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Le Rorschach et les tests projectifs

Andronikof, A., & Fontan, P. (2017). Rorschach et tests projectifs. In J. D. Guelfi & F.
Rouillon (Eds.), Manuel de Psychiatrie (3rd ed., pp. 166-172). Issy-les-Moulineaux: Elsevier
Masson.

A. Andronikof, P. Fontan

Sous l’appellation « tests projectifs » on a coutume de regrouper des outils très variés tels que

des tests de récit sur image, des épreuves papier-crayon (dessins libres ou à thèmes), des récits

auto-biographiques, ainsi que le Rorschach bien que ce dernier repose sur des principes tout

autres que celui de la projection [1].

Les tests dits projectifs sont couramment utilisés dans l’examen de personnalité des patients,

et sont pour la plupart d’un apport très pertinent pour la compréhension de leur

fonctionnement et/ou structure psychologique. Les méthodes utilisées pour l’interprétation de

ces tests sont cependant très variées et ne présentent pas toutes les propriétés psychométriques

d’un véritable test (on trouvera une excellente synthèse de la controverse concernant le

Rorschach dans Mattlar, 2004 [17] ). En psychiatrie de l’adulte, les deux tests les plus utilisés

sont le Rorschach et le TAT (Thematic Apperception Test). Ces deux tests sont fondés sur des

théories psychologiques différentes et répondent à des objectifs différents, ce qui les rend

complémentaires.

Le Rorschach

Le test des taches d’encre a été créé par le psychiatre suisse Hermann Rorschach en 1921,

pour explorer l’idée que les maladies mentales influent de manière spécifique sur la façon

dont les patients perçoivent et interprètent des formes ambiguës et que les processus de

traitement de l’information diffèrent en fonction du type de personnalité, pathologique ou


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non, d’un individu. Sa méthode d’interprétation se fondait sur la structure des réponses et non

sur leurs contenus.

Suite au décès prématurée d’Hermann Rorschach en 1922, le matériel du test a été utilisé dans

le monde entier dans des approches théoriques très diverses et qui n’ont parfois plus rien à

voir avec les intentions de l’auteur. En France par exemple, de nombreux psychologues

interprètent les réponses au Rorschach comme un discours transféro-contretransférentiel en

référence à la théorie psychanalytique [4]. Dans cette perspective, les planches seraient

porteuses d’une symbolique latente renvoyant à des fantasmes originaires (ce qui n’était pas

l’intention d’Hermann Rorschach) et les réponses du sujet sont traitées comme infiltrées de

matériel inconscient, sur le modèle du rêve. A noter que, contrairement à la méthode

freudienne, l’interprétation se fait non pas à partir d’associations libres de la personne testée

mais en référence à une signification attribuée a priori aux taches d’encre. L’objectif principal

de cette méthode est de qualifier la structure psychique du sujet (névrotique, psychotique,

perverse ou limite).

Du côté des approches non psychanalytiques, le Rorschach a été intensément étudié et c’est en

1974 qu’est parue, aux États-Unis, la méthode du Système Intégré (Comprehensive System)

qui, dans sa version la plus récente [8, 10] , constitue un outil d’évaluation de la personnalité

et des processus morbides puissant et valide au plan psychométrique (standardisation des

consignes et de l’encodage, vérification de la fidélité intercorrecteurs, fidélité test-retest,

validation par critères externes). En France, les premières données normatives ont été publiées

[23]. On trouvera une présentation exhaustive de l’ensemble de ces travaux dans la dernière

édition de l’ouvrage de J.E. Exner [8] , et les manuels d’utilisation ont été publiés en français

[7, 11] .

Apports du Rorschach en Système Intégré (RSI)


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En psychiatrie de l’adulte et de l’adolescent, les apports du Rorschach sont de deux ordres : la

contribution au diagnostic, et la description des particularités du fonctionnement

psychologique du patient, ce qui permet un affinement des indications thérapeutiques. En ce

sens, c’est un test à la fois catégoriel (en termes de diagnostic) et dimensionnel (en termes de

personnalité) [10]. S’y ajoute un indice de risque suicidaire bien validé aux États-Unis et qui

semble très prometteur quoique non encore validé en France.

