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Revue Canadienne de Géographie Tropicale

Canadian Journal of Tropical Geography


RCGT (En ligne) / CJTG (Online)
ISSN : 2292-4108
Vol. 3 (1) : 49-57
http://laurentienne.ca/rcgt

www3.laurentian.ca/rcgt-cjtg

Intégration des motos-taxis dans le réseau de transport public: cas du département


d’Oumé (Côte d’Ivoire)
Integration of motorcycles-taxis in the public transportation network: case of the department of Oumé (Côte
d’Ivoire)

ALOKO-NGUESSAN Jérôme & GUELÉ GUE Pierre


@ 2016 RCGT-CJTG Tous droits réservés /All rights reserved

Résumé:
Les motos-taxis ont fait leur apparition dans le réseau de transport public en Côte d'Ivoire suite à la crise socio-
politique des années 2000. Cette crise a particulièrement fragilisé le réseau de transport public traditionnel dans
plusieurs régions du pays, notamment les régions Centre, Nord et Ouest, occupées par la rébellion en 2002. Les
motos-taxis considérées comme une alternative aux difficultés de déplacements des populations, ont connu une
expansion rapide jusqu’atteindre le département d’Oumé en 2010. Le présent article essaie de dresser un portrait
sociodémographique, économique et territorial de cette nouvelle forme de transport public. En fait, l’article
s’intéresse aux causes de son apparition à Oumé, aux profils sociodémographiques des acteurs, à la nouvelle
configuration spatiale et aux gains financiers qu’elle génère. L’étude relève que le mauvais état des routes et le
sous-emploi des jeunes sont les principales causes de l’apparition des taxis-motos à Oumé. Elle note aussi que
l’activité se concentre dans l’espace ethnoculturel Gagou contrairement à l’espace Gouro où elle ne s’impose pas.

Abstract:
The motorcycles-taxis have appeared in the public transportation network in Côte d'Ivoire following the
sociopolitical crisis of 2000. This crisis has particularly weakened the traditional public transportation network in
several regions, including Central, North and West regions, occupied by the rebellion in 2002. The motorcycle-taxis
considered as an alternative to population displacement problems, have grown rapidly until it reaches Oumé the
department in 2010. The present article tries to draw a socio-demographic, economic and territorial portrait of this
new form of public transportation. In fact, the article focuses on the causes of its appearance in Oumé, the socio-
demographic profiles of the actors, the new spatial configuration and financial gains it generates. The study notes
that the poor condition of roads and the youth underemployment are the main causes of the appearance of
motorcycle taxis in Oumé. It also notes that the activity is concentrated in the Gagou ethnocultural space unlike
Gouro space where it is not necessary.

Mots clés / Keywords

Côte d’Ivoire, Oumé, motos-taxis, réseau de transport, mobilité.


Côte d’Ivoire, Oumé, motorcycles-taxis, transportation network, mobility.

Histoire de l’article/Article history


Reçu/Received:22 mai 2015 Reçu dans la forme révisée/Received in revised form:11 mars 2016 Accepté/Accepted:21 avril 2016 Disponible en ligne/Available online: 05 mai 2016

INTRODUCTION
La mobilité quotidienne des populations en Afrique subsaharienne devient de plus en plus difficile.
L’insuffisance des moyens de transport en commun est importante. Si certains milieux urbains se
distinguent par une organisation des acteurs privés et publics, comme la Société de Transport Abidjanais
(SOTRA), force est de constater que les espaces ruraux, pour la plupart, ne sont pas bénéficiaires d’une
telle organisation. Dans plusieurs pays et régions, la desserte des différentes localités, surtout la liaison
entre certains centres urbains et leurs zones périphériques rurales par les véhicules de transport en
commun est limitée. Ce vide, associé au déficit des infrastructures et les crises multiformes que vivent
certains pays africains ont favorisé l’éclosion des motos-taxis.
En Côte d’Ivoire, les motos-taxis ont fait leur apparition suite à la crise sociopolitique de 2002.
Phénomène d’abord destiné à relier les différents quartiers des grandes villes du Centre du Nord et de

