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Introduction 1

1- « le contrôle d’une société par une autre est une activité périlleuse qui navigue
entre l’abus des biens sociaux et l’abus de majorité, entre la correctionnelle et la nullité
des décisions capitales1 ».
Ces expressions significatives ne traduisent-elles pas le sentiment de crainte et de
peur envers le phénomène du groupe de sociétés ? Tantôt emblème national et symbole
de réussite économique, GENERAL ELECTRIC aux USA ; AXA en France… Tantôt
synonyme de scandales et de manœuvres à la limite de la légalité, ENRON ;
PECHINEY ; PARMALAT ; BATAM…
Nul doute que les groupes de sociétés suscitent une fascination de tout ce qui est
gigantisme et en même temps une inquiétude face à des colosses financiers qui font peur
à bien des égards. Le cas MICROSOFT ne traduit-il pas les deux sentiments à la fois ?
Une telle réalité, aussi paradoxale qu’elle puisse être, n’est plus à démontrer.

2- Mais si le groupe de sociétés parait constituer un milieu favorable pour


l’apparition et le foisonnement de toute forme d’abus 2, il ne faut pas oublier qu’il
fonctionne, en principe, dans « l’intérêt de tous et fournit même plus d’avantages que ne
pourrait le faire chaque société à titre isolé3 ». Il serait donc erroné de ne voir dans cette
entité juridico-économique que des manifestations d’abus.
Observons, d’ores et déjà, qu’il est difficile de porter un jugement d’ensemble sur
les groupes de sociétés, car ces derniers peuvent constituer des instruments de progrès
comme ils peuvent être, au contraire, une source intarissable de régression 4.

3- Les différents intérêts « catégoriels » en présence, opposant assez souvent les


intéressés5 dans le groupe et susceptibles d’engendrer divers abus, exhortent à faire un
survol de l’évolution historico-économique du phénomène du groupe de sociétés (I) et à
déterminer, par la suite, son encadrement juridique (II). Il est également fort intéressant
de rappeler quelques règles générales relatives à la notion d’abus (III) pour signaler enfin
les prémisses de cette même notion dans le cadre du groupe de sociétés où les
antagonismes économiques, les ambiguïtés, voire les lacunes juridiques justifient à divers
égards le choix de la présente étude (IV).

Ces différentes approches permettent, à n’en point douter, une meilleure


appréhension de la notion d’abus qui constitue, moins une pierre angulaire dans l’analyse
du droit des groupes, qu’une pierre d’achoppement traçant les limites de l’espace de
liberté des différentes constructions structurelles autour du concept de société.

1
BELHAJ YAHIA (B), L’abus des biens et du crédit sociaux, thèse, Paris, 1976, note n° 1, p 202.
2
GUYON (Y), Droit des affaires, T.I, 12éme édition, ECONOMICA, 2003, n°581, p 626.
3
BELHAJ YAHIA (B), thèse pré., p 151.
4
GUYON (Y), op.cit., n° 581, p 627.
5
Les intéressés dans le groupe de sociétés sont essentiellement les actionnaires (majoritaires ou minoritaires), les dirigeants,
les créanciers, les fournisseurs, les clients, les salariés, l’Etat…On les appellera également les intervenants dans le groupe de
sociétés ou encore les partenaires du groupe.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 2

-I-
4- Il y a quelques décennies, la société était conçue comme un être isolé sans liens
de parenté ; c’était comme le disait Rodière « l’ère atomique des sociétés6 ».
Aujourd’hui, il en va différemment. Les groupes de sociétés sont un fait qui
s’impose à l’évidence : pas plus que les hommes, les sociétés ne vivent et n’agissent
isolées. Pour progresser, elles se regroupent. « Par stratégie, elles essaiment, en gardant
le contrôle des sociétés qui gravitent autour d’elles7 ». Ainsi, à l’age atomique des
sociétés succède celui des groupes de sociétés8.

5- L’apparition du phénomène du groupe de sociétés, exemple typique du


gigantisme sociétaire, remonte à la fin du 19éme siècle 9, à une période où les sociétés par
actions, accumulant des capitaux importants, tendaient à « s’agglomérer, à se fédérer
pour former des groupements 10».
Depuis, le mouvement prit très rapidement une ampleur aussi considérable que
variable selon les continents et les pays. L’Amérique du nord fut le terrain d’élection des
formes de concentration, où on avait mis au point la technique du « trust11» au service
des groupes monopolistiques et particulièrement du monopole de l’industrie pétrolière 12.

6- Actuellement, le groupe de sociétés est une réalité économique incontournable.


En effet, plusieurs pays ont réussi, grâce à l’implantation d’importants groupes de
sociétés, à passer à un nouveau palier d’industrialisation et de développement
économique.
Ainsi, dans les milieux d’affaires américains, l’affirmation selon laquelle « What is
good for General Motors13 is good for America » faisait la une des journaux américains
au milieu des années 90.
En outre, peut on citer la Hollande sans que se profile en filigrane le nom de
PHILIPS ? Ou encore la Suisse sans faire allusion au grandiose groupe NESTLE14 ?
6
RODIERE (R), La protection des minorités dans les groupes de sociétés, Rev.Soc., 1970, p 245.
7
GUYENNOT, Les aspects juridiques et fiscaux de la constitution des filiales, Rev. De droit suisse, 1973, p 54.
8
RODIERE, art.pré. p 245.
6. ‫ ص‬،1992 ،‫ بيروت‬،‫ دراسة مقارنة في القانونين اللبناني و الفرنسي‬،‫ شركة الهولدنغ‬،‫ ? مزيحم ماجد‬9
10
VANHAECKE (M), les groupes de sociétés, LGDJ, Paris, 1959, p3. A ce propos, M. GYON pense que les groupes de
sociétés ont vu le jour à partir du moment où on a admis qu’une société pouvait être actionnaire ou membre du conseil
d’administration d’une autre société. In Les groupements d’affaires, T. II, Economica, 2001, p604.
11
V. TUNC (A), Le droit américain des sociétés, DALLOZ, 1990, p 130.
D’après le Lexique juridique DALLOZ, 2005, le vocable « Trust » signifie : « coalition d'intérêts financiers et économiques
grâce auxquels une société-mère possède la totalité ou la majorité des titres de plusieurs sociétés filiales dont elle assure le
contrôle. L'objectif visé est d'avoir un monopole sur un marché donné ».

‫ هو تحالف مجموعة من المصالح االقتصادية و المالية تملك بموجبه الشركة األم جميع أو اغلب أسهم أو حصص مجموع{{ة الش{{ركات‬TRUST : ‫" اتحاد الشركات‬
،‫ تجم{{ع الش{{ركات‬،‫ باش{{ا زي{{اد‬."‫الفرعية بهدف ممارسة رقابة لصيقة عليها حتى تتمكن من السيطرة على السوق أو على البعض من المنتوجات الموجودة في السوق‬
.3‫ ص‬،2005 ،‫ الهيأة الوطنية للمحامين فرع تونس‬،‫محاضرة ختم التمرين في المحاماة‬
12
?
V. TUNC (A), op.cit., p 130. BOUGARRAS (E), la société mère dans le groupe de sociétés, Mémoire de DEA, Faculté de
droit et des sciences politiques de Tunis, 2003, p1.
13
GÉNÉRAL MOTORS (G.M) est le 1er groupe mondial selon un tableau publié à la revue « Monde » : le courrier de
l’indépendance n° 69, avril, 1995, p 53.
14
V. THE ECONOMIST, n° 182, Mai, 1997, p 32.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 3

De même, quand on évoque le succès de l’économie de la Corée du Sud, on a


souvent tendance à l’attribuer au pouvoir bien faisant des ses CHAÉBOLS15. Que l’on
n’oublie pas aussi d’autres pays en voie de développement, où le phénomène groupe de
sociétés a fait son apparition depuis quelques décennies. C’est le cas des groupes TATA
en Inde, ALBARAKA en Arabie Saoudite16, MZABI, CARTHAGO17… en Tunisie, sans
oublier Tunis Air qui vient de décider récemment une politique de filialisation pour tenter
de sortir des difficultés économiques où elle ne cesse de baigner18.

7- Par ailleurs, il convient de rappeler que la genèse des groupes de sociétés en


Tunisie date des années 70, juste après la mise en cause de l’expérience socialiste ou
coopérative19. Plus précisément, la libéralisation de l’économie tunisienne, ainsi que
l’adhésion de la Tunisie aux accords du GATT et à l’OMC 20 ont exigé des entreprises
tunisiennes un degré minimum de compétitivité. Pour ce faire, les entreprises, opérant
dans des secteurs identiques ou complémentaires, ont réuni, semble-t-il, leurs efforts par
voie de fusion ou d’intégration dans le cadre de groupes de sociétés, ce qui leur a permis
d’adopter une stratégie commune, arme fatale pour faire face à une concurrence qui
s’avère actuellement de plus en plus féroce.
De nos jours, l’importance économico-sociale, voire politique des groupes de
sociétés est un fait patent. Il ne s’agit plus de s’étaler sur les bienfaits économiques de
cette forme de concentration, mais plutôt sur le pourquoi ou le comment de sa
réglementation juridique.
-II-
8- Nul doute que pareille réglementation constitue une question qui ne cesse de
faire couler beaucoup d’encre, notamment lorsqu’on évoque la notion d’abus. Elle a
d’ailleurs constamment donné lieu à de multiples réflexions et à de vives controverses
doctrinales, passionnantes et parfois même passionnées.

9- En droit comparé, le législateur allemand 21 a devancé ses homologues européens


en encadrant juridiquement les groupes de sociétés22, au point qu’il semble avoir pris un
15
Les CHAEBOLS sont les groupes de sociétés chapeautés par une holding. Ils sont composés d’un nombre de sociétés
affiliées, liées entre elles par un système complexe de participations financières croisées.
16
KNANI (Y), les groupes de sociétés et le droit commercial, in séminaire les groupes de sociétés, les journées de la
décennie de l’ordre des experts comptables de Tunisie. Tunis, 1993, p 31.
17
Il y a également les groupes : BACOSPORT, BEN YEDDER, POULINA, BOURICHA, MEUBLATEX , BATAM (qui
fait aujourd’hui couler beaucoup d’encre)... En 2003, l’ONU a recensé plus de 40000 groupes multinationaux, fédérant un
réseau de plus de 300000 filiales. Plusieurs groupes ont atteint un degré de filialisation énorme. Ainsi le groupe SAINT
GOBAIN comporte environ 500 filiales et le groupe PARIBAS environ 450. V. Encyclopédie Microsoft, ENCARTA, 2000.
18
La presse (journal), La politique de filialisation de Tunis-air, n° 22.406, jeudi 21 avril 2005, p 1.
.1 ‫ ص‬،1994 ،2 ‫ عدد‬،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،‫ من أجل تشريع تجاري أكثر تشجيعا للتطور االقتصادي‬،‫ عمران أحمد‬19
20
OMC: L’organisation mondiale du commerce. GATT : General agreement of trade and transfert. La Tunisie est devenue
membre contractuel du GATT en vertu de la loi n° 90-61 du 18-6-1990. Elle est devenue membre de l’OMC en signant la
convention de Marrakech le 15-4-1994. Elle est également devenue partenaire de la communauté européenne en signant les
accords de partenariat du 17-6-1995.
21
ُEn Allemagne, Les groupes de sociétés sont régis par la loi du 6 novembre 1965 relative aux sociétés par actions dont la
pièce maîtresse est la partie consacrée aux groupes de sociétés qui sont appelés Konzern. V. RIPERT (G) et ROBLOT (R),
Traité de droit commercial, Les sociétés commerciales, T. I, LGDJ, 1996, p179.
22
HOPT (K), le droit des groupes de sociétés, expérience allemande, perspective européenne, Rev.Soc, 1987, p371.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 4

siècle d’avance sur la législation française. Ainsi et pour la première fois en Europe « un
législateur tendait d’appréhender et de régler en un système juridique cohérent, l’un des
phénomènes les plus mobiles, les plus diffus, multiples, changeant et complexe en ses
formes... la concentration économique 23».
A côté de l’initiative allemande, on retient l’exemple de la communauté
européenne qui a présenté une proposition de règlement européen ayant pour objet la
création d’une société anonyme européenne comportant un dispositif relatif au groupe de
sociétés24.

10- À l’instar des deux exemples, allemand et européen, sont apparues en France
des propositions de lois appelées toutes « propositions COUSTE »25. Les deux premières
se sont profondément inspirées de la loi allemande ; quant aux ultérieures, elles ont puisé
leur source dans le projet européen. Toutefois, aucune de ces propositions n’a abouti.
A présent, l’idée semble acquise, en droit français, qu’il n’est point besoin d’adopter une
réglementation d’ensemble des groupes de sociétés. Il n’empêche qu’on peut rencontrer
quelques dispositions particulières éparpillées en droit commercial 26, fiscal27, comptable28
et social29 se rapportant aux sociétés groupées, ainsi qu’une très riche jurisprudence en la
matière. Il va sans dire qu’une législation d’ensemble fait encore défaut.

11- Quid en droit tunisien ? Outre l’absence, dans le code de commerce 30, d’une
réglementation spécifique aux groupes de sociétés, les articles 5, 6 et 7 de la loi n° 91-64
du 29-7-91 relative à la concurrence et aux prix 31 avaient constitué un empêchement à la
réglementation des formes de rapprochement des entreprises 32. Cette situation a été
fortement critiquée par certains auteurs33 qui ont prôné l’élaboration d’un droit régissant
les opérations de concentration tout en montrant leur efficacité surtout au niveau de
l’économie du marché.
23
SINAY (R), Vers un droit des groupes de sociétés : l’initiative allemande et le marché commun, G.P. 1967, p 70.
24
V. annexe n° 15. OPPETIT (B) ET SAYAG (A), Méthodologie d’un droit des groupes des sociétés, Rev. Soc., 1973, p577.
EL HASSANI (M), les groupes de sociétés au Maroc, TOME I, éd, LGDJ, Paris, 1988, p 43 et s. GUERFEL (I), l’originalité
de la statique du groupe de sociétés, mémoire DEA, Faculté de droit de Sousse, 2003, p 12.
25
- La proposition n° 1055 du 19/02/1970, la proposition n° 52 du 02/04/1973, la proposition n° 1211 du 11/08/1974, la
proposition n° 522 du 28/06/1978 et la proposition n° 25 du 02/07/1981. V. annexe n° 16.
26
- La loi du 24/07/1966 relative aux sociétés commerciales et son décret d’application du 23/03/1967 ont introduit quelques
dispositions relatives à la définition des notions de filiales, de participations et de sociétés contrôlées qui relèvent du domaine
du groupe de sociétés. C’est également le cas de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, dite loi « NRE » et la loi n° 2002-1303
du 29 octobre 2003, dite « loi Houillon ».
Remarquons que les lois précitées ont été insérées dans le nouveau code de commerce français.
27
- La loi de finance pour l’année 1988 réglementant le régime d’intégration fiscale.
28
- La loi du 3/1/1985 relative aux comptes consolidés.
29
- La loi AUROUX du 28/10/1982 relative au comité du groupe.
30
A ce propos, M. le doyen OMRANE a pu écrire que « non seulement ce code ne réglementait pas les rapprochements des
entreprises, mais aussi et surtout instituait deux obstacles à tout phénomène de ce genre. Le premier est l’article 78 sur les
conventions réglementées, le second est l’article 86 incriminant l’abus des biens sociaux ». In Les problèmes suscités par
l’entrée en vigueur de la loi n° 2001-117 du 6 décembre 2001 complétant le CSC, E.J., n° 9, 2002, p10.
31
V. JORT, n° 55, 6-8-1991, p 1393.
32
KOSSENTINI (W), le groupe de sociétés et le droit de la concurrence, E.J., n°10, 2003, p 327.
33
KNANI (Y), L’entreprise, l’état et le droit : réflexion sur les insuffisances du droit tunisien, R.T.D., 1993, p 16.
..53 ‫ ص‬،1994 ،2 ‫ عدد‬،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،‫ من أجل إحداث إطار قانوني لعمليات التركيز وتجمع الشركات‬،‫التومي فرحات‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 5

12- Pareille proposition puise sa source dans le paysage juridique tunisien qui ne
semble pas avoir totalement ignoré la notion de groupe de sociétés, étant donné que
plusieurs textes l’ont appréhendée de manière plus ou moins implicite. Tel est le cas du
droit de travail où l’on trouve quelques dispositions concernant les commissions
consultatives du groupe34, ou le droit bancaire qui a défini le groupe de sociétés dans la
circulaire de la Banque Centrale de Tunisie n° 94-24 du 17-12-1991 35. Ou encore le droit
boursier à travers la loi relative à la réorganisation du marché financier 36 qui a traité des
notions de contrôle et de holding au sein des articles relatifs à l’action de concert 37. Que
l’on n’oublie pas aussi le droit de la concurrence qui a traité des opérations de
concentration en allant jusqu’à utiliser le vocable « filiale » dans l’article 8 (nouveau) de
la loi relative à la concurrence et aux prix 38. Il en va de même pour la loi n° 85-72 du 20-
7-198539 qui a expressément utilisé le vocable « entreprise-mère »40.

13- Mais, contrairement à ce qui est souvent retenu, ce n’est nullement le droit des
sociétés qui a reconnu41 pour la première fois le groupe de sociétés ; c’est plutôt le droit
comptable qui, à travers la loi n° 96-112 du 30-12-96 42, a rendu obligatoire la
présentation et la publication des états financiers consolidés 43. Il s’agit d’une technique
comptable par laquelle un groupe de sociétés établit des comptes uniques représentant sa
situation financière et économique globale, sans tenir compte de l’indépendance juridique
de chaque société y faisant partie44.
Le droit comptable a été immédiatement suivi par le droit fiscal qui a établi un
régime d’intégration des résultats en matière de groupe de sociétés, et-ce en vertu de la
loi n° 2000-98 du 25-12-2000 portant loi de finance pour l’année 200145.

34
V. art 162 C.T. tel que modifié par la loi n° 94-29 du 21-2-1994.
35
L’article 2 de cette circulaire dispose que « … Sont considérés comme « mêmes bénéficiaires » les emprunteurs affiliés à un
même groupe. Le qualificatif de groupe est attribué à deux ou plusieurs personnes morales ayant entre elles des
interconnexions telles que : une gestion commune, une interdépendance commerciale, des participations… »
36
Loi n° 94-117 du 14-11-94, V. JORT, n° 90, 15-11-1994, p 1850.
37
V. les articles 9 et 10 de cette loi.
38
Loi n° 91-64 du 29 juillet 1991 relative à la concurrence et aux prix telle que modifiée et complétée par la loi n° 95-42 du
24 avril 1995 ( V. JORT, n° 35, du 2-5-1995, p 976). Cette loi a été également modifiée par la loi n° 99-40 du 10-5-99 ( V.
JORT, n° 39, 14-5-1999, p 867), ainsi que par la loi n° 2003-74 du 11 novembre 2003 (V. JORT, n° 91, 1411-2003, p 3361).
39
Loi n° 85-72 du 20-7-1985 relative à la tutelle et aux obligations mises à la charge des établissements publics à caractère
industriel et commercial et des sociétés dans lesquelles l’Etat et les collectivités publiques locales détiennent une
participation en capital. V. JORT, n° 56 du 30-7-1985, p 958.
40
V. les articles 7, 8 et 9 de cette loi.
41
Reconnaître le groupe de sociétés veut dire, en principe, avoir une législation spécifique (et non pas des textes épars) qui
reconnaît l’existence juridique du groupe. La législation en question doit comporter des définitions et tout un régime
juridique spéciale au groupe. Tel est le cas du doit comptable, du droit fiscal et du droit des sociétés.
42
V. JORT, n° 105, 31-12-96, p 2577.
43
Cette reconnaissance a été récemment corroborée par la parution des normes comptables du 01-12-03. V. JORT, n° 97, 5-
12-2003, p 3529.
44
NEFZAOUI (S), La consolidation : Essais théoriques et validation empirique, thèse, Faculté des sciences économiques et
de gestion de Tunis, 2005, p 2. FEUILLET (P) : - La consolidation des comptes (loi n° 85-11 du 3-1-85), Rev. Soc., 1985, p
22. - La consolidation des comptes (décret n° 86-221du 17-2-86), Rev. Soc., 1986, p 174.
45
Cette loi a été modifiée par la loi n° 2003-80 du 29-12-2003 portant loi de finance pour l’année 2004 qui a assoupli les
conditions du bénéfice du régime d’intégration des résultats. V. JORT, n° 104, 30-12-2003, p 3721.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 6

14- Nonobstant l’importance de la réforme du droit des sociétés introduite par la loi
n°2000-93 du 3 novembre 2000 promulguant le code des sociétés commerciales 46, le
législateur, tout en réglementant les opérations de concentration des entreprises 47, avait
omis d’organiser les groupes de sociétés48 « qui constituent pourtant une réalité palpable
de notre économie »49. « Les nombreuses imperfections du nouveau code des sociétés
commerciales héritées du code de commerce ne nous étonnent pas autant que nous
surprend l’absence de toute réglementation propre au groupe de sociétés »50.
Heureusement que cette lacune a été rapidement comblée. Deux raisons
essentielles ont poussé le législateur à se démarquer de la méfiance longuement
entretenue à l’égard d’une réglementation spécifique aux groupes de sociétés. D’une
part, la jurisprudence tunisienne, à la différence de la jurisprudence française 51, n’a pas
fait preuve de créativité ce qui aurait comblé le vide législatif concernant le groupe de
sociétés52. D’autre part, l’existence d’un cadre juridique organisant le groupe permettrait
d’éviter les incertitudes auxquelles feraient face les investisseurs. D’autant plus qu’une
réglementation claire et intelligible baliserait la voie aux acteurs économiques 53.

15- Ainsi, le législateur est intervenu pour réglementer les groupes de sociétés,
et-ce en vertu de la loi n° 2001-117 du 6/12/200154 qui a ajouté au livre 5 du code des
sociétés commerciales un titre 6 intitulé « du groupe de sociétés »55.
L’article 461 C.S.C. alinéa premier, ajouté par la dite loi, définit le groupe de
sociétés comme étant « un ensemble de sociétés ayant chacune sa personnalité juridique,
mais liées par des intérêts communs, en vertu desquels l’une d’elles, dite société mère,
tient les autres sous son pouvoir de droit ou de fait et y exerce son contrôle, assurant,
ainsi, une unité de décision ».
Cette définition reprend globalement les mêmes critères retenus par une conception
doctrinale très ancienne selon laquelle le groupe « est un ensemble de sociétés
juridiquement indépendantes les unes des autres mais en fait soumises à une unité de
décision économique »56.
46
V. JORT, n° 89, 7-11-2000, p 2936.
47
V. les articles de 411 à 427 CSC relatifs à la fusion et les articles de 428 à 432 CSC relatifs à la scission.
48
Il convient de préciser que l’article 266 CSC qui concerne les investigations du commissaire aux comptes, comporte dans
son alinéa 5 une disposition relative au groupe de sociétés. En effet, cet alinéa dispose que “ les investigations prévues au
présent article peuvent être faites tant auprès de la société que des sociétés mères ou filiales…”. C’est également le cas de
l’article 408 CSC qui utilise expressément le verbe “se filialiser”.
49
KNANI (Y), art.pré., p 16.
50
KOLSI (S), Quelques réflexions sur les insuffisances du nouveau CSC, R.E., n° 51, 2001, p 16.
51
Cass. com., 26 avr. 1994, n° 92-15.577, RJDA 1994, n° 930, p. 736 ; Cass. com., 13 juin 1995, n° 94-21.003 et 94-21.436,
JCP éd. E 1995, II, no 712, note Guyon ; Cass. com., 18 mai 1999, n° 96-19.235, Dr. sociétés 1999, n° 127, Obs. Bonneau,
RJDA 1999, n° 1215, p. 984
52
V. à ce propos BELAID (S), Essai sur le pouvoir créateur et normatif du juge, thèse, Faculté de droit et des sciences
économiques, Paris, 1970.
53
NASREDDINE (H-H), le groupe de sociétés : constitution et fonctionnement, mémoire DESS, Faculté des sciences
juridique politique et sociale de Tunis, 2002, p 6 et 7.
54
Loi complétant le code des sociétés commerciales, J.O.R.T n° 98 du 7-12-2001, p 4091.
55
V. art. 461 à 479 CSC.
56
GUYON (Y), Droit des affaires, op.cit., p 624 et 625. Mestre (J) et PANCRAZI (M-E), droit commercial, 25 ème éd,
L.G.D.J., 2001, p 425. LE CANNU (P), droit des sociétés, MONCHRESTIEN, 2 ème éd, 2003, p 863. MERLE (PH), op.cit., p
761. Lexique des termes juridique, DALLOZ, 2005, Déf. Groupe de sociétés. Vocabulaire juridique, 5 ème éd., 1996, p 390.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 7

Deux notions principales se dégagent alors de la définition du groupe :


l’autonomie juridique57 et la dépendance économique58. Cette situation paradoxale a été
justement qualifiée de « divorce entre le fait et le droit »59 ; en effet, une personne morale
peut entièrement dépendre, sur le plan économique, d’une structure plus vaste, alors
qu’elle est considérée, sur le plan juridique, comme totalement indépendante de celle-ci.

16- Toutefois, il faut noter que l’article 461 susvisé n’envisage que les groupes
financiers qui reposent sur des liaisons en capital supposant l’existence d’un élément
matériel qui consiste dans la détention d’une fraction significative des actions ou des
parts d’une autre société60.
Ces groupes financiers se distinguent des groupes personnels 61 qui constituent un
ensemble de sociétés ayant les mêmes associés et/ou dirigeants et dans lesquels aucun
lien financier ne rapproche les sociétés membres 62. Les groupes financiers diffèrent
également des groupes à structure contractuelle 63 qui apparaissent à partir d’une volonté
de collaboration entre deux ou plusieurs sociétés64.

17- Pour mieux cerner la notion du groupe, il sied de la distinguer de la fusion, de


la scission et surtout du groupement d’intérêt économique.
L’élément distinctif du groupe de sociétés par rapport à la fusion ainsi que la
scission est qu’il laisse subsister la personnalité juridique des sociétés qui en font partie.

57
La société affiliée est autonome juridiquement parce qu’elle dispose d’une personnalité juridique distincte et autonome de
celle des autres sociétés du groupe. Ainsi, elle dispose de tous les attributs de la personnalité morale, à savoir : un patrimoine
propre, une dénomination propre, un domicile, une nationalité ainsi que la capacité de jouissance et d’exercice. V. BEN
AMMOU (N), Cours de droit commercial (II) : Les sociétés commerciales, Faculté de droit et des sciences économiques de
Tunis, 2004-2005, p 34 et s.
58
La dépendance économique se caractérise essentiellement par le contrôle exercé par la société mère sur ses filiales. Ce
contrôle résulte de deux types de mécanisme : des prises de participation au capital social des sociétés dominées ou de la
quantité des droits de vote possédés par la société mère. L’état de dépendance économique implique l’exercice direct ou
indirect d’un contrôle par une entreprise sur une autre juridiquement autonome. V. EL HASSANI (M), op.cit., p 45. La
dépendance économique en droit des groupes est à distinguer de la dépendance économique en droit social qui signifie
« l’état d'un travailleur, salarié ou non, vis-à-vis de la personne qui l'emploie, lorsqu'il tire du travail qu'il exécute pour cette
personne ses principaux moyens d'existence » (Lexique juridique DALLOZ 2005). Elle est à distinguer également de l’état de
dépendance économique en droit de la concurrence V. infra. n° 60 et s.
59
VACARIE (I), l’employeur, TOME VI, éd, SIREY, 1979, p 3, cité par TURKI (M), op.cit, p 6.
60
GUYON (Y), op.cit, p 628.
61
PARIENTE (M), les groupes de sociétés : aspect juridique, social, comptable et fiscal, LITEC, 1993, p 5.
62
Dans les groupes de sociétés personnels il n’existe pas de société mère dominante, mais un ensemble de personnes
physiques, très souvent membres d’une même famille, qui sont associées dans toutes les sociétés du groupe.
63
Dans les groupes contractuels la dépendance résulte souvent d’accords comme les contrats d’exclusivité, de cession et de
sous-traitance. Par ailleurs, les entreprises peuvent conclure des contrats temporaires, c’est le cas des sociétés en participation
dans les travaux publics ou les « joint-venture » dans les activités pétrolières. Les contrats peuvent également être durables
comme les contrats de franchise. Cette dépendance peut également revêtir la forme d’un accord avec certains actionnaires,
par exemple les accords de vote ou de désignation des administrateurs. Comme elle peut également résulter des statuts.
64
Pour approfondir encore plus la notion du groupe de sociétés, la doctrine est allée opérer une autre distinction reposant sur
la structure du contrôle dans le groupe. D’où la distinction entre la structure pyramidale (1), radiale (2) et circulaire (3) :
1- « Une société mère ayant sous sa coupe des filiales et des sous filiales ». LE CANNU (P), op.cit., p 873.
2- « Une société mère contrôlant toutes les autres sociétés directement ».Ibidem.
3- « La société A contrôle la société B qui contrôle la société C, qui contrôle la société D, qui à son tour contrôle la société
A ». MERLE (PH), op.cit. p771.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 8

Par contre, la fusion et la scission 65 sont des opérations de concentration qui entraînent
une modification de la personnalité morale des sociétés en cause 66.
Mais si l’élément distinctif du groupe le différencie de la fusion et de la scission, il
le rapproche, au contraire, du groupement d’intérêt économique. En effet, ce dernier est
une forme juridique qui permet aux entreprises67 de se grouper tout en conservant leur
autonomie juridique. Il n’empêche que ce point commun ne doit pas dissimuler
l’existence d’une double différence, au moins, entre ces deux institutions juridiques.
D’une part, le groupement d’intérêt économique jouit de la personnalité morale 68 qui
n’est pas encore reconnue au groupe de sociétés69. D’autre part, si l’idée de contrôle
parait constituer une des plus importantes caractéristiques du groupe de sociétés, le
groupement d’intérêt économique est plutôt une structure de coopération qui ne fait pas
perdre à ses membres leur autonomie juridique et économique 70. Sans oublier que, dans le
groupe de sociétés, c’est incontestablement cette idée de contrôle qui va l’ériger en un
cadre propice pour une possible dérive. D’où l’intérêt certain d’envisager l’étude de la
notion d’abus en matière de groupes de sociétés. Pour ce faire, faudra-t-il, de prime à
bord, déterminer la définition ainsi que l’évolution de la notion d’abus.
-III-
18- « De quoi les hommes savent-ils user sans abus ? »71 Se demandait déjà
Voltaire. Cette affirmation n’est plus à vérifier lorsqu’il s’agit d’une société isolée. Que
dire alors du groupe de sociétés où les intérêts des divers intervenants s’enchevêtrent,
voire s’opposent donnant lieu à une multitude d’abus portant préjudice tant aux
actionnaires qu’aux créanciers du groupe et parfois au groupe lui-même ?

‫ دورة تكوينية‬،‫ انحالل الشركات التجارية‬،‫ شرف الدين محمد كمال‬.122 ‫ ص‬،2001 ،‫ نوفمبر‬،‫ عدد خاص‬.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،‫ اندماج الشركات وانقسامها‬،‫ ? العوني أحمد‬65
‫ عب{{د الغ{{ني الص{{غير حس{{ام‬.365 ‫ ص‬،2004 ‫ تونس‬،‫ منشورات مركز الدراسات القانونية والقضائية‬،2003 ‫ أفريل‬12‫ و‬11 ‫ يومي‬،‫حول مجلة الشركات التجارية‬
5. ‫ ص‬،2004 ،‫ اإلسكندرية‬،‫ دار الفكر الجامعي‬،‫ الطبعة الثانية‬،‫ النظام القانوني الندماج الشركات‬،‫الدين‬
66
La fusion est définie comme étant « la réunion de deux ou plusieurs sociétés pour former une seule société » V. art. 411
CSC. Alors que la scission de la société est définie comme étant l’opération de partage « de son patrimoine entre plusieurs
sociétés existantes ou par la création de nouvelles sociétés » V. art. 428 CSC.
67
Ou bien aux personnes physiques. V. art. 439 CSC.
68
V. art. 443 CSC.
69
V. alinéa dernier de l’article 461 CSC qui dispose que « le groupe de société ne jouit pas de la personnalité juridique ».
70
MERLE (PH), op.cit., p 735. GUYON (Y), op.cit., p 577. Cet auteur ajoute de façon plus générale que la distinction entre
la notion de groupe et celle de groupement se résume en ce qui suit : si la première implique l’existence d’une relation de
subordination entre la société tête du groupe et les autres sociétés membres, la seconde peut être fondée sur une collaboration
égalitaire ou inégalitaire et parfois provisoire entre les entreprises du groupement.

‫ في حين أن تجم{{ع الش{{ركات ال‬،‫يمكن أن نضيف أيضا أن تجمع الشركات يختلف " عن تجمع المصالح االقتصادية الذي يتطلب إقامة مش{{روع مش{{ترك أو اس{{تغالله‬
.‫ أ‬،98 ‫ ص‬،5 ‫ ع{دد‬،2001 ‫ نوفم{بر‬20 ،‫ م{داوالت مجلس الن{واب‬."‫ و إنما يكتفى فيه بوح{دة المص{الح االقتص{ادية‬،‫يقتضي بالضرورة وحدة المشروع االقتصادي‬
.1 ‫ملحق عدد‬
71
VOLTAIRE, discrétionnaire philosophique, 1974. Cité par NACCACHE (A), la notion d’abus et les sociétés
commerciales, mémoire de DEA, Université de Tunis III, 1999-2000, p1.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 9

En plus, l’idée de l’affectio societatis 72 qui constitue une limite aux abus dans le
cadre des sociétés isolées fait défaut dans les groupes de sociétés en raison de l’absence
d’une personnalité morale du groupe.
19- Faire face aux agissements abusifs au sein du groupe de sociétés nécessite le
recours à la notion73 d’abus74 qui est, sans doute, une notion fluctuante, hétérogène et aux
contours incertains ; d’autant plus que la loi n’a pratiquement rien prévu concernant la
définition du concept75. Le recours à la doctrine ainsi qu’à la jurisprudence est donc
inévitable.

20- De prime abord, on peut soutenir que l’abus consiste en tout usage excessif
d’une prérogative légale. En rigueur juridique il signifie « toute action consistant, pour
le titulaire d’un droit, d’un pouvoir ou d’une fonction, à sortir dans l’exercice qu’il en
fait, des normes qui en gouvernent l’usage licite »76.
Selon JOSSERAND, l’abus n’est autre que le détournement que fait le titulaire de
son droit. C'est-à-dire la méconnaissance de la finalité en vertu de laquelle le droit a été
accordé. Autrement dit, l’acte abusif doit être « contraire au but de l’institution, à son
esprit ou à sa finalité77 ».
D’après SALEILLE, l’abus consiste en une intention de nuire à autrui à travers un
exercice anormal de son droit, c'est-à-dire un exercice contraire à la destination
économique et sociale du droit subjectif78.

21- Ainsi définie, la notion d’abus diffère de celle de la faute en ce qu’elle


nécessite l’existence d’un droit, d’un pouvoir ou plus généralement d’une prérogative
72
« Le contrat de société se caractérise par un élément qui lui est propre : la volonté d’union, l’intention d’agir comme
associé ou encore ce qu’il est commun d’appeler l’affectio societatis…(c’est) la volonté de participer aux décision
sociales…(ou encore) l’engagement de l’associé de considérer les affaires sociales comme les siennes propres…l’affectio
societatis suppose que le volonté de chaque associé tende vers la coopération positive sur un pied d’égalité en vue de la
réalisation de l’objet social ». BEN AMMOU (N), cours pré., p 21 et 22. D’après le lexique juridique DALLOZ 2005
l’affectio societatis est l’ « intention, qui doit animer les associés, de collaborer sur un pied d'égalité. L'affectio societatis
implique non seulement un esprit de collaboration mais aussi le droit, pour chaque associé, d'exercer un contrôle sur les actes
des personnes chargées d'administrer la société ». V. également DALY (H), L’affectio societatis dans les sociétés
commerciales, mémoire de DEA, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 1992.
73
Le vocable « notion » est différent du vocable « acception ». En effet, l’acception de l’abus c’est tout simplement la
définition ou encore la signification de l’abus. V. Dictionnaire, LE ROBERT, p 8. Cependant le vocable « notion » a le même
sens que celui de « concept » ou encore de « conception » dans la mesure où tous les trois signifient une idée générale ou
bien une représentation abstraite d’un objet ou d’un ensemble d’objets ayant des caractères communs. Ibidem., p 249 et 853.
‫ ركوب المفازة و قطعها بغير قصد و ال هداية و ال‬: ‫ و العسف‬.‫ و كذلك التعسف و الالعتساف‬،‫ السير بغير هداية و األخذ على غير الطريق‬،‫ العسف‬،‫ " عسف‬74
‫ " المقصود بالتعسف هو‬.206 ‫ ص‬،‫ مركز الموسوعات والكتب‬،3 .‫ ط‬،‫ حرف العين‬،‫ الجزء التاسع‬،‫ لسان العرب‬،‫ ابن منظور‬." ‫توخي صوب و ال طريق مسلوك‬
‫ بينما العم{{ل‬،‫ و العمل التعسفي عمل مشروع في ذاته و لكن معيب في هدفه أو غايته‬...‫ مما يضر بالغير‬،‫استعمال الحق لغير المصلحة أو الهدف الذي شرع من اجله‬
.58 ‫ ص‬،1990 ،1.‫ ط‬،‫ دار النهضة العربية القاهرة‬،‫ تجريم فكرة التعسف‬،‫ هاللي عبد هللا احمد‬."...‫ وهو عمل غير مشروع‬،‫المجاوز للحق يكون خارج نطاقه‬
75
Il existe une définition de l’abus de droit dans l’article 103 COC qui dispose qu’ « il n’y a pas lieu à responsabilité civile
lorsqu’une personne, sans intention de nuire, a fait ce qu’elle avait le droit de faire. Cependant lorsque l’exercice de ce droit
est de nature à causer un dommage notable à autrui et que ce dommage peut être évité ou supprimé, sans inconvénient grave
pour l’ayant droit, il y a lieu à responsabilité civile si on n’a pas fait ce qu’il fallait pour le prévenir ou pour le faire cesser ».
Hormis cet article, inséré sans harmonie dans le cadre de la responsabilité délictuelle, il n’y a aucun texte d’ordre général qui
définit la notion d’abus. En droit civil français, l’abus de droit a été prévu par l’art. 1382 (code civil français, éd. 2005).
76
Vocabulaire juridique, publié sous la direction de CORNU (G), 5éme éd., P.U.F. DELTA, 1996, p 5.
77
JOSSERAND, de l’esprit des droits et de leur relativité, 2éme éd., 1939, n° 292.
78
SALEILLES, Etude sur la théorie générale de l’obligation d’après le premier projet du code civil pour l’empire Allemand,
3éme éd., L.G.D.J., 1925, cité par NACCACHE (A), op.cit., p 5.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 10

juridique dont le titulaire en abusera alors que la faute consiste soit à omettre ce dont on
est tenu de faire, soit à faire ce dont à quoi on est tenu de s’abstenir79.
22- Pareille acception de la notion d’abus semble être plus ou moins paradoxale ;
car, en principe, une prérogative, un droit ou un pouvoir est ou n’est pas. S’il est, on a
alors le droit de l’exercer pleinement et totalement sans réserve aucune. Il ne saurait être
question qu’un tel exercice soit abusif, car dire que l’on en abuse revient à le dénier
purement et simplement. C’est bien là la conception manichéenne du droit à plein
exercice à laquelle adhérent les législations anglo-saxonnes et américaines. D’où le
caractère tatillonne et profondément méticuleux notamment de la législation américaine
en vue de se protéger contre tous les agissements anormaux. C’est tout simplement
l’application de la sacro-sainte règle selon laquelle ce qui n’est pas interdit est forcément
permis. Le droit positif tunisien s’est allié à la conception française pour imposer une
autre règle disant que ce qui n’est pas interdit n’est pas forcément permis 80.

23- Ce faisant, la notion d’abus n’a vu le jour que lorsqu’on a commencé à


reconnaître aux droits subjectifs un caractère relatif. Cette idée est apparue en France dès
la seconde moitié du XIX siècle, mettant ainsi fin à l’influence de la tradition romaine qui
a toujours soutenu le caractère absolu des dits droits81.

24- En droit musulman, la notion d’abus a été clairement consacrée. Il suffit de


consulter le projet Santillana pour s’en apercevoir. En se basant sur ce projet, il est, en
effet, très aisé d’affirmer que la source principale de l’article 103 du COC n’est autre que
le droit musulman82 à travers les deux rites malékite et hanafite83.

25- En droit privé, la notion d’abus a fait tache d’huile 84. Elle a été introduite en
droit civil à travers la théorie de l’abus de droit 85 et en droit pénal à travers l’abus de
confiance86. A son tour, le droit commercial et plus précisément le droit des sociétés a fait
référence à l’abus de droit pour réprimer les agissements illicites des majoritaires et à
l’abus de confiance pour incriminer les abus des dirigeants. Seulement, les limites de ces

79
V. art 82 et 83 COC. Il existe un courant doctrinal très critiqué qui assimile l’abus à une faute dans l’exercice du droit. Voir
à ce propos MAZEAUD et TUNC, traité pratique et théorique de la responsabilité civile, T1, 6éme éd., MONTCHRESTIEN,
n°564. De son coté, le juge tunisien semble parfois négliger la différence entre la faute et l’abus. En effet pour réparer le
dommage résultant de l’abus, la cour de cassation a appliqué les règles de la responsabilité délictuelle telle que prévue par
l’article 82 COC. V. à ce propos Cass. Civ., n° 5876, 4-3-67, RJL, 1969, p665.
80
BARTÉLÉMY (J), COULON (N), EGAL (J), GUIGOU (H), HARDOUIN (M), DEMELLO (X), PETITEAU (G) et
SEURAT (P), Le droit des groupes des sociétés, édition Dalloz, 1991, n° 9588, p 376.
81
PLANIOL ; RIPERT et BOULANGER, traité élémentaire de droit civil, 4éme éd., LGDJ, 1952, p 343.
82
BEN AMMOU (N), essai sur l’abus de droit à travers l’article 103 COC, mémoire de DEA, Faculté de droit et de sciences
politiques de Tunis, 1984, p 8.
83
Ces deux rites ont soutenu l’idée d’après laquelle nul ne peut utiliser son droit dans le seul but de nuire aux tiers. V. à ce
propos FATHI (M), la théorie musulmane de l’abus de droit, thèse, Faculté de droit de Paris I, 1913, p 159.

191.‫ ص‬،‫ اإلسكندرية‬،‫ مؤسسة شباب الجامعة‬،‫ تاريخها و نظرية الملكية و العقود‬:‫ الشريعة اإلسالمية‬،‫بدران أبو العيون بدران‬
‫ ص‬،‫ ب{{يروت‬،‫ دار إحي{{اء ال{{تراث الع{{ربي‬،‫ الج{{زء األول‬،‫ مصادر االل{{تزام‬،‫ نظرية االلتزام بوجه عام‬،‫ الوسيط في شرح القانون المدني‬،‫ ?السنهوري عبد الرزاق‬84
.835
85
V. art. 103 COC précité.
86
V. art. 297 CP.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 11

notions classiques d’abus ont été aussitôt dénoncées par la doctrine 87 qui a prôné
l’application d’une notion d’abus autonome au droit des sociétés. D’où l’apparition des
théories de l’abus de majorité88 ainsi que l’abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des
voix89 qui tiennent parfaitement compte des spécificités du droit des sociétés.
Actuellement la notion d’abus a envahi presque toutes les branches du droit. C’est
le cas, par exemple, du droit de la famille 90, du droit de la concurrence91, du droit
boursier92, du droit fiscal93…Qu’en est-il du droit des groupes de sociétés ?

26- Caractéristique des économies de marché, le groupe de sociétés apparaît


comme un outil extrêmement souple et adaptable aux objectifs et aux contraintes
économiques. Mais si les avantages du groupe de sociétés sont patents et nombreux 94, il
ne faudra pas se leurrer de l’existence d’abus inhérents à cette forme de concentration.
Ces abus concernent essentiellement l’ensemble des partenaires du groupe qui peuvent
subir les influences de son poids économique.
-IV-

87
BEJOT (M), La protection des actionnaires externes dans les groupes de sociétés en France et en Allemagne,
Etablissements Emile Bruylant, Bruxelles, 1976, p 154. BEN NASR (T), Le contrôle du fonctionnement des sociétés
anonymes, EDITIONS 2000, 1994, p 147. SHMIDT (D), Les droits de la minorité dans les sociétés anonymes, Bibliothèque
du droit commercial, Sirey, Paris, 1970, p 176.
88
V. art. 290 CSC pour la SA.
89
Ces abus étaient réprimés par les articles 86 CC pour la SA et 169 CC pour la SARL qui ont été abrogés et remplacés
respectivement par les articles 223 CSC pour la SA et 146 CSC pour la SARL et 158 pour la SUARL. L’abus des biens et du
crédit sociaux a été prévu également pour le liquidateur par l’article 51 CSC.
90
En matière de divorce V. art. 31 CSP al. 3. V. C.A., Tunis, jugement n° 86249, du 25-12-1982, RTD 1984, p 833, note
MEZIOU (K).
91
On peut citer l’exemple de l’abus de position dominante. V. art. 5 (nouveau) tel que modifié par la loi n° 95-42 du 24 avril
1995 ainsi que la loi n° 99- 41 du 10 mai 1999. Cet article dispose qu’ « est interdite également l’exploitation abusive d’une
position dominante sur le marché intérieur ou sur une partie substantielle de celui-ci ».
92
On peut citer l’exemple de l’abus de savoir, appelé également l’abus de marché ou encore le délit d’initié. V. art. 81 de la
loi n° 94-117 du 14 novembre 1994.
93
On peut citer l’exemple de l’abus de droit en matière fiscale. V. art.101 CDPF.
94
Les avantages du groupe de sociétés sont multiples. On peut citer quelques uns : la multiplication des sociétés membres
permet un partage des risques « puisque chaque société a, au moins théoriquement, son propre passif et ne répond, donc, pas
des dettes des autres ». V. GUYON (Y), op.cit., p 626. Le groupe de sociétés assure également une facilité de gestion
certaine. « En déconcentrant les organes de décision tout en centralisant les objectifs, la direction du groupe fixe les buts
qu’il convient d’atteindre, mais laisse à chaque société la liberté dans les moyens d’exécution ». Ibidem. Sur le plan
juridique, la technique de constitution des groupes de sociétés permet de parvenir à une structure souple et adaptable. Il est,
en effet, plus facile de procéder à une prise de participation qu’à une fusion qui nécessite la création d’une seule entité ainsi
qu’une série d’opérations complexes. De même, il semble plus aisé de procéder à une cession de titres pour se désengager
d’une entreprise que d’opérer une scission pour abandonner une partie de l’actif correspondant à l’activité visée. Le recours
aux groupes de sociétés peut être, également, guidé par des motifs fiscaux dans la mesure où les bénéfices réalisés par
certaines filiales peuvent être transférés vers des filiales bénéficiant d’un régime fiscal plus favorable. Celles-ci pouvant être
situées dans des paradis fiscaux. V. VANHAECKE, op.cit., p 6 et s.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 12

27- Certes, une opération de concentration 95 ne va pas généralement sans


bouleverser la situation des actionnaires. Toutefois, c’est la situation des actionnaires
minoritaires qui risque d’être fragilisée par l’appartenance de leur société à un groupe 96.
En effet, au sein d’un groupe de sociétés, des entreprises juridiquement indépendantes
développent leurs activités, non pas d’une manière isolée, mais dans le cadre d’un
ensemble économique soumis à une volonté unique, celle de la société dominante. Une
cohabitation difficile peut alors s’instaurer entre les associés minoritaires des différentes
sociétés liées et les majoritaires du groupe en raison de divergences d’intérêts. Les
premiers souhaitent une rémunération suffisante de leur investissement. Le
développement des autres sociétés du groupe peut leur être tout à fait indifférent, et seule
les intéresse la gestion de la filiale dont ils sont directement associés. Les seconds ont une
vision plus globale, focalisée sur la politique générale ainsi que l’intérêt commun du
groupe. Une telle situation est, sans doute, génératrice d’abus de majorité dans la mesure
où les majoritaires seront tentés d’imposer une politique conforme à leurs intérêts et
contraire à ceux des minoritaires.

28- Dans la pratique, les choses se présentent comme suit : Les opérations entre
sociétés d’un même groupe constituent un fait usuel et très normal. Il peut s’agir
d’opérations industrielles et commerciales 97 ou de prestations de services 98. Ce sont
encore des opérations financières et notamment des opérations de trésorerie 99. Toutes ces
opérations, conclues entre sociétés faisant partie du même groupe, peuvent l’être à des
conditions qui avantagent telle société et désavantagent telle autre. Elles sont donc de
nature à causer préjudice aux partenaires de telle ou telle filiale du groupe qui ne profite
pas de cette péréquation des résultats dont seuls les actionnaires majoritaires sont
bénéficiaires100.

29- Des conflits d’intérêts surgissent également suite aux comportements abusifs
des dirigeants du groupe101. Ces derniers sont souvent tentés « de profiter de leur
95
La concentration est « le processus qui entraîne la formation d’unités économiques de plus en plus larges » comme la
fusion, la création de succursales, le groupe de sociétés…TARDIEU-NAUDET (D), Les créanciers du groupe de sociétés,
thèse, Faculté de droit et des sciences économiques d’Aix, 1973, p6. V. également Lexique juridique, DALLOZ, 2005 où la
concentration est définie, au sens large, comme étant « toute opération juridique tendant à créer une unité de décision entre
des entreprises, dans le but d'en accroître la puissance économique ». Dans un sens plus strict, elle est définie comme étant
toute opération juridique « tendant à créer une unité de décision entre des entreprises soit par la création de liens structurels
modifiant l'identité juridique des entreprises intéressées (fusion), soit par la création de liens financiers laissant subsister
l'indépendance juridique des entreprises en cause (groupe de sociétés) ».
‫مراقب{{ة الترك{{يز‬، ‫ العي{{اري كم{{ال‬5. ‫ ص‬،2004 ،‫ اإلسكندرية‬،‫ دار الفكر الجامعي‬،‫ الطبعة الثانية‬،‫ النظام القانوني الندماج الشركات‬،‫عبد الغني الصغير حسام الدين‬
.143 ‫ ص‬،1999 ‫ فيفري‬،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،‫االقتصادي‬
96
NURIT-PONTIER (L), les groupes de sociétés, ELLIPSES, éd, marketing S.A., 1998, p 72.
97
Ventes consenties par une filiale de production aux filiales de commercialisation.
98
Services fonctionnels de la mère à ses filiales comme, par exemple, un service de recherche aux filiales d’exploitation.
99
Les groupes comportent très souvent une filiale ayant un statut d’établissement de crédit et qui fonctionne comme la
banque du groupe. V. également art 474 CSC qui permet, sous certaines conditions, les opérations financières intragroupe. V.
infra. n° 116 et s.
100
DIDIER (P), Droit commercial, T2, 3ème éd, THEMIS 1993, p 561.
101
LEFEBVRE (F), mémento pratique: groupe de sociétés, éd. FRANCIS LEFEBVRE, 2002, p189 où il affirme que “ faute
de personnalité morale, le groupe n’a pas d’existence que par les sociétés qui le composent. Il n’existe donc pas,
juridiquement, de dirigeants d’un groupe, même si cette expression est souvent employée pour désigner les dirigeants de la

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 13

situation et de s’octroyer … des avantages injustifiés »102. Les dirigeants du groupe sont
aussi enclins à voir dans l’ensemble des sociétés liées un réservoir global d’actif, objet à
un libre usage en fonction des nécessités économiques.

30- Il s’ensuit que les associés minoritaires et les créanciers sociaux se trouvent
quasiment dans la même situation, car tous deux sont exclusivement liés à une société du
groupe et non pas au groupe tout entier, ce qui justifie leur crainte à l’égard des
majoritaires et des dirigeants du groupe qui conduisent, avant tout, une politique tournée
vers l’intérêt commun de l’ensemble et sacrifient, par conséquent, l’intérêt de la société à
laquelle ils appartiennent.
31- In globo, il est légitime d’affirmer que la crainte principale des partenaires du
groupe est que soit conduite par les dirigeants et-ou les actionnaires majoritaires de la
société mère une politique tournée vers l’intérêt général du groupe et qui porte atteinte à
leurs intérêts. Ainsi peuvent-il craindre, par exemple, que les bénéfices d’une société du
groupe ne servent à prendre en charge le passif d’autres sociétés du groupe ou encore que
ces bénéfices ne soient artificiellement détournés au profit de certains membres du
groupe103.
Que l’on n’oublie pas aussi que le groupe de sociétés peut constituer un terrain
favorable pour enfreindre les règles impératives du droit de la concurrence 104 ainsi que
celles du droit fiscal105.

32- En partant de ces diverses précisions, il est plausible de remarquer que la


nécessité de protéger les partenaires d’une société isolée est, de nos jours, une donnée fort
impérieuse. Que dire alors de cette même nécessité au sein des groupes de sociétés qui se
développent généralement à un rythme beaucoup plus accéléré que les sociétés isolées ?
A ce niveau, il apparaît clair, voire urgent, que les partenaires du groupe soient dotés
d’une protection corroborée afin de contourner toute forme d’abus au sein du groupe de
sociétés.

33- Se dégage, ainsi, l’intérêt théorique du sujet, dans la mesure où l’étude de la


notion d’abus dans le groupe de sociétés mettra en exergue les spécificités d’une telle
notion. S’agit-il alors d’une simple transposition au groupe de sociétés de la notion
d’abus telle qu’elle a été conçue pour une société isolée 106 ? Ou bien s’agit-il, au
ou des sociétés qui contrôlent le groupe.”
102
KOLSI (S), le statut des dirigeants de la société anonyme, thèse, Faculté de sciences juridique politique et sociale de
Tunis, 1997, p 441.
103
NURIT-PONTIER (L), op. cit, p 72.
104
V. art 464 CSC. V. infra n° 45 et s.
105
Dans un groupe de sociétés, les bénéfices d’une société (généralement la société mère) peuvent être transférés à une autre
société du même groupe par ce qu’elle est soumise à un taux d’imposition plus favorable ou bien parce qu’elle se trouve
dans un paradis fiscal. V. VANHAECKE (M) op.cit., p 9. V. art. 464 CSC.
‫ يتم هذا االجتذاب بتحويل اكبر قدر ممكن من األرباح‬.‫" يتحقق التهرب الضريبي باجتذاب العائدات الضريبية لبلد ما نحو بلد آخر تمركزت فيه شركة الهولدنغ‬
.373 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬،‫ مزيحم ماجد‬."‫المتحققة في بلد تكون فيه الضريبة مرتفعة إلى بلد آخر تكون فيه الضريبة أخف‬
106
La société isolée est toute société dont l’activité, la politique et la structure économique sont organisées et conçues en
fonction de son intérêt et de ses possibilités. C’est la société qui n’est soumise à aucun contrôle extérieur. A contrario, la
société dépendante ou bien contrôlée ou encore affiliée est une société juridiquement autonome sur laquelle une autre société,
qui est la société dominante, exerce un contrôle prédominant. V. OMMESLAGHE (V), Les groupes de sociétés : Rapport à la

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 14

contraire, d’une notion autonome devenue ou tendant à devenir propre au groupe de


sociétés ?
De surcroît, l’intérêt pratique du sujet se vérifie avec une aisance déconcertante. Il
suffit de rappeler que les intérêts en péril ne sont pas ceux des actionnaires minoritaires
ou bien des créanciers du groupe seulement. En effet, le groupe de sociétés intéresse
aujourd’hui « l’économie générale du marché »107. L’intérêt, tant des actionnaires que des
tiers108 commande l’organisation d’une protection efficace des partenaires du groupe. Une
telle protection est de nature à empêcher toute sorte d’abus dans le groupe de sociétés ce
qui lui assurera une prospérité ainsi qu’une pérennité certaine.
34- Le groupe de sociétés constitue, désormais, une vérité du monde des affaires
que les législations commerciales ne peuvent plus méconnaître. Ce phénomène
concentrationnaire permet de repenser le délicat problème de la notion d’abus.
Appliquée au groupe de sociétés, cette notion met le législateur face à deux défis
plus ou moins opposés : D’une part, il s’agit de promouvoir le groupe de sociétés
considéré, actuellement, comme étant la pierre angulaire de tout système économique et
par conséquent alléger la responsabilité de ses dirigeants et donc limiter le domaine de la
notion d’abus. D’autre part, il faudra trouver les outils juridiques adéquats pour parer aux
agissements portant atteinte aux divers intérêts en présence, essentiellement ceux des
créanciers, des associés minoritaires et surtout ceux du groupe lui-même. Autrement dit,
le rôle du législateur est d’apporter à ceux qui risqueraient d’être écrasés par le groupe
une protection, qui tout en étant efficace, ne compromet ni la constitution ni le
fonctionnement du groupe de sociétés.
Il s’agit, dés lors, de se demander dans quelle mesure le législateur a-t-il réussi, à
travers l’encadrement juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés, le
rapprochement entre l’impératif de promotion et celui de contrôle et de protection ?