Le RSI permet d’explorer trois grands secteurs du fonctionnement psychologique : le

fonctionnement cognitif, le fonctionnement affectif, et le rapport du sujet à lui-même et aux

autres. Sur le modèle des théories de l’information, Exner décompose le secteur cognitif en

trois aspects : la saisie de l’information (balayage visuel et “ input “), l’identification

(formation des images), l’idéation (mise en sens de l’information, raisonnement). Le

fonctionnement affectif est analysé dans son économie (place des émotions dans le

fonctionnement général de la personnalité, impact sur les activités de pensée, modalités de

contrôle émotionnel) et dans ses qualités (type de sensibilité affective, degré de

différenciation entre affects positifs et négatifs, type de situation et de représentations qui

déstabilisent le fonctionnement affectif). Enfin, le rapport du sujet à lui-même et au monde est

décliné en termes de représentation de soi et des relations aux autres, de qualité de

l’investissement affectif de soi, de modalités d’attachement.

Rorschach et diagnostic

Le RSI a été validé pour certaines catégories nosographiques et un grand nombre d’études ont

mis en évidence des associations fortes entre certaines configurations de variables au RSI et

certains diagnostics des DSM-III et IV. Il s’agit en particulier de la schizophrénie, des

troubles de l’humeur (dépressions majeures en particulier), et de certains troubles de la

personnalité.
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Schizophrénie

Le diagnostic de schizophrénie ne pose de difficultés en psychiatrie qu’à ses marges : les

formes psychotiques aiguës d’une part, avec les bouffées délirantes dont on n’est jamais sûr

du pronostic et les décompensations toxiques ; les états-limites d’autre part, voire les

dépressions atypiques.

L’utilisation du Rorschach n’est jamais indiquée dans les formes aiguës. Les réponses sont

essentiellement marquées par les processus pathologiques actifs et on y voit alors fort bien

l’effet de l’activité délirante et la rupture d’avec la réalité, toutes choses qui apparaissent dans

un entretien clinique, mais le fonctionnement de fond n’est pas apparent.

Au décours de l’épisode aigu, en revanche, le RSI permet de saisir très finement les

particularités idéationnelles du sujet, son rapport à soi, son degré de rupture avec la réalité, et

éventuellement sa dangerosité. Le RSI comporte une échelle d’intensité des troubles de la

pensée et du contact avec la réalité : le PTI, ou Perception-Thinking Index (indice perception-

pensée). Cet indice, et l’analyse de ses composantes, fournissent une bonne évaluation de la

gravité et de la nature des difficultés ou des perturbations cognitives d’un sujet. Par exemple,

la présence ou l’absence de rationalisations morbides (FABCOM de niveau 2) contribueront

au diagnostic différentiel entre trouble schizophrénique et trouble limite. Des études

interculturelles ont confirmé la validité du RSI en matière de diagnostic et de pronostic des

troubles psychotiques (cf. par exemple O. Kalla, 2004 [16]).

Dépression, pseudo-dépression et vulnérabilité dépressive au RSI

Contrairement à la schizophrénie, la dépression recouvre un très vaste champ, et l’utilisation

d’un label unique (même décliné dans ses sous-catégories de “ bipolaire “, “ unipolaire “, etc.)

masque la diversité des tableaux. Wiener avait critiqué en 1989 la notion de dépression dans

une analyse qui garde aujourd’hui toute sa pertinence [25]. Il concluait que “ Le terme de
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dépression est utilisé sans discrimination pour désigner un état, un trait, un signe, un

syndrome, une maladie, comme un nom de catégorie et, dans le même temps, comme un

concept explicatif “. Il y démontrait aussi qu’en présence d’une humeur dysphorique, il

existait 286 combinaisons de signes et de symptômes qui pouvaient conduire au diagnostic de

trouble dysthymique !

Dépression

L’indice de dépression (DEPI) est à comprendre “ comme reflétant un problème affectif et

non pas comme un indicateur spécifique de catégorie diagnostique “ [7]. Dans une population

de 471 patients présentant des troubles affectifs majeurs, 85 % avaient un DEPI positif, mais

22 à 30 % des schizophrènes hospitalisés présentent aussi des DEPI positifs [8], ce qui va

dans le sens des interrogations actuelles sur les rapports des troubles affectifs et

schizophréniques. Tout comme le PTI, l’indice DEPI a fait l’objet d’un certain nombre

d’études internationales [3].

Pseudo-dépression

Des analyses factorielles discriminantes réalisées par Exner en 1986 sur 1400 protocoles de

Rorschach de patients souffrant de troubles affectifs ont permis de distinguer un sous-groupe

particulier de patients qui présentent tous les signes cliniques de la dépression mais qui ne

sont pas améliorés par des antidépresseurs. Leurs protocoles de Rorschach comportent un

certain nombre de caractéristiques qui se différencient nettement de celles des perturbations

affectives classiques. C’est ce que nous appelons la “ pseudo-dépression “ qui semble

constituer un syndrome à part entière.