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l’Ouest devenues moins dynamiques du fait de la crise, les motos-taxis servent désormais de canaux
pour relier les grands centres et leurs périphéries rurales et dans bien de cas, les zones rurales entre
elles. Sa place dans la mobilité des personnes et des marchandises ainsi que son expansion dans toutes
les régions du pays est indéniable.
Le département d’Oumé, situé en zone forestière de la Côte d’Ivoire enregistre la présence de cette
activité depuis la crise post-électorale de 2010. Avec ses acteurs, ses logiques et ses nœuds, les motos-
taxis font partie intégrante du réseau de transport de personnes et de biens dans le département. Entre
la fin du monopole du transport en commun traditionnel qui a du mal à desservir tout le territoire, et son
acceptation par les ruraux qui s’affranchissent ainsi de l’isolement et les flux financiers importants qu’ils
génèrent tout en occupant les jeunes, les motos-taxis s’imposent comme un recours plus ou moins
important pour le déplacement de la population.
Notre objectif est de faire un portrait de cette nouvelle forme d’activité dans un département faiblement
desservi par les véhicules de transport en commun. Nous analyserons respectivement les causes de son
apparition sur le territoire d’Oumé, la typologie des différents acteurs en présence, l’aspect économique
et ses différents nœuds dans l’espace.

MÉTHODOLOGIE
La méthodologie a consisté en une enquête semi-dirigée auprès des différents acteurs en présence. Sur
les 500 motos en circulation dans le département, nous avons choisi le dixième des motos soit 50 motos
dont les propriétaires et conducteurs ont été identifiés. Ces acteurs ont été répartis sur les quatre grands
centres de diffusion de cette activité (Diegonefla, Tonla, Doukouya et Guepahouo). Un questionnaire qui
portait sur le profil sociodémographique, les raisons du choix de l’activité, les gains financiers, la
clientèle, les conditions de l’exercice de l’activité et l’avenir de l’activité, a été adressé aux acteurs. Un
entretien avec les syndicalistes qui organisent l’activité et la clientèle composée principalement de ruraux
et de tout autre voyageur anonyme quant à leur niveau de satisfaction a été réalisé. Par la suite, les
différentes informations recueillies ont fait l’objet d’une analyse et d’interprétation.

LES CAUSES DE L’APPARITION ET DE L’EXPANSION DES MOTOS-TAXIS DANS LE


DÉPARTEMENT D’OUMÉ
Au-delà de la crise post-électorale qui a favorisé l’apparition sur le territoire d’Oumé des motos-taxis,
plusieurs autres facteurs expliquent son expansion en tant que moyens de transport de personnes et de
marchandises. Ces facteurs sont les suivants : un réseau routier dominé par les pistes rurales et les
routes en très mauvais états, la faible desserte du territoire par les véhicules de transport de personnes
et la question de l’emploi des jeunes.
UN RÉSEAU ROUTIER DOMINÉ PAR LES PISTES RURALES ET LES ROUTES NON BITUMÉES
Le réseau routier du département est composé de voies bitumées, de routes non bitumées et de pistes
(cf. figure 1). La longueur totale de voie bitumée dans la ville d’Oumé est de 19 kilomètres. A partir de
cette capitale régionale, trois grands axes bitumés se dégagent pour relier les autres chefs-lieux de
régions limitrophes. Ce sont l’axe Oumé–Gagnoa qui passe par la ville de Diégonefla et plus loin Ouicaho,
l’axe Oumé-Toumodi passant par Zangué, le dernier village du département et l’axe bitumée Oumé-Hiré
qui passe par Gabia et plus loin, les campements comme Gbabli et Carrière. Sur ces différentes voies
bitumées, on trouve plusieurs campements et villages qui ont une facilité de connection avec les grands
centres que sont Oumé et Diégonefla. En dehors de ces routes bitumées internes au département, qui
sont d’ailleurs des voies de jonction de capitales régionales limitrophes (Gagnoa, Divo, Toumodi), les
autres localités du département sont desservies par des routes non bitumées et des pistes rurales. Les
principales routes non bitumées sont:1) la route Oumé - Guépahouo, 2) la route Zangué - Kouaméfla, 3)
la route Gabia- Faitaikro, 4) la route Diégonéfla – Tonla – Doukouya dont une bretelle fait le tour des
villages du canton N’da (Bléannianda, Bosoevoda, Dedi, Bokeda etc), 5) l’axe qui part de Diegonefla pour
le tour des villages de Badié, Nieboda, Bidié, Gouidy, etc, 6) l’axe Doukouya-Goulikaho et enfin 7) l’axe
Guepahouo-Messoukro.
En plus de ces voies, plusieurs pistes rurales relient certaines localités du département. Ces pistes ont été
créées en partie grâce à l’exploitation forestière. En effet, à l’instar de toute la Côte d’Ivoire, le
département d’Oumé a connu une forte exploitation forestière. Plusieurs entreprises de bois et des
scieries, dont la scierie Jacob et la scierie du Bandama, y ont joué un rôle important. Ces entreprises sont
à la base de l’ouverture des pistes rurales pour acheminer le bois dans divers endroits. Les routes non
bitumées et les pistes couvrent une grande partie du département. Par endroit, elles connaissent une

