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Parti-pris sur l’histoire

Une histoire de l’EPS,


quelle histoire ?
Yvon Léziart *

ne discipline scolaire (l’éducation ner à ce numéro une plus grande rigueur d’analyse. Ce

U physique et sportive) est un ensemble


complexe articulant des orientations
générales, des mises en écriture de
ceux-ci (les programmes), des pra-
tiques d’enseignement (les séances) et
des mesures des effets de la formation (les évaluations
et contrôles). Chaque enseignant adapte ensuite les
projet ambitieux conduit à une double exigence : déter-
miner un regard historique, choisir un thème de travail.

Une approche historique précisée

L’histoire comme moment de crise, comme


exutoire aux difficultés rencontrées, comme
grandes orientations déclarées à ses propres concep- recherche de solutions aux problèmes présents
tions et aux conditions de son exercice professionnel. vécus par tous.
Analyser l’éducation physique et sportive apparaît Les interprétations historiques peuvent être nom-
ainsi comme un exercice périlleux, ou la complexité breuses. Comme les sciences sociales, l’histoire est
s’affiche. Ambitionner d’étudier l’histoire de cette dépendante des regards que chacun porte sur les
discipline peut apparaître encore plus délicat car le évènements. L’histoire est ainsi le lieu de l’expression
temps qui passe rogne le réel et fait disparaître des idéologies, c’est aussi un lieu de débats. Les
certaines traces. périodes de crise exacerbent les positionnements
L’histoire de l’éducation physique et sportive en se idéologiques. Ces débats nécessaires au bon équili-
développant (la discipline est née en 1869) accumu- bre intellectuel de chacun présente cependant des
le et sélectionne les faits. Vivre failles dans la rigueur des argu-
l’éducation physique et sportive ments utilisés. Ils permettent à
d’aujourd’hui dans sa totalité l’homme de supporter en par-
c’est s’ouvrir aux études histo- tie les difficultés rencontrées
riques. En effet ces travaux dans la vie de tous les jours.
précisent le regard que l’on peut Cette perspective à un effet
porter sur l’éducation physique thérapeutique incontestable.
actuelle. Elle en explique sa L’histoire rassure en nous
position actuelle et autorise sans plaçant dans la continuité de
doute quelques prévisions. l’humanité et en nous assurant
L’accélération de la vie quoti- qu’aucun problème d’impor-
dienne et les questions profes- tance n’ait, dans le passé, trouvé
D. R.

sionnelles que chacun doit réponse grâce à l’intelligence


résoudre n’autorisent pas humaine.
souvent les enseignants à prendre le temps du recul L’histoire permet à chacun de se situer, d’exister en
historique. tant qu’individu singulier. L’histoire et la politique (sou-
C’est cette attitude que nous souhaitons voir les lec- vent liées) jouent ce rôle dans notre société. Elles per-
teurs de Contre Pied adopter, le temps de la lecture mettent toutes deux, l’expression de chacun sur nos
de ce numéro. Réfléchir à l’histoire d’une discipline problèmes de société, l’affirmation d’une position et
scolaire soulève un certain nombre de questions : le débat considéré comme confrontation entre des
que regarder dans l’immensité des faits qui peuplent points de vue opposés. L’histoire apparaît alors
l’éducation physique et sportive depuis sa naissance ? comme une idéologie au même titre que les religions.
Comment regarder ces faits ? Quelle voie d’approche Son rôle individuel et social est indiscutable. L’histoire
privilégier ? Quel thème de réflexion choisir ? Il parait arrache l’individu aux difficultés du quotidien et lui assu-
évident au travers de ces questions que l’abord glo- re prise sur le monde. Ce double aspect de l’histoire :
bal de l’éducation physique et sportive ne permet pas prise de distance du quotidien et ancrage dans l’hu-
d’approche précise et privilégie donc des position- manité comme mode de résolution des problèmes
nements fortement dépendants de l’idéologie de vécus, explique en grande partie le succès populai-
chacun. Tout en reconnaissant l’existence et la néces- re de l’histoire et plus particulièrement lors des crises
sité de cette approche de l’histoire, nous souhaitons don- de société. Cette approche toute utile qu’elle soit,
ronge cependant le réel, le reconstruit en laissant de
* Avec la collaboration des membres du bureau du coté toute une série de faits contradictoires à l’affir-
Centre. mation de sa propre pensée. Les idéologies n’ont pas ✒
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Parti-pris sur l’histoire

