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PROBLEMES ECONOMIQUES

CONTEMPORAINS
Nicolas CANRY
Septembre 2021
Licence 1 – Division 3

Chapitre 3
Les inégalités de revenu
Chapitre 3. La question des inégalités

• Mondialisation et inégalités

• Les inégalités de revenu ont-elles régressé durant les


Trente Glorieuses en France ?
• Mondialisation et inégalités

Caractérisation de la mondialisation
Flux d’échanges de biens en forte croissance
Echanges internationaux (exportations) / PIB au niveau
mondial (en dollars courants), 1967-2018
30
28
26
24
22
20
18
16
14
12
10
8
6
1965

1970

1975

1980

1985

1990

1995

2000

2005

2010

2015

2020
Accroissement des déséquilibres commerciaux et
donc financiers
Balance commerciale en % du PIB, 1967-2013
(Source : Base de données CHELEM, Cepii)
12

3 Etats-Unis
Allemagne
0
France
-3
Chine
-6 Japon

-9
1970

1975

1980

1985

1990

1995

2000

2005

2010

2015
IDE/PIB au niveau mondial (en dollars courants), 1967-2010
5,0

4,5

4,0

3,5

3,0

2,5

2,0

1,5

1,0

0,5

0,0
1965

1970

1975

1980

1985

1990

1995

2000

2005

2010

2015
Relativement stable dans les années 2010.
Mondialisation : 19ème siècle vs 20-21ème siècles
Baldwin et Martin (1999)

19ème siècle :

• Industrialisation du « centre » (pays « occidentaux ») contre


désindustrialisation de la périphérie. Théorie ricardienne des avantages
comparatifs : échange produits primaires (matières premières) contre
biens industriels. Promotion du libre-échange (jusque 1880).
• La baisse spectaculaire des coûts de transport (transport fluvial et
maritime, chemins de fer, etc.) permet spécialisation et concentration de
l’industrie (économies d’échelles + externalités liées aux phénomènes
d’agglomération) : explique divergence des trajectoires de croissance au
niveau mondial (voir travaux d’économie géographique de P. Krugman) =
Forces centrifuges.
• Forte mobilité du capital : IDE et investissements de long-terme (chemins
de fer notamment, canaux, etc.)
• Forte mobilité du travail : mouvements migratoires importants (plus grande
rareté de la main d’œuvre en Europe et donc élévation des salaires).
19ème siècle : forte mobilité des capitaux

• Forte mobilité du capital : Investissement directs à l’étranger (IDE) et


investissements de long-terme (chemins de fer notamment, canaux –
Suez (1859-1869), Panama (1881-1914) – etc.)

• Ces mouvements de capitaux étaient permis/facilités par l’existence


d’empires (Commonwealth britannique, Empire Français) au sein
desquels il existait un système institutionnel unifié permettant de garantir
les transactions financières et bancaires.

• Système d’étalon de change or (fixité du taux de change de la plupart des


devises par rapport à l’or ; les autorités publiques s’engagent à convertir
la monnaie légale qui circule contre une quantité d’or qu’on essaye de
maintenir fixe).

8
19ème siècle : l’âge des migrations de masse

• Forte mobilité du travail : mouvements migratoires importants (plus


grande rareté de la main d’œuvre en Europe et donc élévation des
salaires). Effet de convergence salariale au niveau européen.

• C’est « The Age of Mass Migration », 1870-1920 (Hatton and Williamson,


1998), celle vers les « pays neufs » (Amérique du Nord, Argentine,
Australie, Nouvelle-Zélande). Certains pays européens perdent jusqu’à
1% de leur population chaque année (Italie), la plupart se situant plutôt à
0,1 % (GB) ou 0,2% (Allemagne, pays scandinaves).

• Exemple : famine irlandaise (crise du mildiou, 1845-1852) : un million de


morts et un million et demi d'émigrés pour un pays de 8,5 millions
d'habitants en 1841.

• Exception : la France, où l’on observe très peu d’émigration, de l’ordre de


9
0,02%, soit cinquante fois moins que l’Italie.
Le modèle de Krugman (1991) 1/3
• Dans le modèle de Krugman, il existe un arbitrage entre rendements
croissants et coûts de transport.

• Les rendements croissants sont associés à un effet d’agglomération :


la productivité du capital d’une entreprise est d’autant plus élevée
lorsque celle-ci s’implante dans une zone géographique où il y a déjà
beaucoup d’autres entreprises (et donc déjà beaucoup de capital).

• Une hypothèse alternative est l’existence d’un coût fixe élevé


nécessaire à l’installation de toute nouvelle unité de production ; un
fois le coût fixe payé, le coût marginal est constant (et plutôt faible).

• Dans le même temps, il existe des coûts de transports, qui sont


d’autant plus élevés que la distance d’acheminement entre lieu de
production et lieu de consommation des biens est grande.
Le modèle de Krugman (1991) 2/3
• L’entreprise desservant une zone géographique spécifique peut donc
décider de s’implanter loin de sa zone de distribution pour bénéficier d’effets
d’agglomération, à condition que ce gain d’échelle fasse plus que
compenser le coût de transport associé à l’éloignement entre lieu de
production et lieu de consommation.

• Avant la révolution industrielle, les coûts de transport étaient très élevés, si


bien que les effets d’agglomération ne compensaient pas les coûts de
transport : production maintenue à proximité des lieux de consommation.

• Avec le développement des canaux, du bateau à vapeur et des chemins de


fer, les coûts de transport se sont énormément réduits (coût du transport
maritime divisé par 7 entre 1830 et 1890 ; 80% du fret transatlantique à
voile au début du 19ème siècle, 90% à vapeur vers 1900).

