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Modélisation physique à grande échelle de la rupture d’une digue par érosion


de contact : influence de la recharge granulaire

Conference Paper · June 2013

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6 authors, including:

Rémi Beguin Jean-Jacques Fry


geophyConsult Électricité de France (EDF)
28 PUBLICATIONS 239 CITATIONS 76 PUBLICATIONS 473 CITATIONS

SEE PROFILE SEE PROFILE

Christophe Picault Jean-Robert Courivaud


compagnie nationale du rhone Électricité de France (EDF)
13 PUBLICATIONS 4 CITATIONS 29 PUBLICATIONS 136 CITATIONS

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Viscoplastic Fluid View project

Numerical and experimental study of the destabilization of submerged granular bed View project

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Digues Maritimes et Fluviales de Protection contre les Submersions, 2013

Modélisation physique à grande échelle de la rupture d’une digue


par érosion de contact : influence de la recharge granulaire
R. Beguin1, J-J. Fry2, C. Picault3, J.-R. Courivaud2, Y.-H. Faure4, P. Philippe5
1
geophyConsult, Le Bourget-du-lac, remi.beguin@geophyconsult.com
2
eDF-CIH, Le Bourget-du-Lac, jean-jacques.fry@edf.fr
3
Compagnie Nationale du Rhône, Lyon, c.picault@cnr.tm.fr
4
LTHE, Grenoble, yhfaure@ujf-grenoble.fr
5
IRSTEA, Aix-en-Provence, pierre.philippe@irstea.fr

Résumé Abstract
L’érosion de contact est un type d’érosion interne qui se Contact erosion is a type of internal erosion that develops
développe le long d’une discontinuité de granulométrie du along a grading discontinuity of soil. This phenomenon is
sol. Ce phénomène est connu pour être observé au sein des known in river dikes composed of a silty core built on a
digues fluviales composées d’un noyau limoneux construit gravelly foundation. To study this process, a physical model
sur une fondation alluviale graveleuse. Pour étudier ce of dyke was constructed in a large experimental device (2.5 x
processus, un modèle physique de digue a été construit au 4 x 8 m). A constant hydraulic load was applied to the
sein d’un dispositif expérimental de grande taille upstream of the structure and increased in 24 h stages over a
(2,5 x 4 x 8 m). Une charge hydraulique constante a été total duration of one week. The erosion process was analyzed
appliquée à l’amont de l’ouvrage par paliers de 24 h sur une by many complementary instruments: pore pressure sensors,
durée totale d’une semaine. Le processus d’érosion a été flow meter, turbidimeter, surface topography by stereo-
analysé par de nombreux instruments de mesure photogrammetry, temperature and strain by optical fiber...
complémentaires : sondes de pression interstitielle, During the early steps of the experiment, transient erosion
débitmètre, turbidimètre, mesures topographiques de la was always observed, but the eroded quantities remained
surface par stéréo-photogrammétrie, mesures de température small. Above a Darcy velocity of about 2 cm×s-1 in the
et de déformation par fibre optique, etc. foundation, an unstable erosion process was systematically
Durant les premiers paliers, une érosion transitoire a toujours initiated and led to the formation of a cavity in the silty core.
été observée mais les quantités érodées demeuraient faibles. Within a few hours, the cavity expanded to become a pipe at
Au-dessus d’une vitesse de Darcy d’environ 2 cm×s-1 dans la the base of the entire core.
fondation, un processus d’érosion instable s’est During the first test series, a 20 cm thick granular shell was
systématiquement initié et a mené à la formation d’une cavité used. Under the action of high hydraulic gradients, it was
dans le noyau limoneux. En quelques heures, cette cavité quickly removed by the flow and did not prevent the structure
s’est toujours élargie jusqu’à devenir un conduit à la base de from collapsing. In a second series of tests, thicker shells
l’ensemble du noyau. were tested and extensively instrumented, to determine the
Lors de la première série d’essai, une recharge granulaire de conditions of thickness and grain size that guarantee shell
20 cm d’épaisseur a été mise en place. Sous l’effet des stability.
gradients hydrauliques élevés, elle a rapidement été entrainée In addition to its role in the mechanical stability of the
par l’écoulement, menant à la rupture de l’ouvrage. Au cours structure, a properly sized granular shell can therefore limit
d’une deuxième série d’essai, des recharges plus épaisses et the progression of internal erosion by combined effects of
largement instrumentées ont été testées pour établir les effective stress, filtration and dissipation of the hydrostatic
conditions d’épaisseur et de granulométrie qui permettent à la head.
digue de conserver son intégrité.
Une recharge granulaire correctement dimensionnée peut non Introduction
seulement assurer la stabilité mécanique de l’ouvrage mais
aussi limiter la progression d’une érosion interne grâce aux L’interface entre deux couches de sols de granulométries et
effets conjugués de la contrainte effective, de la filtration et de perméabilités différentes est un lieu privilégié de
de la reprise de la charge hydrostatique. développement d’une érosion interne habituellement appelée
« érosion de contact ». Pour que ce type d’érosion se
développe, deux conditions sont nécessaires. D’abord une
condition géométrique : les particules du sol fin doivent être
2 Modélisation physique à grande échelle de la rupture d’une digue par érosion de contact : influence de la recharge granulaire

