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Résumé:
Les motos-taxis ont fait leur apparition dans le réseau de transport public en Côte d'Ivoire suite à la crise socio-
politique des années 2000. Cette crise a particulièrement fragilisé le réseau de transport public traditionnel dans
plusieurs régions du pays, notamment les régions Centre, Nord et Ouest, occupées par la rébellion en 2002. Les
motos-taxis considérées comme une alternative aux difficultés de déplacements des populations, ont connu une
expansion rapide jusqu’atteindre le département d’Oumé en 2010. Le présent article essaie de dresser un portrait
sociodémographique, économique et territorial de cette nouvelle forme de transport public. En fait, l’article
s’intéresse aux causes de son apparition à Oumé, aux profils sociodémographiques des acteurs, à la nouvelle
configuration spatiale et aux gains financiers qu’elle génère. L’étude relève que le mauvais état des routes et le
sous-emploi des jeunes sont les principales causes de l’apparition des taxis-motos à Oumé. Elle note aussi que
l’activité se concentre dans l’espace ethnoculturel Gagou contrairement à l’espace Gouro où elle ne s’impose pas.
Abstract:
The motorcycles-taxis have appeared in the public transportation network in Côte d'Ivoire following the
sociopolitical crisis of 2000. This crisis has particularly weakened the traditional public transportation network in
several regions, including Central, North and West regions, occupied by the rebellion in 2002. The motorcycle-taxis
considered as an alternative to population displacement problems, have grown rapidly until it reaches Oumé the
department in 2010. The present article tries to draw a socio-demographic, economic and territorial portrait of this
new form of public transportation. In fact, the article focuses on the causes of its appearance in Oumé, the socio-
demographic profiles of the actors, the new spatial configuration and financial gains it generates. The study notes
that the poor condition of roads and the youth underemployment are the main causes of the appearance of
motorcycle taxis in Oumé. It also notes that the activity is concentrated in the Gagou ethnocultural space unlike
Gouro space where it is not necessary.
INTRODUCTION
La mobilité quotidienne des populations en Afrique subsaharienne devient de plus en plus difficile.
L’insuffisance des moyens de transport en commun est importante. Si certains milieux urbains se
distinguent par une organisation des acteurs privés et publics, comme la Société de Transport Abidjanais
(SOTRA), force est de constater que les espaces ruraux, pour la plupart, ne sont pas bénéficiaires d’une
telle organisation. Dans plusieurs pays et régions, la desserte des différentes localités, surtout la liaison
entre certains centres urbains et leurs zones périphériques rurales par les véhicules de transport en
commun est limitée. Ce vide, associé au déficit des infrastructures et les crises multiformes que vivent
certains pays africains ont favorisé l’éclosion des motos-taxis.
En Côte d’Ivoire, les motos-taxis ont fait leur apparition suite à la crise sociopolitique de 2002.
Phénomène d’abord destiné à relier les différents quartiers des grandes villes du Centre du Nord et de
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l’Ouest devenues moins dynamiques du fait de la crise, les motos-taxis servent désormais de canaux
pour relier les grands centres et leurs périphéries rurales et dans bien de cas, les zones rurales entre
elles. Sa place dans la mobilité des personnes et des marchandises ainsi que son expansion dans toutes
les régions du pays est indéniable.
Le département d’Oumé, situé en zone forestière de la Côte d’Ivoire enregistre la présence de cette
activité depuis la crise post-électorale de 2010. Avec ses acteurs, ses logiques et ses nœuds, les motos-
taxis font partie intégrante du réseau de transport de personnes et de biens dans le département. Entre
la fin du monopole du transport en commun traditionnel qui a du mal à desservir tout le territoire, et son
acceptation par les ruraux qui s’affranchissent ainsi de l’isolement et les flux financiers importants qu’ils
génèrent tout en occupant les jeunes, les motos-taxis s’imposent comme un recours plus ou moins
important pour le déplacement de la population.
Notre objectif est de faire un portrait de cette nouvelle forme d’activité dans un département faiblement
desservi par les véhicules de transport en commun. Nous analyserons respectivement les causes de son
apparition sur le territoire d’Oumé, la typologie des différents acteurs en présence, l’aspect économique
et ses différents nœuds dans l’espace.