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circulation journalière de véhicules de transport en commun pendant que sur d’autres axes, la fréquence
est parfois hebdomadaire. Ce réseau de routes non bitumées et de pistes connait une forte dégradation
pendant les saisons pluvieuses, rendant très difficile la circulation des véhicules (cf. Photo 1).

Figure 1 : Réseau routier du département d’Oumé

Cliché : Pierre Guelé, 2014.

Photo1 : Route rurale dans le canton N’Da

DÉPARTEMENT D’OUMÉ : UNE RÉGION AGRICOLE FAIBLEMENT DESSERVIE PAR LES VÉHICULES DE
TRANSPORT DE PERSONNES
Le réseau routier constitué essentiellement de pistes rurales et de routes non bitumées est un frein au
déploiement des véhicules de transport de personnes dans la majeure partie du département d’Oumé. Le
réseau de transport en commun s’organise à partir de quatre localités que sont Oumé, Diegonefla et à un
degré moindre Guepahouo et Doukouya. À partir de ces localités, plusieurs axes routiers sont utilisés par
les transporteurs. Pour chaque axe routier, il est mis en place une seconde gare avec un chef qui
coordonne les trajets des véhicules de transport durant la journée. Les routes bitumées sont les plus
achalandées. Tous les villages et campements situés sur les voies bitumées sont quotidiennement reliés
par les véhicules de transport de personnes. Ce sont les axes Oumé-Gabia avec environ quinze taxis-
brousse par jour, l’axe Oumé-Diegonefla avec en moyenne sept véhicules de transport de dix-huit places
appelés communément Massa et l’axe Oumé-Zangué. En plus de ces voies bitumées, une autre voie non
bitumée est beaucoup fréquentée. Il s’agit de l’axe Oumé-Guepahouo passant par le gros bourg de
Doukouya, avec en moyenne sept véhicules de transport de personnes de vingt-deux places appelés
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Badjan. Hormis ces localités situées sur ces voies de grande fréquentation, la liaison entre certains
centres et leurs périphéries par les camions de transport est problématique.
À Diegonefla, il n’existe presque plus de gares routières pour relier certains villages et campements avec
cette sous-préfecture. Les villages de Gnandi, Bomeneda, Goudi, Boboda, Bidihié, Badié, Dédi et plus de
140 campements, de par leurs positions excentrées par rapport à la voie bitumée, sont desservis par le
transport en commun. La sous-préfecture de Tonla avec huit villages et cinquante-six campements ne
dispose d’aucun moyen de transport de personnes. Seul un véhicule de dix-huit places, par jour, part de
Diegonefla pour relier les villages du canton N’dah avant d’aller à Tonla, le chef-lieu de Sous-préfecture et
continuer sur Doukouya. Dans la sous-préfecture de Guepahouo, les villages et campements situés sur
les axes Guepahouo-Oumé et guépahouo-Sinfra sont accessibles grâce à un véhicule de transport. Les
autres localités comme Douagbo, Bodiba, Donsohouo et plusieurs campements ne sont pas reliés au
réseau routier. L’organisation du transport à partir de Doukouya sert à connecter les grands centres
comme Oumé, Guepahouo et toutes les localités situées sur la voie reliant les deux centres. Les villages
comme Benkro, Yohouda, Goulikaho et plusieurs autres campements environnants ne sont pas
accessibles.
Dans le département, les différentes saisons influencent beaucoup la régularité des véhicules de transport
en commun sur les routes non bitumées et les pistes rurales. La saison pluvieuse rend souvent
impraticable les routes et leurs abandons. Cependant, la saison sèche, à cause de la vente des produits
agricoles notamment le café-cacao, favorise une grande circulation des personnes et des biens sur tout le
territoire. Les transporteurs augmentent le nombre de véhicules les trajets existants ou procèdent à
l’ouverture de certaines routes restées longtemps fermées à cause de leur mauvais état. A ces différentes
irrégularités, s’ajoute la vétusté des véhicules de transport en commun (cf. photo 2) et le long temps
d’attente dans les lieux d’embarquement. Cette situation constitue une opportunité pour les
motocyclettes d’occuper l’espace à cause de leur régularité, leur rapidité et de leur souplesse (Aloko,
2001).

