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Maquette de couverture :

Atelier Didier Thimonier

© Dunod, 2020
11 rue Paul Bert – 92240 Malakoff
ISBN 978-2-10-081616-3
Liste des auteurs
Catherine Psychologue clinicienne, psychanalyste, membre titulaire de
CHABERT l’Association Psychanalytique de France, et professeur
émérite en psychopathologie clinique à l’Institut de
Psychologie de l’Université de Paris.
Chez Dunod Éditeur, elle a publié et dirigé de nombreux
ouvrages dans le champ de la méthodologie projective. Elle
est l’auteur du « Rorschach en clinique adulte, Interprétation
psychanalytique » (2012), de « La psychopathologie à
l’épreuve du Rorschach » (2012) et co-auteur du « Nouveau
Manuel du TAT » (2019). Elle a dirigé la collection
« Psychopathologie et méthodes projectives ». Elle a
également été directrice de la collection « Psychanalyse et
psychopathologie » et du « Traité de Psychopathologie
Clinique ». Auteur de plusieurs ouvrages de psychanalyse,
elle a publié, toujours chez Dunod, « La jeune fille et le
psychanalyste » (2015).
Estelle Psychologue clinicienne, psychanalyste, maître de
LOUËT conférences en psychologie clinique et psychopathologie au
Laboratoire de Psychologie clinique, psychopathologie,
psychanalyse (PCPP – EA 4056) à l’Institut de psychologie
de l’Université de Paris. Elle enseigne notamment au sein du
Diplôme Universitaire de Psychologie projective (DUPP).
Elle est membre du comité de lecture de la revue
Psychologie clinique et projective. Elle a notamment publié
« Schizophrénie et paranoïa. Étude psychanalytique en
clinique projective » avec C. Azoulay (Dunod, 2016),
« Dépressions extrêmes. Approche psychanalytique et
projective » avec C. Chabert et F.-D. Camps (Dunod, 2017),
« Les méthodes projectives » avec D. Anzieu et C. Chabert
(PUF, 2017).
Catherine Psychologue clinicienne, psychanalyste, professeure de
AZOULAY psychologie clinique et de psychopathologie à l’Institut de
Psychologie de l’Université de Paris et membre du
Laboratoire de Psychologie clinique, psychopathologie,
psychanalyse (PCPP – EA 4056). Elle dirige le Diplôme
Universitaire de Psychologie projective (DUPP). Elle a été
rédactrice en chef adjointe, puis rédactrice en chef de la
revue Psychologie clinique et projective, et coordinatrice du
Réseau International de Recherche : Psychanalyse et
méthodes projectives (Réseau MPP). Elle a notamment
codirigé avec Catherine Chabert l’ouvrage « 12 études en
clinique projective » (Dunod, 2011) et publié avec Michèle
Emmanuelli et Denis Corroyer le « Nouveau Manuel de
cotation des formes au Rorschach » (Dunod, 2012).
Benoît Psychologue clinicien, psychanalyste, professeur de
VERDON psychologie clinique et psychopathologie au Laboratoire de
Psychologie clinique, psychopathologie, psychanalyse
(PCPP – EA 4056) à l’Institut de psychologie de l’Université
de Paris. Il enseigne notamment au sein du Diplôme
Universitaire de Psychologie projective (DUPP). Ancien
président de la Société du Rorschach et des méthodes
projectives de langue française et ancien directeur de
publication de la revue Psychologie clinique et projective, il
est actuellement membre du Bureau de l’International
Society of the Rorschach and Projective Methods. Il a
notamment publié « Clinique et psychopathologie du
vieillissement. Apports des méthodes projectives » (Dunod,
2012), et codirigé avec Catherine Azoulay « Psychoanalysis
and Projective Methods in Personality Assessment. The
French School » (Hogrefe Publishing, 2019).
Table des matières
Avant-propos
Introduction
Remerciements

Partie 1
Fondements théoriques et cliniques

CHAPITRE 1 – LA SITUATION PROJECTIVE : UNE RENCONTRE CLINIQUE


SINGULIÈRE
1. Les épreuves projectives, pourquoi, où, quand et comment ?
2. Un objet médiateur
3. Interférences perceptives et projectives
4. Spécificité des épreuves projectives
5. Complémentarité du Rorschach et du TAT
6. Indications et contextes cliniques

CHAPITRE 2 – APPROCHE PSYCHANALYTIQUE DES MÉTHODES PROJECTIVES


1. La rencontre en clinique projective : quel(s) transfert(s) ?
2. Transfert, transferts
3. Situation projective et situation analytique
4. Incidences transférentielles en clinique projective
5. Entre perception et projection, entre dedans et dehors : la situation
projective est-elle une situation transitionnelle ?
6. Rigueur de la démarche

CHAPITRE 3 – L’ADOSSEMENT DE LA MÉTHODE À LA THÉORIE : PSYCHANALYSE


ET FONCTIONNEMENT PSYCHIQUE
1. Le modèle psychanalytique de l’appareil psychique
2. La métapsychologie freudienne et post-freudienne
3. Le point de vue topique
4. Le point de vue économique : les deux théories des pulsions
5. Le point de vue dynamique
6. L’angoisse et les mécanismes de défense

CHAPITRE 4 – PROBLÉMATIQUES PSYCHIQUES


1. La construction du moi
2. Les relations d’objet

Partie 2
Le Rorschach

CHAPITRE 5 – QUELQUES MOTS D’HISTOIRE


1. La création du Rorschach
2. La poursuite des travaux

CHAPITRE 6 – LA PASSATION DU RORSCHACH


1. La consigne et le dispositif
2. L’enquête
3. L’enquête aux limites
4. L’épreuve des choix

CHAPITRE 7 – CONTENUS MANIFESTES ET SOLLICITATIONS LATENTES


DES PLANCHES DU RORSCHACH
1. Questions à propos du contenu manifeste
2. L’analyse des sollicitations latentes du matériel

CHAPITRE 8 – COTATION, ÉTABLISSEMENT ET ANALYSE DU PSYCHOGRAMME.


COMPARAISON AVEC LES DONNÉES NORMATIVES
1. La démarche de cotation
2. L’établissement du psychogramme
3. Interprétation du psychogramme

CHAPITRE 9 – ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES FACTEURS RORSCHACH


(MODES D’APPRÉHENSION, DÉTERMINANTS, CONTENUS)
1. Les modes d’appréhension
2. Les déterminants
3. Les contenus
CHAPITRE 10 – MODALITÉS DE L’ORGANISATION DÉFENSIVE AU RORSCHACH
1. Les défenses rigides
2. Les défenses labiles
3. Les défenses par l’inhibition
4. Les défenses narcissiques
5. Les défenses projectives

CHAPITRE 11 – ARTICULATION ET SYNTHÈSE DES DONNÉES DU RORSCHACH.


ILLUSTRATION CLINIQUE
1. Clinique de la démarche
2. Analyse et interprétation du protocole de Rorschach de Michel, 24 ans

Partie 3
Le TAT

CHAPITRE 12 – FONDEMENTS THÉORIQUES


1. Le TAT : quelques repères historiques
2. Analyse du processus TAT
3. La feuille d’analyse des procédés du discours TAT

CHAPITRE 13 – MÉTHODOLOGIE
1. Spécificité de la situation-TAT
2. La démarche d’analyse
3. Matériel, consignes
4. Le déroulement de la passation
5. Analyse du matériel
6. Présentation de la feuille d’analyse des procédés du discours

CHAPITRE 14 – LES PROCÉDÉS DU DISCOURS


1. Procédés de la série A (Rigidité)
2. Procédés de la série B (Labilité)
3. Procédés de la série C (Évitement)
4. Procédés de la série D (Manifestations hors narration)
5. Procédés de la série E (Émergences du processus primaire)
6. Synthèse
Partie 4
Perspectives cliniques et psychopathologiques

CHAPITRE 15 – PERSPECTIVES PSYCHOPATHOLOGIQUES : ÉVALUATION DU


FONCTIONNEMENT PSYCHIQUE, DIAGNOSTIC, PRONOSTIC
1. La dialectique du normal et du pathologique
2. La psychopathologie psychanalytique
3. L’angoisse et les mécanismes de défenses au Rorschach et au TAT

CHAPITRE 16 – LA PSYCHOPATHOLOGIE AUX ÉPREUVES PROJECTIVES


1. Les névroses
2. La dramatisation, mode privilégié de traitement du conflit
intrapsychique
3. Les fonctionnements limites
4. Les psychoses : schizophrénie et paranoïa

CHAPITRE 17 – ÉTUDE CLINIQUE : CHRISTELLE, 30 ANS


1. Rorschach
2. TAT
3. Synthèse Rorschach et TAT
4. Protocole de Rorschach, Christelle 30 ans
Compléments méthodologiques
1. Liste de D correspondant à la population 13-25 ans
1 bis. Liste de D correspondant à la population des adultes de plus de
25 ans
2. Listes des banalités
3. Tableau des moyennes et intervalles des normes « adolescents/jeunes
adultes » et « adultes » au Rorschach
4. Rorschach – Psychogramme
5. Analyse planche par planche des protocoles de Rorschach et de TAT de
Michel, 24 ans
6. Démarche synthétique d’interprétation des données projectives
(Rorschach et TAT)
6 bis. Commentaires concernant la démarche d’interprétation au
Rorschach
7. Les comptes rendus cliniques à l’écrit et à l’oral
Bibliographie
Avant-propos
C’est parce que le Rorschach et le TAT sont les deux épreuves qui
s’imposent avec une pertinence jamais démentie dans le domaine de la
psychologie clinique et de la psychopathologie, que nous avons choisi de
les rassembler dans un ouvrage commun.
L’articulation entre psychanalyse et méthodes projectives conserve son
actualité car, d’une part, les concepts fondamentaux de la métapsychologie
freudienne demeurent opérants et pertinents, d’autre part, les bases de
l’analyse du Rorschach et du TAT telles qu’elles ont été construites par
l’École Française, présentées dans cet ouvrage, se révèlent toujours
fécondes, valides et fidèles.
La nouveauté apparaît d’abord dans le rassemblement des deux épreuves,
rarement réalisé de manière aussi exhaustive et approfondie. Elle apparaît
également dans des développements méthodologiques et cliniques qui, à
partir des connaissances antérieures, sont revisités et modifiés grâce à
l’expérience clinique et aux changements qu’elle ordonne. Pour pouvoir se
saisir de configurations plus rares dont les traductions projectives sont
moins connues, il faut nécessairement s’adosser aux fondamentaux de la
théorie et de la méthode et en même temps, engager de nouvelles
recherches en les mettant à l’épreuve, en les affinant, en les complétant, en
les renouvelant. C’est cette épistémologie qu’il nous paraît indispensable de
préserver dans la clinique contemporaine.
Notre démarche s’inscrit dans une double perspective : elle reprend et
déploie les éléments essentiels déjà élaborés dans des ouvrages précédents
tous publiés aux éditions Dunod (Le Rorschach en clinique adulte, La
Psychopathologie à l’épreuve du Rorschach, Nouveau Manuel de TAT).
Elle propose également des remaniements substantiels ou subtils,
déterminés par l’évolution, le changement et la découverte d’expériences et
de réflexions nouvelles.
Le Manuel du Rorschach et du TAT. Interprétation psychanalytique
s’inscrit donc dans une filiation claire : c’est avec une conviction inaltérable
que nous avons commencé et poursuivi le travail intense exigé par cette
entreprise ambitieuse. Nos engagements de cliniciens, de chercheurs et
d’enseignants nous ont permis de conduire ce projet jusqu’au bout et je suis
infiniment reconnaissante à Catherine Azoulay, Estelle Louët et Benoît
Verdon de leur implication enthousiaste dans la réalisation de cet ouvrage.
Catherine Chabert
Introduction
La contribution des méthodes projectives à l’étude du fonctionnement
psychique individuel reste irremplaçable à la fois dans la pratique du
psychologue clinicien et dans le champ de la recherche. Au sein des divers
courants qui sous-tendent les conceptions du fonctionnement psychique, de
la psychopathologie et des méthodes d’exploration utilisées pour leur
analyse, l’interprétation psychanalytique des méthodes projectives continue
d’occuper une place majeure. Elle accorde toute sa place à la dimension
clinique qui la porte : nous soutenons en effet, avant tout, l’idée selon
laquelle la rencontre entre un sujet et un psychologue s’inscrit
inéluctablement dans un contexte relationnel qui mobilise le
fonctionnement psychique des deux partenaires dans une dynamique
transférentielle très particulière qui les engage l’un et l’autre. Cette prise en
compte est déterminante dans une procédure d’investigation qui respecte les
exigences requises dans le domaine des sciences humaines : cela veut dire
que nous acceptons leurs principes éthiques, théoriques et méthodologiques.
Si on admet par ailleurs que l’appareil psychique est constitué de
composantes dont les sources inconscientes nourrissent les productions les
plus banales, les plus normales et les plus singulières, les plus créatrices et
les plus pathologiques, alors on pourra mesurer la contribution
indispensable des méthodes projectives dans l’évaluation diagnostique
inhérente à toute entreprise thérapeutique bien sûr mais aussi,
éventuellement, dans un certain nombre de démarches d’orientation, et
enfin, c’est une évidence, dans la recherche.
C’est parce que le Rorschach et le TAT permettent par leur
complémentarité d’assurer une évaluation clinique et psychopathologique
particulièrement fine et fiable que nous avons choisi de les rassembler dans
un ouvrage commun. Les deux épreuves mettent en évidence la complexité
et la « bigarrure » de la psyché humaine ; elles en dévoilent les
soubassements inconscients, les aménagements défensifs, les états de
souffrance ou de douleur, les passages de plaisir et de déplaisir, bref, elles
offrent des représentations justes, clairvoyantes et rigoureuses de la vie
psychique. La richesse des avancées dont elles témoignent en offre une
preuve irréfutable : en quelques décennies, leur utilisation a permis de
découvrir non seulement des configurations psychopathologiques aux
articulations originales et inattendues mais de mettre en évidence certaines
conduites psychiques insaisissables par une simple approche clinique. On
découvre en effet que les modalités de réaction et de construction des
réponses au Rorschach et des récits au TAT se déploient de manière
différente, du fait même de la spécificité de chaque épreuve et des situations
auxquelles elles renvoient : le cours des événements psychiques se déploie
alors à travers une associativité qui révèle des productions variables selon
les planches de l’une et l’autre épreuve et donc selon les registres
conflictuels réactivés. De telles émergences ne peuvent que rarement être
appréhendées de manière aussi profonde et subtile dans un seul entretien
clinique.
La première partie – « Fondements théoriques et cliniques » – se consacre
d’abord à la situation projective et à ses caractéristiques cliniques, et cela
dans la perspective dynamique qui en assure la rigueur et la fécondité : si
les épreuves projectives offrent une expérience exceptionnelle pour
l’investigation du fonctionnement psychique, c’est parce qu’elles en
traduisent et en respectent les composantes multiples et complexes en
assignant au psychologue le rôle de celui qui écoute, qui entend et qui
comprend. Mais c’est aussi parce que la méthode d’analyse et
d’interprétation obéit à des principes extrêmement rigoureux et à une
démarche scientifique longuement réfléchie et élaborée, que les
informations recueillies prennent leur valeur et leur sens.
C’est dans la profondeur et la nuance que s’inscrivent les apports des
méthodes projectives ce qui donne tout son sens à une évaluation
qualitative. En effet, on aurait tort de croire que cette caractéristique
qualitative entraîne le vague, le flou, l’arbitraire et donc l’absence de
rigueur dans la démarche. Bien au contraire, la prise en compte des diverses
variables impliquées dans la situation projective offre une garantie
scientifique extrêmement solide puisqu’elle permet l’alliance de certaines
données quantitatives (les cotations) et de leur interprétation qualitative
dont les fondements assurent une procédure exigeante, respectueuse des
critères scientifiques et permise par une formation à la fois théorique et
clinique indispensable.
L’adossement à la théorie psychanalytique du fonctionnement de
l’appareil psychique implique, au-delà de la situation elle-même, de
dégager les principes essentiels de la métapsychologie freudienne, utilisée
comme source essentielle de tous les développements ultérieurs. Si
d’aucuns la considèrent comme obsolète, c’est probablement du fait d’un
malentendu épistémologique : il faut comprendre en effet cette
métapsychologie au sens scientifique le plus pur, c’est-à-dire comme la
construction de modèles fictifs qui permettent de saisir les phénomènes et
les conduites psychiques dans leurs articulations les plus profondes. Il n’y a
ni contradiction ni antinomie avec les découvertes les plus récentes en
biologie ou en neurosciences. Certes, le modèle neurologique sur lequel
s’est appuyé Freud est largement dépassé, mais cela ne change rien à son
usage métaphorique qui peut être renouvelé à la faveur des avancées
scientifiques contemporaines.
C’est pour leur pertinence que nous avons choisi les concepts
fondamentaux présentés : ils témoignent d’une pensée en mouvement à
travers différents modèles métapsychologiques et grâce aux trois points de
vue topique, dynamique, économique qui permettent d’appréhender le
fonctionnement psychique. Par ailleurs, toujours dans cette première partie,
les problématiques essentielles auxquelles chaque individu est confronté
tout au long de sa vie sont clairement identifiées : la construction de
l’identité et le narcissisme, les relations d’objet, l’angoisse et les
mécanismes de défenses. Ces éléments donnent lieu à de larges
développements dans la suite de l’ouvrage.
La deuxième partie est consacrée au Rorschach : nous y présentons
l’ensemble des composantes qui président à la passation, à l’analyse du
matériel et à la cotation. Ces fondements méthodologiques sont exposés de
manière détaillée afin de permettre une connaissance approfondie du test et
de la situation clinique, préalables indispensables à l’interprétation.
L’analyse de chacune des planches en termes de contenu manifeste et de
sollicitations latentes trouve ses résonances et ses correspondances dans la
présentation tout aussi précise de chaque facteur : au-delà des critères de
cotation des modes d’appréhension, des déterminants et des contenus, les
significations plurielles des conduites psychiques qu’ils traduisent sont
proposées minutieusement. Chaque étape de la démarche est présentée avec
précision afin de rendre compte de son déroulement et des informations
successives qui y sont dégagées. En effet, ce sont des configurations, des
combinaisons, des emboîtements originaux de ces facteurs qui permettent
de saisir les modalités de fonctionnement psychique dans des domaines à la
fois distincts et associés les uns aux autres : les processus de pensée, la
construction identitaire, la dynamique relationnelle ainsi que la nature de
l’angoisse et l’armature défensive sont analysés dans leurs manifestations
prévalentes comme dans leurs émergences plus discrètes. Évidemment,
l’attention portée à la souffrance et aux caractéristiques éventuellement
pathologiques constitue la toile de fond du travail d’analyse et
d’interprétation des protocoles.
La même démarche ordonne la troisième partie consacrée au TAT. Nous
insistons en effet sur la complémentarité des deux épreuves, sur leurs
apports semblables et différents et sur l’intérêt de leur utilisation conjointe.
Nous présentons donc les mêmes composantes mais elles se déclinent très
différemment car elles s’attachent à la spécificité de la situation TAT, de son
matériel, du processus associatif mobilisé et aux problématiques qu’il met
en évidence. Cette fois encore est déployée la méthodologie mise en œuvre
par la feuille d’analyse des procédés du discours qui a été l’objet d’un
travail substantiel d’approfondissement et de renouvellement. L’affinement
des procédés d’élaboration du discours rend plus précise encore l’analyse
des protocoles en ouvrant des pistes particulièrement subtiles. Sont alors
susceptibles d’être saisies avec davantage d’acuité les modalités
différentielles de traitement des conflits réactivés par le matériel dont
l’analyse a été elle aussi modifiée, détaillée dans ses caractéristiques
manifestes et latentes.
Tout au long de l’ouvrage, les exemples cliniques soutiennent de manière
constante la présentation de la démarche dans les deux épreuves qui se
conclut par l’étude approfondie d’un protocole de Rorschach pour l’une,
d’un protocole de TAT pour la seconde, les deux protocoles ayant été
donnés par le même sujet.
La quatrième partie, plus synthétique, rassemble les éléments essentiels
qui construisent l’élaboration des données recueillies aux deux épreuves
dans les perspectives diagnostiques et psychopathologiques entendues au
sens dynamique. Les traductions projectives de grandes entités
psychopathologiques y sont présentées : névroses, fonctionnements limites,
fonctionnements narcissiques, psychoses. Pour chacune, les caractéristiques
majeures sont étudiées en termes de mécanismes de défense et de
problématiques, en référence aux grands axes du fonctionnement psychique
étudiés au Rorschach et au TAT ; la mise en perspective des deux épreuves
par les articulations qu’elle révèle et la dialectique qui s’en dégage, s’avère
alors particulièrement féconde.
C’est par une étude clinique approfondie que s’achève cette dernière
partie : elle est consacrée à l’analyse des protocoles de Rorschach et de TAT
d’une jeune femme pour laquelle la question d’un diagnostic différentiel se
pose de manière cruciale pour les décisions thérapeutiques qui la
concernent, bien sûr, mais aussi et surtout pour son devenir et sa vie.
Remerciements
Nous tenons à exprimer nos vifs remerciements :
– aux auteures des précédents Manuel du TAT parus chez Dunod en 1990
et 2003 ;
– à Hélène Suarez-Labat, François-David Camps, Isabelle Dandville, Élise
Frébault et Sandra Misdrahi qui ont eu la générosité de nous fournir un
certain nombre d’illustrations de réponses au Rorschach et au TAT ;
– à l’équipe des enseignants-chercheurs en psychologie projective de
l’Institut de Psychologie de l’Université de Paris avec lesquels nous
travaillons au quotidien et qui nous ont accompagnés dans ce projet ;
– aux collègues de France, d’Europe et de plusieurs pays du monde avec
lesquels nous entretenons depuis de longues années, dans le cadre de
l’École française de psychologie projective, des liens solides de
collaboration scientifique et pédagogique.
Partie 1
Fondements théoriques et
cliniques
Chapitre 1
La situation projective :
une rencontre clinique
singulière

