvoç àvauXeïTai (xèv e-rci (xixpèv tw *ÀTaxr TteÇeueTai 8e
ttXéov èrcl tôv Fapovvav TtOTajjiov. Id., ibid.

2 . IIoXùç 8 è x a i ( x a a a i T e p o ç ) e x t y j ç B p e T T a v t x r j ; v i f a o v 8 ia x o [ x iÇ e T a i 7 r p o ;
t 9]v x a T a v T t x p ù x e i jx é v r jv T a X a ita v , x a i âià t y ) ç ^ e f f o y e i o u K eX T iX Y jç.& p ’ Ï t o k o v
U 7to t w v â[X7r6pa)v ày£Tai r c a p à t o ù ç M aaaaXicoTaç. Diod. Sic., v , 3 8 . — I l o -
peuOsvTeç ^(J-épaç w ç T p iàxov T a... I d . , v , 22 .

3. Claudian., Epigr. de Mulaibus gallicis.


n ord *. Ils trouvèrent égalem ent, ce qui les surprit davan­
tage, la cou tu m e de rédiger certains contrats en langue
h e llé n iq u e 8 ; mais ils attribuèrent faussem ent à une
in flu ence littéraire ce qui n’ était que de pure nécessité
com m erciale. Les érudits m odern es se sont perdus en
contestations et en suppositions ridicules sur ce fa it,
l’ un des plus sim ples de l’ histoire de la Gaule : com m e
si n ous n’ avions pas chaque jo u r sous les yeu x des faits
an alogu es; com m e si chaque jo u r nos gouvernem ents
et nos m archands ne traitaient pas, par écrit et dans nos
langues eu rop éen n es, avec des sauvages qui ign oren t
ces langues et l’ usage m êm e de l’ écriture.
Nous avons peu de chose à dire sur le com m erce
extérieur de Massalie. Dès sa naissance, elle se trouva
rivale de Cartilage, m oins, il est vrai, par son im portance
que par sa situation. L’ enlèvem ent de quelques barques
de pêch eu rs occasionna entre les deux répu bliqu es une
guerre q u i se term in a à l’avantage de la p rem ière ; bat­
tus dans plusieurs rencontres, les Carthaginois dem an­
dèrent la p a i x 3, et Massalie étala avec o rg u e il, sur ses
places, les dépouilles de sa superbe en n em ie 4. Il fallait
pourtant que la guerre ne fût pas très-sérieuse de la part
de C arthage; car Massalie, pendant b ien des siècles,
resta m éd iocre et in fin im en t au-dessous d’ elle. De la
lutte entre Carthage et R om e dala seulem ent l’ essor de
la colon ie p h o cé e n n e ; ce fut 1ère véritable de sa p ros­
périté et de sa grandeur.

1. Cæs., Bell. G a ll.,i, 29; vi, 14.


2. T à au|ië 6 ),ata 'EXÎ-r,vwT! ypâçeiv. Strab., 1. iv, p. 181.
3. Cai thaginiensium quoque exercitus, quurn bellum captis piscatorum
navibus ortum esset, sæpe fuderunt pacemque victis dederunt. Just.,
x u ii ,
5. — Cf. Strab., 1. iv, p. 180.
4. ’Avâturai 8’ iv TtoXet <jw/yà twv àxpoQ iviw v,., Strab., loc. cit.
Dans cette lutte, qui intéressait tou t l’ univers civilisé,
le rôle de Massalie était m arqué d ’avance : alliée natu­
relle de R om e, elle la servit avec chaleur et fidélité *. Ce
fut elle qu i, à l’ ap p roch e de la secon de guerre p u n iq u e,
avertit le sénat des projets hardis d’A n n ibal: elle reçu t à
différentes fois, dans ses m urs, des troupes r o m a in e s 2;
elle travailla p o u r les intérêts de R om e auprès des na­
tions gauloises. Par ses soins et à ses fra is, la vieille
route p h én icien n e qu i conduisait du pied des Alpes en
Espagne, fut restaurée en partie et garnie de born es m il-
liaires p o u r les étapes des lé g io n s 3. En outre, elle rendit
par m er à cette rép u bliqu e des services de tout genre.
P ou r appuyer, s’il se pouvait, cette alliance sur une
base plus ferm e en core que des services présents, les
Massaliotes im agin èrent de la vieillir : ils la reculèrent
de quatre siècles, la faisant rem on ter au berceau de leur
ville et presque au berceau de Rom e. De là un prétendu
voyage du m archand Euxène dans la ville aux sept co l­
lines, et un prétendu traité passé entre lui et le ro i Tar-
qu in l’A n c ie n 4; de là la relation n on m oins fabuleuse
d ’ un deuil général pris spontaném ent à Massalie, lors de
l’in cen d ie de R om e par les Gaulois, et d’ une collecte
pu b liqu e et privée faite aussitôt p o u r subvenir à la ran­
çon du Capitole 5. Un seul fait avéré in d iq u e quelques

1. strab., !. iv, p. 180. — P olyb., m , 95. — Cic., Philip., vm , 0, et pass.


‘2. Voy. ci-dessus, livre m , cil. 2.
3 . EeT T ifieiw T ca 8 t à Pco[j.aiwv £7U[j.5Àojç. Polyb., m , 3 9 . — Voy. ci-des­
sas, livre i, ch. 1.
4. Temporibus Tarquinii regis, ex Asia Phocensium juventus, ostio
Tiberis invecta, amieitiam cum Romanis junxit. Just., x l i i i , 3 ____Trogne-
Pompée, dont Justin n’a fait qu’abréger l’ouvrage, était, comm e je l’ai
déjà dit, originaire du pays des Voconces; il avait recueilli les traditions
massaliotes, et écrit d’après elles une partie des faits de son histoire
relatifs à la Gaule.
5. Quam rem domi nunciatam publico funere Massilienses prosecuti
rapports de bon voisinage entre ces deux villes antérieu­
rem en t aux guerres p u n iq u es: c’ est que le sénat, voulant
en voyer au tem ple de Delphes la dîm e du butin conquis
à Véies, obtint des Massaliotes, qui y possédaient un tré­
sor, que son offrande y serait d é p o s é e 1. Au reste, Rom e
ne s’ amusa p oin t à contester les prétentions historiques
de sa nouvelle alliée ; elle avait un besoin trop pressant
de ses services. Prenant d o n c à la lettre leur vieille am i­
tié, elle accorda à ses citoyens u n e place parm i les séna­
teu rs, dans les fêtes pu bliqu es et les représentations
théâtrales, et aussi l’exem ption de tout droit de naviga­
tion et de com m erce dans les ports de la ré p u b liq u e ! .
Les résultats de la secon de guerre p u n iq u e furent
im m en ses p ou r la colo n ie p h océen n e. Les établissements
carthaginois en Espagne étaient détruits, la Campanie et
la Grande-Grèce h orriblem en t saccagées et esclaves, la
Sicile ép u isée: Massalie hérita du co m m erce de tout
l’ O ccident. Durant et après la troisièm e guerre punique,
elle suivit en A friq u e, en G rè ce , en A sie , les Romains
con quéran ts. Partout où l’aigle rom aine dirigeait son
v o l , le lion massaliote accourait partager la p roie. La
ru in e de Carthage, la ruine de Rhode, l’ assujettissem ent
des m étropoles m archandes de l’Asie Mineure livrèrent à
cette ville le m on op o le de l’ O rien t; elle avait déjà celui
de l’ O ccident. Un instant, le com m erce de l’univers en ­
tier fut con cen tré dans ses m urs. Mais toute cette gran­
d eu r était factice, toute cette prospérité précaire ; Mas-

sunt, aurumque et argentum publicum privatumque contulerunt, aa


explendum pondus Gallis, a quibus redemptam pacem cognoverunt.
Just., X L III, 5.
1. L iv., v , 25. — Diod. Sic., xiv, 93.
2. Immunitas illis décréta et locus spectaculorum in senatu datu*.
Just., x u ii , 5.
salie le sentait bien. Afin de se prémunir contre des
revers inévitables, elle songea à conquérir pour son
compte ; elle voulut devenir puissance territoriale en
Gaule, comme la république de Carthage l’avait été en
Afrique et en Espagne. La narration suivante exposera
par quelles manœuvres Massalie essaya d’atteindre à ce
but, et quel en fut le résultat final pour elle et pour la
Gaule.
CHAPITRE II.

P l a i n t e s d e s M a s s a l io t e s au sén at d e R o m e co n tre le s L ig u r e s O x y b e s et
D é c é a t e s ; p r e m iè r e g u e rr e d e s R o m a in s da n s la G a u le tra n sa lp in e. —
N o u v e lle s p la in te s d es M a ss a liotes a u s u je t d e s L ig u r e s -S a ly e s ; C . S ex tiu s
so u m e t u n e p a r tie d e la L ig u r ie cisr h o d a n e ; fo n d a tio n d e la v ille d ’Eaux-
Sextiennes; c o m m e n c e m e n t d e la fra tern ité d e s É d u es a v e c les R o m a in s .—
L ig u e d é fe n s iv e d es A llo b r o g e s e t d es A r v e r n e s c o n tr e R o m e . — L e s A llo -
b r o g e s so n t v a in cu s p a r C n. D o m it iu s , le s A r v e r n e s p a r Q . F a b iu s M a x i-
m u s. — D o m itiu s s ’ em p a re d u r o i B itu it p a r tra h ison . — É ta b lis sem en t
d 'u n e province romaine tra n sa lp in e . — T ro p h é e s d e D o m itiu s et d e F a b iu s
d a n s la G a u le ; le u r t rio m p h e à R o m e . — A c c r o is s e m e n t p r o g r e s s if d e la
p r o v in c e . — L e s R o m a in s s ’ e m p a re n t d e s r o u te s d e s A l p e s ; h é r o ïs m e d e la
n a tio n d e s S tœ n e s . — D é fa ite d e C . C a ton p a r les S co r d is q u e s . — C rassus
c o n d u it u n e c o l o n ie r o m a in e à N a rb o n n e . — O rg a n isa tio n d ’u n e p r o v in ce
rom a in e .

