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Une amitié artistique

Editorial
Le Conseil d'administration de la revue est heureux d'annoncer la nomi- Dinu Lipatti
nation de M. J.-J. Eigeldinger au poste de rédacteur en chef. Professeur
à l'Institut Jaques-Dalcroze, au Conservatoire de Genève, et chargé de
cours à l'Université de cette même ville, il va recevoir le titre de Docteur
et Georges Schwob
en musicologie pour une thèse actuellement à l'impression 1. Nous le remer- par André Gendre
cions d'avoir accepté d'assumer la tâche de rédacteur responsable, qu'il a
exercée avec une compétence et une efficacité que nous apprécions depuis
le décès en 1974 du regretté Pierre Meylan. Nous saisissons cette occasion Georges Schwob (1891-1979) a servi la musique exemplairement pen-
pour remercier également tous nos collaborateurs réguliers ou occasionnels, dant plus de soixante-dix ans. Il le fit d'abord en amateur écla_iré. Il con-
en parlliculier M. Jacques Viret, qui continuera de diriger le Courrier suisse vient de prendre ce terme d'« amateur )) dans son sens preiDier, le plus
du disque avec une autorité indiscutée, et M. J.-R. Hippenmeyer dont la riche. Reportons-nous à cette époque heureuse où l'exécution profession-
chronique de jazz est fort appréciée. nelle n'avait pas encore à sa disposition les moyens techniques ~e diffu-
sion et de reproduction qui font d'elle actuellement une souverame tr?P
Donnant suite à notre demande, la Fondation Pro Helvetia et la com- absolue. Dans une ville comme La Chaux-de-Fonds, avant 1945, « cec1 ))
mission des affaires culturelles de la Suisa ont décidé de nous allouer une n'avait pas encore tué « cela)). Au contraire, on avait besoin de très bons
contribution financière pour les années à venir. Nous exprimons notre gra- amateurs. L'OSR venait régulièrement, la radio diffusait les œuvres clas-
titude aux responsables de ces institutions, dont l'appui nous permettra de
siques, des concerts étaient donnés par de grands artiste.~, m~is on atten~ait
suivre de plus près l'activité musciale en terre romande et de favoriser des des amateurs qu'ils ne vécussent pas en vase clos et qu Ils fissent connrutre
échanges avec la Suisse allemande. Nous croyons avec Denis de Rouoemont
à une population toujours très avide les œuvres du répertoire : séan_ces
que la défense culturelle de régions limitées - et la Suisse roma~de en publiques de piano à quatre mains où l'on jouait les grandes symphomes,
est une - est vitale pour le bien du pays tout entier. Défendant notre patri-
les grands quatuors. Georges Schwob n'h~sitai~ pas à s:eng~ger dans . ~t
moine culturel propre, nous ne nous sentons pas moins solidaires des excercice exaltant et je l'entends encore rn expnmer son emot10n et sa JOte
régions alémaniques et tessinoises de notre pays.
Nous relevons aussi avec satisfaction qu'une Section romande autonome
Uusqu'ici rattachée à Berne et Soleure) de la Société ~uisse de musicologie
est en train de se créer, dont notre revue est pressentie pour être l'organe
officiel.
Pour qu'une revue comme la nôtre puisse remplir les rôles qui lui sont
dévolus il faut qu'elle se fasse entendre. Aussi notre Conseil a-t-il décidé
de lanc~r une campagne d'abonnement à l'occasion de la sortie de ce nu-
méro 5 de 1980. Si donc vous approuvez les buts que nous nous sommes
fixés et si vous trouvez de l'intérêt à ce numéro - vous qui recevez pour
la première fois notre revue - nous vous engageons à vous abonner au
moyen du bulletin de versement annexé.
Nous remercions nos anciens abonnés de leur fidélité et de leurs encou-
ragements ; nous serons heureux de recevoir leurs remarques, suggestions
et critiques. Nombreux sont ceux qui nous ont procuré des noms et adresses
pour notre campagne de promotion. Nous leur en sommes reconnaissants.
C'est là un suffrage pour tous les responsables de la Revue musicale de
Suisse romande.
Le Conseil d'administration