Sommaire
1. Les épreuves projectives, pourquoi, où, quand et
comment ?
2. Un objet médiateur
3. Interférences perceptives et projectives
4. Spécificité des épreuves projectives
5. Complémentarité du Rorschach et du TAT
6. Indications et contextes cliniques

Le mot « test » fait souvent frémir : on imagine un piège, une tâche


systématisée, ordonnée, voire hiérarchisée, à laquelle un individu est
soumis pour être apprécié, jugé, jaugé, détecté… Le terme de « batterie »
qui est souvent associé à ce mot (on administre une batterie de tests !) vient
renforcer, avec sa consonance militaire, cette représentation rigide, peut-être
coercitive, d’obstacle à franchir. Avec une telle image de l’instrument, le
détenteur de l’outil, en l’occurrence le psychologue, n’apparaît pas moins
doté de pouvoirs secrets, d’un regard pénétrant qui viendrait fouiller
l’intérieur de l’être. Autre représentation, non moins chargée de puissance,
celle du sorcier à boule de cristal, du « voyant » qui à partir de son marc à
lui – les taches d’encre ou des images énigmatiques – va découvrir
l’intimité du sujet, chercher aux tréfonds de sa personne les failles, les vices
et peut-être même y découvrir son avenir ! Voilà un point de vue quelque
peu projectif qui pouvait être avancé de manière radicale à la fin du
e
XX siècle, du temps où l’approche qualitative constituait une composante
majeure de toute entreprise clinique. Depuis, les développements
d’échelles, de questionnaires, de tests uniquement traités statistiquement
mettent en évidence au contraire l’importance, voire la prédominance,
accordées au quantitatif qui devient un critère de scientificité parfois
exclusif, et l’aggravation des critiques allant parfois jusqu’à l’exclusion de
l’approche qualitative.
À cet égard, nous pouvons remarquer que le mot « test projectif » a été
progressivement abandonné pour des motifs opposés : dans les
années 1980-1990, a été préféré le terme d’« épreuves projectives » puis,
progressivement, celui – qui nous paraît plus pertinent aujourd’hui – de
« méthode(s) projective(s) ». Car il s’agit bien d’une méthode qui suppose à
la fois des conditions de passation, d’analyse et d’interprétation absolument
singulières, une pratique donc, qui exige une formation et une expérience
spécifiques. Mais il s’agit aussi d’une méthode à part entière dans la mesure
où le point de vue épistémologique qui la soutient est tout aussi important à
prendre en compte : celui-ci propose une articulation pertinente entre une
théorie du fonctionnement psychique, les modalités d’investigation et le
travail d’analyse et d’interprétation des données. Or, si le TAT a été inventé
et développé depuis les commencements en référence au modèle
psychanalytique du fonctionnement psychique, le Rorschach, lui, est utilisé
par différents courants qui se sont considérablement développés depuis la
seconde moitié du XXe siècle. Parmi ceux-ci, notons le courant fondé par
S. Beck, adossé à la psychologie expérimentale, à la psychométrie et au
behaviorisme, qui prit un essor considérable dans les années 1970 avec les
travaux du psychologue américain J. Exner (1990, 2000). Ce dernier réalisa
une méta-analyse des modèles existants et de leurs atouts respectifs et
proposa un système de cotation des réponses très élaboré (Comprehensive
System ou Système intégré) qui permet une transcription des réponses du
sujet en des données chiffrées très détaillées qui servent de base privilégiée
au dégagement des conclusions diagnostiques, soutenu de surcroît par des
analyses performantes établies sur support informatique. Appuyée sur l’idée
d’une normalité statistique objectivable, cette approche nomothétique et
intégrative repose essentiellement sur la comparaison des données chiffrées
du sujet à celles recueillies auprès de populations moyennes et la mise en
exergue de divergences statistiques concernant tel ou tel facteur. Depuis
Exner, un nouveau système d’interprétation du Rorschach, le Rorschach
Performance Assessment System (R-PAS), délibérément beaucoup plus
directif dans l’administration du test car particulièrement soucieux
d’atténuer tout effet lié à la rencontre clinique du fait de la présence du
psychologue, fut alors mis sur pied aux États-Unis par des psychologues
travaillant au sein de l’Exner’s Research Council for the Comprehensive
System.
On a souvent fait le procès de l’approche psychanalytique en clinique
projective en dénonçant l’importance accordée à la subjectivité du clinicien
ou encore un dogmatisme imposant des interprétations toutes faites. Il faut,
au contraire, insister sur la rigueur de la méthode, l’approfondissement de
l’analyse, la prise en compte presque méticuleuse des facteurs et de leurs
articulations : bien loin d’une lecture essentiellement intuitive, imaginaire et
subjective, la méthode impose des règles et des principes soutenant une
épistémologie singulière. Qu’elle soit d’ordre qualitatif ne peut pour autant
l’exposer à une suspicion quelconque : l’application de systèmes de
correspondances uniquement quantitative ne constitue en rien une garantie
scientifique solide. En matière de fonctionnement psychique individuel, la
place doit être faite à la singularité, même s’il s’inscrit dans une
organisation générale susceptible de se retrouver régulièrement dans sa
référence psychopathologique et ses caractéristiques.

1. Les épreuves projectives, pourquoi, où,


quand et comment ?
Les indications sont multiples, variées et on peut avoir quelque difficulté à
en dégager les caractères communs : bien entendu la question se pose de la
place du « test » dans la réponse apportée à la demande. Il est rare que
quelqu’un réclame spontanément un examen psychologique et, quand on le
propose, d’aucuns s’étonnent, s’inquiètent ou se méfient, voire s’opposent.
Et pourtant il est rare qu’une passation se fasse sans bénéfice pour celui qui
l’accepte, peut-être tout simplement parce qu’il trouve un lien d’expression
où l’écoute par l’autre et le prétexte de l’épreuve – une médiation – lui
permettent de parler de ce qu’il est, vit et ressent sans vraiment le savoir1.
Expliquer l’intérêt et l’utilité des épreuves projectives suppose une longue
démonstration dont le cheminement est complexe, subtil et encore
mystérieux même pour le praticien. En ce sens, une des premières tâches
qui nous incombent est d’analyser le rapport que nous établissons, en tant
que clinicien, avec cet outil de notre travail.

2. Un objet médiateur
Il existe un principe de base concernant l’étude du fonctionnement
psychique : il implique une certaine humilité chez le clinicien quant à
l’étendue et à l’exactitude de son savoir. L’approche psychanalytique nous
apprend en effet que la prise en compte de l’inconscient suppose une part
d’inconnu qui ne sera pas nécessairement ni toujours éclaircie. Le travail
d’investigation auprès de sujets en situation de difficulté de vie se heurte
inévitablement à une part de méconnaissance. Pour permettre un
approfondissement de cette étude, pour pouvoir envisager et construire les
modalités thérapeutiques susceptibles d’être engagées, la complémentarité
des méthodes est indispensable : les entretiens, si nuancés soient-ils, les
échelles, si détaillées soient-elles, ne permettent pas toujours de cerner
l’essentiel.
Dans cette perspective, les méthodes projectives occupent une place
majeure du fait de la validité et de la fidélité des productions psychiques
auxquelles elles permettent d’accéder. Il arrive parfois, trop souvent peut-
être, que le psychologue use des épreuves projectives comme d’un écran
qui le préserverait d’une implication trop importante dans sa relation avec
son interlocuteur. Cet écran peut même devenir une sorte de bouclier
derrière lequel il se cache et qui le protège, dans un halo de « neutralité »,
servant de barrage interne contre la parole de l’autre, la condamnant à une
fin de non-recevoir.
Ici encore caricature, excès de schématisation, mais qui nous permet de
souligner davantage le caractère nécessairement relationnel et personnalisé
de la situation de test. Celle-ci comprend trois termes : le sujet, le test et le
clinicien. La relation va s’établir entre les personnes à travers la médiation
d’un objet tiers qui ne trouve son sens que dans l’expression de l’un et
l’écoute de l’autre à travers un échange chaque fois spécifique et particulier.
Quel est l’intérêt de cet objet médiateur ? Il existe encore des cliniciens
qui le réfutent, arguant de l’inutilité d’un instrument qui vient gêner la
relation en enfermant le patient dans une consigne qui endigue son
expression spontanée, et en mettant en cause les capacités d’un clinicien
« aux mains nues ». À quoi nous répondons que l’usage des épreuves
projectives n’exclut d’aucune façon les entretiens, exclusion qui paraîtrait,
au contraire, fort dommageable. Il s’inscrit plutôt dans une démarche
clinique d’ensemble dont la visée exploratoire nécessite une approche
pluridimensionnelle permettant une compréhension la plus fine possible du
sujet.
À cet égard, il ne nous paraît pas souhaitable d’utiliser systématiquement
un bilan projectif. Il semble abusif de soumettre à ces épreuves des sujets
pour lesquels d’autres formes d’investigations cliniques ont été fructueuses.
En revanche, elles viennent compléter et même éclairer des données
obscures ou insuffisantes qui peuvent alors prendre un sens déterminant
dans la compréhension du sujet et dans l’orientation des décisions le
concernant. Par ailleurs, la référence aux éléments apportés par les
méthodes projectives et leur confrontation avec les informations venant
d’autres sources conduisent à une appréhension du fonctionnement
psychique d’un individu beaucoup plus exhaustive et fiable, en permettant
une économie de temps dont on aurait tort de mésestimer l’importance dans
notre société même si on la condamne pour des raisons d’ordre
déontologique.
Cela dit, il est bien évident que l’usage des méthodes projectives prend
bien d’autres significations, et comporte d’autres intérêts que nous pouvons
maintenant essayer de cerner.

