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Le racisme et l’apartheid

en Afrique australe 1
Afrique du Sud
et Namibie
Dossier établi d’après une documentation
réunie par le Mouvement anti-apartheid

Les Presses de l’Unesco Paris 1975


L e racisme et l’apartheid
en Afrique australe
Afrique du Sud et
Namibie
Publié par les Presses de l’Unesco,
7,place de Fontenoy,75700 Paris
Imprimeries Réunies, Lausanne

ISBN 92-3-201199-9
Édition anglaise 92-3-101
199-5

Photo de couverture: Almasy 0 Unesco 1975


Préface

La plupart des gens ne connaissent l’apartheid que par ce qu’ils en lisent dans
les journaux ou ce qu’ilsen voient à la télévision. Ils sont des milliers à ressentir
profondément les souffrances qu’il provoque. mais ce sont littéralement des
millions de personnes qui souffrent directement de ce système inhumain et
dégradant qui les prive des droits de l’hommeles plus élémentaires même.
La communauté internationale.que les événements de la deuxième guerre
mondiale avaient plongée dans une immense horreur,adopta en 1948 la Décla-
ration universelle des droits de l‘homme.Mais pour la majorité des habitants de
l’Afriqueaustrale,cette déclaration pourrait tout aussi bien ne jamais avoir été
adoptée:pour eux.elle est restée lettre morte.
Ce livre a été rédigé sur la base de documents réunis par le Mouvement
anti-apartheiden vue de constituer un dossier pédagogique sur l’Afrique aus-
trale.La partie qui concerne la Rhodésie sera publiée séparément.Les opinions
exprimées dans ce livre ne correspondent pas nécessairementà celles du Secréta-
riat.
En tant qu’institution spécialisée des Nations Unies pour l’éducation. la
science et la culture. l’Unesco espère que ce livre intéressera en particulier les
enseignants et qu’il les aidera à faire en sorte que la nouvelle génération soit
plus consciente que les précédentes des injustices intolérables que nous conti-
nuons ii tolérer et plus fermementrésolue à y mettre un terme.
~
Table
des matières

I Afrique du Sud

1. Histoiipc t k I 'q~urtlrcitl 1 7
L'Afrique du Sud 30;Le Grand Trek 33: Diamants et or 34: Rhodes:
la rivalité entre les Boers et les Britanniques 28; L'organisation des
Africains 31
7
I. DL;i . e l n p picw
~ t (It> I'C:corroniit) 38
Géographieetclimat 38:Le produit intérieur brut de l'Afrique du Sud 41 ;
Industrialisation 43 :Commerce 48
3. L 'tipar-their1 e1
ti l ' i ~ w ~ ~ r5
Le cadre institutionnel 52; L'Afrique du Sud devient une république 55 :
L'apartheid et l'économie 56: L'éducation 70: Les lois sur les laissez-
passer 77;Les /ioirw/tim!r 80;Les Africains dans les zoms urbaines 87:
La skuriié 91
4. Be I'oppositiotr ti Ici rc;si,\ititicr 98
La campagne de désobkissance aux lois injustes 101; Le Congrès du
peuple 103: Le ((procès en trahison)) 106;Sharpcville 107: L'opposi-
tion passe dans la clandestinité 108: Rivonia I IO: L,'Affaire des 22 1 17;
La grève de Port Eli7abeth 113; Le procès des ((Six de Pretoria)) 113:
Manifestations d'étudiants 114; Nouvelle vague de grèves 117: L a
Conscience noire 1 18
-7. Le inotrtie e.utL;rirru 130
Les Nations Unies 130: L'Afrique 122: Aspects stratégiques 124;Em-
bargos et boycottages 128: La ségrégation de l'apartheid 139
6. Qrititicl de tels Iiotiiriirs se ic4wIterrt... 140
Nelson Mandela 140: Abram Fisher 141 :Albert Luthuli 142
II Namibie
1. Historique 147

2. L’économie 149
Lesminéraux 149 ; L‘agriculture 150 ; La pêche 150; Le tourisme 150 ;
Les salaires 150 ; Les servicessociaux 151

3. L’éducation 152

4. Histoire et peuplement 154


5. L a relève sud-africaine 159

6. L a Namibie et les Nations Unies 162

7. L’apartheid et les homelands 164

8. L a résistance 168

Bibliographie 173
Quelques dates de l’histoire
de l’Afrique du Sud
et de la Namibie

Afrique du Sud

700 Début de l‘immigrationde Bantous en Afrique australe.


1653 Installation des premiers colons hollandais au Cap sous la
conduite de Jan van Riebeeck.
1779 Première guerre des Cafres: premier grand affrontement entre
colons et Bantous.
1806 La colonie du Cap devient britannique.
1809 Une proclamation restreint la liberté de mouvement des Métis.
1818 Début de la carrière de Shaka le Zoulou.
1823 Moshoeshoe devient roi des Sothos.
I834 Abolition de l’esclavagedans la colonie du Cap.
1836 Début du Grand Trek.
1860 Arrivée au Natal des premiers travailleurs indiens engagés sous
contrat pour travailler dans les plantations de canne à sucre.
1867 Découverte de diamants à Kimberley.
1868 Le Lesotho devient un protectorat britannique (sous le nom de
Basutoland).
1884-1 885 Traité de Berlin.
1885 Le Botswana (Bechuanaland) passe sous protectorat britannique.
I896 Découverte d’orau Witwatersrand.
1 899%1902 Guerre des Boers.
1902 Mort de Rhodes.
1904 Importation de main-d’œuvrechinoise pour les mines d’or.
1906 Augmentation de la capitation exigée des Zoulous. Législation
instituant des laissez-passerpour les Indiensdu Transvaal.
1907-191 3 Gandhi organise une campagne de désobéissance civile parmi les
membres de la communauté indienne.
1910 L’Union sud-africaineaccède à l’indépendanceau sein de l’Empire
britannique.
1912 Création du Congrès national africain (ANC).
1913 Loi sur le régime foncier applicable aux terres indigènes.
10

1919 Campagne d’autodafé des laissez-passerorganisée par le Congrès


national africain dans le Rand. Création au Cap du Syndicat de
l’industrieet du commerce.
1920 Embauche d’ouvriers africains dans les mines du Rand.
1926 La loi modifiant le statut des maîtres et des serviteurs prive les
Africains du droit de grève.
1936 La loi sur la représentation des indigènes par des parlementaires.
1946 Grève de 60000 mineurs africains dans le Rand, brisée par des
forces de police en armes.
1948 Victoire des nationalistes aux élections générales.
950 La police ouvre le feu sur une manifestation dans la réserve de
Witzieshoek. Seize Africains tués. 1 er mai : les travailleurs
observent un arrêt de travail;des heurts avec la police se soldent
par 18 morts. 26 juin: Journée nationale de protestation et de
deuil.
952 Campagne de désobéissance civile.
1953 Boycottage des écoles en réponse à l’instauration de 1’« Éducation
bantoue ».
1955 Expulsion de 58000 famillesde Sophiatown.
1955-1956 Les Africaines manifestent contre l’extension aux femmes des lois
sur les laissez-passer.Le boycottage des autobus d’Evatonen guise
de protestation contre les augmentations de tarif dure plus de six
mois.
1955 26 juin :le Congrès du peuple adopte la Charte des libertés.
1956 Arrestation de 156 personnes :I’ANCest poursuivi pour trahison.
1957 26 juin: grève à domicile de vingt-quatre heures. Les ouvriers
réclament une livre sterling de salaire minimal. Le boycottage des
autobus d’Alexandra dure quatre mois.
1958 Grève nationale de vingt-quatreheures.
1959 La police charge à coups de matraque sur 2000 manifestantes à
Cat0 Manor. U n boycottage visant initialement les tabacs Rem-
brandt et quelques autres produits entraîne un appel au boycot-
tage internationalde l’Afriquedu Sud.
1960 21 mars : état d’urgence à Sharpeville. Vague d’arrestations.
28 mars : grève massive de protestation.Avril : le Congrès national
africain et le Congrès panafricaniste sont déclarés ((organisations
illégales)). Révolte au Pondoland :39 morts.
1961 Mars: élection de Mandela à la tête du Conseil d’action nationale
qui vient d’être créé. 29 mars: la consigne de grève à domicile de
trois jours est massivement suivie,malgré le déploiement de forces
armées auquel procède le gouvernement et qui incite Mandela à
lever l’ordre de grève le deuxième jour. Juin: les dirigeants afri-
cains examinent la façon de passer à la résistanceviolente.
1962 Août: Mandela est arrêté et condamné à cinq ans de prison. I1
prononce à son procès le discours: « M a conscience me dictera
toujours...))
1963 1 1 juillet:arrestation à Rivonia d’un grand nombre de dirigeants
de la résistance clandestine. Saisie de centaines de documents. Le
II

procès de huit accusés. parmi lesquels se trouve Mandela et qui


risquent la peine capitale,déclenche un mouvement international
de protestation.Les accusés sont condamnés à la prison à vie.
1966 Mai : Bram Fischer,grand avocat des procès politiques,Afrikaner
et communiste.est condamné à la prison à vie.
1967 Des incursions de bandes armées dans la vallée de Wankie (Rho-
désie) marquent le début de la guérilla déclenchée par l’alliance
militaire ZAPLI-ANC.
1969 Avril : grève des dockers de Durbai:.
1 969-1 971 AfFiiire des vingt-deux.
1970 et Campagne de diffusion de tracts de 1’ANC au moyen de
années ((bombes))lancées aiix heures de pointe dans un grand nombre
suivantes d’agglomér, ‘1 t’1or.s.
1971 Mars: boycottage des autobus de Port Elizabeth: la police ouvre
le feu contre une manifestation et onze personnes sont tuées.
Mai: arrestation du combattant de la liberté James April, qui est
condamné h quinze ans de prison en vertu de la loi sur le terro-
risme.
1973-1 973 Nombreuses grèves. notamment dans la région de Durban. Nais-
sance du mouvement dit de la Conscience noire. Agitation accrue
des étudiants.

Namibie

1484 L’explorateur portugais Diego Cao visite la côte et capture


quelques habitants.
1182 D e s Européens de la province du Cap visitent les mines de fer et
de cuivre de Dumara. Les Ovambos extraient du minerai de cuivre
à Tsumeb.
Années 1820 Des familleshottentotes et afrikanders quittent la province du Cap
et 1830 pour remonter vers le nord.
1850 Jonker Afrikander (chefnama) bat les Hereros.
1862-1870 Guerres entre les Namas et les Hereros.
1868 Arrivée d’uncommissaire britannique envoyé du Cap.
1876 Exode des Boers vers le nord-estdu territoire.
1878 La Grande-Bretagneannexe Walvis Bay.
1883 «Achat» de Lüderitz Bay par un négociant allemand. La région
est annexée par l’Allemagneen 1884.
1884-1885 La Conférence de Berlin reconnaît la région comme zone
d’influenceallemande.
1888 Maharero.chef des Hereros,force les Allemands à se retirer de sa
capitale.
i 889 Arrivée des premières troupes allemandes.
1890 L’Allemagneannexe le territoire.
1892 Massacre des Namas par les troupes allemandes.
12

1894 Nouvelle défaite des Namas;écrasement de la révolte des Hereros.


1896 Écrasement de la révolte des Namas.
1897 La maladie détruit à 95%le cheptel des Hereros.
1903-1907 Nouvelles révoltes des Namas et des Hereros. Plus de 70% des
Hereros et 60% des Namas sont tués ou meurent de faim.
1904 Les Ovambos infligent une défaite à une expédition portugaise à
Naulila,tuant 305 soldats du corps expéditionnaire.
1908 La découverte de diamants provoque une ruée vers les richesses
minérales et l’arrivéede nouveaux colons.
1914 Première guerre mondiale. Les Ovambos dirigés par le roi Man-
dume obligent un corps expéditionnaire allemand à se retirer.
1915 Invasion des Sud-Africains,qui infligent une défaite aux Alle-
mands.
1916 Les Portugais attaquent Mandume.
1917 Mandume,attaqué par les Sud-Africains,est tué au combat.
1919 La Société des Nations accorde à l’Afrique du Sud un mandat sur
le Sud-Ouestafricain.
1921 L’Afriquedu Sud désigne les membres d’un conseil consultatif.
1922 L’Afrique du Sud crée des ((réserves)) et commence à distribuer
des terres aux colons. Les Namas et les Bondelswarts sont bom-
bardés par l’aviation militaire sud-africaine pour avoir refusé de
payer l’impôtsur les chiens.
1923 Les Rehebothers sont contraints d’accepter une modification du
statut de leur communauté.
1925 Création d’un conseil législatif,dont l’électorat est exclusivement
composé de Blancs.
1932 L’armée de l’air et une unité blindée sud-africainesdétruisent le
village du chef Ovambo Ipumbu.
1945 L’Afrique du Sud demande aux Nations Unies l’autorisation
d’annexer la Namibie.
1946 Refus de l’organisation des Nations Unies. L’Afrique du Sud
refuse de reconnaître l’autorité du Conseil de tutelle sur le terri-
toire.
1950 La Cour internationale de justice décide à l’unanimité que le
mandat reste en vigueur (contrairement à la thèse sud-africaine
selon laquelle ce mandat aurait pris fin au moment de la dissolu-
tion de la Société des Nations).
1959 Manifestation contre les ((déplacements>) de population à Wind-
hoek :la police ouvre le feu,tue 12 personnes et en blesse 50.
1960 Des pays africains demandent à la Cour internationale un ((juge-
ment contentieux)) qui mette l’Afrique du Sud en demeure de
respecter les conditionsdu mandat,mettant ainsi fin à l’apartheid.
1966 La Cour se déclare incompétente.26 août: le SWAPO déclenche
la lutte armée.L’Assembléegénérale met fin au mandat.
1968 Trente-huitmembres du SWAPO,parmi lesquels Ja Toivo, sont
jugés à Pretoria pour terrorisme; vingt et un d’entre eux sont
condamnésà la prison à vie sur Robben Island.
1970 Mort du chef Hosea Kutako,à l’âgede cent trois ans.
13

1971 La Cour internationale déclare que la présence de l’Afrique d u


Sud en Namibie est illégale.
1971-1972 La vie économique est paralysée par un vaste mouvement de grève
des travailleurs namibiens sous contrat. L’état d’urgence est pro-
clamé dans 1’Ovamboland. Les troubles font de nombreuses vic-
times.
1972 Le Secrétaire général essaie d’entamer des négociations avec le
gouvernement sud-africain au sujet de la Namibie. Celle-ci rejette
toute idée d’«indépendance» sous l’autorité de l’Afrique du Sud.
I Afrique du Sud
1 Historique
de l’apartheid

L’Afrique australe a toujours Cti- caractérisée par la mobilité de ses populations.


Venus d’Afrique centrale. ses premiers habitants furent ensuite supplantés par
d’autres immigrants Sgalement venus du centre du continent. Plus tard. ce
fiirent les Européens qui. en s’avanpnt \‘ersl’intérieurdes terres ;I partir de la
cote. traversérent le continent.Les Hollandais se dirigtrent vers le Transvaal,les
Britanniques s’installércrit en Rliodi-sicd u Sud, et les Portugais imniigrércnt en
Angola et au Morainbique. Ces mouvements de populations ont pris mainte-
nant une nou\,elleforme : le ((réétablissenient>) des Sud-Africains et des Naini-
biens de race noire dans de nouvelles zones appelées Iioiw/(/iid.s tribaux I. et
l’expulsiondes Africains de Rhodésie des régions déclarées ((blanches)).
Au début de I’ère chrétienne. l’Afrique australe était peuplie en partie
d‘hommes de la firi de l’âge de la pierre. du type Boschiman. ainsi que de
populations apparentées. d’origine hottentote. qui s’i-taientdéplacées vers le sud
au cours des siècles précédents. Pendant les quelques premieres centaines
d’années de I‘ère chrktienne. divers groupes ethniques noirs se déplacèrent eux
aussi vers le sud et cliassérent jusqu’à l’extrémité du continent ceux qui étaient
arrivés avant eux. Ces iiouveaux venus parlaient bantou; ils vivaient dans des
centres de peuplement de l’âge du fer, dont les grandes mines de Zimbabwe
fournissent les esetnplcs les plus célébres: ils extrayaient d u sol les minerais de
fer et de cuivre, ainsi que l’or. et travaillaient ces clivers mL;tnus. Leurs struc-
tures socio-politiques.qui reposaient sur la famille élargie et sur la tribu, Staient
é\*oluéeset complexes, et c’est d‘elles que sont issues les puissantes monarchies
des Lubas et des Mutapas et leurs <<empires>). Les Bantous se réparti
de nombreux groupes distincts: parmi ceux qui arrivèrent dans le sud avant l’an
1000 de notre érc figuraient les Ngunis et les Sothos.
II y avait kgalement parmi eux l’étonnante communauté des pionniers
Slionas, qui prospéra d u YI‘ au NV‘ sitele. L’hégémonie des Shonas s’étendit
largement sur la partie centrale d u territoire sous I’autoriti- de Mutota
(1430-1450 environ) et de Matope (1450-1480environ). yui tous deux portèrent
Afrique du Sud 18

le titre de Mwana Mutapa (grand pillard). La mort de Matope fut suivie d’une
guerre de succession;le vieil empire se scinda en deux parties - une partie
septentrionale, que l’on appelle encore actuellement le Mwanamutapa, et une
partie méridionale,l’Urozwi,dont la capitale était Grand Zimbabwe.
C’est à cette période qu’arrivèrent les premiers Européens, des Portugais.
Ils découvrirent vers l’an 1500 le puissant royaume kongo, sur la côte occiden-
tale,et, après avoir progressivement développé leur commerce et leur influence,
ils le conquirent en 1665. Les Portugais tournèrent ensuite leurs regards vers le
sud,en direction du royaume voisin des Mbundus, dont le roi portait le titre de
ngolu (d’où le nom de l’Angola), et qui fut à son tour conquis et colonisé en
1683. Mais jusqu’auX I X siècle,
~ la domination portugaise se limita à la côte et a-
l’arrière-paystout proche. L’intérieurne servait qu’à fournir des esclaves pour
la colonie portugaise du Brésil; des centaines de milliers d’Africains furent ainsi
déportés. -_
-.
A l’est (au Mozambique), les Portugais trouvèrent des commerçants arabes,
qui étaient installés depuis des générations sur le littoral de l’océan Indien.Les
Portugais tentèrent de pénétrer à l’intérieurdes terres pour y chercher de l’or et
des esclaves,et ils se trouvèrent rapidement en contact avec l’empire shona du
Mwana Mutapa.En 1629,un conflit de succession dans ce royaume leur permit
de porter au pouvoir leur propre candidat,qui prêta serment d’allégeance au roi
du Portugal.Ici comme en Angola, l’autoritédes Portugais ne s’exerçaitguère
au-delàde la bande côtière,bien qu’ils aient plusieurs fois tenté d’assujettirou
de convertir les populations,mais presque toujours en vain.
L’arrivéedes Portugais fut suivie par celle des Hollandais,qui s’installèrent
au Cap,pour le compte de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales,sous
la direction de Jan van Riebeeck. La Compagnie ne cherchait, en créant cette
colonie,qu’à ménager une escale pour ses navires sur la route de l’Inde,mais
van Riebeeck avait besoin de bétail pour ravitailler les équipages en viande, ce
qui ne manqua pas de mettre les Hollandais en conflit avec les Boschimans qui
pratiquaient l’élevageet la chasse,ainsi qu’avec les Hottentots qui possédaient
de grands troupeaux de bovins et revendiquaient les pâturages.
Le problème des terres, qui devait envenimer les relations entre les Blancs
et les Noirs pendant de nombreuses générations, était devenu en quelques
années un problème de premier planl. Van Riebeeck lui-même écrivait: ((Les
raisons qu’ilsalléguaient pour nous avoir fait la guerre l’an dernier,se plaignant
que certains de nos hommes vivant loin de nous et agissant à notre insu leur
avaient causé un grave préjudice et avaient peut-être même volé et mangé
quelques moutons,quelques veaux, etc., ce qui n’est pas totalement faux, et ce
qu’il est très difficile d’empêcher lorsque des gens du commun échappent
quelque peu à notre surveillance, leur apparaissaient comme appelant une
vengeance, surtout,disaient-ils,à l’égard de ceux qui étaient venus prendre et
occuper des terres qui leur avaient de tout temps appartenu,qui avaient labouré
à la charrue et cultivé en permanence leurs meilleurs terrains,et qui les avaient
tenus à l’écartdes lieux où ils avaient l’habitude de faire paître leurs troupeaux,
ce qui les obligeait à chercher leur subsistance en conduisant leurs troupeaux sur
des pâturages appartenant à autrui,ce qui ne pouvait qu’aboutir à des conflits

1. Voir:A J. WILLS. Inrrodumon ro rhe hisror) of Central Africa, p. 45,1973.


Historique de l’apartheid 19

avec leurs voisins; ils ont réclamé avec une telle insistance que nous leur
restituions leurs terres que nous avons finalement été obligés de leur dire qu’ils
avaient complètement perdu leurs droits sur elles en raison de la guerre qu’ils
nous avaient faite,et que nous n’avionspas l’intentionde les leur restituer,étant
donné qu’elles étaient devenues la propriété de la Compagnie par la force des
épées et en vertu des lois de la guerre.))
La résistance des Hottentots fut réprimée, et beaucoup d’entre eux
devinrent les esclaves des Hollandais et apprirent leur langue.Les enfants issus
de liaisons entre Hollandais et Hottentotes, ainsi que les descendants des
esclaves qui furent amenés plus tard des Indes orientales, constituérent la
première communauté métisse du Cap, qui groupe actuellement la plupart des
deux millions de Métis d’Afriquedu Sud. Beaucoup de Hottentots succom-
bèrent d’autrepart à des nialadies qui étaient inconnuesjusqu’alorsen Afrique
australe. comme la variole,tandis que d’autres encore quittèrent la région du
Cap pour se diriger vers le nord et vers l‘est, où ils établirent de nouvelles
communautés,comme par exemple celles des Koras et des Griquas.
Les Boschimans virent eux aussi leurs conditions d‘existencetrès gravement
menacées par les Hollandais.Ces derniers n’hésitèrentpas à en tuer des milliers,
mais ils réduisirent souvent leurs enfants en esclavage,ce qui conduisit plus tard
i des intermariages avec les serviteurs mktis. D‘autres Boschimans enfin
s’enfuirentvers les déserts du nord.
La communauté des colons s’accrutau cours des années. et d’autres immi-
grants arrivèrent d’Europe. notamment quelques huguenots français. 11 fallut
alors évidemment davantage de terres,et certains partirent du Cap vers le nord.
U n premier grofipede Ho!!mdais. conduit par .!an Cnetzee, traversa !e f e w e
Orange en 1760. I1 rencontra alors les Xhosas, qui étaient installés depuis
plusieurs siècles entre le Limpopo et l’Orange.
C’est en 1779 qu’éclatace qu’on appelle la première guerre des Cafres. Elle
aboutit à la défaite des Xhosas,et le nouveau territoire boer fut délimité par la
rivière Fish.Les Xhosas poursuivirent cependant leur résistance pendant des
dizaines d’annéesaprès leur défaite.
En 1806, les Britanniques s’emparèrent du pouvoir au Cap. C o m m e les
Boers ne supportaient pas l’immixtionde l’administrationdans leurs affaires ni
les pressions anti-esclavagistesqui s’exerçaient sur eux. ils quittèrent Le Cap
pour un nouvel exode et traversèrent. au XI-;‘ siècle. le Drakensberg,le fleuve
Orange et le Vaal. Pour prendre en main l’ensemble de la colonie du Cap. le
Royaume-Uniy fit venir 5 000nouveaux émigrants les <<colons
~ de 1820)).
Ce déplacement des Boers intervint heureusement peu après les migrations
des tribus bantoues du sud.chassées de chez elles par les guerres du chef zoulou
Shaka,dont le despotisme militaire a profondément marqué cette période. Les
attaques de Shaka provoquèrent de grands soulèvements chez les Africains,
dont plusieurs groupes (notamment les Ndebeles et les Ngonis) repartirent de
nouveau vers le nord. En vingt ans,les Ngonis parcoururent 3200 kilomètres,
depuis le Natal jusqu’aunord du lac Nyassa.
Les Sothos habitaient le plateau situé entre le Drakensberg et le Kalahari.
Les guerres des Zoulous leur firent ressentir le besoin d’avoir un chef puissant.
C’est Moshesh qui montra les qualités nécessaires pour jouer ce rôle, et il
s’installaen 1833 dans la forteresse de Thaba Bosiu («la montagne qui grandit
Afrique du Sud 20

la nuit))). Sa diplomatie lui permit, avec l’aide de quelques cadeaux offerts à


Shaka,de conjurer toute nouvelle attaque des Zoulous.Mais après la mort de
Shaka en 1828, Moshesh commença à se rendre compte que la plus grave
menace qui pesait sur son indépendance venait des Européens,et en particulier
des Boers,qui commençaient à pénétrer en groupes dans la vallée du Caledon.
En 1835, les Britanniques avaient atteint le fleuve Orange et Moshesh
comprit qu’il lui faudrait recourir à toute sa diplomatie pour empêcher que son
territoire ne fût pris par l’une ou l’autrede ces deux communautés,ou par les
deux ensemble. Les trente années qui suivirent furent pour lui une période
difficile; il craignait l’expansionnisme déclaré des Boers, mais n’accordait
d’autre part aux Britanniques qu’une confiance limitée. Finalement, la guerre
éclata entre Moshesh et l’Étatlibre d’Orange en 1853;une partie du territoire
des Sothos fut annexée par les Boers en 1866, et deux ans plus tard le royaume
de Moshesh devint un protectorat britannique (c’était le Basutoland, l’actuel
Lesotho). Moshesh mourut en 1870; il avait été un souverain courageux et
capable,qui avait unifié son pays et établi l’autorité centrale du roi sur les chefs
semi-indépendants.Ceux-ciavaient participé à toutes les décisions importantes,
les lois promulguées par les tribus étant le fait de la collectivité et non des
mesures imposées de façon autocratique.
A u nord du Limpopo,les Ndebeles s’installèrentdans la région attenant au
territoire des Shonas - que les premiers colons britanniques dénommèrent
Matabeleland et Mashoualand, et qui constitue aujourd’hui la Rhodésie. Au
Mozambique, les principales tribus étaient toutes d’origine ngonie (Ovambos,
Namas,etc.). En Namibie,les différentes populations africaines furent d’abord
protégées contre les envahisseurs par le désert du Namib, le long de la côte
ouest,ainsi que par les fleuves Kunene (Muene) et Orange, et par le désert du
Kalahari à l’est; mais leur territoire se trouva à son tour menacé, d’abord par
les Britanniques du Cap,puis par les Allemands qui entreprirent de s’en empa-
rer, tantôt par des achats de terres et tantôt par la force. L’expropriation
foncière des Africains fut achevée par le gouvernement sud-africainaprès 1920.

L’Afrique du Sud
Lorsque les Britanniques s’emparèrentfinalementde la colonie du Cap en 1806,
beaucoup de colons hollandais acceptèrent mal qu’un pouvoir étranger leur fût
ainsi imposé et que l’emploide l’anglaiscomme langue officielle devînt obliga-
toire; ils n’admettaient pas non plus l’attitudedes Britanniques à l’égard des
Africains et des Métis. Ils furent indignés par exemple lorsque les Britanniques
créèrent en 1812 la Black Circuit Court (tribunal itinérant pour Africains)
chargée d’examiner les plaintes déposées par les serviteurs et les esclaves contre
leurs maîtres blancs.Le coup fatal leur fut porté en 1834,lorsque les esclaves
d’Afrique australe,comme ceux des autres territoires de l’Empire britannique,
furent émancipés.L’esclavageétait une des clefs de voûte de la société coloniale
hollandaise, et l’émancipation apparut à ces colons comme dirigée contre le
mode de vie qu’ilss’étaientdonné. Mais ils avaient pris l’habitude,au cours de
leur histoire. de se déplacer sur de grandes distances dans des chariots traînés
par des bœufs,à la recherche de nouvelles terres,et c’est ce qu’ils firent en 1837.
C’est ce que l’ona appelé le Grand Trek.
L e Cap: la ville industrielle.
Afrique du Sud 22

Le Grand Trek
Environ 4000Boers,accompagnés d’un nombre à peu près égal de «serviteurs»,
pénétrèrent au Natal par les monts du Drakensberg.D’autres se dirigèrent vers
le nord, mais les Voortrekkers, à cette époque, entrèrent pour la plupart au
Natal. Ils s’y heurtèrent toutefois à l’opposition d’une nation zouloue qui,
réorganisée par son chef Shaka, disposait d’une puissance considérable et qui
était alors gouvernée par Dingaan. Plusieurs affrontements eurent lieu, et plu-
sieurs sites où les Voortrekkers venaient de s’établir subirent des attaques
destructrices;la bataille la plus importante se déroula le 16 décembre 1838 sur
la rivière Neome (la rivière de Sang), où l’armée des Voortrekkers,commandée
par Andries Pretorius, réussit à vaincre l’armée zouloue. Cette victoire des
Boers eut un effet désastreux sur le moral des Zoulous,dont quelques groupes
retirèrent leur allégeance à Dingaan. Ce dernier fut ultérieurement tué au
combat,et Pretorius eut la possibilité de nommer un nouveau roi des Zoulous,
Mpande,qui accepta d’êtrele vassal de la République du Natal.
Les Voortrekkers paraissaient pour le moment jouir au Natal d’une cer-
taine sécurité,et ils élaborèrent une Constitution plaçant leur nouvelle répu-
blique sous l’autoritéd’une assemblée élue composée de vingt-quatreBlancs, le
Volksraad.Ils étaient résolus à ce que cette république restât fidèle à la tradition
des Voortrekkers,et par conséquent aucun droit politique ne fut reconnu aux
non-Blancs;il ne devait jamais être question d’égalité.Les Uitlanders ou étran-
gers blancs qui arrivaient dans cette république n’étaientautorisés à en devenir
citoyens ou y acquérir des terres qu’après y avoir résidé pendant un an et avoir
obtenu un certificat de bonne conduite signé par trois citoyens.
Mais la sécurité de ces Voortrekkers devait être de courte durée, car les
réfugiés zoulous commencèrent très vite à regagner leurs anciens territoires, et
leur nombre l’emportade plus en plus sur celui des Boers. Certains d’entre eux
purent être intégrés à la main-d’œuvre,mais leur nombre risquait de devenir une
menace pour la nouvelle république. C’est pourquoi le Volksraad décida
d’expulser les Africains du Natal et de les transplanter au sud de la rivière
Mtamunna.
Cette décision intéressait les Britanniques de la colonie du Cap, car l’arri-
vée d’Africains en surnombre pouvait constituer une menace sur leurs fron-
tières. A u Royaume-Uni,1’AborigineProtection Society (Société protectrice des
indigènes) protesta contre la manière dont les Boers traitaient les Africains. Et
c’est ainsi qu’en 1842 le gouverneur de la colonie du Cap décida tout d’abord
d’occuper Port-Natal,puis d’annexer l’ensembledu Natal. L’année suivante,le
Volksraad du Natal accepta la colonisation de la république par les Britan-
niques; la plupart des Voortrekkers quittèrent alors cette colonie et entreprirent
la seconde étape du Grand Trek.
Le Natal s’est donc nettement différencié des territoires qui allaient devenir
les autres provinces de l’Afriquedu Sud. Les émigrants boers furent remplacés
par un grand nombre de colons britanniques, qui firent venir en 1860 les
premiers travailleurs indiens engagés sous contrat, faute d’obtenir des Africains
qu’ils respectent les conditions dont étaient assortis les emplois permanents.
C’est pourquoi la plupart des Indiens d’Afrique du Sud vivent actuellement au
Natal,ou en sont originaires.
Historique de l’apartheid 23

La politique des colons à l’égard des Africains au Natal fut marquée par
d’autres mesures. Sous la direction de Theophilus Shepstone, on procéda à la
délimitation de plusieurs zones ou ((quartiers>) réservés aux Africains du Natal,
et tous les Africains furent invités à s’y installer. O n peut voir là un élément
précurseur de la politique qui est actuellement en vigueur en Afrique du Sud,et
en vertu de laquelle les gens de races différentes sont tenus d’habiter dans des
zones distinctes. Shepstone eut également recours aux chefs traditionnels des
tribus. les rendant responsables du maintien de l’ordreet créant à l‘occasion de
nouvelles chefferies.
Les Voortrekkers se dirigèrent vers le nord. de l’autre côté du fleuve
Orange. où plusieurs groupes de leurs compatriotess‘étaientdéjà installés.Cette
région donna cependant lieu à de vives contestations au cours des années 1840.
Les Ndebeles furent repoussés plus au nord par les Boers et chassés sur l’autre
rive du Limpopo; mais les Sothos. ainsi que les deux groupes de Griquas
(Hottentotsmétis), revendiquèrentcette région.Des missionnaires britanniques
qui s’occupaient des affaires des Griquas tenterent de convaincre le gouverne-
ment de Londres de protéger cette ethnie. En 1848 finalement, le nouveau
gouverneur du Cap, sir Harry Smith, annexa toute la région comprise entre
l’Orange et le Vaal, malgré l’opposition de la plupart des Blancs qui s’y
trouvaient. et il lui donna le nom de Souveraineté du fleuve Orange. Les
Britanniques réussirentii battre une armée boer commandée par Pretorius,mais
ils ne parvinrent pas ii vaincre les Sothos conduits par Moshoeshoe. En fin de
compte,le gouvernement britannique décida.pour des raisons financières et à la
consternation de Smith,de désannexer la Souveraineté du fleuve Orange. Cette
décision,qui fut concrétisée par la Convention de Bloemfontein en 1854,allait
assurer pour un temps l’indépendancede l’Étatlibre d’Orange.
Cependant, les Boers étaient en train d’instituer une nouvelle colonie de
petites républiques au Transvaal.En 1852,à la Convention de Sand River,ils
conclurent avec les Britanniques un accord qui reconnaissait le droit des Voor-
trekkers à la possession de terres africaines.Une clause de cet accord stipulait:
((I1 est convenu qu’aucune autorité britannique ne soulèvera d’objection
contre l’achatpar les émigrants boers de leur ravitaillement en munitions dans
toute colonie ou possession britannique d’Afriquedu Sud. étant entendu par les
deux parties que tant le gouvernement britannique que les agriculteurs émigrés
interdisenttout commerce de munitions avec les tribus indigtines des deux côtés
du fleuve Vaal.H
Les Voortrekkers pouvaient donc acheter des fusils.mais non les Africains.
Cela permit aux Boers de créer leurs États indépendants,mais il ne leur fut pas
facile pour autant de vaincre des peuples comme les Pedis et les Vendas. D e son
côté. Moshoeshoe profita pendant de longues années des querelles intestines des
Boers,jusqu’aujour où,en 1868, les Britanniques transformèrent son royaume
en protectorat -~ le Basutoland, aujourd’hui Lesotho -- pour l’empêcher de
~

tomber aux mains des Boers,qui avaient adopté huit ans plus tôt une constitu-
tion pour leur nouvelle république du Transvaal. L’inégalité raciale était l’un
des principes fondamentaux de cette Constitution, et le Transvaal était la terre
promise des Boers.
Afrique du Sud 24

Diamants et or
Mais l’indépendance des Boers fut de courte durée; car au cours des quelques
années qui suivirent,la découverte d’or et de diamants à l’intérieur de leurs
frontières les plaça de nouveau dans la sphère d’influence des Britanniques,du
point de vue économique d’abord,puis politique. Les Boers, qui étaient avant
tout agriculteurs,s’intéressaientmoins que les Britanniques aux richesses éven-
tuelles du sous-sol.
L’événementqui rendit la situation de l’Afriquedu Sud très différente de
celle de toutes les autres colonies d’Afrique fut l’industrialisationqui suivit la
découverte de l’or et des diamants. D e nouveaux immigrants affluèrent
d’Europe pour faire fortune en Afrique du Sud. Quelques-uns d’entre eux
devinrent millionnaires,mais les autres constituèrent pour la plupart une nou-
velle et puissante main-d’œuvre blanche. Cette découverte de minéraux était
d’autrepart intervenue à un moment où les Européens avaient jeté leur dévolu
sur une grande partie du territoire de l’Afrique australe,privant ainsi de leurs
terres beaucoup d’Africainsqui durent se mettre en quête d’emplois.A bien des
égards,les conditionsde la vie actuelle en Afrique du Sud,comme le régime des
laissez-passeret celui des emplois réservés, remontent à cette période de boule-
versement du pays.
Des diamants furent découverts le long des fleuves Orange et Vaal dans le
Griqualand en 1867-1868. Ce territoire dépendait à l’époque de l’État libre
d’orange,mais le Royaume-Uniréussit à en reprendre possession en 1871. Des
Européens,des métis et des Africains pénétrèrent en masse dans cette région,
ces derniers le plus souvent pour y trouver un emploi,les Européens pour s’y
livrer à la prospection et devenir ((chercheurs)). En 1872,la valeur des diamants
qui avaient été découverts atteignait au total environ 1,5 million de livres
sterling;le salaire hebdomadaire moyen des ouvriers était de 90 pence,plus des
rations alimentaires représentant une valeur de 78 pence.
La Diamond Diggers’Protection Society (Associationde défense des cher-
cheurs de diamants) se déclara inquiète des vols de diamants commis par les
Africains, ainsi que de la concurrence des chercheurs africains et métis. Cette
association tenta alors de faire adopter une législation empêchant les ((indi-
gènes>) d’obtenir un permis de prospection ou de détenir des concessions ou des
diamants. Le haut-commissairebritannique au Griqualand West ne voulut pas
voir inscrire dans la loi des dispositions d’un racisme aussi patent; mais la
proclamation qu’il publia en fin de compte imposa des restrictions du même
ordre aux ((serviteurs)), lesquels étaient en général africains ou métis. Les
serviteurs devaient également être en possession d’un contrat de travail et
pouvoir présenter à toute réquisition un certificat attestant que ce contrat avait
été enregistré.
Après 1875,lorsque les cours du diamant tombèrent, beaucoup de petites
gens durent abandonner la prospection. Des entreprises fusionnèrent, et
l’exploitationdiamantifère commença à se concentrer progressivement entre les
mains de grandes sociétés.Finalement,toutes ces sociétés ne constituèrent plus
qu’uneseule grande firme,la D e Beers Consolidated Mine. Cette réorganisation
entraîna de nombreux changements qui modifièrent les conditions de travail et
d’existence des travailleurs. C’est à Kimberley que furent créés les premiers
Le Cap: quartier africain.
Afrique du Sud 26

camps pour les travailleurs africains,qui étaient tenus d’y rester pendant toute
la durée de leur contrat. Ils vivaient dans des cases où ils étaient logés à vingt
par pièces, à l’intérieur d’une zone entourée d’une haute clôture. Ils n’étaient
autorisés à sortir du camp que pour se rendre à la mine, et ils ne pouvaient
acheter leurs vivres qu’au magasin de la société,installé dans le camp même.A
la fin de chaque journée de travail,les Africains étaient contraints de se dévêtir
complètement et de passer à la fouille par mesure de précaution contre les vols
de diamants.Lorsque la Société tenta,en 1883 et 1884,d’imposer le même genre
de fouille aux travailleurs blancs, des grèves et des émeutes éclatèrent, et les
employeurs acceptèrent finalementde se contenter de fouilles par surprise.
Les mineurs blancs eurent tôt fait de s’unir en un groupe puissant pour
défendre leurs intérêts,tant envers les propriétaires des mines que les Africains,
main-d’œuvre moins chère et inorganisée, qu’ils considéraient comme une
menace pour leur emploi. C’est ainsi qu’en 1900 un mineur blanc gagnait
1,25 livre par «poste».alors qu’un mineur non blanc ne touchait que 41 pence
par jour.
La découverte de diamants à Kimberley fut suivie à quelques années de
distance d’une autre découverte minérale importante -celle de l’or,dans le
Witwatersrand, au Transvaal,en 1896.Comme cela s’étaitproduit à Kimberley,
beaucoup de chercheurs affluèrent. Mais le gros de cette nouvelle ruée vers la
fortune n’avaitguère de chance de réussir;car des hommes comme C.J. Rhodes
et Barney Barnato, qui étaient devenus millionnaires à Kimberley, investirent
une partie de leur fortune dans le Witwatersrand et leurs sociétés eurent bientôt
la haute main sur l’industrie de l’or,comme elles l’avaient eue sur celle du
diamant.
La production d’or augmenta rapidement et atteignit en 1898 le poids
annuel de 3.8 millions d’onces,représentant une valeur de 163 millions de livres
sterling.Pour défendre leurs intérêts,les propriétaires de mines s’étaientgroupés
en 1889 au sein d’une Chambre des mines. Ils étaient pour la plupart d’origine
britannique,et comme c’est dans une république boer qu’ils faisaient fortune,la
population locale éprouvait à leur égard une hostilité considérable.Le Volks-
raad (Parlement) fit payer de lourds impôts à ces Uitlanders (étrangers), mais ne
leur accorda aucun droit politique.
La Chambre des mines se heurta aussi au mécontentement des employés
blancs des mines,qui fondèrent en 1892 la Witwatersrand Mine Employees and
Mechanics Union (Syndicat des ouvriers et mécaniciens des mines du Witwa-
tersrand). Outre les revendications habituelles relatives aux conditions de tra-
vail, aux horaires et aux salaires,ces employés s’inquiétaient également du fait
que la chambre cherchait à importer une main-d’œuvrepeu coûteuse. Le pre-
mier secrétaire du syndicat était d’avis que G s’il fallait diminuer certains
salaires,c’étaientceux de la main-d’œuvrenoire)). Les travailleurs blancs furent
soutenus par le Volksraad,qui s’inquiétaitlui aussi de voir la chambre tenter de
recruter une main-d’œuvrenon blanche peu coûteuse.Étant donné que l’inéga-
lité des Blancs et des non-Blancsétait inscrite dans la Constitution,le Parlement
n’hésitapas,dans la législation du travail,à faire droit à la requête des syndicats
en interdisant,pour des raisons de sécurité,de confier à des non-Blancscertains
travaux comme la préparation des charges explosives ou le chargement des
trous de mine.
Historique de l'apartheid 21

La prospérité considérable du commerce de l'or provoqua l'expansion de


Johannesburg,qui devint l'un des principaux centres du monde occidental. et
elle donna naissance à de grosses fortunes personnelles. Mais les ouvriers
africains n'en tirèrent pas grand profit.Le régime des camps et des laissez-passer
en vigueur à Kimberley fut appliqué dans le Rand et le salaire moyen des
ouvriers africains tomba de 3,3 à ?,4?livres sterling entre 1895 et 1897. Les
mines ne disposaient pas de service médical.En 1902-1903. le taux de mortalité
y atteignait 690/00,et il variait entre 1 I8 et 164'l/,,,parmi
1 la main-d'œuvre des
régions tropicales. 11 fallut attendre 1906 pour qu'un hôpital fût ouvert. Le
recrutement local des mineurs devint difficile. «Nous ne voulons pas que nos
hommes aillent à Johannesburg, parce qu'ils y vont pour mourir)), disaient
certains chefs sothos. Les propriétaires de mines durent alors chercher leur
main-d'œuvre plus loin.Ils tentèrent de faire venir.des Chinois. mais les syndi-
cats ouvriers blancs s'y opposèrent: ils conclurent alors un accord avec le
Mozambique pour l'envoi d'ouvriers recrutés par conscription. Le manque de
main-d'œuvre incita d'autre part l'administration britannique à exiger des Afri-
cains un impôt sur les cases. qui obligea des milliers d'entre eux à s'embaucher
pour gagner i'argent dont ils avaient besoin.
L'exploitation des ressources miniPres d'Afrique du Sud a donc concerné
quatre groupe principaux d'individus,dont les rapports ont beaucoup influé sur
l'histoire ultérieure du pays.
11 y avait tout d'abord les employeurs ~- d'origine britannique pour la
plupart dont beaucoup amassèrent en quelques annies d'immenses fortunes.
Ils ont constamment cherché à se procurer une nouvelle main-d'œuvre peu
coûteuse. quelle qu'en fût l'origine.
11 y avait en deuxième lieu la main-d'œuvre blanche. Beaucoup de ces
travailleurs étaient venus d'Europe. attirés par les rumeurs qui couraient au
sujet de l'or et des diamants.L'activité syndicale qu'ils avaient connue dans leur
pays d'origine leur donnait conscience de la nécessité de s'organiser. mais ils
tinrent à l'écart les ouvriers noirs qu'ils considéraient comme des concurrents
dont les exigences moindres feraient baisser les salaires.
Le troisième groupe était celui des Afrikaners (Boers), qui étaient avant
tout des agriculteurs. L'or apportait une grande richesse à leur État et ils
entendaient le garder pour eux. Ils étaient résolus à faire en sorte que les
bouleversementséconomiques et sociaux de l'époque n'aboutissent pas i réduire
l'inégalité entre les Noirs et les Blancs.
Lc quatrikme groupe était celui des Africains. auxquels il était légalement
ou implicitement interdit de prospecter même une concession qui leur apparte-
nait, qui touchaient des salaires beaucoup plus bas que ceux des Blancs. qui
étaient logés dans des conditions de type carcéral. privés d'une grande partie de
leur liberté. incapables de se faire représenter ou d'exprimer leurs doléances
faute de syndicat. et généralement maintenus en état de sujétion par leurs
nouveaux maîtres.
Telles sont les conditions historiques d'où est issue la situation actuelle.
Afrique du Sud 28

Rhodes: la rivalité entre les Boers et les Britanniques


L’expansionnisme britannique,qui a résulté d’initiativesindividuelles plutôt que
d’une politique gouvernementale, a été un des traits dominants de la fin du
X I X ~siècle. Bien qu’il fût fermement décidé à empêcher les républiques boers
d’avoiraccès à la mer (d’où l’annexion du Natal), le gouvernement de Londres
ne désirait guère assumer la responsabilité de territoires beaucoup plus étendus
(d’oùla désannexion de l’Étatlibre d’orange). En 1872 cependant,la colonie du
Cap accéda à 1’« autonomie responsableD, que son Assemblée réclamait depuis
sa création en 1854,et les colons britanniques purent donner libre cours à leur
ambition. L’annexiondu Griqualand en 1871 fut suivie par celle du Transvaal
en 1877,laquelle fut rendue possible par le fait que les Boers n’avaient pas pu
vaincre la force armée africaine mixte des Pedis et des Zoulous. Mais les
Britanniques commirent l’imprudenced’engager eux aussi le combat contre les
Zoulous qui, commandés par Ceterayo, le successeur de Dingaan, leur infli-
gèrent une cuisante défaite en 1879,avant d’être finalement soumis six mois plus
tard.
En 1880, les Boers commencèrent à faire campagne pour le retour à
l’indépendance.Sous la conduite de Kruger,ils se révoltèrent contre les Britan-
niques et ce fut la première guerre des Boers. Elle dura dix semaines et se
termina par la victoire des Boers à Majuba Hill.Bien que le Royaume-Uni
conservât en titre sa souveraineté sur le territoire, le Transvaal redevint offi-
ciellement indépendant l’annéesuivante à la Convention de Pretoria.
Cet événement interrompit un moment l’expansion coloniale, mais la
découverte d’or réveilla l’intérêt des Britanniques pour le Transvaal.Le chef de
file de cette politique fut Cecil Rhodes, qui avait envisagé dans son premier
testament,rédigé avant qu’il eût accumulé sa fortune,((l’extension de la domi-
nation britannique au monde entier », y compris l’ensemblede l’Afrique,ainsi
que «la réintégration ultime des États-Unis d’Amérique au sein de l’Empire
britannique)). Le monopole qu’il avait institué sur l’industriedu diamant com-
prenait une disposition prévoyant la colonisation des territoires situés au nord
du Limpopo.
A la suite de l’annexion de la Namibie par les Allemands en 1884,Rhodes
persuada le gouverneur britannique de s’emparer du Bechuanaland (l’actuel
Botswana) et d’en faire un protectorat pour retirer aux Allemands toute possibi-
lité d’empiéter sur ce territoire. Dans le Rand, Rhodes mit plus de temps à
s’intéresserà la possibilité d’exploiterl’or qu’il ne l’avait fait pour les diamants,
car il croyait que le véritable eldorado se trouvait au nord. Sa société (Consoli-
dated Goldfields) prévoyait,comme la D e Beers, une expansion éventuelle vers
le nord. I1 créa en 1888 la British South Africa Company (BSA) dont les
ambitions non dissimulées visaient le Matabeleland et le Mashonaland :il devint
premier ministre du Cap deux ans plus tard.
Ces événements provoquèrent de plus en plus de conflits au Transvaal,
surtout entre les agriculteurs boers et les mineurs britanniques, et exacerbèrent
l’antagonismeentre les intérêts des populations rurales et ceux des citadins.Les
Boers tentèrent de dissuader les étrangers -ou Uitlanders -de s’installerchez
eux,en leur faisant payer des impôts très lourds et en leur refusant le droit de
vote. Les Uitlanders se groupèrent alors au sein d’une organisation appelée la
Historique de l'apartheid 29

Transvaal National Union, et appelèrent I'administratioii britannique de la


colonie du C a p i leur secours.
L e gouvernement britannique ne désirait pas se lancer i nouveau dans des
annexions. mais Rhodes avait pris le parti des Uitlanders. E n s'implnntnnt en
Rhodésie. la société BSA ttait devenue une puissante force politique sur la
frontikre nord du Transvaal. ct son reprtsentarit en Rhodésie, Stnrr Jaineson,
fomenta de I'agitatiori cri :iid:int i y introduire en contrebande des armes
destinées aux Uitlanders. Le gouvcriicinent d u Transvaal prit des mesures pour
renforcer S;I position. II engagea cies pourparlers avec IC gouverneinent de I'État
libre d'Orange sur la possibilité d'une ftdtration. Les tarifs de transport des
marchandises par chemin de Ièr entre Johannesburg et la frontitre de la colonie
d u Cap fiirent triplts,d e mnnière ii accroître les charges tinancitkes des Uitlan-
ders qui esportaient de l'or.
L:i situation semblait se détkriorcr. Mais si Rhodes et Jameson désiraient
annexer totit le territoire de la rPpubIiqiie. les Llitlaiiders. mnlgré toute leur
rancœur contre les restrictionsque les Boers imposoient ii leur activité. n'envisa-
geaient pas avec beaucoup cl'entlinu.;iasiiie une prise d u pou\,oirpar les Britati-
niques.
Jameson ttait impatient d'organiser un soulSveinent. et il voulait que cela
se fît avant In firi de 1x95. bien clue les Liitliinclers aieiit exprimé l'avis que cette
jute risquait d'être prérnaturte. Il pissa cependant outre A leurs objcctions et
décidn d e lancer coritrc le Trinsvaal,le 79 décembre 1x95. une attaque qui était
censée coïncider ;IWX un soiilévemerit des L.iiti:iiiders d e ce territoire.
Ce soulévement Lil'ortn.et Jamcson et ses honiines Ilireiit capturés de I'aqxi
asse7 ignoininieuse par les Boer>. Rhodes parut impliqu; cians cette attaque et
fut forcP d'ahniiclonner son poste de premier ministre Liirisi que ses fonctions de
directeur de ILI BSA. Le secrttaire britannique aux colonies, Joseph Chainber-
Inin. avait été officieusement averti de ce qui se prltpnrait. et dut il la chance de
n'être pas lui-niemeimpliqué dans 1':iffaire. Toutefois, le Royaume-Uni ktait ii
cette époque engagé dans une guerre au Soudan, et n'était pas disposé i en Faire
une autre dans le sud de l'Afrique. Les relations entre les Boers et les Britan-
niques s'ttaient néanmoins dtgrndées A tel point qu'une déclaration de guerre
n'ttait manifestement plus qu'une question de temps.
Peu après l'incursion de Jameson. les Ndebeles et les Shonas se soulevbent
contre 1;i doinination de la BSA et leur mou\rement fut rtprimé avec beaucoup
de vigueur et de briit:ilitP. Si l'hile de Rhodes ne fut pas conipliitenient kclipskc
aprt:s ccs dcus évGnemeiits, c'est essentiellement 11 c;i~ised u pacte qu'il avait
conclu avec Chainherlain et avec Alfred Milner.
En 1897,Milner fut nomnié haut-commissaire britannique Li 1;i colonie du
Cup. et Rhodes sortit de sa disgriicc politique pour prendre la tête d u Parti
progressiste. Tous deux étaient foriciérement partisans d'Ctendre la domiriation
britannique et impatients de régler dtfiiiitiwment le problkmé ciLi Tranav:inl. qui
était sans aucun doute 1'1 I'tpoque la région la plus riche de I'Afriqiie australe.
L;i situation se polarisa.Aii Trarisvaal.le principal journal anglais fut interdit et
Paul Kruger. dorit le programme i-taitdinmétralemerit opposé aux vistes de
Cecil Rhodes. l'ut réélu prkident. Les Boers voyaient en Rhodes la persoiiiiificn-
tioii de tout cc qui nieiiaqit IC mode de vie pour la sauvegarde ducluel ils
avaient combattu pendant des centaines d'aniitcs (Kruger l'appelait <<I;i malt-
Afrique du Sud 30

diction de l’Afrique»,et ils n’étaient nullement disposés à le laisser,lui ou tout


autre représentant des intérêts miniers, les priver de leur liberté. Des négocia-
tions eurent cependant lieu à Bloemfontein entre Milner et le gouvernement du
Transvaal sur les droits des Uitlanders d’origine britannique. et Kruger fit
quelques concessions. Mais lorsque le gouvernement britannique refusa de
renoncer à sa souveraineté en titre sur le territoire, il riposta en retirant ces
concessions.
L’échec de la Conférence de Bloemfontein créa une situation qui rendait
acceptable pour l’opinion britannique l’idée d’une ((intervention)), ou d’une
confrontation avec la République de Kruger.
En septembre 1899,le Royaume-Unirompit les négociations avec le Trans-
vaal.Tous les citoyens du Transvaal igés de plus de treize ans furent incorporés
dans l’armée.L’État libre d’Orangemobilisa lui aussi ses troupes,car,bien qu’il
ne fût pas impliqué dans le conflit,des troupes britanniques étaient massées sur
ses frontières.Pendant quelques semaines,la situation resta au point mort, mais
la guerre éclata finalement le 1 1 octobre. Le lendemain, les Boers attaquaient
Mafeking,Kimberley et Ladysmith.
Le Royaume-Uni envoya des milliers d’hommes en Afrique du Sud et, au
bout d’un an environ,les villes étaient pour la plupart aux mains des Britan-
niques.Mais les Boers se retirèrent dans les campagnes et adoptèrent la tactique
de la guérilla.
Les Uitlanders, en faveur desquels Chamberlain travaillait l’opinion
publique au Royaume-Uni,n’étaient pas des partisans enthousiastes de la
guerre.Ils étaient beaucoup trop occupés à faire fortune dans le Rand et ne se
souciaient guère de la suprématie britannique. La guerre, loin de les aider,
provoquait une grave récession économique.Les milieux d’affairesbritanniques
n’exigeaient pas non plus que l’Union Jack flottiit sur Pretoria;les financiers de
la Cité de Londres étaient parfaitement heureux d’investir d’énormes capitaux
en Afrique du Sud,que Kruger acceptit ou non la souveraineté britannique. Le
Rand versait de confortables dividendes et c’était là tout ce qui comptait. A u
total,la guerre ne servait qu’à exacerber les dissensions entre les Boers et les
Britanniques et, plus profondément,à mettre l’amertumeau cœur de la commu-
nauté boer pour plusieurs générations.
Cette guerre traîna pendant deux ans.Afin d’isoler les commandos boers,les
Britanniques rassemblèrent leurs femmes et leurs enfants et les internèrent dans
des camps.Dans son ouvrage devenu classique,History of South Africa (p.498),
E.A.Walker déclare que 200000 femmes et enfants moururent dans ces camps.
Le Royaume-Unigagna la guerre en 1902, mais sa victoire n’avait rien d’exal-
tant.Les deux républiquesboers,l’Étatlibre d’Orangeet le Transvaal,passèrent
sous l’autorité britannique, mais il était évident qu’on ne parviendrait pas à
réduire les Boers à un état de sujétion.Moins de huit années plus tard d’ailleurs,
l’Union sud-africainevit le jour et ce furent le plus souvent des Boers qui se
retrouvèrent à la direction de ce qu’ilsconsidéraient comme leur pays. Certains
de ces nouveaux dirigeants,comme Botha et Smuts,avaient fait la guerre contre
les Britanniques avec le grade de général.
Arurho
O

Mbeya
O

Wankieo

Bulawayo.