J Stephen Helier, Lettres d'un musicien romantique à Paris (à paraître aux


éditions Flammarion, Paris).
Georges Sclnvob, Ansermet et Backhaus lors d'une réception après un concert
à La Chaux-de-Fonds en février 1968.
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au souvenir de tel concert mémorable où il avait joué en duo avec Mme (15 mars 1947), «Cher Monsieur Schwob » (16 novembre 1947), «Cher
Stammelbach, qui fut violonîste à l'Orchestre de chambre de Lausanne, la Monsieur et Ami » (20 mars 1948), « Cher Ami et Grand Patron de la
Sonate en ut mineur de Beethoven et l'une des Sonates en sol de Mozart. Musique » (16 mai 1949), « Cher et grand Ami » (29 octobre 1949), « Cher
Elève, à Vienne, d'Adolf Prechner auprès de qui il fut quelque temps con- Georges » (12 juillet 1950). On y lit aussi et surtout la lutte que Dinu mena
disciple d'Arthur Rubinstein, Georges Schwob, devenu par la suite directeur contre son mal inexorable : tour à tour héroïsme discret, résignation, espoir
d'une fabrique d'horlogerie, avait les compétences requises pour monter fou - jusqu'à la fin. Les stations d'un calvaire que Lipatti avait l'élégance
sur un podium. Il appartenaît à ces Montagnons éclairés qui savent entretenir de dissimuler, de présenter sous des dehors enjoués, à travers une écriture
chez leurs concitoyens le goût de l'art. Georges Schwob a également payé si limpide : ce Roumain donne ici aux Français des leçons de style. Tra-
de sa ~ersonne en étant pendant de longues années l'âme de la Société gique et gaieté : Lipatti a réalisé ce miracle, que les deux extrêmes coexistent.
de Musique de La Chaux-de-Fonds, Société qu'il a présidée de 1932 à 1947. Sans le vouloir ni le chercher, ses lettres constituent un saisissant autopor-
C?~e rien de ce qui touchait à son art préféré ne lui était étranger, il s'est trait croqué sur le vif. La haute idée de sa mission artistique, son exigence
devoue tout autant à la très belle fanfare « Les Armes Réunies ». Certains professionnelle hantée par la notion de perfection, mais aussi un humour
esprits ne comprenaient pas la coexistence d'intérêts musicaux si différents ; parfois douloureux et l'attachement voué aux siens comme à ses amis,
Geor~es ~c~wob souriait de cette étroitesse, car il était convaincu qu'on ne éclatent à plein dans cette correspondance. Nous en donnons ci-après un
sa~rait distmg';ler grande ou moins gr~nde musique. A ses yeux, il n'existait choix significatif et suffisamment éloquent par lui-même pour nous dispen-
qu un art musical aux multiples aspects. ser de plus amples commentaires. Nous tenons à remercier Mme Madeleine
Lipatti, qui a bien voulu autoriser la publication de ces lettres et nous
Mais cet. am~t~u; n'était pas n'importe quel amateur. Il y avait chez lui aider à préciser quelques points explicités en notes.
une noble Simplicite que tous ses amis s'accordaient à trouver délicieuse
et inimitable. Avec Georges Schwob une culture immense se faisait accueil- * :} : -
lante e~ !t,nmé?iate~ent accessible. De très grands musiciens ont recherché
son am1he, et eco~te P}us d'une fois ses avis. On citerait à plaisir une foule 1
?e noms, a voulorr denombrer ceux qui furent les familiers de sa maison
a La_ Chaux-de-Fonds; ainsi, en Suisse romande, Youra Guller, Clara Genève, le 20 mars 1948.
Haskil, Ernest. Ansermet, Harry Datyner, André Perret ; ailleurs, Wanda Cher Monsieur et Ami,
Land~wska, Ehsabeth Schumann, Edouard Risler, Arthur Rubinstein, José Je ne saurais vous dire toute ma reconnaîssance pour votre si fraternel
Itur~I, Henry~ Szeryng - qui joua aux obsèques de Georges Schwob, l'an accueil, toute la joie que j'aie eue de passer ces quelques jours, si ensoleillés
derm~r - mrus su.rtout Wilhelm Backhaus et Dinu Lipatti. Georges Schwob, dehors e~ dans mon cœur,. dans votre charmante maison. Et voici qu'en
temp~~am~~t c~~ss1que, admirait chez ces deux derniers interprètes (d'ailleurs rentrant je trouve votre cahter Bach pour lequel je vous remercie vivement
fo~ hes) 1equ1hbre de l'esprit et du cœur, la clarté et la maîtrise, l'honnê- et que je vous retourne après avoir retrouvé cette belle page en si bémol
tete {~ala. ~~deu_r. ~e d_ernier_ mot revenait volontiers quand il parlait d'eux. majeur, en joignant la photo promise, les programmes pour choisir le
. _rruhe qw ha Dmu Lipatti et Georges Schwob est attestée par une meilleur pour la saison prochaine 1 et en vous remerciant encore mille fois
mag~fique co~respondance que j'ai l'honneur de conserver. Cette collection pour votre télégramme et pour la si gentille lettre.
est a sens uruqu~ : nous possédons les lettres de Lipatti à Schwob ; en Le concert de Bâle fut moins mauvais que je le craignais, autrement
~evanche, ce ?ermer, n'a pas conservé les doubles de ses messages à Lipatti, dit je me suis lancé dans le Schumann 2 avec frénésie et désespoir : paraît-il
a une ~xceptlon pres. La correspondance du pianiste roumain adressée à maintenant que je suis un schumann.ien. Voyez-vous cela? Moi pas !
son amt chaux~de-fonn.ier compte quarante-quatre documents : vingt-trois Le récital de Berne, ausver~auft dans la grande salle, avec public cha-
let_tres. (dont qwnze dactylographiées), sept cartes de visite manuscrites rem- leureux, fut assez bon et aura.lt pu être meilleur si le piano, une vieille
ph~s jUSqu'au b,o~d, treize cartes postales et une carte-lettre, écrites à la caisse lourde à manier, pouvait me servir mieux et plus fidèlement.
mam. A cela s ajoutent une carte postale à J'adresse de Mme Georges Maintenant, très fatigués, sommes rentrés hier soir juste pour le concert
Sc~wob, une note manuscrite concernant l'entretien du piano Grotrian- Backhaus, qui fut d'une majestueuse beauté d'un bout à l'autre. Dans une
S~_em~eg de Georges Schwob, et une carte postale adressée par Madeleine heure nous dînerons avec eux et nous en sommes bien contents mais vous
Lipatti.. Les mes~ages s'échelonnent du 18 avril 1945 au 6 octobre 1950. serez des nôtres par la pensée, soyez-en certain. '
La maje~re partie d'entre eux (trente-six exactement) datent de 1949 et
~950, SOit des deux derniè~es années de la vie de Lipatti, qui s'éteignait 1 Ce récital devait avoir lieu le 25 janvier 1949. Ce fut le quatrième - et dernier
il Y a trente ans. Outre mille choses - que nous laissons découvrir au - concert de Lipatti à La Chaux-de-Fonds.
2 C'est-à-dire le Concerto en la mineur pour piano et orchestre. On possède deux
lecteur - concernant la musique en général l'interprétation les concerts enregistrements par Lipatti du Concerto de Schumann; l'un avec l'orchestre Philhar-
les ~oyag~s et la vie quotidienne, nous y liso~s la progression' d'une amitié: nia de Landres sous la direction de Karajan (1948) ; l'autre, a~ec l'OSR, sous la baguette
sensible a travers les : « Monsieur» (18 mai 1945), « Cher Monsieur» d'Ansermet (1950).
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Donc en grande hâte je vous prie de transmettre mes hommages et vifs ma tournée là-bas. Je vous tiendrai au courant dès que Stockholm me confir-
remerciements pour tous les bons soins à Madame Schwob, mon amical mera ce changement.
souvenir à votre fille (qui conduit quand même mieux que moi !) et recevoir Avec mes respectueux hommages pour Madame Schwob et mes dévouées
l'expression de ma fidèle amitié et ma vive gratitude. amitiés pour vous et votre fille, je reste votre dévoué
Votre Dinu Lipatti Lipatti

