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Revue «Le Korê »

Revue Ivoirienne de philosophie


ISSN N° : 1817-5635
N° 59-2021 : pp. 19-30.

LE LIBÉRALISME POLITIQUE DE JOHN LOCKE : UN REMPART


CONTRE LES CRISES POLITICO-INSTITUTIONNELLES EN AFRIQUE

THE POLITICAL LIBERALISM OF JOHN LOCKE: A BULWARK AGAINST


POLITICO-INSTITUTIONAL CRISES IN AFRICA

Ibrahim Amara DIALLO,


Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody (Côte d’Ivoire)
ibradiallo5805@gmail.com

RÉSUMÉ
L’Afrique, en général, et l’Afrique de l’Ouest, en particulier, se trouve dans une crise
politique. Cette crise rend l’avenir du continent incertain. Le pouvoir politique, depuis
l’avènement de la philosophie du contrat social, est comme une entité qui se joue
entre les égaux, c’est-à-dire entre les individus ayant les mêmes droits ontologiques et
imprescriptibles. Or, la politique doit être perçue comme une activité pacificatrice des
rapports sociaux. Cependant, en Afrique, l’un des problèmes qui fragilise la stabilité
sociale, c’est la politique. Ainsi, le recours à J. Locke peut être un facteur palliatif
pour donner un nouvel élan, un nouvel espoir à l’Afrique. Le recours à Locke n’est
pas fortuit, car les conditions qui ont inspiré la publication de son ouvrage Les deux
traités du gouvernement civil nous servent de modèle de référence.
Mots-clés : Droit naturel; Libéralisme politique; Pouvoir politique; État de droit;
Droits de l’homme

ABSTRACT
Africa in general, in particular West Africa are facing political instability. This political
turmoil which gives impression a future without any hope. The political power since
the birth of social contract of philosophy is seen as where the place where the power
is a rule between the same categories o people. Moreover the power must be acquired
in trustworthy conditions, by suggesting this : debats of ideas by substituting severe
violence in the assurance that the truth neither belong to me nor the others. It is a
mysterious field through eloquent debates with citizens. In this ways politics must be
a peaceful activity of social relationship.
Face to all these civils that weakeen the peace. The appeal to John Locke though can
be a factor of developpment for african countries. An auspious and new hope for africans
and africa. Appeal to John Locke is worhy as the matter of condition of publishing of
book about The Two of Civil Government represents a reference book.
Keywords : Natural Right; Political Liberalism; Political Power; State of Humain
20 Revue Ivoirienne de Philosophie, LE KORE 2021; N° 59 : pp. 19-30.

Right; Humain Right

INTRODUCTION

L’histoire retient John Locke comme une figure marquante du libéralisme


politique. Sa philosophie politique est construite dans une configuration
substantiellement libérale. Le libéralisme dont il était question dans la
philosophie de Locke avait pour rôle de dépersonnaliser et de séculariser le
pouvoir politique. Cette sécularisation du pouvoir étatique s’oppose à toute
conception absolutiste. Puisque, « le pouvoir sans limite signifie, pour ceux
qui s’y trouvent subordonnés, l’esclavage. L’absolutisme réduit les sujets à
la condition servile » (B. Gilson, 2000, p. 122).
Le pouvoir absolu, selon Locke, n’est pas un pouvoir qui a pour
souci premier la préservation de l’homme dans son intégrité, mais
de bafouer la dignité humaine. L’absolutisme se caractérise par une
obéissance inconditionnelle. Or, l’une des caractéristiques de l’homme
en tant qu’être doué de raison, est la liberté. Ainsi donc, le priver de
sa liberté, c’est de lui enlever sa qualité d’homme. C’est dans ce sens
que s’inscrit cette pensée d’A. Sen (2012, p. 35) : « la liberté de choisir
notre vie peut largement contribuer à notre bien-être, mais, au-delà
même de cette perspective, la liberté en soi mérite d’être valorisée.
Être en mesure de raisonner et de choisir est un aspect déterminant
de la vie humaine ». La liberté se trouve posée ici comme une valeur
cardinale de la vie humaine. D’où notre sujet de réflexion ; « le libéralisme
politique de J. Locke : un rempart contre les crises politico-institutionnelles
en Afrique ».
À partir de ce sujet de réflexion, il s’agira pour nous de penser le problème
suivant : pourquoi convoquons-nous le libéralisme politique de Locke, de nos
jours, en Afrique comme un rempart aux crises politico-institutionnelles ?
Cette question fondamentale ne peut être bien saisie qu’à l’aune des interrogations
spécifiques suivantes : quelle est la spécificité du libéralisme politique de Locke ?
Le droit de résistance ne permet-t-il pas un retour à l’ordre constitutionnel ?
L’objectif que nous recherchons à travers cet article est de montrer que
les crises politico-institutionnelles en Afrique sont liées à la partialité et à la
manipulation des gouvernants des lois fondamentales. Or, la manipulation des
constitutionnelles peut conduire à des tensions sociales, qui, elles-mêmes, risquent
être soldées à des guerres tribalistes et fratricides. Donc atteindre notre objectif
dans le cadre de la présente étude, on s’appuie sur la méthode analytique.

