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LA CONNAISSANCE CO MMUNE :
UNE SÉMANTIQUE POUR L A LOGIQUE MODA L E .
Luc L1SMONT
* et
P h i l i p
Résumé p e
M O N
L'article introduit
G la1 condition
N de clôture épistémique (une proposition
la satisfait si elle
* est
. crue en tout monde où elle est vraie) et s'en sert
pour redéfinir sémantiquement la connaissance commune. I l montre
qu'un système monotone de logique modale épistémique est adéquat et
complet pour cette sémantique.
Abstract
1. Introduction
dire en toute rigueur que les travaux des logiciens, des théoriciens des jeux
ou des informaticiens qui ont formalisé le concept de Lewis, traitent de
croyance commune. Car ces travaux analysent généralement la régression
infinie du savoir propre et du savoir mutuel en quelque sorte pour elle-même
—indépendamment de la vérité ou de la fausseté objective de la proposition
initiale.
Barwise (1989, ch. 9) a distingué plusieurs types d'approches techniques
du problème. Le type itéré formalise directement le concept naïf, tandis que
le type circulaire condense en une formule de point fixe l'infinité de propo-
sitions "a croit que b croit que...". Les deux approches coexistent fréquem-
ment dans une même discipline, voire dans un seul et même article. Par
exemple, les théoriciens des jeux se sont penchés sur la connaissance com-
mune à la suite d'Aumann (1976), qui en a proposé une définition dans les
deux registres simultanément. Aumann se donne, très classiquement, deux
agents qui sont chacun dotés d'une partition d'information sur l'ensemble
des états du monde. La partition de a manifeste le fait que cet agent
identifie certains états entre eux - d'une manière qui lui est propre. Ses
croyances ne peuvent donc porter que sur les événements de il construits,
par opérations booléennes, sur les éléments de la partition. Prenant appui
sur cette modélisation rudimentaire de la croyance. Aumann définit comme
étant de connaissance commune tout événement qui contient l'infimum des
deux partitions individuelles (c'est-à-dire leur plus fin grossissement com-
mun). Cette définition est implicitement du type circulaire. Elle est facile
à utiliser, mais sans doute peu intuitive. Elle s'avère équivalente à une
définition itérative qu'Aumann donne ensuite, et qui transcrit en langage
ensembliste chaque proposition : "a croit que b croit que...". La définition
itérative est transparente, mais incommode. Ce contraste des deux défini-
tions est caractéristique de la plupart des recherches menées sur la connais-
sance commune. De même, quoiqu'elle soit élémentaire dans le cas d'es-
pèce, l'obtention d'une équivalence est un objectif caractéristique de ces
travaux.
La dualité des points de vue circulaire et itérd se dégage moins vigou-
reusement de la théorie des jeux que de la logique dpistémique. La raison
en est que, dans cette dernière discipline, la distinction interagit le plus
souvent avec celle de la syntaxe et de la sémantique. La réserve qu'introduit
"le plus souvent" porte sur les logiques infinitaires. Si l'on s'en tient aux
conjonctions finies, comme dans les calculs ordinaires du premier ordre,
la syntaxe de l'opérateur de connaissance commune C appartiendra néces-
sairement au type circulaire. Dans la plupart des travaux récents (comme
UNE SÉMANTIQUE POUR LA LOGIQUE MO DALE. 1 3 5
2. Définitions syntaxiques
(Pa) —
1 1 3
a
Même ainsi renforcé, le système laisserait subsister cette possibilité :U n
agent croit en go et en —
il1 faudrait g o s aencore n s ajouter les schémas : pour tout a,
e n
(C
t i r e r
a
l e s
)La
c réciproque o n s éde q (C
B
u On
o ean longuement
c e s débattu,
. ces dernières années, du problème difficile de
l'omniscience
)a
P e s t o logique (par exemple Stalnaker, 1991 ; Dubucs, 1992 ; Go-
chet,
(u é 1992).
