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Sous la direction de

Philippe Carré
et Pierre Caspar

Traité des sciences


et des techniques
de la formation

4e édition
entièrement revue
et augmentée
Maquette de couverture :
Atelier Didier Thimonier

Maquette intérieure :
www.atelier-du-livre.fr
(Caroline Joubert)

© Dunod, 2017
11 rue Paul Bert – 92240 Malakoff
ISBN 978-2-10-076796-0
Liste des auteurs

Ouvrage sous la direction de :

Philippe Carré Professeur à l’Université Paris-Nanterre, président de l’associa-


tion Interface-Recherche, directeur de publication de la revue
Savoirs
Pierre Caspar Professeur émérite au CNAM (Conservatoire national des arts et
métiers), ex-membre du conseil académique du Collège d’Europe

Avec la collaboration de :

Jacques Aubret Professeur honoraire des Universités, spécialité « Psychologie de


l’orientation »
Claude Bapst Créateur du Réseau d’Appui et de Capitalisation des Innovations
Européennes (Racine) dont il a été le directeur général pendant
plus de 20 ans
Christian Batal Président d’Interface études, conseil et formation, intervenant
à l’ENA (École nationale d’administration), à l’Université Paris
1-Panthéon-Sorbonne et à l’Université Paris 8-Saint-Denis
Bernard Blandin Directeur de recherches au CESI, chercheur associé au CREF (EA
1589)
Étienne Bourgeois Professeur honoraire de l’Université de Genève, Faculté de psycho-
logie et des sciences de l’éducation
Jean-Pierre Boutinet Professeur émérite à l’université catholique de l’Ouest à Angers,
professeur associé à l’Université de Sherbrooke (Canada), cher-
cheur associé à l’Université Paris-Nanterre
Céline Buchs Maître d’enseignement et de recherche en sciences de l’éducation
à l’Université de Genève (Suisse)
Olivier Charbonnier Directeur général d’Interface études, conseil et formation, inter-
venant à l’ENA (École nationale d’administration), à l’Université
Paris 1-Panthéon-Sorbonne et à l’Université Paris 8-Saint-Denis,
président de Consultants Sans Frontières (ONG) et de DSides,
Laboratoire-agence « digital et le travail »
Pascal Cyrot  D octeur en sciences de l’éducation et professeur agrégé du
secondaire
Catherine Delgoulet  Maître de conférences à l’Université Paris-Descartes, Sorbonne
Paris Cité. Habilitée à diriger des recherches en ergonomie,

3
Traité des sciences et des techniques de la formation

membre du Laboratoire Adaptations Travail Individus (LATI) et


du groupement d’intérêt scientifique CREAPT
Moïse Déro Maître de conférences en psychologie cognitive à l’ESPE Lille Nord
de France, COMUE Lille Nord de France
Pierre Dominicé  Professeur honoraire à l’Université de Genève (Suisse), ancien
Directeur Académique de la formation continue universitaire
Sandra Enlart Directrice générale d’Entreprise et Personnel, directrice de
recherche (CREF), Université Paris-Nanterre
Pierre Falzon Professeur titulaire de la chaire d’ergonomie au CNAM, directeur
du laboratoire d’ergonomie du CNAM (Paris)
Fabien Fenouillet Professeur de psychologie cognitive à l’Université Paris-Nanterre
Solveig Fernagu-Oudet 
Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université
Paris-Nanterre
Cédric Frétigné  Professeur en sciences de l’éducation à l’Université Paris Est
Créteil-Val de Marne
Charles Gadéa Professeur de sociologie à l’Université Paris-Nanterre, membre de
l’IDHES (Institutions et Dynamiques Historiques de l’Économie et
des Sociétés) (UMR 8533)
Jacques Igalens Professeur des Universités, Toulouse École de Management et
Centre de recherche en management
Christophe Jeunesse Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université
Paris Nanterre
Guy Jobert Professeur titulaire de la chaire de formation des adultes au CNAM
(Conservatoire national des arts et métiers), directeur de la revue
Éducation Permanente
Philippe Joffre Président de Paradoxes Conseil
Olivier Las Vergnas  Professeur à l’Université de Lille, directeur du département SEFA,
membre des équipes de recherche CIREL-Trigone et CREF-AFA,
fondateur des Cités des métiers
Guy Le Boterf Directeur de Le Boterf Conseil (France), expert en management et
développement des compétences et du professionnalisme, profes-
seur associé à l’Université de Sherbrooke (Canada)
Bernard Liétard Ex-maître de conférences à la chaire de formation des adultes du
CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), administrateur
au Groupe d’Étude Histoire de la Formation des Adultes (GEHFA)
Even Loarer Professeur titulaire de la chaire de psychologie de l’orientation
du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), directeur
de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation

4
Liste des auteurs

professionnelle) du CNAM, directeur de la revue L’Orientation


Scolaire et Professionnelle
Jean-Marie Luttringer Expert en droit et politiques de formation, ancien professeur associé
à l’université Paris-Nanterre (www.jml-conseil.fr)
Bernard Masingue Partenaire d’« Entreprise et Personnel »
Patrick Mayen Professeur en sciences de l’éducation, Université de Bourgogne
Franche- Comté, Agrosup Dijon
Paul Olry Professeur en sciences de l’éducation–formation des adultes,
Université Bourgogne Franche-Comté, AgroSup Dijon
Yves Palazzeschi Maître de conférences honoraire en sciences de l’éducation à l’Uni-
versité Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Pierre Pastré Professeur émérite au CNAM (Conservatoire national des arts et
métiers)
Coralie Perez  Ingénieur de recherche au Centre d’économie de la Sorbonne
(Université Paris 1-Cnrs)
Gaston Pineau Professeur honoraire des Universités (France), Sciences de l’édu-
cation et de la formation et chercheur émérite au Centre de
Recherche sur l’Éducation et la Formation Relative à l’Environne-
ment et à l’Écocitoyenneté (Centr’Ere) de l’Université du Québec
à Montréal (Canada)
Alain Rieunier Psychopédagogue, Centre de Ressources, Productique et Pédagogie,
académie de Créteil
Jean-François Roussel Professeur titulaire au département de gestion de l’éducation et de
la formation à l’Université de Sherbrooke (Québec), chercheur à
l’Université Paris-Nanterre
Claudie Solar Professeure titulaire, honoraire et associée au département de
psychopédagogie et d’andragogie à l’Université de Montréal
(Québec), chercheure au Centre interdisciplinaire de recherche/
développement sur l’éducation et la formation (CIRDEF) et
membre du Réseau québécois des études féministes (RéQEF)
Catherine Teiger  Ergonome, ex-chargée de recherches au CNRS (Centre National
de la Recherche Scientifique), Groupe de Recherches sur l’Histoire
du Travail et de l’Orientation du Centre de Recherches sur Travail
et Développement du CNAM (Conservatoire National des Arts et
Métiers) (Paris)
Christine Vidal-Gomel Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université de
Nantes
André Voisin Docteur d’État ès sciences économiques, ancien professeur associé
de sciences de l’éducation à l’Université de Tours

5
Table des matières
Liste des auteurs.............................................................................................................................................................................. 3
Préface à la 4e édition.................................................................................................................................................................. 25

Introduction (Philippe Carré et Pierre Caspar).................................................................................... 27


De la formation post-scolaire à l’apprentissage tout au long de la vie...................................... 29
1. La formation mérite-t‑elle un Traité ?...................................................................................... 29
2. De la formation post-scolaire
à l’apprentissage tout au long de la vie ?.................................................................................... 32
2.1 Du projet d’éducation permanente aux réalités
de la formation tout au long de la vie… professionnelle.............................................. 32
2.2 Des ruptures........................................................................................................................ 34
2.3 Des permanences................................................................................................................ 36
2.4 De la formation post-scolaire à l’apprentissage tout au long de la vie ?.................... 37
3. Principes et modes d’usage du Traité........................................................................................ 39
3.1 Une posture classique, mais « ouverte »......................................................................... 40
3.2 Une construction ternaire................................................................................................. 41
3.3 Une recherche d’équilibre entre théorie et pratique.................................................... 42
Références........................................................................................................................................... 43
Introduction....................................................................................................................................... 47

Partie1
Déterminants et environnements
de la formation

Chapitre 1 – Histoire de la formation post-scolaire (Yves Palazzeschi)................. 51


1. Une tradition ancienne : l’accompagnement
des grandes transformations sociétales du xixe siècle........................................................... 53
1.1 Accompagnant les grandes transformations politiques,
l’éducation des adultes....................................................................................................... 54
1.2 Accompagnant les grandes transformations économiques,
la formation professionnelle des adultes........................................................................ 57
2. L’entre-deux-guerres, une période de transition.................................................................... 58
3. L’histoire contemporaine............................................................................................................ 60
3.1 1944-1955 : la définition du champ................................................................................. 60

7
Traité des sciences et des techniques de la formation

3.2 1955 : le tournant................................................................................................................ 63


3.3 La dynamique d’évolution................................................................................................. 64
4. Conclusion..................................................................................................................................... 68
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 68

Chapitre 2 – L’économie de la formation (André Voisin)........................................................... 69


1. L’individu et la théorie du capital humain................................................................................ 71
1.1 Théorie du capital humain et amélioration de la productivité individuelle............. 72
1.2 Seconde chance et formation continue......................................................................... 73
2. L’entreprise et la théorie de l’investissement formation........................................................ 76
2.1 L’approche par la théorie de l’investissement immatériel........................................... 77
2.2 L’approche économique par les modèles de production............................................. 78
3. Les prestataires de formation et l’approche par « l’appareil de formation »...................... 79
3.1 Une approche en termes de pôles et de tutelles............................................................ 80
3.2 Une approche en termes de logique de fonctionnement............................................. 81
3.3 Une approche en termes de secteur et de branche....................................................... 81
3.4 Une approche en termes de positionnement et de régulation.................................... 82
4. Conclusion..................................................................................................................................... 83
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 85

Chapitre 3 – Sociologie de la formation post-scolaire


(Charles Gadea et Coralie Perez).......................................................................................................................... 87
1. Politiques publiques : de la promotion sociale au compte personnel de formation......... 90
2. Pratiques de formation et rapports sociaux en entreprise.................................................... 93
3. L’évolution des approches sociologiques de la formation post-scolaire............................ 95
3.1 De la théorie de la reproduction aux « formes identitaires »....................................... 96
3.2 Brouillage des catégories et diversification des approches......................................... 97
3.3 La persistance des inégalités face à la formation continue.......................................... 98
4. Conclusion..................................................................................................................................... 100
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 102

Chapitre 4 – Le droit de la formation professionnelle tout


au long de la vie (Jean-Marie Luttringer).................................................................................................... 103
1. La formation professionnelle définie par son organisation juridique................................. 106
1.1 Introduction........................................................................................................................ 106
1.2 Les institutions publiques................................................................................................. 107

8
Table des matières

1.3 Les partenaires sociaux...................................................................................................... 108


1.4 L’entreprise.......................................................................................................................... 110
1.5 Les prestataires de services de formation et de services associés............................... 111
2. La personne « sujet du droit » de la formation......................................................................... 113
2.1 L’organisation juridique des voies d’accès à la formation
professionnelle tout au long de la vie.............................................................................. 113
2.2 L’apprenant sujet de droit................................................................................................. 115
2.3 Le contrat pédagogique :
obligations de moyens/obligations de résultat ?............................................................ 117
3. La reconnaissance juridique des acquis de la formation....................................................... 118
3.1 Le recentrage de la formation professionnelle sur la qualification............................ 118
3.2 La qualification objet de négociations collectives......................................................... 119
4. Conclusion..................................................................................................................................... 120
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 120

Chapitre 5 – Le marché de la formation (Philippe Joffré).......................................................... 121


1. Une très forte évolution des contextes d’achat....................................................................... 123
1.1 Il n’y a pas UN mais DES marchés de la formation....................................................... 123
1.2 Des budgets formation qui diminuent après avoir fortement augmenté................. 124
1.3 Les achats et les ventes de formation ne sont pas des achats
et des ventes comme les autres (mais comme
les autres ce sont des ventes et des achats !)................................................................... 125
1.4 Une offre de formation en profonde évolution,
vers une nouvelle segmentation....................................................................................... 127
2. Les nouveaux enjeux de la co-construction
pour les « acheteurs » et « vendeurs » de formation................................................................ 128
2.1 Cinq nouveaux défis pour les achats de formation....................................................... 129
2.2 Quelles conditions de performance commerciale
pour les prestataires de formation aujourd’hui ?........................................................... 131
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 136

Chapitre 6 – La gestion des ressources humaines (Jacques Igalens)............................... 139


1. Le poids des contraintes.............................................................................................................. 142
1.1 Obligations légales............................................................................................................. 143
1.2 La formation, institution de la GRH................................................................................ 143
1.3 Les process liés à la gestion de la formation................................................................... 145
2. De la gestion de la formation à la gestion des compétences.................................................. 148
2.1 Formation et gestion des compétences.......................................................................... 149

9
Traité des sciences et des techniques de la formation

2.2 Compétences et acteurs de la formation professionnelle............................................ 151


3. La dimension formative des situations de travail.................................................................... 152
3.1 Les pratiques formatives de la GRH................................................................................ 152
3.2 L’entreprise apprenante.................................................................................................... 154
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 155

Chapitre 7 – Management, organisation et formation


(Christian Batal et Olivier Charbonnier)................................................................................................... 157
1. Évolution des formes d’organisation et de management et pratiques de formation........ 159
1.1 L’époque artisanale : l’expérience professionnelle
comme mode dominant de développement des compétences.................................. 160
1.2 Le développement d’une logique d’organisations mécanistes :
les besoins de compétences et la formation limités à l’encadrement........................ 162
1.3 La formation réservée à la hiérarchie qui définit le one best way............................... 164
2. La réhabilitation de la dimension humaine
dans la pensée managériale et dans les organisations............................................................ 166
2.1 L’école des relations humaines......................................................................................... 166
2.2 Le management par objectifs de P.F. Drucker............................................................... 167
3. Le développement de la compétence comme variable
stratégique au cœur des organisations...................................................................................... 168
3.1 Un environnement marqué par le développement
de la mondialisation et l’accélération des changements.............................................. 168
3.2 De la déconcentration croissante de la gestion des compétences
à la (re) découverte de modèles pédagogiques articulés au travail............................. 170
3.3 Le digital bouscule profondément la donne.................................................................. 173
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 174

Chapitre 8 – Ergonomie, formation et développement


(Catherine Delgoulet, Christine Vidal-Gomez,
Pierre Falzon et Catherine Teiger)..................................................................................................................... 175
1. Ergonomie, formation, santé et développement..................................................................... 177
1.1 Ergonomie et formation.................................................................................................... 177
1.2 Santé et développement.................................................................................................... 178
1.3 Le développement comme fait, objectif et moyen........................................................ 179
2. Analyse ergonomique du travail et formation......................................................................... 179
2.1 L’analyse ergonomique du travail au service de la formation..................................... 180
2.2 L’analyse ergonomique du travail, objet de la formation............................................. 183
3. Le développement comme outil de l’action ergonomique.................................................... 186

10
Table des matières

3.1 L’intervention comme acte pédagogique....................................................................... 186


3.2 Des dispositifs spécifiques : les espaces de débat et de régulation.............................. 187
4. Discussion, conclusion................................................................................................................ 188
4.1 Environnement capacitant, organisation capacitante, intervention capacitante... 188
4.2 Questions pour la recherche en ergonomie................................................................... 189
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 191

Chapitre 9 – L’Europe de la formation (Claude Bapst et Pierre Caspar).................... 193


1. De quoi parle-t‑on ? Quelques pages d’histoire...................................................................... 195
1.1 Le cadre juridique............................................................................................................... 195
1.2 La création d’institutions opérationnelles..................................................................... 197
1.3 Les programmes et le temps de l’action.......................................................................... 198
1.4 Une forte prégnance européenne, plus ou moins acceptée
ou reconnue dans les États................................................................................................ 199
2. L’Europe de la formation et sa construction............................................................................ 200
2.1 Une vision ancienne et transversale................................................................................ 200
2.2 Une remarquable continuité............................................................................................ 200
3. L’Europe de la formation en questions..................................................................................... 202
3.1 Diversité des pratiques et nécessité des collaborations............................................... 202
3.2 Capitalisation et mutualisation des bonnes pratiques................................................. 204
3.3 L’élargissement de l’Union et ses conséquences........................................................... 205
4. Quels avenirs possibles pour l’Europe de la formation ?........................................................ 206
4.1 Utopie et réalité................................................................................................................... 206
4.2 Obstacles, enjeux et perspectives.................................................................................... 207
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 210

Chapitre 10 – Diversité des adultes en formation (Claudie Solar)................................ 211


1. Regard sur la population mondiale........................................................................................... 213
1.1 Population mondiale.......................................................................................................... 213
1.2 Langue.................................................................................................................................. 214
1.3 Littératie............................................................................................................................... 215
1.4 Religion................................................................................................................................. 216
1.5 Handicap.............................................................................................................................. 217
1.6 Migration............................................................................................................................. 218
2. Défis pour la formation............................................................................................................... 220
3. Pratiques inclusives : pédagogie de l’équité.............................................................................. 223
3.1 Parole.................................................................................................................................... 224

11
Traité des sciences et des techniques de la formation

3.2 Mémoire............................................................................................................................... 225


3.3 Participation active............................................................................................................ 225
3.4 Pouvoir d’agir...................................................................................................................... 226
4. Pour conclure................................................................................................................................ 226
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 228
Introduction....................................................................................................................................... 231

Partie 2
Le sujet adulte et la formation :
de l’expérience à l’apprenance

Chapitre 11 – La vie adulte au regard de la formation


(Jean-Pierre Boutinet)........................................................................................................................................................ 235
1. L’émergence de préoccupations autour de la vie adulte........................................................ 237
1.1 La vie adulte entre logique éducative et logique formative......................................... 237
1.2 L’âge de toutes les incertitudes......................................................................................... 238
1.3 De la notion au concept buissonnier : rareté et abondance lexicales......................... 239
2. Métamorphoses historiques des représentations
de la vie adulte............................................................................................................................... 239
3. La vie adulte comme production d’une histoire personnelle................................................ 241
3.1 Être adulte, une histoire.................................................................................................... 241
3.2 Une histoire porteuse de singularité............................................................................... 242
3.3 Une histoire qui se laisse saisir par des paradigmes bien typés................................... 242
4. Étapes, crises, transitions au cours de la vie adulte, à quel prix ?.......................................... 243
4.1 Questions autour de la mobilité....................................................................................... 243
4.2 Cycles de vie et crises de la vie adulte.............................................................................. 243
4.3 L’aménagement de transitions : transitions anticipées,
transitions non anticipées................................................................................................. 244
5. Temporalités significatives au sein de la vie adulte................................................................ 245
5.1 Le jeune adulte.................................................................................................................... 245
5.2 L’adulte du mitan de la vie................................................................................................. 246
5.3 L’adulte accompli............................................................................................................... 246
5.4 L’adulte en retrait ou en retraitement............................................................................. 247
5.5 Les invariants de la vie adulte........................................................................................... 247
6. Les défis de la vie adulte dans une société postindustrielle................................................... 248
6.1 L’adulte face à son propre vieillissement et le tabou de l’âge...................................... 248
6.2 L’adulte en souffrance identitaire par mal de reconnaissance.................................... 248

12
Table des matières

6.3 L’adulte mis à l’épreuve de situations limites à vivre.................................................... 249


6.4 L’adulte confronté à l’obsolescence de ses savoirs
en apprentissage permanent............................................................................................. 249
6.5 L’adulte volontariste et la tyrannie de ses décisions..................................................... 250
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 251

Chapitre 12 – Vieillissement, apprentissage et formation


(Even Loarer et Catherine Delgoulet)............................................................................................................ 253
1. Effets du vieillissement sur la cognition................................................................................... 256
1.1 Évolution des connaissances sur le vieillissement cognitif......................................... 256
1.2 Apports complémentaires de la psychologie cognitive............................................... 257
1.3 Avancée en âge et capacités d’apprentissage................................................................. 259
1.4 Les stéréotypes relatifs aux seniors.................................................................................. 261
2. Les seniors et la formation.......................................................................................................... 262
2.1 Le constat............................................................................................................................. 262
2.2 Les facteurs explicatifs....................................................................................................... 262
3. Comment promouvoir le développement
de la formation des salariés seniors ?......................................................................................... 263
3.1 Renverser le cercle causal.................................................................................................. 263
3.2 Promouvoir un meilleur accès à la formation............................................................... 264
3.3 Améliorer les formations proposées............................................................................... 266
4. Conclusion..................................................................................................................................... 268
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 269

Chapitre 13 – La compétence (Sandra Enlart)....................................................................................... 271


1. Pourquoi la compétence ?........................................................................................................... 273
1.1 Les conditions d’émergence de la notion
sont dans les changements d’organisation..................................................................... 273
1.2 Définitions et descriptions................................................................................................ 274
2. La compétence, comment ?........................................................................................................ 276
2.1 L’approche par les savoirs................................................................................................. 276
2.2 L’approche par les savoir-faire......................................................................................... 277
2.3 L’approche par les comportements et le savoir-être.................................................... 278
2.4 L’approche par les savoirs, savoir-faire, et savoir-être................................................. 280
2.5 L’approche par les compétences cognitives................................................................... 280

13
Traité des sciences et des techniques de la formation

3. Les débats de la compétence....................................................................................................... 282


3.1 L’éternel retour des compétences transversales........................................................... 282
3.2 Compétence et contexte.................................................................................................... 284
3.3 Développement des compétences en situation de travail........................................... 285
4. Conclusion..................................................................................................................................... 287
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 288

Chapitre 14 – Mémoire et apprentissage (Moïse Déro et Fabien Fenouillet)......... 289


1. Historique...................................................................................................................................... 291
2. Positionnement............................................................................................................................ 292
3. Multiplicité des apprentissages.................................................................................................. 293
3.1 Automaticité et contrôles des apprentissages............................................................... 293
3.2 Autorégulation des apprentissages................................................................................. 294
4. Une mémoire modulaire et dynamique.................................................................................... 294
4.1 Les mémoires sensorielles................................................................................................. 295
4.2 La mémoire à court terme (MCT)................................................................................... 296
4.3 La mémoire à long terme (MLT)..................................................................................... 297
5. Les processus mnésiques............................................................................................................. 300
5.1 La mémorisation................................................................................................................. 300
5.2 La consolidation.................................................................................................................. 301
5.3 Restitution et réapprentissage.......................................................................................... 301
6. Oubli et durée des souvenirs...................................................................................................... 302
7. De la mémoire à l’apprentissage................................................................................................ 302
8. Pistes pour mieux apprendre...................................................................................................... 303
8.1 Les formats de présentation de l’information............................................................... 303
8.2 Organiser l’apprentissage et utiliser la multiplicité des mémoires............................ 305
8.3 Renforcer la motivation pour remédier au coût des apprentissages......................... 306
9. Conclusion..................................................................................................................................... 307
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 307

Chapitre 15 – Motivation et rapport à la formation


(Philippe Carré et Fabien Fenouillet)................................................................................................................ 309
1. Motivation, éducation, formation............................................................................................. 311
1.1 Une « évidence » problématique...................................................................................... 311
1.2 Définitions........................................................................................................................... 311
1.3 La motivation en formation initiale................................................................................ 312
1.4 La motivation en formation des adultes......................................................................... 312

14
Table des matières

2. Cinq paradigmes de la motivation............................................................................................. 314


2.1 Le behaviorisme.................................................................................................................. 314
2.2 La psychanalyse................................................................................................................... 315
2.3 La sociologie........................................................................................................................ 315
2.4 La psychologie cognitive................................................................................................... 316
2.5 Vers une psychologie « chaude » des processus conatifs............................................. 317
3. Le modèle intégratif de la motivation....................................................................................... 318
4. Les motifs d’engagement en formation.................................................................................... 321
4.1 Orientations motivationnelles et motifs d’engagement.............................................. 321
4.2 Quatre orientations motivationnelles............................................................................ 321
4.3 Trois motifs « intrinsèques »............................................................................................. 322
4.4 Sept motifs « extrinsèques ».............................................................................................. 323
5. Portée et limites de la motivation en formation d’adultes..................................................... 324
5.1 Les déterminants de la participation............................................................................... 324
5.2 Impact de la motivation sur l’engagement et la persistance en formation............... 325
5.3 Motivation et régulation de l’apprentissage.................................................................. 326
5.4 Motivation et pédagogie.................................................................................................... 327
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 328

Chapitre 16 – Conflits sociocognitifs et apprentissage


(Céline Buchs et Étienne Bourgeois)................................................................................................................... 329
1. Conflits sociocognitifs et apprentissage................................................................................... 332
1.1 Les conflits sociocognitifs comme moteurs potentiels des apprentissages............. 332
1.2 L’importance des régulations des conflits sociocognitifs............................................ 332
1.3 De l’asymétrie à la gestion de la relation :
l’importance de la menace des compétences................................................................. 333
2. Favoriser les régulations épistémiques dans les situations de formation........................... 337
2.1 Oser la confrontation......................................................................................................... 337
2.2 L’importance du climat socio-affectif............................................................................. 338
2.3 Proposer des dispositifs de formation favorisant
les régulations socio-cognitives....................................................................................... 340
2.4 Le contexte de la formation.............................................................................................. 342
3. Conclusion..................................................................................................................................... 343
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 345

15
Traité des sciences et des techniques de la formation

Chapitre 17 – Les histoires de vie en formation


(Pierre Dominicé et Gaston Pineau)..................................................................................................................... 347
1. De l’émergence marginale d’histoires de vie au tournant biographique............................ 349
1.1 Émergence dans les années 1980..................................................................................... 349
1.2 Fondations des années 1990............................................................................................. 350
1.3 Développement différencié du début des années 2000................................................ 352
1.4 Le tournant biographique................................................................................................. 353
2. Des ouvertures qui élargissent l’horizon.................................................................................. 354
2.1 Survol des secteurs sociaux d’expression et de pistes
de théorisations formatives.............................................................................................. 355
2.2 Un autre regroupement d’histoires de vie par thèmes générateurs........................... 357
2.3 L’émergence de la pratique de récit dans le champ de la santé................................... 358
2.4 Sans oublier la composante du genre.............................................................................. 359
3. L’articulation entre vie et histoire, levier pour la conquête d’une identité historique..... 359
3.2 Différencier l’histoire selon les âges de la vie................................................................. 360
3.3 Se méfier des dérives médiatiques, pragmatistes
et disciplinaires de la recherche biographique.............................................................. 361
4. En guise de conclusion................................................................................................................. 362
Références........................................................................................................................................... 363

Chapitre 18 – Autoformation(s) (Pascal Cyrot)................................................................................. 365


1. Aux racines de l’autoformation : l’autodidaxie........................................................................ 368
1.1 Dimension quasi anthropologique.................................................................................. 368
1.2 Du besoin d’apprendre à la douleur de savoir................................................................ 369
1.3 Stigmates et reconsidération............................................................................................ 370
1.4 Apprentissage sexué ?........................................................................................................ 370
1.5 Mythe de Robinson Crusoé et sociabilités autodidactiques....................................... 371
2. L’autoformation aujourd’hui : cinq perspectives.................................................................... 371
2.1 Typologies et perspectives................................................................................................ 371
2.2 Perspective socio-historique : de l’autoformation « intégrale »
à l’autodidaxie « partielle »................................................................................................ 372
2.3 Perspective technico-pédagogique :
l’autoformation « éducative » ou « accompagnée »....................................................... 372
2.4 Perspective socio-organisationnelle :
l’autoformation « collective » ou « sociale »................................................................... 373
2.5 Perspective biographique : l’autoformation « existentielle »....................................... 374
2.6 Perspective sociocognitive : l’apprentissage autodirigé (self-directed learning)..... 375
3. L’autoformation demain............................................................................................................. 376

16
Table des matières

3.1 Quelques données chiffrées.............................................................................................. 376


3.2 Entre liberté et injonction................................................................................................. 377
3.3 Autoformation et loisirs, autoformation comme loisir............................................... 377
3.4 Dans les espaces éducatifs institués................................................................................. 378
3.5 À l’intérieur de la sphère professionnelle....................................................................... 379
3.6 Le digital, le numérique, le virtuel................................................................................... 380
4. Conclusion..................................................................................................................................... 380
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 382

Chapitre 19 – Psychopédagogie des adultes


(Philippe Carré et Alain Rieunier)......................................................................................................................... 383
1. Psychologie et pédagogie............................................................................................................ 385
2. Les psychologies de l’apprentissage.......................................................................................... 386
2.1 Behaviorisme....................................................................................................................... 386
2.2 Cognitivisme....................................................................................................................... 386
2.3 Constructivisme................................................................................................................. 387
2.4 Socioconstructivisme........................................................................................................ 387
2.5 Humanisme......................................................................................................................... 388
2.6 Sociocognitivisme.............................................................................................................. 388
3. Les approches pédagogiques...................................................................................................... 389
3.1 La pédagogie générale : hétéro- ou auto-structuration ?.............................................. 389
3.2 Pédagogie ou andragogie ?................................................................................................ 390
3.3 Approches francophones.................................................................................................. 391
3.4 Approches internationales............................................................................................... 393
4. Esquisse de quelques principes psychopédagogiques en formation des adultes............... 395
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 400
Introduction....................................................................................................................................... 403

Partie 3
Instrumentation et conduite
de la formation

Chapitre 20 – De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie


de professionnalisation (Guy Le Boterf)....................................................................................................... 407
1. De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie des contextes de professionnalisation....... 410
1.1 L’ingénierie de la formation.............................................................................................. 410

17
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.2 L’ingénierie des contextes de professionnalisation...................................................... 413


2. De l’ingénierie séquentielle à l’ingénierie concourante......................................................... 420
2.1 L’ingénierie séquentielle................................................................................................... 420
2.2 L’ingénierie concourante.................................................................................................. 421
3. En guise de conclusion : quel avenir pour les démarches d’ingénierie
de formation et de professionnalisation ?................................................................................. 423
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 424

Chapitre 21 – Pilotage des politiques de formation (Bernard Masingue)............... 425


1. Les finalités d’une politique de formation................................................................................ 428
2. Les instances de prescription et d’évaluation.......................................................................... 428
2.1 La maîtrise d’ouvrage......................................................................................................... 428
2.2 La maîtrise d’ouvrage déléguée........................................................................................ 429
2.3 La maîtrise d’œuvre............................................................................................................ 429
3. Les quatre prescripteurs de la formation................................................................................. 430
3.1 La direction.......................................................................................................................... 430
3.2 Les métiers........................................................................................................................... 431
3.3 Les unités de travail (départements, services, business units…)................................. 432
3.4 Les salariés........................................................................................................................... 432
4. Comment piloter une politique de formation ?....................................................................... 434
4.1 Connaître, respecter et faire évoluer les pratiques antérieures.................................. 434
4.2 Comprendre les besoins.................................................................................................... 436
4.3 Décider................................................................................................................................. 437
4.4 Agir........................................................................................................................................ 438
5. Enjeux et prospective du pilotage de la formation.................................................................. 441
5.1 Le défi du pilotage et de l’administration....................................................................... 441
5.2 Le défi de l’orientation....................................................................................................... 443
5.3 Le défi d’une pédagogie de l’alternance,
voie d’excellence de la professionnalisation…............................................................... 445
6. Conclusions................................................................................................................................... 447
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 447

Chapitre 22 – Intelligence au travail et développement des adultes


(Guy Jobert)................................................................................................................................................................................... 449
1. Les formateurs et le travail.......................................................................................................... 451
2. L’emploi n’est pas le travail........................................................................................................ 452
2.1 De la qualification à la compétence : le retour du travail............................................. 452

18
Table des matières

2.2 Qu’est-ce que travailler ?................................................................................................... 453


3 L’intelligence au travail................................................................................................................ 455
4. Le travail au cœur des grandes thématiques de la formation des adultes........................... 457
4.1 La formation au service du développement des adultes.............................................. 457
4.2 Compétence et reconnaissance au travail...................................................................... 461
4.3 La didactique professionnelle........................................................................................... 462
4.4 Les formations à visée développementale...................................................................... 463
5. En guise de conclusion................................................................................................................. 464
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 465

Chapitre 23 – L’ingénierie didactique professionnelle


(Patrick Mayen, Paul Orly et Pierre Pastré).............................................................................................. 467
1. L’analyse didactique professionnelle du travail...................................................................... 470
1.1 Les fonctions de la notion de situation en ingénierie
didactique professionnelle................................................................................................ 471
1.2 L’analyse didactique professionnelle du travail : analyse des conditions
et des processus d’apprentissage et de développement professionnel...................... 473
2. Les invariants de la didactique professionnelle....................................................................... 476
3. Une ingénierie des situations..................................................................................................... 478
3.1 La conceptualisation comme organisateur de l’ingénierie
didactique professionnelle de la formation.................................................................... 479
3.2 Une pédagogie des situations........................................................................................... 480
4. Pour terminer................................................................................................................................ 481
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 482

Chapitre 24 – L’apprentissage en situation de travail


(Étienne Bourgeois et Sandra Enlart).............................................................................................................. 483
1. Contexte : l’engouement pour les pratiques d’AST................................................................ 485
2. Panorama des dispositifs d’AST dans les organisations........................................................ 488
3. Des questions théoriques soulevées par l’AST........................................................................ 491
3.1 L’AST : de quelle « situation » et de quel « travail » parle-t‑on ?................................. 491
3.2 L’AST : entre « affordances » et engagement du sujet.................................................. 492
3.3 La transmission du travail : entre reproduction et appropriation.............................. 493
3.4 L’AST du point de vue cognitif : modalités d’apprentissage et réflexivité................ 494
3.5 La dimension motivationnelle de l’AST : les niveaux d’engagement du sujet.......... 496
3.6 La dimension sociale de l’AST :
le rôle du collectif dans les apprentissages individuels................................................ 497
3.7 Une affordance fondamentale : la sécurité psychologique.......................................... 497

19
Traité des sciences et des techniques de la formation

4. En conclusion................................................................................................................................ 498
Références de base............................................................................................................................. 499

Chapitre 25 – L’ingénierie pédagogique


(Philippe Carré et Christophe Jeunesse).......................................................................................................... 501
1. L’ingénierie pédagogique : de quoi s’agit-il ?............................................................................ 503
1.1 Une alliance inattendue..................................................................................................... 503
1.2. L’instructional design ou instructional systems design (ISD)......................................... 503
1.3 Ingénierie et innovation pédagogique............................................................................ 504
1.4 Trois niveaux d’analyse de la formation......................................................................... 506
1.5 Une méthode de conduite de projets pédagogiques..................................................... 508
1.6 Une notion centrale : le dispositif.................................................................................... 509
2. Les cinq étapes de l’ingénierie pédagogique............................................................................ 510
2.1 Remarques liminaires........................................................................................................ 510
2.2 Le diagnostic : analyse préliminaire de la demande de formation............................. 511
2.3 Le design : conception et formalisation du projet pédagogique................................. 512
2.4 Le développement : identification et/ou élaboration
des outils et supports de formation................................................................................. 514
2.5 La conduite : animation et suivi de l’action pédagogique............................................ 515
2.6 L’évaluation : productivité et régulation......................................................................... 515
3. Éléments de prospective.............................................................................................................. 516
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 518

Chapitre 26 – Les environnements numériques (Bernard Blandin)................................. 519


Introduction : Qu’entend-on par environnement numérique ?................................................ 521
1. Quelques exemples d’environnements numériques pour la formation............................. 522
1.1 Les environnements numériques de services................................................................ 522
1.2 Les environnements numériques pour apprendre....................................................... 523
1.3 Les environnements personnels d’apprentissage......................................................... 525
2. La spécificité des dispositifs avec environnement numérique............................................. 525
2.1 Des dispositifs instrumentés............................................................................................. 526
2.2 Des dispositifs scénarisés.................................................................................................. 527
2.3 Des dispositifs multidimensionnels................................................................................ 528
2.4 Des dispositifs multimodaux............................................................................................ 529
3. Les questions en débat................................................................................................................. 529
3.1 Les effets cognitifs des environnements numériques.................................................. 530
3.2 L’efficience des environnements numériques............................................................... 531

20
Table des matières

3.3 Les réseaux sociaux et l’apprentissage............................................................................ 532


3.4 Les modèles économiques................................................................................................ 533
3.5 Les données personnelles.................................................................................................. 534
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 535

Chapitre 27 – Le transfert des apprentissages (Jean-François Roussel)................... 537


1. Un enjeu majeur........................................................................................................................... 539
2. Le caractère différencié du transfert en milieu organisationnel.......................................... 541
3. Les facteurs favorisant le transfert des apprentissages.......................................................... 543
4. Tendances actuelles : l’importance de la métacognition....................................................... 545
5. Conclusion : une perspective d’apprentissage autodirigé
dans des contextes d’apprentissage plus informel.................................................................. 548
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 549

Chapitre 28 – L’orientation professionnelle des adultes (Jacques Aubret)......... 551


1. Éléments d’histoire et d’actualité de l’orientation professionnelle des adultes................. 553
1.1 De l’obligation de formation au droit à l’orientation.................................................... 553
1.2 Une multiplicité de structures en charge de l’orientation des adultes...................... 554
2. Pratiques d’accompagnement des adultes en orientation et compétences
des accompagnateurs................................................................................................................... 556
2.1 Les pratiques d’orientation des adultes.......................................................................... 556
2.2 Les styles d’accompagnement.......................................................................................... 558
2.3 La formation et les compétences des accompagnateurs.............................................. 559
3. Les contenus des actions d’orientation professionnelle........................................................ 559
3.1 Le retour réflexif sur le passé personnel et professionnel,
qui ne se réduit pas à une capitalisation de droits acquis............................................ 560
3.2 Le développement d’une vision positive de l’avenir
qui donne confiance en soi................................................................................................ 561
3.3 La réhabilitation de la valeur constructive du regard d’autrui.................................... 561
3.4 L’exploration cognitive du monde du travail et de l’environnement........................ 562
3.5 La maîtrise des échanges interpersonnels sur les réseaux sociaux............................ 563
4. Travaux et recherches scientifiques en orientation des adultes........................................... 563
4.1 Les données de recherches en orientation professionnelle......................................... 563
4.2 Le rôle central des recherches en psychologie............................................................... 564
5. En conclusion................................................................................................................................ 565
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 567

21
Traité des sciences et des techniques de la formation

Chapitre 29 – La reconnaissance et la validation des acquis


(Bernard Liétard).................................................................................................................................................................... 569
1. Une « vieille idée neuve » devenue une préoccupation internationale............................... 571
2. La validation des acquis de l’expérience (VAE) à la française............................................... 574
2.1 Une mise en œuvre progressive et difficile..................................................................... 574
2.2 Le développement de la RAE............................................................................................ 574
2.3 L’institutionnalisation progressive de la VAE............................................................... 576
2.4 RVAE et champs sociaux.................................................................................................. 578
3. Un bilan et des perspectives en demi-teinte............................................................................ 581
3.1 Côté RAE.............................................................................................................................. 581
3.2 Quant à la VAE.................................................................................................................... 582
3.3 Effets d’impacts................................................................................................................... 583
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 586

Chapitre 30 – Les métiers de la formation


(Solveig Fernagu-Oudet et Cédric Frétigné)............................................................................................. 587
1. L’« invention » des métiers de la formation et la querelle de la professionnalisation....... 589
1.1 La professionnalisation en débat..................................................................................... 590
1.2 Les métiers de la formation............................................................................................... 591
2. Un groupe professionnel segmenté........................................................................................... 592
2.1 Des typologies de métiers et de fonctions plurielles..................................................... 592
2.2 Responsables de formation : un pluriel justifié.............................................................. 593
3. Des contextes et lieux d’exercice pluriels................................................................................. 595
3.1 Les familles d’acteurs......................................................................................................... 596
3.2 Les contextes d’intervention............................................................................................ 596
3.3 Des contextes d’intervention aux activités..................................................................... 598
4. Des professionnels de plus en plus qualifiés
aux compétences variables......................................................................................................... 599
4.1 Croissance de l’offre de formation aux métiers de la formation................................ 601
4.2 Croissance de la formation informelle............................................................................ 601
5. Perspectives de recherche........................................................................................................... 603
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 604

Chapitre 31 – Les recherches scientifiques sur la formation des adultes


(Olivier Las Vergnas).......................................................................................................................................................... 605
1. Naissance de la discipline : ingénierie et importation de concepts...................................... 607
1.1 Connaissances scientifiques et réseaux de concepts.................................................... 607
1.2 Avancées de la recherche en SHS et création de concepts.......................................... 608

22
Table des matières

1.3
La formation, un champ de pratique et un objet
de recherche nourris de concepts importés................................................................... 609
1.4 Sciences et techniques de la formation,
entre connaissances scientifiques et ingénierie............................................................ 610
1.5 Des techniques d’ingénierie qui contribuent
aussi au développement scientifique............................................................................... 610
1.6 Un système à double sens entre applications et recherche......................................... 612
2. Nature des thématiques et objets des recherches................................................................... 614
2.1 Des thèmes de recherche liés pour moitié aux sciences de l’éducation.................... 614
2.2 Un regard sur les recherches « vives »
par une approche bibliométrique classique................................................................... 615
3. Typologies des méthodes de recherche.................................................................................... 618
3.1 Disparité des méthodes mobilisées par la recherche en formation........................... 618
3.2 Critères de description des méthodes : entre analytique et épistémologique.......... 618
3.3 Enchevêtrement des méthodes :
démarches spiralaire, triangulation et assemblages..................................................... 620
4. Conclusion..................................................................................................................................... 621
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 623

Conclusion (Pierre Caspar)......................................................................................................................................... 625


1. Les lieux de savoir – permanences et mutations...................................................................... 627
1.1 Les lieux de savoir............................................................................................................... 627
1.2 Investir dans les savoirs… Une démarche devenue stratégique................................. 629
2. Savoir apprendre, savoir former dans des temps,
des contraintes et sur des espaces nouveaux........................................................................... 631
2.1 Savoirs et travail.................................................................................................................. 631
2.2 Le développement des technologies…............................................................................ 632
2.3 L’irruption de la pensée et du langage économique dans la formation..................... 635
2.4 Des « pionniers » aux nouveaux bâtisseurs de l’avenir................................................. 637
3. Des futurs possibles pour la formation des adultes................................................................ 638
3.1 Est-il possible de dessiner le futur ?................................................................................. 638
3.2 L’immense champ d’action et de recherche des formations informelles................. 639
4. La formation du futur sera ce que les apprenants en feront.................................................. 643
5. Qu’attendre des « sciences de la formation » ?......................................................................... 646
Conclure… avec le temps ?............................................................................................................... 648
Lectures conseillées.......................................................................................................................... 650

Index des notions............................................................................................................................................................................ 651


Index des noms propres............................................................................................................................................................... 661

23
Préface à la 4e édition
Six années séparent cette nouvelle édition du Traité de sa version antérieure. Depuis son
lancement à la fin du siècle dernier, quatre éditions successives auront ainsi scandé près de
vingt ans d’évolution du milieu de la formation des adultes. Il faut d’entrée de jeu adresser nos
plus chaleureux remerciements aux lecteurs et aux auteurs qui ont permis la pérennisation de
cette chronique professionnelle et scientifique d’un domaine en renouvellement constant.

La nécessité de l’apprentissage tout au long de la vie est aujourd’hui objet de consensus


et évidence partagée dans l’ensemble des mondes économique, social et pédagogique.
L’investissement « visible » consenti pour la formation en France, se chiffre à plus de trente
milliards d’euros, tandis que les acteurs directement impliqués dans la gestion, l’animation et
le pilotage de l’ensemble des sous-systèmes concernés y sont estimés à plus de deux cent mille
professionnels. Les réformes se succèdent, et le milieu bruisse de la rumeur selon laquelle la
plus récente (2014) sera bientôt doublée d’un nouveau train de mesures1. À l’international, des
lames de fond communes sous-tendent l’évolution du champ, traversant à la fois la recherche
et la pratique, dans des proportions variables. Les politiques de l’emploi et de la sécurisation
professionnelle surplombent les discours. Le développement permanent des compétences est
universellement reconnu comme l’ingrédient primordial des investissements stratégiques des
organisations… et des individus. La massification du recours aux ressources digitales dans le
travail et la vie quotidienne lamine de part en part les « allant de soi » de la communication et
de l’apprentissage. L’individualisation croissante du rapport au travail et donc à la formation, le
dispute à l’émergence de pratiques collaboratives nouvelles, apprenantes, adossées aux réseaux
sociaux. En six années, le paysage de la formation a donc profondément changé, en particulier
parce que, comme on pouvait le pressentir il y a un quart de siècle, le savoir est désormais « à
portée de la main » : l’essor monumental de l’usage des smartphones au cours de cette période en
est un indicateur bruyant… Le monde de la formation est enfin, bien sûr, impacté par l’ensemble
des bouleversements sociétaux planétaires : accélération universelle des rythmes de vie, ombres
et lumières de l’hyperconnectivité, effets délétères de la mondialisation, poussée des risques
écologiques, sanitaires et sociaux, remontées corrélatives des extrémismes idéologiques…
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Face au panorama en clair-obscur d’un monde en telle mutation, cette nouvelle édition du
Traité propose sa (modeste) contribution en identifiant les évolutions perceptibles du milieu de
la formation et les signaux porteurs d’avenir suffisamment forts pour intégrer les fondements
de notre « discipline ». L’ensemble des chapitres de la présente édition a ainsi été soigneusement
corrigé, amendé, complété par la totalité des co-auteurs. Au prix, parfois, de certaines réductions

1. À l’heure où cet ouvrage est mis sous presse (juin 2017), les bouleversements récents du paysage politique
français donnent à ces bruissements une intensité particulière…

25
Traité des sciences et des techniques de la formation

parcimonieuses rendues indispensables par la double contrainte du maintien d’un volume global
raisonnable et de l’introduction d’apports nouveaux : remercions une fois encore l’ensemble des
collègues qui ont dû consentir à une telle ascèse. Cinq chapitres inédits font ici leur apparition sur
des thèmes dont l’absence s’est exacerbée au cours de la période : marché, recherche, diversité,
transfert, psychopédagogie. Plusieurs autres ont été profondément remodelés, en particulier
dans les domaines les plus impactés par la digitalisation des pratiques. Tous ont été mis à jour.

Même si l’architecture globale de l’ouvrage a été conservée, autour des trois thématiques
originelles (les environnements, le sujet adulte et l’instrumentation), c’est un nouveau livre qui
est ici, en quelque sorte, proposé au lecteur, dans la continuité du projet initial et les déclinaisons
progressives de son développement.

26
Introduction
Sommaire
De la formation post-scolaire à l’apprentissage tout au long de la vie....................... 29
1. La formation mérite-t‑elle un Traité ?................................................................... 29
2. De la formation post-scolaire à l’apprentissage tout au long de la vie ?................ 32
3. Principes et modes d’usage du Traité.................................................................... 39
Références................................................................................................................. 43
De la formation post-scolaire
à l’apprentissage tout au long de la vie1

À l’heure de l’explosion digitale planétaire, et donc de la massification potentielle des accès


aux savoirs, quand s’affirment les thèmes de l’économie de la connaissance et de la gestion des
compétences ou ceux des organisations, villes et régions « apprenantes », qu’en est-il des savoirs
constitutifs de la professionnalité des centaines de milliers de personnes chargées de fonctions
permanentes ou ponctuelles de ce qu’il est encore convenu de dénommer « la formation » ? Où
en est l’identité de métier de ces agents éducatifs de plus en plus dispersés dans des fonctions
multiples, depuis l’animateur d’actions de lutte contre l’illettrisme jusqu’au concepteur numé-
rique ou au consultant en stratégie d’entreprise, en passant par le responsable d’organisme de
formation, le manager des ressources humaines, l’accompagnateur en VAE et le tuteur de centre
de ressources ? Existe-t‑il un fonds commun de références identifiable et nécessaire, bien que
non suffisant, à l’exercice de ces « métiers de la connaissance » d’aujourd’hui et de demain ?

Savoirs d’action, issus de la singularité de l’expérience, ou savoirs théoriques, traduits ou


importés de champs disciplinaires variés, les savoirs des formateurs d’adultes sont-ils aujourd’hui
des savoirs spécifiques, cohérents, formalisables ? Savoirs « en miettes », produits des expertises
éparses des aînés, issus de bases épistémologiques diffuses, hétéroclites, parfois baroques, les
savoirs de la formation des adultes forment-ils une culture homogène, ou bien des cultures aussi
variées que les terrains d’application où ils sont exploités ? Savoirs pluri-, multi-, trans-disci-
plinaires, revendiquant parfois l’a-disciplinarité, les savoirs de la formation sont-ils justiciables
du traitement nécessairement « discipliné » qu’impose un projet d’ouvrage collectif, baptisé qui
plus est « Traité » ?

1. La formation mérite-t‑elle un Traité ?


© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Ce sont des étudiants, stagiaires, partenaires et collègues rencontrés à travers cours, stages
et séminaires qui ont donné à cet ouvrage son ambition première. Il s’agissait de réunir, en un
seul volume, un ensemble de connaissances éprouvées, résumées et simplifiées, constitutives
de l’état des savoirs en « sciences de la formation » aujourd’hui et susceptibles d’éclairer, voire
de faciliter la pratique des métiers de la formation.

1. Par Philippe Carné et Pierre Caspar.

29
Traité des sciences et des techniques de la formation

C’est la perplexité des praticiens les plus jeunes (dans la vie ou dans la profession), face à ce
que de plus anciens peuvent considérer implicitement comme les bases culturelles du métier de
formateur ; c’est l’hésitation des étudiants-chercheurs devant la multiplicité des postures envisa-
geables ; ce sont la confusion et le découragement de certains « apprenants » devant l’absence de
cadres méthodologiques et conceptuels partagés, de convictions théoriques communes à leurs
enseignants, formateurs ou consultants ; c’est aussi le désarroi de nombreux étudiants face au
nombre et à la dispersion des références bibliographiques accompagnant leurs cours… Autant
de réactions de publics divers qui ont suscité l’idée de cet ouvrage, en faisant émerger ce qui
ressemble à un besoin de stabilisation des savoirs de référence des métiers de la formation ; une
pause autoréflexive de praticiens-chercheurs face à l’évolution de leurs savoirs, en quelque sorte !

Projet ambitieux, improbable, vaguement anachronique, l’écriture collective d’un Traité des
sciences et des techniques de la formation tient du défi. En tant que genre littéraire, le Traité,
« ouvrage didactique où est exposé d’une manière systématique un sujet ou un ensemble de sujets
concernant une matière1 », a pour caractéristique de viser à baliser un champ de connaissances, et
à livrer autour de ces balises un état synthétique des savoirs nécessaires et suffisants à l’« honnête
homme » de la spécialité, non pour qu’il en maîtrise les arcanes, mais pour qu’il y trouve le
plan d’ensemble du domaine et les clés de la poursuite de son cheminement. Concernant la
formation (continue ? permanente ? récurrente ? tout au long de la vie ? professionnelle ? des
adultes ? post-scolaire ?), le projet paraissait pour le moins immodeste. Il était d’ailleurs possible
qu’il ne survive pas aux premières étapes de l’ouverture du chantier, tant les questions initiales
étaient fondamentales. Quels savoirs retenir ? Autour de quelles articulations ? Dans quelle pers-
pective ? Enfin, était-il raisonnable d’envisager la publication, à l’orée du troisième millénaire,
d’un « traité » sur l’éducation, fût-elle celle « des adultes » ? L’idée fleurait ses Lumières ; le titre
évoquait Fénelon. Face à la montée des paradigmes du scepticisme, de la « théorie du chaos » à
la « fin des certitudes », l’idée même de construire un traité n’avait-elle pas, de par son postulat
affirmatif, deux ou trois siècles de retard ?

Pour cette quatrième édition encore, la gageure a été dépassée, le défi collectivement relevé
une nouvelle fois par quarante-deux auteurs, experts reconnus de leurs spécialités, aboutissant
à ce que nous souhaitons voir se révéler être un triple outil pour l’autoformation, le travail, la
recherche.

« Je ne devine pas pourquoi le monde ne s’ennuie point de lire et de ne rien apprendre »,


disait Diderot2 ; et l’on pourrait sans peine faire ici allusion au rapport entre la quantité actuelle

1. Dictionnaire Le Robert, 1992.


2. Diderot (1713-1784). Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient.

30
Introduction

de publications sur la formation et l’état des savoirs sur lesquels on peut s’appuyer en pratique.
En tant qu’outil d’autoformation, ce Traité devrait contribuer aux efforts autonomes de profes-
sionnalisation des formateurs et responsables de formation, dans un environnement en pleine
mutation, à une époque où les intitulés des métiers eux-mêmes se révèlent précaires. Lui-même
évolutif, par nécessité de cohérence avec son objet, ce Traité peut remplir cette première fonction
d’aide à l’autoformation si chacun y trouve un tableau clair, organisé et néanmoins ouvert, du
paysage conceptuel, du système de valeurs et de l’état des débats théoriques et méthodologiques
dans ce domaine polymorphe qu’on appelle formation aujourd’hui.

Outil d’autoformation, cet ouvrage se veut également outil de travail : il s’agit d’offrir au
formateur, au manager et au consultant généralistes un accès rapide à un fonds commun de
culture professionnelle, générateur de spécialisations ultérieures toujours possibles. De l’histoire
aux technologies, du droit à l’ingénierie didactique, cet ouvrage souhaite donner au profes-
sionnel un moyen « économique » de compléter ou de perfectionner ses modes d’intervention
par une meilleure connaissance des expériences et des références qui constituent le monde de
la formation aujourd’hui. Conception de séminaires, communications, planification, anima-
tion, évaluation… Le professionnel de la formation (de formateurs en particulier) doit pouvoir
compter sur ce Traité pour l’assister dans les tâches qui, on le sait bien, ont la fâcheuse habitude
de se concentrer dans des délais trop brefs pour autoriser les recherches exhaustives que l’on
souhaiterait pouvoir conduire ! Il devra également trouver dans les références sélectionnées à
la fin de chaque chapitre les orientations nécessaires à la poursuite de son cheminement, s’il
désire aller plus loin.

Enfin, même s’il n’est pas un ouvrage scientifique à proprement parler, le Traité vise à devenir
outil de recherche. Non par d’illusoires prétentions encyclopédiques, ni par son niveau d’abstrac-
tion théorique, mais parce qu’il doit permettre à l’étudiant-chercheur engagé dans un domaine
spécifique de formation et au praticien désireux de conceptualiser ses pratiques, de s’ouvrir
ensemble à d’autres domaines, permettant ainsi de mieux situer, et de relativiser l’originalité de
leurs contributions propres à la production de savoirs nouveaux. Plus que de scientificité, c’est
plutôt d’une forme d’universalité des savoirs qu’il est dès lors question, comme antidote aux
excès de l’hyper-spécialisation inhérente à tant de postures de recherche. D’universalité au sens
où Pascal en faisait l’éloge en son temps, lui pour qui il était « bien plus beau de savoir quelque
chose de tout que de savoir tout d’une chose1 ». La phrase est belle ; elle souligne aujourd’hui
que, dans un monde de réseaux, une formation dite « supérieure » doit apporter une vision
globale du champ concerné, permettant de savoir où commence la spécialisation, où résident les
expertises et comment on peut identifier, et dialoguer avec, les « personnes-ressources » d’une

1. Pascal, Pensées, I, 37, 1623-1662.

31
Traité des sciences et des techniques de la formation

spécialité. Même si cette compétence transverse implique souvent d’approfondir ce qui ne peut
s’apprendre qu’en allant au fond des choses, c’est-à‑dire en se formant par la recherche. L’un
des défis de cet ouvrage sera de développer chez certains de ses lecteurs la curiosité et le goût
du questionnement qui font réfléchir bien au-delà de l’action, le plaisir de chercher qui ouvre
sur celui de comprendre, la joie de découvrir et le courage de partager avec d’autres les résultats,
toujours incomplets, de ses travaux, pour contribuer à la progression des idées et des actes.

En dépit de son titre, produit de la rencontre d’une volonté éditoriale et d’un diagnostic péda-
gogique, le Traité des sciences et des techniques de la formation n’est donc ni une encyclopédie qui
n’oserait dire son nom, ni un guide pratique, ni une simple compilation d’articles scientifiques.
Outil d’autoformation, de travail et de recherche, cet ouvrage présente une réponse au défi de
la construction collective d’un tronc commun de savoirs de base de la formation des adultes
aujourd’hui ; de savoirs provisoirement stabilisés bien qu’évidemment amendables et évolutifs.
L’idée n’est d’ailleurs pas nouvelle ; nous disposions déjà d’un précédent…

2. De la formation post-scolaire


à l’apprentissage tout au long de la vie ?

2.1 Du projet d’éducation permanente aux réalités


de la formation tout au long de la vie… professionnelle
En 1978 était publié le huitième tome du Traité des sciences pédagogiques, intitulé Éducation
permanente et animation socioculturelle, sous la direction de M. Debesse et G. Mialaret. Pour
la première fois se trouvait réuni, en un seul volume, un ensemble de contributions théoriques
sur les métiers de la formation, vues à travers différentes optiques scientifiques (psychologie,
sociologie, technologie, pédagogie, etc.). Vingt et un ans plus tard paraissait la première édition
du Traité des sciences et des techniques de la formation. Coïncidence ? En d’autres temps, on
aurait pu déduire de cette chronologie que la formation des adultes avait alors atteint une forme
de maturité, voire de « majorité ».

S’il est vrai que « tout n’a pas commencé en 1971 » avec la loi du 16 juillet portant organisation
de la formation professionnelle continue « dans le cadre de l’éducation permanente », on peut
néanmoins affirmer que cette année-là, la formation continue est née aux plans symbolique
et culturel, si ce n’est sous l’angle de l’analyse juridique ou sociologique. En plus de 45 ans, le
paysage a été profondément bouleversé par les turbulences du contexte socio-économique,
tout en maintenant à l’arrière-plan de remarquables permanences. Une lecture comparative

32
Introduction

des textes qui constituent le traité de 1978 et le présent ouvrage confirment ce contraste entre
les ruptures et les continuités.

Tableau 1 - Évolution des notions entre 1978 et 2017

Traité des sciences pédagogiques Traité des sciences


(1978) et techniques de la formation (2017)
Disciplines Sciences pédagogiques Sciences et techniques
Éducation permanente Formation
Notions clé
Animation socioculturelle Compétences
Projet de société Société éducative Société cognitive
Éducation permanente, continuée Formation professionnelle tout au long
Projet éducatif
Développement culturel de la vie
Développement personnel Développement des compétences
Projet humain
Promotion sociale Insertion sociale et professionnelle
Bénéficiaire Stagiaire, formé, élève adulte Apprenant
Contexte économique (2 p.) Économie, marché, management, GRH,
Dimension économique
Action de formation en entreprise (2 p.) ingénierie, transfert (9 chapitres)
Dimension culturelle Animation (3 chapitres) Conclusion (4 pages)
Action collective de formation Ingénieries, environnement numérique,
Dispositifs
Télévision éducative autoformation, digitalisation
Publics en difficulté Public isolé, non-public, intégration Exclusion, maintien du lien social
Vision Humaniste Technique
Priorités Socioculturelles Socio-économiques
Slogan Droit à l’éducation permanente Devoir de compétence

(Sources : Debesse et Mialaret, 1978 et le présent volume)

Les transformations de vocabulaire à l’œuvre sont ici massives. Le projet de société « éduca-
tive » a été remplacé par celui de société « cognitive ». « Éducation permanente » ou « éducation
continuée » sont les termes retenus en 1978, alors que la « formation » (post-scolaire, perma-
nente, professionnelle) est au cœur de l’ouvrage de 2017. Le souci économique a englouti
le projet culturel. La grande vision d’éducation permanente portée par J. Delors au début
des années 1970 s’est graduellement, voire insidieusement, diluée dans le plaidoyer insistant
pour la formation professionnelle tout au long de la vie, introduisant dans l’horizon initial de
franches ruptures, malgré d’indiscutables permanences…

33
Traité des sciences et des techniques de la formation

2.2 Des ruptures


Les titres respectifs des deux ouvrages illustrent une première évolution : en lieu et place des
termes de « sciences pédagogiques », d’« éducation permanente » et d’« animation sociocultu-
relle », le présent ouvrage se propose de traiter de « sciences et techniques de la formation »,
et fait plus volontiers référence aujourd’hui à l’expression de « formation tout au long de la
vie ». C’est sans doute qu’entre les deux publications, un processus de durcissement culturel
s’est opéré. Si l’on trouve aux racines de l’idée d’éducation permanente des années 19701
des thématiques de développement personnel, économique et social (éducation populaire,
promotion sociale, message de l’Unesco, expansion industrielle, etc.), les conceptions de la
formation nées au cours des années 1990 auront été marquées par la montée de thématiques de
prévention économique et sociale. De ce point de vue, le triomphe des notions de compétence,
de flexibilité et d’employabilité et l’usage malheureusement généralisé de leur complément,
l’exclusion, s’inscrivent dans une logique à la fois responsabilisante et défensive qu’illustrait,
de façon à peine voilée, le rapport de la Commission européenne sur la « société cognitive » :

« Mondialisation des échanges, société de l’information, progrès scientifique et technique. Tous les
jours, nous percevons les changements induits par ces phénomènes […] Pour l’Europe, pour chacun
d’entre nous, l’enjeu est de maîtriser de telles transformations pour ne pas les subir. N’ayant pas
su les anticiper, nos pays connaissent un niveau dramatique de chômage et d’exclusion sociale2. »

C’est d’abord, effectivement, la poussée vertigineuse du chômage en France et en Europe qui


a opéré une première torsion des finalités de la formation : qui se souvient aujourd’hui qu’en
1975, on se préoccupait de la « situation cruelle » des jeunes femmes au chômage, estimée à
moins de 6 % de cette catégorie sociale, face à un taux de demandeurs d’emploi de 1 % chez les
hommes adultes3 ? Ce sont, de façon corrélative, la radicalisation des conditions de la concur-
rence commerciale internationale, l’accélération exponentielle de l’innovation technique et
la recherche drastique de la rentabilité des capitaux investis qui ont contraint les entreprises
à rechercher non seulement la « professionnalisation », mais aussi la « rentabilisation » des
systèmes de formation. Ceux-ci sont de ce fait devenus systèmes de « production de compé-
tences », eux-mêmes de plus en plus appréciés à l’aune des performances qu’ils permettent
d’engendrer. D’où la montée de termes, en d’autres temps iconoclastes, voire hérétiques,

1. « Une éducation imposée ou volontaire, formelle ou informelle de toute la population, à tous les âges de
la vie, en vue de favoriser le développement de la personnalité et la participation sociale dans une société en
changement permanent » selon J. Dumazedier, in Encyclopædia universalis, 1984, p. 662.
2. Commission européenne (1995). Enseigner et apprendre. Vers la société cognitive, Luxembourg,
CECA-CE-CEEA.
3. J. Vial (1978). In M. Debesse, G. Mialaret, op. cit., p. 50.

34
Introduction

mais aujourd’hui révélateurs de l’entrée de la formation dans une véritable « économie des
services » : efficience, retour sur investissement, centre de profit, démarche qualité, compé-
titivité, engagement de résultats, cahier des charges, audit…

En même temps que ses problématiques se durcissaient autour des enjeux de l’emploi, de
la cohésion sociale et de la compétitivité, la formation se disséminait dans l’ensemble des
univers de la vie. Au cours des trente dernières années, sur le plan juridique et institutionnel,
la formation aura vu l’extension progressive du champ d’application des lois qui la régissent
dans les entreprises de toutes tailles, la décentralisation au profit d’une gestion régionale des
politiques publiques, la dispersion de sa spécificité dans des problématiques plus vastes : travail,
insertion, employabilité, autonomie… Simultanément, l’évolution juridique traduisait, avec les
lois sur la validation des acquis de l’expérience (VAE, 2002), le droit individuel à la formation1
(DIF, 2004), l’orientation professionnelle tout au long de la vie (2009) et le compte personnel
de formation (CPF, 2014), la lame de fond de l’individualisation des pratiques et des responsa-
bilités en matière de formation, pour le meilleur ou pour le pire. C’est que, progressivement,
les frontières classiques s’estompaient, particulièrement entre la formation, le travail, la vie
privée. Tant dans sa mission actuelle majeure de production de compétences strictement
ajustées aux besoins du monde économique, que dans d’autres formes plus ouvertes ou plus
propices au développement des sujets sociaux, la formation s’inscrit dans une dynamique de
rapprochement avec le travail. Alternance, formation-action, formation intégrée, formation
en situation de travail, mais aussi analyse du travail en vue de la formation, sont quelques-unes
des expressions actuelles qui attestent du caractère profond de la convergence de la formation
et du travail, voire de l’absorption de celle-là dans celui-ci…

Durcissement des problématiques et dissémination, voire dilution de la formation, sont


toutefois accompagnés de l’assouplissement et de la démultiplication de ses formes pédago-
giques concrètes. La notion de formation ouverte et à distance (FOAD), a été d’abord relayée
par celle d’e-learning et graduellement des différentes déclinaisons des formations digitalisées
dont regorge le marché de la formation : MOOC, serious games, réseaux sociaux, simula-
tions, dans l’attente de la prochaine des fréquentes « révolutions » numériques annoncées.
La multimodalité devient la règle. Cette évolution massive, si ce n’est toujours des pratiques,
du moins de la culture du milieu, vient souligner que l’on est en train de quitter l’univers clos
des « trois unités » qui, à la manière du théâtre classique, régissaient le « drame pédagogique »
conventionnel : unité de lieu, de temps, d’action. Les avancées des technologies de l’informa-
tion et de la télécommunication éliminent peu à peu les contraintes de distance, tandis que
les progrès de l’informatique éducative, joints à une nouvelle créativité du design pédagogique

1. Toujours en usage, faut-il le rappeler, dans la fonction publique à la date de publication de cet ouvrage.

35
Traité des sciences et des techniques de la formation

et architectural, ouvrent à la formation des formes et espaces inédits. De nouveaux modes


d’action pédagogique sont découverts (ou parfois désenfouis), autour de notions fédératrices
comme celle d’autoformation, d’apprentissage en situation de travail ou de communautés
d’apprentissage, puissamment dynamisées par la vitesse de l’innovation dans le domaine des
technologies numériques. L’ouverture de la formation offre ainsi de nouveaux espoirs de flexi-
bilité, à la hauteur des enjeux sociétaux qui la surdéterminent : ampleur et facilité d’accès au
savoir, souplesse d’accueil, autonomisation des apprenants, gains de productivité pédagogique,
partage et mutualisation des savoirs, démultiplication des temps et des lieux d’apprentissage,
maillage des réseaux humains et numériques… L’immensité du continent encore trop peu
exploré des apprentissages informels, dans et hors le travail, se dévoile graduellement. Ces
multiples formes d’ouverture amènent à de nouvelles exigences, tant pour les apprenants que
pour les formateurs qui y voient leurs fonctions bouleversées.

Durcissement, dissémination, ouverture : d’un siècle à l’autre, d’un traité à l’autre, des chan-
gements majeurs ont pris place, qui modifient radicalement le paysage de la formation. Sous le
glissement lexical, une véritable mutation culturelle se fait jour, accompagnant le passage en
une quarantaine d’années d’une vision sociale et humaniste de l’éducation permanente à une
realpolitik de la production et de la gestion des compétences.

2.3 Des permanences


Toutefois, derrière le bouleversement idéologique et conceptuel, certaines permanences
donnent au tableau actuel de la formation son arrière-plan de relative stabilité. Ainsi, des
années 1970 à nos jours, la formation a souvent été considérée comme une entité englobante,
totalisante, voire comme une « panacée », l’un des moyens essentiels de résoudre « les grands
problèmes de notre temps ». Que ce soit dans l’enthousiasme utopique des origines, ou dans
les soubresauts des crises de la maturité, on a toujours demandé à la formation des adultes de
résoudre des problèmes d’une autre nature : promotion sociale, traitement du chômage, éman-
cipation culturelle, performance économique, etc. Peut-être est-ce pour cela que la formation
a toujours eu une forte attirance pour les néologismes et l’innovation verbale ? À l’ambition des
questions a souvent répondu l’immodestie des propositions…

Certaines tendances de la formation, présentes dès les années 1970, semblent marquer une
permanence des valeurs, bien qu’elles aient pris plus de poids d’une époque à l’autre : ainsi en
est-il de la fonction de régulation sociale de la formation, de l’injonction à la responsabilisation
et à l’autonomie des acteurs, de la prise en compte des relations sociales comme facteur de
performance des équipes de travail. Ou du rôle du formateur, dont Sheffknecht et Schwartz
écrivaient déjà il y a 40 ans (in Debesse et Mialaret, 1978) :

36
Introduction

« Le formateur-enseignant devient aujourd’hui un praticien qui doit être capable de remplir des
fonctions diversifiées et non plus seulement celle de transmetteur des connaissances, dans la mesure
où il doit de plus en plus être un « conseiller en apprentissage », un facilitateur du développement
personnel » (p. 171).

Ainsi, en est-il également, du caractère irréductiblement singulier de l’acte de se former, du


rôle premier des motivations, et… de certains gâchis en formation, surtout lorsque personne ne
se préoccupe de valoriser et de mettre en œuvre dans son travail ce que « l’apprenant » y a acquis !
Comme l’indique B. Schwartz depuis longtemps (in Debesse et Mialaret, 1978),

« En bref, pour qu’un adulte accepte de se former, il faut qu’il puisse trouver dans sa formation
une réponse à ses problèmes, dans sa situation. Or nombreux sont les cas où ces conditions ne sont
pas remplies » (p. 147).

Mais l’on pourrait citer également le rôle des auxiliaires technologiques, comme l’audiovi-
suel, cet ancêtre du e-learning qui à l’époque paraissait déjà « irrésistible » ; ou l’importance du
transfert des acquis et du rôle du management dans la préparation, le suivi et l’exploitation des
compétences acquises en formation :

« En définitive l’utilité de la formation dépend bien plus des conditions concrètes de son utilisation
que de la qualité de la formation elle-même » (Sheffknecht et Schwartz in Debesse et Mialaret,
p. 173).

De 1978 à 2017, depuis les questions de l’« éducation permanente » et de l’« animation
socioculturelle » jusqu’à celles des « sciences et techniques de la formation » dans une « société
cognitive » en devenir, certaines ruptures ont indéniablement obscurci les horizons idéalistes
de la formation permanente au profit des chantiers plus réalistes du développement des compé-
tences et de l’employabilité. Simultanément, les continuités dont on a pu rapidement esquisser
quelques exemples indiquent qu’aujourd’hui, le monde de la formation a atteint un stade de déve-
loppement qui l’autorise à poser les jalons d’un savoir autonome, attestant de la professionnalité
des acteurs du champ face à la permanence des questions vives et l’intensification des enjeux.

2.4 De la formation post-scolaire


à l’apprentissage tout au long de la vie ?
Entre continuité et ruptures, l’histoire de plus de quarante-cinq ans de formation sous le
régime de la loi de 1971 peut nous engager à formuler si ce n’est une prévision, du moins
une hypothèse porteuse d’espoir pour les professionnels de la formation… et ses bénéficiaires.

37
Traité des sciences et des techniques de la formation

Comme le traduisent l’ouverture et la clôture de la présente édition de ce Traité, nous évoluons


peut-être d’une conception de la formation comme épisode « post-scolaire » de participation
à des activités éducatives vers un « retour vers le futur » d’une vision fondatrice de l’apprentis-
sage tout au long de la vie. Dans la conception post-scolaire, largement dominante aujourd’hui
dans les pratiques « officielles », la formation privilégie les adultes qui ont quitté l’école, sont
en emploi ou à la recherche d’un travail, et les accompagne principalement durant la première
partie de leur carrière, malgré les appels répétés à la formation des « seniors1 ». La notion d’ori-
gine anglo-saxonne d’« apprentissage tout au long de la vie » (lifelong learning), née au début
du xxe siècle (malencontreusement traduite en formation tout au long de la vie en français)
implique la promotion de tous les apprentissages, formels et informels, de tous les publics de
tous les âges et conditions sociales, qu’ils se réalisent de façon dirigée ou autonome, intention-
nelle ou incidente. Or le passage d’une culture de la formation à une culture de l’apprenance ne
se décrète pas (Carré, 2005)…

Pour y parvenir, le changement est essentiel dans des domaines majeurs de la formation des
adultes. La sociologie de la formation fait régulièrement état d’une diminution de la participa-
tion des adultes à la formation à partir de 45 ans, dans la plupart des pays où ces données sont
disponibles, et ce quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle concernée. Dans le même
ordre d’idées, les structures de formation sont largement insuffisantes pour permettre, par-delà
les salariés et demandeurs d’emploi, au « troisième secteur » de la formation, véritable tiers
état constitué des millions de personnes considérées comme « inactives », d’apprendre et de
développer leurs compétences tout au long de la vie : retraités évidemment, mais également
personnes au foyer, jeunes en attente d’un premier emploi, sujets hospitalisés, etc. Par-delà
la question des publics, privés ou sous-équipés en matière de ressources pour apprendre, se
pose la question des lieux d’accueil et de regroupement, indispensables à la socialisation des
apprentissages, pour autant qu’on apprend toujours seul, mais jamais sans les autres. Malgré
l’essor de concepts séduisants (learning centers, centres de ressources, espaces d’autoformation,
fablabs, cercles d’études, ateliers de pédagogie personnalisée, réseaux d’échanges de savoirs), le
maillage territorial de lieux ressources, est souvent invoqué mais trop peu mis en œuvre. Il serait
un rouage essentiel d’une véritable politique d’apprentissage pour tous, à tous les âges de la vie,
quelle que soit leur condition sociale. La notion d’éducation populaire, tombée en désuétude
face au gigantisme des enjeux sociaux et professionnels liés à l’emploi et à la compétence profes-
sionnelle, gagnerait à être réinventée pour répondre aux impératifs universels de l’apprenance.
L’orientation vers l’apprentissage tout au long de la vie, incluant mais dépassant le périmètre de
la formation des actifs de tous âges, représente, on le sait aujourd’hui, une source de bienfaits
directs et indirects mesurables au-delà du champ économique. Il intervient dans les domaines

1. S. Collette, C. Batal, O. Charbonnier, P. Carré (2009). L’Atout senior, Paris, Dunod.

38
Introduction

de la santé, de la famille, de la participation civique, augmentant par là non seulement le bien-


être des personnes mais également l’efficience des systèmes sociaux.

Une telle politique (et c’est un facteur d’espoir), pourrait trouver là ses fondements, tout
en s’appuyant sur la dynamique d’apprentissage sans précédent qu’autorisent les technolo-
gies numériques depuis une trentaine d’années – et de façon accélérée depuis moins de dix.
Apprentissage à distance, bien sûr mais également autoformation numérique, apprentissage
coopératif en réseau, cercles d’études virtuels, organisations apprenantes sont quelques-uns
des vecteurs de formation qu’autorise et favorise l’hyperpuissance de la digitalisation. La mise
à « portée de la main » de tous les savoirs du monde actuel1 est aujourd’hui rendue possible
par la démultiplication exponentielle des sites Internet, la simplicité d’usage des moteurs de
recherche ouverts sur toutes les questions envisageables, la construction progressive de connais-
sances collectives solides et à jour sur les plateformes collaboratives, l’explosion des ressources
humaines pour apprendre autorisée, parmi de multiples autres usages, par les réseaux sociaux…
Que d’exemples d’opportunités nouvelles pour apprendre2 ! Et nous n’en sommes pas au terme
du processus. Cette ouverture vers l’horizon infini des savoirs humains transforme la conception
que nous nous faisons de l’apprentissage3, et donc du rôle de la formation.

Le présent ouvrage a donc été conçu pour refléter, dans ses tensions et ses acquis, par-delà
ruptures et permanences, l’état des savoirs de base indispensables à un tour d’horizon du monde
de la formation. On peut former l’espoir qu’il représente un outil au service d’une politique de
développement des apprentissages tout au long de la vie qui reste encore largement à imaginer.

3. Principes et modes d’usage du Traité


Les principes qui ont guidé la conception de cet ouvrage peuvent être résumés en trois
formules : une posture pluridisciplinaire classique mais « ouverte », une construction ternaire,
une recherche d’équilibre entre théorie et pratique.

1. P. Caspar (1991). Le Savoir à portée de la main, Paris, Éditions d’Organisation.


2. M. Nagels et P. Carré (dir.) (2016). Apprendre par soi-même aujourd’hui. Les nouvelles modalités de l’auto-
formation dans la société digitale, Paris, Éditions des Archives contemporaines.
3. … entraînant certains auteurs à douter de l’idée même qu’apprendre aura encore un sens demain ! Voir
S. Enlart et O. Charbonnier (2009). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod.

39
Traité des sciences et des techniques de la formation

3.1 Une posture classique, mais « ouverte »


Les mondes des sciences sociales en général, et de l’éducation en particulier, sont aux prises
avec deux sortes de démons. D’une part, le « réductionnisme disciplinaire » qui consiste à
restreindre un phénomène à l’un de ses niveaux d’analyse en éliminant les autres. D’autre part,
son opposé, que l’on pourrait nommer le « scepticisme transdisciplinaire », qui, à partir de la
critique des dérives du précédent, dénie aux approches scientifiques classiques le pouvoir de
contribuer de manière autonome à la construction des savoirs.

Pour se garder de cette double tentation, le présent ouvrage a été conçu dans une perspective
d’inspiration mixte : si de nombreux chapitres sont explicitement élaborés selon une approche
précise (sociologique, psychologique, stratégique, historique, économique, etc.), cette perspective
a simultanément été largement ouverte à d’autres approches, systémiques et/ou transdisci-
plinaires, particulièrement dans la troisième partie de l’ouvrage. Cette posture aboutit à une
pluridisciplinarité « collective » à partir de contributions singulières, d’obédience classique ou non.

Une telle approche, qui se veut plurielle et ouverte, permet d’éviter trois écueils qui guettent
toute entrée trop exclusive dans les questions d’éducation et de formation. Ramener l’ensemble
des facteurs qui pèsent sur les faits de formation à une vision individualisante du « sujet », de
ses désirs, ses motivations, ses affects et ses représentations, serait faire preuve d’un « psycho-
logisme » à la fois réducteur et mystificateur. Inversement, passer sous silence la singularité
de la dynamique du rapport à la formation et au travail, en n’observant que les déterminismes
socio-économiques qui l’enserrent serait adopter une posture « sociologiste » tout aussi dimi-
nutive. Enfin, rêver de modes d’intervention, qu’ils soient éducatifs ou managériaux, suscitant
de façon « automatique » la réaction des sujets sociaux, serait d’un « pédagogisme » angélique.
Psychologisme, sociologisme, pédagogisme : pour se garder de ce triple écueil, nous avons choisi
de partir d’une analyse « ouverte » des conditions psychologiques et sociales, biographiques et
contextuelles des phénomènes de formation. Dans le cadre d’une telle analyse, le sujet social est
vu comme un acteur à la fois soumis aux contraintes de son environnement et doté d’un pouvoir
d’intervention sur les espaces d’autonomie que celui-ci comporte. Un « architecte partiel de sa
propre destinée » selon la belle formule du psychologue canadien Bandura.

40
Introduction

3.2 Une construction ternaire


La construction d’ensemble du Traité repose sur une conception « ternaire » du champ de la
formation. Un peu à la manière de la logique du vivant, trois « échelles d’observation »1 y sont
utilisées : socio-économique, psychosociale, technico-pédagogique. Trois familles d’acteurs,
parmi d’autres, voient leurs rôles plus spécifiquement analysés. D’abord, ceux que l’on pourrait
appeler les « maîtres d’ouvrage » de l’environnement économique et social de la formation :
politiques, juristes, managers et décisionnaires. Ensuite ces acteurs centraux que sont les sujets
sociaux « apprenants » (ou censés l’être). Enfin, les intervenants et médiateurs, agents éducatifs
remplissant une fonction (explicite ou non) de facilitation, d’animation, d’accompagnement,
d’ingénierie ou de suivi. Les trente et une contributions qui forment le cœur du Traité sont ainsi
réparties en trois grandes parties, chacune précédée de quelques pages d’introduction.

La première partie, intitulée « Déterminants et environnements de la formation », plante


le décor conceptuel et social, depuis l’arrière-plan historique jusqu’aux données planétaires
relatives à la diversité des publics adultes. Sont passées en revue à cette occasion les probléma-
tiques sociologiques, économiques, ergonomiques, juridiques ou de gestion qui contribuent à
donner aux actes de formation, d’apprentissage, de production de compétences leur « milieu »
et, partant, leurs conditions d’apparition, de structuration, de développement et de régulation.

On trouvera dans la deuxième partie de l’ouvrage, sous le titre « le sujet adulte et la forma-
tion », un tour d’horizon des différentes facettes du rapport de l’adulte à sa propre formation,
sous ses aspects biographiques, cognitifs, conatifs, sociaux et autour de concepts cardinaux :
expérience, compétence, intelligence, développement, mémoire, motivation, apprentissage,
interactions sociales. C’est à un regard nouveau sur le personnage central des actes de forma-
tion que cette partie invite ; derrière le conventionnel « formé », objet de l’action des autres, on
détecte la figure émergente du « sujet social apprenant », animé de représentations, d’affects et
d’intentions irréductiblement singulières.

La troisième partie du Traité examine le dernier paramètre de la relation triangulaire qui


réunit les différents acteurs du champ de la formation ; c’est autour des « interventions »
de formation qu’est construit ce pôle. L’ingénierie des dispositifs y tient une place d’hon-
neur, même si d’autres approches la complètent dans les projets de professionnalisation des
métiers de la formation aujourd’hui. Pédagogie, technologie, didactique et recherche y sont
également convoquées, avant que soient abordés les thèmes du transfert des compétences,
de l’orientation professionnelle et de la validation des acquis singulièrement renouvelés par

1. D. Desjeux (2004). Les Sciences sociales, Paris, PUF.

41
Traité des sciences et des techniques de la formation

l’évolution juridique des quinze dernières années. Une conclusion générale, entre mémoire
et prospective, parachève l’ensemble

3.3 Une recherche d’équilibre entre théorie et pratique


Champ de pratiques sociales, traversé d’idéologie, en proie aux aléas des « allant de soi »,
parfois saisi des vertiges de l’abstraction ou, à l’inverse, du culte du concret, la formation des
adultes ne peut ni s’isoler du terrain par l’usage immodéré d’une formalisation abstraite et d’une
terminologie spécifique, ni éliminer les concepts scientifiques au profit des notions ambiguës,
polysémiques et finalement peu opératoires du langage professionnel quotidien. Si, selon la
formule bien connue attribuée à K. Lewin, « rien n’est plus pratique qu’une bonne théorie », à
l’inverse rien n’est plus inutile qu’une théorie coupée des pratiques.

Il fallait donc donner à cet ouvrage cette double inflexion, théorique et pratique, en veillant à
ce qu’aucune ne prenne le pas sur l’autre. De telle sorte qu’à l’usage, ces deux niveaux d’appré-
hension du réel se fécondent mutuellement, la pratique conférant à la théorie ses questions, ses
problèmes, ses enjeux et la théorie fournissant à la pratique ses clés conceptuelles. Dans cette
relation, c’est le praticien-lecteur-chercheur qui, seul, peut faire produire à cette interaction
des résultats fructueux pour la pensée et l’action. Ce sera donc à lui de porter le verdict final
quant au respect de cette nécessaire hybridation que nous avons voulue fondatrice de l’ouvrage.

Dans cette perspective, ce Traité a été conçu pour permettre plusieurs modalités d’usage.
Qui souhaite s’informer, sur le mode d’un voyage au long cours à travers les différents mondes
de la formation, de l’ensemble des réalités de ce secteur d’activité pourra, bien sûr, parcourir
cet ouvrage du début à la fin. La variété des auteurs et la complémentarité de leurs approches
doivent permettre que ce premier choix mène à bon port. Pour une exploration plus centrée
sur l’un des niveaux d’analyse de la formation (environnements, sujet, ingénieries), la lecture de
la partie de l’ouvrage correspondant à la préoccupation du lecteur, à la manière dont on lit un
livre indépendant, devrait lui donner satisfaction, quitte à revenir aux autres parties ultérieu-
rement, comme s’il s’agissait d’un second, puis d’un troisième tome. Ou parce que sa lecture
d’une partie lui aura donné l’envie ou le besoin de la connecter aux autres. De façon encore
plus spécifique, l’ouvrage doit permettre une excursion chapitre par chapitre, dans le désordre,
au gré des désirs et des besoins d’un cours, d’un projet, d’une plongée en milieu professionnel,
d’une autoformation à la marge des activités quotidiennes. Enfin, les index d’auteurs et de
notions placés en fin d’ouvrage, et les bibliographies de chaque chapitre doivent autoriser un
dernier mode d’usage du Traité, à la manière d’un dictionnaire ou d’un thesaurus, permettant
de repérer ou d’approfondir les significations et les environnements d’usage des concepts, des
méthodes et des notions abordés.

42
Introduction

Que son projet soit une expédition au long cours de l’ensemble de l’ouvrage ou une simple
visite conceptuelle ou exploratoire, les auteurs du Traité des sciences et techniques de la forma-
tion souhaitent au lecteur bonne route.

Références
Carré P. (2005). L’Apprenance. Vers un nouveau Debesse M. et Mialaret G. (dir.) (1978). Traité des
rapport au savoir, Paris, Dunod. sciences pédagogiques, t. VIII, Éducation
Caspar P. (2011). La Formation des adultes, hier, permanente et animation socioculturelle,
aujourd’hui, demain, Paris, Eyrolles. Paris, PUF
Schuller T. et coll. (2004). The Benefits of Learning,
Londres, Routledge.

43
Partie 1
Déterminants
et environnements
de la formation
Introduction
La formation des adultes et, plus précisément, la « formation post-scolaire » constituent
d’abord un champ de pratiques. À ce titre, elles interrogent et nourrissent des approches scien-
tifiques. Cela ne leur donne pas encore pour autant la légitimité d’une discipline scientifique
à part entière. Pour l’instant du moins. Mais cela n’empêche en rien de poser les jalons d’un
savoir autonome, attestant de la professionnalité des acteurs du champ face à la pérennité des
enjeux. Un certain nombre de pionniers, dont B. Schwartz, M. Lesne, R. Vatier ou J. Dumazedier
nous y avaient invités depuis bien longtemps. La nature même de ces enjeux et leur ampleur
rendent d’autant plus nécessaires à la fois l’analyse et la compréhension des activités que
l’on regroupe commodément sous ce vocable de formation post-scolaire, et l’instrumentation
méthodologique et conceptuelle des opérations permettant de les concevoir, de les conduire
et de les évaluer.

Faute d’approche compréhensive globale de la formation, permettant une modélisation des


phénomènes observés, comment cerner, expliquer les transformations qu’elle suscite, les chan-
gements qu’elle incite à effectuer, ou auxquels elle participe ? Et pourtant la représentation que
l’on a des « effets formation » est telle que l’on n’hésite pas à consacrer, en un an en France, plus
de trente milliards d’euros pour concevoir et organiser des formations post-scolaires et pour
rémunérer celles et ceux qui s’y engagent.

Est-ce à dire que l’on agit en aveugle ? Certainement pas, et pour plusieurs raisons. D’abord
parce qu’un nombre croissant de praticiens prennent le temps de conceptualiser leurs pratiques
présentes, et d’anticiper sur la conduite raisonnée des futures, en utilisant des méthodologies
et des grilles de lecture directement issues des sciences sociales. Les chercheurs les appellent
volontiers des praticiens « réflexifs ». La mise en évidence des savoirs des opérateurs procède
d’une réflexion proche. Ensuite parce que les enseignants et chercheurs s’intéressant aux
pratiques de la formation, et à leurs interfaces avec tout ce qui en constitue l’amont et l’aval,
font depuis longtemps appel à de multiples corpus disciplinaires pour éclairer ces pratiques
et pour en comprendre davantage les déterminants, les jeux d’acteurs, les innovations, les
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

rapports au changement. Mais aussi pour mieux saisir les articulations entre travail, emploi,
activité et formation et, ce faisant, les relations entre pensée, action, sens et valeurs. En
troisième lieu, parce que les sciences de l’éducation continuent à contribuer de façon forte
au passage d’une observation pragmatique et raisonnée à une approche plus scientifique
des pratiques, des méthodologies et des politiques de formation. Enfin parce que certaines
disciplines scientifiques, comme la sociologie du travail, la didactique professionnelle ou l’ergo-
nomie, sont mobilisées par les responsables de formation pour profiter de leur expérience en
matière d’analyse du travail, qu’elle soit préalable, concourante ou consécutive à la formation.

47
Traité des sciences et des techniques de la formation

Dans cet esprit, la première partie du Traité exprime un certain nombre de choix dans les
regards portés sur la formation post-scolaire. Il a conduit à proposer dix approches, rassemblées
autour d’un raisonnement en quatre étapes.

Investissement immatériel par excellence, la formation s’inscrit d’abord dans un rapport


singulier au temps, et donc à la vie. Produit d’une histoire, la formation est également créatrice,
à sa mesure, de l’histoire collective comme des biographies individuelles dans lesquelles elle
prend place. C’est pourquoi cet ouvrage s’ouvre avec un chapitre d’Y. Palazzeschi sur l’histoire
de la formation post-scolaire, qui montre comment la formation a toujours été à la rencontre
des équilibres et déséquilibres des systèmes productifs et sociaux.

Trouvant, de plus en plus souvent, une partie importante de leur raison d’être en dehors
d’elles-mêmes, les activités de formation ne peuvent être comprises sans les analyser par rapport
à des environnements économiques, juridiques et sociaux qui leur donnent sens. Cela nous
conduit à proposer une seconde lecture de la formation en quatre chapitres. L’économie de la
formation, traitée par A. Voisin, examine les apports des sciences économiques et de gestion à
l’interprétation des phénomènes de formation. La description de ce qui peut constituer une véri-
table sociologie de la formation post-scolaire constitue le cœur du chapitre écrit par C. Gadea et
C. Perez. Ils analysent les politiques et dispositifs de formation, les pratiques et rapports sociaux
qui les caractérisent, et proposent une étude des inégalités d’accès et d’effets de la formation au
sein des différents publics qu’elle peut ou pourrait concerner. Un retour sur des comparaisons
internationales vient en conclusion. « Le droit de la formation tout au long de la vie », rédigé
par J.-M. Luttringer, présente les repères nationaux et européens de la formation ainsi que ses
principaux acteurs. Il montre également à quel point le droit structure les différents univers de
la formation professionnelle et renvoie donc à bien d’autres « droits ». Or en France, on sait à
quel point ce cadre juridique régit pour partie le fonctionnement du marché de la formation,
nouveau sujet traité ici – signe des temps ? – pour la première fois dans le Traité par P. Joffre.

Dans la continuité de ces cadres de compréhension, une troisième série de textes vient illustrer
la dimension d’organisation du travail et de management dans lesquelles s’insère la formation
professionnelle continue. C’est une façon de qualifier la formation en tant que levier potentiel
ou réel de développement économique et social. Le chapitre de J. Igalens sur la gestion des
ressources humaines resitue les activités de production des compétences dans le champ plus
vaste des rapports qu’entretiennent les hommes avec l’organisation qui les emploie. Il aborde, ce
faisant, le point essentiel de la gestion des activités de formation. La contribution de C. Batal et
O. Charbonnier sur les liens entre management, organisation et formation articule la probléma-
tique des compétences et de la formation avec le thème des structures des entreprises, après avoir
retracé leurs histoires respectives dans l’évolution des doctrines managériales. Enfin, le chapitre
piloté par C. Delgoulet s’attache à la relation entre ergonomie, formation et développement,

48
Déterminants et environnements de la formation ■ Partie 1

montrant comment l’analyse du travail devient un outil de formation à part entière et un facteur
de transformation des acteurs, tout en lui appliquant les modes de lecture scientifique qui carac-
térisent ses démarches. Cette ouverture de la nature même des activités considérées comme
formatrices, élargit le cadre d’action de la formation et contribue à son renouvellement.

Une quatrième entrée réunit deux derniers chapitres de cette partie de l’ouvrage, particu-
lièrement en phase avec l’actualité internationale aujourd’hui. Il s’agit, élargissant la focale
d’observation, d’éclairer le cadre géopolitique large dans lequel nous vivons, agissons et nous
formons. Le chapitre intitulé L’Europe de la formation de C. Bapst et P. Caspar situe les princi-
paux jalons de sa construction, les institutions qui la servent, les programmes et initiatives qui
l’incarnent, les décisions politiques et les débats qui l’animent. Ces pages illustrent la vivacité
d’une pensée de longue haleine qui influence, souvent plus qu’on ne le croit, les politiques de
formation des États membres. Enfin, en très grand angle, C. Solar nous propose une réflexion de
synthèse sur la diversité des adultes et la formation dans le monde d’aujourd’hui où la variété des
langues, des cultures, des religions est source à la fois de richesses humaines inexplorées, mais
également comme on le sait, de conflits et d’inégalités moralement indéfendables et politique-
ment destructrices. On y verra, outre un sain rappel du devoir d’humilité qui devrait animer nos
microcosmes scientifiques et professionnels locaux, une transition avec la perspective proposée
dans la deuxième partie du Traité, sur le sujet adulte qui, s’il ou elle existe, est nécessairement
le « produit » de lieux, de cultures et d’époques donnés…

49
Chapitre 1
Histoire de la formation
post-scolaire1

1. Par Yves Palazzeschi.


Sommaire
1. Une tradition ancienne : l’accompagnement
des grandes transformations sociétales du xixe siècle............................................ 53
2. L’entre-deux-guerres, une période de transition................................................... 58
3. L’histoire contemporaine...................................................................................... 60
4. Conclusion............................................................................................................. 68
Lectures conseillées.................................................................................................. 68
« Nous avons observé que l’instruction ne devait pas abandonner les individus au moment
où ils sortent des écoles, qu’elle devait embrasser tous les âges, qu’il n’y en avait aucun où il
ne fut utile d’apprendre1… » Ainsi Condorcet exprime-t‑il une conviction proprement révolu-
tionnaire. Il faudra deux siècles pour que ce projet s’inscrive dans le fonctionnement sociétal,
mais deux siècles plus tard la formation postscolaire est bien devenue un fait social. Qu’un
homme, passé « l’âge scolaire » consacre du temps à une activité de formation est aujourd’hui
culturellement admis et statistiquement probable, même s’il existe des inégalités. L’histoire de
la formation est l’histoire de cette idée étonnante devenue nécessité.

L’éducation et la formation des adultes sont, comme toute pratique éducative, sous-tendues
par une conception de l’homme et de la société. Aussi est-ce dans les moments de transforma-
tion sociétale que l’énoncé de leur nécessité s’entend le plus et que leur pratique s’instrumente.
C’est comme contribution à deux évolutions majeures des deux siècles derniers que la forma-
tion postscolaire a construit sa raison d’être : l’avènement de la démocratie et le développement
de l’économie, nouveaux paradigmes structurant les rapports sociaux. L’éducation comme
pratique productrice de comportements citoyens et de développement culturel, et la formation
professionnelle comme productrice de compétences sont les deux descripteurs de ce champ.
Le glissement progressif de la dominante du premier vers le second caractérise le déplacement
des enjeux au fil des décennies.

1. Une tradition ancienne : l’accompagnement


des grandes transformations sociétales du xixe siècle

L’idée que l’éducation était susceptible de concerner l’homme toute sa vie durant a des traces
anciennes. On la trouve chez des auteurs de l’Antiquité : « L’éducation […] que chacun doit
toujours faire au cours de sa vie selon son pouvoir » (Platon, Les Lois) ; dans le Coran : « du
berceau à la tombe » ; à la Renaissance : le Tchèque Comenius, au xviie siècle, est le premier à
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

avoir formulé un projet d’institutionnalisation de l’éducation d’adultes. Des pratiques séculaires


existent, mais elles concernent une minorité. La nouveauté, à la Révolution, est que l’éducation
des adultes ne s’énonce non plus seulement comme un vœu ou une activité élitiste mais comme
un projet sociétal : l’éducation du peuple. C’est au cours du xixe siècle que les fondements idéo-
logiques de ce projet se précisent et que les pratiques se développent.

1. Condorcet, Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’Instruction publique, présentés au nom
du comité d’Instruction publique les 20 et 21 avril 1792, cité par A. Léon (1983), p. 189.

53
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.1 Accompagnant les grandes transformations politiques,


l’éducation des adultes
La modernité portée par l’abolition de l’Ancien Régime appelle la naissance d’un homme
nouveau : il sera éduqué, éclairé, acteur du progrès économique et social. La place de l’édu-
cation est affirmée haut et fort par l’idéologie révolutionnaire. Elle y inclut l’éducation des
adultes, alors en grande majorité illettrés. Mais ces ambitions sont contrariées et ne se
traduisent pas en actes. Passé l’Empire, ce sont les transformations profondes de la société
française sous la monarchie de Juillet, le Second Empire et la IIIe République qui alimentent
une nouvelle production d’idées. Le suffrage universel (pour les hommes), le développement
de l’instruction, la laïcisation, la naissance de la presse, la révolution industrielle, le déve-
loppement colonial font que les conditions et le niveau de vie de l’homme de 1900 sont sans
commune mesure avec celles de l’homme de 1800. Un propos velléitaire jalonne cette trans-
formation en appelant une contribution de l’éducation pour façonner cet homme nouveau :
une instruction élémentaire pour tous. La scolarisation obligatoire ne se réalisant pas en un
jour, la population adulte est de fait concernée.

Le discours sur l’éducation des adultes énonce trois intentions : instruire, moraliser, rendre
citoyen. Il s’agit en premier lieu de résorber l’illettrisme. L’éducation des adultes se cale en tout
point sur l’instruction élémentaire : faire apprendre à lire et écrire le français (les langues régio-
nales et les patois étant parfois les seuls pratiqués), à compter, et faire connaître les progrès de
la science et de la technologie concernant les activités agricoles, artisanales puis industrielles.
Il s’agit en second lieu d’une éducation morale et civique : combattre les « fléaux sociaux » asso-
ciés aux conditions de vie exécrables d’une grande partie de la population : « L’instruction des
ouvriers a pour but de “lutter contre le cabaret, la débauche, contre les mille appâts, d’apparence
séductrice, qui attirent chaque soir la foule désœuvrée”. […] Elle a aussi pour objectif de “les
arracher aux malsaines influences des charlatans politiques qui les bercent de la sonorité de
certains mots”1 », et promouvoir des comportements de bons Français : « que [grâce à l’instruc-
tion] les jeunes gens quittent le chemin du cabaret pour prendre celui de la Caisse d’épargne2 ».
La fonction affichée de cette éducation des adultes est une contribution à la normalisation
d’un niveau d’instruction élémentaire de la population recherché pour des motifs politiques :
« Nul dans le pays du suffrage universel ne doit se servir d’une main étrangère pour remplir

1. É. Petit, inspecteur général de l’instruction, cité par A. Léon (1983), p. 89.


2. Compte rendu d’inspecteur, 23/4/1866, cité par H. Boiraud, « Les instituteurs et l’évolution des cours d’adultes
au xixe siècle », Éducation permanente, n˚ 62-63, mars 1982, p. 38.

54
Histoire de la formation post-scolaire ■ Chapitre 1

son bulletin de vote1 » et économiques : « Les progrès de l’industrie seront proportionnels aux
progrès de l’instruction générale2. »

Mais les discours des différents promoteurs montrent des nuances sur l’importance à accorder
à cette éducation du peuple. En première ligne sont les militants inconditionnels de l’éducation,
ceux pour qui elle est la condition d’un progrès social partagé. La figure emblématique en est
l’instituteur de la IIIe République, le « hussard noir » laïc et républicain, convaincu de la toute-
puissance de l’éducation. En seconde ligne est un discours plus calculé, émanant de la classe
politique dirigeante. Cette éducation est une nécessité parce qu’un peuple ignorant est à la merci
des provocateurs et des agitateurs, mais point trop n’en faut parce qu’« un peuple instruit est
un peuple ingouvernable » (réponse d’Adolphe Thiers à Victor Hugo). Après la Commune de
Paris, Thiers a ouvertement exprimé cette fonction d’intégration et de contribution à l’ordre
de l’éducation des adultes.

1.1.1 Les cours du ministère de l’Instruction publique


C’est le volet le plus important de l’activité de formation postscolaire jusqu’à la première
guerre mondiale. Avec la monarchie de Juillet, les idées se traduisent en actes. Deux tiers d’illet-
trés constituent un handicap pour une société qui commence à s’industrialiser. Le ministre
Guizot, par la loi du 28 juin 1833, oblige les communes à créer des écoles primaires. Le 4 juillet
une circulaire indique que chaque école doit posséder un cours d’adultes. « Aussi longtemps que
l’école primaire ne reçoit pas la totalité des enfants d’un pays ou les reçoit trop peu, il est néces-
saire de prendre des mesures pour que l’instruction qui leur a manqué dans l’âge scolaire leur
soit offerte dans les années qui suivent3. » C’est sur ce principe que les ministres de l’Instruction
publique vont assumer cette responsabilité, et ce jusqu’à ce que la généralisation de l’instruction
élémentaire tarisse naturellement le flux d’adultes demandeurs. Ces cours connaissent un grand
essor, près de 830 000 inscrits en 1867. Ils sont portés par les instituteurs qui les assurent le plus
souvent de façon bénévole le soir et le dimanche (de préférence à l’heure de la messe).

1.1.2 L’ éducation populaire


Sous ce terme on rassemble une offre éducative construite par des forces sociales qui cherchent
à marquer de leurs valeurs la construction sociétale. Trois grands courants l’alimentent : les
mouvements confessionnels et laïques, et les intellectuels. Sur le dernier tiers du siècle et au
début du suivant, ces courants, en rivalisant, prennent une grande ampleur.

1. Paroles prêtées à Napoléon III, cité par H. Boiraud, op. cit., p. 38.
2. V. Duruy, ministre de l’Instruction publique de 1863 à 1869, cité par N. Terrot (1997), p. 68.
3. F. Buisson, directeur de l’enseignement primaire de 1879 à 1896, cité par N. Terrot (1997), p. 63.

55
Traité des sciences et des techniques de la formation

Parmi les mouvements confessionnels, le catholicisme est le plus présent. Son offre éduca-
tive se développe au fur et à mesure que la déconfessionnalisation des structures sociales
de base fait perdre à l’Église une partie de ses prérogatives. Il s’agit d’y résister en affirmant
la nécessité d’une éducation morale basée sur les principes de l’Évangile et de l’humanisme
chrétien. Puis avec l’intérêt que l’Église porte à la question sociale – l’encyclique Rerum
novarum en 1891 –, l’offre éducative s’inscrit dans la militance du catholicisme social. Aux
œuvres et patronages s’ajoutent les cercles catholiques ouvriers (1871) qui proposent cours
et conférences. En 1900, 144 000 adultes fréquentent activement plus de 650 cercles, et les
paroisses gèrent 30 000 bibliothèques1.

Le mouvement laïc doit beaucoup à la Ligue de l’enseignement. Fondée en 1866 pour faire
avancer la laïcité dans l’école primaire, la Ligue, après les lois de J. Ferry de 1881 et 1882, redé-
ploie son activité vers les jeunes adultes, « entre la sortie de l’école et l’entrée au régiment ». Il
s’agit de faire valoir la nécessité d’une éducation morale basée sur les principes des Lumières
et d’une citoyenneté républicaine. Structurée en réseau d’amicales, 7 000 en 1914, la Ligue est
très active dans l’organisation de conférences, 125 000 en 1900, et de cours postscolaires, plus
de 640 000 élèves en 19122.

Les initiatives du nouveau groupe social des intellectuels – savants, hommes de lettres –, qui
veulent prendre leur part dans l’éducation du peuple sont moins conséquentes, mais caractéris-
tiques d’une mobilisation sociale pour et par l’éducation des adultes. La Société pour l’instruction
élémentaire, créée en 1815 pour former des « hommes vertueux, amis de l’ordre, soumis aux
lois, intelligents et laborieux3 » est la plus ancienne. Le mouvement des universités populaires
est le plus spectaculaire. En 1898, l’affaire Dreyfus et ses dérives antisémites amènent un cercle
d’intellectuels à se mettre en chantier afin que l’ignorance du peuple ne mette pas en danger les
institutions républicaines. Les universités populaires, conférences du soir assurées par d’émi-
nents intellectuels, démarrent dans l’enthousiasme – 143 universités en 1902 dont 95 à Paris et
banlieue4 –, mais s’étiolent à partir de 1904, affaiblies par l’ambiguïté de leurs objectifs mêlant
instruction, moralisation et solidarité sociale. Elles restent dans la mémoire de l’éducation popu-
laire comme l’expérience emblématique et difficile de la rencontre des intellectuels et du peuple
par l’éducation.

1. A. Léon (1983), p. 43.


2. M. Tricot, « De l’instruction publique à l’éducation permanente, le combat de la Ligue », Les Cahiers de
l’éducation permanente, n˚ 59, non daté, p. 64.
3. A. Léon (1983), p. 12.
4. N. Terrot (1997), p. 139.

56
Histoire de la formation post-scolaire ■ Chapitre 1

1.2 Accompagnant les grandes transformations économiques,


la formation professionnelle des adultes
En abolissant les corporations, 1789 a laissé en jachère le système de formation profession-
nelle initiale géré par elles. Le xixe siècle fait passer la France d’un état rural et artisanal à l’état
de grande puissance industrielle. Pour accompagner cette mutation, les forces politiques et
économiques se préoccupent de construire un système de formation professionnelle initiale.
La formation professionnelle des adultes reste très accessoire.

1.2.1 La formation technique des adultes


Embryonnaire et accessible à une minorité, elle accompagne toutefois l’essor industriel. Les
entreprises qui s’implantent sur des territoires peu urbanisés doivent assurer un ensemble de
prestations sociales autour du travail, dont la formation. Elles prennent en charge la formation
professionnelle initiale – les écoles de fabrique –, mais aussi, par cours du soir, les formations
de spécialisation et les formations supérieures en accompagnement des promotions par le
rang. Dans les villes, où la transaction salariale est plus ouverte, l’acquisition d’une quali-
fication technique revient à l’ouvrier et devient son bien. C’est dans les cours du soir qu’il
se la procure. L’offre se précise avec les progrès scientifiques et technologiques, à initiative
publique et privée.

Le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) créé par la Révolution pour être un
musée et un lieu d’enseignement se positionne franchement sur cette deuxième mission à
partir de 1829 avec la création des premières chaires destinées alors au perfectionnement des
ingénieurs et industriels, pour s’ouvrir plus tard à un public plus large.

L’initiative privée est le fait des nouveaux groupes sociaux – industriels, ingénieurs, scienti-
fiques –, animés par les idées de Saint-Simon, penseur de l’avènement de la société industrielle :
l’éducation professionnelle des adultes est un vecteur de vulgarisation de la culture technique.
Des associations se créent tout au long du xixe siècle pour enseigner les sciences et les techniques
aux ouvriers et artisans, en cours du soir et du dimanche. L’Association polytechnique, fondée
par un groupe de polytechniciens en 1830, en est un exemple.

1.2.2 L’éducation ouvrière


Le mouvement syndical naissant ne fait pas que mettre la question de l’éducation et la forma-
tion des ouvriers en débat. Il agit, largement inspiré par les idées de Proudhon, défenseur de la
qualification et de la dignité de la classe ouvrière. Méfiant vis-à‑vis de toute instruction étatique
et de toute instruction professionnelle liée à la mise en place de l’organisation du travail industriel
qui déqualifie l’ouvrier, Proudhon valorise une éducation intégrale, intellectuelle et profession-
nelle, toute la vie, dont l’essentiel se fera par le travail.

57
Traité des sciences et des techniques de la formation

« La mission révolutionnaire du prolétariat est de poursuivre plus méthodiquement, plus obsti-


nément que jamais, l’œuvre d’éducation morale, administrative et technique pour rendre viable
une société d’hommes fiers et libres1. » C’est une éducation « pour émanciper ». Les Bourses du
travail, premières organisations syndicales locales créées à partir de 1887, proposent d’emblée,
entre autres services, des cours du soir d’enseignement général et technique ouverts à tous les
travailleurs. Cette offre inaugure ce que l’on nommera l’éducation ouvrière.

2. L’entre-deux-guerres, une période de transition


L’entre-deux-guerres est une période de transition. Des pratiques établies déclinent ou
stagnent, d’autres se confirment et se développent en se diversifiant, de nouvelles naissent.

L’éducation des adultes décline, victime du succès de l’instruction obligatoire : on estime


ramené à environ 3 % le taux d’analphabétisme en 1914. L’agriculture, l’industrie et le bâtiment
s’accommodent de cet illettrisme résiduel et occulte. Les cours ferment un à un, on dit qu’ils
n’ont plus lieu d’être.

L’éducation populaire connaît un nouvel engouement. Le temps de la contribution à l’ins-


truction de base paraît révolu, mais l’éducation populaire trouve désormais son public par le
développement des mouvements de jeunesse et la diversification de son offre. Le catholicisme
social crée des structures d’intervention catégorielles : en 1919 les équipes sociales, en 1926 la
Jeunesse ouvrière catholique (JOC), en 1929 la Jeunesse agricole catholique (JAC) et la Jeunesse
étudiante catholique (JEC). La JAC, très présente dans la France rurale, jouera un rôle important
dans la formation des élites du monde agricole. Les mouvements des auberges de la jeunesse,
confessionnels (1929) et laïcs (1933) militent pour la démocratisation des voyages (qui forment
la jeunesse). En 1925 la Ligue de l’enseignement reconfigure ses réseaux et s’ouvre aux activités
culturelles, artistiques et sportives (une âme saine dans un corps sain). Avec le Front populaire
en 1936 la naissance des congés annuels donne à ces nouvelles activités un espace de dévelop-
pement inédit. Encouragées par le ministre Léo Lagrange, des initiatives multiples renouvellent
l’éducation populaire et intéressent de nouveaux opérateurs autour de la promotion d’un usage
du loisir pour l’accès à la culture et sa démocratisation. L’offre inclut désormais les pratiques
artistiques, le tourisme social et culturel, le sport en milieu naturel. L’éducation populaire est
dynamique et moderne.

1. F. Pelloutier (1er mai 1895), cité par H. Lenoir, « À l’origine du syndicalisme : l’éducation ou éduquer pour
émanciper », Actualité de la formation permanente, n˚ 156, sept.-oct. 1998, p. 10.

58
Histoire de la formation post-scolaire ■ Chapitre 1

L’éducation ouvrière est à son apogée. Avec le développement de la démographie ouvrière


et la structuration du mouvement ouvrier, les activités éducatives gagnent en raison d’être et
en légitimité. Des structures naissent. Dès sa création en 1920, le Parti communiste ouvre des
écoles du parti pour former ses cadres à l’analyse marxiste mais aussi à « l’héritage culturel », puis
en 1932 les universités ouvrières, accessibles à tous publics. Cette scolarité alternative intéresse
plus de 12 000 ouvriers entre 1932 et 19381. Les centrales syndicales sont dans la même dyna-
mique. En 1932 la CGT crée le Centre confédéral de culture et d’éducation ouvrière, bientôt
relayé en province par 140 collèges du travail. En 1937, ils accueillent 4 000 auditeurs réguliers2.
En 1937, la CFTC ouvre l’Institut confédéral de formation et d’éducation syndicale et les écoles
normales ouvrières.

Des pratiques nouvelles apparaissent. Les années qui suivent la crise de 1929 amènent pour
la première fois l’observation de la simultanéité d’un chômage et d’une pénurie de qualifica-
tions dans les industries de pointe. Les premières initiatives sont privées. En 1934 l’Union des
industries métallurgiques et minières (UIMM) crée le Comité pour la formation des jeunes
chômeurs, suivie sous peu par la CGT et d’autres acteurs sociaux. La FPA, formation profes-
sionnelle nommée « accélérée » pour la distinguer de la formation professionnelle initiale, est
née. Le ministère du Travail s’y intéresse d’abord en la subventionnant à partir de 1935, puis en
soumettant les subventions à des règles de fonctionnement qu’il codifie, pour, enfin, la coor-
donner. L’État inaugure là sa politique publique de formation.

Le Cnam est habilité en 1922 à délivrer le titre d’ingénieur. La filière diplômante des cours
du soir s’installe, positionnant ces cours dans un rôle de formation promotionnelle.

Le perfectionnement technique ne connaît pas d’évolution spectaculaire. Les entreprises


en font peu. Les petites et moyennes entreprises recrutent les qualifications nécessaires en
sortie d’une formation professionnelle initiale qui s’est institutionnalisée avec la loi Astier sur
l’apprentissage en 1919, ou forment sur le tas. Seule la grande entreprise industrielle est amenée
à s’en préoccuper. L’organisation scientifique du travail, pensée par l’ingénieur Taylor en 1914,
s’implante en formant les « têtes pensantes » (chronométreurs, bureaux d’études). Pour répondre
à cette demande, un appareil privé de formation d’initiative patronale se dessine avec la création
en 1926 de la Cegos (Compagnie générale de l’organisation scientifique).

1. N. Terrot (1997), p. 198.


2. Idem, p. 204.

59
Traité des sciences et des techniques de la formation

À la veille de la guerre, la formation s’est mise en phase avec sa décennie en rééquilibrant ses
composantes pour répondre à de nouveaux enjeux : la production de qualifications pour accom-
pagner l’économie, le soutien à un monde ouvrier naissant, l’épanouissement de l’individu, et
non plus son instruction réalisée désormais par l’école.

3. L’histoire contemporaine
L’histoire contemporaine de la formation débute à la Libération. Ce qui se reconstruit alors
sur dix ans définit ses fonctions sociales et économiques, et imprime définitivement les contours
de son champ. Depuis, cette histoire rend compte de la dynamique interne au champ : la redis-
tribution du poids des différentes composantes en fonction des déplacements des sollicitations.

3.1 1944-1955 : la définition du champ


L’immédiat après-guerre est une période essentielle pour la formation postscolaire. Du fait
des conséquences politiques, économiques et sociales de la guerre, toutes ses composantes
sont sollicitées, et toutes se redéveloppent. Chacune marque un territoire par un intitulé, une
fonction sociale ou économique précise, un système de valeurs affiché. Elles sont juxtaposées et
autonomes. Il ne viendrait à personne l’idée de nommer comme aujourd’hui toutes ces pratiques
d’un terme unique formation. Mais elles composent, à elles toutes, ce que nous nommons ainsi
aujourd’hui.

3.1.1 L’alphabétisation
On avait enterré les cours d’adultes trop tôt. Pour les besoins de la reconstruction, la France
fait venir de ses colonies une main-d’œuvre en grande majorité illettrée. Sous l’intitulé « alpha-
bétisation » les cours d’instruction élémentaire reprennent. Les opérateurs se diversifient et les
publics ne sont plus ceux du xixe siècle, mais c’est bien la fonction fondatrice de la formation qui
sous cette forme renouvelée assure sa permanence : contribuer à la normalisation d’un niveau
d’instruction élémentaire pour toute la population.

3.1.2 La FPA
Au sortir de la guerre la FPA définit sa fonction, ses structures, et multiplie ses implantations.
C’est que jamais elle n’a été aussi utile. La France est un énorme chantier et les qualifications
manquent. Formations de six mois, réduisant au strict nécessaire la formation générale, l’ancrage
de la FPA dans un système de valeurs très économiste est explicite. « Former en quelques mois
des manœuvres spécialisés pour les jeter immédiatement dans le compartiment de la production

60
Histoire de la formation post-scolaire ■ Chapitre 1

qui en a besoin1 » est une posture qui fait consensus. C’est l’âge d’or de la FPA. Le ministère du
Travail s’emploie alors à la doter de structures. En 1949 est créée l’Association nationale inter-
professionnelle pour la formation rationnelle de la main-d’œuvre (Anifrmo). En la configurant
comme une association indépendante à gestion tripartite – ministère du Travail, syndicats
patronaux et ouvriers –, les pouvoirs publics montrent leur philosophie en matière d’organisa-
tion de la formation. Au début des années 1950, passé le coup de feu de la reconstruction, et la
formation professionnelle initiale s’étant remise en route, on s’interroge sur la nécessité de la
FPA. Après débat, il est décidé de la maintenir. Ce faisant, c’est une fonction de la formation qui
est définitivement confirmée : une contribution à la régulation du marché de l’emploi. En 1966,
l’Anifrmo deviendra l’Association nationale pour la formation des adultes (Afpa).

3.1.3 Les formations promotionnelles


Les formations promotionnelles permettent l’acquisition d’une qualification supérieure en
cours d’emploi. Elles ont une double fonction. La première est économique. Elle repose sur le
constat d’un déficit chronique de qualifications alors que les systèmes de formation initiale
restent malthusiens. Il faut donc produire ces qualifications par la voie de la formation continue.
La seconde est sociale. Elle repose sur le constat de l’inégalité de fait des citoyens devant l’offre
éducative. L’idéal républicain – que chacun bénéficie de la scolarité gratuite en fonction de ses
capacités et mérites –, n’est pas réalisé du fait d’accidents biographiques ou de déterminants
socio-économiques. Il faut donc offrir ce qu’on appellera plus tard une seconde chance. Après
l’urgence de la reconstruction, l’économie française fait le constat d’un déficit de qualifications
supérieures. Les formations promotionnelles se développent à l’initiative de l’Éducation natio-
nale et des grandes entreprises.

L’Éducation nationale est naturellement l’opérateur public d’une offre diplômante facilitant
la mobilité professionnelle. En 1948 un décret permet à l’enseignement technique d’ouvrir
des cours du soir. On peut désormais préparer ainsi un CAP. Entre 1948 et 1954 quelques
universités scientifiques créent des Instituts de promotion supérieure du travail (Ipst). On peut
devenir ingénieur en cours du soir. En 1956 est créé l’examen spécial d’entrée à l’université. Des
non-bacheliers peuvent faire des études supérieures. Le Cnam, en ouvrant en 1952 des centres
régionaux, va à la rencontre de son public.

Les grandes entreprises, et toutes celles récemment nationalisées, développent sur cette
période une offre de cours promotionnels internes. La fonction publique, en instituant dans

1. R. Girard « La CGT et la formation professionnelle », Servir la France, n˚ 11, p. 24, cité par M. David et coll.
(1978), L’individuel et le collectif dans la formation des travailleurs, t. I : Approche historique 1944-1968, Paris,
Économica, p. 136.

61
Traité des sciences et des techniques de la formation

son statut de 1946 la préparation aux concours comme mode de gestion de la carrière, s’inscrit
dans la même dynamique.

3.1.4 L’éducation populaire


Pour l’éducation populaire, l’après-guerre est un autre grand moment. L’appétit culturel d’un
monde renaissant, et surtout la fragilité perçue d’une population encore faiblement scolarisée
au-delà de 14 ans mais de plus en plus cible de produits à grande diffusion commerciale –
cinéma, radio, magazines –, réveillent la fibre militante pour un vrai développement culturel,
facteur de progrès, de lutte contre des déséquilibres sociaux et de participation au débat poli-
tique. L’offre explose, s’enrichissant de nombreux nouveaux venus. Parmi eux, Peuple et Culture
a une place essentielle. Issue de la Résistance, fondée par J. Dumazedier et B. Cacérès, cette
association de formation des cadres de l’éducation populaire devient un laboratoire d’idées pour
l’éducation populaire. Formalisant et diffusant des méthodologies éprouvées et rigoureuses,
disposant de réseaux irriguant la France, animée d’une dynamique d’échanges soutenue, Peuple
et Culture est une véritable école de pensée pour la formation des adultes jusque vers la fin des
années 1960, et le creuset de la réflexion à venir sur l’éducation permanente.

3.1.5 L’éducation ouvrière et la formation syndicale


L’éducation ouvrière ne retrouve pas à la Libération la place qui était auparavant la sienne.
À la fin des années 1950, le terme « éducation ouvrière » a quasiment disparu. Le mouvement
ouvrier n’a plus d’offre éducative ouverte à tous publics. En revanche, l’offre interne, sous l’inti-
tulé « formation syndicale », à l’attention des cadres et des militants, croît considérablement.
Elle accompagne la transformation qu’amorce le syndicalisme. À la tradition fondatrice du
syndicalisme de lutte s’ajoutent des éléments d’un syndicalisme que l’on nomme participatif.
Les syndicalistes prennent des responsabilités dans les conseils d’administration des entreprises
nouvellement nationalisées, dans des organisations paritaires nouvelles comme la Sécurité
sociale, aux tribunaux des prud’hommes, et dans les comités d’entreprise créés en 1945. Pour
faire face à ces nouveaux engagements, les syndicalistes exerçant un mandat ont « la hantise de
la compétence » (David et coll., op. cit., p. 242). Aux contenus doctrinaires et généraux s’ajoutent
des contenus techniques : droit, économie. Les confédérations demandent aux pouvoirs publics
des moyens et des facilités. Au milieu des années 1950, des Instituts du travail sont créés dans
six universités, avec pour vocation la formation des cadres syndicaux. En 1957 est votée la
loi sur le congé éducation ouvrière, premier droit d’absence pour formation dans le droit du
travail. C’est la reconnaissance de la place de la formation syndicale pour sa contribution à ce
que l’on commence à nommer la démocratie économique et sociale.

3.1.6 Le perfectionnement
Il faut attendre les années 1950 pour que davantage d’entreprises s’engagent dans des
pratiques de formation autres que la formation sur le tas. Autre conséquence de la guerre,

62
Histoire de la formation post-scolaire ■ Chapitre 1

le plan Marshall, aide nord-américaine à la reconstruction de l’Europe occidentale a comme


corollaire la pénétration du marché européen par l’économie américaine. La compétition
économique s’élargit. Or l’industrie américaine est plus productive. Des voyages d’études, les
missions de productivité, vont alors chercher recettes aux États-Unis. Elles reviennent avec
le constat de la place importante faite outre-Atlantique à la formation de l’encadrement à
ses tâches spécifiques, avec un outil dédié, le training within industry (TWI). En France cette
formation n’existe pas en formation initiale pour les ingénieurs sortis d’écoles, et très peu en
formation continue pour les ingénieurs et la maîtrise sortis du rang. C’est avec le TWI importé
que les entreprises françaises s’y mettent. Pour nombre d’entre elles la formation à l’enca-
drement a été le premier budget de formation. Dès lors, le perfectionnement se développe,
affichant sa fonction : une contribution à l’accroissement de la productivité. En parallèle se
développe un appareil de formation privé. L’université crée en 1955 les IAE (Instituts d’admi-
nistration des entreprises).

3.1.7 Le reclassement
Le reclassement, nommé plus tard reconversion, est aussi une contribution à la régulation
du marché de l’emploi, mais s’adressant à des collectifs de travail concernés par la réduction
d’activité de secteurs professionnels en récession. À la suite de directives européennes stipulant
que les réductions d’activité doivent s’accompagner de mesures sociales, dont la formation,
la France publie en 1954 un décret sur le reclassement qui crée un fonds et pose les bases de
la politique publique. La formation est sollicitée pour une fonction précise : la requalification
collective pour accompagner la mobilité professionnelle contrainte.

Au milieu des années 1950, les contours du champ de la formation postscolaire sont défi-
nitivement tracés. La totalité de ses fonctions sociales et économiques est posée : contribuer à
la normalisation d’un niveau d’instruction élémentaire, à l’insertion sociale et professionnelle,
à la mobilité professionnelle choisie ou contrainte, à la régulation du marché de l’emploi, à la
démocratie culturelle, à la démocratie économique et sociale, à l’amélioration de la produc-
tivité, produire supplétivement des qualifications supérieures, offrir de nouvelles chances de
développement culturel, permettre la reprise d’études. La liste ne s’allongera pas. Seule la
pondération de ces différentes fonctions évoluera avec le déplacement des enjeux dans les
décennies suivantes.

3.2 1955 : le tournant


À partir de 1955, la réflexion sur la formation change radicalement. Après les années de
reconstruction se profilent les années de croissance. Les effets des progrès scientifiques et tech-
nologiques sont de plus en plus rapidement sensibles. Cette « accélération de l’histoire », bien

63
Traité des sciences et des techniques de la formation

décrite par le philosophe G. Berger, amène deux constats : un bagage scolaire, quel qu’il soit,
n’est plus suffisant pour une vie professionnelle, de plus en plus d’individus changeront de métier
en cours de vie active. Jusque-là la formation était considérée comme palliative ou réparatrice :
toutes les pratiques développées visaient à combler des carences de formation initiale. Désormais
on commence à penser la formation comme une nécessité structurelle dans une société en
évolution rapide. C’est un autre statut.

Cette année-là naissent deux nouveaux concepts. À l’occasion d’un projet de réforme de
l’enseignement, P. Arents forge le terme « éducation permanente ». Il y met une responsabilité
nouvelle pour le système éducatif. Dans l’introduction de La Formation dans l’entreprise et ses
problèmes1, G. Hasson crée le terme « fonction formation ». Il y met une responsabilité nouvelle
pour l’entreprise. Ces deux termes recouvrent la même ambition : concevoir un système global et
cohérent d’organisation et de gestion de la formation postscolaire, devenue activité normale et
nécessaire. L’innovation n’est que conceptuelle mais elle est de taille. Le champ de la formation
se bipolarise, et sa banalisation est définitivement en marche.

3.3 La dynamique d’évolution


L’histoire de la formation depuis 1955 est l’histoire de cette banalisation. Elle s’opère au
fil des ans à partir du pôle formation professionnelle continue. C’est lui qui fait produire la
réglementation – dans le droit du travail –, l’attribution de ressources financières et la création
d’institutions dédiées. L’éducation permanente, pas instrumentée, reste un concept de référence.
C’est plus autour du monde du travail qu’autour du monde de l’éducation que désormais la
formation se pense, se dispense et se dépense. Le substantif « formation » tend à s’imposer au
détriment de celui d’éducation au fur et à mesure que cette prévalence se précise. Trois étapes
structurent cette dynamique.

3.3.1 1955-1965 : l’essor par les formations promotionnelles


La croissance appelle des qualifications et de la mobilité. Peu d’individus alors sortent
du système scolaire avec une qualification supérieure ou un diplôme de niveau V. L’espace
promotionnel est réel. C’est d’abord la popularité des formations promotionnelles qui installe la
formation dans la vie sociale. En 1959, M. Debré, Premier ministre de la Ve République nouvelle
née, lance une ambitieuse politique de promotion sociale avec la loi éponyme. Il s’agit à la fois de
produire les qualifications nécessaires à l’expansion économique, de faciliter la seconde chance
en attendant les effets de la réforme envisagée du système éducatif « vieilli et inégalitaire », et

1. Éditions de l’entreprise moderne.

64
Histoire de la formation post-scolaire ■ Chapitre 1

de provoquer de la mobilité sociale, facteur de cohésion sociale, pilier de la doctrine gaulliste


de l’unité nationale. Ces trois volets, économique, social et politique, justifient le néologisme
ambitieux de promotion sociale pour requalifier les formations promotionnelles. Jamais l’asso-
ciation formation-promotion n’a été aussi forte.

La loi sur la promotion sociale et les nombreux décrets qui l’ont suivie ont un fort effet
instituant. Ils produisent des organes de décision interministériels, des instances consultatives,
une administration d’État, de nouveaux circuits financiers. L’impact médiatique est également
fort. Mais l’effet sur la production des qualifications reste faible. Dans les années 1963-1964 le
doute s’installe. Des études montrent l’insuffisance des mesures et des aides. On commence
à parler d’échec. Un constat devient évident : le décalage entre d’une part la nécessité pour
les entreprises, entrées dans une économie marquée par la révolution marketing, d’ajuster en
permanence leurs organisations et leurs savoir-faire, et d’autre part le système de production
supplétive de qualifications qui repose beaucoup sur des démarches volontaires individuelles
durant le temps de loisir. De nombreux groupes sociaux, en particulier les cadres, revendiquent
l’inscription réglementaire de la formation dans le temps de travail. Le Ve Plan s’en fait le porte-
parole en 1965. En découle la loi de 1966, qui lance une nouvelle organisation pour la formation.

Mais il n’y a pas que la promotion sociale sur cette période. L’alphabétisation se structure. En
1958 est créé le Fonds d’action sociale (Fas), qui devient l’instrument d’une politique publique.
La FPA poursuit son expansion et se diversifie dans tous les secteurs d’activité, accompagnant
les mobilités provoquées par ce qu’on nomme alors « l’exode rural ». L’éducation populaire vit un
autre de ses grands moments, bénéficiant d’une politique d’équipement culturel sans précédent
pour accompagner l’urbanisation. Dans les entreprises, le perfectionnement de l’encadrement,
avec le TWI puis les références à l’école des relations humaines, constitue un volet stable d’acti-
vité. Un nouveau terme apparaît, « recyclage », pour les ingénieurs et techniciens. Le commerce
et l’artisanat se dotent d’institutions de formation. L’agriculture poursuit ses transformations
spectaculaires en mobilisant fortement la formation. La formation syndicale est entrée dans son
rythme de croisière. Enfin les problématiques de requalification collective se posent dans de plus
en plus de secteurs en réduction d’activité (mines, textile) alors que de nouveaux secteurs émer-
gents recrutent, l’électronique, le nucléaire, la plasturgie… En 1963 est créé le Fonds national
pour l’emploi (FNE) qui pose les fondements de la politique publique.

En 1960, B. Schwartz prend la direction du Centre universitaire de coopération économique


et sociale de Nancy (Cuces). Cet organisme commence alors une aventure unique. Formations
promotionnelles, perfectionnement en entreprise et opérations de reconversion des mineurs
lorrains deviennent autant de chantiers innovants en organisation, méthodologie et pédagogie.
Véritable école de pensée, le Cuces a marqué le paysage de la formation des adultes en France
par ses innovations et sa diaspora.

65
Traité des sciences et des techniques de la formation

3.3.2 1966-1976 : une nouvelle donne organisationnelle


La loi-programme sur la formation professionnelle de 1966 pose le socle d’une nouvelle orga-
nisation de la formation. En avançant deux principes, le droit d’absence pour formation et la
convention, elle introduit le droit de la formation dans le droit du travail et ouvre un marché sur
des principes libéraux. Les décrets d’application ne sont pas parus lorsqu’arrive mai 1968. Lors
des négociations de Grenelle, il est convenu que l’organisation de ce droit serait négociée dans le
cadre de la politique contractuelle. J. Chaban-Delmas, Premier ministre, y voit une opportunité
pour donner de la matière à sa volonté de modernisation des relations sociales. J. Delors est
chargé d’animer la négociation. En 1970 est signé l’Accord national interprofessionnel sur la
formation et le perfectionnement professionnels qui définit les modalités du congé-formation.
Le 16 juillet 1971 est promulguée la loi portant organisation de la formation professionnelle
continue dans le cadre de l’éducation permanente. Elle ajoute au congé-formation une obliga-
tion financière pour les entreprises. La formation est désormais codifiée dans le droit du travail.
L’entreprise est le financeur naturel de la formation de ses salariés. L’État se recentre sur le
financement de la formation des demandeurs d’emploi. L’implication des partenaires sociaux
à travers la politique de concertation, la politique contractuelle et le paritarisme est entérinée.

Cette nouvelle donne se met en place avec beaucoup d’ambiguïtés. Les zones d’ombre quant
à l’initiative du départ en formation – l’employeur ou le salarié –, et l’introduction du terme
éducation permanente dans l’intitulé de la loi permettent toutes les interprétations. Les impé-
ratifs économiques confirment la formation dans sa dimension professionnelle, mais jamais
l’idée d’éducation permanente n’a été autant médiatisée. C’est la période de tous les possibles,
dans les discours et dans les pratiques, du tout managérial au tout culturel. Un débat s’installe :
la formation est-elle au service de l’entreprise ou de l’individu ?

Mais derrière cette effervescence, l’inscription de la formation dans le paradigme du travail


se précise. De plus en plus d’entreprises, et des entreprises de plus en plus petites, se familia-
risent avec la formation. L’affectation réglementaire de ressources donne une impulsion au
marché. L’appareil de formation se développe de façon exponentielle. L’Éducation nationale
s’y inscrit en créant les services de formation universitaires et le réseau des Greta. L’éducation
populaire – on dit désormais l’animation socioculturelle –, est sommée de passer de la subven-
tion à la convention. Après avoir pensé que l’ère de l’éducation permanente pour laquelle elle
a tant milité pourrait arriver, elle analyse très vite la primauté de la formation professionnelle.
L’Afpa poursuit son expansion et sa diversification. L’alphabétisation accompagne l’accueil des
travailleurs immigrés. Les formations promotionnelles restent majoritairement hors temps de
travail. Le recours à la formation par les entreprises en difficulté sur leurs marchés se précise.

66
Histoire de la formation post-scolaire ■ Chapitre 1

3.3.3 1976-2000 : le recentrage par l’économique


1976-1982 sont des années de transition. Il s’agit de reconfigurer la place de la formation dans
une économie ayant fait le constat du ralentissement de la croissance et de l’accentuation de
la course à la productivité. Des aménagements de la réglementation lèvent les ambiguïtés de la
loi de 1971 en distinguant le plan de formation et le congé individuel de formation, inscrivant
sans équivoque le plan de formation comme un outil au service de l’entreprise. L’État ancre
définitivement sa politique de formation dans sa politique de l’emploi. La formation est solli-
citée sur deux fronts : accompagner les transformations du travail générées par la compétition
économique, produire les conditions d’une insertion ou réinsertion sociale et professionnelle
pour les sans-emploi.

À partir de 1982 l’accroissement des dépenses des entreprises et de l’État s’accompagne d’une
rhétorique visant à épurer les représentations sur la formation de leur éclectisme : la formation
est un investissement. Le débat des années précédentes s’estompe pour laisser la place à un
consensus : la formation doit produire des compétences qui servent à l’entreprise pour conserver
et gagner des marchés et à l’individu pour assurer ou gagner sa place sur le marché de l’emploi.
La politique publique, conduite désormais par les régions, ambitionne de réduire le chômage des
jeunes par des dispositifs de plus en plus mobilisateurs de ressources. L’entreprise est confirmée
dans un rôle de partenaire de cette politique avec la généralisation de l’alternance comme prin-
cipe organisateur. La lutte contre l’illettrisme redécouvert fait également partie des priorités.

Les transformations du travail et la généralisation de l’informatique rendent désormais toutes


les catégories professionnelles concernées par la formation. Celle-ci entre naturellement dans
les plans sociaux qui jalonnent l’histoire économique des années 1980. La fonction publique
d’État, restée en retrait jusque-là, doit enclencher des politiques de formation ambitieuses pour
accompagner la politique de modernisation du service public et les transformations du travail
administratif. Elle se dote d’une réglementation et d’une obligation d’affectation de ressources.

Toutes les composantes du champ de la formation bénéficient de cette croissante allocation


de moyens. L’éducation des adultes retrouve une mission globale, au-delà de l’alphabétisation,
avec la lutte contre l’exclusion sociale. Le Cnam a toujours son public. Et si l’association forma-
tion-promotion devient discrète dans les politiques d’entreprise, le déficit de qualifications
supérieures amène régulièrement la construction de nouvelles filières promotionnelles. L’Afpa
confirme son rang de premier organisme de formation. L’Éducation nationale a trouvé sa place
sur le marché. L’appareil de formation privé s’est progressivement structuré en se dotant d’ins-
truments le caractérisant comme une branche professionnelle : une fédération patronale, des
syndicats de salariés, une convention collective. Par contre l’éducation populaire a beaucoup
de mal à renouveler son mode de fonctionnement alors que son rôle de créateur de lien social
et de formation du citoyen n’a pas perdu sa pertinence.

67
Traité des sciences et des techniques de la formation

Toutes les fonctions de la formation telles que dessinées dans les années d’après-guerre se
retrouvent donc sollicitées, mais dans une configuration qui place désormais l’économique en
premier organisateur. La référence à l’éducation permanente se perd.

Entre le xxe et le xxie siècles, le doute s’installe sur la croyance optimiste du « toujours plus » de
formation. Les vigilances budgétaires amènent un frein à l’accroissement des dépenses publiques
et privées. L’heure est à l’optimisation et à la rationalisation. La réorganisation des circuits
financiers, la recherche d’une professionnalité autour de la notion d’ingénierie, les différentes
tentatives pour qualifier la qualité des prestations de formation, la recherche de productivité
grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, le débat sur la compé-
tence et l’employabilité occupent alors l’espace de réflexion.

4. Conclusion
Qu’enseigne cette histoire ? En passant de l’instruction et la moralisation du peuple dans une
société installant la démocratie à l’équipement en compétences et employabilité des individus
dans une société se mondialisant par l’économique, la formation fait la preuve de sa contribution,
très modeste, à la construction sociétale. Elle s’inscrit toujours dans les enjeux du jour et produit
des réponses actualisées. Mais même professionnelle et très professionnelle, elle n’échappe pas à
son essence éducative. On pourra donc toujours débattre à son propos, comme à propos de toute
pratique éducative, de la dialectique entre sa dimension normative et son pouvoir heuristique.

Lectures conseillées1
Léon A. (1983). Histoire de l’éducation populaire T errot N. (1997). Histoire de l’éducation des
en France, Paris, Nathan. adultes en France, Paris, L’Harmattan.
Palazzeschi Y. (1998). Introduction à une sociologie
de la formation. Anthologie de textes fran-
çais 1944-1994, Paris, L’Harmattan.

1 Une bibliographie régulièrement enrichie est disponible sur le site du GEHFA (Groupe d’études histoire de
la formation des adultes) : www.gehfa.com.

68
Chapitre 2
L’économie
de la formation1

1. Par André Voisin.


Sommaire
1. L’individu et la théorie du capital humain.............................................................. 71
2. L’entreprise et la théorie de l’investissement formation...................................... 76
3. Les prestataires de formation et l’approche par « l’appareil de formation ».......... 79
4. Conclusion............................................................................................................. 83
Lectures conseillées.................................................................................................. 85
L’économie de la formation constitue un domaine d’analyse particulier qui s’est construit à
l’intersection de l’économie de l’éducation et de l’économie du travail. Elle se manifeste par la
production régulière d’études et de recherches sur les aspects économiques de la formation.
Ce travail est aujourd’hui parvenu à un niveau d’accumulation qui autorise à faire état d’une
économie de la formation. Il n’en reste pas moins que le champ ainsi couvert est en perma-
nente évolution. Les études et les recherches sur la formation, souvent difficiles à mener, ne
sont véritablement riches et nombreuses que quand l’activité de formation est intense1.

Dans le contexte actuel, il faut reconnaître que la période la plus rapprochée (2010-2015) se
prête plus mal que les précédentes à ce type d’investigation. La formation n’est plus l’espace
ouvert qu’elle était autrefois. La normalisation l’emporte sur l’innovation. Le milieu le ressent et
s’en irrite. Les écrits corporatifs appelant à la réforme se succèdent. Cependant, dans ce contexte
un peu délétère, un événement se produit : la promulgation de la loi du 5 mars 2014 relative à
la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Nous chercherons, dans ce chapitre, à présenter les grandes approches économiques qui
paraissent les plus significatives de la réflexion en cours, à savoir « L’individu et la théorie du
capital humain » ; « L’entreprise et la théorie de l’investissement formation » ; « Les prestataires
de formation et l’approche par “l’appareil de formation” ».

1. L’individu et la théorie du capital humain


La théorie du capital humain constitue le courant théorique à partir duquel l’économie de
l’éducation s’est développée. Cette théorie, qui s’inscrit dans un cadre d’analyse néoclassique, a
été formalisée par l’économiste américain G.S. Becker dans les années 1960 (Human Capital,
1964). Elle est construite par analogie à la théorie du capital physique. L’éducation peut être
considérée comme un investissement que l’individu effectue afin de constituer un capital
productif ; à cela près que ce capital est inséparable de sa personne. Elle explique les inégalités
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

dans la répartition des salaires par l’existence de différences individuelles de productivité qui
résultent elles-mêmes de différences d’investissement en capital humain. Une telle liaison peut
être exprimée ainsi : les individus qui souhaitent augmenter leurs gains salariaux choisissent
d’investir en capital humain ; ils font, à cet effet, l’acquisition de ces biens de production que
sont l’éducation et la formation et, par voie de conséquence, voient augmenter leur productivité.

1. A. Voisin (2005). « La formation et son économie. Un état des études et des recherches en France », Savoirs,
7, 11-37.

71
Traité des sciences et des techniques de la formation

D’un autre côté, selon la théorie marginaliste de l’entreprise, un employeur n’engage un


salarié que si le produit marginal dû à ce dernier est au moins égal au coût salarial qu’il
entraîne. Par conséquent, si un travailleur mieux formé reçoit une rémunération élevée, c’est
parce qu’il est plus productif. Et s’il est plus productif, cela tient au fait qu’il est plus rare, ceci
précisément en raison du coût de la formation. Réciproquement, le coût de la formation ne
peut être consenti par le salarié que s’il existe un espoir sérieux de voir compenser ce coût par
un gain supplémentaire, sous forme d’une augmentation de salaire qui résultera de l’utilisation
effective dans la production du capital humain acquis.

Depuis les années 1960, un grand nombre d’études se sont attachées à tester et quantifier
les différentes implications de la théorie du capital humain. Les travaux consacrés aux rende-
ments de l’éducation les plus récents aboutissent à ce résultat que, en formation initiale, une
année supplémentaire d’étude à plein-temps en milieu scolaire ou universitaire se traduit par un
accroissement du revenu annuel compris dans une fourchette de 5 % à 15 %. Ce point établi, il
n’en reste pas moins que l’existence assurée d’une relation de cause à effet entre investissement
éducatif et augmentation du revenu est difficile à établir.

Constitutive de l’économie de l’éducation, la théorie du capital humain n’a pas non plus
manqué d’influencer les approches économiques de la formation continue. Son approche reste
toutefois sous-jacente à la plupart des études sur les effets individuels de la formation continue.
Par contre, ses hypothèses de base sont de plus en plus souvent mises en cause à l’occasion
d’études empiriques, alors même que d’autres approches théoriques se profilent. Dans cette
partie, nous adopterons la position de J. Vincens, pionnier dans ce domaine1, qui a vu se déve-
lopper, dans la théorie du capital humain, un modèle d’évolution de la productivité individuelle
qui mène à l’idée d’efficacité, mais également un modèle de la « seconde chance », moins déve-
loppé que le précédent, qui conduit à l’idée de justice.

1.1 Théorie du capital humain et amélioration


de la productivité individuelle
La question de savoir si la formation continue améliore effectivement la productivité et les
salaires et augmente la durée de vie des emplois est restée longtemps ouverte. Cette question est
reformulée, à frais nouveaux, à la fin des années 1990, par deux chercheurs de l’Insee, D. Goux
et E. Maurin, sur la base d’une analyse économétrique des résultats de l’enquête Formation et

1. J. Vincens, « La formation continue et l’emploi : les aspects économiques », in J. Vincens, A. Cabanis (dir.)
(1979). La Formation continue et l’emploi, Toulouse, Privat, p. 141-190.

72
L’économie de la formation ■ Chapitre 2

qualification professionnelle 1993 de l’Insee1. Leur étude souligne d’entrée que l’impact réel
de la formation continue sur la productivité et les salaires est difficile à établir : il faut en effet
se demander si les « meilleurs » salariés, aux yeux de l’entreprise, « ne sont pas ceux qui ont
simultanément le plus de chance d’être les mieux payés d’une part et de bénéficier des stages
de formations complémentaires de l’autre ». Si la formation continue n’a pas un effet propre
important sur les salaires, par contre elle contribue à renforcer la stabilité de l’emploi en dimi-
nuant les risques de rupture du contrat de travail. Ainsi, entre 1988 et 1993, 31 % des salariés
qui n’ont pas reçu de formation ont quitté leur employeur contre 5 % de ceux qui ont bénéficié
d’une formation. En fait, en relativisant le lien formation continue-productivité-rémunération,
cette étude met assez sérieusement en cause la théorie du capital humain, du moins en ce qu’elle
postule que le gain attendu est prioritairement financier.

Qu’attendre alors de la formation continue ? Cette question est à nouveau posée, en 2006,
par P. Cahuc et A. Zylberberg, dans une étude réalisée à la demande du Centre d’observation
économique de la chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP)2. Le diagnostic porté
repose sur l’analyse d’un corpus important d’études empiriques sur les rendements de la forma-
tion dont les résultats convergent à l’échelle européenne. Il apparaît ainsi que les bénéfices d’une
formation sont, en moyenne, de faible ampleur, et qu’ils sont très faibles, voire nuls, pour les
adultes les moins qualifiés et pour les chômeurs. Et ils le sont d’autant plus que la formation
est courte. Par ailleurs, dans tous les pays de l’OCDE, l’accès à la formation croît avec le niveau
d’instruction initiale et également avec la taille de l’entreprise, mais par contre il diminue avec
l’âge à partir de la quarantaine.

En fin de compte, l’impact de la formation professionnelle sur les salaires et la pérennité de


l’emploi apparaît très incertain et probablement nul dans nombre de cas. Le diagnostic serait
sans appel si d’autres hypothèses ne pouvaient être faites, celle notamment que la formation
peut avoir d’autres finalités et apporter d’autres bénéfices que financiers.

1.2 Seconde chance et formation continue


Avec le modèle de la seconde chance, l’accent est placé sur la notion de justice. En effet,
« si l’éducation est une arme dans la concurrence entre les salariés, si elle est un moyen d’être
mieux rémunéré parce que plus productif, n’est-il pas juste qu’une société s’efforce d’égaliser

1. D. Goux, E. Maurin (1997). « Les entreprises, les salariés et la formation continue », Économie et statistique,
306, 41-55.
2. P. Cahuc, A. Zylberberg (2006). La Formation professionnelle des adultes : un système à la dérive, Centre
d’observation économique de la CCIP.

73
Traité des sciences et des techniques de la formation

les conditions de cette concurrence, de donner des chances à tous les individus ? » (Vincens,
1979). L’idée de seconde chance est d’ailleurs consubstantielle à la formation continue depuis
ses origines. Un de ses premiers rôles affirmés est d’exercer un effet compensatoire, c’est-à‑dire
de créer des occasions de rattrapage ou des possibilités de remplacement pour les jeunes et
les adultes qui ont bénéficié du système éducatif initial dans de mauvaises conditions ou qui
n’en ont pas profité du tout. Elle a inspiré nombre de programmes particuliers et de dispositifs
permanents.

L’idée de justice implique un passage au normatif que l’on retrouve, par exemple, avec la
référence faite aux principes de justice sociale de Rawls, transposés au niveau de l’entreprise,
dans l’étude sur l’inégalité d’accès à la formation professionnelle continue menée, en 1998, par
F. Aventur et S. Hanchane1. Cette étude empirique du Cereq, qui reste très nuancée, montre,
qu’entre 1985 et 1991, l’inégalité d’accès à la formation (mesurée par l’espérance de formation)
des cinq catégories de salariés retenus (des ouvriers non qualifiés aux ingénieurs et cadres)
s’est dans l’ensemble réduite à mesure que l’effort de formation des entreprises augmentait,
cette inégalité étant par ailleurs d’autant plus faible que les entreprises sont de grande taille
et appartiennent à des secteurs très formateurs. Cependant l’effort de formation paraît avant
tout déterminé par la nécessité d’adapter les salariés aux évolutions rapides des conditions de
production, et le droit à l’adaptation est de plus en plus considéré par les salariés comme un
attribut du contrat de travail. La notion d’accès à la formation prend alors un sens nouveau :
y accéder, c’est réduire le risque d’être exclu de l’entreprise. On s’éloigne alors beaucoup des
origines où partir en formation signifiait saisir une « deuxième chance ».

L’idée de « seconde chance » est aussi souvent associée au désir d’accroître la mobilité sociale
en facilitant les promotions. Il existe selon ce modèle une correspondance entre les emplois et
les formations ; elle est telle que, pour accéder à un emploi déterminé, il faut avoir la formation
adéquate. Par conséquent, « si on donne à un salarié en cours de carrière la possibilité d’améliorer
son niveau de formation, on lui donne du même coup une chance de promotion » (Vincens,
1979). La « seconde chance » donnée par la formation augmente-t‑elle effectivement les chances
de promotion interne ou de mobilité professionnelle ascendante à son issue ? Les différentes
analyses prenant pour base les enquêtes de l’Insee (FQP), sont assez largement convergentes. Les
unes constatent un « relâchement progressif du lien entre formation et mobilité professionnelle
ascendante » pour toutes les catégories de salariés (Correia, Pieuchot et Pottier, 1996)2. Les autres

1. F. Aventur, S. Hanchane (1998). « Formation continue et justice sociale dans l’entreprise », Bref Céreq, 136.
2. M. Correia, L. Pieuchot, F. Pottier. (1996). « Nouveaux parcours professionnels, nouveaux usages de la forma-
tion continue », in De la promotion sociale à la formation tout au long de la vie : nouvelles trajectoires, nouveaux
besoins, Marseille, Céreq, 11-25.

74
L’économie de la formation ■ Chapitre 2

font état d’un « déclin spectaculaire » (Podevin, 1998)1. Dans les années 1965-1970, 55 % des
salariés ayant bénéficié d’une formation à l’initiative de leur employeur ont connu une mobilité
professionnelle ascendante ; ils ne sont plus que 8 % dans les années 1990-1995. De même, 35 %
des salariés ayant suivi dans la première période une formation à leur initiative personnelle ont
connu une mobilité ascendante ; ils ne sont plus que 11 % dans la seconde période. En fait l’accès
à la formation continue est principalement réservé aux salariés qui demeurent dans l’entreprise,
et ceux-ci en retirent surtout une garantie de maintien dans l’emploi. Les contreparties offertes
au retour de formation sont le plus souvent une amélioration des conditions de travail ou un
accroissement de responsabilités.

La conclusion générale qui découle de la mise en perspective de ces travaux est sombre. Le
public aurait d’ailleurs parfaitement compris qu’il devait abaisser son niveau d’exigence au point
d’accepter d’assimiler à une promotion un simple recrutement et à une carrière un parcours de
contrat aidé en contrat aidé (Podevin, 1998). La formation continue n’a pas non plus un effet
propre important sur les salaires, en revanche elle contribue à renforcer la stabilité de l’emploi
en diminuant les risques de rupture du contrat de travail (Goux, Maurin, 1997).

Cette question de savoir si ce qui vaut pour la formation initiale, dans la théorie du capital
humain, vaut également pour la formation continue a été reprise, en 2000, par André Gauron,
dans un rapport du Conseil d’analyse économique2. L’auteur pose tout d’abord que si la relation
entre niveau de formation et niveau de compétence est assez solide en matière de formation
initiale, celle-ci est beaucoup plus aléatoire en ce qui concerne la formation continue dans
la mesure où l’objectif que les entreprises assignent à celle-ci n’a en soi rien de stable. Un tel
changement de logique en matière de contenu de la formation se serait précisément produit
au cours de la décennie 1980. Les entreprises qui précédemment privilégiaient une formation
qualifiante débouchant sur une promotion se sont alors tournées vers des formations orien-
tées vers la seule adaptation au poste de travail. Dès lors, le lien entre formation continue et
productivité et entre productivité et salaire, caractéristique de la théorie du capital humain, ne
pouvait qu’être rompu. On comprend dès lors qu’une augmentation de salaire consécutive à
la formation soit possible même en période de formation-adaptation (Goux et Maurin, 1997),
mais cette hausse tiendrait uniquement au fait que seuls ont eu accès à la formation ceux qui
avaient déjà été jugés plus efficaces dans leur travail.

1. G. Podevin (1998), « De la formation à la promotion : un chemin de moins en moins certain, soumis aux
contraintes économiques des entreprises », in B. Clasquin, H. Lhotel (1998). La Formation professionnelle
continue. Tendances et perspectives, Marseille, Céreq, 37-52.
2. Conseil d’analyse économique (2000). Formation tout au long de la vie. Rapport d’André Gauron, commen-
taires de Michel Didier et Thomas Piketti, complément de Robert Boyer, n° 22, Paris, La Documentation française.

75
Traité des sciences et des techniques de la formation

Faut-il conclure définitivement de ces analyses que la formation continue ne rapporte pas
grand-chose, sinon des gratifications peu perceptibles ? On préférera peut-être insister sur le
caractère contingent des résultats issus des travaux sur l’efficacité la formation continue. Il n’en
reste pas moins que cette « non-visibilité » de la formation dont fait état une étude du Céreq
à partir de données issues de l’enquête « Formation continue 2000 » est très préoccupante. Il
apparaît, en effet, qu’en matière d’« appétence » pour la formation1, « l’un des principaux moteurs
de l’engagement en formation réside toujours dans les bénéfices financiers que le salarié espère
en retirer ».

Quoi qu’il en soit, en matière de formation continue, la théorie du capital humain, fondée sur
la relation bilatérale entre employeur et salarié, demeure, pour les économistes, le paradigme
de référence. Ils en soulignent les limites, mais sans toutefois abandonner ses hypothèses de
départ. À cet égard, l’approche organisationnelle de la formation proposée par S. Hanchane et
F. Stankiewicz (2004)2 constitue une alternative à la problématique dominante. Elle se détourne
de la relation employeur-salarié pour se centrer sur l’entreprise elle-même et ses « contextes
organisationnels » de la formation (la promotion, le recrutement, la mobilité interne…). Des
matériaux importants existent (notamment l’enquête FC 2000), il conviendra de les mobiliser
dans une perspective théorique à construire.

2. L’entreprise et la théorie
de l’investissement formation

La question de la formation comme investissement a surgi dans le milieu des années 1980.
Un rapport du Commissariat général du plan, Développer la formation professionnelle (1985),
soulignait l’insuffisance de l’effort de formation des entreprises par rapport aux impératifs de
modernisation, d’emploi et d’investissement. La raison de cette faiblesse était recherchée dans
une prise de conscience insuffisante des chefs d’entreprise pour qui la formation ne devait plus
être considérée comme une dépense sociale mais comme un investissement. Le thème était
ainsi lancé.

1. C. Fournier (2004). « Aux origines de l’inégale appétence des salariés pour la formation », Bref Céreq, 209.
2. S. Hanchane, F. Stankiewicz (2004). « Approche organisationnelle de la formation : au-delà de la problématique
beckérienne », Formation emploi, 85, 23-40.

76
L’économie de la formation ■ Chapitre 2

La théorie du capital humain aurait pu constituer un cadre d’analyse adéquat des processus
de formation en termes d’investissement. Elle est bien, comme le rappelait F. Berton1, à la
fois une théorie de la demande d’éducation par les individus et de la demande de formés par
l’entreprise, même si ce second aspect a été moins développé que le premier et qu’il repose sur
des hypothèses moins assurées.

L’entreprise qui a investi en capital humain dans la personne d’un de ses salariés est supposée
récupérer son investissement sous la forme de suppléments de productivité. Le salarié, quant
à lui, doit percevoir un supplément de salaire lié à la croissance de sa productivité marginale.
L’investissement en capital humain présente toutefois un risque élevé pour l’entreprise en raison
de son incorporation dans une personne. Celle-ci, en effet, reste maîtresse de ses efforts et libre
de ses mouvements. Change-t‑elle d’emploi et l’investissement initial sera valorisé dans une
autre entreprise qui bénéficiera du surcroît de productivité d’un individu dont elle n’aura pas
financé la formation.

Pourtant, si les références explicites à la théorie du capital humain n’ont pas manqué, par
contre son usage comme cadre d’analyse a été rare, et le renouveau du « paradigme du capital
humain » souhaité par W. Clément2 n’est pas survenu.

Deux autres voies se sont ouvertes, celle de l’approche par la théorie de l’investissement
immatériel et celle de l’approche par les modèles de production.

2.1 L’approche par la théorie de l’investissement immatériel


Dès le milieu des années 1980, la réflexion sur l’investissement formation s’est inscrite dans
la problématique plus large de l’investissement immatériel (appelé encore « investissement dans
l’intelligence3 ») alors particulièrement vivace. Cette problématique repose sur l’idée que les
entreprises peuvent jouer sur les composantes de l’investissement immatériel pour accroître leur
productivité comme elles le font pour un investissement matériel, technologique ou stratégique.
S’ouvrait alors un vaste chantier sur la composante formation de l’investissement immatériel dont
le numéro d’Éducation permanente dirigé par Pierre Caspar (1988)4 rend très précisément compte.

1. F. Berton (1988). « Capital humain : une théorie d’actualité », in « L’Investissement formation », Éducation
permanente, 95, 33-39.
2. W. Clément (1988). « Pour un renouveau du paradigme du capital humain », in « L’Investissement formation »,
Éducation permanente, 95, 21-31.
3. P. Caspar, C. Afriat (1988). L’Investissement intellectuel : essai sur l’économie de l’immatériel, Economica.
4. P. Caspar (dir.) (1988). « L’Investissement formation », Éducation permanente, 95.

77
Traité des sciences et des techniques de la formation

L’approche retenue renvoyait à une situation où la formation devait participer à des démarches
globales de changement situées immédiatement à l’aval des décisions stratégiques. L’idée de base
qui commandait cette approche était qu’il convenait non pas d’isoler l’investissement formation,
mais, tout au contraire, de le considérer comme une composante d’un investissement global et
de le traiter de telle sorte que sa contribution propre s’inscrive dans la logique de l’investissement
global. Toutes les dépenses de formation ne devaient pas être assimilées à des investissements.
G. Le Boterf1 proposait ainsi de distinguer deux grandes catégories de dépenses de formation :
les dépenses courantes de formation qui visent à maintenir le patrimoine de l’actif des compé-
tences de l’entreprise à un bon niveau de compétitivité et les dépenses de formation liées à des
projets stratégiques de changement qui, relevant de l’investissement, développent les capacités
productives de l’entreprise et lui permettent d’innover. Le développement d’une telle approche
gestionnaire de l’investissement formation devait déboucher, en particulier, sur la construction
de systèmes de gestion permettant de mesurer l’effort réel de formation et sa contribution à
l’efficacité de l’entreprise. La conclusion générale qui se dégageait de cet examen était que si
« parler » d’investissement en matière de formation est logique et positif, par contre considérer
la formation comme un investissement, au sens strict, est illusoire et parfois dangereux. Dans ces
conditions, investir dans la formation résiderait moins dans l’application d’une méthodologie que
dans le respect d’un certain esprit de rationalisation des activités, lui-même animé par « un désir
d’explicitation, de dialogue et de négociation sur les processus qu’elles engagent » (P. Caspar).

2.2 L’approche économique par les modèles de production


Une étude de l’Insee, conduite par Y. Carriou et F. Jeger, est venue, en 1997, reprendre, à
frais nouveaux, la question de l’investissement. Elle pose d’entrée que, la formation n’étant plus
aujourd’hui un instrument de promotion sociale et d’éducation permanente, on peut désormais
« l’assimiler à un investissement économique et mesurer son effet sur la production2 ». Elle
contribue donc à augmenter la valeur ajoutée par l’entreprise. C’est ce qu’atteste « son introduc-
tion dans des fonctions de production de différents types : certains de ces modèles permettent
de conclure à des rendements décroissants, à une complémentarité avec le capital, et à une
substituabilité avec le travail ».

Au total, les voies ouvertes par ces approches de l’investissement formation se révèlent
étroites. On serait sans doute tenté de conclure, avec Cahuc et Zilberberg (2006), que « ces

1. G. Le Boterf (1989). « Comment investir en formation : les démarches d’investissement appliquées à la forma-
tion », Études et expérimentations en formation continue, 2, 2-6.
2. Y. Carriou, F. Jeger (1997), « La formation continue dans les entreprises et son retour sur investissement »,
Économie et statistique, 303, 45-58.

78
L’économie de la formation ■ Chapitre 2

analyses, encore trop rares, n’ont pas permis de dégager une vision cohérente de l’impact de la
formation professionnelle sur la productivité », encore que cet impact soit positif. La position est
sans doute raisonnable, mais elle n’est pas confortable. Elle ne lève pas ce doute qu’exprimait,
en 1988, Édouard Rafinon1, et qui lui faisait dire que « la formation est (parfois) un investis-
sement ». Dans cet esprit, ne serait-il pas utile de chercher à revenir sur cette approche par le
moyen d’une étude empirique, sur la question de l’entreprise comme « lieu d’investissement »
du capital financier et du capital humain ?

Dans un ouvrage plus récent, Pierre Caspar2 fait retour sur la question de l’émergence de
l’investissement immatériel et l’importance accordée au thème de l’investissement formation
depuis les années 1980. Il y voit une irruption de la pensée et du langage économiques dans le
champ de la formation managée par les entreprises ; avec celle-ci, la formation entre « dans une
logique financière commune à tous les secteurs d’activité ». Au-delà, la démarche de l’investis-
sement formation s’est heurtée à l’absence d’outils comptables qui auraient permis d’opérer les
mesures et les quantifications nécessaires. Il n’en reste pas moins que l’usage de l’expression
sera venu rappeler aux responsables de formation qu’ils ont à « penser » et à « raisonner en
investisseurs ». Aujourd’hui, l’expression conserve sa force, encore que le monde de l’entreprise
soit engagé, face aux contraintes, dans d’autres logiques.

Cet ouvrage est à lire ou relire en un moment où la loi du 5 mars 2014 a fait sauter « le verrou
du 0,9 % ». En effet, les entreprises de plus de 300 salariés voient disparaître l’obligation qui leur
était faite de consacrer au moins 0,9 % de leur masse salariale au titre du plan de formation ;
faute de quoi, en cas de dépense insuffisante, elles devaient verser la différence à un OPCA ou
au Trésor. Autrement dit, ces entreprises étaient tenues de « former ou payer ». Aujourd’hui,
elles sont en mesure de considérer qu’elles investissent.

3. Les prestataires de formation et l’approche


par « l’appareil de formation »

La manière dont le milieu professionnel de la formation, économistes y compris, a longtemps


abordé la situation des prestataires de formation a toujours surpris les observateurs extérieurs.

1. E. Rafinon (1988). « La formation est et n’est pas un investissement », Éducation permanente, 85, 99-110.
2. P. Caspar (2011), La formation des adultes hier, aujourd’hui, demain, Paris, Eyrolles, Éd. d’Organisation,
p. 115-152.

79
Traité des sciences et des techniques de la formation

Dans son rapport, André Gauron1 constate que « dans le monde de la formation continue,
l’habitude s’est prise de qualifier de « marché de la formation » les prestations réalisées par des
organismes de formation ». Un tel usage du concept de marché est particulièrement significatif
des distorsions de langage que connaît le vocabulaire économique dans le monde de la formation.
Dans le langage courant du milieu, l’expression de marché de la formation est souvent utilisée
pour désigner, non pas la rencontre de l’offre et de la demande, mais les seuls « producteurs »
de formation, tout comme celle d’offre de formation est employée pour nommer, non point
seulement les produits de formation, mais également ceux qui les offrent. D’un autre côté, dans
ce même contexte professionnel, la notion de marché de la formation se trouve concurrencée
en tant que cadre d’analyse par d’autres notions telles que celle d’appareil de formation ou de
système de formation continue. Ces habitudes de langage renvoient à la représentation, qui
s’est formée dès les années 1960, d’un système de formation continue dont le caractère propre
– secteur marchand, secteur non marchand, tiers secteur ? – était encore largement incertain.
Très tôt, cette incertitude a fait problème et suscité des questions, par voie de conséquence des
recherches. Dans le temps, on peut ainsi distinguer quatre grands moments du point de vue de
la recherche.

3.1 Une approche en termes de pôles et de tutelles


Le premier moment (1975-1982) est plus particulièrement marqué par les travaux du GREE
sur l’appareil de formation lorrain2. Ces travaux qui se détournaient de la problématique alors
dominante du « marché de la formation », proposaient une approche en termes de pôles et de
tutelles. Cette prise de distance se fondait sur un triple argument : le « produit formation » ne
pouvait être assimilé purement et simplement à toute autre marchandise ; les comportements
des demandeurs (les entreprises) ni ceux des offreurs (les prestataires de formation) ne pouvaient
être réduits à la recherche, par les uns, d’une satisfaction au moindre coût et, par les autres,
d’une maximisation des profits ; leurs relations ne pouvaient pas non plus s’analyser seulement
comme un échange marchand régulé par les prix.

1. A. Gauron (2000), « Formation tout au long de la vie », Conseil d’analyse économique, Paris, La Documentation
française.
2. P. Méhaut, P. Rabanes, G. Vautrin (1978). Formation continue, gestion du personnel et marché de la formation :
une étude régionale du système français de formation continue, Paris, CNRS, 115 p.

80
L’économie de la formation ■ Chapitre 2

3.2 Une approche en termes de logique de fonctionnement


Le deuxième moment (1988-1990) est principalement représenté par le programme de
recherche sur « les mutations de l’appareil de formation » lancé par la Délégation à la forma-
tion professionnelle1. L’existence effective d’un marché de la formation était centrale, mais elle
importait beaucoup moins que l’affirmation selon laquelle les organismes de formation doivent
obéir à une logique marchande et qu’analyser les activités de formation, c’est analyser des acti-
vités marchandes. Ce que l’expression de logique marchande voulait signifier, c’est qu’une même
logique de fonctionnement s’impose à tous les acteurs de la formation, et donc aux organismes
de formation. Attachés non pas à distribuer des « prestations » plus ou moins gratuites, mais à
produire des « services » adaptés, ils devaient être à la fois plus efficaces et plus efficients. Il leur
fallait donc rechercher les moyens d’une amélioration de la qualité de leur production, de leur
productivité et de leur rentabilité et se doter à cet effet d’instruments de pilotage et de gestion
adaptés.

3.3 Une approche en termes de secteur et de branche


Le troisième moment (1993-1996) se caractérise par une approche des organismes de forma-
tion en termes de « secteur » ou de « branche » et se traduit par la mise en œuvre de « travaux
lourds », en particulier l’enquête du Cereq sur les activités des organismes de formation continue2
et le contrat d’études prospectives sur les organismes privés de formation lancé à la demande de
la Commission paritaire nationale de l’emploi des organismes de formation3. L’enquête du Cereq
a porté sur l’activité en 1993 d’un échantillon de 645 organismes de formation ayant déclaré au
moins 1 million de francs de chiffre d’affaires en 1992. Le contrat d’études prospectives s’est
intéressé au secteur d’activité formation, au sens de l’Insee ; ce secteur qui constitue le cœur de
l’activité rassemble alors quelque 5 500 organismes. Ces deux types de travaux, pour différents
qu’ils soient, ont modifié assez radicalement l’image courante que l’on avait d’un univers atomisé,
dépourvu d’homogénéité, pour lui substituer celle d’un secteur d’activité clairement identifié.

1. « Investir en formation » (1989). Études et expérimentations en formation continue, 2, 1-17.


2. F. Aventur et al. (1995). « Les activités des organismes de formation continue », Cereq, Bref Céreq, 115.
3. DGEFP, CPNE-OF, Interface (1998). Les Organismes privés de formation : enjeux et perspectives des emplois
et des compétences, Paris, La Documentation française.

81
Traité des sciences et des techniques de la formation

3.4 Une approche en termes de positionnement


et de régulation
Un quatrième moment (2000-2010) a vu se poursuivre les travaux du Cereq sur la base de deux
questionnements : l’un portant sur les « logiques de positionnement » adoptées par les offreurs
de formation (Véro et Rousset, 2003), l’autre sur les « modes de régulation » qui se mettent en
place dans ce marché segmenté (Séchaud et Pottier, 2007). La première étude1 a cherché à réaliser
une typologie des pôles de compétences des offreurs de formation sur la base des stratégies de
positionnement sur le marché que ces offreurs adoptent. La seconde étude2, qui a pour objet
les modes de régulation de l’offre de formation continue, revient sur cette segmentation du
marché de la formation en privilégiant le dualisme privé-public, à savoir le monde des grandes
entreprises et la sphère des politiques publiques.

Au total, il faut bien l’admettre, le recours dans ces différents travaux à la notion de marché
semble avoir eu moins pour objet de mettre à jour des processus d’ajustement de l’offre et de
la demande par le moyen des prix que d’insister sur le fait que les organismes de formation
sont toujours peu ou prou placés dans la situation de n’importe quelle entreprise et qu’ils ont
à adopter des stratégies de développement et de modes de gestion internes qui soient en cohé-
rence avec leur activité.

Une telle vision du marché de la formation a conduit André Gauron à avancer l’idée quelque
peu inhabituelle d’un « marché sans prix » Plus étonnant encore lui apparaît le désintérêt mani-
festé par les économistes de la formation vis-à‑vis de cette question : « Bien que ceux-ci soient
accessibles au niveau des branches et des organismes de formation, aucune des études qui traitent
du “marché de la formation” ne mentionne de prix. » Qu’en conclure ? « Inefficacité du marché
ou absence de “marché” de la formation ? »

Robert Boyer, dans un texte de complément au rapport d’André Gauron, revient sur cette
question de la possibilité de constitution d’un marché de la formation3. De son point de vue, sans
nier l’utilité d’une simplification des procédures actuelles, il lui semble important de souligner
les obstacles structurels qui pèsent sur l’existence d’un marché de la formation « en bonne et
due forme ». L’existence d’un marché de la formation supposerait, en effet, qu’il soit possible

1. J. Vero, P. Rousset (2003). « L’offre de formation continue. Regard des prestataires sur leur activité », Bref
Céreq, 199.
2. F. Séchaud, E. Pottier (2007). « La formation continue : un marché segmenté dans lequel se construisent
pourtant des ponts », Bref Céreq, 247.
3. R. Boyer (2000). « La formation professionnelle au cours de la vie : analyse macroéconomique et comparaisons
internationales », complément au rapport d’André Gauron, op. cit.

82
L’économie de la formation ■ Chapitre 2

de définir des standards qui codifient les objectifs et le contenu de la prestation de formation.
Cette standardisation conditionne la possibilité de mobilité des salariés vers des entreprises
qui accordent une rémunération supérieure aux mêmes compétences. Or il se trouve que la
formation continue voulue par les entreprises s’accommode mal d’une telle standardisation.
Les entreprises attendent de la formation continue qu’elle sache en permanence s’adapter à
des situations chaque fois différentes. Par ailleurs, leur intérêt est de stabiliser et fidéliser leurs
salariés et non de favoriser leur accès à des formations certifiées qui faciliteraient leur mobilité.
Enfin, les entreprises devant faire face à des besoins en « compétences en voie d’émergence » ne
trouveraient pas de réponse adaptée sur un marché de la formation standardisé.

Pierre Capdevielle, en 1996, lors des journées d’étude du réseau des centres associés au Cereq1,
avait proposé une analyse quelque peu différente. Au terme d’une lecture de l’ensemble des
recherches qui avaient pris pour référence la notion de marché de la formation continue, il
faudrait, lui semblait-il, parler moins d’un marché de la formation que de marchés situés dans le
champ de la formation continue, tels que le marché des formateurs, le marché de l’information
sur la formation, le marché des formés, le marché des équipements de formation continue… Le
marché, s’il existe, serait un résultat, celui du jeu d’un ensemble de marchés « non standard »
ou de « concurrence imparfaite ». Au total, il serait préférable de conclure à la non-pertinence
de la catégorie de marché appliquée à la formation continue, sauf à vouloir « créer » un mythe,
une croyance quasi religieuse.

Avec la loi du 5 mars 2014, une période de transition souvent complexe s’est ouverte pour
les organismes de formation, compliquée pour certains par une baisse du chiffre d’affaires. Un
paysage nouveau a commencé à se dessiner dont on ne connaît encore que les grands traits. Ici
encore des études et recherches seront à conduire.

4. Conclusion
Il n’est guère contestable que les horizons de l’économie de la formation se sont considérable-
ment élargis depuis une vingtaine d’années. Cependant, beaucoup de certitudes et d’évidences
ont été ébranlées. Il n’en reste pas moins que l’essentiel de l’effort d’investigation continue de se
porter sur ce qui, dans le système de formation continue, fonctionne effectivement comme un
secteur d’activité et comme un marché. La manière la plus habituelle de considérer la formation
comme une activité économique parmi les autres consiste à tenter de l’appréhender à partir des

1. P. Capdevielle (1998). « Réflexions sur la catégorie de marché appliquée à la formation professionnelle


continue », in B. Clasquin, H. Lhotel (1998), op. cit., p. 265-276.

83
Traité des sciences et des techniques de la formation

catégories classiques de l’analyse économique. Elle fait l’objet d’une production et a, de ce fait,
une fonction de production et des coûts de production ; ses structures de production marchandes
ou hors marché ont des inputs et des outputs qui, pour certains, font l’objet de transactions sur
le marché de la formation ou sur les sous-marchés plus ou moins articulés qui le composent.
Pourtant, l’une des principales difficultés réside dans le caractère quelque peu énigmatique, à
force d’indétermination, que prennent ces catégories quand elles sont appliquées à la formation.
Qui peut dire avec certitude ce qu’est le produit-formation ? la relation offre-demande ? les
structures de coût de production ? le rôle du prix dans la décision de recourir à la formation ?

Un des principaux axes de progrès réside probablement dans la prise en compte des besoins
réels de l’individu ou, si l’on préfère, de l’apprenant. Les avancées en direction de la reconnais-
sance d’un droit individuel à la formation et de la validation des acquis de l’expérience sont
bien réelles. Pourtant, pour le dire dans le langage de l’économie des services, la qualité de la
formation sera d’autant plus grande que le client aura pu « remonter » plus haut dans le processus
de production du service : de la co-évaluation des effets vers la coproduction du service et de
celle-ci jusqu’à la coproduction des objectifs. Cette remontée, pour être effective, nécessiterait
sans doute le développement de nouvelles formes d’individualisation de la formation et d’une
ingénierie de formation qui soit « participative » ou « négociée ». Un ouvrage de Philippe Carré
(2005) aborde cette approche à la lumière de l’économie de la connaissance. Une telle évolution
supposerait nécessairement des arbitrages financiers en faveur des mesures d’accompagne-
ment de l’individu, suffisamment importants pour que l’on puisse parler de nouveaux marchés
(sinon de nouvelle économie) qui auraient nom de « marché de l’ingénierie des itinéraires » et
de « marché de la validation des acquis ».

Face à cette incertitude, la prise en compte, dans la réflexion sur la formation, des problé-
matiques de l’économie des services devrait jouer un rôle non négligeable. Le moment est donc
probablement venu de reconnaître que, dans ces zones frontalières d’activité où s’imbriquent
étroitement le personnel et le professionnel, l’individu et l’organisation, la formation et le travail,
chercheurs et décideurs, mais sans doute aussi prescripteurs et formateurs, se découvrent tenus
d’avancer ensemble, encore que le jeu soit complexe et les intérêts souvent divergents. Leur
coopération nécessite plus que jamais que soient aménagés des lieux de rencontre où puissent
être débattues, sur la base d’inventaires communs, les questions en friche.

84
L’économie de la formation ■ Chapitre 2

Lectures conseillées
Albertini J.-M. (1992). La pédagogie n’est plus ce C aspar P. (2011). La Formation des adultes
qu’elle sera, Paris, Le Seuil/Presses du CNRS. hier, aujourd’hui, demain, Eyrolles-Éd.
Bonamy J., Voisin A. (dir.) (1996 et 2001). « La qualité d’Organisation.
de la formation », Éducation permanente, Conseil d’analyse économique (2000). Formation tout
126. au long de la vie. Rapport d’André Gauron,
« La qualité de la formation en débat », Éducation commentaires de Michel Didier et Thomas
permanente, 147. Piketty, complément de Robert Boyer, n° 22,
La Documentation française.
Carré P. (2005). L’apprenance. Vers un nouveau
rapport au savoir, Paris, Dunod. T anguy L. (dir.) (1986). L’Introuvable Relation
formation/emploi. Un état des recherches en
Caspar P. (dir.) (1988). « L’investissement forma-
France, Paris, La Documentation française.
tion », Éducation permanente, 95.

85
Chapitre 3
Sociologie
de la formation
post-scolaire1

1. Par Charles Gadea et Coralie Perez. Claude Dubar, co-auteur d’une version antérieure, est décédé avant la
révision de la précédente version. Nous dédions ce chapitre à sa mémoire.
Sommaire
1. Politiques publiques : de la promotion sociale
au compte personnel de formation........................................................................ 90
2. Pratiques de formation et rapports sociaux en entreprise.................................... 93
3. L’évolution des approches sociologiques de la formation post-scolaire................ 95
4. Conclusion............................................................................................................. 100
Lectures conseillées.................................................................................................. 102
La sociologie de la formation n’a rien d’une branche récente ou mineure de la sociologie. Elle
s’appuie sur un fond d’interrogations et d’analyses initiées dès les années 1950-1960, et la place
qu’elle occupe parmi les centres d’intérêt des chercheurs s’est accrue, au point de se voir parfois
érigée en spécialité rivale de la sociologie de l’éducation1. Pourtant, elle demeure un ensemble
complexe et mal unifié. On peut songer à un carrefour où se rencontrent des lignes diverses de
recherche, venant les unes de la sociologie de l’éducation, les autres de la sociologie du travail et
des organisations ou de la sociologie de la mobilité sociale, mais aussi de la psychologie sociale,
de l’histoire et de l’économie. Un relatif consensus la situe au cœur d’un faisceau de travaux
gravitant autour du thème de la relation entre la formation et l’emploi, une relation depuis
longtemps réputée « introuvable2 ».

Sans doute une part de la difficulté à définir son domaine tient-elle aux ambiguïtés du vocabu-
laire. Des termes tels que formation, formation professionnelle initiale ou continue, formation ou
éducation permanente, auxquels s’ajoute la « formation tout au long de la vie » (lifelong learning),
lancée par la Communauté européenne en 1996, s’inscrivent dans une histoire tissée d’entrelacs
et d’oppositions subtiles qui requièrent de longs ouvrages pour en rendre les nuances. Cette
confusion ne dure-t‑elle que par manque de conceptualisation ? C’est en partie vrai, tant les
schèmes de pensée les plus divers s’accumulent sans qu’une perspective sociologique d’ensemble
parvienne à s’imposer et ordonner le paysage théorique, mais cette diversité reflète aussi sa vita-
lité. Plutôt que de viser une improbable résolution des problèmes théoriques, nous essaierons
de rendre compte des débats et de leur évolution.

