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1

Le signe de Caïn
F. Jacquesson

(version 4)

Dans cet exposé, nous allons nous intéresser au personnage de Caïn, l i fâ e eu t ie de so frère
Abel. Dans un premier temps (sections 1 à 3), le plus exotique peut-être, nous allons expliquer les
problèmes bizarres qui se posent autour des questions : Caïn a-t-il été puni ? a-t-il été père ? Dans un
second temps (sections 4 et 5), plus traditionnel pour le linguiste ou le sémioticien, nous reviendrons,
ap s l i vita le Vi to Hugo, sur la question du « signe » dont Caïn a été marqué, et pourquoi ? Il
s agit d u parcours d histoi e littéraire avec une attention particulière pour la construction des récits.

Note éditoriale in fine.

La vignette ci- o t e appa tie t à la Haggada d o , u a us it it et d oré à Barcelone, vers 1320,


pour la communauté juive catalane. Cette
Haggada1 comporte 14 pages entièrement
peintes, qui sont divisées en 4 panneaux, dont
on voit ici celui qui représente le sacrifice
proposé par les deux frères, et (à gauche) Caïn
avec une hache avec Abel décapité (mais
l i age est a i e à ses pieds. Il a ive u u
panneau, comme ici, représente deux scènes
successives. En effet, sur les 56 panneaux
peints, on « lit » 71 scènes qui illustrent la
Ge se et l E ode.

Les deux scènes ici sont clairement distinctes,


ais u ies pa la postu e de l a ge dans le
nuage, et par le sol, identique pour les deux
moments. A droite, Abel et Caïn sont
identifiables par leur offrande : Abel à droite
avec son agneau dans les bras, et Caïn à
gauche avec ce qui est sans doute une gerbe
de ales. Su l autel à olo e, la asse
rouge figure le feu. Caïn est représenté en
train de se détourner. A gauche, le peintre a figuré le dialogue entre Dieu (ici un ange) et Caïn, après
le meurtre. C est la seule i age du cycle consacrée à ces personnages.

‘appelo s l histoi e Ge se : 1-11)2 :

L ho e o ut Ève, sa femme, elle conçut et enfanta Caïn, elle dit : J ai a uis3 un homme grâce
à Iahv . Elle e fa ta e suite so f e A el. A el fut pasteu de petit étail et Caïn cultivateur du
sol. Il advi t, au out d u e tai te ps, ue Caï appo ta des f uits du sol e o latio à Iahv .

1
Bezalel Narkiss. 1997. The Golden Haggadah. The British Library.
2
La t adu tio du te te i li ue, sauf e tio sp iale, est d Edoua d Dho e, oll. La Pl iade.
3
Il y a en hébreu une proximité sonore entre Qayin Caï et qanîtî j ai a uis . Beau oup de o s p op es
donnés à la naissance sont « justifiés » de cette façon, mais pas pour Hèbèl (Abel).
2

Abel de son côté apporta les premiers-nés de son petit bétail, avec leur graisse. Or Iahvé eut égard
à Abel et à son oblation, ais à Caï et à so o latio il eut pas ga d.
Caïn en éprouva une grande colère et son visage fut abattu. Alors Iahvé dit à Caïn : Pou uoi
éprouves-tu de la colère, et ton visage est-il abattu ? Si tu agis bien, ne te relèveras-tu pas ? Que si
tu agis pas bien, le Péché est tapi à ta porte : son élan est vers toi, mais toi, domine-le !
Caïn dit à Abel son frère : Allo s au ha ps ! Et o e ils taie t au ha ps, Caï se leva o t e
Abel son frère et le tua.
Iahvé dit à Caïn : Où est A el to frère ? Il dit : Je e sais. Suis-je le gardien de mon frère ? Il dit :
Qu as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie du sol vers moi. Maintenant donc maudit sois-tu de
par le sol qui a ouvert sa bouche pour prendre de ta main le sang de ton frère. Quand tu cultiveras
le sol, celui-ci ne continuera plus de te donner sa force. Tu seras fugitif et fuyard sur la terre.
Cette histoire a donc une série de points communs avec celle des parents : une faute, un déni de la
faute (Adam se cachait dans les bois et Iahv disait Où es-tu ? , u e uptu e ave la p odu tio
naturelle de la terre, une expulsion. Mais l histoi e e s a te pas e o e là (Genèse 4 : 13-16).

Caïn dit à Iahvé : Ma faute est trop grande pour que je la porte ! Voi i ue tu as hassé
aujou d hui de la su fa e du sol et je e a he ai de deva t toi. Je se ai fugitif et fu a d su la te e
et il arrivera que quiconque me recontre a e tue a.

Iahvé lui dit : Eh ie , ui o ue tue a Caï , Caï e se a ve g sept fois. Alo s, Iahv it un signe
à Caïn pour que ne le frappe pas quiconque le recontre. Puis Caïn sortit de devant Iahvé et il habita
au pa s de Nod, à l o ie t d Ede 4.

La traduction de Dhorme arrange les choses, car la phrase de Iahvé, ui o ue tue a Caï … , a laissé
perplexe beaucoup de commentateurs. Rachi5 disait : C est u des passages des E itu es qui ont été
a g s, ui so t allusifs et o e pli ites. Si lui s e p i ait ai si, ela sig ifie à oup sû u il a u e
difficulté ; et il y a donc eu de nombreuses suggestions. Une idée fréquente était que ši atayi (qui
est grammaticalement un duel) est pas sept fois mais (double) septuple - et peut être interprété
o e au out de sept g atio s . Cette i te p tatio , o e ous le ve o s, est li e à l id e
t s dis ut e ue fi ale e t est son descendant Lamech qui a tué Caïn par mégarde. Enfin, vient
u de ie poi t da s l histoi e de Caï , do t ous allo s epa le plus loi Ge se : 17-18) :
Caïn connut sa femme, elle conçut et enfanta Hénoch. Comme il bâtissait une ville, il appela la ville
du nom de son fils, Hénoch. A Hénoch nacquit Irad, Irad engendra Mehouyaël etc.
Nous allo s d a o d e plo e ette u ieuse fa ille.

1. Genèse 4 contre Genèse 5


Certains rédacteurs du texte biblique trouvèrent utile de faire le point de temps à autre en rédigeant
des généalogies ; d aut es, ou les es, se p o up e t de h o ologie. Les premiers tableaux
généalogiques da s l o d e du te te so t en Genèse 4 quand on se préoccupe de la descendance
d Ada , et plus fo elle e t e Ge se où les généalogies sont associées à des durées en années.

4
A la fi de l histoi e d Ada et Ève, est de e à l o ie t du ja di d Ede ue Dieu i stalle les h u i s
pou ga de la oute de l a e de vie Ge se :24).
5
Le grand commentateur juif champenois du XIe siècle.
3

La généalogie de Genèse 5 procède de façon systématique. Pour chaque personnage, on nous dit (a)
o ie d a es il a v u jus u à la aissa e de so fils aî , et (b) o ie d a es e suite. Puis
on fait la même chose avec ce fils aîné, et ainsi de suite. Pa e e ple, à p opos d Ada Ge :3-5) :
Adam vécut cent-trente ans et il engendra un fils à sa ressemblance et à son image. Il l appela du
nom de Seth. Les jou s d Ada , ap s u il eut e ge d Seth, furnt de huit cents ans. Il engendra
des fils et des filles. Le total des jours que vécut Adam fut de neuf cent trente ans et il mourut.
Cela permet à chaque fois de savoir (c) o ie d a es au total a v u le pe so age (ce qui est
explicitement dit), et aussi (après un calcul) (d) le o e da es oul es depuis le p e ie
personnage quand on passe aux suivants, donc (e) la date du décès. Mais cela occulte les
renseignements sur les épouses, les filles, ou les cadets : la lignée patrilinéaire est mise en valeur6.

