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5 DECROISSANCE ET PRODUCTION DES

RADIONUCLEIDES

Cette section contient une brève revue des faits intéressants sur la radioactivité, i.e. le phénomène de
décroissance nucléaire, et sur les réactions nucléaires, la production de nucléides. Pour plus de détails,
le lecteur se reportera aux livres spécialisés de physique nucléaire et de radiochimie, et sur les
applications de la radioactivité dans les Sciences de la Terre (cf. liste bibliographique).

5.1 INSTABILITE NUCLEAIRE


Si un noyau contient un excès trop important de neutrons ou de protons, il se désintègrera tôt ou tard
pour former un noyau stable. Les différents modes de décroissance radioactive seront discutés
brièvement. Les changements variés qui peuvent prendre place dans un noyau sont montrés sur la
Fig.5.1. Pendant la transformation en un noyau plus stable, le noyau instable perd une partie de son
énergie potentielle et de son énergie de liaison. Cette dernière énergie Q est émise sous forme
d’énergie cinétique et est partagée entre les particules formées suivant les lois de conservation de
l’énergie et de l’impulsion (voir Sect.5.3).
L’énergie libérée pendant la décroissance nucléaire peut être calculée à partir du bilan de masse de la
réaction de décroissance, en utilisant les équivalences de masse et d’énergie, discutées en Part.2.4. Les
déterminations de la masse atomique ont été faites très précisément et de façon très fiable par des
mesures en spectrométrie de masse:

E = [Mparent − Mdaughter] × mc2 (5.1)

avec

1 uma ≡ 931.5 MeV (5.2)

La désintégration du noyau parent produit un noyau fils qui est généralement dans un état excité.
Après un temps extrêmement court, le noyau fils perd son énergie d’excitation au travers de l’émission
de un ou plusieurs rayons γ (gamma), radiation électromagnétique de très petite longueur d’onde,
équivalente à l’émission de lumière (radiation également électromagnétique, mais de plus grande
longueur d’onde), par des atomes qui ont été amené dans un état d’excitation. Dans quelques cas,
toutefois, la décroissance ß est directement liée à l’état de base du noyau fils, sans émission de
radiation γ. La Fig.5.2 montre les divers schémas de décroissance de quelques nucléides familiers.

67
Chapitre 5

5.2 DECROISSANCE ET RADIATION NUCLEAIRE


Dans les sections qui suivent maintenant, les différents types de désintégration nucléaire spontanée
seront discutés.

5.2.1 DECROISSANCE DU NEGATRON (β−)

La décroissance la plus commune est la décroissance ß−, qui implique l’émission d’un électron négatif,
un négatron ou particule β− (bêta) en raison de la transformation à l’intérieur du noyau d’un neutron
en proton:

n → p+ + β− +⎯ν + Q (5.3)

Ceci produit un noyau fils avec un A équivalent et le passage d’un nombre atomique Z à Z+1, avec
l’émission d’un électron et d’un anti-neutrino. L’(anti)neutrino est une particule ayant principalement
une masse relativiste, i.e. une masse due à son mouvement (Les neutrinos et les négatrons ont leur spin
anti-parallèle à leur direction de déplacement et les anti-neutrinos et positrons parallèle à cette
direction).

L’énergie totale de réaction Q est partagée entre la particule β et l’(anti)neutrino. La conséquence en


est que, bien que Q soit à un niveau spécifique d’énergie, le spectre d’énergie des particules ß− est
continu, de zéro à une énergie maximale donnée Eßmax = Q. La distribution d’énergie est telle que le
maximum de cette distribution est situé à un tiers de l’énergie maximale.
Comme mentionné plus haut, dans quelques cas, le noyau fils résultant n’est pas dans un état excité, et
donc aucune radiation γ n’est émise. Ceci se produit avec deux isotopes très utilisés en hydrologie
isotopique, i.e. 3H et 14C.