La pseudo-dépression est aisément repérable au Rorschach à l’aide de l’indice CDI (Coping

Deficit Index) qui caractérise des tableaux dont les symptômes “ dépressifs “ se développent

secondairement à des difficultés relationnelles et d’insertion sociale et tendrait à classer ces


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patients plutôt comme trouble de l’adaptation. Cet indice reflète un déficit de ressources

psychiques et d’activité projective ou fantasmatique (l’équivalent en quelque sorte d’un

psychisme “ peu mentalisé “), une instabilité des liens affectifs et une nette difficulté à

s’engager dans des transactions relationnelles. Cet indice n’est positif que dans 4 % des

protocoles d’adultes non consultants. Dans l’étude d’Exner, sur les 246 sujets présentant des

troubles affectifs de type dépressif et dont l’indice DEPI n’est pas positif, 79 % étaient

positifs au CDI. En outre, d’importantes fréquences de CDI positif sont retrouvées dans trois

groupes : les personnalités inadéquates (88 %), les alcooliques et toxicomanes (74 %), et les

délinquants présentant des troubles du caractère (69 %) [8].

La présence d’un CDI positif dans un protocole de Rorschach (qu’il s’accompagne ou non

d’un DEPI positif) constitue donc une indication thérapeutique majeure : il faut d’abord et

avant tout traiter les difficultés socio-relationnelles (groupe thérapeutique, psychodrame,

thérapie comportementale et cognitive, assistance sociale) et secondairement seulement la

dépression.

Vulnérabilité dépressive

La notion de vulnérabilité dépressive désigne des caractéristiques du fonctionnement

psychologique qui prédisposeraient à la dépression, telles que des difficultés chroniques de

régulation émotionnelle, ou la présence d’un fond dépressif latent (qu’il ait ou non des bases

biologiques repérables). Le RSI est d’un apport intéressant dans le repérage et l’évaluation de

la vulnérabilité dépressive et donne des résultats plus fins et prédictifs que d’autres échelles

comme le BDI (Beck Depression Inventory). Une étude bien contrôlée a été menée sur ce

thème en Norvège [13].

Troubles de la personnalité
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Pour les troubles de la personnalité, l’apport du RSI repose sur les notions de “ style “ (de

personnalité) et de processus. Le RSI comporte des configurations de variables spécifiques

qui décrivent les personnalités paranoïaques (“ hypervigilants “), obsessionnelles, évitantes,

narcissiques et dépendantes. La nature particulière du test et de l’appareil conceptuel du RSI

permettent d’aller au-delà d’un simple diagnostic statique et de saisir la dynamique des

processus qui caractérisent le rapport du sujet à lui-même et au monde ainsi que la façon

particulière dont il traite les informations externes et internes.

Risque suicidaire

La démarche d’Exner est tout à fait originale dans ce domaine, d’autant plus que nous

sommes en face d’une question vitale et que l’évaluation d’un potentiel suicidaire constitue un

véritable défi pour le clinicien. En effet, Exner a eu l’idée de travailler en amont de l’acte

suicidaire avec contrôle de la temporalité et de la dangerosité (intensité du risque létal selon le

moyen suicidaire utilisé). À partir de l’analyse de protocoles de 59 puis de 101 personnes qui

s’étaient donné la mort dans les deux mois qui ont suivi la passation du Rorschach, il a établi

un ensemble de signes (S-Constellation) dont la valeur prédictive est impressionnante (plus de

80%), avec seulement 12 % de faux positifs chez les déprimés, 6 % chez les schizophrènes et

aucun chez les non-consultants.

Troubles liés au stress

Les études menées avec le RSI ont montré que les troubles liés au stress recouvraient deux

réalités cliniques différentes selon que le tableau est aigu et contextuel ou au contraire qu’il

correspond à un état chronique. En effet, le stress n’est pathogène que s’il déborde les

capacités de contrôle du sujet. Autrement dit, les seuils de tolérance sont variables d’un sujet à

l’autre : les personnes dotées de faibles capacités de contrôle vivent dans un état permanent de

stress et, si elles ne se trouvent pas dans un environnement protecteur ou très structuré,
8

développent des troubles de l’adaptation sociale, des maladies somatiques et/ou des pseudo-

dépressions. Différent est le cas des personnes qui disposent habituellement de bonnes

capacités de contrôle et de gestion du stress et qui se trouvent, à un moment de leur histoire,

dans un état de surcharge paroxystique, avec risque de décompensation psychiatrique.

Ces deux cas de figure, aisément repérables au RSI, correspondent à des indications de

traitement et de prise en charge radicalement différentes et il est donc important de les

distinguer.

