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Publications de l'École française

de Rome

Une grande fortune foncière aux Xe-XIIIe siècles : les biens du


monastère d'Iviron
Jacques Lefort

Résumé
En retraçant l'histoire de la fortune foncière du monastère d'Iviron au Mont Athos depuis la fin du Xe s. jusqu'à la fin du XIIIe s.,
on examine l'évolution des rapports entre le monastère et l'État d'une part, le monastère et les paysans d'autre part. La
substitution d'une économie domaniale à une économie communale s'est accompagnée d'un changement de statut de la
paysannerie (généralisation du statut de parèque). Ces changements sont étroitement liés à l'évolution de la politique fiscale et
financière de l'État.

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Lefort Jacques. Une grande fortune foncière aux Xe-XIIIe siècles : les biens du monastère d'Iviron. In: Structures féodales et
féodalisme dans l'Occident méditerranéen (Xe-XIIIe siècles). Bilan et perspectives de recherches. Actes du Colloque de Rome
(10-13 octobre 1978) Rome : École Française de Rome, 1980. pp. 727-742. (Publications de l'École française de Rome, 44);

https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1980_act_44_1_1254

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JACQUES LEFORT

UNE GRANDE FORTUNE FONCIÈRE AUX Xe-XIIIe S.


LES BIENS DU MONASTÈRE D'IVIRON

S'il n'est plus nécessaire de montrer que la société byzantine n'est pas
devenue une société féodale entre le Xe et le XIIIe siècles, bien qu'elle soit
liée à une économie rurale comparable à celle de l'Occident, il resterait à
décrire l'évolution de cette société, qui reste obscure sur bien des points.
Dans l'étude de cette évolution, les lentes transformations du système
financier et fiscal de l'Empire tiendraient une place centrale : du fait de la
nature des sources tout d'abord ; ensuite parce que ce que l'on a décrit en
termes de féodalité, la pronoia par exemple, est avant tout une institution
fiscale qui s'inscrit dans une histoire de la fiscalité; enfin parce que ces
transformations témoignent de changements dans la société rurale,
changements auxquels l'État a tenté de s'adapter. On ne fera ici que suggérer ces
transformations en évoquant un exemple : l'histoire d'une grande fortune
foncière entre le Xe et le XIIIe siècles, celle du monastère d'Iviron au Mont
Athos, et en tentant de montrer ce qui évolue dans les rapports entre un
grand propriétaire, les paysans et l'État
L'exemple choisi se justifie aisément : les archives d'Iviron, dont
l'édition est en préparation, sont particulièrement riches en documents fiscaux
qui décrivent périodiquement les biens du monastère. On sait que le
monastère, dédié à la Vierge, fut fondé en 979/80 par deux nobles
géorgiens, Jean l'Ibère et Jean Tornik, qui venait de s'illustrer dans la répression
d'une révolte fomentée contre l'empereur Basile IL En récompense de ses
services, Tornik avait reçu de l'empereur, outre une part de butin, le titre
de syncelle et d'importantes donations. Il mit dès lors son influence et ses
richesses au service du nouveau monastère. Celui-ci avait été installé dans
un ancien monastère de la côte Nord-Est de l'Athos, qui avait été aussitôt
rénové et agrandi, et qu'on appela bientôt la laure des Ibères, ou Iviron1.

1 Sur la fondation du monastère d'Iviron, cf. P. Lemerle, A. Guillou et N. Svoronos,


Archives de l'Athos V, Actes de Lavra I, Paris, 1970, p. 42-43; Denise Papachryssanthou, Archives
de l'Athos VU, dans Actes du Prôtaton, p. 83-85.
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Nous nous attacherons ici à décrire trois états successifs de la fortune


foncière d'Iviron hors de l'Athos, au milieu du XIe siècle, au début du XIIe
siècle et à la fin du XIIIe siècle, en examinant les conditions dans lesquelles
cette fortune s'est constituée puis développée, et ce que l'on sait de la
situation des paysans qui la mettent en valeur et du rôle de l'État dans les
affaires du monastère.

I - Le milieu du xi« siècle

1) Le domaine d'Iviron.

Grâce, en particulier, à un document fiscal inédit d'août 1047, dans


lequel un recenseur, Andronic, fixe les impositions portant sur les biens
détenus par Iviron, on peut estimer la superficie de ces biens à environ
4500 ha, répartis de la façon suivante2 .
Vallée du Strymon : 800 ha
Environs de Thessalonique : 100 ha
Chalcidique occidentale : 2100 ha
Chalcidique orientale : 1300 ha
Kassandra et Longos : 200 ha

Soit une vingtaine de domaines, de 200 ha chacun en moyenne, souvent


d'un seul tenant, comportant terre arable, pâture, terre montagneuse ou
boisée. Ces domaines ont des capacités agricoles très diverses: les plus
favorisés sont dans les plaines fertiles de Chalcidique occidentale et dans la
vallée du Strymon; ailleurs les terres incultes, pâture ou maquis,
l'emportent souvent sur la terre arable. Ces domaines sont probablement
inégalement mis en valeur, mais nous n'avons que peu d'informations à ce sujet
jusqu'au milieu du XIe siècle.
Pour l'essentiel, cette fortune résulte d'une donation impériale qui date
de la fondation du monastère : les biens du monastère de Kolobou, situé
dans le kastron d'Hiérissos près de l'Athos3. Le document de 1047 nous