1. LA CRISE DES INSTITUTIONS EN AFRIQUE


Ibrahim A. DIALLO (2021), Le libéralisme politique de John Locke : un rempart 21

L’Afrique est devenue, aujourd’hui, un sanctuaire de toutes sortes


de maux, tant sur le plan sécuritaire, politique que social, qui ont fragilisé
la quiétude sociale, le vivre-ensemble dans la société au point de semer le
doute et le désespoir dans les cœurs. Face cette figure bifurquée et dénuée
de tout espoir de réussite, la politique a une tâche grandiose à jouer, en ce
sens qu’elle incarne l’espoir du peuple déboussolé et désespéré, car sous les
tropiques africains, le peuple est le bourreau qui pleure de tous les maux,
car il est la cible qui subit les pathologies institutionnelles. Le Deuxième
Traité du Gouvernement Civil de John Locke s’inscrit dans une logique de la
réhabilitation institutionnelle d’une Angleterre mouvementée. C’est dire que
chaque œuvre s’inscrit dans un contexte social, c’est-à-dire qu’elle fait la
description et la proposition de sortie de crises multisectorielles. À ce sujet,
R. Aron (1968, p. 13) souligne que :
Les temps de troubles incitent à la méditation. La crise de la cité
grecque nous a légué la République de Platon et la Politique d’Aristote.
Les conflits religieux qui déchiraient l’Europe du XVIIe siècle firent
surgir, avec le Léviathan ou le Traité politique, la théorie de l’État
neutre, nécessairement absolu selon Hobbes, libéral au moins à
l’égard des philosophes selon Spinoza. Au siècle de la Révolution
anglaise, Locke a défendu et illustré les libertés civiles.
En Angleterre, au XVIIe siècle, la monarchie absolue était le régime adopté,
qui ramenait tout en la personne du roi, Jacques Ier, les droits naturels n’y
étaient pas respectés, puisqu’il n’y avait point la liberté de conscience, la liberté
d’expression, c’était une société dépourvue de démocratie. Si le philosopher
de J. Locke est survenu dans cette condition de crise tant institutionnelle
que sociale, sa philosophie a, sans équivoque, une portée inspiratrice pour
toute nation, tout État, tout continent désireux recouvrer son identité dans
toutes ses composantes.
Irrédentisme comme le retour des crises postélectorales en Afrique, semble
être, de nos jours, une fatalité. À la veille des élections, les populations sont
victimes d’une psychose, car le pouvoir, qui est censé être facteur de paix, se
retourne contre le peuple. Or, exercer le pouvoir, c’est faire en sorte que les
gouvernés puissent avoir un espoir en s’assurant être à l’abri de tout danger
éventuel. Or, le gouvernement a pour fonction de restituer chacun dans ses
droits et de punir les violations selon les textes établis. Dès lors, l’une des
sources de la légitimité de l’État réside dans sa capacité à protéger les droits
inaliénables que les individus possèdent en tant qu’êtres rationnels. C’est
pourquoi, on peut dire, avec J. Locke, que la légitimité du pouvoir politique
est une continuité. La légitimité d’un pouvoir n’est point subordonnée qu’à
son accession à la magistrature suprême, mais elle revêt un autre caractère,
c’est-à-dire de son accession jusqu’à la passation à une nouvelle équipe
gouvernementale.
Pendant les luttes pour l’accession aux indépendances, les pouvoirs
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politiques africains ont promis à leur peuple une libération politique, la