Cliché : Pierre Guelé, 2013.

Photo 2 : L’unique véhicule de transport du jour pour les villages du canton N’da

LE SOUS-EMPLOI DANS LE DÉPARTEMENT D’OUMÉ : CAUSE POTENTIELLE DE L’ÉMERGENCE DES TAXIS-MOTOS


Dans le département, les jeunes, pour la plupart déscolarisés, ont du mal à s’insérer dans le domaine
agricole qui est la principale activité économique. Dans ce secteur, la présence de la population non
autochtone et leur mainmise sur tous les secteurs économiques, notamment l’agriculture, limitent les
actions des autochtones. En effet, 49,3% et 28,70% des ménages agricoles du département sont
respectivement allochtones et non ivoiriens contre seulement 22% des ménages agricoles constitués
d’autochtones (Recensement National de l’Agriculture, 2001). Pour l’insertion socio-économique des
jeunes, l’avènement des motos-taxis est une opportunité à saisir. Cette activité est exercée par les
autochtones Gagou et Gouro. Par contre, les Gouro sont majoritaires à l’exercer.
Aujourd’hui, toutes les communautés vivant dans le département sont impliquées. Ce qui a permis, un
temps soit peu, d’atténuer les tensions qui opposaient les autochtones aux allogènes autour de l’arrivée
de l’activité dans le département. La forte présence des Gagou s’explique par le fait que leur espace
ethnoculturel est moins accessible par les véhicules même si cet espace est le plus vaste du
département. Sur les quatre sous-préfectures du département, trois sont Gagou. Malheureusement, la
liaison entre les chefs-lieux de l’administration et les périphéries n’est pas aisée pour les véhicules.

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Au nombre des emplois générés, on a l’emploi de conducteurs, l’emploi de syndicaliste, les vendeurs
d’essence et autres lubrifiants et les mécaniciens. La plupart des jeunes ne sont pas propriétaires des
taxis-motos. Les jeunes de moins de trente ans sont à 95 % les principaux animateurs de l’activité dans
le département. Certains jeunes sont propriétaires des motos qu’ils conduisent. Les conducteurs trouvent
que cette activité est un tremplin qui leur permettra, à la longue, d’accéder à un emploi plus stable et
beaucoup valorisant. Pour ceux qui aspirent à rester définitivement au village, l’agriculture est le principal
rêve. Certains de ces jeunes ont pu acheter ou prendre en gage des plantations de cacao grâce à l’argent
gagné. Les plus jeunes, au contraire, se détournent des travaux champêtres pour se consacrer aux
motos-taxis qu’ils trouvent beaucoup plus rentables.
Toutefois, cette nouvelle réalité dans un milieu traditionnellement dominé par les véhicules de transport
en commun, dont les principaux acteurs sont les Malinké, est une source potentielle de tension et
d’opposition.

