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Des valeurs à l'expertise : Apports de la psychologie sociale à une


formation des enseignants en contexte de diversité

SANCHEZ-MAZAS, Margarita, MECHI, Aneta, BUCHS, Céline

Abstract

Nous plaçons ici le focus sur la situation éducative dans laquelle s’actualisent des enjeux
scolaires et sociaux qui concernent les élèves en contexte hétérogène. Plutôt que de figer les
cultures et appartenances, nous développons une expertise permettant d’identifier ces enjeux
et les processus sociocognitifs qui, chez l’enseignant comme chez les élèves, se manifestent
en situation. L’accent porté sur la situation et, plus généralement sur l’importance du contexte
dans l’expérience scolaire des enseignants et des élèves, voire des familles, nous amène à
envisager l’enseignant comme un « créateur de situations ». Outre la présentation des
processus psychosociaux qu’il importe de prendre en compte dans la formation des
enseignants à l’interculturel (par ex. stéréotypes, attributions, etc.), ce chapitre rapporte la
mise en œuvre d’un dispositif pédagogique qui articule la pédagogie coopérative et
l’ouverture aux langues et aux cultures. Ce dispositif permet de souligner les richesses
associées à la diversité, de valoriser les apports de tous les élèves et de favoriser [...]

Reference
SANCHEZ-MAZAS, Margarita, MECHI, Aneta, BUCHS, Céline. Des valeurs à l’expertise :
Apports de la psychologie sociale à une formation des enseignants en contexte de diversité. In:
Lorcerie, F. Éducation et diversité. Les fondamentaux de l’action. Rennes : Presses
Universitaires de Rennes, 2020. p. 219-233

Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:146074

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Des valeurs à l’expertise


Apports de la psychologie sociale à une formation
des enseignants en contexte de diversité
Margarita Sanchez-Mazas, Aneta Mechi et Céline Buchs

Nous plaçons ici le focus sur la situation éducative dans laquelle s’actualisent
des enjeux scolaires et sociaux qui concernent les élèves en contexte hétérogène.
Plutôt que de figer les cultures et appartenances, nous développons une expertise
permettant d’identifier ces enjeux et les processus sociocognitifs qui, chez l’ensei-
gnant comme chez les élèves, se manifestent en situation. L’accent porté sur la
situation et, plus généralement sur l’importance du contexte dans l’expérience
scolaire des enseignants et des élèves, voire des familles, nous amène à envisa-
ger l’enseignant comme un « créateur de situations ». Outre la présentation des
processus psychosociaux qu’il importe de prendre en compte dans la formation
des enseignants à l’interculturel (par ex. stéréotypes, attributions, etc.), ce chapitre
rapporte la mise en œuvre d’un dispositif pédagogique qui articule la pédagogie
coopérative et l’ouverture aux langues et aux cultures. Ce dispositif permet de
souligner les richesses associées à la diversité, de valoriser les apports de tous les
élèves et de favoriser les relations de l’école avec des élèves et des familles éloignés
de la culture scolaire.

Introduction
Dans la formation des enseignants à l’interculturalité, les efforts à déployer
pour valoriser d’autres cultures comportent le risque de figer celles-ci, ou de les
essentialiser. Dans cette contribution, nous proposons une approche conçue pour
éviter un tel risque. Elle consiste à placer au centre de l’analyse, non pas l’élève
selon des caractéristiques prétendument intrinsèques ou classé à l’aide d’indica-
teurs d’origine ou d’appartenance, mais la situation sociale ou les circonstances
dans lesquelles l’élève est amené à agir. Autrement dit, elle cherche à comprendre
l’individu en situation, dans ses réactions à des facteurs relevant du contexte social
dans lequel il ou elle déploie des comportements. Cette approche prend appui
sur les concepts et les recherches en psychologie sociale, cette discipline s’intéres-
sant en effet à la manière dont l’individu réagit en fonction d’autres facteurs que

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sa psychologie propre ou de déterminismes sociodémographiques, en mettant


l’accent sur l’influence de la présence d’autrui, de la situation sociale et de son
interprétation ou encore d’enjeux liés à son identité sociale ou culturelle. La
contribution de la psychologie sociale à la formation des enseignants concerne
d’une part les réactions automatiques telles que les stéréotypes (Devine, 1989) ou
les interprétations hâtives (Kruglanski et Freund, 1983), qui sont générées spécia-
lement dans des situations de stress, d’urgence ou de surcharge cognitive (Webster,
Richter et Kruglanski, 1996) qui marquent souvent le contexte de l’école. Elle
concerne d’autre part les dynamiques qui se développent chez les élèves ou des
groupes d’élèves du fait de leur insertion dans l’univers éminemment social de la
classe ou de l’établissement scolaire (Dutrévis, Toczek-Capelle et Buchs, 2015).
Dans un premier temps, nous montrerons comment la psychologie sociale
peut contribuer à questionner certains mécanismes peu conscients mais largement
répandus. Puis, dans un second temps, nous aborderons quelques concepts clés
considérés comme propices au développement d’une flexibilité sociocognitive
dans le traitement des situations éducatives problématiques. Nous soulignerons
alors l’importance des enjeux sociaux et cognitifs à l’école. Finalement, des pistes
d’action seront proposées autour de la pédagogie coopérative qui met résolument
l’accent sur les dimensions sociales pour favoriser l’intégration des élèves dans
les classes hétérogènes.

