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Aspects du sous-développement

au Maroc*
Planches IX-X par Daniel Noin

La notion de sous-développement, en dépit des imprécisions et des ambi


guïtés dont elle a été entourée à ses débuts, a facilité inconstestablement
pour les chercheurs en sciences humaines la compréhension des aspects
et des problèmes des pays du Tiers Monde. Une notion aussi synthétique
aurait dû, semble-t-il, attirer les géographes beaucoup plus tôt : il n'en a
guère été ainsi jusqu'à ces dernières années, du moins en France. La notion,
il est vrai, conduit plus facilement à l'analyse des structures socio-écono
miques qu'à l'analyse géographique ; les différenciations spatiales du sous
développement, dans l'ensemble du Tiers Monde comme à l'intérieur d'un
pays donné, restent difficiles à formuler ; cette difficulté s'explique certai
nement par la faible importance des recherches géographiques consacrées
jusqu'à présent à ce sujet.
Une meilleure connaissance géographique du phénomène serait pourtant
d'une grande utilité. D'abord parce que le concept de sous-développement
— ou les concepts qui en sont dérivés — gagneraient à être étudiés suivant
l'optique et les méthodes particulières de la géographie. Ensuite pour répondre
aux besoins des chercheurs, et notamment des géographes, qui travaillent
dans les pays sous-développés : il est impossible aujourd'hui d'analyser les
faits de population, les activités rurales ou les phénomènes urbains de ces
pays sans aborder, de front ou de biais, les problèmes du sous-développement1.
Des aperçus géographiques à l'échelle mondiale existent déjà2. Afin de
les préciser, il paraît utile d'étudier maintenant certains aspects du sous
développement (le rapport production-population, l'explosion démogra
phique, le sous-emploi, l'exode vers les agglomérations urbaines, les deux

* Article rédigé en 1965 (N.D.L.R.).


1. Cf. la dernière thèse de géographie humaine sur le Maroc : J. Le Coz, Le Rharb, fellahs
et colons, 1954, 2 vol., 1 005 p., 4 pl. h. t.
2. Cf. en langue française, Y. Lacoste, Les pays sous-développés, Paris, P.U.F., coll. « Que
sais-je ? », n° 853, 1959. — La partie de l'ouvrage de P. George, R. Guglielmo, B. Kayser et
Y. Lacoste, La Géographie active, Paris, P.U.F., 1964. — Yves Lacoste, Géographie du sous
développement, Paris, P.U.F., 1965.
LE SOUS-DÉVELOPPEMENT AU MAROC 411

secteurs de l'économie, les pôles de croissance) ou encore d'étu


spécifiques du sous-développement dans divers pays.
Les indications qui suivent visent simplement à caractér
aspects démographiques et économiques du sous-développeme
et à en esquisser les différenciations régionales (pl. IX et X).

I. LES PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES


DU SOUS-DÉVELOPPEMENT A L'ÉCHELLE NATIONALE

L'appartenance du Maroc au Tiers Monde a parfois été contestée. D'autres


étiquettes lui ont été appliquées pour souligner son aspect « moderne » ou
pour mettre l'accent sur son « développement ». Les indices les plus signi
ficatifs du sous-développement y sont pourtant observables : forte propor
tion de la population vivant de l'agriculture, faible productivité du travail
agricole, surpeuplement des campagnes, industrialisation peu importante,
fort sous-emploi des forces de travail, épargne réduite et mal employée,
dépendance économique, faible niveau de vie de la masse de la population,
forte fécondité, mortalité en baisse mais encore élevée, survivances de struc
tures sociales de type ancien, rôle inférieur de la femme, fort pourcentage
d'illettrés dans la population adulte, pénurie de cadres... tous ces aspects,
bêlas, peuvent être observés au Maroc comme dans les trois quarts des pays
du globe actuellement.
Le tableau est assez sombre. On peut certes lui apporter des retouches,
mais le fait essentiel demeure : le Maroc fait partie des pays sous-développés ;
il connaît les cercles vicieux et les distorsions du sous-développement. Si
la très forte croissance de l'économie moderne après 1945 a masqué tempo
rairement le phénomène, le ralentissement de la croissance économique
depuis 1952-1953, conjugué avec l'accélération de la croissance démogra
phique depuis la Seconde Guerre mondiale, le mettent depuis en lumière1.

Aspects démographiques
Les caractéristiques démographiques de la population musulmane —
98 p. 100 de la population totale en 1965 — commencent à être mieux con
nues2. Elles illustrent fort bien l'appartenance du Maroc au Tiers Monde.

1. La fécondité est très élevée : le taux de natalité est de 50 p. 1 000 environ,


le taux de fécondité est de l'ordre de 210 p. 1000. Ces taux sont un peu plus

1. L'inquiétude face aux difficultés était déjà nettement perceptible dans la synthèse publiée
par J. Dresch en 1953 sur les Aspects nouveaux de l'Afrique du Nord (Annales de Géographie,
n° 329, p. 37-56). Depuis les problèmes se sont beaucoup aggravés.
2. Deux principales sources de renseignements : Résultats du Recensement de 1960, vol. 1
(nationalité, sexe, âge), Serv. Centr. des Stat., Rabat, 1964 (3 autres volumes à paraître) ;
Résultats de l'enquête à objectifs multiples (1962), Démographie, éd. provis. ronéot., Serv. Centr.
des Stat., Rabat, 1964.
412 ANNALES DE GEOGRAPHIE

élevés que ceux observés dans les au


à ceux de la plupart des pays africa
cains. S'ils ne comptent pas parmi les
s'en approcher par suite de l'améliora
taires qui a tendance à élever encore l
tion sont connues et il n'est pas néc
l'Algérie et à la Tunisie, le facteur o
précocité des mariages (surtout en m
riages chez les femmes veuves ou div
avec la société européenne depuis un d
sensible le comportement de la popul
tion, sauf pour une infime minorité c

2. La mortalité, au contraire, a fort


européenne. Le taux de mortalité génér
ment. Toutes les endémies que connaiss
Une importante infrastructure sanita
pérance de vie à la naissance atteint a
musulmane et les quotients de mortal
assez faibles. La mortalité infantile
(150 p. 1000), ce qui indique certaines
l'équipement hospitalier qui est insuffi
que le personnel médical (1 médecin p
de la population. Ces chiffres donnen
rable parmi les pays du Tiers Monde
picale ou l'Asie méridionale ; par cont
aux pays où l'action sanitaire est pl
territoire, comme l'Algérie ou la Tu
mortalité ou l'appareil sanitaire révèlen
les villes et les campagnes ou entre les di

3. U accroissement de la population
il a certainement dépassé 30 p. 1 000 a
32 p. 1 000 aujourd'hui. Cela implique
ration. Pour 1965, l'excédent des naiss
à 380 000 environ.
Les conséquences d'un tel accroissement —■ supérieur à celui de la plu
part des pays sous-développés, supérieur notamment à celui de l'Algérie
ou de la Tunisie — sont très lourdes. Le nombre des emplois à créer dans les
dix prochaines années s'élève à 1 100 000 pour faire face à la seule croissance
démographique et sans tenir compte du sous-emploi à résorber ; chiffre
considérable si l'on songe à l'aggravation tendancielle de ce sous-emploi.
L'étude des implications de l'accroissement suivant les normes admises en
Europe s'arrête vite d'ailleurs : le niveau des investissements qu'elles sup
posent est tout à fait disproportionné avec la capacité d'épargne du pays.
LE SOUS-DEVELOPPEMENT AU MAROC 413

Il est évident qu'une autre voie doit être trouvée


sement de la population.

