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N° Juin 2018 ISSN 2518-8143

Post-colonialité et cartographie
historique: la croissance dans l’espace de
l’UEMOA et d’Europe du Sud (1960-2012)

Daouda DIOP, Assistant
Département d’histoire à l’université Cheikh A. Diop de
Dakar

Résumé
Cet article analyse de manière succincte
l’histoire économique de deux espaces qui semblent
emprunter la même trajectoire : Celui de l’UEMOA et
d’Europe du Sud. Une telle cartographie historique et
macroéconomique nous permet, à travers un regard
croisé, de comprendre le parcours des États ouest-
africains et outre-Atlantique durant la période
postcoloniale. L’évolution dissymétrique de leur
croissance comparée, les fondements de celle-ci et les
différentes phases qui ont marqué l’expansion
économique de ces espaces permettent de disposer
d’un indicateur central sur la base duquel, historiens
et chercheurs peuvent formuler leurs évaluations dans
un contexte ou le paradoxe croissance-progrès social
est le moteur de plusieurs contestations.
Confrontées à une crise économique et sociale
majeure, aussi bien l’Afrique que l’Europe se sont
inscrits dans un cadre institutionnel qui se veut de
stopper les effets de la stagflation de manière
simultanée depuis l’avènement de la croissance molle
pour l’Occident et le surendettement pour le
continent africain. La naissance des économies de
transition suite à la fin des « Trente Glorieuses »
n’enlève en rien les phases d’essoufflement des États
qui, au lendemain du krach boursier de 1990, affichent
un mouvement tendanciel qui propulse les pays
attardés parce que disposant de plus de marge de
manœuvre et de capacité de rattrapage.

Abstract

This article proposes to analyze summarize
the economic history of two spaces that seem to follow
the same trajectory: UEMOA and Southern Europe.
Such a historical and macroeconomic cartography
allows us, through a crossed view, to understand the
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et d’Europe du Sud (1960-2012)
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course of the West African States and the Atlantic


Ocean during the postcolonial period. The foundations
and the asymmetrical evolution of their growth, and
the different phases that marked the economic
expansion of these spaces allow us to have a central
indicator. This help historians and researchers
formulate their global judgments and assessments or
their concerns in a context of challenges of the growth-
social paradox.
Amid a major economic and social crisis–
simultaneous stagflation caused by low growth in the
West and increasing debt in Africa-, these two
continents have created a new institutional framework
aimed at stopping the effects of stagflation. The
emergence of the transition economies following the
end of the glorious Thirties stops in no way the phases
of exhaustion. The crash of the stock market in the
1990’s, displays a trend that propels forward the less
dynamic countries because they have more room for
maneuver and more capacity for catch-up.


Introduction

Inséré dans la mondialisation, le continent


africain demeure un espace façonné par l’extérieur,
subissant ainsi sa large structuration par l’héritage de
son histoire coloniale et celle des mouvements de
décolonisation. En Afrique subsaharienne, la
thématique de l’intégration régionale s’est
historiquement nourrie d’une critique de cet héritage.
Pour de nombreux auteurs, celui-ci est porteur de
fortes ambivalences car fondé sur le constat d’une
balkanisation de l’ensemble du continent1. C’est la


1
Pour beaucoup, l’Afrique serait victime de la balkanisation est
considérée comme un des facteurs responsables de l’extrême pauvreté
répandue dans le continent malgré le regain de la politique de l’aide.
En effet, suite à l’interconnexion économique et à l’hypertrophie du
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raison pour laquelle, certaines élites dirigeantes des


États nouvellement indépendants auraient été dans le
même temps, peu soucieuses de la remettre en
question puisqu’elles en étaient les principales
bénéficiaires2. Pour sortir de cette position, les
tentatives d’intégration régionale n’ont pas pu extraire
complètement la mise en dépendance née du legs
colonial qui, malgré les efforts consentis, demeure une
réalité bien vivante. Toutefois, au lendemain des
indépendances, les Africains tentèrent de prendre en
charge le devenir de leur continent même si, la
rupture avec la « Métropole », très souvent fortement
discréditée, n’a pas connu un regain de ferveur. L’un
des obstacles majeurs est le fait que les puissances
coloniales avaient taillé à leur mesure des territoires
dont on sait qu’ils n’avaient ni logique politique ou
géographique, ni homogénéité humaine ni
cohérence3. Face à ce contexte, les États exprimèrent
la nécessaire volonté de reconstruction du continent
dans une période où l’harmonie et les exigences
qu’elle demandait étaient devenues peu signifiantes.
L’histoire de l’éclatement de la fédération du Mali
étudiée Sékéné Mody Cissokho4 et qui a rassemblé le

monde de la finance, les échanges « invisibles » ont connu une nette


révolution et avec le flux des capitaux, les économies nationales sont
désormais exsangues, accentuant ainsi, les inégalités sociales, le
chômage et la dépendance vis à vis de l’extérieur.
2
Bach (D.C), Régionalisation, mondialisation et fragmentation en
Afrique subsaharienne, Paris, Karthala, 1998, p. 15.
3
Marie Courau (T.) et Diarra (P.), Les pays africains entre violence et
reconstruction, Paris, Karthala, 2011, p. 205.
4
Cissokho (S.M), Un combat pour l'unité de l'Afrique de l'ouest : la
Fédération du Mali (1959-1960), Dakar, Nouvelles Éditions
Africaines du Sénégal (NEAS), 2005.
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Sénégal et la République soudanaise suite aux


multiples désaccords entre 1959 et 1960, en est une
parfaite illustration.
Dans un autre cliché, dès la fin de la Seconde
Guerre mondiale, le continent européen, adossé à
« l’Europe des six », entamait une politique
ambitieuse de reconstruction économique. Ce qui
avait permis, dès les années 1980, suite à une
croissance dynamique des pays comme l’Allemagne et
la France, illustrée par la période des « Trente
Glorieuses »5, de drainer dans le peloton, leurs voisins
d’Europe du Sud (Espagne, Grèce et Portugal) qui,
malgré leur retard, avaient tant bien que mal, marqué
le pas d’une européanisation réussie.
Les similitudes de ces trois pays en matière
d’expansion économique rapide avec cette partie de
l’Afrique que nous allons étudier sont frappantes et
méritent, en contrepoint, une attention particulière.
En outre, on comprendra mieux, pour les pays
d’Europe du sud comme pour ceux de l’Afrique de
l’Ouest que le cadre de référence reste le modèle
néoclassique de Solow6. Ce cadre mentionne le