3. Interférences perceptives et projectives


Depuis de nombreuses années, les cliniciens s’attachent à dégager les
caractéristiques majeures qui organisent la situation projective, le « cadre »
projectif, au même titre qu’ont pu être définis le cadre analytique ou le
cadre de l’entretien clinique.
Dans le cadre de la rencontre avec le sujet, le test projectif prend déjà la
place des objets médiateurs à l’image de ceux présents dans les entretiens
avec les enfants. Un tiers qui, en vérité, n’appartient encore à personne, lieu
où va se jouer l’expression de l’un, l’attention de l’autre, potentialité de
mise en sens par l’un et par l’autre.
En tant qu’objets réels, les tests projectifs vont permettre l’émergence
d’une parole qui rendra compte d’images articulées à partir d’une réalité
matérielle. En ce sens, l’appel à la perception insistante au Rorschach – « Je
vais vous montrer des planches ; dites-moi ce à quoi elles vous font penser,
ce que cela pourrait être » – permet un accrochage au réel qui constitue le
fondement de l’inscription dans le monde environnant. Au TAT, le contenu
manifeste de chaque planche constitue aussi un appel à la perception : la
consigne « Je vais vous montrer une série d’images et vous pourrez me
raconter une histoire à partir de chacune de ces images » respectant
absolument la nécessité d’un ancrage dans la réalité matérielle. La
« distance » établie alors entre le sujet et le matériel sera riche de
significations comme nous le verrons plus tard.
En tant qu’objets potentiels, imaginaires, les épreuves projectives vont
permettre une élaboration de ce qui est perçu en fonction des
préoccupations essentielles du sujet, des modes d’aménagement de sa
relation avec lui-même et avec ses objets internes, des fantasmes et des
affects qui sont sous-tendus par les mots-images ou les récits qu’il va nous
livrer : tout un champ ouvert à ses associations par l’induction de la
projection rendue toujours possible grâce au caractère plus ou moins flou du
matériel.
Les interférences perceptives et projectives, selon la formule de N. Rausch
de Traubenberg, constituent l’articulation essentielle des épreuves
projectives. En effet, la consigne, dès le départ, fait appel à la fois aux
mécanismes perceptifs et projectifs. Dans cette invitation les trois termes
que nous évoquons sont présents : « Dites-moi (clinicien) ce à quoi vous
(sujet) pensez, ce que vous pouvez raconter à partir de ces planches (le
matériel). »
Le sujet se trouve donc confronté à une double exigence, car il va nous
montrer dans quelle mesure et comment il s’organise pour faire face à la
fois à son monde interne et à son environnement : situation caractéristique,
à l’image de la vie, puisqu’il s’agit de respecter les limites imposées par la
réalité tout en laissant la place au possible, à l’imaginaire et aux fantasmes.
Ainsi, dans un raccourci parfois spectaculaire, le sujet va nous donner à
voir son mode de fonctionnement psychique : cette assertion peut paraître
abrupte et ne devient convaincante que si l’on se réfère aux caractéristiques
des épreuves projectives, qui, dans leur qualité même, facilitent des
mouvements plus ou moins régressifs et projectifs tout en sollicitant les
mécanismes de perception et d’adaptation au réel. Cette double
mobilisation peut être plus ou moins difficile, plus ou moins équilibrée, plus
ou moins réalisée ; en effet, si le « tout dire » ouvre, semble-t-il, un large
champ d’associations et d’expressions de désirs qui pourrait donner
l’illusion d’une immense liberté dans la relation avec le clinicien, la
référence aux planches dans leur concrétude – explicite dans la consigne –
vient poser le sceau d’une réalité qui peut être ressentie parfois comme une
limitation douloureuse voire même perturbante. Face à l’épreuve projective,
la liberté serait celle du sujet capable d’opérer le shift2 (terme précieux,
intraduisible, introduit par R. Schafer, 1954) constant entre mécanismes
projectifs et mécanismes perceptifs, c’est-à-dire de réaliser une intégration
des exigences internes et externes dont le discours donné aux projectifs
révélerait par sa souplesse, sa cohérence et sa richesse, une certaine
harmonie ou un compromis relativement stable dans sa dynamique, entre
les désirs et la barrière du réel. On pourrait y opposer le débordement par
les fantasmes ou les affects, l’incapacité de cerner un objet extérieur comme
tel ou l’emprisonnement dans un carcan conformiste qui obligent à s’en
tenir à une description impersonnelle et froide de cet objet dans
l’interdiction de toute expression libératrice.
Les caractéristiques qui vont se dégager de la position du sujet par rapport
à l’objet-test seront significatives des modalités particulières de la relation
établie avec le clinicien. C’est en fonction de ce qu’il va percevoir, de
manière plus ou moins projective, des attentes de son interlocuteur, que le
sujet va répondre, et ce sont ses conduites, verbales ou non, qui
témoigneront du type d’investissement de la situation. Ainsi se noue une
relation transférentielle particulière, certes, mais qui témoigne d’emblée de
la dimension authentiquement clinique de la situation projective.
4. Spécificité des épreuves projectives
Le point commun à toutes les épreuves projectives réside dans la qualité
particulière du matériel proposé, à la fois concret et ambigu, dans la
sollicitation d’associations verbales à partir de ce matériel et, enfin, dans la
création d’un champ relationnel original entre le sujet et le psychologue
clinicien grâce à l’objet médiateur que représente le test. L’enjeu des
épreuves projectives est de permettre une étude du fonctionnement
psychique individuel dans une perspective dynamique, c’est-à-dire en
s’efforçant d’apprécier à la fois les conduites psychiques repérables, mais
aussi leurs articulations singulières et leurs potentialités de changement. La
question princeps qui ordonne tout travail sur l’investigation projective
revient à s’interroger sur les opérations mentales mises en œuvre au cours
de la passation, avec l’hypothèse qu’elles traduisent le mode de
fonctionnement psychique du sujet. C’est ici qu’interviennent les références
théoriques qui constituent le cadre d’interprétation des données.
Les méthodes projectives, en effet, ne contiennent pas intrinsèquement un
modèle théorique spécifique même si leurs auteurs respectifs en
disposaient : une orientation phénoménologique, génétique, cognitiviste ou
une approche sociologique, ethnologique, psychiatrique,
psychopathologique peuvent leur être appliquées. Dans cet ouvrage, nous
avons choisi de présenter le Rorschach et le TAT dans les perspectives de
l’approche psychanalytique du fonctionnement psychique. L’intérêt de
l’usage de ces deux épreuves apparaît dans la mobilisation d’opérations
psychiques et de problématiques parfois semblables, parfois différentes
dans la mesure où elles sont susceptibles d’explorer des champs psychiques
singuliers et complémentaires. Le rassemblement des données, parfois
congruentes, parfois hétérogènes, voire contradictoires, témoigne de la
« bigarrure » du fonctionnement psychique, comme en parle Freud (1930,
p. 249). Cela permet de mettre en évidence l’éventail des conduites
psychiques, la variété des problématiques et des modalités de leur
traitement et donc les variations des ressources du sujet sollicitées par tel ou
tel matériel associatif. Ainsi, la possibilité d’établir un diagnostic
dynamique est ouverte grâce au déploiement de différents registres
conflictuels réactivés.
5. Complémentarité du Rorschach et du
TAT
C’est en référence à l’argument qui précède que nous pouvons évoquer la
complémentarité des deux épreuves projectives majeures que sont le
Rorschach et le TAT. C’est dans cette perspective que l’École de Paris a
œuvré dans la fin des années 1960, grâce à l’ouverture de N. Rausch de
Traubenberg, grande spécialiste du Rorschach : dès la création du Certificat
de formation aux techniques projectives3, elle a convié V. Shentoub,
spécialiste du TAT en France, à s’associer aux enseignements à part entière.
C’est ainsi que le travail de recherche s’est engagé au sein d’une équipe
d’enseignants, cliniciens et chercheurs, rassemblés par leur immense intérêt
pour la psychopathologie et par leur choix d’un modèle théorique commun,
en l’occurrence la métapsychologie psychanalytique. C’est l’aller-retour
permanent entre les deux épreuves qui nous a conduits à en retenir surtout
la complémentarité, leur éventuelle antinomie présentant l’extrême
avantage d’une mise à l’épreuve d’un test par l’autre, ce qui finalement
assure une fiabilité plus sûre et convaincante à l’examen psychologique
dans son ensemble. Puisque nous avons la chance de pouvoir proposer deux
épreuves projectives, non redondantes, pourquoi ne pas exploiter cette
opportunité afin de disposer d’une exploration plus exhaustive, d’une
analyse plus solide, d’une argumentation plus fine ? Sans compter la valeur
scientifique d’une démarche rigoureuse qui ne se contente pas d’un type de
données pour établir un diagnostic : les contradictions parfois mises au jour
par les protocoles fournis aux deux épreuves nécessitent un questionnement
dynamique et viennent de surcroît montrer différentes composantes du
fonctionnement psychique du sujet, nous obligeant par là même à découvrir
d’autres aspects plus discrets ou occultés.
On a pu justifier les contradictions apparentes des productions fournies au
Rorschach et au TAT en se référant à la texture spécifique des matériaux
sollicitant des conduites psychiques différentes – argumentation qui nous
paraît toujours pertinente. En effet, la qualité du matériel, figuratif au TAT,
non figuratif au Rorschach, détermine des modalités d’appréhension et de
construction perceptives et projectives originales. Pour dire les choses
rapidement – elles seront développées de manière substantielle dans les
chapitres respectivement consacrés à chacune des deux épreuves – au
Rorschach, il n’y a pas de décor, il n’y a pas de personnages, il n’y a pas de
héros : seulement une tache sur un fond qui oblige à la centration sur les
formes, les contours, dans une mise à l’épreuve majeure des limites entre
dedans et dehors. Le travail perceptif exigé relève de la figuration à travers
une construction des représentations présidant à leur mise en images et en
mots. Au TAT, les images sont offertes, il s’agit de reconnaître ce qui est
déjà figuré, le décor est en place et les personnages clairement dessinés. Le
contenu manifeste peut être investi comme source et contenant pour des
représentations et des affects plus ou moins massifs, plus ou moins
organisés. Mais le matériel, pour qui est capable d’en saisir les repères, est
déjà construit perceptivement en dépit de son ambiguïté patente. Les
planches, hautement signifiantes, présentent généralement des scènes de
relations humaines définies par la différence des sexes et des générations et
référées, de manière plus ou moins claire, aux fantasmes originaires. On
pourra longtemps discuter de l’effet plus ou moins troublant de l’une ou de
l’autre épreuve : qu’il s’agisse des limites entre dedans et dehors et de la
mise à l’épreuve de l’unité narcissique ou des contraintes conflictuelles
entre désirs et interdits, il sera toujours présomptueux d’anticiper les effets
du matériel sur le sujet.
Les consignes respectives des deux épreuves rendent bien compte de leurs
incitations différentes, en adéquation avec le matériel présenté. Leur point
commun réside, on l’a vu, dans le double appel à des conduites perceptives
– en référence à la réalité externe – et projectives, – en référence à la réalité
interne. Mais la discontinuité est prévalente au Rorschach, matériel dont
l’étrangeté parfois inquiétante éveille paradoxalement les émois les plus
intimes. À partir de cette rupture, c’est un travail de liaison qui est attendu
dans la mise en rapport d’éléments manifestes dénués de sens pour la
constitution de figures signifiantes. Au TAT, c’est davantage la mise en
scène dramatique au sens théâtral du mot qui est sollicitée à partir de la
résonance fantasmatique du matériel chez le sujet : le récit tisse la trame
d’un scénario, ce qui évidemment mobilise un travail de liaison soutenu par
la dynamique pulsionnelle. La complémentarité des deux épreuves s’impose
d’emblée puisqu’il s’agit de tester les capacités de liaison (et de déliaison)
montrées par le sujet dans deux situations différentes mobilisant un
processus associatif qui peut se déployer dans des modalités plurielles, à
l’instar de ce qui se passe dans la vie psychique et « réelle » puisque la
diversité des situations requiert des conduites variables selon leurs
caractéristiques et leurs sollicitations.
Celles-ci sont largement déterminées également par les problématiques
induites par les deux épreuves qui se recoupent et se différencient tout à la
fois. Brièvement – cela sera repris dans les chapitres suivants – il faut
rappeler que la construction des planches du Rorschach symétriques autour
d’un axe, impose l’appel au corps et la projection d’images de la
représentation de soi dans ses fondements narcissiques, éprouvant
notamment, nous l’avons déjà souligné, la solidité des limites et de la
différenciation entre dedans et dehors. Le TAT, lui, a d’abord été considéré
par V. Shentoub et R. Debray comme renvoyant essentiellement au
complexe d’Œdipe dans ses diverses composantes : différence des sexes et
des générations, attraction/séduction pour le père ou/et la mère, rivalité avec
l’autre, prise en compte des interdits de l’inceste et du meurtre,
renoncement, déplacement vers de nouveaux objets.
Cependant, au-delà de ces configurations privilégiées, les deux épreuves
sont susceptibles de mobiliser, l’une et l’autre, d’autres problématiques
moins prégnantes a priori. La dynamique œdipienne au TAT sera
nécessairement tributaire des appuis identitaires et des assises narcissiques
les identifications s’inscrivant inéluctablement dans leur double valence
narcissique et sexuelle ; les choix d’objets œdipiens se déclinent dans des
configurations diverses qui seront régulièrement infiltrées par leurs
soubassements archaïques. Le Rorschach, symétriquement en quelque sorte,
peut témoigner des identifications sexuelles et de l’angoisse de castration,
de mouvements érotiques très chargés libidinalement ou encore
d’affrontements agressifs pris dans un conflit de rivalité patent. Cependant
les résonances partagées ne doivent en aucune manière nous conduire à une
équivalence entre les deux épreuves qui rendrait inutile la double passation :
ce serait renoncer à une investigation beaucoup plus fine et exhaustive et se
priver de l’apport spécifique de chacune.
Par ailleurs, les écarts que nous saisissons entre les incidences prévalentes
des deux tests ne se réduisent pas pour nous à un écart temporel entre le
primaire et secondaire, entre le prégénital et le génital, entre ce qui se
formule en termes d’archaïque et d’évolué. Bien au contraire, il nous
semblerait tout à fait arbitraire de situer définitivement chacune des
épreuves dans des champs de problématiques exclusifs. L’une et l’autre en
effet peuvent mobiliser des mouvements régrédients et progrédients. Au
sein des productions qu’elles suscitent comme dans l’analyse de leurs
contenus latents, les différentes formes de régression – formelle, temporelle,
topique – peuvent être dégagées selon la qualité de l’épaisseur
fantasmatique, selon les potentialités associatives qui en dépendent. En
effet, quelles que soient les différences relevées au sein des deux épreuves,
il ne faut pas oublier que c’est toujours le même sujet qui parle.
Une fois posé ce principe fondamental d’un jeu largement ouvert par les
épreuves projectives à la dialectique du fonctionnement psychique sans
enfermement obligé par des stimulations surdéterminantes, la confrontation
du Rorschach et du TAT devient précieuse si on s’accorde à y chercher,
outre les caractéristiques communes que les deux épreuves permettent de
confronter, ce qui relève davantage de la spécificité de chacune : elles
révèlent avec une pertinence rare les composantes plurielles de la psyché
humaine.

6. Indications et contextes cliniques


Évidemment, la qualité de l’investissement de la situation projective et les
infléchissements transférentiels sont d’abord associés aux conditions dans
lesquelles la passation des épreuves est proposée.
Les indications d’examen projectif sont multiples et variées et on peut
avoir quelques difficultés à en dégager les caractères communs. Le plus
évident paraît être, pour employer un mot à la mode, la « demande » d’un
individu qui souffre et le manifeste par des symptômes, des conduites ou
des plaintes entraînant une consultation ou une hospitalisation. Dans ces
contextes, la proposition de tests projectifs est tout à fait justifiée même si
elle offre une voie détournée dans ses modalités de réponse à l’attente
manifeste du sujet.
Dans les consultations pour difficultés et troubles psychiques, l’examen
psychologique est en général demandé par le médecin et s’inscrit alors dans
une procédure d’investigation dont l’objectif essentiel est d’ordre diagnostic
avec toutes ses implications thérapeutiques propres. Il ne s’agit pas de
plaquer une étiquette psychopathologique, mais d’apprécier l’ensemble des
conduites psychiques du sujet afin de proposer une prise en charge, la plus
adéquate possible : le type de troubles, l’âge, la situation familiale, sociale,
professionnelle, l’histoire enfin du sujet constituent autant d’éléments à
prendre en considération. La spécificité de l’examen psychologique réside
dans l’offre d’un moment et d’un espace entièrement consacrés au sujet,
dans la perspective clairement formulée d’essayer d’éclaircir, avec son aide
et sa participation effectives, les éléments sous-jacents aux difficultés qu’il
présente. En ce sens et même lorsqu’il y a indication médicale, l’accord du
sujet pour la passation est indispensable, à la fois pour respecter les
conventions établies par le code de déontologie des psychologues et pour
répondre aux exigences éthiques personnelles qui régissent l’engagement
clinique du psychologue, c’est-à-dire son engagement comme personne au-
delà de son engagement dans ses fonctions. L’examen psychologique, en
toutes situations d’exploration du fonctionnement psychique à des fins de
consultation et de traitement thérapeutique, relève donc clairement de ce
temps nécessaire d’observation et d’investigation préalable à toute décision
thérapeutique. À cet égard, il constitue une méthode associée à d’autres, et
trouve là ses indications à la fois les plus fréquentes et les plus pertinentes.
C’est la raison pour laquelle les psychologues qui utilisent les épreuves
projectives à des fins diagnostiques dans les différents domaines de la santé
doivent être des psychologues cliniciens diplômés et avoir suivi une
formation approfondie en méthodologie projective.
Par ailleurs, l’utilisation des épreuves projectives dans le domaine de la
recherche en psychologie clinique et en psychopathologie offre une
méthodologie extrêmement précieuse et féconde. Les épreuves projectives
s’inscrivent dans une situation clinique relativement stable et contrôlée (le
matériel proposé aux sujets est le même pour tous, les conditions de
passation réglementées), si bien que l’on est en mesure d’attendre que se
dégagent un certain nombre de constantes caractéristiques de telle ou telle
population. L’analyse rigoureuse du matériel en termes de contenus
manifestes et sollicitations latentes a permis de circonscrire, d’une part les
produits cognitifs considérés comme perceptivement adéquats, d’autre part
les problématiques susceptibles d’être activées ou plutôt réactivées par
chacun des tests. Enfin, le système d’analyse des protocoles, par le recours
à des supports d’analyse et de cotation, en permet un traitement à la fois
quantitatif et qualitatif.
Cependant dans la recherche, la situation relationnelle est plus complexe :
les sujets ne sont pas ouvertement demandeurs, même s’ils ont accepté
clairement de participer à une recherche qui les concerne, nécessairement.
Les caractéristiques d’investissement de la situation et les modalités
relationnelles avec le clinicien en sont évidemment infléchies. Pourtant les
situations les plus fréquemment rencontrées en psychopathologie
condensent demande d’aide et collaboration à la recherche : nombre de
recherches sollicitent des sujets consultants ou hospitalisés. L’acceptation
de la passation de tests à des fins de recherche est souvent déterminée par
des motivations composites : curiosité personnelle, implication volontaire
dans le désir de comprendre ou de contribuer à l’avancée des connaissances
scientifiques, sentiment d’obligation par reconnaissance de soins positifs
(dans le cas d’études après traitement). La condensation de ces différents
éléments et de bien d’autres intervient de manière singulière et a des effets
essentiellement individuels, auxquels le clinicien sera justement sensible
dans la relation avec le sujet.
Parce que l’investigation qu’elles permettent est essentiellement centrée
sur le fonctionnement psychique dont elles proposent une analyse fine et
approfondie qui relève de l’intimité de la vie privée, les épreuves
projectives ne devraient pas être utilisées dans le champ de l’embauche et
de la sélection professionnelle. Les seules utilisations permises apparaissent
dans les services spécialisés de psychopathologie du travail et sont alors
proposées à des fins d’orientation thérapeutique par un psychologue
clinicien.
D’aucuns ont pu dénoncer les risques de l’examen projectif, la dimension
intrusive, l’excitation traumatique jusqu’à l’idée d’une menace de dérapage
délirant. Ils oublient que le clinicien averti ne le propose pas au hasard, que
l’investigation projective doit être utilisée seulement si elle est utile et
qu’elle est absolument contre-indiquée dans les états cliniques aigus, quels
qu’ils soient. Par ailleurs, la sollicitation verbale, le contexte transférentiel
et la formation du clinicien projectiviste assurent la contenance de la
situation dans son ensemble. Ne l’oublions pas, le principe essentiel qui doit
ordonner toute passation projective est que celle-ci se fait au service du
sujet.
Chapitre 2
Approche psychanalytique
des méthodes projectives