L’an 154 avant notre ère, les em piétem ents des Mas­
saliotes sur la rive droite du Var soulevèrent les Ligures
Oxybes et Décéates à qui ce pays appartenait : ils inves­
tirent Antipolis et Nicæa ; et, com m e ils étaient en force,
le siège m archa vivem ent. Les deux villes allaient suc­
com b er, lorsque Massalie envoya à Rom e des ambassa­
deurs p ou r se plaindre des attaques des Ligures, exposer
la détresse de ses colon ies et dem ander du secours. Le
sénat accueillit favorablem ent le m essage ; il fit partir
aussitôt avec les ambassadeurs massaliotes trois com m is­
saires rom a in s, chargés d’ exam iner sur les lieux les
causes de la guerre, et de décider entre les combattants.
Le vaisseau qui les conduisait vint aborder au port
d’ Ægitna, ville oxybien n e très-voisine d ’Antipoiis.
A pein e le bruit se fut-il répandu dans Ægitna que des
députés rom ains arrivaient p ou r forcer les Oxybes à
mettre bas les a rm es, que tous les habitants cou ru rent
au port, afin d’ em p êch er leur débarquem ent ; mais Fla­
m inius, ch e f de la députation, était déjà à terre, occu p é
à faire descendre son bagage. Les Æ gitniens lui ayant
ord on n é de se rem barqu er et de sortir de leur p o r t , il
leur rép on dit avec m épris, et leu r rendit m enaces pou r
m enaces. Pendant cette altercation, quelques h om m es se
jetèrent sur son bagage p o u r le piller, ses esclaves résis­
tèrent, et un com bat s’ en ga gea : deux des Rom ains res­
tèrent cou ch és sur la place -, les autres, battus, firent
retraite vers la m er. Flam inius tira son épée1; mais m eur­
tri de coups, blessé m ê m e assez gravem ent, il rem onta à
grand’p ein e dans son vaisseau, fit cou p er les câbles des
ancres et s’ éloigna de la ville à toutes voiles '. Il alla se
faire guérir à Massalie, où rien sans d ou te ne fut négligé
p ou r exagérer les torts des Æ gitniens, les blessures du
député et les soins don nés à sa guérison.
Le sénat jeta de grands cris à cette nouvelle ; il déclara
qu e le droit des gens avait été in d ign em en t v io lé , et
qu ’une vengeance exem plaire devait être tirée des Oxy­
bes et des Décéates, q u oiq u e le crim e fût u niqu em en t
celui des habitants d’ Æ gitna. Les légions destinées à cette
guerre se rassem blèrent en toute hâte à Placentia, sous
la con duite du consul Q. O pim iu s, et de là, en suivant
l’Apennin et le littoral du g o lfe , elles se ren d iren t dans
le pays des Oxybes, sur les rives de l’Apron. Elles y atten­
dirent l’ arm ée ligu rien n e qu i se réunissait dans les m o n ­
tagnes; m ais, com m e celle-ci tardait à paraître, le consul

1. "0(7T£ r èv <I>Xa|iiviov (xoyiç, àrcoxo'l'avxa TaTroyata x a l xà ç ày^ u paç,


ê t a p y îT v xôv xivSvvov, P o l y b . , x x x m , 7 , E x c . L é g a t, c x x x i v .
alla cam per devant la ville d’Æ gitna, la prit d’ assaut, en
réduisit la population à l’ esclavage, et envoya liés et
garrottés à Rom e les auteurs de l’insulte \ 11 m archa
ensuite au-devant des troupes ennem ies.
Les Oxybes n ’avaient sur pied que quatre m ille
h om m es \ les Décéates vraisem blablem ent pas davan­
tage, et la jon ction des deux peuples n ’ était p oin t en core
op érée, lorsque le consul arriva en présence des Oxybes.
Malgré la disproportion des forces, ceu x-ci, irrités par
le sac et la destruction de leur v ille, se préparèrent à
attaquer aussitôt, sans attendre leurs alliés. Tant de
hardiesse effraya d ’abord le con su l; puis, réfléchissant
q u ’il avait de son côté, outre la supériorité du n om bre,
celle de la tactique, il harangua les légions, fit. sonner
la ch arge et s’avança au petit pas. Le c h o c fut rude et
sou ten u vigou reu sem en t; mais, après une lutte opiniâtre,
les Oxybes en fon cés com m en cèren t à se débander. Les
Décéates, survenant dans l’ instant m êm e, arrêtèrent les
fuyards et les ram enèrent au com bat, qui reprit avec un
ach arnem ent nouveau. P our la secon d e fois, les Ligures
fu ren t vaincus ; afin d’ éviter à leurs m alheureux villages
la destinée d ’Æ g itn a , ils dem andèrent la paix et se m i­
ren t à la discrétion du peu ple rom ain. O pim ius octroya
à Massalie les terres q u ’il venait de con q u érir et mit
toutes ces peuplades sous sa d é p e n d a n ce 3; p o u r plus de
sûreté, il les désarm a et régla q u ’elles livreraient à per­
pétuité aux Massaliotes des otages qui seraient changés

1. Tr)v 7r6>tv x a rà xpàxo; eXà>v, e ^ r )v 8 p a 7 r o 8 io - a T O , x a ï t o ù ç à p ^ y o u ç

{56p£to; àTCtrreiXe Seffjitov; elç t9)v Pwjxyjv. Polyb., xxxm , 8, Exc. Légat,
cxxxiv.
2. nspl TETpaxi<Txi)>tou<;. Polyb., loc. cit.
3. ‘O 8è K o ïv to ç x O p t o ç y e v o fx e v o ; t o v t o o v t w v èôva>v, u ap au -u xa jxèv xîjç
X ^ p a ç , ô<7Yiv èveSé^exo, upodeôypie x o ï ; MaacraXtTjTai;. I d ., i b id .
151 de tem ps à autre *. Tout en paraissant n’ avoir vaincu
que p ou r ses alliés, R om e n ’avait poin t n égligé son propre
intérêt; elle laissa des troupes en quartier d’ hiver dans
les villes prin cip ales; elle occupa les principales posi­
tions m ilitaires, enlevant sans doute aux Oxybes et aux
Décéates, avec leurs armes et leur liberté, tout ce q u ’ ils
ne pouvaient plus détendre.
La générosité de Home releva les affaires des Massa­
liotes; ils s’organisèrent dans le pays, et les intrigues de
la p olitiqu e con solidèren t graduellem ent l’ œuvre de la
violence. Cet accroissem en t p rod igieu x de territoire au­
tour de leurs colon ies orientales, leur inspira un vif désir
de s’agrandir pareillem ent autour de leur m étropole : ils
con voitèren t les dépouilles des Salyes, leurs plus proches
voisin s; et, p ou r que les prétextes ne leur m anquassent
pas dans l’ occasion , ils eurent soin d’aigrir ce peuple, et
de fom enter entre eux et lui de continuels sujets de que­
relle. Puis, lorsqu ’ils virent Rom e à peu près débarrassée
i 2s de ses guerres lointaines en Asie, ils im plorèren t de
nouveau son assistance contre ces voisins turbulents
qu i les harcelaient, disaient-ils, sans relâch e, jaloux
qu’ ils étaient de cette prospérité que Massalie devait au
peu ple rom ain 2.
R om e s’ inquiéta peu si les plaintes des Massaliotes
étaient bien ou m al fondées, et si ses alliés, dans cette
circonstance, étaient agresseurs ou provoqu és : elle avait
des arm ées disponibles, elle en envoya u n e en L igurie.
m Le consul M. Fülvius Placcus la conduisait. Il défit les
Salyes dans une p rem ière ca m p a g n e ; il les défit en core
dans une secon de : puis il attaqua les v o c o n c e s , dont

1. Polyb., ub. supr,


2. Flor., n i, 2,
Massalie ne se plaignait p a s '. Son successeur G. Sextius
Calvinus écrasa, dans une troisièm e cam pagne, les restes
des tribus salyennes, saccagea tout ce territoire, et fit
vendre à l’encan la population des v i l l e s L e roi de ce
m alheureux p eu ple, n o m m é T eutom al, p ou r avoir
défendu son pays avec constance contre ces brigands
étrangers, fut mis hors la loi des n ation s; poursuivi de
retraite en retraite par les arm es et par les m enaces des
Romains, il ne trouva de refuge q u ’au delà de l’Isère,
sur les terres des A llobroges. Sextius ne se born a pas à
la con quête politiqu e du pays salyen. P rom enant ses
légions le lon g du littoral entre le Rhône et le Var, il en
balaya la population dans les m ontagnes de l’intérieur,
en lui défendant d’a pproch er à plus de quinze cents pas
des lieux de débarquem ent et à plus de m ille du reste
de la côte. Ayant assuré ainsi d’ Italie en Gaule les routes
de terre et de m er, il con céda toute cette bande de ter­
rain aux Massaliotes, qui la colon isèrent et l’ exploitèrent
à leur p r o fit 3. Sextius vou lu t, outre cela , essayer ses
arm es con tre les V o co n ce s; il les vainquit en bataille
rangée *.
Pendant l’ un des hivers que le général rom ain passa
en Gaule, il avait choisi, p ou r l’ em placem ent de ses quar­
tiers, u n e collin e située à quelques lieues au n ord de
Massalie, et baignée par la petite rivière que les Romains
appelèrent Gœ nus, et qui se n om m e au jou rd’ hui l’Arc.
L’abon dance des sources d ’eaux vives, et surtout d’eaux