5
Les « Trente Glorieuses » ont eu pour conséquences, l’immigration
maghrébine et subsaharienne de 1950 aux années 1980. Sous l’ère de
la reconstruction économique, l’Europe occidentale avait besoin de
bras pour relancer son économie et booster sa production industrielle.
Ces années fastes qui prennent fin au premier choc pétrolier
représentent l’Europe de l’Eldorado (plein emploi et croissance en
hausse). C’est sous cet angle qu’il faut comprendre toute son
attractivité et l’intérêt qu’elle a suscité durant cette période. Les
migrants italiens, espagnoles et portugais de la première génération
ont fait eux aussi, la découverte d’une économie française ouverte et
capable d’absorber la demande de travail.
6
Très influencé par les économistes Paul Samuelson et John Maynard
Keynes, Robert Merton Solow, né en 1924 est un économiste
américain connu pour son modèle qui cherche, par des théories, les
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processus surprenant des économies les moins


avancées qui, à long terme, finissent par rattraper les
pays les plus développés grâce à une marge de
manœuvre leur permettant de surmonter leur retard,
soutenus par des cycles de progressions plus
importantes.
Ce bond de la croissance s’est ressenti à partir
des années 1990 en Afrique au Sud du Sahara. En effet,
depuis cette date, les pays de cet espace n’ont cessé
d’enregistrer de fortes croissances économiques après
avoir subi de plein fouet les chocs pétroliers et la
dévaluation du Franc CFA. Par ailleurs ils
commencèrent à se hisser au sein des nations les plus
connues dans ce domaine7. Des similitudes frappantes
se dessinent alors entre l’évolution des courbes de
croissance des pays de l’UEMOA depuis 1994 et ceux
d’Europe du Sud des années 1950 à 19748. Il s’agit de
deux espaces économiques qui ne partagent pas le
même continent, mais qui ont initialement connu ou
connaissent encore, pour l’Afrique occidentale, le
sous-développement et les phénomènes qui

causes de la croissance qui découlent du long terme. Parmi la


recherche des méthodes de mesure des facteurs de ce phénomène,
Solow mettait aussi l’accent sur ce qu’il appelait le facteur « résiduel »
qui n’épargne pas le taux de croissance de la production, les quantités
de travail et surtout la constance du capital.
7
Toutefois, il est important de souligner que croissance économique
n’est pas synonyme de développement.
Le développement économique et social fait référence à l’ensemble
des mutations positives, voire des transformations qualitatives d’une
zone géographique. Il s’accompagne souvent d’une croissance durable
qui se concrétise par une évolution nette des structures économiques,
sociales et culturelles.
8
Il s’agit pour ce qui est des pays de l’espace UEMOA, du Sénégal,
de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Burkina Faso, du Togo, du Niger et de
la Guinée Bissau). Quand à l’Europe du Sud, l’échantillonnage
concerne la Grèce, l’Espagne et le Portugal.
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l’accompagnent (pauvreté de la grande masse de la


population, démographie galopante, insécurité
alimentaire, inégalités croissantes, manque
d’infrastructures, faiblesse du secteur industriel,
finances dépendant de l’extérieur, endettement …).
Paradoxalement, le ralentissement de l’économie
mondiale n’a guère affecté jusqu’à présent, le
décollage des pays d’Afrique dans un contexte
d’essoufflement conjoncturel des pays d’Europe du
Sud et d’une réelle récession en Occident9. Désormais,
des organisations transnationales se créent pour
unifier les économies sous-régionales et l’envie de
prendre en charge un destin africain commun devient
de plus en plus vivante.
Créée à Dakar le 10 janvier 1994, l’Union
économique monétaire ouest africaine (UEMOA) a
pour principale mission d’intégrer économiquement
les États membres (Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali, Togo,
Burkina Faso, Bénin, Guinée Bissau, Niger) en
renforçant la compétitivité des espaces économiques
nationaux dans le cadre d’un marché ouvert,
concurrentiel régi par un environnement juridique
rationalisé et harmonisé. Le choix fait sur l’espace
UEMOA par rapport à la CEDEAO10 réside dans le fait


9
L’on ne cesse cependant de se poser la question de savoir si cette
croissance est bien inclusive vu le recours des pays des pays d’Afrique
à l’aide de certains pays européens et de certaines instituions
occidentales.
10
La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest
(CEDEAO) est un regroupement régional de quinze pays créé en
1975. Sa mission consiste à promouvoir l'Intégration économique
notamment dans le domaine de l'industrie, des transports des
télécommunications, de l'énergie, de l'agriculture, du commerce ou
encore des questions monétaires et financières. Les Etats membres
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que le premier est un échantillon plus représentatif de


l’Afrique de l’Ouest.
S’il est essentiel de souligner que la conférence
des chefs d’État du 30 mai 199011 reconnaissait
l’UEMOA comme la seule organisation d’intégration
de l’Afrique de l’Ouest, rappelons tout de même que
sa création découle d’une expérience historique et
apparaîtrait sans conteste, de la dissolution de la
Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest
(CEAO)12. Par conséquent l’UEMOA s’inscrirait, ex
nihilo, dans la volonté d’affirmation des projets
« aofiens »13. Mais, reconnaissons qu’au-delà de la
compétition pour le leadership sous régional, elle met
l’accent sur la dynamique intégrative au détriment de
cristallisation et des divergences afin de faire de cette
partie du continent, un espace de modèle de
développement.
Dans notre étude, nous essayerons de voir si la
situation qui prévaut dans ces espaces vient confirmer
une hypothèse14 émise par Alexander Gerschenkron15

sont : Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d'Ivoire, Ghana, Guinée


Bissau, Gambie, Libéria, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra
Leone, Togo.
11
Décision n°A/dec.5/5/90
12
Ibriga (L.M), « L’UEMOA ou l’actualisation de l’AOF » in Becker
(C.), Mbaye (S.), Thioub (I.), AOF : Réalités et héritages. Sociétés
oust africaines et ordre colonial, 1895-1960, Dakar, Direction des
Archives du Sénégal, 1997, pp. 517-518.
13
Idem.
14
L’application des hypothèses se veut de dépasser la simple phase
théorique. Rappelons qu’une science vue sous sa forme
« pragmatique » renvoie à un ensemble de connaissances à caractère
positif. Quand elle est pensée pour un but précis, l’approche devient
normative ou régulative et ne s’intéresse qu’aux critères de ce qui doit
être. Notons que seule l’approche positive (qui ne cherche pas à
définir ce que devrait être le monde) permettrait selon beaucoup
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selon laquelle les pays qui connaissent un décollage


tardif sont aussi ceux qui enregistrent très souvent, les
croissances les plus rapides. Prédomine alors, le
phénomène de « rattrapage » qui constitue ainsi, le
facteur de croissance non négligeable des pays en
retard (latecomers) face aux pays les plus avancés
(early starters). Cette hypothèse aurait le mérite
d’expliquer à la fois la forte croissance de l’Europe du
Sud entre 1950 et 1974 et l’accélération enregistrée à
présent en Afrique. Elle permettrait de comprendre
pourquoi l’Europe stagne pendant que le continent
africain enregistre depuis les années 2000, une
croissance réelle de son produit intérieur brut (PIB)
établie à 5,6%16.
Ainsi, à travers une approche comparative, nous
allons démontrer comment plusieurs facteurs se sont
combinés pour engendrer différentes conjonctures et
dessiner des similitudes entre deux espaces
économiques nationaux. C'est cette histoire qui étale
la trajectoire économique de deux espaces que nous
tentons d’aborder. Nous essayerons d’analyser dans
quelles conditions ces changements se sont opérés et,
sur « une longue durée », comment, au-delà des
structures spatiales et managériales mises en place,
des parallélismes frappants ont existé entre l'Europe
et l'Afrique. L’exploitation des données chiffrées (PIB

d’économistes et d’historiens-économistes, d’adopter une démarche


scientifique rigoureuse.
15
Gerschenkron (A.), Economic backwardness in historical
perspective, Cambridge (Mass), Harvard University Press, 1962.
16
Département des affaires économiques et sociales, ONU, (2011b).
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nationaux) d’Angus Maddison17 nous permettent


d’apprécier l’évolution de la croissance dans ses États,
de tracer des courbes de croissance comparative et
d’établir des tableaux.
De prime abord, nous allons analyser l’aspect
dissymétrique de l’évolution des courbes de
croissance en Europe méridionale et en Afrique de
l’Ouest de 1950 aux années 1970. Ensuite il est
question d’évaluer les fondements et le rythme de
celle-ci jusqu’au krach boursier. Et enfin, il s’agit
d’étudier les causes de la décélération survenue en
Occident depuis cette date ainsi que les leviers de
l’expansion économique depuis la veille des années
2000.