Sommaire
1. La rencontre en clinique projective : quel(s)
transfert(s) ?
2. Transfert, transferts
3. Situation projective et situation analytique
4. Incidences transférentielles en clinique projective
5. Entre perception et projection, entre dedans et
dehors : la situation projective est-elle une situation
transitionnelle ?
6. Rigueur de la démarche

L’actualité clinique, qu’elle soit psychiatrique, psychopathologique ou


psychanalytique, nous confronte inéluctablement à la question du
diagnostic, compris au sens le plus large du terme : il s’agit, en effet, de
saisir les modalités de fonctionnement dont dispose la psyché d’un sujet,
généralement en état de souffrance, afin d’envisager, avec lui et pour lui, les
recours thérapeutiques qui lui permettent de vivre au mieux de ses
possibilités. La diversification des moyens thérapeutiques, l’affinement des
techniques de soins se sont imposés justement, du fait de la différenciation
de plus en plus subtile des modèles psychopathologiques. Il est vraiment
souhaitable que les traitements s’individualisent et se singularisent dans le
respect de la diversité et de l’originalité de fonctionnements mentaux
spécifiques.
C’est dans cette perspective que nous poursuivons nos recherches dans le
domaine des épreuves projectives. Celle-ci ne semble pas contredire nos
projets ni nos aspirations thérapeutiques. Si notre formation et notre
pratique analytique nous soutiennent indiscutablement, tant dans l’analyse
des protocoles de tests projectifs que dans l’étayage de leur interprétation
par la métapsychologie freudienne et post-freudienne, le type de travail
exigé par l’étude des protocoles, le déchiffrage minutieux des séquences
associatives impliqué par la méthode de d’analyse – qui ressemble à la
méthode d’interprétation des rêves telle que Freud l’a proposée en 1900 –
favorisent la découverte de manifestations éventuellement trop discrètes
pour être saisies, quantités ou qualités négligeables ou négligées dans
l’écoute analytique. Il n’y a là, pour nous, ni hiatus ni contradiction, mais
cohérence et continuité dans l’effort sans cesse renouvelé pour avancer dans
la connaissance du fonctionnement psychique humain.
Le choix du modèle psychanalytique relève d’une position nettement
définie concernant les fondements théoriques de l’étude du fonctionnement
psychique : nous nous situons dans le domaine de la psychanalyse
appliquée, ce qui nous conduit à reconsidérer les concepts que nous
empruntons afin de les utiliser dans le champ particulier de la psychologie
projective. Mais au-delà, il faut fermement souligner que la participation de
l’étude projective à des fins d’évaluation diagnostique en psychopathologie,
engage cette procédure d’investigation dans une démarche thérapeutique à
moyen terme : entendons-nous bien, la passation des épreuves projectives
ne constitue pas une étape de « soins » en elle-même ; elle permet de
recueillir des informations approfondies, difficilement accessibles dans des
tableaux cliniques complexes et, à ce titre, s’associe aux autres méthodes
d’investigation dont la visée est bien d’établir un projet thérapeutique
pertinent. À cet égard, l’utilisation d’épreuves projectives offre un recours
précieux chaque fois que la clinique est floue ou que se pose la question
d’un diagnostic différentiel, essentiel à établir s’il implique des modalités
de traitement thérapeutique spécifique.
Si l’on examine ce que Freud (1925a) a appelé « les perspectives
psychanalytiques », on s’aperçoit que certaines sont communes au
psychanalyste et au psychologue clinicien, tandis que d’autres demeurent
l’apanage du premier. La perspective dynamique envisage la nature des
pulsions inhérentes aux conflits psychiques du sujet, la spécificité des
mécanismes de défense qui y sont opposés et les formations de compromis
particulières qui en résultent : cette perspective est au premier plan tout au
long du présent ouvrage. Elle s’accompagne en arrière-plan de la
perspective génétique (implicite dans les travaux de Freud sur les stades du
développement libidinal mais non formulée comme telle par lui) : le
Rorschach ne nous renseigne que partiellement sur les fixations
symbiotiques, narcissiques, pré-ambivalentes et perverses polymorphes ; en
revanche, il est précieux quant au repérage des images du corps, des
frontières du moi, des enveloppes psychiques qui soutiennent les processus
d’identifications. Les protocoles de TAT nous apportent des productions
essentielles au regard des différentes problématiques et des modalités de
leur traitement en référence notamment à la psychosexualité, dans
l’affrontement aux désirs et aux interdits, à l’amour et à la haine ou encore à
la mise à l’épreuve de la perte dans la capacité à se séparer. Les points de
vue économiques (déplacements et modifications quantitatives de la charge
pulsionnelle, investissements, désinvestissement, surinvestissement) et
topique (le ça, le couple moi-moi idéal et le couple surmoi-idéal du moi et
leurs conflits intrasystémiques) sont moins utilisables à la lumière des
données que le processus psychanalytique met à jour après des semaines et
des mois de séances : une passation projective relève trop d’une coupe fixe
dans l’appareil psychique ; encore que la proposition des deux épreuves et
la succession des planches par les discontinuités qu’elle introduit, instaurent
une temporalité certaine. Une originalité des travaux de l’École française
est de tenir compte au plus près de ces discontinuités. Une autre originalité
est d’avoir poussé le plus loin possible le déchiffrement des identifications
du sujet et d’éclairer ainsi leur rôle dans la constitution et le fonctionnement
des instances.
1. La rencontre en clinique projective :
quel(s) transfert(s) ?
1.1 Situation projective et phénomènes
transférentiels
C’est R. Schafer (1954) qui, le premier, introduit la notion de transfert
dans la situation projective. En référence directe au modèle
psychanalytique, il définit un certain nombre de caractéristiques
déterminant l’induction d’une relation transférentielle en insistant,
notamment, sur la réactivation de mouvements régressifs entraînant une
baisse du contrôle et l’émergence de conflits intrapsychiques et
interpersonnels en termes de désirs et de frustrations.
En fait, il convient d’user de ce concept dans ses significations les plus
larges comme mécanisme de déplacement d’affects et de représentations au
sein de la relation avec le clinicien. Il faut se garder de l’entendre au sens le
plus strict de ses fonctions dans la cure : sa mise en place, son déploiement,
ses qualités ne peuvent se développer dans un contexte marqué par la
limitation dans la durée. Car bien évidemment, il n’est pas question de
névrose de transfert au cours de la passation d’épreuves projectives : c’est
là, en effet, que se définissent la dimension thérapeutique du transfert et son
déploiement dans la cure. Nous pouvons donc conserver la notion de
phénomènes transférentiels en situation projective dans une double
perspective : d’abord, comme mécanisme de déplacement permettant
l’expression de contenus et de procédures inconscientes à travers la
médiation du matériel fourni ; ensuite dans la réactivation, en cours de
passation, de modalités relationnelles particulières dont les références
latentes sont inconscientes et généralement attachées aux imagos parentales.
À partir de ce point de vue, il est sûr que chaque passation mobilise des
mouvements transférentiels singuliers, déterminés à la fois par des éléments
conjoncturels (le contexte de la passation) et par des éléments structuraux
inhérents aux modalités de fonctionnement psychique individuelles. La
participation contre-transférentielle d’une telle rencontre trouve aussi ses
incidences : elle est déterminée à la fois par la qualité et le sens de
l’investissement de sa fonction par le psychologue clinicien, par les
caractéristiques de sa personnalité et par la mobilisation « exceptionnelle »
de chaque situation de passation. Cependant, ces mouvements doivent être
respectés dans leur dimension privée et intime : la prise de conscience et la
reconnaissance de l’existence des incidences transférentielles,
caractéristiques des relations humaines si l’on accepte leurs implications
inconscientes dans une situation clinique, doivent essentiellement intervenir
dans l’intégration rigoureuse des différentes variables mobilisées en
situation projective.

1.2 La notion de transfert chez Freud


Avant de nous engager dans l’étude plus approfondie de la spécificité de la
rencontre projective, il nous faut brièvement revenir à la notion de transfert,
à ses origines et sa dynamique dans l’œuvre de Freud. Rappelons d’abord
que Freud n’a cessé de renouveler le questionnement sur ce point central de
la psychanalyse, en s’efforçant notamment de poser des limites à ce
phénomène, qu’il parvient davantage à circonscrire dans les indications
concernant la cure que dans les élaborations théoriques proposées pour en
dégager la spécificité.
C’est dans L’Interprétation du rêve que la première acception
psychanalytique du concept apparaît dans l’évocation des transferts, qui
relèvent de déplacements déterminés par la nécessité pour l’inconscient de
s’incarner, avant même d’être figuré, de l’impossibilité pour les émergences
de l’inconscient d’apparaître comme telles, et donc de travestissements
obligés qui en permettent l’expression dans les restes diurnes :
« La représentation inconsciente est tout à fait incapable, en tant que telle, de
pénétrer dans le préconscient et elle ne peut y exercer un effet qu’en se mettant en
connexion avec une représentation anodine qui appartient déjà au préconscient, en
transférant son intensité sur elle et en se faisant couvrir par elle. C’est là le fait du
transfert qui fournit l’explication de tant de phénomènes frappants de la vie mentale
des névrosés » (1900, p. 478-479).

Commentant ce passage, J. Laplanche (1987, p. 243) insiste sur


l’importance de l’hypothèse économique – c’est une énergie qui se déplace
et se transfère – et sur l’assimilation explicite des transferts dans le rêve à
ceux de la psychopathologie et donc de la cure.
Dans les Études sur l’hystérie (Freud et Breuer, 1895), les déplacements
sur le médecin sont décrits exactement de la même manière. Cependant,
leur caractéristique, notamment retrouvée dans le cas Dora, est que, tout en
étant repérés, les transferts posent un problème pour Freud (et, avant lui,
pour Breuer avec Anna O.) :
« Que sont les transferts ? Ce sont de nouvelles éditions, des copies des motions
et des fantasmes qui peuvent être éveillés et rendus conscients au cours de
l’analyse et dont le trait caractéristique est de remplacer une personne
antérieurement connue par la personne du médecin. Autrement dit, un nombre
considérable d’états psychiques antérieurs revivent non pas comme états passés
mais comme relation actuelle à la personne du médecin » (Freud, 1905a, p. 86-87).

2. Transfert, transferts
Freud parle du transfert et en même temps d’un transfert parmi d’autres : il
y aurait le transfert de base, qu’il conçoit d’essence paternelle, à ne pas
démasquer, et un transfert relevant cette fois du déplacement d’une figure
actuelle de la vie du patient sur la personne du médecin. Le transfert ne
témoigne pas seulement d’une relation à deux, il ne se ferme pas sur la
répétition d’une relation inscrite seulement dans le rapport entre l’analyste
et le patient : le transfert est ouvert sur autre chose que lui-même. Il faut
donc maintenir l’idée de transferts au pluriel : le travail analytique s’attache
aux transferts, qui doivent être saisis un par un, sur le fond d’une relation de
base, identifiée par Freud comme transfert de la relation au père à la
relation au médecin. La distinction fondamentale entre les transferts et le
transfert doit être maintenue : il ne faut pas abandonner les premiers sous
prétexte d’une évolution de la pensée freudienne stigmatisée par la
découverte du transfert dans la névrose de transfert, même si celle-ci
occupe le psychanalyste plus particulièrement en tant que produit de la cure
dont les effets, en termes d’affects ou de résistances, retiennent
particulièrement l’attention par les conséquences à la fois nécessaires et
gênantes du phénomène.
On peut remarquer les formulations très divergentes, voire contradictoires,
que Freud a pu proposer quant aux fonctions du transfert : par rapport à la
remémoration, le transfert constitue un obstacle et prend son sens de
résistance mais il permet en même temps, grâce à la répétition, que
s’actualisent dans l’ici-maintenant de la cure, la problématique singulière
du patient et notamment sa névrose infantile. Dans cette perspective, il offre
un outil essentiel à l’analyste parce qu’il lui permet de se saisir de la
« conflictualité » intrapsychique de l’analysant dans tous les déploiements
du processus de la cure, en particulier dans la mise en scène des conflits en
termes de désirs contradictoires, portés par des instances en lutte les unes
contre les autres.

3. Situation projective et situation


analytique
Il est important de souligner la différence entre situation projective et
situation analytique. La psychanalyse s’appuie sur une méthode mais, au-
delà, fournit un modèle pour l’étude du fonctionnement psychique dans ses
incidences les plus complexes, inscrites dans la dialectique du normal et du
pathologique. Les données des épreuves projectives sont, elles aussi,
susceptibles d’apporter des éléments de compréhension souvent très subtils
et parfois décisifs dans la mise en place d’un diagnostic, sans pour autant,
nous l’avons déjà souligné, fournir une méthode thérapeutique. En ce sens,
il n’est pas souhaitable que le même clinicien propose à la fois une
investigation projective et une psychothérapie : la passation du bilan
psychologique et la connaissance approfondie du fonctionnement du sujet
qu’elle révèle constituent un obstacle quant à la nécessité d’être, autant que
faire se peut, vierge de tout savoir lorsque s’engage un traitement
psychique. Ce préalable admis, il est utile de définir clairement quelques
paramètres qui permettent de situer le cadre projectif.
Le patient engagé dans une cure est invité à parler librement sans thème de
départ, sans directive autre que celle de la règle fondamentale. Il fait part de
ses pensées, de manière associative, au fur et à mesure qu’elles lui viennent
avec les mots pour le dire. Il a devant lui un temps indéfini : le temps des
séances est fixe en général, mais la durée de l’analyse jamais déterminée à
l’avance. Le sujet en situation projective est invité à parler tout aussi
librement sauf que ses réponses doivent être associées à partir du matériel
du test – ce qui constitue une première contrainte dans la prise en compte de
la réalité externe, perceptive du stimulus – et, par ailleurs, il ne dispose que
d’une séance pour la passation de chaque test, même si la durée de cette
passation n’est a priori pas limitée. Il y a donc, comme dans la situation
analytique, liberté et contrainte, mais les conditions n’en sont pas les
mêmes. Certes, le matériel projectif est ambigu mais il est sous-tendu par
des contenus latents qui appellent la mobilisation de fantasmes et d’affects
articulés par des problématiques dont les registres sont susceptibles d’être
organisés par des conflits psychiques essentiels : comme dans la situation
psychanalytique, la consigne qui laisse au sujet la plus grande liberté est en
même temps pour lui une contrainte. Il est condamné à être libre, c’est-à-
dire à se révéler lui-même.

4. Incidences transférentielles en clinique


projective
4.1 Du côté du sujet : manifestations
transférentielles
Pour certains, la présentation du test est ressentie sur le mode d’une
situation scolaire avec la réactivation du désir de performance ou la crainte
de l’« échec », et cela en dépit des développements utilisés par certains
praticiens au moment de la consigne notamment au Rorschach : « Il n’y a
pas de bonne ou de mauvaise réponse, dites ce qui vous vient à l’esprit. »
Le sujet se met alors dans une position d’élève-enfant face à un maître-
adulte, son attitude est laborieuse, sa recherche minutieuse et parfois
conformiste. D’emblée, ces manifestations transférentielles évoquent le
malaise, le sentiment d’infériorité, d’incomplétude, la dépendance par
rapport au jugement de l’autre, et l’analyse du protocole mettra souvent en
évidence un aménagement rigide des conduites défensives, une
problématique de domination-soumission ou encore une très grande
dépendance vis-à-vis des images parentales.
Au-delà de la référence scolaire, la passation peut être ressentie dans un
contexte plus empreint de méfiance : le regard du clinicien réactive alors le
sentiment non seulement d’être apprécié, éventuellement évalué1, mais
l’impression plus aiguë d’être jugé, guetté, épié. L’agressivité du sujet,
projetée sur le clinicien, le transforme en persécuteur potentiel contre lequel
il faut se défendre en particulier en élevant une barrière de vigilance et de
prudence face au danger de pénétration et d’intrusion associé à la situation
et au regard de l’autre. Ce type de vécu entraîne la multiplication des
questions, des demandes réitérées de précision de la consigne, des
commentaires sur le caractère intentionnel des planches. Le persécuteur est
consciemment interpellé comme étant « celui qui a construit le test » mais
en fait la distinction entre l’auteur de l’épreuve et celui qui la propose est
floue : « Ah ! Je vois, vous voulez me faire dire que… » ou : « C’est des
images pornographiques que vous me montrez là, je vois où vous voulez en
venir… »
Pour d’autres encore, le test projectif offre la possibilité (ou l’autorisation)
de s’exprimer de façon parfois débordante, position sous-tendue ici encore
par des attitudes transférentielles spécifiques. L’intérêt de la méthode est
essentiellement de servir de prétexte à l’expression massive d’affects et
d’émotions qui dominent l’approche de l’objet peu investi dans ses
caractéristiques formelles. La passation devient une expérience foisonnante
d’impressions, de sensations, d’émotions qui s’adressent au clinicien à
travers des images impressionnistes ou de récits hyper-associatifs et flous.
Ce type de sujet montre une grande avidité de contact, une forte dépendance
vis-à-vis du clinicien avec parfois un désir de séduction ou de captation très
manifeste en particulier dans la difficulté à finir l’épreuve et à se séparer.
À l’opposé, les personnes inhibées au contact difficile semblent ressentir
la situation dans un climat d’angoisse paralysante. L’inhibition est déjà
présente au niveau du comportement, voire de la posture : grand malaise
déclenché par la rencontre avec le psychologue, regard fuyant, mutisme…
On percevra alors parfois des manifestations d’anxiété au niveau du corps :
contraction des membres, tremblements, tension des gestes, sudation… Le
sujet paraît fermé mais en proie à des émotions violentes qu’il semble
vouloir contenir au maximum comme s’il était soumis à des angoisses qui
peuvent entraîner jusqu’à une sorte de sidération. Nous sommes alors très
attentifs à l’évolution éventuelle de cette présentation parfois pénible à
supporter : il arrive que le temps et nos interventions aient un effet
bénéfique dans le sens de la détente et d’une libération possible de
l’expression, ce qui peut rendre compte d’une sensibilité certaine à
l’étayage fourni par le clinicien ; mais l’inhibition peut au contraire être
renforcée quand les interventions du clinicien, vécu comme intrusif et
anxiogène, sont mal reçues et ressenties comme autant d’attaques
agressives…
Pour certains sujets, la passation du Rorschach et du TAT s’avère un réel
moment de plaisir, plaisir à penser, à inventer et à fantasmer, à laisser se
déployer une inventivité et une créativité parfois méconnues, et à les
partager avec un autre, une expérience originale qui leur permet de
s’intéresser à leur fonctionnement psychique.
Ces quelques illustrations de la façon dont peut être ressentie la situation
de test ne sont que des exemples : il y a, en effet, autant d’aménagements
possibles de la relation avec le clinicien, au travers du matériel qu’il
propose, qu’il y a de sujets – de même qu’il y a autant de protocoles de
Rorschach et de TAT qu’il y a d’individus. Cela étant, il ne paraît pas
possible de rencontrer deux protocoles rigoureusement identiques, tant les
combinaisons de variables y sont subtiles et complexes. Chaque passation
est une expérience nouvelle et originale et il est important que le clinicien le
sache.