2 Cette estimation repose sur l'indication de la superficie de certains domaines dans les
documents fiscaux inédits de 1047 et de 1104, et sur l'évaluation que nous avons faite de la
superficie des autres domaines d'après leur délimitation dans ces documents : elle ne vise qu'à
fixer un ordre de grandeur.
3 Cette donation est mentionnée dans un acte d'Iviron de 1059, édité par F. Dölger, Ein
Fall slavischer Einsiedlung im Hinterland von Thessalonike im 10. Jahrhundert, dans Sitzungsbe-
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apprend que la fortune foncière de Kolobou résultait de la réunion des


biens de plusieurs monastères de la région : les biens propres de Kolobou,
monastère dédié au Prodrome, fondé peu avant 883, provenaient en grande
partie de terres du fisc, vendues ou données au monastère par l'empereur :
plusieurs centaines d'ha en Chalcidique orientale4; Kolobou avait acquis
plusieurs biens dans la vallée du Strymon, parmi lesquels le domaine de
Mélintziani, acquisitions qui sont à l'origine de la politique d'expansion
d'Iviron dans cette région. Le monastère de Léontia à Thessalonique, dédié
lui aussi au Prodrome, avait été fondé peu avant le milieu du Xe siècle par
des parents de l'empereur Constantin VII, lequel avait conféré des
privilèges au monastère en 945-465. La fondation déclina, semble- t-il, rapidement,
et le monastère de Léontia fut uni à Kolobou avant 9756. Ses biens
comprenaient une vingtaine de champs ou de vignes autour d'une église ou
d'un petit monastère dans les environs de Thessalonique - visiblement des
donations privées - et des domaines plus importants en Chalcidique
occidentale et à Kassandra. On connaît l'origine de l'un de ces domaines :
Abbakoum, mentionné en 975 parmi les biens de Léontia, était un ancien
monastère dont les biens avaient été unis à ceux de ce monastère. On sait
peu de choses sur ce monastère d' Abbakoum, dédié à la Vierge et situé à
Kassandra. Il était peut-être plus ancien que Léontia. Ses biens, très
importants, comprenaient, outre des terres à Kassandra, un immense domaine en
Chalcidique occidentale, Léontaria - sans doute des terres en friche cédées
par le fisc au monastère - et plusieurs domaines en Chalcidique orientale.
Le monastère de la Vierge à Polygyros en Chalcidique avait été fondé avant
le milieu du Xe siècle par un puissant laïc, le prôtospathaire Dèmètrios
Ptéléôtès. On sait par son testament7 que, détenant par héritage le tiers du
domaine, immense, de Polygyros, il avait résolu de racheter le reste du
domaine et d'y fonder un monastère dont le premier higoumène serait -
son fils? - Jean Ptéléôtès. Il dota en outre ce monastère de deux domaines
qui lui appartenaient en Chalcidique occidentale. L'empereur Constan-

richte der Bayer. Akad. der Wissen., Philol.-histor. Klasse, 1952, Heft 1 (cité par la suite : Ein
Fall).
4 Cf. Actes du Prôtaton, p. 36-40, 56.
5 Cf. Ein Fall.
6 C'est ce qui ressort d'un acte d'Iviron de 975, édité dans Grègorios ho Palamas, 1, 1917,
p. 787-788 (cité Greg. Pai).
7 Le testament de Dèmètrios Ptéléôtès est partiellement inséré dans un acte d'Iviron
inédit de 996.
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tin VII conféra des privilèges au monastère, mais celui-ci ne conserva son
autonomie que peu de temps : il devint une dépendance de Kolobou avant
9758.
Les acquisitions faites par Iviron entre 980 et 1047 sont elles aussi, pour
l'essentiel, des biens monastiques: le monastère patriarcal de Spèlaiôtou,
qui existait en 9429 et dont les biens étaient dans la région d'Hiérissos, fut
uni à Iviron avant 1047. Avant 1031 Iviron avait acquis le monastère de
Mélissourgion près d'Hiérissos10, le monastère de Génésè au Sud du Mont
Pangée et un domaine voisin, Dobrobikeia, qu'Iviron avait acheté au fisc11.
Mais au total la part des achats et celle des donations privées sont
faibles dans la constitution de la fortune du monastère d'Iviron. L'essentiel
provient de la donation au monastère de biens déjà monastiques, et surtout
des biens de Kolobou.
Le regroupement des biens monastiques au profit d'institutions
financièrement puissantes, comme Kolobou puis Iviron, répondait toujours à la
même intention : l'empereur ou le patriarche confiaient, sous une forme ou
sous une autre, aux monastères les plus riches le soin des monastères les
plus pauvres, pour favoriser le relèvement de ces derniers et la remise en
valeur de leurs domaines. En effet, la plupart de ces monastères, fondés soit
par des moines soit par des laïcs soucieux d'assurer le salut de leur âme ou
de mieux garantir à leur héritier la jouissance de leurs biens12, n'ont pas
toujours été capables de faire face à l'insécurité, aux mauvaises récoltes ou
à une mauvaise gestion, malgré l'importance des privilèges impériaux dont
ils bénéficiaient souvent. Beaucoup étaient au bord de la ruine moins d'une
génération après leur fondation.
Mais le regroupement des terres monastiques présentait pour l'État un
autre avantage : il pouvait richement doter un monastère nouvellement
fondé, comme Iviron, sans retirer au fisc un seul arpent de terre, en lui
faisant don des biens d'un monastère en déclin. En effet, si la terre en friche
dévolue au fisc avait été abondante jusqu'au début du Xe siècle, époque à