I- Les courbes de croissance : deux évolutions
dissymétriques

En analysant l’évolution des courbes de


croissance, deux phénomènes se dessinent : il s’agit de
l’émergence des pays d’Europe du Sud (Portugal,
Grèce, Espagne) de 1950 au premier choc pétrolier et
de l’accélération de la croissance économique dans
l’espace UEMOA depuis 1994. Dans notre démarche
exploratoire, nous utilisons les données chiffrées
d’Angus Maddison18 afin d’obtenir un classement


17
Maddison (A.), L’économie mondiale. Statistiques historiques,
Paris, OCDE, 2003, pp. 222-236.
18
Idem.
Maddison (A.), L’économie mondiale, une perspective millénaire,
Paris, OCDE, 2001, pp. 138-292.
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entre nations par un procédé de la variation en


pourcentage du quotient entre leur PIB et celui des
États-Unis19. Pour ce qui est du continent africain,
nous userons des mêmes données et procédés pour
apprécier l’évolution de la croissance dans ses États.
Ceux-ci nous permettront, au-delà des simples faits
historiques, d’avoir beaucoup plus d’éléments
explicatifs sur les conjonctures qui les accompagnent.


A- L’émergence de l’Europe du Sud de 1950 à 1974

Les courbes des PIB comparés des pays d’Europe


du Sud et de l’UEMOA déclinent respectivement trois
mouvements de tendances. Pour l’Espagne, le
Portugal et la Grèce, nous avons d’abord la période
allant de 1950 à 1974. Elle correspond à des décennies
de dynamisme et d’émergence. Ensuite il y’a la
séquence 1974-1986 qui renseigne sur une nette
décélération due aux crises pétrolières. Mentionnons
enfin la période qui part de cette date et se prolonge
jusqu’à nos jours. Cette phase est marquée par une
croissance ralentie, puis par un essoufflement né d’un
endettement, ce qui les empêche de résister à la
récession à l’instar des pays anciennement
industrialisés. Contrairement à ce que l’on pourrait
croire en Europe occidentale, les plus performants
durant cette période dite des « Trente Glorieuses »
ne sont pas les pays de l’Europe des Six, mais, loin

19
Les données chiffrées (PIB nationaux) d’Angus Maddison nous
permettent d’apprécier l’évolution de la croissance dans ses États, de
tracer des courbes de croissance comparative et d’établir des tableaux.
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devant ce peloton, une échappée composée de trois


pays attardés d’Europe méridionale, l’Espagne, la
Grèce et le Portugal20. Ces espaces économiques
souffraient pourtant d’un bas niveau d’investissement,
de faibles capacités d’exportation et d’une grande
pénurie de devises: économie fragilisée par le manque
de ressources pour investir, de moyens et de plan
d’action national face au sous-développement, forte
proportion d’agriculteurs dans la population active,
manque d’infrastructures et faible production de
l’industrie manufacturière. L’interprétation de la
courbe qui suit portant sur l’évolution des PIB des
pays d’Europe et de l’UEMOA, montre d’une manière
nette, qu’en dehors, des chocs pétroliers21, leur rythme
de croissance fut presque identique.









20
Après avoir intégré l’Union européenne et son marché, les pays
d’Europe du Sud ont en effet connu des périodes fastes jusqu’à la crise
de 2008. Les performances enregistrées avaient fait d’eux, de « bons
élèves de l’intégration économique ».
21
Il s’agit du premier choc pétrolier d’octobre 1973 qui sévit dans le
contexte de la guerre du Kippour suite au pic de la production et du
second qui s’est produit en 1979-1981 alimenté par le conflit Iran-
Irak.

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Figure 1
Evolution des PIB de l’Europe occidentale (12
pays), de l’Europe du Sud et de l’UEMOA depuis
1950

10,000,000

1,000,000

100,000

10,000

1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010


Europe du Sud UEMOA


Source : Courbe établie à partir des données de
Maddison (A.), L’économie mondiale. Statistiques
historiques, Paris, OCDE, 2003, pp. 222-236.
Le tableau 1 de la variation en pourcentage du
quotient entre les PIB des pays d’Europe occidentale
et le PIB des États-Unis dans la période 1957-1974,
nous édifie encore plus sur le dynamisme surprenant
des pays d’Europe méridionale durant cette période.
Le commentaire qui en ressort place à la tête du
peloton, l’Espagne avec un taux de +68%. Ce qui
induit que les pays à démarrage tardif, décrits comme
des « pays en voie de développement » ont emprunté
dans les années qui suivirent la Seconde Guerre
mondiale, le chemin de la croissance accélérée. Ces
grandes performances inattendues inaugurent une ère
d’expansion économique qui est loin d’être un fait
nouveau. En effet, l’empire colonial apparaissait
toujours comme l’un des principaux piliers de la
puissance économique européenne. Jamais, disait-on,

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la France, dans les années 1950, n’avait eu autant


besoin de parts de marchés en Afrique occidentale
pour assurer sa croissance et le maintien de sa place
dans le monde.

Tableau 1 : Classement des pays pour la période
1957-1974 dans toute l’Europe du Sud
(Variation, en %, du quotient entre leur PIB et le
PIB des États-Unis)
1er Espagne + 68,0

2e Grèce + 52,0
3e Portugal + 45,6

Source : Tableau établi à partir des données de
Maddison (A.), op.cit, pp. 222-236.

B- La mise en place de l’espace UEMOA
L’année 196022 marque, pour une bonne partie
des pays d’Afrique de l’Ouest, l’accession à
l’indépendance après une longue période de
domination coloniale. Le processus d’émancipation et
d’autodétermination a résulté du développement du
nationalisme initié dès le début du XXe siècle.
L’accession à la souveraineté des États
francophones a vu naître un effort considérable
conduisant à un morcellement économique très
soutenu et qui est toujours en phase avec les besoins

22
Exceptée la Guinée Bissau, qui a eu son indépendance le 24
septembre 1973, le Togo, le Mali, le Sénégal, le Niger, le Burkina
Faso ont acquis la souveraineté au cours du mois d’avril, août et
septembre 1960.
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du monde extérieur. Ce fut l’époque de la politique de


transition basée sur le passage d’une économie
d’exportation coloniale (économie arachidière au
Sénégal ou du cacao en Côte d’Ivoire), à la création
d’un espace soucieux de diversifier ses productions et
ses exportations sans pour autant couper le cordon
ombilical entre la France et ses anciennes colonies
devenues indépendantes23. C’est dans cette
perspective qu’a été créée le 9 juin 1959 à Paris,
l'Union douanière de l'Afrique de l'Ouest (UDAO) et
qui regroupait la Côte d'Ivoire, le Dahomey, la Haute-
Volta, la Mauritanie, le Niger et la Fédération du Mali.
Il était question d'instituer et de développer entre les
États membres, une union douanière basée sur la libre
circulation des hommes et des biens.
C’est cette structure qui devint en 1974, l’Union
douanière des États de l’Afrique de l’Ouest. La
coopération entre les États de l’ex Afrique Occidentale
Française se prolongea avec l’Union monétaire Ouest
africaine (UMOA) qui se caractérise par l’usage d’une
même unité monétaire, le Franc de la Communauté
financière africaine (F.CFA)24. L’UMOA fut finalement
transformée, le 10 janvier 1994, en Union Économique
et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et pour