Commençons par préciser rapidement en quel sens nous parlons de formation post-scolaire.
Avec C. Maroy, nous partirons de l’idée que la formation est dite professionnelle lorsqu’elle
« définit son public cible ou son contenu en référence aux activités de travail3 ». Elle peut être
considérée comme continue si, d’un point de vue pédagogique, elle s’appuie sur une expérience
antérieure de formation initiale. Mais, dans un sens plus large, toute formation s’adressant à
des personnes insérées dans la vie active, qu’elles soient en emploi ou au chômage relève de la
formation continue. Puisqu’elle s’adresse alors à des individus qui ont quitté le système scolaire,
la formation continue peut être qualifiée de post-scolaire et ces deux termes deviennent inter-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

changeables. Contrairement à l’expression « formation permanente », qui désigne en même

1. L. Tanguy (1998). « La formation, une activité sociale en voie de définition », in De Coster et Pichault (éd.),
Traité de sociologie du travail, Bruxelles, De Boeck Université, 2e éd., p. 185-212 ; L. Tanguy « La fabrication
d’un bien universel » in Brucy, Caillaud, Quenson, Tanguy (éd.), Former pour réformer. Retour sur la formation
permanente (1944-2004), Paris, La Découverte, p. 31.
2. L. Tanguy (1986). « Introduction », in L. Tanguy (dir.), L’Introuvable Relation formation-emploi, Paris, La
Documentation française, p. 7-34.
3. C. Maroy (1998). « La formation en entreprise : de la gestion de la main-d’œuvre à l’organisation qualifiante »,
in De Coster et Pichault (éd.), Traité de sociologie du travail, Bruxelles, De Boeck Université, 2e éd., p. 297.

89
Traité des sciences et des techniques de la formation

temps, de manière un peu floue, un idéal éducatif global reliant formation initiale et éducation
des adultes et des pratiques individuelles de formation très variées, souvent à dominante cultu-
relle, la notion de formation post-scolaire renvoie à des dispositifs de formation continue, dont
les contours ont été progressivement tracés, en France, par une série de dispositions légales, en
particulier par la loi de 19711.

Tout comme les pratiques et institutions concernées, les objets de recherche regroupés sous
cette étiquette forment un assemblage hétéroclite reflétant les flottements de la terminologie
et la divergence des perspectives de recherche. Pour tenter de donner un aperçu, nécessaire-
ment limité et partial, des approches sociologiques que nous jugeons les plus représentatives,
nous organiserons l’exposé autour de trois grandes dimensions. L’étude des politiques et des
dispositifs de formation (1) précédera celle des pratiques et rapports sociaux de formation en
entreprise (2), qui débouchera sur une analyse de l’évolution des approches sociologiques de
la formation post-scolaire (3) et nous amènera à conclure en interrogeant quelques résultats
d’enquêtes internationales.

1. Politiques publiques : de la promotion sociale


au compte personnel de formation

Même si elle a été précédée par des initiatives diverses (création des IPST en 1947, ouverture
des centres associés du Cnam en 1952 « Cours de perfectionnement conduisant à la promo-
tion ouvrière » en 1948…), la loi du 31 juillet 1959 relative à la « promotion sociale » marque
le début d’une véritable prise en charge législative de la question de la formation post-scolaire
en France. Dans un pays marqué par les pénuries de main-d’œuvre de l’après-guerre et par de
profondes divisions sociales et politiques, le gouvernement gaulliste de cette période se fixe un
double objectif : favoriser la promotion du travail pour lutter contre les inégalités sociales et
élever le niveau de formation et de qualification des salariés. Il faut bien garder à l’esprit que si
les visées économiques ne sont pas absentes, elles ne constituent pas l’argumentation centrale
du projet d’alors.

C’est par la suite que cette dimension prendra une place croissante, jusqu’à faire disparaître
toute référence à la promotion sociale, au profit de la seule formation professionnelle. Ainsi, la
fameuse « loi Delors » de juillet 1971 prolonge par certains aspects la « loi Debré » de 1959, la

1. C. Dubar, C. Nasser (2015). La Formation professionnelle continue, Paris, La Découverte, coll. « Repères ».

90
Sociologie de la formation post-scolaire ■ Chapitre 3

formation étant affichée comme un point clé du dialogue social qui doit concilier les intérêts
des entreprises et des salariés. Mais elle consacre aussi un retournement amorcé dès les lois
de 1966 et 1968 : c’est le développement économique, et plus particulièrement la régulation de
l’emploi, qui concentrent les priorités de l’État. La promotion sociale passe au second plan1.

Cette loi introduit une distinction entre les opérations de formation prévues dans les plans de
formation des entreprises (de plus de 50 salariés) et financées par une contribution obligatoire
des employeurs et le congé individuel de formation (CIF), relevant de l’initiative individuelle
des salariés, financé par des organismes mutualisateurs. La logique économique prime dans
l’orientation des formations « à l’initiative de l’employeur » (stages courts visant à accroître la
compétitivité) qui forment la grande masse des opérations de formation, alors que les formations
suivies « à l’initiative des salariés », notamment dans le cadre du CIF, concernent des effectifs
beaucoup plus réduits, débouchent sur des formations longues, diplômantes, et relèvent encore
d’une logique de promotion sociale qui, dès la fin des années 1970, a du mal à trouver ses finan-
cements et à s’articuler avec la logique précédente.

La loi de 1984, dite « loi Rigout », puis la loi quinquennale de décembre 1993 font de la
formation un moyen de réponse à la crise de l’emploi et d’adaptation aux mutations techno-
logiques. Ce glissement conduisant à affecter les fonds publics aux dispositifs d’insertion des
jeunes et de formation pour les chômeurs ne laisse plus qu’une place résiduelle aux formations
promotionnelles. Désormais, les impératifs économiques dominent le champ de la formation
devenue instrument du maintien de l’employabilité des salariés. Elle doit viser l’acquisition des
« compétences recherchées par les entreprises » et celle-ci est de plus en plus individualisée. La
formule de l’Union européenne « la formation tout au long de la vie », ne fait que renforcer, à
partir de 1996, cette logique : chaque individu est appelé à devenir l’entrepreneur de sa propre
formation continue.

L’accord national interprofessionnel signé en septembre 2003 par l’ensemble des organisations
syndicales, patronales et salariées, repris par la loi du 4 mai 2004 « Relative à la formation tout au
long de la vie professionnelle et au dialogue social », consacre cette logique visant à « permettre
à chaque salarié d’être acteur de sa formation ». Dispositif phare de cette réforme du système
institutionnel de formation continue, le droit individuel à la formation (DIF) devait apporter des
réponses à deux enjeux : réduire les inégalités d’accès à la formation et permettre aux salariés de
se prémunir contre les aléas de leur carrière professionnelle. Un premier jalon avait été posé avec
la validation des acquis de l’expérience (VAE) en 2002, qui autorise l’attribution de la totalité d’un
titre ou d’un diplôme sur la base de l’expérience acquise dans une activité salariée ou bénévole.

1. C. Dubar, C. Gadea (dir.) (1999). La Promotion sociale en France, Villeneuve d’Asq, Presses universitaires
du Septentrion.

91
Traité des sciences et des techniques de la formation

Les travaux préparatoires à cette réforme avaient rappelé la persistance de fortes disparités
d’accès aux formations financées par l’employeur, au détriment des salariés les moins qualifiés et
de ceux travaillant dans les petites et moyennes entreprises. L’écart croissant entre les formations
financées par l’entreprise et celles suivies au titre du CIF, dont les effectifs stagnent (environ
20 000 par an) et dont les acquis restent peu reconnus par l’entreprise, a rendu nécessaire la
création d’une voie intermédiaire. Plusieurs tentatives (telles que l’accord interprofessionnel sur
le co-investissement en 1991 ou le capital temps formation en 1993) visant la co-construction,
par l’employeur et le salarié, d’un projet de formation individualisé avaient jusque-là échoué
faute de soutien et de consensus des organisations syndicales représentatives des salariés.

La réforme de 2004 est engagée dans un contexte marqué par une convergence d’intérêts
politiques et syndicaux pour créer une « assurance-emploi » ou « une sécurité sociale profession-
nelle ». Les débats autour de la réforme du système se sont nourris de propositions consistant à
désencastrer la formation de l’emploi pour la rattacher, au moins en partie, à l’individu : droits
de tirage sociaux, droit individuel transférable et garanti collectivement, passeport formation.
Les partenaires sociaux ont fini par s’entendre sur le DIF, un compte individuel de formation
abondé par l’entreprise mais « activé » à l’initiative du salarié avec l’accord de son employeur.
Bien que novateur, le DIF ne fournit pas une réponse suffisante à tous les objectifs de la réforme.
Il s’est vu en particulier reprocher de ne pas être transférable en cas de mobilité professionnelle.

À la suite de deux accords nationaux interprofessionnels de 2008 et 2009, la portabilité du


DIF a été étendue et, parallèlement, un « fonds paritaire de sécurisation des parcours profession-
nels », abondé par une partie des contributions obligatoires des entreprises à la formation est
créé en 2009. Il est destiné à financer l’accès à la qualification et à la requalification de salariés
et de demandeurs d’emploi ciblés. Le « droit à l’information, l’orientation et la qualification
professionnelles » est réaffirmé par la loi du 24 novembre 2009 qui crée un service de conseil et
d’orientation professionnelle « dématérialisé gratuit et accessible à toute personne ».

Faut-il voir dans ces dernières législations un retour partiel vers l’esprit de l’éducation perma-
nente (VAE, DIF) et de la promotion sociale ? Les changements récents suggèrent plutôt qu’il
s’agit de mettre en avant la figure d’un individu autonome rendu responsable du maintien de
sa capacité à occuper un emploi tout au long d’un parcours professionnel désormais envisagé
comme discontinu.

À la suite d’un accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 sur la « sécurisation de


l’emploi » (repris dans la loi du 5 mars 2014) est créé le compte personnel de formation (CPF).
Ouvert dès l’entrée sur le marché du travail et mobilisable jusqu’à la retraite, ce compte individuel
est alimenté annuellement par l’entreprise et ponctuellement par d’autres financeurs. Plus encore
que le DIF, auquel il se substitue à partir de 2015, il entend découpler la formation de l’emploi en

92
Sociologie de la formation post-scolaire ■ Chapitre 3

« attachant ces nouveaux droits à la personne elle-même et non au statut ». Cependant, la mobili-
sation de ce dispositif doit respecter des conditions qui rappellent que, dans l’esprit des partenaires
sociaux, ce compte est davantage un outil d’accompagnement des parcours professionnels qu’un
droit universel à l’éducation permanente. Ainsi, les formations éligibles à ce financement doivent
faire partie d’un « socle de connaissances et de compétences » ou de listes de formations priori-
taires établies par les branches professionnelles. L’aide au choix de la formation est renforcée par la
création d’une prestation de « conseil en évolution professionnelle », dispensée gratuitement dans
le cadre du service public régional de l’orientation au titre des « nouveaux droits individuels pour
la sécurisation des parcours » (loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi). Depuis les
années 2000, les sphères de l’orientation professionnelle des adultes et de la formation post-scolaire
sont ainsi de plus en plus intriquées pour accompagner l’individualisation croissante des politiques
d’emploi et de formation, dans un contexte de chômage massif et de précarisation de l’emploi.

Ce mouvement vers l’individualisation des droits dans le champ de l’emploi et de la formation


n’est pas achevé puisqu’à peine le CPF mis en œuvre, était annoncée la création d’un compte
personnel d’activité destiné à faciliter l’accès de chacun à ses droits sociaux, parmi lesquels la
formation professionnelle. Ces politiques publiques suscitent de nombreux travaux qui ques-
tionnent notamment les fondements et les enjeux des « comptes individuels » comme instrument
privilégié d’action publique1, ainsi que les conditions propices à développer la capacité à agir
des salariés en matière d’évolution professionnelle2.

2. Pratiques de formation et rapports sociaux en entreprise


La question de la formation en entreprise figure parmi les centres d’intérêt des sociolo-
gues depuis les travaux de P. Naville et de G. Friedman. De premières recherches empiriques
comparant les politiques de formation dans les grandes entreprises sont lancées dès la fin des
années 1950, souvent dans une perspective d’amélioration de la gestion du personnel. Elles font
ressortir une diversification des politiques de formation, entre l’objectif de permettre simple-
ment une adaptation des salariés à leur travail et une intégration plus poussée à la gestion des
ressources humaines. L’accès des salariés à la formation apparaît dans ces recherches comme lié
aux changements techniques et économiques, ainsi qu’aux politiques de gestion du personnel
et au thème souvent évoqué de la promotion sociale.

1. J. Gautié, N. Maggi-Germain et C. Perez (2015). « Fondements et enjeux des “comptes de formation” : les
regards croisés de l’économie et du droit », Droit social, n° 2, février, p. 169-180.
2. C. Perez (2014). « Le pouvoir d’agir des salariés au prisme de la formation : les promesses non tenues d’une
doctrine managériale », Relations industrielles/Industrial Relations, vol. 69, n° 1, p. 3-27.

93
Traité des sciences et des techniques de la formation

Au cours de la période qui suit, des recherches s’inspirant des théories de la segmentation
du marché du travail considèrent prioritairement la formation comme un outil de gestion de
la main-d’œuvre, dont les caractéristiques et les résultats varient en fonction de facteurs struc-
turels tels que la taille, la branche, l’intensité capitalistique et, plus particulièrement, le degré
de développement du marché interne du travail1. Cette perspective insiste sur les rapports de
classe dans l’entreprise et tend à minimiser la diversité des pratiques de formation, y compris
dans les secteurs à forte concentration en capital.

D’autres auteurs, liés au courant de l’analyse stratégique, se centrent sur le système organi-
sationnel de l’entreprise. Ils constatent que la formation, en redistribuant les formes de savoir
ou d’expertise, fait naître de nouvelles relations entre les acteurs de l’entreprise qui s’expriment
par un réagencement des réseaux d’alliances et par de nouvelles formes de pouvoir ou d’autorité.
La relation établie par Sainsaulieu2 entre « logiques de formation » et « logique de production »
met en lumière des types d’acteurs différenciés qui renvoient à des formes contrastées d’iden-
tités au travail3. En prise avec la montée des questions liées à la compétitivité des entreprises, la
formation continue se transforme en profondeur au cours des années 1980, accompagnant les
changements des politiques de gestion des ressources humaines, mais aussi de l’organisation et
des contenus du travail. Elle s’intègre aux stratégies de l’entreprise et aux changements du travail.
Même si certains observateurs concluent, en comparant de nombreux cas, à une « construction
inachevée4 », le paysage des formations en entreprise, depuis les années 1990, n’a plus grand-
chose à voir avec celui issu de la législation de 1971.

Une des façons d’appréhender ces changements consiste à croiser le regard des différents
acteurs de l’entreprise (salariés, encadrement, responsable de formation, représentants du
personnel). On a ainsi pu relever l’existence d’écarts entre les discours patronaux sur le renfor-
cement de la capacité des salariés à développer leur qualification tout au long de la vie et les
pratiques mises en œuvre dans l’espace social concret que représente l’entreprise. Cette approche
a permis également de mettre en évidence les difficultés que rencontrent les représentants du
personnel lorsqu’il s’agit d’intervenir dans des questions liées à l’attribution des formations en
entreprise, la défense d’intérêts collectifs s’articulant mal à des politiques de formation de plus
en plus individualisées.

1. Ph. Méhaut (1978). Formation continue, gestion du personnel et marché de la formation : une étude régionale
du système français de formation continue. Paris, Éd. du CNRS.
2. R. Sainsaulieu (1981). L’Effet formation dans l’entrepris, Paris, Dunod. Un article portant le même titre avait
été publié en 1974 dans la revue Esprit.
3. R. Sainsaulieu (1977). L’Identité au travail, Paris, PFNSP.
4. M. Feutrie, E. Verdier (1993). « Entreprise et formation qualifiante. Une construction sociale inachevée »,
Sociologie du travail, n° XXXV 4, p. 469-492.

94
Sociologie de la formation post-scolaire ■ Chapitre 3

En écho aux réformes institutionnelles promouvant, depuis 2004, l’initiative individuelle en


formation, plusieurs travaux se sont attachés, à partir d’études de cas approfondies, à identifier
des environnements professionnels « capacitants », c’est-à‑dire favorables au développement
professionnel des salariés1. Ils mettent en évidence qu’une organisation dite apprenante ou une
gestion par les compétences ne constituent pas en soi un environnement propice au dévelop-
pement professionnel des salariés. Les marges de manœuvre laissées aux salariés tant dans le
choix de leur formation que dans la construction de perspectives d’évolution professionnelles
s’avèrent aussi déterminantes.

Parallèlement, les dispositifs d’information statistique se sont enrichis et des enquêtes euro-
péennes conduites auprès des individus (comme AES, Adult Education Survey, conduite par
Eurostat), auprès des entreprises (comme CVTS, Continuing Vocational Training Survey,
Eurostat), ou permettant le croisement des informations contenues dans diverses sources (Difes,
Dispositif d’information sur la formation employeur-salarié, conduite par le Céreq), deviennent
accessibles. L’exploitation de ces sources a permis d’approfondir la connaissance des pratiques
de formation des salariés ainsi que des facteurs contextuels propices à la formation. Ces enquêtes
permettent notamment de mieux documenter la diversité des politiques de formation des entre-
prises et leur incidence sur la participation à la formation. On notera en particulier l’existence
de politiques de formation, très minoritaires (11 % des entreprises) mais « vertueuses », qui
offrent des opportunités de formation et d’évolution professionnelle et favorisent l’expression
des aspirations à la formation des salariés et la formulation de leurs besoins en la matière2. Il
manquait à ce dispositif d’enquêtes la dimension longitudinale qui autorise notamment l’étude
des effets de la formation sur les parcours professionnels, manque qui devrait être comblé par
l’enquête Defis (Dispositif d’enquête sur les formations et les itinéraires des salariés).

3. L’évolution des approches sociologiques


de la formation post-scolaire

Longtemps resté marqué par la théorie de la reproduction, le regard des sociologues a fait
place à un vaste débat suscité par l’émergence de nouvelles formes d’organisation du travail et
de la formation, mais aussi de controverses nées à propos des façons de penser la qualification

1. J. M. Verd, J. Vero (2011). « Pourquoi la flexicurité mérite-t‑elle qu’on en débatte à partir de l’approche par
les capacités ? », Formation emploi, n° 113, p. 5-14.
2. M. Lambert, J. Vero (2013). « The capability to aspire for continuing training in France. The role of the envi-
ronment shaped by corporate training policy », International Journal of Manpower, vol. 34, n° 4, p. 305-325.

95
Traité des sciences et des techniques de la formation

ou la compétence des salariés. Ce mouvement, qui a animé les années 1990 et 2000, a contribué
à valoriser des approches de type compréhensif, qui prennent en compte les significations de
la formation pour les individus qui s’y engagent en tant qu’acteurs. La période actuelle semble
caractérisée par le brouillage des catégories et la diversification des approches, au sein de laquelle
la volonté de comprendre l’évolution des pratiques et des dispositifs passe de plus en plus souvent
par la mise en perspective historique.

3.1 De la théorie de la reproduction aux « formes identitaires »


L’impact de la théorie de la reproduction formulée par P. Bourdieu et J.-C. Passeron a débordé
la sociologie de l’éducation pour s’appliquer au cas de la formation professionnelle, initiale et
continue. Comme l’école, la formation continue véhicule des inégalités sociales et des rapports
de domination qui reproduisent le capital culturel hérité et le transforment en mérites indivi-
duels justifiant la hiérarchie des positions sociales et professionnelles. Les premières études sur
le public des « cours du soir » et des instituts de promotion supérieure du travail confirment le
rôle de ces mécanismes scolaires de reproduction sociale au sein des formations post-scolaires.
Plutôt que d’offrir une « deuxième chance » à la masse des ouvriers et employés ayant quitté
l’école précocement, la formation continue de type « promotion sociale » permet souvent à une
fraction très limitée d’entre eux, qui disposent par leurs origines sociales d’un capital culturel
plus élevé, de suivre une trajectoire de contre-mobilité, c’est-à‑dire de rattraper un déclassement
accidentel et temporaire en début de vie active1. Même en cas de réussite au diplôme, après un
long et incertain parcours, elle ne donne accès qu’à des fonctions et des carrières inférieures à
celles des diplômés d’école.

Cette approche essentiellement critique ne s’oppose pas fondamentalement à une autre pers-
pective structurelle qui traite la formation comme une modalité de reproduction de la force de
travail, fortement intégrée à la gestion du personnel et aux rapports de classe au sein de l’entre-
prise2. Une troisième perspective s’efforce d’articuler les deux précédentes, tout en y intégrant
l’élucidation des significations différentielles que les salariés accordent à la formation selon les
segments de marché du travail sur lesquels ils évoluent3. La segmentation n’est plus seulement
économique et productive, elle est aussi sociale et culturelle : l’évolution des rapports des sala-
riés à la formation est analysée en articulant les contraintes structurelles de la production et les

1. P. Fritsch (1971). L’Éducation des adultes, Paris-La Haye, Mouton ; C. de Monlibert (1977). « L’éducation
permanente et la promotion des classes moyennes », Sociologie du travail, 3, p. 246-259.
2. P. Méhaut (1978) op. cit.
3. C. Dubar, C. Nasser. La formation professionnelle continue, op. cit. C. Dubar (1991). La Socialisation.
Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin (2e éd. 1995).

96
Sociologie de la formation post-scolaire ■ Chapitre 3

dynamiques culturelles des biographies individuelles. Au cours des années 1990, l’entreprise
« flexible », engagée dans des changements techniques et organisationnels de grande ampleur,
soucieuse de la qualité des produits et d’une plus forte mobilisation des salariés, fait l’objet de
recherches qui soulignent le changement de signification de la formation : à une formation
« traditionnelle » adaptative et instrumentale, caractérisée par les actions de courte durée liées à
l’introduction de nouvelles installations techniques, se substituent des formations plus longues,
plus qualifiantes, élaborées en concertation avec les salariés, impliquant le personnel d’exé-
cution, intégrées à un redéploiement d’ensemble de la stratégie de l’entreprise. Dans certains
cas, un caractère formateur est reconnu au travail lui-même. Il ne s’agit pas seulement, par la
formation, de faciliter l’apprentissage de savoir-faire mais aussi de permettre l’acquisition et la
mise en œuvre de connaissances techniques et organisationnelles, et, surtout, de « compétences
sociales » : communication, capacité de travailler en équipe, prise d’initiatives… Celles-ci sont
requises par les nouvelles formes d’organisation du travail qui peuvent, sous certaines conditions,
devenir « qualifiantes », c’est-à‑dire permettre la construction et le partage de savoirs nouveaux,
y compris pour des opérateurs dont l’autonomie peut être favorisée par des liens étroits entre
formation et activités de travail. Cette vision, souvent trop normative et optimiste se voit rela-
tivisée par des recherches empiriques qui montrent la fragilité des expériences allant dans ce
sens, dépendantes de la coopération de nombreux acteurs et vulnérables à diverses formes de
dérive soit vers le modèle scolaire, soit vers l’adaptation à court terme aux besoins immédiats1.

Ainsi apparaît la nécessité de prendre en compte les manières, socialement construites au


cours des biographies, dont les individus vivent et expriment leur rapport à la formation ou aux
innovations organisationnelles. Les travaux de Claude , souvent repris, mettent en avant quatre
modalités différentes d’inscription de la formation dans les « formes identitaires » des salariés.2

3.2 Brouillage des catégories et diversification des approches


L’enseignement le plus marquant des dernières années est certainement cette montée des
incertitudes, tant pour les individus concernés par la formation que pour ceux qui les décident
ou les mettent en œuvre. La conjoncture de crise de l’emploi tend ainsi à jeter le doute sur
la pertinence des catégories utilisées antérieurement dans le débat social (promotion sociale,
innovations, compétences). De même, les catégories officielles cristallisées dans l’appareil
statistique deviennent floues et inadaptées aux évolutions des politiques et des pratiques de
formation. Si, par exemple, la notion de stagiaires de la « promotion sociale » avait pu posséder

1. M. Feutrie, E. Verdier (1993). Op. cit.


2. C. Dubar, C. Gadea (1998). « Évolution de la promotion sociale et dynamique des formes identitaires »,
Éducation permanente, n° 136, p. 79-89.

97
Traité des sciences et des techniques de la formation

une signification relativement claire lors des années 1960 et 1970 et se prêter à des mesures
fiables, elle a aujourd’hui disparu des statistiques officielles. Dans le même temps, les pertur-
bations du marché du travail et des règles régissant la négociation entre employeurs et salariés
entraînent une diversification forte des publics de la formation post-scolaire ; les attentes et
objectifs des candidats ne correspondent plus que de façon minoritaire aux anciennes catégories ;
la formation devenant une contrainte pour les salariés qui veulent préserver leur employabilité,
il devient plus difficile de savoir dans quelle mesure elle peut relever de l’initiative individuelle1.
Les chercheurs tentent ainsi de reconstruire des catégories opératoires, s’efforçant de combiner
l’analyse qualitative des sens subjectivement vécus de la formation, seule façon d’élaborer de
nouvelles typologies des publics, avec des estimations quantitatives des effectifs de ces diverses
catégories.

Une des tendances les plus notables en matière de recherche consiste à adopter une pers-
pective socio-historique pour retracer les contextes sociaux et les acteurs de la mise en place
de la formation post-scolaire, soit en adoptant une périodisation longue, remontant jusqu’à la
Libération2, soit en centrant le propos sur certains établissements emblématiques3, soit encore
en ciblant une période jugée décisive4. Ce regard rétrospectif a pu faire ressortir le rôle spécifique
de certaines catégories d’acteurs5, éclairer les mécanismes producteurs des inégalités de genre
dans l’accès à la formation6 ou dresser un bilan des travaux et des connaissances7.

3.3 La persistance des inégalités face à la formation continue


Un des constats les plus récurrents de ces bilans est celui de la persistance des inégalités, après
plus de cinquante ans de politiques publiques censées contribuer à leur disparition. Ce n’est pas
seulement dans les chances d’accès à la formation que se lisent ces inégalités, mais aussi dans
ses effets en termes de promotion. En matière d’accès à la formation, les écarts entre catégories
socioprofessionnelles restent stables, de même que ceux qui sont liés aux niveaux de diplôme en

1. M. Correia, F. Berton (dir.) (2004). Initiative individuelle et formation. Contributions de la recherche, état des
pratiques et étude bibliographique, Paris, L’Harmattan.
2. G. Bucy, P. Caillaud, E. Quenson, L. Tanguy (2007), op. cit.
3. F. Laot (2014). « Le CUCES-INFA ou “complexe de Nancy”, creuset d’innovations pour l’éducation permanente
(1954-1973) », Éducation permanente, n° 198, p. 199-215.
4. E. de Lescure (2004). La Construction du système français de formation continue, Paris, L’Harmattan.
5. G. Bucy (2007). « La formation au travail. Une affaire de cadres », in Bucy, Caillaud, Quenson, Tanguy, op. cit.
6. E. Ollagnier (2010). « La question du genre en formation des adultes », Savoirs, n° 22, p. 9-52.
7. C. Frétigné, E. de Lescure (2007). « Sociologie et formation en France », Savoirs, vol 3 n°15, p. 9-55 ; E. Quenson
(2012) « La formation en entreprise : évolution des problématiques de recherche et des connaissances »,
Formation Emploi, n° 28, p. 11-63.

98
Sociologie de la formation post-scolaire ■ Chapitre 3

formation initiale, ils restent également importants en termes de genre et d’âge et de différences
entre immigrés et salariés français1. Les facteurs structurels d’inégalité, tels que la taille des
entreprises, le secteur d’activité, la zone géographique, les spécificités territoriales de la gestion
de la main-d’œuvre ou des politiques publiques, continuent aussi d’exercer un rôle important.
Le système français est bien devenu un système de formation professionnelle continue et non
d’éducation permanente, il tend à exclure les individus restés à l’écart du marché du travail
(femmes au foyer…) ou ceux qui en sont sortis (retraités). On notera que bien que le nombre
de chômeurs se soit accru au cours des dernières années, les effectifs de demandeurs d’emploi
ayant effectué une formation stagnent, et la durée moyenne des formations tend à diminuer2.

Certes, il existe d’autres motivations et d’autres voies de formation post-scolaire que la forma-
tion professionnelle, et celles-ci ont connu un fort développement au cours des dernières années,
en particulier à cause de l’essor d’internet et des technologies de la communication qui favorisent
l’apprentissage individuel, aussi bien de savoirs formels (par exemple l’étude des langues avec
les multimédias, ou les enseignements à distance à l’université) que de savoirs informels (par
exemple surfer sur internet et consulter les encyclopédies collaboratives) d’une infinie richesse
et accessibles gratuitement… pour qui possède un ordinateur, sait l’utiliser et peut payer un
fournisseur d’accès à internet. Les inégalités d’accès et de ressources sont en effet souvent
sous-estimées par les approches cognitivistes qui s’intéressent aux effets du numérique sur les
processus d’apprentissage3.

Des inégalités supplémentaires peuvent surgir à l’issue de la formation. Il est trop tôt pour
disposer des résultats de l’enquête FQP (« Formation et qualification professionnelle ») réalisée
par l’Insee en septembre 2015, mais il est à craindre que dans un contexte de crise de l’emploi et
d’aggravation des inégalités, le constat soit analogue à celui qui ressort des travaux antérieurs :
les hommes déclarent plus souvent avoir reçu une augmentation de salaire que les femmes,
les salariés ayant suivi une formation longue plus souvent que ceux qui sont passés par des
formations courtes. Les inégalités, cependant, ne s’accumulent pas nécessairement : les chances
d’augmentation sont plus grandes dans les secteurs où les taux d’accès à la formation sont plus
faibles, et il semble que les petites entreprises, qui offrent moins de possibilités d’accès à la
formation, réservent plus de chances d’augmentation.

1. D. Gélot, C. Minni (2006). « Les immigrés accèdent moins à la formation professionnelle continue », Formation
emploi, n° 94, p. 93-109.
2. J. Aude (2015). « La formation professionnelle des personnes en recherche d’emploi », Dares Analyses, n° 30.
3. B. Blandin (2012). « Apprendre avec les technologies numériques : quels effets identifiés chez les adultes ? »,
Savoirs, n° 30, p. 9-58.

99
Traité des sciences et des techniques de la formation

Quant aux effets de la formation sur le changement de catégorie professionnelle, c’est-à‑dire


sur la promotion, le constat le plus clair qui ressort depuis les années 1990 est celui d’un effon-
drement des chances de promotion à l’issue de la formation. La plupart du temps, les salariés
formés n’ont connu aucun changement dans leur situation professionnelle, ou alors il s’agit
uniquement de mobilité horizontale. En fait, la formation avantage les salariés les plus stables
et les mieux intégrés aux marchés internes des entreprises, elle permet notamment d’augmenter
la rémunération des salariés appartenant aux entreprises qui payent déjà le mieux leurs sala-
riés et elle fonctionne comme un signal en faveur de ceux qui disposaient déjà des meilleures
opportunités de carrière1.

Ces caractéristiques sont-elles propres au cas français ? Les éléments de comparaison fournis
par les enquêtes européennes ne permettent pas de mesurer avec précision les inégalités d’accès,
mais on peut y relever, à l’intérieur d’une tendance générale à l’homogénéisation des chances de
formation sous l’effet des politiques publiques encouragées par l’Union européenne, certaines
spécificités nationales. La France demeure un pays où les chances d’accès à une formation par
cours ou stages sont nettement supérieures à la moyenne européenne, sans doute en raison
du dispositif juridique mis en place à partir de 1971, qui incite les entreprises à recourir à ce
type de formation. En revanche, les taux d’accès aux autres types de formation, par exemple en
situation de travail, sont plutôt bas2.

4. Conclusion
Les comparaisons, notamment européennes, permettent de prendre plus clairement
conscience que le terme « formation » n’a pas le même sens dans tous les pays européens et que
ses liens avec le travail, l’emploi, la mobilité ne sont pas pensés partout de la même manière.
Néanmoins des travaux récents issus de divers pays font ressortir des tendances analogues,
en particulier autour du déplacement des politiques publiques de la notion d’éducation des
adultes, conçue comme un droit que cherchaient à satisfaire, sous différentes formes, les États-
providence européens, vers la formation tout au long de la vie, conçue comme une nécessaire
adaptation de leurs qualifications qui incombe aux salariés pour préserver leur employabilité,
dans un contexte de recul de l’État-providence et d’effondrement des marchés du travail ou de

1. D. Goux, E. Maurin (1997). « Les entreprises, les salariés et la formation continue », Économie et statistiques,
n˚ 306, p. 41-55 ; P. Béret (2009). « Formation continue, salaires et transformation des marchés internes »,
Travail et emploi, n° 117, p. 67-80.
2. J.-F. Mignot (2013). « Formation continue des salariés en Europe : les écarts entre pays se réduisent encore »,
Bref-Céreq. n° 312.

100
Sociologie de la formation post-scolaire ■ Chapitre 3

forte précarisation des salariés1. De la finalité sociale et culturelle, la formation post-scolaire est
passée à une finalité économique, celle du maintien de la compétitivité des entreprises par le
développement des qualifications, mais cette finalité est elle-même en train de céder le pas devant
la contrainte de l’adaptation au marché du travail. L’entreprise a pris le contrôle de la formation,
dans un premier temps pour l’intégrer à la gestion de son marché interne du travail, mais elle
semble à présent la déléguer de nouveau au salarié, pris comme individu rendu responsable de
son parcours, non plus pour s’engager dans une ascension sociale, encore moins pour s’adonner
au plaisir d’apprendre, mais simplement pour assurer sa survie professionnelle et échapper
à la précarité ou la désaffiliation sociale. Paradoxalement, ce qui pouvait apparaître dans les
années 1960 comme une utopie dont rêvaient certains syndicalistes, le compte individuel de
formation, est devenu aujourd’hui un droit reconnu, mais entre-temps, tant de perspectives qui
étaient alors considérées comme acquises ou probables (un emploi stable, un pouvoir d’achat
en hausse, l’espoir d’une ascension sociale et d’une tendance à la réduction des inégalités, une
évolution des acquis sociaux dans un sens favorable aux travailleurs) se sont perdues ou sont
devenues si incertaines que le rêve semble laisser un goût amer et dérisoire en accédant à la
réalité. Pourtant, le pessimisme n’est pas vraiment de mise : on peut voir au contraire dans la
formation, qui demeure un thème majeur du dialogue social, un domaine qui continue de faire
l’objet d’avancées, pendant que les piliers de la société salariale se désagrègent.

1. Voir par exemple les contributions au dossier « The effects of policies for the education and learning of adults.
From “adult education” to “lifelong learning”, from “emancipation” to “empowerment” ». European Journal for
Research on the Education and Learning of Adults, vol. 3, n° 2, 2012.

101
Traité des sciences et des techniques de la formation

Lectures conseillées
Brucy G., Caillaud P., Quenson E., Tanguy L., (2007). INSEE (2013). Formations et emploi, Insee
Former pour réformer. Retour sur la forma- Références.
tion permanente (1945-2004), La Découverte, Laot F. (2010), « La promotion sociale des femmes :
coll. « Recherches ». le retournement d’une politique de formation
Dubar C., Nasser C. (2015) La Formation profes- d’adultes au milieu des années 1960 », Le
sionnelle continue, Paris, La Découverte, Mouvement social, n° 232, p. 29-45.
coll. « Repère ». Perez C., (2009), « Les travailleurs précaires face
Dubar C., Gadea C. (dir.) (1999). La Promotion sociale à la formation professionnelle continue :
en France, Villeneuve d’Asq, Presses univer- une analyse de leurs motifs de non-partici-
sitaires du Septentrion. pation », Formation emploi, n° 105, janvier
De Lescure E. (2004). La Construction du système mars, p. 5-19.
français de formation continue, Paris, Quenson E. (2012). « La formation en entreprise :
L’Harmattan. évolution des problématiques de recherche
et des connaissances », Savoirs, n° 28,
p. 11-63.

102
Chapitre 4
Le droit de la formation
professionnelle tout
au long de la vie1

1. Par Jean-Marie Luttringer.


Sommaire
1. La formation professionnelle définie par son organisation juridique..................... 106
2. La personne « sujet du droit » de la formation....................................................... 113
3. La reconnaissance juridique des acquis de la formation........................................ 118
4. Conclusion............................................................................................................. 120
Lectures conseillées.................................................................................................. 120
« Le droit est un fait de société » (ubi societas ibi jus). Il se caractérise par des règles, des insti-
tutions, des juges, des contraintes, des sanctions. La formation professionnelle, appréhendée
d’une part comme système d’organisation, et d’autre part comme processus d’apprentissage,
n’échappe pas au droit en vigueur dans une société donnée.

Oui mais… Robinson Crusoé ? Avant l’arrivée de Vendredi, Robinson Crusoé, seul sur son île,
vit hors société, il ne connaît aucune forme de droit. En pratiquant l’autodidactie il acquiert des
savoir-faire (traire les chèvres, cultiver, construire…). L’arrivée de Vendredi donne naissance
au droit sous sa forme originelle décrite par l’anthropologue Marcel Mauss, caractérisé par
le don et le contre-don, qui est à l’origine de la forme moderne du contrat, dont la finalité est
d’organiser un échange de biens ou de services, entre deux personnes physiques ou morales, à
titre gratuit ou onéreux. Le contrat est présent dans tout « processus d’apprentissage » qu’il soit
« formel » et proposé dans le cadre d’une institution dédiée à cet effet, ou « informel », support
de la confrontation avec des pairs, un tuteur, un référent…

La métaphore de Robinson Crusoé illustre le fait que les processus d’apprentissage peuvent
prospérer avec un encadrement juridique minimaliste. Cependant, dès lors que la formation
s’organise dans l’univers du travail, ce qui est le cas de la formation professionnelle, il est néces-
saire qu’elle soit reconnue comme objet identifiable, traçable, finançable, sanctionnable… toutes
fonctions qui ont à voir avec le droit.

La complexité, relative du droit français de la formation professionnelle, ne résulte ni des droits


sociaux fondamentaux dont il relève (Unesco, OIT, Charte sociale européenne, Préambule de la
Constitution…) ni des processus d’apprentissage à proprement parler, mais de choix « d’organi-
sation », inscrits dans une histoire et une culture singulière. Ainsi, vouloir transposer en France,
le système allemand de la formation professionnelle supposerait d’adopter au préalable les piliers
de l’ordre juridique et social de ce pays, que sont le fédéralisme, un syndicalisme unitaire, la
répartition des compétences entre organisations patronales et organismes consulaires, la place
de l’enseignement technique professionnel public, de changer la logique de financement et de
fiscalité de la formation professionnelle… le même raisonnement vaut pour d’autres systèmes
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

nationaux d’organisation de la formation professionnelle.

La première partie de ce chapitre sera consacrée à la présentation des caractéristiques


juridiques du système d’organisation de la formation professionnelle, la deuxième partie de
l’encadrement juridique des processus d’apprentissage, la troisième partie aux modalités juri-
diques de reconnaissance des acquis de la formation.

105
Traité des sciences et des techniques de la formation

1. La formation professionnelle définie


par son organisation juridique

1.1 Introduction
1.1.1 Les choix fondateurs
L’organisation de la formation professionnelle continue repose, à l’inverse de la formation
initiale, placée sous la tutelle du ministère de l’éducation nationale, sur un système ouvert dans
lequel intervient une grande diversité d’acteurs, tous légitimés par la loi : les pouvoirs publics :
État et Régions, les partenaires sociaux, l’entreprise, les prestataires de services de formation et
de services associés, et bien entendu les apprenants eux-mêmes.

Les choix politiques fondateurs de 1971 en faveur d’une « obligation nationale » et non d’un
service public organique, de la valorisation du rôle des partenaires sociaux, de la forte implication
des entreprises, notamment sur le plan du financement, et de l’instauration « d’un marché » de
la formation professionnelle, ont perduré au cours de ces quatre dernières décennies.

1.1.2 Le droit de la formation


professionnelle tout au long
de la vie n’est pas le droit de l’éducation
Des choix fondateurs il résulte que le droit de la formation a son siège pour l’essentiel dans le
Code du travail et non dans celui de l’éducation, même si celui-ci contient quelques dispositions
relevant du droit de la formation : l’apprentissage, la VAE, la certification… Sur le plan juridique
le continuum est loin d’être construit entre formation initiale et continue. Le droit de l’éducation
et celui de la formation professionnelle continue sont, en réalité, dans notre système juridique,
inconciliables comme le sont l’eau et le feu.

Le premier est régi par la loi de la République, impersonnelle et générale, celle du service
public fondé sur les principes d’égalité et de gratuité : mêmes programmes pour tous, statut
uniforme des enseignants, statut tutélaire des élèves, obligation scolaire, droit disciplinaire
interne. Exception faite du principe de gratuité l’enseignement privé est placé sous l’égide des
mêmes principes. Le second fait une place centrale au contrat (individuel et collectif) en lieu
et place du statut. Il échappe au principe de gratuité et d’universalité. Il fait une place plus
grande au principe constitutionnel de « la liberté d’entreprendre » consubstantiel au droit de
la concurrence.

106
Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie ■ Chapitre 4

1.2 Les institutions publiques


1.2.1 L’État, les régions
Dans notre République « une et indivisible », le pouvoir normatif (lois, décrets) dans le champ
de la formation professionnelle est assuré par l’État. L’accroissement de compétences des conseils
régionaux n’emporte pas transfert du pouvoir normatif à leur niveau. L’État assure également le
pilotage stratégique des politiques de formation professionnelle par l’allocation des ressources
budgétaires notamment par les lois de finances, une concertation quadripartite au sein du Cnefop
(Conseil national de l’emploi de formation de l’orientation professionnelle). Par ailleurs, plusieurs
ministères, autres que le ministère de l’Éducation nationale, sont des « ministères formateurs »
dont celui de l’Agriculture, de la Jeunesse et des Sports, etc. D’autres sont des « ministères
certificateurs ». Les référentiels de certification ainsi que les titres de diplômes qu’ils produisent
sont enregistrés par le CNCP (Conseil national de la certification professionnelle), au RNCP
(Répertoire national des certifications professionnelles).

Cependant la période récente se caractérise par la montée en compétences des conseils


régionaux.

Le Code du travail confère la qualification de service public à l’activité des régions en matière
de formation professionnelle et d’orientation. Face à l’ambivalence de cette notion, qui renvoie
d’une part à une conception « organique » dans laquelle l’administration s’organise pour assurer
elle-même les missions de service public et d’autre part une conception « matérielle » conçue
comme une mission d’intérêt général dont la personne publique peut confier l’exécution à des
personnes privées, le législateur a sans ambiguïté opté pour la seconde acception. « Le service
public postule une certaine représentation du lien social : à travers les droits reconnus aux
usagers, se profile l’idée que les besoins fondamentaux des individus doivent être satisfaits ; à ce
titre le service public est producteur d’intégration et de cohésion sociale […]. Parmi les principes
qui sous-tendent le régime de service public, une importance particulière doit être accordée au
principe d’égalité, qui est au fondement même de l’institution des services publics : accessible à
tous, le service public est censé offrir des prestations identiques à ses usagers1. »

1. J. Chevalier. Le Service public, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », p. 101.

107
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.3 Les partenaires sociaux


1.3.1 « La loi négociée » au niveau national interprofessionnel
Les textes fondateurs de notre système de formation professionnelle (accord interpro-
fessionnel du 11 juillet 1970 et loi « Delors » du 16 juillet 1971) traduisent la recherche d’un
équilibre entre la loi, (démocratie politique), et la négociation collective (démocratie sociale).
Cette dialectique des sources du droit de la formation est restée en vigueur pendant plus de
quatre décennies. Le droit français de la formation professionnelle résulte en effet d’une savante
alchimie entre la loi et la négociation collective. Les « partenaires sociaux » (dont les relations
ne sont pas toujours partenariales…), sont dans leur rôle en assurant la défense des intérêts de
leurs adhérents, les salariés pour les organisations syndicales de salariés, et les employeurs pour
les organisations patronales. Par ailleurs du Code du travail qui définit le périmètre « du droit
des salariés à la négociation collective englobe la formation professionnelle, au même titre que
les salaires, l’emploi et les garanties sociales… » (art. 2221-1).

La méthode d’élaboration du droit de la formation instituée par l’article premier du Code


du travail, dite de « la loi négociée », a l’avantage de produire des lois fondées sur le consensus,
mais elle a l’inconvénient de subordonner l’intérêt général dont sont porteurs les élus du peuple
aux intérêts spécifiques défendus par les organisations patronales et les organisations syndicales
de salariés. Ainsi les évolutions récentes que connaît le droit de la formation professionnelle
par l’affirmation « de la personnalisation » de ce droit, ainsi que de son caractère « universel »
illustré notamment par la VAE, qui est un droit de la personne, le compte personnel de forma-
tion (CPF) qui se définit comme un droit universel indépendamment du statut de la personne,
conduit à s’interroger sur la légitimité des partenaires sociaux à exercer un pouvoir normatif
par la voie de la négociation collective, en dehors du périmètre de légitimité qui leur est conféré
par la constitution et par la loi.

1.3.2 La négociation de branche sur la formation professionnelle


Si la négociation collective sur la formation professionnelle a connu ses heures de gloire au
niveau national et interprofessionnel, elle est également prégnante depuis les années 1980 au
niveau des branches professionnelles. Le rôle des branches professionnelles a été réaffirmé par
la loi du 5 mars 2014. Les thèmes ouverts à la négociation sont nombreux : négociation trien-
nale sur les objectifs, les priorités, les moyens de la formation, instauration d’une contribution
conventionnelle de branche, supplémentaire à l’obligation légale de 1 % de la masse salariale,
négociation quinquennale sur les classifications en vue de la prise en compte des acquis de
la formation tout au long de la vie. Le CPF offre de multiples thèmes pour cette négociation :
abondements par les OPCA ou les employeurs, articulation avec le compte épargne-temps,
formations qualifiantes éligibles au titre du compte personnel de formation, création de CQP
(certificat de qualification professionnelle), dispositions relatives à l’apprentissage…

108
Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie ■ Chapitre 4

1.3.3 La gestion paritaire prolongement


de la négociation collective
Dans la tradition française du dialogue social sur la formation professionnelle la négociation
collective au niveau interprofessionnel et au niveau des branches est prolongée par la gestion
paritaire des ressources allouées à la formation.

Les partenaires sociaux gestionnaires des OPCA/Opacif doivent contribuer au développement


de la formation professionnelle et veiller à l’allocation efficiente des ressources qui leur sont
confiées en vue de favoriser l’accès des salariés à « des formations de qualité » qui correspondent
aux besoins du marché du travail, qui contribuent à la sécurisation des parcours professionnels
et facilitent la promotion professionnelle et sociale.

La gestion paritaire de la formation par les OPCA, et les Opacif qui se caractérise par l’inter-
médiation entre l’offre et la demande de formation, et qui fait l’objet de critiques récurrentes a
cependant démontré sa valeur ajoutée notamment parce que la mutualisation des ressources, qui
est au cœur de la gestion paritaire permet un meilleur accès à la formation des salariés des PME
et des TPE, le financement de la formation en alternance, le financement du congé individuel de
formation, de la validation des acquis de l’expérience et permet de contribuer à la sécurisation
des parcours professionnels des salariés en particuliers les moins qualifiés.

1.3.4 La négociation d’entreprise sur la formation professionnelle


Alors que la négociation collective sur la formation s’est principalement développée au niveau
des branches professionnelles, elle est demeurée atone au niveau de l’entreprise selon le « bilan de
la négociation collective » publié chaque année par le ministère du Travail. La négociation d’entre-
prise porte sur les salaires, les conditions de travail et plus rarement sur le thème de la formation
professionnelle à l’exception d’accords conclus dans quelques grands groupes. Cependant, des
accords traitant de sujets tels que le GPEC, l’égalité professionnelle, les conditions de travail, etc.,
peuvent contenir des dispositions relatives à la formation.

1.3.5 Le dialogue social territorial


Au niveau territorial, la construction de relations entre la démocratie politique (conseils régio-
naux) et la démocratie sociale, (partenaires sociaux), est pour l’avenir un enjeu majeur. Car c’est
dans les bassins d’emploi et les bassins de vie que s’organisent les parcours professionnels et que
peut se déployer la formation professionnelle. Le dialogue social, à ce niveau, s’exprime à travers
la conduite de projets, auxquelles participent les partenaires sociaux, sans visée normative.

109
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.4 L’entreprise
Le droit français de la formation professionnelle des salariés se caractérise par une forte struc-
turation juridique aussi bien sur le plan du droit individuel que du droit collectif. Les obligations
de financement qui pèsent sur les entreprises contribuent à cette structuration.

1.4.1  Droits individuels à la formation dans l’entreprise


Selon la loi l’employeur est tenu par une obligation d’adaptation de chaque salarié à son
emploi et il doit « veiller à la capacité du salarié à occuper un emploi », le cas échéant par le
recours à la formation. Au début des années 1970, la Cour de cassation considérait que le
contrat de travail de droit commun, dès lors qu’il ne s’agissait pas d’un contrat d’apprentissage,
ne mettait aucune obligation de formation à la charge de l’employeur. Dans le même temps
les premières décisions de conseils de prud’hommes mettaient à la charge de ce dernier une
obligation d’adaptation du salarié à l’emploi, le cas échéant par la formation, dès lors que cette
adaptation était rendue nécessaire en raison d’une décision d’organisation du travail qui relève
du seul pouvoir de direction de l’employeur.

Au fil des décennies, cette jurisprudence prud’homale a prospéré. Depuis les années 1990 la
Cour de cassation l’a adoptée. Elle a, par ailleurs, fondé ses arrêts sur le principe civiliste de « la
bonne foi contractuelle » applicable à tous les contrats, y compris le contrat de travail. Cette
jurisprudence, qui aurait pu se suffire à elle-même, a été inscrite dans le Code du travail et
confirmée par la loi du 5 mars 2014 qui la prolonge par l’institution d’un entretien professionnel.

Celui-ci s’analyse sur le plan juridique comme un droit procédural de nature à permettre à
l’employeur de favoriser l’adaptation du salarié à l’emploi « et de veiller à la capacité à occuper
un emploi ». Le non-respect de ces procédures peut déboucher sur diverses sanctions : « abon-
dement correctif » du CPF de 150 heures, afin de permettre au salarié de prendre en charge la
prévenance du risque d’inemployabilité, indemnités liées à un licenciement sans cause réelle
et sérieuse, et le cas échéant, dommages et intérêts pour « perte d’une chance », celle de rester
employable en conservant sa qualification.

Dans le même temps, en instituant le CPF, la loi, tout en dotant le salarié de ressources pour
sa formation, lui signifie qu’il est coresponsable du maintien de son employabilité. D’ailleurs,
l’architecture du CPF, constitué d’un socle de ressources apportées de plein droit par l’entre-
prise, et d’abondements issus de la négociation ainsi que d’une possible contribution directe de
l’employeur et du salarié lui-même, ouvre la voie au co-investissement.

110
Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie ■ Chapitre 4

1.4.2 Le droit collectif de la formation


professionnelle dans l’entreprise
Le dialogue social dans l’entreprise, sous toutes ses formes, délégués du personnel, comité
d’entreprise, négociation collective, dont la fonction est d’assurer la défense des intérêts indi-
viduels et collectifs des salariés, poursuit l’objectif d’égalité de traitement dans le contexte
particulier de chaque entreprise caractérisée par sa relativité : taille, entreprise capitalistique
ou de main-d’œuvre, secteur public, entreprise privée etc.

Si, dans les grandes entreprises le dialogue social sur la formation trouve à s’exprimer à travers
les délégués du personnel, le comité d’entreprise et la négociation collective, il n’en va pas de
même des TPE et PME. La capacité à organiser le dialogue social et sa densité sont en effet
étroitement liées à la taille de l’entreprise : délégués du personnel à partir de 20 salariés, comité
d’entreprise à partir de 50 salariés. Quant à la capacité à négocier un accord d’entreprise elle
est très aléatoire et dépend de multiples facteurs dont la présence syndicale dans l’entreprise,
l’existence d’enjeux réels à négocier en matière de formation, la compétence technique des
négociateurs. Et bien entendu la volonté de l’employeur à s’engager dans cette voie de dialogue
social, qui n’est en rien obligatoire, sauf pour l’engagement d’un processus de négociation, sans
obligation de conclure, en vue d’un accord GPEC, pouvant comporter des mesures formation
dans les entreprises de plus de 300 salariés,

S’agissant de la compétence du comité d’entreprise, la loi française n’a jamais « franchi le


Rubicon » en donnant à ce dernier un pouvoir de décision ou de codécision en matière de
formation professionnelle. Il est informé, consulté, et le plan de formation fait l’objet d’une
délibération annuelle ou pluriannuelle, mais le chef d’entreprise reste maître de la décision finale.

1.5 Les prestataires de services de formation et de services associés


1.5.1 La liberté d’entreprendre dans le champ
de la formation professionnelle
Sur le plan juridique la formation professionnelle est une activité de prestation de service
intellectuel protégé par le principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre et soumis aux
principes du droit de la concurrence. En pratique les prestataires de services qui interviennent
dans ce champ connaissent des statuts juridiques les plus divers de droit privé ou de droit public.
Ils sont tous soumis à déclaration d’existence (qui n’est pas à confondre avec un agrément). Leur
activité est soumise au contrôle des pouvoirs publics. La loi du 5 mars 2014 a mis à la charge
des financeurs (Pôle Emploi, conseils régionaux, OPCA et Opacif…) l’obligation de s’assurer de
la qualité des formations financées.

111
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.5.2 La qualité de la formation saisie par le droit


La qualité de la formation, au-delà de la conformité, aux dispositions réglementaires pose celle
de sa pertinence, de sa cohérence avec le projet de la personne, et de son efficience c’est-à‑dire
de l’adéquation entre la prestation délivrée et les ressources engagées. Elle renvoie également
à des règles qui relèvent de l’ordre public et qui ne sont pas spécifiques au domaine particulier
de la formation (dérives sectaires…).

La loi du 5 mars 2014 vise à renforcer la qualité de la formation de plusieurs manières. La


première consiste à recentrer la formation professionnelle sur l’objectif de qualification qui
suppose la définition préalable d’un référentiel de certification dont le respect est de nature
à garantir la pertinence, la cohérence et l’efficience de la formation au regard du projet de la
personne. La seconde voie est celle de la mise à la charge des OPCA et des autres financeurs
publics d’une obligation « de contrôle de la qualité de l’offre de formation » qui engage leur
responsabilité sur le plan juridique. La troisième voie pourrait bien se construire au fur et à
mesure que se développe l’usage du CPF. On peut imaginer que la personne qui affectera au
financement d’un projet de formation des ressources dont elle a la pleine propriété, aura à cœur
de contrôler la qualité de la prestation qui lui est proposée. Elle pourra alors s’appuyer sur le
contrat de formation qui nécessairement la liera au prestataire en s’appuyant notamment sur le
droit de protection des consommateurs applicable en la matière (art. L. 6353-3 Code du travail).

1.5.3 L’allocation des ressources


Les ressources affectées par les pouvoirs publics, les entreprises et les ménages au finance-
ment de la formation professionnelle obéissent à une grande diversité de qualifications et de
régimes juridiques. Le budget de la nation consacré à la formation professionnelle (de l’ordre
de 32 milliards d’euros) est constitué pour plus de 50 % des dépenses de la rémunération des
personnes en formation. Les dépenses de formation à proprement parler sont pour la quasi-
totalité le fait de tiers payant, les entreprises au bénéfice de leurs salariés, les administrations
publiques au bénéfice de leurs collaborateurs, les conseils régionaux et Pôle Emploi au bénéfice
de personnes sans emploi, l’Agfiph au bénéfice de personnes handicapées.

La question du financement de la formation professionnelle est au cœur de débats récurrents :


–– La contribution obligatoire des entreprises au développement de la formation profession-
nelle de leurs salariés, 1 % de la masse salariale obligatoirement versée à un OPCA, est-elle
encore pertinente plus de 40 ans après avoir été instituée ? Les organisations syndicales de
salariés pensent que oui, car la mutualisation des ressources contribue à développer l’accès
égal à la formation, les employeurs représentants les TPE et PME sont également attachées
aux effets positifs de la mutualisation. Les grandes entreprises qui disposent de ressources en
volume suffisant pour répondre à leurs besoins propres, et de services internes de formation,
sont moins convaincues.

112
Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie ■ Chapitre 4

–– La répartition des responsabilités en matière de financement de la formation entre les entre-


prises et les collectivités publiques est-elle cohérente ? La question récurrente posée est
notamment celle du financement des programmes de formation qui contribue à l’insertion
des personnes le plus éloignées de l’emploi ainsi que celles des demandeurs d’emploi. Les entre-
prises et les partenaires sociaux considèrent que les pouvoirs publics ont une fâcheuse tendance
à reporter sur eux des responsabilités relevant de l’intérêt général, qui leur incombent.
–– Le principe de co-investissement, c’est-à‑dire de la contribution des salariés au financement
de leur propre formation, et plus largement la contribution des ménages, ne devrait-il pas
être encouragé par des incitations fiscales et par l’affectation du compte épargne temps à
des fins de formation ?

2. La personne « sujet du droit » de la formation


« On ne forme pas une personne. Elle se forme si elle y trouve un intérêt. » Cette formule de
Bertrand Schwartz renvoie à deux problématiques structurantes du droit de la formation, celle
des garanties juridiques d’égal accès à la formation tout au long de la vie, quel que soit le statut
de la personne, (1) et celle de l’implication de « l’apprenant » dans la relation contractuelle,
nécessaire à tout processus d’apprentissage (2).

2.1 L’organisation juridique des voies d’accès à la formation


professionnelle tout au long de la vie
Les voies d’accès à la formation sont encadrées par une grande diversité de règles de droit
qui sont fonction de la situation juridique du candidat à une formation.

2.1.1 Les personnes non salariées de tous statuts


L’accès à la formation de toute personne, sans référence à un statut particulier, qui souhaite
se former à son initiative, sur son temps et ses ressources personnels est encadré par l’article L.
6353-3 du Code du travail inspiré du droit de la consommation. Ce texte stipule que le forma-
teur et l’apprenant sont liés par un contrat de formation prévoyant des clauses obligatoires,
telles qu’un délai de rétractation, une information sur les moyens pédagogiques mis en œuvre,
le prix de la formation, etc. Le coût de la formation engagée dans ce contexte est susceptible de
donner lieu à une déduction fiscale au titre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.

L’accès à la formation des travailleurs non-salariés (travailleurs indépendants, professions


libérales exploitants agricoles…) est facilité par des fonds d’assurance formation de travailleurs

113
Traité des sciences et des techniques de la formation

non-salariés dont les ressources mutualisées proviennent de cotisations obligatoires de leurs ressor-
tissants. L’accès du compte personnel de formation (CPF) est ouvert aux travailleurs non-salariés.

Les demandeurs d’emploi en formation, qu’ils soient ou non indemnisés par l’assurance-
chômage, bénéficient du statut « de stagiaire de la formation professionnelle ». Ce statut,
inventé dans les années d’après-guerre pour la formation « de la main-d’œuvre » gérée par
l’Afpa en vue de la reconstruction du pays, est un « statut intermédiaire » entre celui d’élève
ou d’étudiant du système éducatif et celui de salarié du système productif. Il ouvre droit à
une rémunération, à la protection sociale et organise la vie collective des stagiaires dans
les centres de formation. La gestion de ce statut, dont les règles sont fixées par le Code du
travail, est assurée par les conseils régionaux. Ce statut « refuge » est devenu un instrument
incontournable des politiques « de traitement » du chômage massif et récurrent que connaît
notre pays depuis des décennies.

2.1.2 Les travailleurs salariés


Les garanties d’accès à la formation des travailleurs salariés sont greffées, sur le plan juridique,
sur leur contrat de travail. Celui-ci peut être « de type particulier » associant un emploi et une
formation tel que le contrat d’apprentissage, le contrat de professionnalisation, ou encore une
grande diversité de contrats aidés prévoyant une formation. Le contrat d’apprentissage et de profes-
sionnalisation qui est un contrat de formation en alternance, connaît un encadrement spécifique
dont l’objet est d’organiser la coexistence au sein d’un même contrat de séquences de formation
qui prennent appui sur le travail productif, avec des séquences de formation générale ou techno-
logique, organisées par un prestataire de formation, en dehors du processus de production.

Les travailleurs salariés titulaires d’un contrat de droit commun peuvent accéder à la formation
selon trois modalités juridiques différentes : la formation peut être à l’initiative de l’employeur.
Elle s’inscrit alors dans le cadre du plan de formation de l’entreprise et s’analyse sur le plan
juridique comme une mission professionnelle : le temps de formation et assimilé à un temps de
travail effectif (maintien de la rémunération, de la protection sociale, des congés…). La formation
peut être à l’initiative du salarié qui dispose de deux voies d’accès distinctes : le congé individuel
de formation (CIF) et le compte personnel de formation (CPF).

Sur le plan juridique, le CIF s’analyse comme une modalité « de suspension » du contrat de
travail qui se traduit par une autorisation d’absence à des fins de formation, celle-ci pouvant
être financée par un Fongecif ou un Opacif si la formation choisie par le salarié est conforme
aux critères de ces derniers.

Le CPF qui a succédé au DIF représente le dispositif emblématique de la loi du 5 mars 2014 dans
le domaine de la formation professionnelle. Les droits acquis par les salariés sont comptabilisés

114
Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie ■ Chapitre 4

en heures, avec un plafond fixé à 150 heures pouvant donner lieu à abondement. La gestion
matérielle du compte est assurée par la Caisse des dépôts et consignations. Bien que le caractère
personnel du CPF soit affirmé par la loi, l’usage que peut faire le titulaire des droits « capitalisés »
est strictement encadré. Seules sont éligibles les formations qualifiantes inscrites sur une grande
diversité de listes au niveau national interprofessionnel, ainsi qu’au niveau régional et au niveau
des branches. La mobilisation du compte, à la seule initiative du salarié peut être effectuée en
dehors temps de travail sans l’accord de l’employeur, et pendant le temps de travail avec l’accord
de ce dernier. La mobilisation du CPF peut également être effectuée à l’initiative des demandeurs
d’emploi avec ou sans l’accord de Pôle Emploi.

2.2 L’apprenant sujet de droit


2.2.1 Le stage, l’action, le parcours
Le mouvement d’individualisation que connaissent les processus d’apprentissage fait écho
à celui de la personnalisation des droits à la formation. Les textes fondateurs de 1970 connais-
saient principalement « le stage » de formation qui regroupe des « apprenants » indifférenciés
auxquels s’applique le même programme. Le stage est en quelque sorte la réplique de la salle
de classe. Il a pour conséquence d’introduire le modèle scolaire dans l’univers de la formation
professionnelle tout au long de la vie. Il devient avec l’heure stagiaire l’unité d’œuvre de réfé-
rence sur lequel s’appuient le financement et la gestion de toute action de formation. Puis vint
le concept juridique « d’action de formation » qui est une version souple de la notion de stage
mais dont l’exigence d’un programme préétabli demeure le critère distinctif (art. L. 6353-1).
Aujourd’hui le concept « de parcours » de formation émerge dans l’espace juridique de la
formation. Cette évolution renvoie à la prise en compte de « l’apprenant » comme un sujet
de droit c’est-à‑dire comme partie prenante au contrat de formation qui lie les financeurs et
les prestataires.

Le mouvement d’individualisation de la formation et de personnalisation des droits se


prolonge dans la question émergente de la formation en situation de travail.

2.2.2 La formation en situation de travail


L’achat de prestations de formation à des prestataires extérieurs ne couvre qu’une petite
partie des processus d’apprentissage, de professionnalisation, de développement des compé-
tences, d’acquisition de qualifications, dont les entreprises et leurs salariés peuvent avoir
besoin. Pour un grand nombre de salariés, ces objectifs sont atteints à l’intérieur même du
système productif, en situation de travail, selon des modalités souvent « informelles ». La loi
du 5 mars 2014 a ouvert un espace d’innovation concernant les différentes formes d’appren-
tissage en situation de travail.

115
Traité des sciences et des techniques de la formation

Il s’agit là d’une évolution majeure car l’entreprise avant d’être un lieu de formation est un
lieu de production de biens et services auxquels contribuent des salariés liés par un contrat de
travail dont le critère distinctif est la subordination juridique.

Cette problématique n’est pas inconnue du droit, elle reçoit plusieurs réponses notamment
celle de la formation en alternance qui organise dans un cadre juridique spécifique le rapport
entre le travail productif, marqué du sceau de la subordination juridique, et la formation.

En droit positif la formation en situation de travail, dans le cadre d’un contrat de travail de
droit commun, est aujourd’hui régie par l’article D. 6321-3 du Code du travail qui stipule que la
formation interne à l’entreprise est en principe dispensée dans des locaux distincts des lieux de
production, c’est-à‑dire en dehors des postes de travail habituels des salariés. Toutefois ce même
article prévoit une exception à ce principe lorsque la formation comporte un enseignement
pratique ; dans cette hypothèse, cet enseignement peut être donné sur les lieux de production. Il
doit alors être rendu compte au comité d’entreprise ou aux délégués du personnel des mesures
prises pour que l’enseignement dispensé réponde aux critères définissant l’action de formation
(programme établi en fonction d’objectifs préalablement déterminés, moyens pédagogiques et
d’encadrement, appréciation des résultats).

Ce texte, qui date de 1971, repose sur plusieurs postulats : d’une part que la situation de travail,
en elle-même aliénante par construction idéologique et marquée du sceau de la subordination
par construction juridique, ne saurait être formatrice, car la formation est un acte de liberté
et d’émancipation (ou alors il s’agit d’un simple entraînement : training…) ; d’autre part que la
formation, y compris en situation de travail, est assimilée à un enseignement, ce qui renvoie à
la transposition du modèle scolaire dans l’entreprise ; et enfin, que si la participation au travail
productif peut dans certaines circonstances contribuer à un processus de formation, cela ne
peut se faire que sous le contrôle des représentants du personnel (contrôle social).

Le développement de nouveaux équilibres entre travail et formation quelle que soit l’appel-
lation retenue – apprentissage en situation de travail (AST), formation en situation de travail
(FEST), ou encore professionnalisation en situation de travail (PST) – conduira nécessairement
à une révision du droit positif construit au début des années 1970 à l’époque où le modèle domi-
nant d’organisation du travail était celui du taylorisme, plus prédateur que formateur pour les
salariés, et où l’idéologie majoritairement « révolutionnaire » du mouvement syndical s’appuyait
sur une alliance avec l’école républicaine pour contribuer au développement de la qualification
des salariés et par là même à leur émancipation. Ce qui a conduit au « modèle séparatiste » entre
travail et formation en vigueur depuis les années 1970.

116
Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie ■ Chapitre 4

2.3 
Le contrat pédagogique :
obligations de moyens/obligations de résultat ?
Le Code du travail, en affirmant le droit à la formation tout au long de la vie pour toute
personne, quel que soit son statut, s’inscrit dans un courant plus large « de personnalisation
des droits sociaux fondamentaux », qui a pour conséquence de faire évoluer le droit à la forma-
tion vers « un droit subjectif », qui par là même devient « opposable » à des tiers. À ce titre
« l’apprenant » est nécessairement partie prenante à tout acte juridique relatif à la formation,
qui le concerne.

Par ailleurs, lorsque le financement de la formation est assuré par un « tiers payant », la
technique contractuelle de « la stipulation pour autrui » peut être utilisée afin d’associer « l’appre-
nant » au contrat de formation et lui permettre ainsi d’en faire respecter, le cas échéant, « les
engagements de qualité » contractuellement convenus.

« Les apprenants », quel que soit leur statut, salarié, demandeur d’emploi, stagiaire de la forma-
tion professionnelle, personne privée « consommateur », sont en définitive les premiers concernés
par « la qualité de la formation ». L’obligation qui pèse sur les financeurs, de s’assurer de la qualité
des prestations financées, ne trouve pas sa finalité en elle-même, mais, en ce qu’elle est susceptible
d’apporter « aux apprenants » la formation la plus conforme aux engagements contractuels, la
plus pertinente par rapport aux objectifs de l’apprenant, la plus efficiente au regard des moyens
mobilisés… bref une formation de qualité (décret « qualité » du 1er juillet 2015 critères n° 6).

Le fait que la formation dont bénéficient les « apprenants » soit « prescrite » (par l’employeur
pour le salarié par exemple) et financée par « un tiers payant » ne place pas pour autant « l’appre-
nant » en dehors de la relation contractuelle de formation. Si la formation constitue « l’objet de
la convention de formation », la personne apprenante en est « le sujet » qu’elle en assure ou non
le financement, a fortiori lorsqu’elle se trouve en situation de « co-investissement » (exprimé en
temps ou en argent), ou encore lorsqu’un « reste à charge » lui incombe, ce qui est fréquemment
le cas pour le CIF.

En cas de non-respect des engagements contractuels par le prestataire de formation « l’appre-


nant » peut demander réparation au juge. Le préjudice peut être constitué par « la perte d’une
chance » du fait de la non-obtention d’une certification, d’un titre ou d’un diplôme, c’est-à‑dire
d’un « signe » permettant au bénéficiaire de la formation d’évoluer au sein de l’entreprise, ou sur
le marché du travail externe. À cette occasion, les juges rappellent que le contrat de formation
professionnelle est régi, comme tout contrat, par l’article 1134 du Code civil qui stipule que
« les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites… ». À titre
d’illustration, le juge du tribunal d’instance de Dax a eu l’occasion de préciser que « le travail

117
Traité des sciences et des techniques de la formation

des uns et des autres est sanctionné par une réussite ou un échec lors de l’examen final sans que
pour autant pèse sur le formateur une obligation de résultat, les deux parties étant impliquées
dans l’acte de formation » (chronique 99 jml-conseil.fr).

En fait, ne pourra être sanctionné que le non-respect des obligations « de moyens » (locaux,
formateurs qualifiés, outils pédagogiques, appui personnalisé…) auxquels le formateur s’est
contractuellement engagé envers « l’apprenant ».

La personnalisation du droit de la formation et l’individualisation des processus d’apprentis-


sage amplifiés à l’ère du digital, auront sans doute pour effet à moyen long terme de conduire au
développement des relations contractuelles entre « apprenants » et prestataires de services de
formation ainsi que de services associés (conseil orientation accompagnement certification…).
Il en résultera peut-être une plus grande judiciarisation des processus d’apprentissage.

3. La reconnaissance juridique des acquis de la formation

3.1 Le recentrage de la formation professionnelle sur la qualification


3.1.1 De la reconnaissance sociale à la qualification
L’intérêt que trouve une personne à se former relève tout à la fois de la sphère de l’intime,
tels que l’estime de soi, ou le rapport à la connaissance et au savoir, et de la sphère du social,
tel que la nécessité de maintenir son employabilité, ou d’engager une reconversion, l’aspira-
tion à la promotion et sociale…, et, bien entendu l’obtention d’une qualification reconnue
qui confère une identité sociale, permet la poursuite d’études, facilite l’insertion et l’évolution
professionnelle et constitue « un viatique » pour les personnes engagées dans des mobilités
subies ou choisies.

S’il est un thème qui donne sens et cohérence à la réforme portée par la loi du 4 mars 2015,
c’est bien celui de l’affirmation du droit à la qualification, qui sur le plan juridique transcende
celui de compétence, celui-ci renvoyant à l’univers de la gestion dont l’employeur est maître
dans son entreprise. La compétence, en effet, s’apprécie dans le contexte spécifique à chaque
situation de travail alors que la qualification est en quelque sorte « un droit patrimonial » qui
appartient à chaque salarié indépendamment du contexte particulier de son exercice.

Ce droit est ouvert à toute personne quel que soit son statut. Il est opposable aux pouvoirs
publics, soit dans le cadre du service public d’éducation, soit aux régions dans le cadre du service

118
Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie ■ Chapitre 4

public régional de formation professionnelle, soit à l’employeur dans la limite de la qualification


contractuelle convenue (art. L. 6314-1).

3.1.2 Le CPF et la qualification


Le nouveau compte personnel de formation a pour objectif la qualification personnelle de ses
titulaires. Les nouvelles règles de financement de la formation par les entreprises ont pour effet
de concentrer les ressources légales de nature fiscale, sur des formations à finalité qualifiante :
contrat de professionnalisation, financement partiel de l’apprentissage, période de profession-
nalisation, congé individuel de formation, compte personnel de formation… Au référentiel fiscal
de la formation qui englobe une grande variété d’actions, se substitue un référentiel « social »
dont le critère déterminant est la qualification.

Ce « droit subjectif » de toute personne à la qualification, indépendamment de son statut,


doit désormais être décliné en trois objectifs opérationnels afin de garantir son effectivité : la
garantie d’accès à un premier niveau de qualification pour tous, l’entretien de la qualification
des salariés en activité, la garantie de progression d’au moins un niveau de qualification au cours
d’une vie professionnelle. Cependant, une chose est l’affirmation du caractère opposable d’un
droit, autre chose est son effectivité. Celle-ci suppose l’existence de ressources c’est-à‑dire du
temps, des moyens financiers et des ressources pédagogiques, qui sont certes disponibles mais
inégalement réparties.

3.2 La qualification objet de négociations collectives


Traditionnellement, les modalités de reconnaissance de la qualification occupent une place
centrale dans la régulation collective des relations de travail. Cette reconnaissance s’effectue
principalement par les grilles de classification, auxquelles sont notamment articulées des grilles
de salaires. Ces grilles de classification visent entre autres à faciliter la gestion des carrières et
la mobilité professionnelle des salariés.

Au moins une fois tous les cinq ans, les organisations liées par une convention de branche
ou, à défaut, par des accords professionnels se réunissent pour examiner la nécessité de réviser
les classifications (C. Trav. art. L. 2241-7).

Les travaux consacrés à cette question constatent la faible capacité des grilles de classifica-
tion, même rénovées, à prendre en considération les compétences et la qualification des salariés
acquises au cours de leur vie professionnelle, notamment dans les TPE/PME.

119
Traité des sciences et des techniques de la formation

Les branches professionnelles qui négocieront à l’avenir sur cette question se préoccuperont
sans doute davantage qu’elles ne l’ont fait dans le passé les acquis de la formation tout au long
de la vie en cohérence avec l’objectif de qualification fixé par la réforme.

4. Conclusion
La répartition des pouvoirs, et des compétences entre les acteurs en charge d’un système
ouvert de formation professionnelle, ainsi que la question de l’allocation des ressources a été
au centre de la construction juridique de ces dernières décennies.

Le développement de l’individualisation des parcours de formation a ouvert la voie à de la


personnalisation du droit ainsi qu’à la mise en évidence de la relation contractuelle fondée sur
une obligation de moyens, entre apprenants et prestataires de formation. La dimension juridique
inhérente à toute relation pédagogique s’en trouvera à l’avenir renforcée.

Lectures conseillées
« Annexes aux projets de loi de finances pour M aggi Germain N. (coord.) (2016). Dossier « Les
2017. Formation professionnelle », 2016. comptes personnels d’activité (CPA) », Droit
Centre Inffo. (2016). « Les fiches pratiques de la social n° 10.
formation professionnelle ». Willems J.-P. (2016). « La formation profession-
Luttringer J.-M. (coord.) (2014). Dossier « La réforme nelle », Liaisons sociales, « Les thématiques »,
de la formation professionnelle », Droit 2 vol.
social, n° 12. Sites recommandés : France Stratégie, Dares,
Luttringer J.-M. (coord.) (2016). Dossier « Mutations Cedefop, jml-conseil.fr.
de la formation professionnelle », Droit
social, n° 12.

120
Chapitre 5
Le marché
de la formation1

1. Par Philippe Joffre.


Sommaire
1. Une très forte évolution des contextes d’achat.................................................... 123
2. Les nouveaux enjeux de la co-construction
pour les « acheteurs » et « vendeurs » de formation.............................................. 128
Lectures conseillées.................................................................................................. 136
Comme le souligne André Voisin dans le présent ouvrage, dans le langage courant du milieu
de la formation, l’expression « marché de la formation » désigne communément l’ensemble des
producteurs et prestataires de formation et non la rencontre entre l’offre et la demande. Les
trente dernières années ont cependant été marquées par une très forte évolution des relations
entre demande et offre de formation. Si la loi fondatrice de 1971, en créant une « dépense obli-
gatoire » pour les entreprises a vu naître un grand nombre d’organismes, il a fallu attendre le
début des années 1990 pour que le statut commercial de ces organismes se généralise en lieu et
place du statut associatif qui seyait mieux à une prestation « pas comme les autres »… Il a fallu
attendre la même époque pour voir apparaître les premiers « acheteurs » de formation, pour
voir se généraliser les cahiers des charges, les mises en concurrence et autres appels d’offres.
Les relations entre « commercial », « vente », « achat » et « formation » restent timides, déli-
cates et complexes. Elles se sont durcies au cours des dernières années sous l’effet cumulé de
la diminution des budgets de formation, de la complexification des dispositifs ou encore de la
démultiplication et de la diversification des prestataires.

La formation est ainsi entrée de plain-pied dans l’ère des services mais il reste évident qu’elle
ne peut être achetée ni vendue comme une commodité. Nous verrons ainsi que les démarches
de vente ou d’achat après s’être généralisées trouvent aujourd’hui un certain nombre de limites
qui questionnent notamment les compétences des acteurs et leur capacité à co-construire une
prestation complexe tout en intégrant leurs respectives équations économiques sur un marché
en profonde évolution.

1. Une très forte évolution des contextes d’achat

1.1 Il n’y a pas UN mais DES marchés de la formation


Il est tout d’abord essentiel de souligner qu’il n’y a pas UN mais DES marchés de la forma-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

tion aux mécanismes et dynamiques fortement dissemblables. Ainsi, même si tous les types et
natures de formations doivent être achetés, des logiques commerciales ou tarifaires spécifiques
structurent fortement les relations entre offre et demande. Cinq éléments semblent essentiels
à prendre en compte :
–– Le caractère obligatoire ou non de la dépense : le fait d’instaurer un financement contraint
(le « 1 % formation » et ses évolutions, taxe d’apprentissage, quota obligatoire d’alternants,
DIF puis compte personnel de formation…) crée un rapport particulier entre acheteur et
vendeur. L’objectif n’est pas forcément dans un premier temps d’optimiser une dépense
mais de la garantir. En matière de formation professionnelle des salariés, le « dépenser

123
Traité des sciences et des techniques de la formation

plus » et l’augmentation du taux de participation financière des entreprises ont même été
pendant des années l’indicateur de performance de référence.
–– L’encadrement des prix d’achat ou des niveaux de financements : quand un Opca définit un
niveau de « prise en charge » (x euros par heure/stagiaire), ce n’est plus un équilibre entre
offre et demande ou une potentielle « main invisible » qui permet de définir des couples
prix/niveau de service. Les prestataires se situent alors dans une logique de conception
à coût objectif où les durées, le nombre de participants aux formations et les coûts des
formateurs deviennent les paramètres permettant d’assurer les équilibres économiques et
d’orienter l’ingénierie.
–– La capacité du client ou de la demande à structurer l’offre de formation : les relations achat/
vente seront de natures très dissemblables pour les achats de « stages catalogues » ou les
produits « sur étagère » ou pour les achats dits « intra » ou « sur mesure » où ce n’est pas l’offre
qui structure la demande mais un cahier des charges spécifique qui appelle une réponse
adaptée. La capacité à analyser une demande et à formuler clairement un besoin, des objec-
tifs et des contraintes puis à co-construire la prestation seront ici des éléments premiers.
–– Le niveau de contrainte, le cadre normatif exigé pour les prestations : on voit par exemple
qu’à travers la loi de mars 2014 apparaissent des marchés bien distincts : un marché « légal »
ou « conventionnel » où les critères d’éligibilité d’une formation sont définis par la loi, où
il faut dans la plupart des cas que les formations soient certifiantes et inscrites au RNCP
ou à l’Inventaire pour être éligibles ou encore que les organismes répondent à des critères
qualité définis par décret (cf. décret qualité du 30 juin 2015) et un marché extralégal totale-
ment déréglementé où le fait même d’exister en tant qu’organisme de formation n’est plus
nécessaire et où le contrat entre acheteur et vendeur vaut loi.
–– On peut enfin citer le fait que pour tous les types de formations, les chaînes de clientèle au
sens où les définit Guy le Boterf sont plus ou moins riches et complexes, le client final, le
client décideur et le client payeur étant intégrés de façon plus ou moins significative dans
l’acte d’achat.

1.2 Des budgets formation qui diminuent


après avoir fortement augmenté
Lorsqu’on analyse l’évolution des dépenses formation de la nation et notamment les dépenses
des entreprises en matière de formation professionnelle (évolution du taux de participation
financière des entreprises depuis 1971), on peut distinguer trois grandes époques qui se sont
caractérisées par trois types de relations différentes entre demande et offre, entre achat et vente
de formation :
–– Du début des années 1970 au milieu des années 1980 : un taux de croissance du taux de
participation financière d’environ 5 % sur un marché « naissant » avec des organismes de

124
Le marché de la formation ■ Chapitre 5

formation « pionniers » proposant des prestations structurant la demande dans le cadre


d’une nouvelle obligation légale,
–– Du milieu des années 1980 au milieu des années 1990 : un taux de croissance de plus de
10 % par an, où les dimensions prix, achat et négociation ne sont pas encore des dominantes
dans les relations offre/demande et où il s’agit de normaliser les pratiques et de trouver les
moyens de répondre de façon plus « industrielle » à une demande en forte augmentation,
–– Du milieu des années 1990 à nos jours (avec des mini-cycles fortement liés aux réformes
qui se sont succédé tous les 4 à 5 ans) : l’avènement du « faire plus et mieux avec moins ».
Cette période se caractérise par une tension toujours plus forte sur les budgets – le taux de
participation financière des entreprises ne cesse de diminuer depuis 1993 – et une augmen-
tation et une complexification des besoins. C’est dans ce contexte que sont apparus les
premiers acheteurs de formation (Renault, Société Générale par exemple) chargés de venir
optimiser le rapport qualité/coût des formations, les formations achetées à des prestataires
externes représentant près de 25 % des dépenses totales de formation et plus de 75 % des
heures produites.

1.3 Les achats et les ventes de formation ne sont pas


des achats et des ventes comme les autres (mais comme
les autres ce sont des ventes et des achats !)
Le début des années 1990 est marqué par un tournant important dans les relations entre
demande et offre de formation. On quitte petit à petit un environnement marqué par des
positions de type « la formation, cela ne s’achète pas » et autre « la formation a peut-être un
coût, mais elle n’a pas de prix »… pour entrer dans de nouvelles dimensions où pratiques
d’achat et de vente deviennent partie intégrante des processus de formation qu’ils s’agissent
de la formation pour les salariés ou des formations pour les demandeurs d’emploi. Ces achats
de formations s’inscrivent par ailleurs dans un mouvement plus vaste consistant à vouloir
maîtriser les achats de prestations intellectuelles, les achats hors production, représentant
désormais plus de 25 % des achats des entreprises. On va ainsi assister, en même temps qu’à
une forme d’officialisation des fonctions vente et achat à un certain nombre de caricatures
transposant sans grande finesse ni véritable innovation des méthodes d’achat ayant fait leurs
preuves sur d’autres familles de produits ou prestations au domaine de la formation. Nous
verrons ultérieurement que même si ces démarches sont pour la plupart professionnalisées,
on se situe encore dans cette dynamique qui trouve aujourd’hui ses limites.

Quelles sont donc ces spécificités qui rendent ces achats de formations singuliers ? En quoi
les relations commerciales dans le domaine de la formation diffèrent-elles d’autres types de
prestations ? Quelques éléments de réponse :

125
Traité des sciences et des techniques de la formation

–– Le propre d’une prestation intellectuelle est d’être non stockable et intangible : on achète sur
papier, à terme, une capacité de co-construction d’une prestation dont on aura, de plus, du
mal à évaluer les effets. On se situe bien sur des achats de confiance d’une prestation dont
les « inputs » et « outputs » sont abstraits et dont le contenu relève d’un process mais aussi
d’une relation que l’on peut difficilement normer ;
–– La qualité d’un achat ou d’une vente de formation dépend autant de la question posée que
de la réponse apportée. Évaluer la qualité d’un achat de formation, c’est donc évaluer une
co-construction. Or, dans de très nombreux cas, le client dans le domaine de la formation
ne sait pas ce qu’il veut jusqu’au moment où il ne l’a pas !
–– On se situe, dans une grande majorité des cas, dans une logique de mieux-disant et non
d’adjudication ou de moins-disant. Il s’agit donc d’acheter un rapport qualité/coût qui reste
très difficile à maîtriser. Si le coût peut être un élément objectif, la qualité doit être analysée
à l’aide de critères de sélection prédéfinis qui permettent de se rassurer (la première moti-
vation à l’achat est en effet la sécurité) mais non de garantir la performance finale.

Deux éléments méritent d’être soulignés en conclusion de cette partie, renvoyant les acteurs
de la relation commerciale à deux axes de travail importants :
–– Pour les acheteurs de la formation, il s’agit d’investir sur les véritables zones de gain. En effet,
10 % d’économie sur une formation inutile, c’est toujours 100 % de perte ! Autrement dit,
la formation la plus chère reste toujours celle qui ne sert à rien. On sait ainsi d’expérience
que les actions les plus profitables se situent en amont de l’acte d’achat, sur la définition et
l’expression des besoins, l’identification des solutions mises en place ailleurs, sur la connais-
sance des offres et des modalités mobilisables, bien plus que les actions sur les prix, fruits
de la mise en concurrence ou de la négociation ou encore sur l’administration des achats.
Encore faut-il mettre en œuvre des processus d’achat permettant de se centrer sur ces zones
de gain et disposer des acteurs et compétences permettant de les optimiser.
–– Pour les prestataires de formation, l’objectif est d’être en capacité de segmenter leurs pres-
tations, c’est-à‑dire de proposer différents niveaux de services pour différents niveaux de
prix, ce qui reste encore une pratique très limitée voire considérée comme « non éthique »
par certains offreurs de formation. Il s’agit pourtant d’un levier de performance essentiel
pour la relation demande/offre afin de sortir des relations de marchandage où le niveau de
service reste fixe mais où seul le prix variera en fonction de négociations ou de marchandages
plus ou moins tendus et maîtrisés. L’intégration des contraintes des clients (budgétaires,
de temps, organisationnelles…) est en effet devenue un enjeu majeur pour l’ingénierie et
notamment l’ingénierie de réponse afin de concilier des exigences et attentes toujours plus
fortes et un système de contraintes toujours plus prégnant. On parle ainsi de plus en plus
d’ingénierie inversée consistant à identifier le niveau d’objectif atteignable à partir d’un
niveau de contrainte donné et non d’identifier le niveau de moyen à mobiliser pour atteindre
un niveau d’objectif défini.

126
Le marché de la formation ■ Chapitre 5

1.4 Une offre de formation en profonde évolution,


vers une nouvelle segmentation
Ce qui caractérise en premier lieu le marché de la formation, c’est son caractère pléthorique
et son atomisation. On comptait en 2012 plus de 62 000 organismes de formation actifs, 82 %
réalisant moins de 150 000 euros de chiffre d’affaires et concentrant environ 10 % du chiffre
d’affaires du secteur et seulement 1 % des organismes réalisant plus de 3 millions de chiffre
d’affaires et concentrant 45 % du chiffre d’affaires total. Cette dispersion doublée d’un turnover
impressionnant (un organisme sur trois a moins de trois ans d’existence) et le fait que seul un
organisme sur cinq déclare la formation comme son activité principale, rendent singulier ce
marché « d’artisans » où le plus gros opérateur privé à statut commercial reste une PME de
moins de 200 millions d’euros alors que le total des recettes des organismes de formation (tous
statuts et toutes natures de formation confondus) s’élève à plus de 9 milliards. On se situe ainsi
dans une logique de redécouverte permanente et cette foultitude de prestataires rend difficile
pour les acheteurs et chargés de formation une connaissance fine des acteurs.

Des facteurs d’évolution puissants catalysent aujourd’hui le changement et favorisent une


forme de recomposition, réelle mais lente, du marché de l’offre de formation :
–– S’il est clair que désormais le statut dominant est le statut privé à but commercial, l’appareil
français est aussi composé d’une forte composante publique et parapublique (Afpa, Greta,
universités, chambres consulaires…) représentant une part significative des recettes du
secteur. Il est à noter ici que les frontières public/privé s’estompent et que l’on voit de plus en
plus d’acteurs publics manifester un volontarisme fort sur le marché des entreprises (voir le
plan de refondation puis plan stratégique de l’Afpa ou le rapport Germinet sur la formation
continue dans les universités) pour maintenir ou garantir leur pérennité et une nouvelle
équation économique. On voit aussi des prestataires privés investir des domaines jadis
réservés au monde associatif ou public (insertion, formation des demandeurs d’emploi…)
afin de diversifier leurs sources de financement et de profiter d’opportunité de développe-
ment (POEI/POEC, fonds de la professionnalisation, plan 500 000, etc.).
–– Une autre grande frontière classique est aussi en train de tomber, celle qui jadis séparait la
formation initiale, la formation en alternance, la formation des salariés et la formation des
demandeurs d’emploi. On voit aujourd’hui se constituer des groupes verticalisant leurs acti-
vités sur un certain nombre de domaines (compétences transverses ou métiers) et proposant
une offre complète sur l’ensemble des cibles. Cette évolution est catalysée par la demande
toujours plus forte de parcours de formation certifiants (du fait des impacts de la loi de
2014), le développement des écoles et campus de formation métier à l’image de ce qui se
fait en matière d’organisation des systèmes de formation dans les entreprises mais aussi par
une économie plus rationnelle et profitable de ce modèle « école » qui attire plus volontiers
les investisseurs et rend plus faciles les regroupements et fusions. La qualité des parcours

127
Traité des sciences et des techniques de la formation

et cursus de formation, les marques et enseignes prennent alors le pas sur les compétences
individuelles des formateurs et consultants voire sur l’ego des dirigeants !
–– Autre forte évolution notable, la diversification des modalités de formation et notam-
ment la digitalisation des pratiques qui change profondément à la fois le paradigme de la
Recherche et Développement mais aussi les modèles de revenus ou la nature des compé-
tences et ressources à mobiliser. Il s’agit pour les prestataires de proposer des parcours
blended ou multimodaux mais aussi de répondre à des demandes qui ne relèvent pas
uniquement de la formation et du développement des compétences mais qui sont de plus
en plus globales (développement de la performance, accompagnement du changement,
évolution professionnelle, insertion dans l’emploi…). Cela se traduit sur le plan commer-
cial et sur les démarches de vente par un besoin cumulé de technicité et de polyvalence,
de vision globale et d’expertises de plus en plus ciblées, mais aussi par de nécessaires
stratégies de partenariats et d’alliances.
–– Dernier élément à évoquer, le développement des intermédiaires et places de marché avec
en premier lieu les Opca dont la réforme de 2014 renforce et change le rôle. Ils sont devenus
des guichets uniques pour les entreprises pour le 1 % formation et la taxe d’apprentissage ;
ils constituent des offres collectives et deviennent donc de facto des distributeurs et des
agrégateurs d’offres ; ils contrôlent la qualité et syndiquent les appréciations des stagiaires ; ils
développent des offres de services à destination des entreprises visant notamment à faciliter
et optimiser les achats, les financements et les évaluations… Les Opca sont plus que jamais
des acteurs incontournables, leurs appels d’offres et leurs référencements peuvent même
constituer pour certains prestataires et sur certains territoires des « couperets » condition-
nant leur existence même. Concernant les autres intermédiaires, les places de marché privées
se multiplient mais ont du mal à atteindre des tailles et parts de marché significatives et à se
positionner dans la chaîne de valeur et vis-à‑vis des Opca. Elles s’adressent principalement
aux TPE et PME, facilitant leurs recherches de formations et les process de mise en relation,
proposent des tarifs promotionnels mais n’arrivent pas à s’imposer dans les grands comptes
sauf pour ce qui concerne les achats diffus et pour la gestion et la digitalisation de la mise
en relation hors de l’activité de courtage.

2. Les nouveaux enjeux de la co-construction


pour les « acheteurs » et « vendeurs » de formation

Nous vous proposons dans cette partie d’identifier les nouveaux défis pour la fonction
commerciale (achat et vente) dans le domaine de la formation où plus de 75 % des heures de
formation sont assurées par des prestataires externes et donc vendues et achetées.

128
Le marché de la formation ■ Chapitre 5

2.1 Cinq nouveaux défis pour les achats de formation


On a coutume de décomposer l’acte d’achat de formation en cinq étapes clés :
–– de la demande au besoin (cette phase intègre de même une analyse « faire ou faire faire ») ;
–– du besoin au cahier des charges ;
–– du cahier des charges à la sélection des prestataires ;
–– de la sélection à la négociation des conditions qualitatives et quantitatives ;
–– de la négociation à la contractualisation et à l’évaluation de la performance fournisseur.

Plutôt que de reprendre chacune de ces étapes, nous essaierons ici d’identifier ce qui constitue
aujourd’hui, les nouveaux leviers de performance pour la fonction achat.

2.1.1 Assurer une veille plus importante sur un marché


qui se diversifie et s’internationalise
Les acheteurs ou responsables formation ne connaissent pas suffisamment le marché de la
formation. Les durées de poste de 3 à 5 ans ne permettent pas, en général, de développer une
expertise forte en la matière sur un marché en perpétuel renouvellement. Les acteurs passent
leur temps à redécouvrir le marché et ne disposent que de peu d’outils pour capitaliser leurs
propres expériences avec les prestataires. De plus, la digitalisation des pratiques démultiplie et
internationalise les besoins de veille : les acteurs et les offres sont nombreux avec un foisonne-
ment encore jamais vu dans ce secteur et des solutions qui vont du gadget ou du nice to have, à
des ressources ou dispositifs modifiant véritablement les manières d’apprendre (EPSS, techniques
immersives, simulateurs…).

2.1.2 Identifier le juste niveau de transformation


de la demande en solution
Le problème le plus délicat en matière d’achat de formation est de savoir s’il faut émettre une
demande sous forme de problème à résoudre, d’objectifs à atteindre et de contraintes à intégrer
et juger le prestataire sur la capacité à comprendre cette demande et proposer des solutions et
dispositifs adaptés, ou s’il faut décrire précisément des solutions et sélectionner les organismes de
formation en fonction de leur capacité à exécuter de façon optimale et en conformité les prestations
décrites. La réponse ne peut être évidemment unique et dépend du niveau d’expérience acquis sur
le sujet traité mais aussi de la plus ou moins grande diversité des solutions envisageables.

Deux pistes à creuser : renforcer les capacités d’analyse des situations et le diagnostic des
acteurs des achats (binôme fonctionnel achat/ingénierie de formation dans les grandes entre-
prises) mais surtout développer des cahiers des charges fonctionnels plus que techniques
énonçant finement des problèmes à résoudre ou proposant des esquisses de dispositifs à criti-
quer, enrichir et remodeler.

129
Traité des sciences et des techniques de la formation

2.1.3 Réinventer les mises en concurrence et les appels d’offres


S’il est difficile d’imaginer des manières plus efficaces permettant de comparer différentes
solutions ou propositions avant d’acheter et de faire jouer la concurrence et optimiser les
conditions commerciales proposées, il est par contre certain que les pratiques caricaturales et
restrictives actuelles ne sont pas les meilleurs vecteurs de performance pour des appels d’offres
visant la co-construction de dispositifs. Les marchés publics sont sujets à des règles de droit
très contraignantes pour garantir transparence du choix, égalité concurrentielle et principe
de « mieux-disance ». Les appels d’offres privés relèvent souvent d’exercices de forme avec un
cahier des charges plus ou moins pertinent, un écrit et un oral où le but est de convaincre et
de séduire, en proposant des solutions qui diffèrent systématiquement de la solution finale qui
sera mise en place.

L’objectif serait donc plutôt, en assouplissant les règles de forme, de présélectionner un faible
nombre de prestataires et d’accorder du temps à l’expression du besoin et l’identification des
contraintes à intégrer, éventuellement sous forme de réunions physiques complétant un premier
cahier des charges « papier ». Il s’agirait ici d’aller au bout de la logique en identifiant plutôt un
potentiel à co-construire chez un prestataire.

2.1.4 Professionnaliser les négociations et privilégier


des approches globales plutôt qu’un « saucissonnage »
du processus d’achat
Tout l’enjeu d’une négociation en matière de formation est de ne pas séparer la négocia-
tion du niveau de services, de la négociation des prix. En effet, il n’y a négociation que s’il y a
concessions et contreparties. S’il n’y a qu’une seule clause à négocier, on se retrouve dans une
situation de marchandage qui relève d’une relation perdant/gagnant et qui viendra nécessaire-
ment éroder le niveau de marge du prestataire. Cela ne signifie pas que le prix d’une prestation
ou d’une journée d’intervention ne puisse pas faire l’objet d’une discussion commerciale, mais
plutôt que l’essentiel du coût global se situe à un autre niveau. Il s’agit donc avant tout, pour les
achats de type « services » (formations intra, dispositifs sur mesure), d’obtenir du prestataire
une décomposition du budget permettant la discussion :
–– sur la nature des tâches et des missions sur l’ensemble du process ;
–– sur le temps affecté à chaque tâche ou mission ;
–– sur le niveau de prix correspondant à chaque tâche ou mission.

La dimension technique de la négociation consiste donc à aborder chaque étape du processus


de formation (analyses de besoins et des attentes, conception, ingénierie, scénarisation, média-
tisation, animation, suivi, tutorat, évaluation/certification…) en balayant à chaque fois les trois
paramètres évoqués en essayant de trouver les leviers permettant d’optimiser les coûts si cela
s’avère nécessaire (diminution du niveau de service, répartition des différentes tâches entre

130
Le marché de la formation ■ Chapitre 5

maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage, optimisation du temps passé, réinvestissement des


ressources existantes, réduction des prix…).

L’idée clé reste donc d’adapter les méthodes, les leviers et les arguments de négociation aux
prestations achetées mais aussi aux types de prestataires auxquels on est confronté : négocier,
c’est savoir ce qui est important pour l’autre et compte tenu de la diversité des prestataires, cette
phase d’exploration est souvent essentielle.

2.1.5 Mettre en place une évaluation de la performance fournisseur


pour faire vivre les politiques d’achat et de référencement
Il n’existe que très peu de systèmes d’évaluation de la performance des organismes de forma-
tion mis en place dans les entreprises (supplier relationship management dans le vocabulaire des
directions des achats). Ceci est fortement lié à la difficulté d’évaluer les organismes de formation
mais aussi à la déconnexion toujours plus forte dans les grandes entreprises entre l’acte d’achat et
l’acte de « production » de formation. La multiplication des politiques de référencement renforce
cette nécessaire évolution. Il est certes important de sélectionner et référencer des prestataires
à partir de procédures spécifiques (request for information, request for proposal…) mais il est
surtout essentiel de faire vivre ces référencements avec des entrées et sorties tenant compte de
la réalité des prestations plutôt que de remettre les pendules à zéro tous les trois ou cinq ans et
sélectionner de nouveau en fonction d’une potentielle capacité à faire.

Il est ainsi possible d’évaluer un fournisseur de formation sur des dimensions du type qualité-
coûts-délais-services : satisfaction stagiaire (utilité perçue puis utilité réelle), pérennité et stabilité
financière, taux de dépendance, capacité d’innovation, qualité de la relation, évolution des prix,
positionnement des prix, réactivité, qualité de la gestion et de la facturation etc.

2.2 Quelles conditions de performance commerciale


pour les prestataires de formation aujourd’hui ?
Notons tout d’abord la difficulté à isoler une fonction purement commerciale notamment
quand le prestataire de formation n’a pas d’activité « catalogue » ou un ensemble de produits à
vendre. Dans le domaine de la formation, il est en effet très complexe de déconnecter la vente
de l’acte de production. On parle souvent d’une vente-conseil où il est important d’avoir sur soi
un « échantillon de ce que l’on promet ou propose ».

La performance commerciale écrite ou orale dépendra de la capacité à écouter, probléma-


tiser et dessiner des premières pistes de solutions, ce qui nécessite une compétence technique
certaine. A contrario, cela ne signifie pas que la formation ne peut être vendue que par ses

131
Traité des sciences et des techniques de la formation

experts ou producteurs mais qu’il s’agit de construire une double compétence dédiée. Cette
dimension technico-commerciale est aujourd’hui en fort questionnement car les dispositifs
se complexifient et leur vente nécessite des compétences à la fois généralistes et techniques,
nouvelles pour les acteurs : ingénierie du financement, ingénierie de certification, dimension
digitale, accompagnement du changement…

2.2.1 Définir une stratégie de positionnement


sur un marché segmenté mais décloisonné
Même si cette dimension n’est pas nouvelle, les positionnements des prestataires et orga-
nismes de formation étaient il y a peu plus simples et pérennes. On se situait sur le marché du
traitement social du chômage, des formations métiers ou transverses en entreprise en inter ou
en intra, on proposait des formations en alternance, on éditait des ressources pédagogiques etc.
On assiste aujourd’hui à une redistribution des cartes comme nous l’avons déjà évoqué et la
réforme de mars 2014 y contribue fortement :
–– On voit apparaître un marché « légal ou conventionnel » avec des contraintes et exigences
plus fortes et où l’ingénierie de certification devient une expertise incontournable.
–– On voit de même apparaître un marché « extralégal » qui va peu à peu évoluer vers une
promesse plus large (performance, changement, disruption digitale, gestion des talents…). Il
s’agira notamment de mettre en avant des bénéfices clients puis de les prouver dans le cadre
d’une dépense qui n’est plus contrainte et où les employeurs, via accord avec les instances
représentatives du personnel, peuvent eux-mêmes redéfinir la notion de formation.
–– On voit se dessiner un marché « B to C » (business to consumer) lié au développement
du compte personnel de formation et au poids grandissant que représentent les ménages
dans la dépense nationale de formation (plus de 4 % des dépenses nationales soit près de
1,2 milliard d’euros).
–– On voit apparaître du fait de la diversification et de la digitalisation des parcours, des ensem-
bliers ou intégrateurs en capacité de porter des offres globales, agrégeant les différentes
modalités pédagogiques et les différentes dimensions d’un projet global, à partir d’un savoir-
faire différenciateur en matière d’ingénierie, de pilotage de projet ou d’accompagnement
du changement.

Cet inventaire qui pourrait être encore détaillé montre qu’une réflexion stratégique bien plus
complexe que dans le passé est devenue essentielle. Les politiques et démarches commerciales
doivent en effet ensuite être adaptées à ces nouveaux segments, aux règles du jeu et conditions
de performances fortement dissemblables.

2.2.2 Construire des offres et des réponses


Le deuxième facteur de performance sur le plan commercial réside dans le fait d’être en
mesure de mixer deux savoir-faire différents : d’une part, se forger sa propre représentation des

132
Le marché de la formation ■ Chapitre 5

besoins des clients quels qu’ils soient, à partir d’un marketing stratégique maîtrisé et construire
des offres ou produits de formation et, d’autre part, être en capacité de construire et proposer
des réponses, partiellement inédites, en intégrant les spécificités des clients et en réinvestis-
sant son patrimoine d’expériences ou son portefeuille d’offres. Yves Blanchard qui présidait
un des prestataires de référence dans le domaine de la relation client et du management avait
coutume de dire que les prestataires de formation sont des « industriels du prototype », on
leur demande en effet de construire des solutions inédites à des conditions commerciales et
tarifaires relevant des grandes séries, ce qui ne peut permettre un développement durable et
harmonieux. La capacité pour la fonction commerciale à irriguer et orienter l’ingénierie et
la R & D puis à analyser les demandes des clients et les orienter vers des solutions potentiel-
lement préexistantes ou à construire éventuellement avec d’autres prestataires des solutions
inédites, va venir remplacer les vieillissantes distinctions inter/intra, inter en intra et autre
« sur mesure ». Là encore le développement des formations certifiantes et donc des modèles
« écoles » ou campus et la digitalisation des parcours de formation vont largement faire évoluer
les pratiques d’ingénierie et notamment l’ingénierie de réponse.

2.2.3 Maîtriser la conquête mais surtout


la transformation commerciale
La dimension conquête et la capacité à adresser des clients actifs ou inactifs et des prospects à
travers des campagnes commerciales ne recèle pas dans le domaine de la formation de spécificités
particulières. Une difficulté est certes liée à la multiplicité des clients (acheteur, prescripteur,
bénéficiaire, décideur…) qui nécessite des approches adaptées que l’on peut retrouver cependant
sur un certain nombre de marchés dits « B to B to E » (business to business to employee) où le client
acheteur et payeur est l’entreprise ou l’employeur mais où le bénéficiaire voire le prescripteur
restent la personne. Il est toutefois important de souligner que, hormis dans quelques organismes
d’envergure, auxquels on peut ajouter ceux dont le développement commercial est l’expertise, la
maîtrise des logiques de campagnes commerciales reste plus qu’aléatoire. Définir et caractériser
des segments de clientèle aux comportements homogènes, définir des couples produits/marchés
pertinents, identifier et qualifier les cibles, construire des plateformes de vente favorisant l’action
et la motivation des acteurs, suivre les campagnes et mettre en place les rituels managériaux d’ani-
mation des ventes permettant de piloter les campagnes efficacement, restent des dimensions très
modestement maîtrisées si on compare le niveau de technicité mobilisé à l’expertise sur le cœur de
métier. On pourrait évoquer dans le même ordre d’idée la maîtrise des entretiens commerciaux,
quelle que soit leur nature, qui oscille souvent entre caricature et improvisation alors qu’il s’agit
là d’une des bases incontournables de toute activité commerciale (présentation, questionnement,
écoute, reformulation, synthèses, problématisation, argumentation, closing…).

Une compétence est aujourd’hui de plus en plus différenciatrice, le « commercial de trans-


formation », appelé par certains « ingénierie de réponse » et se traduisant dans les faits par la

133
Traité des sciences et des techniques de la formation

formalisation de réponses à des consultations ou appels d’offres plus ou moins formels. Il s’agit
là de la pratique qui s’est le plus développée au cours des vingt dernières années avec l’essor
des appels d’offres. On assiste ainsi à une professionnalisation des pratiques, certaines grandes
organisations comme l’Afpa ayant même mis en place des plateformes régionales et nationales
de réponses aux appels d’offres. Cette compétence commerciale spécifique s’articule dans les
faits autour de sept grands sujets :
–– la veille sur les appels d’offres publiés (marchés publics, Opca notamment) visant à identi-
fier les opportunités mais aussi le démarchage des entreprises et autres acteurs privés, non
soumis à une obligation de publicité ; ces derniers procèdent en effet à des appels d’offres
dits restreints et le fait d’en être destinataire résulte donc d’un premier acte commercial ou
d’une action de communication permettant d’être repéré et sollicité ;
–– l’analyse et le décryptage d’un cahier des charges afin de repérer les demandes factuelles du
client mais aussi ses enjeux cachés, ses contraintes, ses critères de sélection, ses motivations
ou encore plus simplement les éléments et la date de réponse attendus ;
–– la phase d’instruction de la décision de se positionner ou non (go/no go) devient de même
essentielle compte tenu de la multiplication des appels d’offres, du caractère très chrono-
phage de l’exercice ou encore de la tension concurrentielle toujours plus forte qui peuvent
pénaliser les taux de transformation ;
–– la construction de la réponse sur le fond, en essayant à partir d’un déroulement structuré
(de plus en plus formaté avec le développement des plateformes de réponse en ligne et des
cadres de réponses imposés) de répondre aux interrogations et motivations du prospect
mais aussi d’argumenter, convaincre, mettre en avant des atouts différenciateurs et éven-
tuellement proposer des solutions complémentaires ou alternatives ;
–– la construction de la réponse sur la forme en favorisant plusieurs niveaux de lecture pour
permettre différents niveaux d’entrée dans le document (les temps de lecture et d’analyse
consacrés par certains membres des jurys peuvent être étonnamment courts !…) ;
–– les présentations budgétaires qui doivent être suffisamment décomposées et détaillées pour
faciliter les négociations et présenter la réalité du travail fourni tout en n’effrayant pas le
client potentiel qui est toujours réticent quand il s’agit de se voir facturer des prestations
autres que les journées d’animation (préparation, conception, coordination, pilotage…) ;
–– les soutenances qui, même si elles sont rares dans le cas des marchés publics (dialogues
compétitifs), sont généralisées lors des appels d’offres privés où l’on renonce à l’écrit mais
on choisit à l’oral.

2.2.4 Négociation des prix et ingénierie du financement

La dimension négociation est bien évidemment essentielle et symbolise souvent les actes
de vente ou d’achat même si comme nous l’avons vu elle ne les résume pas. Ces négociations
gagneraient à être mieux maîtrisées dans leurs différentes phases : préparation, anticipation/

134
Le marché de la formation ■ Chapitre 5

visualisation, argumentation, marge de manœuvre et offres alternatives, recherche de contre-


parties, closing… Ainsi la capacité des prestataires à conduire et à structurer des négociations
(« conduire pour ne pas subir »), à lire et à décrypter les motivations à l’achat (la sécurité et
l’argent étant régulièrement les premières, l’innovation les rejoignant de plus en plus) ou
encore à être imaginatif dans la recherche de compromis ou de solutions alternatives constitue
des conditions de réussite importantes sur lesquelles les prestataires de formation doivent
développer des compétences spécifiques. Il est cependant certain que, quel que soit le niveau
de performance atteint en la matière, le rapport de force restera quasi systématiquement en
faveur de l’acheteur.

À ces actions sur les prix ou sur les coûts globaux des dispositifs de formation – n’oublions
pas que ce qui coûte le plus cher dans une formation, hormis son inutilité, c’est le salaire des
stagiaires voire les pertes d’exploitation et le coût des remplacements et donc les temps de
formation – il est aujourd’hui fondamental de pouvoir associer une compétence forte en matière
d’ingénierie du financement de la formation. Il faut pouvoir mobiliser les justes dispositifs et
sources de financement provenant des Opca, des collectivités territoriales et de l’État, voire
d’autres acteurs (Europe, Agefiph, Caisse des dépôts…). Cette compétence est aujourd’hui
indispensable, complexe et contingente : elle doit être sans cesse actualisée (du fait de l’impact
des lois et notamment de la loi de mars 2014), elle peut être même être très conjoncturelle
(exemple de l’abondement par le FPSPP d’un type de formation ou d’un type de destinataire
qui peut ne durer que quelques mois) et doit être contextualisée ou localisée (secteur d’activité,
type de publics, tailles d’entreprises, régions concernées). Cette ingénierie de financement peut
permettre d’éviter l’érosion des marges, de disposer des ressources permettant d’élever le niveau
d’ambition des dispositifs de formation et constitue désormais un réel atout différenciateur pour
les prestataires de formation.

En conclusion, insistons sur la nécessaire professionnalisation des acteurs de la fonction


commerciale autant à l’achat qu’à la vente qui doit désormais être en capacité de relever de
nouveaux défis et trouver sa place dans la chaîne de valeur formation. Cette dimension long-
temps considérée comme annexe, voire inopportune, devient aujourd’hui essentielle compte
tenu de la complexification des prestations et d’un « effet ciseaux » toujours plus important
entre le niveau d’objectifs et les niveaux de contraintes qui s’imposent aux entreprises et aux
organismes de formation et dont les commerciaux et technico-commerciaux sont les porteurs
en premier niveau (logique d’achat et de vente complexes). Cette professionnalisation est
d’autant plus importante qu’il s’agit aujourd’hui de réinventer des modèles économiques que
le développement du digital vient bouleverser. La traditionnelle facturation du temps passé,
voire de l’accès aux contenus pédagogiques, est aujourd’hui fortement remise en question et
supplantée par de nouvelles logiques : intéressement aux résultats, paiement de la certification
ou du badge plus que la formation, développement des prestations post-formation et accès à

135
Traité des sciences et des techniques de la formation

des bouquets de services dans le cadre d’alumni, co-conception et co-commercialisation de


dispositifs élaborés avec des clients ou au sein de consortiums… De nouveaux challenges pour
des fonctions, somme toute, récentes mais qui n’ont plus à s’excuser d’exister.

Lectures conseillées
Annexe au projet de loi de finances 2106, Dennery M. (1999). Piloter un projet de formation :
« Formation professionnelle » (jaune du diagnostic des besoins à la mise sous
budgétaire). assurance qualité, Paris, ESF Éditeur.
Benaily M., Enlart S. (2008), La Fonction formation Korda P. (2011). Stratégie et formation : développer
en péril, Paris, Éditions Liaisons. l’atout concurrentiel humain, Paris, Dunod
Le Boterf G., Barzuchetti S., Vincent F. (1995). Comment Korda P. (2010). Négocier et défendre ses marges,
manager la qualité de la formation ?, Paris, Paris, Dunod.
Éditions d’Organisation. El Makki A., Joffre P., Ouillon P., Vaillant M. (2005).
Caspar P. (1988). « L’investissement formation », Optimiser ses achats de formation : analyse
Éducation permanente. des besoins, sélection de l’offre, réduction
Charbonnier O., Enlart S. (2010). Faut-il encore des coûts, Paris, Dunod.
apprendre ?, Paris, Dunod. Meignant A. (1995) Manager la formation, Paris,
Éditions Liaisons, 9e éd. 2014.

136
Tableau 5.1 - Dépense globale par financeur final (y compris investissement)

Structure Évolution
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2013 2013/2012
(en %) (en %)
Entreprises 12 478 13 130 13 472 13 292 13 664 13 717 13 823 44,1 0,8
Régions 4 138 4 212 4 483 4 399 4 480 4 422 4 582 14,6 3,6
État 3 686 3 877 4 141 4 321 4 457 4 076 4 019 12,8 − 1,4
Autres collectivités territoriales 54 65 79 78 82 71 95 0,3 34,6
Autres administrations publiques et Unédic/Pôle emploi 1 316 1 395 1 756 1 814 1 776 1 847 1 904 6,1 3,1
Dont :
• autres administrations publiques 187 197 294 285 234 255 314 1,0 23,0
• Unédic/Pôle emploi 1 129 1 198 1 462 1 528 1 542 1 592 1 590 5,1 − 0,1
Ménages 1 038 1 102 1 081 1 157 1 230 1 287 1 359 4,3 5,6
Total
(hors fonctions publiques pour leur propres agents 22 660 23 781 25 012 25 061 25 689 25 420 26 008 82,2 1,4
et dépenses d’accueil, d’information et d’orientation)
Fonctions publiques pour leurs propres agents 5 348 5 730 6 105 6 002 5 770 5 908 5 588 17,8 − 5,4
Total
28 008 29 511 31 117 31 063 31 459 31 328 31 370 100,0 0,1
(y compris fonctions publiques pour leurs propres agents)

137
Le marché de la formation ■ Chapitre 5
138
Tableau 5.2 - Les organismes de formation en 2012

Nombre
Évolution Chiffre Évolution Nombre de Évolution Évolution
Organisme d’heures/
2012/2011 d’affaires 2012/2011 stagiaires 2012/2011 2012/2011
(en nombre) stagiaires
(en %) (en %) (en %) (en %) (en %) (en %)
(en milliers)
Ensemble 62 658 6,8 13 555 3,6 24 355 2,2 1 155 471 4,1
Selon le statut (en %)
Privé à but lucratif 54 8,2 50 5,3 54 5,4 45 7,4
Privé à but non lucratif 20 2,9 25 0,9 26 − 3,4 22 −0,6
Formateurs individules 23 7,6 3 − 4,4 7 5,6 6 − 10,0
Public et parapublic 3 1,4 21 4,5 14 − 0,7 27 6,5
Traité des sciences et des techniques de la formation

Selon le chiffre d’affaires (en %)


Moins de 75 000 euros 73 8,6 6 6,1 15 8,0 9 3,7
75 000 à 150 000 euros 9 1,6 5 1,5 7 3,5 6 − 9,2
150 à 750 000 euros 13 1,8 19 1,3 22 0,0 24 − 7,9
750 000 à 1 500 000 3 5,8 13 5,0 13 8,5 17 30,3
1 500 000 à 3 000 000 euros 1 2,1 14 3,0 12 − 4,0 11 − 2,2
Plus de 3 000 000 euros 1 0,2 44 4,3 31 0,6 32 9,3
Selon l’ancienneté de la
déclaration d’activité (en %)
Moins de 3 ans 33 13,9 9 8,2 12 9,8 9 4,0
Entre 3 et 10 ans 37 3,4 30 0,4 34 0,0 31 5,0
11 ans et plus 30 3,7 61 4,7 54 2,1 60 3,6
Chapitre 6
La gestion
des ressources humaines1

1. Par Jacques Igalens.


Sommaire
1. Le poids des contraintes....................................................................................... 142
2. De la gestion de la formation à la gestion des compétences.................................. 148
3. La dimension formative des situations de travail.................................................. 152
Lectures conseillées.................................................................................................. 155
La GRH ou plutôt la « fonction personnel » débute au xixe siècle mais, à cette époque, comme
le note J. Fombonne (2001), « les conseils d’administration concevaient mal de déléguer à un
tiers une partie de leurs responsabilités » et donc un administrateur prenait directement en
charge les opérations telles que le recrutement, la nomination, la fixation de la rémunération
ou la « révocation ». Pour les historiens de l’économie ou des entreprises, le xixe siècle prend
fin avec le premier conflit mondial et c’est à partir de 1918 qu’apparaissent les premiers services
du personnel, souvent sous l’autorité du secrétaire général. C’est aussi à la même époque, après
de longs débats, que la loi « relative à l’organisation de l’enseignement technique industriel
et commercial », dite « loi d’Astier », voit le jour. Elle est promulguée le 25 juillet 1919 et elle
devient le socle de l’enseignement technique de masse, gratuit et obligatoire. Plus tard, la loi de
finances de 1925 crée une « taxe d’apprentissage » de 0,2 % des salaires pour financer toutes les
formes d’apprentissage.

On peut donc considérer que la formation professionnelle, dont la loi d’Astier jette les bases,
et la structuration de la fonction personnel avec ses chefs de service et parfois son directeur
apparaissent concomitamment à l’aube du xxe siècle. On peut également remarquer que, dès le
départ, la formation professionnelle est réglementée et que son financement est encadré. Tout
au long du siècle suivant et jusqu’à aujourd’hui il en ira de même, les services et directions de
gestion du personnel (devenue GRH) et la formation professionnelle ne se quitteront plus et
l’habitude de demander une contribution financière à l’employeur pour le financement de la
formation sera conservée. Cette double caractéristique est tellement passée dans les mœurs
nationales qu’on peine parfois à imaginer qu’il puisse en aller autrement. Pourtant, dans la
plupart des pays la formation professionnelle et son financement ne sont pas au cœur de la
GRH. On ne trouve que rarement un service formation (encore moins une direction) dans les
entreprises des pays anglo-saxons mais il appartient à toute direction opérationnelle ou fonc-
tionnelle observant un déficit de compétences pour certains collaborateurs ou une nécessité de
faire progresser les connaissances pour préparer l’avenir de prendre en charge directement la
gestion des opérations correspondantes et d’en supporter le coût.

En ce sens, on peut dire que la place et le rôle que joue la formation professionnelle au sein
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

de la GRH constituent une particularité nationale qui tient à la fois de l’histoire des entreprises
françaises mais aussi de celle des relations sociales car les réglementations (nombreuses) qui
ont émaillé les presque 100 ans qui séparent la loi d’Astier de l’époque actuelle ont le plus
souvent été précédées de négociations et d’accords entre partenaires sociaux. En France, sous
la Ve République, la formation professionnelle a acquis un statut institutionnel, elle dispose très
souvent d’un secrétaire d’État ou d’un ministre délégué, elle est un sujet récurrent de discussions
entre patronat et syndicat. Au sein de l’entreprise, elle dispose d’importants moyens à la fois pour
son propre compte, c’est-à‑dire pour la gestion des processus administratifs (dont beaucoup sont
obligatoires) mais aussi pour le financement des actions de formation. Elle apparaît souvent au

141
Traité des sciences et des techniques de la formation

premier plan des préoccupations des entreprises quand on interroge les DRH. Cependant les
dispositifs institutionnels nationaux sont très souvent critiqués, le financement de la formation
continue est jugé opaque, les actions de formation organisées par les entreprises sont perçues
comme déséquilibrées car profitant trop à l’encadrement et pas assez aux employés peu formés.
La dernière loi sur le sujet, loi du 5 mars 2014, bien que qualifiée de « réforme révolutionnaire »
par la profession1, ne devrait pas faire beaucoup bouger les lignes de sorte que la formation
demeure une composante paradoxale de la GRH.

L’une des raisons tient certainement au poids des contraintes de toute nature qui pèsent sur
la formation et qui obligent le DRH à consacrer beaucoup de temps et d’efforts à la mise en
conformité de ses actes par rapport à l’état de la législation et de la réglementation. Il n’en reste
pas moins que, depuis quelques années, la GRH a fait des progrès que l’on peut globalement
résumer par le passage de la gestion de la formation à la gestion des compétences. Cependant,
en dépit de ces efforts, la composante formation de la GRH n’a nullement l’exclusivité de la
dimension formative des situations de travail.

1. Le poids des contraintes


En 1962, l’un des premiers manuels de GRH2 consacrait un chapitre à la formation et répondait
de façon très claire à la question : « Quels motifs peuvent pousser un chef d’entreprise à faire de la
formation ? » : « Ce peut être le désir d’améliorer la productivité en valorisant le capital humain,
la volonté de faciliter l’introduction de méthodes nouvelles d’organisation, la volonté de faire
évoluer le personnel, l’amélioration du climat social et des relations humaines » (p. 111). Nul
doute qu’à la même question aujourd’hui le chef d’entreprise devrait inclure dans sa réponse
« par ce que c’est obligatoire, que je serais sanctionné fiscalement et socialement si je ne le faisais
pas ».Les chapitres 4 et 5 de cet ouvrage précisent les obligations qui s’imposent à l’entreprise
française au titre de la formation, on peut simplement en rappeler les deux rubriques princi-
pales avant d’analyser la formation au sein de la GRH en tant qu’institution et les conséquences
multiples de cette position particulière.

1. Cf. Izy Béhar, rédacteur en chef de la revue in Personnel, n° 558, mars/avril 2015 p. 3.
2. Diverrez J. (1962). Politique et techniques de direction du personnel, Éditions de l’Entreprise moderne.

142
La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6

1.1 Obligations légales


Les deux rubriques principales des obligations concernent d’une part la vie sociale et d’autre
part le financement. Pour la vie sociale, tous les ans, le comité d’entreprise doit être informé
et consulté sur les orientations de la formation professionnelle dans l’entreprise en fonction
des perspectives économiques et de l’évolution de l’emploi, des investissements et des techno-
logies dans l’entreprise. Parmi les réunions obligatoires du comité, deux sont consacrées à la
formation1 :
–– La première réunion doit permettre l’examen, pour l’année à venir, des orientations de la
formation ainsi que le bilan des actions comprises dans le plan de formation pour l’année en
cours et l’année écoulée. Ce bilan comporte la liste des actions de formation, des bilans de
compétences et des VAE réalisées (complétée par les informations relatives aux prestataires
de formation, aux conditions de déroulement des actions, à leur nature : actions d’adaptation
au poste ou à l’emploi d’une part, actions de développement des compétences d’autre part).
–– La seconde réunion a pour objet de présenter le projet de plan de formation pour l’année à
venir, classant les actions de formation en deux catégories, les actions d’adaptation au poste
de travail pour maintien dans l’emploi d’une part, les actions liées au développement des
compétences d’autre part. Les conditions de mise en œuvre des périodes et des contrats de
professionnalisation et du CPF (compte personnel de formation) pour l’année à venir sont
également précisées.

Concernant l’obligation de financement, toute entreprise, quelle que soit sa taille, doit
participer au financement de la formation professionnelle des salariés. Pour ce faire, elle doit
verser une contribution (à l’Opca dont elle dépend) assise sur la masse salariale annuelle
brute soumise à cotisations de sécurité sociale, dont le taux est de 1 % pour les entreprises de
10 salariés et plus.

1.2 La formation, institution de la GRH


Ces contraintes, qui se sont imposées depuis quarante-cinq ans, ont contribué à faire évoluer
le regard des employeurs, notamment des dirigeants de PME, pour lesquels la conformité aux
différents dispositifs législatifs, réglementaires et conventionnels devient un objectif en soi. En
d’autres termes, la place de la formation dans la GRH s’est « institutionnalisée », c’est-à‑dire
qu’elle répond à des attentes sociétales, qu’elle est encadrée par des textes sans cesse actua-
lisés, qu’elle est objet de contrôle de la part de l’administration, de négociations de la part des

1. Dans les entreprises de plus de 300 salariés, l’employeur doit constituer une commission formation.

143
Traité des sciences et des techniques de la formation

partenaires sociaux et, de plus en plus, de concertation avec les conseils régionaux. Ceci présente
un risque, celui de faire passer les obligations de conformité avant les besoins de l’entreprise.

De nombreuses conséquences découlent de l’institutionnalisation de la formation. La première


d’entre elles concerne le rôle et le coût de la formation au sein de la direction des ressources
humaines. Les entreprises françaises disposent plus souvent que leurs homologues anglo-saxons
d’une structure entièrement dédiée à la formation, que cette structure possède le statut de
direction à part entière, de sous-direction ou de simple service. En 2009, la Cegos, lors d’une
étude annuelle comparative entre le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne et la France dressait
un constat critique de cette situation : « C’est au Royaume-Uni que le nombre de salariés formés
est le plus important, avec un budget formation moindre (trois fois inférieur au budget français
moyen), et une mesure du retour sur investissement la plus aboutie » (p. 7)1.

Une autre conséquence concerne la tendance croissante à « externaliser » la gestion de la


formation, c’est-à‑dire à transférer tout ou partie de cette fonction vers un partenaire externe.
Cette tendance s’explique, en partie, par la nécessité de mobiliser des ressources sur des questions
« technico-administratives » à faible valeur ajoutée. En confiant à des consultants la gestion de
la formation l’entreprise recherche l’assurance d’être en conformité avec les multiples obliga-
tions qui lui incombent et à bénéficier de compétences dont elle ne dispose pas. Parfois, elle
recherche également des économies. Lorsque l’évolution des compétences constitue un avantage
concurrentiel, cette pratique n’est pas sans risque stratégique.

Enfin, on peut remarquer, en France, l’importance de la place occupée par le plan de formation
et les données chiffrées relative à son exécution. Dans d’autres pays, les entreprises n’éprouvent
pas le besoin de formaliser un plan de formation ni de rendre compte de sa réalisation en termes
aussi détaillés. Elles peuvent, par exemple, intégrer, lorsqu’elles sont nécessaires, des actions
de formation dans des plans d’action finalisés par business unit ou encore dans des projets
d’acquisition de nouveaux matériels, ou des projets de réorganisation. En d’autres termes, là où
un responsable français aura une tendance naturelle à structurer son action autour d’une problé-
matique de formation (« analyse des besoins », « ingénierie pédagogique », « budget formation »,
« présentation aux comités d’entreprise et reddition de comptes », « évaluation des résultats »),
un responsable d’un autre pays pourra ignorer ce cadrage cognitif. Pour lui, il conviendra simple-
ment d’insérer des actions de formation comme éléments de solution à des problèmes rencontrés
ou anticipés ou encore comme élément d’accompagnement de projet.

1. CEGOS (2009). Étude sur les modalités de formation.

144
La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6

1.3 Les process liés à la gestion de la formation


La formation repose sur quatre procédures imbriquées : l’analyse des besoins de formation,
le plan de formation, la gestion des activités de formation et l’évaluation.

1.3.1 L’analyse des besoins en formation


Une politique de formation doit répondre à plusieurs objectifs dont les deux principaux sont
les suivants :
–– permettre d’adapter les salariés aux changements structurels et aux modifications des condi-
tions de travail impliquées par l’évolution technologique et organisationnelle ;
–– permettre de déterminer et d’assumer les innovations et les changements à mettre en place
pour assurer le développement de l’entreprise.

On peut remarquer que par rapport aux objectifs plus anciens rappelés en tête de chapitre
l’amélioration du climat social a disparu. Il est cependant indéniable que, parfois, une action de
formation peut avoir ce résultat mais il s’agit désormais d’une retombée induite de la formation
qui n’est plus recherchée en tant que telle. En revanche, ce qui est devenu aussi central que
difficile à obtenir c’est la liaison entre les deux objectifs, l’objectif d’employabilité du salarié
d’une part et le développement de l’entreprise d’autre part.

L’entreprise organise des procédures de remontées de l’information relatives aux besoins


en formation de ses employés. Ces remontées d’informations peuvent avoir lieu en plusieurs
occasions :
–– chaque année entre le supérieur hiérarchique et chacun de ses collaborateurs, on parle alors
d’entretien annuel, d’entretien d’appréciation ou parfois d’entretien de progrès ;
–– tous les deux ans l’entretien professionnel destiné aux salariés ayant plus de deux ans d’an-
cienneté, doit leur permettre d’élaborer leur projet professionnel ;
–– le passeport « orientation et formation », établi à l’initiative du salarié permet de recenser
ses connaissances, compétences et aptitudes professionnelles ;
–– tous les 6 ans, l’entretien professionnel doit faire un état des lieux récapitulatif du parcours
professionnel du salarié ;
–– le bilan d’étape professionnel, à la demande du salarié, permet également d’évaluer ses
compétences professionnelles.

La multiplication de ces outils n’est pas sans poser de problèmes. La première modalité
(entretien annuel) commence d’ailleurs à être remise en cause par certaines entreprises. L’une
des conditions du succès réside dans la qualité de l’information diffusée aux salariés et à la
hiérarchie concernant les projets de l’entreprise, et cela préalablement à la collecte de l’infor-
mation concernant les besoins.

145
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.3.2 Le plan de formation


Entre la remontée des besoins et le plan de formation se situe une étape essentielle d’analyse et
d’arbitrage dans la mesure où les besoins exprimés induisent souvent des coûts qui excèdent les
sommes que l’entreprise est disposée à consacrer à son budget formation. Certaines entreprises
pratiquent une planification sur plusieurs années (en liaison avec les résultats de la GPEC) ce
qui permet d’inscrire le plan de formation dans un ensemble plus large quel que soit le nom
donné à cet ensemble1.

Il convient enfin de relever que si l’employeur dispose d’une certaine liberté d’action pour
établir le plan de formation, cette liberté a cependant été de plus en plus encadrée au fur et
à mesure que de nouvelles lois se mettaient en place. On a vu qu’il doit adapter ses employés
au poste de travail mais il doit également prévoir les mesures de reclassement dans le cas d’un
licenciement économique, il doit former à la sécurité, il doit respecter le principe de non-discri-
mination2, il doit veiller au maintien de l’employabilité et enfin il peut proposer des formations
à la lutte contre l’illettrisme.

Pour maintenir les salariés dans l’emploi, certaines catégories de salariés en situation de
fragilité doivent bénéficier d’une période dite de « professionnalisation3 » qui peut être mise
en œuvre dans le cadre du CPF (qui a remplacé le DIF au premier janvier 2015) ou du plan de
formation. Cette période fonctionnant sur le principe de l’alternance vise l’obtention d’une
qualification professionnelle4.

1.3.3 La gestion des activités de formation


La gestion des activités de formation dépend des choix d’organisation de la GRH, elle peut
être centralisée, décentralisée, en tout ou partie externalisée. Elle comprend de nombreuses
activités qui peuvent être effectuées par l’entreprise elle-même, par l’Opca pour certaines d’entre
elles ou encore par des consultants externes. De même, depuis dix ans, la tendance consiste à
automatiser certaines de ces activités en les pilotant grâce à des modules adaptés de logiciels
intégrés ou par des logiciels spécifiques de gestion de la formation.

1. À cet égard, cf. la notion de SDRH (schéma directeur des ressources humaines) notamment dans les travaux
de Guy Le Boterf
2. Une quinzaine de critères sont énumérés par la loi, l’origine, le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’âge,
la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’appartenance à une ethnie, une nation, une race, les
opinions politiques, les activités syndicales, les convictions religieuses, l’apparence physique, le patronyme,
l’état de santé, le handicap.
3. En 2008, 400 000 stagiaires ont bénéficié d’une période de professionalisation.
4. Les caractéristiques de cette période de professionnalisation sont le plus souvent définies par un accord
collectif de branche.

146
La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6

Les activités les plus importantes sont les suivantes :


–– Analyse de l’offre de formation : plus de 8 000 organismes de formation se partagent le
marché, certains privés, d’autres publics et ce marché est en partie renouvelé depuis quelques
années avec la montée en puissance des solutions de type e-learning.
–– Construction (ou choix) d’un référentiel : c’est parce que le monde du travail bouge sans cesse
que, paradoxalement, la nécessité de disposer de référentiels d’emplois devient incontour-
nable pour pouvoir calculer des écarts, tracer des parcours, etc.
–– Construction et administration de cahiers des charges : ce document permet à l’entreprise
de spécifier et de documenter ses exigences, elle utilise parfois le référentiel normatif de
l’Afnor : NF X50-756 « Formation professionnelle. Demande de formation, cahier des charges
de la demande ».
–– Négociation et sélection des prestataires de formation : de ce point de vue on peut noter
que, depuis quelques années les acheteurs professionnels ont « secondé » les responsables
formation lors des négociations ce qui a eu pour effet de faire baisser les prix des prestations.
–– Inscription et suivi administratif des salariés qui doivent suivre la formation.
–– Prise en charge (dans le cas de formation à l’intérieur de l’entreprise) de la dimension logis-
tique de la formation, formateur, salle, équipement pédagogique, etc.

1.3.4 L’évaluation
Il convient de distinguer l’évaluation de la politique de formation, l’évaluation de la structure
de formation de celle d’une action de formation.

Dans le premier cas l’entreprise met en rapport les défis auxquels elle est confrontée, notam-
ment les évolutions techniques et les attentes de ses clients, avec les évolutions de compétences
de ses collaborateurs. Dans le second cas, le chef d’entreprise ou le DRH s’interroge parfois sur
l’efficacité et l’efficience de leur structure de formation. C’est la réponse à ces deux questions
qui peut entraîner des choix d’externalisation. Enfin concernant l’évaluation des actions de
formation, la littérature scientifique et professionnelle a produit de nombreux modèles et de
nombreux outils qui sont largement utilisés, notamment le modèle de Kirkpatrick.

Le poids des contraintes est donc important et la gestion de la formation en France repose sur
un socle juridique et administratif consistant. Il convient également de rappeler l’importance
des relations avec les partenaires sociaux qui se manifeste aussi bien par la signature d’accords
nationaux sur le sujet que par les conventions collectives (qui ont toutes un volet formation) ou
encore par la gestion paritaire des Opca. Cette situation s’inscrit dans le paysage français des
relations sociales. Les gouvernements successifs ont souvent appelé les partenaires sociaux à
négocier. Depuis 1970, la formation professionnelle est l’un des très rares sujets sur lequel ces
négociations ont souvent abouti à des accords nationaux interprofessionnels. Sur ce sujet, la
convergence des intérêts est importante : l’entreprise est soumise à des exigences d’incorporation

147
Traité des sciences et des techniques de la formation

des progrès scientifiques et techniques dans ses produits et ses process. Cela n’est possible
qu’avec une élévation du niveau de compétences de ses employés. Cette exigence laisse entrevoir
à ces derniers une amélioration de leurs connaissances, de leur travail et de leur carrière, donc
de leur situation professionnelle présente et future. Mais l’État qui, en France, joue un rôle très
important dans le système de relations industrielles ne se contente pas de transposer dans la loi
le contenu des ANI. Il a également ses propres objectifs, notamment concernant certaines popu-
lations qui sont éloignées de l’emploi. Ceci explique que l’univers de référence de la formation
professionnelle soit devenu aussi complexe, il est au carrefour de deux logiques distinctes. Aussi,
vu du côté de l’entreprise, et particulièrement des exigences de sa GRH, il est important de ne
pas faire de la conformité à la réglementation et parfois de la recherche de dispositifs de (co-)
financement sophistiqués les seuls critères de qualité d’une politique de formation. L’essentiel
est ailleurs, il est dans l’adéquation de cette politique avec le projet d’entreprise ce qui peut se
traduire par la gestion des compétences.

2. De la gestion de la formation à la gestion des compétences


Il est banal de rappeler que la France est un pays qui vieillit, c’est-à‑dire un pays dont l’âge
moyen s’accroît, à la fois pour la population totale et pour la population active. Si les réformes
touchant la retraite ont permis d’en atténuer les effets il n’en reste pas moins que les départs à
la retraite demeureront importants jusqu’en 2020, date approximative de la fin d’activité des
baby-boomers. Pour ces raisons et pour des raisons politiques, notre pays a porté une grande
attention à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences1 (GPEC). La dimension
« prévisionnelle » ou « anticipatrice » de la GPEC n’a toutefois pas réussi à éviter les suppressions
d’emploi. Certains spécialistes ont même évoqué, à cet égard, « la crise de la GPEC2 ». Ce qui,
en revanche, demeure un succès de la GPEC c’est le changement de regard porté sur l’emploi et
sur le travail qu’elle a autorisé. Comme certains sociologues l’ont noté, la notion de compétence
s’inscrit dans une logique différente de celle de poste3 et la logique compétence a fait évoluer les
pratiques de gestion de la formation tout autant que les acteurs de la formation.

1. Les premiers chantiers de GPEC ont été lancés lorsque Martine Aubry, ministre du Travail estimait que les
entreprises, soumises à des aléas conjoncturels, « licenciaient trop, trop vite et trop fort »
2. Defélix C., Dubois M., et Retour D. (1997). « GPEC : une gestion prévisionnelle en crise », in Tremblay M. et
Sire B. (éd.), GRH face à la crise, GRH en crise ?, Montréal Presses HEC, p. 83-97.
3. Zarifian P. (1988) « L’émergence du modèle de la compétence », in Stankiewicz F. (éd.), Les stratégies d’entre-
prises face aux ressources humaines, Paris, Economica, p. 77-82

148
La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6

2.1 Formation et gestion des compétences


L’entreprise évolue, elle a besoin que ses ressources humaines évoluent également. La place de
la formation entre l’évolution de l’entreprise et celle des femmes et des hommes qui la composent
ne se fait pas toujours de la même façon selon les pays ainsi que le montrent l’exemple anglais
puis le cas français.

Au Royaume-Uni, cet ajustement se réalise souvent à travers l’application volontaire d’une


norme IIP (investor in people) qui concerne plus de 40 000 entreprises. Une étude scienti-
fique menée par les chercheurs d’une business school réputée1 a prouvé que les entreprises
qui obtiennent ce label (IIP) emploient 31 % de la main-d’œuvre du Royaume-Uni et qu’elles
réalisent de meilleurs résultats que les autres. De plus, le chemin qui conduit de l’obtention du
label à la performance financière a été identifié : obtenir IIP conduit à des changements dans
les politiques de GRH et notamment dans les politiques de formation et d’engagement des
salariés qui entraînent conjointement une amélioration du climat social et des « compétences
et des comportements2 ». Ces améliorations sont suivies de progrès chiffrables et significatifs
de la performance financière.

Sans entrer dans le détail de cette norme, ce qui la caractérise c’est la volonté de pousser
l’entreprise à investir dans le capital humain en développant le niveau de compétence et d’enga-
gement au service de la réalisation du projet d’entreprise.

En France, pour faire face aux mêmes défis, de nombreux travaux de recherche se sont inté-
ressés aux liens entre trois niveaux de compétences, la compétence individuelle, la compétence
collective et la compétence de l’entreprise, parfois saisie sous l’angle de la compétence organisa-
tionnelle (capacité d’une organisation d’effectuer une tâche avec succès) et parfois sous l’angle
différent de la compétence stratégique (capacité à obtenir un avantage concurrentiel durable).
Si le troisième niveau relève plus de la stratégie que de la GRH, les deux premiers concernent
la formation.

Au niveau individuel, le concept de compétence a été mis au centre de nombreux dispositifs.


En 1998, par exemple, le CNPF (qui n’est pas encore devenu le Medef) place la compétence
individuelle au cœur de ses réflexions3 en partant du constat que le travail évolue et que dans de
nombreuses entreprises on fait de plus en plus appel à des compétences telles que la réactivité du

1. Bourne, Franco-Santos, Pavlov, Lucianetti, Martinez et Mura (2008). The Impact of Investors in People on
People Management Practices and Firm Performance, Cranfield University.
2. Mesurés à travers une variable dénommée par les auteurs human capital flexibility.
3. Colloque de Deauville, « Journées internationales de la formation ».

149
Traité des sciences et des techniques de la formation

salarié, sa vigilance, sa capacité à trouver des solutions ou des améliorations. Cette réflexion
aboutit au constat qu’au salarié interchangeable placé dans un poste de travail préconçu et
stabilisé allait succéder un salarié capable de s’adapter en permanence à un environnement
soumis à de fortes pressions. Pour certains il s’agissait même de passer de la gestion des
compétences à la gestion par les compétences avec pour point de mire un salarié responsable
de l’évolution de ses compétences.

Cette image d’un salarié gestionnaire voire architecte d’un portefeuille de compétences
qu’il met à jour au gré des formations qu’il reçoit ou des expériences qu’il acquiert a trouvé
rapidement ses limites. Aujourd’hui, même si cette vision n’est plus d’actualité, il en demeure
des outils qui sont utiles et qui sont intégrés dans la panoplie de la direction de la forma-
tion, notamment le bilan des compétences et les différentes procédures de validation des
compétences.

Le bilan de compétences concerne toute personne désireuse :


–– d’analyser ses aptitudes, ses compétences personnelles et professionnelles, ses motivations ;
–– d’organiser ses priorités professionnelles ;
–– d’utiliser ses atouts comme instrument de négociation pour un emploi, une formation ou
en termes de choix de carrière.

Pour l’entreprise, c’est aussi l’occasion de mieux organiser la gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences et de favoriser la gestion des carrières et la mobilité profession-
nelle. Le bilan de compétences donne lieu à la rédaction d’un document de synthèse en vue de
définir ou de confirmer un projet professionnel, le cas échéant, un projet de formation. Cette
prestation peut être suivie à l’initiative de l’entreprise (elle est alors inscrite dans son plan de
formation) ou du salarié (dans le cadre du congé de bilan de compétences).

Parmi les procédures de validation des compétences, la validation des acquis de l’expérience
(VAE) permet à toute personne d’obtenir en totalité ou en partie un diplôme, un titre ou un
certificat de qualification professionnelle à partir d’un dossier qu’elle remplit et qui contient
le détail des compétences qu’elle estime avoir acquises par son expérience. En réalité, le
processus est assez lourd car l’exercice est difficile et les résultats de cette procédure ne sont
pas à la hauteur des espoirs qu’elle avait pu soulever.

En d’autres termes, contrairement à l’exemple anglais qui adopte une démarche de type top-
down, la démarche française est souvent bottom-up. La norme IIP articule le développement
des compétences individuelles autour du projet d’entreprise ; en France si on s’en tient aux
logiques sous-jacentes des outils de gestion relatifs à la formation créés par la loi, le point de
vue du salarié est souvent mis en avant.

150
La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6

Dans les faits, les entreprises, notamment les plus importantes, vont bien au-delà des obli-
gations juridiques et mobilisent des démarches qui mettent leurs besoins d’amélioration des
compétences collectives au centre de leurs politiques mais cette tension entre individuel et
collectif est sensible dans les PME qui ne disposent pas des moyens suffisants pour engager les
démarches susceptibles de la réduire. Partant essentiellement des besoins individuels, utilisant,
grâce aux Opca, la gamme des instruments légaux rapidement présentés ci-dessus, les dirigeants
de PME ont parfois le sentiment que leurs efforts en matière de formation ne se retrouvent pas
suffisamment en termes d’efficacité collective.

2.2 Compétences et acteurs de la formation professionnelle


L’absence de compétences relatives à l’ingénierie de formation dans les PME permet, a
contrario, de s’interroger sur les évolutions récentes des métiers liés à la gestion de la forma-
tion dans les entreprises. Les managers de la formation en entreprise occupent souvent une
position de « constructeurs de frontière » puisque de nombreuses communautés de pratiques
regroupant des managers et experts de différentes entreprises et secteurs se sont développées
dans le domaine de la formation et de la gestion des connaissances. De plus, la formation
implique souvent le développement de relations avec des organisations telles que les écoles, les
universités ou les lieux dans lesquels s’élabore le savoir, c’est-à‑dire les centres de recherche et
les laboratoires. Cette situation de « marginal séquent » peut être mobilisée par les managers
de la formation pour consolider leur pouvoir mais aussi pour faciliter et légitimer l’adoption
d’innovation en matière de formation.

Le développement des universités d’entreprise a vu le jour aux États-Unis et a atteint la


France depuis une vingtaine d’années. Leur succès tient au fait que si les services formation
accompagnent personnellement les individus dans leur montée en compétences, les universités
d’entreprise se préoccupent davantage du collectif et du cœur de métier de l’entreprise. Souvent
ces universités sont à la pointe de tendances qui ensuite diffusent dans les services formation.
Ainsi l’utilisation des technologies de l’information est souvent expérimentée dans leurs locaux.
Il y a quelques années l’installation de salles pouvant être utilisées pour des cours à distance
est apparue dans les universités d’entreprise. Aujourd’hui les modules d’e-learning, les forma-
tions dites blended learning, les serious games voient souvent le jour dans les universités avant
d’être utilisés plus largement. De même les universités s’ouvrent aux managers de l’entreprise
étendue, c’est-à‑dire à certains de ses clients, à certains sous-traitants ou fournisseurs, à des
parties prenantes qui sont concernées par la réalisation des projets de l’entreprise. Autour de
ces activités, de nouveaux métiers voient le jour. Le responsable des enseignements virtuels,
le concepteur ou le designer pédagogique de ces nouveaux supports, le e-tuteur, côtoient les
traditionnels formateurs qui n’ont pas disparu pour autant.

151
Traité des sciences et des techniques de la formation

Des associations de professionnels ont vu le jour. Parfois les adhérents de ces associations
professionnelles font part de leur difficulté en relation avec un éclatement des pratiques,
voire des lieux de formation. Le centre de formation de la grande entreprise, qui rassemblait
autrefois toutes les formations, autorisait des échanges et des rencontres que seule la fonc-
tion publique connaît encore (notamment à travers les centres de formation de la fonction
publique territoriale). De même l’éclatement des métiers, l’apparition des coachs, la fonction
pédagogique parfois attribuée au manager direct privent le responsable de formation d’une
partie de ses prérogatives. La rapidité des transformations dans les méthodes pédagogiques et
l’élévation du niveau d’attente des formés dans le cadre du e-learning constituent également
des motifs de préoccupation.

L’importance des prestataires externes à l’entreprise, consultants, cabinets de formation et


depuis quelques années coachs d’entreprise, caractérise le monde de la formation professionnelle
en France. Le financement obligatoire a contribué à la création d’un marché solvable et donc
d’une offre particulièrement dense, parfois à l’origine de certaines dérives. Ainsi on a pu récem-
ment s’inquiéter de la place prise par des sectes qui infiltraient le management des entreprises
par le biais de formations de « développement personnel ».

3. La dimension formative des situations de travail


La formation et la communication interne ont un point commun, on leur attribue souvent
des responsabilités qui ne sont pas les leurs. Ainsi, ayant posé un mauvais diagnostic, on arrête
un mauvais traitement. Comme le note Galambaud (2002), « des ouvriers sont démotivés, qu’on
les forme ! Des vendeurs vendent moins, qu’on les forme ! ». Cela rappelle les reproches adressés
au dircom lorsque l’échec d’une politique voulue par la direction lui est imputé par principe. La
formation ressemble parfois à une barque lourdement chargée par les DRH ou par les directions
générales. Les occasions de se former sont cependant bien plus nombreuses dans l’entreprise
que celles qui sont gérées par les responsables de formation. De ce point de vue, la GRH est
une pépinière de pratiques à contenu pédagogique et parfois c’est l’entreprise elle-même qui
devient apprenante.

3.1 Les pratiques formatives de la GRH


Choisir ses collaborateurs par recrutement, par promotion ou par mutation, négocier avec les
partenaires sociaux, évaluer la performance d’une équipe, justifier une décision ou un refus d’aug-
mentation, animer une réunion, communiquer un plan d’action, voilà autant d’actes courants

152
La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6

pour le manager dont le contenu pédagogique apparaît évident. Pourquoi ? parce qu’au-delà de
l’objectif précis de chacune de ces situations (le choix d’une personne, l’évaluation d’une autre)
le responsable va se trouver en situation d’écouter, de produire un discours argumenté justifiant
une position en fonction d’un référentiel de gestion, d’analyser des objections, de convaincre.
Cette position fait de lui, volens nolens, un formateur car pour peu qu’il ne se contente pas de
l’argument d’autorité (« c’est ainsi parce que c’est moi le chef ! ») il transmet des règles de l’orga-
nisation, des façons de penser et de juger qui vont contribuer fortement à former son entourage.

À défaut de pouvoir examiner toutes les situations formatives de la GRH, deux d’entre elles
serviront d’exemples, l’entretien annuel et le contrat d’intéressement.

L’entretien annuel a souvent des visées opérationnelles importantes, il peut servir de base
à l’appréciation du collaborateur, il débouche sur la fixation d’objectifs, parfois il comporte
l’expression des besoins de formation (Igalens et Roger, 2013). Mais cette situation est une
excellente situation propice à une micro-formation individualisée. La fixation des objectifs
repose souvent sur la recherche d’indicateurs qui sont de véritables instruments de mesure
de la performance. Le choix de ces indicateurs peut permettre au collaborateur de progresser
dans sa compréhension de la création de valeur. L’interrelation des finalités entre les postes, la
complémentarité des fonctions, les rapports avec l’environnement de travail sont autant de sujets
sur lesquels, en principe, le manager détient des connaissances qu’il est utile de transmettre aux
collaborateurs. L’entretien annuel est le moment idéal pour cela. Pour cette raison, la tendance
récente de grandes entreprises à supprimer cet entretien devra être étudiée de près afin d’en
mesurer toutes les conséquences.

L’accord d’intéressement dont le dispositif de base remonte à 1959 constitue également,


sur le même sujet, la création de valeur, une opportunité tout aussi intéressante que la précé-
dente avec toutefois un avantage particulier qui est la prise en compte de la performance du
collectif de travail. Une recherche menée sur les conditions de réussite auprès de quatre-vingt-
onze entreprises a montré que le succès d’un accord était lié « à l’existence d’une information
de base significative et à une formation sur la nature et le fonctionnement du mécanisme
d’intéressement1 ».

Les exemples pourraient être multipliés, ils prouvent que la formation en entreprise ne se
réduit pas à une série de stages. La formation se situe au cœur de la responsabilité managériale et
le manager au contact de son collaborateur est souvent amené à « le faire grandir » notamment
en le formant par l’exemple (Mantione, 2015).

1. G. Bijeire et J. Igalens (1998) « Les conditions de réussite de l’intéressement », Revue française de gestion,
n° 118, p. 18-30.

153
Traité des sciences et des techniques de la formation

3.2 L’entreprise apprenante


« On peut considérer qu’une organisation apprend lorsqu’elle parvient à détecter et à corriger
une erreur, étant entendu qu’il y a erreur quand un écart apparaît entre une intention et ses
conséquences effectives » (Argyris, 1998). Pour l’auteur de cette définition pour qu’une entre-
prise apprenne, il faut qu’elle passe d’un apprentissage en simple boucle à un apprentissage en
double boucle. Alors que le premier consiste à tenir compte des résultats pour réagir, le second
exige de remettre en question les valeurs qui guident les stratégies d’action. Argyris détaille
les obstacles à ce deuxième type d’apprentissage qui sont les routines organisationnelles dont
l’origine est souvent ancrée dans des croyances erronées des managers.

Permettre à une entreprise d’apprendre, dans cette perspective, c’est faire changer les mana-
gers en faisant en sorte qu’ils utilisent de bonnes théories.

Une autre conception, plus traditionnelle, de l’entreprise apprenante renvoie à sa capacité


à conserver une mémoire organisationnelle et à gérer correctement les connaissances qu’elle
produit, le KM ou knowledge management. Pour les spécialistes du KM, les acteurs de l’organi-
sation ne doivent pas se limiter à la consommation d’informations brutes. Ils doivent veiller aux
usages des informations, ce qui signifie interprétation, structuration, capitalisation, et partage des
connaissances. Il ne s’agit pas de compétences innées aussi, à côté de dispositifs informatiques,
la formation des salariés fait partie de toute démarche de KM.

En conclusion, la formation en entreprise est sujette à de nombreuses tensions. La plus forte,


mais aussi la plus ancienne concerne la tension entre une formation exclusivement orientée par
des considérations sociales et la formation exclusivement orientée vers la performance écono-
mique. Seuls ceux qui n’ont jamais géré les budgets formation peuvent imaginer que ces deux
objectifs sont toujours parfaitement conciliables. L’art du responsable de formation consiste à
rechercher des convergences, notamment en jouant sur le temps. Mais le temps est aussi objet de
tension, entre le temps court (l’année) qui s’impose pour des raisons comptables et financières et
le temps des apprentissages qui est souvent plus long. Enfin la formation est soumise à de fortes
évolutions technologiques qui d’un côté l’obligent à intégrer de plus en plus d’e-learning et de
formation à distance alors qu’il n’échappe à personne que la formation doit rester également
une occasion de renforcer le capital social en multipliant les occasions de rencontre.

Face à ces contradictions le responsable de formation n’est pas démuni, il dispose de nouveaux
outils qui permettent de réconcilier demande sociale et exigence économique, il introduit, à côté
du plan de formation annuel, d’autres outils de gestion qui disposent d’une durée plus longue
(la GPEC par exemple) et pour concilier e-learning et rencontres il a sa disposition la formation
mixte (blended learning).

154
La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6

Lectures conseillées
A rgyris C. (1998). Savoir pour agir, Paris, Galambaud B. (2002). Si la GRH était de la gestion,
InterÉditions. Paris, Éditions Liaisons.
Fombonne J. (2001). Personnel et DRH. L’affirmation Igalens J. et Roger A. (2013). Master RH, Paris,
de la fonction personnel dans les entre- Éditions Eska.
prises (France, 1830-1990), Paris, Vuibert. M antione F. et coll. (2015). Le Management
épiphyte, Paris, Éditions EMS.

155
Chapitre 7
Management, organisation
et formation1

1. Par Christian Batal et Olivier Charbonnier.


Sommaire
1. Évolution des formes d’organisation
et de management et pratiques de formation........................................................ 159
2. La réhabilitation de la dimension humaine
dans la pensée managériale et dans les organisations........................................... 166
3. Le développement de la compétence
comme variable stratégique au cœur des organisations........................................ 168
Lectures conseillées.................................................................................................. 174
La problématique des compétences entretient depuis toujours un lien étroit avec celle de
l’organisation : la compétence est souvent pensée comme un moyen d’adaptation à l’organi-
sation, mais elle est aussi fréquemment considérée comme un moyen pour la faire évoluer.
C’est pourquoi la formation est parfois utilisée comme outil d’adaptation à l’organisation ou,
au contraire, comme outil de changement de cette même organisation. Les termes d’appren-
tissage organisationnel et d’organisation apprenante, témoignent encore de cette forte relation
de proximité qu’entretiennent ces deux dimensions.

L’articulation entre pratiques de formation et modes de management et d’organisation soulève


donc deux questions aussi simples que vastes : comment le fonctionnement des structures, et plus
particulièrement la structure organisationnelle et les pratiques managériales, impactent-elles
les pratiques de formation ? En quoi les pratiques de formation accompagnent-elles l’évolution
des modes de management et d’organisation ?

L’étude de l’évolution des organisations et des pratiques managériales permet, depuis l’époque
artisanale jusqu’à aujourd’hui, de repérer le rôle parfois central ou au contraire marginal dédié
à la formation dans la performance et la transformation des organisations. Il ressort de cette
mise en perspective historique que les pratiques de formation évoluent de façon non linéaire
sous l’effet des doctrines managériales qui se sont succédé. Pivot de la production artisanale,
l’apprentissage est devenu relativement accessoire lorsque l’économie s’est industrialisée, avant
de se ré-institutionnaliser un peu plus tard.

1. Évolution des formes d’organisation


et de management et pratiques de formation

Il convient de se prémunir contre la tentation d’un artefact qui consisterait à décrire l’his-
toire des organisations et de leurs conséquences sur les pratiques de formation sous forme
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’évolutions successives clairement circonscrites dans le temps. De fait, les organisations n’ont
pas encore digéré le mouvement de rationalisation sur lequel elles se sont développées depuis
plus d’un siècle. Ainsi, les développements qui suivent visent davantage à rendre compte d’une
articulation dans ses différentes formes qu’à reconstituer des mouvements déjà abondamment
décrits par les historiens.

159
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.1 L’époque artisanale : l’expérience professionnelle


comme mode dominant de développement des compétences
L’économie artisanale préindustrielle se caractérise souvent par des micro-organisations où
l’initiative individuelle est prépondérante et dans lesquelles le travailleur n’est pas spécialisé sur
une tâche, mais doit au contraire se comporter de façon autonome pour réaliser l’intégralité
d’un objet ou d’une prestation. La réalisation d’un ouvrage dans toutes ses dimensions et/ou la
pratique d’un métier (coutelier, forgeron…) impliquent la maîtrise d’un registre varié d’habi-
letés et de connaissances. Dans ce contexte, les besoins de compétences sont très importants et
relèvent avant tout d’une logique professionnelle de « métier ». Ils sont centrés sur des « savoir-
faire » liés à l’utilisation de nombreux outils et à la réalisation de gestes difficiles ou de tours de
main délicats, mais aussi sur les connaissances et les méthodes indispensables pour concevoir
l’ouvrage à réaliser.

Par ailleurs, à cette époque, les compétences les plus pointues assurent aux artisans qui les
maîtrisent un avantage concurrentiel utile et socialement valorisant. C’est la raison pour laquelle
le terme de « secrets » était couramment utilisé pour évoquer certaines finesses du métier.

L’époque artisanale est marquée par le phénomène du compagnonnage. En dehors des « jour-
naliers » et des « manœuvres » auxquels on ne demande pas d’être compétents, mais simplement
« durs à l’ouvrage », ce sont les compagnons qui vont fortement influencer la vie économique
productive pendant plusieurs siècles, de la fin du Moyen Âge jusqu’au xixe siècle. À la fois mouve-
ment d’association ouvrière et mode de formation des métiers artisanaux, le compagnonnage
est structuré en associations de métiers (les « devoirs ») qui soumettent leurs membres à une
initiation, à une formation professionnelle et spirituelle rigoureuse, ainsi qu’à l’observation de
règles et de rites précis.

Après un premier apprentissage auprès d’un maître, d’une durée variant de deux à cinq ans, le
jeune ouvrier (béjaume) devient un aspirant compagnon qui va se perfectionner en multipliant
les expériences avec la réalisation d’un tour de France dont l’itinéraire varie selon les métiers.
Il s’agit de sortir de la routine d’un seul atelier pour se perfectionner sur les techniques tradi-
tionnelles de son métier et pour aller acquérir, en travaillant dans différents lieux et contextes,
la variété des tours de main régionaux. Dans chaque ville, le compagnon est pris en charge à
la « cayenne » (auberge où séjournent et se réunissent les compagnons de son « devoir ») par
l’organisation locale qui veille sur lui ainsi que sur sa formation et s’occupe de lui fournir du
travail en l’inscrivant et en l’orientant dans un chantier ou un atelier.

Il y reste le temps nécessaire pour atteindre son objectif de perfectionnement et repart ensuite
suivre sa route pour une autre ville. Il dispose d’un livret qui atteste de son parcours et qu’il fait

160
Management, organisation et formation ■ Chapitre 7

parapher à chacune de ses étapes. À l’issue de ce tour de France, qui dure généralement cinq ou
six ans, l’aspirant doit faire la preuve de ses acquisitions avec la réalisation d’un chef-d’œuvre
« de réception », examiné par un jury, afin d’être reçu compagnon.

Ainsi, les modes de développement des compétences relèvent d’abord de cette culture de
métier, dans laquelle on devient un bon professionnel lorsqu’on en maîtrise toutes les dimensions
et que l’on est capable d’exécuter seul les réalisations qui sont caractéristiques de ce métier.
Même si les aspirants peuvent bénéficier dans les cayennes de formations assurées par des
compagnons expérimentés, le mode dominant d’acquisition reste l’expérience professionnelle,
c’est-à‑dire la réalisation d’ouvrages sous le contrôle de professionnels confirmés.

Cette période présente un certain nombre d’analogies avec des pratiques et des discours
caractéristiques de la période actuelle :
–– une logique de réseau dans laquelle l’organisation est extérieure à l’entreprise et se maté-
rialise ici à travers les associations de compagnons ;
–– une logique de projets qui se caractérise par l’association de professionnels expérimentés
qui travaillent ensemble, sur un chantier et pour une durée déterminée, à la réalisation d’un
ouvrage important ;
–– une idéologie du développement des compétences en situation de travail dans laquelle
l’artisan est, d’une certaine façon, l’« entrepreneur » du développement de ses compétences ;
–– une idéologie du perfectionnement permanent (Palazzeschi, 19981) qui n’est pas sans
rappeler la problématique contemporaine des « travailleurs du savoir ».

En France, ce système de formation de la main-d’œuvre qualifiée est remis en cause à la


Révolution car le système des corporations est « aux antipodes du libéralisme ambiant » (Terrot,
19832). Il va ensuite progressivement s’éteindre car, à partir du xixe siècle, les effets révolu-
tionnaires des nouveaux systèmes de production vont réduire considérablement le nombre
de compagnons : la machine et la division du travail permettent une productivité supérieure
et une baisse des prix. Contrairement à l’artisan, condamné à produire lentement des pièces
en nombre restreint, la fabrique peut satisfaire la demande massive d’une population en pleine
croissance. Les emplois peu qualifiés se développent avec l’industrie et les grands travaux, même
si au xixe siècle, ceux qui ont un métier peuvent encore le monnayer car on a besoin d’eux pour
réparer les machines et fabriquer les pièces les plus délicates.

1. Y. Palazzeschi (1998). « Le compagnonnage » (chap. 10, texte n˚ 39, « une idéologie du perfectionnement »),
Introduction à une sociologie de la formation. Anthologie de textes français, vol. 1, Paris, L’Harmattan.
2. N. Terrot (1983). Histoire de l’éducation des adultes en France, Paris, Edilig.

161
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.2 Le développement d’une logique d’organisations mécanistes :


les besoins de compétences et la formation limités à l’encadrement
1.2.1 Le déclin de la compétence sous l’effet
de la rationalisation du travail (Taylor)
C’est véritablement au début du xxe siècle que les pratiques de formation vont être boule-
versées. Avec l’accélération de la division du travail, la concentration de la production, sa
rationalisation puis son automatisation, le principe même de progression professionnelle
fondée sur l’acquisition de compétences plus pointues et plus rares, caractéristique de l’époque
artisanale, se dégrade. Cette reconfiguration de la production se poursuit au xixe siècle, prin-
cipalement en Angleterre et aux États-Unis, avec une accélération sans précédent au cours des
deux dernières décennies. Même si leur périmètre se resserre, les pratiques d’apprentissage telles
qu’elles se sont développées pendant l’époque artisanale demeurent dans une certaine mesure.

Le « déclin de la compétence » va s’accentuer avec l’émergence de la grande firme industrielle


et la concentration de la production dans un même espace. Le travail au sein de petits ateliers
pose des problèmes d’irrégularité, de défauts de fabrication, de détournements de matériaux,
de manque d’uniformité… On va donc réunir les opérateurs sur un même site pour pouvoir
organiser et contrôler leur production. Le contremaître, en se substituant au sous-traitant, voit
son champ de compétences se réduire du fait d’une autonomie et d’une responsabilité moindres.
L’ouvrier, s’il reste qualifié pour pouvoir opérer certaines tâches, intervient sur un champ plus
étroit.

1.2.2 L’organisation scientifique du travail va contribuer


à accentuer la dégradation de la compétence
Avec Frederick W. Taylor (1856-1915), qui publie dès 1903 La Direction des ateliers, dans
lequel il jette les contours de la nouvelle organisation industrielle1 un tournant va s’opérer dans
le champ des compétences. Surtout, il va proposer quelques années plus tard, sur la base de ses
recherches dans les entreprises sidérurgiques de Pittsburgh, une « organisation scientifique du
travail ». Il établit très clairement, dans l’ouvrage qu’il publie sur ce thème2, l’impact de la montée
en puissance de l’organisation sur la détérioration des compétences détenues par les opérateurs :
« La direction se charge de réunir tous les éléments de la connaissance traditionnelle qui, dans
le passé, était en la possession des ouvriers, de classer ces informations, d’en faire la synthèse
et de tirer de ces connaissances des règles, des lois et des formules qui sont d’un grand secours
pour aider l’ouvrier à accomplir sa tâche journalière. »

1. Les syndicats percevront rapidement la dimension des changements proposés par F.W. Taylor puisque dès
1907, l’American Federation of Labor demande sa comparution devant la Chambre des représentants.
2. F.W. Taylor (1957-1967). La Direction scientifique des entreprises, Paris-Verviers, Bibliothèque Marabout.

162
Management, organisation et formation ■ Chapitre 7

Cette rationalisation du travail ainsi radicalisée va déplacer le savoir de l’atelier vers un nouvel
espace, le bureau des méthodes. L’ingénieur et le technicien peuvent désormais opérer une
analyse fine de la production jusqu’à la prescription de normes : planification de la production,
norme de qualité, mode opératoire, durée de chacune des opérations… La valeur ajoutée du
producteur ne reposera plus sur son « tour de main », mais sur sa capacité à se conformer aux
prescriptions du bureau des méthodes. La compétence de l’opérateur se réduit progressive-
ment à la maîtrise de quelques gestes. On ne lui demande plus de mobiliser un savoir, mais de
se conformer à l’injonction du contremaître, chargé de faire respecter les méthodes prescrites
par l’ingénieur.

1.2.3 Une réduction des compétences qui s’accélère


avec l’automatisation des tâches (Ford)
Le lien entre organisation, management et formation va évoluer avec ce que l’on appellera
dans l’industrie automobile « l’automation de Detroit » où Ford installe, en 1913, les premières
chaînes de montage.

L’introduction d’une chaîne automatique dans la production va encore accentuer la réduction


des compétences de l’opérateur car, en imposant un rythme continu de travail, elle supprime le
dernier « tour de main » laissé à l’ouvrier. La compétence n’a alors plus de raison d’être. Il s’agit
seulement de vérifier que l’ouvrier réalise exactement les gestes qui lui ont été prescrits dans le
temps imparti par le bureau des méthodes.

Mais la chaîne automatique va plus loin encore en faisant de la compétence un facteur de


contre-performance. Le système imaginé par le bureau des méthodes, doublé d’un process
technique parfaitement millimétré, ne peut supporter la moindre initiative. Il s’agit donc non
seulement de réduire l’apprentissage à sa plus simple expression : la démonstration d’un geste qui
devra être reproduit à l’identique par l’ouvrier, mais également d’empêcher tout apprentissage
susceptible de perturber la rationalité élaborée par les ingénieurs.

1.2.4 La compétence limitée aux opérations d’entretien


et de maintenance (structures industrielles) ou à la
connaissance des procédures (organisation bureaucratique)

Des poches de compétences demeurent durant cette période,


mais elles restent limitées par leur étendue et les populations qu’elles visent
Ce mouvement croisé de rationalisation des organisations et de déclin des compétences
rencontre un écho important dans les travaux du sociologue allemand M. Weber qui va décrire
un modèle d’organisation rationnelle qui dépasse le champ de l’industrie et des enjeux tech-
niques et économiques qui le caractérisent. Il publie en 1924 The Theory of Social and Economic

163
Traité des sciences et des techniques de la formation

Organizations, qui pose les fondements d’une nouvelle forme de domination, de type rationnel
et impersonnel, sur lesquels se construisent les organisations lorsqu’elles atteignent un niveau
de taille et de complexité élevé.

Dans une organisation de ce type, la conformité à la procédure prime sur la singularité des
individus, sur leurs compétences et sur leurs aspirations. Les postes sont précisément circonscrits
dans une logique de spécialisation. Loin d’être exclue du modèle bureaucratique, la formation
des exécutants se limite à ce que Malglaive1 appelle le savoir procédural, c’est-à‑dire à une
maîtrise des procédures que la personne devra appliquer, sans que celles-ci ne soient inscrites
dans un cadre et des perspectives plus larges. À la différence des ensembles industriels, l’orga-
nisation bureaucratique décrite par Weber ne va pas jusqu’à « émietter » le mode opératoire
propre à chaque activité. La maîtrise de procédures, aussi simples soient-elles, exige malgré
tout l’acquisition d’un socle minimum de connaissances qui seront principalement transmises
par voies internes.

En dépit d’une compétence marginalisée, la sphère politique œuvre


timidement pour un élargissement de l’accès à la formation
Les actions de formation professionnelle se développent bien plus sous l’effet d’événements
politiques que d’un besoin de qualification lié aux nouvelles formes de production. Les actions
entreprises sont isolées et tentent ponctuellement de répondre à des besoins nés de situations
parallèles2. Trois périodes vont ainsi jalonner la formation professionnelle en France, attestant de
la faible vitalité de la compétence pour accompagner le développement économique des grands
ensembles industriels : la nécessité de trouver une solution aux mutilés de la Première Guerre
mondiale, la crise économique de 1929, qui touche massivement les ouvriers sans qualification
et, enfin, les besoins de l’industrie de guerre qui apparaissent dès 1938.

1.3 La formation réservée à la hiérarchie qui définit le one best way
Dans ce contexte marqué par la transformation des organisations, l’apprentissage n’est pas
absent mais il s’est déplacé. Bien que touchant une part réduite de la population, il va largement
participer à la mutation des organisations, sans qu’il soit possible de distinguer qui, des évolutions
organisationnelles ou du renouvellement de l’apprentissage, a entraîné l’autre. A. Hatchuel, dans
le regard qu’il porte sur le développement de la grande firme industrielle du début du xxe siècle,
observe qu’« une entreprise est constituée d’acteurs disposant de savoirs particuliers et engagés

1. G. Malglaive (1990). Enseigner à des adultes, Paris, PUF.


2. N. Terrot (1983). Histoire de l’éducation des adultes en France, Paris, Edilig, p. 185.

164
Management, organisation et formation ■ Chapitre 7

dans des systèmes de relations. La transformation des firmes s’opère donc par une transformation
conjointe de ces savoirs et de ces acteurs1 ».

1.3.1 Dans l’industrie, la formation se centre sur la hiérarchie


C’est durant cette période que l’ingénieur français H. Fayol (1841-1925) va développer une
théorie de la division et de la prescription du travail centrée sur les fonctions d’administra-
tion des entreprises2. Il décrit le rôle de l’encadrement qui tend à se développer sous l’effet
du repositionnement de l’opérateur dans la chaîne de fabrication d’un produit. Dans le même
mouvement de rationalisation que celui qui anima F.W. Taylor quelques années plus tôt, Fayol
indique que les fonctions d’administration sont chargées de prévoir et de planifier, d’organiser, de
commander, de coordonner et de contrôler. Il ne s’agit pas seulement des cadres gestionnaires,
même si Fayol a surtout mis l’accent sur cette population, mais aussi des ingénieurs, techniciens
et experts de toute nature chargés de prescrire l’activité. En alliant les sciences de la matière à
celles des processus d’achat, de planification et de communication, ils vont monopoliser l’enjeu
de l’apprentissage à leur niveau.

De fait, deux catégories d’acteurs vont connaître un développement de leurs compétences sans
précédent : les ingénieurs et l’encadrement. Les premiers ont en charge l’organisation et la
planification du travail. Possédant un niveau de qualification initiale élevé, marqués par une
approche rationnelle, ils jouent un rôle clé dans l’organisation mécaniste en s’appuyant sur des
compétences acquises lors de leur formation initiale. La promotion professionnelle, et avec elle
la formation continue, érigeront d’ailleurs les ingénieurs comme cadre de référence ultime pour
ceux qui souhaitent gravir les échelons de ces nouvelles organisations.

La rationalisation de l’organisation va également entraîner le développement de ce que


l’on nommera plus tard la ligne managériale : composée de contremaîtres, de chefs d’équipe,
de contrôleurs, cette population développe des compétences centrées sur la capacité à faire
respecter les procédures édictées par le bureau des méthodes.

1.3.2 La bureaucratie privilégie la formation d’une élite


Au sein de l’organisation bureaucratique décrite par M. Weber, l’impersonnalité liée à la
fonction, doublée de la rationalité attachée au but, vont contribuer à développer des entités
laissant peu de place aux compétences des opérateurs qui forment l’essentiel des effectifs. Pour
autant, la compétence reste présente. En effet, cette bureaucratie repose avant tout sur une

1. A. Hatchuel (1995). « L’Avenir de la grande entreprise industrielle : vers une rationalisation des processus
d’apprentissage ? », in Entreprises et histoire, n˚ 10, décembre, Éditions Eska, p. 61-68.
2. H. Fayol (1916). « L’Administration industrielle et générale », in Le Bulletin de la Société de l’industrie minérale,
puis édité par Dunod (1918, 1979, 1999).

165
Traité des sciences et des techniques de la formation

autorité formelle, sur des règles précises généralisées et sur des procédures devant garantir une
objectivité et une impersonnalité. Dans ce modèle d’autorité, ceux qui organisent et régissent
le fonctionnement de la structure doivent posséder un niveau élevé de compétence, même si
celle-ci reste souvent générale et peu professionnelle.

2. La réhabilitation de la dimension humaine


dans la pensée managériale et dans les organisations

La logique de production de masse sur laquelle se sont largement construits le fordisme et


le taylorisme rencontre des limites avec le développement d’un environnement concurren-
tiel accru. Il devient nécessaire de produire mieux. Les organisations vont progressivement se
positionner sur le couple « marché-produit » et faire du gestionnaire stratège un homme clé de
leur performance aux dépens de l’ingénieur organisateur. Deux paramètres émergent peu à peu
dans les organisations : la flexibilité (délai, diversité) et la qualité. L’homme devient alors une
variable d’ajustement incontournable aux exigences du marché. Il recouvre progressivement
une part d’autonomie dans l’acte de production, tant par un redéploiement des tâches qui lui
sont confiées qu’à travers un relâchement du contrôle qui lui était jusqu’alors imposé. Cette
« réappropriation » du travail exige un développement de son professionnalisme. L’évolution de
la pensée managériale, par étapes successives, va accompagner ce changement.

2.1 L’école des relations humaines


En réaction à l’approche taylorienne centrée sur le « prescrit », on assiste, dès les années 1920,
à l’émergence d’un courant de pensée qui estime que la productivité d’une entreprise ne réside
pas uniquement dans la qualité de son organisation, mais qu’elle dépend aussi de la motivation
des salariés au travail.

Cette école de pensée, qui n’arrivera que tardivement en France, va modifier la vision des
compétences attendues des cadres hiérarchiques et des agents de maîtrise. Ainsi, les managers,
jusqu’à présent essentiellement sélectionnés sur leur maîtrise technique d’un processus, sont
maintenant invités à dialoguer avec leurs collaborateurs, à discuter, à s’intéresser à eux, à les
écouter, bref à s’investir dans la communication et la relation, afin de mieux les motiver.

166
Management, organisation et formation ■ Chapitre 7

2.2 Le management par objectifs de P.F. Drucker


Drucker fut un des premiers auteurs à mettre en évidence les limites du taylorisme, et c’est
en 1954 qu’il publie son ouvrage qui va initier partout la pratique du management par objec-
tifs1. Reprenant en partie le point de vue de l’école des relations humaines, il conçoit davantage
l’entreprise comme un ensemble d’acteurs à motiver et à coordonner que comme un éventail
de ressources neutres à optimiser.

Son expérience de consultant et ses études menées à la General Electric l’amènent à penser
que la performance d’une entreprise repose en grande partie sur le découpage de ses buts en
objectifs et sur la responsabilisation d’unités et de salariés dans leur réalisation, ce qui revient
à définir la contribution attendue de chacun à la réussite de l’organisation.

L’approche managériale de Drucker, en rupture avec la logique taylorienne précédente,


réintroduit explicitement la dimension de la formation. Elle implique d’abord une formation
significative de l’encadrement, y compris l’encadrement de proximité, qui passe d’un rôle de
« gardien de la règle » à celui d’« animateur-organisateur-pédagogue ». Ensuite, la responsabi-
lisation des salariés sur des objectifs, ainsi que l’autonomie et la délégation de moyens qui y
sont associées, induisent un certain niveau de professionnalisme. C’est à cette époque que la
formation des salariés va se développer, aux États-Unis dans un premier temps, sous une forme
encore marquée par la culture taylorienne, avec le TWI (training within industry).

En France, c’est surtout à partir des années 1970-1980 que sa doctrine va trouver une traduc-
tion concrète, notamment avec la mise en place de cet outil central du management par objectifs
qu’est l’entretien d’évaluation annuel. C’est aussi l’occasion de définir les besoins de formation
individuels. Ainsi, dans ce cadre, la formation des salariés devient un moyen, parmi d’autres,
permettant d’atteindre les objectifs fixés2.

Malgré ce déplacement de l’angle de vue des managers, autrefois centrés sur la tâche, vers le
résultat, « Drucker insiste sur le rôle des managers et leur fonction de prescripteurs » comme
le rappelle David Autissier3.

1. P.F. Drucker (1954). The Practice of Management, New York, Harper and Row.
2. C’est cette logique, résumée dans le slogan « la formation est un moyen, pas une fin en soi », que reprenaient
G. Hauser, F. Maître, B. Masingue et F. Vidal dans L’Investissement formation (1985, Les Éditions d’Organisation).
3. D. Autissier (2002). « Peter Ferdinand Drucker, une analyse “historico-déductive” du management », in Les
Grands Auteurs en management, dirigé par S. Charreire et I. Huault, Paris, Éditions EMS.

167
Traité des sciences et des techniques de la formation

3. Le développement de la compétence comme variable


stratégique au cœur des organisations

3.1 Un environnement marqué par le développement


de la mondialisation et l’accélération des changements
Dès le début des années 1970, la formation professionnelle va évoluer. La loi Delors, portée
par des débats dans les milieux politiques, syndicaux et universitaires sur l’éducation perma-
nente, marque un tournant dans les pratiques de formation des organisations. Surtout, sa double
vocation de promotion sociale des individus et de développement professionnel des entreprises
va rencontrer un écho à la mesure des changements qui marquent cette période.