✒ vocation à dire vrai. Elles ont vocation à dire, à expri-


mer des positions à construire des cohérences de
mises en relation et parfois les mises en tension de ces
trois composantes. L’histoire de l’EPS est l’histoire croi-
pensée, à rassurer. L’idéologie apparaît donc comme sée de ces trois institutions.
une vue partielle et partiale de l’histoire. Sans croire ● Au-delà de cette proximité des composantes plus
naïvement à une histoire définitivement objective, il nous éloignées interviennent et interagissent avec l’EPS. Le
parait utile et nécessaire de réfléchir aux conditions système politique, le système économique, le systè-
d’une histoire plus construite, plus contradictoire. me social (que nous pouvons subdiviser en système
L’histoire est effectivement complexe. Elle analyse le du travail, système des loisirs, système des mœurs et
rapport des hommes aux évènements qui ont fait et des valeurs…) en sont les principales. Les relations
qui font notre société et l’intelligence humaine crée la entre ces superstructures et l’EPS sont permanentes.
dissonance le débat, la controverse. Nous estimons que ces relations sont toujours inter-
actives, qu’elles ne se rompent jamais mais, que
Comprendre l’histoire c’est créer les conditions selon les circonstances et les évolutions de notre
de l’approche du complexe. société, certaines dimensions de ces relations sont
Les faits se déroulent et constituent des évènements privilégiées à des moments particuliers.
dont l’existence est incontestable. Un fait se situe dans ● Aborder la complexité de l’histoire c’est donc
le temps, dans une période déterminée… Il est admettre que pour comprendre l’évolution d’une
incontestable et repérable Les instructions de 1967 société, il est nécessaire de prendre en compte tou-
paraissent à cette date et pas un an auparavant. tes ces dimensions et chercher leurs articulations. Il
Ces faits et évènements constituent les points d’ap- est évident que plus la culture historique croit, plus la
pui fixes de l’histoire. Le travail de l’historien consiste finesse des mises en relation s’affirme.
ensuite à leur donner du sens. Le sens, c’est l’inter- Ces quelques principes et règles de l’approche de la
prétation de l’histoire, c’est la coloration que donne complexité historique nous paraissent indispensables
chacun aux faits. à prendre en compte si l’on veut ne pas cantonner
Avancer dans l’analyse et la compréhension des faits l’histoire de l’EPS à une simple querelle d’idéologies
historiques exige à notre sens deux efforts essentiels : politiques souvent caricaturées dans les articles et
l prendre mieux en compte la complexité des faits ouvrages qui lui sont consacrés.
historiques,
● se déterminer lucidement un regard sur l’histoire, une Comprendre l’histoire c’est se construire un regard
façon de voir, un cadre de réflexion. historique.
Ces principes indispensables à l’approche de la com-
Prendre mieux en compte la complexité des faits his- plexité des évènements historiques ne sont cependant
toriques c’est maintenir vivaces quelques principes : pas suffisants pour donner du sens aux évènements.
● l’histoire est dynamique. L’histoire est le témoin de Une analyse rigoureuse, méticuleuse, précise peut
l’invention humaine. Le monde se transforme par « tourner » à vide si un cadre d’analyse de l’histoire,
l’homme. Comprendre l’histoire c’est prendre en si un « certain regard » n’oriente pas la lecture des faits
compte ces évolutions, recueillis. Lire les évènements historiques et tenter d’en
● l’histoire c’est aussi et toujours une masse considé- donner une interprétation sont, comme nous le per-
rable de facteurs proches ou lointains, grands et cevons bien maintenant, intimement liés. Nous avons
petits, aimés ou détestés qui, par une combinatoire choisi de les dissocier dans ce texte pour en permettre
particulière, génèrent les évènements et les dévelop- une étude plus lisible. Il va sans dire cependant qu’ils
pent. Il faut donc les prendre en compte et sans doute ne sont pas séparés dans les études historiques.
multiplier leur nombre afin de créer des zones de pré- Une nécessaire vigilance épistémologique exige que
cision et de mise en relations. Cette démarche permet le travail de recueil des données, que l’étendue des
une approche sans cesse approfondie du réel. prises d’informations soit systématiquement réalisés.
● Il faut malgré tout structurer et organiser ces diffé- Certains écrits historiques ne se détachent pas d’une
rentes dimensions à mesure qu’elles se précisent et analyse par les cas favorables. Les auteurs ne retien-
s’affinent. Nous préconisons de déterminer ce qui nent dans les faits que ceux qui confortent leur point
releve de l’influence interne du système (dans le cas de vue.
présent de l’EPS) et de l’influence des systèmes Se déterminer un cadre d’analyse de l’histoire, engage
externes à l’EPS. Nous comprenons bien à ce niveau la responsabilité de chacun.
de l’étude que des systèmes déterminent une proxi- Il est ce que l’on veut qu’il soit. Entrent à ce niveau des
mité plus ou moins grande avec le système de l’EPS ; données conscientes et inconscientes. Les données
le sport, l’école sont des systèmes proches. inconscientes sont les plus délicates à maîtriser.
Interviennent également les données politiques, éco- Elles s’appuient souvent sur l’histoire de la famille, la
nomiques et sociales. Les influences des unes et des culture de l’histoire et les faits historiques qui l’ont
autres sont variables selon les périodes les moments marqué (association de faits historiques nationaux
et pèsent différemment. ou mondiaux à des évènements familiaux, engagement
lle système scolaire et le système sportif vivent une des uns et des autres dans des mouvements politiques,
grande proximité à l’EPS. Proximités évidentes proxi- syndicaux..., présence fortuite dans un grand évène-
mités constitutives. Les relations entre ces trois dimen- ment historique...)
sions sont étroites et permanentes. P. Arnaud a très Notre regard se portera sur une orientation politique
justement montré dans « les savoirs du corps » les centrale. La démocratisation en EPS. Cette orienta-