Afrique australe.
-
--------
Néerlandais

Déplacements de population. - Ngunis


Portugais
Sotho!;
Principale zone d'origine du bantou (ancien)
i l y a environ 2 O00 ans
Première zone d'expansion du bantou,
principalement avant l'an 500
Deuxième zone d'expansion d u bantou,
avant l'an 1 000
Troisième zone d'expansion d u bantou,
après l'an 1 O00
Phases présumées de l'expansion
des populations de langue bantoue. Z o n e non bantoue
oooe UYS
œm= RETIEF
U TRITCHARD

Le Grand Trek. 0 0 -
C’ 0 00 MARITZ
POTGEITER
(-JO
.. ...: ’
..<<

2200-2600

1 800-2200 [3

Les chiffres indiquent


les précipitations annuelles
Afrique australe: pluviométrie. en millimètres
Communautés
de haute montagne

Forêt tropicale,
savanes et steppes

Steppe subdésertique
et disert
Afrique australe: végétation.
Afrique australe: minéraux.
-
A
Charbon
Chrome
Amiante
Fer
0
Homelands bantous
Pôles de croissance
Répartition des terres en Afrique du Sud: les Bantoustans. industrielle
'
Historique de l’apartheid 31

L’organisation des Africains


V u l’influence que les événements de la fin du SIX‘ siècle devaient avoir sur
l’évolution ultérieure de l’Afrique du Sud. il n’est peut-être pas superflu de
rappeler qu’nu cours des guerres entre les Anglais et les Boers, il ne fut pour
ainsi dire tenu aucun compte des intérêts ni des droits de la mil-jorité africaine.
Rhodes mourut en 1902,mais 1ii Société BSA poursuivit la colonisation de la
Rhodésie où elle imposa, pour le renforcer au cours des décennies suivantes, un
régime analogue i celui qui avait été instauré en Afrique d u Sud.
La politique parlementaire des Blancs gravitait essentiellement autour de
leur pays d’origine et de deux grands partis, le Parti nationaliste soutenu par la
plupart des Afrikaners. et le Parti unioniste soutenu par les anglophones et les
industriels (bien que dirigé par des Afrikaners). Ces deux partis étaient hostiles
B !‘égalité raciirile. bien que dans la province du Cap les non-Blancs eussent la
possibilité d’obtenir le droit de vote ~ héritage de l’humanitarisme impérial
britannique.Le Parti travailliste était lui aussi attaché aux privilèges des Blancs
en matière d’emplois qualifiés et s’opposait vigoureusement à tout empiktement
des Noirs sur le marché d u travail.
Des partis sans barriéres raciales se créèrent de temps ii autre, mais leurs
chances de succès aux élections étaient pratiquement nulles. A u x élections
générales du C a p de 1904. par exemple. la Ligue politique travailliste fit
campagne pour l’égalité des droits de tous les hommes civilisés. Mais tous ses
candidats étaient des Blancs, qui n’avaient guère d’expérience ni de fortune. et
ils subirent un échec total. Le Parti communiste sud-africain tenta d’éduquer et
de politiser la population noire et, ii sa Conférence de 1928-1929. il adopta le
principe d’une république noire dont tous les habitants seraient citoyens. Mais il
n’avait pas d’appui populaire et aucun espoir de succès aux élections.
En fait, bien que la guerre des Boers eût laissé de profondes cicatrices. les
deux groupes blancs collaborèrent pour renforcer leur mainmise sur le reste de
la population. E n 1910. l‘Afrique du Sud obtint le statut de dominion et
échappa i toute ingérence du gouvernement britannique.
Des communautés noires commencèrent peu ii peu ii s’organiser dans les
villes. à mesure que les tribus étaient iissu-jetties et cantonnées dans certaines
7ones. Ces communautés se montrèrent d’abord asse7 conservatrices et cher-
chèrent à s’intégrerau système existant.
L’un des premiers dirigeants africains fut John Tengo Jabnvu. Lorsqu’il y
eut une élection au Cap. où les Africains instruits avaient alors le droit de vote.
il fit campagne auprès des électeurs africains en faveur d u candidat libéral (qui
remporta le siège). II obtint alors un peu d’argent pour fonder le premier
journal africain indépendant,hiivo Zuhnntsuntiu (L’opinion africaine), qui fit de
lui une personnalité influente. Lorsqu’en 1887, les Africains du C a p oriental
furent privés de leurs droits civiques. il adressa. en vain. une pétition ii la reine
Victoria. L’éditorial dans lequel il écrivait: ((Nous prêchons non seulement la
fidélité, mais aussi la subordination aux supérieurs)). donne une idée de ce
qu’était sa position politique.
E n 1902 fut fondée l’Organisation politique africaine (APO).L’un de ses
dirigeants était un médecin métis,Abdul Abdurahman. Bien qu’il fCit ouvert à
toutes les races, ce parti resta surtout celui des métis. II chercha lui aussi i
Port Elizabeth: la richesse blanche.
Historique de l’apartheid 33

s’esprimer i l’intérieur du système et demanda aux citoyens de se taire inscrire


sur les listes dectoraleç. Ahdurahman se rendit i Londres pour protester sans
succès contre ILI discrimination raciale en vigueur au Parlement d’Afrique d u
Sud. L.’APOtenta de mohiliser les métis pour des campagnes de résistance non
violente et des grèves politiques. mais il ne fut pns soutenu. sans doute parce
que beaucoup clc inétis aspiraient i jouer un rôle dans ILI comniunautL: curo-
péen ne.
En 191 7. ILI confèrence inaugurale du Congrès national africain (ANC)
rnssemhlii tous les congrès indigènes pro\,inci:iii\. L‘ANClui aussi resta lorig-
temps conservateur.A cette coiitëreiice assistaient des chefs qui étaient alors les
dirigeants traditioiiiicls et des intellectuels. Le révérend J.C.D u h e en fut
iininniè president. Le congrès pro\.oqii:i pc~i3 peu une prise de conscience
politique chc/ les ,4fric:iins et. lorsqii’eii 1976 le premier miiiistre Hcrtl-og
c1L:pos;i un projet d e loi visant ii k\,incerles Afric:iins d u système politique bl:iric.
ce fut ic coiigris qui e\prini:i l’opposition des Africniiih ii ce projet. Cette
oppmitioii ne part,intcependiint pas ii ernp2cher le Parlenierit hlaiic d’adopter le
texte proposé. iiinsi clue d e prendre d‘:iutre\ mesures qui restreign:tient conside-
rnhlemeiit ics droits hocinu\. politiques et juridiques des AI.ric:iinr.
C’e\t1’~ipi~ro~ri~itioii de.; terres par les Blancs qui soulc\:i d’ahorti l‘opposi-
tion des At’ricaiiis. 1 x 5 terres awient L:tC olliciellcmctit répirtics par le Native
Laiid Act (loi sur les terres iticiigi.ties) promulguL: en 1913. pc~i aprk clue
l’t’niotifut dc\,cnueindépencliinte du Royiunie-I~lrii. En 1936. les Blancs s’attri-
huércnt S6”,,de In totnlitè des terres. en \wtu du Native Trust and Land Act
(loihiir (;Iprnprikti- foncière indicèiie). ne 1:iiss:int ~ L I ,Al’ric:iinsY clue les 1-1‘1(1
rest;IIIts . 1 .es BI ;incs repr6scrita i ent ;I1 ors. CO n i nie ;Iujo U rd ’h U i. un e petite nii no-
rit& de Ili popul;ition. L.’Llrhati Areas Act (loi sur les /ones urbaines) qui fut
xloptL: en 1973 et rciiforcP en 1945 restreignit la lihrrté de mouvement des
Africains. Quant ;ius Indieiis. I’lininigrants Regulation Act (rbglcmentation Lip-
plicable aux immigrants) de 191 3 leur interdit de sortir de leur province natale.
En 1943, I’ANC rbdigea une Charte des droits iiispirke de la Charte
atlaiiticlue. (cuvrede Cliiirchill et Roosevelt.
Outre l’action m e n é e par les orgaiiisntioiis politiques qui étaient composées
esseiiticllcineiit d’intellectuels. les ouvriers afric:iins tentèrent d’agir au niveau
des entreprises industrielles.Mais faute d e syndicats. il etait difticile d’organiser
des grèves.
Eii 19 IS cepeiidant. Ics ouw-icrs électriciens hlnncs du Raiid ccssérent IC
tra\xil et réussirent <I ohtenir q u e leurs skiires fussent :iugmentés de fason i
retrou\w. en valeur rielle, le niveau d‘a\7:int guerre. i,eur succès incita certains
membres d u personnel africain des services sanitaires ii l’aire grève pour que
leurs salaires fussent portés de S I? pence par jour. L.es 50 eniployks qui
suivirent cet ordre de grève furent arrt.tés et inculpis. et plus des dcu\ tiers
d’entre eux furent condiininks. Lorsque les autres employés rcsurent l’ordre de
Faire le travail de ceux qui avaient éti-emprisonnés. 157 se mirent aussi en grève.
Ils furent <i leur tour condamnés i deus mois de trivaux forcés pour rupture de
contrat. et ils furent ineniicés d’avoir ii travailler gratuitement. surveilles par des
gardes en armes et fouettés.
Ln différence de traitement entre ces grévistes iioirs et les mtkariicieiis
hlnncs qui avaient eux aussi cessé I C travail était flagrante. L.’ANC organisa une
Afrique du Sud 34

campagne pour la libération des prisonniers.Ce mouvement déboucha sur un


ordre de grève générale pour le 1“ juillet,ordre venu de la base. sans que I’ANC
l’eût approuvé.
C’est alors que la South African Industrial Federation (qui était le mouve-
ment syndical ouvrier blanc) décida de mettre sur pied une force de défense
pour protéger les femmes et les enfants blancs en cas de grève générale. Le
gouvernement préféra éviter un affrontement et libéra les grévistes qui avaient
été emprisonnés.
L’ordre de grève générale fut annulé. Mais le 1“ juillet, 15000 mineurs
refusèrent quand même de prendre le travail et la police intervint pour les y
obliger. La police décida alors de poursuivre 8 hommes qu’elle considérait
comme les meneurs de la grève. Trois d’entre eux étaient des Européens,
membres dirigeants de la Ligue socialiste internationale,et les 5 autres étaient
des Africains,notamment 3 dirigeants de l’lndustrial Workers’Union of Africa
(Syndicat africain des ouvriers de l’industrie). C’étaitla première fois en Afrique
du Sud que des Européens et des Africains étaient poursuivis conjointement
pour des motifs politiques. L’action publique dut être abandonnée lorsqu’il
apparut que beaucoup des témoins de l’accusation avaient fait de fausses
déclarations.
L’action continua dans le secteur de l’industrie.En 1920,les mineurs blancs
obtinrent,en faisantgrève,une augmentation de 96 pence par jour.Les mineurs
africains décidèrent d’en faire autant et de réclamer des augmentations allant de
60 à 120 pence par jour,ainsi que la possibilité d’accéderà des postes compor-
tant plus de responsabilités.Les propriétaires des mines proposèrent une aug-
mentation de 3 pence par «poste» mais déclarèrent impossible de supprimer la
barrière raciale.Leur proposition fut rejetée par les mineurs du Rand oriental.
La poursuite de leur grève incita d’autres mineurs à cesser le travail et le
nombre des grévistes dépassa rapidement 70000. La grève était bien organisée
(des piquets de grève furent mis en place) et non violente. Le gouvernement fit
de nouveau appel à l’arméequi. en forçant les ouvriers à reprendre le travail,en
tua au moins 1 1 . La grève n’atteignit aucun de ses objectifs immédiats mais elle
fut,comme devait le faire observer le président de la Chambre des mines, la
première grande ((grève indigène)).
Les ouvriers africains s’étaient rendu compte de la nécessité de s’organiser.
L’un des syndicats les plus puissants, celui des travailleurs de l’industrie et du
commerce. fut créé en 1919 et choisit comme secrétaire Clement Kadalie. En
1928, 5 syndicats se groupèrent au sein de la Fédération sud-africaine des
syndicats non européens et réclamèrent entre autres choses l’application du
principe ((à travail égal salaire égal». L’année suivante, 5 autres syndicats
adhérèrent à cette fédération. En 1945, celle-ci représentait 119 syndicats et
158O00 ouvriers.
Le Syndicat des ouvriers africains des mines (AMWU),qui était affilié à la
fédération, organisa l’une des grèves les plus importantes de l’histoire de
l’Afrique du Sud. La commission Lansdowne avait recommandé en 1942
d’accorder des augmentations de salaires correspondant à la hausse du coût de
la vie, mais le gouvernement refusa d’accorderces augmentations aux mineurs.
Après la guerre donc,I’AMWUchercha à négocier pour faire passer le salaire
journalier de 27 à 120 pence,mais la Chambre des mines s’yrefusa.
Historique de l’apartheid 35

A u x élections de mai 1938,le Parti uni, qui représentait les intérets des
anglophones, remporta 1 1 I sièges sur 150. La représentation des nationalistes
passa de 7 i 77 sièges. Ces derniers avaient axé leur campagne électornle sur
deux thèmes: la limitation d u droit de vote dont les métis jouissaient encore au
Cap (mais non dans le reste de l’Afrique d u Sud) et une prise de position sans
équivoque sur la question de la souveraineté de l’Afrique d u Sud Li l’égard d u
Royaume-Uni.
A la veille de la deuxième guerre mondiale. le Parti nationaliste (qui se
trouvait alors dans l’opposition)contesta l’utilité d’affecter des fonds publics i
l‘éducation des <<indigènes))et s’éleva contre I’afllux des Africains dans les
villes. il préconisait d’augmenter les imp& exigés des Al’ricains pour que le
produit de ces impfits corresponde i leurs besoins, de consacrer moins de fonds
publics aux Africains et d’adopter une réglementation propre i faciliter
I’cmbauche des Africains dans l’agriculture;il estimait que l’attitude d u Parti
unioniste 3 l’égard des Africains et des métis aurait des conscquences néfastes
pour Ics ((pauvres Blancs)).
Des scissions se produisirent Liu sein d u Parti unioniste. Si certains de ses
ineinbres avaient des idées libérales. d’autres. plus conservateurs. étaient parti-
sans de dessaisir les provinces de l’éducation des AKricaiiis pour placer celle-ci
SOLIS la responsnbilit& du Département des afl‘iires indigènes. organe d u gou-
vernenient central. Cette idée fut finalement reprise par le Parti nationaliste qui
l’appliqua après sa victoire aux élections d e 1918.
Les mouvements d’opposition moins importants avaient des otjectifs parti-
culiers. Le petit ((Piirti du clominion>)était surtout soucieLiu de rcnforccr la
position de l’Union sud-africaine;ILI sein de l’Empire britannique ~~ coritraire-
ment aux v(ëux des Afrikaners et d’un nombre croissant de Blancs anglophones
qui souhaitaient une Ai’riqued u Sud skparée de 1’Enipire.
La politique d u Parti travailliste était axée sur In sécurité socinle et I’aug-
mentation des salaires de Iii population blanche. en même temps cllie sur une
sCparation complète sociale. économique et territoriale
~ ~~~~ entre Blancs et
Noirs:cependant il faudrait donner aux Noirs I’nide financière clorit ils auraient
besoin.
Les Africains n’étaient pas directeinent représentés au P:irlement. In défense
des intérêts des indigènes étant conliée i 3 Européens. Ces derniers pouvaient
évideinnient être i tout inomcnt réduits ii I’iinpuiss:ince clans cettc assernhlée de
153 membres et, de toute fiiqoii, ils iippiirteiiaieiit a u système gouLw-neniental.
Ils protestèrent bien quand il apparut q u e l’on cherchait ii limiter les ressources
d u Département des iifl:iires indigènes au produit dcs impfits payés par les
Africains. et i laisser de plus en plus i ce dépai-teinent la responsabilité de
l’éducation, des services sociaux et d u développenient des Africains. Mais ils
n’avaient pas d’autre chois q u e de voter :ivec le Parti unioniste ou avec l’opposi-
tion.
La politique d u Parti d u dominion pourrait être considérée comme une
variante de celle d u Parti unioniste. et elle fut de toutc làçon coniplétcinent
éclipsée par In vague de nationalisme qui suivit la deuxième guerre inondiale.
Quant au Parti travailliste, il était faible. car c’est le PLirti nationaliste q u e In
classe ouvrière blanche considérait ii présent c o m m e le meilleur défenseur de ce
qu’ellejugeait être ses intérêts.
Afrique du Sud 36

L’Afriquedu Sud se trouva divisée lorsqu’elleeut à décider de sa participa-


tion à la deuxième guerre mondiale.Les colons allemands du Sud-Ouestafricain
et l’Allemagne elle-mêmesemblaient bien disposés à l’égard du nationalisme
afrikaner,et les doctrines nazies exerçaient une forte influence sur la pensée des
Afrikaners. L’organisation quasi fasciste des G chemises grises))était composée
essentiellement d’Afrikaners, de même que celle des Ossewa-Branduag (les
sentinelles des chariots). Parmi eux se trouvaient l’actuel premier ministre,
M. Vorster, et l’actuel ministre des finances, M. Diederich. M. Vorster fut
même interné pendant la guerre.
Beaucoup de personnalités nationalistes influentes penchaient donc pour la
neutralité en raison de leurs sympathies pro-nazies.11 s’agissaitd’un problème
d’ordreaffectif qui renforça encore le nationalisme des Afrikaners, et qui, vu
l’ampleur que le développement urbain prit pendant la guerre et les divers
problèmes politiques que celle-cifit surgir,devait avoir en Afrique du Sud des
répercussionsdurables.
Car la guerre n’accrut pas la participation des Africains à la vie politique,
tout au contraire.La réglementation exceptionnelle du temps de guerre adoptée
en 1943 interdit toute grève aux Africains en quelque circonstance que ce fût.
Après la guerre,cette réglementation fut reconduite d’année en année jusqu’au
moment où le gouvernement nationaliste l’intégra à la législation, après son
succès de 1948.
Le contrôle des Africains venant travailler dans les zones urbaines fournit
un précédent pour l’adoptionultérieure des lois sur les laissez-passer.
A la fin de la guerre, les Africains demandèrent à pouvoir participer
davantage à la vie politique gràce à une libéralisation du régime électoral ; ils
demandaient aussi l’abolition du système des laissez-passeret la reconnaissance
de leurs syndicatscomme habilités à négocier au nom de leurs membres.
Ces revendications,bien que modestes,suffirent à poser à l’électorat blanc
la question de la direction que l’Afriquedu Sud devait prendre après la guerre.
La réponse des unionistes fut ambiguë.Ils n’avaient pas l’intentionde donner le
droit de vote aux Africains, ni de souscrire aux revendications de la main-
d’ctuvre africaine. La tension qui s’éleva entre le Conseil représentatif des
indigènes et le gouvernement vint encore compliquer la situation.Hofmeyr avait
proposé l’établissementde listes électorales communales,chaque groupe africain
étant toutefois représenté au Parlement par ses propres élus et non par des
parlementaires blancs. Mais cette proposition, qui visait à combler le fossé de
plus en plus profond entre les Africains et quelques libéraux blancs, d’unepart,
et la masse de l’électorat blanc, d’autre part, ne put obtenir le soutien des
premiers parce qu’elle rendait la représentation communale définitive. ni celui
de l’électoratblanc qui la jugeait trop libérale.
Smuts (qui était alors premier ministre) reconnut que des changements
sociaux devraient intervenir - mais plus tard -et il affirma que, quels que
dussent être ces progrès, la discrimination raciale devrait se poursuivre. Cela ne
donna satisfaction ni aux libéraux ni aux conservateurs. La réponse du Parti
nationaliste fut,quant à elle, très claire.11 fallait un G développement séparé)),
c’est-à-direl’apartheid.
Le 12 avril 1946. 50000 mineurs africains (soit le sixième de la main-
d’euvre) se mirent en grève. Des forces de police en armes furent envoyées sur
Historique de l’apartheid 31

place et plusieurs mineurs furent tués ou blessés. Quatre mille Africains de la


mine de West Springs entreprirent une marche sur Johannesburg pour manifes-
ter leur solidarité avec les grévistes. La presse effraya ses lecteurs blancs en
publiant des articles sur les dangers de ce genre de manifestation. L e Conseil
représentatif des indigènes. orgai’isme officiel qui Ctait censé tenir le gouverne-
ment LI courant de l’état d’esprit des Africains. ne put obtenir l’autorisation de
se rendre diiiis le Riii:d pour y observer le tléroulenierit de la grève. La î‘aqon
dont cette grève fut r6primee fut. pour le conseil. plus qu’il ne pouvait en
supporter. II ne tint qu’une seule autre séance et suspendit son activite. estimant
qu’il ne lui était plus possible d’exercer ski mission face ;I l’intensification de In
discrimination raciale.
LA police armée de matraques chargea les ouvriers métis et indiens de
l’industrie du tabac. qui avaient cessé le travail par soliclarité avec les mineurs.
LA repression de la grève des mineurs se poursuivit. Les chefs du mouvement
furent LirrCtés et la grève prit fin I C 17 avril 1936;elle aviiit duré cinq jours. Les
dirigeants de I’AMWUpuss&wt en jugement. Certains furent condamnés 1i de
courtes peines de prison et les autres furent acquittés.
L.n gréve n’aKiit pns atteint ses ob-jectifs.mais elle avait montrt; l’activisme
croissant des ouvriers africains contre leurs conditions cl’csisience. I i i tentative
de déclenchement d’une grève générale de solidarité avec les mineurs n’aboutit
piis non plus. mais le l’ait qu’elle ait eu lieu démontra combiei? les travailleurs
ti on bl a ncs ;Itt;ICha i ent d ’i niporta nce 5 I ’orga nis;i t ioti et i 1 ’;ICt i on c 01 1 ect i ve.
Quelques années aupar:ivant, de jeunes membres d u Congres national
africain (parmi lesquels Walter Sisulu et Nelson Mnndeln) LtvLiient constitué un
mouvement de jeunesse. la Ligue de la jeunesse africaine. Ils n’kiient plus
disposés ri accepter,en dépit d’améliorations.une condition de subordination au
sein d u systSme en vigueur. et prônaient Iii non-coopération en vue d’instaurer
la société,d’un genre trSs diffèrent,qu‘ils souhaitaient voir en Afrique du Sud.
E n 1945. les Indiens d’Afrique d u Sud se sèparèrent de certains de leurs
dirigeants. relativement conservateurs,qui Ctaieiit prêts i accepter une ségrkga-
tion volontaire. et nommèrent ri leur place des h o m m e s plus jeunes c o m m e
D a d o o et Naicker. qui projetaient d‘organiser au sein de la communauté
indienne la rkistance au gouvernement. Diidoo et Naicker. auxquels se joignit
le D‘X u m a , qui était alors président de I’ANC,publièrent en 1947 une déclara-
tion c o m m u n e d’unité. Mais il appnrut rnpidement, après q u e le Parti ti at’iona-
liste eut remporté les élections de 1948 et form6 un gouvernement, que l’unit; et
la résolution ne suffiraient pas ii ri-soudreles problèmes.
2 Développement
de l’économie

Le climat, les richesses minérales et d’autres ressources naturelles de l’Afrique


du Sud ont permis à ce pays de devenir le plus prospère et le plus industrialisé
d’Afrique.

Géographie et climat
La population de l’Afriquedu Sud s’élève à 21,3 millions d’habitants(15 mil-
lions d’Africains,3,s millions de Blancs, 2 millions de métis et un demi-million
d’Indiens) répartis sur un territoire d’environ 1 120000 kilomètrescarrés.
Le climat est généralement subtropical, mais le paysage varie depuis la
végétation luxuriante, de type méditerranéen, qu’on trouve dans le sud de la
province du Cap et à l’est, jusqu’aux déserts arides qui couvrent la partie
septentrionale de la province du Cap. La pluviosité diminue progressivement
d’esten ouest,le flanc maritime des montagnes du Cap et du Drakensberg (qui
forment la frontière entre le Lesotho et l’Afriquedu Sud et qui se prolongent
vers le nord-està travers le Natal) recevant plus de 1500millimètres de pluie par
an,tandis que la hauteur des précipitations est inférieure à 250 millimètres dans
presque toute la moitié occidentale du pays. I1 pleut surtout en été (de novembre
à avril), mais les pluies sont plus également réparties sur la côte méridionale,et
dans la région du Cap,c’est en hiver que la pluviosité atteint sa cote maximale.
Le pays est en grande partie formé de hauts plateaux, derrière les chaînes
côtières qui forment un escarpement presque continu de 1500 à 3500 mètres
d’altitude.Cet escarpement constitue un bassin versant drainé par les affluents
de l’Orangequi,coulant vers l’ouest,se jette dans l’Atlantiqueà Alexander Bay.
Le pays est divisé en quatre provinces.

L A PROVINCE D U CAP

La province du Cap,qui est la plus étendue et la moins densément peuplée des


quatre,a un climat qui,de subtropical et méditerranéen au voisinage de la côte,
devient chaud et sec A l’intérieur et se fond avec celui du désert du Kalahari au
Développement de l’économie 39

nord-est.La province du Cap couvre près de 60%) d u territoire,mais son apport


à la production industrielle nette n’est que d’environ 3O0/0. L’un de ses princi-
paux handicaps est la distance qui sépare son littoral des grandes régions
développées d u Transvaal et d u Natal. Cette région comprend néanmoins trois
des quatre principaux ports d u pays (Port Elizabeth et East London ii l’est, et
Le Cap il l’ouest). Ses principaux réseaux routiers et ferrés sont nettement
orientés dans le sens nord-est- sud-ouest.
La région de Port Elizabeth-Uitenhage est celle de l’industrie automobile
qui a commencé par le montage d’éléments importés et qui comprend notam-
ment les usines Ford et General Motors. L’ouest de la province autour de la
ville du C a p est industrialisé,et c’est aussi le principal centre de culture fruitière
pour l’exportation.La laine est la principale production agricole de la région:
elle vient au premier rang des exportations agricoles de la république.
Le nord de la province du Cap vit essentiellement de l’exploitation et de la
prospection minikres, mais l’extension d u réseau d’irrigation prévu par le projet
d’aménagement du fleuve Orange devrait accroître la superficie des terres culti-
vables. Kimberley (oùfurent découverts les premiers diamants sud-africains) est
resté le centre de l’extractionminière. Le nord-ouestpossède de vastes gisements
de cuivre, de manganèse. d’argent,de fer. d’amiante. de pierre i chaux. de sel,
de gypse et de tungstène. suffisamment importants pour que l’exploit, ‘i t.ion en
soit rentable. Les gisements de cuivre et de zinc ont été évalués en 1973 ii un
milliard de rands au moins. L:i mise en valeur de la côte occidentale de la
province ne hit que commencer.
II ;I été annoncé au début de 1973 que l’important gisement de minerai de
fer de Gishen allait rtre exploité de fric;on plus intensive. Line voir ferrée
réservée au transport des marchandises doit être construite jusqu’au port de
Saldrinlia Bay. sur la côte occidentale. et ce port sera considkrablement agrandi.
la majeure partie du minerai de fer extrait i Gishen étant destinée i I’exporta-
tion.
La Société sud-africainedu fer et de l’acier (ISCOR)s’est fixé pour objectif
initial ((l’exportationde 15 millions de tonnes de minerai de fer par an au début
des années 1980)).Mais les débouchés potentiels sont de plus en plus incertains.
Le gouvernement japonais s’est montré réticent devant les projets d’investisse-
ment de firmes japonaises en Afrique du Sud. II se pourrait que les auteurs de ce
projet de mines de fer qui constitueraient l’une des plus grandes entreprises
industrielles du pays aient surestimé les possibilités de vente de I‘ISCOR. Mais il
existe d’autres clients possibles, parmi lesquels on a cité la France, le Portugal.
l’Espagne et l’Italie.

L’EI A T LIBRE D’ORANGE

Le fleuve Orange sert de frontière entre la province du C a p et l’État libre


d’Orange. Dans cette province également. l’économie est mixte. combinant
l’industrie minière et l’agriculture.Le nord de la province se trouve ii l‘extrémité
sud-ouest d u bassin minier du Rand-Reef où se trouve l’essentiel des richesses
minérales exploitées jusqu‘i présent. Les principales villes sont Bloemfontein (la
capitale), Welkom, Kroonstad et Ficksburg. L’État libre d’Orange -qui fut le
Afrique du Sud 40

premier État afrikaner - est en grande partie «blanc», à l’exception d’une


petite zone ((réservée)) aux Africains comme homeland, à la frontière du
Lesotho,mais,exception faite du Natal,sa population est celle qui comprend la
plus forte proportion d’Africains.O n n’y trouve presque pas d’Asiatiquesni de
métis.

LE TRANSVAAL

C’est la province la plus peuplée (6.2millions d’habitants)et la plus industriali-


sée des quatre. Outre la capitale administrative (Pretoria), on y trouve la
capitale commerciale et industrielle,Johannesburg (qui est la plus grande ville
du continent africain et dont la population atteignait en 1968 1,4 million
d’habitants).Plus de la moitié de l’industriesud-africaineest concentrée dans le
sud du Transvaal (le long des quelque 160 kilomètres qui séparent le nord de
Pretoria et Vereeniging, à la frontière de l’État libre d’orange). Une grande
partie du Transvaal septentrional a été classée comme homeland (voir la carte
des Bantoustans). Toutes les grandes villes du Transvaal se sont développées
rapidement, leur croissance ayant été favorisée par les tarifs préférentiels de
transport des marchandises à destination et en provenance du Rand: les besoins
des mines en main-d’œuvre ont d’autre part provoqué des concentrations
d’Africainsdans des zones satellites autour de ces villes.
La création des Bantoustans devait, officiellementdu moins, entraîner une
décentralisation de l’industrie.Piet Riekert,conseiller du premier ministre pour
les affaires économiques,a expliqué en 1970 que le «but ultime)) du programme
de décentralisation était d’endiguer l’exodedes Africains des homelands vers les
villes, et que 24% des investissements industriels devraient être canalisés vers les
zones limitrophes et les homelands (contre 10% en 1968). Mais même ces
chiffres sont probablement optimistes, vu que, comme l’a dit Piet Riekert,
((aussi loin que l’on puisse prévoir, la majeure partie des constructions d’usines
nouvelles, ainsi que des travaux d’agrandissement d’usines existantes, conti-
nuera d’êtreréalisée dans les zones métropolitaineso.
Mais en dépit de sa puissance industrielle et de sa croissance ininterrom-
pue, l’économiedu Rand repose sur l’exploitationdes mines d’or,qui exige une
main-d’ceuvremigrante, venue en grande partie de l’étranger.Depuis le début
des années 1970, la production d’or a commencé à baisser, et d’autres métaux,
comme le platine,jouent un rôle croissant.Le Transvaal possède les principales
réserves connues et exploitées d’or,de minerai de fer, de cuivre, de nickel, de
manganèse et de platine.

LE NATAL

Le Natal est parfois surnommé la province ((anglaise)), en raison de l’originede


ses premiers colons.Sa population africaine est proportionnellement plus nom-
breuse que celle de l’État libre d’Orange ou de la province du Cap: neuf
Africains pour un Blanc d’après le recensement de 1960 (alors que la moyenne
nationale est d’environ quatre pour un). C’est une des régions ((tradition-
nelles)) de peuplement africain, et par conséquent elle tient une grande place
Développement de l’économie 41

dans la politique des lio/mh/ids:la majeure partie ~ et de loin -de son sol a
été classée soit c o m m e honic/(/tic/soit c o m m e arone limitrophe)). C’est pourquoi
les dispositions restrictives de la loi sur I’oménagement du territoire, qui déter-
mine en grande partie les lieux où les Africains sont autorisés h résider, ont été
moins ressenties au Natal qu’elles ne l’ont été au Transvaal ou dans l’État libre
d’Orange, par exemple.
La croissance inclustrielle d u Natal a été et reste en grande partie axée sur
sa capitale,Durbnn. qui est le principal port de la côte orientale de l’Afriqued u
Sud; mais elle s’est égnlement propagée le long de la côte et sur le parcours d u
chemin de fer qui mène ;tu centre d u Rand. Ln construction d’un grand port
pour l’exportation d u charbon ainsi que d‘un coniplese pétrochimique a c o m -
mencé au début des années 1970 Richards Bay.
Le Fi/il//ic.iu/Alriil ;I commenté en ces termes les conskquences de la diçi-
gnation d’un aussi grand nombre de Tones limitrophes au Natal :
((11 se trouve maintenant que. par une ironie d u sort. lit province ‘anglaise’
remplit en bloc les conditions voulues pour bénéficier des concessions et des
incitations de l’État: di-grèvements fiscaux. indemnités d’amortissement asse7
ilevées. primes de di-ménagement.salaires minimau\i plus bas qu’en dehors des
zones limitrophes,prêts sans intérêt,riduetions sur les tarifs ferroviaires.))

I,e produit intérieur brut de l’Afrique du Sud


En 1969.le produit intkrieur brut a étP provisoirement estimé ;I 10540 millions
dè rands,se répartissant c o m m e le montre le tableau 1 .

T m L m u 1. Produit intérieur brut de l‘Afriquedu Sud

Agriculture. forets Transports 993 9.4


et péches 1 005 9.5 Construction 470 4.4
Industrieminière 1731 11.7 Services 482 4-6
Industries Administration 961 9.1
manufxturikres 7390 37.7 Divers (activitéssans
Commerce de gros but lucratifet ser-
et de dCtail 1509 14.3 vices ciomestiques) 4OX
-~
3.9
Finances
~~ ~ ~~

1093 10.4
10540 100.0

L’économie de l’Afrique du Sud en vient h ressembler i celles des pays


occidentaux modernes et h connaître les mêmes difficultés. L a croissance rapide
des années 1960 a été suivie d’une grave inflation (dont le taux a atteint 10% en
1972/73)et d’un déséquilibre de Iii balance des paiements. Bien qu’elle reste la
principale source de prospérité. l’industrie minière est en déclin et a d é dépassée
par les industries manufacturières au cours de la dernière décennie.
Toutefois,la grande majoritti de la population sud-africainetravaille encore
dans l’agriculture.Quelque 90000 Blancs et 1.5 million de Noirs sont employés
Afrique du Sud 42

dans les régions blanches où se pratique une agriculture de rapport.La produc-


tion agricole a augmenté à la moyenne de 4% par an,ce qui est plus que le taux
de croissance démographique depuis la deuxième guerre mondiale,de sorte que
l’Afriquedu Sud peut subvenir elle-mêmeà ses besoins alimentaires,sauf pour
certains produits comme le thé,le café,le cacao et le riz.Près de la moitié de la
production agricole est transforméepar les industries du secteur secondaire, qui
employaient en 1972 environ 21 YOdes ouvriers industriels.
II a déjà été fait mention de l’activitéagricole des provinces du Cap et du
Natal; mais il y a une très grande différence entre l’agriculture de rapport
pratiquée sur les terres appartenant aux Blancs et l’agriculturede subsistance à
laquelle se livrent les habitants des réserves africaines.
Les principales cultures de rapport pour l’ensemble de l’Afriquedu Sud
sont le maïs, le sucre, les arachides, le tabac, les agrumes et les fruits caducs.
Mais l’élevagetient sans doute une place plus importante que les cultures.O n
estime qu’avec les méthodes de culture actuelles. 15% seulement des terres sont
cultivables(cequi dépend surtout des pluies); mais les projets d’irrigation,et en
particulier les divers éléments du projet d’aménagement du fleuve Orange,
pourraient accroître considérablement la superficie des terres productives.
L’agricultureafrikaner traditionnelleconsistait essentiellement à élever en ranch
de grands troupeaux d’ovins et de bovins, mais ses méthodes manquaient
d’efficacité.La production de la laine et celle des fruitsjouent un rôle important
dans l’économie.
Les zones classées comme hornelmids bantous couvrent une superficie de
150000 kilomètres carrés environ (soit 13,5% environ de l’ensembledu terri-
toire).
Les salaires que les agriculteurs blancs paient à leurs employés africains
sont les plus bas du pays, et les ouvriers agricoles sont les plus pauvres et les
plus exploités de tous les ouvriers.Le revenu moyen d’un agriculteur blanc est
de 6000rands par an,tandis que celui des ouvriers agricoles,en argent liquide et
en nature,se situe entre 144 et 192 rands.
Le Fonds internationald’aideet de défense de Londres a fourni en 1973 les
précisions suivantes:
«Les ouvriers agricoles noirs sont plus d’un million. Ils ne sont protégés
par aucune législation du travail du type habituel: il leur est interdit de se
mettre en grève,ou même de rompre leur contrat de travail;ils n’ont droit ni à
des vacances ni à une retraite,ni à des congés payés ni à des congés de maladie,
et ils n’ont pas de syndicats pour les défendre;toute désobéissancede leur part
peut être punie par I’employeur,c’est-à-dire l’agriculteur.Et cela arrive souvent:
le fouet et les menaces de renvoi font régner dans beaucoup d’exploitations
agricoles un climat de terreur.
»I1 n’est pas surprenant que, sous un tel régime juridique et politique, les
exploitations agricoles constituent dans ce pays un monde clos où les journa-
listes sont considérés comme importuns et sur lequel on est mal renseigné. Mais
certains détails de cette réalité féodale sont cependant connus:
O n a appris qu’à Naboomspruit,au Transvaal,certains ouvriers gagnaient 4 à
8 rands par mois, plus un sac de maïs; ils travaillaient douze heures par
jour et septjours par semaine,et ne pouvaient s’absenter qu’à condition de
se faire remplacer.
Développement de l’économie 43

O n a signalé en 1971 que dnns le nord de l’État libre d’Orange, des ouvriers
gagnaient 3 rands par mois.plus 3 bidons i pétrole de maïs. et qu’ils étaient
logés dans des abris de tôle rouillée.
En fkvrier 1956, deux agriculteurs d u C a p furent déclarés coupa bles d’avoir
fouetté un ouvrier à mort. Ils furent condamnés à de courtes peines de
prison et à une faible amende ~et ce n’est là qu’un exemple, parmi
beaucoup d’autres.d e In vie daris les exploitations agricoles.
En mai 1971 encore. un ayriculteur de Hnrtebeesf’ontein a été déclaré coupable
d’avoir posé un ((anneau de castration)) (utilisé pour les bdiers) autour des
testicules d’un berger africain de quatorze ans.))
L’agriculture bénéficie d’un traitemeiit de faveur. qui s’explique facilement par
le fait que les :igriculteurs sont m:i,joritaires au sein d u Parti nationaliste. Les
Ligriculteurs reyoivent au total 300 millions de rands par an sous forme d’aide
directe, tandis que leur contribution aux recettes fiscales ne s’éléve qu’à 35 mil-
lions de rands. Le gouvernement a iiomine un conseiller agricole pour sept
agriculteurs; mais l’agriculture n‘a pas progre de façon spectaculaire, et
l’érosiond u sol e11 particulier pose un grave probléine dans les régions sèches.

Industrialisation
L’indiistrialisaticn ;I pour but de donner ii l’Afrique d u Sud In capacité de
subvenir elle-même 3 ses besoins de produits industriels et de produits ‘I I’imen-
taires, et aiiisi de dépendre moins d u monde extérieur. L’Angola constitue. ii
proximité. une so~ircepotentielle de pitrole, importante ressource naturelle dont
l’Afriqued u Sud est dépourvue.
Les prévisions de développement industriel se sont eii grande partie réali-
sées. Tlir Eiwimii,vid u 39 juin 1968 en donne les raisons suivantes:
1. Le dynamisme et la résolutioii des Sud-Africains blancs en matière de
tinnnces et d’affaires:leur pays est le paradis des h o m m e s d’action.
7
I. Le taux élevé de l’épargne (30% de I’eiisembledes avoirs) qui peut servir à
des investissements. Cette situation est rendue possible par le fait que plus
des deux tiers d u revenu total vont à moins d u cinquième de la population.
et que les Blancs sont relativement peu imposés.
3. L.‘abonilancede main-d’euvre peu coûteuse et sous-employée maintenue
par l’apartheid.
3. Les ressources d u pays en uranium. amiante. cuivre. mangcirièse, fer et
autres minéraux. (Les recherches pétrolières sous-marines entreprises au
large des c6tes n’ont pas donné de résultat jusqu’ri présent.)
5. Le faible coiit de l’énergietirée d u charbon. gràce Li ILI modicité des snlaires.
11 est possible de créer de nouvelles sources d’énergie hydro-électrique i~
l’intérieur d u pays ou d’en obtenir à l’extérieur (par exemple à Cabora
B:iss:i, au Mo7ainbique).

N S T R I. (‘1’1O N S M
M É T A L L 1 ‘ RGI E ET (’0 fi C‘A N 1 Q L:ES

La métalluryie et les constructions mécaniques sont de loin les industries les


plus iniportaiites. L’acier produit par la société d’État ISCOR (Iron and Steel
Capitaux étrangers investis en Afrique d u S u d
1 9 6 4 et 1969 (estimations)

L% \
HI:
Z o n e dollar

Organisations internationales
4%
66% sterling
Zone Autres pays
66% 1%
Europe occidentale

internationales
I

1%

Europe occidentale
Orientation d u commerce sud-africain

A République fédérale d'Allemagne (5.88)


B Belgique (4.1%)
C Italie (3.9%)
D France 13.gq0)
E Autres pays d'Europe (8.3%)
F Afrique (15.2%)
G Océanie 10.1%)
H Ajustements (4.3%)
I Amérique d u S u d (0.5%)
J Autres pays d'AmériquP d u Nord (2.8%)
K Etats-Unis d'Amérique (7.3'ih)
L Autres pays d'Asie (4.5%)
M Japon (12.9%)
N Royaume-Uni (26.4%)

A République fédérale d'Allemagne (14.7%)


B Fronre (3,6%)
C Italie (3.4%)
D Suisse (2.2%)
E Pays-Bas (2.2%)
F Autres pays d Europe 15.84,)
G Etats-Unis d'Amérique (16.696)
H Autres pays d'Amérique d u Nord (1.5%)
I Océanie (2.7%)
J Ajustements (0,7%)
K Amérique d u Sud (1.0%)
L Afrique (5.4%)
M Autres pays d'Asie (9.8%)
N Japon (9.5%)
O R o y a u m e ~ U n i(20.9%)

__.
-
--
-
Valeur des exportations
~ _ _ _ ~ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ ~ _ ~ ~ ~
1959 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972
Afrique du Sud 46

Corporation) est l’un des moins chers du monde parce que les matières pre-
mières sont disponibles sur place et que les salaires sont bas.

INDUSTRIE ALrTOMOBILE

L’industrie automobile,qui a pris des proportions énormes,a commencé par le


montage de véhicules à partir d’éléments importés. Ses dirigeants espèrent
fabriquer,d’ici à 1976, une voiture qui soit à 66% sud-africaine,c’est-à-dire
produire à ce moment-là certains éléments essentiels comme des blocs-moteurs
et des carrosseries;les voitures construites en 1969 étaient déjà sud-africainesà
50%. Les usines de construction automobile se trouvent pour la plupart au Cap
et à Port Elizabeth et, comme beaucoup des centres industriels de ce secteur ont
été englobés dans des zones limitrophes. des dégrèvements fiscaux leur sont
accordés et les salaires minimaux y sont plus bas qu’ailleurs.Cette industrie est
cependant handicapée par l’étroitessede son marché (voir plus loin).

INDUSTRIE CHIMIQUE

L’industriechimique a commencé par la fabrication d’explosifs pour les mines.


Elle s’est développée au point de devenir probablement l’entreprise privée de
fabrication de substances explosives la plus importante du monde jusqu’à la
date récente où elle est devenue entreprise d’État.Depuis quelques années, la
branche la plus importante de ce secteur est l’usine nationalisée de la SASOL
qui produit des hydrocarbures à partir du charbon à Sasolburg,dans l’État libre
d’orange,pour tenter de compenser le manque de ressources pétrolières de
l’Afrique du Sud. Ses coûts unitaires de production sont très élevés, mais elle
fabrique d’autre part une gamme très variée de produits chimiques et de
matières plastiques à partir du pétrole.

INDUSTRIEMINIERE

L’économie du pays repose depuis soixante-dixans sur les mines d’or et de


diamants. La production de l’or a été désavantagée par la fixation en 1934 du
prix mondial du métal à 35 dollars l’once;mais actuellement les cours ne
cessent de monter: c’est ainsi qu’en juillet 1973, pafexemple, les cours du
marché libre oscillaient entre 70 et 120 dollars,alors que le prix officiel était de
42,22dollars.O n s’attend que cette hausse des prix entraîne rapidement l’ouver-
ture de nouvelles mines. En 1967, la Chambre des mines d’Afrique du Sud
prévoyait que la production d’or diminuerait entre 1971 et 1996, lorsque les
réserves économiquement exploitables seraient épuisées. En fait, cette produc-
tion a diminué de près de 7% en 1972,mais les bénéfices ont augmenté de 58%
et les dividendes de 24%.
O n met actuellement au point de nouvelles machines, par exemple une
foreuse à explosion limitant l’effet de dislocation des couches géologiques. O n
espère d’autre part pouvoir produire davantage d’or pour une hausse négli-
Développement de l'économie 47

geable du prix de revient. grace ii une amélioration du procédé de récupération


d u métal.
La forte montée des prix de l'or a également donné un regain d'activité A
d'anciennes mines, dont l'exploitation est redevenue rentable malgré la faible
teneur du minerai.
La production d'autres minéraux a gagné en importance. Celle d u platine a
par exemple subi une forte impulsion a u début des années 1970,lorsque la
législation antipollution a exigé des constructeurs d'automobiles des États-Unis
que leurs nouveaux modèles soient pourvus de convertisseurs de gaz d'échappe-
ment en alliages i hase de platine. La société General Motors a conclu avec
l'Afrique du Sud un contrat d'achat de platine portant sur dix années. et il est
probable que d'autres constructeurs ont suivi cet exemple. L'Afrique du Sud
dispose de réserves d'uranium suffisantes pour que l'État puisse entreprendre la
construction d'une usine d'enrichissement de l'uranium d'un coût extrêmement
élevé. dont la production sera exportée, et qui permettra aussi au pays d'envisa-
ger Is création d'industries nucléaires.

TABLEAU
2. Valeur des exportations de minéraux (en millions de rands)
~~ ~~~~ ~~~~~ ~~~ ~~~~ ~~~~ ~~~~ ~~~ ~~~

1'171 I'J72 1Y71 IV12


~ ~~ ~~~~ ~~ ~- ~~~~ - ~~~~ ~~~ ~~~ ~~~ ~~~~

Cuivre 75 83 Chrome 12.1 10.5


Amiante 34.8 86 Charbon 9.9 8.4
Manganese 30.9 28.6 Antimoine 14.7 6
Vanadium 16.9 21.4 Spath fluor 4.6 3.8
Nickel 15 20 Divers (donturanium
Minerai de fer 10.5 11.7 et platine) 144 191

L'industrie minière est celle qui emploie la plus forte proportion d'ouvriers
noirs et où les différences de sal:tires entre les ouvriers blancs qualifiés et les
ouvriers noirs sans qualification sont les plus fortes. C'est dans l'industrie
minière. ainsi que dans le secteur de la construction et celui des chemins de fer,
que les syndicats blancs ont toujours réclamé avec le plus d'insistance I'applica-
tion de l'apartheid. qui comporte (au moins dans son principe) la reservation
des emplois. Les mines ont besoin de milliers de travailleurs migrants. dont
beaucoup viennent de l'étranger. Cette immigration est souvent présentée
c o m m e la preuve que les conditions de vie sont d'une certaine façon meilleures
en Afrique d u Sud que dans les autres pays. 11 est vrai que les salaires des
mineurs attirent ceux qui, dans les pays voisins. n'ont que le minimum vital,
quand ils l'ont: mais cette émigration n'est pas entièrement spontanée. Elle est
due en grande partie au travail de recrutement de l'Association de la main-
d'cruvre indighe d u Witwatersrand ainsi ~U'LCUXencouragements des États
voisins. Depuis le début d u siècle. les propriétaires de mines d u Rand ont
obtenu. par accord spécial conclu avec les autorités portugaises. la fourniture
d'une main-d'cruvre recrutée au Mozambique. i concurrence de 100000 ou-
vriers et au prix de tant par h o m m e . Les conditions de vie des travailleurs
migrants demeurent effroyables.
Afrique du Sud 48

TABLEAU
3. Ouvriers africains étrangers travaillant en Afrique du Sud en 1972
Nombre d‘ouvriers Nombre d’ouvriers
Pays d’origine Pays d’origine
en Afrique du Sud en Afrique du Sud
-~
Angola 154 Rhodésie 6200
Botswana 31 960 Swaziland 10 108
Lesotho 131 749 Zambie 638
Malawi 131 291 Reste de l’Afrique 7340
Mozambique 121708

Commerce
L’Afrique du Sud exporte le quart environ de ce qu’elle produit et importe le
quart des biens de consommation qui lui sont nécessaires; l’examen de la
structure de ses exportations et de ses importations permet de voir encore plus
clairementcombien elle dépend de ses échanges avec l’étranger.
L’Afrique du Sud est surtout connue, sans doute, comme exportatrice de
minéraux,en particulier d’or,et de produits alimentaires,notamment de fruits.
Ses exportations de fruits vers l’Europe occidentale sont favorisées par la
synchronisation de l’hiver européen avec l’été sud-africain.Cependant, les
exportations d’or sont en déclin.A u cours des onze années 1959-1969, le total
des exportations sud-africainesest passé de 870 à 1500 millions de rands,tandis
que les exportations d’or n’ont progressé que de 500 à 850 millions de rands.
En 1969,l’ensemble des exportations (y compris l’or) ne représentait que
21% du PIB (contre 25% en 1961).
L’orjoue cependant un rôle capital dans l’économie,à un double titre. 11
constitue tout d’abord une réserve qui peut en dernier recours être vendue
contre des devises étrangères et c’est, d’autrepart, en soi,un produit d’exporta-
tion.Jusqu’à la brusque montée du prix de l’orsur le marché libre au début des
années soixante-dix,les excédents dus aux exportations de ce métal avaient
constamment diminué depuis 1960.La demande ne paraît pas devoir se relacher
et l’orrestera sans doute un atout important aussi longtemps que les réserves ne
seront pas épuisées.
Toutefois il n‘apparaîtpas souhaitableque l’économie repose sur l’or,d’où
l’effortd’industrialisation.
A u cours des années 1950-1970, l’industrialisationrapide de l’Afrique du
Sud a répondu à une politique de <(remplacement des importations)), c’est-à-
dire à la production sur place d’unegrande partie des biens de consommation et
des produits semi-fabriquésqui avaient jusqu’alors été importés,par exemple les
articles ménagers,les textiles, les véhicules automobiles, les pièces détachées et
de rechange. C o m m e dans beaucoup d’autres pays. cette tentative n’a pas
totalement réussi.Mais elle a nettement modifié la nature des importations,où
les biens de consommation et les matières premières transformées ont partielle-
ment fait place aux biens d’équipementet aux matières premières non traitées.
Actuellement,44% du total des importations sont constituées par de l’outillage
et du matériel d’équipement.Bien que les plus récentes statistiques disponibles
Dételoppement de l'économie 49

(1966)soient périnikes. cette évolution n e t'ait ;iLicun doute: le total des iniporta-
tions de matiéres premikres est passi de 10.7";en 1969 i plus d e l3"/0en 1966.
Si l'Afrique ciii Sud est grande exportatrice de certaines inatiircs prcmiires
(surtout de minéraux). elle ;I absolument besoin d'en importer d'autres. U n e
part considérable de ses exportations est coiistituke par les ventes d'or. de
diamants et de cuivre,qui sont des procluits pour lesquels le marché inti-rieurest
restreint. Ce marchi intérieur offre Cgnlenient peu d e tieboucliCs pour certains
types de produits maiiufacturés et I'iiiciustric qui les tàhric1Lier:i sera forckinent ;I
trop petite échelle pour pouvoir concurrencer les productioiis peu coûteuses
d'autres marchks. On cn arrive 3 cette situation asse7 p:irndoxale que Ics bas
salaires. qui perinettent de rnaiiitenir les pris de revient des Lirticlcs ina~iuf~ictii-
rés 11 un niveLiu modique, empccherit en mS.inc tetrips le marcht; intérieur de se
divelopper ail sein de la population. en niajoritt;noire. qui rcqoit ces silnircs. et
q ~ i eceux-ci constitiierit pi-consiquerit Lin ohstacle ;ILI plein essor de I'kcoiioinie
siid-africiiiiic.
De nou\e:iu\ diboucliia coinmerciau\; sont constLiiniiieiit recherchix. Le
Japon pourrait devenir un client iniportniit ~~ ;ILI point clLie les liomrnes
d'nffiiires japonais eii t.oyiige en Afrique dii Sud sont classés coinine ((B1;iiics
hniiornires )). d e crainte CIL~'UI~riinnqLie d'i-Fards ii leur endroit iie fii.;se ichouer
les iikgocintioris cornmerciales.
L e Royaume-Uni reste le pretnier partenaire cominercinl de l'Afrique d u
Sud; en 1971. il a absorhi 26,X"Il des exportations dc I'Af'riclue d u Sud et LI
fourni 73.2" de ses importations. M a i s le coniinercc ;I diminu6 d:iris les deus
sens. (Eii 1961. les po~ircentages coîrcspoiiciants étaient i-especti\eiiieiit de
32.9'' Il et 29.7"O .)
Mais ces st:itistiques coiiiinerciales ne ticnneiit 1x1s compte d u produit des
iiit.estissemcrits.Le Ff/uiiii.iu/ Tfnw,~ du 15 dkcembre 1973 ;I fait observer qiie,
lorsqu'oii ivalue les exportations britanniques vers l'Afrique d u Sud,((il ne faut
piis oublier q~'~iiiegrande partie de l'industrie inniiufacturi~resud-ufric:iiiie
appartient 1i des Britanniques ou est dirigèc par eux...)>:((il est sans doute exact.
:i.joutnit IC journal, de dire que ce qui est perdu en fait ct'espor~atinns est
récupki-éSOLISforme de versement direct des bénéfices des liliales britanniques,
ou se retrouve cians les bénifices non distribuis de ces sociétés)).
Les échanges cornmerciaus avec les autres pays a~ignientent.En 1970. le
Japon. les États-Unis et le Ripublique ft;clériiled'Allem:igne h i e n t respecti\re-
merit le deuxiL:ine, le troisiènie et le q ti;itriL:iiie piirteiiaire coiriniercial de
l'Afrique du Sud. C'est ;ILI cours des :innées soixaiite q u e I'accroisseincnt des
Cchiinges ;I Ctk le plus riipidc. En trois a n s seulement. de 1966 ii 1968, les
exportations i destination d u J:ipon sont passées de Xi 11 703 inillions de rancis
~~ les trois principaux produits étant le minerai de fer. le inangaiiPse et le
maïs ~ tandis qu'enlrc 1964 et 196s les esportatiniis li destiriatioii de la
Répuhliquc IëdCrale d'Allemiigric ont presque ciouhlt:.les iinportations en pro-
venaiice de ce pays liugmentant dans le même teinps de plus de 5000.
La diiniiiution de la part d u Royaume-lJnid a n s le commerce suci-iifricain
ri-sulte de cieux faits: la rédLictioii de son role dans l'ensemble ci~i ccmmicrce
internntionnl et I:i nouvelle orientation des échanges hritaiiniqLies vers la Coin-
niunautk économique europCcnne (CEE)plutôt q~ievers le Coiiiriionwe:ilth.
Cette diminution des ichiiiiges entre les Jeu\ piys aurait sans doute Ctk encore
Afrique du Sud 50

plus rapide sans le régime préférentiel dont l’Afrique du Sud continue de


bénéficier sur le marché britannique en tant qu’ancien membre du Common-
wealth,bien que son exclusion remonte à 1961.
L’Afrique du Sud redoutait l’adhésion du Royaume-Uni à la Communauté
économique européenne à cause de la suppression du régime préférentiel dont
les pays du Commonwealth jouissaient sur le marché britannique,et aussi parce
que certains produits (notamment les pommes) allaient être soumis à des
mesures de contingentement en application de la politique agricole du Marché
commun. (En 1973, en effet, les exportations de pommes de l’Afrique du Sud
ont été frappées par une mesure de ce genre, dont les effets ont toutefois été
atténués par les répercussions d’unemauvaise récolte en Argentine.)
L’Afrique du Sud a cherché à négocier des accords spéciaux avec la CEE,
notamment en ce qui concerne les fruits et le vin. Elle a envoyé à de nombreuses
reprises des délégations à Londres et à Bruxelles. Mais aucun accommodement
spécial ne lui a cependant été consenti,en dehors des dérogations dont tous les
«pays tiers)) ont bénéficié par suite de changements de politique générale
(Financial Mail du 14 septembre 1973). Les ventes de produits agricoles sud-
africains à la CEE ont donc dépendu des ((compensations)) négociées dans le
cadre de l’Accordgénéral sur les tarifsdouaniers et le commerce (GATT).
C’est à l’égard des produits agricoles que la perte est la plus importante,car
si les fruits frais du Cap se vendent encore bien dans les pays de la CEE,il n’en
va pas de même pour les fruits en boites et pour le vin.
L’importance que le commerce revêt pour l’Afrique du Sud a incité les
Nations Unies à adopter des résolutions visant à le boycotter (voir plus loin).
3 L’apartheid
à l’œuvre

Le Parti nationaliste est arrivé au pouvoir en 1948.au moment où le nationa-


lisme de l’après-guerrefrayait la voie de l’indépendance dans la plupart des pays
africains. Les Africains d’Afrique du Sud furent naturellement influencés par
ces mouvements d’opinion. Si les années de guerre avaient consolidé l’implanta:
tion des colons européens qui avaient eu tout le temps de préparer le terrain
pour l’apartheid. elles contribuèrent Sgalement i remettre en question
l’ensemble d u système.
La politique du Parti nationaliste. qui reposait sur l’apartheid et le main-
tien de la domination des Blancs, plut i quelques idéalistes qui ne pouvaient
supporter l’idée que les Africains fussent leurs égaux, mais espéraient qu’une
solution conciliant l‘égalité et la séparation permettrait de sortir de l’impasse.
Le parti promit ?i la population rurale blanche d’accorder une plus grande
attention aux problèmes de l’agriculture; il promit aux ((pauvres Blancs )) des
villes de réfréner davantage la concurrence des Noirs; et il promit ii tous les
Afrikaners. citadins ou ruraux. de mettre fin ii la suprématie britannique.
((Apartheid>) est un mot afrikaans signifiant séparation.Le gouvernement a
manifesté ces derniers temps une préférence pour l’expression ((développement
séparéD.
La politique d’apartheid implique les mesures suivantes:
1. Le renforcement et l’extension de la législation qui régit la séparation entre
Noirs. Blancs et Métis.
7. L a modernisation de l’administrationindirecte. par l‘entremisedes chefs et
des structures sociales traditionnelles. de manière i réfréner l’éclosion d’un
nationalisme africain.
3. Le renforcement du pouvoir des Afrikaners en matière économique et
sociale.
4. La séparation des races au moyen d’institutions sociales distinctes (dans
les domaines linguistique, culturel et 6ducatif) dépendant directement du
gouvernement, ou par l’affectation sélective des crédits officiels.
Les buts de l’apartheid sont les suivants: L I ) assurer le maintien de la
suprématie des Blancs, tout en gardant la haute main sur l’évolution et I’orien-
tation du nationalisme africain; hi garantir l’expansion et la compétitivité de
Afrique du Sud 52

l’activitééconomique sud-africaine(afrikaner en particulier) grace à une réserve


de main-d’œuvreafricaine mal,payée,docile et très mobile.
En 1948, la population se répartissait entre cinq groupes principaux, à
savoir:
Africains. Ils constituaient la réserve de main-d’œuvreà bon marché sur laquelle
reposait l’économie.Ils étaient pour la plupart -mais pas tous -dépour-
vus de qualification ou semi-qualifiés,et travaillaient dans les mines et dans
les usines des grandes villes. Quelques-unsavaient réussi à entrer dans une
carrière juridique,une profession libérale ou le journalisme.Dans les cam-
pagnes,ils étaient employés dans les exploitations appartenant à des Blancs
ou vivaient dans les ((réserves)).
Métis. Ils étaient pour la plupart ouvriers qualifiés ou contremaîtres, ou fai-
saient partie des cadres subalternes de l’industrie,en particulier dans la
région du Cap. Certains d’entre eux travaillent encore dans l’agriculture,
mais le plus souvent les Métis ruraux sont partis pour la ville, attirés par
des emplois mieux rémunérés.
Asiatiques. C’étaientsurtout les descendants des Indiens qui avaient été engagés
sous contrat pour travailler dans les plantations de canne à sucre.Quelques
immigrants libres (pour la plupart musulmans) étaient devenus négociants
ou boutiquiers. Cette communauté asiatique comprenait aussi un petit
nombre de Chinois et de Maltais.
Afrikaners. Beaucoup d’entre eux étaient restés agriculteurs, mais beaucoup
d’autres s’étaientinstallés dans les villes. Leur urbanisation avait en général
été accélérée par la dépression économique mondiale des années trente.Les
Afrikaners dominaient une partie de l’économie, l’autre étant entre les
mains des Sud-Africainsanglophones.
Sud-Africains anglophones. Cette dénomination assez générale permet de distin-
guer les Afrikaners des autres Blancs d’ascendance ou de parenté britan-
nique. Ceux-civivaient pour la plupart dans les villes, étaient en général
plus riches que les Afrikaners et exerçaient des professions libérales ou
occupaient des postes de direction. Leur histoire,leur implantation géogra-
phique, leur langue, leur religion et leurs traditions les séparaient des
Afrikaners.
La victoire du Parti nationaliste de 1948 fut en partie celle du nationalisme
afrikaner qui avait été nourri par deux cents ans de lutte contre les Africains
pour la possession des terres,contre les Britanniques (auxquels les avait notam-
ment opposés la guerre des Boers) et contre l’humiliation de se sentir de
pauvres Blancs))dans un pays qui s’industrialisaitrapidement.