Aspects économiques
L'économie marocaine a fait l'objet d'un nom
connaissance s'est encore améliorée au cours des
portantes enquêtes1. Les aspects les plus brillant
soulignés tant à la fin du Protectorat que depuis
ni les belles réalisations de l'infrastructure, ni l
la production phosphatière, ni l'essor récent du to
les difficultés de la plupart des secteurs. L'écono
les signes caractéristiques du sous-développemen

1. Des éléments de la production intérieure, il suff


traits essentiels à la lumière des études les plus r
L'économie marocaine reste volontiers décrit
l'instar de celle des autres pays sous-développé
souvent considérée comme l'activité essentielle d
mérite d'être nuancée. En termes de population
son importance diminuer progressivement en
bien l'activité prépondérante (71 p. 100 de la pop
en 1952, 61 p. 100 en 1960). En termes de produ
depuis une quinzaine d'années déjà, que 30 p. 100
intérieure brute ; ce pourcentage, qui oscille sui
(33 p. 100 en 1957, 27 p. 100 en 1961), est plus f
des pays sous-développés mais il n'est nullement
une économie déjà diversifiée. Depuis que la co
pratiquée au Maroc (1951), il se maintient à ce n
lent progrès, sensiblement égal à celui des autres s
des progrès dus à l'essor de cultures riches, mais
l'espace : la plus grande partie du pays est restée
stagnante et faiblement productive. La producti
4 à 5 fois inférieure à celle des activités non agri
Le secteur des mines, de l'énergie, de l'artis
déjà relativement important : il a fourni, en 1960
intérieure brute en employant 11,5 p. 100 de la p
à elles seules, fournissent 6 p. 100 de la product
tendance à augmenter, avec seulement 30 000
1. Cf. notamment les publications de la Division de la Coor
(Rabat) : Plan quinquennal (1960-1964), 1961 : — Le Développem
1960-1964), 1961 ; — Plan triennal (1965-1967), 1965, 602
Central des Statistiques (Rabat) : Résultats de l'enquête à objec
éd. prov. ronéot, 1964. — P. Dubois, Statistiques économiques et
1962. — Tableaux économiques du Maroc (1915-1959), 1960, 3
du Maroc (annuel).
Parmi les études sur l'économie : G. Oved, Problèmes du dével
(Tiers Monde, Paris, juillet-septembre 1961).
414 ANNALES DE GEOGRAPHIE

où la productivité est la plus forte g


traction phosphatière ; la quasi-totali
exportée à l'état brut en attendant la
de Safî. L'industrie fournit aujourd'h
intérieure : cette part, qui s'accroît a
l'industrie est-elle diversifiée mais
prédominance des industries alimenta
ou de produits métallurgiques (0,2
d'acier par an et par habitant), le nom
permanents et 30 000 saisonniers), la
investissements industriels, la prédo
exportations et des produits élaborés dans les importations : tous ces
éléments caractérisent un développement industriel limité.
Le secteur tertiaire, avec 27,5 p. 100 de la population active et 43 p. 100
du produit intérieur en 1960, est manifestement disproportionné par rapport
aux services qu'il fournit. Sans doute l'économie de marché est-elle aujour
d'hui largement répandue dans le pays et l'administration occupe-t-elle
un important personnel mais le gonflement anormal du secteur tertiaire
s'explique surtout par le sous-emploi ; il occupe une part importante de la
population adulte en activités dont l'intérêt économique est faible ou nul.
Au total, l'économie marocaine présente une structure en trois secteurs
comparable à celle de l'Algérie, de la Tunisie ou de l'Égypte, c'est-à-dire
de pays sous-développés où le secteur « moderne » est déjà largement implanté.
A ce point de vue, le Maroc se situe un peu au-dessus de la moyenne des pays
du Tiers Monde. Cependant on ne saurait poursuivre plus longtemps l'étude
sectorielle de l'économie suivant la méthode classique : l'économie marocaine
comme celle de la plupart des pays sous-développés, est « dualiste » ; il y
a deux secteurs, l'un « traditionnel » et l'autre « moderne », dont les diffé
rences, par suite de l'évolution historique du pays, sont particulièrement
accusées. On ne saurait non plus se méprendre sur l'aspect relativement
évolué de la structure par secteurs : au total, la production intérieure brute
reste assez modeste ; elle est inférieure de 40 fois à celle de la France pour
4 fois moins d'habitants.

2. Les deux secteurs de Véconomie ont chacun des caractéristiques et des


problèmes spécifiques1 :

1. Si l'expression de secteur «capitaliste» convient assez bien pour désigner l'économie


moderne bien que ses formes ne soient pas toujours capitalistiques, l'expression de «secteur
sous-capitaliste », ou « sous-prolétarien », pour désigner le secteur traditionnel, ne convient guère
au Maroc ; celui-ci n'est ni intégré, ni contrôlé mais, pour l'essentiel, juxtaposé à celui-là. S'il
y a eu des effets de prolétarisation, dans les villes et dans les régions de culture moderne, ils sont
loin d'être généralisés ; les deux tiers des foyers du secteur traditionnel disposent de moyens de
production. Si les rapports sociaux ont été altérés dans certaines régions, il n'en est pas de même
partout, notamment dans les régions de vieille paysannerie ; quant aux techniques de production,
elles ont souvent peu évolué. Le terme de « précapitaliste » pourrait convenir à la rigueur mais
celui de « traditionnel », consacré par l'usage, paraît encore le moins discutable. Ce qui prête à
discussion, d'ailleurs, ce n'est pas tellement le qualificatif, c'est surtout la limite des deux sec
teurs.
LE SOUS-DEVELOPPEMENT AU MAROC 415

— L'économie « traditionnelle » (agricultu


nisées, la majeure partie de l'artisanat et du p
ou les campagnes) intéresse au Maroc enviro
mais ne contribue que pour 30 p. 100 environ
C'est, bien entendu, l'agriculture qui fait vi
population. Les aspects en ont été précisés par
récentes : exiguïté des exploitations (elles son
3 900 000 ha cultivés en première culture), m
faibles dimensions, insuffisance du matériel
à l'araire), technique agricoles archaïques n'aya
depuis un demi-siècle), absence d'assolements
breuses régions, faible diversification (84 p. 1
sont encore cultivées en céréales), faible prod
en moyenne pour produire seulement 20 kg de
de propriété de type ancien empêchant une b
des modes de faire-valoir indirects à part de r
importance de la rente foncière (souvent 1/3 o
économie, qui est une économie de misère pou
population rurale, n'évolue que très difficilem
L'artisanat rural ou citadin connaît un décli
d'années après avoir conservé longtemps plus
part des autres pays sous-développés. Le pet
contraire mais ne laisse que de très faibles ga
l'animent.

