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LES 12 PENC DE DAKAR

Une histoire vieille de plusieurs siècles


Par Mously Ndiaye du journal le populaire
Ils sont nombreux ces quartiers et places de la capitale qui portent l’histoire de tout un peuple. Des noms
méconnus des Dakarois qui ainsi n’en savent rien de leur sens et origine. Parmi eux, les 12 Pénc de la
ville de Dakar. Ces villages lébous fondés dans le haut Plateau dont les noms, comme toujours et partout
chez les lébous, sont porteurs de faits historiques méritent d’être connus par tous les Sénégalais surtout la
génération actuelle. C’est tout à l’honneur du journal le populaire qui, à travers un bref aperçu de la
culture léboue, tente de revisiter l’histoire de ces quartiers traditionnels symboles de pérennité et de
stabilité appelés Pénc et de leurs dignitaires.
L’effet de la colonisation a pratiquement réussi à effacer de la mémoire collective des Sénégalais en
particulier des Dakarois les noms des anciennes circonscriptions comme Kaay Findiw, Santhiaba,
M’bakeundeu, Guy Salaan, Hock, Ngaraaf, Thieurigne, Yakh Dieuf, Diécko, Mbot, Thieudème et Kaay
Ousmane Diène. Ces noms atypiques renvoient aux 12 villages mythiques où vivait tranquillement la
communauté léboue. Dénommées Pénc, cette division territoriale constituait jadis, la charpente
administrative de Dakar dans l'ancienne organisation de ladite société. Ainsi, c’est à base de cette
organisation administrative que les différents notables se rencontraient périodiquement pour débattre des
questions relatives au fonctionnement de la cité. Le Pénc était, en effet, le lieu le plus indiqué pour les
prises de décisions majeures mais aussi pour discuter des affaires courantes. Il abritait aussi les
manifestations et rencontres des différents segments de la société léboue. Aujourd'hui, les noms
authentiques d'une bonne partie de ces localités devenues juste des sous-quartiers presque noyés dans
l’espace urbain moderne en perpétuelles mutations sont méconnus par leurs habitants et certaines
personnes âgées censées perpétuer la tradition.
En effet, l’histoire montre qu’il y a de cela très longtemps, après un périple de plusieurs millénaires qui
s’est fait en plusieurs étapes, les lébous, vers la fin du 14ème au début 15ème siècle, ont quitté le Djolof
pour la presqu’île du Cap-Vert. Ce, pour se libérer des brimades du «Bourba». Les lebous, d’après Abdou
Khadre Gaye, président de l’Entente des Mouvements et Associations de Développement (Emad) (Ndlr :
structure initiatrice du Fespenc qui fait des recherches sur la société leboue), constituaient un peuple avide
de grand espace, assoiffé de liberté. C’est cette recherche incessante de liberté qui a fait que chaque fois
qu’ils se sentaient opprimés, ils quittaient leurs terroirs pour d’autres contrées où ils espèrent trouver
beaucoup plus d’autonomie. On dit même, raconte l’initiateur du Fespenc, que l’origine du mot lébou
vient du wolof «luubu» qui signifie « guerrier belliqueux ». «C’est un peuple à forte valeur identitaire qui
refuse toutes formes d’oppression» , renseigne-t-il. D’ailleurs, explique M. Gaye, en riant : «c’est la mer
qui a certainement bloqué leur avancée sinon, ils auraient pu aller au-delà du Cap-Vert».
INSTALLATION DES PREMIERS VILLAGES LEBOUS
De la sorte, une fois à Dakar, les lebous ont fondé les premiers villages, dont Mbidiëm qui est le premier
village à les accueillir, Beer Thialane, Toor, Djanki Malikunba dans le Djander (limite est du Cap-Vert)
en passant par Rufisque, Mbao, Bargny, Yeumbeul… «Mais le village le plus important, l’un des
premiers grands villages que les lebous ont construits dans la Presqu’île c’est «Mbuxex» renseigne Abdou
Khadre Gaye. Ce village qui se situait au site actuel du Stade Léopold Sédar Senghor et alentours a vécu,
selon lui, pendant 105 ans. C’est suite à une épidémie de la maladie du sommeil que «Mbuxex» a éclaté
pour donner naissance à 3 groupes. Le premier groupe a fondé Yoff, Ngor, Ouakam. Ces trois villages
sont appelés «tànk» (pied) du fait que leurs habitants étaient de grands randonneurs, de grands marcheurs.