OPPOSITION DE DEUX SYSTÈMES DE TRANSPORT POUR LE CONTRÔLE DU TERRITOIRE


Les motos-taxis ont fait leur apparition sur fond de crise sur la légitimité et la légalité d’exercer une telle
activité dans le département d’Oumé. En effet, les acteurs du système de transport collectif traditionnel
ont vu en cette activité une concurrence déloyale susceptible de faire baisser leurs chiffres d’affaire.
Plusieurs démarches auprès des autorités administratives pour y mettre fin ont été entreprises. Elles
n’ont pu aboutir, car pour les responsables administratifs, c’est une activité économique autant que les
autres secteurs qui font vivre des familles pourvu qu’elle se fasse dans un cadre légal respectant les lois
en vigueur. Une rivalité s’est donc installée sur le terrain. Les destructions de biens, des cessations
momentanées d’exercer les différentes activités, les interdictions de circuler dans certains espaces ont
été enregistrées. La confiscation des véhicules voire leur destruction et la fermeture des voies d’accès
aux localités Gagou, d’où provient la forte clientèle qui emprunte les véhicules, ont été beaucoup
préjudiciables aux acteurs traditionnels. Aujourd’hui, les routes bitumées sont interdites de circulation
aux motos-taxis. Cette rivalité se manifeste dans les tarifs que doit débourser un voyageur quand les
deux types de transport sont présents sur un même trajet. Nous assistons dans ce cas à une baisse du
tarif pour attirer la clientèle. Dans la majorité des cas, les voyageurs optent pour les motos pour éviter de
longues périodes d’attente. Si l’activité semble être acceptée et se déroule normalement, il faut,
cependant, relever la méfiance entre les différents acteurs en présence. Le contrôle du territoire reste un
enjeu majeur pour chacun d’eux.
Les motos-taxis s’organisent à partir des gares disséminées un peu partout sur le territoire, donnant ainsi
lieu à une interconnexion des différentes localités du département.

LES GARES DES MOTOS-TAXIS ET L’ORGANISATION DE L’ESPACE


Le pays Gagou est le lieu d’apparition de l’activité dans le département. Toutes les localités qui abritent
les gares des motos-taxis sont situées dans le pays Gagou. A contrario, le pays Gouro ne connaît pas un
réseau d’organisation de l’activité bien qu’il soit souvent relié par les motos-taxis. La ville de Diégonefla,
principale grande localité du pays Gagou est le lieu d’où est partie la diffusion de l’activité. Pour une
meilleure desserte de tout le territoire, des gares ont été créées dans de nombreux villages (cf. figure 2).
Les gares servent d’abri aux voyageurs et au chef de gare qui fait la programmation des motos selon les
itinéraires. La mise en place d’une gare est fonction du nombre de motos disponibles dans le village et les
possibilités de liaisons qu’il offre avec son arrière-pays et surtout sa capitale. Les principaux nœuds qui
offrent plus d’opportunité de liaisons avec les autres localités sont ceux de Diégonefla, Doukouya et de
Guépahouo.
À partir de Diégonefla, les motos relient tous les villages et campements de la sous-préfecture et ceux du
canton N’da. Dans ce canton, des gares relais existent dans les villages comme Bléanianda, Zaadi, Tonla,
Booda et Bokeda. Mieux, de Diegonefla selon la demande, ils vont jusque dans les campements reculés
(Gôdeh, N’guessankro, Antoinekro, Loukousankro) qui font frontière avec les autres régions comme
Divo, Lakota et Hiré. Dans ce rayon, autour de Diegonefla, nous trouvons les gares à Gnadi, Bidihé,
Goueda, Tiegba, Lahouda, et Ouicaho. Avec la dynamique urbaine de Diégonefla, cette activité
commence à s’insérer dans différents quartiers de la ville où elle porte le nom de taxis-ville.
À Doukouya, l’axe le plus fréquenté par les motos-taxis est celui qui le relie à Goulikaho en passant par
Yohouda. La fréquence observée sur cet axe et les nombreux campements à desservir dans la zone ont
fait naître une gare à Yohouda et à Goulikaho.
Dans la sous-préfecture de Guepahouo, la seule gare est celle de Guepahouo. Autour de cette localité, se
trouvent plusieurs villages et campements que les motos-taxis relient de façon quotidienne.
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La ville d’Oumé ne dispose pas de gare de motos-taxis. En effet, la ville regorge de plusieurs véhicules et
autres taxis-brousse qui relient la ville aux zones rurales. Cette situation s’explique par le refus des
propriétaires des véhicules de transport en commun de voir s’installer les motos-taxis. Toutefois, en cas
de demande, les motos-taxis opèrent clandestinement. Avec la difficulté pour les motos-taxis de
s’installer et s’organiser dans la ville d’Oumé, c’est tout le pays Gouro qui est privé d’un moyen de
transport alternatif. Dans les différents points d’embarquement, le nombre de motos-taxis varie. Au total,
cinq cents motos-taxis circulent dans tout le département transportant des personnes et des biens.