35- Dans ce cadre bien précis, la mission du législateur s’avère très délicate. En
effet, il ne s’agit pas seulement de suggérer au législateur de réprimer tout agissement
abusif quel qu’en soit le mobile ou l’intention, car toute solution de ce genre risque de
freiner toute initiative d’investissement dans le cadre du groupe de sociétés. Il
conviendrait plutôt de chercher les moyens juridiques susceptibles d’endiguer les causes
du mal pour pouvoir ensuite maîtriser autant que possible les manifestations de la notion
d’abus. Pour ce faire, il faudra partir de l’idée incontestable que le groupe de sociétés
constitue un terrain fertile pour l’apparition d’une notion d’abus plurale et protéiforme ce
qui impose l’étude de sa détermination (première partie) et l’analyse du régime juridique
qui la distingue (deuxième partie).

C.E.E., Revue Pratique de sociétés, 1965, p 13.


107
SCHMIDT (D), op. cit, p 13.
108
Par exemple l’Etat, les clients du groupe, les fournisseurs…

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Introduction 15

Première partie : La détermination de la notion d’abus dans le groupe


de sociétés

Deuxième partie : Le régime spécifique à la notion d’abus dans le


groupe de sociétés

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


La détermination de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 16

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


La détermination de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 17

PREMIERE PARTIE
La détermination de la notion d’abus dans le
groupe de sociétés

36- Le groupe de sociétés a été déjà défini 109 comme étant un ensemble de
sociétés ayant chacune sa personnalité juridique, mais liées par des intérêts communs en
vertu desquels l’une d’elles, dite société mère, tient les autres sous son pouvoir de droit
ou de fait et y exerce son contrôle assurant une unité de décision.

109
V. art. 461 CSC précité, supra n° 19 et 20.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


La détermination de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 18

Il en découle que la formation d’un groupe de sociétés suppose nécessairement


l’existence de deux éléments spécifiques au groupe : un intérêt commun à toutes les
sociétés groupées et un contrôle exercé par la société mère.

37- En effet, toute opération de concentration passe automatiquement par


l’établissement d’un contrôle permettant l’unité économique des sociétés groupées110.
Le contrôle est donc une caractéristique fondamentale de la concentration sous forme de
groupe de sociétés111.
De même, parler du groupe de sociétés revient, en réalité, à invoquer l’intérêt
commun du groupe. En effet, c’est au tour de cet intérêt que s’articule toute activité au
sein du groupe de sociétés.
Par conséquent, toute réflexion sur le groupe de sociétés devra nécessairement
passer par ces deux éléments capitaux du groupe sous peine d’être qualifiée
d’insuffisante et de non concluante.
Ainsi, il semble très logique que la réflexion concernant la détermination de la
notion d’abus dans le groupe de sociétés soit appuyée aussi bien sur le critère de
contrôle (Chapitre premier) que celui de l’intérêt commun du groupe (Chapitre
deuxième).

Chapitre premier : la détermination de la notion d’abus à


travers le critère de contrôle

Chapitre deuxième : La détermination de la notion d’abus à


travers l’intérêt commun du groupe

110
CHAMPAUD (C), dictionnaire permanent du droit des affaires, déf. « Contrôle », n° 25.
111
BEL HAJ YAHIA (B), thèse pré., p 132.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 19

Chapitre premier :
La détermination de la notion d’abus à travers le
critère de contrôle

38- Dans sa conception traditionnelle, le contrôle désigne, en droit des sociétés, le


droit de surveillance ou encore le droit des associés de contrôler la gestion de la société.
Selon la nouvelle conception, le contrôle est synonyme du pouvoir exercé par une société
ou par une personne physique sur une autre personne morale. « Contrôler une société
c’est détenir le contrôle des biens sociaux, de telle sorte que l’on soit maître de l’activité
économique de l’entreprise sociale112 ».
C’est le concept de contrôle en tant qu’affirmation d’un pouvoir qui doit retenir
l’attention dans le cadre de cette recherche.

39- Ce contrôle113, élément caractéristique du groupe de sociétés, est mis en


exergue chaque fois que la notion d’abus est évoquée. En effet, le « contrôle pouvoir »
intervient pour disqualifier les abus ou bien, au contraire, pour les créer. D’où
l’interdépendance entre le concept de « contrôle-pouvoir » et la détermination de la
notion d’abus dans le groupe de sociétés. Pour s’en convaincre, il suffit d’étudier l’impact
du critère de contrôle sur la détermination de la notion d’abus en matière de concurrence
(section première), pour voir ensuite son incidence au diapason de la détermination de la
notion d’abus de la personnalité morale (section deuxième).

112
CHAMPAUT (C), Le pouvoir de concentration de la société par actions, éd. Sirey, Paris, 1962, n° 184, p161.
113
Le contrôle se traduit dans la pratique par l’intervention de la société mère dans la vie de la filiale ou de la société
contrôlée et il peut se concrétiser par deux moyens. D’une part, un contrôle financier ou patrimonial qui se réalise par la
détention d’une fraction importante du capital de la filiale ou de la société contrôlée, conférant à la société mère la majorité
des droits de vote dans l’assemblée générale de celle-ci. D’autre part, un contrôle directorial qui se concrétise par la
participation de la société mère à la direction de la filiale ce qui lui permet de maîtriser son conseil d’administration.
CONTIN (R), La cession de contrôle d’une société, JCP, II, 1969, doctrine, n°2287. FRISON-ROCHE (M-A), La prise de
contrôle et les intérêts des associés minoritaires, RJC, 1998, p94. PEYREVALDE (J), Contrôler sans argent emprunter sans
surface, Revue Banque., 1985, p773. MALAN (F), Le rachat des actions minoritaires dans les opérations de prise de contrôle
des sociétés, JCP, I, 1972, doctrine, n°2450. NUSSENAUM (M), Prime de contrôle, décote de minorité et d’illiquidité, RJC,
1998. OPPETIT (B), La prise de contrôle d’une société au moyen d’une cession d’actions, JCP, II, 1970, doctrine, n°2287.
OPPETIT (B) ET SAYAG (A), Méthodologie d’un droit des groupes des sociétés, RS, 1973, p577. ETTIJANI (M), La prise
de contrôle d’une société par voie de cession d’actions, édition MASSON, 1980, p103. VANHACKE (M), Les groupes de
sociétés, édition LGDJ, 1959, p31. CHAMPAUD (C), op. cit., n° 104, p104. V. MELKI (H), La société filiale, Mémoire de
DEA, Faculté de droit et des sciences politique de Tunis, 2002-2003, p56.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 20

Section première :
Le critère de contrôle et la détermination de la
notion d’abus en droit de la concurrence

40- « Le groupe de sociétés ne peut avoir de finalité contraire à la loi, telle que…
l’atteinte aux règles de la concurrence »114. Cette disposition légale dénote la méfiance
du législateur à l’égard du groupe de sociétés qui, de part sa définition même, devrait
permettre d’éluder l’application de certaines règles contraignantes notamment celles de la
libre concurrence.

41- Ayant pour finalité l’instauration d’une concurrence loyale, dépourvue de toute
pratique anticoncurrentielle consistant notamment dans les ententes illicites et les abus de
position dominante, le droit de la concurrence ne pourrait rester indifférent face au
phénomène de concentration économique.
En effet, le groupe de sociétés peut, sous l’effet du contrôle exercé par la société
mère, neutraliser les règles de la concurrence. C’est pour cela que toute réflexion sur la
détermination de la notion d’abus sera incomplète si elle n’est pas suivie par l’examen de
l’impact du groupe sur les abus en droit de la concurrence. D’autant plus que cet impact
se présente sous deux formes plus ou moins paradoxales. En effet, le groupe de sociétés,
caractérisé essentiellement par le contrôle de la société mère, constitue en tant que tel un
facteur d’exclusion de la notion d’abus en droit de la concurrence (paragraphe premier).
Il n’en reste pas moins qu’il demeure un facteur de réception de cette notion (paragraphe
deuxième).

114
V. art. 464 CSC qui consacre aussi la règle selon laquelle le groupe de sociétés ne doit pas avoir pour finalité la fuite de
l’impôt. Concernant le droit de la concurrence, la règle prévue dans cet article constitue une application particulière aux
groupes de sociétés de la règle générale posée dans l’article 409 al. dernier du même code en vertu de laquelle « les
opérations de fusion, de scission, de transformation ou de regroupement sont interdites lorsqu’elles visent…la réalisation
d’un des objectifs prohibés par les art. 5, 6,7 et 8 de la loi sur la concurrence et les prix ».

‫" من المعلوم لدى دارسي الق{انون واالقتص{اد أن تجم{ع الش{ركات أض{حى الص{يغة المثلى الخ{تراع ص{يغ ووض{عيات من ش{انها أن ت{ؤدي إلى أش{كال من الته{رب‬
‫ و ل{ذلك تم الح{رص على أن يتض{من‬،‫ وهو صيغة مميزة إلقامة تكتالت بامكانها التأثير بش{كل كب{ير على حري{ة المنافس{ة بحكم مال{ه من حجم م{الي معت{بر‬،‫الجبائي‬
‫ ح{{تى في وج{{ود نص{{وص‬،‫المشروع اإلشارة بشكل صريح إلى منع قيام تجمع الشركات لتحقيق أهداف مخالفة للتشريع الجب{{ائي و للق{{انون المتعل{{ق بحري{{ة المنافس{{ة‬
.1 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،100 ‫ ص‬،5 ‫ عدد‬،2001 ‫ نوفمبر‬20 ،‫ مداوالت مجلس النواب‬،"‫أخرى تمنع هذه الممارسات‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 21

-§1 : le critère de contrôle, facteur exclusif de la notion


d’abus

42- Le critère de contrôle intervient, à ce niveau, pour disqualifier les abus en droit
de la concurrence. En effet, telle qu’elle a été conçue pour une société isolée, la notion
d’abus se trouve exclue dans le cadre des groupes de sociétés.
Cette disqualification peut facilement se vérifier en matière d’ententes abusives qui
sont réglementées par l’article 5 de la loi n° 91-64 du 29 juillet 1991 relative à la
concurrence et aux prix. D’après cet article « sont prohibées les actions concertées et les
ententes expresses ou tacites visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la
concurrence sur le marché… » Ce texte sanctionne les ententes aussi bien horizontales 115
que verticales116 entre des entreprises opérant sur le même marché ainsi que toutes
pratiques concertées ayant pour objet ou pour finalité de limiter l’accès de nouveaux
compétiteurs au marché ou bien de maintenir sur celui-ci certains opérateurs seulement.
Néanmoins, dans le groupe de sociétés, une entente intervenue entre une société
mère et sa filiale, ayant pour but de fausser le jeu de la concurrence dans le groupe peut
être aisément disqualifiée par le jeu du critère du contrôle qui fait perdre à la notion
d’ententes abusives117 ses éléments constitutifs qui sont, d’une part, le concours de
volontés (A) et, d’autre part, l’autonomie des parties (B).

A- le concours de volontés

43- L’entente, définie comme étant un concours de volontés entre entreprises


suffisamment indépendantes les unes par rapport aux autres pour pouvoir décider de
manière autonome de leur comportement sur le marché, exige en principe un concours de
volontés. Ce concours se présente généralement comme étant une adhésion de deux ou
plusieurs entreprises à une entente tendant à restreindre la concurrence ou dont la
réalisation est tout simplement susceptible de consommer cette finalité 118. Autrement dit,
« il ne peut y avoir d’entente que là où il y a volontés communes de restreindre la
concurrence 119».
Cette idée a été clairement affirmée par la commission de concurrence française
qui a expressément souligné que « toutes les ententes supposent un concours de volontés
quelle que soit la forme de cet accord, même s’il ne se formalise pas réellement120. La
115
C'est-à-dire entre des entreprises ayant la même activité.
116
C'est-à-dire entre fournisseur et client.
117
L’entente n’est pas une pratique anticoncurrentielle par nature, mais plutôt par son résultat et son effet nuisible sur le
marché. D’où la distinction entre ententes licites et ententes illicites. V. GUIGA (J), Le droit tunisien de la concurrence à
l’ère de la mondialisation, Centre de publication universitaire, 2002, p 85 et s. KOSSENTINI (W), le droit des groupes et le
droit de la concurrence, E.J., n° 10, 2003, p 338.
118
BOUTARD-LABARDE (M-C), Droit français de concurrence, L.G.D.J., Paris, 1994, p38.
119
SCHAPIRA (J), LE TALLEC (G) et BLAISE (J-B), Droit européen des affaires, P.U.F., 1992, p249.
120
La forme du concours de volontés importe peu. L’entente peut être écrite, il s’agira alors d’une convention. Comme elle
peut être non écrite, il s’agira, dans ce cas, d’une action concertée. L’action concertée est « une forme de coordination entre

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 22

démonstration ou la conviction qu’il y a eu un concours de volontés … est une condition


absolue de toute incrimination121 »

44- La nécessité d’un concours de deux ou plusieurs volontés va exclure du champ


d’application de l’article 5 susvisé les relations intra groupe. On ne saurait, en effet, voir
une entente se réaliser dans les rapports liant la société mère à ses filiales dès lors que ces
dernières sont dépourvues de volontés réelles dans la détermination de leurs stratégies
d’action sur le marché. Ainsi pour exercer une influence sur les conditions de la
concurrence, l’entente devra nécessairement se baser sur un concours de deux ou
plusieurs volontés distinctes les unes des autres. Ce qui n’est aucunement le cas du
groupe de sociétés qui, à travers le contrôle exercé par la société mère, aboutit à une unité
de décision et de stratégie économique.
C’est pour cette raison que la commission européenne de la concurrence tient pour
acquis, à propos du groupe de sociétés, que « la simple répartition des tâches à
l’intérieur d’une même unité économique ne pouvait être assimilée à un contrat122 ».

45- En plus, la filiale est considérée comme étant dépourvue de volonté chaque fois
qu’elle n’a pas de volonté propre. C’est le cas notamment lorsque le capital ou les postes
d’administrateurs sont détenus en majorité par la société mère.
En réalité, exclure le groupe de sociétés du champ d’application de l’article 5
précité, s’explique par le simple fait que dans un tel groupe, il n’y a pas plusieurs
volontés, mais plutôt une seule, celle de la société mère.

46- Ainsi, le contrôle exercé par la société mère sur les sociétés groupées, fait
perdre à l’entente l’un de ses éléments caractéristiques qui n’est autre que l’existence
d’au moins deux volontés. De même, le contrôle écarte automatiquement le deuxième
élément constitutif de cette entente, à savoir l’autonomie des parties.

B- l’autonomie des parties à l’entente

entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une
coopération pratique entre elles au risque de la concurrence. » C.J.C.E., affaire « matière colorante », 14-7-1972, Rec. 1972,
p619. Cité par KAOUTHER (J), le droit de la concurrence et la répression des abus de la liberté, mémoire de DEA, Faculté
des sciences juridique, politique et sociale de Tunis, 1996, p97.
121
V. Rapport de la commission de concurrence française, 1980, p223.
122
Décision KODAC du 30-10-1970, RTD.Eco.., 1972, p584.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 23

47- Pour qu’il y ait entente, les entreprises concernées doivent être autonomes,
c'est-à-dire indépendantes les unes des autres. L’indépendance juridique ne suffit pas,
encore faut-il qu’elles soient indépendantes économiquement. A juste titre, un auteur a
souligné qu’une entente « ne peut être constituée qu’entre entreprises suffisamment
indépendantes les unes par rapport aux autres pour décider de leur comportement sur le
marché de façon autonome »123.

48- Rappelons que le groupe de sociétés a été légalement défini comme étant un
ensemble de sociétés ayant chacune sa personnalité juridique mais liées par des intérêts
communs, en vertu desquels l’une d’elles, dite société mère, tient les autres sous son
pouvoir de droit ou de fait et y exerce son contrôle, assurant ainsi une unité de décision.
A travers cette définition, le législateur semble implicitement admettre l’impossibilité
d’appliquer les dispositions de l’article 5 sus mentionné aux entreprises qui se trouvent
sous le contrôle d’une même société mère. On en déduit qu’un accord entre une société
mère et sa filiale, qui ne dispose pas d'une autonomie réelle dans la détermination de sa
ligne d'action sur le marché, n'entre pas dans le champ d'application de cet article. Un tel
accord a simplement pour objet l'organisation interne du groupe, et ne peut donc
constituer une entente qui, par définition, coordonne le comportement sur le marché des
entreprises parties à l'accord124.

49- C’est dans ce sens que la jurisprudence communautaire déclare, depuis l’arrêt
125
Viho , qu’il y a lieu d’exclure la notion d’abus lorsque la filiale n’a aucune
autonomie126. C’est pourquoi tout accord par lequel une société mère interdit à ses filiales
de livrer des produits à des clients situés dans d’autres Etats de l’union européenne,
conduisant à un cloisonnement des marchés, échappe à la notion d’abus. La société mère
et sa filiale constituent une unité économique dès lors que la filiale se contente
d’appliquer les instructions de sa mère qui la contrôle 127. En outre, « la circonstance
qu’une filiale ait une personnalité morale distincte ne suffit pas à écarter la possibilité
que son comportement soit imputé à la société mère, lorsque la filiale ne détermine pas
son comportement de façon autonome128 ».
En réalité, l’exclusion de l’article 5 susvisé dans les rapports intra groupe pourrait
s’expliquer par le défaut d’autonomie économique d’une filiale ou bien d’une société
contrôlée et qui ne cadre nullement avec la possibilité de concurrence entre elle et la
société mère129.

123
KOSSENTINI (W), op.cit., p339 et 340.
124
Cons. conc. F., déc., n° 02-D-67, 7 nov. 2002, Stés Jean Chapelle et autres, BOCC 28 févr. 2003, p. 165. Cons. conc. F.,
n° 03-D-07, 4 févr. 2003.
125
C.J.C.E., 24 octobre 1996, Viho Europe, Rec. 5482. Cité par MALAURIE-VIGNAL (M), Droit de la concurrence, 2éme
édition, ARMAND COLIN, 2003, p158.
126
L’autonomie juridique étant vérifiée, c’est l’autonomie économique qui est visée.
127
MALAURIE-VIGNAL (M), op.cit., p158.
128
Ibidem., p159
129
KAOUTHAR (J), op.cit., p 92.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 24

50- Mais si le critère de contrôle parait toujours nécessaire pour éluder


l’application de l’article 5 susmentionné, il apparaît très douteux que la condition soit
suffisante ; encore faut-il que ce contrôle soit effectif 130. Aussi, on peut soutenir qu’une
telle condition semble vérifiée chaque fois qu’il est établi que la politique générale dans
laquelle s’inscrit l’accord émane effectivement de la société mère qui, à travers sa
puissance dans le marché ainsi que la détention de postes d’administrateurs dans la
société fille, est en mesure de contrôler les décisions de gestion importantes de cette
dernière.

51- Sans aller jusqu’à attribuer à la Commission de concurrence européenne, ni à la


Cour de justice l’affirmation que les rapports contractuels entre une société mère et sa
filiale peuvent être constitutifs d'une entente, on peut dire que leur jurisprudence laisse
ouverte une telle possibilité dans l'hypothèse où à l'intérieur d'un groupe de sociétés,
particulièrement décentralisé, la filiale concernée détient effectivement le pouvoir de
déterminer de manière autonome son comportement sur le marché. Dans ce cas, cette
filiale mérite d'être qualifiée d'entreprise au sens du droit de la concurrence 131.
Ainsi, des sociétés appartenant à un même groupe sont de nature à constituer une
entente entre elles dès lors qu'elles peuvent être regardées comme disposant de
l'autonomie de gestion et de la liberté commerciale, quels que soient par ailleurs les
détenteurs de leur capital.
Sur cette base, le Conseil de la concurrence français a souvent appliqué le droit des
ententes aux relations entre sociétés mères et filiales d'un même groupe lorsque ces
sociétés choisissent de se concurrencer en proposant des offres distinctes 132.

52- C'est donc à partir du critère de contrôle qu'est réglée, en droit du groupe de
sociétés, la question de la détermination de la notion d’abus en matière de concurrence.
En effet, en disqualifiant les ententes abusives, le critère de contrôle met à l’écart la
notion d’abus telle que conçue pour les sociétés isolées. Mais si les ententes intra groupe
débordent les frontières de la notion d’abus, il n’en va pas de même pour d’autres abus
relatifs au droit de la concurrence où le critère de contrôle semble être un facteur réceptif
plutôt qu’exclusif.

130
M. KOSSETINI ajoute que l’exclusion de la notion d’abus n’est fondée que si les accords en question se bornent à régir
les rapports internes du groupe. A contrario, c'est-à-dire si l’accord introduit des restrictions pour des tiers, en mettant des
obstacles à leurs possibilités de commerce et de concurrence, il n’échappera pas à l’interdiction de l’article 5 précité. IN,
art.pré., p341.
131
Une entité économique ne peut être qualifiée d'entreprise que si ses organes dirigeants sont à même de déterminer
librement une stratégie industrielle, financière et commerciale pleinement autonome (Cons. Conc F., déc., n° 99-D-57, 12 oct.
1999, BOCC, 31 mars 2000, p. 188). De même un groupe de sociétés constitue une entreprise unique lorsque les sociétés
groupées sont toutes soumises à la stratégie industrielle, financière et commerciale des organes dirigeants du groupe ( Cons.
conc. F, déc., no 98-D-52, 7 juill. 1998, BOCC, 7 oct. 1998, p. 582).
132
Cons. conc. F, 24 et 25 oct. 1989, BOCC, 8 nov. 1989, p 200. CA Paris, 4 juill. 1990, Gaz. Pal. 1990.2, somm., p429 et s.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 25

-§2 : le critère de contrôle, facteur réceptif de la notion


d’abus

53- Le conseil de la concurrence tunisien n’a pas hésité, à affirmer, à maintes


reprises que « l’existence d’un groupe de sociétés n’est pas de nature à exonérer les
sociétés y faisant partie du respect des principes organisant la concurrence133 ». C’est le
cas notamment de l’abus de position dominante (A), ainsi que l’abus de dépendance
économique (B).

A- Le contrôle, facteur réceptif de l’abus de position


dominante

54- Le développement de l’économie tunisienne, ces dernières années, a incité le


législateur à édicter des dispositions destinées à régir les situations résultant de la
puissance économique de certaines sociétés et surtout des groupes de sociétés qui
constituent, aujourd’hui, une source inépuisable d’abus, notamment en matière de
concurrence. C’est ainsi qu’a été introduite en Tunisie la notion d’abus de position
dominante, expressément prohibée par l’article 5 (nouveau) de la loi n° 91-64 du 29
juillet 1991134. Cet article, en dépit de sa clarté, n’apporte aucune précision concernant la

.2 ‫ ملحق عدد‬.‫ ْأ‬.38 ‫ ص‬،2003 ،7 ‫ التقرير السنوي عدد‬،2142 ‫ قضية عدد‬،2003 ‫ سبتمبر‬25 ،.‫ م‬.‫ م‬133
134
Telle que modifiée par la loi n° 42 du 24 avril 1995 ainsi que la loi n° 41 du 10 mai 1999 précitées, V. supra. note 38, p 5.
Cet article dispose qu’ « est interdite également l’exploitation abusive d’une position dominante sur le marché intérieur ou
sur une partie substantielle de celui-ci ».

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 26

détermination de la position dominante 135 ou des personnes responsables136. Il n’en


demeure pas moins que la position dominante peut émaner aussi bien d’une société isolée
que d’un groupe de sociétés137.

55- Dans ce sens, les spécificités du droit de la concurrence imposent l’utilisation


des termes « entreprise 138» et « groupe d’entreprises », pour la simple raison qu’il s’agit
de notions plus larges qui permettent de faire face à toute sorte d’abus en matière de
concurrence.
Cela rappelle la démarche du conseil de la concurrence tunisien, chaque fois qu’il
est saisi d’une affaire traitant d’un groupe de sociétés. Le conseil commence, en effet, par
donner la définition du groupe conformément à l’article 461 CSC. Ensuite, il précise le
fait que l’appartenance des sociétés au groupe ne leur permet pas d’éluder les principes
de la concurrence, en se basant sur l’article 464 CSC. Il rappelle aussi que malgré la
reconnaissance, par le droit de la concurrence, de l’existence des groupes de sociétés, il
tient compte d’une notion plus large, celle de « groupe d’entreprises ». Le conseil de la
concurrence ajoute, enfin, que le groupe d’entreprises constitue une position dominante
collective, chaque fois que les entreprises y appartenant parviennent, grâce à leurs
relations organiques ou financières ainsi qu’à la stratégie et la complémentarité
caractérisant la politique du groupe, à adopter une tactique unique sur le marché qui peut
être imposée aux concurrents, aux clients et aux consommateurs, selon la seule volonté
du groupe139.
135
Selon M. AZEMA, « la domination est une situation de fait qui doit être constatée sans égard aux conditions dans
lesquelles l’entreprise a été amenée à l’exercer. La position dominante est une notion relative qui conduit à apprécier la
situation d’une entreprise par rapport à un marché ». In, Le droit français de la concurrence, P.U.F., 1981, p328. On en
déduit que deux éléments sont nécessaires pour constituer la position dominante, source éventuelle d’abus : un marché
susceptible d’être dominé ainsi que la domination de ce marché. En effet, L’article 5 (nouveau) exige que la position
dominante soit détenue « sur le marché intérieur ou sur une partie substantielle de celui-ci ». Dans cette formulation, la notion
de marché est, semble-t-il, entendue dans un sens essentiellement territorial. Il peut donc s’agir d’un marché régional ou
même local. A coté de l’acception géographique, il existe une autre acception du marché mais cette fois-ci économique,
d’après laquelle le marché est le lieu sur lequel se confrontent l’offre et la demande de produits ou de service qui sont
considérés par les acheteurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens ou services offerts.
Quant à la domination du marché, elle peut résulter de plusieurs facteurs comme la part du marché qui est le critère principal
de la domination. Il existe également des critères accessoires tels que les barrières à l’entrée entravant l’accès au marché pour
de nouveaux concurrents ou encore l’absence de concurrence potentielle. AZEMA (J), op.cit., p328. V. également
JAIDANE (R), L’abus de domination économique en droit tunisien et en droit français, RTD, 2000, p 257.
‫ ال{ذي ورد ب{ه " أن‬2002-12-19 ‫ بت{اريخ‬2135 ‫عرف مجلس المنافسة مركز الهيمنة على السوق في العديد من القرارات أهمه{ا الق{رار الص{ادر في القض{ية ع{دد‬
‫وجود مؤسسة في مركز هيمنة على السوق ال يتحقق إال متى كانت تلك المؤسسة تملك قدرا من القوة االقتصادية التي تمنحها استقاللية التصرف و التعامل مع الحر‬
‫ بكيفية تجعلها قادرة على فرض شروطها و‬،‫فاء و المنافسين و المستهلكين وفقا إلرادتها المنفردة دون الخضوع إلى ضغوطات السوق و متطلباتها في قطاع معين‬
‫ و ذلك بحكم أهمية نصيبها منه أو تفوقها التكنولوجي أو أسلوبها التجاري أو مواردها المالية‬،‫التحكم في آليات السوق و التأثير الجذري على وضعية المتعاملين فيها‬
.42 ‫ ص‬،2003 ،‫ التقرير السابع لمجلس المنافسة‬.‫ أ‬."‫أو تمركزها الجغرافي‬
136
JOINI (K), op.cit., p63.
137
GUIGA (J), op.cit., p 96.
Il peut y avoir des positions dominantes collectives à l’exemple des sociétés TARDI, SICOB et l’Office National de la Vigne
dans l’affaire Union Centrale des Coopératives Viticoles contre les sociétés précitées (1). C’est également le cas des sociétés
Mornag Ezzahra, Jenan et le Coq dans l’affaire POULINA (2). V. JAIDANE (R), art.pré., p 249.
.18 ‫ ص‬،1997 ،‫ التقرير السنوي لمجلس المنافسة‬،1997-07-10 ‫ مؤرخ في‬،1997-7 ‫ قرار عدد‬، .‫م‬.‫ م‬-1-
.87 ‫ ص‬،1997 ،‫ التقرير السنوي لمجلس المنافسة‬،1994-3-12 ‫ مؤرخ في‬،1994-2 ‫ قرار عدد‬،.‫ م‬.‫ ل‬-2-
138
A propos de la définition de la notion d’ « entreprise » en droit de la concurrence, V. GUIGA (J), op.cit., p 50 et s.

‫ في هذا القرار أشار مجلس المنافسة إلى أن " تعري{ف تجم{ع المؤسس{ات ال يقتص{ر على الش{ركات خفي{ة االس{م‬.133 ‫ الهامش عدد‬.‫ أ‬،‫ القرار سابق الذكر‬،.‫م‬.‫ م‬139
‫ بل أن ينسحب على جميع أصناف الشركات مهما كان شكلها و على األشخاص الطبيعيين وكل الذوات التي تمارس نشاطا اقتصاديا يتعلق باإلنتاج أو التوزيع‬،‫وحدها‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 27

Ainsi, une domination exercée par un groupe d’entreprise, sera réputée « l’œuvre
d’une entité unique ayant un seul centre de décision et, par conséquent, la position
dominante est assurée, individuellement, par le groupe, et non individuellement, par
chaque entreprise »140.

56- Dans le même sens, la jurisprudence de la commission de concurrence


française fournit nombre d’exemples où la position dominante collective résulte de
l’addition du pouvoir de marché d’une société mère et de ses filiales. Ainsi dans son avis
du 22 avril 1966141, la commission déclare que « considérant qu’il résulte de l’instruction
que la société anonyme PHILIPS, dont le siége est à EINDHOVEN (Pays-Bas), détient
98% de la compagnie française Philips ; que celle-ci est ainsi un simple organe de la
société mère, laquelle, en raison de sa puissance industrielle et financière, a été et est
encore par l’intermédiaire de sa filiale française l’élément directeur en France de la
branche d’activité dont il s’agit ; que, dans ces conditions, le groupe PHILIPS, sans
détenir un véritable monopole, réalise cependant une concentration manifeste de la
puissance économique et occupe, à lui seul une position dominante sur le marché
intérieur…»142.

57- Dés lors, il est à noter que dans le groupe de sociétés, la position dominante
résulte de la puissance économique de l’ensemble due au contrôle exercé par la société
mère sur les filiales et les sociétés contrôlées. Les liens financiers étant insuffisants, il
faut qu’il y ait, en plus, un contrôle effectif qui traduit « une volonté commune de
pratiquer une politique commerciale ou d’approvisionnement coordonnée143 ».

‫ اعت{{بر المجلس أن{{ه " يمكن لتجم{{ع المؤسس{{ات ال{{ذي س{{بق ش{{رحه‬،‫ وعلى أساس ذلك كل{{ه‬."‫ أو التي تحشر نفسها فيه سواء كان وجودها فعليا أو قانونيا‬،‫أو الخدمات‬
‫ وبفض{ل التنس{يق و‬،‫ بحكم العالق{ات الهيكلي{ة أو المالي{ة ال{تي ترب{ط بينه{ا‬،‫ أن يتحول إلى مركز هيمنة جماعي كلما كانت المؤسسات المكونة له تملك مجتمعة‬،‫أعاله‬
‫ تس{{تطيع فرض{{ه على المنافس{{ين و الح{{ر ف{{اء و المس{{تهلكين وفق{{ا إلرادته{{ا‬،‫ القدرة على تبني موقف موحد تجاه الس{{وق‬،‫التكامل الذي تتوخاه في سياستها االقتصادية‬
‫ شريطة أال تكون تلك العالقة قد بلغت درجة االندماج الكلي التي يجوز معها اعتبار تلك المؤسسات ذات واحدة وفقا للمعيار االقتصادي بحيث تصبح وض{{عية‬،‫وحدها‬
,53 ‫ و‬52 ‫ ص‬،2003 ،‫ التقرير السابع لمجلس المنافسة‬.‫ أ‬."‫الهيمنة عندها فردية وليست جماعية‬
140
BLAISE (J-B), La concentration économique, Guide juridique, DALLOZ, T. II, 1985, p37. Cité par BEN ABDELKARIM
(W), L’abus de position dominante, mémoire de DEA, Faculté de droit de Sousse, 1997-1998, p31.
141
Avis du 22 avril 1966, Entente dans l’industrie des lampes électriques, J.O. DOC. ADM., 1967, p498. Cité par BRUST (J-
J) et KOVAR (R), Droit de la concurrence, ECONOMICA, 1981, p286.
142
On peut citer également une affaire non moins importante où le conseil français de la concurrence a considéré que la
fédération internationale de football Association (FIFA) et le comité français d’organisation de la coupe du monde (CFO)
détenaient ensemble, lors de la coupe du monde du football de 1998, une position dominante collective sur le marché des
billets destinés à la confection de forfaits touristiques à l’occasion de cette épreuve sportive. Le conseil a relevé d’une part de
nombreux liens structurels entre la FIFA et le CFO, puisque le CFO avait été crée par le FIFA qui en était membre de droit,
d’autre part, l’existence des dispositions du règlement de la coupe du monde prévoyant une répartition des recettes brutes des
matches entre ces deux organismes et les associations nationales membres de la FIFA participant à la compétition finale et,
enfin, le contrôle exercé sur le CFO par la FIFA, qui avait gardé le pouvoir de prendre en dernière instance, les décisions de
principe concernant tous les points. Pour toutes ces raisons, le conseil a considéré que le CFO et la FIFA détenaient
ensemble, lors de la coupe du monde de 1998, une position dominante collective sur le marché des billets. V. Rapport
annuel du conseil de la concurrence français, 2000, p 119. V. JAIDANE (R), art.pré., p 249.
143
Cons.conc.F., Rapport de 1987, p22. Cité par JOUINI (K), op.cit., p66.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 28

58- Une telle situation, c'est-à-dire la position dominante 144, n’est cependant pas
automatiquement interdite, encore faut-il qu’elle soit exploitée de façon abusive 145.
Autrement dit, il n’y a abus que « lorsque l’entreprise (ou le groupe d’entreprises) en
position dominante profite de cette situation pour se procurer, au détriment des
fournisseurs146, concurrents147 ou clients148, un avantage que le jeu normal de la
concurrence ne lui aurait pas permis d’obtenir149 ».
Les manifestations de l’abus de position dominante ne manquent pas. D’ailleurs
des exemples ont été fournis par l’article 5 précité. Il s’agit notamment des refus de
vente, des ventes liées, des conditions de vente discriminatoires ou encore des prix
minimums imposés en vue de la revente…

59- En somme, si dans un groupe de sociétés le critère de contrôle disqualifie


l’entente intra groupe, il réceptionne, par contre, l’abus de position dominante qui est, en
principe150, retenu qu’il s’agisse d’une société isolée ou d’un groupe de sociétés. Ce
phénomène de réception intéresse également l’abus de dépendance économique.

B- Le contrôle, facteur réceptif de l’abus de dépendance


économique

60- L’interdiction de l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique a


été introduite par l’article 5 (nouveau) 151 pour tenir compte des transformations du monde
économique particulièrement avec l’apparition de puissants groupes de distribution. C’est
donc l’impératif de protection des fournisseurs contre la « grande distribution152 »,
notamment sous forme de groupe de sociétés, qui a guidé cette réforme législative 153.

144
I l convient de signaler que la position dominante peut résulter d’une entente expresse entre entreprises ayant pour but de
coordonner leurs comportements concurrentiels sur le marché. C’est dire que les mêmes faits peuvent constituer à la fois une
entente prohibée et un abus de position dominante. V. GUIGA (J), op.cit., p 96.

‫ حيث يؤكد المجلس على أن " عنصر الهيمنة ال يشكل في حد ذاته خرقا لقواعد المنافسة و أنه ال يصير مخالفة إال إذا‬،‫ راجع قرارات مجلس المنافسة سابقة الذكر‬145
،2002-12-19 ،2135 ‫ عدد‬,‫ ق‬."‫اقترن بثبوت قيام المؤسسة المهيمنة بممارسات من شأنها أن تؤول إلى إزاحة المنافسين أو عرقلة السير الطبيعي لقواعد المنافسة‬
.42 ‫ ص‬،‫التقرير سابق الذكر‬
146
Par exemple, les clauses de fourniture exclusive imposées aux fournisseurs. Ces derniers seront ainsi assujettis à
l’entreprise dominante et contraints de se soumettre à sa loi.
147
Par exemple, des prix tellement bas qui défient toute concurrence.
148
Par exemple, un refus de vente qui peut aboutir à l’élimination pure et simple de ce client.
149
GOLDMAN (B), Droit commercial européen, DALLOZ, 1975, p339.
150
D’après l’article 8 de la loi n°91-64 du 29-07-1991 relative à la concurrence et aux prix : « ne sont pas considérées comme
anti-concurrentielles, les pratiques dont les auteurs justifient auprès des autorités compétentes qu’elles ont pour effet
d’assurer un progrès économique et qu’elles procurent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte.
Toutefois ces pratiques doivent être limitées dans le temps ». On en déduit que les ententes, l’abus de position dominante
ainsi que les abus de dépendance économique peuvent être autorisés s’ils satisfont aux conditions de l’article 8.
151
V. supra. note n° 134.
152
MALAURIE-VIGNAL (M), op.cit., p197.
153
JAIDANE (R), art.pré., p 257.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 29

61- L’abus de dépendance économique a été, souvent, appréhendé en tant que


manifestation indirecte de l’abus de position dominante dans la mesure où « une firme
dominante peut être définie comme détenant une position de force qui fait d’elle un
partenaire obligatoire154 ». Une telle forme d’abus semble être écartée par l’article 5 qui
interdit aussi bien « l’exploitation abusive d’une position dominante » que celle « d’un
état de dépendance économique ». Il est donc clair que l’abus de dépendance économique
est, en droit tunisien, un abus à part entière, complètement détaché de l’abus de position
dominante.
Il semble, en outre, que le législateur a voulu se mettre au diapason de la
commission de concurrence française qui a toujours prôné l’instauration des moyens
juridiques nécessaires, permettant de contrôler les agissements des sociétés et surtout des
groupes de sociétés qui, « sans détenir une position dominante, sont en raison de leur
poids des partenaires obligés155 ».
62- Cela dit, la personne qui est en état de dépendance économique est celle qui
« ne dispose pas de solution équivalente156 ». D’après la jurisprudence française, la
dépendance économique « ne peut résulter que de l’impossibilité dans laquelle se trouve
une entreprise de disposer d’une solution techniquement ou économiquement
équivalente157 ».
Il ne faut cependant pas croire que l’état de dépendance économique est interdit en
tant que tel. Encore faut-il qu’il soit exploité de façon abusive. Tel est le cas lorsqu’il est
lié à un refus d’achat ou de vente, à un achat ou à une vente liée…158

63- Ainsi déterminé, l’abus de dépendance économique risque de se poser avec


beaucoup de stridence en matière de groupe de sociétés pour la simple raison que la
dépendance économique, due au contrôle exercé par la société mère, est l’un des
éléments caractéristiques du groupe de sociétés. L’abus semble, par conséquent, retenu
chaque fois que la société mère, cliente unique de sa filiale, paiera, à cette dernière, un
prix anodin, profitant ainsi de sa situation de dépendance économique. C’est également le
cas lorsque la mère, fournisseur unique de la société contrôlée, lui imposera une vente
liée, profitant ainsi de l’absence de solution équivalente pour la société filiale spoliée 159.

154
Affaire Zoja du 14-3-1972, Commission européenne de Bruxelles. Citée par GLAIS (M), L’abus de dépendance
économique au sens de l’article 8 de l’ordonnance du 1-12-1986, Gaz. Pal., 1989, doc., p290.
155
Avis de l’ancienne commission de concurrence française du 1-12-86 « super centrales ». Cité par GLAIS (M), article pré
cité, p291.
156
C’est la formule finale adoptée par l’article 8 de l’ordonnance de 1986, en France, et qui a été préférée à une autre
formule, dont la teneur est comme suit « qui ne dispose pas de solution alternative et compétitive ».
157
Cons. Conc. 4-6-2002, BOCC, 2002, p 473. V. également Cass. Com. du 9-4-2002, RTD Com., 2003, obs CLAUDEL (E),
p 75 où la cour de cassation souligne que la dépendance économique d’un distributeur à l’égard d’un fournisseur s’apprécie
en tenant compte de la marque du fournisseur, de l’importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d’affaire
du revendeur, ainsi que l’impossibilité pour ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs des produits similaires.
158
V. art. 5 (nouveau) précité, V. supra note n° 131.
159
On verra dans le deuxième chapitre de cette première partie que la détermination de la notion d’abus dépend également de
l’intérêt commun du groupe. Cela veut dire que les opérations susvisées, qui semblent être constitutives d’abus de
dépendance économique, peuvent être immunisées lorsqu’elles satisfont à l’intérêt commun du groupe. En effet, l’abus n’est
retenu que lorsque l’opération querellée est contraire à cet intérêt commun. V. infra n° 93 et s.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 30

64- En définitive, le critère de contrôle est, tantôt, un critère décisif, qui exclut la
notion d’abus, tantôt, un critère stimulateur qui, au lieu d'octroyer l’immunité au groupe,
réceptionne la notion d’abus.
On en déduit que, dans le groupe de sociétés, la notion d’abus se trouve
déterminée à la fois négativement par le rétrécissement de son domaine, et positivement
par la réception des abus de position dominante et de dépendance économique.
Si telle est l’incidence du contrôle inhérent au groupe de sociétés sur la
détermination de la notion d’abus en droit de la concurrence, quid de son impact sur la
détermination de la notion d’abus de la personnalité morale ?

Section deuxième :
Le critère de contrôle et la détermination de la notion
d’abus de la personnalité morale

65- «… La personnalité morale subsiste intacte en apparence, mais elle tend à ne


plus être qu’une apparence160 ».
L’illogisme de cette situation est évident. Il est, en effet, très difficile de tirer les
conséquences de la personnalité morale de la filiale sans la prise en considération du
contrôle exercé par la société mère161.
Dans la pratique deux situations sont envisageables : Ou bien le contrôle qu’exerce
la société mère sera trop accusé au point de fondre le patrimoine de la filiale dans le sien.
Ou bien le groupe de sociétés sera perturbé par des opérateurs qui, voulant masquer leurs
agissements et occulter leurs responsabilités, créent des sociétés fictives. Ces dernières
seront, par la suite, spoliées par le truchement du contrôle exercé par la mère.

66- Ces deux situations sont bien connues par les juges qui recourent, souvent, à la
notion d’abus de la personnalité morale pour les déjouer. C’est bien là l’illustration d’une
notion prétorienne qui a été récemment reconnue en droit des groupes de sociétés par
l’article 478 CSC.
Cette reconnaissance témoigne du foisonnement des abus de la personnalité morale
imputables au contrôle exercé par la société mère. Ce contrôle incite, en effet, la création
de sociétés fictives dans le groupe (paragraphe premier). Il est également source de
confusion de patrimoines (paragraphe deuxième).

160
CHAMPAUD (C), Le pouvoir de concentration de la société par actions, SIREY, Paris 1963, p273.
161
GARGOURI (A), L’abus de la personnalité morale des sociétés commerciales, mémoire de DEA, Faculté de droit de Sfax,
1997, p 38.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 31

-§1 : Le contrôle, source de fictivité162


67- Dans un groupe de sociétés, il arrive que la société mère crée une filiale dans le
seul but de bénéficier d’une limitation artificielle de sa responsabilité, simuler un
agissement illicite ou encore détourner une réglementation restrictive.
De tels agissements seraient certainement impossibles en l’absence du contrôle
exercé par la société mère sur les sociétés liées. C’est, en effet, le contrôle-pouvoir qui
permet à la société mère, après avoir crée une filiale fictive, de la dépouiller de ses biens
ou encore de ses bénéfices, portant ainsi atteinte aux partenaires éventuels de cette filiale.
D’ailleurs, c’est à juste titre que M. LAKHOUA a pu écrire que la personne morale est
détournée de sa finalité initiale, elle devient « une technique d’insolvabilité, une
technique d’irresponsabilité vis-à-vis des co-associés tout d’abord, qui n’ont dans
certaines hypothèses que la qualité de figurants derrière le « maître de l’affaire » qui
protége ses intérêts personnels masqués sous l’intérêt social privé ; mais également vers
les « tiers privés », les créanciers ou les « tiers publics » essentiellement le fisc qui, en
voulant recouvrer leurs créances se trouvent confrontés à des sociétés fictives, des
sociétés « écran », une sorte de coquille vide, de tiroir, d’off-schore…des noms multiples
pour une seule réalité : créer un paravent entre les auteurs, les créateurs, les acteurs de
la personne morale et les tiers et même parfois les autres associés163 ».
Afin de limiter autant que possible ces agissements abusifs, le législateur a dû
reconnaître la société fictive au sein du groupe de sociétés.

68- Nul doute que la notion de société fictive est très difficile à cerner, d’autant
plus que le législateur ne l’a pas définie dans l’article 478 CSC 164. Toutefois, il est certain
qu’une telle société n’a pas d’existence réelle. Il s’agit, en réalité, d’une simulation qui
fait croire aux tiers à la réalité d’une société qui n’existe qu’en apparence 165.

162
La société fictive doit être distinguée de la société nulle, de la société de fait et de la société créée de fait. La société nulle
est celle dans laquelle un ou plusieurs éléments du contrat de société fait défaut. Contrairement à la société nulle, la société
de fait réunit tous les éléments du contrat de société, sauf qu’elle a été constituée en violation d’une règle de forme
essentielle. La société crée de fait est l’anti-thèse de la société fictive dans la mesure où les associés ont voulu réellement
s’associer sans entamer les règles légales de constitution des sociétés.
163
LAKHOUA (H), L’accès au droit de la personne morale « Personne Immorale », à paraître au mélange HACHEM (M-A).
V. également RIVIERE (CH-C), La société écran, LGDJ, 1998, p 410.
164
L’alinéa premier de l’article 478 CSC dispose que « les procédures de faillite et de redressement ouvertes contre l’une des
sociétés appartenant au groupe de sociétés peuvent être étendues aux autres sociétés y appartenant en cas de confusion de
leurs patrimoines, d’escroquerie ou d’abus des biens de la société faisant l’objet des procédures de faillite ou de
redressement, ou s’il est établi que la société débitrice était fictive, et que les sociétés appartenant au groupe ont donné
l’apparence d’y être associées ».
165
FKI (N), Les procédures collectives et les groupes de sociétés, E.J. n° 9, 2002, p126.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 32

69- En raison de l’ambiguïté de la notion, surtout lorsqu’elle est appliquée au


groupe de sociétés, des questions théoriques ont été posées au ministère de la justice qui,
à l’occasion des discussions parlementaires de la loi n°117-2001 du 6-12-2001, a précisé
les critères de la fictivité. Il s’agit de trois critères. En effet, la société est fictive si les
projets qui représentent son objet social sont dénués de sérieux. Elle l’est également en
cas d’absence de participations réelles à son capital social ou encore si l’affectio
societatis166 fait défaut167.
De son coté, le professeur Plaisant définit la société fictive comme étant celle « qui
constitue un masque pour l’activité d’un individu, maître de l’entreprise, dont le
patrimoine se confond en fait avec celui de la société, les associés n’étant que de simples
figurants168 ».
On en déduit que la société fictive n’a aucune existence réelle. Elle n’est qu’une
façade pour cacher l’activité d’un individu ou d’une autre société 169. « Ce n’est qu’une
marionnette agitée par un maître de l’affaire animé de mobiles plus ou moins
avouables170 ».

70- Définie de la sorte, la fictivité d’une société du groupe n’est pas facile à
dévoiler. Pour ce faire, la jurisprudence française recourt généralement à un faisceau
d’indices, fonctionnels, d’une part, et organiques, de l’autre. Dans ce dernier cas, l’indice
de fictivité peut consister dans le déséquilibre flagrant entre la participation du « maître
de l’affaire » par rapport à celle des prêtes noms171, ou encore dans la communauté de
dirigeants, l’identité d’associés, de siége social ou même l’identité de dénomination
sociale…
Or, ces critères organiques ne sauraient suffire à eux seuls pour déclarer la fictivité
d’une société172. Des critères fonctionnels viennent donc s’y ajouter. Il s’agit
essentiellement de la subordination totale de la société fictive qui fait que ses organes de
direction ne fonctionnent pas et que ses assemblées générales ne se réunissent point.

71- Le premier arrêt à avoir consacré la notion de société fictive dans le groupe de
sociétés est celui rendu, en France, par la chambre des requêtes le 13-5-1929. Dans cet
166
A propos de la définition de l’affectio societatis V. supra. note n° 72.
‫ صورة ثبوت أن الشركة المدينة إنما هي شركة وهمية ال وجود لها في الحقيقة لعدم جدية المشروع الذي مثل موضوع تلك الشركة و عدم وجود مساهمات‬-" ? 167
.1 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،104 ‫ ص‬،5 ‫ عدد‬،2001 ‫ نوفمبر‬20 ،‫" مداوالت مجلس النواب‬.‫حقيقية في رْا س مالها وانعدام نية االشتراك‬
168
PLAISANT (R), note sous cass. Civ. 14-12-1944. Cité par FKI (N), op.cit., p146.
169
M. BEN NASR considère que « la société fictive, qui n’est qu’une pure façade, n’a été créée que pour cacher l’activité
d’un commerçant, elle n’a donc pas une personnalité morale. Son patrimoine, composé de l’actif et du passif, n’est pas
dissociable de celui du maître du projet. Ainsi l’activité de ce dernier se confond avec celle de la société, celle-ci n’est alors
qu’un masque, une simple apparence ». IN, op.cit., p 520.
170
BARBIERI (J-F), Confusion des patrimoines et fictivité des sociétés, P.A. n° 12, 1996, p 47.
: ‫ غالبا ما تكو ن هذه الشركة مصابة بعيب يشكل سببا للبطالن‬.‫ إن الشركة الوهمية ليست إال غطاء يخفي تصرف شخص واحد يستعين بأشخاص مستعارين‬...«
‫ تعدد الشركاء و‬: ‫ بتأكيد هذا الرأي يمكننا االستنتاج إن صورية الشركة تنتج عن انتفاء واحد من العنصرين التالين‬.‫انتفاء أو وهمية الحصص أو انتفاء نية المشاركة‬
.65 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬،‫ مزيحم ماجد‬."‫نية المشاركة‬
171
Il faut dire qu’une répartition égalitaire du capital entre les associés n’est pas de l’essence de la société, un associé peut
détenir la quasi-totalité ou même la totalité du capital sans que la société soit forcément fictive.
172
Ainsi la cour d’appel de Paris a affirmé que « malgré les liens étroits pouvant exister entre une société mère et sa filiale,
celle-ci est juridiquement distincte des personnes physiques ou morales qui la composent et cela malgré l’importance de la
participation que la société mère peut détenir dans le capital de sa filiale ou l’existence de dirigeants communs ». C.A. Paris,
31-5-89, G.P., II, 1989, n° 603, note MARCHI.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 33

arrêt, la cour déclare que « lorsque trois sociétés ont les mêmes administrateurs, le même
personnel, la même comptabilité, sont installées dans les mêmes locaux et ont puisé dans
la même caisse, …, n’ayant jamais eu d’existences personnelles indépendantes, ne sont,
en réalité, que des agences de la première, faussement présentées comme des filiales173 ».

72- Il s’ensuit qu’il est nécessaire, pour l’existence d’une société fictive, d’établir,
entre les deux sociétés en question, une unité effective de telle sorte qu’elles ne forment,
en réalité, qu’une seule et même personne morale 174. C’est donc à partir de cette non-
conformité à la réalité, imputable au contrôle-pouvoir, que la notion d’abus de la
personnalité morale pourrait être déterminée dans le cadre du groupe de sociétés.

73- Il est, par ailleurs, intéressant de signaler que notre législateur, loin d’établir un
lien entre la fictivité et la notion d’abus dans le groupe de sociétés, n’a fait dans l’article
478 CSC que renforcer cette fictivité par la condition de création d’une apparence
trompeuse175. Ce cumul de conditions parait critiquable car les deux situations sont tout à
fait distinctes et ne peuvent être exigées en même temps. En effet, dans le cas de la
fictivité, ce n’est pas la confusion apparente des deux sociétés qui est invoquée, mais leur
confusion réelle. Il semble, toutefois, que l’apparence a été sollicitée par le législateur
dans le seul but de déterminer les personnes responsables de l’abus176.
Mais quelle que soit la valeur de la règle du cumul telle que prévue par l’article
précité, il faut signaler que c’est notamment dans le groupe de sociétés que la fictivité,
conséquence directe du jeu du contrôle-pouvoir, est certainement productrice d’abus
mettant en cause la notion même de la personnalité morale. Car, si cette fiction légale a
été inventée par la pensée juridique pour rendre service à toute personne intéressée, elle
ne doit pas se transformer en une nuisance pour cette même personne. Le groupe de
sociétés ne doit pas constituer un terrain d’élection aux sociétés abusant de la
personnalité morale. La notion d’abus devra donc jouer le rôle de détracteur de ces abus.

74- En résumé, si la fictivité aide énormément à fixer les contours de la notion


d’abus au sein du groupe de sociétés, on va voir que le critère de contrôle, créateur de
cette fictivité, est aussi source directe de confusion de patrimoines.

173
Req. 13-5-1929, D 1930, I, p128. V. également C.A. Paris 31-5-1989, G.P., II, 1989, p603. Cité par BERTIER, Société
fictive et simulation, Rev. Soc., 1993, p725, dans cet arrêt la cour d’appel de Paris exige « une véritable identité au point que
les partenaires des deux sociétés aient pu croire qu’elles formaient une personne morale unique ». La même cour a déclaré,
dans une autre affaire, que le seul fait que la même personne a disposé de la majorité des capitaux dans les deux sociétés
« n’implique pas à lui seul que… les personnalités respectives des deux sociétés se soient confondues ? ». Paris 30-3-1960,
RTD Com., 1973, p357, obs HOUIN.
174
Colmar 21-3-1972, RTD Com, 1973, p357, obs HOUIN.
175
L’article 478 CSC exige que la société soit fictive, « et que les sociétés appartenant au groupe ont donné l’apparence d’y
être associées ». A propos de la théorie de l’apparence, V. MAHFOUDH (M), Contribution à l’étude de l’apparence en droit
tunisien, RTD, 2001, p 375.
176
C'est-à-dire que se sont les sociétés qui ont donné l’apparence d’être associées dans la société fictive qui devraient être
sanctionnées.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 34

-§2 : Le contrôle, source de confusion de patrimoines177

75- Lorsque le contrôle de la société mère s’exerce de telle façon que la société
contrôlée, juridiquement autonome, se trouve entièrement intégrée dans la société
dominante, la personnalité morale et l’autonomie patrimoniale ne représentent plus que
de mauvais prétextes pour éluder une responsabilité normale.
Le contrôle de la société mère peut être, en effet, trop important au point de fondre
le patrimoine de la filiale dans le sien. Il s’agit alors de la confusion des patrimoines, la
deuxième facette de l’abus de la personnalité morale178.

76- Force est de constater que la notion de confusion de patrimoines est très proche
de celle de la société fictive. Néanmoins, les deux concepts doivent être « soigneusement
distingués notamment parce que la fictivité de la société implique un patrimoine unique.
Tandis que la confusion en suppose, nécessairement, au moins deux179 ». Autrement dit,
alors que la fictivité suppose l’existence d’une seule personne morale, l’autre société
étant par hypothèse inexistante, la confusion postule une dualité préexistante des
patrimoines et donc des personnalités morales180.
De surcroît, la société fictive conçue comme une simulation ou un instrument de
fraude, peut naturellement donner lieu à une confusion de patrimoines. L’hypothèse
inverse est, au contraire, inconcevable, pour la simple raison que « la confusion doit
reposer sur des personnes morales non fictives. Les sociétés voient leurs patrimoines
confondus non en raison d’une recherche de dissimulation, mais en raison d’une
utilisation abusive du patrimoine mis à la disposition des dirigeants et des associés
communs. La fictivité se caractérise ainsi par l’intention alors que la confusion se
caractérise par l’action181 ».
Il est également à noter que certains auteurs ont soutenu l’idée de l’identité des
notions de fictivité et de confusion des patrimoines 182, alors que la doctrine dans sa
177
Selon M. BARBIERI la confusion des patrimoines est « un phénomène essentiellement comptable qui ressort d’une
imbrication entre les postes d’actif et de passif de deux ou plusieurs patrimoines, imbrication telle qu’un professionnel de la
comptabilité s’avouerait incapable d’attribuer à l’un ou à l’autre des titulaires, les créances et les dettes répertoriées ».
Ibidem. p 6.
178
V. BEN NASR (T) op.cit., p 511.
179
DERRIDA (F), note sous cass. 15-3-1982, D, 1982, p404.
180
HANNOUN (CH), redressement et liquidité judiciaire, Juriscl. Soc., fasc. n° 3190, p17. LE CANNU (P), La société et les
groupes de sociétés pendant la période d’observation, P.A., n° 7, 2002, p55. SAINT-ALARY-HOUIN (C), Les effets de la
confusion de patrimoines et de la fictivité des sociétés en redressement judiciaire, unité ou dualisme, Mélange JEANTIN, D.,
1999, p 456.
181
GAUTHIER (T), op.cit., p460.
182
Ces auteurs soutiennent que la fictivité est une conséquence de la confusion des patrimoines et inversement, d’une part
parce que la confusion des patrimoines implique nécessairement la fictivité de l’une des personnes en cause et, d’autre part,
parce que la confusion conduit inévitablement à constater que la société n’a plus aucune réalité et est donc fictive ». DAIGRE
(J-J), Société fictive, Rep. Société Dalloz, p5. SOINNE (B), Hésitation sur la confusion, Rev. Pro. Coll., n° 5, 2000, p 178.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 35

majorité plaide pour leur distinction 183. Il n’en demeure pas moins que les deux notions
ne sont pas exclusives l’une de l’autre. C’est pour cela que dans certaines affaires, les
critères tant de la fictivité que de la confusion se trouvent réunis 184.