• La recherche de rendements croissants a alors induit de fortes stratégies


d’agglomération : un centre industriel à forte productivité (le « Nord ») s’est
alors constitué, tandis que la périphérie (le « Sud ») ne s’est pas
industrialisée : divergence des trajectoires (20ème siècle).
Le modèle de Krugman (1991) 3/3

Avant la révolution industrielle : Après la révolution industrielle :


éviter les coûts de transport coûteux tirer parti des rendements d’échelle

Centr
e

Lieu de production
Lieu de consommation
12
Pauvreté généralisée

Divergence

Convergence
Actuellement :

• Selon Krugman : la « révolution industrielle » actuelle repose sur les


nouvelles technologies de l’information et de la communication
(NTIC) qui facilitent la circulation de l’information et de la
connaissance (transfert de technologie) entre le centre et la
périphérie. Contrairement à la première révolution industrielle, les
forces à l’œuvre sont désormais centripètes et non plus centrifuges :
convergence de la périphérie qui s’industrialise (au 21ème siècle ?)
tandis que le « centre » se spécialise dans les services.

• Forte mobilité du capital : plus majoritairement investissements de


court-terme (plus grande instabilité financière au niveau mondial).

• Faible mobilité du travail. La spécialisation, si elle joue, se fait au


détriment des salaires de la main d’œuvre faiblement qualifiée dans
les pays du « centre » (cf. Plus loin). La part des migrants dans la
population mondiale a baissé en un siècle. Mobilité beaucoup plus
contrainte : passeports, visas…
Des objectifs contrastés en termes de « politique »
économique aux deux époques

• Triangle d’incompatibilité de Mundell (R. Mundell, prix Nobel


d’économie 1999 ; articles de 1960-61) : un pays ne peut
simultanément concilier liberté de circulation des capitaux, stabilité
(fixité) des taux de change, autonomie de la politique monétaire (à des
fins de régulation conjoncturelle).

Au 19ème siècle :
– Forte mobilité des capitaux durant les deux mondialisations.
– Stabilité des taux de change (parité fixe recherchée par rapport à
l’or).
– … mais pas de politique monétaire en tant que telle ! Politique
monétaire réduite à cet objectif de stabilité de la parité or des
devises (Gold standard). Mais les politiques (monétaires comme
budgétaires) de régulation de la conjoncture sont pratiquement
inexistantes.
Des objectifs contrastés en termes de « politique »
économique aux deux époques

• Crise de 1929 : réduction des échanges (tarifs douaniers en hausse ;


Hawley-Smoot Tariff aux Etats-Unis en 1930).

• Bretton Woods (1945-71) : volonté internationale de restaurer les


échanges de marchandises (accords du GATT) et recherche de fixité
des taux de change ; en revanche, faible mobilité des capitaux.

• Aujourd’hui : le dilemme stabilité des changes / politique monétaire


autonome est plus vif pour certains pays (notamment dans les pays
émergents si les dettes sont libellées en $ : risque de change, cf.
Chapitre 2).
Triangle de Mundell : les contraintes
• Tant que les capitaux sont peu mobiles, la stabilité des changes
reste compatible avec un politique monétaire autonome : l’Etat peut
baisser les taux d’intérêt pour relancer la demande intérieure
(investissement…) sans risque de fuite importante de capitaux (dont
la rémunération chute avec la baisse des taux d’intérêt), et donc
sans menace pour le taux de change.
• En cas de libre circulation des capitaux, il est toujours possible de
conduire une politique monétaire autonome mais toute baisse des
taux d’intérêt provoque une sortie de capitaux qui déprécie la devise
nationale (les détenteurs de capitaux convertissent leur portefeuille
en devise nationale en une autre devise : l’offre de la devise
nationale augmente).
• On peut enfin décider de maintenir un système de change fixe dans
un cadre de libre circulation des capitaux : dans ce cas cependant,
le maniement du taux d’intérêt ne sert plus à orienter la conjoncture
nationale mais uniquement à défendre la parité de la devise
nationale en réponse aux mouvements (sorties) des capitaux (qui
déprécient la monnaie nationale) : le taux d’intérêt sert à attirer les
capitaux. La politique monétaire autonome n’est plus possible.
Le triangle d’incompatibilité de Mundell

Libre circulation
des capitaux

19ème siècle Système actuel


+ Certains PVD (Etats-Unis et
aujourd’hui Europe)

Stabilité du taux Autonomie politique


de change monétaire
Système de
Bretton Woods
• Mondialisation et inégalités

Les inégalités
Mesure des inégalités :
la courbe de Lorenz
%
100

90

80

70
Revenus

60

50

40

30

20

10

0 %
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

Population
Courbe de Lorenz
et indice de Gini
100 %

90

80

70

60
Revenus

50

40
A
30

20

10
B
0
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 %

Population

Indice de Gini = 𝐴/(𝐴 + 𝐵)


Indice de Gini
• L’indice de Gini est un indicateur d’inégalité et de concentration
des revenus.

• Dans le graphique précédent, il correspond au rapport entre la


surface 𝐴 et la somme des surfaces (𝐴 + 𝐵).

• L’indice de Gini est donc compris entre 0 et 1.

• Indice = 0 : société parfaitement égalitaire. La courbe bleue se


confond avec la droite noire ; tous les agents disposent du
même revenu.

• Indice = 1 : société totalement inégalitaire. Tout le revenu est


accaparé par un unique agent.
Courbes de Lorenz pour les revenus et le
patrimoine, France, 2010
(Source : Wikipédia)
Carte du monde selon l’indice de Gini (2013)

Source : Wikipédia
Indice de Gini
France, 1915-2019, Allemagne et Monde, 1980-2019
http://wid.world/fr/donnees/
0,80
0,75
0,70
0,65
0,60
0,55
0,50
0,45
0,40
0,35
1910

1955

1980
1915
1920
1925
1930
1935
1940
1945
1950

1960
1965
1970
1975

1985
1990
1995
2000
2005
2010
2015
2020
France Allemagne Monde
Courbe de Kuznets (1955)…
• La courbe de Kuznets établit en relation en forme de cloche (U
inversée) entre développement économique et inégalités
(généralement mesurées par un indice de Gini).

• Aux premiers stades du développement, l’accès d’une partie (petite


mais croissante) de la population à l’activité industrielle (où la
productivité excède celle de l’agriculture) engendre des inégalités
forte entre population agricole et une frange de la population
industrielle.