— L'économie « moderne » est beaucoup plus diversifiée : elle comprend


l'agriculture moderne, la pêche, les mines, l'énergie, les travaux publics,
les transports, l'artisanat moderne et une partie du commerce de détail
dans les villes, le grand commerce, l'industrie, y compris la construction
urbaine, enfin la majeure partie des services dans les villes, soit au total
environ 70 p. 100 de la production intérieure, pourcentage qui paraît élevé
pour un pays sous-développé. Elle fait vivre, beaucoup mieux en moyenne
que l'économie « traditionnelle », environ 30 p. 100 de la population du pays.
Ce secteur, qui appartient entièrement à l'économie de marché et dont les
formes sont le plus souvent capitalistes, est largement tourné vers les marchés
extérieurs (le Maroc exporte 25 p. 100 de sa production, chiffre élevé là
encore, pour un pays sous-développé). Sa dépendance vis-à-vis de la France
(pour les cadres, les capitaux, les approvisionnements et les marchés) a été
souvent soulignée au cours des dernières années : cette dépendance diminue
cependant au profit des chefs d'entreprises marocains et surtout de l'État.

— Les deux secteurs n'ont pratiquement pas de liens entre eux dans une
économie « dualiste », ils sont juxtaposés : cette assertion répandue à pro
pos des pays sous-développés a été partiellement vraie au Maroc pendant
longtemps ; elle ne l'est plus vraiment depuis une dizaine d'années. D'abord
parce que la limite entre les deux secteurs — la frange d'interférence plus
416 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

exactement — a tendance à s'élargir : c'est le cas d


artisanales ou commerciales qui se modernisent ;
d'un secteur au profit de l'autre. Ensuite parce qu
deux secteurs ont pris une ampleur croissante à p
consommation ne représente plus que 40 p. 100 en
mation totale des campagnes ; l'économie de marc
tré le milieu rural quoique très inégalement suivan
que l'État intervient de plus en plus dans les ca
pour développer la production et moderniser l'agri
en Valeur Agricole) ou pour utiliser la main-d'œu
vaux d'amélioration (Promotion Nationale).
La répartition géographique de l'économie m
l'idée d'une absence de liens avec les campagnes
connaît une forte concentration dans la région cô
contribue à animer de nombreux centres dans l'en
dans les régions les plus éloignées des pôles de l'éc
centration géographique du secteur moderne est e
grande que dans la plupart des pays sous-développ
peu, une « mise en communication » des deux secteurs
rurales où le secteur moderne est bien représen
capacité d'évolution du secteur « traditionnel » es
par absence de liens avec le secteur « moderne »,
ensemble de freins de nature économique et soc

3. Le sous-emploi de la population active, ou plus


lation en âge d'activité, paraît important et est con
dans les autres pays sous-développés, comme un des problèmes les plus
importants du pays. Ce sous-emploi est en réalité fort mal connu : il méri
terait des études approfondies. Les chiffres avancés jusqu'à présent résultent
d'estimations très discutables. Ainsi on ne peut valablement mettre en rapport
le taux d'activité résultant du recensement de 1960 (28 p. 100) et la part
des plus de 15 ans dans l'ensemble de la population (55 p. 100) pour en déduire
que la moitié de la population adulte est inactive. On ne peut non plus mettre
en rapport le nombre de journées de travail réclamé par les différentes spé
culations agricoles et le nombre de journées pouvant être fourni théori
quement par la main-d'œuvre rurale : on en a déduit un peu hâtivement
que le taux de sous-emploi était de 50 p. 100 et qu'une bonne partie de la
population pourrait être retirée de l'agriculture.

Pour interpréter le taux d'activité de 1960, il faut tenir compte de la


structure par âges, des malades et des infirmes, des personnes déclarées
« actives » mais sans travail et surtout de la participation des femmes aux
activités économiques, particulièrement en milieu rural. Le taux d'activité
doit être en réalité de 36-37 p. 100 tandis que la population susceptible de
travailler ne doit pas dépasser 50 p. 100. Ala campagne, on ne peut seulement
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LE SOUS-DEVELOPPEMENT AU MAROC 417

tenir compte des activités de production : il y


non directement productives mais pourtan
famille ou d'un village ; en fait, il ne semble
main-d'œuvre masculine soit vraiment supéri
pagnes, ce qui est déjà considérable il est vrai.
à variation au cours de l'année : il y a des pér
il y a des périodes d'activité intense, comme
l'agriculture manque de bras. En outre, l'im
fort variable d'une région rurale à l'autre. En
connue1 : à Casablanca, en 1958, 1/5 de la popu
en chômage; 1/3 de la population occupée c
population en chômage le restait pendant de
En fait, ce qui est grave, c'est plus la sous-ut
que l'absence d'activité. Dans le secteur tradit
une foule d'emplois dont l'utilité est faible su
raison de l'hypertrophie du secteur tertiaire
dans les villes. Mais pour préciser ces donnée
criptions très fines et des concepts mieux déf
ment.

Les déséquilibres

Les déséquilibres sectoriels ou régionaux existent partout dans le monde ;


ils sont d'ailleurs inévitables dans la mesure où certains secteurs de l'écono
mie ou certaines régions font preuve d'un plus grand dynamisme que d'autres.
Du moins ont-ils tendance à se résorber dans la plupart des pays développés.
Il n'en est pas de même dans les pays du Tiers Monde. Au Maroc en parti
culier, les déséquilibres démographiques, économiques et régionaux ont
tendance à s'accuser.

I. Le déséquilibre natalité-mortalité

Depuis un demi-siècle, les courbes de la natalité et de la mortalité sont


devenues de plus en plus divergentes par suite de la diffusion au Maroc des
techniques sanitaires modernes. Les données qui permettent de reconstituer
l'évolution démographique sont, malheureusement, fort maigres. En utili
sant tous les renseignements possibles et moyennant certaines hypothèses,
on peut se représenter ainsi l'évolution : l'action sanitaire européenne, qui
a commencé à se manifester dès la fin du xixe siècle, a mis fin au régime
démographique de type ancien ; jusqu'à la fin de la Deuxième Guerre mon
diale, les progrès ont été très importants mais relativement lents ; le taux
annuel d'accroissement devait être de l'ordre de 5 p. 1 000 jusque vers 1920,
il est passé à 10 puis 15 p. 1 000 dans l'entre-deux-guerres.