77- Ceci étant précisé, il convient de remarquer que le législateur n’a pas défini la
notion de confusion de patrimoines. Toutefois, L’examen des travaux préparatoires
relatifs à la loi n° 117-2001 du 6-12-2001 permet d’identifier les éléments distinctifs de la
confusion des patrimoines au sein du groupe de sociétés.
Il s’agit, en effet, de la situation dans laquelle les éléments du patrimoine de
chacune des sociétés du groupe sont mis à la disposition des autres, soit dans son propre
intérêt, soit dans l’intérêt des autres sociétés du groupe. Elle peut consister également
dans l’utilisation des revenus de l’une des sociétés pour payer des biens ou des services
au profit d’autres sociétés du groupe, de telle sorte qu’il serait impossible de départager
ce qui appartient à chacune d’elles séparément et de le distinguer des biens appartenant
aux autres. Il y a, enfin, confusion lorsque certaines sociétés s’engagent à l’égard des tiers
au profit et pour le compte d’autres sociétés du groupe à tel point que les patrimoines de
ces sociétés se trouvent confondus et apparaissent comme s’il s’agissait d’un patrimoine
unique185.

78- Le législateur a, ainsi, exposé tous les cas de confusion de patrimoines dégagés
par la jurisprudence française186 qui a, en effet, distingué deux critères pour la
constatation de cette confusion. Il s’agit, d’une part, des indices extérieurs ou
extrinsèques et, d’autre part, des indices intérieurs ou intrinsèques.
Les indices extérieurs illustrent le recours à la théorie de l’apparence puisqu’il
s’agit de constater une apparente unité entre les sociétés du groupe. En d’autres termes,
« il se peut que les tiers considèrent les filiales comme des succursales, et pensent de
bonne foi contracter avec un entrepreneur unique en se fondant sur l’actif du groupe tout
entier pour accorder leur crédit187». La confusion des patrimoines peut alors se déduire
d’une même implantation juridique, une identité de moyens techniques, de personnel, de
comptes bancaires ou encore d’adresse postale…
La confusion des patrimoines résultant, dans ce cas, d’un mélange d’éléments
matériels, rappelle la notion d’apparence puisque le critère de la confusion se dégage de

183
GAUTHIER (T), op.cit., p460. DERRIDA (F), note sous cass. 15-3-1982, D, 1982, p404. HANNOUN (CH), redressement
et liquidité judiciaire, p17.
184
BARBIERI (J-F), op.cit., p2.
‫ صورة اختالط الذمم وهي الصورة التي يقع فيها توظيف عناصر الذمم المالية لكل واحدة من الشركات المعنية كيفما اتفق لخدمة مصالحها أو لخدمة مصالح‬-" 185
‫الشركات األخرى واستعمال موارد خاصة بإحدى الشركات القتناء أشياء أو خدمات لفائدة شركات أخرى منتمية إلى تجمع الشركات بحيث يتعذر فرز ما تملكه كل‬
‫ بحيث تختلط الذمم المالية لهده‬.‫ وتعهد بعض الشركات إزاء الغير لحساب الشركات األخرى و لفائدتها‬،‫ و تمييزه عن أمالك الشركات األحنى‬،‫شركة على حده‬
.1 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،104 ‫ ص‬،5 ‫ عدد‬،2001 ‫ نوفمبر‬20 ،‫ مداوالت مجلس النواب‬."‫الشركات و تظهر و كأنها ذمة مالية واحدة‬
186
Cass. com., 18 nov. 1986, n° 85-13.591, D. 1987, som., p. 73, Obs. Honorat ; Rev. proc. coll. 1987, n° 1, p. 30, Obs.
Didier. CA Paris, 3e ch. A, 12 févr. 1991, Bull. Joly 1991, p. 422. Cass. com., 15 oct. 1991, n° 90-10.930, JCP éd. E 1991.,
n° 1383 ; Bull. civ. IV, n° 289, p. 200, RJDA 1991, n° 1068, p. 894. Cass. com., 11 oct. 1994, n° 90-14.457, D. 1994, p. 241.
A propos de ces arrêts V. somm. LAMY Soc. Com., 2004, n° 2329.
187
HANNOUN (CH), Le droit et les groupes de sociétés, édition LGDJ, 1991, p248.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 36

l’erreur des tiers qui ont pu croire que les sociétés du groupe n’étaient que des
succursales en raison de leur apparente unité188.
Seulement, la confusion des patrimoines dans le groupe de sociétés est loin d’être
une application pure et simple de la théorie de l’apparence. En effet, les indices
extrinsèques ne sauraient à eux seuls entraîner une telle qualification ; encore faut-il
qu’une confusion intrinsèque soit vérifiée. Dans ce sens, la cour de cassation française 189
a confirmé un arrêt de la cour d’appel qui a refusé de reconnaître la confusion des
patrimoines de deux sociétés qui, bien qu’ayant des dirigeants communs 190, une identité
d’objet social, une communauté de clientèles… conservaient un actif et un passif propres,
en raison de l’absence de flux financiers anormaux 191, appelés également indices
intrinsèques de la confusion.

79- En étalant plusieurs situations de confusion de patrimoines tirées des solutions


prétoriennes françaises aux problèmes posés par le droit tunisien, notre législation semble
vouloir délimiter certaines manifestations des abus résultant de la confusion des
patrimoines produites par le jeu du contrôle exercé par la société mère. Les exemples
relatés dans les travaux préparatoires, illustrant la volonté réelle des rédacteurs de la loi
de 2001, démontrent que cette forme d’abus n’est pas seulement liée à l’abus des biens
sociaux car autrement elle n’a plus son autonomie puisqu’elle va s’identifier aux cas cités
par l’article 223 CSC192.
Mais cette nouvelle forme d’abus se trouve commandée, au sein du groupe de
sociétés, soit par un mélange volontaire des actifs et des passifs des sociétés concernées,
par exemple par absence de comptabilité ou suite à un abus de biens sociaux, soit qu’en
présence d’actifs et de passifs distincts, des flux financiers anormaux ont eu lieu entre les
sociétés groupées193. D’où la spécificité de la notion d’abus dans le groupe de sociétés. Le
cas de la confusion de patrimoines prouve, si besoin est, que la notion d’abus peut
illustrer une situation d’abus classique de biens sociaux, comme elle peut prendre
plusieurs autres visages propres au fonctionnement particulier du groupe.

188
COUSSIN (G), Etude juridique d’un groupe industriel constitué par une société mère et ses filiales, thèse, Nancy 1950, p
94.
189
Cass. Com. Du 11-5-1993, D, 1993, p195.
190
« La cour de cassation marque une réticence légitime à admettre que la seule existence du groupe de sociétés emporte
unité de patrimoine. L’analyse est identique lorsque les dirigeants sont, en tout ou en partie, les mêmes dans les différentes
entités ». MONEGER (J), Bail commercial et groupe de sociétés, RJCom., n° 20, 2005, p 47.
191
Par flux financiers anormaux, il faut entendre des flux dénués de toute contrepartie pour la société concernée. Ce qui
aboutit à son appauvrissement ainsi qu’à l’affaiblissement du gage des créanciers. C’est le cas des actes sans contrepartie
immédiate ou future qui réalisent un transfert d’actif occulte. Par conséquent, il y’a flux financiers anormaux lorsque l’une
des sociétés s’est enrichie au dépens de l’autre sans contrepartie. Tel est le cas lorsque des avances ont été faites par une
société à une autre uniquement pour alimenter la trésorerie de la seconde afin de lui permettre de poursuivre son activité en
masquant son endettement. HANNOUN (C), Op.cit., p249.
192
Le paragraphe troisième de l’article 223 CSC punit d’un emprisonnement d’un an au moins et de cinq ans au plus et d’une
amende de deux milles à dix milles dinars ou de l’une de ces deux peines seulement « les membres du conseil
d’administration qui, de mauvaise foi, ont fait des biens ou du crédit de la société un usage qu’ils savaient contraire à celle-ci
dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société dans laquelle ils étaient intéressés directement ou
indirectement ». Presque dans les mêmes termes, le paragraphe quatrième de cet article sanctionne l’usage abusif des
pouvoirs ou des voix.
193
DAIGRE (J-J), note sous Cass., 19 octobre 1993, Bull. Joly, 1993, p1239.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 37

80- En définitive, la détermination hybride ou duale de la notion d’abus en droit de


la concurrence194 devient purement uniforme dans le cadre des abus de la personnalité
morale dans la mesure où le critère de contrôle constitue un facteur de création des abus.
En effet, de deux choses l’une, ou bien le contrôle est tellement important qu’il va créer
une confusion de patrimoines, ou bien la société mère crée directement une filiale fictive
et c’est grâce à son contrôle-pouvoir qu’elle pourra profiter de la fictivité de sa filiale.
Par conséquent, l’abus de la personnalité morale risque de profiter du cadre offert
par le groupe de sociétés pour apparaître et fourmiller. Le législateur a donc bien fait de
reconnaître la notion d’abus de la personnalité morale dans le groupe de sociétés ; chose
qu’il n’a pas faite dans le cadre de la société isolée195.
La notion d’abus semble alors, tout en se resserrant, s’élargir dans le groupe de
sociétés196. En va-t-il de même lorsqu’il s’agit de déterminer la notion d’abus à travers
l’intérêt commun du groupe ?

194
Le critère de contrôle est tantôt un critère réceptif de la notion d’abus, tantôt un critère exclusif de cette même notion. V.
supra n° 42 et s.
195
C’est l’article 596 CC qui a constitué en droit tunisien le fondement de la notion d’abus de la personnalité morale aussi
bien pour la doctrine que pour la jurisprudence tunisienne. Il n’en demeure pas moins que cet article n’a aucunement évoqué
ni la notion de fictivité ni celle de confusion de patrimoines, les deux facettes de l’abus de la personnalité morale. C’est plutôt
l’article 474 CSC qui est le premier à reconnaître expressément cet abus en droit positif tunisien. La notion d’abus de la
personnalité morale constitue dès lors un nouveau né en droit tunisien des sociétés.
196
Comme on vient de le voir, en droit de la concurrence le contrôle est tantôt un critère réceptif tantôt exclusif des abus. Par
conséquent, la notion d’abus est en train de se resserrer en matière de concurrence. Au contraire, la notion d’abus semble
s’élargir, en matière d’abus de la personnalité morale, en raison de la reconnaissance expresse de ces abus par le droit des
groupes contrairement au droit des sociétés isolées.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 38

Chapitre deuxième :
La détermination de la notion d’abus à travers
l’intérêt commun du groupe

81- Nul doute que l’existence d’un groupe de sociétés est un élément important qui
peut justifier l’absence de contrepartie immédiate d’une opération au détriment d’une
société du groupe, si in fine, l’intérêt général du groupe s’en trouve conforté 197. Par
contre, si l’intérêt commun du groupe est méconnu, l’opération querellée sera sûrement
déclarée abusive.

Il est constamment admis que dans une société isolée, c’est l’atteinte à l’intérêt
social qui détermine la notion d’abus. Or, dans le groupe de sociétés, c’est plutôt
l’atteinte à l’intérêt commun qui devra prévaloir (section première).
Il ne faut cependant pas ignorer le fait que dans le groupe de sociétés deux intérêts
coexistent : l’intérêt commun du groupe, d’une part, et l’intérêt social de chaque société
groupée, d’autre part. Toute la question est donc de savoir comment déterminer la notion
d’abus en cas de conflit entre l’intérêt social et l’intérêt commun du groupe ? (Section
deuxième).

197
JOLY (E) et JOLY-BAUMGARTNER (C), L’abus de biens sociaux, ECONOMICA, 2002, p 114.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 39

Section première :
La détermination de la notion d’abus par l’atteinte à
l’intérêt commun du groupe

82- La création d’un groupe de sociétés risque d’aboutir à une profonde altération
de certaines règles relatives aux sociétés isolées telles que légalement consacrées. Elle a
essentiellement pour conséquence que les sociétés rattachées au groupe ne seront plus
gérées dans leur intérêt propre, ni dans celui de leurs membres, mais dans l’intérêt du
groupe dans son ensemble198.
Une telle altération ne peut que se répercuter sur la détermination de la notion
d’abus telle qu’elle a été conçue pour une société isolée. Une notion d’abus autonome
pourra-t-elle alors voir le jour en puisant son droit de cité dans l’atteinte à l’intérêt
commun du groupe ?

Dans cette perspective, on essayera de définir l’intérêt commun du groupe


(paragraphe premier) pour montrer ensuite la nécessité de fonder la détermination de la
notion d’abus sur la violation de cet intérêt (paragraphe deuxième).

-§1 : Essai de définition de l’intérêt commun du groupe


83- « Une fois établie l’existence d’une stratégie de groupe, et donc
nécessairement d’une structure de groupe, il est nécessaire d’établir l’existence d’un
intérêt commun entre les sociétés liées »199. Ainsi, la notion de groupe de sociétés et celle
d’intérêt commun du groupe sont, en réalité, intimement liées à telle enseigne que
l’absence de l’une entraîne systématiquement la disparition de l’autre.

84- Nul doute que l’intérêt commun du groupe est un concept d’une grande utilité
parce qu’il sert assez souvent à légitimer les activités du groupe ainsi qu’à enrichir et
harmoniser les relations entre le droit des sociétés isolées et celui du groupe auquel elles
appartiennent.
En dépit de son importance, ce concept n’a été évoqué que dans l’article 461 CSC
relatif à la définition du groupe de sociétés 200. Mais il n’a pas été du tout défini par le
législateur. Est-ce là une omission délibérée de sa part ? Est-ce, au contraire, tout
198
Ibidem. BEL HAJ YAHIA (B), thèse pré., p138.
199
GAUTHIER (T), les dirigeants et les groupes de sociétés, LITEC, 2000, p 413, n° 649.
200
Rappelons que l’expression « intérêt commun » a été aussi consacrée dans l’article 220 CSC mais seulement dans le cadre
de la société isolée. En plus l’adjectif « commun » a été utilisé plusieurs fois dans les articles du COC relatifs au contrat de
société : Article 1249 (mettent en commun), article 1259 (fonds commun), article 1274 (affaires communes), article 1276
(fonds commun), article 1295 (patrimoine commun), art. 1318 (volontés communes), art. 1348 (dettes communes).

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 40

simplement un oubli ? Dans les deux cas, il s’agit d’une lacune qui peut ne pas aider à
déterminer les contours exacts de la notion d’abus au sein du groupe de sociétés.
Il faut cependant rappeler qu’assez souvent le législateur répugne à définir
certaines notions juridiques, considérant que c’est bien là l’œuvre de la doctrine ou de la
jurisprudence. Il en est ainsi par exemple des concepts de l’intérêt de l’enfant en matière
de garde201, l’intérêt d’agir en justice202 et bien entendu l’intérêt social en droit des
sociétés203. Il faudra alors tenter de tracer une définition de l’intérêt commun par l’aide de
la doctrine (A) et le recours à la jurisprudence comparée (B).

A- L’apport doctrinal

85- En doctrine204 on admet communément que l’intérêt commun est une notion
difficile à cerner. Elle l’est d’autant plus en matière de groupe de sociétés où les intérêts
en cause sont pluraux et protéiformes, tantôts divergents et tantôt convergents.
Ainsi, on distingue au sein du groupe de sociétés l’intérêt de la société mère qui
n’est pas forcément celui de ses actionnaires, ainsi que l’intérêt de chaque société filiale
ou contrôlée, qui n’est pas obligatoirement identique à celui de ses associés. On trouve
également l’intérêt des associés contrôlaires du groupe et celui des associés minoritaires ,
appelés également actionnaires hors groupe 205. L’intérêt des créanciers doit être aussi pris
en compte. Que l’on n’oublie pas également l’intérêt des autres partenaires du groupe
comme l’Etat, les salariés, les clients, les fournisseurs 206…
Où se situe donc l’intérêt commun du groupe ? Est-ce la somme de tous ces
intérêts ? S’agit-il, au contraire, de la prise en compte de quelques uns au détriment des
autres ?
Non seulement la réponse est loin d’être aisée, mais toute réponse influe
inéluctablement sur la détermination de la notion d’abus. Car, plus le domaine de l’intérêt
commun se réduit, plus la notion d’abus risque de s’élargir et plus ce domaine s’élargit
plus cette notion se rétrécit.
201
V. art. 54 et s. du CSP.
202
V. art. 19 CPCC.
203
V. à titre d’exemple les art. 146 CSC (SARL), 158 CSC (SUARL), 290 CSC et l’art. 223 CSC (SA).
204
Le professeur BEN AMMOU (N) définit la doctrine comme suit « dans un sens philosophique primitif, la doctrine serait
l’enseignement. C’est la synthèse qui fait entendre ce que l’analyse a trouvé. Cette définition qui a l’avantage de la simplicité
a été adoptée par les juristes. Faire œuvre de la doctrine consiste à enseigner (docere). La doctrine serait donc l’opinion
communément professée par ceux qui enseignent le droit (communis opinio doctorum). Ainsi, toute doctrine tend à accroître
le savoir d’autrui. Il faut cependant se garder de penser que tout ce qui fait l’objet d’un enseignement en droit appartient à
la doctrine. Inversement, nombre de ceux qui n’enseignent pas le droit mais qui émettent des opinions qui s’y rapportent
peuvent communiquer un savoir. La doctrine juridique serait alors, dans une première approche, l’ensemble des opinions
exprimées par les juristes dans leurs publications ». IN, La doctrine tunisienne de droit privé de l’aube du XXème siècle à la
veille du XXIème siècle, Colloque « l’apport du XXème siècle au droit privé tunisien », Tunis le 23, 34 et 25 avril 1998,
Collection forum des juristes n° 8, 2000, p 65.
205
Ils sont appelés également les actionnaires externes parce qu’ils n’ont pas d’intérêt dans la société dominante. V. art. 5 de
la proposition de loi Couste n°1055. Cité par BEL HAJ YAHIA (B), thèse pré., p208.
206
Cela rappelle l’idée de M Paillusseau, qui se résume en ce que « l’entreprise est un centre d’intérêt. C’est, en effet, en elle
que convergent les intérêts des apporteurs de capitaux, de travail, de connaissances ; les intérêts des personnes qui lui sont
liées, les fournisseurs et les clients par exemple ; ou encore les intérêts des personnes qui sont intéressées par sa vie, comme
l’Etat, les consommateurs, les concurrents… », In La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, p198.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 41

86- Certes, on aurait aimé dire que l’intérêt commun du groupe n’est autre que la
somme de tous les intérêts en présence. Néanmoins, « c’est trop beau pour être vrai ». Il
est d’ailleurs plus facile d’exprimer ce que l’intérêt commun n’est pas, plutôt que ce qu’il
est. En effet, quelques intérêts doivent être écartés de la sphère de l’intérêt commun du
groupe. « Le traitement égalitaire des intérêts dans le groupe est non seulement une
illusion mais c’est même son opposé qui constitue son principe organisateur207 ». Si le
droit des sociétés n’est pas un droit égalitaire208, le droit des groupes l’est encore moins.
Force est donc de constater que l’intérêt du groupe n’est pas celui des créanciers, il
est encore moins celui de l’Etat. L’intérêt du groupe n’est pas, non plus, celui des
salariés, ni celui des actionnaires externes 209, ni encore celui des dirigeants du groupe 210…
et comme l’a précisé un auteur, « l’intérêt du groupe ne couvre pas l’intérêt individuel
de l’une des sociétés groupées211 ». Cette dernière exclusion est utile en pratique, car la
société dominante du groupe considère parfois que son intérêt constitue à lui seul l’intérêt
commun du groupe212.

87- Que reste-t-il alors ? C’est dans l’acception habituelle de l’intérêt commun du
groupe qu’on trouvera la réponse. Dans une telle acception, c’est aux intérêts des
différentes sociétés qui composent le groupe qu’il est fait allusion 213. Il ne peut s’agir
alors que « de la somme algébrique des intérêts sociaux de chaque société214 ».
Autrement dit, il faudra prendre en compte l’intérêt de la société mère, les intérêts des
filiales ainsi que ceux des sociétés contrôlées. La prise en compte de la totalité de ces
intérêts étant impossible, c’est la majorité qui primera.
Ainsi, l’intérêt commun du groupe est celui qui tient compte des intérêts, non pas
de la totalité des sociétés y faisant partie, mais de la quasi totalité. Les intérêts écartés
trouveront satisfaction à long terme215.

207
URBAN (Q), art. pré., p24.
208
MESTRE (J), L’égalité en droit des sociétés (aspects de droit privé), Rev. Soc., 1989, p399. SCHMIDT (D), De l’intérêt
commun des associés, JCP, 1994, I, 3793, p440.

،‫ تجدر اإلشارة إلى أن أقلية من الفقهاء حاولوا تعريف فائدة المجموعة بشكل واسع بأنها " تلك المتكونة من مختلف الفوائد الموجودة ليس فقط في أفراد المجموعة‬209
."‫ بما فيها سوق العمل و أيضا فوائد المنتجين و الموزعين‬،‫بل حتى في تفرعات الشركات الوليدة األكثر بعدا وفي عالقاتها القانونية مع مجموع األسواق المعينة‬
.273 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬،‫مزيحم ماجد‬
V. également DUCOULOUX-FAVARD (C), sous Trib. Corr. Mulhouse, 25-3-1983, D. 1984, p 288.
210
Cass. Crim. 9 décembre 1991, Billerey, Bull. Crim., n° 467, p12.
211
GAUTHIER (T), op.cit., n° 650, p 413.
212
Cette idée a été également confirmée par M. OHL qui a souligné que « l’intérêt du groupe n’est pas celui de la société
dominante, bien que celle-ci le définisse souverainement… (il) est encore moins celui des actionnaires majoritaires de la
société dominante ». IN, D. 1985, p478, commentaire sous Cass. Crim. 4-2-85, Rozenblum et Allouch, n° 84-91.581.
‫ أو م{{ع الفائ{{دة الشخص{{ية لم{{دير‬،‫ أي ش{{ركة الهول{{دنغ‬،‫ انه من الصعب تعريف فائدة المجموعة إنما يمكن اإلش{{ارة إلى أنه{{ا ال تتح{{د م{{ع فائ{{دة الش{{ركة المهيمن{{ة‬..."
.273 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬،‫ مزيحم ماجد‬."‫ كما أنها ليست الفائدة الخاصة بالشركاء أو المساهمين ذوي األغلبية في الشركة المسيطرة‬.‫المجموعة‬
213
FREYRIA (C) et CLARA (J), De l’abus de biens et de crédit en groupe de sociétés, JCP, 1993, E, n° 247.
214
DUCOULOUX-FAVARD (C) note pré., p288.
215
V. HANNOUN (C), op.cit., n° 128 où il déclare ce qui suit : « si la société commet un acte contraire à son intérêt social
immédiat dans l’intérêt du groupe, elle poursuit néanmoins un intérêt propre dans la mesure où elle peut raisonnablement
attendre une contrepartie future en sa qualité de société apparentée. La contradiction de l’autonomie formelle des sociétés et
de leur utilité économique est en définitive levée grâce à une dissociation temporelle de la notion d’intérêt social ».

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 42

88- Certains auteurs affirment, au contraire, que l’intérêt commun du groupe n’est
pas la somme des intérêts de ses composantes 216. Il s’agit, d’après M. SOUSI217, d’un
intérêt commun à toutes les sociétés du groupe et non pas la somme de tous les intérêts en
présence.
D’autres auteurs, tout en confirmant cette idée, définissent l’intérêt du groupe en se
basant sur la notion d’objet social.
Ainsi, d’après M. HANNOUN218, l’intérêt commun serait la réalisation d’un
« objet social unique ». De son coté M. GAUTHIER considère que le groupe se présente
comme « une société de sociétés, répondant à un intérêt propre qui serait la somme des
divers objets des sociétés du groupe219 ».
C’est également le cas de M. HASSLER qui ajoute que « l’intérêt, c’est ce qui
motive les individus à agir220 ». Précisant encore plus cette idée, un éminent auteur a pu
écrire que « rechercher l’intérêt du groupe c’est donc rechercher ses motivations. Celles-
ci résident dans la nécessité d’édifier une organisation juridique et de développer ses
activités économiques221 ».
A son tour M. OHL, soutient que l’intérêt commun du groupe se résume dans le
fait « d’obtenir un enrichissement global supérieur à la somme des profits qu’aurait pu
réaliser chaque société membre prise isolément222 »

89- Tout en respectant ces positions doctrinales enrichissantes, on est en droit de


penser que la détermination de la notion d’intérêt commun du groupe peut connaître une
autre approche en faisant recours à la jurisprudence comparée à défaut de jurisprudence
tunisienne.

B- L’appréhension jurisprudentielle

216
DE FONTBRESSION (F), La volonté individuelle à l’épreuve du droit des groupe, RJ Com., 1988, p285.
217
SOUSI (G), Un délit souvent inadapté l’abus de biens et des crédits de la société, RTD Com. 1972, p297.
218
HANNOUN (C), op.cit., n° 127.
219
GAUTHIER (T), op.cit., p414, n° 652.
220
HASSLER (T), L’intérêt commun, RTD Com. 1984, p581.
221
PARIENTE (M), op.cit., n°39.
222
OHL (D), comm.pré., p478

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 43

90- Faute de décisions publiées de la cour de cassation ou des juridictions du fond


tunisiennes relatives à la définition de l’intérêt commun, il ne parait pas interdit de
recourir à la jurisprudence française.
En effet, dans l’affaire Agache-willot223, le tribunal correctionnel de Paris a
clairement affirmé que l’intérêt commun du groupe de sociétés est tout intérêt
nécessaire « pour le maintien de son équilibre ou pour la poursuite d’une politique
globale cohérente ».
De son coté, la cour de cassation française exige que le groupe de sociétés justifie
d’un intérêt commun224 qui peut être, selon la terminologie de l’arrêt Rozenblum225,
« économique, social ou financier ». Cette définition a été ultérieurement confirmée par
la cour d’appel de paris226 qui a clairement soutenu que: « La convention (dans le groupe
de sociétés) doit être dictée par un intérêt économique, social ou financier commun… »

91- Selon cette acception, l’intérêt commun réside dans « l’existence d’objectifs
d’optimisation et/ou de développement227 ». Il peut, alors, se traduire dans les domaines
économique228, social229 ou financier230.
Autrement dit, l’intérêt commun du groupe réside « dans le maintien d’un équilibre
économique, social ou financier obtenu par la poursuite d’une stratégie élaborée de
manière cohérente pour le développement commun du groupe231 ». Cette définition
rappelle celle du ministère de la justice qui, lors de la discussion du projet de la loi des
groupes, a défini l’intérêt commun comme étant un ensemble de « thèmes de
préoccupation économique partagés entre les sociétés groupées232 ». C’est dire que
223
T. corr. Paris 16-5-1974, Soc. Saint Frère, D. 1975, p37. JCP (E) 1975, II-11816, p381. Rev. Soc. 1975, p657, note Oppetit
(B).
224
Ibidem.
225
Cass. Crim. 4-2-85, Rozenblum et allouche, n° 84-91.581, Bull. Crim. n° 54, p145, D. 1985, p478, note Ohl (D). JCP (E),
1985, II-14614, note Jeandidier (W). Rev. Soc. 1985, p648, note Bouloc (B). Rev. Int. De Dr. Pénal 1987, p217
226
CA Paris, 29 mai 1986, Bull. CNCC 1986, n° 64, p. 391, note Du Pontavice.
227
JOLY (E) et JOLY-BAUMGARTNER (C), op.cit., p 129.
228
Ainsi, l’intérêt économique est retenu, chaque fois qu’une complémentarité d’objets s’articulant autour d’une activité
commune est vérifiée. Au contraire lorsque le groupe est constitué de sociétés ayant des activités totalement étrangères, il est
plus difficile de justifier un intérêt économique commun. En ce sens, certains auteurs soutiennent que l’intérêt du groupe ne
peut exister que si les activités des sociétés qui le composent sont similaires ou tout au moins complémentaires. V. DELAISI
(P), L’affaire Agache-Willot et le problème général des groupes de sociétés, Gaz. Pal. 1975, I, p358.
229
D’un point de vue social, l’intérêt du groupe est mis en exergue lorsqu’il est demandé à une société de soutenir une autre
afin de lui éviter de procéder à des licenciements et donc, de nuire, par exemple, à l’image de l’ensemble des sociétés du
groupe.
230
Du coté financier « Il est fréquent d’optimiser les ressources des sociétés du groupe. Ainsi, un système de cash-pooling
peut être mis en place afin de gérer au mieux la trésorerie des sociétés du groupe. L’objectif est de mettre la trésorerie de
chacune des sociétés à zéro. Certaines empruntent, d’autres prêtent. Evidemment, celle qui est mise à contribution doit faire
une avance dans le cadre d’une convention de trésorerie. Mais, le lendemain, c’est peut être elle qui sera la bénéficiaire de
l’avance. La gestion centralisée de la trésorerie du groupe lui permettra, en plus, d’obtenir des meilleures conditions de crédit
auprès des banques par exemple. C’est là précisément, que se trouve illustrée la synergie potentielle des sociétés composant
le groupe», notamment en matière financière. V. JOLY (E) et JOLY-BAUMGARTNER (C), op. Cit., p129.
231
PIVANO, « la boussole » de la société intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise, D., 1997, chro. n° 24, p149.
‫ بمعنى أن النجاح االقتصادي إلحدى‬،‫ " إن المقصود بالمصالح المشتركة هو وجود محاور اهتمام اقتصادية تتقاسمها الشركات المنتمية إلى تجمع الشركات‬232
‫ كان‬،‫ و لو كان ذلك بشكل غير مباشر أو بشكل مؤجل‬،‫الشركات المنتمية إلى تجمع الشركات يؤدي حتما إلى استفادة الشركات األخرى المنتمية إلى نفس التجمع‬
‫ إن حققت األخيرة في الذكر مرابيح‬،‫تضمن إحدى الشركات أن الشركة األخرى المنتمية معها إلى تجمع الشركات يمكنها مساعدتها على مواجهة صعوبات محتملة‬
‫ بحيث‬،‫ كان تختص إحداها في تصنيع منتوج جزئي تستعمله الثانية في تصنيع منتوجها النهائي‬،‫ وكذلك الشأن في صورة ممارسة الشركتين ألنشطة متكاملة‬.‫هامة‬
‫ و للحفاض على مزود أساسي‬،‫ للمحا فضة على حريف مهم بالنسبة لألولى‬،‫تكون لكل واحدة منهما مصلحة في تحسن نوعية منتوج األخرى و نجاحها اقتصاديا‬
.1 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،98 ‫ و‬97‫ ص‬،5 ‫ عدد‬،2001 ‫ نوفمبر‬20 ،‫ مداوالت مجلس النواب‬."‫بالنسبة للثانية‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 44

l’intérêt commun se trouve réalisé et non point méconnu chaque fois où l’acte effectué ou
bien l’opération entreprise est conforme à la politique générale du groupe et à sa stratégie
d’avenir. Et c’est aux juges tunisiens, à l’instar de leurs homologues français, qu’il
appartiendra d’analyser les règles commerciales ainsi que pénales relatives à la notion
d’abus dans une perspective de politique générale protectrice de l’édifice législatif 233
réservé au groupe de sociétés. Sinon tout cet édifice risquerait de s’écrouler un jour.

92- Ainsi déterminé, dans une approche globale qui pourrait laisser au juge tunisien
une grande latitude d’effort en vue de l’aider à l’interprétation des articles 461 à 479 du
CSC, l’intérêt commun du groupe semble être un critère capital dans la détermination de
la notion d’abus. En effet, la notion classique, telle qu’elle a été conçue pour la société
isolée, sera écartée au profit d’une notion nouvelle, propre au groupe de sociétés, basée,
non pas sur l’atteinte à l’intérêt social, mais plutôt sur la violation de l’intérêt commun du
groupe. Pareille violation pourra constituer un fondement possible pour la détermination
de la notion d’abus dans le groupe de sociétés.

-§2 : L’atteinte à l’intérêt commun : fondement de la


détermination de la notion d’abus

‫" همزة الوصل بين شركات التجمع هي باألساس تحقيق مصالح مشتركة وهي غايات اقتصادية واحدة كتنمية رأس المال و مجابهة االستثمارات الضخمة و التموقع‬
.89 ‫ ص‬،‫ المداوالت سابقة الذكر‬،"‫في األسواق كل ذلك على أساس استراتيجية مسبقة التسطير و بمقتضى إدارة و رقابة الشركة األم‬
233
Les articles 461 à 479 CSC.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 45

93- Il sied de démontrer, avant l’exposé du choix jurisprudentiel de l’atteinte à


l’intérêt commun comme fondement de détermination de la notion d’abus (B), quelles
sont les raisons qui militent en faveur d’une telle option (A).

A- Les raisons du choix de l’atteinte à l’intérêt commun

94- Si l’on se cantonnait à la notion « classique234 » d’abus, on devrait l’appliquer


chaque fois que l’intérêt social serait méconnu au profit d’intérêts étrangers. Or, dans le
groupe de sociétés, l’existence d’une politique générale basée sur un intérêt commun à
tous, étranger à celui de chaque société prise isolément, est de l’essence même du groupe
de sociétés. « Soutenir le contraire serait admettre que la politique du groupe constitue
systématiquement un agissement abusif qui tombe sous le coup de la loi pénale. On
pourrait même se demander si les groupes n’ont pas de ce fait un caractère illicite235 ».
De surcroît, dissimuler l’intérêt commun du groupe serait juridiquement
insoutenable en raison de la reconnaissance législative des groupes de sociétés renforcée
par l’article 461 CSC qui donne une définition du groupe essentiellement basée sur ce
type d’intérêt.

95- Cependant, si l’on essaye d’analyser et d’interpréter les article 461 et suivants
du CSC dans une approche favorable au groupe de sociétés en optant pour une notion
d’abus basée sur la méconnaissance de l’intérêt commun du groupe, un nombre très
important d’actes, manifestement contraires à l’intérêt social, « perdent leur caractère
abusif pour devenir des opérations légitimes, justifiées par l’intérêt du groupe236 ».
En effet, dans le groupe de sociétés, il peut être intéressant « de chercher, bien que
la loi n’en fasse aucune obligation, si les actes contraires aux intérêts d’une société
faisant partie d’un groupe sont justifiés par le fait d’avoir été accomplis dans l’intérêt du
groupe. Ainsi la notion juridique d’acte contraire à l’intérêt social serait modifiée au
profit de celle d’acte conforme ou non à la politique d’ensemble du groupe237 ».

96- D’une façon générale, les sociétés groupées sont économiquement


subordonnées à une société directrice qui domine l’ensemble en décidant souverainement
de la politique générale du groupe238. Les sociétés contrôlées seront gouvernées, non au
vu de leur intérêt propre mais au vu de l’intérêt du groupe tout entier 239. « L’intérêt des
234
Telle qu’elle a été conçue pour une société isolée.
235
BEL HAJ YAHIA (B), thèse pré., p167.
236
Ibidem, p168.
237
DUCOULOUX-FAVARD (C), note pré. p 288.
238
BEL HAJ YAHIA, thèse pré., p8.

‫ و بالتالي تشكل الهولدنغ مع الشركات التي تراقبها مجموعة شركات تؤمن فيها‬.‫ إن شركة الهولدنغ تأخذ المشاركات في الشركات األخرى بغية مسك رقابتها‬...« 239
.272 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫ م س‬،‫" مزيحم ماجد‬...‫الهولدتغ وحدة اإلدارة وفقا الستراتيجية شاملة تهدف الى تحقيق مصلحة المجموعة‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 46

filiales est entièrement subordonné à l’intérêt du groupe240 ». La situation de dépendance


d’une filiale implique, souvent et même toujours, que les décisions de ses organes soient
dictées par la société dominante.
Il arrive en pratique que les intérêts des sociétés subordonnées soient sacrifiés dans
l’intérêt du groupe, sans pour autant que la décision ne soit entachée d’illégitimité. La
subordination des sociétés filiales emporte nécessairement un déplacement de l’intérêt
social vers l’intérêt suprême du groupe241.

97- Il semble donc inconcevable que la notion d’abus soit retenue chaque fois que
l’acte est contraire à l’intérêt social 242. L’admettre serait une mise en péril de tout
l’arsenal législatif composé des articles 461 et suivants du CSC.
En effet, « la sévérité et la rigueur de la solution donnent une mesure de son
irréalisme 243». Elle aboutirait, en fait, à une impossibilité de mise en œuvre d’une
solidarité économique entre les sociétés groupées et en particulier toute extension du
groupe par prise de contrôle deviendrait irréalisable244.
En outre, il parait excessif de fonder la détermination de la notion d’abus sur le
seul fait que l’acte est contraire à l’intérêt de la société car ce qui peut nuire à celle-ci
peut être bénéfique au groupe dans son ensemble et à long terme à la société elle
même245.

98- C’est à ce niveau que ressort l’intérêt d’une telle approche puisqu’elle aboutit,
forcément, à l’exclusion de la notion « classique » d’abus, qui ne tient compte que de
l’intérêt social, pour appliquer une notion d’abus « nouvelle », propre au groupe de
sociétés où la méconnaissance de l’intérêt commun du groupe serait un élément
fondamental pour cette dernière.
Ainsi, de l’atteinte à l’intérêt social en tant qu’élément primordial pour la
détermination de la notion d’abus dans une société isolée, on passe, dans le cadre du
groupe de sociétés, à la méconnaissance de l’intérêt commun du groupe en tant
qu’élément essentiel pour la détermination de cette même notion.
99- Cette dialectique semble, a priori, plus adaptée au groupe de sociétés. C’est
pour cette raison qu’elle devrait être appliquée aussi bien à l’abus des biens sociaux et les
cas assimilés, à l’abus de majorité ainsi qu’à l’acte anormal de gestion 246 en matière

240
RIPERT et ROBLOT, Traité de droit commercial, T.I, 17éme éd., LGDJ, 1998, p 1459.
241
SOUSI (G), art. pré., n° 11816.
242
A propos de la définition de l’intérêt social et l’acte anti-social V. infra. n° 111 et 112.
243
TROCHU (M), JEANTIN (M) et LANGE (D), De quelques applications particulières du droit pénal des sociétés au
phénomène économique des groupes de sociétés, Recueil Dalloz Sirey, 1975, p7.
244
A propos de la thèse inverse c'est-à-dire celle qui accorde la prééminence à l’intérêt social au détriment de l’intérêt
commun du groupe V. infra n° 124 et s.
245
WILFRID (J), Droit pénal des affaires, 5éme édition, DALLOZ, 2003, p361.
246
A l’instar du droit commercial, en droit fiscal l’acte anormal de gestion est tout acte contraire à l’intérêt de l’entreprise. V.
RIPERT (G) et ROBLOT (R), Traité de droit commercial, T.3, Droit fiscal des affaires, 4ème éd., LGDJ, 1995, p97, n° 79.
Dans le cadre de la théorie des actes anormaux de gestion est apparue l’idée que certaines opérations, jugées insolites entre
sociétés indépendantes, devraient être présumées normales dans le cadre d’un groupe de sociétés.
S’il est acquis, en matière fiscale, que l’administration n’a pas à s’immiscer dans la gestion interne des entreprises. V.
Ibidem. Il est, au contraire, admis que le juge peut intervenir pour contrôler le caractère normal de certaines opérations pour

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 47

fiscale247. D’ailleurs à propos de cette dernière matière, certaines décisions n’ont pas
hésité à adhérer au choix jurisprudentiel de la méconnaissance de l’intérêt commun du
groupe comme critère de la détermination de la notion d’abus.

B- Le choix jurisprudentiel de l’atteinte à l’intérêt commun

100- En l’absence d’une jurisprudence aussi bien commerciale que pénale, c’est le
juge fiscal tunisien qui a confirmé le fait que dans un groupe de sociétés il faut se placer
au niveau de l’intérêt commun du groupe pour déterminer la notion d’abus. Autrement
dit, c’est de la méconnaissance de l’intérêt commun du groupe que résulte l’abus dans le
groupe de sociétés.

réintégrer, le cas échéant, au bénéfice imposable, les charges illégalement déduite, sur la base de l’article 12 CIRPPIS qui ne
permet de déduire du bénéfice imposable que les charges nécessaires à l’exploitation.
247
Que l’on n’oublie pas aussi l’abus de position dominante et l’abus de dépendance économique en matière de concurrence.
V. supra n° 54 et s.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 48

Tel est le cas de la commission de taxation d’office de Sfax 248 qui, saisie à propos
d’une avance sans intérêts accordée par la société mère à sa filiale, n’a pas hésité à
affirmer la normalité de l’opération du point de vue fiscal en raison de l’existence d’un
intérêt financier et/ou commercial commun aux deux sociétés dû à la détention par la
société mère de 99% du capital de sa filiale qui est en difficulté économique.
Même si la dite commission n’a pas expressément évoqué la notion
« d’intérêt commun », une telle notion semble facile à dégager des termes utilisés dans sa
décision, à savoir

‫" حيث ال شيء يمنع قانونا شركة سيوك من االتفاق مع الشركة الجديدة للمطاط و األحذية و التي تملك فيها المستأنفة‬
‫ من رْا س المال على تمكينها من تسهيالت و قروض دون توظيف فوائض عليها نظرا لمرورها‬99 ‫ما يقارب‬
‫بصعوبات مادية واقتصادية من شْا نها أن تعرقل مسيرتها و من ورائها مسيرة المستأنفة و التي وظفت فيها أموالها‬
.249"‫وبالتالي فان مثل هدا التصرف ال يشكل عمل غير عادي واتجه نقض قرار التوظيف في شْا ن هدا الفرع‬

Dans l’affaire susvisée, il semble que le juge du fond tunisien s’est inspiré à foison
de la jurisprudence fiscale française250 qui a fait preuve d’une très grande souplesse dans
l’application de la théorie générale de l’acte anormal de gestion 251 aux groupes de
sociétés252.

101- En droit comparé, la jurisprudence pénale française a été la première à


admettre la substitution à l’intérêt social de l’intérêt commun du groupe comme critère
fondamental pour la détermination de la notion d’abus dans le groupe de sociétés.
On peut se contenter de rappeler l’autre facette du fameux arrêt Agache-willot
susmentionné253 où le tribunal affirme qu’ « à défaut d’une législation sur les groupes, on
doit rechercher : … Si les sacrifices demandés à l’une des sociétés ont bien été réalisés
dans l’intérêt du groupe… 254». Le tribunal ajoute, dans le même arrêt, que « les éléments
juridiques classiques constitutifs du délit d’abus de biens sociaux sont à écarter, les
dirigeants du groupe ayant nécessairement des intérêts directs ou indirects dans
l’ensemble des sociétés et leurs intérêts personnels étant souvent difficiles à distinguer de
l’intérêt du groupe ».

.3 ‫ ملحق عدد‬.‫ ْا‬.213 ‫ ص‬،2002 ،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،1999 ‫ نوفمبر‬26 ‫ مؤرخ في‬،46-97 ‫ عدد‬،‫ قرار توظيف اجباري‬248
249
Il est à préciser que la jurisprudence fiscale tunisienne n’est pas unanime concernant la nécessité d’appuyer la
détermination de la notion d’abus sur l’atteinte à l’intérêt commun du groupe. A propos de la thèse inverse du juge fiscal
tunisien V. infra. n° 122.
250
MEDUS (J-L), Le traitement fiscal des conventions entre sociétés liées (Panorama de jurisprudence), P.A., n° 50, 11 mars
2005, p. 3. C.E. 20 novembre 1974, Rev. Juri. Fisc., 1975, n° 1, p22. C.E. 5 juillet 1978, Rev. Juri. Fisc., 1978, n° 10, p184.
C.E. 24 février 1978, Dr. Fisc., 1978, n° 30, Comm. 1212, Concl. Riviére. C.E. 30 avril 1980, Rev. Soc. 1980, p787, note
Plagnet (B). COZIAN (M), Les grands arrêts de la fiscalité des entreprises, D. 1996, p 615.
251
252
SERLOOTEN (P), Droit fiscal des affaires, DALLOZ, 2003, n° 35, p 37. ROBLOT (R) et RIPERT (G), op.cit., p102.
253
V. supra. n° 90
254
T. corr. Seine 16-5-1974, Soc. Saint Frère, D. 1975, p37. JCP (E) 1975, II-11816, p381. Rev. Soc. 1975, p657, note
Oppetit (B). V. dans le même sens T. corr. Seine, 11 mai 1955, JCP 1955, II, 8973. T. corr. Paris, 26 nov. 1968, Gaz. Pal.
1969, I, p309, note Lacan. Cass. Com. 29 mai 1972, JCP, 1973, II, 17 337, note Guyon. Cass. Com. 7 oct. 1974, JCP, 1975,
éd. G, II, 18129, note GRUA.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 49

De même, dans le célèbre arrêt Rozenblum, déjà cité 255, la cour de cassation déclare
que « le concours financier apporté, par les dirigeants de droit ou de fait d’une société, à
une autre entreprise d’un même groupe dans laquelle ils sont intéressés directement ou
indirectement, doit être dicté par un intérêt économique, social ou financier commun,
apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce groupe… ».
Cet arrêt de principe a admis, de la manière la plus claire, que dans un groupe de
sociétés, c’est essentiellement l’intérêt commun du groupe qui détermine la notion
d’abus256. L’importance de cet arrêt réside en sa portée générale et sa formulation
directrice puisqu’il semble avoir orienté, depuis, la jurisprudence française 257.

102- Il n’en demeure pas moins qu’il est toujours difficile de déterminer l’acte
méconnaissant l’intérêt commun du groupe. Mais en s’appuyant sur la détermination
précitée de cet intérêt commun, notre jurisprudence pourra continuer à analyser les
situations litigieuses au cas par cas. Seront alors considérées contraires à cet intérêt toutes
les opérations qui sont faites dans le seul intérêt des dirigeants du groupe, c’est-à-dire les
dirigeants de la société mère 258. C’est également le cas des actes entrepris dans l’intérêt
d’une seule société du groupe, généralement dans l’intérêt de la société mère 259, au
détriment d’une ou de plusieurs autres sociétés du groupe. Que l’on n’oublie pas aussi les
opérations réalisées au profit d’un tiers. Tel est le cas des actes profitant à une société
hors groupe dont les dirigeants sont les amis ou bien les membres de la famille d’un des
dirigeants du groupe.

103- En définitive, la notion d’abus classique, fondée essentiellement sur la


violation de l’intérêt social, mérite d’être écartée au profit d’une notion d’abus nouvelle
fondée sur l’atteinte à l’intérêt commun du groupe.
255
V. supra. n° 104.
256
Cette idée a été également retenue dans le cadre de l’abus de pouvoir. V. Cass. Crim. 13-2-89, Rev. Soc. 1989, p69 2, note
Bouloc (B).
257
Cass. crim., 13 févr. 1989, n° 88-81.218, Rev. Soc. 1989, p. 692, note Bouloc ; Cass. crim., 4 sept. 1996, n° 95-83.718,
RJDA, 1997, n° 58, p. 35, JCP éd. E 1997, I, n° 639, p. 133, Obs. Viandier et Caussain, D. 1996, I.R., p. 260, Rev. Soc. 1997,
p. 365, note Bouloc ; Cass. crim., 5 mai 1997, n° 96-81.482, JCP éd. E 1997, n° 1049, Bull. Joly 1997, p. 953, note Barbiéri,
D. affaires 1997, chr., p. 971, RJDA 1997, no 1493, p. 1023 ; cf. aussi Bouloc, Droit pénal et groupes d'entreprises, Rev. Soc.
1988, p. 181 ; Freyria et Clara, De l'abus de biens et de crédit en groupe de sociétés, JCP éd. E 1993, I, n° 247.
258
Etant dépourvu de personnalité morale on ne peut concevoir que le groupe de sociétés ait des dirigeants. Ces derniers ne
sont dès lors que les dirigeants des sociétés du groupe. Parmi ces dirigeants une distinction devrait être établie entre : les
dirigeants dans le groupe, c'est-à-dire ceux des différentes sociétés groupées et les dirigeants du groupe, c'est-à-dire ceux de
l’état-major du groupe qui n’est autre que la société mère. V. GAUTHIER (T), Les dirigeants et les groupes de sociétés,
LITEC, 2000, Paris, n° 56, p50.
259
Il faut remarquer que la société mère, en tant que personne morale, se trouve immunisée contre l’interdiction édictée par
l’article 192 CSC qui dispose qu’ « une personne physique ne peut être simultanément membre du conseil d’administration
dans plus que huit sociétés anonymes ayant leur siège en Tunisie ». La société mère peut alors facilement profiter de cette
situation. En effet, en occupant plusieurs sièges d’administrateur aussi bien dans les filiales que dans les sociétés contrôlées,
la société mère peut toucher des rémunérations importantes, voire gonflées, pour la simple raison que l’organe qui fixe ces
rémunérations, à savoir l’assemblée générale, est dominé par la société mère en sa qualité d’associé majoritaire. Autrement
dit, c’est la société mère associée majoritaire qui va déterminer la rémunération de la société mère administrateur.
L’allocation de rémunérations anormalement gonflées à la société mère constitue certainement un acte contraire à l’intérêt
commun du groupe puisqu’il est fait dans le seul intérêt de la société mère, voire des dirigeants et/ou des actionnaires
majoritaires de cette dernière. V. BEL HAJ YAHIA (B), thèse pré., p 154. LIENHARD (A), art. pré., p 199. MALLEK (M),
mém.pré., p 116.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 50

Certes, une approche pareille épouse à merveille l’impératif de promotion du


groupe de sociétés. Mais l’on ne doit pas faire table rase du fait qu’une telle approche,
excessivement défendue, risque d’évincer l’autre impératif de contrôle et de protection
qui est loin d’être étranger au groupe de sociétés ; d’autant plus qu’en cas de conflit entre
l’intérêt social et l’intérêt commun du groupe la détermination de la notion d’abus
deviendrait une tache ardue, car l’option entre ces deux intérêts ou leur conciliation
fixerait le sort de la notion d’abus.

Section deuxième :
La détermination de la notion d’abus en cas de
conflit entre l’intérêt social et l’intérêt commun du
groupe

104- Nul n’en disconvient que l’intérêt commun du groupe « transmue le mal en
260
bien ». Autrement dit, c’est l’intérêt commun du groupe qui devra en principe
déterminer la notion d’abus dans le groupe de sociétés, de sorte qu’il importe peu que

260
GUYON (Y), op.cit., p201.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 51

l’acte soit contraire à l’intérêt social, car le plus important est qu’il soit conforme à
l’intérêt commun du groupe.
Le législateur tunisien ne semble pas du même avis puisqu’il n’a pas hésité, en cas
de conflit entre l’intérêt social et l’intérêt commun du groupe, à accorder la primauté au
premier.
On en déduit qu’en droit tunisien, c’est l’intérêt social qui semble déterminer la
notion d’abus dans le groupe de sociétés (paragraphe premier). Une telle solution est,
sans aucun doute, contraire à la logique du groupe de sociétés puisqu’elle risque
d’affecter les supports nécessaires à la détermination d’une notion d’abus adaptée au
groupe (paragraphe deuxième).

-§1 : La prévalence de l’intérêt social dans la


détermination de la notion d’abus
105- Dans le cadre d’une société isolée, le respect de l’intérêt social est un fait
patent à ne plus démontrer. Cet intérêt constitue le principal critère d’interprétation de la
plupart des règles organisatrices des sociétés commerciales. C’est, en effet, de l’intérêt
social que dépend la détermination de la notion d’abus dans les sociétés isolées 261.
En revanche, la situation dans le groupe de sociétés est tout à fait différente, car à
coté de l’intérêt particulier de chaque société du groupe, il existe, comme on vient de le
voir, un intérêt commun du groupe qui ne coïncide pas nécessairement avec l’intérêt de
chaque société du groupe262.

261
V. MESTRE (J) et PANCRAZI (M-E), op. cit., p240, n° 253.
262
BEL HAJ YAHIA (B), thèse pré., p140.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 52

106- Le problème est donc de savoir comment déterminer la notion d’abus en cas
de conflit entre l’intérêt commun et l’intérêt social ? C’est le cas, par exemple, d’une
société filiale qui abandonne sa créance au profit de la société mère qui, pour une raison
ou une autre, se trouve en difficulté économique. Il est clair qu’un tel acte est conforme,
d’une part, à l’intérêt du groupe, contraire, d’autre part, à l’intérêt social de la filiale.
Dans un cas pareil, doit-on privilégier le premier intérêt ou bien, au contraire,
l’abandonner au profit du second ? Ou tout simplement les concilier263 ?

Il semble que notre législateur, lors de la codification du droit des groupes de


sociétés, n’a pas hésité à écarter l’intérêt commun du groupe au profit de l’intérêt social.
Faut-il alors considérer que cet intérêt détermine, désormais, la notion d’abus tant au
niveau de l’abus de majorité (A) que de l’abus des biens sociaux (B) ?

A- La prévalence de l’intérêt social dans la détermination


de l’abus de majorité

107- Dans les sociétés commerciales isolées « comme dans une démocratie, les
décisions se prennent à la majorité, devant laquelle la minorité doit s’incliner, c’est un
gage d’efficacité par rapport au droit commun des contrats ou de l’indivision, lequel ne
connaît que la règle de l’unanimité264 ».
A l’instar d’une société isolée, le groupe de sociétés fonctionne selon le pouvoir
majoritaire. Cependant, dans un groupe de sociétés, le problème de l’équilibre des
pouvoirs a naturellement un aspect aigu et permanent 265. Il y aurait « des innombrables, et
parfois monstrueuses combinaisons qui enchevêtrent les intérêts et les capitaux des
sociétés de commerce 266». Les minoritaires dont la situation est déjà désavantageuse dans
une société isolée, face à une majorité qui détient tous les leviers du pouvoir en occupant
."‫ النظام القانوني لتجمع الشركات يقوم على مبدأ جوهري يتمثل في الموازنة بين المصالح الخاصة بكل شركة و المصلحة العامة لتجمع الشركات ككل‬..." 263
.1 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،93 ‫ ص‬،5 ‫ عدد‬،2001 ‫ نوفمبر‬20 ،‫مداوالت مجلس النواب‬
264
COZIAN (M) ; VIANDIER (A) et DEBOISSY (F), Droit des sociétés, éd. LITEC, 2004, n° 470, p171.
265
RODIERE (R), la protection des minorités dans les groupes de sociétés, Rev. Soc. 1970, p224.
266
FIAMEL (J), La protection des minorités dans les sociétés anonymes, p678. Cité par KTARI (S), La corporate governance
et les groupes de sociétés tels qu’organisés par la loi n° 117-2001 du 6 décembre 2001, E.J. n° 9, 2002, p207.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 53

les postes de direction, sont dans une situation bien plus grave encore lorsque leur société
est affiliée à un groupe. « Dans ce cas, non seulement, la disproportion des forces est
encore plus grande, puisque les intérêts majoritaires débordent la société elle-même,
mais les risques d’abus seraient bien plus considérables. La majorité ne considérerait la
société que comme un pion dans un jeu de plus vaste portée, que l’on n’hésiterait pas à
sacrifier délibérément267… ».

108- Conscient d’une telle réalité, le législateur a bien fait d’étendre l’abus de
majorité aux groupes de sociétés268. Mieux encore, il a consacré des règles nouvelles
relatives à l’abus de majorité dans le cadre des sociétés liées. La conception classique de
l’abus semble alors céder le pas à une autre conception qui pourrait s'accommoder des
caractéristiques du groupe de sociétés puisqu’il ne s’agit plus, pour les minoritaires, de
critiquer une décision qui émane des majoritaires de leur société, mais plutôt de ceux de
la société mère.
Cette option législative doit être en principe saluée ; mais elle ne semble pas
indemne de toute critique, notamment lorsqu’on approche la notion d’abus de majorité
sous l’angle de son fondement juridique. C’est pourquoi en évitant toutes les brèches
relatives au régime juridique qui seront analysées dans la deuxième partie de cette étude,
on essaiera à présent de se borner à évoquer l’abus de majorité par rapport au conflit entre
l’intérêt social et l’intérêt commun.