• Avec la montée en puissance de l’industrie, l’exode rural permet à


une part importante de la population de basculer dans l’industrie,
dont les revenus croissent avec la productivité.

• Quand ce phénomène se généralise et que la population agricole


devient minoritaire (mais plus productive), les inégalités se resserrent
et on bascule sur la partie décroissante de la courbe.
La relation PIB/tête – inégalité : une courbe en cloche
(indice de Gini)

(PIB/tête)
… vérifiée jusque dans les années 1970

• Ces résultats empiriques ont longtemps été validés dans la plupart


des pays industrialisés : la concentration des revenus dans les main
d’une petite frange de la population s’est sensiblement réduite de
1900 à 1970.

• Depuis 1970-80 pourtant, on observe une résurgence des inégalités


de salaires et de revenus dans une bonne partie des pays riches et
plus spécifiquement aux Etats-Unis.

• Mondialisation : réduction des inégalités internationales (au niveau


mondial) mais accroissement des inégalités « intranationales », au
sein de chaque pays (« growing inequalities within countries vs
decreasing inequalities between countries »).

• Comment expliquer ce changement de tendance non prédit par la


courbe de Kuznets ?
Taux de pauvreté
• Taux de pauvreté absolue : approche par les « lignes » de pauvreté
à 1$ (« destitution » = dénuement), 2$ (pauvreté extrême) et 10$.
• Dernières données de la Banque Mondiale : seuils à 1,90 $, 3,20 $
et 5,50 $.
• S’applique généralement aux pays en voie de développement.
• Taux de change utilisé pour comparer les pays : taux de change
PPA (Parité de Pouvoir d’Achat, Purchasing power parity, PPP en
anglais) = taux de change « théorique » qui permet d’égaliser le prix
d’un panier de consommation « standardisé ». Cf. Indice Big Mac
proposé par le journal the Economist.

• Taux de pauvreté relative : part de la population disposant de la


moitié ou de 60 % du revenu médian. S’applique plus généralement
aux pays développés.
Les régions de la Banque Mondiale

Les pays développés (Etats-Unis, Europe de l’Ouest, Australie,


Japon) sont exclus de l’analyse.
Pourcentage de la population vivant avec moins de
1,90 $ (constants 2011, PPA) par jour, par région
du monde, 1981-2019
90

80

70

60 Asie de l’Est et Pacifique

50 Amérique latine et Caraïbes


Moyen-Orient et Afrique du Nord
40
Asie du Sud
30 Afrique subsaharienne
20 Monde

10

0
1999
1978
1981
1984
1987
1990
1993
1996

2002
2005
2008
2011
2014
2017
2020
2023

Source : données Banque Mondiale, septembre 2021


Pourcentage de la population vivant avec moins de
3,20 $ (constants 2011, PPA) par jour, par région
du monde, 1981-2019
100
90
80
70
Asie de l’Est et Pacifique
60
Amérique latine et Caraïbes
50 Moyen-Orient et Afrique du Nord
40 Asie du Sud

30 Afrique subsaharienne
Monde
20
10
0
1987
1978
1981
1984

1990
1993
1996
1999
2002
2005
2008
2011
2014
2017
2020
2023

Source : données Banque Mondiale, septembre 2021


Pourcentage de la population vivant avec moins de
5,50 $ (constants 2011, PPA) par jour, par région
du monde, 1981-2019

Source : données Banque Mondiale, septembre 2021


Taux de pauvreté (%) en Chine à différents seuils
($ constants 2011, PPA), 1990-2014

120

100

80

Seuil à 1,90 $ / jour


60
Seuil à 3,20 $ / jour

40 Seuil à 5,50 $ / jour

20

0
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
2012
2014
2016
Source : données Banque Mondiale, juin 2018
La pauvreté au seuil de 1,90 $ dans le monde
en 2013
Synthèse
• Quel que soit le seuil retenu, le taux de pauvreté a significativement
baissé au niveau mondial entre 1981 et 2013 ; le phénomène s’est
accentué à partir de 2000.
• La baisse est particulièrement spectaculaire pour le seuil le plus faible
(les plus pauvres) de 1,90 $ / jour : ce taux passe de 42,3 % en 1981 à
10,9 % en 2013 (division par 4) ; avec le seuil à 3,20 $, le taux est divisé
par 2 ; avec le seuil à 5,50 $, le recul est de 17,9 points de pourcentage,
de 66,6 % à 48,7 %.
• Tous les régions du monde bénéficient de cette baisse… mais dans des
proportions très variables ! La baisse est vertigineuse pour l’Asie de l’Est,
elle reste modérée (et plus tardive) pour l’Afrique subsaharienne (le taux
au seuil de 5,5 $ y reste même relativement stable sur la période).
• En Chine, le taux au seuil de 1,90 $ est passé de 66,6 % en 1990 (et
vraisemblablement plus de 80 % en 1980) à … 1,4 % en 2014 ! Pour le
seuil à 5,5 $, on est passé entre 1990 et 2013 de… 98,3 % (!) à 31,5 %.
• Une personne sur 10 dans le monde vivait en 2013 avec moins de
1,90 $ par jour (pas de données plus récente actuellement, en juin
2018).

• Ceux qui sont passés au-dessus de ce seuil depuis 40 ans ne sont


bien sûr pas devenus riches ! Même si le taux de pauvreté au seuil
de 5,5 $ a également baissé, il l’a fait dans de bien moindres
proportions, si bien qu’en 2013, un peu moins d’une personne sur
deux (48,7 %) vivait avec moins de 5,5 $ par jour (mais c’était 2 sur
3 en 1981).