suffisamment petites pour traverser les pores du sol le plus le développement d’un renard hydraulique (conduit traversant
grossier. Ensuite une condition hydraulique : la contrainte reliant in fine amont et aval).
exercée par l’écoulement sur les particules doit être suffisante Cette première conclusion, tirée d’essais pas totalement
pour les détacher et les transporter. représentatifs des cas réels (recharge inexistante ou très
De nos jours, les ouvrages hydrauliques sont construits en faible) suggérait que, sous certaines conditions, le risque de
s’assurant qu’une règle de filtre soit respectée entre les rupture était possible. Or, à notre connaissance, aucune
différentes couches de sol mises en place, garantissant ainsi rupture rapide d’ouvrage hydraulique n’a jusqu’à présent pu
que la condition géométrique empêchera le développement être attribuée avec certitude à l’érosion de contact. Il est donc
d’une érosion [8]. Toutefois, les interfaces granulaires pour probable que d’autres mécanismes soient en jeu au sein des
lesquelles une érosion de contact peut géométriquement se ouvrages réels et permettent d’éviter ce scénario de rupture.
développer restent fréquentes dans les ouvrages anciens, C’est pourquoi une campagne expérimentale a été initiée en
généralement construits avec les matériaux du site sans 2012 pour étudier l’influence de la recharge granulaire sur le
contrôle de leur granulométrie. C’est notamment le cas des processus global d’érosion de contact au sein d’une digue. En
corps de digues constituées de sol fin (sable, limon, argile…) effet, outre son rôle sur la stabilité mécanique de l’ouvrage,
construites directement sur une fondation alluviale une recharge granulaire peut également servir de filtre et
graveleuse. On rencontre aussi la situation inverse : une digue limiter ainsi le transport de particules.
en matériaux à granulométrie étendue, localement très Cette communication écrite présente le dispositif
grossière, bâtie sur une fondation en dépôts sédimentaires expérimental utilisé puis décrit le processus d’érosion de
majoritairement fins. Dans ces deux situations, on retrouve en contact observé. L’influence du type de recharge mise en
contact deux couches horizontales de sols dont les place sur la digue expérimentale est ensuite étudiée. Des
granulométries sont très différentes et qui peuvent être conclusions sont finalement tirées de ces travaux et une
soumises à un écoulement dès la mise en charge de l’ouvrage. première méthode de dimensionnement de la recharge est
Lorsqu’une érosion de contact s’initie, des particules du sol proposée.
fin sont progressivement entraînées et transportées à travers
les pores du sol grossier. Ce processus génère des cavités, des Dispositif expérimental
tassements, des fontis, ce qui dégrade la résistance mécanique
du sol et, en conséquence, peut affecter l’intégrité et la Structure
sécurité de l’ouvrage. Le dispositif expérimental est constitué d’une structure en
Pour évaluer où et quand le risque d’érosion de contact est béton armé ouverte sur sa face avant et sa face supérieure,
important, des études expérimentales ont été conduites sur délimitant un volume de 4 m de largeur, 8 m de longueur et
des échantillons à petite échelle (du décimètre au mètre) par 2,25 m de hauteur. A l’intérieur de ce volume, les matériaux
différents auteurs [1]-[3], [5] et [9]. Ces travaux mettent en constituant la digue expérimentale sont mis en place par
évidence les critères hydrauliques et géométriques couches successives et compactées pour atteindre les densités
déterminant l’initiation de l’érosion en fonction du type de souhaitées.
sol fin et de sol grossier impliqués. Ces critères fournissent
un outil intéressant pour évaluer le risque d’occurrence de
l’érosion de contact. Néanmoins, aucune expérience n’a à
notre connaissance été menée à grande échelle (de l’ordre de
la dizaine de mètres) sur une géométrie proche de celle d’un
ouvrage réel. Ceci soulève un problème fondamental de la
mécanique des sols : « quelle est la représentativité des essais
de laboratoire par rapport au comportement d’un ouvrage
réel ? ». Dans le contexte de l’érosion interne, deux questions
motivent tout particulièrement nos travaux : « Quelle est
l’influence de l’échelle spatiale sur l’initiation de l’érosion ?
Comment se développe et se propage ce phénomène au sein
d’une digue réelle ? ». Pour répondre à ces questions, neuf
essais à grande échelle ont été conduits au sein du Centre
d’Analyse Comportementale des Ouvrages Hydrauliques de FIGURE 1: DISPOSITIF EXPERIMENTAL
la Compagnie Nationale du Rhône en 2010 et 2011, financés
par la CNR, EDF et le Projet National ERINOH. Cette Les essais ont été réalisés à charge hydraulique constante. Le
campagne expérimentale a d’abord mis en évidence l’absence niveau d’eau amont était régulé au sein d’un réservoir
d’influence significative de l’échelle spatiale sur le processus. connecté à la digue au travers d’une grille en partie basse. Du
Ensuite, elle a démontré que l’initiation d’une érosion de côté aval, le pied de digue communiquait avec un réservoir de
contact à l’interface noyau/fondation d’un ouvrage pouvait sédimentation équipé d’un large déversoir permettant de
mener à la rupture rapide (en quelques heures) de celui-ci via limiter les variations du niveau d’eau à seulement quelques
R. Beguin, J-J. Fry, C. Picault, J.-R. Courivaud, Y.-H. Faure, P. Philippe 3