Madeleine me charge de vous transmettre ses meilleures salutations.


2

Genève, le 23 mai 1948. 3

Cher Monsieur et Ami, (Montana, 13 septembre 1949]


La bonne nouvelle des fiançailles de votre fille nous réjouit beaucoup Verehrte Freunde,
et vous présentons, Madeleine et moi, nos meilleurs vœux pour vous, pour Es giebt aber sogar noch bessere Photos [sous-entendu : « que celle
elle, pour son avenir. que vous recevez au recto 6 ») und eine besonders schone haben - soviel
Par la même occasion je devine, hélas, que son chant va souffrir pour ich weiss- Sie oder Ihr Schwager [en réalité: « Ihre Nichte »] von Dinu,
quelque temps: c'est inévitable. Doit-on la gronder? Je ne le pense pas! Clara Haskil und mir gemacht 7 • Konnte ich davon noch ein paar Kopien
Nous avons fait une merveilleuse tournée en Angleterre et en France, haben, ich mochte sie en S.A. [Amérique du Sud] lancieren, wenn der
il me semble que j'ai gagné pour de bon les Anglais qui m'ont manifesté Eigentümer des Copyrights damit einverstanden ist s. Bien des choses pour
une très chaude sympathie. Parmi mes disques, le plus réussi c'est A Ibo- vous trois.
rada 3, que je vous enverrai dès que j'en recevrai une copie, de même Votre Wilhelm Backhaus
j'attends de pouvoir vous procurer un des Concertos (Schumann ou Grieg),
mais moi-même n'arrive à me les procurer. Chers amis,
Le récital de Paris 4 fut très réussi, mais à peine de retour ma santé Voici la photo prise pendant la remise sur mon cou de l'Ordre de la
a recommencé à me jouer de mauvais tours et maintenant je languis, avec Double croche que le Maître Backhaus m'a fait l'honneur de m'accorder
38 degrés chaque soir, ne pouvant entreprendre aucun traitement puisque lors d'une émouvante cérémonie.
je n'ai pas encore fini ma tournée (demain départ pour Baden-Baden, et en Votre Dinu Lipatti
juin encore 3 concerts [en] Suisse).
Je suis d'une humeur de chien et je félicite mes collègues de ma géné-
ration, car si j'avais la santé équivalente à ma vitalité, ils n'arriveraient plus
4
à jouer une seule note en Europe, tellement je serais partout à la fois à
donner 3 récitals par jour !
Genève, le 14 octobre 1949.
Au lieu de cela, je crains fort que ma saison prochaine sera « en veil-
leuse » hélas. A moins que je change d'organisme pendant l'été ! Cher Ami et Patron de la Musique,
Quelle nouvelle avez-vous de notre ami et Maître Backhaus ? Je sais Merci mille fois pour votre charmante lettre et pour les photos de la
qu'il devait jouer en mai en Angleterre et je pense que l'accueil a été digne trinité pianistique suisse (!) 9 • J'ai déjà envoyé une copie à Clara.
de son Art.
8 L 'image montre, en manière de plaisanterie, une tête de vache munie d'une grosse
J'avais en principe promis un récital dans votre ville pour fin novembre 5,
or voici que la Scandinavie me prie de remettre pour justement fin novembre cloche.
7 Cette célèbre photo réunissant « la trinité pianistique suisse (!) », comme Lipatti

l'écrit dans sa lettre 4, fut prise à La Tour-de-Peilz, Je 22 septembre 1946, après un