1. Liv. Epit., i.x. — Flor., in , 2. — Fast. Capit.


2. Diod. S ic., xxxiv, 23. — Liv. Epit., l u .
3. 'Ex TŸj; napaXiaî, TŸjç el; ’lxaXiav àyoÛGr,; àitè MaaaaMaç, méarziXt
toùç (Sapëâpouç... Strab., 1. iv, p. 180.
4 . Fast. Capit.
therm ales \ si rech erch ées des R om a in s, la pureté de
l’air, la beauté du site entrecou pé de collines que revê­
taient alors de vieilles forêts, tous ces agrém ents réunis
charm èrent Sextius 2. Il projeta d ’y bâtir une ville à
laquelle il donnerait son n om . Les palissades et les ter­
rasses militaires firent d o n c place à des m u ra ille s3; des
m aisons s’ élevèrent dans l’intérieur, et le cam p retran­
ché fut transform é en une petite v ille , où successive­
m ent on construisit des aqueducs et des b a in s . Eaux-
Sextiennes, Aquæ Sextiæk (ce fut le n om qu’ elle porta),
em bellie par toute la délicatesse italienne et grecque,
devint un lieu de plaisance où les officiers rom ains et
les rich es Massaliotes se réu n issa ien t, soit pendant les
chaleurs de l’été, soit pendant les repos de la guerre.
Telle fut la prem ière fondation rom ain e sur le territoire
transalpin.
Que l’ argent et les troupes massaliotes aient coop éré
puissam m ent à cette rapide con quête de la L igu rie gau­
lo ise , c’ est ce qu’ on peut raisonnablem ent supposer.
Quelques faits don n en t m êm e à penser que des trahisons
dom estiques, dont les Massaliotes étaient les agents,
furent en plus d ’ un lieu com p lices des arm es rom aines,
et précipitèrent la ru in e du pays. Dans une de ces villes
salyennes, dont Sextius, assis sur son tribunal et entouré
de m archands d’ esclaves, vendait la population à l’en ­
chère, un des captifs sortit de la fou le, et s’approchant
de lui : « J’attendais de toi, dit-il, et j ’avais m érité une
« tout autre ré co m p e n s e , m oi qui non-seu lem en t ai

1. C alidisetfrigidisfon tibu s.L iy.,L xi.— S tr a b .,l.iv ,p . 180.— S olin.,2.


2. 'H 8 o v ï ) xal 0aüp.a toû tottou. Plut., in Mario, 19.
3 . Solin., 2.
4. T à ôepjxà £15aTa xà Eéirria xaXoü(;.ôva. — Colonia Aquensis. — Civitas
Aqucnsis. — Aujourd’hui A ix en Provence.
« servi les R om ains, mais qu i ai souffert à cause d’ e u x ;
« car le zèle que j ’ai d éployé p o u r votre triom p h e m ’ a
« attiré de la part de m es com patriotes bien des outrages
« et bien des dangers *. » Cet h o m m e se n om m ait Cra-
t o n 2, et ce n om grec paraît d ésign er ou le fils bâtard de
qu elq u e M assaliote, ou du m oin s un Ligure gagné à la
civilisation g r e c q u e , et q u i avait adopté l’am ou r de
l’étranger en m ôm e tem ps que les m œ urs étrangères et
un n om étranger. Sextius ord on n a que ses liens fussent
rom pu s, il lui rendit son patrim oin e et sa fam ille,
esclave co m m e lui. Il fit plus : il lu i perm it de délivrer
à son ch o ix plusieurs de ses com p agn on s d’in fortun e.
Craton en désigna n e u f c e n ts 3 qui très-probablem ent se
recom m a n d aien t à la clém en ce du vainqueur par des
sentim ents et des services pareils.
Ce fu t en core à la p olitiq u e m assaliote qu e R om e dut
une alliance bien utile à son am bition , bien funeste à la
liberté gau loise, l’ alliance de la nation édu enn e. Les
Édues et les A llobroges étaient en g u e rre ; et ces der­
niers avaient p ou r eux les Arvernes, qui tenaient alors
le sceptre parm i les peuples galliques. Profitant adroite­
m ent de ces circonstances, les Massaliotes se m irent à
travailler la nation éd u enn e : ils aigrirent ses ressenti­
m en ts; ils excitèrent sa ja lou sie; ils lui firent espérer
que, par l’ assistance des Rom ains, elle pou rrait écraser
les A llobroges et arracher la suprém atie des m ains des
Arvernes. Ces intrigues portèrent fru it, un traité fut
con clu entre les magistrats éduens et le sénat de Rom e.
Les Édues reçu ren t le titre d’amis et alliés du peuple

1 . " O n •rcoXXoùç xai 7roX)>àxtç ü - ir o t w v t t(A itu > v ( m o a r à ; xtvSOvou; w ç rccp


Orcèp Pco|xaia)v 7 t o X i t e v 6 ( j . e v o ; . . . Diod. S ic., xxxiv, 23.
2. Kpà-rtov t i ; ôvo^a "jfeyEvw; <pi)>opw(iaio;. Id., ibid,
3. Id., ibid.
romain; ils d on nèren t en retour aux Rom ains celu i de
frères, qui désignait, chez les Gaulois, com m e nous l’avons
d it, la plus intim e des associations p olitiqu es. Ainsi
furent p ron on cés p o u r la p rem ière fo is , au m ilieu des
nations gauloises, les m ots d’alliés, d’ am is, de frères du
peuple rom ain ; mots de discorde et de ruine, puissances
fatales qui devaient, durant un siècle entier, isoler,
opposer, affaiblir ces n a tion s, p o u r les réu n ir enfin
toutes, sans exception , sous une co m m u n e servitude.
A peine ce traité fut-il con clu , que le con su l D om itius
députa chez les A llobroges p ou r réclam er son en nem i,
le ro i Teutom al, auquel ils avaient d on n é asile, et p ou r
leur en join d re de respecter désorm ais les territoires des
Édues, ses a lliés1. A ces ordres insolents les A llobroges
ne répon diren t que par de grands préparatifs d ’annes.
Tout faisait p révoir une guerre terrible. Le puissant roi
des Arvernes, B itu it1, essaya de la p réven ir; il abaissa sa
fierté ju squ ’à dem ander au consul, par une ambassade
solennelle, le rétablissem ent de Teutom al, son am i et
l’ h ôte de ses alliés.
Bituit était fils de ce L uern q u i s’ était ren du si cé­
lèbre par sa m agn ificen ce et sa g én érosité; fils d’ un tel
père, Bituit se piquait de gran deur; et l’ambassade qu’ il
adressa à Dom itius étonna les Rom ains par sa p om p e
bizarre. On y voyait la m eute royale, com p osée d’ énorm es
dogues tirés à grands frais de la Belgique et de la Bre­
tagn e; l’am bassadeur, superbem en t vêtu, était envi­
ron n é d’ une trou pe de jeu n es cavaliers éclatants d’or
et de p o u rp re ; à son côté se tenait un barde, la roue en
m ain, chantant par intervalles la gloire du roi, celle de

1. Liv. Epit., l x i . — F lor., m , 2.


2. Bituitus (Liv. Epit. — Flor. — Oros.). Bittos at Bititos (Strab.),
Betultus (Val. Max. et Inscript, ap. Grut., p. 298).
la nation arverne et les exploits de l’am bassadeur1. Mais
l’enfant de l’h arm on ie perdit ses chants, com m e le p oli­
tique ses discours : Teutom al ne fut p oin t restauré dans
son royaum e en vah i, et l’ ambassade m écon ten te re­
tourna vers Bituit, plus h um ilié et plus irrité qu’elle.
Bituit fit un appel à toutes les nations de la ligue
arverne : les tribus arvernes prop rem en t dites et les
Uuthènes2, leurs plus proch es voisins, prirent aussitôt
les arm es ; mais il fallut du tem ps p o u r réu nir les autres
et p ou r organiser ces masses levées à la hâte. D om itius
cependant, retranché dans une position avantageuse, et
attendant des secours de Rom e, se préparait à soutenir
l’attaque. Les A llobroges attribuèrent à la frayeur cette
con duite prudente du consul, et cru ren t avoir b on mar­
ché de ses troupes et de lui. Sans attendre l’ arrivée de
Bituit, ils passent l’Isère et s’avancent à grandes jo u r ­
nées vers le m idi, en suivant la rive gau che du Rhône.
C’était tout ce que pouvait souhaiter Dom itius. Il part
aussitôt et les ren con tre au con flu en t de ce fleuve et de
la S o r g u e 3, près de la ville de Vindalium *, un peu au-
dessus d ’Avénio. Les deux arm ées à pein e en présence
se précipiten t l’ une sur l’ autre ; mais les A llobroges en­
fon cés se débandent, laissant derrière eux vin gt m ille
m orts et trois m ille ca p tifs5. Malgré cette victoire si­
gnalée, le con su l n’ osa pousser plus avant; il retourna
dans son cam p fortifié, d ’où il observa les m ouvem ents

1. A pp., Bell. Gall., Exc. x i i . '

2. Cæs., Bell. Gall., i, 45.


3. Sulgas. — Strab., 1. iv, p. 191.
4. Ad oppidum Vindalium. Liv. Epit., u u . — Strab., 1. iv, p. 185.
— O ros., v, 13. — C’est la ville de Venasque, autrefois capitale du
Comtat Venaissin auquel elle donna son nom.
5. Viginti m illia ibi Allobrogum cassa feruntur; tria millia capta
sunt. Oros., v, 13.
des Arvernes. Ainsi se passa cette cam pagne. Vers la fin
de l’autom ne arriva le nouveau consul Q. Fabius Maxi-
m us avec deux légions représentant à cette époqu e vingt
m ille h om m es, ce qu i, jo in t à l’ arm ée de Dom itius, for­
m ait environ quarante m ille Rom ains, sans com p ter les
auxiliaires massaliotes, et les Édues réunis probablem ent
sur leur fron tière afin de faire diversion.
Les Rom ains se crurent assez forts p o u r p ren dre l’ of­
fensive. Laissant dix m ille h om m es au cam p, le consul
Fabius et le p rocon su l Dom itius, dès les prem iers jou rs
du printem ps, se dirigèrent vers la fron tière a llob rog e;
ils fran ch iren t l’ Isère, non sans q u elqu e opposition ; Fa­
bius lut m ôm e blessé assez grièvem ent dans une de ces
escarm ou ch es. Mais à p ein e furent-ils engagés sur le ter­
ritoire allobroge, qu e Rituit accou ru t p o u r leur cou p er
la retraite. Les Rom ains, à cette nouvelle, rétrogradèrent
en toute hâte; et rencontrant déjà sur la rive gau che du
R hône l’arm ée arverne qu i achevait de passer, ils s’ éta­
blirent sur u n e hauteur d’ où l’ on dom in ait le lit du
lleuve.
Les Arvernes, s’il faut en croire les écrivains rom ains,
ne com ptant pas m oin s de deux cent m ille h om m es sous
les arm es, le passage de toute cette m ultitude avait été
lo n g et embarrassant. Rituit s’ était servi d’abord d’un
p on t construit en pilotis-, trouvant bien tôt la m arche de
ses troupes trop lente, il en fit fabriquer un secon d avec
des barques assujetties l’u n e à l’ autre par des chaînes
d e fer et recouvertes d’ un p lan ch er *. A m esure que les
Arvernes arrivaient, ils allaient se form er en colon n es
dans une petite plaine sur le rivage, et n’avaient pas en ­