109- A ce propos, l’article 477 CSC dispose que « la minorité des associés dans
une société appartenant à un groupe de sociétés dont la participation n’est pas inférieure
à dix pour cent peut exercer l’action sociale contre les associés représentant la majorité
dans la société mère, en cas de prise d’une décision portant atteinte aux intérêts de la
société et ayant pour objectif de servir les intérêts de la majorité au détriment des droits
légitimes de la minorité »269.
Il ressort de cet article que l’abus de majorité n’est consommé dans le groupe de
sociétés que si deux conditions sine qua non sont remplies, à savoir l’atteinte à l’intérêt
social de la société affiliée et la rupture de l’égalité entre les minoritaires de cette dernière
société et les majoritaires de la société mère. Il s’agit, à quelques différences près, des
mêmes composantes de l’abus de majorité tel que prévu par l’article 290 CSC 270 pour la
société anonyme isolée271.
267
OPPETIT (B) et SAYAG, Méthodologie d’un droit des groupes de sociétés, Rev. Soc. 1973, p594.
268
V. art. 477 CSC.
269
A présent on se permet de s’arrêter aux éléments constitutifs de l’abus de majorité pour voir, dans la deuxième partie, les
conditions relatives à la mise en œuvre de l’action sociale. V. infra n° 245.
270
L’alinéa premier de l’article 290 CSC dispose que « les actionnaires détenant au moins vingt pour cent du capital social
pourront demander l’annulation des décisions prises contrairement aux statuts ou portant atteinte aux intérêts de la société ,
et prise dans l’intérêt d’un ou de quelques actionnaires ou profit d’un tiers ».
271
Il convient de préciser que les articles 290 et 477 du CSC différent essentiellement au niveau des personnes responsables
de l’abus de majorité. En effet, les responsables au sens de l’article 290 sont les majoritaires de la même société, alors que
ceux de l’article 477 sont les majoritaires d’une autre société, à savoir la sociétés mère. Les deux articles sont à distinguer
également au niveau des sanctions applicables. Alors que l’article 290 a expressément exigé la nullité, l’article 477 a accordé
aux minoritaires une action sociale dont il n’a pas précisé les effets. V. infra n° 251.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 54

110- Quant à la condition se rapportant à la rupture d’égalité entre les minoritaires


de la société contrôlée et les majoritaires de la société mère, elle mérite d’être précisée 272.
En effet, l’adhésion à un groupe de sociétés provoque généralement une rupture d’égalité
entre les associés. Les actionnaires de la société mère, même s’ils sont minoritaires,
occupent une position plus confortable que celle des minoritaires des autres sociétés du
groupe. Cette inégalité de « nature », provoquée par le simple fait de l’existence d’un
groupe de sociétés n’est pas celle visée par l’article 477 CSC. Il s’agit plutôt d’une
rupture d’égalité engendrée par des décisions abusives provenant des actionnaires
majoritaires lors du fonctionnement du groupe de sociétés.
À vrai dire, il est inadmissible que les majoritaires de la société mère se procurent
des avantages dont les minoritaires du groupe seraient exclus. Une telle situation est
certainement constitutive de la rupture d’égalité 273 en tant que condition fondamentale de
l’abus de majorité.
Cette forme de rupture se compose en réalité de deux éléments : un préjudice subi
par les minoritaires et un avantage réservé aux seuls majoritaires 274.
Quant au préjudice, il ne concerne pas seulement les minoritaires. Il intéresse
également les sociétés membres, voire le groupe dans sa totalité, car si l’abus ne profite
en principe qu’à ses acteurs, ses conséquences négatives sont d’une étendue très vaste.
Contrairement aux minoritaires qui subissent un préjudice, les majoritaires
réalisent un intérêt personnel injustifié qui prend généralement la forme d’une
rémunération excessive.

111- En plus de la rupture d’égalité, l’abus de majorité n’est retenu, dans le groupe
de sociétés, que si la décision querellée est contraire à l’intérêt social d’une des sociétés
liées. Se pose alors le problème de la définition de cet intérêt 275.
272
M. Schmidt a proposé que l’abus de majorité soit caractérisé par la seule rupture d’égalité entre associés. En effet, les
décisions abusives des majoritaires peuvent créer une rupture d’égalité grave entre les associés, sans qu’elles soient contraires
à l’intérêt social. Tel est le cas lorsque les majoritaires décident de ne pas distribuer les dividendes mais de les affecter sous
forme de réserve ou de les mettre à la disposition d’une autre société du groupe. In, Les conflits d’intérêts dans la société
anonyme, Pratique des affaires, éd. Joly, 1999, n° 192 et 193. Le législateur tunisien est d’un avis contraire puisqu’il exige
également une atteinte à l’intérêt de la société.
273
Nul doute que le principe d’égalité entre actionnaire est un principe fondamental qui anime le fonctionnement interne de
la société. Cependant, malgré son importance, ce principe n’a été consacré par aucun texte en droit tunisien. Il n’en demeure
pas moins que notre droit des sociétés s’en inspire profondément. L’abus de majorité n’est, à ce niveau, qu’une consécration
pure et simple de ce principe. MESTRE (J), L’égalité en droit des sociétés, Rev. Soc., 1989, p 399. CORDONNIER (P), De
l’égalité entre actionnaires, thèse, Faculté de droit Paris I, 1924. BOUDABBOUS (J), L’inégalité entre les actionnaires dans
les sociétés anonymes, mémoire de DEA, Faculté de droit de Sfax, 2000, p 1. NSIRI (S), L’actionnaire minoritaire, mémoire
de DEA, Faculté de droit de Sfax, 2001, p 130.
274
GERMAIN (A), L’abus du droit de majorité, Gaz. Pal., I, 1976, p168. LEPOUTRE, Les sanctions des abus de minorité et
de majorité dans les sociétés commerciales, Dr. Et Patr. 1995, n° 33, p. 68. TRICO (D), Abus de droit dans les sociétés : abus
de majorité et abus de minorité, RTD Com, 1994, p617. ARMAND (C) ET VIDANDIER (A), Réflexions sur l’exercice de
l’action sociale dans le groupe de sociétés : transparence des personnalités et opacité des responsabilités, RS, 1986, p560.
275
Pour éviter tout risque de confusion, il sied de distinguer l’intérêt social de l’objet social définit comme étant l’ensemble
des activités industrielles ou commerciales entreprises directement par la société. L’intérêt social diffère également du but
social qui consiste dans l’intention de réaliser et de partager les bénéfices sociaux (ou même de réaliser des économies).
Enfin il est à préciser que l’intérêt social n’est pas toujours conforme aux intérêts de la majorité. V. SCHMIDT (D), De
l’intérêt social, JCP, éd. E., 1995, I, n° 488. HMAMIA (N), L’intérêt social dans les sociétés commerciales, mémoire de
DEA, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 1997, p 11. SOUSI (G), L’intérêt social dans le droit français des

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 55

De manière synthétique, il existe, à l’heure actuelle, deux conceptions dominantes


définissant l’intérêt social. La première, se fondant sur la théorie contractuelle de la
société276, assimile cet intérêt à celui des actionnaires. Ses partisans considèrent que la
société « n’est pas constituée en vue de satisfaire un autre intérêt que celui des associés,
qui ont seuls vocation à partager entre eux le bénéfice social277 ».
S’appuyant sur la théorie institutionnelle de la société, la seconde conception
considère l’intérêt social comme étant l’intérêt supérieur de l’entreprise 278.
Mais d’une manière générale, il semble que l’intérêt social peut être considéré,
comme « une boussole » : « c’est un impératif de conduite, une règle déontologique,
voire morale, qui impose de respecter un intérêt supérieur à son intérêt personnel279 ».
Cette difficulté dans la définition de l’intérêt social se vérifie davantage lors de
l’identification de l’acte anti-social. En effet, plusieurs critères ont été avancés pour
cerner la définition d’un tel acte comme par exemple le critère de l’absence de
contrepartie ou encore celui du risque social 280. Pourtant aucune règle de portée générale
n’a pu être dégagée malgré les efforts louables de la doctrine281.

112- En tout cas, force est de constater que l’article 477 CSC octroie toujours la
primauté à l’intérêt social sur l’intérêt commun du groupe. L’on doit aussi observer que,
dans le texte précité, le législateur n’a même pas évoqué la notion d’intérêt commun du
groupe. En effet, c’est l’atteinte à l’intérêt social et non point l’atteinte à l’intérêt
commun du groupe qui a été expressément prévue par l’article suscité. On peut alors
déduire qu’il n’y a pas lieu à chercher si l’acte en question satisfait ou non à l’intérêt
commun du groupe, il suffit que l’intérêt social soit atteint pour que l’abus de majorité
soit retenu282.
sociétés commerciales, Thèse, Lyon III, 1974.
276
Remarquons de passage que la nature juridique de la société semble connaître actuellement au moins trois conception s : la
conception contractuelle, la conception institutionnelle et la conception mixte. V BEN AMMOU (N), -Société et contrat,
colloque à propos du CSC, 5 et 6 avril 2001, Centre des études juridiques et judiciaires, Tunis 2002, p 27. – Cours pré., p 1 et
s. THOMAS (J), Le droit de l’entreprise en Tunisie, Ecole nationale d’administration, Tunis, 1971, p 149. DESQUEYRAT,
L’institution, le droit objectif et la technique juridique, Thèse, Paris, 1934. PORTEMET (J), Du contrat à l’institution, JCP,
1947, p 586. BERTEL (J-P), Le débat sur la nature de la société, Mélange SAYAGE (A), LITEC, 1997, p 131.
ABDELHAMID (G), Sociétés commerciales et infractions pénales en droit tunisien, Faculté de droit et des sciences
économiques de Perpignan, 1999, p 9 et s.
‫ أن الشركة هي عقد في أساسه و لكن هذا العقد يتميز عن سائر العقود األخرى وهو ما أدى بالفقه التونسي و المقارن إلى اعتبار أنه غير‬1249 ‫" يتضح من الفصل‬
‫ و‬.‫منطقي أن نطلق على الشركة طبيعة العقد ألن شروط تأسيسها تتعدى شروط التعاقد التي يعرفها القانون المدني بصفة عامة و قانون لاللتزامات بصفة خاصة‬
‫ دار‬،‫ تعليق على قانون الشركات‬،‫بن نصر توفيق‬."‫على هذا األساس فان الفقه الحديث يحبذ إطالق كلمة المؤسسة على الشركة عوضا عن تعريفها بوصفها عقد‬
1.‫ ص‬،1996 ،1 .‫ ط‬،‫الميزان للنشر‬
277
SHMIDT (D), De l’intérêt commun des associés, JCP, èd. E, 1995, I-488, n° 38, p 361.
278
PAILLUSSEAU (J), Entreprise, société, actionnaires, salariés, quels rapports ? Rec. D., 1999, 15ème cah., chron., p 157.
279
COURET (A), L’intérêt social, Cah. D. E., 1996, p 1.
280
BELHAJ YAHIA (B), L’abus des biens et du crédit sociaux, Colloque « le droit pénal et les sociétés commerciales », 2 3
et 4 mai 1985, Centre de recherche d’étude et de publication, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, p 146.
281
PORACCHIA (D), Le rôle de l'intérêt social dans la société par actions simplifiée, Rev. Soc. 2000, p. 223. SOUSI (G),
thèse pré. SCHAPIRA (J), L'intérêt social et le fonctionnement des sociétés anonymes, RTD Com. 1971, p. 957. SCHMIDT
(D), De l'intérêt social, JCP éd. E 1995, I, n° 488. BERTREL (J-P), La position de la doctrine sur l'intérêt social, Dr. et Patr.
1997, n° 48, p. 43 ; BISSARA (PH), L'intérêt social, Rev. Soc. 1999, p. 5. BAILLY-MASSON (C), L'intérêt social, une
notion fondamentale, PA, 9 nov. 2000, p. 6. DEKEUVER (A), Les Intérêts protégés en cas d'abus de biens sociaux, JCP éd.
E 1995, I, p. 500. GOUTUY (PH), DANOS (F), De l'abus de la notion d'intérêt social, D. affaires 1997, p. 877.
.31 ‫ ص‬،2002 ،‫ كلية الحقوق و العلوم السياسية بتونس‬،‫ مذكرة لنيل شهادة الدراسات المعمقة‬،‫ التعسف في الشركات خفية االسم‬،‫بوزرارة منتصر‬
282
Sans oublier bien sur la première condition relative à la rupture d’égalité entre actionnaires.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 56

113- L’attitude de notre législateur rappelle le célèbre arrêt FRUEHAUF dans


lequel la cour d’appel de Paris a donné la primauté à l’intérêt de la société prise
isolément. En l’espèce, les contrôlaires américains de la société Fruehauf France
décidèrent de ne pas exécuter un marché de fourniture de remorque que cette société avait
conclu avec la société Berliet au seul motif que le matériel était destiné à la Chine
populaire se trouvant, à cette époque là, sous embargo. La cour d’appel de Paris avait
constaté que la décision de rupture du marché était contraire à l’intérêt de la société et
qu’elle pouvait « ruiner définitivement l’équilibre financier et le crédit moral de la
société Fruehauf France ... 283»
Il faut remarquer que la cour, dans cet arrêt, avait opté pour la protection de
l’intérêt social car, à vrai dire, il n’y avait aucun intérêt du groupe à protéger. La décision
aurait peut-être été contraire s’il y en avait un284.

114- Quant à l’auteur de l’article 477 du CSC, il paraît qu’il a clairement opté pour
la prévalence de l’intérêt social sur l’intérêt commun du groupe. La détermination de la
notion d’abus de majorité s’appuiera donc sur cet intérêt et non point sur l’intérêt
commun du groupe. Une telle position est loin d’encourager l’édification d’une notion
d’abus autonome et compatible aux impératifs du groupe de sociétés 285.
115- L’absence de toute référence à l’intérêt commun du groupe au sein de l’article
477 du CSC exhorte alors à se demander pourquoi le législateur ne s’est-il pas contenté
de faire un simple renvoi à l’article 290 CSC ? En effet, cet article permet aux
minoritaires de critiquer les décisions des majoritaires « portant atteinte aux intérêts de la
société et prise dans l’intérêt d’un ou de quelques actionnaires ou profit d’un tiers ». Il
semble que la seule raison qui a emmené le législateur à dépasser l’article 290 est que la
décision abusive n’émane pas des majoritaires de la même société mais de ceux d’une
autre société, à savoir la société mère. Ce qui rend l’article 290 inapplicable dans le
groupe de sociétés lorsqu’il est question d’atteindre les majoritaires de la société
dominante par les minoritaires de la société dominée286.
Il va sans dire que le législateur, en refusant de renvoyer à l’article 290 susvisé,
aurait dû, à travers l’article 477 précité, solutionner tout conflit d’intérêt en faveur de
l’intérêt commun du groupe. Il n’a même pas essayé de trouver une solution conciliatrice
entre ces deux types d’intérêts assez souvent antinomiques. Ce refus de consacrer
clairement l’intérêt commun apparaît aussi au niveau de l’abus des biens sociaux où le
législateur semble également donner le primat à l’intérêt social.

283
C.A. Paris, 22 mai 1965, JCP, II, 1965, n° 14274 bis. RTD Com., 1965, p 619, note RODIERE.
284
CONTIN (R), L’arrêt FRUEHAUF et l’évolution du droit des sociétés, D., I, 1968, p45.
‫ إذ أن هذا الحل يبدو أكثر تطابقا مع النشاط‬.‫ " يمكننا القول بأن قرارا متخذا باالستناد إلى مصلحة المجموعة فقط يقتضي أن ينجو من اإلبطال لتعسف األكثرية‬285
‫ و بالتالي يتعذر إقامة هذا التعاون إذا كان كل‬.‫الرئيسي للهولدنغ الذي يقوم على تأمين التعاون المالي و االقتصادي بين الشركات المنتمية للمجموعة المهيمنة عليها‬
.210 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫ م س‬،‫ مزيحم ماجد‬." ‫قرار تتخذه الهولدنغ مهددا بسيف البطالن لمجرد عدم كونه في إطار المصلحة الشخصية للشركة المعينة‬
286
Cet article reste, bien entendu, applicable chaque fois que les minoritaires de la société liée veulent attaquer les décisions
émanant des majoritaires de la même société. Encore faut-il que la société en question soit une société anonyme.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 57

B- La prévalence de l’intérêt social dans la détermination de


l’abus de biens sociaux

116- Contrairement à l’abus de majorité, la loi n° 2001-117 du 06-12-2001 relative


au groupe de sociétés n’a pas déterminé de façon explicite l’abus de biens sociaux
inhérent au groupe de sociétés. En effet, mis à part l’article 478 CSC qui a appréhendé
l’abus de biens sociaux comme motif pour l’extension de la procédure collective aux
autres sociétés du groupe287, aucun article de cette loi n’a traité explicitement de cet abus.
Cependant, on peut se permettre, à la lecture de l’article 474 CSC, de se poser la question
de savoir si ce texte fait ou non allusion, du moins indirectement, à la notion d’abus de
biens sociaux ?
Ce texte288 annonce que « nonobstant toute disposition contraire, il est permis
d’effectuer des opérations financières entre les sociétés du groupe ayant des liens directs
ou indirects de capital, dont l’une dispose d’un pouvoir sur les autres dû à la détention
de plus de la moitié du capital social.
Sont considérées opérations financières, tout prêt au sens de la législation relative aux
établissements de crédit, toute avance en compte courant ou garantie, quelles qu’en
soient la nature et la durée.
Ces opérations ne peuvent être effectuées qu’aux conditions suivantes :
287
V. infra. n° 209 et s.
288
A propos de l’analyse de ce qu’est une opération financière. V. infra. n° 188.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 58

1- que l’opération financière soit normale et n’engendre pas de difficultés pour la


partie qui l’a effectuée,
2- que l’opération soit justifiée par un besoin effectif pour la société concernée et
qu’elle ne résulte pas de considérations fiscales,
3- que l’opération comporte une contrepartie effective ou prévisible pour la société
qui l’a effectuée,
4- que l’opération ne vise pas la réalisation d’objectifs personnels pour les dirigeants
de droit ou de fait des sociétés concernées ».289

117- Trois raisons militent en faveur de l’interprétation selon laquelle l’article


précité semble viser l’abus de biens sociaux.
La première raison tient au fait que la doctrine, en matière des opérations
financières effectuées au sein du groupe de sociétés, n’hésite pas à rattacher les dites
opérations à un éventuel abus de biens sociaux au sein du groupe.
C’est ainsi, que le professeur MEDINA enseigne que si les opérations financières
intragroupe sont faites à titre gratuit, « le dirigeant qui a utilisé les biens de la société
pour avantager une autre personne morale pourra être poursuivi pour abus de biens
sociaux290 ».
De même, M. Ohl considère que les opérations financières sont redoutables,
notamment sur le plan de l’abus de biens sociaux pour la simple raison qu’ « elles
permettent un transfert incessant des ressources d’une société à une autre 291».
De leur coté, les professeurs Cozian et Viandier qualifient, avec un humour noir,
les opérations financières de vampirisme intragroupe : « il faut craindre dans le groupe
de sociétés le vampirisme, c'est-à-dire, les transfusions de substances d’une société à une
autre, les bradages d’actifs pour sauver la société mère ou une société sœur… Ces
pratiques sont très connues, elles ont fait la réputation judiciaire de certains hommes
d’affaires ; l’angle d’attaque habituel alors c’est celui de l’abus de biens sociaux ».

La deuxième raison consiste à dire que l’article 474 susvisé semble s’inspirer, en
partie, de la jurisprudence française292 statuant en matière d’abus de biens sociaux dans le
groupe de sociétés. En effet, plusieurs décisions n’hésitent pas à établir une relation
causale entre l’opération financière et la commission de l’abus de biens sociaux, de sorte
que la première parait constituer le terrain d’élection des agissements abusifs.

289
L’article 474 CSC, en autorisant les opérations financières intra groupe, a édicté une exception au monopole bancaire
prévu par l’article 14 de la loi n° 2001-65 du 10-7-2001 relative aux établissements bancaires. V. infra. n° 284.
290
MEDINA (A), op.cit., p 144.
291
OHL (D), Les prêts et avances entre sociétés d’un même groupe, LITEC, 1982, n° 287, p 195. UETTWILLER (J-J),
Comment déterminer le prix de cession intragroupe, Rev. Soc., 1995, p 459. SMALLHOOVER (J-J), Avances de trésorerie
dans un groupe de sociétés, BRDA, 15-7-2000, n° 13, p 4.
292
Cass. Crim., 14-10-85, n° 84-94.221, BRDA, décembre 1985, n° 23, p 9. Cass. Crim. 13-12-2000, n° 99-80.387, Bull.
Joly Sociétés, mai, 2001, n° 124, p 123. ; JCP, 18-7-2001, n° 29, I-338, p 1425, note Vinay (G). Cass. Crim., 19-12-2000, n°
00-82.896. V. JOLY (E) et JOLY-BAUMGARTNER (C) , op.cit., p 193.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 59

La troisième raison peut-être déduite des réponses du ministère de la justice aux


questions écrites des commissions parlementaires. Il a été clairement dit que la
transgression de l’article 474 CSC pouvait être constitutive d’abus de biens sociaux :
« Si les dirigeants effectuent volontairement une opération contraire aux intérêts
de la société qu’ils dirigent, en vue de favoriser une autre société dans laquelle ils ont
des intérêts personnels, et-ce en disposant des biens de la société sans contrepartie ou
avec une contrepartie dérisoire ou en achetant des biens à une valeur qui dépasse
largement leur valeur ordinaire au marché, il est alors possible de les poursuivre
pénalement pour avoir favorisé une autre société ou pour abus de biens sociaux ou abus
des voix et de pouvoir conformément aux articles 146, 223 et 257 du CSC293 ».

118- De ce qui précède, on peut soutenir que le lien entre l’opération financière et
l’abus est très étroit à telle enseigne que l’accomplissement de la première fait craindre la
commission éventuelle du second. C’est dire que la notion d’abus ne peut jamais être
écartée du champ d’application des opérations financières. C’est dire aussi que ces
dernières peuvent être utilisées par certains dirigeants du groupe de sociétés pour
camoufler leur intention malveillante.
C’est, d’ailleurs, ce qui explique l’intérêt grandiose qu’a accordé le législateur de
2001 aux conditions et procédures nécessaires pour valider les opérations financières.

Pour toutes ces raisons, il semble nécessaire d’analyser les dispositions de l’article
474 CSC pour dévoiler les éléments caractéristiques de l’abus de biens sociaux dans le
groupe de sociétés.

119- L’article 474 tout en autorisant les opérations financières intragroupe 294,
impose, tout d’abord, que l’opération en question soit normale et qu’elle n’engendre pas
des difficultés pour la société qui l’a effectuée. Les concours financiers ne doivent donc
pas mettre en péril la société qui les accorde 295. Autrement dit, il ne faut pas que l’acte en
question conduise à compromettre la santé financière de la société sollicitée 296. Il doit être
plutôt conforme à son intérêt social.

? 293
: ‫ترجمة للصياغة العربية التالية‬
‫ وذلك بالتفويت في أمالك‬،‫" إذا تعمد المسيرون القيام بعملية ال تخدم مصالح الشركة التي يسيرونها لغاية محاباة ( إيثار) شركة أخرى لهم فيها مصالح خاصة‬
‫ فانه يمكن تتبعه جزائيا من اجل إيثار شركة أخرى و التعسف في‬،‫ أو باقتناء أشياء بقيمة تفوق قيمتها االعتيادية في السوق بكثير‬،‫الشركة دون مقابل أو بمقابل بخس‬
« ‫ من مجلة الشركات التجارية‬257 ‫ و‬223 ‫ و‬146 ‫استعمال أموال الشركة و مكاسبها أو في استعمال مالهم من األصوات والسلطات طبق ما ورد بالفصول‬
.1 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،102 ‫ ص‬،5 ‫ عدد‬،2001 ‫ نوفمبر‬20 ،‫مداوالت مجلس النواب‬
294
Il convient de préciser que l’article 474 CSC n’autorise les opérations financières qu’entre les sociétés du groupe ayant des
liens directs ou indirects de capital, dont l’une dispose d’un pouvoir sur les autres dû à la détention de plus de la moitié du
capital social. On en déduit une exclusion d’office des relations horizontales intragroupe en l’absence de participations
majoritaires du capital. V. infra. n° 189.
Cela rappelle la motivation du jugement du trib. Corr. Lyon (20-6-85) qui n’a pas hésité à affirmer que « la référence à la
notion « intérêt du groupe » implique la prise en compte de toutes les opérations à l’intérieur du groupe, sans exclure,
comme en l’espèce, les relations horizontales entre sociétés sœurs, alors surtout que l’opération a été décidée par la société
mère ». V. Gaz. Pal. décembre 1986, p782, note Marchi (J-P).
295
JOLY (E) et JOLY-BAUMGARTNER (C), op.cit., p 134.
296
MEDINA (A), op.cit., p 161.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 60

120- L’opération financière doit, ensuite, comporter une contrepartie effective ou


prévisible pour la société qui l’a effectuée. Ce qui est interdit, semble-t-il, n’est pas la
gratuité en tant que telle, mais plutôt la gratuité désintéressée 297. En effet, il est
communément admis qu’une opération désintéressée est indubitablement contraire à
l’intérêt de la société en cause. Ce qui n’est pas forcément le cas d’une opération gratuite.
Car, Cette dernière, bien que n’ayant pas une contrepartie financière effective, il n’en
demeure pas moins qu’elle peut avoir une contrepartie commerciale ou tout simplement
la réalisation d’une économie298, ce qui la rend conforme à l’intérêt social de la société
concernée.

121- Par ailleurs, l’article 474 CSC dispose que l’opération financière doit être
justifiée par un besoin effectif pour la société concernée.
Le besoin effectif peut avoir un caractère financier, économique ou même social.
Mais il ne peut jamais servir de prétexte pour servir les intérêts personnels des dirigeants
qui sont généralement contraires à l’intérêt social de la société intéressée 299.

122- En partant de ces diverses précisions, il sied de remarquer qu’une opération


normale, qui n’engendre pas de difficulté, comportant une contrepartie, non justifiée par
un intérêt personnel du dirigeant, n’est-elle pas, tout simplement, une opération conforme
à l’intérêt social ? Le législateur aurait donc pu se limiter, tout simplement, à dire que
l’opération financière est autorisée chaque fois que l’intérêt social des sociétés affiliées
est respecté.
Il s’ensuit que la détermination de l’abus des biens sociaux, comme celle de l’abus
de majorité dans le groupe de sociétés, ne parait pas en mesure de rompre avec le critère
de la violation de l’intérêt social. Pareille déduction est bel et bien confirmée par le
ministère de la justice qui a clairement affirmé, lors de la discussion du projet de la loi
des groupes, qu’en cas de contradiction ou d’opposition entre l’intérêt social et l’intérêt
commun du groupe, c’est le premier qui doit l’emporter300.
C’est bien là, donc, une répugnance pure et simple de l’intérêt commun du groupe,
de sorte que la détermination de la notion d’abus dans le groupe de sociétés semble être
encore fondée sur l’intérêt social. Ce qui permet de dire que la codification de 2001 ne
parait nullement divorcer avec la conception classique de la notion d’abus. Il n’en
demeure pas moins que cette notion ne peut s’adapter qu’au milieu pour lequel elle a été
échafaudée, à savoir la société isolée.
Malheureusement une telle position a été adoptée par le juge fiscal tunisien qui n’a
pas hésité à affirmer que le droit fiscal tunisien ne reconnaît pas encore l’existence d’un
297
ELLEUCH (S), Les opérations financières à l’intérieur du groupe de société, E.J., n° 9, 2002, p112. BEN ABDELJALIL
(S), Les opérations financières au sein des groupes de sociétés, mémoire de DEA, 97-98, Sousse, p76
298
V. art. 2 CSC qui permet qu’une société commerciale ait pour finalité la réalisation d’une économie.
299
ELLEUCH (S), art.pré., p 113.
‫ و‬،‫ نقدم المصلحة الخاصة للش{{ركة على مص{{لحة التجم{{ع كك{{ل‬،‫مع المالحظ أنه عند تعارض مصلحة إحدى الشركات مع المصلحة العامة لتجمع الشركات‬..." 300
‫ نوفم{{بر‬20 ،‫ مداوالت مجلس النواب‬."‫ التي ال يمكن حملها على التضحية بمصالحها في سبيل شركات أخرى ليست لها عالقة حقيقية بها‬،‫دلك حفظا لمصالح األقلية‬
.1 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،93‫ ص‬،5 ‫ عدد‬،2001

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 61

intérêt commun du groupe suprême et supérieur aux différents intérêts des sociétés
liées301.

Cette solution législative, confirmée par le juge fiscal, est certainement sujette à
critique, car ses conséquences sur la détermination de la notion d’abus dans le groupe de
sociétés et par ricochet sur la responsabilité des dirigeants du groupe, voire sur le groupe
lui-même, risquent d’être pernicieuses.

-§2 : Les dangers de la prévalence de l’intérêt social

123- Il semble permis de classifier ces dangers en deux catégories. Les uns médiats
(A), les autres sont immédiats (B).

A- Les dangers médiats

124- Ces dangers peuvent être résumés en deux formes de déséquilibres qui
risquent d’apparaître au sein du groupe de sociétés. La première peut se vérifier au
diapason des relations actionnaires minoritaires-dirigeants (I). La seconde a trait au bien-
fondé juridique de la notion d’abus au sein du droit du groupe de sociétés (II).

I- Déséquilibre au niveau des relations minoritaires-dirigeants

‫ بل إن كل شركة لها شخصيتها المعنوية المستقلة و يجب أن‬،‫ " و حيث أن القانون الجبائي ال يعترف بوجود مصلحة المجموعة تعلو مصالح الشركات التابعة‬301
.4 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬، 2003-9-25 ‫ بتاريخ‬628 ‫ عدد‬.‫ ا‬.‫ ح‬،"‫ وأتجه تبعا لدلك رد هدا الدفع لعدم وجاهته‬.‫تتصرف كل شركة طبق مصلحتها الشخصية‬
Signalons que cette décision n’est pas conforme à la décision de la commission de taxation d’office de Sfax. V. supra. n° 100.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 62

125- Nul doute que le groupe de sociétés a une incidence directe sur le rapport de
force au sein des sociétés liées. Il est sûrement une source de déséquilibre au détriment
des associés minoritaires et des créanciers sociaux dont la situation semble être la plus
affectée dans le groupe302.
Conscient de leur condition qui risque d’être alarmante, le législateur n’a pas hésité
à faire de l’atteinte à l’intérêt social de la société liée un critère déterminant de la notion
d’abus dans le groupe de sociétés. Or, ce faisant, il risque de créer un type de relations
non conformes à l’intérêt commun du groupe de sociétés. En effet, le maintien de
l’exigence de l’intérêt social ne doit pas passer inaperçu. Car, il se peut fort bien qu’au
déséquilibre « naturel » inhérent au groupe de sociétés soit substitué un autre déséquilibre
susceptible de voir le jour au désavantage des dirigeants du groupe.

126- Occulter l’intérêt suprême du groupe, pour n’évoquer que l’intérêt social,
parait, dans le cadre d’une loi spéciale au groupe de sociétés, surprenant pour ne pas dire
choquant.
En droit du groupe, force est de reconnaître qu’un acte, jugé abusif à l’état isolé,
peut être légitimé par les contingences économiques. Aussi, n’est-il pas illogique de
fonder la notion d’abus sur la violation de l’intérêt immédiat d’une société dans la mesure
où l’intérêt global du groupe n’est pas touché303.
S’intéresser à l’intérêt d’une société, n’importe laquelle du groupe, et par ricochet
aux intérêts des actionnaires minoritaires de cette société, appelés également actionnaires
hors groupe et laisser de coté l’intérêt suprême du groupe, relèverait de la pure
provocation. C’est le moins qu’on puisse dire à propos d’une loi propre aux sociétés
groupées.
Dans le groupe de sociétés on ne devrait plus raisonner par rapport à l’intérêt
social mais plutôt par rapport à l’intérêt commun du groupe. Toute approche différente
n’est que contraire à la logique du groupe.

127- Ainsi, la position du législateur qui répugne, lors de la détermination de la


notion d’abus, l’existence de tout intérêt commun du groupe distinct et supérieur à
l’intérêt social, n’est que contraire à la dialectique des groupes de sociétés. Elle aboutit
forcement à la détermination d’une notion d’abus étriquée, voire erronée qui, au lieu de
prendre en considération essentiellement la méconnaissance de l’intérêt commun du
groupe, prend en compte seulement la violation de l’intérêt social. Une telle notion
d’abus se répercutera négativement sur l’initiative des dirigeants du groupe et rendra
certainement les minoritaires de véritables gêneurs, voire des perturbateurs de la politique
générale du groupe.

128- En effet, tout dirigeant du groupe, de peur de tomber sous l’emprise d’une
notion d’abus faussée, refusera de prendre toute décision pouvant être préjudiciable à une

302
CHAMPAUT (C), Le pouvoir de concentration de la société par action, éd. Sirey, Paris, 1962, n° 367, p275.
303
PARIENTE (M), op.cit., p249.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 63

société liée, même si elle est justifiée par l’intérêt suprême du groupe 304 et même si la
société qui risque d’être lésée est d’une importance minime par rapport au groupe dans sa
globalité. Que l’on n’oublie pas aussi le fait que le préjudice en question peut être
incomparable avec la richesse qui pourrait être engendrée par la décision accusée.
Trop de sévérité à l’encontre du dirigeant du groupe pourrait, en réalité, l’inciter à
une réduction d’activité, alors qu’une atténuation de sa responsabilité pourrait l’exhorter
à plus d’initiative.
Nul doute que la mise en jeu d’une notion d’abus erronée et donc inadaptée mettra
en veilleuse toute initiative de la part des dirigeants du groupe. Ces derniers peuvent,
chaque jour, se voir accusés « d’utiliser abusivement les biens d’une société du groupe
dans l’intérêt d’une autre société et au préjudice de la première, alors qu’ils n’agissent
que dans l’intérêt général du groupe305 ».

129- À l'inverse, les actionnaires minoritaires du groupe, se verront plus actifs. A


tort ou à raison, ils essayeront de contester les décisions des contrôlaires. Il est même
vraisemblable que les minoritaires vont manifester dans l’avenir une agressivité plus vive
en se prévalent davantage de l’action en abus de biens sociaux ainsi que l’action en abus
de majorité306. A la limite, on pourrait craindre que la protection illimitée de l’intérêt
social ne devienne un moyen de pression, sinon même de chantage, entre les mains de
certains associés minoritaires.

130- Comme on peut le constater, la prévalence de l’intérêt social aux dépens de


l’intérêt commun du groupe peut donner lieu à une forme de déséquilibre entre les
intérêts en présence qui ne s’accommode nullement avec les impératifs et les objectifs de
ce phénomène de concentration. L’intérêt social qui a pu facilement constitué un bien-
fondé de la notion d’abus dans le cadre de la société isolée ne saurait être qu’un élément
perturbateur et créateur de déséquilibre au niveau du bien-fondé de la notion d’abus dans
le groupe de sociétés.

II- Déséquilibre au niveau du bien-fondé de la notion d’abus

131- L’histoire de la notion d’abus au sens large du terme enseigne que chaque fois
où elle a été rattachée à une matière juridique déterminée les juristes lui ont attribué
automatiquement un bien-fondé juridique propre et autonome. Car, autrement, le risque
de créer un déséquilibre juridique se fait inévitablement sentir. Pour s’en convaincre, il
suffit de citer quelques exemples.
Ainsi, le jour où le droit pénal a emprunté la voie de la codification de l’abus de
confiance, les rédacteurs de 1913 ont été obligés d’appuyer cette forme d’abus sur ce que
304
Ibidem., p192.
305
HOUIN (R), Droit des groupes de sociétés, congrès de Rennes, 1972, p215.
306
V. infra. n° 244 et s.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 64

la jurisprudence appelle un « contrat de confiance307 ». En effet, en citant, « six contrats


de confiance » à titre limitatif, l’article 297 CP annonce dans son alinéa premier que
« est puni d’un emprisonnement pendant trois ans et d’une amende de 1000 francs, celui
qui détourne ou dissipe, tente de détourner ou dissiper au préjudice des propriétaires,
possesseurs ou détenteurs, des effets, deniers, marchandises, billets, quittances ou tous
autres écrits contenant ou opérant obligations ou décharges, qui ne lui ont été remis qu’à
titre de louage, de dépôt, de mandat, de nantissement, de prêt à usage, ou par un travail
déterminé salarié ou non salarié, à charge de les rendre ou présenter ou d’en faire un
emploi déterminé ».
De ce texte, il se dégage que le lien juridique parait indéfectible entre la notion
d’abus de confiance et la liste limitative des contrats dits de confiance.
De même, l’abus de droit tel que consacré par l’article 103 COC a dû être appuyé
sur deux fondements possibles : soit l’intention de nuire, soit le dommage notable. Certes,
cette forme d’abus du droit civil semble constituer un principe général de droit plutôt
qu’un cas de responsabilité civile. Mais, quelque soit la qualification de l’abus de droit,
son fondement demeure propre à la catégorie d’abus relatif au droit civil.
132- Dés lors, en rapprochant l’abus de confiance de la notion civile de l’abus de
droit et en comparant leurs fondements respectifs, on ne peut que persister dans la pensée
juridique selon laquelle tout rattachement de la notion d’abus à une branche juridique
choisie postule qu’elle soit rattachée à un pilier conforme à ses caractéristiques ou à ses
éléments constitutifs.
D’ailleurs, c’est pour cette même raison que la notion d’abus une fois extrapolée au
droit des sociétés commerciales a dû se séparer de la notion d’abus de confiance, d’une
part, et celle d’abus de droit, d’autre part. En effet, il a fallu plus d’un siècle, en droit
pénal français, pour que la notion d’abus de biens sociaux se détache de l’abus de
confiance auquel elle était artificiellement liée 308. De même, la période fût assez longue
pour que cette même notion se sépare à jamais de l’abus de majorité 309. Et le jour où le
législateur français a cru bon d’édifier en droit des sociétés commerciales deux nouveaux
abus : l’abus de majorité et l’abus de biens sociaux 310, il a dû rompre avec l’ancien bien-
fondé de l’abus pour lui substituer un nouveau fondement tiré du concept de l’intérêt
social. Ainsi, une fois détachée de l’abus de confiance et de l’abus de droit, la notion
d’abus, en prenant de plus en plus son autonomie, est devenue fondée, quant à son
existence, sur l’atteinte à l’intérêt social.

133- De tous ces exemples, il ressort clairement que la notion d’abus change de
bien-fondé chaque fois où elle change de domaine d’application. Il y a là un

،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1980-7-19 ‫ مؤرخ في‬،4736 ‫ عدد‬،.‫ج‬.‫تع‬.‫ ق‬.209 ‫ ص‬،.‫ج‬.‫ قس‬،1968 ،1 ‫ عدد‬،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1968-7-10 ‫ مؤرخ في‬،5623 ‫ عدد‬،.‫ج‬.‫تع‬.‫ ق‬.‫ أ‬307
-4-24 ‫ م{{ؤرخ في‬،74184 ‫ ع{{دد‬،.‫ج‬.‫ت{{ع‬.‫ ق‬.130 ‫ ص‬،.‫ج‬.‫ قس‬،1994 ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1994-12-12 ‫ م{{ؤرخ في‬،57167 ‫ عدد‬،.‫ج‬.‫تع‬.‫ ق‬.165 ‫ ص‬،.‫ج‬.‫ قس‬،1980
‫ م{{ؤرخ‬،292 ‫ ع{{دد‬،.‫ج‬.‫تع‬.‫ ق‬.185 ‫ ص‬،.‫ج‬.‫ قس‬،1998 ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1998-5-12 ‫ مؤرخ في‬،84038 ‫ عدد‬،.‫ج‬.‫تع‬.‫ ق‬.209 ‫ ص‬،.‫ج‬.‫ قس‬،1996 ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1996
.188 ‫ ص‬،.‫ج‬.‫ قس‬،2001 ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،2001-11-16 ‫ مؤرخ في‬،14591 ‫ عدد‬،.‫ج‬.‫تع‬.‫ ق‬.91 ‫ ص‬،2000 ،10 ‫ عدد‬،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،1999-6-3 ‫في‬
308
V. ANNIE (M), op.cit., p 1et s.
309
V. SCHMIDT (D), op.cit., n° 189 et s., p140 et s.
310
Que l’on n’oublie pas aussi l’abus de pouvoir et l’abus des voix.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 65

enseignement historique et juridique qui doit être pris en considération si l’on veut éviter
tout déséquilibre qui risque d'imbiber la notion d’abus.
Le législateur de 2001 a-t-il respecté cet enseignement ou bien l’a-t-il, peu ou prou,
négligé ou, plutôt, peut-être oublié ?
Dans le cadre précis de cette réflexion, il semble que notre législateur n’a pas du
tout pris en considération les contrecoups de l’effort de codification. Car, on a pu
démontrer que la notion d’abus étendue au droit du groupe demeure encore appuyée sur
le concept de l’intérêt social tel que conçu pour le droit des sociétés isolées 311.
Dans ces conditions, on ne peut que regretter le chemin non parcouru par la
réforme de 2001 et qui aurait pu, semble-t-il, contribuer à effacer tout risque de
déséquilibre juridique qui peut entacher la notion d’abus.

134- A présent, cette notion ne parait pas du tout fondée sur une des principales
caractéristiques du droit du groupe où elle se trouve rattachée, notamment à travers les
articles 477 et 474 CSC, à savoir l’intérêt commun du groupe qui doit normalement guidé
le fonctionnement de cet instrument de concentration économique. Le concept d’intérêt
commun peut et doit servir de support juridique à la notion d’abus en droit du groupe.
Soutenir le contraire ou continuer à appuyer la notion d’abus sur l’intérêt social, en cette
matière bien précise, c’est dénier toute autonomie que doit avoir cette notion une fois
insérée dans le cadre du phénomène concentrationnaire.
Il est, en effet, illogique, voire injuste de vouloir préserver le lien entre la notion
d’abus et le critère de l’intérêt social même au cas où cette notion change de domaine
d’intervention, et se trouve inéluctablement face à de nouvelles données économico-
politico-juridiques.

135- Nul doute que le concept d’intérêt social a rempli sa mission à un moment
donné de l’histoire du droit des sociétés commerciales. Il a, en effet, supplée le concept
de « contrat de confiance » quand la notion d’abus a eu besoin d’une nouvelle assise
juridique en droit pénal des sociétés isolées. Mais, il ne peut logiquement continuer à
jouer ce même rôle dans un domaine où la notion d’abus a fermement besoin de
s’adapter à des métamorphoses économiques qui dépassent la capacité financière et
l’envergure juridique d’une société isolée.
De même, faut-il rappeler que le concept d’intérêt social a été édifié le jour où le
droit pénal des sociétés commerciales isolées a pris son indépendance par rapport à la
notion d’abus de confiance propre au droit pénal classique. De nos jours, un tel concept
semble devenir incapable de s’adapter aux nouvelles circonstances qui ont précipité la
naissance du droit des groupes. Le besoin ou le motif n’étant plus le même, le bien-fondé
de la règle juridique doit aussi changer de contenu.
N’est-ce pas là l’illustration de ce qu’ont pu rédiger les rédacteurs de 1906 dans
l’article 536 COC qui dispose avec beaucoup de clarté que « ce que la loi prescrit en vue
d’un motif déterminé doit s’appliquer toutes les fois que le même motif existe ». El l’on
doit ajouter dans le même sens que l’article 537 du même code annonce que « ce que la
311
V. supra. n° 105 et s.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 66

loi permet en vue d’un motif déterminé cesse d’être permis lorsque ce motif n’existe
plus ».

136- Tout ce qu’on peut dire de l’état actuel de la notion d’abus en droit du groupe
est qu’elle est présentée dépourvue de tout bien-fondé. Car, encore rattachée d’une
manière artificielle au concept de l’intérêt social elle ne peut qu’être imprégnée
d’illogisme et de déséquilibre qui mettent en danger sa raison d’être.
Certes, il ne s’agit pas tout simplement de proposer le concept d’intérêt commun
comme fondement possible de la notion d’abus. Mais il s’agit surtout de délimiter ce
fondement en le soumettent à son tour à des conditions bien précises tendant à éviter que
l’on tombe dans l’excès susceptible de dénaturer l’importance de cet intérêt dans le cadre
du groupe de sociétés. C’est pour la simple raison que le droit du groupe a été codifié, les
auteurs de cette codification auraient dû aller jusqu’au bout de leur entreprise. S’étant
arrêté à mi-chemin en refusant d’ériger l’intérêt commun du groupe en un fondement
possible de la notion d’abus dans le groupe de sociétés, le législateur de 2001 a laissé
cette dernière subir les dangers de l’inadaptation juridique des textes. Autrement dit, le
choix législatif de la prévalence de l’intérêt social sur l’intérêt commun du groupe est une
forme de négligence des assises économiques sur les quelles s’articule le droit des
groupes.
Comme il avait pris le pas à d’autres intérêts qui justifient les abus de confiance et
les abus de droit au sein des sociétés isolées, l’intérêt social doit, à présent, céder le pas à
l’intérêt commun du groupe.

137- C’est, bien là, le point d’achoppement qu’il faudrait franchir en substituant à
l’intérêt social l’intérêt commun du groupe, ou au moins en tentant de les concilier autant
que faire se pourrait. Car, une notion d’abus étriquée, des dirigeants passifs, des
minoritaires agressifs, que faut-il de plus pour occire les groupes de sociétés ? Surtout
qu’aux dangers médiats de la prévalence de l’intérêt social se superposent des dangers
immédiats.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 67

B- Les dangers immédiats

138- Plusieurs données économiques doivent être normalement considérées quand


on décide de codifier le droit des groupes de sociétés. Sinon, l’entreprise codificatrice
risque de créer plus de problèmes qu’elle n’en résout.
D’abord, il faut tenir compte du fait que les groupes de sociétés constituent une
manifestation de l’économie du marché et que toute adhésion à cette forme d’économie
commande que l’on accorde beaucoup d’intérêt à ce phénomène de concentration.
Ensuite, c’est un fait patent que, bien gérés et fortement structurés, les groupes de
sociétés participent, à coup sûr, au progrès économique surtout d’un pays en voie de
développement.
Par ailleurs, il y a une option politico-juridique à faire. Ou bien laisser le droit du
groupe de sociétés à l’appréciation des juges qui, comme ce fût le cas en droit français,
auront à adapter, autant que faire se pourrait, les règles du droit commercial en général et
celles des sociétés commerciales en particulier aux difficultés et problèmes soulevés au
sein de ce type de concentration. Ou bien, opter pour la codification, comme ce fût le cas
de notre législateur, pour essayer d’avoir des règles écrites claires et à même de
solutionner ce genre de problème. Cette seconde hypothèse impose, bien sûr, que l’on
tienne compte, au travers des textes promulgués, des intérêts économiques en jeu. Dans
cette optique il est de grande nécessité d’accorder à l’intérêt commun du groupe toute
l’attention qu’il mérite. Car, reconnaître le groupe de sociétés c’est reconnaître
l’existence et la suprématie de l’intérêt commun du groupe sur tout autre intérêt. A

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 68

contrario, nier l’intérêt commun du groupe au profit de l’intérêt social, c’est nier le
groupe de sociétés lui-même.

139- Une telle position est, sans aucun doute, préjudiciable au groupe de sociétés.
Elle risque, en effet, d’entraver l’impératif de promotion et de développement du groupe.
Certes, l’intérêt social est « efficace pour protéger les actionnaires et les
créanciers dans le cadre d’une société isolée, mais il est mal adaptée à cette protection
dans le cadre du groupe de sociétés. Son inadaptation réside essentiellement dans le fait
que son application constituerait nécessairement un obstacle au bon fonctionnement du
groupe312 ».
En réalité, c’est le groupe de sociétés qui pâtit ou qui risque de pâtir de
l’application démesurée de l’intérêt social en tant qu’élément déterminant de la notion
d’abus. La décision fiscale, déjà citée313, semble s’inscrire dans le cadre de ce danger.

140- Il va sans dire que la chute du groupe de sociétés équivaut certainement à


l’effondrement de l’économie générale du marché, pour le simple fait que les entreprises
tunisiennes, opérant isolément, ne résisteront nullement face à une concurrence qui
s’avère, de nos jours, de plus en plus barbare.
Dans un environnement pareil, la promotion du groupe de sociétés est assurément
l’issue de secours unique pour une économie libérale en voie de développement.
Les juristes, il faut le reconnaître, ne peuvent dresser que de fragiles digues contre
la marée montante des faits économiques.

141- En somme, l’intérêt commun du groupe parait constituer un critère très


important pour la détermination de la notion d’abus dans le groupe de sociétés.
Malheureusement, il semble que le législateur n’accorde pas suffisamment de
considération à cet intérêt car assez souvent il s’est montré plus favorable à l’intérêt
social comme si le groupe de sociétés n’est qu’une simple « mosaïque de sociétés
autonomes314 ».
Le législateur aurait dû, sans doute, fonder la détermination de la notion d’abus sur
l’atteinte à l’intérêt commun du groupe pour la simple raison que cet intérêt prime
l’intérêt social chaque fois que l’existence d’un groupe de sociétés est incontestable.
Quoi de plus insolite dans une société isolée, institution destinée à réaliser des
bénéfices, que la décision d’assumer, semble-t-il, sans contrepartie, le passif d’une autre
société315 ? se demandait M. Guyon.
Quoi de plus normal, pourrait-on ajouter, qu’une société groupée consente des
sacrifices dans l’intérêt commun du groupe auquel son sort est inéluctablement lié 316 ?

312
BEL HAJ YAHIA (B), thèse pré., p 202.
313
V. supra. n° 122.
314
BOULOC (B), Droit pénal et groupe d’entreprises, Rev. Soc., 1988, p181.
315
Cass. Com. 29 mai 1972, JCP, 1973, II, 17 337, note Guyon.
316
HANNOUN (C), op.cit., p94.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 69

Conclusion de la première partie

142- Force est de constater que la détermination de la notion d’abus dans le groupe
de sociétés est une entreprise difficile, car toute détermination va certainement se
répercuter sur le groupe de sociétés lui-même ou bien pour le promouvoir ou bien, au
contraire, pour entraver son développement.
Le chercheur juriste, comme se fût, semble-t-il, le cas pour le législateur de 2001,
se trouve devant un dilemme : ou bien opter pour l’extension de la notion « classique »
d’abus telle quelle au groupe de sociétés, ou bien, au contraire, opter pour une notion
d’abus nouvelle, propre au groupe de sociétés.

143- Nul doute que la seconde alternative paraît prévaloir. En effet, la notion
classique d’abus se trouve dépassée par le groupe de sociétés pour deux raisons au moins.
D’une part cette notion a été conçue pour des sociétés isolées. Or, les sociétés du groupe
sont des sociétés contrôlées, certes indépendantes juridiquement mais dépendantes
économiquement. D’autre part, la société isolée est animée par son intérêt social, ce qui
n’est pas le cas dans le groupe de sociétés nécessairement guidé par un intérêt commun.
Ces deux raisons font que la notion d’abus telle qu’elle a été conçue pour une société
isolée est inadaptée au groupe de sociétés.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 70

144- Le législateur de 2001 a-t-il fait le bon choix ? Certes il s’est aperçu de la
nécessité d’opter pour une notion d’abus propre au groupe de sociétés. C’est ce qui
ressort du moins de l’article 477 CSC applicable dans le groupe de sociétés mais
inapplicable dans une société isolée. Il n’a, toutefois, pas respecté cette perception
judicieuse en allant jusqu’au bout de la logique juridique de l’autonomie de la notion
d’abus. Cette dernière risque alors de constituer « un corps étranger » susceptible
d’altérer le régime juridique des abus commis au sein du groupe de sociétés.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 71

DEUXIEME PARTIE :
Le régime spécifique à la notion d’abus
dans le groupe de sociétés

145- Une lecture approfondie des articles 461 et suivants du CSC permet de relever
l’existence de deux régimes juridiques relatifs à la notion d’abus dans le groupe de
sociétés. D’une part un régime juridique préventif ayant essentiellement pour rôle la
prévention de toute forme d’abus dans le groupe de sociétés. D’autre part, un régime
juridique curatif ayant pour finalité non seulement la dissuasion mais aussi l'éviction de
tout effet pernicieux résultant de la commission d’abus dans le groupe.

Cette dualité de régime semble assurer aux partenaires du groupe une protection
aussi efficace que possible, car dans le cas où le régime préventif des abus s’avère
insuffisant (Chapitre premier), c’est le régime curatif qui devra, le cas échéant, intervenir
pour combler, autant que faire se pourrait, les dispositions préventives lacunaires
(chapitre deuxième).

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 72

Chapitre premier : Un régime préventif spécifique à la notion


d’abus

Chapitre deuxième : Un régime curatif spécifique à la notion


d’abus

Chapitre premier : Un régime préventif


spécifique à la notion d’abus
146- « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à
en abuser317 ». C’est bien là une expression qui s’applique à merveille au groupe de
sociétés où la société mère, guidée par les intérêts personnels de ses membres, peut être
amenée lors du fonctionnement du groupe à abuser des biens des sociétés groupées
qu’elle contrôle.
Conscient d’une telle réalité, le législateur a institué des mécanismes préventifs qui
visent la protection des minoritaires, des créanciers, voire du groupe de sociétés lui-
même. Pour ce faire, il semble avoir utilisé la codification du droit du groupe pour
réaliser deux objectifs différents mais qui peuvent paraître complémentaires en matière
de prévention.
D’abord, pour réussir une certaine transparence à même de participer à la
prévention des abus, plusieurs règles ont été édictées pour assurer une information

317
MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, V. I, Cérès EDITIONS, 1994, p 24.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 73

efficiente concernant l’existence du groupe, ses composantes ainsi que sa gestion (section
première).
Ensuite, se détachant du fait historique que c’est la liberté des transactions qui a
constitué un des supports de l’apparition du phénomène du groupe, le législateur de 2001
a fait prévaloir l’impératif de protection sur le principe de la liberté contractuelle. Ainsi,
on peut affirmer que, par le bilais de la codification, la loi du groupe a essayé de réaliser
une certaine politique préventive des agissements abusifs au moyen d’une réglementation
tatillonne des relations intragroupe qui a directement porté plusieurs atteintes au sacro
saint principe susvisé. (section deuxième).

Section première : La prévention de l’abus par


l’information
147- L’appartenance à un groupe de sociétés engendre des risques importants pour
les sociétés contrôlées. En effet, placées au service du groupe, ces dernières peuvent être
vidées progressivement de leurs bénéfices au profit de la société mère ou de certains de
ses membres.
Dans ces circonstances, une information assez étendue constitue certainement une
protection préventive des abus dans le groupe (paragraphe première). Mais elle demeure
insuffisante si elle n’est pas suivie d’un contrôle efficace (paragraphe deuxième).

-§1 : L’étendue de l’information

148- D’après l’article 470 CSC « la société mère est tenue de mentionner au
registre de commerce les sociétés appartenant au groupe, et toute société doit
mentionner son appartenance au groupe, au même registre, ainsi que la cessation de
celle-ci et la société mère dont elle dépend. Elle doit, le cas échéant, mentionner, dans
son propre rapport de gestion, son appartenance au groupe de sociétés »318. De même319,
la société holding320 est tenue de faire mentionner au registre de commerce sa qualité de
holding et, le cas échéant, la cessation de cette qualité 321.
Une fois le groupe de sociétés identifié, l’information doit se poursuivre au cours
du fonctionnement du groupe afin de garantir une transparence quasi-parfaite et prévenir
toute forme d’abus.

318
Alinéa premier et deuxième de l’art. 470 CSC.
319
V. troisième alinéa du même article.
320
D’après l’article 463 CSC « la société mère est dite holding lorsqu’elle n’exerce aucune activité industrielle ou
commerciale et que son activité se limite à la détention et à la gestion des participations dans les autres sociétés. La société
holding doit avoir la forme d’une société anonyme et mentionner sa qualité de holding dans tout document qui en émane ».
V. à propos de la société holding, EL KHOURY (I), La holding Libanaise, RTD Com, 1985, p43.
.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬،‫يراجع حول شركة الهولدنغ مزيحم ماجد‬
321
A propos des sanctions pénales V. infra. n° 267 et s.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 74

Pour ce faire, le législateur a institué d’autres sources d’information spécifiques au


groupe de sociétés. D’abord cette information devra porter sur les orientations
stratégiques et l’avenir du groupe. C’est l’objet principal du rapport de gestion (A).
Ensuite, il s’agit de réaliser une information financière. C’est l’objet des états financiers
consolidés (B).

A- Le rapport de gestion du groupe

149- Dans le cadre d’une société isolée, « le rapport du conseil d’administration,


lorsqu’il est sérieusement préparé, présente le meilleur « réfléchissant » de la situation
sociale au moment où il a été rédigé, contenant les informations de gestion technique et
financière, il renseigne l’actionnaire surtout non dirigeant322 ».
Conscient de l’importance de ce type de rapport en tant que moyen efficace
d’information et par la même de prévention des abus, notre législateur n’a pas hésité à
exiger l’établissement du rapport de gestion dans le cadre du groupe de sociétés. En effet,
d’après l’article 471 CSC323, la société mère est tenue d’établir, outre ses propres états
financiers annuels et son propre rapport de gestion, un rapport de gestion relatif au
groupe de sociétés.