3.1.1 L’évolution rapide de l’environnement entraîne


l’émergence de nouveaux besoins de compétences
Au niveau économique d’abord, sous la pression d’une consommation de masse qui s’essouffle
et d’un environnement concurrentiel en voie de mondialisation, trois tendances lourdes vont
impacter durablement la formation continue : la flexibilité amorcée dans les années 1950 devient
une variable d’ajustement incontournable pour répondre à la volatilité croissante des consom-
mateurs ; la qualité s’impose comme une dimension essentielle de la performance et, à certains
égards, de la survie des organisations ; enfin, des activités nouvelles se développent, fondées sur
une forte valeur ajoutée intellectuelle et une exigence constante d’innovation. Cette nouvelle
donne économique révèle, dans un mouvement croisé, la rigidité des process tels qu’ils avaient
été conçus lors des décennies précédentes et l’émergence de compétences jusque-là ignorées1 :
capacité gestionnaire en vue d’intégrer les objectifs économiques résultant d’une flexibilité
accrue, capacité d’initiative pour faire face à un souci croissant de qualité, acquisition de compé-
tences nouvelles en vue de s’adapter à des postes de travail reconfigurés…

Enfin, la technique connaît durant cette période des développements majeurs avec, notam-
ment, l’introduction de l’informatique dans la chaîne de production. Si l’innovation technique
contribue à structurer les organisations depuis le début de l’ère industrielle, deux éléments
nouveaux vont jouer un rôle déterminant sur les compétences : d’une part, la durée de cycle de
vie des technologies, en se réduisant, va imposer dans le quotidien professionnel une exigence
d’adaptation de plus en plus rapide de l’homme à la machine et par là même une accélération du
renouvellement des compétences ; d’autre part, tous les métiers seront progressivement touchés
par les transformations techniques. Là aussi, les capacités cognitives de perception, d’abstraction

1. Y. Lichtenberger (1995). « La qualification : enjeu social, défi productif », in Organisation du travail, emploi,
compétences et parcours professionnels, Paris, Éd. Anact, coll. « Dossiers documentaires », p. 71-77.

168
Management, organisation et formation ■ Chapitre 7

et de résolution de problèmes dans le cadre de l’automatisation apparaissent comme autant de


besoins nouveaux que la formation devra prendre en charge.

Pour y répondre, les organismes de formation se multiplient, produisant dans leur sillage
une offre sans précédent. Les dépenses de formation vont dans le même temps connaître
une augmentation constante, sans qu’il soit toujours possible de savoir qui, de l’offre ou de la
demande, en est à l’origine.

La formation professionnelle s’installe ainsi durablement dans le paysage des organisations


publiques et privées. La création des Asfo, des FAF, progressivement transformés en Opca, va
accentuer encore ce mouvement en donnant aux salariés des PME les moyens de profiter de
la loi de 71.

Ce contexte économique, social et technique en pleine mutation conduit les entreprises à


assigner deux défis à la formation professionnelle1 : « d’abord celui d’engager la production sur
un effort autonome d’apprentissage de l’adulte sur des tâches nouvelles, mais ensuite, presque
contradictoirement, celui de stimuler les compétences et les projets d’évolution individuelle au
point de remettre en question les organisations en place ».

3.1.2 La formation, en s’intensifiant, va induire de façon diffuse


une série d’effets indirects bénéfiques au changement
En se développant, les pratiques de formation vont produire une série d’effets diffus et, à
certains égards inattendus, sur les transformations que vivent les organisations au cours de
cette période…

Le premier d’entre eux est la « promotion sociale d’individus » : la formation propulse l’indi-
vidu dans une stratégie ascensionnelle, mais elle peut également résulter d’une promotion en
vue d’assurer la mise à niveau et le perfectionnement de la personne nommée à de nouvelles
responsabilités. Quel que soit le sens de cette relation, la formation professionnelle va permettre
aux organisations de mieux se doter des compétences plus pointues dont elle a besoin à ce
moment-là.

Le deuxième effet formation est relatif à l’ouverture des systèmes socio-organisationnels.


En favorisant les échanges entre personnes de services, de métiers, de grades différents et la
compréhension de l’organisation, la formation peut créer des désordres organisationnels et
créatifs favorables aux dynamiques informelles de changement. Le troisième effet formation se

1. R. Sainsaulieu (1999), in Carré P. et Caspar P. (dir.). Traité des sciences et des techniques de la formation,
Paris, Dunod, 1re éd.

169
Traité des sciences et des techniques de la formation

traduit par une « conscience critique de l’acteur » dans le développement de l’organisation. Les
formations vont constituer des moments où l’on pourra comparer les différentes façons dont
s’exercent l’autorité, les situations de travail propres à chacun, le fonctionnement des structures,
les changements auxquels elles sont confrontées… À son retour de formation, le stagiaire sera
parfois amené à porter un regard plus critique sur des pratiques routinières. Enfin, le quatrième
effet formation renvoie au monde de « l’imaginaire et de la créativité ». Les connaissances trans-
mises à l’occasion d’une formation stimulent des projets d’évolution personnelle et donnent à
certains le désir d’aller voir ailleurs. R. Sainsaulieu note que, « d’une certaine façon, la formation
d’adultes provoque une envie d’alternative, de monde meilleur et donc d’ailleurs1 ».

Ainsi, les transformations économiques, sociales et techniques que connaissent les organi-
sations à cette période vont générer de nouveaux besoins de compétences et, plus encore, des
besoins touchant un effectif croissant. En réponse à ces nouveaux enjeux de compétence, la
formation va favoriser la promotion, l’ouverture du système, l’évolution culturelle, le dévelop-
pement de l’imagination et ainsi accompagner le changement des organisations.

3.2 De la déconcentration croissante de la gestion des compétences


à la (re) découverte de modèles pédagogiques articulés au travail
3.2.1 La déconcentration de la gestion des compétences
impose une ouverture des services formation
Alors que la fonction formation se limitait, jusqu’à la fin des années 1970, à la gestion admi-
nistrative des demandes le plus souvent individuelles, elle va progressivement connaître un
déplacement et un partage de responsabilités sous l’effet d’une déconcentration croissante de
la gestion des compétences. Ce changement s’opère à travers deux mouvements connexes.

En premier lieu, la formation est de plus en plus attendue sur sa capacité à répondre aux
besoins à moyen terme d’une entité et plus seulement à des individus qui expriment une
demande. On commence à parler formation-investissement2. Les professionnels chargés de
répondre aux besoins de formation doivent se poser en gestionnaires et proposer de véritables
plans de formation. La formation va ainsi devoir se rapprocher des équipes de travail et de leur
encadrement pour élaborer une programmation fondée sur une véritable analyse de besoins.
Ce premier mouvement se croise avec la mise en place de plus en plus récurrente de processus
ressources humaines impliquant le management. Qu’il s’agisse de recrutement, de formation,

1. Ibid.
2. G. Hauser, F. Maître, B. Masingue, F. Vidal (1985). L’Investissement formation, Paris, Les Éditions
d’Organisation.

170
Management, organisation et formation ■ Chapitre 7

d’évaluation ou encore de mobilité, l’encadrement est progressivement investi d’une responsa-


bilité, d’abord de gestion puis de développement des ressources humaines. Le management est
sommé de participer au développement des compétences de ses collaborateurs.

3.2.2 La formation s’articule de façon croissante


au travail et à son organisation
Un glissement de la formation à la professionnalisation, de l’ingénierie de formation à
l’ingénierie des compétences va alors progressivement s’opérer. On commence à parler de « redé-
couverte de la professionnalité1 ». Les procédures sur lesquelles fonctionnaient les organisations
continuent de s’assouplir et les trois unités de temps, de lieu et d’action sont remises en cause
par les nouvelles organisations du travail.

La formation est tenue de sortir de l’espace pédagogique qui lui était jusque-là dédié pour s’im-
miscer au plus près des situations de travail. Plus encore, la formation devient juste un moyen,
parmi d’autres, de produire des compétences. Toutes les opportunités de professionnalisation
offertes par l’organisation et le management doivent être saisies2 et le concept d’apprentissage
organisationnel développé par Argyris et Schön (2002) va contribuer à nourrir cette probléma-
tique nouvelle. Quelques années plus tard, P. Senge (1992) reprendra les travaux d’Argyris et
Schön en proposant une analyse des « organisations qui apprennent3 ». L’ambition d’un « mana-
gement par les compétences » mis en avant par le Medef (ex-CNPF) aux journées internationales
de la formation de Deauville en 1998 participe de cette vision qui fait du développement des
compétences le principal levier d’obtention de la performance au travail.

La loi de janvier 2002 relative à la validation des acquis de l’expérience va signer la recon-
naissance de la pluralité des modes de développement des compétences et, plus encore, de leur
articulation au travail. Comme la plupart des lois, celle-ci vient consacrer des pratiques déjà
largement développées dans le tissu social.

Dès 2000, une recherche est lancée pour comprendre les ressorts sur lesquels se fondent les
apprentissages professionnels informels dans les organisations4. Le sentiment de confusion qui
s’exprime de prime abord lorsque l’on tente de saisir « cette forme souterraine, invisible, contre-
bandière » d’apprentissage, s’éclaire à la lumière d’un éventail de variables dont l’organisation
et le management sont loin d’être les moindres.

1. Y. Lichtenberger, ibid.
2. G. Le Boterf. Voir le chapitre 19 de cet ouvrage.
3. P. Senge (2016). La Cinquième discipline. L’Art et la manière des organisations qui apprennent, Eyrolles.
4. P. Carré, O. Charbonnier (dir.) (2003). Les apprentissages professionnels informels, Paris, L’Harmattan.

171
Traité des sciences et des techniques de la formation

Bien sûr, cette forme d’apprentissage ne fait qu’enrichir, voire dans une certaine mesure
consolider les savoirs produits dans le cadre de situations de formation plus classiques, sans pour
autant s’y substituer : elle ne couvre pas tous les besoins de compétences nécessaires à l’organi-
sation pour fonctionner et, surtout, elle peut difficilement s’inscrire dans un modèle mécanique.

La place croissante que prennent ces nouvelles pratiques s’explique largement par trois
éléments déterminants : d’une part, l’accélération du renouvellement des compétences ne peut
se satisfaire d’une planification des actions de formation appartenant à des temporalités d’un
autre temps, d’autre part, la compétence est devenue une variable suffisamment stratégique pour
investir toutes les voies susceptibles de la développer, bien au-delà de la seule reproduction du
modèle de la formation initiale qui a montré ses limites ; enfin, le marché de la formation s’est
structuré : les financeurs et les prescripteurs attendent davantage de productivité de la forma-
tion, les acheteurs, en se professionnalisant, deviennent plus exigeants auprès de prestataires
qui, face à une concurrence toujours plus forte, se doivent d’être innovants.

Pour autant, si les pratiques de formation se diversifient elles continuent d’obéir à un


mouvement univoque qui considère que la stratégie structure l’organisation, que l’organisation
détermine le rôle de la fonction managériale, et que le management s’appuie sur des entités
fonctionnelles dont fait partie la formation pour nourrir, à son niveau, la stratégie de l’organi-
sation. Or une nouvelle économie est en train de se dessiner, dans laquelle la connaissance joue
un rôle de premier plan. Sa matière première, l’information, explose de toute part à mesure que
les nouvelles technologies se développent.

L’organisation du travail et l’ingénierie de sa prescription, d’abord par le bureau des méthodes,


aujourd’hui par la fonction managériale, deviennent improbables dans ce nouveau contexte. Ce
mouvement n’est pas nouveau, mais il connaît depuis une dizaine d’années une accélération
sans précédent. Corrélativement, la mise en boîte de savoirs diffus, fluctuants, instables par les
professionnels de la formation, de même que l’ingénierie de leur transmission dans un périmètre
bien circonscrit, n’ont souvent plus de sens. Dans un même élan, l’apprenant comme le produc-
teur sont invités à gérer des flux d’activités et d’informations en transformation permanente.
Et à s’organiser différemment pour s’assurer des conditions d’accès et de traitement optimales.

Ce contexte en profonde mutation interroge la fonction formation. Sur le fond d’abord,


la formation est attendue sur un nouveau front, celui du développement de nouvelles capa-
cités cognitives encore peu stabilisées : capacités d’ouverture, de polarisation et de flexibilité
mentale, etc. Ensuite, le modèle des compétences montre ses limites1 et des propositions de

1. C. Batal, S. Fernagu-Oudet (2013). « Compétences : un folk-concept en difficulté », Savoirs, n° 33,

172
Management, organisation et formation ■ Chapitre 7

nouveaux modèles émergent, comme celui d’un « design social » assis sur le développement
d’« environnements capacitants » et de développement des « capabilités » (Fernagu-Oudet et
Batal, 2016). Enfin, l’explosion du digital bouleverse encore le cadre de référence.

3.3 Le digital bouscule profondément la donne


Le digital produit une matière liquide, aussi invisible qu’intrusive, voire invasive, qui est en
train de s’immiscer dans toutes les interstices de nos vies. Difficile de se déplacer, de consommer,
de se détendre, de s’endormir… sans qu’une graine d’information ne se glisse quelque part. Ces
micro-intrusions ont progressivement créé une perméabilité et des liens entre des cloisons (orga-
nisationnelles, professionnelles, pédagogiques…) jusque-là très hermétiques. Sans bien savoir
qui a commencé, le travail et le digital se sont imbriqués dans des flux d’informations au point
de parler de société cognitive, d’entreprise cognitive, de capitalisme cognitif. Dans cette inflation
d’interactions se glissent des bouts de connaissances, des fragments d’apprentissage qui modi-
fient notre façon de fabriquer un objet, de rédiger un texte, de conseiller quelqu’un, de réparer
une machine, de répondre à un client…

Protéiforme, en mouvement permanent, adossé à des référentiels qui ne tiennent qu’à un fil,
le travail réinterroge de fait nos modes d’apprentissage. Dans un mouvement que nous avons
esquissé (cf. supra) et qui semble sans fin, nous passons d’une approche séquentielle, linéaire,
mécanique et programmatique de nos façons de travailler et d’apprendre à une vision plus
imbriquée, plus poreuse, conçue comme un entrelacs de liens qui s’immiscent et se tissent au
fil de nos mouvements. Plus que jamais… Un bon « tuto » influencera nos gestes professionnels,
un article bousculera un raisonnement, un conseil déposé par un expert sur un forum spécia-
lisé réorientera ce que l’on avait prévu de faire. Sans d’ailleurs savoir s’il s’agit véritablement
de micro-apprentissages ou simplement d’une information qui agira, le temps de l’acte, sur
notre façon de faire.

Corrélativement, de nouvelles formes d’apprentissage émergent, qui font davantage corps


avec l’action, voire lui semblent consubstantielles. Plus congruentes avec de nouveaux besoins,
elles trouvent dans la transformation de notre relation au travail et de notre rapport au savoir
un terreau fertile. Un peu comme si l’on glissait d’un « apprendre » pour travailler vers un
« apprendre à travailler ».

173
Traité des sciences et des techniques de la formation

Lectures conseillées
Argyris C., Schön D. (2002). Apprentissage orga- G arant M., S cieur P. (2002). Organisations et
nisationnel. Théorie, méthode, pratique, systèmes de formation, Bruxelles, De Boeck
Bruxelles, De Boeck. Université.
Drucker P.F. (2001). Ouvrez vos entreprises, Paris, Louche C. (2007). Psychologie sociale des organi-
Village Mondial. sations, Paris, Armand Colin.
Enlart S., Charbonnier O. (2014). Quelles compé- Pesqueux Y. (2002). Organisations : modèles et
tences pour demain ?, Paris, Dunod. représentations, Paris, PUF.
Fernagu-Oudet S., Batal C. (2016). (R) évolution du Plane J.-M. (2008). Théorie des organisations,
management des ressources humaines. Des Paris, Dunod.
compétences aux capabilités, Lille, Éditions
universitaires du Septentrion.

174
Chapitre 8
Ergonomie, formation
et développement1

1. Par Catherine Delgoulet, Christine Vidal-Gomel, Pierre Falzon et Catherine Teiger.


Sommaire
1. Ergonomie, formation, santé et développement.................................................... 177
2. Analyse ergonomique du travail et formation........................................................ 179
3. Le développement comme outil de l’action ergonomique....................................... 186
4. Discussion, conclusion........................................................................................... 188
Lectures conseillées.................................................................................................. 191
L’ergonomie, et singulièrement l’ergonomie de l’activité, n’a cessé de mettre en évidence la
dimension constructive de toute activité de travail, créatrice de connaissances spécifiques qui
se développent avec l’expérience et, en général, avec l’âge. Pour l’ergonome, l’objectif est moins
de décrire les acquis de l’expérience que de favoriser leur développement : parmi les moyens
possibles à cet effet, on trouve la formation classique, mais aussi la conception de situations
de travail favorables au développement et à la transmission des compétences « tout au long de
la vie » : environnements capacitants et organisations capacitantes. C’est donc beaucoup aux
conditions qui favorisent, parallèlement à l’activité productive et en interaction avec elle, une
activité constructive, que l’ergonome doit s’attacher.

De plus, toute intervention ergonomique en situation de travail, quand elle est menée de façon
participative, quand l’intervention est elle-même capacitante, comporte une dimension construc-
tive pour ceux qui y sont impliqués, les ergonomes y compris. Cette dimension constructive a,
comme on le verra, un double statut, de moyen et de fin.

1. Ergonomie, formation, santé et développement

1.1 Ergonomie et formation1


Il convient de donner quelques éléments d’histoire. Les rapports entre ergonomie et formation
sont anciens, ne sont pas simples et ont beaucoup évolué avec le temps (Teiger et Lacomblez,
2013). La formation (au sens de la formation professionnelle) est longtemps restée un terrain
sur lequel les ergonomes ne s’aventuraient qu’à reculons. La raison tenait au fait qu’une certaine
contradiction pouvait apparaître entre les objectifs de l’une et de l’autre. Historiquement, et
selon les formules de l’époque, l’ergonomie s’est fixé comme objectif, avant tout, « l’adaptation
du travail à l’homme » : c’est l’humain qui est premier, c’est au travail de se plier à ses besoins
et capacités. Or l’objectif de la formation n’est-il pas de transformer l’individu pour qu’il soit
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

en mesure de réaliser une tâche, et donc d’une certaine façon d’adapter l’homme à son travail,
comme le font la sélection et l’orientation ? En quelque sorte, ergonomie et formation étaient
perçues comme œuvrant bien l’une et l’autre au rapprochement entre ces deux pôles, l’homme
et le travail, mais leurs efforts semblaient porter sur des domaines différents. Le pari de l’ergo-
nomie était d’agir sur les dispositifs techniques et organisationnels afin de les rendre efficaces

1. Cf. la version antérieure du chapitre : P. Falzon et C. Teiger (2011). « Ergonomie, formation et transformation
du travail », in P. Carré et P. Caspar (éds.), Traité des sciences et techniques de la formation, 3e éd. (p. 143-159),
Paris, Dunod.

177
Traité des sciences et des techniques de la formation

et accessibles sans risque au plus grand nombre et de ne pas faire de l’humain la « variable
d’ajustement » à un système de production mal conçu.

Cette frilosité de l’ergonomie par rapport à la formation est aujourd’hui dépassée. Les
ergonomes interviennent dans le champ de la formation de différentes façons, en aidant à la
conception des contenus des programmes de formation, en outillant – par l’analyse du travail
– les méthodes formatives, en développant des méthodes d’intervention à visée formative.

1.2 Santé et développement


Les définitions de l’ergonomie ont à l’origine mis en avant deux objectifs fondamentaux :
d’une part la santé des opérateurs, d’autre part l’efficacité de l’action. Santé et efficacité
dépendent des compétences de l’opérateur, des conditions d’exercice de l’activité, de l’orga-
nisation du travail.

L’appréhension de l’objectif de santé a connu des évolutions sensibles depuis quelques années.

En premier lieu, la santé n’est plus vue seulement comme un capital à maintenir, mais comme
un processus à entretenir tout au long de l’avancée en âge et du développement de l’expérience. À
l’approche palliative, qui vise à compenser les déficits de la personne, et à l’approche préventive,
qui cherche à éviter l’occurrence des situations pathogènes, s’est ajoutée une approche active.
L’objectif de santé doit être compris comme la recherche des conditions qui non seulement
évitent la dégradation de la santé, mais aussi en favorisent la construction.

En second lieu, la santé ne peut être déconnectée de la performance. Avoir le sentiment de


réussir, de produire un travail satisfaisant aux yeux de celui/celle qui le réalise, est facteur de
santé. Au-delà, avoir l’opportunité de faire de nouvelles expériences, de découvrir de nouveaux
domaines ou des modes d’action nouveaux, bref d’apprendre, contribue aussi à la santé, comme
le démontrent les enquêtes européennes sur le travail.

Une vision développementale de la santé peut donc être avancée. La notion d’environnement
capacitant, proposée comme cadre général pour l’ergonomie (Falzon, 2013), se définit sous trois
points de vue : préventif, universel et développemental. Du point de vue développemental, il s’agit
d’un environnement qui, d’une part, permet de réussir, d’aboutir au résultat souhaité, d’autre
part, favorise le développement de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs des individus
et des collectifs, l’élargissement des possibilités d’action et du degré de contrôle sur la tâche et
sur l’activité. On peut y ajouter, dans la perspective de ce texte, qu’un environnement capacitant
doit permettre d’absorber certains échecs, ou semi-échecs (un aspect important lorsque les

178
Ergonomie, formation et développement ■ Chapitre 8

compétences ne sont pas totalement consolidées), de sorte qu’il constitue un environnement


propice aux apprentissages.

La question n’est donc pas seulement : comment concevoir un système de travail qui permette
un exercice fructueux de la pensée ? Elle est aussi : comment concevoir un système de travail
qui favorise le développement des compétences ? En d’autres termes, comment intégrer perfor-
mance, santé et développement ?

1.3 Le développement comme fait, objectif et moyen


Le développement est en premier lieu un fait : les personnes se développent dans le travail,
à des degrés divers en fonction des conditions du travail. Comme on l’a vu ci-dessus, ce doit
aussi être un objectif : il s’agit pour l’ergonome de concevoir des environnements capacitants,
favorables au développement. Enfin, le développement apparaît aujourd’hui comme un moyen
de l’action.

Intervenir, c’est mettre en place une démarche de développement au sein de l’organisation,


au cours de l’intervention. La conduite de projets de transformations des situations de travail
et de conception demande que les acteurs prennent une distance par rapport à leurs pratiques,
distance nécessaire à la transformation du travail d’aujourd’hui et à la conception du travail futur.
Cette prise de distance peut être outillée par la mise en œuvre de méthodes de simulation, de
confrontation de pratiques, de formation. L’action ergonomique est ainsi l’occasion d’une dyna-
mique de transformation et d’apprentissage, qu’il s’agisse de la conception d’une organisation,
d’une situation de travail ou d’un artefact. Dans cette perspective, il s’agit à la fois de favoriser
des processus de développement au cours même de l’intervention et de concevoir des systèmes
de travail qui eux-mêmes favoriseront le développement : le développement comme moyen sert
alors le développement comme objectif.

2. Analyse ergonomique du travail et formation


L’ergonomie a investi la formation sous deux angles complémentaires. D’une part, l’analyse
ergonomique du travail contribue à la conception de contenus ou outils pédagogiques ou à la
compréhension du travail des acteurs de la formation (concepteurs, formateurs, tuteurs…).
D’autre part, elle s’est fait objet de la formation pour favoriser le développement des activités
de travail ou les actions de prévention des risques professionnels en situation.

179
Traité des sciences et des techniques de la formation

2.1 L’analyse ergonomique du travail au service de la formation


2.1.1 Concevoir des contenus et outils de formation
À partir des travaux initiaux de Faverge, Leplat et leur équipe, s’est imposée l’idée que l’ana-
lyse ergonomique du travail constitue un préalable à la conception de formation (Teiger et
Lacomblez, 2013). En effet, elle permet l’identification des tâches effectivement réalisées, des
buts du travail et de ceux que se fixent les opérateurs ainsi que des conditions de leur réalisation.
La formation peut ainsi être conçue en évitant de former uniquement en référence au prescrit,
à partir des représentations du travail que peuvent avoir différents acteurs de la conception,
ou encore à un travail idéalisé, laissant les formés démunis face au réel. L’accent peut être mis
sur l’activité des expérimentés de façon à ce que la formation intègre mieux l’expérience qu’ils
ont acquise, ce qui est un gage de sa réussite quand la population à former est âgée et expé-
rimentée (Delgoulet, 2012). L’analyse de l’activité peut avoir pour objectif l’identification de
savoirs d’action acquis au fil de l’expérience et devenus difficilement verbalisables, ou encore
de savoir-faire de prudence protecteurs mais souvent peu connus et peu diffusés au sein des
organisations (Ouellet et Vézina, 2009). Autant de ressources qui peuvent devenir des objets
d’apprentissage dans une formation à l’intention d’opérateurs moins expérimentés, du même
domaine. L’analyse de l’activité peut à l’inverse prendre pour objet les difficultés des débutants
afin que la formation leur fournisse des moyens pour y faire face. La didactique professionnelle1
s’est au départ inscrite dans cet ensemble de rapports entre analyse de l’activité et formation.

L’exigence d’une analyse du travail préalable à la formation peut paraître aujourd’hui triviale,
mais on constate encore à l’heure actuelle que les formations professionnelles sont loin d’appli-
quer systématiquement ce principe (Vidal-Gomel et al., 2014). Sans doute parce que sa mise
en œuvre est coûteuse et que les demandeurs ne s’attendent pas à une telle démarche de la part
d’un formateur. On peut ajouter que des procédés de normalisation des dispositifs de forma-
tion (normes Iso ou Afnor) ou la prégnance des référentiels de compétences et les réformes de
la formation professionnelle dans certains secteurs ont pu éloigner les formateurs d’un point
de vue centré sur l’activité pour appréhender la formation. La conception des situations de
formation prend alors plutôt appui sur le référentiel de compétences, qui constitue une nouvelle
prescription des objectifs à atteindre et/ou de la façon de les atteindre, et parfois sur l’expérience
du travail du formateur. Du point de vue de l’ergonomie, les relations entre référentiels, compé-
tences et formation peuvent être appréhendées sous un tout autre angle. Nous privilégions ici
celui de l’analyse de l’activité des acteurs de la formation.

1. Voir le chapitre 22.

180
Ergonomie, formation et développement ■ Chapitre 8

Les outils numériques se sont largement répandus dans le secteur de la formation profes-
sionnelle, renouvelant l’intérêt pour la simulation comme moyen de formation. Ainsi, dans le
domaine de la santé, la règle « jamais la première fois sur un patient » s’impose. Elle conduit de
nombreux centres de formation à s’équiper de simulateurs sophistiqués mais aussi à redécou-
vrir les jeux de rôles. De plus, les outils de réalité virtuelle se développent, ouvrant de nouvelles
perspectives, notamment quand les situations de formation gagnent à être enrichies par des
informations qui n’existent pas dans le réel. Se posent alors des questions classiques (comme
celle du caractère écologique des situations simulées, nouvel appel à l’analyse du travail) ou
nouvelles, comme la prise en compte de l’activité des formateurs, de celle des formés futurs
utilisateurs dans le processus de conception de ces formations, tout comme de celle des opéra-
teurs qui réalisent déjà le travail dont la maîtrise est l’objet même de la formation ; opérateurs
qui pourront être les futurs compagnons des formés, voire leur tuteur en situation de travail
(Boccara et Delgoulet, 2015).

Au-delà d’interventions ponctuelles, l’analyse de l’activité peut devenir un outil au service


de boucles itératives d’analyse et de transformation du travail et de la formation. Par exemple
quand la mise en évidence des difficultés de l’activité ou des risques pour la santé fournit des
éléments pour en rechercher les causes et des arguments pour transformer la situation de travail
préalablement ou conjointement à la formation. Les objectifs de conception de formation et
de transformation du travail sont alors mis en synergie (Teiger et Lacomblez, 2013). Sous cet
objectif, on retrouve deux formes de recherche-action. L’une est menée sur le long terme, avec
des entreprises ou un même secteur professionnel, de façon itérative entre analyse de l’activité
au travail et en formation, qui s’alimentent réciproquement. L’autre tente d’associer dans une
démarche de recherche – formation – action, au-delà de l’entreprise, les acteurs locaux suscep-
tibles d’agir sur les facteurs de risques et le développement des compétences.

2.1.2 Comprendre l’activité des acteurs de la formation


L’analyse de l’activité des acteurs de la formation peut être menée avec comme objectif
d’améliorer la formation. Cela peut passer par la transformation de la formation des forma-
teurs (Boccara et al., 20151), par la transformation des conditions de travail des formateurs,
conditions qui constituent un déterminant des situations d’apprentissage proposées aux formés

1. V. Boccara, C. Vidal-Gomel, J. Rogalski et P. Delhomme (2015). « A longitudinal study of driving instructor


guidance from an activity-oriented perspective », Applied Ergonomics, 46, p. 21-29.

181
Traité des sciences et des techniques de la formation

(Vidal-Gomel et al., 20121), ou encore par l’amélioration des outils des formateurs pour mieux
appréhender l’activité des formés (Rogalski et al., 20022).

Plus récemment un certain nombre de travaux d’ergonomie se sont intéressés aux formations
par apprentissage et au tutorat, ou plus largement aux formations réalisées en situations de
travail (Thébault et al., 2014). Le plus souvent, les analyses de l’activité menées à ce propos ont
pour objet le couple tuteur(s)-formé, en prenant en compte l’asymétrie entre « celui/celle qui
sait » et « celui/celle qui est formé/e ». La spécificité des analyses menées en ergonomie réside,
d’une part, dans le point de vue systémique adopté et, d’autre part, dans l’intérêt qui est porté
aux caractéristiques des situations qui facilitent ou entravent le processus de « transmission »
et peuvent affecter les activités de guidage des uns et d’apprentissage des autres. Ceci amène
à remettre en cause de nombreux préjugés en pointant par exemple le fait que la transmission
est moins asymétrique qu’il n’y paraît. Dans certains cas, les formés peuvent apporter à leurs
tuteurs des connaissances acquises en centre de formation (connaissances théoriques, nouvelles
techniques, etc.). La transmission devient ainsi un réel échange. Par ailleurs, divers facteurs
peuvent affecter la formation quand le travail de tutorat n’est pas organisé en tant que tel, voire
quand le formé est compté dans les effectifs des équipes de travail. La personne en formation
peut être a priori perçue comme une ressource attribuée à une équipe alors que former est
une tâche supplémentaire pour le tuteur, dont la réalisation dépend de ses propres marges de
manœuvre. Ainsi, dans le secteur du cinéma au Québec, on a pu observer que l’accueil au poste
d’un débutant peut se révéler difficile. Il peut être rejeté par l’équipe, s’il ne fait pas ses preuves
rapidement, du fait de sa connaissance des règles de métier. Dans le secteur du BTP en France,
on a mis en évidence que la prise en compte des formés dans les effectifs et l’attribution d’une
prime en fonction de critères de performance intervenaient dans les choix des tuteurs de délé-
guer ou non certaines tâches aux formés. Ces derniers pouvaient alors être cantonnés dans des
tâches moins intéressantes et/ou plus pénibles. Conséquences : certains abandonnent, d’autres
prennent davantage de risques en cherchant à réaliser malgré tout des tâches pour lesquelles ils
ne sont pas formés et ne bénéficient pas de guidage. Former en situation de travail comporte de
réels avantages, comme la fidélité des situations, mais c’est aussi former dans les conditions de
réalisation du travail avec les difficultés et les risques qu’elles peuvent comporter. Ces travaux
soulignent ainsi les obstacles que peut rencontrer la formation en situation de travail et dessinent
des pistes pour les surmonter.

1. C. Vidal-Gomel, V. Boccara, J. Rogalski et P. Delhomme (2012). « Sharing the driving-course of a same trainee
between different trainers, what are the consequences ? », Work, special issue : Ergonomic Work Analysis and
Training, 41 (2), 205-215.
2. J. Rogalski, M. Plat et P. Antolin-Glenn (2002). « Training for collective competence in rare and unpredictable
situations », in N. Boreham, R. Samurçay, et M. Fischer (éd.), Work Process Knowledge (p. 134-147), Londres,
Routlege.

182
Ergonomie, formation et développement ■ Chapitre 8

2.2 L’analyse ergonomique du travail, objet de la formation


2.2.1 Formation à l’AET pour le développement
de l’activité de travail
À partir des travaux initiaux de Teiger et Laville (19911), l’analyse de l’activité a été considérée
comme un outil et un objet de la formation et des formés (Teiger et Lacomblez, 2013). L’analyse
de l’activité devient alors un outil cognitif pour l’apprentissage des formés. Partant de ce point de
vue, des travaux de Schön (19942) et, dans certains cas, de ceux de la didactique professionnelle,
les usages de l’analyse ergonomique de l’activité pour la formation se sont multipliés en partant
de l’hypothèse que l’analyse de sa propre activité ou de celle d’un tiers, outillée par la vidéo et
des cadres d’analyse de l’activité, facilite la prise de conscience et l’expression des compétences
à acquérir ou à faire acquérir. Six-Touchard et Falzon (20133) soulignent ainsi que l’auto-analyse
de leur activité, accompagnée par l’ergonome, permet aux tuteurs (ici dans le secteur de la restau-
ration et de la thalassothérapie) de prendre conscience de leurs compétences professionnelles
et facilite par la suite l’explicitation du travail à l’apprenant. Le guidage des apprentissages du
formé se transforme : les interactions sont plus riches (les actions sont davantage décomposées,
les explications intègrent davantage d’indicateurs de prise d’information, de critères à prendre
en compte, etc.) et approfondies (les enchaînements de questions-réponses sont plus longs).
De façon parallèle, le formé peut être amené à mieux identifier les compétences à acquérir et à
davantage solliciter le formateur.

Utilisée avec des collectifs de professionnels, l’analyse de l’activité donne accès à une diversité
de façons de faire, permet leur mise en débat du point de vue de leur efficience et de leur accep-
tabilité ; elle contribue aussi à diffuser des savoir-faire de prudence, qui ne sont généralement
pas appris dans des formations plus « classiques » (Mollo et Falzon, 2004)4.

Pour les situations de formation conçues sur cette base, la vidéo s’est révélée être un outil
précieux : le film permet de se voir et de se mettre à distance du flux d’activité, il permet de voir
et de revoir de façon détaillée actions, postures, etc. ; il est ainsi un médiateur entre soi et son
activité passée ou entre soi et l’activité d’un autre. Les vidéos permettent de découvrir de façon

1. C. Teiger et A. Laville (1991). « L’apprentissage de l’analyse ergonomique du travail, outil d’une formation
pour l’action », Travail et emploi, 47, 53-62.
2. D.A. Schön (1994). Le Praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, Montréal,
Éditions Logiques.
3. In Falzon (2013).
4. V. Mollo et P. Falzon (2004). « Auto – and allo – confrontation as tools for reflective activities », Applied
Ergonomics, 35 (6), 531-540.

183
Traité des sciences et des techniques de la formation

détaillée ses propres actions ou celles d’un tiers, de les comparer, de les analyser, d’en débattre
et, au-delà, de les tester, etc.

Enfin plus récemment, la formation des formateurs à l’analyse ergonomique de l’activité a été
employée comme moyen complémentaire à intégrer dans un dispositif de formation. Il s’agit
alors d’outiller les formateurs pour qu’ils contribuent à une démarche itérative d’amélioration
des situations de travail et de formation, tout en tenant l’articulation entre formation et travail
dans un objectif de développement des acteurs (Chatigny et Vézina, 2008).

2.2.2 Former à l’AET les acteurs de la prévention


Dès les années 1960, l’ergonomie a eu le souci de former les acteurs de prévention des risques
professionnels (représentants syndicaux, préventeurs) à l’analyse ergonomique du travail en
vue de les outiller dans leurs actions pour la prévention de la santé et d’amélioration des condi-
tions de travail. La méthode générale de formation à l’AET s’organise en cinq phases (Teiger
et Laville, 1991) :
1. l’expression « spontanée » des participants pour décrire les caractéristiques de leur travail,
ses conditions et conséquences ;
2. « l’analyse guidée » de son travail par quelques participants ;
3. des apports de connaissances sur le travail humain par les ergonomes ;
4. des travaux pratiques d’analyse du travail ;
5. un bilan de la formation.

Ce modèle de formation, de type formation-action, repose ainsi sur le principe de la prise


de conscience et de la confrontation de deux modalités de connaissances, celles des acteurs, le
plus souvent concrètes et opératoires ou provenant d’autres champs disciplinaires, et celles des
ergonomes-formateurs, constituées à partir des données scientifiques générales et de leur propre
expérience des situations de travail, acquise en tant que praticiens ou chercheurs, par la pratique
des interventions sur le terrain. La formation est envisagée comme une situation d’apprentissage
mutuel plutôt que comme une situation pédagogique classique de transmission de connaissances.
Dans ce processus, le « collectif de formation » joue un rôle important de partenaire dans le
questionnement, la confrontation, la délibération, le partage ou le désaccord, toutes activités
qui permettent la production de découvertes mutuelles. Avec ce modèle, on fait appel à une
sorte de simulation (de l’activité de travail) non outillée technologiquement : c’est verbalement
que la situation est reconstruite. Dans ce cadre général, des expérimentations méthodologiques
se sont développées au fil des travaux. L’usage d’enregistrements vidéo ou de simulateurs s’est
accentué, et certaines de ces entreprises ont donné lieu à des productions communes diffusées
en internes ou auprès d’un large public (glossaires, ouvrages, numéros spéciaux de revue). Ces
différentes modalités ont toutes eu pour objectif de favoriser l’activité réflexive dans les groupes
d’apprenants pour qu’ils soient capables d’agir en situation.

184
Ergonomie, formation et développement ■ Chapitre 8

Récemment les enjeux de santé autour de problèmes majeurs que sont les troubles musculo-
squelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS), ont conduit syndicalistes et chercheurs à
s’engager dans des dispositifs de formation-action (Teiger et al., 2014). L’un d’entre eux (2004-
2006) visait à traiter les phénomènes de l’intensification du travail et de ses conséquences
sur la santé des salariés ; l’enjeu étant, pour les équipes syndicales engagées dans ce projet, de
construire avec les salariés de nouvelles manières de comprendre l’intensification du travail et
d’agir dans ce champ. La formation-action, d’une durée de 18 mois (à raison de 5 à 7 sessions
de 3 jours consécutifs), a été dupliquée et a permis de former 150 représentants syndicaux dans
des secteurs d’activités variés (public/privé ; services, industrie ou agriculture). Celle-ci a parti-
cipé à une meilleure compréhension de la manière dont le travail change (la multiplication des
contraintes et la diversification des objectifs qui peuvent s’avérer contradictoires en situation ;
les difficultés à faire un « travail de qualité » et l’impossibilité d’en discuter avec les collègues ;
les difficultés de l’encadrement de proximité, également concerné par l’intensification du travail
et pris en étau entre les prescriptions de la hiérarchie et leur connaissance de la variabilité des
situations quotidiennes de travail). Elle a permis de mettre en lumière des conséquences de ces
changements sur la santé des salariés (dans ses dimensions physiques et mentales). Enfin, elle a
contribué à la transformation des représentations des participants sur le travail, leur fournissant
une connaissance renouvelée des relations santé-travail, de nouvelles voies d’action en situation
et des enseignements sur la manière de concevoir des contenus de formation, sur cette théma-
tique, pour des collègues syndicalistes.

Une seconde recherche-intervention (2007-2010) a pris place dans le cadre d’une demande
syndicale d’une entreprise du secteur de la construction automobile. Elle a eu pour thématique
générale celle des RPS. Face à l’apparition de suicides et au mal-être exprimé par les salariés,
les syndicalistes, se sentant démunis, ont souhaité développer des actions de prévention de
ces situations. Trente-huit militants syndicaux, issus de neuf syndicats, ont participé à cette
formation-action. Elle a donné lieu à 17 chantiers en situation de travail. Quelques freins ont
été identifiés par les acteurs de la formation. Ceux-ci sont importants à relever dans une pers-
pective de retour d’expérience ; ils résident principalement dans la mise en œuvre effective
de la démarche d’analyse ergonomique du travail en raison d’un positionnement initial des
syndicalistes en entreprise qui s’avère parfois difficile à réviser et leur donne un accès limité aux
situations quotidiennes de travail, de relations sociales tendues qui empêchent l’aller au bout d’un
chantier ou encore de l’isolement d’un formé qui se voit marginalisé à son retour dans le collectif
d’action syndicale. Toutefois le bilan de cette formation-action pointe des bénéfices partagés
par les formés-syndicalistes et les ergonomes-formateurs. Elle a dans l’ensemble permis de :
–– rapprocher les élus des situations réelles de travail et faciliter l’identification du potentiel
d’action dans ces situations ;
–– développer de nouvelles formes de négociation sociale, soutenues par des descriptions
précises et factuelles du travail difficiles à contester ;

185
Traité des sciences et des techniques de la formation

–– intégrer l’expression des salariés, au sujet de leur travail quotidien, dans les actions des
instances représentatives du personnel ;
–– pour les ergonomes-formateurs, d’élaborer de nouvelles connaissances sur les RPS ce qui
leur a permis de contribuer aux travaux du collège d’expertise1.

3. Le développement comme outil de l’action ergonomique


Les travaux de recherche sur la pratique de l’ergonomie ont par ailleurs amené les cher-
cheurs à préciser les objectifs et les spécificités de la démarche d’intervention dans ce champ,
ainsi que les rôles de l’ergonome. Ils ont ainsi permis de souligner la dimension pédagogique
de l’intervention et de concevoir des dispositifs méthodologiques favorables au développement
des activités réflexives en situation.

3.1 L’intervention comme acte pédagogique


Dans le cadre de travaux de recherche sur l’intervention en ergonomie, la dimension pédago-
gique de l’intervention a été relevée à plusieurs reprises depuis les années 1990. Cette dimension
découle de l’approche participative souvent défendue par les ergonomes (Haims et Carayon,
19982 ; Saint-Vincent et al., 20003) qui, tout en fixant le cadre et les règles de fonctionnement au
sein des groupes d’acteurs participant à l’intervention, facilite les apprentissages réciproques.
L’ergonome ajoute à son rôle classique d’analyste celui de « facilitateur ». Il contribue à la coor-
dination des professionnels et représentants des salariés dont ni les points de vue, ni les logiques
en situation, ne convergent a priori ; il stimule l’émergence, la construction ou l’explicitation de
connaissances déjà existantes sur le travail ; il garantit l’expression de chacun et le respect de ce
qui est dit ; il apporte sa propre connaissance du travail. L’animation de temps de restitution à
partir des analyses menées en situation est un moment propice à la découverte de la complexité
du travail, au partage de connaissances et aux débats sur le travail, à la reconnaissance mutuelle
entre acteurs pour construire un « monde commun » à partir duquel décider et agir. L’objectif

1. Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, constitué en 2008 à la demande du
ministre chargé du Travail et présidé par Michel Gollac.
2. M. C. Haims et P. Carayon (1998). « Theory and practice for the implementation of « in-house » continuous
improvement participatory ergonomic programs », Applied Ergonomics, 29 (6), 461-472.
3. M. Saint-Vincent, G. Toulouse et M. Bellemare (2000). « Démarches d’ergonomie participative pour réduire
les risques de troubles musculo-squelettiques : bilan et réflexions », Perspectives interdisciplinaires sur le travail
et la santé, 2 (1), http://pistes.revues.org/3834.

186
Ergonomie, formation et développement ■ Chapitre 8

final reste alors d’œuvrer à l’autonomie progressive des participants en favorisant l’appropriation
des démarches et leur pérennisation avant que l’ergonome ne se retire de la partie.

La reconnaissance de cette dimension de l’intervention ergonomique a abouti à la définir


comme un « acte pédagogique » (Dugué et al., 2010). Construire de façon participative le travail
futur demande aux acteurs de prendre de la distance par rapport à leurs activités actuelles,
de transformer leurs représentations du travail et de ses conditions de réalisation. Dans cette
perspective, l’intervention poursuit deux objectifs complémentaires qui visent d’une part à
permettre aux participants d’acquérir des connaissances ou des savoir-faire et de les mobiliser
en situation de manière adéquate ; d’autre part, à favoriser le développement de valeurs partagées
et d’une culture spécifique. L’intervention se conçoit comme un processus d’apprentissage pour
apprendre à faire remonter les informations, à parler et échanger avec les autres, à participer
aux processus de décision à partir d’une connaissance des réalités du travail.

Dans ce cadre, des outils méthodologiques spécifiques ont été largement mobilisés et travaillés
par les ergonomes afin de favoriser le développement dans l’intervention. Il s’agit de différents
espaces de débat et de régulation dont les propriétés sont présentées ci-après.

3.2 Des dispositifs spécifiques : les espaces de débat et de régulation


La démarche participative d’intervention suppose de fabriquer des cadres propices à l’échange
et à la construction commune. Parmi ceux-ci, les espaces de débat et de régulation (Mollo et
Nascimento, 20131) appelés aussi espaces de discussion et de dialogue, se sont développés depuis
une dizaine d’années, prenant la forme de comité de pilotage, groupe de travail, comité de suivi,
atelier réflexif, etc. Outils centraux de légitimation de la parole des travailleurs et des discussions
sur le travail pour développer un monde commun, leur déploiement passe par l’activité collective
au sein d’un groupe professionnel spécifique, entre différents groupes, ou encore entre les acteurs
de la ligne hiérarchique. Ils peuvent répondre à divers objectifs, qu’il est toutefois nécessaire de
définir à l’avance : discuter du travail au quotidien et s’ajuster entre collègues, discuter avec ligne
hiérarchique ou entre managers, débattre avec la direction et les institutions représentatives
du personnel, dans une visée d’amélioration ajustée du fonctionnement actuel, mais aussi de
conduite d’actions de transformation.

La constitution et l’animation de ces différents espaces ne doivent pas ignorer l’exis-


tence d’espaces formels de discussion (CHSCT, réunions de service, d’atelier). Il est même

1. In Falzon (2013).

187
Traité des sciences et des techniques de la formation

nécessaire de faire le diagnostic de leur fonctionnement (souvent peu satisfaisant sinon


biaisé), ainsi que des marges de manœuvre des personnes et de leur encadrement pour
conduire ses espaces et trouver des issues. C’est à partir de ces éléments d’analyse qu’il est
possible de travailler le caractère congruent des espaces à développer avec ceux existants, mais
aussi avec le mode de management en situation. Pour cela quelques conditions doivent être
a minima réunies : la reconnaissance de ces espaces comme contribuant à la valeur ajoutée
du travail sans pour autant que les activités qui y sont déployées soient nécessairement
directement productives ; la prise en compte du travail des managers pour éviter que ces
espaces de débat ne deviennent de nouvelles prescriptions sans objet ; la confiance réciproque
dans les échanges pour que la parole soit libre et sincère ; la reconnaissance de l’existence
de points de vue différents dont il ne s’agira pas forcément de nier les divergences mais sur
la base desquels il conviendra d’élaborer des compromis et de délibérer en vue de prendre
des décisions. Pour cela, les traces de l’activité produites par les ergonomes (sous forme de
chroniques de travail ou de formation, par exemple), en tant qu’objets intermédiaires mis en
débat dans l’intervention, sont un support majeur au développement des activités réflexives
et à la prise de décisions.

4. Discussion, conclusion

4.1 Environnement capacitant, organisation capacitante,


intervention capacitante
Le terme « environnement capacitant » a connu un certain succès ces dernières années. Le
concept est évocateur, intuitif et séduisant… mais aussi ambigu. Il peut véhiculer d’une part
une vision étroite de l’environnement, où celui-ci est limité à l’espace physique, aux outils, au
poste ; d’autre part une vision statique, renvoyant à l’état présent des conditions d’exercice de
l’activité, enfin une vision définitionnelle, où il s’agirait de définir et d’appliquer des critères
normatifs, ceux du « bon » environnement.

Une alternative serait de parler plutôt d’organisation capacitante. Une telle organisation serait
celle que l’on peut mettre à sa main et que l’on peut adapter aux situations variées à gérer. Dans
cette perspective, l’environnement ne doit pas seulement être adapté, mais adaptable et déba-
table : un environnement n’est capacitant que s’il se prête à sa propre adaptation. L’organisation
capacitante est alors un dispositif qui permet aux acteurs de discuter et (re)concevoir les règles
de l’organisation, de conduire un travail d’organisation et de produire, in fine, un nouvel envi-
ronnement capacitant.

188
Ergonomie, formation et développement ■ Chapitre 8

L’objectif d’une intervention capacitante est la mise en place d’une organisation capacitante
éphémère permettant de générer un environnement capacitant. Comme on l’a vu précédem-
ment, une intervention de ce type comprend une dimension pédagogique, puisqu’elle favorise
une prise de recul sur le travail réel, et donc un travail réflexif sur celui-ci. L’ensemble de l’inter-
vention permet de plus un apprentissage par l’exemple : les acteurs expérimentent une démarche
participative, réflexive, qui peut être reproduite. Conduire une intervention capacitante dans
une perspective de réutilisation ou de pérennisation demande alors de développer/outiller la
dimension pédagogique par des actions explicites de transfert et d’intégrer dans la démarche
des dispositifs réflexifs portant sur l’intervention elle-même.

4.2 Questions pour la recherche en ergonomie


La conception de formation est le plus souvent abordée sous l’angle de l’ingénierie de forma-
tion. On différencie habituellement ingénierie de formation, située du côté du maître d’ouvrage
définissant le cahier des charges, et ingénierie pédagogique qui relève du maître d’œuvre qui a
la charge de définir précisément les objectifs pédagogiques, l’animation de la formation et de
la réaliser1. La didactique professionnelle2 a posé les bases d’une ingénierie qui prendrait appui
sur l’analyse de l’activité en situation de travail pour concevoir des formations, considérant
que les référentiels de compétences sont insuffisants pour cet objectif. L’ergonomie ouvre des
voies complémentaires, notamment à partir de travaux menés depuis une trentaine d’années
sur l’accompagnement de projet de conception dans différents domaines (Daniellou, 20043). Ils
soulignent la nécessité d’une conduite de projet participative et d’un outillage des acteurs pour
qu’ils puissent prendre des décisions intégrant l’activité dans les différentes phases du projet.
Dans ce processus se jouent également des transformations des représentations du travail, qui
au-delà de leur intérêt pour le projet de conception, peuvent être potentiellement porteuses
d’amélioration des situations de travail sur le long terme. Ce n’est que récemment que la concep-
tion de formation a été analysée sous cet angle, en montrant l’intérêt d’une approche systémique
de l’environnement du formé et du formateur.

Il s’agit par exemple de conduire le projet en prenant en compte l’activité des formés, celle
des formateurs, mais aussi celle des opérateurs qui seront les futurs collègues du formé, et
éventuellement ses tuteurs quand un dispositif de d’accompagnement des débutants est mis
en place. Il s’agit aussi de comprendre l’ensemble des déterminants d’une future situation de

1. Voir par exemple les chapitres 19 et 24.


2. Voir le chapitre 22.
3. F. Daniellou (2004). « L’ergonomie dans la conduite de projet de conception de systèmes de travail », in
P. Falzon (éd.). Ergonomie (p. 359-373), Paris, PUF.

189
Traité des sciences et des techniques de la formation

formation pour la concevoir en tant qu’environnement capacitant ; déterminants qui concernent


aussi bien les locaux, que la formation des formateurs et les outils de la formation. Ces questions,
qui restent à approfondir, envisagent la conception de formation en tenant conjointement des
points de vue sur l’activité de travail et d’apprentissage, et le développement. Il s’agirait alors
de passer d’une ingénierie centrée sur les référentiels, les tâches et sur les représentations de
la formation et du travail auquel on forme, à une ingénierie fondée sur la connaissance de leur
propre travail dont disposent les opérateurs (y compris les formateurs), mise en débat à partir
de données sur l’activité, au sein d’un collectif regroupant un ensemble d’acteurs du processus
de conception de formation.

190
Ergonomie, formation et développement ■ Chapitre 8

Lectures conseillées
Boccara V., Delgoulet C. (2015). « L’analyse des Ouellet S., Vézina N. (2009). « Savoirs professionnels
travails pour la conception en formation. et prévention des TMS : portrait de leur trans-
Contribution de l’ergonomie à la conception mission durant la formation et perspectives
amont d’un environnement virtuel pour la d’intervention », Perspectives interdiscipli-
formation », Activités, 12 (2), 73-97, http:// naires sur le travail et la santé, 11 (2), http://
activites.revues.org/1098. pistes.revues.org/2388.
Chatigny C., Vézina N. (2008). « L’analyse ergono- Teiger C., Lacomblez M. (2013). (Se) former pour
mique de l’activité de travail : un outil pour transformer le travail. Dynamiques de
développer les dispositifs de formation et constructions d’une analyse critique du
d’enseignement », in Y. Lenoir (éd.) Didactique travail, Québec, PUL.
professionnelle et didactiques disciplinaires Teiger C., Lacomblez M., Gaudart C., Théry L., Chassaing K.,
en débat (p. 127-159), Toulouse, Octarès. Gâche F. (2014). « Dynamique de la compré-
Delgoulet C. (2012). « Apprendre pour et par le hension et de la transformation du travail.
travail : les conditions de formation tout Éléments pour une histoire de la coopéra-
au long de la vie professionnelle », in A.-F. tion syndicats-recherche en ergonomie et
Molinié, C. Gaudart et V. Pueyo (éd.), La Vie psychologie du travail en France », Nouvelle
professionnelle : âge, expérience et santé à Revue de psychosociologie, 18 (2), 195-210.
l’épreuve des conditions de travail (p. 46-74), Thébault J., Delgoulet C., Fournier P. S., Gaudart C. et
Toulouse, Octarès. Jolivet A. (2014). « La transmission à l’épreuve
Dugué B., Petit J., Daniellou F. (2010). « L’intervention des réalités du travail », Éducation perma-
ergonomique comme acte pédagogique », nente, 198, 85-99.
Perspectives interdisciplinaires sur le V idal -G omel C., D elgoulet C., G eoffroy C. (2014).
travail et la santé, 12 (3), http://pistes.revues. « Compétences collectives et formation à
org/2767. la conduite d’engins de secours dans un
Falzon P. (éd.) (2013). Ergonomie constructive, contexte de spécialisation des sapeurs-
Paris, PUF. pompiers en France », Perspectives
interdisciplinaires sur le travail et la santé,
16 (4), http://pistes.revues.org/4289.

191
Chapitre 9
L’Europe
de la formation1

1. Par Claude Bapst et Pierre Caspar.


Sommaire
1. De quoi parle-t‑on ? Quelques pages d’histoire...................................................... 195
2. L’Europe de la formation et sa construction......................................................... 200
3. L’Europe de la formation en questions.................................................................. 202
4. Quels avenirs possibles pour l’Europe de la formation ?........................................ 206
Lectures conseillées.................................................................................................. 210
Inhérentes à la construction européenne dès son origine, l’éducation et la formation ont long-
temps donné lieu, avec une remarquable continuité et en liaison avec une politique de l’emploi
fortement appuyée sur le Fonds social européen (FSE), à un engagement politique fort et constructif
de l’Union européenne (UE) et de ses États membres.

Au moment de la naissance de ce traité, certains proches avaient souligné son caractère franco-
français. Cette absence d’une dimension européenne témoignait peut-être de la faible valorisation
de la pensée éducative européenne dans les travaux des enseignants-chercheurs français et d’une
ambivalence de ces derniers à l’égard des productions européennes en dépit de leurs apports.
D’une part, on constatait une reconnaissance certaine de la valeur des idées européennes, un
engagement dans les programmes et les initiatives, un intérêt marqué pour les champs d’expéri-
mentation qu’ils ouvraient, pour l’assistance technique qu’ils apportaient et pour les financements
qu’ils permettaient. Mais, d’autre part, on observait une perception aiguë d’une réalité qui n’était
pas à la hauteur des enjeux et des opportunités offertes, une déception face au faible retour sur
investissement ; ou encore une sorte de découragement, voire de renoncement, que l’on constate
souvent face aux lourdeurs administratives et aux retards qui en découlent. C’est dans ce contexte
qu’un chapitre sur l’Europe de la formation a été introduit en 2004 puis régulièrement mis à jour.

Dans le cadre de ce chapitre, il n’est ni nécessaire ni possible de chercher l’exhaustivité en


matière de textes structurant la politique européenne de formation des adultes ; a fortiori lorsque
l’on considère cette politique à l’aune de « l’éducation et de la formation tout au long de la vie »
citée pour la première fois dans les années 1970. Ce traité à lui seul n’y suffirait pas. En revanche il
paraît utile de donner quelques points de repère dans l’histoire, les débats et les avenirs possibles.

1. De quoi parle-t‑on ? Quelques pages d’histoire

1.1 Le cadre juridique


© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Sans revenir sur les émergences, parfois très anciennes, du concept européen, on peut situer
les premières orientations significatives concernant la formation au temps de Robert Schuman,
de Jean Monnet et de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA – traité de
Paris, 18 avril 1951). Quelques années plus tard, deux articles du traité de Rome concernent
explicitement la formation professionnelle1. Le traité de Maastricht (1992) actualise ces deux

1. L’article 123 relatif au fonds social européen et l’article 128 relatif aux « principes généraux pour la mise en
œuvre d’une politique commune de formation professionnelle ».

195
Traité des sciences et des techniques de la formation

articles et les complète d’un bref texte relatif à l’éducation1. Ce traité peut être considéré, à ce
titre, comme refondateur de la formation et de l’éducation en Europe puisque ces deux articles
sont repris intégralement par le traité de Lisbonne (2008).

De Rome à Lisbonne, on peut apprécier l’évolution de la pensée européenne.

Ce qui frappe tout d’abord, c’est l’introduction de l’éducation dans le champ de compétence
de l’Union (article 126 du traité de Maastricht) alors qu’elle avait été volontairement exclue du
traité de Rome. Elle était probablement considérée alors comme trop sensible parce que porteuse
des identités, des histoires, des spécificités, bref des cultures nationales dans une Communauté
dont la finalité était d’abord économique.

Avec le traité de Maastricht, il est notamment prévu que « la Communauté contribue au déve-
loppement d’une éducation de qualité en encourageant la coopération entre États membres et, si
nécessaire, en appuyant et en complétant leur action tout en respectant pleinement la responsa-
bilité des États pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que
leur diversité culturelle et linguistique ».

On retrouve également dans ce traité, avec la pratique des langues européennes, la mobilité,
la coopération et les échanges d’expériences, l’embryon du e-learning, l’essentiel des expéri-
mentations lancées dès le début des années 1980 et des pratiques qui seront mises en œuvre
ultérieurement.

En matière de formation professionnelle, les évolutions, de Rome à Maastricht, sont tout aussi
importantes puisqu’on passe de l’établissement de principes généraux (article 128 du traité de
Rome) à la mise en œuvre, par la Communauté, d’une politique commune (article 127 du traité
de Maastricht).

L’action de la Communauté vise alors « à faciliter l’adaptation aux mutations industrielles,


notamment par la formation et la reconversion professionnelles ; à améliorer la formation
professionnelle initiale et la formation continue afin de faciliter l’insertion et la réinsertion
professionnelle sur le marché du travail ; à faciliter l’accès à la formation professionnelle et à
favoriser la mobilité des formateurs et des personnes en formation et notamment des jeunes ;
à stimuler la coopération en matière de formation entre établissements d’enseignement ou
de formation professionnelle et entreprises ; à développer l’échange d’informations et d’expé-
riences sur les questions communes aux systèmes de formation des États membres ». Un pas

1. Article 126.

196
L’Europe de la formation ■ Chapitre 9

important est désormais franchi en liant étroitement et fortement la formation professionnelle,


les mutations industrielles, la reconversion et la réinsertion sur le marché du travail.

L’article 123 du traité de Maastricht, relatif au FSE, va bien évidemment dans le même sens,
en reprenant mot à mot la version du traité de Rome, mais en soulignant que le FSE vise aussi
« à faciliter l’adaptation aux mutations industrielles et à l’évolution des systèmes de production
notamment par la formation et la reconversion professionnelle ».

Avec la crise énergétique de 1974 et la crise financière de 2008 il s’agit de plus en plus d’uti-
liser le FSE pour lutter contre le chômage, de favoriser le maintien ou l’accès à l’emploi. Et,
dans cette bataille, l’Union européenne continue à considérer la formation comme un levier
déterminant pour améliorer le niveau de compétence des travailleurs et pour faciliter leur accès
ou leur retour à l’emploi. Pour actionner ce levier l’Union européenne va créer successivement
plusieurs organismes européens indépendants.

1.2 La création d’institutions opérationnelles


La création en 1975 du Centre européen pour le développement de la formation profession-
nelle (Cedefop), situé dans un premier temps à Berlin,1 marque une première étape décisive
dans l’engagement opérationnel de la Commission européenne sur le terrain de la formation,
conjointement avec les partenaires sociaux dans le respect de ce qui deviendra le principe de
subsidiarité.

Les missions principales du Cedefop, qui se poursuivent aujourd’hui, consistent à aider les
décideurs et les praticiens de la Commission européenne, des États membres et des partenaires
sociaux dans les divers pays d’Europe à effectuer des choix étayés concernant la politique de
formation professionnelle. Dans cette perspective, le conseil d’administration du Cedefop réunit
des représentants des gouvernements, des organisations d’employeurs et des organisations syndi-
cales des États membres, ainsi que des représentants de la Commission européenne. L’Unice,
la CES et l’EEE2 y siègent en qualité d’observateurs.

À l’initiative du Conseil des ministres européen, pour contribuer à la conception et à l’éta-


blissement de meilleures conditions de vie et de travail en Europe, une autre institution voit
également le jour en 1975 à Dublin : la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions

1. Le CEDEFOP est aujourd’hui installé à Thessalonique. Site Internet : http://www.cedefop.eu.int.


2. Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe, Confédération européenne des syndicats,
Entreprises publiques européennes.

197
Traité des sciences et des techniques de la formation

de vie et de travail1. Cette fondation mène des projets de recherche et développement, pour
fournir des données et des analyses qui permettront d’alimenter et de soutenir le développement
de la politique européenne sur les conditions de vie et de travail et notamment de clarifier ses
conséquences en matière de formation des adultes.

Au début des années 1990, est créée la Fondation européenne pour la formation (ETF), basée
à Turin2, destinée à traiter les questions de formation liées à la chute du bloc de l’Est. Placée
auprès de la Commission européenne, elle intervient lors de la mise en œuvre de programmes
d’éducation et de formation destinés aux pays dits « en transition » avant d’élargir ses compé-
tences à l’ensemble du monde.

Rappelons enfin le rôle des différentes institutions éducatives qui contribuent, depuis des
décennies, à former les cadres de l’Europe de demain. Le « Collège d’Europe » avec ses deux
campus, à Bruges en Belgique et à Natolin en Pologne en constitue un très bel exemple.

1.3 Les programmes et le temps de l’action


Dans les années 1980, on assiste à un tournant majeur à travers la création de multiples
programmes et initiatives européens. Les deux premiers programmes sont Eurotecnet consacré,
dès 1986, à l’introduction des nouvelles technologies ; puis, la même année, Comett visant plus
particulièrement à rapprocher les universités et les entreprises. La suite est impressionnante.

Apparaissent ainsi successivement, Erasmus destiné à favoriser les échanges d’étudiants ;


Force consacré à la formation continue en entreprise ; Petra finalisé sur la formation profession-
nelle des jeunes ; Euroform pour améliorer la formation professionnelle ; Lingua qui témoigne
de l’intérêt vif de la Commission pour la formation aux langues et le maintien de la diversité
linguistique ; Horizon pour les personnes handicapées et défavorisées ; Now en faveur de l’égalité
des chances entre les femmes et les hommes ; Youthstart pour les jeunes les plus en difficulté ;
Adapt en réponse aux besoins de formation des travailleurs qui doivent s’adapter aux évolutions
de l’appareil de production ; Emploi en réponse aux difficultés d’insertion professionnelle des
personnes les plus démunies ; Equal pour lutter contre les discriminations de toute nature… Tous
ces programmes relèvent de la direction générale (DG) Emploi de la Commission européenne
qui mobilise le FSE au service de l’emploi et de la formation.

1. Site de la Fondation de Dublin : http://www.eurofound.europa.eu/ewco/


2. European Training Foundation, Villa Gualino, Turin (Italie). Site Internet : http://secure.etf.europa.eu/web.
nsf/pages/Home_FR?OpenDocument

198
L’Europe de la formation ■ Chapitre 9

À noter que parallèlement d’autres programmes sont initiés par la DG éducation de la


Commission européenne. À titre d’exemples on peut citer Socrates dédié à la formation initiale,
et surtout le programme « Éducation et formation tout au long de la vie » qui regroupe Comenius
(enseignement scolaire) Erasmus (enseignement supérieur) Leonardo da Vinci (enseignement
et formation professionnelle initiale et continue) Gruntvig (éducation des adultes).

Ce foisonnement d’initiatives, cette succession de programmes n’auraient pu voir le jour sans


une convergence des politiques, une synergie des financements, tant nationaux que communau-
taires, qui ont permis leur éclosion. On soulignera leur impact considérable sur l’engagement
des États membres
–– dans des actions concrètes novatrices en matière de formation ;
–– dans la réalisation de partenariats, qui n’auraient probablement pas vu le jour sans eux ;
–– dans l’esprit d’expérimentation et de créativité qu’ils ont contribué à stimuler ;
–– dans la mise en place systématique d’indicateurs de résultats et d’une politique conjointe
d’évaluation qui doivent être tout particulièrement reconnus.

1.4 Une forte prégnance européenne, plus ou moins acceptée ou


reconnue dans les États
À la lumière de tout ce qui précède, aucun opérateur de formation ne peut rester indifférent
à la vision européenne du vaste domaine de l’éducation et de la formation. Tous les acteurs
ont été plus ou moins nourris de cette pensée, accompagnés et financés pour l’expérimen-
tation et la réalisation de certains projets, encouragés dans des partenariats mutuellement
fructueux, enrichis et stimulés par la diffusion des pratiques et des résultats. Des règles et
décisions communautaires se sont progressivement imposées à la mise en œuvre de la forma-
tion professionnelle au sein des États membres, y compris bien sûr en France.

Même si la pensée et l’expérience européennes n’ont pas toujours eu les échos qu’elles méri-
taient, elles n’en constituent pas moins une formidable source d’inspiration, de transformation
et de renouvellement des pratiques éducatives qui a irrigué les opérateurs directs ou indirects de
la formation. Ceux-ci ont aussi été invités à se repositionner par rapport aux évolutions écono-
miques, sociales, technologiques, politiques qu’elles permettent de préparer ou d’accompagner.
Cette vague d’innovations les a influencés, soit parce qu’ils se les sont appropriées, soit dans
un travail à contre-courant lorsqu’ils les ont perçues comme trop dominantes, voire comme
porteuses de risques contre lesquels il fallait réagir.

199
Traité des sciences et des techniques de la formation

2. L’Europe de la formation et sa construction

2.1 Une vision ancienne et transversale


C’est ainsi que les politiques de formation se sont structurées par rapport aux politiques
éducatives nationales bien sûr, mais aussi du fait même de la volonté commune d’une construc-
tion européenne à laquelle l’éducation et la formation pourraient largement contribuer. Cette
vision est née bien avant Maastricht ; elle transcende largement le seul domaine de la formation.

Ainsi, lorsque Jacques Delors a accédé à la présidence de la Commission européenne en 1984,


il a été le premier à affirmer la prééminence de la richesse des hommes et de leur intelligence
sur les autres ressources de l’Union et a largement contribué à faire de la France l’une des loco-
motives de la formation professionnelle en Europe.

Notre pays a joué alors un rôle déterminant en diffusant et en transférant en Europe son
expérience et ses acquis en matière de formation professionnelle résultant des accords de 1970
et de la loi de 1971. Pendant les années 1980-1990 la France a ainsi été considérée comme un
« État-référence » dont on pouvait utilement s’inspirer. Aujourd’hui ce n’est plus toujours le cas
comme en témoignent les recommandations des instances européennes à notre pays, l’invitant
par exemple à « appliquer une stratégie globale d’éducation et de formation tout au long de la
vie qui tienne compte des besoins de formation initiale et favorise l’accès des travailleurs peu
qualifiés à la formation, en particulier dans les PME1 ».

La formation professionnelle, présentée jusque-là comme un outil facilitant la libre circulation


des personnes, se transforme ainsi au milieu des années 1980 en une approche privilégiée du
développement des personnes et des communautés de travail considérées comme la richesse
première de l’Europe. La libre circulation devient à la fois un moyen et une conséquence de ce
développement.

2.2 Une remarquable continuité


Ce qui donne toute sa consistance à cette volonté européenne et aux politiques qui en
découlent, c’est avant tout sa continuité jusqu’aux années 2000.

1. Recommandations du Conseil concernant la mise en œuvre des politiques de l’emploi des États membres
(2003).

200
L’Europe de la formation ■ Chapitre 9

Au niveau de l’action d’abord, notamment grâce à l’identification, l’évaluation et la diffusion


de bonnes pratiques1 dès les premiers programmes, même si ces échanges se sont probablement
davantage réalisés par capillarité que de façon structurellement organisée. C’était précisément
un choix européen explicite de ne pas gouverner par décret mais de faire en sorte que les bonnes
pratiques ne se diffusent pas forcément par le haut et que la mobilité se fasse d’abord dans les
esprits. On ne l’a pas toujours compris. Pourtant l’invitation explicite à construire des partena-
riats, des réseaux, des groupes de réflexion, fugaces ou durables, représentait un élément majeur
de continuité alors même que les institutions ont beaucoup changé au cours de ces décennies et
que la Commission a elle aussi beaucoup évolué. Le fonctionnement inégal mais durable de ces
réseaux, le sentiment accru dans certaines populations d’une citoyenneté nouvelle, d’une appar-
tenance à une entité européenne, ont également joué un rôle continu dans le développement de
nouvelles compétences. Ce n’est pas encore l’acquisition d’une véritable identité transculturelle ;
mais l’on s’en rapproche d’autant plus facilement que ses racines poussent depuis longtemps
des deux côtés d’une même frontière.

Cette Europe virtuelle de la formation est souple. Elle est construite sur un espace à mailles
larges laissant du jeu à l’innovation, et dans lequel les acteurs de terrain peuvent construire et
expérimenter ensemble. Le resserrement progressif mais inexorable des procédures bureaucra-
tiques, l’accroissement et la minutie croissante des contrôles, qui ont bien évidemment leurs
raisons d’être et leurs vertus, relèvent d’un autre choix. Le nouveau jeu peut alors paraître
rebutant à certains acteurs au point de les décourager progressivement. Business is fun disent
certains ; encore faut-il qu’il le demeure.

Cette continuité de la vision européenne traduit une volonté fondamentale, claire dès le
départ, et toujours présente : développer une stratégie pour l’emploi. Il suffit pour s’en convaincre
de regarder l’écart entre les fonds mis à disposition de la DG éducation et ceux, très largement
supérieurs, de la DG emploi. C’est sur cette base stratégique que le FSE a été mobilisé2. La poli-
tique européenne en matière d’emploi et de formation professionnelle devient la résultante des
initiatives et des interactions, quelquefois à la limite de la concurrence, de ces deux DG. Ce n’est
pas le fait du hasard si le Livre blanc Croissance, compétitivité, emploi est apparu bien avant celui
qui portait sur la société cognitive. Dans la continuité de cette politique, le principal théâtre
des opérations et des investissements a été d’abord le travail, l’emploi et ce qui les conditionne.
L’importance du développement des personnes, de leurs qualifications et compétences, de leurs

1. Les « bonnes pratiques », selon l’Union européenne, sont les pratiques qu’elle encourage et finance dans le
cadre de ses programmes et dont les résultats et les effets, observés et évalués, sont considérés comme suffi-
samment probants pour pouvoir faire l’objet d’une diffusion auprès des opérateurs européens qui le souhaitent.
2. Pour tout ce qui concerne la stratégie européenne pour l’emploi (SEE), consulter le site Europa : http://europa.
eu.int/pol/socio/index_fr.htm

201
Traité des sciences et des techniques de la formation

capacités de mobilité et de leur désir d’apprendre, exprimée dès les années 1980 dans une vision
particulièrement forte et clairvoyante, perdure aujourd’hui dans le concept « d’éducation et de
formation tout au long de la vie ».

Sur cette scène, les partenaires sociaux et, plus concrètement, les syndicats européens, patro-
naux et de salariés, ont joué un rôle clé. En témoignent nombre d’accords, de textes et d’avis
communs1 faisant référence à leurs centres d’intérêt dans cette construction d’une Europe
sociale. Une Europe qui est d’abord une Europe de l’emploi auquel contribue directement la
formation et, plus récemment, la validation des acquis de l’expérience. Même si ces avis n’ont
aucun caractère contraignant, ils ont très largement contribué à faire évoluer les esprits et à
infléchir les pratiques dans le sens d’une amélioration constante de l’accès des citoyens européens
à une éducation et une formation professionnelle de qualité. L’absence historique de partenaires
sociaux dignes de ce nom dans certains nouveaux États membres change évidemment la donne.
C’est là aussi un enjeu éducatif.

3. L’Europe de la formation en questions

3.1 Diversité des pratiques et nécessité des collaborations


Les choix nationaux en matière de formation professionnelle et d’éducation des adultes reposent
d’abord, et c’est bien naturel, sur les spécificités nationales de chaque État qu’il s’agisse des histoires,
des cultures, des institutions, des économies et des rapports sociaux qui les caractérisent.

Mais nul ne peut douter de la volonté historique commune de susciter des mises en perspectives
entre choix nationaux et orientations européennes, de rapprocher les points de vue et les pratiques.

Il faut souligner ici l’exigence systématique de partenariats, à la fois inter-pays et inter-orga-


nisations, longtemps exprimée par la Commission européenne pour toute candidature aux
programmes et initiatives.

Cette exigence repose d’abord sur la quasi-impossibilité pour une seule organisation, aussi
compétente soit-elle, de faire face à la complexité des problèmes en matière d’éducation et de
formation professionnelle, aux défis qu’ils soulèvent. Elle repose surtout sur une prise de conscience

1. Pour plus d’information sur les 15 avis communs adoptés à ce jour par les partenaires sociaux européens,
consulter : http://europa.eu.int/scadplus/printversion/fr/s02211.htm

202
L’Europe de la formation ■ Chapitre 9

progressive : construire l’Europe et élaborer des solutions aux problèmes européens communs
conduisent nécessairement à apprendre les uns des autres, à créer ensemble de nouveaux systèmes
et de nouvelles pratiques et donc de coopérer avec des personnes, des organisations et des insti-
tutions d’autres États membres. C’est pourquoi les partenariats et la transnationalité constituent
deux des socles sur lesquels ont longtemps reposé toutes les initiatives et programmes européens.

Cette volonté, qui a été généralement respectée, doit désormais s’exercer dans un environnement
moins favorable. Le traité de l’Union européenne qui met clairement l’accent sur le développement
d’une « concurrence libre et non faussée » risque de ne pas faciliter l’établissement de partenariats
et de coopérations transnationales. Il peut être quelquefois délicat d’accepter la transparence (sur
les process, les qualifications…) entre entreprises concurrentes sur le même marché…

Quelle qu’en soit la raison, le maintien de prés carrés face à une concurrence farouche à l’échelle
mondiale, mais aussi européenne peut conduire à une forme d’isolement alors que l’union s’impo-
serait pour agir.

Par ailleurs on peut se demander à quel point les représentations que l’on se faisait tradition-
nellement de la formation des adultes ont été remises en cause par les visions et orientations
proposées par la Commission européenne, ainsi que par ses modes de travail.

Comment, en particulier dans notre pays, les opérateurs (organismes de formation, entre-
prises…) ont-ils réagi face au développement d’une politique européenne de formation ? Pour
des raisons que l’on peut tout à fait comprendre, les organisations, notamment éducatives, ont
rarement intégré d’emblée le schéma européen dans leurs structures et dans leurs stratégies. Il
leur a été souvent plus facile de nommer un Monsieur (ou une Madame) Europe et de lui confier,
tant la veille thématique, administrative et juridique que l’acquisition d’expertises concernant les
programmes, l’ingénierie de partenariat et l’ingénierie de financement. Il en est ici comme il en
a été de la qualité. S’en remettre à quelqu’un, souvent positionné sur un statut latéral, peut vite
conduire à se démettre de l’objet qui lui avait été délégué.

Enfin une dernière hypothèse peut expliquer cette diversité des pratiques : elle est liée aux
réelles difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des programmes eux-mêmes. Ces difficultés
ont pu conduire dans nombre de cas à privilégier les approches pragmatiques reposant sur la
confiance mutuelle, les relations interpersonnelles souvent, amicales plutôt que les coopérations
institutionnelles qui auraient quelquefois permis un meilleur impact des programmes et de leurs
financements.

Reste que tout ceci a donné lieu à une formidable vague d’innovations et d’expérimentations,
parfois de recherche-action.

203
Traité des sciences et des techniques de la formation

3.2 Capitalisation et mutualisation des bonnes pratiques


Revenons d’abord sur l’identification et la valorisation des « bonnes pratiques » destinées à
éviter que chacun réinvente, seul dans son coin, ce qui a déjà été expérimenté, souvent avec
succès, par d’autres.

La place manque ici pour rappeler le rôle des innombrables rencontres, liées ou non aux
programmes et initiatives, qui ont permis aux acteurs de se découvrir et d’imaginer des répliques
qui ne soient pas de simples duplications ignorant les spécificités culturelles, économiques et
sociales de chaque pays. Malgré l’obligation de diffusion des résultats, on risque toujours de
sous-estimer les difficultés d’appropriation des connaissances produites. Elles ne peuvent se
résoudre par la seule consultation des rapports, des bases de données ou des sites internet. Le
contact direct reste essentiel et le passage de l’expérimentation à la généralisation constitue
toujours un problème, tant les logiques changent avec les changements d’échelle.

Indissociable du concept de « bonnes pratiques » la politique systématique de capitalisation


et d’évaluation qui a été pendant longtemps celle de l’Union et de la Commission européenne
doit être ici soulignée. Si la mémoire est indispensable pour que rien de précieux ne se perde,
elle n’est pas suffisante. L’évaluation, trop souvent sous-estimée, joue un rôle majeur dans la
production du savoir validé ; elle constitue un outil de positionnement et de développement
des systèmes et dispositifs éducatifs qu’elle analyse ; elle incarne une démarche citoyenne vis-
à‑vis de l’utilisation des financements de l’Union européenne ; surtout lorsqu’une évaluation à
mi-parcours est requise, et que les risques d’avoir à reverser une partie des fonds ne sont pas
nuls, si les conclusions du « contrôle de service fait » y conduisent.

Le rôle déterminant des organismes d’assistance technique doit être, à cet égard, rappelé. Dans
chaque État membre, ces organismes ont facilité l’accès des opérateurs aux programmes euro-
péens, ont veillé à leur formation, ont suscité le développement de réseaux d’homologues et ont
aidé à la valorisation des démarches et des résultats obtenus. L’édition de livres et de documents,
la création de banques de données régulièrement actualisées, constituent aujourd’hui un capital
inégalé de ressources documentaires mobilisables à la fois par les chercheurs et les praticiens.
L’expérience développée dans le passé par Racine1 en donne un exemple assez complet. En
produisant et en diffusant très largement des outils reposant sur des expérimentations effectives,
cette association à la fois paritaire et liée à plusieurs ministères a mis à la disposition de tous

1. Racine, Réseau d’appui et de capitalisation des innovations européennes, a été créée en 1988 pour réaliser,
tant en France qu’en Europe ou à l’international, des interventions et des expérimentations innovantes ainsi que
des actions de capitalisation de transfert et de communication dans le champ de la formation professionnelle
et de l’emploi.

204
L’Europe de la formation ■ Chapitre 9

des données concrètes leur permettant d’améliorer la qualité de leurs projets et de s’engager
dans une dynamique nationale ou transnationale de changement. On ne peut que regretter ici la
disparition de cette instance créée à la demande de l’ensemble des partenaires et dont l’existence
n’a plus été jugée prioritaire par les financeurs français.

3.3 L’élargissement de l’Union et ses conséquences


L’élargissement de 2004, celui de 2007, la recherche et la construction d’une nouvelle cohésion
européenne constituent évidemment une donnée particulièrement structurante pour l’avenir
de l’Europe. Elle concerne tout autant les nouveaux pays entrants, les anciens États membres
et ceux qui frappent à la porte et influence bien sûr les politiques de formation nationales et
européennes. En voici quelques illustrations :
–– Depuis le début du processus d’élargissement, les systèmes éducatifs des pays entrants,
comme les agences de la Commission évoquées plus haut, se trouvent confrontés à des
enjeux nouveaux et multiples. Non seulement en termes de formation professionnelle de
base ; mais aussi pour faciliter et enrichir l’exercice de la citoyenneté ; pour préparer à la créa-
tion d’activités et d’entreprises dans le cadre d’une économie de marché ; pour développer
la formation des fonctionnaires chargés d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques
originales au sein de l’Union et de gérer les ressources financières nouvellement disponibles.
–– Années après années, les nouveaux arrivants au sein de l’Union européenne se sont trouvés
contraints de s’insérer dans des ensembles d’opérateurs et de prendre acte de leurs réalisa-
tions qui incarnent la continuité de la politique européenne sur le terrain, loin de Bruxelles.
C’est de moins en moins vrai aujourd’hui même si l’un des « passages obligés » pour l’ad-
mission de nouveaux membres au sein de l’Union est d’apporter la preuve qu’ils satisfont
au degré d’exigence attendu par leurs prédécesseurs dans la mise en œuvre des acquis
communautaires.
–– L’une des conséquences de ce qui précède peut être un bouleversement des marchés de
l’offre et de l’ingénierie de formation, qui peut aussi toucher les normes, notamment de
qualité et les systèmes de délivrance des titres et diplômes au niveau européen. On peut
craindre que l’affirmation répétée de l’obligation accrue de compétitivité, et son impact
sur les relations au travail ne facilitent pas l’innovation, la créativité et l’expérimentation
de formules éducatives nouvelles.
–– Simultanément, les défis linguistiques, culturels, économiques et politiques soulevés par
le développement de cette nouvelle Europe vont demander la construction de capacités
de travail transnationales, de construction et de conduite de partenariats à une plus large
échelle. Cela signifie bien sûr des apprentissages à effectuer rapidement, notamment pour
les citoyens de notre pays qui n’ont pas toujours la réputation d’exceller en ces domaines.
A fortiori, lorsqu’il faudra coopérer, autrement que commercialement, avec des cultures de

205
Traité des sciences et des techniques de la formation

l’Est qui nous sont familières par bien des liens et des sympathies séculaires mais qui parfois
nous paraissent encore très étrangères. Cela suppose que le rêve d’un développement du
modèle social européen cohérent ne se trouve pas dramatiquement réduit après tant de
concessions et d’abandons sociaux, à une large zone de libre-échange. On peut quelquefois
le craindre et pointer du doigt le risque que fait courir aux politiques sociales européennes
l’utilisation qui peut être faite du « plombier polonais » ou du « camionneur roumain » alors
que cette situation résulte d’abord de la façon dont les nouveaux entrants ont plus ou moins
bien satisfait aux critères de convergence qui pourtant s’imposaient à eux.

4. Quels avenirs possibles1 pour l’Europe de la formation ?

4.1 Utopie et réalité


Les utopies jouent un rôle majeur dans nos sociétés comme elles le jouent dans chaque vie
individuelle ouverte à l’imaginaire et au symbolique. Le projet européen en constitue une, à
l’évidence. Ce n’est certainement pas un hasard si la construction de la Communauté européenne
du charbon et de l’acier s’est faite, après tant de guerres, sur le rapprochement autour du fer et
du feu de deux pays longtemps belligérants. D’autant que les visées initiales des chefs d’État ou
des « prophètes » à l’origine du projet, reposaient sur une vision somme toute assez simple dans
son principe qu’exprimait avec force Jean Monnet : « Faire travailler les hommes ensemble, leur
montrer qu’au-delà de leurs divergences ou par-dessus les frontières ils ont un intérêt commun »,
« Continuez, continuez, il n’y a pas pour les peuples d’Europe d’autre avenir que dans l’union »,
répétait-il régulièrement à ses interlocuteurs. S’agissant de l’Europe de la formation, on peut
dire que l’utopie a largement invité celles et ceux qu’elle a fait rêver à relire leur propre réalité.

Vivre en Europe, ce n’est plus désormais tout à fait vivre dans son pays ; mais ce n’est pas
non plus se référer uniquement à la mondialisation. Dans une position intermédiaire, si ce n’est
médiane, entre ces deux positions extrêmes, la construction de l’Europe devrait être un projet

1. Au moment ou nous écrivons ces lignes, les Britanniques viennent de décider, par référendum, de quitter
l’Union européenne (UE). Il est aujourd’hui impossible d’envisager toutes les conséquences de cet événement
considérable tant pour le Royaume-Uni que pour les autres États membres de l’UE. Notons toutefois que selon
l’ensemble des analystes l’émigration intra-européenne, le « plombier polonais » et le « camionneur roumain »
dont nous venons de parler, semblent avoir joué un rôle déterminant dans la décision du peuple britannique
de quitter l’union européenne. Sur les mêmes bases que ce précédent il n’est désormais plus impensable que
d’autres États choisissent la même voie que le Royaume-Uni. Ceci doit nous conduire à envisager avec beaucoup
de prudence les avenirs possibles pour l’Europe de la formation, y compris à court terme.

206
L’Europe de la formation ■ Chapitre 9

permettant à chaque État membre et à ses citoyens de se positionner comme partie prenante et
solidaire d’une communauté, et non pas comme des acteurs isolés au sein du monde.

Il est bien difficile de parler des avenirs de l’Europe de la formation sans partir d’une idée claire
de ce que sera l’avenir de l’Europe tout court. Et il est encore plus difficile de tenir sur ce point un
discours prospectif à la fois clair et fondé. Les élargissements de 2004 et de 2007, les difficultés
de gouvernance et de fonctionnement qui ont suivi sont loin d’être résolues. L’imbrication des
questions linguistiques, les éloignements culturels qui s’accroissent parfois, les conséquences du
refus citoyen d’une construction européenne, les replis nationaux observés ici et là, conduisent
évidemment à un tout autre regard sur la complexité du débat et sur l’immensité des enjeux
que doit affronter l’Europe, face à un monde en pleine mutation, si elle veut garder la place qui
est la sienne.

4.2 Obstacles, enjeux et perspectives


Sans vouloir, ni pouvoir, conclure sur ce que peut devenir cette Europe de la formation mise
en chantier au cours de ces dernières décennies, nous pouvons réfléchir aux grandes tendances
qui peuvent influencer son évolution.
–– On peut d’abord penser qu’un certain nombre d’initiatives actuellement à l’œuvre vont se
perpétuer. À commencer par les financements en cours, dont le FSE, qui ne devraient pas, à
court terme du moins, être interrompus. En revanche, les conséquences de l’élargissement
conduiront, à coup sûr, à poursuivre le transfert des fonds vers les nouveaux entrants. Cela
aura bien sûr un impact direct sur l’échiquier de la formation en France, notamment sur la
nature et l’ampleur de l’appui apporté aux opérateurs et sur le rôle des services consacrés à
la gestion de ce fonds. Chacun sait que cela devrait nécessiter également des efforts majeurs
de simplification dans la conception et les modalités d’attribution, de gestion et de contrôle
des aides adossées aux fonds structurels. En prenons-nous vraiment le chemin ?
–– La continuité des politiques d’emploi en Europe semble, elle aussi, acquise à moyen terme à
travers trois orientations principales réaffirmées1 par la Commission : la recherche du plein-
emploi2 ; l’amélioration de la qualité et de la productivité du travail ; le renforcement de la
cohésion sociale. C’est à la lumière de ces priorités que devront désormais être considérées
l’insertion des jeunes, la création de passerelles de transition entre les situations d’emploi
et de non-emploi et la gestion dans le temps du chômage. Ces mesures ne sont pas toujours
dépourvues d’effets pervers, notamment le risque d’un étiquetage récurrent des « personnes

1. Décision du Conseil européen du 22 juillet 2003.


2. Un taux d’emploi global de 67 % en 2005 et de 70 % en 2010, un taux d’emploi des femmes de 57 % en 2005
et de 60 % en 2010, un taux d’emploi des travailleurs âgés (55 à 64 ans) de 50 % en 2010.

207
Traité des sciences et des techniques de la formation

en difficulté », ou la nécessité de se placer en sous-qualification pour trouver du travail quitte


à entrer dans ce que l’on appelle parfois le « circuit des perdants ». L’impact de ce qui précède
sur les politiques de formation professionnelle, complétées par la validation des acquis de
l’expérience, continue à être déterminant. À condition bien sûr de travailler non seulement
sur l’inégalité d’accès à l’emploi, mais aussi sur les inégalités d’accès à la formation qui ont
plus tendance à croître qu’à diminuer.
–– Parmi les décisions européennes en matière d’emploi, celles visant « à augmenter progressi-
vement d’environ 5 ans l’âge moyen effectif auquel cesse, dans l’Union européenne, l’activité
professionnelle » a bien sûr eu des répercussions sur les politiques et les pratiques de
formation professionnelle. Au-delà de ses traductions nationales, au-delà des débats sur
les retraites, la décision du Conseil a posé la question du licenciement des travailleurs les
plus âgés parfois exclus de la formation ou considérés comme une « simple variable d’ajus-
tement ». Prendre en considération les travailleurs les plus âgés ou ceux qui vivent dans
le paradoxe de l’allongement des années de cotisation et de la difficulté croissante, avec
l’âge, de trouver un emploi digne devrait ainsi conduire à définir une nouvelle étape de la
formation tout au long de la vie dans le cadre d’une approche globale en faveur du vieillis-
sement actif. Comment la formation peut-elle encourager et sécuriser l’employabilité et le
maintien dans l’emploi des travailleurs les plus âgés, notamment, les moins qualifiés, qui
le souhaitent ? Comment la formation peut-elle contribuer à une redéfinition des emplois
qu’ils occupent, à un transfert de compétences et à de nouvelles solidarités inter-généra-
tions ? Comment valoriser et transmettre les compétences dont ils sont parfois les seuls
détenteurs ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles est confronté l’ensemble des
États européens et que l’Union européenne s’efforcera probablement de traiter au cours
des prochaines années.
–– La décentralisation de plus en plus forte des décisions concernant l’apprentissage, l’éduca-
tion et la formation professionnelle est particulièrement à l’ordre du jour en France. Elle
concerne aussi, à des degrés divers, les autres États membres. Cela renvoie à un débat poli-
tique qui est loin d’être clos. Cela constitue aussi un changement majeur dans la répartition
des responsabilités entre la Commission Européenne, les États, les collectivités territoriales,
les entreprises, les familles, les individus et dans le positionnement respectif des comman-
ditaires, des financeurs et des offreurs de formation.
–– Depuis 2008 la crise financière a des effets négatifs sur le budget européen et réduit les
marges de manœuvre vis-à‑vis des opérateurs avec pour conséquence des contrôles renforcés
et l’accroissement d’une bureaucratie, quelquefois tatillonne, au détriment de l’innovation et
de la qualité des projets. L’Union européenne arrête les objectifs généraux des programmes,
leurs budgets globaux et la part de chaque État, les procédures globales de mise en œuvre…
Elle laisse toutefois de grandes marges de manœuvre aux États qui, en fonction des spécifi-
cités, des problèmes à régler à leur niveau, des outils d’intervention dont ils disposent, vont
pouvoir marquer de leur empreinte le cadre européen qui leur est proposé.

208
L’Europe de la formation ■ Chapitre 9

–– Notons enfin que les grandes migrations, vont devoir se traduire non seulement dans une
nouvelle approche des mobilités européennes, des coopérations transnationales et des
marges de manœuvre financières, mais aussi dans une redéfinition du rôle que la forma-
tion peut jouer à grande échelle auprès de ces populations ; à la fois facteur d’intégration au
service des migrants et levier de transformation de ces migrations pour en faire une nouvelle
richesse européenne. Le défi à relever est immense, que dire de plus ? À cet égard on ne
peut que regretter la réaction de certains États membres de l’Union européenne face à la
crise migratoire. La limitation de la libre circulation des personnes en Europe qui est l’une
des trois grandes libertés affichées par le traité de l’Union européenne (liberté de circula-
tion des biens et des services, liberté de circulation des capitaux, liberté de circulation des
travailleurs) ne peut pas être, à terme sans conséquence.
–– Dans l’obligation d’inventivité, de nouvelles dynamiques et d’engagement dans laquelle
nous nous trouvons aujourd’hui le développement d’une culture libérale forte au sein de la
Commission, accompagnée paradoxalement par la montée en puissance très rapide d’une
forme spécifique de bureaucratisation et de contrôles récurrents et minutieux génèrent
autant d’obstacles supplémentaires à surmonter. L’excès de contrôles à tous niveaux, s’ap-
puyant sur un petit nombre de textes de référence d’inégale portée et sur une part importante
de jurisprudences peu formalisées, voire non écrites, risque de conduire à deux écueils :
d’une part, un découragement face aux démarches à effectuer pour concevoir de nouveaux
projets, répondre à des mises en concurrence, participer à des programmes, et postuler à des
aides ; d’autre part, une uniformisation progressive des éléments méthodologiques et cultu-
rels sous-jacents aux actions et dispositifs de formation qui seront conçus et expérimentés.

Quels que soient les risques de dérives, il est cependant probable que le « droit à l’éducation
ainsi qu’à la formation professionnelle continue », proposé dans le projet de charte des droits
fondamentaux, soit maintenu comme une priorité européenne majeure. Mais dans l’exercice
de ces droits on peut d’ores et déjà s’interroger sur les conditions éducatives et formatives qu’il
faudra réunir, sur les moyens dont il faudra se doter pour que chacun(e) puisse s’exprimer libre-
ment, participer réellement à la vie démocratique de l’Union, exercer une profession librement
choisie ou acceptée, fonder avec d’autres un syndicat, assurer l’égalité entre les hommes et les
femmes dans tous les domaines, circuler et entreprendre librement, mener une vie digne et
indépendante et continuer à participer à la vie sociale et culturelle lorsqu’il (elle) est âgé(e) ou
handicapé(e).

Mais on peut surtout, lorsque l’on travaille dans les métiers du savoir, méditer sur la grandeur
et les défis d’une Union qui pourrait œuvrer, comme le proposait le projet de constitution, pour
créer « une Europe du développement durable, fondée sur une croissance économique équilibrée,
une économie sociale de marché hautement compétitive, visant le plein-emploi et le progrès
social et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement ». Une

209
Traité des sciences et des techniques de la formation

Europe qui appuie le progrès scientifique et technique ; une Europe qui « combat l’exclusion
sociale et les discriminations et promeut la justice et la protection des droits des enfants… ».
Une Europe qui « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique et veille à la
sauvegarde et au développement du patrimoine culturel ». Une Europe enfin qui « offre les
meilleures chances de poursuivre, dans le respect des droits de chacun, et dans la conscience
de leurs responsabilités à l’égard des générations futures et de la Terre, la grande aventure qui
en fait un espace privilégié de l’espérance humaine ».

Lectures conseillées
Delivet Ph. (2013). Les politiques de l’Union euro- Priollaud F.-X., Siritzky D. (2016). Les Traités euro-
péenne, Paris, La Documentation française. péens après le traité de Lisbonne. Textes
G rass É. (2012). L’Europe sociale, Paris, La comparés, Paris, La Documentation française.
Documentation française. Les Systèmes de formation professionnelle
Livre blanc sur l’éducation et la formation. en…, publications du Cedefop décrivant les
Enseigner et apprendre, vers la société différents systèmes de formation profes-
cognitive, Union européenne, accessible sionnelle dans les États membres de l’Union
sur Internet : http://europa.eu/documents/ européenne régulièrement mises à jour et
comm/white_papers/pdf/com95_590_fr.pdf accessibles sur Internet : www.cedefop.
europa.eu/files/5117FR.pdf

210
Chapitre 10
Diversité des adultes
en formation1

1. Par Claudie Solar.


Sommaire
1. Regard sur la population mondiale......................................................................... 213
2. Défis pour la formation.......................................................................................... 220
3. Pratiques inclusives : pédagogie de l’équité.......................................................... 223
4. Pour conclure........................................................................................................ 226
Lectures conseillées.................................................................................................. 228
La montée des déplacements de population dans le monde ainsi que la globalisation des
marchés accentue la diversité de la population adulte et crée un multiculturalisme et un large
spectre de conceptions sur la personne, l’État, le droit des hommes, des femmes et des enfants.
L’ensemble de ces représentations marque sous le sceau de la diversité les activités de formation
qu’elles soient locales, nationales ou internationales. Dans ce chapitre, le sujet est abordé par le
biais de la diversité de la population mondiale pour mieux traiter des défis que cette diversité
soulève au regard de la formation et ouvrir sur des pratiques inclusives.

1. Regard sur la population mondiale


Le regard porté sur la population mondiale va révéler des défis, notamment de genre, de
langue, de littératie, de religion, de handicap et de migration que des pratiques inclusives peuvent
relever.

1.1 Population mondiale1


En 2014, selon les données des Nations Unies, le monde compte plus de 7 milliards de
personnes dont 60 % vivent en Asie, 16 % en Afrique, 10 % en Europe, 9 % en Amérique Latine
et Caraïbes, 5 % en Amérique du Nord et 1 % en Océanie. Il naît généralement 105 garçons pour
100 filles et le ratio hommes/femmes s’équilibre au fil du temps, car le taux de mortalité des
garçons est plus élevé que celui des filles jusqu’à l’âge adulte. En France, c’est à 25 ans que les
hommes et les femmes sont en nombre égal, mais l’écart s’inverse avec l’âge.

Plusieurs pays accusent un déficit de femmes. En 2014, le Bahreïn compte 37,9 % de femmes ;
la Chine, 48,5 % ; les Émirats Arabes Unis, 26,3 % ; l’Inde, 48,2 % et le Qatar, 26,8 %. Un déficit
en hommes peut aussi advenir, tel le Rwanda avec un ratio de 52,6 % de femmes. Si le déficit
en hommes découle généralement de situations de guerre, celui des femmes est plutôt lié à la
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

dévalorisation culturelle de la gent féminine entraînant avortements sélectifs, infanticides et


négligence. Au niveau mondial, il y aurait un manque de plus de 64 millions de femmes.

La population de l’Amérique du Nord et de l’Union européenne de moins de 15 ans se situe à


16 % et 19 % tandis que celle des plus de 65 ans se trouve à 13 % et 18 % respectivement. Ces deux
régions connaissent un vieillissement marqué de la population et 55 % des personnes de plus de

1. Cette section s’appuie, entre autres, sur les informations et données issues des sites des Nations Unies, de
l’INED, de la Banque mondiale, de l’OMS, de l’Insee, du Population Reference Bureau et de population du monde.

213
Traité des sciences et des techniques de la formation

65 ans sont des femmes. Le groupe des 16 à 64 ans comporte entre 66 % et 68 % de personnes
principalement actives sur le marché du travail ou mobilisées dans la régénération.

Selon le niveau de développement des pays, l’espérance de vie des hommes et des femmes se
situe respectivement à 75 et 81 ans pour les niveaux élevés ou à 58 et 60 ans pour les autres ; une
différence selon le sexe de 6 ou de 2 ans et de plus de 20 ans selon le niveau de développement.

Aucune donnée ventilée selon l’orientation sexuelle ou la perspective transgenre n’a été
repérée. Cela ne saurait étonner alors que 49 personnes LGBT sont mortes et 53, blessées dans
un bar d’Orlando aux États-Unis, le 12 juin 2016.

1.2 Langue1
D’après le Population Reference Bureau « sur les 6 000 langues dans le monde, 50 % sont
menacées de disparition ; 96 % sont parlées par 4 % de la population mondiale ; 90 % ne sont pas
représentées sur Internet », tandis qu’« une langue disparaît toutes les deux semaines et [que]
90 % des langues africaines n’ont pas de transcription écrite. » Les dix langues les plus parlées
sont :
1. le chinois mandarin (1 080 M de personnes) ;
2. l’anglais (508 M) ;
3. l’espagnol (382 M) ;
4. le hindi (315 M) ;
5. le français (290 M) ;
6. le russe (285 M) ;
7. le malais-indonésien (260 M) ;
8. l’arabe (230 M) ;
9. le portugais (218 M) ;
10. le bengali (210 M).

Les Nations Unies utilisent six langues officielles : l’anglais, le français, l’espagnol, l’arabe, le
chinois et le russe. En ce qui concerne la langue française, elle serait la 4e langue d’Internet et la
2e langue d’information internationale dans les médias.

Officiellement bilingue, le Canada, en 2011, ne compte que 17 % de sa population pouvant


soutenir une conversation tant en français qu’en anglais ; ce pourcentage grimpe à 43 % au

1. Les informations et les données sur les langues sont tirées, entre autres, du Population Reference Bureau, de
population du monde, de l’OMS et de Statistique Canada.

214
Diversité des adultes en formation ■ Chapitre 10

Québec. Parmi les presque huit millions d’immigrantes et d’immigrants utilisant une « langue
immigrante » – soit autre que le français, l’anglais ou une langue autochtone –, plus de 17 %
parlent une langue romane et environ le même nombre, une langue indo-iranienne ; 16 % une
langue chinoise et entre 10 et 11 %, une langue slave. Toutes les autres familles de langue, qu’elle
soit germanique, sémitique ou autre, ne dépassent pas 10 % de la population immigrante. Par
ailleurs, en 2006, 70 % des femmes immigrantes n’ont ni l’anglais ni le français comme langue
maternelle tandis qu’au Québec, en 2013, une personne immigrante sur 5 ne parle pas français.

1.3 Littératie1
À la différence de l’Afrique et de certains pays asiatiques (dont l’Inde, le Pakistan et le
Bangladesh), les Amériques, l’Australie, l’Europe et une grande partie de l’Asie ont de bons
niveaux de littératie (voir la figure 10.1).

En 2014, la population d’analphabètes dans le monde est évaluée à 800 millions d’adultes,
soit 16 % de la population mondiale. Plus de la moitié vit en Asie et un peu moins du quart en
Afrique subsaharienne. Les femmes constituent les deux tiers de toutes les personnes illettrées,
soit 477 millions en 2015. Parmi les facteurs déterminants des compétences en littératie, l’âge,
le sexe, le statut d’immigrant et le statut linguistique apparaissent régulièrement, quel que soit
le pays à l’étude.

Figure 10.1 - Niveaux de littératie dans le monde

1. La section sur la littératie s’appuie notamment sur des textes de l’Unesco, de Wikipédia, de l’OCDE et de
Statistique Canada.

215
Traité des sciences et des techniques de la formation

Il est établi également qu’avec l’âge, il y a généralement une perte de compétences en litté-
ratie. Cette perte débute vers l’âge de 25 ans, atteint un sommet à 40 ans, puis va en diminuant
à l’âge mûr. De plus :
–– la perte est élevée lorsqu’elle est évaluée sous l’angle de la scolarité ;
–– les décrocheurs et décrocheuses connaissent moins de perte ;
–– la poursuite d’études postsecondaires, l’habitude de la lecture au travail et à la maison et
l’occupation d’un emploi stable constituent des pratiques qui ont un effet favorable sur les
compétences en littératie et contribuent à réduire l’ampleur de la perte de compétences ;
–– les adultes ayant suivi une formation ou des études complémentaires au cours des douze
mois précédant une enquête obtiennent des résultats supérieurs à ceux des autres adultes.

1.4 Religion1
En 2010, 84 % des êtres humains s’identifient à un groupe religieux. Ils se répartissent comme
suit :
–– les chrétiens (32 % de la population mondiale : catholiques, 17,3 % ; protestants, 5,3 % ; ortho-
doxes, 3,6 % ; anglicans, 1,1 % et autres chrétiens, 6,3 %) ;
–– les musulmans (23 % : sunnites, 83 % et chiites, 16 %) ;
–– les non affiliés aux groupes religieux les plus importants, 16 % ;
–– les hindous, 15 % ;
–– les bouddhistes, 7 % ;
–– les religions traditionnelles, 6 % ;
–– les nouvelles religions et autres croyances, moins de 3 % ;
–– les sikhs, 0,4 % ;
–– les juifs, 0,2 %.

Les chrétiens constituent le groupe le plus dispersé géographiquement, tandis que les autres
religions sont plus concentrées.

Par ailleurs, près des trois quarts des fidèles vivent dans des pays où leur religion est majo-
ritaire. Passer d’un pays où la religion est majoritaire à un pays où elle est minoritaire crée des
situations inattendues à la fois pour les migrants et pour les natifs du pays d’accueil et ce, d’autant
plus s’il y a séparation entre la religion et l’État.

1. Les données sur les religions proviennent notamment du Monde des religions et du site critidogme.free.

216
Diversité des adultes en formation ■ Chapitre 10

1.5 Handicap1
Le handicap est, selon le Rapport mondial sur le handicap, « un terme générique désignant
les déficiences, les limitations d’activité et les restrictions de participation ». Environ 15 % de la
population mondiale vit avec un handicap, soit plus d’un milliard de personnes. Leur nombre
est en augmentation en raison de la croissance de la population, des avancées médicales, du
processus de vieillissement et des conflits armés. Lorsque l’espérance de vie dépasse les 70 ans,
une personne passera en moyenne huit ans (11,5 %) de sa vie à vivre avec un handicap. Le taux
d’alphabétisme pour les adultes handicapés ne dépasse pas 3 % pour les hommes et 1 % pour les
femmes, or 80 % de ces personnes vivent dans les pays en développement. Les femmes handica-
pées souffrent davantage d’exclusion au motif de leur sexe et de leur handicap, et dans les zones
de guerre, trois enfants sont blessés et handicapés à vie pour chaque enfant tué. Les personnes
handicapées risquent de plus d’être victimes de viols ou de violences et ont moins de chance
d’obtenir une intervention de la police, une protection juridique ou des soins préventifs.

La situation de handicap a pour conséquences :


–– de moins bons résultats de santé ;
–– des niveaux d’études plus faibles ;
–– une moindre participation économique ;
–– un taux de pauvreté plus élevé ;
–– une dépendance accrue et une participation restreinte.

En France, « les adultes de 25 à 54 ans sont deux fois plus touchés par le handicap que les
jeunes2 ». Selon cette étude, trois millions de personnes disent avoir fait l’objet de discrimina-
tion : les adultes sont plus particulièrement victimes de refus de droit et d’injustices, surtout en
période de chômage. Parmi les 1 706 200 personnes ayant un problème de santé de plus de six
mois ou un handicap, 19 % attribuent leur handicap au travail. Un handicap équivaut à un accès
difficile au travail, et ce, encore plus si on est femme, une différence en moyenne de 14 %. Les
deux sexes connaissent un taux de chômage élevé, souvent de longue durée.

En 2006, 4,4 millions de Canadiens déclarent avoir une limitation d’activités, ce qui corres-
pond à un taux d’incapacité de 14,3 % et, de ce nombre, 95 % sont des adultes de plus de 15 ans.
Il est à noter que l’âge est un facteur important, car le handicap affecte 3,7 % des enfants de 0 à
14 ans, 11,5 % des adultes de 15 à 64 ans et 43,4 % des adultes de 65 ans et plus. Les incapacités

1. Les données sur le handicap proviennent de différents travaux : OMS et BM, Nations Unies, chercheurs et
chercheuses, et Statistique Canada.
2. Amira, S., et Meron, M. (2005). L’activité professionnelle des personnes handicapées. Paris : METCS, Dares,
p. 178.

217
Traité des sciences et des techniques de la formation

associées à la douleur, à la mobilité et à l’agilité sont les plus courantes chez les adultes canadiens.
Et dans le cadre de ce chapitre, il est important de souligner que les troubles d’apprentissage et
leur fréquence n’augmentent pas avec l’âge. Les troubles de la mémoire, quant à eux, n’affectent
que 4,3 % des adultes de 65 ans et plus.

1.6 Migration1
Selon l’Organisation internationale pour la migration (OIM), un migrant s’entend comme
étant « toute personne qui, quittant son lieu de résidence habituelle, franchit ou a franchi une
frontière internationale ou se déplace ou s’est déplacée à l’intérieur d’un État, quels que soient :
1) le statut juridique de la personne ; 2) le caractère, volontaire ou involontaire, du déplacement ;
3) les causes du déplacement ; ou 4) la durée du séjour ».

En 2010, 214 millions de personnes se sont déplacées, soit environ 3 % de la population


mondiale. Cette année-là,
–– les sept pays qui connaissent le plus d’émigration sont, par ordre décroissant : le Mexique,
la Chine, l’Inde, les Philippines, le Pakistan, l’Indonésie et le Bangladesh ;
–– les huit destinations les plus fréquentes, toujours par ordre d’importance, sont : les États-
Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, l’Australie et la France.

En 2010 toujours, la population du Canada compte 21,3 % de personnes immigrées ; les États-
Unis, 13,5 % ; la France, 10,7 % et le Royaume-Uni, 10,4 %, et, dans ces pays, la proportion de
femmes immigrantes se situe entre 50 % et 53 %.

Selon l’Eurostat, la proportion de population étrangère a varié entre 1999 et 2014. En France,
cette population est passée de 3 263 000 à 4 157 000 personnes, une augmentation de 0,7 point.
En Belgique, l’augmentation est de 2,6 points ; au Royaume-Uni, de 3,9 ; en Italie, de 6,1 ; en
Espagne, de 8,4 ; au Luxembourg, de 9,5 et en Bulgarie, de 10,7. Dans ce même intervalle de
temps, deux pays connaissent une baisse de sa population étrangère, légère en Allemagne (0,2 %)
et marquée en Lettonie (11,4 %).

Selon l’OIM, plus de 1 million de migrants et de réfugiés sont arrivés en Europe en 2015 et,
dans cette année-là, entre le 9 et le 20 décembre :

1. La section sur la migration s’appuie, entre autres, sur des données issues de l’Organisation Internationale de
la Migration, le Courrier International, l’Eurostat, l’Insee, Le Monde, Statistique Canada, le site inegalites.fr et
les Cahiers du CEDREF.

218
Diversité des adultes en formation ■ Chapitre 10

« 45,6 % des migrants ayant traversé la frontière depuis la Grèce vers l’ARYM [Ancienne République
yougoslave de Macédoine] étaient des hommes adultes, 21,9 % étaient des femmes adultes, 35 %
étaient des enfants accompagnés et 1,5 % était des mineurs non accompagnés. La grande majorité
était des Syriens, suivis d’Iraquiens et d’Afghans, car aucune autre nationalité n’était autorisée
à traverser. »

La guerre en Syrie a provoqué un exode de sa population, hommes, femmes et enfants : le


Canada en a accueilli 25 000 et les États-Unis, 10 000. En 2015, 1 million de personnes ont
demandé l’asile en Allemagne dont plus de 428 000 personnes de Syrie, 154 000 d’Afghanistan,
près de 122 000 d’Iraq, près de 70 000 d’Albanie et 33 000 du Kosovo. En France, en 2015, 79 100
migrants auraient déposé une requête de protection et 31,5 % en ont bénéficié, soit près de
25 000 personnes.

Selon l’OIM, « la migration est et restera, dans le futur proche, une caractéristique dominante
du paysage politique, social et économique de l’Europe. Les arrivées en Europe se poursuivront,
car les moteurs de la migration forcée ne changent pas ». Déjà à la date du 25 février 2016, plus
de 111 000 migrants et réfugiés sont arrivés en Grèce et 9 000 en Italie.

Dans ce texte, des données ventilées selon le genre sont mises de l’avant afin de briser l’in-
visibilité ou l’invisibilisation des femmes, ici immigrées. De fait, « les femmes émigrent à la
recherche d’emploi, de plus en plus autonomes, souvent pionnières des chaînes migratoires ou
comme cheffes de famille et pas seulement comme “suivantes” ou “rejoignantes” de membres
masculins de leur famille – le regroupement familial restant toutefois le mode d’entrée le plus
fréquent pour les femmes1 ».

Au Canada, une femme sur cinq est née à l’extérieur du pays et, en 2009, les demandeuses
principales de la catégorie économique constituaient 19 % de toutes les immigrantes reçues. De
fait, dans cette catégorie, 39 % étaient des femmes et 61 %, des hommes. Cette année-là, environ
22 800 personnes de tous les immigrants reçus étaient des réfugiés (soit 9 %) et, parmi les réfugiés,
environ 11 300 personnes de tous les réfugiés étaient des femmes (soit 49 %).

En France, environ 5,3 millions d’emplois (instituteur, policier, mais aussi architecte ou
buraliste), soit un poste de travail sur cinq, ne sont pas accessibles aux immigrés qui n’ont pas
la nationalité française ou qui ne sont pas originaires d’un pays de l’Union européenne. Ces
personnes sont davantage au chômage, les hommes légèrement plus que les femmes.

1. M. Morokvasic (2008). « Femmes, genre dans l’étude des migrations : un regard rétrospectif », Les Cahiers
du CEDREF, 16, 33-56.

219
Traité des sciences et des techniques de la formation

Si les premières vagues de migration sont souvent celles des personnes les mieux nanties,
financièrement et intellectuellement, les suivantes ont souvent moins d’atouts économiques
ou de scolarité.

L’importante migration actuelle a des conséquences sur l’éducation et la formation des


adultes. La langue, la littératie, la religion et le handicap, notamment, peuvent créer des
obstacles à l’accès à l’information et à la formation, car, comme on vient de le voir, la grande
majorité des migrants, hommes et femmes ne parlent pas la langue ni ne sont de la religion du
pays d’accueil et naître dans un pays de parents étrangers stigmatise là où le nouveau citoyen,
souvent pendant plusieurs générations.

2. Défis pour la formation


Si bien des activités de formation s’adressent à des personnes résidant dans un même pays,
elles sont de plus en plus nombreuses à s’adresser à des adultes de pays différents : c’est le cas
des formations internationales ou dans des multinationales. Dans tous les cas, la diversité des
adultes a une incidence sur la formation et ce, d’autant plus que nombre de personnes issues
de l’immigration sont à l’interface entre les cultures du pays d’origine et du pays d’accueil, d’où
l’importance de l’inclusion en éducation et formation.

Le regard porté sur la population mondiale a permis de brosser un portrait des adultes selon
l’âge, le sexe, l’espérance de vie, la langue, la littératie, la religion, le handicap alors que les guerres,
les changements climatiques, le climat politique et économique de bien des pays provoquent
des migrations voulues ou forcées, modifiant par le fait même le portrait des adultes, hommes
et femmes, dans les pays d’accueil, notamment en Europe et en Amérique du Nord.

Qu’une personne soit native du pays où elle réside, immigrante, réfugiée ou en demande
d’asile et, quelle que soit l’activité de formation suivie, le groupe de formation sera inévitable-
ment hétérogène, car la diversité se déploie rarement dans la singularité : une personne peut-être
jeune adulte ou âgée, catholique ou musulmane, native du pays ou immigrante, faiblement ou
hautement scolarisée, avec un niveau de littératie maintenu, développé ou en baisse. De fait,
les caractéristiques s’entrecroisent et l’intersectionnalité rend compte de la complexité dans
le monde, chez les personnes et dans leur expérience de vie. Ainsi, même lorsque l’objectif de
formation est partagé, la provenance des membres du groupe peut être diverse : dans une activité
d’apprentissage de la langue du pays, cet apprentissage peut être le seul point commun entre
les participantes et participants. L’expérience de chaque personne dans son pays d’origine et
son parcours de vie induisent aussi des valeurs et des modes de fonctionnement différents ainsi

220
Diversité des adultes en formation ■ Chapitre 10

qu’un rapport au savoir, des attentes et des modes d’apprentissage au regard de la formation
divers, sinon divergents.

À titre d’illustration, une femme professionnelle d’un pays non francophone devient anal-
phabète le temps de l’apprentissage du français. En revanche, une personne non francophone et
analphabète aura à acquérir tant la langue qu’une formation de base. Dans les deux cas toutefois,
une formation citoyenne s’avère nécessaire, car il convient de connaître les valeurs dominantes
du pays d’accueil et son mode de fonctionnement, souvent plus démocratique avec des droits
humains contraignants, telle l’interdiction de violenter un enfant au Québec.

Les membres d’un groupe en formation peuvent rejeter un savoir jugé non conforme à leur
religion, à leurs valeurs ou à leur compréhension du monde. Ces situations ne sont pas liées à
la seule présence d’immigrants, car des divergences existent au sein même des habitants d’un
même pays tandis que la formation multinationale se construit aussi sur l’hétérogénéité.

Il peut ainsi y avoir des rapports au savoir conflictuels, le savoir subjectif lié à l’histoire de vie
venant contrecarrer l’acquisition de savoirs porteurs de transformation de l’identité personnelle.
Tel que mentionné, ceci n’est pas l’apanage des personnes immigrantes : au regard de l’égalité
de genre, par exemple, des personnes natives des pays d’accueil se révèlent tout aussi réticentes.

Par ailleurs, il serait erroné de croire que les personnes immigrantes ont toutes un faible
niveau de littératie. Ces personnes sont souvent sélectionnées en fonction de leur formation et
de leur capacité à être autonome financièrement, comme c’est le cas au Canada.

En ce qui concerne la formation, des personnes de différentes cultures et valeurs reven-


diquent parfois un enseignement magistral plutôt qu’une démarche centrée sur l’apprentissage
des adultes. Ces personnes s’inscrivent alors dans le paradigme de l’éducation bancaire, selon
la terminologie de Freire.

Concordia, une université multi-ethnique de Montréal, a produit un manuel de formation et


une vidéo sur l’égalité et l’équité dans l’enseignement pour le personnel enseignant des univer-
sités et de l’éducation des adultes. En s’appuyant sur des écrits relatifs à la discrimination fondée
sur le genre, la race, la classe socio-économique, le handicap, l’orientation sexuelle, etc., l’ana-
lyse effectuée a permis de mettre en évidence les dimensions de la discrimination en formation
véhiculées par : les interactions discriminatoires, les stéréotypes, la langue, les comportements
non verbaux et paraverbaux (voir la figure 10.2). Soulignons que les formateurs, tant femmes
qu’hommes, peuvent discriminer, car toute personne, quels que soient son sexe et le genre
adopté, a été socialisée dans une culture donnée porteuse de discriminations.

221
Traité des sciences et des techniques de la formation

Figure 10.1 - Les dimensions de la discrimination en formation

Plus spécifiquement :
–– Les interactions discriminatoires consistent à porter davantage attention à certains types
de personnes et moins à d’autres : le genre, le handicap, l’âge font partie des identifiants
facilement repérables favorisant les personnes que le formateur ou la formatrice regarde, à
qui sont posées des questions, dont les commentaires ou les remarques sont retenus pour
fins de discussion, etc.
–– Les stéréotypes sont des représentations simplifiées, déformées, des idées préconçues, des
croyances largement partagées que l’on associe à un groupe de personnes. Toute personne
est porteuse des stéréotypes véhiculés par son milieu social. Or ces stéréotypes nuisent à
l’apprentissage des adultes, surtout celles et ceux stigmatisés par ceux-ci.
–– La langue est elle-même porteuse de discrimination : un professeur, homme ou femme,
exclut des adultes en formation et nuit à leur apprentissage en n’utilisant pas un langage
inclusif, d’une part, et en tenant pour acquis, d’autre part, que toutes les personnes maîtrisent
la langue et comprennent le vocabulaire utilisé.
–– Les comportements non verbaux et paraverbaux : le personnel de la formation peut trans-
mettre ses conceptions et préjugés par ses expressions corporelles (lever les yeux au ciel,
se détourner de l’adulte, etc.), ou par une intonation de la voix témoignant d’un sentiment
(étonnement, ennui, colère, etc.).
–– Le curriculum, quant à lui, réfère au contenu de la formation et en l’absence de savoirs reflé-
tant la diversité des apprenantes et des apprenants : par exemple, ne pas parler d’auteurs,
hommes ou femmes, d’origines diverses ; ne pas intégrer des théories ou des idées véhiculées
dans d’autres langues ou d’autres cultures.

222
Diversité des adultes en formation ■ Chapitre 10

3. Pratiques inclusives : pédagogie de l’équité


L’éducation et la formation inclusives s’inscrivent dans une vision globale dans laquelle l’édu-
cation et la formation sont équitables et universellement accessibles à tous et toutes, enfants,
jeunes et adultes, de sexe féminin ou masculin, sans discrimination par rapport à la race, à l’âge,
à la religion, à la langue, à la présence de limitations, à l’appartenance culturelle et ethnique.
Cette vision est porteuse pour la formation tout au long de la vie.

Le cadre juridique de l’inclusion peut s’appuyer sur de nombreuses conventions internatio-


nales entérinées depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme (l’homme n’est pas une
femme ! Et le mouvement des femmes n’a pas réussi à faire entériner le changement pour les
droits de la personne) de 1948 dont celles contre la discrimination dans l’enseignement (1960),
la discrimination raciale (1965) ou à l’égard des femmes (1979), ou encore celles concernant les
peuples indigènes et tribaux (1989), les droits des migrants (1990), la diversité culturelle (2005),
les droits des personnes handicapées (2006) et des droits autochtones (2007).

Le concept d’« approche inclusive » réfère à une approche systémique, fondée sur l’équité, la
diversité et la justice sociale. Cette approche vise toutes les personnes afin qu’elles participent
et contribuent à l’instauration de l’équité au sein des institutions, l’équité s’entendant comme
un moyen pour atteindre l’égalité.

L’inclusion en éducation des adultes doit aussi être assurée par son accès et, dans cette pers-
pective, il convient de lever les obstacles à la formation, soit :
–– les obstacles dispositionnels qui concernent tout ce qui relève des réalités psychologiques
des adultes ainsi que de leurs croyances et de leurs valeurs à l’égard de l’apprentissage ;
–– les obstacles situationnels qui désignent les facteurs, liés aux situations de vie des individus,
bloquant la participation ;
–– les obstacles institutionnels qui réfèrent aux politiques, aux règles et aux modalités des
activités de formation selon les organisations et les institutions qui les offrent ;
–– les obstacles informationnels qui ont trait à l’absence d’information concernant l’existence
de services et d’activités de formation ;
tout en tenant compte des obstacles rencontrés par les organisations elles-mêmes1.

Le travail que nous avons mené à l’égard de l’inclusion en formation propose un cadre théo-
rique pour soutenir les actions permettant de relever les défis de la diversité (voir figure 10.3).

1. C. Solar, D. Baril, J.-F. Roussel et N. Lauzon (2016). « Les obstacles à la formation en entreprise », Savoirs,
n˚ 41, http://savoirs.u-paris10.fr.

223
Traité des sciences et des techniques de la formation

Ce cadre présente quatre axes sur lesquels la pratique d’intervention utilisée peut se positionner
indiquant ainsi son degré d’équité ou d’inéquité.

Figure 10.2 - Les axes de la Toile de l’équité (Solar, 1998)

Les pratiques inclusives ont pour but de développer le pouvoir d’agir, favoriser la participation
active, donner la parole et développer la mémoire de chaque personne apprenante. L’ordre des
axes est organisé de façon à faciliter sa mémorisation en utilisant l’acronyme IPSO relatif aux
quatre clés de l’inéquité. Ces axes seront toutefois traités du point de vue de l’équité et selon
un ordre qui en facilite la compréhension : la parole, la mémoire, la participation active et le
pouvoir d’agir.

3.1 Parole
La parole est un thème récurrent dans les écrits traitant de personnes minorisées ou exclues
qui souhaitent être entendues et comprises de façon à ne plus être invisibles. Pour certains
immigrants, hommes, femmes et enfants, avoir la parole requiert l’apprentissage de la langue
du pays. Une fois acquise, tout comme les personnes nées au pays, il est important qu’elles s’y
reconnaissent, qu’elles la comprennent, qu’elles puissent s’exprimer.

Utiliser une langue inclusive est porteur d’une communication sensible au genre et à la diver-
sité, car la langue au masculin rend les femmes invisibles tout comme un langage eurocentré

224
Diversité des adultes en formation ■ Chapitre 10

exclut les non-Européens. D’où la pertinence de créer des situations d’apprentissage qui favo-
risent la prise de parole, de préférence en petit groupe, car au-delà de six ou huit personnes,
les plus timides et plus marginalisées se taisent. La formatrice ou le formateur se doit aussi de
bannir tout humour discriminatoire et d’en expliquer tant la structure que l’effet, tout comme
il convient de réguler le temps de parole, certaines personnes monopolisant ce temps. Cette
pratique relève notamment le défi des stéréotypes et répond aux critères d’une communication
sensible au genre et à la diversité, soit la visibilité, la parité et le rejet des stéréotypes.

La parole rejoint la dimension de la langue et des stéréotypes comme défis pour la formation
et, à l’opposé, elle peut concourir aux interactions discriminatoires et, par la tonalité, marquer
la discrimination du sceau paraverbal.

La parole sert aussi à communiquer des informations, des pensées, des idées, des théories. Il
convient alors de donner la parole à des écrits émanant de groupes minorisés, touchant ainsi au
curriculum. Les écrits de personnes d’origine, de genre, de culture, de limitation, de spiritualité
diverses peuvent nourrir l’apprentissage des adultes en ouvrant sur la diversité et en mettant
possiblement en lumière des valeurs diversifiées, mais favorisant le « vivre ensemble ».

3.2 Mémoire
En ouvrant la parole à la diversité, le langage révèle l’omission de groupes sociaux et cette
ouverture permet de créer une mémoire. Créer une mémoire signifie développer des connais-
sances sur les membres de ces groupes en parlant de ces personnes, en écoutant ce qu’elles
ont à dire, en lisant leur histoire, leurs auteurs, en découvrant leur culture, leur religion, leurs
valeurs. Cette mémoire rompt avec les stéréotypes d’un savoir « occidentalocentré » et ouvre
sur les savoirs de la diversité, relevant ainsi le défi du curriculum.

Construire une connaissance collective et commune de cette diversité contribue à la promo-


tion d’une justice sociale et permet de critiquer les a priori et les idéologies hégémoniques.
Plusieurs auteurs prônent un co-apprentissage avec les adultes en formation, car ces adultes
ont des savoirs à communiquer au personnel enseignant et aux autres adultes et le travail en
groupe permet de générer de nouveaux savoirs.

3.3 Participation active


Libérer la parole des adultes en formation s’appuie sur des situations d’apprentissage qui
favorisent une participation active, car les pratiques éducatives, notamment en contexte de

225
Traité des sciences et des techniques de la formation

discrimination et de subordination, acculent souvent à la passivité. Les formateurs et formatrices


peuvent créer un environnement éducatif propice à l’implication personnelle dans l’apprentis-
sage en utilisant des stratégies d’animation de groupe et en proposant des activités nécessitant
un véritable travail de collaboration. Ces stratégies permettent aux adultes de s’approprier les
objectifs d’apprentissage et favorisent les échanges sur les différences tout en prenant en consi-
dération la non-maîtrise de la langue.

3.4 Pouvoir d’agir


Le pouvoir d’agir est une traduction du terme anglais empowerment et vise à briser le senti-
ment d’impuissance qui découle entre autres :
–– d’un manque de maîtrise de la langue ;
–– d’un faible niveau de littératie ne permettant pas de bénéficier d’un apprentissage tout au
long de la vie ;
–– de situations de discrimination et de sujétion.

Le sentiment d’impuissance est également induit par un manque de connaissances civiques,


politiques, économiques et culturelles causant une méconnaissance de la citoyenneté et de la
démocratie.

Le pouvoir d’agir se construit à travers les trois autres axes de la toile de l’équité. En donnant
la parole, en créant une mémoire, en sollicitant une participation active, la ou le formateur
contribue au transfert d’outils intellectuels et de stratégies d’action qui consolident le pouvoir
d’agir. Certaines pratiques en formation concourent à construire ce pouvoir d’agir en évitant
les stéréotypes ; en nommant les différences et en les expliquant ; en donnant à tous les adultes
le temps et les moyens d’apprendre ; en guidant les adultes dans la résolution des problèmes
rencontrés ; en exigeant un travail de qualité de tous et toutes ; en partageant le pouvoir.

4. Pour conclure
De nos jours, le groupe d’adultes en formation est résolument hétérogène en raison de la diver-
sité de chacun de ses membres, immigrés ou non. Le regard porté sur la population mondiale
révèle cette diversité et identifie certaines des caractéristiques qui procurent à chaque personne
son identité : l’âge, le sexe, le niveau de littératie, la langue, la religion, le handicap, etc.

226
Diversité des adultes en formation ■ Chapitre 10

Figure 10.4 - Marqueurs de l’identité (Solar, 1997)

Chaque adulte navigue ainsi sur sa carte identitaire, telle qu’illustrée dans la figure 10.4. Cette
carte dévoile une identité qui se déplace sur un espace et qui peut varier en fonction des situa-
tions rencontrées. Ainsi, dans un groupe où toutes les personnes ont le même âge, ou la même
religion, cette caractéristique n’aura pas le poids de la différence et accentuera possiblement
le comportement collectif en raison de l’unité apparente des membres. L’opposé, en revanche,
créera des tensions et activera cette caractéristique qui prend alors de l’importance. Il appartient
au formateur ou à la formatrice d’activer certaines de ces caractéristiques dans une perspective
d’inclusion afin de créer des liens entre les personnes, favorisant ainsi l’apprentissage de chacune
d’elles, tout en construisant des savoirs partagés qui étayent le « vivre ensemble ».

227
Traité des sciences et des techniques de la formation

Lectures conseillées
E isen M.-J. et T isdell E. J. (dir.) (2000). Team Solar C. (dir.) (1992). En toute égalité/Inequity
Teaching and Learning in Adult Education, in the Classroom, Montréal, Université
San Francisco, Jossey-Bass. Concordia. Bureau du statut des femmes.
Lafortune L. et Gaudet É. (2000). Une pédagogie Solar C. (1997). Boundary Games : Women and
interculturelle : pour une éducation à la Adult Education, communication présentée
citoyenneté, Saint-Laurent, Québec, ERPI. à la 27e International SCUTREA conference
McAndrew M., Potvin M. et Borri-Anadon C. (dir.). on adult and continuing education. Crossing
(2013). Le Développement d’institutions inclu- borders, breaking boundaries : Research in
sives en contexte de diversité : recherche, the education of adults, Londres. Repéré
formation, partenariat, Québec, Presses de sur http://www.leeds.ac.uk/educol/docu-
l’Université du Québec. ments/000000284.htm.
OCDE et Statistique Canada (2011). La littératie, un Solar C. (1998). « Peindre la pédagogie sur une
atout pour la vie : Nouveaux résultats de toile d’équité », in C. Solar (dir.), Pédagogie et
l’Enquête sur la littératie et les compé- équité (p. 25-66), Montréal, Logiques.
tences des adultes, Ottawa, Statistique Unesco-Organisation des Nations Unies pour l’Éducation
Canada, OCDE. la Science et la Culture (2009). Principes direc-

OCDE (2013). Perspectives de l’OCDE sur les teurs pour l’inclusion dans l’éducation,
compétences 2013 : premiers résultats Paris, Unesco.
de l’évaluation des compétences des Verma G. K., Bagley C. et Jha M. M. (dir.) (2007).
adultes, Paris, Éditions OCDE, http://dx.doi. International Perspectives on Educational
org/10.1787/9789264204096-fr. Diversity and Inclusion : Studies from
America, Europe and India. Londres-New
York, Routledge.

228
Partie 2
Le sujet adulte
et la formation :
de l’expérience
à l’apprenance
Introduction
Les contributions qui forment cette seconde partie du Traité s’organisent autour de trois
notions clés, emblématiques du rapport de l’adulte à la formation : expérience, compétence et
apprentissage. L’adulte, déjà doté d’un bagage d’expérience et supposé coresponsable du déve-
loppement de ses compétences, entretient avec l’apprentissage des rapports guidés à la fois par
la dynamique et les contextes de sa vie actuelle, ses représentations de l’avenir, et les traces,
conscientes ou non, de sa biographie sociale et éducative. Celle-ci est avant tout chargée de
l’histoire des rapports qu’ont entretenus avec l’école et l’acte d’apprendre l’enfant, puis l’ado-
lescent qu’il a été. Toutefois, le rapport de l’adulte à la formation ne peut être confiné à une
simple extension du rapport de l’enfant à l’école et au savoir.

L’âge adulte, préoccupation récente, a d’abord été identifié comme la norme, la finalité,
l’objectif du développement, avant d’être appréhendé comme l’époque de l’inachèvement, puis
celui des crises, des transitions, des interrogations. Comme l’écrit J.-P. Boutinet dans le chapitre
intitulé la vie adulte au regard de la formation, cet âge autrefois vu comme le mètre étalon des
autres, mais aujourd’hui « pris entre jeunesse interminable et vieillissement précoce », semble en
proie à un doute existentiel progressif à mesure de l’effritement des anciens cadres de référence
régulateurs de l’activité. Dans cette nouvelle donne, l’expérience fait figure de zone d’ancrage
identitaire ; c’est sans doute pourquoi, après avoir été installé dans la problématique de cette
partie du Traité dès le premier chapitre, ce thème traverse la majorité des contributions. Cette
notion est ainsi mise en valeur par E. Loarer et C. Delgoulet au titre du rôle essentiel qu’elle joue
dans le rapport entre vieillissement, apprentissage et formation. Ce redéploiement de l’expérience
donne à l’apprentissage de nouvelles dimensions, peut-être fondatrices d’une formation enfin
devenue réellement « adulte ».

La notion de compétence figure désormais à l’avant-scène des représentations collectives sur


la formation. Ce dernier terme est même, aux yeux de certains, en passe d’être supplanté par
celui, plus moderne, de « développement des compétences », voire de professionnalisation. De
quelque côté que l’on observe l’échiquier idéologique et pédagogique de la formation, l’idée
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

de compétence domine les esprits, polarise les débats et, parfois, entretient le trouble par sa
complexité, propice à toutes les ambiguïtés. Dans une synthèse de la question, S. Enlart nous
livre les clés du débat autour de cette notion polémique, à travers un point « didactique » des
nombreuses approches de la question, suivi de la mise à jour des « questions vives » qui se
posent autour des termes de compétences transverses, de savoir-être et de développement
des compétences.

L’idée, aujourd’hui généralement admise en formation d’adultes, selon laquelle c’est « le sujet
social apprenant » qui construit ses compétences dans des situations plus ou moins facilitantes,

231
Traité des sciences et des techniques de la formation

nous convie à une forme de retour aux thèmes fondamentaux de l’apprentissage : mémoire, moti-
vation, interactions sociales. M. Déro et F. Fenouillet nous livrent ici un exposé synthétique des
études contemporaines sur les différentes facettes de la mémoire modulaire, largement inspiré
de l’œuvre de leur mentor, notre regretté collègue et co-auteur A. Lieury. Ils nous rappellent la
proximité des notions d’apprentissage et de mémorisation et ouvrent les horizons de l’applica-
tion en situation pédagogique des pistes nouvelles, parfois iconoclastes, pour mieux apprendre.
Dans le même esprit et par le biais d’une mise à jour des paradigmes classiques et récents de la
motivation et du rapport à la formation, P. Carré et F. Fenouillet confirment qu’on « ne motive
jamais directement autrui » et développent le rôle des différents paramètres « dynamiques »
de l’engagement éducatif des adultes, à partir d’un modèle intégratif des multiples théories de
ce domaine en plein essor. C. Buchs et E. Bourgeois passent ensuite en revue les interactions
multiples entre conflit sociocognitif et apprentissage et leurs implications sur la régulation épis-
témique dans les situations de formation avant de conclure sur le renouvellement du rôle du
formateur et la place grandissante des apprentissages en situation de travail.

Dans le chapitre suivant, deux pionniers des histoires de vie en formation, G. Pineau et
P. Dominicé, nous offrent une synthèse dense et largement documentée des apports du courant
biographique, aujourd’hui largement intégré aux paradigmes dominants de la recherche et des
pratiques de la formation des adultes. « Entre illusion et injonction biographique » on peut voir
avec l’essor de la pratique et de la recherche en histoire de vie la percée progressive d’« une
contre-école qui fait passer l’examen d’abord et donne les leçons ensuite », aussi liée et contrastée
avec la formation formelle que la nuit l’est au jour. La liaison est limpide avec l’idée d’auto-
formation. P. Cyrot nous livre donc ensuite une vision panoramique des différents éclairages
possibles de cette notion polysémique et (par là même) fédératrice et heuristique. Il souligne
la dimension collective, trop souvent passée sous silence, des pratiques d’autoformation d’hier
et d’aujourd’hui. La dimension relationnelle et sociale est essentielle à l’heure où le souci de
l’individualisation peut mener à confondre l’indispensable promotion de l’autoformation des
adultes avec l’injonction à des formes de « soloformation » peu propices au développement des
compétences… sociales en particulier !

Pour conclure cette partie du Traité consacrée au sujet adulte, P. Carré et A. Rieunier
suggèrent une refondation de la psychopédagogie des adultes, à travers le rappel des théories
majeures de l’apprentissage et de leurs implications pour la pratique. Cette seconde partie
se clôt avec l’esquisse d’une quinzaine de principes d’action, (re) construits aux interfaces
entre psychologie de l’apprentissage et pédagogie des adultes et susceptibles de favoriser les
apprentissages du sujet adulte et donc l’efficience des pratiques visant leur facilitation. L’un
des mérites de l’approche psychopédagogique est de travailler le lien entre processus d’ap-
prentissage et modalités de conduite de la formation : la transition est donc ici assurée avec
la troisième partie du Traité !

232
Le sujet adulte et la formation : de l’expérience à l’apprenance ■ Partie 2

Dans l’optique de cet ouvrage, la fonction de production de compétences assignée à la


formation des adultes peut s’accomplir à la fois à travers les leçons de l’expérience directe,
intentionnelle ou incidente, les efforts d’apprentissage autodirigés, plus ou moins médiatisés,
et les effets indirects des stratégies d’intervention pédagogique. La reconnaissance du sujet
social adulte comme acteur principal du processus de formation transparaît avec l’essor du
terme d’« apprenant », qui vient graduellement supplanter ceux d’« élève adulte », de « stagiaire »,
d’« auditeur », de « formé ». Bien qu’il ne garantisse en rien la dynamique cognitive réelle du
processus d’apprentissage, ce succès a le mérite de souligner la priorité de l’acte d’apprendre
(learning) sur l’intervention éducative (teaching/training), celle-ci étant au service de celui-là. Il
s’agit peut-être alors, face à l’urgence des besoins de compétence tant dans la vie professionnelle
que culturelle, citoyenne ou privée, d’étendre ce raisonnement à la notion d’apprenance, comme
attitude favorable à l’engagement dans la formation « tout au long de la vie », cette posture
proactive, autoformatrice, réflexive à laquelle nous invite l’entrée dans une société « cognitive ».

233
Chapitre 11
La vie adulte au regard
de la formation1

1. Par Jean-Pierre Boutinet.


Sommaire
Introduction............................................................................................................... 231
1. L’émergence de préoccupations autour de la vie adulte........................................ 237
2. Métamorphoses historiques des représentations de la vie adulte......................... 239
3. La vie adulte comme production d’une histoire personnelle.................................. 241
4. Étapes, crises, transitions au cours de la vie adulte, à quel prix ?......................... 243
5. Temporalités significatives au sein de la vie adulte............................................... 245
6. Les défis de la vie adulte dans une société postindustrielle.................................. 248
Lectures conseillées.................................................................................................. 251
La question de la vie adulte se trouve posée au grand jour depuis l’institutionnalisation de
la formation permanente en France dans les années 1970. C’est sans doute historiquement la
première fois qu’on en vient à s’interroger explicitement sur le devenir de la vie adulte, par
l’intermédiaire de la formation. Jusqu’alors la situation adulte n’était abordée que de façon
anecdotique ou sectorielle par la famille, le travail, la santé ou de façon comparative au regard
de la situation faite à l’enfant. Mais cet intérêt porté aux questions adultes demeure encore
fort discret dans les années 1995-2000. Ainsi ce grand régulateur de nos savoirs que constitue
actuellement l’Encyclopædia universalis constamment remis à jour reste laconique sur les adultes
en n’envisageant la vie adulte que sous une seule entrée, l’éducation des adultes comme si la
compréhension de ces derniers pouvait se réduire à leur seule éducation. En revanche dans la
même encyclopédie, l’enfance, l’adolescence, la jeunesse et la vieillesse sont des âges de la vie bien
mieux traités à travers différentes entrées. Il nous faut donc reconnaître le déficit de réflexion
encore actuel concernant la vie adulte.

1. L’émergence de préoccupations autour de la vie adulte


C’est surtout par l’actualisation de la formation permanente au cours de ces trente dernières
années que les préoccupations autour de la vie adulte vont effectuer une progressive montée
en puissance. Contrairement à ce qui s’était passé en Allemagne, en Angleterre et en Amérique
du Nord, tous pays qui depuis déjà plusieurs décennies ont apporté des contributions très
éclairantes et variées sur une psychosociologie de la vie adulte, la littérature scientifique fran-
çaise s’est très peu souciée d’une réflexion sur ce laps de temps qui sépare l’adolescence de la
vieillesse.

1.1 La vie adulte entre logique éducative et logique formative


Lorsque la formation permanente acquiert sa pleine légitimité en l971, ce n’est que par accroc
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’on la qualifie d’adulte. En effet plutôt que de situer cette formation par rapport à ses prin-
cipaux destinataires, les adultes, on a préféré dès le départ la définir à partir des formes de
temporalités qu’elle était censée véhiculer. On voulait sans doute de ce fait signifier ce change-
ment de coordonnées temporelles dans lequel notre culture entrait à ce moment-là ; c’est ainsi
que dans ces années 1970, on a préféré recourir aux expressions formation permanente, voire
continue de préférence à formation pour adultes, par souci d’opposition à la formation initiale.
L’utilisation de telles expressions entendait néanmoins poser une question centrale sur la ou les
logiques d’apprentissage en cause : les adultes apprennent-ils de façon similaire ou différente
par rapport aux enfants ? Si ces adultes sont assimilables dans leurs modes d’apprentissage aux

237
Traité des sciences et des techniques de la formation

enfants, alors à l’instar de B. Schwartz, on parlera d’éducation permanente dans le sens d’une
éducation tout au long de la vie et on délaissera le concept de formation ; si en revanche on
reconnaît une différenciation plus ou moins radicale dans les modes d’apprentissage en fonc-
tion des âges, on gardera alors l’expression formation permanente spécifique de la vie adulte
apprenante que l’on opposera à la formation initiale enfantine.

Mais au-delà de ces débats méthodologiques sur l’acte d’apprendre, sur sa nature en fonction
d’une mobilisation ou pas de l’expérience constituée, on s’est finalement peu préoccupé de ces
destinataires très singuliers que sont les adultes. Il a fallu cette progressive déstabilisation de la
vie adulte engendrée par la mutation culturelle à laquelle nous assistons depuis quatre décennies
déjà et l’avènement de ce que, faute de mieux, on peut appeler la culture postmoderne, pour que
s’engage une réflexion de fond sur cet âge vécu désormais comme fragilisé. La courte histoire de
la formation permanente instituée nous montrerait d’ailleurs comment l’institution formation
permanente a d’un certain point de vue largement contribué pour des raisons qu’il nous faudra
inventorier à cette montée des fragilisations liées à la vie adulte.

1.2 L’âge de toutes les incertitudes


Près d’un demi-siècle après l’institutionnalisation de l’éducation/formation pour adulte, que
pouvons-nous dire de cette tranche d’existence aux délimitations mal définies ? Même si les
productions qui lui sont liées, spécialement dans notre contexte francophone, restent encore
trop peu nombreuses, nous pouvons néanmoins reconnaître qu’aujourd’hui l’expression vie
adulte est une notion qui s’est singulièrement enrichie par rapport à ce qu’elle évoquait encore
dans les années 1970. En effet à la réflexion, une telle notion, une fois mises de côté les évidences
qui la fondent et la norme qu’elle est censée incarner, s’avère être d’une grande fécondité de
compréhension. Pour justifier cette fécondité, nous aborderons la vie adulte à travers une plura-
lité d’entrées. Ces entrées par les éclairages complémentaires jetés et les problèmes posés ne
sauraient laisser les pratiques de formation indifférentes aux stagiaires concrets auxquels elles
s’adressent ; ces stagiaires ont quitté les rives de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse
balisées par quelques certitudes ; ils ont abordé à travers leurs itinéraires adultes des contrées
incertaines, le cas échéant inhospitalières et n’ont désormais d’autre encadrement à la disposi-
tion de leur autonomie que telle ou telle forme d’insertion, voire sont laissés à eux-mêmes sans
insertion bien identifiable. Dans tous les cas, ils doivent se bricoler pour le meilleur ou pour le
pire une expérience qu’il leur faut élucider pour tenter sans cesse d’avoir à la réorienter. C’est
dans un tel contexte que nous passerons donc successivement en revue les questions qui nous
semblent les plus saillantes vis-à‑vis de la situation de l’adulte aujourd’hui.

238
La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11

1.3 De la notion au concept buissonnier : rareté et abondance lexicales


Concernant la vie adulte, que dire d’une notion encore désuète voici peu dans la mesure où
elle évoquait spontanément la maturité, la norme, la référence, le modèle, en un mot l’âge de
l’évidence, c’est-à‑dire l’une ou l’autre forme d’ennui ? Chaque fois que nous parlons d’adulte,
nous sommes en présence d’un terme qui nous est certes doublement familier, renvoyant d’une
part à une expérience qu’il nous est donné de vivre nous-mêmes, d’autre part à un spectacle,
celui de tous ces adultes qui évoluent autour de nous. « Adulte », ce terme banal, a dans notre
langue le statut de qualificatif mais assez souvent est complaisamment utilisé comme substantif ;
originellement il ne dénomme donc pas un objet mais désigne un état, le fait d’avoir terminé
sa croissance. Ceci permet de comprendre la raison pour laquelle il fait partie du vocabulaire
des biologistes qui en recourant à lui veulent caractériser tout organisme, végétal, animal ou
humain ayant terminé sa croissance ; « adulte » s’oppose alors à « infantile », comme à « jeune »
ou « adolescent », ce dernier terme signifiant justement qui est en croissance (Boutinet, 2013).

Ce n’est que récemment, courant xxe siècle, que le terme « adulte » a été substantivé pour
caractériser l’âge de la maturité et combler un vide sémantique inquiétant, les autres âges ayant
déjà leur propre dénomination : le nourrisson, l’enfance, l’adolescence, la jeunesse, la vieillesse.
Seule l’étape médiane, la plus longue de l’existence, celle qui sépare la jeunesse de la vieillesse
n’avait pas encore de substantif correspondant pour la désigner.

L’âge adulte est devenu subitement en quelques années avec le xxe siècle finissant probléma-
tique et donc d’actualité, suscitant une création linguistique assez exceptionnelle à travers les
néologismes d’andragogie, de maturescence, d’adultescence, d’adultité, d’adultat, de carriéro-
logie sans parler d’anthropolescence et de maturité vocationnelle. À travers une telle richesse
lexicale subite, nous sommes vraiment en présence d’une préoccupation très contemporaine,
sans doute signe d’une effective mutation sociale et culturelle du statut de l’adulte confronté à
plusieurs défis, ceux de l’insertion, de la mobilité, de l’absence ou au contraire de la pléthore de
repères, à un allongement de l’existence, à une remise en cause identitaire.

2. Métamorphoses historiques des représentations


de la vie adulte

Prenons donc acte que la notion d’adulte a connu bien des vicissitudes et des fluctuations ; peu
employée jusqu’à la fin du siècle dernier, on lui préférait des locutions plus expressives comme
l’âge mûr, l’âge viril, exprimant par là le caractère profondément machiste de la société adulte

239
Traité des sciences et des techniques de la formation

de l’époque. Tout au long du xixe siècle, le terme « adulte » sera réservé de fait à la période de la
post-adolescence, celle qui correspondait à la fin de la croissance. Par la suite, idéal puritain et
idéal républicain malgré leurs apparentes oppositions vont montrer de secrètes convergences
jusqu’à la fin des années 1950 pour concevoir l’adulte alors identifié à l’âge de la majorité, plus
spécialement celui de l’homme, comme la norme de référence ; c’est l’aune à partir de laquelle
l’autre genre et les autres âges de la vie seront appréciés.

Or, au début des années 1960, le sociologue G. Lapassade nous invite à déconstruire cet
âge-étalon en nous interrogeant sur la norme adulte. Face aux différents changements socio-
techniques qui ne cessent d’assaillir l’adulte de ces années-là, un nouveau modèle tend à
s’imposer, centré non plus sur une pensée de la finitude et de la complétude, celle incarnée par
l’adulte-étalon mais sur une pensée de l’inachèvement et de l’autonomie concrétisée par l’adulte
en perspective. À une logique unitaire, G. Lapassade entend substituer une logique plurielle qui
préfigure une nouvelle période, celle de la postmodernité faite de la fin des évidences et de la
montée des interrogations autour des adultes. Désormais l’adulte se définit sur un mode dyna-
mique à travers ses propres réalisations telles que les psychologues américains avec O. Crites
les consigneront dans le Vocational Development. Cette perspective foncièrement optimiste
du développement adulte va marquer l’apogée de notre société industrielle de production avec
l’avènement dans les années 1970 d’un nouveau modèle culturel, celui du fossé des générations
cher à l’ethnologue M. Mead : dans une société moderne qui connaît ses premiers signes de
dérégulation, les filles et les fils préfiguratifs et anticipateurs s’opposent aux mères et aux pères
cofiguratifs qui eux-mêmes bousculés entre deux générations se heurtent à leurs propres mères
et pères postfiguratifs ; ce double fossé des générations s’exprimera à travers maintes turpitudes
familiales et scolaires de l’époque.

Les années 1980 voient s’effacer une telle opposition entre jeunes réformistes et visionnaires
d’un côté, adultes soucieux de s’adapter aux nouvelles exigences du temps présent d’un autre,
anciens gardiens de la tradition d’un troisième côté ; cet effacement interviendra avec l’avène-
ment de la culture postmoderne qui marque le passage d’une société centrée sur les processus
de production à une autre société soucieuse de valoriser les échanges communicationnels ; cette
nouvelle société à travers ses multiples informations, ses codes, ses réseaux tend à engendrer une
incertitude radicale chez l’adulte sur son devenir, un brouillage dans ses repères identitaires ;
pris dans un tourbillon de changements, sans solution bien identifiable, l’adulte semble laissé
seul face à lui-même, devant affronter conflits, crises, transitions. L’adulte à problèmes va donc
s’imposer de plus en plus en lieu et place de l’adulte en perspective.

Récemment, avec le tournant du siècle et du millénaire, on a vu poindre dans l’imaginaire


ambiant un nouveau modèle de vie adulte, l’adulte pluriel (Lahire, 1998) confronté dans une
société de la complexité à une pluriactivité de tâches et d’engagements ; cet adulte est de plus

240
La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11

en plus souvent amené à devoir développer des stratégies de conciliation par exemple de ses
activités familiales et domestiques avec ses activités professionnelles. Les deux dispositifs fran-
çais périphériques à la formation continue et mis en place depuis une génération du bilan de
compétences et de la validation des acquis de l’expérience sont tout à fait caractéristiques de
ce modèle émergent.

Ainsi en moins d’un demi-siècle nous sommes passés successivement par quatre représentations
dominantes de la vie adulte ; des années 1950 aux années 1965, l’adulte-étalon associé à l’une ou
l’autre forme de maturité bien identifiée a dominé ; de ces années 1965 jusqu’aux années 1980
s’est progressivement constitué un nouveau modèle de vie adulte, celui de l’adulte en perspective
centré sur sa propre maturation et ses potentialités ; à partir des années 1980 se développe sous nos
yeux une sorte d’anti-modèle, l’adulte à problèmes caractérisé par un sentiment d’immaturité dû
à une plus grande vulnérabilité ; c’est de cet anti-modèle que semble émerger aujourd’hui l’adulte
pluriel, comme défi à cette vulnérabilité.

3. La vie adulte comme production d’une histoire personnelle


L’une des dimensions constitutives de la vie adulte qui suscite aujourd’hui de nombreux
travaux est celle de l’histoire personnelle. Cette dernière dans sa dynamique a remplacé le
concept plus statique de personnalité propre à l’ère de l’adulte-étalon. Au-delà du développe-
ment plus ou moins chaotique d’un itinéraire de vie adulte, au-delà des transitions vécues de
façon plus ou moins désordonnée, cette histoire personnelle à explorer fournit une logique à
décrypter pour rendre compte de l’ordonnancement des différentes séquences biographiques.
Elle exprime une signification forte ramassant à travers les deux mots qui la nomment, un
substantif et un qualificatif, histoire personnelle, ce qui fait simultanément l’universalité et la
singularité d’une expérience adulte.

3.1 Être adulte, une histoire


L’expérience au travers de l’itinéraire qui l’organise évoquera toujours un échantillon représen-
tatif, si modeste soit-il, de la condition humaine dans l’extrême diversité de ses manifestations. Il
s’agit en effet d’une histoire qui se donne dans sa temporalité simultanément comme mémoire et
anticipation intégrant sur un mode dynamique mais à sa façon une pluralité d’expériences vécues,
ces dernières ne prenant de sens que par rapport aux expériences à vivre. Au travers de ses soubre-
sauts, cette histoire est sous-tendue par un fil conducteur ou un faisceau de fils qui lui confère une
certaine cohérence. Celle-ci se concrétise dans une certaine façon d’être-au-monde, de lire les

241
Traité des sciences et des techniques de la formation

événements et d’y réagir, de chercher à s’émanciper de la situation momentanée ou au contraire


de sombrer dans telle ou telle forme d’assujettissement. Cette histoire lacunaire, comme toute
histoire, partiellement verbalisée, donc en cours d’explicitation par l’adulte lui-même interroge
et s’interroge sur ce qui s’est passé pour mieux le comprendre et tenter de maîtriser autrement
une forme de devenir. Une telle histoire est marquée par sa plus ou moins grande ouverture
sur de nouveaux possibles. Elle n’est jamais terminée mais profondément inachevée tout en se
sachant limitée, doublement limitée, par les contraintes actuelles et par une fin inéluctable en
partie déniée.

3.2 Une histoire porteuse de singularité


Parler d’histoire personnelle, c’est par ailleurs reconnaître une certaine idiosyncrasie dans la
façon par laquelle les événements vécus se sont tramés et ont été intériorisés : il faudrait à ce sujet
évoquer avec L. Binswanger, au-delà de la trame événementielle, l’histoire intérieure de la vie
comme constitutive d’une singularité destinée toujours à nous échapper. Les journaux intimes,
les récits autobiographiques rédigés sous forme de mémoires, les pratiques actuelles en plein
essor autour des récits de vie ou histoires de vie sont des témoins de l’affirmation d’une singula-
rité qui par des mots essaie de se dire. L’histoire développée tout au long du récit et les méandres
par lesquels cette histoire se laisse saisir, manifestent en effet une singularité certaine, celle qui
se déploie dans un espace et un temps eux-mêmes singuliers. De telles singularités expriment
l’individuation croissante de toute histoire personnelle en même temps qu’elles composent
paradoxalement avec des marques particulières de socialisation elles-mêmes de plus en plus
déterminantes lors des avancées en âge.

3.3 Une histoire qui se laisse saisir par des paradigmes bien typés
Il est donc difficile de caractériser chaque histoire de vie adulte ; nous nous garderons de
réduire cette histoire, comme ce fut le cas avec les études sur les structures de personnalité, à
quelques types émergents liés à des dispositions originelles ou à des contraintes environnemen-
tales ; le déterminisme en ce domaine est trop simplificateur. On pourra simplement rapprocher
les parcours observés pour tenter avec plus ou moins de bonheur de les classer ; on distinguera
alors une trame séquentielle faite de régularités bien identifiables, une trame exprimant une
grande diversification dans les choix effectués par rapport à une trame de déclin et de repli
quasi irréversible ; on isolera des trames statiques caractérisées par un processus de stabilisation
durable en contraste avec des trames faites d’expansion conquérante en direction d’espaces
sociaux de plus en plus larges à maîtriser, des trames éclatées en plusieurs centres d’intérêt par
rapport à des trames en zigzag faites de continuelles transitions…

242
La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11

4. Étapes, crises, transitions au cours de la vie adulte,


à quel prix ?

Parler de trame, c’est évoquer un fil conducteur autour duquel oscillent des éléments flottants
au sein d’un environnement de mobilité dans lequel les individus sont désormais immergés. Mais
dans leurs parcours de vie, les adultes entretiennent une relation ambivalente avec la mobilité ; ils
ont appris ces dernières années à se soucier moins d’une place à conquérir et à préserver, ce qui fut
pendant longtemps leur principale préoccupation, que désormais d’un itinéraire à construire : ceci
implique une mobilité qu’il leur faut aménager mais qu’ils redoutent autant qu’ils la souhaitent.

4.1 Questions autour de la mobilité


D’un certain côté les environnements techniques marqués par l’innovation et l’obsolescence
avec leurs aspects coercitifs associés à la triple tutelle des coûts, des délais et de la qualité poussent
les adultes au changement et au renouvellement continuel ; car les choix à l’ère postmoderne
ne peuvent plus s’installer dans une permanence dans le temps ; ils deviennent constamment
révisables et réactualisables. D’un autre côté, dans les contextes de crise larvée caractéristiques
de notre postmodernité, cette mobilité exigée est rendue plus difficile avec un marché de l’em-
ploi fort capricieux et déprimé : les changements de poste, les reconversions professionnelles
demeurent problématiques, les offres d’emploi sont refermées sur un nombre restreint d’oppor-
tunités. L’adulte vit donc l’ambivalence de la mobilité : mobilité désirée face à une organisation
du travail vécue comme contraignante et insupportable pour un adulte scolarisé, mais mobilité
crainte suscitée par un outil de travail susceptible d’être remis en cause du jour au lendemain
sous la pression des mutations économiques. C’est dans une telle ambivalence que les adultes
auront à se créer par eux-mêmes à l’aide de stratégies volontaristes un itinéraire possible de
changement, en s’aidant de la formation et des mesures qui lui sont liées : bilan individuel de
compétences, congé individuel de formation, crédit de formation individualisé… À côté de
cette formation diversifiée mise à la disposition des adultes, les pratiques d’accompagnement
deviennent de plus en plus répandues pour conforter les adultes dans leur autonomie face aux
vicissitudes et aux fragilités auxquelles ils se trouvent confrontés (Boutinet et coll., 2007).

4.2 
Cycles de vie et crises de la vie adulte
Ces facettes opposées de la mobilité tant objective que subjective génèrent davantage que
par le passé des périodes de développement chaotique ; l’expérience adulte devient tributaire de
crises, de choix déstabilisants, de reconversions plus ou moins forcées, de transitions pour se

243
Traité des sciences et des techniques de la formation

lancer dans une nouvelle expérience à moins de sombrer dans l’inactivité. La vie adulte s’organise
ainsi, peut-être d’ailleurs de plus en plus, autour de phases d’ajustement, d’expansion, d’apogée,
de remise en question, de repli, de nouveau redéploiement schématisant ce que le psychologue
américain D. Levinson a dénommé les cycles de vie.

Avec l’effacement des rites qui jalonnaient traditionnellement le cours d’une existence, nous
nous trouvons en présence d’une perte d’automaticité, de régularité et d’uniformité des étapes
qui planifiaient la vie adulte ; ces étapes, qui constituaient tout calendrier biographique, sont
tributaires dorénavant de choix, de perspectives sans cesse à réactualiser, d’accidents à conjurer
ou à assumer ; les cycles de vie deviennent de plus en plus irréguliers et imprévisibles. Orphelins
d’une maturité possédée qui désormais leur échappe, les adultes doivent affronter des crises
faisant de leur développement psychologique dans le meilleur des cas plus un développement
en spirale qu’un développement linéaire ; ce développement passe par des moments de struc-
turation de l’expérience, des moments de déstabilisation, des moments de rupture et de crise,
des moments de possible recomposition, ce qui pourrait s’apparenter à un modèle en escalier
(Riverin-Simard, 1993).

4.3 L’aménagement de transitions : transitions anticipées,


transitions non anticipées
Le phénomène de crise exprime une incertitude existentielle à gérer au sein d’une zone
intermédiaire d’expérience que nous dénommerons transition. Cette transition dans sa double
dimension spatiale et temporelle est vécue comme un passage entre deux étapes ; elle vise à
aménager une expérience de discontinuité sur un itinéraire. Cette expérience par la séparation
qu’elle comporte entre le moment actuel et l’étape précédente implique un détachement, une
déprise, en un mot un deuil à vivre pour franchir un nouveau seuil existentiel.

Les transitions au cours de la vie adulte sont assumées sur un mode très différent selon qu’elles
sont anticipées ou non. La transition imposée par les événements, c’est-à‑dire non anticipée,
surprend l’individu ; elle s’apparente plus directement à la crise à travers l’irruption d’un imprévu
déstabilisant avec lequel il va falloir composer pour trouver une issue opportune. Par le scénario
catastrophe qu’elle implique, une telle transition va laisser l’adulte dans une position vulnérable.
Trouver une issue à la crise, c’est se donner de nouveaux repères faute desquels la transition
va échouer, l’adulte étant alors relégué dans une situation d’attente, de transit plus ou moins
prolongé, une sorte de non-lieu avant d’être renvoyé à un statut plus précaire.

En contraste le cas des transitions anticipées correspond à des situations de vigilance et


d’attente active qui ne sauraient surprendre l’individu ; ce dernier a déjà inventorié des ripostes

244
La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11

possibles qui vont se concrétiser dans une transition volontariste ; celle-ci, parce que prévisible,
va inclure peu d’effet de crise ; on distinguera néanmoins deux sortes de transition anticipées :
–– une transition anticipée, entrevue et acceptée mais non souhaitée : ce cas de figure s’appa-
rente à une prévention prise en échec ; elle nécessite de la part de l’adulte des stratégies
alternatives pour conjurer l’indésirable survenu et pourra s’accompagner de formes de
crise larvée ;
–– une transition anticipée désirée, le cas échéant préparée : une telle transition correspond à
la figure anticipatrice du projet cherchant par différents moyens à faire advenir des lende-
mains désirés ; elle peut s’apparenter à la prévision si la transition souhaitée est simplement
escomptée.

5. Temporalités significatives au sein de la vie adulte


Une autre façon de saisir la dynamique de la vie adulte est de l’appréhender à un moment repé-
rable de son développement. On distinguera alors quatre périodes tout à fait contrastées dans le
cours d’une vie adulte : celles du jeune adulte, de l’adulte du mitan de la vie, de l’adulte accompli,
de l’adulte en retrait ou en retraitement.

5.1 Le jeune adulte


Au sortir de sa formation initiale, le jeune dans les années 1970 acquérait vite un statut d’adulte
à 20-25 ans à travers une insertion professionnelle quasi immédiate. Actuellement la formation
initiale de plus en plus longue est souvent suivie d’une période de sas, le sas d’insertion qui est
fait d’une attente pouvant avoisiner plusieurs mois, voire plus d’une année ; au cours de cette
période, des insertions partielles, provisoires, sont susceptibles de donner lieu à de premières
expériences professionnelles ; c’est de ces fluctuations que le statut d’adulte va progressive-
ment émerger au fur et à mesure que se concrétisera pour lui sa double insertion sociale et
professionnelle : construction d’une vie de couple et d’une famille, engagement dans un travail
professionnel, deux lieux traditionnels de réalisation du jeune adulte en partie remis en cause
depuis une génération. Lorsque la remise en cause n’est pas trop forte, le jeune adulte peut se
mobiliser à travers ce qu’il fait pour valoriser dans son impatience une création hâtive conduisant
à l’affirmation de soi à travers l’une ou l’autre forme de maturité vocationnelle. Le processus de
maturation et d’actualisation des potentialités sera ainsi facilité s’il y a résolution de l’indécision,
adaptation à de nouveaux rôles, acquisition de nouvelles compétences, acceptation positive de
l’incertitude, tous processus favorisés par la durée d’expériences structurantes qui déjouent les
temporalités de l’immédiateté aujourd’hui trop présentes. C’est dire que la constitution d’une

245
Traité des sciences et des techniques de la formation

expérience pour le jeune adulte est rendue difficile dans des environnements trop contraignants
et instables de notre société postindustrielle.

5.2 L’adulte du mitan de la vie


Le mitan de la vie évoque des repères souvent imaginaires et comporte donc un caractère
quelque peu mythique avec son ambivalence propre à tout espace sacral ; le milieu de la vie
c’est en effet un sentiment de maturité mais aussi le démon de midi ; c’est le moment exis-
tentiel, approximatif dans ses délimitations chronologiques, à partir duquel chez l’adulte il
y a déplacement de la perception du temps allant du temps déjà vécu vers le temps restant
à vivre. Au-delà du mythe, nous pouvons identifier un sentiment propre aux personnes qui
ayant franchi plusieurs décennies de leur vie en viennent à éprouver alors à la fois expérience
et lassitude. Ces personnes qui ont capitalisé réussites et échecs peuvent être prêtes pour un
nouveau départ en ayant l’espoir d’avoir encore plusieurs décennies à vivre devant elles. Ce
sentiment évanescent dépend largement des histoires personnelles et des contextes cultu-
rels ; il ne saurait se laisser enfermer dans une approche trop déterministe et réductrice. Le
mitan de la vie est beaucoup plus un mitan psychologique qu’arithmétique, systématiquement
déplacé vers la seconde moitié de l’existence, aujourd’hui quelque part entre 45 et 55 ans. Les
personnes qui s’estiment être au mitan de leur vie se réévaluent elles-mêmes en examinant
leurs réalisations et les valeurs susceptibles de les légitimer. Elles prennent acte beaucoup
plus qu’auparavant du temps limité, ce temps désormais qui leur est compté. Pour certains
adultes, le mitan prendra la forme d’une simple transition alors que d’autres le vivront sur le
mode de la crise.

5.3 L’adulte accompli


Parler d’adulte accompli, c’est recourir à une formulation proche de l’euphémisme si elle
postule que tout adulte avancé en âge peut témoigner d’une forme certaine de réalisation de
soi ; mais l’accomplissement prend ici un sens tout à fait approprié si l’on considère l’adulte
au-delà du mitan de la vie comme déjà largement structuré par les trajets antérieurement
réalisés, trajets qui vont peser de leurs déterminations pour le temps qu’il reste à vivre. Cet
adulte de l’au-delà du mitan a pu s’accomplir au travers de situations vécues très contrastées
donnant lieu pour les uns à intense satisfaction et enthousiasme, pour d’autres à remords,
regrets, nostalgie, voire résignation et ennui. L’adulte accompli a certes connu des ruptures
existentielles mais il a pu opérer un nouveau déploiement de ses énergies et potentialités,
qui l’introduit dans l’acmé, communément appelé force de l’âge. En opposition à la créativité
hâtive du jeune adulte, l’acmé favorise chez l’adulte accompli une autre forme de créativité,

246
La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11

celle-là dénommée sculptée1 car soucieuse de maîtrise et de perfection. L’adulte accompli,


c’est-à‑dire réalisé par le parcours qui a structuré jusqu’ici son histoire, est en même temps
cet adulte qui commence à entrevoir dans son horizon temporel, un possible désengagement
vers la retraite.

5.4 L’adulte en retrait ou en retraitement


Parvenu à l’âge de la retraite, un âge qu’il s’est choisi, qu’il a négocié ou simplement l’âge
institué qu’il a pris en compte, l’adulte senior garde trois possibilités. La première qui s’offre à
lui est celle du retrait proprement dit en se désengageant de son implication dans les espaces
sociaux qui lui sont familiers pour s’adonner à des activités libres, quitte à vivre à contrecœur ce
désengagement. Une autre possibilité est celle de se maintenir dans des activités similaires aux
précédentes avec un statut à redéfinir. Une tout autre option est pour le senior de mettre à profit
la nouvelle liberté qui lui est offerte, pour retraiter ses capacités dans de nouvelles activités de
son choix, là où il a toujours voulu se réaliser sans jamais le pouvoir. Quoi qu’il en soit, la période
du séniorat est aujourd’hui une période paradoxale faite alternativement ou simultanément de
tourment et de sérénité en lien avec une retraite redoutée ou un état de santé qui peut inquiéter,
l’un et l’autre cohabitant avec une forme de libération existentielle permettant d’entrevoir cette
nouvelle période d’inactivité comme un temps offert de d’initiative et d’épanouissement.

5.5 Les invariants de la vie adulte


Un sentiment relativement stable cohabite paradoxalement avec les incessantes variations et
mobilités existentielles que l’adulte est présentement amené à gérer au cours de son itinéraire
de vie. En effet cet adulte emporte avec lui tout au long de son parcours un certain sentiment
de ce qu’il est, de la façon par laquelle il se perçoit, s’estime, se déteste, se reconnaît, se fuit…
Ce sentiment selon son contenu, plus intellectuel dans certains cas, plus affectif dans d’autres,
prendra la dénomination de concept de soi ou d’image de soi. Un tel sentiment est à la base de
la construction identitaire. Le sentiment identitaire évolue lentement car il s’appuie sur des
éléments permanents qui constituent le cadre structurel de la vie adulte ; ces éléments s’orga-
nisent en deux ensembles : le premier est fait d’éléments extérieurs, organisateurs de la vie
quotidienne, tels ceux de la famille, des initiations scolaires ou du travail ; le second est tissé
d’éléments internes organisateurs de la subjectivité, tels que les valeurs évoquées à caractère

1. Ces deux formes de création, la création hâtive du jeune adulte, la création sculptée de l’adulte accompli ont
été mises en valeur par E. Jacques ; cf. en traduction française « Mort et crise du milieu de la vie », in D. Anzieu
(1974). Psychanalyse du génie créateur, Paris, Dunod.

247
Traité des sciences et des techniques de la formation

idéologique ou religieux, la référence à la génération d’appartenance, l’identification à un genre


déterminé, au-delà de l’appartenance sexuelle.

6. Les défis de la vie adulte dans une société postindustrielle


L’avènement d’une civilisation de l’immatériel dans un environnement à dominante commu-
nicationnelle nous fait quitter une culture centrée sur la verticalité des rapports sociaux pour
nous amener vers l’exploration de l’horizontalité, celle des différents réseaux d’échange au sein
desquels se meut aujourd’hui l’adulte. Face à une pléthore des communications, nous assistons
à une banalisation et à une relativisation des informations transmises. Ces informations jouent
de façon contradictoire de la transparence et de l’opacité et contribuent à édifier un paysage
brouillé au sein duquel se meut l’adulte. Par ailleurs, de par la place qu’elles tiennent, ces infor-
mations privent bien souvent cet adulte d’action : occupé continuellement à communiquer, il
agit de moins en moins, c’est-à‑dire de plus en plus de façon désordonnée. Dans ce nouveau
contexte civilisationnel et culturel, la vie adulte se trouve confrontée à de nouveaux défis que
nous ne ferons ici qu’évoquer (Boutinet, 2013).

6.1 L’adulte face à son propre vieillissement et le tabou de l’âge


Dans une société postmoderne qui reste profondément hédoniste et cultive toujours le mythe
de la jeunesse, l’adulte est mis à l’épreuve par le fait de devoir gérer son propre vieillissement ;
il lui faut expérimenter de façon plus ou moins maladroite, voire plus ou moins honteuse dans
une société marquée par le jeunisme, son avancée en âge à travers un itinéraire issu d’un subtil
mélange de désir de maîtrise et de crises. Cette avancée en âge, lorsqu’elle est mal vécue, exprime
le symptôme d’une temporalité difficilement acceptée ou pour le moins envisagée de façon réduc-
trice et assimilée bien souvent à une nostalgie de la continuité. Dans une société de la mobilité,
se libérer au moins partiellement du tabou de l’âge, c’est préférer opter pour un parcours de vie
adulte fait de bifurcations, de détours et souvent qualifié par l’intéressé d’atypique, plutôt que
de se réfugier dans un curriculum assimilable à une trajectoire qui renvoie à l’automaticité et
l’uniformité des étapes susceptibles de jalonner le cycle de vie.

6.2 L’adulte en souffrance identitaire par mal de reconnaissance


Le sentiment identitaire par lequel l’individu se saisit lui-même dans sa permanence et l’accep-
tation de ce qui le différencie prend aujourd’hui des allures déficitaires tout à fait spécifiques

248
La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11

d’un mal de reconnaissance (Honneth, 2000) ; bon nombre d’adultes souffrent dans leur identité,
c’est-à‑dire dans leur incapacité à s’affirmer (Bandura, 2003), dans un déficit de leur estime de
soi parce qu’ils n’ont pas l’impression d’être reconnus par les organisations qu’ils côtoient, faute
de se sentir différenciés dans ce qui fait la singularité de leurs parcours. L’adulte postmoderne
garde le sentiment de vivre des pertes identitaires importantes, un effacement des marqueurs
familiaux, professionnels et autres susceptibles de le définir : il ne se reconnaît plus dans son
identité pour soi et il ne se sent plus reconnu dans son identité pour autrui (Dubar, 1991).

6.3 L’adulte mis à l’épreuve de situations limites à vivre


L’adulte est par ailleurs sollicité par maintes situations destinées à le faire aller aux limites de
lui-même, ces situations extrêmes qu’il lui faut affronter, qui lui sont imposées dans certains cas,
qu’il a choisies dans d’autres cas lorsque le défi ne vient pas jusqu’à lui. De telles situations sont
liées à l’accident, à la perte, au deuil, à une maladie gravissime mais aussi à l’exploit à réaliser,
sportif, médiatique, professionnel, spirituel afin de faire la preuve de soi-même par soi-même ;
elles deviennent imparables dans les exigences qu’elles imposent en sollicitant en réponse, des
stratégies appropriées de prise d’initiative et de riposte pour éviter de succomber à la coercition :
stratégies d’ajustement dans certains cas, stratégies de substitution dans d’autres ou encore stra-
tégies de résilience ou de mobilisation d’un ressort insoupçonné (Fisher, 1994). La vie adulte fait
donc l’expérience au cours de plusieurs décennies d’existence, d’une mise à l’épreuve qu’impose
le réel dans son imprévisibilité au travers de situations périlleuses.

6.4 L’adulte confronté à l’obsolescence de ses savoirs


en apprentissage permanent
Confronté à une obsolescence généralisée des savoirs, à un renouvellement permanent des
réseaux informationnels, l’adulte se sent en métamorphose cognitive, cherchant à réactualiser,
prolonger, réorienter ses apprentissages antérieurs. Plus qu’hier, il ne peut survivre à cette
société informationnelle que s’il se campe dans une position de perpétuel apprenant soucieux
de digérer les changements incessants qui lui sont présentés. Dans une continuelle démarche
d’apprenance, il lui faut donc sans cesse devoir retraiter ses repères cognitifs (Carré, 2005).

Ce retraitement va se faire principalement par le biais des apprentissages informels, ceux


qui jalonnent une expérience et se concrétisent dans l’émergence de nouvelles compétences.
Il continuera aussi à se faire par l’intermédiaire de la formation continue instituée ; mais cette
dernière associée depuis une trentaine d’années aux pérégrinations cognitives de l’adulte a malgré
elle, installé chez lui des fragilisations et des précarités ; de ce fait, la formation permanente a

249
Traité des sciences et des techniques de la formation

changé de nature ; elle devient présentement moins tentaculaire pour laisser de plus en plus
souvent la place à des logiques d’aide individualisantes, hybrides entre formation et thérapie,
telles celles de l’accompagnement par lesquelles l’accompagnant(e) personnalise son soutien
pour conforter le maintien d’un adulte aux prises avec une situation difficile (Boutinet et al.,
2007). Les pratiques d’accompagnement au cours des vingt dernières années ont connu une très
large diffusion dans tous les champs professionnels et existentiels, ce à tous les âges de la vie, de
l’accompagnement de la parturiente à l’accompagnement de la personne en fin de vie, sortant
même du champ professionnel pour s’ouvrir au bénévolat.

6.5 L’adulte volontariste et la tyrannie de ses décisions


Dans une culture de l’acteur, l’adulte est mis dans l’obligation de plus en plus fréquente d’avoir
à se mettre en scène, à se décider par lui-même, à se déterminer dans ses responsabilités, ses
projets, ses choix, en précisant sans arrêt ses intentions en guise de légitimation, dans un envi-
ronnement qui lui demande continuellement des comptes. Les cultures postmodernes sont des
cultures volontaristes (Boutinet, 1998) à un niveau sans doute encore jamais atteint jusqu’ici par
aucune autre qui les a précédées. Il est ainsi actuellement demandé à chaque adulte d’avoir à se
justifier à travers une multiplicité de projets individualisants, émergents, structurants… pour la
moindre démarche à faire. Cette obligation est source d’épuisement et de déréliction (Ehrenberg,
1998). La montée des volontarismes se manifeste souvent de se décider sémantiquement sous
une forme pronominale qui impose de devoir projeter, de s’insérer, de s’orienter, de se former
pour mener à bien son parcours de vie ; on mesure ici la place prise par l’individualisation des
comportements mais aussi les risques qui lui sont liés : risque de s’illusionner, de sombrer dans
l’activisme, de se laisser désabuser (Boutinet, 2007).

250
La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11

Lectures conseillées
Bandura A. (2003). Auto-efficacité, le sentiment Ehrenberg A. (1998). La Fatigue d’être soi, dépres-
d’efficacité personnelle, Bruxelles, De Boeck. sion et société, Paris, Odile Jacob.
Boutinet J.-P. (2013). Psychologie de la vie adulte, Fisher G. (1994). Le Ressort invisible, vivre l’ex-
Paris, PUF. trême, Paris, Le Seuil.
Boutinet J.-P., Denoyel N., Pineau G., Robin J.-Y., (2007). Honneth A. (1992-2000). La Lutte pour la recon-
Penser l’accompagnement adulte, Ruptures, naissance, Paris, Le Cerf.
transitions, rebonds, Paris, PUF. Lahire B., (1998). L’Homme pluriel, les ressorts de
Carré Ph. (2005). L’Apprenance, vers un nouveau l’action, Paris, Nathan.
rapport au savoir, Paris, Dunod. Riverin-Simard D. (1993). Transitions profession-
Dubar C. (1991). La Socialisation, construction des nelles, choix et stratégies, Québec, Les
identités sociales et professionnelles, Paris, Presses de l’université Laval
Armand Colin.

251
Chapitre 12
Vieillissement, apprentissage
et formation1

1. Par Even Loarer et Catherine Delgoulet.


Sommaire
1. Effets du vieillissement sur la cognition................................................................ 256
2. Les seniors et la formation.................................................................................... 262
3. Comment promouvoir le développement
de la formation des salariés seniors ?.................................................................... 263
4. Conclusion............................................................................................................. 268
Lectures conseillées.................................................................................................. 269
De nombreux pays industrialisés connaissent depuis les années 1990 une évolution sensible de
la structure d’âge de leur population, se traduisant par un vieillissement global. Cette évolution va
s’accentuer encore dans les années à venir, bouleversant les équilibres démographiques actuels.
Plusieurs facteurs sont à l’origine de ces évolutions, notamment l’augmentation de l’espérance
de vie et la diminution générale du taux de fertilité.