3 Alborada del Gracioso, 4e pièce des Miroirs de Ravel. Lors de cette ultime tour- concert donné par Backhaus et Lipatti avec l'OCL. On la trouve notamment reproduite
née en Angleterre, Lipatti enregistra Je Concerto de Schumann (cf. note 2) et la Barca- dans les Feuilles musicales (décembre 1960, p. 222) et dans Je recueil l n Memoriam
rolle de Chopin. Comme il restait un peu de cire vierge utilisable, sa femme lui sug- Dinu Lipatli (Genève, 1970, p. 115).
géra de graver A lborada. Lipatti, qui n'avait plus touché cette pièce de six mois, se s Traduction française :
lança ex abrupto dans l'enregistrement. Sa gravure d'A lborada devait lui rester la plus Chers amis,
chère: lorsqu'il en entendit l'épreuve, il se prit la main à lui-même en disant : « Mes Il existe tout de même de meMleures photos, dont une particulièrement belle de
félicitations, Dinu ! » -contentement plutôt rarissime chez lui. Dinu, Clara Haskil et moi, prise - pour autant que je sache - par vous ou votre
• Ce fut Je dernier récital de Lipatti à Paris, Salle Pleyel. La première partie de son beau-frère [sic]. Pourrais-je en avoir quelques exemplaires, je voudrais les lancer en
programme était entièrement consacrée à Bach. Amérique du Sud, si le propriétaire du copyright est d'accord.
5 Ce récital fut remis finalement au 25 janvier 1949 (cf. note 1). • Cf. note 7.
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Lipatti et Backhaus lors d'un concert poids et soucis accessoires. C'est comme si j'avais démissionné de plusieurs
à La Tour-de-Peilz en septembre 1946. postes.
Il y a 3 jours, j'ai joué à Neuchâtel 14 , il paraît que bien, mais je n'en
sais rien à vrai dire. Le 10, Fribourg, 19, Paris, 29, Zurich 15 , etc.
Mme Yvonne Schwob nous invite chez elle p[our] avril 1G. J'ai répondu
que nous descendrons chez vous, sauf si mon cœur sera alors comme il est
maintenant, m'interdisant vos étages.
Pour vous deux de nous deux dévouée affection.

6 mars 1950. Lipatti

Le 12 juillet 1950 5, Avenue Bel-Air, Chêne-Bourg


Genève 6-46-64.
Cher Georges,
Je vous écris du fond de mon lit, au lieu d'enregistrer les 14 dames 10 Merci pour votre amical message et pour les bonnes nouvelles que vous
comme il était prévu pour ce mi-octobre. Nous avions retenu les chambres me donnez. De mon côté je suis heureux de vous dire que ma santé va
ainsi que les places d'avion pour Londres, mais le sort en a voulu autre- magnifiquement bien depuis que je prends cette fameuse cortisone (que je
ment, puisque je me suis payé une sorte d'infection secondaire que je recommande chaleureusement à votre femme).
suis en train de tuer avec 4 000 000 unités pénicilline et qui m'a chicané Voici onze jours depuis que j'enregistre à tour de bras, environ 5 heures
avec des 40 de fièvre presque chaque soir. Joli ! Par contre, notre ami de travail par jour 17 • Les Valses (pardon, les 14 dames) sont déjà en boîte,
Wilhelmus 11 est allé, lui, à Londres et nous l'avons entendu avant-hier soir ainsi que la Partita en si bémol et la Sonate la mineur de Mozart. J'ai
dans le 3" de Beethoven, plus remarquable que jamais. réimprimé le Choral de Bach 1s, avec, au verso, une ravissante Sicilienne du
Le lancement en S.A. veut dire: Sud Amérique, où Backhaus ira en même auteur (tirée de la Sonate en mi bémol pour flûte et clavecin). Ce
avril 1950, et nullement la fondation de sa part d'une Société Anonyme soir je me lance dans 4 Clavecins et demain, dernier jour de travail, quelque
comme vous avez cru un instant. Oui, j'ai démissionné du Conservatoire 12,
u Récital à la Salle des Conférences, le 3 mars ; même programme que dans l'ul-
je ne pouvais plus faire autrement. Et suis heureux pour André 13. time concert de Besançon (cf. note 40).
Tout le monde de votre ville m'écrit se réjouir de m'entendre le 24 jan- 15 Ces concerts ne purent avoir lieu en raison de la maladie de Lipatti. Lors de
vier. Qu'avez-vous fait, mes amis? On m'enverra des pommes cuites. J'es- sa dernière apparition à Zurich, le 7 février 1950, il jouait le Concerto en mi mineur de
père de tout cœur que vos santés soient rétablies et que nous vous verrons Chopin et, en rappels, le Nocturne en ré bémol, l'Etude op. 10 No 5 ainsi que celle
op. 25 No 2. Enregistrés alors sur bande par le Dr Marc Gertsch, ces trois morceaux
bientôt. Recevez tous les deux nos messages bien amicaux et tenez-vous les figurent dans un disque (Jecklin) vendu au profit de la Fondation Dubois-Ferrière/
pouces pour mes concerts de Londres en novembre. Dinu Lipatti.
Votre Dinu Lipatti u Lipatti devait jouer à La Chaux-de-Fonds en concert hors-abonnement le 25
avril 1950. Malade, il fut remplacé par son ami Backhaus. '
11 Dans une lettre à G. Schwob, en date du 14 juillet 1950, Lipatti écrit: « Nous
5 avons enregistré 25 km. de ruban magnétique en dix jours, soit Genève-Nyon cela fait
42 kg. comme poids ! Je m'entraîne pour le prochain Tour de Suisse sauf q~e moi je
Cher Ami, votre dernier message me touche profondément. fais le pa rcours... sur les doigts ! » '
En effet, j'ai beaucoup souffert ces dernières semaines, mais mainte- La compagnie française de Columbia avait mis à disposition de Lipatti un camion
nant je prends la vie avec fatalisme et me trouve ainsi déchargé de mille d'en registrement relié aux studios de Radio-Genève. Du 2 au 12 juillet, le pianiste enre-
gistra les œuvres mentionnées dans la présente lettre, avec en outre les deux Chorals
tDLes quatorze Valses de Chopin. L'enregistrement eut lieu finalement à Genève de Bach Nwz komm' der Heiden Heilrmd, / ch ruf' zu Dir (transcriptions pour piano par
da ns les premiers jours de juillet 1950. On connaît en outre la version gravée (treize Busoni) et la Mazurka op. 50 No 3 de Chopin. On lira les vivants souvenirs de Walter
Valses) lors du dernier récital de Lipatti, à Besançon, le 16 septembre 1950. Legge à ce sujet («Diou Lipatti enregistre à Genève», Feuilles musicales, décembre
11 Wilhelm Backhaus.
1960, pp. 222-224).
12 Le Conservatoire de Genève, où Lipatti fut à la tête de la classe de virtuosité de
1a Une première version de Jésus, que ma joie demeure (transcription pour piano
1944 à 1949. par Myra Hess) avait été gravée à Londres en février-mars 1947. A son habitude, Li-
1s Le regretté André Perret, appelé à remplacer Lipatti, dont la classe fut attribuée patti n'en était pas entièrement content. Pour l'enregistrement de 1950, il fit nombre
à Nikita Magaloff. d'essais avant de se déclarer satisfait.
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six à sept Sonates de Scarlatti 19. Et voilà, pour un trépassé, c'est pas si mal
que cela!
Samedi 15, concert privé à Berne et le lendemain je choisis un merveil-
leux Steinway, 2,11 m., que mes amis avec mon médecin Dubois-Ferrière
en tête, m 'on offert à l'occasion de ces enregistrements.
Que dites-vous de cela, il me semble que je vis un conte de fées.
Depuis que nous sommes dans cette ravissante maison de campagne 20,
notre vie, et particulièrement la mienne, a complètement changé, je suis
heureux, je travaille avec plaisir et sans fatigue, je mène une existence saine
et aérée, enfin, une vraie transformation. Quand aurons-nous la joie de
vous y voir venir ?
[ ... ] J'ai eu pour ces disques, en plus du Steinway offert, un autre
Steinway tout neuf, de concert, arrivé spécialement pour moi de Hambourg
et qui sera le piano nr. 1 de la T onhalle de Zurich à partir de la semaine
prochaine. J'ai été comblé, car même à Londres ils n'ont pas d' aussi beaux
instruments. Merci pour le message du Docteur Wolf 2o•, transmettez-lui,
ainsi qu'à Madame Wolf, mes respectueuses pensées.
Bon séjour à Braunwald et à votre retour, donnez-moi de vos nouvelles.
Pour vous et votre femme, de nous deux, les plus amicaux messages. Ainsi
que ma vive et dévouée gratitude.
Votre Diou