8 Cf. Grég. Pal. et Iviron inédit de 996.


9 Cf. Actes du Prôtaton, n° 4.
10 Cf. Ein Fall. Ce bien, comme les suivants, fut confisqué en 1031 et fut restitué au
monastère vers 1035.
11 Mention de l'achat dans le document de 1104.
12 Sur les fondations monastiques au Xe siècle, cf. P. Lemerle, Esquisse pour une histoire
agraire de Byzance, dans Revue Historique, 219, 1958, II, p. 280-284; au XIe siècle, J. Darrouzès,
Le mouvement des fondations monastiques au XIe siècle, dans Travaux et Mémoires, 6, p. 157-
176.
LES BIENS DU MONASTÈRE DTVIRON 73 1

laquelle le fisc vendait à bas prix d'importantes quantités de terre en


Macédoine, il n'en était plus de même à la fin du Xe siècle13, pour des
raisons qui restent à étudier. Il semble que la remise en valeur des terres
cultivables était alors un fait général en Macédoine et que l'État, qui jusque
là avait volontiers confié cette remise en valeur à l'initiative privée,
entreprit lui-même de contrôler l'exploitation d'une importante partie des terres
du fisc.
On sait encore peu de choses, au milieu du XIe siècle, sur la gestion des
biens d'Iviron. On devine cependant que les principes de gestion étaient
déjà ce qu'ils ont été pendant longtemps : sur les domaines les plus
importants le monastère délégait un économe qui résidait dans une grande ferme
monastique (métoque)14. L'exploitation de la partie cultivée du domaine
était pour une faible part directe et la plus grande partie était divisée en
petites exploitations familiales.

2) Iviron et les paysans.

Les paysans de Macédoine vivent alors groupés en villages (chôria)


ouverts, de taille médiocre, 20 à 100 feux, ou dans de petites villes fortifiées
(kastra), plus rarement dans des fermes isolées (agridia). Les documents
fiscaux montrent qu'il existe alors une grande diversité de statuts parmi lés
paysans. En schématisant, on distingue : les petits propriétaires des
communes rurales, soumis, dans un système de responsabilité collective, à l'impôt
foncier (dèmosion) et à divers impôts annexes. Les parèques, c'est-à-dire des
paysans installés sur une terre par l'autorité publique ou par un grand
propriétaire. Les parèques du fisc, qui ont reçu une terre du fisc, sont
soumis à une redevance et à des charges en services qui sont dues au fisc.
Les parèques des domaines privés, dont la redevance est due au maître de
la terre, sont en principe soumis également à des charges dues au fisc, mais
ils peuvent en être exemptés.
La différence de statut entre les petits propriétaires et les parèques
était en principe importante : les parèques n'étaient pas propriétaires de la
terre qu'ils exploitaient, ils ne pouvaient pas la quitter librement et leurs

13 Cf. Actes du Prôtaton, n° 2; Actes de Lavra I, n° 2 et 3; J. Bompaire, Archives de


l'Athos III, dans Actes de Xèropotamou, Paris, 1964, n° 1 (doublement du prix de vente de la
terre du fisc en 956).
14 Mention de l'économe de Kolobou en 1017; des économes de Saint-Etienne et de
Mélintziani en 1085 (inédits d'Iviron).
732 HORS DE L'OCCIDENT

obligations étaient plus lourdes que celles des petits propriétaires. Mais en
fait les parèques étaient maîtres de la terre qui leur était allouée, la
limitation de leur liberté était dans bien des cas théorique et il n'est pas
certain que la situation économique des parèques ait toujours été inférieure
à celle des petits propriétaires15.
A la suite de diverses donations impériales, Iviron avait reçu le droit
d'accueillir sur ses domaines un total de 246 familles de paysans exemptés
de toute charge fiscale; on sait par plusieurs documents que le monastère
veillait à ce que le nombre de ses parèques atteignît réellement ce total16.
Lorsque l'empereur «donnait» des parèques, il en spécifiait toujours le
nombre, et mettait la condition que ces parèques ne devaient pas être des
parèques du fisc. Cette limite de nombre et cette condition visaient
probablement à modérer l'appel de main d'œuvre que pouvait créer l'exemption
de charges sur un domaine privilégié, et en particulier à empêcher des
parèques du fisc d'abandonner les terres d'État qu'ils exploitaient. Ces
précautions visaient peut-être aussi à retenir sur le territoire des communes
rurales les petits propriétaires qui, par manque de terre par exemple,
pouvaient eux aussi avoir intérêt à s'installer sur un domaine.
Ces communes rurales sont bien attestées au milieu du XIe siècle dans
le dossier d'Iviron, en particulier comme voisins des biens du monastère17,
mais l'institution y paraît menacée. Les habitants de ces communes tiennent
leurs archives, vont en justice, gagnent souvent des procès, gèrent des biens
communaux, plantent des vignes. Mais ils manquent de terre. A la suite,
probablement, de catastrophes qui avaient entraîné le départ des paysans,
une importante partie de leurs terres avait été laissée en friche, acquise par
le fisc et souvent cédée à des monastères au début du Xe siècle. A la fin du
Xe siècle, on voit les habitants de ces communes - par exemple ceux
d'Hiérissos ou de Sidèrokavsia en Chalcidique orientale - exiger par tous
les moyens que le monastère de Kolobou, puis celui d'Iviron, leur vendent
ou leur louent d'importantes quantités de terre18. On a le sentiment que ces
communes étaient asphyxiées par les domaines qui les entouraient ou les