L e cadre institutionnel
La première mesure fut d’institutionnaliserla différenciation catégorique entre
les races. La loi de 1949 interdisant les mariages mixtes et la loi de 1950 sur
l’immoralité interdirent les mariages et les relations sexuelles entre Blancs et
Noirs. La loi de 1950 sur l’enregistrementde la population répartit celle-ci en
catégories raciales et, à partir d’août 1966,tous les citoyens agés de plus de seize
Enfant des taudis de Johannesburg.
Afrique du Sud 54

ans furent tenus de posséder une carte d’identité et de la présenter à toute


personne habilitée à la demander. La race du titulaire est indiquée sur cette
carte d’identité.La loi sur les zones de groupe stipula que chaque groupe racial
devrait habiter dans des zones bien délimitées.
La loi de 1953 sur l’éducation bantoue, modifiée en 1954, 1956, 1959 et
1961,étendit l’apartheid à l’éducation des Africains. La loi de 1965 sur I’éduca-
tion des Indiens institua un enseignement séparé pour les Indiens,comme l’avait
fait,pour les Métis, en 1963,la loi sur l’éducation des Métis.
Aux termes de ces diverses lois, les systèmes d’enseignement destinés res-
pectivement aux Blancs,aux Métis,aux Asiatiques et aux Africains doivent être
administrés et financés séparément et appliquer des programmes d’études diffé-
rents.
Des lois furent adoptées pour réglementer les déplacements des ouvriers
africains. Dès avant 1948, le Parti nationaliste et certains membres du Parti
unioniste s’étaientinquiétés de l’exodedes Africains vers les villes. Les Africains
travaillant dans les zones urbaines vivent à présent dans certaines localités qui
leur sont assignées en dehors des villes proprement dites, et encore y sont-ils
soumis à des conditions particulières. La loi de 1945 sur les zones urbaines
bantoues fut amendée en 1964.En 1953,les Africains reçurent l’ordrede porter
constamment sur eux une pièce d’identité spéciale et un livret de référence
(couramment dénommé ((laissez-passerD) [loide 1953 sur l’abolitiondes laissez-
passer et la coordination des pièces d’identitédes Bantous].
Les droits des travailleurs furent restreints. I1 est interdit aux Africains de
se mettre en grève et les syndicats multiraciaux ont été déclarés illégaux (loi de
1953 sur le règlement des conflits concernant la main-d’œuvre bantoue). Les
syndicats africains ne sont pas illégaux,mais ils n’ont pas de statut officiel et ils
*nepeuvent pas prendre part aux négociations collectives.Les syndicats blancs,
en revanche,sont enregistrés et la législation du travail les reconnaît officielle-
ment comme représentant les travailleurs (loi de 1956 sur la conciliation indus-
trielle). En dehors des ((réserves), la coutume et parfois les lois cantonnent les
Africains dans des emplois subalternes.La loi sur la conciliation industrielle de
1956, modifiée en 1959, donne pouvoir au gouvernement de réserver certains
genres d’emplois aux personnes d’une race ((déterminée». L’usage veut qu’en
dehors des homelands, les Africains n’occupent presque jamais des postes où ils
seraient appelés à exercer une autorité administrative sur les Blancs.
Tous les droits politiques des non-Blancs (déjà restreints) furent systéma-
tiquement rognés. Le droit de vote limité qui avait été promis aux Indiens fut
aboli.En 1956,les électeurs métis du Cap furent exclus de la liste commune et
on leur permit en échange d’élire quatre représentants blancs au Parlement.
Cette représentation fut abolie en 1968 (loide 1968 sur la représentation séparée
des électeurs).
En 1970, tous les droits politiques et sociaux des Africains en dehors des
homelands furent abolis (loi de 1970 sur la citoyenneté des habitants des home-
lands).
Cette décision acheva le processus d’exclusion de la représentation des non-
Blancs au Parlement. Le Conseil représentatif des Métis s’occupe des intérêts
des Métis et le Conseil national indien de ceux des Indiens. Ces deux orga-
nismes,créés en 1964,sont l’unet l’autrepurement consultatifs.
L’apartheid à l’œuvre 55

Depuis 1968, en vertu de la loi interdisant l’ingérence dans les affaires


politiques, les partis politiques ne peuvent plus recruter leurs adhérents que
dans une seule race. Étant donné que les non-Blancs ne sont pas directement
représentés au Parlement, leur activité politique ne dépasse généralement pas le
cadre de groupes extra-parlementaires (qui seraient probablement des partis
politiques légaux dans d’autres pays). Afin de restreindre l’action de tous ces
groupes, le gouvernemerit a fait adopter plusieurs textes législatifs de portée
générale concernant les activités et les publications visant ii modifier, de quelque
façon que ce soit, le rSgime industriel, politique. social et économique, et
menaçant la sécurité et l‘ordre public. Le président de la république peut, A sa
discrétion. prendre des mesures d’interdiction à l’égard de toute personne ou
organisation. Toute personne qui fait l’objet d’une mesure individuelle d’inter-
diction ne peut rencontrer plus d’une autre personne A la fois et perd le droit
d’exercer toute activité politique; elle peut être astreinte A résidence surveillée à
son domicile et tenue de se présenter chaque jour au poste de police de sa
localité (loi de 1950 sur la suppression d u communisme, loi de 1960 sur les
organisations illégales et loi de 1963 portant amendement de la législation
générale). I1 sera question plus loin d’autres mesures de <<skcurité)).
A u cours des années cinquante. une série de lois organisa l’apartheid «par
le menu)). instituant la ségrégation des races dans les lieux publics c o m m e dans
tous les autobus. les trains, les taxis. les parcs. les jardins zoologiques, les
musees et galeries d’art. les cinémas, les théiitres. les toilettes publiques, les
plages, les terrains de sports, les cafés. les restaurants. etc. (lois de 1953 et 1960
sur la séparation des lieux publics: loi de 1955 modifiant le régime des trans-
ports; loi de 1957 sur les établissements subventionnés). L a ségrégation est
également appliquée dans les hôpitaux, où Noirs et Blancs sont soignés séparé-
ment par un personnel de leur race,ainsi que dans les sports. où les équipes, les
compétitions et les tribunes mixtes sont toutes interdites. Les usines doivent
disposer d’entrées distinctes, ainsi que d’appareils de pointage, de bureaux de
paie, de salles d’infirmerie,de vaisselle et de couverts,de lavabos,de toilettes. de
vestiaires, de salles de repos. de réfectoires et d’ateliers tous distincts (loi de
1960 sur les usines et l’outillage).

L’Afrique du Sud devient une république

L’Afrique du Sud est devenue une république le 31 mai 1961. Elle est alors
sortie d u Commonwealth tout en continuant à faire partie de la zone sterling.
Ses langues officielles sont l’anglais et l’afrikaans.Les habitants de race blanche
recensés c o m m e anglophones représentent 37.3% de la population blanche.
L a répartition de la population par groupe racial (recensement de 1970)
était la suivacte: Africaics. 15 057 952: Blancs, 3 75 1 328: Mitis, 3 O1 8 453 ;
Asiatiques. 620 436.
Après les élections de 1970. la répartition des sièges au Parlemerd se
décomposait ainsi: Parti nationaliste, 1 17;Parti uni,47:Parti progressiste, 1.
Le pourcentage des voix se répartissait ainsi : Parti nationaliste, 54.43% ;
Parti uni. 37.33% ; Parti progressiste,3,43% ; Parti hesligite national, 3,569’”.
Afrique du Sud 56

Le chef de l’État est le président de la république. 11 a le pouvoir de


dissoudre le Sénat et l’Assemblée,de conférer des titres honorifiques, de nom-
mer les ministres et leurs adjoints,de fixer les dates des sessions parlementaires,
de proroger le Parlement,de déclarer la guerre et de faire la paix. La durée de
son mandat est de sept ans à partir du jour où il prête serment.
Le Conseil exécutif se compose de 18 membres au plus, qui sont nommés
par le président.
Le Parlement,organe législatif,se compose du président, de l’Assembléeet
du Sénat.
Le Sénat est composé de 54 membres, dont 10 sont nommés par le pré-
sident.I1 a essentiellement pour rôle d’examinerles textes législatifs.
L’Assembléecompte 160 membres,élus au suffrage direct,plus 6 représen-
tants du Sud-Ouestafricain élus selon les dispositions de la loi de 1949 portant
modification du régime du Sud-Ouestafricain.
Pour pouvoir prendre part aux élections législatives,il faut: a) être inscrit
sur les registres électoraux; b) résider depuis cinq ans sur le territoire de la
république;ci avoir la nationalité sud-africaine;d) être iigé d’au moins dix-huit
ans;e) être de race blanche. Les non-Blancsne sont pas représentés au Parle-
ment.
I1 existe en outre 4 conseils provinciaux (Le Cap, Transvaal,Natal et État
libre d’orange)dont les membres sont élus.Les conditions de participation à
l’élection de ces conseils sont les mêmes que pour les élections législatives.
O n lira plus loin la description des assemblées législatives des homelands
africains, ainsi que du Conseil représentatif des Métis. L’iige minimal requis
pour l’exercicedu droit de vote limité dont jouissent les non-Blancsest de vingt
et un ans.

L’apartheid et l’économie
A u cours des années soixante,le taux annuel de croissance économique de
l’Afriquedu Sud a été de 6 à 7%. Depuis lors,il a diminué. Les prix sont en
hausse et l’inflationpose un problème grave.L’Afrique du Sud se trouve en face
de difficultés économiques,dont certaines découlent de l’apartheid.Prenons par
exemple la réservation des emplois.
Pour protéger les ouvriers blancs de la concurrence économique, il est
fréquent que la législation interdise expressément aux Africains l’accès à divers
emplois qualifiés. D u point de vue économique,la productivité des Africains
s’en trouve réduite à un niveau beaucoup plus bas que celui qu’elle pourrait
atteindre.
Cela limite d’autre part le nombre des Africains autorisés à se faire embau-
cher dans n’importe quel genre d’emploi industriel et crée donc des pénuries
artificielles de main-d’œuvre.Malgré l’immigration de Blancs venant de I’étran-
ger, qui fournit 30000 travailleurs par an, le nombre des ouvriers qualifiés ne
suffit pas aux besoins croissants de l’industrie. Cette situation risque de
conduire à une incompatibilité totale entre la recherche d’une plus grande
prospérité et l’idéologie de l’apartheid.D’ailleurs, des conflits se sont déjà
produits.
L’apartheid i I’<ruwe 51

A u début des années soixante-dix,le manque de main-d’ceuvre devint si


grave que beaucoup d’entreprises se mirent ii employer des Africains ii des
postes plus élevés q~ierie le permettait la Iégislatioii et des voix s’èlevérent dans
tous les secteurs de l’industrie pour rèclamer que les réservations d’emplois ne
s‘appliquent qu‘i partir d’un niveau de qualification plus élevé. Le gouverne-
ment se montra inflexible et il fut soutenu dans cette attitude par les syndicats
blancs. mais certains signes donnèrent ii penser que les règles de réservation des
eniplois seraient assouplies sans qu’il fût question pour autant d’abandonner
le principe de la barrikre raciale. Beaucoup d’emplois qui étaierit naguère
occupés par des ouvriers qunlitiés blancs furent confies i des Africains moins
bien payés. OLI Iùrent fractionnés de riiariière i éluder la législation sur les
rkaervations d’emplois.II se trouva aussi cles employeurs pour clemander qu'ai:
améliore les possibilitks ci’éducatior et de ibormationdonr16esaux Africains.
En provoquant des pénuries de mairi-d’ceuvre qualifiée, la réservation
d’emplois rend l’industrie moiris productive ; d’autre part, les bas salaires emp&
chent l’expansion du marché de consommation africain. qui pourrait être
inimcnse, freinant du même coup la croissance de l’industrie appelée i approvi-
sionner ce inarchè.
D’oùle dilemme qui se pose 5 l’Afrique d u Sud : si elle élève les niveaux de
qualification. de productivité et de rémunération des Africains et si elle crée un
prolétariat relativcment prosp2re. elle sape toute la base sur laquelle repose
l’apartheid: mais si elle rie le fait pas. c’est toute son économie qui risque de
stagner.
La loi sur les régions de groupe et la main-d’euvre migrante qu’elle est
ceris6e produire ;I I ‘interieur du pa ys cO ri st i t Lien t LIr. aU tre i 11strum e r!t d ‘apart-
heid qui fait du tort ii l’économie.Pour rltgukiriçer l’offre et ie coût de ILI main-
d’ceuvre requise par la communauté blanche sans compromettre la domination
et les droits exclusifs de celle-ci. les membres des autres races ne sont pas
autorisés ;Is’installer dans les régions classées c o m m e blanches.
Les conséquences sociales de cette politique sont de deux ordres.
D’abord, i de rares exceptions près. les Africains ne sont autorisés
habiter que dans les villes noires situées en banlieue des grandes agglomérations.
par excmple Soweto, ville de 500000 habitants située dans III banlieue de
Johannesburg. Ensuite. les habitants de ces villes noires sont des résidents
temporaires qui ne peuvent y rester qu‘aussi longtemps qu’ils ont du travail;
s’ils perdent leur emploi ils doivent repartir pour leurs h017w/md~. Ils ii’ont pas
le droit de faire venir leur femme ni leur famille auprès d’eux. En 1968, ils
étaient 1 664000 travailleurs africains migrants ii vivre sans famille sous ce
régime restrictif ii l’intérieur des 7oiies blanches. L’idéologie de l’apartheid veut
qu’un homme noir ne soit autorisk 3 pénétrer dans une 7one blanche qu’afn d’y
I’oiirriirun travail mal rémunéré.
Le gouvernement nationaliste a poursuivi cette politique avec vigueur.
C o m m e le déclarait en 1965 H.Verwoerd: ((Le système de la main-d’euvre
migrante est appliqué depuis des générations. Chacun sait qu’en ce qui concerne
la main-d’euvredes mines, c’est le meilleur système et probablement le seul qui
soit applicable dans la pratique. Je soutiens qu’il est dans l’intérêt des Bantous
que ce système soit renforcé et qu’il soit étendu i d’autres catégories de travail-
leurs.))
Afrique du Sud 58

DÉCENTRALISATION INDCSTRIELLE

Selon la politique nationaliste de développement séparé, il n’y aura plus de


grandes villes africaines aux abords des villes blanches une fois que la popula-
tion africaine sera regroupée sur ses homelands. Les Africains auront une
économie distincte de celle des régions blanches,mais ils continueront à fournir
la main-d’œuvreaux entreprises blanches des régions voisines. H.Verwoerd a
expliqué cette politique en juin 1959 devant l’Assemblée: a L’industrie de
l’Afrique du Sud blanche reposera sur deux piliers, celui des entreprises indus-
trielles blanches implantées au fond des régions blanches et celui des entreprises
appartenant aux Blancs mais qui, étant situées dans les zones limitrophes des
Bantoustans, emploieront une main-d’œuvrebantoue venant des régions ban-
toues.La majeure partie de cette main-d’œuvrepourra y être utilisée au service
des Blancs.D
En principe,le gouvernement aidera les Bantoustans à se doter d’une solide
infrastructure économique et industrielle en leur assurant des prêts pour les
entreprises industrielles gérées par des Africains dans les zones africaines ainsi
que pour la formation d’Africains qui pourraient occuper des postes de respon-
sabilité, des subventions pour l’amélioration des sols dans les réserves, des
services médicaux et éducatifs, des prêts au logement, des routes et autres
aménagements.11 encouragera d’autre part l’implantation de nouvelles indus-
tries dans les zones limitrophes autour des Bantoustans en limitant l’embauche
des Africains dans les régions blanches.
U n certain nombre d’entreprises industrielles devaient être décentralisées,
c‘est-à-diretransplantées dans les «zones limitrophes))jouxtant les Bantoustans.
Les Africains devaient alors travailler dans le secteur blanc de l’économie,mais
vivre dans les régions noires et se trouver très éloignés des villes blanches. Ces
transferts d’industries devaient être profitables, attendu que les salaires sont
encore plus bas dans les zones limitrophes que dans les villes et que la main-
d’œuvrey est encore plus facile à diriger et à tenir en main.
Rien ne prouve que cette politique soit couronnée de succès. Quelques
centres artisanaux ont été installés dans les homelands et les industriels blancs
n’ont manifesté aucun désir de s’installerdans les zones limitrophes, malgré les
avantages qu’on leur offrait pour les inciter à le faire. Cela s’explique par des
raisons économiques faciles à comprendre -manque de moyens de communi-
cation et répugnance du personnel de direction blanc à accepter des postes dans
des coins perdus.
L‘analyse suivante,publiée par The Economist (supplément sur l’Afrique
du Sud,juin 1968), explique ce dilemme:
«Ledéveloppement économique des Bantous a pris un tel retard sur celui
des Sud-Africainsblancs que ces homelands constituent des zones stagnantes et
en pleine dépression,au milieu d’un pays très riche.I1 est donc tout naturel que
les jeunes gens de ces zones pauvres et stagnantes aillent chercher des emplois
bien rémunérés dans celles qui sont riches et dont les besoins de main-d’œuvre
augmentent.I1 faudrait absolument redresser si possible cette situation en ayant
recours au type habituel de “mesures en faveur des zones de dépression écono-
mique”; cela consisterait,dans le cas présent, à accorder des conditions spé-
ciales et des primes à l’investissementpour canaliser les capitaux blancs vers les
L’apartheid à l’œuvre 59

Bantoustans (mais en appliquant sans doute un système de tenure ri bail pour


les terres ainsi qu’un régime spécial d’enregistrement.de droit commercial et de
fiscalité pour les entreprises installées dans ces Bantoustans) ; il faudrait aussi
appliquer une politique agricole visant ri éliminer l’agriculture traditionnelle de
subsistance, pratiquée sur une petite échelle, et à favoriser la formation d’une
classe d’agriculteurs bantous professionnellement qualifiés et appliquant en
grand des techniques modernes ri des cultures de rapport.
) )Mais. malheureusement. le rêve du premier ministre sud-africain aujour-

d‘hui disparu. H. Verwoerd, était que les Bantous, dans leurs lionzeltnit/s,
redeviendraient les gentils paysans de sa mythologie. doux et contents de leur
sort. Sa politique agricole a donc été que les Iioimdtitzc/s fondent leur économie
sur l’agriculture de subsistance traditionnelle,celle-là m ê m e qui les avait main-
tenus dans la pauvreté (bien que le gouvernement leur ait fourni l’aide de
quelques experts en matière de lutte contre l‘érosion des sols); quant ri sa
politique industrielle. elle a visé ri interdire les investissements d’“exploiteurs”
blancs, et à confier i un organisme semi-officiel. la Société d’investissement
bantoue, le soin d’accorder des crédits pour faciliter l’établissement de quelques
petites industries artisanales semi-ruralesdéterminées.
)> L,es résultats de cette politique ont évidemment été ridicules. Dans

les rkgions rurales du Transkei. on r,e peut voir aucun h o m m e jeune? parce
que tous sont partis travailler en Afrique du Sud blanche. Les femmes
bar,toues errent dans les campagnes. plus occupkes ri aller chercher de l’eau
et à ramasser du bois qu’à cultiver leurs champs. II semble. d’après les
statistiques officielles, qu’au cours des six premières années de mise en v’ci 1 eur
des Bantoustans. 945 emplois industriels nouveaux seulement aient été créés
pour les Africains dans les honielrincis, bien que la Société du développement
bantou y ait dépensé 1 1 millions de rands (soit6420000 livres sterling).
>)[En ce qui concerne les industries blanches des zones limitrophes] cette
politique réussit dans certains cas très exceptionnels, surtout dans les régions où
les liomelrrticls en cause ne sont nullement de vrais lzonieltrricis répondant aux
normes habituelles. I1 existe par exemple une région appelée Rosslyn, ri 19 kilo-
mètres au nord d u centre de Pretoria. qui se trouve théoriquement i la limite
d’une de ces taches noires indiquées sur les cartes historiques. Les nouvelles
usines ont tout avantage ri s’y installer,puisqu’elles se trouvent ainsi ri proximité
des marchés, des sources d’approvisionnement en combustible,de bons moyens
de transport, des services administratifs et des délices de la vie urbaine pour le
divertissement d u personnel de direction blanc. Lorsque je m e trouvais ri Johan-
nesburg. quelques hommes d’affaires britanniques du plus haut rang, qui y
étaient de passage, annonçaient m ê m e qu’ils allaient peut-être installer des
usines à Rosslyn et donnaient cette explication: “On nous dit que le gouverne-
ment n‘imposera aucune restriction i l’emploi de main-d’œuvre africaine dans
cette région.”))
Cet insuccès manifeste n’empêche pas le gouvernement nationaliste de
persévérer dans la voie qu’il s’est tracée. I1 a publié en juin 1971 un ((livre
blanc H intitulé Rapport t h 1 Comit.4 ititerniinistt;rieI stir Ili décentrrilisutiorl des
intlustrirs, plus connu sous le n o m de Rqport th Conlitcg Rickert. L’objectifest
de maintenir la croissance économique sous le régime de l’apartheid. I1 a été
recommandé de renforcer la main-d’œuvre blanche dans les zones métropoli-
Afrique du Sud 60

taines et la main-d’œuvrenoire dans les zones ((décentralisées)), c’est-à-direà


l’intérieur ou à proximité des Bantoustans. Le rapport d’effectifs entre main-
d’œuvreblanche et main-d’œuvreafricaine devait être déterminé (les Métis et les
Indiens n’entrantpas en ligne de compte) et constituer l’un des critères appli-
cables au choix de l’emplacementdes industries.
Le gouvernement offre des avantages pour encourager l’implantation des
industries dans les zones limitrophes,notamment des prêts, des abattements
d’impôts sur le revenu, des dérogations en matière de salaires et des exonéra-
tions relatives aux transports routiers.I1 a cessé d’accorder des dérogations aux
entreprises qui s’installentà Rosslyn et à Hammarsdale (voir l’extraitde l’article
de 1’Economist cité plus haut) et cherche à concentrer les efforts sur les home-
lands des régions plus éloignées.I1 n’y aura pas d’emplois réservés, ni d’accord
salarial avec le Conseil industriel et on établira des échelles de salaires diffé-
rentes de celles qui sont appliquées dans les zones blanches.
I1 y a déjà eu des plaintes au sujet des salaires payés par les entreprises
textiles des zones limitrophes, qui sont moins élevés que dans les régions
blanches du Transvaal,ainsi que des salaires accordés et des bénéfices réalisés
par l’industriedu vêtement dans les zones limitrophes.
Les Bantoustans n’ont pas obtenu l’ombre d’uneautonomie et les adminis-
trations noires (partiellement élues) ne jouissent que de pouvoirs strictement
limités.
Le monde des affaires n’aime pas la politique appliquée à l’industriedans
les zones limitrophes,d’une part pour les raisons qui ont déjà été mentionnées
et d’autre part parce qu’onne saurait attendre de 1’« éducation bantoue)) qu’elle
forme des Africains qualifiés pour occuper les emplois plus variés que la
décentralisation pourrait conduire à créer dans les Bantoustans et les zones
limitrophes.
Selon le Financial Times du 22 juin 1970: I1 se trouve par exemple qu’une
grande société spécialisée dans le caoutchouc a besoin, pour faire fonctionner
ses machines, d’ouvriers ayant un niveau d’instruction au moins égal à celui de
la sixième année. Mais lorsqu’elleen a cherché dans la zone limitrophe qu’elle
avait choisie, elle n’en a pas trouvé. M.Siegfried Kuschke, président de la
Société de développement industriel,a maintes fois réclamé une amélioration
des moyens d’enseignement et une augmentation du nombre des écoles profes-
sionnelles dans les zones limitrophes.
»La politique des Bantoustans,concluait l’auteur de cet article, ne saurait
durer beaucoup plus longtemps sans... apparaître comme un rêve ou une dupe-
rie.))

LES AFRICAINS ET LES SYNDICATS

Les syndicats ne peuvent être multiraciaux (à l’exception du petit nombre


d’entre eux qui l’étaient déjà avant que la législation sur cette question fût
adoptée au cours des années cinquante), et les Africains ne sont pas autorisés à
constituer des syndicats officiels ou ((déclarésD. Les syndicats officiels peuvent
s’organiser,négocier et lancer,sous certaines conditions,des ordres de grève;
leur activité est réglementée par la loi sur la conciliation industrielle. I1 est bien
précisé que le mot ((employés)), dans le texte de cette loi,ne s’appliquepas aux
Bibliothèque publique a Durban.
Afrique du Sud 62

Africains, qui n’ont pas le droit de s’organiser entre eux, de désigner des
représentants ni de participer à des négociations,et auxquels toute grève est
formellement interdite sous peine d’une amende de 550 livres ou d’un empri-
sonnement dont la durée peut atteindre trois ans. Les lois sur le sabotage et sur
le terrorisme prévoient des sanctions plus sévères contre les activités syndicales,
comme la constitution de piquets de grève par exemple. La loi sur la concilia-
tion industrielle reconnaît la qualité d’employé aux Indiens et aux Métis, qui
peuvent donc constituer des syndicats déclarés. Mais s’ils font partie d’un
syndicat auquel sont également affiliés des Blancs, ce sont ces derniers qui
doivent diriger l’activitésyndicale,saufautorisation expresse du gouvernement.
Les syndicats africains ne sont pas interdits par la loi,mais les Africains qui
adhèrent à une organisation ouvrière sont suspects aux yeux de la police. O n
peut exiger d’eux qu’ils mettent fin à leur activité syndicale, sous peine d’être
interdits de séjour dans la région et par conséquent de perdre leur emploi.
Le fait que les Africains n’ont quasiment aucun droit en tant que travail-
leurs a presque toujours servi les intérêts des employeurs blancs, mais la vague
de grèves qui s’est produite au Natal en 1973 a montré que cette politique a elle
aussi des limites. L’interdiction de faire grève n’a pas empêché les ouvriers de
cesser le travail et, une fois la grève déclenchée,les directions des entreprises se
sont trouvées pratiquement dans l’impossibilité de négocier ou d’organiser la
reprise du travail dans l’ordre et le calme en l’absence du dispositif qui aurait
été nécessaire.

L’INVESTISSEMENT

Le gouvernement encourage les Sud-Africainsà être propriétaires des valeurs


industrielles de façon à contrecarrer la domination de l’industrie par les capi-
taux étrangers.
Il a décrété, en mai 1973,que les nouvelles actions émises par les banques
ne devraient être vendues qu’à des habitants de l’Afriquedu Sud jusqu’à ce que
la proportion des parts détenues par des étrangers tombe à 10% du capital.La
Commission Franzen avait déjà recommandé en 1971 que les banques étran-
gères réduisent leurs portefeuilles de façon que ceux-ci ne représentent pIus
«dans un délai raisonnable)) que 50% des parts.
I1 y a peu de temps encore,la communauté blanche anglophone dominait
les secteurs de la gestion et de l’industrie,la communauté blanche de langue
afrikaans s’occupantessentiellement d’agriculture.Cette situation a quelque peu
changé maintenant. Si une grande partie des capitaux reste entre les mains des
Blancs anglophones,les Afrikaners contribuent pour beaucoup à l’accélération
du développement industriel.O n les trouve maintenant à tous les niveaux de la
gestion et leurs investissements gagnent tous les secteurs économiques, des
banques aux mines et aux industries tertiaires. Les Afrikaners ont été aidés en
cela par la politique gouvernementale à l’égard des investissements et de
l’encadrementdes capitaux étrangers.
Le gouvernement investit de plus en plus, en particulier dans le secteur
public, et il emploie l’investissementcomme un moyen d’action politique,en ce
qui concerne le lieu d’implantationdes entreprises par exemple. C’est ainsi que
la décentralisation des ateliers de montage de postes de télévision répond aux
L’apartheid à I’auvre 63

besoins de la politique suivie A l’égard des industries des zones limitrophes. Le


gouvernement a investi environ 460 millions de rands dans le projet Sishen-
Saldanha, 700 millions de rands dans l’usine pétrochimique de Richards Bay,
1300 millions de rands dans I’ISCOR (en plus du programme Saldanha) et
1850 millions de rands dans I’ESCOM.I1 envisage d’investir 550 millions de
rands dans Line usine d’enrichissement de l’uranium. La société nationale
d’armement (ARMSCOR)a de gros capitaux dans les industries d‘importance
stratégique (fabrication d’explosifs et de matériel électronique) et est proprié-
taire de l’AtlasAircraft Corporation. L’État est pratiquement propriétaire de la
télévision (danslaquelle il a investi 100 millions de rands) et des chemins de fer.
La mainmise de l’État s’étend ii la commercialisation des produits agricoles. par
l’intermédiaire de bureaux d’exportation. et les subventions gouvernementales
financent certains secteurs ou certaines collectivités.E n 1972.le secteur public a
bénéficié pour la première fois de plus de la moitié d u montant brut des
immobilisations intérieures (41 I2 millions de rands). Pour 1973, l’investissement
dans le secteur public a été évalué i 3500 millions de rands, soit une augmenta-
tion de 440 millions de rands par rapport i 1972.
L’investissement privé a lui aussi augmenté, grace aux subventions i
l’exportation accordées au secteur de la marine marchande et i celui de la laine,
et gràce i la limitation des importations dans le dessein d’encourager la substi-
tution d’autres articles ou produits. Le secteur privé se montre de plus en plus
hostile i l’extension d u secteur public. i la restriction de certaines importations
et aux mesures gouvernementales qui nuisent i la prospérité de certains secteurs
économiques.
L’échelle des salaires, les emplois, le régime foncier et le logement font
partie, dans le régime de l’apartheid, de la panoplie qui doit permettre aux
Blancs de garder fermement la possession d u capital. Les investissements des
Africains dépendent de la Société d’investissement bantoue (BIC)qui est placée
sous l’autorité de l’État et qui accorde des prêts aux Africains désireux d’investir
dans les lzonielcr/iclv.11 semble, d’après les statistiques de 1969/70,que ces prêts
aient été consentis principalement i de petites entreprises commerciales et de
service: ils se sont élevés ii un total de 5 940 143 rands répartis entre 959 Afri-
cains (alors que l’usine de Richards Bay a reçu ii elle seule 700 millions de
rands). Les investissements ont donc été extrêmement réduits.
II serait difficile de surestimer le rôle que les investissements étrangers ont
joué dans la mise en place de l’infrastructure industrielle de l’Afrique d u Sud
(opérationsbancaires d’investissement.assurances,mines, industries manuf‘actu-
rières). Depuis la grande vague de prospérité de l’industrie minière au Y I X ~
siècle, il est courar,t que certaines entreprises appartiennent ii des étrangers.
Ce sor,t les capitaux britanniques qui ont tenu la place la plus importante
au début de l’èrecoloniale,mais d‘autres pays occidentaux ont accru leur mise ii
mesure que l’économie se développait et que l’industrie prenait de l’expansion.
Les pays de la zone sterling détiennent encore quelque 60% de l’ensemble des
avoirs étrangers en Afrique d u Sud. bien que leur part ait diminué (de 6 6 O h en
1963 ii 61,6”/0en 1969). E n 1970,les investissements en sterling atteignaient au
total 1728 millions de livres (soit 5 8 V O de l‘ensemble des investissements). A u
cours des années 1960.les investissements ouest-européens ont augmenté plus
rapidement que ceux de toutes les autres régions: ils représentaient en 1970 plus
Taudis à Johannesburg.
Afrique du Sud 66

de 24% du total des avoirs étrangers (contre 15% en 1963). Les investissements
en dollars constituaient,en 1970,15% du total de l’investissement.
A u cours de l’après-guerre,les capitaux étrangers affluèrent régulièrement
en Afrique du Sud jusqu’en 1957, puis ce mouvement se ralentit. Pendant les
années qui suivirent le massacre de Sharpeville (1960), et dans la situation
politique et économique incertaine qui résulta de cet événement,on enregistra
d’importantessorties de capitaux précédemment investis en Afrique du Sud. En
1961,le gouvernement institua des mesures rigoureuses de contrôle des changes
pour refréner cette fuite de capitaux; interdiction fut faite aux firmes sud-
africaines et étrangères d’exporter des capitaux,et cette politique a générale-
ment donné de bons résultats.
Depuis 1964,cependant, les capitaux étrangers ont repris le chemin de
l’Afrique du Sud, pour trois raisons essentielles: a) l’orientation générale de
l’investissementvers les pays avancés plutôt que vers ceux qui sont en voie de
développement; b) la croissance économique rapide de J’Afrique du Sud jusqu’à
1969; c) l’instabilité des monnaies européennes et américaines (en tant que
premier producteur mondial d’or,l’Afrique du Sud devient un pôle d’attraction
pour les capitaux lorsque les autres pays sont en butte a des difficultés moné-
taires). Pendant les cinq années 1965-1969,le total net des entrées de fonds s’est
élevé à 650 millions de livres (dont 260 millions de livres en 1968); il devait
encore augmenter et atteindre 328 millions de livres en 1970.
Le montant particulièrement élevé des entrées de capitaux enregistrées en
1968 a sans doute résulté de la dévaluation de la livre sterling et de I’établisse-
ment du double marché de l’or qui a immédiatement provoqué une montée en
flèche des cours à la bourse de Johannesburg et sur le marché libre de l’or.Mais
cette arrivée en masse de capitaux n’a pas été un bienfait ‘sansmélange pour
l’économiesud-africaine,et des mesures de dissuasion ont été prises vers la fin
des années soixante. Si considérablequ’elle fût,J’arrivéeen Afrique du Sud de
501 millions de rands (291,67 millions de livres) de capitaux étrangers n’a
épongé qu’unepartie de l’énormedéficitde la balance des paiements.
Les entrées de capitaux ont surtout consisté en investissements privés
réalisés directement par les sociétés étrangères de holding dans leurs filiales
d’Afrique du Sud. Le taux exceptionnellement élevé des bénéfices en était le
princjpal mobile, Entre 1965 et 1968,le taux moyen du rapport des investisse-
ments britanniques a été de 12% -le plus fort du monde, si l’on fait exception
de la Malaisie.
Ces investissements privés directs ont lieu essentiellement sous trois formes:
a i la prise de participation au capital (capital social et actions privilégiées) ;
h ) l’octroide prêts à long et à court terme; c) la réinjection de bénéfices non
distribués dans les filiales d’Afriquedu Sud.
Ces bénéfices non distribués jouent sans doute un rôle croissant à mesure
que les filiales sud-africainesgagnent en autonomie vis-a-visde la société mère
(ce qui leur est pratiquement assuré par leur expansion). Sur les 428 millions de
rands d’augmentationdu total des investissements étrangers qui a été enregis-
trée en 1969,par exemple,205 millions de rands représentaient «la part détenue
à l’étranger du total des réserves des entreprises sud-africaines à direction
étrangère)). Bien que l’on ne dispose pas de statistiques sur cette question
précise, il est probable que la proportion des avoirs étrangers sous forme de
L’apartheid à I‘euvre 67

bénéfices non distribués a augmenté au cours des années soixante, ne serait-ce


qu’en raison du contrôle des changes qui était en vigueur i l’époque.
Reste savoir si une hausse aussi rapide de la proportion Je ((bénéfices non
distribuis))dans les avoirs étrangers permet réellement aux filiales sud-africaines
de parvenir i une plus grande autonomie vis-Li-vis des sociétés britanniques.
américaines,japonaises et europeennes dont elles dépcndent. II est probable que
lorsqu’une entreprise est en eupaiision. n’importe quel secteur importarit de son
xtivitS peut opérer ;tLi.ioLir le jour avec plus d’iridépendance,niais cela n’est pas
automatique.
Les banques étrangkres orit Lipport6 leur coiicours en g:iriiiitissant les prêts
sLi&africaii:s. er particulier ceiik corsacrés LILIS prc).iet.; ~ouverr,ciner,t3ut.
Les sociétés Ctrangkres d’assurances ont égalerneiit investi miissivement
dans les I’onds de 1‘6tat et des autorités locales. Quant 11 I‘nssistarice technique
étraiigkre.elle a beaucoup contribué i l’édilication dc l’industriesud-africaine.
Les Sud-Africaiiis savcrit que l’irivestisscinent étranger risque parfois d’ftre
inlluenc2 par les pressions ou l’action directe q~icles gouvernemelits peuvent
exerccr sur les capitaux pour les empccher d’étre placés en Afrique LI Sud en
général ou daiis tel secteur particulier de l’industrie clc ce pays. II est difficile
d‘évaluer la puissance ou l’efficacité de ccs pressioiis. I1 semble q u e leurs
résultats soient in;irginiiuu. C’est cependant i cause d u rôle jo~iépar I‘invcstisse-
ineiit Stranger daiis la consolidation d u pouvoir qui a pcrmis aiiu nationalistes
d‘imposer l’apartheid q~iel’on I: pens? II recourir 11 de:, sarictioiis économiques
c o m m e moyen d’action politique contre cc rCgiinc.
Les tableaux 1 et 7 ci-dessous présentent le5 Pchelles dc salaires appliquées
en Alrique du Sud. On peut y relever les points suivanth: l’importance de la
main-d‘ceu\wafricaine dans l’économie d u pays. le faible niveau et le caractère
discriminatoire des salaires versés aux Africains. la concentration de la main-
d’ccu\re al’ric:iine c!nix I’ir.i‘ustriemirLière(593086).la corstruction (776000) et
IC coinmcrce de [létail (1 I7 loo). ;i clue In proportion particu1iéremer.t I‘iiihle
d’Africainsd a n s le secteur financier.
L‘échelle des salaires varie d’un groupe racial Li un autre, les différences
étant particulièrcmei-itmarquées entre les Africains et les Blancs.
C‘est dans les mines d’or et de charbon que les écarts sont les plus grands
( m ê m e si I’oii tient compte de la nourriture et du logement fournis par
l’employeur.dont le cotit n’est pas inclus dans les chiKres prSseiitSs ici).
Eii dehors d u secteur minier. les écarts sont p;irticulièremcrit frappants
dans les régions «décentralisées)) (voir i ce su-ict la politique déclarée d u
gouvernement. désireux d’ciicourngcr les industries des 7ones <<limitrophesH OLI
<<décentralisées )) dans l’intérêt de l‘apartheid).C ette question sera ultérieure-
ment traitke de h c o n assez détiiillke.
Lors d u scaridale qui éclata en 1973 ii propos des salaires versés par les
entreprises étrangères exerpiit leur activité eii Afrique du Sud. on I: heLiucoup
parlé de la ((ligne cde pauvreté)). Ce critére est génkralenieiit interprété c o m m e
correspondant seulement au minimum vital, c’est-à-direindispensable i la suh-
sistance (essentiellementla nourriture,les vêteineiits. le logement. les transports
et l’éclairage),i l’exclusion d’autres élkments. coinnie l’kducation, qui sont
inclus daris uii autre critkre appelé ((minimum réel )) au-dessous d~iq~icl il est
impossible de subvenir aux besoins d’une famille.
Afrique du Sud 68

Chacun de ces deux chiffres est difficile à calculer en raison de la hausse


constante du coût de la vie. Cette hausse a frappé la plupart des produits de
consommation, mais les prix des denrées alimentaires et des loyers ont aug-
menté plus vite que les autres et leur hausse a des effets particulièrement
pénibles pour les familles les moins aisées.
La citation qu'on va lire est tirée d'un document multigraphié rédigé par
l'université du Cap et intitulé A n updated memorandum presenting information
on Black wages andpoverty in the Cape Town area [Noted'information remise à
jour sur les salaires et la pauvreté des Noirs dans la région du Cap].

TABLEAU
4.Salairesmoyens à la fin de 1973"(en rands)

Africains Métis Asiatiques Blancs


~

Vêtement 69 80 78 378
Textiles 54 90 103 40I
Alimentation 65 82 120 355
Tabac 86 79 359
Bois et liège 54 82 122 329
Ameublement 75 134 142 313
Papier et articlesde papier 89 113 142 408
Imprimerie 98 142 156 356
Cuir et articlesde cuir 67 92 107 346
Produits chimiqueset dérivés 74 114 151 404
Articles de caoutchouc 83 126 127 361
Produits minéraux non métalliques 63 111 148 390
Métaux de base 73 145 157 396
Outillage 80 124 180 397
Articles de métal 75 137 111 405
Éiectro-mécanique 85 122 125 307
Matériel de transport 86 133 183 380
Électricité 80 1O5 415
Mines d'or (salaires en expèces 21 108 102 396
exclusivement)
Mines de charbon (salaires en espèces 21 58 91 421
exclusivement)
Construction 71 138 194 408
Banques 88 106 142 314
Entreprises de bâtiment 76 117 165 302
Compagniesd'assurances 90 124 227 340
Commerce de gros 63 95 132 335
Commerce de détail 52 77 104 179
Industrie automobile 63 98 137 298
~ Hôtels et établissementssimilaires 38 61 88 193
Administration centrale (à l'exclusion 59 169 232 336
de celle des hornelan&)
Administration provinciale 46 75 122 320
Autorités locales 54 107 88 331
Chemins de fer,ports et aviation 54 72 55 320
U. A surrey O/ nice reliitions in South Africa, 1973, p. 224-228 et p. 234. Johannesburg. South African institute of Race Relations,
janvier 1974.
L'apartheid à I'wvre 69

T A B L E A U 5. Salaires hebdomadairesmoyens (en rands)verses aux Africains dans les ((zones


décentralisées1). c'est-à-direles ((industries limitrophes))

Raiid, Rands
~-
Brits 9 Pietersburg 6
Berlin 10 Potietersrus 6.5
Kimberley 8-Y Rustenburg 5
Ladysmith 8 Richards Bay 9
Newcastle 8 King Williams Town 8
Phalaborwa 8 Babelegi 7
Butteruorth 7 lsitheke 7
Umtata 7

TABLEAC 6. Budget mensuel minimal correspondant au revenu de la ligne de pauvret6


en mars 1973 (en rands)
~

Tot<il
hoiirriiurt tiiiLiiinn
~

Adulte
Homme 12.19 O .O0 15.34
Femme K .60 0.O0 11.93
Enfant de 16 i 30 ans
Garçon 10,44 3\17 14.70
Fille 9.08 2.17 13.45
Enfant de 13 à I5 ans
Garçon 9,61 0.28 11.98
Fille Y.73 0.28 11.70
Enfant de 1 O i 17 ans
Garçon 737 0.32 10.23
Fille 7,s3 0.32 10.34
Enfant de 7 à 9 ans
Garçon 7,12 0.17 8\34
Fille 7.12 0.17 8.39
Enfant de 4 3 6 ans
Garqon 6,40 0.00 7\45
Fille 6.40 O .O0 750
Enfant de moins de 4 ans
Garçon 5,03 0,00 6.08
Fille 5.03
~
0,E 6.13
TOTAL (pourune famille moyenne) 52.57 0.49 65.Y7
TOTALdes dépenses fixesh 23.47
~

Twr AL GÉNÉRAL 89.44c


Afrique du Sud 70

7. Compositionde la main-d’œuvre”
TABLEAU
-_____ ~_____~~____~_
Africains Metis Asiatiques Blancs
_ _ - ~ _ _ ~ ~ - -. --____-~ ____
Ensemble des mines 593 086 7 914 730 83 699
Vêtement 35 500 57 700 23 800 10 100
Textiles 64 100 16O00 5 600 8 200
Industrie automobile 67263 15011 4096 47 674
Alimentation 88900 19200 8 800 20 200
Tabac I900 I200 - 1100
Boissons 13 800 6 100 400 5 300
Chaussures 5 500 12 100 I 6 O00 2 300
Bois et liège 46 500 6 500 1 300 6 400
Papier et articles de papier I8 800 5 100 3 700 7 500
Ameublement 19 600 9 200 2 O00 6 300
Imprimerie 8 500 8O00 1 900 17 700
Cuir et articles de cuir I 800 4200 600 700
Articles de caoutchouc 14200 2 200 700 5 800
Produits chimiques et dérivés 38 400 5 800 2 100 21 700
Métaux de base 48 200 1 600 600 32O00
Articles métalliques 95 400 1 1 O00 4900 35 O00
Outillage et machines 33 100 4O00 500 27 400
Éiectro-mécanique 20 300 9 400 1 300 17 O00
Matériel de transport 38 O00 I4900 I500 26 O00
Électricité I7 500 600 - IO 200
Construction 276 800 47 500 5 700 58 O00
Banques 5 780 1 794 635 46 531
Entreprises de bâtiment I718 814 I56 9 122
Compagnies d’assurances 4 179 3 818 734 25 600
Commerce de gros 82 300 20 400 10 100 77 100
Commerce de détail 112110 32800 16900 125 100
Mécanique 51 700 10600 3 100 44300
Hôtels et établissements similaires 32 300 6 600 5 O00 9 800
Administration publique,à I’exciusion 110 594 35 068 8 387 102 881
des homelands
Police
Officiers 10 7 3 1901
Sous-officiers - 2 106
Sergents-chefs 18 6 3 -
Sergents 2 028 250 148 5 O00
Gardiens de la paix 7 427 1053 549 7 427
Divers 316 32 9 2 409
TOTAL 18 843 1375 728 18 842
U . Voir A survey of race relationr in South Africa, 1973.op. <it
____

«La ligne de pauvreté peut difficilement être considérée,en valeur réelle,


comme un niveau de vie humain. O n a dit d’elle qu’elle était plus intéressante
pour ce qu’elle excluait que pour ce qu’elle retenait. Elle ne tient compte
d’aucunbesoin à long terme,ni de nombreux éléments importantsdes besoins à
court terme.Sont exclus,parmi beaucoup d’autres,les élémentssuivants:
Mine d’or à Doornfontein.
Afrique du Sud 12

1. L’ameublementet les autres articles pouvant être achetés à crédit.


2. Les articles de ménage comme la vaisselle,le linge et la batterie de cuisine.
3. Les dépenses de pharmacie, les soins dentaires et les frais de transport aux
centres médicaux.
4. Les articles de papeterie,les livres et journaux et les frais de poste.
5. La confiserie,le tabac,les alcools et les loisirs.
6. Les frais de communication (téléphone).
7. L’épargneet les assurances.
8. Les envois de fonds aux parents à charge (c’est généralement pour trouver
un emploi que l’ouvriera quitté sa famille).
»Lesarticles énumérés ci-dessusreprésentent des achats ou des fraissans lesquels
il est difficilede subsister.En outre,la part minime du budget qui est consacrée
aux dépenses médicales est trop faible pour une population dont la santé est
affaiblie par les effets de la maladie.))
La «ligne de pauvreté)) et le «minimum réel» sont légèrement plus bas
dans les régions rurales qu’ailleurs.La ((ligne de pauvreté)) a été fixée à 60-
90 rands et le «minimum réel» à 75-140 rands pour un ménage moyen de
5 personnes.I1 ressort clairement du tableau des salaires moyens à la fin de 1973
(tableau 4) que beaucoup de chefs de famille africains et que certains chefs de
famille métis ou asiatiques ont un salaire inférieur à la ligne de pauvreté et, en
tout cas, au minimum réel. I1 n’y a donc pas seulement discrimination en
matière de salaires,mais la rémunération correspondant à certains emplois est
inférieure au minimum vital.
Le tableau 6 présente le budget mensuel minimal correspondant au revenu
de la «ligne de pauvreté)).