4.2 Du côté du clinicien : positions contre-


transférentielles
En deçà de la « neutralité bienveillante » requise, se cachent ou se
découvrent des positions que nous pouvons appeler « contre-
transférentielles », qui sont, elles aussi, particulières à chaque rencontre
d’une part, et à chaque clinicien d’autre part.
Une référence déterminante dans la manière d’aborder et d’écouter un
sujet est constituée par la façon dont le clinicien conçoit la normalité. Les
épreuves ne sont pas débarrassées du contexte des « normes » qui sert de
décor à tout « test » ; mais surtout la représentation de ce que peut être un
fonctionnement psychique dit « normal » va avoir un impact très important
au niveau de la passation elle-même, avant tout travail d’analyse et
d’interprétation. Tel clinicien valorisant, dans la normativité, l’adaptation à
la réalité conformiste et aux normes, aura tendance à solliciter chez le sujet
le recours à la formalisation et mettra à l’épreuve ses capacités de
perception socialisée ; s’il est lui-même scrupuleux ou minutieux, il
cherchera, parfois de façon très directive, à obtenir des précisions sur les
localisations, sur les déterminants… Tel autre, plus épris de fantasmes ou
d’affects, définissant la normalité comme la liberté dans l’expression de soi
sans trop de souci conformiste, cherchera plutôt à faire associer le sujet à
partir des planches, à le pousser vers l’exploitation de ses représentations
dans le sens de l’imaginaire ou s’efforcera de cerner ses réactions
émotionnelles, en le questionnant sur les sentiments qu’il éprouve. Par
ailleurs, une conception très rigide et clivée de la normalité peut induire
chez le clinicien une attitude pathologisante vis-à-vis du sujet : tel
psychologue considérant par définition le consultant comme « malade »
aura tendance à interpréter son comportement durant la passation, et
introduira insidieusement un biais, une modification parfois très
déterminante dans la production du matériel à travers lequel il cherchera à
dépister les indices d’une pathologie présupposée.
Ainsi, une même consigne – sollicitant perception et projection dans son
contenu manifeste – peut être entendue de façons diverses selon les sujets
mais aussi être comprise et sous-tendue par des attentes différentes, définies
par des représentations variables d’un praticien à l’autre. De même qu’il n’y
a pas deux protocoles de Rorschach ou de TAT parfaitement identiques, il
est peu probable, pour une même personne, de donner des réponses
absolument semblables quel que soit celui qui les recueille. S’il arrivait
qu’un même patient donne deux protocoles identiques à deux cliniciens
différents dans un intervalle temporel plus ou moins important, cette
conduite rigide nous inquiéterait par l’indifférenciation qu’elle révèle.

4.3 L’écoute par le clinicien


Tout cela nous conduit à insister encore sur le poids de la relation, sur
l’importance des facteurs subjectifs, personnels dans la détermination d’un
discours dont l’analyse sera, elle aussi, tributaire des implications du
psychologue. C’est dire également à quel point nous sommes éloignés
d’une situation standardisée, d’une conception objectivante et anonyme du
test. Les sujets en font eux-mêmes la découverte, qui, après la passation, se
détendent ou se rétractent, manifestant une plus grande confiance en se
livrant davantage ou au contraire s’enfermant dans un mutisme ou une
réserve excessive : ce qui montre bien que l’expérience qui vient de se vivre
renvoie à la communication au sein d’une relation personnalisée.
Il est bien sûr que c’est à un « autre » que le discours sur le Rorschach et
le TAT s’adresse et que cet autre est là pour écouter et pour entendre. La
sensibilité de chacun est alors mobilisée, déterminant une distance dont les
aménagements sont parfois délicats. Entre une attitude lointaine, neutralisée
à l’extrême et susceptible d’engendrer chez les sujets un sentiment
d’abandon, et des conduites intervenantes voire harcelantes vécues comme
autant d’intrusions, le clinicien doit trouver une juste accommodation
respectueuse de l’individualité de son interlocuteur. Cette position idéale est
tout à fait comparable à celle que décrit Winnicott concernant la mère
« suffisamment bonne » ni rejetante ni empiétante, laissant à l’enfant les
possibles déploiements de son monde interne.
Cette distance est par ailleurs ressentie différemment selon les personnes :
certains tentent de se rapprocher d’un praticien qu’ils trouvent trop lointain
et l’interpellent directement par des questions, ou le prennent à témoin,
quêtant l’approbation (« Vous voyez bien ici, n’est-ce pas… ? ») ; d’autres,
au contraire, s’éloignent corporellement du clinicien qu’ils jugent trop près,
dressant entre eux et lui la barrière protectrice de la planche posée
verticalement. Le débit, la modulation, le rythme dans le déroulement des
réponses, ont aussi à voir avec le mode de relation établie : les uns parlent
très vite, obligeant le psychologue à se concentrer au maximum pour ne pas
perdre le fil, et sont parfois incapables de modifier cette attitude si on le leur
demande ; les autres au contraire s’étalent dans le temps, progressant dans
leurs associations avec une lenteur excessive (parfois exaspérante !) ou bien
dictent carrément, surveillant la feuille sur laquelle le psychologue est en
train d’écrire et donnant des ordres (« Ça, ce n’est pas la peine de le
marquer ! »).
Nous voulons souligner ainsi la nécessité d’intégrer dans l’analyse du
protocole des éléments qui ont pu apparaître étrangers ou sans rapport avec
le texte et qui nous semblent pourtant avoir un impact évident non
seulement au niveau de l’analyse mais aussi dans la détermination même de
la production ; ces données, « hors protocole », ne sont pas quantifiables,
elles se réfèrent à la subjectivité mais aussi à la sensibilité et à l’expérience
du clinicien, restaurant le cadre clinique du test en y réintroduisant sa
dimension vivante, dynamique et relationnelle.
Il n’est pas souhaitable d’utiliser ces indices par ailleurs précieux comme
des a priori qui interviendraient dans la passation et l’interprétation.
Repérer ce type de manifestations présente surtout l’intérêt d’une
confrontation avec les autres données pour y découvrir congruence ou
contradiction. Cette confrontation est un travail de liaison dans la mesure où
elle permet de saisir l’harmonie, l’écart ou la discordance entre les
conduites du sujet et son discours. Liaison nécessaire qui rétablit l’unité de
la personne, nécessaire si l’on considère que les réponses données au
Rorschach et au TAT appartiennent à un individu dont le discours ne doit
pas être isolé, voire détaché de l’ensemble du fonctionnement psychique
dont il est, à certains égards, le porte-parole. Les silences, les temps sont
importants à noter, certes, mais aussi l’intonation, la qualité émotionnelle,
les changements de postures, les mouvements…, autant d’éléments
sensibles qui rendent au discours sur le Rorschach ou le TAT son caractère
vivant, son humanité.

5. Entre perception et projection, entre


dedans et dehors : la situation projective
est-elle une situation transitionnelle ?
5.1 La perception
Il faut souligner l’idée essentielle selon laquelle le sujet est soumis à des
excitations qui viennent du dehors, de la réalité externe, mais aussi à des
excitations qui viennent du dedans, de la réalité interne, en termes de
représentations et d’affects. C’est dans cette dialectique entre dedans et
dehors que le sujet se construit et se développe à travers des réseaux
d’échanges avec son environnement relationnel, mais aussi avec lui-même
et son monde intérieur. Dans la perspective psychanalytique, la perception
revient au système perception-conscience. Du point de vue topique, celui-ci
est situé à la périphérie de l’appareil psychique, si bien qu’il reçoit à la fois
des informations du monde extérieur et des informations venant du monde
intérieur. Du point de vue économique, ces informations s’inscrivent en
termes de sensations de plaisir et de déplaisir. Deux principes régissent ce
fonctionnement : d’une part, la conscience est assimilée à la perception
dans sa capacité à recevoir des qualités sensibles et d’autre part, un autre
système, autonome par rapport à l’ensemble du psychisme, est régi par des
modalités de fonctionnement quantitatif.
La liaison entre conscience et perception conduit Freud (1915a) à les
réunir le plus souvent en un seul système. Du point de vue fonctionnel, le
système perception-conscience s’oppose aux systèmes de traces mnésiques
que sont l’inconscient et le préconscient : en fait, aucune trace durable des
excitations ne s’y inscrit. Du point de vue économique, il se caractérise par
la disposition d’une énergie librement mobile, susceptible de s’attacher à tel
ou tel élément en l’investissant. Évidemment, le système perception-
conscience joue un rôle essentiel dans la prise en compte de la réalité et
donc dans la régulation des deux principes du fonctionnement – principe de
plaisir, principe de réalité.

5.2 La projection
La projection occupe une place de choix dans les conceptions modernes
du travail psychique, puisqu’elle introduit un processus qui n’est plus
seulement interne mais se joue obligatoirement entre deux organismes. La
définition qu’en propose la psychanalyse est bien connue : il s’agit d’une
« opération par laquelle le sujet expulse de soi et localise dans l’autre,
personne ou chose, des qualités, des sentiments, des désirs, voire des
« objets » qu’il méconnaît ou refuse en lui » (Laplanche et Pontalis, 1967,
p. 344).
Sur le plan métapsychologique, la projection trouve son ancrage
fondamental dans la théorie des pulsions. L’organisme est soumis à deux
sortes d’excitations : celles dont il peut se protéger par la fuite ; celles
contre lesquelles il ne peut rien, en tous les cas dans les débuts de la vie,
avant que s’établisse le système de pare-excitation. Cette distinction permet
une première différenciation entre dedans et dehors. La projection offre un
recours défensif par rapport aux excitations internes, en mettant à
l’extérieur les excitations désagréables et en les évitant comme tout danger
extérieur.
Le second aspect métapsychologique (Freud, 1925b) accorde à la
projection une fonction déterminante dans la genèse du jugement et dans
celle de l’opposition et de la différenciation entre sujet et objet. Déjà signalé
dans Pulsions et destins des pulsions, le mécanisme selon lequel le sujet
« prend dans son moi les objets qui se présentent à lui en tant qu’ils sont
sources de plaisir, il les “introjecte” (selon l’expression de Ferenczi) et,
d’autre part, il expulse de lui ce qui dans son propre intérieur est occasion
de déplaisir (mécanisme de projection) » (1915a, p. 182), le mécanisme
donc d’introjection/projection inscrit, à l’origine, la différenciation entre
interne et externe, associée à une qualité de jugement (bon et/ou mauvais) à
partir de laquelle s’établit le jugement d’existence. Cette fois encore, il
s’agit d’extérieur et d’intérieur : le non-réel, ce qui est seulement
représenté, c’est-à-dire le subjectif, est à l’intérieur ; le réel est à l’extérieur.
Il n’est pas seulement important de savoir si une chose mérite d’être
accueillie dans le moi (parce qu’elle est source de satisfaction), il faut aussi
savoir si cette chose est bien là, dans le monde extérieur, pour pouvoir s’en
saisir. Au départ, la distinction entre subjectif et objectif n’existe pas, elle
s’établit lorsque la pensée acquiert la capacité de rendre présente quelque
chose autrefois perçue, par reproduction. C’est ici que la projection se
retrouve dans son association dialectique avec l’introjection, dans l’activité
de représentation ; c’est ici aussi que les écarts sont susceptibles
d’apparaître entre réalité perçue et réalité représentée.