15 Sur le statut des divers types de parèques au Xe siècle, cf. P. Lemerle, Esquisse.. ., dans
Revue Historique, 220, 1959, III, p. 77-94.
16 D'après Greg. Pal.; Ein Fall; F. Dölger, Aus den Schatzkammern des Heiligen Berges,
Munich, 1943, n° 56; Iviron inédits de 996 et 1061.
17 On notera que dans le document de 1047, communes et domaines figurent comme
voisins d'Iviron un nombre de fois comparable: 10 communes et 13 domaines.
18 Iviron inédits de 957, de 982 et de 995.
LES BIENS DU MONASTÈRE D'IVIRON 733

pénétraient, et qu'à terme bien des petits propriétaires n'ont eu d'autre


choix que d'entrer comme parèques sur un domaine.

3) Iviron et l'État

L'omniprésence de l'État, au milieu du XIe siècle, n'a pas à être


soulignée. C'est l'empereur qui a donné à Iviron la plus grande partie de ses
biens, qui lui a accordé parèques et exemptions de charges fiscales. Comme
tout propriétaire, Iviron paie l'impôt foncier pour les biens qu'il détient,
mais depuis le milieu du XIe siècle l'empereur fait don chaque année au
monastère de 60 pièces d'or qui lui permettent d'acquitter l'impôt sans
bourse délier19. Les juges et recenseurs de l'administration provinciale
délimitent ses terres, les mesurent, les imposent, dressent des listes
nominales de ses parèques20, arbitrent les conflits entre le monastère et ses
voisins.
Entre les faibles et les puissants, ou si l'on veut entre les communes et
les domaines, l'État tente de maintenir la balance égale. Tout se passe
comme si l'État était pris entre deux exigences contradictoires : percevoir
l'impôt, qui pèse dans la pratique surtout sur les faibles, et donc protéger
les communes rurales contre les empiétements des puissants; manifester en
revanche sans cesse sa générosité auprès des puissants, ce qui risque
d'affaiblir les communes rurales.
Mais au milieu du XIe siècle il semble que l'équilibre, difficile à
maintenir, entre faibles et puissants était déjà rompu au bénéfice des
seconds. C'est toute la politique fiscale, fondée sur la commune rurale des
petits propriétaires contribuables, et la politique financière de l'État qui est
en train de changer. Déjà il semble que la caisse de l'État qui perçoit l'impôt
foncier (génikon) a moins d'importance que celle qui perçoit les redevances
des terres du fisc (oikeiaka)21 . A l'arrière-plan de ces lentes transformations,
on trouve probablement, dans un Empire où la sécurité est plus réelle
qu'aux siècles précédents, un accroissement démographique, observable à
long terme, et la remise en valeur des terres abandonnées, soit à l'initiative

19 Chrysobulle de Constantin IX Monomaque inséré dans un chrysobulle de Constantin X,


de 1065, éd. F. Dölger, Paraspora, Ettal, 1961, p. 328-330.
20 Listes nominales de parèques dans Iviron inédit de 1061.
21 Cf. N. Oikonomidès, L'évolution de l'organisation administrative de l'Empire byzantin au
XIe siècle, dans Travaux et Mémoires, 6, 1976, p. 135-138.
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du fisc, soit à celle des monastères. Peu à peu des villages de parèques, au
centre des domaines, se substituent aux anciens villages de petits
propriétaires, au centre des territoires communaux.

II - Le début du xiie siècle

1) Le domaine d'Iviron.
Dans le troisième quart du XIe siècle le monastère d'Iviron traverse une
crise dont il n'est pas sûr qu'elle lui soit propre : il est possible que la crise
financière qui affecte alors l'État s'accompagne dans les provinces d'une
désorganisation administrative. En tout cas, on voit alors le monastère bien
souvent victime des empiétements de ses voisins, qui s'emparent de ses
terres ou de ses parèques, parfois avec l'accord des fonctionnaires locaux,
parfois par la violence. Justice est finalement rendue au monastère, mais
après bien des déboires. En 1059, l'higoumène d'Iviron demande au juge de
Thessalonique de vérifier au vu des documents qu'il présente le nombre
total de parèques auxquels le monastère a droit: comme l'higoumène le
supposait, Iviron en détenait en réalité moins. Dans les années suivantes le
monastère tente de recouvrer les parèques qui lui ont été abusivement
soustraits22. Dans les mêmes années à Ézoba, dans la vallée du Strymon,
l'évêque a tenté de se faire reconnaître par des fonctionnaires du fisc la
propriété d'un bien qui appartenait à Iviron. Les juges ayant hésité à
donner raison à l'évêque, les habitants du kastron d'Ézoba - ils étaient
semble-t-il du parti de l'évêque - ont vendangé les vignes d'Iviron, détruit
quinze maisons des parèques du monastère et tué trois d'entre eux. Iviron
porta plainte une fois de plus et un juge lui restitua le bien en 1062. On
pourrait citer d'autres exemples d'usurpation de biens d'Iviron à cette
époque - à Mélintziani dans la vallée du Strymon par exemple23 - et
rappeler comment l'higoumène du monastère de Lavra et d'autres moines
de l'Athos, dont semble-t-il le prôtos, n'hésitèrent pas à commettre un faux
pour tenter d'obtenir d'un juge qu'il leur reconnaisse la propriété du
monastère de Mélissourgion24.