1. P. Dubois, Enquête sur l'emploi à Casablanca {Bull. mens, de statist., Rabat, suppl. n° 5
février-mars 1958).

Ann. de Géog. — lxxv® année. 27


418 ANNALES DE GEOGRAPHIE

Après 1945, un bond en avant a été f


ils ont permis l'éradication des maladie
sement annuel est passé alors à 25 p
des naissances sur les décès a, de ce f
60 000 par an environ vers 1920, à 120
en 1960.
Logiquement, cette évolution devrait encore se poursuivre, la mortalité
devrait encore diminuer dans les années à venir, notamment par recul de
la mortalité infantile ; la fécondité devrait se maintenir à un niveau élevé
et peut-être même augmenter légèrement. Selon toute vraisemblance, le
taux d'accroissement sera de 35 p. 1 000 en 1970 : le pays augmentera alors
de 450 000 habitants par an ! Perspective inquiétante si l'on songe aux diffi
cultés à surmonter pour développer la production.

II. Le déséquilibre production-population

Ce déséquilibre, qui est la caractéristique essentielle du sous-dévelop


pement, est fort délicat à étudier. Il a donné lieu à bien des jugements hâtifs
lors des controverses politiques qui ont précédé l'Indépendance marocaine.
Le problème mérite une analyse attentive.
On ne peut le réduire à l'étude du rapport production alimentaire-popu
lation ou même production céréalière-population, comme on l'a fait trop
souvent. Les disponibilités annuelles par tête ont certes diminué : les sur
faces cultivées et le cheptel ont augmenté moins vite que la population,
les rendements stagnent, l'intensification de la culture n'a intéressé que des
surfaces réduites. Toutefois la production de biens alimentaires ne doit
pas seule être considérée, il faut aussi tenir compte de l'accroissement de
la production de biens non alimentaires et de l'évolution des échanges exté
rieurs. De fait, certaines consommations alimentaires ont peu à peu augmenté
dans la population marocaine.

C'est l'ensemble de la production intérieure qui doit être mise en rapport


avec la population. L'étude de ce rapport est cependant rendue très com
plexe par suite de la présence de deux populations. Trois périodes au moins
doivent être distinguées :
— De 1912 à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le secteur moderne
de l'économie a connu une importante croissance malgré plusieurs crises.
Le secteur traditionnel, qui a subi d'importants bouleversements, a pro
bablement augmenté lui aussi sa production globale par extension des sur
faces cultivées dans les plaines atlantiques. L'augmentation de la production
intérieure a été alors plus rapide que celle de la population ; toutefois le par
tage du revenu national entre Marocains et Européens n'étant pas connu
pour cette période, il est difficile de savoir l'évolution du niveau de vie de
la population marocaine ; divers indices, notamment la croissance de cer
taines consommations, permettent de penser que son niveau de vie a augmenté
en moyenne.
LE SOUS-DEVELOPPEMENT AU MAROC 41V

— De 1945 à 1954, le secteur moderne s'est dév


tendu par suite de l'afflux des capitaux et du per
(énergie : + 13 p. 100 par an, mines : + 14 p. 1
La production paraît avoir stagné dans le secteur
la production intérieure a augmenté nettement
Une part importante de l'augmentation du revenu
a profité à la population européenne ; l'autre moit
lation marocaine s'est trouvée en grande partie a
démographique déjà forte. Certaines consommati
viande, tissus, postes de radio, etc.) mais les disp
coup accrues, il est probable qu'une légère augmen
de vie s'est accompagnée d'une paupérisation r
défavorisées de la population rurale ou urbaine.
— Depuis 1954, le secteur moderne de l'écon
qu'avec lenteur par suite du très faible niveau
la contraction du marché intérieur consécutiv
Le secteur traditionnel, malgré les efforts de l'É
paraît avoir très peu évolué dans l'ensemble. Q
est entrée véritablement dans la phase d'explosio
le rapport production-population a-t-il eu tendan
ment (production : + 1,6 p. 100 en moyenne, pop
Le fait peut être suivi avec précision depuis 1951
comptabilité économique : la production intérieu
la base 100 en 1951, a atteint 101 en 1955, 92 en 1
de vie moyen par habitant est donc légèrement in
ans auparavant. Constatation attristante si l'on
de la C.E.E. par exemple, l'augmentation a été pr
la même période. Mais, là encore, la moyenne a p
part, la diminution de la population européenne
la baisse de la consommation intérieure ; la consom
semble avoir très légèrement augmenté jusqu'en 1
caine par suite de la marocanisation de l'économi
d'autre part, les disparités sociales dans la popula
tinué à s'accroître, la légère augmentation de la co
profité qu'à une faible partie de la population (bo
naires) tandis que la masse de la population a
niveau de vie régresser dans les villes comme da
de 1964, la consommation globale semble avoir
marocaine par suite de la hausse des prix et des
moderne.

On voit combien l'examen du déséquilibre production-population doit


être effectué avec prudence. La distorsion — si l'on considère l'ensemble de
la population — ne s'est manifestée en réalité qu'à une date récente. Elle a
tendance à croître rapidement en raison de l'accélération de la croissance
420 ANNALES DE GEOGRAPHIE

démographique. Les effets du déséq


sur les masses rurales et urbaines, not
sociales croissantes. Le niveau de vie d
est, en tout cas, fort médiocre. La dé
était, en 1959-1960, de 329 DH1 chez
de 400 chez les exploitants agricoles,
545 chez les ouvriers. Les dépenses alim
des dépenses totales chez les catégories

III. Les déséquilibres régionaux


Les contrastes régionaux ont également tendance à s'accuser. Évolution
inévitable puisque le secteur « moderne », limité malgré tout dans son exte
sion spatiale, s'est fortement développé depuis un demi-siècle tandis que
secteur « traditionnel », qui intéresse en surface la majeure partie du pay
connaît dans l'ensemble une situation difficile.
Parmi les agglomérations urbaines, on note une évolution divergente
entre les villes « modernes » et les villes « traditionnelles ». Faute d'informa
tions statistiques sur la production des différentes villes, l'étude de l'évolution
démographique fournit des indices significatifs. Dans les villes « modernes »,
l'accroissement est bien supérieur à l'augmentation naturelle de la popu
lation ; on y enregistre une immigration provenant soit des villes tradition
nelles ou des petits centres, soit surtout des campagnes. Dans les villes
« traditionnelles » au contraire, l'accroissement est lent ; l'arrivée des ruraux
compense plus ou moins l'exode des jeunes, de ceux qui ont fréquenté l'école,
de ceux qui ont reçu une formation professionnelle.
Un autre fait doit être constaté : c'est le poids croissant, dans la vie
nationale, des villes côtières du Nord-Ouest : Casablanca, Mohammedia,
Rabat, Salé et Kénitra. Elles groupaient 33 p. 100 des citadins en 1936,
39 p. 100 en 1952, 44 p. 100 en 1960 ; elles disposent des 4/5 de l'industrie
marocaine, consomment plus des 3/4 de l'énergie, possèdent les 4/5 des
véhicules et plus de la moitié des téléphones. Elles forment, de loin, l'ensemble
le plus dynamique du pays ; elles attirent les 4/5 des investissements et la
quasi-totalité des cadres.

