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ne discipline scolaire (l’éducation ner à ce numéro une plus grande rigueur d’analyse. Ce
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tion constitue notre regard historique, notre centration Il est aussi fréquent dans la lecture de l’histoire de voir
(parmi un ensemble de possibles). La démocrati- le complexe expliqué à partir d’analyses mettant en
sation est un objectif politique majeur. Ouvrir la jeu essentiellement le politique, les structures écono-
connaissance de haut niveau au plus grand nombre miques et les grands systèmes sociaux. Ces per-
possible. Utopie disent certains, mais l’utopie pré- spectives sont indispensables à la compréhension du
sentée comme perspective à atteindre donne projet déroulement des évènements. Elles déshumanisent
et dynamisme à une société. cependant l’histoire en accordant aux structures le
Comment juger des avancées historiques de la démo- privilège de l’évolution. Dans cette perspective, l’hom-
cratisation de l’école ? me est le jeu des prises de position entre structures.
Il est sans doute nécessaire de prendre en compte ce Il ne pèse pas sur l’évolution de la société. Les facteurs
que nous avons nommé préalablement les détermi- économiques et politiques et l’approche macro-éco-
nants de l’histoire. Mettre à plat chacun de ceux-ci ne nomique dominent cette histoire. Sans revenir à des
donne pas sens aux évènements historiques. L’histoire positions anciennes qui expliquaient l’évolution de la
n’est pas l’exposition la plus exhaustive possible des société par ses grands hommes nous pensons que
évènements qui entrent dans la détermination d’un fait chaque homme pèse à son niveau sur l’évolution de
historique. L’histoire est choix parmi un ensemble. Faire la société. Il s’agit de revaloriser une histoire prag-
de l’histoire, c’est donc choisir, c’est aussi présenter matique, une histoire des hommes au quotidien. Sans
et justifier les choix faits. Permettre de comprendre une être une histoire nouvelle qui prend le pouvoir sur
analyse c’est montrer ce que l’on prend en compte pour toute autre forme d’étude historique et qui assure le
l’analyse. Cette lisibilité nous parait essentielle dès lors contrôle du champ, cette histoire pragmatique nous
que l’on veut parler d’histoire. apparaît comme le complément des histoires institu-
La démocratisation de l’école et de l’éducation phy- tionnelles, politiques et économiques. C’est le versant
sique représente donc notre approche historique. humain, populaire, véritable contrepoint des histoires
Que privilégions-nous comme outils de cette appro- institutionnelles. Il s’agit ici de revaloriser le rôle de
che ? l’homme comme acteur et comme témoin des trans-
Les données politiques générales : démocratiser c’est formations de la société. Les lois sont votées par les
engager des décisions collectives nationales. Ces instances politiques. Elles sont acceptées ou non par
décisions ne s’obtiennent pas sans luttes. Les concep-
tions de la démocratisation sont souvent différentes
les hommes. C’est ce versant concret, les réflexions ✒
entre les politiques et les enseignants représentés dans
les négociations par les syndicats. Ainsi la question
de la démocratisation scolaire est incontestablement
un slogan politique de la fin de seconde guerre mon- Quels souvenirs as-tu des cours d’histoire
diale à aujourd’hui. Utilisé par les différents ministres et penses-tu que ça t’a servi ?
de l’éducation il se traduit avec plus ou moins de
pertinence dans le concret de l’éducation. Jean Michel Masson, collège Saint Sauveur.
je m’en souviens bien ; ça m’a permis de mieux comprendre
La démocratisation c’est aussi l’effort fait journellement où j’allais arriver… par exemple, le passage de la JS à l’EN :
pour présenter des contenus d’enseignement qui j’étais étudiant. Mon père était prof d’EPS et je savais qu’il était
permettent à tous les élèves de transformer leurs à la JS ; pour moi, c’était une rupture, j’allais être un vrai prof.
pratiques quotidiennes et d’accéder à la culture Catherine Vigier, lycée Marseille. Les cours d’histoire ? On n’en
corporelle de l’humanité. Les travaux sur l’enseigne- pas eu ! ah bon ! on avait un écrit sur l’histoire ? non ? je ne m’en
ment en général et sur la didactique plus particuliè- souviens pas du tout !
rement relaient en permanence la volonté de proposer Annie Garnier, collège Saint Paul.
des contenus d’enseignement à hauteur des ambitions J’ai plein de souvenirs, mais ce sont des savoirs qui ne vivent
politiques exprimées. pas comme ça, en tant que souvenirs ! Ils existent et remontent
Ces deux dimensions (politique et didactique) et leurs du fond de ma mémoire quand certains contextes ; certains
interrelations doivent être prises en compte pour problèmes les convoquent. Ils me servent à comparer, comprendre
questionner l’histoire et juger de la puissance d’une les faits présents qui les ramènent. J’ai aussi le sentiment d’avoir
démocratisation scolaire. des savoirs qui dépassent les faits historiques ponctuels mais
qui me situent en tant que personne sur un ligne passé-présent.