Des mécanismes peu conscients mais largement répandus :


les stéréotypes et les raccourcis de pensée
Dans la formation des enseignants à la psychologie sociale de l’enseignement,
l’étude des stéréotypes et des habitudes de pensée paraît incontournable. Mais
pour sensibiliser à la prégnance et à la généralité des processus de stéréotypisa-
tion, l’effort du formateur doit porter sur des obstacles susceptibles de rendre
un tel message inaudible. En effet, comme la notion de stéréotype est fortement
associée à celles de racisme et de préjugé dans un climat social et politique haute-
ment injonctif dans sa condamnation de toute discrimination, son usage suscite
un certain manichéisme : le raciste est l’autre, et, par extension, c’est celui qui
pense par stéréotypes. Afin de familiariser le futur enseignant aux ressorts, aux
fonctions et au fonctionnement du stéréotype, en particulier sa possible acti-
vation automatique chez tout un chacun, il convient donc de procéder à une
certaine « déculpabilisation » pour favoriser une réceptivité aux mécanismes en
jeu, au-delà de leur connotation normative. Il s’agit de faire comprendre, très
concrètement, comment tous les individus, y compris ceux qui se définissent
comme des personnes tolérantes, voire antiracistes, peuvent être la proie de l’auto-
matisme du stéréotype lorsqu’une situation donnée ne leur permet pas de corriger
celui-ci par des mécanismes cognitifs plus contrôlés (Devine, 1989). Alors que,
dans un discours général, on préconise de ne pas stéréotyper ou discriminer, les
recherches en psychologie sociale ont montré les effets ironiques de la « suppres-
sion de pensée » (Wegner, 1994), à savoir le retour en force de pensées contre

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DES VALEURS À L’EXPERTISE

lesquelles on essaye de lutter. Ce phénomène a été étudié de manière spécifique en


ce qui concerne les stéréotypes : les tentatives de les inhiber ou de les éliminer se
traduisent par leur retour en force, aussi bien dans la pensée (stereotype rebound ;
Macrae et al., 1994) que dans l’influence qu’ils exercent sur le comportement
(behavioral rebound ; Follenfant et Ric, 2010).

Catégorisation et stéréotypes
La perspective proposée préconise des remèdes pour « maîtriser » les stéréo-
types plutôt que d’essayer de les effacer ou de les dénier. Cela passe d’abord par
une sensibilisation aux processus perceptifs de catégorisation, dont une impor-
tante ligne de recherche postule qu’ils sont inévitables et universels et qu’ils repré-
sentent le fondement cognitif du stéréotype (Tajfel, 1972), de sorte à dissocier en
partie ce dernier de la connotation normative négative dont il est investi.
Selon Tajfel et de nombreuses recherches à sa suite, la catégorisation englobe
les processus psychologiques qui tendent à ordonner les éléments de notre envi-
ronnement en termes de catégories en tant qu’ils sont semblables, ou semblent
semblables, équivalents les uns aux autres pour l’action, les intentions ou les
attitudes des individus. La catégorisation concerne les objets, les événements
et les personnes. Elle permet une économie cognitive, mais ceci se fait au prix
d’une simplification et d’une distorsion perceptive. En effet, une fois un élément
(objet ou personne) placé dans une catégorie, nous avons tendance à accentuer
ses caractéristiques conformes à cette catégorie, mais également à lui attribuer des
caractéristiques typiques de cette catégorie, même s’il ne les possède pas.
Ces mécanismes perceptifs permettent de comprendre en quoi la simple caté-
gorisation vient nourrir les stéréotypes qui représentent un ensemble de croyances
partagées concernant les caractéristiques personnelles propres à un groupe de
personnes, en ce qui concerne les traits de personnalité et les comportements
attendus.
Mais, au-delà de ces effets de simplification et de distorsion, la catégorisation
sociale possède aussi une certaine flexibilité, qu’il est important de montrer. Il est
possible de croiser des catégories, de décatégoriser, ce qui atténue les effets d’asso-
ciation étroite entre un contenu et une appartenance, propres aux stéréotypes.
Les recherches montrent qu’activer simultanément différentes appartenances
permet de réduire les effets de catégorisation (Deschamps et Doise, 1978). Les
nombreux critères présents dans un environnement social permettent de mettre
en évidence des appartenances communes (Gaertner et al., 2000). Des pistes
d’action sur le terrain s’offrent alors, basées sur la gestion d’éléments de contexte
(par ex. regroupements ou dégroupements d’élèves, modification de la disposition
des places, organisation de travaux de groupes, etc.) plutôt que sur l’adhésion à
des valeurs ou à des principes moraux.