22 Iviron inédit de 1061.


23 Iviron inédit de 1071.
24 Iviron inédits de 1056 et 1063.
LES BIENS DU MONASTÈRE D'IVIRON 735

L'empereur Nicéphone Botaniate, qui avait été auparavant duc de


Thessalonique, connaissait bien, pour s'en être alors occupé, les difficultés
auxquelles le monastère avait eu à faire face25. En 1079, dans le chrysobulle
qu'il délivre en faveur d'Iviron26, il fait allusion à la situation malsaine du
monastère et de ses biens et même aux menaces qui ont pesé sur son
autonomie. L'empereur rétablit une dotation (solemnion) de 4 livres et
16 pièces d'or, qui avait été supprimée, confère au monastère le privilège
de n'avoir affaire, en justice, qu'au duc de Thessalonique car les autres
fonctionnaires portent tort à Iviron du fait que ses moines sont «d'une
autre langue», et accorde enfin au monastère l'exemption de toute charge
fiscale sur ses biens.
Mais le fait important, dans l'histoire de la fortune foncière d'Iviron, est
la confiscation d'une importante partie de ses domaines à la fin du XIe
siècle27. Il semble que la confiscation s'est effectuée en deux temps, d'abord
avant 1095 (peut-être même avant 1086), puis avant 1101. Au total 1300 ha
environ furent confisqués, surtout en Chalcidique occidentale28. Après la
confiscation, les biens d'Iviron comptaient environ 3200 ha, qu'on peut
répartir ainsi :
Vallée du Strymon : 800 ha inchangé
Environs de Thessalonique : 100 ha inchangé
Chalcidique occidentale : 900 ha - 1200
Chalcidique orientale : 1400 ha +100
Kassandra et Longos : 0 ha - 200

II semble que le prétexte de la confiscation - non pas la cause, sur


laquelle nous reviendrons - fut le suivant : on évalua la quantité de terre à
laquelle le monastère avait droit en fonction de l'ancien impôt fixé en 1047
dans le document fiscal dont nous avons parlé et d'un nouveau taux
d'imposition, plus élevé que l'ancien, cette augmentation du taux
d'imposition étant l'effet d'une politique fiscale qui visait à augmenter les revenus de
l'État. En vertu de ce procédé surprenant, Iviron n'avait plus droit qu'à une
partie des terres que le monastère détenait jusque là, le reste étant
confisqué, bien que le droit de propriété d'Iviron sur ces biens ait été
incontestable.

25 Cf. Iviron inédit de 1061.


26 Schatzkammer, n° 35.
27 Cette confiscation est mentionnée par trois documents fiscaux de 1086 (?), avant 1095 et
1104.
28 Notons particulièrement la confiscation de deux immenses domaines en Chalcidique
occidentale, Polygyros et Léontaria
736 HORS DE L'OCCIDENT

Ces pertes territoriales furent en partie compensées par une


importante donation privée: la donation, en 1103, du domaine de Radolibos au
Sud-Ouest du Mont Pangée, bien légué à Iviron par la nonne Marie, veuve
d'un familier du monastère, le curopalate Symbatios Pakourianos, soit 122
familles de parèques et plus de 650 ha de terre arable.
D'après les documents conservés qui sont relatifs à cette donation29, on
comprend qu'il faut distinguer, à la fin du XIe siècle à l'intérieur du
territoire de Radolibos, le domaine des Pakourianoi, qui en occupe la plus
grande partie, et les biens de la commune, qui semblent peu importants, la
commune ne comptant que treize petits contribuables. A partir de 1098, en
vertu d'une ordonnance impériale, la nonne Marie perçoit, outre les
redevances de ses parèques, les impôts dus jusque là à l'État par les membres de
la commune : 9,5 pièces d'or, ce qui est peu. Mais l'important est qu'après
cette affectation des impôts de la commune à la nonne Marie, l'État n'avait
plus aucun intérêt fiscal à Radolibos et que le village dépendait désormais
entièrement, à un titre ou à un autre, d'un puissant, la nonne Marie, puis
Iviron. Sans doute, pour la seule raison qu'ils paient l'impôt à un particulier,
les treize membres de la commune ne deviennent-ils pas, pour autant, des
parèques. Mais il est probable - il n'est pas possible de le prouver dans ce
cas précis - qu'eux-mêmes ou leurs descendants sont devenus par la suite
des parèques d'Iviron, et l'ordonnance de 1098 peut être considérée comme
l'acte de décès de la commune de Radolibos. Au XIIe siècle en tout cas, les
différences entre les anciens membres des communes et les anciens
parèques des domaines s'estompent; il semble bien que la plupart des paysans
sont alors considérés comme des parèques; les distinctions, si nettes au Xe
siècle, entre divers statuts parmi les paysans, n'ayant plus de sens, n'ont
plus cours.

2) Les parèques d'Iviron.


Des documents fiscaux de 1103 et 1104 nous font connaître, pour le
début du XIIe siècle, le nombre des parèques d'Iviron: 294 familles, soit
plus qu'au milieu du XIe siècle sur un territoire moindre : les biens d'Iviron
semblent donc, en moyenne, plus ou mieux cultivés qu'auparavant.

