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1-
LETTRES

HONGRO - ROUMAINES .

Iranyi (
B.) and Birahan

PRIX : 15 CENTIMES.

PARIS .

AU BUREAU DE LA FRANCE PARLEMENTAIRE ,

RUE PAVÉE-SAINT-ANDRÉ , 12 .
Eût-on oublié les anciens titres des Hongrois et des

Roumains aux sympathies des peuples de l'Europe occiden-

tale , le rôle important qu'ils viennent de jouer dans la


dernière révolution européenne suffirait pour prouver que

désormais la démocratie doit compter avec eux . Leurs

efforts de 1848 leur assignent une des premières places


parmi les peuples militants de l'Europe . En 48 , s'ils avaient

su s'entendre , ils auraient triomphé de leurs ennemis , sans

aucun doute , et leur victoire aurait infailliblement rejailli


sur toute l'Europe ; les Hongrois vainqueurs ! c'était lé

despotisme maître partout aujourd'hui , partout vaincu par


la bienfaisante liberté.

La France a complètement ignoré les causes qui ont

empêché ces héroïques peuples de triompher sur les champs


de bataille illustres par leur défaite . Ces causes ont été
révélées tout récemment dans les lettres de MM . DANIEL

IRAʼNYI et D. BRATIANO sur la question hongro-roumaine .


Nous avons pensé qu'il était utile de donner à la démo-
4
II

cratie européenne des renseignements qui importent à son


salut parce que la démocratie est solidaire ; voilà pourquoi
nous avons fait un recueil de ces lettres . Nous invitons nos

frères Roumains et Hongrois à lire et à méditer ces pages .

S'ils les comprennent et les mettent à exécution , l'Europe


occidentale leur en sera reconnaissante , sinon , la victoire

jamais ne couronnera des actes de courage hardis mais

inintelligents .

Hongrois et Roumains désirent ardemment une prompte


et parfaite réconciliation ; qu'ils reconnaissent une fois les

erreurs qui ont été causes de leurs divisions dans le passé,

ils en empêcheront facilement le retour.

Nous engageons en même temps les publicistes de la


démocratie française à prêter une attention sérieuse à ces
lettres, c'est leur devoir . La presse française démocratique

doit travailler par ses conseils à une réconciliation néces-

saire au triomphe dans la grande lutte qui se prépare.


Bientôt éclatera la guerre de l'occident contre l'orient , La
liberté a besoin du concours de tous ses fils pour triompher

du despotisme .

Ces lettres ont déjà paru dans la Presse . La dernière


seule est inédite, parce que le journal la Presse a refusé
de la publier . Nous ignorons les motifs de ce refus ; nous

nous plaisons à croire qu'ils sont étrangers à des considé-


rations politiques ou à des complaisances coupables. On
III

l'a refusée, nous pensons, uniquement à cause de sa lon-


gueur, et malgré son importance. La Presse, d'ailleurs ,

reviendra peut-être de sa première décision .

Ce recueil tire une nouvelle importance des circons-

lances présentes . Louis Kossuth , le vaincu , traverse

l'Europe en triomphateur ! Il est venu frapper à la porte de

la France démocratique . Le ministre de Louis -Napoléon

Bonaparte a eu peur du noble proscrit . Il a eu peur de


voir non pas le pays officiel , qui n'ose bouger sous la domi-

nation du maître, mais toute la France libre accourir au-

devant du héros hongrois. Il a eu peur de laisser pénétrer

au sein de la République française le représentant d'un

peuple qui rêve la liberté et la nationalité, et les portes de


la France ont été fermées à Louis Kossuth . S'il avait pu

arriver jusqu'au foyer de la révolution européenne, nous

lui aurions témoigné nos sympathies, notre admiration ; nous

lui aurions avoué nos souffrances, notre honte , notre impa-

tience ; nous lui aurions montré également notre espoir ;


nous lui aurions dit : demain l'heure sera venue. La France

ira d'abord à Rome confesser ses fautes non pas au pape,

mais au Peuple ; il lui faudra commencer par réparer cette

grande iniquité de l'expédition romaine, puis elle marchera


contre l'Autriche et contre la Prusse, non pour conquérir

des territoires ni pour charger les peuples d'impôts, mais


pour seconder toutes les nationalités qui veulent être
libres . Il ne suffit pas de proclamer des principes, il faut

les incarner dans de puissantes institutions . Longtemps la

France, tourmentée par un mauvais génie, a poursuivi la

gloire dans des guerres de conquête et de spoliation . Elle

a été cruellement punie. Aujourd'hui repentante et mieux


éclairée, elle obéira docilement à la justice , elle entreprendra

une guerre sainte , celle de l'indépendance de toutes les na-

tionalités, et si un peuple , quelles que soient sa force ou

sa splendeur , voulait opprimer un autre peuple , elle lui

montrerait par son exemple dans quels maux se précipite


une nation qui , oublieuse de la justice , poursuit une

vaine gloire . Nous aurions dit à Kossuth ce que nous avons

appris par une expérience douloureuse , et lui , le repré-

sentant d'un peuple adulte qui s'élance avec ardeur à la

conquête de la liberté , nous eut communiqué quelque

étincelle d'un feu qui peut ranimer l'âme de la France .

Son courage indomptable aurait aiguilloné non pas notre

paresse mais notre fatigue . Dans cette double expansion


nous aurions consacré la République universelle ; nous
l'aurions baptisée : France et Hongrie .

Il va à Londres , où une oligarchie puissante est fière

de pouvoir lui offrir une hospitalité princière et de lui


vanter les institutions anglaises . L'Angleterre peut le fêter

mais elle n'a rien à lui enseigner . Demain il sera dans la

République fédérative des Etats-Unis, qui étaleront à son


honneur toutes leurs richesses, mais leur éclat ne pourra

pas cacher le cancer qui ronge les flancs de l'Amérique ,


l'esclavage hideux . Il manquera à Louis Kossuth d'avoir
contemplé au-dessous du gouvernement français , mais,
plus fort que lui , la véritable démocratie qui doit consti-
tuer l'Europe .

HENRI VALLETON.

Paris , le 16 octobre 1851 .


1
LETTRES

HONGRO-ROUMAINES .

« Monsieur le Rédacteur,

« Je viens de lire le manifeste que le Comité central euro-


péen a dernièrement publié . Je n'ai qu'une seule obser-
vation à faire à l'égard de ce document, mais il me paraît
indispensable de la faire.
< En effleurant les erreurs et les fautes dont les peuples se
<
«
sont rendus coupables pendant les dernières années , le Co-
mité démocratique dit au sujet de ma patrie : « La Hongrie
a oublié qu'une vaste conception d'égalité , jetée aux races
slaves et roumaines , pouvait seule lui mériter la victoire . »
« Ce n'est certes pas moi qui contesterai qu'il ait été
commis des fautes graves dans la guerre d'indépendance de
8

la Hongrie . Mais celle que l'on nous impute n'est pas fon-
dée.
« Je défie les nationalités slaves et roumaines de prouver
<
qu'il y ait eu une loi , une seule liberté dont elles aient été

exclues en Hongrie , même avant 1848 ; tandis qu'il en


existait une au profit de la population catholique de la Croatie,
qui défendait aux Hongrois , s'ils n'appartenaient pas au
culte romain, d'habiter le pays des Croates.
« Je défie les chefs de ces nationalités de prétendre que
les nouvelles lois de 1848 aient établi la moindre diffé-

rence entre la nationalité hongroise et les autres nationa-


lités du royaume .

<< Mais, soit que dans le passé il y ait eu des dispositions


au profit de la langue hongroise, soit qu'il y ait eu des griefs
de la part des nationalités non magyares ; après l'avènement
du gouvernement national il n'y en a plus eu, il ne pouvait
plus y en avoir. S'il en existait avant cette nouvelle ère , le
' ministère de la Hongrie n'a pas tardé à inviter les représen-
tants de ces diverses nationalités à les exposer , pour y ré-

médier promptement . Avant même que le ministère eût


pris les rênes du gouvernement, le comité de sûreté pu-
blique, émané du mouvement populaire le 15 mars 1848,
à Pesth, avait envoyé une députation au sein de la nation
croate pour l'appeler à l'union fraternelle .
<< Comme membre et secrétaire de ce comité, je pourrais
nommer les personnes qui ont été chargées de cette mis-
sion. Elles appartenaient, presque sans exception, à la na-
tionalité croate. Je ne dirai pas quel accueil on fit à Agram
à cette députation . Après l'ouverture de la Diète , les deux
9

chambres secondèrent sincèrement les efforts réitérés du mi-

nistère, pour arriver à une solution pacifique des différends


avec la Croatie et à la pacification des Serviens.
« On ne soupçonnera pas le témoignage que je dépose
en faveur du ministère et des chambres : j'appartenais à
l'opposition ; je faisais partie de la minorité du parlement ;
la justice me fait reconnaître que le pouvoir exécutif et la
représentation nationale n'ont pas manqué à leur devoir
sous ce rapport .
« La cause de l'insuccès de la Hongrie, la voici :
<< Les peuples auraient bien compris la voix de leurs
frères , mais les chefs qui les menaient ne voulaient pas l'é-
couter . Pour ceux-ci , la nationalité n'était qu'un prétexte ;
le vrai but , c'était le rétablissement de l'ancien régime de
l'Autriche . Le ban de Croatie mit pour principale condition

à la paix , non pas des concessions pour son pays , ces
concessions nous les aurions bien accordées , - mais la
cession des ministères de la guerre et des finances au cabinet
de Vienne .