Genève, le 27 juillet 1950 5, Av. Bel-Air


Chêne-Bourg 64664.

Cher Georges,
[ ...] Ma santé continue à aller très bien.
Le concert de Berne 21 fut très réussi et lundi passé, baptême de la petite
Markevitch 22 chez nous, 18 personnes, agitation, etc.
Ce matin je parle (!) et joue à Sottens, histoire de me faire de la réclame
pour les disques. Quand je vous dis que je suis impossible !
... Nadia Boulanger 2s, en séjour chez nous lors du baptême, m'a chargé
:§.
I.J
.s tn Son état de santé ne permit pas à Lipatti de graver quatre Préludes et Fugues
du Clavecin bien tempéré ainsi que ces Sonates de Scarlatti. Les deux Sonates (L. 23
et L. 413) de Scarlatti furent enregistrées à Londres en février et septembre 1947.
2o A partir de mai 1950, des amis avaient mis à la disposition de Dinu et Made-
leine Lipatti une grande maison entourée d'un jardin à Chêne-Bourg. C'est là que le
pianiste s'éteignit le 2 décembre 1950.
20 • Le Dr Charles Wolf, chirurgien à La Chaux-de-Fonds, et mélomane distingué.
21 Le 15 juillet 1950.
22 Allegra Markevitch, fille d'Igor Markevitch ; Lipatti en était le parrain. La céré-
monie de baptême est perpétuée par une photographie (cf. Hommage à Dinu Lipatti,
Genève, 1951), qui réunit la filleule, le parrain et Nadia Boulanger.
2 3 Nadia Boulanger (1887-1979) fut le professeur de composition de Lipatti à l'Ecole
Normale de Musique de Paris dans les années d'avant-guerre. Des liens amicaux se
tissèrent entre eux. C'est Nadia Boulanger qui a terminé la réalisation du continuo de
L'Offrande musicale, entreprise par Lipatti dans les derniers mois de son existence.
202 203
de mille amicales pensées pour vous. Elle est toujours rayonnante de bonté F errière 31 et sa femme, en voiture. Ce sera très amusant, vous allez voir.
et d'intelligence. Et contre vos migraines je vous prescris dès maintenant le Fortacyl. (For-
Que devient mon Président Wilhelmus 24 ? Aucune nouvelle. Nous aime- midable !) Adieu.
rions tellement l'avoir avec sa femme chez nous. Dinu Lipatti,
Et vous deux, quand venez-vous nous voir? Pardon. Merci. A vec toute 5, av. Bel-Air, Chêne-Bourg, Genève.
ma fidèle et reconnaissante amitié ( + Mad [el eine]) je reste
votre Dinu
10