MÉTHODOLOGIE
La méthodologie a consisté en une enquête semi-dirigée auprès des différents acteurs en présence. Sur
les 500 motos en circulation dans le département, nous avons choisi le dixième des motos soit 50 motos
dont les propriétaires et conducteurs ont été identifiés. Ces acteurs ont été répartis sur les quatre grands
centres de diffusion de cette activité (Diegonefla, Tonla, Doukouya et Guepahouo). Un questionnaire qui
portait sur le profil sociodémographique, les raisons du choix de l’activité, les gains financiers, la
clientèle, les conditions de l’exercice de l’activité et l’avenir de l’activité, a été adressé aux acteurs. Un
entretien avec les syndicalistes qui organisent l’activité et la clientèle composée principalement de ruraux
et de tout autre voyageur anonyme quant à leur niveau de satisfaction a été réalisé. Par la suite, les
différentes informations recueillies ont fait l’objet d’une analyse et d’interprétation.
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circulation journalière de véhicules de transport en commun pendant que sur d’autres axes, la fréquence
est parfois hebdomadaire. Ce réseau de routes non bitumées et de pistes connait une forte dégradation
pendant les saisons pluvieuses, rendant très difficile la circulation des véhicules (cf. Photo 1).
DÉPARTEMENT D’OUMÉ : UNE RÉGION AGRICOLE FAIBLEMENT DESSERVIE PAR LES VÉHICULES DE
TRANSPORT DE PERSONNES
Le réseau routier constitué essentiellement de pistes rurales et de routes non bitumées est un frein au
déploiement des véhicules de transport de personnes dans la majeure partie du département d’Oumé. Le
réseau de transport en commun s’organise à partir de quatre localités que sont Oumé, Diegonefla et à un
degré moindre Guepahouo et Doukouya. À partir de ces localités, plusieurs axes routiers sont utilisés par
les transporteurs. Pour chaque axe routier, il est mis en place une seconde gare avec un chef qui
coordonne les trajets des véhicules de transport durant la journée. Les routes bitumées sont les plus
achalandées. Tous les villages et campements situés sur les voies bitumées sont quotidiennement reliés
par les véhicules de transport de personnes. Ce sont les axes Oumé-Gabia avec environ quinze taxis-
brousse par jour, l’axe Oumé-Diegonefla avec en moyenne sept véhicules de transport de dix-huit places
appelés communément Massa et l’axe Oumé-Zangué. En plus de ces voies bitumées, une autre voie non
bitumée est beaucoup fréquentée. Il s’agit de l’axe Oumé-Guepahouo passant par le gros bourg de
Doukouya, avec en moyenne sept véhicules de transport de personnes de vingt-deux places appelés
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Badjan. Hormis ces localités situées sur ces voies de grande fréquentation, la liaison entre certains
centres et leurs périphéries par les camions de transport est problématique.
À Diegonefla, il n’existe presque plus de gares routières pour relier certains villages et campements avec
cette sous-préfecture. Les villages de Gnandi, Bomeneda, Goudi, Boboda, Bidihié, Badié, Dédi et plus de
140 campements, de par leurs positions excentrées par rapport à la voie bitumée, sont desservis par le
transport en commun. La sous-préfecture de Tonla avec huit villages et cinquante-six campements ne
dispose d’aucun moyen de transport de personnes. Seul un véhicule de dix-huit places, par jour, part de
Diegonefla pour relier les villages du canton N’dah avant d’aller à Tonla, le chef-lieu de Sous-préfecture et
continuer sur Doukouya. Dans la sous-préfecture de Guepahouo, les villages et campements situés sur
les axes Guepahouo-Oumé et guépahouo-Sinfra sont accessibles grâce à un véhicule de transport. Les
autres localités comme Douagbo, Bodiba, Donsohouo et plusieurs campements ne sont pas reliés au
réseau routier. L’organisation du transport à partir de Doukouya sert à connecter les grands centres
comme Oumé, Guepahouo et toutes les localités situées sur la voie reliant les deux centres. Les villages
comme Benkro, Yohouda, Goulikaho et plusieurs autres campements environnants ne sont pas
accessibles.