d j àr La présence d'une règle de monotonie suffit à faire tomber le
p
système
il m ' p MC le i qx
A
considérable
c é l e u encore
u r qu'appelle, dans FHV (1991), l'adoption du système
B
sp
K,
e oVardi u, sa (1986) avait proposé de décrire la croyance individuelle par la
seule
ra n règle
u e d'équivalence : pour tout a,
l b j ea
o
i t oi o n
cm
(RE,)
/
n
o t o nB
d
iB e a
a
e
( ceRqui concerne
En Mç les opérateurs I t tout au moins, cet affaiblissement de
(
ca
(RM,) o
ramène exactement au système minimal engendrant une sémantique
e
)s voisinages.
des . BMalheureusement l'axiomatisation de la croyance commune
to
sous (REDy poseade nombreux problèmes techniques. Les difficultés que l'on
A
p
rencontre alors lne se paient certainement pas d'un gain conceptuel décisif.
0 (REJ
e
Car . préserve i des formes gênantes d'omniscience logique ; par exem-
)
P
ple, un agent qui / connaît au moins une tautologie connaîtrait ipso facto
o
toutes les tautologies du système.
u Le schéma (PF) indique en substance que la croyance commune implique
r croyance partagée, ainsi que la croyance partagée en le fait qu'il y ait
la
a
croyance t commune : cette propriété explique que l'on parle d'axiome du
tpoint fixe. é L a règle (RI) indique que, si un énoncé est analytiquement de
n
croyance partagée, il est aussi de croyance commune. L'appellation règle
u
d'induction peut se justifier heuristiquement ainsi : en appliquant (RM_)-
e (Déf.r E) on voit facilement que E est monotone :
et e
v
l ' a
E
o b A
j e
c t
i o
n
p
l
u
s
UNE SÉMANTIQUE POUR L A LOGIQUE MO DALE. 1 3 9
(RME)
(pour tout k 0 )
E
(le symbole E
mer
k cette infinité dénombrable d'inférences en une seule ou, si l'o n veut,
de
d é"passer s i g à n la limite". La présence de (RM, ) vient du fait que, contraire-
e
ment à E, C n'hérite plus automatiquement de la monotonie des B
techniquement
E V E
a très utile, et il paraît conceptuellement défendable, de prêter
.) laI .croyance l e s commune
t la structure minimale que l'on attribue aux opéra-
teurs
I n individuels. t u
i Parmi t i vtous les autres axiomes que considère d'habitude la logique modale
épistémique,
e m e on mettra à part les deux schémas suivants : pour tout a,
n t
(T.) aB
p
a
r l
ça o n
t( ,
L'axiome
(t de vérité O U qui vaut aussi pour l'opérateur C à cause de (PF)
o
et
R (
M
strictement
I entendue. Le schéma (D
approprié
u
) à une logique de la croyance pour des agents cohérents.
)p ,Le e système
s t uformén par ( R i g
fe ac'est-à-dire
a
a, f f a i b le l iplus
s sfaible
e mqui e permette
n d'interpréter B
a
de Kripke. Dans un
tr ) ,p (a Nr du n e e r e l a t i o n K-système pour a, ( D
u
permet
(im u T d'exclure un des cas-limites précédemment envisagés : l'agent croit
teen) e
)u une s contradiction.
et té q u( i Cv a l e n t
à
)p
t On
u notera H( la Prelation d'inférence de M C
a
u
e
d) cements
A du système
e t s monotone
t minimal par MC, + ( N
l'avenant.
sA .l O ne s e d é st ti g n e r a
)e
sr) , lK M. eoC- , s n + ( Pc
d
e
éA rs ye sn t f è o m r -
rs) e, e t
d
up o u
e
- r
s l ' a g
s e n t
y
s
t
è
140 L U C LISMONT ET PHILIPPE MONGIN
= ( N
a
dans lequel L „ ,
v
W est un ensemble non vide,) appelé ensemble de mondes possibles
• pour chaque a, Na est une application W P ( P ( W) ) — P
(. semble des parties— telle que, pour tout w E W, N
) sur-ensembles,
od é s i g n ai.e., n tsi P lE N ' e n -
• va (w est
) unes application
o i t f We x rVPm{ 0é, a p p e l é e valuation.
