Vous êtes sur la page 1sur 8

CHAPITRE 22 : On propose une dernière question : le Christ a-t-il

immédiatement conféré au seul pontife suprême la juridiction ecclésiastique ?


Il reste une dernière question : la dérivation du pouvoir ecclésiastique du pontife
suprême aux évêques. On doit savoir qu’un triple pouvoir existe dans le pontife
suprême et les autres évêques : un d’ordre, et un autre de juridiction intérieure,
et un troisième de juridiction extérieure. Le premier se rapporte à la confection et
à l’administration des sacrements; le second à la régie du peuple chrétien, au for
interne de la conscience ; et le troisième à la régie du peuple chrétien aux for
externe. Il n’est question ici ni du premier ni du second. Seul le troisième nous
intéresse. Car, au sujet du premier pouvoir, il est certain que le souverain pontife
et les évêques le reçoivent également, et immédiatement de Dieu. Il est conféré,
en effet, par la consécration qui opère le même effet en tous. Voir, au sujet de ce
pouvoir, Jean de Turrecremata (livre1, chapitre 93). Au sujet du second pouvoir, il
y a une dissension entre les auteurs, car Abulensis (dans le livre qu’il appelle le
défensorium, par 2 chap 63) soutient que ce pouvoir est conféré immédiatement
par Dieu à tous les prêtres au moment de leur ordination. Et le fait qu’un prêtre
ne puisse pas absoudre et lier les chrétiens cela vient de ce que l’Église, pour
enlever toute confusion, a fait des divisions de diocèses, a soumis un peuple à un
évêque, et les prêtres à cet évêque. Mais Jean de Turrecremata (livre 1, chapitre 96
de sa somme) enseigne que ce pouvoir n’est pas conféré par Dieu à l’ordination,
mais par un homme au moyen d’une simple injonction. Tous les deux,
cependant, conviennent que l’usage de ce pouvoir dépend d’une juridiction
extérieure, et qu’il suffit donc de ne parler que d’elle.
Nous ne traiterons donc que de la troisième, de laquelle nous avons déjà parlé
plus haut. Tous admettent, au moins en général, que la juridiction épiscopale est
de droit divin. Car c’est le Christ lui-même qui a structuré son Église de façon à ce
qu’il y ait en elle des pasteurs, des docteurs etc. C’est ce que saint Paul dit aux
Éphésiens 4 : « C’est lui qui a donné des apôtres, des prophètes, des pasteurs et
des docteurs. ». Car, s’il n’en était pas ainsi, le pape pourrait changer la
hiérarchie, et décréter qu’il n’y aura plus d’évêques dans l’Église, ce qu’il ne peut
manifestement pas faire. La question se formule donc comme suit : est-ce que les
évêques canoniquement élus reçoivent de Dieu leur juridiction, comme la reçoit
le souverain pontife ? Trois opinions existent, chez les théologiens, à ce sujet. La
première veut que, autant les apôtres que les autres évêques aient reçu et
reçoivent immédiatement de Dieu leur juridiction. C’est ce qu’enseigne François
Victoria (dans sa relecture 2 du pouvoir de l’église, question 2) et Alphonse a
Castro (livre 2, chapitre 24, la juste punition des hérétiques). La deuxième opinion
veut que ce soit de Pierre, non du Christ, que les apôtres aient reçu leur
juridiction, et les évêques non du Christ, mais des successeurs de Pierre. C’est ce
qu’enseignent Jean de Turrecremata (livre 2, chapitre 54) et Dominique Jacobatius
(livre 10, article 7, des conciles). La troisième occupe une position médiane. Elle
veut que les apôtres aient reçu immédiatement du Christ leur juridiction, mais
les évêques du pape. C’est ce qu’enseignent Cajetan (dans son traité sur l’autorité
du pape et des conciles, chapitre 3), Dominique a Soto (4 dist 20, question 1,
article 2), François Vargas (dans son opuscule sur cette question), Hervacus (livre
sur le pouvoir du pape), et Gabriel, (dans le canon de la messe, lecture 3). Et c’est
ce que pensaient les anciens scolastiques comme saint Bonaventure, saint Albert,
Durant (dist 18 ou 20 ou 24) et d’autres qui considéraient cette opinion comme
très vraie. Il faut donc la confirmer brièvement.

CHAPITRE 23 : Les apôtres ont reçu toute leur juridiction du Christ.