• La baisse de la pauvreté (et a fortiori de la très grande pauvreté)


dans les pays émergents (et notamment dans une bonne partie (très
peuplée) de l’Asie) a réduit les inégalités au niveau mondial.
Inégalités within vs between countries
Revenus
D9 Etats-Unis

D1 Etats-Unis
D9 Chine

D1 Chine

Seuil de pauvreté

Inégalité within country


Inégalité between countries

Temps
Evolution des inégalités mondiales 1/5

Source : Lucas Chancel et Thomas Piketty, “Global Income Inequality, 1820-2020: The Persistence and
Mutation of Extreme Inequality”, Juillet 2021
Evolution des inégalités mondiales 2/5

Source : Lucas Chancel et Thomas Piketty, “Global Income Inequality, 1820-2020: The Persistence and
Mutation of Extreme Inequality”, Juillet 2021
Evolution des inégalités mondiales 3/5

Source : François Bourguignon


http://ses.ens-lyon.fr/ressources/stats-a-la-une/levolution-des-inegalites-mondiales-de-1870-a-2010
Evolution des inégalités mondiales 4/5

Source : François Bourguignon


http://ses.ens-lyon.fr/ressources/stats-a-la-une/levolution-des-inegalites-mondiales-de-1870-a-2010
Evolution des inégalités mondiales 5/5
Comment calcule-t-on ces indicateurs ?

• Indicateur d’inégalité within countries : on fait l’hypothèse que tous


les pays ont en moyenne le même niveau de vie (le même revenu
par habitant) ; cela revient à faire des moyennes pondérées (par le
poids de la population de chaque pays dans la population mondiale)
des indicateurs nationaux.

• Indicateur d’inégalité between countries : cette fois, on suppose une


parfaite égalité de revenu au sein de chaque pays, ce qui revient à
supposer que tous les individus composant la population d’un pays
perçoivent le (même) revenu moyen (revenu par habitant) de ce
pays. On calcule ainsi un indicateur d’inégalité mondial à partir du
revenu par habitant de chaque pays, revenu pondéré là encore par
le poids de la population du pays dans la population mondiale.
Carte des pays par revenu national (Gross
National Income) par tête en 2015
Top x % et ratios interdéciles

• Une façon de mesurer les inégalités est de comparer les


parts du revenu national détenues par le « top 1% »
(centile supérieur), le « top 10% » (décile supérieur), etc.,
ou d’étudier les ratios D9/D1, D9/D5 ou D5/D1, etc. (ratio
interdéciles).

• Evolutions récentes comparées pour trois pays


emblématiques: France, Etats-Unis, Chine.

59
Inégalités salariales et inégalités de revenus

• Le revenu déclaré par les agents se compose :


– des rémunérations salariales.
– des revenus des indépendants (le « revenu mixte » des
entrepreneurs individuels) : bénéfices agricoles,
commerciaux ou non commerciaux.
– Des revenus de la propriété : dividendes, intérêts, revenus
fonciers.

• Le composante « salariale » du revenu tend à se réduire


quand on s’élève dans la hiérarchie des revenus.

• une société peut devenir plus inégalitaire parce que les


revenus du capital sont de plus en plus concentrés
(entre les mains de quelques personnes). Qu’en a-t-il été
au 20ème siècle ?
Part du revenu total déclaré au fisc par le décile
supérieur, France, 1915-2019
Sources : T. Piketty
http://wid.world/fr/donnees/
52
50
48
46
44
42
40
38
36
34
32
30
28
26
1940

1985
1910
1915
1920
1925
1930
1935

1945
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980

1990
1995
2000
2005
2010
2015
2020
Réduction des inégalités salariales en
France au cours des Trente Glorieuses ?
• Le graphique suggère un léger creusement des inégalités entre 1945 et
1965. Par la suite, les inégalités se resserrent entre 1965 et 1980.

• Mai 1968 joue un rôle déterminant dans le resserrement des inégalités


de revenu (revalorisation du SMIG de 20 %).

• La substitution du SMIG par le SMIC (Salaire Minimum interprofessionnel


de croissance) en janvier 1970 marque un changement radical des
pouvoirs publics vis-à-vis du salaire minimum : indexation sur salaire
ouvrier moyen (et non plus sur l’inflation); fréquents coups de pousse.

• On observe une très forte progression réelle du salaire minimum entre


1968 et le début des années 1980 + Effet d’entraînement sur toute la
grille salariale jusqu’au salaire moyen. Dans les années 1950 au
contraire, le pouvoir d’achat du SMIG est resté stable, alors que les
salaire moyen progressait rapidement.
Evolution du pouvoir d'achat du salaire minimum net et du salaire net moyen
mensuels, France, 1951-2008. Déflateur = IPC,
Salaires nets réels en 1951 = 100.
Source : INSEE 2011

450

350

250

150
Salaire minimum net

Salaire moyen net

50
1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010

• Le pouvoir d’achat du revenu minimum (SMIG) a stagné entre 1950


et la fin des années1960.
• Nota : le « saut » en 2000 signale la difficulté à traiter le passage
aux 35 heures pour le SMIC (salaire horaire).
Salaire minimum net rapporté au salaire moyen net, France, 1951-1999
Source : INSEE 2011

0,60

0,55

0,50

0,45

0,40

0,35

0,30

Le Salaire minimum représente 55 % du salaire moyen en 1951.


Ce ratio tombe à un tiers (34 %) en 1967 avant de repartir à la
hausse et dépasser de nouveau les 50 % en 1981.
Part du revenu total déclaré au fisc par le décile
supérieur, Etats-Unis, 1913-2019
Sources : T. Piketty
http://wid.world/fr/donnees/
52
50
48
46
44
42
40
38
36
34
32
30
1930

1980
1985
1910
1915
1920
1925

1935
1940
1945
1950
1955
1960
1965
1970
1975

1990
1995
2000
2005
2010
2015
2020
Dernières estimations, décile supérieur,
avant et après impôts, Etats-Unis.
Source : Piketty, Saez et Zucman (2016)
Les hauts revenus ont vu leur revenu relatif
baisser au cours du 20ème siècle (dans de
nombreux pays développés)
• Cette baisse est concentrée sur la période 1915-1945 :
période de fortes turbulences économiques, souvent
défavorables aux revenus du capital :
– Les deux guerres (qui détruisent une partie du capital
productif et empêchent par ailleurs son accumulation).
– La forte inflation des années 1920.
– La crise financière de 1929 et la grave récession des
années 1930 (faillites d’entreprises).
– « Great compression » salariale aux Etats-Unis au cours
de la seconde guerre mondiale (Goldin et Margo, 1992).