centimètres. L’essai consistait à augmenter le niveau d’eau le noyau de la digue était un sable-limoneux, provenant de
dans le réservoir amont par paliers successifs, imposant ainsi dragages du Rhône (limon de Bourg-Lès-Valence noté BLV),
des gradients hydrauliques croissants à l’ouvrage. très érodable, avec un diamètre médian d50 = 0.14 mm
(d85 = 0.28 mm), une distribution granulométrique étendue
Géométries des digues expérimentales testées (Cu ~ 85) et seulement légèrement cohésif (valeur au bleu
Les essais 1 à 3 ont été réalisés avec une couche de gravier de VBS = 0,3). Des essais d’érosion de contact à petite échelle
20 cm d’épaisseur mise en place au fond du dispositif, ont montré que ce sol était facilement érodable (cf. [1]). Il a
recouverte par une couche de limon de 2 m d’épaisseur. Un été installé par couches successives de 20 cm d’épaisseur,
échantillon de géométrie similaire à celle des essais de compactées par 8 passes d’un rouleau vibrant de type PV2,
laboratoire décrits dans la littérature est ainsi obtenu, mais afin d’obtenir une densité sèche de 1 520 kg×m-3 (i. e. 92 %
avec des dimensions multipliées par un facteur 10. Ces essais de la densité de l’Optimum Proctor Normal). Ce compactage
étaient axés sur l’initiation de l’érosion de contact, comme était contrôlé par une vingtaine de mesures de densité à la
décrits dans [1] et ne seront pas détaillés ici. On peut juste trousse coupante par essai. L’interface entre ces deux sols
retenir qu’il n’y a pas d’effet d’échelle significatif sur le seuil constitue une discontinuité granulométrique marquée
d’initiation en vitesse. garantissant que l’érosion de contact est géométriquement
Les essais 4 à 7 ont ensuite été menés avec un talus en limon possible. On voit que ces essais ont été menés dans des
de pente 1/3 recouvert par une couche de 20 cm de recharge conditions particulièrement favorables au développement
en gravier, comme illustré par la Figure 1. Cette recharge d’une érosion du noyau. La recharge était constituée soit d’un
était simplement déversée sur le noyau et la couche de gravier identique à celui de la fondation, soit d’une grave
fondation. Ces essais se sont concentrés sur l’étude du sableuse, à granulométrie étendue (d50 = 13.5 mm,
processus d’érosion dans son ensemble et notamment sur la d15 = 1 mm, Cu ~ 33).
phase de progression une fois l’initiation de l’érosion
constatée.
Enfin, les essais 8 à 12 ont été réalisés en s’intéressant
spécifiquement à l’influence de la recharge sur le processus.
La mise en place d’un géotextile sur le parement a d’abord
été testée puis l’épaisseur et la granulométrie de la recharge
ont été modifiées.
Pour tous les essais, la couche de fondation était continue
depuis la grille de sortie du réservoir amont jusqu’à la grille
d’entrée du réservoir aval.