Que les apôtres aient reçu toute leur juridiction immédiatement du Christ
l’attestent ces paroles du Seigneur (en Jean 29) : « Comme le Père m’a envoyé je
vous envoie moi aussi. » En commentant ce passage, saint Jean Chrysostome et
Theophylactus professent que, par ces paroles, les apôtres ont été faits vicaires
du Christ, et qu’ils ont même reçu la charge et l’autorité du Christ. Saint Cyrille
ajoute que, par ces paroles, les disciples ont été créés apôtres et docteurs de toute
la terre ; et que pour nous faire comprendre que, dans l’autorité apostolique, était
contenu tout le pouvoir ecclésial, le Christ a jouté tout de suite après : « Comme
le Père m’envoie. » Or, le Père envoie le Fils muni de la puissance suprême. Saint
Cyprien (dans son livre sur l’unité de l’Église) : « Le Seigneur a dit à Pierre : je te
donnerai les clefs du royaume des cieux. Et, après sa résurrection, il lui dit : « Pais
mes brebis ». Et, même si, après sa résurrection, il a donné à tous les apôtres un
pouvoir semblable, quand il a dit : « Comme le Père m’envoie, moi aussi je vous
envoie », cependant, pour manifester l’unité, il a établi une seule chaire. » Ce
passage nous fait comprendre qu’a été donné à ses apôtres, par le je-vous-envoie,
ce qui avait été promis à Pierre par le je-te-donnerai-les-clefs, et conféré plus tard
par le pais-mes-brebis. Il appert que par le je-te-donnerai-les-clefs, et par le pais-
mes-brebis, a été conférée une juridiction plénière, et même externe. Comment
ces choses ne font pas obstacle au primat de Pierre, nous l’avons suffisamment
démontré ailleurs.
La deuxième citation de l’Écriture porte sur l’élection de Matthias à l’apostolat.
Nous lisons, en effet, que Matthias ne fut pas choisi par les apôtres, qu’on ne lui a
pas donné d’autorité, mais qu’après avoir, par la prière, remis à Dieu son élection,
on le compta immédiatement parmi les apôtres. Or, si c’est de Pierre que les
autres apôtres avaient reçu leur juridiction, cette intervention de Pierre serait
apparue clairement dans la consécration de Matthias. On le prouve ensuite par
un texte de saint Paul, où il enseigne qu’il a reçu du Christ l’autorité et la
juridiction. Et c’est la preuve qu’il donne pour montrer qu’il est un vrai apôtre.
(Galates 1) : « Paul apôtre non des hommes, ni par un homme, mais par Jésus-
Christ et Dieu le Père. » Et pour montrer qu’il n’a pas reçu sa juridiction de Pierre
ou d’un autre apôtre, il ajoute : « Quand il a plu à celui qui m’a choisi dès le sein
de ma mère, et m’a appelé par sa grâce, je n’ai écouté ni la chair ni le sang, ni ne
suis venu à Jérusalem vers les anciens, les apôtres, mais je suis allé en Arabie,
puis je suis retourné ensuite à Damase. Ce n’est qu’après trois ans que je suis
venu à Jérusalem pour voir Pierre ». Et au chapitre 2 : « Ceux qui semblaient être
quelque chose ne m’ont rien apporté. »
Quatrièmement. On le prouvera par une raison évidente. C’est par le seul Christ
que les disciples ont été faits apôtres, comme on le voit dans Luc 6 : « Il a appelé
ses disciples, et en choisit douze parmi eux, qu’il appela apôtres. » Et Jean 6 : «
N’est-ce pas moi qui vous ai choisis tous les douze ? » Que les apôtres aient eu la
juridiction, on le déduit des actions de Paul qui (1 Cor 5) excommunie, et (1 Cor, 6,
7, 11, 14, et souvent ailleurs) fait des lois ; et aussi de ce que la dignité apostolique
est la dignité première et suprême dans l’Église, comme on le voit (dans 1 Cor 12,
et Ephsiens 4) : « Et il en a institué certains en autorité dans l’église, des apôtres
d’abord, puis des prophètes. » Il n’y a pas à s’étonner que, avant la passion du
Christ, les apôtres n’aient été ni évêques, ni prêtres, et qu’ils ne possédaient
aucune juridiction. C’est dans des temps différents que le Seigneur a accordé à
ses apôtres divers pouvoirs. Et c’est surtout après sa passion (Jean 20), qu’il
termina ce qu’il avait commencé.

CHAPITRE 24 : Tous les évêques reçoivent du pape leur juridiction.