Si la population dans son ensemble a tendance à vieillir, il en est de même pour la population
active. En France, le vieillissement de la population active y est même plus rapide que celui de
la population entière car deux phénomènes renforcent la tendance. Le premier est l’entrée
tardive des jeunes dans la vie active du fait du rallongement moyen de la scolarité. Le second
est lié à l’allongement de la durée de vie professionnelle et donc à un départ plus tardif à la
retraite. Ainsi, entre 1995 et 2025, la proportion des plus de 50 ans dans la population active
aura doublé (passant de 18 % à 36 %). La proportion de seniors dans les entreprises va donc
fortement augmenter dans la période à venir1.

Ces évolutions ne se font pas sans difficultés. En France, les politiques menées jusqu’aux
années 2000 concernant la fin de la vie active ont entraîné une mise à la retraite précoce de
nombreux salariés quinquagénaires. Il en a résulté une grande méconnaissance de la part des
entreprises de ce que sont les salariés âgés. À l’heure où les entreprises prennent progressi-
vement conscience des effets des évolutions démographiques sur leur personnel, force est de
constater que les effets du vieillissement sur les compétences professionnelles sont mal connus
et souvent compris en termes exclusifs de déficit. Cela engendre non seulement des représenta-
tions négatives concernant les capacités et compétences des travailleurs âgés, mais également des
pratiques de gestion des ressources humaines désastreuses, notamment en matière de formation,
de recrutement, d’affection ou simplement de maintien dans l’emploi. Les victimes en sont les
salariés âgés mais également les organisations qui se privent d’une partie importante et essen-
tielle de leurs ressources.

On constate ainsi que le taux d’emploi de la catégorie des travailleurs les plus âgés (de 55 à
64 ans) bien que progressant, est en France l’un des plus bas d’Europe : 47,0 % d’entre eux étaient
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

actifs en emploi en 2014, alors même que les recommandations européennes fixaient à l’horizon
2010 un taux moyen d’emploi de 50 % de cette tranche d’âge. On constate également que l’accès
à la formation est très différencié selon l’âge. À partir de 45 ans, l’accès à la formation continue
baisse pour les actifs en emploi et se réduit encore plus au-delà de 55 ans. Les personnes de
55-59 ans y accèdent 2,2 fois moins que les jeunes de 25-29 ans.

1. O. Filatriau (2011). « Projections à horizon 2060. Des actifs plus nombreux et plus âgés », Insee Première,
n° 1345.

255
Traité des sciences et des techniques de la formation

Nous ferons ici un point des connaissances relatives à la façon dont les ressources intellec-
tuelles, les performances professionnelles et la façon d’apprendre ont tendance à évoluer avec
l’âge et identifierons un certain nombre de principes à considérer pour favoriser le dévelop-
pement des compétences et la réussite de la formation tout au long de la vie professionnelle.

1. Effets du vieillissement sur la cognition

1.1 Évolution des connaissances sur le vieillissement cognitif


Les premiers travaux mesurant l’évolution de l’intelligence chez l’adulte sont apparus dans
les années 1930 et ont été menés selon la méthode transversale. Elle consiste à comparer les
résultats à des tests d’aptitude intellectuelle de groupes de sujets d’âges différents et à inférer
le développement de l’intelligence durant la vie à partir des performances moyennes observées
aux différents âges. Les données fournies par ces études ont étayé un modèle du développement
de l’intelligence de l’adulte se présentant sous la forme d’un accroissement des capacités intel-
lectuelles jusqu’à environ 20 ans, âge à partir duquel débute un déclin régulier qui s’accélère
ensuite vers 60 ans. C’est encore ce modèle qui alimente très largement la représentation que
le grand public a de l’intelligence de l’adulte. Selon cette représentation, le vieillissement est
synonyme de déclin intellectuel. Pourtant, les recherches plus récentes viennent largement
nuancer voire invalider cette conception.

On a en particulier découvert que les études transversales étaient affectées par un biais
méthodologique résultant de « l’effet de cohortes » appelé encore « effet de générations ». Dans
ces études, on ne compare pas seulement des sujets d’âges différents mais aussi des sujets de
générations différentes. Les résultats caractérisant les différents âges n’étant pas obtenus sur
les mêmes sujets, l’effet attribué à l’âge peut en réalité être dû, totalement ou partiellement,
aux différences entre générations. C’est ce qu’a mis en évidence Flynn, dans les années 1980. Il
décrit une tendance à l’augmentation des résultats dans les tests de raisonnement logique d’une
génération à l’autre. Ce phénomène est désormais incontestablement avéré mais ses origines sont
probablement multiples et encore largement inexpliquées (Flieller, 2001)1. Il est probable qu’y
contribuent fortement les différences de conditions de vie entre générations : éducation, santé,
activités, stimulations intellectuelles, etc. Pour ces raisons, le modèle de l’évolution de l’intelli-
gence issu de l’approche transversale a été remplacé par un autre, issu d’études longitudinales,

1. A. Flieller (2001). « Problèmes et stratégies dans l’explication de l’effet Flynn », in M. Huteau (éd.). Les Figures
de l’intelligence, Paris, EAP.

256
Vieillissement, apprentissage et formation ■ Chapitre 12

consistant à suivre dans le temps les mêmes personnes, et d’études appelées « transverso-séquen-
tielles » qui combinent les approches longitudinales et transversales.

Un vaste courant de recherche, développé à partir des années 1970 aux États-Unis et en
Europe, a contribué, par des études longitudinales et transverso-séquentielles, à renouveler les
connaissances sur l’intelligence de l’adulte. L’approche adoptée y est celle d’un développement
tout au long de la vie (life span development) en rupture avec l’idée d’une croissance s’arrêtant
à l’adolescence et d’un âge adulte principalement marqué par le déclin.

Il ressort de ces travaux trois informations majeures :


1. La tendance au déclin des aptitudes cognitives est réelle mais celui-ci n’est pas aussi précoce
que les études transversales l’indiquaient. C’est ainsi ce que constate Schaie (1996) dans la
remarquable étude longitudinale lancée à Seattle en 1956 et qui a suivi tous les 7 ans durant
42 ans un large échantillon de sujets (de 25 à 88 ans pour certains d’entre eux). L’étude montre
que les performances dans des épreuves de capacités intellectuelles (le test des Primary
Mental Abilities de Thurstone) ne commencent en moyenne à décroître significativement
qu’après 60 ans.
2. L’évolution des capacités cognitives n’est pas homogène. On a pu distinguer celles qui ont
tendance à décliner avec l’âge et celles qui ont tendance à se maintenir, voire à progresser.
Cette distinction a été faite initialement en 1966 par les psychologues Horn et Cattel qui
décrivent une « intelligence fluide (Gf) » et une « intelligence cristallisée (Gc) ». Les aptitudes
qui relèvent de Gf sont relatives au traitement de l’information : raisonnement, attention,
traitement perceptif, mémoire… et ont tendance à décliner avec l’âge. Celles qui relèvent
de Gc sont alimentées par l’expérience, les connaissances et la culture et ont tendance à
croître avec l’âge. Cette distinction a été reprise plus récemment par plusieurs auteurs tels
que Baltes (1987).
3. L’évolution des capacités cognitives présente de grandes différences interindividuelles. Les
données de l’étude longitudinale de Seattle montrent que les effets de l’avancée en âge sur
les aptitudes ne sont pas les mêmes pour tout le monde : les déclins n’apparaissant pas pour
tous, pas dans le même ordre, ni au même moment, ni avec la même intensité. Ainsi, plus les
personnes avancent en âge et plus les différences interindividuelles augmentent.

257
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.2 Apports complémentaires de la psychologie cognitive


Durant ces trente dernières années, le développement de la psychologie cognitive, étudiant
selon des protocoles expérimentaux la façon dont l’être humain traite l’information, a permis
d’accéder à une compréhension plus fine du fonctionnement cognitif et de sa sensibilité aux
effets de l’âge que ne le permettait l’approche par les tests. Cela a permis de mettre en évidence
la sensibilité au vieillissement de certains processus cognitifs de base tels que la mémoire de
travail, la vitesse de traitement ou encore l’attention sélective.

1.2.1  Vieillissement et mémoire de travail


La mémoire de travail est la ressource cognitive qui permet de conserver temporairement
des informations en mémoire de façon à permettre d’opérer sur elles un traitement (une série
de calculs par exemple). La mémoire de travail est impliquée dans un très grand nombre d’acti-
vités intellectuelles. Les études sur le vieillissement ont montré que la quantité d’information
stockée temporairement (empan mnésique) ainsi que la capacité à maintenir disponible en
mémoire de l’information afin d’y opérer un traitement, ont tendance à baisser avec l’âge.

1.2.2 Vieillissement et vitesse de traitement


La vitesse de traitement de l’information, estimée en fonction du temps nécessaire pour faire
des opérations cognitives simples, a également tendance à présenter une corrélation négative
avec l’âge, ce qui amène les chercheurs du domaine à parler de ralentissement cognitif. Ce
ralentissement, qui présente également une grande variabilité interindividuelle, pourrait être
à l’origine de la diminution des performances avec l’âge dans beaucoup de registres d’activités.

1.2.3 Vieillissement, attention et inhibition


Plusieurs types de processus attentionnels sont impliqués dans la réalisation de tâches
cognitives. Il s’agit tout d’abord de sélectionner les informations pertinentes pour la tâche et
écarter celles qui ne le sont pas. C’est ce qui est appelé l’attention sélective. Cette ressource
nous permet d’éviter d’être perturbé ou distrait par des informations non pertinentes. Elle
apparaît d’autant plus importante que les informations non pertinentes sont nombreuses
et prégnantes. La tâche peut nous amener à devoir traiter plusieurs sources d’information
en parallèle et à jongler entre différentes sources d’information, ce qui constitue une forme
particulière d’attention. L’attention apparaît également essentielle lorsqu’il s’agit d’adopter une
nouvelle consigne ou une nouvelle règle, venant remplacer celle que nous utilisions jusqu’alors.
Le blocage ou l’inhibition de la règle précédente, alors même que des habitudes de la mettre
en œuvre font qu’elle a tendance à s’imposer, demande une vigilance cognitive particulière.
Enfin, le maintien dans le temps de l’attention, appelée également concentration, permet de
traiter le problème qui se présente de façon approfondie et dans la durée. Ces différentes
formes d’attention ont toutes été décrites comme sensibles au vieillissement.

258
Vieillissement, apprentissage et formation ■ Chapitre 12

Ces processus cognitifs, du fait de leur caractère élémentaire, interviennent dans une gamme
très large de tâches cognitives, des plus simples aux plus complexes. Ils sont en outre interdé-
pendants : une baisse d’efficience de l’un ayant des effets négatifs sur le fonctionnement des
autres, ce qui peut provoquer un élargissement des déficits fonctionnels associés au vieillisse-
ment. Ainsi, par exemple, la mémoire de travail peut être d’autant plus saturée que la personne
laisse pénétrer en mémoire des informations non pertinentes au regard de la tâche (défaut
d’attention et d’inhibition) ou encore parce qu’une baisse de la vitesse de traitement néces-
site de conserver plus longtemps l’information en mémoire de travail afin qu’elle soit traitée.

1.2.4 Variabilité des effets selon les personnes


Si les valeurs moyennes témoignent sans ambiguïté d’une tendance à la diminution des
capacités mnésiques, de la vitesse de traitement ou des capacités attentionnelles, les recherches
font également état d’une grande variabilité interindividuelle des phénomènes observés. Ainsi,
analysant 185 recherches expérimentales publiées sur le vieillissement cognitif, Nelson et
Annefer (1992) ont constaté que 120 d’entre elles révèlent une augmentation de la variance
des scores avec l’âge et donc des différences interindividuelle. Le vieillissement est bien un
phénomène différentiel et toute action concernant les travailleurs âgés doit en tenir compte.
Aussi, compte tenu de l’hétérogénéité constatée, il n’existe aucune certitude qu’une personne
de plus de 50 ou même de 60 ans présente des habiletés intellectuelles dégradées. Mais nul
ne peut non plus prétendre le contraire. La prise en compte de cette diversité des situations
individuelles est indispensable et doit inspirer toute conception d’un dispositif de travail ou
de formation adapté à tous les âges.

La compréhension de l’origine de ces différences interindividuelles dans la façon de vieillir


est devenue essentielle. Les facteurs explicatifs de ce phénomène sont multiples : le niveau
de scolarité initial, le style et l’hygiène de vie de la personne, son état de santé physique, la
pratique constante et régulière d’activités intellectuellement stimulantes dans le domaine
professionnel ou des loisirs en sont les principaux prédicteurs.

1.3 Avancée en âge et capacités d’apprentissage


Ces différentes fonctions cognitives sensibles aux effets du vieillissement, sont impliquées
dans les situations d’apprentissage. On peut donc s’attendre à ce qu’il en résulte une augmenta-
tion avec l’âge des difficultés d’apprentissage. Cette relation n’a pourtant rien de systématique.
Une première raison en est que les déclins fonctionnels commencent souvent à se manifester
à des âges plus avancés que ceux correspondants à la période de vie active des personnes. Une
deuxième raison réside dans la grande variabilité interindividuelle que nous venons d’évoquer.
Une troisième, enfin, relève des stratégies mises en œuvre et de l’expérience acquise.

259
Traité des sciences et des techniques de la formation

Comme le rappelle Marquié (1997)1, on distingue principalement deux formes d’interactions


entre l’expérience et les effets cognitifs du vieillissement : la « préservation » et la « compen-
sation ». La « préservation » correspond à l’idée que la mise en œuvre régulière de certaines
capacités préserve celles-ci des effets négatifs du vieillissement. La définition qu’en donne
Marquié est très claire : « La notion de préservation repose sur l’idée que l’expérience retarde ou
empêche le déclin ou le déficit de certains processus fondamentaux de traitement eux-mêmes. »
Cette notion ne désigne donc pas le phénomène d’accroissement, sous l’effet de l’expérience, des
connaissances ou des aptitudes qui relèvent de l’intelligence cristallisée, mais bien « la possibi-
lité que les processus fluides eux-mêmes puissent résister aux effets délétères du vieillissement
chez des sujets ayant accumulé une pratique particulièrement importante de ces processus ».

La « compensation », selon la définition proposée par Marquié, consiste en « l’annulation


des effets négatifs du vieillissement sur certaines capacités cognitives de base impliquées dans
une activité grâce aux effets positifs de l’expérience sur d’autres composantes de cette activité.
La compensation implique la mise en jeu d’une activité permettant de résorber un écart entre
les capacités du sujet et l’exigence de la tâche, écart consécutif à un déclin, un déficit ou une
augmentation des exigences ». Il s’agit donc d’une réorganisation de l’activité, d’un change-
ment de stratégie permettant de maintenir un niveau de performance satisfaisant, alors que
la disponibilité des ressources a changé. Une recherche conduite par Salthouse (1984) auprès
de dactylographes fournit un bel exemple de la compensation d’un processus par un autre : les
dactylographes les plus âgées maintiennent leur niveau de performance de frappe en compen-
sant la réduction de leur vitesse motrice par une plus grande anticipation dans la lecture du
texte à dactylographier permettant ainsi une meilleure organisation motrice. Des études en
neuro-imagerie ont en outre permis de mettre en évidence des effets compensatoires dans le
vieillissement cognitif : les aînés parvenant à recruter de nouveaux réseaux neuronaux pour
compenser le déclin de certains autres (Cabeza, 2002).

Le modèle qui encadre les hypothèses de préservation et de compensation est un modèle


interactionniste (Loarer, 2005)2. Il postule que le vieillissement a des effets sur le fonctionne-
ment de la personne, mais également que le fonctionnement de la personne dans ses activités
influe sur sa façon de vieillir. Ces effets positifs de l’expérience nécessitent toutefois certaines
conditions pour être effectifs. L’enquête longitudinale VISAT (Marquié et al., 2010) montre par
exemple que l’exposition à des activités professionnelles stimulantes, qui offrent également des
opportunités d’apprendre, favorise l’élévation du niveau de fonctionnement cognitif et atténue

1. J.-C. Marquié (1997). « Vieillissement cognitif et expérience : l’hypothèse de la préservation », Psychologie


française, 4 (4), 333-344.
2. E. Loarer (2005). « Le développement des compétences chez l’adulte : modèle descendant et modèle ascen-
dant », in V. Hajjar (éd.), Modèles et méthodologies d’analyse des compétences, Toulouse, MSH.

260
Vieillissement, apprentissage et formation ■ Chapitre 12

les déclins liés à l’âge. De leur côté, les processus compensatoires ne peuvent s’exprimer que
dans la mesure où les activités présentent une certaine complexité, ne sont pas trop fortement
soumises à des contraintes de temps et ne sont pas trop strictement prescrites, offrant des marges
de manœuvres permettant à la personne de pouvoir, si nécessaire, réorganiser son activité.

Nous pouvons donc retenir des éléments que nous venons de présenter, que, pour des
personnes en âge de travailler :
–– le vieillissement ne se traduit pas nécessairement par un déclin des capacités cognitives et
une grande variabilité interindividuelle existe en la matière ;
–– lorsque des déclins apparaissent, des processus compensatoires peuvent venir atténuer voire
annuler leurs effets et permettre le maintien des performances.

1.4 Les stéréotypes relatifs aux seniors


Alors que les connaissances relatives au vieillissement cognitif ont largement évolué durant
ces trente dernières années, les représentations sociales relatives au vieillissement sont restées
relativement figées et offrent une vision avant tout négative de l’avancée en âge et cela tant en
France (Ifop, 1961 ; Dares, 2004) qu’en Europe (Walker et Taylor, 1992). Le « noyau dur » du
stéréotype du salarié âgé qui émerge de ces différentes études varie peu d’un pays à l’autre et
présente une grande stabilité temporelle. Selon cette représentation rigide et résistante, les
salariés plus âgés s’adaptent mal aux nouvelles technologies, aux changements d’organisation du
travail, à l’évolution des méthodes de travail, sont trop rigides, apprennent plus lentement, sont
incapables de réaliser les mêmes performances que les jeunes et ne portent pas d’intérêts pour
la formation continue. Bien qu’une légère évolution positive soit constatée chez les employeurs
dans une étude de Defresne (2010), il n’en reste pas moins que les questions d’adaptation aux
changements et à l’utilisation des nouvelles technologies restent problématiques à leurs yeux ;
deux dimensions qui sont étroitement liées à la formation professionnelle et aux apprentissages.

Comme l’ont bien démontré les études en psychologie sociale, le problème principal du stéréo-
type est qu’il s’applique à une catégorie sociale supposée être homogène, alors qu’en l’occurrence
elle est ici principalement marquée par son hétérogénéité. En outre, le stéréotype fonctionne à
la fois comme un filtre perceptif et un organisateur de la pensée et de la conduite. Il biaise ainsi
la façon dont le senior est appréhendé et guide les attitudes et décisions prises à son égard. Pire
encore, l’intégration du stéréotype par le senior lui-même peut l’amener à modifier sa propre
conduite pour la rendre conforme à cette référence, ce qui, de fait, la renforce.

261
Traité des sciences et des techniques de la formation

2. Les seniors et la formation

2.1 Le constat


Plusieurs études menées depuis dix ans font le constat d’un moindre accès à la formation
professionnelle des seniors. Ce fait est ancien mais toujours d’actualité même s’il a tendance à
s’atténuer (cf. travaux du Céreq). L’accès à la formation décroît parfois dès la mi-carrière. Actifs
en emploi et chômeurs subissent cette même érosion, qui est largement accentuée par l’appar-
tenance aux catégories professionnelles des ouvriers et employés (Demailly, 20161).

Ce que montrent ces statistiques nationales apparaît également dans de nombreuses études
menées au sein de grandes entreprises. Par exemple, Gaudart et Delgoulet (2005)2 observent
dans un organisme public de formation des pratiques discriminatoires dès 40 ans dans l’accès à
la formation et à l’emploi de demandeurs d’emploi. Ainsi, à niveau équivalent de qualification, un
bénéficiaire jeune se verra plus souvent proposer l’accès à une formation de niveau de qualifica-
tion supérieur qu’un bénéficiaire plus âgé. Les plus âgés suivent par ailleurs moins fréquemment
des formations longues, formations qui offrent de meilleures possibilités de qualification et sont
fortement associées à une probabilité plus importante de trouver un emploi. Dans tous les cas,
l’avancée en âge est pénalisante.

2.2 Les facteurs explicatifs


Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette situation, parmi lesquelles la réticence de
certains employeurs à investir dans la formation de travailleurs dont les perspectives de carrière
deviennent limitées ou encore les représentations négatives que les employeurs ont des effets
de l’âge sur les capacités d’apprentissage.

Plusieurs études ont cependant montré que ces raisons sont loin d’être les seules et que le
désengagement des seniors de la formation tient largement à des postures d’auto exclusion des
salariés eux-mêmes. Un certain nombre d’entre eux, sensibles aux mêmes arguments que leur
organisation, évaluent l’intérêt de leur investissement dans une formation en fonction inverse

1. D. Demailly (2016). « La formation professionnelle : quels facteurs limitent l’accès des seniors ? », Dares
Analyses, n° 31.
2. C. Gaudart et C. Delgoulet (2005). « Life long training : between theory and practice. The example of a French
training agency », in D. Costa, W.J. Goedhard et J. Ilmarinen (éd.), Assessment and promotion of work ability
health and well-being of ageing workers (p. 359-364), the Netherlands, Elsevier.

262
Vieillissement, apprentissage et formation ■ Chapitre 12

de la durée qui leur reste à travailler. Agissent également les représentations négatives qu’ils
peuvent avoir intériorisées des effets de l’âge sur leurs propres capacités d’apprentissage.

Constatant que les salariés ont tendance à exprimer d’autant moins de désir de formation
qu’ils avancent en âge, la baisse de la motivation à apprendre est également évoquée. Il serait
cependant erroné de conclure que le faible accès à la formation des salariés plus âgés s’explique
uniquement par un désintérêt. Il est aussi possible qu’existe un effet de génération : les salariés
âgés exprimeraient moins de besoins car ils appartiennent à une génération qui a moins béné-
ficié de la formation que les générations les plus récentes. Une grande enquête sur la formation
continue réalisée en France (Fournier, 20061), montre ainsi que moins un travailleur a reçu de
formation et moins il se déclare prêt à se former. Par ailleurs, Demailly (2016) conclut que plus
d’un tiers des plus âgés disent avoir essuyé un refus de la part de leur employeur ou considèrent
ne pas être soutenus.

3. Comment promouvoir le développement


de la formation des salariés seniors ?

3.1 Renverser le cercle causal


L’allongement de la durée de vie professionnelle et l’augmentation importante du nombre
de salariés seniors dans les entreprises rendent indispensable l’amélioration de l’accès de tous
à la formation. Cela impose de briser ce cercle causal.

Il y a beaucoup à faire pour satisfaire pleinement cet objectif. Plusieurs mesures peuvent y
contribuer. Les premières auxquelles on pense sont d’ordre législatif ou réglementaire, dans le
cadre par exemple de l’obligation faite aux entreprises de plus de 50 salariés ou les branches
professionnelles de dessiner des plans ou accords en faveur des seniors ou des contrats de géné-
ration. Ces mesures peuvent aider à impulser un mouvement favorisant l’accès des salariés les
plus âgés aux formations, mais on connaît aussi leurs limites liées au biais de contournement
qu’elles induisent lorsque les conditions économiques et sociales ne sont pas réunies par ailleurs.
Nous mettrons ici l’accent sur d’autres mesures qui nous paraissent essentielles : un meilleur
accès à la formation pour les travailleurs âgés, des méthodes de formation mieux adaptées aux
caractéristiques des seniors et le développement des compétences dans le travail lui-même.

1. C. Fournier (2006). « Les besoins de formation non satisfaits des salariés au prisme des catégories sociales »,
Formation-Emploi, 95, 25-39.

263
Traité des sciences et des techniques de la formation

3.2 Promouvoir un meilleur accès à la formation


Promouvoir un meilleur accès à la formation professionnelle pour les travailleurs âgés néces-
site de s’attaquer aux différents freins identifiés, notamment par une action sur les stéréotypes en
fonction desquels employeurs et salariés peuvent fonder leurs décisions, ou encore en donnant
plus de sens à la formation et en réduisant l’appréhension des seniors au regard de celle-ci.

3.2.1 Agir sur les stéréotypes


Lutter contre un stéréotype n’est pas chose aisée. Les recherches en psychologie sociale
cognitive montrent en effet leur robustesse. D’une part, ils ont des propriétés d’auto-renforce-
ment – par des biais d’observation et de jugement qui privilégient les informations congruentes
et minimisent celles qui ne le sont pas, un contre-exemple venant ainsi renforcer la règle – et,
d’autre part, ne sont pas nécessairement explicites. Le stéréotype de l’âge peut ainsi opérer
implicitement en infléchissant le jugement social d’un décideur, même si celui-ci en rejette
consciemment les a priori et même s’il est pleinement convaincu, par exemple, de l’hétérogénéité
de la catégorie « senior ». La discrimination ne provient pas alors de convictions consciemment
assumées, mais de « biais cognitifs » relatifs à la catégorisation sociale, qui sont susceptibles
de fausser le jugement et d’influencer la conduite. La transformation d’un stéréotype erroné
est alors une opération de longue haleine qui nécessite une substitution progressive de tout
ou partie de la représentation initiale par une autre, supposée plus juste, mais surtout par une
sensibilisation volontariste et continue, visant à développer la conscience de ces processus et
corriger les biais qui leur sont inhérents.

Il convient aussi de restaurer l’image que les quinquagénaires ont de leurs propres capacités,
et ainsi de la confiance qu’ils ont dans leur aptitude à apprendre, à s’adapter et à innover. On
constate que le stéréotype du déclin cognitif est souvent si prégnant qu’il s’impose aux seniors
eux-mêmes et influence la façon dont ils évaluent leurs propres capacités. Le stéréotype du déclin
cognitif, partagé par les seniors, peut ainsi affecter et dégrader leur estime d’eux-mêmes, induire
des conduites de non-engagement ou de retrait…, fonctionner comme une prophétie auto-
réalisatrice (effets de confirmation comportementale) et se trouver ainsi renforcé par les faits.

Une étude de Loarer et Mogenet (2008) a permis d’étudier ce phénomène de conformité


au stéréotype qui concerne environ 40 % de l’échantillon. Chez les seniors qui parviennent à
s’en affranchir lorsqu’ils s’auto-évaluent, les facteurs qui contribuent à expliquer cette mise à
distance ont été identifiés. Parmi ces facteurs figurent les occasions que les personnes ont, dans
leur travail, d’avoir un retour positif sur leurs capacités intellectuelles et sur leurs performances
professionnelles, ainsi que le fait d’exercer un travail peu routinier.

264
Vieillissement, apprentissage et formation ■ Chapitre 12

3.2.2 Donner du sens et réduire l’appréhension


des seniors au regard de la formation
Les salariés âgés craignent souvent de ne pas réussir et d’être comparés à des jeunes à leur
détriment. Cela pourrait justifier d’organiser des formations spécifiques selon l’âge. Cependant,
c’est plutôt une mixité bien entendue qu’il convient d’organiser et de privilégier, les contacts
intergroupes et la diversité des membres d’un collectif, à l’occasion d’un projet ou d’une activité
commune, favorisant la réduction des préjugés. L’implication en amont des employés âgés dans
le projet de formation peut également constituer une mise en confiance efficace en dissipant
leurs doutes quant aux objectifs, méthodes et processus de formation et réduire ainsi l’anxiété
induite par la perspective de la formation.

Les seniors peuvent également se montrer peu motivés du fait d’aspirations à se former
méconnues et différentes des plus jeunes ou d’un manque de vision du réinvestissement profes-
sionnel possible des produits de la formation et cela d’autant plus qu’ils approchent de l’âge de la
retraite. En cela, une clarification des différentes formes de bénéfices que le formé pourra tirer
de la formation et une explicitation de l’articulation entre la formation à venir et ses activités
de travail sont très favorables au soutien de sa motivation.

3.2.3 Augmenter la fréquence de la formation


L’apprentissage implique des compétences spécifiques, qui peuvent être perdues si elles ne
sont pas utilisées. Dans une étude réalisée auprès de salariés chargés de la maintenance ferro-
viaire, Delgoulet et Marquié (2002) constatent ainsi une relation entre le temps écoulé entre
deux sessions de formation et la qualité de la performance d’apprentissage : les compétences
requises pour la généralisation et l’abstraction, sollicitées en formation, sont sensibles à une
absence de mise en œuvre.

Une question connexe concerne la relation entre la formation et l’hyperspécialisation du


travail, et cela même pour les populations de travailleurs hautement qualifiés. Il a ainsi été
constaté que, comparativement aux plus jeunes, les pilotes les plus anciens de vingt-cinq compa-
gnies aériennes qui suivent une formation à la conduite de l’Airbus A320 sur un simulateur de
vol (Amalberti, Pelegrin et Racca, 19911) présentent des progressions plus lentes et des taux
d’échec plus importants dans l’examen final. Néanmoins, parmi les pilotes plus anciens, la
formation a été mieux réussie par ceux qui avaient déjà récemment changé d’avion et ainsi
bénéficié d’une formation.

1. R. Amalberti, C. Pelegrin et E. Racca, (1991). « Consynus : a new data system for aiding pilot training on modern
aircraft », in M.C. Dentan et P. Lardennois (éd.), Proceedings WEAAP 91, Paris, Air France publisher, 71-83.

265
Traité des sciences et des techniques de la formation

Augmenter la fréquence de la formation présente également l’intérêt de contribuer à


compenser les inégalités initiales en matière d’éducation. Les générations plus âgées ont en
moyenne suivi des formations initiales plus courtes. On interprète souvent à tort comme des
effets de l’âge, ce qui relève en réalité de différences dans le niveau initial de formation. Or la
formation initiale est déterminante. C’est dès l’école primaire que les individus se construisent
des outils cognitifs qui vont faciliter les apprentissages tout au long de leur vie. La participation
fréquente à des formations durant la vie professionnelle permettrait, à certaines conditions, de
remédier aux déficits de formation initiale ou tout au moins d’éviter que l’écart ne se creuse
trop rapidement entre personnes ayant bénéficié d’études initiales longues et celles qui ne sont
pas dans cette situation.

3.3 Améliorer les formations proposées


Il est fréquent de rencontrer des responsables de formation qui affirment refuser de proposer
des formations spécifiques aux seniors afin d’éviter à leur égard discrimination et stigmatisation.
Il s’agit à l’évidence d’une intention louable. Néanmoins on peut aussi s’inquiéter des effets d’une
formation mal ajustée qui ne prendrait pas en considération les besoins de chacun et qui, ne
proposant pas les modalités adaptées, aboutirait à une mise en échec des plus âgés, renforçant
ainsi les stéréotypes relatifs à l’âge. Il s’agit donc, en promouvant des méthodes de formation qui
leur soient adaptées, d’éviter que la façon dont la formation est organisée n’amène les travailleurs
expérimentés à rencontrer des difficultés spécifiques d’apprentissage. Nous ne soutiendrons pas
pour autant l’idée de développer une pédagogie spécifique aux apprenants âgés, pas plus que celle
d’organiser systématiquement des formations dédiées aux seniors. Nous préférons rappeler la
nécessité d’une pédagogie qui puisse convenir à tous les âges et à tous les styles d’apprentissage.
Cela passe en particulier par le respect de plusieurs règles.

3.3.1 Principes pédagogiques pour une formation


adaptée aux seniors
La formation doit tenir compte des caractéristiques de chacun et offrir une palette pédago-
gique adaptée à la diversité des apprenants. Outre le fait d’éviter les sursollicitations des capacités
cognitives de bases pouvant potentiellement avoir subi les effets délétères du vieillissement,
quelques principes pédagogiques (non exhaustifs) peuvent être introduits dans les formations :
–– privilégier une organisation de la formation par étapes successives permettant de maîtriser
une étape avant de passer à la suivante ;
–– tenir compte des connaissances, des savoir-faire et de l’expérience du formé ;
–– permettre au formé de comprendre ce qu’il apprend, en particulier en le reliant à ce qu’il
sait déjà ;
–– s’appuyer sur des supports à la fois visuels et auditifs ;

266
Vieillissement, apprentissage et formation ■ Chapitre 12

–– fournir des schémas et des organisateurs cognitifs ;


–– dédramatiser les erreurs commises et les valoriser en tant qu’opportunités d’apprentissage,
notamment dans l’usage de nouveaux outils et nouvelles technologies ;
–– offrir une souplesse du temps de formation afin de permettre à chacun de disposer du temps
d’apprentissage dont il a besoin et de limiter l’anxiété liée à des limites strictes de temps
d’apprentissage.

Un point essentiel est l’articulation de la formation, d’une part avec l’expérience passée et
d’autre part avec le travail présent et à venir des salariés (Delgoulet, 2012).

3.3.2 Mieux articuler formation, expérience et travail


Les formations sont souvent trop déconnectées des situations réelles de travail et ne prennent
pas suffisamment en compte l’expérience et les acquis des plus anciens. Les formations donnent
trop souvent l’impression de partir de zéro, ce qui dévalorise et pénalise les plus anciens et les
plus expérimentés.

Le rôle de l’expérience professionnelle est ici central et conditionne en partie les difficultés et
facilités rencontrées dans les apprentissages1. L’expérience peut ainsi jouer dans les deux sens :
elle peut faciliter de nouveaux apprentissages par confrontation avec des situations, des tâches,
des outils variés ; elle peut aussi être source de difficultés et de blocage si les connaissances ou les
automatismes acquis viennent perturber les nouvelles acquisitions. L’intégration progressive des
nouvelles connaissances et savoir-faire au cours de la formation nécessitera à la fois du temps,
une souplesse pédagogique et une attention particulière du formateur portée à cette dimension
expérientielle qui impose une contextualisation et une individualisation de la formation2.

Développer des modules de formation qui se rapportent directement à la situation réelle de


travail est possible et souhaitable. Le rôle du formateur apparaît ici essentiel durant la forma-
tion mais aussi en amont et en aval de la formation. Il doit pouvoir observer l’activité de travail
des futurs stagiaires afin de déterminer ce qui peut être intégré à la formation ou transféré au
nouvel environnement. À l’issue de la formation, un suivi des stagiaires à leur poste permettrait
de compléter la formation reçue, d’aider à la maîtrise des nouvelles procédures et de faire face
au surcroît de travail occasionné par le changement introduit. Ce suivi doit être l’occasion de

1. D. Cau-Bareille, C. Gaudart et C. Delgoulet (2012). « Training, age and technological change : difficulties
associated with age, the design of tools, and the organization of work ? » Work, 41 (2), 127-141.
2. C. Gaudart (2003). « La baisse de la polyvalence avec l’âge : question de vieillissement, d’expérience, de géné-
ration ? », PISTES, 5 (2), et http://pistes.revues.org/3323.

267
Traité des sciences et des techniques de la formation

valider la cohérence du programme de formation et de l’adapter le cas échéant pour tenir compte
des problèmes du travail1.

Au-delà de cette meilleure articulation entre les temps de formation et le travail, il est
souhaitable d’envisager un lien plus étroit et permanent entre le travail et le développement des
compétences, où travail et apprentissage ne sont plus séparés, et où le développement continu
des capacités humaines devient un investissement rentable à long terme pour les travailleurs et
l’entreprise. Le développement du tutorat est une opportunité intéressante si on le considère
comme une tâche à part entière qui nécessite des ressources (Thébault et al., 2014). Dans tous
les cas, comme le soulignent Sigot et Vero2 les choix organisationnels tiennent un rôle non
négligeable dans les possibilités d’apprendre au travail de manière formelle ou informelle. Il
s’agit alors de faire des situations et du travail non seulement des occasions de préservation des
capacités cognitives des effets négatifs du vieillissement, mais aussi de développement continu.

4. Conclusion
La relation des seniors à la formation est aujourd’hui fortement pénalisée par une repré-
sentation biaisée des capacités à apprendre et des motivations réelles des seniors, du fait d’un
stéréotype très négatif relatif aux effets de l’avancée en âge et de pratiques sociales désastreuses
en matière d’accès des seniors à l’emploi et à la formation. Ces représentations et pratiques
sociales bien établies alimentent un cercle vicieux qui amène les seniors à adopter des conduites
d’évitement et de désengagement de la formation.

Les recherches relatives à l’évolution des capacités intellectuelles qui sous-tendent les appren-
tissages ont montré que certaines d’entre elles pouvaient décliner avec l’âge mais que cela
n’intervenait souvent qu’après 60 ans et que de grandes différences interindividuelles existaient
dans ce domaine. L’amélioration de l’accès et de la réussite en formation nécessite bien sûr de
prendre en compte ce risque de déclin. Mais plus encore, il s’agit de placer les seniors dans des
situations et conditions favorables d’apprentissage en luttant en particulier contre les effets
désastreux des stéréotypes qui influencent les décisionnaires mais également les seniors eux-
mêmes en induisant chez eux des conduites de non-engagement, d’échec ou de démotivation.

1. Cf. Delgoulet, Vidal-Gomel, Falzon et Teiger dans cet ouvrage.


2. J.-C. Sigot et J. Vero, (2014). « Politiques d’entreprise et sécurisation des parcours : un lien à explorer », Bref
du Cereq, n° 318.

268
Vieillissement, apprentissage et formation ■ Chapitre 12

Nous avons évoqué différents principes susceptibles d’améliorer la qualité des formations
proposées afin d’offrir aux seniors les meilleures conditions pour apprendre. Il s’agit en parti-
culier d’offrir des formations qui intègrent la grande diversité des besoins des apprenants,
notamment en termes de rythmes et de méthodes d’apprentissage, et qui soient mieux coor-
données à l’expérience professionnelle et aux situations de travail. Au-delà, il faut bien admettre
que la prolongation de la vie professionnelle et le développement continu des compétences et
de la motivation qu’elle implique, ne pourront s’envisager que si les conditions et l’organisation
du travail tout entier, la gestion des apprentissages et des parcours professionnels favorisent
réellement la construction et la mise en œuvre de l’expérience.

Lectures conseillées
Collette S., Batal C., Carré P., Charbonnier O. (2009). Loarer E., Chartier D. et Rozencwajg P. (1998). « Le
L’atout senior. Relations intergénération- travail formateur : impact de l’activité profes-
nelles, performance, formation, Paris, Dunod. sionnelle sur les capacités cognitives de
Delgoulet C. (2012). « Apprendre pour et par le salariés du secteur industriel », in M. Audet et
travail : les conditions de formation tout au J.-L. Bergeron (éd.), Pratiques de gestion des
long de la vie professionnelle », in A. Molinié, ressources humaines (p. 165-178), Québec,
C. Gaudart, et V. Pueyo (éd.), La Vie profes- Presses Universitaires de Québec.
sionnelle : âge, expérience et santé à Loarer E., Lautrey J., Lemoine C., Rozencwajg P. et
l’épreuve des conditions de travail (p. 46-74), Ferrandez A.-M. (2005). « Stratégies de structu-
Toulouse, Octarès. ration spatiale et processus compensatoires
Delgoulet C. (2013). « La formation professionnelle chez le travailleur vieillissant », in C. Thinus-
des actifs vieillissants : une combinaison Blanc et J. Bullier (éd.), Agir dans l’espace,
difficile à construire ? », Gérontologie et Paris, Maison des sciences de l’homme.
Société, 147, 63-73. Thébault J., Delgoulet C., Fournier P.-S., Gaudart C. et
Delgoulet C., Marquié J.-C. (2002). “Age differences Jolivet A. (2014). « La transmission à l’épreuve
in learning maintenance skills : a field study ”, des réalités du travail », Éducation perma-
Experimental Aging Research, 28, 25-37. nente, 198, 85-99.
G uillemard A.-M. (2003). L’Âge et l’Emploi. Les Volkoff S., Molinié A.-F., Jolivet A. (2002). Efficaces à
sociétés à l’épreuve du vieillissement, Paris, tout âge ? Vieillissement démographique et
Armand Colin. activités de travail, Paris, La Documentation
française.
Lemaire P., Bherer L. (2005). Psychologie du vieillis-
sement. Une perspective cognitive, Bruxelles,
de Boeck.

269
Chapitre 13
La compétence1

1. Par Sandra Enlart.


Sommaire
1. Pourquoi la compétence ?...................................................................................... 273
2. La compétence, comment ?.................................................................................... 276
3. Les débats de la compétence................................................................................. 282
4. Conclusion............................................................................................................. 287
Lectures conseillées.................................................................................................. 288
La grande force du terme de compétence tient sans doute dans sa capacité à exprimer une
autre « façon de voir les problèmes » de gestion des ressources humaines ou de management.
En matière de formation, ce changement de regard a permis de redécouvrir un « vieux » sujet :
l’adulte apprenant… dans son contexte professionnel. On a longtemps affirmé que la compétence
consistait à réintroduire l’homme dans l’organisation. Nous pensons qu’elle a aussi réintro-
duit l’organisation dans des pratiques centrées sur l’individu. La formation en est un excellent
exemple.

Mais avant d’en venir au développement de ces idées et aux débats sur la compétence, il
nous faut mieux comprendre pourquoi et comment cette notion s’est développée. L’exploration
du « pourquoi la compétence ? » nous permettra d’insister sur les caractéristiques communes
aux différentes approches de la compétence alors que la réponse au « comment se manifeste
la compétence » nous permettra d’insister sur les différences qui caractérisent ces approches.

Même si ces analyses sont datées historiquement, elles nous semblent avoir profondément
marqué les débats qui se développent aujourd’hui et dont nous donnerons quelques illustra-
tions : les compétences transversales existent-elles ? Quel est l’impact de la compétence sur les
dispositifs de formation ?

1. Pourquoi la compétence ?

1.1 Les conditions d’émergence de la notion


sont dans les changements d’organisation
Dans une organisation taylorienne, il est inutile de parler de compétence. Il suffit de décrire
l’organisation du travail et le rôle qu’on attend de ceux qui y travaillent. Les gestes attendus sont
prescrits avec tous les détails nécessaires. Ce qu’on attend, c’est de la conformité à ce qui a été
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

prescrit et surtout aucune initiative qui viendrait perturber le système. Parler de compétence
est donc « hors sujet » dans ce cadre, autant d’ailleurs que de sujet ou d’individu.

Nous savons bien aujourd’hui que le taylorisme est une vision totalement utopique et irréelle
de l’organisation humaine du travail. Les situations professionnelles ne sont jamais aussi
simples que les ingénieurs des méthodes ne le pensaient et il est tout simplement impossible
de se passer de l’initiative humaine, même si celle-ci doit se camoufler. Sans les micro-régu-
lations qu’effectue en permanence chaque opérateur, les objectifs de production ne seraient
jamais atteints.

273
Traité des sciences et des techniques de la formation

Cette analyse du travail opérée par les ergonomes et les psychologues du travail ne s’est pas
faite du jour au lendemain. La polyvalence, la flexibilité, la nécessité de changer de métier ou,
à l’intérieur d’un même métier d’évoluer sans cesse, sont autant d’exigences qui font suite à
des changements d’organisation du travail. En parallèle, les services deviennent le principal
secteur de production et du même coup, les dimensions relationnelles vont prendre le pas sur
les qualifications techniques. Cette tertiarisation va envahir également le secteur secondaire : le
« client » ne fait-il pas son apparition dans l’usine ? Or le client est beaucoup plus imprévisible
que la machine et il va exprimer de nouvelles demandes : diminution des délais et des coûts,
innovation, personnalisation des produits, qualité…

Tout ceci amène un nouveau regard : ce n’est plus l’organisation que l’on analyse mais l’homme
au travail. La production est d’abord entre les mains de ceux qui le mettent en œuvre avant
que d’être dans les procès ou les machines. Dès lors, ce qu’il faut pour produire, ce sont des
compétences. Plus on accepte de flou dans la description de l’organisation, passant du poste à
l’emploi, plus on se doit de comprendre ce qui concerne l’individu.

1.2 Définitions et descriptions


Nous voici donc au cœur du sujet : comment décrire ces fameuses compétences au cœur
du travail ? Progressivement, même si les définitions de la compétence abondent, elles ne
sont finalement pas si disparates que cela : un certain consensus s’installe autour de certaines
caractéristiques :
–– La compétence est liée à l’activité. Elle est ce qui permet d’agir et c’est là que l’on peut la
repérer. Elle n’existe pas en soi, indépendamment de l’activité, du problème à résoudre, de
l’usage qui en est fait.
–– La compétence est contextuelle : elle est liée à une situation professionnelle donnée et corres-
pond donc à un contexte.
–– Les « capacités » constitutives des compétences recouvrent un peu de savoir, beaucoup de
savoir-faire et souvent – mais pas toujours – du savoir-être.
–– La compétence consiste dans l’intégration de ces contenus. Il ne s’agit pas d’une « somme »
qui par miracle permettrait l’action réussie, mais bien d’une combinaison, d’une construc-
tion, d’une structure… Cela sous-entend qu’il existe quelque chose « en plus » des capacités
qui leur permet justement de devenir, ensemble, de la compétence. Bien souvent on évoque
ici la distinction entre savoir déclaratif et savoir procédural. De même, le concept de
« démarche intellectuelle1 » est assez proche de cette idée, ainsi que celle de « compétences

1. S. Michel et M. Ledru (1991). Capital compétences dans l’entreprise, Paris, ESF.

274
La compétence ■ Chapitre 13

méthodologiques1 » (Le Boterf, 1995) ou, chez Vergnaud, la différence entre « concept-en-
acte » et « théorème-en-acte ».

Nous garderons donc l’idée que la compétence permet d’agir et/ou de résoudre des problèmes
professionnels de manière satisfaisante dans un contexte particulier en mobilisant diverses
capacités de manière intégrée.

Citons pour compléter quatre définitions « historiques » qui illustrent cet aspect consensuel :
–– Celle de Montmollin2 : « ensemble stabilisé de savoirs et de savoir-faire, de conduites types,
de procédures standard, de types de raisonnements que l’on peut mettre en œuvre sans
apprentissage nouveau ».
–– Celle de Malglaive3 : « savoir en usage et formalisation sont les deux aspects complémen-
taires de la compétence qui […] se présente donc comme une structure dynamique dont le
moteur n’est autre que l’activité ».
–– Et celle de Leplat4 qui distingue les conceptions behavioriste et cognitiviste. La première est
liée à une liste d’activités que l’individu sait exécuter ; la seconde voit la compétence comme
une stratégie sous-jacente à l’action. Leplat donne quatre traits caractéristiques des compé-
tences : elles sont finalisées, apprises, organisées en unités coordonnées. La compétence
étant une notion abstraite et hypothétique, on ne peut observer que ses manifestations.
–– Citons enfin la liste que donne Le Boterf (1995) des « savoirs mobilisables » (p. 73) : les
savoirs théoriques, les savoirs procéduraux, les savoir-faire procéduraux, les savoir-faire
expérientiels, et les savoir-faire sociaux.

Ces différentes définitions portent toutes en germe des questions pour la formation. En effet
dans tous les cas, la compétence a un lien avec l’expérience et l’activité. Si la formation a pour
but de développer les compétences, comment intègre-t‑elle ce lien à l’activité et au contexte ?

1. P. Gilbert et M. Parlier (1991). « La gestion des compétences : la notion de compétences et ses usages en gestion
des ressources humaines », Paris, Entreprise et Personnel, Développement et Emploi.
2. M. de Montmollin (1984). L’Intelligence de la tâche. Éléments d’ergonomie cognitive, Berne, Peter Lang.
3. G. Malglaive (1990). Enseigner à des adultes, Paris, PUF.
4. J. Leplat (1991). « Compétences et ergonomie », in M. de Montmollin (dir.), Modèles en analyse du travail,
Bruxelles, Mardaga, p. 263-278.

275
Traité des sciences et des techniques de la formation

2. La compétence, comment ?


Concrètement, comment analyser les compétences ? Comment les décrire, comment les
utiliser ? Car entre le débat sur les définitions et celui sur la mise en œuvre d’une « démarche
compétence », il y a quelques écarts qu’il nous faut maintenant présenter. Définir LA compétence
en général est une chose, décrire les compétences en particulier en est une autre.

Depuis les années 1990 jusqu’à aujourd’hui, diverses approches ont été mises en œuvre. La
GPEC1, en particulier, a rendu nécessaire une clarification de la définition des compétences. On
peut évoquer cinq approches qui ont marqué cette période :
–– l’approche par les savoirs ;
–– l’approche par les savoir-faire ;
–– l’approche comportementale ;
–– l’approche mixte (savoir, savoir-faire, « savoir-être ») ;
–– l’approche par les compétences cognitives.

2.1 L’approche par les savoirs


Une des approches dominantes des compétences a consisté à les associer à des savoirs. Ce
qui est explicatif de l’action réussie, de la compétence, c’est le fait de posséder des savoirs. En
fait, il ne s’agit pas de nier que la compétence puisse être autre chose que du savoir, mais plutôt
de considérer que cette « autre chose » repose intimement sur le fait de posséder des savoirs.
La compétence deviendrait donc des « savoirs mis en œuvre », sachant que le contrôle de la
mise en œuvre disparaît au profit du contrôle de connaissances. On complète habituellement
le repérage des savoirs par la distinction de niveaux de maîtrise qui s’échelonnent suivant les
cas entre trois (faible/moyen/fort) et neuf (ou plus) degrés qui rentrent alors dans une somme
de détails inspirés des taxonomies les plus courantes en pédagogie2.

Cette approche a un avantage certain. Elle peut très facilement être reliée à des modes d’ap-
prentissage… par les savoirs. Travail éminemment analytique, reposant sur l’idée que tout doit/
peut s’apprendre « comme à l’école », cette approche est également idéologique. Elle véhicule

1. Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Depuis la loi Borloo de cohésion sociale 18 janvier 2005,
la GPEC doit obligatoirement donner lieu à une négociation et un accord pour toutes les entreprises de plus de
300. Les ANI de 2011 et 2014 renforceront encore ce rôle de la GPEC et son lien avec les plans de formation.
2. Voir par exemple la taxonomie de S. Bloom (1969). Taxonomie des objectifs pédagogiques, Montréal, Presses
de l’université du Québec, ou celle de R. Gagné, L. Briggs (1979). Principles of Instructional Design, New York,
Holt, Rinehart and Winston.

276
La compétence ■ Chapitre 13

en effet l’idée que c’est le savoir qui permet de réussir. Ceux qui en savent le plus sont donc les
plus compétents. Derrière cela, c’est bien évidemment la hiérarchie du diplôme qui s’impose.

La critique essentielle que l’on peut faire à cette approche n’est pas d’être fausse mais d’être
incomplète et simpliste. Certes, les savoirs font partie de la compétence, mais ils ne sont pas la
compétence. D’autre part, qu’entend-on par « savoir » ? Si l’on parle d’emploi de niveau techni-
cien ou cadre, on peut naturellement évoquer les niveaux Éducation nationale. Mais pour les
« bas niveaux de qualification », on se heurte au dilemme suivant : en toute cohérence, ils n’ont
pas de savoirs, donc pas de compétences. Et pourtant…

On peut même aller plus loin et se demander s’il est possible de démêler ce qui dans les savoirs
est réellement utilisé dans l’activité, y compris dans l’activité intellectuelle.

Les cognitivistes1 différencient classiquement les connaissances procédurales qui sont de


l’ordre de la méthode, du comment faire, du raisonnement, des connaissances déclaratives qui
concernent le savoir théorique et académique. Les premières se construisent par l’activité, les
secondes peuvent s’apprendre dans une salle de cours ou dans un livre. Or :
–– les connaissances procédurales s’acquièrent dans et par l’action et marquent profondément
l’individu puisque c’est à partir de ce « stock » qu’il abordera désormais les futures situations
– et en particulier les nouvelles – pour agir ;
–– les connaissances déclaratives sont éphémères et fragiles tant qu’elles n’ont pas été liées
à des connaissances procédurales. Mais dès lors, il devient de plus en plus difficile de les
distinguer des premières puisqu’elles se sont en quelque sorte assimilées à des processus
de résolution de problème.

2.2 L’approche par les savoir-faire


Puisque chacun s’accorde finalement à reconnaître que la compétence est en relation directe
avec l’action réussie, alors pourquoi ne pas l’assimiler au savoir-faire ? La définition la plus
simple ne consisterait-elle pas à dire que la compétence permet de savoir agir, savoir travailler,
ou encore savoir-faire2 ? Dans ce cadre, la compétence se définit comme « un savoir-faire
opérationnel validé ». On insiste donc sur la dimension de mise en œuvre, sur le fait que le

1. Voir par exemple R. Ghiglione, C. Bonnet, J.-F. Richard (1986). Traité de psychologie cognitive, Paris, Dunod
ou J.-F. Le Moigne, Intelligence des mécanismes, mécanisme de l’intelligence, Paris, Fayard.
2. Cette approche a été celle retenue par exemple dans l’accord ACAP 2000 signé en 1991 au niveau de la branche
sidérurgique par les partenaires sociaux qui, de manière très novatrice à l’époque, déclare vouloir gérer par les
compétences et non plus par les postes et l’ancienneté.

277
Traité des sciences et des techniques de la formation

savoir-faire doit être pratiqué, qu’il est lié à l’action et à une action visible et vérifiable. On
introduit aussi l’idée que la compétence se prouve, se mesure, se vérifie et qu’elle ne peut
être simplement déclaration de foi ou bonne intention. Ce que l’entreprise récompense et
gère, c’est bien l’activité utile, celle qui se voit et fait avancer les choses. Et effectivement,
de manière opératoire, quand la définition de la compétence est à la base d’un système de
promotion, de rémunération et de formation, on cherche à lui donner un sens concret et
vérifiable. La notion de validation permet d’introduire le rôle de la hiérarchie à qui revient la
tâche d’assurer cette évaluation au sein de processus de prise de décision qui accompagnent
les démarches compétences.

Quelle limite peut-on voir à une telle approche ?

Le problème clé est celui de la description des compétences : parce qu’elles sont assimilées à
l’activité, la plupart du temps, elles sont décrites comme l’activité. En fait, il y a, dans ces cas, très
peu de différences entre un référentiel de compétences et un référentiel d’activités. Le premier
s’est contenté d’ajouter le verbe « savoir » devant un certain nombre d’activités et c’est ainsi que
l’on « fabrique » du savoir-faire.

Par exemple, les principales activités d’une secrétaire consistent à tenir l’agenda de son patron
et organiser des réunions. Ses compétences seront : « savoir tenir l’agenda d’un patron ; savoir
organiser des réunions ». En souhaitant rester très proche de l’activité, du « faire », on ne parvient
pas à expliquer ce qui permet d’agir et de réussir. On reste purement descriptif. En revanche
l’aspect positif tient au fait de s’obliger à décrire les compétences de manière concrète par des
« êtres capables de » encadrés par des indicateurs et des comportements observables, ce que
l’on connaît bien en pédagogie !

2.3 L’approche par les comportements et le savoir-être


En parallèle à l’approche par les savoir-faire, d’autres écoles donnent un poids déterminant
au comportement défini dans la plupart des cas comme ce qui appartient en propre à l’indi-
vidu, ce qui concerne ses attitudes, et qui permet de le distinguer des autres. Le comportement
est alors directement rattaché à la personnalité : pour prédire le premier, il suffit de décrire la
seconde et inversement.

Cette approche peut s’illustrer par six compétences « génériques » :


–– les compétences d’action et de réalisation (motivation d’accomplissement, initiative,
recherche d’informations…) ;
–– les compétences d’assistance et de service (compréhension interpersonnelle) ;

278
La compétence ■ Chapitre 13

–– les compétences d’influence (impact et influence, sens de l’organisation, établissement de


relations…) ;
–– les compétences managériales (le développement des autres, la directivité, la direction
d’équipe…) ;
–– les compétences cognitives (le raisonnement analytique, l’expertise technique) ;
–– les compétences d’efficacité personnelle (la maîtrise de soi, la confiance en soi, l’adaptabilité,
l’adhésion à l’organisation…)1.

Les limites d’une telle approche tiennent en deux points :


–– en se situant exclusivement du point de vue de la psychologie, on renvoie à des concepts
souvent flous pour les non-spécialistes même si chacun croit en maîtriser le sens : l’intuition,
le bon sens, les capacités relationnelles, le sens stratégique, la prudence… sont des termes
difficiles à manipuler ;
–– en donnant une place explicative à la dimension personnelle, on ne permet pas de créer
des référentiels opératoires capables d’aider à développer les ressources humaines ; en effet
si l’on considère que le charisme est explicatif de la compétence, on est obligé d’admettre
qu’en dehors du recrutement, il y a peu de moyens d’agir !

Ces questions renvoient à un problème plus général et plus pernicieux, celui des rapports
entre savoir-être et compétence. D’un côté on ne peut pas nier que dans la compétence, des
savoirs comportementaux sont en jeu : savoir encourager, savoir écouter, savoir rassurer, savoir
convaincre… La liste pourrait être longue !

D’un autre côté, tous ces savoirs renvoient à des notions très subjectives, appartenant plus au
langage commun qu’à des catégories précises. Qu’est-ce que l’écoute ? Qu’est-ce que l’ouverture ?
Comment en donner une définition partagée par tous et non discutable ?

Par ailleurs, l’importance accordée à la compétence individuelle fait oublier que la perfor-
mance est souvent collective. En insistant sans cesse sur la responsabilité de l’individu et le rôle
de sa personnalité, les entreprises diluent du même coup toute réflexion sur la responsabilité
collective. (Bellier, 1991).

1. A. Mitrani et coll., op. cit., p. 63-65.

279
Traité des sciences et des techniques de la formation

2.4 L’approche par les savoirs, savoir-faire et savoir-être


Dans de nombreuses entreprises, ces différentes approches se combinent sous forme d’une
trilogie. Habituellement cette combinaison ne repose pas sur une théorie construite mais plus
sur un « constat de bon sens » et consensuel qui permet une communication aisée.

Mais cette approche cumule les inconvénients que nous avons soulevés plus haut tout en
en suscitant de nouveaux du fait de la juxtaposition.

Ainsi, on est souvent amené à se poser des problèmes de frontière :


–– Où s’arrête le savoir et où commence le savoir-faire ? Savoir taper à la machine suppose-t‑il
un savoir et si oui lequel ? La gestion des ressources humaines est-elle un savoir ?
–– Où s’arrête le savoir-faire et où commence le savoir-être ? L’animation d’équipe est-elle un
savoir-être ou un savoir-faire ? Et les compétences commerciales ? Le management fait-il
appel à des savoirs, des savoir-faire ou des savoir-être ?

À ces questions s’ajoutent des problèmes d’homogénéité et de « maille » :


–– Entrer dans le détail pour les savoirs et les savoir-faire est possible. Mais, comment obtenir
quelque chose de comparable en termes de savoir-être ?
–– Jusqu’où doit-on aller ? Recherche-t‑on l’exhaustivité ou non ?
–– Faut-il ou non bâtir un référentiel général de compétences ? Quand on le fait, on débouche
sur des outils très lourds et qui tiennent du catalogue. Quand on ne le fait pas, on accroît la
tendance à l’hétérogénéité dans l’organisation, avec une multitude de listes locales qui ne
communiquent pas entre elles.

Cette approche par la trilogie est surtout une juxtaposition d’hypothèses éparses dont on
cumule les écueils et non une théorie à part entière.

2.5 L’approche par les compétences cognitives


La dernière approche que nous avons choisi de présenter repose sur une définition très
prosaïque de la compétence1 : elle est la capacité à résoudre des problèmes de manière efficace
dans un contexte donné. Cela signifie que l’efficacité n’existe pas en soi mais est déterminée
entre autres par le contexte.

1. Pour une présentation plus approfondie de cette approche, voir S. Michel et M. Ledru (1991). Capital compé-
tence dans l’entreprise, Paris, ESF.

280
La compétence ■ Chapitre 13

Ce que nous cherchons à comprendre ici concerne le comment on résout les problèmes. La
compétence n’est pas ce qu’on fait mais comment on parvient à le faire de manière satisfaisante.
C’est donc ce qui est sous-jacent à l’activité et non pas l’activité elle-même.

Ceci amène à s’interroger sur les stratégies de résolution de problèmes qui sont mises en
œuvre pour agir. Ces stratégies sont des « démarches intellectuelles » d’ordre cognitif ; elles
sont proches de ce que les cognitivistes nomment « connaissances procédurales ». Elles jouent
un rôle de guide de l’action, elles sont enfin ce qui permet d’intégrer d’autres compétences en
fonction du contexte.

On tente ici de nommer non pas l’action mais ce qui est sous-jacent à l’action et la rend possible :
–– la compétence est la combinaison originale de capacités dans un contexte donné. Elle n’est
pas la somme de capacités particulières ;
–– il existe une capacité particulière qui joue un rôle d’intégration par rapport aux autres et qui
guide l’action : ce sont les démarches intellectuelles.

Le postulat est le suivant : quand il y a résolution de problème, une démarche intellectuelle


est présente, y compris quand il s’agit de traiter un problème d’ordre relationnel ou matériel.
L’hypothèse retenue est que ces démarches intellectuelles sont spontanément transférées dans le
cas d’une mobilité ou d’un changement de contexte. Ceci pour deux raisons :
–– elles sont en grande partie inconscientes et automatisées : c’est une manière d’aborder et de
résoudre le problème, presque par « réflexe » ;
–– elles se sont construites dans l’action, par l’expérience : face à l’inconnu, en cas de changement
et de rupture, elles sont spontanément sollicitées.

On voit donc l’intérêt en termes de mobilité : faire passer un salarié d’un emploi X réclamant
telle démarche à un emploi Y réclamant la même démarche est une garantie de succès, même si
les contextes professionnels sont différents.

Bien entendu, la démarche intellectuelle ne suffit pas à expliquer toute la compétence. Cette
approche ne prétend pas à l’exhaustivité. Elle cherche surtout ce qui est discriminant, explicatif,
ce qui fait la différence ou la proximité entre deux emplois, entre deux manières de s’y prendre.
C’est une approche surtout efficace en termes de mobilité et d’orientation.

Cette démarche centrée sur les compétences cognitives a, elle aussi, des limites :
–– Elle est surtout utile pour comparer de manière qualitative des emplois a priori différents
entre eux ; en revanche quand il s’agit d’évaluer et de classer, elle est sans grand intérêt.
Ainsi pour la mobilité ou l’orientation, elle apporte des informations pertinentes ; beaucoup
moins pour la rémunération ou le recrutement ;

281
Traité des sciences et des techniques de la formation

–– Elle est plus difficile à communiquer que les autres approches puisqu’elle décrit des auto-
matismes inconscients, non perçus spontanément par les individus.

En ce qui concerne la formation, elle permet d’insister sur les démarches intellectuelles et
d’identifier des objectifs pédagogiques rarement traités mais elle ne permet évidemment pas de
construire un module de formation classique. Les compétences cognitives se construisant dans
l’activité, c’est d’abord sur le terrain que l’apprentissage doit se réaliser.

3. Les débats de la compétence


Nous n’avons pas la prétention de passer en revue tous les débats dans lesquels la compétence
est impliquée. À titre d’illustration nous aborderons trois questions :
–– les compétences transversales ;
–– les compétences et le contexte ;
–– le développement des compétences en situation de travail ;

3.1 L’éternel retour des compétences transversales


La plupart des cabinets ou des entreprises utilisant les approches compétence de type savoir/
savoir-faire/savoir-être ont réagi aux limites qu’elles comportent, en particulier la non-transver-
salité qui empêche la comparaison entre secteurs différents. On a alors vu émerger l’idée qu’il
existerait certaines compétences transversales, parfois sous forme de « métacompétences » ou
compétences « génériques » qui viendraient structurer et aider à classer les autres. On distingue
par exemple des compétences d’organisation, d’animation, ou de développement1. Elles sont
parfois complétées par une hiérarchisation qui distinguerait par exemple l’innovation de la
simple application2.

Mais encore faut-il être sûr :


–– que les compétences transversales soient vraiment des compétences, c’est-à‑dire qu’elles
expliquent pourquoi il y a ou pas d’action réussie ;

1. Par exemple, les travaux de Mc Clelland, op. cit., p. 243.


2. Ceci reprend d’ailleurs avec un point de vue « hiérarchisant » les critères qui étaient développés depuis 1987
par COROM et ceux menés par A. d’Iribarne (1989). La Compétence. Défi social, enjeu éducatif, Paris, Presses
du CNRS.

282
La compétence ■ Chapitre 13

–– qu’elles soient effectivement celles qui expliquent le mieux la transversalité. ce terme restant
d’ailleurs à définir.
–– que ce qu’on met derrière les termes retenus soit suffisamment clair pour qu’on ne retombe
pas sur des problèmes de subjectivité.

Or pour chacune de ces questions, le moins qu’on puisse dire est qu’on manque d’éléments.

Par ailleurs, la notion même de compétence transversale est en contradiction avec la définition
de la compétence. Rappelons en effet que cette dernière est censée être liée à un contexte donné,
à une situation professionnelle précise. Parler de compétence transversale, c’est faire l’hypothèse
que certaines compétences sont systématiquement utilisables quelle que soit la situation dans
laquelle elles s’appliquent. Est-ce par nature ? Est-ce par choix ? Est-ce tout simplement parce
qu’on est « remonté » d’un cran dans la description et dans ce cas est-on en train de nommer
autrement la « démarche intellectuelle » ?

Ces questions en rejoignent d’autres plus théoriques sur la transférabilité. B. Rey (1996) a pu
faire la démonstration que cette dernière n’existait pas en dehors de ce qui lui donne forme :
l’intention. On transfère parce qu’on veut le faire. Et cette intention est elle-même le fruit
d’une histoire, d’une situation psychologique et sociale qui dépasse largement la question de
la compétence.

Signalons l’actualité de cette question qui revient régulièrement sur le devant de la scène tant
elle suscite une demande à la fois des entreprises et des individus. Ainsi, les compétences clés1
ou les compétences socles2, dont les listes sont variables, sont présentes à la fois pour gérer les
« hauts potentiels » mais aussi les chômeurs à qui on fait miroiter l’idée que quelques compé-
tences bien choisies sont le secret de l’insertion. L’employabilité serait à ce prix. Mais peut-on
maîtriser une compétence en général et être sûr de pouvoir l’utiliser à bon escient dans des
contextes qui peuvent être fort différents ? Autant de discours à la limite de la contradiction
intellectuelle mais qui rassurent.

Derrière ces questions, se pose celle de la transférabilité des compétences. Si la compétence


est liée à un contexte particulier, peut-on imaginer que rien n’est transférable d’un contexte à
l’autre ? Alors toute formation hors contexte précis n’a aucun intérêt et seule la formation sur le
tas permet d’acquérir des compétences pour le contexte spécifique dans lequel elle est dispensée.
Cette question est d’ailleurs très proche de celle posée par la loi sur la VAE (validation des acquis

1. Le « socle de compétences » ou CLEA, défini au niveau européen, nous semble relever d’une autre approche,
celle de « compétences de base » nécessaires pour tous les adultes d’un pays.
2. CLEA identifiées par la Commission européenne et source de grands chantiers en France.

283
Traité des sciences et des techniques de la formation

de l’expérience). L’idée que l’on puisse faire valider ce que l’on a appris en travaillant et que
cette validation soit équivalente à un diplôme tout ou partie est une vraie révolution dans notre
culture du diplôme. Mais l’équivalence semble parfois devenir l’identité de deux expériences.
Avec la VAE, on fait l’hypothèse implicite qu’être comptable dans une PME pendant cinq ans
permet d’acquérir la même chose qu’être comptable dans une grande entreprise ou dans un
cabinet d’experts-comptables… et que toutes ces expériences sous-entendent la maîtrise des
mêmes savoirs. On peut l’admettre intellectuellement même s’il y a là une sorte de négation de
la dimension contextuelle de la compétence. Mais, dans les faits, quand la grande entreprise
verra arriver le comptable de la PME, considérera-t‑elle qu’il a vraiment la même compétence
sans avoir la même expérience que son comptable à elle ?

Le dilemme est réel, car à trop particulariser la formation des compétences, on fige définiti-
vement chacun où il est ; à trop la généraliser, on lui fait perdre son sens.

3.2 Compétence et contexte


Une des évolutions les plus marquantes des travaux de ces dernières années concerne l’impor-
tance prise par les situations de travail et l’analyse de l’activité. De manière un peu caricaturale,
on peut opposer ces recherches aux approches gestionnaires caractérisées par la production de
« référentiels de compétences ». La fonction RH s’est souvent laissé enfermer dans la fabrication
de ces outils au service de la GPEC en s’éloignant de la réalité du travail. À force de décrire des
compétences de plus en plus abstraites, « on a laissé filer le travail » pour reprendre l’expression
de François Dupuy12.

Dans ces circonstances, les expérimentations et les recherches sur les compétences en situa-
tion de travail sont apparues comme une réponse ou tout au moins une alternative. Ces travaux
existaient depuis plusieurs années mais concernaient surtout un cercle restreint de chercheurs3.
Deux idées clés vont s’imposer :
–– les notions d’environnement, de contexte, de situation vont être jugées comme indispen-
sables pour travailler sur les compétences – ce qui nous ramène aux raisons d’être historiques
de ce concept ;
–– la nécessité d’adopter une vision moins centrée sur l’individu et la volonté de prendre en
compte d’autres acteurs, d’autres éléments que le collaborateur au travail.

1. F. Dupuy (2011). Lost in Management, Paris, Le Seuil.


2. Ajoutons à cela la « vague des suicides » en 2009 et leur forte médiatisation et l’on comprendra que la GRH
s’est trouvée fortement remise en cause.
3. J.-M. Barbier et M. Durand (2006). Sujets, actions, environnements, Paris, PUF.

284
La compétence ■ Chapitre 13

Citons les travaux de B. Gazier1 qui propose un cadre d’analyse stratégique pour distinguer
différentes approches des compétences : une vision classique ou il s’agit de fixer ou de capter la
main-d’œuvre ; une vision ouverte et dynamique où il s’agit de distinguer des trajectoires internes
ou externes à l’entreprise. Ainsi, dans le cas d’un marché interne dynamique portant sur une
approche individuelle (par opposition à des approches collectives), on trouvera le modèle de la
compétence qui consiste à former, développer et faire bouger au sein même de l’organisation
des salariés que l’on a recrutés peu compétents. On est bien loin d’une approche analytique où
chaque activité donne lieu à une « ligne » de compétence associée dans un référentiel censé être
exhaustif. Ces travaux permettent de penser les politiques de gestion des compétences à partir
des stratégies d’entreprises en lien avec leur environnement et les différents jeux d’acteurs qui
construisent cet environnement.

« Tantôt règles de travail ou de gestion, de nature individuelle ou collective, inscrites dans des
contextes d’ajustement ou de développement, les démarches compétences présentent bien de
multiples figures dont les points de fragilité constituent autant de marges de manœuvre pour les
salariés2. »

Parce que les politiques de formation s’inscrivent dans un contexte organisationnel, elles ne
peuvent être universelles ; la compréhension de ce contexte passe par l’analyse des définitions
des compétences, la manière dont elles sont situées et intégrées dans une vision particulière
de la gestion des hommes. L’articulation entre stratégie, organisation et approche compétence
semble donc indispensable pour comprendre les choix en termes de formation.

3.3 Développement des compétences en situation de travail


Transversalité limitée et contextualisation vont dans le même sens : sortir du général et investir
le spécifique comme une condition de réussite du développement des compétences. Cette
orientation va être majeure pour la formation. Initiée par les travaux sur l’analyse de l’activité3,
l’analyse des situations de travail comme lieu d’apprentissage est au cœur des travaux récents
sur le développement des compétences4. La formation est envisagée comme une dynamique,
celle des processus d’apprentissage à l’œuvre dans le travail. Les questions sont nombreuses :
rôle du soutien managérial, rôle des collègues, des modes de coopération et de socialisation

1. B. Gazier (2010). Les Stratégies des ressources humaines, Paris, La Découverte, 4e éd.
2. S. Bretesché et C. Krohmer (2010). Fragiles compétences, Paris, Presses des Mines.
3. Y. Clot (2008). Le travail sans l’homme ? Pour une psychologie des milieux de travail et de vie, 3e éd. augmentée
(1re éd. 1995), Paris, La Découverte et Clot Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir, Paris, PUF, coll. « Travail humain ».
4. S. Bretesché et C. Krohmer (2010). Fragiles compétences, Paris, Presses des Mines.

285
Traité des sciences et des techniques de la formation

(Devos et Dumay, 20061). Mais ce sont aussi les formes d’organisation du travail qui deviennent
centrales pour comprendre à quelles conditions les individus vont apprendre en travaillant. Les
travaux sur les environnements capacitants et les capabilités (Oudet, 20142) développés à partir
des théories de l’économiste du développement Amartya Sen, vont permettre de réinterroger
le lien entre ressources mises à disposition de l’apprenant dans son contexte professionnel et
développement des compétences.

D’une manière générale, on s’intéresse plus3 au transfert et à ses conditions de réussite qu’au
module de formation4. Et on analyse plus l’activité que le contenu d’un programme pédagogique
pour comprendre les processus d’apprentissage (Champy-Remoussenard, 2005)5. Comment faire
pour que chaque situation de travail devienne apprenante ? Comment faire pour que chacun puisse
jouer son rôle dans le développement des compétences ?

Comment « produire » les compétences là où elles seront utilisées ? Comment les déve-
lopper en situation de travail ? Ces questions réinterrogent également les pratiques de conception
pédagogiques (Enlart, 20086). Finalement sait-on adapter nos connaissances en ingénierie de
formation aux approches compétences7 ? Car si nous savons depuis toujours transmettre des
connaissances, la question de leur mobilisation en situation professionnelle n’était – en fait – pas
jugée critique. Or le concept même de compétence oblige à mettre l’accent sur les processus
d’appropriation et d’utilisation dans l’activité de ce qui a été considéré comme « appris ».

Si les compétences s’acquièrent dans l’action, faut-il alors continuer à envoyer les salariés
en stages de formation ? Faut-il enseigner des savoirs sans se demander à quelles conditions
ils seront mis en œuvre ? Si l’on était logique, seule la formation sur le tas correspondrait à la
démarche compétence. Et pourtant… on sait aussi que ce n’est pas seulement le fait de faire qui
permet d’apprendre. Au contraire, nombre de salariés laissés (abandonnés ?) dans la répétition
d’un travail routinier se retrouvent finalement inemployables et parfois fermés à toute évolution.
Comment alors définir et mettre en œuvre les conditions qui rendront les situations de travail

1. C. Devos et X. Dumay (2006). « Les facteurs qui influencent le transfert : une revue de la littérature », Savoirs,
12.
2. S. Fernagu Oudet (2014). « Agir collectif et environnement capacitant », Éducation permanente, hors série
AFPA, 171-186
3. Voir le chapitre 26
4. Deux numéros de la revue Savoirs portent sur ces thèmes en un an « Le transfert » 2006-12 et « Analyse de
l’activité et formation » 2005-8.
5. P. Champy-Remoussenard (2005). « Les théories de l’activité, entre travail et formation », Savoirs, 8.
6. S. Enlart (dir.) (2008). Les dispositifs en question, Paris, Éditions Liaisons.
7. S. Enlart (2014) « Ingénierie pédagogique ; de l’élargissement à l’évanouissement », in E. Bourgeois et S. Enlart,
Apprendre dans l’entreprise, Paris, PUF.

286
La compétence ■ Chapitre 13

apprenantes ? Voilà un des grands défis des années à venir pour tous ceux qui s’intéressent
au développement des compétences. Défi complexe car il relève aussi des rapports sociaux
entre acteurs, du rôle et de la place effective accordée au management, du fonctionnement des
collectifs de travail, des modes de gestion des ressources humaines (évaluation, promotion,
reconnaissance…).

4. Conclusion
Ainsi, en insistant sur le rapport à l’activité et au contexte, la compétence amène à interroger
non seulement la formation professionnelle mais surtout l’ingénierie et la conception de dispo-
sitifs adéquats. Et si l’approche compétence a fortement revalorisé les « formations actions », les
mises en situation, l’utilisation de l’expérience comme lieu formateur et l’idée d’« organisation
apprenante », elle a aussi apporté des questions théoriques et pratiques qui sont loin d’être
résolues.

Au-delà des débats sur sa définition, la compétence a également permis que se posent diffé-
remment les problématiques de la relation individu/organisation. Ce n’est plus l’entreprise qui
maîtrise totalement le travail : celui-ci devient un enjeu partagé, en partie entre les mains de
l’individu. Réciproquement l’individu se voit chargé d’une responsabilisation accrue – excessive ?
– de son employabilité, ce qui ne peut laisser les partenaires sociaux indifférents.

Autre débat, en passant des compétences aux compétences transversales, génériques et au


savoir-être, plus rien n’échappe à l’emprise de la gestion et de l’organisation : tout devient compé-
tence, tout comportement est à mettre en rapport avec le travail et la performance.

Ces questions touchent directement le champ de la formation à partir du moment où elle


est théoriquement et traditionnellement un lieu de production des compétences. Or celles-ci
se développant dans l’activité, la formation se trouve réinterrogée à la fois dans ses pratiques et
dans ses fondements… et parfois dans son utilité même.

Finalement, l’intérêt porté aux compétences va de pair avec une remise en cause de la forma-
tion classique, fût-elle continue et professionnelle, construite sur le modèle scolaire (Enlart et
Benaily, 2008). Et on assiste au contraire à une valorisation des apprentissages implicites qui se
passent dans les entreprises en situation de travail. D’autant plus que les technologies de l’infor-
mation et de la communication font surgir des pratiques radicalement nouvelles et amèneront
sans doute à reposer une question fondamentale : faut-il encore apprendre à l’ère d’internet
(Enlart et Charbonnier, 2010) ?

287
Traité des sciences et des techniques de la formation

Ces questions devront se concrétiser au travers de formations des formateurs, d’accompa-


gnement des tuteurs, d’implication de la hiérarchie et de nouvelles postures individuelles1. C’est
somme toute à une passionnante redécouverte des processus d’apprentissage en entreprise – plus
que de la formation – que la compétence nous invite.

Lectures conseillées
Aubret J., Gilbert P., Pigeyre F. (1993). Savoir et L e B oterf G. (1995). De la compétence. Essai
pouvoir, les compétences en question, Paris, sur un attracteur étrange, Paris, Éditions
PUF. d’Organisation.
Bellier S. (1998). Le savoir-être dans l’entreprise, Revue Savoirs, particulièrement les
Paris, Vuibert. numéros 2005-8 et 2006-12.
Bourgeois E. et Enlart S. (2014). Apprendre dans Rey B. (1996). Les Compétences transversales en
l’entreprise, Paris, PUF. question, Paris, ESF.
Enlart S. et Bénaily (2008). La fonction formation Zarifian P. (1999). Objectif compétence, Paris,
en péril, Paris, Éditions Liaisons. Éditions Liaisons.
Enlart S. et Charbonnier O. (2010). Faut-il encore
apprendre ?, Paris, Dunod.

1. Carré P. (2005). L’Apprenance, Paris, Dunod.

288
Chapitre 14
Mémoire
et apprentissage1

1. Par Moïse Déro et Fabien Fenouillet.


Sommaire
1. Historique............................................................................................................. 291
2. Positionnement..................................................................................................... 292
3. Multiplicité des apprentissages............................................................................. 293
4. Une mémoire modulaire et dynamique................................................................... 294
5. Les processus mnésiques...................................................................................... 300
6. Oubli et durée des souvenirs................................................................................. 302
7. De la mémoire à l’apprentissage............................................................................ 302
8. Pistes pour mieux apprendre................................................................................. 303
9. Conclusion............................................................................................................. 307
Lectures conseillées.................................................................................................. 307
Depuis la Préhistoire, notre espèce humaine a su démontrer de formidables capacités d’ap-
prentissage, d’adaptation et de transmission de ses savoirs à sa descendance. Pour l’enfant comme
pour l’adulte, apprendre et se former demeurent indispensables pour s’adapter aux environne-
ments sociaux et techniques particulièrement complexes dans lesquels nous évoluons.

Mais comment cet apprenant fait-il pour apprendre ? Immédiatement viennent à l’esprit les
termes de mémoire et d’apprentissage, qui sont à la fois des concepts et des processus, tous
deux complexes et intimement liés dans des processus dynamiques. Donnons d’emblée deux
définitions larges pour faciliter la compréhension de ce chapitre.

Selon nous, l’apprentissage est un processus dont l’intégration répétée d’informations va


produire une modification durable du comportement de l’apprenant, témoignant d’une interac-
tion et d’une adaptation de celui-ci à l’environnement considéré. Quant à la mémoire, elle renvoie
aux processus mentaux assurant l’acquisition de nouvelles informations, leurs conservations,
leurs restitutions ultérieures ou la modification de connaissances antérieures de l’apprenant.
La mémoire est donc le support de l’apprentissage.

1. Historique
Depuis l’essor des théories cognitives dans les années 1960, mémoire et apprentissage sont
aujourd’hui bien mieux compris que par le passé.

De l’Antiquité d’Homère (viiie av. J.-C.) jusqu’à la Renaissance de Giordano Bruno (1600),
la mémoire fut particulièrement étudiée par des philosophes, des lettrés, des religieux ou des
savants la considérant comme une faculté précieuse associée à nos souvenirs et nos connais-
sances1. En France, le rationalisme de Descartes la rendit secondaire pendant un temps au
profit du raisonnement. La mémoire retrouva de l’intérêt auprès des pionniers de la psychologie
expérimentale (tel Ebbinghaus en 1885 sur les courbes d’oubli) et de la neurologie (premières
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

localisations cérébrales scientifiques avec Broca en 1861). En 1890, James distinguait déjà une
mémoire primaire de capacité limitée d’une mémoire secondaire.

En 1889, le physiologiste Pavlov a mis en évidence les réflexes conditionnels et obtint en 1904
le prix Nobel. Au début du xxe siècle, ce sont les termes d’« apprentissage » et de « comporte-
ment » que privilégia l’approche behavioriste. Fondamentalement, furent démontrés plusieurs

1. Alain Lieury, amical prédécesseur de ce chapitre dont nous saluons ici la mémoire, a abordé en détail cet
aspect historique dans le magnifique Livre de la mémoire, paru chez Dunod.

291
Traité des sciences et des techniques de la formation

phénomènes importants dans les apprentissages, comme ceux des associations entre stimuli
et réponses autour des concepts de conditionnement. Toutefois, le behaviorisme ne s’intéressa
pas aux processus internes cérébraux et psychologiques les sous-tendant.

Les théories cognitives, issues de la cybernétique1 pluridisciplinaire des années 1950, boule-
versèrent les connaissances sur la mémoire humaine : depuis on emploie les termes de processus
mnésiques pour rendre compte de sa multiplicité de structures et de fonctionnements. À la fin
des années 1960, concomitamment à la psychologie cognitive, les neurosciences se sont dévelop-
pées, autour notamment des maladies de la mémoire, et avec elles des technologiques d’imagerie
cérébrale. Le cognitivisme des années 1970 va affiner la connaissance des fonctionnements
mnésiques avec, par exemple, la distinction entre mémoire sémantique et mémoire épisodique,
ou encore le premier modèle d’une mémoire de travail dont l’imagerie médicale démontrera la
pertinence. Les sciences cognitives évolueront entre d’une part une psychologie à l’approche
modulaire et fonctionnelle de la mémoire, et d’autre part une approche connexionniste avec
l’outil conceptuel des réseaux de neurones formels en simulation informatique. Depuis, avec
l’extrême ouverture des sciences cognitives, théories et modèles de la mémoire ont encore
progressé, se sont perfectionnés et surtout complexifiés.

2. Positionnement
Apprendre ne peut se faire sans intégrer dans une grande équation d’autres systèmes psycho-
logiques, tels que les fonctions exécutives ou les processus motivationnels, qui renvoient à la
dimension personnelle et dispositionnelle de l’individu apprenant. Ce dernier est plus largement
encore inséré dans des environnements pouvant être facilitateurs ou non de ses apprentissages.
L’apprenant est nécessairement socialisé et actif dans de nombreux lieux sociaux où il développe
ses répertoires comportementaux, construit et mobilise des compétences, mais cet aspect ne
sera pas développé ici.

Bien que des preuves neurologiques sous-tendent la mémoire, nous souhaitons un abord plus
compréhensible des apprentissages, de ce que met en œuvre un apprenant à l’aune de concep-
tions cognitives. Ce chapitre est centré sur les processus psychologiques majeurs impliqués
dans « l’apprendre ».

1. Théorie de « la communication et de la commande chez l’animal et dans la machine » (Wiener, 1948).

292
Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14

3. Multiplicité des apprentissages


Pour comprendre les processus d’apprentissages impliqués en formation et le fait que deux
apprenants n’apprendront pas de la même manière, il faut prendre en compte au minimum
plusieurs facteurs. Nous en présentons ici quatre.

Le premier est celui du rapport au savoir, avec sa dimension d’engagement que nous ne
développons pas ici. Le second facteur est celui de l’habitude ou non pour l’apprenant d’être
en apprenance. Le troisième facteur est la nature des apprentissages visés dans une formation :
selon qu’ils sont procéduraux (savoir-faire) et/ou plutôt déclaratifs (savoirs), ils n’impliqueront
pas les mêmes systèmes et processus mnésiques (voir infra). Le quatrième facteur renvoie à
l’expertise initiale des apprenants et l’étendue de leurs connaissances antérieures au sens large
du domaine de la formation considérée.

Pour tel apprenant déjà expert, l’apprentissage pourra être très aisé de par ses stocks de
connaissances et de stratégies antérieurs qu’il saura remobiliser, pouvant donner l’impression
qu’apprendre se fait sans effort. Pour tel autre apprenant, totalement novice dans un module
de formation, apprendre réclamera beaucoup plus d’efforts, allant jusqu’à l’impression d’une
impossibilité à apprendre et à comprendre l’objet même d’apprentissage.

Ce facteur expertise renvoie à des notions connues en psychologie : celles des processus
automatiques versus contrôlés que nous relions ici aux apprentissages.

3.1 Automaticité et contrôles des apprentissages


Dans les processus contrôlés, les traitements de l’information sont plus lents que dans les
automatismes, car ils sont délibérés. L’apprenant utilise beaucoup de ressources attentionnelles
parce que ses élaborations mentales sont complexes et conscientisées : il sollicite ses fonctions
exécutives (mémoire de travail, choix stratégiques et flexibilité mentale), qui sont des processus
de haut niveau, pour sélectionner, traiter, élaborer et choisir les contenus informationnels à
mémoriser.

Aussi, apprendre quelque chose de totalement nouveau sera très coûteux et très long. Lorsque
les apprentissages se répètent régulièrement, ils peuvent au fur et à mesure voir la charge mentale
requise diminuer et s’automatiser peu à peu. Les processus automatiques sont exécutés plus rapi-
dement que ceux contrôlés. Ils sont autonomes et irrépressibles, ne sollicitent pas de ressources
attentionnelles et ne sont pas perçus consciemment.

293
Traité des sciences et des techniques de la formation

En résumé, sous l’influence de nombreux facteurs physiologiques (fatigue, stress, etc.) comme
psychologiques, les apprentissages non automatisés sont des processus complexes qui opèrent
constamment des modifications de la structure mnésique. Apprendre, lorsqu’il s’agit de connais­
sances déclaratives est donc coûteux mentalement et suppose des apprentissages autorégulés.

3.2 Autorégulation des apprentissages


L’autorégulation des apprentissages utilise les processus mnésiques mais aussi les fonctions
exécutives sous l’influence des processus motivationnels. Cosnefroy (2011) en propose une
définition pragmatique : il s’agit d’un « apprentissage contrôlé de l’intérieur par l’apprenant, qui
trouve en lui-même des ressources pour se mettre au travail et y rester en adaptant sa conduite
afin de résister aux distractions, surmonter les difficultés rencontrées ou, plus généralement,
d’améliorer la performance produite ».

Ainsi, pour s’autoréguler, l’apprenant doit être éveillé, vigilant quant à la plupart de ses
processus cognitifs mais aussi affectifs et motivationnels. Selon son âge développemental, la
nature des apprentissages en jeu, ses buts et son niveau motivationnel, l’apprenant mobilisera
plus ou moins activement des cognitions et des métacognitions, des affects, des répertoires
comportementaux dans ses processus d’apprentissage. Apprendre est donc envisagé comme
un processus complexe et durable psychologiquement.

4. Une mémoire modulaire et dynamique


On distingue au minimum la mémoire à court terme (MCT), plus « consciente » des infor-
mations manipulées, de la mémoire à long terme (MLT), plus durable. Toutes deux ont des
caractéristiques et des fonctionnements différents et surtout renferment d’autres types de
mémoires encore plus spécialisées.

Le schéma simplifié (cf. fig. 14.1) que nous présentons concerne l’adulte. Il place de manière
structurée les différents modules de la mémoire ainsi que les processus de traitement informa-
tionnel entre ces modules, symbolisés par des flèches. Les paragraphes suivants abordent plus
en détail ces composantes mnésiques et la plupart de leurs échanges informationnels dans les
apprentissages.

294
Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14

Figure 14.1 - Modèle modulaire de la mémoire humaine

Depuis les années 1960, on considère que l’apprenant capte les stimuli de son environne-
ment, que ses mémoires sensorielles (M. Sens.) traitent ces signaux sensoriels puis les envoient
à la MCT qui sollicite la restitution d’informations de la MLT pour produire des élaborations
mentales. Ces dernières peuvent ensuite être mémorisées et conservées en MLT (importance
de la flèche à double sens) : .

4.1 Les mémoires sensorielles


Notre environnement et notre propre corps génèrent des milliards de stimuli captés par nos
systèmes sensoriels spécialisés, dont le rôle est de sélectionner dans cet immense flux infor-
mationnel les éléments saillants, de réduire drastiquement l’information en la simplifiant et la
recodant sous différents codes envoyés à la MCT. Parmi nos habituels cinq sens, les perceptions
visuelles et auditives sont les plus importantes, ce qui explique qu’elles ont été très étudiées,
scientifiquement ou non.

Ainsi, s’est répandue à tort en France au xxe siècle l’idée populaire de méthodes pédagogiques
associées à chaque mémoire sensorielle car de grands savants français du xixe siècle en avaient

295
Traité des sciences et des techniques de la formation

postulé l’existence, sans toutefois la démontrer. Hélas, les mémoires sensorielles sont extrême-
ment évanescentes et surtout non stratégiques à la différence de nos processus d’apprentissage
efficients. La mémoire iconique est le nom scientifique pour ce registre sensoriel des informa-
tions visuelles : une vision précise mais très étroite (3° d’angle visuel dans la fovéa), une perception
rapide toutes les 1/25e de seconde mais d’une survie inférieure à 1 seconde. La mémoire échoïque
est la mémoire sensorielle traitant le code auditif. Il lui faut aussi transformer les informations
non stockables car trop nombreuses en des informations réduites mais pertinentes pour les
traitements mentaux ultérieurs : c’est le code lexical que traite la mémoire lexicale (ML).

4.2 La mémoire à court terme (MCT)


4.2.1 Fonctionnement et caractéristiques
La MCT est un stockage de capacité limitée qui maintient provisoirement des informations
pertinentes pour des traitements plus élaborés. Elle sert à l’encodage (la mémorisation) à long
terme. Tout autant, elle permet la récupération (le souvenir) de connaissances antérieures pour
créer de nouvelles idées et élaborations mentales susceptibles de générer de nouvelles connais-
sances qu’il faudra mémoriser durablement. Chaque mémoire utilisant ses codages spécifiques,
les informations manipulées en MCT sont des codages aux propriétés informationnelles diffé-
rentes. La MCT étant sensible à l’oubli et aux interférences (perturbations pendant le traitement),
la répétition mentale est très importante tant que l’encodage n’a pas eu lieu.

Les caractéristiques de la MCT vont varier selon les codages manipulés. Ainsi, pour des infor-
mations verbales déjà connues, l’empan mnésique (la capacité moyenne) chez l’adulte varie entre
5 et 9 éléments (« 7 ± 2 ») en référence au nombre magique 7 de Miller (1956). Or ces éléments
verbaux ne peuvent rester qu’au maximum 30 secondes en MCT si l’auto-répétition de l’appre-
nant est perturbée. Il existe aussi d’autres rétentions à court terme conceptualisées notamment
dans le modèle de la mémoire de travail de Baddeley (2000), mémoire faisant partie de la MCT.

4.2.2 La mémoire de travail (MdT)


Pour Baddeley et al. (2014), c’est un système qui gère nos ressources cognitives et attention-
nelles, maintient provisoirement des informations tout en assurant leurs traitements pour la
tâche mentale en cours. La MdT comprend un administrateur central (AC) qui pilote d’autres
composantes : une boucle phonologique (BP) pour les informations verbales, un calepin-visuo
spatial (CVS) pour les informations visuelles et spatiales et un buffer épisodique (BE) pour des
informations multimodales mais aussi sémantiques et personnelles.

L’AC est une composante attentionnelle qui a un rôle dans la sélection, la planification
et la coordination des traitements infor­mationnels. Il peut utiliser une ou plusieurs de ses

296
Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14

sous-composantes dont il intègre les informations. L’importance de la boucle phonologique est


grande, car via une auto-répétition des informations, elle rend possible des opérations mentales
que réclament la lecture, la littératie, la compréhension orale, la production d’écrits ou encore
les problèmes arithmétiques. Quant au calepin visuo-spatial, il permet de manipuler nos images
mentales, y compris celles issues d’informations verbales que l’on transforme en images. Enfin,
le buffer épisodique intègre les informations multimodales en une représentation épisodique,
un événement mental unique et personnel pour l’apprenant.

À partir d’une même formation suivie, chaque apprenant emploie donc des stratégies diffé-
rentes et éminemment personnelles utilisant des composantes verbales, visuo-spatiales et/ou
épisodiques.

4.3 La mémoire à long terme (MLT)


Au sein de la MLT, il existe aussi des mémoires spécialisées où il est fait la distinction entre
d’une part la mémoire déclarative (MD) et d’autre part la mémoire non déclarative (MnD).

Qu’est-ce qui distingue fondamentalement ces deux systèmes de mémoire ? Au sein de la


MD, les apprentissages sont contrôlés consciemment par l’apprenant et utilisent la MCT pour
l’encodage et la restitution des connaissances à long terme. Ces apprentissages déclaratifs sont
donc coûteux cognitivement : ils occupent une charge mentale plus ou moins élevée, qui sollicite
des ressources attentionnelles. Dans la mémoire non déclarative au contraire, les apprentissages
peuvent intervenir hors du contrôle conscient de l’apprenant sans réclamer de charge mentale.

4.3.1 La mémoire déclarative (MD) ou mémoire explicite


Dans la mémoire déclarative nous allons situer plusieurs systèmes spécialisés. Bien que parfois
placées par d’autres auteurs parmi les mémoires sensorielles, nous faisons figurer en MD la
mémoire lexicale et les mémoires visuelles, de par l’importance de ces connaissances et traite-
ments spécifiques chez l’humain.

La mémoire lexicale (ML)


Que l’on entende prononcer un mot (mémoire échoïque) ou qu’on lise ce même mot (mémoire
iconique), les traitements issus de sens aboutissent irrémédiablement en quelques secondes en
un code unique pour les informations langagières : le code lexical. D’ailleurs, si on interroge
en différé (à long terme) les sujets sur les mots lus et/ou entendus la performance est égale.
Par contre, et c’est là un effet subjectif, les personnes se trompent plus souvent en croyant
avoir entendu une information plutôt que l’avoir lue. De fait, le contexte épisodique de la prise
d’information est moins bien mémorisé que l’information lexicale.

297
Traité des sciences et des techniques de la formation

Cette mémoire lexicale sert à la fois au stockage des informations verbales (les mots sont
des « fiches lexicales ») et au stockage des stratégies automatisées d’encodages et de décodages
lexicaux. Une fiche lexicale possède plusieurs composantes développées à des âges différents :
les premières composantes étant celles du langage oral, d’abord de l’écoute puis de la pronon-
ciation, puis, dans nos cultures de l’écrit, surviennent scolairement celles de la lecture et de
l’écriture. Il n’y a donc pas de mémoire auditive ou visuelle des mots, mais des composantes
lexicales différentes pour une même fiche lexicale.

Les mémoires visuelles (MV)


Sous cette catégorie, plusieurs composantes sont regroupées. La première est dite « visuelle »
et identifie des éléments dans des informations figuratives : elle détermine le « quoi » de notre
vision. La seconde est un système spatial déterminant des positions (pour le « où ») de notre
vision. Mais d’autres composantes visuelles ont été mises au jour encore : une mémoire visuelle
spécifique aux traitements des formes et des couleurs, une mémoire imagée stockant et identifiant
des images mentales familières (objet, plantes, animaux, etc.), une mémoire spécifique des visages,
une mémoire visuo-spatiale pour les traitements de localisation spatiale de formes ou d’images.

La mémoire épisodique (ME)


Classiquement, la principale distinction au sein de la mémoire implicite concerne la mémoire
épisodique et la mémoire sémantique : la première concernant des événements vécus avec des
éléments de leurs contextes, la seconde des idées et concepts généraux sur le monde, des faits
qu’un apprenant a eu l’occasion d’intégrer notamment par le langage.

Ainsi, la ME contient et traite des connaissances personnelles d’événements avec leurs


contextes, tels que des dates, des lieux, des états émotionnels, des personnes impliquées, le
niveau d’importance pour soi de l’événement, etc. Parfois nommée autobiographique, la ME est
particulièrement subjective : elle n’est pas la reproduction fidèle d’un événement mais sa fixation
personnelle. Bien que sous l’influence de nos états émotionnels, de l’oubli ou de la fréquence
d’un même événement, les épisodes peuvent cependant être modifiés par le raisonnement.
Aussi, dans cette construction d’une trace passée, il peut y avoir des distorsions et des biais dans
les souvenirs mémorisés. Les émotions ravivant la ME peuvent modifier notre souvenir passé.

La mémoire sémantique (MS)


Cette mémoire, indépendante de l’expérience personnelle, est plus durable et robuste que la
mémoire épisodique. Elle se centre sur des connaissances générales du monde. D’expérience,
nous savons avoir des connaissances mais sans nécessairement nous souvenir de tous leurs
épisodes initiaux, de leur utilisation antérieure, de leur réapprentissage et de leur réorganisa-
tion : « on sait » mais sans situer les « où », « quand », « comment » ou autre « pourquoi » on a
acquis ces savoirs.

298
Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14

Les connaissances en MS sont associées entre elles et forment des réseaux sémantiques plus
ou moins structurés. Elles se généralisent tout au long de la vie via la répétition d’épisodes d’ap-
prentissage et des phénomènes de consolidation où les traits communs des différents épisodes
sont sélectionnés et détachés de leur contexte. Il existe des connaissances très faciles à imaginer
mais aussi des concepts tellement abstraits qu’il est difficile de les imaginer même par analogie,
que seuls des experts du domaine connaissent.

On peut rapprocher de la MS plusieurs termes usuels : mémoire collective, connaissances


scolaires, culture générale d’un individu. Sur ce point des savoirs encyclopédiques, certains
chercheurs emploient le concept de mémoire encyclopédique pour parler des savoirs multimo-
daux (dates, représentations imagées, noms, définitions…) particulièrement organisés, issus de
la scolarité et de la formation. En éducation, il a été montré une corrélation importante entre ce
stock de connaissances structurées, l’évaluation et la prédiction à plusieurs années de la réussite
scolaire. L’hypothèse est que pour réussir sa scolarité ou sa formation, la quantité et la qualité
des savoirs déclaratifs à apprendre mais aussi ceux antérieurs de l’apprenant sont des facteurs
prégnants dans l’efficacité des apprentissages envisagés.

4.3.2 La mémoire non déclarative (MnD) ou mémoire implicite


Il existe également une forme non consciente de mémoire où l’apprenant ne peut s’expliquer
comment il a acquis les savoirs de ce type : il s’agit de la mémoire non déclarative. Le sujet récu-
père automatiquement et non consciemment des informations apprises, sans charge mentale.
La MnD regroupe elle aussi plusieurs mémoires spécialisées : la mémoire procédurale, les condi-
tionnements classique ou opérant, l’amorçage ou encore les apprentissages non associatifs. Nous
évoquerons seulement trois d’entre elles

La mémoire procédurale
C’est la mémoire de nos habiletés sensorimotrices, issue du développement psychomoteur. Les
habiletés sont acquises par la répétition motrice et s’affinent avec le temps pour devenir de plus
en plus performantes. C’est la mémoire des savoir-faire tels que l’apprentissage du clavier, de la
conduite d’un vélo ou d’une voiture, de la technique d’un sportif de haut niveau, des gestes profes-
sionnels experts (tour de main d’un artisan, par exemple), ou encore la virtuosité d’un musicien.

L’amorçage
L’effet d’amorçage et la technique expérimentale éponyme traduisent l’influence, sans que le
sujet en ait conscience, de la présentation préalable d’un stimulus (l’amorce) sur le stimulus qui
le suit (la cible). Ces amorces peuvent être de natures différentes (images, mots lus ou entendus,
voisins phonétiques ou sémantiques, etc.). On remarque qu’il y a généralement un gain de vitesse
de traitement quand l’amorçage est positif (amorce associée à la cible), et inversement quand
l’amorçage est négatif.

299
Traité des sciences et des techniques de la formation

Le conditionnement
Qu’on le nomme conditionnement classique, répondant ou pavlovien, il traduit les adapta-
tions de l’organisme à son milieu. Un stimulus d’ordinaire neutre peut devenir conditionnel
non consciemment s’il est présenté après un stimulus inconditionnel pour l’organisme. Par
la répétition de la situation, stimulus neutre et réaction deviennent conditionnels : exemple,
associer un signal sonore à la fin d’un cours ou de la journée de travail !

On rencontre aussi un conditionnement dit opérant car volontaire. On y distingue des renfor-
cements positifs et négatifs ainsi que les sanctions négatives et positives qui ont des conséquences
sur le comportement du sujet. Des travaux ont permis l’apparition des techniques d’enseignement
programmé où, via le numérique par exemple, les réponses d’un apprenant conditionnent les
informations suivantes qui lui sont fournies, dans un apprentissage très découpé et progressif.
Certains cognitivistes considèrent que les apprentissages cognitifs ne sont pas fondés sur les
conditionnements alors que d’autres mixent conditionnement et cognition.

5. Les processus mnésiques

5.1 La mémorisation


Mémoriser, c’est encoder l’information à long terme. Dans le buffer épisodique un processus
d’organisation se crée entre les informations de la MdT et d’autres stockées en MLT. Pour
parvenir à cette élaboration mentale qui est coûteuse en termes d’attention, l’apprenant doit
répéter les informations le temps de les associer correctement entre elles. À l’encodage, il faut
également retenir des indices du contexte. À l’idéal, il faut mémoriser aussi les stratégies adop-
tées qui pourront servir plus tard d’indices de récupération lorsque l’apprenant aura besoin de
se souvenir de cet épisode. De la qualité de la structuration des informations à mémoriser (on
parle de profondeur d’encodage) dépendra l’efficacité de la restitution ultérieure. Il est donc
important que l’apprentissage soit signifiant pour l’apprenant afin de l’engager dans ce processus
coûteux qu’est l’encodage.

300
Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14

5.2 La consolidation


Cette acquisition initiale peut se faire rapidement mais pendant quelques heures l’infor-
mation encodée reste fragile car sa fixation n’est pas achevée. Elle peut s’altérer par d’autres
informations interférentes survenues entre-temps ainsi que par l’oubli de comment y accéder.
Elle doit donc être consolidée pour être conservée durablement.

Suite à l’encodage, un processus de consolidation est initié. À la fois il maintient et réorga-


nise en MLT les représentations acquises en une sorte de maintenance qui stabilise la trace
mnésique. Cette phase de réorganisation prend du temps et comporte des processus à la fois
synaptiques (de quelques minutes à quelques heures) et systémiques impliquant plusieurs
structures cérébrales dont l’hippocampe (pendant plusieurs heures). La consolidation ferait
que des traitements explicites sont transférés à des traitements implicites, libérant ainsi des
ressources coûteuses.

On sait qu’un sommeil de qualité, postérieur aux apprentissages, est important pour la
consolidation. Le sommeil paradoxal influencerait les apprentissages procéduraux alors que le
sommeil à ondes lentes (80 % de notre temps de sommeil) aiderait à consolider et généraliser
les connaissances déclaratives.

5.3 Restitution et réapprentissage


Lorsqu’on fait appel à nos connaissances antérieures, un ensemble d’activités conscientes
et non conscientes de récupération en MLT a lieu, qui ramène en MCT des connaissances
stockées. Ce processus de restitution comprend un accès, une sélection, une réactivation et
une reconstruction des représentations mémorisées. Un apprenant peut être conscient qu’il
sait quelque chose (traitement dit de surface pour la disponibilité de l’information) mais être
en difficulté de la récupérer effectivement et pleinement (accessibilité à l’information).

Le cheminement dans nos souvenirs n’est jamais garanti de succès. Si l’apprenant récupère
une trace mnésique inadéquate (= se tromper de connaissances), des distorsions peuvent
s’en suivre dans les élaborations mentales et générer de faux souvenirs. S’il accède à la trace
mnésique pertinente, l’apprenant doit en sélectionner ensuite les informations utiles pour ses
élaborations mentales en MdT, avant d’en produire de nouvelles et de les encoder à leur tour.

La récupération correcte est facilitée quand les indices de récupération ont des similitudes
avec le contexte d’encodage. Mais le rappel est aussi influencé par l’état motivationnel de
l’apprenant. Plus les indices de récupération sont proches de l’apprentissage initial et plus

301
Traité des sciences et des techniques de la formation

facile sera la restitution, démontrant un gradient de récupération, allant du rappel libre et


ordonné (très difficile) à la reconnaissance (très facilité).

Chaque fois qu’un apprenant remémore (c’est-à‑dire apprend à nouveau, par de nouvelles
lectures et nouveaux cours par exemple), il altère ses connaissances antérieures et ré-encode
une nouvelle représentation en MLT qu’il consolidera.

6. Oubli et durée des souvenirs


Jusque dans les années 1960, on croyait l’oubli irrémédiablement associé à un « effacement »
des connaissances en mémoire à long terme. Les théories cognitives sont moins fatalistes car
elles évoquent une impossibilité souvent passagère à se remémorer un souvenir (idée, connais-
sances, événements…) faute d’indices pertinents en MCT pour investiguer la MLT. Ainsi des
indices de mémorisation, associés lors de l’encodage au contenu à apprendre, peuvent-ils servir
d’indices de récupération lors de la restitution de connaissances.

Des expérimentations ont montré que nos souvenirs sont relativement durables pour des
périodes allant de 3 mois jusqu’à 50 ans par rapport à des personnes que l’on a connues, mais
varient selon les anecdotes vécues et l’affect que l’on ressent vis-à‑vis de ces personnes. Les
modalités de reconnaissance (au plus proche de celles lors de la mémorisation) restent les plus
efficaces, celles de rappel spontané étant plus laborieuses à restituer. On se souviendra plus aisé-
ment des personnes plus sympathiques ou antipathiques que des personnes avec qui on a partagé
peu d’épisodes marquants. Se souvenir d’un nom en regardant une liste est facile mais dans le
temps, lui associer le bon visage devient de plus en plus compliqué et les risques de prendre une
personne pour une autre plus grands.

7. De la mémoire à l’apprentissage


Finalement, à quoi renvoie ce que nous appelons trivialement l’apprentissage de ces connais-
sances qui sont dispensées dans le cadre scolaire, universitaire ou en formation ?

Tout d’abord, il faut remarquer que d’un point de vue cognitif on ne parle pas de connais-
sance mais d’information. Deuxième point important, cette information subit un traitement
qui la transforme au fur et à mesure qu’elle « passe » de structures mémorielles en structures
mémorielles. Ainsi, au début du traitement, un mot écrit est une information visuelle stockée

302
Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14

dans la mémoire iconique. Ensuite ce mot est décomposé en une information qui est stockée
dans la mémoire lexicale et un ensemble d’informations phonologiques qui sont stockées dans
la mémoire de travail. Enfin, après ces différents traitements, c’est la sémantique du mot qui
est stockée dans la mémoire du même nom. La connaissance, telle que nous la concevons au
sens commun, correspond davantage à cette dernière étape qui, pour les connaissances décla-
ratives, consiste à stocker l’information en mémoire sémantique lorsqu’elle est généralisée ou
en mémoire épisodique lorsqu’elle est personnelle.

Nous savons que les connaissances en devenir doivent au préalable passer par le goulet
d’étranglement de la MCT qui ne permet le passage que de très peu d’informations à la fois
et pendant très peu de temps. Nous savons aussi que les images sont mieux mémorisées que
les mots car elles bénéficient d’un double encodage (verbal + imagé), dit « double codage ».
Ainsi la connaissance du fonctionnement de la mémoire est-elle riche d’enseignements pour
l’apprentissage.

8. Pistes pour mieux apprendre

8.1 Les formats de présentation de l’information


Pour un même contenu thématique, vaut-il mieux écouter son auteur lors d’une formation,
réviser seul le texte verbatim de cette intervention ou regarder une vidéo illustrant ses propos ?
Le sens commun nous fait généralement choisir le documentaire audiovisuel avec l’idée que
plus il y a d’informations de natures variées et plus grand sera l’apprentissage…

Pourtant, l’expérimentation n’arrive pas à ces conclusions. En 1996, Lieury et ses collabora-
teurs ont cherché à vérifier auprès d’une centaine de collégiens si, parmi les différents modes
de présentation pédagogiques possibles, les informations présentées visuellement facilitaient
réellement l’apprentissage. Les jeunes apprenants devaient apprendre des connaissances très
variées tirées de DVD de l’émission E = M6 (sur la poussée d’Archimède ou encore la diges-
tion). Les contenus visuels et auditifs avaient été repris et diffractés en autant de possibilités
de supports pédagogiques exploitables en croisant les divers codages verbaux (mémoire lexi-
cale) et imagés (mémoires visuelles). En effet, l’information déclarative peut être présentée
visuellement à la fois sous une forme verbale pure (la lecture), imagée pure (une vidéo sans
les mots, c’est-à‑dire muette) et avec une combinaison des deux (le manuel combine à la fois
des informations verbales écrites et des illustrations issues de captures d’images vidéo). Pour
tester cela, chaque apprenant apprenait un thème différent avec une modalité différente,

303
Traité des sciences et des techniques de la formation

chacune de la même durée d’apprentissage en un seul essai (au total 7 thèmes pour 7 supports
pédagogiques contrebalancés).

Tableau 14.1 - Résultats en pourcentages de l’expérience de Lieury et al. (1996).

Verbal Verbal – imagé Imagé

Manuel
Lecture seule Télévision muette
Visuel (lecture + illustrations)
38 % 0%
31 %

Cours oral Télévision


Auditif
21 % 11,5 %

Cours oral Vidéo


Audiovisuel + annotations + annotations
27 % 20 %

L’hypothèse de cette recherche était que l’information présentée sous forme d’image serait
mieux retenue que celle présentée uniquement sous une forme verbale. Autrement dit, on aurait
pu s’attendre à ce que la vidéo soit un meilleur vecteur d’apprentissage que la simple lecture. Or,
ce n’est pas le cas, c’est même exactement l’inverse : le score aux questionnaires à choix unique
pour la lecture est de 38 % de bonnes réponses alors qu’il chute à 11,5 % pour la vidéo diffusée
sur la télévision. Cette recherche met en évidence que pour apprendre il n’y a rien de mieux que
de lire, même le cours oral, avec ou sans annotations au tableau du formateur, fait moins bien.

Comment comprendre un tel résultat ? En fait, les auteurs l’expliquent simplement : « dans
l’écoute d’un support auditif (radio, conférence…), l’auditeur ne peut réguler la vitesse de présen-
tation, ni opérer des retours en arrière, au contraire des supports visuels qui permettent des
retours en arrière et une vitesse de lecture libre ». Aussi, le fait de ne pouvoir réguler sa vitesse
a pour effet d’accumuler trop rapidement les informations en MCT et donc de la saturer. Au
contraire, quand les informations sont présentées plus lentement, à vitesse contrôlée par l’appre-
nant, ce dernier peut revenir sur celles qu’il aurait manquées au premier passage. Au final, de
par la maîtrise qu’elle procure à l’apprenant sur le flux d’information, la lecture permet bien
plus facilement l’encodage de l’information que ne le permet la télévision captive (ou un support
visuel où nous ne maîtrisons pas le flux informationnel). Pourquoi un manuel illustré semble-
t‑il fonctionner moins bien qu’un texte seul ? Cela tient au fait que les illustrations proposées
interfèrent avec la propre représentation imagée que se fait le lecteur du texte. Et parfois l’illus-
tration proposée est moins pertinente que les représentations que nous produisons à partir du
texte seul. Quand il y a ambiguïté, cela réduit l’apprentissage…

304
Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14

Bien sûr, à l’heure du numérique, si l’apprenant a la possibilité dans son espace personnel
d’apprentissage, de contrôler la vidéo, la revisionner, de la figer tout en la confrontant à d’autres
contenus textuels ou imagés, l’apprentissage sera optimisé grâce à ce que nous appelons l’appren-
tissage multi-épisodique.

8.2 Organiser l’apprentissage et utiliser la multiplicité des mémoires


Nous l’avons vu, on ne peut apprendre de façon efficace en une seule fois et il n’existe pas
de méthode miracle car nous ne pouvons pas « télécharger » directement des connaissances
dans notre mémoire ! Il nous faut les y construire en restructurant nos connaissances initiales.
Comment toutefois améliorer nos apprentissages ? Il est important pour apprendre des connais-
sances déclaratives réellement nouvelles d’organiser l’apprentissage et d’utiliser plusieurs formes
de répétition et d’encodage par l’apprenant.

La première est la répétition lexicale : relire, voire réécrire, les termes nouveaux que l’on doit
apprendre (lecture, prononciation correcte des termes, écriture manuelle ou avec clavier) est
indispensable. Si prendre des notes est important en formation, il ne faut pas oublier de les relire
mais surtout de les ressaisir ou remettre au propre et de se corriger : ce sont autant de modes de
répétition pour fixer les unités lexicales de ces connaissances. D’autant qu’il est plus agréable et
motivant ensuite de se relire sur un support « propre » lors des nécessaires révisions.

Il faut également travailler les éléments épisodiques et sémantiques de l’apprentissage. Si les


premières idées que se forge l’apprenant d’une nouvelle notion se font par un apprentissage
épisodique, il faut que celui-ci soit optimisé.

Le premier point tient aux contenus proposés : plus ceux-ci sont organisés, c’est-à‑dire qu’ils
proposent d’emblée une organisation des connaissances, des catégorisations et des oppositions,
des situations par rapport à d’autres champs lexicaux, conceptuels ou thématiques, moins cela
réclamera à l’apprenant de faire ce très coûteux travail de structuration en MdT. Le nombre
de révisions sera d’autant réduit que le contenu organisé facilitera la consolidation correcte du
réseau sémantique à construire chez l’apprenant. Des outils utiles sont à mettre à disposition
des apprenants : un glossaire avec des renvois bien construits (papier ou hypertextuel), une carte
heuristique, un polycopié bien structuré par les titres.

Le deuxième point relève aussi de la formation : il faut permettre à chaque apprenant de


raccrocher les contenus visés à ses connaissances antérieures. Le formateur averti doit pouvoir
se paraphraser, sans paraître rabâcher, afin qu’une même notion cible puisse toucher par des
vecteurs de compréhension différents tout son public. Il doit solliciter les réseaux sémantiques

305
Traité des sciences et des techniques de la formation

éminemment personnels des apprenants pour que ceux-ci mobilisent en MCT leurs connais-
sances antérieures pour construire ces nouvelles représentations convergentes vers le concept
cible. C’est une sorte de fonctionnement centrifuge autour des concepts.

Le troisième point est celui de la personnalisation par l’apprenant des savoirs proposés pour
faciliter leurs encodages en mémoire épisodique. Il doit faire siennes ces nouvelles connaissances
qu’on lui propose en les comparant à celles préalables, à d’autres contextes d’apprentissages où
des questionnements ont pu survenir. Il doit utiliser sa mémoire de travail pour produire des
élaborations mentales aux contenus multiples (verbal, visuo-spatial et épisodique) en sélec-
tionnant dans les supports pédagogiques les informations qui lui sont pertinentes. Il doit aussi
utiliser des éléments motivationnels de ce contexte d’apprentissage, pour ensuite mémoriser
cet événement personnel de compréhension en mémoire épisodique. C’est un mouvement
centripète pour l’apprenant.

Pour faciliter la production de ces élaborations mentales attendues, le formateur peut utiliser
des ressources pédagogiques qui seront cette fois-ci des formes de répétitions épisodiques et
sémantiques des concepts à acquérir. Il faut apporter autour des notions cibles une pluralité
d’informations venant renforcer la représentation initiale de base, en tisser un futur réseau
sémantique solide pour les apprenants. Si l’on choisit des analogies vraiment proches, des illus-
trations, figures ou schémas avec le moins d’ambiguïté possible, de petites capsules vidéos
dédiées et non de grandes séquences on peut resserrer la compréhension vers les concepts
cibles complexes.

Bien sûr, il faut s’assurer, par l’interaction ou encore dans des travaux de groupes où se
confrontent les conceptions en construction que celles-ci sont en bonne voie, et au besoin
recourir à un étayage de pairs ou d’experts. Articuler des moments d’autoformation (en amont,
par exemple sous la forme d’une classe inversée, ou en aval par un travail tutoré), des moments
de formation didactisée ou des synthèses recourant au conflit sociocognitif permet une variété de
contextes d’apprentissage. Ceux-ci vont solliciter chez l’apprenant des épisodes d’apprentissage
convergents vers la consolidation de ses connaissances. Par la suite, la conduite d’un projet où se
réinvestissent ces connaissances clés appropriées, transformées en compétences, peut être encore
une fois un vecteur de mobilisation, de consolidation et d’extension des apprentissages visés.

8.3 Renforcer la motivation pour remédier au coût des apprentissages


Les mémoires à court terme sont fragiles et la consolidation en MLT prend du temps.
Apprendre étant coûteux, réclamant des efforts, de l’organisation personnelle et du temps pour
réviser, il est nécessaire que l’apprenant le fasse dans un environnement formatif (présentiel

306
Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14

ou distanciel) où il perçoit un climat motivationnel favorable. S’il perçoit ce contexte comme


propice, il peut être plus proactif. Si les objectifs de formation sont bien compris et compatibles
avec les siens, c’est encore un élément motivationnel utile. L’apprenant doit percevoir un soutien
accessible assez rapidement en cas de difficulté (disponibilité des pairs et ses formateurs). Le
fait d’avoir des travaux concrets de type projets permet son investissement. L’apprenant doit
percevoir chez ses formateurs une attitude positive qui manifeste un soutien à ses démarches
afin qu’il ait le sentiment de développer des compétences tangibles. Ce sont là des éléments
favorables à l’apprenance.

9. Conclusion
Les mémoires et les apprentissages sont multiples. Pour améliorer ses apprentissages, un
apprenant en formation doit analyser son environnement d’apprentissage à l’aune de ses
connaissances, de sa compréhension des enjeux formatifs pour développer ses connaissances
et compétences. Pour une autorégulation réussie, il doit de manière engagée faire le bon couplage
entre ses connaissances explicites (générales et expérientielles) et ses savoirs procéduraux anté-
rieurs et ceux à acquérir dans le contexte formatif. Il doit mobiliser dans un espace temporel
souvent contraint des stratégies d’apprentissage pour développer de nouvelles représentations,
concepts, gestes professionnels qu’il lui faudra consolider par les révisions, la multiplicité des
épisodes d’apprentissages formels et informels, ainsi qu’expérientiels.

Lectures conseillées
Baddeley A. D., Eysenck M. et Anderson M. C. (2014). Lieury A., Badoul D. et Belzic A.L. (1996). « Les sept
Memory (2e éd.), Hove, Psychology Press. portes de la mémoire : traitement verbal et
Cordier F. et Gaonac’h D. (2012) Apprentissage et imagé de connaissances nouvelles », Revue
mémoire (2e éd.), Paris, Armand Colin, coll. de psychologie de l’éducation, 1, 9-24.
« 128 ». Lieury A. (2013). Le Livre de la mémoire, Paris,
Cosnefroy L. (2011). L’apprentissage autorégulé : Dunod.
entre cognition et motivation, Grenoble, Lieury A. (2015). Psychologie cognitive (4e éd.),
Presses universitaires de Grenoble. Paris, Dunod, coll. « Manuels visuels de
licence ».

307
Chapitre 15
Motivation et rapport
à la formation1

« Un adulte n’est prêt à se former que s’il peut trouver dans sa formation
une réponse à ses problèmes dans sa situation. »
Bertrand Schwartz

1. Par Philippe Carré et Fabien Fenouillet.


Sommaire
1. Motivation, éducation, formation.......................................................................... 311
2. Cinq paradigmes de la motivation.......................................................................... 314
3. Le modèle intégratif de la motivation.................................................................... 318
4. Les motifs d’engagement en formation................................................................. 321
5. Portée et limites de la motivation en formation d’adultes.................................... 324
Lectures conseillées.................................................................................................. 328
1. Motivation, éducation, formation

1.1 Une « évidence » problématique


« Il n’y a rien à faire, ils ne sont pas motivés ! » ; « avec eux, tout marche, ils sont tellement
motivés ! » ; celui-ci, « on se demande ce qui pourrait le motiver », alors que celle-là « réussira
forcément, elle est motivée, c’est visible », etc. La litanie de la motivation traverse le champ
éducatif. La motivation, « ça se voit », « ça manque », « ça explique » ou « ça aide ». Son exis-
tence paraît une évidence aux praticiens de l’éducation et de la formation, tout autant que dans
d’autres domaines : le recrutement (la « lettre de motivation »), la justice (les « motifs du crime »),
le commerce (les « motivations d’achat »), le sport, le management, etc.

Toutefois cette « évidence » partagée devient problématique quand on cherche à en expli-


quer les origines ou à en tirer des implications pour l’action. Elle peut se révéler illusoire,
comme quand, on l’invoque comme une cause rédhibitoire de l’impuissance à apprendre…
ou à enseigner, légitimant ainsi toutes les démissions. On peut y voir enfin un alibi de l’hyper-
responsabilisation des individus caractéristique du néo-libéralisme contemporain (Bourgeois,
in Carré et Fenouillet, 2009). Pour certains, elle est donc inutile, suspecte, voire nocive. Pour
d’autres1, elle est aujourd’hui nécessaire, bien que non suffisante, à condition d’être correctement
conceptualisée et intégrée dans un cadre psychopédagogique « ouvert », qui prenne en compte
l’ensemble des facteurs sociaux du rapport des adultes à la formation. C’est à une présentation
liminaire de la place des processus motivationnels dans le rapport à la formation que convie
ce chapitre.

1.2 Définitions
Pour le sens commun, le terme de motivation représente « ce qui pousse à l’action ». Les
dictionnaires usuels la décrivent comme « l’ensemble des motifs qui expliquent un acte »
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

(Larousse). Sur le plan scientifique, la motivation est définie comme « une hypothétique force
intra-individuelle protéiforme, qui peut avoir des déterminants internes et/ou externes multiples
et qui permet d’expliquer la direction, le déclenchement, la persistance et l’intensité du compor-
tement ou de l’action » (Fenouillet, 2012).

1. … dont, on l’aura deviné, les auteurs de ce chapitre.

311
Traité des sciences et des techniques de la formation

Définie de la sorte, la notion de motivation représente la dimension dynamique du rapport


à la formation. Son investigation concerne les aspects conatifs de ce rapport (intentionnalité,
volonté, projet…) en complément de ses aspects cognitifs (perception, traitement de l’informa-
tion, mémoire…) et affectifs (sentiments, émotions, affects…).

Après un bref tour d’horizon de la problématique de la motivation en formation initiale et


continue, ce chapitre présentera succinctement les grands paradigmes de référence, un modèle
intégratif de la centaine de théories identifiables, une analyse des motifs d’engagement des
adultes en formation, avant de conclure sur la portée et les limites de cette notion dans le cadre
de la formation des adultes.

1.3 La motivation en formation initiale


Dans le système scolaire, la montée des difficultés liées au désinvestissement de jeunes de
plus en plus nombreux et plus largement, les risques d’exclusion sociale des « décrocheurs » ont
entraîné un regain d’intérêt pour l’analyse des motivations des élèves et des « stratégies d’inter-
vention » possibles. La plupart des revues spécialisées y ont consacré un dossier ces dernières
années. Une conférence de consensus a cherché à traiter la question1. En réponse aux questions :
« Quel sens donner au travail scolaire ? Pourquoi travailler ? », par exemple, F. Dubet dégage trois
« logiques d’action » correspondant aux trois grandes finalités de l’école : l’utilité, la routine ou
la vocation. B. Charlot et ses collègues ont par ailleurs établi que les résultats des élèves étaient
en stricte corrélation avec le « sens de l’expérience scolaire », vécu subjectivement par ceux-ci2.
Les « bons élèves » paraissent en effet animés de motivations non seulement « instrumentales »
ou utilitaires vis-à‑vis de l’école, mais également « intrinsèques », marquées par le goût pour
l’étude, la culture ou tel aspect du savoir en soi. En dépit de l’intérêt des enseignants, des parents
d’élèves et, plus récemment, des chercheurs pour ce thème de la motivation au travail scolaire,
les études de synthèse sur cette question restent encore trop rares.

1.4 La motivation en formation des adultes


La question du volontariat éducatif et donc de la motivation à apprendre des adultes a été
posée depuis longtemps. On pouvait lire, sous la plume de M. Lesne, en 1978 :

1. Voir www.creteil.iufm.fr/…/conferences-de-consensus/la-motivation-des-eleves
2. B. Charlot (1997). Du rapport au savoir. Éléments pour une théorie, Paris, Anthropos.

312
Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15

« […] la formation des adultes peut apparaître comme la simple mise en relation de personnes
dûment motivées avec des sources d’information, moyennant quelques aménagements pédago-
giques des contenus1. »

Après une certaine déshérence, la notion de motivation réapparaît graduellement à la fin


des années 1990 dans les débats et les productions de recherche en psychologie du travail et
de l’éducation. Ce renouveau est lié aux impératifs de plus en plus fréquemment exprimés
d’implication des salariés dans le travail et dans le développement de leurs compétences dans
le contexte socio-économique actuel (Carré et coll., 1998).
–– Dans le secteur de l’insertion sociale, la généralisation des modalités de traitement social
du chômage a démultiplié l’accès à la formation de nouveaux publics pudiquement dits
« en difficulté » (jeunes sortis du système scolaire sans diplôme, demandeurs d’emploi peu
qualifiés et/ou de longue durée). Elle pose de façon parfois brutale la question des motiva-
tions à la formation de personnes en voie de marginalisation, voire d’exclusion sociale, aux
intervenants et responsables des institutions concernées, à l’instar des Écoles de la 2e chance2.
–– En entreprise, la durée moyenne des actions de formation tend à diminuer depuis une tren-
taine d’années, tandis que les budgets ont tendance à marquer le pas et que, simultanément,
les besoins de compétence ne cessent d’augmenter. Il s’ensuit une interrogation des acteurs
sur les façons de « mobiliser » les salariés dans un développement plus autonome de leurs
propres compétences. La consécration du modèle de la compétence et de son développe-
ment supposé durer « tout au long de la vie », engage à penser en termes d’« apprenance » au
quotidien (Carré, 2005) et dévoile la prégnance des questions de dynamique motivationnelle
dans l’ingénierie et l’animation des formations.
–– Enfin, et en liaison avec les deux points précédents, la remise en question des modes
« canoniques » de formation (stage, cours), la (re) découverte des nouveaux modèles (auto-
formation, alternance, apprentissage en situation de travail) et surtout la poussée de la
digitalisation entraînent de nouvelles interrogations sur les conditions de l’engagement
des adultes dans des pratiques de formation individualisées, souhaitées plus volontaires et
plus autonomes3.

L’actualité des problématiques de l’insertion, de la compétence et des nouvelles modalités de


formation donne donc à l’étude de la motivation à la formation une nouvelle légitimité.

1. M. Lesne (1978). « La formation des formateurs d’adultes », in M. Debesse, G. Mialaret, Traité des sciences
pédagogiques, t. 8, p. 253. Les italiques ont été rajoutés par nos soins.
2. V. Fontespis-Lhoste (2014). « Les motifs d’essoufflement en formation des adultes », Études et recherches,
n° 7, Nanterre, Université Paris-Ouest Nanterre-La Défense.
3. P. Carré, A. Moisan, D. Poisson (dir.) (2010). L’autoformation. Perspectives de recherche, Paris, PUF.

313
Traité des sciences et des techniques de la formation

2. Cinq paradigmes de la motivation


Aujourd’hui, et principalement en langue anglaise, on peut repérer plusieurs dizaines de
formulations théoriques contribuant à expliquer le « pourquoi ? » et le « pour… quoi ? » de l’action
(Fenouillet, 2012).

Du point de vue qui est le nôtre, on peut dégager cinq « paradigmes », c’est-à‑dire cinq
ensembles cohérents de concepts, d’hypothèses et de méthodes compatibles, qui peuvent se
révéler utiles à l’analyse de la motivation et du rapport à la formation.

2.1 Le behaviorisme


Les premières tentatives d’explication scientifique du « pourquoi » de l’action remontent au
début du xxe siècle, avec l’étude du comportement animal et l’apparition d’un paradigme puis-
sant, qui traverse encore aujourd’hui, mais de façon généralement implicite, les conceptions
éducatives : le behaviorisme.

Ce courant, qui a dominé la psychologie scientifique de la première moitié du xxe siècle, s’op-
posait à la psychologie de l’introspection et à l’idée de « conscience » en partant du postulat qu’il
n’est d’étude psychologique possible que des comportements (behavior) observables. Dans ce
cadre théorique, tous les motifs d’action fonctionnent en une séquence semblable : besoin, drive,
action. L’ensemble du comportement se trouve donc sous la dépendance de stimuli (internes ou
externes), facteurs de motivation qui déclenchent l’action du sujet selon des mécanismes plus
ou moins directs ou complexes, mais toujours indépendants de l’intention du sujet, terme par
définition exclu du registre behavioriste.

Une application majeure des recherches behavioristes sera l’enseignement vu, selon
B.F. Skinner (1904-1990), comme « l’arrangement des contingences de renforcement qui
entraînent les modifications du comportement1 », et qui trouvera son expression la plus forte
dans le courant dit de « l’enseignement programmé ». Par ailleurs, de nombreuses approches
pédagogiques fonctionnent encore implicitement sur des schémas de ce type, soit en postu-
lant chez le sujet en formation l’existence de stimuli internes « naturels » (comme le « besoin
d’apprendre »), soit en cherchant à construire des systèmes de stimuli externes forts (grâce au
pouvoir d’attirance des outils pédagogiques, des méthodes ou… au charme du formateur !)

1. Cité par G. Mialaret, in M. Debesse, G. Mialaret (1978). Traité des sciences pédagogiques, t. IV, Paris : PUF, p. 22.

314
Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15

2.2 La psychanalyse


Second grand paradigme psychologique de la première moitié du xxe siècle, la psychanalyse
s’intéresse aux aspects « psychodynamiques » du comportement, au désir, à son « pourquoi », à
son sens. À tel point que J.-M. Petot a pu écrire que « la psychanalyse est, pour l’essentiel, une
théorie de la motivation » (in Vallerand, Thill, 1993).

Si, pour la psychanalyse tout acte psychique a un sens intentionnel, ce sens reste largement
inaccessible au sujet : l’intention, que Freud a pu considérer comme synonyme du sens, est
intrapsychique et largement inconsciente. Le caractère commun aux nombreuses extrapolations
théoriques de la pensée fondatrice de Freud est de considérer l’inconscient comme déterminant
premier des conduites humaines.

Selon ces prémisses, la « passion d’apprendre » s’interprète d’abord comme expression résur-
gente inconsciente de la curiosité sexuelle archaïque de l’enfant. L’étude de la dynamique du
rapport à la formation ne pourrait alors « s’affranchir du soubassement psychanalytique », lui-
même ramené à la question centrale du désir (inconscient) d’apprendre car, selon J. Beillerot :
« Il n’est de sens que du désir1. »

En matière de formation, les conceptions psychanalytiques ont indéniablement contribué à la


construction d’une certaine culture de la relation pédagogique, ainsi qu’à souligner l’importance
des facteurs biographiques du rapport au savoir, et plus généralement à dévoiler l’existence
d’aspects inconscients dans le fait éducatif, en l’illustrant de concepts originaux (refoulement,
transfert, projection, libido, sublimation…). Toutefois, les courants psychanalytiques sont
marqués de la tentation déterministe de leurs prémisses et de leurs postulats. Pour la plupart,
en deçà de l’entrée en cure, l’individu reste l’objet de ses pulsions, désirs et actes inconscients.
Tout comme dans d’autres paradigmes, il s’y voit contesté un rôle actif dans la maîtrise de son
devenir, du fait de la circularité névrotique de ses comportements.

2.3 La sociologie


Le terme de motivation est peu utilisé en sociologie aujourd’hui. Si certains sociologues
ont pu utiliser parfois le terme de « motivations sociales » ou de « besoins de formation » pour
décrire les grandes catégories de motifs d’action partagés par des sujets de mêmes catégories
sociales, ils préfèrent aujourd’hui parler de « conditions sociales » ou de « facteurs sociaux » des

1. J. Beillerot, C. Blanchard-Laville, N. Mosconi (dir.) (1996). Pour une clinique du rapport au savoir, Paris,
L’Harmattan.

315
Traité des sciences et des techniques de la formation

motivations, tout en reconnaissant la variabilité interindividuelle de ces conditions (Fenouillet,


2012). L’analyse sociologique bute néanmoins sur l’explication des variations singulières dans
la participation à la formation, une fois l’effet des déterminants sociaux majeurs contrôlé1.

Plus largement, le thème de la dynamique de l’action individuelle, a pu être analysé en socio-


logie à l’aide des concepts de « stratégie d’acteur » (M. Crozier), d’« habitus » (P. Bourdieu),
de « logique d’action » (F. Dubet), ou encore de « construction identitaire » (C. Dubar). Par
définition, la dynamique de l’action est ici étudiée en tant qu’effet, ou expression de la combi-
naison des déterminants sociaux, au risque d’exclure le sujet social concret, « biographique »,
du processus. Dans une tentative de dépassement de cette opposition entre l’individuel et
le social, B. Charlot2, rejetant les « positions impériales » à la fois de la psychanalyse et des
sociologies classiques, suggère de « poser le sujet comme un être à la fois singulier et social »,
en étudiant les conditions de la « mobilisation » d’un sujet social « en quête de soi et ouvert à
l’autre et sur le monde ». Il sera rejoint par B. Lahire, plaidant pour une conception « dispo-
sitionnelle » de la pratique, ouverte à l’analyse des facteurs individuels logés dans les « plis
singuliers du social »3.

Indispensable dans l’analyse des publics en formation et la compréhension des logiques


sociales différentielles qui traversent la formation post-scolaire, une telle « sociologie du sujet
apprenant » entre en complémentarité « naturelle » avec une psychologie « ouverte » des moti-
vations dans l’analyse du rapport à la formation.

2.4 La psychologie cognitive


Après une première moitié du xxe siècle dominée par le triomphe des paradigmes précé-
dents sur leurs champs respectifs, le point de vue cognitiviste domine à son tour la recherche
en éducation et formation aujourd’hui.

Dans la majorité de ses formes fondatrices, la psychologie cognitive se concentre sur les méca-
nismes de traitement de l’information (perception, attention, apprentissage, mémoire, langage,
résolution de problèmes, etc.), en dehors des aspects spécifiquement affectifs ou motivationnels
de l’action. Les paramètres dynamiques (intentions, anticipations, buts, finalités, projets) qui

1. D’où l’essai malheureux de certains à entrer sur le territoire de la motivation, sans toutefois l’avouer, en
ayant recours au néologisme d’appétence. Voir le pamphlet pertinent de C. Frétigné (2007). L’appétence pour
la formation. Une entreprise de rationalisation du flou, Paris, Michel Oudiard Éditeur.
2. B. Charlot et al. (1997), op. cit.
3. B. Lahire (2013). Dans les plis singuliers du social, Paris, La Découverte.

316
Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15

interviennent dans l’analyse de l’activité et de la pensée en situation sont généralement traités,


dans ce cadre, comme des représentations parmi d’autres. Quand il se pose la question des dyna-
mismes de la conduite dans cette optique cognitive « froide », le chercheur souligne le caractère
automatique des processus mis en jeu. Ainsi, par exemple, selon J.-F. Le Ny1 :

« Dans l’analyse cognitive, on considère qu’au centre de ces activités se trouve un processus automa-
tique d’évaluation de la nouveauté […] Cette comparaison fournit comme résultat une évaluation
de la “nouveauté” de l’information entrante qui est, elle-même, un déterminant de l’état de la
motivation cognitive […]. »

On retrouve cette même idée d’automaticité du fonctionnement cognitif dans certains travaux
de psychologie sociale sur la cognition. Par exemple, dans la théorie de la dissonance cognitive
publiée à la fin des années 1950 par L. Festinger, la présence simultanée de deux cognitions
(opinions, idées, perceptions, représentations) contradictoires ou incompatibles crée un état de
tension qui pousse le sujet à l’action. Il restaurera son propre équilibre cognitif en réduisant la
dissonance, soit en aménageant ses propres représentations dans le sens de la nouveauté, soit
en réduisant l’impact de la nouveauté sur son propre système cognitif.

2.5 Vers une psychologie « chaude » des processus conatifs


Selon B. Weiner (1992), après la période de domination des paradigmes de « l’homme-
machine », qu’ils soient physiologique, éthologique, behavioriste ou psychanalytique, sont
apparues des théories basées sur une métaphore de « l’homme-dieu », postulant un homme
« complètement conscient (knowledgeable) et rationnel », métaphore ensuite tempérée par
l’image actuelle de l’homme « arbitre » de l’action.

Cette répartition illustre le clivage fondamental qui sépare les conceptions de la motivation.
Pour les unes, l’homme est fondamentalement « agi » par des causes qui le dépassent, qu’il
s’agisse des mécanismes hormonaux et instinctuels (éthologie), de la logique de l’évolution
(sociobiologie), de forces inconscientes (psychanalyse), des stimuli de l’environnement (beha-
viorisme) ou, plus largement, du jeu des déterminations sociales (sociologie classique). Pour
d’autres, au contraire, l’être humain tire sa spécificité du fait qu’il reste « à la fois producteur
et produit de son existence » (Bandura, 2003). Les théories évoluent aujourd’hui vers des
visions « agentiques » de l’être humain comme « juge » de sa vie, constamment appelé à arbitrer
entre la force de ses affects et les exigences de son environnement (Weiner, 1992). La seconde

1. J.-F. Le Ny (1994). Article « motivation », in Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation,


Paris, Nathan, p. 683.

317
Traité des sciences et des techniques de la formation

moitié du xxe siècle a vu le développement de très nombreuses avancées théoriques nouvelles


reliant ainsi cognition et motivation, principalement en psychologie sociale expérimentale
(Bandura, 2003).

Ces résultats ouvrent la voie à une psychologie sociocognitive « chaude », soucieuse


d’intégrer les paramètres dynamiques de l’action, et donc la motivation, dans l’étude du
comportement et de la cognition. Selon M. Reuchlin, le terme de « conation » (dont « moti-
vation » serait le voisin le plus proche) répond à la nécessité de décrire ce tiers registre du
« choix et de l’orientation des activités finalisées et organisées », parmi lesquelles, bien sûr,
l’apprentissage et la formation des adultes trouveront naturellement leur place. C’est dans le
cadre d’un tel paradigme des processus conatifs en émergence que Fenouillet (2008) inscrit
sa théorie intégrative de la motivation.

3. Le modèle intégratif de la motivation


Si la motivation a été étudiée dans le cadre de tous les grands courants de la psychologie c’est
souvent sous différents pseudonymes. Les behavoristes parlaient de drive là où Freud postu-
lait des pulsions. Quant aux cognitivistes ils ont « inventé » la dissonance, la réactance mais
aussi la résignation pour ne citer que trois membres d’une famille pour le moins nombreuse
puisque Fenouillet (2012) dénombre au moins 101 théories de la motivation. Cette prolifération
s’explique en partie par le « point de vue » qu’adoptent ces théories sur la dynamique du compor-
tement humain. Certaines ont en effet comme ambition d’expliquer l’origine psychologique de
la motivation. C’est par exemple le cas de la célèbre théorie de Maslow dès 1943 ou celle des
besoins de bases dans le cadre de la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2002) plus
récemment. D’autres théories se sont penchées sur certains concepts qui peuvent caractériser
une manifestation de la motivation comme l’intérêt, l’estime de soi ou le but. D’autres encore
ont décortiqué les stratégies motivationnelles que l’individu met en place dans le cadre notam-
ment de ses apprentissages. Ces différentes focales permettent de rendre compte non seulement
de plusieurs « états » motivationnels (comme l’intérêt, l’émotion, le but, etc.) mais aussi d’un
processus motivationnel qui les « articule » entre eux. C’est du moins ce que fait apparaître le
modèle intégratif de la motivation, reposant sur sept ensembles conceptuels qui permettent de
mieux saisir ces différentes « focales » adoptées par les théories motivationnelles, comme allons
le voir au travers de leurs descriptions rapides.

Les motifs primaires sont postulés par les théories motivationnelles qui veulent expliquer
l’origine de la motivation d’un point de vue psychologique. Deux grandes catégories de motifs
primaires sont avancées : le besoin et l’instinct.

318
Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15

Les motifs secondaires sont des concepts utilisés pour définir une forme motivationnelle plus
précise mais qui n’a pas pour ambition d’expliquer l’origine de la motivation. C’est le cas par
exemple de l’intérêt qui pour différents auteurs dépendrait de besoins primaires comme le besoin
d’autodétermination ou celui de compétence (Deci et Ryan, 2002). Les avancées théoriques du
cognitivisme ont permis de mieux comprendre et définir de nombreux motifs secondaires :
valeur, but, intérêt, estime de soi, drive, dissonance, émotion, curiosité, recherche de contrôle,
intention, trait de personnalité, motifs originaux (dont les motifs d’engagement en formation).

Alors que motif et motivation partagent la même racine, la prédiction peut sembler plus éloi-
gnée. Pourtant pour être « motivé » il est nécessaire d’anticiper ce qui est possible. Par exemple,
dès 1932, Tolman a montré assez logiquement qu’il ne suffit pas de mettre une récompense (un
motif) au bout d’un labyrinthe pour qu’un animal cherche à l’atteindre : il est préalablement
essentiel qu’il sache que cette récompense est là. De son côté, Bandura (2003) montre que quand
l’être humain s’estime capable de produire un comportement susceptible de lui faire atteindre
un haut niveau de performance, il est plus efficient. De même la théorie de la résignation apprise
explique que si l’individu n’est plus en mesure de prédire le résultat de son action, il cesse d’agir
et se résigne à l’inaction.

Le quatrième ensemble conceptuel fait référence à la décision. En effet alors que pendant
longtemps la décision a semblé liée à une simple addition des coûts (positif) et bénéfices (négatif),
de nombreuses théories montrent maintenant que la prise de décision est loin d’être aussi
rationnelle et simpliste, même dans le cas d’une addition positive. Par exemple la théorie de
la procrastination explique pourquoi certains individus sont motivés à ne jamais prendre de
décision et ce malgré les énormes bénéfices qu’ils auraient à en tirer.

Si pendant longtemps les théories motivationnelles se sont cantonnées à donner des explica-
tions très théoriques du comportement humain, actuellement la tendance est plutôt à vouloir
expliquer au mieux les faits d’expérience ou les situations réelles. Cependant il est apparu pour
de nombreux théoriciens que si dans certains cas l’individu est réellement motivé, cette motiva-
tion peut ne pas transparaître dans les résultats. À titre d’exemple, lors d’un apprentissage il ne
suffit pas d’être motivé pour observer une augmentation des performances lors de l’évaluation.
La théorie de l’assignation d’objectif montre que l’assignation d’un but (motif) ne se traduit pas
systématiquement en performance, il faut également que l’individu, motivé, mette en place la
bonne stratégie. Les stratégies qu’utilise l’individu dépendent donc de sa motivation et dans le
cadre d’activités complexes, comme l’apprentissage, sont déterminantes pour comprendre les
modifications de performance.

319
Traité des sciences et des techniques de la formation

Satisfation

Orientation
Autorégulation

Motif Motif
primaire secondaire

Décision
Stratégie Comportement Résultat
Choix

Évaluation
Prédication
Attente

MOTIVATION VOLITION

Figure 15.1 - Modèle intégratif de la motivation (Fenouillet, 2009)

Les deux derniers ensembles conceptuels du modèle intégratif, comportement et résultats


sont souvent confondus. Cette confusion était logique dans le cadre du behaviorisme puisque
ce courant n’analysait que le comportement. Cependant il est nécessaire de dissocier les deux
car le comportement visible ne traduit pas toujours la motivation sous-jacente. Par exemple,
il faut parfois être très motivé pour ne rien faire ! De plus, certains travaux ont mis au jour
différentes catégories de résultats qui ne peuvent s’interpréter que dans le cadre des théories
motivationnelles. Ainsi les recherches sur la flânerie sociale montrent que dans certaines
conditions, quand l’individu est en groupe, il a tendance à se reposer sur les autres et donc à
« sous-performer ».

En se basant sur les postulats que proposent les différentes théories motivationnelles le modèle
intégratif propose non seulement une relation entre les différents ensembles conceptuels mais
aussi un enchaînement qui ne doit pas occulter certaines rétroactions qui sont également expli-
citées dans de nombreuses théories motivationnelles. L’autorégulation par exemple suppose
l’ajustement de ses intentions (motifs), de ses décisions et de ses stratégies aux résultats. La
satisfaction d’un résultat dépend du motif préalable. De même l’évaluation permet d’affiner les
prédictions.

320
Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15

4. Les motifs d’engagement en formation

4.1 Orientations motivationnelles et motifs d’engagement


À côté du modèle intégratif et des processus de la motivation, qui aident à comprendre
les mécanismes à l’œuvre dans le passage à l’action, il est intéressant d’analyser les contenus,
« motifs » (dits « secondaires », supra) ou « raisons d’agir » des sujets sociaux.

À l’occasion d’une recherche sur l’engagement en formation (Carré, 2002), on a pu construire


un modèle descriptif des orientations et des motifs d’engagement éducatif des adultes. Selon
ce modèle, ces motifs sont pluriels : on s’engage rarement en formation pour une seule raison.
Ils sont également contingents : ce ne sont ni des « traits » ou des caractéristiques stables de la
personnalité, ni des dimensions permanentes du rapport individuel à la formation, mais des
expressions du rapport du sujet à une certaine situation, à un moment donné de sa vie. En
conséquence, ils sont enfin évolutifs : leur nombre, leur importance, leur articulation peuvent
changer tout au long des expériences de vie.

4.2 Quatre orientations motivationnelles


Dans la tradition initiée par C. Houle dès 1961, nous pouvons différencier une orientation
intrinsèque ou extrinsèque de la motivation à la formation d’une part et une orientation vers
l’apprentissage ou vers la participation d’autre part. En combinant ces orientations, on obtient
une quatre « quadrants » spécifiques, dans lesquels peut s’inscrire l’ensemble des motifs d’enga-
gement en formation (fig. 15.2).

Orientation intrinsèque/extrinsèque : on séparera les motifs qui trouvent leur réponse dans le
fait même d’être en formation, de ceux qui trouvent leur satisfaction en dehors de la formation
elle-même. En d’autres termes, dans le premier cas, le résultat attendu est confondu avec l’activité
de formation, alors que dans le second, la formation a pour fonction de permettre d’atteindre
des objectifs qui lui sont extérieurs. Conformément à la conception de E. Deci et R. Ryan (2002),
nous les nommerons respectivement motifs « intrinsèques » et « extrinsèques ».

Orientation vers l’apprentissage/vers la participation : un second axe clivant les orientations


motivationnelles répartit les motifs d’engagement en formation entre ceux qui sont centrés
sur l’apprentissage (acquisition de connaissances, d’habiletés, d’attitudes nouvelles) et ceux qui
visent la participation, c’est-à‑dire l’inscription et/ou la présence en formation.

321
Traité des sciences et des techniques de la formation

Le schéma suivant (fig. 15.2) répartit les dix motifs identifiés selon ces quatre orientations
motivationnelles en trois motifs « intrinsèques » et sept « extrinsèques ».
Aprentissage

Opératoire
professionnel
Épistémique
Opératoire
personnel

Extrinsèque Intrinsèque
Vocationnel
identitaire
Socio-
Dérivatif éducatif

Présent Hédonique

Économique

Participation

Figure 15.2 - Quatre orientations et dix motifs d’engagement en formation.

4.3 Trois motifs « intrinsèques »


À partir du motif « épistémique », apprendre, s’approprier des savoirs, se cultiver, etc., sont
des processus qui trouvent leurs raisons d’être (leurs « renforcements ») en eux-mêmes. Le motif
d’engagement est ici lié au désir de connaissance d’une sorte de « gai savoir » dont la fréquen-
tation est source de plaisir en elle-même.

Un motif « socio-affectif » traduit le souhait de participer à une formation pour bénéficier


de contacts sociaux, trouver des occasions d’échange avec d’autres, développer des relations
nouvelles, s’intégrer à un groupe, communiquer, établir ou renforcer des liens sociaux.

Pour le motif « hédonique », il s’agit à présent de participer pour le plaisir lié aux conditions
pratiques de déroulement et à l’environnement de la formation, indépendamment de l’appren-
tissage de contenus précis. L’« ambiance » et le confort des lieux de formation, le goût pour les
outils, matériaux ou documents de formation sont à la base de ce motif.

322
Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15

4.4 Sept motifs « extrinsèques »


Avec le motif économique, les raisons de la participation sont d’ordre explicitement matériel ; le
fait de participer à une action de formation amènera des avantages de type économique. Ceux-ci
peuvent être directs (par exemple les primes ou les allocations liées à la recherche d’emploi) ou
indirects, par le biais d’avantages matériels obtenus à la suite de la formation.

Pour le motif prescrit, sous des formes discrètes (la pression de conformité sociale, le « conseil »
d’un hiérarchique, l’intervention d’une personne influente, etc.) ou explicites (la contrainte
d’inscription, prévue par la loi), l’engagement en formation est le résultat de l’injonction d’autrui,
évoquant les dimensions les plus extrinsèques de la motivation.

Motif dérivatif : c’est à présent l’évitement de situations ou d’activités vécues comme désa-
gréables ou dénuées d’intérêt qui est visé dans l’inscription en formation. À titre d’exemple, on
citera une mauvaise ambiance de travail, des tâches routinières, le manque d’intérêt profes-
sionnel, ou, sur un autre registre, la solitude, les conflits familiaux, etc.

Le motif opératoire professionnel traduit l’intention d’acquérir les compétences (connais-


sances, habiletés, attitudes) perçues comme nécessaires à la réalisation d’activités spécifiques sur
le champ du travail, afin d’anticiper ou de s’adapter à des changements techniques, de découvrir
ou de perfectionner des pratiques, avec un objectif de performance précis.

Avec le motif opératoire personnel, il s’agit d’acquérir les compétences (connaissances, habi-
letés, attitudes), perçues comme nécessaires à la réalisation d’activités spécifiques en dehors du
champ du travail (loisirs, vie familiale, responsabilités associatives, etc.), ici encore dans un but
d’action concret et bien identifié.

Le motif identitaire pousse à acquérir les compétences et/ou la reconnaissance symbolique


nécessaires à une transformation (ou une préservation) de ses caractéristiques identitaires en tant
que telles (statut social, professionnel ou familial, fonction, niveau de qualification, titre, etc.).
Ce motif est donc centré sur la reconnaissance de l’environnement et l’image sociale de soi, en
dehors (ou à côté) de tout motif économique.

Enfin, avec le motif vocationnel, il s’agit d’acquérir les compétences (connaissances, habiletés,
attitudes) et/ou la reconnaissance symbolique nécessaires à l’obtention d’un emploi, à sa préser-
vation, son évolution ou sa transformation, selon une logique d’orientation professionnelle, de
gestion de carrière ou de recherche d’emploi.

323
Traité des sciences et des techniques de la formation

5. Portée et limites de la motivation en formation d’adultes


Pour ce qui concerne le rapport à la formation, l’analyse motivationnelle interviendra dans le
traitement de quatre problématiques qui annoncent autant de perspectives d’action : les déter-
minants de la participation, les conditions d’engagement et de persistance, les modalités de
régulation des apprentissages et les possibilités de l’action pédagogique.

5.1 Les déterminants de la participation


La motivation, parce qu’elle traduit les dispositions des adultes à l’engagement éducatif,
parce qu’elle détermine le degré d’implication (et donc de persistance) de l’apprenant et qu’elle
contribue à expliquer les performances d’apprentissage, est un médiateur déterminant du
rapport à la formation. Pour autant, la problématique du rapport à la formation ne saurait être
réduite à l’examen psychologique des motifs exprimés avant, ou durant l’action. Les caractéris-
tiques sociodémographiques du public (âge, genre, catégorie socio-économique, qualification,
statut professionnel et familial, etc.) régissent habitus, logiques sociales d’action et, partant,
niveau d’aspiration des différentes catégories de participants. Les données sociostructurelles du
contexte professionnel du sujet ont évidemment un poids majeur dans les possibilités de partici-
pation, comme la sociologie l’a amplement démontré depuis quarante ans : taille de l’entreprise,
secteur d’activité, contrat de travail, politique de formation sont de puissants filtres, plus ou
moins perméables, de la participation à la formation… Les données biographiques (expériences
d’apprentissage, histoire éducative) donnent aux parcours des sujets certaines singularités exis-
tentielles complémentaires, irréductibles à la seule rationalité sociostructurelle. Enfin, last but
not least, les dispositions et les performances en formation sont, on le sait, fortement dépen-
dantes des capacités cognitives acquises avant l’entrée en formation. Le rapport à la formation et,
partant, l’engagement et la participation dépendent donc d’une série de facteurs sociologiques,
organisationnels, psychologiques, en interaction systémique, générant leviers et obstacles à la
participation1. Variable de synthèse, la motivation ne fonctionne donc ni comme un automatisme
« agi » par l’ensemble de ces déterminants, ni comme une force autonome qui les transcenderait,
mais comme leur point de rencontre, d’arbitrage et de décision (Weiner, 1992).

1. C. Solar, D. Baril, J.-F. Roussel et N. Lauzon, (2016). « Les obstacles à la formation en entreprise », Savoirs,
41, 11-56.

324
Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15

5.2 Impact de la motivation sur l’engagement


et la persistance en formation
Le cadre sociocognitif d’analyse des motivations peut s’appliquer à la question de la forma-
tion des adultes à partir d’une part de la distinction entre motivation liée au but de l’action et
motivation pour le moyen1 lui-même (la formation) et d’autre part de trois concepts majeurs :
valeur du but, auto-efficacité, autodétermination. Apparaissent alors 6 vecteurs de l’engagement
et de la persistance du sujet adulte en formation (tableau 15.1).

Tableau 15.1 - Processus motivationnels liés à la formation


et à l’apprentissage des adultes (Carré, 2005).

Processus motivationnel Lié au but de l’action Lié au moyen de formation


Importance perçue des motifs Instrumentalité perçue
Valeur du but
d’engagement en formation. des moyens de formation.
Attente de résultats relatifs Sentiment d’efficacité à réaliser
Auto-efficacité
aux motifs d’engagement. les activités de formation.
Degré de liberté dans le choix Degré de liberté dans le choix
Sentiment d’autodétermination
des motifs d’engagement. des moyens de formation.

La valeur (ou « valence ») du but recherché à travers l’engagement dans la formation sera un
premier motivateur. La majorité des auteurs en psychologie sociocognitive reconnaissent la
fonction motivationnelle des buts (Carré et Fenouillet, 2009). Le but, traduction des représen-
tations d’avenir du sujet, est un mécanisme cognitif majeur de motivation et d’autorégulation
des conduites chez Bandura (2003), la « matière première » de l’autodétermination chez Deci
et Ryan (2002).

L’auto-efficacité, conçue comme perception par le sujet de ses capacités à s’acquitter des
tâches requises par le projet, se traduira également en deux processus. D’un côté, la croyance du
sujet en ses capacités à répondre aux motifs d’engagement (trouver un nouvel emploi, répondre
aux demandes de sa hiérarchie, acquérir de nouvelles compétences) sera liée à ses attentes de
résultats, pour partie indépendante de sa perception de lui-même. D’un autre côté, la perception
par le sujet de ses capacités s’appliquera directement aux activités de formation elles-mêmes.
On retrouve ici la fonction essentielle de la perception de compétence dans l’agentivité humaine
(Bandura, 2003).

1. J. Nuttin (1987). « Développement de la motivation et formation », Éducation permanente, n˚ 88-89, p. 97-110.

325
Traité des sciences et des techniques de la formation

Le sentiment d’autodétermination jouera son rôle eu égard, d’une part au but, d’autre part
aux moyens de formation choisis. Les processus visés ici ont trait à la perception par le sujet de
son degré de responsabilité, de liberté, d’autonomie, dans le choix de la finalité et des moyens
de la formation. C’est toute la fonction motivationnelle de la liberté perçue qui est ici en jeu.
On sait qu’elle représente un facteur d’engagement et de persistance dans l’action extrêmement
efficace, dont la connaissance peut même conduire à la manipulation d’autrui. Selon Deci et Ryan
(2002), l’autodétermination est un facteur de qualité des apprentissages largement démontré
empiriquement.

Valeur des motifs, sentiments d’auto-efficacité et d’autodétermination combinent ainsi


leurs effets motivationnels chez l’adulte en formation, au double plan du but de l’action et du
moyen de formation considéré.

5.3 Motivation et régulation de l’apprentissage


On connaît aujourd’hui l’effet des facteurs motivationnels sur l’attention, la concentration,
la mémoire et donc les performances d’apprentissage.

La motivation agit évidemment sur la persistance ou l’abandon de la formation. L’intensité


et la direction du processus motivationnel se traduiront, en cours de formation, par des types
d’implication (ou de désimplication) spécifiques dans le processus pédagogique proposé. La
démotivation pourra prendre plusieurs formes bien analysées par D. Chartier (in Carré et coll.,
1998) : conduites d’auto-handicap pour justifier une stratégie d’échec, comportements d’inertie
sociale (social loafing) en situation de travail en groupe, voire manifestations de résignation
apprise pouvant mener à l’inhibition de l’action.

Le thème de l’apprentissage autorégulé est une piste majeure de développement des liens
entre motivation et apprentissage. Selon Cosnefroy (2011), ce terme désigne « l’intensité avec
laquelle l’individu est, aux plans de la métacognition, de la motivation et de la conduite un
participant actif dans ses processus d’apprentissage. » La motivation initiale ne suffit pas : elle ne
dispense ni de l’effort d’apprentissage, ni de stratégies d’apprentissage efficaces. Ces stratégies
dites « d’autorégulation » entrent en interaction avec le dynamisme motivationnel du sujet, de
sorte qu’on peut parler d’une interaction permanente entre autodétermination et autorégula-
tion1. Motivation et régulation des apprentissages sont ainsi liées de façon dialectique dans la
conduite des apprentissages des adultes.

1. P. Carré, in P. Carré, A. Moisan, D. Poisson (dir.) (2010). L’autoformation. Perspectives de recherche, Paris, PUF.

326
Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15

5.4 Motivation et pédagogie


En conclusion, le dossier d’une éventuelle « pédagogie des motivations » est bel et bien ouvert1.
Processus d’abord interne, toujours singulier, voire intime, pour partie indécidable, la motivation
à la formation est d’évidence liée aux conditions pédagogiques à travers le climat, les méthodes,
les relations qui y participent (Carré, 2002).

Sur le plan de l’ingénierie éducative, Poisson propose en une synthèse puissante2 trois prin-
cipes de conception de dispositifs à visée autonomisante : autoproduction des savoirs, ouverture
de choix, collaboration. Ces trois principes entrent en résonance avec les trois besoins de la
théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2002). L’autoproduction peut ainsi répondre au
besoin de perception de compétence, l’ouverture à celui d’autodétermination, la collaboration
au besoin de lien social.

Le formateur, le concepteur de dispositif, l’accompagnateur peuvent donc apporter une


contribution à la dynamique individuelle et collective du rapport à la formation, à travers
certaines pratiques pédagogiques. Cette action est toutefois limitée par le poids des déterminants
sociobiographiques de l’engagement d’abord, les frontières du cadre pédagogique ensuite, et le
caractère intentionnel de la motivation adulte enfin. Cette triple restriction engage, plutôt qu’à se
demander « comment motiver les gens », à se poser la question de « comment créer les conditions
propices à l’engagement et la persistance ». Le projet d’agir sur la motivation des apprenants
adultes peut en effet mener à des erreurs méthodologiques, à des désillusions pédagogiques et
à des dérives éthiques3. Hormis par la violence, le conditionnement ou la manipulation, on ne
« motive » jamais un adulte de l’extérieur, du moins de manière durable.

1. Voir ci-après, chapitre 19.


2. D. Poisson in P. Carré, A. Moisan, D. Poisson (dir.) (2010). Op. cit.
3. On lira avec passion à ce propos le remarquable pamphlet de Ph. Meirieu (1996). Frankenstein pédagogue,
Paris, ESF.

327
Traité des sciences et des techniques de la formation

Lectures conseillées
Bandura A. (2003). Auto-efficacité. Le sentiment Cosnefroy, L. (2011). L’apprentissage autorégulé.
d’efficacité personnelle, trad. de J. Lecomte, Entre cognition et motivation, Grenoble,
Bruxelles, De Boeck. Presses de l’Université de Grenoble.
Carré P. (dir.) (1998). « Motivation et engagement Deci, E., ryan, R. (dir.) (2002). Handbook of Self-
en formation », Éducation permanente, Determination Research, Rochester, The
n° 136. University of Rochester Press.
Carré P. (dir.) (2002). De la motivation à la forma- Fenouillet F. (2012). Les théories de la motivation,
tion, Paris, L’Harmattan. Paris, Dunod.
Carré P. (2005). L’apprenance. Vers un nouveau Vallerand R., Thill E. (dir.) (1993). Introduction à la
rapport au savoir, Paris, Dunod. psychologie de la motivation, Paris, Vigot.
Carré, P. et Fenouillet, F. (dir.) (2009). Traité de Weiner B. (1992). Human Motivation, Londres,
psychologie de la motivation, Paris, Dunod. Sage.

328
Chapitre 16
Conflits sociocognitifs
et apprentissage1

1. Par Céline Buchs et Étienne Bourgeois.


Sommaire
1. Conflits sociocognitifs et apprentissage............................................................... 332
2. Favoriser les régulations épistémiques dans les situations de formation.............. 337
3. Conclusion............................................................................................................. 343
Lectures conseillées.................................................................................................. 345
L’apprentissage a ceci de paradoxal qu’il est un acte éminemment individuel, intime, mais
en même temps qui s’inscrit nécessairement dans une relation. Construire ou transformer des
connaissances est un processus qui n’appartient en définitive qu’au sujet apprenant, mais ce
processus est facilité par la confrontation interactive à l’autre. Dans ce chapitre, nous discuterons
du traitement cognitif d’informations qui sont portées par une autre personne avec laquelle
l’apprenant peut interagir en présentiel ou à distance.

Nous parlerons dès lors d’interaction sociocognitive en nous focalisant plus particulièrement
sur les interactions impliquant des conflits sociocognitifs, à savoir des points de vue différents
ou contradictoires portés par des personnes différentes : comment et dans quelles conditions les
conflits sociocognitifs peuvent-ils affecter le processus individuel d’apprentissage ? Ces questions
trouvent évidemment toute leur pertinence dans des contextes de formation, où l’interaction
sociale est inscrite dans une durée, qu’il s’agisse d’interaction avec le formateur1 ou les pairs.

Différents courants de recherche sont utiles pour identifier les conditions dans lesquelles les
conflits sociocognitifs peuvent favoriser, ou au contraire faire obstacle, à l’apprentissage et pour
réfléchir aux implications pour les pratiques de formation. Les premiers travaux sur le conflit
sociocognitif (Doise et Mugny, 1997) se sont intéressés aux progrès cognitifs réalisés par des
enfants dans le développement des structures opératoires suite à différents types d’interactions
sociales. Ils ont été prolongés par la théorie de l’élaboration du conflit dans le champ de l’in-
fluence sociale (Quiamzade, Mugny et Butera, 2013) avec des apprenants plus âgés et des jeunes
adultes dans des tâches variées (stratégies de raisonnement, intégration d’informations problé-
matiques, créativité…) où les participants sont confrontés à une réponse problématique émanant
d’une source. Deux niveaux d’influence ont été alors différenciés : des changements de surface et
des changements en profondeur traduisant une réorganisation cognitive. Les recherches sur la
controverse coopérative (Johnson et Johnson, 2007) dans le cadre de l’apprentissage coopératif2
(Buchs, 2017) se sont intéressées à la manière de structurer les interactions pour stimuler des
confrontations constructives. Finalement, les travaux sur les buts d’accomplissement (Kaplan et
Maehr, 2007) soulignent que les buts poursuivis influencent les relations sociales et le traitement
des informations lors des confrontations3.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

1. Par souci de lisibilité, nous utiliserons le masculin pour désigner les deux genres.
2. Pour une présentation des principaux dispositifs, voir S. Sharan (éd.) (1999). Handbook of Cooperative Learning
Methods, Westport, Greenwood Publishing.
3. P.M. Poortvliet et C. Darnon (2010). Toward a more social understanding of achievement goals: the inter-
personnal effects of mastery and performance goals. Current Directions, in Psychological Science, 19, 324-328.

331
Traité des sciences et des techniques de la formation

1. Conflits sociocognitifs et apprentissage

1.1 Les conflits sociocognitifs comme moteurs


potentiels des apprentissages
La thèse du conflit sociocognitif est que la fonction déstabilisatrice du conflit sera d’autant plus
forte que le conflit cognitif s’inscrit dans une interaction sociale, c’est-à‑dire si le point de vue
alternatif auquel le sujet est confronté est défendu par une autre personne avec laquelle il interagit
– par exemple le formateur ou des pairs – par opposition à une situation où la confrontation au
point de vue alternatif aurait été purement individuelle et symbolique (comme à l’occasion de
la simple lecture d’un ouvrage). Les conflits entraînent des déséquilibres cognitifs qui favorisent
les progrès pour trois raisons : d’une part, la confrontation permet une prise de conscience de
l’existence de réponses différentes ; d’autre part, la discussion peut fournir des informations perti-
nentes pour construire de nouveaux instruments cognitifs ; finalement, la volonté de trouver un
accord favorise un engagement cognitif actif organisé autour des réponses divergentes favorisant
une restructuration cognitive individuelle plus élaborée (Doise et Mugny 1997).

Les réponses proposées par le partenaire n’ont pas besoin d’être correctes pour entraîner des
déséquilibres. Les résultats montrent que c’est bien le caractère conflictuel des réponses émises
par les partenaires qui favorise les progrès et non le fait d’être confronté à une réponse correcte
ou supérieure. Les progrès cognitifs réalisés ne peuvent pas être expliqués en termes d’une
imitation d’une réponse de niveau supérieur et relèvent d’une appropriation des positions. Il
faut toutefois que les réponses proposées soient régies par une logique interne ; la confrontation
à un modèle aberrant ne stimule pas de progrès.

Il ne faudrait cependant pas conclure pour autant que la seule inscription du conflit cognitif
dans une interaction sociale favorise automatiquement les apprentissages. Les recherches
permettent d’identifier les conditions dans lesquelles les conflits sociocognitifs sont suscep-
tibles de faciliter l’apprentissage. Avant d’examiner ces conditions, présentons les différentes
régulations des conflits.

1.2 L’importance des régulations des conflits sociocognitifs


1.2.1. Régulation sociocognitive ou épistémique
Lorsque les arguments et contre-arguments sont développés et confrontés, ce qui engage les
partenaires (ou au moins un des deux) dans un travail interne d’élaboration cognitive, c’est-à‑dire
de mise en question et de transformation du point de vue initial conduisant au dépassement du

332
Conflits sociocognitifs et apprentissage ■ Chapitre 16

conflit (soit dans le sens d’un accord raisonné avec l’un des points de vue initiaux, soit dans le
sens de l’élaboration d’un point de vue original, différent de chacun des points de vue initiaux).
La gestion des différences de jugements est alors orientée sur la résolution de la tâche (quel est
le point de vue le plus approprié ?). Cette régulation sociocognitive (appelée par la suite « régu-
lation épistémique ») concerne la volonté de résoudre la tâche, d’accroître ses connaissances ou
de trouver la solution la plus adéquate ; elle favorise le traitement cognitif des contenus.

1.2.2. Régulations relationnelles


Dans de nombreuses situations, cependant, les apprenants sont davantage centrés sur la rela-
tion avec l’autre que sur la résolution de la tâche. Dans ces régulations dites « relationnelles », la
gestion de la différence de jugements est centrée sur la différence de compétences et la valeur
de soi. La régulation relationnelle protective permet de préserver la relation en mettant fin au
désaccord sans qu’il y ait de réelle remise en question interne de son point de vue. La complai-
sance (l’un des partenaires « capitule ») et la juxtaposition des points de vue (dialogue de sourds
« cordial » dans lequel chacun « n’en pense pas moins ») illustrent ces stratégies protectives.
Mais il se peut aussi que chacun campe sur sa position et tente d’imposer son point de vue à
l’autre. Dans cette régulation relationnelle compétitive, l’enjeu est d’assurer sa supériorité et de
montrer que l’autre a tort. Les régulations relationnelles ne favorisent pas le traitement cognitif.

1.3 De l’asymétrie à la gestion de la relation :


l’importance de la menace des compétences
1.3.1 Asymétrie et modes de régulation des conflits sociocognitifs
Les premiers résultats ont mis en évidence que la régulation relationnelle par complai-
sance est d’autant plus susceptible de se produire que la relation entre les deux partenaires
est asymétrique, c’est-à‑dire fondée sur une inégalité de statut. C’est le cas, par exemple, de
la relation entre des personnes socialement désignées comme étudiant versus formateur,
débutant versus chevronné, « fort » versus « faible », adulte versus enfant, ou encore, dans
certains contextes, entre un homme et une femme, entre des personnes de statut socioculturel
différent, etc. Le partenaire en position « basse » est soumis à une plus forte pression pour
rétablir la relation que dans le cas d’une relation égalitaire. La complaisance permet alors de
stopper le conflit (il n’y a plus de divergence de jugement), mais ce faisant bloque également
le traitement cognitif. Ce résultat se confirme dans les premiers travaux sur l’influence sociale
où les sources compétentes n’entraînent paradoxalement pas d’influence en profondeur1 : les

1. F. Butera, E. Gardair, J. Maggi et G. Mugny (1998), Les paradoxes de l’expertise. Influence sociale et incom-
pétence de soi et d’autrui, in J. Baillé, J. Py et A. Somat (éd.), Psychologie sociale et formation professionnelle :
propositions et regards critiques (p. 111-123), Rennes, Presses Universitaires de Rennes.

333
Traité des sciences et des techniques de la formation

participants peu compétents se trouvent dans une situation de contrainte informationnelle


les poussant à imiter la source.

Ce constat est assez problématique pour les contextes de formation, qui, par nature, mettent
en présence une source compétente (un formateur) délivrant des contenus parfois probléma-
tiques à des participants se sentant plus ou moins compétents. Cependant, d’autres résultats
suggèrent que c’est plutôt le contexte dans lequel cette asymétrie a été initialement étudiée que
l’asymétrie en soi qui pourrait expliquer le blocage du traitement cognitif. De plus, les relations
symétriques n’assurent pas pour autant une régulation épistémique, que ce soit entre partenaires
peu compétents ou plus compétents (Quiamzade, Mugny et Butera, 2013) ; une régulation rela-
tionnelle compétitive dans laquelle l’enjeu est essentiellement d’invalider la position de l’autre
et d’imposer la sienne peut prendre place. Il ressort des recherches que plus que l’asymétrie,
c’est la gestion de la relation qui fait obstacle à une régulation épistémique des conflits. Nous
soulignons l’importance de la rhétorique du conflit dans la gestion de la relation avant d’intro-
duire la menace pour les compétences.

1.3.2 Rhétorique du conflit et modes de régulation


des conflits sociocognitifs
Un premier ensemble de recherches souligne l’importance d’une rhétorique appropriée aux
caractéristiques des apprenants1 pour favoriser l’appropriation d’informations problématiques.
Les résultats concernant l’adéquation du style autoritaire ou démocratique d’une autorité épisté-
mique légitime (en l’occurrence un enseignant-chercheur) aux caractéristiques des apprenants
suggèrent que les étudiants en début du cursus universitaire, ou les étudiants qui se perçoivent
peu compétents, bénéficient davantage d’une relation d’influence unidirectionnelle avec une
source adoptant un style autoritaire, qui guide l’étudiant vers ce qu’il est censé apprendre. Au
contraire, les étudiants qui se pensent compétents, ainsi que les étudiants plus avancés dans
leur cursus, qui valorisent leur autonomie intellectuelle, ont besoin d’une relation plus flexible
avec une source employant un style démocratique.

L’importance de la formulation d’un désaccord a également été mise en évidence lors d’un
travail entre adultes2. Son mérite est d’avoir distingué les dimensions cognitives (accord versus
désaccord de points de vue) et affective (contrariété qui repose sur de l’agressivité pouvant être
interprétée comme une non-reconnaissance des compétences du partenaire versus aménité sous

1. C. Buchs, J.-M. Falomir, G. Mugny et A. Quiamzade (2002). Significations des positions initiales des cibles
et dynamiques d’influence sociale dans une tâche d’aptitude : l’hypothèse de correspondance. Nouvelle Revue
de psychologie sociale, 1, 134-145.
2. J.-M. Monteil et P. Chambres (1990). Éléments pour une exploration des dimensions du conflit socio-cognitif :
une expérimentation chez l’adulte. Revue internationale de psychologie sociale, 3, 499-517.

334
Conflits sociocognitifs et apprentissage ■ Chapitre 16

forme de bienveillance et de cordialité) en créant quatre situations typiques dans l’interaction


sociocognitive. C’est la situation combinant contradiction et aménité qui s’avère la plus favo-
rable à l’apprentissage.

Dans un contexte de travail entre pairs à l’université, nous avons également manipulé le type
de conflits grâce aux interventions d’un complice dans trois conditions1 : conflits relationnels
(accent sur la comparaison des compétences), conflits épistémiques (accent sur la recherche
d’une compréhension exacte) ou absence de conflit (simple reformulation). Il ressort que l’intro-
duction de conflits épistémiques améliore la qualité perçue de la relation, alors que l’introduction
de conflits relationnels la réduit. De plus, les conflits épistémiques entraînent de meilleurs
apprentissages que les conflits relationnels, ces derniers entraînant de moins bons résultats
que l’absence de conflit. Ainsi, les conflits remettant en cause les compétences du partenaire
entraînent de moins bons apprentissages.

1.3.3 Buts poursuivis et modes de régulation


des conflits sociocognitifs
La divergence de jugements entre deux personnes à propos des réponses apportées dans une
tâche entraîne une incertitude concernant la maîtrise de la tâche et les compétences propres.
Selon la théorie des buts d’accomplissement (voir Kaplan et Maehr, 2007), trois buts princi-
paux seraient poursuivis dans les situations d’apprentissage : apprendre des choses, c’est-à‑dire
améliorer ses connaissances et sa compétence (but de maîtrise), être reconnu compétent compa-
rativement aux autres, c’est-à‑dire montrer sa compétence (but de performance-approche) ou
éviter de paraître incompétent (but de performance-évitement). Ces buts influencent l’engage-
ment dans des situations diverses et colorent les relations avec les autres2. Plusieurs recherches
soulignent que ces buts orientent la régulation des conflits sociocognitifs (Darnon, Butera et
Mugny, 2008). Ainsi, les individus poursuivant des buts de maîtrise perçoivent les autres comme
des ressources informationnelles permettant de progresser et régulent les conflits de manière
épistémique ; ceux qui poursuivent des buts de performance perçoivent les autres comme des
compétiteurs et régulent les conflits de manière compétitive lorsqu’ils sont orientés vers des
buts de performance-approche ; et de manière protective (complaisance) lorsqu’ils poursuivent
des buts de performance-évitement3.

1. C. Darnon, C. Buchs, et F. Butera (2002). Epistemic and relational conflict in sharing identical vs complemen-
tary information during cooperative learning. Swiss Journal of Psychology, 61, 139-151.
2. P.M. Poortvliet et C. Darnon, (2010). Op. cit.
3. N. Sommet, C. Darnon, G. Mugny, A. Quiamzade, C. Pulfrey, B. Dompnier et F. Butera (2014). Performance
goals in conflictual social interactions: Toward the distinction between two modes of relational conflict regu-
lation. British Journal of Social Psychology, 53, 134-153.

335
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.3.4 Menace pour les compétences et modes


de régulation des conflits sociocognitifs
Les recherches menées dans le cadre de la théorie de l’élaboration du conflit (Quiamzade,
Mugny et Butera, 2013) permettent de mettre en évidence que la menace des compétences
ressentie par les participants est un élément clé qui oriente la manière dont les conflits sont
régulés et permet de comprendre le basculement d’un type de régulation à l’autre. L’idée mise
en avant est que la différence de jugements présente dans le conflit sociocognitif peut activer
une menace plus ou moins forte pour l’identité et plus spécifiquement pour les compétences.
Cette menace correspond au sentiment que ses propres compétences sont remises en question
par les autres ou la situation, à une mise en danger de son image de soi. Les individus s’inter-
rogent alors (voire ruminent) sur leur propre valeur, ce qui rend les interactions avec les autres
moins constructives et détourne l’attention du traitement de la tâche. La menace ressentie
entraîne une réaction compétitive pour défendre et imposer sa propre compétence (régulation
relationnelle compétitive) ou une volonté d’éviter le conflit pour protéger sa propre compé-
tence (régulation relationnelle protective illustrée par la juxtaposition ou la complaisance).

Ainsi, ce n’est pas tant l’asymétrie dans la relation qui poserait problème, mais la menace
implicitement associée à cette asymétrie. L’asymétrie s’appuie certes sur des caractéristiques
objectives des partenaires (expertise, aisance sociale, genre, statut institutionnel, etc.) mais
elle résulte surtout d’une construction mentale et sociale de ces caractéristiques. L’individu se
construit une représentation de son partenaire et de sa relation à lui en fonction de facteurs
dispositionnels (caractéristiques psychologiques et sociales de l’individu) mais également situa-
tionnels (contexte). À titre d’illustration, le contrat didactique permettrait un engagement
cognitif dans des relations asymétriques. Ce contrat place comme objectif prioritaire du rapport
d’influence entre le formateur et les apprenants l’acquisition du savoir et favorise la volonté
de l’apprenant de se rapprocher de la source en s’appropriant les informations dispensées1. Le
contexte institutionnel légitime l’écart entre le formateur et les apprenants tout en les rendant
incomparables dans un rapport coopératif dans lequel l’enseignant endosse le rôle de guide. Le
contrat didactique protégerait donc la phase d’apprentissage pour autant que l’évaluation n’y
soit pas également activée.