(a) (b) (c) (d) (e)


jus u au fils ensuite total date naiss. date mort
Adam 130 800 930 0 930
Seth 105 807 912 130 1042
Enosh 90 815 905 235 1140
Caïnan 70 840 910 325 1235
Mahalalel 65 830 895 395 1290
Yered 162 800 962 460 1422
Henoch 65 300 365 622 987 disp.
Mathusalem 187 782 969 687 1656
Lamech 182 595 777 874 1651
Noé7 500 1056
Ta . . La h o ologie de la lig e d Adam à Noé, selon Genèse 5.
Ainsi par exemple Enosh petit-fils d Ada est dit avoi v u a s, do t jus u à la aissa e de
so fils aî Caï a et e suite. Il est e l a de ette h o ologie. O e a ue a ue es
hommes vivent très vieux, et une conséquence est que, par exemple à la naissance de Lamech, en 874,
son aïeul Adam est encore vivant8 ; en revanche, à la naissance de Noé, en 1056, Adam est mort
puis u il a v u a s, et est do ot e . La putatio p ove iale de vieillesse de
Mathusale se v ifie puis u il a v u a s, u e o d e effet - mais au fond pas si remarquable :
Yered en a v u , Ada … On notera aussi la tendance à faire décroître la date où le premier
enfant naît : les du es, ui o e e tà pou u Ada ait Seth ais il est e s avoi eu Caï
et Abel auparavant !), décroissent ensuite (105, 90, 70, 65) avant de rebondir vers des nombres plus
importants ; la du e de vie ap s la aissa e de l aî a te da e à t e al ul e pou u o o tie e
des durées totales de vie du même ordre et aussi, sans doute, pour que tous disparaissent avant le

6
C est u e solutio u peu diff e te ui est adopt e da s la ta le g alogi ue de Ge se 10, qui décrit la
descendance de Noé. Dans ce tableau on donne semble-t-il tous les fils et tous les petits-fils de chacun des trois
fils de Noé ; ais il a u a e t g og aphi ue, plus u histo i ue.
7
En Genèse 5 : , o ous dit seule e t No tait âgé de cinq cents ans et Noé engendra Sem, Chem et
Japhet. Plus loi , o au a d aut es e seig e e t su sa h o ologie : En Gen 7 : No tait âg de a s
ua d eut lieu le d luge, les eau su la te e. ; En Gen 7 : La de la vie de No , le e mois, le 17e jour
du mois, en ce jour-là, se fe di e t toutes les fo tai es du g a d A î e et s ouv i e t les luses des ieu . E
Gen 8 : Au e ois, au e jou du ois, l a he se eposa su les o ts d A a at suive t d aut es do es
su l assèchement etc.). En Gen 9 :28- No v ut a s ap s le D luge. Le total des jou s de No fut de
a s et il ou ut.
8
C est e ue otait u pisode da s le Beréšît ‘a a, que rapporte Rachi à cet endroit : L ekh est ve u
trouver Adam, le premier ho e, et s est plai t de ses fe es et . Cet pisode a usa t e pli ue aussi
comment Adam est, après 130 ans, revenu à son épouse pour avoir Seth.
4

Déluge9. Enfin, Hénoch est un cas spécial : le a ateu p e d soi d i di ue u il est pas vraiment
mort : Elohi l a p is , et il e iste de o euses l ge des su e sujet.
Ce tableau bien net est cependant embarrassant. Ces personnages ont en effet été décrits dans le
chapitre précédent, sous des noms parfois un peu différents. Examinons ce problème. En Genèse 4, on
nous raconte (sans aucune date ni durée) que Ève mit au monde Caïn, puis Abel (4 :1-2), puis la querelle
mortelle entre les deux frères (4 :3- , et la e u te de Caï . Dieu l a audit Tu se as fugitif et fu a d
su la te e , ais Caï o je te ue ui o ue e e o t e a e tue a . Iahv trouve ue est e
effet une difficulté et, après avoir dit queqlque chose comme Qui onque tuera Caïn, Caïn sera vengé
sept fois , il et u sig e su Caï , pou ue e le f appe pas ui o ue le e o t e . O voit al ui
aurait frappé Caïn, puisque, à part ses parents, il est en principe seul sur la terre.
Mais cette terre va se peupler. On nous dit alors (Genèse 4 :17) que Caïn a un enfant avec sa femme
ui a ja ais t i di u e d au u e faço ; il s appelle H o h, et l o ajoute alo s la lig e de e
dernier, chacun étant le fils du précédent : Irad, Mehouyaël, Methoushaël, Lamech. Ce dernier eut
deux femmes, Adah et Sillah. Adah eut Yabal et Youbal ; Sillah eut Tubal-Caïn et une fille, Naamah.
C est la p e i e fille o e da s u e g alogie, uoi u il ait ie fallu ue toutes es pouses
vie e t de uel u u . La e h ha te un petit poème (Gen 4 :23- , d où l o d duit souvent u il a
tu Caï . E suite ep e d la g alogie d Ada , et on nous dit (peut-être parce que si Caïn est mort,
Adam et Ève se trouvent sans fils vivant ? u Ève a un troisième fils, Seth, lequel a un fils, Enosh.
Adam & Ève
1-Caïn 2-Abel
Henoch
Irad
Mehouyaël
Methoushaël
Lamech (tue Caïn)
d Adah : Yabal et Youbal
de Sillah : Tubal-Caïn et Naamah
3-Seth
Enosh
Tableau . Les des e da ts d Ada et Ève selon Genèse 4.
On peut rapprocher les deux tableaux, et repérer les accords et les discordances. Un point fondamental
est que selon Genèse 5 (Tableau 1), tous les des e da ts d Ada et Ève le sont par leur fils Seth :
jamais par Caïn. Au contraire, selon Genèse 4 (tableau 2), beaucoup des des e da ts d Ada et Ève le
sont par Caïn, et Seth est mentionné après eux, et on lui donne pour fils Enosh. Voici le tableau des
ressemblances entre les noms des personnages des deux listes.

noms hébreux Genèse 4 Genèse 5 noms hébreux


(Tab. 2) (Tab. 1)
Šét Seth Seth Šét
È ôš Enosh Enosh È ôš
Qayin Caïn (1) Caïnan Qéynân
Meḥû â l Mehouyaël (4) Mahalalel Mahalal l
Îrad Irad (3) Yered Yèrèd
Ḥanôk Henoch (2) Henoch Ḥanôk
Metûšâ l Methoushaël (5) Mathusalem Metûšâlaḥ

9
Afi u il e pa aisse t pas t e pu is. C est aussi la ause de la lo gue et at pi ue vie de No ans) avant
u il ait ses e fa ts : da s l a he, il au a pas d a t es à e e e , seule e t Ge se : toi, tes fils, ta
fe e et les fe es de tes fils ave toi.
5

Lèmèk Lamech (6) Lamech Lèmèk


Tableau 3. Comparaison des noms des deux traditions.
L o dre suivi est celui de Genèse 5 ; l o d e da s Ge se est i di u pa les hiff es.
Les deux ensembles sont contradictoires. On peut penser que la clarté du tableau de Genèse 5 est un
peu suspecte, et soupço e u e atio alisatio ult ieu e, pa e e ple au o e t où l o a essa
de mettre au point des chronologies.
La ressemblance des deux listes est t ou la te e effet, et il faut ie de l astu e pou oi e u elles
o t ie de o u . Philo d Ale a drie (m. vers 45 EC) avait écrit, en utilisant les noms grecs10 :
Puis ue Caï a e ge d E ôkh et ue de ouveau la p og itu e de Seth s appelle E ôkh, il faut
voi de p s s ils so t diff e ts ou si e so t le e. Nous dev o s e a i e , ave eu -ci, les
diff e es e t e les aut es ho o es. Ca de e u E ôkh, de e Mathousala et La ekh
sont des descendants de Caïn et ne sont pas moins descendants de Seth.
Mais ap s ela, il oie le poisso . Il d la e ue ha u de es o s a deu se s, l u mauvais (digne
de Caï , l aut e o dig e de Seth ; que la cité bâtie par Hénoch fils de Caïn est une métaphore, car
si Caïn en fuite est seul, à quoi bon une cité ? Philo d veloppe e suite ses vues su les it s de l esp it,
et revient de temps à autre aux autres noms de la lignée de Caïn, pour expliquer combien leur nom
o t e u ils so t auvais.