Les Rasciens avaient pris les armes avant même de s'être


adressés à nous ; ils voulurent prendre une grande partie du
territoire de la Hongrie, non pas pour rester unis avec nous,
mais pour se détacher entièrement de la Hongrie et pour
appartenir directement à la couronne impériale .
<< Consentir à un pareil arrangement , c'eût été de notre
part plus qu'une lâcheté , c'eût été nous suicider en même
temps qu'abandonner la cause de la liberté des peuples .
<< La même condition fut posée par les Saxons de la Tran-
sylvanie. Quant aux Roumains, je fais le douloureux aveu que
10

c'est, outre les menées et les intrigues des impériaux , à des


malentendus et à la méfiance qu'il faut attribuer le développe-
ment de la guerre déplorable qui a eu lieu . Je veux bien con-
venir qu'il ne manquait pas au camp des Roumains, aussi bien
que parmi les Rasciens et Serviens, des hommes sincère-
ment dévoués à la cause de leur nation et à celle de la
liberté , mais il est à regretter que des événements fâcheux
aient empêché ou retardé la conciliation .
<< Plaise à Dieu qu'on ne prenne point ces observations
pour des récriminations. Je n'accuse point , je défends . Je
défends ma nation au nom de la vérité, au nom de la justice.
Que l'Autriche nous calomnie à son gré ; mais que du moins
nos amis ne nous méconnaissent pas.
«Nous avons oublié les haines, les guerres fratricides, nous
avons oublié le passé, nous n'avons en vue que l'avenir. Que
toutes les nationalités de la Hongrie qui nous ont combattu
acceptent l'union fraternelle que nous leur offrons cordiale-
ment et sans réserve. Nous ne voulons pas de priviléges pour
nous ; nous nous entendrons sur le terrain de l'égalité .
« Quels que soient leurs vœux , nous sommes prêts à y
accéder, à l'unique condition qu'ils ne soient point opposés à
l'indépendance , à l'union et à la liberté de notre patrie com-
mune.

<< Un dernier mot pour rassurer les amis de notre cause .


<< Nous connaissons nos erreurs , et nous sommes bien ré-
solus de n'y plus retomber. Plût à Dieu que les nationalités
slaves , roumaines et saxonnes en fissent autant , et elles le
feront , elles commencent à le faire . Grâce à la trahison du
gouvernement autrichien , un revirement s'est opéré dans
11

les esprits de nos anciens adversaires. Les ennemis de la


veille ne tarderont pas à devenir nos amis. Le jour approche
où le monde verra se ranger le Slave et le Roumain à côté
du Hongrois pour la cause commune , l'indépendance et la
liberté.
« Je n'ai point de titres pour parler au nom de mes com-
patriotes, j'ai cependant la conviction qu'il n'y en a aucun
qui ne partage ces sentiments de conciliation et d'union
fraternelle.

<< DANIEL IRAʼNYI. »


12

" Paris le 4 juillet 1851 .

<< Monsieur le Rédacteur ,

< J'ose réclamer de votre impartialité pour ces quelques li-


<
«
gnes la même faveur que vous avez accordée à une lettre de
M. Daniel Ira'nyi (Hongrois), insérée dans la Presse du 18
du mois dernier, et à laquelle je suis bien forcé de répondre.
Si ma réponse s'est fait attendre , c'est qu'il m'a fallu d'abord
revenir à Paris pour consulter des documents dont j'avais
absolument besoin .
« M. Ira'nyi déclare , pour ce qui concerne la Hongrie, non
fondées les appréciations du dernier manifeste du Comité cen-
tral de Londres aux peuples de l'Europe, et en même temps
il jette un imprudent défi aux Roumains et aux Slaves : « Je
défie , dit-il , les nationalités slaves et roumaines de prouver qu'il
yait eu une loi, une seule liberté dont elles aient été exclues
en Hongrie, même avant 1848. » Et plus loin il ajoute : « Je
défie les chefs de ces nationalités de prétendre que les nou-
velles lois de 1848 aient établi la moindre différence entre
la nationalité hongroise et les autres nationalités du royaume. >>
Si M. Ira'nyi avait lu de sangfroid le manifeste du Comité
central, il ne s'en serait sans doute pas plaint, et il n'aurait
défié personne. Il aurait compris, au contraire , que si le
manifeste n'est pas plus sévère pour sa patrie, c'est qu'il est
13

conçu dans un esprit tout de conciliation ; il ne fait que nous


engager tous à bien réfléchir sur les causes qui nous ont em-
pêché, en 1848 et en 1849 , de fraterniser et de vaincre .
<<Il m'est extrêmement pénible , je l'avoue , d'avoir à répon-
dre à M. Ira'nyi, d'avoir à le suivre sur le terrain sur lequel il
s'est placé. Mais puisque beaucoup de Hongrois semblent
ignorer les injustices dont ils se sont de tout temps rendus
coupables à l'égard des Roumains , je vais essayer, dans notre
commun intérêt, de les leur faire toucher du doigt , et de les
obliger à les reconnaître et à les condamner eux-mêmes .
J'ai bonespoir.
<< Le besoin d'être court et la crainte de remuer des cen-
<
«

dres encore brûlantes ne me permettent pas de raconter les


longues et sanglantes luttes qui ont eu lieu entre l'élément
hongrois et l'élément roumain. Toute ma réponse consiste en
quelques textes empruntés plus particulièrement à la constitu-
tion politique de la Transylvanie en vigueur jusqu'en 1848 ;
les voici : «Si l'on considère la nation de ceux qui sont appelés
aux cómices , la première est la nation hongroise , qui paraît
très-souvent dans les lois sous le nom de la noblesse et des no-
bles ; la seconde est la nation secule ; la troisième la nation sa-
xonne . Les autres, autant qu'elles soient, sont des nations to-
lérées, et elles ne jouissent d'aucun droit de suffrage dans les
comices. (Diœtæ sive rectius comitia transylvanica . — Jos.-
Benco, c. v, § 20. ) Les Roumains , qui sont provisoirement
tolér és , tant du moins que cela sera agréable aux princes et
aux régnicoles du pays ( Approbata constitutiones, 1e part .
tit. 1 , art. 3 . ) - Dans ce texte, on entend par régnicoles
les Hongrois, les Seklers et les Saxons , c'est- à-dire les étran-
14

gers qui sont venus se fixer en Transylvanie, et qui consti-


tuent la minime partie de sa population . → <«< Bien que la
nation roumaine ne compte point parmi les Etats de ce
pays, et que sa religion ne soit pas même reconnue, tant
qu'elle sera encore tolérée , son clergé aura ….., etc. » (Approb.
constit. 1re part . , tit . 8 , art. )
<
« Dans ce pays, la nation roumaine a éte tolérée unique-
ment dans l'intérêt public ; cependant , ne tenant point
compte de sa condition vile, elle dit (id . 1re part . , tit . 9.
art. 1 ) : « Les Roumains ne méritant pas mieux, à raison
de leur conduite repréhensible, seront frappés d'une dîme
sur le vin, le blé, les légumes , les moutons , les porcs, les
ruches à miel. » ( Id . der . part . tit. 5. art . 2. )
<< Pour ce qui est de l'arrestation ... des vagabonds.., il en
a été disposé d'une manière explicite dans les articles géné-
raux. Les réfractaires seront passibles d'une amende de
200 florins. Quant aux Roumains vagabonds, ils seront sai-
sis, garrottés , etc. » (Id , 5e part . , édit . 38) -
– « Défense est
faite aux Roumains de faire usage de fusils, sabres, épées ,
cannes ferrées, ou de tout autre arme . » ( Id . 5º part. , 44
édit. ) « Il n'est pas permis aux Roumains de porter ha-
bits et pantalons de drap , bottes, chapeau de la valeur d'un
florin, et chemise de toile fine . » (5° part . , 47° édit. )
« Je m'arrête à ces citations ; elles suffiront sans doute
pour faire horreur aux Hongrois les moins éclairés de la
justice de leurs pères.
>> Après l'abdicatiou du dernier prince de Transylvanie en
faveur de la maison d'Autriche, les Roumains demandèrent
à la couronne des droits politiques analogues à ceux dont
15

jouissaient les trois autres nations établies dans leurs pays.


Mais les Hongrois s'opposèrent à toute réforme au profit des
Roumains, et pour les motifs que voici : «< Afin que le sys-

tème de cette principauté ne soit pas renversé, et que la


plèbe vagabonde ne prenne rang parmi les nations. » (Art.
novelara, 6 , 1744. ) Alors éclata la terrible insurrection de
Hora, et , les Roumains ayant succombé, leurs oppresseurs
devinrent encore plus intraitables .
<< Mais arrivons aux événements des dernières années . En

1848, les Hongrois profitant de la confusion dans laquelle la


révolution de Vienne avait jeté le gouvernement autrichien ,
obtinrent de lui de faire décréter par la Diète de Transyl-
vanie l'incorporation de cette principauté à la Hongrie. A
cette nouvelle , plus de cinquante mille délégués roumains
se réunirent à Blajium et demandèrent que la question de
l'incorporation fût réservée pour être soumise à une nouvelle
Diète issue du droit commun ; et en même temps ils protes-
tèrent d'avance contre tout ce qui serait fait par l'ancienne

Diète, dans laquelle la nation roumaine n'était point repré-


sentée.