1. Alium compactis lintribus cnt.enisque connexum, superstratisi con-


fixisque tabulis, instruxit. Oros., v, 14.
core fini lorsqu e les enseignes rom aines se m ontrèrent.
De part et d’autre on se prépara à com battre.
Sur la pente et au m ilieu de la collin e étaient rangés
les R om ains, dans leur ord on n a n ce accou tu m ée : au
centre, les lég ion s tou t étincelantes d’airain et de fer,
divisées par petits bataillons don t les archers et les fron ­
deurs occu p aien t les intervalles ; aux ail'es, les auxiliaires
et la cavalerie ; et entre les ailes- et le corps de bataille,
les éléph an ts; car l’em p loi de ces én orm es bêtes s’ était
in trodu it dans les arm ées de la rép u bliqu e depuis ses
guerres en Orient. Rien plus n om breu ses, mais ord on ­
nées avec m oin s d’ art, les troupes gauloises se déployaient
le lon g du fleuve. On y voyait les Arvernes avec leurs
clients et leurs alliés, rangés séparém ent autour de leurs
étendards divers, et diversem ent arm és. Bituit, sur un
ch ar d’a r g e n t', parcourait le fron t de bataille; u ne ar­
m ure plus rich e et une saie de cou leu rs plus brillantes
le distinguaient des autres chefs. On rem arquait aussi sa
m eute de com bat, placée sur un coin de-la ligne, et re­
tenue par les lesses et les fouets des piqueurs. Un m o­
m ent, le roi gaulois prom en a ses regards sur les faibles
bataillons en nem is qu i, form és en ord re serré, parais­
saient plus faibles en core. « Q u oi! s’écria-t-il avec m é-
« pris, ce n ’est pas un repas de m es ch ie n s* ! »
La m êlée fut affreuse ; cavaliers con tre cavaliers, fan­
tassins con tre fantassins luttèrent longtem ps avec furie
et avec u n égal succès. Fabius, souffrant de sa blessure
et en ou tre de la fièvre quarte 3, se faisait porter en

1. Discoloribus artnis, argenteo carpento, Flor., ni, 2.


2. Paucitatem Romanorum vix ad escam canibus, quos in agmine
habebat, sufficere posse. O ros., v, 14.
3. Il fut délivré de sa fièvre quarte par la préoccupation de la bataille.
P lin., vu, 50.
litière à travers les ran gs; quelquefois il mettait pied à
terre, et, soutenu sur les bras de deu x soldats, il s’ appro­
chait de la m élée p o u r d on n er des o r d r e s 1. Quand il crut
le m om en t p rop ice, il fit charger les éléphants *. Les sol­
dats de Bituit voyaient p ou r la prem ière fois ces prod i­
gieux anim aux q u ’ils ne connaissaient que par les récits
de leurs grands-pères, tém oins du passage d’A nnibal;
saisis de frayeur, ils n ’osèrent pas les attendre. D’ailleurs,
ils ign oraien t l’art de les com battre, et leurs chevaux,
dou blem en t effarouchés par la vue et par l’ odeur, se ca­
braient et tournaient cou rt. Bientôt la déroute fut géné­
rale, et les pon ts se couvrirent de fuyards. Fabriqué à la
hâte et peu solidem ent, le p o n t de bateaux s’affaissa, les
chaînes se rom p ire n t; h om m es et chevaux, engloutis
avec les barques, rou lèren t entraînés par le c o u r a n t3.
Alors, la fou le refluant vers l’autre pon t, il se trouva
com plètem en t obstrué. Dans ce désordre épouvantable,
l’ épée rom aine n ’eut qu’à égorger. Cent vingt m ille
h om m es p é r ir e n t4, et dans ce n om bre beau cou p de
chefs. Bituit, assez h eureu x p o u r échapper au massacre,
se sauva dans les m ontagnes, laissant entre les m ains de
l’ en nem i son char et son m a n te a u 6.
Durant plusieurs jo u r s , le ro i fu g itif p arcou rut les
vallées des A llobroges, ch erch ant à form er u ne nouvelle
arm ée ; mais partout il ne ren con tra qu e d écou ragem en t
et terreur. Dans cette situation désespérée, il résolut de

1. Paterc., n , 10.
2. Maximus barbaris terror elephanti fuere. F lor., m , 4.
3. Coacervatis inconsulte agrninibus, pontis vincula ruperunt, ac m ot
cura ipsis lintribus mersi sunt. Oros., v, 14.
4. Liv. Epit., lx i. — App., Bell. Gall., Exc. xi. — 130,000, suivant
Pline (vu, 50) ; 150,000, suivant Orose (v, 14).
5. Flor., iu, 2.
dem ander la paix ; le m essage qu’ il envoya au consul
Fabius fut reçu avec assez de faveur, et les n égociations
s’ entam èrent ; u n e honteuse perfidie les rom pit. Ce n ou ­
veau succès du con su l était un nouveau cou p de p oi­
gnard p ou r l’âm e jalouse du p rocon su l Dom itius. Hau­
tain et envieux, cet h o m m e ne pouvait supporter que,
dans u n e seule cam pagne, Fabius eût term in é une guerre
si im portante ; que, dans l’ espace de quelques jou rs, il
eût vaincu et pacifié le plus puissant royaum e de la
Gaule, tandis que lui, Dom itius, m is à l’ écart, n e serait
cité qu e p ou r rendre tém oign age des triom ph es d’un
rival. Plutôt que de subir cette hum iliation, il résolut
d’ entraver à tout p rix l’affaire com m e n cé e . Il invita
Bituit à ven ir traiter en person n e avec lui, à son quar­
tier, p robablem ent à Eaux-Sextiennes, lui prom ettant
des con d ition s m oin s dures que celles q u ’ exigeait Fa­
bius. L’ esp oir rentra au cœ u r du roi déch u ; s’abandon­
nant sans défiance à la parole du p rocon su l, il se rendit
en secret à sa m aison. Dom itius, sorti p ou r le recevoir,
l’ accueillit com m e un hôte accueille son h ô te ; mais à
p ein e eurent-ils dépassé le seuil de la porte, que des sol­
dats apostés se jetèrent sur le Gaulois et le chargèrent
de chaînes. D’ Eaux-Sextiennes on le transporta, sans
perdre de tem ps, à la côte, où u n navire était préparé,
et de là à Rom e '. En mettant Bituit à la discrétion du
sénat, D om itius enlevait à son collèg u e l’h o n n e u r de
con clu re la paix.
La perfidie était trop criante p ou r que le sénat osât
l’ ap p rou ver; mais, tout en la blâm ant, il en profita. Sous
prétexte que Bituit, de retou r dans son royaum e, pour­

1. Per colloquii simulationem accersitum hospitioque exceptum vinxit,


ac Romam nave deportandum curavit. Val. Max., xi, 6.
rait rem u er et ren ouveler la g u e rre , il le relégua à
A lbe, en Italie. Ce ro i laissait en Gaule un je u n e fils
n om m é Congentiat \ qui devait être son h é ritie r; le
sénat le réclam a, p o u r le faire in stru ire, disait-il, et le
replacer ensuite sur le trône de son p ère. On ig n ore ce
q u ’il arriva de ce m alheureux enfant, et s’ il revint gou ­
verner qu elqu es années les A rvernes; mais certes on ne
s’aperçoit pas qu ’ il ait inspiré à son peu ple ni un grand
goû t p o u r les m œ urs, ni surtout u n grand am ou r p ou r
la dom in ation des Rom ains. .
Pourtant la rép u b liq u e traita les Arvernes avec des
m énagem ents qu i lui étaient peu o rd in a ires; elle ne
con fisqu a rien de leur territoire, elle n e leur im posa
aucun tribut 2. Les A llob roges fu ren t m o in s h e u r e u x ;
leur position fit leu r crim e. Le sénat les déclara sujets
du peuple rom ain \ et les réunit, en cette qualité, aux
peuplades ligurien nes q u ’il avait vaincues, et à d’autres
auxquelles il n’ avait pas m êm e fait la g u erre, mais qui
se trouvaient enclavées dans le territoire qu’ il con v oi­
ta it: le tout fut déclaré p rovin ce1. La p rov in ce rom aine
au delà des Alpes com p rit d o n c en totalité le pays situé à
l’ orien t du R hône, depuis l’en droit où ce fleuve se jette
dans le lac L é m a n , ju sq u ’à son em b ou ch u re dans la
M éditerranée. R om e dicta les lois qui devaient régir ses
nouveaux sujets, elles ne furent pas égales p ou r tous.
Tandis que les A llobroges, p o u r avoir défendu leur in d é­
pen dan ce avec cou ra g e , étaient traités en nation co n -