• Stabilisation du revenu relatif après 1945, en dépit de la


grande stabilité économique.
Pourquoi ?  Rôle crucial de la fiscalité (facteur politique)
durant les Trente Glorieuses.
Le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu
de 1915 à 1998

100

90

80

70

60

50

40

30

20

10

0
1915

1920

1925

1930

1940

1945

1950

1955

1960

1965

1970

1975

1980

1985

1990

1995
1935

Source : Piketty (2001), p.326, 566 et 567.


Taux moyen d’imposition du centile supérieur de
1915 à 1998

40

30

20

10

1975
1915

1920

1925

1930

1935

1940

1945

1950

1955

1960

1965

1970

1980

1985

1990

1995
Source : Piketty (2001), p.350, 636 et 637.
Depuis 1945 : la « fin » des rentiers
(T. Piketty, 2001)

• La fiscalité progressive sur les revenus et la fiscalité sur les


successions, inexistantes avant 1914, sont devenues très
importantes après 1945 et ont constitué un frein
déterminant à la reconstitution des très grosses fortunes.

• Taux marginaux supérieurs d’imposition sur les revenus


entre 70 % et 80 % au cours de la période 1950 et 1970.

• La politique fiscale mise en œuvre après 1945 a constitué


un élément central de stabilisation des inégalités de revenu
au moins jusqu’au milieu des années 1980.
La concentration du patrimoine : l’apparition
d’une classe moyenne patrimoniale
Part du patrimoine net total possédé par les 10
% les plus riches, France, 1902-2014
Sources : T. Piketty
http://wid.world/fr/donnees//
90
85
80
75
70
65
60
55
50
45
1930
1935

1990
1900
1905
1910
1915
1920
1925

1940
1945
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980
1985

1995
2000
2005
2010
2015
2020
Part du revenu total déclaré au fisc par le décile supérieur
France, 1915-2019 et Etats-Unis, 1913-2019
Sources : T. Piketty
http://wid.world/fr/donnees/
52
50
48
46
44
42
40
38
36
34
32
30
28
26
24
1935

1980

2000
1910
1915
1920
1925
1930

1940
1945
1950
1955
1960
1965
1970
1975

1985
1990
1995

2005
2010
2015
2020
France en bleu, Etats-Unis en rouge
Dernières estimations, centile supérieur,
avant et après impôts, Etats-Unis.
Source : Piketty, Saez et Zucman (2016)
Dernières estimations, Bottom 50 % vs Top
1 %, revenu en % du revenu total (avant
impôts), Etats-Unis.
Source : Piketty, Saez et Zucman (2016)
Part du revenu total déclaré par les 50 % sous la médiane
France, 1915-2019 et Etats-Unis, 1913-2019
Sources : T. Piketty
http://wid.world/fr/donnees/
26
24
22
20
18
16
14
12
1930

1955

2000
1910
1915
1920
1925

1935
1940
1945
1950

1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995

2005
2010
2015
2020
France en bleu, Etats-Unis en rouge
Part du revenu total déclaré au fisc par le centile supérieur,
les centiles 99-95 et les centiles 90-95, France, 1915-2014
Sources : T. Piketty
http://wid.world/fr/donnees/
25
23
21
19 Top 10-5% income
17 share
15 Top 5-1% income
13 share
11 Top 1% income share
9
7
5
1960
1965
1910
1915
1920
1925
1930
1935
1940
1945
1950
1955

1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
2015
2020
Part du revenu total déclaré au fisc par le centile supérieur,
les centiles 99-95 et les centiles 90-95, Etats-Unis, 1913-2014
Sources : T. Piketty
http://wid.world/fr/donnees/
22
20
Top 10-5% income
18
share
16
Top 5-1% income
14 share
12 Top 1% income share
10
8
6
1985
1910
1915
1920
1925
1930
1935
1940
1945
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980

1990
1995
2000
2005
2010
2015
2020
Part du revenu total déclaré au fisc par les centiles 90-99
France, 1915-2014 et Etats-Unis, 1913-2014
Sources : T. Piketty
http://wid.world/fr/donnees/
34
32
30
28
26
24
22
20
1925

1970

2015
1910
1915
1920

1930
1935
1940
1945
1950
1955
1960
1965

1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010

2020
France en bleu, Etats-Unis en rouge
Evolution du ratio D9/D2 (valeurs seuils inférieurs)
des revenus déclarés au fisc, France, 1915-2014
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
0
1920

1980

2015
1910
1915

1925
1930
1935
1940
1945
1950
1955
1960
1965
1970
1975

1985
1990
1995
2000
2005
2010

2020
Evolution du ratio D9/D2 (valeurs des seuils inférieurs) des
revenus déclarés au fisc, France et Etats-Unis, 1966-2014
Sources : T. Piketty
http://wid.world/fr/donnees/
10
9
8
7
6
5
4
3
1960

2020
1965

1970

1975

1980

1985

1990

1995

2000

2005

2010

2015
France en bleu, Etats-Unis en rouge
Variation (%) du salaire réel des hommes par
centile, Etats-Unis, 1974-1989 et 1989-2004
Source : T. Lemieux, NBER, 2007
Cumulative change in real weekly earnings
of working age adults 18-64, 1963- 2017

Autor D. (2019). “Work of the past, work of the future”, Vox.


https://voxeu.org/article/work-past-work-future
Evolution du seuil inférieur en termes réels des
déciles D2 et D9 (indice 100 en 1980), Etats-Unis,
1980-2014
170
165
160
155
150
145
140
135
130
125 D9
120
115 D2
110
105
100
95
90
85
80
1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020
Evolution du seuil inférieur en termes réels des
déciles D2 et D9 (indice 100 en 1980), France, 1980-
2014
155
150
145
140
135
130
125 D9
120
115 D2
110
105
100
95
90
1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020
Dernières estimations, Bottom 50 % vs Top
1 %, revenu réel (avant impôts), Etats-Unis.
Source : Piketty, Saez et Zucman (2016)
La position privilégiée des très hauts
revenus (y compris) en France…

Source : Garbinti B, J Goupille-Lebret J and T Piketty (2018), “Income Inequality Dynamics in France 1900-2014: Evidence
from Distributional National Accounts (DINA)”, Journal of Public Economics 162: 63-77.
... mais surtout aux Etats-Unis !

