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SONIA BRESSLER LA CHINE DE DEMAIN

La Chine de demain
Par Sonia Bressler

A l’issue du Forum sur le développement économique du Xinjiang qui s’est


déroulé, en août, à Urumqi, nombreux ont été les échanges, les discussions et les
découvertes. Cependant au fur et à mesure des débats passionnants qui ont mêlé
interrogations sur la « sécurité », sur la culture autour du projet « One Belt, One
Road » plus communément appelé Route de la Soie, il me semble que l’on
manque notre sujet. Cela signifie que nous n’arrivons pas à entendre ce que la
Chine souhaite mettre en place. Nous restons sur des positions anciennes tant
sur le plan politique, économique que philosophique et culturel. Or nous devons
comprendre ce qu’est la Chine de demain, nous devons l’admettre et l’accueillir.
Quand je parle de « nous », de « on », il faut entendre « nous les
occidentaux ». Pourquoi manquons-nous notre sujet ? La première raison c’est
que nous refusons d’interroger notre peur viscérale de la Chine. Celle-ci naît du
schisme apparu en 1750. La seconde raison, c’est que nous appartenons au
passé.
J’entends déjà les boucliers se dresser, les arguments s’affuter, la colère
gronder. Mais ce n’est pas grave d’appartenir au passé, le tout est de le savoir ou
comme je l’ai déjà dit de l’admettre et non de rester dans un déni
(caractéristique de notre époque).

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Le passé a du bon, il est le soutient d’un présent. Il est le « point aveugle »1


qui sous-tend le futur. De ce point aveugle on peut observer, comprendre, établir
de nouvelles recherches et certainement chercher à défricher de nouveaux outils
avec lesquels mettre en place un nouveau système.

1- L’Europe et le Monde ont besoin de la pensée chinoise

Mettre en place un nouveau système de pensée, nous ne pouvons pas le


faire seuls (avec nos concepts usés, abîmés pour ne pas dire périmés). « Seuls »
cela signifie dans notre coin, loin de la pensée chinoise. Cette mise à l’index de
la pensée chinoise ne date pas d’hier. Comme expliqué dans mon article intitulé
« la culture en avance sur la diplomatie »2, c’est à partir de 1750 que le
désamour pour la Chine s’expose au grand jour. Le point aveugle de ce
désamour tient au fait que la pensée européenne délaisse l’humain au profit du
politique. La Chine apparaît négativement chez Montesquieu, notamment dans
L’esprit des lois (chapitre 21 du livre VIII) où il qualifie de « despotique » l’Empire
chinois.
Là naît le schisme entre l’Europe et la Chine. Il s’incarnera autant dans la
société civile que dans la « philosophie ». Cette dernière devient exclusivement
européenne. Tout le travail de Confucius ne relèvera donc plus que de la pensée.
C’est à Emmanuel Kant que nous devons l’affirmation de cette séparation en
1756, dans le cadre de son cours de Königsberg sur la « géographie physique »,
où il évoque l’Asie. Il décrète que Confucius n’avait aucune notion de
philosophie morale : « Leur maître Confucius n’enseigne rien dans ses écrits
hors une doctrine morale destinée aux princes ». Il conclut alors : « le concept
de vertu et de moralité n’a jamais pénétré dans la tête des Chinois ».

1Pour faire référence à Merleau-Ponty et ce point aveugle qui nous guide et rend visible tout le reste sauf lui-
même.
2 In 50 Ans d’Amitiés (1964-2014) éditions Nouvelles d’Europe, France Paris, 2014

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Hegel reposera la question de la philosophie en Orient, tout en scellant la


séparation officielle. Il écrit dans les notes de ses cours, publiées sous le titre
Leçons sur l’histoire de la philosophie, une section consacrée à « La philosophie
orientale ». Il y écrit « Nous avons deux philosophies : 1° la philosophie
grecque ; 2° la philosophie germanique. » Il s’ensuit que « ce qui est oriental
doit donc s’exclure de l’histoire de la philosophie. » En d’autres termes, la
philosophie ne peut venir de Chine.
Le débat était clos. Mais voilà que le président Xi Jinping met en marche la
« Route de la Soie ». Elle avance, elle relie. Elle est un lien. Un pont jeté entre
les cultures, un appel à travailler ensemble. En tant que lien, elle va vers
l’Europe, donc vers le passé. Elle avance, elle est aux portes de l’Europe. Son
avancée, son ampleur ravivent les blessures, les plaies, les fantômes et les vieux
démons européens.
Dans son ouvrage intitulé la Gouvernance de la Chine, Xi Jinping donne une
leçon de politique au monde. Il y explique clairement son projet « One Belt,
One Road », il y montre la volonté de la Chine de tendre la main à ses voisins et
à ses amis. Mais au-delà du projet économique, il montre combien nous
manquons d’imagination et que notre politique mais surtout nos vies ont besoin
de ce rêve. Ce rêve, comme tout rêve chinois est un rêve concret. Il est une
réalité en marche. Il est déjà si bien avancé qu’il donne le vertige. Et nous
occidentaux, nous tremblons face à cette perspective, face à cette immensité en
marche.
Le plus beau de l’histoire, c’est que Xi Jinping ne néglige personne sur le
chemin et surtout pas la jeunesse. Il y consacre un discours, où il écrit « les
jeunes doivent garder en tête que les ‘discours creux nuisent à l’Etat, tandis que
les actions concrètes renforcent’. Il est indispensable qu’ils soient dévoués à leur
poste de travail, qu’ils commencent leur tache par eux-mêmes et par des petits