150- Ce rapport doit contenir un certains nombre d’informations obligatoires, à


savoir la situation de toutes les sociétés concernées par la consolidation, l’évolution
prévisible de la situation du groupe, les différentes activités en matière de recherche de
développement et d’investissement relatives au groupe de sociétés, les événements
importants survenus entre la date de clôture des comptes consolidés et la date à laquelle
ils sont établis ainsi que les modifications ayant affecté les participations dans les sociétés
groupées324.
Ainsi, le rapport de gestion permet d’avoir deux types différents d’information : le
premier rassemble tous les renseignements touchant la situation passée ou actuelle du
groupe. Quant au deuxième, il contient toutes les indications traduisant l’évolution
prévisible du groupe325. De cette manière, le législateur a élargi le domaine de
l’information donnée aux actionnaires. Cette dernière ne se borne plus à retracer le passé,
mais elle tend aussi à prévoir la stratégie du futur.
De surcroît, en utilisant l’adverbe « notamment » l’article 473 CSC ne présente
qu’une liste indicative, ce qui n’empêche pas que le rapport de gestion puisse contenir
d’autres informations nécessaires à éclairer la gouverne des actionnaires.

151- Mais, abstraction faite du contenu de ce rapport, la question peut se poser de


savoir quelle est la personne habilitée à le présenter et à le signer ?

322
BEN NASR (T), op.cit., p 58.
323
En droit français c’est l’article L233-16 CCOM (100ème éd., DALLOZ, 2005).
324
V. art. 473 CSC.
325
RIPERT (G) ; ROBERT (R) et GERMAIN (M), Traité élémentaire de droit commercial, T. I, 18éme éd., LGDJ, 2001, n°
2005.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 75

Comme le groupe de sociétés ne jouit pas d’organes propres 326, l’article 471 du
CSC dispose que le rapport de gestion doit être établi par la société mère. Plus
précisément, c’est le conseil d’administration, ou le directoire, qui doit établir et présenter
le rapport de gestion du groupe à l’assemblée générale de la société mère 327.
Certes, le rapport de gestion du groupe présente une information supplémentaire et
synthétique sur l’administration ainsi que sur le déroulement des affaires du groupe.
Néanmoins, son intérêt risque d’être sensiblement limité du fait qu’il sera l’œuvre des
dirigeants de la société mère, d’autant plus qu’il sera soumis à l’approbation de son
assemblée générale, notamment lorsque cette assemblée est dominée par les dirigeants
sociaux328.
Il semble donc légitime de prôner l’élaboration du rapport de gestion du groupe par
un organe indépendant afin d’assurer le minimum de transparence escompté.

152- En dernier lieu, il est plausible de rappeler que l’article 472 CSC exige que le
rapport de gestion soit mis « à la disposition de tous les associés » au siége social de la
société mère, au moins un mois avant la réunion de son assemblée générale 329. Mais de
quels associés s’agit-il, ceux de la société mère ou bien tous les associés de toutes les
sociétés du groupe ? Le législateur n’a apporté aucune précision sur la dite question. Il
n’en demeure pas moins que le vocable « associé » semble avoir été employé d’une
manière générale. Or, il est de rigueur juridique que lorsque la loi s’exprime en termes
généraux, il faut l’entendre dans le même sens 330. Par conséquent, le dit vocable doit
englober aussi bien les associés de la mère que ceux des filiales et des sociétés contrôlées.
Les associés doivent donc se déplacer au siége de la société mère pour consulter le
rapport de gestion du groupe. Toutefois, les sociétés groupées peuvent être éparpillées un
peu partout dans le monde, ce qui risque de constituer un obstacle pour la consultation du
rapport de gestion. Il est dès lors légitime de regretter qu’un tel moyen d’information ne
soit pas mis à la disposition de tous les associés aux siéges sociaux de toutes les sociétés
du groupe.
En attendant que ce premier moyen d’information soit renforcé dans un avenir
proche, les partenaires du groupe de sociétés disposent d’un autre moyen d’information
non moins important, à savoir les comptes consolidés du groupe.

B- Les comptes consolidés du groupe

153- D’après l’article 471 CSC, la société mère, ayant un pouvoir de droit ou de
fait sur d’autres sociétés au sens de l’article 461 CSC, doit établir, outre ses propres états

326
LE CANNU (P), Les organes du groupe, P.A., 4-5-2001, p 43.
327
V. art 201 CSC.
328
KTARI (S), La corporate governance et le groupe de sociétés tel qu’organisé par la loi du 6-12-2001, E.J., n° 9, 2001, p
223.
329
V. à propos des sanctions pénales infra n° 267 et s.
330
V. article 533 COC.
148.‫ ص‬،2002 ،‫ المطبعة الرسمية للجمهورية التونسية‬،‫ األشخاص واثبات الحقوق‬:‫ النظرية العامة‬،‫ قانون مدني‬،‫شرف الدين محمد كمال‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 76

financiers annuels et son rapport de gestion, des états financiers consolidés 331. Ces
derniers doivent être mis à la disposition de tous les associés, au moins un mois avant la
réunion de l’assemblée générale. Ils doivent être aussi publiés dans un quotidien
paraissant en langue arabe, et-ce dans un délai d’un mois de leur approbation 332.
Il ressort de ce texte et des autres articles de la loi du groupe que le législateur de
2001 n’a pas donné une définition de ce qu’est la consolidation ou les comptes
consolidés. Il s’est borné tout simplement à annoncer dans l’article 471 susvisé que
l’établissement des états financiers consolidés doit se faire « conformément à la
législation comptable en vigueur ». Ainsi, en revenant à cette source comptable, on peut
affirmer que d’après le système comptable des entreprises 333 les états financiers
consolidés comprennent un journal consolidé, un grand-livre général consolidé, une
balance générale consolidée ainsi qu’un état de résultat consolidé 334.
Plus précisément, il est légitime de soutenir que la consolidation des comptes est
une technique comptable par laquelle un groupe, constitué par la société mère et les
sociétés affiliées, établit des comptes uniques représentant leur situation financière et
économique globale335. Elle est également définie comme étant « une pratique comptable
consistant à établir, dans les groupes de sociétés, des comptes reflétant la réalité
financière de l'ensemble des sociétés groupées336 ».
Ainsi définie, la consolidation comptable doit être distinguée de la consolidation
fiscale337 qui consiste pour la société mère de reprendre à son niveau les résultats, aussi
bien négatifs que positifs, de toutes les sociétés affiliées afin de calculer l’impôt afférent
au groupe de sociétés. Ce qui est totalement différent de la consolidation comptable qui
est destinée essentiellement à combler la défaillance des comptes de chaque société liée
en établissant des comptes financiers uniques.

154- En tant qu’instrument de mesure, la consolidation peut servir au moins à deux


objectifs très importants. D’une part, permettre une meilleure gestion du groupe. D’autre
part, assurer une information importante et nécessaire pour tous les partenaires du groupe.
En effet, par l’image synthétique des résultats et de la situation financière du
groupe qu’elle fournit, la consolidation est un instrument de gestion irremplaçable surtout
« dans les groupes diversifiés où, les analyses par branche d’activité (obtenues par sous-
consolidation des entreprises de chaque branche) permet les comparaisons entre
branches et ainsi les prises de décisions sur le développement respectif de chaque
branche338 ». Autrement dit, la consolidation permet aux dirigeants du groupe de
connaître la réalité financière non seulement de l’ensemble mais aussi de toutes les
331
V. art. 471, al. 1 du CSC. En droit français, les modalités d’application de la consolidation ont été définies par le décret n°
86-221 du 17-2-86 puis par l’arrêté du 9-12-86.
332
V. art. 472 CSC.
333
V. Le système comptable des entreprises tel que déterminé par la loi n° 96-112 du 30-12-96 et les normes comptables du
01-12-03. V. JORT, n° 97, 5-12-2003, p 3529.
334
V. annexe n° 19.
335
Dictionnaire permanent droit des affaires, novembre 2001, n° 60, p 3952.
336
Lexique des termes juridiques DALLOZ 2005, déf. Du vocable « consolidation comptable ».
337
La consolidation fiscale est prévue par le droit fiscal français, allemand, espagnol, américain… Par contre, elle n’a pas été
prévue par le droit fiscal tunisien qui a opté pour le régime d’intégration des résultats prévu par la loi n° 2000-98 du 25-12-
2000 portant loi de finance pour l’année 2001 ainsi que les normes comptables du 01-12-03.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 77

branches d’activité au sein du groupe ce qui permettra une gestion saine et par la même
une prospérité certaine.

155- Par ailleurs, l’analyse des comptes consolidés constitue une mine
d’information sur la rentabilité des capitaux investis ou la rentabilité économique
générale du groupe ou encore sur l’autofinancement de l’ensemble des sociétés groupées
et leur endettement339. Il s’ensuit que l’appréhension de l’état de santé du groupe n’est
plus morcelée340 puisqu’elle devient globale tenant compte de la santé de toutes les
sociétés liées.
D’après les travaux préparatoires du projet de la loi du groupe, « garantir la
transparence du groupe de sociétés ainsi que l’information des tiers sur la situation
intégrale de l’ensemble des sociétés groupées, nécessite l’établissement d’une
comptabilité consolidée qui montre clairement les avoirs et les obligations de chaque
société du groupe afin que les tiers aient une idée claire et globale sur les engagements
du groupe tout entier341 ».
Plusieurs partenaires du groupe sont intéressés par une information aussi
importante. Il peut s’agir, tout d’abord, des salariés du groupe cherchant des
renseignements sur l’activité, la situation financière et l’emploi qui sont souvent difficiles
à synthétiser sans procédure de consolidation. Ce peut-être aussi le cas des banques qui
analysent attentivement les comptes consolidés à la recherche d’informations
indispensables sur les performances, l’endettement et les besoins de financement du
groupe. Comme il peut s’agir des actionnaires, des créanciers et des investisseurs
potentiels qui trouvent dans les états financiers consolidés toutes les informations
relatives à la rentabilité ainsi qu’à l’avenir du groupe de sociétés 342.

156- De surcroît, il sied de préciser que l’information consolidée est


incontestablement un moyen préventif assez important, car elle permet à tout intéressé
non seulement de vérifier l’exactitude des comptes financiers du groupe mais surtout
d’utiliser les outils de contrôle existants pour pouvoir préparer une éventuelle action en
justice. Toutefois, on verra que sur le plan curatif l’obligation d’information consacrée
par l’article 472 CSC connaît quelques défaillances, notamment au diapason de son
régime juridique répressif343.

338
BARTÉLÉMY (J), COULON (N), EGAL (J), GUIGOU (H), HARDOUIN (M), DEMELLO (X), PETITEAU (G) et
SEURAT (P), op. cit., p 478 et 479.
‫ " يقتضي أن تكون الحسابات المندمج{ة نظامي{ة و ص{ادقة تعطي ص{ورة حقيقي{ة وص{حيحة عن الذم{ة المالي{ة و المرك{ز الم{الي و نتيج{ة المجم{وع المتك{ون من‬339
.234 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬،‫ مزيحم ماجد‬."‫المشاريع الداخلة في االندماج الحسابي‬
340
PARIENTE (M), op.cit., p 135.
‫ " إن ضمان شفافية التجمع و إعالم الغير بالوضعية الكاملة لكافة الشركات األعضاء فيه يتطلب مسك محاسبة مجمعة تبين ما‬: ‫ ترجمة للصياغة العربية التالية‬341
،2001 ‫ نوفمبر‬20 ،‫" مداوالت مجلس النواب‬...‫ حتى يتمكن الغير من تكوين فكرة كاملة وواضحة عن التزامات التجمع بأكمله‬,‫لكل واحدة من شركاته و ما عليها‬
.1 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،92‫ ص‬،5 ‫عدد‬
342
BARTÉLÉMY (J), COULON (N), EGAL (J), GUIGOU (H), HARDOUIN (M), DEMELLO (X), PETITEAU (G) et
SEURAT (P), op. cit., p 478.
343
V. infra. n° 276.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 78

157- Il ne faut pas oublier non plus une défaillance assez importante liée à la
technicité de la consolidation344. En effet, nul n’en disconvient que cette technique
comptable est une des plus compliquée qui nécessite pour son élaboration un personnel
très qualifié en matière comptable. D’ailleurs, c’est ce qui explique sa quasi-absence dans
les groupes de sociétés opérant en Tunisie345.
La complexité des comptes consolidés risque par la même de se répercuter sur les
utilisateurs des dits comptes, et, partant, la question peut se poser de savoir si un tel
risque n’influe pas sur l’importance et l’efficacité de la consolidation en tant que
technique préventive des abus. En effet, comment un profane peut-il comprendre un bilan
consolidé présentant une multitude de tableau intégrés comportant des inscriptions en
langage comptable presque impossible à déchiffrer que par des personnes disposant d’une
formation comptable approfondie346 ? Une telle question se pose avec plus d’acuité
lorsqu’on lit dans l’article 472 que le législateur exige que les comptes consolidés soient
publiés dans un quotidien paraissant en langue arabe et mis à la disposition des associés
au siége social de la société mère347. Dans ce cas, un actionnaire d’une des sociétés
affiliées, qui peut bien être un agriculteur ou encore un médecin, voulant se renseigner
sur la situation financière du groupe auquel il appartient n’a qu’à consulter les comptes
consolidés ; mais peut-il les comprendre ? Ou bien doit-il, chaque fois que les comptes
paraissent au journal, supporter les frais d’une consultation auprès des connaisseurs ? Le
législateur n’aurait-il pas dû exiger la publication non pas des comptes consolidés mais
plutôt d’un sommaire des dits comptes commenté par les soins du commissaire aux
comptes du groupe, de façon à ce que tout profane puisse avoir une information
accessible et facile à comprendre ?

158- Quoi qu’il en soit, la consolidation des comptes constitue un moyen


d’information nécessaire pour gérer un groupe de sociétés comportant plusieurs sociétés
filles, d’autant plus qu’une telle information permet « le pilotage au jour le jour mais
aussi à vue348 ». Il reste que l’existence d’une information, aussi étendue soit-elle, ne
suffit pas à elle seule pour donner aux partenaires du groupe une idée claire et juste
susceptible de prévenir toute forme d’abus lors du fonctionnement du groupe. En effet, il
ne suffit pas que l’actionnaire soit seulement informé ; encore faut-il que l’information en
question soit aussi vérace que possible. Autrement dit, l’information doit être contrôlée
non seulement quant à son exactitude mais aussi quant à sa qualité. C’est bien là
qu’intervient la notion de contrôle exercé par les organes professionnels.

-§2 : Le contrôle de l’information

344
V. NEFZAOUI (A), thèse pré., p 110 et s.
345
Plusieurs experts comptables de renommé m’ont informé qu’actuellement il y a un seul groupe de sociétés qui use de la
technique de la consolidation des comptes.
346
V. annexe n° 19 qui comporte un exemple de comptes consolidés.
347
Les mêmes critiques relevées concernant le rapport de gestion sont valables pour la consolidation. V. supra. n° 152.
348
PARIENTE (M), op.cit., n° 151, p 153.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 79

159- Dans le groupe de sociétés le contrôle de l’information peut être exercé aussi
bien par le commissaire aux comptes (A) que par l’expert de gestion (B).

A- le contrôle de l’information par le commissaire aux


comptes

160- Le législateur n’a pas fixé de manière précise le statut du commissaire aux
comptes du groupe349. Il a seulement précisé dans l’article 471 CSC qu’il doit être inscrit
dans le tableau de l’ordre des experts comptables de Tunisie. Il n’a cependant pas traité
des incompatibilités350. Le commissaire aux comptes du groupe peut-il alors disposer de
participations dans les sociétés groupées ? Peut-il encore, tout en étant commissaire aux
comptes du groupe, être à la fois commissaire aux comptes de la société mère ou encore
celui d’une ou de plusieurs filiales ? Certes, une telle situation peut l’empêcher d’exercer
sa mission en toute neutralité et indépendance 351. Il n’en demeure pas moins que le
commissaire aux comptes de plusieurs sociétés du groupe ou bien celui de la société mère
est sûrement la personne la plus qualifiée pour être nommée commissaire aux comptes du
groupe en raison de son aptitude à avoir toutes les informations et à connaître tous les
rouages du groupe. D’ailleurs, en pratique, le commissaire aux comptes du groupe est
généralement celui de la société mère352.

161- La mission du commissaire aux comptes du groupe consiste essentiellement


dans le contrôle des comptes consolidés353.
En premier lieu, il vérifie la conformité de ces comptes aux lois et règlements en
vigueur. Ensuite, il examine la véracité des dits comptes, c'est-à-dire l’absence de tous
déguisements et détours354. Il doit également vérifier la sincérité des comptes consolidés
et leur concordance avec les informations données dans le rapport de gestion du groupe.
Il doit, enfin, certifier que les comptes consolidés sont réguliers, sincères et donnent une
image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'ensemble 355. En
certifiant les comptes consolidés du groupe, le commissaire aux comptes doit déclarer
expressément qu’il a effectué un contrôle détaillé et qu’il approuve expressément ou sous
réserves les comptes consolidés ou tout simplement qu’il les désapprouve 356.

349
En réalité il n y’a pas de commissaire aux comptes du groupe. Ce dernier n’ayant pas de personnalité morale, il s’agit
plutôt du commissaire aux comptes qui va contrôler les comptes consolidés du groupe ainsi que les conventions intra groupe
telles que réglementées par l’article 478 CSC.
350
V. à propos des incompatibilités dans la société anonyme isolée les articles 262 et 263 du CSC. Ces articles s’appliquent
également à la SARL (art. 125 CSC).
351
BEJOT (M), La protection des actionnaires externes dans les groupes de sociétés en France et en Allemagne,
Etablissements Emile Bruylant, Bruxelles, 1976, p 132 et s.
352
C’est ce qui nous a été confirmé lors des discussions avec certains experts comptables de renommée.
353
V. art 471 CSC.
354
GUYON (Y), Le commissaire aux comptes, Jurisc. Soc., Fasc. 134 A, n° 8.
355
Dictionnaire permanent, Droit des affaires, 2004, n° 68.
356
V. art. 269 CSC.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 80

162- Pour que le contrôle soit exercé dans les meilleures conditions, l’article 471
CSC a doté le commissaire aux comptes du groupe d’un pouvoir d’investigation très
large. En effet, cet article dispose qu’ « abstraction faite de la possibilité d’effectuer
toutes les investigations auprès de l’ensemble des sociétés membres du groupe, qu’il juge
nécessaires, le commissaire aux comptes ne certifie les états financiers consolidés
qu’après avoir consulté les rapports des commissaires aux comptes des sociétés
appartenant au groupe357… ».
Ainsi, le commissaire aux comptes du groupe, armé d’un pouvoir d’investigation
aussi vaste, peut naviguer entre les différentes sociétés du groupe pour chercher la réalité
sans tenir compte des barrières imposées par l’autonomie de la personnalité morale et le
secret d’affaire358.

163- Lors de l’exercice de sa mission, le commissaire aux comptes peut rencontrer


plusieurs difficultés, parfois difficiles à surmonter, liées essentiellement à l’autonomie
juridique des sociétés groupées. Il peut craindre, par exemple, une résistance de la part
des dirigeants des sociétés groupées qui peuvent ne pas comprendre le fait qu’après avoir
été contrôlées par leur propre commissaire aux comptes, leur sociétés devront se
soumettre au contrôle du commissaire aux comptes du groupe359.
D’autres obstacles peuvent apparaître du fait de la multi nationalité des groupes de
sociétés actuels360. En effet, le commissaire aux comptes du groupe aura à surmonter
deux difficultés ; l’une matérielle, l’autre légale. Comment peut-il exercer sa mission si,
par exemple, la société mère siège en Tunisie, plusieurs filiales siégent dans des pays
européens et d’autres dans des Etats africains ? N’est-ce pas là une difficulté matérielle
difficile à surmonter ? Pis encore, la mission du commissaire aux comptes peut être
évincée par la loi étrangère applicable à l’une des sociétés membres 361. N’est-ce pas là
une difficulté légale impossible à surmonter. Il en va de même pour ce qui est des
groupes actuels qui disposent de dizaines, voire de centaines de sociétés contrôlées 362. Là
aussi la mission du commissaire aux comptes du groupe s’avère difficilement réalisable.
Toutes ces difficultés risquent, sans aucun doute, d’affaiblir la mission du
commissaire aux comptes et, partant, sa participation à renforcer l’arsenal législatif
préventif des abus. Car, il est incontestable que plus le rôle des organes de contrôle est
effectué dans de bonnes conditions plus la prévention s’avère efficace et rentable quant
au nombre d’abus à éviter.

164- De surcroît, plusieurs interrogations peuvent se poser à propos de la mission


du commissaire aux comptes du groupe. En effet, ce dernier peut-il, lors de l’exercice de
sa mission, demander des informations des tiers comme, par exemple, les banques, les
357
Les dispositions de cet article rappellent celles de l’article 266 CSC qui permet au commissaire aux comptes d’une société
faisant partie d’un groupe d’entamer ses investigations aussi bien au niveau de la société mère que de la société filiale.
358
NURIT-PONTIER (L), op.cit., p66.
359
V. infra. n° 285 sur les sanctions possibles en cas d’entrave.
15.‫ ص‬،1995 ،‫ مكتبة دار الثقافة للنشر والتوزيع‬،‫ الشركات التجارية في القانون األردني‬،‫ ? العكيلي عزيز‬360
361
V. art 10 CSC à propos de la loi applicable aux sociétés commerciales.
362
Plusieurs groupes ont atteint un degré de filialisation énorme. Ainsi le groupe SAINT GOBAIN comporte environ 500
filiales et le groupe PARIBAS environ 450. V. Encyclopédie Microsoft, ENCARTA, 2000.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 81

fournisseurs, les clients… ? Peut-il, par ailleurs, jouer son rôle d’informateur du
procureur de la république chaque fois qu’il rencontre des agissements délictueux dans le
groupe ? Et tant d’autres interrogations auxquelles on ne trouve pas de réponse dans la loi
spéciale au groupe mais plutôt dans le droit commun des sociétés isolées qui reste, bien
entendu, applicable au groupe de sociétés. Tel est l’exemple de l’article 266 CSC qui
permet aux commissaires aux comptes de recueillir, le cas échéant, par ordonnance du
juge compétant, « toute information utile à l’exercice de leur mission auprès des tiers qui
ont conclu des contrats avec la société ou pour son compte ». Ou encore l’article 270
CSC qui oblige le commissaire aux comptes « de révéler au procureur de la république
les faits délictueux dont ils ont eu connaissance… » 363.
Mais si le contrôle exercé par le commissaire aux comptes s’avère, malgré tout,
insuffisant, les minoritaires peuvent exiger un contrôle supplémentaire en demandant la
nomination d’un expert de gestion.

B- le contrôle de l’information par l’expert de gestion364

165- Destinée à l'origine à la protection des seuls actionnaires minoritaires,


l'expertise de minorité est désormais, en droit français, une expertise de gestion compte
tenu de l'élargissement des requérants : ministère public, Autorité des marchés financiers
et comité d'entreprise365. Elle est légalement prévue pour les SARL 366 et les sociétés par
actions367 ainsi que pour les groupes de sociétés368.

363
A propos de la responsabilité civile et pénale du commissaire aux comptes V. infra. n° 260 et 285.
364
Tout d’abord, l’expert de gestion ne doit pas être confondu avec le commissaire aux comptes. La mission du premier
consiste à présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion, et non à vérifier les comptes et s’assurer que la vie
sociale se déroule dans des conditions régulières. Ensuite, l’expertise de gestion ne se confond pas avec l’expertise judiciaire
ordinaire, bien que dans les deux cas, l’expert est désigné par le tribunal. En effet, l’expertise de gestion tend à informer les
demandeurs et non le tribunal. Elle constitue une fin en elle même, alors que l’expertise judiciaire a un caractère incident
puisqu’elle précède et prépare un jugement au fond. V. BEN NASR (T), op.cit., n° 136, p 153. L’expertise de gestion est à
distinguer, enfin, de l’expertise préventive, appelée couramment expertise « in futurum ». Ces deux mesures relèvent, en
effet, de deux systèmes juridiques différents : Le droit des sociétés, d’une part, et le droit commun procédural, d’autre part. Il
s’en suit que si l’expertise de gestion est orientée vers la protection de l’intérêt social, l’expertise préventive est neutre. Elle
se réduit à une technique permettant de préparer, au niveau des preuves, un éventuel procès. V. art. 145 du nouveau code de
procédures civiles et commerciales français. V. MICHELIN-FINIELZ (S), L’expertise de l’article 226 et l’expertise
préventive dans la société anonyme, Rev. Soc., 1982, n° 6 et s., p 33.
365
V. PASQUALINI (F), Brèves remarques sur l'expertise de gestion, JCP éd. E, 1999, p1283. PASQUALINI (F) ;
PASQUALINI-SALERNE (U), Encore et toujours l'expertise de gestion, JCP, éd. E, 2000, n° 12, p 499.
366
V. C. com. Fr., art. L. 223-37.
367
V. C. com. Fr., art. L. 225-231.
368
V. art. L. 225-231 CCom. Français, 2005, (L. n° 2001-420 du 15 mai 2001) «Une association répondant aux conditions
fixées à l'article L. 225-120, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit
individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil
d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas
échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au
regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes… ».

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 82

166- En droit tunisien, la situation est tout à fait différente. En effet, le code des
sociétés commerciales n’a permis qu’aux associés de la SARL de demander la
désignation d’un expert de minorité369.
Mais si l’expertise de minorité est communément admise par le recours à la justice
en référé concernant la société anonyme 370, peut-on désigner un expert de gestion
lorsqu’il s’agit d’un groupe de sociétés ? Autrement dit, un associé d’une société
appartenant à un groupe peut-il demander une expertise de gestion pour une ou plusieurs
sociétés du même groupe371 ?

167- Aucune précision n’est apportée par la loi organisant le groupe de sociétés.
Quelle sera alors la réaction de notre jurisprudence ? Va-t-elle refuser l’expertise de
gestion dans le groupe de sociétés au motif de l’indépendance juridique des sociétés
groupées ? Ou, au contraire, acceptera-t-elle la demande afin de protéger les associés
minoritaires dans le groupe de sociétés ?
Plusieurs raisons paraissent militer en faveur de l’élargissement de la désignation
de l’expert de gestion au groupe de sociétés. D’abord, il est à noter qu’en pratique la
justice en référé semble bien fonctionner pour ce qui concerne la nomination d’experts de
minorité dans le cadre de la société anonyme isolée. Ensuite, le recours aux articles 201
et 214 CPCC demeure toujours possible. Car, ces textes constituent le droit commun des
procédures auquel il est permis de se référer pour combler le silence législatif 372.

168- Il semble alors que les juges du fond n’hésiteront pas en cas d’urgence à
nommer un expert de gestion pour protéger les intérêts en présence, mis en péril par une
décision de gestion bien déterminée. D’autant plus qu’une telle solution semble bénéfique
non seulement aux associés minoritaires mais également au groupe de sociétés lui-même.
Elle est également compatible avec les orientations du législateur qui tend à renforcer la
transparence au sein du groupe de sociétés.
Ainsi, l’indépendance juridique ne doit pas priver l’associé minoritaire d’aucun
moyen susceptible de le protéger contre tout abus éventuel, dans n’importe quelle société
du groupe. En tout cas, la désignation de l’expert de gestion sera toujours soumise au
pouvoir d’appréciation du juge. Ce dernier fixera, le cas échéant, l’étendue de sa mission
et de ses pouvoirs.

369
V. art. 139 CSC qui dispose que : « un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital social peuvent,
soit individuellement, soit conjointement, demander au juge des référés la désignation d’un expert ou d’un collège d’experts
qui aura pour mission de présenter un rapport une ou plusieurs opérations de gestion ».
370
Dans une société anonyme, tout actionnaire minoritaire peut demander la désignation d’un expert de minorité sur la base
des article 201 et 214 CPCC. En effet, si l’article 201 donne la possibilité au détenteur d’un droit prétendu de recourir au juge
des référés dans tous les cas d’urgence, l’article 214 assure la même possibilité chaque fois que le droit en question se trouve
en péril . V. ABBES (A), L’intervention judiciaire dans le fonctionnement de la société anonyme, Mémoire de DEA, Faculté
de droit de Sousse, 2001-2002, p37.
371
LEFEBVRE (F), op.cit., n°87, p 250.
372
DE LAGRANGE (E), Le législateur et ses interprètes, RTD, 1968, p 102.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 83

169- S’agissant de son étendue, l’expertise ne peut porter que sur des opérations de
gestion373. Tel est le cas des opérations émanant des dirigeants sociaux qu’ils soient les
dirigeants de la société mère ou de n’importe quelle société du groupe.
De surcroît, l’expertise ne peut porter que sur une ou plusieurs opérations de
gestion374 déterminées. Elle ne peut jamais concerner l’ensemble de la gestion du groupe.

170- Quant aux pouvoirs de l’expert de gestion, ce dernier doit disposer d’un
pouvoir d’investigation très important surtout dans le cadre du groupe de sociétés où les
relations sont très compliquées. En effet, pour donner un jugement exact sur une
opération de gestion, l’expert doit faire une étude détaillée de toutes les relations qui
existent entre les différents membres du groupe ainsi qu’une analyse très soignée des
effets éventuels de l’opération douteuse sur le groupe de sociétés en général et sur chaque
société groupée en particulier. Il doit être alors investi d’un pouvoir d’investigation très
large lui permettant d’avoir toutes les informations et les explications nécessaires de la
part des organes sociaux des sociétés concernées par l’opération. Il doit également avoir
la possibilité de consulter les documents sociaux, les rapports de gestion, les rapports des
commissaires aux comptes des sociétés groupées…
Encore plus, l’expert de gestion doit avoir un droit d’enquête auprès de tous les
dirigeants dans le groupe. Ces derniers ne peuvent aucunement l’obstruer au cours de sa
mission375.
Enfin, ce professionnel doit être armé d’une loupe qui lui permet de connaître les
moindres détails permettant d’apprécier la validité ou l’opportunité de l’opération
contestée et fournir l’information fiable aux intéressés. Pour ce faire, l’intervention
législative est plus que nécessaire pour préciser la mission ainsi que les pouvoirs de
l’expert de gestion.

171- Nul doute que l’intervention de l’expert de gestion et du commissaire aux


comptes est indispensable pour prévenir toute forme d’abus dans le groupe de sociétés 376.
Il reste que notre législateur gagnerait sur le plan de la politique préventive des abus en
renforçant les prérogatives des organes de contrôle, à qui on devrait octroyer tous les
instruments juridiques nécessaires pour accomplir leur mission dans l’intérêt de tous les
partenaires du groupe et surtout dans l’intérêt commun du groupe lui-même. D’ailleurs,
373
V. à propos de l’imprécision de la notion « opération de gestion » MARTEAU-PETIT (M), note sous Cass. Com., 30 mai
1989, JCP, éd. G, II, 1990, n° 21405.
374
Le problème qui s’est posé était de savoir quelles sont les opérations de gestion ? A défaut de définition légale, la
jurisprudence française a utilisé un critère organique. C'est-à-dire qu’il y a opération de gestion chaque fois qu’elle émane
d’un organe de gestion. Ce critère est, cependant, trop étroit car on peut trouver des opérations de gestion qui nécessitent
l’approbation de l’assemblée des actionnaires. Face à cette insuffisance, la doctrine ainsi que la jurisprudence française ont
adopté une définition plus large des opérations de gestion qui tient compte non pas de l’origine de l’opération mais plutôt de
son objet. V. GUYON (G), note sous Cass. Com., 12-1-93, JCP, éd. G, II, 1993, n° 22029. Cass. Com. 19-11-1991, RTD
Com., 1992, p 639. Cass. Com., 13-11-1973, D, 1973, p 397, note BURST. Cass. Com., 25-3-1974, JCP, éd. G, II, 1974, n°
17853, note CHARTIER.
375
V. infra n° 285 sur les sanctions possibles en cas d’entrave de la mission de l’expert de minorité du groupe.
‫ " إن العودة إلى خبرة اإلدارة ذات أهمية خاصة في موضوع شركة الهولدنغ إذ أن تشعب و تعقيد العمليات المحققة بوسائل قانونية و مالية مختلفة يفسحان المجال‬376
‫ و قضي بهذا االتجاه أنه مع المونتاجات القانونية و المالية المختلفة التي تسمح لمجموعة‬.‫واسعا أمام إتمام عمليات مشبوهة تستدعي التوضيح من قبل الخبير اإلداري‬
،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬،‫ مزيحم ماجد‬." ‫الشركات إن تتهيأ بسهولة أكثر من شركة منفردة إلتمام عمليات مشبوهة نجد انه في كثير من الحاالت تتم استجابة طلبات تعيين خبير إدارة‬
.211 ‫ص‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 84

conscient de l’importance et de l’efficacité de ces instruments, le législateur de 2001 n’a


pas du tout hésité à affronter un des principes les plus sacro-saint du droit civil en général
et du droit commercial en particulier, à savoir le principe de la liberté contractuelle.
Depuis cette date historique, un tel principe fortement ancré dans les relations
commerciales a connu dans le droit des groupes une atteinte des plus significative. Ce qui
illustre une certaine politique législative consistant à utiliser la codification des relations
intragroupe comme moyen de prévention de l’abus.

Section deuxième : La prévention de l’abus par


l’atteinte au principe de la liberté contractuelle377

172- Conscient de l’insuffisance de l’information en tant que moyen de prévention


des abus dans le groupe de sociétés, le législateur a eu raison de porter atteinte au
principe de la liberté contractuelle, et-ce en réglementant les relations intra groupe,
surtout que ces relations constituent généralement une source directe des abus dans le
groupe de sociétés.
Il est alors permis de considérer que la codification en ce domaine juridique bien
précis constitue bel et bien une politique préventive des abus, car normalement ces
relations relèvent de la libre volonté des parties contractantes. Aussi bien, faudra-t-il,
analyser la portée de l’atteinte à la liberté contractuelle qui semble se vérifier par la
réglementation préventive à la fois des participations réciproques entre les sociétés
groupées (§1) et des conventions intra groupe (§1).

377
Le principe de la liberté contractuelle signifie « que l’on n’est jamais obligé de contracter : il n’y a contrat que si les
parties l’ont voulu…on peut conclure un contrat comme on peut refuser de le conclure. C’est l’expression la plus abrupte et
la plus simple de l’autonomie de la volonté. Ne seront considérées comme stipulations d’un contrat que celles qui sont
acceptées par les parties. Notamment la loi ne doit pas s’immiscer dans le contrat. La plupart des règles légales en la
matière doivent être des règles supplétives, destinées à combler les lacunes de la volonté, mais que celle-ci peut très bien
remplacer par d’autres règles ou d’autres dispositions ». LARROUMET (C), Droit civil, T. 3, Les obligations, Le contrat,
3ème éd. ECONOMICA DELTA, 1996, p 102.

‫ كما تترتب‬.‫ وإذا تعاقد في أن يحدد مضمون العقد كما يريد‬،‫ فالحرية التعاقدية تتمثل من حيث األصل في حرية الشخص في أن يتعاقد أو أن يمتنع عن التعاقد‬... "
‫ و معناها أن العقود تتكون تكوينا صحيح بمجرد التقاء إرادتين دون أن تقيد إرادة األطراف بشروط شكلية لما في ذلك‬،‫عنها من حيث الشكل قاعدة رضائية العقود‬
.43 ‫ ص‬،1997 ،‫ تونس‬،‫ مطبعة الوفاء‬،‫ طبعة ثانية‬،‫ العقد‬:‫ النظرية العامة لاللتزامات‬،‫ الزين محمد‬."‫التقييد من مساس بمبدأ سلطان اإلرادة‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 85

§1- : L’atteinte à la liberté contractuelle par la


réglementation des participations réciproques378

173- Avant de mettre l’accent sur l’efficacité d’une telle atteinte (B), il convient,
tout d’abord, d’analyser les raisons qui ont amené le législateur à un tel choix (A).

A- les raisons de l’atteinte à la liberté contractuelle

174- L’intervention du législateur en vue de réglementer les participations


réciproques se justifie à bien des égards. En effet, ces participations peuvent conduire à
des abus très importants lors du fonctionnement du groupe.
Le plus évident est celui de la fictivité du capital social qui signifie que le montant
du capital inscrit dans les statuts ne correspond pas aux valeurs promises et effectivement
apportées à la société379. Cette idée a été clairement exprimée par M. le professeur BEL
HAJ HAMOUDA qui a écrit que « les participations réciproques ont pour effet de
gonfler artificiellement l’actif des deux sociétés concernées …chaque société se trouve
indirectement propriétaire d’une partie de son propre capital … c’est du capital sur
papier. Cette combinaison financière douteuse échafaudée sur la base de ce genre de
participation est contraire à la réalité du capital social, gage général des créanciers380.
(Le droit anglais l’appelle le mouillage des actifs : watering). L’argent ne doit pas
revenir d’où il est parti381 ».

175- Le second abus à craindre est celui du verrouillage de la direction 382. L’abus
est très facile à atteindre lorsque chacune des deux sociétés détient la majorité du capital
de l’autre. En effet, lorsqu’une société est majoritaire dans une autre, elle peut nommer

378
D’après l’article 465 CSC « une participation est dite réciproque lorsqu’une société appartenant à un groupe de sociétés
détient une fraction du capital d’une ou de plusieurs autres sociétés appartenant à ce même groupe, ayant une participation
dans son capital ».
379
Cet abus est contraire au principe de la réalité du capital social. V. MAMLOUK (A), Le capital social gage des créanciers,
thèse, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, 1998-1999, p 114.
380
Ibidem. V. art 5 CSC.
381
BEL HAJ HAMOUDA (A), De quelques aspects de droit pénal dans le CSC : liquidation et groupe de sociétés, Session de
formation à propos du CSC, 11 et 12 avril 2003, Centre des études juridiques et judiciaires, Tunis, 2004, p 50.
382
Ibidem.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 86

ses leaders. Ces derniers obligés, reconnaissants ou amis, voteront pour les dirigeants en
place dans la première société. Leur réélection sera ainsi permanente.
Etant inamovibles, les dirigeants du groupe profiteront de la situation pour mener
une politique générale tournée, non pas vers l’intérêt commun du groupe, mais plutôt vers
le seul intérêt de la société mère.

176- De son coté, le sénateur DAILY 383 a dénoncé la sécurité injustifiée


qu’assuraient les participations réciproques contre les OPA 384 et les OPE385. « Alors
qu’aux USA lorsqu’une société décline en raison de la mauvaise foi de ses dirigeants,
elle est par le mécanisme des OPA rachetée par des capitalistes plus performants. En
France, l’autocontrôle386 protége les dirigeants contre toute offensive extérieure, et c’est
soit l’entreprise qui périclite, soit même certains de ses actifs industriels qu’il faut brader
pour payer le prix de la tranquillité de certains dirigeants387 ». N’est-ce pas là une arme
fort dangereuse qui fait tomber tous les espoirs ? Ne devrait-on pas, comme l’a exprimé
Alain Minc, dans son œuvre l’argent fou388, « bousculer » ces dirigeants ?

177- Face à des participations réciproques qui tissent la toile d’araignée, « les
proies » sont variées, tantôt des créanciers attirés par un mirage de prospérité, tantôt des
actionnaires « qui ne le sont pas, qui ne le sont plus face à une oligarchie de club
détenant les reines du pouvoir389 ». En arrière plan apparaît un marché obscur, une
économie en crise de croissance qui appelle au secours par la voie d’une réglementation
préventive efficace.

B- L’efficacité de l’atteinte à la liberté contractuelle

178- L’efficacité est « le mode d’appréciation des conséquences des normes


juridiques et de leur adéquation aux fins qu’elles visent390».
En partant de cette définition, la réglementation des participations réciproques est-
elle efficace ? Y’a-t-il vraiment atteinte au principe de la liberté contractuelle ? Les
dirigeants du groupe ne peuvent-ils pas profiter des brèches législatives pour retrouver
toute la liberté contractuelle redoutée par le législateur ?
Bien que cette réglementation soit nouvelle, les prémisses d’un problème
d’efficacité semblent bien présentes.

179- Partant des articles 466, 467, 468, 469 et 479 CSC391, il est certain que le
législateur a opté pour la limitation de la liberté contractuelle en matière de participations
383
Son rôle a été décisif dans l’élaboration de la réglementation de l’autocontrôle (loi française du 2 août 1989 sur la sécurité
et transparence du marché financier).
384
Offre publique d’achat.
385
Offre publique d’échange.
386
Il désigne les participations réciproques indirectes. V. infra. n°182.
387
GUYON (Y), Droit des affaires, 11ème éd., ECONOMICA, Paris, 2001, p 565.
388
MINC (A), L’argent fou, p 107, cité par DE PONTAVICE (E), Rapport introductif, RJ Com., 1990, n° spécial, p10.
389
TROCHU (M), Le triomphe du capitalisme sauvage ou BSN contre SAINT GOBIN, D., 1969, chro., p 221.
390
Dictionnaire de la théorie générale de droit, p 217 et s, (efficacité, effectivité).

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 87

réciproques. En effet, qu’il s’agisse de deux sociétés par actions ou bien d’une société par
actions et d’une société autre que par actions, le législateur a fixé un seuil de 10% à ne
pas dépasser392.

180- En analysant ces dispositions légales, il sied de remarquer que l’interdiction


des participations réciproques ne porte que sur les actions expressément citées par les
articles en question. Par conséquent, les certificats d’investissement 393, les certificats de
droit de vote394, les titres participatifs395 et les obligations396 qui constituent des valeurs
mobilières autonomes et distinctes des actions échappent à toute interdiction 397. Le choix
législatif parait donc d’une efficacité limitée dans la mesure où ces valeurs mobilières,
détenues de façon réciproque, peuvent causer les mêmes dangers suscités.

181- De surcroît, les participations réciproques ne sont interdites que lorsqu’elles


se nouent entre deux sociétés dont l’une d’elles est une société par actions. Le législateur
a donc passé sous silence les participations entre deux sociétés autres que par actions 398.
Or, à défaut d’une interdiction explicite, ces participations réciproques demeurent licites.
L’interprétation restrictive devrait prévaloir, d’autant plus que la réglementation en
question comporte des dispositions pénales 399. Dans ces conditions, deux sociétés
anonymes du même groupe, ayant des participations réciproques prohibées, n’ont qu’à se
transformer en deux SARL pour que la situation illicite devienne licite.

182- Par ailleurs, il est indispensable de s’arrêter devant une autre situation qui
semble des plus dangereuses. En effet, le législateur n’a interdit que les participations
réciproques entre deux sociétés du groupe. Il a donc omis d’interdire celles faisant
intervenir plus que deux sociétés groupées 400. C’est ce qu’on appelle les participations
réciproques indirectes, appelées également les participations circulaires ou encore
391
Pour lutter contre toutes combinaisons illicites, la loi de 2001 a prévu quatre mécanismes qui sont en réalité
complémentaires : Une obligation d’information en cas de participations réciproques dépassant le seuil précité. Cette
obligation est mise à la charge de la société acquéreuse. Une obligation de régularisation dans un délai ne dépassant pas un an
et qui peut être aussi bien amiable que légale. Ainsi que des sanctions civiles et pénales V. infra. n° 275. V. BELHAJ
HAMOUDA (A), art.pré., p 51.
392
D’après GUYON (Y), ce seuil constitue un plafond au dessous duquel l’effectivité du capital n’est pas sérieusement
ébranlée. IN, op.cit., n° 587, p 560. Sans oublier les bienfaits des participations réciproques, ces dernières permettent
certainement un contrôle réciproque, une politique de gestion commune ou encore une coordination durable. V. MAMLOUK
(A), thèse pré., p 114.
393
V. art. 375 CSC.
394
Ibidem.
395
V. art. 368 CSC.
396
V. art. 327 CSC.
397
OMRANE (A), art. pré. p 10.
398
Les sociétés a responsabilité limitée (SARL et SUARL), les sociétés en commandite simple, les sociétés en nom collectif
et les sociétés en participation. Ces dernières faute de personnalité morale ( art. 78 CSC) devraient être écartées.
399
V. infra. n° 275.
400
L’omission n’a pas été totale puisque l’article 469 CSC dispose que « les participations et droits de vote revenant à une
société filiale, telle que définie par l’article 461 du présent code, ne sont pas prise en considération pour le calcul du quorum
et de la majorité dans les assemblées générales de la société mère ». Bien qu’il permette la neutralisation des droits de vote
revenant aux actions d’autocontrôle, cet article est doublement limité. D’une part il a expressément utilisé le vocable
« filiale », il ne s’applique donc pas aux autres sociétés du groupe. D’autre part, il n’a pas prévu de sanction pour les atteintes
à la réalité du capital.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 88

d’autocontrôle. Cette situation consiste pour une société d’assurer son propre contrôle par
deux ou plusieurs sociétés dont elle détient directement ou indirectement le contrôle.
C’est le cas lorsqu’une société du groupe est en partie détenue par l’une de ses sous
filiales. Une telle situation, qui suscite les mêmes dangers que les participations
réciproques directes, va à l’encontre de la volonté du législateur qui cherche, en cette
matière, à limiter autant que possible la liberté contractuelle. En effet, si deux sociétés
groupées veulent nouer entre elles des participations interdites, il leur suffit de transiter
par une troisième société du groupe ou bien hors du groupe.
De même le législateur n’a interdit que les participations réciproques entre deux
sociétés appartenant à un même groupe laissant ainsi la porte grande ouverte devant les
sociétés hors groupe ou encore appartenant à deux groupes différents401.

183- Enfin, il convient de rappeler qu’une loi ne peut s’appliquer en dehors du


territoire de l’autorité qui l’a édictée, sauf si elle est désignée par la règle de conflit en
matière de droit international privé ou choisie par les parties dans une clause
compromissoire402. A cet égard, l’article 10 CSC précise que les sociétés dont le siège
social est situé sur le territoire tunisien sont soumises à la loi tunisienne. A contrario, les
sociétés dont le siège social est hors du territoire tunisien ne sont pas soumises à la loi
tunisienne. Ce problème de territorialité se pose avec beaucoup de stridence dans le cadre
des groupes de sociétés qui connaissent, ces dernières années, une extension
phénoménale dépassant les frontières étatiques. En effet, les groupes multinationaux 403,
ayant des filiales un peu partout dans le monde, constituent une réalité à ne plus
démontrer. Certes, de tels groupes sont à présent quasi absents dans l’environnement
économique tunisien, mais leur multiplication semble certaine dans un futur proche.
Ainsi, si une société du groupe a son siège social en Tunisie, elle sera soumise à la
réglementation des participations réciproques, sinon elle y échappera. Il semble donc
facile d’éluder une telle réglementation, ne serait-ce qu’en transférant le siège social
d’une société membre du groupe à l’étranger404.

184- Il est vrai que toute initiative de réglementation des participations réciproques
est une satisfaction en soi, car l’essentiel est que le droit ne reste pas en retard par rapport
à la pratique. Mais pour être beaucoup plus satisfaisante, la réglementation ne doit pas
creuser le fossé entre le fait et le droit. Réduire l’écart est une mission possible mais
difficile. Le législateur devra donc observer de très près la réglementation des
participations réciproques, préparer s’il le faut des amendements pour élargir la portée de
la loi et surtout condamner des montages qui pourraient mettre à néant toute la
réglementation des participations réciproques et par ricochet battre en brèche l’atteinte à
la liberté contractuelle en tant que moyen préventif des abus dans le groupe.
401
On pourra également ajouter les sociétés appartenant à un groupe de fait c'est-à-dire un groupe de sociétés non reconnu par
la loi tunisienne comme les groupes contractuels ou bien personnels.
402
V. art. 4 CDIP.
403
Exemple: G.M., IBM, AGIL…
404
Se dégage, dès lors, l’importance de l’unification des règles de droit. Il convient alors de saluer l’effort déployé en ce
domaine par l’organisation de l’Uni droit.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 89

185- En définitive, dépourvues de suffisamment d’efficacité, nécessaire pour


s’opposer par anticipation aux abus éventuels dans le groupe de sociétés, les règles
codificatrices des participations réciproques, malgré l’atteinte apparente au principe de la
liberté contractuelle, ne semblent pas constituer un moyen préventif qui pourrait
participer à éviter le mal avant qu’il ne soit consommé. En est-il de même concernant
l’atteinte au principe de la liberté contractuelle par la réglementation préventive des
conventions intra-groupe ?

-§2 : L’atteinte à la liberté contractuelle par la


réglementation des conventions intra groupe
186- Les conventions intra groupe peuvent constituer un terrain fertile pour les
abus de toute forme. Avant l’avènement du code des sociétés commerciales, l’article 78
CC n’était pas suffisamment adapté pour répondre aux divers problèmes que peuvent
poser les dites conventions405. C’est ce qui explique la nouvelle réglementation,
restrictive et contraignante, consacrée pour ce type de conventions par les articles 474 et
475 CSC.
Une telle réglementation, grâce à l’atteinte importante au principe de la liberté
contractuelle, semble avoir le mérite de fournir des avantages sur le plan de la sécurité,
d’améliorer l’information et surtout de prévenir tout abus susceptible de causer préjudice
aux minoritaires, aux créanciers voire au groupe lui-même. Ainsi, il convient, avant de
déterminer la mesure de l’atteinte à la liberté contractuelle (B) de préciser le domaine
d’une telle atteinte (A).

A- Le domaine de l’atteinte à la liberté contractuelle

187- Dans l’article 474 CSC406, le législateur s’est intéressé à la réglementation


« des opérations financières » entre les sociétés du groupe. De son coté, l’article 475 du

405
Avant la promulgation du CSC, la majorité de la doctrine tunisienne a affirmé que les conventions intra groupe sont
soumises à l’article 78 CC. Selon M. KNANI « ce texte n’est pas spécifique au groupe de sociétés, mais en fait il est fréquent
que les sociétés faisant partie du groupe aient des administrateurs communs ». IN, « Les groupes de sociétés et le droit
commercial », Colloque à propos des groupes de sociétés, les journées de la décennie de l’ordre des experts comptables de
Tunisie, le 13 et 14 mai 1993, p 33. V. également pour le même auteur : Les conventions entre la société mère et ses
dirigeants, RTD, 2001, p 347.
406
A propos de la teneur de l’article 474 CSC V. supra. n° 116.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 90

même code407 a réglementé les conventions conclues entre la société mère et l’une des
sociétés filiales ou entre des sociétés appartenant au même groupe.
Une lecture hâtive de ces deux textes peut laisser croire que des conflits risquent de
se poser concernant le champ d’application de ces deux dispositions légales, ne serait-ce
que parce que le vocable convention, employé par l’article 475 précité, pris au sens
général, peut impliquer toute opération financière. C’est pourquoi il parait indispensable
de préciser le domaine d’application de la réglementation des conventions intra groupe et
donc le domaine de l’atteinte à la liberté contractuelle suivant que l’on se place dans le
cadre de l’un ou de l’autre des deux textes susvisés.

188- On peut soutenir que le domaine d’application de l’article 474 semble se


limiter aux opérations financières qui ont été précisées par son alinéa second en ces
termes : « sont considérées opérations financières, tout prêt au sens de la législation
relative aux établissements de crédit408, toute avance en compte courant ou garantie,
quelles qu’en soient la nature et la durée ».
Comme on peut le constater, ces termes sont utilisés d’une manière générale et
sans aucune réserve409, car de telles opérations sont autorisées sans prise en compte ni de
leur nature ni de leur forme. Il peut s’agir alors d’une opération financière excluant le
recours aux crédits extérieurs telles que toute forme de prêts 410 ou d’avance en comptes
courant411 comme il peut s’agir des opérations financières facilitant l’obtention d’un
crédit extérieur par le biais notamment du cautionnement 412, de la lettre d’intention413 ou
de la garantie à première demande414…

189- Toutes ces opérations financières entrent dans le champ d’application de


l’article 474 si elles sont effectuées « entre les sociétés du groupe ayant des liens directs
ou indirects du capital, dont l’une dispose d’un pouvoir sur les autres dû à la détention
de plus de la moitié du capital social ». On retient de cette disposition que les opérations

407
L’article 475 CSC dispose que « lorsque deux sociétés ou plus appartenant à un groupe de sociétés ont les mêmes
dirigeants, les conventions conclues entre la société mère et l’une des sociétés filiales ou entre sociétés appartenant au
groupe sont soumises à des procédures spécifiques de contrôle consistant en leur approbation par l’assemblée générale des
associés de chaque société concernée, sur la base d’un rapport spécial établi par le commissaire aux comptes à l’effet si l a
société concernée est soumise à l’obligation de désignation d’un commissaire aux comptes. Le contrôle n’est pas obligatoire
si la convention porte sur une opération courante conclue à des conditions normales ».
408
L’article 12 de la loi de 2001 relative aux établissements de crédits utilise la formule « prêt dans toutes ses formes ».
409
V. ELLEUCH (S), art. pré., p 106.
410
On entend par prêt tout acte intéressé par lequel une personne, le prêteur, s’engage à fournir un capital en contrepartie
d’intérêts payés par l’emprunteur. V. COLLART-DUTILLEUL (F) et DELEBECQUE (PH), Contrats civils et commerciaux,
5ème éd., DALLOZ, 2001, p 719.
411
Le compte courant est réglementé en droit tunisien par les articles 728 à 742 CC.
412
L’article 1478 COC définit le cautionnement comme étant « un contrat par lequel une personne s’oblige envers le
créancier à satisfaire à l’obligation du débiteur si celui-ci n’y satisfait pas lui-même »
413
La lettre d’intension est une pratique d’origine anglo-saxonne qui reçoit des appellations diverses. Outre celle de lettre
d’intension, elle est appelée aussi lettre de confort, lettre de patronage, de parrainage ou encore d’apaisement. Elle permet de
parrainer la filiale auprès d’une institution financière afin de lui faciliter l’obtention d’un crédit. V. BAILLOD (R), Les lettres
d’intention, RTD Com., 1992, p 548.
414
Elle constitue comme le cautionnement une sûreté personnelle dont la singularité se trouve dans son autonomie ou son
indépendance par rapport au contrat de base, ce qui entraîne l’inopposabilité au créancier de toute exception touchant ce
contrat. V. STOUFFLET (J), Garantie à première demande, JCL. Banque et crédit, fasc. 610, p 6 et s.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 91

financières ne sont permises qu’entre société mère et filiale 415. Par conséquent, deux
sociétés soeurs416 ne peuvent nullement entretenir des relations financières à moins
qu’elles se font transiter par la société mère. « Un tel détour qui sera le plus souvent
formel est inutilement imposé » affirme M. VIANDIER, qui ajoute « de deux chose l’une,
ou bien autoriser (les opérations financières) à l’intérieur du groupe au nom de l’unité
économique, sociale, comptable et patrimoniale, et il est indifférent de savoir entre qui et
qui interviennent les dites opérations, ou bien on n’admet pas cette idée de l’unité du
groupe et l’exception417 n’est plus justifiée418 ».

190- En revanche, s’il s’agit de conventions qui ne constituent pas des opérations
financières au sens fixé par le deuxième alinéa de l’article 474, dans ce cas c’est bel et
bien l’article 475 qui doit s’appliquer. Plus exactement, toutes les fois où il s’agit de
conventions qui ne constituent ni un prêt au sens de la législation relative aux
établissements de crédit ni une avance en compte courant ou garantie, quelles qu’en
soient la nature et la durée, ce sont les dispositions de l’article 475 précité qui devront
s’appliquer. Il faut toutefois que ces conventions soient conclues entre la société mère et
l’une des sociétés filiales ou entre sociétés appartenant au groupe ayant les mêmes
dirigeants.

191- Comme on peut le constater, la loi du groupe semble avoir bien précisé le
domaine de l’atteinte à la liberté contractuelle en matière de conventions intra groupe. Il
sied dès lors de déterminer la mesure d’une telle atteinte.

B- La mesure de l’atteinte à la liberté contractuelle

192- Dans quelle mesure le principe de la liberté contractuelle a-t-il été atteint par
la réglementation des conventions intra-groupe ? Pour y répondre, il faudra bien
démontrer la mesure d’une telle atteinte aussi bien au niveau des opérations financières
(I) qu’au niveau des conventions entres sociétés groupées ayant les mêmes dirigeants (II).

I- Au niveau des opérations financières

193- Pour qu’elle soit autorisée, l’opération financière doit être soumise à certaines
conditions. L’analyse de ces conditions aide certainement à déterminer la mesure de
l’atteinte au principe de la liberté contractuelle.
Tout d’abord, l’opération financière doit être normale et ne doit pas engendrer des
difficultés pour la société qui l’a effectuée. Selon le ministère de la justice, l’opération
financière est normale lorsqu’elle s’effectue dans des conditions habituellement usitées

415
ELLEUCH (S), art. pré., p 108.
416
C’est à dire deux sociétés filiales ou bien deux sociétés contrôlées ou encore une filiale et une société contrôlée.
417
L’exception au monopole bancaire. V. art. 7 de la loi n° 2001-65 du 10 juillet 2001, relative aux établissements de crédit.
418
VIVANDIER (A), Les opérations financières au sein des groupes de sociétés, JCP, 1985, doc. n° 3188.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 92

dans les rapports de la société concernée avec ses clients. 419 Ainsi, au moment de sa
conclusion, l’acte ne doit pas faire courir à la société un risque déraisonnable. Autrement
dit, il ne faut pas que l’opération se traduise à sens unique, pour enrichir l’un des
membres du groupe au dépens d’une société cible rendue exsangue par les prélèvement
massifs sur son actif social, qui la contraignent, par exemple, à des licenciements de
personnels et à des déficits susceptibles de compromettre le paiement de ses dettes
sociales.
Il est vrai que l’activité commerciale se base sur la notion de risque et d’aléa, sauf
que le risque doit être nécessairement raisonnable et acceptable. L’animateur du groupe
doit « jauger les forces de la société contribuant et les confronter avec le poids des
engagements assurés pour déterminer s’ils ne sont point disproportionnés et de nature à
mettre en péril l’exploitation sociale420 ».