liberté d’expression, la liberté économique et sociale, etc. Mais, aussitôt, le
comportement de certains de ces dirigeants nous a révélé le contraire. Car
les droits supposés inaliénables et inaltérables étaient bafoués, il n’y avait
point de question de s’opposer au régime en place. C’est ainsi que Y. Konaté
(2009, p. 134) a pu affirmer : « on peut penser l’Afrique comme un continent
qui a trahi et ses promesses d’indépendance et ses contrats démocratiques ».
Aujourd’hui, les États africains se réclament tous des droits de l’homme et
de l’État de droit. Mais la réalité en est que les mesures prises pour y parvenir
restent insuffisantes et manquent d’une réelle volonté politique pour leur
effectivité. Ce qui s’explique, dans ces dernières années, une recrudescence
des guerres déstabilisant la société. C’est le cas de la Côte d’Ivoire, du Mali,
du Congo, de la Lybie, etc. La plupart des causes de ces guerres réside dans
le fait que certaines parties de ces pays se voient marginalisées. Le philosophe
anglais, John Locke a œuvré pour l’institutionnalisation d’une politique
inclusive. Celle-ci est une politique libérale, c’est-à-dire une politique dans
laquelle toutes les couches de la société se trouvent réunies autour des projets
innovateurs. Se joignant à J. Locke, J. Habermas (2004, p. 128) affirme ceci
: « l’inclusion signifie qu’un ordre politique reste ouvert à l’émancipation de
ceux qui sont victimes de discriminations et à l’intégration de ceux qui sont
marginalisés, sans les enfermer dans l’uniformisation d’une communauté
homogène du peuple ». Devant de tels problèmes, quelle est la fonction de
l’État ? Cette question fera l’objet de clarification et d’élucidation dans les
lignes qui suivent.

2. L’ÉTAT LIBÉRAL DE JOHN LOCKE, GARANT DE LA SÉCURITÉ


DES BIENS ET DES PERSONNES

La nécessité de venir à l’état civil vient de ce que la loi de nature


s’accompagne d’une habilitation de chacun de la faire respecter : chacun est
alors juge et partie de sa propre cause. Cela montre la nécessité de recourir
à une instance impersonnelle, une autorité morale dénommée : État. Comme
le dit K. A. Dibi (2019, p. 7), dans la préface d’Écrits politiques. État africain,
religion et mondialisation de N. Koffi : « selon un mot de Kant, même un peuple
de démons (pourvu qu’ils aient quelque intelligence), a besoin de l’État ».
En d’autres termes, l’existence de l’État est une exigence morale et éthique,
car elle permet de substituer la violence sauvage de (l’état de nature) à la
violence civilisée (l’état civil). La violence civilisée signifie de régler les conflits
désormais avec la négociation et la sensibilisation sans effusion de sang, de
manière parcimonieuse en restituant chacun dans ses droits.
Pour le philosophe anglais, John Locke, la création de l’État se justifie par
le fait que, dans l’état de nature, la sécurité des droits n’étant pas assurée, par
conséquent, aucune promotion des droits de l’homme n’était alors possible.
Ainsi, une question se pose : qu’est-ce que l’État ? Pour répondre à cette
question, J. Locke (1684, p. 36) affirme que
Ibrahim A. DIALLO (2021), Le libéralisme politique de John Locke : un rempart 23

« l’État, selon mes idées, est une société d’hommes instituée dans la
seule vue de l’établissement, de la conservation et de l’avancement de
leurs INTÉRÊTS CIVILS ». L’État est une formalisation institutionnelle
par les hommes en vue de mener une vie pacifique et harmonieuse. Il
est de la compétence de l’État de garantir les propriétés respectives
des hommes.
Venir à l’état social n’est pas à appréhender comme une configuration
bourgeoise, mais sous un angle éthico-politique, c’est-à-dire l’État est
considéré comme une personne morale incarnant la confiance des citoyens,
ayant pour but de non seulement préserver les individus de tout comportement
attentatoire, mais aussi et surtout, de favoriser l’accumulation des biens.
En effet, la société civile est instituée afin de statuer sur tous les différends
susceptibles de s’élever parmi les hommes. Car,
Elle a pour fin de parer et de remédier aux inconvénients de l’état de
nature, qui deviennent inévitables dès lors que chacun est à la fois
juge et partie, en établissant une autorité, que tout un chacun puisse
saisir quand il a été lésé, ou quand un litige s’élève, et à laquelle tout
membre de la société doit obéir (J. Locke, 1977, p. 123-124).
Ce système juridique et judiciaire a pour compétence de trancher les
problèmes qui s’élèveront entre les hommes et punir les contrevenants. La
punition repose sur la détermination des lois permanentes dont la violation
entraine l’application d’un châtiment proportionné.
Les hommes ne peuvent abandonner leur première société (l’état de nature)
pour amplifier leur souffrance, mais au contraire, ils le font pour améliorer
leur condition existentielle. Comme J. J. Rousseau (1973, p.78) nous édifie
dans Du Contrat Social : « Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est
sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut
atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il
possède ». Ce qui veut dire que par le contrat social, l’homme a une liberté
totale conforme aux lois civiles, car sa propriété qui se trouvait menacée à
l’état prépolitique, aura toute son effectivité dans la société politique. Après
cette description de rôle de l’État chez John Locke, nous analyserons dans
les lignes qui suivent l’idée du « Droit de résistance ».