2. Autres traditions
2.1. La traduction grecque
Les traductions principales, développées dans le monde juif ou judaïsant dans les derniers siècles AEC
et les premiers EC, sont les traductions grecques, et araméennes (targoums)11. Pour les comparer
correctement, il vaut mieux utilise les fo es e a tes des o s, et o plus l usage f a çais
traditionnel, qui dérive surtout de la traduction latine.
Voici de nouveau la structure de notre tableau 1, résumant les données de Genèse 5 (avec les dates),
mais adapté à ce que nous dit la traduction grecque des Septante. Les différences dans les colonnes
(a), (b) et (c) sont surlignées en bleu.
(a) (b) (c) (d)
nom hébreu nom grec jus u au fils ensuite total date naiss.
Adam Âdâm Adam 230 700 930 0
Seth Šét Sêth 205 707 912 230
Enosh È ôš Enôs 190 715 905 435
Caïnan Qéynân Kainan 170 740 910 625
Mahalalel Mahalal l Maleleêl 165 730 895 795
Yered Yèrèd Iared 162 800 962 960
Henoch Ḥanôk Enôkh 165 200 365 1122
Mathusalem Metûšâlaḥ Mathousala 177 802 969 1287
Lamech Lèmèk Lamekh 188 565 753 1464
Noé Noaḥ Nôe 500 1652
Tableau 4. Le catalogue de Genèse 5, selon la version grecque des Septante.
On voit que, sauf pour Lamech, la durée totale de la vie de chacun (colonne (c)) est la même que dans
le texte en hébreu, ais ue le pa tage e t e la du e ava t la aissa e de l aî olo e a et
ensuite (colonne (b)) est différent ; les durées en (a) sont plus homogènes que dans le texte en hébreu.

10
Philo d Ale a d ie, De posteritate Caini, § 40.
11
Il faudrait prendre en compte aussi le texte samaritain.
6

Mais ce principe ne vaut plus pour Lamech, où l o a + = , au lieu de 182+595=777 dans le


texte en hébreu. Les durées de la colonne (a) se trouve t aussi d oît e d Ada à Yered, puis croître
ensuite de Yered à Noé.
Mais su tout, o e la h o ologie de la olo e d est al ul e d ap s la so e des do es
successives de (a), lesquelles ont beaucoup changé, il en résulte une chronologie différente. Par
e e ple, ous avio s o stat u e h eu, à la aissance de Lamech, en 874, Adam était toujours
e vie puis u il a v u a s ; e est plus v ai e g e où le de ie des e da t à avoi o u Ada
est Mahalalel (grec Maleleêl), né en 795. Ou encore : selo l h eu12, Noé naît en 1056, mais selon le
grec en 1652 - ce qui, pour un monde si jeune, fait une grande différence !
La diff e e e s a te pas là, a da s la g alogie du hapit e , le texte grec nous donne aussi
quelques formes particulières des noms.
en hébreu en grec
Adam & Eua
Qayin 1-Kain 2-Abel
Ḥanôk Enôkh
Îrad Gaidad
Meḥû â l Maiêl
Metûšâ l Mathousala
Lèmèk Lamekh (tue Kain)
Âdâh: Yâbâl, Yûbâl Ada : Iôbel, Ioubal
Ṣillâh: Tûbal Qayin, Na a âh Sella : Thobel, Noema
Šét 3-Sêth
È ôš Enôs
Ta leau . Les des e da ts d Ada et Ève selon Genèse 4, en grec.
Aussi loi tai es de l o igi al ue pa aissent des formes grecques comme Gaidad et Maiêl, elles en sont
pro a le e t des t a spositio s atu elles. Pou Gaidad, il est pas a e ue dans les transcriptions
de noms propres, u / / h eu devie e u /g/ g e à l i itiale13 ; le passage du /r/ hébreu au /d/ grec
semble bien supposer une faute de lecture (les deux lettres se ressemblent en hébreu), et donc une
transmission écrite. Quant au Maiêl grec, il est pas si su p e a t, car le /ḥ/ h eu est p es ue
jamais transcrit en grec : le son semble trop peu perceptible à une oreille grecque pour mériter une
t a s iptio uel o ue, o e le o t e le o d E ôkh, ou d ailleu s elui d Ève h eu
Ḥawwah, grec Eua). En somme, les o s p op es e g e e so t pas les t oi s d u e t aditio
généalogique différente.
Genèse 4 : 17-22 Genèse 5
grec hébreu hébreu grec
Kain Qayin Šét Sêth
Enôkh Ḥanôk È ôš Enôs
Gaidad Îrad Qéynân Kainan
Maiêl Meḥû â l Mahalal l Maleleêl
Mathousala Metûšâ l Yèrèd Iared
Lamekh Lèmèk Ḥanôk Enôkh
Ada : Iôbel, Ioubal Âdâh: Yâbâl, Yûbâl Metûšâlaḥ Mathousala
Sella : Thobel, Noema Ṣillâh:
Tûbal Qayin, Na a âh
Lèmèk Lamekh

12
J ô e, da s la ve sio lati e h tie e, suit la h o ologie de l h eu.
13
En Gen 35 : h . d > g . gade , Ge :19 héb. azzâh > gr. gaza et Job 13:3 héb. azzâtî > gr. gazaios, 1
Chr 2 : h . azû âh > g . gazou a, Gen 36 : h . âl > g . gai l et .
7

Noaḥ Nôe
Tableau 6. Les descendants de Caïn (Gen 4) et ceux de Seth (Gen 5).
Dans ce tableau 6, nous récapitulons les renseignements fournis par les chapitre 4 (surtout les
descendants de Caïn) et 5 (ceux de Seth). Les noms sont ici données dans l ordre où ils apparaissent
dans les textes : au centre en hébreu, sur les côtés dans la traduction grecque des Septante.
2.2. Le Livre des Jubilés
Il faut e tio e aussi e u o appelle le livre des Jubilés, connu par des fragments grecs et latins,
et dont le seul texte complet est une traduction éthiopienne14, faite sur un texte grec perdu ; le texte
original était en hébreu, dont quelques fragments ont été découverts à Qumran15. Ce livre, selon André
Caquot16, se ait data le du g e de Jea H a , e t e et AEC. C est u e so te de manuel
biblique, qui en reprend les principaux éléments dans un cadre chronologique affirmé, et complète ce
que le te te i li ue a pas dit e s i spi a t de t aditio s dive ses. Pa e e ple, il ous dit17 u ap s
Caïn et Abel, Adam et Ève eurent une fille, Awan, et u après avoir eu Seth ils eurent encore une fille,
Azura (voir plus loin), puis d aut es e fa ts ui e so t pas o s. C est pa e ue Caï a pousé
Awan que Hénoch a pu naître, et on nous dit e suite ue est e s unissant avec Azura que Seth a eu
avec elle leur fils Enosh. Nous semblons donc suivre le modèle du chapitre 4 (Caïn a des enfants), non
pas elui du hapit e Caï a pas d e fa ts . Mais l affai e e o dit.
Dans le tableau qui suit, on a résumé les filiations, en donnant à chaque fois le nom du père et de la
mère, tous deux toujours indiqués, et la date de naissance du fils. Cette date est exprimée dans ce
texte avec deux (ou trois) nombres : celui du jubilé, puis celui de la se ai e d a es, e fi pa fois
elui de l a ée dans la semaine. Chaque jubilé fait 49 ans, et est divis e se ai es d a es. Le
jubilé II commence do e l a , le ju il III e l a et .
père mère enfant, date de naiss.
Adam Ève Caïn II, 3
Adam Ève Abel II, 4
Adam Ève Awan II, 5
Adam Ève Seth III, 5, 4 (=130)
Adam Ève Azura III, 6
Caïn Awan Hénoch fin de IV
Seth Azura Enosh V, 5, 4 (=228)
Enosh Noa sa sœu Caïnan VII, 5, 3 (=325)
Caïnan Moualelet sa sœu Mahalalel IX, 1, 3 (=395)
Mahalalel Dina (fille de Barakiel18) Yared X, 3, 6 (=441)
Yared Baraka (fille de Rasouyal) Hénoch XI, 5, 4 (=522)
Hénoch Edni (fille de Danel)19 Mathusalem XII, 7, 6 (=587)
Mathusalem Edna (fille de Azriel) Lamech (XIV, 3, 1=652)

14
Ce livre est canonique en Ethiopie, où on le désigne par le mot Kufālē ‘ pa titio . Voi Le Li re d Hé o h
traduit sur le texte éthiopien, 1975 (1895), par François Martin, L. Delaporte, J. Françon, R. Legris, J. Pressoir,
Mila , A h . Et la t ad. f . d A d Ca uot da s l ouv age it ote .
15
Ils sont édités et traduits dans le vol. 2 de la Biliothèque de Qumrân, sous la dir. de Katell Berthelot et Thierry
Legrand, éd. du Cerf, 2010, p. 81 sqq.
16
Dans André Dupont-Sommer et Marc Philonenko (dir.), 1987, La Bible, Ecrits intertestamentaires. Gallimard,
coll. La Pléiade, page LXXV.
17
Jubilés IV, d. Pl iade p. . La h o ologie ui suit s te d su IV, -31.
18
d ite o e u e fille de la sœu va . du f e de so p e . Les filles suiva tes so t d ites ave la
même expression.
19
Da s le Liv e d H o h : , Ed a est la fe e d H o h. Il s agit d u e visio d H o h où est vo u e la
descendance de Caïn. Voir aussi 86 :1.
8