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riens, et qu’ils accomplissent des exploits notables afin d’assurer


l’épanouissement de leur vie »3.
A qui veut entendre, voir et surtout faire un effort d’imagination, la pensée
chinoise offre un rêve concret, une réalité en marche. Rêve que nous aurions pu
prendre en marche en 1750 mais nous l’avons refusé en instaurant ce schisme -
précipitant ainsi la fin des Lumières. Jamais nous n’avons eu autant besoin de la
Chine pour créer de nouveaux espaces de pensée, de nouveaux rêves, de
nouvelles concrétisations économiques et politiques.

2- La Chine de demain passe par La route de la Soie

La Route de la Soie peut être cet axe autour duquel nous pouvons articuler
une nouvelle façon d’envisager le politique, l’économique et le culturel.
Elle ne néglige personne. Au fur et à mesure des milliers de kilomètres
parcourus sur cette route au coeur du Xinjiang, j’ai pu me figurer ce que signifie
ce projet.
Bâtir la « Route de la Soie », c’est réunir, rassembler non seulement
l’ensemble de la population chinoise (c’est associer les cinquante six ethnies
ensemble) mais aussi les pays frontaliers, et ceux plus lointains. C’est regarder le
futur avec les yeux du présent, sans oublier les traces du passé. Un passé riche
d’histoires, de rencontres, d’échanges, de batailles, de dépassement de soi, de
transmission des savoirs.
Une route, c’est le coeur du lien entre les cultures, les savoirs. Elle porte en
elle toutes les possibilités des échanges. Et la Route de la Soie relève bien des
défis : elle unifie les ethnies autour d’un projet commun. Chaque ethnie se
trouve reliée, chaque culture, chaque pratique, chaque savoir peut s’échanger, se
partager. Depuis toujours la Route de la Soie a eu cette vocation, la médecine

3 Cf. Xi Jinping, Gouvernance de la Chine, page 59

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ouïgour est née du mélange de celle chinoise et arabe, elle a aussi pris du savoir
indien.
La force de cette route, c’est sa diversité. Cette diversité est la pépite
économique et politique de la Chine.
Contrairement à ce que laisse entendre une vision occidentale de la Chine,
la Chine de demain n’est pas celle des mégalopoles (telles que Shangaî), bien sûr
elles auront une place capitale, mais la grande force de la Chine de demain
réside dans l’existence de la diversité.
Cette diversité se trouve dans son cœur. La Chine vit et vibre de ses ethnies,
de ses provinces reculées. Dans ce gigantisme géographique, la Chine peut
puiser une force considérable.
Le Xinjiang incarne tout cela. A la fois région pétrie d’histoires, de
légendes, elle est aussi une région qui avance, qui relève des défis hors du
commun, tant sur le plan écologique, que sur celui commercial et culturel.
C’est une région traversée de milles savoirs, mille sagesses, de mille projets.
Chaque habitant est une force vive de la Chine moderne. Chaque habitant a
une histoire à la fois particulière (singulière) mais aussi collective. C’est cette
histoire singulière qui doit nourrir celle collective.
En d’autres termes, c’est en s’attardant sur chaque point qui constitue la
ligne des différents tracés de la Route de la Soie que la Chine pourra accomplir
cette unification, et cette avancée amicale.
Chaque rêve personnel, individuel doit nourrir celui collectif. C’est une
chance pour chaque individu, chaque village, chaque ville, chaque région et
enfin chaque pays. La Route de la Soie doit aider chacun à améliorer ses
conditions de vie, à construire ses propres rêves et c’est ainsi qu’elle pourra
avancer dans un cheminement « gagnant-gagnant » tel que le décrit Xi Jinping.
Et c’est précisément ce fil économique du « gagnant-gagnant » que nos sociétés
occidentales ne comprennent pas.