3. LE DROIT DE RÉSISTANCE, LE SALUT DE L’INDIVIDU

Le terme « résistance » signifie s’insurger contre quelque chose, lutter


contre une injustice sociale ou une oppression. Ainsi, le droit de résistance
peut s’entendre chez J. Locke comme un acte du peuple en tant qu’il est, du
point de vue juridique, des personnes raisonnables, c’est-à-dire une collecte
de raisons individuelles jugeant inadmissible l’action gouvernementale.
Autrement dit, lorsque le pouvoir porte atteinte aux droits inaltérables,
ontologiques et imprescriptibles du peuple, celui-ci peut destituer ce pouvoir
jugé absolu et arbitraire.
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Par exemple, les marches populaires ne constituent pas un mal en soi,


elles montrent tout simplement, les dérapages, les plaies à reconnaître et
à guérir par l’équipe gouvernementale. En effet, le peuple doit demeurer le
premier souci des tenants du pouvoir et les marches n’ont pas pour finalité de
le bafouer. Mais nous remarquons avec consternation et désolation l’attitude
des politiques africains lorsqu’il s’agit des marches populaires. Les forces de
sécurité qui, au demeurant, devraient être au service de la population, se
retournent contre elle. Elles se transforment en instruments de répression,
de torture.
Les pouvoirs africains, au lieu de créer un cadre idéal du vivre-ensemble,
piétinent, au contraire, les droits de l’homme et l’État de droit. Les dirigeants
africains ne se soucient plus de protéger les droits inaliénables de l’homme,
mais sont devenus les fossoyeurs de ces droits. Tout ce qui les importe, c’est
de savoir employer les moyens, les formules pour arriver au pouvoir et enfin,
comment faire pour pérenniser ce pouvoir. C’est à ce propos que P. N’da
(1987, p. 30) écrit que :
L’État et les dirigeants politiques sont clientélistes lorsqu’ils attribuent
les postes de responsabilités, accordent les avantages matériels, des
emplois ou des prébendes dans les buts intérêts de pérenniser leur
pouvoir ou de créer les conditions de consensus socio-politique en leur
faveur entre les diverses catégories sociales de la nation.
Pour N’da, les dirigeants africains sont des opportunistes par le fait qu’ils
n’offrent des faveurs que dans le but de pérenniser leur pouvoir. C’est dire,
en effet, qu’ils n’accordent des intérêts dans le souci de faire le bien pour le
bien au peuple en tant que représentants du peuple, mais juste pour avoir
un prestige leur permettant de garder le pouvoir.
Pour mettre un terme à toutes ces dérives institutionnelles, il faut que les
dirigeants africains s’imprègnent de la philosophie politique de J. Locke. Il
faut que les dirigeants africains sachent que l’origine de leur pouvoir, c’est
le peuple. Qu’ils reconnaissent que leur mission consiste juste à appliquer
les lois afin de protéger les droits des citoyens et non de sombrer dans
l’absolutisme. Qu’ils respectent les règles de la constitution. Face à cela, J.
Locke (1992, p. 246) nous édifie que le but primordial de tout gouvernement,
c’est de préserver les intérêts du peuple. Par conséquent, il ne doit pas « être
arbitraire et exercé selon son bon plaisir ».
La notion de la séparation des pouvoirs en Afrique demeure instrumentalisée,
voire un leurre. En réalité, en Afrique, le pouvoir est centriste. Le non-
respect des règles démocratiques, de la séparation des pouvoirs, du jeu
démocratique…, nous amène à affirmer qu’il est indispensable de recourir
à la pensée politique de Locke. Pour dire plus simplement, M. K. Kouman
(1998, p. 81) a pu écrire en ces termes :
La philosophie politique de Locke constitue un passage obligatoire pour
le continent africain si ses hommes politiques veulent se soumettre
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aux règles impératives de la bonne gouvernance qui consiste d’abord