Enfin nous centrerons notre étude sur l’histoire pro- Nina Charlier, collège Blainville.
che (de 1968 à nos jours). L’histoire se nourrit du passé Je n’en ai aucun souvenir, je ne me rappelle même pas le prof
et témoigne des avancées constantes de l’homme et qui faisait ça ! pourtant l’histoire m’intéresse, surtout
de la société. Nous nous contenterons de cette his- l’histoire des APS. Le bouquin de Goirand, Metzler m’a été
très utile pour bien travailler les APS.
toire récente. Elle prend beaucoup de signification pour
les enseignants d’éducation physique en activité qui Jacotte Sels, collège Montigny-les-Bretenneux.
ont été témoins et acteurs des décisions prises durant Oui, mais plutôt qu’un exercice de mémoire sur des déferlantes
de dates, mes souvenirs ont été ravivés à un certain moment !
cette période riche.
Je préfère prendre un problème et l’analyser en le faisant traverser
les différentes époques. Je trouve que ça permet mieux de
L’histoire prend-elle les acteurs au sérieux ? comprendre l’évolution des pratiques, de l’école et de la discipline,
L’histoire se décline à plusieurs niveaux, de l’histoire d’avoir de nouveaux questionnements.
expression de notre propre existence à l’histoire des
spécialistes.
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sportif), l’école et les hiérarchies sociales, l’école et ses sont des données tangibles chez un grand nombre
conceptions. d’adolescents. Ainsi, la valorisation récente par le
Ministre de l’idée d’un socle commun d’enseignement,
Période récente. témoigne d’une prise de position sur les rapports des
Dès lors, nous abordons une période ou l’école est contenus d’enseignement à la culture traditionnelle ou
sous surveillance quant aux décisions politiques qui vivante. Les programmes sont aussi, selon certains
la concernent. La démocratisation de l’école par chercheurs (F. Dubet), toujours définis par l’aval et par
l’entrée massive des enfants des classes populaires un point de départ proche de l’excellence. Les élèves
au sein de l’école est incontestable. Les chiffres le ne perçoivent pas de véritable cohérence et de fina-
prouvent. lités explicites dans les programmes qui leur sont
Il s’agit à ce niveau de ne pas confondre, massifica- imposés. F. Dubet propose à titre d’exemple, que
tion et démocratisation. Massifier l’école c’est ouvrir chaque cycle ait sa propre logique et ses propres
les portes de l’école au plus grand nombre. En ce sens finalités en termes de programmes.
le slogan politique « 80% d’une tranche d’âge au bacca-
lauréat » trouve pleine signification. Si l’on calcule la Démocratisation absolue et démocratisation
démocratisation en taux d’entrée aux différents niveaux relative : plusieurs démocratisations ?
du cursus, les résultats confirment l’engagement poli- Chacun s’aperçoit aisément des difficultés rencontrées
tique annoncé. Par contre, dès lors que l’on dépas- à définir en quelques mots la démocratisation scolaire.
se ces premiers chiffres et que l’on questionne plus Tout terme général englobant montre instantanément
fidèlement les taux de réussite de chaque élève selon ses limites. C. Lelièvre estime qu’une sédimentation
son milieu social d’origine, les différences prennent s’est produite au fil du temps autour de ce terme et
signification. Des études récentes (M. Duru-Bellat, que les définitions qui pouvaient en être données
A. Kieffer et I. Bautier, J-Y. Rochex) montrent à avant la montée sensible des effectifs dans le systè-
l’évidence que plus le niveau scolaire monte plus les me scolaire, n’ont plus de pertinence actuellement. Il
chances d’accès des classes populaires aux filières propose donc de contourner ce problème en donnant
nobles s’amenuisent. Dans les filières de relégation, une définition au pluriel de ce terme. La démocratisa-
les indicateurs socio-professionnels confirment très
nettement cette affirmation (68% des élèves de qua-
tion comme « égalité des chances » destinée à élargir ✒
trième d’aide et de soutien sont enfants de chômeurs
et d’inactifs, 3% sont fils d’enseignants ou de cadres).