(pw ) ae t r P
Pour E alléger lesPdéfinitions
' qui suivent, on introduira également l'application
g:
W , vw E W, N E
a l o r Es )
LaPvalidation 'sémantique ( w )se définit
a de la manière
A ordinaire, sauf pour les
formules
E Cg'. On aura rdonc, N N pour tout ni = ( N
Oo ( w )
•) si ( (p Ew VP,) (ni, w); s s i v(w, (p) = 1;
•OsiE A= ( m , w) s s i (m, w) 141k;
, si (p v4 / 1) A 1
1
et1à l'avenant pour les autres clauses propositionnelles;
2 (
• s1i go7 = Bal k, w ) s s i IkII
•ms1ei (1) N a(m,
, = Etk, ( ww) ) s; s i D l l m E N
Es s
( wi notation
La ); r e n v o i e à l'ensemble de vérité de g/, c'est-à-dire
w
)
% lw ' E W
k
Lei plus souvent, on omettra l'indice suscrit.
e
t
(
n
i
,
w
UNE SÉMANTIQUE POUR L A LOGIQUE MO DALE. 1 4 1
k(E rr
k
quels que soient ( )
o =
c E n cp) = 1 ssi E F .
V P N
Il est e évident t que les N a
I l
0 Les deux lemmes suivants l ° ( t montrent que le rôle joué par les modèles 1,i/-
( [ E1 ] ° ) sdans
canoniques o cette
n tconstruction
r e est analogue à celui des modèles canoni-
ques
f Pe usuels r m , en élogique s modale.
)
p a r
Lemme
s u r - 4. Quel que soit le maximal consistant :
e n s e m b
l e(i) sV i t. ) 4 4 0 1
— V (p E 4
(ii)
, E
Preuve [F0 ] :, (i1) est 4 ) immédiat par définition de N
0 1
supposons k o quer [(pfkE M I T ) , i.e., q u 'il existe Bdp
(h W
o o lE k1 ° ) .r °P o t ug r .
4 [ ( p a
E
°lp r o u v e r r E
'. •
.'( E Ni i gN) ,
LemmeP a 0 5. Quels que soient le maximal consistant T et la formule 0 ' E
4
a ) ( [ 11 T 1
1
r 1 ° )
1
l 1 ° ) E T ssi [ 1 1 )
,e/ 1 3
/l 1 0 de la preuve : Par induction sur la complexité des formules de
Schéma
—
e 4 L'hypothèse o d'induction peut se traduire par l'égalité [0 1 ' = ʻ & ' II
,m Etoute formule 0 ' de complexité inférieure à celle d'une formule don-
pour
née.
m rLesLesseuls cas non triviaux sont 0 ' = 1 3
a
e =. C
9
3 c f r( q u i r é s u l t e
d
(*)
, e. E u r Ssi l3P Ee N m m e
4
E
I P )
En
— Tutilisant
e
U oM t t notamment
. q . (PF) on établit le résultat intermédiaire
P
( u l
(p rp
(**)C lE A° ° [ C(p A (
e
o
o c t
cP
(] e E N
e
E
p d s t
(e
, l eA j .° ) , c
.e r o
p u r
tt n o u t
m
, i a x i
146 L U C LI SMO NT ET PHILIPPE MONGIN
Q = {I I
E I
I qui est caractérisé par une formule c
( de
o la p démonstration consiste alors à montrer que E(p„ E F, puis à vérifier
E les
e , théorèmes E c 1 :3 w [ 1 k 1
e (R1),
d '—
o impliquent
a 0p r èla conclusion s désirée. •
t (l p e e t
RFin
il de —e la preuve m de
m complétude
e : Le lemme 5 joue le rôle de "lemme cano-
P nique"
(2 p dans. la démonstration ordinaire, q u 'il suffit alors d'adapter (ch.
' Chellas,
L
o 1980,e ch. 2). •
t — r e> s t
gE e p
. o 5. Renforcements du système de la croyance monotone. Conclusions.
f ,
r On q se contentera u ici d'énoncer, sans les démontrer, des résultats qui concer-
g nent
i les , schémas supplémentaires de la section 2.