Lamech Betenos (fille de Barakiel) Noé XV, 3 (=700-706)


o t d Adam XIX, 7, 6 (=930)
Tableau 7. Des e da e d Ada , selo le Livre des Jubilés.
Cette chronologie concorde à peu près pour le début avec la chronologie de la Bible hébraïque. Une
discordance de cent ans se produit pour la naissance de Hénoch : en 522 (Jubilés) ou 622 (Bible). On
nous dit que Mathusalem épousa Edna en XIV, 3, 1 (=652), mais sans nous dire quand Lamech est né
(la date hébraïque de 8 est plus v aise la le . O ous dit e suite ue La e h pousa Bete os
en XV, 3 (entre 700 et 706) et u elle eut No da s la e se ai e d a es mais selo l h eu
en 1056). Il en résulte que la durée écoulée avant le premier fils pour Mathusalem et Lamech est plus
ou te ue da s la h o ologie i li ue, et est e ui e pli ue aussi u à la aissa e de Noé, Adam
est toujou s viva t. E eva he, pou la o t d Ada , les deu h o ologies sont de nouveau
d a o d : en 930. Le tableau suivant compare les dates de naissance selon les deux sources.
Bible héb. Jubilés
Caïn 63-69
Abel 70-76
Seth 130 130
Hénoch A v. 196
Enosh 235 228
Caïnan 325 325
Mahalalel 395 395
Yared 460 441
Hénoch B 622 522
Mathusalem 687 587
Lamech 874 apr. 652
Noé 1056 700-706
o t d Ada 930 930
Tableau 8. Comparaison des dates de naissance, selon la Bible et les Jubilés.
Qua t au fils de Caï , il est o H o h, ais e est pas le e e thiopie , il aurait une
légère différence dans le nom) que le Hénoch fils de Yared. Il y aurait deux Hénoch, ce qui est peut-
être une façon de concilier les deux généalogies divergentes (voir tableau 3), celle de Genèse 4 où
Ḥanok (Hénoch A) est fils de Caïn, et celle de Genèse 5 où le même Ḥanok (B) est fils de Yèrèd.
La diff e e de h o ologie este su p e a te, d auta t u o a et ouv de o eu f ag e ts de
ce livre des Jubilés sur le site de Qumrân. La discordance de cent ans à partir de Hénoch B (né en 522,
au lieu de 622 selon la Bible) a une vraisemblance dans la mesure où il est bizarre que (selon le texte
biblique - voir tableau 1) son père Yered ait dû atte d e ava t de l avoi , alors que son propre père
a atte du ue a s pou avoi Ye ed, et H o h ue a s pou avoi Mathusale : on pourrait
donc trouver plus naturelle une série 65 - 62 - u u e s ie - 162 - 65. Faiso s l e p ie e, et
ôtons aux nombres bibliques de la colonne (a) ette e tai e d a es ue ous d ido s de t ouve
excessive. Nous trouvons ceci :
Bible refonte expérimentale
(a) (d) (a) (d)
jus u au fils date naiss. jus u au fils date naiss.
Adam 130 0 130 0
Seth 105 130 105 130
Enosh 90 235 90 235
Caïnan 70 325 70 325
Mahalalel 65 395 65 395
Yered 162 460 62 460
9

Henoch 65 622 65 522


Mathusalem 187 687 87 587
Lamech 182 874 82 654
Noé 500 1056 736
Tableau 9. Refonte expérimentale des nombres jugés « trop grands »
Dans ce tableau 9, ui s appuie su les nombres du tableau 1, nous avons remplacé pour Yered 162 par
62, pour Mathusalem 187 par 87, et pour Lamech 182 par 82. Cela modifie la chronologie cumulative,
dans la colonne (d). On y trouve une chronologie plus conforme au livre des Jubilés pour les dates de
522 et 587 pour les naissances de Henoch et Mathusalem, mais aussi de 654 pour Lamech, que les
Jubilés dise t ap s . La date est epe da t pas o fo e pou la aissa e de No , e si
elle moins éloignée que la date biblique. Notre exer i e du ta leau a ue le ite de p e d e une
hypothèse simple, inverse de celle des Septante qui au contraire ajoutent une centaine partout. Le but
est de chercher quel calcul sous-tend celui du livre des Jubilés. Si le calcul des Jubilés repose sur une
ve sio du te te i li ue ui a dispa u e t e te ps, l e e i e est philologi ue e t i t essa t.
. . Le Seder Ola
Le Seder Olam est une synthèse chronologique composée au IIe ou au Ier siècle AEC, sans doute dans
l e tou age de Yossi Joseph e Ḥalaftâ, et qui fut ensuite adoptée dans les communautés juives de
Babylonie20. Son but est de produire une chro ologie o ti ue et oh e te de l e se le des
v e e ts appo t s da s la Bi le, et do d e ai te i la valeu histo i ue. Le premier chapitre
de ce livre commence de cette façon :
D Ada au D luge, a s et e d tail : Ada , Š t Seth 105, E ôš , Q a ,
Mehallal l , Yérèd 162, Ḥa ôk H o h , Metûš laḥ (Mathusalem) 187, Lèmèk 182 ; et Noaḥ
(Noé) avait 600 ans etc. Ge 7 :6). Ḥanok enterra Adam et vécut après lui 57 ans21. Metûšelaḥ
te i a ses a es juste ava t le D luge. Du D luge jus u à la S pa atio , a s et .
Ce sont les nombres de la série hébraïque. Ce livre appartient à la même mouvance qui produisit de
place en place, dans la Bible, des indications chronologiques.
2.4. Les chronographies
L A ti uit ta dive et le Moyen âge (romain ou byzantin) ont été ponctués de h o og aphies, est-à-
di e de su s histo i ues où l o do ait des dates, le plus souve t e remontant à la création du
monde22. Celles-là sont donc des chronographies « bibliques », u elles soie t juives o vie t de le
voir) ou musulmanes ou chrétiennes, et de différentes obédiences à chaque fois. Le même phénomène
a existé ailleurs, en Chine par exemple. Dans tous les cas, ces chronographies se recopient plus ou
moins les unes les autres, et sont cumulatives. Elles sont en principe distinctes à la même époque des
œuv es histo i ues ui, si elles fo t pieuse e t allusio à l A ti uit , s i t essent à une période
particulière. Pour nous, ces chronographies sont intéressantes pa e u elles pa le t d Ada et Ève,
et de Caïn. Nous allons en donner trois exemples.
Selon le chronographe anonyme publié par Dindorf23,

20
L ouv age fut dit et traduit en latin par Génébrard à Bâle e p fa e dat e . Il avait d a o d
publié sa traduction latine seule, à Paris, en 1578. Ces éditions sont accessibles en ligne.
21
Voir le tableau 1.
22
Une des plus célèbres en Europe chrétienne occidentale est celle de Jérôme de Stridon (saint Jérôme), en
lati , ui a o pl t elle d Eus e de C sa e, e g e . Mais elle d Eus e est plus o ue ue pa des
citations, et par la traduction de Jérôme.
23
Ioannis Malalae Chronographia ex recensione Ludovici Dindorfii, Bonn, 1831. p. 4-5.
10