La création des bacs professionnels n’a pas réduit cette
fracture. Enfin la notion d’échec scolaire apparaît à
mesure que se confirme la massification du système Catherine Laurence, collège Saint Sauveur.
scolaire. Actuellement le constat suivant peut être Un des premiers évènements, c’est la consultation
formulé : plus la scolarisation croit, plus le niveau Legrand (1984) : elle était porteuse de plein d’espoir ;
général monte et plus l’échec se massifie. Enfin, sou- à l’époque j’ai vraiment cru qu’on allait m’écouter pour de vrai !
Par contre, le passage à l’EN, ne m’a pas marqué du tout...
lignons que l’idée de la sélection par l’échec est consi- Le 2e événement, c’est un « gros » projet cirque, c’était
dérée aujourd’hui par certains comme nécessaire au la première fois que tout le collège participait à un projet dont
bon équilibre du système économique qui assure les le moteur était l’EPS. C’est très important pour moi parce que
échanges financiers et commerciaux internationaux. c’était la reconnaissance de notre discipline dans l’établissement.
Cela va de pair avec le fait d’avoir un collègue stable.
La démocratisation : quelles questions poser ? Au début de ma carrière, j’ai changé six fois de collègues
en six ans on ne pouvait rien mettre en place dans la durée.
Quelle démocratisation ? Pourquoi faire ? Depuis le début de ma carrière, ce qui a le plus changé dans
Ce qui semble évident aujourd’hui et qui brouille les mon travail (je ne sais pas si c’est le métier ou seulement
pistes quant à la démocratisation des activités sco- dans mon établissement), c’est le travail en équipe avec les
autres disciplines. Quand on est en colère après nos collègues,
laires c’est l’aspect contradictoire et paradoxal de ce on dit : « puisque c’est comme ça, l’année prochaine,
phénomène. Des progrès manifestes ont réalisés en on ne fait que de l’EPS ! »
ce domaine dans les vingt dernières années. Les Les programmes m’ont-ils marqués ?… Non ! Les textes,
classes populaires ont un accès beaucoup plus ouvert de toute façon on n’est jamais dans les normes, alors…
et beaucoup plus complet à l’école que précédem- ça veut pas dire qu’on s’en fiche mais ce n’est pas déterminant.
ment. Cependant des inégalités frappantes ou cachées Pour moi, personnellement, le CAPEPS interne a joué
demeurent, se maintiennent, voire se renforcent. un grand rôle ; mes horaires ont baissé, ça m’a permis
Il faut également réfléchir le modèle scolaire, des fina- d’être payée comme les autres collègues.
lités déclarées aux évaluations proposées. Ainsi, la cul- D’ailleurs, je me rappelle qu’à ce moment là, l’histoire
ture à distribuer aux élèves doit être l’objet d’un réel m’a intéressée alors qu’elle ne m’avait pas beaucoup marquée
quand j’ai fait mes études au CREPS. J’avais déjà travaillé
débat démocratique. De nombreux auteurs recon- et ça m’a permis de mieux comprendre les enjeux de l’EPS,
naissent aujourd’hui que l’école continue, malgré le rapport à la société. Le dernier fait historique qui me marquera,
quelques modernisations de surface, à promouvoir je pense, c’est la lutte de 2003 ; mener une telle bagarre
l’excellence scolaire, sans prendre en compte vérita- pour le métier et la perdre… ce n’est pas la première fois
blement les évolutions de culture auxquelles les qu’on perd mais là, on avait réussi tout de même à emmener
adolescents sont extrêmement perméables. L’anti-intel- beaucoup de collègues…
lectualisme, le rejet de la culture « littéraire classique »
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Parti-pris sur l’histoire
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P. Hebert UNSS
c’est choisir en toute connaissance de cause (en
étant informé le plus et le mieux possible), c’est
effectuer son choix, c’est en évaluer les effets et
c’est inscrire en mémoire les actions réalisées. Cette
démarche est accessible à tous à condition que les
contenus d’enseignement, la recherche, la mette en de l’homme à la société, fondamentalement opposées.
pratique explicitement ; Cette opposition n’est pas propre à l’EPS. De nom-
● démocratiser l’EPS c’est veiller à ce que les élèves breuses disciplines scolaires la vive.