Pe
' nThéorème 3. Soit les classes de structures de voisinages monotones qui, pour
E tout
p wr E We é t tout a E A, vérifient respectivement : (i) N
N a
s 0 e e N n
„c (
w a w E) Pe ; 0
(y) P; E N ( i i )
(a d(Ew N ):
l (e(iii)
(awi ) ipar i NMC, + (C
A a
( [
)
A ( =
w M) C R
rM ( A
P
), 1 .w (+ i ) v ;)
k (cp ( N
,L Leaschéma v r i de la démonstration, qui est laissée au lecteur, consiste, pour
A
) )chacune
P
M a C des N, classes, à constater l'adéquation de l'axiome et/ou de la règle
e a
e )
'
+ c +
correspondante, et à montrer que le modèle l
( (
E
considéré
l CT w
t t' - c a n o n i q u )vérifie bien
e la propriété
p o u sémantique
r indiquée.
P elN A )
a On voit e snotamment que la propriété de réflexivité (iv) permet de rendre
' tau s1
)os plan ,• y sémantique
s t è la m différence,
e tout d'abord syntaxiquement exprimée,
e a (
entre
s w connaissance
u v g et croyance commune. La détermination de la propriété
s m )
d'augmentation
e e n (vi) revêt une importance particulière parce qu'elle livre
t tp P (
indirectement
é a un théorème d'adéquation et de complétude relatif aux struc-
e [rntures i de Kripke. Vo ici quel est le schéma de cette dérivation. On introduit
x nM P ) C
. N '
A e
) a+ E s ( D
, (A N t w
))(d ,
(w é
v)t
UNE SÉMANTIQUE POUR L A LOGIQUE MODALE. 1 4 7
M
Kl A 2 )-u p le s
l
a m= (
c W,
tels
l que W 0 , R (R
a e s t La seule clause aoriginale de validation concernera le cas des (
valuation.
u
s= Cn i . ePour analyser ce cas,
o ) on commence par redéfinir ainsi la propriété
rs eclôture
de
e l a épistémique
t i o : P a W est e.c. ssi
n
e ,
b
d i n a i vwv E P ,
re e a )R
s R u
où a
depuis
rs
a w. [ w ]
tW Oni v ipose alors
e g
tr
e P
syu t (m, w) S S i 3P, t . q .
{e
c ”
stOn peut
w L vérifier que (i) ces deux définitions retranscrivent dans le contexte
'tukripkden E les mêmes intuitions épistdmiques, exactement, que les définitions
lradaptées
E J aux structures de voisinages, (ii) elle reflètent le morphisme bien
a
W
e A R connu entre les structures de Kripke et les structures de voisinages augmen-
Ifs a(Chellas,
tées o n1980, p. 221). 11 suffit alors d'exploiter ce morphisme de
cdstructures
w t
[ w ] pour
i conclure
P , que M
'o
eK Aucun eP sn tdes faits énumérés dans le théorème 3 ne paraîtra surprenant. Mais
d
R
K d éOpeut-être,
c'est t e r m justement,
i n é l'un des mérites de la sémantique présentée dans
e
a cet
rp \ a 1 r 1 article qu'elle permet
' de démontrer facilement les théorèmes de déter-
w
imination K 1C qu'on attendait naturellement. L'analyse de la connaissance com-
)pmune A e par la clôture t dpistémique présente un double avantage de simplicité
,k.: d'une P part elle emploie les structures ordinaires de la logique multi-mo-
iedale;e d'autre part, s elle facilite le rapprochement de la syntaxe et de la sé-
.m mantique, en faisant figurer un élément de circularité dans la définition
t
e
umême e de celle-ci.
. Du point de vue dpistémique, le résultat principal de
.ll'article c constitue
. un progrès par rapport à celui de FHV (1991) : il montre
,t en effet qu'on peut axiomatiser la croyance commune à l'aide de (PF) et
li(RI) sans imposer la totalité du système K à la croyance individuelle. L is-
'-mont (1992,1993) avait déjà atteint une conclusion semblable par d'autres
e
m moyens sémantiques. L a question demeure, toutefois, de savoir comment
oaxiomatiser la connaissance commune sous l'hypothèse épistémique la pl
n
sd
e
a
m
l
b
e
ls
e
,
d
c
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BIBLIOGRAPHIE