8 Genève, le 12 août 1950 5, av. Bel-Air


Chêne-Bourg 64664
Genève, le 1er août 1950. Tram 12 (station « Favre ») .
Très cher Georges, Cher Georges,
Votre acceptation, votre lettre si amicale, me touchent vivement. Merci mille fois pour la montre : elle est exquise. Nous vous attendrons
Merci. Et encore merci. avec joie le vendredi 18 août. Venez si vous le pouvez vers les 11 h., 11 h . 30,
Ne me grondez pas : je continue à me porter très bien et alors comment vous resterez déjeuner avec nous et nous bavarderons à faire trembler les
arrêter ma vita~ité ? murs.
Backhaus me téléphone pour me dire qu'il vient d'enregistrer, sur son Ma santé va bien et la fièvre est tombée.
magnétophone, mon disque de la Sonate de Chopin 25, retransmis hier par Le Bach (Pastorale fa majeur en quatre mouvements) est original pour
Sottens. Avec ses compliments. Ne trouvez-vous pas cela touchant? J'igno- orgue 32, Je le finis demain et vous le jouerai (mal) vendredi.
rais tout de Vadouz. Evidemment La Chaux-de-Fonds serait mieux 26 • Pour le 14 sept[embre], si vous le voulez bien, veuillez demander de ma
Notre vie se calmera et nous serons heureux de vous recevoir. part à Madame Yvonne Schwob si elle voudra bien nous accepter chez elle,
Prévenez-nous dès que vous aurez décidé votre saut à Genève. puisqu'elle nous a si aimablement invités quand j'ai raté mon concert chez
Pour vous et Madame Schwob notre vive et fidèle amitié et toute ma vous, l'an passé 33.
reconnaissance. A vendredi donc, si aucun contretemps de votre part. Avec mes très
Votre Dinu le Costaud dévouées pensées, je reste
votre Dinu l'Agité
9
11
Genève, le 8 août 1950.
Cher Georges, le 2 septembre 1950.
Toute réflexion faîte, je crois qu'il vaut mieux que ce soit moi qui
envoie le paquet là-bas, sans aucun commentaire 2 7 . Mon cher Georges,
Pouvez-vous me l'envoyer? A part le sel, strictement défendu, et l'alcool (une seule goutte dans un
Mais aussi le chiffre, sans quoi : la grève sur le tas le soir du « f. r. » 2 B plat me donne de la fièvre), je peux manger absolument,de tout. Merci d'y
récital à La Chaux-de-Fonds. avoir pensé.
Merci de tout mon cœur. Je vais mieux ce matin et travaille à des pièces Le 5e Brandebourgeois 34 fut trop lent, trop romantique mais quand
immortelles de Bach (transcriptions (!) de la Pastorale en fa, de q[uel-] même très beau.
q[ues] chorals 20. Je fais réserver votre double-chambre p[our] le 15 sep-
3t Le Dr Henri Dubois-Ferrière (Genève), qui soigna avec un dévouement extrême
t[embre] à Besançon 30, Viendront aussi (de Paris) mon docteur Dubois- Dinu Lipatti à qui Je liait une affectueuse amitié. Signalons à ce propos l'existence de
la « Fondation Dr Henri Dubois-Ferrière/ Dinu Lipatti » pour la lutte contre la leucé--
N Wilhelm Backhaus. mie et d'autres maladies du sang, créée en 1970. Entre autres activités, des concerts et
25 Sonate op. 58 en si mineur, enregistrée à Londres en février-mars 1947. enregistrements sont réalisés au profit de cette Fondation.
2a L'allusion à ces projets (?) demeure obscure. 32 C f. lettre 9 et note 29.
2 7 Allusion à un envoi de Lipatti à sa mère, en Roumanie.
33 Il convient vraisemblablement de comprendre « la saison passée», L ipatti ayant
28 Abréviation probable de « futur ». été empêché de jouer à La Chaux-de-Fonds les 24 janvier 1950 (remplacé par son disci-
29 La transcription de la Pastorale et Deux Etudes d'après Bach (Cantate 208) ont ple Robert Weisz) et 25 avril 1950 (remplacé par Backhaus: cf. lettre 5 et note 16).
été éditées chez Schott à Londres. 34 Entendu par Lipatti à la radio, dans une exécution de Furtwaengler qui dirigeait
3o En vue du récital dans Je cadre du Festival de Besançon (cf. lettre 12). tout en étant au clavecin.
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Je suis persuadé que du temps de Bach, on jouait plus librement cette 13
musique que de nos jours. Mais nous, nous ne pouvons plus faire machine
arrière. le 24 septembre 1950.
Donc laissons à Furtw[aengler] ce qui est à Fumv[aengler] et pour ma
part, je garderai mon point de vue sur mon cher Cantor. Cher Georges,
Bien à vous. Fidèlement. Votre Dinu Si je n'ai pas répondu à votre première lettre, si touchante, c'est que
mercredi j'ai subi une crise bien plus pénible que celle de Besançon, avec
40 de fièvre, urticaire, essoufflement, etc. Depuis je suis effondré et c'est
12 seulement ce matin que j'ai passé le cap. Tout ceci heureusement sans
gravité : la cause est une allergie, une énorme gastrite qui presse sur le
le 19 septembre 1950. cœur et le manque de potassium que j'ai oublié de prendre avec moi en
Cher Georges, France, tout en mangeant un peu de sel à Besançon. Par contre, du point
Ce Besançon 35 fut vraiment une catastrophe pour vous et, à part la joie de vue maladie, les examens sont excellents. Donc courage et patience!
(trop courte) de vous revoir, nous sommes rentrés bien désolés. Le récital de Zurich a été remis pour le 9 octobre et celui du 30 septembre
Tout a marché de travers : au retour nous vous avons perdus, les Lom- de Genève le sera pour après Londres 4 1 . Et voilà!
bard s'étant égarés vers l'église de Besançon au lieu d'aller vers Pontarlier. C'est très amusant ce que vous me dites du public neuchâtelois. Espé-
Les Dubois 36, partis avant, ne nous ont pas vus à la douane, où Mme rons que vous serez fort et vainqueur à La Chaux-de-Fonds pour notre
Lombard 37, ayant perdu son passeport, nous y avons passé comme des projet 42. N'oubliez pas Isabel 43, je vous prie, je ne veux plus entendre
voleurs. Les Dubois sont restés deux heures à Pontarlier à nous attendre, parler de vos migraines. Madeleine est claquée, mais se porte malgré tout
croyant à une panne d'auto et nous pendant ce temps nous étions presque bien: déménagement 44 , 5 ouvriers qui remettent cette maison en état
à Lausanne. et réparent le chauffage, ma mère qui doit arriver demain soir, etc. Vie
Enfin rentrés, je me trouvais au plus mal avec mes douleurs et autres. mouvementée! Si cela vous amuse, écoutez dimanche 1er octobre, 11 heures,
Vite au lit. Mais à minuit, ressuscité, je bondis et fais mon courrier. Ce notre récital de Besançon 45 par les postes français, vous le trouverez
matin température polaire : « 36 ». Etat excellent. (comme moi) moins beau, vous verrez ! Et dans ce cas, il vaut mieux ne pas
Un fakir, quoi ! l'écouter.
Mais le but de ce mot griffonné en hâte est de vous dire merci pour Si vous rencontrez notre cher Wilhelmus 40 , dites-lui, je vous prie, toute
votre gentillesse, pour votre accueil à vous et à Cécile 38 , pour votre enthou- notre fidèle affection et le' regret de ne pouvoir le voir actuellement, vu
siasme musical et pour votre amitié qui me touche profondément [ ... J. la vie dramatique que le destin m'impose pour me roder davantage proba-
Encore merci et j'espère à bientôt. Voulez-vous et pouvez-vous venir blement.
avec Cécile à mon récital de lundi 25 septembre à Zurich, 20 heures, Ton- Pour vous et Cécile 38, de nous deux, les messages les plus cordiaux et
halle 39? Si oui, j'ai des invitations pour vous. Dites-le moi et je vous les reconnaissants, ainsi que toute notre amitié.
enverrai. Bonne chance auprès d'lturbi 47 , je tiendrai les pouces (et les miens
Avec nos très affectueuses et dévouées pensées de Mad [eleine] et moi aussi).
pour les deux. Votre Dinu
Votre Dinu