Nature et état des sols utilisés


Le gravier utilisé pour la couche de fondation drainante était FIGURE 2: GRANULOMETRIE DES SOLS UTILISES
du gravier 20/40 mm, roulé, avec une distribution
granulométrique étroite (Cu < 2) (cf. Figure 2) et une
perméabilité de l’ordre de K = 1 m×s-1. Le sol fin constituant

FIGURE 3: SCHEMA ET INSTRUMENTATION DU MODELE


4 Modélisation physique à grande échelle de la rupture d’une digue par érosion de contact : influence de la recharge granulaire

Instrumentation de 0,17, la turbidité a soudainement augmenté puis le débit


Comme représenté dans la Figure 3, une instrumentation très s’est mis à croître, indiquant une augmentation de la
complète avait été mise en place sur le dispositif perméabilité globale du modèle.
expérimental. Le chargement hydraulique était caractérisé par
une mesure du débit entrant, des niveaux d’eau amont et aval
et de la pression interstitielle en 12 points de la couche de
fondation et en 5 points du noyau. L’initiation et la cinétique
de l’érosion de contact étaient suivies par une mesure de
turbidité de l’effluent pour estimer la quantité de matériaux
transportés en suspension et par une collecte régulière des
particules grossières transportées puis déposées dans le
réservoir aval.
La topographie de l’ouvrage était régulièrement relevée par
un dispositif de photogrammétrie, dans le but d’identifier de
possibles tassements et fontis. Cette topographie était
complétée par des mesures de déformations des couches de
limon réalisées grâce à une fibre optique installée au cœur du FIGURE 4: EVOLUTION TEMPORELLE DU NIVEAU D’EAU DANS
noyau. Finalement, des paramètres physiques pouvant être LE RESERVOIR AMONT, DU DEBIT ET DE LA CONCENTRATION
influencés par l’érosion comme la température le long de la EN MATIERES EN SUSPENSION (ESTIMEE D’APRES LA MESURE
fibre optique ou la résistivité électrique étaient également DE TURBIDITE)
mesurés.
A ce moment, une venue d’eau est apparue dans la recharge
Protocole expérimental et s’est rapidement intensifiée. L’écoulement a entraîné les
L’essai débutait par la saturation en eau de la base du modèle. graviers qui constituaient la recharge et, après une période de
Du gaz carbonique était d’abord injecté dans la couche de quelques minutes à un peu moins d’une heure suivant les
fondation pour évacuer l’air. Le niveau d’eau était ensuite essais, un véritable conduit est devenu visible (cf. Figure 5).
progressivement augmenté jusqu’à recouvrir la couche de Le débit maximum que peut fournir l’alimentation en eau
fondation et les 10 premiers centimètres du noyau limoneux. était finalement atteint et le niveau d’eau commençait à
L’excellente solubilité du gaz carbonique dans l’eau évite le diminuer dans le réservoir amont signifiant la fin de l’essai à
piégeage de bulles d’air sous le noyau limoneux. Des essais charge constante.
d’érosion de contact à petite échelle ont montré que ces
bulles d’air apportaient une protection au sol fin et
favorisaient sa résistance à l’érosion [1]. L’objectif initial de
ces essais est de représenter le comportement de digues en
charge au sein desquelles les éventuelles bulles d’air piégées
disposent de plusieurs semaines, voire mois, pour se dissiper.
Pour représenter le comportement de digues « sèches », au
sein desquelles des bulles d’air peuvent être piégées au
moment de la crue, cette injection de CO2 serait à proscrire.
Après l’injection, le niveau dans le réservoir amont était
ensuite augmenté, généralement toutes les 24 heures, jusqu’à
ce que l’ouvrage soit sévèrement dégradé ou jusqu’à ce que
le gradient hydraulique global maximal soit atteint (~ 0,23).

Etude du processus d’érosion de contact FIGURE 5: APPARITION DU RENARD HYDRAULIQUE APRES


RUPTURE DE LA RECHARGE LORS DE L’ESSAI 4
Résultats des essais 4 à 7
Les principales mesures réalisées durant l’essai 4 ont été Un comportement similaire a été observé lors de l’essai 6 (cf.
représentées sur la Figure 4 et illustrent le processus Tableau 1). Durant l’essai 5, aucun conduit n’a été observé
d’érosion observé durant la majorité des essais. Au début de mais une forte érosion régressive de la pointe du noyau en
l’expérience, à chaque palier, le niveau d’eau dans le limon s’est développée. L’essai 7 a été conduit avec un limon
réservoir amont était maintenu constant et le débit transitant à différent, le limon d’Ampuis, beaucoup plus cohésif que le
travers le modèle restait stable. De brefs pics de turbidité ont limon de Bourg-Lès-Valence et très peu de sol a été érodé
été mesurés à chaque changement de palier mais la turbidité (< 10 kg). La fraction argileuse du limon d’Ampuis (< 2 µm)
retombait ensuite rapidement à une très faible valeur. A la est de l’ordre de 12 % de la granulométrie complète contre
195ème heure de l’essai, pour un gradient hydraulique global 3 % pour le limon de Bourg-lès-Valence.
R. Beguin, J-J. Fry, C. Picault, J.-R. Courivaud, Y.-H. Faure, P. Philippe 5