Adam engendra de sa femme trois fils, Caïn, Abel et Seth et deux filles, Azoura et Asouam24, et
Ada , selo l o d e de Dieu do a des o s à tous les uad up des, volatiles, a phi ie s,
se pe ts, poisso s et leu s e fa ts. Qua t à so o et à elui de sa fe e, l a ge du seig eu le
leur dit. Et Caîn prit pour femme sa première sœu Azou a, Seth la deu i e Asoua ou Aso a .
Quant à Abel, il demeura vierge et juste et pasteur de bétail, duquel ayant offert un sacrifice à Dieu
et ayant été accepté, il fut tué par Caïn son frère. Caïn se trouvait agriculteur et, après sa
condam atio viva t oi s ie , il o çut d a o d les esu es, les poids, et les f o ti es au sol ;
e suite, a a t fo d e te e de Naid u e ville à l oppos d Ede , il lui do a le o de so fils
Enôs et, ayant contraint les gens de sa maison (oikeious autou) à se rassembler en un seul endroit,
il se consacra aux combats. Après cela, sa maison étant tombée sur lui, il mourut, à ce que disent
quelques-uns, les autres disant que Lamech le tua. Mais Caïn engendra Enôs, Enôs Gaïdad, Gaïdad
Maleleêl, Maleleêl Mathousala, Mathousala Lamech et celui-ci ayant deux femmes, Elda et Sela, il
e ge d a Io l, Iou al et Tho el. … la famille (genos de Caï jus u i i dig e de oi e, a t
retirée du nombre des pères, afi ue u il e soit i e egist ave les p e ie s (pères), ni ne
p e e la t te d u e lig e. C'est do e ue sig ifie le « celui qui tuerait Caïn - il évitera sept
vengeances ».
Les noms comme Gaidad montrent que la source du chronographe est grecque. L histoi e d Azou a et
Asouam montre le contact avec les traditions connues du Livre des Jubilés.
Une chronographie importante pour le Moyen âge byzantin est celle de Jean Zonaras (v. 1074 - apr.
1159). Plusieurs manuscrits rapportent un détail étrange, pour la partie qui nous concerne. Zonaras
rapporte les hoses da s l o d e i li ue, et il pa le do d a o d de la des e da es de Caï , e
suivant Genèse 4. Ensuite pour Genèse 5, il suivra le modèle traditionnel ; mais pour la descendance
de Caïn, il écrit ce que nous pouvnos résumer dans le tableau comparatif ci-dessous25.
en hébreu Septante Zonaras
Qayin Kain Kain
Ḥanôk Enôkh Enôs
Îrad Gaidad Gaidad
Meḥû â l Maiêl Maleleêl
Metûšâ l Mathousala Mathousala
Lèmèk Lamekh (tue Kain) Lamekh
Âdâh: Yâbâl, Yûbâl Ada : Iôbel, Ioubal Ada ?: Iôabel, Ioubal
Ṣillâh: Tûbal Qayin, Na a âh Sella : Thobel, Noema Sela : Thobel
Tableau 10. La descendance de Caïn selon la version des Septante et selon Zonaras.
Voici une agréable traduction française du passage de Zonaras, faite au XVIe siècle26 :
Il (Caïn) se mit quelquefois à bastir, et édifia une ville qu il nomma du nom de son fils aisné, lequel
s apeloit Enos. Sa race et génération fut copieuse, embrassant d une suite un grand nombre
d enfans et petits fils, dont les noms par ordre se content ainsi : Enos son premier fils, qui eut
Gaïdad ; et Gaïdad conceut ce Maleleel, deuquel descendit Mathusala ; et cestui fut père de
Lamech ; ce Lamech espousa deux femmes, et les tint toutes deux ensemble, dont l une eut nom

24
Le Livre des Jubilés citait Awan et Azoura. Caïn épousa la 1re, Seth la 2e. C est le o t ai e i i, ais la sou e
des deux livres est analogue.
25
Source : le texte de Zonaras dans la Patrologie grecque, vol. 134, col. 59-60.
26
La traduction ajoute un peu au texte : ces passages sont en italique. Les Histoires et Croniques [sic] du Monde
de Jean Zonaras, [pour le 1er livre : par Jean de Maumont] traduit du grec en françois, avec annotations mises
en la marge pour diverses lectures Grecques et advertissemens, que Tables des choes plus mémorables. A
Paris, chez Guillaume Julian, à l enseigne de l Amitié, près le Collède de Cambray, 1583. (Disponible en ligne).
L extrait est p. 18.
11

Adane, et l autre Selaine ; desquelles il aquit aussi une grand lignée, montant bien en multitude de
soixante et dix sept enfans, tous engendrez de luy ; entre lesquels fut Ioabel, qui aima fort les
champs et la bergerie, soy delectant ès gras pasquis, en gros troupeaux de bestes, tant à corme
qu autres, desquelles luy mesme fut pasteur et maistre. Et si eut de grans haras, et force poulains
et chevaux, ou il prenoit son plaisir. Mais Iubal, qui le suyuoit en aage [suivait en âge], aima la
musique et s y fonda si avant qu il inventa la Harpe et le Psalterion, les accomplissant de toutes
leurs pieces. Le tiers [troisième] nommé Thobel, nay de Selaine, fut forgeron, et mit fer et airain et
autre métal en euvre, et là dans ses forges et fourneaus occupa tout son labeur. (Or c est assez
quant à ceste race Caïnienne, qui ne valut guère pour les choses de Dieu, lesquelles consistent en
simplicité et bonté : retournons ores au vieux Adam, et à sa seconde lignée.)
Deux faits sont notables. L un est que Zonaras écrit Maleleêl et non Maiêl, c est-à-dire qu il a remplacé
le nom du texte grec de Genèse 4 par celui qu il estimait être son équivalent en Genèse 5 (voir tableau
6) ; en revanche il conserve Gaidad. L autre fait, plus important, est que pour le fils de Caïn, il remplace
Enôkh (Enoch, en hébreu Ḥanôk) par Enôs (Enosh, hébreu È ôš) qui est le fils de Seth ! En d autres
termes, il a poussé très loin la collusion des deux descendances.
Le point d interrogation après Ada, dans la liste de Zonaras, vient de sa façon de l exprimer à propos
des deux femmes de Lamech :
Celui-ci (Lamech), s étant accordé (sunarmosas) avec deux femmes, Ada et Sela, il eut de toutes les
deux soixante-dix-sept enfants ; parmi lesquels Iôabel était occupé du bétail (ktêno-trophos), et se
plaisait à l élevage ; Ioubal inventa la musique et conçut la cithare et le psaltérion ; et Thobel, né de
Sela, était un métallurgiste, artisan du fer et di bronze. [Il n est pas question de leur sœu ].
Une autre chronographie est elle d u udit h tie du XIIIe si le, v ue d u e ville a tuelle e t
situ e da s l est de la Tu uie. Jus ue e e t, on parlait dans ces régions des dialectes araméens,
et Bar-Hebraeus a composé sa Chronographie en syriaque (puis un abrégé en arabe). Il est enterré près
de Mossoul, da s l u des a ie s o ast es ja o ites de Mésopotamie27 (Traduction de Ph. Talon28).
Ada , le p e ie ho e, tait le oi de eu ui taie t su la te e. Selo l opi io du liv e divi ,
il fut créé le vendredi 6 du premier mis de Nisan, en la 1re a e de l e iste e du o de ui
commence le dimanche premier du mois de Nisan. Récemment, Anianus un moine, a amené les
t oig ages du liv e d H o h, disa t ue a s ap s la so tie du Pa adis, Ada o ut Ève et
elle enfanta Caïn. Après sept ans elle enfanta Abel. Adam et Ève le pleurèrent pendant cent ans.
E suite, Ada o ut Ève à ouveau et elle e fa ta Seth. Selo Methodius, a s ap s u ils
fu e t so tis du Pa adis, il e ge d a Caï et Qli ia sa sœu . Ap s aut es a es, il e ge d a
A el et sa sœu La uda. Lo s ue Ada eut a s, Abel fut tué et il engendra Seth quand il eut
230 ans. En tout, Adam vécut 930 ans.
Ce savant syriaque oppose donc deux traditions. Caïn est né 70 ans (selon Anianus qui suit Hénoch) ou
30 ans (selon Methodius) après la sortie du Paradis, mais selon le seco d il avait u e sœu . A el est
7 ans après Caïn (selon Anianus) ou 30 ans (selon Methodius, qui ajoute encore la mention de sa soeur).
Le meurtre eut lieu quand Adam avait 130 ans (quel âge avait Ève ?), et après un deuil de cent ans, la
naissance de Seth vint consoler le couple. Par la suite, Bar Hebraeus suit la chronologie de la Septante.