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Contre Pied n°17

tion constitue notre regard historique, notre centration Il est aussi fréquent dans la lecture de l’histoire de voir
(parmi un ensemble de possibles). La démocrati- le complexe expliqué à partir d’analyses mettant en
sation est un objectif politique majeur. Ouvrir la jeu essentiellement le politique, les structures écono-
connaissance de haut niveau au plus grand nombre miques et les grands systèmes sociaux. Ces per-
possible. Utopie disent certains, mais l’utopie pré- spectives sont indispensables à la compréhension du
sentée comme perspective à atteindre donne projet déroulement des évènements. Elles déshumanisent
et dynamisme à une société. cependant l’histoire en accordant aux structures le
Comment juger des avancées historiques de la démo- privilège de l’évolution. Dans cette perspective, l’hom-
cratisation de l’école ? me est le jeu des prises de position entre structures.
Il est sans doute nécessaire de prendre en compte ce Il ne pèse pas sur l’évolution de la société. Les facteurs
que nous avons nommé préalablement les détermi- économiques et politiques et l’approche macro-éco-
nants de l’histoire. Mettre à plat chacun de ceux-ci ne nomique dominent cette histoire. Sans revenir à des
donne pas sens aux évènements historiques. L’histoire positions anciennes qui expliquaient l’évolution de la
n’est pas l’exposition la plus exhaustive possible des société par ses grands hommes nous pensons que
évènements qui entrent dans la détermination d’un fait chaque homme pèse à son niveau sur l’évolution de
historique. L’histoire est choix parmi un ensemble. Faire la société. Il s’agit de revaloriser une histoire prag-
de l’histoire, c’est donc choisir, c’est aussi présenter matique, une histoire des hommes au quotidien. Sans
et justifier les choix faits. Permettre de comprendre une être une histoire nouvelle qui prend le pouvoir sur
analyse c’est montrer ce que l’on prend en compte pour toute autre forme d’étude historique et qui assure le
l’analyse. Cette lisibilité nous parait essentielle dès lors contrôle du champ, cette histoire pragmatique nous
que l’on veut parler d’histoire. apparaît comme le complément des histoires institu-
La démocratisation de l’école et de l’éducation phy- tionnelles, politiques et économiques. C’est le versant
sique représente donc notre approche historique. humain, populaire, véritable contrepoint des histoires
Que privilégions-nous comme outils de cette appro- institutionnelles. Il s’agit ici de revaloriser le rôle de
che ? l’homme comme acteur et comme témoin des trans-
Les données politiques générales : démocratiser c’est formations de la société. Les lois sont votées par les
engager des décisions collectives nationales. Ces instances politiques. Elles sont acceptées ou non par
décisions ne s’obtiennent pas sans luttes. Les concep-
tions de la démocratisation sont souvent différentes
les hommes. C’est ce versant concret, les réflexions ✒
entre les politiques et les enseignants représentés dans
les négociations par les syndicats. Ainsi la question
de la démocratisation scolaire est incontestablement
un slogan politique de la fin de seconde guerre mon- Quels souvenirs as-tu des cours d’histoire
diale à aujourd’hui. Utilisé par les différents ministres et penses-tu que ça t’a servi ?
de l’éducation il se traduit avec plus ou moins de
pertinence dans le concret de l’éducation. Jean Michel Masson, collège Saint Sauveur.
je m’en souviens bien ; ça m’a permis de mieux comprendre
La démocratisation c’est aussi l’effort fait journellement où j’allais arriver… par exemple, le passage de la JS à l’EN :
pour présenter des contenus d’enseignement qui j’étais étudiant. Mon père était prof d’EPS et je savais qu’il était
permettent à tous les élèves de transformer leurs à la JS ; pour moi, c’était une rupture, j’allais être un vrai prof.
pratiques quotidiennes et d’accéder à la culture Catherine Vigier, lycée Marseille. Les cours d’histoire ? On n’en
corporelle de l’humanité. Les travaux sur l’enseigne- pas eu ! ah bon ! on avait un écrit sur l’histoire ? non ? je ne m’en
ment en général et sur la didactique plus particuliè- souviens pas du tout !
rement relaient en permanence la volonté de proposer Annie Garnier, collège Saint Paul.
des contenus d’enseignement à hauteur des ambitions J’ai plein de souvenirs, mais ce sont des savoirs qui ne vivent
politiques exprimées. pas comme ça, en tant que souvenirs ! Ils existent et remontent
Ces deux dimensions (politique et didactique) et leurs du fond de ma mémoire quand certains contextes ; certains
interrelations doivent être prises en compte pour problèmes les convoquent. Ils me servent à comparer, comprendre
questionner l’histoire et juger de la puissance d’une les faits présents qui les ramènent. J’ai aussi le sentiment d’avoir
démocratisation scolaire. des savoirs qui dépassent les faits historiques ponctuels mais
qui me situent en tant que personne sur un ligne passé-présent.
Enfin nous centrerons notre étude sur l’histoire pro- Nina Charlier, collège Blainville.
che (de 1968 à nos jours). L’histoire se nourrit du passé Je n’en ai aucun souvenir, je ne me rappelle même pas le prof
et témoigne des avancées constantes de l’homme et qui faisait ça ! pourtant l’histoire m’intéresse, surtout
de la société. Nous nous contenterons de cette his- l’histoire des APS. Le bouquin de Goirand, Metzler m’a été
très utile pour bien travailler les APS.
toire récente. Elle prend beaucoup de signification pour
les enseignants d’éducation physique en activité qui Jacotte Sels, collège Montigny-les-Bretenneux.
ont été témoins et acteurs des décisions prises durant Oui, mais plutôt qu’un exercice de mémoire sur des déferlantes
de dates, mes souvenirs ont été ravivés à un certain moment !
cette période riche.
Je préfère prendre un problème et l’analyser en le faisant traverser
les différentes époques. Je trouve que ça permet mieux de
L’histoire prend-elle les acteurs au sérieux ? comprendre l’évolution des pratiques, de l’école et de la discipline,
L’histoire se décline à plusieurs niveaux, de l’histoire d’avoir de nouveaux questionnements.
expression de notre propre existence à l’histoire des
spécialistes.

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Parti-pris sur l’histoire

grand nombre et si possible le plus longtemps possible.