Les recherches suggèrent des manières de favoriser les régulations épistémiques que nous
présentons dans la partie suivante.

1. A. Quiamzade et G. Mugny. (2011). Du contrat didactique à la menace identitaire, in F. Butera, C. Buchs, et


C. Darnon (éd.), L’évaluation, une menace ? (p. 25-32), Paris, PUF.

336
Conflits sociocognitifs et apprentissage ■ Chapitre 16

2. Favoriser les régulations épistémiques


dans les situations de formation

Dans la mesure où les valeurs mises en avant par les sociétés occidentales et le système éducatif
poussent les apprenants à se montrer compétitifs pour réussir, il n’est pas étonnant de constater
qu’il suffit de peu pour que ces derniers perçoivent une comparaison sociale menaçante1. Il est
donc particulièrement important d’aider les apprenants à maintenir les confrontations en veillant
à la qualité du climat pour que les conflits sociocognitifs soient porteurs d’apprentissage. Les
dispositifs de formation ainsi que les contextes interviennent également.

2.1 Oser la confrontation


Nous avons souligné que si la complaisance permet de résoudre le conflit (résorber la diffé-
rence de réponses), cette régulation se fait au détriment de l’élaboration cognitive. Ce constat est
illustré par les bénéfices cognitifs moins importants dans les dispositifs de travail coopératif entre
pairs lorsque les apprenants reçoivent pour consigne de rechercher rapidement un compromis
en cas de divergence que lorsqu’ils sont amenés à confronter activement les différents points de
vue (Johnson et Johnson, 2007). Offrir un support social et s’appuyer sur une approche maïeu-
tique pourraient réduire la complaisance.

L’introduction dans la relation d’un tiers acteur en position haute qui soutient le point de vue
de l’acteur en position basse permet d’offrir un support social. Cette situation a pour effet de
priver l’acteur en position basse de la possibilité de résoudre le conflit cognitif sur le mode de la
complaisance puisque l’accord vis-à‑vis d’un des acteurs en position haute implique nécessai-
rement le désaccord vis-à‑vis de l’autre. Pour maintenir le conflit actif lorsqu’une contradiction
apparaît entre le formateur et l’apprenant, le formateur peut alors souligner cette contradiction
et demander à l’apprenant d’expliquer cette contradiction. En cas de complaisance vis-à‑vis
de la réponse du formateur, ce dernier peut demander d’expliciter les raisons du changement.

Dans les situations de formation, la manière dont l’acteur en position haute propose son point
de vue semble également particulièrement importante. C’est lorsque celui-ci ne propose pas de
réponse explicite et se contente de fournir des indications tout en introduisant des remises en
question que l’on observe le moins de complaisance et le plus de progrès chez l’acteur en posi-
tion basse, ce qui plaide en faveur d’une approche maïeutique dans la construction des savoirs.

1. C. Buchs et F. Butera (2015). Cooperative learning and social skills development, in R. Gillies (éd.), Collaborative
Learning : Developments in Research and Practice (p. 201-217), New York, Nova Science.

337
Traité des sciences et des techniques de la formation

Une première stratégie consiste à postposer dans la séquence d’apprentissage le moment où


le formateur explicite son propre point de vue. Dans un premier temps, les apprenants sont
invités à élaborer, exprimer et confronter entre eux leur propre point de vue sur l’objet. Ce n’est
qu’ensuite que le point de vue du formateur est introduit et mis en relation avec le point de vue
des apprenants. Nous avons pu par ailleurs1 démontrer empiriquement l’efficacité supérieure
d’un tel dispositif comparé à d’autres inversant la séquence (le formateur donne d’abord son
point de vue puis les apprenants discutent). Une autre stratégie, qui peut bien sûr se combiner
avec la précédente, consiste pour le formateur, au moment d’introduire son point de vue, à
le faire de manière à susciter chez l’apprenant la mise en relation critique du point de vue du
formateur avec d’autres, et notamment ceux des apprenants. Ce travail peut être facilité par une
explicitation des postulats et des paradigmes qui sous-tendent les points de vue en présence,
permettant d’identifier et de situer les points de continuité et de fracture entre ces points de vue.

De même, introduire des jeux de rôle peut être utile pour stimuler l’investissement dans les
confrontations tout en limitant l’enjeu sur les compétences propres. L’exemple de la controverse
coopérative présentée plus bas s’inscrit dans cette optique.

2.2 L’importance du climat socio-affectif


2.2.1 Travailler sur les compétences sociales
L’importance du climat socio-affectif plaide en faveur de la mise en œuvre d’activités spéci-
fiques centrées sur les compétences sociales et la dynamique du groupe en formation, articulée
au processus de formation. Ces activités peuvent, dès le début du processus de formation, amener
le groupe à se constituer comme tel, à favoriser une connaissance mutuelle des personnes, et à
déterminer des modalités de fonctionnement et de travail pour la suite. Elles visent également
l’acquisition et le développement des compétences individuelles et collectives nécessaires au
fonctionnement efficace du travail en groupe, sous la forme d’ateliers spécifiques tout au long
de la formation. Elles peuvent enfin contribuer directement à l’élucidation et à la régulation de
la dynamique de groupe et de ses aléas tout au long du parcours de formation.

2.2.2 Construire une représentation sociale de la relation


Nous avons souligné qu’il est possible de modifier les effets de l’asymétrie en jouant à la fois
sur ces caractéristiques objectives et leur représentation par les acteurs. Par exemple, le fait
d’associer les apprenants à la gestion du processus de formation, de les constituer collectivement

1. M. Frenay et E. Bourgeois (1997). Improving student learning through course design, in C. Rust et G. Gibbs
(éd.), Improving Student Learning through Course Design (p. 265-274), Oxford, The Oxford Center for Staff
and Learning Development.

338
Conflits sociocognitifs et apprentissage ■ Chapitre 16

en groupe comme interlocuteurs du formateur et de l’institution, de contractualiser le processus


de formation et la relation formateur-apprenant dans ce processus, tous ces éléments sont
susceptibles de modifier la représentation des rapports d’asymétrie dans la relation pédago-
gique. C’est ce que nous avons vérifié dans une recherche1 qui a montré que la manière dont le
formateur était présenté aux étudiants contribuait significativement aux variations observées
dans leur performance académique.

2.2.3 Désamorcer la comparaison sociale menaçante


Le caractère menaçant peut être activé par l’intermédiaire du contexte de comparaison sociale
des compétences2. Par exemple dans une étude, les participants ont des points de compétences
à distribuer à eux-mêmes et à la source concernant quatre attributs liés à la compétence. Dans
une situation de comparaison menaçante, les participants disposent de 100 points au total à
répartir entre eux et la source, de manière à ce que plus ils donnent à l’un, moins ils peuvent
attribuer à l’autre (interdépendance négative). Au contraire, dans une situation non menaçante,
les sujets disposent de 100 points pour eux et 100 points pour la source (il devient possible
pour l’apprenant de reconnaître la compétence de la source sans pour autant devoir admettre
sa relative infériorité). Ce n’est que dans cette situation que les informations problématiques
de la source sont élaborées par les apprenants.

Une manière indirecte de réduire la menace est de pousser les apprenants à considérer que
les différents points de vue énoncés sont complémentaires et que leur articulation permet de
mieux appréhender la situation. Cette décentration peut être introduite par des petits exercices
simples (un objet dans une boîte apperçu par deux ouvertures différentes3, des morceaux de
dessins incomplets4) ; les résultats suggèrent que ces exercices permettent de réduire la menace
des compétences ressentie et favorisent le traitement des informations.

Ces travaux illustrent que lorsque la menace est affaiblie, une source compétente autorise
l’élaboration cognitive des réponses, quel que soit le niveau de compétences des participants.

1. M. Frenay et E. Bourgeois, op. cit.


2. G. Mugny, F. Butera, A. Quiamzade, A., Dragulescu et A. Tomei (2003). Comparaisons sociales des compé-
tences et dynamiques d’influence sociale dans les tâches d’aptitude, L’année psychologique, 103 (3), 469-496.
3. F. Butera et C. Buchs (2005). Reasoning together: From focussing to descentering, in V. Girotto et P. N. Johnson-
Laird (éd.), The Shape of reason (p. 193-203), Hove, Psychology Press.
4. A. Quiamzade et G. Mugny (2009). Social influence and threat in confrontations between competent peers,
Journal of Personality and Social Psychology, 97 (4), 652-666.

339
Traité des sciences et des techniques de la formation

2.2.4 Renforcer les buts de maîtrise


Les recherches ont souligné que les buts d’accomplissement poursuivis dans la tâche peuvent
être orientés par les consignes données par la personne qui gère la situation de formation en
mettant l’accent sur les différents buts1 : apprendre, tenter de mieux réussir que les autres ou
tenter de ne pas réussir moins bien que les autres. Ces consignes très courtes et simples se
montrent cependant efficaces pour orienter les régulations des conflits et les effets des conflits
sur les apprentissages. Les résultats confirment que les bénéfices cognitifs des conflits appa-
raissent uniquement lorsque les consignes mettent en avant les buts de maîtrise.

Par ces pratiques pédagogiques, notamment dans la manière de gérer la tâche, l’autorité, la
reconnaissance des apprenants, leur regroupement, l’évaluation et le temps, le formateur oriente
également les buts poursuivis par les apprenants (Kaplan et Maehr, 2007). Les buts de maîtrise
sont favorisés lorsque le formateur structure la tâche de manière à permettre une participation
flexible dans une tâche qui fait sens, implique les apprenants dans les prises de décisions, recon-
naît de manière privée les efforts fournis, groupe les apprenants de manière à favoriser l’entraide,
évalue de manière à favoriser les progrès et régule le temps de manière à limiter le stress.

Les résultats présentés suggèrent que le formateur peut intervenir de manière à favoriser
les conflits et créer un climat favorable aux régulations épistémiques en portant une attention
particulière au développement des compétences sociales, à la représentation des relations, aux
enjeux sur la comparaison sociale et aux buts d’accomplissement véhiculés. Toutes ces actions
permettent de préparer le terrain pour des interactions constructives. Le formateur doit égale-
ment veiller à proposer des dispositifs de formation qui stimulent les conflits sociocognitifs et
orientent vers une régulation épistémique.

2.3 Proposer des dispositifs de formation favorisant


les régulations socio-cognitives
2.3.1 Renforcer la perception de complémentarité des points de vue
Nous avons souligné que percevoir les différents points de vue comme complémentaires favo-
rise l’intégration des informations. En situation de formation, un dispositif de type « table ronde »
d’experts interagissant avec le formateur et les apprenants pourrait favoriser cette décentration.
Ce dispositif, en exposant l’apprenant à une diversité de points de vue – dont certains peuvent
être plus proches du sien que de celui du formateur et dont tous sont dotés d’une plus ou moins
forte légitimité, facilite le travail de distanciation de l’apprenant et la mise en relation dialectique

1. Sommet et al. (2014). Op. cit.

340
Conflits sociocognitifs et apprentissage ■ Chapitre 16

de son point de vue avec des points de vue alternatifs. Sur le plan relationnel, il casse la relation
apprenant-formateur dans ce qu’elle peut avoir parfois d’enfermant et recadre les enjeux relation-
nels en amorçant une dissociation des points de vue et des personnes qui les portent. Des effets
similaires peuvent être obtenus si un tiers expert est introduit symboliquement dans la relation.
On pense, par exemple, à un dispositif dans lequel le formateur présente d’abord une controverse
entre deux ou plusieurs points de vue alternatifs argumentés, avant d’exposer éventuellement
son propre point de vue. Ce faisant, le formateur relativise celui-ci en l’inscrivant dans un univers
plus large et plus diversifié de pensée.

2.3.2 Les dispositifs d’apprentissage coopératif


Les dispositifs d’apprentissage coopératif (Buchs, 2017) placent au centre les interactions
entre pairs. Pour que ces interactions soient constructives, le formateur prépare les apprenants
à coopérer en s’appuyant sur trois principes : créer un climat positif pour les apprentissages et les
relations sociales (but de maîtrise), travailler les habiletés coopératives (en lien avec les compé-
tences sociales) et faire réfléchir les apprenants sur l’atteinte des objectifs et le fonctionnement
de l’équipe. De plus, il organise le travail au sein de petites équipes en introduisant une interdé-
pendance positive (la perception d’une relation positive dans l’atteinte des buts par les membres
de l’équipe) et une responsabilisation individuelle pour favoriser l’engagement de chacun.

Certains dispositifs coopératifs comme la controverse coopérative (Johnson et Johnson,


2007) sont particulièrement efficaces pour renforcer les bénéfices cognitifs des conflits. Dans
les petites équipes, les apprenants doivent jouer un jeu de rôle en défendant une position pour
laquelle ils reçoivent des informations différentes (pour ou contre la question débattue). Ils
débattent des contenus selon les étapes fixées à l’avance avec l’objectif de proposer une posi-
tion finale consensuelle pour l’équipe. Lors des différentes étapes, les apprenants préparent
et présentent à tour de rôle la position qui leur a été attribuée, puis ils analysent, discutent
de manière critique l’ensemble des positions avant de renverser les perspectives (défendre la
position opposée à celle qu’ils avaient défendue préalablement), et finalement ils proposent une
position commune acceptée par tous les membres. Les résultats indiquent que la controverse
entraîne des bénéfices motivationnels, interpersonnels et cognitifs comparés à une situation
de recherche d’accords dans laquelle les apprenants ont pour consigne d’éviter les conflits par
un consensus rapide ou comparés à une situation de débat où les confrontations de points de
vue se déroulent dans un contexte compétitif.

L’importance du contexte coopératif versus compétitif pour renforcer les bénéfices des
conflits sociocognitifs a été mise en évidence dans plusieurs contextes de formation et de travail
(Tjosvold, 1998). Nous avons également pu vérifier ces résultats dans une recherche menée en

341
Traité des sciences et des techniques de la formation

contexte de formation universitaire1. D’autres études soulignent que les conflits sont constructifs
pour les apprentissages seulement lorsque les ressources complémentaires rendent nécessaire
l’apport de chacun et réduisent la comparaison sociale des compétences2.

2.4 Le contexte de la formation


Dans ce qui précède, nous avons souligné le rôle que le formateur peut jouer pour favo-
riser les confrontations, soutenir le climat socio-affectif et proposer des dispositifs constructifs.
Cependant, ce dernier n’est pas toujours bien placé. D’une part, étant directement centré sur
la tâche, il n’est pas toujours en mesure d’apporter une attention suffisante à la dynamique du
groupe et une foule d’éléments significatifs peuvent néanmoins, avec la meilleure volonté du
monde, échapper à sa vigilance. D’autre part, en raison de sa position dans la relation pédago-
gique, il n’est pas non plus nécessairement bien placé pour assurer une régulation sereine et
efficace de la dynamique du groupe, surtout lorsque les difficultés à traiter concernent directe-
ment sa relation avec le groupe et que les enjeux affectifs sont trop forts. D’où l’importance des
activités évoquées ci-dessus, distinctes dans le temps et dans l’espace du processus de formation
proprement dit, mais également du rôle d’un « tiers acteur » dans la relation pédagogique.

2.4.1 La fonction du conseiller pédagogique comme tiers acteur


Cette fonction peut être exercée selon des modalités très diverses. On retrouve cependant
des invariants en rapport au problème qui nous occupe ici. Tout d’abord, le conseiller occupe en
principe une position de tiers dans la relation apprenants-formateur, en ce sens qu’il n’intervient
généralement ni sur les contenus ni sur les objectifs de formation du formateur ; il n’est pas partie
prenante de l’offre de formation proposée par le formateur, et, en particulier du processus d’éva-
luation certificative. Cette position d’extériorité est essentielle pour assurer les régulations de la
relation pédagogique apprenant-formateur, du moins lorsque celles-ci nécessitent une distance
pour opérer les arbitrages qui s’imposent parfois. Ensuite, le conseiller pédagogique peut agir
comme garant du contrat pédagogique : à la fois de son établissement au début de la formation,
de sa régulation en cours de processus et de son évaluation en fin de parcours. En outre, en
raison de sa proximité avec le groupe qu’il accompagne, son statut institutionnel, le temps, ses
compétences et ses qualifications, il est en mesure d’assurer une régulation de la dynamique du
groupe tout au long du parcours, au travers des diverses activités et des formateurs successifs
auxquels le groupe est confronté.

1. Frenay et Bourgeois, op. cit.


2. C. Buchs et F. Butera (sous presse). Travailler en duos coopératifs sur des textes à l’université : entre soutien
et menace, in V. Bonnot, S. Caillaud et E. Drozda (éd.), Les menaces autrement, Rennes, Presses Universitaires
de Rennes.

342
Conflits sociocognitifs et apprentissage ■ Chapitre 16

2.4.2 Le cadre institutionnel


Enfin, il faut souligner l’importance du cadre institutionnel dans lequel s’inscrit la formation,
tout particulièrement du point de vue des normes sociales et des habitus en vigueur. Nous
avons évoqué plus haut les effets de l’apprentissage coopératif. Ce dispositif est d’autant plus
efficace que les acteurs l’ont déjà expérimenté antérieurement1. On pourrait ajouter qu’il est
d’autant plus efficace que l’institution le valorise, ou valorise en tout cas les modes de relations
qui le caractérisent. À l’inverse, comme on le voit si souvent, la mise en place d’un tel dispositif
peut s’avérer vite catastrophique lorsque les acteurs n’y sont pas familiarisés et/ou lorsque ce
dispositif est étranger, ou en porte-à‑faux par rapport aux habitus en vigueur dans l’institution,
surtout si ces derniers sont fortement intériorisés par les acteurs. Le développement de telles
pratiques dans ce contexte relève alors de l’exercice délicat du changement dans la continuité,
c’est-à‑dire, d’équilibre à trouver entre la nécessité de prendre en compte la culture de l’institu-
tion et des acteurs qui peut être assez éloignée de la logique d’apprentissage coopératif et celle
de faire évoluer cette culture, de contribuer à son évolution.

3. Conclusion
De ce survol, forcément rapide et incomplet, on retiendra que le sujet apprenant est davantage
susceptible de résoudre une tâche d’apprentissage lorsqu’il a la possibilité de faire l’expérience du
conflit sociocognitif. L’essentiel pour l’apprentissage ne réside cependant pas dans l’occurrence
du conflit sociocognitif en soi, mais bien dans la manière dont celui-ci est régulé, les différentes
formes de régulations « relationnelles » s’avérant moins efficaces pour l’apprentissage que les
régulations « épistémiques ». Nous avons souligné que la menace pour les compétences (perçues)
oriente vers des régulations relationnelles. Plusieurs stratégies et conditions ont ensuite été
évoquées, qui ont pour effet de modérer la menace et de favoriser des régulations épistémiques
du conflit sociocognitif.

Sur le plan des pratiques, ces éléments d’analyse permettent de recadrer la fonction du forma-
teur dans le processus d’apprentissage. À tout le moins, ils remettent sérieusement en cause
l’efficacité du formateur s’il se cantonne uniquement dans son rôle traditionnel de transmet-
teur de connaissances. C’est en effet l’interaction sociocognitive qui apparaît comme le moteur
essentiel de l’apprentissage. Cette perspective, en soulignant l’importance des interactions entre
pairs, met en cause le monopole de l’interaction apprenant-formateur comme unique source

1. R.M. Gillies (2004). The effect of cooperative learning on junior high school students during small group
learning, Learning and Instruction, 14 (2), 197-213.

343
Traité des sciences et des techniques de la formation

d’apprentissage. En outre, elle met en évidence un certain nombre de facteurs qui conditionnent
dans une large mesure l’efficacité des interactions avec le formateur pour l’apprentissage.

Ces travaux soutiennent le rôle central du formateur. Cependant, son rôle essentiel est moins
comme dispensateur de connaissances que comme médiateur, ou catalyseur du processus d’ap-
prentissage1. En effet, comme nous l’avons souligné en cours d’exposé, bon nombre des facteurs
que nous avons identifiés comme conditionnant les effets de l’interaction sociale sur l’appren-
tissage relèvent dans une large mesure du champ d’action du formateur, même si d’autres, telles
les dispositions individuelles des apprenants et les caractéristiques du contexte institutionnel,
lui échappent, irrévocablement. La perspective que nous avons présentée dans ce chapitre invite
donc le formateur à trouver sa « juste » place dans le processus de formation : à la fois conscient
de l’importance du rôle essentiel qu’il a à jouer comme catalyseur du processus d’apprentissage
– et tout particulièrement dans la gestion des interactions socio-cognitives dans laquelle celui-ci
s’inscrit – et lucide sur les limites de son champ d’action.

Soulignons enfin que les développements qui précèdent, s’appuyant dans une assez large
mesure sur des contextes de formation formelle, supposent une rupture plus ou moins nette
entre espace-temps de la formation et espace-temps du travail. Or, ces dernières années, on a
assisté dans les organisations à un développement massif de dispositifs et de pratiques de forma-
tion et d’accompagnement visant explicitement à optimiser les apprentissages en situation de
travail (workplace learning) : les dispositifs de coaching, mentoring, tutorat, communautés de
pratiques, groupe d’action learning, et autre intervision, pour ne citer que ceux-là. Ces dispositifs
sont censés faciliter le transfert d’apprentissage, favoriser la pertinence des apprentissages pour
l’activité de travail, ainsi qu’une plus grande responsabilisation et motivation des collaborateurs
dans leur formation. Ils permettent l’acquisition durable de compétences complexes et une arti-
culation plus fonctionnelle entre la politique de formation et les projets de l’entreprise. Or ces
pratiques sont de nature à exacerber la menace ressentie dans les interactions. Que l’on pense
un instant à l’impact de la présence d’un supérieur hiérarchique dans un groupe de collabora-
teurs en formation, ou d’un coaching à visée formative dès lors qu’il est assuré par un supérieur
hiérarchique direct, ou encore de l’apprentissage au sein d’un collectif de travail fonctionnant
sur un mode compétitif et fortement hiérarchisé. Ici encore, les résultats des recherches attirent
notre attention sur un certain nombre de conditions qui permettent de favoriser une régulation
épistémique des conflits sociocognitifs dans des contextes d’interaction caractérisés par une forte
asymétrie et qui peuvent valoir, non seulement pour des situations de formation formelle, mais
également pour des situations courantes de travail quotidien ou des dispositifs plus ou moins
formalisés d’accompagnement de l’apprentissage en situation de travail.

1. B. Aumont, P.-M. Mesnier (1992). L’Acte d’apprendre, Paris, PUF.

344
Conflits sociocognitifs et apprentissage ■ Chapitre 16

Lectures conseillées
B ourgeois E., N izet J. (1999). Apprentissage et Johnson D. W. et Johnson R. T. (2007). Creative
formation des adultes (2e éd.). Paris : PUF. Controversy : Intellectual Challenge in the
Buchs C. (2017). « Apprendre ensemble : des pistes Classroom, Minneapolis, Interaction Book
pour structurer les interactions en classe », Company.
in M. Giglio et F. Arcidiacono (éd.). Les inte- Kaplan A. et Maehr M.L. (2007). « The contributions
ractions sociales en classe : réflexions et and prospects of goal orientation theory »,
perspectives, Berne, Peter Lang, p. 189-208. Educational Psychology Review, 19, 141-184.
Buchs C., Darnon C., Quiamzade A., Mugny G. et Butera Quiamzade A., Mugny G. et Butera F. (2013). Psychologie
F. (2008). « Régulation des conflits socioco- sociale de la connaissance. Fondements
gnitifs et apprentissage », Revue française théoriques, Grenoble, Presses universitaires
de pédagogie, 163, 105-125. de Grenoble.
Darnon C., Butera F. et Mugny G. (2008). Des conflits Tjosvold D. (1998). « Cooperative and competitive
pour apprendre, Grenoble, Presses universi- goal approach to conflict : Accomplishments
taires de Grenoble. and challenges », Applied Psychology :
Doise W. et Mugny G. (1997). Psychologie sociale et An International Review, 47, 285-313.
développement cognitif, Paris, Armand Colin.

345
Chapitre 17
Les histoires de vie
en formation1

1. Par Pierre Dominicé et Gaston Pineau.


Sommaire
1. De l’émergence marginale d’histoires de vie au tournant biographique................. 349
2. Des ouvertures qui élargissent l’horizon............................................................... 354
3. L’articulation entre vie et histoire,
levier pour la conquête d’une identité historique.................................................. 359
4. En guise de conclusion........................................................................................... 362
Références................................................................................................................. 363
Entre illusion et injonction biographique, la vie des histoires de vie semble arriver à une
nouvelle phase historique de développement. D’une société niant le sujet et brocardant d’illu-
soire le biographique, semble bien s’opérer actuellement le passage à une société biographique,
maniant l’injonction de raconter et d’écrire sa vie comme moyen d’arraisonnement. « Donne-moi
ton récit, et je te donnerai de la formation, des stages, une allocation d’aide à l’insertion, un emploi
jeune, une reconnaissance de niveau… de la reconnaissance sociale1. » L’appel au récit de vie
privée se publicise selon des procédures professionnelles et médiatiques qui risquent de renforcer
plus les pouvoirs institués que ceux des personnes en recherche-formation d’elles-mêmes.

D’une émergence marginale dans les années 1980, les histoires de vie se centralisent avec le
tournant biographique du début des années 2000 (1). Vers quelles nouvelles formes et quels
nouveaux horizons (2) ? Quels sont les grands enjeux formateurs/déformateurs de cette (r)
évolution narrative de la vie ? Comment s’y retrouver entre informations nécessaires, bavardages
périodiques, constructions illusoires, injonctions administratives et construction de sens avec les
mondes vécus ? Prendre sa vie en main par une narrativité bio-formative, implique d’apprendre
autant à se taire qu’à prendre pertinemment la parole pour mettre le vécu en mots, en réflexions,
en dialogues, en perspectives. Toute une entreprise de formation permanente au cours de la
vie ! Que peut-on en dire aujourd’hui (3) ?

1. De l’émergence marginale d’histoires


de vie au tournant biographique

En prenant comme indicateurs de construction historique entre 1980 et 2016, les dates d’édi-
tion de productions écrites ou audiovisuelles ainsi que celles des fondations d’associations, de
réseaux et de diplômes de formation, trois périodes sont retenues : une période d’émergence (les
années 1980), une période de fondation (les années 1990) et enfin une période de développement
différenciateur (les années 2000).
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

1.1 Émergence dans les années 1980


Conjointement à la publication de textes fondateurs, principalement sociologiques, comme
ceux de Daniel Bertaux (1980), Mauricio Catani (1982), Franco Ferrarotti (1981) et ethnologique,

1. C. Delory-Momberger (2010). La Condition biographique, Paris, Téraèdre, p. 44.

349
Traité des sciences et des techniques de la formation

comme Jean Poirier et Simone Clapier-Valladon (1983), la jonction avec la formation des adultes
se fait au début des années 1980, par une recherche visant à expliciter, à partir du récit de vie
d’une jeune femme québécoise de 35 ans – Marie-Michèle – comment elle se forme person-
nellement avec et contre les formations reçues des autres : Produire sa vie : autoformation et
autobiographie (Pineau, Marie-Michèle, 1983, rééd. 2012).

Cette même année 1983 a lieu à l’université de Montréal, un premier rendez-vous interna-
tional intitulé « Symposium international de recherche-formation en éducation permanente ». Se
constitue alors un premier cercle de pionniers : Pierre Dominicé, Christine Josso de l’université
de Genève ; Guy de Villers de l’université de Louvain-la-Neuve ; Bernadette Courtois et Guy
Bonvalot de l’Association de formation professionnelle des adultes (AFPA) de France et Gaston
Pineau de l’université de Montréal. En 1984, un numéro double de la revue française Éducation
permanente (72-73) est consacré aux « Histoires de vie entre la recherche et la formation ». Il
permet à une série de chercheurs de donner un aperçu de leur pratique et de leur réflexion dans
ce domaine. Ce dernier servira de préparation à un premier colloque sur les Histoires de vie
tenu en 1986 à l’université de Tours1.

Parallèlement, les chercheurs de l’université de Genève engagés dans ce courant de pensée,


offriront avec leurs collègues de Louvain-la-Neuve un Cahier de la section des sciences de l’édu-
cation (1985) portant sur le thème suivant : Pratiques du récit de vie et théories de la formation.
La collaboration entre les universités de Genève et Louvain-la-Neuve a d’ailleurs donné lieu à
de nombreux échanges, notamment méthodologiques, qui ont inscrit la pratique des histoires
de vie comme volet indispensable de la formation de formateurs.

1.2 Fondations des années 1990


Les années 1990 complètent par une série d’autres productions la pluralité d’expression du
mouvement. Les ouvrages de Pierre Dominicé, l’Histoire de vie comme processus de formation
(1990) et de Christine Josso, Cheminer vers soi (1991), construisent la perspective de biographie
éducative qui marquera la pratique de recherche-formation en matière biographique. Dans la
dynamique de création de formations universitaires par recherche-action coopérative de produc-
tion de savoir, Henri Desroche publie en 1990, Entreprendre d’apprendre : d’une autobiographie
raisonnée à un projet de recherche-action.

1. G. Pineau et G. Jobert (coord.) (1989). Les Histoires de vie, t. I : Utilisation pour la formation ; t. II : Approches
multidisciplinaires.

350
Les histoires de vie en formation ■ Chapitre 17

À ce début des années 1990, Jean-Louis Le Grand lance pour le satellite Olympus, avec le
service de formation continue de l’université de Nantes, un ambitieux projet de construction
de cassettes vidéo sur ce mouvement émergent d’histoires de vie en formation. La réalisation
de ce projet nécessita des interviews audiovisuelles avec les principaux acteurs francophones
de l’époque1. Cette enquête provoqua une forte prise de conscience collective qui amena en
1990, la création de l’Association internationale des histoires de vie en formation (ASIHVIF).

Des rencontres laborieuses à Paris, Genève, Louvain, Tours, ont permis d’élaborer non seule-
ment les règlements intérieurs et les procédures d’adhésion, mais surtout une charte éthique
définissant l’objet/objectif de l’Association et les relations intervenant entre formateur, chercheur
et intervenant avec celles et ceux qui désiraient faire leur histoire de vie. Cette redéfinition des
rapports existant entre professionnels et acteurs sociaux semble avoir été et demeurer l’enjeu
névralgique du passage pour les récits de vie en formation du paradigme classique des sciences
appliquées à celui de l’acteur réflexif2.

L’Association romande des histoires de vie en formation (ARHIV), fondée en Suisse en 1992,
a été le premier regroupement régional réunissant un nombre impressionnant d’adhérents.
Les Québécois ont suivi en 1994 par la création du Réseau québécois pour les histoires de vie
(RQPHV). Plusieurs régions françaises ont senti le besoin de se regrouper en association spéci-
fique : Histoire de vie Grand-Ouest (HIVIGO), Histoire de vie Sud-Ouest (HIVISO), Association
de recherche et d’études sur les histoires de vie (AREHIVIE, Bretagne).

La parution d’un « Que sais-je » (1993) intitulé Histoires de vie par G. Pineau et J.-L. Legrand,
catalysera les travaux de l’époque en pleine ébullition. L’histoire de vie y est définie « comme
recherche et construction de sens à partir de faits temporels personnels, elle engage un processus
d’expression de l’expérience » (p. 3). Trois modèles d’exploration aux impacts formateurs très
différents sont identifiés : le modèle biographique ou d’écriture de la vie par un autre ; le modèle
autobiographique, ou d’auto-investissement de sa vie par soi-même ; et le modèle interactif,
dialogique, d’auto-coformation.

Plusieurs textes significatifs relevant d’autres orientations disciplinaires, mais avec lesquelles
existent de nombreuses collaborations viendront enrichir la réflexion propre à ce champ biogra-
phique, ceux de Vincent de Gaulejac et de Michel Legrand en particulier. Dans son ouvrage
de 1998 au titre évocateur, Faire de sa vie une histoire, Alex Lainé dresse un relevé comparatif
précieux de ces courants de recherche et de pratique. Il l’actualise en 2016 en collaboration avec

1. https://www.canalu.tv/video/…/02_methodologie_des_histoires_de_vie.
2. Voir le site www.asihvif.com.

351
Traité des sciences et des techniques de la formation

Emmanuel Graton et Annemarie Trekker : Penser l’accompagnement biographique. Philippe


Lejeune a par ailleurs largement enrichi le travail d’histoire de vie dans le domaine de la forma-
tion en l’ouvrant, par ses travaux sur l’autobiographie, au champ de la littérature.

Des colloques donneront également l’occasion d’approfondir des croisements comme


ceux qui associent formation, recherche et intervention (Desmarais et Pilon, 1994) ou de
travailler plus spécifiquement un thème central problématique comme celui du récit (Robin,
de Maumigny-Garban et Soetard, 2004). Chacun des symposiums québécois agira dans le
même sens. Citons à titre d’exemple les textes consacrés au Pouvoir transformateur du récit
de vie (Chaput, Giguère et Vidricaire, 1995).

Des thématiques de recherche se précisent aussi. L’approche de « biographie éducative »


permettra ainsi par une analyse systématique de la place des souvenirs scolaires, de repérer les
traces expérientielles de la formation permanente de nombreux professionnels. Les Origines
biographiques de la compétence d’apprendre (1999) restituent sous un titre commun les trois
recherches conduites en groupe par des chercheurs de l’université de Genève.

Dans le prolongement de ce remue-ménage réflexif de part et d’autre de l’Atlantique, des


liens se précisent entre l’histoire de vie et les démarches de bilan. Inspiré par Le Guide en recon-
naissance des acquis de Ginette Robin (1988), l’ouvrage collectif paru à Bienne en Suisse et qui
porte le titre Bilan-Portfolio de compétences, Histoire d’une pratique est exemplaire de l’effort
de mise en forme écrite élaborée à plusieurs sous la direction de Marie-Thérèse Sautebin. Il en
ira de même quelques années plus tard à propos des pratiques d’accompagnateur de bilan et,
de manière générale, d’accompagnement en formation.

En 1996 est fondée aux éditions L’Harmattan à Paris une collection intitulée « Histoire de vie et
formation », avec deux volets : d’expression directe, narrative et un autre de réflexion théorique.

1.3 Développement différencié du début des années 2000


Le noyau des pionniers/pionnières des années 1980 commence à être traduit : Learning from
our lives (Dominicé, 2000) ; Expériencias de vida e formaçao (Josso, 2002), Temporalidades na
formacao (Pineau, 2004). Ces traductions créent des liens entre le mouvement francophone et
des émergences dans d’autres pays : par exemple l’éducation conscientisante de Paolo Freire au
Brésil et l’apprentissage transformateur de Jack Mezirow aux États-Unis.

Une deuxième génération de formateurs-acteurs, auteurs de mémoires, thèses et ouvrages,


prend le relais. Dès le début des années 2000, dans son ouvrage, La formation au cœur des récits

352
Les histoires de vie en formation ■ Chapitre 17

de vie : expériences et savoirs universitaires, Christine Josso dresse une bibliographie impo-
sante de 300 titres d’histoires de vie en formation et de 400 pour les sciences humaines, en
langue française, anglaise, allemande, italienne, espagnole et portugaise. De nouveaux auteurs
apparaissent, comme Christine Delory-Momberger avec Les Histoires de vie. De l’invention de
soi au projet de formation (2000) et la condition biographique. Essai sur le récit de soi dans la
modernité avancée (2010). Les liens entre histoire de vie, psychothérapie et psychanalyse, sont
travaillés : par exemple Souci et soin de soi. Liens et frontières entre histoire de vie et psychothé-
rapie (Niewiadomski, de Villers, 2002). Des colloques font le point périodiquement : Tours en
2007, Le Biographique. La réflexivité et les temporalités. Articuler langues, cultures et formation
(Bachelart, Pineau, 2009). Lille en 2011 : Recherche biographique et clinique narrative. Entendre
et écouter le sujet contemporain (Niewiadomski, 2012).

Après les premières introductions de l’histoire de vie dans l’enseignement universitaire à


Genève, Louvain, Montréal, Tours, de premiers diplômes universitaires spécifiques aux histoires
de vie en formation apparaissent : le diplôme universitaire des histoires de vie en formation
(DUHIVIF), créé par Martine Lani-Bayle à l’université de Nantes en 2000 ; et celui du certificate
of advanced studies (CAS) de « recueilleuses et recueilleurs de récits de vie » créé à Fribourg par
Catherine Schmutz-Brun, en 2008-2011.

Les premières revues naissent : Chemins de formation au fil du temps (Nantes, 2001), Histoires
de vie (Rennes, 2001), Le Sujet dans la cité. Revue internationale de recherche biographique
(Paris-13, 2011). Une nouvelle collection voit le jour en 2004 aux éditions Téraèdre (Paris) :
L’écriture de la vie.

Les connexions avec des associations européennes se renforcent. Les ouvrages de Peter Alheit
et Linden West viennent enrichir les problématiques traitées dans le monde francophone.
La parution de deux ouvrages communs marquera l’importance de cette collaboration : The
Biographical Approach in European Adult Education et Using Biographical and Life History
Approaches in the Study of Adult and Lifelong Learning : European Perspectives. Des liens avec
l’Amérique du Sud permettent la création de l’Associaçao Norte-Nordeste de Historias de Vida
em Formaçao (2006) et de l’Association brésilienne de la recherche (auto) biographique (2008).
Des échanges s’effectuent périodiquement avec le Japon, grâce au professeur Makoto Suemoto,
de l’université de Kobé.

1.4 Le tournant biographique


En ce début du xxie siècle, ce tournant biographique ferait de l’écriture une condition de forma-
tion individuelle incontournable, renvoyant à chacun la responsabilité vitale de se biographier.

353
Traité des sciences et des techniques de la formation

« L’espace du biographique s’en trouve singulièrement agrandi. Dans son extension temporelle
d’abord : il n’est plus limité au seul point de vue rétrospectif de la remémoration du passé, mais
il embrasse toutes les formes de configuration narrative sous lesquelles les hommes… anticipent,
régulent, projettent le court, le moyen ou le long terme de leur avenir » (Delory, 2010, p. 31).

Ce tournant biographique dépasserait l’effet de mode d’ego-histoire. Il actualiserait la triple


révolution autobiographique – sociale, psychologique et littéraire – amorcée selon Lejeune à la fin
du xviiie siècle avec Rousseau1. Il s’inscrirait dans le passage du paradigme de la science appliquée
à celui des acteurs réflexifs (Schön, 1992). Il prolongerait ainsi les tournants réflexifs, narratifs et
culturels amorcés à la fin du siècle dernier2.

Un indicateur fort de ce tournant biographique dans le champ de la formation est la place


que la première Encyclopédie de la formation (Barbier, Bourgeois, Chapelle, Ruano-Borbalan,
2009) accorde à la vie du sujet : le récit autobiographique (de Villers) ; l’approche biographique
(Delory-Momberger) ; les histoires de vie (Dominicé).

Mais cette assomption de la « condition biographique » (Delory-Momberger, 2010) ne


supprime pas « l’épreuve autobiographique » (Baudouin, 2010). Elle l’universalise. Et il ne faut
pas tomber dans une seconde illusion biographique, inverse de la première : affirmer son univer-
salité automatique après l’avoir niée de façon aussi péremptoire. « Le temps des grands discours
est heureusement dépassé et nos espoirs ne sont plus asservis à leur résonnance idéologique. La
pratique des récits de vie m’a appris à associer le local et le global de la vie. Elle m’a convaincu
de la nécessité d’allier vie personnelle et enjeux politiques, développement personnel et choix
éthiques » (Dominicé, 2007). Les enjeux de ce tournant sont trop importants et les forces trop
dispersées pour ne pas tenter de dégager les nouveaux horizons qu’il ouvre.

2. Des ouvertures qui élargissent l’horizon


Le tournant biographique actuel vient renforcer l’ampleur du vivant qui caractérise les
histoires de vie tant sur le plan des publics concernés et des démarches de recherche que de
l’orientation intellectuelle de la production de savoirs. Le projet déjà envisagé par Dilthey d’une
autobiographie de l’humanité, rassemblant la totalité des humains promis à une historicité
spécifique, n’apparaît plus comme une utopie illusoire, mais devient une composante de la

1. « Rousseau et la révolution biographique », in D. Bachelart et G. Pineau (coord.) (2009), p. 49-65.


2. M. Rustin (2006). « Réflexions sur le tournant biographique dans les sciences sociales », in Astier, Duvoux,
La Société biographique : Une injonction à vivre dignement, Paris, L’Harmattan, p. 33-55.

354
Les histoires de vie en formation ■ Chapitre 17

condition humaine. La généralisation du « travail biographique » pourrait même être grande-


ment facilitée par l’apport des nouvelles technologies de l’information qui rend virtuellement
possible le passage de discours sur l’humain élaboré en surplomb, à la parole vibrante de ces
humains, inscrite dans le cours de leur vie. Ce passage ne se fera ni automatiquement, ni sur
injonction. Nous restons de grands analphabètes de nos vies. Comment apprendre à parler la
vie de façon formatrice, performative, pour lui donner une consistance historique ? Il s’agit ici
d’un redoutable apprentissage, tant sur le plan individuel que collectif.

2.1 Survol des secteurs sociaux d’expression et de pistes


de théorisations formatives
Les vingt ans de la collection Histoire de vie et formation plaident pour prendre ses produc-
tions comme indicatrices des secteurs sociaux d’expression autobiographique selon son volet
narratif et de conceptualisation formative selon son volet plus théorique. Depuis sa fondation en
1996 jusqu’à début 2016, la collection a généré 165 ouvrages : 90 dans le volet narratif, histoire
de vie, qui reflète l’expression directe des acteurs sociaux aux prises avec la vie courante à
mettre en forme et à laquelle donner sens ; 75 dans le volet théorique d’une conceptualisation
anthropologique de la formation humaine.

Ces ouvrages ont pu être regroupés en huit secteurs d’expression sociale et de théorisation.
Les quatre premiers épousent les grands secteurs vitaux de tout trajet personnel :
–– Les histoires d’enfances et de relations familiales intergénérationnelles qui ouvrent et
ancrent les réflexions concernant la formation dans des temporalités personnelles intergé-
nératives. L’ouvrage initiateur de ce secteur est celui de Martine Lani-Bayle : L’histoire de
vie généalogique. D’Œdipe à Hermès (1997) ;
–– Les histoires d’écoles et de formations formelles qui, souvent critiques, mettent para-
doxalement en réflexions expérientielles autoformatives : L’école réparatrice de destins ?
Sur les pas de la méthode Freinet de Paul Le Bohec (2007) est exemplaire de la vingtaine
d’ouvrages de ce secteur ;
–– Les histoires de vie professionnelle réinterrogeant les rapports entre formation et travail
représentent le secteur le plus producteur : 25 ouvrages. L’éventail professionnel est large-
ment ouvert : sportif, sociologue, enseignant, reporter, médecin, chercheur d’emploi,
conseiller d’orientation, aviateur, marin, chirurgien, sage-femme, bibliothécaire… les récits
portent sur toute la carrière ou une période : Commencer à gagner sa vie sans la perdre.
Recherche sur le premier cours de la vie professionnelle (Prévost, 2005) ;
–– Depuis les années 2000, les histoires de santé montent, reliant le prendre soin de soi et des
autres, à la mise en forme humaine. Cette émergence de la pratique du récit de vie dans ce
secteur de la santé sera développée au point 2.2.

355
Traité des sciences et des techniques de la formation

Les trois autres secteurs proviennent de champs sociaux vécus plus spécifiquement par
certains :
–– les croisements interculturels multipliés par les mouvements actuels de mondialisation
avivent de gré ou de force une formation dialoguant avec le monde. Transhumer entre
les cultures. Récit et travail autobiographique, de Malika Lemdani Belkaïd (2004) est un
bel exemple d’une théorisation prolongeant une autobiographie impliquée : Normalienne
en Algérie (1998). Ha Vinh Tho a su, avec subtilité, introduire la référence à la pratique
bouddhiste dans son ouvrage au titre évocateur De la transformation de soi. L’éducation
des adultes au défi des histoires de vie. C’est dans ce secteur interculturel qu’ont été situées
les histoires de genre, présentées au point 2.3 ;
–– les histoires sociopolitiques maintenant et développant une visée émancipatrice de la
formation, rappellent que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Des 15 productions de
ce secteur polémique, les anniversaires récents de la guerre d’Algérie, nous font mentionner
deux ouvrages types : Guerre d’Algérie, Guerre d’indépendance. Paroles d’humanité.
Association des anciens appelés en Algérie contre la guerre (2012) ; et Traumatismes de
guerre. Du raccommodement par l’écriture, Corinne Chaput Le Bars (2014) ;
–– Pour éviter toute stigmatisation rapide, ont été regroupés dans ce septième secteur
d’histoires de vie aux frontières du social, les histoires de violence sociale, de prison,
de situations en borderline, obligeant la formation à des ouvertures transdisciplinaires.
Tranches de vide ou le roman de Jil de Renaud Valère ouvre le volet narratif en 2002. Une
trilogie coordonnée par Catherine Schmutz-Brun, Martine Lan-Bayle et Gaston Pineau,
ponctue ces cinq dernières années en explorant frontalement ce régime nocturne de la vie
et de la formation : Histoires de morts au cours de la vie (2011) ; Histoires de nuits au cours
de la vie (2012) ; et La vie avec les animaux. Quelle Histoire ? (2015).

Enfin le huitième secteur est vu comme synthèse. Il a été nommé histoires de recherche de
sens et anthropoformation et regroupe les productions s’attaquant frontalement à la quête de
sens, qui pour nous définit le plus directement les histoires de vie en formation. Un ouvrage qui
nous vient du Québec, illustre bien ce secteur : Moments de formation et mise en sens de soi, de
Pascal Galvani, Danièle Nolin, Yves de Champlain, Gabtielle Dubé (2011)

Les productions de ces vingt ans de recherche-action-formation sont plus longuement présen-
tées dans la revue Chemins de formation au fil du temps (2015, n° 19) et dans un chapitre Influences
polonaises et apports d’une collection, Histoire de vie et formation, à la recherche de chemins
actuels de formation dans Olga Czerniawska et Aneta Słowik, Trajets de formation et approche
biographique. Perspectives française et polonaise, 2015

356
Les histoires de vie en formation ■ Chapitre 17

2.2 Un autre regroupement d’histoires de vie par thèmes générateurs


Le travail de recherche de ce que d’aucuns ont nommé « l’École de Genève » a été centré,
pendant plusieurs décennies, sur une démarche dite de « biographie éducative ». L’évocation de
la famille d’origine, des aléas du parcours scolaire, de l’entrée dans la vie du travail par la forma-
tion professionnelle ainsi que d’époques de socialisation, notamment familiale, constituaient les
thèmes majeurs abordés dans les centaines de récits élaborés et analysés en groupe, selon une
méthode interactive de recherche-formation, dans le cadre de l’enseignement universitaire qui
lui était consacré. Dans son dernier ouvrage intitulé la formation biographique (2007), Pierre
Dominicé propose trois notions clés qu’il considère comme vecteurs de compréhension des
récits qu’il a analysés : complétude, bifurcation, double appartenance.

La complétude indique les prolongements effectifs et potentiels du parcours de vie. Elle


se donne à connaître dans les récits par la réunion d’une pluralité de facettes personnelles de
l’existence (vie professionnelle, familiale, culturelle, sportive, politique) qui manifeste une quête
d’équilibre toujours reprise entre autonomie et dépendance. La complétude rejoint l’idée de
« biographicité », défendue par le sociologue allemand Peter Allheit ou celle de « processivité »,
introduite par le sinologue François Jullien. En bref, la formation est ouverte aux événements
prévus et imprévus de l’existence, qui contribuent à donner sens à l’histoire d’une vie.

La « double appartenance » caractérise les tensions personnelles dues au tiraillement toujours


repris entre l’origine sociale et la carrière professionnelle, entre la vie urbaine et l’ancrage rural,
entre des traditions ou des valeurs de référence et leur confrontation aux bouleversements
sociaux dus à une époque de mondialisation. Les phénomènes de migration troublent par
exemple fortement les repères d’identité. L’accélération des sollicitations dues à la modernité
provoque également un brouillage des âges qui rend plus flou l’appartenance à une seule géné-
ration. La construction biographique fraye son chemin au milieu de tous les métissages culturels
qui viennent surprendre le quotidien. Le recours à des ressources personnelles, au-delà des
apports de la formation continue, réclame un investissement considérable et oblige, comme le
disent les déclarations gouvernementales, à une formation se prolongeant « tout au long de la
vie ».

L’évocation d’un temps de « bifurcation » est présente dans la plupart des récits qui font
mention d’un moment clé autour duquel le parcours de vie prend une nouvelle direction, – un
divorce, une maladie, une période de chômage –, c’est-à‑dire un temps fort de construction
personnelle nécessitant parfois des modalités d’accompagnement. Nous vivons à une époque
qui répand l’illusion du changement immédiat. La vie prend effectivement forme à l’occasion
de transitions réclamant le respect de temporalités.

357
Traité des sciences et des techniques de la formation

2.3 L’émergence de la pratique de récit dans le champ de la santé


Le personnel de santé, particulièrement les infirmières, a grandement profité des sessions
qu’elles ont suivies en matière d’histoire de vie. C. Niewiadomski, avec sa thèse, puis son projet
de diplôme a visé l’humanisation des soins. Il faut probablement attribuer au travail de pionnier
du professeur de diabétologie Jean-Philippe Assal la brèche par laquelle tant dans « l’éducation
thérapeutique des patients » que dans la formation des médecins, la préoccupation du « vécu
du malade » a émergé et pris racine. La référence à l’histoire de vie représente une contestation
en elle-même de l’anamnèse au travers de laquelle les médecins codifient les symptômes qui
caractérisent la pathologie des patients.

Face à l’evidence based medicine qui gouverne l’accueil hospitalier et confirme les découvertes
remarquables de la médecine de ces cinquante dernières années, le récit du patient apparaît
bien modeste. Et cependant ce récit pourrait enrichir tant le diagnostic que la connaissance
clinique. Il faut en conséquence se réjouir que soit apparu dans le monde anglo-saxon tout un
courant de narrative medicine qui a montré à quel point l’alliance thérapeutique entre méde-
cins et patients était source de stabilisation de la maladie et aussi d’espoir quant au traitement
proposé. La part du malade est essentielle. Nous rejoignons ce que plusieurs d’entre nous ont
écrit concernant la place et l’activité de l’apprenant adulte. Pour que le récit du patient devienne
opérant, il importe toutefois que des modifications soient introduites lors des consultations ou
des séjours hospitaliers. P. Dominicé a tenté de le préciser dans son ouvrage intitulé Dialogue
sur la médecine de demain (PUF, 2009) :

« L’objet formation, entendu dans le processus du cours de la vie, nécessite, pour être identifié, la
parole de celui auquel ce processus appartient… De manière complémentaire au diagnostic prove-
nant de la science médicale, un savoir clinique permet d’entrer dans la singularité des troubles et
de la souffrance du patient » (Dominicé, 2007, p. 22).

Envisagée dans une optique multidisciplinaire l’application du récit à la souffrance et à la


vie des patients constitue une ouverture magnifique pour de nouvelles pratiques de soin et de
santé1. Les médecines alternatives nous indiquent la nature des attentes des patients face à une
médecine trop scientifique, trop chère, trop inaccessible. Ce qui a été produit sur l’autoformation
trouverait en tous les cas de nombreux parallèles avec le domaine de la santé.

1. C. Delory-Momberger, C. Niewiadomski (2010). Écouter la souffrance, entendre la violence, Paris, Téraèdre.

358
Les histoires de vie en formation ■ Chapitre 17

2.4 Sans oublier la composante du genre


De même que dans la collection publiée par L’Harmattan, Histoire de vie au féminin plurielle,
au sein de la Société européenne de recherche en formation d’adultes (ESREA) et lors des
communications présentées dans les workshops annuels, l’histoire de vie des femmes occupe
une place de choix qu’il importe de souligner. Agnieska Bron et Kirsten Weber, en particulier,
ont conduit de nombreuses recherches dans ce domaine. Edmée Ollagnier y a aussi collaboré
et sa publication sur le mouvement des femmes montre comment une revendication collective
peut rejoindre la perspective plus individuelle de construction biographique. Vu l’importance
de la population de femmes dans l’enseignement en sciences de l’éducation, les récits entendus
et travaillés contiennent une richesse incroyable de témoignages qui mettent en évidence les
processus d’émancipation qui ont caractérisé la construction de la vie adulte d’un nombre
significatif de femmes au cours de ces dernières décennies.

De multiples réseaux et structures plus légères se développent donc, in vivo, dans le mouve-
ment de cette bio-diversité foisonnante de formulation de récits consacrés aux types et âges de
la vie. Cette prolifération peut être considérée comme un immense laboratoire de recherche-
formation-action. Cette dynamique fait également partie de la révolution paradigmatique portée
plus ou moins souterrainement par le tournant biographique. Toute la vie et toutes les vies font
écho à l’existence de chaque être vivant en vue de construire une historicité en tout temps et
dans tous les temps et contretemps de la vie.

3. L’articulation entre vie et histoire,


levier pour la conquête d’une identité historique

Comme la vie, l’histoire est une amie paradoxale dont on croit toujours trop vite maîtriser
la connaissance. L’alliage entre histoire et vie renforce l’attrait séducteur de cette expression,
qui n’a toutefois guère de consistance sans un solide apprentissage initiatique. L’histoire est un
continent toujours en émergence. Avant d’être une discipline académique centrée sur le passé,
un corpus de connaissance, une chronologie ou un récit distrayant, l’histoire, étymologiquement
parlant, est un tissage de sens à partir de faits temporels. Quant à l’historicité, elle indique la
tentative d’effectuer cet alliage en termes de pouvoir et de savoir. Accéder à l’historicité, à cette
possibilité de tisser son sens temporel, est donc une conquête majeure en vue d’une formation
qui soit une prise de forme autonome. La formation ou l’autoformation d’une unité vitale a en
effet pour fin la construction d’une identité historique. Cette perspective rejoint la distinction
entre sociétés historiques et préhistoriques. De manière analogue le tournant biographique va

359
Traité des sciences et des techniques de la formation

contribuer à départager les individus les uns des autres. La conquête vers l’autonomie ou le glisse-
ment vers un assujettissement aliénant représentent l’enjeu existentiel du tournant biographique.
Celui-ci réclame en effet pour tout individu l’historicisation de sa vie, à savoir une mise en forme
temporelle assurée par soi et par d’autres.

Dans l’optique, en particulier, de l’herméneutique de la conscience historique, proposée par


Ricœur, l’histoire de vie peut être envisagée comme un synchroniseur personnel majeur des temps
et contretemps de l’existence Le récit devient l’expression d’une identité narrative qui, en suivant
l’idée de Dilthey, effectue la synthèse de l’hétérogène. En s’appuyant sur la position de Ricœur,
de Villers rappelle que cette narration est une expérience qui se déploie en trois moments intitulés
préfiguration, configuration et reconfiguration. Il analyse très finement comment la production du
récit biographique correspond à un processus qui permet à la fois une construction du soi et son
inscription dans l’axe temporel. Elle agit de plus comme adjuvant à la transformation identitaire,
comprise comme effet de formation1. Ce processus apprend à conjuguer les trois instances du
temps : passé, présent et futur, mais aussi les trois instances de la temporalité : temps vécu, narré
et calendaire. Il importe de souligner que l’apprentissage de cette double conjugaison tempo-
relle n’est jamais terminé. Baudouin (2010) fait également usage de l’herméneutique de Ricœur,
parallèlement au cadre de référence qu’il emprunte à plusieurs secteurs de la linguistique, dans la
magistrale analyse textuelle opérée sur un groupe de récits de vie.

3.2 Différencier l’histoire selon les âges de la vie


Les dynamiques temporelles évoluent avec les âges de la vie, selon que l’on est jeune, adulte
ou senior. René Houde dans Les Temps de la vie (1999) donne une bonne synthèse des travaux
provenant principalement des Etats-Unis, auxquels nous nous sommes référés pour penser le
déroulement des parcours de vie. Les psychologues Erikson (1966) ainsi que Levinson (1978)
parlaient, l’un d’étapes de vie, l’autre des « saisons de la vie de l’homme » avec une mention éclai-
rante et toujours actuelle sur les phases de transition. Les ouvrages de Danielle Riverin-Simard
sur les étapes de vie dans la relation des adultes au travail sont aussi éclairants.

La littérature sur ce sujet n’est pas abondante en langue française. Les écrits des sociologues
sur les parcours de vie, publiés notamment en langue allemande datent, selon René Lévy (2001),
du milieu des années 1970. Avec la publication de sa thèse, Lapassade fera œuvre de pionnier,
mais c’est surtout à Jean-Pierre Boutinet que nous devons des analyses intéressantes, d’optique
psychosociologique sur l’évolution de la vie adulte et son immaturité actuelle. P. Dominicé,

1. C. Delory-Momberger, C. Niewiadomski (2010). Écouter la souffrance, entendre la violence, Paris, Téraèdre.

360
Les histoires de vie en formation ■ Chapitre 17

J. Monbaron et J.-Y. Robin le prolongent dans Où sont passés les adultes, routes et déroutes
d’un âge de la vie (2010). Francis Lesourd, L’Homme en transition. Éducation et tournant de vie
(2009) vient renforcer la construction émergente d’une anthropologie temporelle nécessaire
pour décoder cette répartition hypercomplexe des âges.

La contribution des pratiques d’histoire de vie à la compréhension de la vie adulte est


aujourd’hui considérable, même si cet apport, principalement issu de recherches-formation,
entre mal dans les canons de recherches conduisant à une production classiquement discipli-
naire. Sur le plan méthodologique l’interlocuteur adulte ne fait plus l’objet d’un examen détaché
conduit par le chercheur universitaire. Il devient, par l’audition et le traitement du récit de sa
vie, un partenaire de recherche. L’ASIHVIF a élaboré, en quatre points, une charte éthique qui
précise que le processus biographique ne peut être que proposé, jamais imposé, ses conditions de
déroulement sont toujours négociées, le produit biographique reste la propriété du producteur,
l’animateur a déjà fait lui-même son histoire de vie.

3.3 Se méfier des dérives médiatiques, pragmatistes


et disciplinaires de la recherche biographique
Le texte de ce chapitre indique en quoi le travail fourni depuis plus de deux décennies en matière
d’histoire de vie préserve la spécificité épistémologique et méthodologique d’une problématique
biographique qui a pris l’ampleur que celle-ci connaît de nos jours. Il importe en effet de souligner
le risque de dérive aussi bien médiatique, pragmatiste que disciplinaire que comporte tant le succès
de l’explosion biographique que les effets néfastes qui découlent de ce que d’aucuns nomment
l’injonction biographique.

Trente ans après avoir été brocardées comme pratiques illusoires du monde courant par un
représentant du Collège de France, un autre représentant de ce Collège illustre qui se veut garant
du monde savant, lance un quasi-mot d’ordre à raconter sa vie comme moyen majeur pour fonder
une démocratie narrative et participative : Le Parlement des invisibles. Raconter sa vie (Rosanvallon,
2014). On ne peut que se réjouir de cette légitimation qui indique qu’on entre vraiment dans une
société biographique. La permissivité actuelle va-t‑elle gommer de façon magique les difficultés
d’expression, de réflexion et de dialogue, les inégalités sociales, les arraisonnements administratifs,
les intérêts mercantiles ? Les premières études de motivation à raconter sa vie sur internet selon
la vague médiatique du storytelling montrent que plus de 70 % ont ouvert leur blog pour simple-
ment se dire plus que pour participer aux grands débats sociaux1. Les incitations médiatiques à se

1. C. Salmon (2014). « Le Parlement de invisibles : un projet de storytelling-intégré », blogs.mediapart. fr\.

361
Traité des sciences et des techniques de la formation

raconter relèvent plus d’une stratégie de marketing de consommation de services que de projets
de construction humaine et socio-démocratique. L’entrée dans une société biographique n’est pas
automatiquement formative. Ce qui est illusoire maintenant c’est de le penser.

La recherche biographique tire bénéfice du retour du sujet en sciences sociales. Elle peut ainsi
rendre compte, par exemple, des parcours qui conduisent à la marginalité ou à la déviance en
s’appuyant sur des récits qui permettent d’appréhender le cheminement individuel de processus
généralisables à des catégories plus larges de population. Ce que P. Alheit nomme à propos des
jeunes étudiants demandeurs d’emploi les patchworkers illustre ce type de démarche qui se
retrouve dans beaucoup de travaux scandinaves.

La place donnée à la reconnaissance et à la validation des acquis expérientiels, aussi heureuse


soit-elle pour faciliter l’accès à des cursus d’études ou de formation continue, court le risque
de fournir des formules codifiées d’expériences ou de parcours reconnus, voire de justifier des
procédures de sélection. La question qui demeure ouverte est de savoir qui bénéficie de l’histoire
de vie ou comment peuvent se dessiner des démarches d’alliance herméneutique qui ne privent
pas l’apprenant, ou de manière plus générale l’auteur, de son récit. Diverses démarches actuelles
consistent à solliciter les personnes âgées en vue d’élaborer avec elles des récits qui favorisent
leur sérénité en regard de la phase ultime de leur vie. À nouveau se pose le problème de l’utili-
sateur du récit ou de la socialisation de récits qui, dans ce cas, ont valeur intergénérationnelle.

4. En guise de conclusion


Michel Aldadeff, qui appartient à la jeune génération des universitaires qui pratique l’histoire
de vie, a raison de nous inciter à rester critique. L’effort qu’il a fourni en vue de nous rappro-
cher de la réflexion menée aux Etats-Unis mérite d’être souligné. Les enjeux trop brièvement
évoqués dans ce chapitre dépassent largement les frontières de la francophonie. La question
posée récemment par Richard Sennet nous confronte notamment au défi de la mondialisation :
comment un être humain peut-il se forger une identité et se construire un itinéraire dans une
société faite d’épisodes et de fragments ? Le courant des histoires de vie est récent. Il a ouvert
une brèche dans la manière de penser l’intervention éducative. Mal reconnu dans le monde des
sciences humaines, il peut être compris comme un analyseur de la conformité des positions
épistémologiques et méthodologiques dominantes qui tendent à ne même plus donner lieu de
nos jours à débat. Au lieu de s’ouvrir à une visée transdisciplinaire, seule en mesure de traiter du
vivant, les travaux académiques se spécialisent en oubliant trop fréquemment l’interlocution des
acteurs concernés. Il convient de rester modeste et de ne pas majorer l’apport de la recherche
biographique. Il importe néanmoins de défendre des positions largement développées dans

362
Les histoires de vie en formation ■ Chapitre 17

des récits de vie et des publications qui occupent un champ en devenir et qui ont su, depuis les
premières histoires de vie en formation, maintenir l’intention de s’élargir et se diversifier. Ce
chapitre constitue un bilan d’étape rédigé par deux pionniers d’un mouvement d’idées porté
par une dynamique de réseaux intergénérationnels, interdisciplinaires et internationaux en
constante évolution et promis, à n’en pas douter, à de nouvelles configurations. Comme l’a écrit
Bruner (2002) : « Grâce au récit nous construisons, nous reconstruisons, et même, d’une certaine
manière, nous réinventons le présent et l’avenir ».

Références
Bachelart D., Pineau G. (coord.) (2009). Le biogra- Niewiadomski C. et Delory-Momberger C. (coord.) (2013).
phique. La réflexivité et les temporalités. La mise en récit de soi. Place de la recherche
Articuler langues, cultures et formation, dans les sciences humaines et sociales,
Paris, L’Harmattan. Lille, Presses Universitaires du Septentrion.
Czerniawska O. et Slowik A. (coord.) (2015). Trajets Pineau G. et Le Grand J.-L. (2013). Les histoires de
de formation et approche biographique. vie, Paris, PUF (5e éd.),
Perspectives françaises et polonaises. Pineau G. et M.-M. (2012). Produire sa vie : auto-
Paris : L’Harmattan. Préface de Pierre Caspar. formation et autobiographie, Paris, Téraèdre
Postface de Franco Ferrarotti. (1re éd. 1983).
Delory-Momberger C. (2010). La condition biogra- Souza E. C. de (2008). Autobiographie. Écrits de soi
phique. Essais sur le récit de soi dans la et formation au Brésil, Paris, L’Harmattan.
modernité avancée, Paris, Téraèdre.
Yelle C., Mercier L., Gingras J.-M., Beghdadi S. (coord.)
Dominicé P. (2007). La formation biographique, (2011). Histoires de vie : un carrefour de
Paris, L’Harmattan. pratiques. Montréal : Presses de l’université
Josso M.-C. (2011). Expériences de vie et formation, du Québec.
Paris, L’Harmattan.

363
Chapitre 18
Autoformation(s)1

1. Par Pascal Cyrot.


Sommaire
1. Aux racines de l’autoformation : l’autodidaxie....................................................... 368
2. L’autoformation aujourd’hui : cinq perspectives.................................................... 371
3. L’autoformation demain........................................................................................ 376
4. Conclusion............................................................................................................. 380
Lectures conseillées.................................................................................................. 382
Le préfixe autos permet d’affirmer sans ambiguïté que le terme « autoformation » renvoie à
l’ensemble des formations par soi-même. Cette définition laconique situe l’autoformation aux
antipodes de la formation exercée par les autres sur le sujet – on parle alors d’hétéroformation
– mais ne permet pas de faire de l’autoformation un concept scientifique. Comme Carré (2010)
l’affirme, l’autoformation demeure au stade du « préconcept » même si elle possède une vertu
éminemment fédératrice. Quoi qu’il en soit, nombreux sont ceux qui pensent que la forme
pronominale de la formation casse les modèles existants en invitant l’apprenant à devenir acteur
et responsable de son apprentissage.

Si l’autoformation, dans sa forme intégrale, a toujours existé, quatre caractéristiques de


la société contemporaine la rendent actuelle et favorisent sa démocratisation. D’abord, la
société est, aujourd’hui, pensée par les politiques comme « apprenante » et l’idée d’un appren-
tissage « tout au long de la vie » est largement installée dans les textes officiels. Ensuite, les
évolutions rapides des outils numériques ont transformé de nombreux salariés lambda en
travailleurs de la « connaissance » invités, à coups d’injonctions, à développer par eux-mêmes
leurs compétences. Par ailleurs, les limites pédagogiques, professionnelles et budgétaires que
l’on reconnaît désormais à la formation continue sont une invitation à la réinventer. Enfin,
la redécouverte de quelques illustres pédagogues stimule certains à formuler le vœu d’une
« pédagogie de l’autoformation ». Les mutations sociétales, sociotechniques, économiques ou
pédagogiques encouragent donc, pour le meilleur ou pour le pire, le transfert de responsabilité
ou d’autonomie vers l’apprenant lui-même.

Si Le Robert fait remonter le terme d’autoformation à 1971, une recherche sur Google Labs
Books Ngram Viewer montre l’apparition du vocable à la fin du xixe siècle. Il est alors prin-
cipalement rattaché aux sciences physiques (1899), à la biologie générale (1903), à l’électricité
(1899) ou encore à la sociologie criminelle (1893).

Dans le champ de l’éducation, l’idée d’autoformation trouve ses origines dans le lointain passé.
Cependant, on peut reconnaître à Lindeman et à Thorndike, Bergman, Tilton et Woodyard,
courant 1920, leurs rôles dans la naissance de l’intérêt scientifique pour la question de l’édu-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

cation des adultes. Les années 1970 marquent toutefois en Amérique du Nord, avec Tough et
Knowles, le développement d’un intérêt nouveau pour cette notion.

En France, même si Schwartz réfléchit, en 1973, dans L’Éducation demain, à l’autoformation


assistée, on a coutume de penser que l’intérêt pour cette question apparaît, dans des formes
diverses et variées, au début des années 1980. Le numéro d’Education permanente consacré au
champ à défricher de l’autoformation (Dumazedier, 1985) marque la naissance de ce thème
comme objet de recherche dans l’Hexagone. Pineau, Carré, Le Meur ou encore Verrier et Bezille-
Lesquoy, pour ne citer qu’eux, prolongent ces investigations.

367
Traité des sciences et des techniques de la formation

Aujourd’hui, les recherches sur la question s’articulent autour de collectifs et de moments


importants. On peut citer, en vrac et entre autres, le Groupe de recherche sur l’autoformation
(GRAF) qui voit le jour en 1992 autour de Pineau et dont l’intitulé devient A-GRAF en 2003,
l’équipe Apprenance et formation des adultes (CREF, université Paris-Ouest) ou encore l’Inter-
national Society for Self-Directed Learning fondée en 2005 autour de Long et Guglielmino. Les
avancées scientifiques des collectifs précédemment cités et de tous ceux que nous n’avons pas
la place d’évoquer ici sont, en général, communiquées lors des colloques sur l’autoformation
qu’ils soient européens (Nantes 1993, Lille 1995, Bordeaux 1996, Dijon 1998, Barcelone 1999,
Montpellier 2001, Toulouse 2006, Strasbourg 2014, Angers 2016) ou internationaux (Montréal
1997, Paris 2000, Marrakech 2005). Les États-Unis d’Amérique ont initié ces rencontres depuis
déjà bien longtemps. En effet, en 2016, s’est tenu le 30e International Self-Directed Learning
Symposium, à Cocoa Beach, en Floride. La recherche sur cette question n’est, cependant, pas
réservée à un traitement strictement anglophone ou francophone. Pour s’en convaincre, on
peut évoquer le rôle que joue la Revista Interamericana de Educación de Adultos en Amérique
Latine et dans la zone caribéenne, par exemple.

Dans la première partie de ce chapitre consacrée aux racines de l’autoformation, nous


nous intéresserons tout particulièrement à l’autodidacte, figure archétypique de l’« attrac-
teur paradoxal » qu’est l’autoformation aujourd’hui. Nous présenterons, ensuite, la galaxie de
l’autoformation proposée en 1996 par Carré qui clarifie la notion en retenant cinq conceptions
théorico-pratiques. Nous réfléchirons, enfin, à travers une « prospective autoformative » à ce
que pourrait être l’autoformation demain.

1. Aux racines de l’autoformation : l’autodidaxie

1.1 Dimension quasi anthropologique


Déjà dans les temps anciens, en Chine, l’apprentissage était considéré comme proche de
l’autodidaxie1 comme le montrent certains aphorismes de Confucius (551-479 av. J.-C.). C’est
le cas, par exemple, d’« étudier par soi-même et réussir » ou « sans maître on parvient tout de
même à maîtriser des connaissances ». En Grèce, Épicure (341-270 av. J.-C.) a tenté, à sa façon,
d’être son propre auditeur en devenant autodidacte car la vérité philosophique ne se transmet
pas, elle est construite par le sage lui-même. En pleine Renaissance française, Ambroise Paré

1. C. Verrier (2006). « Autodidaxie et autodidactes en Chine, première approche », publié le jeudi 9 février 2006
sur http://www.barbier-rd.nom.fr/journal/spip.php?article550. Consulté le 1er mai 2016.

368
Autoformation(s) ■ Chapitre 18

(1510-1590), aujourd’hui considéré comme le père de la chirurgie moderne, vit un épisode


autodidactique important qui lui vaut promotion et reconnaissance sociale.

Ces quelques cas singuliers ne permettent évidemment pas d’affirmer l’universalité de cette
pratique de formation, mais certains chercheurs confirment scientifiquement notre première
impression. Ainsi, en cherchant à identifier des sujets ayant appris par eux-mêmes depuis la
Grèce antique jusqu’à aujourd’hui, Kulich1 a constaté que les situations d’auto-apprentissage ont
clairement toujours existé quels que soient les époques et les peuples. En prolongement, Long
et Ashford2 ont travaillé sur les gens du peuple qui réalisent des apprentissages indépendants
durant l’époque coloniale aux États-Unis et ont mis en évidence que de nombreux individus,
quelle que soit leur origine sociale, se sont engagés dans cette forme d’apprentissage. Il paraît
donc possible de soutenir que l’autodidaxie existe tant dans la verticalité des métiers que dans
l’horizontalité temporelle.

L’universalité des pratiques autodidactiques n’interdit toutefois pas quelques intéressantes


variations. Ainsi, dans le clivage retenu par l’Unesco en 1980, l’autodidaxie peut être aristo-
cratique ou prolétarienne. Dans le premier cas, il s’agit d’une autodidaxie caractérisée par sa
dimension choisie, pure, individuelle, minoritaire et limitée. Elle affirme les vertus formatives
d’une occupation dilettante et affranchie et trouve une forme particulièrement visible durant
le siècle des Lumières. Dans le cas de la forme prolétarienne, l’autodidaxie est largement imposée
par les conditions de vie. Cependant, malgré les variations autodidactiques qui marquent l’his-
toire, cette forme « clandestine » d’apprentissage semble être une caractéristique intrinsèque
de l’être humain.

1.2 Du besoin d’apprendre à la douleur de savoir


On peut considérer l’activité d’apprendre par soi-même comme enracinée dans le « manque »
ou l’« insuffisance » du savoir recherché. Vu sous cet angle, l’autodidacte organise une quête
démesurée de savoir et pense l’apprentissage indépendant comme une réparation voire une
vengeance. La connaissance est alors un besoin quasi physiologique qui transforme parfois
l’autodidaxie en pathologie, la course folle au savoir en génération spontanée et l’illusion de
toute puissance qui en découle en paranoïa. Ce besoin d’apprendre s’accompagne souvent d’un
besoin de raconter qui trouve sa place dans une littérature du « véritable » à peine romancée.
C’est par exemple le cas dans Martin Eden de London ou dans L’Autodidacte de Robinet. Mais

1. J. Kulich (1970). « An overview of the adult self-learner », Adult Education Journal, 13, 22-35.
2. H.B. Long, M.L. Ashford (1976). « Self-directed learning inquiry as a method of continuing education in
colonial American », The Journal of General Education, 28, 18-32.

369
Traité des sciences et des techniques de la formation

à l’organisation de la réparation s’ajoute souvent la transformation des attitudes, des attentes


et des goûts qui favorise le détachement de la classe d’origine sans pour autant permettre le
rattachement à la classe aspirée. L’autodidacte est ainsi voué à l’errance perpétuelle tel un Ulysse
dans les Cyclades du savoir, au transit à vie ou à l’« apatridie sociale ».

1.3 Stigmates et reconsidération


Au-delà des pathologies autodidactiques, certains autres stigmates sont aussi associés à l’ap-
prentissage clandestin. Ainsi, dans Bouvard et Pécuchet, Flaubert tourne en ridicule les deux
héros qui incarnent le stéréotype de l’autodidacte. En considérant que l’autodidacte s’instruit
dans l’ordre alphabétique, Sartre choisit à son tour, dans La Nausée, de rester sur le terrain du
grotesque. Si nombreux sont les exemples qui témoignent du manque de légitimité réservé à
l’autodidaxie celui qui suit révèle la dépréciation la plus forte. Chez Hergé, le terme « autodi-
dacte » va, en effet, jusqu’à servir d’insulte !

Cependant, durant les trente dernières années le terme d’« autoformation », plus jeune, a
souvent été préféré à celui d’autodidaxie. Aujourd’hui, y compris en langue anglaise1, certains
chercheurs réhabilitent l’ancien vocable qui renvoie à des préoccupations voisines. Certains le
font même évoluer vers une forme postmoderne en parlant de « néo-autodidaxie ». Mais au-delà
de l’aspect scientifique, on peut repérer les traces d’une forme institutionnelle de reconsidération.
Ainsi, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 assouplit les conditions de validation
des acquis de l’expérience et étend ses effets. Plus récemment, la loi du 5 mars 2014 améliore
encore l’accessibilité au dispositif ainsi que l’accompagnement des personnes dont la candida-
ture à la VAE a été déclarée recevable. De la même manière, les « Victoires des autodidactes »
distinguent chaque année, depuis maintenant plus de vingt ans, des chefs d’entreprise et des
cadres autodidactes.

1.4 Apprentissage sexué ?


L’autodidaxie est souvent envisagée à travers sa forme masculine. Au début des années 1970,
lorsque Kulich dresse un résumé historique de l’apprentissage indépendant chez l’adulte, il
retient de nombreuses et illustres figures comme Socrate, Platon, César, Descartes ou Rousseau.
Involontairement le choix qu’il fait emprisonne l’autodidaxie dans sa forme la plus « virile ».
Si cette sur-représentation du masculin dans les phases autodidactiques est courante dans les

1. R. Edwards (2015). « Amateurism and autodidactism : a modest proposal ? », Discourse : Studies in the Cultural
Politics of Education, 36 (6), 868-880.

370
Autoformation(s) ■ Chapitre 18

corpus scientifiques, elle semble l’être tout autant dans les représentations mentales. Ainsi, dans
le cas de l’informatique qui s’apprenait, en particulier au départ, en dehors des cadres formels,
certains chercheurs ont constaté que les hommes sont bien plus nombreux que les femmes à
reconnaître leurs pratiques autodidactiques. Pour Collet et Mosconi1, la différence du rapport
au savoir entre les sexes explique ce constat. L’apprentissage autonome et indépendant fait
partie des « mythes de la masculinité » alors que les filles inscrivent leurs apprentissages dans
l’interdépendance et la relation. Malgré les nombreuses similitudes dans la façon d’apprendre
l’informatique chez ces deux groupes sexués, il est bien plus simple pour un homme de se
reconnaître autodidacte que pour une femme. Ce constat annonce le poids des fantasmes et
des mythes dans la perception de l’autodidaxie.

1.5 Mythe de Robinson Crusoé et sociabilités autodidactiques


Les images et mythes attachés à l’autodidacte sont nombreux. Ainsi, le livre, sorte d’objet
sacré, est vu comme l’éternel compagnon de l’autodidacte. Le mythe de Prométhée suggère tant
l’interdit culturel que le caractère transgressif de l’apprentissage clandestin. Robinson Crusoé
est lui aussi souvent associé aux pratiques autodidactiques et, que l’on en parle comme d’un
« naufragé » ou d’un « orphelin de la culture », l’autodidacte est toujours vu comme un aban-
donné des experts de la connaissance, comme un Robinson vivant son apprentissage dans une
sorte d’autarcie insulaire même si le roman et le héros sont bien plus complets et dialectiques
que le mythe qui en découle. L’étude frontale et systématique des sociabilités durant les phases
d’apprentissage par soi-même discrédite également le mythe en mettant en évidence la richesse
des relations sociales de celui qui s’engage dans cette forme indépendante d’apprentissage (Cyrot,
2009).

2. L’autoformation aujourd’hui : cinq perspectives

2.1 Typologies et perspectives


Plusieurs typologies ont été proposées pour appréhender les multiples aspects de la notion
d’autoformation et la diversité des recherches qui lui sont liées. On peut penser, entre autres,
à Caffarella et O’Donnell en 1988, à Galvani en 1991 ou à Tremblay en 2003. Cependant, pour

1. I. Collet, N. Mosconi (2006). « Genre et autoformation : le cas de l’informatique », Éducation permanente,


n° 168, sept., 137-148.

371
Traité des sciences et des techniques de la formation

sa puissance fédératrice et simplificatrice, nous retiendrons, ici, la galaxie de l’autoformation,


proposée en 1996 par Carré qui distingue cinq perspectives majeures de l’autoformation.

2.2 Perspective socio-historique : de l’autoformation « intégrale »


à l’autodidaxie « partielle »
L’autodidaxie, du grec autos (« soi-même, lui-même ») et didaskein (« enseigner »), est consi-
dérée comme réalisée à l’écart de tout dispositif éducatif formel et sans l’intervention d’un agent
éducatif institué. Elle est envisagée comme « intégrale » dans la galaxie de l’autoformation parce
qu’elle est pleinement volontaire, autodéterminée et autorégulée.

Parce que nous savons désormais qu’« autodidacte » est un terme chargé du poids des images
et des mythes, il convient d’affirmer la nécessité de passer par un concept plus neutre et plus
actuel : l’autodidaxie. Les apprentissages autodidactiques sont effectivement aujourd’hui de plus
en plus souvent abordés sous l’angle de l’« action » d’apprendre par soi-même. Les chercheurs
contemporains utilisent, de fait, la « ficelle » de Becker qui consiste à « voir les gens comme des
activités ». Outre le fait qu’une telle ficelle réduit les risques d’essentialisation, ce choix allège
aussi le concept d’une partie de sa charge symbolique. Cette préférence conceptuelle nous invite
alors à parler de « sujet social apprenant en situation d’autodidaxie » plutôt que d’« autodidacte ».

Curieusement, l’autodidaxie, forme intégrale d’autoformation, évolue vers un modèle que l’on
peut qualifier aujourd’hui de « partiel ». L’autodidaxie absolue existe sûrement de moins en moins
(a-t‑elle existé un jour ?), mais des formes tronquées, partielles ou ponctuelles se développent
particulièrement. Il semble alors opportun de parler d’« épisode », de « phase », de « variation »
ou encore de « feuilleton » autodidactique. Ce moment d’autodidaxie devient un fait accessoire
qui se rattache à l’ensemble du parcours d’apprentissage sur la vie. Concrètement, les épisodes
autodidactiques contemporains doivent se lire en surimpression des épisodes hétéroformatifs.
On peut envisager que, sur une même tranche de vie, un sujet développe à la fois un ou des
épisodes hétéroformatifs (pour une ou plusieurs disciplines) et un ou des épisodes autodidac-
tiques (pour une ou plusieurs autres). Ces épisodes autodidactiques doivent cependant être
d’une durée significative pour éviter de tomber dans l’« anecdote autodidactique ».

2.3 Perspective technico-pédagogique :


l’autoformation « éducative » ou « accompagnée »
Comme son nom l’indique, l’autoformation dite « éducative » investit les espaces institués de
l’enseignement et de la formation. Elle est introduite de façon consciente, délibérée et structurée

372
Autoformation(s) ■ Chapitre 18

dans le but de développer les apprentissages autonomes à travers des dispositifs pédagogiques
innovants fondés sur l’individualisation. Les apprenants qui bénéficient de tels dispositifs de
formation prennent, pour partie, le contrôle durant les épisodes formatifs qu’ils réalisent en
autonomie. Les dispositifs d’individualisation à visée autonomisante que Jézégou1 étudie depuis
une vingtaine d’années favorisent l’« autodirection » et l’« autorégulation » dans un cadre formatif.

Cette volonté pédagogique a pour but de transformer l’activité formative de l’enseignant


en activité d’apprentissage pour l’apprenant en ouvrant des espaces de liberté et de choix qui
permettent l’introduction d’une forme édulcorée d’autos constituée du tripode « autodirection »,
« autorégulation » et « conscientisation ». Ainsi, dans certains centres de ressources multimédias,
ateliers pédagogiques personnalisés, espaces d’autoformation, dispositifs d’e-learning mais aussi,
de façon plus diffuse et exceptionnelle, dans l’antre de l’école républicaine, l’apprenant engagera
son apprentissage de façon partiellement autonome. Il se hasardera, par exemple, à participer
au choix de composantes pédagogiques comme « les modes de formation, les méthodes pédago-
giques, les supports d’apprentissage, les outils de communication, les personnes-ressources ou
encore les aspects spatio-temporels des apprentissages2 ». Cependant, la tendance à l’hybridation
des dispositifs permet d’affirmer que l’autodidaxie est, par le biais de la VAE, mobilisée par l’auto-
formation éducative rendant ainsi cette sphère de pratiques autoformatives plus poreuse qu’avant.

Par ailleurs, comme Simon et March considèrent le caractère limité de la rationalité humaine
(bounded rationality) dans le cadre des processus décisionnels, nous pensons que si la liberté de
choix existe dans l’autoformation éducative, elle présente, elle aussi, une dimension restreinte.
Les contraintes d’ordre pédagogique, moral ou programmatique sont ici des carcans. On voit,
alors, poindre les transactions entre l’institution éducative et l’apprenant qui ont pour effet de
permettre la co-élaboration de situations d’apprentissage porteuses d’autodirection et d’autoré-
gulation. Les choix sont, par conséquent, négociés et limités à la seule « zone d’accord » possible.

2.4 Perspective socio-organisationnelle :


l’autoformation « collective » ou « sociale »
L’approche « socio-organisationnelle » de l’autoformation ne renvoie pas strictement à sa
dimension sociale. En effet, comme souvent rappelé, autoformation n’est pas synonyme de
« soloformation ». Il faut, dans ce cadre, « dépasser […] l’individu singulier » et « considérer le

1. A. Jézégou (1998). La formation à distance : enjeux, perspectives et limites de l’individualisation, Paris,


L’Harmattan.
2. A. Jézégou, in P. Carré et al. (2011). « L’autoformation : The State of Research on Self (-Directed) Learning
in France », International Journal of Self-Directed Learning 8 (1), 7-17.

373
Traité des sciences et des techniques de la formation

collectif de personnes comme l’agent du processus d’autoformation » (Moisan et Kaplan, in Carré


et al., 2010). L’autoformation sociale s’intéresse aux pratiques d’apprentissage organisées par
des collectifs indépendamment des entités institutionnelles de l’éducation et de la formation et
prend, par exemple, forme dans les associations, les syndicats voire parfois les entreprises. Elle
est indépendante de la forme pédagogique instituée ce qui la rend différente de l’autoformation
dite éducative. Sa forme groupale permet, par ailleurs, de la distinguer de l’autodidaxie lorsque
celle-ci est individuelle. Le choix, la conduite et l’orientation de l’apprentissage découlent ainsi
de l’articulation de volontés tant collectives que personnelles.

Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) longtemps travaillé


par Héber-Suffrin, les cercles d’étude nés au début du xxe siècle dans les pays nordiques qui ont
servi d’objet de recherche à Kaplan1 et les plus récentes communautés d’apprentissage illustrent
bien ce phénomène d’apprentissage indépendant et collectif dans l’univers quotidien. Dans la
sphère professionnelle, l’organisation, lorsqu’elle est « apprenante » ou « capacitante », prend
indubitablement le relais. Elle engendre, par exemple, l’instauration d’équipes de travail auto-
dirigées, de communautés de pratique ou d’apprentissage ou encore de groupes d’analyse des
pratiques. Il arrive également que les réseaux d’échanges réciproques de savoirs s’invitent dans
l’entreprise en vue du développement de pratiques d’autoformation sociale. C’est le cas de La
Poste qui a servi de terrain d’étude à Fernagu-Oudet2.

2.5 Perspective biographique : l’autoformation « existentielle »


L’autoformation « existentielle » dont l’expression naît dans un numéro d’Education perma-
nente consacré à l’autoformation en chantiers datant de 1995 renvoie à un objet d’une amplitude
très vaste : la vie. Il s’agit, dans cette perspective, de mieux comprendre comment l’individu se
forme au fur et à mesure du temps qui s’écoule, dit autrement de mieux comprendre le processus
autoformatif de l’adulte. Comme pour les autres perspectives, celle-ci revendique la formation
tout au long de la vie et considère l’expérience sous ses formes multiples, y compris les plus
intimes, comme une source d’anthropogenèse.

L’ouvrage de Pineau, Produire sa vie, autoformation et autobiographie (1983), est un marqueur


historique de l’émergence de la forme existentielle d’autoformation. Cette approche est, dès
l’origine, attachée à la dimension biographique et aux histoires de vie. L’écriture, source de

1. J. Kaplan (2010). L’autodirection dans les apprentissages coopératifs : le cas des cercles d’étude, Sarrebruck,
Éditions universitaires européennes.
2. S. Fernagu-Oudet (2013). « Concevoir des environnements capacitants », in P. Cyrot, C. Jeunesse et D. Cristol,
Renforcer l’autoformation. Aspects sociaux et dimensions pédagogiques, Lyon, Chronique sociale.

374
Autoformation(s) ■ Chapitre 18

conscientisation, participe alors à la formation humaine considérée au sens premier du terme


justifiant que l’on parle aussi parfois d’approche « bio-formative ». Elle est aujourd’hui toujours
bien représentée dans l’univers « galactique » de l’autoformation. L’approche biographique n’est
toutefois pas l’unique entrée de l’autoformation existentielle. Galvani rompt ainsi avec la tradi-
tion en introduisant l’anthropologie du blason pour mieux comprendre le processus réflexif
« d’émergence de la forme de tout être vivant » (Galvani in Carré et al., 2010).

L’activité des chercheurs engagés dans cette voie semble à la fois portée par un intérêt scien-
tifique et militant. Elle permet, d’une part, de faire progresser la connaissance et, d’autre part, de
faire prendre conscience aux acteurs de la forme qu’ils donnent à leur propre vie voire, dans le
cadre du processus de recherche, d’accompagner le sujet dans sa prise de conscience. Voilà une
plus-value notable lorsqu’on considère, comme Boutinet et al., qu’il est aujourd’hui nécessaire
de « penser l’accompagnement adulte1 » dans le cadre de l’autoformation non intentionnelle
située au carrefour de l’existence et de l’expérience.

2.6 Perspective sociocognitive : l’apprentissage autodirigé


(self-directed learning)
L’autoformation peut enfin être envisagée comme une « pratique d’apprentissage dirigée par
le sujet lui-même » (Carré, in Carré et al., 2010). Cette façon d’appréhender l’autoformation
trouve une résonance particulière dans une société dite « cognitive » qui véhicule autant l’idée
de « connaissances éphémères » que celle d’« apprentissage tout au long de la vie ». Dans un
tel contexte, la capacité à s’engager dans un processus de formation autodirigé est clairement
reconnue comme une compétence substantielle.

L’autodirection dans les apprentissages – envisagée à l’époque sous l’angle de la liberté –


trouve ses origines pédagogiques chez quelques précurseurs intuitifs. Des philosophes comme
Rousseau ou Kant, des politologues comme Condorcet, des pédagogues comme Pestalozzi ou
Freinet s’engagèrent dans cette voie. Plus tard, on trouve chez Rogers « la légitimation la plus
éclairante de l’autoformation comme moyen de recouvrer la “liberté pour apprendre” » (Carré,
in Carré et al., 2010). En amont, en parallèle ou en prolongement de l’autodirectivité rogérienne,
on voit émerger, en Amérique du Nord, des travaux sur cette question. Nous pouvons, entre
autres, citer ceux de Houle, Tough et Knowles. Aujourd’hui, selon la perspective sociocognitive
proposée par Carré (in Carré et al., 2010), l’autos propre à la formation par soi-même, réside dans
l’articulation des trois concepts suivants : autodétermination, autorégulation et auto-efficacité.

1. J.-P. Boutinet, N. Denoyel, G. Pineau, J.-Y. Robin (2007). Penser l’accompagnement adulte, Paris, PUF.

375
Traité des sciences et des techniques de la formation

L’autodétermination, largement développée chez Deci et Ryan, offre la possibilité d’appré-


cier la part du « soi profond » dans la motivation et la décision de se former. Le continuum
d’autodétermination s’étend des conduites les plus « amotivées » jusqu’aux puissantes formes de
motivation intrinsèque en passant par différents types de motivation extrinsèque. Ce continuum
aide évidemment à percevoir la nature de l’engagement en formation.

Portée par Zimmerman, l’autorégulation propose, quant à elle, un cadre théorico-empirique


de réflexion et d’action pour développer des apprentissages efficaces. Cette matrice théorique
permet de mieux comprendre les processus en jeu durant les phases d’apprentissage indépendant
chez l’adulte. Ils sont internes (fixation d’objectifs ou de méthodes), comportementaux (répéti-
tion à haute voix ou auto-interrogation) et environnementaux (structuration de l’environnement
technique ou humain par exemple).

Enfin, qu’on l’appelle « sentiment d’efficacité personnelle », « auto-efficacité » (Bandura) ou


« perception de compétence », ce troisième concept, intimement associé aux deux précédents,
traduit le rôle majeur que joue la représentation que l’on se fait de soi comme apprenant, durant
les phases d’apprentissage autodirigé. Le « sentiment d’efficacité personnelle » traverse ainsi
l’ensemble de la période de formation par soi-même. Il intervient au moment de l’engagement
dans le cadre de l’autodétermination. Il est également moteur de l’autorégulation tout au long
de la phase autoformative.

3. L’autoformation demain

3.1 Quelques données chiffrées


Le caractère peu visible des pratiques autoformatives rend difficile voire contestable toute
tentative de mesure. Cependant, pour Tough1, dès le début des années 1970, sur les 500 heures
que les adultes consacrent à des projets de formation majeurs, 70 % s’inscrivent dans une pers-
pective d’autoformation. Ces chiffres, souvent contestés pour des questions méthodologiques,
trouvent un très faible écho dans l’étude « Formation continue 2006 » où l’on constate que
moins de 10 % des formations engagées par les 15-59 ans sont de nature autoformative même si
la tranche de 15-39 ans semble s’investir plus facilement dans les apprentissages indépendants.

1. A. Tough (1971). The Adult’s Learning Projects, Toronto, Ontario Institute for Studies in Education.

376
Autoformation(s) ■ Chapitre 18

Mais cette fois-ci, c’est la définition donnée à l’autoformation qui pose problème rendant encore
une fois les chiffres discutables.

3.2 Entre liberté et injonction


Outre les clivages classiquement attachés à l’autoformation comme le visible/le caché ou
l’autos/les contingences, il apparaît utile de s’arrêter sur un clivage plus récent qui fondera,
peut-être, les différences entre les autoformations de demain : liberté/injonction. Par antonymie,
la liberté peut se définir par l’absence de contrainte, d’assujettissement ou de soumission. Elle
s’oppose en tout point à l’injonction qui enferme le sujet dans une relation de dépendance
hiérarchique à travers l’ordre à la fois précis et formel qu’elle incarne. La liberté peut aussi
prendre des formes plus ou moins contraintes selon le type de bénéfice attendu et l’ensemble
des héritages culturels et du système de valeur qui la portent. Elle nous paraît différente selon
que l’on se situe dans l’autoformation gratuite de la sphère des loisirs ou dans l’investissement
autoformatif en vue d’une possible promotion sociale par exemple.

Si l’autoformation s’inscrit naturellement dans les espaces de liberté, certaines formes


d’apprentissage par soi-même peuvent parfois « cohabiter » avec la contraignante injonction.
L’injonction à « être » est diffuse et ubiquitaire. On peut penser, entre autres, à l’injonction
maternelle à être un homme, à l’injonction libérale à être un individu ou encore à l’injonc-
tion légale à apprendre à l’intérieur de la forme scolaire obligatoire. L’injonction à « faire » par
soi-même est également très présente aujourd’hui : au « connais-toi toi-même » de Socrate, il
faut ajouter désormais la tendance moderne à la « servuction » qui consiste à intégrer le client
dans le processus de production du service qu’il convoite. Lors des phases autoformatives, les
injonctions ressortent, en général, des cadres institués qu’ils soient scolaires ou professionnels.

3.3 Autoformation et loisirs, autoformation comme loisir


En étant presque divisée par deux durant le xxe siècle, la durée annuelle moyenne du
travail a laissé de plus en plus de place aux temps libres invitant Dumazedier à parler, dès le
début des années 1960, de l’avènement de la « civilisation des loisirs ». Cet espace de libertés
inédites a ouvert la porte à de nouvelles activités dont certaines s’inscrivent dans la logique
autoformative.

Les passions s’immiscent doucement à l’intérieur de ces nouveaux espaces de loisir devenant
finalement espaces d’autoformation. Dans ce cas, le penchant pour un objet d’apprentissage
détermine l’utilisation du temps libre et l’intérêt pour quelques passe-temps comme la musique,

377
Traité des sciences et des techniques de la formation

le jardinage ou les activités nautiques par exemple peut transformer l’occupation des temps
sociaux libérés en activité autonome d’apprentissage.

À l’inverse, l’autoformation peut aussi être vue comme un moyen non conscient d’occuper
son temps libre. Le sujet s’occupe et apprend ou apprend en s’occupant et ces pratiques incons-
cientes ou à peine conscientes affirment les vertus formatives d’une occupation dilettante. Cette
tendance fait partiellement écho à l’autodidaxie aristocratique qui, dans une forme évidemment
renouvelée, existe encore aujourd’hui.

3.4 Dans les espaces éducatifs institués


L’école, au sens large, produit, dès qu’elle devient obligatoire, une double injonction : celle d’être
présent et celle d’être enseigné. L’inventivité de certains pédagogues comme Freinet, la création
des centres de documentation, en 1973, par Fontanet, la mise de l’élève au centre du système
éducatif (1989) sont des marqueurs historiques qui montrent comment l’injonction d’être enseigné
bascule vers l’injonction à apprendre même si le concept d’autonomie est, encore aujourd’hui,
souvent préféré à celui d’autoformation.

À la marge, il arrive toutefois que la notion d’autoformation s’invite dans les textes officiels
de « l’école » ou dans certaines pratiques. C’est le cas par exemple dans le référentiel du BTS
« Assistant de manager » (2008), même si sa présence anecdotique1 laisse penser qu’une telle
injonction à l’autoformation dans le cadre scolaire relève plus d’une astuce qui facilite l’organisa-
tion pédagogique que d’une volonté d’inspiration condorcienne. On peut également noter cette
expérience pédagogique menée durant six années, au collège Evire, en Haute-Savoie, dont le but
était de mettre en place une pédagogie autogestionnaire visant à favoriser une posture autodi-
dacte chez des élèves de Segpa en grande difficulté, expérience qui, par ailleurs, a fait récemment
l’objet d’une thèse2.

Ces rares cas d’autoformation affirmée au sein de l’institution éducative trouvent un prolonge-
ment technologique avec la mise en place de massive open online courses (MOOC) initiés, entre
autres, par l’open university et relayés, par exemple, aujourd’hui, en France, par Cécile Dejoux3.
Ils fonctionnent sur les bases d’un apprentissage réticulaire et offrent une perspective à l’intérieur

1. Une occurrence sur 123 pages.


2. T. Ducrot, 2013.
3. http://www.ceciledejoux.com/mooc/

378
Autoformation(s) ■ Chapitre 18

de laquelle une forme quasi intégrale d’autoformation croise les espaces pédagogiques institués et
où la liberté de choix semble presque pleine et entière, déstabilisant parfois certains apprenants.

3.5 À l’intérieur de la sphère professionnelle


Dans l’entreprise, la formation est source de préoccupations grandissantes. Si, jusqu’en 1995,
le taux de participation des employeurs au financement de la formation continue a évolué
de manière significative, la tendance est aujourd’hui à la stabilisation. L’éternelle recherche
de performances dans un environnement concurrentiel invite les dirigeants à formuler des
injonctions permanentes au développement des compétences salariales. Dans une incessante
recherche de maximisation des gains et de minimisation des coûts, on comprend aisément les
vertus intrinsèques prometteuses que porte l’autoformation lorsqu’elle est considérée sous
l’angle comptable.

Dans la sphère professionnelle, il existe toutefois trois cas d’autoformation très différents :
celle qui permet de rompre avec son métier d’origine, celle qui permet d’évoluer dans son métier
d’origine et celle qui a pour but de se maintenir dans l’emploi.

Lorsqu’elle est liée à la promotion sociale, l’autoformation est globalement portée par le
dessein individuel surtout si l’on considère que les principes de l’économie libérale, aujourd’hui
largement répandus, reposent sur la liberté et la responsabilité individuelle. Cette doctrine
économique entretient aussi le mythe de la promotion sociale. Chacun est à la fois conditionné
et libre de rechercher (ou non) une promotion et les attributs qui lui sont liés comme la recon-
naissance symbolique et/ou financière. Si la volonté de promotion peut prendre une forme
classique ou attendue (évolution dans le métier), elle peut aussi prendre un aspect original ou
imprévu (évolution du statut professionnel et rupture avec le métier d’origine).

Lorsque l’autoformation est liée au maintien dans l’emploi, elle s’inscrit plutôt dans une
perspective individualisante. L’injonction d’autoformation cousine avec la notion d’employa-
bilité. Le salarié est mis en responsabilité de se former pour évoluer afin de se maintenir dans
l’emploi. Toutefois, il est placé dans une situation d’autonomie. Il est ainsi libre d’utiliser les
moyens qu’il souhaite pour atteindre un objectif d’apprentissage fixé par un autre. Cette situa-
tion autoformative ne recouvre alors qu’une partie de l’autos et est ainsi fort différente de celle
qui permet au sujet social apprenant de faire preuve d’une véritable « agentivité » en formation.
Cela dit, au-delà des initiatives individuelles et dans la perspective « sociale » de l’autoformation,
l’entreprise est, en particulier aujourd’hui, un système social de développement de compétences.

379
Traité des sciences et des techniques de la formation

3.6 Le digital, le numérique, le virtuel


Comme en témoigne un récent article de El País intitulé « Todo lo que puedes aprender gratis
en Internet »1, le quotidien de tout un chacun est, aujourd’hui, largement numérique et les outils
technologiques s’immiscent dans le large univers des apprentissages. Ainsi, les réseaux sociaux
qu’ils soient d’amitié ou professionnels, les sites et autres blogs, les plateformes de vidéos ou
plus récemment les MOOC témoignent de l’effervescence numérique possiblement au service
de l’apprenant contemporain.

Certaines études portent justement sur le lien entre autoformation et NTIC que ce soit
en recherchant les traces autoformatives dans les méandres réticulaires de YouTube2 ou en
s’intéressant, dans le cadre d’une thèse doctorale, à l’apprentissage autodidactique du français
comme langue étrangère, en Syrie, par le biais des NTIC3 ou plus globalement sur les nouvelles
modalités de l’autoformation dans la société digitale (Nagels et Carré, 2016).

4. Conclusion
L’autoformation repose sur un curieux antagonisme. C’est autant le fait d’apprendre par soi-
même que de s’enseigner à soi-même. Dit autrement, c’est autant un processus de formation
que d’apprentissage. Cette combinaison de deux profils opposés au sein d’une même personne
– maître et élève – renvoie à une forme de schizophrénie formative.

Si auparavant, l’autoformation s’inscrivait à la marge des pratiques éducatives classiques, elle


tend aujourd’hui à s’institutionnaliser (Moisan, in Carré et al., 2010). Elle s’ancre dans la durée,
se banalise voire se normalise et passe de l’ombre à la lumière rendant, ainsi, la métaphore
de l’iceberg moins pertinente. Il semble par contre intéressant de considérer l’autoformation
contemporaine, tiraillée entre liberté et injonction, sous l’angle de la bipolarité. Il convient égale-
ment de remarquer que les phases autoformatives traversent tous les univers d’apprentissage.

La cartographie « galactique » des cinq conceptions théorico-pratiques de l’autoformation


laisse aujourd’hui la place à une représentation matricielle. Celle-ci croise, dans un tableau à

1. http://verne.elpais.com/verne/2015/07/10/articulo/1436522270_514455.html. « Tout ce que tu peux apprendre


gratuitement sur Internet ».
2. P. Cyrot, C. Jeunesse (2012). « Autoformation et réseaux virtuels », Distances et médiations des savoirs, 1.
3. A.A.M Saker, 2015.

380
Autoformation(s) ■ Chapitre 18

double entrée, le processus d’institutionnalisation, les cinq perspectives de recherche et la place


de l’autre et des dispositifs au sein de la dynamique autoformative (tableau 18.1).

Tableau 18.1 - Une matrice de l’autoformation (Carré, Moisan, Poisson, 2010).

Avec et par les Dans les


Par soi De soi
autres dispositifs
Processus
Normalisation Association Individualisation Biographisation
d’institutionnalisation
Perspective socio-
Autodidaxie
historique
Perspective technico- Autoforation
pédagogique éducative
Perspective Autoformation
phénoménologique existentielle
Perspective socio- Autoformation
organisationnelle collective
Perspective
Apprentissage autodirigé (SDL)
psychologique

Il semble, enfin, utile de réaffirmer combien les contingences relationnelles sinon réticulaires
influencent les itinéraires d’autoformation. Sur ce point, la croissance exponentielle de l’uti-
lisation des réseaux sociaux virtuels laisse présager de bonnes choses pour les apprentissages
autoformatifs. Le flux de plus en plus important des informations disponibles ouvre également
la porte à toujours plus d’apprentissages indépendants. Toutefois, dans le cadre d’une lecture
moins optimiste voire pathologique, l’« infobésité1 » qui caractérise le mariage de la société de la
connaissance et des nouvelles technologies et la « boulimie de savoir2 », élément emblématique
de la figure idéal-typique d’une certaine autoformation, peuvent-elles cohabiter sans risque ?

1. S. Enlart, O. Charbonnier (2010). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod.


2. J. Beillerot (2001). « L’autoformation, pour le meilleur et pour le pire », conférence au 6e colloque sur l’auto-
formation. Montpellier, 5 décembre 2001.

381
Traité des sciences et des techniques de la formation

Lectures conseillées
Bézille-Lesquoy H. (2003). L’Autodidacte, Paris, Lavielle-Gutnik N. (dir.) (2006). « L’autoformation :
L’Harmattan. actualité et perspectives », Éducation perma-
Carré P. (2013). « La recherche sur l’autoforma- nente, n° 168.
tion : évolutions et perspectives (2003-2013) », Nagels M. et Carré P. (2016). Apprendre par soi-
Savoirs, 33 (3). même aujourd’hui. Les nouvelles modalités
Carré P., Moisan A., Poisson D. (2010). L’autoformation, de l’autoformation dans la société digitale,
perspectives de recherche, Paris, PUF. Paris, Éditions des archives contemporaines.
Cyrot P. (2009). Épisodes et sociabilités auto- Pineau G. (1983). Produire sa vie, autoformation
didactiques, thèse de doctorat inédite, et autobiographie, Montréal, Édilig, Ed.
Nanterre, Université Paris-Ouest. St Martin.
D umazedier J. (dir.) (1985). « L’autoformation », Pineau, G. (1995). « L’autoformation en chantiers »,
Education permanente, n° 78-79. Education permanente, n° 122.
T remblay N. (2003). L’Autoformation. Pour
apprendre autrement, Montréal, Presses de
l’université de Montréal.

382
Chapitre 19
Psychopédagogie
des adultes1

1. Par Philippe Carré et Alain Rieunier.


Sommaire
1. Psychologie et pédagogie...................................................................................... 385
2. Les psychologies de l’apprentissage..................................................................... 386
3. Les approches pédagogiques................................................................................. 389
4. Esquisse de quelques principes psychopédagogiques
en formation des adultes....................................................................................... 395
Lectures conseillées.................................................................................................. 400
1. Psychologie et pédagogie
Qu’il s’agisse, initialement, du champ de l’éducation scolaire ou, ultérieurement, de celui
de la formation des adultes, la question des rapports entre psychologie (de l’apprentissage, de
l’éducation, de la formation) et pédagogie (ou andragogie) a donné lieu à des prises de position
variées, voire contradictoires.

Pour les uns, dans la perspective ouverte par Mialaret en France avec la création d’un labo-
ratoire de psychopédagogie dès 1956, les rapports entre la psychologie et la pédagogie sont
présentés comme allant de soi. Wallon et Piaget, les deux psychologues francophones les plus
influents du xxe siècle se sont largement investis dans ce mouvement d’alliance entre les deux
disciplines, consacrant de nombreux travaux à le renforcer. De multiples courants de l’éduca-
tion dite « nouvelle » ont, tout au long du xxe siècle, contribué à cette vision d’une pédagogie
largement inspirée des découvertes de la « science » psychologique, même si cette vision est
parfois remise en cause aujourd’hui.

Pour d’autres, les rapports entre pédagogie et psychologie ne peuvent se réduire à ceux de
l’application d’un corpus théorique de lois et de concepts à la pratique et encore moins à la fusion
des deux termes. L’autonomie de la pédagogie est alors revendiquée à partir de l’argument de
la pluridisciplinarité qui doit régir les progrès de la réflexion pédagogique, en particulier dans
ses dimensions sociologiques et philosophiques. De plus, en France, les aléas institutionnels
de la formation des maîtres d’une part et du fonctionnement universitaire d’autre part, en
diluant la psychologie de l’éducation dans l’univers pluridisciplinaire des sciences de l’éducation
(philosophie, sociologie, psychologie, histoire, pédagogie…) à partir de 1967, ont contribué à
l’effacement de la psychopédagogie en formation initiale1. C’est donc aux effets d’une concur-
rence institutionnelle et épistémologique, plus qu’aux conclusions d’un débat de fond que l’on
doit la relative étanchéité des deux disciplines aujourd’hui.

En sciences de la formation, secteur récent d’une discipline elle-même jeune au regard de


l’histoire des sciences, la psychologie reste une influence dominante sur les discours et, peut-on le
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

penser, les pratiques pédagogiques à travers ses différentes déclinaisons (psychologie sociale, du
travail, de l’orientation, psychosociologie clinique), parfois combinées aux disciplines connexes
que sont l’ergonomie, la biographie, voire l’ethnologie. C’est à une entrée psychopédagogique
« ouverte » sur les autres sciences humaines qu’invitait déjà Léon (1971), selon qui « la psychopé-
dagogie a pour objet l’étude des relations qui s’établissent entre les quatre pôles de l’acte éducatif :
l’enseignant ou le formateur ; les élèves ou les stagiaires ; l’objet de l’étude ; l’environnement ».

1. D. Ottavi (2015). « Un territoire mal défini ? La psychopédagogie », in F. Laot et R. Rogers (dir.). Les sciences
de l’éducation, Rennes, PUR, 199-212.

385
Traité des sciences et des techniques de la formation

C’est à une poursuite de cette orientation ouverte que convie ce chapitre. Nous y proposons
un bref rappel des principales théories psychologiques de l’apprentissage, puis de la pédagogie
des adultes, avant de conclure par une esquisse des principes majeurs de facilitation en formation
d’adultes que ce rapprochement suggère.

2. Les psychologies de l’apprentissage


Les théorisations psychologiques successives de l’apprentissage depuis plus d’un siècle peuvent
être réparties en une demi-douzaine de « familles » théoriques : behaviorisme, cognitivisme,
constructivisme, socioconstructivisme, humanisme, sociocognitivisme.

2.1 Behaviorisme
Il est d’usage de débuter un tel aperçu avec le behaviorisme ou théorie du conditionnement,
en remontant aux travaux initiaux de Pavlov (1849-1938), puis de Thorndike et Watson. Ces
recherches qui ont un intérêt aujourd’hui avant tout historique ont néanmoins mis en évidence
la force des associations de stimuli dans l’apprentissage de certaines réponses comportementales.
La théorie du conditionnement opérant, mise au point par Skinner (1878-1958) et ses élèves a
établi combien les conséquences des actes (renforcement) influencent la probabilité de répondre
aux sollicitations ultérieures du contexte. Les déclinaisons pédagogiques des travaux beha-
vioristes, en particulier autour de l’enseignement programmé (qui inspire encore aujourd’hui
nombre de programmes de formation en ligne) ont mis l’accent sur l’importance de la description
précise des objectifs d’apprentissage et de leur évaluation, au prix du risque souvent dénoncé
d’atomisation des contenus.

Vers le milieu du xxe siècle, la remise en cause de certains postulats behavioristes a accom-
pagné ce qu’il a été convenu d’appeler la « révolution cognitive ». Celle-ci ouvrait la voie à
plusieurs théories visant à élucider le fonctionnement psychologique et les opérations mentales,
tentative jusque-là empêchée par la domination des paradigmes de la « boîte noire » behavioriste
ou de l’Inconscient psychanalytique.

2.2 Cognitivisme
Les racines de la psychologie cognitive plongent dans trois sources convergentes. La théorie de
la forme (Gestaltpsychologie) émerge aux débuts du xxe siècle à partir d’études sur la perception

386
Psychopédagogie des adultes ■ Chapitre 19

humaine, pour démontrer l’existence de processus autonomes de traitement de l’information,


par-delà les mécanismes de conditionnement. Un peu plus tard dans le siècle, les premières
recherches de psychologie de l’enfant, également appelée psychologie génétique, ont cherché à
mettre en évidence les lois endogènes du développement de l’intelligence (Piaget) et des émotions
(Wallon). Enfin, le développement, à partir de la seconde guerre mondiale, de la cybernétique
et l’essor de l’informatique ont poussé de nombreux chercheurs vers les voies de l’intelligence
artificielle et de l’analogie entre traitement automatique de l’information et fonctionnement
cognitif humain. Inscrites dans le champ vaste des sciences cognitives, ces recherches se situent
aujourd’hui à la croisée de la psychologie, de l’intelligence artificielle et de la biologie.

2.3 Constructivisme
À partir de l’œuvre de Piaget (1896-1980), le constructivisme a durablement marqué la psycho-
logie du développement humain et de l’intelligence, ainsi que la pédagogie au cours de la seconde
moitié du xxe siècle. Prenant le contre-pied des affirmations behavioriste et innéiste, Piaget a
consacré sa vie à identifier les mécanismes par lesquels l’intelligence se construit par paliers
progressifs (ou stades de développement) au moyen de processus d’adaptation de l’enfant à son
environnement avant d’atteindre le stade ultime de raisonnement logique de l’adulte. Centrant
son attention sur la construction des schèmes de pensée, formes invariantes de l’organisation
cognitive dans une classe donnée de situations, il a ouvert le chemin aux théories de l’activité et
aux travaux des « post-piagétiens », plus tournés vers les aspects sociaux et affectifs de l’intelli-
gence. De nombreuses critiques ont en effet été adressées aux positions piagétiennes, estimées
insuffisamment tournées vers la prise en compte du contexte social et des interactions dans les
apprentissages et le développement humains.

2.4 Socioconstructivisme
Avec la découverte tardive (en francophonie vers 1985) des travaux du psychologue sovié-
tique Vygotski (1896-1934), prématurément disparu cinquante ans plus tôt et la traduction en
français des travaux de Bruner (né en 1915), le relais est pris dans le dernier quart du xxe siècle
avec le socioconstructivisme. La mise en évidence du « conflit sociocognitif » participe, par
exemple, de cette extension du constructivisme vers les dimensions sociales du développement
cognitif1. Toujours basées sur le postulat d’un développement cognitif par construction progres-
sive des connaissances, les recherches de cette orientation mettent l’accent, dans la tradition

1. Voir chapitre 16.

387
Traité des sciences et des techniques de la formation

initiée par les psychologues marxistes en URSS, et certains auteurs français comme Wallon et
Meyerson, sur la dimension socio-historique et culturelle de la construction des connaissances.
En France, ce courant a largement traversé la psychologie du travail, la didactique profession-
nelle et, plus globalement, l’analyse de l’activité, dont on constate la diffusion en formation des
adultes aujourd’hui.

2.5 Humanisme
L’émergence d’un courant humaniste a été très liée à la carrière et la personnalité de Rogers
(1902-1987). Très marquée au cours de la seconde moitié du xxe siècle dans les milieux des
relations humaines, de la psychothérapie et de la pédagogie, son influence semble aujourd’hui
subir un certain déclin, sans doute à tort, du fait des excès (et des critiques) de certaines inter-
prétations de l’orientation hâtivement nommée « non-directive » qui a dominé ce courant1. La
prise en compte des dimensions émotionnelles, affectives et relationnelles dans les situations
d’apprentissage, en lien avec le développement d’une psychologie clinique « centrée sur le client »
fait de Rogers l’une des figures légitimes des théories de l’apprentissage, même si les processus
d’acquisition de connaissances n’ont jamais été l’objet central de ses travaux. La perspective
humaniste peut être aujourd’hui décelée aux racines de certaines théories de la motivation, telle
la théorie de l’autodétermination. On peut en repérer aujourd’hui le souffle dans l’essor d’une
« psychologie positive » qui réunit de multiples travaux de recherche en psychologie clinique et
sociale autour de l’étude des conditions de la réussite et de l’épanouissement humains.

2.6 Sociocognitivisme
Enfin, une place à part, dans la continuité des courants antérieurs, doit être accordée à la
théorie sociocognitive de Bandura, parce qu’elle combine certaines des influences précédentes
à travers le schéma intégratif dit de la « causalité triadique réciproque ». Pour cet auteur2 et ses
collègues (Zimmerman et Schunk, 2003), le fonctionnement humain (et, partant, l’apprentissage)
est conçu à partir d’une série d’interactions réciproques entre dispositions personnelles, détermi-
nants contextuels et comportements effectifs. Dans ce modèle, l’apprentissage est vu comme un
processus proactif et émergent combinant observation et modelage (apprentissage « vicariant »),
construction de buts, sentiment d’efficacité personnelle et collective, pratiques d’autorégulation.

1. P. Carré (2003). « Rogers, ou de l’autodirection », in collectif, Autobiographie de Carl Rogers. Lectures plurielles,
Paris, L’Harmattan (223-240).
2. Le psychologue vivant plus cité au monde après Skinner, Freud et Piaget, selon l’American Psychology
Association (2014).

388
Psychopédagogie des adultes ■ Chapitre 19

Ce dernier point est à la fois central pour notre propos et d’une actualité évidente. Pour Bandura,
l’apprentissage est un processus « agentique », c’est-à‑dire porté par le pouvoir d’agir du sujet :
« Le contenu de la plupart des manuels est périssable, mais les ressources de l’autodirection
seront utiles de tout temps » (Bandura, in Zimmerman et Schunk, 2003, p. 432).

Les théories de l’apprentissage ont construit par sédimentation progressive tout au long du
xxe siècle, un corpus de connaissances relatif aux caractéristiques de l’apprentissage adulte dans
lequel on retrouve :
–– le behaviorisme dans l’importance des objectifs et des renforcements ;
–– l’humanisme dans les dimensions humaines de l’accompagnement ;
–– le cognitivisme dans les stratégies cognitives et métacognitives ;
–– le constructivisme dans le rôle de l’activité en situation ;
–– le socioconstructivisme dans l’importance des relations sociales ;
–– le sociocognitivisme dans l’agentivité humaine et l’autorégulation.

3. Les approches pédagogiques

3.1 La pédagogie générale : hétéro- ou auto-structuration ?


Aujourd’hui, l’action pédagogique, qu’elle s’adresse à des adultes ou des enfants, vise le déve-
loppement autonome du sujet en lui fournissant l’occasion d’un apprentissage des relations
sociales et des limites de sa liberté, à partir de son activité et de ses intérêts. Ces grands prin-
cipes fondent les méthodes pédagogiques que l’on retrouve sous l’appellation d’éducation dite
« nouvelle ». Ce qualificatif ne se justifie qu’en opposition aux méthodes dites « traditionnelles »
que l’on associe, de cette façon, à « anciennes », comme si elles n’avaient plus cours. Ces deux
perspectives pédagogiques s’opposent depuis le xviiie siècle. Parmi les multiples auteurs et
commentateurs qui ont émaillé l’histoire des méthodes pédagogiques (et dont nous ne pouvons
faire état dans le cadre limité de ce chapitre), Not1 est celui qui a poussé le plus loin l’analyse
de cette distinction.

Cet auteur qualifie « d’hétéro-structuration » les situations dans lesquelles domine l’intention
de transmettre, enseigner, instruire, former, transformer l’autre. De l’extérieur, on « tire » l’élève
hors de son état, on le dirige, on le modèle, on l’outille. Le savoir est organisé et l’éducation

1. L. Not (1979). Les pédagogies de la connaissance, Toulouse, Privat.

389
Traité des sciences et des techniques de la formation

consiste en l’application de processus destinés à le modifier de l’extérieur (lui « donner une autre
forme »). Les méthodes dites « traditionnelles » (expositives, démonstratives, voire interrogatives)
correspondent le plus souvent à cette catégorisation et l’on parle alors de transmission de savoirs.
L’exposé magistral et les exercices d’application en sont des formes courantes qui conservent,
pour certains objectifs, leur raison d’être.

Dans l’autre perspective, qualifiée par L. Not « d’autostructuration », les pédagogues mettent
l’action propre du sujet apprenant à l’origine de toute connaissance. Pour cette raison, on dit
« actives » les méthodes qu’ils préconisent, dans la mesure où l’apprenant est, lui-même, l’artisan
de sa propre construction. L’individu agit et se transforme par son agentivité propre. On parlera
alors d’« acquisition et de construction » de connaissances.

Bien que conçue sans référence aux adultes, l’analyse de Not, construite en référence au pilo-
tage de l’apprentissage par le sujet (« auto ») ou un autre agent (« hétéro ») s’inscrit néanmoins
au cœur d’un important courant de recherche en formation d’adultes1.

3.2 Pédagogie ou andragogie ?


Après avoir opposé les deux modèles andragogique et pédagogique, Knowles (1990), nuan-
çant son propos, reconnaît que l’opposition n’est pas si radicale entre le premier, destiné aux
adultes en formation permanente, supposés autonomes (andragogie) et le second, conçu pour
des élèves soumis à l’obligation scolaire, supposés dépendants (pédagogie). Certains auteurs
défendent même qu’il n’y a pas de pédagogie spécifique aux situations de formation d’adultes2.
De fait, d’une part les contextes de la formation peuvent paradoxalement ramener l’adulte à
une situation contrainte assimilable à l’obligation scolaire. Ensuite, le caractère plus ou moins
« andragogique » de la modalité de travail déployée est contingent au degré d’implication et aux
capacités d’autorégulation du groupe de participants concernés. Enfin, la plupart des dimensions
qui régissent l’apprentissage sur le plan psychologique, et en particulier les processus motiva-
tionnels, sont en partie communs aux adultes et aux enfants. Ces arguments plaident pour, si ce
n’est une assimilation, du moins une continuité entre approches pédagogique et andragogique.
Néanmoins, les différenciateurs majeurs que représentent, d’une part, les lois du développement
physiologique, cognitif et social qui mènent de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge « adulte »
et, d’autre part l’effet massif de l’obligation scolaire sur les dynamiques d’apprentissage intro-
duisent un clivage de principe entre formation initiale des enfants et formation ultérieure des

1. Voir les chapitres 17 et 18 dans cet ouvrage.


2. P. Maubant (2004). Pédagogues et pédagogies en formation d’adultes, Paris, PUF.

390
Psychopédagogie des adultes ■ Chapitre 19

adultes. En définitive, l’aporie « pédagogie des adultes » traduit bien à la fois la continuité et la
rupture entre les deux situations.

Par-delà les apports de la pédagogie « générale », la pédagogie des adultes a fait l’objet des
travaux de nombreux auteurs, généralement praticiens de la formation eux-mêmes, dont les
quelques exemples suivants indiquent à la fois le caractère émergent et la portée heuristique.
Aux États-Unis et au Canada, après les écrits fondateurs de Lindeman sur le « sens de l’éducation
des adultes » dès 1926, relayés par ceux de Knowles (1913-1997) sur « l’apprenant adulte » (1990)
et de Houle (1913-1998) sur les « volontaires pour apprendre », on citera les œuvres de Tough
(1936-2012) sur « les projets d’apprentissage de l’adulte », et de Long sur « l’apprentissage auto-
dirigé1 ». Venus d’autres parties du monde et de sensibilité plus « sociopédagogique », d’autres
auteurs contribuent aussi depuis le milieu du xxe siècle à l’émergence d’un véritable corpus de
connaissances pédagogiques en formation des adultes. Parmi les plus connus, citons Freire (1921-
1997), qui a diffusé, en Amérique latine puis dans le monde les notions de « conscientisation »
et de « pédagogie des opprimés » dans le cadre de l’alphabétisation fonctionnelle. En France,
Schwartz, militant inlassable de la formation des adultes, est l’auteur de nombreux concepts
opératoires de ce métier (« pédagogie du dysfonctionnement », « formation en double piste »,
« automédiatisation ») et plus largement, d’une méthode de recherche-action basée sur l’écoute,
le travail collectif, l’empowerment (avant l’heure). Enfin, nous ne saurions clore cette (trop) brève
liste sans mentionner l’œuvre de Dumazedier (1916-2002) pour le développement culturel et
l’éducation permanente à travers une pédagogie de l’entraînement mental et de l’autoformation.

Passons à présent en revue les approches majeures, d’origines d’abord francophones, puis
internationales, qui influencent la formation des adultes en matière pédagogique depuis la
seconde moitié du xxe siècle.

3.3 Approches francophones


3.3.1 La dynamique des groupes
Largement inspirée par le double courant des relations humaines en organisation du travail
et de la psychosociologie clinique en psychothérapie et en éducation, la dynamique des groupes
a eu une influence massive sur les pratiques et les recherches en pédagogie des adultes depuis
son essor lors des « Trente Glorieuses ». Cette discipline, très adaptée à la réalité des stages et
des pratiques de formation de cadres dominantes à cette époque, a mis en évidence l’impor-
tance des phénomènes de pouvoir, de leadership, des conditions d’implication des acteurs dans

1. Pour aller plus loin sur ces auteurs, voir P. Carré, in P. Carré, A. Moisan, D. Poisson (dir.) (2010).

391
Traité des sciences et des techniques de la formation

la communication et de la participation dans les situations collectives. Ces approches sont


aujourd’hui en relative perte de vitesse, sans doute du fait d’une part de la remise en cause de
certains de leurs postulats d’origine psychanalytique et/ou psychosociologique et d’autre part
du fait de l’accroissement des pressions gestionnaires et des impératifs de productivité liés à
l’émergence des crises économiques de la fin du xxe siècle. On en perçoit néanmoins l’héritage
à travers les courants variés d’analyse des pratiques qui se développent régulièrement dans les
milieux de la santé, du travail social et de l’éducation.

3.3.2 Les approches biographiques


Importé de la sociologie au cours des années 1980, l’important courant de recherche et de
pratique biographiques1 en formation met en exergue, dans une optique souvent d’orientation
phénoménologique, la portée de la réflexivité des sujets en formation quant à leurs expériences
de vie et aux apprentissages multiples qu’elles autorisent à tous les âges et dans tous les domaines
de l’existence humaine. Parfois entrecroisée avec certaines orientations de l’analyse des pratiques
mentionnée ci-dessus, souvent adossée à des démarches de bilan de compétences ou d’élabo-
ration de projet, déclinée en versions individuelles ou collectives, écrites ou orales, l’approche
biographique est aujourd’hui convoquée sur de multiples territoires connexes à la formation :
orientation, bilan, insertion, conseil. Elle contribue au dévoilement progressif de l’immense terri-
toire, encore largement en friche aujourd’hui, des apprentissages informels et de l’autoformation.

3.3.3 La didactique professionnelle


Ce courant d’origine récente mais en plein essor est issu de la combinatoire de l’ergonomie
cognitive, de la didactique des disciplines et de la psychologie du développement. Centrée sur
une « pédagogie des situations », la didactique professionnelle2 vise au développement conjoint
des apprentissages et de la résolution des problèmes de travail aussi près que possible de la réalité
de celui-ci. Elle utilise la méthode des cas, l’autoscopie, l’entretien d’explicitation et, surtout, la
simulation « en pleine échelle » pour aborder la pratique et l’apprentissage dans et par l’activité
avec une optique constructiviste. Très liée aux différents courants cousins de l’analyse de l’acti-
vité, la didactique professionnelle s’inscrit dans l’interface essentielle entre analyse du travail et
pédagogie des adultes. Son atout majeur est simultanément sa principale limite : la centration
exclusive sur l’exercice du travail.

1. Voir chapitre 17.


2. Voir chapitre 23.

392
Psychopédagogie des adultes ■ Chapitre 19

3.4 Approches internationales


3.4.1 L’andragogie
La notion d’andragogie ou « art et science d’aider les adultes à apprendre » introduite par
Knowles en 1968 se donne pour objet l’étude des spécificités de l’apprentissage adulte par
rapport à celui des enfants. Cet auteur dénombre alors cinq caractéristiques différenciatrices,
autour des transformations caractéristiques de l’âge adulte dans les domaines de l’autonomie,
de l’expérience, des rôles sociaux, des perspectives temporelles et des motivations. Il en tire,
sur un plan pédagogique, une série de recommandations tournées vers les notions de contrat,
de facilitation et d’aide à l’autoformation. Plusieurs critiques ont été adressées à l’orientation
andragogique, par-delà la seule dimension terminologique1, tant dans son volet théorique que
dans ses présupposés opposant de façon radicale l’andragogie à la pédagogie. Néanmoins, cet
ensemble a donné aux éducateurs d’adultes du monde entier une forme d’identité partagée et
ouvert la voie à de nouveaux courants aujourd’hui fortement développés dans le domaine.

3.4.2 L’apprentissage autodirigé


Le courant de l’« apprentissage autodirigé » (self-directed learning) assume depuis le début des
années 1980 une large part d’héritage de la pensée de Knowles et Tough qui avaient largement
contribué à son émergence et à sa diffusion. Un symposium annuel sur l’apprentissage autodirigé,
au cours de plus de trente éditions à ce jour, a largement contribué à travers plusieurs centaines
de publications à faire de ce thème l’un des plus vivaces de la recherche nord-américaine et, dans
une certaine mesure, internationale, sur la formation des adultes2. Les auteurs se sont attachés
à dégager les dimensions constitutives de l’apprentissage autodirigé qui recouvrent autant de
catégories d’analyse : psychologie de l’apprenant autodirigé, mesure de l’autodirection comme
variable psychométrique, dimensions sociales et groupales de l’apprentissage autonome, dimen-
sions pédagogiques et technologiques de la facilitation.

3.4.3 L’apprentissage transformateur


La notion d’« apprentissage transformateur » (transformative learning), proposée par Mezirow
en 1978, s’inscrit dans le double héritage de la pensée de Knowles et de celle l’éducateur latino-
américain Freire. Le concept d’expérience, transformatrice pour le premier, émancipatrice pour
le second, est au cœur de ce courant, qui a donné lieu à un foisonnement de recherches et
de développements théoriques depuis la fin du xxe siècle (Merriam et Caffarella, 1999). Pour
Mezirow, l’expérience de vie, d’autant plus conséquente chez l’adulte, donne lieu à une recherche
de sens susceptible de générer des transformations de perspective qui, à leur tour, apportent

1. Le radical andro- caractérisant sur le plan étymologique la masculinité.


2. www.sdlglobal.com

393
Traité des sciences et des techniques de la formation

la possibilité de changements plus ou moins radicaux dans l’activité et la conduite de sa vie à


l’occasion de transitions biographiques multiples. La praxis est ainsi définie comme un cycle
permanent de réflexion, de modification des représentations et de réflexion critique sur l’action.

3.4.4 Les théories critiques


La dimension critique est plus présente encore dans la philosophie pédagogique de Freire, à
travers les concepts de conscientisation, de dialogue émancipateur et d’autonomie. Les travaux
de cet auteur ont eu une résonance internationale remarquable depuis les années 1970. Ils ont
fourni aux instances supra-nationales et aux mouvements d’éducation populaire des pays les
moins développés un modèle de compréhension et d’intervention qui ouvrait les voies d’un
changement social radical grâce à l’éducation des adultes, l’alphabétisation et l’exercice de la
pensée critique sur les conditions sociales d’existence des plus défavorisés. Les conceptions de
la libération que l’on trouve chez Freire sont aux bases de multiples expériences d’éducation
populaire dans le monde et de certaines des conceptions actuelles de l’empowerment. On trou-
vera aisément les traces de ce courant politiquement engagé, dans les travaux d’orientation
postmoderne sur l’éducation des adultes dans une perspective « radicale », orientée vers la justice
sociale et la lutte contre les inégalités d’origine ou de genre.

3.4.5 L’apprentissage au travail


Sous la triple influence de la mondialisation, de l’explosion des technologies digitales et de
l’accroissement exponentiel de la quantité d’informations disponibles, la question de l’« appren-
tissage au travail » (workplace learning) et, partant, de sa facilitation se décline aujourd’hui en de
nombreuses « mini-théories » (Malloch et al., 2011). L’activité professionnelle domine désormais
les investissements des chercheurs anglo-saxons dans le domaine jusqu’ici intitulé « forma-
tion des adultes » en francophonie. La découverte progressive de l’iceberg des apprentissages
informels et de l’autoformation professionnelle, encouragée par la digitalisation massive des
pratiques, remet en cause certains des postulats pédagogiques « classiques ». Selon les auteurs
d’un ouvrage de synthèse récent sur ces évolutions :

« On constate que le mouvement va d’une approche behavioriste vers la formation à des habiletés
spécifiques dans des espaces de travail précis, puis vers une prise en compte des personnes en tant
qu’apprenants exerçant leurs activités au travail et au-delà de lui » (Malloch et al., 2011, p. xvii).

L’apprentissage des adultes est alors conçu comme « situé » plutôt qu’endogène, relié à
des « communautés de pratique », dans des organisations que l’on souhaite « apprenantes »,
« agiles », « capacitantes ». Les fonctions de base de l’apprentissage (mémorisation, catégorisa-
tion, organisation, calcul, résolution de problèmes) sont aujourd’hui largement externalisées,
voire « sous-traitées » à des « prothèses » informatiques performantes. Pour Regan et Delaney (in
Malloch et al., 2011), « nous commençons à peine à découvrir le pouvoir des environnements

394
Psychopédagogie des adultes ■ Chapitre 19

virtuels et des réseaux sociaux pour l’apprentissage et la performance ». La mutation radicale


des pratiques sociales de traitement de l’information ainsi observée amène certains auteurs à
questionner la définition même de l’apprentissage aujourd’hui : « Faut-il encore apprendre ? »
demandent Enlart et Charbonnier (2010). De ce tourbillon d’idées et de concepts plus ou moins
stabilisés, il ressort une vision dialectique de l’apprentissage de l’adulte au travail. L’interaction
des facteurs exogènes et endogènes amène ainsi Evans à proposer le terme d’agentivité limitée
(bounded agency) pour illustrer la portée et les limites de l’intentionnalité des sujets (in Malloch
et al., 2011).

Sans jamais aller jusqu’à proposer une théorie globale de l’apprentissage, les spécialistes de la
pédagogie des adultes ont pointé, depuis plus d’un demi-siècle, de nombreux concepts organi-
sateurs. En se dégageant de la forme, d’abord dominante, des « cours d’adultes » et, partant, du
lourd héritage scolaire, les auteurs ont ainsi souligné les spécificités du rapport à l’apprentissage
à l’âge adulte : évolution radicale des motivations, rôle majeur de la collaboration et des groupes
dans (et hors) l’activité professionnelle, force de l’autodirection, importance du « déjà-là » cognitif
et affectif dans l’expérience biographique, visée d’émancipation et centralité du travail dans le
cours de la vie adulte…

4. Esquisse de quelques principes


psychopédagogiques en formation des adultes

Existe-t‑il, malgré la variété des contextes, des publics et des finalités de ce qu’il est convenu
d’appeler « la » formation des adultes, un certain nombre, si ce n’est de lois, du moins de prin-
cipes issus à la fois de la psychologie et de la pédagogie, susceptibles de contribuer à l’émergence
progressive d’une nouvelle psychopédagogie des adultes (Léon, 1977 ; Carré, 2016) ? Nous avons
tenté, pour conclure ce bref chapitre, d’identifier les points de convergence que la littérature
nous offre et de les résumer en une quinzaine de principes. Entreprise démesurément ambitieuse
sans doute, mais peut-être source d’inspiration pour les pratiques de formation aujourd’hui…
–– Principe d’instrumentalité : à l’opposé de la scolarité « obligatoire », les situations de forma-
tion d’adultes sont régies par ce que l’on pourrait appeler le « théorème de Schwartz1 » selon
lequel un adulte ne se formera que s’il trouve dans la formation une réponse à ses problèmes,
dans sa situation. La valeur du but proposé, le sens que revêtent l’offre de formation et
son instrumentalité du point de vue du sujet concerné sont les ingrédients premiers de

1. B. Schwartz (1973). L’Éducation demain, Paris, Aubier-Montaigne.

395
Traité des sciences et des techniques de la formation

l’engagement d’un adulte dans l’apprentissage. On ne peut donc décider de la formation


d’autrui par décret, on ne peut qu’en faciliter l’émergence.
–– Principe de singularité : il découle du point précédent que chaque épisode d’apprentissage
s’inscrit dans une combinatoire radicalement singulière d’expériences, de capacités et de
dispositions constituées préalablement à l’entrée en formation. Si l’apprentissage adulte
est, comme nous le verrons plus avant, toujours traversé par le social, il résulte néan-
moins d’une construction biographique complexe, unique, intime à partir de ce que nous
avons « appris de nos vies » selon la formule de Dominicé1. Il s’ensuit que la diversité est la
règle, chacun apprenant à son rythme et à sa manière. La formation collective est toujours
basée sur la norme fictive d’un « apprenant-moyen » construite sur une base probabiliste.
L’individualisation pédagogique est une tentative de réponse à ce paradoxe.
–– Principe des connaissances préalables : dans la continuité de ce qui précède, il est logique que
l’on apprenne toujours en fonction de ce que l’on sait déjà. La construction de l’expertise
s’inscrit dans un processus cumulatif d’acquisition, puis d’automatisation des connaissances.
Ce principe largement démontré par la recherche en psychologie cognitive est fondé sur
le constructivisme piagétien et l’idée d’une élaboration progressive des schèmes de pensée
et d’action par l’équilibration graduelle des connaissances anciennes et nouvelles. D’où
l’intérêt, en pédagogie des adultes, de l’exercice rituel de mise à jour des représentations en
préalable à l’introduction d’un concept. D’où aussi l’importance des notions de prérequis,
de validation des acquis et d’évaluation diagnostique pour approcher ce « déjà-là » cognitif.
–– Principe d’autodétermination : autre implication des fondements précédents, la notion de
responsabilité, caractéristique du statut de l’adulte selon Boutinet2 et largement invoquée
dans la formation continue, engage à poser, avec la théorie de Deci et Ryan3, l’impératif d’au-
todétermination comme condition de l’efficience des pratiques d’apprentissage des adultes.
Les notions de pédagogie du choix, des motifs, du projet ou du contrat sont autant de voies
susceptibles de créer la « capabilité4 » d’exercer agentivité et responsabilité en formation.
L’idée de climat de soutien à l’autonomie (autonomy supportive climate) répond également
à cet impératif.
–– Principe d’auto-efficacité : d’innombrables travaux ont mis en évidence depuis quarante ans
la puissance du sentiment d’efficacité personnelle et collective (et malheureusement de son
inverse, le sentiment d’inefficacité) dans le déclenchement, la régulation et la persistance
des comportements. Ce concept illustre l’effet de sédimentation des « croyances sur soi »,
héritées de nos itinéraires d’apprentissage et renforcées au long de notre histoire personnelle.

1. Voir chapitre 17.


2. Voir chapitre 11.
3. Voir par exemple E. Deci (1995). Why We Do What We Do. The Dynamics of Personal Autonomy, New York,
Putnam.
4. S. Oudet et C. Batal (dir.) (2016). (R) évolution dans les ressources humaines, Lille, Septentrion.

396
Psychopédagogie des adultes ■ Chapitre 19

Selon les termes de Bandura (2003), « les croyances d’efficacité forment le fondement de
l’agentivité humaine. Si les gens ne pensent pas qu’ils peuvent produire les résultats qu’ils
désirent par leurs actions, ils ont peu de raisons pour agir ou persévérer en face des diffi-
cultés ». Les conséquences de cet axiome pour la formation sont évidentes, orientant la
pratique pédagogique vers l’optimisation des conditions de réussite authentique au sein de
la « zone proximale de développement » (Vygotsky) de chaque apprenant.
–– Principe des objectifs : pour permettre l’engagement, un projet de formation doit être présenté
selon une cohérence globale qui propose un sens aux yeux du sujet. Le cadre doit donner
à voir une structuration d’ensemble autour du but terminal et autoriser ainsi la perception
globale du cheminement en assurant une fonction d’orientation générale à moyen ou long
terme. Toutefois, cette logique ne suffira pas à entretenir la motivation du sujet apprenant si
le parcours est long. Une série d’objectifs proximaux, cadencés, sera beaucoup plus efficace
qu’un but distant, moins opérationnel pour accompagner la persistance, guider les efforts
et la réalisation des tâches d’apprentissage à court terme (Bandura, 2003). But distant et
objectifs proximaux sont complémentaires.
–– Principe de feedback : il est aujourd’hui largement admis, au moins pour ce qui concerne les
apprentissages scolaires, qu’aux objectifs proximaux du principe précédent doivent répondre
des feedbacks réguliers pour situer et rendre visibles les progrès accomplis (Hattie, 2009). Il
est vraisemblable que la même loi s’applique aux adultes en formation. Les feedbacks doivent
être informatifs (et non contrôlants) pour renforcer les résultats souhaitables et contribuer
au développement de la perception de compétence (Deci et Ryan). Objectifs proximaux et
feedbacks informatifs pourront alors se combiner en une interaction propice à la prise de
conscience des apprentissages réalisés.
–– Principe d’autorégulation : il est aujourd’hui avéré en psychologie de l’éducation que
les étudiants efficaces sont ceux qui savent analyser leur fonctionnement d’apprenant,
construire des stratégies personnelles adaptées aux tâches et auto-évaluer leurs perfor-
mances. Ils opèrent en quelque sorte en « double piste », analysant simultanément la tâche
à accomplir et leur propre fonctionnement cognitif. Cette réflexivité « métacognitive » se
double de tactiques d’autorégulation, qu’elles soient environnementales (gestion de l’espace
et du temps d’étude), comportementales (auto-organisation du travail) ou internes (régu-
lation des émotions et de la motivation) (Zimmerman et Schunk, 2003).
–– Principe de volition : il convient de rappeler ici, avec Cosnefroy1, qu’apprendre demande
des efforts, et que la motivation ne suffit pas ! La dimension volitionnelle de l’apprentissage
prend toute son ampleur en formation des adultes, là où la disponibilité temporelle réduite
et la concurrence des activités professionnelles et/ou familiales rendent la persistance fragile,

1. L. Cosnefroy (2011). L’apprentissage autorégulé : entre cognition et motivation, Grenoble, PUG.

397
Traité des sciences et des techniques de la formation

parfois hasardeuse. La notion de volition, récemment désenfouie en psychologie1, traduit


la composante comportementale de la motivation, après la phase de déclenchement. Elle
souligne la nécessité de penser les temporalités du projet, d’en anticiper les charges de travail
et les investissements en temps, loin des illusions du slogan « apprendre en s’amusant ».
L’engouement actuel pour les activités ludiques, souvent accompagnées de traitements
cognitifs de surface et éphémères, doit ainsi être relativisé…
–– Principe d’activité : ce principe bien connu des pédagogues, issu entre autres des travaux de
Dewey (learning by doing) et de Piaget, illustre la nécessité de l’activité de l’apprenant dans
le déroulement de ses apprentissages. Confinant à l’évidence, elle est parfois artificiellement
assimilée à un activisime gestuel ou postural et opposée à une attitude déclarée « passive »
qui peut néanmoins dissimuler une intense activité cognitive (y compris dans certaines
situations d’écoute ou de concentration souvent affublées du stigmate de « magistrales »).
Il convient donc de se garder d’un rapprochement trop rapide entre (im) mobilité physique
et (in) activité mentale. Il conviendrait peut-être de parler d’un principe d’agentivité plus
que d’activité, en suivant Kant pour qui « ce que l’on apprend le plus solidement et que l’on
retient le mieux c’est ce qu’on apprend, en quelque sorte, par soi-même ».
–– Principe de déséquilibre : la notion de conflit cognitif, celles d’étonnement et de besoin
de cognition traduisent le rôle du déséquilibre créateur, généré par la mise en question
de représentations, d’idées ou de raisonnements préalables face à de nouvelles informa-
tions. L’efficacité de ce mécanisme dans l’acquisition de représentations explique l’attrait
de la nouveauté, de l’insolite, de l’exceptionnel, expliquant la force de mémorisation
des circonstances d’apparition de certaines informations nouvelles (comme dans l’effet
« 11 septembre »). Mais attention, ce principe peut être traduit en techniques pédagogiques
puissantes autant qu’en artifices clinquants et illusoires.
–– Principe de multimodalité : comme Lieury et ses collaborateurs2 l’ont démontré, la double
nature (lexicale et sémantique) de la mémoire rend souhaitable de multiplier les contextes
d’apprentissage pour maximiser l’appropriation d’un concept et sa généralisation à une
variété de situations. Qualifié d’apprentissage multi-épisodique, ce mécanisme s’articule
de façon évidente avec la notion pédagogique plus récente de multimodalité. La meilleure
façon de construire une représentation solide d’un concept complexe sera par exemple de
visionner un film, puis d’échanger en groupe, de lire un article, d’écouter un exposé ou d’en
pratiquer une application et… de méditer sur le sujet.
–– Principe de collaboration : malgré la radicale singularité des processus endogènes inhérents à
l’acte d’apprendre, l’humain est un être irréductiblement social et la « soloformation » est un
mythe, tout comme celui de l’autodidacte engoncé dans une solitude superbe ou grotesque.

1. Voir chapitre 15.


2. Voir chapitre 14.

398
Psychopédagogie des adultes ■ Chapitre 19

Les mérites de la collaboration, du conflit sociocognitif1, de la disputatio médiévale et des


multiples formes d’apprentissage groupal ont largement démontré la validité universelle de
l’adage selon lequel « on apprend toujours seul, mais jamais sans les autres ». La pédagogie,
à l’école comme en formation, regorge de déclinaisons de ce principe, de Freinet à Cousinet
et de Rogers à Schwartz. L’efficacité de la collaboration peut aujourd’hui être maximisée
avec un juste usage des réseaux sociaux.
–– Principe de vicariance : dans le droit fil du principe précédent, auquel il peut se joindre, on
sait depuis longtemps l’importance de l’apprentissage « social » également appelé « vica-
riant », qui se fonde sur le modelage de nos comportements à partir de l’analyse de ceux
d’autrui. On se forme toute la vie durant en observant d’autres personnes, proches et à qui
l’on peut se comparer, en inférant de leurs succès et de leurs échecs des règles d’action que
nous faisons nôtres et en évaluant nos buts en regard des leurs, y compris pour orienter
nos actes en fonction de leurs résultats. L’observation d’autruis significatifs est une source
puissante d’efficacité personnelle (Bandura, 2003).
–– Principe de plaisir : last but not least, l’importance en éducation (y compris des adultes)
de la sécurité affective (Rogers) et de la motivation intrinsèque (Deci et Ryan) souligne le
rôle du plaisir comme ingrédient majeur de la performance des apprentissages. Le climat
d’étude, la qualité de la relation pédagogique et l’harmonie collaborative facilitent l’atteinte
des objectifs, y compris en formation à distance. Quand les connaissances s’apparentent au
« gai savoir » (Nietzsche), quand la libido sciendi nourrit l’énergie individuelle et collective,
quand le bonheur d’apprendre accompagne l’autodétermination, alors la formation peut
devenir « une fête d’apprenance2 »…

Finalement, une lecture transverse de ces quelques principes nous rappelle sans doute que
la formation ne saurait être qu’invitation à apprendre et la pédagogie des adultes l’art de sa
facilitation…

1. Voir chapitre 16.


2. R. Hiemstra et P. Carré (éd.) (2013). A Feast of Learni2ng. International Perspectives on Adult Learning and
Change, Charlotte, IAP.

399
Traité des sciences et des techniques de la formation

Lectures conseillées
Bandura A. (2003). Auto-efficacité, Bruxelles, de M erriam S. et C affarella R. (1999). Learning in
Boeck. Adulthood, San Francisco, Jossey-Bass
Carré P. (2015). « De l’apprentissage à la forma- (2e éd.).
tion. Pour une nouvelle psychopédagogie des OCDE (2010). Comment apprend-on ? La recherche
adultes », Revue française de pédagogie, 190, au service de la pratique, Paris, Éditions de
29-40. l’OCDE.
Enlart S. et Charbonnier O. (2010). Faut-il encore Raynal F. et Rieunier A. (2010). Pédagogie, diction-
apprendre ?, Paris, Dunod. naire des concepts clé, Issy-les-Moulineaux,
Knowles M. (1990). L’apprenant adulte. Vers un ESF Éditeur.
nouvel art de la formation, Paris, Éditions Zimmerman B. et Schunk D. (2003). Educational
d’Organisation. Psychology. A Century of Contributions,
Léon A. (1971). Psychopédagogie des adultes, Mahwah, Lawrence Erlbaum.
Paris, PUF.
Malloch M., Cairns L., Evans K. et O’Connor B. (éd.)
(2011). The SAGE Handbook of Workplace
Learning. Londres, Sage.

400
Partie 3
Instrumentation
et conduite
de la formation
Introduction
Dans l’analyse des métiers de la formation, on distinguait souvent un certain nombre de « fonc-
tions » ou de « familles professionnelles », par exemple :
–– les fonctions politiques et de direction, complétées par des fonctions d’assistance dont l’impor-
tance est cruciale ;
–– les fonctions pédagogiques, qui regroupent toutes les activités d’intermédiation entre savoirs,
apprenants et institution d’appartenance, que le « face à face » soit physique ou virtuel ;
–– les fonctions commerciales et de marketing, justifiées par l’existence d’un véritable marché
de la formation qui obéit de plus en plus aux lois… du marché ;
–– les fonctions de conseil, d’autant plus nécessaires que la formation devient une activité de
plus en plus complexe, de plus en plus décentralisée, soumise à de multiples régulations, et
s’ouvrant sur des temps, des formes et des lieux de plus en plus éloignés de ce qui faisait la
fortune de stages ;
–– et enfin, les fonctions dites techniques, présentant plusieurs facettes.

Celles qui, d’une part, sont remplies par des experts des sciences, des techniques et technolo-
gies désormais indissociables des activités modernes de formation : notamment l’informatique
et le traitement de l’information, la maîtrise des activités multimédias comme celle des serious
games, des MOOC, le design, les télécommunications, la gestion des réseaux, la construction de
ressources éditoriales, la gestion de banques de données, de portails, de centres de ressources…
Et, d’autre part, les fonctions consistant principalement à concevoir, construire, mettre en œuvre
et évaluer les actions, les dispositifs et les systèmes de formation ou de professionnalisation.
Le terme générique qui les rassemble est l’ingénierie. On considère d’ailleurs comme de même
nature des opérations assez différenciées comme : l’application de la pensée de l’ingénieur et de
l’architecte à la construction et à la conduite d’outils et de supports de la formation (ingénierie
pédagogique et didactique) ; la maîtrise d’opérations qui, pour être annexes, n’en sont pas moins
essentielles, dans les champs administratif, financier, ou fiscal par exemple (ingénierie financière) ;
la recherche de mise sous contrôle des éléments du contexte susceptibles d’agir sur la formation
(ingénierie des environnements) ; et le montage de partenariats et de réseaux nationaux, européens
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

ou internationaux dont nous parlions en fin de la première partie.

Nous avons donc choisi de donner ici une place privilégiée aux opérations relevant de l’ingé-
nierie, et ce pour trois raisons : parce qu’elles se rencontrent pratiquement dans toute activité
formative, quelle qu’en soit l’échelle. Parce que tout le monde s’accorde sur leur importance. Et
parce que leur développement a profondément marqué les dernières décennies. Notamment
avec le développement des grands opérateurs mondiaux en transfert de technologie, ou l’appa-
rition de cabinets conseil, créés par des ingénieurs ayant délibérément choisi de travailler dans
la formation des adultes et dans ce que l’on commençait à nommer le « secteur quaternaire ». À

403
Traité des sciences et des techniques de la formation

travers l’ingénierie, c’est toute la question de l’instrumentation de la formation qui se trouve posée.
Les instruments existent depuis longtemps. Mais l’informatique élargit leur champ et les rend
plus performants, plus puissants, plus faciles à utiliser aussi. Les formateurs s’en servent, plus ou
moins, plus ou moins bien. On peut encore en améliorer les usages, mais cela passe d’abord par
leur maîtrise. Elle-même conditionnée par une juste perception des enjeux sous-jacents à leurs
usages. D’où les contributions de cette troisième partie du Traité.

Le texte de G. Le Boterf, en ouverture, traite de l’ingénierie de formation à l’ingénierie de


professionnalisation. Il constitue une base essentielle pour situer historiquement et technique-
ment, mais aussi psychologiquement et socialement le concept d’ingénierie de formation. Mais
aussi pour rappeler les valeurs qui l’alimentent et justifient la notion même de « professionnel
compétent ». Et pour montrer comment cette ingénierie peut glisser vers de nouvelles formes, plus
subtiles, comme l’ingénierie du développement des compétences, puis l’ingénierie des parcours
de professionnalisation à partir de la célèbre métaphore de la navigation professionnelle.

On ne saurait parler des ingénieries de formation dans les organisations au sens large sans les
resituer dans les environnements au sein desquels elles trouvent sens. D’où l’intérêt de se pencher,
avec B. Masingue, sur le pilotage des politiques de formation. Entre les différentes modalités de
la professionnalisation et de l’acquisition des compétences d’une part, les cadres législatifs et
réglementaires et les plans de formation d’autre part, les politiques de formation tiennent une
place autonome. Les façons de les concevoir, de les construire, de les conduire et de les évaluer
relève d’une démarche globale de conduite de projet qui se situe au centre de ce chapitre.

Le chapitre de G. Jobert sur l’intelligence au travail et le développement des adultes traite des
conditions de la reconnaissance et de la mobilisation des énergies liées à l’activité professionnelle.
L’exercice de la « métis », cette forme de pensée rusée, pratique, incorporée de l’intelligence dans
l’action, conduit à réexaminer le concept même de compétence au travail. Entre tâche et activité,
le travail, ce « point aveugle omniprésent » qu’il convient de distinguer de l’emploi, reste fonda-
mentalement une énigme. Alors qu’il se situe au cœur des grandes thématiques de l’intervention
pour le développement des compétences dans les organisations.

L’ingénierie didactique professionnelle est l’entrée suivante, présentée par P. Mayen, P. Olry
et P. Pastré. Ce courant d’essor récent, mais vigoureux, de recherche et d’intervention, s’est
construit par le croisement de la psychologie du développement, des sciences du travail et de la
didactique classique. Il vise la construction rationnelle d’outils de formation, comme les simu-
lateurs ; et, en retour l’usage de ces outils pour l’analyse et la conceptualisation des situations de
travail concernées. Cela conduit également à un autre regard sur les compétences et sur leur
incorporation dans l’action. La notion même de situation, sous ses multiples formes, est au cœur
de cette présentation, sous l’angle de son potentiel d’apprentissage et de développement.

404
Instrumentation et conduite de la formation ■ Partie 3

E. Bourgeois et S. Enlart, dans un chapitre inédit de cette édition, poursuivent en quelque


sorte la réflexion précédente en exposant la puissance de l’apprentissage en situation de travail.
Ils s’attachent à déchiffrer l’engouement pour cette pratique également en plein développement
dans de nombreuses entreprises, en les liant aux évolutions récentes du contexte dans lequel
elle s’inscrit. Ils décrivent ces pratiques à l’aide d’une typologie permettant de rendre compte
de leur diversité sur le terrain, puis proposent quelques balises théoriques susceptibles d’aider à
comprendre, voire à développer ces modalités d’intervention porteuses d’avenir.

Sur des prémices complémentaires, P. Carré et C. Jeunesse abordent ensuite la notion


d’ingénierie pédagogique. La « nouvelle donne » de la pédagogie des adultes, qui la voit passer
progressivement du paradigme de la transmission des savoirs à celui facilitation des apprentissages
est aujourd’hui démultipliée par l’influence massive du recours aux ressources digitales, tant dans
les activités éducatives formelles que dans la sphère informelle et privée. L’ingénierie pédagogique,
notion indissociable de celles d’innovation et de dispositif de formation, s’en trouve profondément
enrichie, et en pleine recomposition, entre visions « séquentielle » et « concourante », ressources
classiques et futuristes, format distanciel et présentiel, activités synchrones et asynchrones…

Signe des temps et analyseur de la rapidité du changement dans le recours aux ressources
digitales en formation, la première édition du présent Traité (1999) ne comportait pas de chapitre
dédié à ce thème. Sous la plume de B. Blandin, la deuxième édition (2004) parlait des « formations
ouvertes et à distance » ; la troisième (2011) du e-learning ; l’auteur nous propose aujourd’hui de
centrer le débat sur les environnements numériques. On perçoit aisément la vitalité du sujet, mais
aussi sa volatilité et la difficulté à en stabiliser le vocabulaire ou à en poser les bases conceptuelles.
Mais on voit surtout, avec cette nouvelle mouture, l’élargissement de l’horizon. La probléma-
tique de la digitalisation en formation va bien au-delà de la dimension pédagogique ; elle s’étend
à l’ensemble des dimensions de la vie et de l’activité humaines et, partant, des apprentissages
des adultes.

Autre enrichissement de la présente édition, le chapitre suivant traite de la question essen-


tielle en formation et pourtant encore peu analysée en recherche ou prise en compte dans les
pratiques et les interventions, malgré l’accord généralisé sur son importance : le transfert des
apprentissages. J.-F. Roussel nous rappelle les enjeux sous-jacents à cette évaluation des effets
des actions sur la pratique du travail en situation ; nous propose une liste de facteurs susceptibles
d’améliorer le transfert ; et ouvre des pistes de recherche d’autant plus intéressantes qu’elles sont
issues d’une culture professionnelle inspirée des très nombreux travaux du domaine déjà réalisés
outre-Atlantique.

Si l’aval de la formation et le transfert concernent avant tout les organisations et leur manage-
ment, l’amont pose évidemment la question de l’orientation professionnelle des adultes, désormais

405
Traité des sciences et des techniques de la formation

directement associée à la formation de par la loi. Il s’agit d’abord de la définition par le futur
apprenant, souvent avec une aide extérieure, d’un projet professionnel, personnel et social, sur ce
qu’il doit ou non s’approprier dans les multiples univers du savoir. Et sur ces lieux de valorisation…
C’est autour de cette question et de ses prolongements que J. Aubret a construit son chapitre,
avec une vision beaucoup plus large qui part de l’affirmation conjointe de l’indétermination du
devenir humain et de l’emprise possible de l’homme sur ce devenir. L’orientation dite éducative
caractérise les médiations de cette nature, qui se justifient à la fois par la non-capacité d’un adulte à
résoudre le problème qu’il rencontre, et par la capacité d’une aide extérieure à l’aider à progresser.

La reconnaissance et la validation des acquis, cette voie nouvelle de formation et de quali-


fication est un processus essentiel, tant il est vrai que savoir, faire savoir et faire reconnaître ce
que l’on sait constituent des actes identitaires et sociaux majeurs dont la portée s’étend sur une
vie entière. Les développements qu’il suscite peuvent être considérables. À la fois en fonction de
l’intérêt que les individus y trouvent dans une logique de certification radicalement nouvelle ;
et compte tenu des liens entre ces processus de reconnaissance et des politiques réfléchies de
gestion des ressources humaines. B. Liétard partage ici ses expériences, ses analyses et ses sources
théoriques nouvelles pour éclairer les dynamiques et les perspectives de ce phénomène devenu
majeur dans le champ de la formation comme dans le champ culturel et social.

C. Frétigné et S. Fernagu-Oudet proposent ensuite un large panorama des métiers de la forma-


tion des adultes dans un groupe professionnel particulièrement segmenté. Le cœur du chapitre
se penche sur les fonctions plurielles occupées par celles et ceux qui relèvent des métiers de
la formation. Il aborde aussi les familles d’acteurs et de professionnels qui se présentent sur le
marché de la formation, notamment celles qui relèvent de la maîtrise d’œuvre, avant d’ouvrir
quelques perspectives sur l’avenir de ces métiers en pleine mutation.

Le chapitre conclusif de cette troisième partie du Traité comble un vide des éditions précé-
dentes : qu’en est-il des recherches scientifiques sur la formation des adultes aujourd’hui (O. Las
Vergnas) ? Quels sont ses apports, ses limites, ses lignes de force et ses fragilités ? L’émergence de
« sciences de la formation » permettra-t‑elle de rendre visible et légitimer un courant vigoureux,
cohérent mais divers, de résultats de travaux empiriques, rigoureux et contrôlés, heuristiques ?
Les praticiens de la formation pourront-ils à la fois adosser leurs activités de terrain à ces résultats
et, simultanément, s’engager significativement dans la production conjointe avec les chercheurs
d’avancées « scientifiques » sur ce champ qui en a tant besoin ?

Il était logique de clore ce dernier chapitre avec un point d’interrogation, tant l’avenir est
ouvert et incertain à la fois. Avant de développer l’indispensable prospective dans la conclusion
générale de l’ouvrage…

406
Chapitre 20
De l’ingénierie
de la formation à l’ingénierie
de professionnalisation1

1. Par Guy Le Boterf.


Sommaire
1. De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie
des contextes de professionnalisation.................................................................. 410
2. De l’ingénierie séquentielle à l’ingénierie concourante......................................... 420
3. En guise de conclusion : quel avenir pour les démarches
d’ingénierie de formation et de professionnalisation ?.......................................... 423
Lectures conseillées.................................................................................................. 424
Commençons par un constat : si l’application du concept d’ingénierie aux domaines de la
formation et du développement des compétences est maintenant fréquente, il n’en était pas
de même lors des premières utilisations de ce concept au terme des années 1960. Si le concept
d’ingénierie est actuellement intégré dans les pratiques de conception des dispositifs de forma-
tion, cela n’a pas toujours été le cas. De fortes résistances se manifestèrent au moment de son
apparition dans le champ éducatif. Bon nombre de formateurs et d’administrations publiques,
notamment le ministère de l’Éducation nationale, davantage marqués par la tradition du décou-
page du savoir par disciplines et par l’influence du mouvement nord-américain des « relations
humaines » considéraient que les notions de « système » ou « d’ingénierie » relevaient d’une
démarche « technocratique ». Décrire les « métiers » de formateurs en termes de « situations
professionnelles » paraissait une aventure osée (Le Boterf, Viallet, 1976). Les temps ont bien
changé : les « bureaux d’ingénierie pédagogique » ont pris leur place dans plusieurs ministères
et les diplômes universitaires en ingénierie de la formation, du développement des compétences
et de la gestion des ressources humaines se sont multipliés depuis à l’envie…

Cette généralisation a été aussi une évolution. Comme beaucoup de concepts utilisés dans le
domaine du développement des compétences, de la formation ou de la gestion des ressources
humaines, l’ingénierie est un concept « en voie de fabrication ». Son évolution est un signe de sa
vitalité. Il témoigne de sa capacité à s’adapter à des problématiques et à des contextes nouveaux.

Ce n’est ni un hasard, ni une simple affaire de mode s’il n’est plus seulement question
aujourd’hui d’ingénierie de formation, mais aussi d’ingénierie du développement des compé-
tences. Derrière ces évolutions conceptuelles se dessinent des exigences de pratiques nouvelles
auxquelles les professionnels des ressources humaines sont confrontés. De quoi s’agit-il ?

Il peut exister plusieurs conceptions de ces ingénieries. Dans cette contribution au présent
Traité, je me limiterai à présenter la conception qui a fondé et fonde plusieurs de mes interven-
tions de conseil en France ou à l’international et que nous avons fait évoluer progressivement.

Nous distinguerons deux grandes évolutions :


© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

–– du point de vue des dispositifs à concevoir (une évolution de l’ingénierie de la formation


vers l’ingénierie des contextes de professionnalisation) ;
–– du point de vue des démarches mises en œuvre (une évolution de l’ingénierie séquentielle
vers l’ingénierie concourante).

409
Traité des sciences et des techniques de la formation

1. De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie


des contextes de professionnalisation

1.1 L’ingénierie de la formation


1.1.1 Origine et définition
La notion d’« ingénierie de la formation » apparaît en France au tout début des années 1970.
Trois facteurs y contribuent : les demandes de pays nouvellement indépendants, l’entrée des
ingénieurs dans le domaine de la formation, la législation sur la formation continue.

Concernant les pays en voie de développement, il s’agissait, peu de temps après leur indépen-
dance, de concevoir et de mettre en place des systèmes de formation professionnelle dont les
missions étaient de former dans un délai rapide des cadres moyens, des techniciens supérieurs,
des ingénieurs. Ces dispositifs devaient être performants et efficients : très fortement finalisés
sur des objectifs professionnels, il leur était demandé de fonctionner avec le meilleur rapport
coût/efficacité.

C’est dans ce contexte que sont nés de nombreux concepts et outils d’ingénierie dont la plupart
sont encore utilisés actuellement : plan masse, plan détaillé, cahier des charges, itinéraire de
formation, progression de formation, objectif opératoire, scénario de séance, unité de formation,
situation professionnelle réelle, situation professionnelle cible, situation épreuve d’évaluation,
plan d’opération… Le système d’acteurs était mis en évidence : les termes de maître d’ouvrage
et de maître d’œuvre prenaient place dans le domaine de la formation.

L’entrée des ingénieurs dans le domaine de la formation constitua un second facteur influant.
L’influence de Bertrand Schwartz qui avait procédé à une importante réforme de l’École des
Mines de Nancy et qui avait créé le Cuces a été déterminante. Le cabinet Quaternaire Éducation
créé par Pierre Caspar et François Viallet en 1970 et que nous avions rejoint joua un rôle de
premier plan dans la définition et la promotion opérationnelle de ce concept. Le souci de la
rigueur et de l’efficacité prenait le pas sur les approches psychosociologiques très répandues
dans les années 1960.

Il devint courant, dans les cabinets de conseil et de formation, de se présenter comme « ingé-
nieur de formation ». Le terme de « consultant » était moins fréquent que maintenant.

La mise en place d’une législation sur la formation continue en 1971 constitue le troisième
facteur explicatif. La contribution obligatoire des entreprises allait entraîner la nécessité de
concevoir des dispositifs et des plans de formation efficaces au niveau des organisations.

410
De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation ■ Chapitre 20

Cette première approche de l’ingénierie de la formation était largement inspirée de celle à


l’œuvre dans les grands projets industriels. L’influence des pratiques d’ingénierie dans le secteur
du bâtiment et des travaux publics y était fréquente. La démarche d’ingénierie était finalisée
sur la production d’un « ouvrage » sur mesure. Avec la même démarche d’ingénierie, il devenait
possible de concevoir des dispositifs distincts (instituts, écoles, centres de formation), adaptés à
des contextes variés. L’ingénierie de la formation pouvait alors être définie comme « l’ensemble
coordonné des activités de conception d’un dispositif de formation (centre de formation, plan de
formation, centre de ressources éducatives…) en vue d’optimiser l’investissement qu’il constitue
et d’assurer les conditions de sa viabilité » (Le Boterf, 1985a).

Cette ingénierie aboutit à concevoir des dispositifs de formation ayant les caractéristiques
suivantes :
–– Ils sont conçus pour gérer des flux (cohortes, promotions). Ce sont des groupes entiers de
« formés » qu’il s’agit de conduire vers l’atteinte de mêmes objectifs.
–– Le programme est au centre du dispositif. S’agissant d’une gestion des flux, il prend natu-
rellement la forme d’un cursus identique pour tous. Chacun devra « passer » par les mêmes
modules ou unités de formation. Le dispositif doit fonctionner selon une logique d’enchaî-
nement de cours ou d’unités de formation. La « trajectoire » d’une promotion est tracée à
l’avance Chacun est censé apprendre au même rythme. L’ingénierie doit savoir prendre en
compte le temps normalement nécessaire pour atteindre tel objectif.
–– L’aspect « normatif » de cette ingénierie a permis et permet encore de construire des dispo-
sitifs efficaces et efficients de formation pour répondre à des besoins quantitativement
importants.

Centrée sur la conception de dispositifs, cette ingénierie s’est peu à peu différenciée.
Progressivement ont été distingués :

–– Les objets sur lesquels s’applique la démarche d’ingénierie, à savoir :


• l’ingénierie des dispositifs de formation qui aboutit à des cahiers de charges décrivant les
résultats et les caractéristiques attendus du dispositif à concevoir ;
• l’ingénierie pédagogique qui est du ressort des prestataires de formation et qui définit les
objectifs pédagogiques, les progressions, les moyens et les modalités d’apprentissage pour
les atteindre ; c’est à ce niveau que la mise en œuvre des connaissances des processus
d’apprentissage mis en œuvre par les adultes trouve toute son utilité.

–– L’amplitude du champ sur lequel s’exerce l’ingénierie. Sont alors distinguées :


• l’ingénierie des macro-dispositifs de formation ;
• l’ingénierie des micro-dispositifs de formation.

411
Traité des sciences et des techniques de la formation

Le tableau 20.1 ci-dessous visualise ces distinctions :

Tableau 20.1 - Typologie des ingénieries de formation

Ingénierie Ingénierie
Champ/Objet
des macrodispositifs des microdispositifs

Ingénierie d’un dispositif de formation Ex. : conception d’un(e) : Ex. : cahier des charges d’un(e) :
– Institut ; – Action de formation ;
– École ; – Module.
– Plan de formation ;
– Cursus universitaire.

Ingénierie pédagogique Ex. :


– Programme pédagogique
correspondant au cahier des
charges d’une action de formation.
– Conception d’une situation
d’apprentissage.

(Source : Le Boterf Conseiling 100)

Les principes directeurs


La mise en œuvre d’une telle démarche implique l’adoption d’un ensemble de principes
directeurs (Viallet, 1987). Parmi les principaux, on peut relever les suivants :
–– La finalisation sur la conception et la réalisation d’un « dispositif » de formation. La demande
d’ingénierie peut être plus ou moins précise. De toute façon, il conviendra toujours de
rechercher les informations qui permettront de proposer au commanditaire une description
du dispositif à concevoir (école, centre de formation, dispositif de formation à distance, plan
de formation, cycle de perfectionnement…).
–– La maîtrise d’une large gamme d’informations (techniques, sociales, culturelles, pédagogiques,
professionnelles…) nécessaires aux activités de conception, d’étude et de réalisation ;
–– La mise en contexte des problèmes à traiter et la réalisation d’études de faisabilité. La fiabilité
ou la viabilité d’un « dispositif » à concevoir est fonction du contexte où il s’insère. Des études
de faisabilité et d’impacts seront nécessaires. Elles porteront en particulier sur :
• l’estimation des marges de manœuvre possibles par rapport au contexte (social, écono-
mique, politique…) dans lequel se situe le système de formation. L’analyse du contexte
doit chaque fois être actualisée ;
• l’analyse des coûts et des implications des projets ou des opérations à réaliser, de telle
sorte que leur fonctionnement ou leur extension reste compatible avec les capacités de
financement, d’endettement et de prise en charge des collectivités ou des organisations
concernées.

412
De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation ■ Chapitre 20

• l’identification des conditions nécessaires au suivi et au développement des projets envisagés


(formation de formateurs, dispositif d’appui, plan de communication, soutien matériel ou
financier…) ;
• l’optimisation de l’investissement en formation, par la réduction des délais de conception,
par les économies sur les frais de fonctionnement des dispositifs mis en place et par l’adop-
tion de technologies et de modalités éducatives plus performantes ;
• la mise en œuvre de démarches d’anticipation visant à rendre plausible un résultat
souhaitable ;
• l’application d’un ensemble de critères inspirés des pratiques d’audit des systèmes de forma-
tion (Le Boterf, 1988b).
–– Les critères de pertinence. Ils visent à s’assurer que la conception générale et les objectifs du
dispositif répondent bien aux problèmes à résoudre ou aux besoins à satisfaire.
–– Les critères de cohérence. Ils permettent de vérifier le degré d’adéquation entre les divers
éléments du dispositif (objectifs, moyens, règles de fonctionnement, programmes, logistique).
–– Les critères de conformité. Ils s’attachent à s’assurer que le dispositif à concevoir respecte
les normes en vigueur : règlements, conventions, dispositions légales…
–– Les critères d’efficacité. Ils servent à vérifier que toutes les conditions ont bien été réunies
pour l’obtention des résultats souhaités.
–– Les critères d’efficience. Ils sont appliqués pour veiller à ce que les résultats puissent être
atteints avec une utilisation optimum de moyens (humains, financiers, matériels). Ils s’at-
tachent à obtenir un bon rapport coût/efficacité.
–– Les critères de synchronisation Ils permettent de s’assurer que le dispositif atteindra ses
objectifs ou fournira les services attendus en temps opportun.
–– Les critères d’adhésion. Ils permettront de veiller à ce que les acteurs concernés par le
dispositif de formation (apprenants, entourage familial ou social, formateurs, prescripteurs,
spécialistes pédagogiques) se l’approprient et s’y engagent.

1.2 L’ingénierie des contextes de professionnalisation


Depuis la fin des années 1980, une tendance s’est peu à peu dégagée dans les entreprises
et les organisations : l’ingénierie de la formation a vu sa place progressivement relativisée par
rapport à une approche plus large de l’ingénierie du développement des compétences. Une telle
évolution a pris de l’importance depuis les années 2000 et s’est centrée progressivement sur des
objectifs de professionnalisation.

Un tel contexte nous a conduits à définir, distinguer et mettre en œuvre trois grandes pratiques
d’ingénierie qui se rattachent à ce que nous avons appelé une « ingénierie de contextes » par
différence à une « ingénierie de programmes » :

413
Traité des sciences et des techniques de la formation

–– l’ingénierie des dispositifs de parcours personnalisés de professionnalisation ;


–– l’ingénierie d’une organisation développant et mettant en œuvre le professionnalisme ;
–– l’ingénierie d’un territoire apprenant et innovant.

Elles se caractérisent toutes les trois par le fait d’être des « ingénieries de contextes ».

1.2.1 L
 ’ingénierie des parcours personnalisés
de professionnalisation

Les facteurs explicatifs


Plusieurs facteurs explicatifs sont à l’origine de cette évolution :
–– La place de premier plan accordée aux compétences dans les préoccupations des entre-
prises et des individus. Une convergence d’intérêt se manifeste à leur égard : les
directions opérationnelles reconnaissent davantage que par le passé que la compé-
tence, si elle a l’environnement favorable pour être mise en œuvre, peut être une
ressource importante dans l’obtention de la performance et d’un avantage compétitif.
Pour faire face aux exigences croissantes de qualité, de réactivité et d’innovation, les procédures
ne suffisent plus et peuvent même, si elles sont portées à l’excès, devenir contre-productives. Il
faut faire confiance aux acteurs de l’entreprise, aux salariés et non seulement aux cadres : cela
suppose que l’on puisse compter sur leur professionnalisme. Face à des événements imprévus,
face à l’inédit qui ne peut jamais être éliminé, ils devront élaborer et mettre en œuvre des
réponses appropriées, faire de choix, prendre des initiatives pertinentes, décider, arbitrer.
Mais la compétence n’est pas seulement la préoccupation des employeurs. Elle est égale-
ment recherchée par les individus. Dans un contexte économique difficile où l’emploi stable
devient incertain, posséder un portefeuille de compétences et pouvoir en faire état devient
un atout non négligeable, même s’il n’est malheureusement pas suffisant. Le capital de
compétences devient nécessaire pour gérer au mieux sa mobilité professionnelle et son
« employabilité ». La sécurisation des parcours professionnels est à l’ordre du jour.
–– L’accent mis sur le développement de l’individualisation. L’importance donnée à la validation
des acquis professionnels puis aux acquis de l’expérience en est une illustration. Les travaux
menés par divers chercheurs (G. Pineau, G. Jobert, P. Dominicé) sur les histoires de vie y
contribuent largement. Le développement des recherches et pratiques sur l’autoformation
(Carré, 2002) a largement contribué à faire considérer l’apprenant comme « acteur » de ses
projets de formation et de développement professionnel, et disposant de ressources person-
nelles (connaissances, savoir-faire, attitudes, capacités cognitives) qui lui sont propres et qu’il
peut mobiliser à cet effet. Dans des entreprises de plus en plus nombreuses, les entretiens
annuels doivent déboucher sur des projets individualisés de développement de compétences.
–– Le développement des formations par alternance. Il devient l­argement admis que les situa-
tions de travail, dans un parcours de formation, peuvent constituer des situations contribuant

414
De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation ■ Chapitre 20

à la professionnalisation. Les dispositifs de formation par alternance ne concernent plus


seulement les formations en Centre de formation et d’apprentissage (CFA) d’opérateurs
ou d’artisans mais également les formations supérieures : écoles d’ingénieurs, universités,
grandes écoles de gestion…
–– L’importance croissante donnée à la professionnalisation. On ne peut professionnaliser les
personnes : seules celles-ci peuvent se professionnaliser si elles en ont la motivation et le
pouvoir, et si elles trouvent un contexte favorable pour s’engager dans une telle entreprise.
Cette évolution n’est pas seulement une affaire de mode ou une coquetterie de vocabulaire
Elle traduit un réel changement d’attitude et de façon de raisonner : le développement
des compétences des professionnels n’est plus seulement considéré comme relevant de la
formation, mais comme résultant de parcours individualisés incluant le passage par des
opportunités diverses de professionnalisation. S’engager dans la réalisation d’un projet
transversal innovant, réaliser une nouvelle mission professionnelle, contribuer à un atelier
d’échanges de pratiques, participer à des dispositifs d’analyse de retours d’expériences,
alterner la prise de responsabilité en unités opérationnelles et en service fonctionnel
central, rédiger un article pour une revue spécialisée, travailler avec un consultant interne
ou externe…, autant de situations qui peuvent être des opportunités pour développer son
professionnalisme.
–– Les exigences croissantes de compétences collectives. Il apparaît de plus en plus clairement
que la performance d’une organisation ne peut résulter de la simple addition de compé-
tences individuelles ou d’une seule juxtaposition de professionnels compétents mais de la
qualité de leur coopération. Il est évident qu’il ne peut y avoir de compétences collectives
sans compétences individuelles mais il apparaît également clairement qu’il ne peut y avoir
de compétences individuelles sans compétences collectives (Le Boterf, 2000c, 2015).

L’ingénierie des dispositifs de parcours personnalisés


de professionnalisation
Les évolutions qui viennent d’être évoquées nous ont conduits à concevoir une ingénierie de
dispositif de parcours personnalisés de professionnalisation.

Ses principales caractéristiques font qu’il s’agit en particulier :


–– D’une « ingénierie de contexte » et non plus d’une ingénierie de programme. La profession-
nalisation suppose en effet l’organisation d’un contexte ou d’un environnement favorable à
la réalisation de parcours de professionnalisation.
–– D’une ingénierie qui prévoit une offre diversifiée de situations d’apprentissage pour qu’une
population donnée (commerciaux, managers, techniciens de maintenance, infirmiers…)
progresse vers une cible de professionnalisation. Cette offre modulaire de situations variées
d’apprentissage peut comporter des situations de formation (cours magistraux, cours inversés,
MOOC, ateliers pratiques, séminaires, autoformation avec ou sans e-learning, voyages d’étude,

415
Traité des sciences et des techniques de la formation

échanges de pratiques, situations simulées), des situations de travail organisées pour être
professionnalisantes (accompagnement et retours constructifs sur le travail réalisé, suivi des
essais réalisés par les constructeurs, participation à un projet opérationnel transversal, prise
en charge d’une nouvelle mission, rotation sur plusieurs postes de travail) et éventuellement
des situations extraprofessionnelles (responsabilités exercées dans une association, activités
d’accompagnement de projets culturels, secourisme, engagement dans un projet humanitaire).
C’est dans cette perspective que j’ai été conduit à créer et mettre en œuvre une modélisation
de cette approche et un outil digital en termes de « navigation professionnelle » (Le Boterf,
1997d, 2016). Elle consiste à considérer que les parcours de professionnalisation peuvent être
conçus et réalisés avec la même logique que ceux qui sont à l’œuvre dans la conception et la
réalisation des parcours de navigation (maritime ou aérienne).
–– D’une ingénierie veillant à réunir les conditions nécessaires à une coopération efficace entre
les acteurs sur un parcours professionnalisant.