27
Sa Chronographie fut publiée en 1789 à Leipzig, par deux professeurs allemands, Bruns et Kirsch, ensuite en
1890 par P. Bedjan.
28
Bar Hebraeus. 2013. La Chronographie. Traduite du syriaque par Philippe Talon. Vol. 1. Fondation
universitaire de Belgique, E.M.E.
12

3. Caïn a-t-il été père ?


Co e ous l avo s vu plus haut voi ta leau , selo Ge se Caï a eu u e lo gue des e da e :
1-Caïn
Henoch
Irad
Mehouyaël
Methoushaël
Lamech (tue Caïn)
d Adah : Yabal et Youbal
de Sillah : Tubal-Caïn et Naamah
Tableau 9. Extrait du tableau 2. Postérité de Caïn selon Genèse 4.
A el, ui a t tu t op tôt pou avoi eu des e fa ts, a pas de des e da e. La Bible se préoccupe
du 3e fils, Seth, né plus tard. Selon Genèse 4, Seth a eu un fils, Enosh - u ot ui veut di e ho e.
Mais selo Ge se ui s auto-i stitue le liv e des g atio s d Ada , ous le savo s d jà, tout
change. Adam engendre Seth, qui engendre Enosh, qui engendre Caïnan, qui engendre Mahalalel, qui
engendre Yered, qui engendre Hénoch, qui engendre Mathusalem etc. Autrement dit, Caïn est
dépossédé : son fils Hénoch (selon Genèse 4) a été subtilisé et réintégré finement dans la descendance
de son frère Seth. D aut es o e tateu s ous l avo s vu , e a ass s, t ouve o t p ude t de
e o aît e deu H o h, l u pou Caï et l aut e pou Ye ed. De e ue iti ue te tuelle, il
faut réserver un privilège aux leçons étonnantes29, et ega de d u œil plus critique les auteurs qui
arrondissent les angles, de même en critique tout court il est préférable de réserver une option
i t ess e au iza e ies ue d aut es o t essa de dissi ule . Il ous pa aît do fi ale e t plus
aiso a le de pe se u u e descendance avait été attribuée à Caïn (comme en Genèse 4) ; (2)
ue ette des e da e se et ouvait aussi au oi s e pa tie da s u e ve sio dive ge te de l histoi e
où l a t e tait Seth ; u il a fallu e suite o i e les deu ve sio s e u seul récit. Ce ui s est
pass e a te e t, ous e sau o s sa s doute ja ais le fi ot.
Da s u e o eptio g alogi ue de l histoi e i li ue, u e g alogie d isive est Ge se , juste
ap s l histoi e l histoi e de la Tou de Ba el. So ut est de elier Noé et Abraham. Voici un extrait,
s th tis d une façon familière. On a déjà vu que Noé avait eu trois fils, nés avant le Déluge quand il
avait 500 ans : Se , Cha et Japhet. O ous e pli ue d a o d Ge :10) que Sem eut Arpaxad
deu a s ap s le D luge . Or, nous savons bien que le Déluge more biblico a eu lieu en 1656. Dans la
colonne (d) la lettre D est pou la date du D luge.
(a) (b) (c) (d)
jus u au fils ensuite total date naiss.
Sem 100 500 600
Arpaxad 35 403 438 D+ 2
Shelakh 30 403 433 D+ 37
Ebér 34 430 464 D+ 67
Pélég 30 209 239 D+ 101
Reou 32 207 239 D+ 131
Seroug 30 200 230 D+ 163
Nakhor 29 119 148 D+ 193
Térakh 70 D+ 222
Abraham + D+ 292 (=1948)

29
Les spécialistes appellent cela la lectio difficilior. Quand on compa e plusieu s a us its d u te te a ie ,
et ue e tai s off e t, pou u passage do , u te te i atte du, il est p o a le ue est le o - parce
u o se de a de d où ils l au aie t so ti, s il tait pas authe ti ue = s il avait pas u e t adition solide).
13

Tableau 10. Posérité de Sem, fils de Noé, selon Genèse 11.


Selon cette généalogie, manifestement rédigée de la même façon (et sans doute par le même
rédacteur soucieux de chronologie conséquente) que celle de Genèse 5, Abraham est un descendant
de Sem, fils de Noé. Selon la généalogie de Genèse 5 (tableau 1), Noé est fils de Lamech.
La question : Caïn est-il père ? est liée à la personnalité particulière du fils, Hénoch. Dans la Bible,
o e ous l avo s vu plus haut, H o h est u pe so age favo i de la divi it (Gen 5 :23-24) : Le
total des jou s d H o h fut de a s, puis H o h a ha e o pag ie de l Elohi et il e fut plus,
a Elohi l avait p is.

4. Le signe de Caïn
. . L erra t
Il e iste de o euses l ge des à p opos de Caï , et e u e se te de Caï ites ui, da s l o ite
chrétienne, trouvait que Judas était meilleur que Jésus. Jorge-Luis Borges est revenu sur le sujet dans
une nouvelle, T ois ve sio s de Judas 30. E F a e, il est diffi ile d vite Hugo ui, da s le Légende
des Siècles, consacre un poème épique et ténébreux à Caïn. En 1857, il écrit à la fin de son prologue :
Ce livre, c'est le reste effrayant de Babel ;
C'est la lugubre Tour des Choses, l'édifice
Du bien, du mal, des pleurs, du deuil, du sacrifice,
Fier jadis, dominant les lointains horizons,
Aujourd'hui n'ayant plus que de hideux tronçons,
Épars, couchés, perdus dans l'obscure vallée ;
C'est l'épopée humaine, âpre, immense — écroulée.

Da s la p e i e s ie de l a thologie ue fo e La Légende des Siècles, Hugo a trouvé bon, lui


aussi, d a a ge so p og a e d a ati ue de façon chronologique. Il intitule donc sa 1re partie,
fid le e ela à la t aditio h tie e, D Ève à J sus . Da s le po e ui s appelle La Co s ie e ,
dont Caïn est le héros, notre Caïn possède une famille.
Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Échevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Co e le soi to ait, l ho e so e a iva
Au as d u e o tag e e u e g a de plai e ;
Sa fe e fatigu e et ses fils ho s d halei e
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.

Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,


Il vit u œil, tout g a d ouve t da s les t es,
Et ui le ega dait da s l o e fi e e t.

Nous savons la suite : Le Caïn hugolien, terro is pa et œil sa s fatigue ui le fi e, voud a le fui et,
s e fu a t de plus e plus loi , s e fouissa t de plus e plus p ofo d, le et ouve toujou s : l œil est
en lui. L ho e so re, comme le poète le nomme, a en lui cette clarté.

30
La nouvelle fut publiée dans la revue Sur en août 1944. Inclus dans Ficciones (1944), trad. fr. 1951.
14

Co e ous l avo s vu au audépart, l histoi e de Caï e fuite, ui est u e des sou es de la l ge de


du Juif errant31, a sa sou e da s la Bi le. Caï a d a o d voulu lude sa espo sa ilit da s le eu t e
de son frère. Et Dieu lui répond (Genèse 4 :10-16) :
Tu seras fugitif et fu a d su la te e.
Caïn dit à Iahvé : … Je serai fugitif et fuyard sur la terre et il arrivera que quiconque me rencontrera
e tue a.
Iahvé lui dit : Eh ie ! Qui o ue tue a Caï , Caï e se a ve g sept fois . Alo s Iahv it u sig e
à Caïn pour que ne le frappe pas quiconque le rencontre. Puis Caïn sortit de devant Iahvé et il habita
au pa s de Nod, à l o ie t d Éde .
Aussitôt après, on nous dit que Caïn eut un fils Hénoch, dont il donna le nom à la ville u il âtissait.
Cette figure de proscrit en fuite e peut ue ete i l atte tio . Mais comme plusieurs commentateurs
l o t vu, il a pas dû e e lo gte ps puis u il a o st uit u e ville à la aissa e de so fils H o h.
A p opos de Il ha ita au pa s de Nod , Nachmanide cherchait à combiner les deux :
Il e a ha pas da s le o de e tie , ais il s i stalla da s e pa s-là, errant sans cesse, et il ne
s eposait da s aucun endroit. Le pays de Nod est appelé de son nom (celui de Caïn)
éternellement.
C est ue Na h a ide app o he le o de Nôd de la fa euse fo ule Je se ai e a t et vaga o d ,
ou e a t et vaga o d est a a-nad - ce dernier mot est le participe du verbe nûd e e de i de là .
Peut-être prend-il l e p essio je se ai e a t o e u e so te de façon de se nommer : je se ai
E a t . E effet, o peut pe se , ave ‘a hi, ue le o du pa s sig ifie pa s de l e a e .
Ce même érudit catalan (au XIIIe siècle) a un intéressant commentaire sur ce passage. A propos de la
concstruction de ville de Hénoch, il rema ue ue le te te est pas il o st uisit banah ou, en style
de récit, wa-yyibèn ais il o st uisait (wa-yehî bônèh : ela o t e, dit-il, u il passa sa vie à la
o st ui e , pa e u il devait sa s esse s a te pou alle ailleu s, à e e .
Puis il se de a de pou uoi la To ah ite tous es des e da ts de Caï . Sa p e i e id e est u il s agit
de o t e ue Dieu est o , u il a eta d la pu itio , ais il ad et aussitôt ue ela a fait que
reporter la punition sur le dernier descendant. D ailleu s, dit-il un peu après, on ne cite pour lui que six
générations, alors que Seth en a deux de plus. Mais il a encore une autre idée (dans ce type de
commentaire, on pense que chaque idée doit être indiquée, car si toutes ne sont pas bonnes, peut-
être quelques unes le sont, et que la vérité peut être composite) : il s agissait de ous i di ue
comment ses descendants ont été des inventeurs. En effet, non seulement Caïn a voulu le premier
construire une ville, mais (Genèse 4 : 20-22) :
Adah enfanta Yabal : celui-ci fut le père de ceux qui habitent sous la tente et ont des troupeaux [on
et ouve la vo atio d A el !]. Le nom de son frère était Youbal : celui-ci fut le père de tous ceux
qui manient la lyre et la flûte. Sillah de son côté enfanta Tubal-Caïn, qui aiguise tout taillant de
cuiv e et de fe . La sœu de Tu al-Caïn était Naamah32.
Et, ajouterons-nous, si ces gens-là so t les p es de ta t d a tisa s, au p op e ou au figu , il est diffi ile
de dire ensuite ue leu h itage s est vapo da s le Déluge.