Figure 2 : Localisation des différentes gares de transport dans le département d’Oumé

La présence des motos-taxis, partout dans le département, est le fait de principaux acteurs dont les rôles
sont différents les uns des autres mais qui s’inscrivent dans une complémentarité pour la survie de
l’activité.

DIVERSITÉ DES ACTEURS IMPLIQUÉS DANS L’ACTIVITÉ DES MOTOS-TAXIS : LES


SYNDICATS, LES CONDUCTEURS (JEUNES), LES PROPRIÉTAIRES ET LES POPULATIONS
RURALES (CLIENTÈLE)
L’activité des motos-taxis dans le département est animée par plusieurs acteurs aux intérêts différents.
Même si l’activité a commencé de façon inorganisée avec des initiatives personnelles, elle connaît,
aujourd’hui, une certaine structuration avec des organisations syndicales. Au départ, l’union s’est faite
autour d’une seule structure qu’est l’UTTM (Union des Transporteurs Motos-taxis). Ce syndicat a été mise
en place par les jeunes Gagou ayant servi comme coxers et autres auxiliaires du transport dans les
communes d’Abidjan. Par la suite, une division interne au sein du syndicat, pour des raisons financières
et de gestion, va donner naissance à une autre structure dont la base se trouve à Tonla. C’est l’UPTT
(Union des Propriétaires de Motos-Taxis de Tonla).Toutes ces structures organisent ce secteur. Toutefois,
les propriétaires des motos-taxis sont à majorité des paysans.
Le meilleur prix d’achat des produits agricoles a permis à de nombreux paysans d’acheter des motos pour
se déplacer. Par contre, ailleurs dans d’autres localités, l’utilisation des motos comme moyen de transport
et le profit généré ont convaincu certains paysans de mettre à disposition des jeunes leurs motos. L’étude
montre que 90 % des propriétaires-paysans ont mis à la disposition des jeunes leurs motos. La majorité
de ces propriétaires-paysans est Gagou. Ils représentent 60 % des propriétaires, suivis des baoulés et les
burkinabés avec respectivement 18% et 12%. Les autres propriétaires sont les responsables syndicaux,
les parents vivant hors du département et les jeunes conducteurs qui après le contrat, s’achètent une
moto.
Dans la très grande majorité, les motos-taxis sont conduits par les jeunes. L’enquête montre que 98 %
des jeunes ont un âge compris entre dix-huit et trente-cinq ans. Dans cette frange, les moins de trente
ans sont les plus nombreux. Ces jeunes sont pour la plupart, des conducteurs contractuels. Par contre,
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certains sont propriétaires grâce à l’appui parents. Ces jeunes sont pour la plupart déscolarisés (87%) qui
ont aussi de la difficulté d’insertion dans le monde agricole à cause de la rareté des terres. Ils considèrent
la conduite des motos-taxis comme de la débrouillardise. Toutefois, le nombre de jeunes, à la fois,
agriculteurs et conducteurs est faible. Ces jeunes exercent les deux activités par alternance selon les
périodes propices. Au départ, l’activité était réservée aux jeunes autochtones. Mais, aujourd’hui, elle
s’élargit peu à peu aux autres communautés (Baoulé, Burkinabé, Senoufo). Par ordre de présence
dominante, on a les Gagou, les Gouro, les Baoulé, les Burkinabé et les Senoufo. Les femmes sont
totalement absentes dans le métier de conducteur de moto-taxi.
Par jour, une moto-taxi transporte en moyenne entre six et dix personnes. Ce nombre peut évoluer selon
les périodes d’affluence que sont la traite agricole, la rentrée scolaire et les vacances scolaires ainsi que
les festivités dans les villages. Dans les gares, avec une moyenne de trente motos, ce sont 180 à 300
personnes qui sont transportées par jour. Les populations se déplacent généralement les jours de marché
ou pour des besoins administratifs.