23
Politique africaine n° 105. France-Afrique, sortir du pacte colonial,
Karthala, Paris, Mars 2007, p. 73.
24
Le président guinéen Sékou Touré et celui du Togo Sylvanus
Olympio ont été les deux chefs de file d’un mouvement radical,
refusant d’intégrer l’Union monétaire. Quant au Malien Modibo Keita,
il quitta l’UMOA dès juillet 1962. Suite aux premiers accords
bilatéraux conclus en 1960, l’UMOA fut instituée le 12 mai 1962.
Faunelle (F.X.) et Gagey (F.), Comprendre l’économie africaine,
Paris, L’Harmattan, 1985, p. 473.
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principale mission d’intégrer économiquement les


États membres (Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali, Togo,
Burkina Faso, Bénin, Guinée Bissau, Niger) en
renforçant la compétitivité des espaces économiques
nationaux dans le cadre d’un marché ouvert,
concurrentiel régi par un environnement juridique
rationalisé et harmonisé. Cette structure inaugura
une ère de prospérité et s’accompagna d’une
croissance enviable même si celle-ci n’as pas été
partout homogène. Les taux moyens enregistrés
n’étaient pas en outre, forts pour avoir un impact
tangible sur l’écart qui ne cessait de se creuser entre
les populations riches et les populations pauvres.
Toutefois, c’est le début de l’augmentation régulière
des PIB dans tous les pays de cette partie du
continent. Cette nouvelle tendance contribua à
atténuer les périodes de marasmes économiques et
apparaît comme la période phare de reconstruction
des économies sous-régionales.
Suite aux difficultés des premières années qui
suivent les indépendances, les États de l’Afrique de
l’Ouest n’ont pas vraiment connu des taux de
croissance aussi élevés qu’en Europe pendant les trois
décennies. Un seul pays fait exception, la Côte
d’Ivoire, qui disposait déjà du meilleur tissu
économique de la sous-région.



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II- Les facteurs explicatifs de la croissance


économique ouest africaine comparée à celle
d’Europe du Sud

Les similitudes entre les pays Europe du Sud


(1950- 1974) et ceux de l’espace UEMOA depuis 1994
se confirment et peuvent se résumer à l’accélération
de la croissance et à une progression des niveaux de
vie moyens. Quelles sont les origines d’un tel
phénomène ?

A- Les fondements de la croissance rapide de
l’Europe du Sud entre 1950 et 1974

Entre 1950 et 1974, des croissances considérables


ont été enregistrées dans les États d’Europe
méridionale. Ces fortes performances permettent de
déceler l’effet de « rattrapage ». Dans ce cas, plus le
niveau du PIB par habitant de 1957 est bas, plus la
croissance affichée postérieurement est rapide.
L’Espagne, le Portugal et la Grèce ont en effet
enregistré des progrès rapides en assimilant un certain
nombre de techniques et de méthodes déjà bien mises
au point par les pays leaders. Une source majeure du
dynamisme de l’Europe du Sud durant la période
1950-1974 s’explique par le passage de nombreux actifs
du secteur agricole, des techniques archaïques vers le
secteur industriel recourant aux techniques les plus
récentes. Au Portugal et en Espagne, cette évolution
débute dans les années 1950. En Grèce, elle intervient
dix ans plus tard.
Face au déficit dans les échanges de produits
industriels, les revenus générés par le tourisme,

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ajoutés aux remises des migrants et aux


investissements étrangers, ont permis d’équilibrer la
balance des paiements et d’accumuler un stock d’or et
de devises25. Au final, longtemps classée parmi les
« pays semi-industrialisés », l’Espagne réussit son
insertion croissante dans l’économie mondiale et
occidentale en particulier. Sa part dans les
exportations mondiales s’accroît à partir de 1959,
passant d’un peu moins de 0,5% à 0,9% en 197326.
En définitive, les pays d’Europe méridionale ont su
tirer partie de leur insertion dans le système financier
international. Pour ce qui est du cas de la Grèce par
exemple, elle profita de son insertion dans ce même
circuit pour atténuer son retard, surtout à propos de
son secteur industriel. Entre 1960 et 1970, le manque
de synergies technologiques et productives entre
petites et grandes entreprises avait fragilisé l’ensemble
du système industriel et bloqué le chemin de
l’innovation27. Même s’il faut préciser que pour
certains, les prêts publics étrangers pour cette nation
entre 1953 et 1962 étaient d’un montant très limité,
l’ouverture hellénique a été déterminante pour la
croissance économique. De 1953 à 1958, la Grèce
n’aurait recouru aux emprunts extérieurs qu’une seule

25
Caron (F.), Histoire économique de la France XIXe – XXe siècle,
Paris, Armand Colin, 1995, p. 356.
L’État espagnol entama durant les années 1960 une politique de
libéralisation des échanges avec des mesures destinées à stimuler les
investissements étrangers.
26
Nations Unies, Annuaire statistique du commerce international,
New-York, 1960-1974.
27
Boutillier (S.) et Uzunidis (D.), La Grèce face à l’Europe.
Dépendance et industrialisation truquée, Paris, L’Harmattan, 1991, p.
58.
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fois : 10,1 millions de dollars en 1955 pour financer la


création de sa première raffinerie de pétrole28. Qu’en
est-il maintenant des pays d’Afrique de l’Ouest ?


B – La situation de la croissance dans l’espace
UEMOA après 1994
Rappelons que le tournant qui marque
l’envolée de la croissance économique des pays de
l’UEMOA est l’année 1994. Le tableau des taux de
croissance ci-dessous décline bien cette accélération.
Comme nous pouvons le constater, ils ont été de 4%
par an en moyenne pour l’ensemble des pays de
l’UEMOA de 1950 à 1974 avant de passer à 4,7% par an
après 1994 (en ôtant de cet ensemble la Côte d’Ivoire,
très affectée par des troubles intérieurs de 1999-2002),
après un palier d’une vingtaine d’années.
Tableau 2 : Taux de croissance des pays de
l’UEMOA et d’Europe du Sud de 1950 à 2010

Espaces Europ UEMO Europ


économiques e du A e des
/ croissances Sud 12
annuelles
1950-1974
+ 6,5% + 4% + 4,6%
1974-1994
+ 2,8% + 2,0% + 2,1%
1994-2008
+ 3, 5% + 4,7% + 2,0%
(Côte
d’Ivoire
exclue)
Source : Tableau établi à partir des données chiffrées
de Maddison (A.), op.cit, pp. 222-236.


