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Publié le 5 juin 2020 (Mise à jour le 17/06)

Par Louis Fraysse

Le mystère des esséniens (5) : que


dit la Bible des esséniens ?
On ne trouve nulle mention des esséniens dans l’Ancien et le Nouveau Testament.
Serait-ce volontaire ?

Assurez-vous d’avoir lu les épisodes précédents de notre série sur les esséniens :
cliquez sur les liens suivants pour lire le premier volet, le deuxième, le troisième,
ainsi que le quatrième.

Sadducéens, pharisiens, esséniens. Des trois courants principaux du judaïsme au


tournant de notre ère, seuls les deux premiers sont mentionnés dans la Bible. Des
esséniens, en revanche, nulle mention. C’est d’autant plus curieux que, nous
l’avons vu, Jésus lui-même était vraisemblablement proche des esséniens, voire
l’un d’eux. Comment résoudre cette énigme ?

Cette question, Michael Langlois, historien et bibliste au Centre de recherche


français à Jérusalem, se l’est posée à plusieurs reprises. « Cette absence est tout
de même quelque peu surprenante, admet le chercheur. Car la Bible n’est pas
avare de descriptions et de mentions de groupes politiques ou religieux en tout
genre. On parle ainsi des zélotes, des hérodiens, des Maccabées… Mais jamais
des esséniens… »

Des effectifs exagérés ?


Comment comprendre que ces mouvements, pour certains relativement mineurs,
soient mentionnés dans la Bible et non les esséniens, pourtant présentés par
l’historien antique Flavius Josèphe comme l’une des trois grandes branches du
judaïsme d’alors ? Première hypothèse : les auteurs anciens auraient largement
exagéré l’importance des esséniens en Judée.

« Lorsqu’il mentionne leur existence, Philon d’Alexandrie indique que les


esséniens sont environ 4000, détaille Michael Langlois. 4000 personnes, alors que
l’on est censé parler de l’une des trois grandes branches du judaïsme, on peut
considérer que c’est bien peu. Mais l’un des arguments qui a été avancé consiste
à dire que même ce nombre a été gonflé, que les effectifs des esséniens ont été
surreprésentés. De ce fait, s’ils n’apparaissent nulle part dans la Bible, c’est qu’ils
ne représentaient rien ou presque numériquement. Et les rédacteurs n’auraient
donc pas vu l’intérêt d’en parler. »

De trop nombreux points communs


Pour quelles raisons les effectifs des esséniens auraient-ils été amplifiés ? « Les
tenants de cette thèse avancent que tant Flavius Josèphe que Philon d’Alexandrie
écrivaient pour un public cultivé, hellénisé. Ils ont pu se dire que les thématiques
esséniennes pouvaient intéresser les lecteurs grecs et romains. Un nombre
croissant de Grecs et de Romains développaient justement à l’époque un intérêt
pour les questions d’ascèse et de croyances orientales. »

Voilà pour une première explication. Elle ne convainc toutefois pas totalement
Michael Langlois. « Les parallèles entre certains des écrits du Nouveau
Testament et ce que l’on sait des esséniens sont tout de même flagrants. Jésus,
après tout, est le messie, c’est un guérisseur, il prêche le baptême. Le Nouveau
Testament est lui truffé de références à la fin du monde, à la résurrection des
corps, et même aux anges et à l’ésotérisme. C’est ainsi un ange qui vient
annoncer à Marie qu’elle est enceinte. Dans l’Épître aux Hébreux, on qualifie
Jésus de “prêtre selon l’ordre de Melkisédèq” ; l’Épître de Jude mentionne à deux
reprises l’archange Michel… Or l’intérêt pour l’angélologie, pour l’ésotérisme, est
l’une des particularités qui distinguent les esséniens des pharisiens et des
sadducéens, si l’on en croit les écrits de Flavius Josèphe et de Philon
d’Alexandrie. »
Une omission volontaire
De même, le vocabulaire utilisé par les rédacteurs du Nouveau Testament fait
écho à celui de certains des manuscrits de la mer Morte, dont la parenté est pour
beaucoup d’entre eux attribuée aux esséniens. « Quand on aligne une à une ces
similitudes, ces affinités théologiques, il devient de plus en plus difficile
d’imaginer que les auteurs du Nouveau Testament aient purement et simplement
oublié les esséniens », poursuit Michael Langlois.

Dès lors, estime le chercheur, l’on peut émettre une autre hypothèse.
« L’explication qui me semble plus convaincante, bien qu’elle reste spéculative,
est que cette omission est en fait volontaire. Les auteurs du Nouveau Testament
ne mentionnent pas les esséniens, parce qu’il n’ont pas de réserves à leur égard,
et cela pour une bonne raison : ils sont issus pour la plupart du mouvement
essénien ! Choisir de ne pas parler des esséniens, dans ces conditions, permet de
ne pas inviter au rapprochement avec ces derniers. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit
d’insister sur la nouveauté que constitue le christianisme, une religion que l’on
veut universelle et dont on veut élargir l’audience, au-delà des seuls Juifs. »

L’étude des manuscrits de la mer Morte


Le socle initial du christianisme, composé de Jésus et de ses disciples, aurait donc
été composé en bonne part d’esséniens. « Selon toute vraisemblance, conclut
Michael Langlois, la doctrine, les pratiques et les croyances des tous premiers
chrétiens étaient issues de l’essénisme. L’un des meilleurs moyens de comprendre
les origines du christianisme est d’étudier le mouvement essénien et les
manuscrits de la mer Morte. »

Aujourd’hui tombés dans l’oubli, les esséniens n’ont donc pas dit leur dernier mot.

À suivre : Le mystère des esséniens (6) : les esséniens et les manuscrits de


la mer Morte
Mais qui était Melkisédèq ?
L’historien et bibliste Michael Langlois nous en dit davantage sur la figure de
Melkisédèq : « Melkisédèq est un personnage mystérieux : il fait irruption dans
le récit de la Genèse, où il est présenté comme prêtre de Salem et reçoit à ce
titre la dîme d’Abraham. Mais on ne nous dit rien de plus sur lui. Dans le
judaïsme antique, des traditions fascinantes se développent à son sujet. Salem
devient Jérusalem. À Qumrân, il est presque divinisé ! Et dans le Nouveau
Testament (l’épître aux Hébreux pour être plus précis) Jésus est présenté
comme “prêtre selon l’ordre de Melkisédeq”. Cela montre à nouveau les
affinités entre le Nouveau Testament et la littérature angélologique. »

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