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« Iphigénie, c’est un monde à l’arrêt » nous déclare Stéphane Braunschweig à propos

de sa dernière création. La pièce, originalement écrite par Racine en 1674, a été reprise par
Braunschweig en 2020. L’homme signe une mise en scène moderne et vivante. Malgré la
difficulté de donner une nouvelle jeunesse à une tragédie classique, rédigée en alexandrin,
Stéphane Braunschweig parvient à réactualiser la pièce et à la rendre compréhensible au
grand public. La tragédie nous conte l’histoire d’Iphigénie, fille d’Agamemnon, grand chef de
guerre grec qui doit sacrifier sa fille pour pouvoir se rendre à Troie et ruiner la cité avec sa
flotte. L’histoire de la pièce est donc emplie d’une certaine violence, que ce soit du rapport
qu’exerce Agamemnon avec Iphigénie, l’appel de la guerre des soldats qui n’attendent que
dans l’espoir de pouvoir se battre, ou encore les rapports hiérarchiques entre les différents
personnages. Une question se pose alors naturellement à nous : en quoi la mise en scène
nous montre une violence inhérente à la pièce. Afin de répondre à cette problématique,
nous nous intéresserons dans un premier temps à la scénographie, puis à la hiérarchie et
enfin au jeu des acteurs.

La scénographie, une opposition constante


L’opposition qui se joue dans la pièce intervient avant même le début de la pièce. En
effet, la disposition de la scène, en bifrontal. Cette disposition confronte jusqu’au public, les
deux « camps » ne voient pas la même chose, lorsque certains voient un personnage de face,
les autres ne voient que son dos, ce qui amplifie la séparation du public. Certaines scènes,
notamment de disputes entre Iphigénie et Eriphile confronte aussi le public. En effet, elles se
tourne alors fréquemment vers un des deux publics, ce qui nous lie alors plus avec l’un des
deux protagonistes. En outre, la disposition du plateau confronte une fois de plus les
personnages entre eux. De fait, un plateau en bifrontal implique une fois encore que les
personnages se font constamment face puisque le plateau est fortement allongé. Il n’y a que
quelques scènes ou les personnages sont côtes à côte. Ils prennent alors toute la place sur la
largeur du plateau, comme s’ils formaient un mur. Il n’y a qu’un plan, les personnages ne
peuvent pas se surélever par rapport aux autres, ils doivent se faire face. Enfin, les deux
côtés de la salle était projetée une image d’une mer s’agitant de plus en plus. Au début de la
pièce, la mer est extrêmement calme, il s’agit d’une mer d’huile. Au fur et à mesure de la
pièce et donc plus on se rapproche du sacrifice d’Iphigénie, plus la mer est violente. A la fin,
on croirait presque à une tempête. Ceci nous fait part de l’escalade de la violence que cette
pièce comporte.
Nous avons vu que la scénographie comporte de nombreux éléments de violence qui
enrichissent la mise en scène et nous donne une certaine vision de la pièce. Néanmoins, la
scénographie n’est pas le seul support qui nous permet de dire que la violence de la pièce
est retranscrite à tous les étages. De fait les rapports de forces de la pièce nous conforte
encore dans cette idée

Des rapports de forces oppressant


Tout au long de la pièce s’exerce des rapports de force qui, bien souvent se mettent
en place avec une violence sans nom. Les personnages sont tous sur le même plan, il n’y a
pas de portion de scène surélevée mais certains occupent néanmoins une position
supérieure aux autres. Evidement, les personnages tels qu’Agamemnon en font partie mais
cette hiérarchie ne se fait pas que sur ce plan. En effet, la mise en scène nous montre une
sorte d’entreprise avec de jeunes cadres dirigeants qui tentent de faire en sorte que leur
entreprise se remette a fonctionner correctement. Ils sont prêts à tout pour cela. De
nombreux éléments nous permettent de faire cette conjecture. Les costumes autant que la
machine à eau nous font penser à une pause dans une entreprise quelconque, où les
employés essayent de voir ce qu’ils peuvent faire pour relancer leur entreprise. Le patron,
Agamemnon est prêt à sacrifier sa propre fille pour la relance de l’entreprise, tous les
employés, les soldats, espèrent reprendre, ne connaissant pas le prix à payer. En outre, de
nombreuses situations nous montre un abus de pouvoir que prend un personnage. Calchas
tout d’abord qui demande la vie d’Iphigénie. Il est au-dessus de tout, au-dessus des lois. Il
n’apparait pas, comme un être mystique. Le chef de l’entreprise n’apparaît alors plus en la
personne d’Agamemnon, les dieux sont au-dessus des hommes, qu’ils soient rois ou paysan.
Sa parole divine est considérée par tous comme immuable. Un autre passage résultant d’un
rapport violent de pouvoir tient à la relation père fille. On ne les voit que peu comme étant
un père et sa fille. Il n’hésite pas à la sacrifier et choisi tout pour elle. Au niveau de la mise en
scène, cela se traduit par une grande distance. A aucun moment on ne voit un père
embrassant sa fille. Même lorsqu’elle revient d’un long voyage éprouvant pour elle il ne lui
montre aucun signe affectif. Il semble être déchiré par la séparation qui s’annonce et par la
mort de sa fille mais il fini par s’en accommoder. Lorsque d’autres personnages viennent
pour lui demander la raison du retard de la flotte, il ne leur dit pas que c’est à cause de sa
fille, il s’énerve simplement contre Achille et Ulysse leur rétorquant sur un ton agressif que
c’est plus complexe que ça ne leur paraît. C’est comme si hésiter entre un combat des plus
meurtriers, où certains des plus grands guerriers grecs mourraient simplement pour une
promesse et sa fille était quelque chose de déshonorant. Comme si ne pas savoir s’il
reviendrait vainqueur de Troie et continuer à vivre paisiblement avec sa famille était en soi
quelque chose de terrible pour un guerrier.
Loin de nous montrer ce caractère violent uniquement dans la scénographie et dans
les rapports de forces, Stéphane Braunschweig nous délivre aussi une mise en scène violente
dans le simple jeu d’acteur.