5.2.2 DECROISSANCE DU POSITRON (β+)

Ce type de transformation nucléaire implique l’émission d’un positron ou particule ß+ (bêta plus) en
tant que résultat d’une transformation à l’intérieur du noyau, d’un proton en un neutron:

p+ → n + e+ + ν + Q (5.4)

et, après son ralentissement, le positron réagit vite avec les électrons présents partout:

e+ + e − → 2γ (5.5)

Ici, deux masses d’électron sont transformées en énergie. Le processus est appelé annihilation, et
l’énergie libérée énergie d’annihilation. Avec la masse de l’électron,

me = 5.4858026×10−4 (5.6)

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Décroissance et Radiation Nucléaire

Fig.5.1 Différents modes de décroissance radioactive représentés sur un secteur du tableau des
nucléides (cf. Fig. 1.2). N est le nombre de neutrons, Z le nombre de protons.

l’énergie résultante est de 1.022 MeV, ce qui est représenté par deux particules γ de direction opposée
et de 511 keV chacune. Ce type de décroissance est connu, par exemple, lors de la formation naturelle
de 40K (Fig.5.2).

5.2.3 CAPTURE D’ELECTRON (CE)


Le noyau peut capturer un électron à partir du cortège électronique l’entourant en boucliers
consécutifs. Dans ce cas, la réaction suivante a lieu:

p+ + e− → n + ν + Q (5.7)

Suivant le bouclier atomique d’origine de l’électron capturé par le noyau, la capture de l’électron est
appelé Capture K, Capture L, et ainsi de suite. La décroissance β+ et la CE laissent le nombre de
masse A du noyau inchangé tandis que Z devient Z-1 (Fig.5.1). L’atome est laissé dans un état excité
et retourne à son état initial en émettant une radiation électromagnétique de courte longue d’onde, i.e.
rayons γ de basse énergie ou rayons X. Comme pour les modes de désintégration précédents, l’état
excité du noyau cause l’émission d’un ou plusieurs rayons γ.

5.2.4 DESINTEGRATION ALPHA (α)

La désintégration α (alpha) implique l’émission d’une particule α (=un noyau d’4He):

A A−4 4
ZX → Z − 2Y + 2 He (5.8)

69
Chapitre 5

Fig.5.2 Schémas de désintégration de quelques nucléides obéissant à des décroissances β−, β+ ou


CE, le dernier exemple de 40K en rameaux de décroissance, et la radiation γ consécutive
émise par le noyau fils excité, ainsi que la formation de 2 γ par annihilation de la particule
β+ émise.

Ce type de désintégration se produit en premier lieu à l’intérieur d’éléments lourds tels que ceux de la
série de l’uranium et du thorium. L’émission d’une particule α lourde coïncide pratiquement avec
l’émission de rayons γ de relativement haute énergie.

Parce que, comme dans tous les cas, l’énergie de réaction Q est partagée entre les atomes Y et He
selon les deux lois de conservation, le cas de l’émission α est spécial. Comme avec un pistolet de tir,
pour lequel le tireur sent une très forte énergie d’impulsion contre son épaule, le noyau fils reçoit ce
que l’on appelle un recul relativement fort. Ceci est particulièrement important quand l’énergie de
recul est assez grande pour arracher le noyau fils de son lien chimique. Ce phénomène est la base des
études de l’abondance naturelle des désintégrations des noyaux de la série de l’uranium et du thorium.
En Part.5.3, nous présenterons quantitativement cette énergie de recul.

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Décroissance et Radiation Nucléaire

5.2.5 FISSION SPONTANEE ET INDUITE, EMISSION NEUTRONIQUE


Les nucléides des éléments lourds ont la possibilité de se casser en deux noyaux fils relativement
importants, en même temps que d’émettre un nombre de neutrons. Cette désintégration peut se
produire spontanément mais aussi par le bombardement du noyau père par un neutron extérieur
produit, par exemple, par un noyau voisin. Ceci correspond au processus dominant dans les réacteurs
nucléaires (Part.5.4.2; Chapitre 12).