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MARGARITA SANCHEZ-MAZAS, ANETA MECHI ET CÉLINE BUCHS

Comparaison sociale et discrimination


Un autre concept important de la psychologie sociale est la comparaison
sociale (Festinger, 1954). Nous avons besoin d’avoir une évaluation fiable et
précise de nous-mêmes. En l’absence de standards objectifs, nous avons recours
à la comparaison aux autres pour nous situer. La comparaison sociale est facilitée
dans les classes dans la mesure où la confrontation à de nouvelles tâches et de
nouveaux apprentissages place les élèves dans une situation d’incertitude avec des
enjeux évaluatifs importants, tout en les mettant en présence de cibles de compa-
raison pertinentes constituées par des élèves du même groupe classe, confrontés
aux mêmes situations qu’eux (Pepitone, 1972).
La psychologie sociale a souligné que nous recherchons également à main-
tenir une conception positive de nous-mêmes (Tajfel et Turner, 1979), par une
comparaison de soi avec d’autres personnes pertinentes ou par une comparaison
de son groupe avec d’autres groupes pertinents. L’évaluation de son propre groupe
est déterminée relativement à certains autres groupes à travers des comparaisons
sociales en termes d’attributs ou de caractéristiques chargés de valeur. Les élèves
des différents groupes chercheront à établir une comparaison favorable à leur
propre groupe, ce qui permet de comprendre que les effets différentiateurs de
la catégorisation (accentuation des différences entre groupes) s’accompagnent
souvent d’une valorisation de son propre groupe en comparaison avec d’autres
groupes. Ainsi, face à la diversité culturelle et linguistique dans les classes, on
comprend que les groupes sociaux et le fait d’y appartenir ou de s’y identifier
soient associés à des connotations positives ou négatives. Cette discrimination
évaluative peut facilement entraîner par la suite une discrimination comporte-
mentale.

Stéréotypes et performances scolaires


L’étude des stéréotypes ouvre la voie à une réflexion sur l’inscription des
phénomènes scolaires dans le contexte social plus vaste où l’école est située et
aux effets de normes et représentations qui y sont en vigueur. La vision stéréo-
typée des élèves de la part d’un enseignant peut influer sur leur attitude ou leurs
performances, selon le processus d’une prophétie qui s’autoréalise (Trouilloud et
Sarrazin, 2011). Ce phénomène intervient à trois niveaux. Premièrement, cette
vision stéréotypée génère des attentes particulières chez l’enseignant concernant
l’élève. Ces attentes peuvent influencer la manière dont l’enseignant perçoit l’élève
(tendance à percevoir les éléments conformes à nos attentes) et dont il l’évalue
(effet de source), ce qui a un impact sur la notation des élèves. Les attentes de
l’enseignant peuvent également modifier la manière dont l’enseignant se comporte
avec cet élève, en offrant plus ou moins d’opportunités d’expression et d’attention
et en différenciant le contenu pédagogique et la difficulté des activités propo-
sées. Ces comportements peuvent partir d’intentions positives (ne pas mettre
un élève que l’on pense en difficulté mal à l’aise en l’interrogeant publiquement