29 Testament de Symbatios Pakourianos (1090), éd. Orthodoxia, 5, 1930, p. 613-618;


Testament de Kalè Pakourianè = la nonne Marie, (1098), Orthodoxia, 6, 1931, p. 346-371; document
fiscal établi par Nicétas Anzas (1098), Schatzkammer, n° 65; document fiscal inédit de 1103; liste
des champs de Radolibos (vers 1103), inédit.
LES BIENS DU MONASTÈRE D'IVIRON 737

Notons la précision croissante avec laquelle les documents fiscaux


décrivent les tenures paysannes : d'après la documentation conservée,
jusqu'au milieu du XIe siècle, les listes de parèques établies par les recenseurs
se bornent à enregistrer le nom du chef de famille et le nombre total de
feux de parèques relevant d'un domaine ou appartenant à un bénéficiaire.
Or dans les documents de 1103 et 1104, selon un usage attesté en 1073
déjà30, ces listes sont plus développées: on indique aussi quels sont les
parents du chef de famille qui résident sur les lots et on répartit les
parèques en catégories fiscales selon la force de travail dont ils disposent :
2 bœufs, 1 bœuf, 1 âne, ou aucun animal de trait. Les documents relatifs à
la cession de Radolibos à Iviron nous apprennent aussi - pour la première
fois - quelle est la superficie des lots attribués aux parèques. Il apparaît
que cette superficie est fonction de la force de travail et qu'elle est, dans
tous les cas, modeste : 5 ha pour un parèque qui dispose de deux bœufs, par
exemple31.

3) Iviron et l'État.
Le contrôle du fisc sur les domaines du monastère et sur ses parèques
est donc, au début du XIIe siècle, plus étroit et plus précis qu'auparavant.
Mais insensiblement ce contrôle change de signification. Dès la seconde
moitié du XIIe siècle, il est clair que le rôle de l'administration fiscale est
moins de fixer l'impôt portant sur une terre et de lever cet impôt au profit
de l'État que d'asseoir territorialement une rente qui doit être directement
versée par les paysans à ceux qui servent l'État, selon une ancienne
pratique qui se généralise alors. Sous Alexis Ier, cette étape n'est pas
franchie, mais il semble que les innovations vont dans ce sens.
La notion d'impôt, par exemple, semble parfois moins nette qu'à
l'époque précédente, peut-être parce que pour l'État le revenu de l'impôt foncier
est désormais moins important que celui des redevances des parèques
installés sur les domaines du fisc. Comme on l'a vu à propos de la
confiscation de biens d'Iviron, l'impôt foncier n'est plus fonction de la terre
détenue, mais, au contraire, la terre qui est attribuée est fonction de l'impôt
qui est dû: l'impôt foncier est, dans ce cas du moins, considéré comme
signe de la propriété plutôt que comme somme de pièces d'or à verser. Par
ailleurs, la distinction, nette auparavant, entre impôt et redevance, tend à

30 F. Miklosich et J. Müller, Acta et diplomata graeca medii aevi, VI, p. 6-15.


31 Nous reviendrons ailleurs sur cette importante question.
738 HORS DE L'OCCIDENT

s'estomper, dès lors que les recenseurs, en répartissant les parèques en


classes fiscales, fiscalisent leurs redevances.
Ces changements, qui sont difficiles à décrire parce que le vocabulaire
fiscal, lui, ne change pas, témoignent de la substitution progressive des
domaines aux communes rurales et de premières tentatives pour
réorganiser sur une autre base les finances de l'Empire. Ils éclairent aussi un
phénomène surprenant, la création de ce qu'on a appelé des «apanages» en
Macédoine sous Alexis Ier, création qui avait été la cause véritable des
confiscations.
On sait qu'Alexis Ier affecta à certains proches parents, dès le début de
son règne, le revenu de l'impôt et celui des biens du fisc dans de vastes
territoires32. Les archives d'Iviron complètent nos informations sur de
nombreux points : les domaines récemment confisqués à Iviron furent en
grande partie cédés aux apanages : le sébastocrator Isaac, frère d'Alexis, le
césar Nicéphore Mélissènos, le prôtesébaste Jean Doukas, beau-frère
d'Alexis, et peut-être Adrien, autre frère d'Alexis. Ces apanages, que l'on
considère comme associés au pouvoir impérial, exercent à ce titre la justice
et dirigent l'administration provinciale qui est passée à leur service. En 1085
par exemple, c'est auprès du césar Nicéphore Mélissènos que l'évêque
d'Ézoba porte plainte contre Iviron; le tribunal se réunit en présence du
césar, qui confie le soin de juger l'affaire à des fonctionnaires de l'État - l'un
d'eux est juge de l'Hippodrome - qui se disent les «hommes» du césar. En
1086 (?) c'est l'intendant des domaines d'Isaac qui met Iviron en possession
des biens qui lui reviennent après la confiscation33. Pourtant l'État
n'abandonne pas ses droits dans la région. Les intendants des apanages qui
délimitent les biens de leurs maîtres entrent en conflit avec les recenseurs
de l'État chargés de délimiter les biens d'Iviron en Macédoine. Le tribunal
impérial décide que Jean Doukas et Nicéphore Mélissènos occupent sans
droit des terres du fisc et qu'ils doivent les restituer34.
Plus que de grands domaines, moins que des principautés, ces apanages
forment des enchevêtrements de droits fiscaux, de domaines et de pouvoirs
d'État, au bénéfice de certains membres d'une famille, celle des Commène,
qui, comme l'écrit en substance Zonaras, considère l'État comme un bien
familial35. L'institution de ces apanages, regardés par les contemporains