5.3 RECUL PAR DESINTEGRATION RADIOACTIVE


Dans le chapitre précédent, nous avons mentionné le phénomène d’impulsion et d’énergie de recul qui
ne met en pratique aucune désintégration du noyau. Toutefois, dans le cas d’une particule lourde telle
que la particule α quittant le noyau, l’effet n’est pas négligeable. Nous allons maintenant calculer
l’énergie de recul en considérant les mécanismes classiques de ce processus (Fig.5.3).

Fig.5.3 Après la désintégration radioactive, le noyau fils M et la plus petite particule émise m
(par exemple, une particule α) se déplacent en directions opposées, portant ensemble
l’énergie de désintégration en tant qu’énergie cinétique.

Le principe de conservation de l’impulsion nécessite:

MV + mv = 0 ou M2V2 = m2v2 (5.9)

tandis que le principe de conservation de l’énergie nécessite que l’énergie de désintégration soit égale
à la somme des deux énergies cinétiques:

Edésintégration = ½ MV2 + ½ mv2 = EM + Em (5.10)

A partir de l’Eq.5.9, nous avons:

1 1 1 m
EM = MV 2 = M2V2 = m2v2 = Em (5.11)
2 2M 2M M
Avec l’Eq.5.10:

⎛ m⎞
Edésintégration = ⎜1 + ⎟ Em
⎝ M⎠

71
Chapitre 5

ainsi, les énergies des deux particules sont, respectivement:

M m
Em = Edésintégration et EM = Edésintégration (5.12)
M +m M +m

238
Dans le cas de la désintégration α de U avec une énergie de désintégration d’environ 4.2 MeV, le
234
noyau fils, Th, reçoit une énergie de recul de [4/(234+4)] × 4.2 MeV = 71 keV, plus que suffisante
pour casser le lien chimique entre l’atome de Th et les atomes environnants dans le minéral (voir
Part.12.14 et Volume 4 sur les Eaux Souterraines pour une discussion des conséquences).

5.4 REACTIONS NUCLEAIRES


Le principe global de la réaction nucléaire est que le noyau est bombardé par une particule qui est,
tout d’abord, absorbée par le noyau pour former un composé nucléaire. Ceci ne produit pas une
particule stable. Dans un laps de temps très court, le composé nucléaire perdra son excès d’énergie par
relargage d’une ou plusieurs particules, formant un nouveau noyau au stade ultime. Les particules
« bombardantes » peuvent être soit crées par “l’Homme”, soit provenir d’un accélérateur de particules
nucléaires (particules chargées électroniquement) ou d’un réacteur nucléaire (neutrons de haute ou de
basse énergie), ou encore être d’origine naturelle.
Quelques exemples peuvent être utilisés pour montrer la convention d’écriture des réactions
nucléaires:

36
Ar + n → p + 36Cl ou 36
Ar(n,p)36Cl

40
Ca + n → α + 37Ar ou 40
Ca(n.α)37Ar (5.13)

40
Ar + n → 2n + 39Ar ou 40
Ar(n,2n)39Ar

5.4.1 PRODUCTION NATURELLE


La nature est, constamment et intensivement, à l’origine de réactions nucléaires Les particules
« bombardantes » peuvent avoir deux origines:

1) les radiations cosmiques, une avalanche de fragments de noyaux atmosphériques, et un large


éventail de particules, depuis les photons et les électrons jusqu’aux neutrons et mésons. Ils sont
primitivement produits en tant que particules secondaires et tertiaires dans la haute atmosphère,
dans un processus appelé spallation, par des protons cosmiques de très haute énergie et par un
petit pourcentage de noyau d’hélium provenant du soleil, de beaucoup plus loin dans notre
galaxie et probablement depuis l’espace extragalactique. Les mésons qui atteignent la surface de
la Terre ont une puissance de pénétration très importante et peuvent être observés à de grandes
profondeurs sous la surface du sol ou de l’eau.
Les variations des radiations cosmiques trouvent leur origine dans des évènements tels que les
explosions de taches solaires et de supernovas. Indirectement, le soleil influence également le flux

