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« Je tiendrai le mythe pour une espèce de symbole, comme un symbole développé en forme

de récit, et articulé dans un temps et un espace non coordonnables à ceux de l’histoire et de la


géographie selon la méthode critique. »
Paul Ricœur, Philosophie de la volonté, t. II, Finitude et culpabilité, édit. Seuil, coll. Points
Essais, 2009.
«L'allégorie est toujours susceptible d'être traduite dans un texte intelligible par lui-même ;
une fois ce meilleur texte déchiffré, l'allégorie tombe comme un vêtement inutile... Le mythe
[au contraire] à une façon de révéler, irréductible à toute traduction d'un langage chiffré en un
langage clair... il signifie ce qu'il dit», Finitude et culpabilité

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GRILLE DE LECTURE
Pour Paul Ricœur, il est relativement facile d’opposer mythe et allégorie, mais beaucoup
moins de distinguer clairement mythe et symbole. Le sens commun présente parfois le
symbole comme une manière de prendre les mythes de façon non allégorique, et qu’ainsi,
symbole et allégorie seraient des attitudes ou des dispositions intentionnelles de
l’herméneutique. En d’autres termes, interprétation symbolique et interprétation allégorique
seraient deux directions de l’interprétation portant sur le même contenu, celui des mythes.
Ricœur essaye de se démarquer de cette façon de concevoir le mythe par rapport au symbole.
Si le symbole désigne une structure de signification ou bien un signe qui communique un
sens, le mythe est compris comme un récit traditionnel, qui porte sur des événements
primordiaux et destiné à fonder l’action rituelle des hommes d’aujourd’hui. Ainsi, le mythe
sert en général à instituer toutes les formes d’action et de pensée par lesquelles l’homme se
comprend lui-même dans son monde.
Selon cette façon de voir, le symbole est plus radical que le mythe. C’est le symbole qui est
originaire. Le mythe est une espèce de symbole qui prend la forme d’un récit, il revêt une
fonction symbolique. Élevé à la dignité du symbole, et renvoyant à des temps immémoriaux,
le mythe est articulé dans un temps et un espace non coordonnables à ceux du regard
scientifique. Cette conception du mythe repose sur le fait que nous ne pouvons plus relier le
temps du mythe à celui de l’histoire telle que nous l’écrivons selon une méthode critique.
Nous ne pouvons non plus rattacher les lieux du mythe à l’espace de notre géographie. A ce
titre, le mythe perd sa fonction explicative pour devenir exploratoire et compréhensive. Le
mythe acquiert une fonction symbolique, celle qui consiste à dévoiler les liens souterrains de
l’homme avec le sacré. Ricœur entend purement et simplement enlever au mythe son
intention étiologique (causaliste et explicative) et donc scientifique. Il dit se conformer à la
pensée moderne et à l’histoire des religions pour lesquelles le mythe est désormais
démythologisé au contact de l’histoire scientifique.
« Ce qui peut ici prêter à confusion c’est qu’il y a dans le signe une dualité ou plutôt deux
couples de facteurs qui peuvent être considérés chaque fois comme composant l’unité de la
signification; il y a d’abord la dualité de structure du signe sensible et de la signification qu’il
porte (du signifiant et du signifié dans la terminologie de Ferdinand de Saussure,); il y a en
outre la dualité intentionnelle du signe (à la fois sensible et spirituel, signifiant et signifié) et
de la chose ou de l’objet désigné. C’est avec le signe linguistique, conventionnel et institué,
que cette double dualité, structurale et intentionnelle, atteint sa pleine manifestation; d’une

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part les mots, phonétiquement différents selon les langues, portent des significations
identiques, d’autre part ces significations font que les signes sensibles valent pour quelque
chose qu’ils désignent; nous disons que les mots, par leur qualité sensible, expriment des
significations et que, grâce à leur signification, ils désignent quelque chose. Le mot signifier
couvre ces deux couples de l’expression et de la désignation.
Ce n’est pas de cette dualité qu’il s’agit dans le symbole. Elle est d’un degré supérieur; ce
n’est ni celle du signe sensible et de la signification, ni celle de la signification et de la chose,
laquelle est inséparable de la précédente. Elle s’ajoute et se superpose à la précédente comme
relation du sens au sens; elle présuppose des signes qui ont déjà un sens primaire, littéral,
manifeste, et qui par ce sens renvoient à un autre sens. Je restreins donc délibérément la
notion de symbole aux expressions à double ou multiple sens dont la texture sémantique est
corrélative du travail d’interprétation qui en explicite le sens second ou les sens multiples. »
Paul Ricœur, De l’Interprétation, éd. du Seuil, 1965, pp. 21-22.
« On entendra ici par mythe ce que l'histoire des religions y discerne aujourd'hui : non point
une fausse explication par le moyen d'images et de fables, mais un récit traditionnel, portant
sur des événements arrivés à l'origine des temps et destiné à fonder l'action rituelle des
hommes d'aujourd'hui et de manière générale à instituer toutes les formes d'action et de
pensée par lesquelles l'homme se comprend lui-même dans son monde. Pour nous, modernes,
le mythe est seulement mythe parce que nous ne pouvons plus relier ce temps à celui de
l'histoire telle que nous l'écrivons selon la méthode critique, ni non plus rattacher les lieux du
mythe à l'espace de notre géographie : c'est pourquoi le mythe ne peut plus être explication ;
exclure son intention étiologique, c'est le thème de toute nécessaire démythologisation.
Mais en perdant ses prétentions explicatives le mythe révèle sa portée exploratoire et
compréhensive, ce que nous appellerons plus loin sa fonction symbolique, c'est-à-dire son
pouvoir de découvrir, de dévoiler le lien de l'homme à son sacré. Aussi paradoxal qu'il
paraisse, le mythe, ainsi démythologisé au contact de l'histoire scientifique et élevé à la
dignité de symbole, est une dimension de la pensée moderne ».
Paul Ricœur, Philosophie de la volonté, éd. Aubier-Montaigne, p. 12

Mais force est de remarquer que Michel Meslin, un de nos contemporains, tient une position
opposée à celle de Paul Ricœur qui se fait le porte-parole de son temps. Pour Meslin, il est
évident que les mythes disent les diverses représentations humaines du temps et de l’espace,
et qu’ils témoignent de l’exploration par l’homme des confins de l’inéluctable, du fini et de
l’infini. Le contenu du mythe apparaît aux hommes comme ayant un sens, et donc comme
étant un langage prégnant et persuasif. Médiateur entre l’homme et l’univers, le mythe est
explicatif, parce que significatif, parce que permettant à l’homme d’expérimenter en lui les
significations profondes des êtres et des choses. Meslin se distingue nettement de Ricœur
lorsqu’il présente la pensée mythique comme l’expression en langage social d’une totalité
organisée, explicative, formée des valeurs fondamentales et des trésors d’expériences
générationnelles. Sous ce rapport, « la pensée mythique se révèle comme une systématisation
signifiante, que rien ne permet d’opposer valablement à la pensée scientifique ».

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