<< En dépit des vœux et des protestations des Roumains,


les Hongrois firent décréter précipitamment l'incorporation,
couvrirent les grandes routes de potences au haut desquelles
on lisait L'union ou la mort ; et aux députations rou-
maines envoyées par l'assemblée de Blajium à la Diète de
Transylvanie et à celle de Pesth , ils répondirent que l'in-
corporation était un acte consommé ; que désormais les
Transylvains, comme les Roumains du Banat , jouiraient bien
des droits politiques, mais en leur qualité de Hongrois seu-
16

lement ; car il n'y avait plus dans toute l'étendue du royaume


de Hongrie qu'une seule nation , la nation hongroise ; que
ceux enfin qui ne reconnaîtraient pas ce nouvel ordre de
choses seraient traités en rebelles . Et, dans leur sot orgueil,
ils allèrent jusqu'à refuser de décréter la radiation , de leurs
codes, des termes injurieux pour la nation et le clergé rou-
mains ; car, disaient-ils , « ce serait flétrir la mémoire de nos
ancêtres que de convenir de leurs injustices. >>
« Il fallut donc recourir aux armes, et une lutte san-
glante, qui fit plus de mal à la cause de leur indépendance
que les efforts combinés de l'Autriche et de la Russie,
commença entre les deux peuples.
« Les Roumains des principautés s'empressèrent de s'in-
terposer entre les Hongrois et leurs frères d'au -delà les
Carpaths ; ils arrachèrent quelques concessions aux premiers,
ils montrèrent aux seconds qu'ils prêtaient, sans le vouloir,
des armes à la réaction , et ils réussirent à faire suspendre
· les hostilités au moment même où les Hongrois étaient
réduits à concentrer toutes leurs forces pour résister à l'in-
vasion austro - russe .

Sans doute le droit est absolu , et il jure avec toute idée


de concession ; mais entre deux maux il fallait choisir le

moindre, et pour cette seule raison , nous, les proscrits des


principautés, avons engagé nos frères à adhérer pour le mo-
ment à un arrangement quelconque, sauf plus tard à reven-
diquer le droit national dans toute son intégrité . Les conces-
sions d'ailleurs faites par les Hongrois étaient de peu d'im--

portance. Elles avaient plus particulièrement trait à l'usage


de la langue roumaine, comme on peut le voir dans la cir-
17

culaire du ministre Casimir Batyani , du 10 juin 1849. Et,


chose douloureuse à remarquer, même cette circulaire , des-
tinée à amener la réconciliation entre les Hongrois et les

Roumains, et qui est un des derniers actes du gouvernement


révolutionnaire hongrois, renferme des prétentions plus
propres à envenimer la lutte qu'à rapprocher les esprits ;
on y lit en effet : « ... La suprématie de l'élément hon-
<< grois , telle qu'elle ( la Hongrie) l'a acquise depuis mille
<
«< ans les armes à la main... » Suprématie à laquelle M.
Batyani déclare que les Hongrois ne renonceront jamais et
à aucun prix .
«< En résumé donc, on le voit, les Roumains, avant comme
après 1848, étaient hors la loi ; avant 1848 ils étaient pri-

vés de tous les droits politiques et de la plupart des droits


civils, et en 1848 on leur proposa l'union , c'est- à - dire la
renonciation à leur nationalité, ou la mort.
Que M. Ira'nyi et ses compatriotes ne se méprennent
pas sur mes sentiments , qui sont ceux de tous les Roumains .
Je n'ai point rappelé le long martyre qu'ils nous ont fait
subir, pour crier : Anathème ! vengeance ! mais pour les
conjurer, au nom de notre commun salut et de la frater-
nité des peuples , d'en faire l'aveu sincère et de se joindre à
nous pour ensevelir et sceller du sceau de l'éternité toutes
les erreurs et tous les crimes qui ont ensanglanté notre
passé ; et, si le remords de leurs injustices les empêche
d'en effacer complètement le souvenir de leur mémoire , que
notre sainte devise : Justice, Fraternité, devienne aussi la leur,
et voile à jamais aux yeux de leurs âmes ce triste specta-
cle de la barbarie hongroise .
2
18

«< Hongrois, la Providence vous a déjà donné un terri-


<
ble avertissement . Songez-y. N'affligez pas plus longtemps
la démocratie de votre royaume historique et de votre droit
de conquête , et serrez avec franchise, avec amour, la main
fraternelle que nous vous tendons . Encore une fois , son-
gez-y, craignez d'avoir demain contre vous le nombre et
la justice, les peuples et Dieu . C'est à vous, surtout, émi-
grés hongrois, que je m'adresse, car une grande responsa-
bilité pèse sur vous.
<< Le Dieu de l'avenir vous a pris par la main et vous a
amenés sur cette terre sainte de France pour que vous rece-

viez le baptême de la civilisation et le donniez à votre tour


à vos frères de Hongrie ; et vous, vous continueriez à ado-
rer le Dieu du passé? Prenez garde, émigrés ; le sentiment
de la justice grandit dans l'âme de votre peuple , il vous
déborde . Hongrois , et vous Hugo-Slaves nos voisins, les
temps sont venus vous l'avez entendu , la confédération
Danubienne sera l'œuvre de notre époque . Donnons- nous
la main, frères, par dessus les tombes de nos martyrs, et
que cette grande œuvre soit notre gloire à tous.
<< Permettez -moi , monsieur le Rédacteur, de compter en-
tièrement sur votre obligeance, et agréez, je vous prie,
hommage de mes salutations respectueuses .

« D. BRATIANO . »
19

« Monsieur le Rédacteur,

« En réponse à la lettre que j'ai eu l'honneur de vous


adresser au sujet d'une assertion contenue dans un mani-
feste du Comité central démocratique de Londres , M. D. Bra-
tiano ( Roumain de la Valachie ) a publié , dans votre numéro
du 6 courant , une réplique qu'il m'est impossible de laisser
passer en silence . L'importance de l'affaire , autant que
votre impartialité bien connue me font espérer que vous ne
refuserez pas à la défense une hospitalité que vous avez
accordée à l'attaque .

« Je ne relève point les expressions injurieuses dont


M. Bratiano a jugé convenable de se servir. Je m'obstine à
ne pas voir d'adversaire là où il ne peut y avoir que des
amis ; et comme je me refuse à croire que les paroles de
M. Bratiano contiennent l'expression des tendances et des
sentiments de la nation , même de l'émigration roumaine, la
réponse ne va s'adresser non plus qu'à la personne de mon
honorable compagnon d'exil . Je tiens à ce que tout carac-
tère de controverse, entre nos nationalités respectives, reste
parfaitement étranger à ce débat individuel.
« Je soutenais dans ma première lettre qu'il n'existait au-
cune loi, aucune liberté dont les nationalités slaves et rou-
maines aient été exclues en Hongrie , même avant 1848 ;
20

je prétendais que les nouvelles lois de 1848 n'ont pas établi


la moindre différence entre la nationalité hongroise et les
autres nationalités du royaume . Prouvez -vous , soutenez-
vous même le contraire ? Vous vous efforcez de démontrer

qu'il existait avant 1848 des dispositions onéreuses pour les


Roumains . Où ? En Hongrie ? Non . En Transylvanie !
Est- ce là une réponse ? est- ce bien une réfutation ?
« En poursuivant , vous tâchez de m'apprendre qu'après
1848 , époque de l'union des deux pays , il existait dans le
Royaume-Uni , quoi ? une loi , une liberté dont les autres
nationalités eussent été exclues ; non , mais que les Roumains
avaient adressé des vœux auxquels le gouvernement ou bien
la Diète , c'est-à-dire les représentants de toutes les natio-
nalités des deux pays, auraient refusé de faire droit . Est-ce
là encore une réponse ? est- ce bien une réfutation ?
<< Je pourrais donc , à bon droit , me soustraire à toute
discussion ultérieure ; cependant , pour ne pas paraître re-
culer devant un débat, même sur le terrain que vous venez
de choisir , je vais l'aborder sans hésiter un instant .
« Parce que vous avez en vain cherché dans la Constitu-
tion de la Hongrie une disposition désavantageuse pour la
nationalité roumaine, vous avez pris le parti de fouiller les
anciens codes de la Transylvanie , heureux de pouvoir en
sortir quelques dispositions à l'appui de votre assertion , à
savoir, que les Roumains ont été opprimés de tout temps .
Permettez que je vous fasse observer , d'abord , qu'à l'époque
d'où datent les lois que vous citez , époque de la féodalité du
moyen-âge, les codes des nations qui , de nos jours, occupent
le plus haut degré de l'échelle de la civilisation européenne,
21

regorgeaient de lois bien autrement barbares que ne le sont


les dispositions que vous avez transcrites du corps des lois de
la Transylvanie . Permettez-moi ensuite de vous dire que ces
lois furent abolies par les législations qui suivaient , ou bien
que depuis des siècles elles étaient, ou à peu près, tombées
en désuétude .
«<
L'inégalité qui existait en Transylvanie jusqu'à l'année
1848 , consistait en ce que les Valaques ou Roumains n'é-
taient pas distinctement reconnus comme quatrième nation ,

et que le culte grec-uni que professent une grande partie de


nos compatriotes Roumains, n'y était que toléré .
<< Bien loin de vouloir justifier ces injustices , je les con-
damne hautement. Souffrez, cependant, que j'ajoute à cette
désapprobation un mot de commentaire .
<«<< Il est vrai que le droit public de la Transylvanie ne
comprenait pas la nation roumaine au nombre des nations
diplomatiquement reconnues : Magyare , Sicule et Saxonne ;
mais , à moins de vous méprendre sur la portée de cette dis-
tinction accordée à celle-ci, vous ne sauriez vous affliger bien
fort de l'exclusion dont la nationalité roumaine était frappée
sous ce rapport .
<< Au titre de nation reconnue il n'était attaché , que je
<
«
sache, aucun privilége, si ce n'est le sceau particulier, dont
les actes de la Diète devaient être revêtus . Les droits poli-
tiques n'inhéraient point à cette distinction : ils n'étaient pas
le privilége d'une nation quelconque , ils étaient l'apanage
des castes, de la noblesse et des bourgeois. Hongrois , Sicule
ou Saxon , vous ne jouissiez pas de droits politiques à moins
d'appartenir à la noblesse et à la bourgeoisie, tandis que ,
22

Roumain , vous étiez appelé à y participer , si vous faisiez


partie des classes privilégiées .
«< Quant à l'inégalité qui résultait du culte religieux , ce
<
n'est pas non plus la nationalité roumaine que l'intolérance
voulait atteindre ; c'est le culte grec- non-uni , en horreur
aux prêtres catholiques romains et au cabinet de Vienne . Les

Roumains , qui appartenaient au culte de l'Église grecque-


unie , se trouvaient en pleine possession des droits apparte-
nant aux autres nationalités .