à venir au pouvoir de façon légitime, mais aussi à assurer les fins
pour lesquelles ils ont été investis. C’est-à-dire que si le continent
continue d’ignorer les travaux des grands penseurs comme Locke,
il restera toujours à la traine du développement et continuera d’être
rabaissé au rang des animaux.
La pensée politique de J. Locke s’inscrit dans un postulat ontologique
qu’est la liberté, donc pour lui, faire abstenir le peuple de celle-ci, c’est réduire
sa dignité et le classer au rang de l’animosité. En poussant les analyses
plus loin, on s’aperçoit que les dirigeants africains, en s’inscrivant dans
une vision républicaine, comme celle de N. Machiavel, de B. Spinoza et de
J.-J. Rousseau, font de la liberté uniquement qu’un statut politique. Or, la
liberté, avant de s’ériger à un droit politique, est d’abord un droit naturel,
elle transcende toute conception politique. Ainsi, comme l’affirme C. Audard
(2011, p. 124-125), « la liberté pour le libéralisme préexiste à la citoyenneté,
à la cité même, parce que, pour lui, les individus ont une réalité présociale :
leurs intérêts « présociaux » ou « naturels » sont antérieurs à ce statut public
ou légal ». Autrement dit, c’est le non-respect de la liberté comme droit naturel
dont le peuple est possesseur qui crée toutes ses formes de dérives. Faire de
la liberté un statut politique, c’est de la considérer comme un droit émanant
de la politique, c’est-à-dire exclusivement du positivisme juridique dont les
républicains se réclament. La résistance au pouvoir telle que J. Locke l’entend,
avant de s’ériger en une quelconque forme de révolte sociale, est d’abord
une résistance civilisée, c’est-à-dire qu’elle obéit aux règles institutionnelles
établies. Cette résistance est l’expression de la non-reconnaissance du peuple
dans leur majorité de la légitimité du pouvoir. Cette résistance peut être une
marche ou les écrits dans les journaux. Cette forme de résistance qu’évoque
J. Locke est une résistance légitime. Par ce fait, une éducation du peuple
africain à la lumière du peuple de J. Locke s’impose.
Le peuple africain, dans sa majorité, ne fait pas des analyses politiques. Il
se désintéresse de son propre sort. Sa destinée se trace et se joue sans qu’il ne
le sache. Il se laisse emporter par des promesses mirifiques par des coureurs
au pouvoir. Les discours circonstanciels avec éloquence amphigourique
épatent plus le peuple africain que les vérités, profondes à révéler au fond
de ces discours ; donc victime de l’ignorance. C’est pour cette raison que Y.
S. Dion (2012, p. 30) écrit que :
L’ignorance est la triste condition de celui dont la lumière naturelle a
été mise sous le boisseau. Nous subissons le tyran parce que nous
ignorons que nous sommes libres. Et si nous ignorons que nous
sommes libres, c’est peut-être parce que nous avons oublié que nous
le sommes, étant accoutumés à ne pas l’être.
Cependant, le peuple dont parle J. Locke est un peuple instruit, doué de
la capacité de juger et d’analyser. Ce peuple ne se laisse pas duper par les
discours politiques. Il sait analyser les projets des hommes politiques avant
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d’accorder sa confiance à qui que ce soit. Donc si le peuple africain veut que
le pouvoir public réalise ses promesses, il faudrait, de prime abord, qu’il fasse
une véritable analyse, c’est-à-dire une analyse minutieuse et méticuleuse
sur non seulement les projets des discours politiques, mais aussi sur la
moralité de ceux qui tiennent ses discours ; d’où la nécessité pour le peuple
de s’instruire. Pour mesurer les degrés de leur moralité, il suffit de jeter un
regard rétrospectif sur leurs passés pour s’en rassurer. Il s’agit de déceler si
toutefois les discours de l’heure concordent avec leur passé. C’est dans cette
optique que Jürgen Habermas (2004, p. 125) écrit :
Le peuple n’est pas considéré comme une donnée prépolitique, mais
comme le produit du contrat social. Dans la mesure où les intéressés décident
d’un commun accord de faire usage de leur droit originel de « vivre dans les
conditions de lois publiques de la liberté », ils forment une association de
sujets de droit libres et égaux. Se décider à vivre dans des conditions de
liberté politique revient à prendre l’initiative d’une pratique constituante.
Le peuple de Locke est un artisan de sa propre histoire. Il n’est pas
un peuple spectateur passif suivant la réalisation de sa destinée