Dans les campagnes, on note aussi une évolution divergente entre l'évo
lution des campagnes « modernes » ou « modernisées », où le processus de
croissance se poursuit plus ou moins, et les campagnes « traditionnelles » où
la production agricole stagne. Pour un indice moyen égal à 100, la production
agricole s'élève à 202 pour la province de Rabat et à 189 pour celle de Casa
blanca, c'est-à-dire là où les cultures modernes sont étendues, mais à 78 pour
celle de Tétouan et à 56 pour celle d'Agadir, c'est-à-dire là où les cultures
modernes sont peu représentées. Par rapport à la période antérieure à la
Deuxième Guerre mondiale, les écarts se sont accrus de façon très sensible.
1. 1 DH (dirham) = 1 F environ.
2. La consommation et les dépenses des ménages marocains musulmans. Résultats de l'enquête
1959-1960, Serv. Gentr. des Stat., Rabat, 1961, 206 p.
LE SOUS-DÉVELOPPEMENT AU MAROC 421

II. ESQUISSE DES NUANCES RÉGIONALES


DU SOUS-DÉVELOPPEMENT

L'étude régionale du sous-développement n'a guère été entreprise jus


qu'à présent. Pour la mener, il paraît indispensable de préciser certaines
données pour les différentes régions et pour les divers types de villes : les
traits démographiques, les caractéristiques économiques, l'importance des
deux secteurs de l'économie et leur dynamique, le rapport production
population, les mouvements migratoires provoqués par les disparités de
niveaux de vie, la croissance des agglomérations urbaines, les caractères du
sous-emploi, etc.
Le sous-développement, en effet, s'il se manifeste sur l'ensemble du
territoire dans un pays sous-développé, ne présente pas partout la même
physionomie. Le matériel statistique disponible en matière de démographie,
de production, de consommation ou d'emploi révèle des différences marquées
selon les milieux. Les chiffres se rapportant à la population musulmane
vers 1960, le montrent (tableau I) :

TABLEAU I

Tableau de la population musulmane


(vers 1960)

Agglomerations
Regions rurales
urbaines

Plaines Petits centres Villes Villes


Regions cOtieres modern es
Montagnes et plateaux modernise s
tradition el es

Taux de mortalite (p. 1 000)1 24 18 13 21 15 13,5


Accrois ement naturel (p. 1 000)1 22 28 32 32 19 36
Analphabetisme dans la population adulte
(p. 100)2 93 94 89 88 75 77

Depenses annuelles par personne


335 451 500 (en
562 599 625 DH)2 ....
Part de l'alimentation dans la depense des menages
(p. 100)2 78 76 66 60 58 60
10 13 31
Manages ayant un poste-radio 23 50
(p. 60
100)2

1. Recherches personnelles à partir du recens


tiples (1962) [Démographie, Rabat, 1964, éd. pr
2. D'après La consommation et les dépenses de
422 ANNALES DE GEOGRAPHIE

Le tableau se rapporte à trois groupes d


de villes. Les chiffres, sur le plan de la
la consommation sont de plus en plus fa
tableau, c'est-à-dire des milieux les plus
les plus modernisés ; c'est l'inverse pour
d'autant plus forte que le milieu est plus
dent d'en tirer une approximation sur l
Il faudrait pour cela bien d'autres donn
sur l'emploi — encore mal connues sur
«hiffrée. Il faudrait aussi de longues ana
on indiquera seulement quelques aspects
ruraux et citadins.

¡Les campagnes traditionnelles


Les campagnes traditionnelles groupent les 9/10 de la population rurale
marocaine tout en ne fournissant que les 3 /4 environ de la production agricole
en valeur.
Si l'accroissement de la population y a été relativement modéré jusqu'à
1945-1946, il est devenu depuis lors très marqué. Au cours des dernières
années, les campagnes traditionnelles ont eu un excédent naturel de
200 000 personnes par an. Cet accroissement est inégal selon les régions :
il est faible, par exemple, dans l'anti-Atlas à cause de l'émigration masculine
et de l'insuffisance de l'équipement sanitaire ; il est fort dans le Rif parce
que la fécondité y est élevée.
La production, d'une façon quasi générale, ne suit plus l'accroissement de
la population. De nombreux facteurs physiques et humains se combinant de
façon diverse, empêchent l'adaptation de l'économie rurale à la croissance
démographique depuis une date plus ou moins éloignée selon les régions :
médiocrité et irrégularité des pluies, érosion des sols, faiblesse des disponi
bilités en eau d'irrigation, absence ou faible importance des terres pouvant
encore être mises en culture, exiguïté de la surface cultivée par habitant,
manque de moyens matériels, instabilité de l'exploitation agricole, poids de
la rente foncière, fuite de l'épargne hors du milieu rural, exode vers les villes
des éléments les plus actifs, enfin caractère limité de l'aide de l'État. La
situation néanmoins diffère selon les régions ; ainsi la surface cultivée varie
fortement : de 116 ares par habitant en Chaouïa, elle est de 51 dans le Haouz
et seulement de 7 dans le pré-Sahara. La pression démographique s'exerce
■de façon très inégale : elle est relativement faible dans les régions pastorales
«du Maroc central ; elle est forte dans le Rif, le pays chleuh et les Oasis.