Les dispositifs inducteurs de parcours personnalisés de professionnalisation ne peuvent


fonctionner efficacement que si les divers acteurs qui y interviennent (formateurs, managers
de proximité, tuteurs, experts…) coopèrent entre eux. Mais l’expérience a souvent montré la
fragilité de ce lien. La coopération est toujours prête à disparaître au profit d’un retour vers un
système d’acteurs se limitant à additionner leurs rôles et leurs contributions. Des fonctions de
coordination et des outils de traçabilité doivent être mis en place pour qu’un véritable « travail
d’articulation » puisse exister entre les acteurs. Dans un dispositif de professionnalisation par
alternance, les apprenants ont à réaliser des parcours qui constituent des « trajectoires » indi-
vidualisées d’apprentissage. Une telle alternance les fait passer « entre plusieurs mains » ou
plusieurs acteurs. Il ne suffit pas alors que chacun d’entre ces derniers joue son rôle dans le
domaine ou la spécialité qui le concerne, encore faut-il qu’il coopère avec les autres pour que
les apprentissages se construisent de façon cohérente et prennent du sens.

1.2.2 L’ingénierie d’une organisation développant


et mettant en œuvre le professionnalisme
Ce que recherchent les clients, des patients, les employeurs ce n’est pas seulement de disposer
de professionnels compétents mais de pouvoir compter sur des professionnels qui mettent en
œuvre leur professionnalisme.

C’est en référence à ce constat que nous avons mis au point un modèle d’ingénierie inspiré
de la métaphore du « management jardinier ». Pour faire croître les plantes, un jardinier ne tire
pas dessus ! Il va créer une « écologie » (terreau, irrigation, engrais, ensoleillement, tuteurs…) qui
maximise la probabilité que les plantes croissent. Il nous est progressivement apparu comme
nécessaire de concevoir une ingénierie dont l’objet est de créer un environnement qui maximise
la probabilité que les membres du personnel d’une organisation non seulement sachent agir en

416
De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation ■ Chapitre 20

professionnels compétents mais, de fait, agissent de telle sorte. Il ne s’agit donc pas seulement
de réunir les conditions favorables au développement du professionnalisme mais également à
sa mise en œuvre.

Il s’agit là d’un raisonnement probabiliste et non pas déterministe. Plus cet environnement
comportera un ensemble cohérent de conditions favorables, plus la probabilité de réussite sera
élevée. Plus sera faible ou inexistante cette cohérence, plus le risque d’échec sera grand, plus les
risques d’échecs seront probables.

Un tel raisonnement probabiliste peut s’appliquer à divers champs possibles. Il peut s’agir
des conditions à réunir :
–– pour que les professionnels agissent en professionnels compétents en qui on peut avoir
confiance ;
–– pour que les membres d’un collectif de travail (service, atelier, projet, processus) coopèrent
de façon performante ;
–– pour que les acteurs d’un réseau de professionnels travaillent efficacement en réseau ;
–– pour que les salariés d’une organisation ou d’une entreprise développent et mettent en
œuvre leur professionnalisme.

Cette conception d’un contexte peut exister à deux niveaux :


–– Au niveau local des équipes de travail (atelier, service, processus, projet…). Le modèle
propose de prendre des décisions cohérentes concernant les conditions à réunir sur trois
pôles (Le Boterf, 2000c, 2015) :
• Les conditions développant le savoir agir et interagir en situation. Elles peuvent concerner
la formation présentielle, l’e-learning, l’autoformation assistée, les retours d’expérience, les
mises en situation de travail professionnalisantes, la mutualisation des pratiques profes-
sionnelles, l’entraînement au travail collaboratif, la mise en évidence des exigences de
coopération, le traitement des compétences collectives…
• Les conditions favorisant vouloir agir et interagir en situation. Elles se réfèrent à ce qui est
communément appelé la motivation. Ces décisions concernent beaucoup le style et les
modalités de management : recherche d’adhésion au niveau non seulement des objectifs à
atteindre mais également des enjeux qui les fondent, management fondé sur la confiance
et la reconnaissance des avancées individuelles et collectives, facilitation de relations de
solidarité et de convivialité, concertation non seulement sur la qualité de vie au travail
mais aussi sur la qualité du travail…
• Les conditions rendant possible le pouvoir agir et interagir en situation. Elles ont trait à la clarté
des lettres de mission, à l’organisation du travail, à la composition des équipes, à la délimitation
des périmètres de responsabilité, aux processus de délégation, à la pertinence et à la qualité des
équipements, l’organisation de la relève, la composition des équipes.

417
Traité des sciences et des techniques de la formation

La figure 20.1 en donne une visualisation.

Figure 20.1 – Construire les compétences individuelles et collectives

–– Au niveau de l’ensemble d’une entreprise ou d’une organisation. Il s’agit là encore de l’ingé-


nierie d’un contexte, mais se situant cette fois-ci au niveau non plus d’une unité de travail
(service, atelier…) mais d’une organisation dans son ensemble (site industriel, centre hospi-
talier, collectivité territoriale, agence publique…). Il ne sera pas question de créer un autre
dispositif qui viendrait s’ajouter à ceux qui existent mais plutôt de concevoir et de faire
fonctionner ce que nous avons appelé un « schéma directeur de développement et de mise en
œuvre du professionnalisme ». Un tel schéma identifiera et mettre sous contrôle un ensemble
cohérent de décisions (management, évaluation des performances, entretiens profession-
nels, organisation du travail, dispositif d’information, recrutement, formation, règles de
mobilité, traitement des espaces…) pour maximiser la probabilité que les professionnels
de l’organisation (entreprise, hôpital, collectivité territoriale.) non seulement développent
leur professionnalisme mais agissent avec performance et compétence dans les situations
qu’ils ont et auront à traiter.

418
De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation ■ Chapitre 20

1.2.3 L’ingénierie d’un territoire apprenant et innovant


Il s’agit là d’un troisième type d’ingénierie de contextes. Depuis les années 1980 sous l’impul-
sion en particulier de l’Unesco et de l’OCDE le concept de villes ou de régions apprenantes et
innovantes a commencé à circuler et à inspirer diverses politiques de villes ou de régions.

Il faut bien constater qu’il existe encore une distance importante entre l’évocation du concept
et celui de son opérationnalisation. C’est à partir de ce constat qu’il nous est apparu important
de contribuer à développer ce que pourrait être une « ingénierie d’un territoire apprenant et
innovant ».

Un territoire apprenant peut exister à diverses échelles ; il peut s’agir d’une région, d’une
ville, d’une communauté d’agglomération, etc. De notre point de vue, un territoire peut être
qualifié d’apprenant et d’innovant s’il réunit les conditions favorisant une variété d’apprentis-
sages individuels et collectifs et d’innovations convergeant vers la réalisation d’un projet ou de
divers projets de développement durable et compétitif.

Le défi est ici de créer un environnement qui favorise une dynamique territoriale d’appren-
tissages et d’innovations convergentes et cohérentes entre elles. C’est par rapport à ce défi que
le concept d’ingénierie de contexte prend toute sa pertinence : créer un environnement, réunir
un ensemble de conditions favorables, c’est bien créer un contexte incitatif pour un d’ensemble
d’acteurs devant travailler de façon efficace et efficiente en réseau sur un territoire donné (Le
Boterf, 2007f)

C’est dans cette perspective que nous avons développé une méthode d’ingénierie visant à
réunir de façon cohérente un ensemble de conditions facilitant le travail en réseau pour :
–– donner une visibilité aux enjeux et objectifs territoriaux poursuivis ;
–– créer une dynamique d’apprentissages variés à effectuer ;
–– donner accès à l’information sur les opportunités d’apprentissage et d’accompagnement ;
–– créer des savoirs interdisciplinaires et combiner des compétences nécessaires pour des
projets innovants ;
–– mettre en synergie les fonctions de conseil et d’accompagnement ;
–– impliquer les diverses institutions et organisations de formation initiale et continue.

419
Traité des sciences et des techniques de la formation

2. De l’ingénierie séquentielle à l’ingénierie concourante

2.1 L’ingénierie séquentielle


L’ingénierie « séquentielle » va de pair avec l’ingénierie « classique » de la formation. Elle
consiste en effet à suivre de façon linéaire un ensemble d’étapes successives pour produire un
ouvrage ou un dispositif.

Dans cette démarche, les diverses étapes sont balisées et planifiées : cahier des charges de la
demande, cahier des charges de la formation, dossiers pédagogiques, scénarios de séance de
formation. Des rôles stables et successifs sont attribués au maître d’ouvrage, au maître d’œuvre
et aux opérateurs ou prestataires. Comme dans une course de relais, chaque acteur passe le
témoin à l’acteur qui doit prendre sa suite dans la chaîne de confection d’un dispositif.

Pour être pertinente et efficace, une telle ingénierie suppose un contexte relativement stable :
croissance régulière et assurée de l’économie (ce qui était le cas lors de la période dite des
« Trente Glorieuses »), une relation quasi mécanique entre la formation et l’emploi (cela corres-
pondait aux thèses de Fourastié dans les années 1960), la possibilité d’un certain « contrôle »
par le maître d’œuvre sur les acteurs de la formation qui partagent une même « logique » de
formation (ce qui existe dans les dispositifs de formation sans alternance).

L’ingénierie séquentielle fonctionne bien dans un milieu « protégé » et stable.

Cette ingénierie suppose également une claire distinction entre les acteurs, notamment en ce
qui concerne le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre. Le premier est censé définir avec préci-
sion le problème à traiter. Il est supposé savoir exactement ce qu’il veut et fournir toutes les
informations nécessaires au maître d’œuvre. À ce dernier revient la recherche d’une solution
sur la base d’un énoncé de problème délimité une fois pour toutes. Les rôles sont clairs et ne
souffrent pas d’ambiguïté : l’un demande et l’autre fournit la réponse. L’un se situe en amont,
l’autre se positionne en aval. La chronologie de leurs interventions respectives est nécessairement
séquentielle : le maître d’œuvre prend le relais du maître d’ouvrage. Les prestataires n’intervien-
dront qu’au terme du processus

420
De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation ■ Chapitre 20

2.2 L’ingénierie concourante


2.2.1 Les facteurs explicatifs
L’ingénierie industrielle a été amenée elle-même à évoluer. Le début des années 1990 a
vu émerger une nouvelle approche de l’ingénierie orientée sur la recherche d’une meilleure
compétitivité des processus de conception industrielle. Le concept d’ingénierie « concou-
rante » ou d’ingénierie « simultanée » tente d’en rendre compte. Cette approche consiste à ne
plus raisonner en termes de déroulement séquentiel d’un projet. Ce qui est recherché, c’est la
contribution simultanée et interactive des acteurs et des métiers qui « concourent » à la réali-
sation du processus de conception. L’interaction continue doit permettre de réduire les coûts
et de traiter à temps les conflits en intégrant les contraintes et critères spécifiques aux divers
métiers. L’ingénierie simultanée vise à réduire ainsi les cycles de développement d’un produit
et à faire face aux exigences croissantes de réduction des délais. Être compétitif ce n’est plus
seulement produire davantage, vite et au moindre coût, mais concevoir et innover plus vite que
les autres. C’est en trouvant progressivement des solutions, en les capitalisant et en les diffusant
que l’entreprise et les métiers qui concourent à l’ingénierie simultanée développent un processus
« d’apprentissage organisationnel ».

Les contextes qui étaient favorables à une ingénierie séquentielle en formation tendent à se faire
rares. « L’introuvable relation emploi-formation » a remis en cause une certaine conception de la
gestion prévisionnelle des emplois et des compétences où avaient été confondus anticipation et
prédiction ; l’environnement des entreprises et des organisations devient de plus en plus incertain ;
les aléas se multiplient même sur les processus les plus automatisés ; la gestion de la complexité
pose des limites aux procédures ; les dispositifs de formation en alternance sont riches d’effets de
professionnalisation mais fragiles par les exigences qu’ils impliquent : lorsque les apprenants sont
dans des situations de travail professionnalisantes, les managers et les tuteurs qui les accueillent
doivent conjuguer trois logiques, chacune d’entre elles étant légitime, mais souvent en tension les
unes avec les autres : celle de la productivité, celle de la garantie de qualité au client et celle de la
professionnalisation. Il n’est pas rare que cette dernière soit sacrifiée au profit des deux premières.
On est loin du contexte « protégé » des dispositifs de formation.

Les projets territoriaux de formation et de développement des compétences constituent


un bon exemple des limites de l’ingénierie séquentielle. C’est le cas des projets de territoires
apprenants qui s’inscrivent dans des environnements caractérisés par leur complexité et leur
instabilité. De multiples acteurs et facteurs entrent en jeu. Chaque institution tend à fonctionner
selon sa logique particulière et ses propres segmentations de publics « bénéficiaires ». Toute
action ou projet transversal se trouve aux prises avec cette hétérogénéité de critères, de rythmes,
de priorités. Des compromis doivent être sans cesse trouvés, aménagés et adoptés. Dans de tels
contextes, il n’est pas possible de disposer en l’amont, dès la phase de conception initiale, de

421
Traité des sciences et des techniques de la formation

toutes les informations nécessaires. Il devient vite inopérant de vouloir conduire de tels projets
selon un mode strictement séquentiel. Une ingénierie d’un territoire apprenant doit nécessai-
rement être concourante. Elle est particulièrement requise pour faire fonctionner un « système
d’acteurs » dans la perspective d’un projet commun de territoire apprenant et innovant.

Une autre évolution du contexte est à prendre en compte : l’absence au départ de repré-
sentation claire du dispositif à concevoir. Le problème à résoudre n’est pas nécessairement
bien formulé au départ par le maître d’ouvrage. La situation de départ est bien souvent floue.
Ce n’est que progressivement, au fur et à mesure du processus d’ingénierie, que le problème
à traiter et que le dispositif à concevoir se préciseront.

2.2.2 L’ingénierie concourante


Dans une ingénierie concourante (Midler, 1997, 2012) :
–– L’avancée n’est plus séquentielle mais s’effectue par compromis progressifs entre les acteurs
et les métiers. Le projet est réélaboré ou ajusté à intervalles réguliers. Il avance par correc-
tions successives et par paliers. Les revues de projets et les décisions fortes lors de certaines
étapes du projet jouent un rôle important. Ce sont de plus en plus des boucles d’itérations
qu’il convient de mettre en place et de faire fonctionner : elles permettront de mettre en
œuvre un copilotage s’attachant à créer de façon continue de la convergence et de la cohé-
rence entre les acteurs engagés dans le processus d’ingénierie.
–– Un rôle essentiel est confié au chef de projet. Il conduit une équipe où s’élaborent des repré-
sentations partagées du projet, où se règlent les conflits et où les compromis sont négociés.
« Cheville ouvrière » du projet, il est le garant du maintien de sa cohérence au cours de son
évolution. Il doit avoir non seulement les compétences requises pour piloter le projet mais
aussi un « statut » ou un « positionnement » qui lui confère un pouvoir suffisant. Il est souvent
important qu’il puisse prendre appui sur un comité de pilotage pour aboutir à des arbitrages.
–– Une capitalisation progressive de l’expérience du processus d’ingénierie se fait « chemin
faisant », progressivement.
–– Le concept de pilotage prédomine sur celui de contrôle : il s’agit moins de contrôler le réalisé
par rapport au prévu que de s’assurer que les décisions présentées préparent bien l’avenir.
–– La distinction traditionnelle entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre tend à être remise
en cause. Il devient en effet de plus en plus difficile de séparer strictement les processus de
formulation d’un problème de ceux de sa résolution. Ces fonctions évoluent dans le temps
et nécessitent une forte coopération entre le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et les
prestataires ou opérateurs.
–– La constitution et le fonctionnement d’équipes de projets contribuant au processus d’ingé-
nierie s’imposent. Ces équipes pluriprofessionnelles travailleront sur le mode « plateau »
sous l’animation d’un pilote. La composition de ces équipes sera à géométrie variable en
fonction des exigences liées à l’évolution du projet. Il pourra s’agir d’équipes projet liées à

422
De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation ■ Chapitre 20

des processus récurrents ou à des projets éphémères. Ces équipes auront à construire des
représentations partagées du projet et de ses résultats en termes de compétences. Elles
auront à s’inscrire dans le cadre de la cohérence définie au niveau central mais en leur lais-
sant d’importantes marges de manœuvre pour s’adapter au mieux aux exigences du terrain.

Dans cette « ingénierie simultanée » l’avancée du projet ressemble davantage, pour reprendre
la métaphore de Christophe Midler, à la descente d’une ligne de rugby qu’à une course de
relais.

3. En guise de conclusion : quel avenir pour les démarches


d’ingénierie de formation et de professionnalisation ?

Depuis leur entrée dans le champ de la formation à la fin des années 1960, les pratiques
d’ingénierie ont donc considérablement évolué : les raisonnements en termes de développe-
ment de compétences et de professionnalisation ont profondément transformé leurs objets et
l’évolution de leurs contextes d’application a modifié sensiblement leurs démarches. Faut-il
en déduire que l’ingénierie classique de la formation ou que les démarches séquentielles sont
à ranger au musée des accessoires ?

Une telle conclusion serait trop hâtive et contestable. Les divers types d’ingénierie qui ont
été présentés précédemment ne sont pas pertinents « en soi » mais par rapport à la particularité
de problèmes à traiter et de contextes à prendre en compte.

Mais, plus généralement, le concept même d’ingénierie appliquée aux projets de forma-
tion ou de professionnalisation a-t‑il de l’avenir ? C’est possible mais non pas certain. Autour
des années 2015, le terme même d’ingénierie semble moins utilisé dans les entreprises et les
organisations. Peut-être évoque-t‑il trop souvent, mais à tort, un processus lourd, coûteux et
finalisé sur des dispositifs obsolètes par rapport aux possibilités des nouvelles technologies
numériques ou digitales.

Les défis à relever vont de plus en plus être ceux de la conception plutôt que ceux de la
fabrication. Le concept d’ingénierie évolue comme celui d’ingénieur. Ce qui est visé dans les
écoles d’ingénieurs, en France et à l’international, c’est de préparer les étudiants à être des
concepteurs pour pouvoir faire face aux défis accrus de l’innovation. Ceux que l’on a appelé
les ingénieurs en formation puis les consultants doivent déjà maintenant aussi devenir des
concepteurs.

423
Traité des sciences et des techniques de la formation

Peu importe le vocabulaire, ce dont les entreprises, les organisations et les territoires auront
besoin dans le domaine de la professionnalisation, c’est de démarches pour concevoir de façon
innovante des contextes favorisant son développement et sa mise en œuvre. Ne s’agit-il pas
d’ingénierie ?

Lectures conseillées
Carré Ph. (2002). L’apprenance. Vers un nouveau professionnalisation, Paris, Eyrolles, 7e éd.
rapport au savoir, Paris, Dunod. augmentée 2016
Le Boterf G. et Viallet F. (1976). Métiers des forma- Le Boterf G. (2004e). Travailler en réseau et en
teurs, Paris, Éditions de l’EPI. partenariat. Comment en faire une compé-
Le Boterf G. (1985a). « L’ingénierie du dévelop- tence collective, Paris, Eyrolles, 3 e éd.
pement des ressources humaines ; de quoi augmentée 2013.
s’agit-il ? », Éducation permanente, n° 81. L e B oterf G. (2007f). « Dall’ ingenieria de la
Le Boterf G. (1988b). « Qu’entend-on par audit de formazione all’ ingegneria di un territorio
formation ? », Éducation permanente, n° 96. appredente : l’ideazione di contesti di appren-
dimento », in La Crisis dei confini. Verso un’
Le Boterf G. (2000c). Construire les compétences
ingeniera dell svilupporegionale, Milan,
individuelles et collectives, Paris, Eyrolles,
FrancoAngeli.
7e éd. augmentée 2015.
Midler Ch. (2014). L’auto qui n’existait pas, Paris,
L e B o t e r f G. (1997d). Professionnaliser.
Dunod.
Construire des parcours personnalisés de
Viallet F. (1987). L’ingénierie de la formation,
Paris, Éditions d’Organisation.

424
Chapitre 21
Pilotage des politiques
de formation1

1. Par Bernard Masingue. L’ambition de ce chapitre ne se situe pas dans un champ théorique ou conceptuel.
Il a été rédigé sur la base de l’expérience professionnelle de l’auteur comme formateur puis consultant, DRH,
directeur de la formation dans un grand groupe international et enfin partenaire d’Entreprise et Personnel, en
particulier sur les dossiers de la formation professionnelle.
Sommaire
1. Les finalités d’une politique de formation............................................................. 428
2. Les instances de prescription et d’évaluation....................................................... 428
3. Les quatre prescripteurs de la formation.............................................................. 430
4. Comment piloter une politique de formation ?....................................................... 434
5. Enjeux et prospective du pilotage de la formation................................................ 441
6. Conclusions........................................................................................................... 447
Lectures conseillées.................................................................................................. 447
La définition et les mises en œuvre des politiques de formation dans les organisations qu’elles
soient une entreprise, un service public ou une association se trouvent dans une situation
contrastée.

En effet, on sait que la formation n’est qu’une des modalités de la professionnalisation et de


l’acquisition des compétences. Mais on sait aussi que le cadre législatif et réglementaire et les
coutumes qu’il a contribué à construire imposent aux organisations de donner à leur politique
de formation une place autonome et obligatoire (la formation est un droit pour le salarié et
une obligation légale pour l’employeur). Cela se manifeste en particulier par la nécessité pour
l’employeur quand ses effectifs sont supérieurs à 50, de devoir présenter « un plan annuel de
formation », élément structurant et quelquefois unique du dialogue social en matière de quali-
fication et de développement de compétences.

Pour maîtriser cette complexité, dépasser les coutumes qui méritent de l’être, donner des
orientations et définir les moyens de leur politique, les décideurs doivent savoir se prononcer
sur plusieurs questions. Car si les besoins de professionnalisation et donc de compétences ne
sont, dans l’idéal, jamais totalement satisfaits, les ressources pour les acquérir ou les développer
sont, elles, toujours limitées. La question est donc de savoir ce qu’il convient de privilégier et
renvoie à des interrogations stratégiques :
–– Qui est habilité, et dans quel champ, à donner à l’organisation des objectifs de compétences
et ensuite de formation et à les hiérarchiser ?
–– À qui revient la fonction d’arbitrage pour décider ce qui sera prioritaire et ce qui le sera
moins ?
–– Qui est habilité, en expertise et en statut, pour dire, dans l’acquisition des compé-
tences, ce qui relève du champ de la formation et ce qui relève des autres moyens de
professionnalisation ?
–– Qui est le responsable de l’optimisation des ressources (en euros et en heures) investies
dans des actions de formation ?
–– Qui est en capacité institutionnelle et technique de passer des commandes pertinentes et
contrôlables aux producteurs de formation ?
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

–– Qui, enfin, dans la structure, est responsable de la nécessaire évaluation, en termes d’acquis
et d’effets, des formations mises en œuvre ?

Toutes ces questions mettent en évidence le niveau de complexité du pilotage de la forma-


tion. Et les besoins de méthode qui en découlent.

Pourquoi cette complexité ?


–– Parce que dans les organisations, la formation est généralement au service de plusieurs
finalités et pas d’une seule.

427
Traité des sciences et des techniques de la formation

–– Parce que le pilotage de la formation implique plusieurs instances ou plusieurs étages aux
responsabilités différentes mais incontournables.
–– Parce que les rôles des acteurs et de leurs structures dans la prescription et l’évaluation de
la formation demandent à être bien compris et bien exercés.

1. Les finalités d’une politique de formation


Globalement une politique de formation dans les organisations est essentiellement au service
de trois grandes finalités :
–– développer les compétences, c’est-à‑dire aider les acteurs à acquérir les ressources nécessaires
pour agir en professionnels dans les situations de travail liées à leur emploi ;
–– créer ou développer l’employabilité, donner à ces acteurs les moyens d’exercer demain des
activités différentes de celles qu’ils exercent aujourd’hui, que ce soit dans leur emploi actuel
du fait de son évolution, dans un nouvel emploi (promotionnel ou pas) ou encore lorsqu’ils
quittent leur organisation ;
–– développer et favoriser le lien social en permettant des échanges, de la rencontre, de la confron-
tation, développant ainsi le sentiment d’appartenance, une meilleure compréhension de son
organisation, de son mode de fonctionnement, de ses résultats, de ses modes de contribution.

Si le législateur français, dans les définitions qu’il donne aux objectifs du plan de formation,
fait bien la distinction entre les deux premières finalités, la troisième est en fait vécue comme un
« artefact » des deux premières alors qu’elle est bien plus que cela : une finalité en tant que telle,
significative de la vision de l’organisation sur sa conception du travail et de ses valeurs.

2. Les instances de prescription et d’évaluation


Trois notions clés, par analogie avec des termes couramment utilisés dans le bâtiment,
permettent d’éclairer la réflexion.

2.1 La maîtrise d’ouvrage


Lorsqu’il s’agit de construire une maison, le premier acteur impliqué est celui qui va décider
de son investissement : pour cela, il pense à ce qu’elle doit être, à qui et à quoi elle devrait servir,
aux usages qu’il compte en faire et enfin aux moyens qu’il souhaite et qu’il peut y consacrer.

428
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21

Il en est de même pour la formation : il lui faut une maîtrise d’ouvrage qui dise ce qu’elle en
attend, les résultats qu’elle doit obtenir et les moyens qui lui seront consacrés.

En disant cela, s’affirme une conviction, largement alimentée par des années de pratiques et
se résumant par une évidence : le management des organisations est l’acteur indispensable du
développement des compétences et de l’employabilité de son corps social, et donc de sa forma-
tion. On peut certes faire de la formation sans l’implication du management mais on ne peut
pas faire de la formation un investissement sans sa contribution effective.

2.2 La maîtrise d’ouvrage déléguée


Revenons à la construction de la maison. Sauf exception, pour la construire, le maître
d’ouvrage estime nécessaire de se faire accompagner par un professionnel capable de traduire
son projet, ses intentions, en quelque chose de concret, de réaliste, de tangible : c’est le rôle
de l’architecte. À lui de comprendre la demande, au besoin de l’interpréter, de trouver les
compromis entre le souhaitable et le possible et au final de proposer à son maître d’ouvrage
un projet adéquat, meilleure solution à ses attentes.

Mais, généralement, le rôle de l’architecte ne s’arrête pas là : une fois la décision prise,
le maître d’ouvrage va lui demander de passer les commandes de travaux, d’en surveiller
la réalisation, la conformité et de valider ses coûts. En d’autres termes, de faire respecter le
cahier des charges.

L’ensemble de cette mission est appelé « maîtrise d’ouvrage déléguée » parce que l’architecte
agit au nom et pour le compte du maître d’ouvrage.

Pour la formation cette maîtrise d’ouvrage déléguée est en fait assurée par les services de
formation, que ceux-ci soient une direction de formation pour les entreprises d’une certaine
taille, un service ayant la formation parmi d’autres responsabilités, voire une personne l’ayant
en charge à temps plein ou à temps partiel. Dans tous les cas, on voit que la nature même de
cette mission demande un réel niveau de professionnalisme.

2.3 La maîtrise d’œuvre


Enfin, pour construire la maison, il faut des professionnels, compétents dans leur métier,
qui réalisent ce qui a été décidé en application du cahier des charges : les maçons, le second
œuvre.

429
Traité des sciences et des techniques de la formation

En formation, la maîtrise d’œuvre ce sont les formateurs ; qu’ils soient internes aux organisa-
tions ou au contraire qu’ils appartiennent à des entreprises ou associations externes.

L’histoire des pratiques dans le pilotage de la formation nous a appris l’importance de ces
distinctions entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. La confusion des rôles produit souvent
des dispositifs de formation aux résultats insuffisants et une satisfaction mitigée des participants.
Cela essentiellement quand les acteurs de la « chaîne de la formation » n’ont pas su ou voulu
se coordonner. Quand le prescripteur se considère a priori capable de réaliser la formation ou
à l’inverse quand les formateurs ou les services de formation se sont arrogé le droit de dire ce
que devaient être les objectifs à atteindre comme si savoir exécuter une prescription rendait
compétent à la définir.

3. Les quatre prescripteurs de la formation


La formation dans les organisations doit obéir à plusieurs niveaux de prescription. En effet,
s’il revient à la direction générale de décider en dernier ressort ce que doit être la politique de
formation de son organisation, elle ne peut à elle seule repérer tous les besoins de développe-
ment de compétence, d’employabilité, de renforcement du lien social… Ceux-ci s’expriment en
effet par des objectifs, des modes, des temporalités, des modalités qui peuvent être différents en
fonction des structures et des acteurs concernés et des lieux où ils s’expriment.

Quatre grands niveaux de prescription peuvent ainsi être repérés.

3.1 La direction


Sa contribution est donc en tout point indispensable. Elle doit dire ce qu’elle attend de l’outil
formation. Elle a aussi un devoir d’exemplarité. Sa posture va faire la différence : si elle s’en
désintéresse, le risque est grand alors de transformer l’investissement en une simple dépense :
on « consomme » de la formation sans autre objectif en fait que la satisfaction immédiate – et
souvent fugace – des participants… et aussi de quelques officines1.

Avec leur direction des ressources humaines, si elles en sont dotées, les directions générales
cherchent à préparer l’évolution des emplois et des compétences aux enjeux de leur organisation :

1. On parle beaucoup des « marchands de soupe » moins du fait que, s’ils existent, c’est qu’il y a des « acheteurs
de soupe ».

430
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21

recherche de l’employabilité liée aux évolutions de leur environnement aux nouveaux marchés,
aux nouveaux produits, aux nouveaux services, aux nouvelles technologies, aux évolutions de la
demande sociale… En résumé d’être prescripteur de formation sur des objectifs permanents :
sécurité, efficacité, rentabilité et sur des objectifs conjoncturels : relation clients ou usagers,
vigilance particulière sur certains points de gestion, réponse à la demande sociale…

3.2 Les métiers


Toutes les organisations s’appuient sur les savoir-faire techniques et technologiques de leurs
activités de production de biens ou de services : on les appelle les compétences « cœur de métier ».
Celles-ci, et leur système de formation, sont définies et actualisées en différents endroits : direc-
tions techniques en lien avec les directions de ressources humaines, commissions idoines mais
aussi dans les branches professionnelles ou organisations professionnelles.

Depuis quelques années, portés par la négociation sociale, se développent des « observatoires
paritaires des métiers et des compétences ». Ils sont des instruments utiles et efficaces pour
prescrire ce que doivent être les objectifs de développement de compétences et les formations
techniques et technologiques qui en découlent.

Quand ces observatoires n’existent pas, on peut les remplacer par des « comités métiers ».
Ils rassemblent, sur des temps qui peuvent être courts, des professionnels aux origines variées
mais concernés par les activités et la production de valeur d’un métier donné. On leur demande
de réfléchir ensemble et de formaliser comment, dans leur organisation et du point de vue des
enjeux d’aujourd’hui et de demain, il faut développer la qualité et l’adaptation des compétences
des collaborateurs de ce métier.

Tous ces travaux découlant de ces différentes instances se formalisent dans des « référentiels
de compétences métiers » : ils servent de base aux cahiers des charges des formations techniques.
En veillant toutefois à ce que leur actualisation ne prenne de retard sur les vitesses d’évolution
des sciences, des techniques et des organisations.

Les compétences « métiers » sont l’objet principal de la gestion prévisionnelle des emplois
et des compétences (GPEC), mais sans en avoir le monopole : les autres métiers, commerciaux,
juridiques, fonctionnels, logistiques, d’appui…, demandent aussi que l’on investisse sur leurs
compétences et leurs évolutions.

431
Traité des sciences et des techniques de la formation

3.3 Les unités de travail (départements, services, business units…)


Chaque service dans une organisation est une « communauté de travail » composée d’hommes
et de femmes aux caractéristiques toujours singulières.

Si les activités de ces services leur sont dictées par l’organisation générale, leurs conditions
d’exercice sont nécessairement variables d’une unité à une autre. Par exemple, les agences d’une
banque de détail ont toutes les mêmes missions mais elles s’exerceront différemment suivant
leur installation dans un milieu populaire ou au contraire dans un quartier aisé du fait des
caractéristiques de leur clientèle. De même, leurs ressources humaines ne sont pas identiques
(entre les expérimentés et les nouveaux par exemple).

Aussi, chaque unité de travail demande une gestion ad hoc de son patrimoine de compétences
en fonction :
–– de son environnement, de son implantation, de sa clientèle ;
–– du mode d’organisation de ses activités ;
–– des caractéristiques de sa ressource humaine.

De ce fait, chaque responsable d’unité de travail doit s’intéresser aux compétences nécessaires
à la performance de son équipe et prescrire les objectifs de formation qui lui semblent nécessaires
pour cela. À un certain niveau d’effectif, cela peut prendre la forme d’un plan local de formation.

La capacité de coopération et de solidarité entre les objectifs et les contraintes respectives


des managers et des services de formation est sans doute un des points clés de l’efficacité de la
formation dans les organisations.

3.4 Les salariés


Si c’est le rôle de l’employeur de décider d’investir des euros et des heures dans une démarche
de formation au service de ses projets, il n’en demeure pas moins que, sauf dans le cas de l’auto-
prescription, ce n’est pas lui qui va se former. Or, pour qu’il y ait apprentissage, il faudra que
les intéressés s’investissent en temps, en attention, en travail, en mobilisant leurs ressources
cognitives. En d’autres termes, il est nécessaire que les individus deviennent co-investisseurs de
leur formation, qu’ils soient non pas des formés passifs mais des apprenants actifs.

Se réconcilient ici, dans une alliance objective assez inhabituelle, les logiques économiques
de l’investissement (une dépense décidée en amont au bénéfice d’un résultat observable, d’un
profit supérieur à la dépense d’origine) et celles des courants psychopédagogiques qui, de tout

432
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21

temps, ont eu comme préoccupation de valoriser la place centrale de l’apprenant dans les poli-
tiques éducatives.

Ces salariés ont aussi des stratégies de formation qui leur sont propres. En termes de projet,
ils recherchent l’évolution de leur carrière, de leur employabilité ou de leur développement
personnel ; en termes de qualité, ils cherchent à améliorer leur performance actuelle dans leur
activité, leur condition de travail ou encore leur condition de vie.

Ces stratégies structurées par des projets individuels de formation, ne sont réalistes dans
leur initiation et leur formulation que si elles sont accompagnées par des démarches de bilan
et d’orientation.

Une politique de formation est la combinaison de la politique générale de formation de la


direction, qui gagne à être structurée par un schéma directeur, des enjeux de compétences
métiers, des plans locaux de formation pilotés par le management opérationnel à planification
plus courte, et des projets individuels des salariés ou des agents.

Tableau 21.1 - Finalités de la formation

Besoin de
Compétences Employabilité Lien social
Prescripteurs
–– Performance
Direction Adaptation et préparation –– Qualité du climat social
économique et sociale de
(management aux enjeux (marché, –– Compréhension
l’organisation
de la direction) produit, demande sociale) de l’organisation
–– Diversité/santé/sécurité
Appartenance à une
Métiers Maîtrise des activités –– Nouvelles technologies
communauté
(spécialités) techniques –– Nouveaux processus
de « pairs »
–– Préparation des
–– Performance individuelle –– Climat social local
Services évolutions
et collective –– Compréhension
(sur un territoire) –– Mobilité professionnelle
–– Adaptation à l’emploi des enjeux locaux
–– Ascenseur social
–– Projet professionnel
–– Maîtrise de son emploi Appartenence à une
Salarié –– Évolution
–– Qualité professionnelle communauté de travail
–– Reconversion

Une politique de formation est une combinatoire hiérarchisée


de ses finalités

433
Traité des sciences et des techniques de la formation

C’est l’articulation de ces besoins et leur pondération, bien davantage que la présentation
formelle d’un plan annuel, qui fait la réalité et l’authenticité d’une politique de formation. Aussi
le pilotage de cette pondération est-il vraiment une activité stratégique.

À ce titre, il requiert la contribution de tous. Il est le véritable enjeu du dialogue social sur la
formation, mais les arbitrages qu’il peut nécessiter sont des arbitrages de direction.

4. Comment piloter une politique de formation ?


C’est à partir des différentes finalités de la formation et de l’identification des différents pres-
cripteurs qu’il devient possible de décider d’une politique de formation et de la mettre en œuvre.

Pour ce faire il faut se doter d’une démarche qui relève de la conduite de projet. On peut en
identifier ainsi les principales étapes.

4.1 Connaître, respecter et faire évoluer les pratiques antérieures


Les politiques de formation sont aussi la continuation des forces et des logiques antérieures.
Elles doivent prendre en compte ce qui a été fait pour l’adapter aux exigences du moment. Elles
vont donc s’appuyer à la fois sur leur observation et sur la nature des besoins actuels ou à venir.

Pour s’imprégner de ces pratiques antérieures, on peut utiliser un tableau croisé, outil de base
du pilotage d’une politique de formation qui permet d’entreprendre et de décider en pertinence.

Ce tableau renseigne sur trois familles d’informations indispensables :


–– les pratiques de formation par populations permettant aussi d’apprécier, au regard des
effectifs de l’organisation, les investissements éducatifs par grande catégorie de personnel :
information traditionnellement très sensible dans le dialogue social et qui mérite d’être
expliquée et assumée lorsque des déséquilibres s’observent ;
–– les pratiques de formation par grands thèmes permettant d’identifier sur quelles natures
de contenus les investissements sont réalisés et là aussi de voir les places accordées tant
en valeur absolue qu’en valeur relative, aux formations techniques par exemple ou aux
formations générales ;
–– l’évolution dans le temps des pratiques.

434
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21

Tableau 21.2

Qui se
forme ? Dirigeants Cadres Techniciens Employés Ouvriers Total
À quoi ?

N N N N N N N N N N N N N N N
Années – – – – – – – – – – – – – – –
3 2 1 3 2 1 1 3 2 1 3 2 1 3 2

Technique générale

Techniques
spécifiques

Gestion et
management

Informatique
et bureautique

Linguistique

Préparation
aux examens et
concours (fonction
publique)

Relation et
communication

Total

435
Traité des sciences et des techniques de la formation

Si le tableau 21.2 peut être renseigné sur plusieurs années (trois années étant l’idéal), il permet
d’observer si la politique de l’organisation est, dans les faits, stable dans ses choix ou au contraire
évolutive, dans quel sens, sur quoi, pour quels publics, sur quels thèmes… Bien évidemment,
ces données peuvent être approfondies – par exemple en les déclinant par unité ou service –
et constituer ainsi un véritable tableau de bord de la formation. Elles permettent au pilotage
d’apprécier dans quelle mesure et dans quelles proportions il est possible de voir évoluer les
pratiques existantes1.

4.2 Comprendre les besoins


Les besoins de formation n’existent pas.

Nous avons affirmé en début de ce chapitre que la formation est un moyen. Et les moyens n’ont
de sens que par rapport à un objectif. Aussi, la démarche – encore assez courante – d’interroger
par la question : « Quels sont vos besoins de formation ? » n’a pas beaucoup de sens. Elle est
même dangereuse parce que les personnes interrogées chercheront quand même à répondre.
Sans que nécessairement leur réponse soit connectée à des enjeux réels…

En fait, la démarche d’identification des besoins va consister au regard de ce que nous avons
dit précédemment, à interroger les quatre familles de prescripteurs sur leurs enjeux de compé-
tences, d’employabilité et de développement du lien social.

Pour ce faire, l’outil principal ne sera pas le questionnaire mais des entretiens, voire des
réunions, en particulier avec le management et ses lignes hiérarchiques. Ils devront s’appuyer
sur des guides d’entretiens, élaborés préalablement, reprenant les sujets qui les concernent.

Ne négligeons pas, par ailleurs, que les informations nécessaires sont déjà présentes dans
les documents tels que les notes d’orientation de la direction générale, les notes de service, les
plans stratégiques, les business plans…

Enfin l’exploitation des entretiens annuels doit être une source essentielle pour apprécier
les investissements de formation nécessaires aux salariés et à la bonne marche des services…

1. Il n’est pas rare de constater en effet que nombre de politiques éducatives ambitieuses n’ont pu se concrétiser
faute d’avoir pris en compte préalablement la réalité des pratiques antérieures. Dans les grandes organisations,
il en est des politiques de formation comme des grands navires : il leur faut de la distance pour faire évoluer
leur cap…

436
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21

Le travail de synthèse de toutes les données recueillies est une responsabilité éminente de ceux
qui élaborent les plans de formation. La méthode de traitement relève de l’analyse de contenu
qui renvoie à différentes méthodes et logiciels… Elle gagne à être effectuée à plusieurs ou en
tout cas soumise à l’évaluation des autres. Elle exige que les auteurs des contenus valident leur
contribution.

4.3 Décider
À l’issue de la phase d’analyse des besoins et au regard des constats sur les pratiques anté-
rieures, vient le moment de la décision.

Cette étape est un moment managérial : décider, c’est l’affaire des décideurs. Comme toute
décision, celle-ci est le privilège de la maîtrise d’ouvrage. Mais c’est de la responsabilité du pilote
d’aider à la qualité et à la pertinence des décisions prises, ce qui, en matière de formation, est
souvent un pouvoir essentiel.

La décision en matière de politique de formation est toujours double. Elle porte tout d’abord
sur les objectifs : ce qu’il convient de faire et pourquoi, ce qui est prioritaire, ce qui est secon-
daire… et donc sur les actions qui sont retenues et celles qui n’auront pas lieu…

Mais elle porte aussi sur le choix des moyens. En effet, le choix de la formation comme levier
d’action est toujours un choix de conjoncture en ce sens que d’autres moyens auraient été
possibles, voire préférables, du point de vue d’autres acteurs. De surcroît, ce choix de la forma-
tion peut ne pas toujours obéir à une stricte logique de rationalité : ce peut être un choix par
défaut (impossibilité de recruter une personne pour remplir une activité nouvelle) ; ou encore
un choix volontariste (quand le système de valeur de l’entreprise considère que « si on forme,
les gens feront ») ; mais à l’inverse, le moyen formation peut ne pas être choisi car, dans le passé,
il s’est révélé un échec dans une situation a priori analogue.

Enfin la formation offre de multiples modalités opérationnelles (stages, formation-action,


autoformation, etc.) et on sait d’expérience qu’en la matière, la maîtrise d’ouvrage a du mal à
rester dans son strict rôle de prescription, désirant, ce qui n’est pas totalement illégitime, inter-
venir aussi sur les scénarios de réalisation.

On voit à travers la figure 21.1 que le chemin de la décision peut parfaitement, dans un même
contexte, prendre des configurations différentes selon les représentations du décideur final et
aussi selon la manière dont il aura été conseillé.

437
Traité des sciences et des techniques de la formation

Objectif
d’évolution

Choix des
variables

Investissements Ressources
Organisation
matériels humaines

Choix des
moyens

Sous- Entrées Sorties


Intérim Transformation
traitance (recrutements) (licenciement,
retraites,
mutations)

Formation

Formation- Auto-
Stage Etc.
action formation

Figure 21.1 – Configurations différentes d’un chemin de décision

Dans cette phase de la décision, le pilote de la politique de formation va jouer un rôle essentiel.
C’est souvent lui qui fera qu’en définitive, c’est tel choix qui sera fait plutôt que tel autre. Mais
il devra pour autant rester vigilant à ce que les décideurs prennent effectivement des décisions
sur les objectifs assignés à la politique de formation, qu’ils ne les délèguent pas à tort (y compris
à lui-même) et que leurs décisions portent d’abord sur les objectifs, ce qui est indispensable, et
ensuite seulement sur le choix des moyens, ce qui de leur part est facultatif.

4.4 Agir
Les décisions ont été prises. La demande étant finalisée, il reste à la mettre en œuvre. Pour
piloter cette mise en œuvre, plusieurs facteurs doivent être pris en compte. De manière néces-
sairement arbitraire, on s’intéressera à trois d’entre eux qui nous semblent essentiels :

438
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21

4.4.1 Piloter le dialogue social et le respect des règles


Le dialogue social sur la formation est dans son principe spontanément naturel, tant il est
évident à chacun que l’investissement formation peut être utile aux salariés aussi bien qu’à leurs
employeurs.

Force est pourtant de constater que ce dialogue, sauf dans de rares et de belles exceptions, est
relativement pauvre au regard de ce qu’il pourrait être, et qu’en tout cas il gagnerait beaucoup
à se bonifier qualitativement. Le pilote des politiques de formation peut, s’il le désire, en être
l’acteur déterminant, considérant que sa mission de pilotage l’inclut nécessairement. Et il peut
le faire par deux entrées principales :
–– en préparant, organisant et au besoin en animant les moments formels et informels de
ce dialogue : par l’information, la communication sur des données brutes, mais aussi sur
leurs clés de lecture, par l’organisation de séances de travail préalables aux négociations,
par la qualité, la faisabilité et le respect des ordres du jour, par la publication des comptes
rendus, etc. ;
–– en étant le promoteur, et au besoin l’organisateur, de l’indispensable qualification des repré-
sentants du personnel dans les commissions-formations ou autres instances dans lesquelles
la formation fait objet de débats et de négociations : ces dernières, au regard de la complexité
du sujet traité, nécessitent des compétences qui ne sont pas spontanément données par un
mandat (ni par un statut !) et la qualité du dialogue social a tout à gagner à ce qu’on les aide
à les maîtriser.

Par ailleurs, le pilotage des politiques de formation, et le dialogue social qui l’accompagne, se
situent dans un univers législatif et réglementaire complexe mais aussi assez évolutif. En plus de
la connaissance et de l’actualisation des textes essentiels, le pilote de la politique de formation
doit aussi comprendre le contexte législatif et social qui les explique et il doit pour cela s’appuyer
sur une culture juridique et sociale significative, seule à même de lui en faire apprécier le sens
et les origines.

4.4.2 Évaluer
Toute pratique d’évaluation procède d’une double démarche : d’abord celle de contrôler,
ensuite celle d’analyser.

Contrôler consiste à constater une situation, par exemple la conformité ou l’écart entre un
objectif et un résultat ou encore la nature exacte d’une dépense, en tant que telle ou par rapport
à une prévision. Le contrôle consiste donc à recueillir, avec neutralité, des faits observables et
vérifiables.

439
Traité des sciences et des techniques de la formation

Analyser est, au contraire, une pratique qualitative qui cherche, en fait, à expliquer ou
commenter les raisons et les causes des constats produits par le contrôle. De ce fait elle sollicite
l’expression des systèmes de valeur.

Évaluer la formation est un terme générique qui mérite d’être précisé avant de la mettre en
œuvre. Concrètement cette évaluation s’intéresse à deux familles d’informations :
–– des informations sur le process : ses quantités, sa qualité ;
–– des informations sur les résultats : les acquis sont les ressources acquises par la formation ;
les effets sont l’usage des ressources en situation ; les images les représentations qui se sont
construites sur les acquis et les effets.

Le pilotage de l’évaluation consiste à s’intéresser, dans des proportions et dans des intensités
qui peuvent varier avec les contextes, à ces niveaux différents d’information.

Les stratégies d’évaluation


Dans les faits, le pilotage stratégique de l’évaluation d’une politique de formation va porter
sur le contrôle et l’analyse de cinq niveaux pour obtenir des natures d’informations qui peuvent
être synthétiquement résumées dans le tableau 21.3.

Tableau 21.3

Contrôler Quels outils ? Analyser Quels outils ?

–– Mesurer si les productions –– Feuille de présence. –– Expliquer les phénomènes –– Analyse (individuelle
de formation sont –– État des inscriptions. contrôlés du point de vue et collective)
conformes au prévisionnel –– État des actions des différents acteurs. des résultats.
planifié. réalisées. –– Apprécier si les écarts –– Questionnaire à froid.
Quantité

–– Constater et mesurer les constatés sont conjoncturels


écarts entre : prévu/réalisé ; ou structurels, positifs ou
non prévu/réalisé. négatifs.
–– Repérer les modalités
de corrections et/ou
PROCESS

d’ajustement.
–– Mesurer la qualité de la –– Questionnaires –– Repérer et expliquer les –– Interrogation de la
relation pédagogique, de fin de stage. causes pour lesquelles hiérarchie et des
du process et de la –– Tour de table en fin les pratiques ne sont pas participants.
logistique, du point de d’action. conformes (en + ou en −) –– Questionnaire
Qualité

vue : des cohérences à la prescription. à froid.


des charges et des
engagements (conformité) ;
de la satisfaction des
participants et des
prescripteurs.

440
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21

Contrôler Quels outils ? Analyser Quels outils ?

–– Mesurer et valider les –– Tests, examens. –– Analyser les causes des taux –– Entretiens.
Acquis

acquis de la formation. de réussite et d’échec dans –– Questionnaires.


les acquisitions.
–– Mesurer si les ressources –– Interrogations post- –– Recueillir les explications –– Enquêtes de terrain.
acquises en formation sont formation. et les commentaires des
mises en œuvre dans les –– Enquêtes. bénéficiaires de la formation
Effets

situations de travail. –– Entretiens. et de leur hiérarchie sur la


RÉSULTATS

pertinence des ressources


acquises en formation et sur
la qualité de leur usage dans
la situation professionnelle.
–– Identifier et mesurer –– Enquêtes de terrain. –– Analyser et expliquer les –– Enquêtes.
les représentations des –– Questionnaires. causes des représentations –– Questionnaires
Images

bénéficiaires sur leurs constatées. à froid.


acquis et leurs scénarios –– Repérer les facteurs
d’usage. d’excellence et/ou de
dysfonctionnement.

5. Enjeux et prospective du pilotage de la formation


Au-delà des principes et des méthodes, les pratiques effectives, les habitudes, presque les
mœurs, conditionnent depuis 1971 et même avant, les manières de piloter les politiques de
formation.

Avec la loi de 2014, en France, la formation professionnelle a, heureusement, perdu son carac-
tère d’obligation fiscale de dépenses au bénéfice d’une obligation pour l’employeur d’assurer la
qualification et l’employabilité interne de ses collaborateurs. C’est une évolution essentielle qui
recadre la formation vers ses finalités véritables…

Mais les mœurs changeant moins vite que les lois et les enjeux de professionnalisme devenant
de plus en plus pressants et complexes, le pilotage des politiques de formation se voit « challengé »
par trois défis importants que nous détaillons ci-dessous.

5.1 Le défi du pilotage et de l’administration


Depuis 1971, les lois, les règlements les directives, les accords nationaux, de branches, d’entre-
prises, etc., ont été abondants. Cela donne, c’est le moins que l’on puisse dire, aux politiques de
formation un cadre structuré. Mais leur connaissance – et a fortiori leur maîtrise – demande, à

441
Traité des sciences et des techniques de la formation

la date d’aujourd’hui et au regard de leur accumulation, un niveau de compétence qui s’approche


de l’expertise. Dans les faits, il est difficilement raisonnable de demander à tous ceux qui ont un
rôle à jouer dans la mise en œuvre de la formation d’en être experts. C’est là un premier niveau
de difficultés.

Par ailleurs ces lois, règlements et accords portent beaucoup sur les modalités de financement
de la formation (dans ses différentes composantes) et sur l’organisation des structures chargées
de leur gestion (dont le rôle des organismes mutualisateurs paritaires, les Opca). Au fil du temps
s’est ainsi créée une véritable administration de la formation1.

Cette complexité administrative due aux rôles respectifs de l’État, des régions, des branches
professionnelles, des organismes mutualisateurs, des exigences de la négociation sociale et des
compromis qu’elle exige est lourde. Au risque de transformer les services de formation en
administrateurs de procédures avec les phénomènes de bureaucratisation qui en découlent, les
éloignant ainsi de leur mission première : piloter une politique.

Pire ! À partir du moment où l’on finit par constater qu’objectivement, la gestion de la forma-
tion c’est d’abord de l’administration et de la gestion financière, on y nomme pour cela des profils
adaptés… Le pilotage stratégique devient alors une fonction quasi périphérique, mal comprise,
mal apprise, mal maîtrisée, s’appuyant dans les faits sur les modalités les plus économes, les plus
abordables en qualification, les plus ressemblantes aux pratiques coutumières et au final les plus
simplistes en méthode mais restant – paradoxe apparent – compatibles avec cette administration
abondante des procédures pour se protéger de toute erreur ou de tout reproche. C’est ainsi que
des services de formation finissent par perdre ce qui fait leur légitimité : ils n’aident plus assez
les responsables et les salariés à développer les compétences, l’employabilité des collaborateurs
et à renforcer le lien social mais ils apparaissent, au contraire, comme porteurs d’une contrainte
obligée sans valeur observable.

Et ils constatent alors, impuissants, que l’on ne s’adresse plus à eux que pour enregistrer les
actions et payer ou faire financer les factures pilotées par d’autres…

Redonner, quand cela est nécessaire, aux services de formation (c’est-à‑dire à ceux qui y
travaillent) du temps et de la compétence pour être de véritables pilotes, passe d’abord par une
distinction plus claire entre fonction de pilotage et fonction d’administration : ce ne sont pas les
mêmes temporalités et ce n’est pas le même professionnalisme qui y est nécessaire.

1. À ce sujet, il convient d’apprécier à sa juste valeur le rôle difficile mais efficace du Centre-Inffo pour rendre,
par un réel effort de pédagogie et de rigueur, abordable et compréhensible le foisonnement des textes sur la
formation.

442
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21

Dans les petites structures cela peut se faire, par exemple, par une externalisation de cette
administration (et, ici, l’appui des Opca devrait pour les entreprises devenir naturel).

Dans les plus grandes par une organisation dédiée distinguant les nécessaires qualités d’ad-
ministration de celles, essentielles, de pilotage. Cela passe sans conteste par un bon niveau de
professionnalisme des équipes responsables de la formation.

Cet enjeu est fort parce que, quand les décideurs ne sont pas toujours à l’aise avec l’exigence
de pilotage des compétences, ils peuvent vite avoir tendance à devenir les alliés objectifs de la
logique administrative et ne s’intéresser à la formation que du seul point de vue de ses réalités
économiques et de ses enjeux financiers.

C’est le devoir des pilotes de la politique de formation de savoir, avec pugnacité et habileté,
rappeler en permanence le rôle de la formation : un outil au service d’objectifs à atteindre.

5.2 Le défi de l’orientation


« J’ai 28 ans. Je fais mon métier – bien – depuis 8 ans. Comment évoluer, voire si possible progresser ? »

« J’ai 53 ans. Il me reste maintenant au moins 12 années de vie professionnelle. Comment et sur
quelles activités réinvestir mon expérience ? Mais aussi comment continuer à progresser, demeurer
employable, être un professionnel incontournable ? »

« J’ai 35 ans. Mon métier va disparaître, remplacé par des évolutions technologiques de la même
manière qu’il a lui-même remplacé d’autres emplois. Comment me reconvertir ? Ou en tout cas me
préparer ? Et à quoi ? »

Ces questions, vitales pour ceux qui se les posent, sans nécessairement d’ailleurs savoir les
formuler, sont des questions ordinaires dans nos économies modernes à cycles courts.

Elles ont un point commun : toutes, elles interrogent la formation.

Et qui est capable d’y répondre ? les intéressés eux-mêmes ? très rarement. Parce que savoir y
répondre est un privilège et comme tout privilège réservé à quelques-uns… et en particulier ceux
qui disposent des réseaux pour cela.

Voilà pourquoi, dans les faits, à côté de la formation (ou en même temps qu’elle) s’est créée
une nouvelle famille d’activités, sans doute un nouveau métier. Celui de savoir accompagner

443
Traité des sciences et des techniques de la formation

dans leur conception, leur définition et leur réalisation les « projets individuels de formation
professionnelle » (différents, même s’il y a des analogies, avec l’orientation professionnelle telle
qu’elle se pratique traditionnellement). Les partenaires sociaux en France, suivis par le législateur
ont créé pour cela le droit au Conseil en Évolution Professionnelle. Et donc des conseillers en
évolution professionnelle.

Le propos n’est pas ici de décrire en détail ce métier – qui n’est pas d’ailleurs totalement
nouveau mais dont la nouveauté est qu’il s’amplifie considérablement au point de s’institu-
tionnaliser – mais plus simplement de constater que ces missions d’orientation s’associent et
s’imbriquent quasi spontanément dans les activités qui relèvent du pilotage de la formation et
donc que le développement d’un professionnalisme dans ce champ va s’imposer de lui-même
aux services de formation.

C’est un défi redoutable parce que là aussi ce ne sont pas les mêmes compétences que celles
exigées pour le pilotage (et a fortiori l’administration !) de la formation.

La pratique de la VAE (validation des acquis de l’expérience) offre sans aucun doute aux
professionnels de la formation l’opportunité de développer leurs compétences dans ce champ.
Soit parce qu’elle peut être, en tant que telle, la réponse à la question posée (obtenir par équi-
valence d’expérience un diplôme qui sera lui-même le socle sur lequel s’appuyer pour exercer
de nouvelles responsabilités, un nouvel emploi), soit parce que les méthodologies mises en
œuvre (faire prendre du recul par rapport aux activités anciennes et actuelles et savoir les faire
formaliser) sont une condition indispensable pour savoir orienter et préconiser.

Mais sans doute l’avenir s’impose-t‑il déjà comme une réalité : l’orientation et l’accompagne-
ment des projets individuels de formation sont dès maintenant des enjeux de société au sens
noble du terme dans nos économies aux réalités sociales complexes, mouvantes, aléatoires. S’ils
commandent aux puissances publiques d’investir dans des systèmes d’information exhaustifs
et de qualité sur l’offre de formation, ils exigent surtout de disposer de professionnels qualifiés
pour savoir construire avec les demandeurs des projets de formation pertinents, ambitieux…
et totalement réalistes.

On comprendra qu’il s’agit là d’un challenge à la hauteur de celui de la formation profession-


nelle au début des années 1970…

444
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21

5.3 Le défi d’une pédagogie de l’alternance,


voie d’excellence de la professionnalisation…
À quoi sert la formation professionnelle si ce n’est à professionnaliser ?

Guy Le Boterf et d’autres ont beaucoup aidé à en définir le concept et montrer les différents
chemins de son acquisition.

Pour la formation cela a toujours été un challenge de rechercher les meilleures voies de cette
professionnalisation. Dans le foisonnement des pratiques, un dispositif en œuvre depuis déjà
pas mal de temps, émerge cependant par l’ambition de son process et la qualité de ses résultats :
la pédagogie de l’alternance. Longtemps elle est restée confinée aux dispositifs de formations
pour les moins qualifiés, essentiellement dans les dispositifs d’apprentissage. Aujourd’hui elle
est enfin reconnue pour ce qu’elle est : la voie d’excellence de la professionnalisation. Sa montée
en puissance dans l’enseignement supérieur en est la meilleure preuve.

Mais elle souffre encore d’un double handicap :


–– elle est davantage dans les esprits considérée comme une modalité légale ou réglementaire
que comme un processus pédagogique d’excellence ;
–– l’alternance – temps en centre de formation et temps au travail – manque encore trop de
rigueur concrète pour apporter l’efficacité pédagogique qu’elle est capable de donner.

Il se trouve qu’à l’initiative d’un groupe de grandes entreprises1, une formulation précise et
opérationnelle de la pédagogie de l’alternance a pu voir le jour et faire consensus.

Elle se résume par les cinq principes suivants :


1. un unique temps de formation réparti en deux familles de séquences – académique et entre-
prise – coordonnées, complémentaires et interactives ;
2. un pilotage général du processus structuré et organisé ;
3. un tutorat reconnu ;
4. un apprenant en situation professionnelle, responsabilisé, à l’intérieur d’une communauté
de travail, pour une durée significative ;
5. une reconnaissance formelle qui sanctionne l’ensemble des facteurs de professionnalisation
et pas seulement la technicité, délivrée par une « instance » représentative de la communauté
éducative.

1. Entreprises regroupées à l’occasion de la production d’un rapport pour le président de la République (Proglio,
2009).

445
Traité des sciences et des techniques de la formation

Il est clair que c’est un challenge pour tous de savoir développer une véritable pratique de
l’alternance respectueuse de ces cinq principes.

Pourtant toutes les évaluations des formations en alternance ont démontré que, quand elles
se rapprochent aux mieux des principes énoncés ci-dessus, elles obtiennent des résultats qu’elles
sont seules à pouvoir obtenir.

Au-delà des acquisitions des technicités nécessaires à tout métier et qui peuvent s’acquérir
dans des formations dites classiques (magistrales ou actives), la pédagogie de l’alternance permet :
–– par la mise en œuvre dans les situations réelles de travail des enseignements reçus, d’acquérir
les « compétences de contexte » qui sont la marque du vrai professionnel : comprendre
son environnement, s’adapter à la conjoncture, maîtriser l’enjeu économique de sa tâche,
résoudre un problème toujours en partie spécifique… ;
–– de s’intégrer véritablement et sans risque dans une communauté de travail et d’en fertiliser les
pratiques par les acquis de l’alternant, son regard, sa capacité d’associer quasi spontanément
théories et pratiques.

On parle alors de l’alternance comme d’un processus non seulement de formation mais
« d’intégration professionnelle » (que ce soit dans le cadre d’un recrutement ou dans celui d’une
progression professionnelle [« ascenseur social » ou reconversion])…

Pour les pilotes de politique de formation, les dispositifs mettant en œuvre cette pédagogie (qui
dépasse – et de très loin – les contrats d’apprentissage) sont certainement ceux leur permettant
d’exercer la plénitude de leur propre professionnalisme : ils peuvent en effet de manière concrète
et opérationnelle s’impliquer et impliquer la maîtrise d’ouvrage dans les cahiers des charges,
passer contrat avec les prestataires, participer à la qualification des tuteurs et la bonne compré-
hension – par eux et leur hiérarchie – de leur mission, contrôler l’effectivité de la bonne relation
« centre de formation/employeur », s’impliquer dans l’évaluation et l’évolution professionnelle
des apprenants. Et surtout ils offrent ainsi au management et aux intéressés un dispositif de
professionnalisation fiable, efficace et facteur d’employabilité individuelle et collective…

Alors seront-ils perçus comme les moteurs d’une politique moderne et innovante, réinves-
tissant les acquis d’un procès qui a fait ses preuves : quelle plus belle définition de l’excellence
du professionnalisme ?

446
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21

6. Conclusions
Piloter une politique de formation est un métier, un métier aux facettes multiples : politiques,
stratégiques, méthodologiques, administratives, financières, pédagogiques…

Le professionnel n’est pas nécessairement celui qui sait tout faire. C’est au contraire celui qui
sait agir avec les autres en fonction de leurs compétences respectives et par rapport aux siennes
propres. C’est le talent nécessaire des pilotes de politiques de formation de savoir agir ainsi.

Mais s’il peut déléguer certaines activités, l’une est incontournable et non déléguable : piloter
la chaîne de travail qui donne des objectifs à la formation, met en œuvre les actions correspon-
dantes et en évalue les résultats. S’il ne fait pas cela, il n’est pas pilote de la formation, mais plutôt
responsable administratif et financier. Ce qui n’est pas méprisable mais différent…

Comme tout métier ce pilotage s’apprend (et il gagnerait à l’être par une pédagogie d’alter-
nance !). Quand c’est le cas on peut observer clairement le contraste avec les autres pratiques
basées sur le pragmatisme sans méthode et la seule bonne volonté.

Ce pilotage a de l’avenir, mais il a aussi, on l’a vu, de belles exigences !

Lectures conseillées
Carré P. (2005). L’apprenance, vers un nouveau Hetzel P. De l’Université à l’emploi, rapport au
rapport au savoir, Paris, Dunod. Premier ministre, Paris, Documentation
Caspar P. (2011). La formation des adultes, hier, française.
aujourd’hui, demain, Paris, Eyrolles. Le Boterf G. (2010). Construire les compétences
Contrat d’étude prospective dans les organismes individuelles et collectives, Paris, Éditions
de formation privés, Paris, Documentation d’Organisation.
française, 1998, actualisé en 2010. Meignant A. (1993). Manager la formation, Paris,
E nlart S. (1999). Ingénierie en formation Éditions Liaisons, 8e éd.
d’adultes, Paris, Éditions Liaisons. P roglio H. (2009). Promouvoir et développer
Enlart S., Charbonnier O. (2010). Faut-il encore l’alternance, rapport au président de la
apprendre ?, Paris, Dunod. République.
Hauser G., Maître F., Masingue B., Vidal F. (1985).
L’investissement formation, Paris, Éditions
d’Organisation.

447
Chapitre 22
Intelligence au travail
et développement
des adultes1

1. Par Guy Jobert.


Sommaire
1. Les formateurs et le travail................................................................................... 451
2. L’emploi n’est pas le travail................................................................................. 452
3 L’intelligence au travail......................................................................................... 455
4. Le travail au cœur des grandes thématiques de la formation des adultes............. 457
5. En guise de conclusion........................................................................................... 464
Lectures conseillées.................................................................................................. 465
Entre 1993, date à laquelle la revue Éducation permanente abordait pour la première fois la
thématique du travail, et 2016, la situation a évolué et il devient possible d’avancer que la réfé-
rence à l’activité permet aujourd’hui de renouveler en profondeur la pensée et les pratiques de
la formation des adultes1.

1. Les formateurs et le travail


À distance du modèle scolaire dont il entend se démarquer, le formateur considère l’adulte
pour ce qu’il sait et non pour ce qu’il ignore. Il ne perçoit pas le « déjà-là » épistémique comme
parasitaire pour son action formative, mais tout au contraire comme un gisement de richesses
accumulées dans la durée, et sur lequel il va devoir appuyer sa pratique. Les adultes ont connu
des situations de vie multiples, des mises à l’épreuve marquantes, et en ont tiré de l’expérience,
c’est-à‑dire des ressources pour connaître le monde et agir sur lui. Le formateur doit récuser
le modèle courant selon lequel il faut savoir avant d’agir (Piaget : « la connaissance procède de
l’action »). La praxis est indissociable de la connaissance et de l’être, et ces trois dimensions ne
peuvent être séparées : ce que l’adulte a fait est pour beaucoup dans ce qu’il sait, et son expé-
rience définit largement ce qu’il est. Chacun sait qu’une ingénierie de formation bien conduite
ne dissocie jamais les plans cognitifs et identitaires.

Si c’est la triade expérience-sujet-savoirs qui guide traditionnellement le regard du formateur,


comment expliquer que les formateurs soient restés jusqu’à aujourd’hui étrangers au travail
comme objet d’analyse ? Comment comprendre alors que, pendant si longtemps, l’ingénierie
de la formation se soit greffée sur des commandes émanant de la hiérarchie, sur des fiches de
postes rédigées par les bureaux des méthodes, sur d’illusoires « études de besoins », sur des
référentiels décontextualisés et, dans le meilleur des cas, sur du travail déclaratif ? Les raisons
sont nombreuses. On peut relever d’abord que la formation des adultes s’est nourrie de courants
de pensée et de pratiques dans lesquels le travail, et plus largement l’action, ont peu de place.
D’un côté, le courant rogérien de la non-directivité, la psychosociologie des groupes restreints,
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

la psychothérapie institutionnelle ou la psychanalyse. D’un autre côté, la sociologie des organisa-


tions et l’analyse stratégique. Par ailleurs, dans les années 1960, la promotion sociale individuelle
autour de laquelle s’est institué le secteur de la formation des adultes, devait répondre à une

1. Éducation permanente : 1993, n° 116 et 117, « Comprendre le travail » ; 1995, n° 123, « Le développement des
compétences. Analyse du travail et didactique professionnelle » ; 1999, n° 139, « Apprendre des situations » ;
n° 140 et 141, « La logique de la compétence » ; 2001, n° 146, « Clinique de l’activité et pouvoir d’agir » ; 2002,
n° 151, « Apprendre des autres » ; 2006, n° 165 et 166, « Analyse du travail et formation » ; 2008, n° 174, « Travail
et formation » ; 2014, n° 198, « Formation expérientielle et intelligence en action ».

451
Traité des sciences et des techniques de la formation

demande de savoirs académiques dont les publics en rupture d’école avaient besoin pour réaliser
leurs projets d’intégration à une catégorie socioprofessionnelle supérieure.

Toutefois, à partir du milieu des années 1970, avec ce qu’on a appelé la crise, la porte s’est
fermée pour longtemps sur la rencontre du travail et de la formation. Servir les politiques d’em-
ploi est devenu l’objectif prioritaire de l’appareil de formation et la notion d’emploi a masqué
pour longtemps celle de travail.

2. L’emploi n’est pas le travail


Une formation est orientée vers l’emploi lorsqu’elle vise l’adéquation entre des postes à
pourvoir et des individus susceptibles de les occuper. L’ingénierie de ces formations vise la
qualification et la certification des travailleurs sur la base de la qualification attestée par la
possession d’un diplôme que les salariés vont se distribuer dans le système de « places », dans les
espaces hiérarchisés de l’entreprise et de la société globale. Cette construction sociale, qui vise
la rationalisation de la mobilité sociale à partir de l’évaluation des savoirs acquis, accorde un net
privilège aux savoirs abstraits et formalisés, et déprécie corrélativement les savoirs opératoires
et expérientiels produits par les adultes. Cette distribution sociale reflète la valeur que chaque
société accorde aux métiers et l’état des rapports de force au sein de cette société.

Du point de vue des pratiques de formation, le schéma qualification-certification ne remet


pas en cause le modèle de l’ingénierie de formation traditionnelle. La définition des contenus, la
formation et l’évaluation s’effectuent à distance des lieux de travail et des conditions réelles de
l’activité. Même lorsque les formateurs sont d’anciens praticiens, qu’ils utilisent des méthodes
actives et pratiquent l’alternance, leur efficacité pédagogique trouve ses limites dans la différence
irréductible entre le « réel » de l’institution de formation et celui de l’institution de production.

C’est au cours des années 1990 qu’un certain nombre d’éléments sont venus modifier cette
façon normative de régler les relations entre la formation et l’emploi. À la notion de qualifi-
cation est venue s’ajouter celle de compétence, entraînant un déplacement de l’attention des
formateurs de l’emploi vers le travail.

2.1 De la qualification à la compétence : le retour du travail


Si la notion de qualification joue le rôle d’opérateur de placement et de mobilité sur les
marchés du travail, c’est parce qu’elle est générale et impersonnelle, au sens où elle porte sur

452
Intelligence au travail et développement des adultes ■ Chapitre 22

la possession attestée de savoirs définis par les experts pour occuper un emploi ou une classe
d’emplois, indépendamment de la spécificité locale des postes de travail et de la façon singulière
dont ils sont ou seront occupés. Dans cette perspective, formation, diplôme, emploi et mobi-
lité sont liés mécaniquement les uns aux autres. Avec le passage de la notion de qualification
à celle de compétence, c’est cette déconnexion relative entre le contenu de la qualification des
personnes et les exigences de postes concrets qui, depuis quelques années, est remise en question.
Lorsque la qualification des personnes est distinguée de celle des postes de travail, le marché des
diplômes et celui de l’emploi se désolidarisent, avec pour conséquence que les salariés ne sont
plus assurés de pouvoir établir une équivalence stable et prévisible entre le niveau des diplômes
qu’ils possèdent et celui des postes qu’ils pourront occuper.

Ces évolutions concernent directement le formateur. On sait aujourd’hui que les gains
attendus dans la création de la valeur (qualité, flexibilité, efficience, sécurité) ne peuvent plus
être espérés d’objets techniques plus performants ou d’une organisation enfin idéale, mais du
« facteur humain » c’est-à‑dire de l’activité des hommes et des femmes. L’échec des tentatives
d’industrialisation de la production des services ou de sur-procéduralisation des tâches dans
les industries à risque impose le constat que la performance repose in fine sur la qualité du
travail humain, sur ce que certains appellent l’investissement subjectif dans le travail, d’autres
la compétence. Développer la compétence ne consiste plus seulement à apporter aux agents un
supplément de connaissances destiné à accroître leur qualification, mais à favoriser la mobilisa-
tion de leur intelligence en situation, à accroître leur autonomie, à encourager leur coopération.
Dans la mesure où la compétence ne se transmet pas, où les injonctions adressées aux salariés –
être motivé, s’impliquer, prendre des responsabilités, prévoir, innover, s’adapter, communiquer,
coopérer – ne relèvent pas d’un simple transfert de connaissances constituées dans ce mouve-
ment, la professionnalité des formateurs s’en trouve profondément transformée au moins dans
leurs méthodes si, comme l’écrit C. Dejours (1993), « c’est le travail qui produit l’intelligence et
non l’intelligence qui produit le travail ». La conséquence pour les formateurs est qu’ils doivent
se mettre à l’écoute des savoirs pratiques produits et mis en œuvre par les travailleurs, dans
l’action située, à l’occasion de l’expérience vécue du travail réel.

2.2 Qu’est-ce que travailler ?


Pour passer du sens commun au concept de travail, il faut s’appuyer sur les disciplines qui
ont le travail pour objet. L’ergonomie de langue française, la psychologie et la psychodynamique
du travail offrent aux formateurs des éléments conceptuels et opératoires pour comprendre
l’investissement subjectif de l’homme dans le travail, c’est-à‑dire la mobilisation de son intel-
ligence dans l’action.

453
Traité des sciences et des techniques de la formation

2.2.1 Entre tâche et activité


La différence de nature mise en évidence par les ergonomes entre le travail prescrit – la tâche
définie par les procédures – et le travail réel – l’activité réellement déployée en situation pour
obtenir la performance – est aujourd’hui bien connue. Pourquoi relève-t‑on un tel écart ? Le cas
le plus banal est celui où les prescripteurs, par méconnaissance des réalités ou par défaillance,
proposent des modes opératoires mal conçus, périmés ou muets sur des événements non prévus.
Les opérateurs doivent alors combler les insuffisances des prescripteurs et se substituer à eux.
Plus fondamentalement, l’écart tient à des motifs indépassables. Les concepteurs des règles
d’action ne peuvent faire autrement que de se référer à des situations standardisées et stabili-
sées, alors que les situations réelles rencontrées par les travailleurs sont infiniment variables
et soumises à des aléas. La variabilité est certes plus ou moins grande suivant les secteurs et
les circonstances, mais elle ouvre toujours un écart entre ce qui est prévu et la façon dont les
choses se présentent concrètement. Il existe une différence de nature entre le discours produit
sur la réalité par les scientifiques ou les technologues et ce que les travailleurs expérimentent
lorsqu’ils doivent concrètement intervenir sur cette réalité. Dans le travail, chacun de nous fait
régulièrement l’expérience des limites de la simple application des règles produites antérieu-
rement, hors de l’action.

Tout se passe comme si, dans le cours de toute action dans le monde réel une part irréductible
échappait à la symbolisation par le langage, et par là même, à l’assurance de la maîtrise. Ce que
P. Davezies (1993) exprime de façon directe : « Travailler implique de sortir du discours pour se
confronter avec le monde. Le mot n’est pas la chose, et il va falloir que quelqu’un “se la farcisse”
la chose. C’est bien structurellement que le travail réel est différent du travail théorique. »

2.2.2 Le travail est une énigme


Pour autant, la reconnaissance des limites de pertinence des savoirs théoriques ne condamne
pas la prescription du travail. Dans certains cas d’ailleurs, 1’absence de normes exogènes sur
lesquelles l’opérateur peut régler son action est aussi délétère pour les travailleurs que l’imposi-
tion étroite de normes. Identifier les limites de la normalisation rationnelle permet de reconnaître
qu’il faut « quelque chose en plus » pour atteindre l’efficacité, réaliser la performance, faire face
aux événements. Ce « quelque chose en plus », qui vient combler l’écart entre la tâche prescrite
et l’activité requise, est apporté par les travailleurs dont il constitue la contribution spécifique,
même dans les systèmes techniques les plus normés et les plus automatisés. Cet apport humain
(« ce qui n’est pas donné par la prescription » – P. Davezies), cette activité déployée en situa-
tion, face aux objets, en relation avec d’autres humains, constitue la définition même du travail.
Travailler ne consiste jamais en une pure exécution de normes antécédentes mais exige de la
part des opérateurs une mobilisation d’intelligence, de l’invention, de la prise de décision, soit
pour rendre les règles applicables malgré la singularité des situations, soit pour pallier leur
manque ou leur inadéquation. Les formateurs sont particulièrement concernés par le fait que,

454
Intelligence au travail et développement des adultes ■ Chapitre 22

dans l’affrontement à la résistance du réel, les travailleurs ne font pas qu’appliquer les savoirs
qui leur ont été transmis, mais qu’ils produisent eux-mêmes des savoirs spécifiques, parfois
appelés savoirs pratiques, empiriques, informels ou encore tours de main, ficelles, astuces et
autres « biais ». Le peu d’intérêt porté à ces savoirs d’action reflète la dénégation sociale qui frappe
les difficultés réellement rencontrées par les travailleurs dans la réalisation des tâches, la non-
reconnaissance de leur investissement subjectif et la dévalorisation de leurs savoirs de métier.
En vérité, la façon dont les travailleurs « se débrouillent » en situation, inventent pour réussir ce
qui leur est confié, parviennent à « tenir » malgré les contraintes qui pèsent sur eux, constitue
une véritable énigme, que les formateurs comme les managers sont réticents à approcher. On
verra plus loin que si les travailleurs cherchent à bien faire leur travail, à réussir, à atteindre
leurs objectifs malgré les contraintes, c’est parce qu’il se joue, dans le travail, quelque chose
d’important pour leur construction personnelle et leur santé. Lorsque leur contribution n’est
pas reconnue ou lorsque les conditions concrètes du travail (toujours plus, toujours plus vite,
toujours mieux, toujours moins cher…) ne leur permettent plus de faire « du bon travail » selon
leurs normes professionnelles ou leurs valeurs, le travail devient délétère et détruit les personnes1.

3. L’intelligence au travail
On vient de voir que la mobilisation d’une intelligence du et au travail, d’une « pensée en
œuvre dans l’acte », est requise par l’impossibilité de maîtriser par avance tous les scénarios de
1’action concrète. Cette forme d’intelligence est très particulière et fort différente de l’intelligence
rationnelle discursive. Elle se caractérise essentiellement par deux traits : elle a recours à la ruse
et s’enracine dans le corps. Le modèle de cette intelligence rusée est donné par une divinité de la
Grèce ancienne, Mètis, ou encore par le personnage d’Ulysse2. La mètis vise l’efficacité pratique
dans le rapport de l’homme à la réalité. Elle désigne une intelligence qui, « au lieu de contempler
des essences immuables, se trouve directement impliquée dans les difficultés de la pratique […]
affrontée à des obstacles qu’il faut dominer en rusant pour obtenir le succès dans les domaines
les plus divers de l’action ». Elle constitue un véritable « mode de connaître ; elle implique un
ensemble complexe, mais très cohérent d’attitudes mentales, de comportements intellectuels
qui combinent le flair, la sagacité, la précision, la souplesse d’esprit, la feinte, la débrouillardise,
l’attention vigilante, le sens de l’opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement

1. Sur le stress au travail et les risques psychosociaux les formateurs pourront s’épargner de nombreuses lectures
peu convaincantes en lisant l’ouvrage d’Yves Clot (2010). Le Travail à cœur, Pour en finir avec les risques
psychosociaux, Paris, La Découverte.
2. Les citations suivantes sont tirées de l’ouvrage de M. Détienne et J.-P. Vernant (1974). Les Ruses de l’intelli-
gence, La mètis des Grecs, Paris, Flammarion.

455
Traité des sciences et des techniques de la formation

acquise ». Recourant à toutes ces ressources, la mètis ouvre à une « connivence avec le réel qui
assure son efficacité […] et lui donne la victoire dans les domaines où il n’est pas, pour le succès,
de règles toutes faites, de recettes figées, mais où chaque épreuve exige l’invention d’une parade
neuve, la découverte d’une issue cachée ». Quant à sa façon de procéder, l’intelligence rusée
s’attache davantage à l’obtention du résultat qu’à la façon dont elle l’obtient. « La mètis procède
obliquement […], elle va droit au but par le chemin le plus court, c’est-à‑dire le détour », ce qui,
de surcroît, permet au rusé d’obtenir le résultat au moindre effort. L’intelligence de l’action
implique « certaines valeurs attribuées au courbe, au souple, au tortueux, à l’oblique et l’ambigu,
par opposition au droit, au direct, au rigide et à l’univoque ». Largement répandue parmi les
hommes à partir du moment où ils sont en bonne santé, présente dans toutes les activités, et pas
seulement dans le travail manuel, cette forme d’intelligence est créative car, pour « s’orienter
dans le monde du changement de l’instabilité, pour maîtriser le devenir en jouant de ruse avec
lui […] elle doit se faire elle-même mouvance incessante, polymorphie, retournement… ».

Le second trait majeur de la mètis tient à ce que les capacités qu’elle confère sont profondé-
ment enracinées dans le corps. Par tous ses sens, le corps est alerté par les écarts qu’il perçoit
entre la situation dans laquelle il est immergé et la situation normale dont il possède, vérita-
blement incorporées, la mémoire et la représentation. L’implication sensorielle du corps peut
s’exercer aussi bien dans un rapport avec des objets techniques (variations dans une vibration,
apparition d’une odeur, d’un déplacement dans l’espace…), que dans les échanges avec autrui
(à travers les mimiques, les mouvements, etc.). « C’est la déstabilisation du corps total dans son
rapport à la situation qui déclenche, initie et accompagne le jeu de cette intelligence pratique »
(Dejours, 1995).

Ce qui différencie la rationalité logique de l’intelligence pratique ne doit pas conduire à


penser que nous serions en présence d’une forme subalterne d’intelligence, totalement détachée
de la rationalité discursive. Ni à considérer qu’elle intervient comme une sorte de supplétif
d’une intelligence épistémique supérieure. Dans de nombreuses séquences d’activité, quel que
soit le métier, l’intelligence corporelle apparaît au contraire comme la condition nécessaire de
l’atteinte du résultat, dans la mesure où c’est dans le corps du sujet que s’enracinent, de manière
indissociable, les dimensions sensorielles, émotionnelles et cognitives de la personne. Lorsque,
face à la dérive d’une situation, l’intelligence corporelle guide l’action pertinente de l’opéra-
teur et anticipe sur le raisonnement logique, elle témoigne d’un haut niveau de complexité,
elle reste guidée par une intention et possède sa rationalité propre. Pour l’analyste du travail,
surtout lorsqu’il est formateur, il est essentiel d’approcher une composante aussi essentielle de
la compétence. On verra plus loin que certains dispositifs ont été conçus pour faciliter la mise
en mots de cette composante tacite de l’activité et d’aider les travailleurs à la développer. Sur le
plan de la recherche, la formalisation de cette partie immergée des savoir-faire (tacit skills ou
tacit knowledge) pose de redoutables problèmes méthodologiques, surtout dans les métiers de

456
Intelligence au travail et développement des adultes ■ Chapitre 22

la relation et plus largement du service. Il est pourtant absolument nécessaire que progressent
les travaux de recherche visant à mettre à jour ce qu’il en est des modes de résolution des
problèmes rencontrés dans l’action, en particulier dans les métiers de l’humain, du soin, de la
relation. Connaître mais aussi libérer le développement de possibles, d’alternatives à ces actes
et construire les règles d’un métier vivant. Pastré (2011) propose de s’y atteler en « postulant
que l’activité dans son développement est analysable, autrement dit en identifiant quelle est la
part d’épistémique dans la pratique ». Nous le suivrons dans cette direction.

4. Le travail au cœur des grandes thématiques


de la formation des adultes

Ce détour par quelques éléments de compréhension du travail humain était nécessaire avant
de passer en revue un certain nombre de thématiques actuelles de la formation des adultes dans
le but d’y pointer les relations qu’elles entretiennent ou pourraient entretenir avec la question du
travail. Avec en arrière-plan la conviction qu’une prise en compte de l’activité peut renouveler
certaines lectures et certaines pratiques de formation.

4.1 La formation au service du développement des adultes


Les formateurs d’adultes sont placés dans une situation singulière par rapport aux enseignants
scolaires. Parce que le développement de l’enfant est régi par les processus biologiques de la
maturation, les enseignants peuvent se centrer sur les apprentissages sans se sentir de respon-
sabilité particulière en matière de développement. De leur côté, les formateurs doivent à la fois
tenir compte des apprentissages déjà réalisés par les adultes engagés dans l’action, et favoriser
des apprentissages nouveaux susceptibles de libérer, de manière volontariste, le potentiel de
développement de leurs publics. Poussant un peu plus loin, on peut avancer que la formation
des adultes ne trouve sa raison d’être et son utilité propres que dans la mesure, et seulement
dans la mesure, où elle met le développement des personnes au premier rang de ses finalités.
Pour argumenter cette proposition, un petit détour est nécessaire pour préciser la notion de
développement. Notion centrale mais difficile à aborder, les grands auteurs du passé, comme
ceux du présent ne proposant guère de repères aisés au praticien.

En formation des adultes, l’expression « développement personnel » désigne indistinctement


toutes les formations ne relevant pas de la sphère professionnelle stricto sensu. On trouve sous
cette étiquette des pratiques extrêmement variées, où le meilleur côtoie le pire. Cette notion

457
Traité des sciences et des techniques de la formation

sera ici utilisée ici dans un tout autre sens en référence à la branche de la psychologie appelée
« psychologie du développement », longtemps considérée comme une partie de la psychologie
de l’enfant. Avant de chercher à préciser la notion, il convient de régler une question préa-
lable : le développement concerne-t‑il seulement l’enfant ou peut-on envisager la possibilité
d’un développement chez l’adulte ? Jusqu’à une période récente, l’étude du développement,
dominée par la figure considérable de Jean Piaget, ne concernait que l’enfant ou l’adolescent,
et la question semblait réglée. Pour cet auteur, le développement, essentiellement cognitif,
résulte d’un processus biologique général de maturation, génétiquement programmé et dont
le déploiement final est attendu vers l’âge de quinze ans. L’apparition de stades successifs de
capacités mentales de plus en plus complexes, observables empiriquement, puise son énergie
à l’intérieur du sujet, dans son fonctionnement biologique. Ce processus biogénétique endo-
gène échappe, pour l’essentiel, à une intervention externe volontariste. Les apprentissages avec
autrui ne deviennent possibles qu’à partir du moment où le sujet est en mesure, on pourrait
dire naturellement ou structurellement, de réaliser les opérations mentales requises. Ce modèle
piagétien a longtemps été la seule référence scientifique disponible, et la formation des adultes
y a eu recours, dès la fin des années 1960, pour tenter de répondre aux besoins de formation
d’adultes faiblement scolarisés en inventant des « outils de remédiation cognitive ».

La perspective proposée par Vygotski est tout autre. Pour lui, l’énergie vitale propre au vivant
alimente un « processus ininterrompu d’automouvement » (1931) qui génère une organisa-
tion psychique primaire que Piaget a fort bien conceptualisée en termes de « schématisme
sensorimoteur ». Dans le même temps, le détail est important, l’enfant est plongé dans un bain
d’interactions langagières reliées à des activités pratiques du monde ordinaire, productions
langagières gorgées de significations qui vont entrer en résonance avec l’organisation psychique
héritée. Il en résulte des entités psychiques qui se détachent de leur substrat biologique inné
pour générer ce que Vygotski nomme des « fonctions psychiques supérieures ». On voit que
la dynamique du développement procède en quelque sorte de l’extérieur vers l’intérieur, de
l’interpsychique vers l’intrapsychique, du social vers l’individuel. C’est dans ce sens qu’il faut
comprendre le titre français d’un ouvrage de Bruner que tout formateur devrait avoir lu : Et la
culture donne forme à l’esprit (1991) ou encore l’affirmation par Vygotski que l’apprentissage
précède le développement.

Pour les praticiens de la formation, plusieurs points sont ici fondamentaux. Premièrement,
Vygotski accorde un primat aux interactions avec autrui comme moteur et matériau du dévelop-
pement d’un être qui peut alors être qualifié de « socio-sémiotique ». Deuxièmement, le langage,
production sociale porteuse de sens s’il en est, occupe une place doublement centrale et agissante
comme médiateur entre l’organisme physique et son milieu et entre les fonctions psychiques héri-
tées et les productions socioculturelles. Ce point a une importance considérable pour justifier les
méthodes de formation basées sur la mise en mots de l’activité. Troisièmement, les discordances, les

458
Intelligence au travail et développement des adultes ■ Chapitre 22

contradictions, les conflits qui ne manquent pas de survenir entre le déjà-là cognitif et les apports
externes ne sont pas mécaniquement et nécessairement générateurs de développement. Processus
historique et social autant qu’individuel, du développement peut procéder d’expériences diverses
mais il restera toujours contingent, jamais assuré, ni dans sa présence, ni dans sa nature, ni dans
son intensité. Cela signifie que des conditions favorables doivent être réunies pour que l’appren-
tissage engendre du développement, le rôle du formateur ou du manager consistant précisément
à créer ces conditions. Nous y reviendrons. Quatrièmement, dans la perspective vygotskienne, le
développement n’est pas une genèse inscrite dans un programme fermé mais une histoire qui n’est
pas écrite par avance, histoire singulière, ouverte, incertaine, réversible, fragile, et dont le dernier
mot reste toujours à écrire. Enfin, on notera qu’avec Vygotski, le développement peut devenir
objet d’intervention formative délibérée et outillée. Cet ensemble de caractéristiques conduit à
penser que la référence vygotskienne doit occuper une place particulière dans les manières de
penser et de faire des professionnels de la formation. Elle leur offre les bases solides d’une théorie
du développement chez l’adulte susceptible d’inspirer des méthodes d’intervention solidement
argumentées. Cette pertinence conceptuelle et pratique se retrouve sur le plan idéologique, présent
dans tout projet éducatif, dans la mesure où la formation des adultes s’est fondée sur le refus de
s’en remettre à un ordre des choses sur lequel l’agir humain n’aurait pas de prise. Une pratique qui
refuse, par doctrine, les assignations sociales ne peut s’accommoder de s’en remettre à un ordre
des choses essentiellement biologique.

Dire qu’il n’est de formation des adultes que développementale signifierait-il que l’apprentis-
sage est minimisé, voire congédié de ses perspectives ? Posons que si l’apprentissage est second
sur le plan des finalités de l’action du formateur, au bénéfice de la visée de développement, il
reste premier dans ses processus d’action. Sur le plan théorique, il est fructueux de distinguer
apprentissage des connaissances et développement des capacités cognitives de la personne et
de s’interroger sur leurs interactions, mais, sur le plan pratique il est peu utile de les opposer.
Si un apprentissage sans développement est parfaitement concevable, un développement qui
ne serait pas nourri de contenus signifiants ne saurait se concevoir. L’affirmation de Vygotski
selon laquelle l’apprentissage précède le développement doit s’entendre non pas comme une
succession temporelle obligée, mais comme un rapport causal. Certains apprentissages « tire-
raient » en quelque sorte un état psychique pour le déplacer vers un autre état psychique,
ce mouvement définissant et signalant le développement. Insistons cependant encore une
fois sur le caractère aléatoire de ce déplacement. Il semble bien que seuls les apprentissages
qui « font expérience » (au sens de l’épreuve, de l’usage de soi), contiennent un potentiel de
développement. Expérience déstabilisatrice de la surprise, de l’écart, du conflit, associant conti-
nuité et rupture dans les significations attribuées à ses actes pour ouvrir à des significations
nouvelles. La question demeure la même pour le praticien : comment mettre en relation, dans
un sens et dans l’autre, expérience et apprentissage pour que leur combinaison soit porteuse
de développement ?

459
Traité des sciences et des techniques de la formation

Si l’on a bien compris que l’apprentissage renvoie à l’acquisition (l’importation) de connais-


sances constituées extérieures au sujet, que faut-il plus précisément entendre par développement ?
Par souci de clarté, il nous semble utile de distinguer deux objets du développement, sachant que
ces objets sont liés. Le développement peut être considéré principalement sous l’angle cognitif. Il
porte alors sur les cadres conceptuels de la pensée et correspond à un accroissement, un élargis-
sement de capacités cognitives nouvelles : abstraction anticipation, généralisation, raisonnement,
analyse. Ces instruments pour penser le monde et soi-même sont intériorisés et deviennent des
composantes à part entière de la personne, et à ce titre vont entraîner des effets transforma-
teurs sur l’identité même de la personne, avec des tolérances individuelles très variables selon
l’histoire des sujets. Le terme de « capacité » est ici riche de significations. D’une part, il est en
rapport direct avec l’action (être capable de…) ce qui présente une grande importance pour la
formation professionnelle. D’autre part, il renvoie à une notion spatiale, la propriété de contenir
une certaine quantité de substance. Il s’agirait alors pour l’adulte de dégager en lui un espace
disponible « pour penser une tête au-dessus de lui-même » (Vygotski), sachant que le travailleur
comme le dit Yves Clot, est toujours plus grand que la tâche ou la place à laquelle il est assigné.
Cette image spatiale désigne la fameuse « zone proximale de développement ».

Mais le développement ne concerne pas seulement l’extension d’une sphère cognitive isolée
du reste de la personne et coupée du monde dans et sur lequel elle exercerait ses fonctions. Le
développement ne porte pas seulement sur des capacités potentielles mais également sur des
activités potentielles (Clot, 2008). On parlera du développement du pouvoir d’agir sur les situa-
tions, les objets, autrui et soi-même, c’est-à‑dire la possibilité pour le sujet de « fonctionner »
autrement en mobilisant les ressources tirées de ses fonctionnements antécédents dans un
mouvement associant continuité et rupture. Ce pouvoir de déborder l’acte en libérant son
potentiel développement s’applique aux pratiques professionnelles, sociales ou personnelles
apparemment le plus routinisées, l’idée étant que l’activité ordinaire « comporte toujours
un devenir possible [et que] cet inachèvement structurel est l’origine du développement de
l’activité » (Clot, 2008).

Revenons au travail. Après avoir affirmé qu’il existe un développement chez l’adulte, ajoutons
avec Pastré que « c’est dans le travail que la plupart des adultes rencontrent leur développe-
ment » et qu’il faut donc « analyser le travail pour y observer des moments de développement ».
En posant que l’action du formateur, dans ce qu’elle de plus spécifique, doit viser le dévelop-
pement à travers et au-delà des apprentissages, nous avons voulu exprimer deux choses. Sur
le plan cognitif, l’adulte n’est pas une structure achevée capable seulement d’acquérir des
informations et des connaissances nouvelles. Sur le plan pratique, il n’est pas enfermé dans la
répétition d’actes qui ont réussi. Il possède l’aptitude, à travers des prises de conscience, de
générer des restructurations psychiques qui ne soient pas « une simple progression mais une
métamorphose des fonctions psychologiques » (Clot 2008). Il est en mesure également de tirer

460
Intelligence au travail et développement des adultes ■ Chapitre 22

parti de son expérience passée pour en faire le moyen d’une expérience à venir différente1. Ces
processus développementaux toujours contingents, jamais assurés ni prévisibles, dépendent de
la « plasticité subjective » des sujets et requièrent au moins deux conditions. La première est
la possibilité offerte au sujet, à travers des processus langagiers dialogiques, de confronter ses
représentations à la pluralité des points de vue d’autrui, à alimenter sa conflictualité interne
à une conflictualité sociale. La seconde « est que la personne concernée élabore cette forme
de dépassement du débat qui se traduit par l’attribution de nouvelles significations à ses actes
propres et au travail dont ils relèvent » (Bronckart, 2008). Ce sont précisément ces condi-
tions que s’efforcent de remplir certains dispositifs de développement professionnel que nous
évoquerons en fin de chapitre.

4.2 Compétence et reconnaissance au travail


La compétence, au singulier, est une façon de désigner l’engagement des hommes et des
femmes dans le travail comme principe explicatif de l’obtention de la performance. Est compé-
tente l’action intelligente, située, efficiente, déployée pour faire face à la variabilité et à la
spécificité des situations. On retrouve strictement la définition du travail que nous avons donnée
précédemment et les deux notions se confondent. Si la compétence ne s’enseigne pas mais se
construit dans l’action et les interactions, il reste au formateur à comprendre les ressorts de ce
déploiement d’intelligence dans une activité qui n’est jamais de simple exécution. La question
pourrait être formulée ainsi : pourquoi est-ce que les personnes cherchent à bien faire leur travail,
à s’investir subjectivement, à agir avec compétence, et à l’inverse pourquoi souffrent-elles tant
lorsqu’elles perdent leur travail ou lorsqu’elles sont empêchées de le faire comme elles pensent
qu’il doit être fait, d’un point de vue technique ou d’un point de vue éthique ?

Pour percer cette énigme de la volonté de bien faire, il faut replacer le travail proprement dit
dans la perspective plus large de la construction de la personne et lui conférer un statut anthro-
pologique. Nous adopterons une conception qui pose que la personne se développe dans l’action
et dans les interactions. Dans cette conception, nous sommes avant tout des êtres sociaux, qui
« fonctionnent à l’autre », dont l’identité se construit dans le regard d’autrui2. Cette nécessité
vitale nous conduit à mener auprès d’autrui, notre vie durant, une quête de reconnaissance

1. La phrase célèbre de Vygotski « l’homme est plein à chaque minute de possibilités non réalisées » peut s’appli-
quer, simultanément, aux deux dimensions du développement : les capacités cognitives et le pouvoir d’agir.
2. En n’oubliant que nous sommes pour nous-même un autrui. Les êtres humains ont la faculté de réfléchir
leur action et de se considérer « soi-même comme un autre ». Ne dit-on pas « à mes propres yeux… » ? Dans
son ouvrage Parcours de la reconnaissance (2004), Paul Ricœur intitule sa deuxième étude Se reconnaître soi-
même. Clot (2010) différencie la reconnaissance par autrui (être reconnu par…) de la reconnaissance dans ce
que l’on fait (se reconnaître dans…). En fait, les deux procèdent du même processus psychologique et social.

461
Traité des sciences et des techniques de la formation

de soi dont on voit bien le lien originaire qu’elle entretient avec la question de l’identité. Dans
nos sociétés, reconnaître un enfant qui vient de naître, c’est lui conférer une identité et lui
attribuer une place dans la société des hommes. Dans ce schéma anthropologique général, le
travail occupe une place centrale parce qu’il possède un double statut : il est action productive
sur le monde extérieur et action constructive sur notre monde psychique. En ce sens il offre ou
il interdit la possibilité d’alimenter notre construction identitaire, sur les deux plans distincts
mais indissociables de l’action et des interactions. Du côté de l’action, le travail nous engage dans
toutes les dimensions de notre personne et les contraintes qu’il nous impose sont également des
opportunités de déployer notre intelligence, notre inventivité, ce que finalement on pourrait
appeler notre compétence. Encore faut-il que notre action puisse alimenter une « dynamique
de la reconnaissance » (Dejours), c’est-à‑dire le lien social dont nous sommes dépendants pour
nous construire comme sujets. C’est à travers différents types de jugements prononcés par les
différents membres de nos univers professionnels et privés que le processus de la reconnaissance
va se déployer : jugement sur la façon de respecter ou de dépasser les règles de métiers, proféré
par les pairs ; jugement sur la qualité du service rendu, proféré par les usagers ou l’employeur. Il
est important de noter que ces jugements portent sur nos actes professionnels et leurs résultats,
et non pas sur notre personne, même si le travail étant gorgé de la subjectivité de celui qui le
réalise, le jugement porté sur l’action fait retour vers son auteur. Lorsqu’un travailleur dit : « Ici,
on n’est pas reconnu », il attend que son engagement subjectif dans l’activité industrieuse ne lui
procure pas seulement un salaire mais lui ouvre également l’espace d’une construction identi-
taire par le moyen d’une reconnaissance sociale de sa personne. D’une certaine manière, et en
forçant un peu le trait, on peut dire que la reconnaissance précède la compétence au sens où la
visée (agir au mieux pour obtenir une reconnaissance par autrui et par soi-même) présuppose
sa condition (soumettre au jugement d’autrui un travail de bonne qualité).

4.3 La didactique professionnelle


Apparue au début des années 1990, la didactique professionnelle a été portée par la rupture
paradigmatique entraînée par « la logique de la compétence » mais aussi par le développement
et la diffusion des disciplines des sciences sociales qui étudient le travail. Les textes sur la didac-
tique professionnelle sont aujourd’hui facilement accessibles aux lecteurs praticiens1. Nous nous
contenterons ici d’en présenter quelques éléments. La définition que donne de la didactique
professionnelle Pastré, son principal théoricien – « l’analyse du travail en vue de la forma-
tion » – montre assez que la finalité de la discipline est tournée vers l’action, en l’occurrence la
conception de dispositifs et situations de formation professionnelle et l’étude des apprentissages

1. Voir infra, chap. 23.

462
Intelligence au travail et développement des adultes ■ Chapitre 22

qui se font au travail. Les principes sur lesquels repose cette approche peuvent être énoncés en
trois points principaux : les adultes – et pas seulement les enfants – sont, dans certaines condi-
tions, capables de développement, notamment dans l’activité de travail ; le travail exige, pour
obtenir la performance visée, la réalisation d’opérations mentales multiples et complexes, peu
visibles à l’observation et largement méconnues des concepteurs de l’activité, des formateurs et
des opérateurs eux-mêmes ; l’action n’est pas seulement utilisatrice de savoirs mais également
source d’apprentissage, surtout si la possibilité est offerte aux personnes de faire l’analyse de
leur propre action (« Il y a un apprentissage par l’action ; il y a un apprentissage par l’analyse de
sa propre action » [Pastré]).

Au-delà de l’apprentissage, la didactique professionnelle a pour visée le développement chez


l’adulte. Ce qui est recherché, c’est la conception de situations de formation qui prennent en
compte non seulement l’acquisition des gestes professionnels immédiatement fonctionnels
mais la possibilité de leur développement à partir de l’hypothèse que l’activité recèle toujours le
potentiel de son propre développement. Processus toujours contingent, aléatoire, qu’il convient
de ne pas entraver mais de faciliter (« Seul un bon apprentissage précède le développement »
[Vygotski]). La didactique professionnelle s’intéresse alors aux conditions, notamment sociales,
« qui contraignent, inhibent, libèrent ou favorisent l’expression et le développement des compé-
tences » (Mayen, 2008.). La proposition débouche sur la notion d’« ingénierie des compétences »,
dont on voit qu’elle se différencie nettement, sans l’invalider, de l’ingénierie traditionnelle.

4.4 Les formations à visée développementale


Nous avons présenté précédemment comme un impératif l’organisation des situations de
formation de telle façon qu’elles soient ouvertes à de possibles développements. Certaines
pratiques formatives visent à produire des effets développementaux. Le constat est que notre
agir échappant largement à notre conscience, sa mise en mots spontanée est difficile. Cette
caractéristique fait obstacle à une reprise réflexive de notre action passée, condition d’une « prise
de conscience » susceptible de transformer nos représentations, de modifier les significations
installées et de provoquer du développement1. C’est ainsi que différents dispositifs, parfois
dérivés de la recherche, ont été conçus pour permettre à des adultes de se mettre en situation
d’auto-analyse de leur travail, de produire un discours actuel sur une activité passée, parfois
filmée, parfois non. Dans tous ces dispositifs, la production langagière se fait dans l’interaction,
dans un dialogue entre la personne en formation et le formateur, parfois en variant les desti-
nataires du discours. Comme l’écrit Jean-Paul Bronckart (2008) « la réflexion humaine, et les

1. Vygotski (1994) : « L’action, passée au crible de la pensée se transforme en une autre action qui est réfléchie. »

463
Traité des sciences et des techniques de la formation

prises de conscience qui en résultent, constituent des processus indissolublement psychiques


et langagiers ».

L’analyse de l’activité professionnelle est très répandue sous l’appellation générale d’« analyse
des pratiques », particulièrement dans les métiers de l’humain (éducation, travail social, soin…).
Cette formulation, très imprécise, recouvre des pratiques très hétérogènes sur les plans tech-
nique, conceptuel et éthique, et leur lien avec la question du travail est souvent peu construit.
Nous n’en traiterons pas ici, pas plus que des histoires de vie sur laquelle existe une abondante
littérature1.

5. En guise de conclusion


Le terme « formation » est le plus souvent utilisé pour désigner une pratique sociale bien
repérée, avec ses institutions, ses savoirs, ses méthodes, ses financements et ses professionnels.
En proposant aux formateurs de faire du développement la pierre angulaire de la formation
professionnelle, l’organisateur de l’activité des professionnels de la formation, nous avons donné
à la notion de formation un sens infiniment plus large, le sens de « construction » de la personne.
Le cadre de pensée est alors anthropologique, et l’intérêt se porte sur les processus et le mouve-
ment davantage que sur le fonctionnement des personnes. Ce qui importe au formateur et donne
sens à son action, c’est la transformation, le déplacement, fait de continuité et de ruptures, et
qui ouvre sur des possibles laissés en jachère, des potentialités non exploitées, des alternatives
non advenues, sur une histoire qui n’est pas encore totalement écrite. C’est cette dynamique
vitale, qui transforme la structure du psychisme et intervient sur le devenir du sujet, que l’on
peut désigner sous le terme de développement.

Si elle reste propriété du sujet, enfouie dans son corps et dans son esprit, que vaut l’intelli-
gence qu’il produit et qu’il agit dans l’action ? Si elle n’est pas conscience d’elle-même ; si, par la
mise en mots, elle ne devient pas un clapet de transmission, d’échanges et de débats au sein des
collectifs de travail, le risque est grand de voir cette intelligence se figer, perdre sa capacité de
s’adapter à la variabilité des situations et faire face aux événements, être condamnée à répéter
ce qui a bien marché.

1. Nous ne ferons ici que décrire succinctement les fondements et les modalités de ces différentes méthodes.
Pour approfondir on pourra consulter : P. Vermersch, L’Entretien d’explicitation, 1994 ; Y. Clot, Travail et
pouvoir d’agir, 2008 ; P. Dominicé, L’Histoire de vie comme processus de formation, 2002. Sur les histoires de
vie, voir supra, chapitre 15.

464
Intelligence au travail et développement des adultes ■ Chapitre 22

C’est ainsi que, depuis quelques années, on a vu apparaître des dispositifs de formation qui
invitent les professionnels à faire l’auto-analyse de leur activité pour en prendre conscience –
tant il est vrai que notre propre action nous échappe –, et pour comprendre ce qui a guidé cette
action, sur quelles normes elle a été réglée, dès lors que ces normes sont toujours techniques
et éthiques à la fois. Il s’agit de comprendre que d’autres choix auraient été possibles dans une
« réserve d’alternatives », pour reprendre la formule du philosophe Yves Schwartz (2012).

Cette possibilité d’orienter son action, d’explorer d’autres possibles ou, comme le dit Yves
Clot, de faire de l’expérience passée la ressource d’une action future différente, relève véritable-
ment du développement de la capacité d’agir des travailleurs.

L’intelligence du travail est alors au service du développement de l’intelligence au travail ou,


si l’on préfère, de la compétence.

Lectures conseillées
Bronckart J.-P. (2008). « Un retour nécessaire sur Jobert G. (2014). Exister au travail, Toulouse, Érès.
la question du développement », in Vygotski, Mayen P. (2008). « Dix développements sur la
Les recherches en éducation et en didac- didactique professionnelle et le dévelop-
tiques des disciplines, Bordeaux, Presses pement », in Lenoir Y. et Pastré P. (éd.),
universitaires. Didactique professionnelle et didactiques
Clot Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir, Paris, PUF. disciplinaires en débat, Toulouse, Octarès.
C lot Y. (dir.) (1999). Avec Vygotski, Paris, La Pastré P. (2011). La didactique professionnelle.
Dispute. Anthropologie du développement chez les
Davezies P. (1993). « Éléments de psychodynamique adultes, Paris, PUF.
du travail », Éducation permanente, n° 116, Schwartz Y. (2012). Expérience et connaissance du
p. 33-46. travail, Paris, Éditions sociales.
Dejours C. (1995). Le facteur humain, Paris, PUF. Travail et apprentissages : 2010, n° 6,
Jobert G. (2005). « Engagement subjectif et recon- « Expérience, apprentissages et formation ».
naissance au travail dans les systèmes
techniques », Revue internationale de
psychosociologie, vol. XI, n° 24.

465
Chapitre 23
L’ingénierie didactique
professionnelle1

1. Par Patrick Mayen, Paul Olry et Pierre Pastré.


Sommaire
1. L’analyse didactique professionnelle du travail..................................................... 470
2. Les invariants de la didactique professionnelle..................................................... 476
3. Une ingénierie des situations................................................................................ 478
4. Pour terminer........................................................................................................ 481
Lectures conseillées.................................................................................................. 482
La formation continue a derrière elle une longue tradition d’ingénierie de la formation.
Analyser une demande, analyser des besoins, élaborer des référentiels, construire un dispo-
sitif de formation et des ressources, évaluer : autant d’activités d’ingénierie pour la formation
professionnelle continue. Si celle-ci s’est constituée historiquement comme un champ de
pratiques, il s’agit de pratiques analysées et raisonnées, qu’elle a elle-même inventées et
codifiées.

Dans cette histoire, la didactique professionnelle a trouvé, depuis sa création (Pastré, 1992,
2011), une place particulière en proposant un cadre conceptuel et méthodologique pour
enrichir et prolonger le champ de pratiques de l’ingénierie de formation. C’est notamment,
mais pas exclusivement, le cas avec la proposition d’une ingénierie didactique professionnelle.
Pastré (1999) la définit ainsi :

« Son objectif est d’utiliser l’analyse du travail pour construire des contenus et des méthodes,
visant à la formation des compétences professionnelles […] afin de repenser l’acte didactique,
s’adressant à des adultes, en référence au travail, et au développement des compétences et de
l’expérience professionnelle » (p. 403).

Dans cette orientation, l’ingénierie didactique professionnelle vise deux apports principaux
à l’ingénierie de formation :
–– « Repenser » et remettre l’acte et les questions didactiques en jeu dans la formation profes-
sionnelle. D’une part, en identifiant, à partir de l’analyse du travail, ce qui est à apprendre
et à développer pour maîtriser le travail, mais aussi ce qui est facteur de complexité, de
difficulté dans le processus d’apprentissage. D’autre part, en concevant les parcours et les
méthodes de formation, à partir de l’analyse du potentiel formatif du travail, de l’activité
des professionnels plus ou moins expérimentés et des parcours par lesquels des profes-
sionnels deviennent ou sont devenus des professionnels compétents.
–– Proposer aux formateurs une voie originale pour concilier formation et travail en évitant
deux écueils : le premier qui consiste à faire de la formation la préparation à l’applica-
tion de procédures pour s’adapter au travail. Le deuxième qui dissocie la formation des
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

préoccupations et des enjeux de l’activité au travail en reproduisant les oppositions entre


pensée et action, théorie et pratique, geste et connaissance, savoir et action. Le savoir y
précéderait l’action, l’action serait application de savoirs. En rupture avec cette ligne de
pensée, la didactique professionnelle, en revendiquant le primat de la conceptualisation
dans l’action, souligne que l’action est aussi pensée, que le savoir est dans l’action, que le
geste est connaissance, que le savoir de l’action est original, même lorsqu’il emprunte les
savoirs des sciences et des techniques. Par et dans l’activité, les savoirs sont réélaborés
pour l’action avec les situations. C’est ce que Vergnaud (1990) a défini comme le processus
d’élaboration pragmatique (Mayen, 1997, 1998).

469
Traité des sciences et des techniques de la formation

Pour cela, la didactique professionnelle fait du travail et de son analyse le point de départ de
la conception de la formation. Elle propose ensuite d’utiliser les situations de travail comme
moyen de la formation : soit en les mobilisant pour la formation, telles qu’elles se présentent à
l’expérience (comme dans les formations par alternance) ou en les aménageant dans le cadre du
travail lui-même (formations en situation de travail, intervention sur le travail pour le rendre
apprenant). Soit en les transposant pour concevoir des situations de formation en référence
au travail, plus ou moins contextualisées. La forme la plus prototypique, mais qui n’est qu’une
forme parmi d’autres, en est aujourd’hui la simulation.

Apprendre des situations et par des situations constitue ainsi le premier principe organisateur
de l’ingénierie didactique professionnelle (Pastré, 1999). Il ne s’agit pas seulement d’apprendre
par l’expérience des situations de travail qui se présentent sur le chemin d’un professionnel, mais
aussi par l’expérience de situations didactisées, conçues à partir des situations de travail, et plus
ou moins contextualisées. Le second principe organisateur tient à l’idée de la conceptualisation
dans et pour l’action. L’action efficiente est intelligente.

1. L’analyse didactique professionnelle du travail


Pour cela, l’analyse du travail pour l’ingénierie didactique professionnelle emprunte des voies
et des formes originales pour se constituer en ce qu’on peut appeler : l’analyse didactique profes-
sionnelle du travail, qualifiée, le plus souvent d’analyse du travail pour la formation. Parler
d’analyse didactique professionnelle du travail permet d’éviter de laisser penser que l’analyse
du travail pour la formation ne serait que l’usage de concepts et méthodes d’analyse du travail
éprouvés par ailleurs. Or l’analyse du travail pour la formation est une forme originale d’analyse
du travail, et non pas simplement l’application, pour la formation, de concepts et de méthodes
d’analyse du travail existants.

L’expérience de la recherche, de l’intervention, mais aussi de la formation de formateurs en


didactique professionnelle montre que la simple application de concepts et de méthodes d’ana-
lyse du travail conçus pour des finalités d’intervention ergonomique, clinique, organisationnelle,
psychologique, conduit à des impasses lorsqu’il s’agit de concevoir des parcours, dispositifs
et situations de formation. L’analyse didactique professionnelle du travail qui est une analyse
didactique emprunte largement aux concepts et méthodes conçus et développés par les sciences
et technologies du travail, mais elle les réélabore. Notamment, parce qu’elle les inscrit dans des
finalités et pour des actes spécifiques de formation.

La didactique professionnelle a pour but de constituer un corps de connaissances utiles

470
L’ingénierie didactique professionnelle ■ Chapitre 23

pour répondre aux tâches spécifiques des professionnels de la formation et de l’enseignement


professionnel. Comme l’ingénierie de formation, l’ingénierie didactique professionnelle se donne
comme objectif de dépasser le stade d’une accumulation de pratiques sans principes, pour
chercher à fonder rationnellement les pratiques qu’elle entend développer. Elle s’appuie sur des
références théoriques à l’interface de l’ergonomie, de la psychologie du travail, de la psychologie
des apprentissages et du développement, et enfin, des didactiques. Mais l’ingénierie didactique
professionnelle mobilise aussi les connaissances et les techniques de l’ingénierie de formation,
car l’agencement que constituent un dispositif et un parcours de formation suppose une intégra-
tion des différents éléments qui le composent. Enfin, l’ingénierie didactique professionnelle ne
peut pas ignorer les ressources proposées par ce qu’on peut appeler « les » pédagogies, dans ce
qu’elles proposent de richesse et d’inventivité pour imaginer et élaborer des conditions poten-
tielles optimales d’apprentissage et de développement, diversifiées, ouvertes à la diversité des
publics, des objets d’apprentissage et des conditions de formation disponibles.

1.1 Les fonctions de la notion de situation en ingénierie


didactique professionnelle
En ingénierie didactique professionnelle, les situations de travail ont trois fonctions :
elles sont les finalités de la formation, car l’enjeu de celle-ci est d’aider les professionnels
à construire et développer des compétences pour la maîtrise des situations de travail. Elles
sont moyens, parce que c’est par l’activité en situation et avec des situations plus ou moins
didactisées et contextualisées mais toujours référées au travail, que les apprentissages peuvent
s’engager et se développer. Enfin, elles sont origine, ce qui justifie la nécessité de l’analyse du
travail pour la formation.

Les situations sont origine parce qu’en formation professionnelle, ce ne sont pas les savoirs,
scientifiques ou techniques, ni les procédures et modes opératoires, qui sont premiers.
–– Ce sont les situations, avec leurs buts, leurs objets, leurs conditions, leurs problèmes,
leurs systèmes d’instruments, leur complexité, leurs risques, leurs défis, leurs variables
agissantes : autrement dit, ce à quoi des professionnels ou futurs professionnels ont ou
auront affaire, ce avec quoi ils ont ou auront à faire. Les situations sont des systèmes de
composantes et, si l’apprentissage de l’action avec le « système situation » est l’objectif
final de la formation, l’apprentissage de ses composantes est aussi un objectif.
–– C’est aussi l’activité des professionnels, dans, avec et sur ces situations, parce que l’activité
actuelle et à venir est l’enjeu de la formation : quels sont les problèmes, difficultés, préoc-
cupations, erreurs, points aveugles, méconnaissances, prises de risques mal connues, qui
limitent les capacités d’action des professionnels et réduisent leur pouvoir d’agir ? Quelles
sont, enfin, les formes d’action et de raisonnement éprouvées et efficientes, les savoirs,

471
Traité des sciences et des techniques de la formation

les inventions et l’intelligence en jeu que les professionnels expérimentés ont construits
et mobilisent pour maîtriser les situations ?

L’ingénierie didactique professionnelle de la formation s’organise ainsi en fonction de


l’activité actuelle et à venir des professionnels, activité qui ne se réduit ni à l’application de
savoirs, ni à l’application de procédures, pour des situations qui ne sont ni disciplinaires, ni
pluridisciplinaires, ni seulement techniques, et encore moins purement théoriques ou pure-
ment pratiques.

Par conséquent, pour la formation, l’analyse du travail, c’est-à‑dire, conjointement, l’analyse


des situations, et l’analyse de l’activité de ceux qui sont amenés à agir avec elles, est première
dans la démarche d’ingénierie.

L’analyse du travail est donc analyse des situations et analyse de l’activité. Aujourd’hui,
de nombreux courants de l’analyse du travail ou de l’analyse de l’activité sont présents dans
le champ de la formation et de l’ingénierie de formation : ergonomie, technologie du cours
d’action, ergologie, clinique de l’activité. L’idée de l’analyse du travail pour la formation n’est
pas le monopole de la didactique professionnelle. Mais, on l’a évoqué, les concepts et méthodes
issus de l’ergonomie ou de la psychologie du travail ne sont pas empruntés par la didactique
professionnelle sans être réélaborés. Analyser le travail pour la formation ne se réduit pas à
analyser le travail comme un ergonome, un psychologue du travail, un clinicien de l’activité.
L’analyse didactique professionnelle du travail vise à analyser le travail « comme un forma-
teur ». Ce qui signifie que, tout au long de la démarche, les enjeux de formation dirigent
l’activité du formateur analyste du travail. Analyser le travail pour la formation réorganise
et réélabore les méthodes pour répondre aux questions posées par la conception de toute
formation professionnelle, mais elle le fait en considérant le travail dans ses spécificités : milieu
professionnel, monde de relations sociales, tension entre ce qui doit être fait et originalité de
l’activité qu’une personne peut déployer, etc.

Ainsi, il ne suffit pas de faire une « bonne » analyse du travail et de comprendre le travail, à
la suite de quoi s’imposeraient alors de bonnes formes pour l’apprentissage et le développe-
ment des compétences. L’analyse du travail est une analyse didactique du travail. Elle cherche
à répondre aux questions déjà évoquées : à quoi des professionnels ont ou auront à faire ?
Qu’est-ce qu’ils doivent donc être à même de découvrir, connaître, comprendre ? Qu’est-ce qui
est à faire et comment peut-on le faire pour maîtriser les situations, c’est-à‑dire pour combiner
les impératifs de qualité de ce qui est produit et de qualité de l’activité des professionnels, pour
leur santé, leur satisfaction, voire leur développement individuel ? L’analyse s’attache à mettre
en évidence ce que sont les complexités du travail, ses exigences, ses risques, ses contraintes,
ses ressources afin d’en faire quelque chose pour la formation.

472
L’ingénierie didactique professionnelle ■ Chapitre 23

Pour ce faire, l’analyse didactique du travail combine une analyse des situations en tant qu’envi-
ronnement et conditions données de l’activité, et une analyse de l’activité avec ces situations :
activités de professionnels plus ou moins expérimentés et plus ou moins « compétents ». L’analyse
est alors celle des formes d’action, de connaissance et de raisonnement efficientes, voire expertes
qu’ils mettent en œuvre. Mais c’est aussi l’analyse des difficultés, obstacles, complexités ressen-
ties, problèmes rencontrés, erreurs, biais, manques de compétences ressentis et agis. Car c’est
précisément cela que la formation doit prendre en compte pour en faire quelque chose et aider
les personnes à en faire quelque chose en développant leurs compétences.

On a donc bien affaire à une analyse didactique au sens où il s’agit d’identifier ce qui est à
apprendre et à développer, mais aussi ce qui fait obstacle et difficultés parce que c’est là le principal
enjeu de la formation. Sinon, comment penser la formation sans partir des tâches à accomplir,
de la complexité et des problèmes à résoudre, comment construire la formation sans commencer
par connaître les situations pour lesquelles des capacités sont à construire ? Comment connaître
ce qu’il faut savoir et savoir-faire sans connaître les situations pour lesquelles ils sont utiles ?
Comment organiser un agencement de situations de formation sans identifier une progressivité
dans la complexité des situations, sans anticiper les points critiques de l’apprentissage : sources
d’erreurs, prises de risques, biais de raisonnement, points aveugles et ignorances, sans distinguer
ce qui est difficile pour un débutant et ce qui l’est encore pour un professionnel expérimenté ?

Mais l’analyse didactique professionnelle du travail a aussi une deuxième fonction. C’est une
analyse des conditions et des processus d’apprentissage et de développement professionnel.

1.2 L’analyse didactique professionnelle du travail :


analyse des conditions et des processus d’apprentissage
et de développement professionnel
Cette part de l’analyse didactique professionnelle du travail se distingue en deux volets. Le
premier consiste à analyser le potentiel d’apprentissage et de développement, ou encore, le potentiel
formatif des situations de travail. Le but est double :
–– identifier les situations dont le potentiel d’apprentissage peut être mobilisé dans la conception
d’un parcours de formation ;
–– identifier les situations de travail à faible potentiel d’apprentissage afin soit d’intervenir sur et
dans les situations pour accroître ce potentiel, soit de concevoir des situations didactiques au
potentiel d’apprentissage élevé, hors des situations de travail.

Le second volet consiste à analyser les parcours d’expérience par lesquels des professionnels
sont devenus des professionnels plus ou moins expérimentés et plus ou moins compétents. L’idée

473
Traité des sciences et des techniques de la formation

didactique est simple : pour concevoir des parcours de formation efficients, il est possible de
s’inspirer des parcours (de vie, de travail, de formation) qui ont conduit des professionnels à
devenir des professionnels compétents, dans une sorte de démarche de transposition didac-
tique des parcours. Mais il est aussi nécessaire d’identifier quels parcours ont limité, inhibé
les processus d’apprentissage et de développement afin de concevoir des parcours de qualité.

On voit ici que l’analyse didactique professionnelle du travail est aussi une analyse dynamique
des parcours professionnels, qui s’étend aux parcours de vie. On voit aussi que l’ingénierie
didactique professionnelle de la formation est, non seulement, une ingénierie de la formation
par les situations, mais une ingénierie didactique des parcours. C’est pourquoi la didactique
professionnelle mobilise la notion d’expérience. L’expérience se fait, pour une personne, avec des
situations, et l’activité qui résulte de l’interaction de cette personne avec les situations constitue
une expérience de plus ou moins grande qualité pour les expériences ultérieures. La qualité
de l’expérience dépend, pour partie, du potentiel de chaque situation, mais aussi du potentiel
constitué par l’enchaînement des expériences vécues avec des situations qui se succèdent et
s’enchaînent. La qualité de l’expérience dépend aussi de ce qu’une expérience peut être eue ou
peut être faite, ainsi que l’écrit John Dewey (2011). Pour qu’une expérience soit faite et entraîne
des apprentissages, des conditions sont nécessaires. On va y revenir plus loin puisque ces condi-
tions concernent directement l’ingénierie didactique, c’est-à‑dire l’agencement des conditions
pour engager et soutenir des activités porteuses d’apprentissages.

L’analyse du potentiel d’apprentissage des situations et des parcours débouche directement sur
la conception des situations formatives et des parcours de formation. Elle répond à la question :
comment des personnes peuvent-elles devenir des professionnels expérimentés et compétents ?
Cette question intéresse la didactique professionnelle comme champ de recherche, mais elle
intéresse fondamentalement la didactique professionnelle comme technologie pour l’ingénierie
de formation.

Une des fonctions de l’analyse didactique du travail consiste donc à analyser ce qu’on peut
appeler le potentiel d’apprentissage et de développement du travail. En effet, pour concevoir
des parcours de formation qui utilisent les situations de travail et l’expérience professionnelle,
comme c’est le cas, par exemple, dans toutes les formes de formation par alternance, on a besoin
de pouvoir définir le potentiel formatif des situations de travail.

Comme on l’a noté un peu plus haut, cette analyse vise plusieurs buts : premièrement, repérer
les situations au potentiel d’apprentissage élevé afin de les proposer à ceux qui se forment, dans
le cours de leur parcours de formation.

474
L’ingénierie didactique professionnelle ■ Chapitre 23

Deuxièmement, identifier les situations dont le potentiel formatif peut être accru, par des
aménagements de ces situations :
–– Des aménagements organisationnels, techniques, ou managériaux des situations profession-
nelles elles-mêmes, qui optimisent les activités d’apprentissage. Par exemple, en suggérant
aux encadrants de proposer des tâches suffisamment complexes pour entretenir et déve-
lopper les capacités d’action, ou associer les professionnels aux décisions concernant leur
travail… On est bien dans l’ingénierie didactique au sens où l’objectif d’intervention sur
le milieu de travail a pour but d’optimiser les processus d’apprentissage en suscitant des
activités à potentiel d’apprentissage élevé ;
–– Des aménagements par l’adjonction de « ressources » formatives. Il s’agit ici de mettre en
place des conditions d’étayage de l’apprentissage. Étayage documentaire, étayage humain,
en organisant un compagnonnage ou des formes de tutorat qui, à partir des situations de
travail, avec elles et en situation de travail, visent à développer le potentiel formatif d’une
situation ou à le compléter ou à le compenser lorsqu’il est insuffisant pour des objectifs
donnés.
–– L’« aménagement » par l’agencement de plusieurs situations afin de composer un parcours.
Le potentiel d’apprentissage d’une situation est fonction de l’expérience vécue, au sein d’un
parcours, avec d’autres situations :
• autres situations de la même classe : l’apprentissage va résulter de la confrontation à la
diversité et à la variabilité de plusieurs situations, des processus de comparaison, des
exigences d’ajustement de l’action pour des situations de la même classe, des processus
de généralisation et de conceptualisation des invariants communs aux situations et des
variations entre celles-ci…
• progressivité dans la complexité au sein de la classe de situations ;
• expérience de l’activité dans des situations de familles différentes qui s’enchaînent.
Gagneur (2010), dans une recherche consacrée au travail viti-vinicole montre ainsi que
les professionnels les plus actifs d’un groupe de coopérateurs vivent des expériences à
fort potentiel d’apprentissage et de développement, par l’activité de l’ensemble des situa-
tions viticoles, mais que celle-ci est élargie et développée par leurs activités vinicoles à
la cave. Il montre aussi que ceux qui échangent le plus avec les autres, en circulant dans
les parcelles, découvrent et connaissent les situations viticoles des autres. Ce qui déve-
loppe leur compréhension du travail viticole par élargissement et par comparaison et la
conceptualisation de l’action pour ces situations.
–– Enfin, dernier point, l’usage didactique des situations est aussi fonction des possibilités
d’analyse des situations et de l’activité vécue avec ces situations : analyse réflexive, débrie-
fing, analyse de l’expérience, individuelle ou collective qui transforment l’expérience des
situations.

475
Traité des sciences et des techniques de la formation

Toutefois, l’usage direct ou aménagé des situations de travail telles qu’elles se présentent ou
telles qu’on peut les aménager ne suffit pas ou, plutôt, peut ne pas suffire. L’analyse du travail
peut mettre en évidence le fait que les situations de travail ont un faible potentiel d’apprentissage
et de formation, qu’elles limitent, inhibent les apprentissages, souvent, même, le maintien en
état des capacités, qu’elles limitent et inhibent les possibilités d’action, de compréhension, de
raisonnement, de pensée.

L’analyse du travail peut aussi montrer, plus simplement que, les situations de travail qui
seront à maîtriser n’existent pas dans tel milieu professionnel ou que les instruments sont obso-
lètes ou que les pratiques en cours sont justement celles qui font l’objet d’objectifs d’évolutions.
Enfin, les milieux de travail peuvent aussi ne pas se révéler aménageables et limiter ainsi les
potentialités d’apprentissage.

Dans ce cas, la conception de la formation va avoir à procéder à une succession d’élabora-


tions didactiques à partir des situations de travail, finalisées par la maîtrise de ces situations de
travail. C’est dans ce sens que la didactique professionnelle a recours au concept didactique de
transposition, mais en lui faisant subir une certaine torsion.

Les formes de conception de situations de formation à partir des situations de travail sont en
nombre indéfini mais pas infini. Mais le processus d’élaboration comporte un certain nombre
d’invariants que nous allons définir maintenant et qui sont les outils même de l’ingénierie didac-
tique professionnelle.

2. Les invariants de la didactique professionnelle


Dans l’idée de savoir-faire, ce que retient la didactique professionnelle, c’est qu’il y a du savoir
dans le faire. Ou encore, au cœur de la compétence, la conceptualisation. Gérard Vergnaud (1996),
plus que de chercher à définir ce que serait la compétence, répond en cherchant à comprendre ce
qu’est un professionnel compétent, ou, plus exactement, ce qu’est un professionnel plus compé-
tent, non pas dans une perspective comparative entre professionnels, mais dans une perspective
génétique. L’une des définitions revient à dire qu’un professionnel plus compétent peut faire face
à plus de situations de la même famille, autrement dit à un plus grand spectre de diversité de
situations, et à une plus grande variation des situations. Les notions de diversité et de variabilité
sont des briques essentielles pour l’ingénierie didactique professionnelle de la formation.

Au sein d’une même catégorie d’emploi, ou d’un même métier, ou au sein même d’une famille
de situations, la diversité est de mise. Aucune situation n’est strictement identique à une autre, et

476
L’ingénierie didactique professionnelle ■ Chapitre 23

les différences peuvent s’avérer importantes : différences dans les agencements organisationnels,
dans la nature des outils et systèmes techniques, différences dans les caractéristiques des usagers et
bénéficiaires, différences dans les pratiques admises, différences dans les produits et dans le niveau
de qualité attendue, etc. Or un professionnel compétent peut être défini comme un professionnel,
non pas qui s’adapterait à toutes ces situations, mais comme un professionnel qui peut parvenir à
maîtriser une large famille de situations, dans leur diversité. La notion de diversité met en évidence
le fait que le travail ne peut pas se réduire à l’application de procédures, au déploiement de routines.

La variabilité tient aux nombreuses variations qui peuvent intervenir au sein d’une même
situation de travail, en cours d’action, d’un jour à l’autre. Les variations peuvent consister en un
accroissement de la complexité, des risques, en évolution d’une situation normale à une situation
dégradée, en la survenue d’aléas, problèmes, événements qui perturbent le processus de travail
et l’activité des professionnels. Les variations rendent le travail problématique, au sens où elles
mettent les routines à l’épreuve, obligent à penser.

De la diversité et de la variabilité, la didactique professionnelle tire plusieurs conséquences


pour la formation et sa conception :

Tout d’abord, comme le montre Pastré, dès 1992, la maîtrise d’une classe de situation, intégrant
donc celle de la diversité et des variations des situations, ne relève pas que d’un accroissement
du nombre de procédures ou modes opératoires disponibles, même s’il est indispensable de
connaître et de disposer d’une gamme étendue de manières de faire. Il est indispensable de
changer de registre de fonctionnement.

Dans le travail, on peut arriver à la réussite par hasard, par essais et erreurs, par application
systématique d’un modèle opératoire standard, par recours empirique à un répertoire de cas
rencontrés dans le passé, ou par l’utilisation d’une représentation conceptuelle de la situation
qui permet, jusqu’à un certain point, la généralisation et le transfert. L’indicateur de compétence
est donc la stratégie mobilisée par un sujet.

La dimension événementielle du travail, la complexité des systèmes, techniques, mais aussi des
systèmes administratifs, de service ou de santé, la fragilité des régimes de fonctionnement de ces
systèmes conduisent à ce qu’une des fonctions principales du travail revient à prévenir, à ajuster,
à compenser l’apparition de déséquilibres de fonctionnement, conduisant à des régimes dégradés,
générateurs de défauts, d’incidents, ou de dérives. On parle de système dynamique pour désigner
un système qui ne se transforme pas seulement sous l’action de son conducteur ; il évolue aussi
en fonction de sa propre dynamique. Aussi la compétence consiste à articuler la connaissance du
résultat de ses propres actions et celle des processus internes au système. Par ailleurs, ces systèmes
sont trop complexes pour que le professionnel puisse contrôler dans le détail la totalité du champ

477
Traité des sciences et des techniques de la formation

de travail. Il doit se contenter d’une représentation schématique, qui tienne compte d’une pluralité
de temporalités dans le déroulement du processus. La stratégie efficiente ne peut plus reposer sur
une régulation rétroactive, qui, dès la perception d’un déséquilibre, réagirait par une correction.
Car, à ce jeu, le professionnel est toujours en retard sur l’événement. Il faut donc anticiper la
survenue des déséquilibres, piloter devant son avion, dit Amalberti (1996). Ce qui suppose une
bonne maîtrise des connaissances sur le fonctionnement du système. Être compétent, ce n’est pas
simplement savoir exécuter, c’est tout autant savoir comprendre et analyser ce qu’on fait. C’est
maîtriser ces formes d’activité de diagnostic, de fabrication d’hypothèses, de recherche d’indices,
de construction de scénarios d’action alternatifs, bref, ce qui fait l’intelligence du travail. Car c’est
la manière la plus judicieuse de pouvoir ajuster ses modes opératoires à des situations éloignées
des situations les plus prototypiques, voire d’en inventer afin d’affronter des situations inédites.

3. Une ingénierie des situations


Tout ceci n’est pas que constats mais ressources pour l’ingénierie. Si le travail est constitué
de diversités, de variations, s’il a un caractère dynamique, si incidents, dérives, événements le
composent, c’est bien cela qui est alors à connaître, comprendre et c’est en relation à cela que
l’action en tant que capacité d’action, doit se construire. Si le travail exige diagnostics, prises
d’informations, inférences, raisonnements, anticipations, puis construction de scénarios d’action,
prises de décision, contrôle de son action et du processus, alors, la formation doit proposer à ceux
qui apprennent de découvrir, comprendre, explorer ces formes d’activité, de les expérimenter
et de les entraîner. L’ingénierie didactique professionnelle consiste donc à reprendre, pour la
conception des situations et des agencements de situations, les composantes, les caractéristiques,
et les formes d’activité requises de ces situations. Ainsi, l’ingénierie didactique professionnelle
introduit dans les situations de formation, les formes, la nature et les degrés de variations dont les
professionnels ou futurs professionnels ont ou auront à faire l’expérience dans leur travail. Ceci
afin de les amener à les découvrir ou les redécouvrir, à les identifier, à apprendre à en repérer
les indicateurs afin de prendre ou de rechercher les informations nécessaires pour définir leur
état ou leur évolution. Ainsi, l’ingénierie didactique professionnelle et l’intervention formative
didactique professionnelle viseront à stimuler les formes d’activités de prise d’information. Si
l’analyse du travail révèle des biais de perception, d’interprétation, elle introduira des exercices,
des mises en situation, comportant le risque de survenue de ces biais, et les conditions pour
en constater les effets et les causes. Lorsque certains phénomènes sont identifiés comme peu
perceptibles, par exemple parce qu’ils sont à distance, spatiale ou temporelle, ou « cachés »,
l’ingénierie didactique professionnelle cherche à concevoir des moyens de les faire découvrir,
de les faire percevoir et modéliser. Si des décisions d’action sont à prendre fréquemment dans
le travail, la formation doit comporter de nombreuses situations de prise de décision, à propos

478
L’ingénierie didactique professionnelle ■ Chapitre 23

de la même classe de phénomènes que celle qui est en jeu dans le travail. C’est là qu’on peut
percevoir le projet de l’ingénierie didactique professionnelle : quand on a affaire à des environ-
nements de travail dynamiques, ni l’apprentissage sur le tas, ni l’apprentissage des procédures
et modes opératoires, ni l’apprentissage des savoirs scientifiques et techniques, ne suffisent à
assurer la construction d’une bonne coordination de l’action. Il faut que la pratique du travail, sa
découverte, en acte, et l’analyse du travail soient étroitement articulées. Proposer des situations
qui conduisent à penser la situation, avec ses composantes, phénomènes et événements, et à
penser l’action avec la situation, c’est amener les apprenants à analyser le travail et à leur ouvrir
les voies de la découverte et de la construction de leurs capacités d’action.

3.1 La conceptualisation comme organisateur de l’ingénierie


didactique professionnelle de la formation
Savoir comprendre pour mieux savoir faire : tous les éléments convergent pour pointer le rôle
central de la conceptualisation dans l’action. Dans le prolongement de Piaget, celui de Réussir et
comprendre (1974), revu par Vergnaud (1996), la dynamique des compétences peut être décrite
comme le passage d’une coordination agie de l’action à une coordination conceptuelle. Celle-ci
procède en distinguant le plan du réel et de l’action et le plan de la représentation : les actions
sur le réel sont représentées sous forme d’opérations, qui peuvent être réalisées mentalement,
ce qui permet de mettre en œuvre des stratégies d’ensemble, qui peuvent s’étendre au-delà de la
configuration hic et nunc de la situation, vers le futur, le lointain, le non perceptible, le virtuel.
« L’action est une connaissance autonome », affirme Piaget (1974). Les compétences relèvent de
cette forme opératoire de la connaissance, distincte de sa forme prédicative, énonciative. Mais,
c’est parce que l’action est organisée à un niveau conceptuel, qu’elle permet une souplesse dans
l’ajustement aux circonstances à partir d’un noyau invariant qui organise les perceptions, les
interprétations, et l’action : ce noyau est constitué par ce que Pastré (1999) a appelé la structure
conceptuelle d’une classe de situation, à savoir, les principales variables agissantes pour l’action
dans et avec cette classe de situation et par ce que Vergnaud (1990) a appelé théorèmes en actes,
ou, plus simplement, propositions tenues pour vraies sur le réel : lois, principes en jeu pour une
classe de situations.

L’activité de conceptualisation se traduit donc par double mouvement, de contextualisation et


de décontextualisation. Au début d’un apprentissage, un professionnel peut apprendre d’abord
à maîtriser la situation prototypique, la situation en mode « normal », la plus courante, au sein
d’une famille de situations, plus diversifiées, plus complexes, plus variables. À ce stade, l’applica-
tion d’une procédure pourrait suffire. Mais le professionnel en rencontrant diversité, variabilité
et problèmes nouveaux, et en les réinterprétant par une activité consciente, systématique, outillée
et étayée, le plus souvent par un formateur, un pair, un plus expérimenté, est amené à prendre

479
Traité des sciences et des techniques de la formation

conscience que l’action prototypique ne peut pas suffire et que la situation sur laquelle il agit
peut « fonctionner » selon des configurations variées. Il faut construire un répertoire de manières
d’agir pour répondre à ces variations. Enfin, pour coordonner tout cela, il lui faut se construire
une représentation de la logique de la situation, plus exactement, de sa structure conceptuelle :
les principaux concepts et principes qui permettent de réaliser les opérations de diagnostic, de
prise d’informations, d’inférences contrôlées et dirigées, d’anticipation, etc. La conceptualisation
se traduit par une série de mouvements : une distance vis-à‑vis de la situation et de l’action avec
la situation, au cours de laquelle la pensée consciente, systématique, volontaire, est sollicitée, une
exploration et l’expérience de la classe de situation, dans sa diversité, ses variations, son étendue,
la prise de conscience des principales variables et phénomènes agissants en jeu dans le système
composé de la situation objective et de l’action avec la situation, puis leur construction sous la
forme de représentations fonctionnelles, de concepts, de principes et lois. Lorsque des savoirs
scientifiques, techniques, de métier, sont découverts comme des instruments pertinents pour
l’action et la compréhension de la situation, ceux-ci ont à « subir » un processus d’élaboration
pragmatique, par leur manipulation dans et pour l’action, pour analyser et pour élaborer l’action
afin, littéralement de les incorporer à l’action (Leplat, 1997).

3.2 Une pédagogie des situations


Quand un acteur est engagé dans une situation, trois caractères peuvent résumer sa posture :
il est confronté à la complexité, à l’incertitude et à l’interactivité. La complexité désigne le
fait qu’une situation est une totalité dynamique insécable. L’incertitude indique sa dimension
événementielle, son côté non programmable. Ces deux caractères font qu’elle n’est pas décom-
posable en une suite d’opérations. L’interactivité désigne le fait que l’unité essentielle est celle
du sujet avec la situation. Il agit sur et transforme la situation, mais celle-ci agit sur son action
et le transforme lui-même. Il peut, dans ce sens, apprendre d’elle. On peut parler de pédagogie
des situations pour désigner, comme on le développe tout au long de ce texte, la conception
et l’usage formatif des situations pour apprendre à maîtriser les situations. La simulation, en
tant que telle, n’est qu’une forme parmi d’autres des formes d’une pédagogie des situations.
Mais, au sens le plus fort, la simulation signifie imitation plus ou moins proche, d’une situation
professionnelle de référence. Des simulateurs ont été conçus comme des substituts du réel,
permettant des apprentissages sans risques. Les simulations, dans un sens élargi, n’ont pas
seulement pour but de simuler les situations réelles et d’éviter les risques, mais de proposer
à l’activité, ce que les situations réelles ne permettent pas d’apporter à des fins d’apprentis-
sage : diversité, variations, manipulation d’échelles temporelles et spatiales étendues (on peut
revenir aux causes et anticiper, percevoir des conséquences de l’action), accès à ce qui n’est pas
immédiatement perceptible, arrêts ou ralentissement de l’action, possibilités de se tromper, de
manifester ses hésitations et doutes, de s’arrêter pour réfléchir, recommencer, découvrir des

480
L’ingénierie didactique professionnelle ■ Chapitre 23

aspects méconnus de l’environnement de travail, discuter, justifier, etc. Elles peuvent aussi orga-
niser une progressivité en accentuant la complexité, en isolant des sous-systèmes pour les faire
découvrir et manipuler. Simulations, études de cas, jeux de rôle, mises en situation, ne sont pas
des formes pédagogiques nouvelles. Elles trouvent un enrichissement spécifique à la didactique
professionnelle lorsqu’elles sont conçues à partir des exigences du travail et pour la maîtrise
des situations de travail, et lorsque leur usage amène les apprenants à entrer dans des activités
« réfléchies », autrement dit des activités qui obligent à penser de manière consciente, volontaire,
dirigée, outillée, afin d’investiguer la complexité des situations et d’y trouver des moyens d’agir.

L’activité avec les situations est à la fois une activité effective, par laquelle l’intelligence est
stimulée et étayée, mais elle est, indissociablement, une activité d’analyse du travail : analyse des
situations de travail, analyse de l’activité, la sienne et celle des autres.

Les possibilités construites pour engager ce que Deledalle (1967), à partir de Dewey, nomme
des « parenthèses intellectives dans un continuum non intellectif » correspondent ainsi à des
formes d’activités réfléchies qui peuvent intervenir tout au long de la formation : avant, lorsqu’il
s’agit d’analyser l’état ou la dynamique d’une situation avec laquelle et sur laquelle on va agir,
d’expliciter et d’argumenter son diagnostic, ses pronostics, les hypothèses d’action ; pendant,
grâce aux pauses que les situations de formation proposent, les activités de contrôle, de feed-
back sur son action, d’analyse du processus en cours, d’ajustement de l’action ; après, par les
différentes formes de débriefing, plus ou moins à distance spatiale ou temporelle de l’action
et de la situation, à partir de différentes traces de l’activité, seul ou en groupe. Au cours de ces
séquences qui correspondent à des formes d’expérimentation des situations, la recherche de
« ressources », et notamment des savoirs et des techniques, puis leur transformation en instru-
ments de pensée et d’action pratiques, en organisateurs de l’activité (le processus d’élaboration
pragmatique), trouvent toute leur place.

4. Pour terminer
La pédagogie des situations, en didactique professionnelle, part de l’idée selon laquelle, en
formation professionnelle, les individus en formation, ont ou auront à maîtriser des situations,
complexes, incertaines, diversifiés, interactives. Le rôle de la formation professionnelle consiste
à les amener à découvrir ou redécouvrir, construire et reconstruire ces situations et l’action
avec ces situations que le travail propose ou impose. Les objectifs d’une ingénierie didactique
professionnelle ne consistent pas d’abord en l’apprentissage de procédures (quoiqu’elle ne néglige
pas leur importance comme répertoire d’instruments disponibles), ni en l’acquisition de savoirs
scientifiques ou techniques (même si leur appropriation pragmatique est essentielle dans la

481
Traité des sciences et des techniques de la formation

plupart des cas). Ils consistent à mettre les apprenants en situation de faire des expériences
des situations de travail. Faire des expériences, autrement dit : découvrir, explorer, analyser,
connaître, comprendre, raisonner et agir, avec les situations de travail. Pour faire ces expériences
réfléchies, la conception d’une gamme de situations didactiques, plus ou moins contextua-
lisées, reprenant aux situations de travail, leurs caractéristiques les plus agissantes, qui sont
celles qui sont à maîtriser, correspond à l’ingénierie didactique. Mettre en scène les dimensions
problématiques de l’action en situation, faire jouer les variables et conduire l’analyse de l’acti-
vité représentent les trois tâches principales des formateurs. Plusieurs situations didactiques
issues d’une même famille de situations de travail sont souvent nécessaires. Leur agencement
compose le parcours de situations. Par les activités qu’elles suscitent, et par les activités que les
formateurs stimulent, étayent, contribuent à outiller, c’est la construction de l’intelligence de
l’action qui est visée.

Lectures conseillées
Amalberti R. (1996). La conduite de systèmes à Pastré P. (1992). Essai pour introduire le concept
risques. Paris, PUF, coll. « Le travail humain ». de didactique professionnelle, thèse pour le
Deledalle, G. (1967). L’idée d’expérience dans la doctorat en sciences de l’éducation, univer-
philosophie de John Dewey, Paris, PUF. sité Paris V.
Dewey, J. (2011). Démocratie et éducation, Paris, Pastré P. (2009). « L’ingénierie didactique profes-
Armand Colin. sionnelle », in Carré P. et Caspar P. (coord.),
Traité des sciences et des techniques de la
G agneur C.-A. (2010). Conversations profes-
formation, 3e éd., Paris, Dunod.
sionnelles, sources et ressources du
développement, thèse pour le doctorat Pastré P. (2011). La Didactique professionnelle,
en sciences de l’éducation, université de Paris, PUF.
Bourgogne, Agrosup Dijon. V ergnaud G. (1990). « La théorie des champs
Leplat J. (1997). Regards sur l’activité en situation conceptuels », Revue de didactique des
de travail (140-166), Paris, PUF. mathématiques, vol. 10, 2-3, 133-170.
Mayen P. et Lainé A. (2014). Apprendre à travailler Vergnaud G. (1996). « Au fond de l’action, la concep-
avec le vivant, Dijon, Éditions Raison et tualisation », in Barbier J.-M. (dir.). Savoirs
passions. théoriques, savoirs d’action (275-292), Paris,
PUF.

482
Chapitre 24
L’apprentissage
en situation de travail1

1. Par Étienne Bourgeois et Sandra Enlart.


Sommaire
1. Contexte : l’engouement pour les pratiques d’AST................................................ 485
2. Panorama des dispositifs d’AST dans les organisations......................................... 488
3. Des questions théoriques soulevées par l’AST....................................................... 491
4. En conclusion........................................................................................................ 498
Références de base.................................................................................................... 499
La présente contribution a pour objectif de faire le point sur un phénomène qui traverse
aujourd’hui massivement le monde des organisations, à savoir, le développement des pratiques
dites d’« apprentissage en situation de travail » (AST). Dans un premier temps, nous nous
pencherons sur l’engouement actuel pour ce type de pratiques, tentant d’en cerner différents
facteurs liés aux évolutions récentes du contexte dans lequel elles s’inscrivent. Ensuite, nous
tenterons de cerner de plus près en quoi précisément consistent ces pratiques d’AST. Nous
proposerons à cet effet une typologie permettant de rendre compte de leur diversité sur le
terrain. Enfin, nous proposerons quelques balises théoriques, offrant non seulement des clés
pour saisir les processus à l’œuvre dans l’AST, tant du côté des individus que des organisations,
mais également des pistes pour améliorer ces pratiques en connaissance de cause.

1. Contexte : l’engouement pour les pratiques d’AST


Pourquoi l’apprentissage en situation de travail est-il aujourd’hui l’objet d’un tel engoue-
ment ? Pendant plusieurs décennies, au contraire, la formation a été pensée, organisée et
valorisée en dehors de l’activité professionnelle. Une des premières conditions d’une « bonne »
formation consistait à extraire le salarié1 de sa situation de travail. En lui permettant de prendre
du recul physiquement, on considérait – et on considère toujours en général – que l’investis-
sement serait meilleur, facilitant ainsi l’apprentissage. Par ailleurs, si l’on prend l’exemple du
droit français, la formation est historiquement un droit individuel appréhendé en termes de
temps libéré pour apprendre2. L’action de formation, jusqu’à la loi de 2014, se définissait au
travers d’« heures formation » qui se déroulaient en dehors du lieu mais sur le temps de travail.

Plusieurs évolutions récentes ont contribué à proposer d’autres perspectives, dont l’apprentis-
sage en situation de travail. Ces évolutions sont d’ordre sociétal, organisationnel, démographique,
économique et pédagogique. Leur combinaison est en train de transformer en profondeur le
regard que nous portons sur les processus d’apprentissage, relayé par des approches théoriques
renouvelées.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

La toile de fond de tous ces changements concerne la « révolution digitale ». Au-delà de


l’expression très générale, c’est l’ensemble des changements induits par l’accès total, rapide,
permanent et gratuit à l’information. Une première conséquence de cet accès illimité est
souvent qualifiée d’infobésité ; et du même coup, le traitement d’informations en flux continu

1. Par souci de lisibilité, nous utiliserons le masculin pour désigner indifféremment les deux genres.
2. Loi de 1971.

485
Traité des sciences et des techniques de la formation

est devenu une caractéristique majeure de nos sociétés. Le monde du travail n’échappe pas
à ce phénomène, bien au contraire. Il l’amplifie sans doute. En ce qui concerne la formation,
là aussi, le digital a profondément changé la donne : ce qui était rare est devenu abondant,
ce qui était cher est devenu gratuit. Et même si on a beaucoup insisté sur le fait que l’accès
à l’information n’est pas la formation, il n’en reste pas moins que le paysage a radicalement
changé. Le phénomène des MOOC en est sans doute l’illustration la plus simple… même s’il
n’est pas sûr que ce soit la révolution pédagogique qu’on nous annonce.

Jusqu’où ce fait majeur qu’est le digital est-il en train de transformer nos processus d’appren-
tissage ? Comment un enfant élevé dans l’univers Web depuis sa naissance appréhendera-t‑il la
formation ? Plus radicalement, certains s’interrogent sur le fait que la délégation de nos cerveaux
aux technologies – nos smartphones, nos tablettes, nos robots personnels bientôt – rendra
inutile le fait d’apprendre, au sens classique du terme (Enlart et Charbonnier, 2010). D’autres, au
contraire, défendent l’idée que même si le contexte change, l’acte individuel d’apprentissage est
ontologique et reste finalement identique à ce qu’il a toujours été (voir conclusion, in Bourgeois
et Enlart, 2014).

Cette toile de fond du digital vient se combiner avec des organisations du travail qui changent
de plus en plus vite. Fusions, acquisitions, rachats, mais surtout réorganisations internes se
succèdent à un rythme toujours plus rapide au sein d’entreprises qui s’internationalisent sans
cesse pour les plus grandes, et se développent ou meurent vite pour les plus petites. Ces chan-
gements d’organisation entraînent des changements d’activité, de rôle et de poste, exigeant des
individus une capacité d’adaptation permanente1. Les questions de professionnalisation des
individus sont laissées de côté, oubliant que la construction identitaire et le développement de
compétences solides nécessitent souvent du temps et de la stabilité. On le verra, les formations
classiques sont elles-mêmes considérées comme trop longues, trop éloignées de ces besoins
d’adaptation rapide, trop peu efficaces. Ce sera une des raisons qui explique l’émergence d’un
intérêt pour l’e-learning mais aussi pour les dispositifs d’AST.

Cette accélération des mutations internes va de pair avec une démographie qui voit d’un côté
le départ à la retraite des baby-boomers et de l’autre l’arrivée de jeunes qui doivent apprendre
beaucoup de choses rapidement et sans qu’ils soient toujours suffisamment encadrés dans leur
apprentissage. Dans un pays comme la France, l’arrivée de ces jeunes parfois mal préparés à
tenir des emplois qui évoluent vite et où les équipes intègrent parfois un trop grand nombre de
« nouveaux », pose de véritables casse-têtes aux acteurs de la formation, des RH au management.

1. Que l’on nommera pour l’occasion compétence transversale.

486
L’apprentissage en situation de travail ■ Chapitre 24

D’autant plus que la pression économique se fait très forte. La crise de 2008 a laissé des traces
et de nombreuses entreprises – grandes ou petites – surveillent de très près leur budget forma-
tion. Les directions financières exigent des ROI1 que les directions formation peinent à fournir,
n’ayant finalement que peu de pratiques d’évaluation : l’efficacité mais plus encore l’efficience des
dispositifs pédagogiques n’a jamais été mesurée sérieusement sans que cela n’émeuve personne.
Mais les choses changent et une médiatisation, souvent approximative voire injuste, ne cesse de
stigmatiser la gabegie et le scandale de « l’argent de la formation ». Ces débats se déroulent en
France en parallèle à la réforme de la formation, menée par les partenaires sociaux et aboutissant
à la loi du 5 mars 2014. Celle-ci en modifie les règles de contribution mais surtout en redonne
de la liberté aux entreprises pour leur plan de formation (fin de l’obligation légale). La loi a eu
des conséquences non négligeables sur la manière dont se pensent les politiques de formation
internes : en sortant de l’obligation de payer (plus que de former), les entreprises ont retrouvé
des marges de manœuvre. La question est alors « pour en faire quoi ? ». Autre impact de la loi :
la possibilité d’interroger la définition d’une action de formation. Jusqu’à maintenant, du fait
des contraintes fiscales et juridiques, la définition était imposée et se comptait en heures de
formation. Depuis la loi de 2014, liberté est donnée à l’entreprise de choisir la définition qui lui
convient le mieux et donc d’embarquer des pratiques comme l’e-learning, le co-développement,
les learning expeditions ou l’AST. Et si chacun a sa propre définition dans sa propre entreprise,
a priori cela ne pose pas de problème. En revanche, le jour où certains financeurs – comme les
régions bien sûr ou les Opca (organisme paritaire collecteur agréé) par exemple – s’emparent
du sujet, en particulier via les démarches de qualité, alors la nécessité d’une définition partagée
réapparaît. Ces considérations très franco-françaises sont malgré tout intéressantes pour tous
car elles permettent de reposer des questions de fond : qu’est-ce que la formation ? Qu’est-ce
que former quelqu’un dans le champ professionnel ? À quoi reconnaît-on qu’il y a eu formation ?
Quelles sont les conditions minimales pour garantir la qualité de la formation ?

Ces questions relancées par l’évolution du contexte juridique se sont conjuguées avec le
versant économique. Nous l’avons dit plus haut, au même moment, les entreprises cherchent
à rationaliser leur effort financier. Elles peuvent le faire car la formation n’est plus cet « objet
de négociation sociale » dont le but est de garantir la paix sociale. Alors, elles commencent à
compter : à quoi sert ce séminaire ? Ne pourrait-on pas remplacer ces sessions par un e-learning ?
Faut-il vraiment former tout le monde de la même manière ? Ne peut-on obtenir les mêmes
résultats avec des temps de formation plus courts ? Toutes ces questions vont contribuer à rouvrir
le champ de l’ingénierie et à autoriser quelques expérimentations ici et là dont l’AST sera un
des exemples. Ainsi, la convergence des changements des contextes juridique et économique a
ouvert la voie à une évolution du contexte pédagogique.

1. Retour sur investissement.

487
Traité des sciences et des techniques de la formation

Très concrètement, les réflexions autour de l’ingénierie vont en être stimulées et après une
période finalement peu créative1, après des années où l’on a réduit l’innovation pédagogique au
e-learning ou aux MOOC, émergent, dans les entreprises, des réflexions non pas uniquement
sur les modalités mais bien sur le fond : qu’est-ce qu’apprendre ? Comment ne pas confondre
formation et apprentissage ? Comment donner réellement sa place à l’apprenant ? Qu’est-ce que
le transfert ? Comment le faciliter ? On l’aura noté, une bascule s’opère alors entre formation
et apprentissage. Le sujet n’est plus de penser de beaux modèles d’ingénierie de formation en
dehors des apprenants et des situations de travail, mais bien de garantir des processus d’appren-
tissage qui permettent le transfert de manière efficace et tangible. Éternelles questions, certes,
mais qui vont être posées dans un contexte radicalement différent des années 1980-1990. Les
dispositifs d’AST vont alors apparaître comme une piste majeure, au carrefour de ces interro-
gations pédagogiques, épistémiques, économiques et organisationnelles. Les expérimentations
qui vont se mettre en place sont fortement alimentées par le champ théorique, qui lui aussi va
se renouveler, proposant des concepts et des modélisations capables de soutenir les pratiques.
C’est ce que nous verrons dans les deux paragraphes suivants : après avoir présenté un panorama
des dispositifs, nous proposerons des repères théoriques qui viennent les éclairer.

2. Panorama des dispositifs d’AST dans les organisations


Les dispositifs d’AST ont en commun une volonté de prendre en compte la situation de
travail telle qu’elle existe pour penser les processus pédagogiques. Ceci étant posé, la manière
de penser ces dispositifs peut varier fortement suivant qu’elle accorde plus ou moins de place
à la situation de travail et au fait de construire un dispositif. Ce choix vient croiser une autre
question déterminante : celle du rôle du manager.

Avant d’en venir à cette question du rôle du manager, nous présenterons un panorama des
dispositifs à partir d’une logique de continuum :
–– à un bout, on trouvera des dispositifs très fortement imbriqués au travail et très peu
construits ;
–– à l’autre bout, au contraire, on aura des dispositifs beaucoup plus structurés où la situation
de travail est elle-même mise sous contrôle et où chaque étape est prévue et pensée ;
–– entre les deux, on trouvera des dispositifs plus équilibrés entre ces deux extrêmes.

1. Enlart S. (2014). « Ingénierie : de l’élargissement à l’évanouissement ? » in Bourgeois et Enlart, Apprendre


dans l’entreprise, Paris, PUF.

488
L’apprentissage en situation de travail ■ Chapitre 24

Quand le dispositif s’efface au profit de la situation de travail. Dans ce cas, l’AST s’intéresse
essentiellement à une question : comment rendre le travail apprenant ? Ce sont donc des ques-
tions qui vont concerner à la fois la qualité du travail proposé mais aussi l’environnement dans
lequel le travail va se dérouler. L’utilisation des travaux sur les environnements capacitants est
une bonne illustration de ce type de dispositif. Comment mettre à disposition des collaborateurs
les ressources qui vont leur permettre d’apprendre et de se développer ? Comment penser l’accès
à ces ressources pour que chacun là où il est – sur son poste, sur son écran, dans son agence
commerciale – soit en mesure d’être soutenu dans sa volonté de mieux faire. D’autres dimensions
comme les systèmes de reconnaissance, les règles de gestion des ressources humaines et bien sûr
les modes de management vont être jugées déterminantes pour créer un contexte apprenant.
De manière implicite, on considère ici qu’il suffit d’améliorer les éléments « autour » du travail
et au cœur de l’activité pour que les processus d’apprentissage soient actifs. L’organisation du
travail est davantage interrogée que la pédagogie.

Quand la situation de travail s’efface au profit du dispositif. À l’inverse, pourrait-on dire de


manière caricaturale, d’autres dispositifs prévoient des moments, des processus, des enchaî-
nements pour garantir que l’apprentissage aura lieu. Le dispositif a été pensé sur le mode de
l’ingénierie. Il est construit à partir d’une vision des processus d’apprentissage. Ce qui compte
ici c’est que l’on propose une série de situations à visée pédagogique qui permettent d’apprendre
progressivement. Ce dispositif repose donc sur une théorie de l’apprentissage qui éclaire et
justifie les étapes, le rôle des acteurs, les contenus même parfois des différentes séquences. Si
la situation de travail est présente, c’est parce qu’elle est considérée comme un élément déter-
minant de l’apprentissage. Mais, en même temps, on postule que celui-ci n’est pas mécanique :
il ne suffit pas de mettre les apprenants dans un contexte de travail, aussi bon soit-il, pour que
l’apprentissage ait lieu. Alors que dans le premier cas on considère que la situation de travail est
la situation pédagogique et qu’elle se suffit quasiment à elle-même, ici le dispositif sera conçu
et décrit précisément. Il y aura des points de passage obligés comme le débriefing, des échanges
entre pairs, l’utilisation d’un e-learning… Le fait d’être en situation de travail reste un élément
central mais le processus pédagogique a lieu aussi dans des moments clés qui viennent « enca-
drer » ou compléter ce qui se passe dans l’activité elle-même. Néanmoins, il ne s’agit évidemment
pas de dispositif de formation formelle classique se déroulant en dehors du travail. Comme
exemples de ce type de logique, on pense aux dispositifs assez formalisés d’accompagnement
individuel et/ou collectif, telle que le coaching, le tutorat, le mentoring, la supervision, l’inter-
vision, l’analyse de pratique en groupe (action learning)… On notera que toutes ces pratiques
ont en commun notamment de viser à soutenir et structurer l’activité réflexive des apprenants
sur leurs pratiques. On y reviendra dans la troisième partie.

Les situations intermédiaires. On trouvera ensuite toute une série de dispositifs qui vont
chercher à équilibrer davantage la situation de travail et l’ingénierie pédagogique. Ainsi, les

489
Traité des sciences et des techniques de la formation

formations-actions se déroulent au cœur du lieu de travail, et traitent de l’activité et de l’organi-


sation du travail. Mais elles sont structurées par des temps de travail en groupe qui sont autant
d’occasions de prise de recul sur l’activité et d’échange entre pairs sur les aspects psycho-socio-
logiques du travail. Elles sont fortement encadrées, au sens où le rôle du formateur-intervenant
est essentiel. Son immersion dans le contexte professionnel lui permet de piloter un processus
pédagogique en action mais son intervention concerne bien l’apprentissage et non pas unique-
ment la transformation du travail.

Sans aller jusqu’à la formation-action, de nombreuses situations intermédiaires reposent sur


un acteur clé : tuteur, maître d’apprentissage, coach pédagogique, référent… considérant que
c’est lui qui va porter la dimension ingénierie pédagogique in situ. La situation de travail est
centrale dans cette vision puisque c’est bien l’activité qui permet d’apprendre, mais à condition
qu’il y ait un accompagnement ad hoc pendant le travail. Le choix de l’acteur clé et la manière
dont son rôle est défini, sa propre formation pédagogique – souvent inexistante – reposent là
encore sur une vision de l’apprentissage : imitation, observation, essai et erreur, explications
dans l’action, etc. On retrouve dans cette troisième catégorie de dispositifs essentiellement les
mêmes que ceux évoqués dans la catégorie précédente, mais avec un degré de formalisation
moindre et une distance spatio-temporelle des situations de travail également moins marquée.
On pourrait ranger ici également les dispositifs dits de « communautés de pratiques ».

Manager pilote

Environnement AST avec coach


capacitant, pédagogique sans
ressources à disposition lien hiérarchique

Situation de Dispositif
travail construit

Équipe apprenante, AST avec tuteur,


codéveloppement, maître d‘apprentissage,
apprentissage social expert référent

Manager coach

Figure 24.1 - L’apprentissage en situation de travail

490
L’apprentissage en situation de travail ■ Chapitre 24

La deuxième entrée pour catégoriser les dispositifs d’AST concerne la place faite au manager.
Quel que soit le dispositif, cette question n’est jamais anodine et elle est toujours traitée. Et il
s’agit d’un élément discriminant car les réponses apportées ne sont pas directement corrélées
au continuum que nous avons décrit. On peut trouver un manager coach tout autant dans un
dispositif d’AST sans ingénierie que dans un dispositif très construit. Inversement, on peut
considérer que le manager n’a pas de rôle pédagogique à jouer d’un bout à l’autre du continuum.
Si l’on caricature les positions, on trouve des dispositifs où le manager est positionné comme
le développeur des compétences de ses collaborateurs. Par conséquent, on attendra lui qu’il
assume le rôle de pédagogue au quotidien, qu’il montre comment faire, qu’il fasse faire et refaire
sous ses yeux et qu’il corrige quand il le faut. Dans les cas les plus cohérents, le système de
bonus tiendra compte de la progression des compétences dans son équipe. À l’autre extrême,
on considérera que, bien que responsable du développement de ses collaborateurs, ce n’est pas
à lui de jouer le rôle de formateur. Il est alors là pour organiser, permettre, valoriser, favoriser
l’apprentissage mais il n’a pas à le réaliser. Dans le cas où la situation de travail est au cœur
du dispositif, son rôle est alors d’être en soutien, de « croire » en la formation et de laisser du
temps et le droit à l’erreur, d’organiser le travail des équipes pour qu’un junior soit avec un
expert, etc. Mais on considérera qu’étant par ailleurs évaluateur de ses collaborateurs, il ne peut
intervenir dans le processus d’apprentissage sans être ambigu. L’apprenant se sachant jugé et
évalué – même si tout un chacun proclame le contraire – il n’aura pas de réel droit à l’erreur
et ne sera pas en situation de sécurité psychologique aussi forte que quand le formateur n’est
pas en même temps un juge.

3. Des questions théoriques soulevées par l’AST


Le développement des pratiques d’AST ne manque évidemment pas de soulever bon nombre
de questions théoriques, dont s’est emparée la recherche dans le domaine depuis une ving-
taine d’années, principalement dans le monde anglo-saxon, autour du concept fédérateur de
workplace learning. Traiter ces questions apparaît essentiel pour éclairer le développement des
pratiques sur le terrain. Nous en évoquerons rapidement quelques-unes dans ce paragraphe
en apportant quelques éléments de réponses traversant la littérature scientifique actuelle sur
le sujet.

3.1 L’AST : de quelle « situation » et de quel « travail » parle-t‑on ?


Cette question préliminaire n’est pas si anodine qu’elle puisse paraître à première vue. Le
concept de workplace learning ne va en effet pas sans poser de difficulté, ainsi que nous avons

491
Traité des sciences et des techniques de la formation

pu le développer par ailleurs1. Tout d’abord, comment définir précisément le périmètre d’une
situation de travail ? Implicitement, nous avons tendance à supposer que le travail s’inscrit
nécessairement dans un contexte organisationnel. Mais qu’en est-il, par exemple, de tous les
métiers de l’artisanat qui échappent pour la plupart au cadre de ce qu’il est convenu d’appeler
une « organisation » ? Par ailleurs, s’agissant d’une organisation comme contexte de travail, qu’y
a-t‑il de commun entre une TPE, une PME ou une grande multinationale ? D’autre part, dans
le contexte actuel de développement exponentiel des nouvelles technologies dans le monde du
travail évoquées plus haut, la localisation spatiale et temporelle de l’activité de travail, ainsi que les
frontières entre vie professionnelle et vie privée se sont profondément reconfigurées. Ces évolu-
tions justifient plus que jamais une approche « située » de l’AST, visant à identifier et à repérer
spécifiquement, dans une situation et un contexte donnés, les leviers et les obstacles susceptibles
d’affecter l’apprentissage. Enfin, dans l’AST, le « travail » n’est pas seulement un contexte pour
l’apprentissage, il en est aussi l’objet même. Ce qui s’apprend et se transmet au travail, c’est bien
le travail lui-même. Et le travail est bien plus qu’en ensemble de savoirs et de savoir-faire, c’est
un métier tout entier qui se transmet : une culture particulière, avec ses codes, ses traditions, ses
normes qui hiérarchisent la légitimité des connaissances et des pratiques propres au métier en
question, ainsi que la façon de les acquérir. C’est aussi une place, un rôle donné ou pris, au sein
d’un collectif et des jeux de pouvoir qui le caractérisent. C’est une identité professionnelle, qui
charrie avec elle une conception du métier, des valeurs, un regard sur soi-même et le monde,
les appartenances groupales auxquelles on s’identifie ou contre-identifie, etc. Ici encore, parler
d’« AST » en général n’a pas beaucoup de sens : on ne peut l’aborder que « situé » par rapport à
un contexte et un métier donnés.

3.2 L’AST : entre « affordances » et engagement du sujet


Un des pionniers de la recherche dans le domaine, l’Australien Stephen Billett a, dès le début
des années 2000 dans son ouvrage fondateur Learning in the Workplace (Billett, 2001), posé un
postulat qui a profondément orienté la recherche sur l’AST depuis lors. Pour lui, l’AST ne peut
être véritablement saisi qu’à l’intersection de trois ingrédients : la disponibilité et l’accessibilité
des ressources potentielles pour l’apprentissage dans l’environnement de travail (qu’il appelle
des « affordances ») et l’engagement du sujet lui-même ou plus largement, ses dispositions à
apprendre. L’apprentissage d’un métier dans un contexte donné ne peut se réaliser que si le sujet
dispose d’un environnement de travail suffisamment riche en affordances. Billett en distingue
quatre types fondamentaux :

1. Bourgeois E. et Mornata, C. (2012). « Apprendre et transmettre le travail », in Bourgeois E. et Durand


M. Apprendre au travail, Paris, PUF.

492
L’apprentissage en situation de travail ■ Chapitre 24

–– la guidance directe, c’est-à‑dire, les dispositifs d’accompagnement et de formation mis inten-


tionnellement en place pour faire apprendre sur le lieu de travail ;
–– la guidance indirecte, c’est-à‑dire, les collègues de travail avec lesquels le sujet peut inte-
ragir de façon plus ou moins informelle et qui constituent pour lui également une source
potentielle d’apprentissage très importante ;
–– l’environnement technique et matériel de travail, qui en soi, peut également constituer une
ressource (il suffit de penser au design d’une interface utilisateur ou un mode d’emploi qui
peuvent, à eux seuls, faciliter certains apprentissages) ;
–– et enfin l’activité de travail elle-même, par la façon dont elle est organisée et structurée
dans l’espace et le temps, ou par le rôle qu’elle assigne au sujet, peut également contribuer
à l’apprentissage.

Mais la disponibilité de ces affordances ne suffit pas pour apprendre. Encore faut-il que
celles-ci soient effectivement accessibles au sujet. Or, d’une situation à l’autre, cette condition
peut largement varier : il suffit de penser, par exemple, à la jeune stagiaire qui dans le cadre
d’une formation en alternance effectue son premier stage et se voit assignée, toute la journée
durant, à la photocopieuse ou d’autres tâches subalternes éloignées du cœur du métier qu’elle
est censée apprendre. Cette stagiaire n’aura pas le même accès aux affordances éventuellement
disponibles, et donc aux mêmes occasions d’apprendre, que l’employée chevronnée engagée
au quotidien dans des activités au cœur du métier et du collectif. La question de l’accès renvoie
donc à celle de la place que tient, ou peut tenir, le sujet dans le collectif de travail et, in fine, aux
rapports de pouvoir qui s’exercent au sein de ce collectif. C’est dans cette perspective qu’Étienne
Wenger (dans son ouvrage célèbre Communities of Practice de 1998) établit un lien étroit entre
apprentissage et participation dans une communauté de pratiques : plus le sujet peut y occuper
une position centrale et plus il aura accès aux ressources d’apprentissage, qui, en retour, lui
donneront davantage de moyens de conquérir ou de défendre une place centrale dans cette
communauté.

Enfin, un environnement de travail riche en affordances disponibles et accessibles ne suffira


toujours pas à lui seul d’assurer l’apprentissage. Encore faut-il que le sujet lui-même soit suffi-
samment engagé dans son apprentissage – et plus largement dans son activité et son collectif
de travail – pour tirer effectivement le meilleur parti de ces affordances. On reviendra plus loin
sur les différentes facettes et implications du sujet apprenant en situation de travail.

3.3 La transmission du travail : entre reproduction et appropriation


L’apprentissage d’un métier est fondamentalement un processus de transmission, qui inscrit
l’individu apprenant dans une histoire et une culture qui le dépassent. Apprendre son métier

493
Traité des sciences et des techniques de la formation

représente pour lui, avant tout, l’acquisition de connaissances et d’une culture largement façon-
nées avant lui et par d’autres que lui. Mais qu’advient-il en réalité de ces acquis chez l’apprenant ?
Qu’en fait-il réellement ? Et plus spécifiquement : à quelles conditions peut-il progressivement
en faire quelque chose de personnel ? Dans une culture professionnelle traditionnelle, la question
elle-même n’a pas beaucoup de sens : en caricaturant un peu, la finalité du processus de trans-
mission est d’amener l’apprenant à reproduire le plus fidèlement possible les standards définis
par la tradition et le collectif qui la porte, gommant ainsi tout écart individuel à la norme. On se
reportera à ce propos à l’analyse proposée récemment par Richard Sennett dans son bel ouvrage
Ce que sait la main ?1 ou encore dans les multiples études anthropologiques sur la transmission
des métiers, notamment la célébrissime étude de G. Delbos et P. Jorion sur la transmission
du métier de la saliculture2. La question, en revanche, se pose avec une acuité accrue dans un
contexte culturel et historique qui, d’une part, valorise à l’extrême l’individu dans sa singularité,
soumis à l’injonction permanente de s’accomplir et se distinguer et, d’autre part, se caractérise
par une mutation accélérée des connaissances et des pratiques dans d’innombrables secteurs
professionnels, bouleversant du même coup tous les mécanismes de transmission traditionnels3.
En nous interrogeant dans nos propres travaux sur cette problématique4, nous avons pu mettre
en évidence une série de conditions, liées, d’une part, aux dispositions de l’apprenant et, d’autre
part, à l’environnement d’apprentissage et en particulier aux pratiques et attitudes de celui ou
celle qui transmet.

Avant de revenir sur la question des affordances, nous évoquerons plusieurs dimensions du
processus d’apprentissage en situation de travail, du point de vue de l’apprenant.

3.4 L’AST du point de vue cognitif :


modalités d’apprentissage et réflexivité
Comme nous l’avons rappelé par ailleurs5, les environnements de travail sollicitent d’autres
vecteurs que le langage, en particulier l’observation et l’imitation, ainsi que l’action, le faire.
Pour chacune de ces modalités, l’apprentissage peut se réaliser tantôt de façon immédiate,

1. Sennett R. (2010). Ce que sait la main. La culture de l’artisanat, Paris, Albin Michel.
2. Delbos G. et Dorion P. (1984). La transmission des savoirs, Paris, MSH.
3. Burnay N. et Klein A. (2009). Figures contemporaines de la transmission, Namur, Presses Universitaires de
Namur.
4. Bourgeois E., Allegra J. et Mornata C. (2015). « Transmission and Individuation in the Workplace », in
L. Filliettaz et S. Billett (éd.), Francophone Perspectives of Learning Through Work. Conceptions, Traditions
and Practices, Cham (Suisse), Springer International Publishing AG.
5. Bourgeois E. (2014). « Les figures de l’apprentissage au travail. Au-delà de la réflexivité », in E. Bourgeois et
S. Enlart, op. cit.

494
L’apprentissage en situation de travail ■ Chapitre 24

tantôt par la médiation d’une activité réflexive. En réalité, de très nombreux apprentissages au
travail opèrent de façon immédiate, souvent même non consciente : la reproduction mimétique
d’un comportement, ou encore l’essai et erreur au sens behavioriste relèvent typiquement de ce
type d’apprentissage quasi « automatique ». Ils jouent un rôle essentiel, notamment parce qu’ils
sont peu coûteux en attention et en énergie, qui peuvent dès lors être mobilisées pour d’autres
tâches et apprentissages plus complexes. En outre, dans certains cas, ce type d’apprentissage est
absolument indispensable comme phase préliminaire précédant un approfondissement ultérieur
qui sera assuré par un travail réflexif, et qui ne pourrait jamais être accompli correctement sans
l’établissement préalable de ce socle.

Le travail réflexif, quant à lui, apparaît une condition centrale pour réaliser d’emblée de
nouveaux apprentissages professionnels d’un niveau de complexité élevé ou pour progresser dans
l’approfondissement et l’appropriation d’apprentissages en cours. Dans la littérature, principa-
lement professionnelle, sur la réflexivité, on a eu tendance à réduire celle-ci à ce que D. Schön,
dans son célèbre ouvrage de 1983 Le Praticien réflexif, appelait la réflexion sur l’action, plutôt que
dans l’action. Se référant alors aux travaux du philosophe américain John Dewey, notamment
autour des concepts d’expérience et d’enquête, il est ainsi postulé que tout apprentissage passe
nécessairement par de l’action et de la réflexion sur cette action. Cette réflexion sur l’action
suppose concrètement :
–– une mise à distance spatio-temporelle de ce qui a été vécu, observé et expérimenté ;
–– une explicitation, une mise en récit de ce vécu expérientiel ;
–– une modélisation conceptuelle de l’expérience (par l’établissement de liens de causalité, ou
de corrélation, par exemple).