31
Voir : Le Juif errant, témoin du temps, . Catalogue de l e positio te ue du o t. au f v.
au Mus e d A t et d Histoi e du Judaïsme. MAHJ et Adam Biro.
32
O la do e pa fois o e l pouse de No .
15

4.2. Le signe
Le sens même du signe posé sur Caïn (Gen 4 :15) est ambigu, puisque le signe le désigne comme
meurtrier. Le targoum de Jonathan, en araméen, élabore un peu en traduisant33 :
Caïn dit alors devant Yahvé : Bie t op g a de est a rébellion pour que je la puisse porter, mais il
a deva t toi pouvoi pou la pa do e . Voi i ue tu e hasses aujou d hui de la fa e de la te e.
Mais est-il possible que je me cache de toi ? Que si je suis un vagabond et un exilé sur la terre, tout
juste ui e t ouve a e tue a.
Et Yahvé lui dit : Eh ie , voi i ue ui o ue tue a Caï , pour sept générations il sera tiré
ve gea e de lui. Yahv t aça alo s su la fa e de Caï u e lett e du o g a d et glo ieu pou
que quiconque le trouverait ne le tue pas, ap s l avoi e a u e. Caï so tit de deva t Yahv et
il s ta lit da s la te e de l e a e de so e il34, qui se comportait pour lui au commencement
o e le ja di d Éde .
Le terme pour signe est en hébreu ôt, en araméen âtâ. C est le « même mot » à la manière de chaque
la gue. Il est t aduit sig e e h eu, et i i lett e e a a e puis u il s agit d u e lett e du o 35.
Mais l ambiguïté demeure : est à la fois u sauf- o duit et u sig e d opp o e. Selo l hu eu , o
pourra le p e d e pou l u ou l aut e. C est la p e i e appa itio du ot ôt sig e da s le te te
biblique ; la seconde se a pou l a -en-ciel après le D luge, sig e de l allia e 36.
Nahmanide (Moïse ben Nachman de Gérone), le philosophe et commentateur catalan que nous avons
déjà cité, se demande en quoi consistait ce « signe » :
Peut-être, lorsque Caïn vo ageait d u e d oit à u aut e, Dieu lui liv ait u sig e i di ua t la oute
où aller, et comme ça il savait u il a ive ait ie de al su ette oute-là. Dans le Beréshit
Rabbah, on dit de cette façon : Dieu lui a o fi u hie . Ca Caï avait peu d t e atta u pa
des animaux, (Dieu) lui en a confié un, pour marcher devant lui et là où le chien voulait aller, il savait
ue Dieu le o a dait et u il se ait pas tu .
Nous voici loin du signe tragique à la façon de Victor Hugo ! Dans le Midrash Rabbah (Bereshit 22, 12),
juste après que Rav a évoqué le chien que mentionne Nachmanide, d aut es pe so ages o t d aut es
idées à propos de ce signe37 :
Abba Yossé bar Qésari dit : Il lui fit pousser une corne. Rav dit : Il fit de Caïn le signe de tous les
meurtriers. Rabbi Ḥanin dit : Il fit de Caïn le signe de tous les repentants. Rabbi Lévi dit au nom de
rabbi Siméon ben Laqish : il lui a o da u su sis jus u à e ue le d luge vie e le o e .
Pour nous, la solution plus abstraite, la transformation de Caïn en signe, est peut-être la plus
séduisante. Mais e tait peut- t e pas l avis de Caï .

33
Targum du Pentateuque, 1. Genèse. Traduction par Roger Le Déaut, Cerf, 1978, page 105 et 107.
34
Texte : wî-téib be- ar â ṭilṭôl galûtéih.
35
Au u ot pou lett e d u alpha et, ou sig e d u e itu e appa aît da s la Bi le, uoi u il soit t s
souve t uestio de liv es et d its Voi pa e e ple J ie :18, et notre texte : La Bi le, les livres au long
du liv e . Le ot ôt ave le se s de lett e de l alpha et appa aît souve t da s la Mish ah, voi pa e e ple
Mishnah Berakot 2 :3.
36
En Exode 31 : et , le ot est e plo à p opos du sha at, sig e e t e oi et vous . E Deut o o e
13 :2, le mot, associé à môfét i a le , est e auvaise pa t : o doit se fie de es sig es .
37
Midrash Rabba, 1 Genèse Rabba, trad. de Bernard Maruani et Albert Cohen-A azi, Ve die , , p. . J ai
odifi l o thog aphe des o s p op es.
16

4.3. Caïn est-il mort ?


Ce sig e pos su Caï est e effet pas t s sû , puis ue Caï ou a. Mais, à ega de de p s et
nous ne sommes pas les premiers à le faire), qui a dit que Caïn mourra ? C est u e d du tio
e tai e e t hâtive. O d duit ela le plus souve t vous l avo s dit plus haut du petit po e ue
Lamech dit en présence de ses femmes, Adah et Sillah (Genèse 4 :23-24) :
Adah et Sillah, entendez ma voix,
Fe es de La e h, p tez l o eille à a pa ole.
Ca j ai tu u ho e pou a lessu e
et un enfant pour ma plaie.
C est ue Caï se a ve g sept fois
et Lamech soixante-dix et sept fois.
C est ie st ieu , voi e si lli . Et il faut eau oup de o vi tio pou se pe suade u il s agit
du meurtre de Caïn ; et pourquoi alo s l e fa t ? Et quelle est cette histoire de blessure ? La tradition
juive est d ailleu s pa tag e su l i te p tatio de e po e. Voi i d a o d l e pli atio soig euse ue
donne Rachi38, suivant le Midrach Tanḥuma :
Pa e ue ses fe es s taie t s pa es de lui et lui efusaie t des appo ts o jugau , ta t
do u il avait tu Caïn et son propre fils Tubal Caïn. Lamech était aveugle et Tubal Caïn lui servait
de guide. Il aperçut un jour Caïn et, le prenant pour une bête sauvage, il dit à son père de bander
son arc et de le tuer. Lorsque Lamech app it ue est Caï so aïeul u il avait attei t, il f appa ses
ai s l u e o t e l aut e et, asa t so fils e t e elles, le tua. Alors ses femmes se séparèrent
de lui et il essa a de les apaise e leu disa t E outez a voi ! , eve ez à oi. L ho e ue j ai
tu est-ce de ma blessure ? Cette blessure était-elle i te tio elle pou u elle soit appel e
ie e ? Et le jeune ho e ue j ai tu , a-t-il t tu de o oup, est-à-dire de ma main ?
C est pou ta t sa s i te tio ue j ai agi, et o de a i e d li e ! Ce e so t i a lessu e,
i o oup.
Et Rachi explique ensuite : à Caï do t le eu t e tait volo taire, on a accordé un sursis de 7
g atio s, alo s à oi do t le eu t e tait sa s p ditatio , ai-je pas droit à 77 ? En somme,
les distiques finaux (les vers 3 à 6) doivent être pris comme des questions, sinon comme des prières.
Mais les targoums en araméen ont pris un autre parti. Voici la traduction cum commento du targum
de Jonathan39 :
E outez a voi , fe es de La e h p tez l o eille à a pa ole ! Assuréme t, je ai pas tu u
ho e ue je doive t e tu à sa pla e et je ai pas o plus supp i u jeu e ho e uà
ause de lui a des e da e doive t e e te i e. Si pou Caï ui a p h et s est o ve ti da s
le repentir, (le jugement) a été suspendu pour lui jus u à sept g atio s, pou La e h, fils de so
fils, ui a poi t p h , est justi e ue le juge e t de eu e pou lui e suspe s jus u à soi a te-
dix-sept (générations).
Le targum Néofiti dit nettement : La e h, ui a poi t tu . Quand nous avons cité plus haut un
commentateur ancien qui disait que le « signe » donné à Caïn lui permett ait de su viv e jus u au
d luge, est u il e pe sait pas u il se ait tu pa La e h. A vrai dire, le Midrach Tanḥuma, puis
Rachi, font leur possible pour trouver un sens à ce poème, mais leur solution apparaît comme un conte
greffé ad hoc : ce Lamech opportunément aveugle qui tire sur (et atteint !) Caïn, tandis que le jeune
homme qui le guide e voit pas la i le… et ce geste de géant qui écrase son fils par mégarde ! Rien