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DES VALEURS À L’EXPERTISE

ou lui proposer du matériel plus facile pour valoriser sa réussite). Cependant


ces opportunités plus ou moins grandes affectent directement les apprentissages
réalisés et peuvent creuser les écarts entre les élèves. Finalement, la relation établie
avec l’enseignant peut aussi influer sur la perception que l’élève a de lui-même
en termes de confiance en ses capacités et de motivation, et par là sur ses perfor-
mances dans une situation donnée.
De manière plus générale, la perception que l’élève a de lui-même pourrait
interférer avec la mobilisation des ressources cognitives requises dans la réalisa-
tion d’une tâche, en particulier chez les membres de minorités faisant l’objet de
stéréotypes sociaux. Ce facteur a été identifié dans des situations où l’on compare
expérimentalement les performances de membres de groupes stigmatisés selon
que des aspects de la situation ou de la tâche sont de nature à activer ou non ce
qui a été appelé la menace du stéréotype (Régner, Steele et Huguet, 2014). Lorsque
les personnes se trouvent dans une situation où est évaluée une caractéristique
sur laquelle leur groupe d’appartenance est réputé en difficulté, elles ressentent
une menace qui réduit leurs performances.
Ainsi en va-t-il des Afro-Américains comparés à des Américains blancs lors
d’une tâche en tout point similaire mais présentée dans un cas comme mesu-
rant les aptitudes intellectuelles (menace activée) et dans un autre cas comme la
mise au point du matériel (pas de menace) : les premiers ont des performances
moindres lorsque la tâche est censée évaluer leurs aptitudes, – et donc activant le
stéréotype social lié à l’« intelligence inférieure des Noirs » – mais cette différence
disparaît lorsque l’enjeu lié aux capacités n’est plus présent (Steele et Aronson,
1995). Cet effet a été trouvé aussi à propos des filles en mathématiques lors d’une
tâche présentée comme un test de géométrie (dimension problématique) versus
de dessin (Huguet et Régner, 2009), ou encore des élèves à trajectoire scolaire
d’échec lors de versions plus ou moins scolaires d’une même tâche (Huguet et
Monteil, 2013).
C’est bien le fait que l’évaluation porte sur la dimension problématique pour
l’individu et son groupe d’appartenance ou que la situation active explicitement
une comparaison avec un groupe « supérieur », qui perturbe la performance
réalisée, et non pas le fait d’appartenir à un groupe fragilisé ou stigmatisé. À titre
d’illustration, les Occidentaux de sexe masculin peuvent se trouver en difficulté
lors d’un test de mathématiques lorsqu’ils sont comparés aux Asiatiques. La
menace du stéréotype peut être activée y compris au travers de consignes ou
de matériel apparemment standardisés, tels qu’ils figurent dans les épreuves ou
concours institutionnels.
Les recherches sur les protections possibles contre cette menace peuvent
donner des pistes d’actions. Relevons ici deux directions. La première concerne
les consignes données pour introduire la tâche et la situation d’évaluation : on
peut par exemple, souligner que le test vise à aider les élèves à apprendre, à conso-
lider les connaissances nouvellement acquises (Darnon et al., 2011). La deuxième
s’adresse directement aux élèves des groupes fragilisés : on peut leur proposer
de décrire des domaines dans lesquels ils se sentent valorisés (Croizet et Leyens,

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MARGARITA SANCHEZ-MAZAS, ANETA MECHI ET CÉLINE BUCHS

2003), ou introduire, avant la situation évaluative, des exemples de personnes


issues de leur groupe qui ont réussi grâce à leurs efforts et qui peuvent alors
servir de modèle inspirant (Bagès et Martinot, 2011). Notons que ces stratégies
permettent aux élèves des groupes fragilisés de bien réussir sans porter préjudice
aux élèves des autres groupes et contribuent donc à la réussite de l’ensemble des
élèves.

Développer une flexibilité sociocognitive chez les futurs enseignants


Cette perspective vient questionner les représentations courantes de l’intelli-
gence ainsi que l’association étroite entre intelligence et résultats scolaires, large-
ment répandue dans le grand public, mais aussi chez les enseignants, les parents
et même les élèves. En effet, les recherches précédentes mettent en lumière que
la situation sociale fait fluctuer les performances réalisées et donc que les perfor-
mances ne reflètent pas l’intelligence ou le niveau d’apprentissage.

Vers une conception souple des capacités


Selon que l’on entretient une vision fixiste-innéiste de l’intelligence comme
une capacité donnée une fois pour toutes, ou une vision constructiviste et évolu-
tive plus ouverte la tenant pour une caractéristique susceptible de malléabilité,
et dont la mobilisation est sensible à des facteurs de situation, le message délivré
aux élèves ne sera pas le même. Il peut s’avérer propice à la performance ou au
contraire inhibiteur. Les recherches de Dweck et de ses collègues (Mueller et
Dweck, 1998) ont ainsi pu montrer qu’un feed-back ou un compliment véhiculant
une conception fixiste plutôt que constructiviste de l’intelligence vulnérabilise
l’élève face à l’échec. De manière plus générale, les pratiques des enseignants se
distinguent sur plusieurs plans (recours au redoublement, type de pédagogie,
etc.) selon qu’ils ont une représentation innéiste ou constructiviste de l’intelli-
gence (Doudin et Martin, 1999). Travailler sur ces représentations et en montrer
l’impact sur les performances sont alors des étapes-clés dans la préparation des
enseignants en milieu scolaire hétérogène. Il s’agit de les amener à des pratiques
diversifiées, susceptibles de déjouer les effets délétères des stéréotypes et des repré-
sentations de l’intelligence, particulièrement sensibles pour les publics issus de la
« diversité » (Sanchez-Mazas, 2014).

Une réflexion sur les attributions


Une réflexion sur les attributions, autrement dit, sur la manière d’expliquer
les comportements des élèves, s’avère particulièrement utile pour favoriser la
flexibilité cognitive. Deux types d’explications sont classiquement identifiés :
d’une part, les explications des comportements basées sur les caractéristiques de
la personne observée, – ce que l’on nomme les attributions internes, ces carac-
téristiques pouvant être perçues comme stables (les dispositions, la personnalité