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3 - Une nouvelle vision de l’économie : locale, collaborative et


internationale

Comprendre ce cheminement du « gagnant-gagnant », c’est renverser le


système économique occidental. C’est le mettre à plat pour le rebâtir, le remettre
en état de marche. Qu’est-ce que cela signifie ? Et bien c’est assez simple, c’est
reprendre le principe que l’humain est au centre et non le politique.
Comprendre les besoins de chaque individu, c’est écouter les histoires, les
parcours de vie. Il faut partir de chaque histoire singulière pour comprendre les
besoins des individus, des familles, des villages, des villes, des régions.
Nos économies sont devenues spéculatives. Depuis deux siècles, elles ne se
nourrissent que d’elles-mêmes, elles ne servent que leurs propres intérêts. Le
marché ne sert que lui-même. En d’autres termes, nous créons des valeurs à un
endroit. Celle-ci gonfle, puis éclate comme une bulle de savon.
Le souci des bulles économiques, c’est qu’elles éclatent, elles se crèvent,
elles se percent et finissent par ne plus exister. La crise que traverse l’Europe
montre combien il est important de trouver d’autres valeurs au centre de
l’économie.
Si nous suivons le fil de la Route de la Soie alors nous sommes obligés de
considérer les choses sous un autre angle. Pas de route sans les individus. Ils sont
là pour entretenir le passé, le présent, le futur. Ils sont là pour partager les
savoirs acquis au fil des siècles et apprendre de nouvelles choses.
L’économie de demain se fonde sur des savoirs particuliers, sur des histoires
singulières. Elle est la base solide qui viendra renforcer l’économie existante.
Au Tibet, comme au Xinjiang, j’ai eu l’occasion de rencontrer des
entrepreneurs. Ils sont le poumon de l’économie chinoise.
L’ensemble de ces entrepreneurs (petits et grands) c’est la force d’une
nouvelle économie fondée sur des valeurs culturelles locales.

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L’économie forte de la Chine c’est celle qui va allier l’économie locale, avec
des productions en circuits courts qui valorisent chaque habitant, chaque savoir
local. Une économie plus solidaire, plus équitable et donc valorisant les savoirs
locaux, les énergies vertes. Une économie dialectique qui sera la force de la
Chine de demain.
Qu’est-ce qu’une économie dialectique ? Pour moi, il s’agit d’une économie
qui suivrait une méthode dialectique. C’est-à-dire qui analyserait la réalité en
mettant en évidence les contradictions de celle-ci et chercherait à les dépasser.
Mais comment dépasser ces contradictions du réel ? La Chine a déjà bien
compris en mettant en place des centres sociaux qui expliquent les aides dont
peuvent bénéficier les habitants. Mais il ne faut pas s’arrêter là. L’erreur
fondamentale de l’économie occidentale c’est d’avoir créer une monnaie à
vitesse unique.
La réalité du terrain, nous montre que cette monnaie détruit le potentiel
des individus. Plus personne n’arrive à se nourrir, à se loger sans s’endetter.
Si nous partions des rêves individuels, des besoins « authentiques », nous
pourrions entendre que l’économie doit au minimum se situer sur deux étages.
Un étage pour le quotidien et un étage pour le commerce national et/ou
international. L’histoire passée de la Route de la Soie est pleine de cette
proposition. Les monnaies retrouvées tout le long de la Route en attestent. Les
valeurs se sont échangées au fil des siècles à la fois sur un plan local et sur un
plan international.
Une économie dialectique serait donc celle capable de permettre à chaque
individu de bénéficier des fruits de son travail mais également permettre à
chaque strate de la société de s’améliorer pour le bien de tous. Poursuivre un but
commun c’est déjà faire le premier pas en ce sens. Cette économie dialectique
doit donc être collaborative, diversifiée (car ancrée dans chaque histoire
individuelle) et internationale. Mais la partie internationale ne doit pas faire

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souffrir celle individuelle. C’est cet équilibre entre passé et futur que la Route de
la Soie dit explorer.

Pour conclure, la Chine est un pays qui a la plus longue histoire. Elle ne
s’est pas constituée en un jour. Son histoire est un long processus de
compréhension des cultures et des savoirs qui la constituent. Elle est multiple, et
unitaire, la Chine avance forte de ses savoirs ancestraux.
En avançant le long de son histoire, la Chine a appris de toutes les cultures
ethniques qui la constituent. En se basant sur elles, la Chine a développé des
technologies bien avant les civilisations occidentales.
Comprendre la Chine de demain, s’est s’interroger sur ce qui la constitue
aujourd’hui (les coutumes, les politiques, les ethnies, les questions
environnementales, l’éducation, les technologies nouvelles etc.). La Chine est un
pays vivant, mouvant, qui doit poursuivre son histoire. Mais contrairement aux
pressions qu’elle reçoit de la part des autres pays, la Chine ne doit pas baser son
histoire sur celles des autres pays. Elle doit continuer à avancer en étant son
propre moteur, selon son propre savoir, sa propre sagesse. Elle doit se recentrer
sur ses forces vives : ses régions, ses ethnies et donc sa diversité. En faisant cela la
Route de la Soie gagnera en stabilité et pourra avancer en toute sérénité.

Article publié par le Quotidien du Peuple :


http://french.peopledaily.com.cn/Economie/n/
2015/0901/c31355-8944237.html#0-fbook-1-17996-
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