Que toute juridiction ordinaire des évêques descende immédiatement du pape,
on le prouve ainsi.
La première preuve, on la tire d’une figure de l’ancien testament. Car, nous lisons,
dans les Nombres 11, que, quand Moïse ne parvenait pas à gouverner seul tout le
peuple, Dieu ordonna qu’il s’adjoigne soixante-dix anciens. Et enlevant de l’esprit
de Moïse, il le leur donna pour qu’ils puissent gouverner avec Moïse. Il faut noter
une question que s’est posée saint Augustin (question 18, livre des Nombres) : ce
prélèvement de l’esprit de Moïse signifie-t-il une diminution de l’esprit de
Moïse ? Et il répond non, car, dit-il, il n’aurait pas été profitable à Moïse d’avoir
des collaborateurs, si cela avait du l’affaiblir spirituellement. Mais, par cette
dérivation de l’esprit de Moïse vers les anciens, Dieu a voulu montrer que c’est
dans Moïse que réside toute l’autorité, et que celle que les autres ont, ils la
reçoivent de lui. Or, il est tout à fait clair que le pape occupe, dans l’Église, la
même place que détenait Moïse dans le peuple de Dieu. En second lieu, le
royaume ecclésiastique est monarchique, comme nous l’avons démontré plus
haut. Donc, toute l’autorité est en lui, et c’est de lui qu’elle est dérivée dans un
autre. C’est ainsi que fonctionnent toutes les monarchies. Ils répondront que le
régime ecclésiastique est monarchique, mais tempéré par l’aristocratie. En
conséquence, en plus de la monarchie, il y a d’autres préfets inférieurs qui ne
sont pas des vicaires suprêmes de la monarchie, mais des princes absolus. Ils
seraient des vicaires, s’ils recevaient d’un autre l’autorité.

Au contraire. L’aristocratie requiert, il est vrai, que les évêques soient des
princes, et non de simples vicaires, mais elle ne requiert pas que ces princes
soient institués par Dieu ou par le pape, mais seulement que le pontife soit forcé,
par la divine loi, de constituer dans diverses parties de l’Église divers princes
ecclésiastiques. Comme si le roi était tenu, à certains endroits, d’instituer dans
chaque province non des préfets ou des préteurs, mais de vrais chefs et princes,
qui régissent une province comme leur appartenant en propre, mais, toutefois,
en dépendance du roi.

Troisièmement, on le prouve avec quatre images dont se sert saint Cyprien (dans
son livre sur l’unité de l’église), où il compare le siège de Pierre à une tête, une
racine, une source, et au soleil. Car, dans tout le corps, c’est de la tête que dérive
la force des membres; dans tout arbre, la force des branches vient de la racine;
dans toutes les rivières, l’eau vient d’une source; et la lumière de tous les rayons
vient du soleil.

Quatrièmement, on le prouve de l’inégalité des juridictions. Car si c’était Dieu qui


donnait la juridiction, tous auraient une juridiction égale, comme ils ont un
pouvoir d’ordre égal. Dieu, en effet, n’a jamais déterminé la juridiction des
évêques. Si donc un évêque a la juridiction sur une seule ville, sur cent villes, ou
sur plusieurs provinces, ce n’est donc pas de Dieu, mais des hommes que
provient cette juridiction. Si donc quelqu’un régit un petit peuple et un autre un
grand peuple, c’est parce qu’il a plu ainsi à celui qui donne la juridiction, au
prince de toute l’Église.