28
Aguelopoulos (N.), « Le rôle des capitaux étrangers dans la
construction de la Grèce moderne », Lausanne, Université de
Lausanne, 1969, p. 143.
78
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L’étude de la croissance économique dans


l’espace UEMOA fait ressortir de l’échantillon, deux
pays de la sous-région qui affichent une croissance
plus rapide, comme nous le montrent les courbes ci-
dessous. Il s’agit essentiellement du Sénégal et de la
Côte d’Ivoire qui sont plus représentatifs que leurs
voisins29. Il convient de noter, si l’on s’en tient à
l’évolution de la croissance dans cet espace (figure 2),
que le premier a connu une expansion économique
beaucoup plus visible grâce à une stabilité nationale et
à une « démocratie » phare en Afrique. Cependant,
son rythme a connu un léger ralentissement, suite aux
chocs pétroliers et à la sécheresse des années 1970.
Toutefois, le Sénégal n’a pas souffert de troubles
intérieurs aussi graves que la Côte d’Ivoire depuis
1999. Ceux-ci n’ont pas empêché à ce pays, de
connaître un succès économique remarquable. En
outre, leur rapprochement avec l’Europe du Sud est
nettement visible.







29
Ce même phénomène est valable pour l’Europe occidentale par
exemple, drainée par le dynamisme économique de l’Allemagne et de
la France. Autrement dit, le choix porté sur la Côte d’Ivoire et le
Sénégal exprime deux échantillons qui, loin d’un particularisme
anodin, représentent mieux l’ensemble de l’espace UEMOA. Ce choix
n’enlève en rien les efforts consentis par les autres pays pour être dans
le peloton des nations les plus dynamiques.

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Figure 2 : Évolution de la croissance


UEMOA/Europe du Sud 1950-1994

Source : courbe établie à partir des données chiffrées


de Maddison (A.), op.cit, pp. 222-236.

Ces deux pays occupent d’abord une position


géographique privilégiée et ont très tôt, dès la
deuxième moitié du XVe siècle, fait l’objet de
convoitise occidentale. Complètement ouverts sur
l’Atlantique et point de passage obligé vers le reste du
continent, le Sénégal et la Côte d’Ivoire représentaient
la plaque tournante de la politique économique
coloniale et furent parmi les premiers États d’Afrique
de l’Ouest à bénéficier d’infrastructures routières,
portuaires et ferroviaires. La Côte d’Ivoire a connu
entre 1960 et 1970 des transformations positives de
son économie poussant même certains à parler de
« miracle ivoirien »30. Elles ont été le résultat d’une
politique nationale qui misa sur le développement des
productions commerciales agricoles par les planteurs
autochtones et les facilités consenties aux capitaux
étrangers. Les premières décennies de l’histoire


30
La réussite ivoirienne rappelle la renaissance du « Tigre celtique »
en Europe.
80
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économique indépendante de la Côte d’Ivoire ont été


celles d’une stabilité du régime politique sous la
houlette du président Félix Houphouët-Boigny. En
1965, la Côte d’Ivoire occupe le troisième rang
mondial dans la production du café après le Brésil et
la Colombie avec 280 000 Tonnes31. Son président
défend une croissance de l’économie basée sur une
option libérale critiquée par certains, mais efficace
durant les premières années qui ont suivi les
indépendances. L’économie ivoirienne fut inséparable
de l’exploitation des produits agricoles. Il s’agit
notamment du café et du caoutchouc (90% de sa
production destinée à l’exportation), du cacao et du
coton (80%), du bois et des oléagineux (plus de
50%)32. Le pays renferme aussi des gisements de
pétrole, de gaz naturel ainsi que des ressources
minières comme l’or et le diamant dont l’exploitation
date des années d’avant indépendance. Le pays se
dresse durant cette période comme une vitrine en
matière de développement en Afrique de l’Ouest.
Quant au taux de croissance, il connut les mêmes
changements positifs : de 3,8% en 1960 à +7% en
197533. C’est ce qui explique d’ailleurs le relèvement du
niveau de vie des populations et une forte
immigration en provenance. En effet, durant cette
période faste, la Côte d’Ivoire est décrite en Afrique de

31
Toualy (G.), Le modèle de développement ivoirien : mirage ou
utopie partagée, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 48.
32
Le modèle ivoirien en question ; crises, ajustements, recomposition.
Paris, Karthala et ORSTOM, 1997, p. 12.
33
Georges Photios et al, La Côte d’Ivoire à l’aube du XIXe siècle.
Défis démographiques et développement durable, Paris, Karthala,
2001, p. 153.
81
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l’Ouest comme une « terre promise », entraînant


l’afflux d’immigrés venus des pays voisins (Haute
volta, Mali, Sénégal…) Entre 1947 et 1959, déjà, plus de
230 00034 nouveaux immigrants seraient arrivés en
Côte d’Ivoire en provenance de la Haute Volta.
Hormis, les tensions interethniques qu’il suscita,
l’ampleur de cette immigration sous-régionale,
témoigne bien de la bonne santé de l’économie
ivoirienne35.
Quant au Sénégal, il faut souligner que la
période post-coloniale a été essentiellement marquée
par une économie de traite dominée par la production
de la pistache tropicale : l’arachide. Ce produit
occupait à lui seul en 1960 49% des superficies
cultivées et représentait 87% des exportations totale
du pays36. Il a certes joué un rôle dans l’économie
sénégalaise mais cela mérite bien des nuances. La
thèse de Mouhamed Mbodj confirme qu’à partir de
1840, cette graine s’impose face au déclin de la traite
atlantique et s’offre en même temps le privilège de
surclasser la gomme et le caoutchouc qui, jusque là,


34
Yeo (S.) (éds), Les États nations face à l’intégration régionale en
Afrique de l’Ouest : le cas de la Côte d’Ivoire, Paris, Karthala, 2009,
p. 74.
35
Le concept d’ivoirité né durant la crise des années 1930 avec
l’Association de la Défense des Intérêts des Autochtones et qui porte
un regard de culpabilité des étrangers qui seraient les acteurs de la
dépossession de l’identité nationale, s’empira jusqu’à l’élection du
président Alassane Ouattara. Source de tensions interethniques, il est
un obstacle à une réelle envolée de l’économie nationale.
36
Comprendre, analyser, gérer un processus de décentralisation,
Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture,
Rome, FAO, 2006, p. 79.
82
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occupaient une place privilégiée dans les transactions


commerciales en Afrique au Sud du Sahara37.
La culture de cette nouvelle pistache avait un
double rôle : permettre d’abord aux colonisateurs de
satisfaire les besoins des huileries, des savonneries de
Marseille et de Bordeaux, ensuite pousser le paysan
sénégalais à s’acquitter de l’impôt de capitation. En
raison de cette priorité donnée aux cultures
commerciales, les cultures vivrières furent fortement
touchées. Cette concession accordée à la politique
coloniale qui a subsisté après les indépendances,
maintenait une nette dépendance et une disparité
criante entre villes et campagnes, entre régions
côtières et régions intérieures. Par conséquent, elle
faisait disparaître la complémentarité millénaire des
échanges, laquelle liait les populations forestières aux
populations des savanes38.
Les années 1970 ont été celles d’une
conjoncture de croissance moyenne grâce aux
exportations du phosphate, de l’arachide et du coton.
Bien que le président Léopold Sédar Senghor ait
accordé beaucoup d’importance au monde paysan et
tenté le passage à une société industrielle, force est de