1. Decretum est etiam ut Congentiatus, filius ejus, comprehensus


Romam mitteretur. Liv. Epit., l x i i .
2. Cæs., Bell. Gall., i, 45.
3. Liv. Epit., l x i i .
4. C’est ce que les Romains appelaient in provinctœ formam ou for­
mulant redigere.
quise, clans toute la rigu eu r du term e, de grands privi- 121
léges fu ren t octroyés aux Cavares, dont la résistance avail
été faible ou nulle ; et les V ocon ces, sous le n om de fédé­
rés, eurent la liberté de conserver leurs ancien n es co u ­
tum es 1. Nous expliqueron s tout à l’ heure quelle était
cette politiqu e des Rom ains à l’ égard de leurs conquêtes,
et com m en t ils prop ortion n aien t l’état des peuples vain­
cus au plus ou m oin s d’ obstacles qu e ceu x-ci avaient
op p osés à leur défaite.
Ces opérations term inées, Fabius et Dom itius, pour
éterniser la m ém oire de leurs succès, firent construire,
ch acun sur le cham p de bataille où il s’ était signalé, une
tour en p ierre blan ch e, et dresser au som m et un trophée
des arm es enlevées aux G a u lois2 : « chose inou'ie ju s-
« qu ’alors, disent les h istorien s; car jam ais en core le
« peu ple rom ain n ’avait rep roch é sa victoire aux nations
« su b ju g u é e s 3. » Auprès de son trophée, Fabiiis éleva
deu x tem ples, l’ un à Mars, l’autre à H e r c u le 4. La vanité
de Dom itius ne fut pas tout à fait sans utilité p o u r le
pays; il prit soin de restaurer, afin d ’y attacher son nom ,
la vieille route p h é n icie n n e qui traversait le littoral
entre les Alpes et le R h ôn e, et qui en effet fut appelée
depuis lors Voie Domitienne 6. Il voulut aussi parcou rir la
p rov in ce, en grand appareil, à la tête de son arm ée, et
m on té sur un de ces éléphants à qu i lui et son collègue

1. Vocontiorum civitas fœderata. P lin., ni, 5.


2. Tporauov Xeuxoü XiOou. Strab., 1. iv, p. 1 8 5 .— Saxeas erexere turres
fit desuper cxornata armis hostilibus tropbæa fixere. Flor., iiï , 2.
3. Hic mos inusitatus nostris; nunquam enim populus romanus hos-
tibus domitis victoriam suam exprobravit. Flor., loc. cit.
4. xal vew ; Svo, tov jjièv "Apeoç, TÔV S’ 'HpaxXéou?. Strab., 1.
iv, p. 185.
5. Vis Domitii, ou Via Domitia.
121 devaient une b on n e partie de leur gloire 1. Après ce
p rem ier triom p h e q u ’il s’était décern é de son autorité
privée, il se rendit à Rom e, où il en briguait un second.
Il l’ obtint sans p ein e. Fabius et lu i triom ph èrent le
m êm e jou r, ' celu i-ci des A llobroges, celui-là des Ar­
vernes 2. On fit ven ir d’Albe, p o u r cette hum iliante solen­
nité, l’ in fortun é B ituit; on le revêtit de ses arm es royales
et de cette saie brillante q u ’ il avait portée à la fatale
jo u rn é e du R h ôn e; on le üt m on ter sur son char d’ar­
g e n t 3; et le m on arqu e gaulois fut ainsi p rom en é dans
les carrefours de Rom e, au m ilieu des huées de la p op u ­
lace, entre l’h om m e qui l’ avait attaqué contre tout droit,
et l’ infâm e q u i t’avait livré. Quand on l’eut abreuvé
d’assez d’ignominie, on le reconduisit dans sa prison
d’Albe, où il ne tarda pas à finir ses jou rs. Fabius, p ou r
avoir réu ni le territoire allobroge aux dom aines de
Home, reçut du sénat le surnom d'Allobrogique *.
i-2i La p rov in ce transalpine fut déclarée consulaire; c’ est-
à à-dire que tous les ans un des consuls dut s’ y rendre
us 1 . J
avec son arm ée : h o n n eu r qui prouvait peu de confiance
dans la soum ission du peuple vaincu. Les consuls qui
su ccédèrent à Q. Fabius, P. Manlius en 120, Aurelius
Cottis en 119 et Q. Marcius Rex en 118, con tin u èren t les
conquêtes de leurs prédécesseurs; ils agrandirent la p ro ­
vin ce de tout le pays situé au cou ch an t du R hône, entre
ce fleuve, ïa frontière arverne et les P yrénées; ce qui

1. Elephanto pcr provinciam invectus est, turba militum, quasi inter


solejnnia triumphi, prosequente. Suet., in Néron., 2.
2. Murmor. Capit., Pigh., t. II, p. 74 et 78. — Paterc., ir, 10. —
F lor., iii , 2.
3. Nil tain conspicuum in triumpho quara rex ipse Bituitus, discolo-
ribus in armis, argenteoque carpento, qualis pugnaverat. F lor., loc. cit.
4. Paterc., loc. cit. — Val. Max., vi.,9. — Juven., m , 8, v. 1 3 ; etc.
com prenait les territoires des Helves, desV olk es A réco-
m ikes et clos Sordes. Cette nouvelle acquisition paraît
leur avoir coûté peu de p ein e. Ils firent aussi une alliance
étroite avec lesV olk es T ectosa g es1, et leur d on nèren t le
titre de fédérés, sans que ce peuple pourtant fût con si­
déré co m m e sujet de Itome et eût son territoire enclavé
dans les lim ites de la provin ce.
Les Rom ains possédaient d o n c au delà des Alpes une
provin ce im p ortan te, mais ils n’ étaient p oin t maîtres
des ch em in s qui pouvaient y conduire. Ils suivaient,
p ou r passer d’Italie en Gaule, le sentier étroit et difficile
qui lon g e le golfe L igurien, entre la m er et les derniers
escarpem ents des m ontagnes. Quant aux routes inté­
rieures des Alpes, elles étaient au p o u v oir de tribus gau­
loises et ligurien nes qui les gardaient à m ain arm ée. Le
sénat tourna son attention de ce côté ; il donna ordre à
ses généraux de s’em parer du passage des Aipes m ari­
times, et d’ un autre passage, dans cette partie de la
chaîne que les Gaulois appelaient Craig ou Craie2 (région
des rocs), m ot que les Rom ains avaient altéré, en ceux de
Græcx et Graiæ3.
C’ était la petite tribu des L igures Stænes qui tenait le
col des Alpes m aritim es. Q. Marcius, entrant avec pré­
caution dans la m ontagne, vint assaillir leur village à
l’im proviste. Les Stænes surpris essayèrent de se défen­
dre ; mais se voyant enveloppés de tous côtés par les
troupes rom aines, et sans espoir de retraite, ils m irent

1. ’E v c to v S o i toïç P<i>[ia!ou;. Diod., Fragm. ap . Vales.


2. Craig (gael.), carreg (kim .), roc. Crau, en patois savoyard, signi­
fie encore aujourd’hui pierre, rocher. — Craie.
3. Graiæ Alpes. P lin .; Petron.; Virg., Æ n., x. — Grœcæ, Serv. ad
Virg., loc. cit. — Mons Grains. Tac., Hist., iv. — C’est aujourd’hui le
Petit-Saint-Bernard.
114 le feu à leurs m aisons; et, après avoir égorg é leurs
fem m es et leurs enfants, ils se p récipitèren t au m ilieu
des flam m es. Ceux de ces h om m es h éroïqu es qu i, saisis
sur les roules ou faits p rison n iers pendant le com bat,
n ’avaient pu suivre l’ exem ple de leurs frères, se don nè­
rent tous la m ort par le fer, le feu ou le lacet; quelques-
uns, à qu i on enleva toutes les arm es, se laissèrent m o u ­
rir de faim . « Il ne s’ en trouva au cun , dit un historien,
« m êm e parm i les plus jeu n es, chez q u i l’a m ou r de la
« vie fût assez fort p o u r lui faire supporter l’ esclavage *. »
La résistance ne fut guère m oins b elle dans les Alpes
ifraies ; toutefois les passages, après des chances diverses,
tom bèrent au p ou v oir des R om a in s2.
En m êm e tem ps q u ’ils perçaient à l’ ouest et au nord
la chaîne des Alpes, ils la franchirent aussi à l’ orient
p ou r aller com battre sur les bord s de la Save et du Mar-
gus u n e nation k im ro-galliqu e, ces Scordisques qui, après
le pillage du tem ple de Delphes, s’établirent au pied du
m on t Scordus et d om inaient alors les Alpes illyriennes.
Depuis vingt ans, ces peuplades turbulentes fatiguaient
les gouverneurs rom ains de la Grèce par des guerres
continuelles où elles avaient été tantôt vaincues et tantôt
victorieuses. P ou r y mettre un term e, le consul C. P or­
cins Caton alla les attaquer au cœ u r de leu r pays; mais
s’ étant laissé envelopper dans leurs forêts, il y périt avec
toute son a rm é e 3. Fiers de ce succès, les Scordisques se
m iren t en route p o u r l’ Italie, et descendirent com m e un
torrent sur la côte illyrienne de l’ Adriatique. On rap-