Cinquièmement, si les évêques recevaient leur juridiction de Dieu, le pontife


suprême ne pourrait pas la leur enlever, ou la changer, car le pape ne peut rien
faire de contraire à ce que le Christ a institué. Or, il est certain que le pape peut le
faire, et qu’il l’a fait souvent. Et c’est ce que dit saint Bernard (épitre 131 à Milan) :
« L’église romaine peut instituer de nouveaux diocèses, là où il n’y en avait pas.
Ceux qui existent déjà, elle peut les abaisser, les ennoblir, selon les raisons et les
besoins, comme, exemple, faire d’un évêque un archevêque, et même vice versa,
si la chose était préférable. » Ils répondront que les évêques ont leur juridiction
d’en haut, mais sous un pontife, et que c’est pour cela que le pape peut enlever
ou changer. Mais c’est le contraire qui est vrai, car c’est sous Pierre, que les
apôtres ont reçu immédiatement du Christ leur juridiction. Et cette juridiction
Pierre ne pouvait ni l’enlever, ni la diminuer. De plus, le pouvoir d’ordre c’est de
Dieu qu’ils le reçoivent, et le pape ne peut pas le leur enlever, au point où ils ne
pourraient pas l’utiliser s’ils le voulaient. Car, le prêtre pourra consacrer
véritablement même s’il est excommunié, suspendu, interdit ou dégradé. De
plus, dans chaque ville, les clercs et le peuple sont soumis à l’évêque. Mais si un
clerc ou le peuple reçoit directement du pape une autorité quelconque, un évêque
ne peut ni l’enlever, ni la diminuer. Semblablement, si les évêques avaient du
Christ leur autorité, le vicaire du Christ ne pourrait ni la leur enlever, ni la
diminuer. Mais les adversaires diront que le Seigneur a soumis les évêques au
pontife, en voulant qu’il puisse changer ce qu’il leur avait accordé.
Ils répondront que le pontife peut au moins enlever la matière qui est sujette à
l’évêque, c’est-à-dire confier son peuple à un autre évêque, et ce de façon non à
lui enlever la juridiction donnée par Dieu, mais de faire en sorte indirectement
qu’il la perde. Comme le pouvoir de juridiction signifie une relation d’un prélat à
des subordonnés, c’est-à-dire dans les choses qui sont équivalentes, on prend
une chose et on enlève une autre, on enlève une chose et on prend une autre. Si
la juridiction ne peut pas être enlevée à un évêque, il ne peut pas arriver que le
peuple ne lui soit pas soumis. Il serait donc tout à fait étrange que la divine
providence qui dispose toutes choses suavement, n’ait pas voulu que soit donnée
la juridiction par celui qui, selon la volonté de Dieu, peut ou l’enlever, ou
l’augmenter ou la restreindre.

Sixièmement, si c’est de droit divin que les évêques ont leur juridiction, il faut
qu’ils montrent une parole de Dieu sur laquelle est fondée cette juridiction. Mais
ils ne présentent rien, et les adversaires ne peuvent présenter rien d’autre que les
paroles du Seigneur dites aux apôtres. Par ces paroles, est donnée aux apôtres
une ample juridiction sur l’église universelle, que les adversaires ne concèdent
certainement pas aux évêques. C’est à eux de voir sur quel fondement ils
appuient leurs opinions.