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Décroissance et Radiation Nucléaire

des rayons cosmiques dans l’atmosphère. Le fait est qu’une partie des particules primaires
entrantes sont déviées loin de la Terre par le champ magnétique terrestre, qui n’a pas été constant
à travers les temps géologiques. Le champ magnétique variable du soleil s’ajoute aussi au champ
magnétique terrestre et donc dans la capacité de bouclier (=protection) de la Terre contre les
particules cosmiques.
Les radiations cosmiques produisent des noyaux radioactifs dans l’atmosphère principalement au
travers de deux types différents de réactions:

(i) les réactions de haute énergie par des particules secondaires telles que protons, neutrons et
noyaux d’He bombardant les noyaux atmosphériques (N, O, Ar); ces réactions sont à
l’origine de l’abondance dans l’atmosphère de noyaux tels que 3H, 7Be, 26Al, 32Si, 39Ar et
85
Kr;

(ii) les réactions de basse énergie provoquées par des neutrons thermiques, et dont la production
de 14C dans l’air est l’exemple le plus connu.
Ces réactions seront discutées plus loin, en même temps que le traitement spécifique de différents
isotopes (Chapitres 8 et 12).

2) à partir de particules issues de désintégration nucléaire, primairement les neutrons issus de la


désintégration spontanée des noyaux de la série de l’uranium, de l’actinium et du thorium. Ces
processus se produisent sous la surface et dépendent de la teneur en uranium et en thorium des
minéraux du sol (Chapitre 12).

5.4.2 RELARGAGE ANTHROPIQUE DE RADIONUCLEIDES


L’Homme est également devenu capable de produire des nucléides et même des éléments, non
présents originellement dans la nature, à petite échelle dans un laboratoire mais aussi à grande échelle
dans l’environnement naturel, par les explosions des armes nucléaires.
Les relargages anthropiques de radioactivité sont liés aussi bien aux essais nucléaires qu’aux pertes
régulières ou accidentelles depuis les industries (centrales) nucléaires.
Le relargage de radioactivité en liaison avec les essais des armes nucléaires a eu deux principales
causes, i.e.:

1) Les bombes à fission, basées sur les réactions de fission de l’uranium et du plutonium, induites
par des neutrons:

235
U + n → noyau avec A ≈ 85 −100 + noyaux avec A ≈ 130 −145 + neutrons

et

239
Pu + n → noyau avec A ≈ 95 −105 + noyau avec A ≈ 132 −142 + neutrons

Des exemples bien connus de nucléides radioactifs en tant que produits de la distribution
asymétrique de masse de produits de fission à longue période de demi-vie sont 93Zr et 99Tc d’une
part, et 129I et 137Cs d’autre part. Les activités industrielles concernant la production d’énergie

73
Chapitre 5

nucléaire et retraitement du combustible peuvent apporter, à petite échelle, des matériaux de


déchets nucléaires dans l’environnement, identiques à ceux produits par les explosions des
bombes.
Un cas spécial de relargage de déchets nucléaires est l’apparition d’incidents dans les réacteurs
nucléaires. Dans quelques cas (ex. Tchernobyl en 1986), suffisamment de radioactivité fut
injectée dans l’environnement pour pouvoir détecter certains isotopes dans la nature, comme par
exemple dans les sédiments et les carottes de glace.

2) Plus spécialement lors des explosions nucléaires, la densité des neutrons dans l’air ambiant était
suffisamment élevée pour provoquer l’apparition de nucléides radioactifs qui sont également
produits par la nature elle-même:

14
N + n → 12C + 3H or 14
N(n,3H)12C

et

14
N + n → 14C + 1H or 14
N(n,p)14C

3
H (tritium) et 14C (radiocarbone), et d’autres isotopes produits de façon cosmogénique aussi bien
qu’anthropique seront discutés en détails dans les chapitres 8 et 12.

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