Voici la question posée aux collègues : Cette position générale s’accompagne souvent d’une
quels sont les évènements, les faits perception mécanique des phénomènes de démo-
marquants de ta carrière de prof d’EPS ? cratisation. Elle se développe progressivement. Des
au plan historique ou professionnel impondérables politiques et économiques ralentis-
Catherine Vigier, lycée Marseille. sent ou accélèrent le phénomène selon les périodes.
Le plan Soisson est un évenement : on était jeunes, La marche en avant de la démocratisation scolaire est
ça a été déterminant pour prendre conscience inéluctable.
de l’importance de se battre pour exiger des postes, Ces positions trop couramment admises ne permet-
etc. tent pas de comprendre les effets de la démocratisa-
Dans mon parcours, le fait marquant, c’est ma tion dans le système scolaire et en EPS particulièrement.
première expérience en lycée (1985) où j’ai
vraiment eu l’impression de travailler les contenus
pour la première fois. Avant, j’étais en collège Quelques jalons historiques.
et j’étais plus centrée sur les problèmes de gestion La troisième république pose les premières bases de
de classe. Au lycée de Vire, j’ai eu des élèves super, la démocratisation scolaire. Elle défend l’idée que
j’en ai un souvenir très positif, quelque chose de chacun doit accéder aux enseignements fondamen-
passionnant qu’après je n’ai pas retrouvé. taux : lire, écrire et compter. L’école est pensée éga-
J’ai été à nouveau en collège, puis en LP avec lement comme le lieu de promotion sociale pour
des élèves pas motivées. A cette époque, chacun. Le mérite scolaire est le sésame de toute
je n’étais pas prête à me poser des questions promotion. Ces perspectives ambitieuses tardent à se
de contenus avec des élèves en difficulté. concrétiser. Les réticences des classes populaires
Quand je suis arrivée à Frais Vallon (en ZEP,
et le souci de maintenir les privilèges des classes
quartiers nord de Marseille), ça a été le choc ; mes
compétences professionnelles ne me suffisaient pas, favorisées sont de redoutables freins à la mise en
j’étais en échec, ils me posaient tellement de pratique des volontés politiques de l’époque.
problèmes que je me suis remise en question
pas seulement sur le plan professionnel, Réforme Berthoin, réforme Haby.
aussi sur le plan humain (en tant que mère, militante...) C’est la réforme Berthoin qui en instaurant, en 1959,
l’entrée en 6e pour tous, ouvre plus massivement les
portes du collège aux classes populaires. La mise en
pratique de cette décision ne prendra cependant réel-
lement effet qu’en 1967, en 1959 moins de la moitié
d’une classe d’âge entre en sixième. En 1972 il y en
aura plus de 95%). Ces chiffres sont cependant à nuan-
✒ des hommes, leurs contradictions leurs avancées, leurs
bricolages qui confèrent à l’histoire son caractère
cer car des classes de transition, des classes pratiques,
des classes préprofessionnelles de niveau existent et
d’humanité. Nous avons choisi à cet effet de prend- modulent une vision trop angélique de la démocrati-
re en considération, dans ce numéro de Contre Pied, sation scolaire. En 1975, le réforme Haby en créant
l’histoire présentée par ceux qui l’ont vécue et qui l’ont le collège unique et la fin d’orientation en 5e, conduit
faite. Notre but est alors de montrer comment les déci- à une deuxième explosion scolaire à la fin des années
sions politiques, syndicales sur l’éducation physique 1980. Ainsi, entre1980 et 1990, les effectifs doublent
entrent ou non en phase avec les positions et pratiques au lycée pour atteindre le chiffre de 1,5 million élèves.
de chaque enseignant. Ce souci est légitime en EPS Le taux des bacheliers qui était de 10% en 1960
car cette profession s’est forgée au cours de son exis- passe à 60% en 1998.
tence un esprit de corps, une capacité à se mobiliser La croissance des effectifs est incontestable comme
collectivement, et ce faisant à se doter d’une indis- le sont les chances de réussite scolaire. L’idée de la
cutable mémoire professionnelle collective. Faire de promotion sociale par l’école est toujours présente
l’histoire pragmatique c’est donc articuler l’histoire dans les mentalités.
institutionnelle et l’histoire de sa mise en pratique
dans les actes quotidiens. Les années 1970
Les sociologues de la contestation des années 1970,
Un thème d’étude déterminé : ouvrent ce que les chercheurs nomment aujourd’hui
la démocratisation de l’EPS. « l’ère du soupçon », et prennent l’école comme pour
un domaine d’étude privilégié. Les révolutions suc-
La démocratisation scolaire et de l’EPS constitue cessives que les politiques ont fait subir à l’école sous
notre orientation d’étude pour ce numéro de Contre la pression des couches populaires de la nation,
Pied. interrogent les sociologues. La démocratisation sco-
Cette orientation s’impose. Des ouvrages paraissent laire est mise en question. L’école et ses fondements
aujourd’hui sur ce thème. Nous constatons à leur sont passés au crible.
lecture, que l’idée de démocratisation est souvent utili- Les travaux de P. Bourdieu et J-C. Passeron, ceux de
sée dans son sens courant sans approfondissement C. Baudelot et R. Establet et ceux de G. Snyders
notable. La démocratisation est alors présentée dans déclinent à l’envie les relations fonctionnelles entre
une signification très globale qui s’en tient à l’idée que l’école et le système économique et politique (étude
démocratiser c’est ouvrir les portes de l’école au plus que conduit également J.M. Brohm sur le système