Le recours généralisé à ce type de pratique réflexive, qu’on pourrait qualifier avec J.-M.
Schaeffer1 de « calcul rationnel » – en parfait alignement avec l’hégémonie du modèle scienti-
fique hypothético-déductif pour l’apprentissage dans certains métiers (en particulier ceux de
l’humain : enseignement, travail social, soins de santé…) depuis inspire directement la conception
des nombreux dispositifs identifiés comme dispositifs d’AST, tant individuels que collectifs :
coaching, tutorat, supervision, intervision… Plus récemment pourtant, plusieurs auteurs ont
rappelé que si ce type d’activité pouvait en effet s’avérer tout à fait pertinent pour certains
apprentissages il ne pouvait cependant pas épuiser toutes les modalités possibles du travail
réflexif, en particulier la réflexion dans l’action. Par exemple, Michael Eraut2 distingue, au côté
de l’apprentissage « délibératif/analytique » (proche de la réflexion sur l’action que nous venons
d’évoquer), les apprentissages « rapide/intuitif » et « instantané/réflexe ». Si ce dernier évoque

1. Schaeffer J.-M. 1999). Pourquoi la fiction ?, Paris, Le Seuil.


2. Eraut M. (2007). Learning from other people in the workplace. Oxford Review of Education, 33 (4), 403-422.

495
Traité des sciences et des techniques de la formation

ce que nous avons appelé plus haut l’apprentissage « immédiat », le deuxième évoque une autre
forme de travail réflexif, que nous pourrions qualifier d’« holiste », fondé sur l’intuition, ou plus
précisément, sur la « reconnaissance de forme ». Cette modalité a été largement investiguée par
des chercheurs comme Gary Klein et de nombreux autres, qui ont montré que les profession-
nels experts en situation réelle de travail raisonnent et décident – efficacement – dans le cours
même de l’action selon des modalités bien différentes de celles qui caractérisent la « réflexion
sur l’action » : ni mise à distance spatio-temporelle de l’action, ni explicitation, ni raisonnement
hypothético-déductif, mais plutôt un raisonnement en circuit très court, fondé sur une compa-
raison globale d’une configuration d’éléments essentiels observés dans une situation donnée
avec des configurations rencontrées antérieurement et stockées en mémoire. Il nous paraît
essentiel aujourd’hui de tenir davantage compte de cette diversité des modalités possibles du
travail réflexif en lien avec la spécificité du contexte et de la nature des apprentissages visés, afin
de développer de façon plus pertinente la capacité d’apprendre à apprendre. Une autre piste qui
mériterait d’être approfondie concerne le rôle des émotions et du corps dans l’activité cognitive
qui sous-tend l’apprentissage en situation de travail.

3.5 La dimension motivationnelle de l’AST :


les niveaux d’engagement du sujet
Ainsi que nous l’avons déjà évoqué avec Billett, l’engagement du sujet constitue une condition
sine qua non de son apprentissage au travail, faute de quoi il ne pourra tirer parti des affordances
à sa disposition dans l’environnement de travail. Pour comprendre les ressorts de cet engage-
ment, on peut, bien sûr, se référer à la très vaste littérature de psychologie de l’éducation sur la
motivation à apprendre1. Celle-ci met notamment en évidence le rôle fondamental de la valeur
accordée par le sujet à une activité et sa confiance dans ses chances de réussite pour expliquer
son engagement dans l’activité en question. Mais de quel engagement parle-t‑on ? Celui du
sujet dans son activité de travail ? Dans le processus d’apprentissage en contexte de travail ?
Ou dans le collectif de travail ? En réalité, ces trois niveaux d’engagement sont très étroitement
imbriqués. Comment peut-on être engagé dans l’apprentissage au travail si on ne l’est pas dans
l’activité de travail elle-même ? Et comment peut-on l’être dans cette activité si l’on n’a pas toute
sa place dans le collectif de travail qui la porte ? Cependant, ainsi que nous l’avons argumenté

1. P. Carré et F. Fenouillet, (dir.) (2009). Traité de psychologie de la motivation, Paris, Dunod ; B. Galand et
E. Bourgeois, (dir.) (2006). (Se) Motiver à apprendre, Paris, PUF.

496
L’apprentissage en situation de travail ■ Chapitre 24

par ailleurs1, ils méritent d’être distingués, tout en tenant compte de leurs interactions, en vue
d’optimiser les dispositifs d’accompagnement et de formation au travail.

3.6 La dimension sociale de l’AST :


le rôle du collectif dans les apprentissages individuels
Comme l’a dit par ailleurs Philippe Carré : on apprend toujours seul, mais jamais sans les
autres ! Sans l’interaction avec autrui, quelles que soient les modalités de cette interaction,
l’individu ne peut apprendre, en situation de travail comme ailleurs. Dans ce cadre, les inte-
ractions socio-cognitives peuvent concerner les relations du sujet apprenant avec un tuteur ou
un formateur, ou encore un collègue, pair ou supérieur hiérarchique, expert ou novice. L’autre
peut aussi intervenir comme figure d’identification. Il peut s’agir dans ce cas, de celui qui est
en position de l’expert-transmetteur (formateur, tuteur, superviseur, coach, mentor…). Or le
processus d’identification joue un rôle essentiel dans la transmission, et en particulier, dans le
processus de subjectivation. L’accès au savoir dont est porteur le « maître » ne peut se produire
que si, d’abord, le « disciple » peut suffisamment s’identifier à celui-ci et si, ensuite, par un jeu
adéquat d’étayage et d’effacement progressif, le maître peut soutenir la transformation progres-
sive de l’identification du disciple au maître en une appropriation par le disciple du savoir dont
le maître est porteur. Par ailleurs, cette fonction d’identification peut également s’exercer sur le
collectif de travail (et/ou d’apprentissage), ainsi que l’ont bien montré les travaux de René Kaës2.
Enfin, autrui peut également jouer un rôle de soutien (« support social ») et d’étayage, dans les
apprentissages individuels. Encore une fois, il peut s’agir de la figure du maître (par exemple,
par la qualité des feed-back qu’il adresse à l’apprenant, son empathie, sa bienveillance, etc.) ou
du groupe. Le climat socio-affectif du groupe en particulier joue un rôle essentiel, notamment
pour exercer la fonction de sécurité psychologique essentielle pour l’AST.

3.7 Une affordance fondamentale : la sécurité psychologique


Une bonne partie des recherches actuelles sur l’AST vise à identifier les conditions liées à
l’environnement de travail qui favorisent le processus d’apprentissage au travail. Il est évidem-
ment impossible d’en faire ici le tour. Nous nous contenterons d’en évoquer une qui nous paraît

1. F. Merhan et E. Bourgeois (2015). « Dynamique d’engagement professionnel en situation de formation par


alternance », in F. Merhan, A. Jorro, et J.-M. De Ketele (éd.), Mutations éducatives et engagement professionnel
(p. 19-36), Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur.
2. Kaës R. (2011). Désir de former, formation par le groupe et transmission des savoirs. In R. Kaës et C. Desvignes
(éds.), Le travail psychique de la formation. Entre aliénation et transformation (p. 1-35). Paris, Dunod.

497
Traité des sciences et des techniques de la formation

jouer un rôle particulièrement important : la sécurité psychologique. On entend par là le fait que
l’individu, pour apprendre efficacement, doit avoir le sentiment qu’il évolue dans un environne-
ment de travail où il a, a priori, le droit, du moins à certains moments, de se tromper, d’exprimer
ses doutes, ses peurs, ses zones d’ignorance et d’incompétence sans risque majeur pour son image
de soi (paraître stupide, incompétent, perturbateur, etc.). Cette question est particulièrement
délicate s’agissant d’apprentissage sur le lieu de travail, où l’on est en permanence en interac-
tion avec ses collègues et supérieurs hiérarchiques, soumis à leur regard et potentiellement à
leur jugement ; un environnement également où l’on est soumis à la sanction du réel dans la
mesure où les erreurs, doutes, peurs et incompétences peuvent avoir des conséquences désas-
treuses dans la réalité. Il est donc particulièrement important de s’interroger sur les facteurs qui,
spécifiquement en contexte de travail, sont de nature à promouvoir ce sentiment de sécurité
psychologique. C’est à quoi s’attachent les travaux notamment d’Amy Edmondson, Abraham
Carmeli et leurs collègues respectifs1. Ils pointent entre autres le rôle crucial du manager et
du collectif de travail (et des relations interpersonnelles en son sein) dans l’établissement d’un
climat et de normes propices à assurer la sécurité psychologique. Ils soulignent par ailleurs
le rôle des facteurs liés aux apprenants eux-mêmes, notamment leur degré de centration sur
l’image de soi versus sur l’apprentissage dans leur travail, leur place dans le collectif, ou encore
leur sentiment d’efficacité personnelle.

4. En conclusion
Nous voudrions faire trois remarques. D’une part souligner la fécondité des pratiques et
recherches autour de l’AST. La diversité des dispositifs repose néanmoins sur un substrat théo-
rique suffisamment cohérent pour garantir une réelle solidité conceptuelle. Non pas que les
débats n’aient pas lieu, mais ils sont clairement structurés autour de grandes questions rele-
vées ici. Cet état des lieux permet à la fois de stimuler l’expérimentation mais aussi d’organiser
l’analyse théorique des pratiques. Du point de vue des entreprises, l’AST apparaît de plus en
plus comme une piste indispensable pour accompagner les mutations organisationnelles et de
compétences. Du côté des apprenants, il permet de concrétiser des dispositifs pensés à partir des
situations concrètes qu’ils vivent en tenant compte de la diversité des activités, des ressources
et des interactions sociales participant au processus d’apprentissage. Pour toutes ces raisons,
l’AST est une thématique en plein développement et pleine de promesses.

1. Mornata C. (2014). « La sécurité psychologique ou comment démystifier l’apprentissage en situation de travail


pour le repenser autrement », in E. Bourgeois et S. Enlart, Apprendre dans l’entreprise, Paris, PUF.

498
L’apprentissage en situation de travail ■ Chapitre 24

Références de base
Billett S. (2001). Learning in the Workplace, Crows Filliettaz L. et Billett S. (éd.) (2015). Francophone
Nest, Allen et Unwin. Perspectives of Learning Through Work.
Bourgeois, E. et Durand M. (éd.) (2012). Apprendre au Conceptions, Traditions and Practices, Cham
travail, Paris, PUF. (Suisse), Springer International Publishing AG.
Bourgeois E. et Enlart S. (éd.) (2014). Apprendre Tynjälä P. (2008). « Perspectives into learning
dans l’entreprise, Paris, PUF. at the workplace », Educational Research
Review, 3 (2), 130-154.
Enlart S. et Charbonnier O. (2010). Faut-il encore
apprendre ?, Paris, Dunod.

499
Chapitre 25
L’ingénierie
pédagogique1

1. Par Philippe Carré et Christophe Jeunesse.


Sommaire
1. L’ingénierie pédagogique : de quoi s’agit-il ?......................................................... 503
2. Les cinq étapes de l’ingénierie pédagogique.......................................................... 510
3. Éléments de prospective....................................................................................... 516
Lectures conseillées.................................................................................................. 518
Depuis une cinquantaine d’années, l’essor de la notion d’ingénierie en formation des adultes
a entraîné dans son sillage le développement de celle d’ingénierie pédagogique, aux confins des
sciences de l’ingénieur et des sciences de l’éducation. Ce chapitre s’attachera à présenter les
caractéristiques principales de cette discipline en émergence, qui implique le développement
d’une nouvelle forme de professionnalité des formateurs d’adultes.

1. L’ingénierie pédagogique : de quoi s’agit-il ?

1.1 Une alliance inattendue


Depuis la fin des années 1980, l’essor de cette notion est de plus en plus sensible tant dans
les discours quotidiens des professionnels de la formation et de l’enseignement que dans ses
manifestations les plus institutionnelles : intitulés d’emplois, création de cours, de modules de
formation, de diplômes universitaires, références de plus en plus fréquentes dans les écrits en
sciences de l’éducation, de l’ingénieur, de l’information… Pourtant la notion peut paraître para-
doxale, tant elle rapproche deux termes issus d’univers culturels bien étrangers l’un à l’autre :
ingénierie et pédagogie. De plus, cette jeune « discipline » ne bénéficie pas encore d’une produc-
tion théorique bien solide en français. Cette alliance inattendue et pour certains, contre-nature,
entre ingénierie et pédagogie, peut être justifiée, à la façon d’un clin d’œil par la nécessité du
« génie » en formation. Outre-Atlantique, la notion correspondante d’instructional design connaît
un essor sensible depuis la première moitié du xxe siècle (Gagné et al., 2005).

1.2. L’instructional design ou instructional systems design (ISD)


Certains auteurs font remonter les racines de l’ISD au début du xxe siècle avec les premiers
usages du cinéma, puis de la radio, à des fins d’éducation (Reiser, 2012). C’est à partir de la
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Seconde Guerre mondiale, puis de l’expansion industrielle, technique et culturelle des Trente
Glorieuses (1945-1974) que l’usage de différents médias éducatifs se diffuse plus largement sur
tous les continents. Le rapprochement entre apprentissage et usage des médias par le cinéma,
la rétroprojection, les outils de simulation et enfin la télévision éducative, apparaît alors de
l’ordre de l’évidence pédagogique. L’ISD a poursuivi son développement en parallèle de celui
des technologies au cours des années 1950 et 1960, particulièrement avec l’essor de l’ensei-
gnement programmé sous la double influence des théories de Skinner et des progrès rapides
de l’informatique, alors adolescente. Puis c’est au cours des années 1970, avec l’explosion de la
micro-informatique, que l’ISD va atteindre sa pleine dimension, particulièrement dans le monde

503
Traité des sciences et des techniques de la formation

de la formation professionnelle et du travail, au croisement de la psychologie cognitive, de la


pédagogie et de l’ingénierie numérique.

En France, en effet, la notion d’ingénierie pédagogique puise ses racines d’une part du côté de
la formation des enseignants et, partant, de la programmation didactique (Peretti, 1991 ; Rieunier,
2014) et d’autre part de celui de l’ingénierie de formation au sens large et de son management
(Meignant, 1993). Le terme se diffuse largement au cours des dernières années du xxe siècle,
pour différencier, en formation des adultes, les activités pédagogiques de l’ensemble des activités
d’ingénierie dans lesquelles elles s’insèrent (politique, organisation, stratégie), au prix d’ailleurs
d’une fréquente ambiguïté quant à leurs spécificités respectives.

L’ingénierie pédagogique est aujourd’hui la résultante de trois forces qu’elle vise à mettre en
cohérence : la conduite de projet pédagogique (sous-ensemble de l’ingénierie de formation), la
psychopédagogie des adultes1 et l’usage raisonné des ressources digitales2. L’innovation péda-
gogique est d’évidence au cœur de cette articulation.

1.3 Ingénierie et innovation pédagogique


L’essor de ces innovations et celui des pratiques d’ingénierie sont surdéterminés par les
mutations multiples du contexte socio-économique de la fin du xxe siècle : la fin des « Trente
glorieuses » et l’apparition de tensions fortes sur l’emploi et les relations économiques ; l’emballe-
ment spectaculaire de la quantité de connaissances disponibles, le raccourcissement phénoménal
de leur durée de vie, liés à l’explosion des technologies numériques ; l’irruption et la diffusion
planétaire du phénomène Internet ; enfin, et surtout, la sacralisation des valeurs d’efficience et
de productivité. La combinaison de ces mutations a rendu en quelques années caduques nos
conceptions de la formation continue, comme l’illustraient déjà les termes d’un rapport officiel
à l’aube des années 20003 :

« Les formes classiques d’enseignement ont vécu. L’objet de l’apprentissage s’est considérablement
élargi. Les technologies de l’information et de la communication paraissent incontournables, à la
fois comme objets et comme supports ou moyens d’apprentissage. L’organisation canonique basée
sur les fameuses trois unités (de temps, de lieu, d’action) éclate en une combinatoire de situations
d’apprentissage. »

1. Voir supra, chapitre 19.


2. Voir infra, chapitre 26.
3. Secrétariat d’État au Droit des femmes et à la Formation professionnelle (2000). La professionnalisation de
l’offre de formation et des relations entre les utilisateurs et les organismes.

504
L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25

L’ingénierie pédagogique cherche à mettre en synergie l’ensemble des contraintes et poten-


tialités de ce nouveau contexte de la formation : exigence de réactivité, démultiplication des
ressources et des opportunités d’apprentissage, bon usage des technologies, recherche d’effi-
cience. Mais cet effort resterait vain s’il n’était basé sur un renouvellement radical des conceptions
du bénéficiaire ultime de la formation et de son rôle dans le processus, renouvellement affirmé
dans les termes du rapport déjà cité comme suit :

« Rendre les apprenants acteurs, promouvoir une logique de contrat, placer la personne au centre
du processus de formation, développer les formes d’accompagnement et de médiation adaptées,
tout cela ne prend sens que dans une perspective de développement de l’autonomie des apprenants,
de passage d’une pédagogie de la transmission à une pédagogie de l’appropriation, condition
essentielle de pertinence de la formation. »

Dans cet esprit, citons quelques dispositifs pédagogiques contemporains dont le périmètre
dépasse bien souvent celui de la classique formation des adultes : centres de ressources, entre-
prises d’entraînement pédagogique, réseaux d’échanges réciproques de savoirs, organisations
dites « apprenantes », ateliers de pédagogie personnalisée… Sans omettre, bien sûr, le déploie-
ment des formes pédagogiques en alternance et les multiples déclinaisons successives de la
formation par le numérique apparues depuis le début des années 1980 : EAO, multimédia,
FOAD, e-learning, et plus récemment serious games, MOOC, réseaux sociaux, communautés
d’apprentissage, outils de simulation1, etc.

On observera ainsi que l’essor de la notion d’ingénierie pédagogique est strictement contem-
porain de la montée des « nouveaux dispositifs de formation », qu’ils soient dits « à distance »,
« en ligne », « ouverts », « individualisés », « multimodaux », etc. Ces dispositifs nouveaux, qui
s’intègrent progressivement aux formations conventionnelles (« stage », « cours », « séminaire »)
ou les complètent (formations « hybrides ») ont quatre caractéristiques majeures :
–– ils utilisent largement les technologies numériques ;
–– ils font appel à l’autoformation individuelle et collective (Carré, Moisan, Poisson, 2010) ;
–– ils visent l’augmentation de la « productivité pédagogique » à partir d’une « nouvelle
économie de la formation » (Albertini, 1992) ;
–– ils impliquent la collaboration d’acteurs multiples, souvent au sein de réseaux ou de
partenariats.

Dans le cadre d’une formation présentielle « classique », la fonction d’organisation pédago-


gique se ramène la plupart du temps à une programmation didactique qui, aussi sophistiquée

1. Voir infra, chapitre 26.

505
Traité des sciences et des techniques de la formation

soit-elle, n’implique pas de démarche d’ingénierie au sens strict défini ci-dessus, bien qu’elle
fasse appel au « génie » pédagogique du formateur. La notion d’ingénierie ne prend sa dimension
et son utilité sur le champ pédagogique qu’à partir du moment où l’on « ouvre » le dispositif, en
modifiant ensemble les espaces, les temps et les modes de l’action pédagogique.

Ces nouveaux modes de formation articulent des moyens technologiques, humains, logistiques
plus nombreux, dans des configurations d’espace et de temps et des équations économiques
plus complexes que les dispositifs usuels. Cette concomitance amène à lier systématiquement
la notion d’ingénierie pédagogique à la mise en question des formes classiques, présentielles, de
formation et à la promotion de modèles de formation « autonomisants ».

1.4 Trois niveaux d’analyse de la formation


La notion d’ingénierie, rappelons-le, recouvre « l’étude globale d’un projet industriel sous
tous ses aspects (techniques, économiques, financiers, sociaux), coordonnant les études parti-
culières de plusieurs équipes de spécialistes1 ». De plus, la démarche d’ingénierie est ciblée sur
la recherche de l’efficacité : pour l’Afnor, dans le domaine de la formation, cet « ensemble de
démarches méthodologiques articulées » s’applique à « la conception de systèmes d’action, ou
de dispositifs de formation, pour atteindre efficacement l’objectif fixé2 ».

Si l’ingénierie de formation recouvre « un ensemble d’activités de conception, d’étude et de


coordination de diverses disciplines pour réaliser et piloter un processus visant à optimiser
l’investissement formation », en revanche l’ingénierie pédagogique concerne les pratiques péda-
gogiques elles-mêmes3. La notion d’ingénierie devient nécessaire quand la pédagogie se fait…
« autre » :
–– quand elle s’ouvre sur le monde environnant par des visites et stages selon les principes
eux-mêmes multiples de l’alternance ;
–– quand elle utilise des équipements sophistiqués et des ressources numériques plurielles,
de plus en plus souvent personnelles (ordinateur portable, smartphone, tablette) selon la
logique du BYOD4 ;
–– quand elle intègre de multiples intervenants, voire une équipe pédagogique qu’il faut coor-
donner, souvent à distance ;

1. Dictionnaire Le Robert, 1992.


2. Afnor, Norme X50-750/4.92.
3. A. Ponchelet (1990). « Ingénierie ou ingénieries ? », Actualité de la formation permanente, n˚ 107.
4. BYOD : bring your own device = « apportez votre propre appareil ! ».

506
L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25

–– quand elle exploite des situations d’apprentissage multiples (alternance, individualisation


des parcours, formation multimodale, pédagogie du projet).

L’ingénierie pédagogique a pour mission de créer ou d’améliorer un dispositif pédagogique en


optimisant l’articulation des ressources humaines, techniques, financières et logistiques dispo-
nibles en fonction des objectifs de la formation, du public et des contraintes et des ressources
du projet. Pour remplir cette mission, elle se trouve prise entre deux champs de contraintes en
tension, parfois contradictoires : le champ de l’ingénierie de formation, où se construisent les
commandes par le biais formel (plan de formation, schéma directeur, appel d’offres) ou informel
(consignes orales, commande floue) et le champ de la psychopédagogie qui régit les règles du
fonctionnement de l’apprentissage au triple plan affectif, cognitif et motivationnel. Pour bien
comprendre la spécificité et la raison d’être de l’ingénierie pédagogique, il convient d’avoir à
l’esprit que les phénomènes de formation s’appréhendent dans une logique pluridisciplinaire,
qui fait intervenir au moins trois niveaux d’analyse :
–– le niveau « macro » des systèmes sociaux, où l’on analysera les dimensions socio-organisa-
tionnelles et politiques de la formation (niveau de l’ingénierie de formation) ;
–– le niveau « méso », qui s’attachera précisément aux dimensions technico-pédagogiques des
dispositifs (niveau de l’ingénierie pédagogique) ;
–– le niveau « micro » qui appréciera et étudiera les dimensions psychologiques (ou « cogni-
tives » au sens large) des apprentissages (niveau psychopédagogique).

Le tableau 25.1 situe ce « méso-niveau » de l’intervention pédagogique, pris entre son « amont »
(le macro-système global de formation) et son « aval » (le micro-niveau de la situation d’appren-
tissage de l’apprenant).

507
Traité des sciences et des techniques de la formation

Tableau 25.1 - Les trois niveaux d’organisation de la formation

Niveau Macro : système


Méso : dispositif pédagogique Micro : sujet apprenant
d’organisation de formation
Apprentissage
Changement social Développement
Finalité de connaissances, d’habiletés,
et/ou économique des compétences
d’attitudes
Champ Ingénierie de formation Ingénierie pédagogique Psychopédagogie
Amont Objectifs d’évolution Objectifs de formation Objectifs d’apprentissage
Objectifs
Aval Objectifs de formation Acquisitions
d’apprentissage
Moyen Politique de formation Stratégie pédagogique Fonctionnement cognitif
Responsable
Acteur clé Responsable pédagogique Apprenant
formation

En fonction de finalités sociales ou économiques, relevant de l’ingénierie sociale ou de l’ingé-


nierie des ressources humaines, productrices d’objectifs d’évolution, le responsable du système de
formation construit des objectifs de formation, en termes de compétences globales visées pour
une population donnée. Ces objectifs de formation sont les principales données d’« input » de l’in-
génierie pédagogique, à côté de l’analyse des publics, d’une part, et de l’analyse des ressources et
contraintes, d’autre part. En fonction de cette trilogie « objectifs-publics-ressources/contraintes »,
la mission de l’ingénierie pédagogique va pouvoir se déployer et produire, entre autres résultats,
les objectifs de l’action pédagogique en termes d’apprentissages visés.

La spécificité de l’ingénierie pédagogique réside ainsi dans la coordination de l’ensemble des


moyens pédagogiques (humains et matériels), dans le cadre d’un projet de formation donné,
afin d’en optimiser l’efficience. Ses acteurs majeurs sont les cadres pédagogiques, que l’on
dénommera de façon variée selon les institutions (responsable pédagogique, ingénieur péda-
gogique, directeur ou coordinateur pédagogique, etc.). Leurs compétences seront pointues dans
le domaine de la conduite de projets pédagogiques, à partir d’une culture solide en pédagogie,
psychologie, technologie et sociologie des organisations. Leur mission sera l’optimisation des
dispositifs de formation.

1.5 Une méthode de conduite de projets pédagogiques


L’ingénierie pédagogique est une méthode de conduite des projets pédagogiques, c’est-à‑dire
une démarche raisonnée permettant de parvenir à un but exprimé en termes pédagogiques, dans
une logique d’efficacité. Elle devra satisfaire trois critères : prendre en compte l’ensemble des
paramètres de la construction pédagogique (critère de globalité), partir d’une finalité exprimée

508
L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25

en termes d’objectifs de formation (critère de finalisation), en recherchant l’optimisation du


rapport entre les résultats obtenus et des coûts d’ensemble du projet (critère de productivité).

L’ingénierie, en tant que méthode, repose sur une technologie, laquelle englobe à la fois une
théorie générale des procédés techniques et l’étude spécifique des outils, machines, procédés,
relatifs à un certain domaine d’activité ainsi que de leur usage. Dans le cadre pédagogique, l’ingé-
nierie sera basée sur une théorisation des techniques pédagogiques, c’est-à‑dire des procédés
et « façons de faire » pour obtenir un certain résultat exprimé en termes de compétences à
atteindre ou d’objectifs de formation. Elle reposera ensuite sur l’analyse des moyens humains
disponibles ou à rechercher, et des outils pédagogiques, c’est-à‑dire de l’ensemble des objets,
instruments ou machines intervenant dans la réalisation du travail pédagogique et la mise en
cohérence du dispositif avec les finalités visées. De plus en plus souvent, ces analyses passeront
par l’intégration des ressources numériques à toutes les étapes du processus.

Toutefois, à mesure que les problématiques de formation des adultes se complexifient, que les
tensions budgétaires s’accroissent, et que les ressources se multiplient massivement sur Internet,
le travail de diagnostic, de conception, de préparation, de suivi et d’évaluation de l’action atteint
une nouvelle dimension. On passe de la simple programmation didactique à un véritable travail
de coordination entre des données non seulement techniques et pédagogiques, mais également
économiques, sociales et logistiques, voire architecturales.

1.6 Une notion centrale : le dispositif


L’objet de la démarche d’ingénierie pédagogique est la création, l’aménagement ou la transfor-
mation d’un dispositif. Il s’agira d’articuler et de mettre en cohérence un ensemble de discours,
de pratiques, d’outils, d’espaces et de temporalités en vue d’orienter les apprentissages dans une
direction donnée. Selon Lebrun (2011) :

« Nous entendons par dispositif un ensemble cohérent constitué de ressources, de stratégies, de


méthodes et d’acteurs interagissant dans un contexte donné pour atteindre un but. Le but du
dispositif pédagogique est de faire apprendre quelque chose à quelqu’un, ou mieux (peut-on faire
apprendre ?) de permettre à quelqu’un d’apprendre quelque chose ».

Agencement de moyens matériels et humains organisés en fonction d’un but à atteindre,


le dispositif interroge alors un ensemble de valeurs et de convictions, explicites ou non, sur la
nature du processus d’apprentissage, l’efficacité des moyens pédagogiques et les finalités de
la formation. En ce sens, la conduite d’un projet pédagogique comporte nécessairement une
dimension éthique, voire idéologique.

509
Traité des sciences et des techniques de la formation

2. Les cinq étapes de l’ingénierie pédagogique

2.1 Remarques liminaires


L’ingénierie pédagogique a pour fonction de transformer les données d’input de la forma-
tion (finalités, objectifs de formation ou de compétence, caractéristiques du public, prérequis,
contraintes et ressources du projet) en données d’output pour l’organisation pédagogique,
susceptibles d’être organisées en spécifications du cahier des charges pédagogiques.

Pour ce faire, cinq « étapes » ou « jalons » d’importances variables selon les cas, sont géné-
ralement nécessaires, conformément à toute méthodologie de conduite de projet. Il s’agira
d’analyser la situation de départ par un diagnostic, de concevoir un design initial du dispositif,
de développer des outils et supports plus ou moins sophistiqués, de conduire l’action de forma-
tion, de l’évaluer et d’en réguler le fonctionnement. Ces cinq actions sont inscrites dans une
récursivité illustrée par le schéma suivant.

Figure 25.1 - Les cinq étapes de l’ingénierie pédagogique

L’ingénierie est une approche de l’action méthodique, rationnelle, progressive. Cependant,


sur le champ pédagogique, il convient de se garder de la trop stricte application linéaire d’une
procédure, aussi séduisante soit-elle, pour développer ou améliorer un dispositif. En matière
de formation comme dans tous les domaines de l’ingénierie des systèmes artificiels, la néces-
sité de répondre simultanément à des demandes multiples et évolutives d’acteurs différents
entraîne donc à adopter simultanément une posture rigoureuse d’application de méthodes et
de procédures, et une posture ouverte de recherche d’adéquation du dispositif à son environ-
nement. L’ingénierie peut alors être conçue comme un système en tension entre la maîtrise des
procédures à appliquer et l’animation des processus d’innovation. On parlera alors d’ingénierie
« concourante », « systémique », voire « agile ».

510
L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25

Compte tenu de cette mise en garde, nous allons à présent passer en revue les cinq étapes
de l’ingénierie pédagogique « classique », qui seront présentées ci-après de façon séquentielle
pour en faciliter la lecture.

2.2 Le diagnostic : analyse préliminaire de la demande de formation


D’une complexité variable selon l’empan du projet, la phase de diagnostic est essentielle bien
que souvent réduite, en particulier du fait des coûts engendrés, fréquemment vus comme non
strictement « productifs ». La formalisation des objectifs de formation et des modalités d’évalua-
tion, l’analyse du public et le bilan des ressources et contraintes du projet sont les ingrédients
de base de l’ingénierie.

2.2.1 Les objectifs de formation ou de compétence


(et les modes d’évaluation)
Ils découlent des analyses préliminaires de l’ingénierie de formation (analyse de la demande,
de l’activité ou de l’emploi visé et des besoins de compétences). La durée de cette analyse incon-
tournable sera proportionnelle à celle des apprentissages envisagés et à l’ampleur du projet. Si
les objectifs n’ont pas été transmis de façon univoque par une voie formelle (convention, appel
d’offres, accord de sous-traitance, etc.), il conviendra de mettre au clair, avec le donneur d’ordre,
les résultats attendus de l’action envisagée, en termes de compétences visées par la formation,
ainsi que les modalités de leur évaluation finale.

2.2.2 L’analyse du public


Un tableau descriptif des caractéristiques socio-démographiques, psychosociales, voire
cognitives de la population visée sera établi, doublé des indications disponibles sur les moti-
vations caractérisant l’engagement de ce public et les prérequis nécessaires. Les dynamiques
d’engagement en formation des adultes peuvent être de natures très contrastées, mais elles surdé-
terminent toujours les conditions d’apprentissage et les interactions pédagogiques ultérieures1.

2.2.3 Les ressources et contraintes du projet


Les possibilités en termes de locaux et de personnel disponibles, les spécifications techniques
des équipements ainsi que les possibilités de visites et sorties ou, au contraire d’interventions
externes, seront systématiquement inventoriées, en fonction des paramètres précédents : objec-
tifs, publics et bien sûr… budget.

1. Voir supra, chapitre 15.

511
Traité des sciences et des techniques de la formation

2.3 Le design : conception et formalisation du projet pédagogique


C’est dans le design que se révèle le talent de « styliste pédagogique » du concepteur, voire son
« génie ». Souvent considérée comme caractéristique de l’ingénierie pédagogique, voire comme
son synonyme (Enlart, 2007), la phase dite de « design » permet de transformer les données de
diagnostic en une première formalisation, soit sous forme de projet pédagogique ou, pour une
action de plus grande ampleur, sous forme d’un véritable cahier des charges pédagogiques. Ce
document à portée contractuelle entre le donneur d’ordre et le chef de projet réunit l’ensemble
des données de conception du projet sous forme de spécifications techniques et pédagogiques.

Quel que soit le degré de formalisation du « design pédagogique » choisi, les quatre éléments
suivants devront y figurer, à la suite du rappel des conclusions du diagnostic initial.

2.3.1 Les objectifs d’apprentissage


Il s’agit d’une transformation des objectifs généraux de formation (exprimés en termes
de compétences) en objectifs spécifiques, relevant du domaine des acquis visés en situation
pédagogique1. On s’accorde généralement sur les quatre qualités suivantes d’un bon objectif
d’apprentissage2. Il doit décrire un résultat observable (exprimé à l’aide d’un verbe d’action),
être énoncé de manière univoque, être réaliste et situé (donc mentionner les conditions de
son évaluation)3. L’usage des objectifs implique des précautions, et une grande souplesse :
il a souvent été noté qu’une pratique trop « procédurière » de la construction des objectifs
d’apprentissage conduit à une dérive qui vide cette démarche de son sens. Avec cette réserve,
les objectifs d’apprentissage ont de multiples avantages : ils clarifient les enjeux et les inten-
tions de la situation, mettent les processus d’apprentissage au cœur de la problématique de
formation, favorisent le dialogue, voire la négociation d’un « contrat pédagogique » formel
ou informel, et facilitent l’évaluation externe, l’auto-évaluation et la régulation permanentes
du processus pédagogique4.

2.3.2 Le choix du dispositif


Bien que souvent surdéterminé par les contraintes de l’environnement du projet (budget,
locaux, équipement, « habitudes », contraintes de sécurité ou de transport, etc.), l’aména-
gement du dispositif devra faire l’objet d’une réflexion spécifique importante. Il s’agira, en

1. D’où l’usage répandu du terme d’objectif pédagogique comme synonyme de celui d’objectif d’apprentissage.
2. Indépendamment d’une évidence bonne à rappeler : qu’il soit conçu du point de vue de celui qui doit
apprendre…
3. On aura repéré ici l’acronyme OURS…
4. D. Hameline (1979). Les objectifs pédagogiques en formation initiale et en formation continue, Paris, Les
Éditions d’Organisation.

512
L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25

deçà des aspects méthodologiques, de fixer le cadre spatio-temporel et technologique des


principales modalités de l’action pédagogique envisagée : calendrier des sorties et visites ;
organisation des temps individualisés, en sous-groupe, en séance plénière, à distance ; gestion
des salles, de l’architecture pédagogique, du mobilier, des équipements, des intervenants exté-
rieurs, etc. À l’heure des formations « digitales », « hybrides », « en ligne », « multimodales »,
cette étape du travail d’ingénierie pédagogique sera déterminante.

2.3.3 Les moyens pédagogiques


On désignera par moyens pédagogiques l’ensemble des procédés, ressources, artefacts utiles
à l’action du formateur. Par méthode, on entendra la démarche globale, raisonnée vers les
finalités de l’action pédagogique. Le recours à ce terme, sur-utilisé en pédagogie, prête souvent
à confusion, c’est pourquoi nous préférerons avoir recours à l’un des suivants pour caractériser
les différents aspects du design pédagogique. Par situation pédagogique, on entendra l’un des
quatre formats de travail suivants :
–– face-à‑face pédagogique entre le formateur et les stagiaires (dans la même salle ou à
distance) ;
–– travail en groupes restreints (sans la présence permanente du formateur) ;
–– formation individualisée (chez soi, en salle, en centre de ressources, etc.) ;
–– ou formation en situation professionnelle.

Les techniques pédagogiques sont des façons de faire, processus ou ensembles d’actions,
voire de « gestes » spécifiques employés en vue de l’obtention d’un résultat ou de l’atteinte
d’un objectif (explicite ou non). On parlera également d’outils pédagogiques, objets matériels
ou virtuels servant au travail pédagogique (conçus pour lui ou détournés de leur fonction
première) et de supports (en tant que substrats matériels ou virtuels des contenus), voire
d’équipement (machine, appareil, simulateur, ordinateur, etc.).

Tableau 25.2 - Quelques moyens pédagogiques

Type de situation Exemples de techniques associées Exemples d’outils et supports associés


En face-à‑face Expositives (conférence, exposé, –– Manuel, livre, schéma, article, test.
formateur – grand témoignage, débat…). –– Documents multimédias (texte, image, schéma,
groupe Démonstratives (expérience, graphe, carte heuristique, etc.), généralement
démonstration, essai) sonorisés, intégrés ou non à un diaporama ou un
module e-learning, projetés en salle et/ou disponibles
Interrogatives (questionnement,
sur terminal numérique.
maïeutique, test).
–– Webinaires, outils de sondages et de quiz, xMooc,
COOC, SPOC, didacticiels sur YouTube.

513
Traité des sciences et des techniques de la formation

Type de situation Exemples de techniques associées Exemples d’outils et supports associés


En sous-groupe Exposé, projet de groupe, centres Dossiers, cas, tableaux muraux, fiches de rôles, jeu,
d’intérêt, enquête, discussion-débat, travail collectif, base
étude de cas, situation problème, de données, outils de communication et de
brainstorming, jeu de rôles, jeu collaboration synchrone
d’entreprise, Métaplan, simulation, et asynchrone, sur LMS ou EPA. simulateur, etc.
T. Group.
Individualisée Exercice ou projet individuel, exposé, Les outils présentés ci-dessus dans la ligne
enquête, enseignement programmé, « En face-à‑face… », les outils de tracking, l’EPA
exploration, autoscopie, simulation. (comprenant divers outils de communication), les
simulateurs, etc.
En situation Compagnonnage, tutorat, coaching, Ressources accessibles sur Internet et Intranet, réseau,
de travail formation sur le tas, doublure, documents
formation-action. et équipements
professionnels « réels », EPA,
outils de réalité augmentée.

Une tâche centrale de l’ingénierie pédagogique consistera dès lors à optimiser, en fonction
de contraintes empiriques données, l’articulation entre objectifs d’apprentissage et moyens
pédagogiques disponibles.

2.4 Le développement : identification et/ou élaboration


des outils et supports de formation
L’étape de construction des outils et supports pourra être réduite à sa plus simple expression
dans le cas où la préparation (ou la révision) du plan d’intervention par le formateur se fait
à l’aide de ses techniques et outils conventionnels. Elle pourra, à l’inverse, faire l’objet d’une
phase complexe, coûteuse et longue de création et de fabrication, dans le cas d’un grand projet
de formation utilisant les ressources numériques. Leur introduction dans le processus pédago-
gique entraîne un investissement majeur dans le développement d’outils, tout en découplant les
temporalités coutumières de l’acte pédagogique. Dans ce cadre, l’investissement humain dans
le développement des outils et supports et, surtout, l’accompagnement de leur utilisation par
les bénéficiaires peut prendre la « part du lion » des budgets. Il consistera en trois opérations
plus ou moins confondues selon les projets : sélection du contenu à médiatiser, scénarisation des
activités selon un modèle de l’apprenant (explicite ou implicite), fabrication des ressources (en
interne ou par sous-traitance). À ces trois activités viendra, bien sûr, s’ajouter, dans les projets
de grande ampleur, l’évaluation des usages des ressources réalisées. On retrouve finalement dans
cette phase de l’ingénierie pédagogique, une séquence classique de conduite de projet (analyse,
décision, action, contrôle). Le développement d’outils numériques est en quelque sorte, un
« projet dans le projet » d’ingénierie pédagogique.

514
L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25

2.5 La conduite : animation et suivi de l’action pédagogique


La conduite de l’action se déroulera sur deux plans d’importances respectives variables selon la
position de l’acteur concerné (formateur, responsable pédagogique, concepteur, etc.). D’un côté,
l’animation concernera la communication et la relation pédagogiques « directes » (présentielles
ou à distance, synchrones ou non). D’un autre point de vue, la conduite sera centrée sur le suivi
de l’action d’un point de vue « externe » : contacts avec les intervenants, logistique, mainte-
nance des équipements et organisation courante du processus, suivi des présences, contrôle de
gestion et régulation de l’équipe pédagogique, etc. La problématique complexe de l’évaluation,
concourante et terminale, à ses différents niveaux d’application sera évidemment princeps de
ce second plan de la conduite de l’action.

2.6 L’évaluation : productivité et régulation


Dans la conception proposée ici, l’ingénierie pédagogique, rappelons-le, vise à l’efficience du
processus d’apprentissage, c’est-à‑dire à l’optimisation du rapport entre résultats attendus et
coûts réels de la formation. Il s’agira donc de réunir en une formulation unique, mais simple, les
indicateurs de l’une et de l’autre série de données, afin éventuellement de les rapprocher pour
apprécier les écarts de productivité dans le temps, entre dispositifs, voire entre prestataires. On
cherchera donc à apprécier les facteurs de résultat et de coût.

Les facteurs de résultat sont les grandes catégories de l’évaluation d’une action de formation,
que l’on résume classiquement au taux de participation (taux de présence ou d’assiduité), à la
satisfaction des usagers (représentations, images), au niveau des acquisitions (apprentissages
réalisés in vitro), au transfert de compétences (exploitation des acquis en situation réelle, in
vivo) et aux effets globaux de la formation sur l’organisation (Meignant, 1992). Mis à part ce
dernier paramètre, les quatre facteurs peuvent être appréciés au terme de l’action pédagogique
ou peu après.

Les facteurs de coût traduisent la prise en compte de l’exhaustivité des frais liés à la forma-
tion, visibles et masqués, internes et externes, pédagogiques et administratifs. On citera par
exemple, outre les coûts directs (factures ou salaires des formateurs, équipement et matériel des
stagiaires), la prise en charge des salaires et compensations des participants (frais de déplace-
ment, hébergement), les coûts de structure (locaux et salaires administratifs imputables, parts de
frais généraux), les coûts en logiciels, frais d’hébergement et de maintenance de la plateforme etc.

Le rapprochement des facteurs de résultat, affectés de leurs pondérations respectives, et de


la totalité des facteurs de coût directs et indirects permettra l’appréciation de la productivité

515
Traité des sciences et des techniques de la formation

pédagogique de l’action. Il va sans dire que ces opérations complexes ne seront justifiées – et
indispensables – que dans le cas de projets de formation de grande ampleur. Toutefois, l’esprit,
si ce n’est la lettre, de l’évaluation de la productivité pédagogique s’impose aujourd’hui dans la
majorité des actions de formation.

3. Éléments de prospective
Compte tenu des évolutions majeures du contexte économique et social qui en surplombent
l’exercice depuis la fin du xxe siècle (diffusion massive des technologies numériques, transmu-
tation de l’accès aux savoirs, aggravation des tensions sociales et économiques), la pédagogie
des adultes est un objet de débat permanent quant aux voies de son renouvellement. On peut
dégager trois tendances majeures de cette évolution : individualisation des pratiques, exten-
sion du périmètre des apprentissages, recherche d’efficience. Une quatrième ligne de force
traverse d’évidence, et de façon accélérée aujourd’hui, ces trois voies de progrès : l’utilisation
des ressources numériques.

Depuis plus de trente ans, la notion d’individualisation de la formation n’a cessé de faire
l’objet d’innovations, d’expériences et de débats, jusqu’à sa diffusion quasi générale dans les
organismes dispensateurs de formation aujourd’hui. Une conférence de consensus1 a posé en
2009 les fondements de sa généralisation à partir des principes suivants : modularisation des
programmes, accompagnement de l’autodirection, personnalisation de la relation pédagogique.
Sous les aiguillons de la nécessité de flexibilité et de formation « juste-à‑temps » (d’où la demande
accrue de dispositifs à « entrées et sorties permanentes »), l’argument pédagogique de l’autofor-
mation et du « sur-mesure », appuyé par la disponibilité croissante de ressources technologiques
facilement individualisables vient rejoindre la sociologie contemporaine (parfois dite « des indi-
vidus ») pour donner à cette perspective une influence croissante, non exempte de critiques, en
particulier quant à la représentation d’isolement social qu’elle véhicule souvent à tort. L’exemple
des APP2 illustre clairement l’adage selon lequel « autoformation n’est pas soloformation3 ».

Avec le succès de la notion d’« environnement d’apprentissage », c’est tout le périmètre des
opportunités d’apprentissage et, dans une certaine mesure, de leur facilitation qui envahit

1. A.-F. Trollat et C. Masson (dir.) (2009). La Formation individualisée. Conférence de consensus, Dijon, Educagri
Éditions.
2. P. Carré et M. Tétart (dir.) (2002). Les Ateliers de pédagogie personnalisée ou l’autoformation accompagnée
en actes, Paris, L’Harmattan.
3. Voir supra, chapitre 18.

516
L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25

l’ensemble des situations de vie des adultes. Les signes de cette expansion se constatent dans
les dispositifs eux-mêmes, complexifiés par l’essor des mécanismes d’alternance, le recours –
ici encore — aux ressources numériques (simulations, jeux, didacticiels, plateformes, moteurs
de recherche, sites collaboratifs, réseaux sociaux…) et plus largement la prise en compte des
innombrables occasions d’apprentissage informel que la vie quotidienne recèle1. On s’interrogera
ainsi, et sans doute pour longtemps encore, sur le potentiel formateur des situations de travail,
les formes diverses des apprentissages informels, qu’ils soient autodirigés, incidents ou tacites,
le caractère plus ou moins « apprenant » des situations, la dimension « capacitante2 » des orga-
nisations, ou, plus généralement sur l’émergence d’une véritable « écologie » de l’apprenance
adulte3…

Enfin, attendu qu’en formation comme ailleurs, c’est toujours « l’économie qui mène le bal »
(Albertini, 1992), il faut souligner à quel point l’avenir sera sans doute encore longtemps soumis
à l’impératif d’efficience de la formation. Le pédagogue devra reconnaître que selon la formule,
« si la formation n’a pas de prix, elle a un coût ». Le gestionnaire devra admettre que « rien ne
coûte plus cher qu’un stagiaire qui n’apprend pas ». Entre ces deux propositions réside sans doute
la porte étroite de la négociation économico-pédagogique autour des conditions de l’efficience
des apprentissages, objet majeur de l’ingénierie pédagogique.

Le phénomène numérique, particulièrement accéléré depuis la généralisation de l’usage des


smartphones, des moteurs de recherche et des réseaux sociaux, amplifie et démultiplie l’en-
semble de ces tendances (Amadieu et Tricot, 2014). L’individualisation des pratiques est bien
sûr intensifiée par la multiplication des ressources disponibles à chacun à partir de ses outils
personnels de communication, ouvrant sur la possibilité de construire son « environnement
personnel d’apprentissage4 ». Les formes variées d’apprentissage informel individuel et collectif
se démultiplient progressivement, facilitées par le recours aux moteurs de recherche, commu-
nautés virtuelles, plateformes collaboratives, forums de discussion. La gestion de la formation
est bouleversée par la transformation de son modèle économique, qui, en passant du dispo-
sitif unique en « tout présentiel » aux formats multiples hybrides ou en ligne, se complexifie et
déplace le curseur des coûts vers l’amont du processus pédagogique (diagnostic, conception et
développement d’outils), dans une nouvelle problématique de la productivité.

1. M. Nagels et P. Carré (dir.) (2016). Apprendre par soi-même aujourd’hui, Paris, Éditions des archives
contemporaines.
2. S. Oudet et C. Batal (dir.) (2016). (R) évolution du management des ressources humaines. Des compétences
aux capabilités, Lille, Septentrion.
3. P. Carré (2005). L’apprenance. Vers un nouveau rapport au savoir, Paris, Dunod.
4. Voir infra, chapitre 26.

517
Traité des sciences et des techniques de la formation

Selon ces trois perspectives, le dispositif, objet central des démarches d’ingénierie pédago-
gique, est d’évidence « en question1 ». C’est-à‑dire pris en une tension, que l’on espère créatrice,
entre logique des dispositions (attitudes, motivations et compétences des sujets) et logique de
l’ingénierie (architecture et écologie des ressources pour apprendre)2. Au cœur de ces évolutions,
l’ingénierie pédagogique devra elle-même se renouveler, en testant des modèles plus systé-
miques, plus agiles, plus sensibles aux métamorphoses contemporaines de l’acte d’apprendre
dans un monde de l’accélération, de la digitalisation et de l’incertitude. C’est dire si la formation
en ingénierie pédagogique des formateurs, appelés à devenir facilitateurs d’apprenance, revêt
aujourd’hui une importance majeure pour le développement professionnel et culturel des sujets
sociaux.

Lectures conseillées
Albertini J.-M. (1992). La pédagogie n’est plus ce Gagne R., Wager W., Golas K. et Keller J. (2005).
qu’elle sera, Paris, Le Seuil/CNRS. Principles of Instructional Design (5e éd.),
Amadieu F., Tricot A. (2014). Apprendre avec le Belmont, Wadsworth.
numérique. Mythes et réalité. Paris, Retz. Lebrun M. (2011). Comment construire un dispositif
Caffarella R. (2002). Planning Programs for Adult de formation ?, Bruxelles, de Boeck.
Learners (2e éd.), San Francisco, Jossey-Bass. Meignant A. (1993). Manager la formation (2e éd.),
C arré P., M oisan A., P oisson D. (dir.) (2010). Paris, Éditions Liaisons.
L’autoformation. Perspectives de recherche, Reiser R. A., Dempsy J. V. (2012). Trends and Issues
Paris, PUF. in Instructional Design and Technology,
Enlart S. (2007). Concevoir des dispositifs de Columbus, Pearson, 3e éd. (17-27).
formation d’adultes : du sacre au simulacre Rieunier A. (2014). Concevoir un projet de forma-
du changement, Paris, Éditions Demos. tion, Issy-les-Moulineaux, ESF Éditeur.

12

1. Enlart S. (dir.) (2008). Formation : les dispositifs en question, Paris, Éditions Liaisons.
2. G. Lameul, A. Jézégou et A.-F. Trollat (dir.) (2009). Articuler dispositifs de formation et dispositions des
appreants, Lyon, Chronique sociale.

518
Chapitre 26
Les environnements
numériques1

1. Par Bernard Blandin.


Sommaire
Introduction : Qu’entend-on par environnement numérique ?..................................... 521
1. Quelques exemples d’environnements numériques pour la formation.................... 522
2. La spécificité des dispositifs avec environnement numérique............................... 525
3. Les questions en débat.......................................................................................... 529
Lectures conseillées.................................................................................................. 535
Dans la première édition de ce Traité, la formation ouverte était abordée en même temps
que l’ingénierie pédagogique, celle-ci apparaissant comme un produit de celle-là. La deuxième
édition consacrait un chapitre à part entière à l’ingénierie de la formation ouverte et à distance
(FOAD). Le terme e-learning y a fait son entrée, en même temps que sa tentative de traduction
française « e-formation ». La troisième édition constatait que la traduction française n’était pas
utilisée et que les termes « formation ouverte et à distance », comme le sigle FOAD avaient aussi
tendance à s’effacer devant le terme e-learning.

La quatrième édition constate la quasi-disparition de ce terme qui était associé aux promesses
de révolution des pratiques pédagogiques à la fin du xxe siècle. Aujourd’hui, ceux qui utilisent
des anglicismes parlent de digital learning, pour indiquer l’omniprésence des technologies numé-
riques dans les situations d’apprentissage. En français, on utilisera les termes « environnement
numérique », d’où le titre de ce chapitre qui aurait mérité plus amples développements.

La suite de cette introduction précise ce que recouvrent ces termes et donne des exemples de
leur variété ; la deuxième section aborde les spécificités des dispositifs incluant les environne-
ments numériques ; la troisième traite des questions actuellement en débat ; la dernière section
présente quelques références pour aller plus loin sur le sujet.

Introduction : Qu’entend-on par environnement numérique ?


Le terme « environnement » peut être défini comme l’ensemble « des éléments délimitant les
contours et les composants d’une situation » (Blandin, 2007). Un environnement numérique est
un environnement créé grâce à un ordinateur. Au début, de tels environnements se limitaient à
la surface de l’écran de l’ordinateur, ce n’est plus vrai aujourd’hui : avec les techniques de réalité
virtuelle1, on peut entrer physiquement dans l’environnement numérique (environnements
« immersifs ») ; avec celles de réalité augmentée2, l’environnement numérique se superpose et
se mélange à l’environnement réel.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

La variété des environnements numériques est donc très grande et ceux-ci concernent l’en-
semble des situations de la vie quotidienne, qu’il s’agisse des situations de travail ou de formation,
des loisirs. L’usage des premiers environnements numériques était individuel, mais il existe
aujourd’hui des environnements numériques où plusieurs individus peuvent interagir en temps

1. P. Fuchs et G. Moreau (2006). Le traité de la réalité virtuelle (5 vol.), Paris, Presses des Mines.
2. M. Anastassova, J.-M. Burkhardt, C. Mégard, P. Ehanno (2007). « L’ergonomie de la réalité augmentée pour
l’apprentissage : une revue », Le Travail humain, 2/2007 (vol. 70), p. 97-125.

521
Traité des sciences et des techniques de la formation

réel. Les objets avec lesquels on pouvait interagir dans ces environnements étaient des objets
virtuels, purement numériques. Aujourd’hui, les objets physiques « connectés » peuvent être
manipulés à distance via un environnement numérique. Le numérique et le réel sont de plus
en plus enchevêtrés.

1. Quelques exemples d’environnements numériques


pour la formation

Les environnements numériques utilisés pour la formation sont soit des environnements
pour apprendre, soit des environnements offrant des services aux divers acteurs concernés par
la formation. Quelques exemples sont présentés ci-après.

1.1 Les environnements numériques de services


Commençons par la catégorie d’environnements numériques qui offrent des services aux
acteurs concernés par la formation. Ils sont généralement désignés par le sigle ENT, parfois
décliné en « environnement numérique de travail », le plus souvent en « espace numérique de
travail » depuis que le ministère de l’Éducation a adopté cette dernière déclinaison1.

Les ENT sont aujourd’hui adoptés aussi par les organismes de formation professionnelle et
continue. Il s’agit, en fait, de la forme spécifique des systèmes d’information du secteur de la
formation et de l’éducation. Les services contenus dans un ENT sont les suivants :
–– des services de gestion (emplois du temps, notes et évaluations, suivi des absences, réser-
vation de salles ou d’équipements, espaces de stockage…) ;
–– des services de communication et de collaboration (brèves d’actualités, messageries, forums,
visioconférences…) ;
–– des services de gestion et de mise à disposition de ressources pédagogiques (indexation des
ressources, recherche de ressources, création de parcours entre les ressources…) ;
–– des services d’administration (gestion des utilisateurs, gestion des autorisations, statistiques
de suivi de l’utilisation…).

1. Voir http://eduscol.education.fr/cid55726/qu-est-ent.html.

522
Les environnements numériques ■ Chapitre 26

1.2 Les environnements numériques pour apprendre


Cette deuxième catégorie regroupe les diverses formes d’environnements numériques destinés
à apprendre, reflétant des modèles pédagogiques très variés. Quelques exemples sont listés
ci-après.

L’environnement numérique d’apprentissage le plus simple est un écran sur lequel sont affi-
chées des ressources provenant d’un ordinateur (texte, images, vidéos…). C’est souvent ainsi
que le numérique entre dans un dispositif de formation.

Une autre forme simple utilise des jeux de questions projetées sur l’écran, auxquelles les
apprenants répondent à l’aide de boîtiers de vote, ou de leur téléphone portable, le système
affichant automatiquement les résultats.

L’enseignement programmé en environnement numérique s’appelait « enseignement assisté


par ordinateur1 » dans les années 1960. Un synonyme est apparu aux États-Unis au cours des
années 1980 : e-learning. Ce terme est devenu prédominant en 1998 avec l’initiative e-learning
de la Commission européenne. Le modèle de l’enseignement programmé continue à donner
forme à une très grande majorité des applications d’aujourd’hui. Une tentative d’amélioration
de ce modèle s’appuie sur le développement des learning analytics, c’est-à‑dire des algorithmes
permettant d’analyser les données issues des plateformes, afin de nourrir en temps réel des
« agents intelligents » jouant un rôle de conseil, ou permettant de modifier d’une manière dyna-
mique les parcours d’apprentissage selon le résultat des activités antérieures.

Issu des technologies mises au point pour les jeux vidéo, le serious game provient d’une
initiative de l’armée américaine pour rendre attrayant un outil de promotion des carrières2.
Les développeurs d’e-learning se sont emparés du concept pour proposer une alternative au
modèle de l’enseignement programmé, en combinant des interactions pilotées par un moteur
de jeu et des univers numériques à vocation pédagogique. Les serious game se sont développés
très rapidement à partir de 2005. Mais, comme pour l’e-learning, il semble que les promesses
d’efficience n’aient pas été atteintes (voir section 3), et que le concept commence à décliner
au profit d’environnements numériques exploitant les technologies 3D. En effet, l’augmenta-
tion de la puissance des ordinateurs personnels a permis le développement d’environnements

1. Voir M. Levy, (1997). Computer-assisted language learning : Context and conceptualization, Oxford, Oxford
University Press.
2. M. Zyda (2005). « From Visual Simulation to Virtual Reality to Games », in Computer, sept. 2005, IEEE
Computer Society, p. 25-32.

523
Traité des sciences et des techniques de la formation

d’apprentissage en « réalité virtuelle1 » où l’environnement numérique possède les trois dimen-


sions du réel. On peut y représenter aussi bien des portions du monde réel que des univers
de fiction. Les actions sensorimotrices dans ce monde numérique sont réalistes (vision 3D,
son spatialisé, pilotage gestuel…) et l’on peut même ressentir la consistance des objets ou leur
résistance en utilisant des interfaces particulières (haptiques). Projetés sur des écrans multiples
de grandes dimensions, ces environnements deviennent « immersifs » et permettent alors des
apprentissages comportementaux, comme la rééducation de personnes accidentées, ou l’ap-
prentissage de manipulations coordonnées d’objets encombrants en milieu industriel. L’arrivée
sur le marché de systèmes immersifs peu coûteux (casques) donne un nouvel élan au déve-
loppement de ces environnements, notamment pour l’apprentissage de gestes professionnels.

Des environnements d’apprentissage utilisant les techniques de réalité augmentée commencent


aussi à être utilisés, notamment pour apprendre les procédures de maintenance d’équipements
complexes. Le dispositif le plus simple : on filme l’équipement avec une tablette, le déroulement
des opérations est présenté en surimpression sur l’image de l’équipement. L’inconvénient est
que l’on n’a pas les mains libres. Pour y pallier, on a imaginé des lunettes équipées d’une caméra
et d’un écran semi-transparent sur lequel est projetée l’opération à effectuer en superposition
à l’image de l’équipement.

En 2008, apparaît au Canada un nouveau type d’environnement numérique, appelé massive


online open courses (MOOC) par ses créateurs, G. Siemens et S. Downes : le cours qu’ils délivrent
à 25 étudiants en présentiel est suivi en ligne par 2 300 participants, qui l’enrichissent avec les
outils et ressources de leur choix. En novembre 2011, un enseignant de Stanford, S. Thrun, donne
un cours en ligne sur l’intelligence artificielle où s’inscrivent 160 000 étudiants ! Ce succès l’amène
à quitter l’université et à fonder Udacity avec des investisseurs pour produire des cours sous
forme de courtes vidéos suivies de tests à correction automatique et de problèmes à résoudre.
Il appelle aussi son dispositif MOOC. D’autres enseignants de Stanford l’imitent en 2012, et
créent Coursera, qui produit aussi des cours sur ce même modèle en partenariat avec diverses
universités. Ce modèle connaît un développement foudroyant partout dans le monde (Cisel
et Bruillard, 2012). En France, une plateforme nationale est créée à l’initiative du ministère de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche en octobre 2013, qui diffuse aujourd’hui les cours
en ligne de plus de cinquante institutions partenaires : France Université Numérique (FUN). Un
article de G. Siemens2 propose de considérer deux types de MOOC : d’un côté ceux conformes
à son idée originale, qu’il appelle « MOOC connectivistes » (cMOOC), permettant une co-défi-
nition des apprentissages par les participants, mettent en œuvre l’apprentissage collaboratif et

1. Voir P. Fuchs, G. Moreau (2006). Op. cit. Le volume 4 traite des applications, dont la formation.
2. http://www.elearnspace.org/blog/2012/07/25/moocs-are-really-a-platform/.

524
Les environnements numériques ■ Chapitre 26

favorisent la créativité et les échanges ; de l’autre, les MOOC commerciaux (xMOOC), qui sont
sur un modèle transmissif, composé de séquences vidéo de présentation, suivies de quizz. Ces
deux catégories utilisent des plates-formes différentes. Ils sont aujourd’hui déclinés en COOC
(corporate open online course) désignant un MOOC d’entreprise réservé aux salariés ; ou encore
en SPOC (small private online course) désignant des cours délivrés à un nombre volontairement
limité d’apprenants.

1.3 Les environnements personnels d’apprentissage


Un autre type d’environnement d’apprentissage centré sur l’apprenant est apparu en 2006 :
le personal learning environment (PLE) (environnement personnel d’apprentissage – EPA en
français). Il représentait alors un modèle de dépassement du e-learning, qui a fait l’objet de
nombreux projets européens mettant des dispositifs englobant les technologies émergentes au
service d’une approche axée sur l’autorégulation des apprentissages.

Depuis, les recherches sur les pratiques effectives des apprenants ont montré que ceux-ci
avaient tendance à construire, effectivement, leur propre environnement d’apprentissage, à
partir d’outils qu’ils maîtrisaient, qu’ils soient numériques ou non : un EPA, aujourd’hui, est
généralement constitué d’outils divers comme Dropbox, Google Drive, Doodle, ou Skype, agrégés
autour de Facebook. Mais le livre, le papier et le crayon peuvent aussi en faire partie. Ces envi-
ronnements personnels d’apprentissage tendent aujourd’hui à remplacer, pour les apprenants,
les environnements numériques institutionnels proposés par les écoles, les universités ou les
organismes de formation. De ce fait, on distinguera les environnements personnalisés d’appren-
tissage, produits par les institutions, et les véritables environnements personnels d’apprentissage,
produits par les apprenants eux-mêmes1.

2. La spécificité des dispositifs avec environnement numérique


L’ingénierie faisant l’objet d’un chapitre séparé dans cette édition, cette section présente
quelques spécificités des dispositifs avec environnement numérique que l’ingénierie devra
prendre en compte.

1. Pour les sources, voir B. Blandin (2016). « L’environnement personnel d’apprentissage, un instrument pour
l’apprenance ? », in Autour de l’Apprenance, Éducation permanente, n° 207.

525
Traité des sciences et des techniques de la formation

2.1 Des dispositifs instrumentés


Un environnement numérique comprend un ou plusieurs outils. Or l’utilisation d’un outil ne
va pas de soi. P. Rabardel a montré que celle-ci passe par des « genèses instrumentales1 », c’est-
à‑dire par un double processus d’instrumentation et d’instrumentalisation. L’instrumentation
est le processus de construction des schèmes d’usage de l’instrument, c’est-à‑dire le processus
d’apprentissage de l’utilisation de l’objet dans une situation donnée. Ce processus peut être
très long pour arriver à la maîtrise. L’instrumentalisation est un processus différent : il consiste
à apprendre dans quelle(s) situation(s) s’utilise l’objet en question, et quelles sont les manières
acceptables pour son utilisation dans chaque situation : les manuels de savoir-vivre présentent
la bonne manière de tenir sa fourchette à table, mais il y a d’autres manières de s’en servir
pour manger et l’on peut utiliser un autre instrument, par exemple la pointe d’un couteau ou
des baguettes. L’instrumentalisation possède donc une dimension sociale : Rabardel parle de
« schèmes sociaux d’utilisation ».

Plusieurs auteurs ont relevé le fait que l’utilisation de l’ordinateur conduisait à l’apprentissage
d’habiletés nouvelles. J. Perriault est parmi les premiers à l’avoir souligné, en s’intéressant à
l’utilisation des jeux vidéo2 : ceux-ci permettent de développer des capacités de repérage d’évé-
nements furtifs (focalisation rapide de l’attention) et de visualisation des objets dans l’espace,
se traduisant par une facilité accrue à opérer des rotations mentales. L’utilisation des jeux vidéo
développerait aussi, selon lui, le raisonnement inductif et favoriserait l’apprentissage par la
découverte. « Explorer » fait aussi partie des capacités acquises par les utilisateurs des environ-
nements numériques qu’ont identifiées S. Enlart et O. Charbonnier3, avec celle de « scanner »
(repérer très rapidement une information pertinente dans une quantité importante d’informa-
tion) et de « jongler » (exécuter plusieurs tâches en même temps). L’utilisation de l’ordinateur
dans ses diverses applications génère donc l’apprentissage d’habiletés spécifiques, mais ce n’est
pas pour autant qu’elles sont transférables ou même utiles à l’apprentissage !

Ces habiletés sont toutes dans le registre de l’instrumentation. Or apprendre avec l’ordinateur
suppose aussi une instrumentalisation de celui-ci au service des processus d’apprentissage. Il est
risqué d’envisager qu’elle puisse se produire pendant la situation d’apprentissage. En effet, les
travaux d’Amadieu et Tricot s’appuyant sur la théorie de la charge cognitive montrent que selon
l’apprenant et le type de dispositif, il peut y avoir concurrence entre la tâche d’apprentissage et

1. P. Rabardel (1995). Les Hommes et les Technologies : Approche cognitive des instruments contemporains, Paris,
Armand Colin.
2. J. Perriault (1996). La Communication du savoir à distance, Paris, L’Harmattan.
3. S. Enlart et O. Charbonnier (2010). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod.

526
Les environnements numériques ■ Chapitre 26

celle d’utilisation de l’outil, au détriment de l’un et de l’autre1. Il est donc conseillé de prévoir une
évaluation initiale de la maîtrise instrumentale, et d’envisager, le cas échéant, la construction de
l’instrumentalisation de l’ordinateur dans le processus d’apprentissage au travers de situations
spécifiques qui permettent d’apprendre à apprendre avec telle ou telle application. Et parfois
même il faudra prévoir de développer l’instrumentation elle-même, en particulier dans les cas
d’illettrisme numérique.

2.2 Des dispositifs scénarisés


La psychopédagogie est difficile à mettre en œuvre dans les dispositifs s’appuyant sur des
environnements numériques, sauf lorsqu’ils s’appuient sur des modèles collaboratifs comme
les cMOOC, où la co-construction des situations d’apprentissage par les apprenants, avec l’en-
seignant et entre eux est la règle, et où les interactions entre les personnes sont au cœur du
processus d’apprentissage. Dans tous les autres dispositifs pilotés par l’ordinateur, la machine
ne dispose pas de l’intelligence des situations ni de savoir-faire psychopédagogiques.

Toutefois, un environnement numérique peut faire une place à l’instruction design sous forme
de modèles de situations et d’intrigues prédéfinies s’articulant en scénarios, qui structurent les
interactions dans cet environnement. Certains LCMS proposent des modèles prédéfinis, mais
dans la plupart des environnements numériques, ces modèles n’existent pas. Pour pallier cette
absence, des chercheurs ont imaginé des langages permettant de formaliser pour l’ordinateur
les éléments nécessaires à la description des situations pour apprendre : l’educational modelling
language2 développé à l’Open Universiteit néerlandaise a été le premier de ces langages formels
interprétable en machine, puis il a été affiné en devenant Learning Design3, spécification confiée
au consortium international IMS. Ce langage, stabilisé en 2003, a été implémenté sur diverses
plateformes. Ces travaux ont donné très rapidement naissance à un courant de recherches
visant à produire des environnements informatiques permettant à des formateurs non-infor-
maticiens de créer des scénarios d’apprentissage directement interprétables par l’ordinateur4.

1. F. Amadieu et A. Tricot (2006). « Utilisation d’un hypermédia et apprentissage : deux activités concurrentes
ou complémentaires ? », in Psychologie française, 51 (1), 5-23.
2. R. Koper et J. Manderveld (2004). « Educational modelling language : modelling reusable, interoperable, rich
and personalised units of learning », in British Journal of Educational Technology, vol. 35, n° 5, p. 537-551.
3. H. Hummel, J. Manderveld, C. Tattersall et R. Koper (2004). « Educational modelling language and learning
design : new opportunities for instructional reusability and personalised learning », in International Journal of
Learning Technology, vol. 1, n° 1, p. 111-126.
4. Cf. notamment J.-P. Pernin et H. Godinet (2006). Actes du colloque « Scénariser l’enseignement et l’appren-
tissage : une nouvelle compétence pour le praticien ? », Lyon, 14-04-2006, Lyon, INRP.

527
Traité des sciences et des techniques de la formation

Diverses méthodes permettant de passer des intentions pédagogiques à la description des inte-
ractions homme-machine ont alors été développées dans le cadre de l’« ingénierie des EIAH1 ».
Ces méthodes, comme ISiS du Laboratoire informatique de Grenoble, sont orientées vers la
description d’activités d’apprentissage et opérationnalisées via le langage formel IMS-LD. Mais
elles ne permettent pas de décrire toutes les types de situations, et notamment, les simulations,
ou les apprentissages en environnements virtuels 3D. D’autres approches ont été mises au
point, pour couvrir ce champ, et ont donné lieu au développement d’un ensemble d’outils : par
exemple les modèles MASCARET – PÉGASE – POSÉIDON – CHRYSAOR développés au
Centre européen de réalité virtuelle (CERV) de Brest. Ces modèles ont été mis en œuvre dans
divers projets2. Ces approches, qui ne font qu’introduire dans le champ de la formation des
méthodes informatisées acceptées dans d’autres secteurs, font partie des nouvelles approches
de l’ingénierie.

2.3 Des dispositifs multidimensionnels


En évoquant les dispositifs intégrant les outils et les techniques qui constituent un environne-
ment numérique, M. Lebrun (2005) nous rappelle qu’il faut s’assurer de la pertinence de l’emploi
de ces outils ou de ces techniques au regard des apprentissages attendus, et, plus généralement,
de la cohérence, à tous les niveaux, entre les objectifs (où on va), les méthodes (comment on y
va) et les outils (avec quoi on y va). C’est ce qu’il appelle « l’alignement constructiviste ».

Depover, Karsenti et Komis constatent aussi que, pour que l’ordinateur ait un apport réel
dans les processus d’apprentissage, il est nécessaire de mettre en cohérence les rythmes scolaires,
l’organisation de la classe, le contenu des programmes, les formes d’examens avec les usages de
l’ordinateur, et qu’il faut former les enseignants et les cadres de l’institution… bref, qu’il faut
mettre le contexte en cohérence avec les usages de l’ordinateur3. Plusieurs études font le même
constat, comme on le verra en section 3 : cet « alignement » est la condition principale d’efficacité
des dispositifs s’appuyant sur un environnement numérique.

1. EIAH signifie « environnement informatique pour l’apprentissage humain » et désigne un courant de recherche
francophone.
2. Voir B. Blandin et R. Querrec. (2014). « Quelle méthode pour concevoir un environnement virtuel pour
apprendre une activité ? Une tentative de réponse : le projet EAST », in Actes du 3e colloque international de
Didactique Professionnelle, 28 et 29 octobre 2014 à Caen. [En ligne] Téléchargeable à partir de http://didac-
tiqueprofessionnelle.ning.com/page/archives-publiques (communication 4102). Cet article fait l’historique des
travaux sur la scénarisation, et mentionne de nombreuses sources.
3. C. Depover, T. Karsenti, V. Komis (2008). Enseigner avec les technologies. Favoriser les apprentissages, déve-
lopper des compétences, Montréal, Presses de l’université du Québec.

528
Les environnements numériques ■ Chapitre 26

Cela signifie qu’au moins trois dimensions sont à considérer, que ce soit pour concevoir,
pour construire ou pour mettre en œuvre de tels dispositifs : la dimension pédagogique, la
dimension technique, la dimension organisationnelle. On pourrait aussi y ajouter la dimension
économique.

2.4 Des dispositifs multimodaux


Comme indiqué en introduction, les environnements numériques se fondent aujourd’hui dans
l’environnement réel, dont ils constituent un élément (projection par exemple), l’enrichissent
(réalité augmentée), voire s’y substituent (réalité virtuelle immersive). Les situations de forma-
tion en sont transformées : il devient banal de regrouper dans une même session de formation
des apprenants en présentiel et à distance ; accéder à des ressources pédagogiques en ligne et
les projeter pour en discuter en groupe devient une situation d’apprentissage courante dans
une pédagogie du projet ; il arrive de plus en plus fréquemment que des apprenants fassent une
recherche sur Internet pendant un cours pour pouvoir contredire leur enseignant ; ou même
qu’ils soient tentés de communiquer avec l’extérieur via leur téléphone mobile pendant un
examen. De fait, la coprésence d’environnements numériques et de l’environnement réel rend
les situations d’apprentissage ou de formation multimodales, dans un double sens : plusieurs
modalités de communication sont mobilisées simultanément (langage, texte, image, geste…),
mais aussi plusieurs modalités de présence cohabitent (coprésence physique en un lieu, présence
à distance…).

Du fait de ces spécificités, la conception des environnements numériques d’apprentissage


soulève la question des méthodes d’ingénierie (ingénierie concourante multidimensionnelle,
méthodes agiles…) qui ne peuvent être celles de l’ingénierie pédagogique traditionnelle.

3. Les questions en débat


Le développement des technologies numériques et leur généralisation soulèvent nombre de
questions. Au-delà de la « révolution de l’apprentissage » maintes fois annoncée depuis la fin
du xixe siècle, cinq questions se posent plus particulièrement aujourd’hui : les effets cognitifs
des environnements numériques ; l’efficience de ces environnements ; l’impact des réseaux
sociaux ; les modèles économiques, et enfin la protection des données personnelles. Cette
dernière question a émergé récemment.

529
Traité des sciences et des techniques de la formation

3.1 Les effets cognitifs des environnements numériques


Nous avons vu (section 2.1) que l’utilisation des environnements numériques pouvait amener
à acquérir des habiletés instrumentales particulières. Quelques ouvrages déjà anciens recensent
d’autres effets cognitifs de ces environnements dans le cadre d’apprentissages scolaires 1 ou
universitaires2. Un article plus récent en fait de même pour la formation d’adultes3. Tous
les auteurs constatent une difficulté : les recherches sont issues de disciplines variées et elles
portent sur des travaux qui ne peuvent pas être comparés. Néanmoins, quelques convergences
se dessinent :
–– il y a un effet réel des environnements numériques sur les apprentissages lorsque l’outil est
intégré dans des situations pédagogiques efficaces au regard des objectifs d’apprentissage ;
–– la généralisation de cet effet implique le développement de la culture technique des ensei-
gnants ainsi qu’une transformation de leurs pratiques pédagogiques, ce qui ne peut se
produire que dans un contexte institutionnel favorable à cette transformation.

On retrouve donc les préconisations « d’alignement constructiviste » énoncées précédem-


ment. Si l’on entre dans les détails, lorsque cet alignement préalable est effectif, on trouve trois
conditions qui donnent un avantage aux situations d’apprentissage utilisant l’ordinateur :
–– l’ordinateur est utilisé dans le cadre de pédagogies actives et collaboratives, c’est-à‑dire dans
des situations où l’apprenant est amené à produire des connaissances, des argumentaires…
et peut donner du sens à ce qui est appris ;
–– l’ordinateur est utilisé pour ses capacités multimédia et présente les informations d’une
manière multimodale. En particulier l’association de l’image et d’un texte parlé en relation
avec l’image affichée s’avère plus efficace que l’image seule ou le texte seul ;
–– le contenu présenté par l’ordinateur est segmenté, présente une structure lisible, n’offre pas
de digressions ni de possibilités de navigation complexes.

Dans l’étude sur la formation des adultes, où apparaît la formation à distance, on retrouve
des résultats voisins : dans certaines conditions, qui prennent en compte les caractéristiques du
processus apprendre chez l’adulte, les dispositifs appuyés sur les environnements numériques
peuvent avoir un effet positif. C’est le cas lorsque :
–– le dispositif facilite l’autodirection des apprentissages ;

1. D. Legros et J. Crinon (dir.) (2002). Psychologie des apprentissages multimédia, Paris, Armand Colin.
2. R.C. Clark, R. E. Mayer (2007). E-learning and the science of instruction. Proven Guidelines for Consumers
and Designers of Multimedia Learning, 2e éd., Hoboken, Pfeiffer.
3. B. Blandin (2012). « Apprendre avec les technologies numériques : quels effets identifiés chez les adultes ? »,
in Savoirs, n° 30, p. 11-58.

530
Les environnements numériques ■ Chapitre 26

–– le dispositif rend effectives les principales dimensions de la présence (sociale, cognitive,


pédagogique) ;
–– le dispositif s’appuie sur des situations professionnelles reproduisant tout ou partie de la
réalité.

3.2 L’efficience des environnements numériques


La question de l’efficience des environnements numériques est apparue avec l’e-learning qui
a été sommé de la démontrer dès le départ ! De ce fait, de nombreuses études ont été réalisées,
puis ont été compilées dans des méta-analyses, avec les mêmes difficultés que pour les études
sur les effets cognitifs : les situations étudiées sont très différentes, les outils utilisés aussi, et les
disciplines et méthodes de recherches sont elles-mêmes extrêmement variées.

Deux méta-analyses sont à mentionner. La première (Fenouillet et Déro, 2006), la seule publiée
en français, étudie la littérature anglo-saxonne et compare les résultats de trente-cinq études
sélectionnées parmi plusieurs centaines. Elle arrive à la conclusion que l’e-learning et la formation
traditionnelle obtiennent des résultats d’apprentissage comparables et que « l’efficacité du e-lear-
ning repose, tout comme celle du présentiel, sur un cocktail de facteurs pédagogiques, politiques,
techniques, administratifs et économiques ». La seconde étude, plus récente, a été commandée
par le ministère de l’Éducation américain1. Cette méta-analyse porte sur cinquante et une études
retenues, sur plus d’un millier publié entre 1996 et 2008. Elle montre qu’en moyenne les appre-
nants disposant d’un environnement numérique ont de meilleurs résultats que ceux recevant
une instruction en face-à‑face. Les écarts de performance les plus importants sont le fait d’élèves
en formation mixte. Ayant noté que ces formations incluent souvent un temps d’apprentissage
supplémentaire et l’accès à des ressources que ne fournit pas l’enseignement en face-à‑face,
les chercheurs suggèrent donc de ne pas imputer l’effet positif obtenu avec un environnement
numérique au média lui-même.

Quant aux serious games, leurs effets commencent à faire l’objet d’études2. Toutefois, les
serious games étant généralement assimilés à des jeux vidéo, ces études accordent généralement
peu d’importance aux effets sur le processus d’apprentissage.

1. B. Means, Y. Toyama, R. Murphy, M. Bakia, K. Jones (2009). Evaluation of Evidence-Based Practices in Online
Learning : A Meta-Analysis and Review of Online Learning Studies, Washington, US Department of Éducation.
2. T.M. Connolly, E.A. Boyle, E. MacArthur, T. Hainey, et J.-M. Boyle (2012). « A systematic literature review
of empirical evidence on computer games and serious games », Computers et Education, 59 (2), 661-686. Plus
récemment, un numéro spécial de la revue STICEF : P.A. Caron, S. Georges, J. Alvarez (2014). « Évaluation dans
les jeux sérieux », numéro spécial de la revue STICEF, vol. 21 [en ligne], http://sticef.org.

531
Traité des sciences et des techniques de la formation

Le phénomène récent des MOOC et les enjeux économiques qui y sont attachés obligent
à se poser la question de l’efficience de ce type de dispositif. En effet, le taux d’abandon dans
un MOOC est aussi impressionnant que le nombre d’inscrits (environ 90 % !). Deux tiers des
communications à l’European MOOC Stakeholder Summit organisé à Lausanne en 2014 portent
sur le sujet1, qui est une des questions principales de recherche sur les MOOC aujourd’hui !
Les principaux facteurs d’abandon sont exactement les mêmes que pour l’e-learning dans les
années 2000 : manque de temps, manque de motivation, sentiment d’isolation et manque d’inte-
ractivité de la plateforme.

3.3 Les réseaux sociaux et l’apprentissage


L’utilisation de l’ordinateur pour l’apprentissage collaboratif fait partie des situations d’usage
pertinentes (section 3.1). Vygotski, le premier, a émis l’idée que le sens était une construction
sociale, et que le langage servait de support au développement cognitif et à la structuration
de la pensée. Diverses écoles ont ensuite travaillé sur la dimension sociale de la cognition : les
successeurs de Piaget à l’université de Genève ont mis les aspects sociaux de la cognition au cœur
de leurs recherches2, puis les tenants du « socio-constructivisme », se réclamant de Vygotski et
de Bruner, ont proposé le paradigme de la cognition située3. On sait donc que le conflit socio-
cognitif ou le marquage social jouent un rôle important dans les processus d’apprentissage et
que les situations d’apprentissage collaboratif entre deux apprenants de niveau légèrement
différent, parce qu’elles obligent à formuler les représentations que chacun a des problèmes et
de leurs solutions, à confronter ces représentations, à argumenter ses choix, bref parce qu’elles
permettent en même temps le développement de capacités métacognitives, sont reconnues
comme les plus efficaces. Les instruments de communication, et notamment l’ordinateur, ne
modifient pas ces situations. Au contraire, ils peuvent faciliter les échanges et les confrontations,
parce qu’ils en conservent et structurent les traces. Les réseaux sociaux semblent devenir les
outils privilégiés d’apprentissages collaboratifs.

Des recherches, encore peu nombreuses, sur l’utilisation des réseaux sociaux pour apprendre,
suggèrent qu’ils facilitent le développement des situations d’apprentissage informelles. Le Deuff

1. U. Cress et C. D. Kloos (2014). « Proceedings of the European MOOC Stakeholders Summit », held February
10-12 in Lausanne – Switzerland.
2. G. Mugny (dir.) (1985). Psychologie sociale du développement cognitif, Peter Lang, Berne.
3. J.S. Brown, A. Collins et P. Duguid (1989). « Situated Cognition and the Culture of Learning », Educational
Researcher, vol. 18, n° 1, p. 32-42.

532
Les environnements numériques ■ Chapitre 26

s’est intéressé aux réseaux de loisirs créatifs1, Cyrot et Jeunesse à YouTube2. Il en ressort que de
nouvelles pratiques d’autoformation, appuyées sur la socialité en ligne, apparaissent.

Un phénomène semblable semble aussi apparaître dans le cadre de formations formelles,


comme le montre l’étude longitudinale sur trois ans des pratiques des étudiants en ingénierie
multimédia de l’université de Toulon réalisée par Peraya et Bonfils3 : ceux-ci ont créé leur
environnement personnel d’apprentissage (voir section 1.3) qui s’est substitué aux outils insti-
tutionnels, et s’est progressivement recentré, par détournements successifs, sur le réseau social
Facebook, mettant au centre de leur démarche d’apprentissage le processus collaboratif et la
fonction « être ensemble ».

Le rejet des LCMS institutionnels au profit d’agrégation d’outils autour d’un réseau social
comme Facebook, ainsi que le développement de nouvelles pratiques d’autoformation en ligne
posent des questions aujourd’hui sans réponses : s’agit-il d’un rejet des technologies utilisées ?
des institutions ? des situations d’apprentissage proposées ?

3.4 Les modèles économiques


Les environnements numériques d’apprentissage supposent une autre logique économique
que celle de la formation traditionnelle, basée sur le travail du formateur. Comme l’a montré
Albertini, l’introduction des technologies ou de dispositifs donnant un rôle plus important à
l’apprenant, oblige à substituer le capital au travail4. Les économistes appellent « servuction »
cette logique de coproduction, qui entraîne un déplacement des dépenses de formation vers
l’amont de la chaîne de valeur : on doit dépenser de l’argent pour réaliser des outils et/ou des
systèmes techniques bien avant qu’un apprenant n’entre dans le dispositif, contrairement à
la formation traditionnelle qui ne nécessite pratiquement pas d’investissements. Bates notait
qu’avec l’e-learning, les coûts fixes sont importants et les coûts variables faibles5. Cependant,
l’introduction de prestations de tutorat change complètement le modèle. Or c’est une condition

1. O. Le Deuff (2010). « Réseaux de loisirs créatifs et nouveaux modes d’apprentissage », Distances et savoirs
(vol. 8, n° 4), p. 601-621.
2. P. Cyrot et C. Jeunesse (2012). « Autoformation et réseaux virtuels », Distances et médiations des savoirs, 1,
2012-2013, [en ligne] consulté le 19 février 2016, http://dms.revues.org/137.
3. D. Peraya, et P. Bonfils (2014). « Détournements d’usages et nouvelles pratiques numériques : l’expérience
des étudiants d’Ingémédia à l’université de Toulon », in STICEF, vol. 21 [en ligne] http://sticef.univ-lemans.fr/
classement/rech-annee.htm#v21.
4. J.-M. Albertini (1992). « Une nouvelle économie de la formation ? », Études et expérimentations en formation
continue, Paris, La Documentation française, n° 16, juillet-octobre, p. 3-8.
5. A.W. Bates (2005). Technology, e-learning and Distance Education, 2e éd., New York, Routledge.

533
Traité des sciences et des techniques de la formation

d’efficience ! Ce dilemme est peut-être une des raisons pour lesquelles le pourcentage d’uti-
lisation de formations en ligne reste à peu près inchangé depuis le début des années 2000 et
plafonne à 25 % du nombre d’heures de formation dans les entreprises américaines1.

Avec les MOOC, la question devient encore plus aiguë : ils sont gratuits pour les apprenants
qui s’y inscrivent, et les plates-formes qui les délivrent ont pourtant coûté des millions de dollars !
La solution envisagée : faire payer les examens ou les certifications. Mais en général, seul un
faible pourcentage des inscrits recherche une certification et passe les examens. Autre solution
imaginée : vendre les bases de données constituées lors des inscriptions aux employeurs poten-
tiels2. Aujourd’hui, le choix du modèle n’est pas décidé, mais aucune plate-forme ne gagne de
l’argent, et cela pourrait précipiter la fin de ce type de dispositif.

Deux autres questions concernant les modèles économiques des environnements numé-
riques peuvent être soulevées, sans qu’il n’y ait aujourd’hui de réponses. La première concerne
le patrimoine numérique des entreprises. En effet, aujourd’hui, tout produit industriel passe
par une étape de conception qui aboutit à une maquette numérique. Les produits deviennent,
en général, rapidement obsolètes, ou sont remplacés par de nouvelles versions. Les maquettes
numériques des versions obsolètes de produits complexes pourraient être recyclées pour
fournir la base d’environnements numériques d’apprentissage. La seconde concerne les
données dites « ouvertes ». Ce sont des données issues de collectivités publiques, mises à
disposition gratuitement. Elles pourraient aussi être utilisées dans des environnements numé-
riques d’apprentissage ad hoc. Ces deux propositions permettraient de réduire fortement les
coûts de développement.

3.5 Les données personnelles


Les propositions économiques de valorisation des MOOC via la vente des données d’inscrip-
tion posent d’une manière cruciale la question de la protection des données personnelles. En
effet, ces données enregistrées par les plateformes (LCMS, MOOC) sont considérées comme
« personnelles », et font l’objet de règles de protection au niveau européen, aussi bien qu’au
niveau national. Les données recueillies par les environnements numériques pour le suivi des
formations ou pour l’analyse des parcours (learning analytics), sont aussi considérées comme
des données personnelles.

1. Voir le State of the Industry Report de l’ASTD. L’édition 2014 est synthétisée dans un article en ligne : http://
files.astd.org/Research/TD-Article.pdf?_ga=1.63637738.430967211.1462036552.
2. Voir M. Cisel et E. Bruillard (2012). Op. cit.

534
Les environnements numériques ■ Chapitre 26

Cela pose de nombreuses questions quant à l’usage des technologies d’analyse. Et de fait, plus
de deux cents questions ont résulté d’une étude européenne sur le sujet1. L’utilisation des données
personnelles issues des environnements numériques et de leur traitement est devenue une question
incontournable, mais sans réponse à ce jour.

Lectures conseillées
Amadieu F. et Tricot A. (2014) Apprendre avec le Cisel M., Bruillard E. (2012). « Chronique des MOOC »,
numérique. Mythes et réalités, Paris, Retz. STICEF, vol. 19 [en ligne], http://sticef.org.
Blandin B. (2007). Les Environnements d’appren- Clark R.C., Mayer R. E. (2007). E-learning and the
tissage, Paris, L’Harmattan. science of instruction. Proven Guidelines
Blandin B. (2012). « Apprendre avec les technolo- for Consumers and Designers of Multimedia
gies numériques : quels effets identifiés chez Learning, 2e éd., Hoboken, Pfeiffer.
les adultes ? », Savoirs, n° 30, p. 11-58. Fenouillet F. et Déro M. (2006). « L’e-learning est-il
Blandin B. (2016). « L’environnement personnel efficace ? Une analyse de la littérature anglo-
d’apprentissage, un instrument pour l’ap- saxonne », Savoirs, vol. 12, n° 3, p. 88-101.
prenance ? », in « Autour de l’apprenance », Lebrun M. (2005). E-learning pour enseigner et
Éducation permanente, n° 207, p. 139-146. pour apprendre, Louvain-la-Neuve, Academia
Charlier B., Grandbastien M., Henri F., Peraya D. (2014). Bruylant
« Les environnements personnels d’apprentis- Means B., Toyama Y., Murphy R., Bakia M. et Jones
sage : entre description et conceptualisation », K. (2009). Evaluation of Evidence-Based
STICEF, vol. 21 [en ligne], http://sticef.org. Practices in Online Learning : A Meta-
Analysis and Review of Online Learning
Studies, Washington, US Department of
Éducation.
1

1. T. Hoel, J. Mason et W. Chen (2015). « Data Sharing for Learning Analytics – Questioning the Risks and
Benefits », in H. Ogata et al. (éd.). Proceedings of the 23rd International Conference on Computers in Education,
China : Asia-Pacific Society for Computers in Education [online], http://hoel.nu/publications/ICCE2015_Hoel_
Mason_Chen_final.pdf.

535
Chapitre 27
Le transfert
des apprentissages1

1. Par Jean-François Roussel.


Sommaire
1. Un enjeu majeur..................................................................................................... 539
2. Le caractère différencié du transfert en milieu organisationnel............................ 541
3. Les facteurs favorisant le transfert des apprentissages....................................... 543
4. Tendances actuelles : l’importance de la métacognition........................................ 545
Lectures conseillées.................................................................................................. 549
1. Un enjeu majeur
Les managers de la formation et les formateurs en milieu organisationnel orientent leurs
efforts afin que le développement des compétences soit maintenant considéré comme un inves-
tissement qui favorise la performance au travail, et non comme une dépense nécessaire, voire
une obligation légale. À ce titre, le rôle du transfert des apprentissages est crucial. En effet, les
apprenants doivent être en mesure d’utiliser ce qu’ils ont appris en formation et de maintenir,
voire d’enrichir ce qui avait initialement été maîtrisé.

Ainsi, dans une économie où la compétitivité est devenue incontournable, l’impact de l’ap-
prentissage sur la performance humaine constitue un enjeu majeur. Bien que des liens positifs
aient été clairement établis entre le transfert des apprentissages et le développement de la
performance humaine, force est de constater que les efforts consentis ne produisent toujours
pas les résultats attendus.

Le transfert des apprentissages en milieu organisationnel constitue donc un problème


majeur. En effet, dès 1982, David Georgenson1 affirmait dans la revue américaine Training and
Development Journal que pas plus de 10 % des activités de formation parvenaient à produire des
résultats en milieu de travail. Bien que cette estimation ne soit pas fondée sur une démarche
de recherche vraiment crédible, ce pourcentage de 10 % des activités de formation capables de
générer des retombées en milieu de travail a néanmoins été repris par plusieurs auteurs qui, tout
en soulignant qu’il existe peu de données à ce sujet, confirment qu’une large part des investis-
sements en formation ne s’avère pas efficace en raison du faible taux de transfert.

Toujours dans cette perspective d’évaluation du transfert, les recherches réalisées par le
Conference Board du Canada apportent un nouvel éclairage. En effet, les résultats d’une étude
menée en 2011 indiquent que 54 % des employés affirment pouvoir appliquer de façon appré-
ciable ce qu’ils ont appris en milieu de travail immédiatement après la formation, alors que ce
pourcentage diminue à 15 % après six mois et à 11 % après un an. Ainsi, selon ces données, c’est à
plus long terme que les effets de la formation semblent s’estomper. Cependant, deux recherches
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

menées par le Conference Board du Canada en 2014 et 2015 révèlent que le pourcentage après
une année s’établit plutôt à 25 %.

Par ailleurs, certains chercheurs affirment que le fait de mesurer l’efficacité du transfert au
moyen d’un simple pourcentage ne permet pas une évaluation significative, puisque cela ne
considère ni les conditions dans lesquelles le transfert s’effectue ni l’utilisation qui en résulte.

1. D.L. Georgenson (1982). « The problem of transfer calls for partnership on the job ? », Training and
Development Journal, 36 (10), 75-78.

539
Traité des sciences et des techniques de la formation

Ces chercheurs soulignent de plus que viser la perfection en matière de transfert constitue un
objectif irréaliste qui ne tient pas compte de la variété des fonctions et des tâches couvertes, des
expériences et des motivations différenciées des apprenants de même que des occasions de mise
en œuvre. Ils proposent ainsi de lier la mesure du transfert à des objectifs plus spécifiques, qui
se traduisent notamment par des comportements adoptés en milieu de travail.

D’un point de vue théorique, la situation n’est pas très claire non plus. À l’intérieur de recen-
sions intégratives des écrits portant sur le transfert des apprentissages en milieu organisationnel,
certains auteurs font référence à une conception du transfert fondée sur la généralisation et le
maintien des apprentissages, alors que d’autres le lient également à l’adaptation des apprentis-
sages réalisés en formation en fonction des différents contextes rencontrés.

D’ailleurs, dans le cadre d’une recension d’écrits encore largement citée de nos jours, Baldwin
et Ford (1988)1 définissent le transfert des apprentissages comme étant « la généralisation en
contexte de travail des contenus appris en situation de formation, de même que leur maintien
dans le temps » [traduction libre] (p. 64). Ce faisant, ces auteurs soulignent que cette généra-
lisation s’avère pertinente dans le cas de tâches simples qui nécessitent le développement et
la mémorisation d’habiletés motrices de base et dont les résultats s’évaluent à court terme. Ils
précisent en outre que l’utilisation de telles tâches est problématique en milieu organisationnel,
là où la formation répond aussi à des besoins de développement de compétences complexes et
à long terme qui requièrent la résolution de problèmes.

Ainsi, le transfert ne se limite pas à une forme de généralisation qui consiste à étendre à
un ensemble ce qui s’appliquait à un nombre limité de cas correspondants et à la maintenir
pendant une certaine période de temps, mais il nécessite aussi, dans certains cas, un processus
de contextualisation qui permet de distinguer ce qui s’applique ou non à un contexte précis.
C’est d’ailleurs dans cette perspective que Guy Le Boterf (2010) conçoit le transfert quand il
affirme que transférer suppose non seulement de disposer de certaines ressources, mais aussi
de reconnaître les situations où elles peuvent être utilisées.

Les recherches menées à l’université du Michigan sont éclairantes à ce sujet. Ce transfert dit
« adaptatif » nécessite de la part des apprenants qu’ils soient en mesure de planifier, mais aussi
d’ajuster ce qu’ils ont appris selon leurs préférences, les exigences de la fonction qu’ils occupent
et les imprévus qu’ils rencontrent. Ainsi, de retour en milieu de travail, les apprenants choisissent,
modifient et enrichissent (en ajoutant certaines étapes, par exemple) les approches et les procé-
dures qu’ils ont apprises en vue de performer en fonction des différents contextes rencontrés.

1. T. Baldwin et J. K. Ford, (1988). « Transfer of training : a review and directions for future research », Personnel
Psychology, 41 (1), 63-105.

540
Le transfert des apprentissages ■ Chapitre 27

Dans l’esprit des propos de Thorndike et Woodworth (1901)1 fondés sur la logique des
éléments identiques, le transfert est trop souvent perçu comme une reproduction de ce qui a été
enseigné en formation, qui limite le rôle de l’apprenant à appliquer tel quel ce qu’on lui enseigne.
Une telle vision fait en sorte que les contenus de formation diffusés en milieu organisationnel
correspondent souvent à des séquences linéaires fixes et fermées, ou encore à des grilles de
travail que « l’apprenant » se doit de suivre sans en déroger. Si l’on s’en remet uniquement à ces
conceptions, il ne faut pas s’étonner que bon nombre de connaissances acquises deviennent assez
rapidement obsolètes dans des contextes organisationnels marqués par le changement constant.

Un transfert à plus long terme qui se situe non seulement après la formation, mais qui se
poursuit dans le temps dans une perspective de performance durable et qui pourrait même
s’échelonner sur plusieurs années nécessitera, dans bon nombre des cas, plus qu’une application
de procédures standardisées. En effet, un tel transfert devra s’appuyer avant tout sur la capacité
des apprenants à utiliser les apprentissages réalisés dans une perspective d’adaptation, et non
uniquement de reproduction de ce qui a été appris. Sans nier qu’elle puisse se révéler perti-
nente, par exemple dans le cas de certaines fonctions de travail, cette seule vision plus statique
du transfert ne semble plus suffire dans des contextes où les travailleurs doivent s’adapter à de
nouvelles situations, notamment en raison des changements technologiques omniprésents et
de leur incidence sur l’organisation du travail.

2. Le caractère différencié du transfert en milieu organisationnel


Dans cette même perspective, dès 1999 Yelon et Ford proposent une vision multidimen-
sionnelle du transfert liée au degré d’autonomie en poste des apprenants. Ils affirment que le
transfert est associé à deux types d’habiletés, soit des habiletés dites « fermées » (closed skills), qui
requièrent l’application de séquences de travail fixes, et d’autres, qualifiées d’« ouvertes » (open
skills), qui nécessitent davantage l’adaptation et la résolution de problèmes. Les habiletés fermées
sont plutôt liées à des emplois de nature opérationnelle ou technique. À titre d’exemple, elles
sont associées à des tâches telles que le remplacement de pièces pour un mécanicien automobile
ou encore l’installation de ceintures de sécurité pour un opérateur sur une chaîne de production.
Par ailleurs, on a plus fréquemment recours aux habiletés ouvertes dans des fonctions mana-
gériales, quand il est question de motiver les employés, ou encore lorsqu’un représentant d’une
compagnie aérienne doit rediriger des passagers à la suite de l’annulation d’un vol.

1. E. L. Thorndike et R. S. Woodworth, (1901). « The influence of improvement in one mental function upon
the efficiency of other functions », Psychological Review, 8 (3), 247-261.

541
Traité des sciences et des techniques de la formation

Ainsi, les habiletés dites « ouvertes » sont liées à des fonctions de travail et à des situations où
il existe un bon degré d’autonomie, qui font en sorte que les apprenants ayant appris certains
principes seront à même de concevoir des façons de faire qui ne suivront pas nécessairement des
procédures prescrites. En ce sens, en raison de l’importance à accorder à la capacité d’adaptation
en milieu de travail, un plus grand nombre de fonctions de travail semblent faire maintenant
appel à des habiletés ouvertes qu’à des habiletés fermées (Huang, Ford et Ryan, 2016)1.

Cette vision différenciée du transfert trouve un large écho, mais parfois avec des termino-
logies différentes. En effet, deux types de transfert, soit le transfert rapproché et le transfert
éloigné, sont fréquemment identifiés dans la littérature scientifique et spécialisée. Le transfert
est généralement qualifié de rapproché quand il existe un haut degré de similarité entre la situa-
tion de formation et le contexte de transfert, et d’éloigné quand c’est plutôt un haut degré de
dissemblance qui prévaut. Finalement, bien que la référence ne soit pas faite explicitement, les
deux types d’habiletés liées au transfert, soit les habiletés fermées, qui requièrent l’application
de séquences de travail fixes, et les habiletés ouvertes, qui nécessitent plutôt l’adaptation et
la résolution de problèmes, évoquent également le transfert rapproché et le transfert éloigné.

Le concept de transfert se traduit également au moyen de diverses taxonomies. Ces diffé-


rentes hiérarchisations du transfert prennent généralement appui sur la typologie du transfert
rapproché et éloigné, et sont surtout centrées sur des processus cognitifs. Cependant, Yelon, Ford
et Bathia (2014) proposent plutôt une taxonomie axée sur l’utilisation qui est faite des appren-
tissages transférés. Ainsi, selon le cas, le transfert permet non seulement de réaliser certaines
activités, mais aussi d’en évaluer l’efficacité, de guider les collègues quant à leur utilisation ou
encore de mettre en place des changements dans une perspective d’amélioration continue. Ces
auteurs précisent que la définition du transfert peut donc en quelque sorte être élargie en tenant
compte du fait qu’il nécessite de la part des apprenants une utilisation réussie des apprentissages
réalisés dans le cadre de leur travail.

Dans cette perspective, le transfert des apprentissages en milieu organisationnel peut être
défini comme étant l’utilisation, par un individu, des connaissances, des habiletés et des savoirs
appris en formation, dans le cadre de contextes de travail comportant un certain degré de
nouveauté, et ce, afin d’améliorer, de façon prioritaire, sa performance (Roussel, 2011).

Finalement, même si ces différentes typologies et taxonomies situent délibérément le transfert


entre une situation de formation et un contexte de travail, elles peuvent être utilisées de façon
plus large. Ainsi, le transfert peut se situer entre deux contextes de travail différents, comme dans

1. J. L. Huang, J. K. Ford, et A. M. Ryan (à paraître). « Ignored no more : within person variability enables better
understanding of training transfer », Personal Psychology.

542
Le transfert des apprentissages ■ Chapitre 27

le cadre de projets consécutifs, le premier contexte ayant fait l’objet d’apprentissages spécifiques
utilisables lors du second.

3. Les facteurs favorisant le transfert des apprentissages


Dès 1988, Baldwin et Ford affirment que le transfert des apprentissages peut être favorisé par
trois groupes de facteurs respectivement liés aux caractéristiques individuelles des apprenants,
aux pratiques pédagogiques et à l’environnement de travail.

Cette perspective systémique est également celle proposée par Devos et Dumay (2006) et
Bouteiller (2006). Dans cette même perspective systémique, Grossman et Salas (2011), s’appuyant
sur deux recensions intégratives des écrits couvrant plus de 250 recherches sur le transfert,
précisent les 11 facteurs les plus à même de le favoriser. Dans cette perspective, ces auteurs
affirment que si les chercheurs ciblent en quelque sorte leurs recherches en faisant appel à
un nombre limité de variables, il apparaît tout à fait légitime de faire de même dans le cas de
professionnels qui cherchent à mieux prioriser leurs interventions.

En s’appuyant sur le modèle de Baldwin et Ford, ces facteurs tels qu’identifiés par Grossman
et Salas sont brièvement décrits dans le tableau 27.1. Dans une perspective systémique, ils sont
associés aux caractéristiques individuelles des apprenants, aux pratiques pédagogiques et à
l’environnement de travail. Ils constituent autant de pistes possibles en vue de concrétiser le
transfert en milieu organisationnel.

543
Traité des sciences et des techniques de la formation

Tableau 27.1 - Principaux facteurs favorisant le transfert des apprentissages.

Principaux facteurs Brève description


Caractéristiques individuelles des apprenants
Selon les travaux de Bandura, les apprenants possédant un haut degré d’efficacité
Sentiment d’efficacité personnelle éprouvent une meilleure confiance dans leurs capacités d’apprendre et de
personnelle transférer. Ils démontrent aussi plus de ténacité lorsqu’ils rencontrent certaines difficultés à
accomplir avec succès des tâches complexes.
Des apprenants motivés à apprendre et à transférer avant, pendant et après la démarche
mise en œuvre constituent un des éléments les plus significatifs en matière de transfert.
Motivation
Cette motivation se traduit par de plus hauts degrés d’intensité, de focalisation et de
persistance afin d’atteindre un but.
Les apprenants qui perçoivent la démarche de formation ou d’apprentissage implantée
Valeur perçue comme étant pertinente et utile à leurs fonctions de travail sont portés à transférer leurs
apprentissages de façon accrue.
Les apprenants ayant une plus grande habileté à comprendre des concepts complexes, à les
Habiletés cognitives retenir, à les adapter à leur environnement et à apprendre de leurs expériences sont plus à
même de transférer leurs apprentissages.
Pratiques pédagogiques

Les activités de modelage, qui comprennent à la fois des exemples et des contre-exemples
Modelage
ainsi que des activités pratiques qui y sont liées, favorisent le transfert.

Une anticipation par les apprenants des enjeux possibles du transfert en milieu de
travail ainsi que le fait de les amener à y faire face avec succès et de leur souligner les
Management des erreurs
conséquences négatives pouvant résulter de l’absence de transfert constituent toutes des
pratiques favorables.

Le recours à des situations authentiques et similaires à celles rencontrées en milieu de


Environnement réaliste
travail, notamment au moyen de simulations, contribue positivement au transfert.

Environnement de travail
L’instauration d’un climat de travail positif qui encourage et valorise l’utilisation des
Climat de transfert
nouveaux apprentissages en milieu de travail stimule le transfert.
Soutien des managers/ La mise en place d’activités de soutien au transfert de la part des managers de proximité et
des pairs des pairs constitue un facteur contributif.
Le fait de s’assurer de la présence en milieu de travail de ressources et de temps alloués au
Occasions de mise en
transfert et d’occasions de mise en œuvre représente un élément important pour favoriser
œuvre
le transfert.
L’implantation de mécanismes de suivi, comprenant des débriefings, des activités réflexives
Suivi et l’étude de divers outils d’aide à la tâche liés aux procédures et à la prise de décision,
encourage la poursuite des efforts en matière de transfert.

544
Le transfert des apprentissages ■ Chapitre 27

4. Tendances actuelles : l’importance de la métacognition


Le consensus grandissant autour du caractère adaptatif et différencié du transfert ouvre
des pistes de travail stimulantes en matière de développement des compétences, à l’intérieur
desquelles un rôle plus important sera accordé à l’apprenant. Ainsi, dans le cas des habiletés
ouvertes, où la latitude et l’autonomie d’action constituent des éléments clés, le transfert des
apprentissages est fonction de la capacité des individus à déceler et à saisir les occasions de trans-
fert au sein de leur environnement de travail. Dans cette perspective, des facteurs individuels
tels que la motivation, souvent associée à la perception d’utilité de la formation ou encore au
caractère applicable des apprentissages réalisés, et l’auto-efficacité jouent un rôle plus important
dans le transfert des apprentissages lié à ce type d’habiletés.

Dans la même perspective, Yelon et ses collaborateurs (2014) indiquent que les travailleurs
qui bénéficient d’une certaine latitude utilisent ce qu’ils ont appris en fonction des buts qu’ils
poursuivent et qu’ainsi, le transfert est parfois fonction d’objectifs personnalisés plutôt que
des attentes des formateurs à leur endroit. Pour ces auteurs, la notion de choix de l’apprenant
constitue un des trois principes fondamentaux en matière de transfert1.

Certaines tendances liées aux meilleures pratiques organisationnelles en matière de formation


et de développement vont dans le même sens. Ainsi, pour le Conference Board du Canada (2011),
dans une optique collaborative, l’apprentissage en entreprise doit évoluer d’une perspective
« produit », formatée pour les apprenants, vers une perspective « processus », qui vise plutôt à
les impliquer. Pour cet organisme de recherche, il en résulte un changement de paradigme qui
amènera les individus en milieu de travail à déterminer, sans recette toute faite, les actions qu’ils
auront à mettre en œuvre afin d’intégrer leurs nouveaux apprentissages.

Toujours en ce qui a trait à l’importance accrue conférée à l’apprenant en matière de transfert


en milieu organisationnel, plusieurs auteurs soulignent l’importance à accorder au dévelop-
pement des habiletés métacognitives. Pour ces auteurs, de telles habiletés sont de nature à
permettre aux apprenants de réaliser avec succès le transfert des apprentissages, et ce, même au
sein d’environnements de travail non facilitants. Dans un contexte de transfert des apprentis-
sages, la métacognition est définie comme englobant « les habiletés de planification, de contrôle
et d’autorégulation […] comprenant la capacité d’un individu à déterminer les stratégies les plus
appropriées afin de faciliter l’acquisition des connaissances et leurs utilisations potentielles »
[traduction libre] (Ford et Kraiger, 1995, p. 8)2.

1. Les deux autres principes sont liés au caractère multidimensionnel du transfert et au fait que les différentes
utilisations réalisées en milieu de travail, bien que complexes, sont repérables.
2. K. Ford et K. Kraiger (1995). « The application of cognitive constructs to the instructional systems model
of training : implication for need assessment, design and transfer », International Review of Industrial and
Organizational Psychology, 10, 1-48.
545
Traité des sciences et des techniques de la formation

Bien que le développement d’habiletés liées à la métacognition et, plus largement, à l’autoré-
gulation relève avant tout de l’individu, car elle met en lumière le fait que l’apprenant possède
des croyances à l’égard de ses forces et de ses faiblesses, au travail à accomplir et à la meilleure
façon d’y arriver en ajustant ses pratiques selon les résultats obtenus, un formateur qui joue un
rôle de facilitation peut y contribuer. Pour ce faire, et tout en sachant qu’il peut paraître réduc-
teur d’associer le développement d’habiletés métacognitives à une seule démarche, un processus
en quatre étapes peut servir de guide. Ces étapes sont respectivement le modelage, la pratique
guidée, la pratique coopérative et la pratique autonome.

Ainsi, dans un premier temps, le formateur joue un rôle de modèle en rendant visibles les
connaissances et les habiletés. Par la suite, il amène les apprenants à verbaliser leurs façons de
faire, et ce, tant sur le plan de la compréhension que de l’activité à accomplir, en leur donnant
la rétroaction nécessaire : il s’agit de la pratique guidée. La troisième étape, la pratique coopé-
rative, vise plutôt à amener l’apprenant à expliciter sa démarche auprès de ses pairs, afin de lui
permettre de la réguler. Puis, en fin de processus, l’apprenant est davantage en mesure d’utiliser
de façon autonome les façons de faire apprises au sein de différents environnements tout en
étant capable de s’ajuster.

Une recherche menée dans le cadre d’un programme en développement du leadership auprès
de managers de proximité a permis de dégager dix-huit actions de facilitation utilisées par un
formateur afin de stimuler le développement de la métacognition chez les apprenants. Ces
actions ont permis d’expliquer près de 10 % de la variance liée au transfert des apprentissages
(Roussel, 2011). Ces dix-huit pratiques sont décrites ci-dessous en association avec les quatre
étapes du processus décrit précédemment.

546
Le transfert des apprentissages ■ Chapitre 27

Tableau 27.2 - Actions de facilitation liées au développement de la métacognition favorisant le


transfert des apprentissages

Modelage
1. Comme formateur, j’ai posé des questions ou fait des résumés qui permettent aux apprenants de se souvenir des
apprentissages antérieurs réalisés en formation ou dans le cadre de leur travail.
2. Comme formateur, j’ai posé des questions ou fait des résumés pour aider les apprenants à se souvenir des points forts et
des points à développer identifiés en formation ou dans le cadre de leur travail.
Avant le début des activités d’apprentissage, j’ai :
3. Clarifié l’objectif ou la procédure à suivre.
4. Donné des exemples de la façon dont je m’y prends afin de réaliser ces activités d’apprentissage de même que certaines
situations de transfert qui en découlent.
5. Non seulement donné des exemples, mais je me suis aussi « donné en exemple » en réalisant moi-même ces activités
d’apprentissage.
Lors du démarrage des activités d’apprentissage, j’ai :
6. Communiqué mes questionnements, mes croyances.
7. Invité les apprenants à poser des questions ou à formuler des commentaires.
Pratique guidée
8. Comme formateur, j’ai posé des questions ou réalisé des interventions afin d’aider les apprenants à préciser leurs buts
personnels.
Pendant la préparation des activités d’apprentissage, j’ai :
9. Rappelé l’objectif poursuivi et la procédure à suivre au besoin.
10. Posé des questions ou réalisé des interventions qui ont aidé les apprenants à ajuster leurs façons de faire.
Pendant ou après les activités d’apprentissage, j’ai :
11. Posé des questions ou réalisé des interventions qui ont aidé les apprenants à clarifier leurs façons de faire, tant sur le
plan de la préparation que de la réalisation de l’activité.
12. Donné une rétroaction aux apprenants sur leurs façons de faire (préparation et réalisation de l’activité).
13. Posé des questions ou réalisé des interventions qui ont amené les apprenants à auto-évaluer leurs façons de faire
(préparation et réalisation de l’activité).
Pratique coopérative
14. Posé des questions ou réalisé des interventions qui ont amené les apprenants à donner de la rétroaction sur leurs
façons de faire et à en recevoir de la part des autres participants.
15. Demandé aux apprenants de communiquer en grand groupe la rétroaction obtenue.
Pratique autonome
Pendant ou après les activités d’apprentissage, j’ai posé des questions ou réalisé des interventions qui ont aidé les
apprenants à :
16. Préciser des pistes de développement dans le cadre de leur travail.
17. Trouver un sens aux différents apprentissages réalisés en fonction des buts personnels.
18. Voir comment les apprentissages réalisés pourraient être utilisés dans d’autres contextes, particulièrement dans le
cadre de leur travail.

547
Traité des sciences et des techniques de la formation

5. Conclusion : une perspective d’apprentissage autodirigé


dans des contextes d’apprentissage plus informel

Selon le Conference Board du Canada, l’apprentissage informel constitue la principale source


de développement des compétences dans les organisations et il est maintenant fortement enra-
ciné en entreprise. Dans ce contexte, l’apprentissage informel est souvent analysé dans une
logique dite d’hybridation qui met l’accent sur sa complémentarité avec l’apprentissage formel,
soit parce que ces deux modes d’apprentissage apparaissent indissociables, soit parce qu’ils
se retrouvent à différents niveaux dans la majorité, voire toutes les situations d’apprentissage
rencontrées (Cristol et Muller, 2013).

C’est dans cette perspective de complémentarité entre les modes d’apprentissage formel et
informel que Choi et Jacobs (2011) ont évalué, dans le cadre d’une recherche menée auprès de
plus de deux managers en milieu bancaire, l’impact de certaines caractéristiques individuelles des
apprenants. En faisant référence au concept d’orientation individuelle à l’apprentissage, qui lie
motivation, efficacité personnelle et recherche d’un développement continu, ces chercheurs en
viennent à la conclusion que l’influence de ces caractéristiques, qui demeure modérée en contexte
d’apprentissage formel, devient deux fois plus élevée quand c’est le mode informel qui prime.

De tels dispositifs liant apprentissage formel et informel se retrouvent également dans le cas
de programmes de développement de la relève à l’intention de hauts potentiels, ayant recours
notamment à l’approche de l’apprentissage dans l’action. Dans de tels programmes, le leader en
apprentissage est amené à se doter d’un plan individuel de développement à l’intérieur duquel il
fixe ses objectifs, choisit ses ressources et ses stratégies d’apprentissage, et évalue sa progression.
Pour ce faire, il est soutenu par un coach d’apprentissage et, parfois, par un comité de suivi.
L’apprenant y assume donc la responsabilité première de son apprentissage, qui se situe alors
dans une perspective d’apprentissage autodirigé. Des dispositifs liés à l’apprentissage autodirigé
ont également été identifiés dans le cadre de démarches mises en œuvre par des professionnels au
sein d’entreprises appartenant au domaine de la haute technologie, et ce, dans le but d’accroître
la responsabilisation des employés à l’égard du développement de leurs compétences (Karakas
et Manisaligil, 2012).

Bien que ces quelques exemples demeurent liés plus directement à l’apprentissage qu’au
transfert, ils ouvrent cependant des portes quant à l’évolution possible de la recherche, mais aussi
de nouvelles pratiques dans ces contextes plus ouverts. Malheureusement, trop peu d’études
relatives au transfert sont menées en milieu organisationnel. Qui plus est, elles restent encore
plus rares quand il est question d’apprentissage de nature informelle. D’importants travaux
restent donc à réaliser.

548
Le transfert des apprentissages ■ Chapitre 27

Lectures conseillées
Bouteiller D. (2006). « Le transfert : la face cachée Karakas F. et Manisaligil A. (2012). « Reorienting
de la formation », Le point en administration self-directed learning for the creative digital
de la santé et des services sociaux, 2, 12-13. era », European Journal of Training and
Choi W. et Jacobs R. L. (2011). « Influences of formal Development, 36 (7), 712-731.
learning, personal learning orientation and Le Boterf G. (2010). Repenser la compétence,
supportive learning environment on informal Paris, Éditions d’Organisation.
learning », Human Resource Development
Quarterly, 22 (3), 239-257. Roussel J.-F. (2011). Gérer la formation, viser le
transfert, Montréal, Guérin.
Cristol D. et Muller A. (2013). « Les apprentissages
informels dans la formation pour adultes », Y elon S. L. et F ord J. K. (1999). « Pursuing a
Savoirs, 32, 11-59. multidimensional view of transfer »,
Performance Improvement Quarterly, 12 (3),
Devos C. et Dumay X. (2006). « Les facteurs qui
58-78.
influencent le transfert : une revue de litté-
Yelon S. L., Ford J. K. et Bathia S. (2014). « How
rature », Savoirs, 12, 11-46.
trainees transfer what they have
Grossman R. et Salas E. (2011). « The transfer of trai- learned : toward taxonomy of use. »,
ning, what really matters », International Performance Improvement Quarterly, 27 (3),
Journal of Training and Development, 15 (2), 27-52.
103-120.

549
Chapitre 28
L’orientation professionnelle
des adultes1

1. Par Jacques Aubret.


Sommaire
1. Éléments d’histoire et d’actualité
de l’orientation professionnelle des adultes.......................................................... 553
2. Pratiques d’accompagnement des adultes
en orientation et compétences des accompagnateurs........................................... 556
3. Les contenus des actions d’orientation professionnelle........................................ 559
4. Travaux et recherches scientifiques en orientation des adultes............................ 563
5. En conclusion........................................................................................................ 565
Lectures conseillées.................................................................................................. 567
L’orientation professionnelle est une préoccupation européenne mais elle est aussi une
composante essentielle des stratégies nationales en faveur de l’emploi et de la formation tout
au long de la vie. Selon un communiqué de Bergen (2005), dans la suite logique du processus
de Bologne (initié en 1998-1999), l’« orientation professionnelle » fait référence aux services et
activités destinés à aider les individus, quels que soient leur âge et leur situation personnelle, à
effectuer des choix en matière d’éducation, de formation et de profession et à gérer leur carrière.
La loi française du 24 novembre 2009 confère un contenu plus psychologique à l’orientation :
elle « est le résultat d’un processus continu d’élaboration et de réalisation du projet personnel
de formation et d’insertion sociale et professionnelle que tout individu mène en fonction de
ses aspirations et de ses capacités. Toute personne dispose du droit à être informée, conseillée
et accompagnée en matière d’orientation qu’elle soit initiale ou continue, au titre du droit à
l’éducation ».

L’orientation professionnelle a une histoire. Peut-elle permettre aujourd’hui d’affronter les


nouveaux défis liés aux mutations profondes qui affectent l’homme dans ses relations au travail,
aux autres, à lui-même ?

1. Éléments d’histoire et d’actualité de l’orientation


professionnelle des adultes

L’orientation scolaire et professionnelle des adultes s’est progressivement organisée au cours


du xxe siècle en synergie avec le développement de la formation professionnelle continue à la
suite de la promulgation des lois sur l’éducation permanente de juillet 1971.

1.1 De l’obligation de formation au droit à l’orientation


© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les lois de juillet 1971 ont fait de la formation continue et de l’éducation permanente une
obligation nationale dans le but de favoriser l’adaptation de l’homme aux changements culturels
et technologiques qui touchent ses conditions de vie et de travail. La loi précise que la forma-
tion continue est pour l’homme l’instrument d’accès aux différents niveaux de la culture et
de la qualification professionnelle. Si la formation continue est présentée comme une chance
de réalisation personnelle, l’évolution des lois et des pratiques s’est progressivement focalisée
sur la vie professionnelle et la nécessité de favoriser, par des actions de soutien personnalisé,
la résolution des problèmes individuels d’insertion professionnelle et plus généralement de
l’adaptation durable au travail.

553
Traité des sciences et des techniques de la formation

Le bilan des compétences professionnelles et personnelles créé par la loi du 31 décembre 1991
est devenu une pratique phare en orientation professionnelle des adultes. La loi quinquennale du
20 décembre 1993 a fait de la formation professionnelle l’objet d’un co-investissement « entre-
prises-salariés », ces derniers devant assurer par eux-mêmes la gestion de leurs projets et de leurs
compétences. La loi du 24 novembre 2009 a inscrit dans le Code du travail un droit autonome
à l’information, au conseil et à l’accompagnement en matière d’orientation professionnelle.

Les réformes de l’éducation et la formation professionnelles impulsées en 2013 et 2014 modi-


fient en partie le système d’orientation. La loi du 14 juin 2013 instaure un droit au conseil en
évolution professionnelle (CEP) dont peut bénéficier toute personne (salariée, non salariée,
demandeur d’emploi). La loi du 5 mars 2014 parachève la décentralisation de la responsabi-
lité politique de l’orientation. Ainsi le 1er janvier 2015, est créé un service public régional de
l’orientation (SPRO) et organisée la nécessaire coopération entre les opérateurs nationaux et
régionaux pour garantir une offre de service cohérente et homogène sur l’ensemble du territoire.
L’État définit, au niveau national, la politique d’orientation des élèves et des étudiants dans les
établissements scolaires et les établissements d’enseignement supérieur et la région coordonne
les actions des autres organismes participant au service public régional de l’orientation.

Les textes les plus récents créent les outils censés devoir assurer la meilleure continuité
possible des parcours professionnels dans un marché du travail qui sollicite leur flexibilité. Parmi
ceux-ci : le compte personnel de formation (CPF) permet à toute personne active, dès son entrée
sur le marché du travail et jusqu’à sa retraite, d’acquérir des droits à la formation mobilisables
tout au long de sa vie professionnelle (loi du 5 mars 2014) ; le compte personnel d’activités (CPA)
entré en vigueur en 2017 vise à sécuriser la flexibilité des parcours professionnels. Il est censé
recenser toutes les activités salariées et bénévoles exercées par une personne.

1.2 Une multiplicité de structures en charge de l’orientation des adultes


Depuis plus d’un quart de siècle des actions d’orientation ont été proposées dans divers cadres
institutionnels ou systématiquement intégrés au fonctionnement des dispositifs d’accueil des
jeunes adultes et des adultes présentant des difficultés d’insertion professionnelle. Selon un
rapport adressé au Premier ministre1 (F. Guégot, 2009) sur le développement de l’orientation
professionnelle tout au long de la vie, ce qui frappe d’abord, en France, c’est la multiplicité des
structures qui effectuent, pour tout ou partie, des prestations d’orientation au point de constituer

1. F. Guégot (2009). Développement de l’orientation professionnelle tout au long de la vie, Rapport au Premier
ministre.

554
L’orientation professionnelle des adultes ■ Chapitre 28

un maquis au sein duquel on peut avoir du mal à se repérer. L’offre de service en matière d’aide
à l’orientation passe :
–– par des réseaux issus, au moins au départ, d’un système de formation initiale ou continue :
les réseaux des chambres des métiers et de l’artisanat ou des chambres de commerce et
d’industrie et des chambres d’agriculture ; le réseau national et interprofessionnel paritaire
des Fonds de gestion des congés individuels de formation (Fongecif et Opacif) ; l’Associa-
tion pour la formation des adultes (Afpa) ; les services de formation continue pilotés par
l’Éducation nationale et les établissements d’enseignement supérieur (les services univer-
sitaires d’information et d’orientation, SUIO) et en général tous les services confrontés à
l’accompagnement des candidatures à la validation des acquis de l’expérience (les points
relais pour la VAE) ;
–– par des réseaux spécialisés en direction de publics identifiés avec bien souvent une volonté
d’approche globale de la personne et de ses problèmes, par-delà la seule orientation : mission
locale (ML), centre d’information et de documentation jeunesse (CIDJ), Office national d’in-
formation sur les enseignements et les professions (Onisep) ; Centre national d’information
sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF), Association de gestion du fonds pour
l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), Cap-Emploi, Association
pour emploi des cadres (Apec), etc. ;
–– par des réseaux à vocation plus généraliste, soit dans l’approche des publics soit dans la
prestation offerte, et qui sont le plus souvent d’initiative locale tout en participant à une
même charte de service : maison de l’emploi, Cité des métiers, maison de l’information sur
la formation et l’emploi (Mife), centre de bilan de compétences ;
–– par des réseaux qui assurent une mission d’orientation dans le cadre du service public : Pôle
Emploi pour le retour à l’emploi, centre d’information et d’orientation (CIO) pour le service
public de l’éducation, etc.

Le grand service public autonome de l’orientation professionnelle (SPO) créé en 2015 dans
le prolongement de la loi du 24 novembre 2009, se décline selon deux modalités : sur le plan
national, un volet dématérialisé, le portail « Orientation pour tous » (OPT) confié au Centre Inffo,
et sur le plan local, des services d’information et de conseil en orientation qui travaillent en
coopération et font l’objet d’un label délivré par les préfets de région. Il garantit à toute personne
l’accès à une information gratuite, complète et objective sur les métiers, les formations, les
certifications, les débouchés et les niveaux de rémunération, ainsi que l’accès à des services de
conseil et d’accompagnement en orientation de qualité et organisés en réseaux.

555
Traité des sciences et des techniques de la formation

2. Pratiques d’accompagnement des adultes


en orientation et compétences des accompagnateurs

La résolution européenne du 21 novembre 2008, « Mieux inclure l’orientation tout au long de


la vie dans les stratégies d’éducation et de formation tout au long de la vie » souligne la nécessité
de promouvoir les compétences, notamment en matière d’information, de conseil et d’accompa-
gnement. Dans quels types de pratiques et par quels professionnels ces compétences sont-elles
mises en œuvre ?

2.1 Les pratiques d’orientation des adultes


Quatre types de pratiques comportent des activités relatives à l’accompagnement de tout ou
partie d’une démarche d’orientation professionnelle.

2.1.1 Le bilan de compétences


Le bilan de compétences professionnelles et personnelles a été institué, en France, par l’accord
interprofessionnel du 3 juillet 1991 et la loi du 31 décembre 1991, sous la forme d’un droit au congé
pour effectuer un bilan. Selon la loi, « les actions permettant de réaliser un bilan des compétences
ont pour objet de permettre à des travailleurs d’analyser leurs compétences professionnelles et
personnelles ainsi que leurs aptitudes et leurs motivations afin de définir un projet professionnel
et, le cas échéant, un projet de formation ».

L’essentiel tient dans la centration du bilan sur l’appropriation par la personne de la démarche
qui lui est proposée et qui doit être adaptée à son rythme d’appropriation et à ses questions. Il
peut comporter à la fois des évaluations sur la base d’épreuves objectives (épreuves d’aptitudes, de
personnalité, de motivation, évaluation des compétences) et des phases de retour réflexif sur soi
(démarches autobiographiques et histoires de vie). Il est l’intermédiaire entre le projet de formation
et le projet d’insertion, l’interaction « formation-insertion » fonctionnant dans les deux sens pour
maintenir et développer une « employabilité durable1 ». Entreprendre pour soi le travail d’analyse
de ses compétences peut être bénéfique lorsqu’il donne à la personne une certaine visibilité sur
son employabilité future pour des emplois en évolution et la confiance dans sa capacité à se faire
reconnaître par ses interlocuteurs professionnels.

1. C. Lemoine (2002). Se former au bilan de compétences. Comprendre et pratiquer cette démarche, Paris, Dunod.

556
L’orientation professionnelle des adultes ■ Chapitre 28

Le bilan se situe dans la tradition française de l’orientation éducative, telle qu’elle a été définie
par A. Léon (1957) et maintes fois présente depuis dans les idées et les pratiques : développement
d’une psychopédagogie du projet (travaux de J. Legrès, et de D. Pémartin), élaboration de méthodes
de découverte des activités professionnelles et des projets personnels (J. Guichard), mouvement de
l’activation du développement personnel et vocationnel (ADVP) concernant l’éducation des choix
(largement inspirée par D. Pelletier), création de l’association « Trouver-créer » sous l’impulsion
de G. Latreille et R. Solazzi, développement d’une conception intégrée de l’information et de
l’orientation autour des idées d’approche orientante au Québec, etc.

2.1.2 Le conseil en évolution professionnelle (CEP)


Institué par une loi de 2013, le CEP est l’occasion pour toute personne active de faire le point sur
sa situation professionnelle et engager, le cas échéant, une démarche d’évolution professionnelle.
Il peut s’articuler sur l’entretien professionnel annuel. Il a pour ambition de favoriser l’évolution
et la sécurisation de son parcours. Il vise à accroître ses aptitudes, ses compétences et ses qualifi-
cations, en facilitant son accès à la formation. Le CEP bénéficie de l’appui d’un conseiller-référent
et est réalisé par des opérateurs prévus par la loi (Opacif, Pôle Emploi ; Apec ; mission locale ; Cap
Emploi, etc.).

2.1.3 La validation des acquis de l’expérience


Elle s’est développée par étapes : loi et décrets 1984-1985, loi de 1992, loi de 2002 (VAE). Selon
cette dernière, « toute personne engagée dans la vie active est en droit de faire valider les acquis
de son expérience, notamment professionnelle, en vue de l’acquisition d’un diplôme, d’un titre
à finalité professionnelle ou d’un certificat de qualification figurant sur une liste établie par la
commission paritaire nationale de l’emploi d’une branche professionnelle, enregistré dans le réper-
toire national des certifications professionnelles (RNCP) ».

L’implication de la VAE pour l’orientation provient du fait que l’accompagnement des candidats
à la réalisation du dossier d’acquis d’expérience à présenter devant un jury comporte la référence
à un projet professionnel identifié pour lequel le diplôme visé sera un atout de réalisation.

2.1.4 La pratique des portefeuilles de compétences ou portfolios


Elle a été préconisée, en France, par les décrets d’application relatifs à la création du bilan de
compétences (1991-1992). Cette pratique intègre potentiellement toutes les caractéristiques d’un
bilan. Elle est à la fois la réalisation d’un dossier d’acquis de formation et d’expériences, et une
démarche accompagnée qui donne du sens à cette mémoire des acquis et qui prépare son titulaire
à son utilisation efficace dans les situations de mobilité professionnelle.

Cette pratique s’est particulièrement développée depuis 2010, avec l’émergence de


e-portfolios qui associent la démarche classique du portefeuille à des outils ou plateformes

557
Traité des sciences et des techniques de la formation

numériques1 (les « e-portfolios ») lesquelles permettent de nombreuses formes d’utilisation et


d’intégration de données diverses concernant leurs titulaires. Parmi les réalisations actuelles
citons le portefeuille d’expérience et de compétences (PEC) utilisé dans une quarantaine
d’établissements d’enseignement supérieur (Biarnès et Rose, 2016). Les concepteurs du PEC,
dès l’origine en 2005, ont conçu une démarche et un outil « ouverts » susceptibles d’intégrer
des contenus réflexifs et d’expériences venant d’autres formes de pratiques (par exemple, de
l’Europass qui est un dossier constitué de cinq types de documents devant permettre à son
titulaire d’exprimer clairement ses compétences et qualifications selon des standards communs
aux Européens) et en retour, d’enrichir, le cas échéant, ces dites pratiques.

2.2 Les styles d’accompagnement


L’accompagnement du processus d’orientation des adultes n’est pas seulement défini par une
pratique, la présence d’un médiateur éducatif, le contenu ou les objectifs de la médiation. Il se
définit également par le mode d’intervention de l’accompagnateur, du formateur, du conseiller,
en situation de face-à‑face ou à distance. De ce point de vue, on peut généraliser à l’ensemble
des interventions éducatives la classification que C. Rogers réserve à la catégorisation des formes
d’entretien.

L’intervention directive en orientation correspond à l’attitude du conseiller qui chercherait


à dicter sa solution aux personnes qui le consultent en ne prenant en compte que des indica-
teurs externes aux sujets, interprétés par lui (résultats aux tests, débouchés professionnels) en
fonction des valeurs qu’il leur attribue. L’intervention non-directive correspond aux attitudes
du conseiller qui limite son intervention à faire s’exprimer le sujet en le laissant décider de ses
propres choix sans apporter la moindre information extérieure et les moindres indications
concernant la valeur adaptative de ses choix. Entre les deux, l’intervention semi-directive décrit
le rôle de l’accompagnateur de la démarche d’orientation qui soutient l’expression de la personne
et apporte des éléments de reconnaissance de soi et du contexte (ou points de repères sur soi
et autrui) qui lui permettent de leur attribuer du sens et de l’utilité par rapport à ses projets et
de s’autodéterminer en toute connaissance de cause.

A. Lhotellier2 a donné une nouvelle actualité aux théories rogériennes. Dans la démarche
de consultance, qu’il préconise, l’essentiel, selon lui, est l’agir du consultant client (et non pas
seulement son information, son projet, la connaissance de soi, etc.). « Tenir conseil », c’est

1. P.-D. Gauthier, M. Pollet (2013). Accompagner la démarche portfolio, préface de J.-P. Boutinet, postface de
J. Aubret, Paris, Éditions Qui Plus Est.
2. A. Lhotellier (2001). Tenir conseil, Paris, Seli Arslan.

558
L’orientation professionnelle des adultes ■ Chapitre 28

travailler à rendre signifiante pour l’acteur, une action efficace. Il s’agit donc de se centrer sur
la vie de la personne plutôt que sur sa personnalité. Ce faisant, on applique un principe de
C. Rogers : reconnaître que le client aura une grande satisfaction à trouver une réponse à son
problème mais que la seule réponse réaliste possible est fonction de son pouvoir et de son désir
d’affronter la situation.

2.3 La formation et les compétences des accompagnateurs


On estime à plusieurs dizaines de milliers le nombre de professionnels dont l’essentiel des inter-
ventions concerne de près ou de loin une aide à l’orientation. Quelques milliers seulement peuvent
faire état d’une qualification certifiée dans le domaine spécifique de l’orientation (notamment les
conseillers d’orientation-psychologues). Les autres interviennent en orientation dans l’exercice d’un
autre métier (enseignants, managers en ressources humaines, gestionnaires de carrière, consultants,
coach, etc.). Des formations universitaires se sont développées (du niveau master 2) qui assurent
des formations de qualité dans lesquelles la dominante disciplinaire n’est pas nécessairement la
psychologie différentielle comme ce fut le cas durant une bonne partie du siècle dernier. Toutes
les disciplines des sciences humaines et sociales peuvent contribuer à la formation de conseillers,
lorsque ce métier est envisagé comme un débouché possible de la formation universitaire.

Il en résulte une très grande diversité d’intervenants, laquelle devient un atout pour les personnes
accompagnées, lorsque des concertations entre tous les acteurs sont organisées ; elle pourrait être
une faiblesse si les personnes qui viennent consulter sont soumises à des messages divergents
dont elles ne peuvent tirer parti. Verra-t‑on se développer de réelles formes de coopération entre
acteurs de l’orientation à l’occasion du développement des politiques régionales d’orientation ?

3. Les contenus des actions d’orientation professionnelle


La responsabilité de l’orientation professionnelle est partagée entre le monde politique qui
légifère, le monde éducatif qui contribue au développement des savoirs et des compétences,
le monde économique qui détient l’offre d’emploi et l’ensemble des individus qui totalise les
ressources humaines mobilisables. À cela on peut ajouter tous les acteurs sociaux qui tentent
de faire le lien entre ces différents mondes. S’agissant des aspects individuels de l’orientation on
peut se demander sur quels leviers on peut agir pour que les ressources dont chacun dispose se
transforment en projets d’avenir. Cinq pistes d’actions sont classiquement explorées dans les
pratiques d’orientation professionnelle depuis plus d’un quart de siècle.

559
Traité des sciences et des techniques de la formation

3.1 Le retour réflexif sur le passé personnel et professionnel,


qui ne se réduit pas à une capitalisation de droits acquis
La capitalisation des droits acquis par les salariés enregistrés dans des « comptes » comme le
prévoit la législation (compte personnel de formation, compte personnel d’activité) n’est qu’un
moyen au service d’une démarche individuelle d’orientation qui, lorsqu’elle est souhaitée, ne
se réduit pas à la recherche d’une nouvelle insertion professionnelle acceptable dans l’urgence.
Interroger son passé de formation et d’expérience peut être conçu comme une voie possible
d’identification des ressources d’avenir. Cette démarche comporte plusieurs facettes.

Elle prend la forme d’un retour réflexif sur soi, de nature cognitive, en vue d’analyser les
conditions personnelles et environnementales qui ont permis, ou non, les prises de décision
d’orientation et l’engagement dans le travail. Le but n’est pas de culpabiliser l’individu sur le
constat de chances non saisies mais de montrer, au contraire, que toute décision de réorien-
tation le concernant met en jeu des causes et des effets collatéraux ou dérivés dont il n’est pas
responsable mais qui le déterminent. Certains facteurs sont bien connus : les premières orien-
tations parfois imposées par le système éducatif pour des raisons de déficit scolaire (le poids du
« décrochage ») ou d’absence de place en formation (inadaptation de la carte des formations), la
sortie du système scolaire sans diplôme et sans qualification, une sortie prématurée d’un parcours
universitaire après l’échec d’une première année, la succession de petits boulots précédant des
périodes de chômage, les discriminations dont il a pu être victime (discrimination en raison du
genre, de l’âge, de la nationalité, de l’origine socioculturelle, des marques d’une appartenance
communautaire comme le prénom), les répercussions des événements personnels et familiaux
sur les choix professionnels, les accidents et handicaps de la vie qui modifient ou interrompent
brutalement des parcours commencés, les périodes d’épuisement professionnel, le harcèlement,
les mises « au placard », certains effets négatifs sur l’employabilité de situations de travail peu
stimulantes qui ont engendré une obsolescence des compétences, etc. Reconnaître son passé peut
donner à certaines personnes l’envie de rebondir (s’investir autrement) en évitant de reproduire
les erreurs passées assumées comme telles.

Le retour cognitif sur le passé est une condition nécessaire de l’identification des acquis
de l’expérience en termes de savoirs, savoir-faire et savoir-être ou en termes de compétences
identifiables (J. Layec, 2006). Il précède les démarches d’investigation des secteurs d’emplois
ou d’activités professionnelles dans lesquelles ces acquis peuvent être mis en œuvre, avec ou
sans formation complémentaire ; il enrichit le « parler de soi » dans un espace mondial numé-
risé consultable par tous et qui donne le sentiment de tout connaître de chacun. Enfin il donne
des bases concrètes et acceptables, voire désirables, aux idées de flexibilisation des parcours
professionnels.

560
L’orientation professionnelle des adultes ■ Chapitre 28

3.2 Le développement d’une vision positive de l’avenir


qui donne confiance en soi
Il n’y a pas de réorientation professionnelle assumée sans une vision positive de l’avenir et
une dose de confiance et d’estime de soi et des autres. Or, en période de crises comme celles que
traversent les pays européens (crises personnelles, économiques, politiques ou sociétales), cette
vision positive requise est largement entamée chez beaucoup de nos contemporains (en situation
de dépression ou contaminés par le « déclinisme » ambiant). Elles affectent inévitablement les
personnes en difficulté. Les éléments les plus sensibles concernent :
–– la fragilité des prédictions relatives aux évolutions à moyen et à long terme des métiers et
des emplois de demain comme source d’incertitudes ;
–– le sentiment de vulnérabilité personnelle quant à la capacité à se maintenir employable
durablement ; ce sentiment est d’autant plus élevé que les individus sont fragiles : non-
qualification persistante, installation dans des contrats à durée limitée, chômage de longue
durée, avancement en âge pour les seniors, réinsertion des femmes dans l’emploi après les
interruptions liées aux maternités, etc.
–– l’impact négatif sur les personnes des formes d’évolution sociétale qui valorisent la concur-
rence interindividuelle, exacerbent le pouvoir des chefs et de la hiérarchie à travers les
évaluations professionnelles, culpabilisent ceux qui ne parviennent pas à répondre aux
critères de rendement imposés, etc.

3.3 La réhabilitation de la valeur constructive du regard d’autrui


On a peut-être eu tendance à considérer l’orientation professionnelle comme une affaire
personnelle relevant d’un choix préparé et autodéterminé en valorisant les idées de conscience
de soi, de réalisation de soi parfois au détriment de la prise en compte de la composante « alté-
rité » (soi et autrui) dans la construction de soi1.

L’histoire de l’orientation professionnelle témoigne de l’utilité des médiations sociales dans


l’aide à la construction de projets professionnels. L’expérience de l’association « Retravailler »,
fondée en 1973 par E. Sullerot en faveur des femmes venant s’inscrire sur le marché de l’emploi, a
illustré parfaitement ce point de vue. J. Périer2 a décrit les problèmes rencontrés par ces femmes.
La méthode de cette association s’appuyait sur une démarche d’orientation active

1. J. Aubret (2009). « L’adulte en quête d’identité : reconnaître l’altérité en soi », in J. P. Boutinet, et P. Dominicé
(éd.) (2009), Où sont passés les adultes ? Routes et déroutes d’un âge de la vie, Paris, Téraèdre.
2. J. Périer (1990). Retravailler : une méthode à vivre, Paris, Éditions Entente.

561
Traité des sciences et des techniques de la formation

(auto-orientation) basée sur la responsabilisation et la motivation des personnes concernées,


donnant lieu à des échanges en situation de groupe (socialisation de l’orientation).

Toutefois le rapport à autrui peut être vécu négativement lorsqu’il est partie prenante d’ac-
tions d’évaluation inscrites dans l’expression de rapports de pouvoir : évaluation scolaire dans la
formation initiale, évaluation par les examens, sélection pour l’entrée dans certaines filières ou
certaines écoles, évaluation des compétences dans l’accès et le maintien dans l’emploi, évaluation
de l’activité des salariés dans les entretiens avec la hiérarchie. De là est née la nécessité d’objec-
tiver et d’expliciter les critères d’évaluation et de rendre les évaluations compréhensibles par les
personnes ainsi évaluées, sans les contraindre, pour autant, à intérioriser des normes de valeur
qu’elles peuvent ne pas vouloir partager.

Il faut aller plus loin. L’élaboration d’un projet d’insertion ou de réinsertion dans l’emploi
comme objectif du déclenchement d’un processus d’orientation, à un moment donné d’un
parcours professionnel, nécessite en quelque sorte, la reconnaissance du regard contributif
d’autrui sur les possibilités de nouvelles formes de réalisation de soi. Ce regard crée un espace
entre soi et ce que peuvent produire, comme illusions, les tendances narcissiques parfois à
l’œuvre dans l’autoévaluation. Il est un élément qui permet en quelque sorte de tester la faisabilité
des projets d’avenir. Être reconnu par autrui est une composante majeure des motivations à se
fixer des buts (cf. A. Bandura1).

3.4 L’exploration cognitive du monde du travail et de l’environnement


Expliquer les erreurs d’orientation par le seul déficit d’informations sur les métiers et les
emplois relève d’une analyse rapide et superficielle du processus d’orientation. Certes cette
information est nécessaire et elle est accessible par de multiples canaux matériels et humains :
brochures, conseillers, centres d’accueil des jeunes et des adultes, internet, etc. Mais il y a en
quelque sorte un cercle vicieux à briser : pour connaître le monde du travail il est nécessaire de
s’informer, mais pour questionner utilement l’information disponible, souvent en abondance,
il faut pouvoir disposer d’un minimum de connaissances sur les activités économiques et les
hommes qui les exercent. Questionner l’information c’est se donner les moyens de juger de sa
valeur informative à court et à moyen terme, de sa crédibilité, de ses fondements, de son actua-
lisation, de la pertinence des réponses qu’elle procure.

1. A. Bandura (2003). Auto-efficacité : Le sentiment d’efficacité personnelle [« Self-efficacy »], trad. J. Lecomte,
Paris, De Boeck, 2e éd. 2007.

562
L’orientation professionnelle des adultes ■ Chapitre 28

3.5 La maîtrise des échanges interpersonnels sur les réseaux sociaux
Internet est à la fois un espace dans lequel circulent des informations de toute nature ; il est
aussi un vaste réseau d’échange entre « offre » et « demande » dans le domaine des biens et des
services parfois sans intermédiaire identifiable. Les services publics d’orientation sont présents
sur ces réseaux. On constate également que les offres d’emploi et les recrutements professionnels
utilisent de plus en plus ces canaux de communication disponibles bien au-delà des frontières
nationales comme ils sont utilisés de plus en plus par les jeunes Français qui achèvent leur forma-
tion et commencent leur carrière professionnelle dans des pays étrangers. On se rappellera les
idées de M. Authier et de P. Lévy1, au début des années 1990, sur les arbres de connaissances.
Il s’agissait alors d’imaginer des moyens de rendre visible la richesse des savoirs, savoir faire et
des compétences présente dans la communauté humaine, chacun pouvant se situer par rapport
à cette richesse et communiquer en fonction de ce qu’il pouvait apporter et recevoir. Ce qui
pouvait être taxé d’utopie à l’époque est devenu réalité. Les quatre leviers évoqués ci-dessus
sont une base au développement des apprentissages (apprendre à « parler de soi » et à maîtriser
les codes de communication notamment) qui permettent de passer de la réflexion sur soi à
la négociation de son insertion, en utilisant toutes les possibilités offertes par les moyens de
communication contemporains.

4. Travaux et recherches scientifiques en orientation des adultes

4.1 Les données de recherches en orientation professionnelle


Plusieurs revues scientifiques sont aujourd’hui spécialisées dans les recherches en orientation
des adultes. Citons, entre autres, pour la France, la revue L’Orientation scolaire et profession-
nelle, publiée par l’Institut national d’études du travail et d’orientation professionnelle (Inetop).
D’autres revues, moins spécialisées, traitent de l’orientation dans le cadre de l’éducation, de la
gestion de carrière, de la pratique du conseil, etc. Si toutes les disciplines des sciences humaines
et sociales sont susceptibles de contribuer à l’enrichissement des savoirs développés dans le
cadre de l’orientation des adultes (revues, ouvrages et colloques internationaux), il existe un
important corpus de données d’enquêtes (d’accès facile par Internet) émanant des publications
des organismes spécialisés tels que le Centre d’études et de recherches sur les emplois ou et les

1. M. Authier, P. Lévy, (1992). Les Arbres de connaissances, Paris, La Découverte, 1992.

563
Traité des sciences et des techniques de la formation

qualifications (Céreq1), le Centre d’études de l’emploi (Cee), l’Institut national de la statistique


et des études économiques (Insee), les publications du ministère de l’Éducation nationale, de
l’enseignement et de la recherche (« Repères et références statistiques sur les enseignements, la
formation et la recherche » actualisé chaque année), du ministère du Travail et de l’Emploi de la
Formation professionnelle et du dialogue social (Dares/Direction de l’animation de la recherche,
des études et des statistiques), de l’Association nationale pour la formation professionnelle des
adultes (Afpa) et au niveau européen les publications du Centre européen pour le développe-
ment de la formation professionnelle (Cedefop) et de l’Organisation pour la coopération et le
développement économique (OCDE).

4.2 Le rôle central des recherches en psychologie


Les recherches en orientation ont été dominées durant le vingtième siècle par les apports de
la psychologie : celle-ci constitue l’une des références disciplinaires forte et structurante tant en
matière de recherche que de formation des praticiens de l’orientation. C’est en effet au sein de
la psychologie que l’on a traité des différences « inter » et « intra » individuelles, du développe-
ment cognitif, des apprentissages, de la motivation aux études et au travail, des représentations
sociales des métiers et des professions, de la prise de décision, des représentations de l’avenir,
de la construction de « soi », du développement vocationnel, de la vie adulte et des parcours de
vie. Un exposé systématique des théories et recherches psychologiques en orientation pourra
être consulté utilement dans deux ouvrages de synthèse réalisés par J. Guichard et M. Huteau
ou sous leur direction (2007a ; 2007b).

Aux recherches centrées sur la connaissance des individus dans leurs caractéristiques person-
nelles (travaux de psychométrie notamment) viennent s’ajouter des travaux relatifs aux rapports
de l’homme au travail et à ses expériences de vie. Comprendre ce que l’expérience du travail et la
confrontation avec autrui produisent comme transformations progressives des manières d’être,
de connaître et de se comporter est une étape nécessaire de la construction de soi. Cet éclairage
peut bénéficier des travaux de Y. Clot2, lorsqu’il considère que l’analyse clinique de l’activité
humaine ne s’arrête pas à la description de ce que fait l’homme au travail, mais comporte,
également, une activité de prise de conscience et d’analyse de ce qu’il est dans ce qu’il fait, et de
toutes les déterminations extérieures à ses actions propres mais qui pèsent sur l’orientation de

1. Les notes Emploi Formation, par exemple, regroupent des textes qui présentent des résultats d’études réali-
sées par le Cereq, et proposent des analyses récentes sur les diverses dimensions de la relation entre formation
et emploi. Par exemple : I. Borras, T. Berthet, É. Campens et al. (2007), Le pilotage de l’orientation tout au long
de la vie : le sens des réformes.
2. Y. Clot. (1999). La Fonction psychologique du travail, Paris, PUF.

564
L’orientation professionnelle des adultes ■ Chapitre 28

ses actions et sur leur exécution. On sait, de ce point de vue, l’importance accordée à l’analyse
des expériences professionnelles dans le bilan de compétences et l’élaboration de projets d’avenir.

Un numéro spécial de L’Orientation scolaire et professionnelle1, intitulé « S’orienter : construire


sa vie » résulte du travail en commun de neuf chercheurs de sept pays d’Europe et des États-Unis
autour de la recherche d’un nouveau paradigme en psychologie de l’orientation dans le contexte
des sociétés postmodernes du xxie siècle. Cinq présupposés du conseil pour accompagner les
individus dans la construction de leur vie sont énoncés :
–– reconnaître que l’accompagnement en orientation s’effectue dans des conditions très éloi-
gnées de celles des situations contrôlées ;
–– affirmer qu’il est préférable de se focaliser sur les stratégies de survie et les dynamiques du
faire face (coping) plutôt que d’ajouter encore de l’information ou des contenus ;
–– passer du simple conseil relatif à une décision d’orientation à une expertise dans la
co-construction et l’accompagnement des personnes dans une construction holistique de
leur vie ;
–– se centrer sur les processus de construction et de reconstruction toujours en cours, par les
personnes de leurs multiples réalités subjectives ;
–– pour mettre fin au manque de preuves empiriques de l’efficacité du conseil en orientation,
modéliser des structures fractales en vue de prévoir l’émergence de configurations stables
de variables plutôt que ne considérer les résultats que sous l’angle d’une seule variable. On
trouvera une documentation importante sur ces recherches dans J. Guichard et M. Huteau
(2007 a et b) et dans F. Danvers (2009).

5. En conclusion
L’orientation professionnelle de l’adulte est en tension entre « formation » et « insertion » dans
le monde du travail. Ces deux pôles sont appelés à fonctionner en synergie dans la mesure où
ils concourent à l’employabilité durable de la personne au long de sa carrière professionnelle.
Cependant le traitement des problèmes d’orientation peut se faire selon des logiques différentes
qui ont des impacts différents sur les décisions que peut prendre une personne.

Le politique légifère en fonction des problèmes du moment. On constate que les textes
législatifs sur la formation professionnelle permanente s’accumulent depuis les lois de 1971.
L’orientation professionnelle est conçue dans cette logique comme une variable d’ajustement

1. Vol. 39, n° 1, année 2010, coordonné par J. Guichard et E. Vignoli.

565
Traité des sciences et des techniques de la formation

censée pour une personne donnée, résoudre les décalages entre les exigences d’un emploi visé
et son niveau de qualification et pour la collectivité, combler le manque de qualifications par
rapport aux emplois immédiatement disponibles et non pourvus (quelques centaines de milliers).
Les problèmes d’orientation ont tendance à être traités de manière normative sous la forme
d’injonctions à accepter les emplois disponibles.

La logique économique tend à mobiliser les ressources humaines sur des objectifs de produc-
tion. Est recruté celui qui présente le meilleur profil pour les emplois proposés (qualifications
et compétences attestées, motivations pour l’investissement par le travail, attitudes comporte-
mentales conformes aux exigences des entreprises). L’orientation professionnelle est vécue dans
des situations de concurrence, de chacun pour soi, de culpabilisation éventuelle. Les projets de
la personne sont configurés par la nécessité de se rendre conforme à des attentes fondées sur
des exigences de plus en plus fortes. La formation est requise comme moyen d’adaptation à ces
exigences.

La logique éducative est centrée sur la personne dans ses besoins de reconnaissance, de réali-
sation de soi dans un monde économique et politique partiellement hostile à l’expression de ces
besoins. L’orientation est vue comme un processus de conquête progressive de son pouvoir de
décider par soi, du chemin professionnel que l’on souhaite parcourir et de la place que l’on estime
pouvoir occuper dans le monde du travail. Elle s’appuie sur tout ou partie des leviers évoqués
ci-dessus et les apprentissages qui permettent de les mettre en œuvre. La formation a un contenu
spécifique qui ne se réduit pas à la formation professionnelle, mais qui la précède ou la prolonge.
Si les parcours professionnels sont parfois perçus, a posteriori, comme le résultat d’un « chaos
vocationnel », selon une expression de D. Riverin-Simard1, on peut aussi les considérer comme
le fruit d’une continuité existentielle propre à chaque personne qui se donne constamment de
nouveaux défis à relever et de nouveaux espaces à conquérir.

Une approche éthique de l’orientation pourrait être l’arbitre entre ces différentes logiques
appelées à cohabiter. L’orientation est à la fois un acte personnel et un acte social : chercher ce
qui est bien pour soi, contribuer par son travail à la mesure de ses ressources au bien de tous.

1. D. Riverin-Simard (1996). « Le concept du chaos vocationnel : un pas théorique à l’aube du xxie siècle »,
L’Orientation scolaire et professionnelle, 25, n° 4, 467-487.

566
L’orientation professionnelle des adultes ■ Chapitre 28

Lectures conseillées
Aubret J., Blanchard S. (2010). Pratique du bilan Gilbert P., Pigeyre F., Dietrich A., Aubret J. (2010). Le
personnalisé, Paris, Dunod (2e éd.). Management des compétences, Paris, Dunod
Biarnès J., Rose J. (éd.) (2016). Les portefeuilles (3e éd.).
d’expériences et de compétences. Approches Guichard J., Huteau M. (2007a). La Psychologie de
pluridisciplinaires, Villeneuve d’Ascq, PUS. l’orientation, Paris, Dunod (2e éd.).
Carré P., Moisan A., Poisson D. (2010). L’Autoformation : Guichard J., Huteau M. (éd.) (2007b). Orientation et
perspectives de recherche, Paris, PUF. insertion professionnelle. 75 concepts clés,
Danvers F., (2009). S’orienter dans la vie : une Paris, Dunod.
valeur suprême ? Essai d’anthropologie Layec J. (2006). Auto-orientation tout au long de
de la formation. Dictionnaire de sciences la vie : le portfolio réflexif, Paris, l’Harmattan.
humaines, Villeneuve d’Ascq, PUS. Léon A. (1957). Psychopédagogie de l’orientation
Delory-Momberger C. (2000). Les Histoires de vie. professionnelle, Paris, PUF.
De l’invention de soi au projet de formation,
Paris, Anthropos.

567
Chapitre 29
La reconnaissance
et la validation
des acquis1

1. Par Bernard Liétard.


Sommaire
1. Une « vieille idée neuve » devenue une préoccupation internationale.................... 571
2. La validation des acquis de l’expérience (VAE) à la française................................ 574
3. Un bilan et des perspectives en demi-teinte......................................................... 581
Lectures conseillées.................................................................................................. 586
1. Une « vieille idée neuve » devenue
une préoccupation internationale

Admettre qu’on apprenne par l’expérience est reconnu de tout temps. Heureusement
personne n’attend qu’on le décrète en dehors de lui pour savoir apprendre à vivre et prendre
conscience que vivre, c’est apprendre.

Dans la plupart des pays, les systèmes de validation et de certification font l’objet de débats
et de réformes. Comme en témoignent les données recueillies par l’Observatoire mondial de la
RVA de l’Unesco, on assiste dans les États membres à un fort développement des initiatives de
reconnaissance, validation et accréditation des acquis (RVA) qui proviennent non seulement
des systèmes éducatifs formels, mais aussi de l’éducation non formelle et informelle.

Plus discutable et illusoire est la recherche, affichée tant au niveau de l’Europe que de l’Unesco
ou de l’OCDE, de « bonnes pratiques », de « référentiels universels » et/ou de « solutions stan-
dard » applicables urbi et orbi. C’est ne pas tenir compte en effet que ce qui est développé dans
un contexte donné n’est pas transférable tel que dans un autre tant la réussite de ces approches
et montages institutionnels est tributaire des systèmes éducatifs, socio-économiques, culturels
et historiques (et plus largement du projet de société) où ils prennent racine.

Toutefois, au-delà de la spécificité de chaque système national et de la multiplicité des avatars


de ce paradigme éducatif en développement depuis les années 1980, la plupart des pays partagent
deux caractéristiques communes et cinq problèmes, qui constituent autant d’enjeux identiques
au-delà des solutions différentes adoptées.

Première caractéristique pointée par Guy Fortier1 depuis son balcon de l’Observatoire de
l’Unesco, « dans bien des sociétés, les dispositifs de formation et de qualification privilégient
toujours l’apprentissage formel au sein d’établissements éducatifs. Ce qui explique qu’une
grande partie des acquis ne soient jamais reconnus officiellement et que de nombreux individus
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

manquent d’incitations et de confiance pour poursuivre leur apprentissage. D’où un immense


gâchis de talents et de ressources humaines pour la société. La reconnaissance, la validation et
l’accréditation (RVA) de l’apprentissage non formel et informel est un levier indispensable pour
faire de l’apprentissage tout au long de la vie une réalité ».

1. G. Fortier (2016). « Les lignes directrices de l’Unesco pour la RVA », in Liétard, Piau et Landry, Pratiquer la
reconnaissance des acquis de l’expérience, Lyon, Chronique sociale.

571
Traité des sciences et des techniques de la formation

L’état de fait précédent conduit au second constat partagé par Guy Fortier et Patrick Werquin1,
consultant international et expert reconnu : les systèmes éducatifs formels sont de manière
générale peu ouverts à la prise en compte des acquis d’expérience des apprenants. Le principal
défi réside dans le dépassement de la résistance culturelle qui, malgré les progrès que l’on
estime faire, est toujours très présente dans les milieux académiques ou professionnels. Cela
ne se décrète donc pas et oblige les acteurs à « changer de lunettes » pour reprendre les termes
de Michel Feutrie.

Quant aux problèmes rencontrés, ils étaient déjà identifiés en 1996 par Danielle Colardyn au
travers de l’examen de la majorité des pays du G7 et de L’Australie. Toujours d’actualité, ils sont
au nombre de cinq : la lisibilité, l’accessibilité, la transférabilité, la portabilité et la « monnaya-
bilité » des certifications acquises par la voie de la reconnaissance et de la validation des acquis
de l’expérience (RVAE).

Pour résoudre ces problèmes partagés par tous les pays qui mettent en œuvre la RVA, on se
doit d’apporter des réponses aux questions suivantes :
–– Comment, face à des pratiques et constructions sociales qui ne peuvent être que complexes,
les rendre lisibles, en particulier pour les usagers ?
–– Comment rendre la reconnaissance des acquis de l’expérience accessible à tous et notam-
ment aux publics faiblement scolarisés en évitant que, comme pour la formation, on arrose
là où il a déjà plu ?
–– Comment améliorer la transmission et la reconnaissance des compétences acquises,
quelle qu’en soit l’origine, en dépassant notamment les cloisonnements institutionnels ?
Pour reprendre les termes de Guy Fortier, comment « abolir les barrières » et « établir des
passerelles » ?
–– Comment garantir la validité sociale des qualifications acquises dans le cadre de la recon-
naissance des acquis d’expérience ? Certes la « validité méthodologique » des outils et des
référentiels, réponse largement utilisée dans les pays anglo-saxons (décentralisation oblige),
est nécessaire, mais elle ne s’avère pas suffisante pour garantir la « validité sociale d’usage »,
la monnayabilité, des certifications acquises par cette voie.

En réponse à ces défis et enjeux, au niveau de la Commission européenne, le Livre blanc


Enseigner et apprendre (1995) consacre une place importante à la RVAE. Il remet notamment
en cause la prédominance du « diplôme » comme base de certification et de grand ordonnateur
des hiérarchies scolaires, professionnelles et sociales :

1. P. Werquin (2014). « Sans reconnaissance sociale, la validation des acquis des apprentissages non formels et
informels n’est rien », in Éducation permanente, n° 199.

572
La reconnaissance et la validation des acquis ■ Chapitre 29

« Chacun doit pouvoir faire valider des compétences fondamentales, techniques ou professionnelles,
indépendamment du fait qu’il passe ou non par une formation diplômante. » Pour développer
des modalités de certification moins formelles, ont été prises ces vingt dernières années plusieurs
mesures. Nous en retiendrons deux : le lancement d’Europass (2004) et la création d’un « cadre
européen de certifications » (2008).

Dans le même esprit, le système des ECTS (european credit transfer system), issu de la décla-
ration de Bologne de juin 1999, constitue également un progrès important dans le sens d’une
ouverture de l’espace européen de formation et de qualification.

On citera enfin la mise en œuvre de projets de coopération dans le cadre de programmes


européens sur le thème de la « RVAE » qui ont fait avancer la réflexion, et ont fourni des bases aux
recommandations européennes en la matière. Ils ont aussi permis une meilleure reconnaissance
mutuelle débouchant parfois sur la mise en œuvre de pratiques transnationales.

Quant à l’Unesco, pour que la reconnaissance, la validation et l’accréditation (RVA) de l’ap-


prentissage non formel et informel puisse « contribuer à l’intégration de pans plus larges de la
population dans un dispositif ouvert et flexible d’éducation et de formation et à l’édification de
sociétés sans exclus », il a pu proposer en 2012 six lignes directrices :
–– faire de la RVA un volet essentiel de toute stratégie nationale d’apprentissage tout au long
de la vie ;
–– mettre en place des systèmes de RVA accessibles à tous ;
–– faire de la RVA un élément à part entière des systèmes d’éducation et de formation ;
–– créer une structure nationale de coordination impliquant toutes les parties prenantes ;
–– renforcer les capacités du personnel responsable de la RVA ;
–– concevoir des mécanismes de financement durables.

Au travers de la présentation du système français, qui constitue au niveau international un


système original, nous allons voir comment ces axes directeurs sont mis en œuvre, les problèmes
rencontrés au niveau de leur application et les réponses apportées aux défis et enjeux listés dans
cette première partie Notre propos est aussi d’informer le lecteur sur les « règles du jeu » et les
opportunités qui lui sont ouvertes.

573
Traité des sciences et des techniques de la formation

2. La validation des acquis de l’expérience (VAE) à la française

2.1 Une mise en œuvre progressive et difficile


Le système éducatif français constitue en effet un terrain peu propice au développement de
la reconnaissance des acquis expérientiels. Non seulement la France est confrontée aux quatre
questions listées précédemment, mais, rejoignant les analyses de Vincent Merle1, s’y ajoutent
des problèmes spécifiques qui ne facilitent pas la prise en compte des acquis de l’expérience.
Nous retiendrons ici trois caractéristiques qui font obstacle :
–– la place, plus prépondérante que dans d’autres pays, accordée aux diplômes acquis en forma-
tion initiale par rapport aux certifications venant sanctionner les acquis en cours de vie
active ou plus largement tout au long de sa vie sociale et personnelle ;
–– la place privilégiée qu’occupent les connaissances académiques dans les cursus de formation ;
–– la trop grande importance accordée aux connaissances acquises pour elles-mêmes, indépen-
damment des contextes dans lesquels elles sont mobilisées et mobilisables pour résoudre
utilement les problèmes de sa vie.

Malgré ces handicaps, la France n’échappe pas depuis les années 1980 au développement
mondial de la reconnaissance et de la validation des acquis de l’expérience et à une diversifica-
tion progressive des formes de certification, qui se dissocient de plus en plus de la fonction de
transmission des savoirs. C’est au IXe Plan (1984-1988) qu’on doit l’affirmation d’une volonté
politique nationale. Une de ses origines en est le constat du déficit de qualification certifiée dans
la population française.

L’application de cette orientation politique s’est faite à deux niveaux complémentaires :


–– le développement de la RAE ;
–– l’institutionnalisation et la légalisation progressive de la VAE.

2.2 Le développement de la RAE


Contrairement à ce qui est fait parfois, la RAE devrait être un préalable à toute démarche
de VAE. Elle s’inscrit dans une dynamique de parcours et de construction de projets. Outre
l’identification de ses acquis, quelle qu’en soit l’origine, elle ouvre sur la prise de conscience

1. V. Merle (1997). « L’évolution des systèmes de validation et de certification. Quels modèles possibles et quels
enjeux pour la France ? », Formation professionnelle, n° 12, CEDEFOP.

574
La reconnaissance et la validation des acquis ■ Chapitre 29

par les individus de leur « capabilité », c’est-à‑dire des ressources qui permettent de considérer
accessible la suite du parcours et de se reconnaître et de s’épanouir dans son propre devenir.

Deux vecteurs de la RAE ont été créés à cette fin : le « bilan de compétences personnelles et
professionnelles » et « le portefeuille de compétences ».

Expérimenté à la fin des années 1980, le bilan de compétences a fait l’objet d’un accord
national interprofessionnel en juillet 1991 et il a été inscrit dans la loi en décembre 1991. Pour
reprendre la définition légale, ces bilans ont pour objet « de permettre à des travailleurs d’analyser
leurs compétences professionnelles et personnelles ainsi que leurs aptitudes et motivations, afin
de définir un projet professionnel et, le cas échéant, un projet de formation ».

Sous l’égide de la Délégation à la formation professionnelle, précédant la loi, ont été expé-
rimentés, puis étendus par une circulaire du 14 juin 1989, des centres interinstitutionnels de
bilans de compétences (CIBC). Outre les prestations de bilans qu’ils mettaient en œuvre, ils
visaient un double objectif :
–– réunir localement, sur la base du volontariat, des synergies interinstitutionnelles et pluri-
disciplinaires dépassant les cloisonnements traditionnels administratifs et corporatistes ;
–– constituer des « lieux ressources ».

Le développement de « portefeuilles de compétences » constituait le second vecteur de déve-


loppement de la RAE. S’inspirant du « portfolio » anglo-saxon, tout en s’en démarquant en
rejetant toute standardisation, il peut être défini pour reprendre les termes de Jacques Aubret1
comme « un dossier personnel et personnalisé, évolutif […] réalisé librement et volontairement
sur initiative personnelle ou sur proposition d’autrui […] conçu pour des utilisations personnelles
et sociales […] dans une démarche spécifique de formation et d’autoformation… pour être un
outil de valorisation de soi ».

Considérant qu’un accompagnement personnalisé et spécifique est un ingrédient indis-


pensable tant pour les bilans de compétences que pour la constitution du « portefeuille de
compétences », les pouvoirs publics ont financé des recherches sur le thème2 et soutenu des
formations qualifiantes aux fonctions d’accompagnement.

1. Jacques Aubret a été un des acteurs majeurs de l’expérimentation menée sous l’égide de la Délégation à la
Formation Professionnelle de 1984 à 1989. La définition proposée est extraite d’une publication qu’il a faite en
2001 pour le Groupe de coordination des CIBC et parue aux Éditions et applications psychologiques.
2. On trouve un écho de ces recherches dans l’ouvrage édité par Gaston Pineau (1998), Accompagnements et
histoire de vie (L’Harmattan) rendant compte d’un colloque organisé par l’université François-Rabelais de Tours.

575
Traité des sciences et des techniques de la formation

2.3 L’institutionnalisation progressive de la VAE


2.3.1 Les prémices de la loi de 2002
L’attribution d’un diplôme ou d’un titre au vu de l’expérience professionnelle a fait l’objet
de nombreuses dispositions législatives, réglementaires et contractuelles antérieures à la loi de
2002, qui visaient notamment à favoriser l’accès à une certification sans nécessairement passer
par le parcours de formation qui y préparait.

Les dispositions les plus anciennes concernent en 1934 la décision d’attribuer le titre « d’ingé-
nieur diplômé d’État » à des personnes disposant d’une expérience confirmée dans la fonction
après présentation d’un dossier rendant compte de leur expérience et passage devant un jury.
Ce dispositif existe toujours aujourd’hui.

Une autre initiative est la création des « unités capitalisables ». Ce système a été initié, à la fin
des années 1960, dans le cadre d’actions de formation collectives organisées notamment dans le
bassin minier lorrain. Il redécoupe les diplômes sous forme d’unités qui peuvent être obtenues
indépendamment les unes des autres. Si on a tenu à le retenir ici c’est parce qu’il a contribué de
manière significative à faire évoluer les modalités mêmes de construction des diplômes de l’Edu-
cation Nationale à tous les niveaux. À titre d’exemple, la notion de « référentiel », très présente
dans les procédures actuelles de VAE, tire en partie son origine de ces premières tentatives.

Symptomatique de la même évolution des pratiques, on aurait pu aussi évoquer ici, le déve-
loppement à partir de la fin des années 1980 dans le cadre de l’Afpa de « formations modulaires »
tenant compte des pré-acquis des stagiaires pour leur proposer des cursus personnalisés allégés.

Dans le cadre de l’enseignement supérieur français, l’Éducation nationale a souhaité faciliter


l’accès des adultes aux cycles de formation universitaire dans le cadre de la loi d’orientation des
universités de 1984. Pour ce faire, le décret du 28 août 1985 stipule notamment que peuvent
donner lieu à validation l’expérience professionnelle acquise au cours d’une activité salariée ou
non salariée, ou d’un stage, ainsi que « les connaissances et les aptitudes acquises hors de tout
système de formation ». Ce texte et ce qu’on a dénommé la « VAP 1985 » est toujours en vigueur.

Au niveau des enseignements technologiques, un pas important a été franchi avec la loi du
20 juillet 1992 sur la validation des acquis professionnels (VAP). Elle posait le principe que
les activités professionnelles produisent des compétences et des savoirs et que ces derniers
pouvaient être pris en compte au même titre que ceux de la formation pour l’obtention des
diplômes. Il ne s’agit donc pas seulement, comme dans la VAP 1985, de dispenser des diplômes
préalables à l’entrée dans un cursus de formation, mais de dispenser d’une partie de ce cursus
et de ses épreuves, permettant ainsi une personnalisation et un allégement des parcours.

576
La reconnaissance et la validation des acquis ■ Chapitre 29

On ne peut terminer ce bref panorama rétrospectif sans évoquer l’action de la commission


technique d’homologation (CTH). Elle accordait le label public de « titre homologué par l’État »
à des certifications présentées par des organismes de formation, tant publics que privés, dans
des domaines professionnels émergents, non couverts par les diplômes délivrés sous l’autorité
de l’État. Son action a constitué un substrat précieux pour la Commission nationale des certi-
fications professionnelles (CNCP) et l’établissement du Répertoire national des certifications
professionnelles (RNCP) institués par la loi de 2002.

2.3.2 2002, vive la VAE


Réforme portée dès 1999 par la secrétaire d’État à la Formation professionnelle, Nicole Péry1,
l’article 133 de la loi n° 2002-73 de modernisation sociale du 17 janvier 2002 stipule que toute
personne engagée dans la vie active est en droit de faire valider les acquis de son expérience en
vue d’obtenir un diplôme, un titre ou une certification inscrite dans un Répertoire national des
certifications professionnelles (RNCP). Le texte de cette loi, inscrit dans le Code du travail et
dans le Code de l’Éducation, et ses textes d’application comportent des évolutions juridiques
substantielles. Nous en retiendrons ici sept.

En premier lieu, le principe de la validation des acquis est étendu à l’ensemble de l’expérience
personnelle et non aux seuls acquis professionnels. Cette ouverture permet explicitement de
reconnaître et de valider les acquis résultant d’activités dans un cadre bénévole.

Second point, ces textes poussent plus loin le principe de disjonction entre le diplôme ou le
titre et le parcours qui y conduit. Cela amène à conférer aux diplômes et aux titres une valeur
propre indépendante des cursus de formation. Dans ce sens, l’article 134 ajoute que la VAE
produit les mêmes effets que les autres modes de contrôle des connaissances et aptitudes.

Autre changement notable, l’approche proposée par la VAE est plus globale qu’analytique.
Jusque-là, en application de la VAP 1985 et de la loi de 1992, le candidat ne pouvait bénéficier
que de dispenses d’enseignement et n’avait rien tant qu’il n’avait pas terminé ce qui lui restait à
suivre du cursus. Dans le cadre de la loi de 2002, on peut lui octroyer des crédits ou même un
diplôme complet. Par ailleurs, au lieu de comparer ses acquis d’expérience aux contenus des
enseignements, il est fondé à présenter un dossier global en demandant ce qu’il peut obtenir
sur cette base.

1. On saluera ici le rôle joué par Michel Blachère et Vincent Merle, qui ont piloté cette réflexion préalable en
s’appuyant sur une large concertation avec les partenaires sociaux, les institutions concernées et des experts
reconnus.

577
Traité des sciences et des techniques de la formation

Le quatrième changement concerne l’étendue du principe de validation des acquis à l’en-


semble des certifications professionnelles avec une volonté politique d’instaurer une sorte de
régulation collective du système de certifications professionnelles. Sa gestion et la définition
du « périmètre » de ces dernières sont confiées, après suppression de la Commission technique
d’homologation, à une Commission nationale interministérielle de la certification professionnelle
(CNCP). Il lui appartient notamment de décider, après évaluation, si telle ou telle certification
peut figurer dans le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) au sein duquel
les diplômes délivrés par l’État sont enregistrés de droit. Rappelons que l’enregistrement au
RNCP signifie ipso facto que la certification concernée est accessible par la VAE.

Il est en outre ouvert à tous un droit individuel permettant d’obtenir, comme pour le bilan
de compétences, un congé au titre de la VAE d’une durée de 24 heures pour préparer et passer
la certification visée.

Autre avancée et non la moindre, la démarche de reconnaissance par les individus de leurs
acquis d’expérience est reconnue comme une action de formation au sens légal du terme.

Changement fondamental enfin, la loi de 2002 reconnaît la VAE comme une voie de forma-
tion et de qualification à part entière. Pour ma part, pour caractériser cette spécificité, j’ai pu
employer la référence à l’umami. C’est au professeur Kikunae Ikeda qu’on doit en 1908 ce
concept pour désigner, caractéristique notamment du bouillon d’algues, un cinquième goût
distinct des saveurs traditionnelles (sucré, salé, acide et amer). Tout comme l’umami – qui n’est
pas que « délicieux » en lui-même, mais qui améliore, en combinaison avec les autres goûts, la
saveur des plats – le développement observé de la RVAE est complémentaire des formes tradi-
tionnelles de formation et de gestion des ressources humaines, qui ne sont donc pas à reléguer
au musée des pratiques disparues.

2.4 
RVAE et champs sociaux
Mais on ne dira jamais assez combien la RVAE n’est pas réductible à un simple avatar de la
délivrance de certifications : elle n’est pas utile, utilisable et utilisée seulement dans le champ
de la formation. Nous rendrons donc compte maintenant des changements importants que
son usage a en effet générés dans plusieurs autres champs sociaux : gestion des ressources
humaines, développement territorial et orientation.

2.4.1 Au niveau de la gestion des ressources humaines


Depuis le milieu des années 1980, les partenaires sociaux ont explicitement mis la recon-
naissance et la validation des acquis de l’expérience au menu de leurs négociations sur la

578
La reconnaissance et la validation des acquis ■ Chapitre 29

gestion des emplois et des compétences tant au niveau des entreprises, des branches profes-
sionnelles que des accords nationaux interprofessionnels, qui ont le plus souvent précédé
les textes législatifs concernant la formation professionnelle. Par ailleurs, ils sont associés à
l’élaboration du système de certification : ils sont membres des commissions professionnelles
consultatives (CPC) de l’Éducation nationale ou des autres ministères, du Comité national
de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) où se discutent les évolutions des
diplômes de l’enseignement supérieur, ainsi que de la CNCP.

Outre ces fonctions consultatives, ils ont souhaité élaborer des certifications qui leur soient
propres, les « certificats de qualification professionnelle » (CQP), élaborés dans le cadre des
Commissions nationales de l’emploi propres à chaque branche. Ces certifications, concernant
souvent des qualifications nouvelles, privilégient l’acquisition de savoirs directement utiles à
la production par rapport aux connaissances générales. Hors apprentissage, elles ont été large-
ment utilisées pour la formation des jeunes sous contrat de qualification et d’adaptation. Elles
peuvent être enregistrées au RNCP dès lors qu’ils répondent aux exigences fixées par la CNCP.

Un rapport gouvernemental sur la VAE1 signale que « la mise en œuvre de la VAE dans
les entreprises reste encore d’étendue modeste ». Parmi les pratiques novatrices, une mention
particulière est à faire au sujet des démarches collectives de VAE. Dans une étude du Garf2,
Isabelle Cartier, la qualifiant d’une démarche « en tension », estime que « la clé d’une démarche
collective de VAE, c’est qu’elle s’inscrive à la croisée non seulement du projet et de la stratégie
des entreprises déclinés en politique RH, mais également du projet individuel du salarié » et de
ses deux facteurs de motivation :
–– un facteur d’ordre économique : la VAE développe et sécurise son employabilité ; elle favorise
son évolution professionnelle ;
–– un facteur d’ordre identitaire : la VAE contribue à une réassurance personnelle et à une
reconnaissance sociale et professionnelle par ses pairs.

La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie


sociale promeut explicitement la VAE non seulement comme l’une des voies vers la qualification
et la certification, mais aussi comme un facteur de sécurisation et d’évolution professionnelle
des actifs. Elle est de ce fait éligible au compte personnel de formation (CPF).

Au niveau des entreprises, cette loi passe de ce qui n’était depuis la loi de 1971 qu’une obliga-
tion de financement (n’obligeant pas à un envoi en formation de leurs salariés) à une incitation

1. Ce rapport résulte d’une collaboration entre la DGEFP, la Dares et le Cereq et établit le bilan de la VAE en 2006.
2. Les Démarches collectives de VAE : territoires, enjeux, pratiques et clés de réussite, GARF, 2015.

579
Traité des sciences et des techniques de la formation

forte à faciliter leur départ effectif en formation. Le législateur tend par cette mesure à développer
une responsabilité sociale des organisations. L’application de cette mesure devrait constituer un
terrain favorable au développement de la RVAE dans la mesure où elle constitue un des critères
de résultat d’un bilan d’évolution professionnelle tous les six ans avec des points d’étape tous
les deux ans sous forme d’un entretien professionnel obligatoire.