Programme comme à Besançon 40 sauf 2" partie: 7 Valses et Barcarolle,


Mazurka, 1er Scherzo.
35 Allusion aux péripéties qui entourèrent l'ultime récital de Lipatti, le 16 septem-
bre 1950. La veille, Lipatti et sa femme rejoignaient G. Schwob et son épouse à La
Chaux-de-Fonds pour se rendre de là à Besançon.
30 Le Dr Dubois-Ferrière et sa femme. 41 Ces concerts ne purent avoir lieu.
37 Amis genevois de Lipatti. 42 Il s'agissait de l'achat d'un Steinway de concert par la Société de Musique de
38 Epouse de Georges Schwob. La Chaux-de-Fonds.
3o Ce récital ne put avoir lieu en raison de la maladie de Lipatti. 4 3 Médecin homéopathe à Lausanne.
40 Le programme de Besançon comportait en première partie : Partita en si bémol 44 Allusion à l'installation, plus définitive, dans la maison de Chêne-Bourg.
de J.-S. Bach, Sonate en la mineur KV 310 de Mozart, Impromptus en mi bémol et 45 Cf. lettre 12 et note 40.
sol bémol op. 90 Nos 2 et 3 de Schubert. En seconde partie : les 14 Valses de 46 Wilhelm Backhaus.
Chopin. Epuisé, Lipatti dut renoncer à la 14e Valse, mais joua encore en bis la trans- 47 Le pianiste José llurbi, ami de Georges Schwob, était pressenti pour faciliter les