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Contre Pied n°17

sportif), l’école et les hiérarchies sociales, l’école et ses sont des données tangibles chez un grand nombre
conceptions. d’adolescents. Ainsi, la valorisation récente par le
Ministre de l’idée d’un socle commun d’enseignement,
Période récente. témoigne d’une prise de position sur les rapports des
Dès lors, nous abordons une période ou l’école est contenus d’enseignement à la culture traditionnelle ou
sous surveillance quant aux décisions politiques qui vivante. Les programmes sont aussi, selon certains
la concernent. La démocratisation de l’école par chercheurs (F. Dubet), toujours définis par l’aval et par
l’entrée massive des enfants des classes populaires un point de départ proche de l’excellence. Les élèves
au sein de l’école est incontestable. Les chiffres le ne perçoivent pas de véritable cohérence et de fina-
prouvent. lités explicites dans les programmes qui leur sont
Il s’agit à ce niveau de ne pas confondre, massifica- imposés. F. Dubet propose à titre d’exemple, que
tion et démocratisation. Massifier l’école c’est ouvrir chaque cycle ait sa propre logique et ses propres
les portes de l’école au plus grand nombre. En ce sens finalités en termes de programmes.
le slogan politique « 80% d’une tranche d’âge au bacca-
lauréat » trouve pleine signification. Si l’on calcule la Démocratisation absolue et démocratisation
démocratisation en taux d’entrée aux différents niveaux relative : plusieurs démocratisations ?
du cursus, les résultats confirment l’engagement poli- Chacun s’aperçoit aisément des difficultés rencontrées
tique annoncé. Par contre, dès lors que l’on dépas- à définir en quelques mots la démocratisation scolaire.
se ces premiers chiffres et que l’on questionne plus Tout terme général englobant montre instantanément
fidèlement les taux de réussite de chaque élève selon ses limites. C. Lelièvre estime qu’une sédimentation
son milieu social d’origine, les différences prennent s’est produite au fil du temps autour de ce terme et
signification. Des études récentes (M. Duru-Bellat, que les définitions qui pouvaient en être données
A. Kieffer et I. Bautier, J-Y. Rochex) montrent à avant la montée sensible des effectifs dans le systè-
l’évidence que plus le niveau scolaire monte plus les me scolaire, n’ont plus de pertinence actuellement. Il
chances d’accès des classes populaires aux filières propose donc de contourner ce problème en donnant
nobles s’amenuisent. Dans les filières de relégation, une définition au pluriel de ce terme. La démocratisa-
les indicateurs socio-professionnels confirment très
nettement cette affirmation (68% des élèves de qua-
tion comme « égalité des chances » destinée à élargir ✒
trième d’aide et de soutien sont enfants de chômeurs
et d’inactifs, 3% sont fils d’enseignants ou de cadres).
La création des bacs professionnels n’a pas réduit cette
fracture. Enfin la notion d’échec scolaire apparaît à
mesure que se confirme la massification du système Catherine Laurence, collège Saint Sauveur.
scolaire. Actuellement le constat suivant peut être Un des premiers évènements, c’est la consultation
formulé : plus la scolarisation croit, plus le niveau Legrand (1984) : elle était porteuse de plein d’espoir ;
général monte et plus l’échec se massifie. Enfin, sou- à l’époque j’ai vraiment cru qu’on allait m’écouter pour de vrai !
Par contre, le passage à l’EN, ne m’a pas marqué du tout...
lignons que l’idée de la sélection par l’échec est consi- Le 2e événement, c’est un « gros » projet cirque, c’était
dérée aujourd’hui par certains comme nécessaire au la première fois que tout le collège participait à un projet dont
bon équilibre du système économique qui assure les le moteur était l’EPS. C’est très important pour moi parce que
échanges financiers et commerciaux internationaux. c’était la reconnaissance de notre discipline dans l’établissement.
Cela va de pair avec le fait d’avoir un collègue stable.
La démocratisation : quelles questions poser ? Au début de ma carrière, j’ai changé six fois de collègues
en six ans on ne pouvait rien mettre en place dans la durée.
Quelle démocratisation ? Pourquoi faire ? Depuis le début de ma carrière, ce qui a le plus changé dans
Ce qui semble évident aujourd’hui et qui brouille les mon travail (je ne sais pas si c’est le métier ou seulement
pistes quant à la démocratisation des activités sco- dans mon établissement), c’est le travail en équipe avec les
autres disciplines. Quand on est en colère après nos collègues,
laires c’est l’aspect contradictoire et paradoxal de ce on dit : « puisque c’est comme ça, l’année prochaine,
phénomène. Des progrès manifestes ont réalisés en on ne fait que de l’EPS ! »
ce domaine dans les vingt dernières années. Les Les programmes m’ont-ils marqués ?… Non ! Les textes,
classes populaires ont un accès beaucoup plus ouvert de toute façon on n’est jamais dans les normes, alors…
et beaucoup plus complet à l’école que précédem- ça veut pas dire qu’on s’en fiche mais ce n’est pas déterminant.
ment. Cependant des inégalités frappantes ou cachées Pour moi, personnellement, le CAPEPS interne a joué
demeurent, se maintiennent, voire se renforcent. un grand rôle ; mes horaires ont baissé, ça m’a permis
Il faut également réfléchir le modèle scolaire, des fina- d’être payée comme les autres collègues.
lités déclarées aux évaluations proposées. Ainsi, la cul- D’ailleurs, je me rappelle qu’à ce moment là, l’histoire
ture à distribuer aux élèves doit être l’objet d’un réel m’a intéressée alors qu’elle ne m’avait pas beaucoup marquée
quand j’ai fait mes études au CREPS. J’avais déjà travaillé
débat démocratique. De nombreux auteurs recon- et ça m’a permis de mieux comprendre les enjeux de l’EPS,
naissent aujourd’hui que l’école continue, malgré le rapport à la société. Le dernier fait historique qui me marquera,
quelques modernisations de surface, à promouvoir je pense, c’est la lutte de 2003 ; mener une telle bagarre
l’excellence scolaire, sans prendre en compte vérita- pour le métier et la perdre… ce n’est pas la première fois
blement les évolutions de culture auxquelles les qu’on perd mais là, on avait réussi tout de même à emmener
adolescents sont extrêmement perméables. L’anti-intel- beaucoup de collègues…
lectualisme, le rejet de la culture « littéraire classique »