37
Mbodj (M.), « Un exemple d’économie coloniale, le Sine Saloum et
l’arachide de 1887 à 1940 : culture arachidière et mutations sociales,
thèse de doctorat 3e cycle, Paris VII, 1978.
38
Abdoulaye Bathily dans les Portes de l’or. Le royaume de Galam
(Sénégal) de l’ère musulmane au temps des négriers (VIIIe-XVIIIe
siècle), Paris, L’Harmattan, 1989, p. 11, esquisse et reconstitue dans
ses grandes lignes cette complémentarité entre espaces économiques
africains. Cette mise au point utile renseigne sur ce « réservoir de
main-d’œuvre » que constituait l’Afrique de l’ouest mais en même
temps la force économique et sociale qu’elle représentait, croisée des
civilisations et véritable carrefour commercial jusqu’à l’époque de la
conquête coloniale.
83
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constater que le pays était encore loin d’asseoir de


véritables planifications dans ce domaine39. L’histoire
des rapports entre les élites postcoloniales et la
paysannerie entérinait la distinction entre les milieux
urbains et les ruraux qui étaient les premiers à souffrir
des aléas du temps (sécheresses, crises politiques et
sociales…) malgré la politique de désenclavement.
Néanmoins, l’importante extension du chemin de fer
et du réseau routier a joué un rôle de premier plan
dans l’expansion économique nationale40.
Les études dirigées par Léonhard Harding et
Boubacar Barry puis entre Léonhard Harding et Pierre
Kipré41 établissent à ce propos, un lien solide entre
l’expansion économique durant la traite arachidière et
ces migrants qui mettent habilement en relation, les
espaces, la mobilité et les réseaux commerciaux. En
établissant des biographies de grands commerçants
comme Théophile Turpin, Eugène San Kadio ou El
Hadji Gora Diop, l’on comprend dans le temps, allant
du simple colporteur au grand négociant, toute la
hiérarchie économique et sociale mais aussi l’esquisse
du dynamisme évolutif des libano-syriens aussi bien
au Sénégal qu’en Côte d’Ivoire.


39
Bourgeois (M.), Senghor et la décolonisation, radio dissoo, la
révolte paysanne, Paris, L’Harmattan, 2011, pp. 175-176.
40
Babacar Fall dans Le travail forcé en Afrique Occidentale
Française (1990-1945), Paris, Karthala, 1993 va au-delà d’un simple
héritage d’infrastructures ferroviaires. En effet le tronçon Thiès-Kayes
est un procès réalisé au fur et à mesure que l’État colonial réorientait
par voie de force, l’économie des sociétés ouest africaines vers
l’intégration du marché capitaliste de l’époque.
41
Hardind (L.) et Barry (B.) (éds), Harding (L.) et Kipré (P.) (éds),
Commerce et commerçants en Afrique de l’Ouest : la côte d’Ivoire,
Paris, L’Harmattan, 1992, pp. 35-240.
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Cependant, il faut noter que la croissance


ivoirienne était plus forte que celle du Sénégal bien
avant 1994. Cela découlait du fait
qu’économiquement, la Côte d’Ivoire gagnait une
marge de manœuvre et une capacité organisationnelle
et financière plus importante que son voisin d’Afrique
de l’Ouest. Mais cet élan ivoirien s’est brisé suite aux
différentes rebellions et scissions ethniques (visibles
déjà dès 197042 au cœur de l’appareil gouvernemental)
qui ont poussé le pays au bord du chaos. Sur le plan
interne, cette situation n’a pas tardé à exciter des
passions, réveiller des antagonismes et des clivages
qui fragilisèrent les institutions politiques43.

Toutefois, en étudiant l’espace UEMOA dans sa
globalité, nous constatons que l’effet du phénomène
de « rattrapage » qui a prévalu pour les nations
d’Europe du Sud à démarrage tardif de 1950 à 1974 est
le même que celui qui explique la forte croissance
entamée en Afrique de l’Ouest depuis 1994. La thèse
de Gerschenkron est non seulement confirmée, mais
laisse apparaître un autre atout du continent.
En effet, l’Afrique possède une population jeune44.
Ce potentiel générationnel représentait et représente


42
En octobre 1970 le pays assiste à la répression d’un soulèvement de
l’ethnie Bété dans la région de Gagnoa. Cette communauté entendait
lutter contre la domination économique exercée par les Baoulés,
ethnie à laquelle appartient le président Félix Houphouët-Boigny. Ce
fut le massacre de Gébié.
43
Bakary (T.A), Côte d’Ivoire. Une succession impossible ?, Paris,
L’Harmattan, p. 13.
44
Selon Les Perspectives du développement mondial 2013. Les
politiques industrielles dans un monde en mutation. Accélérer le
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encore un fort esprit d’entreprise, même s’il reste


confronté au manque de ressources financières qui
ponctionne le secteur économique. Malgré toutes ces
difficultés, l’expansion économique du continent
demeure une réalité bien visible par les courbes de
croissance ci-dessus des PIB comparés (Sénégal Côte
d’Ivoire/Grèce, Espagne Portugal). Celles-ci mettent
en relief les performances stimulées des pays
d’Afrique qui tablaient sur une meilleure progression
que les nations d’Europe méridionale.

Figure 2 : PIB comparés : Sénégal Côte
d’Ivoire/Grèce, Espagne Portugal 1950 1994

Source : courbe établie à partir des données chiffrées


de Maddison (A.), op.cit, pp. 222-236.

Un autre facteur qui peut expliquer cette


réceptivité des sociétés à la croissance dans l’espace
UEMOA et en Afrique d’une manière générale, c’est la

changement, au cours de la dernière décennie, Paris, OCDE, 2013, pp.


113-114, la population jeune du continent africain s’est accrue très
rapidement (soit 16% de la population jeune du monde en 2012) et est
également de plus en plus instruite. Elle devient un atout mais les
emplois et les qualifications posent problème.

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forte propension à travailler, même s’il faut regretter


que cela se fasse sous la pression de la pauvreté. En
effet, celle-ci est liée à la rareté des titulaires de
revenus non liés à une activité, dans une société où les
allocations et les aides sociales sont quasi inexistantes.
L’absence d’une véritable politique de prise en charge
sociale et d’assistance contraint les enfants, qui ne
sont pas encore en âge de travailler et issus de familles
pauvres, à être en activité. Ils sont souvent issus des
townships. L’exode rural constitue l’une des causes du
déversement des populations des campagnes vers le
secteur informel où on trouve des métiers non
règlementés comme celui de marchand ambulant, de
domestique, de cireur de chaussure, de laveur de
véhicules ou de courtier auxquels s’adonne une
population très jeune qui doit affronter le phénomène
du feed back de la décolonisation monétaire.
C’est le gouvernement français d’Edouard
Balladur qui, le 11 janvier 1994, décida d’officialiser la
dévaluation du franc CFA45, monnaie qui voyait le
jour à la fin de la Seconde Guerre mondiale et
destinée aux colonies d’Afrique noire46. Ce climat
entraînait du coup la baisse immédiate du pouvoir
d’achat des Africains très ressentie en ville, là où les
populations avaient l’habitude de consommer des
produits d’importation. Les revenus des ménages