hypothéquée. Il prend acte de son devenir historique pour employer
un mot marxiste. Mieux, on comprend qu’un peuple qui acceptent
que ses dirigeants agissent comme bon leur semble, cautionne qu’on
lui exerce un pouvoir arbitraire, c’est-à-dire un pouvoir sans droit ni
devoir. Son peuple est un « individu porteur en lui à la fois d’éléments
de particularité et d’une dimension d’universalité, va rester juge, bout
en bout, de la conformité des lois du législateur à leur mission » (L.
Jaume, 2009, p. 153).
Mais la résistance, dans sa forme ou du moins dans le contexte africain, est
appréhendée comme une incitation à la violence, puisque les droits humains
en tant que droits consubstantiels à l’humanité, sont presque, en Afrique,
piétinés. Or, fouler aux pieds les droits imprescriptibles de l’homme, c’est le
réduire à l’arbitraire, à l’esclavage. C’est enlever en lui toute sa dimension
d’homme, sa dignité en tant qu’un être humain.
En effet, les forces de l’ordre, dont leur mission est de veiller sur les droits
de l’homme, se trouvent manipulées par les dirigeants. Une telle attitude de
la part des dirigeants a pour dessein de pérenniser leur pouvoir. C’est dans
cette perspective que J. Locke (1977, p.191) s’indigne en écrivant contre une
telle dérive du pouvoir :
Un individu qui se sert du pouvoir qu’il détient, non pour le bien de ceux
sur qu’il l’exerce, mais pour son avantage personnel et particulier (…)
ses commandements et ses actions ne tendent pas à la préservation
de ce qui appartient au peuple, mais à l’assouvissement de son
ambition personnelle, de ses vengeances, de son avidité, ou de toute
autre passion irrégulière.
Dans ce passage, pour Locke, le dirigeant qui ne se soucie que de lui-
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même ou qui dirige le pouvoir comme son patrimoine culturel, ne mérite pas
d’être appelé dirigeant. Car celui qui détient la destinée de tout un peuple, en
suivant Locke, c’est celui-là même qui est doté d’une grande moralité, qui peut
prendre le dessus sur toute conception clanique, tribale et ethnocentrique.
C’est ainsi qu’il n’y a pas de loi légitime émanant d’un gouvernement civil,
affirmait Locke, sans le « consentement » de chaque citoyen.
Au regard de ces tableaux sombres, il est du devoir du peuple africain de
prendre son destin en main afin de résister aux pouvoirs qui réprimandent
les droits naturels et civils, même au péril de sa vie. C’est aussi une forme de
reconquérir sa liberté qui semblerait être perdue. Mais le peuple africain, par
crainte des forces répressives, s’enferme dans la passivité et la résignation.
Or, une telle attitude conforte certains dirigeants à persister dans la dictature.
C’est en ce sens que La Boétie (2005, p. 94), un des apôtres de la cause du
peuple, un avocat des voix sans voix, affirme : « c’est la servilité du peuple
qui cause leur servitude ; que c’est leur lâcheté qui fait la force des mauvais
souverains ; que, pour être, il leur suffirait de ne pas les soutenir ». Pour
La Boétie, un peuple, malgré sa situation désagréable, s’il continue à se
complaire dans ce système, est responsable de son sort. Le peuple se doit
d’être conséquent, c’est-à-dire qu’il ne doit pas suivre un gouvernement qui
l’opprime.
Ainsi, il est invité à faire de sa destinée une chose à inventer, à signifier,
car, en assistant à la réalisation cruelle de sa propre destinée, on se réduit
aux rangs des êtres dépourvus de discernement. C’est pourquoi A. Camus
(1951, p. 28) écrit : « se taire, c’est laisser croire qu’on ne juge et ne désire
rien ». En ce sens, tout comportement silencieux est une souscription à son
propre malheur, c’est aussi montrer sa disponibilité à l’autre de le transformer
en une chose. Pour la reconquête de sa liberté, Camus évoque le concept de
«Révolte» ce que Locke nomme «Résistance».
L’homme d’État, aux yeux de Locke, est celui qui se plie aux exigences
des ressorts juridiques, qui applique les lois avec impartialité, qui écoute ses
gouvernés avec beaucoup d’attention afin de s’enquérir des maux dont ils
souffrent. L’homme d’État, pour Locke, c’est celui qui va à la rencontre de son
peuple, qui se réveille nuitamment lorsque son peuple dort. Qui laisse toute
autonomie effective à son peuple de s’extérioriser en face de lui, qui fait de
la liberté d’expression, de la liberté de conscience et de culte, des principes
juridiques inébranlables.