Dans le département, les différentes saisons influencent beaucoup la régularité des véhicules de transport
en commun sur les routes non bitumées et les pistes rurales. La saison pluvieuse rend souvent
impraticable les routes et leurs abandons. Cependant, la saison sèche, à cause de la vente des produits
agricoles notamment le café-cacao, favorise une grande circulation des personnes et des biens sur tout le
territoire. Les transporteurs augmentent le nombre de véhicules les trajets existants ou procèdent à
l’ouverture de certaines routes restées longtemps fermées à cause de leur mauvais état. A ces différentes
irrégularités, s’ajoute la vétusté des véhicules de transport en commun (cf. photo 2) et le long temps
d’attente dans les lieux d’embarquement. Cette situation constitue une opportunité pour les
motocyclettes d’occuper l’espace à cause de leur régularité, leur rapidité et de leur souplesse (Aloko,
2001).
Photo 2 : L’unique véhicule de transport du jour pour les villages du canton N’da
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Au nombre des emplois générés, on a l’emploi de conducteurs, l’emploi de syndicaliste, les vendeurs
d’essence et autres lubrifiants et les mécaniciens. La plupart des jeunes ne sont pas propriétaires des
taxis-motos. Les jeunes de moins de trente ans sont à 95 % les principaux animateurs de l’activité dans
le département. Certains jeunes sont propriétaires des motos qu’ils conduisent. Les conducteurs trouvent
que cette activité est un tremplin qui leur permettra, à la longue, d’accéder à un emploi plus stable et
beaucoup valorisant. Pour ceux qui aspirent à rester définitivement au village, l’agriculture est le principal
rêve. Certains de ces jeunes ont pu acheter ou prendre en gage des plantations de cacao grâce à l’argent
gagné. Les plus jeunes, au contraire, se détournent des travaux champêtres pour se consacrer aux
motos-taxis qu’ils trouvent beaucoup plus rentables.
Toutefois, cette nouvelle réalité dans un milieu traditionnellement dominé par les véhicules de transport
en commun, dont les principaux acteurs sont les Malinké, est une source potentielle de tension et
d’opposition.
La présence des motos-taxis, partout dans le département, est le fait de principaux acteurs dont les rôles
sont différents les uns des autres mais qui s’inscrivent dans une complémentarité pour la survie de
l’activité.
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Cliché : Pierre Guelé, 2014.
CONCLUSION
Les principaux déterminants de l’intégration des motos-taxis à l’offre de transport collectif dans le
département d’Oumé sont le mauvais état des routes qui limite les liaisons entre les centres et leur
arrière-pays et la question de l’emploi des jeunes. Présentée au début comme un palliatif temporaire qui
ne tiendrait que jusqu’à la fin de la crise, l’activité se positionne aujourd’hui comme une panacée au
problème de la mobilité dans une zone de forte production agricole et démographiquement dense.
Plusieurs acteurs aux intérêts divergents contribuent à son dynamisme dans l’occupation de l’espace. Elle
mobilise un important flux financier, lui donnant ainsi une place de choix parmi les activités économiques
qui font vivre plusieurs personnes.
L’activité des motos-taxis s’enracine progressivement dans le département d’Oumé et dans plusieurs
localités du pays. L’étude de ce phénomène afin d’en évaluer les pertinences et conséquences n’est qu’à
ces débuts. Le portrait actuel de la situation à Oumé nécessite d’être approfondir dans les futures
recherches afin de fournir les déterminants significatifs qui sous-tendent sa manifestation.
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Référence électronique
Jérôme Aloko N’guessan et Pierre Guelé Gue, 2016. «Intégration des motos-taxis dans le réseau de
transport public: cas du département d’Oumé (Côte d’Ivoire)». Revue canadienne de géographie
tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (3) 1. Mis en ligne le 05 mai 2016, pp.
49-57. URL: http://laurentienne.ca/rcgt
Auteurs
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