Septièmement. Se présentent des témoignages lourds de sens, de deux anciens


et très saints pontifes. Innocent I (épitre au concile de Carthage, la 91 parmi les
lettres d’Augustin) : « C’est de Pierre que tout l’épiscopat et toute l’autorité de ce
nom sont sortis. » Et, dans son épitre au concile de Milet (la 93 lettre de saint
Augustin) : « Je pense que tous nos frères et co-évêques doivent reconnaître Pierre
comme l’auteur de leur nom et de leur honneur ». Saint Léon (sermon 3 sur son
couronnement) : « Si Dieu a voulu qu’il (le pape) ait en commun quelque chose
avec d’autres, il n’a jamais donné que par lui (le pape) ce qu’il n’a pas refusé aux
autres » Et, dans l’épitre 89 : « Le sacrement de ce ministère le Seigneur a voulu
qu’il corresponde à la charge de tous les apôtres, mais de façon à ce qu’il
demeure principalement dans le bienheureux Pierre, chef de tous les apôtres,
pour que de lui, comme d’une tête, il diffuse ses dons dans tout le corps. » Il
importe peu que ce ne soit pas de Pierre que les apôtres aient reçu leur
juridiction. Car ici, le pape Léon parle de la façon ordinaire dont Dieu confère par
les évêques ses dons à l’église. Et il dit qu’il les confère ordinairement par Pierre.
Mais les apôtres, par un privilège extraordinaire, reçurent du Christ lui-même
leur juridiction. Voici, enfin, les paroles qu’utilise le pontife en créant des
évêques : Nous pourvoyons à la vie de l’Église par telle ou telle personne. Et nous
l’établissons comme père, pasteur et évêque de cette église, lui confiant
l’administration des choses spirituelles et temporelles, au nom du Père, du Fils et
du Saint-Esprit.
CHAPITRE 25 : Réfutation des arguments des adversaires.
Ils nous objectent que notre doctrine se détruit elle-même, car les évêques
succèdent aux apôtres comme le pape à Pierre. Si donc les apôtres ont reçu du
Christ la juridiction, comme l’affirme notre première conclusion, il s’ensuit que
les évêques la reçoivent, eux aussi, du Christ, ce que nie la deuxième conclusion.
Et réciproquement, si c’est du pontife que les évêques reçoivent leur juridiction,
comme l’affirme la deuxième conclusion, les apôtres la reçoivent de Pierre, ce
que nie la première conclusion. Car, un successeur reçoit sa juridiction de celui
de qui l’a reçue son prédécesseur. Car, autrement il ne lui succéderait pas
vraiment, mais il serait institué d’une autre façon. Que les évêques succèdent aux
apôtres saint Augustin l’enseigne (dans le psaume 44) « Pour remplacer tes pères
te sont nés des fils », qu’il explique ainsi : « Les apôtres sont envoyés. Pour les
remplacer, des fils sont nés, des évêques ont été institués. » C’est aussi ce
qu’enseignent le concile de Florence (instruction armenor) et le concile de Trente
(session 23, chapitre 4,) : « les évêques enseignent en tant que successeurs des
apôtres, dont ils ont pris la place. »
Je réponds qu’il y a une grande différence entre la succession de Pierre et celle
des autres apôtres. Car le pontife romain succède à Pierre en tant qu’apôtre, mais
en tant que pasteur ordinaire de toute l’Église. Et voilà pourquoi le pontife romain
a la juridiction de celui qui l’avait donnée à Pierre. Mais les évêques ne succèdent,
pas à proprement parler, aux apôtres, parce que les apôtres ne furent pas des
pontifes ordinaires, mais extraordinaires, et comme des pasteurs délégués, à qui
on ne succède pas. On dit quand même que les évêques ont succédé aux apôtres
non proprement de la façon dont un évêque succède à un autre, et un roi à un
autre roi, mais pour deux raisons. La première, en raison de l’ordre sacré
épiscopal. La seconde, par une certaine ressemblance et proportion. Car, comme
pendant que le Christ vivait sur la terre, les douze apôtres ont été d’abord choisis,
et ensuite les 72 disciples, les premiers, les évêques, sont maintenant sous le
pontife romain, et après eux, sont les prêtres et les diacres. Que c’est ainsi, et non
autrement que les évêques ont succédé aux apôtres, on le prouve ainsi : ils n’ont
aucune part à la véritable autorité apostolique. Les apôtres, en effet, pouvaient
partout prêcher et fonder des églises, comme on le voit dans les derniers
chapitres de Matthieu et de Marc. Cela, les évêques ne le peuvent pas. Les apôtres
pouvaient aussi écrire des livres canoniques que tous devaient accepter. Les
évêques ne le peuvent pas. Les apôtres eurent le don des langues et des miracles :
les évêques ne l’ont pas. Les apôtres avaient la juridiction sur toute la planète :
les évêques, non.
De plus, on ne succède, à proprement parler, qu’à un prédécesseur. Or, il y eut en
même temps des apôtres et des évêques, comme Timothée, Tite, Évodius et
beaucoup d’autres. Si donc les évêques succèdent aux apôtres, à qui a succédé
Tite ou Timothée ? Ensuite, les évêques succèdent aux apôtres de la même façon
que les prêtres succèdent aux 72 disciples, comme l’expliquent Anaclet (épitre 3)
et Bède le vénérable (chapitre 10 de Luc). Mais il appert que les prêtres ne
succèdent pas proprement aux 72, mais seulement par la ressemblance, car ces
72 disciples ne furent pas prêtres; ils ne reçurent, non plus, du Christ, aucun
ordre, aucune juridiction. En effet, Étienne et Philippe, et cinq autres diacres
ordonnés par les apôtres (actes 6) faisaient partie de ces 72 disciples, comme
Épiphane l’enseigne (hérésie 20, qui est celle des hérodiens). Car il est certain
qu’ils n’auraient pas été ordonnés diacres s’ils avaient été prêtres.
Ils nous objectent ensuite Actes 20 : « Veillez sur vous et sur tout le troupeau,
vous que le Saint-Esprit a placés comme épiscopes pour régir l’église du Christ. »
Même chose aux Éphésiens : « C’est lui qui a donné à l’Église des apôtres, des
pasteurs et des docteurs. » Par le nom de pasteurs et docteurs, il entend les
évêques, comme l’explique saint Jérôme. Et on le confirme avec le témoignage
des pères. Denys l’aréopagite dit (livre de la hiérarchie ecclésiastique, chapitre 6)
que la hiérarchie des évêques se termine immédiatement à Jésus, comme les
ordres inférieurs des prêtres, des diacres, et des autres se terminent à l’évêque.
Saint Cyprien (livre 3, épitre 9 à Rogatien) dit que « les évêques ont été faits par le
Christ, par lequel les apôtres ont été créés. » Saint Bernard (livre 3 de la
considération) : « Tu te trompes si tu penses que votre pouvoir apostolique est le
seul à avoir été institué par Dieu. »
Je réponds à la première citation. On dit que les évêques sont constitués tels par
l’Esprit-Saint non immédiatement, mais médiatement, parce que ce sont les
apôtres, sous l’inspiration de Dieu, et par une vertu reçue du Saint-Esprit, qui les
ont consacrés évêques. Comme on le voit dans les actes 15 : « Il a semblé bon à
l’Esprit Saint et à nous. », médiatement ou immédiatement. À la deuxième, est
exprimée là la disposition ordonnée générale de l’Église qui, sans doute possible,
est de Dieu. Car c’est Dieu qui a déterminé qu’il y ait, dans son église, des
apôtres, des prophètes, des pasteurs et des docteurs, même s’il ne leur a pas
donné immédiatement l’autorité. À la troisième, je dis que Denys parle de l’ordre
épiscopal, non de la juridiction. À la quatrième, je dis que saint Cyprien veut dire
que l’ordre épiscopal a été institué par le Christ, et que c’est de droit divin qu’il a
été introduit dans l’Église; que l’ordre des diacres a été d’abord conçu par les
apôtres. La dernière partie de cet enseignement les théologiens la rejettent dans
leur ensemble. Mais qu’elle soit vraie ou fausse, cela n’a rien à voir avec notre
propos. À la cinquième, je dis que saint Bernard parle de la même façon que
saint Paul, quand il dit (Romains 13) : « Il n’y a pas de pouvoir qui ne vienne pas
de Dieu. »
Voici ce qu’ils objectent en troisième lieu. Si c’est du pape que les évêques
reçoivent leur juridiction, l’autorité des évêques cesse donc à la mort du pontife,
comme quand la tête est coupée, tous les membres meurent. Je réponds qu’il y a
une grande différence entre un chef naturel et un chef mystique. Il est vrai que
les membres d’un corps naturel ne peuvent pas se conserver sans recevoir, de la
tête, un influx continuel. Mais, les membres d’une tête mystique, surtout
ministérielle et externe, dépendent de cette tête pour qu’ils soient membres,
mais pas pour qu’ils se conservent membres. Voilà pourquoi la juridiction
épiscopale, qui a été une fois donnée, n’est pas perdue par la mort de celui qui l’a
donnée, mais par la mort de celui qui la reçoit, ou par l’annulation de celui qui
peut l’annuler. Voici quelle est leur quatrième objection. Pour exercer l’ordre
épiscopal, la juridiction est nécessaire. En conférant l’ordre, Dieu confère donc
aussi la juridiction. Je réponds que l’un et l’autre sont conférés par Dieu, mais
l’un immédiatement, et l’autre médiatement. Car, premièrement, le pouvoir
d’ordre requiert un caractère et une grâce que Dieu seul peut conférer et
deuxièmement, la juridiction requiert seulement la volonté du supérieur.