1. Nullusque omnino vel parvulus superfuit, qui servitutis conditio-


nera vitæ amore toleraret. O ros., v, 14. — Liv. Epit., i.xn. — Fast. Ca-
pit. fragm. ap. P igh., t. III, p. 85.
2. Dio, Fragm. ap. Vales. — Liv. Epit., lxii. — Oros., 4.
3. Liv. Epit., i.xnt. — Eutrop., iv.
porte q u ’ irrités à la vue de cette m er q u i s’ opposait à
leur m arch e, ils l’ insultèrent et déchargèrent dans ses
flots leurs gais et les flèches de leurs carquois ’ . Ce
peu ple était sauvage et féroce ; il buvait dans le crâne
de ses ennem is, il égorgeait ses prisonniers, il m utilait
et défigurait les cadavres ; dans les villes prises d’ assaut,
il ouvrait les entrailles des fem m es et en arrachait leur
fruit, afin que toute créature h um ain e fût m arquée à
l’ em preinte de sa ven gean ce. Les légions rom aines accou ­
ru ren t p o u r garantir l’Italie de l’ invasion de ces bar­
bares-, mais elles n’ en garantirent pas la Grèce, dont les
parties septentrionales furent h orrib lem en t sa cca g ées2.
Cependant u n e question intéressante p o u r la p ro­
vin ce transalpine occu pait vivem ent le sénat de Rom e.
Le je u n e L. L icinius Crassus, déjà célèbre par son élo­
qu en ce, avait p rop osé d’ envoyer à Narbonne une colon ie
d e citoyens rom ain s, et brigu ait l’ h o n n eu r de l’y con ­
d u ire : la m esure était grave non m oins par sa n o u ­
veauté que par ses con séqu ences éventuelles, car une
seule colon ie de ce gen re avait en core été fon dée hors
de l’ Italie, et elle l’avait été sur les ruines de l’an cien n e
Carthage. On objectait surtout à Crassus l'im pruden ce
d’ exposer, en qu elqu e sorte, des citoyens rom ains « aux
flots de la b a rb a rie 3, » dans un pays à p ein e con quis, à
la m erci de peuples farouches qu i n’ étaient façonnés à
aucun jo u g . L’ orateur et ses partisans répondaient
qu’ u n e ville rom ain e pouvait seule a dou cir ces peuples
<ît les briser à l’ obéissance, par sa p rép on déran ce, par
f ex em p le de ses m œ urs, p a r la com m u n ica tion de son

1. Flor., m , 4.
2. Liv. Epit., iAïiît — Paterc., h , 8. — Flor., m , 4. — Fast. Capit,
i. Barbariæ fluctibus. C ic., pro Flac,
langage; q u ’elle deviendrait p ou r la rép u bliqu e un b ou ­
levard contre les dangers du d eh ors, el une sentinelle
vigilante au sein de sa con q u ête; ils firent valoir en core
d’autres m otifs, et entraînèrent à leur op in ion la m ajo­
rité du sénat. La colon ie décrétée, Crassus eut m ission
de l’ éta b lir1.
Mais, dans les prévisions profon des de la politique
rom aine, N arbonne n’ était pas dirigée u niqu em en t
contre les indigèn es de la Gaule; on la plaçait, com m e
u ne surveillante et une rivale, auprès de Massalie, dont
la puissance devenue inutile com m en çait à inspirer de
l’ om brage. A p ein e la co lo n ie fut-elle installée, que des
travaux im m enses révélèrent le secret de ses fondateurs.
L’ancien p ort fut ch a n g é ; un bras de l’Aude, détourné
de son lit par une chaussée de. sept m illes de lon g, co n ­
tribua à form er une rade plus sûre et plus vaste; et des
ponts fu ren t jetés à grands frais dans une étendue de
quatre m illes sur les étangs et les ruisseaux, qui, très-
nombreux; à l’ est de la ville, in on daien t fréqu em m ent
les alentours 2. Narbonne vit s’ élever dans son enceinte
u n capitole, une curie, lieu où se réunissait le sénat
local, des tem ples m agnifiques, des therm es, plus tard
u n e m onnaie, u n am phithéâtre et un c ir q u e 3. Elle de­
vint le lieu de station de la flotte militaire qui observait
ces parages. Le com m erce de l’ Italie, de l’ Espagne, de
l’Afrique, de la Sicile, oubliant le ch em in de Massalie,
vint s’y con cen trer peu à p e u ; le co m m erce intérieur de

d. Crassus voluit adolescens in colonia Narbonensi causæ aliquid


populàris attingere, eamque coloniam, ut fe cit, ipse deducere. C ic.,
Brut., 43. — Eutrop., iv.
2. Marc. Hispan., p. 2'J et seqq. ; 33 et seqq. — Hist. générale du
Languedoc, t. I, p. 54, 55.
3. Auson., de Clar. urbib. — Sid. A pollin., carm. xxm.
la Gaule y reflua aussi en partie : de la fondation de Nar- 118
b on n e, Massalie put dater l’ ère de sa ru in e
Une colon ie rom aine était une im age, ou p o u r parler
com m e un écrivain ancien, un rejeton de la cité ro ­
m aine transplanté sur le sol é tra n g e r2. A l’ exception
des droits politiques dont l’exercice exclu sif appartenait
à la m étropole, le citoyen rom ain transportait dans la
colon ie dont il était m em bre toute la liberté, toutes les
prérogatives dont il jouissait sur les bords du Tibre : et
m êm e il ne perdait pas ses privilèges politiques. P our
les recou vrer, il lui suffisait de se rendre à R o m e ;'là il
pouvait voter, dans les com ices, sur les lois et sur la
n om in ation des magistrats, rech erch er et obten ir toutes
les charges de la répu bliqu e. Dans l’in térieu r de sa ville,
dans son municipe, il faisait partie d’ un petit gou verne­
m ent qui possédait ses m agistratures, son autorité, scs
revenus particuliers.
Les principales attributions du gouvernem ent m uni­
cipal étaient : 1° le culte, les cérém on ies et fûtes reli­
gieu ses; 2° l’adm inistration des biens et revenus com ­
m uns, la construction et l’ entretien des édifices publics
d’ utilité ou d’ agrém en t; 3° la p olice intérieure ; 4° l’exer­
cice du p ou v oir ju d iciaire, en certains cas qui ne sont
pas bien définis
Les m u n icipes m odelaient leur constitution sur celle
de R om e. Tous avaient une curie qui représentait le sé­
nat, et presque tous des duumvirs correspondant aux

1. Strab., 1. iv, p. 181. — Auson., loc. cit. — Sulp. Sev., D ial., i, 1,


2. — Sid. A pollin., carm. xxm .
2. Civitas ex civitate romaua propagata. Gell., xvi, 13.
3. On peut consulter dans les Essais sur l’Histoire de France, par
M. Guizot, le morceau intitulé : Du régime municipal dans l'Empire
romain.
con su ls; un petit n om b re rem plaçaient les dm m virs par
des triumvirs, des quartumvirs ou des sévirs. Des m agis­
trats inférieurs, édiles, questeurs, préteurs, censeurs, exer­
çaient les m êm es fon ction s que les magistrats du m êm e
nom à Rom e. Les m em bres de la curie s’ appelaient décri­
rions. Ce n ’était pas seulem ent par la constitution et les
droits qu’ u n e co lon ie rom aine offrait une représentation
vivante de sa m étropole, c’ était en core m atériellem ent
par la form e et le nom de ses m on u m en ts ; chaque co­
lon ie renferm ait un capitole, un forum, une curie, un
amphithéâtre, et souvent ces édifices rivalisèrent de gran­
deu r et de beauté avec ceu x qui ornaient la cité m ère.
L es colon ies r o m a in e s ten aien t le p rem ier ran g en
privilèges et en h o n n e u r parm i les villes des provinces.
Au second ran g venaient les colon ies com posées d ’habi­
tants du Latium ; elles jouissaient du droit latin l, et p or­
taient, com m e les prem ières, le n om de m u n icipes, parce
qu’ elles choisissaient com m e elles leurs m agistrats2, et
se gouvernaient par leurs p ropres lois : la différen ce des
unes aux autres consistait surtout dans les droits p oli­
tiques auxquels les villes latines ne pouvaient p oin t pré­
tendre. Il y avait, outre cela, des colon ies italiques3, dont
la con dition était m oin s favorable que celle des colonies
latines, prin cipalem en t sous le rapport des taxes.
Tels étaient les degrés d ’h iérarch ie établis par la répu­
blique au sein de la population italienne qu’ elle trans-
plantait dans ses p rovin ces. Quant à la race su bjuguée,
elle ne vivait pas n on plus sous u ne dom ination u n i­
form e. Les peuples que leur peu de résistance à la co n -

1. Jus Latii,
2. Municipia à muneribus capiendis,
3. La législation qui les régissait portait le nom de Jus itaticum.
quête et la servilité de leur soum ission, quelquefois leur un
force et l'in dépen dance sauvage de leurs m œ urs, re co m ­
m andaient aux m énagem ents du vainqueur, recevaient
iés titres de peuples libres ou de cités fédéréesl ; en cette
qualité, ils conservaient leurs anciennes lois, et payaient
seulem ent des redevances en terre, en argent, en h om m es.
Dans certaines villes, des préfets annuels étaient envoyés
de R om e p ou r adm inistrer la justice. Cette suspension
de l’exercice de la ju stice était in fligée d ’ordinaire com m e
un châtim ent aux colon ies et autres villes privilégiées
qui se m ontraient rebelles ou ingrates envers le peuple
rom ain. D escendues à la con d ition d e préfectures2, elles
ne jou issaien t plus ni des droits des co lo n ie s, n i des
droits des cités libres; leur état civil dépendait des édits
absolus des préfets, et leur état politique du sénat ro ­
m a in , qu i exigeait d ’elles à son gré des con tribu tion s,
des terres et des levées d’ h om m es. Mais la con d ition la
plus d u re de toutes était celle des sujets provinciaux3.
Les p rocon su ls ou les préteurs à qui le gou vernem ent
des pays p rovin ciau x était con fié, cum ulaient tous les
pou voirs à la fois; ils com m andaient les arm ées, faisaient
des lois, rendaient la justice, im posaient des taxes arbi­
trairem ent; ils avaient p o u r adjoint un questeur chargé
de la levée de ces taxes et du règlem ent des com ptes.
Jamais despotism e plus du r et plus illim ité ne pesa sur
les peuples. Les provin ces, accablées sous des charges
de toute nature, tantôt étaient soum ises à u n e capita­
tion *, tantôt se voyaient dépouillées de leurs m eilleures
terres, qu e la répu bliqu e affermait p o u r son com pte à

t. Populi liberi; cwitates fœderatæ,


2. Prœfecturœ.
3. Jus provinciale< ,
4. Census capitis.
118 des agriculteurs et à des nourrisseurs de bestiaux *. Quel­
quefois, outre la dîm e du produit des te rre s 2, elles sup­
portaient des droits considérables d’ entrée et de so rtie 3,
des réquisitions en from ent, en bestiaux, en chevaux;
des corvées, des im pôts sur les voyageurs, des im pôts
p ou r le déplacem ent des cadavres, des im pôts sur les
m ines d’ or, d’argent, de cuivre, de fer, de m arbre, et
sur les salines.
Cette gradation dans l’état p olitiqu e des habitants
des provin ces était un des procéd és par lesquels Rome,
si savante en despotism e, les enchaînait à l’obéissan ce;
les privilégiés redoutaient de perdre ce que les autres
brûlaient d’ o b te n ir; la crainte et l’espérance con tri­
buaient égalem ent à con solider la tyrannie. Mais, tandis
que dans la p rovin ce transalpine le sénat distribuait les
grâces et les rigu eu rs, que les colon s rom ains construi­
saient leur ville et se partageaient les cam pagnes des
A récom ikes, que le questeur régularisait la spoliation du
pays, une des invasions les plus terribles qui aient effrayé
l’ O ccident vint fon dre tout à coup au m idi du Rhin, et
m enacer d’u ne com m u n e ru in e les vaincus et les vain­
queurs, la Gaule et l’Italie entière.