5.3 Processus primaire – processus


secondaire
Cette notion fondamentale au regard de la vie psychique est
remarquablement mobilisée par le matériel projectif : la sollicitation de la
parole, le passage du visuel au langage, l’importance de la stimulation
sensorielle et de l’appel associatif constituent autant d’éléments
significatifs, indispensables à prendre en compte dans la clinique, dans
l’analyse et dans l’interprétation des protocoles. C’est aux travaux de
D. Anzieu (1970) que nous devons les développements qui suivent : nous
les avons retenus pour leur grande clarté d’une part, et d’autre part du fait
de l’intérêt de l’auteur pour les méthodes projectives2.
La notion de processus primaire – processus secondaire apparaît très tôt
dans l’œuvre de Freud : le « Projet de psychologie scientifique » envoyé à
Fliess en 1895 esquisse précisément une théorie susceptible d’expliquer le
processus psychique de l’interprétation, en même temps que sa pertinence
par rapport aux processus psychiques de la névrose.
Le mode primaire (qui correspond à ce que Freud appelle plus tard, dans le
chapitre VII de L’Interprétation du rêve, l’inconscient) cherche à reproduire
l’image de l’objet du premier plaisir (en premier lieu le sein maternel) et
cette reproduction est obtenue par un investissement de l’image sur le mode
hallucinatoire. Le processus primaire vise donc l’identité des perceptions, il
obéit au principe de la recherche automatique du plaisir et de l’évitement
tout aussi automatique du déplaisir. Dans ce système l’énergie est « libre »,
c’est-à-dire qu’elle tend au fur et à mesure avers une décharge immédiate et
inconditionnelle et c’est l’échec de cette décharge qui est à l’origine de la
névrose et du symptôme. En effet, seule la décharge motrice résout la
tension et apporte une véritable jouissance. En déplaçant l’énergie
psychique du pôle moteur au pôle imaginaire, quand la voie de la décharge
motrice est barrée, le processus primaire apporte à cette énergie une issue
partielle et incomplète, et non une décharge libératrice. Ainsi, pour
satisfaire la pulsion, le processus primaire, mû par le principe du plaisir, ne
peut qu’élaborer un fantasme de satisfaction, lequel est incapable d’amener
le sentiment de plaisir obtenu par l’apaisement du désir. C’est ce qui
explique le caractère répétitif du processus primaire : la représentation de
l’objet du désir est indéfiniment réinvestie car cette représentation n’épuise
jamais la libre énergie du désir. À cette période, Freud considère que
l’élaboration fantasmatique est vouée à être un processus répétitif, parce
qu’elle est fantasmatique et non en vertu de la compulsion de répétition qui
apparaît seulement plus tard. Le caractère automatique de la domination du
principe de plaisir et le caractère répétitif de l’investissement fantasmatique
provoquent la dépendance de l’appareil psychique tout entier par rapport au
processus primaire. Cette dépendance constitue une résistance majeure dans
la cure.
Le mode de pensée secondaire (appelé ensuite préconscient) cherche la
reproduction de l’image agréable par le détour de la réalité, dans la mesure
où celle-ci offre la possibilité d’une décharge motrice adéquate. La
perception est confrontée au souvenir : quand les deux coïncident, la
réalisation de la pulsion peut avoir lieu de façon satisfaisante. Le
préconscient commande l’accès à la motilité volontaire et peut répartir une
certaine énergie d’investissement mobile ; il oriente ainsi l’attention. Le
processus secondaire est produit, d’un point de vue économique, par le
surinvestissement des indices de qualité fournis par la perception. Il vise
l’identité des pensées et non plus l’identité des perceptions. Il obéit au
principe de réalité, lequel reste, comme tout l’appareil psychique, sous la
dépendance générale du principe du plaisir. C’est un mode de la pensée
reproductive et pratique qui trouve sa place au sein du moi : celui-ci exerce
une action d’inhibition sur les autres processus de l’appareil psychique, ce
qui a pour conséquence de « lier » l’énergie dans ce système. Le processus
secondaire fixe, dans une sorte de modèle mnésique, les représentations
successives par lesquelles l’expérience du sujet s’est accumulée. Il peut
ainsi, au lieu de la refouler, conserver la représentation de plaisir ou de
déplaisir en la liant par des articulations multiples à un système complexe.
Du même coup, se produit une certaine usure du souvenir, en raison non pas
de son effacement avec le temps, mais de sa dilution dans un réseau
complexe de représentations. Le phénomène d’usure porte sur la
représentation, comme voie de résolution de l’exigence pulsionnelle : il
laisse celle-ci intacte. D’une certaine façon, le processus secondaire, en
liant la représentation, maintient constante l’exigence pulsionnelle qui
tentait de se dissoudre dans cette représentation. Le processus secondaire
apporte donc, au niveau du pôle moteur, une possibilité de régulation de la
satisfaction. Mais, au niveau du pôle imaginaire, le processus secondaire est
sans prise sur la pulsion. Il ne peut que « lier » les représentations, c’est-à-
dire organiser les souvenirs, comparer les perceptions nouvelles aux traces
mnésiques conservées. Il permet à la pensée de rapprocher et de
différencier, c’est-à-dire de juger puis d’organiser ces jugements dans des
raisonnements, dont les résultats, à leur tour, anticipent les perceptions à
venir, les pré-orientent en quelque sorte allant même jusqu’à tenir tout prêt
un schéma pour les « interpréter ». Il fabrique des automatismes mentaux,
plus élaborés que l’automatisme du processus primaire. Le processus
secondaire favorise ainsi l’adaptation de l’organisme au monde lorsque les
représentations qu’il lie sont des représentations de la réalité extérieure.
Mais il agit de la même façon sur les représentations émanant de la pulsion.
Quand celles-ci ne sont pas refoulées, elles sont prises dans des réseaux
associatifs qui leur donnent un sens second, différent de leur sens premier
par rapport à la pulsion. Les « interprétations » conscientes que, par le
troisième mode de penser – le système perception-conscience –, le patient
élabore sur sa réalité intérieure, suivent ces réseaux associatifs
préconscients : elles sont utiles, tout en étant inexactes. Elles fournissent à
l’appareil psychique une explication de ce qui se passe en lui, mais une
explication fausse car l’économie de celle-ci obéit au principe du plaisir-
déplaisir (par exemple, les représentations désagréables sont réinterprétées
autrement).
Les « interprétations » secondaires du patient sur lui-même constituent
une résistance supplémentaire à la cure. La méthode psychanalytique vise à
déjouer les processus secondaires en les utilisant. Le patient est invité à
formuler ses associations libres, c’est-à-dire à fonctionner au niveau
préconscient. Il est en fait déterminé par les réseaux associatifs qui ont lié
les représentations, mais en les remontant, il peut parvenir à les défaire (ce
qui est la définition étymologique de l’analyse), à substituer une
interprétation correcte (et libératrice) à l’interprétation fausse.
L’interprétation correcte est le plus souvent trouvée par le psychanalyste
qui, en la communiquant au patient, aide celui-ci à la reconnaître et à la
faire sienne. De toute façon – auto-analyse ou relation psychanalytique –
cette substitution de l’interprétation correcte à l’interprétation utilitaire
(utilitaire au point de vue du principe du plaisir-déplaisir), tout en étant un
processus psychique secondaire, suppose une opération mentale libre (aux
deux sens, d’échapper à la domination automatique du principe du plaisir et
d’échapper aux réseaux de liaison de l’énergie des systèmes de
représentations). Freud a jugé nécessaire de décrire un troisième mode de
penser pour rendre compte de la spécificité de cette opération.
Le troisième mode de penser est l’invention de Freud seul. Celui-ci
introduit à l’intérieur du processus secondaire une subdivision
complémentaire à la distinction breuerienne du système libre et du système
lié. Cette subdivision résulte d’une différenciation relativement tardive du
processus secondaire : il s’agit du mode de l’attention qui caractérise ce que
Freud appelle, à partir de 1915, le système perception-conscience. Pour
Freud, la conscience concerne une partie limitée de la vie psychique, mais
elle a incontestablement son activité propre. À aucun moment, il ne la
rattache à d’hypothétiques structures de l’entendement. La raison est un
terme qui ne se rencontre pas sous sa plume dans ses écrits théoriques car il
se situe plutôt dans une lignée empiriste : il n’y a pour lui rien dans l’esprit
qui ne soit d’abord passé par les sens. Cela est vrai du moins pour sa
première théorie à laquelle il ajoute plus tard l’hypothèse d’« imagos »
transmises héréditairement. Comme les psychologues empiristes anglais des
e e
XVII et XVIII siècles, il considère qu’il n’y a pas d’autres contenus de la
conscience que des « représentations ». Mais ces psychologues définissaient
la représentation, à partir du fonctionnement des organes sensoriels
externes, comme représentation des qualités du monde extérieur. Freud, lui,
s’intéresse à un second type de représentations, celles de l’objet du désir –
ou représentants-représentations de la pulsion – et à leurs combinaisons,
par exemple dans le rêve, le souvenir-écran, le symptôme, avec les
représentations perceptives du premier type. Maine de Biran, dont Freud ne
semble pas avoir connu l’œuvre, bien qu’il eût pu trouver en lui sur ce point
un précurseur, supposait l’existence d’un sixième sens, le sens interne. Pour
l’un et pour l’autre, l’activité perceptive peut être attentive soit à la réalité
extérieure, soit à la réalité psychique intérieure et la conscience est « un
organe des sens qui permet de percevoir les qualités psychiques » (Freud,
1900, p. 500).
Évidemment, ce qui nous intéresse, au-delà de leur définition spécifique,
ce sont les articulations, les passages, les combinaisons entre processus
primaire et processus secondaire susceptibles d’être entendus et analysés en
référence aux trois points de vue dynamique, topique et économique.

5.4 L’aire transitionnelle


Le rappel de l’élaboration métapsychologique des processus primaire et
secondaire nous permet d’en saisir la valeur heuristique en situation
projective, et notamment dans la conception d’un espace intermédiaire,
entre dedans et dehors, entre perception et projection, entre réalité interne et
réalité externe, entre-deux qui mobilise fortement leur émergence et leurs
déploiements singuliers.
Nous avons évoqué plus haut l’originalité de la situation projective dans sa
double sollicitation imaginaire et perceptive, ce qui pourrait s’entendre
comme une injonction paradoxale : cette caractéristique apparemment
contradictoire conduit à dégager une analogie entre l’interaction et les
interférences des mécanismes mis en jeu par les tests projectifs et les
phénomènes transitionnels décrits par Winnicott.
Dans Jeu et réalité (1971), Winnicott développe, au-delà de la stricte
définition de l’objet transitionnel – l’objet réel, peluche, chiffon ou
couverture, investi de significations subjectives par le petit enfant –, la
notion d’aire transitionnelle et d’espace potentiel : aire de l’entre-deux, à
mi-chemin entre le réel et l’imaginaire, dont l’accès suppose l’acceptation
du paradoxe, de la double appartenance – interne/externe,
fantasmatique/perceptif – qui a permis la création de l’objet transitionnel.
La capacité de jouer dans cet espace intermédiaire et de s’inscrire dans une
aire d’illusion au sein de laquelle la place de l’objet s’établit dans l’entre-
deux, fonde paradoxalement la différenciation entre réel et imaginaire, entre
dedans et dehors, entre monde interne et monde externe. Cette capacité va
permettre la reconnaissance et le déploiement d’un espace psychique
propre, constitutif du sentiment de continuité d’être, liaison temporelle
nécessaire à l’intériorisation de la durée. En fait, dans les perspectives
ouvertes par Winnicott et largement admises et développées par les
cliniciens d’aujourd’hui, l’aire transitionnelle et ses phénomènes
concomitants servent de matrice à la création d’un espace psychique interne
dans lequel la rêverie, l’illusion, l’aptitude à re-présenter un objet en son
absence et donc tous les processus de pensée trouvent leur origine.
La situation projective est susceptible de solliciter des conduites qui
impliquent un fonctionnement transitionnel dans la mesure où elle se définit
par une double modalité des conduites psychiques mobilisées : référence au
réel constituée par la matérialité du test ; recours à l’imaginaire, à l’illusion
dans l’attribution projective de qualités à l’objet test. On peut considérer
que le fonctionnement requis en situation projective suppose l’acceptation
du paradoxe winnicottien : cette tache d’encre (au Rorschach), cette
situation concrète (au TAT) sont reconnues comme banales, voire triviales,
et en même temps investies de significations subjectives traduisant un
scénario fantasmatique, un système de représentations et d’affects dont la
connotation personnelle, intime et l’appartenance au domaine de l’illusion
(et de la création) sont admises par le sujet. On pourrait donc penser que le
processus de la réponse, qui débouche justement sur une production,
correspond à ce qui se passe dans la création-retrouvailles de l’objet
transitionnel.
Ainsi la situation projective provoque des modalités de fonctionnement
psychique trouvant leurs sources dans l’aire transitionnelle, dans cet espace
de rêverie qui perdure bien au-delà de l’abandon de l’objet transitionnel et
dont on peut penser qu’elle fonde le processus associatif.
La clinique contemporaine a mis en évidence la présence ou l’absence de
la capacité de fonctionnement transitionnel selon les organisations
psychopathologiques : en allant un peu vite, on pourrait souligner que cette
capacité est régulièrement repérable chez les sujets névrosés alors qu’elle
apparaît beaucoup plus précaire, voire inexistante, chez les sujets limites et
psychotiques. Si la création de l’aire transitionnelle, ou encore de l’espace
potentiel implique l’acceptation du paradoxe de la double appartenance au-
dedans et au-dehors, au sujet et à l’objet, cela suppose que les frontières
entre ce dedans et ce dehors sont suffisamment solides pour être
transitoirement en suspens, cela suppose que la différenciation entre sujet et
objet est suffisamment claire pour pouvoir assurer le passage de l’un à
l’autre, sans risque de disparition de l’un et/ou de l’autre.
La référence aux travaux de Winnicott est précieuse pour saisir les enjeux
de la situation projective qui offre la possibilité de jouer entre intérieur et
extérieur, d’imaginer au-dedans en s’appuyant sur la perception du dehors :
l’expérience projective est d’abord une expérience transitionnelle mettant à
l’épreuve la capacité d’être seul en présence de l’autre.

6. Rigueur de la démarche
6.1 Le débat entre l’approche quantitative et
l’approche qualitative
Notre insistance sur la composante clinique ne peut pas être comprise
comme une invitation au libre cours intuitif, sensitif et impressionniste.
Trop souvent les milieux « psy » renvoient de la clinique une image floue
d’arbitraire et de projection : trop souvent, les épreuves projectives sont
considérées comme non fiables parce que trop dépendantes de variables
subjectives difficiles à maîtriser et à étudier « scientifiquement ». Beaucoup
de psychologues, pour obéir aux exigences « scientifiques » dont on les
accuse de manquer, ont pourtant dressé des listes de données quantitatives,
présenté des calculs statistiques sophistiqués dans l’exposé de recherches en
clinique et ailleurs, utilisant en particulier le Rorschach. Il est vrai que la
codification des réponses par le système des cotations de même que la
synthèse des données par le psychogramme facilitent l’approche purement
quantitative et permettent des études sur des populations nombreuses. Mais
il faut se garder d’une représentation de la rigueur « scientifique » qui ne
passerait que par une quantification, si précise soit-elle. Notre propos est de
nous attacher non pas à l’utilisation des méthodes projectives à des fins de
recherche quantitative, mais à l’étude qualitative de protocoles individuels
au niveau d’approche le plus affiné possible, permettant de découvrir des
indices cliniques et psychopathologiques pertinents.
C’est dans cette perspective que nous pouvons revendiquer la rigueur ;
non pas une rigueur cantonnée aux données chiffrées mais celle qui préside
la démarche clinique. Il s’agit d’avoir en tête les diverses composantes de
cette situation, qui sont à considérer comme des variables ayant chacune un
impact spécifique. Il s’agit d’apprécier les interactions des différents
facteurs qui se combinent dans le processus de la réponse, il s’agit enfin de
connaître la méthode : en effet, cet aspect de l’épreuve projective ne doit
être ni négligé, ni dédaigné, ni opposé à la conception floue de « clinique »
que nous critiquions tout à l’heure.

6.2 La neutralité bienveillante


On préconise en général, pour orienter l’attitude du clinicien au cours de la
passation du test, la référence à la notion de « neutralité bienveillante ». Il
nous paraît utile de revenir sur cette notion fondamentale introduite par
Freud, dans la mesure où souvent ce concept trop connu est déformé par
rapport à son acception originelle, ce qui entraîne chez certains praticiens
des inquiétudes injustifiées ou des positions caricaturales concernant la
conduite à tenir face au sujet pendant la passation du Rorschach et du TAT.
Reprenons la définition classique :
« Neutralité : une des qualités définissant l’attitude de l’analyste dans la cure.
L’analyste doit être neutre quant aux valeurs religieuses, morales, sociales, c’est-à-
dire ne pas diriger la cure en fonction d’un idéal quelconque et s’abstenir de tout
conseil ; neutre, en regard des manifestations transférentielles, ce qu’on exprime
généralement par la formule “ne pas pénétrer dans le jeu du patient” ; neutre enfin
quant au discours de l’analysé, c’est-à-dire ne pas privilégier a priori, en fonction de
préjugés théoriques, tel fragment ou tel type de signification » (Laplanche et
Pontalis, 1967, p. 266).
Il faut d’abord remarquer que la notion de neutralité est utilisée au niveau
de la cure, ce qui introduit déjà une dimension différente dans la situation :
en effet l’inscription dans la durée, la régularité, la répétition des rencontres,
le déploiement des mouvements transférentiels sont absents par définition
de la situation d’examen psychologique dont le nombre de séances est
déterminé à l’avance, deux ou trois rendez-vous programmés. Ce qui
signifie, pour le psychologue, qu’il dispose d’un temps relativement limité
pour recueillir les données suffisantes à la compréhension du
fonctionnement psychique du sujet qui lui est adressé : cela pousse certains
à multiplier les questions pour obtenir un maximum d’informations et,
partant, espérer obtenir un protocole de Rorschach riche, intéressant,
original qui révélerait tant les modalités de fonctionnement psychique du
patient que leur propre habileté clinique ; cela pourrait avoir des effets
néfastes pour le sujet qui se sentirait attendu, pressé, voire harcelé et
risquerait de réagir a contrario par l’inhibition ou l’irritation. Mais, par
ailleurs, compte tenu de la durée limitée des entretiens, nous ne disposons
pas non plus des bénéfices de l’apport progressif des données associatives :
la conduite du clinicien pendant la passation du test ne peut pas se calquer
sur celle du psychanalyste en cours de séance.
Cependant, il est évident que la notion de neutralité s’est répandue et
s’utilise dans d’autres contextes que celui, très spécifique, de la cure ; en
particulier la notion s’applique dans le domaine des épreuves projectives et
il nous faut essayer maintenant de savoir ce qui la sous-tend ou plutôt ce
qu’elle sous-tend. Nous pensons qu’il faut comprendre la notion de
neutralité au sens strict défini plus haut, même si le cadre est différent de
celui de la cure et non pas l’entendre sur le mode rigide du silence et de
l’absence d’interventions. Cela n’exclut pas pour autant la nécessité de
créer le climat le plus favorable à l’expression associative du sujet et
suppose, bien entendu, une juste appréciation du mode d’établissement de
contact et de relation, mais en même temps la possibilité doit être offerte au
sujet de répondre aux objectifs de la passation sans porter atteinte au
fonctionnement qui est le sien habituellement, en préservant son
authenticité. Il n’est donc pas interdit de rassurer les sujets apeurés ou de
prendre une certaine distance vis-à-vis de ceux qui sont désinhibés. Il faut
savoir se taire avec certains qui ressentent péniblement les interventions et
parler davantage à ceux que le silence effraie ; l’essentiel est de garder en
tête cette caractéristique : celui-ci ne supporte pas que je lui pose une
question, cet autre est angoissé par l’absence de parole.
La visée de la passation n’est pas thérapeutique à court terme, même si
elle s’inscrit dans un projet thérapeutique. En ce sens elle n’offre pas au
sujet la possibilité de déploiement des conduites et des fantasmes et leur
analyse : l’attitude du clinicien doit respecter cette limite de son
intervention en s’ajustant à la situation. Mais subsiste cet impératif de la
neutralité : « ne pas entrer dans le jeu » du sujet, éviter les excès, les
positions caricaturales, sadiques ou complaisantes. La question revient
souvent chez les futurs praticiens : « Faut-il intervenir ? Est-il permis de
soutenir le sujet, de l’encourager… ? » Il n’y a ni réponse, ni règle unique.
En alliant souplesse et rigueur, chacun doit s’adapter à une situation chaque
fois nouvelle mais aussi trouver son mode individuel d’intervention, son
style. Nous frustrer démesurément quand la question brûle les lèvres (mais
qu’on réfléchisse quand même à l’intérêt qu’elle peut présenter et à son
impact sur le sujet !) ou nous forcer à intervenir quand les mots ne
s’organisent pas dans la tête, paraît peu souhaitable, car notre malaise
viendrait renforcer celui de notre interlocuteur.
Donc, gardons cette référence à la notion de neutralité en nous tenant à sa
définition originelle sans déformation outrancière de l’attitude qu’elle
préconise et en rétablissant le qualificatif « bienveillante » : il ne s’agit pas
en effet de piéger le sujet pour le surprendre en flagrant délit de
formalisation inadéquate ou d’association courte. Il s’agit de l’étayer dans
cette démarche qu’il entreprend, pour cette aide qu’il réclame de toute
façon et dont nous avons à définir les modalités les plus adéquates par
rapport à sa souffrance et à ses aménagements symptomatiques.
Cela implique des limites dans nos interventions : en effet, si une trop
grande rigidité peut être inhibante pour le sujet, un interventionnisme
excessif pour favoriser des processus associatifs peut avoir des
conséquences peu bénéfiques puisque la relation s’instaure dans une durée
limitée. Encore une fois l’objectif de la passation est clairement défini,
même s’il est ambitieux : il s’agit d’apprécier le fonctionnement psychique
d’une personne dans un cadre donné ; bien sûr il arrive que quelques
entretiens et des tests suffisent à dénouer une situation difficile, mais il faut
se garder de confondre passation de tests projectifs et psychothérapie, et
s’en garder déjà au niveau de nos questions et de nos interventions.
Il existe une méthode de présentation, de passation et d’analyse des
épreuves projectives qui doit être respectée, car elle permet d’observer une
démarche méthodologique rigoureuse qui reste le garant de la fiabilité
scientifique de l’instrument. La méthode du Rorschach et celle du TAT,
c’est l’épreuve de réalité du clinicien, l’ordre tiers qui préside à la
passation, la référence objective nécessaire dans cette épreuve où se mêlent
constamment le réel et l’imaginaire.
La démarche interprétative au Rorschach, comme au TAT, est à l’image de
l’instrument : le clinicien qui analyse les protocoles fonctionne sur un mode
similaire à celui du sujet qui passe le test ; il doit se référer à des éléments
objectifs (données quantitatives, règles de cotation…) et, en même temps, il
se livre à un travail associatif qui influence son évaluation en la
transformant en une interprétation dans laquelle la subjectivité intervient
nécessairement.