TABLEAU 1: SYNTHESE DES ESSAIS A GRANDE ECHELLE

Recharge : Recharge : Durée Date Résultat


Essai Noyau Fondation matériau
épaisseur
Limon de Gravier Gravier 20/40 mm Renard hydraulique, rupture de la
4 20 cm 200 h 11/2010
BLV 20/40 mm recharge
Limon de Gravier Gravier 20/40 mm
5 20 cm 200 h 01/2011 Erosion régressive
BLV 20/40 mm
Limon de Gravier Gravier 20/40 mm Renard hydraulique, rupture de la
6 20 cm 35 h 02/2011
BLV 20/40 mm recharge
Limon Gravier Gravier 20/40 mm
7 20 cm 336 h 03/2011 Pas d’érosion
d’Ampuis 20/40 mm
Limon de Gravier Géotextile + Renard hydraulique, rupture de la
8 20 cm 114 h 04/2011
BLV 20/40 mm Gravier 20/40 mm recharge
Limon de Gravier 2/6 mm + Renard hydraulique, rupture de la
9 30 cm + 20 cm 120 h 06/2011
BLV 20/40 mm 20/40 mm recharge
Limon de Gravier Grave sableuse
10 130 cm 220 h 07/2012 Renard hydraulique, pas de rupture
BLV 20/40 mm
Limon de Gravier Grave sableuse Renard hydraulique, fuite dans le
11 130 cm 95 h 08/2012
BLV 20/40 mm parement mais pas de rupture
Limon de Gravier Grave sableuse
12 130 cm 100 h 10/2012 Renard hydraulique, pas de rupture
BLV 20/40 mm

Description du processus fondation par l’écoulement. Une cavité se forme à la base du


Une description phénoménologique du processus a été bâtie noyau. L’écoulement se concentre alors dans cet espace de
de façon cohérente avec les observations du phénomène à moindre résistance hydraulique, provoquant une
différentes échelles et les mesures présentées ci-dessus. Le augmentation des vitesses d’écoulement. Tant que la cavité se
processus d’érosion a ainsi été décomposé en quatre phases. maintient, un processus instable est en place : la cavité draine
Lors de la première phase, de brefs pics de turbidité sont une plus grand part de l’écoulement, ce qui accélère la vitesse
observés au moment des changements de paliers, indiquant à laquelle ses parois s’érodent et donc son grandissement. Si
une initiation momentanée de l’érosion. Le débit transitant la cavité s’effondre, le phénomène s’arrête et laisse une zone
dans l’ouvrage reste stable : la perméabilité globale n’évolue du noyau décompactée et fragilisée, lieu privilégié pour le
pas. La quantité de sol érodé et collecté est faible et diminue développement d’une future cavité. Dans le cas contraire, elle
avec le temps à chaque palier. Cette phase correspond donc à se propage jusqu’à traverser de part en part le noyau en
l’entraînement des particules les plus érodables limon, sous la forme d’un véritable renard hydraulique. Le
(principalement celles de petites tailles), peu liées à leurs développement de ce conduit est identifié d’après
voisines et localisées dans des zones d’écoulement intense. l’augmentation du débit et de la turbidité, d’après les mesures
Les particules plus résistantes ou moins exposées ne sont pas de pression interstitielles qui indiquent une perte de charge
entrainées et deviennent progressivement majoritaires, ce qui plus faible dans la zone où la cavité est présente et d’après les
conduit donc à la décroissance temporelle de l’érosion ([1] et mesures de déformation par fibre optique, permettant de
[5]). localiser les zones de propagation. Enfin, lorsque la structure
Une phase de transition a ensuite été identifiée lorsque la est démontée, le conduit est mis à jour à un emplacement
quantité de particules érodées commence à augmenter concordant avec les mesures de déformation (cf. Figure 6).
notablement. Des tassements ponctuels sont détectés et Lors de la dernière phase, le conduit interagit avec la
parfois une érosion régressive du pied de digue. L’intensité recharge. Celui-ci traverse l’ensemble du noyau et draine un
de l’érosion continue néanmoins à diminuer avec le temps. fort débit, chargé de matière en suspension, jusqu’à
Cette phase est plus ou moins bien repérée selon les essais. l’extrémité du parement en limon. En fonction du type de
Une phase de progression débute ensuite lorsque l’on mesure recharge utilisé, le processus s’arrête, ralentit, ou mène à la
une augmentation de la turbidité avec le temps, coïncidant rupture.
avec une augmentation du débit. Cette phase serait associée à
l’apparition d’une cavité dans le noyau en limon, juste au-
dessus de la couche de fondation. A l’interface, des particules
de limon sont détachées et entraînées à travers la couche de
6 Modélisation physique à grande échelle de la rupture d’une digue par érosion de contact : influence de la recharge granulaire

sur la Figure 7 et permettent d’illustrer le comportement


observé lorsqu’une recharge épaisse est utilisée. Les brefs
pics de turbidité, caractéristiques de la première phase du
processus, ont été identifiés lors des deux premiers paliers.