L’éducation
Les principes directeurs de la politique du gouvernement nationaliste en matière
d’éducation ont été exposés en ces termes par H.Verwoerd (ancien premier
ministre) devant le Parlement en 1953:
((L‘éducationdes indigènes doit être dirigée de manière à correspondre à la
politique de 1’État. Si l’on enseigne à l’indigène d’Afrique du Sud qu’il est
appelé à vivre sa vie adulte sous un régime d’égalité des droits, on lui fait
commettre une grave erreur...))
H.Verwoerd ajoutait en 1954:
«Notre système d’enseignement ne doit pas tromper les Bantous en leur
montrant les délices de la société européenne auxquels ils n’ont pas droit.))
I1 y avait quatre catégories d’établissements scolaires en Afrique du Sud
jusqu’en 1953: les écoles privées gérées par les communautés religieuses;les
écoles de mission subventionnées,qui avaient été fondées par des organisations
religieuses,étaient aidées financièrement par l’État et dispensaient un enseigne-
ment dont les programmes étaient prescrits par le Département provincial de
l’éducation; les établissements d’Étatet les écoles communales ou tribales gérées
par les collectivités africaines.
La loi de 1953 sur l’éducation bantoue a été conçue pour: a) simplifier
l’exercicede l’autorité administrative sur les écoles africaines; b) harmoniser
L’apartheid à I’mvre 73

l’autorité exercée sur l’éducation africaine avec la politique adoptée pour les
Africains par le Ministère des affaires bantoues; ci dispenser le genre
d’enseignement que le ministère avait jugé convenir à des Africains appelés &
occuper des emplois non qualifiés dans les zones blanches et ne donner qu‘un
accès restreint aux postes plus spécialisés en dehors de leurs Izornc~/mids; (1) obte-
nir que les Africains financent eux-mêmes leur enseignement.
L’éducation des Africains dépend dcpuis 1955 d u Département des affaires
bantoues et est officiellement dénommée t( Éducation bantoue)). Bien qu‘une
partie des responsabilités relatives à l’éducation ait été transférée aux ((gou-
vernements H des Bantoustans. c’est d u ministire que continuent à relever les
principales décisions. c o m m e par exemple celles qui ont trait à l’approbation d u
budget. A la direction des examens et. dans une certaine mesure. 2 l’établisse-
ment des programmes. Dans les régions blanches c o m m e dans les réserves qui
n’ont pas encore de ((gouvernement». l’éducation des Africains rcléve entiire-
ment d u minist6re.
S’iln’est donc pas certain que la direction administrative soit moins com-
pliquée qu’auparavant. il ne fait par contre aucun doute que le gouvernement
sud-africain peut influer sur l’éducation des Africains. tant dans les /ior~zc/mid~
que dans les régions blanches, par le pouvoir dont il dispose 2 l‘égard d u budget
et A l’égard des exuaniens. En août 1971,le BcirlrLr cw’iicurio/7j o L l r m / signalait qu’il
y avait 5 093 écoles dans les régions blanches ou d:ins les réserves qui n’étaient
pas dot& d’un gouvernernent de Bantoustan. et 5 S55 autres dans les hm,-
lLII7LI.T.
Les gouvernements des /mm~/mds ont contesté certains aspects de la loi sur
I’éducation bantoue. Le gouvernernent d u Transkei a pris cil main l’administra-
tion des ècoles communales. modifié les programmes et rétabli l’anglais ou
l’afrikaans c o m m e langues d’enseignement à la place de celles qui avaient été
précédemment imposées par le gouvernement. Le gouvernement de Kwazoulou
a promulgué. au sujet de l’éducation dans le territoire de son ressort. une loi
particulière qui a substitué l’anglais au zoulou c o m m e principale langue
d’enseignement dans les classes supérieures.
L’éducation des Africains est financée par les impUts des Africains. par les
recettes de ventes de charité,de concerts. etc. (en ce qui concerne notamment les
écoles communales bantoues). par les U contributions bénévoles ))des parents et
par les droits de scolarité. Le gouvernement sud-africain riccordc une subven-
tion annuelle dont le montant. variable, est en moyenne d’cnviron 8.5 millions
de livres sterling (sur un budget total de 30 millions de livres).
Les dèpenses récemment consacrées par le gouvernement sud-africain à
l’éducation ont ètk. en moyenne par élève et par an, les suivantes: Africains
(1971/73).35,31 rands; Métis (1972). 94,41rands: Indiens (1972). 134.40 rands;
Blancs (1971173).461 rands.
En plus des droits de scolarité et d u coût des livres, les chefs de Famille
africains paient un impUt de 30 cents par mois dans les zones urbaines. pour
financer la construction d’écoles primaires et d’établissements secondaires d u
premier cycle. Les autorités sont hostiles I: la construction de nouvelles écoles
supérieures et les élèves ((en surnombre)) sont censés aller c o m m e pensionnaires
dans les établissements des /ionic/unt/s.Les frais de scolarité dans ces établisse-
ments varient entre 64 et 70 rands. pension comprise. Les parents n’ont géné-
Afrique du Sud 74

ralement pas les moyens de payer cette somme et, de toute façon,le manque de
places de pensionnaires limite le nombre des élèves admis dans les établisse-
ments en question.
La fréquentation scolaire est obligatoire pour les Blancs,ainsi que pour les
Métis dans certaines régions, mais elle est facultative pour les Africains. Les
bâtiments et la capacité d’accueil des écoles pour Africains sont insuffisants
dans tout le pays,faute d’argentpour construire ou agrandir.
Les abandons en cours d’études sont fréquents,en raison de la pauvreté de
la plupart des familles africaines,du manque d’enseignants,de l’éloignementdes
écoles et de l’inefficacitédu système des classes alternées.Les élèves africains des
écoles secondairesdoivent,à la différence de leurs camarades blancs,payer pour
leur instruction ainsi que pour leurs livres et leurs fournitures scolaires.I1 suffit
de jeter un coup d’œil sur le tableau des salaires versés aux différents groupes
raciaux pour juger des effets de cette situation.
En 1972, le coût moyen des manuels dont les élèves des écoles primaires
avaient besoin était de 9 rands par élève et par an, et celui des livres de
l’enseignementsecondaire dé 37 rands par élève et par an’.Certaines autorités
des homelands prévoient,dans leur budget annuel, une petite subvention pour
l’achatdes livres scolaires,mais cette somme est toujours loin d’être suffisante.
L’appel aux concours bénévoles et l’œuvre d’enseignement entreprise par
des journaux,des hommes d’affaires ou des organisations d’étudiants n’ont fait
que souligner l’immensitédu problème. Les dons bénévoles ne remplacent pas
un financement officiel fixe et la pauvreté générale des Africains exclut toute
possibilité de financer de cette façon un système d’instructionobligatoire.
Le rapportnumérique maîtres/élèvesest de 1 pour 60 environ dans les écoles
pour Africains et de 1 pour 20 dans les établissements scolaires réservés aux
Blancs. Beaucoup d’écolesafricaines sont obligées d’avoirrecours à un système
de classes alternées et les enseignants qu’elles emploient n’ont pas, pour la
plupart,les qualifications nécessaires.
Des personnalités gouvernementales ont laissé entendre que le Ministère de
l’éducation bantoue fournirait peut-être en 1974 une partie des manuels sco-
laires.
En 1965,le ministère a donné au Parlement les informations suivantes sur
les titres professionnels des maîtres en fonction dans les écoles africaines rele-
vant de ses services: 1,39% d’entre eux avaient un grade universitaire; 2,35%
avaient un diplôme décerné par le ministère: 31,45% étaient titulaires du
certificat d’aptitude à l’enseignement primaire du deuxième cycle : 45,47%
étaient titulaires du certificat d’aptitude à l’enseignement primaire du premier
cycle; 0,21% avaient un titre d’ordre technique: 19.13% avaient des titres
professionnels de niveau inférieur.
Ces pourcentages avaient à peine changé en 1970.
H.Verwoerd avait exposé en 1964 i’attitudedu gouvernement à l’égard des
traitements des enseignants africains: ((Les traitements dont bénéficient les
enseignants européens ne constituent en aucune façon un critère valable ou
admissible lorsqu’il s’agit de déterminer la rémunération des enseignants ban-
tous.>)

I C a p Tiiiir~d u 20 septembre 1972.


L'apartheid à I'cruvre 75

A qualification égale. les traitements les plus élevés des enseignants afri-
cains sont inférieurs aux traitements les plus bas des enseignants blancs. Les
enseignants métis touchent 73O/; d u traitement accordé aux enseignants blancs,
et les Africains 5?"/0 soit environ la moitié.
~

Dans ces conditions, l'éducation des Africains ne peut être que très infé-
rieure à celle des Blancs. Les parents africains voudraicnt bien que leurs enfants
aillent à l'école. mais il n'y a jamais assez de places pour tous et les élèves sont,
d'autre part. obligés d'abandonner leurs études LI bout de quelques années 2
cause de l'augmentation des droits de scolarité et parce qu'il leur faut travailler
pour ajouter au revenu familial.
Parmi les Africains, 700.0 ne poursuivent pas leurs études au-delà des
preinieres années et 95'%,ne vont pas jusqu'au bout de leurs études primaires.
La proportion de ceus qui accèdent à l'enseignement secondaire et qui font des
études supérieures est par conséquent infinie.

TAMEAU 8. Effectifs des écoles africaines en 1971 et 1972(al'exclusion des écoles techniques.
professionnelles et normales)

Classe V 4065 4814 0,16


Classe IV 7 833 9 909 0,32
Classe III 79 800 33 074 1 .O4
Classe II 42 509 47 256 1.54
Classe I 53 605 63 733 3.07

Eiiseignrnient primclire

Classe VI 148 374 161 413 5,24


Classe V 160316 176 109 5.72
Classe IV 205 114 2239 I3 7.24
Deuxième
cycle TIT 283 942 301 233 9.78
Deuxième
cycle II 347 636 359 339 11.61
Premier
cyc!e I 4.51684 475 848 15,45
Classes
enfantines A 51 1334 536 818 17.43
Classes
enfantines B 687990 32.34
- ~~

En d'autres termes, 66,89'Y0des écoliers africains reqoivent unc instruction


primaire du premier cycle et 94.87n,0vont à l'école primaire. Jusqu'à la classe VI
coniprise, l'eriseignemerit est cionni dans 13 langue maternelle, dans toutes les
écoles africaines. sauf celles du Transkei et au Zoulouland. Les élèves
apprennent donc moins d'anglais et d'afrikaans, qui sont les deux langues
Afrique du Sud 76

officielles; ils ont beaucoup de difficulté à étudier des matières comme les
mathématiques,dont la terminologie n’a guère été traduite en langue vernacu-
laire; et ils doivent utiliser les seuls manuels scolaires disponibles, c’est-à-dire
ceux que fournit le Ministère des affaires bantoues. A u Transkei, la langue
maternelle n’est plus utilisée pour l’enseignement à partir de la classe pri-
maire III,les cours étant ensuite faits en anglais dans toutes les écoles.
I1 semble,d’aprèsles déclarations faites ces derniers temps par le gouverne-
ment sud-africain,que l’enseignementsera dispensé en anglais ou en afrikaans
dans les ((classes supérieures)) -ce qui serait un renversement de la politique
antérieure,puisque l’enseignementdevait se donner dans la langue maternelle.
Selon l’Annuaire statistique sud-africain,un enfant blanc a plus de cent fois
plus de chances d’obtenir un diplôme de fin d’études secondaires (matricula-
tion) qu’un enfant africain. Malgré cela, les cours du soir que des maîtres
bénévoles donnaient autrefois pour les travailleurs africains dans la péninsule
du Cap et dans le Rand ont été interdits.
Depuis 1972,cependant,diverses entreprises et organisations ont pris l’ini-
tiative de cours d’alphabétisation pour adultes parce que, dans une société
technologique,les analphabètes ne sont pas en mesure de tenir convenablement
les registres de travail ni les feuilles de présence -pour ne citer qu’un exemple.
Le Ministére de l’éducation,des arts et des sciences n’estresponsable que de
l’éducation des enfants blancs. Le National Education Policy Act (loi d’orien-
tation de l’éducation nationale) de 1967 stipule que ce ministère doit assurer à
l’éducation((uncaractère chrétien))et a un caractère largement national U.
Lors du débat parlementaire auquel donna lieu l’examen du projet de loi,le
ministre déclara : ((Pour moi, le “caractère chrétien” de l’éducation veut dire
que l’enseignementreposera sur la culture et la conception de la vie qui sont de
tradition dans les pays d’occident où l’onconsidère les principes,les normes et
les valeurs de la Bible comme justes. Par “national”, nous entendons que
l’enseignement reposera sur l’idéal du développement national de tous les
citoyens d’Afrique du Sud, de façon que notre identité et notre mode de vie
soient préservés,et que la nation sud-africainesoit à tout moment consciente du
rôle qui lui revient au sein de la civilisation occidentale.))
Les statistiques de 1971 montrent que 863 étudiants africains au total
étaient inscrits dans les trois universités africaines (Université du Nord à Tur-
floop, Université de Fort Hare et Université du Zoulouland) et que 1707
étudiants indiens étaient inscrits à l’université de Durban-Westville.
Le nombre des étudiants blancs s’élevaità 56 982.
Si l’on exclut les effectifs de l’université d’Afrique du Sud, qui ne donne
que des cours par correspondance,le nombre des étudiants à plein temps se
répartit comme suit: Blancs, 64813 dans 10 universités; Métis, 2 091 dans 4
universités:Asiatiques,3 080dans 5 universités; Africains,3 583 dans 8 universi-
tés (dont deux n’ont qu’un seul étudiant africain).
L’Extension of University Education Act (loi sur le développement de
l’enseignement universitaire) de 1959 prévoit la création de facultés pour les
Africains, les Métis et les Indiens;cinq d’entre elles ont été ouvertes depuis
l’entrée en vigueur de cette loi. Chacune est gérée par un conseil composé
de Blancs,assisté d’un conseil consultatif de non-Blancs,et le personnel de ces
établissements est en majorité blanc,surtout aux postes supérieurs.
L'apartheid à l'œuvre 71

TABr.eAu 9. Effectifs des universités,juin 1973

HIC,,,L\ hlCti,

Le Cap 8 057 3x4 5


Durhan-Westdle 7 197
Fort Hare'' 1 O53
Natal 6 X79 86 3-48 744
État libre d'Orange 5 841
Port Elizzibeth I 735
Potcliefstroom 5 891 1
Pretoria 13 752
Rand Afrikiianb IS97
Rhode5 2 163 39 1
Stelleribosch 8 845
Alrique d u Sud 75 38s 1 014 1937 3 765
Nord I 274
Le Cap occidental 1600
Witu atersrand 9 803 21 385 26
Zouloulaiid 979
~~ ~~~~

90 701 3 105 j 017 7 348

Lcs étudiants non blancs ne sont généralement pas admis dans les autres
universités. Li I'esceptioii des cas suivants:
1 . Les universitks du C a p et du Witwatersrand sont autorisées 3 accueillir les
ktudinnts noirs qui ont obtenu du gouvernement la permission de s'y faire
inscrire. Ces étudiants sont séparés des autres sur le plan social. niais
assimilth au\ autres pour les études.
1. L'Uniwrsité d u Natal comptait,en 1971. 550 étudiants noirs,lescl~ielsétaient
logés i part et suivaient des cours donnés pour eus dans une section
distincte de l'établissement.
3. L'Université Rhodes ;I3 1 étudiants chinois.

Les lois sur les laissez-passer


La carte d'identité est obligatoire pour tous les Sud-Africains,quelle que soit
leur race. E n ce qui concerne les Africains. cette carte d'idcntitk (qui porte 13
photographie d u titulaire et indique sa race, son sese. s o n matricule. son
adresse. son Lge. sa situation matrimoniale, etc.) est collEe i l'intérieur d'un
livrct (appelé ((livret de référence)) ou O laissez-passerD ) sur lequel sont égale-
ment portés le groupe ethniquc ou la tribu tiu titulaire. le n o m et l'adresse de
son employeur, ainsi q u e la durée de son emploi: ses quittances d'imp6t y sont
aussi insérées. L'employeur d'un Africain doit signer tous les mois le limet de
référence de son employé et y inscrire la datc Li laquelle son emploi prend fin.
Pour les Africaines. IC livret de référence indique IC noin. l'adresse et le numéro
Afrique du Sud 78

du livret de référence de leur époux, de leur père ou de leur mère, ou de leur


tuteur. A u moment de la délivrance du livret, les empreintes digitales du
titulaire sont relevées et transmises à un fichier central.
Les personnes d’autresraces doivent, sur réquisition, présenter leur carte
d’identitédans un délai de sept jours,mais les Africains doivent toujours porter
leur livret sur eux. S’ilsne sont pas en mesure de le présenter immédiatement,ils
peuvent être arrêtés sur-le-champ.Tous les Africains 2gés de plus de seize ans,
hommes et femmes,doivent être en possession d’unlaissez-passer.
Les infractions aux lois sur les laissez-passerdonnent lieu à plus de 700000
poursuites judiciaires par an et à beaucoup plus encore d’interpellations.Le
nombre des interpellations pour interrogatoire sur le laissez-passer atteint
presque 2000 par jour et il est manifeste que la police emploie cette méthode
pour harceler d’innocents citoyens. En 1972, les ((centres d’assistance)) furent
habilités à traiter des délits mineurs alors qu’auparavant toutes les affaires
devaient être portées devant les tribunaux pour Bantous.Ces tribunaux peuvent
envoyer dans un camp de travail ou dans une colonie de jeunesse les contreve-
nants aux lois sur les laissez-passerqu’ils considèrent comme «oisifs» ou «gê-
nants».
Les lois sur les laissez-passerpermettent aux autorités gouvernementales de
limiter l’exode des Africains vers les régions ((blanches». Tout Africain doit
avoir un permis du bureau de la main-d’œuvrepour pouvoir rester plus de
soixante-douzeheures dans une zone urbaine à moins: a) d’y être né et d’y
avoir travaillé sans interruption;ou b) d’y avoir travaillé sans interruption pour
le même employeur pendant au moins dix ans; ou encore c) d’y avoir travaillé
pendant plus de quinze ans au total pour plusieurs employeurs.
D’autresrèglements prévoient l’expulsionhors des zones urbaines de toute
la main-d’œuvreafricaine qui ne peut être absorbée par le marché de l’emploi.
Les Africains peuvent donc faire l’objetd’unemesure d’expulsionou d’éviction
des zones urbaines où leur présence n’est pas jugée souhaitable. En 1965 -
dernière année pour laquelle il existe des statistiques officielles des expulsions -
le ministre de l’administration bantoue a déclaré que 86 186 Africains avaient
fait l’objetd’unetelle mesure.
Beaucoup de ceux qui sont expulsés sont placés dans des camps de transit à
l’intérieurdes homelands. La police a parfois recours à des menaces d’expulsion
contre les personnes qui se plaignent d’avoir été maltraitées ou, encore, par
exemple,contre celles qui participent à la constitution de syndicats africains.
Les lois sur les laissez-passeront beaucoup nui à la vie familiale.
En 1971, le Très Révérend Alpheys Hamilton Zulu, évêque anglican du
Zoulouland,fut arrêté à 5 heures du matin dans un centre de conférences du
Transvaal où il assitait à un colloque. Il fut retenu au poste de police pendant
cinq heures avant d’être inculpé de défaut de livret de référence.O n lui offrit la
possibilité de payer une amende de composition de 5 rands, mais il refusa.
L’inculpation dont il avait fait l’objet fut par la suite retirée. Parlant de son
arrestation,l’évêquea dit que ce fut «une grande expérience que de supporter
les conséquences de l’attitude de la police à l’égard des laissez-passer,au
moment où de hautes personnalités gouvernementales nous affirment que les
laissez-passerdes Noirs ont été abolis et que tout ce que les Noirs doivent avoir,
c’est un livret de référence)).
L’apartheid à l’œuvre 79

Pendant les premières semaines de 1972,le tribunal pour Bantous de Port


Elizabeth a jugé plusieurs centaines d’affaires.Les peines qu’il a prononcées ont
été en général des amendes de 15 rands (ou 30 jours de prison) pour présence
dans la région sans permis,et de 5 rands (ou 10jours de prison) pour défaut de
présentation du livret de référence. Beaucoup d’Africains n’ont pas les moyens
de payer des amendes et vont par conséquent en prison.
Voici quelques exemples,tirés de la presse sud-africaine.de la manière dont
sont appliquéesles lois sur les laissez-passer:
((Monica Malatlhoe, de Soweto. a obtenu son certificat de fin d’études
secondaires en 1970 et s’est présentée dans divers hôpitaux pour demander un
emploi d’infirmièrestagiaire.Trois centres hospitaliers de formation de person-
nel médical lui ont proposé une place,mais elle ne peut pas obtenir de livret de
référence à Johannesburg,bien qu’ellesoit née et qu’elleait été élevée dans cette
ville. Le Ministère des affaires bantoues répugne à délivrer des livrets de
référcnce à Johannesburg parce que ces livrets permettent à leur titulaire de
rester dans la ville.))(Jolzannr.vhzcrgStar du 39 avril 1971.)
((Mme Duncan,du Black Sash,a signalé les plaintes de nombreux serviteurs
africains que leurs employeurs ont menacé de détruire ou de falsifier leurs
laissez-passers’ils n’obéissaientpas A tous leurs ordres.))(JohamzeshurgStrrr du
3 juillet 1970.)
((Gilbert Gamede, trente-deuxans,de Soweto, a été attaqué et détroussé
par une bande d‘individus.Parmi les objets qui lui ont été volés se trouvait son
livret de référence.La perte de ce livret l’a tellement tourmenté qu‘il s’est pendu
le lendemain.>) (RaidDLI;/J Muil du 6 octobre 1970.)
«S.M., vingt-deuxans. est né A Alexandra et a vécu dans cette ville avec ses
parents jusqu’au moment où sa famille fut transférée à Diekloof en 1963. En
1965,il fit une demande de livret de référence. Lorsqu’on lui demanda le lieu de
naissance de son père. il répondit “Rustenburg“. ce qui était exact. I1 fut alors
expulsé et envoyé à Rustenburg où il n’était allé que deux fois dans sa vie;
chaque fois,il a été arrêté et reconduit à Rustenburg sous escorte.I1 ne connaît
personne là-bas,si bien que les deux fois il est rentré chez lui à pied. I1 a
légalement le droit de vivre à Alexandra, mais il ne peut pas prouver qu’il y a
résidé de façon continue.Les autorités refusent de prendre en considération une
attestation de sa mère.n (SouthAfiicm7pre.rs reports.)
«M.Harlen Meini. cinquante-neufans, est un ouvrier d’usine africain
infirme qui vit en toute légalité depuis dix-huitans dans la ville de Wellington,
dans la partie occidentale de la province du Cap. Sa femme,Lena,est originaire
de la ville de Dordrecht,dans la partie orientale de la même province où elle a
vécu avec sa belle-famillejusqu’en 1958.Elle alla alors rejoindre son mari, mais
pendant douze ans les autorités refusèrent de l’autoriser ii rester avec lui, la
condamnèrent plusieurs fois à une amende et la renvoyèrent à Dordrecht.O n
finit d’ailleurs par découvrir qu’elle n’avait pas le droit de résider à Dordrecht
non plus. Elle est partie avec ses trois filles pour la cité de réétablissement
d’Illingi,dans la partie orientale de la province du Cap. M.Meini et son fils
sont restés à Wellington pour garder leur emploi.)) (Cap Times, novembre
1970.)
Le système du développement séparé prévoit l’affectation aux divers
groupes tribaux de quartiers particuliers à l’intérieur des zones urbaines afri-
Afrique du Sud 80

caines et le Ministère de l’administration et du développement bantous a


demandé aux municipalités de répartir entre les tribus les quartiers d’habitation
africains. A Daveytown Benoni, par exemple, les quartiers ont été attribués:
a) aux Vendas;b) aux Shengaans et Tongas;c) aux Xhosas,Swazis,Zoulous et
Ndebeles;d) aux Sothos du nord et de l’ouestdu Transvaal;e) aux Sothos du
sud. Ce système contribue à renforcer la notion d’appartenance à un certain
homeland et à renverser la tendance antérieure vers l’oubli des liens tribaux et
vers l’éveil progressif du nationalisme africain.

Les H homelands))
Le ((développement séparé» est avant tout une affaire de terres; le long conflit
qui avait opposé les Africains et les Blancs fut réglé par la défaite militaire des
Africains. Dorénavant les terres seraient réparties par décisions unilatérales
d’un gouvernement blanc représentant les intérêts des Blancs.
Le gouvernement Botha-Smutsa posé le principe de la ségrégation en 1913
par le Native Land Act (loi sur la propriété foncière indigène) qui limitait le
droit des Africains à posséder des terres, sans préciser où ces restrictions
s’appliqueraient.Les Africains ne furent autorisés à acquérir aucune terre ni
aucun droit foncier en dehors des ((régions indigènes)), sauf accord du gouver-
neur général.
Le Native Trust and Land Act (loi sur la propriété et le fonds d’acquisition
des terres indigènes) de 1936 a mis des terres supplémentaires à la «disposition»
des Africains et créé un fonds sud-africainpour l’acquisitionde terres dans les
((régions africaines».
L’apartheid repose sur cette répartition inégale des terres: 86,3% de leur
superficie totale doivent rester indéfiniment aux mains des Blancs et I3,7% seront
un jour transférés aux Africains. Les Noirs sont traités comme s’ils étaient des
étrangers. Les passeports qui sont appelés à remplacer les laissez-passer leur
seront nécessaires même pour se rendre d’une région tribale à une autre. Pour
bénéficierde droits civiques,politiques et sociaux,ils devront attendre le jour où
les G régions noiresD à l’intérieur desquelles ils doivent accéder à l’autonomie
deviendront enfin des États ((indépendants)) au sein d’une Afrique du Sud
dominée par les Blancs.
Ces régions sont les homelands bantous, ou Bantoustans (voir la carte) et
correspondent en gros à ce qu’on appelait autrefois les ((réserves)). L’expression
homeland bantou vise à accréditer le mythe selon lequel les Blancs sont arrivés
dans une Afrique du Sud qui était vide et que les frontières actuelles entre
Blancs et Noirs ne résultent pas de la conquête du pays par les Blancs,mais de
l’implantationdes populations noires antérieurement à la colonisation.
Les Bantoustans correspondent à l’originetribale des populations -il y en
a un pour les Zoulous,deux pour les Xhosas,un pour les Tswanas, et ainsi de
suite. A l’heure actuelle,comme on peut le voir sur la carte,ces régions n’ont
pas d’unité géographique,mais consistent en parcelles de terres plus ou moins
grandes,disséminées sur une vaste étendue. Le travail de remembrement pro-
gresse,mais lentement,et les termes ((Bantoustan)) ou homeland, qui évoquent
de vastes entités territoriales,sont trompeurs.
La file d'attente dans une mine de Doornfontein.
Afrique du Sud 82

Les Bantoustans doivent couvrir, une fois le remembrement terminé,


quelque 150000 kilomètres carrés (soit 13,5% de la superficie totale des terres).
Le gouvernement prétend que cette répartition est équitable,étant donné qu’une
assez faible partie seulement de l’Afriquedu Sud est naturellement cultivable,et
que par conséquent cette proportion de 133% correspond en fait à beaucoup
plus, les terres en question se trouvant en partie dans des régions à forte
pluviosité,qui pourraient être extrêmement fertiles.
La forte pluviosité peut cependant être aussi néfaste que la sécheresse. A u
Transkei, bien qu’elle dépasse en moyenne 760 millimètres, elle est peu fiable:
les périodes de sécheresse sont fréquentes,alternant avec des pluies torrentielles
qui augmentent l’érosion.Une grande partie du Tswana -le moins peuplé des
Bantoustans -est aride.I1 n’y a pratiquement pas de ports, ni d’industries,ni
de ressources minérales exploitables dans l’un quelconque des Bantoustans.
Les adversaires de l’apartheidfont observer que,quand bien même il serait
souhaitable de séparer les races en Afrique du Sud,il n’en resterait pas moins
que cette séparation a été décidée et réalisée de bout en bout par l’action
unilatérale des Blancs.

TABLEAU
10. Homelands: superficie et répartition des terres

Superficie totale
Homeland Nombre de
parcelles Hectares Miles carrés

Transkei 2 3 672 212 14 178


Ciskei 19 918 547 3 547
K w a Zoulou ’ 29 3 144421 12 141
Lebowe (Sotho du Nord) 3 2214086 8 549
Venda 3 604 355 2 333
Gazankoulou (ancien Machangane) 4 667 292 2 576
Bophutha Tswana 19 3754018 14 494
Basotho Qwagwa 1 45 742 177
Swazi 2 211 807 818
15 232 480 58 813

Source: A Surve-vof race relotions,l972.p. 168,Johannesburg. South African institute of Race Relations. 1973

Les Bantoustans continuent à recevoir de nouvelles terres en application de


la politique gouvernementale de remembrement, ou à titre de dédommagement
pour le transfert d’Africains hors des taches noires )>, ou encore d’allocations
foncières qui furent décidées en 1936,mais ne se concrétisent que maintenant.
Les superficies en cause sont faibles, mais, malgré cela, les transferts sont
compliqués par le problème de l’indemnisationdes agriculteurs blancs qu’ilfaut
exproprier. Les porte-paroledu gouvernement ne cessent de répéter que seules
seront transférées aux Africains les terres qui leur ont été promises en 1936.
Les Africains se déplacent non seulement entre les régions noires et Ies
régions blanches,mais aussi d’un homeland à l’autre.
Le Bantu Laws Amendment Act (loi portant modification de la législation
bantoue) no 7 de 1973 prévoit des mesures de remembrement partiel des
L'apartheid à l'œuvre 83

TABLEAU
1 1 . Densité démographique des homelands (1971)

Densite de
population par
mile carré Hunrrlmd

Transkei 133 712 Gazankoulou (ancien


Ciskei 148 261 Machangane) I 04 352
Kwa Zoulou 173 332 Bophutha T s w a n a 61 114
Lebowe 127 336 Bdsotho Qwagwa 136 I085
(Sotho du Nord) Swazi 144 563
Venda 113 153

honzelaiids; aux termes d'une résolution qui a été adoptée par les deux assem-
blées parlementaires,il est possible d'ajouter aux zones actuellement ((mises à la
disposition>) des Bantoustans des parcelles où les Africains peuvent acheter de
la terre. La surface totale de ces terres ne peut cependant pas dépasser 6209857
hectares.En vertu d'une modification apportée à la loi de 1927 sur l'administra-
tion bantoue, le ministre peut, si cela paraît répondre à l'intérêt public, ordon-
ner sans préavis à toute tribu, toute partie de tribu ou tout Africain à titre
individuel de quitter une localité pour une autre à l'intérieur de la république.
La loi de 1973 renforce le pouvoir de décider de ces déplacements : son principal
objet paraît être d'autoriser l'expulsion de nombreux Tswanas, Pedis,Ndebeles
et Xhosas actuellement établis dans des Bantoustans qui ne sont pas assignés à
leur groupe ou dans des régions limitrophes d'autres Bantoustans.
Il serait logiquement nédessaire, pour permettre le remembrement, qu'un
grand nombre de Blancs soient déplacés,y compris ceux qui travaillent pour des
sociétés minières,dans des plantations,des usines et des ports.Le gouvernement
a reconnu qu'il serait impossible de procéder à un remembrement intégral et
que les homelarids seront faits d'éléments dispersés. C'est ainsi, par exemple,
que,même si la propriété d'une parcelle de terre est transférée à un Bantoustan,
celui-cine deviendra pas propriétaire des ressources minérales qu'y peut recéler
une concession minière. I1 est difficile, dans ces conditions,de comprendre ce
que peut signifier 1'« indépendance)). Même les communications entre les diffé-
rentes parties d'un même homelaiid dépendront du bon vouloir du gouverne-
ment blanc d'Afrique du Sud.
Tous ces problèmes (remembrement,G taches blanchesD, déplacements de
Noirs, réglementation des entrées,maintien du pouvoir réel entre les mains du
gouvernement) ont été examinés au cours d'une réunion des dirigeants des
homelands qui s'est tenue en 1973; il y a aussi été question de l'influence
croissante des mouvements de libération,du mécontentement des travailleurs
africains et du malaise de la population blanche.
Le Transkei Constitution Act (loi sur la Constitution du Transkei) de 1963
a donné à ce Bantoustan,qui est le plus connu de tous et où vivent 2 millions de
Xhosas, une sorte d'autonomie limitée et l'a doté d'une assemblée législative.
Cette loi visait à ((conférer l'autonomie aux Bantous qui habitent au Transkei
ou qui en sont originaires)) et s'applique non seulement à la population de
Afrique du Sud 84

langue xhosa vivant au Transkei, mais aussi à (< tout Bantou de langue xhosa
vivant sur le territoire de la république)), c’est-à-dire, par exemple, que tout
individu de langue xhosa qui est né à Johannesburg et qui a toujours vécu dans
cette ville est légalement considéré comme citoyen du Transkei.
L’Assemblée législative compte 109 membres, dont 64 sont des chefs Sie-
geant ex officio. La nomination des chefs est soumise à l’approbation du
gouvernement sud-africain,lequel a également le pouvoir de révoquer les chefs
après leur nomination. Ce pouvoir a été utilisé dans le passé pour éloigner
certains adversaires gênants de l’apartheid,l’exemple le plus célèbre étant celui
de l’ancienchef Albert Luthuli,au Natal.
Les pouvoirs législatifsde l’assembléesont limités aux domaines suivants:
impôts directs exigibles des citoyens du Transkei,travaux publics et irrigation,
autorités municipales, éducation bantoue, tribunaux chargés des affaires
mineures, fonction publique du Transkei, agriculture, certains éléments des
forces de police (déterminéspar le ministre de la justice d’Afriquedu Sud).
Les questions de défense, de sécurité intérieure et de politique étrangère
relèvent du Parlement sud-africain.Les Blancs résidant au Transkei restent
citoyens sud-africainset le gouvernement du Transkei n’a aucun pouvoir sur eux.
D e plus, le Parlement sud-africain peut annuler toute loi adoptée par
l’Assembléedu Transkei.
Le premier ministre du Transkei est le chef Kaiser Matanzima,qui dirige le
Parti de l’indépendance nationale du Transkei.11 avait demandé en avril 1970
que les Sud-Africainsremettent au Transkei certaines zones qui étaient alors
occupées par des Blancs.I1 avait en même temps réclamé que tous les départe-
ments ministériels autres que celui de la défense soient transférés à son gou-
vernement,et que l’éliminationdes fonctionnaires blancs soit accélérée.Selon le
Daily Telegraph du 15 avril 1971, un porte-parole du gouvernement a exprimé
l’avisque ((ces déclarations du premier ministre sont typiquement du genre de
celles qu’on destine à la consommation intérieure)). I1 est tout à fait vrai que
Matanzima avait régulièrement répété: depuis quelques années, et sur un ton
aussi revendicatif,ses demandes de terres et que le refus que lui avait constam-
ment opposé le gouvernement sud-africainn’avait en rien entamé son enthou-
siasme pour l’apartheid.
Le Transkei a été à maint égard le «modèle» du développement des
Bantoustans. L’Afrique du Sud l’a présenté devant la Cour internationale de
justice comme illustrant ce que signifierait le maintien du mandat sur le Sud-
Ouest africain (Namibie), et elle a fait venir les chefs orambos pour voir
et admirer.
Le Transkei se trouve cependant, depuis 1960, soumis à l’état d’urgence
(déclaré par le gouvernement sud-africain)et près de 1000 Africains y ont été
emprisonnés sans jugement en vertu de la Proclamation 400. Le Johannesburg
Sunday Times du .I“ mars 1970 a signalé que la malnutrition y avait augmenté
de 600% au cours des trois années précédentes et qu’un habitant du Transkei
sur cinq était atteint de tuberculose; le gouvernement avait acheté deux hôtels
pour Africains au prix de 82000 livres sterling et tous deux étaient vides,
probablement parce qu’aucunAfricain n’était assez riche pour y loger.
On a estimé que le Transkei pourrait, s’il était bien cultivé, produire
50 millions de sacs de maïs par an. En fait,il n’en a produit que 1,25 million en
L’apartheid a I‘ceuvre 85

1970. ce qui ne suffit m ê m e pas à ses propres besoins,et il lui a fallu en importer
plus du double.
Le plus grand des Bantoustans prévus est le Zouloustan, ou K w a Zoulou;
au Natal, qui pourrait hire vivre 3,5 millions de Zoulous. Contrairement au
Transkei, qui est passablement remembré. le Zouloustan se compose de 188 élé-
ments territoriaux distincts ciont la superficie totale atteint 31 000 kilomètres
carrés. L a moitié environ des Zoulous d’Afrique du Sud se trouve dans cette
zone qui leur est officiellement assignée. tandis que les autres vivent dans les
régions blanches.
E n juin 1973. IC gouvernement Vorster a annoncé qu’il envisageait de
remembrer les diverses parties du Zoulouland pour en faire des unités (< gouver-
nables)) et ((éconnmiqucinent viables U. Cela conduirait au découpage d u Zou-
loustan en cinq parties. dont chacune serait sépark des autres. Hormis une
minuscule bande côtière située au sud du nouveau port blanc de Richards Bay,
le Kivva Zoulou n’aurait aucun accès i la mer depuis la ville blanche de Durban
-iusqu’à Sardenha Bay. Li 330 kilomètres de distance. i I’extrSmité nord du
territoire. Les Zoulous n’ont pas non plus accès à la côte entre Sardenha et la
I’rontière du Mozambique. cette région étant une réserve zoologique.
Les ser\,icesexécutifs de l’Autorité territoriale d u K w a Zoulou ont i leur
tête le chef Gatsha Buthelczi, qui a réclainé pour le K w a Zoulou une part plus
équitable des a\virs de l’Afrique d u Sud ct qui est d e ~ w ul’un des principaux
avocats d’une fédération des États noirs. Cette idée a été largement répandue
par les porte-paroledes Bantoustans. Quelques groupes de Blancs l‘ont appuyée
dans la presse sud-al’ricairieet mcme certains membres du parti. encore que leur
conception d u projet ne paraisse pas correspondre tout i fait it celle d u chef
Butheleri.
L’idée d’une fédération sud-africaine n‘est pas nouvelle. Elle réapparaît
périodiquement au fil des ans et elle ;1 m ê m e reçu l’appui de certains membres
d u Parti nationaliste. Selon une version, il s’agirait de créer une fédération
coinprenant IC Lesotho et IC Botswana (quisont niaintenant des États indépen-
dants). ainsi que la Namibie. Certains estiment que cela équivaudrait A légitimer
la domination économique dc l’Afrique d u Sud sur la région. sans rien changer
au déséquilibre dc la répartition des terres. Ce projet plaît néanmoins 3 certains
dirigeants des Bantoustans en ce sens qu’il pourrait apporter une solution au
morcellenient actuel des 7ones iifricaiiics. Car bien qu’ils soierit nommés par le
gouvernement sud-africain, les dirigeants des Bantoustans ne peuvent pas
méconnaître l’aspiration des Africains i l‘unité. ni le nationalisme noir qui s’est
éveillé au cours des annécs soixante-dix. ni l’agitation générale qui a débouché
sur des grè\.es.
Les mouvements de libération s’opposent au systemc des Bantoustans.
étant donné qu’ils considèrent l‘Afrique du Sud conime une seule et mênie
entité. Mais certains de leurs membres voient dans les réactions des dirigeants
des honzrliiiitl.~à l’égard de l’idéal de l’unité africaine une résurgence du nationa-
lisme africain, malgré les limites que lui imposent les réalités politiques de
l’hcure.
L’économiesud-africainerepose sur la main-d’ceuvrcnoire. Le système des
Bantoustans n’a jamais visé 3 priver les industriels blancs des services de cette
main-d’auvre.Il tend plutôt ii assurer le maintien des réserves intligèiies. La
Afrique du Sud 86

population africaine étant réduite à une économie de subsistance qui ne suffit


pas à la faire vivre, ses hommes valides doivent se rendre dans les régions
((blanches)) pour y trouver un emploi et participer à une économie de rapport.
En Afrique du Sud comme ailleurs, l’industrialisation oblige les gens à
quitter la campagne pour les villes. Cette évolution touche à la fois les Blancs et
les Noirs. Les Africains sont de plus en plus nombreux à rompre leurs attaches
avec le monde rural. La création de Bantoustans vise à enrayer l’exode des
Africains hors des homelands, sans pour autant compromettre l’offre d’une
main-d’œuvrepeu coûteuse, nécessaire au maintien du développement écono-
mique.
Cette politique est critiquée par certains partisans d’un apartheid idéal qui
considèrentque ce compromis avec les forces économiques est immoral.Elle est
également critiquée par les industriels que gênent la multiplicité des règlements
applicables à la main-d’œuvreafricaine ainsi que la limitation du marché de
consommation africain,qui pourrait être important.
La pauvreté s’aggravedans les Bantoustans, où les terres déjà surpeuplées
doivent subvenir aux besoins d’un nombre croissant d’habitants. La riposte du
gouvernement à cette situation est la décentralisation industrielle,c’est-à-direla
création d’«industrieslimitrophes». Mais cette politique n’aréussi à créer qu’un
petit nombre d’emploiset le chômage est en train de devenir un problème grave.
D u point de vue du ((développement)), le développement séparé a en grande
partie échoué, malgré toutes les incitations dont il a bénéficié de la part du
gouvernement sud-africain.
C’est de la politique des Bantoustans que découle le problème des Africains
vivant dans les zones urbaines et que sont nés les divers plans de ((développe-
ment séparé))visant au déplacement et au réétablissement de certaines popula-
tions.
Le secrétaire chargé de l’administrationet du développement bantous écri-
vait en 1967,dans une circulaire générale:
((La politique gouvernementale généralement admise est que les Bantous ne
sont que des résidents temporaires dans les régions européennes de la répu-
blique et qu’ils y restent seulement tant qu’ils y offrent leur travail. Dès que,
pour une raison ou pour une autre, ils ne sont plus aptes au travail ou que le
marché de l’emploi n’a plus besoin d’eux,ils doivent retourner dans leur pays
d’origine ou dans le territoire du groupe national auquel ils appartiennent
ethniquement, même s’ils ne sont pas nés et n’ont pas été élevés dans le
homeland correspondant.I1 convient de souligner à ce sujet que rien ne doit être
négligé pour obtenir l’établissement dans les homelands des Bantous non pro-
ductifs qui résident actuellementdans les régions européennes.))
Le ministre de l’administration et du développement bantous, M.C.M.
Botha,déclarait de son côté en 1969:
((La politique du Parti nationaliste repose sur cette évidence que ... les
Blancs et les Bantous d’Afriquedu Sud sont si profondément différents les uns
des autres qu’ils constituent des nations distinctes,qu’il est absolument impos-
sible de concevoir leur égalisation et qu’il n’y a donc pas lieu de prendre des
mesures dans ce dessein...
»La marche à suivre,pour les Blancs et pour chaque nation bantoue, est
celle du développement séparé. Les Bantous ne peuvent se trouver dans les
L’apartheid à I’auvre 81

régions blanches que pour y fournir leur main-d’œuvre- et non pas pour y
“avoir des intérêts” ou pour “participer” ii la vie parlementaire,ni pour quoi
que ce soit d’autre ... Les Bantous ne peuvent se trouver dans les régions
blanches qu’en tant que main-d’œuvreet, en outre ...ils ne doivent pas pouvoir y
faire concurrence aux Blancs sur un pied d’égalité,ni dans des conditions qui
pourraient aboutir éventuellement à l’égalitéet qui leur permettraient, une fois
cette égalité obtenue. de s’intégreraux Blancs en une seule et même entité. Tel
est le fondementde notre politique.et c’estpourquoi il nous faut encore répéter.
pour la niéme fois devant cette assemblée,que le principe sur lequel nous nous
fondons pour organiser notre politique de la main-d’œuvrebantoue et pour
laisser entrer les Bantous dans nos régions blanches ne vise pas a l’intégration
économique ... II y a un mur, un plafond, qu’on ne saurait franchir. Nous le
disons franchement et nous ne pouvons,ni n’osons,ni ne souhaitons le taire.Les
Bantous ne peuvent pas chercher à accéder au sommet de l’échelle, a égalité
avec les Blancs,dans le domaine politique et social,ni en matière d’emplois,ni
sur le plan de l’économie et de l’éducationen Afrique du Sud blanche,cela est
notre territoire et il n’y a ici pour eux que des possibilités limitées.Dans leurs
hoinr/unds,leurs chances sont infinies et illimitées et ce sont par contre les
nôtres. ii vous. M.le Président. comme ii moi, en tant que Blancs. qui sont
réduites.Telle est la morale de notre politique’.))

Les Africains dans les zones urbaines


La présence des Africains dans les zones urbaines est réglementée par la loi de
1953 sur l’abolitiondes laissez-passeret la coordination des pièces d’identité
pour les Bantous. ainsi que par sa modification n” 76 de 1963. et par la loi de
1964 portant modification de la législation bantoue et sa modification no 7 de
1973.
Les Africains ne peuvent rester dans les zones urbaines qu’en s’y soumet-
tant à des règles très strictes, et il leur est alors interdit de rester dans les
quartiers résidentiels blancs après le couvre-feu.
Aux termes de la loi de 1964, tout Africain peut être «expulsé» des
quartiers urbains si: a) le ministre juge que le nombre d’Africains demeurant
dans la zone visée dépasse les besoins de main-d’ceuvre;hi si ledit Africain vient
d’une région où le ministre a décidé que la zone blanche en question ne devait
plus recruter de main-d’œuvre;c) s’il est considiri comme ((oisif)) ou ((indési-
rable)); di si l’on pense que le maintien du contrat de travail ne répond plus aux
intérêts de l‘employeurou de l’employé,ni L l’intérktpublic.
Les femmes et les enfants des Africains travaillant dans les zones
«blanches» qui n’ont pas précédemment résidé dans ces régions de façon
continue peuvent demander l’autorisationd’y faire une visite ii leur époux ou
père,à condition que cette visite ne dure pas plus de soixante-douzeheures. Les
employeurs sont autorisés à loger ensemble leurs employés africains ((essentielsH
et leurs épouses respectives,mais les enfants du couple doivent rester dans le
lzonze/riiid.Les membres du personnel domestique doivent être recrutés indivi-
duellement et l’employcur comme l’employé doivent signer un document par
I D2hais d c I’assemhlce (Hansirdi.3 fmriei I‘JhY
Afrique du Sud 88

lequel ils s’engagentà mettre fin au contrat de travail si les enfants de l’employé
ou d’autresparents à sa charge sont introduits dans la région.
Les Blancs qui ne sont pas mandatés pour se rendre dans les zones afri-
caines ne peuvent y aller sans autorisation. La loi sur les zones urbaines
indigènes no25 de 1945,ultérieurement modifiée, stipule que tous les Africains
résidant dans une zone urbaine doivent,sauf exemption, vivre dans un quartier,
un village ou un foyer africains.Le texte modifié de 1963 renforce ces disposi-
tions,en prévoyant que tout chômeur africain peut être tenu d’aller vivre dans
un quartier africain -qui n’est pas nécessairement situé dans la zone urbaine
en question -ou de s’installerdans une réserve (un homeland) s’il n’y a pas de
place pour lui dans ce quartier africain.
Les Africains ne peuvent donc séjourner dans les zones urbaines qu’à deux
conditions: avoir tout d’abord l’autorisation d’y résider; rester au lieu de
résidence qui leur est assigné.
Le ((réétablissement))des Africains dans les zones urbaines implique: a) la
suppression de toutes les petites zones résidentielles africaines, ou ((taches
noires)), a l’intérieur des régions blanches; b) la réduction du nombre des
Africains vivant dans les zones urbaines ((blanches>).
Le gouvernement a déclaré en 1969 qu’il restait près de 4 millions d’Afri-
cains ((en surnombre)) dans les zones urbaines. Le ministre de l’administration
bantoue a présenté au Parlement. en mars 1973, le décompte suivant des
Africains qui avaient été expulsés des zones blanches:d’avril 1968 à mars 1969,
62 459 ; d’avril 1969 à mars 1970, 66 683 ; d’avril 1970 à mars 1971, 57 957;
d’avril 1971 a mars 1972,45 397;soit un total de 232496 Africains.
En 1972, il y avait 70 camps et villages de ((réétablissement)). I1 était
impossible d’y pénétrer sans autorisation et difficile de savoir ce qui s’y passait.
Certains d’entreeux ont cependant acquis une certaine notoriété et les noms de
beaucoup de camps de (< réétablissementH (Limehill, Stinkwater, Dimbaza,
Schmidt’s Drift,Weenen, Kuruman, Marsgat) ont symbolisé l’apartheid aux
yeux du monde entier,lorsque ce déplacement de populations entières a com-
mencé a être connu. U n prêtre, le père Cosmas Desmond, qui avait publié le
compte rendu d’uneenquête menée dans ces camps d’un bout à l’autredu pays,
fut banni et placé sous résidence surveillée à domicile vingt-quatre heures sur
vingt-quatre,afin qu’ilne puisse poursuivre son activité.
Les rations alimentaires qui sont distribuées aux femmes africaines indi-
gentes de Dimbaza sont insuffisantes,tant en quantité qu’en qualité, selon des
experts en diététique (Rand Daily Mail du 20 mars 1973). Leur ration mensuelle
se compose de 20 livres de farine de maïs, de 8 livres de pommes de terre de
second choix,de 5 livres de haricots,de 1 livre de margarine, de 2 livres de lait
écrémé et d’unedemi-livrede sel.
Cette alimentatioh pauvre en calcium et en vitamines provoque des mala-
dies de carence,comme par exemple le scorbut,l’anémieet la pellagre.
Des personnes qui ont visité les camps ont signalé que l’eau y était rare et
polluée,qu’il y avait eu des cas mortels de gastro-entérite(en particulier chez les
enfants) et qu’uneépidémie de typhoïde s’étaitdéclarée à Limehill.Les installa-
tions sanitaires étaient médiocres. Aux camps de Limehill et à Dimbaza, qui
sont éloignés des régions où l’on peut trouver du travail, quand les hommes
sont partis à la recherche d’un emploi,ce sont les femmes qui doivent se charger
L’apartheid a I’ceuvre 89

du ((réétablissemelit)). Les emplois y sont rares et. i cause d u manque d’eau,


m ê m e l’agriculturede subsistanceest difficile.
La loi sur l’administration des affaires bantoues n”45 de 1971 a p7arachevé
la séparation entre les zones urbaines africaines et les autres. Dans n’importe
quelle région extérieure aux Iio/iic/ciritis.il est possible de créer une nouvelle rone
relcviint de l’administration des affaires bantoues. L e ministre de I’administra-
tion bantoue a poui,oir de modifier les limites de ces zones. C e sont les conseils
de l’administration des affaires bantoues qui gèrent les zones relevant de cette
administration et c’est le ministre qui n o m m e les membres de ces conseils, en
fixe le nombre. détermine la durt-e de leur mandat et peut les révoquer s‘il les
juge coupables de fautes ou de négligence dans l’exercicede leurs fonctions.
Ces conseils pourraient être comparés D une autorité locale. sauf que leurs
membres ne sont pas élus niais iioiiiniés, et de l‘ait les conseils ne béneficient pas
de la relative indépendrince dont jouissent les autorités locales. et que ces
conseils sont hiibiliLi-sD acquérir. mettre en valeur et céder des terres destinées D
ctre occupées par des Africains et sont responsables de la répartition de la main-
d’euvre (c’est pourquoi certains de leurs membres sont choisis pour leur
connaissance de la niain-d’trui,rcafricaine requise pour l’agriculture. le c o m -
merce et l’industrie).
A la fin de 1973,77 conseils avaient été constitués dans la province d u Cap.
a u Natal. dans le Rand oriental, dans le Rand occidental (y coinpris Johannes-
burg). au Tran.;\.aalct dans l’État libre d’Orange.
L’une des consequences de la mise en place de ces conseils a été que IC
conseil municipal de Jnliannesburg n’a plus été autorisé Li accorder des subven-
tions poui- le paiement d e certaines dépenses consacrées aux Africains, dant
donné quc les conseils sont tenus de ((subvenir ;I leurs proprcs besoins ».
L’administration est encore compliquée par l’esistencc des conseils ban-
tous. L e grand probithie est celui des compétences respectives. Aus yeux d u
gouverneincnt. les Africains qui se trouvent dans les zones urbaines relkvent
légalenient de leurs /iom~/tmdsrespectifs. Mais il est Pvident que certains au
moins d‘entreeux sont venus dans ces 7ones urbaines pour y rester et qu’ony a
besoin d’une administration locale d’une sorte ou d’une autre. En centralisant
I’administratiori des communautés non blaiiches, l’apartheid va ii l’encontre de
la solide tradition provinciale de l’Afriqued u Sud blanche. L e gouvernement a
tenté d’y remédier en instituant les conseils de l’administration bantoue. tout en
pcrinettant en i n h e temps aus conseils bantous de s’occuper des affaires
locales sans grande importance. Ces conseils bantous peuvent parfois être
composés entièrement d’élus et peuvent disposer d’un budget limité. La compé-
tence des conseils de l’administration bantoue s’ètend aux zones urbaines et aux
zones rurales. tandis q u e celle des conseils bantous se limite aux zones urbaines.
Les conseils de l’administration bantoue rassemblent d’autre part en leur sein
les représentants d‘un grand iiornbre d’autorités locales.
Malgré les contrôles et nialgré les déplaceinents de population, les Africains
restent dans les régions blanches. où leur inain-d’tcuvrecst iiécessaire. et leur
nombre continue d’augmenter.Ils étaient 1 345 682 en 1936, 1 856 039 en 1946.
2338534 en 1951, 3 193 130 en 1960,et 4989371 en 1970 (ce dernier chiffre
comprenant peut-être la population des cités-dortoirs)) des /ionic~ltnit/.c. qui
travaille dans 1 ’industrie des zones blanches).
Afrique du Sud 90

Entre 1936 et 1960, la proportion de la population qui était urbanisée est


passée de 68 à 80% au sein de la communauté blanche,et de 18 à 29% chez les
Africains.En 1970,environ 6,9 millions d’Africains (soit 46%) vivaient dans les
homelands et 8 millions (soit 53,5%) dans les régions blanches.

LES B L A N C S , LES M É T I S ET LES I N D I E N SD A N S L E S ZONES U R B A I N E S

La loi de 1950 sur les régions de groupe stipule que chaque groupe racial doit
vivre dans des régions bien délimitées. La proclamation 255 de 1960 interdit
l’accès des Noirs aux cinémas, cafés, lieux de repos et clubs ((blancs)). La
proclamation R.26 de 1965 a spécifié que cette interdiction s’applique à «tous
les lieux de divertissement)). La modification no 56 de 1965 a placé les régions
africaines sous l’autoritédu ministre de l’administration et du développement
bantous, toutes les autres régions relevant du ministre du développement com-
munautaire.
La modification no 83 (1972)à la loi portant modification des dispositions
relatives aux régions de groupe (1950) a étendu le régime de la séparation
administrative urbaine aux zones habitées par les Métis et par les Indiens,sous
la responsabilité des ministres des affaires métisses et des affaires indiennes,qui
ont été chargés de mettre en place des administrationslocales dans leurs zones
respectives. Les Métis de la province du Cap ont perdu le droit qu’ils avaient
précédemment d’être inscrits sur les listes électorales communes pour les élec-
tions municipales.Les zones urbaines des communautés métisse et indienne sont
administrées par des comités consultatifs dont les membres sont nommés par
l’administrateur de la province, ou par des comités de gestion ou comités des
affaires locales (dont les membres sont en partie élus et en partie nommés).
Deux conseils municipaux indiens sont entièrement composés d’élus,mais tous
les autres comprennent un certain nombre de membres désignés.

L A LOI SUR LES RÉGIONS DE GROUPE:


M É T I S ET A S I A T I Q U E S

Le ministre du développement communautaire a annoncé en février 1971 qu’un


certain nombre de familles n’étaientplus autorisées à rester dans les régions où
elles vivaient jusqu’alors,en vertu des dispositions de la loi sur les régions de
groupe. Les familles visées par cette décision (non compris les Africains, qui
étaient déjà interdits de séjour en application d’autres lois) se répartissaient
ainsi : familles métisses, 70889 ; familles indiennes, 38 180 ; familles blanches,
1578 ; familles chinoises,933 ; soit un total de 1 1 1 580 familles.
Le nombre des familles qui avaient été réétablies depuis le vote de la loi
initiale en 1950 était le suivant: familles métisses, 37 606; familles indiennes,
24388; familles blanches, 1246; familles chinoises, 64; soit un total de 63314
familles.
Au cours de la seule année 1972, 4097 familles métisses, 1400 familles
indiennes,80 familles blanches et 3 familles chinoises furent déplacées.
Celles qui sont «réétablies» éprouvent de grandes difficultés à se loger.Ces
déplacements nuisent également à l’emploi; les commerçants, par exemple,
perdent d’uncoup toute la clientèle qui les faisait vivre.
L’apartheid à I’mvre 91

Chaque création d’une région de groupe urbaine aggrave encore le pro-


blème du logement: les Métis, par exemple. s’installent pour la plupart en
e squatters>) dans certaines zones urbaines.