« Voilà pour le passé de la Transylvanie .


«< Quant à la question relative au sort des Roumains après
<
la sanction des lois de 1848, je ne veux plus les diviser dans
notre discussion en Roumains de la Hongrie et en Roumains
de la Transylvanie . L'union des deux pays consommée , la
dénomination de la Transylvanie cesse , et celle de la Hon-
grie s'étend jusqu'aux frontières de la Moldavie. C'est la
Hongrie telle qu'elle existait jusqu'au seizième siècle , c'est
la Hongrie de 1848.
« Eh bien ! j'affirmais qu'il n'y avait aucune loi , aucune
liberté dont , après 1848 , les nationalités non magyares
eussent été exclues . La corvée ne fut- elle pas abolie ? la li-
berté religieuse ne fut-elle pas proclamée ? les droits poli-
tiques ne furent-ils pas étendus à tous les citoyens, sans
exception aucune de nationalité? Ces libertés ne furent- elles
pas étendues aux Roumains ? Vous ne sauriez nier ce qui est
incontestable. Il faudrait cependant que vous prouviez le
contraire pour excuser, pour motiver, ou bien , comme vous

semblez le vouloir , pour justifier la prise d'armes des Rou-


mainsde l'ancienne Transylvanie . Les motifs que vous apportez
23

à cet effet ne sont que des prétextes infiniment peu sérieux .


« Les Roumains , dites-vous , demandèrent que la nation

roumaine fut reconnue comme quatrième nation de la Tran-


sylvanie. Mais l'union proclamée ne faisait donc pas aussi
cesser les distinctions de nations magyare , sicule et saxonne?
Les priviléges venaient d'être abrogés ; comment et à quoi
bon en créer de nouveaux ? Est-ce être hors la loi que de
n'avoir pas de privilége ? Mais l'union elle -même était une

violence à vos yeux ; la Diète de la Transylvanie l'a


votée, la même Diète, qui proclamait en même temps l'abo-
lition des droits féodaux , la liberté religieuse, les droits poli-
tiques et le respect de toutes les nationalités . L'union , c'est
la force. Après des siècles de séparation nous nous sommes
réunis pour mieux sauvegarder la constitution , les libertés

communes. Les Roumains de l'ancienne Transylvanie s'y


opposèrent ; les meneurs soudoyés par la cour impériale les
travaillaient et égaraient les esprits au profit de l'absolutisme
de l'Autriche. De là la guerre à jamais déplorable qui s'en-
suivit.

« Vous criez à l'oppression de la nationalité roumane ,


même après que l'usage de la langue naturelle fut garantie
non seulement.dans la commune, mais encore dans les affaires
départementales. Je n'affirme pas que ces lois doivent être
considérées comme la dernière limite de la législation par
rapport aux droits des nationalités ; je crois cependant qu'elles
étaient de beaucoup plus libérales que ne le sont les dispo-
sitions de la plupart des États constitutionnels . On nous
demandait, dites-vous, la radiation de nos codes, des termes
injurieux pour la nation et le clergé roumans . Mais a-t - on
24

jamais mieux , a-t-on jamais autrement effacé des dispositions


injurieuses qu'en y substituant des lois qui furent conformes
à la justice? A-t-on jamais autrement effacé la loi de 1525 :
< Lutherani comburantur » qu'en proclamant la liberté des
«
<
cultes?
« Je ne m'arrête pas plus longtemps à ces plaintes , que
vous trouvez bon de nous rappeler . Finissons-en, une fois
pour toutes, avec les récriminations qui s'attachent au passé.
C'est à l'histoire de juger les faits accomplis ; notre tâche à
nous, c'est de nous occuper de l'avenir .
<< J'aborde donc cette question grave et solennelle , je l'a-
borde avec autant de franchise que de fermeté . Vous m'avez
fait entrevoir vos dessins , je vous ferai connaître nos vues et
les sentiments qui nous animent.
« Nous voulons le rétablissement de l'indépendance de la
Hongrie et le maintien de ses anciennes limites . Nous vou-
lons que la Hongrie soit constituée en république démocra-

tique, reposant sur le suffrage universel ; nous voulons l'éga-


lité parfaite de toutes les nationalités ; nous voulons que ·la
Hongrie entre dans une alliance intime avec la Pologne , la
Roumanie , la Servie et les autres pays qui seraient parvenus
à conquérir leur indépendance nationale ; alliance de défense
mutuelle contre toute agression hostile , de quelque part
qu'elle vienne .
<< Vous, Monsieur, vous me paraissez désirer le démembre-
ment de ma patrie, la décomposition de toutes les nationa-
lités en autant d'Etats indépendants ; vous semblez souhaiter
que les contrées de la Hongrie, habitées par des Roumains ,

en soient détachées pour être unies à la Valachie , à la Mol-


25

davie , à la Bessarabie et à la Butovine, afin d'en construire


un seul Etat, que vous désignez d'avance sous le nom de
Roumanie . Enfin, tous les Etats sur les deux rives du Da-
nube, y compris la Hongrie mutilée , devraient , de votre avis,
former une Confédération , dite Danubienne .
<
«< Examinons cette idée de plus près . Hongrois en même
temps qu'ami de la liberté des peuples , je vais envisager la
question du point de vue patriotique et humanitaire égale-
ment . Les intérêts de la civilisation y prévaudront cependant
de beaucoup .
<< En attendant que le pouvoir absolu de la Russie soit brisé,
et que la loi de l'humanité , la démocratie, soit fondée au sein

même des peuples dont cet empire se compose, la cause de la


liberté européenne exige de puissants remparts contre les dé-
bordements de la barbarie du Nord . Que Dieu aide nos frères
Polonais à rétablir leur indépendance , ils rempliront héroï-
quement la mission de la Providence .
<
«
< Que Dieu aide nos frères roumains à s'affranchir des
maîtres absolus qui les oppriment ; leur concours deviendra
aussi précieux . Voudriez- vous que la Hongrie, jadis bastion
inébranlable contre la fougue du Croissant ; vaillant cham-
pion de la liberté contre les envahissements du despotisme ,
jusqu'à nos jours ; voudriez-vous que la Hongrie seule fut
dépréciée et réduite à l'impuissance, sinon à l'impossibilité
de continuer sa mission glorieuse ? Partager la patrie du Hon-
grois, c'est déchirer son cœur, c'est briser son épée . La ci-
vilisation aurait tout à perdre, elle n'y aurait rien à gagner .
« Vous voulez décomposer un grand et puissant état pour
en former de petits . Vous voulez sacrifier le plus vaillant
26

défenseur de la liberté à des peuples qui n'ont pas à vous


offrir des gages aussi sérieux , des gages irrécusables : C'est
substituer l'incertain à ce qui est positif. Quelles garanties
pouvez-vous fournir à l'humanité pour la réussite de cette
expérimentation ?
<<Je ne suis certes pas partisan de la centralisation admi-
nistrative de la France ; la centralisation politique cependant,
l'unité du gouvernement, l'intégrité du territoire de l'Etat ,
ne sont pas des doctrines au rebours des lois de la démo-
cratie. La France songe -t- elle à se diviser pour se confédérer
après ? Les républicains de 1793 ne se sont-ils pas émus de
l'idée de confédération projetée , à ce que l'on prétendait,
par les Girondins ? Mais, pour ne pas insister sur le droit po-
sitif par trop opposé à des tendances de démembrement d'un

Etat millénaire , quel est le droit divin , quelle est la loi de


démocratie qui exigent que des peuples, réunis de tout temps,
soient tout à coup forcément séparés, pour être liés à d'au-
tres, pour le seul motif d'identité de langage ? Quel Etat
européen subsisterait encore un seul jour ? Tenez , pour ne
pas citer d'autres exemples, les républicains français consen-
tiraient-ils à ce que l'Alsace fût détachée de la République
une et indivisible , et incorporée à l'Allemagne ? A plus forte
raison la Hongrie se refuse donc à céder une partie considé-
rable de son territoire, partie qui lui appartient depuis l'é-
tablissement de l'Etat hongrois, et qui n'a jamais été cons-
tituée en province distincte , en province roumaine .
<<< Outre cela , les Roumains ne se trouvent pas tous réunis
et voisins de la Valachie ; ils habitent çà et là , en Transyl-
vanie comme en Hongrie, depuis le midi jusqu'aux extré-
27

mités septentrionales, des contrées entrecoupées par diffé-


rentes autres nationalités . Voudriez-vous absorber ces der-

nières ? Abstraction faite de la difficulté qui résulte de la si-


tuation géographique , n'est-ce pas , à vrai dire , apporter une
perturbation dans les conditions d'existence d'un pays voisin
et ami , et cela en vue de votre propre agrandissement ? Et
pour ne pas oublier un côté important de la question , êtes-
vous bien sûr que les Roumains de la Hongrie et même de
l'ancienne Transylvanie, veuillent rompre les liens de mille
ans qui les attachent à leurs compatriotes, pour en former
de nouveaux ?
<
«< Si cela était, il resterait encore à savoir si de tels désirs
doivent être favorisés . Mais, de grâce, ne vous méprenez pas

trop sur les besoins et les vœux de nos compatriotes rou-


mains . Ceux qui habitent la Hongrie proprement dite , ont
combattu dans les rangs de nos armées pendant la glorieuse
révolution de 1848 , et quant aux Roumains de l'ancienne
Transylvanie , jamais ils n'ont manifesté la volonté de se
séparer de nous et de s'unir aux Roumains de la princi-
pauté, ni avant ni pendant les déplorables événements de
1848-1849 , ni après . Auriez-vous la prétention de leur im-
poser vos propres idées, ou bien iriez-vous jusqu'à les exciter
encore contre la Hongrie ? Vous ne ferez ni l'un ni l'autre .