Ils objectent ceci en cinquième lieu. Le souverain pontife appelle les évêques ses
frères et ses collègues. Ils n’ont donc pour président qu’un seul père commun,
Dieu de l’église. Je réponds qu’il les appelle d’abord, frères en raison de l’ordre
épiscopal, selon lequel ils sont égaux. Et ensuite, en raison de la juridiction, car
les évêques sont admis par le pape comme supporteurs de sa charge à lui, non à
un ministère inférieur.
La sixième objection. Si tous les évêques doivent recevoir leur juridiction du pape,
plusieurs évêques ne furent jamais évêques, car, surtout en Asie et en Afrique,
les évêques n’ont jamais été créés par le pape. Je réponds qu’il n’est pas
nécessaire que le pontife crée immédiatement des évêques, mais qu’il suffit qu’il
le fasse médiatement, par les patriarches et les archevêques. Car, au début, Pierre
établit un patriarche à Antioche et à Alexandrie qui, après avoir reçu leur autorité
du pape, présidèrent à toute l’Afrique et à toute l’Asie. Ils purent ainsi créer des
archevêques qui créèrent ensuite des évêques.

fin du livre 4 sur le pouvoir spirituel du pape


suite = livre 5 sur le pouvoir temporel du pape

Vous aimerez peut-être aussi