La sécurité
Le gouvernement nationaliste a fait adopter un nombre toujours croissant de
lois. qu’il daclare nécessaires au maintien de la sécurité. Beaucoup de ces lois
remplacent la réglementation par voie de décrets ministériels. Elles ont accru la
sivérité des mesures pénales et des condamnations,ainsi que du traitement des
suspects et des prisonniers par la police et par le personnel pénitentiaire.
La première de ces lois, le Suppression of Communism Act (loi sur la
répression du communisme)de 1950,avait pour principal objet de donner au
gouvernement divers pouvoirs administratifs pour interdire certaines organisa-
tions et éloigner certaines personnes. I1 suffit pour cela que le ministre de la
justice décide que les personnes ou les Organisations en cause sont communistes.
Le Parti communiste.le Congrès national africain,le Congrès pan-africa-
niste et le Fonds d’aide et de défense (qui avait pour objet de fournir l’assistance
d’un conseil juridique aux prisonniers et de les aider ii faire vivre leur famille)
figurent parmi les organisations interdites en vertu de cette loi.Une fois qu’une
organisation est interdite,le fait de travailler à la réalisation de ses fins constitue
un délit et ce délit est fréquemment sanctionni par une peine de trois ans de
prison.
En général,toute personne ayant fait l’objetd’une mesure d’interdictionen
vertu de cette loi: a) est contrainte de résider dans le ressort d’un tribunal
particulier: hi est tenue de se présenter ii la police i jours et heures fixes;c) n’a
le droit d’assister à aucune réunion, que l’objet en soit politique, éducatif ou
social.
Des personnes qui avaient été interdites ont été condamnées pour avoir
joué au bridge, pour avoir accompagné leur fille ii une soirée du nouvel an,
pour être restées dans la cuisine alors qu‘une réception se déroulait au salon,ou
pour avoir pique-niquéavec deux amis.
Personne n’a le droit de citer ni de publier les déclarations ou les écrits
d’unepersonne interdite.
La durée de l’interdictionest en général de cinq ans.
Le nombre des personnes frappées d’une mesure de ce genre est en
moyenne de 200 par an: il est fréquent que les condamnations soient recon-
duites lorsqu’elles arrivent ii leur terme et que les personnes qui sortent de
prison fassent l’objet de mesures d’interdiction si sévères qu’il leur est en fait
impossible de reprendre une vie normale.
Parmi les Blancs qui ont été frappés d’interdiction figure le père Cosmas
Desmond,auteur du livre intitulé The discLrrded people, qui décrit les conditions
de vie dans les zones de «réétablissement»:la condamnation dont il a fait
l’objet interdit toute citation de ce livre en Afrique du Sud. Mais les ((interdits))
sont pour la plupart des Africains.L’interdictionest souvent assortie d’une mise
en résidence surveillke i domicile.En 1971.d’anciens prisonniers politiques de
la partie orientale de la province du Cap n’ont pas été autorisés A regagner Port
Afrique du Sud 92

Elizabeth, leur domicile,et ont été obligés de s’installerdans des zones de ((ré-
établissement>).
L’interdiction sert aussi bien à réduire au silence les gens qui viennent de
purger une peine de prison qu’à prévenir toute activité de nature à gêner le
gouvernement.I1 n’y a aucune possibilité de faire appel contre une interdiction
et le ministre n’est pas tenu de faire connaître les raisons qui ont motivé sa
décision. Les gens peuvent donc être punis au gré des autorités, sans avoir
commis aucun délit.
La loi sur le sabotage portant modification de la législation générale (1962)
stipule que les auteurs d’actesde sabotage risquent des peines allant de cinq ans
de prison à la condamnation à mort. La définition du sabotage est extrêmement
large;une personne peut en être déclarée coupable si elle commet une infraction
à une loi quelconque en pénétrant ou en se trouvant sur un terrain ou dans un
bâtiment.C’est il elle qu’ilincombe de prouver qu’ellen’avait pas l’intentionde
commettre un acte de sabotage,autrement dit de démontrer son innocence.
La loi sur le sabotage a introduit dans la législation sud-africaine le prin-
cipe de l’emprisonnementillimitésansjugement.Son article 17 permet en effet à
tout officier supérieur de la police d’arrêter sans mandat toute personne soup-
çonnée de détenir des informations sur un délit d’ordre politique et de la garder
au secret,pour interrogatoire,pendant un temps qui peut aller jusqu’à90jours.
Les tribunaux ont interprété cet article comme permettant à la police de détenir
des prisonniers pendant des périodes de 90jours indéfinimentrenouvelables.
A u total,plus de 1000 personnes ont été détenues en vertu de cette disposi-
tion (loides 90jours)avant que celle-cine fût suspendue en 1965.
La loi des 180 jours fut promulguée aux termes du Criminal Procedure
Amendment Act (loi portant modification de la procédure criminelle) de 1965:
le procureur général peut, sur avis de la police, ordonner la détention au secret
de toute personne dont il estime qu’on peut attendre un témoignage important
dans certaines catégories de procès,et en particulier dans les procès politiques.
A u cours des trois premières années d’application de cette loi (1965-1967),388
personnes ont été ainsi détenues (selon les déclarations du ministre de la justice).
Mais, actuellement, l’instrument le plus couramment utilisé pour garder
indéfiniment les gens en prison paraît être le Terrorism Act (loi sur le terro-
risme) de 1967.Cette loi autorise les officiers supérieurs de la police à ordonner
la détention au secret,pour une durée indéterminée,de toute personne soupçon-
née de détenir une information quelconque ayant trait au terrorisme. La loi ne
fait pas obligation aux autorités d’alerter un avocat ni d’avertir les parents du
détenu;il n’est donc pas possible de connaître avec certitude le nombre de cas
de ce genre.
La loi en question permet à la fois de détenir les suspects pendant de
longues périodes sans les juger et de les condamner pour ((terrorisme)). U n
exemple typique de cette procédure est l’affairede Joseph Tshukudu Maleka, un
homme de soixante-huitans,qui fut inculpé en 1972 d’avoir été en contact avec
des membres de 1’African Peoples Democratic Union of South Africa (Union
démocratique populaire africaine d’Afrique du Sud), lesquels furent également
jugés séparément et condamnés pour infraction à la loi sur le terrorisme.
Maleka fut tout d’abord emprisonné le 19 février 1970 et détenu pendant 110
jours avant d’être libéré,puis il fut de nouveau arrêté le 7 mai 1971 et détenu
L'apartheid à I'axivrc 93

pendant 41 jours avant d'être inculpé. II fut acquitté. aucune des accusations
portées contre lui n'étant retenue,mais il était resté au total 440jours en prison.
L a loi de 1967 donne d u terrorisme tine définition qui inclut tout acte
visant i gêner l'administration. C'est i l'accus6 qu'il incombc de prouver son
innocence sur certains points importants. D e m ê m e que pour la loi sur le
sabotage,les pcincs varient entre cinq ans de prison au minimum et la condani-
nation i mort. La loi sur le terrorisme ;I Cté rendue rétroacti\r en 1962. ce qui ;I
permis d'infliger la peine capitale pour dcs infractions qui ii'étaicnt pas punies
de mort i l'époque oii elles avaient été commises.
Étant cionné que i'idcntiti.des prisonniers cn détention préventive n'est pas
coinmuniquée. il est impossible de sa\,oir combien d'entre ~ L I sont
Y finalement
dkclarks coupables. Au I ' janvier 1977. le nombre total des personnes purgeant
dcs peines infligées en application des quatre principales lois sur la sécurité
s'élevait t: 463 et se répartissaitc o m m e indiqué au tableau 13.

Loi s u r le xihotage 14X 13 Y 5


Loi s~irla rkpressian du coiiiinunisiiit. 23 1 1 3
Loi SUI'lcs organisations ilkpales in9 ~~ ~