4. LA PHILOSOPHIE POLITIQUE DE LOCKE, IDÉAL-TYPE DE


LA CONSTRUCTION D’UN VÉRITBALE ÉTAT DE DROIT EN AFRIQUE

L’État de droit est le fait que l’État en tant qu’organe régulateur est soumis
à des évaluations juridiques. En ce sens, les gouvernants, dans l’adoption
des nouvelles lois sont obligés de consulter le peuple. Construire un véritable
État de droit en Afrique est une exigence. Cette exigence est à la fois morale
et éthique, car elle y va du respect de la dignité humaine. L’État de droit a
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pour fondement de veiller ontologiquement à la quiétude sociale, au respect


scrupuleux de l’homme en tant qu’être de liberté. Il a pour vocation profonde
de vénérer l’homme non pas seulement dans son existence sociale, mais aussi
dans ses droits fondamentaux. Si l’homme est, par nature, un être social,
il a, cependant, des droits dont l’existence ne saurait être conditionnée à
l’institution politique. Autrement dit, l’État de droit, à travers les lois qu’il
promulgue, veut donner une existence juridique aux droits naturels de
l’homme.
La réalisation de l’État de droit en Afrique passe par la fin des pouvoirs
absolus, c’est-à-dire, par une démocratisation de la souveraineté. Comme le dit
J. Locke (1977, p. 172) : « la prérogative n’est que le pouvoir d’œuvrer pour le
bien public sans se fonder sur aucune règle ». En d’autres termes, le pouvoir
politique doit lui-même respecter les lois édictées. Ici, le pouvoir politique a
double implication, car il est à la fois institutionnel et social. Institutionnel
dans la mesure où les dirigeants sont en droit de ne pas détruire les choses
publiques. Ils ne doivent avoir autre souci que de veiller sur la stabilité
institutionnelle, faire en sorte que les lois soient appliquées avec impartialité
pour ne pas laisser transparaître l’injustice. C’est à ce propos que A. Ouattara
(2000, p. 8) affirme que : « l’idée même de l’État de droit implique que l’action
de l’État (usage de la force, pouvoir de sanction, application des lois…) soit
juridiquement réglementée. Dans l’État de droit, l’État est lié par le droit. La
loi et la constitution y ont la primauté ». Quant au mot social, il signifie que
les citoyens sont obligés d’adopter un comportement civique, c’est-à-dire
s’en tenir aux lois de la république. Respecter les prescriptions juridiques
afin de promouvoir la paix sociale. Dans cette optique, M. Heidegger (2011,
p. 215) écrit :
Le respect à l’égard de la loi est respect à l’égard de soi-même en
tant que ce soit refuse de se laisser déterminer par la présomption et
l’amour-propre. Le respect se rapporte donc, par son mode spécifique
de dévoilement, à la personne. Le respect est toujours relatif aux
personnes, jamais aux choses.
Pour Heidegger, obéir aux lois, c’est obéir à soi-même, c’est exprimer
son humanité, sa personnalité. Puisqu’obéir aux lois institutionnelles, c’est
s’acquitter d’un devoir moral et éthique. C’est sortir de soi-même pour affirmer
son appartenance à l’humanité. C’est prendre le dessus sur l’immédiateté.
Pour dire, en effet, que les citoyens doivent exprimer leur volonté de
rehaussement de la société à travers des bonnes conduites. Ainsi, pour qu’il
puisse exister un État de droit en Afrique, il faut, comme le dit J. Locke, que
le droit prime sur l’arbitraire. Car, en Afrique, l’arbitraire semble avoir une
prédominance sur le droit. Or, dans une société où le pouvoir judiciaire a
cessé de l’être, la corruption et le favoritisme gagnent du terrain. Pour cela,
le respect des prérogatives constitutionnelles doit être une ligne de conduite
pour chaque citoyen. Pour cela, le respect des prérogatives constitutionnelles
doit être une ligne intransigeante à laquelle chacun est appelé à se soumettre.
Ibrahim A. DIALLO (2021), Le libéralisme politique de John Locke : un rempart 29