Pour faire face à l'augmentation de la population, la solution la plus


¡rationnelle réside dans l'intensification du système de culture. Pour des
¡raisons multiples, cette solution n'est pas adoptée spontanément sauf dans
■des cas exceptionnels ; imposée par l'État, elle n'intéresse encore que de
petites superficies. En l'absence d'une véritable intensification, on peut
LE SOUS-DEVELOPPEMENT AU MAROC 423

observer au moins trois moyens utilisés po


extension de la superficie cultivée, disparitio
des effectifs des troupeaux. Le premier s'obser
le Rif occidental et central, dans le Sud-Oues
souvent aux dépens de la forêt ou sur des pen
quent dans les plaines céréalières atlantiqu
céréalière se répète de plus en plus chaque an
Le troisième s'observe un peu partout où il y a en
le plus souvent, il aggrave le surpâturage. Si u
à obtenir (Rif oriental, pays chleuh, oasis p
temporaire ou saisonnière permet d'accroître l
L'augmentation des ressources est cependan
Chaque année, un important exode amène déf
ruraux vers les villes ou vers l'Europe ; au cour
estimer à 60 000 ou 70 000 le nombre des dépa
de l'accroissement naturel. Ces départs ne sou
campagnes dont la population continue à augm
paraissent cependant avoir empêché l'aggrava
des dernières années (la Promotion nationale s
1 /5 du sous-emploi des hommes adultes).

Ce tableau pêche par sa généralité : chaqu


des caractéristiques spécifiques qui dépendent
son histoire et de sa situation économique et s

1. Dans les vieilles paysanneries de montagne


occidental, Anti-Atlas occidental), l'exploitati
sée par suite de l'ancienneté de l'installation h
et l'arboriculture sont complétées par les cul
techniques agricoles sont plus évoluées qu
augmentation substantielle de la production es
L'augmentation de la population, restée faib
devenue forte aujourd'hui. Dans le Rif surtout
importante que dans le reste du pays ; la mis
fortes après défrichement de la forêt par brû
sion.

Les ressources locales ne suffisent plus. Ma


est intervenu depuis une dizaine d'années. L
pas trop inégalitaire et le vif attachement au
contribué à développer les formes saisonnières
Malgré l'apport de ressources extérieures, le
fort médiocre, nettement inférieur à celui des p

2. Dans la vieille paysannerie des oasis pr


comparable mais en plus sombre. Toute l'eau
utilisée et l'agriculture est plus intensive que p
424 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

difficile d'augmenter la production agricole avec


Or, la population augmente assez vite parce que l
a facilité l'action sanitaire.
La situation y est donc particulièrement difficile. Le niveau de vie est
le plus bas des campagnes traditionnelles. A l'insuffisance des ressources,
il faut ajouter des faits aggravants : l'intensité du sous-emploi et la forte
inégalité des structures sociales. L'émigration est forte et prend toutes les
formes : saisonnière, temporaire ou définitive. Elle ne suffit pourtant pas à
combler l'écart inquiétant entre les besoins et les ressources.

3. Les plaines céréalières de V Occidental et du Nord-Est offrent un milieu


physique beaucoup plus favorable et ont été mises en culture à une date
assez tardive en général. Si elles connaissent aujourd'hui un surpeuplement
relatif, c'est que leur population a fortement augmenté depuis un demi-siècle,
notamment par suite des migrations en provenance des montagnes ou du
pré-Sahara. Les densités atteintes sont devenues relativement fortes ; les
possibilités d'extension des surfaces cultivées sont de plus en plus réduites ;
les jachères disparaissent en beaucoup d'endroits, les pacages deviennent
surchargés. Une augmentation importante des ressources est possible, mais,
compte tenu de la stagnation des techniques et des freins de nature sociale,
elle est lente.
La progression démographique par contre est rapide ici car la mortalité
y est plus basse que dans les montagnes ou dans le Sud. La situation est donc
difficile, au moins pour les paysans sans terre et les minifundiaires qui cons
tituent souvent les 4/5 de la population agricole ; dans certains secteurs
(grandes propriétés, terres guich), le malaise social est assez marqué. Para
doxalement, les plaines céréalières offrent à la fois un fort potentiel d'accrois
sement de la production et le plus fort exode des paysans vers les villes.

4. La région pastorale du Maroc central présente des traits différents.


La mise en place relativement récente de la population, une natalité plus
faible que dans le reste du pays et le caractère extensif de l'utilisation du sol
expliquent la faiblesse relative des densités. Le milieu naturel n'est pas
exploité à fond, des terres peuvent encore être mises en culture et les pâturages
sont loin d'être surchargés. La pression démographique est très modérée dans
la majeure partie de la région en raison de la fécondité relativement faible
de la population.
La situation y est donc relativement favorable. Le niveau de vie est plus
élevé que dans les autres régions en moyenne, l'émigration est faible ou
nulle. Les familles peuvent subsister grâce aux terres collectives d'élevage ou,
à la rigueur, grâce à une courte émigration saisonnière des hommes. Toutefois,
dans certains secteurs, une mise en culture presque complète et de fortes
inégalités agraires indiquent une évolution semblable à celle des plaines
céréalières.
LE SOUS-DEVELOPPEMENT AU MAROC 425

Les campagnes modernisées


Il y a plusieurs types de régions rurales modernisées : les secteurs appar
tenant encore à des colons européens ou leur ayant appartenu, les bandes de
cultures maraîchères de la côte atlantique, les périmètres irrigués modernes,
les lieux où les grands propriétaires marocains sont nombreux à employer les
méthodes de la grande culture. La répartition géographique en est donc assez
complexe. Toutefois, seules les régions où la culture moderne s'étend sur de
grands espaces ont des caractères particuliers. Elles représentent environ
1 /10 de la population rurale et doivent fournir 1 /4 de la production agricole.
On peut en distinguer deux types principaux :

1. Les régions de petites et moyennes exploitations marocaines comme les


secteurs maraîchers de la côte atlantique ou les périmètres irrigués modernes
du Tadla, des Doukkala ou des Triffa présentent un bilan relativement favo
rable.

La production agricole a connu une augmentation importante grâce au


passage de la culture sèche à la culture irriguée, grâce à l'adoption de cultures
rémunératrices, grâce à la commercialisation de la production, grâce parfois
à l'aide technique et financière de l'État. Le sous-emploi y est moins marqué
que dans les autres régions car les cultures sont plus variées et demandent
des façons plus nombreuses ; à certaines époques de l'année, il y a même un
déficit de main-d'œuvre qui entraîne une immigration temporaire de tra
vailleurs.
La population a augmenté, mais moins vite que les ressources. L'immi
gration définitive est en effet freinée par l'impossibilité, pour les nouveaux
venus, d'acquérir des terres. Aussi le niveau de vie est-il supérieur à la
moyenne : les biens de consommation durables sont plus répandus qu'ailleurs
(postes de radio et bicyclettes notamment) ; une fraction plus large de la
paysannerie semble avoir accédé à l'aisance malgré la petitesse des biens
fonciers.
En contrepartie, les exploitants se trouvent désarmés vis-à-vis des trans
porteurs ou des multiples intermédiaires commerciaux. La vente connaît de
sérieuses fluctuations d'une année à l'autre. On assiste en outre au dévelop
pement du salariat ; les exploitations familiales ont tendance à faire place peu
à peu aux exploitations de type capitaliste ou semi-capitaliste ; cette évolution
provoque un mouvement de départs vers les villes, largement compensé par
un mouvement d'arrivées en provenance des campagnes traditionnelles.
Le progrès économique se trouve donc annulé pour une partie de la population
par suite d'une différenciation sociale de plus en plus marquée.