Source : Tweet Gabriel Zucman, 28 mars 2017


Les « très hauts » salaires en France
Source : INSEE (2017)

8,50
8,00
7,50
7,00
6,50
C95/D1
6,00 C99/D1
5,50
5,00
4,50
4,00
3,50
1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020
Inégalités croissantes en Chine
(Phase ascendante de la courbe de Kuznets ?)

Source : Piketty, Yang, Zucman, 2017


Part du revenu national détenu par les 50 %
les plus modestes en Chine, aux Etats-Unis
et en France

Source : Alvaredo, Chancel, Piketty,


Saez & Zucman, NBER, 2017.
Les facteurs explicatifs (1)
• Théorie des avantages comparatifs et modèle de Heckscher-Ohlin-
Samuelson : la spécialisation dépend de la dotation en facteurs de production
des économies ; les pays développés se spécialisent dans les biens intensifs
en capital (physique et humain), les PEVD dans les secteurs intensifs en
travail peu qualifié. L’ouverture mobilise la population qualifiée (demande et
salaire augmentent) des pays riches et « libère » leur main d’œuvre peu
qualifiée (demande et salaire baissent) : la spécialisation accroît les
inégalités.

• Théorie du Skill-Biased Technical Change (Acemoglu, 2000) : le progrès


technique lié aux NTIC (informatique, etc.) économise du travail peu qualifié
(substitution) et requiert du travail qualifié (complémentarité ; PT biaisé en
faveur des qualifications) ; le progrès technique peut aussi économiser du
travail de qualification intermédiaire (tâches routinières).

• Entre ces deux hypothèses, c’est la seconde qui a la préférence d’une


grande majorité d’économistes, même si un nombre croissant d’articles ces
dernières années souligne aussi l’importance de la mondialisation (voir par
exemple Acemoglu, Autor, Dorn, Hanson et Price, 2014).
Modèles de commerce international
• Différents modèles :

– Classique (Ricardo, 1817) : 1 seul facteur de production, le travail ;


2 secteurs. Chaque pays gagne au commerce, Gain global, mais
des gagnants et des perdants ; pas d’effets redistributifs.

– Néo-classique (Heckscher-Ohlin-Samuelson, 1944) : modèle à


deux facteurs utilisés dans les deux secteurs. La spécialisation
dépend de la dotation en facteurs de production des économies ;
les pays développés se spécialisent dans les biens intensifs en
capital (physique et humain), les PED dans les secteurs intensifs
en travail peu qualifié. L’ouverture mobilise la population qualifiée
(demande et salaire augmentent) des pays riches et « libère » leur
main d’œuvre peu qualifiée (demande et salaire baissent) : la
spécialisation accroît les inégalités.
Augmentation du skill-premium

Marché travail des qualifiés Marché du travail des non qualifiés


wH/p wL/p

OH
OL

DH2
DH1 DL2 DL1

H L

« Skill premium » - Augmentation des inégalités


entre les deux « compartiments » (travail qualifié
et non qualifié) du marché du travail.
Une dynamique contrastée de l’offre de capital
humain (H) au cours des dernières décennies
(Goldin et Katz, 2007 et 2010)

Décennies 1960-1970 Décennies 1980-1990


wH/p wH/p
Demande H - 2

Offre H - 1
OH - 1
Offre H - 2

DH - 2

Demande H - 1 DH - 1

Capital Capital
Humain H Humain H

La demande de qualification par Dans les décennies suivantes, la


les entreprises augmente mais demande de qualification continue
l’élévation du niveau d’éducation de croître tandis que le niveau de
scolaire limite la hausse du skill- scolarisation s’est stabilisé.
premium.
Inégalités vs chômage ?

Marché du travail des non qualifiés : Marché du travail des non qualifiés :
baisse des salaires hausse du chômage
wL/p wL/p

OL OL

SMIC

DL2 DL1 DL2 DL1

Baisse du L L
Chômage
salaire

On mobilise souvent cet argument – existence ou non d’un salaire minimum


– pour distinguer Etats-Unis (hausse des inégalités, figure de gauche) et
Europe continentale (hausse du chômage, figure de droite). D’autre
facteurs entrent bien sûr en ligne de compte, sans doute de façon non
négligeable (politiques budgétaire monétaire, etc.)
Inégalités vs chômage – Offre de travail inélastique

Marché du travail des non qualifiés : Marché du travail des non qualifiés :
baisse des salaires hausse du chômage
wL/p wL/p
OL OL

SMIC

DL2 DL1 DL2 DL1

Emploi L L
Emploi Chômage

Sur ce point, voir notamment le dossier de TD 5 d’IGE.


Déclin de l’emploi peu qualifié : le cas français

Taux d ’emploi
= personnes en emploi / total pop. considérée (employés + chômeurs + inactifs)
Les facteurs explicatifs (2)
• Ralentissement de la croissance puis stabilisation de l’offre de travail
qualifié aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années ; avec
l’élévation de la demande, les salaires ont augmenté (cf. diapo
précédente, C. Goldin et L. Katz, 2007 et 2010 : « The Race between
Education and Technology »).