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Parti-pris sur l’histoire

demment, présenter un certain nombre d’options qui


Cécile Cazalets,, collège, Bordeaux. orientent notre regard historique.
J’ai suivi ma formation initiale à l’UFR de Marseille. L’articulation Nous prenons appui sur les positions défendues par
entre théorie et pratique était très bien faite, je pensais que P. Langevin et H. Wallon en 1946 pour déterminer notre
tous les profs étaient formés comme ça et en fait, je me orientation générale quant à la démocratisation scolaire.
suis aperçue que la façon dont on didactise les contenus Ils affirment :
est différente d’un endroit à l’autre. Ce qui m’a d’abord marqué, « Le premier principe… est le principe de justice… l’en-
ce sont mes premières expériences pédagogiques. Lors de
mon 1er stage en SEGPA, j’ai découvert la misère affective
seignement doit donc offrir à tous d’égales possibilités
des gamins, ils étaient complètement en décalage avec les de développement, ouvrir à tous l’accès à la culture,
contenus que je proposais. Ensuite, j’ai fait mon stage PLC2 se démocratiser moins par une sélection que par une
à Paris et là, j’avais des gamins déscolarisés ; ça ne collait élévation continue du niveau culturel de l’ensemble de
toujours pas ! Il a fallu que j’attende un bahut ZEP de Marseille la nation... ».
avec une cohésion de l’équipe pour trouver des solutions « La culture générale représente ce qui rapproche les
nouvelles. hommes… L’école doit être un centre de diffusion de
la culture… Dépositaire de la pensée, de l’art, de la
civilisation passé, elle doit transmettre en même temps
qu’elle est l’agent actif du progrès et de la moderni-
sation. Elle doit être le point de rencontre, l’élément
✒ de recrutement des élites, la démocratisation comme
« élévation universelle du niveau culturel ».
de cohésion qui assure la continuité du passé et de
l’avenir… ».
F. Dubet adopte une position proche des propositions Nous adhérons à ces principes car ils associent à l’idée
précédentes. Il incite à distinguer une « démocratisa- de la démocratisation scolaire, l’idée de programmes
tion absolue » qui correspond à la recherche d’un et contenus d’enseignement rigoureux. A l’idée de
accroissement du nombre de ceux qui peuvent béné- justice sociale s’adjoint celle d’une culture exigeante.
ficier des avantages du système scolaire. Le taux de D’autre part, ces principes inscrivent l’enseignement
réussite au baccalauréat qui avoisine actuellement dans une perspective d’anthropologie culturelle, liant
70% d’une tranche d’âge, alors qu’il n’était que de 30% le passé le présent et l’avenir et en veillant à donner
il y a quarante ans, représente cette démocratisation à chacun les moyens de comprendre et de transfor-
absolue. « La démocratisation relative » concerne mer le monde environnant. Lutter pour faire avancer
plus, pour cet auteur, les différenciations scolaires qui la démocratisation scolaire, c’est lutter pour la réduc-
tout en permettantl’accès de tous aux enseignements tion des inégalités, c’est lutter pour réduire le poids des
de base, condamnent certains à ne pas obtenir les déterminants économiques sur l’école, c’est lutter
diplômes dans les mêmes conditions que leurs sem- pour améliorer les conditions d’enseignement et c’est
blables, en enseignements et en âge. aussi lutter pour présenter des contenus d’enseigne-
S. Beaud s’inscrit dans les mêmes réflexions que les ment de qualité (H. Wallon parle d’élévation universelle
auteurs précédents et parle de « démocratisation du niveau culturel).
ségrégative ». Cette formule paradoxale signifie que l’on Ces orientations générales, sont indispensables pour
a repoussé les temps de sélection scolaire de la 5e pouvoir enseigner de manière responsable. Elles
précédemment ou de la 3e à la seconde et à l’entrée organisent nos actions, le choix de nos contenus, la
en S. Les filières du baccalauréat témoignent aussi de manière de les proposer…
cette sélection. Ce choix accompli ne garantit pas cependant la mise
en pratique, immédiate, concrète et efficace d’une
Ces auteurs s’accordent pour témoigner de la lourdeur éducation physique démocratique. Celle-ci n’est ni
du système scolaire, de son importante inertie et du simple, ni linéaire. Les contenus d’enseignement en
poids de plus en plus manifeste des données politiques accord avec nos propres orientations se déterminent
et économiques sur les orientations scolaires et en lentement par tentatives successives, par expérience.
conséquence sur la démocratie scolaire et la liberté Il faut là aussi remettre en chantier ses propres
d’enseigner. certitudes. C’est sans doute dans une mise en circu-
Ils posent également avec justesse les difficultés ren- lation permanente entre options théoriques et pratiques
contrées à proposer une définition simple et unique de que se construit peu à peu un enseignement lucide
la démocratisation scolaire. Notons enfin, que leurs et cohérent.
positions diffèrent quant aux regards privilégier pour Ces orientations générales nous conduisent à consi-
étudier les mécanismes de démocratisation. S. Beaud dérer que la démocratisation en EPS doit respecter
et F. Dubet font apparaître les mécanismes de sélec- quelques principes forts :
tion cachée, C. Lelièvre met en évidence l’importan- ● démocratiser c’est considérer que l’école n’est pas
ce des contenus dans la définition de la démocratisation un lieu fade ou l’objectif serait (par orientation socia-
scolaire. le) de réduire les différences de chacun pour obtenir
un niveau moyen général. Cette dérive de l’idée de
Pour une approche introductive démocratie nie les différences et signifie que réduire
de la démocratisation en EPS. les particularismes assure une égalité de tous. C’est
une égalité par le plus petit dénominateur commun.
Réflexions premières. Démocratiser c’est au contraire, l’enrichissement de
Approcher la question de la démocratisation scolaire tous quelque soit son niveau initial. Ainsi pensé, ensei-
et en EPS c’est, comme nous l’avons affirmé précé- gner c’est veiller à ce que chacun progresse le plus