194- En outre, l’opération financière doit comporter une contrepartie effective ou


prévisible pour la société qui l’a effectué. Dès lors, faut-il bannir d’office les opérations
gratuites telles que les abandons de créances et les crédits gratuits ?
Une réponse affirmative contredit l’objectif du groupe de société fondé sur
l’entraide économique, sociale et financière421.
Par ailleurs, la contrepartie peut être effective, comme elle peut être prévisible.
Ainsi les membres du groupe « sont appelés à se rendre des services mutuels, à se
soutenir réciproquement en cas de difficulté passagère et le sacrifice présenté,
aujourd’hui, par l’une peut trouver sa contrepartie dans l’avantage de demain422 ».
Mais la question qui se pose est de savoir si l’appartenance à un groupe de sociétés
constitue, en soi, une contrepartie suffisante pour la filiale qui s’y est intégrée.
La cour de cassation française a refusé d’adopter une telle position 423. Elle répugne,
en effet, toute idée de compensation purement économique. Toutefois, certains juges du
fond424 continuent à affirmer que l’opération n’est pas dépourvue de contrepartie lorsque
la présence d’un groupe, fortement structuré, est indiscutable.

195- L’article 474 CSC dispose également que l’opération doit être justifiée par un
besoin effectif pour la société concernée et qu’elle ne résulte pas de considérations
fiscales. Le besoin effectif ne traduit pas nécessairement une situation de difficulté
économique, pour la simple raison qu’une société en puissance a parfois besoin d’un
soutien financier important pour développer son activité ou encore pour acquérir le
contrôle d’autres sociétés425. Le besoin peut avoir un caractère financier, économique ou

.1 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،103 ‫ ص‬،5 ‫ عدد‬،2001 ‫ نوفمبر‬20 ،‫ ? مداوالت مجلس النواب‬419


420
FREYRIA (C) et CLARA (J), art.pré., p255.
421
D’ailleurs en vertu de la nouvelle définition de la société (art. 2 CSC), la réalisation d’une économie suffit pour consacrer
la finalité sociale.
422
BASTIAN, note sous Cass. Crim. Paris 9-1-1952, JCP, II, 195é, 6970.
423
Cass. Crim. 16-12-95, JCP, II, éd. CI, 1976, 18476, note Delmas-Marty (M).
424
C.A. Paris, 15 novembre 1985, Gaz. Pal., I, 1986, p367.
425
ELLEUCH (S), art. pré., p113.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 93

même social. Mais il ne peut jamais servir de prétexte pour éluder l’impôt, ou encore
pour servir les intérêts personnels des dirigeants426.

196- Nul doute que les conditions imposées par l’article 474 CSC témoignent du
degré et de l’importance de l’atteinte que subit le principe de la liberté contractuelle dans
le cadre du groupe de sociétés. En effet, en plus des conditions imposées par le droit
commun des contrats telles que prévues par l’article 2 COC qui exige la capacité de
s’obliger, une déclaration valable de volonté, un objet certain et une cause licite, les
conditions de l’article 474 doivent être également remplies pour que l’opération
financière soit autorisée dans le groupe de sociétés. Toute cette rigueur, voire lourdeur au
niveau des conditions d’autorisation de l’opération financière est certainement une preuve
incontestable de l’importance de l’atteinte apportée au principe de la liberté contractuelle.
Il en va de même au niveau des conventions entre sociétés groupées ayant les mêmes
dirigeants.

II- Au niveau des conventions entre sociétés ayant les mêmes


dirigeants427

197- Pour ne pas entraver les transactions et les opérations au sein du groupe de
sociétés, l’article 475 CSC dispose que « le contrôle n’est pas obligatoire si la
convention porte sur une opération courante conclue à des conditions normales ».
Deux questions se dégagent de la teneur de ce texte : qu’est ce qu’on entend par
convention courante ? Et que signifie la normalité des conditions ?

198- Répondant à la première question, le ministère de la justice a pu affirmer qu’il


s’agit en réalité des opérations habituelles entrant dans l’objet social et qui représentent la
part la plus importante des opérations conclues. Il en est ainsi de l’octroi d’un crédit pour
les établissements bancaires, la conclusion des contrats d’assurance pour assurer la
responsabilité des tiers et de leurs biens pour les sociétés d’assurance, l’achat de matières
premières pour une société industrielle428…
426
D’après GODON (L) « L’intérêt social et l’intérêt commun des associés constituent des finalités légales, jamais l’intérêt
personnel des dirigeants ». IN, Fondement juridique du devoir de loyauté du dirigeant social, Rev. Soc., n° 1, 2005, p 149.
427
Ces conventions rappellent le contrat avec soi même, c'est-à-dire le contrat dans lequel une partie s’engage à la fois en son
nom et pour son propre compte et au nom d’une personne physique ou morale qu’elle représente. Ce contrat est une espèce
de « one man show » qui a souvent suscité la méfiance du législateur. C’est ce qui ressort de l’article 549 COC qui figure
dans les règles générales de droit, d’après lequel « nul ne peut user des droits qu’il a pour autrui par exemple, comme
administrateur ou tuteur, afin de contracter avec soi même, même par intermédiaire ». De même pour les incapacités
spéciales prévues par les articles 566, 567 et 568 COC ainsi que l’article 1083 COC qui soumet à l’autorisation du juge
compétent, le contrat par lequel un prêterait ou emprunterait lui-même les capitaux de son fils. La même règle s’applique au
tuteur, au curateur et à l’administrateur d’une personne morale. La méfiance du législateur à l’égard du contrat avec soi-
même a été prévue en droit des sociétés par l’article 78 CC qui a réglementé les conventions entre la société et ses dirigeants
ainsi que les conventions entre sociétés ayant les mêmes dirigeants. Actuellement, ce sont les articles 200 et 202 CSC qui
réglementent les conventions entre la société anonyme isolée et ses dirigeants. V. KNANI (Y), art. pré., p 1.
‫ كإس{{ناد الق{{روض‬،‫ " أما العمليات الجارية فهي العمالت المألوفة و التي تدخل في النشاط االعتيادي الشركة و تمثل أهم جزء من العمليات التي تجريها أو تبرمها‬428
‫" م{{داوالت‬...‫ و إبرام عقود مسؤولية الغير و أمالكهم بالنسبة إلى شركات التامين و شراء الم{{واد األولي{{ة بالنس{{بة إلى مؤسس{{ة ص{ناعية‬،‫بالنسبة إلى المؤسسة البنكية‬
.1 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،103 ‫ ص‬،5 ‫ عدد‬،2001 ‫ نوفمبر‬20 ،‫مجلس النواب‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 94

Il semble que le ministère de la justice a repris les mêmes critères déjà dégagés par
la doctrine française qui considère que les opérations courantes sont celles qui sont
effectuées par la société d’une manière habituelle dans le cadre de son activité 429. On peut
dire alors qu’est considérée courante toute convention qui relève de l’exercice normal de
l’activité de la société.

199- S’agissant de la deuxième question relative à la normalité des conditions de la


convention intra groupe, le ministère de la justice a clairement affirmé qu’on ne peut
parler de conditions normales que si les conditions du contrat sont les mêmes suivies par
la société dans ses relations avec un autre fournisseur ou client, notamment en ce qui
concerne le prix, l’échéance, les garanties de paiement, la qualité des produits, et le cas
échéant la garantie des vices, les délais de livraison du produit ou du service objet de la
transaction430.
Ces précisions rappellent aussi une doctrine française dépassée qui considère que
les conventions sont conclues à des conditions normales lorsqu’elles sont effectuées par
la société suivant les mêmes conditions qu’elle pratique habituellement dans ses rapports
avec les clients431. En effet, l’imprécision de la notion « client » a amené la doctrine432
ainsi que la jurisprudence française 433 à abandonner une telle définition pour dire que la
normalité d’une opération exige la prise en compte des conditions dans lesquelles sont
habituellement effectuées les opérations semblables, non seulement dans la société en
cause mais aussi dans les autres sociétés du même secteur d’activité.

200- En tout cas, l’appréciation du caractère courant, normal ou anormal 434 reste
une tâche difficile qui risque de battre en brèche l’atteinte à la liberté contractuelle
consacrée dans le but de prévenir les abus susceptibles d’être commis si les agissements
ou les transactions étaient laissés à la liberté des parties ou à ce que leur édictent les
usages commerciaux.

201- Hormis les conventions courantes conclues à des conditions normales, celles
entrant dans le champ d’application de l’article 475 CSC 435 sont soumises à des
procédures spécifiques destinées à éviter toute sorte d’abus.

429
HEMART (G), TERRE (F) et MABILAT (P), Sociétés commerciales, T.I, DALLOZ, Paris, 1972, n° 1026, p 901.
‫ " و تعتبر هده العملية مبرمة بشروط عادية إذا كانت مقتضيات التعاقد في شانها هي ذات الشروط التي دأبت الشركة على العمل بها في تعاملها م{{ع أي حري{{ف‬430
‫ و خصوصا في ما يتعلق بالثمن و آجال الخالص و ضمانات الوفاء بالثمن و نوعية المنتوج و ضمان العيوب عند االقتض{{اء و آج{{ال تس{{ليم الس{{لعة أو‬،‫أو مزود آخر‬
.1 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،103 ‫ ص‬،5 ‫ عدد‬،2001 ‫ نوفمبر‬20 ،‫ مداوالت مجلس النواب‬."‫الخدمة موضوع المعاملة‬
431
MERLE (PH), Les conventions au sein des groupes, P.A., p 51.
432
Ibidem.
433
CA, Aix, 27-1-95, Rev. Soc., 1995, p 367, note GUYON. CA Paris, 20 nov. 1998, Bull. Joly 1999, p. 476, note P. Le
Cannu, RTD com. 1999, n° 1, p. 145, Obs. B. Petit, RTD com. 1999, n° 2, p. 426, Obs. Champaud et D. Danet, JCP E 1999,
n° 15, p. 669, Obs. A. Viandier et J.-J. Caussain, D. aff. 1999, p. 134, Obs. M. Boizard. Cass. com., 1er oct. 1996, n° 94-
16.315, Dr. sociétés 1996, comm. 235, Bull. Joly 1997, p. 138, note Le Cannu, RJDA 1997, n° 65, p. 39.
434
Une telle appréciation relève certainement de la compétence des juges du fond, sans pour autant oublier le contrôle exercé
par la cour de cassation. V. art. 175 CPCC. V. BEN AMMOU (N), Le pouvoir de contrôle de la cour de cassation, thèse,
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 1996.
435
V. Supra. n° 187 et s.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 95

L’article 475 CSC exige, en premier lieu, que l’opération fasse l’objet d’un rapport
spécial du commissaire aux comptes de chaque société concernée 436. On peut se
demander alors pourquoi le législateur n’a pas chargé de cette mission le commissaire
aux comptes du groupe, d’autant plus que ce dernier dispose d’un pouvoir d’investigation
très large et s’est fait une idée claire sur la situation économique du groupe de sociétés
ainsi que sur la spécificité des relations intra groupe.
Il faut signaler aussi que l’article 475 CSC ne détermine pas la personne qui doit
aviser le commissaire aux comptes. Il ne fixe pas non plus un délai pour
l’accomplissement de cette obligation et ne précise pas la forme de l’avis. Il appartiendra
alors aux juges de fond, au cas où ils auront à connaître de ces difficultés, de considérer
que l’avis doit être effectué dans un délai raisonnable par les dirigeants communs des
deux sociétés concernées par la convention. Cet avis peut être donné verbalement ; mais
il est prudent qu’il soit donné par lettre recommandée avec accusé de réception pour
éviter toute contestation.

202- La convention doit être également soumise à l’approbation de l’assemblée


générale des associés de chaque société concernée. Cette approbation qui, constitue un
véritable moyen pour prévenir tout forme d’abus lors de la conclusion d’une convention
intragroupe, ne doit pas être donnée individuellement par chaque associé ; elle doit faire
l’objet d’une véritable délibération à travers le vote des associés 437.
Mais la question qui se pose est celle de savoir si les dirigeants associés peuvent
prendre part au vote ? A ce propos, les articles 200 et 474 du CSC n’apportent aucune
précision438. En droit français, le dirigeant associé ne peut pas prendre part au vote ni au
conseil d’administration ni à l’assemblée générale des associés 439. En droit tunisien, à
défaut de disposition expresse, il semble inacceptable d’exclure les dirigeants communs
du vote. En effet, le droit des associés de participer à la gestion de la société ne peut être
écarté que par une loi expresse440.
436
Si, bien entendu, la société du groupe est soumise à l’obligation de désignation d’un commissaire aux comptes. V. art. 13
CSC qui dispose que « toute société commerciale doit désigner un commissaire aux comptes, si durant trois exercices
comptables successifs son chiffre d’affaire ou son capital dépasse un montant fixé par le ministre chargé des finances ».
Remarquons à ce propos que l’arrêté du ministre n’a pas encore été pris en application de ce texte. De toute manière, pour la
SA la nomination du commissaire aux comptes est toujours obligatoire. Pour la SARL, l’article 123 CSC dispose que
« lorsque le capital social excède 20000 dinars, les associés délibérant aux conditions de quorum et de majorité propres aux
assemblées générales ordinaires sont tenu de désigner un ou plusieurs commissaires aux comptes ». De même pour la
SUARL, V. art 148 CSC.
‫ من المشروع ال‬475 ‫ فان الفصل‬، .‫ت‬.‫ش‬.‫ م‬13 ‫" إذا كانت إحدى الشركات المنتمية إلى تجمع الشركات غير خاضعة إلى مراقبة مراقب الشركات طبقا للفصل‬
،‫ و بالتالي فان األمر يعرض على الجلسة العامة الشركاء للبت فيه دون سابقية عرضه على أي مراقب محترف‬،‫يوجب عرض مشروع العملية على مراقب حسابات‬
.‫ أ‬،103 ‫ ص‬،5 ‫ عدد‬،2001 ‫ نوفمبر‬20 ،‫ مداوالت مجلس النواب‬." ‫فيلعب الشركاء في نفس الوقت دور جهاز الرقابة و دور جهاز القرار و السيادة داخل الشركة‬
.1 ‫ملحق عدد‬
437
C.A., Paris, 18-3-59, RTD Com., 1960, Obs. RAULT, p 109.
438
Il convient de préciser que l’art. 202 CSC a prévu dans son alinéa dernier, relatif à la couverture de la nullité, que
l’intéressé ne doit pas prendre part au vote.
439
V. art. L. 225-40 CC fr., 2005, (L. n° 2001-420 du 15 mai 2001) « L'intéressé est tenu d'informer le conseil, dès qu'il a
connaissance d'une convention à laquelle l'article L. 225-38 est applicable. Il ne peut prendre part au vote sur l'autorisation
sollicitée… L'intéressé ne peut pas prendre part au vote et ses actions ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum
et de la majorité ».
440
V. art 11 al 4 du CSC qui dispose que « tout associé a le droit de participer aux assemblées générales ». V. également
CATHELINEAU (A), Assemblée d’actionnaires, JCL sociétés, Fasc. 140-10, 1998, p1. MACHOUCH (F), La souveraineté

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 96

203- Par ailleurs, l’article 475 CSC n’a pas consacré une formalité substantielle
prévue par l’article 200 CSC, à savoir l’autorisation du conseil d’administration de la
société concernée par la convention441. En réalité, il semble que le choix législatif est très
judicieux dans la mesure où une telle autorisation ne fait que compliquer encore plus les
procédures, surtout que les relations entre les sociétés groupées imposent autant de
simplicité que de souplesse. Il va sans dire que la lourdeur des procédures en ce domaine
semble être incompatible avec la rapidité que postulent les relations intra groupe 442. On
pourrait même aller jusqu’à soutenir que, sur le plan préventif, toutes les atteintes
apportées au principe de la liberté contractuelle semblent constituer une forme de
contrôle a priori, qui peut être considérée comme plus ou moins satisfaisante. Car,
n’oublions pas deux données importantes : la première est que l’on est parti d’un droit
des groupes non codifié. Dès lors, toute codification ne devra pas se transformer en règles
écrites tracassantes, lourdes et ennuyantes. La seconde consiste à dire que plusieurs
systèmes juridiques ne connaissent pas encore le phénomène de codification du droit des
groupes, peut être parce qu’ils considèrent que légiférer en ce domaine signifie freiner la
liberté transactionnelle nécessaire à la promotion du phénomène de la concentration 443.

204- D’ailleurs pour éviter que l’atteinte à cette liberté ne dépasse la mesure du
raisonnable, le législateur de 2001 a considéré que le formalisme susmentionné n’est
envisageable que lorsque les sociétés groupées sont dirigées par les mêmes personnes. En
effet, l’article 475 précité exige expressément que les sociétés en question aient « les
mêmes dirigeants » pour que les procédures de contrôles susvisées soient imposées. Une
telle exigence ne passe pas inaperçue surtout qu’elle prouve la bonne intention du
législateur444. Toutefois, elle risque de constituer le maillon faible de toute la
réglementation préventive des conventions intra groupe, car il suffit pour le dirigeant
d’user de la technique « des hommes de paille » pour éluder tout le dispositif préventif.
Ce qui pourrait réduire à néant toute l’atteinte à la liberté contractuelle en tant que moyen
préventif des agissements abusif.

205- En définitive, l’examen du régime préventif des abus dans le groupe de


sociétés a permis de constater qu’un tel régime, aussi diversifié soit-il, ne participe pas
activement à la protection des différents partenaires du groupe en raison notamment de
son aspect lacunaire. Faut-il alors se contenter de prôner une intervention législative pour
des assemblées générales des actionnaires de la société anonyme, mémoire de DEA, Faculté de droit et des sciences
politiques de Tunis, 1994. EL HAJJAM (S), La protection des actionnaires dans les sociétés commerciales, mémoire de
DEA, Université de Tunis III, 1995, p 51.
‫ و‬5‫ ص‬،‫ مركز تونس للمص{{الحة و التحكيم‬،2001 ‫ جانفي‬27-26 ،‫ ملتقى علمي حول الجديد في قانون الشركات التجارية‬،‫ الجديد في حقوق الشريك‬،‫الكناني يوسف‬
.9‫ ص‬،1998 ،4 ‫ م ق ت عدد‬،‫ حقوق المساهم في الشركات خفية االسم‬،‫ عبيد التيجاني‬.‫ما بعد‬
441
KNANI (Y), art.pré., p 347.
442
Bartélémy (J), Coulon (N), Egal (J), Guigou (H), Hardouin (M), Demello (X), Petiteau (G) et Seurat (P), Le droit des
groupes des sociétés, édition Dalloz, 1991, p 155.
443
V. supra. n° 10.
444
En effet, il est inconcevable que toutes les conventions intragroupe soient soumises aux procédures de contrôle. Car, cela
risque d’entraver le bon fonctionnement du groupe. C’est pour cette raison que le législateur a exigé la condition de
communauté de dirigeants. D’autant plus qu’une telle communauté est assez souvent suspicieuse d’abus.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 97

redonner aux moyens préventifs plus d’efficacité, ou bien se tourner, tout simplement,
vers le régime curatif des abus qui pourrait, semble-t-il, combler les lacunes du régime
préventif ou, le cas échéant, le corroborer ?
Nul doute que les abus susceptibles d’être commis dans le groupe de sociétés
doivent être prévenus, ne serait-ce que pour répondre à l’adage disant que « mieux vaut
prévenir que guérir ». Cependant, si le régime préventif s’avère, malgré tout, inadapté ou
très peu efficace, le régime curatif serait le refuge auquel pourraient recourir les victimes
des abus.

Chapitre deuxième : Un régime curatif


spécifique à la notion d’abus

206- L’étude du régime curatif va permettre de relever certaines sanctions prévues


expressément par la loi des groupes, et-ce dans le cadre de la politique codificatrice
adoptée par les rédacteurs de cette loi. Mais l’analyse de la notion d’abus dans ses
diverses facettes oblige à revoir la question du régime curatif avec beaucoup de
précaution et d’attention. Car, c’est un fait patent que le contrôle a priori, déjà étudié, va
de paire avec le contrôle a posteriori. L’un a besoin de l’autre et l’on peut même dire
qu’, assez souvent, l’un est le corollaire de l’autre.
Dans cette optique, il semble permis d’avancer, d’ores et déjà, un jugement de
valeur qu’on aura à vérifier. En effet, ayant déjà démontré, lors de la première partie de
ce travail, que la notion d’abus est à la fois plurale, protéiforme et étriquée, les sanctions
qui en découlent ne vont certainement pas échapper à ces aspects négatifs qui influent
d’une manière ou d’une autre sur l’harmonisation, la concordance, voire l’efficacité des
règles juridiques dont dépend tout régime curatif.
Pour ce qui concerne la notion d’abus dans le groupe de sociétés, un tel régime se
compose de deux formes de sanctions, les unes civiles, les autres pénales.
En principe, il semble plausible d’affirmer que les règles relatives aux sanctions
civiles spécifiques à la notion d’abus dans le groupe paraissent certes éparpillées et
désorganisées, mais aptes à constituer un agrégat d’instruments juridiques pouvant
participer à la « lutte » civile contre les abus perpétrés (section 1) ; au contraire, la
situation juridique semble alarmante concernant les sanctions pénales où les principes
classiques du droit répressif risquent de constituer, eu égard à la déficience du régime
curatif propre au groupe de sociétés, un obstacle à toute répression des abus les plus
graves et les plus nuisibles (section 2).

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 98

Section première : Agrégat de sanctions civiles

207- Il est plausible d’essayer de déterminer et d’analyser les sanctions civiles


applicables aux abus dans le groupe de sociétés dans deux directions. La première sera
consacrée aux sanctions civiles en rapport avec la procédure collective de l’une des
sociétés liées (§1), la seconde se rapportera à ces mêmes sanctions sans établir de rapport
avec la procédure collective (§2).

§1- Les sanctions civiles en rapport avec la procédure


collective
208- Le principe de l’autonomie patrimoniale a pour résultat la constitution d’actifs
et de passifs propres à chacune des sociétés groupées. Ainsi, la procédure collective
ouverte contre une société liée est normalement sans effet contre les autres sociétés du
groupe. Toutefois, les créanciers ont la possibilité, dans des cas extrêmes, de transpercer
le principe de l’autonomie patrimoniale afin de protéger leurs intérêts. C’est dans ce
cadre qu’on a pu affirmer que « le groupe de sociétés est un navire qui réserve souvent de
mauvaises surprises à ses pilotes, ils imaginent leur vaisseau protégé par les cloisons
étanches que constituent les personnalités juridiques des diverses entités, mais que la
tempête survienne et leurs prévisions sont souvent déjouées445 ». Il s’en suit
que l’orthodoxie ne règne pas en maîtresse car il y a parfois des situations dans lesquelles
le voile se déchire, le groupe est alors considéré comme un tout, abstraction faite des
personnalités juridiques des sociétés membres 446. Tel est le cas chaque fois qu’un abus de
la personnalité morale est découvert dans le cadre des sociétés groupées 447.
Dans ce cas, l’article 478 CSC trouve certainement application. Ce texte dispose
que les procédures de faillite et de redressement ouvertes contre l’une des sociétés
445
COZIAN (M) ; VIANDIER (A) et DEBOISSY (F), op.cit., n°1968. PARIENTE (M), op.cit., n° 126, p120.
446
CHAMPAUD (C), op.cit., n°2. Cité par MALLEK (M), mém.pré., p79.
447
Généralement, c’est l’état de cessation de paiement d’une société du groupe qui est révélateur d’abus de la personnalité
morale. C’est alors l’intervention judiciaire ou l’analyse de la situation dans l’espoir d’aboutir à une solution de redressement
et le conflit d’intérêts en présence qui font souvent apparaître la face cachée de l’entreprise liée. Hormis cette situation, c'est-
à-dire dans le cadre d’une société in bonis, la démonstration de l’abus de la personnalité morale nécessite une action en
justice tendant à prouver que la situation réelle est différente de celle qui a été apparemment voulue par les contractants, ou
bien que ces derniers n’ont pas consenti à se lier réellement par le contrat de société ?. Ibidem., p72.Une telle dénonciation
judiciaire de l’abus se fait par le biais de l’action en déclaration de simulation, admise par la jurisprudence sur la base des
articles 26 et 535 COC. V. Cass. Civ., arrêt n°8860 du 9-01-1984, BCC, I, 1984, p317. Cette action, comme toute autre, peut
être intentée, par toute personne justifiant de la capacité, la qualité et l’intérêt pour agir ( art. 19 CPCC), devant le tribunal
dans la circonscription duquel se trouve le siége social de la société en question. Ce-ci étant précisé, il revient au juge de
constater l’existence de l’abus au vu des preuves apportées par le demandeur à l’action. Ainsi, le juge cherchera, selon des
indices matériels, à mesurer le degré d’imbrication des relations au sein du groupe, puis décidera si cet enchevêtrement a
dépassé le seuil de la normalité ou non. V. GARGOURI (A), L’abus de la personnalité morale des sociétés commerciales,
mémoire de DEA, Faculté de droit de Sfax, 1996-1997, p104.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 99

groupées peuvent être étendues aux autres sociétés notamment en cas de confusion de
patrimoine ou s’il est établi que la société débitrice était fictive. Par conséquent, la
sanction de l’abus de la personnalité morale ne parait être que l’extension de la procédure
collective aux autres sociétés liées448 (A). Le même article ajoute que l’extension de la
faillite peut jouer contre les dirigeants des autres sociétés du groupe s’il est prouvé que la
faillite de l’une des sociétés groupées est due à leur fait (B).

A- L’extension de la procédure collective aux autres sociétés


209- Quelles sont les conditions de mise en œuvre de l’extension de la procédure
collective (I) et quels sont ses effets (II) ?

I- La mise en œuvre de l’extension de la procédure collective

210- La mise en œuvre de l’extension de la procédure collective appelle à se poser


deux questions principales. D’abord quelles sont les personnes ayant qualité pour
demander en justice cette extension (a) ? Ensuite quel est le juge compétent pour
prononcer le jugement d’extension (b) ?

a- La qualité pour agir

211- Contrairement aux articles 447 CC et 19 de la loi n° 95-35 du 17-4-95 relative


au redressement des entreprises en difficulté 449 qui ont précisé respectivement les
personnes habilitées à présenter la demande de déclaration de faillite ou du règlement
judiciaire, l’article 478 CSC n’a apporté aucune précision à ce propos 450. Cet article s’est
limité à disposer que « les procédures de faillite et de redressement ouvertes contre l’une
des sociétés appartenant au groupe de sociétés peuvent être étendues aux autres sociétés
y appartenant en cas de confusion de leurs patrimoines, d’escroquerie ou d’abus de biens
de la société faisant l’objet des procédures de faillie ou de redressement, ou s’il est établi
que la société débitrice était fictive, et que les sociétés appartenant au groupe ont donner
l’apparence d’y être associés »451.

448
Il est nécessaire de préciser que l’extension ne concerne pas toutes les sociétés du groupe. En effet, en cas de confusion de
patrimoine l’extension de la procédure concernera la société avec laquelle la confusion est établie. S’agissant de la société
fictive, l’extension se fera aux autres sociétés du groupe qui ont donné l’apparence d’y être associées.
449
Telle que modifiée par la loi n° 99-63 du 15-7-99 et la loi n° 2003-79 du 29-12-2003.
450
C’est également le cas de l’art. 596 CC concernant l’extension de la faillite aux dirigeants sociaux.
451
Il s’agit des dispositions du premier paragraphe de l’article 478. Le deuxième paragraphe du même article traite de
l’extension de la faillite aux dirigeants des autres sociétés du groupe. V. infra. n° 224 et s.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 100

212- S’agissant de la faillite, l’extension est en réalité une mesure qui profite
directement à la masse des créanciers, il semble alors très logique que soit accordé au
syndic le droit d’engager l’action en extension de la faillite452.
S’agit-il alors d’une compétence exclusive du syndic ? Autrement dit, les
créanciers sociaux n’ont-il pas le droit d’engager cette action ? Certes, l’ouverture de la
procédure de faillite peut entraîner la suspension des poursuites individuelles engagées
par les créanciers453. Mais elle ne les prive pas pour autant de leur droit d’agir contre les
tiers lorsque les conditions de l’extension de la faillite sont prouvées 454. En effet, d’après
la doctrine tunisienne455, l’extension vise l’ouverture d’une procédure collective, laquelle
doit être laissée à l’initiative des créanciers456.
Mais faut-il que l’action de l’article 478 CSC reste l’apanage des seuls créanciers
sociaux et du syndic ? Le tribunal n’a-t-il pas le droit d’étendre d’office la procédure
collective ? L’article 478 est, là aussi, muet. Il ne fournit aucun élément de réponse.
Toutefois, cette hypothèse est largement admise en droit français 457. On ne voit pas
pourquoi elle ne le serait pas en droit tunisien 458, pour la simple raison que le droit
français semble constituer une source matérielle ne serait-ce qu’en cette matière. D’autant
plus que la saisine d’office du juge pourrait constituer une solution rapide et efficace pour
une bonne application de l’extension de la procédure collective prévue par l’article 478
susvisé.

213- La même solution extensive qui consiste à octroyer le droit d’agir aux
créanciers en le renforçant par la saisine d’office peut être admise en matière de
redressement des entreprises en difficultés économiques.
Deux raisons semblent militer pour une liste exhaustive des personnes ayant qualité
d’agir en extension de la procédure collective à une autre société du groupe. La première
raison découle du principe général de procédure civile et commerciale consacré par
l’article 19 CPCC consistant à dire que toute action est normalement recevable en la
forme si elle remplit les trois conditions légales, à savoir la capacité, la qualité et l’intérêt
d’agir. C’est pourquoi il semble admis d’accorder également le droit d’agir en extension
452
MECHRI (F), Leçons de droit commercial : le concordat préventif et la faillite, Centre d’étude de recherche et de
publication, Tunis, 1994, p380.
453
V. art. 459 CC qui fixe cette suspension à partir du prononcé du jugement de faillite.
454
ARTZ (J-F), L’extension du règlement judiciaire ou de la liquidation des biens aux dirigeants sociaux, RTD Com., 1975,
p2.
455
MECHRI (F), op.cit., p 380. BEN NASR (T), op.cit., p536.
456
En France, avant la loi du 25 janvier 1985, l’action en extension de la procédure collective était généralement exercée par
le syndic. De plus la jurisprudence (exemple : Cass. Com. 31-1-84, Rev. Soc., 1984, p 365) ouvrait l’action à tous les
créanciers individuels. Toutefois, après l’entrée en vigueur de la loi de 1985, l’article 10 de cette loi a énuméré les personnes
ayant qualité pour agir : -le tribunal peut se saisir d’office, -l’administrateur, -le représentant des créanciers, -le liquidateur, -
le commissaire à l’exécution du plan de redressement et le procureur de la république. Cette liste étant limitative, les
créanciers agissant individuellement sont désormais exclus. En droit positif tunisien, bien que le législateur ne l’ait pas
expressément mentionné, certaines décisions semblent admettre que l’extension de la faillite puisse être engagée par les
créanciers sociaux. C’est le cas notamment du tribunal de première instance de Tunis dans l’affaire n° 20504 du 2-11-1989 et
celle n° 18352 du 4-7-1989. Bien que, dans cette dernière affaire, le tribunal ait rejeté l’action en extension quant au fond, il
l’a déclaré recevable en la forme. V. également TPI, Tunis, aff. n° 11404 du 17-7-1978, « affaire SOTUMAD ».
457
Cette hypothèse a été, tout d’abord, consacrée par le juge français, V. Tribunal de Grenoble, 18 octobre 1964, RTD Com.,
1965, p 644. Elle a été ensuite consacrée par le code de commerce français, V. art. 625-3 et s.
458
BEN NASR (T), op.cit., p537.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 101

au liquidateur en matière de faillite ou bien au commissaire à l’exécution du plan de


redressement ou encore au chef du contentieux de l’Etat 459. Quant à la seconde raison,
elle semble tenir au fait que la pluralité des demandeurs dans l’action amoindrit les
chances des sociétés impliquées d’échapper à cette mesure et la passivité d’un demandeur
quelconque n’empêchera pas l’activité d’un autre 460. D’ailleurs cette deuxième raison se
trouve en corrélation avec toute politique législative ou judiciaire tendant à lutter tous
azimuts contre les abus nuisibles à l’intérêt commun du groupe et au bien-fondé pour
lequel a été instauré le droit des groupes de sociétés.
Le demandeur à l’action en extension de la procédure collective étant déterminé,
quel sera le tribunal compétent ?

b- Le tribunal compétent

214- Deux questions doivent être examinées concernant la compétence


juridictionnelle. La première a trait au conflit international de juridictions, c'est-à-dire le
conflit entre le for tunisien et le for étranger. La seconde concerne le conflit de
juridictions internes.

215- S’agissant du premier conflit, l’extension de la procédure collective peut


concerner une société dont le siége social se trouve en Tunisie, comme elle peut
intéresser une autre dont le siége est à l’étranger. Dans un cas pareil quel est le for
compétent ? Est-ce le for tunisien ? Est-ce, au contraire, le for étranger où se trouve le
siège social de la société en question ?
Il est à noter que lorsque l’action se rapporte à une société dont le siége social se
trouve hors du territoire tunisien, le for étranger est, a priori, compétent pour connaître de
l’affaire461.
Cependant, partant de l’article 8 CDIP les tribunaux tunisiens sont exclusivement
compétents lorsqu’il s’agit d’une action relative à une procédure collective ouverte en
Tunisie telle que le redressement des entreprises en difficultés ou encore la faillite.
Or, l’étude ne concerne pas une action relative à une procédure collective mais
plutôt une action en extension de la procédure collective, ouverte contre une société du
groupe, à une autre société du même groupe.
Par conséquent, l’action en extension de la procédure collective n’est pas de la
compétence exclusive des juges du fond tunisiens telle que déterminée par l’article 8
CDIP.
Toutefois, le recours à l’article 7 CDIP semble permettre d’utiliser le critère de
connexité comme moyen pour solutionner le conflit en faveur du for tunisien. En effet, ce
459
Ibidem., p538
460
DELBECQUE (PH), Groupe de sociétés et procédures collectives : confusion de patrimoines et responsabilité des
membres du groupe, Rev. Pro. Coll., 1998, n° 2, p129. YAHYAOUI (I), La protection des créanciers dans le groupe de
sociétés, Mémoire de DEA, Université de Tunis II, 2004-2005, p76.
461
L’art. 3 CDIP dispose que « les juridictions tunisiennes connaissent de toute contestation, civile et commerciale entre
toutes personnes quelque soit leur nationalité, lorsque le défendeur a son domicile en Tunisie ». A contrario, si le défendeur
a son domicile à l’étranger (siège social pour les personnes morales), c’est le for étranger qui sera compétent, sous réserve de
la compétence exclusive du for tunisien telle que déterminée par l’article 8 CDIP.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 102

texte dispose que « les tribunaux tunisiens sont compétents pour connaître des actions
connexes462 à des affaires pendantes devant les tribunaux tunisiens ». A cet effet, l’action
en extension de la procédure collective n’est- elle pas connexe à celle relative à
l’ouverture de la procédure collective ? Cette dernière étant de la compétence des juges
tunisiens, l’autre le sera également.

216- S’agissant du conflit entre juridictions internes, la difficulté provient de


l’existence de deux personnes morales différentes et donc deux siéges sociaux différents.
Par conséquent, on peut hésiter entre deux tribunaux : celui ayant prononcé le règlement
judiciaire ou la faillite et celui dans le ressort duquel se trouve le siége social de la société
qui risque d’être atteinte par l’extension. Mais si la question ne pose aucun problème
particulier lorsque les siéges sociaux des sociétés concernées sont du ressort du même
tribunal, il en est autrement toutes les fois où lesdits siéges sont du ressort de tribunaux
différents463.
A priori, il doit y avoir autant de procédures qu’il y a de tribunaux compétents.
Une telle approche est certainement de nature à compliquer la situation procédurale. Elle
parait même incompatible avec le résultat escompté, à savoir la satisfaction des droits des
créanciers sociaux464, surtout qu’une bonne administration de la justice postule qu’un seul
tribunal soit compétent. Il semble donc préférable que le tribunal initialement saisi, c'est-
à-dire celui ayant décidé l’ouverture de la procédure collective, soit compétent également
pour connaître de la procédure d’extension465. D’ailleurs cette solution semble conforme à
la volonté du législateur qui exige dans l’article 446 CC que « le tribunal ayant déclaré la
faillite466 est compétent pour connaître de toutes les actions qui s’y rattachent »467.
Rien n’interdit de proposer en droit des groupes de sociétés le recours à ce critère
de rattachement pour solutionner tout conflit relatif à la compétence interne. D’ailleurs,
une telle solution se trouve renforcée par l’idée selon laquelle la compétence d’un même
tribunal facilite aux juges la connaissance du dossier dont ils ont été saisis et qu’ils ont
déjà examiné lors de l’action principale. La sanction d’extension qu’ils auront à prendre
462
L’action connexe est une action qui présente un lien étroit avec le litige initial.
463
YAHYAOUI (I), mém.pré., p78.
464
SORTAIS (J-P), A propos de certaines questions de responsabilité suscités par les groupes de sociétés, RJ Com., 1977,
p85.
465
V. Cass. Com. 19 oct. 1993, Bull. civ. IV, n° 346, JCP 1993, IV, n° 2661. Dans cette décision la cour a déclaré que le
groupe de sociétés n'ayant ni personnalité morale, ni siège propre, c’est alors le tribunal de commerce du siège social de la
société en redressement judiciaire qui est compétent pour étendre par un seul et même jugement cette procédure à d'autres
sociétés appartenant au même groupe mais ayant leur siège ailleurs. CA Paris (3e Ch. A), 7 septembre 2004 qui a précisé les
critères de l'action en extension de la procédure collective pour confusion des patrimoines à l'intérieur d'un groupe de
sociétés. Bull. Joly sociétés année 2004, p 1358.

466
Le tribunal qui a déclaré la faillite est celui dans le ressort duquel se trouve le siége principal de l’entreprise, et-ce
conformément aux articles 19 de la loi du 17-4-95 relative au redressement des entreprises en difficulté et 446 CC.
467
Cette opinion a été confirmée par la jurisprudence française en se basant sur l’article 621-5 CC fr. qui dispose que « s’il se
révèle que la procédure doit être étendue à une ou plusieurs autres personnes, le tribunal initialement saisi reste compétent ».
V. BARTHELEMY (J), COULON (N), EGAL (J), GUIGOU (H), HARDOUIN (M), DEMELLO (X), PETITEAU (G) ET
SEURAT (P), op.cit., p55. V. également Cass. com., 22 oct. 1996, n° 94-20.760, Bull. civ. IV, n° 256, p. 219, Bull. Joly
1997, p. 166, note Le Cannu, D. 1997, I.R., p. 8, BRDA 1996, n° 23, p. 4, RJDA 1997, n° 62, p. 38 ; Cass. com., 5 févr.
2002, n° 98-17.846, Bull. Joly 2002, p. 587

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 103

pour lutter contre les abus de la personnalité morale pourra alors produire ses effets
juridiques.

II- Les effets de l’extension de la procédure collective

217- Si l’autonomie juridique des sociétés groupées est évincée suite à une
confusion de patrimoines entre deux ou plusieurs sociétés groupées ou encore s’il est
prouvé que la société débitrice est une société fictive, il parait logique qu’une procédure
collective unique soit ouverte à l’encontre des différentes sociétés concernées (1).
L’unicité de cette procédure constitue le premier effet direct de l’extension de la
procédure collective qui pourra donner lieu à la constitution d’un patrimoine unique (2).

a- L’ouverture d’une procédure unique

218- En principe, lorsque plusieurs sociétés du même groupe sont soumises à des
procédures collectives, l’ouverture ainsi que le déroulement de chaque procédure
s’effectue normalement de manière autonome et indépendante. Cependant l’extension de
la procédure collective à la société mère ou encore aux autres sociétés du groupe en
raison d’un abus de la personnalité morale, doit nécessairement aboutir à l’ouverture
d’une procédure unique.
La doctrine ainsi que la jurisprudence française 468 semblent consacrer cette
solution. En effet, « la finalité des actions fondées sur la fictivité ou la confusion des
patrimoines est d’aboutir à la reconnaissance d’une procédure unique qui englobe
l’ensemble des sociétés concernées469 ».
Ainsi, l’extension permet de soumettre une société à une procédure déjà ouverte
contre une autre société du même groupe. Les deux sociétés seront alors soumises à une
procédure unique comprenant les mêmes organes selon qu’il s’agisse d’une procédure de
faillite ou de redressement judiciaire. Si, par exemple, la société filiale est soumise à un
règlement judiciaire au moment de la décision d’extension de la procédure à la société
mère, cette dernière subira le même sort et la procédure lui sera alors étendue. Par contre,
si le règlement judiciaire de la première a déjà été converti en faillite, ou si cette dernière
a été directement prononcée, l’unicité de la procédure impose que la seconde société soit
directement mise en faillite sans règlement judiciaire préalable.

219- Par ailleurs, une des manifestations de l’unité de procédure c’est que le
tribunal décide d’étendre la procédure collective aux sociétés impliquées, sans qu’il soit
nécessaire d’établir leur état de cessation des paiements 470. Cet état étant déjà retenu pour
468
Cass. com., 7 janv. 2003, n° 00-15.316, n° 00-13.192 et n° 99-16.204, Bull. civ. IV, n° 2, 3 et 4, Bull. Joly 2003, p. 402,
D. 2003, p. 347. Cass. com., 17 févr. 1998, n° 97-13.098, Bull. Joly 1998, p. 658, note Pétel.
469
DANA-DEMARET (S), Groupe de sociétés : responsabilité des sociétés groupées, Juriscl. Soc., éd. Technique, 1994, fasc.
2458, n° 43, p 13.
470
ABDELMAJID (F), op.cit., p29. ABDELHAK (I), La constatation de l’état de cessation des paiements, RJL n°7 2004,
p 9.
.57 ‫ ص‬،1999 ،‫ دار الميزان للنشر‬،1 ‫ طبعة‬،‫ الشركات التجارية بين تأزم أوضاعها وانفراجها‬،‫قيقة جويدة‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 104

la première société, il n’est plus besoin de le rechercher pour la société concernée par
l’extension471. En plus, il est tout à fait possible que la société concernée par l’extension,
surtout s’il s’agit de la société mère, ait un actif disponible susceptible de couvrir non
seulement son passif exigible mais aussi celui de toutes les sociétés du groupe 472.
D’ailleurs, cette solution a été retenue par la jurisprudence française qui a clairement
affirmé que « la simple constatation de l’existence d’une fictivité des sociétés ou d’une
confusion de leurs patrimoines suffit à justifier l’extension de la procédure collective
déjà ouverte contre la première société, sans qu’il ait besoin d’établir pour chacune
d’elles leur impossibilité de faire face au passif exigible par l’actif disponible473 ».

220- L’ouverture d’une procédure unique à l’encontre des sociétés du groupe dont
l’autonomie n’est qu’apparente aboutit à la constitution d’un patrimoine unique
comportant un seul actif et un seul passif.

b- La constitution d’un patrimoine unique

221- En principe, le patrimoine de la société filiale est le gage exclusif de ses


créanciers474. Ces derniers sont, en effet, les seuls à pouvoir s’emparer des biens de la
filiale afin de percevoir leurs créances. Les créanciers des autres sociétés liées, y compris
ceux de la société mère, n’ont en principe aucun droit sur les biens de la filiale.
Mais lorsqu’il s’agit d’une procédure collective unique ouverte contre la société
débitrice et étendue à la société mère ou à une ou plusieurs autres sociétés du groupe,
cette procédure aboutit inéluctablement à la constitution d’un patrimoine unique.
Il n’en demeure pas moins que le tribunal statuant sur le sort des sociétés en question
devra prendre en considération les spécificités de chacune des hypothèses de l’article 478
CSC, avant de décider de l’unité ou de la pluralité des patrimoines. En effet, il convient
de noter que la jurisprudence française 475 a depuis longtemps affirmé que si la société
mise en faillite était fictive ou de pure façade et donc n’avait pas de patrimoine propre, il
y a lieu d’écarter la dualité de procédure et de ne prononcer qu’une seule mesure avec
formation d’un patrimoine unique476. De même, lorsque la confusion des patrimoines de
la personne mise en faillite et des personnes auxquelles la procédure est étendue est
totale, on estime que la faillite qui, ne peut être qu’une, ne donne lieu qu’à un seul

471
Cette solution ne peut qu’être approuvée surtout en cas de fictivité de la société filiale débitrice qui n’est qu’une société de
façade car elle ne dispose ni de personnalité morale ni d’un patrimoine propre. Ce qui fait que ses actifs et passifs se trouvent
confondus avec ceux de la société mère qui ne saurait échapper à la procédure collective en faisant valoir qu’elle n’est pas en
état de cessation de paiement.
472
HANNOUN (C), groupe de sociétés : redressement et liquidation judiciaire, J.CL Com., fasc n° 3190, n° 141.
473
Cass. Com., 5 avril 1994, cité par HANNOUN (CH), art.pré., p21. V. également CA Paris, 3e ch. A, 17 nov. 1987, Bull.
Joly 1987, p. 997. T. com. Lille, 20 mai 1988, PA, 15 juin 1988, p. 26. CA Paris, 3e ch., 19 déc. 1990, Dr. sociétés 1992,
n° 50 ; Cass. com., 12 oct. 1993, n° 89-17.509, Quot. jur. 20 janv. 1994, p. 2, Rev. Soc. 1994, p. 326, note Saintourens. CA
Paris, 3e ch. B, 25 févr. 1994, RJDA 1994, n° 534, p. 415. CA Paris, 3e ch. A, 5 avr. 1994, RJDA 1994, n° 931, p. 737. Cass.
com., 24 oct. 1995, n° 93-11.322, RJDA 1996, n° 266, p. 191, JCP, éd. E, 1995, n° 1375, BRDA, 1995, n° 21, p. 5 ; Cass.
com., 24 nov. 1998, n° 94-21.086, Bull. Joly 1999, p. 367.
474
V. art 5 CSC.
475
V. les decisions citées à la note n° 474.
476
TARDIEU-NAUDET (D), Les créanciers du groupe de sociétés, Thèse, Faculté de droit d’Aix, 1973, p325.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 105

patrimoine477. Il en serait autrement lorsqu’il s’agit d’une confusion partielle des


patrimoines, ce qui donne lieu à des patrimoines distincts478.
A priori, il semble que rien n’empêche qu’une telle solution soit empruntée aux
juges français pour être éventuellement appliquée par la jurisprudence tunisienne.
222- Une fois les passifs et actifs des sociétés concernées sont mêlés, leurs
créanciers respectifs vont se trouver en concours. Cette « confusion » des patrimoines
affectera certainement les garanties prises sur les biens des différentes sociétés en cause.
Il n’en demeure pas moins que les créanciers titulaires de sûretés spéciales,
conservent leurs garanties sur les biens grevés. Car, la décision d’extension ne saurait
anéantir les privilèges, les nantissements 479 ainsi que les droits de rétention puisqu’ils ont
pour assiette un ou plusieurs biens qui demeurent toujours grevés de la sûreté malgré
l’extension480.

223- De ce qui précède se dégage l’idée générale que l’organisation légale du


régime curatif spécial aux abus de la personnalité morale ne semble pas aider à résoudre
tous les problèmes susceptibles de se poser aux juges du fond.
Sans doute rien n’interdit de s’inspirer des solutions prétoriennes de la
jurisprudence comparée. Mais il va sans dire que l’interprétation des dispositions de
l’article 478 CSC en le rapprochant des dispositions légales relatives aux procédures
collectives pourrait aider à trouver une solution satisfaisante. Il semble que la même
démarche pourrait intéresser l’extension de la faillite aux dirigeants des autres sociétés du
groupe.

B- L’extension de la faillite aux dirigeants


224- Dans le groupe de sociétés, il est très fréquent que les dirigeants tendent à
favoriser une ou plusieurs sociétés au détriment des autres et à vider de sa substance une
société au profit d’une autre, notamment par des mouvements de fonds ou des opérations
de crédit. Ces opérations peuvent être constitutives d’abus de biens sociaux comme elles
peuvent être qualifiées d’abus de majorité. Certes de telles opérations sont légitimes si
l’intérêt du groupe est respecté. Mais que dire si elles sont effectuées dans l’intérêt
personnel des dirigeants du groupe ? La condamnation de ces derniers n’est-elle pas, dans
ce cas, nécessaire ?

477
V. Cass. com., 6 nov. 1985, Bull. civ. IV, n° 265. Dictionnaire permanent droit des affaires, 2004, n° 100. Une procédure
collective a été ouverte contre une société d'un groupe puis étendue aux dirigeants et aux autres sociétés du même groupe
avec constitution d'une masse unique pour toutes les personnes physiques et morales du groupe, car l'ensemble des
patrimoines des sociétés du groupe était entre les mains des membres de la même famille qui, en qualité de dirigeants
sociaux, avaient disposé des biens de ces sociétés comme de leurs biens propres dans le cadre d'une confusion des
patrimoines tant sociaux que personnels.
478
Ibidem.
479
V. 201 CDR, d’après ce texte le vocable « nantissement » signifie à la fois le gage mobilier et l’hypothèque.
480
V. art. 192 et 193 CDR.
.2004 ،‫ كلية الحقوق و العلوم السياسية بتونس‬،‫ أطروحة دكتوراه الدولة‬،‫ حماية الدائن العادي في القانون المدني‬،‫ الرواتبي حاتم‬.‫أ‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 106

En son alinéa second l’article 478 du CSC permet d’étendre la faillite aux
dirigeants des autres sociétés du groupe, notamment ceux de la société mère, s’il est
prouvé que la faillite de l’une des sociétés groupées leur est imputable 481.
Il s’impose alors de déterminer les dirigeants visés par l’extension (I) pour
examiner ensuite les faits qui peuvent leur être reprochés (II).

I- Les dirigeants visés par l’extension de la faillite

225- L’extension de la faillite au sens de l’article 478 CSC vise aussi bien les
dirigeants de droit que les dirigeants de fait des autres sociétés appartenant au groupe 482.
De prime à bord, Il semble permis de partager la définition du dirigeant qui,
d’après un auteur483, est toute personne « qui bénéficie, au sein de la société, d’un pouvoir
de décision qui lui permet de diriger, d’administrer, de gérer et de contrôler l’activité et
le fonctionnement de cet organisme et d’avoir la maîtrise durable de son avenir ». De
cette large définition, on peut se permettre de fixer, tant soit peu, les contours exacts du
concept de dirigeant de droit ou de fait.

226- En effet, est qualifié de dirigeant de droit toute personne qui dirige la société
tout en ayant été formellement mandaté par les associés ou par les organes de la
société484.
Partant de ces définitions, ont la qualité de dirigeants de droit, les organes des
personnes morales déterminés par le CSC485 tel que le gérant, le président directeur
général, le directeur général, le directeur général adjoint ainsi que les autres membres du
conseil d’administration ou du directoire.

227- Or, contrairement au dirigeant de droit, le dirigeant de fait est toute personne
qui, sans mandat social, s’est immiscée dans la gestion, l’administration ou la direction de
la société486.
Cette approche parait insuffisante pour bien encadrer l’acception du dirigeant de
fait. C’est pourquoi, la jurisprudence ainsi que la doctrine française 487 exigent trois
481
L’art. 478 al. 2 dispose que « la faillite peut être étendue aux dirigeants de droit ou de fait des autres sociétés appartenant
au groupe de sociétés s’il est établi que la faillite est due à leur fait ». Sans oublier que l’extension de la faillite peut toucher
le dirigeant de la société contre laquelle la procédure a été ouverte et-ce par application des dispositions de l’article 596 CC
qui exige des conditions bien déterminées, à savoir : l’accomplissement d’actes de commerce sous le couvert de la société et
la disposition des biens sociaux comme s’il s’agissait des biens propres de l’utilisateur.
482
Cela rappelle les dispositions de l’article 596 CC qui permet d’atteindre « toute personne ». Ce terme à vocation générale
englobe aussi bien les dirigeants de fait que de droit. Cependant, la différence entre les articles 596 CC et 478 CSC réside en
ce que le premier vise implicitement les dirigeants de fait alors que le deuxième l’a expressément affirmé.
483
DEDESSUS-LE-MOUSTIER (N), La responsabilité du dirigeant de fait, Rev. Soc., n° 3, 1997, p503.
484
MEDINA (A), op.cit., p198.
485
V. les articles 112 CSC et s. (SARL) et 188 CSC et s. (SA).
486
DEDESSUS-LE-MOUSTIER (N), art. pré., p503.
487
Ces critères suggérés par la doctrine (cf. Rives-Lange, La notion de dirigeant de fait, D. 1975, chr., p. 41 ; Notté, Les
dirigeants de fait des personnes morales de droit privé, Th. Paris, 1978), sont aujourd'hui souvent repris par les juges du fond
(CA Nancy, 15 déc. 1977, JCP éd. G 1978, II, no 18912 ; CA Paris, 3e ch., 17 mars 1978, D. 1978, I.R., p. 420 ;
CA Toulouse, 2e ch., 30 juin 1997, SA Ford France, Bull. Joly 1998, p. 53), et par la Cour de cassation elle-même (Cass.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 107

critères pour appliquer la qualification de dirigeant de fait. Il faut d’abord que soient
effectués des actes positifs. Ces actes doivent être, ensuite, de direction ou de gestion. En
plus, l’auteur de l’acte doit agir en toute liberté ou indépendance et non pas en qualité de
subordonné488.
En somme, par dirigeant de fait il faut entendre les personnes tant physiques que
morales qui, dépourvues de mandat social, se sont immiscées positivement, en toute
souveraineté et indépendance, dans la gestion, l'administration ou la direction d'une
société489.

228- Il n’est pas rare que la notion de dirigeant de fait trouve application dans le
cadre des groupes de sociétés490, car face à l’insuffisance d’actif de la filiale, les
créanciers chercheront à atteindre la société mère notamment en invoquant sa qualité de
dirigeant de fait491. Ils devraient alors prouver « l’emprise de la société mère sur les
destinées de la filiale492 ». Il s’agit là d’une question de fait soumise à l’appréciation des
juges de fond.
Dans ces conditions on peut dire que le simple fait que la société mère détient une
participation importante, voire majoritaire dans le capital de la filiale ne suffit pas à
caractériser la gestion de fait. Encore faut-il démontrer que la société mère s’est
réellement ingérée dans la gestion interne de la filiale. C’est à peu près dans le même
sens que le ministère de la justice a affirmé, lors de la discussion du projet de loi relatif
au groupe de sociétés, que la société mère ne peut être considérée comme dirigeant de fait
que si elle a dépassé ses compétences dans l’assemblée générale de la société liée en
exerçant des actes de direction493.
De toute façon, qu’il s’agisse du dirigeant de droit ou de fait, la faillite sociale ne
saura lui être étendue que s’il est établi qu’elle est due à son fait.

