Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
[Exposé à la Première
Rencontre romande
d’universitaires protestants,
1963]
© Fonds Ricœur
Note éditoriale
1
. Sur ce dernier point, voir la dernière partie de Paul
Ricœur, Du texte à l’action, Paris, Seuil, 1986, p. 310-448.
« démystification » (6) puis concernant celle de
« démythologisation » (6).
Le « kérygme » chrétien renvoie, par son
étymologie, aux notions d’« annonce, proclamation,
message » (6). La démystification ne vise pas le
« contenu » (6) de ce message, mais son « origine »
(7). Dès lors, Ricœur veut tenir compte de
l’« apport » des « maîtres du soupçon », que sont
Marx, Nietzsche et Freud, en tant que critiques
devant nécessairement être considérés
conjointement pour la mise au jour d’une « illusion
sur l’origine » (7) et d’une « conscience fausse » (7).
Le philosophe distingue trois niveaux critiques : le
prolongement du soupçon dans le « doute » (8),
dans une interprétation de la culture, et comme
« affirmation » (10) c’est-à-dire tentative pour
« restaurer la positivité de l’homme » (10). Ainsi, le
« doute » qui intéresse Ricœur n’est pas celui qui est
au principe d’une constitution de la conscience c’est-
à-dire du « cogito » cartésien (8). Tout en revenant
sur leur différence et spécificité, le philosophe
rapporte ensuite les contributions critiques de Marx,
Nietzsche et Freud à la même perspective d’une
« critique de la culture » (8). La critique marxienne
vise le « capital comme structure qui s’ignore elle-
même, comme fausse création de valeurs » (9) ; la
critique nietzschéenne est celle qui ouvre sur une
« herméneutique, c’est-à-dire une analyse de
significations » (10) ; la critique freudienne est une
« critique des idéaux, des valeurs de cette culture »
en tant que rapporté à une « généalogie du désir »
(10). Ricœur entend finalement trouver dans la
pensée de Feuerbach un précurseur commun à la
critique de Marx, Nietzsche et Freud, en ce sens qu’il
a « dit et vu que l’homme se vidait lui-même dans
l’absolu, que l’absolu est comme une sorte de perte
de substance et que la tâche de l’homme est de
réapproprier sa propre substance, d’arrêter cette
hémorragie de substance dans le sacré » (10). Ce
qui réunit ces différentes approches est « une sorte
de célébration de la puissance libérante de la
nécessité » (12). La critique de la religion comme
démystification englobe donc la « critique de
l’idéologie » selon Marx, la « critique du
ressentiment » selon Nietzsche, et la critique de la
« détresse infantile » selon Freud (12).
La « démythologisation » correspond à une
« critique interne » (12) de la religion. Selon le
philosophe, la procédure de démythologisation mise
en œuvre par Bultmann revêt une intelligibilité plus
grande après les apports de la démystification
marxienne, nietzschéenne et freudienne en raison de
la « distance culturelle » entre l’époque moderne et
celle dans laquelle le kérygme chrétien émerge pour
devenir un « fait de culture » en tant que tel (13).
Ainsi doit-on considérer nécessairement un « rapport
de rupture » et un « rapport de reprise » (13) à
l’égard une prédication originelle. Une « rupture »
découle d’une situation dans laquelle « il n’y a pas
de preuve que puissent apporter ni l’expérience ni la
raison » (13) ; mais une « reprise » correspond au
domaine du « « croyable disponible » » qui déborde
de la « folie », c’est-à-dire du caractère impossible
de la « prédication de la Croix » (13) c’est aussi
une voie par laquelle la pensée ricœurienne peut
rattacher le message des évangiles à une subversion
politique radicale et à l’utopie. 2 Au total, Ricœur
indique qu’on ne doit pas considérer le « scandale »
de cette prédication elle-même, mais le « faux
scandale d’un véhicule culturel qui n’est plus le
nôtre » (14) lequel est renforcé par toute la distance
qui nous sépare du « croyable d’une époque » (14)
qui n’est plus la nôtre. La démythologisation au sens
de Ricœur revêt sa légitimité, son urgence, et son
inéluctabilité du fait de cette double mise à distance.
Mais elle renvoie surtout à une visée herméneutique,
à savoir « rendre manifeste devant tous le vrai
2
. Paul Ricœur, « Herméneutique et critique des
idéologies » (1973), in Du texte à l’action, p. 415-416.
scandale, le scandale originel » (14). Une
« herméneutique ancienne » avait à reconduire l’
« analogie de la foi entre le Christ et nous » à travers
le rapport entre un « Ancien Testament » et un
« Nouveau Testament » s’identifiant à une « Parole
vivante » non réductible à un « texte » (15) ; une
herméneutique moderne aurait pour objectif de ne
pas faire du « Nouveau Testament » un « second
Ancien Testament » (15). Dès lors, avons-nous à
nous placer dans le « cercle herméneutique » selon
lequel « c’est en interprétant que nous pouvons
croire » (15).