Rorschach et description du fonctionnement psychologique

Le RSI permet d’analyser en profondeur le fonctionnement psychique d’un sujet, selon une

démarche qui se situe dans l’au-delà du diagnostic psychiatrique, et qui lui est symétrique. En

effet, alors que la démarche diagnostique vise à identifier une entité nosographique auquel le

sujet appartient (classification), l’analyse psychologique a pour objectif de saisir le

fonctionnement du sujet dans ce qu’il a d’unique (individualisation). Les cliniciens savent

bien qu’un diagnostic psychiatrique n’est qu’un point de départ dans la compréhension d’un

patient, que deux patients rangés dans la même catégorie diagnostique réagiront et évolueront

de manière différente, jusques et y compris dans leur sensibilité aux médicaments. Nous

savons par ailleurs qu’en cas de comorbidité (axes I et II) avec un trouble de personnalité, les

échecs thérapeutiques sont accrus. Tous ces éléments plaident en faveur d’une prise en

compte des caractéristiques de la personnalité, articulées avec le trouble dominant, dans une

démarche que nous appelons le diagnostic psychologique [2].

Le diagnostic psychologique

À cet égard, le RSI permet de faire une description très fine de l’articulation entre les

différents domaines de fonctionnement du sujet (l’affectivité, le stress, les mécanismes de

pensée, le rapport à soi, les ressources encore disponibles au sujet). Il permet de comprendre
9

les points de fragilité et les lignes de force du sujet, et de saisir la dynamique des relations

internes entre les cognitions et les affects, et la façon dont elles sont modulées par le rapport à

soi et au monde. Des exemples d’interprétation de cas cliniques sont présentés dans les

ouvrages en français de S. Sultan [22] et en anglais de J.E. Exner et P. Erdberg [10]. Ces

ouvrages montrent la pertinence du Rorschach dans une grande diversité de situations : un

problème de gestion du stress, un cas de dépression avec risque suicidaire, un cas d’attaques

de panique, un cas de délire, un problème de dissociation, un problème d’anxiété et de

troubles du sommeil, un cas d’état psychotique aigu, une évaluation dans un contexte d’abus

de substance, un problème de contrôle des impulsions, des difficultés relationnelles, la mise

en danger de soi ou des autres, des questions de responsabilité légale, ainsi que des questions

de simulation aux tests.

Rorschach et indications thérapeutiques

Comme nous l’avons dit plus haut, le diagnostic marque (ou devrait marquer) le point de

départ de la démarche thérapeutique qui, avant d’appliquer des traitements, se doit de

comprendre à la fois le retentissement particulier de cette pathologie-là chez ce patient-là, en

rapport avec ses conditions environnementales, et la dynamique psychosomatique, toujours

unique, de celui-ci. La détection de zones de fragilité et d’équilibre permet d’élaborer un plan

d’intervention réaliste (coûts/bénéfices) et personnalisé. Par exemple, selon que l’on trouve ou

non un déficit de coping chez des alcooliques, des toxicomanes ou des délinquants, cas

respectivement de 74, 74 et 69 % d’entre eux, la prise en charge devra être différente.

Il n’existe à notre connaissance que peu d’études [9] qui aient utilisé le RSI dans une tentative

d’exploration des changements dans le fonctionnement de la personnalité induits par diverses

modalités psychothérapeutiques (interventions brèves centrées sur le problème,

psychothérapies de modèles variés, cure psychanalytique, groupe thérapeutique). Ces travaux


10

pionniers de suivi longitudinal ont mis en évidence la sensibilité du RSI à l’évolution du

patient, et son aptitude à fournir des points de repère fiables qui permettraient de poser des

indications thérapeutiques au plus près des besoins propres du patient, relativement à ses

lignes de force et de faiblesse.

Validité du Rorschach

J. Ganellen [12] a comparé la pertinence diagnostique du MMPI, du MCM-II (Millon Clinical

Multiaxial Inventory-II) et du Rorschach et trouvé que tous trois avaient une sensibilité

similaire pour la détection de la dépression, mais que le Rorschach donnait moins de faux

positifs. Pour les troubles psychotiques, le Rorschach se montre beaucoup plus sensible que

les autres instruments. Une méta-analyse de J.B. Hiller et al. [14] a montré que, par

vomparaison au MMPI, le Rorschach présente de meilleures corrélations avec des critères

externes objectifs (cliniques), l’inverse étant vrai avec des auto-questionnaires. J. Mihura et

al. [19] ont trouvé des résultats similaires dans le cadre d’une très vaste méta-analyse incluant

quasiment l’ensemble des travaux sur le RSI publiés dans des revues à comités de lecture de

langue anglaise suite à la parution du RSI (2 467 études publiées après 1974). Cette méta-

analyse a montré que 80% des variables du RSI trouvaient des éléments de validation par des

critères externes objectifs dans la littérature, avec des niveaux de preuve variables.