2. Les régions de grandes exploitations appartenant à des colons européens,


à l'État ou à de grands propriétaires marocains (dans les Triffa, le Saïs, le
Rharb, les Zaër, les Zemmour et la Chaouïa) présentent un bilan moins
favorable.
426 ANNALES DE GEOGRAPHIE

La production a beaucoup augmenté


techniques modernes et des cultures « ric
Du point de vue économique, l'évolution
La population a aussi fortement augmen
mortalité et de l'immigration en proven
l'augmentation du nombre des homm
richesses, mais par suite du caractère trè
une partie importante de la population ru
Les disparités sociales sont ici nettement
ou dans l'habitat.
Le sous-emploi est en moyenne assez marqué et se trouve accentué par
le développement de la mécanisation ; les salariés agricoles permanents sont
en général peu nombreux ; il y a par contre une forte demande de travail à
certains moments de l'année, qui provoque un recrutement de main-d'œuvre
féminine sur place et l'arrivée temporaire de travailleurs venant des régions
voisines. Par suite de la faiblesse des salaires et de l'irrégularité de l'emploi,
les ouvriers agricoles comptent parmi les catégories sociales les plus défa
vorisées. A côté d'eux subsiste une couche plus ou moins importante de très
petits propriétaires ou de métayers sur les terres qui ont échappé à la grande
culture. Leur niveau de vie n'est guère plus élevé.
Plus que dans les régions modernes à petites et moyennes exploitations,
il y a exode vers les villes.

Les villes traditionnelles

Une vingtaine de cités marocaines, tout au plus, peuvent êtr


de « traditionnelles ». Cette qualification commode ne signifie
d'évolution ; certaines d'entre elles ont beaucoup évolué sur le p
mique, démographique et parfois même morphologique depuis un
Les informations disponibles sur l'évolution économique so
reusement très fragmentaires. L'enquête fournit ici plus de rens
que la statistique. Ce qui est certain, c'est le déclin accentué de l'
production depuis une dizaine d'années surtout. Le travail du bo
du fer ou du cuivre est en régression très nette tandis que le t
laine et la confection des vêtements sont en difficulté ; la conc
objets industriels et l'évolution des goûts de la population rendent
le déclin irrémédiable ; le tourisme n'a pas été suffisamment importa
présent pour le sauver. Dans la plupart des petits centres tradit
nombreux artisans ont cessé leur activité au cours des dernières années. En
contrepartie d'autres activités se sont développées : l'artisanat de réparation,
les services privés ou publics, le commerce et les transports par suite de

1. Dans le Rharb, où la culture moderne sur grandes exploitations tient une place pré
dominante, la production agricole aurait quadruplé en un demi-siècle pendant que la popu
lation aurait triplé... mais le rapport moyen des fortunes entre Marocains et Européens serait
de 1 à 40 (J. Le Coz).
LE SOUS-DEVELOPPEMENT AU MAROC 427

l'ouverture croissante des campagnes à l'éc


taines villes, il y a eu des implantations indus
guerre. Il est difficile de savoir quelle a été l'é
que la situation soit variable selon les villes : i
gression de l'emploi à Fès ou à Azemmour, au m
ou à Tiznite, un recul certain à Moulay Idriss
En tout cas, la situation de l'emploi n'est pas
est dans les villes modernes. Il y a sensiblemen
actives pour un même effectif d'habitants. L
durer moins longtemps ; par contre le sous-em
les artisans dont beaucoup ne travaillent q
chaque semaine.

Les informations sur la population sont plu


générale, les villes traditionnelles connaissent
particularité s'explique à la fois par leur accr
faible que celui des villes modernes et par leur
favorable. L'excédent des naissances sur les déc
la natalité est plus modérée par suite de l'émigr
est plus forte car l'équipement sanitaire es
migratoire varie d'une ville à l'autre. En règle
assez intense dirigée vers les villes modernes
actifs ou les plus qualifiés : les jeunes, les per
tion, les ouvriers ayant acquis une formation
de capitaux ; les villes traditionnelles ont fou
particulier, de nombreux cadres à la capitale. L
ou Marrakech, mais aussi pour des villes plus
une immigration plus ou moins forte de rurau
voisines ; ce phénomène a provoqué un ren
population : à Fès, par exemple, la foule de
«bourgeoise» d'allure, est aujourd'hui composé
fraîche date venus du Rif ou du pré-Rif.

Le manque d'informations chiffrées sur l'éc


rend difficile la mise en rapport des ressource
tance et le caractère général des départs const
sûr des difficultés économiques. Si les dispari
pas très accusées entre les différentes catégor
à cause des mouvements migratoires qui port
en difficulté vers les centres les plus dynam
villes traditionnelles, malgré ces mouvements
que dans les villes modernes. Les biens de cons
peu moins répandus, les dépenses des ménages
effet, les petits revenus y sont plus fréquents
une activité gagnent moins de 200 DH par m
428 ANNALES DE GEOGRAPHIE

villes modernes) ; certains revenus, il


statistiques : les rentes foncières, par
villes traditionnelles. L'habitat par con
est moins surpeuplé que dans les ville
y sont moins fréquents.

Les villes modernes

Les villes modernes sont les plus nombreuses : environ 70. El


semblent maintenant plus des 4/5 de la population urbaine. Ces ville
en effet connu une expansion spectaculaire au cours des vingt de
années. A Casablanca, la population musulmane qui a atteint le chiff
500 000 en 1953, s'élève à 1 000 000 en 1965. Rabat, Mohammedia, K
Meknès, Khouribga et Oujda ont connu une très forte croissance au co
trois dernières décennies. Les petites villes se sont souvent accrues pl
encore.

Cette intense poussée démographique s'explique d'ab


sement naturel qui est devenu très fort : à Casablanca, le
de 51 p. 1 000 au moins ; la mortalité, par suite du bon éq
et du nombre élevé de médecins, est de 13/14 p. 1000. Chaque
un excédent très important : 37 000 habitants environ
population musulmane. Il s'y ajoute une immigration con
ou de gens venant des autres villes (particulièrement des
nelles : Marrakech et Fès fournissent les plus gros apports)
apport est compris entre 15 000 et 20 000 personnes p
croissance des villes modernes, par conjonction de ces fac
particulièrement élevé ; de l'ordre de 5 à 6 p. 100 par an, c
doublement en 12 ou 14 années.