<
«
< Avec nous contre l'Autriche, ou contre nous pour l'Au-
triche, c'est-à -dire pour l'absolutisme, la trahison , le par-

jure ; voilà la seule alternative qu'il puisse y avoir . Le choix


n'est pas difficile ; les deux années d'expérience ont suffi
pour ne pas le laisser douteux . La République hongroise sera
saluée par toutes les nationalités ; la nationalité roumaine
28

ne se fera pas attendre. Les quatre millions d'habitants qui,


bien que n'appartenant pas à la race hongroise , se sont fait
inscrire Hongrois , lors du dernier dénombrement de 1850,
de même que les renseignements que nous recevons sur les
sentiments de toute la population de la Hongrie, nous ras-
surent complétement . Si vous voulez nous aider de vos con-
seils, en bons voisins, en alliés à venir , nous y prêterons une
oreille attentive ; nous accepterons avec empressement vos
bons offices ; mais pour ce qui est d'un vote décisif, nous
n'en reconnaissons d'autre, dans nos affaires, que celui qui
émane de nos compatriotes roumains .
« Les colonnes d'un journal ne me permettent pas de
<
développer plus longuement ma pensée et de faire valoir
tous mes arguments contre le projet d'une confédération da-
nubienne qui surgirait d'un démembrement de la Hongrie.
S'il le faut , j'y reviendrai . En attendant, nous prions les
partisans de cette idée d'y mieux réfléchir et d'abandonner
leur système d'agitation . On risque de tout compromettre
en s'engageant trop avant dans cette route . Cessez de nous

reprocher notre attachement pour le passé . Tout en gardant


la mémoire de nos ancêtres, nous n'avons en vue que les be-
soins du présent, le bonheur des générations futures. Ce
n'est pas le droit historique , ni le droit de conquête , c'est le
droit d'existence que nous invoquons .
« Un dernier mot avant de terminer :*

<< Parmi les erreurs que j'ai à cœur de rectifier , Monsieur ,


il y en a une dans votre réplique qui me ferait douter de
la sincérité de vos sentiments de fraternité , si je ne préférais
l'attribuer à votre ignorance, du reste , bien excusable, de
29

l'histoire de Hongrie . Je contredis en toute conscience votre


assertion par rapport aux sanglantes luttes qui ont eu lieu
entre l'élément hongrois et l'élément roumain . L'histoire
n'en rapporte pas une seule avant l'an 1848 , et cette même
lutte n'aurait pas éclaté sans les provocations infernales de
l'Autriche. Les troubles de Hora , la seule insurrection des
Roumains que nous apprennent les annales, n'était qu'un

soulèvement des paysans contre les seigueurs qui les oppri-


maient.

<<< Ceci dit, je prends l'engagement de ne plus revenir sur


le passé. Je vous engage à en faire autant . Que nos vœux se
portent vers l'avenir. Ralliez-vous à nos idées, pour vous
rallier à nous . Alliance intime, ou si vous aimez mieux le
mot, confédération fraternelle des pays danubiens , mais à
condition d'intégrité territoriale de la Hongrie, voilà notre
devise . Quelle devienne notre drapeau à tous , et que ce dra-
peau soit béni

«DANIEL IRA'NYI. >>


30

Monsieur le Rédacteur ,

« Vous avez accordé la publicité de votre journal à une


seconde lettre de M. Ira'nyi, émigré hongrois . Me voici
donc forcé de vous importuner de nouveau pour vous ré-
clamer le droit de répondre . Permettez -moi d'espérer,
monsieur le Rédacteur, que cette fois encore , votre bienveil-
lance ne me fera point défaut, et croyez, je vous prie,
que je suis bien décidé à ne plus suivre mon honorable
contradicteur , s'il lui plaît de continuer une polémique plus
propre à affliger qu'à intéresser vos lecteurs .
<
«< Monsieur Ira'nyi a écrit le premier pour jeter des défis
aux Roumains. J'ai relevé ses défis, et ne voilà-t-il pas que
c'est moi qui suis l'agresseur. N'importe, je ne m'arrête pas
pour si peu, je passe condamnation .
<< Je commence tout d'abord par déclarer que dans cette

lettre comme dans la précédente, je parle et suis autorisé à


parler non-seulement au nom des émigrés roumains, mais
au nom de tous les Roumains , aussi bien des Roumains des
principautés, que des Roumains de l'empire d'Autriche et
de l'empire de Russie . A ce titre, j'ai une grande respon-
sabilité et ne puis pas accepter le débat individuel que me
propose M. Ira'nyi . Non , je ne veux pas combattre un
31

Hongrois, même à coup de plume . Hongrois, Slaves, Rou-


mains, il nous faut réunir, concentrer toutes nos forces ma-
térielles et intellectuelles, pour vaincre l'ennemi commun ,
pour battre en brèche l'édifice monarchique qui pèse de tout
son poids sur nos peuples et les empêche de fraterniser
dans la liberté . Si j'avais dû parler en mon nom propre,
pour ma part je me serais bien gardé de le faire ; en effet ,
il importe peu à l'Europe de connaître les opinions et les
noms individuels de Pierre ou de Paul , de M. Ira'nyi ou
de M. Bratiano . Je n'aurais pas cru , non plus, opportun de
répondre à M. Ira'nyi, si les idées qu'il exprime, selon moi
erronées , lui étaient personnelles ; et si je n'avais eu la
crainte qu'elles ne fussent partagées par quelques-uns de
ses frères d'exil et même par quelques-uns de ses concitoyens
en Hongrie, comme me portent à le croire les brochures de
messieurs Antal Syecsenyi , Somsich et Josef Rotveos , ainsi
qu'un article du journal hongrois , le Pestinaplo , du 28 juin
dernier, et un autre article du Magyar Hirlap , du 30 du
même mois , dans lesquels écrits je trouve la nouvelle et bi-
zarre classification des peuples en nation et nationalités.
Selon ces ingénieux publicistes, les Hongrois seuls forment
une nation ; les Roumains et les Slaves ne forment que des

nationalités , et en conséquence ils doivent nécessairement


subir la suprématie hongroise et souffrir que leur territoire
soit un territoire hongrois .

<< Cela dit, je prie mes lecteurs de lire ma précédente lettre


dans la Presse du 6 du mois dernier, car je n'y reviendrai
pas . Ils sont mes juges . C'est à eux à prononcer si elle est
fondée en raison ou si elle ne prouve absolument rien ,
32

comme le prétend M. Ira'nyi . Je dois cependant quelques


explications :
<< Pour mieux prouver que les défis de M. Ira'nyi n'étaient
ni justes, ni prudents , j'ai cité les lois de la Transylvanie , et
j'ai eu raison de les citer , car elles sont l'œuvre des Hongrois.
Les rares Roumains , en effet , qui parvenaient à être de la
Diète, n'y pouvaient siéger que comme nobles hongrois , et,
comme tels, il leur était défendu de parler au nom des Rou-
mains : « Sunt inter toleratas etiam nationes valachos pra-
sertim, qui omnium in Transilvania habitant numerosissimi,
pauci saltem nobiles qui jure comitiorum gaudent ; sed non
qua tales : verum hi in gremio Hungarica nationis cen-
suntur. » ( Comitia Transilvania , accetore Josepho Beni'o ;
caput. v, S xx , 5. )
<<L'interdit dont étaient frappés les Roumains de la Tran-
sylvanie paraîtra encore plus exorbitant , si l'on considère
qu'ils constituent à eux seuls les deux tiers de la population
de cette principauté ; tandis que Hongrois , Seculs, Saxons ,
Bohémiens, Slaves, Grecs , Juifs, Arméniens, tous ensemble
forment à peine un tiers de la population. Et presque toutes
ces lois oppressives et humiliantes pour les Roumains de la
Transylvanie , que j'ai rappelées dans ma précédente lettre,
étaient encore en vigueur en 1848. Sans doute , il était
permis alors au Roumain de porter chapeau de la valeur
d'un florin , - si , toutefois , le seigneur Hongrois lui lais-

sait de quoi l'acheter ; mais en 1848 , comme précédem-


ment , il était privé de l'exercice et de la jouissance de tous
les droits politiques , il était exclu de toutes les fonctions
civiles et de tous les grades militaires ; l'exercice même
33