32 Cf. Hélène Ahrweiler, Byzance et la mer, p. 213-214.


33 Iviron inédits de 1085 et 1086 (?).
34 Iviron inédits de 1095 et 1 104.
35 Cf. P. Lemerle, Cinq études sur le XIe siècle byzantin, Paris, 1977, p. 298-299.
LES BIENS DU MONASTÈRE DTVIRON 739

comme un fait inquiétant par les dimensions qu'il prenait, fut un expédient :
le moyen pour Alexis Ier, dans une situation militaire et financière difficile,
de s'assurer ou de récompenser des fidélités. A l'arrière-plan de cette
politique, on trouve non pas une soudaine féodalisation de l'Empire
d'Orient, mais plutôt cette conception, que nous avons vu s'affirmer peu à
peu, de l'Empire comme juxtaposition de domaines produisant des revenus
que l'on peut distribuer.

III - La fin du xiip siècle

Faute de documents, on sait peu de choses sur le monastère d'Iviron au


XIIe siècle et durant l'occupation latine, c'est-à-dire pendant un siècle et
demi. Le petit nombre de documents du XIIe siècle dans les archives de
l'Athos ne peut être l'effet du hasard : il témoigne sans doute d'une
désorganisation de l'administration provinciale sous les Comnène, mais ceci n'est
encore qu'une hypothèse. Quoi qu'il en soit, on peut à nouveau décrire la
situation du monastère lorsque la documentation redevient abondante, sous
les règnes de Michel VIII et d'Andronic II Paléologue.

1) Le domaine d'Iviron.
Le préambule du chrysobulle délivré par Michel VIII à Iviron en 1259
expose que le monastère est au bord de la ruine36; des pirates italiens l'ont
pillé et ont dispersé ses chrysobulles. Les moines ont prié l'empereur de
confirmer leurs droits sur le peu de biens qui leur reste. Mais, si le
chrysobulle de Nicéphore Botaniate de 1079 nous a semblé faire allusion à
une crise réelle, on sera ici plus sceptique. Car la liste des biens que le
monastère possède effectivement en 1259 montre que, malgré quelques
abandons, la fortune foncière du monastère est alors à peu près ce qu'elle
était au début du XIIe siècle : manquent quelques domaines en Chalcidique
orientale, peut-être 800 ha37. La liste enregistre une acquisition récente : le

36 Éd. F. Dölger, Paraspora, p. 435438.


37 Perte du domaine de Libyzda (252 ha). Pour la région d'Hiérissos, la comparaison entre
les biens détenus en 1086 et ceux détenus en 1259 est difficile: certains biens ont peut-être
changé de nom, d'autres ont pu être échangés. En 1300, la superficie des biens d'Iviron en
Chalcidique orientale est de 600 ha (F. Dölger, Sechs byzantinische Praktika des 14. Jh. für das
Athoskloster Iberon, dans Abhandlungen der Bayer. Akad der Wiss., Philos.-hist. Kl., N.F., Heft 28,
1949, A).
740 HORS DE L'OCCIDENT

monastère de l'Eléousa, que Botaniate avait reconnu à Iviron, qu'Alexis Ier


lui avait probablement retiré, et que le patriarche lui attribua en 125038. Aux
biens déjà possédés par Iviron, l'empereur ajoute le village d'Hiérissos,
lequel était semble-t-il devenu une pronoia, un des nombreux domaines du
fisc dont l'empereur distribuait les revenus39. Hiérissos, que nous avons
mentionné comme kastron et comme commune à la fin du Xe siècle, n'était
plus qu'un village de parèques.
Vers 1259, on peut estimer la superficie du domaine d'Iviron à environ
3200 ha, c'est-à-dire comme en 1101 : l'occupation latine fut peut-être, pour
le domaine d'Iviron, un fait moins important que l'avènement d'Alexis Ier.
Ces biens se répartissent approximativement ainsi40 :
Vallée du Strymon : 1600 ha + 800
Environs de Thessalonique : 100 ha inchangé
Chalcidique occidentale : 900 ha inchangé
Chalcidique orientale : 600 ha - 800
Kassandra et Longos : 0 ha inchangé

Notons que, tandis que Lavra s'efforce de concentrer ses biens en


Chalcidique occidentale, le centre de gravité du domaine d'Iviron se
déplace progressivement vers le Strymon. C'est dans cette région que le
monastère acquit, à la fin du XIIIe siècle, de nouveaux biens, en particulier de petits
établissements monastiques légués au monastère par leur fondateur, et un
vaste terrain qu'Iviron acheta en 127341.

2) Les parèques d'Iviron.


Des documents fiscaux de 1262 et de 1301 pour la région de
Thessalonique, de 1316 pour la région de Serrés, permettent de calculer le nombre des
parèques d'Iviron au début du XIVe siècle42 : il y avait alors 460 familles de
parèques sur les biens d'Iviron. L'accroissement régulier du nombre des

38 Schatzkammer, n° 35; L. Petit, Le monastère de Notre-Dame de Pitié en Macédoine, dans


Izvestija russkogo archeologiceskogo Instituta ν Konstantinopole, 6, 1900, n° 1; Iviron inédit de
1250.
39 Le chrysobulle de Michel VIII précise qu'Iviron détiendra Hiérissos dans les conditions
où Nicéphore Pétraliphas et Michel Laskaris le détenait : il s'agit sans doute de pronoïaires.
40 Acquisitions dans la vallée du Strymon : Radolibos et l'Eléousa. Pour la Chalcidique
orientale, cf. note 37.
41 Chrysobulle inédit de 1283, chrysobulle de 1310 {Schatzkammer, n° 37).
42 Iviron inédit de 1262; F. DÖlger, Sechs Praktika, A et RK.
LES BIENS DU MONASTÈRE D'IVIRON 741

parèques du monastère (milieu du XIe siècle : 246; début du XIIe siècle :