D’autres sources, par contre, disent que «tànk» fait référence aux trois pieds de la marmite et dès qu’il y a
un pied qui disparaît, la marmite tombe. Ce qui veut dire que ces trois villages traditionnels que sont
Ngor, Ouakam, Yoff, malgré la distance qui les sépare sont liés. Le deuxième groupe a fondé un village
vers Yarakh qui s’appelle Beeñ qui se traduit par «sable fin de plage». Le troisième groupe qui en fait
n’est qu’un prolongement du premier fonda le village de Soumbédioun d’où se perçoivent les îles
jumelles (îles des madeleines). La plus grande porte le nom de «Wër» et la plus petite «laar». C’est à «
Wër » qu’habite le génie protecteur de Dakar « Ndëk Daour Mbaye »
UNE ÉPIDÉMIE DE PESTE, PRETEXTE DE DEGUERPISSEMENT DES «PENC»
C’est par la suite que les villages de Beeñ et de Soumbedioun se sont déplacés vers la Corniche Est
dakaroise pour créer les Pénc. Au nombre de 12, tous les Pénc se situaient dans le haut plateau derrière
l’actuel immeuble Bceao jusque vers le palais de la République. C’est avec l’arrivée des Français à Dakar
vers 1857 que la structuration des Pénc commence à connaître des bouleversements. Parce que les Colons
voulaient coûte que coûte occuper le haut du Plateau. Les premiers déplacements eurent lieu et c’est vers
l’actuelle rue Vincent entre l’avenue William Ponty et l’avenue Faidherbe que ces Pénc ont été amenés,
renseigne Abdou Khadre.
Ainsi, en 1914, poursuit-il, une épidémie de peste «assez douteuse» pour certains explique le prétexte de
la délocalisation, hors du plateau, de six Pénc. La seule alternative pour faire quitter aux lebous leur
terroir c’était de brûler leurs cases. Ces derniers, contraints de quitter, seront par la suite installés à la
Médina qui, à l’époque portait le nom de Khourou khan ou Khan Khour (la dépression de Khan) au
moment où d’autres l’appelaient Tilène (la brousse des chacals). L’actuelle avenue Malick Sy devait faire
office de ligne de séparation entre la population européenne installée au Plateau et les lebous qui devaient
tous quitter le Plateau pour la Médina. Ayant compris leur stratégie, les autochtones, très attachés à leurs
terres, armés jusqu’aux dents se sont regroupés au niveau de l’actuelle avenue Lamine Gueye x Faidherbe
prêt à affronter «les brûleurs de cases».
QUAND LES ABEILLES MYTHIQUES FREINENT L'ÉLAN DES «BRULEURS DE CASES»
Toutefois, l’histoire a retenu que trois événements majeurs ont participé à l’arrêt du déplacement des Pénc
vers la Médina, informe le président de l'EMAD. Il s’agit d’abord de la résistance des populations noires
en 1914. Dès lors, une politique pour calmer les révoltés s’impose parce que la Première Guerre mondiale
venait d’éclater et les colons déjà au front ne trouvent pas l’opportunité d’allumer un autre foyer de
tension en Afrique. Ensuite, l’élection de Blaise Diagne, premier député noir à l’Assemblé Française a
contribué à l’apaisement de la tension. En tant que lébou, il s’est levé avec William Ponty pour arrondir
les angles. Enfin, le mysticisme a pris part aussi au dénouement de la situation. En effet, explique Abdou
Khadre, le Djaraaf Farba Paye a fait sortir des abeilles du fromager géant du pénc de Mbot pour faire fuir
les «bruleurs de cases».
Depuis lors, les 12 Pénc ont perdu leur uniformité. Désormais, 6 des 12 dont Sathiaba, Ngaraaf, Diècko
créés par les Diagne, M’bakeundeu par les Mbaye, Thieurigne par les Ndoye et le dernier-né des Pénc
Kaye Ousmane Diène créé par les Diène se sont implantés au niveau de la Médina. Les six autres ayant
échappé au déguerpissement de 1914 à savoir Kaay Findiw créé par les Diène, Guy Salaan par les Dione,
Hock par les Guèye, Yakh Dieuf par les Samb, Mbot par les Paye et Thieudeme par les Mbengue sont
restés au Plateau.
Cependant, une visite guidée par l’Emad dans les entités de Santhiaba, Ngaraaf, Thieurigne, Yak Djeuf,
Mbot, Thieundeum a permis de découvrir les côtés mystiques et réels de ces Pénc dans lesquels se reflète
la culture leboue.
Dakar penc

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