6.3 L’analyse des sollicitations manifestes et


latentes du matériel projectif3
Cette analyse constitue un point d’appui « objectif » qui permet d’éviter
des évaluations trop subjectives dans l’application des cotations et des
interprétations trop projectives dans l’élaboration du diagnostic. Le
psychologue clinicien ne peut utiliser, en effet, les mouvements de transfert
dans son travail avec le sujet en test, car il ne se permet pas de lui proposer
des interprétations. Dans les différentes étapes d’une consultation
projective, il ne peut, en aucun cas, se servir des manifestations perceptibles
de phénomènes qui restent inconscients : c’est là, dans la technique même,
l’une des grandes différences avec la cure, au sein de laquelle l’analyste
peut s’étayer sur les processus transférentiels et contre-transférentiels qui
constituent le moteur de l’entreprise.
Cependant, sans chercher à les identifier trop vite ou trop formellement, le
clinicien doit savoir que ces phénomènes existent ; cela revient à la
cohérence d’une pensée référée à la psychanalyse puisqu’il s’agit, en fait,
d’accorder place aux productions de l’inconscient. Il appartient à chacun de
s’engager dans un travail d’approfondissement de l’implication personnelle
dans le métier de psychologue et dans le choix de tel modèle théorique.
L’utilisation des épreuves projectives dans des perspectives
psychodynamiques trouve bien sûr des résonances du modèle
métapsychologique dans la méthode : il serait incohérent d’adopter une
conception du fonctionnement psychique articulée par la reconnaissance de
l’inconscient et d’établir une méthode de travail qui le négligerait
totalement, une telle dérive supposerait des clivages redoutables entre la
pratique clinique et la théorie ; or, toute méthodologie implique, dans le
corps même de ses procédures, la prise en compte des référents théoriques.
Sans cette exigence de base, la pratique s’en tient à une approche
phénoménologique et comportementale, ce qui peut se soutenir en référence
à des modèles théoriques phénoménologiques et comportementalistes, mais
ne peut en aucun cas s’articuler avec des modèles psychodynamiques, sans
fourvoiement épistémologique.
Chapitre 3
L’adossement de la méthode à
la théorie : psychanalyse
et fonctionnement psychique

Sommaire
1. Le modèle psychanalytique de l’appareil psychique
2. La métapsychologie freudienne et post-freudienne
3. Le point de vue topique
4. Le point de vue économique : les deux théories des
pulsions
5. Le point de vue dynamique
6. L’angoisse et les mécanismes de défense

Traiter du fonctionnement psychique en psychanalyse conduit


nécessairement à un retour aux sources freudiennes : la généralisation de
ces notions fondamentales a entraîné un élargissement et un affaiblissement
de leur impact et de leur portée, si bien qu’elles se sont parfois perdues dans
les applications qui pourtant en assurent la transmission, voire le succès. Il
paraît cependant difficile d’admettre, d’un point de vue épistémologique,
que soit abandonnée l’élaboration originaire de ces concepts : celle-ci
garantit, en effet, la rigueur de leurs développements possibles, à condition
que les définitions fondamentales qu’elle précise soient maintenues avec
suffisamment de fidélité.
L’utilisation de la notion de fonctionnement psychique est déterminée,
chez Freud, par la mise en place d’une métapsychologie rendant compte du
modèle fictif d’un appareil psychique. Actuellement, le terme de
« fonctionnement » se voit trop souvent coupé de cette représentation
modélisante et est caractérisé par un système mécanique d’opérations ou de
conduites psychiques, sans appréhension métapsychologique structurante de
l’ensemble. Le fonctionnement psychique risque alors d’être
essentiellement saisi sur un mode séquentiel et isolé, la dimension
fonctionnelle prenant le pas sur le point de vue structural.
Il est donc nécessaire de reprendre les données essentielles de l’œuvre
freudienne concernant l’appareil psychique et l’établissement des
différentes topiques. Les topiques constituent une illustration exemplaire de
l’intérêt de la métapsychologie, dans la mesure où elles démontrent la
souplesse des mouvements d’élaboration des modèles formels, et le
transport des données cliniques sur une « autre scène », celle de la pensée
créatrice, dans ses analogies avec le rêve, c’est-à-dire comme entreprise de
figuration des représentations. Cependant les trois points de vue topique,
économique et dynamique doivent nécessairement être pris en compte, l’un
ne fonctionnant pas sans articulation avec les autres, ce dont rendent
compte les différents modèles métapsychologiques freudiens qui seront
exposés dans ce chapitre.

1. Le modèle psychanalytique de l’appareil


psychique
L’analyse du fonctionnement psychique proposée par Freud relève,
d’abord, de la construction de modèles dont le caractère fictif doit être
souligné : en tant que tel, l’appareil psychique est appréhendé dans une
approche formelle, grâce à l’élaboration de métapsychologies dont le
déroulement dialectique est essentiel.
Freud s’est souvent insurgé contre une conception rationaliste de la
science, qui présenterait ses découvertes comme produit d’un ensemble de
concepts radicalement inédits et élaborés à partir du chaos ou d’une
confusion antérieure : « C’est que ces idées ne sont pas le fondement de la
science sur lequel tout repose ; ce fondement au contraire c’est
l’observation seule » (1914, p. 85). Les matériaux empiriques issus de
l’observation sont recueillis sous la forme de « conceptions fondamentales,
nébuleuses, évanescentes, à peine représentables, que [la science] espère
pouvoir saisir plus clairement au cours de son développement et qu’elle est
prête aussi à échanger… contre d’autres » (ibid.). Comment ces
« conceptions fondamentales » sont-elles produites ? Sont-elles de pures
généralisations des matériaux concrets que recueillerait l’observation ?
Freud s’en explique en détail dans Métapsychologie : « Une science doit
être construite sur des concepts fondamentaux clairs et nettement définis »
(1915b, p. 123). Le premier temps de la recherche est consacré à la
description des phénomènes qui sont ensuite rassemblés, ordonnés et
insérés dans des relations, en tenant compte cependant du fait que « dans la
description déjà, on peut éviter d’appliquer au matériel certaines idées que
l’on puise ici ou là et certainement pas dans la seule expérience actuelle »
(ibid., p. 11). Ces idées abstraites occupent une place particulière par
rapport au matériel empirique : « Elles semblent [lui] être empruntées, mais
[…] en réalité [il] leur est soumis » (ibid.), c’est-à-dire que les conceptions,
même floues, déterminent et influencent l’émergence des matériaux
empiriques.
Les découvertes vont inéluctablement déborder le point de vue initial : le
travail dialectique préconisé par Freud commence là, dans un souci
d’ajustement permanent entre les phénomènes à considérer et la constitution
de concepts fondamentaux, c’est-à-dire de l’appareil théorique proprement
dit. Ce corpus théorique va devoir lui aussi fonctionner comme
préconception dans la structuration du regard clinique car « le progrès de la
science ne tolère pas non plus de rigidité dans les définitions » (ibid.). La
conception dialectique de Freud, à la fois rigoureuse et souple, s’illustre
dans l’élaboration de plusieurs métapsychologies, mettant en évidence les
articulations entre les données cliniques et leur traitement théorique dans
des mouvements permanents de rupture et d’élaboration qui s’entrecroisent,
se rencontrent et s’opposent dans le renouvellement des questions et les
tentatives de réponses.
2. La métapsychologie freudienne et post-
freudienne
2.1 Le premier modèle métapsychologique
Élaboré entre 1895 et 1900, il est décrit en détail dans le chapitre VII de
L’Interprétation du rêve (1900) et repose sur des propositions plurielles :
• Le contenu de l’appareil psychique et des divers systèmes qui le
constituent est entièrement composé d’images mentales, de
représentations qui ne sont différenciées que par le jeu des liaisons
associatives qui les relient.
• Le psychisme trouve ses sources dans le corps, les énergies qui l’animent
viennent charger les représentations qui deviennent par là même les
représentations des besoins du corps. L’affectivité est pensée sur le modèle
de tension et de décharge.
• Le fonctionnement mental obéit à deux régimes : celui du processus
primaire rend compte d’une circulation libre de l’énergie, des processus
automatiques de décharge, d’une pensée associative incontrôlée ; celui du
processus secondaire soutient le moi, instance d’adaptation au réel,
entravant le processus primaire par l’obligation de rétention de la
décharge, l’élaboration de la pensée, la prise en considération des
contraintes de la réalité dans la satisfaction des besoins pulsionnels.
• La pulsion sexuelle connaît deux grandes étapes de développement. La
première correspond à la sexualité infantile, dispersée en activités
pulsionnelles indépendantes, anarchiques, auto-érotiques. La seconde
permet l’intégration de ces composantes partielles dans un ensemble
hiérarchique, orienté vers un objet et un but pulsionnel unique, génital.
Entre ces deux périodes se situe une période de latence au cours de
laquelle s’établissent des digues psychiques qui vont canaliser les pulsions
par l’édification d’une organisation hiérarchisée. C’est à ce moment-là que
se met en place le refoulement originaire, héritage phylogénétique
« organiquement préformé » : les anciennes activités pulsionnelles
entraînent du déplaisir, se détachent de l’ensemble, et maintiennent une
« réserve inconsciente » régie par les processus primaires. Elle constitue la
source des manifestations pathologiques qui surgiront lorsque le cours
principal de la pulsion sexuelle est barré. Ces manifestations obéissent au
régime du processus primaire, et les symptômes névrotiques auront la
structure de l’inconscient dont le rêve est le paradigme. La limite du
premier modèle apparaît dans l’absence de prise en compte de l’aspect
« global », personnel, subjectif, et dans la carence d’une théorie de la
personnalité.

2.2 Le deuxième modèle métapsychologique


Ce modèle est construit à partir de 1909-1911 à travers deux textes
essentiels : les « Formulations sur les deux principes du cours des
événements psychiques » (Freud, 1911a) et les « Remarques
psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa » (Le Président
Schreber) (1911b). Freud oppose deux registres du fonctionnement mental,
au départ identifiés aux deux régimes, primaire et secondaire, du premier
modèle. Chez tout sujet, il existe une polarité d’adaptation au réel, active, et
une polarité de retrait intérieur traduite par des rêveries ou des fantasmes de
réalisation omnipotente des désirs. Le deuxième modèle se construit autour
du concept fondamental du narcissisme primaire et à partir du champ
clinique de la psychose. Il marque un changement théorico-clinique
considérable, puisque le concept de transfert y occupe une place essentielle,
laissant de côté la perspective cathartique antérieure.

2.3 Le troisième modèle métapsychologique


Il propose un large tableau de l’activité synthétique et adaptative du moi,
de sa politique et de ses stratégies : à travers une révolution complète de la
théorie de l’angoisse dans Inhibition, symptôme et angoisse (Freud, 1926),
il tend à placer sous l’égide de l’activité défensive du moi l’ensemble du
processus névrotique. Par ailleurs, la psychopathologie est pensée
essentiellement comme un anachronisme : le moi obéit à une véritable
rationalité et son activité se modifie en fonction du développement de sa
propre structure. Ainsi s’organise une séquence génétique : détresse et
immaturité initiales (naissance), dépendance totale aux objets (premières
années), complexe d’Œdipe et angoisse de castration, période de latence et
constitution du surmoi, âge adulte et adaptation sociale.
2.4 Le quatrième modèle métapsychologique
Émergeant au carrefour du deuxième et du troisième modèle, le quatrième
modèle prend forme à partir de trois éléments : les problèmes de
l’ambivalence au cours du deuil et de l’intériorisation des désirs de l’objet
perdu en constituent la source, reposant finalement la question du complexe
paternel et de la construction de l’instance morale ; la clinique du
narcissisme conduit Freud à élaborer la théorie des idéalisations et de la
structuration des idéaux du moi ; et enfin, la reconnaissance de l’existence
très précoce d’un choix d’objet infantile va entraîner un profond
remaniement de la théorie de la libido.
C’est dans la Métapsychologie (Freud, 1915b) que va se constituer ce
modèle, dans lequel Freud envisage le problème de l’ambivalence en
l’intégrant à une description du développement génétique du moi, conçu
alors comme être subjectif. La polarité amour-haine ne peut être réduite à
une conception mécano-énergétique de la pulsion (premier modèle) ; il faut
fournir au « moi total » et à l’histoire de sa structuration, un modèle qui
intègre la globalité. C’est sur cette double base que la dialectique de la
structuration interne de la subjectivité et du jeu des instances va prendre
sens. Le concept d’identification en constitue la pièce maîtresse.
L’aboutissement en est le tableau des « relations de dépendance du moi »
(Freud, 1923) et la description de la lutte que se livrent les deux grandes
pulsions tout en réunissant les trois points de vue topique, économique, et
dynamique.

3. Le point de vue topique


Le point de vue topique est privilégié dans la métapsychologie de la
clinique projective sans doute du fait des caractéristiques spatiales du
matériel : elles favorisent la mobilisation d’opérations psychiques d’abord
ordonnées par la topographie inhérente aux planches de Rorschach et aux
planches du TAT. Si, comme l’écrit Freud, « Psychè est étendue » (1938a),
on peut saisir l’un des ressorts essentiels de l’activité psychique mobilisée
par les méthodes projectives. Si, par ailleurs, « le moi est avant tout
corporel » (ibid.), on peut comprendre pourquoi le Rorschach, du fait de son
organisation symétrique autour d’un axe, favorise la projection de
représentations corporelles, privilégiant l’ouverture et le déploiement de
l’associativité à partir de cet ancrage.
C’est dans L’Interprétation du rêve que Freud définit d’abord l’appareil
psychique, cherchant ainsi à « rendre compréhensible la complication du
fonctionnement psychique en divisant ce fonctionnement et en attribuant
chaque fonction particulière à une partie constitutive de l’appareil » (1900,
p. 441).
Freud reprend l’hypothèse de Fechner selon laquelle « la scène où le rêve
se meut est peut-être bien autre que celle de la vie de la représentation
éveillée » ; ainsi s’établit la notion essentielle de lieu psychique dont est
immédiatement écartée l’idée de localisation anatomique. À partir de la
comparaison avec un appareil optique, Freud échafaude et construit la
représentation d’un appareil psychique comme un instrument dont les
parties composantes sont appelées instances ou systèmes. L’ordre spatial
n’est pas nécessaire, il suffit qu’une succession constante soit établie
« grâce au fait que, lors de certains processus psychiques, l’excitation
parcourt les systèmes psychiques, selon un ordre temporel déterminé »
(ibid., p. 456). L’appareil constitué de ces différents systèmes psychiques
s’engage dans une direction qui part d’une extrémité sensitive vers une
extrémité motrice : le premier modèle de l’appareil psychique est construit
sur celui de l’appareil réflexe. Cependant, à l’intérieur des systèmes, un
certain nombre de différenciations doivent être introduites, compte tenu des
diverses fonctions qui leur sont attribuées. Les perceptions laissent des
traces, conservées grâce à la mémoire. Il faut donc envisager l’existence de
deux systèmes : l’un est essentiellement perceptif et donne à la conscience
la multiplicité et la variété des qualités sensibles, mais il ne retient rien.
L’autre, au contraire, conserve fidèlement les traces grâce aux souvenirs qui
sont inconscients mais ne témoignent que faiblement des qualités sensibles.
Les deux systèmes assurent des tâches très différentes, et par conséquent,
« la mémoire et la qualité qui caractérise la conscience s’excluent l’une
l’autre dans les systèmes psychiques » (ibid., p. 458). Le passage d’un
système à l’autre se fait grâce aux « censures » qui exercent un contrôle et
renforcent l’aspect spatial de la théorie de l’appareil psychique : d’autres
images utilisées par Freud – antichambre, frontières entre les systèmes
considérés comme des localités psychiques – impliquent à la fois
l’extériorité des parties les unes par rapport aux autres et la spécialisation
fonctionnelle de chacune.