FIGURE 6: OBSERVATION DU CONDUIT LORS DU DEMONTAGE


DE L’ESSAI 6

Influence de la recharge

Recharge fine (< 50 cm) : essais 4 à 9 FIGURE 7: EVOLUTION TEMPORELLE DU NIVEAU D’EAU DANS
Lors des essais 4 à 7 la recharge granulaire était constituée LE RESERVOIR AMONT, DU DEBIT ET DE LA CONCENTRATION
d’une couche de gravier 20/40 mm de 20 cm d’épaisseur. EN MATIERES EN SUSPENSION (ESTIMEE D’APRES LA MESURE
Dans cette configuration, lorsqu’un conduit s’est développé DE TURBIDITE) LORS DE L’ESSAI 10
dans le noyau, la recharge s’est rapidement colmatée. La
pression interstitielle a augmenté sous la recharge, entraînant Lors du 3ème palier, un pic de turbidité a été détecté à la
l’apparition d’un fort gradient à travers celle-ci. Les graviers 64ème heure de façon concomitante avec une augmentation du
de la recharge ont alors été entraînés par l’écoulement jusqu’à débit. Au même moment des déformations ont été détectées
laisser apparaître le conduit à l’air libre, menant rapidement à par la fibre optique au sein du noyau limoneux : la figure 8
la rupture de l’ouvrage (Figure 5). représente un champ de déformation du sol selon l’axe Y,
L’essai 8 a été réalisé en mettant en place un géotextile sur le obtenu par interpolation des mesures fournies par la nappe de
parement en limon avant de la recouvrir par une recharge fibre optique sur un plan horizontal localisé à 20 cm au-
granulaire identique aux précédentes (20 cm de gravier dessus de la couche de fondation. Ce champs est représenté à
20/40 mm). Le géotextile possède un rôle de filtration et trois instants successifs et montre l’apparition de
retient les particules de limon transportées par l’écoulement. déformations à la fois en traction et en compression, générées
Celui-ci a donc rapidement été colmaté, provoquant une par le développement du conduit.
augmentation de la pression interstitielle. A ce moment, le
géotextile a été soulevé, du fait de la trop faible épaisseur de
recharge en gravier mais surtout du manque d’ancrage du
géotextile, lié à la faible largeur du modèle (4 m). Sur les
ouvrages réels, l’ancrage latéral et en pied de digue du
géotextile aurait pu permettre d’éviter ce soulèvement par
effet membrane [4].
L’essai 9 a été conduit avec une recharge intermédiaire,
constituée d’une couche de 30 cm d’épaisseur de gravier
2/6 mm puis d’une couche de 20 cm d’épaisseur de gravier
20/40 mm. Malgré son épaisseur plus importante, la
propagation du conduit a entraîné une rupture de la recharge
similaire à celles des essais 4 et 6.

Recharge épaisse : essais 10 à 12


Les essais 10 à 12 ont été réalisés avec une recharge épaisse FIGURE 8: CHAMPS DE DEFORMATION RELATIVE PAR RAPPORT
(130 cm), constituée d’une grave sableuse similaire aux AU TEMPS T = 59H OBTENU PAR INTERPOLATION DES MESURES
matériaux rencontrés sur une partie des digues du Rhône, PAR FIBRE OPTIQUE SUR UN PLAN HORIZONTAL LOCALISE A
compactée par couches successives de 25 cm par 6 passes 20 CM AU-DESSUS DE LA BASE DU NOYAU, DURANT L’ESSAI
d’un rouleau vibrant de type PV2. Ce compactage était 11.
contrôlé par des essais penétrométriques visant à respecter
l’objectif de compactage Q3 (cf. [7]) et dont la valeur
moyenne constatée était de l’ordre de 10 MPa. Les mesures de pression interstitielle ont permis de détecter
Les mesures obtenues durant l’essai 10 ont été représentées une augmentation de pression à l’aval (Figure 9). Ces
R. Beguin, J-J. Fry, C. Picault, J.-R. Courivaud, Y.-H. Faure et P. Philippe 7

observations sont similaires à celles réalisées lors des essais 4


à 9 lorsqu’un conduit s’est formé pour mener à la rupture de
la recharge. Cette fois-ci, ce scénario n’a pas été observé. Le
débit, après avoir brièvement augmenté, s’est mis à diminuer.
La turbidité a continué à fluctuer mais sans augmentation
significative. Au démontage, des fontis ont été observés en
surface du noyau en limon, des zones de sol décompacté et
remanié ont également été identifiées mais aucun conduit
encore en place n’était visible (Figure 10).