38
Traduction de Jacques Kohn ; j ai f a is l o thog aphe des o s p op es.
39
Trad. Le Déaut, p. 107. La traduction du Néofiti est p. 106.
17

est v aise la le da s ette histoi e. E fait, il se le ie ue e po e avait u se s u o e


comprend plus. Mais alo s, si Caï est pas o t ?!40 E tout as, si ous d ido s u il a p i lors du
Déluge, il a vécu bien plus vieux que Mathusalem.

5. Le signe tout court


Les commentateurs ont été embarrassés par ce « signe ». Tantôt ils veulent savoir à quoi il ressemble,
ta tôt ils veule t p ise à uoi il se t. D auta t ue si l o o pa e e u ils e fo t pas ave le
p o hai sig e, elui de l a -en-ciel après le Déluge, le nôtre est e effet d fi ie t. L aut e sig e, o le
voit t s ie , est l a -en-ciel, et il est fait pour être vu ; en outre, sa fonction est claire et Dieu est
explicite (Genèse 9 :13) : le sig e de l allia e e t e oi et la te e . Il est plus précis encore : il évoque
les as où l a appa aît a, et il e pli ue e ue ela sig ifie a :
Je mets mon arc dans un nuage et il deviendra signe (le- ôt d allia e e t e oi et la te e. Il a ive a
do ue, lo s ue je fe ai pa aît e u uage su la te e et ue da s le uage l a se a ape çu, je
me souviendrai de mon alliance qui existe entre moi et vous, et tout animal vivant en toute chair,
pou u il ait plus d eau pou u D luge pou d t ui e toute hai .
Le sig e est telle e t e pli it u o se de a de e je e souvie d ai s il e se t pas de sig e
à Dieu aussi, d aide-mémoire, de signet, de marque. Ce signe sera universel, pour vous et pour moi,
semble-t-il dire, une alliance paritaire, un signe protecteur afin que le Déluge ne se produise plus
ja ais. C est p o is.
Mais le sig e u il a is su Caï , o e voit pas t s ie . Nous avo s soulig plus haut l ambigüité
de ce signe : cible ou sauf-conduit ? De quelle so te de passepo t s agit-il ? Le fait e u il e soit
pas question dans le texte biblique (et donc amplement question dans les commentaires ensuite), est
intéressant. D a o d, il est lai ue est aussi u sig e protecteur : Caï la e d t e p ot g , et
Dieu accède à sa requête. Il lui dit en somme : « d a o d, e est pas juste ue i po te ui te tue,
e te p e a t pou i po te ui : on va te mettre un signe ». Ce signe veut donc dire au moins deux
choses. D a o d, « C est toi Caïn ». Ensuite « On ne le tue pas ». Aussi bizarre que cela puisse paraître,
Dieu protège Caïn, ce meurtrier.
Mais du point de vue de la construction des signes, cela signifie que le signe est à trois fa es. D u ôt
est pou ide tifie Caï , à l ga d du po teu du sig e « C est toi Caïn » ; de l aut e est à desti atio
d aut ui « On ne le tue pas ». Une face est à la 2e pe so e, l aut e à la e pe so e. Mais d u aut e
point de vue, qui a mis le signe ? C est Dieu. Et est de lui que provient la valeur spéciale de Caïn, et la
essit de l ide tifie . C est à lui ue Caïn l a de a d , et Dieu ui l a a o d .
O , e s h a est pas si diff e t de elui de l a -en- iel. Ca da s l histoi e de l a -en-ciel (après le
Déluge qui est censé avoir noyé Caïn et sa descendance), il y a aussi un dialogue entre Dieu et un
interlocuteur, Noé, et un signe pour les autres. Il y a trois personnes dans les deux occasions. Dans
l o asio de Caï , il a Dieu da s le ôle de moi , Caïn dans le rôle de toi , et les autres dans le rôle
de eux . Da s l o asio de No , il a e o e Dieu da s le ôle de moi (Dieu est ja ais fatigu de
dialogue ave les ho es u il a hoisis), Noé dans le rôle de toi , et la terre dans le rôle de eux .
Si ous avo s te da e à ate ela, est à ause de Vi to Hugo ! Ce g ie t eu a e l histoi e
de Caïn au face-à-face de la Conscience, et est ai si u il appelle so po e. Mais dans la Bible ce
est pas ainsi que les choses se passent : pas de Caïn halluciné et sombre. Il a pas de eu t ie seul

40
Les lecteurs intéressés par les légendes autour de Caïn, et les difficultés que propose son histoire, peuvent
o sulte le o e tai e d Elie Mu k su la Ge se La Voix de la Thora, vol. 1), qui résume certains
commentaires traditionnels, ou Le 1er volume des Légendes des Juifs (La Création du monde, Adam, les dix
générations, Noé) de Louis Gi z e g, Ce f , t aduit de l a glais pa Ga ielle Sed-Rajna.
18

à seul avec son surmoi. Il a, o e da s les eilleu es pages de la Bi le, uel u u ui dis ute ave
Dieu, et Dieu ui dis ute ave lui. Mais ela e s a te pas là, i pou Caï , i pour Noé. Le dialogue
entre moi (Dieu) et toi (Caïn, Noé), quand il débouche sur un signe - est u sig e pou tout le o de.
Pour Noé, est limpide. Noé et sa famille sont les Justes41. L a -en-ciel témoignera que ces Justes,
aussi peu o eu u ils aient été (comme plus tard à Sodome, quand Abraham discute pied à pied
avec Dieu pour sauver quelques justes de la destruction42), établissent avec eux la conviction que les
Justes existent : est u a uis pou toujou s, aussi important que le ktêma eis aiei de Thucydide43.
Pou Caï , la hose est oi s li pide, a o e ous l avo s vu e o pa a t Ge se et Ge se
les v e e ts o t t e suite a ipul s, ais il s est p oduit uel ue hose du e o d e.
Sinon, pourquoi Dieu aurait-il accédé à la requête de Caïn ? Le signe témoigne pour lui.

Note éditoriale. Vincennes, le 14 août 2017. Révision 15 août. Version 3, le 22 août. A part des détails
de mise en forme et de référence, on été ajoutés : l i t odu tio ave l i age, et des parties sur les
chro og aphies. D aut es pa ties o t t e eva he a ou ies. Version 4, le 23 août : corrections
de détail, ajoût de la partie sur Zonaras dans les chronographies.

41
Genèse 7 :1.
42
Genèse 18.
43
L histo ie g e Thu dide, au d ut de so ouv age su la Guerre du Péloponèse (entre 431 et 404 AEC) dont
il fut le o te po ai , i di ue uel est à so avis l i t t d u ouv age d histoi e. Il a ette fo ule l e :
ktêma eis aiei u a uis pou toujou s . L e p essio se t ouve da s u passage e a ua le :22).

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