de la plupart des arts et métiers , lui était interdit . D'ailleurs


tout opprimé qu'il était , il n'avait pas grand' chose à envier à
ses frères du Banat et des comitas roumains de la Hongrie ,
car les Hongrois dont la loi dit : nobilitas hungarica est, les
avaient réduit tous à l'état de serf. Il est très- vrai , c'est la
Diète de Pest, qui a constamment refusé de faire droit aux
réclamations des Roumains, qui a refusé même de déclarer
par une note, qu'elle regrettait les dispositions injurieuses
pour la nation et le clergé roumain qui se trouvaient dans
les codes hongrois et d'en ordonner la radiation . Mais cette
Diète était la représentation de la nationalité hongroise
seule et non pas la représentation de toutes les nationalités ;
car à peu d'exception près, les Roumains , aussi bien que les
Slaves, se sont tous abstenus de prendre part aux élections .
Ils protestaient ainsi contre la prétention des Magyars de tout
magyariser et contre la terreur qui a présidé aux élections
Lors des élections, je me trouvais en Hongrie . Il est égale-
ment vrai que c'est encore une Diète, la Diète Transylvaine,
qui a prononcé l'union de la Transylvanie et de la Hongrie ;
mais dans cette Diète , sur les trois cents membres environ
qui la composaient, il n'y avait que deux nobles et un évê-
que roumains ; et ceux-là in gremio Hungarica nationis cen-
suntur. A cette époque j'étais en Transylvanie .
« Et c'est cette union faite, comme je l'ai établi dans ma
précédente lettre , sans les Roumains et en dépit de leurs
protestations, union violente , qui n'a durée qu'un jour, tant
que les Hongrois ont eu les armes à la main, c'est cette union
qui autorise M. Ira'nyi à effacer la Transylvanie de la carte
de l'Europe . Que le czar , en parlant de la Pologne , dise :
3
34

l'ancien royaume de Pologne, cela se conçoit à la rigueur.


Mais qu'un émigré hongrois , qu'un Hongrois révolutionnaire,
démocrate , dise à dessein , l'ancienne Transylvanie , c'est
· ; j'aime mieux me taire , car il y a des choses

qu'on ne saurait qualifier sans les affaiblir et sans en même


temps s'exposer à encourir le reproche de s'être servi d'ex-
pressions injurieuses , et je ne veux plus laisser à M. Ira'nyi
le prétexte de se plaindre de moi.
<< M. Ira'nyi a parfaitement raison ; oui, les nations les
plus civilisées ont eu leur moyen-âge . Mais cette considé-
ration ne me console pas le moins du monde de la douleur
que j'éprouve en voyant cette triste époque se prolonger
en Hongrie et en Transylvanie , jusqu'à nos jours . Et à ce
propos, je dirai à M. Ira'nyi , que je lui en veux de m'avoir
forcé de revenir sur le passé, de rappeler les injustices et
les violences de la Diète du gouvernement hongrois, durant
les années 1848 et 1849, et celles dont les Roumains ont
eu à souffrir à des époques plus reculées . Je ne l'ai point
fait pour mettre les Hongrois au ban de la civilisation , car
ils ont suffisamment expié leurs erreurs ; et aujourd'hui , je
persiste à le croire, ils sont les premiers à les regretter et
à les condamner . Je l'ai fait à mon corps défendant, et je
devais le faire pour démontrer que la prise d'armes des
Roumains de la Transylvanie et du Banat , a été la consé-
quence naturelle, forcée, de ces injustices et de ces violences,
et aussi de la puissante action des idées nouvelles mécon-
nues du gouvernement hongrois, et non pas l'effet des ma-
nœuvres autrichiennes . L'Autriche se réjouissait, sans doute,
de l'aveuglement des Hongrois, se réjouissait de les voir se
35

rendre hostiles à ceux qui devaient, qui voulaient être leurs


amis , leurs alliés ; mais elle a été pour si peu de chose dans
le mouvement roumain , elle a si bien compris au contraire
son caractère national et démocratique , qu'une fois victo-
rieuse , elle a persécuté les chefs roumains et jeté même
beaucoup d'entre eux en prison . Et si j'avais mission de
parler au nom des Slaves, j'observerais que sauf quelques
exceptions, leurs chefs ne sont pas moins suspects aux yeux
de l'Autriche.

<< Ah ! M. Ira'nyi, et vous parmi les émigrés hongrois, qui


acceptez la solidarité de ses opinions , ne parlez plus de
corvées abolies , des libertés et des droits accordés aux Rou-
mains ! Soit , vous avez fait tout cela ; mais à quelle condi-
tion ? Tenez, supposons qu'un gouvernement tout autre que
votre gouvernement de 1848, surgisse à Vienne, supposons
qu'une vraie République démocratique soit proclamée de-
main en Autriche, et qu'elle vous dise : « L'ancienne Hon-
grie a cessé d'exister, Hongrois, désormais vous êtes tous
citoyens autrichiens, désormais tous tant que vous êtes vous
jouissez, sans exception aucune, des bienfaits de la répu-
blique autrichienne ; désormais votre Diète sera la diète autri-
chienne, votre gouvernement, le gouvernement autrichien ,
votre armée , l'armée autrichienne, votre langue, la langue
de la république autrichienne , » dites , acclameriez-vous cette
république ? ne tireriez -vous pas plutôt le sabre ? oui, vous
le tireriez, et vous auriez mille fois raison de le tirer . Eh

bien, on ne vous demande pas autre chose ; soyez justes


et souffrez que les autres aient fait et fassent ce que vous-
mêmes feriez dans des circonstances analogues.
36

" Ceux des Roumains, de ce que vous appelez la Hongrie


proprement dite, qui ont été dans vos rangs en 1848 et
1849, vous les avez eu de force , vous le savez, car vous les
avez vus amener dans vos camps les mains et les pieds liés ;
et s'il est vrai que des Roumains se soient dits Hongrois
lors du nouveau recensement (1 ) , ne vous abusez pas , ils

n'ont pas renoncé pour cela à leur nationalité, ils l'ont fait
croyant contrarier par là l'Autriche, car ils haient le despo-
tisme d'où qu'il vienne et quel que soit sa forme. Non , les
Roumains ne peuvent pas renoncer à leur nationalité , ils
n'y ont jamais renoncé . Pour vous en convaincre , je ne veux
pas vous rappeler la terrible guerre des dernières années ; il
nous faut l'oublier ; mais rappelez-vous leurs efforts anté-
rieurs, rappelez-vous leurs pétitions à la cour impériale de
1744 , de 1791 , de 1854 , contre lesquelles vous avez cons-
tamment invoqué votre fameux décret : « Ne plebs calacho-
rum numerum inter naties fatias , (art. novelara, 6 , année
1744). » Voyez l'énorme dossier de pétitions qu'ils ont
adressées à Vienne depuis 1849 et qu'ils continuent à adres-
ser, et dans lesquelles ils demandent , tout comme les
Slaves, séparation complète des contrées par eux habitées de
celles habitées par les Hongrois . Ils y demandent expressé-

(4) Selon M. Ira'nyi , lors du dernier recensement de la Hongrie ,


uatre millions d'habitants n'appartenant pas à la race hongroise se
sont fait inscrire comme Hongrois ; les Hongrois étant de leur côté
quatre millions environ , la population hongroise seule devait figurer
pour huit millions dans la nouvelle statistique. Et cependant un extrait
de cette statistique publié par la Presse du 13 de ce mois, dit que la
population totale de la Hongrie est de 7,864,262, dont 3,749,662 Hon-
gro et 4,444,600 Slaves, Allemands, Roumains et autres.
37

ment : 1 ° la réunion de la Transylvanie , du Banat, d'Arac, de


Sat-Maré, de Bihar et de Marabouseche ; la réunion de tous les
Roumains en un seul corps de nation ; 2° une administration
nationale ; 3° une représentation nationale à part .
<< Maintenant, quelques mots à M. Ira'nyi pour lui dire qu'il
est injuste lorsqu'il écrit : « nos compatriotes roumains »
>,
et souligne le mot compatriotes , et qu'il est ingrat lorsqu'il
nous reproche à nous, les Roumains d'au-delà les Karpaths,
d'avoir excité nos frères d'en-deçà les monts contre les Hon-
grois ; car il doit savoir que le gouvernement lui-même
appelle dans des actes publics, nos compatriotes, les Rou
mains de la Transylvanie, du Banat , et des comitas roumains
du royaume de Hongrie , et qu'à ce titre nous les avons
représentés et nous avons traité pour eux avec le gouverne--
ment hongrois ; il doit savoir aussi que loin d'avoir excité
nos compatriotes contre les Hongrois, notre mission auprès
d'eux a été une mission toute de paix , mission que nous
avons remplie au péril de notre vie, car ils étaient tellement
irrités contre les Hongrois, qu'ils appelaient traîtres à la patrie
ceux qui leur faisaient entendre des paroles de réconciliation .
Notre désir d'amener une réconciliation entre les Roumains

et les Hongrois a été si grand , que moi aussi , dans ce but ,


j'étais sur le point de quitter Paris et d'essayer de me frayer
un passage à travers les lignes autrichiennes, si des circons-
tances indépendantes de moi ne m'avaient empêché de le
faire; M. Ladislas Peleki peut l'attester.
< Dans la lettre de M. Iran'yi il y a encore un reproche,
<
«
et celui-là , qui ne s'adresse heureusement qu'à moi , est
juste ; M. Iran'yi me reproche , en effet, mon ignorance de
38

l'histoire de Hongrie, qu'il a , d'ailleurs, la bonté de trouver


fort excusable, et conteste qu'il y ait eu avant 1848 une seule
lutte entre l'élément Roumain et l'élément Hongrois .