FIGURE 11: VENUE D’EAU ET RUISSELEMENT A LA SURFACE DE


LA RECHARGE LORS DE L’ESSAI 11

Dimensionnement de la recharge
Les recharges des ouvrages existants sont généralement
constituées d’une épaisseur conséquente de matériau à
granulométrie étendue similaire à celle des essais 10 à 12.
Dans cette configuration, les résultats obtenus montrent que
FIGURE 9: LIGNES DE CHARGE HYDRAULIQUE CALCULEES la recharge peut ralentir ou même stopper le processus
D’APRES LES MESURES DE PRESSION INTERSTITIELLE DANS LA d’érosion. Toutefois, les ruptures rapides que nous avons
COUCHE DE FONDATION LORS DE L’ESSAI 10 observées avec des recharges plus fines (essais 4, 6, 8 et 9)
illustrent l’importance de l’épaisseur de cet élément dans la
sécurité de l’ouvrage. A ce titre, il paraît primordial de
déterminer quelles sont les conditions nécessaires pour
garantir sa tenue.
Ces conditions dépendent du mécanisme responsable de la
rupture. Lors des essais 6, 8 et 9, l’apparition de la fuite dans
le parement est brutale. Il paraît dans ce cas raisonnable de
considérer une rupture par claquage hydraulique, ou boulance
Lorsque le conduit traverse l’intégralité du noyau, il draine
un important débit chargé en matières en suspension qui
colmate la recharge. La pression interstitielle augmente en
conséquence jusqu’à ce qu’un état de contrainte effective
nulle soit atteint. A ce moment, la recharge rompt par
claquage hydraulique. En considérant ce mécanisme, une
FIGURE 10: SURFACE DU NOYAU EN LIMON APRES LE RETRAIT méthode de dimensionnement peut être proposée.
DE LA RECHARGE LORS DU DEMONTAGE DE L’ESSAI 10 Une hypothèse conservative est d’abord faite, celle d’un
conduit ouvert traversant le noyau de part en part et qui se
Lors de l’essai 11, une venue d’eau a été observée dans le termine sous une recharge entièrement colmatée. La charge
parement, qui a rapidement formé un chenal de ravinement hydraulique sous la recharge est alors directement égale à
(Figure 11). Cette fuite a toutefois diminué en intensité après celle du réservoir amont. L’épaisseur de la recharge
quelques heures jusqu’à s’arrêter complètement. Malgré la nécessaire pour que la contrainte effective reste positive à sa
forte dégradation de la recharge, celle-ci est restée stable à base peut ainsi être calculée :
charge hydraulique maximale jusqu’à la fin de l’essai.
Les mesures de densité effectuées lors de la construction de >
ce modèle indiquent un compactage moins bon que pour les . . . β > − . .
essais 10 et 12, aussi bien dans le noyau que dans la recharge. !"# $%& '( .)*
> (1)
Ceci pourrait expliquer ce comportement différent. )+ ., - .

avec σr (Pa) la contrainte appliquée par la recharge sur une


surface parallèle à la pente, u (Pa) la pression d’eau, epr (m)
l’épaisseur de la recharge, ρr et ρw (kg×m-3) les masses
8 Modélisation physique à grande échelle de la rupture d’une digue par érosion de contact : influence de la recharge granulaire