Loi s u r le terrorime 50
~ ~~
~

~~~ ~

TOTAL 430 I4 10 (1U

Ces dernières années. la moyenne quotidienne de l'effectif des détenus a été la


suivante: 1966-1967.73030; 1967-1968.80534; 1968-1969,88079: 1969-1970.
90555; 1970-1971.91 108. Ce dernier chiffre comprend 71 190 All-icains, 16338
Métis, 3317 Blancs et 363 Asiatiques. En 1977. IC juge Hiemstra a souligne que
la popul:ition dcs prisons avait augmcnté de 76'!(] ;ILI cours des dix derniéres
annees,alors que la croissance démograpliique globale avait été de 34" BCILI- 1,.

coup de prisonniers purgent des pcincs de courte duri-c,infligées le plus souvent


pour des infractions aux lois sur les laissez-passer ou IC non-paiement
d'rtmendes.
L a ségrkgation s'applique aussi bien aus prisonniers qu'aus gardiens. La
nourriture est différente. les Blancs ayant droit par exemple it plus de viande
quc les Africains. Les prisonniers blancs peuvcnt travailler. se distraire, étudier,
préserver leur vie privée et se reposer dans dc bien meilleures conditions que les
détenus noirs.
Les prisonniers politiques sont autoniatiqueruent classés dans la cati-gorie
((D D(sécurité ma\inialc). quels que soient leurs antécédents ou leur réputation.
Afrique du Sud 94

et ils ont moins de droits que la plupart des condamnés ordinaires. La bonne
conduite peut faire obtenir des remises de peine allant jusqu’au tiers de la
sentence,mais cette disposition ne s’appliquepas aux prisonniers politiques.

L E S DÉTENUS

Les prisonniers sont à l’entièrediscrétion de la police de sécurité.Ils n’ont droit


ni aux visites, ni au courrier,ni à aucun contact avec le monde extérieur. Ceux
qui sont détenus au titre de la loi des 180jours doivent recevoir la visite d’un
magistrat une fois par semaine et ceux qui sont incarcérés en vertu de la loi sur
le terrorisme une fois tous les quinze jours,((si les circonstances le permettent>).
Certains membres de l’assemblée ont reproché aux magistrats visiteurs d’être
((inattentifs)).
Les accusations de torture sont très fréquentes. Ces accusations -portées
par des inculpés et par des témoins -sont précises et concordantes. Les actes
qui ont été signalés vont des décharges électriques à l’enfoncementde clous dans
la verge. La police de sécurité dément ces allégations et prétend publiquement
qu’elletraite bien les détenus et noue même de solides liens d’amitiéavec eux.

L E S C O N D A M N É S A U X PEINES D E P R I S O N F E R M E

A la fin de 1966,le nombre des prisonniers condamnés pour des infractions aux
principales lois sur la sécurité avait atteint, selon les statistiques officielles,le
chiffre sans précédent de 1 825.A la fin de 1967, après l’adoption de la loi sur le
terrorisme,ce chiffre est tombé à 1 335,puis à 1019 en 1969, à 809 en 1970 et à
464 en 1972.
Les détenus sont répartis entre trois grandes prisons: celle de Robben
Island pour les Noirs, celle de Pretoria Local pour les Blancs, et celle de
Barberton pour les femmes noires. I1 n’y a plus de prisonnières blanches. Les
prisonniers de Namibie sont également détenus à Robben Island. Les prison-
niers politiques sont traités comme les détenus de droit commun, mais sont
soumis à certaines règles supplémentaires (voir plus loin). Le Prisons Act (loi
sur les prisons) de 1959,qui interdit la publication de toute information erronée
sur les prisons ou sur les prisonniers, a eu pour effet d’empêcher la publication
de toute information,quelle qu’elle soit. Le gouvernement s’est opposé à toute
enquête officielle sur les conditionsd’incarcération.
En 1965. le Rand Daily Mail a publié une série d’interviews recueillies
auprès d’un condamné politique sorti de prison, Harold Strachan. Strachan y
décrivait le sadisme de certains gardiens,la saleté,l’obscénité et la brutalité qui
régnaient dans les prisons, la situation des détenus africains ((parqués comme
des bêtes)) et la gestion capricieuse de l’administration pénitentiaire qui se
moquait des règlements. L’État a alors engagé des oursuites contre Strachan,
1.

les journalistes et le journal; mais ces révélations avaient, selon l’expression


d’un prisonnier politique récemment libéré,((percé à jour tout le système)). A la
suite de ce scandale, diverses améliorations furent apportées à la situation
matérielle des prisonniers (et pas seulement des prisonniers politiques). La
sensibilisation du public à ces problèmes a conduit par exemple à construire, à
L’apartheid à I’cwvre 95

la prison de Pretoria, un nouveau quartier pour les détenus politiques blancs.


qui y ont de meilleurs logements et disposent d’un atelier.
En 1969,le ministre des prisons a déclaré qu’il n’était pas question d’amé-
nager un atelier i Robben Island : les prisonniers noirs n’auraient qu’à conti-
nuer à casser des cailloux. à ramasser d u sable et i récolter d u varech.
En 1973, les détenus politiques noirs remirent une pétition au directeur d u
pénitencier de Robben Island. Ils se plaignaient notamment de subir des vexa-
tions et des voies de fait de la part de certains gardiens. de n’avoir ni biblio-
thèque. ni possibilités récréatives,ni moyens d’études. d’être mal nourris tant
quantitativement que qualitativement; ils protestaient contre la dangereuse dés-
involture et le manque d’hygiène avec lesquels les soins médicaux leur étaient
donnés. contre les ordres contradictoires qu’ils recevaient. contre les caprices de
l’administrationi. leur égard et contre le fait qu’on les tenait dans l’ignorance de
leurs droits.Au moins un des prisonniers qui avaient participé à la rédaction de
cette pétition fut sanctionné et condamné it six mois de cellule. Au Cap. le juge
Dieinont déclara que cette sanction était illégale et il ordonna que les prison-
niers qui cn feraient la demande reçoivent un exemplaire des rbglements péni-
tentiaircs: mais il dkclara d’autrepart que la jouissance d’une bibliothèque et de
possibilités récréatives, ainsi que l’autorisation de poursuivre des études,
n’étaient pas des droits mais des privilèges dont l’octroi était laissé à la discré-
tion d u directeur de la prison.

LES PRISONNIERES
Les appels i l’opinion publique qui aboutirent i quelques réformes dans les
prisons pour hommes n’ont généralement pas fait mention de la prison de
Barberton. II s’agit d’un établissement pénitentiaire où la discipline est très
stricte et qui est situé dans une région t r k chaude d u pays. La plus longue
promenade que les détenues puissent y faire consiste i franchir la dizaine de
mètres qui mène au bureau de la directrice. La prison n’offre aucune possibilité
récréative ct les détenues n’ont pas même le droit de regarder par la fenCtrc de
leur cellule.Leur travail consiste en lavage et en nettoyage.

L E I ’ R A I ’ L M E N TS P E C I A L D E S P R I S O N N I E R S P O L I T I Q U E S

Les autorités aftirnient qu’il n’y a pas de ((prisonnierspolitiques)) en Afrique d u


Sud et qu’il n’est fait aucune discrimination entre les détenus. Mais le traitement
réservé aux prisonniers politiques est pourtant très différent de celui auquel sont
soumis les détenus de droit c o m m u n sur un certain nombre de points impor-
tants:
1. Ils n’ont droit ni aux remises de peine. ni aux amnisties. ni aux libérations
sur parole, ce qui signifie. par exemple, qu’un condamné ii la prison i. vie
risque de ne jamais Ctre libéré.
2. Ils n’ont droit it aucune information, ni ii la radio ni aux journaux, par
ordre de la police de sécurité. La censure du courrier et l’écoute des
visites créent un surcroît de tension.
3. Leur travail n’est pas rémunéré.
Afrique du Sud 96

4. Le classement des prisonniers et des privilèges auxquels ils peuvent pré-


tendre en catégories allant de «A»à «D»est une arme contre les détenus
politiques,qui sont automatiquement classés au départ dans la catégorie «Du
et dont la ((promotion)) est longue et difficile (au début, les prisonniers
de la catégorie «D»n’avaient droit qu’à une visite d’une demi-heureet à
une lettre de 500 mots tous les six mois, mais ils ont maintenant droit a une
lettre par mois. Ceux de la catégorie «ADont droit à trois lettres et à deux
visites d’unedemi-heurepar mois).
5. La suspension arbitraire d’autres droits,comme l’usage de la bibliothèque
et des moyens d’étude,sert à obtenir une ((bonne conduite)) des prison-
niers et permet d’exercersur eux une pression psychologique.
6. Les règlements applicables aux prisonniers politiques sont extrêmement
stricts.

L E S DÉCÈS D A N S L E S P R I S O N S

O n sait que depuis que la détention préventive a été inaugurée en 1963, 19


détenus au moins ont perdu la vie au cours d’interrogatoires.Il a été officielle-
ment reconnu que 19 personnes sont mortes en prison,les causes déclarées de
ces décès étant le suicide (I 1 cas), la ((mort naturelle)) (3), une G thrombose)),
une G broncho-pneumonie consécutive à une légère blessure à la tête», une
«chute provoquée par une glissade sur un savon)), une ((chute accidentelle dans
un escalier)) et une «cause inconnue)). En plus de ces décès, le ministre de la
justice a déclaré que 40 personnes étaient mortes en prison en 1972,compte non
tenu des prisonniers incarcérés en vertu de l’article6 de la loi sur le terrorisme.
Voici 4 cas de décès de détenus au cours d’interrogatoires.
Suliman Salojee est mort en tombant du septième étage du siège de la police de
sécurité à Johannesburg le 9 septembre 1964,deux mois après son incarcération.
U n membre de la police de sécurité, qui a refusé de répondre à certaines
questions de la défense,a nié que Salojee ait subi des violences.Le juge a conclu
que Salojee était mort des suites de blessures multiples après une chute au cours
de son interrogatoire.I1 n’a pas pu établir si Salojee s’était suicidé ou s’il avait
tenté de s’échapper,mais il a déclaré qu’aucun élément de l’enquêtene permet-
tait de dire qu’il y avait eu des violences ou que d’autres irrégularités avaient été
commises.
James Lenkoe,trente-cinq ans,cheminot du Lesotho,a été découvert pendu par
une ceinture aux barreaux de sa cellule, le 10 mars 1969,cinq jours après son
incarcération. Des traces de cuivre furent découvertes dans une blessure qu’il
portait à l’orteil.Quatre pathologistes, dont un des États-Unisd’Amérique,ont
déclaré que cette blessure pouvait avoir ée provoquée par une brûlure à
l’électricité.Les témoins cités par la police de sécurité ont nié qu’on fasse subir
aux détenus des décharges électriques.Le magistrat chargé de l’enquête a conclu
que la mort avait apparemment pour cause un suicide par pendaison, que
personne ne pouvait en être tenu responsable et que l’allégation selon laquelle
des décharges électriques auraient contribué au décès n’était pas prouvée.
L’apartheid a I’uwre 97

L’iniain Abdullah Haron.haute personnalité musulmane et rédacteur en chef d’un


journal au Cap. est mort en prison IC 37 septembre 1969 a p r k quatre mois de
détention. D’après la police de sécurité, l‘iman aurait glissé sui- une des der-
nières marches d‘un escalier et serait tombé jusqu‘en bas. après un interroga-
toire,le 19 septembre. Les policiers ont déclart: qu’il n’avait pas paru blessé et
ils affirmérent qu‘il n’avait, it leur coii~iaiss:iiicc, subi aucune violence. Mais,
. <

selori le rapport d’autopsie. son corps portait 36 coritusions distinctes. ainsi


qu’une tuinéî’action sanguine sur IC clos et l’une de ses côtes était l‘rxtur?c. Le
pathologiste qui ;Ipr?senté ce rapport a u cours d e l’enquête ;t dit quc certaines
contusions étaient plus aricienncs que d’autres et qu’elles ne pouvaient pas avoir
toutes été causées par la chute. L e juge a conclu que le décis de I’iniarn était
consécutif ii des blessures en partie pro\oqtiécs par une chute accidentelle dans
u n escalier. I1 n’a pas pu prCciser la cause des autres blessures.
Ahined Tiniol fut incarcéré le 17 octobre 1971 en vertu de la clause de la loi sur
le terrorisme qui pcrniet la détention illimitée. Le 37 octobre,il a trouvé la m o r t
en se jetatit d u dixihe Ctage de l’immeuble de la police de sécurité, i Johanncs-
burg. alors qu’il y subissait un interrogatoire. La police a déclaré qu’il s’était
suicidé en sautant par la fenétre et que IC brigtidier de police qui I’aISait vu
sauter n’avait pas pu IC retenir. une chaise s’étant trouvée en traLers de soti
chemin. Selon les conclusions de I’enqut3e médicale. Tirnol avait subi des
blessures reinontant LI qunti-eou six jours avant sa mort. Il s’agissait de contu-
sioris de forme circulaire sur IC haut d u bras. Le pathologiste officicl :II’CCC~JlllU
q u c ces contusions pouvaient O t5vcntuellerrient avoir été causées par tlc iioin-
breux coups )>. L’a\,ncritde la fiiriiille d u déi‘unt a émis l’avis que ces blessures
correspondaient Li celles d’un h o m m e qui aurait it6 frappe i coups de pied dors
qu’il était allongé sur IC soi et qui aurait lev? les bras pour se protéger. Le
pathologiste admit que cela avait peut-être été le cas. <<cequi (:ijoutii-t-il) iie
signifie pas que les choses se soient passées ainsi)). L’avocat fit observer qu’il ne
serait pas possible de déceler d‘autres blessures, m ê m e graves. si elles avaient
été infligées juste avant 111 mort.L a mère de Tirnol téinoigna que son fils n’était
pas blessé lorsqu’il avait été inis en prison (et la police nc contesta pas ce
témoignage). Aucun metlibre de la police ne soutint que les blessures en ques-
tion avaient été causL;csavant l’arrestation.au cours d’une bagarre par exemple.
L e magistrat conclut ii un suicide.
4 De l’opposition
à la résistance

Le début de l’activité politique des Africains remonte à la seconde moitié du


X I X ~siècle. Elle eut alors pour cadre principal la colonie du Cap, où les
Africains ne souffraient pas de trop gros handicaps et où ils pouvaient espérer
obtenir un jour le droit de vote,même si ce droit devait être limité.
Le premier mouvement politique africain,le Lubumba Yama Afrika, esti-
mait que l’unité africaine offrait la seule chance de combattre la négligence
persistante de tous les partis blancs à l’égard des intérêts des Africains.
En 1884,John Tongo Jabavu lança,avec le concours financier de Blancs,
le Zmvo Zubantsundu (L’opinionafricaine). En 1887,il organisa l’opposition au
Parliamentary Voters Registration Bill (projet de loi sur l’inscription sur les
listes électorales pour la désignation des membres du Parlement), lequel donnait
du droit de vote une définition qui privait de ce droit les Africains des tribus.En
1889,Jabavu et d’autres combattirent le projet d’extensionde la réglementation
sur les laissez-passer.En 1894,son journal prit position contre le Glen Grey Act
(une loi qui laissait pressentir la législation ((séparée)) que l’Afrique du Sud
allait adopter par la suite). La majeure partie de la nouvelle élite africaine
d’éducationchrétienne qui s’associaità ces protestations était entièrement fidèle
à la Couronne et croyait en la création progressive d’un État sud-africain
multiracial.
Quelques sectes éthiopiennes, bien que dénuées de tout caractère politique
manifeste, exerçaient néanmoins une certaine influence politique. I1 s’agissait
exclusivement de sectes de chrétiens noirs,fortement influencées par les épisco-
paliens méthodistes des États-Unis d’Amérique.Contrairement à Jabavu et à
ses amis, les Éthiopiens ne croyaient guère au concours des Blancs et soute-
naient que les Africains ne pourraient évoluer que s’ils agissaient par la voie
d’organisations exclusivement africaines et s’ils refusaient résolument la civilisa-
tion blanche.
Ces deux tendances -coopération avec les Blancs bien disposés A l’égard
des Noirs, d’une part, et refus catégorique de l’assistance des Blancs, d’autre
part -réapparaissent constamment dans l’histoirede la résistance sud-africaine
et peuvent coexister au sein d’un même mouvement.
Les Sud-Africainsnoirs étaient évidemment conscients de l’existence de
mouvements noirs dans d’autres pays: ceux qui étudiaient aux États-Unis,par
'/ ALLEENLI N A L E I E R S -
MALAYS - ONLY
ALLEENLIK "BLANKES

Ségrégation en Afrique du Sud.


Afrique du Sud 1O0

exemple, furent très impressionnés par Booker T.Washington et W.E.B. D u


Bois. Le mouvement de contestation noir en Afrique du Sud fut d’autre part
très fortement influencé par les événements qui se produisirent dans le reste de
l’Afrique après la guerre de 1939-1945.Ces Noirs avaient protesté contre
l’invasionde l’Éthiopiepar l’armée italienne et comprirent tout de suite ce qu’il
y avait de commun entre le fascisme et la domination des colons en Afrique du
Sud ; ils s’intéressèrentvivement aux répercussions de la Déclaration des droits
de l’homme;enfin ils exercèrent une influence sur les revendications de liberté
et d’indépendance exprimées dans les autres parties du continent, comme ils
furent influencés par elles. Mais la victoire du Parti nationaliste aux élections de
1948 fut la riposte des Blancs aux revendications intensifiées de tous les Afri-
cains désireux de participer pleinement à la vie politique.
Avant 1948, ces revendications des Africains n’avaient pas abouti à des
résultats bien notables. Les Africains du Transkei s’étaient élevés contre les
conditions dont l’Union avait été initialement assortie. Des Africains et des
Métis se rendirent à Londres pour plaider en faveur de la suppression de la
((barrière de couleur)), inscrite dans le South Africa Act qui fut adopté au
lendemain de la guerre des Boers et devait instituer l’Union.Mais on ne tint pas
compte de leur démarche et le Parlement britannique laissa l’adoptionde cette
loi suivre son cours en dépit des protestations des Africains. Ceux-ci protes-
tèrent contre les dispositions du Native Affairs Bill (projet de loi sur les affaires
indigènes) de 1920 et du Native Lands Act (loi sur les terres indigènes) de 1913
(adressant,dans ce dernier cas,des pétitions au roi George V,au Parlement et
au peuple britanniques).
Dans un curieux ouvrage intitulé Native life in South Africa (La vie des
indigènes en Afrique du Sud), Solomont Plaatje écrivait en 1916 que ((lors de
chacune des crises qui se sont produites au cours des quatre dernières années...
les dirigeants indigènes ont assumé la tâche ingrate et coûteuse de refréner le
recours des indigènes à la violence)), ce qui semble indiquer que les dirigeants en
question étaient des ((modérés».
Les protestations ne se limitaient pas à l’Afrique du Sud. Le South African
Native National Congress (Congrès national indigène d’Afrique du Sud)
adressa en 1918 une pétition au roi George V au sujet des colonies allemandes,
pour demander que ((l’onne dispose pas des territoires africains et qu’on ne fixe
pas leur destin ultérieur sans prendre connaissance des vœux de leurs habi-
tants)), et que «les colonies allemandes du Sud-Ouestet du Sud-Estafricains ne
soient pas remises au gouvernement de l’Union sud-africainetant que le régime
qui y est en vigueur n’aura pas été radicalement modifié de manière à en
éliminer les préjugés raciaux)). Les auteurs de cette pétition proposaient que
l’administration des anciennes colonies allemandes soit confiée aux États-Unis
d’Amérique.
L’opposition à l’apartheid a également été influencée par des événements
d’autres régions. C’est ainsi par exemple que la politique de non-violence du
mahatma Gandhi a marqué pendant longtemps ]’African National Congress et
que l’organisationdes Nations Unies a apporté sa caution aux appels adressés à
la communauté internationale.
Après sa victoire aux élections de 1948, le Parti nationaliste entreprit de
mettre en œuvre l’apartheidpar la voie parlementaire.
De l'opposition a la résistance 101

L'agitation s'amplifia ii mesure que les Africains assistaient ii l'adoption de


nouvelles lois dirigées contre eux. Dans la rèserve de Witzieshoek. près d u
Basutoland (l'actuel Botswana), la pénurie de terres et les lois sur l'élevage
avaient été 3 l'origine d'incidents depuis 1947. Lorsque la police intervint en
novembre 1950. au cours des investigations d'une commission d'enquSte. des
coups de feu furent tirés sur un riissemblcnient de 600 Africains dont 16 furent
tués et 40 blessés.
A u sein de I'African National Congress (ANC).la Youth League (Ligue de
la jeunesse) rkclainait une action plus énergique : elle estinlait que le teinps des
rlsolutioiis, des conférences et des dé1Sg:itions était passé. A la conflreiice Cie
1949. le nouveau bureau du innuvenient fut chargé d'appliquer vigoureusement
le prograinme d'action de la Youth League. qui prévoyait IC boycottage total
cles élections ainsi que ((des grèves, la dlsobéissaiice civile et la non-coopéra-
tion .)
La cuntcstation fut d'abord axée sur la promulgation de la loi sur la
répression d u coinmunisine et I'ANC,les dirigcants des syndicats et ceus de In
cominunautP inclieiinc lanckrent un ordre de grP\.e, cette grkve d'une jouriikc
deixiit coïncider avec la célèbration internationale du 1" mai 1950. Bicn
clue le gou\.erticnienteîit interdit les niaiiifestations et les rasscinblenients. et
malgrl la présence de 3000 policiers dans la rlgion de Johannesburg,plus de la
iiioitié des travailleurs africains ne se prèsentlrcnt pas au travail et beaucoup
d'entre eus assistèrent i des iiicetitigs. La police dispersa tous les rasscinblc-
nieiits. II y eut plusieurs échauffoiii-ies.dont le bilan s'ilcva ;i 18 inoris et 30
blessés (dont 3 enfatits ).
Le deuil qu"ilspartagérent rapprocha da\witage l'un de l'autre les congres
africain et indien, et un comité de coordination constitué le 14 juin organisa une
journée nationale de protestatioii et de deuil pour le lundi 16 juin 1950.Des
milliers d'i\fricains cessèrent le travail it .Jolintinesburg,tandis que les Indiens
ferinaient leurs boutiques. A Port Eliriibeth, toutes Ics opérations de cliiirge-
incnt et d e déchargement furent interrompues et les bureaux. les inagasiris, les
hôtels, les restaurants. les garages et m h c les hôpitaux furent ferniés. Depuis
cette date. le 16 juin est céllbré. en Afrique du Sud et d a n s le nionde. c o m m e la
Journée de la IibertC sud-africaine.

L a campagne de désobéissance aux lois hiustes


Le II juin 1953. I'African National Congress adressa une lettre au premicr
ministre, M.Malan, pour lui demander l'abrogation des principales lois rlpres-
sives. dont il donnait la liste suivante: loi sur les laisse;.-passer: loi sur les
régions de groupe: loi sur la répression d u communisme; loi sur la représenta-
tion séparée des klecteurs:loi sur les autorités bantoues :réglcnientation restric-
tive de I'Cle\qe. Dans cette lettre. I'ANC aiinonsait que. si cette Ikgislatioii
n'était pas übrogke avant IC 39 février 1953. une manifestation massive de
protestation aurait lieu le 6 avril 1953. qui était IC Jour de Riebeeck (tricente-
naire du pouvoir blanc), et qu'un inouvement de résistance passive serait lancé
dans tout le pays.
Le 6 avril. le président de I'ANC,Moroka. et une personnalité de I'Indiaii
National Congress, Dadoo, s'adressèrent i une grande foule réunie ii Johannes-
Afrique du Sud 102

burg et demandèrent I O000 volontaires. Cette manifestation se déroula d’un


bout à l’autredans le calme.
A u cours des semaines qui suivirent,Nelson Mandela fut nommé chef des
volontaires. Ces derniers, qui étaient triés sur le volet, firent la promesse
suivante:((Nous prenons solennellement l’engagementde consacrer toutes nos
forces morales et physiques ainsi que tous nos moyens financiers à la réalisation
de notre objectif:la liberté de la population opprimée de l’Afrique du Sud.»Ils
devaient se faire volontairement arrêter, refuser d’être mis en liberté sous
caution et opter pour des peines de prison.
Le 26 juin 1952,un groupe d’Africains pénétra dans la gare de chemin de
fer de New Brighton Township par l’entrée ((réservée aux Blancs)). Les
membres de ce groupe furent arrêtés et condamnés à des peines de 15 à 30 jours
de prison.La campagne de désobéissance aux lois injustes avait commencé.
A u Transvaal, Nana Sita entra sans autorisation, en compagnie d’un
groupe de 42 Africains et de 10 Indiens,dans une réserve. A Johannesburg,un
meeting de 1’ANCprit fin à 1 1 heures du soir sans que ses participants fussent
munis des permis ((spéciaux)) autorisant les Africains à être en ville à cette
heure;il y eut 106 arrestations.
Les personnalités qui venaient d’être frappées d’interdictionen vertu de la
loi sur la répression du communisme ne cessèrent pas pour autant de prendre la
parole aux meetings. Moses Kotane fut condamné à 4 mois de prison en
juillet I952 et Njongwe,Matji ainsi que M”’“ Matomela et d’autres dirigeants de
la résistance africaine dans la partie orientale de la province du Cap furent
condamnés en septembre 1952, en application de la même loi, à 9 mois de
travaux forcés, avec sursis de 3 ans. Moroka, Sisulu, Mandela, Dadoo, les
Cachalias, Marks, Bopape et plusieurs autres furent accusés d’avoir enfreint
l’interdictiondont ils étaient frappés.Lors de l’audience préliminaire,la salle du
tribunal était pleine d’une foule de gens qui chantaient les chansons que la
campagne de désobéissance avait rendues populaires. L’affaire fut ajournée et
cette nouvelle incita des centaines d’autres personnes à défierles lois.
En juillet,août et septembre 1952, il y eut respectivement 1500,2000 et
2358 arrestations ou incarcérations. Le nombre des adhérents de 1’ANCaug-
menta à mesure que de nouvelles recrues se joignaient,dans toute l’Afriquedu
Sud,à la campagne de désobéissance.
O n crut apparemment qu’une répression violente empêcherait cette cam-
pagne de prendre de l’ampleur.Le 18 octobre 1952, à New Brighton,la police
tira sur 2 Africains qu’elle accusait d’avoir volé un pot de peinture. Après que
21 coups de feu eurent été tirés, une foule déchaînée attaqua le poste de police:
7 Africains et 4 Blancs furent tués. et il y eut 27 blessés. La section locale de
1’ANClança un ordre de grève d’unejournée qui fut suivi à 50%, et des milliers
de travailleurs africains furent licenciés par la direction des chemins de fer et par
la municipalité.
Deux semaines plus tard,à East London,la police chargea sur une réunion
de prières qui avait été interdite et elle ouvrit le feu, blessant plusieurs per-
sonnes. Le 8 novembre 1952, 14 Africains furent tués par balle et 35 autres
furent blessés au cours d’émeutes à Kimberley.Aucune enquête officielle n’eut
lieu sur ces deux affaires,ni sur aucune des émeutes du même genre qui se
produisirent dans le Rand.
De l’opposition à la résistance 103

En octobre.2254 volontaires furent emprisonnés et c’est en décembre qu’un


groupe de Blancs. conduit par Patrick Duncan. qui marchait en s’appuyant sur
des béquilles,pénétra pour la première fois dans la cité africaine de Germinston.
I1 y eut 38 arrestations.Lilian Ngoyi. membre de la section féminine de I’ANC,
entra dans la partie du bureau de poste de Johannesburg réservée aux Européens
pour adresser de I3 un télégramme de protestation au ministre de la justice.
Le gouvcrnernent promulgua une nouvelle législation interdisant de suivre
les mots d’ordre des campagnes de désobéissance aux lois et prévoyant des
peines pouvant aller j~i~q~i’à 300 livres ou 3 aiis dc prisoii. assorties de 10 coups
d e fouet.
A u début de décembre 1953. il y cut 300 nouvelles incarcérations. Moroka,
Sisulu. Mandela et d’autres passCrcnt en jugcmciit et ne firent citer aucun
tknioin pour leur défense. Le juge Ruinpff. en coridamiiaiit l’ensemble des
30 inculpés ii 9 mois de travaux forcés. avec sursis d c 3 ans, souligna que les
faits ci1 cause <<n’avaieiitrien ii voir avec IC coinniunisnie tel qu’on le conqnit
gSni“;ilcment)) et i-econnut que les inculpés << s’étaieiit donné pour règle de
coriseillcr it (leurs)partisans de recourir it des moyens pacifiques et d’kvitcr tout
genre et toute foi-mc de iiolencc...». Le gouvernement continua ii prendre des
mesures d’interdiction: c’est ainsi que 53 dii-igenrits de la campagie furent
interdits et que Mandela fut consigné 3 Johannesburg,et Bopape 3 Brakpan.
Malgrt: les arrestations, Ics interdictions. les eniprisoiineineiits et les fusil-
lactes. la résistance continua :I s’iiniplificr ct des inuiifestiitions ainsi que des
campagnes furent coiistaininciit organisCes 3 mesure que la politique d’apar-
theid Ctait etendue i tous les aspects clc I’existencc. PILIS dc X500 personnes
amierit Ctk emprisonn~es.mais la conliaiice et la tierté avaient Ciiorinheiit
grandi au sein dcs communautés indienne et africaine. D e s milliers de persoiincs
s’ktaient trouvées mêlées ii cette affaire et les dirigeants de I’ANC étaient 3 la
pointe du mouvement.
Quelques synpathisants blancs avaient igaleincrit pris parti et c’est au
cours d’uneconférence organisée ii la lin de 1953 par Oli\,erTainbo pour I’ANC
et par Yusuf Cachalia pour le Congrès indien que furent créés le Parti libéral et
le White Congress of Dcmocrats (Congrès blanc des démocrates). L’Africati
Peoples Organisation (Organisation des peuples africains), dont les adhérents
étaient pour la plupart des Métis. fut transformée et prit le n o m de South
African Coloured Peoples Congress (Congrisdes Metis sud-africains).
I1 y eut en février 1955 un mouvement de protestation contre les diplace-
ments de population 1i Sophiatouii. La loi de I953 sur l’éducation bantoue
provoqua une grève scolaire:les parents n’eiivoykreiit pas leurs enfants en classe
en signe de protestation. En octobre 1955, les femmes comnicncSrciit 3 manifes-
ter contre les lois sur les laissez-passer;leur mouvement dura plusieurs années et
fut également dirigé contre les descentes de police dans les logements des cités
ainsi que contre le travail forci et non rimuneré dans les campagnes.

L e Congrès du peuple
En m ê m e temps que des campagnes étaient organisées sur des problPmes parti-
culiers. un appel général i l’action fut lancé. au milieu des années cinquante, 3
tous ceux qui s’opposaientA la politique et aux pratiques d’apartheid.
Afrique du Sud 104

Prenant la parole au cours d’unmeeting organisé au Cap au début de 1953,


le professeur Z. K.Matthews proposa de convoquer ((une convention nationale
où serait représentée toute la population du pays,sans distinction de race ni de
couleur)), afin «de rédiger une charte de la liberté pour l’Afrique du Sud
démocratique de demainD. Cette proposition fut retenue par I’ANC en
décembre 1953 et un Congrès du peuple fut convoqué pour les 25 et
26juin 1955.
Conjointement avec le Congrès indien,avec le Congrès (blanc) des démo-
crates,avec le Congrès des Métis et avec le Congrès des syndicats,qui était une
organisation multiraciale, I’ANCadressa des invitations à divers partis et orga-
nisations (y compris au Parti uni et à l’opposition parlementaire anglophone
dont la tendance générale était favorable à l’apartheid).
Des circulaires furent adressées,plusieurs mois à l’avance,aux villes, aux
villages, aux kraals et aux réserves de tout le pays. O n y lisait ceci: «Si vous
pouviez faire les lois... que feriez-vous?Comment vous y prendriez-vous pour
faire de l’Afriquedu Sud un pays heureux pour tous ceux qui y vivent?))
Le 25 juin 1955,quelque 3000 délégués (2000 Africains, plus 200 à 300 re-
présentants de chacune des communautés, indienne, métisse et blanche) se
réunirent pour participer au Congrès du peuple sur un petit terrain situé à
Kliptown,village proche de Johannesburg.Des délégués portaient des bande-
roles sur lesquelles on pouvait lire des slogans tels que «La liberté de notre
vivant)), ou «Vive le combat)). Tandis que la police spéciale observait la scène,
l’assistanceécouta la lecture,en anglais,en sesotho et en xhosa,de la Charte de la
liberté qui avait été rédigée par le Conseil national d’action.La foule manifes-
tait son approbation de chaque article de la charte en scandant avec force
((Afrika! Maybibuye!)) Le congrès reçut des messages de tous les coins du
monde, ainsi que des dirigeants de l’Alliancedu congrès qui, pour la plupart,
n’avaient pas pu venir en raison des mesures d’interdiction dont ils faisaient
l’objet.
La charte fut adoptée.Elle proclamait:
Nous,peuple de l’Afriquedu Sud,portons à la connaissance de notre pays et du monde la
déclaration suivante: l’Afrique du Sud appartient à tous ceux qui y vivent. qu’ils soient
noirs ou blancs, et aucun gouvernement ne peut à juste titre prétendre y exercer son
autorité s’il ne se fonde pas sur la volonté du peuple tout entier.
Elle stipulait que :
C’estle peuple qui gouvernera.
Tous les groupes nationaux auront des droits égaux.
Le peuple aura sa part des richesses du pays.
La terre sera partagée entre ceux qui la travaillent.
Tousles citoyens seront égaux devant la loi.
Les droits de l’hommeseront égaux pour tous.
Le travail et la sécurité seront assurés.
L’accèsà l’instruction et ii la culture sera libre.
Le logement,la sécurité et le confort seront assurés.
La paix et l’amitiérégneront.
A u cours de l’après-mididu dimanche 26 juin 1955 arrivèrent des forces de
police en armes qui relevèrent les noms et adresses de tous les délégués et
saisirent tous les documents et dossiers.
Carnaval des Métis au Cap.
Afrique du Sud 106

A u cours du mois de septembre suivant,des descentes de police eurent lieu


simultanément à l’aubedans 400 domiciles répartis sur tout l’ensembledu pays,
et d’autres documents et dossiers furent saisis. Le 5 décembre 1956 à l’aube,
1 56 arrestations furent opérées. Parmi les personnes arrêtées figuraient les
dirigeants du mouvement et beaucoup de ses principaux partisans, Noirs et
Blancs, Africains,Indiens et Métis. Ils furent accusés d’avoir comploté pour
renverser l’État sud-africainpar la violence. Le pittoresque de l’affaire est que
ces dirigeants eurent la possibilité de s’entretenirà l’intérieurde la prison, alors
qu’à l’extérieurils ne pouvaient le faire en raison des mesures d’interdiction.

L e «procès en trahison))

L’instruction du procès en trahison -car c’est ainsi qu’onl’appela-dura près


d’un an. Le premier jour du procès,le 10 décembre 1956,la foule se rassembla
dès 5 heures du matin et accueillit par des chants l’arrivéedes fourgons amenant
les prisonniers. Elle était encore plus dense le second jour. De l’intérieur de la
salle du tribunal,on entendit des coups de feu;la police avait chargé à coups de
matraque,et 22 blessés furent hospitalisés.
Le procès porta essentiellement sur la politique suivie par I’ANCentre 1952
et 1956.La Charte de la liberté constituait la principale pièce à conviction de
l’accusation; celle-ciprésenta aussi d’autresdocuments qui avaient été saisis lors
du Congrès du peuple ou au cours des descentes de police -un millier environ
-qui avaient eu lieu entre-temps.La défense combattit la thèse selon laquelle
la charte était un instrument de trahison et soutint qu’il s’agissaitnon du procès
de 156 individus, mais de celui «des idées que ces hommes et des milliers
d’autreshabitants de notre pays ont ouvertement embrassées et exprimées». I1
s’avéra que le principal témoin de l’accusation,que la police avait présenté
comme étant avocat, n’avait en fait aucune qualification juridique et avait été
condamné par quatre fois à des peines de prison pour faux et usage de faux.
Avant que le procès sur le fond ne s’ouvrît le 1 1 août à Johannesburg,les
plaintes déposées contre Luthuli, Tambo et 59 autres prévenus avaient été
retirées et ce sont 91 personnes qui furent jugées sous le chef d’inculpation de
haute trahison,assorti d’autres infractions à la loi sur la répression du commu-
nisme.
Le procès traîna en longueur jusqu’au 29 mars 1961. Les inculpations qui
avaient été retenues contre 61 prévenus furent annulées en mars 1959. Quant
aux 30 derniers accusés,ils furent finalementdéclarés non coupables et relâchés,
plus de quatre ans après avoir été arrêtés.
Entre-temps,la lutte contre l’apartheid s’était poursuivie. A u milieu de
1957,Luthuli avait lancé du D rill Hall de Johannesburg,où avait lieu le procès,
un ordre de grève pour le 26 juin,en signe de protestation contre l’apartheid et
pour soutenir la revendication d’un salaire minimal de 1 livre sterling par jour
qui avait été présentée par I’ANCet le Congrès des syndicats. Des manifesta-
tions symboliques eurent lieu dans toute l’Afrique du Sud. La grève fut particu-
lièrement bien suivie dans la région de Port Elizabeth et, dans le Rand, elle fut
observée par 80% des travailleurs. Dans la cité d’Alexandria, une nouvelle
De l'opposition à la résistance 107

hausse des tarifs de transport provoqua un troisième boycottage des autobus :


les gens tirent A pied le trajet aller et retour entre leur domicile et leur lieu de
travail pendant quatre mois avant que le conflit pût être résolu.

Sharpeville

21.3.60 MASSACRE D'AFRICAINS À SHARPEVILLE. PLUS D E CINQLIANTE


INDIGÈNES O N T TROIWÉ LA M O R T LORSQUE LA POLICE A OlJVERT LE FEU
A U COIJRS D E LA CAMPAGNE DES INDIGÈNES CONTRE LA LÉGISLATION
QUI LES OBLIGE À ÊTRE EN POSSESSION DE LAISSEZ-PASSER. À SHARPE-
VILLE, À IJNE CINQUANTAINE D E KILOMÈTRES D E JOHANNESBLIRG. LA
DESCENTE EN PIQUÉ D'AVIONS À RÉACTION SUR LES INDIGÈNES,DESTI-
NÉE À LES EFFR.4YER. N'A EU POUR EFFET Q U E D'AIJGMENTER LEUR
COLÈRE.L'ATTITUDE DES ALITORITÉSQUI O N T FAIT OUVRIR LE FEU SUR
LES AFRICAINS A PROVOQUÉ D E VIVES PROTESTATIONS DANS LE M O N D E
ENTIER [Signé:Keystone].
Le 31 mars 1960. le inonde apprenait par les agences de presse le massacre de
Sharpeville. Une foule de 5000 B 10000 personnes s'était rassemblée autour d u
poste de police de la cité africaine de Sharpeville. Certains manifestants étaient
tenus pour protester contre Ics lois sur les laissez-passer et d'autres s'étaient
rendus au pcxtc de police en pensant qu'un communiqué alliiit y être publié. I1
n'y avait au début que 12 policiers dans ce poste, dont 6 Blancs et 6 Noirs.
Mais. un peu plus tard dans la matink. 300 homines en uniforme et en armes y
arrivèrent accompagnés de 5 véhicules blindés d u type ((Saracen)). Le lieute-
nant-colonel Pienaar ordonna i ses hommes de former les rangs, puis de
((charger cinq cartouches)). 11 affirma n'avoir donné aucun autre ordre, mais on
lit dans le rapport que l'évêque Ambrose Reeves a rédigé pour le Groupe de
l'apartheid des Nations Unies que:
(<Sil'on ne sait pas trop comment les événements se sont déroulés au cours
de ces minutes décisives. il est indiscutable que l'action de la police eut des
conséquences désastreuses... il y eut 69 morts. dont 8 femmes et 10 enfants, et
parmi les I80 blessés se trouvaient 31 femmes et 19 enfants. D'après les constri-
tations des médecins. il ne fait pas d e doute que la police a continu2 it tirer après
quc les gens eurent commencé ii s'enfuir: car. si 30 impacts de balles venant de
face furent relevés sur des morts et cles blessés. on ne compta pas moins de
155 impacts de balles ayant frappé dc dos des victimes. Le tout s'était déroulé
en 40 secondes,pendiiiit lesquelles 705 balles de rcvolver et de mitraillette furent
tirées.))
Cette affaire provoqua de noutelles protestations de niasse. A Evaton, une
foule de 30000 personnes fut dispersée par les descentes en piqué. ii faible
altitude. d'avions ii réaction ((Sabre)) et d'appareils ((Harvard ))et. ii Langa. un
autre rassemblement de 10000 personnes fut s o m m é par un officier dc police de
se disperser en 3 minutes. Peu de manifestants avaient entendu cet ordre lorsque
60 policiers chargèrent sur la foule i coups de matraque; les manifestants
ripostérent par des jets de pierre; les policiers reçurent alors l'ordre d'ouvrir le
feu et 3 Africains furent tu il y eut 49 blessés.
Afrique du Sud 108

Les funérailles des manifestants tués réunirent des foules nombreuses et le


chef Luthuli ordonna, en signe de deuil, une grève d’un jour qui fut observée
dans tout le pays. Mais le mécontentement devait de nouveau se manifester peu
aprés par des émeutes à Johannesburg et à Worcester, dans la province du Cap.
Dans la ville du Cap, toute la population des cités africaines fit une gréve qui
dura près de trois semaines. L’état d’urgence fut décrété le 30 mars et des
milliers de personnes furent arrêtées.Environ 2000 dirigeants du Mouvement du
Congrès restèrent jusqu’à cinq mois en prison; 20000 autres personnes furent
arrêtées en vertu d’un autre article de la réglementation relative à l’état
d’urgenceet des milliers d’entre elles furent emprisonnées ou envoyées dans des
camps de travail après avoir été jugées à huit clos.
Depuis quelques années, la résistance s’était durcie. Le Pan-Africanist
Congress (PAC)s’étaitconstitué en mars 1959 à la suite d’une scission au sein
de I’ANCet il avait élu comme président Robert Mangaliso Sobukwe,maître de
conférences de zoulou à l’université du Witwatersrand. Celui-ci déclara que
l’objectifdu PAC était le gouvernement «des Africains, par les Africains, pour
les Africains, étant considéré comme Africain quiconque n’avait de devoir de
fidélité qu’enversl’Afrique et était prêt à accepter la règle démocratique de la
majorité africaine)). Dans une interview ultérieure (Contact du 30 mai 1959),
Sobukwe devait déclarer :((Nous reconnaissons qu’il existe parmi les Européens
des intellectuels convertis i la cause africaine, mais comme ils bénéficient
matériellement du régime actuel, ils ne peuvent s’identifier totalement à notre
cause.>) Quant aux dirigeants de la communauté indienne,ils étaient issus,selon
lui,de la classe des commerçants et ((marqués par une tendance à l’arrogance
nationale et à la domination culturelle)). I1 voulait que les ((coolies)) se débar-
rassent de ces dirigeants opportunistes et qu’ils s’en donnent d’autres,issus de
leurs rangs.
Lors de sa conférence annuelle,en décembre 1959,I’ANCdécida de faire
du 31 mars 1960 une grande journée d’action contre les lois sur les laissez-
passer. A u nom du PAC,Sobukwe annonça qu’une campagne pour l’abolition
de ces lois commencerait le 21 mars.I1 demanda à la population de sortir sans
laissez-passeret de se livrer à la police au poste le plus proche. Il déclara que
cette manifestation était le premier pas d’une marche qui aboutirait à l’indépen-
dance en 1963.I1 invita I’ANCà y participer.Mais l’ANC, dont les préparatifs
pour une journée d’action contre les laissez-passer,dix jours plus tard, étaient
déjà avancés, lui répondit qu’il n’était pas disposé à soutenir des ((actions
spectaculaires dont le succés n’était pas assuré)).

L’opposition passe dans la clandestinité


Les décisions que le gouvernement prit à la suite de la fusillade de Sharpeville
contraignirent les mouvements d’opposition à réviser leur tactique.
Le 6 avril 1960,I’ANCet le PAC furent déclarés ((organisations illégales)).
La loi sur la répression du communisme prévoyait que la poursuite des activités
d’une organisation illégale pouvait être punie d’une peine de prison allant
jusqu’àdix ans. Le 25 août, le Rand Dai- Mail annonça que les dirigeants de
I’ANCet du PAC s’étaient((volatilisés)). Mais le 31 août intervint la libération
des personnes arrêtées après l’affairede Sharpeville en vertu de la réglementa-
De l'opposition à la résistance 1 U9

tion sur l'état d'urgence et, en moins de deux semaines, un comité chargé des
affaires courantes de I'ANC avait constitué des cellules en vue de poursuivre
l'action dans la clandestinité. 11 ne fallut pas plus de dix jours pour que le sigle
((UHLJRU >) (le slogan de la liberté de l'Afrique orientale) tlt son apparition sur
les murs de tout le pays et que des tracts contre les lois sur les laissez-passer
fussent distribués.
L a ciernit:rcdécision prise par I'ANC alors qu'il était encore dans la légalité
avait été de coni'oquer une convention nationale qui devait jeter les bases d'une
nouvelle Union sud-africaine.Cette décision fut relancée par Mandela lorsqu'il
prit 13 parole i la confkrence ((Allin Africa)) (Tousen Afrique) de Pietermaritr-
burg. en mars 1961 .
Cette idée d e convention nationale fut reprise par un groupe multirncial
représentant les milieux lihtraux. religieux et uniiwsitaires. Le gouvernement
riposta en mobilisant la police, 1':irmée. les commandos et la gaide cit,ilect en
mettant les vkhicules blindés ((Saracen)) en état d'alerte. Les Blancs furent
assermentés par des officier:, de police spéciaux, les armiiriers \widirent tous
leurs stocks a u x Blancs et des milliers d'Africains furent arrEtCs. Mais Mandela
était passé dans la clandestinité et il kchappa li l'arrestation. 11 poursuivit son
tra\,ail en organisant la résistance. en parcourant le pays et en lanqant des
agpcls en faveur de la convention. I1 ècrivit au premier ministre. H.Verwoerd.
ainsi qu'il sir de Villiers GraaI'f. qui dirigeait le Parti uni. I1 n'obtint d'cux
aucune réponse. Le 19 inai 1961. tout rassenibleinerit fut interdit jusqu'au
36 juin et. la \.cille d u 70 inai, les grthistes furent a\w-tisqu'ils perdraient leur
cinploi et scraient expulsés et quc la police se rendrait dans les citCs pour
contraindre les habitants i aller au trakxil.AU cours de la nuit, des hélicopt2res
survolèrent les cités i basse altitude. en illuminant les maisons avec des projec-
teurs.
Et pourtant, le lundi 39 niai 1961. des centaines de milliers d'Africains
répondirent i l'appel de leurs dirigeants. Les membres des communautés
indienne et métisse restèrent également chez eux. A Port Elizabeth. la grCve fut
observée par 75'50 des travailleurs. Beaucoup d'écoles firent grève. Mais le
gouvernement avait fait une démonstration trop impressionnante de sa puis-
sance et Mandela suspendit la grève le deuxième jour.
Si les manifestations pacifiques devaient se heurter 3 une telle force de
répression. il était vain d'avoir encore recours aux méthodes pacifiques et ce~

fut la lin de la non-violence.En juin 1961. un certain nombre d e dirigeants


africains se rkunireiit avec des Blancs et des Indicns pour décider de la hçon
dont on riposterait B la violence; ils Ctaient partisans de saboter certaines
installations sans toutefois nuire a u x personnes. C'est ainsi que naquit le
mouvement Umkonto w e Sizwe (Le fer de lance de la nation).
L e Jour de Djigaans (16décembre 1961),dix bombes explosèrent dans des
installations électriques et des bureaux municipaux de Port Elizabeth et de
Johannesburg. L'Umkonto ive Sizwe distribua des tracts où on lisait: ((Nous
sommes un nouvel organisme indépendant constitué par des Africains. Nous
comptons dans nos rangs des Sud-Africains de toutes les races... Uiiikonto we
Sizwe poursuivra la lutte pour la liberté et la démocratie par de nouvelles
méthodes qui sont nécessaires pour compléter l'action des mouvements de
libération nationale existants.))
Afrique du Sud 110

Mandela quitta clandestinement le pays pour assister ii la conférence du


Pan African Freedom Movement (Mouvement pan-africain pour la liberté)
d’Addis-Abéba,en 1962. et pour avoir des entretiens avec des chefs d’État
africains. I1 fut arrêté en août de la même année et condamné à cinq ans
d’emprisonnementpour avoir incité les ouvriers à la grève en mai 1961 et avoir
quitté le territoire sans autorisation.
A son procès, il prononça, du box des accusés,un discours dans lequel il
réaffirma sa foi dans le combat de son peuple, ainsi que la nécessité d’avoir
recours ii l’action violente; il conclut par ces mots: «Lorsque j’aurai purgé m a
peine, m a conscience me dictera toujours de résister contre la discrimination
raciale.>) Beaucoup de personnes furent obligées de s’exiler,mais la lutte clan-
destine continua.

Rivonia
Le 1 1 juillet 1963,une force d’intervention de la police spéciale cerna la ferme
de Lilliesleaf -un vaste domaine situé à Rivonia, dans la grande banlieue de
Johannesburg.U n prisonnier avait parlé au cours d’un interrogatoire de police
et décrit la cachette utilisée par Walter Sisulu et d’autres membres du réseau
politique clandestin.Après plusieurs mois de recherches,la police avait trouvé
la piste. Walter Sisulu, Govan Mbeki et d’autres (dont certains se cachaient
sous une fausse identité) furent arrêtés et 250 documents furent saisis, dont
beaucoup traitaient de la fabrication d’explosifs; il y avait aussi parmi ces
documents une note,i l’étatde projet,intitulée Opération Mayibuye)).
U n mois plus tard, le 12 août 1963, quatre des hommes qui avaient été
arrêtés s’échappérent de prison : deux Blancs, Arthur Goldreich et Harold
Wolpe, quittèrent l’Afrique du Sud, les deux autres étant Mosie Moolla et
Abdullah Jassat,qui passèrent discrètement au Botswana, d’où ils se rendirent
un peu plus tard i Dar es Salaam.
Mandela fut ramené de Robben Island pour comparaître en justice avec les
huit autres inculpés,après qu’ils eurent passé 88 jours en cellule pendant que
l’Étatprocédait ii l’instructionde leur affaire.
La première ordonnance de renvoi,qui portait sur 222 actes de sabotage
attribués a 1’Umkontowe Sizwe,fut annulée à la demande de la défense,qui était
dirigée par Abram Fisher, Q.C.L’ordonnance de renvoi qui fut finalement
retenue accusait les prévenus d’avoirrecruté des hommes pour les entraîner en
vue de provoquer une révolution violente et d’avoir commis 154 actes de
sabotage.
L’opinion internationale s’intéressa ii ce procès de Rivonia (c’est ainsi
qu’on devait l’appeler) parce qu’il révélait pour la première fois l’étendue et
l’importancede l’abandon de la non-violencepour une autre forme d’action.
Le discours que Mandela prononça de son box eut un retentissement de
portée historique en Afrique du Sud et ii l’étranger.Mandela retraça l’histoire
de 1’ANCjusqu’ila dernière décision que celui-ciavait prise de passer ii l’action
violente,non sans avoir ((analysé longuementH une situation politique qui. lui
paraissait ((angoissante)).I1 fit observer qu’en juin 1961,«il était indéniable que
nos efforts pour instituer un État non racial par la non-violence n’avaient
École xhosa au Transkei.
Afrique du Sud 112

abouti A rien...))I1 reconnut avoir contribué A la création de 1’Umkonto we


Sizwe et cita cet extrait du Manifeste du mouvement:((L’heure sonne,dans la
vie de toute nation, où il ne reste plus de choix qu’entre la soumission et le
combat.Cette heure a sonné en Afrique du Sud.))L’Umkontowe Sizwe s’était
prononcé pour le recours au sabotage afin d’éviter deS.pertesde vies humaines,
et il s’en était expliqué ainsi dans son Manifeste: ((Nous, membres de
1’Umkontowe Sizwe,avons toujours cherché A obtenir la libération sans effu-
sion de sang et sans guerre civile.Nous espérons,même en cette heure tardive,
que nos premières actions feront prendre à chacun conscience du désastre vers
lequel conduit la politique nationaliste. Nous espérons ramener le gouverne-
ment et ses partisans A la raison avant qu’ilne soit trop tard,afin de permettre
un changement du gouvernement et de sa politique avant que la situation n’en
arrive au stade désespéré de la guerre civile.>)
Après avoir mentionné le risque très réel que les autres accusés et lui
couraient d’être condamnés & mort, Mandela termina son discours par une
nouvelle et énergique profession de foi:
((Pendant toute m a vie, conclut-il,je me suis consacré à la lutte du peuple
africain. J’ai combattu la domination des Blancs et j’ai combattu celle des
Noirs. M o n idéal a été celui d’une société démocratique et libre dans laquelle
tous les individus vivraient ensemble dans l’harmonie et aoraient des chances
égaies.C’est l’idéalpour lequelje veux vivre et que j’espèreréaliser.Mais, s’il le
faut,je suis également prêt à mourir pour cet idéal.))
Après avoir entendu les déclarations et les explications des accusés,le juge
déclara,en rendant son verdict,que le crime dont tous les accusés,A l’exception
d’un seul,lui apparaissaient comme coupables était en essence celui de haute
trahison,mais qu’iln’infligeraitpas la peine de mort. Six Africains, un Blanc et
un Indien furent condamnés li la prison A vie.
Les condamnés commencèrent A purger leur peine - les non-Blancs A la
prison de Robben Island. En tant que prisonniers de la catégorie «D», ils
n’eurentdroit qu’à une lettre et A une visite d’une demi-heurepar semestre et ils
furent astreints aux travaux forcés, bien que leur nourriture fût tout i fait
insuffisante.Aussitôt que le verdict fut connu, une nouvelle série d’explosions
endommagea des bureaux de poste et des pylônes et une attaque fut lancée
contre l’enceintede la prison de Johannesburg.La campagne de sabotage,mise
en sommeil pendant le temps du procès,allait se poursuivre.
Le 19 août 1967,O.R.Tambo,vice-présidentde I’ANC, et J.R.D.Chike-
rema, vice-présidentde la Zimbabwe African People’s Union (ZAPU)annon-
cèrent que leurs deux organisations avaient conclu une alliance militaire. Les
combats dont ils parlèrent devaient marquer l’ouverture de la nouvelle phase
d’actionarmée que I’ANCpréparait depuis 1960.La résistance n’avait pas été
brisée.

L’Affairedes 22
De mai 1969 A décembre 1970 eut lieu le procès marathon de 22 personnes
accusées d’infractionsà la loi sur la rkpression du communisme et A la loi sur le
terrorisme,ainsi que d’autres prévenus,arrêtés en même temps,qui avaient été
De l’opposition à la résistance 113

&tenus et interrog6s par la police d e sécurité. Ce procès a parfois Ct6 appel6


((L’Affaire des 77 D. Parmi les personnes arrêties figurait Winnie Mandela.

l‘it.pouscde Nelson Mandela. Trois ditenus furent libhris et les II> autres furent
acquittes. Mais. en Afrique d u Sud, I’acqiiittcinentne met pas n6cessairement
lin li l’actionjudiciaire.C’estainsi par exemple que Winnie Mandela fut ensuite
placee en i-Csidencestir\.cilll.eii s o n domicile.

L a grève de Port Elizabeth

En mars 1971. des milliers de Metis se rasseniblkrent ii Port Elizabeth pour


manifester contre le fait qu’on iiienayait de leur faire paycr jusqu’ii 30 cents de
plus leur transport en autobus entre ICLII- doniicile et leur lieu de trakail. ii une
dizaine dc kiloni6trcs. Ils avaient aussi d’autres revendications. relati\rs 11 la
penurie et ;tux conditions de logeinciit,et ri leurs salaires. L a policc ouvrit le l’eu
sur la foule et 1 I personnes furent atteintes. Parmi les blesses se trouvait une
femme enceinte qui a\ait rcyu Line ballc d a n s le \entre.
Pour riposter- ailx I1;iLisscs des tarifs, 11i population de Port Eli7abetli
boycotta les autobus et lit it picd chaque jour, pendant trois mois, le trajet aller
et retour entre le cioriiicile et le lieu de trav:iil.

Le procès des «Six de Pretoria»

Le 70 juin 1973. la Cour suprême de Pretoria condanina 4 Sud-Africains et


7 étrangers blancs ii des peines totalisant soixante-dix-septans de prison pour
des infractions i la loi sur le terrorisme.Quatre des accuslis,Theophilus Cholo.
vingt-quatre ans, Gardner Kitchener Sejaka. trente ans, Justus Mpanra. trente-
quatre ans, et Petriis Aaron Mtembii. trente-sept ans, furent condamnis i
quinze ans de prison chacun. tandis qu‘Alexandre Moumbaris. trente-quatreans.
naturalisé australien. se voyait infliger une peine de dou7e ans de prison et
Sean Hosey, vingt-trois ans, citoyen irlandais, une peine de cinq ans.
L’acte d’accusation comprenait au total dix-neuf chefs d’inculpations qui
s’appliquaient it un OLI plusieurs prkvenris.TOLIS ceux-ci. ;i l’exccptinn de Hosey,
etaient accusc‘s d’iii.oircomplot6 entre eiis. ainsi qu’avec I’ANC et 79 autres
personnes noinmCincnt dksign6es. en vue cle proL’oqucr une r6volutioii par la
violence en Afrique d u Sud. Ils étaient accus6s d’avoir d6cid6 d e faire venir
cltindestineinent des armes, des niunitions et des explosifs en Afrique du Sud et
d’avoir cntriiînk des gens O it la guerre et ii la sub\wsioii>) cri Afrique du Sud.
Le deuxième chef cl’iiccusatioii s’appliquait ii Thenpliilus Cholo. Justus
Mpanzu, Pctrus Mtenibu et Gardner Scjaha, poursuivis pour avoir revu une
formation militaire et politique dans d’autres pays africains ainsi qu’en linion
çovietique entre 1967 et iuiii 1973.
Les cliefs d’inculpation II” 3 ri h visaient Alcxandre Mouiiibaris, accus2
d’avoir abritC,caché OLI aidit.des terroristes ou encore pris lui-nicnic part li des
actes de terrorisme. O n lui rcprocliait d’avoir aidi- des gens ii pénétrer en
Afrique d u Sud ii partir d u Sibaziland et d u 13otswana en juin et juillet 1977.
Afrique du Sud 114

Cinq autres accusations avaient été retenues contre Moumbaris, y compris


celles d’avoir diffusé les 26 et 27 juin 1968,A Durban, des brochures publiées
par I’ANC, et d’avoirprocédé A des reconnaissancesau Transkei pour y trouver
des lieux propices A des débarquementsmaritimes.
Cholo, Mpanza, Mzemba et Sejaka étaient accusés d’avoir embarqué en
Somalie A bord d’un yacht A moteur,l’dvvenrmz,avec des armes,des munitions
et des explosifs,dans l’intention de débarquer clandestinement sur la côte du
Transkei (maisdes ennuis mécaniques avaient empêche ce yacht d’atteindre sa
destination),ainsi que d’être entrés clandestinement en Afrique du Sud par la
frontière du Swaziland et d’avoir apporté en Afrique du Sud de faux livrets de
référence et du matériel pour l’établissementde communicationssecrètes.
Gardner Sejaka etait également accusé d’avoir expliqué A des habitants du
Transkei la manière de fabriquer des bombes incendiairesen août 1972.
Sean Hosey Ctait poursuivi pour avoir diffusé des brochures de I’ANCau
Cap en août 1971 et pour avoir tente de fournir A Justus Mpanza et ii Petrus
Mtembu de faux livrets de référence,de fausses quittances d’impôtset 540 rands
en argent liquide.
Theophilus Cholo, Justus Mpanza, Petrus Mtembu et Gardner Sejaka
furent déclarés coupables de tous les faits qui leur étaient reprochés.Moumbaris
fut reconnu coupable sous neuf chefs d’accusation,mais acquitté sous le pre-
mier pour vice de procédure; Sean Hosey fut condamné pour avoir été en
possession de faux laissez-passer,mais acquitté en ce qui concernait la diffusion
de brochures de I’ANC.
Cinquante-troistémoins furent cités par le Ministère public au cours de ce
procès qui dura quatre-vingt-dix-huit jours et dont les débats furent les plus
longs depuis ceux du procès de Rivonia en 1963. Les six accusés présentèrent
eux-mêmesleur défense.U n seul témoin extérieur fut cité par la défense.
Plusieurs des accusés affirmèrent qu’ils avaient été torturés. Theophilus
Cholo déclara qu’il avait été frappé A de nombreuses reprises par des membres
de la police de sécurité et que ces voies de fait lui avaient fait perdre une partie
de son acuité visuelle, lui avaient donné des douleurs dans les oreilles, ainsi
qu’une occlusion nasale qui avait duré trois mois. Les membres de la police de
sécurité lui avaient marché sur les pieds et écrasé les ongles des deux gros
orteils.
L’avocat d’Alexandre Moumbaris affirma que son client avait tenté de se
suiciderA cause des traitements qui lui avaient été infligés.Celui de Sean Hosey
déclara que celui-ci avait été interrogé presque sans interruption pendant
soixante-douzeheures,qu’il avait été frappé coups de pied et menacé d’une
arme à feu,et qu’on lui avait fait fumer un cigare contenant un narcotique.
En quittant la salle d’audience après l’énoncé du verdict, les quatre
condamnés africains saluèrent en levant le poing fermé la foule qui s’était
massée dans les tribunes du public.

Manifestations d’étudiants
C’est au cours de l’été 1972 que se déclencha l’opposition des étudiants contre
l’apartheid en Afrique du Sud même.Les étudiants de l’université africaine de
Turfloop firent un autodafé des carnets que la direction de l’université leur avait
De l’opposition à la rkistance 115

rendus après en avoir retiré le manifeste politique d u inouveinent étudiant noir


SASO (South African Student Organisation) et une déclaration des droits de
l’étudiant. inspirée elle aussi par la SASO, qui avaient ktC; insérés dans ces
carnets. Les étudiants exigkrent la démission d u recteur blanc de l’université.Au
cours d’une ckrkmonie de remise des diplômes qui eut lieu quelque temps plus
tard. Lin dirigeant du mouvement titudiant, Ramobitlii Tiro. proiionya. en
recevant s o n titre ~iniversitaire,un discours qui motiva son expulsion.
Daris ce discours, que le recteur deLxit qualifier de ((scandaleuxD. Tiro
Ci;.LC 1 J ra i t IIo tanim e n t :
I

((11 a Gtt; interdit A 110s parents d’entrer, niais les Blaiics, qui ne peuvent
mCme pas nous applaudir, ont droit LIS premiers rangs. Mon clier peuple.
serons-nous jamais trait& avec justice dans ce pays qui est le pays de nos
anct.tres?
?>Ccrégime cliancelle. Nous autres, dipl0més noirs. soniines appelès 5 des
respoiisabiliti-sxcrucs dans la liberation de notre peuple. A quoi n o u s servira
notre instruction si nous ne poubuis aider notre pcuple au monieiit où il en a
besoin?
>)I1 y :Iune chose que IC ministre tie pcut pits faire. c’est de baiiiiii- les idées
de l’esprit des lioinines. LJrijour cienclra où nous strotis tous libres de respirer
l‘air de la liberte.>>

Lorsqu’ils apprirent qu’un de leurs dirigeants avait bté expulsé. tous Ics ktu-
cliilnts dticidèrent d’occuper leur collège dans le calme. La police y péiiitra et en
exp~ilsales 1 146étudiants qui l’occupaient.
La riposte iie se fit pas attendre.Les etudiants métis de la partie occidentale
de la province du Cap se mirent en grkve par solidaritk avec ceus de Turfloop.
1.e Conseil des étudiants de I’LJniversiteindienne de Durban-Wcstville déinis-
sionna lorxqu‘il lui fut interdit d’adhérer ;I la SASO et manifesta également sa
solidarité avec les etudiants de Turfloop. L’Union des ktuciiants africaiiis de
Fort Hare lança L i n ordre de grève générale A tous les ktudiaiits noirs d’Afrique
dLi Sud.
Stur (17 inai 1973) décrivit ainsi les manifestatioris d e
Le Jol2triiir<,.shrrr.‘~
solidarit6 dcs Ctudiants nietis:
La grcvc gCnérale des cours suikit. par la grande inxsc des Ctutiiarits de 1’l;iiiversitCdu C a p
«ccideiital pour protester contre l’expulhion de I’eiisemble des étudiants d e l’université du
Nord (Turfloop) a presque parallsé I’üiii\,ersitédes Mitis. Ce iiiouvcnient Faisait suite li
uiie décision adoptcc au cours d’un grand rassemblenient des ctudianls. qui ont voté ii
l’unanimité une motion appelant LI boycottage des cours. Plus des deux tiers des Ctudiants
ii‘ont pas assist6 aux cours.
D’autrepart. on pouvait lire dans le R~IIILI
Dui/>.
Mc/i/
(16 inai 1973):
LES PARTK’iS Soi IDAIRES DES ~ ~ I L I I X A NPlus deux miiie hiibitants dc Sourto ont réciam6
T S . de
hier la rcintcgratioii inconditionnelle de l’ensenible des 1 146 ctiidiaiits expulses de 1‘Univcr-
sitC d u Nord. Ils ont Cgalenieiit deniaiidi.q u e M.Abraliaiii Tiro. uii ctiitiiarit qui avait kt6
expulst; de cette universite pour avoir critique I’cducatioii bantoue. soit rcititcgrc avec les
Afrique du Sud 116

autres.Des étudiants et des parents ont vivement critiqué tous les aspects de I‘administra-
tion des universités noires et de l’apartheid.
L’UNIVERSITÉ INDIENNES’ASSOCIE AU BOYCOTTAGE. Durban. Tandis que des inspecteurs de la
police de sécurité écoutaient aux fenêtres de Vedic Hall de Durban, plus d’un millier
d’étudiants indiens de l’université de Durban-Westville ont décidé hier de n’assister à
aucun cours.Cette grève doit commencer aujourd’huiet durer jusqu’à ce que les revendica-
tions des étudiants noirs soient satisfaites dans toute l’Afriquedu Sud.
Les orateurs qui ont pris la parole à ce rassemblement ont été ovationnés quand ils
ont dénoncé l’autoritarismedu système éducatif organisé pour les Noirs.
«Ce n’est pas en tant qu’Indiens.mais en tant que Noirs,que nous votons. 11 nous
faut être solidaires pour éliminer le système répugnant qui nous opprime)). a déclaré un
étudiant dont l’interventionreflétait.par son ton,celles des dix autres orateurs.
Ce rassemblement d’hier était la dernière en date des manifestations traduisant
l’agitation qui ne cesse de croître parmi les etudiants noirs depuis que leurs camarades ont
étt? expulses en bloc de l’universitédu Nord,à Turfloop.
Les étudiants de Fort Hare sont déjà en grève depuis une semaine et une grève
générale doit commencer le 1 “ juin à l’Écolenormale de Springfield à Durban.
Quant aux étudiants africains de l’universitédu Zoulouland, ils doivent se réunir
mercredi pour examiner la situation
GRÈVE. D’ici à jeudi, la plupart des 10000 étudiants noirs des universités et collèges
d’Afrique du Sud pourraient s’associerà une grève nationale contre la situation dans les
universités.

La semaine suivante, les étudiants blancs manifestèrent leur solidarité et la


riposte de la police fit les gros titres de la presse mondiale (Times de Londres,
3 juin 1972):

LA POLICE MATRAQUE LES ÉTL‘DIANTS BLANCS. Johannesburg. Des policiers armés de


matraques en caoutchouc ont chargé aujourd’hui sur une centaine d’étudiants blancs qui
manifestaient dans le calme contre l’apartheid sur le parvis de la cathédrale Saint-George,
au Cap.
Ils expulsèrent,en les traînant parfois par les cheveux,les étudiants qui cherchaient à
se réfugier à l’intérieur de la cathédrale.

Les étudiants de l’université du Cap occidental (qui est un établissement pour


Métis) protestèrent vigoureusement en octobre 1972 lorsque le ministre des
affaires métisses intégra à la législation la réglementation à laquelle ils étaient
soumis,donnant ainsi force de loi à un règlement de discipline intérieure.
Ce règlement se composait de 73 articles au total et stipulait notamment
que :
Toute personne demandant à être admise comme étudiant doit présenter, en
même temps que sa demande, des certificats de bonne conduite que le
Conseil consultatifestime valables.
Les étudiants doivent être correctement et convenablement vêtus pour assister
aux cours, pour se rendre dans les bâtiments de l’administration et à la
bibliothèque,ainsi que pour faire du sport ou apparaitre en public.
I1 est interdit aux étudiants d’avoirun comportement qui vise à porter atteinte à
l’enseignement et à la discipline dans tous les services, cours, salles de
classe et examens de l’université,et à la discipline en général.
De l‘opposition i la résistance 117

Seules peuvent se constituer dans I’uiiiversiti les organisations d’etudiants


approuvees p:tr le conseil.
Les organisations autnrisccs d’ctudiantspeuvent, en se conformant ii leur statut.
tenir des reunions d’ctudiantsinscrits li I’universitc.Aucun autre rassemble-
ment n’aura lieu sur le campus d e l’univcrsitt.sans l’autorisation d u recteur.
Les publications pcrindiqucs et autres d’ctudiants et toutes brochures ne
peuvent etre diffusl;essans l’autorisation d u recLeur: il est kgalenient n k s -
saire d’avoir l’autorisation citi recteur pour apposer des a\is ou cies aftiches.
Les ctudiants et les organisations d’etucii:ints ne doivent ni publier de cikclara-
tion dans la presse, ni accorder J’intervien.s iiicttant en cause les organes et
les pcrsonncs charges de la direction d e l’uiiiversitl;OLI risquant de porter
alteinte au renoni de I‘universitc.
Les ctudiants rL;agircrit. ;ILI debut <ILI mois de -iuiii 1073. en organisant une
inatiifesiution pour reclamer la demission d u recteur et en occupant des salles de
cours. L.e recteur, C.H.Kriel. ferma aussitôt l‘universitt;roui- un mois et tit
savoir que les etudiants clesireus de re\,enirii I’tiiiiversitt;devraient remplir une
formule de readmission. prenant pni-Iii I‘engayemeni de se soumeitre {Itous les
rbglements de l’tiiiiversitti.Les t‘tudiantsprisentPrent une liste de huit revendicii-
Lions. demandant que le rkgleniciit et In discipline soient moins contraignants,
q~iele personnel les traite niieuu et qu‘on leur espliq~iepourquoi quatre de leurs
caniariides avaient etc espulses au cours d e I‘aiiril;cLiriiiwsitaire. Ils rcclainèrerit
d’autre part uric rciiclniissiori sans conditinri et henticoup d’entre eux s’ciiga-
gkreiit Ci ne pas signer ni renvoyer la formule de readmission.
L’Association d u personnel noir se declar:~ solidaire des etucliants en hi-
sant valoir que cette universite. qui :i\.ait ctc foiidce Li l’iiitention esclusive des
ciutliants nictis. etait toL1.joLu-s gcrée par des Hlancs treize ans a p r k son iriaugu-
ration.
Les etudiants rcintegrerent I’universite le 75 juillet 1973, en l’attente de
l’ouverture d’uneenquête: mais l’agitation reprit le lendemain lorsque beaucoup
d’entre eus se remirent en grPve pour protester contre la suspension de treize de
leurs dirigeants.

Nouvelle vague de grèves


Au cours des derniers inois de I973 et des tout premiers mois de 1973. l’Afrique
du Sud connut une grande vague de grèves des ouvriers africains. C e mouve-
ment de masse - le nombre des grkt.istes atteignit 30000 par jour i la mi-
t’&-icr ~~ fut IC plus important. le plus combatif et le plus spectaculaire de ceux
q ui avaient eu lieu depuis les arrèts de travail de mai 1961 .
D’après la presse (dontles articles furent souvent très succincts) 200 000 ii
350000 travailleurs participèrent aux grèves entre octobre 1973 et avril 1973.
Pendant le trimestrejanvier-mars 1973,les journaux n e signalthent pas moins de
I59 grèves et dkbrayages,dont la durie varia cntrc dis minutes et sept jours.
Beaucoup de ces grkves aboutirent ii des augmentations irnmkdiates des
salaires,mais dans d’autres cas les grevistes furent licenciés. ktant donné que les
mouvements de ce genre sont illtigaux en Afrique d u Sud. Environ la moitié des
grèves eurent lieu ii Durban et dans les zones industrielles adjacentes. mais tous
Afrique du Sud 118

les grands centres industriels furent touchés par le mouvement -Johannesburg


et Le Reef, Le Cap, East London, Port Elizabeth et Pretoria. Des arrêts de
travail se produisirent dans presque tous les secteurs (et plus particulièrement
dans les textiles,où il y eut 20 grèves,et dans la sidérurgie et les constructions
mécaniques, où il y en eut 22); les services municipaux, les transports, la
construction et les circuits de distribution furent également touchés, par
exemple A Durban où 16O00 Noirs employés par les services municipaux ces-
sèrent le travail.
Seuls les secteurs de l’industrie minière et de l’agriculturefurent épargnés
-ce qui s’expliqueassez facilement : ces deux secteurs emploient surtout une
main-d’ceuvrenon qualifiée, étrangère i l’Afrique du Sud et migrante. I1 est
difficile d’y organiser des syndicats ouvriers parce que les travailleurs sont logés
dans des camps semblables A des prisons;dans l’agriculture,d’autre part, les
travailleurs sont dispersés sur de vastes étendues.
Les grèves revêtirent une signification particulière du fait que la loi interdit
aux Africains de cesser le travail et qu’ils n’ont pas de véritable organisation
syndicale.I1 n’existait pas de procédure de négociation permettant de discuter
des conditions de la reprise du travail, et les grévistes refusaient d’élire des
délégués, car ceux-cin’auraient pas manqué d’être menacés ou incarcérés en
tant que meneurs ou ((agitateurs,). Une telle action politique de masse, qui ne
reposait sur aucune organisation officielle ou structurée,montre non seulement
l’ampleurdu mécontentementdes Africains d’Afriquedu Sud,mais aussi ce que
le fond de consciencepolitique représente comme force réelle de changement.

La Conscience noire
Les étudiants africains se séparèrent en 1970 de la National Union of South