LES MOTOS-TAXIS : UNE NOUVELLE PERSPECTIVE FINANCIÈRE ?


Les motos-taxis génèrent des flux financiers non négligeables. Le tarif varie selon les localités et les
distances à parcourir. Les motos-taxis ont un tarif élevé comparé aux véhicules de transport en commun.
À la gare de Diegonefla, pour relier les localités situées dans un rayon de quinze kilomètres, le passager
doit débourser 1 000 FCFA. Au-delà de cette distance et selon l’état de la route, le client payera la
somme de 2 000 FCFA voire 4 000 FCFA pour les campements frontaliers des autres départements. Pour
les longues distances, les motos-taxis exigent deux passagers ou doublent le tarif pour un seul client.
À Doukouya, le trajet routier le plus fréquenté est celui qui mène à Goulikaho. Pour toutes les localités
situées sur cette voie, le tarif est fixé à 750 FCFA. Ce tarif est encore plus dispendieux que la somme de
500 FCFA proposée par le seul véhicule de transport en commun sur ce trajet. Par contre, à Guepahouo,
le tarif se négocie à partir de 200 FCFA pour les localités situées à moins de deux kilomètres. Les motos-
taxis préfèrent les clients qui vont au-delà de cinq kilomètres avec un tarif qui commence à partir de 500
FCFA. Mais pendant les périodes d’intenses activités agricoles, peu propices aux déplacements des
usagers, les tarifs se négocient à la baisse.
L’engouement des populations pour les motos-taxis bénéficie financièrement aux propriétaires, aux
conducteurs et aux syndicats. Les propriétaires de motos reçoivent entre 2 000 FCFA et 3 000 FCFA par
jour selon la localité où l’activité s’exerce. La recette du conducteur oscille entre 5 000 FCFA (période
creuse) et 20 000 FCFA (période de forte affluence). Quant au syndicat, il fait des prélèvements sur
chaque moto. Le syndicat fabrique des plaques d’immatriculation qu’il vend à 15 000 FCFA. Au tout début
de cette activité dans le département, les plaques étaient vendues à 30 000 FCFA et ensuite à 20 000
FCFA. Les plaques qui ne sont pas officielles, car non délivrées par l’administration, ont permis d’identifier
non seulement les conducteurs mais aussi les motos-taxis. Il y a environ 500 motos-taxis dans le
département d’Oumé. Sur une base journalière, le syndicat prélève la somme de 500 FCFA par moto. De
cette somme prélevée, 300 FCFA vont dans la caisse du syndicat et 200 FCFA servent de taxe journalière.
Cette somme de 200 FCFA permet d’acheter un ticket journalier de couleur jaune qui donne ainsi
l’autorisation aux conducteurs de circuler toute la journée. Les sommes prélevées par le syndicat
permettent d’entretenir des relations cordiales avec les autorités de la ville et de s’occuper des cas
d’accidents. Régulièrement, le syndicat propose des gadgets (tee-shirts, chasubles, badges, cache-nez)
aux conducteurs des motos-taxis.
Les motocyclettes en circulation dans le département proviennent des pays asiatiques et transitent par la
sous-région (cf. photo 2). Les nouvelles motos, arrivent en pièces détachées avant d’être montées avec
les soins des propriétaires. La longue période de crise, qu’a connu le pays, a été profitable à ce
commerce et un l’accès aux motos suivant des circuits non officiels. Aujourd’hui, avec la normalisation,
les acteurs tentent tant bien que mal de se mettre en règle vis-à-vis de la loi. Les motos sont de plus en
plus dédouanées et assurées. Une nouvelle moto coûte entre 300 000 et 500 000 FCFA selon le lieu
d’achat. Les motos achetées à l’extérieur du département sont moins chers. Les motocyclettes sont très
peu assurées et plus de 90 % des conducteurs n’ont pas de permis de conduire. Les conducteurs
imprudents ont été, généralement, à la base des accidents graves avec souvent des décès.