8
Contre Pied n°17

possible en bénéficiant des différences de tous ;


● démocratiser les pratiques physiques et sportives
c’est, selon nous, permettre à chaque élève d’attein-
dre par la formation scolaire (L’EPS) une attitude
citoyenne c’est-à-dire être capable d’assurer le plein
exercice de ses responsabilités d’homme inscrit dans
une société donnée. Démocratiser l’EPS c’est donc
assurer une pratique pour tous du plus haut niveau pos-
sible (cf Wallon). Au-delà de ces orientations généra-
les, c’est proposer un type de contenu qui conduise
les élèves à prendre leurs responsabilités et ce quelque
soit leur origine sociale. Prendre ses responsabilités

P. Hebert UNSS
c’est choisir en toute connaissance de cause (en
étant informé le plus et le mieux possible), c’est
effectuer son choix, c’est en évaluer les effets et
c’est inscrire en mémoire les actions réalisées. Cette
démarche est accessible à tous à condition que les
contenus d’enseignement, la recherche, la mette en de l’homme à la société, fondamentalement opposées.
pratique explicitement ; Cette opposition n’est pas propre à l’EPS. De nom-
● démocratiser l’EPS c’est veiller à ce que les élèves breuses disciplines scolaires la vive.
apprennent par le biais de l’EPS à gérer leur corps, à Cependant cette opposition terme à terme est trop
connaître, comprendre et analyser les formes socia- grossière. Un courant d’éducation physique s’inscrit
les de pratique existantes, à s’approprier les acquis dans une perspective sociale. Cependant se distingue
de la culture humaine et à pratiquer à leur tour de au sein de cette orientation, la perspective de
manière « noble » l’activité physique et sportive choisie. développement d’une éducation sportive empirique
Ces quelques principes déterminent notre regard sur « naturelle » porteuse des pratiques sportives socia-
l’histoire de la démocratisation scolaire et sur celle de les dominantes et la recherche d’une éducation
l’EPS fondamentale des APSA à vocation culturelle. Les
conflits débats et enjeux se sont centrés sur les
Approche de la démocratisation en éducation oppositions entre ces trois orientations.
physique et sportive : la construction inachevée Nous sommes au cœur d’un débat idéologique majeur
d’une EPS à vocation culturelle. qui porte sur la culture, sa définition et sur son utilisation
L’éducation physique et sportive à vocation culturelle dans l’enseignement. Aux défenseurs d’une école et
revendique cette ambition : assurer le développement d’une éducation physique intégrée à une société et
général des élèves en s’appuyant sur un ancrage transmettant la culture du moment s’opposent les
culturel fort. Nous analyserons ce phénomène au
travers de différentes approches au cours des trente
tenants d’une éducation physique et sportive centrée ✒
dernières années.
Cette réflexion nous parait utile actuellement tant
cette orientation, qui pourtant marque profondément
Erick Pontais,, Hérouville.
l’éducation physique des dernières décennies, est
décriée par certains travaux historiques récents et fina- Ce qui me vient à l’esprit, c’est plus des rencontres vécues
lement peu analysée. en début de carrière que des évènements.
Je me souviens d’un stage syndical avec Edouard Vernier
Cet axe d’approche nous parait essentiel car il est
qui nous avait dit « l’organe essentiel pour un militant,
coutumier d’accorder aujourd’hui à l’histoire de c’est l’oreille »... Il est indispensable d’écouter et de regarder
l’éducation physique un choix entre deux possibles : avant de dire… ça m’a marqué en tant que militant et enseignant.
une éducation physique « fondamentale », qui se Il y a aussi ma première inspection, avec R. Castagnac qui, sans
construit hors des réalités sociales et une éducation doute face au folklore qu’il y avait dans ma classe, m’a dit
physique « inféodée » aux pratiques sociales que « la liberté ne se donne pas, il appartient aux élèves de la conquérir ».
sont, dans le cas présent, les activités sportives et artis- Je pense que c’est à la même époque que j’ai compris qu’on
tiques. Cette alternative simple souvent présentée ne fait pas le bonheur à la place des gens, que ce sont eux qui
dans les manuels n’est que très grossièrement exacte. se transforment et pas nous qui les transformons. A cette période,
Son exactitude est contenue dans l’opposition qu’elle je me souviens bien de la pédagogie par objectifs. Elle a favorisé
pour moi le passage de sportif à prof. Elle m’a fait prendre
établit. Il y a en effet opposition entre une éducation
conscience qu’on n’était pas seulement là pour « entraîner »
dite fondamentale qui prend l’homme comme une enti- l’élève, que celui-ci n’avait pas seulement des performances à
té particulière et qu’il faut éduquer en développant améliorer mais que pour cela il y avait quelque chose à apprendre.
ses possibilités intrinsèques hors des modes et de Il y a aussi Annick Davisse… qui incarne pour moi une façon
l’effervescence sociale. La seconde approche considère de poser globalement les problèmes de démocratisation
que l’éducation ne peut être coupée du monde tel qu’il de l’enseignement et de l’accès de toutes et de tous à la culture.
est et de sa réalité. L’éducation se fait pour des indi- Tout au long de ma carrière, j’ai eu des moments d’engagements
vidus d’une époque donnée dont on espère une effi- plus pédago, plus syndicaux ou plus politiques et
cacité sociale à l’âge d’homme. Ainsi deux modèles je n’étais jamais satisfait par un seul des « pôles ». Le sens
antithétiques d’éducation s’opposent. Ils reflètent en du travail d’Annick Davisse m’a aidé à établir les liens.
réalité des conceptions philosophiques, des rapports