II- Les faits à reprocher aux dirigeants

com., 23 juin 1982, n° 81-10.560 ; Cass. com., 15 déc. 1982, n° 81-14.054 ; Cass. com., 3 avr. 1984, n° 83-11.464 ; Cass.
com., 7 juill. 1987, n° 86-10.248 ; Cass. com., 23 nov. 1999, n° 97-14.693, RJDA 2000, n° 270, p. 227 ; Cass. com., 26 juin
2001, n° 98-20.115, Dr. sociétés 2001, comm. 140, Obs. Legros ; Cass. com., 4 mars 2003, RJDA 2003, n° 724, p. 645 ; cf.
Tricot, Les critères de la gestion de fait, Dr. & patr. 1996, n° 34, p. 24, et N. Dedessus-Le Moustier, art.pré., p. 499).
488
RIVES LANGES (J-C), La notion de dirigeant de fait au sens de l’article 99 de la loi du 13-7-1967 ou le règlement
judiciaire et la liquidation des biens, D., 1975, p41.
489
Lamy Soc. Com., Juin 2004, n° 602.
490
Certes, c’est la responsabilité des dirigeants personnes physiques qui est le plus souvent recherchée. Néanmoins, les
personnes morales peuvent être aussi nommées dirigeants (V. art. 191 CSC), surtout lorsqu’il s’agit des groupes de sociétés.
Il convient, toutefois de préciser que pour les SARL les dirigeants doivent être nécessairement des personnes physiques. V.
art. 112 CSC. Il est à préciser également que le directeur général et le président du conseil d’administration d’une SA doivent
être obligatoirement des personnes physiques.
491
La société mère peut se comporter soit en actionnaire actif de la filiale soit comme son dirigeant effectif. V. MONEGER
(J), Bail commercial et groupe de sociétés, RJCom., 2005, p 47.
492
DERRIDA (T), Obs. Dalloz, 1983, I, p60. Cité par YAHYAOUI (I), mém. pré., p111.
.1 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،103 ‫ ص‬،5 ‫ عدد‬،2001 ‫ نوفمبر‬20 ،‫ مداوالت مجلس النواب‬493

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 108

229- D’après l’article 478 CSC, l’extension de la faillite aux dirigeants des autres
sociétés du groupe ne peut avoir lieu que s’il est prouvé que « la faillite est due à leur
fait ».
A la lecture attentive de cette disposition légale, on peut soutenir que les termes du
législateur paraissent équivoques. Car aucune précision n’a été apportée ni par la loi ni
par les travaux préparatoires aux agissements accomplis par les dirigeants et qui sont
susceptibles d’entraîner la faillite de la société.
Quels sont donc, au sens de l’article susvisé, les faits qui peuvent être
reprochés aux dirigeants parce qu’ils ont causé la faillite d’une société groupée?
230- Il semble qu’il s’agit essentiellement des fautes de gestion, sachant que cette
notion est difficile à définir puisqu’il s’agit de « saisir avec une notion juridique (la
faute), un acte de gestion qui, lui, est d’essence économique494 ».
Certes, la faute de gestion n’est pas forcément un acte qui contrevient aux
dispositions légales et statutaires. Il s’agit, toutefois, d’un acte contraire à l’intérêt social
dans une société isolée495 et à l’intérêt commun du groupe dans un groupe de sociétés. Tel
est notamment le cas des dirigeants de la société mère qui abusent des biens de la filiale
pour servir leurs intérêts personnels. Cette faute de gestion prendra alors une forme
positive. Mais elle peut se présenter aussi sous une forme négative ou passive. C’est
l’exemple du dirigeant qui n’exerce pas les fonctions dont il est investi par la loi et les
statuts. Tel est le cas lorsqu’il n’a pas « exercé son droit, voire son devoir de
contrôle496 ».
Définie de la sorte, la faute de gestion englobe toute sorte d’abus commis par les
dirigeants lors du fonctionnement du groupe, à savoir abus de biens sociaux, abus de
pouvoir, abus de majorité…

231- Cependant, la commission de l’abus ne suffit pas pour étendre la faillite aux
dirigeants de la mère ; encore faut-il prouver le lien de causalité entre le fait fautif et la
faillite de la société dominée. Ce lien est en principe retenu chaque fois que la société
mère entraîne sa filiale dans une opération onéreuse sans contrepartie. C’est le cas, par
exemple, de la société mère qui impose à sa filiale, lors d’une opération d’achat ou de
vente, un prix anormalement majoré ou minoré. Ce qui se traduit par une perte d’argent
chez l’une et une entrée indue chez l’autre 497, sans que l’opération ne soit justifiée par
l’intérêt du groupe. Une telle opération est de nature à rompre l’équilibre entre les
engagements des diverses sociétés concernées. Cet équilibre n’est rétabli que par
l’extension de la faillite aux personnes responsables, notamment aux dirigeants de la
mère qui ont abusé des biens de la filiale, s’il est prouvé que leur fait était la cause directe
de la faillite de la filiale en question498.

494
CAMPANA (M-J), La responsabilité du dirigeant en cas de redressement judiciaire, RJC, 1993, p135.
495
BEN NASR (T), op.cit., p466.
496
Ibidem., p473.
497
Un autre exemple : La société mère est souvent tentée de vendre à ses filiales le plus possible de biens. Cet abus a été
constaté par la cour d’appel de Paris dans l’affaire du « Bon Marché » du 9-1-52. V. BEL HAJ YAHIA (B), thèse pré., p159.
498
FEKI (N), art. pré., p123.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 109

A vrai dire, de tels comportements sont délicats à apprécier lorsqu’il s’agit d’une
société isolée. Ils le sont encore davantage lorsqu’ils apparaissent dans une société
affiliée, et-ce en raison des spécificités des rapports intra groupe.

232- D’une manière générale, on peut dire que l’intérêt majeur de la sanction
prévue par l’article 478 CSC est que désormais le dirigeant ne peut plus se dissimuler
derrière l'écran constitué par la société liée pour échapper à la faillite personnelle qu’il
risque d’encourir. En effet, la personne morale qui apparaît lors du fonctionnement
normal du groupe comme une « couche d’ozone » protégeant les dirigeants de toute
responsabilité s’efface par la commission des actes « pollués » de sorte que la chaleur de
la faillite affecte intensément les patrimoines personnels des dirigeants fautifs même s’ils
ne sont plus à la tête de la société liée499.

233- Toutefois, l’efficacité d’une telle sanction peut-être mise en danger dans
certaines situations bien précises. En effet, l’extension de la procédure collective, aussi
bien aux autres sociétés du groupe qu’aux dirigeants des autres sociétés groupées, peut
connaître une difficulté matérielle liée à l’existence des groupes de sociétés multi
nationaux, surtout que la Tunisie assiste actuellement à l’implantation de plusieurs
groupes étrangers. Le problème se pose alors avec beaucoup d’acuité chaque fois que la
filiale installée en Tunisie fait l’objet d’une procédure collective et que les créanciers
tunisiens de cette dernière veulent étendre la procédure non seulement à la société mère
installée à l’étranger mais aussi aux dirigeants de la mère qui sont résidents un peu
partout dans le monde. Il est vrai, qu’on a déjà démontré que la compétence en matière
d’extension de la procédure collective revient au juge tunisien 500, mais le problème
concerne à ce niveau l’exequatur des jugements émanant des juridictions tunisiennes.
Toute la question est donc de savoir si le for étranger acceptera la compétence du for
tunisien ? Et si oui, va-t-il octroyer à la décision tunisienne la force exécutoire nécessaire
pour préserver les droits des créanciers et des associés minoritaires tunisiens ? Sans
oublier, bien entendu, toutes les inconséquences liées au temps que prendra de telles
procédures.

234- Nonobstant ces difficultés, il n’en demeure pas moins que les partenaires du
groupe semblent être assez bien protégés en cas de procédure collective puisqu’ils
peuvent en demander l’extension aussi bien aux autres sociétés du groupe, y compris la
société mère, qu’aux dirigeants des autres sociétés groupées. Sont-ils aussi protégés au
cas où l’on réfléchit sur le sort des actes ou la responsabilité civile des dirigeants sans
établir de rapport avec la procédure collective.
‫ هل هو المسير الحالي أم حتى السابق؟ « أثير هدا السؤال أمام محكمة االستئناف‬،‫ يمكن أن يطرح السؤال التالي بخصوص هده الدعوى من هو المسير المقصود‬499
‫) و قد طالب أمين الفلسفة بإلزام أعضاء مجلس اإلدارة بالتضامن بينهم بتسديد العجز و قد حشر‬1992-7-15 ‫بصفا قس في القضية المشهورة شركة سيكا (بتاريخ‬
‫ تجاري لم يتضمن أن الرئيس و أعضاء مجلس اإلدارة الموجودين في تاريخ التفليس‬74 ‫من بين المطلوبين الرئيس المدير العام السابق فأجابت المحكمة بان الفصل‬
‫هم وحدهم يتحملون مسؤولية ما بذمة المفلسة من عجز إنما جاء عاما و يتعين و الحالة تلك البحث حول ما إذا كانت أسباب العجز موجودة في التاريخ الذي كان فيه‬
‫ واستنادا على تقرير االختبار اعتبرت المحكمة الرئيس السابق مطالبا بتسديد العجز ألنه تبين لها أن حالة الشركة كانت في تدهور كبير‬.‫المطلوب رئيسا مديرا عاما‬
."‫في تاريخ رئاسة المطلوب لمجلس اإلدارة أي أن جذور الصعوبات التي مرت بها شركة سيكا راجعة إلى السنوات التي كان فيها المطلوب رئيسها و مديرها العام‬
.117 ‫ ص‬،1994 ،‫ كلية الحقوق و العلوم السياسية بتونس‬،‫ مجموعة دراسات لذكرى الحارث مزيودات‬،‫ آثار إفالس الشركة على مسيرها‬،‫هاشم محمد العربي‬
500
V. supra. n° 215.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 110

§2- Les sanctions civiles sans rapport avec la procédure


collective

235- Les sanctions civiles peuvent être envisagées et analysées aussi bien en cas
d’abus de la personnalité morale (A), ou d’abus de majorité (B), ou encore en cas d’abus
résultant de la violation des dispositions des articles 474 et 475 CSC 501 (C).

A- En cas d’abus de la personnalité morale


236- À ce niveau de l’étude, l’abus visé est celui afférant à la fictivité de la société
liée. Dans un cas pareil, il sied d’évoquer l’existence d’une controverse doctrinale et
d’une hésitation jurisprudentielle entre la sanction de nullité et celle d’inexistence 502. En
effet, la société fictive a été tantôt considérée comme une société inexistante et tantôt
comme une société nulle.

237- En considérant la société fictive comme une société inexistante, une telle
sanction entraîne une disparition rétroactive de la société et, partant, aucun effet juridique
ne pourrait être retenu ni pour le passé ni pour l’avenir. Autrement dit, la société fictive
sera considérée comme n’ayant jamais vu le jour. Par conséquent, toute procédure

501
Le choix de l’étude de ces trois formes d’abus se justifie notamment par deux raisons. D’abord l’importance et la gravité
de ces abus, ensuite le fait que ces abus ont été expressément prévus par la loi de 2001 relative au groupe de sociétés.
502
D’après la Cour de cassation française, dans un arrêt du 16 juin 1992, « une société fictive est une société nulle et non
inexistante » et en a déduit que, conformément à l'article 1844-16 du Code civil, sa nullité est inopposable au tiers de bonne
foi : en l'occurrence, l'administration fiscale lui ayant notifié un redressement (Cass. com., 16 juin 1992, n° 90-17.237, Bull.
civ. IV, n° 243, p. 169 ; Bull. Joly, 1992, p. 960 ; Dr. sociétés 1992, n° 178 ; JCP, éd. E, 1992, pan., n° 1025). V. également
Cass. 3e civ., 8 janv. 1975, n° 73-13.635, Bull. civ. III, n° 2, p. 2 ; Rev. Soc. 1976, p. 301, note Balensi ; CA Paris, 7 juill.
1995, Sté Ed Le Maraîcher La Courneuve c/Sté Ed Le Maraîcher et Sté Erteco, Dr. sociétés 1996, n° 26, Obs. Bonneau ; CA
Paris, 2e ch. A, 1er déc. 1992, Bull Joly, 1993, p. 323, note Saintourens ; D. 1993, p. 55 ; Dr. sociétés 1993, n° 48; CA Paris,
28 oct. 1999, SARL Foncière du Centre c/Fadlallah et autre, Bull. Joly 2000, p. 219, note Dom. V. aussi LE CANNU (P),
Inexistence ou nullité des sociétés fictives, Bull. Joly 1992, p. 875. ROUAST-BERTIER, Société fictive et simulation, Rev.
Soc. 1993, p. 725.
Certains auteurs ( par ex. Jeantin, D. 1978, jur., p. 89 ; Diener, D. 1977, jur., p. 619), voire certaines décisions de justice
(Cass. civ., 22 juin 1976, no 74-10.119, D. 1977, jur., p. 619, note Diener) ont alors préféré parler d'inexistence pure et
simple de la société, voulant ainsi souligner que la fictivité est exclusive de toute idée de réalité et donc incompatible avec la
notion de nullité, venant, elle, sanctionner l'existence irrégulière.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 111

collective sera écartée dans la mesure où le néant ne peut être ni redressé ni mis en
faillite.
Tenant compte de la lourdeur des effets de la sanction afférente à l’inexistence de
la société fictive, la majorité de la doctrine ainsi que la jurisprudence semble actuellement
focalisée sur la sanction de nullité 503. Une telle sanction cadre bien avec la loi de 2001
qui, comme on vient de le voir504, permet la soumission de la société fictive à une
procédure collective qui peut être étendue, le cas échéant, aux autres sociétés du groupe.
Ce qui est totalement contraire à la sanction d’inexistence.

238- En optant pour la nullité, il semble que la société fictive est affectée de
plusieurs vices susceptibles de provoquer sa nullité, notamment l’absence de l’affectio
societatis ou bien l’illicéité de la cause ou encore la fictivité des apports.
De prime à bord, l’affectio societatis, défini comme étant la volonté d’union ou
l’intention d’agir comme associé505, n’est pas prévu par le législateur 506. C’est plutôt la
doctrine et la jurisprudence qui l’ont élevé au rang d’une condition primordiale et
essentielle sans laquelle on ne saurait parler de l’existence d’une société 507.
D’après le professeur BEN AMMOU, ce sont : la mise en commun des apports, la
vocation aux bénéfices et aux pertes et l’affectio societatis qui permettent de distinguer le
contrat de société de tout autre contrat508.
Etant une condition primordiale du contrat de société, le défaut de l’affectio
societatis est suivi ipso facto par la nullité, et-ce sur la base de l’article 325 COC qui
définit l’obligation nulle de plein de droit comme étant celle à laquelle manque une des
conditions substantielles de sa formation.

239- En plus de la nullité pour défaut de l’affectio societatis, la société fictive peut
être annulée en raison de la fictivité des apports509 pour la simple raison que l’article 2
CSC fait de l’apport un élément indispensable du contrat de société, sans lequel la société
ne peut être valablement constituée510. Dans ce cas aussi la nullité sera fondée sur l’article
325 susvisé.

503
La Cour de cassation opte très nettement, ces dernières années, pour la nullité de la société fictive (Cass. com., 16 juin
1992, n° 90-17.237, Bull. civ. IV, n° 243, p. 169, D. 1993, jur., p. 508, note Collet ; Cass. com., 22 juin 1999, n° 98-13.611,
D. 1999, I.R., p. 195, RJDA 1999, no 1077, p. 865). V. également LE CANNU (P), art.pré., p 875. V. LAMY Sociétés
commerciales, éd. 2004, n° 473.
504
V. supra. n° 209.
505
V. supra. note n° 72.
506
Si l’affectio societatis n’est pas prévu par l’article 2 CSC et 1249 COC qui définissent le contrat de société, son exigence
peut être déduite des articles 1250, 1300, 1302 et 1323 COC.
507
Cass. com., 12 févr. 1973, n° 71-13.615, Bull. civ. IV, n° 70, p. 61 ; Cass. com., 9 oct. 2001, n° 98-20.394, Bull. civ. IV,
n° 165, p. 156, RJDA 2002, n° 2, n° 152, p. 125; CA Paris, 25e ch. B, 21 juill. 2002, Richarme c/Mascart, RTD com. 2002,
p. 678, Obs. Champaud et Danet. V. MESTRE (J) et PANCRAZI (M-E), op.cit., n°226, p 223. RIPERT (G) et ROBLOT (R),
op.cit., n°686, p 531.
508
BEN AMMOU (N), cours pré., p 15.
509
Cass. com., 28 janv. 1974, n° 72-13.611, Bull. civ. IV, n° 34, p. 27 ; Cass. com., 21 avr. 1992, n° 90-20.451, Bull. Joly
1992, p. 666, note Cuisance ; Cass. com., 30 mai 2000, n° 97-21.276, Bull. Joly 2000, p. 1094.
510
L’art. 2 CSC dispose que « le contrat de société est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent
d’affecter en commun leurs apports… »

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 112

Les hypothèses d’apports fictifs sont nombreuses. En effet, l’apport est considéré
comme étant fictif s’il n’existe pas du tout ou bien s’il n’a aucune valeur comme, par
exemple, un brevet d’invention périmé 511 ou encore si l’objet de l’apport est constitué
d’un bien grevé d’un passif dépassant sa valeur...512
Dans toutes ces hypothèses, l’apport n’est qu’une apparence, une fiction entraînant
automatiquement une nullité absolue de la société affiliée.

240- Par ailleurs, la société fictive peut être annulée pour illicéité de la cause. En
effet, en matière d’abus de la personnalité morale, l’objet statutaire est souvent licite ;
mais derrière une façade des plus innocentes, les activités exercées sont parfois illicites.
Dans un cas pareil, l’article 1252 COC dispose que : « toute société doit avoir un
but licite. Est nulle de plein de droit, toute société ayant un but contraire aux bonnes
mœurs, à la loi ou à l’ordre public ». Ce texte fonde la nullité de la société fictive pour
illicéité de la cause. Par le terme « but », l’article précité vise non seulement l’objet social
proprement dit, mais aussi toute finalité que les associés entendraient poursuivre grâce à
la société fictive.

241- La nullité de la société fictive entraîne d'abord sa disparition, mais pour


l'avenir seulement ; pour le passé, la société est donc traitée comme une société dissoute à
l'égard de tout ayant droit de bonne foi 513. Autrement dit, la nullité opère sans
rétroactivité. Elle ne peut être opposée aux tiers de bonne foi, ni par la société elle-même
ni par les associés.

242- En tout cas, que ce soit la nullité ou bien l’inexistence, on ne peut


qu’emprunter les termes de M. LAKHOUA pour dire que « la sanction de la fictivité ne
peut s’opérer de plein droit, le recours à la justice est une nécessité : le masque ne tombe
pas virtuellement, l’arène est nécessaire à la mise à mort de la société 514 ». Notre
professeur vise certainement l’action en déclaration de simulation qui n’a pas été
réglementée par le législateur ni dans la loi de 2001 ni dans le droit commun des sociétés
isolées515. Il va sans dire que cette action demeure soumise au droit commun des
procédures, notamment à l’article 19 CPCC qui exige la capacité, la qualité et l’intérêt
pour agir en justice.

511
V. KLAI (A), L’abus de la personnalité morale dans les sociétés commerciales, mémoire de DEA, Faculté de droit et des
sciences politiques de Tunis, 2003, p 92.
512
Il faudra, toutefois, exclure les apports frauduleusement majorées tels que prévus par les art. 146 al 2, 158 al 2 et 186 al 2
du CSC. Ces apports ne sont pas considérés comme étant fictifs puisqu’ils ont une valeur certaine, le seul problème est
qu’elle est surévaluée. D’ailleurs, les articles précités prévoient des sanctions pénales et non pas la nullité de la société.
513
Cass. com., 22 juin 1999, n° 98-13.611, Bull. civ. IV, n° 136, p. 113 ; D. affaires, 1999, p. 1336 ; RJDA 1999, n° 1077,
art. 37061, p. 1195, note H. Hovasse ; Bull. Joly 1999, p. 978, note A. Couret ; Rev. Soc. 1999, p. 825, note A. Constantin ;
JCP, éd. E, 2000, p. 418, note M. Menjucq ; BRDA 1999, n° 14, p. 3.
514
LAKHOUA (H), art.pré., p 5.
515
On peut cependant recourir à l’article 26 qui dispose que « les contre-lettres ou autres déclarations écrites n’ont d’effets
qu’entre les parties contractantes et leurs héritiers. Elles ne peuvent être opposées aux tiers, s’ils n’en ont eu connaissance ;
les ayants cause et successeurs à titre particulier sont considérés comme tiers, aux effets du présent article ».

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 113

243- Enfin, il est loisible de préciser que la constitution d’une société fictive
engage la responsabilité civile de celui ou de ceux qui l’ont confectionnée, chaque fois
qu’une telle situation cause préjudice à autrui ; encore faut-il établir le lien de causalité
entre la faute commise et le préjudice. Autrement dit, les auteurs de la « personne
immorale516 » doivent répondre conformément à l’article 82 COC de la faute qu’ils ont
commise en détournant les règles légales et en simulant une fausse apparence.

A l’instar de l’abus de la personnalité morale, les sanctions civiles sont


envisageables également en cas d’abus de majorité.

B- En cas d’abus de majorité


244- La loi de 2001 a prémuni les associés minoritaires d’une société du groupe, en
leur accordant une action sociale contre les majoritaires de la société mère en cas de prise
d’une décision portant atteinte aux intérêts de la société et ayant pour objectif de servir
les intérêts de la majorité au détriment des droits légitimes de la minorité 517.
Avant d’aborder l’examen des effets de l’action sociale (II), il sied, tout d’abord,
de déterminer les conditions de mise en oeuvre d’une telle action (I).

I- Les conditions de mise en œuvre de l’action sociale518

245- Il faut rappeler d’abord que l’action sociale, telle que prévue par l’article 477
CSC, exige l’établissement par les minoritaires demandeurs de l’atteinte à l’intérêt social
et la rupture d’égalité avec les majoritaires défendeurs 519. Il faut aussi remarquer que
« l’action minoritaire » intéresse « la collectivité520 » et non pas seulement les intérêts de
ceux qui l’exercent. Elle est qualifiée d’action sociale en raison de son objet et n’est
minoritaire qu’en raison de la personne de celui qui l’exerce521.

516
Telle que qualifiée par M. le professeur LAKHOUA (H), atr. pré. p 8.
517
V. supra. n° 103 et s.
518
Il est important de distinguer entre l’action sociale et l’action individuelle. D’après MESTRE (J) et PANCRAZI (M-E)
« les actions exercées par des tiers lésés, des créanciers sont toujours individuelles. Mais les actions intentées dans l’intérêt
des actionnaires sont tantôt sociales, tantôt individuelles. Malgré certaines controverses, il faut considérer, avec la
jurisprudence, comme individuelles, les actions fondées sur un préjudice particulier à l’actionnaire demandeur, à certains
actionnaires seulement, préjudice distinct de celui éprouvé par la collectivité sociale : ainsi est individuelle l’action intentée
par un actionnaire qui, à la suite de faux renseignements donnés par le conseil d’administration sur une prétendue
prospérité de la société, a acheté de actions de la société. Au contraire, est sociale l’action fondée sur un préjudice qui
touche la société elle-même, qui est commun et égal pour tous les actionnaires…par exemple l’action intentée contre les
administrateurs qui, par une gestion maladroite, ont conduit la société à la ruine. L’actionnaire isolé peut évidemment
exercer l’action individuelle. Mais la loi lui permet également d’exercer individuellement l’action sociale : on dit que les
actionnaires exercent cette action « ut-singuli ». La raison en est que les actionnaires doivent pouvoir vaincre l’inertie des
dirigeants, que l’on suppose peu disposés à agir, au nom de la société, contre eux-mêmes. Ils pourraient aussi l’exercer à
travers une association d’actionnaires ». IN, op.cit., n° 457, p 365.
519
Sur ces deux composantes de l’abus de majorité V. supra. n° 109 et s.
520
CHESNE (M), L’exercice ut-singuli de l’action sociale dans la société anonyme, RTD Com., 1962, p347.
521
Ibidem.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 114

A priori, Il peut paraître singulier de parler d’une action sociale exercée par un
actionnaire. Par définition, cette action appartient normalement à la société personne
morale qui l’exerce par le biais de ses organes légaux 522. Il ne faut cependant pas oublier
que l’intérêt de cette action réside dans la possibilité reconnue aux actionnaires de forcer
l’inertie du conseil d’administration ou de l’assemblée générale, qui rendent l’efficacité
de cette action une simple illusion523.

246- S’agissant du demandeur, l’action sociale est exercée au nom de la société par
une minorité d’associés qui, d’après l’article 477 CSC doit détenir 10% au moins du
capital de la société lésée 524. Aussi l’action sociale peut être intentée par un associé
agissant seul, comme elle peut être exercée par un groupe d’associés représentant 10% du
capital de la société en question.
A première vue, cette limite paraît logique et bien fondée pour la simple raison
qu’elle permet de combattre les recours superflus et fantaisistes exercés par des associés
détenant une partie négligeable du capital, ce qui risque d’entraver le fonctionnement du
groupe de sociétés. Il est, en effet, aberrant qu’un actionnaire hors groupe, détenant par
exemple 0.1% du capital de la filiale, puisse critiquer les décisions des majoritaires de la
société mère et exercer tout seul l’action sociale contre ces derniers. Il est donc clair que
le souci du législateur est d’empêcher les abus de minorité 525 qui peuvent se traduire par
une inflation des procès. Le seuil de 10% est, semble-t-il, destiné à « décourager les
actionnaires de se livrer à la chicane, sans les empêcher de jouer leur rôle de
contrôle526 ».
Certes, le choix de ce taux, bien qu’il paraisse plus ou moins arbitraire, parait
acceptable parce qu’il pourrait contribuer à faire obstacle aux actions dilatoires et sans
bien-fondé de certains minoritaires. Cependant, il se peut fort bien que dans certains cas
le taux de 10% devienne difficile à atteindre par une minorité d’une société du groupe.
Cette limite pourrait alors priver les minoritaires en deçà du taux, lésés par la décision des
majoritaires, d’intenter l’action sociale, ce qui est de nature à remettre en cause
l’efficacité d’une telle mesure527.

522
BEN NASR (T), op.cit., p324.
523
D’après M. BEN NASR, l’assemblée générale n’exerce pas l’action pour ne pas engager sa responsabilité. De même pour
les administrateurs pour ne pas être révoqués par l’assemblée générale. Ibidem.
524
Lorsqu’il s’agit d’une société anonyme isolée, l’article 290 CSC exige que l’actionnaire minoritaire détienne au moins
20% du capital de la société pour qu’il puisse exercer l’action contre les majoritaires. Cette réduction dans le taux exigé se
justifie par le fait que, contrairement à une société isolée, dans un groupe de sociétés, les abus sont beaucoup plus fréquents et
plus dangereux. Les majoritaires peuvent, par une décision abusive, favoriser leurs intérêts, ceux d’un tiers ou encore ceux de
la société mère. V. HENTATI-KTARI (S), mém.pré., p124.
525
A propos de la définition de l’abus de minorité V. LUCAS (F-X), La réparation du préjudice causé par un abus de
minorité en droit des sociétés, PA, 12 sept. 1997, p. 6. LEPOUTRE, Les sanctions des abus de minorité et de majorité dans
les sociétés commerciales, Dr. Et Patr. 1995, n° 33, p. 68. Cass. com., 9 mars 1993, n° 91-14.685, Bull. Joly 1993, p. 547,
JCP, éd. G 1993, II, n° 22107, JCP éd. E 1993, II, n° 448, note VIANDIER, D. 1993, jur., p. 363, note Guyon, Dr. sociétés
1993, n° 95, Obs. LE NABASQUE, Gaz. Pal. 11 au 13 juill. 1993, p. 17, note BONNARD.
526
BEJO (M), La protection des actionnaires externes dans les groupes de sociétés en France et en Allemagne, Etablissements
Emile BRYLANT, Bruxelles, 1971, p189.
527
MELKI (H), La société filiale, mémoire de DEA, Faculté de doit et des sciences politiques de Tunis, 2002-2003, p148.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 115

247- Outre cette limite légale, une autre limite imposée par la pratique peut
paralyser l’initiative des minoritaires dans l’exercice de l’action sociale. Cette limite n’est
autre que la concurrence des organes sociaux de la société lésée. En effet, cette dernière
peut, à travers ses organes sociaux, faire obstacle à l’initiative des actionnaires externes
en exerçant elle-même l’action sociale et en la faisant échouer. Dans ce cas le seul
recours des actionnaires minoritaires est de montrer la mauvaise foi avec laquelle l’action
sociale a été exercée. Mais la question qui se pose est de savoir pourquoi la société lésée
agirait-elle ainsi ? La réponse est simple. Cette société est, en effet, contrôlée par la
société mère qui a nécessairement intérêt à battre en brèche l’initiative des minoritaires
pour protéger les intérêts de ses majoritaires528.

248- Quant au défendeur à l’action, il ne s’agit pas des associés représentant la


majorité dans la société filiale, mais plutôt ceux représentant la majorité dans la société
mère, comme si la foule majoritaire est considérée comme un sujet de droit à part entière
différent de la société mère. Ainsi, l’action sociale, telle que prévue par l’article 477
CSC, semble puiser sa spécificité de son effet consistant à permettre à l’associé
d’atteindre directement les auteurs d’un abus qui met en péril l’intérêt social, même s’ils
sont placés à la tête de la société mère. Autrement dit, ce texte offre à l’associé
minoritaire une sorte d’autorisation qui lui permet de poursuivre les associés d’une
société distincte de celle dont il appartient sans tenir compte du principe de l’autonomie
juridique des sociétés groupées. Cet assouplissement permet d’assurer, autant que
possible, une certaine sécurité pour les sociétés liées ainsi que leurs associés minoritaires.
En droit français, et en l’absence d’un texte spécial, le principe de l’autonomie
juridique fait obstacle à l’action des associés minoritaires contre les majoritaires d’une
société autre que celle dont ils sont associés. Cette « solution est marquée au coin du
classicisme le plus pure, mais aussi le plus académique529 ». Notre législateur semble, en
ce domaine du moins, en avant sur le droit écrit français.

249- Ce faisant, l’action sociale est soumise au régime de droit commun de la


responsabilité civile. Il faut donc établir un lien de causalité entre la décision contestée,
l’atteinte à l’intérêt social et la rupture d’égalité.
Par ailleurs, le fardeau de la preuve parait lourd pour les minoritaires, surtout
lorsqu’il s’agit de prouver la rupture d’égalité. Les difficultés apparaissent également au
moment de prouver l’avantage réalisé par les majoritaires et le préjudice social duquel
procède celui des minoritaires530.
On peut constater aussi que l’article 477 CSC ne détermine pas le délai de
prescription de l’action sociale contrairement aux articles 120 et 290 CSC.

528
BEJOT (M), op.cit., p178.
529
ARMAND (C) et VIANDIER (A), Réflexions sur l’exercice de l’action sociale dans le groupe de sociétés : Transparence
des personnalités et opacité des responsabilités, Rev. Soc. 1986, p557.
530
CHESNE (G), L’exercice ut-singuli de l’action sociale dans la société anonyme, RTD Com, 1962, p80. BEN
ABDELJALIL (S), mém.pré., p119.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 116

250- Quant au tribunal qui aura à connaître de l’action, une telle question peut
donner lieu à discussion surtout que le siége social de la société mère concernée peut se
trouver hors du territoire tunisien.
D’après l’article 3 du code de droit international privé « les juridictions tunisiennes
connaissent de toute contestation, civile et commerciale entre toutes personnes quelque
soit leur nationalité, lorsque le défendeur a son domicile en Tunisie ».
Il s’ensuit que si l’action est intentée contre les majoritaires d’une société mère
ayant son siége social en Tunisie, elle relèvera de la compétence des tribunaux nationaux.
Plus précisément, la compétence sera accordée au tribunal dans la circonscription duquel
se trouve le siége social de la société mère. Si, au contraire, cette société a son siége
social hors du territoire tunisien, c’est le for étranger qui sera en principe 531 compétent.
Une fois intentée et déclarée recevable en la forme et au fond par le juge du siège
social de la société mère, l’action sociale pourra produire ses effets à l’encontre des
majoritaires responsables.

II- Les effets de l’action sociale

251- Bien qu’il ait explicitement permis aux minoritaires d’exercer l’action sociale,
l’article 477 CSC n’a pas précisé les effets d’une telle action.
Les minoritaires peuvent-ils alors demander l’annulation de la décision litigieuse
ou bien doivent-ils se contenter tout simplement de la demande d’une allocation de
dommages-intérêts ?

252- Afin de cerner les effets de l’action sociale, il est nécessaire de prendre en
considération le cadre de l’étude qui n’est autre que celui des groupes de sociétés où
l’intérêt commun du groupe doit prévaloir sans pour autant sacrifier totalement l’intérêt
social. A ce niveau, l’action sociale a été accordée aux minoritaires, certes pour les
protéger, mais également pour protéger l’intérêt social.
Mais si la protection de l’intérêt social s’est faite à travers l’octroi de l’action
sociale aux minoritaires de la société lésée, cette action ne doit pas empiéter sur l’intérêt
commun du groupe. Ce risque est certainement écarté par l’exclusion de la nullité en tant
que sanction. Autrement dit, si les majoritaires de la société mère ont pris une décision
contraire à l’intérêt social mais justifiée par l’intérêt du groupe, il appartient aux
minoritaires de la société lésée d’intenter l’action sociale, non pas pour demander
l’annulation de la décision, mais pour se faire octroyer des dommages-intérêts. La nullité,
en tant que sanction532, est écartée pour ne pas troubler le fonctionnement du groupe. De
cette façon le primat est accordé à l’intérêt commun du groupe sans pour autant évincer
totalement l’intérêt social.

531
Le for étranger est compétent sauf s’il y a une clause compromissoire accordant la compétence au for tunisien. V. art 4
CDIP.
532
A propos de la définition de la nullité V. LARROUMET (C), op.cit., p 507 et s. BESSROUR (N), Sanction des règles de
formation du contrat et maintien du rapport contractuel. Thèse, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 2001.
.199 ‫ ص‬،1997،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬،‫الزين محمد‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 117

Toutefois, il ne faut pas faire table rase des décisions adoptées par les majoritaires
de la société mère qui peuvent être contraires à la fois à l’intérêt social et à l’intérêt
commun du groupe. En ce cas, la sanction qui parait efficace n’est autre que le cumul
entre la nullité de la décision et les dommages-intérêts.

253- De ce qui précède, on peut avancer les trois situations suivantes: La première,
lorsque la décision des majoritaires est contraire à l’intérêt social mais conforme à
l’intérêt commun du groupe, la sanction semble être, dans ce cas, l’allocation des
dommages-intérêts. La deuxième est retenue lorsque la décision enfreint seulement
l’intérêt commun du groupe, dans ce cas la sanction adéquate semble être la nullité qui,
d’après M. Ohl, « apparaît comme une mesure purement interne destinée à remettre en
bon ordre les affaires des actionnaires533 ». Enfin, si la décision des majoritaires est
contraire aussi bien à l’intérêt social qu’à l’intérêt commun du groupe, le cumul des deux
sanctions est une solution qui parait fort concluante534.

254- Il semble qu’une telle approche est retenue par la jurisprudence française 535
qui n’a pas hésité à annuler les décisions de la société mère chaque fois que l’intérêt
commun du groupe est transgressé. Espérant que les juges tunisiens suivront l’exemple
français, surtout qu’une telle solution permet, semble-t-il, de redonner à l’intérêt commun
du groupe sa vraie valeur. En effet, mis en arrière plan par le législateur lors de la
détermination de la notion d’abus, l’intérêt commun sera mis en avant plan par le juge
lors de la détermination des sanctions civiles applicables à l’abus de majorité. Ainsi, en
s’abstenant de déterminer les effets de l’action sociale, le législateur nous à fourni les
armes nécessaires pour remédier aux dangers inhérents à la prééminence de l’intérêt
social dans le groupe de sociétés.
533
OHL (D), op.cit., n° 318, p 219.
534
D’après le professeur Schmidt (D) « s’agissant de réparer le préjudice résultant d’une résolution abusive, l’annulation se
présente comme la sanction la plus naturelle et la mieux adaptée. Elle supprime la cause même du préjudice en rétablissant
les associés dans leur situation antérieure. Opérant rétroactivement elle remet de l’ordre dans les affaires entre les associés
et clarifie leurs rapports. Il est vrai, certes, que cette simple projection du passé dans l’avenir n’efface pas les effets de la
résolution jusqu’au jour de son annulation et qu’à cet égard la sanction peut se révéler incomplète. Mais il parait
prépondérant d’assurer la régularité des comptes entre les associés avant d’en ajuster précisément le montant, que le juge de
l’annulation pourra parfaire par l’allocation de dommages-intérêts ». IN, op.cit., n° 243, p 184.
535
Un jugement (T. com. Paris, 29 juin 1981, Gaz. Pal. 1981, II, jur., p. 687, note de Fontbressin) annulant pour abus de droit
la décision de transformation d'une SA en société en commandite simple ; comme l'observe le tribunal, « cette transformation
permet à la société mère de bénéficier d'un avantage personnel : appréhender les bénéfices de la société avant imputation de
l'impôt sur les sociétés en se donnant toute facilité de transfert des fonds de roulement », mais « elle cause un préjudice aux
associés commanditaires minoritaires en les associant au risque économique de défaillance de la société mère associée
commandité unique, sans les associer aux bénéfices qu'elle peut générer » : d'où annulation de la décision attaquée. Dans une
autre affaire où le groupe ne retirait aucun avantage du financement accordé, l'abus de majorité a été retenu par la chambre
commerciale (Cass. com., 29 mai 1972, no 71-11.739, JCP éd. G 1973, II, no 17337, note Guyon) : « Le président d'une
société anonyme, qui était également le gérant d'une SARL filiale, avait consenti sur les fonds de la première d'importants
prêts à la seconde sans y être autorisé. Ces soutiens financiers demeurant toutefois insuffisants, la SARL était sur la voie de
la procédure collective, et son dirigeant, sur celle d'une éventuelle action en comblement. Le groupe majoritaire de la SA
décida donc, en assemblée, de mettre fin à l'exploitation de la filiale et de prendre en charge, contre l'avis des minoritaires,
l'intégralité de son passif. Cette décision est annulée pour abus de majorité au motif que la société prêteuse, en tant que telle,
n'avait rien à attendre de la filiale bénéficiaire du prêt : les deux entreprises étaient, en effet, économiquement étrangères
puisque exerçant des activités totalement différentes, et par ailleurs, rien ne pouvait ici, même éventuellement, amener la SA
à répondre du passif de sa filiale » : d’où annulation de la décision abusive.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 118

255- S’agissant de la sanction relative à la nullité, la question qui se pose est de


savoir s’il s’agit d’une nullité absolue ou bien relative ? Il semble que la nullité est
d’ordre public et donc absolue puisqu’elle a pour finalité la protection de l’intérêt
commun du groupe qui est en étroite liaison avec l’impératif de promotion du groupe de
sociétés qui, une fois réussi, pourrait participer au progrès de l’économie du pays. On
peut alors soutenir qu’il y a là une nécessité de protéger l’ordre public économique 536.

256- Quant aux dommages intérêts, la question qui s’impose est de savoir s’ils
devraient être versés à la société affiliée ou bien aux actionnaires minoritaires qui ont
intenté l’action537 ?
A la différence du législateur tunisien, son homologue français a posé dans
L’article 232-22 du code de commerce français 538 la règle suivant laquelle « les
demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l’entier préjudice subi par la
société à laquelle, le cas échéant, les dommages intérêts sont alloués »539.
Appliquée au groupe de sociétés, cette solution devient critiquable. A quoi bon, en
effet, permettre aux actionnaires minoritaires d’intenter une action contre les associés
représentant la majorité dans la société mère si les dommages-intérêts seront versés dans
le patrimoine social de la société filiale. Ils seront par la suite répartis au titre de
dividendes auxquels la société mère en tant qu’actionnaire majoritaire a droit, ce qui
profitera certainement aux actionnaires majoritaires de la société mère responsables de
l’abus540. Dès lors, il semble plus logique que les dommages-intérêts soient versés
directement aux actionnaires minoritaires demandeurs à l’action. Ces derniers pourront
alors demander la réparation de tout le préjudice, rien que le préjudice, pas plus que le
préjudice.

257- Il convient enfin de se demander si en exerçant l’action sociale, l’associé


minoritaire peut demander la nomination d’un administrateur judiciaire. Autrement dit,
est-ce que l’article 477 CSC peut servir de base légale pour cette demande ? A priori, rien
n’interdit de présenter une telle demande auprès du juge compétent. Il ne faut cependant
pas oublier que l’action sociale impose au juge une longue recherche au niveau des
éléments constitutifs de l’abus, ce qui est, à divers égards, contraire à l’esprit de
l’institution de l’administrateur judiciaire541. C’est pourquoi, il semble que la voie la plus
facile et adaptée pour la nomination de cet administrateur est celle de l’action en référé 542.
536
FARJAT (G), L’ordre public économique, LGDJ, 1963, n° 382, p 311.
537
BEN NASR (T), op.cit. p135.
538
Il s’agit en réalité de l’article 245 de la loi du 24-7-1966.
539
Cette solution est, a priori, logique car l’action est qualifiée d’ « action sociale ». Ce qui veut dire qu’elle doit être exercée
en nom et pour le compte de la société.
540
MELKI (H), mém.pré., p151.
541
V. à propos de l’administration judiciaire V. BEN REJEB (I), L’administration judiciaire des sociétés commerciales,
Thèse, Faculté des sciences juridiques de Tunis, 1996. CHABBI (R), L’administrateur judiciaire dans les sociétés
commerciales (étude jurisprudentielle), mémoire de DEA, Faculté des sciences juridiques politiques et sociales de Tunis,
1995.
542
Cette demande sera donc soumise aux articles 201 et 214 CPCC (l’intérêt social doit être menacé par un danger imminent
et certain). Il est également possible de désigner un administrateur judiciaire par le juge du fond, et-ce dans des cas

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 119

En définitive, nullité, dommages-intérêts, administration judiciaire, l’abus de


majorité semble être assez bien sanctionné civilement dans le groupe de sociétés. En va-t-
il de même en cas d’abus résultant de la violation des articles 474 et 475 CSC ?

C- En cas d’abus résultant de la violation des articles 474 et 475


CSC

258- Comme on a pu le constater lors de la première partie, plusieurs formes


d’abus ont été visées, en quelque sorte, par l’article 474 CSC 543 qui a imposé une
panoplie de conditions bien précises pour que l’opération financière, source intarissable
notamment d’abus de biens sociaux ou de crédit, soit autorisée dans le groupe de
sociétés544. De même l’article 475 CSC a exigé des procédures de contrôle a priori,
nécessaires pour que la convention intragroupe soit validée 545, et-ce chaque fois qu’une
telle convention est conclue entre deux sociétés liées ayant des dirigeants communs. Car,
la communauté de dirigeants est certainement suspicieuse de divers abus.

259- Cependant, ce qui attire l’attention c’est le silence étonnant des deux articles
précités quant aux sanctions applicables en cas de violation des conditions ou bien des
procédures de contrôle a priori. Faut-il alors se contenter de dire qu’il s’agit de
dispositions dépourvues de toutes sanctions, ou bien faut-il recourir au droit commun des
sociétés isolées pour assurer l’efficacité des dispositions précitées ?
Nul doute que le silence des articles précités est délibéré. En effet, plusieurs textes
du droit commun des sociétés isolées peuvent s’appliquer en cas de violation des
dispositions des articles 474 et 475 CSC546.

260- Pour ce qui est de l’article 475, il faut distinguer selon qu’il s’agisse du
rapport du commissaire aux comptes ou bien de l’approbation par l’assemblée générale
des associés.

particuliers comme le règlement amiable ou encore le règlement judiciaire ?. En effet, le tribunal de première instance de Sfax
a ordonné l’ouverture d’un règlement judiciaire contre la société mère SOMAF (jugement n° 60 du 5-10-2000, V. annexe n°
5). Ensuite, la juge a nommé un administrateur judiciaire chargé d’élaborer un plan de redressement pour la société mère et
ses filiales (jugement n° 77 du 10-4-2001 et n° 77 du 15 -10 -2002, V. annexes n° 6 et 7). Par contre, le conciliateur judicaire
qui a été nommé afin d’établir un accord entre la société BON PRIX appartenant au groupe BATAM et ses créanciers a
accompli sa mission sans se référer aux autres sociétés du groupe ( TPI Tunis V. annexe n° 9).
.13 ‫ ص‬،2002 ‫ جويلية‬،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،‫ انقاد المؤسسات التي تمر بصعوبات اقتصادية و التي تنتمي إلى تجمع الشركات‬، ‫عبد المجيد الفاهم‬
543
V. supra. n° 116 et s.
544
V. supra. n° 193 et s.
545
V. supra. n° 197 et s.
546
Il convient aussi d’ajouter que l’absence de sanctions expresses dans les articles 474 et 475 CSC n’empêchera pas
l’application des sanctions prévues dans d’autres textes relatifs au groupe de sociétés. Tel est le cas de l’article 477 CSC
chaque fois que la convention, approuvée par les assemblées générales des sociétés concernées, témoigne de l’existence d’un
abus de majorité de la part des dirigeants du groupe. V. supra. n° Ou encore l’article 478 CSC pour étendre la faillite de la
société groupée aux dirigeants communs lorsque cette faillite est inéluctablement due à la convention conclue en violation
des dispositions légales. V. supra. n°

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 120

Quant au rapport du commissaire aux comptes de la société concernée, il est


nécessaire de distinguer deux situations. La première est celle où les personnes devant
aviser le commissaire aux comptes et qui sont les dirigeants communs des sociétés
concernées ont failli à leur devoir. Dans ce cas, ces dirigeants peuvent être condamnés à
réparer le préjudice subi par la société. La réparation du préjudice sera fondée sur l’article
207 CSC547 qui renvoie expressément au droit commun de la responsabilité civile 548 . La
deuxième situation est celle où le commissaire aux comptes a été avisé mais il n’a pas
établi un rapport spécial ou bien le rapport établi est lacunaire ou bien inexact. Dans ce
cas, c’est la responsabilité du commissaire aux comptes qui sera retenue sur la base du
droit commun des sociétés isolées et plus précisément l’article 272 CSC qui dispose que
« les commissaires aux comptes sont responsables tant à l’égard de la société qu’à
l’égard des tiers des conséquences dommageables, des négligences et des fautes
commises par eux dans l’exercice de leurs fonctions ».

261- S’agissant de l’approbation par l’assemblée générale, l’article 475 ne prévoit


pas non plus de sanctions en cas de violation d’une telle procédure. Quelle sanction faut-
il alors appliquer en cas de défaut total de l’approbation ou bien en cas d’approbation
d’une convention qui porte préjudice à la société concernée ?
En cas de défaut total d’approbation, la sanction applicable semble être la
condamnation des dirigeants communs à la réparation des préjudices résultant de la
convention sur la base de l’article 207 précité.
S’agissant de l’approbation d’une convention qui porte préjudice à la société en
question, dans ce cas bien précis il n’y a plus lieu d’évoquer la responsabilité des
dirigeants sociaux. Il faut plutôt se tourner vers l’action en annulation des décisions de la
majorité des associés telle que prévue par l’article 290 CSC 549 ; encore faut-il que les
conditions prévues par cet article soient vérifiées et établies.

262- Pour ce qui est de l’article 474 CSC, il semble que la violation des conditions
légales nécessaires pour la conclusion des opérations financières intra-groupe entraîne, en
cas de préjudice, la responsabilité des dirigeants sociaux de la société lésée, et-ce sur la
base de l’article 207 précité.

547
L’article 207 CSC dispose que « les membres du conseil d’administration sont solidairement responsables, conformément
aux règles de droit commun, envers la société ou envers les tiers, de leurs faits contraires aux dispositions du présent code
ou des fautes qu’ils auraient commises dans leur gestion notamment en distribuant ou en laissant distribuer, sans opposition,
des dividendes fictifs, sauf s’ils établissent la preuve de la diligence d’un entrepreneur avisé et d’un mandataire loyal ».
L’action sociale prévue par cet article peut être exercée aussi bien ‘Ut-nniversi’ qu’Ut-singuli’ (les actionnaires détenant 15
% du capital), et-ce sur la base de l’article 220 CSC.
548
V. YAHYAOUI (R), Le devoir de diligence des membres du conseil d’administration dans les sociétés commerciales,
mémoire de DEA, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 2003, p 125.
549
L’article 290 CSC pourra s’appliquer si l’approbation de la convention par l’assemblée générale des associés porte atteinte
aux intérêts de la société liée et qu’elle a été prise dans l’intérêt de l’un ou de quelques actionnaires ou au profit d’un tiers.
On pourra aussi appliquer l’article 223 CSC (ou bien l’article 146 CSC pour les SARL) si la convention indûment conclue
dissimule, en réalité, un abus de biens sociaux ou un abus de pouvoir.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 121

263- De surcroît, il semble possible d’affirmer que la convention ou encore


l’opération financière intra-groupe conclue en violation des dispositions légales est une
convention nulle, et-ce sur la base de l’article 67 COC qui dispose que « l’obligation sans
cause, ou fondée sur une cause illicite est non avenue ». Le même article ajoute que « la
cause est illicite quand elle est contraire aux bonnes mœurs, à l’ordre public ou à la
loi ». Il semble alors qu’une telle convention est nulle pour contravention aux règles
légales impératives.
Il ne faut pas oublier non plus l’article 64 COC qui dispose qu’ « est nulle
l’obligation qui a pour objet une chose ou un fait impossible, physiquement ou en vertu
de la loi ». Cet article s’applique parfaitement en cas de violation des dispositions des
articles 474 et 475 CSC.
Que l’on rappelle aussi les dispositions de l’article 539 COC selon lequel « lorsque
la loi défend formellement une chose déterminée, ce qui est fait contrairement à la loi ne
peut avoir aucun effet ». Il résulte apparemment de cet article qu’il suffit qu’il y ait une
défense formulée par un texte législatif pour que ce qui a été fait contrairement à cette
défense soit nul. Il est à noter que le terme nullité n’est pas utilisé dans la version
française contrairement à la rédaction du texte en langue arabe 550. Le juge du fond pourra
alors s’appuyer sur les dispositions du COC pour annuler toute convention intra groupe
conclues en violation des dispositions de la loi de 2001.

264- Il semble qu’à l’instar de la nullité afférente à l’abus de majorité, celle


concernant la violation des articles 474 et 475 CSC ne pourrait être qu’absolue parce que
sur ce terrain aussi il s’agit de protéger, au travers des conventions intra groupe,
l’impératif de promotion du phénomène de concentration.
Il n’en demeure pas moins, que les conséquences d’une nullité absolue, ou même
relative, peuvent s’avérer grave pour les sociétés groupées. Car, il est, tout à fait possible,
que les conditions ou encore les procédures de contrôle soient transgressées sans que l’on
relève la commission d’un quelconque abus ou même d’un quelconque préjudice. Il
semble alors permis de proposer que la sanction de nullité, en cas de violation des articles
précités, soit subordonnée à la réalisation d’un dommage à la société liée. D’ailleurs,
cette même solution a été consacré, pour la société isolée, par l’alinéa deuxième de
l’article 202 CSC qui a expressément précisé que « nonobstant la responsabilité de
l’intéressé, les conventions sus-indiquées à l’article 200 du présent code, contractées
sans autorisation préalable du conseil d’administration, peuvent faire l’objet
d’annulation si elles entraînent des dommages à la société ».
De surcroît, rien ne semble interdire de soutenir qu’avant de passer à la nullité, les
procédures de contrôle, prévues par l’article 475 CSC, peuvent être assorties d’une
régularisation a posteriori pour satisfaire aux impératifs de simplicité et de rapidité que
postule la « vie des affaires ». Une telle solution s’accommode, bel et bien, de l’esprit
législatif, notamment à travers la réforme de 2000 où la plupart des règles de constitution

."‫ ينص على أنه " إذا صرح القانون بالنهي عن شيء معين كان إتيانه باطال ال ينبني عليه شيء‬.‫ع‬.‫ا‬.‫ م‬539 ‫ الفصل‬550

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 122

des sociétés commerciales ont été sanctionné par la nullité tout en laissant possible une
éventuelle régularisation551.

265- Observons, toutefois, que l’efficacité des sanctions civiles relatives à la


violation des dispositions de l’article précité peuvent être mises en échec par des
dirigeants mal intentionnés. En effet, compte tenu du fait que ce même texte exige,
comme on vient de le voir552, une communauté de dirigeants entre les sociétés
contractantes, il suffit alors au dirigeant du groupe d’user de la technique des hommes de
pailles pour enfreindre les procédures de contrôle a priori et échapper à toute
responsabilité civile.

266- En définitive, que la société groupée soit « in bonis553 » ou bien soumise à une
procédure collective, l’agrégat de sanctions civiles, ci-dessus analysées, est mis en valeur
pour faire face à toute forme d’abus dans le groupe de sociétés. Seulement, un tel
amoncellement de sanctions civiles n’est guère suffisant pour contrecarrer toute la
kyrielle des abus intragroupe ; encore faut-il des sanction pénales spéciales à même
d’inhiber toute initiative d’abus dans le groupe. En effet, ces sanctions civiles gagneraient
en efficacité si elles sont corroborées par des sanctions pénales, notamment des amendes
fortes.
Malheureusement tel n’est pas le cas de la loi de 2001 où l’on relève aisément
l’absence de toute sanction pénale spéciale applicable aux abus de biens, de crédit, de
pouvoir ou de voix dans le groupe de sociétés. Ce défaut total de sanctions, auquel
s’oppose une multitude de sanctions pénales relatives aux instruments préventifs de
l’abus, prouve, bel et bien, la déficience du régime curatif répressif.

551
V. à titre d’exemple art. art 17 CSC (règles communes), 179 CSC (SA) et 107 CSC (SARL).
552
V. supra. n° 204.
553
D’après le Lexique juridique DALLOZ, 2005, in bonis « se dit du débiteur qui est encore maître de ses biens, par
opposition à celui qui serait dessaisi de ses pouvoirs de gestion (pour liquidation judiciaire par exemple ou encore en cas de
procédure collective ) ».

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 123

Section deuxième : Déficience des sanctions pénales

267- À l’opposé du régime des sanctions civiles, le régime répressif des abus
semble être constitué de règles juridiques beaucoup moins cohérentes et assez souvent
insuffisantes et inadaptées aux agissements condamnables perpétrés au sein du groupe de
sociétés. On peut même dire que le régime répressif spécifique à la notion d’abus repose
sur un grand paradoxe qui caractérise, d’une part le droit écrit du groupe de sociétés et,
d’autre part, les autres sources juridiques auxquelles on peut recourir pour déduire
certaines sanctions pénales applicables aux abus.
En effet, si l’on se borne aux textes du droit du groupe, on peut constater que
contrairement aux diverses sanctions consacrées pour assurer l’efficacité du régime
préventif des abus, le régime curatif répressif accuse un vide législatif flagrant concernant
l’abus de biens sociaux, de crédit, de pouvoir ou de voix (§1).
N’est-ce pas là une raison majeure pour essayer de trouver des solutions à même de
combler, tant soit peu, ce vide législatif par le recours aux règles pénales du droit des
sociétés commerciales dont l’apport pourrait constituer une soupape de sûreté ?
Il semble, toutefois, que c’est une gageure que de vouloir appliquer ces règles aux
abus perpétrés au sein du groupe de sociétés, car le pluralisme juridique imprégnant le
droit pénal des sociétés commerciales parait empêcher toute solution juste et harmonieuse
(§2).

-§1 : La notion d’abus face au vide législatif répressif


268- À comparer la situation du régime répressif des abus en matière du groupe de
sociétés avec celle des abus dans le cadre des sociétés isolées, on ne peut qu’être surpris
de l’état actuel du code des sociétés commerciales. Car, parallèlement au défaut total de
toute disposition pénale concernant les premiers abus, le dit code fourmille de sanctions
La notion d’abus dans le groupe de sociétés
Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 124

pénales concernant les abus perpétrés dans le cadre des sociétés commerciales isolées 554.
Au vide législatif s’oppose un arsenal législatif répressif. Pis encore, un tel vide semble
devenir inadmissible lorsqu’on apprend que le législateur de 2001 n’a pas du tout négligé
le régime répressif applicable en cas de violation de certaines obligations préventives des
abus. Une telle situation aussi antinomique incite à réfléchir sur le pourquoi (A) et le
résultat (B) d’un tel vide législatif.

A- Le pourquoi du vide législatif

269- Est-ce par erreur ou par omission que le législateur de 2001 n’a consacré
aucune sanction pénale aux abus des biens et cas assimilés, et-ce quel qu’en soit le danger
ou la gravité ? Ou est-ce plutôt un choix délibéré qui s’insère dans une politique globale
de dépénalisation ?
Il semble loisible d’avancer trois raisons qui peuvent contribuer à comprendre le
pourquoi d’un tel vide législatif.

270- D’abord, on peut facilement penser qu’il s’agit d’une option de politique
législative. Bien qu’il soit un peu tard, mais il n’est jamais trop tard, le législateur semble
finalement adhérer au mouvement doctrinal qui ne cesse de s’opposer à l’intervention du
droit pénal en droit des sociétés et plus particulièrement en droit des groupes de
sociétés555. Déjà, on peut citer quelques exemples où le législateur, depuis l’an 2000, date
de promulgation du nouveau code des sociétés commerciales, semble adhérer à cette
tendance vers l’atténuation de la responsabilité des dirigeants des sociétés commerciales.
C’est ainsi que les sanctions pénales prévues pour réprimer plusieurs infractions de
l’article 88 CC n’ont pas été du tout reprises par le nouveau code des sociétés 556. De
même, l’infraction de répartition de dividendes fictifs, applicable en matière d’abus
commis dans la société à responsabilité limitée, n’a plus son droit de cité depuis la
réforme de 2000557. Plus encore, la peine privative de liberté qui était consacrée à certains
abus perpétrés dans le cadre de la société anonyme a disparu pour ne laisser place qu’à la
peine pécuniaire558.
A se borner à ce tableau d’exemples, rien n’interdit de penser que l’on commence,
peut-être, à assister à l’ébauche d’une certaine politique de dépénalisation 559.

554
V. à titre d’exemple les art. 51, 146, 158, 186, 223 du CSC.
555
V. MASCALAT (C), Vers une dépénalisation des infractions d’affaires ? Une réalité ? D. Affaires, 1998, p103. BOULOC
(C), Où en est la dépénalisation dans la vie des affaires?, RJCom., n° spécial, nov. 2001. RIPERT (G), Le déclin du droit,
LGDJ, 1949, n° 96, p 175. LAGARDE (G), Le droit des affaires, droit sentimental, Mélanges SAVATIER, p 491.
556
On peut résumer ce texte en ce qu’il réprimait l’obligation d’information occasionnelle ou permanente relative au
fonctionnement de la société anonyme.
557
L’art. 147 CSC n’a pas repris cette infraction qui existait dans l’ancien article 169 CC.
558
V. art. 186 CSC et à comparer avec l’ancien article 69 CC qui prévoyait à la fois la peine d’emprisonnement et la peine
d’amende.
559
Tout en observant que dans certaines branches du droit des sociétés commerciales le législateur de 2000 s’est montré trop
répressif. L’exemple de la responsabilité pénale du liquidateur, telle que consacrée par les art. 49 à 53 CSC, est très frappant.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 125

271- Dans une seconde direction, on peut justifier ce choix de politique atténuante
par le fait que le législateur a le droit de considérer que les sanctions civiles proposées
contre les abus commis dans le cadre du groupe de sociétés sont amplement suffisantes.
Et, par conséquent, point n’est besoin de les renforcer par un éventail de sanctions
pénales qui ne ferait qu’alourdir le régime curatif. Mieux vaut, peut-on dire, un régime
souple et facilement applicable, plutôt qu’un régime lourd et dont l’application ne
pourrait que nuire au bon fonctionnement du groupe de sociétés. D’ailleurs, une telle
position épouserait bien la fonction de la notion d’intérêt commun qui, comme on l’a
constaté lors de la première partie, semble constituer un moyen efficace d’atténuation de
la responsabilité des dirigeants du groupe560.