294; début du XIVe siècle : 460), qui exploitent des biens dont la superficie
totale a plutôt diminué, suggère que la terre cultivée à l'intérieur du
domaine a augmenté en superficie et, peut-être, que les revenus du
monastère s'accroissent. Ces progrès économiques et démographiques étaient
certainement insensibles, moins visibles que les fluctuations à court terme,
dues aux famines, aux épidémies et aux guerres. Mais retenons que le
village de Radolibos comptait 122 familles au début du XIIe siècle et 222 au
début du XIVe.

3) Iviron et l'État.

La comparaison entre le document fiscal de 1262 et ceux du début du


XIVe siècle montre que les techniques fiscales sont, vers la fin du XIIIe
siècle, de nouveau en pleine évolution, et toujours dans le sens d'une
précision croissante. En 1262, les recenseurs continuent à répartir les
parèques en classes fiscales, selon la quantité de leurs animaux de trait,
mais ils analysent aussi la composition de leur lot pour établir le montant
de leur impôt, probablement parce que, comme on le voit dans ce
document, le nombre des animaux de trait possédés par un parèque ne
correspond pas, en général, à la quantité de terre qu'il détient. Bientôt, vers 1300,
on renoncera à cette notion de classe fiscale, la description des lots sera
purement analytique et l'impôt sera calculé en fonction d'un ensemble de
taux d'imposition affectant chaque élément imposable du lot. Notons aussi
que la tâche des recenseurs n'est plus, vers la fin du XIIIe siècle, de
compter, pour le limiter, le nombre des parèques du monastère mais
d'établir le nombre de pièces d'or que le monastère est en droit de leur
réclamer chaque année.
Ce nombre de pièces d'or constitue una posotès, une oikonomia, une
rente fiscale, qui est, d'après les documents fiscaux, de même nature que
celle qui constitue la pronoia d'un soldat. Les différences sont pourtant
importantes entre l'immensité des biens d'un monastère comme Iviron, le
montant de sa rente fiscale : plusieurs centaines de pièces d'or, le caractère
en théorie éternel de sa propriété, et la modicité de X oikonomia d'un soldat,
quelques dizaines de pièces d'or correspondant à la détention non
héréditaire, conditionnelle, d'un petit domaine cultivé par quelques parèques.
Mais la notion à'oikonomia suffit désormais au fisc pour garantir et
contrôler les revenus que l'État consent aux moines, aux soldats et à ses obligés,
quel que soit le statut des terres.
742 HORS DE L'OCCIDENT

Tout n'est pas clair, dans cette lente transformation des institutions
financières et fiscales de l'Empire. L'évolution des techniques fiscales, celle
des finances de l'État, le changement de statut de la paysannerie, les
progrès de la grande propriété sont des phénomènes étroitement liés, que
l'on ne peut décrire isolément: il y a moins lieu de chercher où sont les
causes et où sont les effets, qui furent les gagnants et qui furent les
perdants, que de tenter de discerner ce qui a changé, entre le Xe et le XIIIe
siècles.
Depuis longtemps il existait de grandes propriétés, et en particulier de
grands monastères dont les domaines étaient cultivés par des parèques. On
ne voit pas que les principes de gestion de ces domaines aient changé, ni le
rapport entre des grands propriétaires et l'État d'une part, les paysans
d'autre part. Mais le nombre de ces grands domaines s'accroît entre le Xe et
le XIIIe siècles, et ils semblent de mieux en mieux cultivés.
La condition des paysans a changé plus en apparence qu'en réalité.
Beaucoup ont perdu l'initiative juridique et économique que leur
permettait l'institution communale, la plupart d'entre eux ont perdu le prestige qui
s'attache à la propriété, même petite. Il n'est pas sûr qu'ils aient gagné en
échange une protection accrue contre toutes les formes d'insécurité; mais
on ne voit pas que leur situation matérielle, ni personnelle, se soit dégradée.
Ce qui change, c'est qu'ils sont plus nombreux au XIIIe siècle qu'au Xe.
Dans l'État, ce qui change le plus visiblement, ce sont les techniques
fiscales, l'organisation des finances, les moyens de paiement : on est passé
d'un système fondé, pour l'essentiel, sur des caisses centrales alimentées
par l'impôt versé par les communes, servant à rétribuer les serviteurs de
l'État sous forme de pensions ou de soldes, à un système fondé, pour
l'essentiel, sur le service direct à ces serviteurs d'une rente fiscale assise sur
un domaine foncier, disons d'un système de fiscalité communale à un
système de rente domaniale. Ce changement est important, mais il n'a pas
eu les implications féodales que l'on a dites. La crise de l'État au XIIe siècle
devra sans doute être attentivement analysée, mais une fois restauré, sous
Michel VIII Paléologue, l'État ne semble pas avoir changé de nature. Il n'a
d'ailleurs jamais renoncé au monopole de l'administration, ni à celui de la
justice, ni au contrôle des terres du fisc.

E.P.H.E., IVe Section, Paris Jacques LEFORT

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