Le respect scrupuleux des lois émanant de la Constitution est d’abord l’une


des exigences de l’État de droit.
Les hommes, êtres moraux, ne peuvent dissoudre le gouvernement que
dans la mesure où celui-ci ne répond plus à leurs attentes. C’est pourquoi
la Constitution en tant qu’ensemble des principes directeurs de la vie des
hommes en société, doit nécessairement faire l’objet de l’approbation de
chacun, qu’elle est moralement fondée sur le respect des lois de nature, gage
de la dignité de l’homme. C’est dans cette perspective que soulignait J.-F.
Spitz (2009, p. 188) :
Une constitution qui violerait le principe de la tolérance ne pourrait
être rationnellement acceptée comme un moyen adéquat à la fin de
la société civile, car elle attribuerait au gouvernement des pouvoirs
qui ne sont pas nécessaires à l’attente de la fin en vue de laquelle il
a été institué.
Autrement dit, la constitution en tant que principe directeur de la société
civile, c’est-à-dire n’est respectée par les citoyens que lorsqu’elle constitue
pour eux la règle leur permettant de vivre en toute sérénité. Pour Locke, le
droit de résistance n’est légitime que si le gouvernement outrepasse les lois de
nature et non pas seulement les lois positives. Pour lui, manifester son droit
à l’égard du gouvernement, doit être un acte réfléchi de la part du peuple.
En effet, il y a droit de résistance quand il y a concordance dans la trahison
entre le droit et le fait. Autrement dit, la résistance émane du droit dans la
mesure où la communauté, qui est elle-même juge par excellence constate,
le non-respect des droits des individus de la part des législateurs. Ce fait est
déclencheur de la résistance parce que les mandataires n’agissent plus en
conformité avec la mission qui leur a été confiée.

CONCLUSION

Finalement, au cœur du libéralisme politique de John Locke, c’est le respect


des droits fondamentaux de l’homme. La liberté, pour le philosophe anglais,
c’est ce qui constitue l’essence de l’homme et, par ce fait, sa conception de
liberté échappe à toute sorte de déterminisme. Pour affirmer que la liberté
est fondée chez Locke sur l’expression libre de la volonté et que cette volonté
est une capacité, il s’ensuit que la liberté n’est pas une donnée extérieure,
étrangère à la nature de l’homme, mais elle a son origine dans l’homme.
Locke a lutté de toutes ses forces contre le pouvoir absolu afin de restaurer
l’homme dans sa dignité. Il a fait des droits des citoyens, des droits effectifs
dont aucun dirigeant pendant son mandat ne peut empiéter. C’est ce qui
justifie l’incursion de Locke dans la médecine. Si le médecin diagnostic
l’origine de la douleur du patient pour la soigner, les études, en médecine de
Locke, ont, pour finalité, d’analyser la société, c’est-à-dire connaître les maux,
les guérir et enfin, de prendre les dispositions appropriées pour éviter les
éventuels problèmes. Comme l’affirme Simone Goyard-Fabre (1986, p. 187) :
30 Revue Ivoirienne de Philosophie, LE KORE 2021; N° 59 : pp. 19-30.

« si la raison des hommes, disait Locke, est raisonnable, le gouvernement


sera, non pas la puissance coercitive d’un minotaure, mais l’instrument de
leurs libertés et de leurs droits ». La raison raisonnable chez Locke est une
raison qui consiste à valoriser l’homme et à se soucier de la stabilité sociale.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
■ Ouvrages
AUDARD Catherine, 2009, Qu’est-ce que le libéralisme ? Éthique, politique, société,
Paris, Gallimard.
CAMUS Albert, 1951, L’homme révolté, Paris, Éditions Gallimard.
FONBAUSTIER Laurent, 2004, John Locke. Le droit avant l’État, Paris, Éditions
Michalon.
HABERMAS Jürgen, 2004, L’intégration républicaine. Essais de théorie politique, trad. Rainer
Rochlitz, Paris, Pluriel.
HEIDEGGER Martin, 2011, Kant et le problème de la métaphysique, trad. Alphonse de Waelhens
et Walter Biemel, Paris, Gallimard.
JAUME Lucien, 2010, Les origines philosophiques du libéralisme, Paris, Champs essais.
KOFFI Niamkey, 2019, Écrits politiques. État africain, religion et mondialisation, Paris,
L’Harmattan.
KONATÉ Yacouba, 2009, La Biennale de Dakar, pour une esthétique de la création
contemporaine africaine Tête à tête avec Adorno, Paris, L’Harmattan.
LOCKE John, 1997, Deuxième Traité du Gouvernement Civil, Trad. J. Vrin, Paris,
Librairie philosophique.
LOCKE John, 2000, Essai philosophique concernant l’entendement humain, trad. Pascal Toranto,
Paris, Ellipses.
LOCKE John, 2010, Lettre sur la tolérance, Trad. Jean le clerc, Paris, Nathan.
N’DA Paul, 1987, Les intellectuels et le pouvoir en Afrique, Paris, L’Harmattan.
POLIN Raymond, 1960, La politique morale de John Locke, Paris, PUF.
SPITZ Jean-fabien, 2001, John Locke et les fondements de la liberté moderne, Paris, PUF.
SIMONE Goyard-Fabre, 1986, John Locke et la raison raisonnable, Paris, Vrin.

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