45
Franc CFA : Créé par décret le 25 décembre 1945 signifiait à
l’origine Francs des Colonies Françaises d’Afrique. Cf Journal officiel
de la République française du 26 décembre 1945.
46
Jeune Afrique n°2021 à 2034, Groupe Jeune Afrique, pp. 26-75.
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ruraux qui représentaient près de 60% de la


population active avaient sensiblement baissé47.
La dévaluation du franc CFA aurait participé au
réveil des économies africaines, en stimulant leurs
exportations sur le marché mondial et en freinant les
importations de produits étrangers sur leur marché
intérieur. Réclamée par le Fond monétaire
international (FMI), la Banque mondiale (BM) et les
autorités financières, la dévaluation du franc CFA
aurait pour objectif d’améliorer la compétitivité des
économies, le changement de la structure de l’offre et
de la demande au profit des producteurs africains par
la relance des exportations et le rétablissement des
grands équilibres par la réduction du déficit
budgétaire et de celui de la balance des paiements. Si
l’on en croit les experts du FMI, la dévaluation
permettrait ainsi, de lutter contre une balance
commerciale déficitaire et d’encourager
l’investissement direct étranger (IDE)48. En réalité, il
faut noter que la période d’après 1994 fut
traumatisante, notamment pour les salariés urbains
car il fallait faire face à un processus inflationniste
amorcé depuis la dévaluation du Franc CFA.
En réalité, elle ne fut pas un facteur de croissance
dans l’espace UEMOA. En effet, le continent a vu le
cours de ses produits agricoles baisser selon les
périodes (café, cacao, coton), soumis à la rude épreuve

47
Momar-Coumba Diop (dir), Gouverner le Sénégal. Entre
ajustement structurel et développement durable, Paris, Karthala, 2014,
p. 88.
48
Diagne (A.) et Daffé (G.) (éds), Le Sénégal en quête d’un commerce
durable, Paris, Karthala, 2002, pp. 117-118.
88
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de la compétitivité du marché mondial. Il s’en est


suivi l’endettement, la forte dépendance de l’extérieur
surtout pour les produits manufacturés. Quant à la
baisse du pouvoir d’achat, elle a été à l’origine de la
vague de « départs volontaires », laquelle a permis à
l’État sénégalais et aux entreprises, dans un contexte
économique défavorable, de réduire leur masse
salariale sans recourir à des procédures complexes de
licenciement49.
Enfin soulignons parmi les facteurs de
l’accélération de la croissance économique des pays de
l’UEMOA, fonds envoyés par les immigrés.
L’immigration est liée au manque de main-d’œuvre en
Europe après la Seconde Guerre mondiale. Ce fut
l’époque de l’embellie et de la forte croissance. Des
pays comme la France accueillirent des migrants
d’Europe du Sud (Espagnols, Italiens, Portugais etc.)
et d’Afrique de l’Ouest dans des firmes comme
Renault, Peugeot, Simca, des secteurs comme
l’assainissement de la voierie ou dans les ports (celui
de Marseille par exemple). Le transfert d’argent50
corrélé à l’investissement (l’immobilier, ouverture de
petits commerces, start up etc.) et au soutien familial

49
Daffé (G.) et Diagne (A.) (dir), Le Sénégal face aux défis de la
pauvreté. Les oubliés de la croissance, Paris, Éditions Karthala, CRES
et CREPOS, 2008, p. 193.
50
Ce transfert d’agent est devenu de plus en plus important et
contribue de façon non négligeable aux croissances économiques
africaines. Selon la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest
(BCEAO-2011), en 2010, le transfert d’argent des Sénégalais de
l’extérieur a été de 643 milliards de FCFA contre 822,6 milliards en
2005 (soit 19% du PIB national) alors qu’en 1960, le budget du
gouvernement sénégalais s’élevait à 18 milliards de FCFA (Sources
BAD 2007). Ce même phénomène est visible dans des pays à fort taux
d’émigrés comme le Mali ou le Burkina Faso.
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représente une part non négligeable dans


l’augmentation des PIB nationaux.
Si l’adoption des TIC et leur vulgarisation à
partir des années 1990 ont permis de réduire les
distances et constituent de véritables axes de
connexion des économies nationales et sous
régionales, la hausse des prix du pétrole a du coup
diminué la marge de manœuvre du Sénégal et de la
Côte d’Ivoire, stoppant du coup leur élan de la fin des
années 1980.
Trente ans après la décolonisation, les États
africains, confrontés déjà à un retard industriel et au
problème lié au déficit de leur balance commerciale,
ont eu du mal à réduire leur retard économique.
Toutefois, les pays de l’UEMOA les plus stables ont
profité de leur climat de paix, un effet favorable à la
croissance. Si la période allant de 1950 à 1974 fut celle
d’une croissance accélérée en Europe du Sud et dans
l’espace UEMOA depuis 1994, les nations doivent
désormais faire face à une série de conjonctures
difficiles (crises pétrolières, crise des subprimes,
endettement accru). L’Europe s’est aussitôt fait
détrôner par une économie africaine en pleine
mutation.

III. Le ralentissement de la croissance des pays
d’Europe du Sud après 1974
Après l’âge d’or de la période 1950-1974,
succédait la longue crise qui secoua tous les pays
d’Europe. Non seulement, elle fut longue, mais elle fut

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multidimensionnelle et transforma les espaces


économiques. Cette rupture brutale et profonde
déstabilisa les équilibres macroéconomiques
antérieurs et la relance des années 1980 ne conduisit
nullement à un retour à l’expansion. Elle a été moins
ressentie dans les pays d’Europe du Sud qui avaient
déjà enregistré de fortes croissances, entamé et réussi
un rattrapage partiel avant leur entrée dans l’Union
européenne (1981 pour la Grèce et 1986 pour l’Espagne
et le Portugal). Dans cette foulée, il convient aussi de
souligner que l’intégration européenne fut bénéfique
pour ces trois économies. Elle a permis de faire du
marché commun, un moyen sûr de structuration
d’une politique sectorielle qui se devait
d’accompagner les nouveaux membres en quête de
stabilité économique51. Grâce en grande partie à des
accords qui abolissaient les droits de douane, une
période transitoire a sans aucun doute amorti le choc
né de la hausse des prix du pétrole qui avait permis
aux producteurs à gagner des parts de marché à
l’exportation. Malgré cette politique interventionniste,
la chute de la croissance a été inévitable.