M. Ira'nyi a parfaitement raison . Je confesse mon ignorance .


Je connais peu l'histoire de Hongrie ; cependant , à raison

même de mon ignorance , ma mémoire se trouvant peu


chargée pourra venir en aide à celle de M. Ira'nyi . Qu'il me
permette donc de lui rappeler, entre autres, la croisade de
saint Etienne de Hongrie contre les Roumains du Banat . Il
en trouvera le récit dans Belle regius notarius, editione
schartneriana , et dans Vito santi Gherardi, episcopi ce ana-
diensis . Je lui rappellerai encore qu'un demi-siècle plus
tard les Roumains se soulevèrent contre les nobles Magyars
qu'on leur avait imposés, les chassèrent et les tinrent en
respect pendant trois ans. J'engage M. Ira'nyi à relire les
chroniqueurs de son pays ; il y trouvera indiquées sous le
titre de tumultus valachorum les nombreuses luttes qui
remplissent l'histoire des deux peuples et notamment celles
des XII XIIIe et XIV siècles . Je lui rappellerai aussi la
terrible insurrection des Roumains de Transylvanie de 1437-
1438, voir Eder, observationes criticæ ad historiam Tran-
sylvania, pag. 70 et 76, et qu'à la même époque les Rou-
mains de la Hongrie, se soulevèrent de leur côté à la voix de
leur chef Martin , voir Bonfinius D. III, L. III . Je prie
M. Ira'nyi de suivre dans les histoires du temps toutes les
péripéties des luttes postérieures et lui recommande de fixer
surtout son attention sur la grande catastrophe de 1514 ,
qui fut le coup de grâce pour les libertés roumaines et en
même temps une des principales causes de la chute du Banat
39

au pouvoir des Turcs ; car les Roumains ayant été tous


réduits par les Magyares à l'état de serfs , leur préférèrent les
Turcs, qui s'empressèrent de les réintégrer dans leurs droits .
Quant à l'insurrection de Hora M. Ira'nyi , n'a qu'à lire les
proclamations dans lesquelles Hora s'intitule Roi de la Dacie,
pour reconnaître le caractère national de cette insurrection .

« Je ne fais pas de la polémique ; c'est de l'histoire que


je ne discute pas même , et que mon honorable contradic-
teur aurait dû m'éviter la peine de lui rappeler ; car, comme
je l'ai dit dans ma précédente lettre , je n'aime pas à remuer
les cendres encore brûlantes des luttes internationales qui
ont ensanglanté le passé des Roumains et des Hongrois.
<< Dieu merci ! en voilà assez avec le passé . Le présent, je
le saute à pieds joints ; il ne peut pas durer, et j'aborde
l'avenir . Voyons donc , M. Ira'nyi et vous autres émigrés hon-
grois qui avez les mêmes vues, comment l'entendez-vous ?
que lui promettez- vous , que lui demnandez-vous ? Vous êtes
démocrates, vous voulez la démocatie et vous voulez en
même temps votre droit de conquête , la Hongrie telle qu'elle
était jusqu'au seizième siècle . C'est fort bien, vous pouvez
avoir raison ; il me semble cependant qu'il y a à cela une
petite difficulté , que vous demandez deux choses incompa-
tibles, deux choses qui s'excluent l'une l'autre . Oui , mes
amis, il faut choisir, ou plutôt il faut vous contenter de
l'une ou de l'autre ; rassurons-nous ; à coup sûr vous aurez
la démocratie.

« Ce n'est pas le droit historique , ni le droit de conquête ,


c'est le droit d'existence que vous invoquez, dites-vous . A
la bonne heure . Cela fait plaisir à entendre; vous parlez en
40

vrais démocrates . Pourtant, ici encore il faut vous expliquer :


à l'existence d'un état hongrois tel qu'il existait je ne sais plus
dans quel siècle , à une existence fictive à l'instar de celle de
l'Autriche, vous n'avez point droit ; mais, si vous avez en vous
les éléments constitutifs d'une nation pouvant vivre de sa vie
propre, et vous les avez, car vous êtes un peuple jeune et
vigoureux, à votre existence comme peuple hongrois , libre
et indépendant, vous avez tout droit ; et cette existence
réelle, légitime, vous l'aurez avant peu, n'en doutez - pas ; la
Démocratie entière vous la garantit ; tous les peuples seront
avec vous.

«
< Pour justifier vos prétentions sur les Roumains et sur
les territoires qu'ils occupent , vous invoquez l'existence
millenaire de l'état hongrois tel que vous le voudriez
dans l'avenir , et vous soutenez que les pays roumains
n'ont jamais constitué une province à part . Je pourrais
répondre , que la Transylvanie a été et est une princi-
pauté à part, que même les comitas roumains de la Hongrie
proprement dite pendant longtemps ont fait partie de la
Transylvanie et non pas de la Hongrie, et que le Banat n'a
été en dernier lieu incorporé à la Hongrie que sous Marie-
Thérèse ; mais pourquoi faire ? Non, je ne vous contrarierai
point ; je vous laisserai même dire , si cela vous fait plaisir,
que les pays roumains ont été incorporés à la Hongrie, non

pas seulement depuis mille ans, mais depuis deux mille ans ;
depuis le commencement du monde si vous le voulez, je
ne puis pas aller plus loin . Eh bien ! de ce long espace de
temps quelle conséquence y a-t-il à tirer, si vous n'avez su
ni vous assimiler les autres peuples, ni vous fondre avec eux ,
41

si vous n'avez su constituer aucune unité ? Les Roumains

sont aujourd'hui aussi Roumains qu'ils l'étaient le jour


où ils ont quitté l'Italie , et vous , Hongrois, vous vous trou-
vez aussi Hongrois que vous l'étiez lorsque vous êtes venus
d'Asie ; j'en pourrais dire autant des Slaves.
<<< Pour justifier encore vos prétentions sur les pays rou-
mains , vous nous apportez l'exemple de l'Alsace . J'imagine
que ce n'est pas l'histoire des origines que vous voulez faire ,
car vous ne parlez point de la Normandie, de la Bretagne , etc.
Vous citez , sans doute , l'Alsace parce qu'il y a eu des Alle-
mands qui ont dit et que peut -être y en a-t-il encore qui di-
sent que l'Alsace est une province allemande. En vérité,
quelle idée d'aller chercher l'Alsace ? qu'avez-vous donc
trouvé de commun entre la situation de l'Alsace et celle des
pays roumains ? Les Alsaciens veulent être Français , ils sont
Français et ils sont prêts à se battre contre ceux qui vou-
draient les détacher de la France ; tandis que les Roumains

ne veulent pas être Hongrois , ne sont pas Hongrois, et très-


probablement ils se battront comme ils se sont déjà battus,
contre ceux qui voudront les rattacher à la Hongrie. Voilà
ce que tout le monde sait , et que vous seuls semblez igno-
rer . Si vous voulez des exemples justes pour le besoin de
votre argumentation , vous n'en manquerez pas. Tenez , prenez
la Lombardo-Vénitie, prenez la Pologne, et dites, la Lom-
bardo- Vénitie n'est pas une partie de l'Italie, c'est un pays
autrichien ; dites, il n'y a plus de Lombardo - Vénitie , il n'y
a plus de Pologne , il n'y a qu'une Russie ; et puis un autre
dira, il n'y a plus de Hongrie , il n'y a qu'une Autriche .
C'est fort ennuyeux , j'en conviens, mais c'est comme cela ;
42

oui, mes amis, prenez garde à vous : la logique est inexo-


rable, en voulant absorber les autres vous vous trouvez vous-
mêmes absorbés par d'autres.
<<Par respect pour la démocratie, pour l'amour de nos peu-
ples qui versent leur sang pour la liberté, ne parlons plus
d'Etats bâtards composés d'éléments hétérogènes, ne par-
lons plus d'agglomérations incohérentes , forcées ; soyons de

notre temps, et comprenons que , pour des peuples libres,


il ne peut y avoir que des associations libres . Ne redoutez
donc plus la confédération que nous vous proposons. Ras-
surez-vous ; nous ne voulons pas décomposer un grand et
puissant Etat pour le plaisir d'en former de petits ; nous vou-
lons que les Etats , petits ou grands, soient forts par leur so-
lidarité et par l'identité de la population de chacun d'eux,
et ne soient plus réduits comme l'est le grand et puissant
état hongrois , à n'être plus qu'une province autrichienne .
Rassurez-vous ; nous ne voulons pas le démembrement de la
Hongrie, de la patrie de ceux qui veulent être, qui sont
Hongrois ; nous ne voulons point diviser , nous voulons rap-
procher au contraire par des liens volontaires, sympathiques,
ceux que la violence avait jusqu'ici rendus hostiles les uns
aux autres ; nous voulons, en un mot, une confédération ,
une grande association danubienne telle que la voudront nos
peuples devenus libres. Ainsi ne nous reprochez plus de nous
être trop avant engagés dans cette voie . Félicitez-nous-en
plutôt et hâtez-vous de nous rejoindre, et, ensemble avec nos
frères les Slaves , travaillons à réaliser cette belle pensée d'a-
venir, la grande fraternité des peuples du Danube . La ga-
rantie que nous pouvons donner à l'Humanité pour la réussite
43

de cette expérimentation , c'est la volonté des peuples , la


fécondité des associations libres, la force de la liberté . Et
pour le dire ici en passant, je ne vois pas trop pourquoi dans
cette étroite alliance des Etats danubiens, les Roumains de
l'empire actuel d'Autriche apporteraient une plus grande
force à la démocratie étant unis aux Hongrois plutôt qu'aux
Roumains des principautés. « Les Roumains, dites-vous , ne
se trouvent pas tous réunis et voisins de la Valachie ; ils
habitent çà et là, en Transylvanie comme en Hongrie , de-
puis le midi , jusqu'aux extrémités septentrionales, des con-
trées entrecoupées par différentes autres nationalités. » La
phrase est pour ainsi dire renversée . Pour la rendre correcte ,
juste, il faut lire : Les Roumains se trouvent tous réunis et
voisins de la Valachie ; car les étrangers appartenant à dif-
férentes autres nationalités qui habitent parmi eux , çà et là ,
en Transylvanie comme en Hongrie, sont en fort petit nom-
bre.Et j'ajouterai : les Roumains ne veulent point ab-
sorber ces derniers ; libre à eux , si tel est leur plaisir, d'aller
rejoindre leurs familles nationales ; la terre, grâce à Dieu ,
ne leur manquera pas. Il en sera de même des Roumains qui
peuvent se trouver égarés parmi les Hongrois ou les Slaves,
s'ils aiment mieux aller vivre au sein de la famille Roumaine .