Néanmoins, la grande majorité de ces études mettent en œuvre une méthodologie par groupes

contrastés, ce qui signifie selon les auteurs que les critères de validité utilisés dans la

littérature sur le RSI manquent de spécificité ; et ils déplorent le manque de recherches

expérimentales permettant d’étudier la validité du RSI de manière plus ciblée (en laboratoire).

Or, ce sont précisément ce type d’études qui ont présidé à la construction du RSI, et qui lui

ont donné sa force et sa pertinence. En effet, les niveaux de preuves obtenus dans le cadre de

recherches expérimentales est deux fois supérieur à ceux obtenus avec des études en groupes

contrastés [19].
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Notons qu’un nouveau système visant à corriger certaines limites du RSI a récemment été

développé aux Etats-Unis (Rorschach Performance Assessment System, R-PAS [18]), mais il

n’y a pas de consensus parmi les spécialistes quant à l’intérêt et la pertinence de ces

corrections.

Le TAT (Thematic Apperception Test)

Le principe du TAT est radicalement différent de celui du Rorschach : créé en 1935 aux Etats-

Unis dans une perspective psychanalytique par Morgan et Murray [20], il est constitué

d’images qui mettent en scène des personnages, à partir desquelles le sujet est prié de raconter

une histoire. L’hypothèse de Murray était que le sujet s’identifie à l’un des personnages et

transpose dans son récit les relations qu’il entretient avec les figures importantes de sa vie, ce

qui en dévoile la psychogénèse. En France, l’usage du TAT s’est orienté vers une analyse de

la forme des récits plutôt que de leur contenu en référence à la psychanalyse freudienne [5,

21]. La méthode de Shentoub, encore appelée méthode de Paris V, consiste en une double

analyse, d’une part de la forme verbale des récits (rigide vs labile vs inhibé) qui indique le

type dominant de mécanismes de défense utilisés (obsessionnel vs hystérique vs phobique vs

narcissique vs psychotique), et d’autre part du contenu des récits qui indique le registre de la

problématique (conflits, angoisses, fantasmes). Cette méthode donne des résultats intéressants

mais dépend largement du talent du psychologue qui interprète le protocole (problème de

fidélité inter-correcteurs).

Aux Etats-Unis, des méthodes structurées de cotation et d’interprétation du TAT ont été

récemment développées. Celle de Cramer [6] vise à mesurer les mécanismes de défense, et

celle de Westen [24] se focalise sur les dimensions relationnelles dans leur double acception :

en terme de représentation de relations (cognition sociale) et en terme de relation d’objet

(psychanalytique). Hilsenroth et al. [15] ont développé une méthode SCORS de cotation
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globale plus simple, le SCORS-G dont le manuel est disponible sur internet. Cette méthode

semble prometteuse dans les champs de la clinique et de la recherche.

Conclusion

En termes de validité incrémentielle, les tests projectifs permettent d’évaluer certains aspects

de la personnalité et de la psychopathologie qui ne sont pas directement accessibles par les

questionnaires d’auto-évaluation. Les différents tests projectifs ont chacun leur spécificité et

l’on considère que l’utilisation conjointe du Rorschach et du TAT apporte des informations

complémentaires. Le Rorschach en Système Intégré – manipulé avec conscience et

compétence par le psychologue clinicien – est un instrument très puissant qui permet

d’obtenir une description approfondie du fonctionnement psychologique d’une personne et de

comprendre la dynamique des perturbations psychopathologiques. Le TAT permet de

compléter cette description en termes, cognition sociale et relation d’objet.

Récemment, un nouveau secteur de recherche a été ouvert par des études pionnières, portant

sur l’évaluation des psychothérapies, de leurs processus comme de leurs résultats. Les

psychologues cliniciens peuvent ainsi apporter à la psychiatrie traditionnelle une perspective

originale et complémentaire, en introduisant la notion de diagnostic psychologique, à côté du

diagnostic psychiatrique. La validité et la fiabilité de la méthode ayant été aujourd’hui bien

établies aux États-Unis, il incombe maintenant aux chercheurs et cliniciens français, en

collaboration avec les psychiatres, de les vérifier et éventuellement d’y apporter les

ajustements nécessaires.

Références

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