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DES VALEURS À L’EXPERTISE

ou les capacités) ou comme plus ponctuelles (les efforts fournis ou le travail) ;


d’autre part, des explications qui prennent en compte les effets de la situation
(le contexte, les circonstances, la [mal]chance, la tâche) ou des autres personnes
(l’enseignant, les pairs), ce que l’on nomme les attributions externes.
La flexibilité sociocognitive repose sur la capacité à développer des explications
des comportements des élèves en évitant le double écueil de la psychologisation
et de l’ethnicisation. La psychologisation est typique de la tendance très répandue
dans nos sociétés à surestimer l’importance de facteurs internes dans l’explication
des comportements (attributions internes), tendance connue sous le nom d’erreur
fondamentale d’attribution (Ross, 1977). Quant à l’ethnicisation, elle consiste
à fournir des explications de type interne (traits de personnalité, caractère) en
fonction d’une appartenance, une tendance que Pettigrew (1979) a nommée
erreur ultime d’attribution.
Surestimer des aspects intrinsèques à la personne dans l’explication d’un
comportement humain, tant au niveau individuel qu’inféré à partir de caracté-
ristiques stéréotypées de groupe d’appartenance, peut conduire à un jugement
erroné, avec le risque d’un comportement ou d’une action inadaptés à la situation
donnée. La perception de sociabilité ou de compétence d’un individu uniquement
en termes stables (personnalité ou intelligence) empêche de voir l’influence des
facteurs externes liés aux circonstances. Au contraire, la flexibilité sociocognitive,
définie comme la distance prise par rapport à toute information reçue par la voie
externe (médias, normes en vigueur, etc.) ou interne, à travers les appréhensions,
ressenti, émotions (Mechi, 2017 ; Mechi et Sanchez-Mazas, 2016), facilite, quant
à elle, la perception des éléments situationnels en jeu ou même générateurs d’un
problème donné.

Suspendre l’interprétation en termes de personnalité


ou d’intelligence pour mieux traiter les situations problématiques
Cette prise de distance par rapport à l’information reçue permet de limiter les
conclusions hâtives au profit d’un meilleur examen des circonstances, avant de
prononcer un jugement et d’entreprendre une action quelconque. Le développe-
ment d’une flexibilité sociocognitive invite les futurs enseignants à suspendre leur
jugement et à générer des hypothèses multiples en s’appuyant sur des attributions
pertinentes et fondées. Pour ce faire, on peut tirer parti de l’approche développée
par Kelley (1967) en l’utilisant en formation pour l’analyse des comportements,
à partir d’une observation minutieuse des faits. Cette analyse, destinée à inter-
roger différents aspects de la situation éducative considérée, permet de poser des
questions propices à l’observation sous différentes perspectives. C’est en effet
selon nous l’observation, bien plus que le travail sur l’adhésion à des valeurs, qui
représente un véritable garde-fou contre la pensée stéréotypée.
Pour reprendre les critères d’observation de Kelley, on pourra analyser un
comportement selon sa distinguabilité (le comportement se produit-il dans
d’autres lieux ou situations ?), sa consistance (le comportement s’est-il produit à

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MARGARITA SANCHEZ-MAZAS, ANETA MECHI ET CÉLINE BUCHS

d’autres moments pour le même élève ?) et le consensus qu’il suscite (est-ce que
tous les élèves se comportent de la même manière ?). Prenons un problème très
fréquent dans le milieu scolaire, celui de l’oubli par un élève de ses affaires.
L’interprétation spontanée pourrait d’emblée conduire à une conclusion en
termes de traits de caractère stables tels que la négligence, et à « étiqueter » l’élève
comme irrespectueux, indiscipliné voire même non-scolaire. En revanche, la
suspension du jugement et la prise en compte des critères d’observation des
circonstances entourant l’acte peuvent mener à une interprétation sensiblement
différente (par exemple une période difficile pour l’élève, un problème dans la
relation avec l’enseignant ou encore le besoin de s’affirmer devant ses camarades)
et à un traitement du problème différent. Ainsi, la prise en compte des trois
critères peut amener l’enseignant à modifier son interprétation d’un comporte-
ment. Par exemple, à propos d’un élève x qui oublie ses affaires, si d’autres élèves
oublient également leurs affaires ou si l’élève n’oublie pas ses affaires aux autres
cours, l’enseignant peut s’interroger sur la clarté de ses consignes ; si l’élève s’est
mis à oublier ses affaires à tous les cours, on peut craindre un passage difficile en
famille ou avec ses camarades ; s’il oublie ses affaires en même temps qu’il garde
sa casquette en casse malgré une injonction contraire, on peut soupçonner qu’il
s’agit d’un « oubli » stratégique afin de s’affirmer aux yeux du groupe, etc.

Enjeux sociaux et cognitifs à l’école


Il importe donc de partir de l’idée selon laquelle les enjeux sociaux – et spéci-
fiquement identitaires – et les enjeux cognitifs liés à l’apprentissage interagissent
dans l’expérience scolaire des élèves. L’attention portée aux relations sociales dans
la classe peut contribuer à prévenir les processus de marginalisation et les menaces
qui dérivent des comparaisons sociales. Le social peut être explicitement mis au
service du développement des aptitudes et habiletés, tout en faisant place aux
enjeux d’identité et de reconnaissance des élèves.