1. Pecuarii.
2. Census soli.
3. Portoria, scriptum , decumæ, etc.

r iN DD TOM E P R E M IE R .
T A B L E DES MA T I È R E S

DU T O M E P R E M IE R .

P ages.

P réface, i

I n t r o d u c t io n l

LIVRE P R E M IE R .

O RIGIN ES G A U L O IS E S. — GRANDES M IG RA TIO N S DES PEUPLES GAULOIS EN

E S P A G N E , EN I L L Y R I E , EN IT A L IE . — FONDATION DE LA GAULE C IS A L -

P INE. 119

CHAPITRE I.

D e la ra cb o a lliq u k . S o n t e r r it o ir e ; ses p r in c ip a le s b r a n c h e s .— S e s c o n ­
q u ê te s e n E s p a g n e ; e lle s r e f o u le n t le s n a tio n s ib é rie n n e s v e rs la G a u le ,
o ù le s L ig u r e s s ’ é ta b liss e n t. — S e s c o n q u ê t e s e n Ita lie ; e m p ir e o m b rie n ;
sa g r a n d e u r , sa d é c a d e n c e . — C o m m e r c e d e s p e u p le s d e l ’O rien t a v e c la
G a u le ; c o lo n ie s p h é n icie n n e s . — H e r c u le t y rie n . — C o lo n ie s rh od ien n es.
— C o lo n ie p h o c é e n n e d e M a s s a lie , sa fo n d a t io n , se s p r o g r è s ra p id e s . —
D e la r a c e k i m r i q u e . S itu a tio n d e c e tte r a c e en O rien t et e n O c c id e n t a u
vu® s iè c le a va n t n o tre è re ; e lle est ch a ss ée d e s b o r d s d u P o n t-E u x in par
le s n a tio n s sc y th iq u e s . — E lle en tre da n s la G a u le ; ses c o n q u ê te s . —
G ra n d e s é m ig r a tio n s d e s G a lls e t d e s K im r is en I lly r ie e t e n Ita lie . S itu a ­
tio n re s p e c t iv e d es d e u x r a c e s . .........................................................« ................................. 119
G aule cisalpine. T a b le a u d e la h a u te Ita lie so u s le s É t r u sq u e s; e n su ite
so u s le s G a u lo is . — C o u r se s d e s C isa lp in s da n s le c e n tr e et le m id i d o la
p r e sq u ’ île . — L e s iè g e d e C lu siu m le s m e t en c o n t a c t a v e c le s R o m a in s . —
B a ta ille d ’ A llia , — Ils in c e n d ie n t R o m e e t a s s iè g e n t le C a p it o le . — L ig u e
d é fe n s iv e d e s n a tion s la tin e s e t é tru s q u e s ; le s G a u lo is so n t b a ttu s p r è s
d ’A r d é o p a r F u riu s C a m illu s . — Ils te n te n t d 'e s c a la d e r lo C a p it o le , e t son t
re p o u s s é s . — C o n fé r e n c e s a v e c le s R o m a in s ; e lle s so n t r o m p u e s ; e lle s se
r e n o u e n t ; u n tra ité d e p a ix e s t c o n c lu . — L e s R o m a in s le v io le n t. — P lu ­
s ie u rs b a n d e s g a u lo is e s s o n t d é tr u ite s p a r tr a h is o n ; le s a u tre s re g a g n e n t
la C is a lp in e ........................................................................................................................................ 157

CHAPITRE III.

G a u le cisalpine. R o m e s 'o r g a n is e p o u r ré s iste r a u x G a u lo is .— L e s C isa lp in s


ra v a g e n t le L a tiu m p e n d a n t d ix -s e p t a n s. — D u e ls fa b u le u x d e T . M a n liu s
e t d e V a lé r iu s C o r v in u s .— P a ix e n tre le s G a u lo is e t le s R o m a in s . — Ir r u p ­
t io n d ’ u n e b a n d e d e T ra n sa lp in s da n s la C ircu m p a d a n e ; sa d e s tru ctio n p a r
le s C isa lp in s. — L ig u e d e s p e u p le s ita lie n s c o n t r e R o m e ; le s G a u lo is en
f o n t p a r t ie ; b a ta ille d e S e n t in u m .— L es S e n o n s é g o r g e n t d e s a m b a ssa d eu rs
r o m a in s ; ils so n t d é fa its à la jo u r n é e d e Y a d i m o n ; l e te rr ito ire se n o n a is
est c o n q u is e t c o lo n is é . — D ru su s ra p p o r te à R o m e la ra n ç o n d u C a p i t o le .. 189

L IV R E II.

MIGRATIONS DES GAULOIS EN GRÈCE ET EN ASIE.— FONDATION DU ROYAUME


DE G ALATIE .— GAULOIS A LA SOLDE DES ÉTATS DE L ’ ORIENT.................... 215

CHAPITRE I.

A r r iv é e e t é ta b liss e m e n t d e s B e lg e s d a n s la G a u le . — U n e b a n d e d e T e c t o ­
sa g e s é m ig r e d a n s la v a llé e d u D a n u b e . — N a tion s g a lliq u e s d e l ’illy r ie et
d e la P æ o n ie ; le u rs re la tio n s a v e c le s p e u p le s g r e c s . — L e s G a lls e t les
K im r is se ré u n iss e n t p o u r e n v a h ir la G r è c e . — P re m iè r e e x p é d itio n en
T h r a c e e t e n M a c é d o in e ; e lle é c h o u e . — S e c o n d e e x p é d it io n ; le s G a u lo is
■’ e m p a re n t d e la M a c é d o in e e t d e la T h e ssa lie ; ils so n t v a in cu s a u x T h e r -
m o p y l e s ; ils d é v a ste n t l ’ É t o l ie ; ils fo r c e n t le p a ss a g e d e l ’ Œ t a ; s iè g e e t
p r is e d e D e lp h e s ; p illa g e d u t e m p le . — R e tr a ite d és a s treu se d e s G a u lo is ,
leur roi s’enivre et se t u e ; ils r e g a g n e n t le u r p a y s et se s é p a r e n t .. . . . . . . . 2 15
CHAPITRE II.

P a ssa ge d e s G a u lo is dans l ’ A s ie M in e u re ; ils p la c e n t N ic o m è d e s u r le trô n e de


B ith y n ie . — Ils se r e n d e n t m a îtres d e t o u t le lit t o r a l d e la m er É g é e ; situ a ­
tio n m a lh e u r e u se d e c e p a y s . — T o u s le s É ta ts d e l’ A s ie le u r p a y e n t tr ib u t.
— C o m m e n c e m e n t d e ré a c tio n c o n t r e e u x ; A n tio c h u s -S a u v e u r ch a sse le s
T e c t o s a g e s ju s q u e d a n s la h a u te P h r y g ie . — G a u lo is s o ld é s a u s e r v ic e d es
p u is s a n c e s a s ia tiq u e s ; le u r im p o r t a n c e e t le u r a u d a c e . — F in d e la d o m i­
n a tion d e s h o r d e s ; a v a n ta g e r e m p o r t é p a r E u m è n e s u r le s T o li s t o b o ïe s ; ils
«o n t v a in c u s p a r A tta le , e t r e p o u s s é s , a in si q u e le s T r o c h m e s , da n s la
h aute P h r y g ie ; r é jo u is s a n c e s p u b liq u e s d a n s t o u t l ’ O rie n t.................................. 255

C H A P IT R E III.

G a u lo is à la s o ld e d e P y r r h u s ; e stim e q u ’ en fa is a it c e r o i ; ils v io le n t le s s é p u l­
tu re s d e s r o is m a c é d o n ie n s ; ils a s s iè g e n t S p a rte ; ils p éris sen t à A r g o s a v e c
P y r rh u s . — P r e m iè r e g u e r r e p u n iq u e ; G a u lo is à la s o ld e d e C a r t h a g e ,
le u rs r é v o lt e s e t le u rs tr a h is o n s ; ils liv r e n t É r y x a u x R o m a in s e t p ille n t le
t e m p le d e V é n u s . — I ls se r é v o lt e n t c o n t r e C a rth a g e et fo n t r é v o lt e r le s
a u tres m e r c e n a ir e s ; g u e rr e sa n g la n te s o u s le s m u rs d e C a r t h a g e ; ils so n t
v a in c u s ; A u ta rite e s t m is e n c r o ix . — A m ilc a r B a rca s e s t tu é p a r un
G a u l o is .. ................................................................................... ......................... ............................ 273

LIVRE III.

GUERRE DES ROMAINS CONTRE LES GAULOIS CISALPINS, DÉCLIN ET CON­


QUÊTE DE LA GAULE CISALPINE. — GUERRE DES ROMAINS CONTRE LES
fiALATES. — FIN DU ROYAUME DE GALATJE......................................................... *8 9

CHAPITRE I.