«Si vous ignorez les éléments constitutifs de la patrie, lisez ,


je vous prie , l'adresse du Comité démocratique européen aux
Roumains , et vous connaîtrez ces éléments , et vous verrez
qu'ils se trouvent les mêmes chez les Roumains d'au-delà et
d'en-deçà les Carpaths , et que le langage , qui est d'ailleurs
un des signes les plus caractéristiques de la nationalité, n'est
pas la seule chose qui soit commune à tous les Roumains ; et
44

vous comprendrez dès- lors que les Roumains ne peuvent


avoir qu'une seule et même patrie , et vous ne vous étonnerez
plus qu'ils veulent tous être réunis en un seul corps de na-
tion , dussent-ils n'y parvenir qu'au prix de leur sang.
<< Vous nous dites : avec nous contre l'Autriche , ou contre
nous pour l'Autriche . - Non, Messieurs ! et contre l'Au-
triche et contre vous si vous allez nous donner une édition de
votre révolution de 48. Et, puisqu'il vous plaît de poser des
dilemmes , souffrez que nous disions à notre tour : avec nous
pour la démocratie , ou contre nous avec les Autrichiens et
les Cosaques ; car, mettez-vous bien cela dans la tête, lors-
l'heure sonnera ,
que il n'y aura plus moyen d'équivoquer ;
alors il n'y aura plus que deux camps en Europe , celui des
empereurs et rois et celui des peuples.
<< Vous rappelez vos exploits contre les Mahométans , et
puisque vous parlez en même temps de la Pologne et de la
Roumanie , je pourrais observer que les Polonais et les Rou-
mains en ont fait autant ; mais à quoi bon . Vous, vous croyez
avoir besoin d'invoquer vos titres passés pour pouvoir dire
que la civilisation est intéressée à ce que vous soyez forts .
Si vous pouviez persévérer dans vos idées d'un état hongrois
constitué contrairement aux lois de la démocratie , votre
force , si danger pouvait y avoir , serait plutôt un danger
pour la civilisation ; si au contraire vous voulez marcher dans

la voie de la liberté et de la justice, il n'y a rien à craindre


ni pour la civilisation ni pour vous ; car vous vous trouverez
plus forts que vous ne l'avez jamais été , vous serez forts de
la force de tous; tous les peuples seront pour vous , avec
vous .
45

« J'ai fini. Il me semble avoir passé en revue toutes vos


idées , tous vos arguments ; il me semble n'avoir rien omis.
Convenez, Messieurs , qu'il m'a fallu beaucoup de patience ,
beaucoup de bonne volonté , pour discuter , comme je l'ai
fait, phrase par phrase, la lettre à laquelle je réponds ; car,
pour toute réponse , j'aurais fort bien pu m'écrier avec le
journal l'Événement et avec tous les démocrates qui ont lu la
lettre de M. Ira'nyi : « M. Ira'nyi est presque dans l'absurde,
quand il dit : les contrées de la Hongrie habitées par des
Roumains. Devant le principe révolutionnaire , est-ce donc
la terre, le sol qu'il faut considérer ? Non , c'est l'homme ,
c'est le peuple . Que la démocratie ne répéte jamais sur ce
point les erreurs , plus que les erreurs , les crimes de la

royauté ! Qu'elle ait toujours horreur de ces partages de


nations , de cette oppression des volontés ! » Oui , j'aurais pu
vous adresser cette courte et écrasante réponse ; mais j'ai
tenu à prouver à vous autres , à prouver à tout le monde ,
combien grand est le désir des Roumains de vous ramener
à des sentiments de justice , afin que nous puissions fraterniser
les uns avec les autres et nous rendre également redoutables
à nos communs ennemis .
<<Croyez- moi , ce n'est pas à vous , ni même à nous, les Rou-
mains d'au-delà les Carpaths , c'est au Roumains d'en-deçà
les Carpaths , seuls, comme vous aussi vous êtes forcés de le
reconnaître , qu'il appartient de décider si la terre qu'ils
habitent fait partie de la Roumanie , de la Hongrie ou de
tout autre État . Ne perdons donc plus notre temps en de
vaines disputes. Employons plutôt le peu de jours qu'il nous
reste encore à passer en exil , à épurer notre foi , à éclairer
46

notre raison, à nous convertir, en un mot, de cœur et d'es-


prit aux idées nouvelles , et aussi à éclairer nos concitoyens ;
à nous rendre tous dignes de la liberté , dignes de la con-
quérir et de la conserver.
" Hongrois ! si les Russes ont envahi votre territoire ; si
l'Autriche , qui croulait de toutes parts , s'est de nouveau
raffermie sur les ruines de votre patrie, la faute n'est pas à
vous ; l'Europe connaît votre bravoure . Vous avez succombé.
Le malheur a voulu que les hommes qui vous représentaient
en 48 et en 49 ignorassent les besoins de l'époque nouvelle
et votre rôle au dix-neuvième siècle ; aussi , au lieu de s'ar-
mer de la justice et de la fraternité, ont-ils diplomatisé et
fait de la violence. Ils voyaient disparaître les vieilles mo-
narchies , et ils croyaient qu'il suffisait de prendre leur
place , qu'ils n'avaient qu'à les remplacer telles quelles , et
que tout serait dit ; l'ordre nouveau , qui allait désormais
régner dans la société européenne, leur avait complétement
échappé . C'est pourquoi ont-ils rêvé un empire hongrois
composé de pièces et de morceaux violemment accolés les
uns aux autres comme le monstrueux empire d'Autriche , et
c'est pourquoi la révolution hongroise s'est trouvée compro-
mise dès ses premiers pas ; car en prenant leurs modèles ,
pour la reconstitution politique de la Hongrie, dans le passé,
ils étaient involontairement , forcément amenés à s'aliéner
les peuples et à pactiser avec les puissances du passé . Ils vo-
taient des hommes et de l'argent à l'Autriche contre l'Italie ,
et en même temps ils rejetaient l'alliance de la Pologne et
ses principautés danubiennes , qu'était allé leur offrir celui
qui écrit ces lignes ; car , disaient-ils , ils ne pouvaient pas
47

compromettre les bonnes relations qu'ils entretenaient avec


la cour de Saint- Pétersbourg. Chose bizarre , eux qui étaient
appelés à porter le coup le plus rude à l'Autriche, se trou-
vèrent fatalement ses appuis les plus formidables. Ces
hommes, cependant , étaient sincères, dévoués ; ils vous ai-
maient. Prenez confiance, Hongrois , ces hommes vous aiment
toujours , et ce qui leur avait manqué alors pour fonder
votre bonheur , pour faire votre vraie gloire , la plupart d'entre
eux l'ont appris depuis à l'école du malheur , et bientôt ils
seront de nouveau au milieu de vous, tout rayonnants de lu-
mières et de vertues démocratiques . Prenez confiance ; les
erreurs qui nous ont perdus en 48 et en 49 , avant peu ,
s'évanouiront toutes au grand jour de la démocratie ; avant
peu , Slaves , Hongrois , Roumains , nous nous trouverons
frères d'armes dans la sainte croisade de l'indépendance et
de la liberté des peuples , et cette fois , unis , nous serons
tous invincibles, nous serons forts comme Dieu .

<< D. BRATIANO. »

Paris. - Imprimerie d'Ad. BLONDEAU , rue du Petit-Carreau , 32.


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RECUEIL COMPLET

des DISCOURS et RAPPORTS des principaux Orateurs des


Assemblées françaises depuis 1789 jusqu'à nos jours .

Précédé d'une ÉTUDE BIOGRAPHIQUE et CRITIQUE . — Suivi


des JUGEMENTS de tous les écrivains Français et Étrangers
et d'une NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE . -Orné du PORTRAIT de
chaque Orateur.

On souscrit soit au Volume , soit par Livraisons .

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MIRABEAU, ROBESPIERRE

Prix : 7 francs . Prix : 7 francs.

Prix du Volume (franco) , par la poste : 8 fr. 50 .

S'ADRESSER AU BUREAU DE LA FRANCE PARLEMENTAIRE ,

RUE PAVEE-SAINT- ANDRÉ , 12 , A PARIS .

Et chez tous les Libraires .

Paris. Typ. BLONDBAG, rue du Petit- Carreas, 32-


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