Un tel accroissement de population implique aussi une économie beaucoup


plus dynamique que celles des villes traditionnelles. Sur ce sujet, les rensei
gnements chiffrés font souvent défaut ; toutefois, la consommation d'énergie,
l'activité du bâtiment et de l'industrie fournissent des indices significatifs.
Ces villes ont, bien entendu, connu les vicissitudes de l'économie « moderne » ;
si la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale a été marquée par une
vive expansion, les dix dernières années ont été caractérisées par des diffi
cultés ; les activités industrielles ne se sont développées qu'avec lenteur, le
bâtiment a marqué le pas à plusieurs reprises ; par contre les activités com
merciales, les transports et les services publics ont en général pris plus d'im
portance. Le secteur tertiaire s'est donc encore hypertrophié.
Le rapport production/population semble avoir évolué de façon défavo
rable sans qu'on puisse suivre avec précision son évolution. La situation de
l'emploi, en tout cas, s'est détériorée ; le chômage a pris une ampleur inquié
tante et a tendance à durer longtemps. Le taux d'activité est faible, mais
comparable à celui des villes traditionnelles.
LE SOUS-DÉVELOPPEMENT AU MAROC 429

Le niveau de vie de la population marocaine musulmane e


légèrement plus élevé que dans les villes traditionnelles. Les
de petits revenus y sont proportionnellement moins nombr
annuelle moyenne par foyer est un peu plus forte que dans
tionnelles. Le pourcentage des foyers disposant de biens dur
plus élevé. En outre, les villes modernes sont plus avanta
social (écoles, dispensaires).

Les différenciations sociales, toutefois, si elles ne sont pas


que dans les villes traditionnelles (d'après les enquêtes sur la
revenus dans la population musulmane), sont beaucoup p
Sur le plan de l'habitat, les contrastes sont particulièrement
a souligné depuis longtemps le caractère choquant. Le grand
avec la grande misère. Au cours des dernières années, par exemple, des
quartiers de villas somptueuses se sont édifiés tandis que les bidonvilles n'ont
cessé de grossir. Les logements sommaires sont en effet plus nombreux dans
les villes modernes : 1 /4 au moins de la population s'abrite dans des baraques
ou dans des maisons de pisé ou de pierres sèches. Les besoins de la population
pauvre sont, en outre, exacerbés par l'étalage de la richesse.
Le bilan en termes chiffrés est cependant plus favorable que dans les villes
traditionnelles. On comprendrait mal autrement la puissante attraction
exercée par les villes modernes sur le reste du pays. Casablanca et Rabat sont
les deux points d'aboutissement de toutes les migrations intérieures.

III. CONCLUSION

Il n'y a pas si longtemps, le Maroc était volontiers considéré com


future Californie en Afrique. A l'époque du Protectorat, il a été con
présenté comme un pays riche tant par ses réalités que ses virtualit
d'hui encore, il y a des restes de ce mythe ; même lorsque le sous
pement est admis, le Maroc passe pour avoir une position favorab
groupe des pays sous-développés.
Cette assertion mérite d'être nuancée. Que certains éléments d
soient favorables, le fait n'est pas contestable : les terres cultivab
disponibilités en eau sont relativement importantes, le sous-sol con
sieurs minerais demandés de façon assez régulière sur le marché
le climat permet de produire des primeurs et des fruits dont l'Eu
déficitaire, le soleil devient de plus en plus un élément d'attracti
tourisme. Le pays dispose en outre d'une infrastructure important
secteur moderne relativement développé. En contrepartie, les
défavorables ne manquent pas : l'accroissement de la population e
inquiétant, les freins sociaux au développement économique sont im
(structures sociales encore archaïques à la campagne empêchan
une exploitation rationnelle de la terre, importance de l'analphabét
les adultes, fuite des gens instruits hors du milieu rural, épargne
430 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

employée surtout dans les secteurs improductifs,


chant la croissance de la production).
En réalité, à beaucoup de points de vue, le Ma
proche de la moyenne dans l'ensemble des 80 ou 90
comme sous-développés dans le monde. Les ind
significatifs lui donnent cette position. Dans les c
proposées jusqu'à présent par des géographes,
J. L. Berry1 et Y. Lacoste2, le Maroc occupe bien
Il y voisine avec les pays musulmans où la croissa
récemment de l'ampleur et où le secteur moderne
vement développé : Algérie, Tunisie, Egypte, Turq
Les aspects du sous-développement sont cependan
à l'intérieur du Maroc. Les campagnes constituent
à ce point de vue ; la distorsion entre la croissanc
de l'économie est assez inégale selon les régions. Ell
variés, principalement historiques et sociologiques.

Les villes forment un milieu moins hétérogène.


favorisées que les campagnes tant sur le plan éc
social. La misère y est moins grande mais elle se t
petite surface ; ses traits s'accusent au voisinage de
vateur venu des pays riches, elle est impressionnan
considèrent-ils les grands centres comme des « pôle
dans la mesure où ils sont à l'origine de l'explosio
qu'ils exerceraient des « effets de stoppage » sur leu
Cette appréciation, au Maroc en tout cas, paraît
Dans l'ensemble urbain qui attire le plus l'attentio
peut être considéré comme un « pôle » — les 5 vill
et Kénitra sur la côte — la situation de la populat
blement plus favorable que dans tout le reste du pa
du chômage et du sous-emploi ; l'importance des m
tion qui s'y produisent depuis l'intérieur du pays
la croissance démographique y est très forte, la c
été longtemps plus forte encore ; sous le Protecto
pendance, cet ensemble urbain a attiré la plus gran
capitaux ; c'est là aussi que la croissance économiq
reprendre son essor et que l'écart entre les secteur
peut le plus facilement se combler.
En outre, l'ensemble urbain de la côte atlantique
d'entraînement » — limités, certes, mais incontesta

1. Brian J. L. Berry, An Introductive Approach to the régio


ment, in Norton Ginsburg (ed.), Essays on Geography and Econom
— Du même auteur, l'analyse statistique du développement éco
Atlas of Economie Development, Chicago, 1961.
2. Y. Lacoste, in La Géographie active, op. cit.
LE SOUS-DEVELOPPEMENT AU MAROC 431

de stoppage » sur les régions avoisinantes. Cet en


million et demi d'habitants et se développe à un r
facilités pour l'exportation de certains produits
marché important pour les céréales, la viande, le
provoqué l'évolution, entièrement spontanée, d
agricoles, grandes ou petites, dans les environs, ju
kilomètres des agglomérations. Il a provoqué la na
centres qui prennent peu à peu figure d'aggloméra
sur l'axe routier reliant les différentes cités ; il
voisinage, particulièrement en Chaouïa. Il est à l'
activités (aménagements balnéaires, exploitations
Cette chaîne urbaine du Nord-Ouest, dominée économiquement par
Casablanca, constitue bien le « pôle de développement » du Maroc.

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