apprennent par le biais de l’EPS à gérer leur corps, à Cependant cette opposition terme à terme est trop
connaître, comprendre et analyser les formes socia- grossière. Un courant d’éducation physique s’inscrit
les de pratique existantes, à s’approprier les acquis dans une perspective sociale. Cependant se distingue
de la culture humaine et à pratiquer à leur tour de au sein de cette orientation, la perspective de
manière « noble » l’activité physique et sportive choisie. développement d’une éducation sportive empirique
Ces quelques principes déterminent notre regard sur « naturelle » porteuse des pratiques sportives socia-
l’histoire de la démocratisation scolaire et sur celle de les dominantes et la recherche d’une éducation
l’EPS fondamentale des APSA à vocation culturelle. Les
conflits débats et enjeux se sont centrés sur les
Approche de la démocratisation en éducation oppositions entre ces trois orientations.
physique et sportive : la construction inachevée Nous sommes au cœur d’un débat idéologique majeur
d’une EPS à vocation culturelle. qui porte sur la culture, sa définition et sur son utilisation
L’éducation physique et sportive à vocation culturelle dans l’enseignement. Aux défenseurs d’une école et
revendique cette ambition : assurer le développement d’une éducation physique intégrée à une société et
général des élèves en s’appuyant sur un ancrage transmettant la culture du moment s’opposent les
culturel fort. Nous analyserons ce phénomène au
travers de différentes approches au cours des trente
tenants d’une éducation physique et sportive centrée ✒
dernières années.
Cette réflexion nous parait utile actuellement tant
cette orientation, qui pourtant marque profondément
Erick Pontais,, Hérouville.
l’éducation physique des dernières décennies, est
décriée par certains travaux historiques récents et fina- Ce qui me vient à l’esprit, c’est plus des rencontres vécues
lement peu analysée. en début de carrière que des évènements.
Je me souviens d’un stage syndical avec Edouard Vernier
Cet axe d’approche nous parait essentiel car il est
qui nous avait dit « l’organe essentiel pour un militant,
coutumier d’accorder aujourd’hui à l’histoire de c’est l’oreille »... Il est indispensable d’écouter et de regarder
l’éducation physique un choix entre deux possibles : avant de dire… ça m’a marqué en tant que militant et enseignant.
une éducation physique « fondamentale », qui se Il y a aussi ma première inspection, avec R. Castagnac qui, sans
construit hors des réalités sociales et une éducation doute face au folklore qu’il y avait dans ma classe, m’a dit
physique « inféodée » aux pratiques sociales que « la liberté ne se donne pas, il appartient aux élèves de la conquérir ».
sont, dans le cas présent, les activités sportives et artis- Je pense que c’est à la même époque que j’ai compris qu’on
tiques. Cette alternative simple souvent présentée ne fait pas le bonheur à la place des gens, que ce sont eux qui
dans les manuels n’est que très grossièrement exacte. se transforment et pas nous qui les transformons. A cette période,
Son exactitude est contenue dans l’opposition qu’elle je me souviens bien de la pédagogie par objectifs. Elle a favorisé
pour moi le passage de sportif à prof. Elle m’a fait prendre
établit. Il y a en effet opposition entre une éducation
conscience qu’on n’était pas seulement là pour « entraîner »
dite fondamentale qui prend l’homme comme une enti- l’élève, que celui-ci n’avait pas seulement des performances à
té particulière et qu’il faut éduquer en développant améliorer mais que pour cela il y avait quelque chose à apprendre.
ses possibilités intrinsèques hors des modes et de Il y a aussi Annick Davisse… qui incarne pour moi une façon
l’effervescence sociale. La seconde approche considère de poser globalement les problèmes de démocratisation
que l’éducation ne peut être coupée du monde tel qu’il de l’enseignement et de l’accès de toutes et de tous à la culture.
est et de sa réalité. L’éducation se fait pour des indi- Tout au long de ma carrière, j’ai eu des moments d’engagements
vidus d’une époque donnée dont on espère une effi- plus pédago, plus syndicaux ou plus politiques et
cacité sociale à l’âge d’homme. Ainsi deux modèles je n’étais jamais satisfait par un seul des « pôles ». Le sens
antithétiques d’éducation s’opposent. Ils reflètent en du travail d’Annick Davisse m’a aidé à établir les liens.
réalité des conceptions philosophiques, des rapports
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