C’est une grande différence entre France et Etats-Unis : si la demande


de capital humain semble progresser continument depuis l’après-
guerre dans les deux pays, l’offre a mis davantage de temps à
« suivre » la demande et à augmenter en France (cf. précédemment).
L’offre ne se met à augmenter qu’au début des années 1970, mais sa
progression se poursuit encore aujourd’hui. Aux Etats-Unis au
contraire, l’offre suit le demande dès les années 1950 mais elle se
stabilise dès les années 1990 (G. Verdugo, 2014).
Dès les années 1940, progression de la main d’œuvre qualifiée (alors
que la demande en travail non qualifiée reste importante) : au cœur de
la « Great compression » (Goldin et Margo, 1992).
Ratio D9/D1 de la distribution des salaires
entre 1950 et 2014 (emplois à temps complet)
Source : INSEE (2017)
Les facteurs explicatifs (3)

• X. Gabaix et A. Landier (« Why has CEO Pay Increased So Much? »,


2008 ; CEO = Chief Executive Officer = PDG) : la rémunération des
PDG rémunère leur talent : les grandes firmes se font concurrence pour
recruter ces talents (qui sont rares) ; la rémunération des CEO est
corrélée à la taille (valorisation boursière) des firmes qui les
embauchent. Comme cette « taille » a beaucoup augmenté entre 1980
et 2008 (notamment aux Etats-Unis, forte valorisation boursière des
firmes), les rémunérations ont suivi.

• L’argument de Krugman (2007) et Piketty (2013) : la montée en


puissance des inégalités de revenus aux Etats-Unis depuis le début des
années 1980 (l’arrivée de Reagan au pouvoir) n’est en rien imputable
aux phénomènes économiques décrits ci-dessus. Les inégalités ne
résultent pas de mécanismes de marché défendus par Gabaix et
Landier (dont les arguments sont vivement critiqués).
Les facteurs explicatifs (4)
• Selon l’économiste P. Aghion, nos économies se situeraient actuellement
sur la phase ascendante d’une « nouvelle » courbe de Kuznets.

• S’inspirant des travaux de J. Schumpeter, Aghion considère en effet que


la forme en cloche de la courbe de Kuznets résulte des dynamiques à
l’œuvre au cours des grandes révolutions industrielles ou technologiques.

• Dans la première phase (ascendante de la courbe), les revenus générés


par les innovations se concentrent entre les mains des seuls
« inventeurs ». Progressivement toutefois, ces rentes d’innovation
s’érodent du fait de l’imitation de ces inventions ou de leur entrée
progressive dans le « domaine public » : c’est la phase descendante de la
courbe.

• Ainsi, à chaque révolution industrielle ou grande vague d’innovations


correspondrait une courbe de Kuznets ; celle que nous vivons
actuellement découlerait de la révolution des NTIC.
Les facteurs explicatifs (5) : le rôle des institutions
• Institutions du marché du travail :

– Erosion du pouvoir de négociation syndical ; or les syndicats


défendent principalement les intérêts des salariés du milieu/bas de
l’échelle et resserrent les distribution des salaires (Lemieux, 2007).
Farber, Herbst, Kuziemko et Naidu (2018) montrent qu’aux Etats-
Unis, les salariés appartenant à un syndicat ont un salaire supérieur
aux autres salariés (toutes choses égales par ailleurs) et que cet
écart est d’autant plus important que le niveau de qualification des
salariés est faible. Or, depuis trente ans, le nombre de syndiqués a
diminué et, dans le même temps, le niveau de qualification des
personnes syndiquées s’est élevé ; ces deux effets se sont
combinés pour élargir significativement la distribution des salaires.
– Rôle du salaire minimum (voir cas français décrit précédemment).

• Importance de la politique éducative (cf. Goldin et Katz).


Les facteurs explicatifs (6) : le rôle des institutions

• Rôle central de la fiscalité selon Piketty (2001), Krugman (2007), Saez


et Zucman (2019) : la politique fiscale a accru de façon très
spectaculaire les inégalités entre riches et pauvres aux Etats-Unis et en
Grande-Bretagne depuis 1980 par la réduction significative des taux
d’imposition sur les tranches supérieures des revenus (cf. Diapo
suivante).

• Selon ces auteurs, le creusement des inégalités a également résulté de


facteurs principalement sociaux ou idéologiques : capacité des
« élites » à modifier à leur avantage les normes de rémunération et
d’équité dans la hiérarchie des revenus mises en œuvre après 1945
(référence à la notion de « salaire juste » - « fair wage » en anglais. Sur
ce point, voir les travaux d’Akerlof et Yellen, 1988).
Evolution des taux d’imposition des plus
riches depuis 1960

Source : Saez E. et Zucman G. (2019). Le triomphe de l’injustice. Seuil. p. 51.


Croissance, inégalités, épargne
• Métaphore du gâteau : la partage a-t-il un impact sur sa taille ?
• Idée longtemps défendue par les économistes : les inégalités sont une
source additionnelle d’épargne. Or l’épargne serait le moteur de
l’accumulation du capital, et donc un moteur du développement
économique.
• Aujourd’hui, le propose est beaucoup plus nuancé :
– On vit une période où il y a beaucoup d’épargne au niveau mondial,
ce qui pourrait expliquer la stagnation séculaire (Summers, 2015).
– Le développement économique repose au moins autant aujourd’hui
sur le capital humain que physique. Dans de nombreux pays, les
fortes inégalités constituent un frein au financement des études pour
les plus pauvres, qui n’ont pas la possibilité d’emprunter (marché du
capital « imparfait » ; Galor et Zeira, 1993).
– Les grandes inégalités sont la source d’instabilité politique, peu
favorable à l’investissement et au développement (Alesina et Perotti,
1996).
• Murphy, Shleifer et Vishny (1989) montrent que le développement
est maximisé lorsque les inégalités sont ni trop faibles, ni trop
importantes :
– Lorsqu’elles sont trop faibles, l’égalité des revenus se traduit par
un déficit national d’investissement, les agents ayant un revenu
souvent insuffisant pour dégager un excédent d’épargne de leur
(faible) revenu.
– A contrario, les sociétés trop inégalitaires, avec une petite frange
de la population concentrant une grosse partie des revenus, ne
sont pas en mesure de développer leur industrie, pourtant
génératrice de progrès technique. En effet, le secteur industriel
est souvent à rendements croissants (coûts fixes élevés)
nécessitant une consommation de masse. Or la grande pauvreté
d’une majeure partie de la population contraint celle-ci à
consommer uniquement des biens agricoles.