Buts de maîtrise et buts de performance


On nomme buts d’accomplissement dans les situations scolaires ce que les
élèves espèrent accomplir en classe. Deux grands types de buts sont différenciés
dans la littérature (Darnon et Butera, 2005). Les buts de performance se réfèrent
au désir de mettre en avant ses capacités et compétences et de générer une évalua-
tion positive comparativement aux autres, alors que les buts de maîtrise renvoient
au désir d’apprendre, de comprendre, d’acquérir de nouvelles connaissances, et
de progresser. Ces buts peuvent influencer la manière dont les élèves interprètent
les évènements et réagissent dans les situations scolaires. Ainsi les buts de maîtrise
sont significativement liés à certains comportements scolaires, comme le choix de
tâches plus difficiles permettant de progresser, ou la persistance après un échec, et
à des comportements sociaux comme la recherche d’aide et la perception d’autrui
comme pouvant apporter des informations utiles.

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DES VALEURS À L’EXPERTISE

Cependant, les buts ne relèvent pas uniquement de l’élève ; ils peuvent être
orientés par les pratiques évaluatives et pédagogiques des enseignants. On sait
par exemple que l’enseignant facilite les buts de maîtrise lorsqu’il structure les
tâches scolaires de manière à réduire la comparaison sociale entre élèves, qu’il
offre un certain degré d’autonomie dans les décisions aux élèves et aux groupes,
favorise l’entraide entre élèves, reconnait les efforts des élèves, valorise tous les
élèves, pose les erreurs comme des outils de régulation de l’enseignement et des
apprentissages, et gère le temps de manière à limiter le stress (Meece, Anderman
et Anderman, 2006).

La classe comme « scène »


Ces résultats de recherche viennent conforter la pertinence d’une approche
des phénomènes scolaires comme des phénomènes situés dans un contexte social.
Pour reprendre les termes de Goffman (1973), la classe est une situation sociale,
c’est-à-dire « un environnement fait de possibilités mutuelles de contrôle, au
sein duquel un individu se trouvera partout accessible aux perceptions directes
de tous ceux qui sont « présents » et qui lui sont similairement accessibles »
(1973, p. 105). Dans cette classe qui tient lieu de « scène », les messages verbaux
ou non verbaux de chacun sont soumis à l’observation des autres, de sorte que
nombre d’agissements sont destinés à un auditoire – les autres élèves, les différents
groupes – qui délivre ou refuse de la reconnaissance, permet ou non le maintien
de la « face ». La compréhension de ces enjeux et du caractère social de la situation
de classe permet de contrecarrer une perception binaire du rapport élève-ensei-
gnant et de développer une véritable expertise apte à déjouer des comportements
que l’enseignant a trop souvent tendance à interpréter dans le cadre d’un rapport
problématique entre lui-même – ou l’autorité qu’il représente – et l’apprenant.
La formation à la flexibilité sociocognitive repose donc sur la reconnaissance
de la dimension fondamentalement sociale de l’activité d’élève et de l’acquisition
des savoirs en contexte scolaire. Cette formation est nécessaire pour construire
des expertises professionnelles à partir d’un travail sur les biais et raccourcis de
pensée qui peuvent affecter la pratique enseignante face à un public scolaire hété-
rogène (Sanchez-Mazas et Fernandez-Iglesias, 2011). Mais elle doit aussi ouvrir
la voie à la construction d’une pédagogie qui donne toute sa place au social, en
particulier dans un contexte où, de plus en plus, la diversité s’invite dans la classe.

Vers une pédagogie coopérative en contexte de diversité


L’attention aux situations qui permet de prévenir la production de discrimi-
nations et d’inégalités, peut aussi rendre l’enseignant « créateur » de contextes
éducatifs favorables. Il devient possible de créer ou restructurer des situations
de manière à établir un environnement, une situation d’épreuve, ou encore des
dispositifs propices à une égalité de conditions, à une reconnaissance de tous les
élèves en un collectif inclusif.

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MARGARITA SANCHEZ-MAZAS, ANETA MECHI ET CÉLINE BUCHS

C’est dans cette perspective que nous avons construit, aussi bien en formation
que dans des interventions d’établissement, des méthodes de pédagogie coopé-
rative où les élèves développent dans l’action même et dans des tâches scolaires,
des aptitudes à l’entraide, au respect et au « vivre-ensemble ». Les dimensions
culturelles présentes dans la classe (langues ou autres) peuvent tout à fait être
prises en compte dans ces arrangements, répondant ainsi aux besoins de recon-
naissance et d’affirmation identitaire, mais dans un climat de conjugaison de la
diversité et non plus de compétition d’identités (Buchs et al., 2015).