51
Dulphy (A.) et al : « L’Europe du Sud (Espagne, Portugal, Grèce) :
nouvelles approches historiographiques des dictatures et de la
transition démocratiques (1960-2000). Introduction. , Paris, Éditions
Centre d’histoire de sciences po/ revue histoire politique n°29, 2016/2,
pp. 1-9 expliquent clairement comment ces nations jadis attardées, ont
pu dans le temps, suite à leur intégration dans l’Union européenne, se
construire malgré les contraintes socioéconomiques et des combats
idéologiques essuyés.
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A- Les causes du ralentissement en Europe du Sud


La forte croissance des pays à démarrage tardif
céda la place à la décélération. Cela fait suite aux
crises énergétiques successives qui avaient mis à
genoux tout l’Occident. Les pays d’Europe du Sud, qui
ont moins souffert que le reste de l’Europe finirent
trois décennies après, par sombrer dans
l’essoufflement. Suite à « l’âge d’or » de la croissance
qui continuait jusqu’en 1974, l’effet récessif des chocs
pétroliers n’épargna aucun pays du continent, même
les plus puissants économiquement. Dès lors, s’ouvrit
une page qui marque un effritement inquiétant de
l’élan de la croissance et un retour aux périodes de
ralentissement
Suite à une période d’essoufflement inquiétant,
les années 2000 représentent celles de la croissance
molle en Europe occidentale et sa chute inévitable
dans les nations à démarrage tardif (Espagne, Portugal
et Grèce). Ces pays qui avaient certes réussi leur
adaptation au marché européen connurent, à partir de
1974-1975, de fortes modifications du fonctionnement
de leur marché du travail, marqué d’abord par une
sensible amélioration de la protection sociale mise en
place après la fin des dictatures, notamment en
matière d’indemnisation du chômage, puis par
l’épuisement progressif des réserves de population
rurale. Leur main-d’œuvre a progressivement perdu
cette flexibilité qui fait le fort des économies
émergentes et qui existe actuellement en Afrique.
Force est de noter que l’effet « rattrapage » des pays

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d’Europe méridionale s’est épuisé à mesure que ces


pays rapprochaient leur revenu par habitant de celui
des pays les plus avancés. À partir des années 2000, les
industries portugaises et espagnoles ont souffert à leur
tour de la concurrence des pays à bas salaires.
Certains ont cru pouvoir maintenir leur dynamisme
en développant l’endettement public et privé à la
faveur de la mise en place de l’Euro. A partir de 2008,
le déclenchement de la crise des subprimes cassa
durablement l’élan de leur croissance. Prenant la
forme d’un véritable krach boursier, cette crise
financière sans précédant a mis les États d’Europe du
Sud dans une situation critique susceptible de faire
sombrer la démocratie et de basculer vers des régimes
totalitaires. On assiste à des dérives budgétaires (dette
publique et déficit), à un retard de compétitivité et un
faible niveau des taux d’intérêt qui a engendré une
surconsommation52.
L’exemple le plus illustratif de l’instabilité
économique est fourni par les cas espagnol et
hellénique. L’Espagne se portait encore bien jusqu’en
2007. Elle avait profité du boom de l’immobilier,
lequel avait favorisé une forte croissance économique
(croissance du PIB réel annuel en pourcentage : 5,0%
en 2000 contre 3,6% en 200753). Mais face à la
flambée des prix et le fort endettement des ménages,


52
Bsiri (M.), « Impact de la crise économique sur les pays d’Europe
du Sud », Confluences Méditerranéennes n°80, Paris, L’ Harmattan,
2012, p. 48.
53
Panorama des statistiques de l’OCDE 2010, économie,
environnement et société, Paris, OCDE, 2010, p. 37.
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le pays est plongé dans une crise profonde. Il en est de


même pour la Grèce qui est prise en tenaille entre une
forte demande sociale et un endettement malgré une
politique d’austérité imposée par l’Union européenne
et un programme d’ajustement ambitieux qui tentent
de rétablir la viabilité de ses finances publiques et de
restaurer sa compétitivité.
Par conséquent cette nouvelle tendance qui
intervient dans un contexte de crise financière et
immobilière, fait émerger des « économies de
transition » qui enregistrent des performances
exceptionnelles depuis la fin du XXe siècle et le début
des années 2000 (6,5 à 8% : cas du Sénégal et de la
Côte d’Ivoire). La montée en puissance des pays
d’Afrique dessine un autre mouvement tendanciel.

B- L’UEMOA au seuil de l’émergence
Contrairement aux pays d’Europe occidentale, les
pays d'Afrique subsaharienne, et notamment ceux de
l’UEMOA, ont été étonnamment résistants au
ralentissement européen. Loin de connaître un
essoufflement suite à la crise des subprimes et la
récession qu’elle engendra, ils n’ont cessé jusque là,
d’afficher de forts taux de croissance. Les données
chiffrées nous montrent que sur la période 1994-2008
et la période 1974-2008, les pays de l’espace UEMOA
et d’Europe du Sud ont respectivement enregistré un
taux de croissance de +4,7% contre +2,8 %54. Pendant
ces dix dernières années, l’Afrique a enregistré les taux

54
Cf Tableau précédent II.
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de croissance les plus significatifs de son histoire


économique, rompant avec la morosité économique
des décennies 1980 et 1990. En 2009, en pleine crise, le
continent affichait un taux moyen qui s’établissait à
3,9%, puis à 4,9% en 201055, année pendant laquelle le
commerce africain rebondit et les services connurent
un développement non négligeable. Pendant ces dix
dernières années, l’Afrique a enregistré les taux de
croissance les plus significatifs de son histoire
économique, rompant avec la morosité économique
des décennies précédentes. Les Programmes
Minimum d’Intégration (PMI) et la rationalisation des
Communautés Économiques Régionales (CER) ont
connu depuis, des avancées prometteuses et constitué
de véritables mécanismes de convergences sous-
régionales.
Non seulement l’Afrique peut compter sur son
capital de ressources naturelles et minières (matières
premières, forêts, réserves de terres agricoles…) mais
aussi sur son dividende démographique qui se déverse
dans le secteur informel et capable de développer de
véritables économies productives.
Toutefois, cette forte croissance des pays
d’Afrique, notamment ceux de l’espace UEMOA ne
doit pas pour autant occulter les difficultés auxquelles
reste confronté le continent. Il s’agit par exemple de
lutter efficacement contre la pauvreté accrue et les
inégalités sociales, de résorber le chômage des jeunes,
la crise énergétique et enfin de réussir efficacement

55
Perspectives économiques en 2010, OCDE, BAD, 2010, p. 198.
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l’intégration sous-régionale.

Conclusion

Cette étude comparative a tenté de caractériser


et d’expliquer l’évolution de deux espaces et de mettre
en évidence les grandes tendances socio-économiques
qui en découlent. Cette fresque d’ensemble brossée
nous a ainsi permis de mieux comprendre le retard
accusé du « monde périphérique » et la crise de l’État-
providence. L’inaptitude des méthodes classiques ou
traditionnelles à conjurer les crises économiques qui
se sont avérées structurelles a, en grande partie, freiné
la croissance occidentale, et pour ce qui est du
continent africain, causé des déséquilibres macro
économiques malgré la naissance d’une certaine classe
moyenne. L’absence de compétitivité des pays au seuil
de l’émergence et leur incapacité à réévaluer et à
mettre en pratique toutes leurs potentialités
productives les rendent vulnérables face aux aléas et
aux chocs extérieurs.
Toutefois, il convient de souligner que ces
regards croisés sur ces espaces économiques que nous
venons d’étudier révèlent l’existence d’une véritable
similitude. En effet, ils semblent emprunter la même
voie qui les mène vers une accélération de la
croissance, signe de mutations structurelles
importantes. Rappelons que l’Europe du Sud faisait
partie des régions les plus pauvres en Occident et fut
très souvent étudiée sous un angle de pays en voie de
développement jusqu’à une date récente. Il en est de

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même pour l’Afrique et plus particulièrement pour les


pays de l’UEMOA encore en quête d’une véritable
émergence. L’Europe du Sud a été dans une
dynamique de croissance constante jusqu’en 1974 en
réussissant son rattrapage avant de sombrer dans la
décélération et l’essoufflement. Les pays d’Afrique
résisteront-ils à ces phénomènes après dix-huit
années de fortes croissances ?

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