African Students (NUSAS)[Union nationale des étudiants d’Afrique du Sud]
pour constituer la South African Students Organisation (SASO)[Organisation
des étudiants d’Afriquedu Sud], qui n’admettait dans ses rangs que des Noirs,
estimant que les Noirs devaient décider de leur attitude indépendamment des
Blancs et élaborer eux-mêmesles revendicationsqu’ils avaient ii formuler.
Tout en continuantde coopérer dans la pratique avec la NUSAS,la SASO
tourna ouvertement le dos aux ((libéraux blancs)) et, si elle accepta de rester
fidèle aux traditions occidentales,elle estima qu’il fallait également explorer et
exprimer les valeurs africaines.
La théologie noire fit son apparition en 1971.U n théologien noir l’a décrite
comme une théologie d’exhérédationet de libération répondant i l’optiqued’un
peuple opprimé A cause de sa couleur.
O n assista en 1972 et en 1973 aux progrès du mouvement de la Conscience
noire. Ce mouvement présentait plusieurs tendances, ayant pour facteur com-
mun la volonté d’agir sans aide extérieure et de redéfinir la situation de
l’Afriquedu Sud.A u début,le gouvernement y vit une victoire pour l’apartheid.
Mais lorsque ce mouvement devint plus combatif et dénonça plus vigoureuse-
ment les structures de la société sud-africaine(y compris parfois les dirigeants
des Bantoustans), le gouvernement réagit.En 1973, il prit des mesures d’inter-
diction ou de restriction A l’égard de la plupart des dirigeants du mouvement, y
De l’opposition à la résistance 119

coinpris les chefs de la SAS0 ; les jeunes dirigeants noirs qui étaient apparus sur
la scène politique au cours des années soixante-dix furent pratiquement réduits
Li l’inaction ou obligés de fuir le pays pour se réfugier dans les territoires voisins.
En 1973-1974. il y eut donc quatre grands mouvements de contestation:
ai celui de la classc ouvriére urbaine contre les bas salaires et les inauvaises
conditions de travail: hi celui d u mouvcnient de la Conscience noire,qui ohtiiit
une audience croissaiitc parmi les Indiens et les Mktis: ci celui des Blancs, qui
gravita surtout autour des organisations blanches d’étudiants: dj celui des
fronts dc libitration qui pour la plupart sont xtuellemcnt clandestins.
5 Le monde
extérieur

Les Nations Unies


L’Organisationdes Nations Unies, dont l’Afrique du Sud fut un des membres
fondateurs. a contribué A appeler l’attention internationale sur l’apartheid.
L’Inde a fait connaître le traitement auquel l’Afrique du Sud soumettait sa
communauté indienne et elle a condamné le régime sud-africainpour l’ensemble
de sa politique raciale.A mesure que les pays coloniaux obtenaient l’un après
l’autre leur indépendance, les demandes d’action contre l’apartheid s’ampli-
fièrent. Les débats des Nations Unies devinrent un motif constant d’irritation
pour le gouvernement sud-africain.Le Conseil de sécurité imposa en 1964 un
embargo sur les armes qui est toujours en vigueur.
Certains pays ont cependant soulenu que cet embargo ne s’appliquepas A
la vente d’armesqui ne sont pas destinées A la répression A l’intérieur du pays.
Cette formule peut s’interpréter de diverses façons et rien n’indique que
l’embargo ait été efficace. L’Afrique du Sud ne paraît guère éprouver de diffi-
culté A acheter les armes qu’elle veut et, de toute façon, elle en est presque
arrivée,grâce A l’assistance technique de certains pays technologiquementavan-
cés,au point de pouvoir produire la plupart des armements dont elle a besoin.
Malgré l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (juin 1971),
selon lequel le maintien de la Namibie sous l’administrationde l’Afrique du Sud
est illégal, l’organisation des Nations Unies n’a pas réussi A soustraire ce
territoire A la mainmise des Sud-Africains(voir A ce sujet la deuxième partie du
présent ouvrage).
La politique raciale de l’Afriquedu Sud a fait l’objet de débats aux Nations
Unies depuis la première session de l’Assembléegénérale en 1946.Après avoir
vainement tenté d’aboutir A une solution négociée, l’Assemblée générale a
adopté, le 6 novembre 1962,la résolution l761(XVII) qui demande aux États
membres des sanctions diplomatiques contre l’Afrique du Sud, les priant de
((prendre les mesures suivantes... pour amener l’abandon de la politique d’apar-
theid :
n ) Rompre les relations diplomatiques avec le gouvernement de l’Afrique du
Sud. ou s’abstenird’établirde telles relations.
Jeune Africaine du Transkei.
Afrique du Sud 122

Fermer leurs ports à tous les navires battant pavillon sud-africain.


Adopter des lois interdisant à leurs navires d’entrer dans les ports sud-
africains.
Boycotter tous les produits sud-africainset s’abstenir d’exporter des pro-
duits, y compris des armes et munitions de tous types, vers l’Afrique du
Sud.
Refuser le droit d’atterrissageet les facilités de passage à tous les aéronefs
appartenant au gouvernement de l‘Afriquedu Sud ou à des sociétés enre-
gistrées conformément aux lois sud-africaines.))
2 décembre 1968, l’Assemblée - générale a demandé à tous les États «de
décourager l’immigration,notamment de personnel qualifié et de personnel
technique,en Afrique du Sud...))et elle a demandé «à tous les États et organisa-
tions de suspendre les échanges culturels,éducatifs, sportifs et autres avec le
régime raciste et avec les organisations ou institutions d’Afrique du Sud qui
pratiquent l’apartheid».

L’Afrique
L’Organisation de l’unité africaine (OUA),qui a été créée en 1963, a adopté
tout un ensemble de résolutions relatives à l’Afriquedu Sud,en recommandant
notamment A ses membres de refuser A la Compagnie aérienne sud-africainele
droit d’utiliserleurs aéroports et de survoler leur territoire,et en priant les États
africains de cesser leurs échanges - exportations et importations - avec la
République sud-africaine.L’OUA a créé un Comité de libération chargé de
financer ou de soutenir les mouvements de libération dans leurs opérations de
guérilla contre tous les régimes minoritaires blancs du continent, Les pays
membres de cette organisation ont pour la plupart accepté d’appliquer ces
résolutions.
Jusqu’A présent, l’Afrique du Sud a été en mesure de résister aux critiques
mondiales et, plus important encore,de déjouer certaines actions entreprises sur
le plan international,comme celles dont il a été fait mention plus haut. Ni les
sanctions économiques,ni l’embargo sur les livraisons d’armes, ni, jusqu’à
présent,les incursions de commandos n’ont changé grand-choseà la situation.
L’économie continue en fait à prospérer, bien que cela n’aille pas sans pro-
blèmes, et le budget de l’armement n’a jamais été aussi élevé que depuis
l’imposition de l’embargo sur les armes. Le gouvernement a néanmoins com-
mencé,à la fin des années soixante,à assouplir son attitude à l’égard du reste de
l’Afrique et il a cherché à susciter des échanges internationaux officiels et
officieux avec les autres pays du continent,faisant valoir que les divergences de
vues n’empêchentpas le dialogue.
Ce changement d’attitudeest essentiellement dû à deux facteurs,l’un poli-
tique,l’autreéconomique.
Sur le pian politique, l’Afriquedu Sud gagnerait beaucoup ii ce que les
États africains aient une attitude plus amicale à son endroit. Cela pourrait
inciter le reste du monde à mieux accepter l’Afriquedu Sud. L’État de l’apar-
theid s’en trouverait légitimé,car, si les gouvernements noirs établissaient des
relations avec lui, il n’y aurait guère de raisons pour que les pays d’Europe et
Le monde extérieur 123

d'Aniérique, s6parés de l'Afrique par de grandes distances. persistent dans leur


hostilité i l'apartheid. La voie serait alors ouverte pour un charigeinrnt des
rapports d e l'Afrique d u Sud avec le reste d u monde.
L'Afrique du Sud veillerait i ce que les pays africains gardent une attitude
amicale))i son égard et cela pourrait avoir des conséquences désastreuses pour
les gukrikros qui auraient cherché refuge cher cuu. La dnininatioii blaiiche eii
.Afriqued u S~icls'en trouverait reni'orcCe d a n s ses retranchements.
Les factcurs Sconoiniques ont encore plus de poids. L'Afrique d u Sud n'a
pas réussi i trou\.erde bons clébouches comnicrciaux en Europe ni en Amérique
d u Norcl. car les clist:inccs. le prix d e revient unitaire plus Cleve de ses produits
et une coiijoncturr teclinologique défdvorable l'en ont empèchéc. Au cours des
sis premiers niois de 1969.4" sculement d e ses exportations \'ers le Royaume-
(,

L!ni consistnicnt en produits niiinufactur6s contre 1(7,5",1


~ de ses exportations
\.ers la Zambie en 1967. L'Afrique constitue un inarché naturel po~ircc genre de
produits.
L'accroissement dts écIianges coinnicrciauu avcc les États ~i'~friq~ie noire
n'est qu'un premier otjectif. Le but final est ILI création d'une uste zone de
1 i bre-Cchan ge a i nsi q U 'U ne U ri inn douaIIière de 1 'Afriq Lie centra1 e et oricritale
qui ~oristitiieîaiciitun niarclit.knoi-me pour les produits sud-africains et perinet-
traient 11 l'Afrique d u Sud de rksoudre Ics problèmes d e sa balance des paic-
nien ts.
Quelques pays africains ont r6poiidu LI\ aviiiices de l'Afrique d u Suci. niais
ils ont vite constat6 q u e leurs conceptions (ILI «dialogue>>étaient trPs difl'krentrs.
Certains tlcs principaux a\,ocatsafricains de la politique du <<dialogLLe))ont
bieii pris soin d'c\rpliquci- qu'il s'agissait en l'occurrence d'une ultime tentative
pour ainener l'Afrique du Sud i inodilier sa politique iiitkrieure et qu'ils ne s'y
étaient rSsolus qu'il contrectrur après I'kcliec des sanctions.Mais le refus catego-
rique par l'Afrique du Sud de tout <<dialogue»sur le principe de l'apartheid
ainsi que l'opposition rCsolue des mouvements d e liberation et la crainte effec-
tive de nuire i l'unit6 africaine ont inis fin aux iikgociatinns. D e toute faqon,
beaucoup d'États africains s'étaient opposés dès le dkpart i tout ((dialogue>>avec
l'Afrique d u Sud.
En juin 1971.les États africains rkunis ri Addis-Abéba pour la conférence
de I'OlJApublièrent la déclaration suivante:

Dl?<'LARATION S U R l.A Q U E S I I O N
11 U D 1 A 1,OGLI E

Le Conseil des ministres de I'Organisation de I'uiiith africaine. rturii en sa 17' session


ordinaire ii Aciciis-AbCba i Éthiopie). cl~i15 :ILI I9 juin 1971. a disetiti'dans ~inratninsphCre
de parfaite courtoisie et de totale franchise la question cic la prop«,ition d'un dialogue i
enpager avec IC rttginir niirioritairc raciste d'Afrique du Sud.
Ces discussions ont donri2 i tous les inenihres du conseil I'occasion d'exprimer
plcincrnent les vues de leurs gouverrieinciits respectifs sur cette iiiiportiinte question. L e
Conseil des ministres rGaffirme:
1. Son attacliernent total aux principes et ob.jectifs Gnonces clans les articles 3 et 3 de la
Charte de l'OUA. particulièrement en ce qui concerne l'hlimination dii colonialisme
sous toutes ses formes et le dCvoucment sans rkserve i la cause de l'tmancipation
totale des territoires africains non encore indhpendants.
Afrique du Sud 124

2. Le Manifeste sur l’Afrique australe (Manifeste de Lusaka) adopté A l’unanimité par


l’OUAet approuvé par les Nations Unies et la Conférence des pays non alignés,mais
rejeté par les régimes racistes d’Afrique australe, est la seule base objective pour la
recherche d’une solution valable aux problèmes de l’apartheid,de la discrimination
raciale et du colonialismeen Afrique.
3. La légitimité de la lutte menée par les peuples opprimés d’Afrique en vue d’obtenir
leur droit Jégitime à l’indépendance,à la dignité et à l’égalité,lutte dans laquelle
tous les États de l’OUAdemeurent entièrement et inconditionnellementengagés.
En outre, il a été décidé qu’aucun État membre de l’OUAn’entamerait ou n’engagerait
aucun genre d’action susceptible d’affaiblirou d’abroger les obligations et les engagements
solennels énoncés dans la charte.
I1 a été décidé que toute action A engager en ce qui concerne la solution des problèmes
du colonialisme.de la discrimination raciale et de l’apartheiden Afrique doit être entreprise
dans le cadre de l’OUA en étroite consultation avec les mouvements de libération des
territoires intéressés.
Le conseil a rejeté l’idéed’un dialogue quelconque avec le régime minoritaire raciste
d’Afrique du Sud qui n’aurait pas pour but unique d’obtenir pour le peuple opprimé
d’Afrique du Sud la reconnaissance de ses droits légitimes et imprescriptibles et l’élimina-
tion de l’apartheid,conformément au Manifeste de Lusaka.
.LeConseil des ministres a également considéré et décidé qu’en tout état de cause un
dialogue sous quelque forme que ce soit devrait commencer par s’établir entre le régime
minoritaire raciste d’Afriquedu Sud et le peuple opprimé et exploité par ce régime.
Le Conseil des ministres a également décidé que toutes les propositions de dialogue
entre les États africains indépendants et le régime minoritaire raciste de l’Afrique du Sud
sont une mantzuvre de ce régime et de ses alliés pour semer la division parmi les États
africains et créer la confusion dans l’opinionpublique mondiale, afin d’arracherl’Afrique
du Sud A l’ostracismeinternational et A l’isolement et pour obtenir l’acceptation du statu
quo en Afrique australe.
A la lumiére des considérations ci-dessus,la 17‘ session ordinaire du Conseil des
ministres de l’OUAdéclare solennellement qu’il n’existe aucune base pour un dialogue
valable avec le régime minoritaire raciste d’Afriquedu Sud.
Dans les conditions actuelles, le conseil réaffirme sa détermination de continuer A
apporter et A intensifier son aide aux mouvements de libérationjusqu’àla victoire finale.

Aspects stratégiques

Les dirigeants sud-africainsont toujours eu une conception grandiose de leur


rôle stratégique et politique. Ils présentent leur pays comme un ((bastion du
monde libre)) et un ((défenseur de la civilisation occidentale)) contre la menace
communiste en Afrique (selon leur définition du communisme).
L’anticommunismea toujours été la clef de voûte de la politique gouverne-
mentale; il a servi à justifier les demandes d’armesperfectionnées que l’Afrique
du Sud a présentées aux pays occidentaux et il a été le prétexte de la répression
de l’opposition à l’intérieurdu pays. I1 s’est manifesté par une contribution de
l’Afrique du Sud au «pont aérien)) de Berlin en 1948 et par l’envoi d’une
escadrille de chasse en Corée en 1950,en réponse à la demande d’assistance
militaire lancée par les Nations Unies. C’est également en 1950 que la loi sur la
répression du communisme a été intégrée à la législation intérieure sud-afri-
I,e monde exterieur 125

caine. Le programme d’accroissement et de modernisation des forces armées qui


fut alors lancé devait s‘amplifier au cours des années soixante. Les relations
diplomatiques avec l’Union soviétique furent rompues au début des années
cinquante et le chef de la mission soviétique fut prié de quitter l’Afrique d u Sud.
Les dirigeants sud-africains ont compris peu i peu que la sécurité de leur
pays dépendait de l‘Occident. Dés 1951, une Conférence sur les moyens de
défense de I’Afrique a réuni it Nairobi les rcprésentants du Royaume-LTni. de
l’Afrique d u Sud. de la Belgique. de 111 France. de l‘Italie, du Portugal. de
l’Éthiopie,d e la Rhodésie d u Sud. ainsi que des États-lJnisd’Amérique (repré-
sentés par un observateur). Cette conférence n‘a guère été concluante. en raison
surtout de l’opposition fcmnelle de l’Afrique du Sud ii l’idée d‘armer les Afri-
cains. U n e autre série de con\wsations organisée en 1954 i Dakar sur une
stratégie panafricaine pour l’Occident n’eut pas non plus de résultats bien
concrcts.
La nou\,elle orientation donnée i la politique coloniale britaiiniquc en
Afrique et en Asie LI milieu des années cinquante suscita de nouvclles inquié-
tudes. L’indépenctance de la Côte-de-l’Or(Ghana), l’action des M a ~ i - M a ~au i
Kenya, le retrait des forces britanniyues de la zone d u canal de Suez. ainsi que
les incohérences de la politique de Londres 3 l’égard des territoires de la Haute-
Coniinissinii (Betchuanalaiid. Swaziland et Basutoland) furent considérés
c o m m e autant d‘élénients contribuant i la propagation du coniniunismc ci1
A fri q Lie.
De\,antcette situation. It. ministre de la défense de l’èpoquc. M. F.C.
Erasmus, proposa q ~ i ela base navale de Simonstown. dans ILI péninsule du Cap,
fiit placée sous I’autoritb de cinq puissances. afin de freiner les ambitions
soviétiques et indiennes en Afrique. I1 préconisa d’autre part la conclusion d’un
Traité de l’océan Indien occidcntal. Bien que ces propositions n’aient pas été
retcnucs, il y cut. en juillet 1955. un échange de lettres entre les gouvernements
de Londres et d e Pretoria sur l‘avenirde Simonstown.L’Afrique d u Sud accepta
d’accroître sa flotte de guerre en achetant aux chantiers navals britanniques
6 frégates anti-sous-marines,IO dragueurs de mines côtiers et 4 patrouilleurs de
haute mer. Le Royaume-Uni accepta de son côté de transférer le commande-
ment dc la base Ci l‘Afrique d u Sud avant le 31 niars 1957 et l’Afrique d u Sud
s’engagea LI agrandir les installations existantes. Le Royaume-Uni aurait la
possibilité d’utiliser la base en temps de paix cornnie en tcinps de guerre. que
l‘Afrique du Sud participe OLInon aux hostilités en tant que cobelligérant. Les
accords prévoyaient des échanges d‘officiers et d’hommes d’équipage entre les
dcux niariries, ainsi que la possibilité pour la marine sud-africained‘utiliser les
moyens d’instruction britanniques.
Ces accords ne font mention d’aucune garantie. Ils ne portent que sur la
coopération navale et sur l’utilisation de Sinionstown par le Royaume-Uni en
temps de pais ct de guerre ct n’engagent aucune des deux parties ii venir en aide
i l’autre en cas d’hostilités.II est bon de mentionner ce point, car une certaine
confusion semble planer sur les responsabilités respectives des deux parties.
Aux yeux d u gouvernement sud-africain,Simonstown ((protégeait)) l’océan
Indien contre toute incursion soviétique et garantissait ii I.<< Occident ))l’emploi
de la route d u Cap. particulièrement importante lorsque le canal de Suez fut
fermé.Cela a été maintes fois répété par les dirigeants sud-africains.
Afrique du Sud 126

Lors de la célébration du 25‘ anniversaire de l’arrivéeau pouvoir du Parti


nationaliste,M.Vorster a souligné que ((le monde occidental)) avait intérêt à ce
que l’Afrique du Sud soit puissante, étant donné que la route du Cap était la
((voiede communication vitale avec l’Europe» (South African Digest du 13 juil-
let 1973). Quant au ministre de la défense, M.P.W.Botha, il fit observer que
l’Afriquedu Sud maintenait ((des relations militaires cordiales avec au moins
vingt pays du monde libre» (South African Digest du 13 juillet 1973). I1 n’a pas
précisé de quels pays il s’agissait.
L’idéeque se fait l’Afriquedu Sud de sa position capitale pour la ((défense
du monde libre)) n’est pas partagée par tout le monde. Sa politique raciale en
ferait une alliée militaire vulnérable et l’importance de sa situation stratégique
évolue en fonction des modificationscontinuelles des relations internationales,
des routes commerciales et des stratégies de défense. Même l’accord de Simons-
town est, nous l’avonsvu,assez limité.
O n peut alors se poser des questions sur la stratégie et sur le budget
militaire de l’Afrique du Sud. Ce budget augmente rapidement. L’affaire de
Sharpeville (1 960) eut des répercussions politiques très vastes,provoquant dans
le monde une réprobation presque unanime et des sanctions économiques
contre le régime de Pretoria.A l’intérieurdu pays,elle conduisit à la déclaration
de l’état d’urgence ainsi qu’à I’interdictiondes mouvements africains de libéra-
tion. La politique militaire fut révisée de fond en comble. La nature des armes
achetées par l’Afrique du Sud montre que celle-ci commence à envisager
sérieusement la possibilité d’attaquesmilitaires dirigées contre elle par d’autres
pays.
I1 est difficile de dire d’où de telles attaques pourraient venir. Aucun des
pays indépendants voisins ne dispose, tant s’en faut, de la puissance militaire
qu’exigerait le lancement d’une offensive de type classique. Et rien n’indique
jusqu’àprésent qu’unautre pays ou groupe de pays ait l’intentionde déclarer la
guerre. Cette crainte d’une attaque extérieure paraît néanmoins avoir fait son
chemin dans la pensée militaire en Afrique du Sud. I1 est d’autre part évident
que presque tous les armements dont le pays dispose peuvent lui servir à
réprimer une agitation intérieure.Cet armement semble correspondre à trois
principaux objectifs:
1. Étant très perfectionné et moderne, il pourrait faciliter l’intégration de
l’Afriquedu Sud dans une alliance occidentale;mais pour cela,il faudrait
que l’apartheid soit accepté par tous les nouveaux alliés de l’Union.
2. Presque toutes les armes dont l’Afrique du Sud dispose peuvent égale-
ment servir à des opérations de sécurité intérieure (mêmeles sous-marins
peuvent être utilisés pour la détection des mouvements de guérilleros le
long des côtes).
3. Le matériel et le personnel militaires peuvent, si on les emploie de manière
efficace,aider des puissances coloniales à combattre la résistance noire et à
maintenir une zone tampon entre l’Afriquedu Sud et le Nord. Des forces
sud-africainesparticipent à la surveillance de la frontière entre la Rhodésie
et la Zambie et à la protection du barrage de Cabora Bassa.
La situation militaire devint de plus en plus inquiétante en 1973,en raison des
succès obtenus par le FRELIMO (Front pour la libération du Mozambique) et
de l’intensificationde la résistance en Rhodésie. La main-d’œuvreblanche,dont
L e monde extérieur 127

les effectifs étaient déjà limités. a subi une nouvelle ponction quand l'effectif des
forces armées a été porté ii 110000 hommes. Pour la première fois, des mesures
concrètes ont été prises pour recruter des Africains dans l'armée sud-africaineet
pour augmenter le nombre des Africains chargés du maintien de l'ordre dans les
zones africaines.
L'Afrique du Sud produit maintenant elle-même toutes ses armes léghres et
cherche i subvenir ii ses propres besoins en matière d'aéronautique militaire.
Parmi les appareils montés i l'usine Atlas (FitzmcialMail du 77 avril 1973).
figurent des chasseurs Mirage F I (SoutlzAfiYcan Digcst d u 78 septembre 1973).
L'Afrique du Sud fabrique le chasseur et l'appareil de reconnaissance Impala.
L'armée de l'air devait recevoir quelque 200 nouveaux appareils en 1974.

Afrique d u Sud. Budget militaire 1960-1974


Afrique du Sud 128

L’Institut des études stratégiques de Londres a présenté dans The military


balance 1972-1973(L’équilibre des forces militaires en 1972-1973) l’état des
forces armées sud-africaines, de leur équipement et de leurs fournisseurs.
L’armée de terre, la marine et l’armée de l’air sont toutes trois équipées en
partie par l’étranger.

Embargos et boycottages

Vers la fin des années cinquante, les Africains, les Indiens et les Métis ont
souvent recouru au boycottage pour protester contre les injustices de l’apar-
theid. Parmi les campagnes de ce genre qui ont eu un grand succès figurent le
boycottage des pommes de terre, qui était destiné à appeler l’attention sur la
situation des travailleurs agricoles,et l’inscriptionsur une liste noire de tous les
produits de la société des tabacs Rembrandt (Carreras-Rothmans). En 1959,les
peuples et les nations du monde entier ont été invités à appliquer la même
tactique pour aboutir à l’isolementcomplet de l’Afrique du Sud non seulement
en boycottant ses produits, mais en évitant aussi tout contact avec l’État qui
pratiquait l’apartheid.
Les échos que cet appel a eus dans le monde ont abouti à l’interdictiondes
importations d’Afrique du Sud dans certains pays et à la constitution dans
nombre d’États de mouvements contre l’apartheid. Les exportations sud-afri-
caines s’en sont ressenties (en particulier celles des fruits ((Outspan)) et
((Cape))), de même que les relations de l’Afrique du Sud dans les domaines
sportif,culturel,universitaire et professionnel.Des démarches se poursuivent en
vue de mettre fin aux contacts,comme par exemple la campagne menée en 1971-
I972 pour que le Royal Institute of British Architects renonce à toutes relations
avec l’Association des architectes sud-africains et la lutte constante visant à
exclure l’Afriquedu Sud des fédérations internationales de football,de tennis et
autres sports.

BOYCOTTAGES ÉCONOMIQUES

Le Comité des Nations Unies sur l’apartheid a exposé de la façon suivante les
raisons de recourir à un boycottage économique.
L’économie sud-africaine fait partie intégrante de l’économie mondiale.
L’Afrique du Sud dispose de marchés importants en Europe, en Amérique du
Nord et en Asie. Elle achète à l’étranger de grandes quantités de produits
manufacturés qui ont pour elle une importance décisive. La plupart de ses
principaux partenaires commerciaux lui permettent d’accumuler les dettes qui
résultent parfois de son déficit commercial.I1 semble donc que l’Afrique du Sud
soit particulièrement vulnérable aux pressions économiques des autres pays.
Et,pourtant, les partenaires dont dépend le commerce sud-africain n’ont
jamais appliqué de boycottage économique.
Beaucoup de pays continuent de faire ouvertement du commerce avec
l’Afriquedu Sud. Certains boycottages organisés par les consommateurs de ces
pays obtiennent cependant quelque succès et, souvent, l’appui de collectivités
Le monde extérieur 129

locales, de syndicats, de mouvements d'étudiants et d'autres organisations.


L'économie sud-africaineest fortement tributaire des importations de pétrole et
de biens d'équipement -~ et, en ce qui concerne le pétrole, elle repose presque
totalement sur les importations. De même, un embargo sur les achats d'or sud-
africain ferait énormément de tort i l'économie de ce pays. U n e conférence
intcrnationale sur les sanctions économiques 3 appliquer contre l'Afrique d u
Sud a eu lieu i Londres en avril 1964, réunissant les délégués de plus de
quarante pays. dont trente delégations gouvernementales. Après avoir examiné
des rapports d'experts sur les aspects économiques. raciaux, politiques, juri-
diques et stratégiques des sanctions. la confërence s'cst fondCe sur leurs conclu-
sions pour ((estimer qu'elle avait établi la nécessité. la 1Cgalité et la possibilité
d'organiser des sanctions économiques internationales contre l'Afrique d u Sud.
dont la politique raciale apparaît comine faisant maintenant pescr une menace
directe sur la paix et sur la sécuritt;en Afrique et dans le monde 1. )>
Lorsque les pays arabes ont mena& de restreindre leurs livraisons de
petrole aux pays occidentaux en 1973. ils ont brandi la menace d'un embargo
total 3 l'égard de l'Afrique du Sud,de la Rhodksie et du Portugal.
L'investissenient Stranger joue un rôle essentiel cians l'industrie de l'Afrique
d u Sud et est devenu, en tant que tel. un des grands ob.iectifs des adversaires de
l'apartheid : ceux-ci ont notamment demandé aux investisseurs de boycotter les
sociitks sud-africainesainsi que les sociétks étrangéres i l'Afrique du Sud qui
ont des intérêts dans ce pays ct ils ont fait entendre leurs protestations au cours
d'assemblees gknkrales annuellcs de sociétis. Les communautés religieuses, les
syndicats. les associations d'étudiants, les universités et dc nombreuses organisa-
tions ont kte invités i retirer leurs capitaux d'Afrique d u Sud. E n fkvrier 1973, le
Mouvement anti-apartheiddu Royaume-Uni annonça quelques succès, dont les
ventes d'actions suivantes: 1.5 million dc livres sterling d'actions de la RTZ par
la Commission d'administration des biens de l'Église anglicane: I .35 million de
livres sterling d'actions de sociétés ayant des intérêts en Afrique d u Sud par le
Conseil aecuménique des Églises: ainsi que la vente. par le Trade Union
Congress (Fédération des syndicats britanniques) d'actions qu'il détenait dans
des firmes ayant des intkrêts en Afrique d u Sud. et de participations au Trade
Union Unit Trust (Fonds des syndicats) en raison des investissements que celui-
ci avait réalisés dans ces firmes. Le m ê m e mouvement a également annoncé que
quatre syndicats ouvriers avaient retirt; leurs investissenicnts d'Afrique du Sud.
ainsi qu'un certain nombre d'univcrsités et une section locale d u Parti travail-
liste: d'autre part. des investissements d'un montant total de 150000 livres
sterling furent retirés de firmes ayant des intérêts en Afrique d u Sud et le conseil
municipal de Camden, i Londres. décida de fermer son compte i la banque
Barclays.
Aux États-Unis. certaines communautés religieuses prirent des mesures
analogues et des protestations s'élevkrent au cours d'assemblées générales
annuelles cie sociétés contre les investissements en Afrique d u Sud.
L a societe américaine Polaroid interrompit la vente de ses produits
l'Afrique d u Sud en octobre 1970,i la suite des protestations des mille ouvriers
noirs travaillant dans cette entreprise. U n comité compose de dcux employés
Afrique du Sud 130

blancs et de deux employés noirs se rendit en Afrique du Sud et présenta un


rapport. Après en avoir pris connaissance, la compagnie fit savoir, en jan-
vier 1971,qu’elle estimait devoir rester en Afrique du Sud pour y favoriser le
changement en améliorant les possibilités d’éducation et d’emploi offertes aux
Noirs. Elle présenta un programme de réformes comprenant l’amélioration des
salaires et des avantages que ses concessionnaires sud-africainsaccordaient au
personnel noir,la formation de Noirs pour leur permettre d’accéder à des postes
de responsabilité et l’affectationd’une partie des bénéfices que la société réali-
sait en Afrique du Sud à des programmes d’éducationdes Noirs.
Les salaires furent augmentés,35 O00 rands furent versés à un fonds pour
l’éducation des Africains et la société annonça en décembre 1971, après une
année d’essai,que ce programme serait poursuivi.
Une vaste campagne fut organisée aux États-Uniscontre l’utilisation d’un
procédé mis au point par Polaroid pour la production des ((laissez-passer)), qui
constituent un élément fondamental du système de l’apartheid.U n mouvement
fut entrepris,avec l’appuide dirigeants de fronts de libération sud-africains,en
vue d’amenerPolaroid à cesser toute activité en Afrique du Sud et de boycotter
tous les produits de cette firme.Ce boycottage eut des répercussions considé-
rables sur les ventes de la société en Amérique.
Aux Pays-Bas,une campagne organisée contre les importations de café
d’Angola aboutit à les faire interrompre provisoirement en 1972.I1 y eut d’autre
part un boycottage des oranges «Outspan» ainsi qu’une campagne contre la
société Philips,accusée d’employerde la main-d’œuvrenoire à bon marché dans
ses filiales. A u cours d’une semaine de solidarité organisée en mai 1973,
500O00 documents d’informationsur l’Afriquedu Sud furent diffusés.
Le Conseil œcuménique des Églises publia également une brochure conte-
nant la liste des sociétés étrangères qui avaient investi en Afrique du Sud et il
demanda aux Églises adhérentes ainsi qu’à tous les chrétiens de retirer leurs
investissementsd’Afriquedu Sud.
En 1973,le journal Guardianpublia des statistiques,qui firent scandale,sur
les salaires payés au personnel africain des sociétés britanniques en Afrique du
Sud. Une commission parlementaire fut chargée d’une enquête à ce sujet.Dans
son rapport,publié en mars 1974,cette commission ne releva pas l’appel lancé
par les mouvements de libération et visant au retrait de tous les investissements,
mais elle recommanda,se fondant sur les faits précis qu’elle avait constatés au
sujet de l’exploitation de la main-d’œuvreà bon marché, certaines règles de
conduite à l’usagedes sociétés britanniques exerçant leur activité en Afrique du
Sud.

BOYCOTTAGES CULTURELS

La campagne en vue du boycottage culturel de l’Afriquedu Sud fut entreprise


en réponse à l’appel lancé par des Sud-Africainsqui cherchaient à mettre fin à
l’apartheid en matière de culture et de spectacles. Cette campagne fut essen-
tiellement axée sur le problème de la ségrégation du public,mais elle a évidem-
ment porté aussi sur des aspects plus larges de l’apartheid en général.
Presque toutes les salles de spectacle et de concert sont réservées aux
Blancs.I1 existe quelques cinémas réservés aux Métis et aux Indiens.Les Noirs
Le monde extérieur 131

n’ont pratiquement pas accès aux salles de spectacle et les spectacles auxquels ils
ont le droit d’assister sont strictement censurés.
En 1969.un professeur de droit a évalué à 13 O00 le nombre des publica-
tions interdites. Parmi les auteurs interdits figurent James Baldwin, Bertolt
Brecht, Jules Feiffer, Aldous Huxley, Norman Mailer, Henry Miller et Alan
Sillitoe. Tous les livres écrits par des dirigeants dcs mouvements de libération
sont interdits. Le Publications and Entertainments Act (loisur les publications
et les spectacles) interdit la publication ou la fabrication d’œuvres qualifiées
d‘<<indésirables))en Afrique du Sud, et le Customs and Excise Act (loi sur les
douanes et les contributions indirectes) oppose l’importation des articles
G répréhensibles>). L’interprétation de ces lois dépend du Publications Control
Board (Conseil de contrôle des publications). qui est un organisme d’État. Les
livres interdits ne le sont pas toujours parce qu’ils combattent l‘apartheid,mais
beaucoup d’entre eux n’ontaucune autre raison de l’être.
Tous les films sont visionnés par le Conseil de cotitrde. Celui-ci peut. en
vertu de la loi de 1963 sur les publications et les spectacles,<< ... autoriser un film
ciniinatograpliique i la condition q ~ i ece tilni ne soit projet2 que devant les
membres d’une racc ou d‘une classe déterminées...))
C’est ainsi q~iecertains films ne sont autorisés quc pour les Blancs, certains
autres ne IC sont que pour les Blancs. les Métis et les Indiens, d‘autres enfin le
sont pour les Blancs. les Métis, les Indiens et les enfiints de moins dc douze ans.
Toutes les scknes montrant des rapports sociaux, de quelque nature q~icce soit,
entre Noirs et Blancs sont automatiquement coupkes, Li l’exception de celles où
les personiiages noirs jouent des roles de subordonnés. Malgré l’ampleur des
pouvoirs dont dispose le Conseil de con tr6le. certains porte-paroledu gouvcrne-
ment ont préconisé de les étendre encore.
La censure des publications a éte dénoncée par les adversaires de l’apar-
theid et par ceux qui redoutent les effets de la nienace d’interdiction sur toute la
littérature sud-africaine.
Tous les artistes ont étC invités it refuser de se produire e11 Afrique du Sud
dans les conditions imposées par l’apartheid:on a demancit;aux auteurs drama-
tiques et rkalisateurs de films de s’opposer i ce que leurs (cuvres soient présen-
tées dans des thiütres ou des cinénias où le public est soumis it la ségrégation,et
aux acteurs de cinkina de ne pas permettre q~ieles tilms dans lesquels ils jouent
soient projet& dans des cinémas de ce genre.
En 1957,le Syndicat des musiciens hritaiiniques a totalcmeiit interdit it tous
ses membres de jouer en Afrique du Sud. L’Orchestre symphonique de Londres,
les Beatles et les Rolling Stones comptent parmi les nombreuses formations qui
ont refus? les tournth qu’on leur proposait de faire en Afrique d u Sud.
En 1957 également, le British Actors Equity Council (Association des
acteurs britanniques) a donnt: instruction i ses adhérents de rie se produire en
Afrique d u Sud que si un certain nombre de reprisentations sont ouvertes aux
non-Blancs.
La directive donnce dans It: i n h e sens par le Syndicat des techniciens du
cin2ina et de la télCvisioii britanniques a contrecarré le prc?.iet que faisaient les
autorités sud-africainesde lancer une chaîne de tdévisioii en 1975.
En 1963, puis de nouveau en lL)67,de célèbres auteurs draniatiques d u
Royaume-Uni ont rendu publique. clans des déclarations. leur opposition i
Afrique du Sud 132
c

l’apartheid et ont chargé leurs agents littérairesd’insérer dans leurs contrats une
clause interdisant la représentation de leurs œuvres devant des publics soumis à
une ségrégation raciale.
O n imagine mal comment la créativité en littérature,en musique, en choré-
graphie,en art dramatique et en cinématographie peut être actuellement stimu-
lée en Afrique du Sud dans le cadre d’un système répressif et d’une culture
officielledont la seule fonction est de rationaliser une séparation qui repose non
sur des faits rationnels, mais sur des mythes et des symboles d’inspiration
chauvine. Toute remise en question de la société et de ses structures est non
seulement découragée, mais serait plutôt considérée comme séditieuse. Les
barrières artificielles qui ont été dressées entre les peuples empêchent toute
compréhension de la réalité sud-africaine et toute représentation littéraire ou
artistique de cette réalité.
Les écrivains sud-africainsles plus importants sont soit en exil, soit inter-
dits.I1 leur est pratiquement impossible d’écriredans les journaux,en raison des
mesures qui restreignent l’accès aux informations et la publication des nou-
velles. Les écrivains afrikaners eux-mêmes,dont la situation est relativement
privilégiée puisqu’ilsbénéficient de subventions et sont protégés par un statut de
type traditionnel,sont libres seulement d’écrire,et non de contester.

L E S SPORTS

Les Sud-Africainssont très sensibles à tout ce qui touche aux sports,qui sont
chez eux une sorte de religion nationale.A mesure que l’isolement de l’Afrique
du Sud s’accroîtsur les plans politique et culturel,les rapports qu’elle maintient
avec l’étranger dans les autres domaines gagnent en importance. I1 est très
important pour les Blancs que leurs équipes soient admises sur les terrains de
sport étrangers où,de plus,toute victoire des Sud-Africainspeut être interprétée
comme une sorte de justification du régime sous lequel ils vivent. M.Braun,
délégué de l’Afrique du Sud, déclara au Comité olympique international en
1967:
Le fait d’avoirété exclus des Jeux olympiques nous a véritablement privés
de notre raison de vivre. A tous les niveaux du sport en Afrique du Sud et dans
toutes les couches de la population,on en a ressenti beaucoup de désespoir, de
déception et de désenchantement. La flétrissure qu’on nous a infligée en nous
traitant comme des parias a été une lourde croix à porter.))
I1 n’estpas possible de traiter le sport indépendamment des autres activités
humaines, sinon artificiellement. Quand bien même Blancs et non-Blancs
auraient le droit de jouer ensemble,ou encore d’assister aux événements sportifs
dans les mêmes tribunes, les non-Blancs,et en particulier les Africains, se
trouveraient en état d’infériorité du fait de la malnutrition et de leur mauvaise
condition physique. Les Blancs disposent pour la plupart de beaucoup plus de
temps libre pour faire du sport,d’argent pour leur équipement,etc. Les moyens
mis à la disposition des non-Blancssont médiocres ou inexistants. Les Blancs
disposent de piscines,de clubs de sport et d’installations publiques, tandis que
les Africains doivent souvent se contenter d’un bout de terrain vague. Le
manque de moyens financiers et le système des permis de circulation limitent
Après l'emprisonnement.
Afrique du Sud 134

beaucoup les possibilités de compétition entre les non-Blancs. En d’autres


termes, l’inégalité raciale qui a été officiellement institutionnalisée s’applique
autant dans le domaine sportifqu’à l’égard des autres aspects de la vie.
C’est pourquoi, dans les campagnes internationales de boycottage sportif,
il ne s’agit pas simplement d’obtenir que le gouvernement accepte le principe
d’équipesmultiraciales.La situation des sportifs non blancs en Afrique du Sud
n’aurait en fait pas beaucoup évolué si d’Oliveira (voir plus loin) avait finale-
ment été autorisé à faire une tournée en Afrique du Sud: rien n’aurait changé
dans le pays.L’envoide quelques concurrents sud-africainsnon blancs aux Jeux
olympiques aurait-ilvraiment beaucoup d’importance? Les événements des dix
dernières années donnent à penser que tant que l’apartheid sera maintenu,il ne
pourra jamais y avoir égalité de chances pour les sportifs.
La tournée en Afrique du Sud du Marylebone Cricket Club (MCC)fut
annulée en septembre 1968 lorsque le gouvernement sud-africainrefusa d’accep-
ter que Basil d’Oliveira, un «non-Blanc)), fasse partie de cette équipe. Une
équipe de cricket sud-africaine devait faire une tournée au Royaume-Uni en
1970,mais, dans l’intervalle,une campagne internationale avait déjà été lancée
pour mettre l’Afriquedu Sud en quarantaine dans le monde du sport et cette
campagne allait être axée au Royaume-Uni sur le rugby et le cricket,les deux
sports les plus populaires en Afrique du Sud.
A u cours de l’été 1969,un riche homme d’affaires de Johannesburg,W ilf
Isaacs, organisa une tournée de l’équipe sud-africaine de cricket. U n mois
auparavant,des organisations comme le Mouvement anti-apartheid,le Comité
olympique non racial sud-africain et les jeunes libéraux avaient fait connaître
leur intention de s’opposer à la tournée de 1970 et elles jugèrent que celle qui
avait été préparée par W ilf Isaacs leur fournirait l’occasion de démontrer le
sérieux de leurs intentions.I1 y eut des manifestations au cours de presque tous
les matches, dont beaucoup furent perturbés, le jeu étant interrompu par des
manifestants qui venaient s’asseoir au milieu du terrain. Ces manifestations
d’assez faible ampleur (la plus importante ne réunit qu’une centaine de per-
sonnes) irritèrent beaucoup les Sud-Africainsblancs.
Après la tournée Isaacs,une manifestation eut lieu à l’occasion du match
de Coupe Davis de lawn-tennisqui opposa l’Angleterre à l’Afrique du Sud à
Bristol.Une partie de cette rencontre fut également perturbée.
Ces manifestations eurent un grand retentissement et donnèrent aux parti-
sans du Mouvement anti-apartheid une idée du soutien qu’obtiendrait leur
campagne pour faire annuler la tournée de l’équipede cricket en 1970.
En septembre 1969,un certain nombre de mouvements constituèrent le
Stop the Seventy Tour Committee (STST) [Comité pour l’annulation de la
tournée 19701. Le but de ce comité n’était pas d’organiser des manifestations
mais d’obtenir,par une action directe et non violente, que la tournée fût
annulée.
Entre-temps, la tournée de l’équipe sud-africaine de rugby, qui devait
commencer en novembre 1969,devint la cible d’une campagne qui prit un tour
beaucoup plus grave que s’il s’était agi d’un simple galop d’essai en vue de la
tournée de l’équipe de cricket. Elle se transforma en un mouvement de masse
contre le régime qui envoyait des équipes composées uniquement de Blancs
représenter un pays dont la population comprend 80% de non-Blancs.
Le monde extérieur 135

Le premier match, qui devait avoir lieu à Oxford. fut annulé par le Oxford
University Rugby Club B la suite de multiples protestations et de menaces
d’action directe. C e match fut transféré iri rxtrertzis A Twickenhüm, siege de la
Rugby Union; malgré le peu de temps dont ils disposèrent (le préavis fut de
moins de vingt-quatre heures). plus de mille protestataires se retrouvèrent au
rendez-vous.
Des manifestations de ce genre eurent lieu i l’occasionde chaque match.
A mesure que la tournée se poursuivait, les manifestants se montrkrent
moins soucieux d’interromprecette série de matches que d’atteindreleur objec-
tif initial: bien faire comprendre aux dirigeants d u cricket ce i quoi ils devaient
s’attendre.
Peu avant que la tournée de l’équipe de rugby ne prît fin. le comité d u
MCC décida à l’unanimité de maintenir la visite de l’équipe de cricket. Mais la
Fédération sud-africainede cricket venait de repousser la proposition qu’avait
faite l’International Cavaliers Club de se rendre en Afrique du Sud, arguant d u
fait que l‘équipe de ce club serait multiraciale; à peu près au m ê m e moment.
le gouvernement sud-africain refusa d’autoriser le champion de tennis noir
américain Arthur Ashe à venir en Afrique d u Sud pour y participer B un tournoi
international.
Des pressions internationales s’exercèrent sur le Royaume-Uni pour qu’il
annule la tournée. Treize pays africains menacèrent de boycotter les Jeux d u
Commonwealth qui devaient avoir lieu au mois de juillet 1i Édimbourg. Les
prochaines tournées des équipes indienne et pakistanaise de cricket furent elles
aussi compromises. Les joueurs de cricket pakistanais domiciliés en Angleterre
firent savoir qu’ils refuseraient de rencontrer les Sud-Africains.
Au Royaume-Uni,de nombreuses organisations prirent publiquement posi-
tion contre la tournée et, notamment, le Community Relations Committee
(Comité des relations communautaires). les partis travailliste. libéral et c o m m u -
niste, l’Union nationale des étudiants. le Conseil britannique des Églises et plus
d’une vingtaine de syndicats, représentant au total des millions d’adhérents. L a
Fair Cricket Campaign (Campagne pour un cricket loyal) fut lancée par
l’évêque de Woolwich, qui en fut élu président. tandis que des parlementaires
conservateurs et travaillistes étaient portés aux postes de vice-présidents.
Le 19 mai 1970. le Cricket Council annonça que la tournée aurait lieu
c o m m e prévu A partir du 6 juin. Elle avait dkjà été réduite de 34 1i II matches. 11
fut annoncé en même temps qu’il n’y aurait plus d’autres échanges de tournkes
entre l’Afrique d u Sud et le Royaume-Uni ((jusqu’i ce que le cricket sud-
africain soit joué et les équipes sélectionnées en Afrique d u Sud selon des
critéres multiraciaux)). Ce communiqué, qui visait à calmer l’opinion publique,
ne réussit qu’à accroître encore son hostilité à cette tournée. Car, se demandait-
on, si on ne veut plus jouer à l’avenircontre une équipe qui a été sélectionnée en
fonction de la race, pourquoi jouerait-on contre celle-ci? Face aux pressions
considérables qu’exerçaient toutes sortes d’organisations et de personnes, le
gouvernement fut obligé d’intervenir.et le Cricket Council annula la tournée le
32 mai. Le principal objectif de la campagne contre cette tournée avait été
atteint.
U n e autre campagne eut lieu à propos de la participation de l’Afrique d u
Sud aux Jeux olympiques.
Afrique du Sud 136

L’articlepremier de la Charte olympique déclare : ((Aucune discrimination


n’est admise à l’égard d’un pays ou d’une personne pour des raisons raciales,
religieuses ou politiques.D
Cette disposition paraît exclure automatiquement l’Afrique du Sud du
Comité olympique.A partir de 1946,en effet, les organisations sportives sud-
africaines noires avaient protesté auprès du Comité olympique international
(COI)contre la représentation au sein de ce comité du Comité olympique sud-
africain qui était composé exclusivement de Blancs.Le COI ne réagit pas et il ne
semble pas que cette question ait même été abordée jusqu’en 1959. A cette date,
les sportifs des États africains qui venaient d’accéderA l’indépendancecommen-
çaient A s’imposeret ils étaient de moins en moins disposés A prendre part ii des
compétitions olympiques au côté de l’Afriquedu Sud.
En 1963,le COI adopta la résolution suivante :
((LeComité olympique national d’Afrique du Sud doit déclarer formelle-
ment qu’ilcomprend et accepte l’espritde la Charte olympique,et en particulier
de ses articles premier et 24. Il doit kgalement obtenir de son gouvernement,
avant le 31 décembre 1963,qu’il modifie sa politique de discrimination raciale
dans le domaine du sport et des compétitions organisées sur son territoire,faute
de quoi le Comité olympique national sud-africainsera contraint ii se retirer des
Jeux olympiques.>)
Ces déclarations n’ayant pas été faites et ces assurances n’ayant pas été
données, l’Afrique du Sud ne participa pas aux Jeux olympiques de 1964 A
Tokyo. A u cours des années qui suivirent, elle tenta de faire abroger cette
résolution.En 1967,elle présenta au Comité olympique international la liste des
((concessions))suivantes:
1. Alors que la participation aux Jeux olympiques était jusqu’alorsfondée sur
le principe que les non-Blancs représentaient les non-Blancs et que les
Blancs représentaient les Blancs,dorénavant les Noirs et les Blancs forme-
raient une seule équipe représentant l’Afriquedu Sud.
2. Alors qu’auparavant les participants blancs et non blancs devaient voyager
séparément pour se rendre aux Jeux olympiques,ils voyageraient ensemble
A l’avenir.
3. Alors qu’auparavant les participants blancs et non blancs devaient être
vêtus différemment,logés séparément et ne pouvaient défiler sous le même
drapeau au cours de la cérémonie d’ouverture,ils porteraient dorénavant le
même uniforme, seraient logés ensemble et défileraient en tant qu’équipe
intégrée sous le drapeau de l’Afriquedu Sud.
4. Alors qu’auparavant les Blancs et les non-Blancs d’Afrique du Sud ne
pouvaient jouer les uns contre les autres aux Jeux olympiques ou autres
réunions internationales,ils le pourraient désormais.
5. Alors qu’aux Jeux olympiques précédents, les fonctionnaires blancs étaient
seuls chargés de la sklection des participants,désormais des fonctionnaires
blancs et des fonctionnaires non blancs en nombre égal seraient chargés de
sélectionner les participants sous la présidence du Comité national olym-
pique d’Afrique du Sud pour tous les sports olympiques auxquels prennent
part des populations ou des groupes raciaux différents.
Ces aconcessions)) furent acceptées par le COI,bien qu’elles ne satisfissent pas à
la condition posée par sa résolution de 1963, qui demandait que le gouverne-
Le monde extérieur 137

ment sud-africainmodifie sa politique de discrimination raciale dans le domaine


du sport et des competitions organisees sur son territoire. Elles montrent ii quel
point l’Afrique du Sud Ptait soucieuse de participer aux Jeux olympiques. sans
pourtant faire ce qu‘on exigeait d’elle. c’est-&dire se conformer Li la Charte
olympique.
Quant ;I ce que les Sud-Africains noirs pensaient de ces ((concessions)).
M. I. S. Cassoo.Jee.vice-prt.sident de la border Soccer Ilnion (Federation de
football association des regions liniitropliesj et membre d u comitt; de la Ft;derii-
tion non raciale de tennis c1‘Afrique d u Sud. l’a expose en ces termes:
<<Entant que vrai Sud-Africain qui croit qu’en matière de sports seul le
mt;rite compte quelles que soient la race, la couleur ou la croyance,je ne vois
rien dans cette nouvelle dhai-clic qui doive nous transporter de joie. La
politique sud-iifricaiiieblanche d’apartheid en matière de sports a t’ait que notre
pays se trouve presque totalement esclu de L i scene internatioriale. C’estpour
Pviter d’en Ctre entièrement exprilst:qu’il a imagine cette mystitication ... C e n’est
que lorsque moi. Sud-Africain d e couleur cui\’rée.je pourrai participer a \ w les
Suti-Africainsblancs I: des c1iatnpiorin:its locaus. provinciau.\ et nationaux dans
mon pays sans être stigmatisi que .i’aurai des raisons de me rcjouir.))
L’attitude d’autres Africains noirs fut taut aussi claire lorsque IC COI
clkcida d’admettre l’Afriquedu Sud a u x jeiix d e 1968 ;I Mesicn : l’ensemble des
pays africains. reprcseritis par le Conseil suprfnie des sports en Afrique. decida
de se retirer d e ces jeux. L’linion soviL;tique. la France et l’Italie demaiidPrent la
convocation tl’iiriercuriiori speckle qui pcrmettrnil de rtiexamitier la question et
le Comite d’organisntiori ine\icain refusa d‘envojer l’invitation.
Sous ces pressions iiiterriatioiiales. le COI retira l’in\,itatioriqu‘il avait
adrcssce ;I l’Afriquedu Sud.
En 1970. le COI dccida (par 35 voix contre 38 et 3 abstentions) d’exclure
purement et siniplemcrit l’Afriqued u Sud (ILI mouvement olympique.

En avril 1973. le gouvernement neo-zelandais aiinula une tourriie que devait


hire tlaris son pays. au mois de juin, une cquipe de rugby sud-africainedont les
membres. sklectionntk selon IC critkre racial. etaient tous des Blancs.
ALIdebut clLi mois de janvier. le premier ministre nt;o-rL:laiidais,M. Nor-
m a n Kirk,promit de dissuader la FedL;ration de rugby nco-zdanclaise (NZRU)
d’inviter I‘cquipe d‘Afrique du Sud. 11 etait soutenu,dans son opposition i cette
Lournkc,par les oi-gnnisatinnset personnalit& suilantes:
La Federation of Labour (Contedération du travail), qui menaça d’inter-
dire it ses adherents d’assurer le transport des participants i cette tournee.
les services Iicîteliers dont ils auraient besoin. la livraison de leurs bagages et
la distribution de leur courrier.
M. Gotigli Whitlam. premier ministre d’Australie, qui a n n o n p que I’iquipe
sud -afri ca i ne n ’ohti endrai t pas 1 ’auto ri sati on de transiter par 1 ’Australi e.
Le Syndicat nbrilandais des gens de mer. qui observa une grève de vingt-
quatre heures contre l’apartheid.
L’Association nationale des prêtres catlioliqites.
L’Églisepresbytcrienrie de Nouvelle-Zdande.
Afrique du Sud 138

Le Comité des Jeux du Commonwealth de Christchurch, qui craignait un


boycottage de ces jeux au cas où cette tournée aurait lieu.
L’Union nationale des étudiants d’Afrique du Sud,qui demanda au gouverne-
ment et au peuple néo-zélandaisd’empêcher que cette tournée ait lieu.
Deux mouvements néo-zélandaisd’opposition à cette tournée,l’Association des
citoyens pour l’égalitt:raciale (CARE)et l’organisation ((Halte à toutes les
tournées racistes>) (HART),qui s’engagèrent A perturber les matches s’ils
devaient avoir lieu.
En février 1973,la NZRlJ annonça,malgré les mises en garde de M.Kirk,que
la tournée aurait lieu comme prévu. Le Parlement débattit de cette affaire en
mars.M.Kirk ne parvint pas it convaincre la NZRU de retirer son invitation A
l’équipe sud-africaine.Le Comité de rugby sud-africain(SARB) ne voulut pas
décliner cette invitation,ce qui aurait tiré ses hôtes d’embarras.Aussi M.Kirk
adressa-t-il,le IO avril 1973, des instructions A la NZRU pour que l’invitation
soit reportée.Ces instructions furent exécutées,non sans protestation.
Le premier ministre a expliqué que l’annulation de cette tournée avait été
motivée par quatre raisons: a) les tensions qu’elle aurait provoquées au sein de
la population néo-zélandaiseen exacerbant les divergences d’opinion A l’égard
des problèmes raciaux;b) les désordres et les violences qu’elleaurait entraînés;
ci les répercussions qu’elle aurait eues sur les relations internationales de la
Nouvelle-Zélande;di la quasi-certitude que les Jeux du Commonwealth de
1974, qui devaient avoir lieu en Nouvelle-Zélande, seraient un échec ou
devraient être annulés.
Cette annulation fut accueillie avec soulagement par toutes les parties
intéressées,y compris la NZRU et le SARB.Elle fut généralement considérée
comme une victoire des modérés de l’opposition à l’apartheid en Nouvelle-
Zélande,qui avaient réussi, dans ce pays passionné de rugby, à persuader le
gouvernement et l’opinionpublique de faire passer les principes avant le plaisir.
Après l’annulation de cette tournée, le S A R B annonça que des ((matches de
sélection mixtes» seraient organisés, uniquement pour les équipes de rugby qui
devaient faire des tournées, afin de former, à partir de 1974, les équipes de
((Springboks».

L’opposition de l’étranger a entraîné quelques modifications de la politique


d’apartheid en matière de sports. En 1973, il y eut pour la première fois un
match de boxe entre un Noir (américain)et un Blanc (sud-africain).Le sport en
Afrique du Sud a été déclaré ((multinational)), c’est-à-direque les équipes des
différents groupes ethniques peuvent désormais se rencontrer dans les épreuves
internationales.C’est sur ce principe que furent organisés les Jeux sud-africains
de 1973, ce qui fit croire aux concurrents étrangers, qui avaient accepté les
invitations ((tous frais payés)) que l’Afriquedu Sud leur avait adressées, qu’il
s’agissaitde jeux ((multiraciaux)), puisque toutes les races y participaient.I1 n’y
eut pourtant ni matches de sélection mixtes, ni équipes mixtes, ni public mixte.
A u niveau des clubs comme en province,le sport reste soumis it une ségrégation
rigoureuse.
Le monde extérieur 139

L a ségrégation de l’apartheid
Les Sud-Africainsveulent i tout prix qu’on les considère c o m m e un peuple de
tradition européenne. Les Blancs anglopliones ont les yeux tournis vers Londres
et les Afrikaners regardent en direction de Paris et d’Amsterdam. Ils cherchent i
avoir cles contacts avec l’Europe afin de rompre l’isolement géographique et
moral de l‘Afrique du Sud blanche. C’est là une réaction bien humaine, ct cela
est aussi nécessaire i l’idéologie de l’apartheid; la prétention qu’émettent les
partisans de l’apartheid de constituer l’avant-postede l’Europe en Afrique doit
être justifiée par la reconnaissance. de la part de l’Europe,de leur place dans le
courant de la culture européenne.
6 Quand
de tels hommes
se révoltent..

Nelson Mandela
Nelson Mandela est né en 1918 près d’Umtata,au Transkei. I1 était le fils aîné
d’un chef tembu. Le chef suprême de cette ethnie se chargea de son éducation
lorsque Mandela perdit son père, à l’âge de douze ans; mais, peu après,
Mandela s’enfuitpour Johannesburg afin d’éviterun mariage tribal.A seize ans,
il commença à étudier au Collège universitaire de Fort Hare en vue d’obtenir
par correspondance un diplôme de lettres de l’université du Witwatersrand et
son ami Walter Sisulu l’incita à faire des études de droit. I1 fut engagé comme
stagiaire dans une étude d’avoués blancs de Johannesburg,puis il accéda aux
fonctions d’avoué et commença à exercer en association avec Oliver Tambo,
lequel devait devenir président général par intérim de 1’African National
Congress (ANC).
Mandela contribua à la création de la Ligue de la jeunesse de I’ANCet
préconisa, à partir de 1949,l’adoption d’une politique plus active. I1 joua un
rôle important dans la campagne de désobéissance aux lois, en 1952,et fut un
des inculpés du ((procèsen trahison)).
Mandela,qui agissait toujours en contact avec son peuple et organisait les
volontaires de l’ANC((à la base)), acquit une influence particulièrement impor-
tante lorsque l’ANCfut interdit en 1960 et dut passer dans la clandestinité.I1
quitta son foyer,son bureau,sa femme et ses enfants pour vivre en hors-la-loi
politique et devint célèbre sous le surnom de ((Mouron noir)). C’est au nom de
Nelson Mandela que fut lancé en 1961 l’ordre de grève visant à protester contre
la déclaration de la république; c’est aussi lui qui fut nommé secrétaire du
Conseil national d’action qui venait d’êtrecréé.
En 1961,il assista à Addis-Abéba à la conférence du Mouvement panafri-
cain pour la liberté de l’Afrique orientale et centrale. I1 fut reçu par de hautes
personnalités africaines et visita des camps militaires d’entraînementen Algérie
et dans d’autrespays.
Dès la création de 1’Umkontowe Sizwe,l’organisationmilitaire de I’ANC,
en 1961,Mandela en fut nommé commandant en chef.
Dix-septmois après être entré dans la clandestinité,Mandela fut trahi par
Quand de tels hommes se révoltent... 141

un indicateur et condamné A cinq ans de prison pour avoir mené la grève de


1961 et pour avoir quitté le pays illégalement. I1 fut extrait de sa cellule en
octobre 1963 pour prendre place dans le box des accusés au procès de Rivonia;
il était cette fois accusé de sabotage et de complot en vue de renverser le
gouvernement par la violence. La déclaration vigoureuse qu’il fit du box des
accusés fut la première intervention de la défense à ce procès et constitue une
remarquable profession de foi dans la cause africaine.Six des neuf accusés,dont
Mandela,furent condamnés à la prison à vie.

Abram Fischer
Abram Fischer fut condamné i la prison A vie en mai 1966 pour sabotage.
Quelques rares Blancs s’étaient ouvertement opposés A l’apartheid et Fischer
devait symboliser leur dilemme,comme il devait heurter la susceptibilité de la
nation afrikaner aux yeux de laquelle il avait «trahi».11 était issu d’une famille
installée en Afrique du Sud depuis le XVIII‘ siècle et ses ancêtres avaient
participé aux guerres d’indépendance des Boers de 1881 et de 1889-1901.Fils
d’un président de tribunal et petit-fils d’un ancien premier ministre de l’État
libre d’orange, Rhodes Scholar, diplômé d’Oxford et membre éminent du
barreau,Fischer avait assisté i l’évolutionde la législation sud-africainedepuis
la loi sur l’interdictiondes mariages mixtes, peu après l’arrivéedes nationalistes
au pouvoir.jusqu‘à la loi sur le sabotage des années soixante.Il avait été l’un
des avocats de la défense au procès en trahison et il avait dirigé celle du procès
de Rivonia,pour ne prendre que deux exemples dans une longue série d’affaires
analogues.Peu avant d’êtrearrêté,Fischer était devenu le doyen du Barreau de
Johannesburg.
Pendant toute sa carrière,Fischer fut membre du Parti communiste,auquel
il avait adhéré lorsque ce parti fut interdit en 1950;car il le considérait comme
le seul parti dont l’oppositionii la domination blanche fût cohérente et suivie.I1
fut arrêté en septembre 1964 et accusé,en compagnie de douze autres Blancs,
hommes et femmes,d’appartenir au Parti communiste interdit. Les autres
inculpés furent condamnés à des peines d’un an A cinq ans de prison. Fischer fut
mis en liberté provisoire sous caution pour pouvoir assurer la défense A un
procès qui était resté longtemps en suspens en Rhodésie du Sud et qui avait été
renvoyé devant le Conseil privé. En présentant au tribunal sa demande de
liberté provisoire, Fischer avait déclaré: ((Je suis Afrikaner. M a patrie est
l’Afrique du Sud. Ce n’est pas parce que mes convictions politiques sont en
désaccord avec celles du gouvernement que je quitterai le pays.n
I1 gagna son procès et revint en Afrique du Sud. 11 disparut de chez lui
quelques mois plus tard,le 35 janvier 1965.et expliqua,dans une lettre que son
avocat lut au tribunal,qu’ilpassait dans la clandestinitéafin de poursuivre son
action contre l’apartheid.
((Si mon combat, expliquait-il.pouvait inciter ne serait-ce que quelques
personnes à comprendre et à abandonner la politique qu’elles suivent actuelle-
ment avec un tel aveuglement,je ne regretterais pas -lasanction que je peux
encourir,quelle qu’ellesoit.
)>Sil’ensemble de ce régime intolérable n’est pas radicalement et rapide-
ment modifié, il se produira certainement un désastre: un effroyable bain de
Afrique du Sud 142

sang et une guerre civile deviendront inévitables.Plus la majorité sera opprimée,


plus cette oppression sera combattue avec haine.Je ne peux plus servir la justice
comme j’essaie de le faire depuis trente ans;je ne peux plus le faire que de la
façon que je viens de choisir.N
I1 échappa à la police pendant dix mois - alors qu’une prime de 3000
livres avait été offerte pour son arrestation - travaillant dans la solitude et
vivant sous un déguisement, s’interdisant de voir ses enfants (sa femme avait
trouvé la mort dans un accident d’auto peu après le procès de Rivonia en 1964)
-mais il fut finalement arrêté le soir du 11 novembre 1965.
Fischer n’usa guère d’argumentsjuridiques pour se défendre à son procès.
En s’adressantde son box à la Cour,il expliqua pourquoi il avait choisi la voie
où il s’était engagé. I1 consacra une grande partie de sa déclaration à un
réquisitoire éloquent contre l’apartheid et à un plaidoyer en faveur de l’action
du mouvement de libération nationale.

Albert Luthuli
Le chef Albert John Mvumbi Luthuli -professeur, chef et dirigeant politique
du peuple sud-africain-est né en 1898 près de Bulawayo,en Rhodésie, où son
père était allé comme évangéliste.
Après avoir terminé ses études à l’École normale supérieure,il enseigna de
1921 à 1935 à l’École normale d’Adams College. Pendant cette période, il fut
nommé secrétaire de l’Association des enseignants africains du Natal et de la
Fédération sud-africainenon raciale de football,et il fonda la Société culturelle
et linguistiquezouloue.
I1 accepta en 1935 d’être nommé chef de la réserve de mission Umvoti de
Groutville,cédant aux sollicitations répétées des anciens de cette tribu. I1 fut élu
peu après président de l’Associationdu Natal et du Zoulouland et de l’Associa-
tion des réserves de mission. I1 fit partie du Conseil mixte des Européens et des
Africains de Durban et fut membre de l’Institut des relations raciales. I1 fut
aussi élu au bureau du Conseil chrétien d’Afrique du Sud et il participa en 1938
à la Conférence internationale des missions de Madras.
Son entrée dans la vie politique remonte à 1945,date à laquelle il adhéra à
1’ANCdu Natal.Ayant été élu au Conseil représentatif des indigènes en 1946,il
s’associa à ses collègues africains pour proposer que le conseil suspende ses
activités jusqu’à une date indéterminée,en signe de protestation contre les lois
discriminatoires.
I1 fut amené à participer activement à la lutte contre l’apartheid lorsqu’il
fut élu président de I’ANCdu Natal en 1951. Lorsqu’il entraîna ce territoire
dans la campagne de désobéissance aux lois injustesen 1952,le gouvernement le
mit en demeure de choisir entre son activité à I’ANCet ses fonctions de chef.
C o m m e il refusait d’abandonner l’une et l’autre de ces charges, il fut révoqué
par le gouvernement en 1962. Le mois suivant, il fut élu président général de
l’ANC, poste qu’il devait conserverjusqu’àsa mort tragique,le 21 juillet 1967.
Pendant les quinze années qu’il passa à la présidence de I’ANC,le chef
Luthuli dirigea de nombreuses campagnes pacifiques et non violentes. I1
s’efforça de rassembler tous les adversaires de l’apartheid - qu’ils fussent
Quand de tels hommes se révoltent... I43

africains. indiens. métis ou européens dans un m ê m e combat pour l’instaura-


~

tion d’une société démocratique non raciale.


Mais le gouvernement ne cessa pas de prendre des mesures d’interdiction
contre lui et de le faire arrêter. Lorsqu’il entreprit de visiter le pays en tant que
nouveau président général de 1’ANCen 1963, les autorités lui interdirent l’accès
de toutes les grandes villes et toute participation i des rassemblements pendant
un an. S’étant rendu 3 Johannesburg au milieu de 1954 pour y diriger une
inanifestation contre le déplacement forcé de 75 000 Africains de Sophiatown et
d’autres cités africaines. il fit l’objet de niesures plus sévères et fut astreint 3
résidence dans la région de Groutville pendant deux ans. II fut arret6 le 5
décembre 1956,avec 150 autres adversaires de l’apartheid. sous l’inculpation de
haute trahison.
Le tribunal l’ayant acquitté, il entreprit un voyage i travers l‘Afrique du
Sud, au cours duquel il prit la parole devant de nombreux auditoires blancs,
tentant d’ouvrir la voie ri une solution pacifique du problbme. Le gouvernement
prit de nouveau des mesures d’interdiction contre lui en 1959 et l’astreignit 3
résidence à Groutville pour cinq ans. 11 fut emprisonné pendant cinq mois en
1960, après la proclamation de l’état d’urgence, puis retourna en résidence
surveilli-e B Groutville. En 1964, lc gouvernernent prit li son encontre des
mesures d’interdiction plus rigoureuses pour une nouvelle période de cinq ans.
Ces mesures interdisaient notamment la publication en Afriquc du Sud de tout
écrit et de toute declaration du chef Luthuli.
Mais le gouvernement ne pouvait ni saper l’influence quc le chef Luthuli
avait acquise dans le pays, ni le réduire au silence. Les appels que Luthuli avait
lancés au monde contribuèrent en outre pour beaucoup ci lancer la campagne de
boycottage des produits sud-africains.ainsi qu’au retrait de l’Afrique du Sud du
Commonwealth.
I1 reçut le prix Nobel de la paix en 1960 et fut choisi c o m m e lauréat de la
Society for the Family of M a n (Société de la fiimille humaine) de N e w York. II
fut d’autre part élu recteur de l’universitéde Glasgow.
cJ’ai pass& trente ans de ina vie ii frapper patiemment. modérément et
modestement, mais en vain. ri une porte fermée et barrée)), déclara-t-il dans
l’allocution qu’il prononça lorsque le gouvernement mit fin 3 ses fonctions de
chef.I1 décida de continuer i participer ri la lutte ((pour l’extension des droits et
des responsabilités démocratiques ii tous les di-ments dc la communauté sud-
;Ifricai ne.)
)

Aprbs le massacre de Sharpeville de 1960 et l’interdiction de I’ANCet du


P A C . la résistance fut obligée de passer dans la clandestinité et cessa de n’avoir
strictement recours qu’ri l’action non violente. Au cours de sa dernière interven-
tion publique. 3 la fin du procès de Rivonia, le chef Luthuli déclara :
((Le Congrès national africain n’a jamais abandonné ses méthodes d’action
militante non violente, ni renoncé à doiiiier ainsi au peuple le sens de la lutte.
Mais devant l’intransigeance avec laquelle les Blancs ont refké d’abandonner
une politique qui prive les Africains et les autres Sud-Africainsopprimés de leur
héritage légitime la liberté -~~ personne ne peut reprocher à des h o m m e s
justes et courageux de chercher 5 obtenir la justice en recourant ii la violence: et
l’on ne pourrait pas non plus leur reprocher de chercher A constituer une force
organisée en vue d’instaurerfinalement la paix et l’harmonieentre les races.H
Afrique du Sud 144

I1 exhorta le monde à prendre des mesures décisives pour contribuer à


mettre fin à l’odieux régime de l’apartheid.
I1 trouva la mort dans un accident de chemin de fer en Afrique du Sud en
1967.
Dans un ((Appel adressé au peuple du Royaume-Uni)) en mai 1963, le chef
Luthuli s’était félicité de la résolution que l’.Organisationdes Nations Unies
venait d’adopteret ajoutait:
((Je vous demande de vous unir pour exiger de vos gouvernements qu’ils
respectent les résolutions votées par l’organisation des Nations Unies. Je vou-
drais que ni vous ni votre gouvernement ne vous laissiez dissuader d’agir par
l’argumentsouvent invoqué par nos oppresseurs,que nous, les Noirs, aurions
plus à souffrir que les Blancs des boycottages et des sanctions. Nous avons
souffert bien avant d’adresser aux nations du monde un appel en faveur de
boycottages et de sanctions. Nous nous sommes engagés à endurer les souf-
frances qui nous conduiront à la liberté -comme ce fut le cas pour tous les
peuples opprimés qui nous ont précédés depuis la nuit des temps. Ce que nous
sommes résolus à ne pas faire,quoi qu’ilen doive coûter,c’est accepter un statu
quo qui nous réduit à un état de semi-esclavagedans notre pays.
»...Unjour viendra sûrement où l’Afrique du Sud sortira de la nuit
obscure du fanatisme racial et prendra place parmi les nations libres du monde.
Vous tous -peuples et gouvernements-pouvez hater la venue de ce jour,et
ce sera à votre honneur.
>) ...Aux nations et aux gouvernements du monde.. .je dis ceci: Renoncez à
toute hypocrisie et à toute duplicité... Ne croyez pas que nous nous laisserons
abuser par vos pieuses protestations tant que vous accepterez de pardonner,
d’aider et de soutenir activement la tyrannie qui s’exercesur notre terre...C’est
aux actes -aux actes contre l’oppression-que vous serezjugés.))
Dans son autobiographie intitulée Liberté pour inon peuple, Luthuli a écrit
les lignes suivantes:
((L’indignationdes autres pays peut avoir une influence réelle sur le cours
des événements à venir en Afrique du Sud... Nous ne sommes pas anti-Sud-