Le collectif au service des apprentissages


La recherche a montré le potentiel intégratif et les effets positifs sur les appren-
tissages individuels des dispositifs d’apprentissage coopératif (Buchs, Lehraus et
Crahay, 2012).
Pour les enseignants, une telle perspective se démarque d’une approche centrée
sur l’individualisation comme modalité de réponse à la diversité culturelle. Elle
suppose une réorganisation importante des situations d’enseignement-appren-
tissage, une réflexion sur le rôle et la posture de l’enseignant et la définition d’un
nouveau contrat avec les élèves. Mais elle permet de miser sur des éléments de
contexte, c’est-à-dire sur l’organisation et la structuration des situations d’ensei-
gnement-apprentissage, plutôt que sur des interventions éducatives à caractère
moral, telles que l’éducation aux droits de l’homme ou à la tolérance. Lorsque les
normes morales ne sont pas intégrées dans l’action quotidienne, le risque existe
d’une segmentation entre la sphère de la vie réelle et celle du jugement moral.
En mettant l’accent sur les dispositifs inclusifs qui engagent concrètement les
élèves de divers horizons culturels à collaborer, une formation à la pédagogie coopé-
rative ouvre des perspectives en matière de gestion de la diversité culturelle dans les
classes (Sanchez-Mazas, Buchs et Perregaux, 2019). Elle préconise la construction
chez les élèves de compétences propices au vivre ensemble et à l’ouverture à l’autre,
en évitant le seul appel aux principes moraux ou aux valeurs. Les propositions
issues des recherches sur les dispositifs d’apprentissage coopératif soulignent l’adé-
quation de cette pédagogie pour les classes hétérogènes, car elle permet de répondre
aux difficultés fréquemment rencontrées dans ces classes, notamment la hiérarchie
des statuts sociaux et scolaires des élèves, souvent liés à des enjeux d’identité, de
prestige et de reconnaissance (Cohen, 2002 ; Sharan, 2010).

Structurer les interactions sociales


La pédagogie coopérative (Buchs, 2017) propose de partir des moyens d’ensei-
gnement régulier et des objectifs d’apprentissage pour créer des occasions d’inte-
ractions entre élèves. Ainsi, nous proposons de construire les activités de sorte à
ce que les élèves travaillent au sein de petites équipes pour stimuler les interactions
constructives favorisant les apprentissages de chaque élève. L’objectif est d’amener
l’ensemble des élèves à s’engager socialement et cognitivement dans les activités

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DES VALEURS À L’EXPERTISE

scolaires. L’enseignant favorise les interactions constructives lorsqu’il invite les


élèves à discuter sur les contenus, les démarches, les stratégies, ce qui favorise la
participation, l’engagement et les conceptualisations cognitives et métacogni-
tives. De plus, les élèves qui travaillent en petits groupes peuvent recevoir des
retours immédiats de la part de leurs pairs. Le fait de mettre les élèves en inte-
ractions permet à l’enseignant d’observer les élèves dans les activités, de repérer
leurs difficultés et leurs compétences. Sur la base de ce qu’il observe pendant les
discussions entre élèves, l’enseignant peut ainsi proposer une différenciation dans
les régulations interactives offertes aux équipes en cours d’activité.
L’enseignant introduit une réelle tâche de groupe avec un objectif commun
pour les petites équipes et renforce l’interdépendance positive entre les élèves pour
qu’ils perçoivent qu’ils sont positivement liés à leurs camarades pour la réalisation
de l’objectif. Il structure la tâche scolaire de manière à renforcer la responsabilité
individuelle de chaque élève en rendant sa contribution possible, nécessaire et
visible afin que les élèves fassent des efforts et facilitent les efforts de leurs parte-
naires.
La mise en œuvre de la pédagogie coopérative requiert un climat positif
favorisant l’intérêt pour l’apprentissage orienté vers des buts de maîtrise et la
qualité des interactions sociales ainsi qu’une préparation des élèves à coopérer et
à apporter des contributions constructives et efficaces (Buchs et Butera, 2015).
Particulièrement intéressant du point de vue du vivre ensemble et de l’ouverture
à l’autre est le travail explicite sur une habileté coopérative choisie qui permet de
bien travailler ensemble sur la tâche scolaire, par exemple « critiquer les idées et
non les personnes » lors d’une discussion ou « apporter des explications » dans
une résolution de problèmes. L’habileté coopérative est mise en pratique lors
du travail en équipe et une réflexion critique sur sa mise en œuvre effective est
proposée suite à l’activité, ce permet de développer la qualité des interactions et
des apprentissages à partir de la réflexion critique. En effet, un bilan systéma-
tique à la fin des activités amène les élèves à réfléchir sur ce qui a permis de bien
travailler ensemble et ce qui pourrait être amélioré lors des prochaines activités.
Pour illustrer cette approche, évoquons des exemples de mise en œuvre dans
des classes genevoises représentatives de la diversité socioculturelle et linguistique
de la ville (plus d’une dizaine de langues parlées dans la classe avec des enfants de
requérants d’asile et des enfants de fonctionnaires internationaux). Nous avons
construit en collaboration avec les enseignantes des activités coopératives s’ap-
puyant sur les langues et les cultures d’origine de l’ensemble des élèves 1 pour créer
une interdépendance positive et une responsabilité individuelle, et pour valoriser
les statuts de tous les élèves (Buchs, Sanchez-Mazas et Zurbriggen, 2019). Le
dispositif repose sur l’encouragement à l’usage et au développement de la langue
familiale et à l’engagement des familles, sans pour autant être contraignant. Par
exemple, les différentes parties d’un album sont traduites dans les différentes
langues parlées dans la classe (notamment grâce à la collaboration des familles)
1. Les activités ont été élaborées dans le cadre du projet « Olang » soutenu par la Conférence suisse des directeurs
cantonaux de l’instruction publique (CDIP) et financé par l’Office fédéral de la culture suisse.