• Débat aussi sur le sens de causalité entre inégalités et croissance.


Qui est pauvre en France ?
Taux de pauvreté à 60 % de 1970 à 2015 selon le taux
d’activité de la personne de référence
% Source : INSEE Références. Les revenus et le patrimoine des ménages, Edition 2018, p. 19.
A retenir
• La plupart des indicateurs fournis par l’INSEE, bien que non
normalisés sur la période 1970-2015, semblent indiquer une baisse
des taux de pauvreté en France entre 1970 et 2015 (pour le taux de
pauvreté à 60 % : environ 17 % en 1970, environ 15 % en 2016 ; pour
le taux à 50 % : 12 % en 1970, 8 % en 2015 ; cf. INSEE Références.
Les revenus et le patrimoine des ménages, Edition 2018, p. 127).

• Le taux de pauvreté des retraités, nettement inférieur au taux de


pauvreté de l’ensemble de la population en 2015 (8,5 % contre 14,2
%), était nettement supérieur en 1970 (31 % contre 18 %). Montée en
puissance de l’assurance sociale, notamment du système de retraite.

• En 1970, le taux de pauvreté des indépendants était très élevé, autour


de 34 %. Le recul de l’emploi agricole explique en grande partie la
baisse de cet indicateur entre 1970 et 1990, qui reste néanmoins
élevé en 2015 relativement aux autres actifs (notamment salariés).
Source : INSEE Références. Les revenus
et le patrimoine des ménages, Edition
2018, p. 17.
A retenir

• En 2015, le taux de pauvreté au seuil de 60 % pour l’ensemble de la


population est de 14,2 % ; c’est un des taux les plus faible au niveau
de l’Union Européenne (cf. INSEE Références. Les revenus et le
patrimoine des ménages, Edition 2018, p. 15).

• En 2015, les taux de pauvreté les plus élevés concernent les jeunes
(25,7 % chez les moins de 30 ans), les chômeurs (49,9 %) et les
inactifs non retraités (54,2 %), les indépendants (23,0 %), les
personnes sans aucun diplôme (23,9 %), les familles monoparentales
avec un (23,9 %) ou plusieurs enfants (40,1 %).

• Les familles monoparentales représentent 10,5 % des ménages en


2015, contre 3,1 % des ménages en 1970 (cf. INSEE Références. Les
revenus et le patrimoine des ménages, Edition 2018, pp. 21 et 133).
Les salaires en France de nos jours
Salaires nets (de tous les prélèvements à la source, y compris CSG)
dans le secteur privé et les entreprises publiques en France en 2019 :
• Salaire net délimitant le décile inférieur (D1) : 1 319 €.
• Salaire net médian : 1 940 €.
• Salaire net moyen : 2 424 € (y compris emplois aidés).
• Salaire net délimitant l’entrée dans le décile supérieur (D9) : 3 844 €.
• Salaire net délimitant l’entrée de top 5 % des revenu (C95) : 4 982 €.
• Salaire net délimitant l’entrée dans le centile supérieur (C99) : 9 103 €.
• Salaire net moyen des cadres : 4 230 € (5 647 € en brut ; les cadres
représentent 21,0 % des effectifs horaires salariés du privé ; les prof.
intermédiaires, 20,1 %, les employés 28,6 % et les ouvriers, 30,3 %).
• SMIC brut au 1er/01/2021 : 1 554 € (35 heures / Taux horaire = 10,25 €).
SMIC net : 1 230 € (Taux horaire = 8,11 €) - Pas de cotisations
employeurs à hauteur du SMIC, hors cotisations chômage (coût salarial
autour de 1 625 €).
Source : INSEE Première n° 1863, juin 2021. https://www.insee.fr/fr/statistiques/5396066
Inégalités et mobilité intergénérationnelle
The Great Gatsby curve (Krueger, 2012)

L’inégalité des revenus est mesurée par un indice de Gini


La question de la mobilité sociale
intergénérationnelle aux Etats-Unis

“We find that the relationship between mean child ranks and parent ranks is almost perfectly
linear and highly robust to alternative specifications. A 10 percentile point increase in parent
rank is associated with a 3.41 percentile increase in a child’s income rank on average”.
Source : Chetty, Hendren, Kline, Saez and Turner, QJE (2014)
La mobilité sociale intergénérationnelle :
Etats-Unis vs Danemark

Source : Chetty, Hendren, Kline, Saez and Turner (2014)


Salt Lake City,
Utah

Charlotte,
Caroline du Nord
La mobilité sociale intergénérationnelle :
hétérogénéités américaines

Source : Chetty, Hendren, Kline, Saez and Turner (2014)


Intergenerational Mobility in Salt Lake City vs.
70
Charlotte
Child Rank in National Income Distribution
60
50
40
30

Salt Lake City 𝑌25 = 46.2 = $31,100


Charlotte 𝑌25 = 35.8 = $22,900
20

0 20 40 60 80 100
Parent Rank in National Income Distribution
Salt Lake City Charlotte
Intergenerational Mobility in San Francisco vs.
70
Chicago
Child Rank in National Income Distribution
60
50
40
30

San Francisco: Y100 – Y0 = 25.0, Y25 = 44.4


Chicago: Y100 – Y0 = 39.3, Y25 = 39.4
20

0 20 40 60 80 100
Parent Rank in National Income Distribution
San Francisco Chicago
Géographie de la mobilité aux Etats-Unis

Source : Chetty, Hendren, Kline, Saez and Turner (2014)


• Faible mobilité intergénérationnelle aux Etats-Unis.
• Grande disparité spatiale.
• Grande stabilité temporelle en revanche : pas d’évolution
notable entre les cohortes 1971 et 1993.
Le rôle de l’éducation

Source : Chetty, Hendren, Kline, Saez and Turner (2014)

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