Africains. Nous sommes hostiles à la suprématie des Blancs. Nous n’entrerons
pas dans de sombres conspirations avec des puissances étrangères. Mais nous
sommes vivement conscients que la réprobation et l’ostracisme des autres pays
auront pour effet, s’ils sont bien dirigés, d’abréger les effusions de sang et le
temps de la servitude.))
II Namibie
Namibie 146

BOTSWANA

NAMIBIE

gReho I

RÉPUBLIQUE SUD-AFRICAINE

\L
Répartition des terres en Namibie. ED BANTOUSTANS
1 Historique

Namibie est le n o m que l‘Assemblée générale a donné ri l’ancien territoire du


Sud-Ouestafricain lorsque l’organisation des Nations Unies a mis fin en 1966
au mandat qu’y exerçait l’Afrique du Sud.
La Namibie compte 610 000 habitants (selon l’évaluation faite par l’Afrique
du Sud. mais les Namibiens affirment que cette population a ;té fortement sous-
évaluée afin que le territoire apparaisse c o m m e moins important qu’il n’est). Sa
superficie est de 871 100 kilomktres carrés, y compris Walvis Bay (1 I70 kilo-
mètres carrks). rkgion qui fait partie de l’Afrique d u Sud, mais qui est adminis-
trée c o m m e un territoire namibien.
L a Namibie se compose de trois zones géographiques distinctes: LI) le
plateau central (qui couvre plus de 50% des terres et où la pluviosité annuelle
est inférieure ri 50 millimètres); h) le Namib (zone désertique du centre. dont la
largeur varie entre 65 et 130 kilomètres et où la pluviosité annuelle est inférieure
li 50 millimètres): c) le Kalahari (zone orientale sans eaux de surface).
Le territoire a été divisé en deux zones administratives: cri la ((zone de
police)), qui est la région où des colons européens se sont établis et qui com-
prend de petites réserves africaines dispersées: elle couvre les deux tiers de
l’ensemble du territoire et c’est là qu’on trouve les principales villes, industries
et exploitations minières: hl la région du Nord. qui comprend les réserves où vit
plus de la moitié de la population africaine: trois zones viennent d’y être
désignées c o m m e hoiizrkiiirls autonomes.
L a Namibie est handicapée par I’insuffisnnce de la pluviosité. Les seuls
cours d’eau permanents sont le Kunene, 1’Okavango et l‘Orange.Les rivières de
l’intérieur ne coulent que par intermittence,après les grosses pluies.
Le pays possède deux ports, Walvis Bay et Lüderitz (lequel est assez peu
profond). Les principales villes sont Windhoek (le centre adniinistratif. dont la
population est de 47000 habitants). Lüderitz, Walvis Bay (16 500 habitants),
Tsumeb. Orangemund. Keetmanshoop, Okahandja et Otjiwarongo (qui
comptent toutes moins de 10 O00 habitants). Toutes ces villes sont situées dans
la zone de police et c’est là qu’habite la majeure partie des colons (dont le
nombre total passe pour etre de 96000).
Les Africains vivent dans des ((quartiers)) séparés ou dans des camps qui
Namibie 148

doivent se trouver à plus de 500 yards (457 mètres) des villes blanches. La
Bande du Caprivi est un couloir reliant la Namibie au point où le Zambèze
forme la frontière entre le Botswana,la Zambie et la Rhodésie (voir la carte).
C’est une zone aride qui n’a que 32 kilomètres de large sur presque toute sa
longueur. Dans sa partie orientale, qui est peuplée, se trouve la grande base
militaire et aérienne de Katime Mulilo, qui constitue un élément des lignes de
défense septentrionales de l’Afrique du Sud et qui est aussi la cible de nom-
breuses attaques de guérilleros.
2 L’économie

Le produit intérieur brut de la Namibie s‘élève ii 145 millions environ de livres


sterling, mais son revenu national n’est que d’en\iron 35 millions de livres
stcrliiig. L’écart entre les deux chiffres s’explique par le montant des bi-iiéfices
prélevés par des sociétés d’Afriqued u Sud et d’autres pays.
Plus de 30”; du comInerce extérieur relèvent du secteur de l’extraction
minière. La Namibie est le deuxième producteur de diamants du monde (après
l’Afrique du Sud).

Les minéraux
L a société D e Beers Consolidated Mines of South Africa Limited. qui a une
concession de 96 kilomètres de large sur 335 de long dans la région côtière.
réalise un bénéfice net d’environ 25 millions de livres par an et ;I la haute main
sur 90°4 de la production des diamants. Celle-ci représente en valeur plus de la
moitié de l’ensemble des minéraux extraits du sol et rapporte ii l‘État quelque 15
millions de livres en droits et impots (soit plus de deux fois le montant des
dépenses qu’il consacre ii l’ensemble des services destinés aux Africains. y
compris l‘fducation). O n a estimé ~ L I ’ L ~ L Irythme actuel de l‘extraction, les
réserves diamantifères pourraient être épuisées en 1980. Environ 80”/0 de la
production totale des mines de cuivre,de plomb, de ~inc.de cadmium, d’argent.
d’étain, de vanadium, de béryllium et de lithium sont fournis par la socii-té
Tsumeb, dans laquelle des firmes étrangères détiennent d’importantes participa-
tions. Entre 1947 et 1966,la valeur brute des minéraux métalliques extraits par
la Tsumeb s’est élevée i plus de 350 millions de livres sterling.
La prospection continue ii un rythme sans précédent. E n 1969, les 85
concessions qui avaient été accordées couvraient 4 millions d’hectares. dont la
totaliti.des 1390 kilomètres de côtes. L a mine d‘uranium de Rossing. près de
Walvis Bay. constitue une grande réalisation. L’Autorité britannique de l’éner-
gie atomique s’y procurera au cours des années soixante-dixpour 45 millions de
livres de minerai.
L a quasi-totalité des entreprises minières se trouve en dehors des (< réser-
Namibie 150

v e w noires. Même le minerai de fer du homeland du Kaokoveld sera exploité


par une direction blanche, les Namibiens noirs n’y faisant que des travaux non
spécialisés,contre un faible salaire.

L’agriculture
La Namibie fournit près de la moitié de la production mondiale de caracul
(l’astrakanqui est utilisé pour les fourrures de luxe) et en exporte pour plus de
12 millions de livres sterling par an vers la République fédérale d’Allemagne,
l’Italie,la France,les États-Unisd’Amérique et les pays scandinaves.Les peaux
sont pour la plupart vendues aux enchères à Londres. Le climat sec de la
Namibie convient au mouton caracul,dont l’élevage se fait dans des domaines
appartenant à des Blancs, au sud de Windhoek (les Namibiens occupant rare-
ment des emplois plus lucratifs que ceux de berger et d’ouvrier agricole).
La Namibie vend à l’Afrique du Sud de la viande de bœuf et de mouton
congelée ou en conserve,ainsi que du bétail sur pied, des peaux et de la laine.
Les ventes de bétail des ((réserves)), où la santé du cheptel laisse beaucoup à
désirer,représentent moins de 1 YOdu total.

L a pêche
Walvis Bay et Lüderitz exportent chaque année pour 25 millions de livres
sterling environ de produits de la pêche -conservesde poisson,aliments à base
de poisson et huile de poisson. Le volume total des prises s’élève à plus de
1 million de tonnes par an (essentiellement de sardines, de langoustes, de
barracudas et de morues). De nombreux bateaux étrangers pêchent au-delà des
12 miles des eaux territoriales. Le secteur de la pêche n’emploie que 3000
personnes environ et la majeure partie des bénéfices qui y sont réalisés va à
l’étranger.

L e tourisme
Les Sud-Africainssont si nombreux à venir visiter les divers sites spectaculaires
de la Namibie -des gorges de la Fish,au sud,à la réserve d’animaux d’Etosha
Pan, au nord - que les revenus que l’État sud-africain tire du tourisme
pourraient dépasser ceux que lui rapporte le secteur de la pêche. La participa-
tion des Namibiens à l’activitétouristique se limite aux emplois domestiques.

Les salaires
L’Institut sud-africain des relations raciales a constaté, en 1967, un ((large
écart)) entre les rémunérations des Blancs et celles des Noirs et il a fait observer
qu’il devait être extrêmement difficile - voire impossible - pour les Noirs
d’acheter une nourriture convenable. Les mineurs africains recrutés sous
L’économie 151

contrat,par exemple,gagnent 9 20 pence par jour,en étant nourris et logés.


Les ouvriers agricoles sous contrat, qui sont strictement classés par catégories
selon leurs aptitudes et leur ancienneté,gagnent quant à eux entre 6 et 8,5 rands
par mois. plus leur nourriture. Le salaire minimal légal d’un ouvrier du
bâtiment débutant est de 7,5 a 9 pence par jour -le salaire hebdomadaire est
en fait un peu plus élevé - sans logement ni nourriture. Les ouvriers sont
censés économiser une partie de leur salaire pour envoyer de l’argent leur
famille.U n journal a signalé en 1971 que ((les ouvriers sous contrat employés a
Windhoek et dans la région gagnent en gros 5 livres sterling par mois)) (plus
logement,nourriture et vêtements) tandis que les ouvriers résidant en perma-
nence dans la région (et qui sont la minorité) «gagnent en général 25 livres
environ par mois)). Mais on ne peut m6me pas tenir ces chiffres pour certains,
puisqu’il a été prouvé que des feuilles de paie avaient été soigneusement falsi-
fiées A l’occasionde la visite de la commission d’enquête des Nations Unies au
chantier de construction dii barrage de Ruakana Falls1.

Les services sociaux


Les pensions sont analogues à celles qui sont versées en Afrique du Sud,où les
Africains âgés reçoivent 75 pence par mois.II n’existe pas de services sociaux en
dehors des régions blanches. La Commission Odendaal avait recommandé que
les Africains 5gés ainsi que les autres personnes ayant besoin d’une assistance
sociale soient renvoyés dès que possible dans leur honirlmd.
3 L’éducation

L’éducation des Africains de Namibie est régie par la loi sur l’éducation ban-
toue. Les dispositions et l’application de cette loi ont été exposées dans la
première partie du présent ouvrage.
Les statistiques de 1972 montrent qu’en Namibie les autorités des home-
lands gèrent peu d’écoles (7 sur 423,contre 1 sur 10 en Afrique du Sud). Pour
les écoles d’agriculture (créées par les agriculteurs blancs à l’intention de leurs
employés), la proportion est encore plus faible (4 sur 473, contre 1 sur 4 en
Afrique du Sud). Les établissements scolaires sont pour la plupart des écoles
communales.Les chiffres suivants,qui reposent sur les statistiques de 1973,sont
tirés du numéro de mars 1974 du Bantu education journal, publié par la Répu-
blique sud-africaine.
Catégories d’établissement.Élémentaire, 243; primaire (1”‘ cycle), 30; primaire
(2’cycle), 207;secondaire, 8;technique, O; normal, 6;professionnel, 4;
école spéciale,1.
Autorités administratives. Nationale ou territoriale, 12; communale,443; agri-
cole, 4; minière, O; industrielle, O; Église catholique, O; autres écoles
confessionnelles et privées,32.
Les dépenses consacrées aux élèves noirs ne représentent que le tiers de celles
qui sont consacrées aux élèves blancs (bien que les Noirs soient sept fois plus
nombreux). Cela correspond aux proportions observées en Afrique du Sud.
A u total donc,en 1972,98,18% des élèves africains fréquentaient les écoles
primaires, 75,68% d’entre eux se trouvant dans les classes correspondant aux
quatre premières années.
Les effectifs de la classe enfantine A à la classe primaire II représentaient
75,68% des élèves africains (contre 66,89% en Afrique du Sud); ceux des classes
primaires III à VI constituaient 22,5% de l’effectiftotal (contre 27,98%), ceux
des classes secondaires I à III, 1,67O/0 (contre 4,65%) et ceux des classes
secondairesIV et V,0,15% (contre 0,48%).
Le nombre des élèves des établissements de formation pédagogique élémen-
taire représente 88,54% des effectifs des écoles normales de Namibie (contre
83,06% en Afrique du Sud), et celui des élèves de l’enseignement normal
primaire 11,46% (contre 16,94% en Afrique du Sud).
L’éducation 153

TABLEAU 1. Effectifs scolaires (à I’euclusioii des écoles techniques et professionnelles et des


écoles normales)
~~ .~. ~ ~~~~~~~~~~~~~~ . ~~ ~~~ .~

hoinhre
d,S,è\.e~ Puuricntagc

Ecoies scworzdoiïcs ~COkl’S[Jïil?llliïf’,S


Classe v 51 0,05 Classe VI 3 771 3.53
Classe IV 110 0.10 Classe v 4412 4.74
Classe III 378 0.36 Classe IV 6 536 6.70
Classe II 575 0.55 Classe III Y 005 8.53
Classe 1 805 0.76 Classe Il 12 030 11.40
Classe I 15 Y35 15.10
Classes enfiiritines B 19 513 18,50
Classes enfiintines A 32 300 30.68

Les m ê m e s proportions s’observent dans les écoles professionnelles (qui


sont toutes situées dans les izmm~/mds). Les Africains de Namibie n’ont nieine
pas la possibilité IimitPe de suivre des cours p»stscolaires ou des cours d u soir
c o m m e il en existe pour les Africains dans certaines zones urbaines de la
République sud-africaine.
4 Histoire
et peuplement

Les frontières naturelles de la Namibie en font une région distincte de l'Afrique


du Sud.
Le fleuve Kunene, qui forme une partie de sa frontière avec l'Angola,au
nord, a séparé des populations dont les cultures étaient pourtant très proches.
Les Portugais occupaient les ports et les principaux centres commerciaux de
l'Angola depuis le xv" siècle,mais les Blancs ont été peu nombreux à pénétrer
en Namibie.
A u sud, c'est le fleuve Orange qui forme la frontière. I1 coule au milieu
d'une zone aride qui a permis à la Namibie d'échapper aux influences méridio-
nales. Après que le fleuve eut été reconnu comme frontière,au XVIII"siècle, des
réfugiés et migrants africains,repoussés vers le nord par les colons hollandais
du Cap,continuèrentà pénétrer en Namibie.
Les trois lignes droites qui forment la frontière orientale (le long du
méridien de 20" est ou à l'est de ce méridien) traversent la région aride du
Namaqualand, le désert du Kalahari et passent à l'ouest des marais de l'Oka-
wango,qui forment de nouveau une frontière naturelle.
A l'ouest,'c'est l'océan Atlantique. I1 n'a pas protégé l'Angola contre les
débarquements des Portugais,ni contre les razzias des négriers. Mais la côte
namibienne est renforcée sur presque toute sa longueur et sur une profondeur
qui atteint parfois 160 kilomètres par le désert du Namib -paysage de hautes
dunes de sable sec où la pluviosité est quasi nulle et la vie animale et végétale
négligeable -ce qui a fait reculer les premiers explorateurs.
L'Europe ne savait pas grand-chosede la Namibie jusqu'au jour où,en plein
XIX"siècle,des commerçants et des chasseurs découvrirent les paysages variés de
l'intérieur du pays ainsi que les communautés qui s'y trouvaient disséminées.
Lorsque l'indépendance de ses colonies d'Amérique obligea le Royaume-Uni à
rechercher de nouveaux lieux où déporter ses bagnards,le Sud-Ouestafricain fut
tout d'abord considéré comme idéal pour les condamnés ainsi que pour les
((Américains loyaux)) et autres colons. U n sloop de la marine de guerre y fut
envoyé,mais fit savoir que toute la côte,du 15" au 33' degré de latitude sud,
n'était que du sable aride - il s'agissait évidemment du désert du Namib.
Le projet fut abandonné et Botany Bay choisi de préférence à la Namibie.
Histoire et peuplement IS5

L a Namibie,qui fut A l’origine le pays des Sans (Boschimans). avait en fait


accueilli depuis des siècles (depuis le xve siécle, sans doute, ou peut-être m ê m e
avant) des populations de langue bantoue venues d u centre et de l’est de
l’Afrique,ainsi que des Khoi-Khois d u sud.
Les groupes qui y immigrèrent (en suivant une route assez semblable A celle
que prennent aujourd’hui Ics guérilleros qui luttent contre les Sud-Africains
blancs) y trouvèrent une savane et des bois passablement arrosés au sud du
Kunene et i l’ouest. dans 13 région plus sèche du Kaokoveld. L a plupart s’y
établirent,tandis que des groupes plus entreprenants se risquèrent plus au sud A
la recherche de nouveaux pàturages pour leurs vastes et précieux troupeaux.
Ceux qui s’établirent vécurent paisiblement au centre de la Namibie
jusyu’au jour où d’autres groupes, faisant mouvement vers le nord pour fuir la
domination de la colonie hollandaise d u Cap, vinrent leur disputer les pùturages
et les points d’eau. I1 y eut. au cours des années 1830,une longue série d’escar-
mouches (surtout entre les Hereros de langue bantoue venant du nord et les
N a m a s [Khoi-Khois]et des groupes hétérogènes venant du sud), et cela donna
aux premiers auteurs européens qui avaient pénCtré en Afrique par Walvis Bay
l’impression d’une guerre d’extermination entre indigPnes.
En rédité. les diverses communautés de Namibie avaient connu plusieurs
siècles de paix et elles s‘étaient constitué une culture et un mode de vie
convenant ii leurs divers milieux naturels. Leurs villages n’étaient pas fixes. ii
cause de la présence d’animaux sauvages et de l’irrégularité des pluies. mais ils
étaient harmonieusement consus. Les groupes les plus puissants (Ordonga.
Ukwanynma, Ovatjiniba, Herero, N a m a ) adoptèrent des costumes qui les dis-
tinguaient. Leurs religions et leurs systèmes sociaux étaient incompréhensibles
pour les aventuriers venus d’Europe qui eurent les premiers contacts avec ces
populations, et furent généralement mal interprétés et mal vus des missionnaires
chrétiens qui voulurent les convertir ii leur propre religion et ii leurs coutumes
sociales étrangères.
L a Namibie était donc habitée par des communautés pastorales qui for-
maient une société cohérente; ces communautés cultivaient aussi la terre et
(surtoutdans le nord) travaillaient le fer et faisaient du commerce; leurs chefs se
reconnaissaient généralement un souverain. lequel pouvait conclure des traités
avec les dirigeants d’autres groupes de langue ou d’origine ethnique différentes,
c o m m e par exemple les Oviimbos (au nord) et la ((Nation rouge)) (dans le
centre). Entouré par le désert sur trois côtés et soumis ailleurs i l’irrégularitédes
pluies, ce pays avait formé un peuple robuste et mobile, mais les mêmes facteurs
rivaient aussi diffkré la pénétration des idées et de l’éducationmodernes.

Comparées aux siècles qui les avaient précédées, les trente années de colonisa-
tion allemande paraissent bien courtes. L a culture des Allemands, leur sens
moderne de J’efficacitéet leur attitude autoritaire les firent se heurter A l’ordre
social que les Namibiens étaient en train d’instaurer. et aboutirent presque
l’élimination de sections entières de cette communauté hétérogène.
Lorsque les missionnaires allemands arrivèrent, au cours des années 1840,
le commerce de la Naniibie était déjà très important - bétail, ivoire, guano
(récolté dans les îles) et cuivre.
Le conflit qui opposait les groupes namas, dirigés par Jonker Afrikander et
Namibie 156

Hendrik Witbooi,aux Hereros, commandés par Maharero, risquait de nuire à


ce commerce et cela incita les Allemands à intervenir.La conférence de Berlin
de 1884-1885,au cours de laquelle les puissances européennes se partagèrent
l’Afrique,reconnut les intérêts allemands sur la partie de la côte comprise entre
les fleuves Orange et Kunene.U n nouvel élan de colonialisme (dû notamment à
l’impulsion du successeur de Bismarck, le chancelier von Caprivi) ainsi que
l’action des missionnaires et les intérêts commerciaux aboutirent à ériger le
Sud-Ouestafricain en colonie de la couronne allemande en 1890.
Les Allemands construisirent des routes,un chemin de fer, des villes et des
forts. Les colons allemands poussèrent Berlin à renforcer sa mainmise sur les
Namibiens,lesquels apprirent vite ce qu’illeur en coûtait de refuser la ((protec-
tion) )allemande.
La colonisation allemande fut particulièrement ressentie par les Hereros et
par les Namas,qui se rendaient compte qu’elle était conçue pour durer et que
leur avenir ne déboucherait sur rien d’autre que l’assujettissement aux Alle-
mands,qu’ilsjugeaient plutôt d’après le comportement du colon moyen dans la
vie de tous les jours que d’après les professions de foi des missionnaires et des
administrateurs.
Une redoutable maladie (la peste bovine) se propagea d’Afrique du Sud au
bétail des Hereros,qui fut ravagé à 95% en 1897.A partir de là,la situation des
Hereros devint de plus en plus désespérée; Samuel Maharero chercha à s’allier
à son vieil ennemi Witbooi ainsi qu’avec des chefs éloignés,dans I’Ovamboland.
Les Hereros résistèrent pendant six mois, recouvrant des territoires qu’ils
avaient perdus et incitant d’autres groupes à se révolter contre une occupation
devenue intolérable. Mais, en juillet-août 19 14, des troupes de renforts arri-
vèrent d’Allemagne sous le commandement du général von Trotha et la rébel-
lion africaine fut écrasée.
Une série de décrets furent promulgués pour dissoudre les organisations
tribales, prohiber le port des emblèmes tribaux, interdire aux Hereros et aux
Namas d’élever du bétail et déposséder de leurs terres les tribus rebelles. Ces
sanctions visaient en outre à obtenir de la main-d’ceuvre africaine pour les
colons allemands.Selon Helmut Bley :
((L’intégration,personne par personne, des tribus africaines au marché
européen du travail,suivant la politique consciemment appliquée par les autori-
tés allemandes,fut menée à bonne fin.Quatre-vingt-dixpour cent des Africains
mâles furent engagés comme ouvriers au service de maîtres européens.En 1912,
il ne restait plus, au sein des tribus herero et nama, que 200 hommes sans
emploi rémunéré. Les lois du territoire étaient différentes, dans tous les
domaines, selon qu’il s’agissait ou ne s’agissait pas d’indigènes.Les mariages
mixtes, tant civils que religieux, étaient interdits. Les tribus herero et nama
furent totalement désintégrées.L’ethnologueWagner a montré qu’à la suite de
ce désastre,les structures sociales des Hereros se trouvèrent démantelées et que
leurs us et coutumes traditionnels perdirent une grande partie de leur
influence... O n ne voyait généralement plus que des travailleurs itinérants qui
passaient d’uneferme à l’autre,qui allaient dans la brousse, sur les chantiers de
constructionet vers les vastes camps des cités indigènesi.))
i Helmut BLE) «Genesis from conquert to manddteu dans Rondld SEGAL et Ruth FIRST(dir pupl) Soutintnt Africa
Irowf).of f r u t London, Andre Deutsch 1967
Histoire et peuplement 157

Les colons allemands n’avaient apparemment pas prévu que les Africains se
rkvolteraient contre la suprématie européenne. la colonisation allemande et la
réduction de la population au rang d’une main-d’œuvre servile. Mais en
s’appropriant les terres des Hereros et des Namas, dont toute l’économie
reposait sur l’élevage.les colons allemands les avaient automatiquement appau-
vris. La colonisation et la religion chrétienne avaient sapé les institutions poli-
tiques des indigènes et les fondements du culte de leurs ancètres. et aux motifs
de ressentiment contre la conquête coloniale s’ajoutait la discrimination écono-
mique et raciale.
Après la révolte, ce furent les autorités militaires qui prirent le commande-
ment et non l’administration civile. Von Trotha, qui avait participé à l‘écrase-
ment de la révolte des Boxers, considérait les combats de Namibie c o m m e une
guerre raciale dont la seule solution était l’extermination. Mais tous les Alle-
mands ne partageaient pas son avis. Le Kaiser le releva de son commandement
en novembre 1905 et le chancelier allemand décréta que les proclamations du
général constituaient une atteinte aux principes mêmes de In morde humaine et
chrétienne. Les colons eux-mêmes avaient tout d’abord été favorables à von
Trotha, mais, A mesure que la guerre se déroulait. ils se mirent à craindre de
plus en plus que sa politique d’extermination ne les privat des moyens mêmes de
prospérer,c’est-à-dired’une main-d’œuvreafricaine abondante et peu coûteuse.
Tout ce que les colons désiraient.c’est une société dans laquelle leur suprématie
et leur fortune seraient assurées. 11s ne voulaient pas de l’État <<blanc>> de von
Trotha et ils n’étaient pas non plus favorables Li l’idée,avancée en Allemagne,
de cri-er un État africain si-paré car ces deux solutions auraient abouti à
~

renverser le système des rapports sociaux entre eux et les indigènes. Ils étaient
partisans d’atténuer les projets de von Trotha. par souci d’humanité, et de
rétablir l’autoritédes colons. pour des raisons politiques.
Leurs craintes étaient justifiées. La majorité d u Reichstag était d’avis qu’il
fallait laisser aux Hereros les territoires qui leur appartenaient,mais cette idée se
heurta aux objections juridiques du Ministère allemand des colonies. Le gou-
vernement allemand et les colons approuvèrent les décrets assurant la supréma-
tie des Européens et la sujétion des indigènes. Les Hereros ayant été ((pacifiés))
et les colons ne redoutant plus guère une autre grande révolte africaine, les
divergences entre ces derniers et le Ministère des colonies s’accentuèrent. Après
le démantèlement de la société tribale africaine,les colons estimèrent qu’il fallait
instituer un régime semi-féodal fondé sur des exploitations agricoles apparte-
nant A des Européens. Dans ce système, les Africains auraient constitué une
main-d’œuvre servile,qui n’aurait gut‘re été autorisée à changer d’employeurset
aurait été mal nourrie de façon à ne pas devenir trop ((intrépide)), tandis que les
agriculteurs européens auraient disposé d’un pouvoir de chitiment absolu, y
compris le droit de punir par le fouet.
Bley fait observer que :
G L a politique allemande dans le Sud-Ouest africain a continué à reposer
sur l’assujettissement des Africains en tant que classe ouvrière. Son principal
objectif était de permettre aux colons allemands de renforcer leur position.
Cette politique fut déterminée par les structures agraires du territoire colonial et
elle ne changea pas m ê m e lorsque les revenus tirés des industries d u diamant et
du cuivre couvrirent la totalité du budget... L’octroi de l’autonomie,c o m m e le
Namibie 158

système éducatif et la politique foncière furent tous subordonnés à cet objectif


fondamental:consolider la position des colons allemands1. ))
Après l’ultime défaite de l’armée herero dans le Waterberg, von Trotha
avait eu à sa merci la quasi-totalité des membres de cette tribu; quelques
milliers d’entre eux échappèrent toutefois à son encerclement et franchirent
l’hahekeSandveld pour pénétrer dans le Botswana (qui était alors un protec-
torat britannique). Vingt pour cent seulement des Hereros survécurent à la
guerre;quant aux Namas, qui étaient peut-être 60% à avoir survécu,ils ne se
soulevèrent en masse qu’après la défaite du Waterberg.Von Trotha exposa sa
politique en ces termes:
«Tout homme de la tribu herero qui se trouvera à l’intérieur du territoire
allemand sera fusillé,qu’il soit armé ou non,qu’il ait du bétail ou qu’il n’en ait
pas. Le territoire sera interdit aux femmeset aux enfants;ceux-ciseront repous-
sés vers leur peuple ou chassés à coups de feu. C’est là tout ce que moi, grand
général du puissant empereur d’Allemagne,j’aià dire à la nation herero.))
I1 resta gouverneur militaire pendant une année encore et, bien que Berlin
annulât ses ordres,des milliers de Hereros qui étaient revenus en franchissant
clandestinementla frontière du Botswana ou en passant par l’Omaheke succom-
bèrent aux travaux forcés ou à la famine. I1 ne resta plus que 1200 Hereros
vivants en Namibie et le bilan des pertes consécutives à la famine et aux
massacres fut lourd dans tout le pays.
Les dix dernières années de la domination allemande ont été analysées dans
The natives of South West Africa and their treatment by Germany (HMSO,
1918), rapport établi par le gouvernement britannique au cours de la première
guerre mondiale pour justifier le transfert de la colonie sous son autorité,une
fois que l’Allemagne serait vaincue. Ce rapport accusait les Allemands d’avoir
négligé les intérêts sociaux des Namibiens,de les avoir empêchés de participer à
la vie économique, de les avoir privés d’écoles,d’avoir recruté de la main-
d’œuvre jusqu’en Ovamboland (qui n’avait jusqu’alors généralement pas eu à
souffrir de la colonisation allemande), et il accusait les agriculteurs de la colonie
allemande d’avoir soumis la main-d’œuvrenamibienne à d’effroyables sévices,
allantjusqu’aumassacre.Certains de ces agriculteurs passèrent en jugement.
Lorsque l’Allemagnefut vaincue en 1918,ses colonies lui furent confisquées
par les autres puissances. L‘ultime coup du sort, pour les Namibiens, fut que
leur «libération» de la domination allemande leur vint d’une puissance dont ils
ne pouvaient attendre qu’une oppression de nature différente,peut-être,mais
tout aussi pesante.

I. Helmut BLEY,op. cif.


5 L a relève
sud-africaine

Les gouvernements britannique et sud-africain avaient pris depuis longtemps


ombrage de la présence allemande sur le fleuve Orange,et cela pour des raisons
très complexes.
Rhodes avait rêvé d’une Aîrique dominée par la ((race)) anglaise. Botha
avait envisagé de conquérir le Sud-Ouestafricain quelques années avant 19 14,et
Smuts considérait ce territoire comme «une partie de notre patrimoine afrika-
ner n. Les Sud-Africainsanglophones soupçonnaient les colons allemands de
Namibie de sympathiser avec les Afrikaners, ce qui menaçait la sltcurité de
l’État,encore mal remis de la Guerre des Boers.Le Royaume-Uni,pour sa part,
craignaitde voir l’Allemagnecouper la route du Cap vers l’Inde.
En revanche,il y avait en Angleterre des libéraux qui pensaient qu’une
entreprise commune de colonisation anglo-allemandeen Afrique améliorerait
les chances de paix en Europe et éliminerait du continent africain les Portugais
et les Belges (dont la réputation avait été ternie par les massacres du Congo).
Les massacres des Hereros furent passés sous silence jusqu’à la défaite de
l’Allemagne.
En 1915,les troupes sud-africainesenvahirent la Namibie;et l’Afrique du
Sud comme le Royaume-Uni espéraient l’une et l‘autre que la présence alle-
mande prendrait fin après la guerre. ce qui permettrait d’annexer la Namibie.
L’Afrique du Sud espérait également annexer l’Afrique orientale. qui devait
faire partie de la ((grande communauté blanche d’AiSique australe))dont rêvait
le général Smuts. U n journal résuma i’attitude de l’Afrique du Sud en ces
termes: ((Dans le Sud-Ouestafricain comme en Afrique orientale,nos compa-
triotes de l’Union sud-africainevont très prochainement faire disparaître le
drapeau allemand du territoire sur lequel on l’a trop longtemps laissé flotter. Le
régime allemand est partout synonyme de tyrannie et de brutalité, et l’on ne
pourrait rendre de meilleur service aux races ‘indigènesd’Afrique que de les
débarrasser de l’abominableadministration allemande1. ))
O n pouvait lire dans le Biriiiiiiglium Dailj-Post que :
(<...Quiconque connaît un tant soit peu les affaires sud-africainessait que
l’anciennecolonie allemande du Sud-Ouestafricain ne sera jamais restituée A ses
I IIwiC,r>i ,l/,iiiii,i? Ncm $ 120 m r ‘ i 14171 Litil d.iri.; (’om Rugrr Loi,i\.,<Theori#n\ ui !lie ~ i r c dtru~t’,. ii.iri\
Run:iIJ S&AI et Ruth FIRXT idir puhl I.OP , r i
Namibie 160

anciens maîtres et qu’on ne décidera pas non plus du sort de l’Afrique orientale
allemande sans tenir compte des vœux des dirigeants de l’Union.) )
La question des colonies fut abordée après la guerre de diverses façons.Le
président des États-Unis,W.Wilson, se prononça pour une paix sans annexion
territoriale. Smuts proposa que l’Afrique du Sud annexe les colonies des vain-
queurs,y compris le Mozambique et le Congo belge,auxquelles serait ajoutée la
colonie du Sud-Ouest africain prise à l’Allemagne vaincue. L’opinion britan-
nique était divisée. Certains appuyaient la demande d’annexion sud-africaine.
D’autres,dont le chef de file était Lloyd George,partageaient l’avis des États-
Unis, à savoir qu’il ne devait pas y avoir d’annexion et que «la volonté et les
vœux des populations devaient constituer le facteur déterminant)). Le Parti
travailliste était partisan de mettre fin au colonialisme européen et de confier
l’administration des territoires à un organisme supranational (qui aurait sans
doute été la Société des Nations). Le gouvernement britannique était favorable
à la politique américaine d’autodétermination - comptant que les intéressés
n’opteraient pas pour l’indépendance,mais exprimeraient le désir de vivre sous
l’administrationbritannique.Le peuple namibien ne fut en fait jamais consulté
à ce sujet. Le rapport officiel britannique sur les atrocités allemandes fut
considéré comme une preuve suffisante de la bonne foi des Britanniques et des
Sud-Africains,ainsi que de la brutalité des Allemands et -bien qu’il n’y eût
guère de relation logique entre ce fait et les précédents -de l’acceptationde la
suzeraineté sud-africainepar les Namibiens. Smuts avait proposé l’établissement
de mandats sur ces territoires et le régime des mandats allait devenir un élément
important du système de la Société des Nations.
A la Conférence de Versailles, en 1919, les colonies allemandes furent
placées sous le mandat de puissances voisines ou européennes,avec des statuts
divers. U n mandat de la catégorie «C» fut confié à «Sa Majesté britannique
pour le compte et au nom du gouvernement de l’Union sud-africaine)) (qui
faisait encore partie de l’Empire britannique). Le territoire devait être admi-
nistré comme faisant «partie intégrante)) de la puissance mandataire, laquelle
s’engageaità ((promouvoir dans toute la mesure du possible le bien-être maté-
riel et moral ainsi que le progrès social des habitants)). Ce système des mandats
fut présenté dans le Pacte de la Société des Nations (article 22) comme une
((mission sacrée de civilisation)). Pendant les vingt années qui suivirent, la
Société des Nations reprocha à maintes reprises à l’Afrique du Sud de manquer
à cette ((mission sacrée)).
Les anciennes lois allemandes relatives aux a indigènes)) furent en général
maintenues et étendues.Le système discriminatoire d’enseignement fut laissé en
place et celui des laissez-passerresta en vigueur,de même que le travail obliga-
toire et l’usage allemand d’utiliser les condamnés comme main-d’œuvre.Les
Africains continuèrent d’être arrêtés pour des délits comme celui d’insolence.
Les employeurs blancs avaient pouvoir d’arrêter les Africains. Certains
membres de la Commission du mandat, qui avaient considéré que ces pratiques
n’étaient qu’un aspect de la mauvaise administration allemande, en furent
scandalisés: ils constatèrent que les Africains n’étaient encore là que pour
fournir une main-d’œuvrepeu coûteuse aux mines et aux fermes des Blancs.
O n continua donc de s’emparer des terres, au bénéfice, cette fois, d’un
afflux de colons sud-africains.Les peuples du nord furent maintenus dans
L a relève sud-africaine 161

l’Ovamboland,en dehors de ce qui avait été la «zone de police)) du temps des


Allemands, sans qu’on se préoccupât de leur progrès social. La Société des
Nations constata que les dépenses consacrées ii l’éducation des entànts blancs
(soit le dixième des jeunes) étaient douze fois plus élevées que les crédits alloués
A l’éducation des enfants namibiens (qui constituaient les neuf autres dixièmes
de la jeunesse).
En 1933.la population de Bondelswart. dans le sud du pays, fut bombardée
par l’aviation militaire sud-africaineparce qu‘elle rehait de payer un impôt sur
les chiens. Trois ans plus tard. un autre mouvement d’opposition déclenché par
la population de Rehoboth provoqua une réaction plus discrète. L a capitale du
chef Ipumbu des Ukwanyamas, dans l‘Ovamholand,fut également bombardée,
mais on n’en parla guSre et la Société des Nations n’en fut pas informée.
La nationalité sud-africainefut accordée aux colons allemands qui, avec les
nouveaux venus d’Afrique du Sud, aidtirent ii constituer un électorat exclusive-
ment blanc pour l’élection du corps lkgislatif du territoire. Face aux exigences
de l’Allemagne qui réclamait la restitution de ses colonies. et devant la montée
du nazisme, 1’Afriyue du Sud propos:i en 1934 d’Ltnnewr la Namibie pour en
faire une ((cinquième province)); mais la Société des Nations repoussa cette
idée. L’Afrique du Sud n’en :tccrut pas moins de Facon propssive sa mainmise
sur la Namibie,afin de rendre I’iiitégratioii inévitable.
U n Namihien entretint plus que tout autre l’esprit de rksistance: ce fut
Hosea Kutako, un enseignant et pasteur que Maharero avait chargé dc diriger
le peuple herero ci1 son absence. L’exil de Maharero a u Botswana ne prit tin que
lorsyue son cadavre fut ramené ;i Okahuncija pour etrc inhumé dans IC cimetière
des clicfs herci-os.C’&ait en 1933. le 76 ~oîitmacteincnt. date qui fut choisie
pour le déclenchement de la rébellion armée de 1966 et que les Namibiens ont
retenue pour leur Ete nationale.
Kutako avait combattu contre les Allemands en 1904 et avait été blessé. Il
inculqua aux Hereros et aux autres groupes le sens permanent de la nation
namibienne et il personnalisa l‘esprit de ((non-soumission1) de ceux qui se
trouvaient malgrk eux sous la tutelle de l’Afrique du Sud et étaient maltraités
par elle. Jusqu’à sa mort, en 1970,à I’iige de 103 ans, Kutako ne l‘ut pas
reconnu par l’Afrique du Sud c o m m e le chef des Hereros, mais seulement
c o m m e le «doyen des chefs)). 11 était pourtant connu sur tout le territoire -
depuis l’extrême nord où il avait passé son enfance. jusyu’aux terres du sud
dont le chet. Simon Witbooi, allait plus tard devenir son allié ~ c o m m e un
homme entièrement trou5 au salut de son peuple et à sa libkration tinale.
Plus que tout autre, Hosea Kutako enipècha que l’Afrique du Sud tie
s‘emparât définitivement et irrèvocablemeiit du Sud-Ouest africain, au moment
où la Socièté des Nations, qui avait complètement échoué au cours des années
trente dans son rôle de inaintien dc la pais et dans la mission qui lui était
dévolue en cas d’agression entre ses membres. fut liquidée ?i la fin de la
deuxième guerre mondiale.
6 La Namibie
et les
Nations Unies

L’Organisation des Nations Unies substitua la tutelle aux mandats et institua un


Conseil de tutelle chargé de guider les anciens territoires sous mandat vers
l’indépendance.
L’Afrique du Sud refusa de laisser la Namibie devenir un territoire sous
tutelle et tenta d’ouvrir la voie vers l’intégrationen organisant un ((référendum))
et en affirmant que les électeurs s’étaienten majorité prononcés pour l’incorpo-
ration. L’Organisation des Nations Unies n’accepta pas le résultat de cette
consultation : les Namibiens avaient voté par le truchement de leurs chefs,qui
étaient tous nommés par le gouvernement; la façon dont la question avait été
posée avait souvent prêté à confusion; un observateur constata même que le
nombre des bulletins de vote était supérieur à l’effectiftotal de la population.
Kutako et d’autres dirigeants avertirent le roi herero en exil au Botswana
en lui disant: «Les orphelins de votre père vont être dépouillés de leur héri-
tage.))U n jeune ecclésiastique britannique,nommé Michael Scott, fut finale-
ment envoyé au siège des Nations Unies pour y porter une pétition des Nami-
biens et ce fut le début d’une nouvelle période de lutte qui a été marquée, au
cours des vingt-cinq années suivantes,par le renforcement du pouvoir de facto
de l’Afrique du Sud sur le territoire,en même temps que par le retrait total de
son autorité dejure sur l’administration.
L’Assemblée générale des Nations Unies a examiné, à chacune de ses
sessions depuis 1946,la question du droit de l’Afrique du Sud d’administrerla
Namibie,et la Cour internationale de justice (instaurée par les Nations Unies et
ayant son siège à La Haye) n’a pas consacré moins de dix décisions à ce
problème.
L’Afrique du Sud abandonna sa proposition d’intégrer la Namibie à son
territoire, mais refusa d’accepter la tutelle, tout en annonçant qu’elle ((serait
fidèle à l’espritdu mandat)). Diverses commissions des Nations Unies tentèrent
l’une après l’autre de faire appliquer le régime de tutelle. En 1950, la Cour
internationale conclut à l’unanimitéque le mandat restait en vigueur. En 1960,
les pays africains qui avaient siégé à la Société des Nations introduisirent un
((recours contentieux)) (c’est-à-direqu’ils cherchèrent à obtenir un jugement
susceptible d’êtreappliqué par le Conseil de sécurité); ils demandèrent à la Cour
La Namibie et les Nations Unies 163

d’exiger que l’Afrique du Sud applique le mandat, mette fin à l’apartheid et


rende compte de sa gestion a l’organisation des Nations Unies. Mais six ans
plus tard, la Cour,revenant sur la décision qu’elle avait prise précédemment,
déclara qu’elle n’était pas compétente pour juger de l’affaire,attendu que les
requérants ((n’avaient établi aucun droit ou intérêt à faire valoir dans l’ins-
tance)).
Le probléme de l’apartheidétait devenu critique et les dirigeants namibiens,
comme l’Assemblée générale. se sentirent obligés de passer à l’action.en dépit
du refus de la Cour de se prononcer.
L’Assemblée générale décida, en 1966. de mettre fin au mandat. Elle
adopta ensuite des résolutions instituant un Conseil pour la Namibie qui devait
faire accéder ce pays à l’indépendanceet priant le Conseil de sécurité de prendre
des mesures efficaces pour mettre fin à la présence sud-africainedans ce terri-
toire.
En juin 1971.la Cour internationale de justice déclara que la présence de
l’Afrique du Sud sur le territoire de la Namibie était illégale et que les États
membres étaient tenus de l’en expulser.La situationjuridique est donc dépour-
vue de toute équivoque, mais peu de mesures concrètes ont été prises jusqu’li
présent pour mettre les faits en harmonie avec le droit.
En 1977. 3 la suite d’une résolution du Conseil de sécurité, le nouveau
Secrétaire général des Nations Unies, M.Kurt Waldheim. se rendit en Namibie
et y rencontra des représentants de tous les groupes. Plusieurs groupes poli-
tiques noirs ainsi qu’un certain nombre de communautés religieuses lui four-
nirent des précisions sur l’oppression et demandèrent la création d’un (< État
namibien uni ). Le Secrétaire général recommanda la nomination d’un média-
teur pour négocier l’indépendance.U n diplomate suisse,M .Alfred Escher,fut
dûment mandaté et se rendit en Namibie en octobre 1977.
En dépit des efforts de mise en scène déployés par le gouvernement sud-
africain à l’occasion de cette visite. M. Escher eut 74 entrevues avec divers
groupes et il en tira l’impression générale que le peuple désirait une Namibie
unie et indépendante.Le premier ministre d’Afrique du Sud rejeta toute solu-
tion de cet ordre,mais proposa la création d’un Conseil consultatif réunissant
des représentants de toutes les régions et placé sous sa responsabilité person-
nelle.Cela serait revenu.en fait,à appliquer dans un esprit fédératifla politique
des lionieimds en Namibie,sans toutefois leur garantir aucun pouvoir ni réduire
celui dont les Blancs disposaient dans les riches régions miniéres situées en
dehors de ces hoiiirl~aiclsnamibiens.
Le premier ministre tenta pendant un certain temps de donner l’impression
à la presse qu’un compromis avait été trouvé. ce qui fut démenti par le Secré-
taire général. Le Conseil de sécurité accepta de reporter à avril 1973 la date
limite des pourparlers;le Secrétaire général fut prié d’insister auprès du gou-
vernement sud-africain pour que celui-ci définisse avec plus de précision son
attitude à l’égardde l’autodéterminationde la Namibie.
Les pourparlers furent finalement annulés par une résolution adoptée le
I l décembre 1973.
7 L’apartheid
et les
G homelands»

La vieille formule boer selon laquelle il n’y aura d’«égalité ni dans l’Église ni
dans l’ÉtatD a pris force de loi à l’arrivée au pouvoir du gouvernement afrikaner
nationaliste en 1948.La politique de l’apartheid,qui vise à séparer les Noirs et
les Blancs dans tous les domaines de la vie et à asseoir à jamais l’autoritédes
Blancs sur les Noirs, fut dûment inscrite dans la législation de la Namibie. Les
pouvoirs administratifs du gouvernement sud-africain sur le territoire furent
renforcés et le Ministère des affaires bantoues plaça la Namibie sous l’autorité
centralisée dont relèvent tous les Africains sur le territoire de la république.
Bien que le gouvernement prétendît respecter le mandat des Nations Unies,
les lois de l’apartheidfurent appliquées,qu’il s’agît des ((régions de groupe»,de
l’éducation bantoue, de la ((régulation de l’afflux)) des Africains, de la répres-
sion du communisme ou de l’abrogation de la primauté du droit. La politique
des homelands exclut les Africains de la richesse,de la prospérité et du pouvoir
politique en Afrique du Sud,en échange forcé d’un septième du territoire,celui
qui est le plus dépourvu de richesses et de ressources.La Namibie est régie par
une loi particulière dite «des nations indigènes)) qui n’instituepas moins de neuf
homelands, situés pour la plupart en dehors des zones des bonnes terres de
culture et de piiturage.
Des milliers de Namibiens ont déjà perdu leur foyer et ont été transférés à
de grandes distances.
C’est ainsi, par exemple, que les habitants noirs de Windhoek ont été
dépouillés de leurs droits de propriété perpétuelle et transplantés dans une
localité rigoureusement réglementée,à quelques kilomètres de la ville. En 1959,
la police a tiré à Windhoek sur des manifestants qui protestaient contre ce
transfert: il y eut 12 morts et 50 blessés. Ce fut un événement d’importance
capitale de la période agitée 1959-1961,qui vit la naissance d’un nouveau
mouvement militant de libération,mouvement national ne tenant pas compte
des barrières tribales que la politique sud-africainevise à renforcer.
L‘apartheid a été imposé dans un climat d’exploitation croissante. Les
agriculteurs boers qui n’avaientpas de terres furent heureux de trouver asile en
Namibie lors de la crise économique qui précéda la guerre. Les nouveaux
emplois qui furent créés dans l’administration et dans les chemins de fer en
L'apartheid et les (<homelands» 165

firent venir beaucoup d'autres. Les autorités ne s'étaient pas encore rendu
compte. A l'époque. des immenses ressources que recélait le sous-soi.Aujour-
d'hui. la Namibie n'est pas seulement considérée c o m m e indispensable sur le
plan stratégique. elle est aussi la source de grandes richesses --- qui sont toutes
exploitées aux dépens de sa population indigène.
Les diamants. le cuivre, l'uranium. toute une g a m m e d'autres minéraux. la
pêche le long des 1360 hilométres de cGtes, les peaux de caracul (astrakan)et le
bétail font la fortune d'investisseurs sud-africainsou d'autres nationalités. Beau-
coup de ces derniers sont ressortissants d'États membres de l'organisation dès
Nations Unies, lesquels répugnent pour cette raison A prendre les mesures qui
seraient peut-être nécessaires pour empêcher l'Afrique d u Sud de défier l'auto-
rité de l'organisation internationale.
Le South West Africa Affairs Act (loi sur les affdires du Sud-Ouest afri-
cain) de 1969 a permis au gouvernement sud-africain d'accroitre son pouvoir
sur la Namibie en matière de justice et de prisons, d'armes et d'explosifs, de
main-d'ceuvre. d'approvisionnement en eau. de services postaux. de telégraphe
et téléphone,de radio. de mines. d'agriculture. de pêche, d'édition, de spectacles
et de relations raciales. U n e emblée législative composée exclusivement de
Blancs est chargée de certains secteurs de l'administration et de la justice, ainsi
que de l'éducation et des services sociaus et siinitaires destines ;IUX Blancs, des
autorités locales,des routes et des autres travaux dans les régions blanches. Les
iinphts sur les sociétés, les redevances sur les diamants et les taxes minières
doivent maintenant être payés directement au gouverneinent sud-africain.
Cette loi a pratiquement incorporé la Namibie ;I l'Afrique du Sud.
Le Development of Self-Government for Native Nations of South-West
Africa Act (loi sur l'évolution des nations indigènes du Sud-Ouest africain vers
l'autonomie) prévoit la création de ((nations))séparées, dont chacune aura soil
conseil législatif.L a première A être instituée fut l'Ovamboland, en 1969.
Ces deux lois ont été élaborées conformément aux recommandations de la
Commission Odendaal. selon lesquelles un Iiol~irlcnitldevrait être attribué A
chaque groupe de population, le gouvernernent sud-africainassumant une partir
des responsabilités du conseil législatifblanc. La commission avait recommandé
la création de dix hon~eltnzdsjouissant d'une certaine indépendance politique.
Mais les structures économiques d u territoire devaient être maintenues et l'auto-
rité devait. en dernier ressort. rester dans tous les doniaines aux mains du
gouvernement sud-africain.Étant donné qu'un certain nombre de groupes ne
disposaient d'aucune réserve et que. d'autre part. de nombreux Hereros et
N a m a s vivaient en dehors des leurs, il fallait affecter des terres supplémentaires
aux Africains. L a commission avait proposé que la superficie totale des Iioiiic-
ImitLs africains soit finalement portée ?i 39,6%, du territoire, celle des régions
blanches étant réduite ii 44,1°41.A u moment où cette comniission présenta son
rapport. en 1964, la population blanche comprer,ait 73 464 persofines (qui
c1evaier.t recevoir 43.1 ",(I dcs terres) et la population noire 452540 personnes
(auxquelles seraient attribuées 39,6"/0 des terres).
Ces recommandations de la commission impliquaient d'importants trans-
ferts de populations. Si elles étaient intégralement suivies. 74"'" des Hereros
devraient etre déplacés. ainsi que 87'4 des Namas. 97OL des Damaras et 95",'0
des Boschimans.
Namibie 166

Le tableau 2 présente les effectifs de chaque groupe de population africaine,


ainsi que la population actuelle de chaque homeland, selon les chiffres calculés
en mai 1970 par le Service sud-africaindes statistiques.

TABLEAU
2. Effectifs de chaque groupe de population africaine et population actuelle de
chaque homeland (mai 1970)

Effectifs Population des Effectifs Population des


Ethnie Ethnie
totaux homelands” totaux Iromrla,zds”

Ovambos 342 455 292 210 Hereros 49 203 26 460


Okavangos 49 577 47 605 Boschimans 21 909 6 757
Capriviens de l’Est 25 009 24 967 Tswanas 3 719 844
Kaokovelders 6 467 6 285 Divers 14 756 4 342
Damaras 64973 7 136
TOTAL 746 328 420 279

a Les Africains n’liabitent pas toujours un lzornelandaffecté à. leur ethnie.

Les communautés métisses devaient être dotées de conseils partiellement


élus et certaines,mais pas toutes, devaient recevoir un territoire. Quant aux
12000 Boschimans nomades,ils devaient être concentrés à Tsumkwe et mis au
travail.
Conformément au rapport de la Commission Odendaal, la loi de 1973
portant modification de la loi sur l’évolution des nations indigènes vers l’auto-
nomie stipule que, lorsque le moment sera jugé opportun, le président de la
république pourra, après s’être concerté avec le ministre de l’administration et
du développementbantous,ainsi qu’avecle conseil législatifintéressé,proclamer
l’autonomie d’une ((région indigène>) et autoriser cette région à avoir son
propre drapeau et son hymne national à elle. Mais son ((indépendance)) ne sera
pas totale.Le conseil législatif de la région indigène «autonome» n’aura pas le
droit de traiter des affaires d’organisation militaire, d’armement,de politique
étrangère, de sécurité intérieure, d’administration des forces de police sud-
africaines maintenues dans les territoires ((autonomes)), ni des chemins de fer,
des ports, des routes naturelles,de l’aviation,de la monnaie, des banques,des
douanes et de la fiscalité indirecte,ni de la gestion des universités,ni de l’entrée
de personnes étrangères à la ((nation indigène)) en question.
L’«autonomie» est par conséquent strictement limitée et elle exclut beau-
coup de pouvoirs qui sont généralement considérés comme des éléments fonda-
mentaux de l’indépendance.
Mais d’autres restrictions encore lui sont imposées. Tout projet de loi
présenté par le conseil législatifet tendant à amender ou à abroger une loi du
Parlement sud-africainapplicable à la population du territoire doit être soumis
au préalable au président de la république,qui se réserve le droit de renvoyer ce
projet pour nouvel examen au conseil en question. La chambre provinciale ou
locale de la Cour suprême sud-africainepeut décider de la validité de tout texte
voté par le conseil législatif et le président de la république conserve tous ses
droits à l’égard de la Haute Cour. Les recours continueront d’être examinés par
la Chambre d’appelde la Cour suprême d’Afriquedu Sud.
L’apartheid et les (<homelands» 167

Le 37 avril 1973. l’Ovambo fut déclaré région autonome, avec Ongwediva


pour «capitale».
Son conseil législatif fut composé de 56 membres. dont 5 désignés par
chacune des 7 autorités tribales (soit 35 membres non élus) et 3 élus par chacune
des 7 régions tribales (soit 21 élus). Tout adulte de plus de dix-huit ans en
possession d’une carte d’inscription sur les listes électorales avait le droit de
voter.
Avant le scrutin qui devait désigner les 21 membres élus. toutes les réunions
furent interdites duns 1’Ovambo (à l’exception des services religieux, des spec-
tacles et des réunions organisi-espar les autorités officielles et par les chefs). sauf
autorisation écrite préalable du commissaire aux affaires indigénes n o m m é par
le gouvernement sud-africain.il fut décrété que toute parole ou action de nature
B porter atteinte B l’autoritéde l’État.des fonctionnaires de l’État. du gouveriie-
ment en place dans I’Ovambo,des fonctionnaires de ce gouvernement. des chefs
ou des dirigeants des tribus. serait considérée c o m m e un di-lit.Seraient égale-
ment considérés c o m m e des délits toute déclaration ((menaçante>>. toute inob-
servation d’un ordre légitimcnieiit donné par les chei’s et tout manquenieiit aux
égards dus it ces derniers.
Les chefs doivent leur position au gouvernement sud-africain,qui compte
sur la docilitlt:des structures ((traditionnelles». Dans ces conditions. l‘expression
de toute opinion critique sur les problkmes politiques fondamentaux est illégale.
Pour soutenir le ((gouvernement ovambon. le gouvernement a cri-6 le Parti de
I’indi-pendancede I’Ovamboiaiid,le seul qu’il ait reconnu et qu’il ait autorisé it
tenir des réunions sans accord préalnblc.
La participation au scrutin fut de 2,5”/0: 97.5041 des Ovambos s’abstinrent
de voter ou boycottèrent les élections.
Le 4 mai 1973, le Kvango devint B son tour une région autonome. avec
Ruiid~ipour capitale. Sa Constitution stipule que la moitié de son conseil
législatif doit être élue. l’autre moitié étant désignée. Le Kvango est une région
où l’organisation populaire du Sud-Ouestafricain (SWAPO)et les autres partis
d’opposition sont peu représentés et où il n’existe aucun parti politique
d’aucune sorte. L a participation au scrutin a atteint 66,30/0.
Le gouvernement sud-africain ayant promis, i titre dc concession aux
Nations Unies, de créer un conseil consultatif (voir plus haut), il c o m m e n p i le
mettre en place en 1973. Les délégués Li ce conseil dcvaieiit être di-signéspar les
conseils législatifs africains. par les autoriti-sbantoues, ainsi que par les Blancs
et les Métis.
C o m m e nous l’avons signalé plus haut, la représentation des Africains est
déji limitée au sein de leurs conseils législatifs et les ((autorités)) bantoues
dépendent en réalité du gouvernement. Pour mieux assurer la soumission du
((conseil consultatif)), les délégués herero furent choisis dans l’Est. région poli-
tiquement conservatrice. Mais les N a m a s n’envoyérent aucun délégué, le Kao-
koland ne désigna pas de représentant, le chef des Mbanderos démissionna et
les Métis retirèrent leurs deux représentants.
8 La résistance

Ce sont des chefs traditionnels comme Hosea Kutako et Samuel Witbooi qui
poursuivirent la lutte intérieure après la deuxième guerre mondiale. Après la
première guerre mondiale, lorsque la Société des Nations était apparue comme
impuissante à imposer à l’Afriquedu Sud le respect de ses décisions, c’étaient
les structures tribales et les Églises qui,dans les territoires herero et ovambo en
particulier,avaient canalisé le mouvement de mécontentement.
Les nouveaux gouvernements qui succédèrent aux régimes coloniaux en
Afrique et en Asie,le puissant bloc des pays afro-asiatiquesaux Nations Unies
et la prise de conscience d’une entité africaine cohérente incitèrent la Namibie à
rechercher de nouvelles méthodes de lutte politique.
Les mouvements locaux qui virent le jour à la fin des années cinquante
s’allièrentrapidement aux partis nationaux. Le travail préparatoire d’organisa-
tion était fait en dehors de Namibie par des ouvriers émigrés au Cap lorsque la
surveillance de la police de sécurité (en particulier celle qui fut exercée après les
fusillades de Windhoek en 1959) gênait l’action des responsables locaux, qui
furent souvent mis en état d’arrestationà domicile,exilés ou incarcérés sous des
inculpations spécieuses.
Les Namibiens qui avaient fui leur pays ,pour poursuivre des études à
l’étrangers’allièrentaux réfugiés politiques et, malgré des divergences d’opinions
entre eux,s’unirentpour adresser des pétitions aux Nations Unies, après que la
Cour internationale eut accepté d’entendreles pétitions orales individuelles.
Des délégations des nouveaux partis plaidèrent avec insistance la cause
namibienne aux réunions de l’organisation de l’unitéafricaine dès que celle-ci
fut créée en 1963,ainsi qu’à beaucoup de conférences internationales.Après que
la Cour internationaleeut refusé de statuer sur l’affaireen 1966,l’undes partis,
l’organisationpopulaire du Sud-Ouest africain (SWAPO), dont les dirigeants
s’étaientexilés en Tanzanie,fit savoir qu’il n’attendraitplus les délibérations de
la communauté internationale. Ses guérilleros lancèrent une attaque en
août 1966 dans le nord de la Namibie et,en dépit de revers initiaux et de contre-
offensives sud-africaines,l’opérationse poursuivit.
L’un des fondateurs de la S W A P O ,Herman Toivo ja Toivo,figurait panni
les 38 Namibiens,tous membres de ce parti,qui furent jugés en 1968 à Pretoria
La résistance 169

pour ((terrorismen. L a dernière déclaration qu’il fit devant le tribunal expose de


façon remarquable la volonté d’autodétermination de son peuple.
«Nous sommes Namibiens et non pas Sud-Africains.Nous ne vous recon-
naissons pas et nous ne vous reconnaîtrons jamais le droit de nous gouverner,
de faire pour nous des lois sur lesquelles nous ne pouvons rien dire, de traiter
notre pays c o m m e s‘il était votre propriété et de nous traiter c o m m e si vous
étiez nos maîtres. Nous avons toujours considéré l’Afrique du Sud c o m m e une
intruse Che7 nous.))
Ja Toivo soutint que son peuple avait le droit de prendre les armes et
ajouta: <<Jesais que le combat sera long et dur. Je sais aussi que m o n peuple le
mènera, quel qu’en soit le prix. C’est seulement lorsque l’indépendance nous
sera accordée que ce combat cessera. C’est seulement quand nous aurons
retrouve notre dignité d’hommes. A égalité avec les Blancs, que la paix se fera
entre nous.))
Grâce sans doute aux pressions internationales qui s’exercèrent sur
l’Afrique du Sud, aucune condamnation i mort ne fut requise, mais 71 des
inculpés furent envoyés A Robben Island ((pour la durée de leur existence)). Ja
Toivo, qui n’avait pris part i aucune attaque puisqu’il se trouvait en Stat
d’arrestation i domicile pendant la campagne de 1966,fut condamné i quinze
ans de travaux forcés.
Pour conquérir son indépendance,la Namibie doit agir it la fois sur le plan
militaire et sur le plan diplomatique guérilla dans le nord d u pays et action
~

politique de ses bureaux de Dar es Salaam, de Lusaka, du Caire, d’Alger, de


Londres, de Stockholm, d’Helsinki el de New York; des liaisons sont entrete-
nues d‘autre part avec les étudiants de plus en plus nombreux qui parviennent i
quitter la Namibie pour aller faire leurs études A l’étranger.
Plus de cinq cents délégués de communautks religieuses. de syndicats, de
partis et de mouvements politiques du monde entier ont participé ii une Confé-
rence internationale sur la Namibie que la SWAPO avait organisée i Bruxelles
d u 26 au 28 mai 1973.Cette conférence a adopté un programme en onze points
visant A l’isolement total de l’Afrique d u Sud sur les plans économique, poli-
tique,diplomatique,sportifet culturel.
O n reçoit de Namibie très peu d’informations sur l’activité des guérilleros
de la SWAPO. L’Afrique du Sud affirme que cette activité est pratiquement
nulle, ce qui ne l’empêche pas de maintenir des effectifs militaires importants
dans la bande du Caprivi. et elle a A plusieurs reprises fait état de pertes,
attribut.esparfois i des explosions de mines. Le journal progouvernemental Dip
Clrderlti~zciavait écrit. après le meurtre de deux policiers en 1971 : ((L‘affreuse
réalité est que la république est engagée dans un combat de titans. Les quelques
années i venir pourraient être décisives pour l’avenir de notre pays et pour la
survie des Blancs en Afrique australe.))L‘ampleur des opérations ne justifie sans
doute pas de telles inquiétudes. NOLIS pensons que les autorités sud-africaines
elles-mêmes exagèrent l’importance de ce qu’elles appellent le ((terrorisme)> en
Namibie pour effrayer la communauté blanche. lui faire serrer les rangs et
obtenir qu’elle approuve les mesures d’autorité.L a configuration d u pays ne se
prête pas aux opérations de guérilla. 11 est extrêmement difficile d’y pénétrer et
les effectifs de la résistance année sont faibles. Ils continuent cependant leur
combat et. c o m m e l’Afrique du Sud, après avoir d’abord remporté sur eux des
Namibie 170

victoires faciles,n’a pas réussi à les écraser complètement,ils restent un foyer


constant de résistance nationale.
Les autorités sud-africaines les considèrent comme un grave danger.
D’importantes forces militaires et de police ratissent actuellement le secteur
nord et gardent le grand aérodrome militaire de Katima Mulilo, le centre
administratif de Rundu et le chantier de construction du complexe hydro-
électrique des chutes du Ruacana,sur le Kunene.
Le long de la frontière nord,la Namibie est limitrophe de l’Angola (colonie
portugaise), de la Zambie (par la bande du Caprivi) et du Botswana (pays
indépendant,favorable au mouvement de libération,mais gêné dans son action
par ses relations avec l’Afriquedu Sud).
Les accrochages entre les partisans armés de la SWAPO et les forces de
sécurité sud-africainesont eu lieu pour la plupart dans la partie orientale de la
bande du Caprivi et le long de l’okavango,dans 1’Ovamboland.Les comman-
dos de la S W A P O se sont remis du revers qu’ils avaient initialement subi
lorsque leur camp d’omgulumbashefut attaqué par surprise et leur personnel
d’encadrement en partie tué ou fait prisonnier ; un autre coup leur fut assené en
1967 lorsque Tobias Hainyeko,le commandant de la SWAPO,fut tué au cours
d’une fusillade alors qu’il se trouvait en chaloupe sur le Zambèze. Hainyeko
mourut en couvrant la fuite de vingt de ses compagnons qu’il devait amener
dans la bande du Caprivi.
Les opérations de guérilla continuèrentde façon assez régulière pendant les
quelques années suivantes.A u cours des six premiers mois de 1973, 16 policiers
ou soldats sud-africains furent blessés et 5 autres furent tués au cours de
9 incidents distincts (embuscades tendues à des patrouilles, prise d’un dépôt
d’armes sud-africain,explosions de mines et coups de feu sur un hélicoptère
sud-africainqui fut abattu).
Les petits partis namibiens sont notamment la South West African Natio-
nal Union (SWANU), dont l’un des dirigeants, Gerson Weii, est également
détenu à Robben Island, et le South West African National United Front
(SWANUF), qui ont tous deux de petites missions a l’étranger, ainsi que la
National Unity Democratic Organisation (NUDO),qui collabore avec le
conseil des chefs hereros et soutient le successeur de Kutako,Clemens Kapuuo,
que les autorités sud-africainesne reconnaissent pas.
I1 existe aussi des mouvements régionaux.Le Comité Name de la ((Nation
rouge)) résiste aux déplacements de population que doit entraîner le nouveau
découpage de la Namibie. Le Rehoboth People’s Party mène de vigoureuses
campagnes, à l’échelon local, contre les mesures constitutionnelles et la poli-
tique économique de l’Afriquedu Sud. L’opposition se manifeste aussi dans les
églises,dans les camps où sont logés les ouvriers des principaux ports et centres
miniers et même,secrètement,au sein des assemblées législatives des homelands.
Beaucoup de dirigeants namibiens regrettent qu’il n’existe pratiquement pas
d’opposition libérale ou de gauche au sein de la communauté blanche; il est
possible que quelques personnes agissent en secret contre l’administration,mais
elles sont contraintes à opérer dans la clandestinité.
I1 ne paraît donc possible d’obtenirdes changements radicaux que par une
intervention internationale ou par la guérilla.
Bien des gens,y compris des chefs et conseillers des Bantoustans, qui sont
La rksistance 171

rémunérés par l’État,sont convaincus que l’Afrique du Sud ne cédera pas et que
la seule solution possible est de transiger avec le pouvoir sud-africain et avec
l’apartheid. Mais cette attitude ii l’égard de l’apartheid est moins répandue en
Namibie qu’en Afrique du Sud. Personne n‘ignore que presque tous les pays d u
monde ont condamné l’occupation sud-africaine. ((L’Afrique du Sud pourra-
t-elle éternellement empêcher le monde entier de nous rendre notre pays‘?)), se
demandent les Namibiens. L’impuissance de l’organisation des Nations Unies
modifier la situation incite d’autre part à un certain scepticisme. Mais l’avis
consultatif émis en 1971 par la Cour internationale, selon lequel l’occupation
sud-africaineest illégale, a eu un grand retentissement et l’Afrique du Sud n’a
pas pu empêcher la diffusion d’informations sur les protestations d’étudiants ni
sur les pétitions qui ont été adressées aux chefs de tribu et dirigeants de
Bantoustan.
A la fin de 1971, un vaste mouvement de mécontentement se produisit
contre le système du travail sous contrat. qui est une des clefs de voute de
l’apartheid en Namibie. Tout Namibien cherchant 1i quitter soil iio/iic~koitlpour
travailler en région blanche dans des mines ou dans l’industrie doit au préalable
déposer une demande à la South West African Nativc Labour Association
(SWANLA)[Association de la main-d’ceuvre indigène du Sud-Ouest africain],
qui classe les travailleurs en catégories d’après leur age, leur état de santé et
d’autres critères, avant de les mettre à la disposition d’un employeur. Le
demandeur d’emploi n’a pas d’autre choix ct il lui faut signer un contrat qui
l’engage pour une période de douze ii dix-huitmois. I1 n’a pas le droit d’emine-
ner sa famille avec lui et il est logé dans un camp pendant la durée de son
contrat. U n ouvrier de la catégorie <<A» gagne en général un peu plus de 4 livres
sterling par mois et un mineur un peu plus de 5 livres.
C’est à la suite de la décision de la Cour internationale de 1971 que le
mécontentement commença ii se manifester. U n e grève, qui semble avoir été
déclenchée par des employés municipaux de Windhoek le 13 décembre, gagna
rapidement les mines. A la mi-janvier 1973,20000 ouvriers avaient cessé le
travail et l’économie du pays s’en trouva réellement paralysée. Si les grévistes
étaient pour la plupart des ouvriers originaires de I’Ovamboland,c’est parce que
les ouvriers sous contrat sont en majorité des Ovambos, mais la population
d’autres régions du pays soutint le mouvement.
Le ministre sud-africain de l’administration bantoue tent& d’obtenir des
grévistes qu’ils reprennent le travail en proposant de discuter avec le Conseil
législatif de I’Ovamboland de l’avenir d u système de travail sous contrat. Cette
démarche n’ayant pas eu de résultat, les autorités eurent recours à des méthodes
plus sévères. Douze hommes soupçonnés d’etre des meneurs furent accusés
d’avoir empèché par la force les ouvriers de travailler. Cela n’eut pour résultat
que de renforcer 13 résolution des grévistes et de ceux qui les soutenaient. I1 ne
fut pas possible de trouver d’autres ouvriers pour remplacer les grévistes qui
avaient été licenciés et reconduits dans leurs hon~rImcl.set il y eut. dans de
nombreux points, des rnanifcstations et des meetings de solidarité avec les
grévistes.
Finalement, l’état d‘urgence fut décrété dans le nord de la Namibie, assorti
d’une censure totale des informations. O n croit savoir pourtant que des heurts
extrêmement violents se produisirent. et qu’ils se soldèrent par plusieurs morts
Namibie 172

des deux côtés. Bien que beaucoup d’ouvriers aient été obligés de reprendre le
travail,la situation de l’emploin’était pas encore redevenue normale un an plus
tard et il continuait d’y avoir des grèves perlées. Cela eut pour effet de réduire
considérablementles marges bénéficiaires des sociétés en question.Les autorités
peuvent se dire que,techniquement,elles ont emporté la décision;mais elles ne
peuvent plus ignorer l’effervescenceque le mécontentement entretient parmi les
Africains.
Neuf mouvements d’opposition,dont la S W A P O , les Rehoboths et la
S W A N U ,constituèrent une Convention nationale qui organisa le premier grand
rassemblement politique de l’histoire de la Namibie. Ce meeting eut lieu au
camp de Katatura,à Windhoek,le 18 mars 1973,juste avant que M.Vorster ne
vînt présider la première réunion du Conseil consultatif du Sud-Ouestafricain
mis en place par le gouvernement.La S W A P O manifesta activement son hosti-
lité à ce conseil. En août 1973, une manifestation fut organisée à Katatura
contre la visite de M.Vorster, qui venait assister au congrès du Parti nationa-
liste du Sud-Ouestafricain.Des chars encerclèrent les lieux et un manifestant
fut tué.
En novembre 1973,la nouvelle forme que prit la répression illustra l’inten-
sification de l’agitationpolitique en Namibie.Plus de cent personnes qui avaient
été arrêtées par la police sud-africainefurent remises aux autorités tribales pour
être fouettées en public. Le gouvernement sud-africainjustifia cette action en
disant qu’ils’agissaitd’un retour à une ancienne tradition tribale.
Le 16 novembre 1973,trois membres du Mouvement de jeunesse (Youth
League) de la S W A P O ,dont le président et le vice-présidentde ce mouvement,
furent déclarés coupables d’infractions à la loi sur le sabotage et condamnés à
huit ans de prison. En décembre 1973,la S W A P O tint une conférence de trois
jours en Namibie.Le gouvernement intensifiases représailles en 1974.Parmi les
personnes qui furent arrêtées se trouvait Meroro, président de la S W A P O ,ainsi
que le secrétaire adjoint de ce parti et le président en exercice du Mouvement de
jeunesse,entre autres. Tandis qu’une intense activité politique se poursuit dans
l’ensemblede la Namibie, l’augmentation du nombre des arrestations montre
l’inquiétudedes autorités sud-africaines.
I1 convient de souligner,en conclusion,que l’un des objectifs essentiels des
mouvements de libération ainsi que de la majeure partie de l’opposition est
l’indépendancede la Namibie dans son intégralité territoriale et non pas l’« in-
dépendance))de ((nations))indigènes séparées.
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