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MARGARITA SANCHEZ-MAZAS, ANETA MECHI ET CÉLINE BUCHS

et les élèves traduisent en classe leur passage en français avec l’aide des camarades
parlant la même langue pour mettre à disposition l’ensemble du texte pour tous
les élèves (Buchs et al., 2015).
Dans d’autres activités, les élèves ramènent de la maison des mots dans
leur langue à enseigner à leurs camarades, ce qui permet de faire un travail sur
les ressemblances et les différences entre les langues, à l’oral et à l’écrit, et de
construire un jeu coopératif impliquant l’apprentissage de l’ensemble des mots
(Buchs, Sanchez-Mazas, Margas et al., 2019). Le travail sur les textes donne l’occa-
sion de discuter de la signification des thématiques dans les différentes cultures.
Dans la lignée des travaux sur le traitement des problèmes de statut pour favo-
riser l’équité dans les classes hétérogènes (Cohen, 1994, 2002 ; Cohen et Lotan,
1997), ce dispositif repose à la fois sur « l’attribution de compétence aux élèves
de bas statut » et sur le « traitement des habiletés multiples » (Buchs C., Sanchez-
Mazas M. et Zurbriggen, 2019). En ce qui concerne l’attribution de compétence
aux élèves de bas statut, les activités d’ouverture aux langues et aux cultures
d’origine et les activités de préparation à la coopération permettent l’expression
et la valorisation publique des bonnes performances de tous les élèves dans les
habiletés intellectuelles spécifiques pertinentes pour la tâche. En outre, le recours
à l’ensemble des langues d’origine des élèves de la classe implique que plusieurs
habiletés linguistiques sont utiles pour réaliser la tâche, qu’aucun des élèves ne
les maîtrise toutes mais que tous en maîtrisent quelques-unes.

Conclusion
Faisant appel aux apports théoriques de la psychologie sociale ainsi qu’aux
résultats de la recherche dans ce champ, la formation des enseignants préconi-
sée dans cette contribution vise à favoriser la capacité à observer et l’aptitude à
comprendre les problématiques en jeu dans des situations éducatives sans cesse
renouvelées. L’observation doit permettre de dépasser une approche des phéno-
mènes scolaires basée sur des représentations stéréotypées et des préconceptions,
de manière à ouvrir à la formulation d’hypothèses explicatives sur la base de
l’observable et à concevoir des pistes d’action et d’intervention pertinentes.
Au-delà des déterminations dues aux conditions socio-culturelles et de la part
d’individualité de chaque apprenant, l’accent est placé sur la prise en compte de
facteurs contextuels et psychosociaux, dont dépendent la manière dont les élèves
perçoivent la situation dans laquelle ils se trouvent et les enjeux personnels et
sociaux que cette situation active.
Une meilleure connaissance de certains processus psychosociaux impliqués
dans l’expérience scolaire des élèves permet de recadrer les problèmes rencontrés
en classe, que ce soient les difficultés scolaires ou les problèmes de comporte-
ment, à partir de facteurs qui sont du ressort de l’enseignant, contrairement aux
déterminations socioculturelles ou aux aptitudes intrinsèques à l’élève. Plutôt
que d’envisager les élèves comme des « cas » (élèves faibles ou doués) ou des
« exemples » typiques d’une catégorie (famille migrante, étranger, etc.), il s’agit

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DES VALEURS À L’EXPERTISE

de repérer les caractéristiques des situations éducatives et d’éclairer les significa-


tions que peuvent revêtir les conduites observées. L’enseignant ou le futur ensei-
gnant peut alors acquérir une expertise qui lui permettra d’orienter au service de
la scolarité et du vivre ensemble, des pédagogies centrées sur l’organisation de
situations d’apprentissage.
La compréhension des apports réciproques du social et du cognitif, de leurs
interactions négatives et positives, plaide fortement en faveur d’une pédagogie
de la coopération permettant de tenir ensemble les objectifs d’apprentissage et de
sociabilité. En fournissant une compréhension de la contribution des processus
psychosociaux à l’explication des situations éducatives, et en outillant les ensei-
gnants pour construire une pédagogie de la diversité misant sur les apports du
collectif, l’approche formative exposée dans ce chapitre définit une zone d’action
professionnelle pour les enseignants.

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