2.4.2 Au niveau du développement territorial


Les lois de décentralisation de 1982 et 1983 avaient institué un transfert de compétences en
matière de formation professionnelle vers les régions, l’État n’étant censé garder en la matière
que des compétences d’attribution. Du fait d’une tradition française jacobine et centralisatrice, ce
transfert ne s’est fait que partiellement et progressivement dans une décentralisation largement
décidée et organisée d’en haut. Un pas significatif vers un transfert réel des compétences a été
franchi avec la gestion territoriale des emplois et compétences (GTEC)1. La VAE fait partie des
dispositifs promus dans ce cadre.

Pour rendre compte de la traduction concrète de ces orientations politiques, on peut se référer
au témoignage d’Anne Massip (2015). Elle souligne l’importance d’une ingénierie territoriale
spécifique pour développer la RVAE. On invite donc le lecteur à effeuiller avec elle les cinq pétales
de son « tournesol » de la dynamique territoriale : désenclavement, coordination des acteurs,
structuration de l’offre, complémentarité des financements, système de pilotage territorial.

2.4.3 Au niveau de l’orientation


Dans le cadre du développement en France depuis 1984 d’une politique de reconnaissance
et de validation des acquis, il a toujours été souhaité de promouvoir le développement d’une
« orientation éducative », dont Jacques Aubret rappelle les caractéristiques dans le présent
Traité. Au sein de celle-ci la « reconnaissance des acquis », dans la diversité de leur nature et
de leur origine, en est une des pierres angulaires. Cela suppose qu’on relève le beau challenge
de passer de la VAE « constat » à la VAE « parcours ».

L’institution en 1991 des « bilans de compétences personnels et professionnels » et l’incita-


tion à constituer des « portefeuilles de compétences » constituaient des réponses à ces enjeux.

La loi de réforme de la formation professionnelle du 5 mars 2014 donne une place centrale
à l’orientation et à l’accompagnement des personnes dans la conduite et la « sécurisation » de
parcours de moins en moins sécures, jalonnés qu’ils sont par la gestion de transitions profes-
sionnelles et personnelles inévitables et pas toujours faciles à négocier. On notera qu’elle crée

1. Circulaire du 29 juin 2010 relative au développement de la dynamique territoriale de gestion prévisionnelle


des emplois et compétences.

580
La reconnaissance et la validation des acquis ■ Chapitre 29

un service public régional de l’orientation et du conseil en évolution professionnelle, dont on


espère qu’il contribuera à développer une véritable synergie entre les acteurs au service des
usagers et de leurs questionnements sur leur évolution professionnelle. Parmi les autres mesures
proposées, le législateur institue un « conseil en évolution professionnelle » (CEP), dont toute
personne peut bénéficier tout au long de sa vie professionnelle.

La reconnaissance des acquis de l’expérience occupe une place centrale dans l’application
de ces mesures visant à relancer le « droit à l’orientation tout au long de la vie » ouvert par une
loi de novembre 2009, mais dont l’application était loin d’être à la hauteur de ce qu’on pouvait
en espérer.

3. Un bilan et des perspectives en demi-teinte


Les réformes successives de la formation professionnelle (2004, 2009 et 2014) n’ont pas
modifié de manière substantielle le système hérité des dispositions précédentes. Mais force reste
de constater que le développement de la RVAE n’est pas à la hauteur de ce qu’en attendaient ses
promoteurs : il reste aujourd’hui, malgré des avancées et une institutionnalisation significatives,
encore trop une affaire de « militants ».

3.1 Côté RAE


Même si on constate un développement considérable des « bilans », le « bilan de compé-
tences » dans sa définition légale reste peu développé. Peut-être vaut-il mieux qu’il en soit ainsi
pour que celui qui s’y engage volontairement conserve les garanties que lui offre l’application
stricte de la loi ?

Le développement du « portefeuille de compétences » a fait depuis 1984 l’objet de recom-


mandations successives1. On peut citer l’incitation en 20032 des partenaires sociaux à ce que
chaque salarié puisse, à son initiative, établir son « passeport formation ». On notera enfin l’expé-
rimentation par l’Éducation nationale, pour les élèves du premier et second degré, d’un « livret
de compétences », permettant entre autres l’évaluation du socle de compétences de bases défini

1. B. Liétard (2012). Les Premiers Pas en France du portefeuille de compétence, Canal Psy.
2. Accord national interprofesssionnel du 20 septembre 2003 (article 2).

581
Traité des sciences et des techniques de la formation

dans le Code de l’Éducation. La réussite de cette dernière devrait donner lieu en 2016 à une
généralisation sous forme de la constitution d’un « folio ».

Malgré ces avancées indéniables, le « portefeuille de compétences » reste en France un « Osmi »


(objet social mal identifié) dont la validité sociale est peu reconnue. Peut-être vaut-il mieux là
aussi qu’il en soit ainsi pour éviter la standardisation et l’instrumentation du « portfolio » nord-
américain, qui rend celui qui ne le détient pas, sous sa forme normée requise, aussi suspect que
s’il ne possédait pas de carte de crédit !

3.2 Quant à la VAE


Les trois problèmes cruciaux rappelés en introduction autour de la lisibilité, de la transféra-
bilité et de la « monnayabilité » sont loin d’être dépassés.

Face à une multiplication et à une complexification des modes de certification des compé-
tences, le système reste peu lisible et offre à ses usagers des voies parfois aussi impénétrables
que celles que Dédale offraient aux visiteurs du labyrinthe. Malgré la mise en place d’un réseau
spécialisé d’information sur la VAE (« points relais conseils » notamment censés informer et
orienter les candidats), il n’est toujours pas évident se repérer dans le maquis des acquis.

Conséquence du cloisonnement des filières et des services valideurs auquel s’ajoute une
inégalité patente des possibilités et des services offerts selon les régions et les territoires, la
« transférabilité » reste problématique. Un rapport gouvernemental de 20081 signale que le déve-
loppement de la VAE « s’est fait dans un contexte humain, financier et culturel très différent
selon les certificateurs publics ».

Par ailleurs, dans un pays traditionnellement attaché à l’excellence académique et si on admet


que la « valeur de la monnaie » reste tributaire de celle que lui accordent les utilisateurs en fonc-
tion de leur information ou des représentations collectives, il ne faut pas s’étonner de constater
que les diplômes et titres acquis par la voie de la VAE peuvent être parfois dévalorisés par rapport
à ceux obtenus par la voie classique.

De nombreux rapports se sont interrogés sur l’état du développement de la VAE. Comme le


rappelle Gilles Schnidnecht2 dans son plaidoyer pour une relance de la VAE, tous ces rapports

1. Rapport de 2008 (DGEFP, Dares et Cereq) sur la base de données 2006.


2. G. Schildnecht (2016). La VAE, l’oubliée des réformes, Liaisons sociales (à paraître).

582
La reconnaissance et la validation des acquis ■ Chapitre 29

« ont souligné la force et l’intérêt de la VAE, mais ont constaté de plus en plus son faible dévelop-
pement, voire la baisse des effectifs concernés au cours des dernières années ». En 2014, environ
42 000 candidats se sont présentés devant un jury, en vue d’obtenir une certification publique par
la VAE, dont 25 600 ont obtenu une certification. Ces chiffres en baisse de 8 % et 7 % par rapport
à 2013, montrent bien le caractère encore confidentiel de cette voie d’accès aux certifications.

La réforme de la formation professionnelle de 2014, bien qu’elle ne remette pas en cause


fondamentalement le système hérité de la loi de 2002, suscite des interrogations quant à l’évo-
lution qualitative de la RVAE.

Il en est de même des « recommandations » du 2 février 2016 du Copanef1 qui, tout en affir-
mant que toute évolution sera faite à droit constant, incite à une transformation importante
du dispositif débouchant non plus sur une égalité de traitement de tout un chacun, mais à une
différenciation selon les secteurs d’activité. Partageant le point de vue d’Hugues Lenoir2, nous
estimons que le risque est grand, si on adopte ce point de vue, que la VAE « ne soit pensée que
comme un instrument adéquationniste au service de l’emploi, loin d’une idée de modernisation
sociale au sens citoyen du terme ». On dénoncera avec lui le risque que l’application de la loi
éthique et citoyenne de 2002 ne se transforme en une pratique gestionnaire et/ou une injonction
autoritaire imposée à tout individu dans le cadre de son parcours professionnel.

3.3 Effets d’impacts


Dans une perspective d’évaluation qualitative, on s’intéressera aussi aux effets nombreux,
positifs ou négatifs, prévus ou non, mais non explicitement recherchés, qui viennent maximiser
l’intérêt d’un projet ou au contraire en limiter les bénéfices. Comme le note François Aballea3,
« cette appréciation des effets d’impact repose sur l’idée que tout projet, toute action, provoque
une perturbation de la structure dans laquelle elle s’insère, que cette structure soit une biogra-
phie individuelle, le marché de l’emploi, la culture locale… » et j’y ajouterai volontiers le système
éducatif et ses acteurs.

L’implantation progressive de la RVAE amène en effet les « actants » de la formation non


seulement à changer de « lunettes », mais aussi de « regard ».

1. Comité national paritaire pour l’emploi et la formation institué par la réforme du 5 mars 2014.
2. H. Lenoir, « D’une loi éthique et citoyenne à une pratique gestionnaire », in Liétard B., Piau A., Landry P.,
Pratiquer la reconnaissance des acquis de l’expérience, Lyon, Chronique sociale.
3. F. Aballea (1989). « L’Évaluation qualitative », Recherche sociale, n° 111.

583
Traité des sciences et des techniques de la formation

Les enseignants, formateurs et autres éducateurs se doivent de reconnaître qu’on peut


apprendre, en dehors d’eux et de leurs enseignements, au travers des expériences vécues par
les apprenants, creuset central de leurs apprentissages. Prendre en compte la RVAE, c’est aussi
être amené à renoncer au découpage des disciplines au profit d’une approche interdisciplinaire
dont l’axe directeur est l’accompagnement des projets de preneurs de formation, qui peuvent
aussi leur apprendre de leur expérience. En un mot, cela leur demande de s’initier, tout comme
dans l’usage du e-learning, à des formes d’apprentissage dont ils n’ont pas connaissance.

Comme vu précédemment, les gestionnaires des ressources humaines sont incités à recon-
naître leurs opérateurs, à développer leurs compétences et à mettre en place des organisations
apprenantes susceptibles d’évoluer en fonction des compétences de ceux-ci. Objectif du « mana-
gement de la connaissance dans une société du savoir1 », dont la RVAE est un des vecteurs
incontournables, on cherche à « mettre en réseau les hommes et les savoirs pour créer de la
valeur ».

Restent, et c’est de mon point de vue de vieil humaniste mal repenti l’essentiel, les effets
individuels de la démarche RVAE. Les objectifs des personnes s’engageant dans cette démarche
ne se réduisent pas à l’obtention d’une certification, qui n’est que la partie émergée de l’iceberg,
une étape dans un processus de construction identitaire. Il ne s’agit pas seulement d’identifier
ses savoirs et ses compétences et de les situer par rapport à des référentiels : la description de la
pratique, la formalisation des savoirs expérientiels à partir de la description de l’agir dans des
situations passées ne prennent de sens que si elles s’intègrent dans un parcours de vie.

Comme le pointe Vygotski2, « je me connais seulement dans la mesure où je suis moi-même


un autre pour moi ». Mais force est de constater que pour être un autre pour soi, le regard des
autres est indispensable. D’où l’importance d’un accompagnement approprié, qui implique le
milieu de travail, le milieu familial et les relations interpersonnelles, ne se réduisant donc pas
aux seuls professionnels de la chose, L’accompagnement dans le cadre de la reconnaissance et
de la validation des acquis de l’expérience relève de la « médiation ». Charles Roschitz3, autre
grand artisan du développement de la RVAE en France, a pu parler de « métier du tiers » mettant
en œuvre une guidance formative.

1. J.-Y. Prax (2007). Le Manuel du knowledge management, Paris, Dunod.


2. L. Vygotski (1994 a). « Le problème de la conscience dans la psychologie du comportement » (trad. F. Sève),
Société française, 50, 35-47. (Original publié 1925.)
3. C. Roschitz (1992). Le Métier du tiers, Entente.

584
La reconnaissance et la validation des acquis ■ Chapitre 29

Jack Mezirow1, dans son plaidoyer pour développer l’autoformation, nous engageait à « penser
son expérience » : le fait même de la parler, de la mettre en forme pour soi et pour les autres,
constitue en effet pour l’individu une voie vers une autoformation émancipatrice, individuelle et
collective, qui libère nos capacités créatives et développe notre pouvoir d’agir. Partageant ce point
de vue, les militants de l’autoformation sont unanimes à considérer la reconnaissance des acquis
expérientiels comme un vecteur pertinent de l’autoformation et de l’autonomie des personnes.

Comme le souligne Gaston Pineau2, « ces acquis expérientiels (qui d’ailleurs ne sont pas si
faciles que cela à reconnaître, connaître et valider) ne sont que la pointe d’un iceberg d’un monde
de la vie vécue en ébullition permanente entre évolution, involution et révolution, entre forma-
tion, déformation et transformation ». Il en tire la nécessité d’une reconnaissance des acquis de
l’expérience (RAE) pour la VIE (valorisation infinie de l’existence).

De cette apologie critique de la RVAE à laquelle je me suis livré, je tire pour ma part l’espoir
que son développement, qui relève encore trop aujourd’hui du militantisme, pourrait constituer
la tête de pont d’un nouvel ordre éducatif à visage humain et un vecteur d’une autoformation
expérientielle émancipatrice. En attendant, les militants de ce paradigme éducatif en émergence
se doivent d’être attentifs ensemble pour naviguer en évitant les courants et vents contraires, les
écueils et les dérives possibles dus aux « côtés obscurs de la force de l’expérience ».

1. J. Mezirow (2001). Penser son expérience. Une voie vers l’autoformation, Lyon, Chronique sociale.
2. G. Pineau, B. Liétard, M. Chaput (1991). Reconnaître les acquis. Démarches d’exploration personnalisée,
Éditions Universitaires.

585
Traité des sciences et des techniques de la formation

Lectures conseillées
Bézille H., Courtois B. (2006). Penser la relation Massip-Zilhardt A. (2015). Validation des acquis de
expérience-formation, Lyon, Chronique l’expérience et ingénierie territoriale, Paris,
sociale. L’Harmattan.
Colardyn D. (1996). La Gestion des compétences, Mayen P. et al. (2003). Dossier « L’expérience »,
Paris, PUF. Savoirs, 1, 15-84.
Coll. (2014). « La reconnaissance des acquis de M ezirow J. (2001). Penser son expérience.
l’expérience », Éducation permanente, 199. Développer l’autoformation, Lyon, Chronique
Liétard B., Piau A., Landry P. (2017). Pratiquer la sociale.
reconnaissance des acquis de l’expérience, Paul M. (2016). La Démarche d’accompagnement.
Lyon, Chronique sociale. Repères méthodologiques et ressources
Livre blanc (1995). Enseigner et apprendre. Vers théoriques, Bruxelles, De Boeck.
la société cognitive, Luxembourg, Office des Presse M.-C. et Figari G. (2010). « La valorisation des
publications officielles des Communautés expériences personnelles et personnelles »,
européennes. TransFormations, 4.

586
Chapitre 30
Les métiers
de la formation1

1. Par Solveig Fernagu-Oudet et Cédric Frétigné.


Sommaire
1. L’« invention » des métiers de la formation
et la querelle de la professionnalisation................................................................ 589
2. Un groupe professionnel segmenté....................................................................... 592
3. Des contextes et lieux d’exercice pluriels............................................................. 595
4. Des professionnels de plus en plus qualifiés aux compétences variables............... 599
5. Perspectives de recherche.................................................................................... 603
Lectures conseillées.................................................................................................. 604
La littérature consacrée, en sciences humaines et sociales, aux métiers de la formation est indé-
niablement réduite comparée à celle dont les métiers de l’éducation ou du travail social peuvent
faire l’objet. Par ailleurs, les activités considérées s’insérant dans des espaces professionnels plus
ou moins bureaucratisés, mais participant du fonctionnement ordinaire d’organisations de taille
variable, il importe à chaque fois de rappeler les contextes dans lesquels l’exercice professionnel
s’opère, la formation se déroule, l’expertise s’acquiert, etc.

Avec ce rappel, il ne s’agit pas de céder au découragement mais de souligner les efforts de
connaissance qui restent à accomplir. Surtout, le propos vise ici à valoriser un ensemble d’ana-
lyses approfondies qui, depuis une vingtaine d’années, viennent soit renouveler les connaissances,
un peu anciennes, que l’on avait de ces métiers, soit procurer des gains de connaissances qui
réduisent d’autant les nombreux angles morts que l’on pouvait détecter.

Sans souci d’exhaustivité, nous mobiliserons les principaux travaux de référence pour traiter
successivement de quatre points : l’« invention » des métiers de la formation et le débat sur leur
professionnalisation ; la morphologie du/des groupe(s) professionnel(s) ; les contextes et lieux
d’exercice des agents de la formation ; les qualifications détenues et compétences possédées par
ces professionnels de la relation sur/avec autrui.

1. L’« invention » des métiers de la formation


et la querelle de la professionnalisation

Les travaux en sciences sociales portaient originellement sur les publics de la formation mais
également sur les formateurs d’adultes. Dans les deux cas, il s’agissait bien d’étudier, sociologi-
quement pour l’essentiel, la formation au prisme des propriétés sociales de ceux qui la dispensent
et de ceux qui en bénéficient. Ainsi, la thèse fondatrice de Philippe Fritsch faisait état de la double
marginalité des formateurs d’adultes dans les années 1960. Marginalité d’abord au regard de la
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

position sociale occupée, descendante ou ascendante, mais au fond peu reproductrice de celle
occupée par le père. Marginalité ensuite au regard du niveau d’études atteint puisque, dans plus
de deux tiers des cas, celui-ci différait de celui attendu au regard de leur origine sociale. Dès cette
période des interrogations sur la morphologie du groupe professionnel (cf. section suivante)
et sur la professionnalisation se dessinent. Fritsch relevait déjà en 1969 des « indices de profes-
sionnalisation ». Selon lui toutefois, il s’agissait d’un « groupe en voie de professionnalisation »
ou, pour le dire autrement, un « groupe occupationnel ».

589
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.1 La professionnalisation en débat


Ce débat sur la professionnalisation des formateurs d’adultes et, par la suite des métiers de
la formation, court depuis quarante ans et peine à trouver sa conclusion. Sorte de serpent de
mer, ce sujet a fait l’objet de discussions passionnées dont on va ici opérer la synthèse pour
montrer combien les interrogations actuelles font écho à celles qui ont été portées depuis une
quarantaine d’années.

La question est bien celle du caractère spécialisé ou généraliste de l’activité. S’agit-il d’une
fonction remplie par des professionnels d’autres métiers, à titre occasionnel ou en complément
de leur activité principale ? Dans ce cas, il n’est point besoin de métier distinct et reconnu dans les
nomenclatures administratives et les grilles de classification. S’agit-il au contraire d’une activité
qui nécessite des compétences en propre, qui appelle une qualification particulière et implique
un exercice régulier ? Dans ce cas, la structuration de l’espace professionnel semble requise, avec
son lot de diplômes spécialisés, ses associations et syndicats professionnels et l’exercice, à titre
d’activité principale, d’un métier de la formation reconnu comme tel. Au cours des années 1970,
le choix de la professionnalisation a été clairement repoussé au motif principalement que la
spécialisation était contraire à l’élan global insufflé par la loi du 16 juin 1971 portant création de
« la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente ». Tous, donc
formés et… formateurs en puissance.

Il reste que des clivages sont apparus au début des années 1980 entre défenseurs et opposants
de la professionnalisation. On peut en quelques mots en rappeler les tenants et aboutissants.
La préparation d’un rapport pour le ministre de la formation professionnelle a d’abord été
l’occasion de vives controverses en 1983. En substance, convenait-il d’instituer un système
de qualification pour les formateurs et travailler à la constitution d’un métier spécifique ou
devait-on continuer, sur le modèle existant, à refuser la professionnalisation ? Les défenseurs
de la professionnalisation argueront alors des conditions statutaires faites aux formateurs
d’adultes et de la précarité de leurs conditions d’exercice et d’existence nuisibles à la qualité
des prestations assurées. Les supporters du statu quo se voudront les garants du respect des
libertés des entreprises, considérant qu’il est de leur droit de faire appel aux intervenants de
leur choix, en interne comme en externe, et de manière occasionnelle si besoin est.

La signature de la convention collective des organismes de formation en 1988 représente un


moment charnière en ce qu’elle marque, dans les esprits au moins, l’acte de naissance de ce que
l’on nommera quelques années plus tard les métiers de la formation. La professionnalisation
tant débattue semble dès lors en bonne voie, quoique les auteurs les plus critiques mentionnent
aujourd’hui encore qu’elle n’exclut pas le recours aux formateurs occasionnels et qu’elle ne
signifie en rien la clôture de l’espace professionnel.

590
Les métiers de la formation ■ Chapitre 30

1.2 Les métiers de la formation


L’acte de naissance lexicale des métiers de la formation peut être précisément daté. C’est
en 1994 qu’un ouvrage au titre éponyme est publié à La Documentation française (Gérard et
al., 1994), immédiatement suivi en 1995 d’un guide des métiers de la formation, régulièrement
réédité et actualisé, par le Centre Inffo (2016). Une logique « catégorielle » préside à leur mode
de classement. Une partition suivant les publics concernés, les environnements institutionnels
de référence et les fonctions occupées est alors mise en œuvre. Depuis, l’expression « métiers
de la formation » s’est substituée, comme catégorie générique à celle de formateurs d’adultes.
Elle englobe à la fois :
–– les « formateurs du secteur… » exerçant dans un contexte organisationnel spécifique : entre-
prises, organismes de formation du secteur marchand, organismes consulaires, associations
loi de 1901, organisations syndicales, fonction publique, fonction publique territoriale ;
–– les « formateurs de… » travaillant avec un public particulier : formateurs de cadres, de sala-
riés, de militants, de jeunes, de chômeurs, de migrants, de personnes en situation d’illettrisme
ou d’analphabétisme, ou formateurs d’un métier singulier ;
–– les « formateurs en… » œuvrant dans un « domaine » donné ou maîtrisant une « spécialité »
de formation ;
–– tout autre segment des métiers de la formation.

Il s’agirait donc désormais de considérer des métiers. La référence au métier introduit l’idée
d’éléments communs, forts, signant une forme d’unité ou, à tout le moins, de dénominateur
commun. Il ne s’agit plus d’une activité menée par des individus, éventuellement occasion-
nellement et à titre secondaire, mais d’un exercice professionnel conduit au sein d’un groupe
professionnel. Le pluriel toutefois marque une forme de différenciation interne ou, comme le
formulent les sociologues interactionnistes des professions, une segmentation.

Il est vrai que la morphologie du groupe professionnel ne saurait être insensible à l’accroisse-
ment numérique notable constaté depuis le début des années 1980. En 2012, l’Insee dénombrait
un peu plus de cent vingt-cinq mille personnes dans la famille professionnelle des « formateurs
et animateurs de la formation continue » (code PCS 423b). Si l’on y ajoute ceux qui ancienne-
ment leur étaient associés, « moniteurs d’école de conduite » (423a), une partie des « cadres
spécialistes des ressources humaines et du recrutement » (372c) et les « cadres spécialistes de
la formation » (372d), les effectifs ont sextuplé en vingt-cinq ans1. Stricto sensu, environ cent
cinquante mille personnes exercent donc une activité relevant du champ de la formation des
adultes. Si on raisonne lato sensu (en ajoutant les emplois administratifs d’appui à la formation),

1. E. de Lescure (2015). « La “théorie des nouvelles professions”, une ressource heuristique pour penser la
professionnalisation », Éducation et socialisation.

591
Traité des sciences et des techniques de la formation

il semble que l’on avoisine les deux cent mille personnes occupant un emploi dans la formation.
À cette évolution numérique, on ajoutera plus loin dans ce chapitre la prise en compte d’une
variété croissante de tâches, missions, activités, emplois et statuts les concernant.

2. Un groupe professionnel segmenté


La segmentation du groupe professionnel s’observe à différents niveaux. On peut décrire les
différents statuts d’emploi des agents de la formation : salarié sous CDI, CDD, CDD d’usage,
contractuel, vacataire, libéral, auto-entrepreneur. On peut distinguer les employeurs et les
lieux d’exercice professionnel (secteur privé, public, associatif, chambres consulaires, etc.). On
peut préférer accorder de l’attention aux diplômes détenus (et aux spécialités préparées) et aux
niveaux de qualification reconnus. On peut s’attacher aux types de financement et aux publics
auprès desquels s’exerce l’activité. Le portrait statistique réalisé par la Dares (2016)1 permet de
témoigner de l’ensemble de ces entrées. On peut enfin s’attacher aux identités professionnelles
revendiquées ou tenues à distance et aux formes d’appartenance (associations et syndicats
professionnels) qui marquent des différences dans la manière d’habiter son rôle et d’assumer
sa place dans le champ des métiers de la formation.

Plus classiquement, nous proposons ici de faire un focus particulier sur les fonctions occupées
par celles et ceux qui relèvent des métiers de la formation. À elle seule, cette modalité d’entrée
dans la question suffira à montrer l’éclatement professionnel.

2.1 Des typologies de métiers et de fonctions plurielles


Dans la deuxième édition du présent Traité, Pierre Caspar soulignait déjà, sous forme de
synthèse2, les différentes fonctions engagées par l’exercice professionnel d’un métier de la
formation : fonction politique d’abord, fonction technique, fonction pédagogique, fonction de
conseil et enfin, fonction commerciale. Emmanuel de Lescure a, quant à lui, dernièrement
opéré la synthèse des typologies de fonctions et d’emplois décrites par différents auteurs de

1. http://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/synth_stat_no19_-_portraits_stat_des_metiers_1982-2014_web.
pdf.
2. P. Caspar (2004). « Conclusion », in P. Caspar et P. Carré (dir.), Traité des sciences et techniques de la forma-
tion, Paris, Dunod, p. 563-570, 2e édition.

592
Les métiers de la formation ■ Chapitre 30

1970 au début des années 20001. Ainsi Guy Le Boterf et François Vialet distinguaient-ils en
1974 : les responsables de formation, les gestionnaires de formation, les spécialistes des moyens
pédagogiques, les enseignants, les formateurs consultants. En 1979, Gérard Malglaive et Yvon
Minvielle pensaient dans un cadre distinct « pratique politique », « pratique politique pédago-
gique » et « pratique pédagogique enseignante ». En 1983, Gérard Malglaive encore propose
la division suivante : formateurs enseignants, coordonateurs de formation, responsables de
formation. Plus près de nous, Pierre-Alain Cardon repère en 1996… 72 dénominations diffé-
rentes en réponse à un questionnaire adressé aux personnes en emploi au sein d’organismes
de formation en région Nord Pas-de-Calais. Il les répartit alors en trois grandes familles qu’il
nomme respectivement « organisateurs politiques/stratégiques », « organisateurs pédagogiques »
et « intervenants pédagogiques ». L’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de
la branche des organismes de formation privés (2010) a pu distinguer, quant à lui, des « familles
professionnelles », au rang desquelles figurent les spécialistes de l’« animation de dispositifs de
formation », du « conseil et accompagnement individuel », de l’« ingénierie de formation – ingé-
nierie pédagogique », des pôles « promotion, marketing et commercial », « management, gestion
d’un organisme », « gestion administrative, logistique, financière et réglementaire ».

Ce sont donc des typologies de métiers et de fonctions pour partie seulement congruentes
les unes avec les autres que la littérature nous donne à voir. Pour en attester, nous proposons ici
de prendre en exemple un métier doté d’un coefficient de légitimité élevé dans l’espace profes-
sionnel et aux contours apparemment bien stabilisés : les responsables de formation. Qu’en
est-il de leurs prérogatives effectives et de leurs tâches ordinaires ? Repère-t‑on des fonctions
communes qui désigneraient un métier commun ?

2.2 Responsables de formation : un pluriel justifié


Existe-t‑il un métier de responsable de formation distinct d’autres métiers de la formation ?

À suivre Pierre Caspar et Marie-Jeanne Vonderscher dans leur ouvrage fondateur2, la struc-
turation des services formation d’entreprise s’organise autour des grandes fonctions suivantes,
qu’ils distinguent pour les besoins de l’analyse bien qu’elles puissent être couplées dans les faits :
une fonction à dominante administrative axée sur la gestion juridique, administrative, financière
et comptable ; une fonction à dominante pédagogique (l’un ou l’autre des membres du service

1. E. de Lescure (2010). « Un ensemble hétérogène. Éléments de littérature sur les métiers et les agents de la
formation » in de Lescure E. et Frétigné C. (dir.), Les Métiers de la formation. Approches sociologiques, Rennes,
Presses universitaires de Rennes.
2. P. Caspar et M.-J. Vonderscher (1986). Profession : responsable de formation, Paris, Éditions d’Organisation.

593
Traité des sciences et des techniques de la formation

peut exercer une fonction de moniteur, instructeur, formateur, formateur de formateurs) ; une
fonction de liaison (rôle de correspondant formation) ; une fonction de diagnostic centrée sur
l’audit et le conseil ; une fonction d’animation et d’orientation en lien étroit avec la direction de
l’entreprise ; une mission d’ouverture à l’international. La variété des configurations observées
n’est toutefois pas, selon le mot des auteurs, une « variété anarchique » mais le fruit d’un « jeu
de forces complexes » au sein duquel intervient « tout un faisceau de facteurs » (p. 59).

À cette diversité de fonctions présentes au sein des services formation répond la diversité des
acteurs qui, au sein d’un service formation ou non, occupent un rôle de « responsable de forma-
tion ». Alain Meignant précise ainsi que « la fonction “responsable de formation” recouvre des
réalités extrêmement diverses ». Du cadre supérieur en charge de diriger l’université d’entreprise
d’un grand groupe international à la secrétaire de direction de PME dont l’essentiel de l’activité,
à temps partiel est d’enregistrer administrativement des inscriptions, en passant par le cadre
responsable de l’élaboration, de la coordination et de la réalisation du plan de formation, la
« zoologie de la fonction est riche1 ». En dépit de la diversité première, l’auteur montre qu’il existe
des lignes de force qui structurent l’activité du responsable de formation : le développement
d’une gestion par les compétences, l’organisation de formations s’émancipant de la canonique
formule du stage, des pratiques orientées autour de la validation des acquis.

Empiriquement, il s’avère que les fonctions occupées par les responsables de formation
varient grandement, en particulier selon le contexte organisationnel et les politiques conduites
en matière de ressources humaines. Un rôle purement administratif peut leur être dévolu.
Dans ce cas, les responsables de formation appliquent les politiques d’entreprise conduites
par la direction générale en concertation avec la direction des ressources humaines. Un rôle
d’intermédiation peut être décrit dans les cas où le service formation et son responsable sont
des courroies de transmission dotées d’une réelle légitimité au sein de l’organisation. Un rôle
réellement décisionnel s’observe enfin dans les situations où le responsable de formation est
étroitement associé à la construction de la politique de formation professionnelle, elle-même
imbriquée dans une politique de gestion des ressources humaines. Les pratiques subséquentes et
le quotidien du responsable de formation sont ainsi très différents selon qu’il se trouve cantonné
à la gestion administrative d’un service qui, lui-même, gère de manière purement administrative
la formation ou selon qu’il endosse un rôle qui le met fortement en position de responsabilité
voire décisionnelle.

Cette segmentation des métiers de la formation se comprend mieux quand on restitue les
contextes et lieux d’exercice professionnel au sein desquels les agents opèrent. De plus en plus

1. A. Meignant (2001). « Responsable de formation. De nouveaux enjeux », Actualité de la formation permanente,


n° 171, mars-avril, p. 28.

594
Les métiers de la formation ■ Chapitre 30

qualifiés ainsi qu’on l’observera également, il n’est pas étonnant de constater combien le spectre
de leurs compétences s’est ouvert, combien leur activité s’est enrichie de tâches nouvelles en
complément de celles, plus traditionnelles, rappelées dans les typologies présentées ci-dessus.

3. Des contextes et lieux d’exercice pluriels


On l’a mentionné, le champ des métiers de la formation des adultes est composé de nombreux
segments aux contours souvent imprécis. Les intitulés des emplois sont variables et ne recouvrent
pas les mêmes réalités À l’épreuve des faits, on peut observer que d’un organisme à l’autre le
même emploi peut recouvrir des activités différentes. Ainsi, être conseiller en formation dans
un organisme donné peut conduire une personne à faire de l’orientation des publics accueillis
stricto sensu, du développement commercial ou de l’ingénierie de formation ; un formateur peut
participer à l’élaboration d’un dispositif de formation ou non en fonction de son lieu d’exercice,
il peut organiser ou non le contenu de ses interventions, concevoir ou non ses supports pédago-
giques. Inversement, deux dénominations différentes peuvent correspondre à une même activité.
On peut être ingénieur pédagogique, chef de projet formation ou responsable de formation et
réaliser du conseil en formation, de l’analyse de besoins ou de l’évaluation de dispositifs ; on peut
être consultant ou formateur et animer des groupes de formation, concevoir ses supports et ses
contenus de formation. Ainsi, l’emploi est une combinaison variable d’activités en fonction du
contexte organisationnel d’appartenance. Néanmoins, certaines activités restent dominantes
(cf. typologies proposées supra).

Peut-on (et comment) simplifier ce vaste panorama sans le dénaturer ?

Il est possible d’opérer une première distinction entre deux grandes familles d’acteurs : les
commanditaires d’une part, les prestataires de formation de l’autre. Une seconde distinction part
des lieux d’intervention de ces acteurs, partageant alors les fonctions les plus fréquentes selon
les contextes d’exercice de l’emploi (Centre Inffo, 2006). Une troisième distinction met au cœur
de l’analyse les activités de travail dominantes, démarche empruntée dans le CEP (1998)1 et par
l’OPQM (2010)2 à propos des organismes de formation privés et reprise par le Centre Inffo dans
sa dernière édition (2016). Le Rumef (2013)3 a également œuvré en ce sens. Aucune étude n’a
pour le moment été réalisée sur l’impact de la réforme de la formation professionnelle de 2014

1. Interface et DGEFP (1998). Contrat d’étude prospectives (CEP), Paris, Documentation française.
2. O. Charbonnier, L. Darchen, B. Garnier (2010). « Observatoire prospectif des métiers et des qualifications
(OPQM) des organismes de formation privés (codes APE 8559A et 8559B, convention collective 3249) »,
3. http://rumef2013.sciencesconf.org/conference/rumef2013/rumef_livret_2011.pdf

595
Traité des sciences et des techniques de la formation

sur ces activités (ANI 14 décembre 2013). Sans doute faut-il lui laisser le temps de se mettre en
place et donner le temps aux acteurs de s’en saisir. En tout état de cause, de nouvelles fonctions
(et donc de nouvelles pratiques) sont appelées à émerger autour des questions de la qualité, de
l’évaluation de la formation et de l’accompagnement individuel dans l’emploi.

3.1 Les familles d’acteurs


Deux grandes familles d’acteurs se présentent sur le marché de la formation : les comman-
ditaires de formation ou maîtrise d’ouvrage, les prestataires de formation ou maîtrise d’œuvre.
Les premiers décident de la formation et la financent, les seconds la réalisent.

La maîtrise d’ouvrage peut être représentée par :


–– un responsable de formation qui gère la formation pour les salariés de l’entreprise ou de
l’administration à laquelle il appartient, dans le cadre du plan de formation. Il fait réaliser
la formation soit à l’interne au moyen de compétences et ressources propres à l’entreprise,
soit à l’externe en achetant de la formation à un organisme de formation ;
–– un représentant de financeurs publics ou privés qui gère un budget de formation au bénéfice
de personnes extérieures à sa propre entreprise ou organisation : c’est le cas, par exemple, de
services déconcentrés de l’État ou de collectivités territoriales qui prescrivent et financent
des formations pour des publics demandeurs d’emploi.

La maîtrise d’œuvre a comme activité économique le produit « formation ». Elle intervient de


manière très ponctuelle ou assure la gestion de l’ensemble du processus de formation.

Elle est représentée par :


–– une personne individuelle (consultant ou formateur individuel) ;
–– un organisme de formation (regroupant différentes fonctions : responsable de formation,
ingénieur de formation, conseiller, consultant, coordonnateur, formateurs) ;
–– un centre de formation interne dans les grandes entreprises.

3.2 Les contextes d’intervention


Le Centre Inffo (2006) repère quatre milieux d’intervention : en organisme de formation, en
entreprise, en Opca ou organisation professionnelle et en structure d’accueil, d’orientation et
d’insertion. Dans chacun de ces milieux sont identifiés les postes ou profils les plus courants
auxquels sont associées des missions (ou activités de travail dominantes). Si l’approche du
Centre Inffo dresse un panorama relativement précis des métiers et emplois de la formation

596
Les métiers de la formation ■ Chapitre 30

en fonction des contextes d’intervention, elle reste très théorique et générique. L’édition 2016
prend mieux en compte les évolutions d’emplois qui touchent les métiers de la formation
depuis quelques années (ingénierie de professionnalisation, ingénierie des parcours profession-
nels, montée des pédagogies innovantes notamment). Les spécificités des contextes d’exercice
professionnel sont également mieux travaillées. Il reste que le contour des situations de travail
variant d’une structure à l’autre en fonction de sa taille, de la nature de ses prestations, des
publics visés ou encore du segment de marché sur lequel l’organisme se positionne (secteur
privé ou fonction publique), l’exercice touche à ses limites. Pierre Caspar (2011) remarque
d’ailleurs à juste titre, que le métier de formateur est devenu bien flou et relève de ce fait d’une
multiplicité de professionnalismes à exercer dont seule la fonction pédagogique demeure
stable.

L’analyse du Centre Inffo s’appuie essentiellement sur des référentiels métiers ou emplois
très génériques et peu contextualisés (Pôle Emploi, Assedic, Onisep, etc.). Ce dont rend compte
l’OPQM de la branche des organismes de formation privés dans son rapport en mettant en
évidence que les référentiels limitent notre vision de la réalité parce qu’ils :
–– décrivent très souvent les activités génériques des métiers et ne permettent pas de dégager
les activités plus spécifiques liées aux caractéristiques des organismes, à l’exception de ceux
produits par les organismes de formation eux-mêmes ;
–– ne permettent pas de saisir la réalité des métiers ou emplois existants de manière suffisam-
ment exhaustive ou actualisée, certaines activités émergentes au cœur de certaines fonctions
n’étant pas encore recensées ;
–– ne proposent que très rarement une cartographie exhaustive des métiers rencontrés au
sein des organismes de formation, ignorant souvent certaines fonctions comme celles de
directeur d’établissement, de chargé de marketing ou d’assistant de formation. Le même
constat peut être fait du côté des entreprises où l’on voit naître depuis quelques années des
emplois de chargé de la relation formation-emploi, de gestionnaire des parcours profes-
sionnels, de chef de projet développement des compétences, dont nulle part on ne trouve
trace de formalisation.

C’est donc bien un problème de contextualisation des référentiels qui est posé si l’on veut
que ces derniers soient pertinents et au plus près des réalités de terrain.

Le CEP de 1998 avait déjà alerté en ce sens, en mettant en évidence le fait que l’analyse quali-
tative des métiers de la formation – et de leurs évolutions – ne pouvait s’affranchir d’une prise
en compte des caractéristiques de l’organisation et de l’activité de l’organisme (taille, polyvalence
versus spécialisation, secteur d’activité, marché public versus marché privé, type de publics
visés, etc.). Les modalités d’organisation du travail pouvant être multiples et très différentes,
les organismes créent des emplois qui leur sont spécifiques en dépit de dénominations souvent

597
Traité des sciences et des techniques de la formation

similaires, ce qui aboutit à une certaine forme de pluralité des identités socioprofessionnelles.
C’est sur la base de ce constat que le CEP avait proposé de privilégier une analyse à un niveau
de maille plus fin que celui des emplois ou des métiers en s’attachant à identifier l’ensemble des
familles d’activités couvertes par les organismes de formation.

3.3 Des contextes d’intervention aux activités


Pour mémoire, le CEP proposait un référentiel d’activités de la formation décliné en quatorze
domaines d’activité regroupés a posteriori autour de quatre grandes familles professionnelles :
–– famille 1 : Animation de dispositifs de formation et prestations d’orientation ;
–– famille 2 : Ingénierie de formation – ingénierie pédagogique ;
–– famille 3 : Marketing Commercial ;
–– famille 4 : Management – Gestion d’un organisme.

Cette catégorisation appliquée aux organismes de formation a depuis été élargie à l’ensemble
des métiers de la formation. L’Observatoire, s’appuyant sur les résultats de l’étude Adequaskill1,
l’analyse documentaire des référentiels des métiers de la formation disponibles et de travaux
du Céreq2, a pu ainsi étayer les familles existantes et identifier deux familles supplémentaires :
–– famille 5 : Conseil et accompagnement individuel ;
–– famille 6 : Gestion administrative, logistique, financière et réglementaire de l’organisme.

Ces deux familles ne sont pas nouvelles en soi, mais une place nouvelle leur est accordée en
raison de pratiques affirmées et étoffées justifiant leur formalisation. La famille 5 étant amenée
à se développer au regard de la loi de 2014 (nouvelle gouvernance de la formation, conseil en
évolution professionnelle dans les organisations et orientation des publics en difficulté dans les
régions notamment).

1. La démarche adoptée par l’enquête statistique en ligne Adequaskill vise à décrire les contenus de 31 métiers
de la formation à partir des 6 « processus » clés suivants : Vendre, Analyser, Construire, Instrumenter, Conduire
et Évaluer. Quatre grandes catégories de métiers sont ensuite dégagées : les métiers décisionnels, les métiers de
la conception, les métiers d’animation et les métiers d’accompagnement.
2. Le Cereq étudie les évolutions qualitatives et quantitatives des emplois et des métiers afin d’anticiper les
besoins en qualifications de l’économie. Il a créé un ensemble d’outils statistiques et d’enquêtes afin de réaliser
des états des lieux des branches, des professions et des catégories socioprofessionnelles, notamment des portraits
statistiques de branches (PSB).

598
Les métiers de la formation ■ Chapitre 30

4. Des professionnels de plus en plus qualifiés


aux compétences variables

La formation professionnelle, nous rappelle Pierre Caspar (2011), est globalement entrée dans
une économie de service, dans une économie de marché. Elle est marquée par des appels d’offres,
des cahiers des charges, des rapports clients-fournisseurs et des partenariats, un contexte de
forte concurrence, une recherche de qualité, de productivité et de compétitivité, et la nécessité
d’obtenir un retour significatif sur les investissements consentis. Ce contexte conduit le milieu à
(re)structurer ses modalités d’intervention et à la nécessaire professionnalisation des acteurs. Si, à
une époque, on pouvait parler d’ingénierie des connaissances, on parle aujourd’hui d’ingénieries
diverses : de formation, pédagogique, de professionnalisation, didactique, des compétences, des
parcours professionnels, etc. Chacune de ces ingénieries recouvre des domaines de compétence
différents, et de nouvelles manières de « pratiquer le métier ». En première ligne de cette évolu-
tion, la digitalisation du métier de formateur avec l’invasion du numérique dans la formation, En
seconde ligne, l’émergence de formations de plus en plus ancrées dans les situations de travail,
visant à accroître la cohérence entre formation et environnement de l’action de formation. En
troisième ligne, les pratiques d’autoformation que l’on cherche à formaliser, capitaliser et diffuser
avec pour fer de lance les organisations apprenantes.

Ce ne sont toutefois pas les seules évolutions puisqu’on voit apparaître l’expression de
nouveaux besoins de la part des prescripteurs et usagers de la formation : sécurisation des pres-
tations de formation (labellisation, mise en concurrence), polyvalence des prestations (produits
pédagogiquement, administrativement, financièrement clés en main), retour sur investissement
(obligation de résultat), flexibilité, personnalisation et intégration des dispositifs (mise en œuvre
de modalités multiples de formation ; modularisation, individualisation des parcours ; mesures
d’accompagnement en amont et en aval des formations), et une pluralité d’objectifs de formation
(insertion, adaptation, perfectionnement, intégration, etc.).

Toutes ces évolutions nécessitent de mieux structurer le champ de la formation et ses compé-
tences et reflètent un paysage de la formation qui évolue pour faire face aux nouvelles exigences
qui sont les siennes.

Aujourd’hui, trois phénomènes majeurs peuvent être observés et soulignés : les agents de la
formation et le paysage dans lequel ils s’inscrivent s’organisent ; les pratiques pédagogiques se
renouvellent ; les fonctions support (marketing, commercial, finance, etc.) se développent. Ils
impactent tout à la fois le système (organisation, acteurs, législation, etc.), les processus (ingénie-
ries), produits (formes, accessibilité, modalités pédagogiques) de formation et les compétences

599
Traité des sciences et des techniques de la formation

des acteurs eux-mêmes. Pour l’OPQM des organismes de formation privés, les changements
qui s’opèrent touchent l’ensemble des familles d’activités qui ont été repérées (cf. tableau 30.1).

Tableau 30.1 - Famille d’activités et évolution


des compétences (OPQM, 2010)

Famille Implication des évolutions sur les activités


–– La dimension pédagogique concurrencée par la pression commerciale.
« Animation –– La capacité de diversifier les situations pédagogiques (approches ludiques, approche
de dispositifs compétences, posture de conseil, intégration des technologies).
de formation » –– Le développement des parcours individualisés : un changement de posture.
–– Une intégration des pratiques d’évaluation en différé à la prestation d’animation.
–– L’appropriation des outils et démarches de conseil et de bilan, voire leur élaboration.
–– Le renforcement des capacités de recrutement et l’accompagnement des stagiaires.
« Conseil et
–– Dans le champ de la commande publique, l’intégration de la formation dans une
accompagnement
économie plus large.
individuel »
–– La prise en compte des problématiques sociales et d’insertion professionnelle.
–– L’articulation avec les autres acteurs de l’orientation et de l’insertion.
–– Un cadre prescriptif incitant à se recentrer sur l’ingénierie pédagogique.
–– Une demande d’individualisation nécessitant de développer des supports de diagnostic-
orientation, de modulariser l’offre, d’automatiser sa mise à disposition.
« Ingénierie de
–– La maîtrise de l’ingénierie de certification.
formation – ingénierie
–– Le développement d’une offre adaptable aux ressources disponibles et faciles d’accès
pédagogique »
(technologies numériques).
–– L’affirmation de coopérations internes (avec le commercial et l’administratif notamment)
et externes.
–– Une évolution des activités de commercialisation sous l’effet de l’individualisation, des
contraintes économiques, des démarches qualité.
« Promotion, marketing
–– Le développement de nouvelles pratiques commerciales : e-business, B to E.
et commercial »
–– Une bonne connaissance de l’environnement juridique et réglementaire de la formation.
–– Une compétence à répondre aux appels d’offres.
–– Des choix stratégiques en matière de qualité, de commercialisation, de pédagogie,
« Management – gestion d’organisation, d’investissements techniques et humains.
d’un organisme » –– Une capacité à nouer des partenariats.
–– Une exigence accrue de veille concurrentielle, juridique, technologique.
« Gestion
–– La standardisation des processus de gestion (appels d’offres, renouvellement de label etc.)
administrative,
et de traçabilité des activités (outils de suivi pédagogique et financier).
logistique, financière et
–– La gestion et la maintenance des ressources informatiques (système d’information, de
réglementaire
gestion des formations, ressources technologiques éducatives).
de l’organisme »

600
Les métiers de la formation ■ Chapitre 30

4.1 Croissance de l’offre de formation aux métiers de la formation


De nouvelles identités professionnelles et de nouvelles formes de professionnalité ne cessent
d’émerger pour lesquelles il devient de plus en plus utile d’être préparés. Si l’on apprend bien
souvent au contact des situations, de nombreux dispositifs de formation permettent aujourd’hui
à de nombreux acteurs de se qualifier. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à l’être.

Le niveau de formation apparaît comme un élément permettant d’appréhender le mouvement


de professionnalisation d’un métier. Pour les métiers de la formation, il n’existe pas de chiffres
mais l’offre de formation est conséquente au point qu’il peut être très difficile de se repérer.
Chacun revendique sa spécificité (marché de l’insertion, de l’accompagnement, de l’orientation,
de l’ingénierie de formation, de l’ingénierie pédagogique, de la conception de dispositifs multi-
modaux, des pédagogies innovantes, du développement des compétences, de la consultance en
organisation, etc.) et son organisation (présentiel, multimodal, alternance, temps plein, etc.). On
dénombre actuellement pas moins de cent huit masters professionnels, onze diplômes d’uni-
versité de formateurs d’adultes, quarante-sept licences, vingt et une licences professionnelles,
neuf titres professionnels de niveau II, un certificat d’aptitude aux fonctions de formateur acadé-
mique dans le second degré (CAFIPEMF), etc. préparant aux métiers de la formation1. Une
véritable institutionnalisation des lieux de formation s’est opérée, voire une industrialisation
et une « ubérisation » de ces derniers. Si nous disposons du nombre de formations qualifiantes,
aucun chiffre n’est disponible concernant l’offre de stages courts non qualifiants parmi lesquels
on trouve de grands opérateurs comme le Centre Inffo, la Cegos, l’Afpa, les Cafoc, Demos, ou
les Carif, etc. On relève également le développement progressif de la validation des acquis de
l’expérience comme voie de formation et de qualification à part entière.

4.2 Croissance de la formation informelle


D’autres dispositifs largement plus informels contribuent également à la professionnalisa-
tion des acteurs dans l’emploi : les réseaux professionnels : réseaux d’experts, d’information et
d’orientation, d’insertion, d’organismes de formation et thématiques dont le Centre Inffo a tenté
le recensement2. Ces réseaux offrent la possibilité de se former au contact des pairs, de partager
des pratiques et des problématiques professionnelles, de s’ouvrir au networking et au co-working :
–– Les réseaux d’experts : AEFP (Association européenne pour la formation professionnelle),
Afref (Association française pour la réflexion et l’échange sur la formation), ANDRH

1. http://www.ressources-de-la-formation.fr.
2. http://www.pratiques-­de-la-formation.fr/spip.php?page=reseaux.

601
Traité des sciences et des techniques de la formation

(Association nationale des directeurs des ressources humaines), ETDF (Fédération euro-
péenne pour le développement de la formation), FEFD (Fédération européenne pour la
formation et le développement), FFFOD (Forum français pour la formation ouverte et à
distance), Garf (Association professionnelle des acteurs du développement des compétences
en entreprises), Re. form. e (Réseau pour la formation en Europe dans le secteur du bâti-
ment), ReferNet (Réseau européen de référence et d’expertise sur les systèmes de formation
et d’enseignement professionnels), Cemmafor (Collectif d’expertise sur les mutations des
métiers et des activités de la formation) ; Rumef (Réseau national des universités préparant
aux métiers de la formation) ; Gehfa (Groupe d’études sur l’histoire de la formation des
adultes).
–– Les réseaux d’information et d’orientation : Anact (Agence nationale pour l’amélioration
des conditions de travail), CIBC (réseau des centres interinstitutionnels de bilan de compé-
tences), CRI (centres ressources illettrisme), Euroguidance (réseau européen de centres de
ressources pour l’orientation et la mobilité en Europe), Intercarif-Oref (réseau des centres
d’animation, de ressources et d’information sur la formation et des observatoires régio-
naux emploi formation), InterMife (réseau des maisons de l’information sur la formation
et l’emploi), Skillsnet (réseau sur la détection précoce des besoins de compétences) ;
–– Les réseaux d’insertion : Alliance Ville Emploi (réseau des maisons de l’emploi et des plans
locaux pour l’insertion et l’emploi), Apapp (Association pour l’animation nationale et le
développement de l’activité des Ateliers de pédagogie personnalisée), CNEI (Comité national
des entreprises d’insertion), Fondation des écoles de la 2e chance, réseau des Maisons fami-
liales rurales ;
–– Les réseaux d’organismes de formation : Afpa (Association nationale pour la formation
professionnelle des adultes), Anacfoc (Association nationale des conseillers en formation
continue), Fédération des CSFC (Chambre syndicale des formateurs consultants), réseau
des Greta, Sicfor (Syndicat des indépendants consultants et formateurs) ;
–– Les réseaux thématiques : Galaxie (réseau national pour l’insertion professionnelle et l’aide
aux personnes handicapées psychique), P@T (réseau des points d’accès à la téléformation),
Cocagne (Réseau national des Jardins de Cocagne, chantiers d’insertion).

Lieux ressources, ils permettent de s’ouvrir à d’autres problématiques et d’autres horizons


professionnels. La formation expérientielle, et l’autoformation restent aujourd’hui encore les
voies d’accès dominantes pour les acteurs dans l’emploi.

602
Les métiers de la formation ■ Chapitre 30

5. Perspectives de recherche
La littérature sur les formateurs d’adultes et les formateurs de formateurs d’adultes met
tantôt l’accent sur la morphologie du groupe professionnel, tantôt sur les enjeux et les termes
de la professionnalisation, tantôt encore sur les identités professionnelles. Assez étrangement,
l’activité de travail proprement dite est assez peu investiguée, tant par les spécialistes de socio-
logie que par les tenants d’approches en sciences de l’éducation. Cette observation rejoint celle
établie par Jean-Marie Barbier qui note que les « situations [de production de formation] font
finalement, en tant que telles, assez peu l’objet de recherches1 ».

S’attacher au travail des agents de la formation permettrait en premier lieu de mieux rendre
compte de ce qu’ils font effectivement et de prendre ainsi la mesure de ce que former veut dire.
Cela permettrait ensuite de voir cette contribution productive comme tenant indéfectiblement
de l’acte technique et de la relation sociale. Il deviendrait alors possible d’interroger certains
mythes et croyances, ces « métaphysiques sociales » qui font de l’acte de former une pratique
quasi mystique et du métier de formateur d’adultes une occupation touchant au sacré. Enfin,
cela éclairerait la place occupée par ces professionnels dans la division du travail social, et expli-
citerait les fonctions qu’occupe la formation dans un espace social donné.

Avec cette série de remarques, il ne s’agit pas de promouvoir une perspective microsocio-
logique de courte vue. En enquêtant au plus près des pratiques, en faisant varier les échelles
d’observation, en étant attentif aux contextes de production, en intégrant les observations
circonstanciées dans les configurations qui leur donnent sens, hypothèse est simplement faite
que l’on peut rendre visible, de proche en proche, ce que former des adultes veut dire.

1. J.-M. Barbier (2009). « Les dispositifs de formation : diversités et cohérences – outils d’approche », in Barbier
J.-M. et al., Encyclopédie de la formation, Paris, PUF, p. 225.

603
Traité des sciences et des techniques de la formation

Lectures conseillées
Bourdoncle R., Demailly L. (éd.) (1998). Les Métiers Gérard F. et al. (coord.) (1994). Les Métiers de la
de l’éducation et de la formation, Villeneuve formation, Paris, La Documentation française.
d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion. Interface DGEFP (1998). Contrat d’études pros-
Brémaud L., Guillaumin C. (éd.) (2010). L’Archipel de pectives des organismes privés de
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Frétigné C. (2013). Ce que former des adultes veut
dire, Paris, Publibook.

604
Chapitre 31
Les recherches
scientifiques
sur la formation
des adultes1

1. Par Olivier Las Vergnas.


Sommaire
1. Naissance de la discipline : ingénierie et importation de concepts........................ 607
2. Nature des thématiques et objets des recherches................................................ 614
3. Typologies des méthodes de recherche................................................................. 618
4. Conclusion............................................................................................................. 621
Lectures conseillées.................................................................................................. 623
1. Naissance de la discipline :
ingénierie et importation de concepts

1.1 Connaissances scientifiques et réseaux de concepts


La question de savoir d’où viennent les connaissances scientifiques et techniques en formation
des adultes est centrale dans un Traité des sciences et techniques de la formation des adultes.
Au sens contemporain du terme, les « sciences » font référence aux connaissances issues de
recherches scientifiques, c’est-à‑dire d’investigations collectives, partagées, communiquées et
établies selon des règles communes, comme celles de « l’ethos scientifique » de Robert K. Merton1
(1942), qui sont celles de l’universalisme, du communalisme, du désintéressement et du scepti-
cisme organisé. Il existe plusieurs variantes de ce type de règles : certaines se préoccupent plus
de l’administration de la preuve de ce qui est tiré comme conclusion, caractéristique aujourd’hui
appelée « scientificité ». D’autres s’intéressent à la nécessité de la publicité et du partage des
méthodes et des résultats obtenus, ce qui renvoie à l’idée de l’open access, selon laquelle les
travaux scientifiques devraient toujours être des biens communs étayés par des méthodes repro-
ductibles. D’autres règles concernent la cumulativité c’est-à‑dire la possibilité pour les nouveaux
résultats de la recherche de s’assembler avec les connaissances déjà acquises, en référence par
exemple à l’expression devenue fameuse de travailler « assis sur des épaules de géants ».

Ce critère de cumulativité s’appuie sur l’idée que la production de science est liée à la construc-
tion progressive d’un édifice partagé qui assure ainsi une progression globale d’un champ de
connaissance. En formation, comme pour toutes les sciences humaines et sociales (SHS), cette
cumulativité se caractérise par la création progressive d’un réseau partagé de « concepts »
interconnectés : il s’agit de définitions désignant des outils intellectuels échafaudés de façon à
être mobilisables avec le minimum d’ambiguïtés par une communauté disciplinaire de cher-
cheurs, voire par d’autres acteurs, praticiens et professionnels pour interroger ou améliorer
leurs pratiques. Ils leur permettent de décrire des faits ou expliquer des objets en complétant
progressivement les connaissances précédemment acquises. L’interconnexion de ces concepts
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

prend la forme de relations qui formalisent des causalités, des corrélations ou des inférences
entre eux ou entre tel ou tel indice ou variable les caractérisant.

1. R.K. Merton (1973). The Sociology of Science, Chicago, University of Chicago Press.

607
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.2 Avancées de la recherche en SHS et création de concepts


Trois points paraissent importants à rappeler ici pour pouvoir décrire l’avancée de la recherche
scientifique en sciences humaines et sociales (SHS) et donc particulièrement en formation.
–– Les écoles contemporaines d’épistémologie considèrent que c’est l’acceptation par la
communauté disciplinaire et non un jeu rigoureux de critères préétablis qui détermine
que tel ou tel assemblage d’idées a acquis le statut de concept : les concepts reconnus dans
une discipline résultent en fait d’une logique d’usage par les pairs de la discipline : certains
comme l’« expérience », l’« apprentissage » ou le « genre » ont des sens différents d’une disci-
pline à l’autre.
–– Les cadres conceptuels ne sont pas des arborescences hiérarchisées : au contraire, l’usage
est de raisonner de manière fractale dans ces réseaux, ce qui fait qu’un groupe de concepts
est très souvent regardé comme étant lui-même un concept : tel est le cas par exemple pour
les « représentations sociales » et leur « noyau central »… ou pour celui de bouc émissaire
et de dynamique de groupe (ou encore pour une compétence et un socle de compétences).
À la suite des travaux de l’historien des sciences T. Kuhn sur la « structure des révolutions
scientifiques » (1962)1, on désigne les grands ensembles de concepts solidement intercon-
nectés comme étant des « paradigmes ».
–– Les concepts peuvent être de natures différentes : un concept peut tout autant correspondre
à un mécanisme comme le don/contre don de M. Mauss qu’à un état de fait comme les
sociétés matriarcales ou les communautés de pratiques ou encore qu’à une personnalité
idéal-typique comme un bouc émissaire, un gate keeper. Certains concepts sont même
directement liés à des variables ou grandeurs que l’on peut chercher à évaluer ou estimer,
voire à mesurer, c’est-à‑dire qui sont reliés à des échelles de mesure ou d’estimation, comme
ceux de proactivité ou d’apprenance.

Ainsi, en SHS, les résultats scientifiques peuvent être regardés comme d’une double nature :
d’une part des progressions et des affinements des réseaux partagés de concepts et paradigmes,
ce que l’on peut voir comme la progression d’un outillage intellectuel (par l’introduction partagée
de nouveaux concepts comme c’est le cas aujourd’hui avec ceux de « capabilité », de « maîtrise
d’usage » ou « d’affordance ») et d’autre part des mises en évidence (voire des quantifications) de
mécanismes, de relations ou d’inférence entre des « variables » (par exemple la mise en évidence
d’une relation entre l’implication dans une communauté et la persistance à suivre une formation
à distance).

1. T. Kuhn (1962). La Structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, éd. fr.1974.

608
Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31

1.3 La formation, un champ de pratique et un objet


de recherche nourris de concepts importés
La formation des adultes n’est pas en elle-même une discipline autonome, mais constitue un
« champ de pratiques » dans lequel des chercheurs rattachés à plusieurs disciplines académique-
ment reconnues conduisent des investigations dans le but de faire progresser la connaissance de
faits sociaux, de mécanismes susceptibles de les expliquer et des facteurs qui influent sur eux.
Ce sont ces activités d’investigation que l’on qualifie de « recherche en formation des adultes ».
Comme toutes les activités de recherche scientifique conformes aux critères cités plus haut,
elles s’appuient donc sur l’utilisation et la formalisation de concepts.

Plus précisément, dans les « sciences de la formation » nombre de concepts utilisés ne sont
en rien spécifiques aux formations, mais directement importés de ces autres disciplines (comme
c’est par exemple le cas de concepts et théories de la motivation ou des représentations sociales,
importés respectivement de la psychologie ou de la psychosociologie) ; d’autres concepts sont
adaptés (au sens d’étayés, triangulés et complétés) pour s’appliquer aux investigations du champ.

Parmi ces disciplines « contributives » certaines sont elles-mêmes récentes voire émergentes
comme les « sciences de l’éducation » (naissance institutionnelle en 1967) dans lesquelles s’ins-
crit une grande proportion des publications scientifiques ayant trait à la formation. Dans ce
dernier cas, on constate que cette typologie en deux catégories (concepts importés ou adaptés)
commence à se compléter d’uneLes troisième
recherches (concepts originaux) issue d’objets n’appartenant
scientifiques
qu’aux sciences de l’éducation comme les « rapports aux savoirs ».
sur la formation des adultes

Concepts importés, adaptés ou


Concepts produits par les disciplines SHS
auto-produits par les Sciences
traditionnelles (psycho, socio, anthropologie)
de l’éducation
dites contributives

Auto-production

Concepts importés, adaptés ou auto-produits par les


Sciences « liées au travail » comme l’ergonomie, la Concepts utilisés en
gestion, l’analyse de l’activité (loisirs, jeux), RH,
recherche en FDA
compétences…)
Auto-production
Auto-production

Figure 1 : rattachement des concepts alimentant la formation


Figure 31.1 - Rattachement des concepts alimentant la formation.

609
Traité des sciences et des techniques de la formation

1.4 Sciences et techniques de la formation,


entre connaissances scientifiques et ingénierie
Derrière les objets spécifiques de la formation, comme la « validation des acquis de l’expé-
rience », commencent à émerger aussi des concepts spécifiques. Cette question renvoie à celle
de la caractérisation de ce que l’on pourrait qualifier de « connaissances propres à la formation ».
Examinons cette question d’abord en termes de catégories de connaissance : même si une grande
partie des connaissances concernant la formation provient de telles recherches scientifiques, de
multiples « techniques » présentées dans ce Traité se sont construites plus progressivement à
partir de savoir-faire directement issus de l’expérience des professionnels. Si l’on considère par
exemple les techniques de scénarisation des contenus ou d’évaluation des résultats d’une action
de formation, elles sont avant tout devenues des références grâce à des retours d’expérience de
professionnels les ayant progressivement améliorées par la pratique.

En bref, on peut caractériser deux postures différentes d’acteur produisant des connaissances
en formation (sachant que ces postures peuvent être tenues par les mêmes personnes, qui
se qualifient alors de praticiens-chercheurs) : 1) celle de l’ingénierie adoptée pour construire
(inventer et transformer) des dispositifs de formation (et aujourd’hui modéliser cette construc-
tion) et 2) celle de la recherche scientifique qui vise avant tout à contribuer au développement
d’un réseau de concepts partagés par des communautés disciplinaires et d’inférence. Un Traité
comme celui-ci est donc composé de ces deux types de savoirs.

Ainsi ce qui permet de construire concrètement un avion ce sont de tels savoirs techniques
d’ingénierie alors que ce qui explique qu’un avion vole ce sont des savoirs scientifiques d’aérody-
namique. À ces deux catégories s’ajoutent bien sûr également des données factuelles informatives
(définitions réglementaires et juridiques, données quantitatives), comme dans notre exemple la
réglementation et l’histoire de l’aviation.

1.5 Des techniques d’ingénierie qui contribuent


aussi au développement scientifique
Ces ingénieries elles-mêmes sont directement empruntées soit à des approches polyva-
lentes (gestion de projet, méthode d’audit, animation de groupes) soit à des ingénieries issues
du monde éducatif, ou du travail. Le propos du présent texte, consacré spécifiquement à « la
recherche » fait que nous ne reviendrons pas ici sur les différentes méthodes ou démarches
de l’ingénierie en formation. Bien sûr, au fur et à mesure de leur diffusion, les techniques
d’ingénierie peuvent devenir elles-mêmes objets d’études diverses et voir en particulier telle ou
telle de leur performance validée par des recherches scientifiques académiques. Ainsi, va-t‑on

610
Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31

pouvoir envisager de démontrer empiriquement que la participation à une école de la deuxième


chance favorise le développement du sentiment d’efficacité ou a contrario que la multiplication
des ressources d’e-learning n’améliore pas le taux de réussite à tel ou tel examen…

Néanmoins, il ne faut pas se tromper d’interprétation. Si l’on utilise des ingénieries pour
mettre au point des dispositifs de formation, ceux-ci vont peut-être pouvoir être étudiés pour
aboutir à des conclusions scientifiques. Mais bien sûr ce ne sont pas les savoir-faire d’ingénierie
eux-mêmes qui deviendront des savoirs scientifiques. Plus précisément, les dispositifs construits
à partir de règles d’ingénierie peuvent servir à comparer des performances qu’ils permettent
d’accomplir. On construit alors pour cela une investigation spécifique. Ainsi, il arrive que des
produits de l’ingénierie puissent être amalgamés à des concepts, comme les « Ateliers de péda-
gogie personnalisée » ou les « Cités des métiers » par exemple : en fait certains dispositifs sont
suffisamment « cohérents » pour que – progressivement — ils prennent en partie l’allure de
concepts par métonymie : c’est le cas par exemple des « Réseaux d’échange réciproque de savoirs »
qui sont amalgamés aujourd’hui avec le concept de réciprocité des échanges de savoirs.

Mais l’inverse est plus fréquent : les connaissances scientifiques issues de la recherche scien-
tifique, sous forme de cadres et réseaux conceptuels, contribuent à l’ingénierie. C’est ainsi que
des mécanismes qui favorisent la motivation des apprenants peuvent devenir des éléments clefs
de méthodes d’ingénierie (comme la création de « communauté d’apprentissage » autour de
serious games ou de MOOC). Il ne faudrait pour autant pas s’imaginer que toutes les ingénieries
ont des origines conceptuelles : certaines proviennent de savoir-faire « remontant » de logiques
pragmatiques d’usage c’est-à‑dire non structurés par un processus pensé pour répondre aux
exigences de scientificité (comme les ingénieries de l’évaluation ou de financement).

La recherche en formation entretient le même type de relation avec ce qu’il est aujourd’hui
coutume d’appeler les « innovations » et qui sont des transformations (ou des inventions) concer-
nant des dispositifs ou processus qui peuvent ensuite faire l’objet d’ingénieries spécifiques et/
ou de recherches scientifiques. Ces innovations elles aussi peuvent découler des développe-
ments conceptuels, ou au contraire de tentatives pragmatiques des praticiens de terrain ou des
ingénieurs.

Le tableau 31.1 propose à titre indicatif une typologie des connaissances utilisées en formation
reprenant les catégories mentionnées plus haut. Il est ici illustré par quelques exemples présentés
dans ce Traité et le lecteur pourra tenter de le compléter par lui-même à partir de l’index.

611
Traité des sciences et des techniques de la formation

Tableau 31.1 - Exemple d’apports de différentes


disciplines utilisées en formation

Apport des disciplines Apports de disciplines Apports spécifiquement


SHS fondamentales (socio, contributives développés pour la
psycho, anthropologie) intermédiaires (sciences formation des adultes
de l’éducation, du travail
et de la gestion) ou des
ingénieries reliées à ces
champs de pratiques
Exemples –– Thérapies –– Gestion de projet –– Ingénierie
de méthodes et comportementales –– Ingénierie pédagogique des référentiels
techniques d’ingénierie et cognitives, –– Conception ergonomique de formation
ou de produits innovants –– Ingénierie sociale –– École Montessori –– Ingénierie de l’évaluation
de l’ingénierie –– Classe inversée –– Cités des métiers, école de
(amalgamés –– MOOC, SPOC la deuxième chance, APP
par métonymie –– Éducation thérapeutique
à des concepts) du patient
–– Causalité triadique –– Rapport au savoir –– Apprenance
réciproque –– Transposition didactique –– Autoformation
–– Reproduction sociale –– Affordance, capabilité –– Écoformation
Exemples –– Représentations sociales –– Obstacle épistémologique –– Présence à distance
de concepts –– Modèle intégratif –– Zone proximale –– Histoire de vie
ou de modèles de la motivation de développement –– Modèle allostérique
descriptifs –– Don/contre-don –– Stade
de développement
–– Analyse de l’activité
–– Savoirs expérientiels

1.6 Un système à double sens entre applications et recherche


Les échanges sont donc bidirectionnels entre « recherche fondamentale » d’un côté et « appli-
cations » de l’autre. Les travaux visant principalement à la production de connaissances nouvelles
nourrissent les innovations et réciproquement. Ces échanges ont lieu « naturellement » par
hybridation entre ces deux univers. Cependant, des organisations plus proactives sont mises
en place pour les accélérer et la terminologie de « recherche et développement » (R & D) valo-
rise des stratégies qui cherchent à développer des recherches hybrides. Cependant, certaines
organisations soucieuses de l’indépendance de la recherche fondamentale y voient un danger
de « mise sous tutelle », voire de conflits d’intérêts ; de plus il est courant que dans les faits,
les unités ou politiques R & D soient plus proches du côté du développement des produits ou
services. Aussi, pour rééquilibrer, en particulier dans le domaine de la médecine, de la pharmacie
ou plus généralement de la santé, on parle de « recherche translationnelle » pour désigner la
« translation » des résultats d’une recherche plus fondamentale vers des applications concrètes.

612
Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31

Le concept de « recherche-action », introduit en 1937 par K. Lewin à propos des « problèmes


des minorités » au Connecticut constitue un modèle qui se propose de produire de la connais-
sance nouvelle intéressant toute une discipline tout en cherchant à résoudre par l’action des
problèmes concrets des personnes concernées directement sur un terrain spécifique. Ce type
de travaux se positionne comme des recherches scientifiques focalisées et non pas seulement
comme des travaux d’ingénierie sans autre suite que locale (voir tableau 31.2). Pour autant, ce qui
autorise à les qualifier de « recherches » c’est le fait d’avoir effectivement prouvé que ces inves-
tigations fournissent des connaissances transférables bien au-delà du cas local qu’elles étudient.

Tableau 31.2 - Différences entre recherche fondamentale, recherche-action et ingénierie

Production de nouvelles Production de nouvelles


connaissances scientifiques connaissances scientifiques
générales : générales :
OUI NON
Résolution de problèmes
RECHERCHE-ACTION
concrets localisés : INGÉNIERIE
(ou RECHERCHE INTERVENTION)
OUI

Résolution de problèmes
concrets localisés : RECHERCHE FONDAMENTALE
NON

Bien sûr, plus des disciplines sont en interaction avec de l’ingénierie comme c’est le cas de la
formation, plus la recherche-action peut s’y développer. En outre, comme dans certaines autres
SHS (sciences de gestion par exemple), cette question des recherches actions est liée à celle des
recherches dites « participatives » c’est-à‑dire de dispositifs qui sont conçus et conduits en partie
ou en totalité avec des représentants des personnes concernées, où l’ingénierie est alors conçue
dans l’esprit de recherches communautaires, développées dès 1920 à Chicago1.

Avec la généralisation de l’intérêt pour la relation entre « science et société » ou – selon la


terminologie européenne récente — pour les « recherches et innovations responsables », de
multiples auteurs issus de diverses disciplines s’essaient à des rationalisations de ces diverses
appellations : malgré cela, il n’existe pas de typologie unique : pour certains par exemple la déno-
mination de « recherche-action » devrait être réservée à des protocoles participatifs. On note
aussi qu’en formation, la référence à la « recherche-action » voire « recherche-intervention »
est souvent liée à une revendication de différence avec les formes plus classiques d’ingénieries

1. K. Lewin (1946). « Action research and minority problems », J Soc., n° 2 (4), 34-46.

613
Traité des sciences et des techniques de la formation

descendantes ou de recherches académiques, assortie d’une conception militante du rôle de la


formation et de la recherche comme un levier essentiel de transformation des organisations.

2. Nature des thématiques et objets des recherches

2.1 Des thèmes de recherche liés pour moitié aux sciences de l’éducation
Ainsi – par définition –, ces travaux de recherche constituent un puzzle multidisciplinaire
qui s’assemble pour couvrir le sommaire de ce Traité : ils alimentent en particulier toutes les
thématiques des parties 1 (les déterminants et les environnements) et 2 (le sujet adulte et la
formation) puisque celles-ci présentent justement le socle de connaissances scientifiques caracté-
ristique de la formation. Ils consolident aussi ce qui est exposé dans la partie 3 (instrumentation
et conduite) même si celle-ci aborde avant tout des questions d’ingénierie.

De fait, en examinant les programmes des colloques et séminaires portant sur ces recherches,
il est facile de vérifier qu’elles se regroupent bien autour du sommaire de ce Traité :
–– analyser les jeux des acteurs dans le champ socio-économique et leurs motivations à l’échelle
sociale ;
–– étudier les rapports aux savoirs et à l’apprentissage ainsi que les mécanismes de mise en
adéquation ou d’émancipation liés aux savoirs et la formation ;
–– explorer les opportunités offertes par les médias, analyser la pertinence des ingénieries
déployées par les acteurs.

Dans le cadre de ses travaux sur la « vie de la recherche », F. Laot1 a fourni deux panoramas
(2002, 2013) plus précis à propos de ces thématiques. En 2002, elle avait noté que sur 432 thèses
françaises concernant la formation 55 % étaient en rapport avec l’analyse du milieu, 12 % l’accom-
pagnement, l’évaluation, l’analyse d’actions de formation, 20 % l’acte de formation avec centration
sur le formateur ou sur le groupe et enfin 13 % sur l’acte d’apprendre avec centration sur l’appre-
nant. En 2013, dans une nouvelle synthèse sur 336 thèses, dont 48 % en sciences de l’éducation,
elle en dénombre 27 % liées directement au travail ou des métiers particuliers, 18 % à des actions
ou dispositifs particuliers, 15 % sur des publics spécifiques ou des langues étrangères et 38 % de
thèses « plus générales » (acteurs, politiques, modèles, bénéficiaires en général). Enfin, l’auteur
note que les thématiques de la VAE, du e-learning plus généralement des formations ouvertes

1. F. Laot (2013). « Dix ans de thèses en formation d’adultes (2003-2013) », Savoirs, 3, n° 33, p. 23-37 et F. Laot
(2006). « Les thèses en formation d’adultes. », Savoirs, 1, n° 10, p. 129-132.

614
Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31

ou à distance font leur apparition. Elle note aussi que la part de ces thèses au sein des sciences de
l’éducation passe de 8 à 15 %.

2.2 Un regard sur les recherches « vives »


par une approche bibliométrique classique
Pour actualiser cette répartition thématique des thèses, on peut aujourd’hui analyser informati-
quement les familles de mots utilisés dans leurs résumés. Ainsi, la figure 2 montre une classification
des mots employés dans les 41 thèses soutenues en 2014 et 2015 et indexées comme traitant de
l’« éducation des adultes » dans Sudoc, la base documentaire des universités françaises1. Quatre
classes de mots apparaissent fréquemment employées ensemble, ce qui signifie que ceux-ci sont
caractéristiques de certains sujets et de certaines thèses et non des autres : la classe 1 est liée à
la construction des sujets, aux dynamiques identitaires et à la professionnalisation, la classe 2
aux apprentissages, aux questions pédagogiques et didactiques, particulièrement linguistiques, la
classe 3 à la gestion, aux technologies, à l’entreprise et aux transferts de compétences et enfin la
classe 4 à la formation continue des enseignants. Ainsi, les classes 2 et 3 sont respectivement en
correspondance avec les troisième et deuxième parties du présent Traité. La classe 4 n’y a logique-
ment pas vraiment d’équivalent (hormis des sous-parties du chapitre bien plus générique sur les
métiers de la formation). Quant aux thématiques de la première partie du Traité, on les retrouve
partiellement dans la classe 3.

1. O. Las Vergnas (2016). « N˚ 1. Méthode de repérage des thèses soutenues en 2014 et 2015 liées à la formation
des adultes », Savoirs, 2, n° 41, p. 97-111. Le logiciel utilisé est le logiciel libre Iramuteq (R) (cf. http://iramuteq.
org).

615
Traité des sciences et des techniques de la formation

Classe 3 Classe 2 Classe 4 Classe 1

Technologie Apprentissage Enseignant Sujet


Entreprise Apprenants Formation continue Logistique
transfert Linguistique Retour Indentitaire
plante Adulte Classe
Analyse Professionnel
Jeu Amélioration
Formel Universitaire Social
Communauté
Ingénieur Stratégie Base Dynamique
Industriel Effet Moyen Professionnalisation
Actif Théorique EPS Engagement
Contrat Donnée Quotidien Rapport
Vente Migrant Œuvre Salarié
Occasionnel Emploi Éducatif Choix
Naturel Facteur Médecine Situation
Cosmétique Résultat DPP Expérience
Amazonie Didactique Quantitatif Transformation
Animateur Principalement Syrie Nouveau
Action Instrument Médecin Accompagnement
Discursif Pratique
Figure 31.2 - Classification des mots fréquemment employés ensemble
dans les 41 thèses 2014-2015 (titre et résumés) en 4 univers lexicaux

Comme on le voit sur la cartographie factorielle en figure 3 qui fait le lien avec les disciplines,
la classe 3 correspond plus à des thèses notées comme soutenues en « formation des adultes »
(terminologie utilisée pour les thèses du Centre de recherche en formation du Cnam) alors que
la classe 2 (apprentissage, apprenants et linguistique) est rattachée aux disciplines du langage ou
secondairement aux sciences de la gestion. La classe 4 est sans surprise plutôt liée aux sciences
de l’éducation en général. Enfin, la classe 1 (sujet, logique, identitaire, professionnel) concerne
la sociologie et secondairement la psychologie.

616
Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31

Classe 2 :
apprentissage, Disci. Langage
instrument
didactique et
pédagogie

Classe 4 :
formation
Disci. Gestion continue des
enseignants

Disci. Sc. Éducation


Disci. Sociologie

Disci. Psychologie

Disci. « Formation des adultes»

Classe 3 :
technologie
entreprise Classe 1 :
sujet et
dynamique
identitaire

Figure 3 : relations factorielles entre disciplines et classes de mots caractéristiques des thèses. En bas à droite
la petite vignette positionne -pour mémoire- ces catégories vis-à-vis du sommaire du présent Traité.
Figure 31.3 - Relations factorielles entre disciplines et classes de mots caractéristiques des thèses.
En bas à droite la petite vignette positionne – pour mémoire — ces catégories vis-à‑vis
du sommaire du présent Traité

Dans une telle étude, la sélection des 41 thèses est faite automatiquement selon ce qui a été
ou non indexé comme « éducation des adultes » dans la base du Sudoc par les bibliothécaires
des universités concernées. C’est sans doute de cela que viennent la sous-représentation des
questions liées à la première partie du Traité (économie et politique de la formation) et la forte
présence de la formation des enseignants. Cette indexation révèle une vision un peu datée de

3
617
Traité des sciences et des techniques de la formation

« promotion sociale » de la formation des adultes. Si en revanche on souhaite donner une vision
plus contemporaine, seules des délimitations heuristiques ou s’appuyant sur la liste des objets
étudiés dans les chapitres du présent Traité peuvent prétendre servir de base à un inventaire
et à une veille multidisciplinaires.

3. Typologies des méthodes de recherche

3.1 Disparité des méthodes mobilisées par la recherche en formation


Même en se limitant aux travaux purement empiriques, il est complexe de donner une vision
globale des méthodes déployées : ces investigations, rattachées à des disciplines contributives
spécifiques, renvoient à des catégorisations peu compatibles d’une discipline à l’autre. Ainsi,
certaines recherches ne concernent qu’une étude descriptive de quelques cas, voire d’un seul,
mobilisant des méthodes proches de l’ethnologie. On trouve aussi des travaux qui cherchent
à montrer des corrélations entre des variables ou des phénomènes. Pour ce genre de travaux,
on retrouve en effet des investigations que l’on peut qualifier « d’expérimentales » au sens
de Descartes ou de Claude Bernard : on y cherche à montrer les relations ou les effets entre
deux variables, en s’appuyant sur des tests statistiques pour déterminer quel est le niveau de
probabilité qu’une corrélation observée entre ces variables soit due au hasard.

Cette diversité méthodologique n’est pas spécifique et se retrouve en filigrane dans la plupart
des SHS, même si elle est – en formation – spécifiquement amplifiée par les caractères à la fois
émergents et rassembleurs mais encore disparates de la discipline. La lecture des résumés des
thèses citées plus haut suffit à se rendre compte du problème : même si tous les directeurs de
recherche ont pour finalité de faire produire des biens communs sous la forme de connaissances
cumulatives, reproductibles et partagées s’organisant en réseaux de concepts, ils n’ont pas de
vision commune de ce qui peut être appelé « preuve » ou « hypothèse ».

3.2 Critères de description des méthodes :


entre analytique et épistémologique
Présenter un panorama des méthodes mobilisées par la recherche en formation pose donc avant
tout la question de la typologie à utiliser : même si une grande diversité d’auteurs a tenté de créer
des grilles pour comparer entre elles les recherches empiriques en SHS, chacune présente de fortes

618
Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31

limitations d’application, car elles présupposent toutes des visions restrictives et normatives de
l’assemblage des méthodes, soit en termes de preuve, soit de chronologie.

Certaines de ces grilles distinguent la « visée » des chercheurs qui peut être descriptive, classifi-
catrice, explicative, compréhensive ou comparative. D’autres les caractérisent selon qu’il s’agit de
débroussailler un champ ou objet inconnu ou au contraire de contribuer à affiner (ou à vérifier)
des résultats sur des champs ou objets déjà largement connus.

On peut aussi vouloir classer les travaux de recherche en fonction de leur nature « quantitative »
ou « qualitative » : et de fait, avant la généralisation des outils digitaux, les cours de méthodologie
de la recherche opposaient souvent investigations exploratoires, construites à partir d’entretiens
ou d’études de cas et études confirmatoires à base de questionnaires. Or, au fur et à mesure de
la digitalisation des données et de leur traitement, il y a de moins en moins de correspondances
automatiques entre ces types de finalité et la nature des données recueillies. Deux phénomènes
simultanés conduisent actuellement à une interpénétration générale des aspects quantitatifs et
qualitatifs : d’une part, la généralisation de l’idée des triangulations entre deux (ou plusieurs)
séquences d’investigations mixtes, certaines qualitatives et d’autres quantitatives et d’autre part
le développement d’analyses hybrides des données. Ce dernier fait est lié à la diffusion d’outils
et de méthodes digitalisées qui permettent la généralisation par des analyses lexicales (avec des
logiciels comme Iramuteq®). Dans ce contexte, Il n’est de fait plus vraiment pertinent d’opposer
des investigations « purement quantitatives » à d’autres « purement qualitatives » et encore moins
d’associer « exploratoires » ou « confirmatoires » aux unes ou aux autres.

En résumé, ces différentes catégorisations analytiques posent deux problèmes : séparément elles
proposent des dichotomies trop simplistes et croisées entre elles et deviennent des casse-têtes
interconnectés peu utilisables. C’est pourquoi d’autres approches se veulent plus synthétiques en
tentant de caractériser les rapports à « l’intelligibilité » (Barbier1) ou la grille des « schèmes d’intelli-
gibilité du social » (Berthelot2). Cette dernière s’appuie sur l’analyse de travaux de sociologues pour
définir six « schèmes » susceptibles de correspondre aux recherches : causal (on cherche à trouver
une dépendance causale avec une variable explicative) ; fonctionnel (on cherche à comprendre la
fonction remplie par un phénomène dans le système) ; structural (on cherche à décrire le système
avec des structures répétitives) ; actanciel (on cherche à rendre compte des jeux des acteurs et
actants) ; dialectique (on se fonde sur les contradictions à l’œuvre) et enfin herméneutique (on
cherche à révéler un sens caché derrière les phénomènes). On peut voir cette catégorisation comme
une tentative d’amélioration des catégories « inductive », « déductive », « hypothético-déductive »

1. J.-M. Barbier (2009). « Voies pour la recherche en formation », Éducation et didactique, vol. 3-3, 120-129.
2. J.-M. Berthelot (1990). L’intelligence du social, Paris, PUF.

619
Traité des sciences et des techniques de la formation

qui ne sont pas très adaptées aux SHS faute d’une définition suffisamment générale de ce qu’est
une « hypothèse ».

Malheureusement, les bases de données documentaires présentant les limites exposées plus
haut, il n’est pour de moment pas encore possible de déterminer une statistique de mobilisation
de ces différents schèmes par les équipes de recherche ou les doctorants en formation : pour cela
il faudra entrer systématiquement des mots-clés qui le permettent.

De plus, même quand on essaie d’appliquer cette typologie pour y classer tel ou tel travail de
recherche auquel on a participé directement, on est confronté au fait que la majorité des travaux
enchevêtre plusieurs types d’investigations et ceci selon au moins trois mécanismes différents :
–– la triangulation entre plusieurs investigations complémentaires ;
–– le travail spiralaire des chercheurs et la focalisation progressive du travail ;
–– le recours à une stratégie de « théorisation ancrée » qui consiste à adapter de manière systé-
matique la conduite des investigations à l’interprétation des données déjà recueillies.

3.3 Enchevêtrement des méthodes :


démarches spiralaire, triangulation et assemblages
En SHS le principe de la triangulation de plusieurs méthodes est de plus en plus présent, qu’il
s’agisse de triangulation entre des méthodes quantitatives et qualitatives, entre des disciplines
connexes ou encore entre des corpus. On parle de « triangulations consécutives » pour décrire
les situations dans lesquelles on enchaîne par exemple des entretiens puis des questionnaires
issus de ces entretiens ou réciproquement des questionnaires puis des entretiens issus des ques-
tionnaires. Inversement, les triangulations peuvent être simultanées.

Dans la chronologie réelle de la recherche, les activités des chercheurs sont différentes de
ce qui est écrit dans les publications. Jour après jour ils progressent selon un enchevêtrement
d’heuristiques spiralaires que le travail d’écriture va tenter de rendre plus linéaire. D’une part
les recherches sont des intrications de logiques pour partie individuelles et collectives et d’autre
part le travail narratif de rédaction des articles, thèses ou comptes rendus de projets n’est que
rarement chronologique.

Issues à l’origine de la sociologie de la santé, les théorisations ancrées1 s’appuient sur l’idée de
construire une modélisation au fur et à mesure de l’acquisition et du traitement des données, en

1. B. G. Glaser et A. L. Strauss (1967). The Discovery of Grounded Theory : Strategies for Qualitative Research,
Chicago, Aldine.

620
Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31

se fondant non pas sur des a priori ou sur un résultat particulier à vérifier ou à invalider, mais
plutôt à partir d’un examen itératif et « flottant », cherchant à identifier ce qui devient prégnant ;
ces stratégies peuvent être rapprochées des approches inductives dites « non supervisées » qui
consistent à partir des données de façon à pouvoir définir des distances ou des proximités entre
elles de manière heuristique afin de les cartographier ou d’établir de façon ascendante des taxo-
nomies, comme c’est le cas avec certaines analyses factorielles ou les classifications automatiques.

Néanmoins, malgré ces difficultés et enchevêtrements, il est possible de se livrer à une enquête
auprès de doctorants – comme cela avait été fait par V. Leclercq en 20081 pour les thèses en
sciences de l’éducation : elle montrait un « faible intérêt pour les questions relatives aux poli-
tiques de formation et aux systèmes éducatifs », une « diversification des cadres de référence »
et surtout une « majorité de recherches qualitatives à orientation compréhensive ».

4. Conclusion
Il n’y a plus d’organisme collecteur et fédérateur de la recherche en formation et les tenta-
tives de mise en visibilité des travaux restent de portée réduite. La production éditoriale est
plutôt marquée par une floraison de livres et d’articles, conçus sur un registre plus discursif
et littéraire qu’empirique et scientifique. La présentation de protocoles d’enquête rigoureux,
menant à la collecte systématique de données factuelles et à l’administration de la preuve,
reste une pratique minoritaire. Vue de l’extérieur, la recherche en formation apparaît souvent
opaque et distante des enjeux de terrain. Tout cela contribue à la fois à souligner l’ambiguïté
de la posture épistémologique des sciences de la formation et à ralentir, à complexifier, et
peut-être à décrédibiliser un véritable noyau de connaissances propre à la formation continue.

Que sera l’avenir de la recherche en formation ? Pour certains l’approche est résolument
inductive ; ils se baseront donc sur des observations de terrain, dans une optique plutôt compré-
hensive d’orientation sociologique souvent ethno-méthodologique. Pour d’autres, l’aspiration
de la recherche, en formation comme ailleurs, se devra d’être hypothético-déductive, et tirera
ses méthodes vers celles de la psychologie sociale, à partir d’études corrélationnelles, voire
quasi expérimentales. Au croisement des sciences pour l’ingénieur, l’approche systémique des
faits éducatifs et la méthodologie de conduite de projets illustre une autre voie d’investigation
revendiquant l’opérationnalité à travers des démarches reliant la recherche et l’action. Si l’entrée
par les phénomènes de groupe, de relations et de pouvoir, d’inspiration clinique, connaît une

1. V. Leclercq (2008) « Docteurs et doctorants en sciences de l’éducation : entre trajectoires professionnelles et


préoccupations scientifiques », Recherches et éducations, n° 1, 2008, p. 27-45.

621
Traité des sciences et des techniques de la formation

certaine régression alors que se développent les neurosciences, une forme de relève a été de
facto trouvée avec les approches biographiques, centrées sur la personne à partir de méthodes
inspirées des histoires de vie recueillant des données nombreuses auprès d’un petit nombre de
sujets. Plus récemment le rapprochement des problématiques du travail et de l’apprentissage a
conduit à la construction d’approches inspirées de l’ergonomie, comme l’analyse de l’activité ou
l’analyse du travail, fertiles en méthodologie innovantes. Si le cadre institutionnel et la légitimité
des sciences de l’éducation sont loin d’être assurés, la créativité et la diversité de ces nombreux
travaux sont là pour démontrer qu’il y a en matière de formation, matière à recherche.

Malheureusement pour nombre de praticiens ou de décideurs, la recherche en formation reste


encore un monde un peu déroutant. Parce que ses formes et ses méthodes varient sensiblement
selon les statuts sociaux et les institutions d’appartenance des chercheurs ; et sont parfois difficiles
à identifier. Parce que les rapports entre les chercheurs eux-mêmes peuvent être très critiques,
ce qui ne conforte pas sa crédibilité aux yeux des utilisateurs. Parce que les lieux et les équipes
de recherche restent, comme on l’a dit, encore cloisonnés, ou surdéterminés par des champs
disciplinaires et que ce compartimentage inquiète les acteurs de terrain.

Séduisante malgré tout, attirante parce qu’elle offre une voie pour dépasser les apparences
et se rapprocher de l’essentiel de ce que l’on observe, la recherche en formation entraîne
aussi de la circonspection de la part des chercheurs en sciences dures qui doutent de sa
pureté scientifique. Mais aussi de la part de certains de ses commanditaires préférant qu’elle
se focalise sur ce qui sera immédiatement utile, quitte à oublier qu’elle en perdrait une partie
de ses atouts principaux. Il reste donc aux chercheurs, aux praticiens et aux décideurs de
trouver les moyens de se rapprocher davantage. Ces enjeux sont majeurs. Ils touchent à la fois
à un accroissement plus fort de l’ensemble des acteurs de la formation et du développement
des ressources humaines. Ils renvoient à une question d’égalité de dignité entre praticiens et
chercheurs. Ils rappellent enfin que les découvertes à tous niveaux ne sont pas l’apanage des
seuls professionnels de la recherche.

622
Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31

Lectures conseillées
A lbarello L. (2012). Apprendre à chercher, Carré P. (coord.) (2013). « Dix ans de recherches en
Bruxelles, De Boeck. formation des adultes : 2003-2013 », Savoirs,
Angers M. (2000). Initiation pratique à la métho- 33.
dologie des Sciences Humaines, Québec, Corbière M. et Larivière N. (dir.). (2014). Méthodes
CEC. qualitatives, quantitatives et mixtes. Dans
Barbier J.-M. et Wittorski R. (coord.) (2016). « La la recherche en sciences humaines, sociales
formation des adultes, lieu de recomposi- et de la santé, Québec, Presses de l’univer-
tions », Revue française de pédagogie, 190. sité du Québec.
Berthelot J.-M. (1990). L’Intelligence du social, Kuhn T. (1962). La Structure des révolutions scien-
Paris, PUF. tifiques, Paris, Flammarion, éd. fr.1974.
Wargner P. (2002). Les Philosophes et la science,
Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais ».

623
Conclusion1

1. Par Pierre Caspar.


Sommaire
1. Les lieux de savoir – permanences et mutations..................................................... 627
2. Savoir apprendre, savoir former dans des temps,
des contraintes et sur des espaces nouveaux....................................................... 631
3. Des futurs possibles pour la formation des adultes............................................... 638
4. La formation du futur sera ce que les apprenants en feront.................................. 643
5. Qu’attendre des « sciences de la formation » ?...................................................... 646
Conclure… avec le temps ?......................................................................................... 648
Lectures conseillées.................................................................................................. 650
1. Les lieux de savoir – permanences et mutations

1.1 Les lieux de savoir


Des siècles durant, apprendre dépendait fondamentalement du droit et de la possibilité d’ac-
céder à des lieux de savoir. Ils étaient beaucoup plus que des sources d’information, ils faisaient
sens. Ils constituaient des espaces et des communautés où « ce que l’on sait » était rassemblé,
gardé, entretenu, étudié, interprété, diffusé, validé, et, souvent, jalousement gardé. Ne serait-ce
que dans la ligne de très anciennes traditions soucieuses de ne pas dévoiler le savoir à quiconque
ne serait pas prêt à le découvrir ou qui serait jugé indigne de le faire.

Le vieux mythe de la quête du Graal, sous ses multiples formes, reste vivace. Et il renvoie lui-
même à des pensées infiniment plus anciennes, consubstantielles des rapports entre création et
créature : « De l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas… »

Ces lieux de savoir ont existé à toutes les époques et dans toutes les civilisations. Nous pensons
d’abord aux grandes bibliothèques, ces « armoires » à livres, manuscrits et parchemins, papyrus,
codex, tablettes, qui matérialisaient les savoirs de l’humanité, comme le faisaient aussi les
merveilles du monde. On se souvient encore de celles de Pergame ou d’Alexandrie, dont le sac
constitua une perte irrémédiable. Nous pensons également aux monastères et aux temples, quels
que soient la divinité ou l’esprit desquels ils procédaient. Et nous pensons bien sûr aux univer-
sités. À commencer par celle de Bologne fondée en 1100. Qu’elles soient solennelles comme les
universités européennes, lieux de savoir et d’exégèse, lieux d’enseignement et d’examens, lieux
de délivrance de grades aussi. Ou qu’elles prennent des formes beaucoup plus souples, comme,
par exemple, le temple de la littérature de Hanoï fondé en l’an 1200. Mais bien d’autres lieux de
savoir ont également joué un rôle tout à fait important dans le développement de nos cultures.
Citons les cabinets de curiosité, si prisés en Occident au xviiie siècle, les collections, les organes
de conservation du patrimoine ; et les musées qui les prolongent, ces « lieux d’émerveillement »,
cette « mémoire de notre imagination », qui parlent autant au cœur qu’à l’esprit. Ou encore les
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

cours royales, du moins celles des monarques éclairés, comme Christine de Suède, Frédéric de
Prusse, ou le prince Akbar à Fathepur Sikri, aux Indes…

Tous ces lieux étaient à la fois lieux de savoir, lieux de rassemblement d’hommes et de
femmes de savoir, lieux de projets de vie, parfois à l’échelle de plusieurs siècles ; lieux de
recherche aussi, tant il est vrai que le savoir attire le savoir et suscite le questionnement, que
l’ouverture d’esprit rassemble et ouvre les esprits en retour et que la confrontation de savoirs
crée des savoirs nouveaux. Après tout, l’Encyclopédie n’était-elle pas à la fois « inventaire et
invention » ?

627
Traité des sciences et des techniques de la formation

Ces lieux d’apprentissage et les personnes qui les font vivre et vibrer jouent de multiples rôles,
exercent de multiples fonctions au sein d’une société. Témoigner sur les origines du savoir, être
en relation aussi directe que possible avec ses sources de création constitue à l’évidence l’une de
ces fonctions. Le savoir peut être considéré comme révélé, et contribuer ainsi aux fondements
mêmes d’une société donnée, dans ses rapports avec la vérité et la transcendance. Tous nos
systèmes éducatifs en ont été profondément marqués. Le savoir peut aussi apparaître comme
une réponse, parfois momentanée, aux problèmes du temps. Les musées des techniques illustrent
ces cheminements de l’esprit humain, ses bifurcations, parfois ses impasses. Le savoir peut être
créé par une ou plusieurs personnes dont la curiosité insatiable et l’insatisfaction récurrente
face au présent les conduisent à vouloir sans cesse accroître l’intelligence qu’ils ont du monde,
des êtres et des choses. Ce sont les chercheurs, les savants et certains explorateurs. Dans tous
les cas, une médiation est toujours apparue nécessaire.

Conserver les savoirs constitue la fonction la plus classique de ces lieux. Avec tout ce que cela
comporte comme difficultés. L’image de la « bibliothèque de Babel », immortalisée par J.L. Borges,
ou celle du monastère du roman Le Nom de la Rose en témoigne. Avec la responsabilité supplémen-
taire d’avoir à protéger ces savoirs contre les aveuglements destructeurs des hommes eux-mêmes.
Souvenons-nous par exemple de la Révolution française et de la terreur ou des guerres de religion.

La nécessaire médiation qui consiste à structurer, transmettre, aider à acquérir les savoirs
constitue une troisième fonction. Quel que soit le nom que l’on donne aux médiateurs – prescrip-
teur, tuteur, instituteur, instructeur, senseï, moniteur, formateur, maître… – tous ont en commun
d’exercer des fonctions d’éducation et de socialisation, de créer des conditions d’un apprentis-
sage réussi, de reconstruire, voire de re-conceptualiser des savoirs experts ou savants pour les
rendre assimilables, de mettre en visibilité tout ce qui fait qu’apprendre prend corps et sens. Ils
exercent aussi une fonction d’observation, d’écoute d’autrui, d’aide et d’éveil. Même dans les
décennies Internet, il ne suffit pas d’acquérir un livre ou de se connecter à un site pour s’approprier
ce qu’ils contiennent. Faire l’effort d’apprendre ne veut pas forcément dire comprendre. Certes,
apprendre peut s’apprendre. Mais les savoirs résistent à se livrer lorsqu’on les approche de trop
près ; ou trop vite ; ou prématurément. Et il faut déjà savoir beaucoup pour pouvoir apprendre
davantage. Il faut de la maturité pour être en mesure de développer en soi et pour les autres
l’intelligence du savoir. Il faut de la lucidité et de la sagesse pour pouvoir le mettre en œuvre avec
efficacité et en construire une éthique.

Savoir identifier, trouver, s’approprier et utiliser avec discernement les savoirs nécessaires
constitue une quatrième fonction traditionnelle que les civilisations et les cultures successives ont
souvent confiée à ce que nous appelons ici les « lieux du savoir ». Gardiens de ces savoirs, vigilants
sur leur usage, médiateurs dans l’accès à la connaissance lorsqu’elle se sert de savoirs pour accéder
à la transcendance, ces lieux et leurs hôtes remplissent une fonction sociétale majeure.

628
Conclusion

Cette séparation entre différentes fonctions, valable dans les périodes lentes de l’histoire perd
tout sens lorsque cette histoire devient turbulente. C’est plus que jamais le cas aujourd’hui.

1.2 Investir dans les savoirs… Une démarche devenue stratégique


Ce qui change peut être le plus fondamentalement aujourd’hui c’est le statut que l’on accorde
au savoir et le développement d’une confusion grave entre données, information, savoir et
connaissance. Le « Savoir » a perdu son caractère d’absolu et se voit attribuer une valeur qui est
fonction de sa fraîcheur et de son utilité. Porteur d’information, il devient alors un bien que l’on
échange, que l’on vend ou que l’on achète. Il constitue un facteur de compétitivité. Son appro-
priation par le plus grand nombre devient un champ d’investissement. Dans ces conditions la
séparation dans l’accomplissement des quatre fonctions énoncées plus haut n’est plus de mise.
Et le statut conféré aux multiples lieux de savoirs qui accomplissent ou veulent accomplir ces
fonctions change également du tout au tout. Lorsque les concepts créés par la recherche doivent
devenir, sous la pression sociale, les « concepts en acte » dont parle G. Vergnaud, lorsque chacun
est à la fois apprenant et transmetteur de savoirs, on finit par ne plus savoir exactement où l’on
cherche, ou l’on trouve, où l’on transmet et où l’on utilise toutes ces incarnations de « matière
grise » qui structurent et animent notre société du virtuel et de la mondialisation, ce petit « village
terre » évoqué par l’Unesco.

Pourquoi une firme, une administration, un pays investissent-ils davantage que d’autres
dans l’éducation et la formation ? Certes. L’OCDE a bien montré les rapports entre le niveau
d’éducation d’une population, le taux de croissance d’un pays, sa réussite technologique et sa
capacité à surmonter les crises. Pour des raisons politiques ? Oui. Charlemagne considérait déjà
l’école comme un moyen de construction de l’empire. Condorcet voyait dans l’éducation un
moyen de rétablir dans les faits l’égalité attribuée à tous par la loi. J. Ferry voulait former des
citoyens républicains… Mais ce sont les rôles et le pouvoir attribué à celles et ceux qui créent,
détiennent, transmettent et utilisent les savoirs qui caractérisent le plus un moment d’histoire
ou une culture donnée.

Investir dans la formation est une chose, s’y investir personnellement en est une autre1. Se
former, c’est acquérir ou développer des connaissances, des savoir-faire, des compétences, des
comportements nécessaires pour apporter des solutions aux problèmes que l’on rencontre.
Mais c’est aussi exprimer profondément un certain rapport à la connaissance et, à travers lui,
une volonté de restaurer, de différencier, de transformer son identité. Se former, c’est choisir

1. Voir chapitre 15.

629
Traité des sciences et des techniques de la formation

un moyen parmi d’autres pour atteindre un but, pour réaliser un projet, pour opérer une trans-
formation espérée ou voulue, pour compenser un sentiment d’injustice ou encore pour créer
des conditions favorables pour un développement souhaitable et durable. Mais le choix même
de ce moyen, face à d’autres, exprime un désir, s’inscrit dans une biographie personnelle et dans
un univers relationnel. Choisir de se préparer au changement en changeant ses propres compé-
tences, ses comportements, ses attitudes, c’est agir à la fois sur des appartenances collectives, sur
une personnalité individuelle et sur leurs interactions. C’est agir sur le « je et sur le nous », sur
le « moi face aux autres », c’est agir sur une histoire de vie1. Cela explique pourquoi surinvestir
dans la formation conduit très vite à se désinvestir si les résultats obtenus ne sont pas, au terme
d’un temps tout à fait subjectif, à la mesure des enjeux ou des espérances.

Approchée ainsi, la formation des adultes n’est plus seulement « le produit de l’histoire et
des jeux d’équilibre et de déséquilibre des systèmes productifs et sociaux2 ». Elle apparaît aussi
comme une « transaction » complexe. Une transaction entre soi et les autres, entre l’image que
l’on a de soi et l’identité que les autres nous attribuent, entre un projet personnel et l’appel
d’une reconnaissance sociale. Les transformations opérées à travers les actions de formation
sont relativement mesurables en termes de compétences ; elles le sont beaucoup moins dans
leurs dimensions imaginaires et symboliques. Il faut peut-être s’en réjouir, mais on ne peut
les ignorer pour autant. Car ce sont celles qui confèrent, in fine, le véritable statut que nous
accordons au savoir.

2. Savoir apprendre, savoir former dans des temps,


des contraintes et sur des espaces nouveaux

2.1 Savoirs et travail


Les nouveaux territoires de la formation s’inscrivent plus directement encore dans le travail
lui-même, à travers de multiples tentatives pour valoriser la « formation dans et par le travail »,
pour lier de façon réciproque l’activité productive, le développement de compétences et le déve-
loppement des ressources humaines, voire pour faire de la formation un travail. Cela entraîne des
conséquences sur l’exercice même du travail3, parce qu’il faut pouvoir se ménager des temps de

1. Voir chapitre 17.


2. C. Dubar (1991). La Socialisation, construction, construction des identités sociales et professionnelles, Paris,
Armand Colin.
3. Voir chapitre 22.

630
Conclusion

recul, des moments où il est possible et admis de penser l’expérience. Le vieux courant de pensée
des « formations actions » s’en trouve revitalisé. Cela touche également le travail lui-même ; et
donc les valeurs managériales et culturelles qui le sous-tendent. Les concepts d’organisation
qualifiante, voire d’entreprise apprenante s’en inspirent. Au risque de sous-estimer parfois tout
ce qu’il faut d’exigence, de constance, de ténacité et d’autorité pour rapprocher la réalité d’une
société de l’information des ambitions qui la sous-tendent lorsqu’elle s’énonce en termes de
« société de la connaissance ».

D’incroyables exigences de compétences pèsent désormais sur les salariés à tous niveaux :
il leur faut compter avec la fugacité des technologies et l’abstraction dans les process de
toute nature. Il faut s’inscrire dans de nouvelles formes de travail misant sur le mythe d’une
intelligence et d’une responsabilité réparties au sein d’une culture de l’immédiateté et de la
performance individuelle. Il faut bien sûr maîtriser et actualiser sans cesse des compétences
techniques et relationnelles relevant du cœur de métier. Il faut apprendre à apprendre dans un
environnement changeant, savoir où trouver le savoir pertinent pour répondre à une question
inédite. Et, si l’on veut conserver son « employabilité », il faut savoir anticiper sur l’acquisition
des compétences qui seront nécessaires pour résoudre des problèmes que l’on ne connaît pas
encore. Il convient aussi de savoir construire des partenariats, conduire des projets, établir et
gérer des budgets, travailler en équipe, rendre compte, savoir négocier, maîtriser son stress
dans une ambiance de zéro défaut pour contribuer à un projet collectif dont on ne connaît
pas toujours le sens.

Cet ensemble d’exigences ne fait que refléter des mutations profondes dans nos façons de
travailler, d’apprendre, d’exister. Deux tendances lourdes, parmi bien d’autres, méritent d’être
examinées de plus près tant leur nature, leurs évolutions et, en retour, nos propres postures de
réaction ou d’adaptation influent profondément sur le monde de la formation des adultes au
point de l’engager dans de véritables mutations. Il s’agit, d’une part, du développement quasi
exponentiel des technologies, des réseaux et de la mutualisation des savoirs. Et, d’autre part, de
l’irruption du monde économique dans la formation des adultes.

2.2 Le développement des technologies…


Les technologies dites nouvelles nous ont toujours fascinés ; c’est encore plus le cas aujourd’hui
dans la mesure où leurs fonctions, leurs convergences et leurs designs font d’elles des objets
très attractifs.

Grâce à ces technologies ou à cause d’elles, nous devenons membres d’une nouvelle société,
créateurs et acteurs d’une culture d’innovation permanente nourrie par des rapports constants

631
Traité des sciences et des techniques de la formation

et réciproques entre usagers, entreprises, travail et vie personnelle, modes et marchés, fabricants
et opérateurs.

Le champ des technologies digitales est tellement décrit, analysé, questionné, qu’il n’est pas
utile de le reprendre dans cette conclusion1 ; d’autant qu’un chapitre lui est consacré2. Penchons-
nous simplement sur l’incroyable ouverture qu’elles offrent à des modes d’apprentissage sans
précédent dans l’histoire de l’humanité ; leur capacité de rendre formatrice la plupart des situa-
tions professionnelles et sociales ; ou encore l’apparition de réseaux d’échange, de réflexion et de
formation informelle issus de la seule initiative d’apprenants virtuels conscients ou inconscients
de l’être.

Les dispositifs et programmes de formation eux-mêmes ne peuvent que s’en trouver profon-
dément bouleversés. Ils passent progressivement de formules classiques, obéissant aux trois
unités de temps, de lieu et d’action, à des architectures d’apprentissage plus floues, valori-
sant l’interactivité synchrone mais faisant alterner des moments de regroupement, toujours
indispensables, des périodes d’autoformation télétutorées, des formations en alternance et des
situations de travail accompagnées. Apprenants et formateurs restent, s’ils le désirent, toujours
en contact. Les moments de regroupement eux-mêmes peuvent être réels ou virtuels. À tout
instant, les apprenants peuvent aussi avoir accès à des ressources quasi infinies, en naviguant
sur Internet. Elles proviennent de banques de données, de didacticiels, ou encore de simulateurs
téléchargeables, permettant non seulement de reproduire des situations trop périlleuses ou trop
coûteuses pour être utilisées comme ressources éducatives dans la réalité professionnelle, mais
aussi de valider des compétences et des comportements, d’analyser les activités professionnelles
elles-mêmes et de tirer les leçons de leurs dysfonctionnements. Ainsi se développent peu à peu
des noyaux d’expertise mettant à disposition de toute personne, au travail ou à son domicile,
un choix de ressources éducatives auxquelles elle pourra accéder à tout moment, en tant que de
besoin, via des portails virtuels. Cet accès peut se faire à sa propre initiative ; ou en partenariat
avec un manager ou un formateur, dans le cadre d’un projet structuré et contractuel d’analyse
de ses besoins de développement des compétences, du suivi individualisé de ses parcours, de
validation et de reconnaissance des acquis de formation, de dotation complémentaire de compé-
tences ou de création des conditions d’un transfert réussi en situation de travail. Il ne s’agit
plus d’un rapport client-fournisseur de formation, mais d’une co-conception d’un parcours de
professionnalisation3, d’un projet de changement ou de développement.

1. J.-P. Bouchez (2016). L’entreprise à l’ère du digital, Louvain-la-Neuve, De Boeck.


2. Voir chapitre 26.
3. Voir chapitre 20.

632
Conclusion

Peut-être plus encore porteuses d’avenir sont les multiples structures de mutualisation des
savoirs : en particulier les rencontres d’homologues, les communautés de pratiques, les cercles
d’échanges de savoirs, les groupes de pilotes de process et, bien sûr, les réseaux sociaux, qui
jouent désormais un rôle majeur dans les mutations politiques actuelles. Cela constitue aussi
une œuvre éducative considérable.

Nous sommes confrontés à une émergence ininterrompue de réseaux virtuels d’apprentis-


sage, de partage des compétences ou d’étude de problèmes. Certains seront pérennes ; d’autres
ne vivront que le temps de répondre à une question, de sortir d’une situation difficile. Dans un
tel monde de réseaux, chacun(e) bénéficie en quelque sorte d’une connexion permanente avec
le cerveau des « amis », et d’une troisième main, électronique, prolongée par des centaines de
milliers d’applications qui donnent, en théorie, accès à tous les savoirs du monde. L’essentiel
n’est plus de chercher à résoudre un problème, mais d’identifier qui est détenteur de sa solution.

Cette société est paradoxale. D’un côté, elle multiplie les possibilités d’insertion dans des
réseaux locaux ou mondiaux, publics ou privés, ouverts à toute heure et depuis n’importe quel
lieu. Cela permet de créer des liens souples et durables entre les « nomades sédentaires » que
nous devenons face aux exigences d’une compétitivité mondiale. C’est aussi une façon tout à
fait nouvelle de considérer les quatre fonctions évoquées plus haut. Mais, de l’autre, on assiste
à un phénoménal mouvement d’individualisation, dans lequel l’écran, le clavier et le casque
tendent à devenir les seuls compagnons matériels au sein d’une société virtuelle d’apprentissage
tout au long de la vie.

Il est d’ailleurs audacieux de parler constamment de « savoirs » alors que la grande majorité
des éléments obtenus par une recherche sur le Web sont des données ou des informations. Ou,
pire, un fatras de références quasiment inexploitables faute de savoir les mettre en ordre, les
structurer, les organiser, les prioriser pour leur donner du sens face à ce que l’on recherche ou
à ce que l’on est.

On peut toujours rêver du savoir à la portée de la main. Mais la question centrale reste celle
de la possibilité d’accès à ces savoirs et de la capacité à le construire.

Ce qui est à portée de nos mains, ce sont des données – innombrables – et une pléthore
d’informations que nous fournissent les moteurs de recherche. Ce ne sont pas encore des savoirs.
Ni a fortiori les savoirs dont on a besoin à un moment donné, ceux que l’on veut maîtriser, inter-
préter et mobiliser dans des compétences. Des savoirs issus de sources que l’on est capable de
trouver, croiser, valider. Ce qui « fait savoir » ce n’est pas l’information ; c’est le savoir constitué,
légitimé, au moins pour un temps, et reconnu.

633
Traité des sciences et des techniques de la formation

Il y a une extériorité dans le savoir ; c’est une extraction d’un gisement d’informations. C’est
aussi du temps passé à le cerner, à l’analyser, à le construire. Ce n’est pas le résultat d’un clic :
c’est avant tout une pensée.

Alors la connaissance peut être considérée comme un savoir intégré, valorisé, sublimé,
avec toute la part de volonté de partage, de transfert et de subjectivité, essentielle d’ailleurs,
qu’il entraîne. Il y a du savoir dans la connaissance ; on peut partir d’elle pour le développer ;
il peut aussi se scléroser. Mais parce qu’il est intégré, il reste à la merci de représentations qui
se figent, de blocages, de dérives. Il est donc vulnérable.

Parmi d’autres, les enseignants-chercheurs et les formateurs sont légitimés pour transmettre
des savoirs, ou aider à les créer et à se les approprier. Comme médiateurs, ils doivent aussi
veiller aux éventuelles dérives et désormais aux pièges des marchés du savoir. Ils ont une grande
responsabilité dans l’acte de validation de ces savoirs ou des compétences qu’ils ont permis ou
non d’acquérir. Les certifications et les diplômes, acquis au cours des études ou par la VAE1,
témoignent de cette validation. Cela implique bien sûr une responsabilité tout aussi importante :
dessiner les cartes du savoir et les chemins que chacun peut suivre, à sa façon, pour mener son
parcours à son terme.

Écouter et comprendre, interpréter, orienter, accompagner, apprécier, alerter, valider,


respecter… Ne serait-ce pas là l’émergence d’une cinquième fonction tout aussi importante
que les précédentes ? Les rôles des formateurs, qui passent « de l’estrade au plancher », s’en
trouvent bouleversés.

2.3 L’irruption de la pensée et du langage économique dans la formation


Il ne faut pas s’étonner que l’irruption de la pensée et du langage économique2 dans le champ
de la formation des adultes marque le passage à une ère nouvelle et complexe. L’éducation et
la formation s’inscrivent par essence dans un rapport au temps cohérent avec l’idée de création
d’un capital, d’un patrimoine immatériel qui prend sens dans l’avenir. C’est ainsi qu’est apparue
en particulier la notion d’investissement formation avec le nécessaire retour que l’on en attend.
Cette idée a fait écho avec des courants de pensée caractéristiques des dernières années du
xxe siècle : le constat d’une inexorable concurrence internationale substituant le concept de
compétitivité à celui de rentabilité a permis à la pensée économique d’investir, comme jamais

1. Voir chapitre 29.


2. Voir chapitres 2, 5 et Caspar P. (2011). La Formation des adultes, Paris, Éditions d’Organisation.

634
Conclusion

auparavant, un nombre croissant de secteurs de notre vie personnelle et professionnelle dont,


bien sûr, la formation. La conscience progressive que nos ressources étaient limitées et que les
savoirs étaient une denrée périssable a conduit à l’obligation de les gérer, de les protéger, de
les utiliser à bon escient et de veiller à leur renouvellement. On a également découvert que nos
dépenses éducatives, bien qu’encore insuffisantes, allaient inéluctablement s’approcher d’une
asymptote compte tenu des autres choix structurants de notre société. Le terrain était labouré ;
la mutation s’est accomplie, de nouveaux mots l’ont balisé, en particulier : rentabilité, compéti-
tivité, ingénierie financière, marchés et marketing, buts et objectifs, cahiers des charges, appels
d’offres, centrales d’achats, réglementation des commandes publiques, audits, publics cibles,
reporting, efficacité et efficience, capital humain, ressources humaines… et bien sûr, l’incon-
tournable investissement formation…

Ces termes ont pris place dans le langage et dans les activités elles-mêmes ; peu à peu la pensée
économique et financière a envahi la formation. De façon naturelle, souvent positivement au
départ. Car à en juger par les innombrables contrôles, audits, et investigations de toutes sortes
qu’elle subit, allant du Parlement à l’Inspection générale des finances, ce resserrement adminis-
tratif et financier n’était pas inutile. Le doute persiste d’ailleurs : « On sait combien on dépense,
on ne sait pas ce que ça rapporte. »

Même si elle reste un lieu de négociation et de concertation, mais avec de nouvelles règles du
jeu1, la formation des adultes s’en est trouvée fortement changée. Elle a en particulier cessé d’être
un domaine singulier, privatif, relativement protégé, pour entrer, en tant que centre de coûts et
de profits, dans une logique commerciale et financière commune à tous les secteurs de l’activité2.

Mais les mutations les plus profondes du champ de la formation viennent probablement de
son intégration croissante dans l’ensemble des processus de gestion et de développement des
ressources humaines. C’est de plus en plus le DRH qui doit garantir le professionnalisme au
sein de l’entreprise3 et assurer la cohérence interne d’un ensemble complexe, inséré lui-même
dans une stratégie globale… parfois à l’échelle du monde. Responsable de la conception du
plan de formation, le DRH anime la politique de développement, de mobilité et d’évolution
professionnelle. Il doit optimiser le déroulement des carrières, le fonctionnement des structures
de recrutement, le conseil aux opérationnels et la construction des outils nécessaires à leurs
fonctions… Tout cela vit dans le cadre de la « gouvernance centrale ». Simultanément, le cercle
des décideurs s’est singulièrement élargi. Cela rend d’autant plus difficile mais nécessaire un

1. Voir chapitre 4.
2. Voir chapitre 5.
3. Voir chapitres 6, 7, 13 et 21.

635
Traité des sciences et des techniques de la formation

management conjoint de la formation, de l’organisation du travail et de la gestion des ressources


humaines.

C’est une mutation considérable. C’est aussi une mutation qui s’argumente. D’abord, parce
qu’une grande partie des apprentissages échappent au regard ou à la gestion des formateurs
et des responsables de formation. C’est ce que l’on pourrait appeler les champs invisibles de la
formation. C’est le cas, par exemple, des dispositifs propres au commercial, ou dédiés aux « hauts
potentiels » ; ou de l’acquisition de compétences nouvelles issues, non de la formation, mais du
recrutement, de l’évaluation, de la VAE, de la gestion des carrières et de la mobilité, des formes
apprenantes de l’organisation du travail… ou du bon usage des consultants. Ensuite, parce que
la formation des adultes trouve au dehors d’elle-même une part croissante de sa raison d’être, de
ses contraintes et de ses financements. D’ailleurs, les problèmes qu’on lui pose sont de moins en
moins formulés en termes de formation. Ainsi devient-elle un élément d’une chaîne de services
s’inscrivant dans des enjeux et des projets plus vastes.

Former sous toutes les formes, y compris l’apprentissage en alternance, y compris les
formations non conventionnelles et celles qui échappent aux responsables de formation, reste
explicitement une fonction stratégique. A fortiori en période de crise, si l’on veut former plutôt
que licencier par anticipation de la reprise, mais aussi par confiance dans le potentiel profes-
sionnel des salariés.

2.4 Des « pionniers » aux nouveaux bâtisseurs de l’avenir


Considérées ainsi, ces mutations nous entraînent bien loin du « trésor caché » cher à Jacques
Delors, des visions humanistes et anticipatrices de Bertrand Schwartz, ou de « l’apprendre à
être » d’Edgar Faure. Les valeurs qui les sous-tendaient se trouvent mises en question. Qu’en
disent ceux que l’on appelait les « pionniers » ?

Pour caricaturer les choses, on peut penser métaphoriquement à un bel oiseau auquel on
enlèverait peu à peu les plumes :
–– la liberté de penser et l’encouragement à l’initiative et à l’innovation s’estompent devant
l’intégration dans des structures structurantes. L’accès direct à la direction disparaît ;
–– l’enthousiasme, le goût d’exercer un métier que l’on a choisi pour le sens qu’il donnait à la
vie, s’étouffent dans des appels d’offres, les charges, les contraintes administratives et les
contrôles de toutes sortes ;
–– le plaisir de créer ses propres outils, de faire du sur-mesure, se heurte à une volonté crois-
sante de centralisation, de standardisation, et à un faible intérêt pour ce que l’on pourrait
appeler les cultures locales ;

636
Conclusion

–– la certitude qu’il ne peut y avoir de développement collectif sans développement personnel,


et réciproquement, ne trouve plus sa place dans des formations focalisées sur le travail et
l’emploi.
–– d’une activité singulière qui assume ses responsabilités, et négocie ses budgets, temps et
argent, en fonction des objectifs à atteindre, on passe à un encadrement budgétaire strict
ayant barre sur les objectifs ;
–– des équipes porteuses d’une longue et forte expérience inscrite dans une culture, ayant fait
leurs preuves, peuvent être mises en concurrence avec des organismes extérieurs, voire être
soumises à l’obligation de justifier leur existence…

L’oiseau se pose alors une grave question : jusqu’à combien de plumes enlevées pourrais-je
encore voler ? et chanter ?

Bonsoir les pionniers. Il n’est évidemment pas question de plaider pour une régression vers
un mythique âge d’or. Il ne s’agit pas de contester les tendances lourdes qui viennent d’être
commentées. Elles caractérisent notre façon actuelle de travailler et de vivre. Mais il nous appar-
tient de nous y adapter, de les comprendre, d’en valoriser les apports, et de les faire évoluer si
on le pense utile.

Faut-il pour autant être pessimiste ? Oui, si l’on s’en tient au désenchantement d’agents et
de responsables de formation qui avaient choisi ce domaine par cohérence avec leurs valeurs.
Non, si l’on se tourne vers le futur pour découvrir l’immensité des enjeux qui sont à relever ;
et si l’on veut que la formation, des adultes dans sa richesse et sa diversité, continue à tenir sa
vraie et juste place1.

3. Des futurs possibles pour la formation des adultes

3.1 Est-il possible de dessiner le futur ?


Le paradoxe de base de toute action éducative consiste à construire aujourd’hui pour un
demain que l’on ignore. Décider de créer et de mettre en œuvre une telle action, c’est d’abord
faire un choix éducatif d’augmentation des compétences face à des situations de développement
ou d’insatisfactions ; et donc souvent renoncer à des alternatives visant le même but comme

1. S. Enlart, O. Charbonnier (2010). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod.

637
Traité des sciences et des techniques de la formation

modifier le mode de management, changer l’organisation du travail, développer les motivations,


recruter du personnel qualifié, mobiliser des technologies nouvelles… ou se doter de consultants.
C’est aussi mobiliser une partie des ressources actuelles pour obtenir plus tard un accroisse-
ment observable de son « capital humain ». En sachant que la mobilisation de ce capital restera
dépendante de la mobilité, de la motivation et du degré d’engagement de celles et ceux qui le
portent en eux. Tous ces choix ont un point commun : le pari fait sur l’homme, sur son intelli-
gence, sur ses capacités et sur son potentiel d’adaptation et de transformation. Tous font état
d’une volonté délibérée de développement et de valorisation des savoirs. Tous en attendent, en
retour, des effets positifs et durables. C’est pour cela qu’il est quasiment impossible de décrire,
a fortiori de prédire des futurs possibles de la formation des adultes dans cet univers mouvant,
sans repères, rude et trop souvent cupide1 qu’est devenu le nôtre.

En revanche, une posture « prospective » peut nous aider à réfléchir dans ce sens en identifiant
des faits porteurs d’avenir, des nouvelles tendances qui font émerger de nouveaux défis à relever
par celles et ceux que l’on appelle les « travailleurs du savoir ». Nous parlerons successivement
des formations informelles, des futurs apprenants, et des perspectives ouvertes par les « sciences
de la formation ».

3.2 L’immense champ d’action et de recherche


des formations informelles
3.2.1 De quoi s’agit-il ?
Formelles, non formelles, informelles… Ces notions sont désormais trop connues pour que
l’on prenne le temps de résumer leurs spécificités respectives. Rappelons simplement quatre
éléments qui peuvent le plus souvent caractériser les apprentissages informels : l’absence d’une
volonté explicite d’une création de savoirs, l’attention portée à l’acquisition d’habiletés, d’atti-
tudes, de savoirs nouveaux, la difficulté de reconnaître formellement ces savoirs et de répertorier
ces savoirs qui sont à l’origine de ces apprentissages et la création reconnue de richesses imma-
térielles mais l’impossibilité de les évaluer.

Peuvent par exemple entrer dans cette catégorie l’autoformation2, notamment liée aux explo-
rations vagabondes sur internet, l’assistance de voisinage, l’exercice d’activités militantes ou de
responsabilités électives, la lecture réfléchie des livres d’histoire ou des biographies, le bricolage
raisonné, la visite active des musées, la pratique durable et consciente d’un sport, les voyages

1. J. Stilglitz (2010). Le Triomphe de la cupidité, Paris, Les Liens qui libèrent.


2. Voir chapitre 18.

638
Conclusion

bien préparés et ouverts à l’étonnement… et tout ce que l’on peut apprendre de la vie quoti-
dienne sans l’avoir spécifiquement voulu, d’autant plus aujourd’hui avec le potentiel fulgurant
des ressources digitales1.

Formelles, informelles, non formelles… Il ne faudrait pas considérer ces trois approches
comme séparées et autosuffisantes dans différentes cultures. Au contraire, elles entretiennent
entre elles des liens très divers. Par exemple, les formations dites formelles peuvent trouver un
intérêt à s’adjoindre des formations d’une autre nature. Parce que celles-ci vont permettre des
apprentissages complémentaires relevant de champs extérieurs à ces domaines privilégiés. Parce
qu’elles souhaitent se nourrir d’une fertilisation croisée mobilisant des professionnels du savoir
et des personnes de terrain. Ou encore, pour des raisons d’économie. De leur côté, le non-formel
et l’informel peuvent se tourner vers des institutions pour se rassurer sur leur propre légitimité,
pour des questions d’image, pour obtenir une validation des acquis, d’expériences buissonnières
ou une reconnaissance officielle et une possible certification des parcours.

3.2.2 Pourquoi s’intéresse-t‑on de plus en plus à ces formations ?


Les domaines offrant de réelles opportunités d’apprentissages « non conventionnels » sont
infiniment plus larges que les formations « instituées ou dédiées ». C’est vrai en France, dans
tous les milieux, y compris les entreprises. C’est vrai dans de nombreux pays où l’informel est
de tradition. Parce que l’on abandonne l’école prématurément, notamment chez les jeunes
filles. Par manque de ressources suffisantes pour permettre au plus grand nombre de conduire
à terme leurs parcours éducatifs, ou même pour les financer. Mais aussi parce que les accès aux
écoles et aux universités sont trop compliqués, trop coûteux, trop inatteignables. Sans parler
des raisons politiques ou culturelles qui réglementent le droit et la capacité à s’instruire. Les
Occidentaux, conscients des extraordinaires « gisements » de compétences encore « inexploités »
dans d’autres pays, ont tendance à se tourner vers ce type de formations aux frontières pour
les valoriser ou les intégrer. Les entreprises et les institutions éducatives prennent la mesure
de l’inventivité, de la complémentarité de ces formations qui n’en sont pas, face aux exigences
nouvelles de leur développement. Cela conduit à accorder à ce type de savoirs une valeur sociale
explicite et croissante, et à inventer des modes de reconnaissance et de validation spécifiques.

Réciproquement, dans des pays dits émergents, ou en développement, les sources d’acquisi-
tion du savoir et de compétences sont traditionnellement de l’ordre de la transmission familiale
et intergénérationnelle, ou de différentes formes de compagnonnage. Mais soucieux de se

1. Cf. G. Brougere, A.-L. Ulmann (2009). Apprendre de la vie quotidienne, Paris, PUF ; Caspar P. (2011). La
Formation des adultes, op. cit. ; Nagels, M. et Carré, P. (dir.) (2016). Apprendre par soi-même aujourd’hui. Les
nouvelles modalités de l’autoformation dans la société digitale, Paris, Éditions des Archives contemporaines ;
D. Cristol (2016). Les communautés d’apprentissage. Apprendre ensemble à l’ère numérique, Paris, ESF Éditeur.

639
Traité des sciences et des techniques de la formation

positionner dans une économie de plus en plus ouverte, de plus en plus exigeante, ils tendent à
davantage formaliser leurs modes d’apprentissage et à se doter de systèmes de formation natio-
naux, ou de partenariats dans des pays occidentaux avec, pour finalité, la création et l’obtention
de diplômes considérés comme indispensables pour prendre et tenir place dans la mondialisa-
tion. C’est hélas alimenter aussi la fuite de leurs cerveaux.

3.2.3 Qu’est-ce qui caractérise ces formations inhabituelles ?


On trouve, à l’origine, un acte de foi, un pari face à ce que l’on pourrait appeler un besoin
social, une problématique paradoxale ou inacceptable, voire une bonne « cause ».

Ces formations peuvent aussi apparaître dans des situations professionnelles inédites, excep-
tionnelles, ou encore face à des publics « hors normes », du fait de leur personnalité ou des
problèmes auxquels ils sont confrontés : demandeurs d’emploi de très longue durée, publics
illettrés, personnes souffrant de handicaps physiques ou mentaux, jeunes exclus du système
scolaire en raison de leurs difficultés face aux programmes ou de leur allergie à l’égard des
modèles d’apprentissage proposés par « l’école ».

Ces actions s’inscrivent à contre-courant ou à contre-pied de dispositifs existants. Elles se


positionnent nettement sur le registre de la différence, parfois du renversement complet des
perspectives habituelles, des façons de voir et de traiter les problèmes.

De ce fait, les rôles, les positions, les relations des différents acteurs sont eux aussi modifiés,
renversés, redéfinis. Ces actions naissent souvent de la rencontre de champs sociaux différents ;
et c’est par tout un jeu de glissements et de croisements entre des créateurs, des pionniers, des
gestionnaires de dispositifs et des publics que ces actions non conventionnelles se construisent.

L’espace de la formation est celui des terrains sur lesquels interviennent, travaillent, vivent
les acteurs de la formation. Le terrain peut devenir ainsi un lieu d’observation, d’apprentissage,
de développement de ces acteurs ; mais il imprègne en retour la formation de ses passions, de
ses odeurs, de ses saveurs, de ses douleurs.

Il n’y a souvent pas de programme préétabli. Il se construit au fur et à mesure que le processus
de formation se développe et en fonction de l’approche des buts successifs que l’on se donne.
Les outils pédagogiques se construisent eux aussi au fur et à mesure du déroulement de la
« formation », en fonction des besoins des formés et de leurs environnements, mais aussi des
partenaires impliqués dans la conduite de l’action, des responsables des organismes concernés
ou des élus locaux par exemple.

640
Conclusion

Dans tous ces cas, des actions ou des dispositifs de formation non conventionnels conçus
a priori comme des réponses originales et efficaces à des situations apparemment insolubles,
faute de solutions, ou pour lesquelles les solutions mises en œuvre avaient échoué ou avaient
été rejetées. Ils tirent parfois leurs racines dans une utopie, une recherche d’identité, une soif
de justice, un système de valeurs. On peut faire l’hypothèse que c’est justement lorsque cette
quête, cette recherche, ce rêve rencontrent une fracture de la société qui se doit d’être comblée,
que jaillissent l’intuition d’une réponse possible et l’énergie permettant de la mener à terme.

3.2.4 En quoi ces pratiques soulèvent-elles


les défis pour le futur ?
La prise de conscience de la multiplication de formations dites informelles, conduit à
s’interroger sur leurs liens possibles avec les formations traditionnelles, conventionnelles, insti-
tutionnelles, quel que soit le nom qu’on leur donne. Notamment, sur ce qui pourrait constituer
une professionnalisation et une reconnaissance de leurs animateurs, de leurs pilotes, de leurs
formateurs ; et sur l’intérêt et la possibilité de transférer ces innombrables innovations en d’autres
lieux et à une autre échelle. Les innovations pédagogiques ne se trouvent-elles pas pour beau-
coup, au sein du monde de l’éducation, dans ces pratiques ?

Contrairement aux apparences, les responsables de ces pratiques mobilisent et témoignent


souvent d’un extraordinaire professionnalisme sur de multiples champs. La nature même de
ces actions les conduit constamment à des remises en cause de leurs conduites et d’eux-mêmes ;
comme le font les institutions qui ont accepté de porter et de supporter ces nouveau-nés parfois
dérangeants.

Par conséquent, si l’informel et le formel peuvent avancer vers une compréhension mutuelle,
on peut parler de fertilisation croisée. À condition bien sûr que les institutions ne cherchent pas
à formaliser, à formater ces « expériences de l’ailleurs », à les normaliser ou à réglementer les
niveaux d’études de celles et ceux qui les conduisent, au risque de codifier la lettre aux dépens
de l’esprit qui lui donne sens et valeur. À condition aussi de ne pas les transformer en objets de
recherches, ou en prototypes appelés à une large médiatisation. La marginalité, la discrétion qui
ont permis leur émergence sont peut-être aussi des conditions de survie.

La personnalité souvent hors norme des acteurs de ces dispositifs, leur militantisme parfois
vif risquent de susciter des rejets. À certains égards, ce sont des artistes qui créent des œuvres
mais ne veulent en aucun cas les vendre ou les vulgariser. Il faut aussi prendre en compte l’appli-
cation personnelle que ces formations exigent de celles et de ceux qui les mettent en œuvre ; et
parfois de leurs proches. Cet engagement hors normes ne sera pas forcément accepté dans la
durée par d’autres personnes.

641
Traité des sciences et des techniques de la formation

Comme le jeu du clown ou la performance d’un athlète, ces pratiques semblent simples
et faciles à reproduire. C’est oublier que leur réussite tient à l’art, au travail méticuleux « en
coulisse », à la passion et à la ténacité des fondateurs. Les emprunteurs ne savent pas toujours
les reconnaître. Ils savent rarement l’apprécier. Comment s’étonner alors qu’une greffe incon-
sidérée conduise à un rejet justifié ?

C’est donc un véritable défi pour l’avenir qui se présente aux acteurs de ces différentes
approches : apprendre à se connaître, à se comprendre, à se respecter, à se stimuler, à se
compléter, bref à alimenter le développement de la formation des adultes par des innovations
de tous bords. À l’ère du blended learning cela va conduire à des dispositifs de formation à la fois
plus simples et infiniment plus complexes qu’aujourd’hui. Ce ne sont pas des habits d’Arlequin ;
c’est une prise en compte des nouveautés de notre culture et des caractéristiques des nouveaux
apprenants.

4. La formation du futur sera ce que les apprenants en feront


Force est de constater que, dans la trilogie travail-emploi-formation, les apprenants d’au-
jourd’hui1 ne se positionnent pas de façon homogène.

Pour caricaturer sur un mode un peu abrupt et que l’on espère pas trop réaliste, on peut
penser d’abord aux seniors, c’est-à‑dire, désormais aux plus de 45 ans. Ils savent se servir de la
formation, mais tant qu’on leur en autorise encore l’usage. Ils s’interrogent sur la probabilité de
conserver un travail jusqu’au nouvel âge de la retraite. Avec la crainte de ne plus être désirés,
ni utiles, ni reconnus. Il y a ceux qui sont au cœur de la production des richesses du pays, mais
qui se confrontent aux inégalités d’accès à la formation. Ils sont tantôt ardents, tantôt patients,
rétifs ou résignés face aux continuelles réformes managériales ou organisationnelles qui se
succèdent ; ou à ce qui leur paraîtrait être des dénis de recours à l’expérience et à la compétence
dont témoignent, par exemple, des réductions récurrentes de postes, de larges appels à l’intérim
ou à la sous-traitance, une mobilité systématique ou des exigences professionnelles réduites ou
excessives. Ils doutent que leurs enfants puissent bénéficier d’un ascenseur social comme celui
qu’ils ont connu.

Les cadres sont de nouveau entrés dans une période de questionnement qui ne va pas se
limiter au contrat de travail sans limitation d’horaires. Réciproquement, ils peuvent bénéficier

1. Voir chapitres 3, 10, 11, 12.

642
Conclusion

de formations novatrices et de grande qualité dans leurs organisations, leurs universités, leurs
forums, par l’autoformation accompagnée, l’apprentissage dans les lieux de travail1 et les dispo-
sitifs d’alternance.

Il y a aussi les demandeurs d’emploi qui n’en trouvent pas au sein d’une gestion administrative
complexe. Ils peuvent avoir du mal à comprendre pourquoi les formations qu’on leur offre ne
prolongent pas ce qu’ils savaient déjà ; ou ne correspondent pas à ce qu’ils ont envie de faire ;
ou simplement ne débouchent pas directement sur un emploi. Comment se former si l’on n’en
connaît pas le but ?

Il y a les jeunes hantés par la non-insertion et l’allongement des petits boulots. Il faut beau-
coup de foi et de ténacité pour continuer à croire en la nécessité d’une formation première de
plus en plus longue ou aux bienfaits d’une formation continue qui ne se matérialise pas dans
un travail à son échelle. Il faut beaucoup de lucidité et de force d’âme pour croire aux vertus de
la formation tout au long de la vie… lorsque l’on vit des situations où la compétence, le profes-
sionnalisme ne constituent ni une garantie d’embauche, ni le critère principal de promotion, ni
le gage d’une employabilité durable.

Et puis il y a les autres, celles et ceux qui ne se forment pas. Non seulement ceux qui ne
croient pas aux vertus de la formation ou qui y renoncent pour garder de la place à d’autres
activités. Mais aussi les personnes en fin de droit, les exclus du marché de l’emploi, ou les 13 %
de la population en dessous du seuil de pauvreté.

Vient alors cette fascinante « génération Y2 ».

Nés avec Internet dans les biberons, élevés aux croisements de la vie réelle et des jeux vidéo,
les membres de cette génération sont de plus en plus observés, étudiés par un management
soucieux d’un « péril jeune » et désireux d’en tirer le meilleur parti. Les chercheurs relativisent
cette identité générationnelle qui tiendrait moins à une tranche d’âge qu’aux acquis des études,
à la vie familiale, à leur mode de socialisation, à leur groupe d’appartenance et aux ressources
cognitives qu’ils y trouvent. Cela dit, que dit-on couramment des titulaires de cette génération
Y, que l’on appelle parfois génération Why ? Attractifs, séduisants par leur adaptabilité, leur
vivacité, leur inventivité, leur désir de comprendre, ils ont souvent du mal à s’intégrer dans une
hiérarchie à l’ancienne. On les ressent aussi prêts à saisir les opportunités, confiants en eux-
mêmes malgré la distance entre la fin des études et l’entrée dans un emploi stable, mais avec un

1. Voir chapitre 24.


2. J. Pralong (2010). « L’image du travail selon la génération Y », Revue internationale de psychologie, 39, vol. XVI.

643
Traité des sciences et des techniques de la formation

grand besoin d’explicitation et de justification de ce qu’on leur demande, comme de reconnais-


sance, de compréhension et d’estime par leur encadrement. Ils ne se privent pas d’interpeller
la hiérarchie sur son degré d’expertise, son professionnalisme, sa capacité de souplesse et sa
légitimité. S’ils sont prêts à s’engager avec enthousiasme dans un projet collectif, ils attendent en
retour une rétribution qui n’est pas seulement financière dans un monde professionnel d’autant
plus accepté qu’il ne met pas en cause la vie familiale et sociale. La formation tout au long de la
vie fait partie de leur vie ; mais avec les outils qui sont les leurs, assez banaux pour eux, somme
toute loin des « stages » de leurs parents…

C’est un défi redoutable ; à la fois compte tenu des disparités générationnelles ; parce que
les modes d’apprentissage traditionnels encore vivaces, les outils classiques de la formation à
distance peuvent leur apparaître décalés par rapport à ceux dont ils disposent. Et surtout parce
que leurs rapports aux savoirs ont eux-mêmes changé en cohérence avec leurs façons de vivre.

Les enseignants et les formateurs, en liaison avec les employeurs, conservent ces tâches indis-
pensables liées à la construction des savoirs, des programmes, des épreuves et des certifications.
La participation aux jurys en fait partie. Ils auront plus que jamais à utiliser leurs capacités
d’anticipation. Mais on peut penser que leurs rôles s’articuleront désormais autour de l’accom-
pagnement et la facilitation sous de multiples formes.

D’abord, aider ceux qui le désirent à identifier ce qu’ils ne savent pas et ce qu’ils savent, à
oser le faire savoir et à le valoriser socialement. Ensuite les aider à mieux repérer les savoirs,
les savoir-faire, et les savoirs sociaux, les compétences et les comportements nécessaires à
leur développement personnel et professionnel. Il faudra les conduire à se poser les bonnes
questions pour exercer de nouvelles activités, ou pour s’insérer ou se réinsérer dans la vie
professionnelle. Les accompagner peut également être utile, voire nécessaire lorsqu’ils entrent
dans un milieu évolutif où il leur est demandé de contribuer à leur propre employabilité. Et
d’optimiser leur temps et leur énergie pour replacer la formation dans un projet de vie qui
lui donne sens.

Il appartiendra aux enseignants, aux formateurs et, parfois, à la hiérarchie d’aider ces appre-
nants à changer de posture d’apprentissage face à des lieux de savoirs qui changent profondément.
Utiliser toutes les sources de savoirs évoquées plus haut, c’est accepter une mutualisation des
savoirs à laquelle ils n’ont pas toujours été préparés. C’est apprendre à construire des connais-
sances à partir d’informations disparates et dispersées. C’est savoir gérer des savoirs changeants.
C’est entrer dans des hyper-espaces où chacun suit son propre cheminement, ne va pas forcé-
ment là où il voulait aller et s’en trouve désemparé ou enrichi. C’est apprendre à vivre dans une
culture de l’écran, des écrans, où rapidité, fugacité, réactivité et rigueur vont de pair. On appelle
cela la cyberculture ; d’aucuns disent la « nétamorphose ».

644
Conclusion

Tout ceci modifie sensiblement les priorités. Le travail d’orientation1, l’exercice des fonctions
de professeur référent, la participation à des jurys, rassemblant des éducateurs et des profession-
nels, bousculent l’équilibre d’un temps dévolu jusque-là aux enseignements et aux démarches de
certification. Cela conduit aussi à revaloriser des responsabilités en amont et en aval : d’un côté
l’information, l’accueil, l’orientation, la mise à disposition de sites Web, l’aide à l’élaboration
de projets, notamment dans les stages ou la réalisation de mémoires, l’ingénierie d’épreuves,
les relations avec le monde professionnel. De l’autre, l’évaluation, la préparation à l’emploi, le
transfert de compétences en situation au travail2, l’appréciation du travail des enseignants et
des formateurs. C’est pourquoi la VAE peut contribuer à une réflexion en profondeur sur les
composantes mêmes de leurs fonctions, voire sur le type de recrutement du corps enseignant
compte tenu des missions et des engagements nouveaux qui deviennent les leurs.

Il leur faut aussi être conscients que les étudiants, comme les apprenants adultes, changent
aussi profondément les rapports avec les institutions éducatives. La généralisation de la maîtrise
des technologies et des offres qui leur sont liées sur le Net, les campus numériques, les e-portfolio,
les réseaux sociaux y contribuent. La possibilité de se documenter sur les offres de formations à
travers les sites Web des universités, des écoles ou des organismes de formation, et de procéder
à des comparaisons avant l’inscription contribue également à transformer les apprenants de
tous âges et de toutes nationalités en « usagers » informés, réfléchis, mobiles, attentifs et donc
exigeants.

Que dire pour terminer d’une génération Z ? Elle est née depuis longtemps ; six cent cinquante
mille jeunes ont passé leur bac au moment de la préparation de ce livre. Les smartphones,
connectés à Internet et aux réseaux, font partie de leurs vêtements. 55 % des 11/12 ans ont un
compte sur Internet. Ils étaient 35 % en 2004. On dit que la triche aux examens s’appuie aussi
sur ces outils ! Qui croire ? Le monde des images est omniprésent depuis leur naissance ; et ils
apprennent une seconde langue dès la maternelle. Leur cerveau ne peut que s’en imprégner. Ils
sont infiniment plus rapides qu’ils ne le montrent parfois. Répondre aux mails devient trop lent
par rapport aux SMS et aux twits. Cela signifie en particulier qu’ils sont capables de s’adapter
à leurs environnements et de faire varier l’envergure de leurs talents. Ils sont déjà si nombreux
à nous apprendre tant de choses…

1. Voir chapitre 28.


2. Voir chapitre 27.

645
Traité des sciences et des techniques de la formation

5. Qu’attendre des « sciences de la formation » ?


L’avenir de la formation se lit aussi dans la recherche. Et la recherche est aussi un lieu de
formation considérable. Un nouveau chapitre lui a été consacré dans la présente édition1

La place des sciences dans l’action relève d’un très vieux débat. Il n’y a pas si longtemps on
reprochait aux ingénieurs de s’approprier indûment une dignité scientifique non prouvée en
parlant des « sciences de l’ingénieur » au lieu d’une évidence qui est celle des « sciences pour
l’ingénieur » ! Le titre du Traité nous oblige bien sûr à conclure avec ce sujet. D’autant que l’on
commence à parler d’une véritable discipline en émergence qui serait celle des « sciences de la
formation ».

Ce cadre serait-il représentatif de la diversité des apports disciplinaires ? Même si une majorité
de recherches et de thèses sont menées par des chercheurs inscrits dans le cadre institutionnel
de la 70e section du Conseil national des universités (CNU), les travaux réalisés se rattachent à
un ensemble beaucoup plus large de disciplines convoquées selon la nature de l’objet étudié :
sociologie, anthropologie, psychologie, sciences du langage, sciences de l’ingénieur, gestion,
information-communication, économie, histoire… sans compter les approches purement péda-
gogiques et didactiques, elles-mêmes porteuses de liens avec les connaissances fondamentales
en sciences, mathématique, langues vivantes, informatique, etc. La troisième partie de l’ouvrage
en témoigne. C’est donc pour l’instant un patchwork disciplinaire et conceptuel, peu propice
à une convergence méthodologique et épistémologique, plus qu’un corpus scientifique unifié,
qui s’offre aux yeux de l’observateur de la recherche en formation.

Comme le disait André Voisin2 dès 1991, cet éparpillement disciplinaire se double de la
tendance des chercheurs, généralement inscrits dans un champ de pratiques elles-mêmes évolu-
tives, à rechercher une prise directe avec elles et leurs acteurs. Le champ de la formation étant
réputé sensible aux effets de mode, aux aléas du marché et de la demande sociale, aux inflexions
politiques, on observe aujourd’hui un déplacement continu des objets de recherche et une varia-
bilité lexicale qui renforce encore aujourd’hui l’aspect proto-scientifique de ce champ.

La filiation hybride des sciences de la formation entraîne de plus une double marginalité :
d’une part, les traditionnelles sciences de l’éducation sont, elles-mêmes, aux prises avec un débat
interne récurrent depuis les années 19603. Existe-t‑il vraiment une « science de l’éducation »,

1. Voir chapitre 31.


2. A. Voisin (1991). « La recherche en formation continue », Études et expérimentations, n° 10, 3-14.
3. F. Laot et R. Rogers (dir.) (2015). Les Sciences de l’éducation. Émergence d’un champ de recherche dans l’après-
guerre, Rennes, PUR.

646
Conclusion

interdisciplinaire par nature, dotée d’un cadre épistémologique et de méthodes spécifiques ? Ou


bien cette discipline recouvre-t‑elle l’assemblage de sciences fondamentales qui éclairent les faits
éducatifs ? À cette première ambiguïté se surajoute le caractère minoritaire, pour ne pas dire
secondaire, des problématiques de formation des adultes dans le vaste champ éducatif dominé
par les enjeux du système scolaire. Et donc une certaine sous-représentation des travaux sur la
notion de formation tout au long de la vie.

Comme l’atteste le chapitre dédié qui précède celui-ci, en dépit de ses faiblesses, la production
de recherches, principalement universitaires, est considérable, à travers, ici comme ailleurs,
ses trois voies principales : les activités scientifiques des universitaires et des institutions de
recherche ; les thèses doctorales et notes d’habilitation à diriger des recherches (HDR) ; les
programmes de recherche issus de la demande sociale à différents niveaux.

Séduisante malgré tout, attirante parce qu’elle offre une voie pour dépasser les apparences et
se rapprocher de l’essentiel de ce que l’on observe, la recherche en formation entraîne aussi, on
le sait, de la circonspection de la part des chercheurs en sciences dures qui doutent de sa pureté
scientifique. Mais aussi de la part de certains de ses commanditaires préférant qu’elle se focalise
sur ce qui sera immédiatement utile, quitte à oublier qu’elle en perdrait une partie de ses atouts
principaux. Il reste donc aux chercheurs, aux praticiens et aux décideurs de trouver les moyens de
se rapprocher davantage. Les conditions de ce rapprochement se créent aujourd’hui. Ces enjeux
sont majeurs. Ils touchent à la fois à un accroissement plus fort de l’ensemble des acteurs de la
formation et du développement des ressources humaines. Ils renvoient à une question d’égalité
de dignité entre praticiens et chercheurs. Ils rappellent enfin que les découvertes à tous niveaux
ne sont pas l’apanage des seuls professionnels de la recherche.

Pour que cette recherche puisse revendiquer l’attribut de scientifique, il conviendra sans
doute qu’elle accepte de répondre à un certain nombre d’exigences. D’abord, selon la remarque
de M. Reuchlin, qu’elle fasse systématiquement état de la « publicité de ses méthodes » et du
« caractère vérifiable de ses résultats ». Cette double exigence de transparence et de réfutabilité
forme le socle minimal exigible d’un projet scientifique sur le champ de la formation, comme
dans des secteurs connexes des sciences sociales de l’action (économie, droit, gestion, informa-
tion-communication). Enfin, par-delà le projet fantasmatique d’une « interdisciplinarité dans une
seule tête », mais en deçà de la mono-disciplinarité étroite qui caractérise des chercheurs resserrés
autour d’une approche exclusive, il sera nécessaire de développer des équipes « co-disciplinaires »
réunissant autour d’un même objet les experts des disciplines concernées. Transparence, souci
de la preuve, co-disciplinarité : c’est à ce triple prix sans doute que la recherche en formation
pourra construire les sciences en formation.

647
Traité des sciences et des techniques de la formation

Conclure… avec le temps ?


Plutôt de « conclure la conclusion », nous nous penchons plutôt en fin d’ouvrage sur une
question fondamentale. Une démarche prospective appliquée à la formation des adultes conduit
à réfléchir sur les rapports que chacun des acteurs entretient avec le temps. La richesse de
ce domaine qu’est la formation fait aussi sa complexité, son opacité parfois. Et la difficulté à
apprécier les plus-values qu’elle apporte soulève bien des critiques. Quand il y a péril dans la
demeure, a fortiori en période de crise, on a vite tendance à sacrifier en premier les budgets
dont le rapport coûts/bénéfices immédiats n’est pas évident pour se focaliser sur l’utile, voire le
strict utilitaire. La formation est loin d’être la seule concernée ; mais elle l’est presque toujours.
La recherche aussi d’ailleurs. Facteur constitutif de socialisation, de transmission, de facilitation
du fonctionnement des organisations comme de la société, la formation s’inscrit en même temps
dans le long terme dans une relation à l’avenir en vue de permettre les changements et de se
préparer aux mutations et aux ruptures.

Notre relation au temps n’est pas simple1. Elle est à la fois relation à la vie et à la mort, porteuse
d’espérances, de projets et de renoncements. Elle est génératrice d’angoisses, mais aussi d’inter-
rogations sur ce qui reste l’essentiel. Elle est à la fois faite de continuité et de ruptures, dans
une course de plus en plus effrénée. Ainsi les responsables et les dirigeants qui conçoivent et
conduisent les systèmes de formation se trouvent-ils enserrés dans une double contrainte. D’un
côté la nécessité de s’articuler à la réalité et à la quotidienneté des problèmes. Cela implique
pour le responsable de formation d’être reconnu comme un acteur à part entière, un véritable
manager capable d’analyser des situations professionnelles complexes, de faire apparaître les
écarts entre compétences requises et compétences actuelles, de les réduire, mais aussi de valo-
riser les potentiels et les occasions de les développer… Bref d’être complètement intégré dans
la poursuite des enjeux d’efficacité et de compétitivité qui fondent la culture entrepreneuriale
dominante de ce siècle.

D’un autre côté, reste la non moins indispensable obligation, pour ces responsables, d’évaluer,
de prendre du recul, de voir loin et large et, par conséquent, de rester différent. Différent pour
veiller à la non-reproduction systématique des schémas du passé2, indispensables pour la vie à
court terme mais inadéquats pour la survie ou le développement à long terme. Différents pour
rappeler que la résolution des problèmes économiques et financiers n’implique pas de négliger le
développement des personnes ; bien au contraire, que l’économique et le social devront s’allier.

1. Voir chapitres 11 et 12.


2. Voir chapitre 1.

648
Conclusion

Différents pour oser proposer des ruptures dans la pensée, dans les modes et niveaux de lecture
des situations comme dans les façons de les traiter.

Vivre sur deux temps différents, c’est vivre pleinement dans les turbulences mais en y recher-
chant les permanences ; c’est mettre en évidence les discontinuités mais veiller à dérouler un fil
conducteur. C’est être quelqu’un qui soit à la fois cohérent avec l’organisation dans laquelle il
travaille ; pertinent et efficace dans ses démarches ; mais quelqu’un dont la culture, les structures
mentales, les rapports à l’autorité, les relations avec les autres soient suffisamment originaux,
éventuellement impertinents, pour faciliter la préparation de tous aux mutations inévitables.
Et pour oser poser la question du « pourquoi ? » en même temps que celles du « quoi ? », du
« comment ? » et du « combien ? ». Si ce type de personne « non alignée » n’existait pas quelque
part dans les structures, il faudrait beaucoup plus de temps pour voir apparaître des innovations
véritablement originales, pour oser des anticipations essentielles, pour entrer dans cette culture
mondiale qui change tellement notre vie sans que nous nous en rendions bien compte.

649
Traité des sciences et des techniques de la formation

Lectures conseillées
Le futur n’est plus ce qu’il était hier. Il change tout le temps. Et chaque chapitre propose
quelques références relatives au domaine qui est le sien. C’est pourquoi, plutôt que de lister
de nouvelles références pour un avenir que l’on ne connaît pas encore, nous vous proposons
ci-dessous quelques ressources « vives ». Elles permettront de réfléchir, en meilleure connais-
sance de cause, aux tendances, changements, ou mutations qui apparaîtront peu à peu au cours
des années qui viennent.

Les revues :
Éducation permanente – www.education-­ Recherche et formation – https://recherchefor-
permanente.fr. mation.revues.org.
Savoirs. Revue internationale de recherche en Veille et analyses, bulletin de l’Institut français
éducation et formation – www.savoirs.u- de l’éducation – http://ife.ens-lyon.fr/ife.
paris10.fr.

Les publications des organisations suivantes :


ASTD – Association for Talent Development, European Training Foundation – http://www.etf.
anciennement Association for Training and europa.eu/web.nsf/pages/home.
Development – https://www.td.org. FFP – Fédération de la formation professionnelle
Cedefop – Centre européen pour le développe- – www.ffp.org.
ment de la formation professionnelle – http:// Fondation européenne pour la formation – www.
www.cedefop.europa.eu. etf.europa.eu.
CEE – Centre d’étude de l’emploi – www. France Stratégies – http://www.strategie.gouv.
cee­recherche.fr. fr.
Centre de documentation sur la formation et le Garf. Groupement des acteurs et responsables
travail. CNAM – www.cdft.cnam.fr. de formation – www.garf.asso.fr.
Centre Inffo – www.centre­inffo.fr.
Cereq – Centre d’études et de recherches sur les
qualifications – www.cereq.fr.
Cités des métiers – www.citedesmetiers.com et
www.reseaucitedesmetiers.com.
Esrea – Société européenne pour la recherche
en formation des adultes – www.esrea.org.

650
Index des notions

A appareil de formation 71, 79


accès à la formation 264 apprenance 38, 233, 313, 517
accompagnement 243 apprenant 41, 233, 642
accord d’intéressement 153 apprendre 292–293, 369, 488
achats de formations 125, 129 apprentissage 160, 227, 231, 329, 335, 380,
490, 494, 532, 622
acte d’apprendre 233
autodirigé 375, 393, 548
acteurs de la formation 181
au travail 394
acteurs de la formation professionnelle 151
coopératif 341
action 47
de la langue 224
activité 47, 454, 471
en situation de travail (AST) 344, 405,
de travail 183
483, 485
de formation 146
informel 36, 171, 394, 517, 548
administration 441
multi-épisodique 398
adulte pluriel 240
organisationnel 159, 171
adultes en formation 211
permanent 249
affordances 492
sexué 370
agentivité 325, 389–390, 395–397
individuel 497
agents de la formation 592, 599, 603
« tout au long de la vie » 367
âges de la vie 360 transformateur 393
allocation des ressources 112 ateliers de pédagogie personnalisée 505,
alphabétisation 60, 65–66 516
alternance 445–446, 505, 517 attention 258
aménagement de transitions 244 sélective 258
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

amorçage 299 autodétermination 325, 376, 388, 396


analyse de l’activité 622 autodidaxie 368, 372
analyse des pratiques 392 autodirection 389
analyse didactique professionnelle du autoformation 232, 313, 365, 371–372,
travail 470 393–394, 533, 585
analyse du travail 180, 470, 472, 479, 622 « collective » 373
andragogie 239, 393 éducative 372
anthropoformation 356 « existentielle » 374

651
Traité des sciences et des techniques de la formation

autorégulation 320, 325–326, 376, 388, 390, sociales 338


397 transversales 282
des apprentissages 294 complétude 357
autostructuration 390 comportements 278
B compte individuel de formation 101
behaviorisme 314, 386 compte personnel de formation (CPF) 90,
besoins en formation 145 92, 114

bifurcation 357 conation 318

bilan de compétences 150, 554, 556 concept de soi 247


bonnes pratiques 204 conceptualisation 476, 479
budgets formation 124 conditionnement 300
bureaucratie 165 conflit 334
cognitif 398
C
sociocognitif 332, 329, 387
cadre institutionnel 343
confrontation 337
capabilité 396, 517
congé individuel de formation (CIF) 67, 91,
capacités d’apprentissage 259 114
certificats de qualification professionnelle connaissances 629
(CQP) 579
déclaratives 277
champ de pratiques 47
procédurales 277
champs sociaux 578
conscientisation 394
changements d’organisation 273
conseil en évolution professionnelle (CEP)
chômage 34
554, 557, 581
climat socio-affectif 338
conseiller pédagogique 342
cohésion sociale 207
consolidation 301
collaboration 398
constructivisme 387
communauté d’apprentissage 611
contraintes 147
communautés de pratique 394
contrat de travail 114
compagnonnage 160
cours d’adultes 55
comparaison sociale 339
crise 243, 246
compensation 260
croisements interculturels 356
compétences 133, 149, 159, 168, 231, 271, 333,
336, 379, 414, 431, 452, 476 cycles de vie 243
cognitives 280
collectives 415

652
Index des notions

D E
décisions 250, 319, 437 écoles de la 2e chance 313
défis de la vie adulte 248 économie de la formation 71
démotivation 326 économie des services 84
design 512 ECTS (european credit transfer system) 573
développement 179 éducation 311
des adultes 449, 457 des adultes 53–56, 58, 67, 202
tout au long de la vie (life span ouvrière 58–59, 62
development) 257 permanente 62, 64, 66, 68, 92, 350
dialogue social 439 populaire 38, 55-56, 58, 62, 65–67
social territorial 109 e-learning 486, 488, 521, 611
didactique professionnelle 189, 392, 462, emploi 47, 452
469–470 empowerment 394
digitalisation des pratiques 128 engagement du sujet 492, 496
diplôme 277 entreprise 110, 313, 379
direction 430 apprenante 154
dispositifs 489, 509, 518, 530 entretien annuel 153, 436
de formation 340, 412 environnement
avec environnement numérique 525 capacitant 188
de formation-action 185 d’apprentissage 516
multidimensionnels 528 numérique 405
multimodaux 529 numérique de services 522
dispositions 324 numérique pour apprendre 523
dissonance cognitive 317 personnel d’apprentissage 525
données personnelles 534 ergonomie 177, 182, 622
double appartenance 357 espace numérique de travail 522
droit 112 espaces de débat et de régulation 187
collectif de la formation professionnelle espaces éducatifs institués 378
dans l’entreprise 111 Europe de la formation 200, 206
de la formation 108 évaluation 147, 204, 439–440, 515
individuel à la formation (DIF) 91-92, 110 expérience 160, 231, 238, 393
dynamique des groupes 391 professionnelle 267

653
Traité des sciences et des techniques de la formation

F gestion
facilitation 393, 405 de la formation 148
faire 476 des compétences 148–149, 170
familles professionnelles 403 des ressources humaines 139, 152, 578
feedback 397 paritaire 109
financement 143 prévisionnelle des emplois et des
fonction formation 64 compétences (GPEC) 284

fordisme 166 groupe professionnel 589, 591, 603

formateur 344, 350, 590 guides d’entretiens 436

formateurs-acteurs 352 H
formateurs d’adultes 589–591, 601, 603 habiletés ouvertes 541
formation 106, 112, 143, 159, 221, 262–263, habitus 324
265, 311, 342, 380, 443, 596, 610
hétéro-structuration 389
continue 75, 98
hiérarchie 164–165
de l’emploi 92
histoire personnelle 241
des adultes 53, 62, 459, 609
histoires
en situation de travail 115
d’écoles 355
initiale 245
d’enfances 355
permanente 238
de recherche de sens 356
post-scolaire 48, 95, 98
de santé 355
professionnelle 57, 99, 105, 169, 202
de vie 347, 353
professionnelle continue 64, 66, 106
de vie aux frontières du social 356
promotionnelle 59, 61, 64, 66
de vie professionnelle 355
formations
sociopolitiques 356
-actions 490
humanisme 388
informelles 639
internationales 220 I
par alternance 414 identité 227
par apprentissage 182 inclusion 223
syndicale 62, 65 individualisation 396, 414
fréquence de la formation 265 de la formation 516
ingénierie 41, 287, 403, 488, 503, 607, 610
G concourante 420–422
génération Y 643
de la formation 189, 205, 404, 407, 410,
genre 359 413, 469, 507

654
Index des notions

de professionnalisation 404, 407 L


des parcours personnalisés de liberté 377
professionnalisation 414 d’entreprendre 111
des situations 478 libre circulation des personnes 200
didactique 403 lieux de savoir 627
didactique professionnelle 404, 469 logique
du financement 134 éducative 237
d’une organisation 416 formative 237
d’un territoire apprenant et innovant
419 M
éducative 327 maintien dans l’emploi 379
industrielle 421 maîtrise 340
pédagogique 189, 405, 409, 501, 503 d’œuvre 429
séquentielle 420 d’ouvrage 428
inhibition 258 d’ouvrage déléguée 429
injonction 377 management 159
innovation pédagogique 504 par objectifs 167
instrumentalisation 526 managers 166, 491
instrumentation 526 marché
de la formation 404 de la formation 82, 121, 123

intelligence au travail 449, 455 du savoir 634

intelligence de l’action 482 massive online open courses (MOOC) 378,


380, 486, 488, 524, 532, 534, 611
interaction 458
mémoire 225, 232
sociocognitive 331
à court terme (MCT) 294, 296
sociale 232
à long terme (MLT) 294
intervention 186
déclarative (MD) 297
capacitante 189
de travail (MdT) 258, 296
éducative 233
épisodique (ME) 298
investissement
et apprentissage 289
formation 76, 635
lexicale (ML) 297
immatériel 77
non déclarative (MnD) 299
J procédurale 299
jeux d’acteurs 47 sémantique (MS) 298
sensorielle 295

655
Traité des sciences et des techniques de la formation

visuelle (MV) 298 organismes de formation 169


mémorisation 300 orientation 443, 580
métacognition 545–546 professionnelle 405
méthodologies 47 professionnelle des adultes 405, 551
métiers 431, 596 outils de formation 180
de la formation 403, 406, 587, 589–590,
P
592–594, 597–598, 601
parcours d’expérience 473
et emplois de la formation 596
partenaires sociaux 108
mobilité 243
partenariats 201
modèle bureaucratique 164
participation 324
modularisation 516
active 225
motifs 322
pédagogie 266, 385, 503
d’engagement éducatif 321
de l’alternance 445
primaires 318
de l’équité 223
secondaires 319
des adultes 391
motivation 232, 306, 311
des situations 480–481
à apprendre 263
pensée 47
multimodalité 35, 398
perfectionnement 57, 59, 62–63, 65–66
multiplicité des mémoires 305
performance des organismes de formation
N 131
négociation personal learning environment (PLE) 525

collective 109, 119 pilotage de la formation 441

de branche 108 pionniers 637

d’entreprise 109 plan de formation 67, 91, 146


politique de formation 47, 425, 428, 434
NTIC 380
politique de l’emploi 67
O portfolios 557, 575
objectif 167 potentiel
offre de formation 127 d’apprentissage élevé 474
open university 378 d’apprentissage et de développement
organisation 159, 488 473
apprenante 159 formatif 475
capacitante 188 pouvoir d’agir 226
organisation scientifique du travail 162 praticiens « réflexifs » 47

656
Index des notions

pratique R
du travail 479 rapport à la formation 97, 232
de formation 93 rapports sociaux en entreprise 93
pratiques pédagogiques 506 rationalisation 159
présentation de l’information 303 rationalité humaine 373
préservation 260 recherche-action 613-614
prestataires de formation 131 recherche
prévention 184 biographique 361
prise d’information 478 du plein-emploi 207
processus en formation 611, 618, 621
automatiques 293 -intervention 614
contrôlés 293
scientifique 610
d’apprentissage 99
reclassement 63
de prise de décision 278
reconnaissance 248, 362, 571
de restitution 301
au travail 461
procrastination 319
reconnaissance et validation des acquis de
productivité l’expérience (RVAE) 572, 578
individuelle 72 recyclage 65
pédagogique 515 réflexion sur l’action 495
professionnalisation 415, 424, 445, 589–590,
réflexivité 494
599, 601, 603
régulation
des individus 486
relationnelle 333
des pratiques 134
sociocognitive 332
promotion sociale 64, 90, 92, 379
relation individu/organisation 287
psychanalyse 315
Répertoire national des certifications
psychologie cognitive 316, 386
professionnelles (RNCP) 577
psychologie positive 388
répétition lexicale 305
psychopédagogie 385, 504, 507
représentation sociale de la relation 338
des adultes 232
réseaux d’échanges réciproques de savoirs
publics 313
505
Q réseaux sociaux 399, 532
qualification 118, 452 résignation apprise 319, 326
responsables de formation 593-594, 596
ressources digitales 405

657
Traité des sciences et des techniques de la formation

retraite 247 sociologie de la formation 89


révolution digitale 485 soloformation 398
rôle du formateur 36 stage 115
stéréotypes 264
S
stratégie 319
salariés 432
sujet social 316
santé 178
savoir 369, 476 T
agir et interagir en situation 417 tâche 454
savoir-être 278, 280 taylorisme 166–167
savoir-faire 280, 293 techniques de réalité augmentée 524
savoirs 276, 280, 293 théorie
partagés 227 de la reproduction 96
sciences du capital humain 71
cognitives 387 transfert des apprentissages 405, 537, 539,
de la formation 406, 646 543

de l’éducation 614 transitions 243–244, 246

seconde chance 64, 73 transmission 493

secteur quaternaire 403 travail 47, 207, 452, 457, 622

sécurité psychologique 497 U


segmentation 594 Union européenne 197
des métiers de la formation 594 unités de travail 432
du groupe professionnel 592
V
seniors 38, 261
valeur 47
sens 47
283, 557
sentiment d’efficacité personnelle 376, 396
validation des acquis de l’expérience (VAE)
serious games 523, 531, 611
91, 150, 171, 283, 406, 444, 471, 557, 574
situations
validation des acquis expérientiels 362
de formation 337
validation des acquis professionnels (VAP)
de travail 152, 285, 471, 482 576
limites 249 validation et accréditation des acquis (RVA)
société cognitive 34 571
sociocognitivisme 388 vicariance 399
socioconstructivisme 387 vieillissement 255, 258

658
Index des notions

cognitif 256, 259 volition 320


vie sociale 143 vouloir agir et interagir en situation 417
vitesse de traitement 258
W
voies d’accès à la formation
workplace learning 491
professionnelle 113

659
Index des noms propres

A Bourdieu P. 96
Aballea F. 583 Bourgeois E. 311, 329, 339, 483, 486
Afriat C. 77 Bouteiller D. 549
Albertini J.M. 505, 517, 533 Boutinet J.P. 235, 243, 248, 250, 360, 375
Amadieu F. 526 Boyer R. 82
Amalberti R. 478 Bronckart J.P. 463
Amira S. 217 Bruner J. 458, 532
Argyris C. 171 Buchs C. 329, 334, 337
Aubret J. 406, 551, 575, 580 Butera F. 333
Autissier D. 167
C
Aventur F. 74, 81
Cahuc P. 73, 78
B Capdevielle P. 83
Baddeley A. 296 Carayon P. 186
Bandura A. 40, 249, 317, 319, 325, 388–389, Cardon P.A. 593
397, 399, 562 Carmeli A. 498
Barbier J.M. 603, 619 Carré P. 38, 171, 249, 309, 313, 327, 367,
Baril D. 223 374–375, 383, 497, 501, 505
Batal C. 157 Carriou Y. 78
Becker G.S. 71 Cartier I. 579
Beillerot J. 315 Caspar P. 39, 77, 79, 592–593, 597, 599
Bellier S. 279 Catani M. 349
Bertaux D. 349 Charbonnier O. 39, 157, 171, 395, 486, 526,
Berthelot J.M. 619 638
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Berton F. 77 Charlot B. 312, 316


Bijeire G. 153 Chartier D. 326
Billett S. 492 Chatigny C. 184
Binswanger L. 242 Clapier-Valladon S. 350
Blachère M. 577 Clasquin B. 83
Blandin B. 519, 521 Clément W. 77
Boccara V. 181 Clot Y. 455, 460, 564
Bonvalot G. 350 Colardyn D. 572

661
Traité des sciences et des techniques de la formation

Collet I. 371 Dugué B. 187


Condorcet 53 Dumazedier J. 34, 47, 391
Correia M 74 Dupuy F. 284
Cosnefroy L. 294
E
Courtois B. 350
Edmondson A. 498
Cousinet 399
Ehrenberg A. 250
Cyrot P. 365, 371, 533
Enlart S. 39, 271, 395, 483, 486, 512, 526, 638
D Eraut M. 495
Daniellou F. 189 Evans 395
Danvers F. 565
F
Davezies P. 454
Falzon P. 175, 177–178, 183, 187
Debesse M. 36, 314
Faure E. 637
Deci E. 318, 321, 326–327, 396–397, 399
Fayol H. 165
Dejours C. 378, 456
Fenouillet F. 289, 309, 531
Delbos G. 494
Fernagu-Oudet S. 374, 587
Deledalle G. 481
Delgoulet C. 175, 180–181, 253, 262, 265 Ferrarotti F. 349

Delors J. 637 Fisher G. 249

Delory C. 354 Flieller A. 256

Delory-Momberger C. 353 Fombonne J. 141

Demailly D. 262 Fonds social européen 195, 197

Déro M. 289, 531 Fortier G. 571–572

Desjeux D. 41 Fournier C. 76
Desroche H. 350 Freinet 399
Dewey J. 398, 474, 481 Freire P. 391, 393
Doise W. 332 Frenay M. 338–339
Dominicé P. 347, 350, 352, 357–358 Frétigné C. 316, 587
Downes S. 524 Freud S. 315
Drucker P.F. 167 Friedman G. 93
Dubar C. 87, 97, 249 Fritsch P. 589
Dubet F. 312

662
Index des noms propres

G K
Gadea C. 87 Kant E. 398
Gagné R. 503 Kaplan J. 374
Gagneur C.A. 475 Knowles M. 390–391, 393
Gaulejac V. 351 Kuhn T. 608
Gauron A. 75, 80, 82 L
Gazier B. 285 Lacomblez M. 180–181, 183
Goux D. 72, 75 Lahire B. 240, 316
Graton E. 352 Lani-Bayle M. 353
Guégot F. 554 Laot F. 614
Guichard J. 557, 564–565 Lapassade G. 240
Latreille G. 557
H
Lauzon N. 223
Haims M.C. 186
Laville A. 183-184
Hanchane S. 74, 76
Layec J. 560
Hatchuel A. 164
Le Boterf G. 78, 275, 404, 407, 411, 415, 417,
Hattie 397
419, 445, 549, 593
Hauser G. 170
Lebrun M. 509, 528
Honneth A. 249 Leclercq V. 621
Houle C. 321, 391 Le Deuff O. 532
Huteau M. 564–565 Legrand J.L. 351
I Le Grand J.L. 351
Igalens J. 139, 153 Legrand M. 351
Lejeune P. 352
J Le Ny J.F. 317
Jacques E. 247 Léon A. 56, 385, 557
Jeger F. 78 Leplat J. 275
Jeunesse C. 501, 533 Lesne M. 47, 312
Jézégou A. 373 Levinson D. 244
Jobert G. 350, 449 Lewin K. 613
Joffre P. 121 Lhotel H. 83
Jorion P. 494 Lhotellier A. 558
Josso C. 350, 352 Lichtenberger Y. 171
Liétard B. 406, 569

663
Traité des sciences et des techniques de la formation

Lieury A. 303, 398 Mosconi N. 371


Lindeman E. 391 Mugny G. 332
Loarer E. 253, 260, 264
N
Long H. 391
Nascimento 187
Luttringer J.M. 103
Naville P. 93
M Niewiadomski C. 358
Maître F. 170 Not L. 389
Malglaive G. 164, 275, 593 Nuttin J. 325
Maroy C. 89
O
Marquié J.C. 260, 265
Olry P. 467
Masingue B. 170, 425
Ouellet S. 180
Maslow A. 318
Maubant P. 390 P
Maurin E. 72, 75 Palazzeschi Y. 51, 161

Mauss M. 608 Passeron J.C. 96

Mayen P. 467, 469 Pastré P. 460, 462–463, 467, 469–470, 477,


479
Mead M. 240
Perez C. 87
Méhaut P. 80
Perriault J. 526
Meignant A. 504, 515, 594
Péry N. 577
Meirieu P. 327
Petot J.M. 315
Merle V. 574, 577
Piaget J. 385, 387, 398, 451, 458, 479
Meron M. 217
Pieuchot L. 74
Merton R.K. 607
Pineau G. 347, 350–352, 374, 585
Meyerson 388
Podevin G. 75
Mezirow J. 352, 393, 585
Poirier J. 350
Mialaret G. 36, 314, 385
Poisson D. 313, 327, 391, 505
Minvielle Y. 593
Pottier E. 82
Moisan A. 313, 391, 505
Pottier F. 74
Mollo V. 183, 187
Monnet J. 195, 206 Q
Monteil J.M. 334 Quiamzade A. 336
Montmollin M. de) 275

664
Index des noms propres

R Skinner B.F. 314, 386, 503


Rabanes P. 80 Solar C. 211, 223, 324
Rabardel P. 526 Solazzi R. 557
Rafinon E. 79 Sommet N. 335
Rawls J. 74 Stankiewicz F. 76
Reuchlin M. 318 Sullerot E. 561

Rey B. 283 T
Ricœur P. 360, 461 Taylor F.W. 162
Rieunier A. 383, 504 Teiger C. 175, 177, 180–181, 183–185
Riverin-Simard D. 244 Terrot N. 56, 59, 161
Robin G. 352 Thébault J. 268
Rogalski J. 182 Thrun S. 524
Rogers C. 388, 399, 559 Tolman 319
Roussel J.F. 223, 537, 549 Tough A. 376, 391, 393
Rousset P. 82 Trekker A. 352
Ryan R. 318, 321, 326–327, 396–397, 399 Tricot A. 526

S U
Sainsaulieu R. de 94, 170 Union européenne 197
Saint-Vincent M. 186 V
Sautebin M.T. 352 Vatier R. 47
Schaeffer J.M. 495 Vautrin G. 80
Schaie K.W. 257 Vergnaud G. 476, 479, 629
Schön D.A. 171, 183, 495 Véro J. 82
Schuman R. 195 Vézina N. 180, 184
Schunk D. 388 Vialet F. 412, 593
Schwartz B. 36, 47, 113, 309, 391, 395, 399, Vidal C. 175
637 Vidal F. 170
Séchaud P. 82 Vidal-Gomel C. 180, 182
Senge P. 171 Villers G. de 350
Sharan S. 331 Vincens J. 72, 74
Sheffknecht 36 Voisin A. 69, 71, 123, 647
Siemens G. 524 Vonderscher M.J. 593
Six-Touchard 183 Vygotski L.S. 387, 458, 460, 532, 584

665
Traité des sciences et des techniques de la formation

W Z
Wallon H. 385, 388 Zarifian P. 148
Weber M. 163, 165 Zilberberg A. 78
Weiner B. 317, 324 Zimmerman B. 388
Wenger E. 493 Zylberberg A 73
Werquin P. 572

666

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