G aulb cisalpine. S itu a tio n d e c e p a y s da n s l'in te r v a lle d e s d e u x p r e m iè r e s


g u e rr e s p u n iq u e s . — L e s B o ie s t u e n t le u rs r o is A t et G a ll. — In trig u e s des
c o lo n ie s ro m a in e s fo n d é e s su r le s b o r d s d u P<5. — L es C én om a n s tra h issen t
la c a u s e g a u lo is e . — L e p a rta g e d es t e rr e s d u P ic e n u m fa it p r e n d r e les
a rm e s a u x C isa lp in s. — L e u r a m b a ssa d e a u x G é sa te s d e s A lp e s . — U n
G a u lo is et u n e G a u lo is e son t en te rré s v ifs su r u n d e s m a rch é s d e R o m e . —
B a ta ille d e F é su le s o ù le s R o m a in s s o n t d é fa its. — D é fa ite d e s G a u lo is à
T é la m o n . — L a c o n fé d é r a t io n b o ïe n n e s e s o u m e t .— G u e rr e da n s l ’In su b rie ,
e t c o n d u it e p e r fid e d e s R o m a in s . — M a rc e llu s t u e le r o i V ir d u m a r . — S o u ­
m is sion d e l'I n s u b r ie . — T r io m p h e d e M a r c e llu s ........................ .............................. $89
Gaule cisalpins. A llia n c e d e s G a u lo is a v e c A n n ib a l.— L e s R om a in s en v o ie n t
d e s c o lo n ie s à C r é m o n e et à P la ce n tia . — S o u lè v e m e n t d es B o ïe s et d es
In s u b r e s ; ils d isp e rse n t le s c o l o n ie s , e n lè v e n t le s t r iu m v ir s , e t d é fo n t u ne
a rm é e ro m a in e da n s la fo r ê t d e M u tin e. — A n n ib a l tra v e rse la T ra n sa l­
p in e e t les A lp e s . — In ce r titu d e d es C is a lp in s ; c o m b a t d u T é sin . — L es
C isa lp in s se d é c la r e n t p o u r A n n ib a l; b a ta ille s d e T r é b ie , d e T h ra sy m èn e,
d e C a n n es, g a g n é e s p a r le s G a u lo is . — D é fa ite d e s R o m a in s d a n s la fo r ê t L i-
tana. — T en ta tiv es in fru c tu e u se s d ’A n n ib a l p o u r ra m en er la g u e rr e da n s le
n o rd d e l ’Ita lie . — A s d ru b a l p a sse le s A lp e s ; il est v a in cu p r è s d u M éta u re.
— M a g o n d é b a rq u e à G e n u a ; il est v a in cu da n s l ’ I n su b rie . — L e s G a u lo is
su iv e n t A n n ib a l e n A f r iq u e ............................................................................. .. 314

CHAPITRE III.

D ernières gu erres des ga u lois cisalpins. M o u v e m e n t n a tio n a l d e tou tes


les trib u s cir c u m p a d a n e s ; c o n d u ite s p a r le C a rth a g in o is A m ilc a r , e lle s b rû ­
len t P la ce n tia ; e lle s so n t d é fa ite s. — L a g u e rr e se c o n tin u e a v e c d es su c cè s
d iv e r s .— T ra h is on d es C é n o m a n s ; d é s a s tre d e l ’a rm é e tra n sp ad an e — N o u ­
v ea u x efforts d e la n a tion b o ïe n n e ; e lle est v a in cu e . — C ru a u té d u con su l
Q u in tiu s F la m in in u s. — L e s d é b ris d e la n a tion b o ie n n e se retiren t su r les
b o r d s d u D a n u b e.— B r ig a n d a g e s d es R o m a in s da n s les A lp e s , e t a m b a ssa de
d u r o i C in c ib il.— D e s é m ig r é s tra n sa lp in s v e u le n t s’ é ta b lir da n s la V é n é t ie ;
ils s o n t ch a ss és. L a r é p u b liq u e ro m a in e d é c la r e q u e l'I t a lie est fe r m é e
a u x G a u lo is ........................... -,...................................................................................................... 353

CHAPITRE IV.

G a llo -G r è c e . D e scr ip tio n g é o g r a p h iq u e d e c e p a y s ; ra c e s q u i l’ h a b ita ie n t;


sa co n s titu tio n p o litiq u e . — C u lte p h r y g ie n d e la G ra n d e -D é e s se . — R ela ­
t io n d es G a u lo is a v e c le s a u tres p u iss a n ce s d e l ’O r i e n t .— I.es R om a in s
c o m m e n c e n t la co n q u ê t e d e l'A s ie M in e u re . — Cn. M a n liu s a tta q u e la
G a la t ie ; les T o lis t o b o ïe s so n t v a in cu s su r le m o n t O ly m p e ; le s T e c to s a g e s
aur le m o n t M a g a b a . T ra it d o ch a ste té d e C h io m a r a . — L a ré p u b liq u e
ro m a in e m é n a g e le s G a la te s . — L e t r io m p h e e s t r e fu sé , p u is a c c o r d é à
M a n liu s. — L es m œ u rs d e s G a la tes s’ a ltè r e n t; lu x e et m a g n ifice n ce d e leu rs
tétra rq u es. — C a ra ctè r e d o s fem m es g a la t e s ; h istoire to u ch a n te d e C am raa.
— D é c a d e n c e d o la con s titu tion p o l it i q u e ; le s tétra rq u es s ’e m p a re n t de
l'a u to rité a b s o lu e . — M ith rid a te fa it a ssa ssin er le s tétra rq u es da n s un festin.
— C e roi m e u rt d e la m a in d ’ ua G a u lo is ................ ..................................... ................. 379
L IV R E IV .

P.AÜLE T R A N S A L P IN E . — SES DIVE RSES FAM ILLES DE PEUPLES î LEURS

M OEURS, LEURS GOUV E R N EM EN TS.— PREM IÈRES CONQUÊTES DES ROMAINS


AU DELA DES A LPE S. 423

CHAPITRE I,

S itu a tion d e la G a u l e t r a n s a l p i n e , p e n d a n t le s s e c o n d et p r e m ie r s iè cle s


a v a n t n o t r e è re . — D e s c r ip tio n g é o g r a p h iq u e du p a y s ; ses p r o d u c tio n s
v é g é t a le s , a n im a le s , m in é r a le s ; sa p o p u la t io n d iv isé e e n t ro is fa m ille s h u ­
m a in es. — I . F a m i l l e i b é r i e n n e : 1° Aquitains ; to p o g r a p h ie et g o u v e r ­
n em en t. 2 ° Ligures; le u r c a r a c t è r e , leu rs m œ u r s ; d e s crip tio n d e leu r
t e r r it o ir e ; trib u s e t co n fé d é r a tio n s . I I . F a m i l l e Galls;g a u lo is e : 1°
t o p o g r a p h ie d u p a y s , su b d iv isio n s d e la r a c e . 2 ° Kimris d e la p r em ière
in v a s io n , le u r t e r r it o ir e , le u r s trib u s . 3 ° Kimris-Belges; te rr ito ire e t n a ­
tion s. — C a ra ctè r e , m œ u rs, in d u str ie , r e lig io n , g o u v e r n e m e n t d e s G a u lo is .
I I I . F a m i l l e g r e c q u e i o n i e n n e : C o n tin u a tio n d e l ’ h istoire d e s M assa
lio t e s . — D ésa stre d e P h o c é e . — A g ra n d iss e m e n t d e M a ssa lie. — T opo.
g r a p h ie d e ce tte v il le ; ses l o i s ; so n g o u v e r n e m e n t ; sa r e l ig i o n ; ses m œ u r s ;
sa litté ra tu re e t se s h o m m e s illu s t r e s ; ses c o lo n ie s ; son c o m m e r c e ; son
a llia n c e a v e c R o m e ; é p o q u e d e sa g ra n d e p r o s p é r it é c o m m e r c ia le e t d e sa
p u iss a n c e m a ritim e ....................................................................................... .. ............. 423

CHAPITRE II.

P l a i n t e s d e s M a ss a liotes a u sén a t d e R o m e c o n t r e le s L ig u re s O x y b e s et
D é c é a t e s ; p r e m iè r e g u e rr e d e s R o m a in s d a n s la G a u le tra n sa lp in e. — N o u ­
v e lle s p la in te s d e s M a ss a liotes a u s u je t d e s L ig u r e s -S a ly e s ; C . S e x tiu s
s o u m e t u n e p a rtie d e la L ig u r ie cisr h o d a n e ; fo n d a tio n d e la v il le d'Eaux-
Sextiennes; c o m m e n c e m e n t d e la fra te r n ité d e s É d u e s a v e c le s R om a in s .
— L ig u e d é fe n s iv e d es A l lo b r o g e s e t d es A r v e r n e s c o n t r e R o m e ; le s A l lo ­
b r o g e s so n t v a in cu s p a r C n . D o m it iu s , le s A r v e r n e s p a r Q . F a b iu s M a x i-
m u s. — D o m itiu s s ’ e m p a re d u ro i B itu it p a r tra h is on . — É ta b lis se m e n t
d ’ un e province romaine tra n sa lp in e . — T r o p h é e s d e D o m itiu s e t d e F a b iu s
da n s la G a u l e ; le u r t r io m p h e à R o m e . — A c c r o is s e m e n t p r o g r e s s if d e la
p r o v in c e . — L es R o m a in s s’ e m p a re n t d e s r o u t e s d e s A l p e s ; h é r o ïs m e de
la n a tio n d e s S tæ n e s . — D é fa ite d e C . C a ton p a r le s S co r d is q u e s . —
C rassus c o n d u it u n e c o lo n ie r o m a in e à N a r b o n n e . — O rg a n isa tion d ’ un e
p r o v in c e r o m a in e .............................................................................. ....................... .. 547

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