cription du Choral Jésus, que ma joie demeure. transactions au !llljet du Steinway de concert pour La Chaux-de-Fonds.
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Très imparfaitement, je pourrai résumer en quelques attitudes le chemin
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qui, d'après moi, me semble celui qui doit mener à la vérité. Chercher à
découvrir toute l'émotion de l' œuvre en la jouant beaucoup, de différentes
[De Madeleine Lipatti] manières, avant de commencer à la jouer techniquement. En disant « la
Chêne, le 16 nov[embre] 1950.
jouer », je pense surtout ; « en la jouant dans sa tête », comme si elle était
Chers amis, exécutée par le plus parfait des interprètes.
Diou me charge de vous remercier de tout l'intérêt que vous lui portez, Après avoir gardé l'impression de beauté absolue que cette interpréta-
et des livres qu'il se réjouit de lire dès qu'il sera mieux. Il est encore très tion imaginaire a laissée (impression que l'on renouvelle et vivifie constam-
faible, et on lui fait subir des traitements bienfaisants mais exténuants, qu' il ment, en répétant dans le silence de la nuit l'exécution imaginaire) passer,
supporte avec stoïcisme ! Espérons que bientôt nous pourrons vous donner ensuite, au travail réel et technique, en disséquant chaque difficulté en mille
de bonnes nouvelles. morceaux pour éljminer l'entrave physique et technique non pas « en bloc »,
Diou se joint à moi pour vous envoyer nos très sincères amitiés. mais « en détail » . Ce travail doit se faire avec la tête froide, en se gar-
dant de mettre du sentiment.
Madeleine Enfin la dernière phase, celle où l'œuvre, entièrement dominée physi-
quement, doit être construite dans ses grandes lignes, jouée d'un bout à
l' autre pour avoir « la perspective de loin » et à l'exécution de laquelle
15 participe l'être froid, lucide et insensible qui a présidé le travail, ainsi que
l'artiste plein d'émotion, de fantaisie, de vie et de chaleur qui l'a crée men-
Grotrian 48 talement et qui retrouve, maintenant, les moyens d'expression qu'il n'avait
alors.
1) Raser les marteaux. Je m'excuse de devoir si mal exprimer un acte aussi solennel et dans
2) Egaliser les marteaux, en renforçant le discant 49 et en adoucissant le l'espoir que cela ne vous semblera pas trop incompréhensible, je vous
médium et la basse. adresse l'expression de mes cordiaux sentiments.
3) Sortir tous les étouffoirs, les brosser légèrement avec une brosse à dents Dinu Lipatti
ou avec les aiguilles d'intonation, les remettre en place et faire très
attention qu'ils s'ouvrent seulement à partir de la moitié de la course du
marteau.
4) Graphiter le dessous de la mécanique (ou talquer à défaut de graphite) ÉCHOS ET NOUVELLES
pour que la sourdine puisse glisser plus fidèlement. Charmante visite zurichoise voix et orchestre fut exécutée à cette oc-
au Château d'Yverdon casion par l'Orchestre de la Tonhalle sous
Marie-Louise Ott, violoncelle, Marie- la direction de Kurt Brass, avec Philippe
Louise Meister, piano, Christina Vital, flû- H11ttenlocher en soliste.
te, et Jacques Trezzini, flûte, ont donné à
Yverdon, le 27 septembre, une soirée mu- Une musique suisse à l'honneur
Il nous a paru opportun de terminer cet hommage à Lipatti en repro- sicale de haute qualité. à Londres
duisant ici le texte d'une profession de foi artistique, qu'il adressait en 1946 Ces anciens élèves du Conservatoire et Depuis 1900 sont organisées à Londres,
de l'Académie de musique de Zurich, qui chaque année, les prestigieuses fêtes des
à la musicienne Marie-Madeleine Tschachtli so : ont joué des œuvres de Nardini, Schu- musiques de cuivre. Le brass band valai-
mann, Mozart, J.-S. Bach, Haydn, Fauré san Treize Etoiles a remporté le 5 octobre
Chère Mademoiselle, et Quantz, se sont révélés des interprètes le troisième prix du concours européen,
Je vous remercie pour vos aimables lignes et pour toutes vos bonnes enthousiastes, sérieux et sympathiques. devant un public enthousiaste de plusieurs
Nous pensons qu'il est heureux que les milliers de personnes, à l'Albert Hall. Les
pensées concernant mon récital de Fribourg, qui m'ont vivement touché. Romands puissent entendre de jeunes artis- Valaisans avaient interprété avec leur chef
Que vous dire sur l' interprétation ? Il me faudrait parler et non pas tes suisses allemands et constater l'excel- G.-P. Moren, l'ouverture des Francs-Juges
écrire, car autrement il me faudrait trente pages. lence de la formation instrumentale don- de Berlioz et une œuvre imposée du con-
née à Zurich. C. temporain Néo-Zélandais Philip Sparke:
« Aotearoa ». Ce succès est d'autant plus
48 Ces notes sont destinées à assurer un meilleur entretien et réglage du piano Armin Sc hible r lauréat du prix de la flatteur pour la Suisse que Treize Etoiles
Grotrian-Steinweg de Georges Schwob. Elles témoignent de l'intérêt et des connaissan- musique 1980 de la Ville de Zurich a obtenu le plus grand nombre de points
ces de Lipatti en matière de technique, aspect inséparable de son amour de la perfec- C'est au cours d'une cérémonie à la de tous les ensembles étrangers partici-
tion . Tonhalle de Zurich, le 18 octobre, que ce pants, les deux premiers prix ayant été
49 Soit le dessus, l'aigu. décernés à des musiques de Grande-Bre-
prix a été remis. La composition d'A.
&o Texte publié pour la première foi~ par M.-M. Tsch~c~tli dans le Bulletin du tagne.
Schibler, Huttens letzte Tage (op. 84) pour
Conservatoire de La Chaux-de-Fonds, Muszque, 1951, No 2 (fevner).
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