volumiques de la recharge et de l’eau, g (m×s-2) la gravité, β Pour dimensionner l’épaisseur de la recharge nécessaire, une
(°) la pente du talus, Hamont (m) la charge hydraulique dans le condition de stabilité au claquage hydraulique a été proposée.
réservoir amont, zbase (m) l’altitude de la base de la recharge Un essai a toutefois montré que, lorsque cette condition est
au point de rupture supposé. L’application numérique pour ρr respectée, une importante fuite peut traverser et dégrader la
= 2000 kg×m-3, Hamont = 2,1 m, zbase = 0,4 m, β = 18°donne recharge. Durant cet essai, ce phénomène n’a pas mis en
epr > 0,94 m. Ce critère de dimensionnement est cohérent cause la stabilité de l’ouvrage. Toutefois ce résultat montre
avec les résultats présentés ci-dessus : rupture pour les essais que le critère proposé n’est probablement pas suffisant et que
4 à 9 qui possèdent une recharge inférieure à 0,50 m et d’autres mécanismes de rupture de la recharge sont à prendre
stabilité pour les essais 10 et 12 munis d’une recharge de en compte.
1,3 m d’épaisseur. Ces résultats illustrent aussi la nécessité d’un drainage
Cependant, la venue d’eau observée à travers le parement lors efficace de la recharge pour éviter l’apparition des fortes
de l’essai 11 survient alors que la contrainte effective est surpressions et des dégradations consécutives observées.
nettement supérieure à zéro. Ce phénomène ne peut donc pas
être expliqué par le mécanisme de claquage présenté ci- Mots-clés
dessus. A la fin de l’essai, lors du démontage de la recharge,
des zones très localisées où le sol était délavé ainsi que des Erosion de contact, Recharge granulaire, Modèle physique,
dépôts limoneux ont été identifiés. Ces observations Echelle de l’ouvrage
pourraient s’expliquer par l’apparition d’écoulements
préférentiels intenses qui ont provoqué un transport de limon
depuis le noyau mais aussi une suffusion du matériau de la
Remerciements
recharge. Cette fuite pourrait donc être attribuée aux
hétérogénéités de la recharge, liées à la construction de Les auteurs remercient la Compagnie National du Rhône ,
l’ouvrage ou liées au phénomène d’érosion lui-même. En EDF ainsi que le projet National ERINOH pour le
effet, dans le processus décrit ci-dessus, des cavités se financement de ces essais.
forment dans la zone d’interface puis s’effondrent, générant
des tassements et une déstructuration du sol dans les couches Références
supérieures. Ces tassements favorisent donc l’existence de
zones ou de fissures nettement plus perméables. [1] Beguin R. (2011). Etude multi-échelle de l'érosion de contact au sein
des ouvrages hydrauliques en terre. Thèse de doctorat de l’Université
Même si au final la recharge est restée stable durant l’essai de Grenoble, France.
11, elle a été largement dégradée par le ravinement. Ce [2] Bezuijen A., Klein Breteler M., Bakker K.J. (1987). Design criteria for
phénomène est donc à analyser en détail pour en déterminer placed block revetments and granular filters. Proc. 2nd Int. Conf.on
les causes et pouvoir l’anticiper. Ceci illustre aussi Costal & Port Eng.in Dev. Countries, Beijing.
[3] Brauns J. (1985). Erosionsverhalten geschichteten Bodens bei
l’importance de l’homogénéité du matériau en place pour la horizontaler Durchstromung. Wasserwirtschaft, Vol. 75, pp. 448-453
stabilité de l’ouvrage. Des hétérogénéités peuvent apparaître [4] Chareyre, B., Briancon L., Villard, P. (2002). Theorical versus
suite à l’érosion de l’ouvrage mais aussi en fonction de la experimental modeling of the anchorage capacity of geotextiles in
variabilité du stock de matériau utilisé et des méthodes de trenches. Geosynthetics International, Vol. 9(2), pp. 97-123.
[5] Guidoux C., Faure Y.-H., Beguin R., Ho C.-C. (2010). Contact erosion
construction employées (ségrégation du matériau lors sa mise at the interface between granular coarse soil and various base soils
en place, qualité du compactage…). L’apparition de cette under tangential flow condition. Journal of Geotechnical and
fuite illustre un autre point important, car elle a probablement Geoenvironmental Engineering Vol. 136(5), pp. 741-750.
été favorisée par l’instabilité du matériau de la recharge [6] Li, M., Fannin, R. J. (2008). Comparison of two criteria for internal
stability of granular soil, Canadian Geotechnical Journal, Vol 45(9),
utilisé, qui ne respecte pas les critères géométriques de pp. 1303-1309.
stabilité interne [6]. Cette instabilité permet le développement [7] Norme NF-P94-105, Sols : reconnaissance et essais - Contrôle de la
de suffusion qui modifie les caractéristiques hydrauliques qualité du compactage - Méthode au pénétromètre dynamique à énergie
mais aussi mécaniques du matériau. variable - Principe et méthode d'étalonnage du pénétromètre -
Exploitation des résultats – Interprétation
[8] Sherard J.L., Dunningan L.P., Talbot J.R. (1984). Basic properties of
Conclusion sand and gravel filters, Journal of Geotechnical Engineering-ASCE,
Vol 110(6), pp. 684-700.
[9] Wörman A., Olafsdottir R. (1992). Erosion in a granular medium
Une première série d’essais sur un modèle physique de digue interface. Journal of Hydraulical Research, Vol. 30(5), pp. 639-655.
soumis à une charge constante a montré que l’initiation d’une
érosion de contact peut, dans certaines conditions, mener à
une rupture rapide (en quelques heures) de l’ouvrage via la
formation d’un renard hydraulique. Des essais
complémentaires ont été réalisés pour tester l’influence de la
recharge sur ce processus et ont montré qu’une recharge
d’épaisseur suffisante permet de stopper, ou tout au moins de
ralentir, le processus de rupture.

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