272- Enfin, dans une troisième direction, le vide législatif répressif pourrait peut-
être s’expliquer par une raison purement politico-economique. Le législateur, non
seulement dans l’esprit de vouloir réaliser l’impératif de promotion des groupes de
sociétés, mais surtout en vue d’encourager les investissements notamment étrangers, n’a
pas considéré de bonne politique le choix de consacrer expressément des sanctions
pénales aux abus perpétrés dans le groupe de sociétés. A-t-il alors laissé la tache au juge
pénal pour statuer au cas par cas ? Ou bien est-il d’avance conscient que les principes de
légalité et d’interprétation stricte des textes pénaux s’opposeraient à toute tentative
d’incrimination dans le cadre du groupe ? Quelque soit la réponse, le résultat du vide
législatif est clairement établi : il n’y a pas de sanctions pénales spécifiques aux abus de
biens, de crédit, de pouvoir ou de voix.

B- Le résultat du vide législatif répressif

273- Nul doute que l’application des deux principes susvisés de légalité et
d’interprétation stricte empêche normalement d’admettre l’existence de sanctions pénales
applicables aux abus précités s’ils sont perpétrés au sein du groupe de sociétés.
En effet, le principe de la légalité des peines et des délits ne peut permettre
d’incriminer un abus sans texte préétabli ; ce qui est le cas de l’édifice législatif de 2001
codifiant le droit du groupe où l’on relève le défaut total de texte répressif des abus de
biens et les autres cas assimilés.
Pareille lacune semble créer une situation juridique injuste, voire illogique (I). Elle
peut-être également la cause de plusieurs dangers (II).

I- L’illogisme du vide législatif répressif

274- À bien analyser le régime curatif des abus au sein du groupe de sociétés, on
peut relever plusieurs formes d’illogisme résultant de la codification lacunaire de 2001.
En premier lieu, si l’on compare la réglementation des abus des biens et les autres
cas assimilés dans le cadre de la société isolée, avec le vide législatif caractérisant en ce
domaine le droit écrit du groupe, on ne saurait qu’être frappé par l’illogisme de la
560
V. supra. n° 93 et s.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 126

codification. En effet, n’est-ce pas illogique et même injuste que des abus de biens ou de
crédit commis dans une société isolée ou lors de sa liquidation 561 soient fortement
sanctionnés, alors que les mêmes abus, perpétrés dans un groupe de sociétés, peuvent
bénéficier d’une certaine impunité si l’on applique strictement et uniquement les
dispositions légales de la réforme de 2001.

275- En second lieu, si l’on reste dans le cadre précis de la loi de 2001 on peut
facilement dévoiler une autre forme d’illogisme illustrée par le défaut total de répression
des abus qui normalement devraient être incriminés et le nombre assez important
d’infractions consacrées au non respect des règles préventives des abus. Ainsi, on peut
dégager de l’article 479 CSC au moins trois infractions 562 tendant à sanctionner la
violation des règles de publicité et d’information au sein du groupe de sociétés. Une telle
répression cadre mal avec le vide législatif relatif aux abus des biens et les autres cas
assimilés.

276- En troisième lieu, si l’on s’intéresse au régime répressif tel que prévu par
l’article 479 susvisé, on découvre une autre forme d’illogisme. En effet, vu l’importance
des comptes consolidés du groupe563, l’article précité réprime le défaut de mise à la
disposition des associés ou encore le défaut de publication des dits comptes 564 par une
amende de cinq milles dinars565. Il s’agit bien de l’incrimination d’un acte négatif ou
d’une omission. Quid alors de la publication ou encore de la mise à la disposition des
associés de comptes consolidés erronés, inexacts ou insuffisants, c'est-à-dire d’un acte
positif contraire à la réalité financière du groupe ? Un tel agissement, aussi grave soit-il,
ne semble pas retenir l’attention du législateur. Pourtant, une telle manœuvre peut induire
en erreur des centaines, voire des milliers d’associés 566. Il suffit de rappeler certains
scandales relatifs aux groupes de sociétés, tant au niveau national qu’international, pour
se rendre compte de l’importance d’un tel agissement.
Le cas BATAM est, en l’occurrence, très révélateur. En effet, les dirigeants de ce
groupe ont été accusés, avec la complicité du commissaire aux comptes, d’avoir publié
des états financiers consolidés non conformes à la réalité financière des sociétés
groupées567. Il semble qu’à présent ce groupe connaît d’énormes difficultés financières
imputables, entre autres, à la commission d’actes du genre précité. A coté de l’exemple
BATAM, on peut aussi évoquer la faillite du géant américain ENRON 568, le plus grand
courtier en pétrole du monde, suite à la publication d’états financiers erronés à la bourse
561
V. art. 51, 146, 158 et 223 CSC.
562
La première est relative à la violation de l’obligation d’information imposée en matière de participations réciproque, la
deuxième est relative à la violation des procédures de l’article 472 CSC et la troisième concerne le défaut de publicité de la
perte de la qualité de holding.
563
V. supra. n° 154 et s.
564
Cela est valable également pour le rapport de gestion du groupe.
565
Il ne faut pas oublier non plus l’aspect anodin de cette sanction. En effet, réprimer par une amende de 5000 dinars les
dirigeants de la société mère, dont le capital peut facilement atteindre des centaines de millions de dinars, relève de la pure
provocation. A vrai dire, il ne s’agit nullement d’une répression, mais plutôt d’un encouragement.
566
V. YAICH (A), De nouvelles pratiques pour renforcer la sécurité financière, Rev. Comp. et Fin., n° 62, 2003, p 21.
567
EL KOBBI (F), Restaurer la confiance des épargnants en les entreprises et les marchés financiers, Le temps, suppléments
économique, 13-01-2004, p 14.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 127

de Wall Street569. Qu’on se rappelle aussi les groupes WORLD COM et PARMALAT,
qui ont également chuté en raison de la publication d’états financiers consolidés
inexacts570 afin d’induire les épargnants en erreur571.
Il est donc légitime de s’interroger si, en l’absence d’un texte spécial au groupe, les
dirigeants de la société mère échappent à toute sanction en cas de publication d’états
financiers consolidés erronés. Nul doute que les dirigeants de la société mère ne seront
pas poursuivis sur la base de l’article 479 CSC ni en vertu des textes régissant les états
financiers d’une société isolée572, compte tenu du principe de l’interprétation stricte de la
loi pénale. Il est également regrettable que le législateur ne se soit pas inspiré de notre
législation relative au registre de commerce où tous les actes aussi bien négatifs que
positifs ont été incriminés573. Cependant, les dirigeants de la société mère peuvent être
poursuivis pour commission du délit d’escroquerie ; encore faut-il que les conditions de
ce délit soient réunies conformément aux dispositions de l’article 291 CP. Ce pourrait
être le cas si, par exemple, le dirigeant de la société mère use des comptes consolidés
erronés afin d’obtenir des fonds de son banquier. Cette attitude pourrait être qualifiée de
manœuvre frauduleuse constitutive du délit d’escroquerie surtout si les comptes en
question sont certifiés par un commissaire aux comptes574.

277- Quoiqu’il en soit, la répression relative aux instruments de prévention des


abus à laquelle s’oppose une absence inquiétante du droit pénal là où il devrait
normalement intervenir ne peut que laisser le juriste surpris de l’illogisme de certaines
règles juridiques. Cette surprise s’accentue lorsqu’on garde présents à l’esprit les dangers
d’un tel vide législatif.

II- Les dangers du vide législatif

278- Sans doute la question du vide législatif n’est pas une nouveauté, elle est
ancienne, puisqu’elle est le propre non seulement du défaut de règles écrites mais aussi
de l’existence même de toute codification. Cependant, un tel vide peut se transformer

568
SEVERIN (E), Les conséquences de la débâcle d’ENRON sur les métiers exercés par les banques, Banque, n° 655, 2004,
p 46. BEL HAJ (H), 2002 sera l’année ENRON, La presse de Tunisie, 20-2-2002, p 20.
569
Cette situation a poussé le législateur américain à promulguer la loi « Sarbanes Oxley » qui a crée un organisme de
supervision indépendant pour le contrôle de la qualité des travaux des commissaires aux comptes des entreprises faisant appel
public à l’épargne. V. THE ECONOMIST, 21-4-2005, p 73, “A price worth paying? America’s response to Enron and other
scandals was the Sarbane-Oxley law”.
Cette loi a inspiré le législateur français qui a promulgué la loi n° 2003-706 du 1-8-2003 sur la sécurité financière ayant pour
objectif la modernisation du contrôle des comptes et la garantie de la transparence. V. LIENHARD (A), La loi pour la
sécurité financière : quoi de neuf pour les sociétés ?, D., 2003, n° 29, p1996. EL KOBBI (F), art.pré., p 14.
570
En réalité, ce n’est pas la publication de comptes consolidés erronés qui a directement provoqué la chute des groupes
susvisés, c’est plutôt la découverte d’un tel agissement qui a été la source directe de la faillite de la plupart de ces groupes.
Pour s’en apercevoir, il suffit de rappeler qu’une telle situation porte certainement atteinte à la crédibilité du groupe de
sociétés et provoque inéluctablement la fuite des investisseurs et des créanciers essentiellement les banques.
571
Ibidem.
572
V. 223 CSC.
573
V. les articles 68 69 et 70 de la loi du 2 mai 1995 portant refonte du registre de commerce.
574
Dans ce cas, nul doute que le responsabilité des dirigeants s’ajoutera à celle du commissaire aux comptes.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 128

inévitablement en une grande anomalie, voire en une panoplie de dangers, des plus
graves, qui risquent de porter atteinte au fonctionnement du groupe.

279- Le premier danger apparaît notamment au cas où l’abus commis par les
dirigeants du groupe est si lourd de conséquences qu’il mérite nécessairement d’être
réprimé. Les laisser en dehors de toute poursuite pénale, c’est en réalité accorder une
prime à leur comportement illicite ou nuisible. Si l’on admet que le droit a pour bien
fondé l’idée de justice ou d’égalité des justiciables devant la loi, il ne semble pas
plausible de laisser échapper ces infracteurs à toute condamnation pénale, ne serait-ce
qu’à une peine d’amende.

280- Le second danger réside en ce que l’absence de toute répression des abus,
spécialement ceux portant atteinte aux biens ou au crédit des sociétés liées, peut donner
lieu à la fuite des associés ou de certains investisseurs qui, par peur de voir leurs
participations dilapidées ou ruinées, quittent le groupe ou refusent de réinvestir à son
profit. Cela peut-être aussi le cas des représentants de certaines filiales. Pareille peur
risque d’affaiblir toute politique d’épanouissement du groupe.

281- Un troisième danger peut être aussi relevé. En effet, si en droit jurisprudentiel
on tend vers l’admission de la possibilité d’appliquer aux abus commis au sein du groupe
les textes applicables aux abus commis au sein de la société isolée, on risque de laisser
plusieurs abus très graves en dehors de toute répression. Car, cette transposition possible
de textes inadaptés ne pourrait qu’engendrer des situations injustes et peut-être
scandaleuses575.

282- Toutefois, tous ces dangers ne doivent pas empêcher le juriste, malgré toutes
les critiques possibles, de réfléchir sur un éventuel recours aux règles du droit pénal des
sociétés commerciales, soit celles contenues dans le droit pénal des sociétés isolées, ou
celles beaucoup plus classiques du code pénal. Comment, dès lors, seront réprimés les
abus dans le cadre de ce pluralisme du droit pénal des sociétés commerciales qui pourrait
constituer une solution provisoire à la déficience du droit pénal des groupes ?

575
On peut dire que les textes applicables aux abus commis dans une société isolée sont inadaptés en matière de groupe de
sociétés, et-ce pour deux raisons au moins. D’une part les éléments constitutifs de l’infraction, tels que déterminés par l’un de
ces articles, peuvent être vérifiés à l’encontre du dirigeant d’une société du groupe. Ce denier sera, en principe, puni même
s’il a agi dans l’intérêt commun du groupe. Ce qui constitue une incrimination injustifiée, voire scandaleuse. D’autre part, si
on s’intéresse, par exemple, à l’article 223 CSC qui ne réprime que les membres du conseil d’administration de la société en
cause. Cet article se trouve, en principe, impuissant devant plusieurs abus commis dans les groupes de sociétés, pour la
simple raison que dans plusieurs cas ce sont les dirigeants du groupe, c'est-à-dire les dirigeants de la société mère qui vont
abuser des biens de la filiale et non pas les membres du conseil d’administration de cette dernière. Plus encore, l’article 223
précité ne réprime que les membres du conseil d’administration qui ont abusé des biens de la société « dans un dessein
personnel ou pour favoriser une autre société dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement ». Qu’en est-il
alors des membres du conseil d’administration qui abusent des biens de la société, non pas dans un dessein personnel mais,
plutôt, au profit des dirigeants de la société mère, de peur d’être révoqués de leurs fonctions ? Là encore, le dit article se
trouve complètement dépassé puisqu’il ne pourra aucunement atteindre les dirigeants de la société mère. V. Gauthier (T),
op.cit., p417, n°657.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 129

-§2 : La notion d’abus face au pluralisme du droit pénal


des sociétés
283- En l’absence de dispositions pénales expresses relatives aux abus dans le droit
du groupe, la tentation est grande pour essayer d’appliquer les règles répressives du droit
des sociétés commerciales isolées. Dans ce cadre bien précis, il semble a priori permis
d’appliquer en cas d’abus de biens et les cas assimilés soit les règles du code des sociétés
commerciales, notamment celles consacrées pour la société anonyme ou la société à
responsabilité limitée, soit celles réservés à certains abus par les textes répressifs
économiques, soit encore les règles du code pénal auxquelles ne cesse de recourir notre
jurisprudence. Ces différentes dispositions pénales constituent les manifestations du
pluralisme du droit pénal applicable aux abus perpétrés dans le groupe (A) et dont les
conséquences risquent d’être nuisibles aussi bien pour les dirigeants du groupe que pour
le groupe de sociétés lui-même (B).

A- Les manifestations du pluralisme juridique

284- Ces manifestations semblent très nombreuses pour la simple raison que le
droit pénal des sociétés commerciales puise ses règles dans plusieurs sources juridiques.
Tout d’abord, on doit citer certains textes répressifs à caractère économique qui semblent
s’appliquer parfaitement à certains abus perpétrés dans le groupe de sociétés. Tel est le
cas des articles 20 et 34 (nouveaux) de la loi n° 91-64 du 29 juillet 1991 relative à la
concurrence et aux prix576 qui répriment tout abus de position dominante d’une amende
dont le montant ne peut excéder 5% du chiffre d’affaire réalisé en Tunisie. De même, il
est tout à fait possible que les abus résultant de la violation des dispositions de l’article
474 CSC relatif aux opérations financières intragroupe soient réprimés sur la base de la
loi n°2001-65 du 10-7-2001 relative aux établissements bancaires 577. En effet, l’article
474 CSC, en autorisant les opérations financières intra groupe, a édicté une exception au
monopole bancaire prévu par l’article 14578 de la dite loi. Par conséquent, si les
conditions de l’autorisation sont transgressées, l’exception n’a plus lieu d’être. On
appliquera alors les dispositions du paragraphe premier de l’article 51 de la même loi 579
qui réprime d’un emprisonnement de trois mois à trois ans ainsi qu’une amende de 5000
à 15000 dinars toute violation des dispositions de l’article 14 précité.

576
Telle que modifiée par la loi n° 99-40 du 10-5-1999. V. supra. note n° 38.
577
V. JORT n° 55, 10-7-2001, p 1671.
578
L’article 14 dispose que « sans préjudice des dispositions de l’article premier de la présente loi, il est interdit à toute
personne non agréée en qualité d’établissement de crédit d’exercer, à titre habituel, les opérations bancaires… »
579
Le paragraphe premier de l’article 51 annonce que « est puni d’un emprisonnement de trois mois à trois ans et d’une
amende de 5000 à 50000 dinars, ou de l’une de ces deux peines seulement, toute infraction aux dispositions du paragraphe
premier de l’article 14 de la présente loi. La sanction est protée au double en cas de récidive ».

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 130

285- Ensuite, si l’on admet le recours aux dispositions pénales du CSC certaines
règles concernant à la fois les instruments préventifs des abus ainsi que les instruments
curatifs eux-mêmes peuvent être, sous quelques réserves, extrapolées au droit du groupe.
Dans cette optique, rien ne semble interdire d’appliquer, en vue d’éviter les abus,
les articles 263 et 271 du CSC relatifs au commissariat aux comptes. Ainsi, si le
commissaire aux comptes du groupe n’a pas été désigné par la société mère, on peut
considérer que la dite société a failli à sa mission de nommer obligatoirement un organe
fort important de contrôle et de prévention. Le non respect de cette obligation est
sanctionné par l’article 263 CSC qui condamne la société en tant qu’être moral à une
amende de 2000 dinars au moins et 20000 dinars au plus. C’est bien là un cas de
responsabilité pénale de la personne morale qui peut concerner les sociétés du groupe et
non point le groupe lui-même puisqu’il n’a pas de personnalité morale.
En revanche, si le commissaire aux comptes, désigné pour la vérification des
comptes consolidés, établit des rapports inexacts ou refuse de révéler des anomalies
graves au ministère public, il pourra être poursuivi en vertu de l’article 271 CSC qui
annonce, dans son paragraphe premier, qu’ « est puni d’un emprisonnement d’un an à
cinq ans et d’une amende de mille deux cents à cinq mille dinars ou de l’une de ces deux
peines seulement, tout commissaire aux comptes qui aura sciemment donné ou confirmé
des informations mensongères sur la situation de la société ou qui n’aura pas révélé au
procureur de la république les faits délictueux dont il aura eu connaissance ».
Il faut toutefois signaler que la mission préventive du commissaire aux comptes
risque d’être freinée par plusieurs obstacles. A ce propos, on ne peut qu’adhérer à la
proposition de prôner l’instauration d’un texte spécial relatif au délit d’entrave 580,
s’appliquant aussi bien pour les sociétés isolées que pour le groupe de sociétés 581.
D’autant plus qu’un tel délit a été prévu notamment dans l’article 56 582 de la loi n° 2001-
83 du 24-7-2001 relative à la promulgation du code des organismes de placement

580
En droit français, le délit d’entrave est prévu par l’article L. 820-4 CC.
‫ منش{{ورات مرك{{ز الدراس{{ات‬،2003 ‫ أفري{{ل‬12‫ و‬11 ‫ ي{{ومي‬،‫ دورة تكوينية حول مجل{{ة الش{{ركات التجاري{{ة‬،‫ مراقب الحسابات في الشركات التجارية‬،‫دربال فيصل‬
‫ كلي{{ة الحق{{وق و العل{{وم‬،‫ مذكرة لنيل ش{{هادة الدراس{{ات المعمق{{ة‬،‫ المسؤولية الجزائية لمراقب الحسابات‬،‫ الزين نجالء‬.267 ‫ ص‬،2004 ‫ تونس‬،‫القانونية والقضائية‬
.7‫ ص‬،1988 ،1 ‫ م ق ت ع{دد‬،‫ دوره ومس{ؤولياته وعالقت{ه بالنياب{ة العمومي{ة‬،‫ مراقب الحسابات في الشركات خفية االسم‬،‫ كريد بلقاسم‬.1998 ،‫السياسية بتونس‬
.2000 ،‫ كلية الحقوق و العلوم السياسية بتونس‬،‫ مذكرة لنيل شهادة الدراسات المعمقة‬،‫ حماية الشركة خفية االسم عن طريق مراقب الحسابات‬،‫العجوز حسناء‬
581
Cette proposition est également valable en matière d’expertise de gestion dans la mesure où elle pourrait contribuer à
faciliter la mission de l’expert de gestion. V. supra. n° 170. En droit français, les dirigeants risquent, en cas d’entrave de la
mission de l’expert de gestion, une amende et même l’emprisonnement. V. art. 458 de la loi n° 84-148 du 01-03-1984.
582
L’alinéa troisième de l’article 56 dispose que « est puni d’un emprisonnement de seize jours à cinq ans et d’une amende de
cinq cents à cinq milles dinars ou de l’une de ces deux peines seulement tout dirigeant du gestionnaire d’un organisme de
placement collectif ou du dépositaire de ses actifs et toute personne, dont la responsabilité est prouvée parmi ceux ayant
qualité pour représenter l’organisme, qui a sciemment mis obstacle à la vérification ou au contrôle du commissaire aux
comptes ou qui a refusé de lui communiquer les pièces utiles à l’exercice de sa mission et, notamment, tous les contrats, les
documents comptables et les registres de procès-verbaux. La peine est doublée en cas de récidive. »
.39 ‫ ص‬،2003 ،‫ كلية الحقوق و العلوم السياسية بتونس‬،‫ مذكرة لنيل شهادة الدراسات المعمقة‬،‫ جرائم العرقلة في الشركة خفية االسم‬،‫الطرابلسي زينب‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 131

collectif583 ainsi que dans l’article 84584 de la loi n° 94-117 du 14 novembre 1994 relative
à la réorganisation du marché financier585.

286- Par ailleurs, la question se pose de savoir si l’on peut recourir aux articles 146
et 223 CSC pour les appliquer aux abus commis dans le groupe de sociétés ?
A priori, rien ne semble interdire une telle possibilité à condition, bien sûr, que les
éléments constitutifs de l’infraction d’abus de biens sociaux et les cas assimilés soient
réunis.
Concernant les abus relatifs à la société à responsabilité limitée, l’article 146 CSC
punit d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 500 à 5000 dinars les
gérants qui, de mauvaise foi, ont fait des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix qui
étaient en leur possession un usage qu’ils savaient contraire à l’intérêt de la société, dans
un dessein personnel ou pour favoriser une autre société ou une autre entreprise dans
laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement.
Presque avec les mêmes termes les alinéas 3 et 4 de l’article 223 sanctionnent les
membres du conseil d’administration de la société anonyme en cas d’abus des biens, du
crédit, des pouvoirs ou des voix.
En s’appuyant sur ces deux articles, on peut soutenir que les dirigeants de la société
mère ou encore ceux des sociétés filiales 587 peuvent être poursuivis pour les abus
586

précités, si, bien entendu, les conditions de l’infraction commise se trouvent établies à
leur encontre588.

287- Il s’ensuit que les conventions intragroupe, telles que réglementées par les
articles 474 et 475 CSC, peuvent donner lieu à une poursuite pour abus de biens sociaux
si une double série de conditions se trouvent réunies. La première tient à ce que les
conditions de l’autorisation de l’opération ont été transgressées. La seconde a trait à la
preuve de l’établissement de toutes les conditions de l’abus telles que consacrées par les
articles 146 ou 223 susvisés.
Il est vrai que la question de la preuve peut ne pas poser de graves problèmes
lorsque la poursuite pénale est dirigée contre un membre du conseil d’administration ou
contre un gérant d’une société isolée. Mais, lorsqu’il s’agit du groupe de sociétés une
telle preuve ne semble pas facile à établir notamment en ce qui concerne les éléments
constitutifs de l’abus. En effet, les dirigeants du groupe peuvent toujours se dissimuler
derrière la condition de la qualité que doit remplir l’accusé pour échapper bel et bien à
583
V. JORT n° 59, 24-7-2001, p 1790.
584
L’article 84 dispose que « sera puni d’un emprisonnement de seize jours à six mois et d’une amende de 500 à 2000
dinars, ou de l’une des deux peines seulement, toute personne qui aura sciemment mis obstacle aux enquêteurs chargés des
investigations, lors de l’exécution de leur mission ». Pareille infraction gagnerait à être étendue au profit du commissaire aux
comptes.
‫ المعه{د األعلى‬،2005-4-16 ‫ ص{فاقس في‬،‫ ملتقى جه{وي ح{ول الس{وق المالي{ة و الحماي{ة القض{ائية‬،‫ مجال تدخل القضاء في حماية السوق المالي{ة‬،‫الضاوي صالح‬
.1 ‫ ص‬،‫ وزارة العدل و حقوق اإلنسان‬،‫للقضاء‬
585
V. JORT, n° 90, 15 novembre 1994, p 1850.
586
La société mère ayant toujours la forme d’une société anonyme (V. art. 462 CSC), ses dirigeants seront poursuivis, le cas
échéant, sur la base de l’article 223 CSC.
587
Si la filiale a la forme d’une SA ou d’une SARL.
588
V. art . 146 CSC pour la SARL, 158 CSC pour la SUARL et 223 CSC pour la SA.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 132

toute poursuite. De même, il peuvent toujours soutenir, pour éluder toute responsabilité
pénale, qu’ils ont agi, certes non pas dans l’intérêt de la société affiliée, mais plutôt dans
l’intérêt commun du groupe. Or, la réalisation de cet intérêt commun peut mettre en
échec la preuve de l’élément intentionnel de l’infraction d’abus.

288- Dans tous ces cas, le juge pénal sera tenté, vu l’inadaptation de la notion
d’abus telle que conçue pour la société isolée, de recourir aux confins du droit pénal
classique, notamment pour appliquer l’abus de confiance prévu par l’article 297 CP 589.
Pour plusieurs raisons, le recourt à l’abus de confiance semble être, pour le juge
pénal tunisien, la solution la plus proche des mécanismes de fonctionnement des sociétés
commerciales isolées ou groupées.
On peut, tout d’abord, rappeler une raison d’origine historique qui se résume en ce
que l’abus de confiance a précédé la naissance de l’abus de biens sociaux. On peut même
dire que l’application inadaptée de l’abus de confiance aux sociétés commerciales a
précipité l’apparition de l’abus de biens sociaux. D’où le sentiment affectif du retour à la
source qui explique le recours de notre juge pénal aux dispositions classiques de l’abus.

La deuxième raison semble tenir au fait que ce même juge, relevant de la


magistrature debout ou assise, semble beaucoup plus formé dans l’école classique du
droit pénal plutôt qu’en droit pénal économique ou plus précisément en droit pénal des
sociétés. D’où sa préférence d’appliquer le premier aux dépens du second, notamment
lorsqu’il s’agit d’opter pour l’une ou l’autre des qualifications pénales en concours.

Par ailleurs, on peut ajouter une troisième raison qui consiste à dire que le contrat
de mandat prévu par l’article 297 CP comme condition préalable à l’application de l’abus
de confiance semble faciliter la tache au juge pénal de considérer les dirigeants des
sociétés isolées et même ceux du groupe comme étant mandataires et, partant, soumis
presque ipso facto à l’emprise de cette infraction chaque fois qu’ils gèrent de manière
malveillante les biens sociaux.

289- Peut-être, enfin, que notre juge, comme on a tendance à le dire au palais de
justice de Tunis, est beaucoup plus répressif qu’indulgent. Or, le recours à l’article 297
précité permet facilement une répression sévère pour la simple raison qu’il comprend à la
fois des délits et des crimes.
Ainsi, on peut affirmer que le pluralisme caractérisant le droit pénal des sociétés
applicables aux abus est un fait évident qui ne va pas sans engendrer de multiples
conséquences à la fois juridiques et pratiques.

B- Les conséquences du pluralisme juridique


290- De prime abord, il faut signaler que le juge pénal, saisi d’une affaire portant
sur un abus de biens sociaux, peut se trouver devant un dilemme. S’il condamne les
589
A propos de la teneur de l’article 297 CP, V. supra. n° 131.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 133

dirigeants du groupe pour la simple raison que les conditions de l’abus sont remplies,
notamment celle relative à l’atteinte à l’intérêt social telle qu’exigée par les articles 146
ou 223 CSC, le risque est qu’une telle condamnation notamment à la peine privative de
liberté peut porter préjudice non seulement au dirigeant agissant dans l’intérêt du groupe
mais encore au groupe lui-même qui n’a aucun intérêt à perdre des responsables de ce
genre. Dès lors, une telle sanction ne parait nullement compatible avec l’impératif de
promotion du groupe de sociétés.
Par contre, si le tribunal pénal considère que l’agissement du dirigeant, bien que
remplissant tous les éléments constitutifs de l’abus de biens sociaux, n’est pas
préjudiciable au groupe parce qu’il a été effectué dans l’intérêt de toutes les sociétés
liées, il pourra l’exonérer de toute responsabilité pénale. D’autant plus qu’un tel dirigeant
pourra toujours bénéficier de la présomption de bonne foi vu que l’infraction de l’abus,
prévue par les articles susvisés, est nécessairement intentionnelle 590. Mais ce jugement de
non lieu, s’il est motivé par la notion de l’intérêt commun, sera exposé à la critique pour
violation des principes les plus sacro-saints du droit pénal à savoir, le principe de la
légalité ou celui de l’interprétation stricte des textes pénaux 591.
Que faire alors ? Doit-on accepter la violation des articles pénaux relatifs aux abus
au nom de l’intérêt commun du groupe ? Ou doit-on sacrifier cet intérêt pour sauver les
principes juridiques précités ?

291- Partisan de l’école classique et habitué depuis longtemps à appliquer, en


matière des sociétés commerciales, les règles du code pénal de 1913, notre juge sera
enclin, pour surmonter tout dilemme, à recourir aux règles classiques relatives à l’abus de
confiance ou à l’escroquerie. D’ailleurs, pour les sociétés commerciales isolées, la
jurisprudence tunisienne592 continue constamment à qualifier les agissements reprochés
590
M. Léauté explique le non lieu des prévenus par le défaut de l’élément moral exigé en cas d’abus de biens sociaux.
Examinant, d’abord, la situation des dirigeants des sociétés dominées, M. Léauté estime que leur relaxe s’impose puisqu’ils
ont été « obligés en raison…de la dépendance économique de leur société, d’ordonner les sacrifices à leur société dans
l’intérêt général du groupe ». Pour cet auteur, il s’agit « d’opter entre deux maux, un sacrifice au détriment de la société
liée…ou bien le sacrifice de sa propre situation professionnelle. L’obéissance des ordres venus d’en haut est d’autant moins
une infraction dans cet état de nécessité, que le prévenu peut avoir la conviction de l’utilité finale du sacrifice demandé.
Toutes les données du problème ne lui sont pas connues : il est en droit de supposer que les maîtres de la décision agissent
dans l’intérêt commun ». Puis, analysant la situation des dirigeants de la société dominante, ceux qui ordonnent les sacrifices,
M. Léauté estime que l’élément moral du délit fait également défaut dans la mesure où « personne ne commet d’infraction en
accomplissant seulement ce qui est permis par la loi, la jurisprudence, voire par la coutume. Or, le fait que le droit positif
admette la liberté des groupes…autorise les dirigeants à donner leurs ordres dans la perspective de l’intérêt du groupe ». IN,
La reconnaissance de la notion de groupe en droit pénal des affaires, JCP, 1973, doc., p255. D’autres auteurs ont évoqué,
d’une part, la contrainte « n’est pas responsable la personne qui a agit sous l’emprise d’une force ou d’une contrainte à
laquelle elle n’a pu résister », et, d’autre part, l’ordre de la loi « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit
un acte... autorisé par des dispositions législatives » (122-2 CP), ou encore l’état de nécessité (danger actuel ou imminent, V.
art.122-7 CP). V. MEDINA (A), op.cit., p164. D’autres auteurs évoquent le fait que l’intérêt du groupe exclut l’intérêt
personnel, direct ou indirect, des dirigeants. Ainsi, il fait disparaître une partie de l’élément intentionnel du délit (le dol
spécial).
591
« Admettre l’intérêt du groupe en tant que fait justificatif des abus, en dehors de toute base légale, est contraire aux
principes qui gouvernent le droit pénal, tel que celui de la légalité des délits et son corollaire le principe de l’interprétation
strict de la loi pénale ». V. MEDINA (A), op.cit., p162.

،1992 ،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،1990-6-21 ‫ م{ؤرخ في‬،35246 ‫ ع{دد‬،.‫ج‬.‫تع‬.‫ ق‬.146 ‫ ص‬،1993 ،.‫ج‬.‫ قس‬،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1993-11-12 ‫ مؤرخ في‬،53508 ‫ عدد‬،.‫ج‬.‫تع‬.‫ ق‬592
.13 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،.‫م‬.‫ غ‬،2003-7-18 ‫ مؤرخ في‬،45257 ‫ عدد‬،.‫ج‬.‫تع‬.‫ ق‬.209 ‫ ص‬،1996 ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1996-4-24 ‫ مؤرخ في‬،74184 ‫ عدد‬،.‫ج‬.‫تع‬.‫ ق‬.93 ‫ص‬

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 134

aux dirigeants des sociétés anonymes ou à responsabilité limitée à la fois d’abus de biens
sociaux et d’abus de confiance en se targuant des règles du cumul telles qu’organisées par
les articles 54, 55 et 56 du code pénal. Dans cette direction, la sanction pénale que
pourrait encourir le dirigeant du groupe serait celle d’un crime punissable de dix ans
d’emprisonnement en application des dispositions de l’article 297 CP. Car ce dirigeant
sera toujours considéré comme étant mandataire de droit ou de fait du groupe de sociétés,
sachant que le contrat de mandat constitue d’après ce texte pénal, une circonstance
aggravante de l’abus de confiance qui de simple délit devient qualifié de crime.

292- Comme on peut le constater, le pluralisme des sources du droit pénal des
sociétés donne lieu à des qualifications graves et multiples des abus qui peuvent ne pas
encourager les dirigeants du groupe à plus d’initiative et d’intéressement 593.
Certes, il existe quelques décisions qui tendent à atténuer la responsabilité pénale
des dirigeants des sociétés commerciales en appliquant la règle de l’article 534 COC qui
donne le primat au texte spécial aux dépens du texte général 594. Mais, ces décisions ne
semblent pas constituer une jurisprudence bien établie. Elles ont besoin du renfort des
chambres réunies de la cour de cassation 595. Il faut toutefois signaler que même dans cette
optique, la règle de la prévalence du texte pénal spécial n’est pas d’un grand secours pour
les abus commis dans les groupes de sociétés pour la simple raison que même les articles
147, 158 ou 223 CSC demeurent inadaptés à ce genre d’abus. Seule une intervention
législative pourrait mettre à l’écart une telle inadaptation. Cette intervention est d’autant
plus impérieuse et urgente dans la mesure où la dite inadaptation pourra exhorter, le juge
pénal, notamment au niveau du ministère public, à recourir aux qualifications du droit
pénal classique essentiellement à l’escroquerie ou à l’abus de confiance. C’est d’ailleurs
ce qu’il ne cesse de faire dans le cadre de la société à responsabilité limitée ou encore la
société anonyme isolée596 ; a fortiori il le fera dans le cadre du groupe de sociétés, là où il
n’y a aucun texte pénal spécial aux abus des biens et les cas assimilés.

293- Par ailleurs, et pour dévoiler encore plus l’inadaptation des sanctions pénales
applicables aux abus dans le groupe de sociétés, il convient de préciser que lorsque
plusieurs dirigeants dans le groupe sont poursuivis pour abus de biens sociaux, rien
n’empêchera le juge pénal d’opter pour une solution plurale, des plus bizarre qu’on peut
résumer en ces termes :
- Pour les dirigeants de la société mère, qui ne peut être qu’une société anonyme, il
appliquera l’article 223 CSC.
- Pour les dirigeants d’une filiale sous forme de SARL, il aura à appliquer l’article
146 CSC.

593
Si on prend l’exemple des sanctions graves relatives à la responsabilité pénale du liquidateur (art. 49 à 52 CSC), il semble
qu’en ce domaine il y a une tendance à fuir les liquidations de la part des experts aptes à être désignés.
،.‫ج‬.‫ ق‬.11 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،.‫م‬.‫ غ‬،1997-3-25 ‫ مؤرخ في‬،83831 ‫ عدد‬،.‫ج‬.‫تع‬.‫ ق‬.12 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،.‫م‬.‫ غ‬،2000-4-14 ‫ مؤرخ في‬،3650 ‫ عدد‬،.‫ج‬.‫تع‬.‫ ق‬594
.14 ‫ ملحق عدد‬.‫ أ‬،.‫م‬.‫ غ‬،1994-5-17 ‫ مؤرخ في‬،1755 ‫ عدد‬،‫ بالمنستير‬.‫ اس‬.‫مح‬
595
V. BEN AMMOU (N), thèse pré., n° 155, p 75.
.592 ‫ الهامش عدد‬،‫ القرارات سابقة الذكر‬.‫ أ‬596

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 135

- Pour le dirigeant d’une filiale sous forme de SUARL, l’article 158 CSC semble
applicable.
- Et enfin, si la filiale est une société de personnes comme, par exemple, une société
en nom collectif ou en commandite simple, ses gérants seront poursuivis sur la
base de l’article 297 CP à défaut de texte pénal spécial597.
Pareille solution, constituée de mosaïque de textes répressifs, prouve bel et bien
l’inadaptation des textes pénaux relatifs à la société isolée. Le droit pénal du groupe
semble avoir besoin, plus que jamais, de textes pénaux spéciaux qui tiennent compte de
toutes les spécificités des sociétés liées, notamment le contrôle et l’intérêt commun du
groupe. Certes, on aurait pu ne faire aucune proposition de codification si le législateur
n’a pas du tout codifié le droit des groupes. Mais en s’engagent dans la codification, la loi
de 2001 n’aurait pas dû s’arrêter à mi chemin. Surtout que, depuis quelques années, la
question des abus de biens et de crédit sociaux ne cesse de faire couler beaucoup d’encre
et d’occuper la une des chroniques juridiques et économiques.

Conclusion de la deuxième partie

294- La détermination du régime juridique spécifique à la notion d’abus dans le


groupe de sociétés est certainement « un contrat » difficile.
En effet, c’est le régime juridique, tant préventif que curatif, qui permettra en fin de
compte de répondre à l’une des questions qui ne cesse de se poser tout au long de cette
deuxième partie, à savoir dans quelle mesure le régime juridique de la notion d’abus
permet-il d’éviter et de sanctionner tous les abus possibles dans le groupe de sociétés ?

295- Il semble que l’inefficacité du régime préventif et la dépénalisation au niveau


du régime curatif permettent de conclure, en dehors de toute exagération, que le régime
juridique de la notion d’abus est tantôt peu efficace, tantôt dépourvu de toute efficacité de
sorte qu’il parait à biens des égards s’éloigner des fins escomptées, à savoir la
transparence598, l’éviction des abus, la dissuasion des responsables ainsi que la sécurité
des partenaires du groupe essentiellement les actionnaires minoritaires et les créanciers.

597
Les sociétés de personnes sont réglementées par les articles 54 à 89 CSC. Parmi ces textes, il n’y a aucun article répressif
des abus. A défaut de texte pénal spécial, le recours au droit pénal général, à savoir l’article 297 CP est inéluctable.
598
La transparence est définie, du point de vue intellectuel, comme étant « la qualité d’un corps qui laisse paraître la réalité
toute entière, de ce qui exprime la vérité sans l’altérer ». BREDIN (J-D), Remarques sur la transparence, RJ Com., n°
spécial, novembre 1993, p 175. De même la notion de « transparence a une telle force d’évocation métaphorique que son
seul prononcé apaise les esprits et fait naître la confiance auprès des sujets de droit. Quand on songe à celle-ci, on imagine,
en effet, la transparence de l’eau profonde et de l’onde ou encore la transparence du diamant et du cristal ! On ne peut donc
associer à cette notion que des vertus ; la transparence c’est la vérité, la limpidité, la pureté ». VIGNAL (N), La
transparence en droit privé des contrats, Presses universitaires d’Aix-Marseille, n° 7, 1998, p 17.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Le régime juridique de la notion d’abus dans le groupe de sociétés 136

296- À vrai dire, il semble que le législateur, indécis entre l’impératif de promotion
du groupe de sociétés et celui de contrôle et de protection des différents partenaires du
groupe, n’a opté ni pour l’un ni pour l’autre. Il a plutôt choisi de consacrer les deux à la
fois. En effet, la déficience des sanctions pénales traduit sans aucun doute la volonté de
promouvoir le groupe de sociétés tandis que la pluralité des mesures préventives et
l’agrégat de sanctions civiles décrivent la recherche d’un contrôle et d’une protection
nécessaires pour corroborer la confiance des investisseurs dans le groupe de sociétés.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Conclusion générale 137

Conclusion générale

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Conclusion générale 138

297- En guise de conclusion, il est encore tôt pour porter un jugement de valeur à
propos de la réglementation des groupes de sociétés notamment en ce qui concerne celle
relative à la notion d’abus. Une loi ne peut être évaluée qu’après une dizaine d’années
au moins de son entrée en vigueur, et-ce pour donner tant à la doctrine qu’à la
jurisprudence le temps nécessaire pour la « digérer » puis dégager sa juste valeur en la
décriant ou bien, au contraire, en la félicitant.
Il n’empêche que la loi de 2001, malgré son « jeune âge », permet de dégager, au
niveau de l’encadrement juridique de la notion d’abus, les prémisses d’un problème
aussi bien d’adaptation que d’efficacité.

298- S’agissant de l’inadaptation de la notion d’abus, elle est due, comme on


vient de le voir, au primat accordé à l’intérêt social au détriment de l’intérêt commun du
groupe. Ce qui risque d’aboutir à une notion d’abus étriquée et difficilement
contournable donnant lieu à des retombées négatives sur le régime juridique de ses
composantes.
Une telle prééminence de l’intérêt social prouve incontestablement la volonté
législative de continuer à privilégier l’impératif de contrôle et de protection sur celui de
promotion du groupe de sociétés. D’où la présence « gênante » et perturbatrice des
concepts de la société isolée dans la mouvance du phénomène de la concentration des
entreprises. Il n’en demeure pas moins que le souci légitime de protéger les intérêts
« hors groupe » ne doit pas aboutir à contrecarrer un tel phénomène. Ceci est d’autant
plus vrai, que la plupart des sociétés concentrées et fonctionnant dans le cadre d’un
groupe ne sont pas toujours menacées par ce dernier. Parfois même elles en profitent de
façon excessive.

299- Quant à l’inefficacité de certains éléments du régime juridique, elle est


essentiellement due à l’absence de sanctions pénales propres au groupe de sociétés pour
« prévenir et limiter les abus d’autant plus que le cercle des victimes ne cesse de
s’élargir : créanciers (fournisseurs, sous-traitants, épargnants, employés, CNSS, fisc…)
mais aussi les associés et la société, personne morale et dans une large part l’intérêt
très général de l’économie nationale, à un moment où le pays est affronté à la rude
concurrence du commerce international et en même temps à la nécessité d’adapter ses
structures économiques pour faire face à ses engagements à l’égard des pays étrangers
notamment de la zone Europe et la méditerranée599 ».

599
BELHAJ HAMOUDA (A), art.pré., p 30.
Il convient de rappeler que, dans le même article, M. le professeur BELHAJ HAMOUDA s’est posé la question
suivante « que vient faire le droit pénal jugé statique et passablement inadapté à la vie des affaires dans une branche
d’activité dominée par l’esprit d’initiative, la liberté d’action, l’amour du risque, l’audace et le dynamisme dans la gestion
des affaires. Pourquoi cette mainmise, cette surveillance étroite du monde des affaires par des armes fournies par le droit
pénal ? Pourquoi ce flot montant en droit des sociétés souvent critiqué par les commercialistes mais aussi dans les rangs
des criminalistes eux-mêmes ? ». La réponse est simple. D’après M. BELHAJ HAMOUDA, le droit pénal est indispensable
pour prévenir les abus mais surtout pour assurer « l’effectivité du dispositif mis pour garantir une plus grande
transparence dans le cadre un groupe de sociétés ». Ibidem, p 56.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Conclusion générale 139

Cette inefficacité aura à exhorter, semble-t-il, notre juge à chercher des sanctions
pénales dans le droit commun des sociétés isolées, ce qui risque d’aboutir à
l’application d’un régime répressif altéré et inadapté 600. Car un tel régime a été
échafaudé pour un environnement bien déterminé qui n’est autre que celui des sociétés
isolées guidées par leurs intérêts sociaux. Cet environnement est sans aucun doute
complètement différent de celui du groupe de sociétés caractérisé par le contrôle exercé
par la société mère et l’existence d’un intérêt commun à toutes les sociétés contrôlées.

300- Cela ne signifie nullement que la loi du groupe de sociétés doit


nécessairement comporter des textes pénaux propres à tous les abus susceptibles d’être
commis. Une telle proposition est de nature à neutraliser toute initiative
d’investissement dans le groupe de sociétés. Il ne faut pas non plus qu’une telle loi soit
dépourvue de toute sanction pénale spéciale.
Ni l’une ni l’autre de ces solutions ne devrait prévaloir. Il faudrait plutôt opter
pour une solution de « juste milieu ». En effet, si les sanctions pénales spéciales ne sont
pas nécessaires en cas d’abus de majorité, d’abus de la personnalité morale ou même
d’abus de position dominante, il n’en va pas de même s’il s’agit d’abus de biens sociaux
qui porte atteinte à l’intérêt commun du groupe et par ricochet aux intérêts des
actionnaires minoritaires et des créanciers sociaux. Dans un cas pareil, une
incrimination propre au groupe de sociétés semble s’imposer 601. Il ne faut pas non plus
opter pour des sanctions pénales privatives de liberté, Car comme l’a excellemment
souligné le protagoniste de l’école de la nouvelle défense sociale 602 « vingt quatre
heures de prison suffisent, dans certaines circonstances, pour détruire toute une

‫ إال انه و رغم هته المخاطر فان القانون الجنائي كان البد له من دخول المي{{دان االقتص{ادي كوس{{يلة وقاي{{ة من س{{لبيات النش{{اط المض{ر و ك{{رادع للتج{{اوزات‬..."
،‫ يعق{وب محم{ود داوود‬."‫خاصة و أن االعتقاد السائد كان يرى أن الحماية التي توفرها ف{روع الق{انون األخ{رى كالق{انون الم{دني ذات م{ردود اجتم{اعي ض{عيف‬
‫ رب{{اح‬18. ‫ ص‬،2000 ،‫ الجمهورية العربية السورية‬،‫ األوائل‬،‫ دراسة مقارنة بين القوانين العربية والقانون الفرنسي‬،‫المسؤولية في القانون الجنائي االقتصادي‬
32.‫ ص‬،1990 ،‫ منشورات بحسون الثقافية‬،‫ الطبعة األولى‬،‫ قانون العقوبات االقتصادية‬،‫غسان‬

De même, note maître de conférence M. LOUED (M-N) s’est intéressé à l’intrusion du droit pénal en matière économique
en disant qu’« une question mérite toutefois d’être soulevée : est-il toujours opportun de recourir systématiquement au
droit pénal pour assurer le maintien de l’ordre public économique ? Pour certains, cela ne parait pas toujours évident et
jugent de ce fait, excessive l’incursion du droit pénal dans l’activité économique car « les sanctions pénales constituent,
selon LAGARDE (G), des procédés archaïques et mal adaptés au rôle que doivent jouer les sociétés dans l’économie du
pays. Il faudrait, ajoute-t-il, tout de même changer d’optique et admettre que les sociétés ne sont pas faites uniquement
pour alimenter la section financière du parquet ». Le doyen HAMEL adopte un point de vue un peu moins catégorique
lorsqu’il se demande « si l’emploi judicieux des sanctions pénales sévères et bien appliquées ne serait pas préférable à
une réglementation minutieuse et tatillonne qui paralyse si souvent l’initiative des hommes d’action ». Et il préconise une
distinction entre les agissements frauduleux qui seraient punissables pénalement et les imprudences ou les négligences
pour lesquelles des dommages-intérêts civils seraient suffisants. Certains ont même exprimé leur préférence pour « la
tolérance d’une habile immoralité à l’inquiétude de la suspicion, que chacun se défende, disent-ils avec les armes civiles et
commerciales, sans faire intervenir l’appareil, toujours effrayant, du droit pénal ». Mais quant les armes ne sont plus
égales, lorsque sont en danger les tiers et les épargnants, le recours à la sanction pénale ne devient-il pas nécessaire ? ».
IN, Le particularisme du droit pénal économique ou l’altération des principes classiques du droit répressif, Cour polycopié,
Master en droit des affaires, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 2004, p 7 et 8.
600
V. supra. n° 267 et s.
601
JOLY-BAUMGARTNER et JOLY (E), op.cit., p 123. OHL (D), Le délit délit d’abus de biens sociaux, Revue Juridique
du Centre Ouest, 1997, p 69.
30.‫ ص‬، 1984 ،‫ دار النهضة العربية‬،‫ شرح قانون العقوبات اللبناني‬،‫ بخوص تعريف حركة الدفاع االجتماعي انظر حسني محمود نجيب‬602
V. LOUED (M-N), cour précité, p 57.

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Conclusion générale 140

existence603 ». D’autant plus qu’il s’agit du monde des affaires où la liberté du


commerce ainsi que l’esprit d’initiative « font toujours la loi ». Il faudrait plutôt prôner
des sanctions pécuniaires, et si besoin est, assez lourdes 604, susceptibles de jouer un rôle
aussi bien dissuasif que répressif. Le législateur de 2000 n’a-t-il déjà pas aboli la peine
privative de liberté dans le cadre de l’article 186 CSC concernant la société anonyme ne
faisant pas appel public à l’épargne605 ?

301- De façon générale, il est clair que le législateur a essayé, autant que faire se
peut, de rapprocher les deux impératifs en présence, à savoir celui de promotion et celui
de protection. Mais, il ne semble pas avoir réalisé les équilibres nécessaires à établir
entre ces deux impératifs surtout qu’assez souvent, notamment en ce qui concerne le
fondement de la notion d’abus, il est resté fidèle à des concepts classiques qui ne
paraissent plus s’adapter avec les exigences de promotion du droit du groupe et du
groupe lui-même.

302- En définitive, malgré son imperfection et les divers problèmes qu’elle


soulève, la loi de 2001, peut être approuvée, car elle a eu, à tout le moins, le mérite
incontestable de proposer des solutions là où il n’y avait rien. Les solutions qu’elle
présente sont peut être critiquables, mais il n’en demeure pas moins que la dite loi a
permis au droit tunisien de s’adapter à la réalité économique du monde des affaires. Il
va sans dire qu’une réforme à moyen et même à long terme serait toujours « la bien
venue ». On ne peut dès lors que recommander vivement la désignation d’une
commission rassemblant aussi bien des juristes que des économistes et même « des
hommes de terrain » dans le but d’apporter à la notion d’abus dans le groupe de sociétés
les correctifs ou les adjonctions nécessaires. Car, si le législateur a déjà parcouru un bon
chemin en codifiant le droit du groupe, par le présent travail on a essayé de démontrer,
tant soit peu, qu’il y a encore un chemin à parcourir.

603
ANCEL (M), ِChronique de défense sociale, Revue de science criminelle, 1955, p 562.
604
Contrairement à la sanction de l’article 479 CSC : cinq milles dinars est une sanction infime surtout pour les dirigeants
d’un groupe de sociétés.
605
Le dernier paragraphe de l’article 186 CSC dispose que « lorsque la société ne fait pas appel public à l’épargne, la
peine encourue est limitée à l’amende ».

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Conclusion générale 141

PREMIERE PARTIE...............................................................................................................................16
La détermination de la notion d’abus dans le groupe de sociétés.........................................................16
Chapitre premier : la détermination de la notion d’abus à travers le critère de contrôle.....................17
Chapitre deuxième : La détermination de la notion d’abus à travers l’intérêt commun du groupe......17
Chapitre premier :...................................................................................................................................18
La détermination de la notion d’abus à travers le critère de contrôle.....................................................18
Section première :...............................................................................................................................19
Le critère de contrôle et la détermination de la notion d’abus en droit de la concurrence.................19
-§1 : le critère de contrôle, facteur exclusif de la notion d’abus.....................................................20
A- le concours de volontés............................................................................................................20
B- l’autonomie des parties à l’entente...........................................................................................22
-§2 : le critère de contrôle, facteur réceptif de la notion d’abus.....................................................24
A- Le contrôle, facteur réceptif de l’abus de position dominante..................................................24
B- Le contrôle, facteur réceptif de l’abus de dépendance économique..........................................27
Section deuxième :..............................................................................................................................29
Le critère de contrôle et la détermination de la notion d’abus de la personnalité morale..................29
-§1 : Le contrôle, source de fictivité...............................................................................................30
-§2 : Le contrôle, source de confusion de patrimoines...................................................................33
Chapitre deuxième :................................................................................................................................37
La détermination de la notion d’abus à travers l’intérêt commun du groupe.........................................37
Section première :...............................................................................................................................38
La détermination de la notion d’abus par l’atteinte à l’intérêt commun du groupe...........................38
-§1 : Essai de définition de l’intérêt commun du groupe................................................................38
A- L’apport doctrinal......................................................................................................................39
B- L’appréhension jurisprudentielle...............................................................................................42
-§2 : L’atteinte à l’intérêt commun : fondement de la détermination de la notion d’abus.............44
A- Les raisons du choix de l’atteinte à l’intérêt commun...............................................................44
B- Le choix jurisprudentiel de l’atteinte à l’intérêt commun.........................................................47
Section deuxième :..............................................................................................................................50
La détermination de la notion d’abus en cas de conflit entre l’intérêt social et l’intérêt commun du
groupe.................................................................................................................................................50
-§1 : La prévalence de l’intérêt social dans la détermination de la notion d’abus..........................51
A- La prévalence de l’intérêt social dans la détermination de l’abus de majorité.....................52
B- La prévalence de l’intérêt social dans la détermination de l’abus de biens sociaux..................57
-§2 : Les dangers de la prévalence de l’intérêt social.....................................................................61
A- Les dangers médiats..................................................................................................................61
B- Les dangers immédiats.........................................................................................................67
Conclusion de la première partie........................................................................................................69
DEUXIEME PARTIE :...........................................................................................................................70
Le régime spécifique à la notion d’abus dans le groupe de sociétés......................................................70
Chapitre premier : Un régime préventif spécifique à la notion d’abus.................................................71
Chapitre deuxième : Un régime curatif spécifique à la notion d’abus...................................................71
Chapitre premier : Un régime préventif spécifique à la notion d’abus...................................................72
Section première : La prévention de l’abus par l’information............................................................72
-§1 : L’étendue de l’information.....................................................................................................73
A- Le rapport de gestion du groupe...............................................................................................73
B- Les comptes consolidés du groupe............................................................................................75
-§2 : Le contrôle de l’information..................................................................................................78
A- le contrôle de l’information par le commissaire aux comptes...................................................78
B- le contrôle de l’information par l’expert de gestion..................................................................81

La notion d’abus dans le groupe de sociétés


Conclusion générale 142

Section deuxième : La prévention de l’abus par l’atteinte au principe de la liberté contractuelle.....84


§1- : L’atteinte à la liberté contractuelle par la réglementation des participations réciproques.....84
A- les raisons de l’atteinte à la liberté contractuelle......................................................................85
B- L’efficacité de l’atteinte à la liberté contractuelle.....................................................................86
-§2 : L’atteinte à la liberté contractuelle par la réglementation des conventions intra groupe.......89
A- Le domaine de l’atteinte à la liberté contractuelle.....................................................................89
B- La mesure de l’atteinte à la liberté contractuelle.......................................................................91
I- Au niveau des opérations financières..........................................................................................91
II- Au niveau des conventions entre sociétés ayant les mêmes dirigeants.....................................93
Chapitre deuxième : Un régime curatif spécifique à la notion d’abus...................................................97
Section première : Agrégat de sanctions civiles.................................................................................97
§1- Les sanctions civiles en rapport avec la procédure collective..................................................98
I- La mise en œuvre de l’extension de la procédure collective......................................................99
a- La qualité pour agir.....................................................................................................................99
b- Le tribunal compétent...............................................................................................................101
a- L’ouverture d’une procédure unique........................................................................................103
b- La constitution d’un patrimoine unique...................................................................................104
I- Les dirigeants visés par l’extension de la faillite......................................................................106
II- Les faits à reprocher aux dirigeants.........................................................................................107
§2- Les sanctions civiles sans rapport avec la procédure collective...........................................110
I- Les conditions de mise en œuvre de l’action sociale................................................................113
II- Les effets de l’action sociale....................................................................................................116
Section deuxième : Déficience des sanctions pénales......................................................................123
-§1 : La notion d’abus face au vide législatif répressif.................................................................123
A- Le pourquoi du vide législatif..................................................................................................123
B- Le résultat du vide législatif répressif......................................................................................125
-§2 : La notion d’abus face au pluralisme du droit pénal des sociétés.........................................128
A- Les manifestations du pluralisme juridique.............................................................................129
Conclusion de la deuxième partie.....................................................................................................135
Conclusion générale.............................................................................................................................136

La notion d’abus dans le groupe de sociétés

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