Un jeu d’acteur perturbant


Les personnages sont, comme l’eau de la mer que nous avons vu précédemment, de
plus en plus agressifs dans leur jeu au fur et à mesure de la pièce. De fait, c’est notamment
le personnage d’Iphigénie qui souffre de ce genre de crise. Elle est au début dans une
incompréhension totale. Elle ne comprend tout simplement pas ce qui lui arrive. C’est à
partir de la fin de l’acte trois qu’elle commence à comprendre qu’on veut la sacrifier. Elle
commence alors à entre dans des excès de colère intense contre les différents personnages.
Dans certaines scènes elle se met à hurler sur des personnages qui souhaitent choisir ce qu’il
en sera de son destin, de sa vie ou de sa mort. Même lorsque ses parents et Achille tentent
de la sauver, elle n’en veut plus, elle est surmenée, n’a pu rien choisir. Elle désir alors avoir le
choix de quelque chose et seule la mort lui apparaît comme une solution. Si elle ne peut
choisir de comment elle vit, au moins peut-elle choisir de mourir. Lorsque Achille tente de lui
faire entendre raison, il l’attrape au bras. Il s’agit alors du seul contact de la pièce. Il l’agrippe
comme s’il voulait l’enlever, l’enlever de la mort. Ce geste nous apparaît comme d’une très
forte violence, comme s’il l’agressait. Mais il y a aussi le mouvement général de la pièce qui
nous montrent cette même violence. En effet, la pièce est très mouvementée. Les acteurs
n’ont de cesse de courir dans toutes les directions. Dés qu’une scène est achevée, tous
partent, souvent au pas de course. Le palais semble animé, à la manière de quelqu’un en
colère. Il ne sait pas comment s’arrêter, se poser. Il n’y a qu’au tout début où un personnage
s’assied de son plein gré, où un personnage s’arrête et prend du temps. Après cela, il y a un
mouvement continuel, nul ne s’arrête jamais. Individuellement, cela ne montre rien puisque
tous courent mais ça montre quand même une rage constante que partagent tous les
personnages.

J’ai beaucoup aimé cette pièce car il est rare aujourd’hui qu’une tragédie classique,
écrite en alexandrin reste compréhensible. De plus, réactualiser un tel monument du théâtre
classique qui se déroule à l’antiquité est quelque chose que je trouve tout à fait
exceptionnel. Stéphane Braunschweig nous montre que l’on peut trouver un sens actuel
même dans une pièce aussi vieille, autant au niveau de la problématique imposée que de la
manière de l’exprimer. Il est intéressant de voir cette pièce comme quelque chose de
moderne, avec un lien avec le confinement et jusqu’où est-on prêt pour l’économie, au
niveau du sacrifice de la jeunesse. Dans la pièce, l’économie est représentée par la guerre de
Troie et le moyen d’y parvenir est le sacrifice d’une part de la population. Cette pièce nous
donne en outre de nombreuses pistes pour notre propre pièce. A mon avis, la figure de la
jeunesse sacrifiée devrait chez nous avoir un rôle plus fort. J’entends par là un rôle où elle
s’assume plus encore, où son combat est puissant. Il faut qu’elle semble partir en guerre plus
que seulement être en colère.

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