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Parti-pris sur l’histoire

✒ sur la formation générale des élèves. Cette formation


prend bien soi d’éviter de faire pénétrer à l’école les
pratiques sportives dévoyées par les utilisations mar-
chandes de la société d’aujourd’hui. L’école est ainsi
présentée comme un lieu d’apprentissages édulco-
rés, conçus pour réaliser une formation générale et
totalement maîtrisée du développement corporel de
chaque élève. Le rôle de l’école dans une société et
les contenus à proposer pour atteindre les objectifs
visés sont donc au centre des oppositions.
Les sous-bassements politiques ou idéologiques de
cette opposition sont clairs. En négligeant d’analyser
avec précision les travaux du courant cuturel en
éducation physique et sportive, les auteurs laissent
planer l’idée qu’un aveuglement a existé chez certains
auteurs (R. Mérand par exemple) et les a empêché de
voir les aspects négatifs du sport. Ainsi ils affirment que
s’est développée une idéologie d’une éducation
sportive (compétition entraînement, performance…)
totalement inféodée aux valeurs et pratiques sportives.
Ses effets sur la formation des élèves, en idéalisant
D. R.

l’idéologie du progrès sans fin, a conduit à imposer une


éducation physique qui a perdu son sens éducatif au
profil d’un sens performatif.
Le positionnement des défenseurs d’une éducation
Valérie Clares, Eure et Loir. physique culturelle est tout autre. Les pratiques socia-
Je vois trois faits marquants dans ma carrière : les représentent des acquis culturels (nous prenons
Les années avant et après l’élection Mitterrand. J’ai fait ici culture dans son sens élargi c’est-à-dire toute
STAPS de 80 à 85, cinq ans de luttes, je n’ai pas le souvenir création humaine). En ce sens, elles portent des
de « l’embellie Mitterand ». En 84, la rumeur concernant savoirs et savoir-faire nécessaires au plein épanouis-
« Zéro poste au CAPEPS ». Le directeur de l’UFR nous avait sement de l’élève, homme de la société de demain.
prévenus le jour de rentrée : vous êtes 100 en 4e année à Le savoir acquis par l’homme est émancipateur pour
Lacretelle, vous serez 10 admis au concours. ses semblables. Il développe les capacités humaines
J’ai subi deux échecs successifs et j’ai mal vécu le second. et inscrit chaque homme dans l’histoire de l’humani-
Cette année là, il n’y a pas eu de recrutement de maîtres té. Cette idée de transmission culturelle, de passage
auxiliaires, ni de vacataires. Je suis donc devenue de génération à génération assure la pérennité cultu-
conseillère d’orientation. J’ai aimé être COPsy mais relle et l’inscription des jeunes générations dans la vie
je voulais être plus en prise avec le réel et l’action auprès sociale. L’école, mais pas seulement elle, y participe.
des élèves me paraissait trop limitée. En 2000, j’ai L’école a, au-delà de ce passage culturel qui repré-
donc décidé de retourner à mes premières sente le caractère disciplinaire de l’éducation physique
amours : l’EPS. Cela a correspondu avec mon entrée et sportive, à assurer une mission d’éducation géné-
dans le militantisme au SNEP, grâce à Christian et Alain. rale. L’éducation physique et sportive s’inscrit dans les
L’année de stage à l’IUFM a été douloureuse, c’était orientations de formation générale choisies par les
une reconversion à 39 ans. Je suis passée d’un agréable représentants de la nation. Elle intègre en plus de la
sentiment de compétence à un fort sentiment transmission culturelle le développement de capacités
d’incompétence. Je réussissais bien dans mon boulot considérées comme particulièrement utiles à la socié-
de COP, j’étais reconnue. L’année où j’ai passé té en une période déterminée (V. Isambert-Jamati).
le concours, j’avais un rythme de travail fou mais je savais L’éducation physique et sportive forte de cette dou-
faire. Par contre, l’année de stage fut un enfer. Je ble mission, construit par transposition didactique
me rendais compte de mes erreurs mais je manquais des contenus adaptés prenant en compte les orien-
cruellement « de billes » et de soutien adapté. tations de politique éducative et les acquis culturels
J’ai mis deux ans à m’en remettre. de la société. Elle cherche à poser des rapports dia-
Les grèves de 2003 : prise de conscience de l’OMC, lectiques justes entre éducation et culture.
de l’AGCS, des enjeux de société et éducatifs
qui en découlent. Cela a produit chez moi une angoisse Les trente dernières années représentent donc l’his-
pour deux raisons. Je suis entourée de gens qui luttent toire inachevée du passage conflictuel du discours
mais cela me semble être un feu de paille face à l’adversité. général et des pratiques empiriques à une éducation
Je n’ai pas de rancoeur par rapport aux luttes de 2003, physique culturelle intégrant les valeurs générales de
mais les questions posées à l’occasion de ce mouvement santé et de citoyenneté.
me préoccupent. L’inertie de nos collègues m’inquiète, Les articles proposés dans ce numéro rendent comp-
ce fatalisme, voire cette ironie. Tu es vite taxée te des évolutions de l’EPS au cours des trente dernières
de rétrograde…t’es militante quoi ! années et portent en eux les débats évoqués dans ce
texte ❏

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