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Cliché : Pierre Guelé, 2014.

Photo 2 : Quelques motocyclettes en circulation dans le département

PRÉSENCE DES MOTOCYCLETTES ET ÉMERGENCE DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES


ANNEXES
L’apparition des motos-taxis dans le département a favorisé l’émergence d’autres activités économiques
comme la vente de carburant au détail. Avec un nombre important de motos en circulation dans le
département, plusieurs villages situés sur les axes routiers disposent de points de vente du carburant.
L’essence est achetée dans les stations-services des deux principales villes que sont Oumé et Diégonefla.
Dans un village, l’essence est vendue dans des bouteilles d’un litre ou de demi-litre. Les prix oscillent
entre 900 FCFA et 1 000 FCFA un litre et la moitié prix pour le demi-litre.
La seconde activité économique de soutien est la vente des lubrifiants. Les points de vente sont localisés
le long des axes routiers utilisés par les motos-taxis.
La troisième activité générée est le garage pour moto. On observe la création, souvent de manière
occasionnelle, des garages pour les motos dans certains villages tandis que la ville de Diégonefla et les
autres nœuds importants comme Guépahouo et Doukouya ont plusieurs garages permanents. Ces
garages sont aussi les lieux de commerce des différentes pièces de rechange. Il existe, cependant, des
magasins spécialisés dans la vente de pièces détachées. Le métier de réparateur de motos et de colleur
de roues occupe aujourd’hui plusieurs jeunes.

CONCLUSION
Les principaux déterminants de l’intégration des motos-taxis à l’offre de transport collectif dans le
département d’Oumé sont le mauvais état des routes qui limite les liaisons entre les centres et leur
arrière-pays et la question de l’emploi des jeunes. Présentée au début comme un palliatif temporaire qui
ne tiendrait que jusqu’à la fin de la crise, l’activité se positionne aujourd’hui comme une panacée au
problème de la mobilité dans une zone de forte production agricole et démographiquement dense.
Plusieurs acteurs aux intérêts divergents contribuent à son dynamisme dans l’occupation de l’espace. Elle
mobilise un important flux financier, lui donnant ainsi une place de choix parmi les activités économiques
qui font vivre plusieurs personnes.
L’activité des motos-taxis s’enracine progressivement dans le département d’Oumé et dans plusieurs
localités du pays. L’étude de ce phénomène afin d’en évaluer les pertinences et conséquences n’est qu’à
ces débuts. Le portrait actuel de la situation à Oumé nécessite d’être approfondir dans les futures
recherches afin de fournir les déterminants significatifs qui sous-tendent sa manifestation.

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Pour citer cet article

Référence électronique
Jérôme Aloko N’guessan et Pierre Guelé Gue, 2016. «Intégration des motos-taxis dans le réseau de
transport public: cas du département d’Oumé (Côte d’Ivoire)». Revue canadienne de géographie
tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (3) 1. Mis en ligne le 05 mai 2016, pp.
49-57. URL: http://laurentienne.ca/rcgt

Auteurs

Jérôme ALOKO N’GUESSAN


Directeur de recherches,
Institut de géographie tropicale,
Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, Abidjan, Côte d’Ivoire
Courriel : alokojerome@yahoo.fr

Pierre GUELE GUE


Doctorant,
Institut de géographie tropicale,
Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, Abidjan, Côte d’Ivoire
Courriel : Peterguele@yahoo.fr

RCJT/CJTG, Université Laurentienne/Laurentian University, Géographie/Geography, Sudbury, Ontario, P3E 2C6, Canada. ISSN : 2292-
4108. Vol. 3(1) : 49-57. Copyright @ 2016 RCGT-CJTG Tous droits réservés/All rights reserved.
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