3.1 La première topique


Les éléments résumés ci-dessus sont organisés grâce au modèle de la
première topique, distinguant trois systèmes : inconscient, préconscient,
conscient.
L’inconscient est constitué des contenus refoulés qui n’ont pu accéder au
système préconscient/conscient par effet des censures déterminant le
refoulement. J. Laplanche et J.-B. Pontalis (1967, p. 197) résument ainsi ses
caractères primordiaux :
• Les contenus de l’inconscient sont des représentants des pulsions. La
pulsion, concept limite entre psyché et soma, se situe en deçà de
l’opposition conscient/inconscient, elle ne peut jamais devenir objet de la
conscience, elle ne peut être présente dans l’inconscient que par ses
représentants.
• Les contenus de l’inconscient sont ordonnés par des mécanismes
spécifiques au processus primaire (condensation et déplacement) tels
qu’ils ont pu être dégagés à partir de l’interprétation du rêve, « voie
royale » de la découverte de l’inconscient. Le processus primaire,
l’absence de négation, la prédominance du principe de plaisir constituent
les dimensions essentielles du fonctionnement de l’inconscient comme
système ; inconscient et refoulé ne doivent pas être assimilés, compte tenu
de la place réservée par Freud à des contenus non acquis par l’individu,
transmis phylogénétiquement, et constitutifs du « noyau de
l’inconscient », tels notamment les fantasmes originaires considérés
comme des schèmes pré-individuels présents dans la construction des
théories sexuelles infantiles ; l’assimilation de l’inconscient et de
l’infantile se discute également. Toutes les expériences de l’enfance ne se
confondent pas avec l’inconscient. Freud considère plutôt que c’est
l’action du refoulement infantile qui opère la première différenciation
inconscient/préconscient/conscient en constituant l’inconscient.
• La différenciation des instances apparaît également dans la distinction
d’« énergie d’investissement » appartenant à chaque système. L’énergie de
l’inconscient s’engagerait dans l’investissement de certaines
représentations, le désinvestissement de ces représentations permettant le
passage d’une représentation à une autre. Enfin, cette énergie inconsciente
apparaît tantôt comme « une force d’attraction » résistant à la prise de
conscience, tantôt comme une force tendant à faire émerger ses rejetons à
la conscience.
Le préconscient désigne un système de l’appareil psychique différent du
précédent. À l’origine (1900), le préconscient est situé entre le système
inconscient et la conscience. La censure le sépare de l’inconscient et a,
comme visée, d’interdire le passage des contenus inconscients vers le
préconscient. Par ailleurs, le préconscient commande à la fois l’accès à la
conscience et la motricité. Le passage du préconscient à la conscience est
soumis à une autre censure qui se différencie de la première (entre
inconscient et préconscient) en ce qu’elle exerce essentiellement une
fonction de sélection afin d’éviter l’émergence de représentations
troublantes dans la conscience. Le préconscient est régi principalement par
le processus secondaire, du fait de ses liens avec le langage verbal et des
représentations de mots qu’il produit et véhicule. Mais certains contenus du
préconscient restent soumis au processus primaire et à l’emprise du principe
de plaisir, si bien qu’on peut comprendre la place de cette instance
« intermédiaire » entre l’inconscient et la conscience.
La conscience assume les fonctions du système perception/conscience. La
conscience est une donnée de l’expérience individuelle et chacun sait à son
sujet « immédiatement […] de quoi il s’agit » (Freud, 1938a, p. 18).
L’importance accordée à cette instance et la nécessité de définir sa place et
ses fonctions dépendent au départ d’un constat apparemment paradoxal : la
conscience ne révèle qu’une part réduite des processus psychiques puisque
ceux-ci sont en majorité inconscients ; il est essentiel de définir la nature
consciente ou inconsciente d’un phénomène psychique. Freud attribue
d’abord à la conscience l’ensemble des conduites perceptives et donc la
capacité de retenir les qualités sensibles du monde. La priorité est ainsi
accordée à la perception des objets du monde extérieur, avec une quasi-
équation : perception-réalité (monde extérieur). Dans cette perspective, quel
serait le statut de la conscience des phénomènes psychiques ? Celle-ci n’est
rien d’autre, écrit Freud, qu’un « organe sensoriel pour la perception des
qualités psychiques » (1900, p. 500). Elle peut en effet percevoir les
tensions liées à l’intensité ou à la variation des excitations, notamment à
travers les sensations de plaisir/déplaisir. Mais le problème essentiel posé
par la conscience apparaît à propos des « processus de pensée » que Freud
reconnaît aussi bien dans la réminiscence des souvenirs que dans le
raisonnement ou encore dans toutes les conduites entrant dans le système
des « représentations ». Freud maintient la théorie qui fait dépendre la prise
de conscience des processus de pensée et de leur association avec des
« restes verbaux ». Cette liaison étroite avec la perception détermine la
place de la conscience dans la topique. Freud la situe à la périphérie entre le
monde extérieur et les systèmes mnésiques :
« L’appareil perceptif psychique comporte deux couches : l’une, externe, le pare-
excitation, destiné à réduire la grandeur des excitations qui arrivent du dehors,
l’autre, derrière celle-ci, surface réceptrice d’excitations, le système
préconscient/conscient » (1925c, p. 122).

Du point de vue économique, la conscience soulève également quelques


problèmes puisqu’elle est considérée par Freud comme relevant uniquement
du qualitatif : celui-ci offre une traduction du quantitatif en signes
qualitatifs mais des conduites conscientes, telles que l’attention, nécessitent
une régulation fine dont la dimension économique (en termes d’intensité et
de variations de l’intensité) s’impose.
Du point de vue dynamique, on note une évolution dans l’importance
attribuée à la conscience. À l’origine, le refoulement est conçu comme un
rejet presque conscient, proche de l’attention, dont le caractère
« intentionnel » est souligné par Freud. Or c’est bien la reconnaissance de la
part inconsciente des mécanismes de défense qui va le conduire à remanier
sa théorie de l’appareil psychique et à en proposer une autre. En 1915,
Freud énonce que le fait d’être conscient ne constitue pas un critère
suffisant pour distinguer les systèmes. Il n’abandonne pas l’idée que la
conscience appartient à un système organisé, mais il indique que l’accès à
la conscience n’est pas caractéristique de la position topique d’un contenu.
Enfin, du point de vue de la cure, la question de la prise de conscience et de
ses effets constitue une interrogation majeure. Le passage au conscient
n’assure pas à lui seul l’intégration du contenu refoulé et l’efficacité
thérapeutique de cette « prise de conscience ». Le travail analytique relève
de procédures complexes comme la construction, la remémoration, la
perlaboration qui mobilisent le jeu des différentes instances dans la
dynamique du transfert.
En résumé, l’hypothèse de Freud s’inscrit dans un contexte scientifique
particulier : la théorie anatomo-physiologique des localisations cérébrales,
dominante à la fin du XIXe siècle, tend à établir une dépendance étroite et
déterminante entre des fonctions spécifiques (en termes d’images et de
représentations) et des supports neurologiques rigoureusement localisés. En
psychopathologie, les observations de l’époque imposent l’idée de rapporter
à des groupes psychiques différents des conduites psychiques particulières.
Freud, lui, ne se contente pas de reconnaître des lieux psychiques distincts
dont il affirme toujours la dimension purement fictive, par opposition aux
conceptions réalistes de ses contemporains : la théorie de l’inconscient
assigne aux lieux psychiques une réalité et un mode de fonctionnement
différents. L’inconscient lui-même se révèle organisé en couches différentes
et le travail analytique s’engage dans des voies ordonnées par la qualité
spécifique de groupes de représentations (Études sur l’hystérie, 1895). Si
l’appareil psychique est constitué de systèmes différents, cette
différenciation a nécessairement une signification fonctionnelle. Enfin,
l’étude du rêve, en démontrant les lois de fonctionnement de l’inconscient,
confirme l’hypothèse d’une séparation entre les différents systèmes
psychiques.
Au-delà de ces différenciations, la perspective topique postule l’existence
de systèmes mnésiques dont la succession se caractérise par des lois
d’association distinctes. Le point de vue économique met en évidence le
passage de l’énergie d’un point à un autre suivant une direction déterminée
– succession normale « progrédiente » ou sens « régressif » (comme dans le
rêve). La topique se double d’une dynamique qui engage résolument la
théorie freudienne contre la référence anatomique – pourtant toujours
discrètement présente. La conception dynamique implique que les différents
systèmes soient en conflit les uns avec les autres.

3.2 La seconde topique


3.2.1 Le passage de la première à la seconde topique
C’est à partir de 1920-1923 que Freud a construit une autre conception du
fonctionnement psychique, désignée en termes de seconde topique par
rapport à la précédente. Elle repose sur la distinction entre trois instances :
le moi, le ça et le surmoi.
Cependant, cette conception nouvelle n’implique pas le renoncement à la
première : elles sont conciliables, comme Freud l’a montré en donnant une
représentation spatiale de l’ensemble de l’appareil psychique comprenant à
la fois les divisions entre le conscient, le préconscient et l’inconscient et les
instances constituantes de la seconde topique, le moi, le ça et le surmoi.
Cette tentative marque avec fermeté que la seconde topique n’offre pas une
traduction de la première, instaurant, comme on pourrait s’y méprendre, une
correspondance entre les instances CS/PCS/ICS et moi/ça/surmoi. La
seconde topique est construite en complément de la première, probablement
avec la visée d’intégrer de nouveaux concepts et les découvertes d’autres
fonctions psychiques, liés à l’enrichissement de la pratique clinique. C’est
dans l’Abrégé de psychanalyse (1938b), resté inachevé, que se découvre
une élaboration systématique extrêmement claire de « la nature du
psychisme », de l’appareil psychique. La partie la plus ancienne de
l’appareil psychique est constituée par le ça dont le contenu comporte tout
ce que l’être apporte en naissant, tout ce qui est constitutionnellement
déterminé, c’est-à-dire les pulsions, émanant de l’organisation somatique et
qui trouvent dans le ça un premier mode d’expression psychique. Sous
l’influence du monde extérieur se constitue une organisation spéciale,
intermédiaire entre le ça et le monde extérieur, appelée le moi. Les
fonctions de cette instance sont résumées en référence à l’extérieur et à
l’intérieur. Par rapport à l’extérieur, le moi assure le contrôle des
mouvements volontaires et l’auto-affirmation. Il apprend à connaître les
excitations en accumulant, dans la mémoire, les expériences qu’elles lui
fournissent, en évitant par la fuite les excitations trop fortes, en
s’accommodant des excitations modérées, en arrivant à modifier, de façon
appropriée et à son avantage, le monde extérieur.
3.2.2 Les trois instances de la seconde topique
Quelques approfondissements s’avèrent nécessaires afin de considérer
cette seconde topique, ses articulations et ses différences avec la première
topique.
Le terme de ça est seulement introduit en 1920-1923. On peut, de manière
approximative, assigner au ça une place analogue à l’inconscient de la
première topique : cependant, si cet inconscient est pratiquement constitué
par le refoulé, l’instance refoulante dégagée par Freud en 1923 et les
opérations défensives qui l’assurent sont également inconscientes. D’autre
part, les modifications importantes apportées à la théorie des pulsions
entraînent des changements conséquents dans les conceptions du conflit
névrotique : renvoyé précédemment à l’opposition entre pulsions sexuelles
et pulsions du moi, il est repris ensuite dans la lutte entre pulsions de vie et
pulsions de mort, contenues dans le ça. Le ça devient ainsi un « réservoir »
d’énergie pulsionnelle dans lequel puisent les différentes instances. Mais
une différence majeure apporte des modifications dans la répartition topique
des instances : très séparés, voire exclusifs les uns par rapport aux autres
dans la première topique, les systèmes constitutifs de l’appareil psychique
voient leurs frontières assouplies et se recoupent même dans leurs sources
originelles. Les limites entre le moi et le ça ne sont pas étanches ; de même
le surmoi n’est pas une instance autonome mais « plonge » dans le ça,
trouvant là ses racines inconscientes. Freud reprend à propos du ça de
nombreuses caractéristiques de l’inconscient notamment quant à son mode
d’organisation : fonctionnement en processus primaire, dualisme dialectique
des pulsions de vie et des pulsions de mort, etc. Cependant, l’organisation
du ça reste très relative dans la mesure où le ça se caractérise surtout par
l’absence de sujet en tant qu’instance unificatrice et par la « prévalence »
des mouvements pulsionnels.
Le moi, en contraste, est constitué par un mode d’organisation complexe
dont l’élaboration évolue tout au long de l’œuvre de Freud, évolution
difficile à reconstruire dans les limites de ce résumé. Présent dès les
premiers textes métapsychologiques consacrés au fonctionnement
psychique (1900), le moi est d’abord considéré comme agent défensif
associé à la censure, assurant un rôle modérateur et inhibiteur dans le
système préconscient. Plus tard, entre 1900 et 1915, la référence
fondamentale demeure celle de l’expérience de satisfaction et de
l’hallucination primitive ; les deux grands principes du fonctionnement
psychique – principe de plaisir/principe de réalité – régissent les relations
avec le monde interne et la réalité externe. Enfin, dans la conception du
conflit névrotique, le moi constitue l’instance qui s’oppose à la réalisation
du désir.
Des développements conséquents adviennent en 1914-1915 avec les
travaux sur le narcissisme et les identifications (Freud, 1914) : le moi
n’apparaît pas d’emblée mais se constitue progressivement. Il se définit
comme une unité et s’offre comme objet d’amour, au même titre qu’un
objet extérieur. D’autre part, les identifications occupent une place et une
fonction déterminante dans la constitution du moi qui peut se trouver
fortement modifié par l’identification, en devenant en quelque sorte le
reliquat, à l’intérieur de la psyché, d’une relation interpersonnelle. La
notion d’incorporation, envisagée dans Deuil et mélancolie (Freud, 1915c),
ouvre la voie à une conception du moi qui serait dès l’origine déterminée
par des processus identificatoires. Toutes les élaborations de
l’intériorisation, essentielles pour la psychanalyse, vont se développer à
partir de ces textes, pour avancer la seconde théorie pulsionnelle qui
inaugure le « tournant de 1920 ». Le moi, dans la seconde topique, constitue
une instance essentielle dans la compréhension du conflit névrotique,
conflit intrapsychique, entre instances, entre systèmes, relevant dans une
certaine mesure de l’intériorisation des relations avec les objets externes et,
en l’occurrence, de l’intériorisation des relations aux objets originaires. Le
relais serait pris alors par l’appareil psychique, en termes intrapsychiques,
de ce qui se joue d’abord au-dehors, au niveau des relations
interpersonnelles. Cependant, un ensemble de fonctions et de processus
viennent se regrouper autour du moi : la conscience devient le « noyau du
moi » ; les fonctions antérieurement reconnues au système préconscient
sont assignées au moi ; le moi est, pour une large part, inconscient. Enfin,
outre les diverses fonctions qui lui sont attribuées, le moi apparaît
essentiellement comme une instance médiatrice, contrainte de prendre en
compte les exigences contradictoires du monde extérieur, du ça et du
surmoi.
Le surmoi, ébauché en 1915 à partir de l’auto-accusation mélancolique,
est introduit en 1923. Il assure une fonction critique et se constitue comme
une instance séparée du moi. Il est considéré par Freud comme « l’héritier »
du complexe d’Œdipe, produit grâce à l’intériorisation des exigences et des
interdits parentaux. En ce sens, il relève très nettement de processus
d’identification puisque l’enfant, renonçant aux désirs œdipiens, s’identifie
aux exigences parentales et intériorise leurs interdits. Il ne s’agit pas d’une
identification à des personnes, mais comme le précise Freud :
« Le surmoi de l’enfant ne se forme pas à l’image des parents, mais bien à l’image
du surmoi de ceux-ci ; il s’emplit du même contenu, devient le représentant de la
tradition, de tous les jugements de valeur qui subsistent ainsi à travers les
générations » (1932, p. 177).

Cependant, le surmoi, tout en se constituant comme instance critique, est


susceptible d’être nourri par l’amour des parents, lui aussi intériorisé. Il
veille sur le moi afin de lui assurer une estime de base, en évitant des écarts
trop importants par rapport aux idéaux auxquels ils se réfèrent. Cette
caractéristique du surmoi « bienveillant » est très souvent négligée au profit
de ses représentations sévères, essentiellement interdictrices et punitives.
La construction des deux topiques freudiennes trouve ses fondements dans
l’observation clinique et l’expérience thérapeutique, ressaisies par la suite à
travers l’élaboration métapsychologique qui lui donne sa portée
scientifique. Le fonctionnement psychique s’actualise dans le traitement
psychanalytique et dans l’émergence et la dynamique du transfert. Mais il
est aussi repérable à partir des données projectives, et notamment du
Rorschach et du TAT, si l’on admet que le fonctionnement requis en cette
situation spécifique, mobilise des conduites psychiques individuelles,
susceptibles d’être interprétées à partir du modèle freudien de l’appareil
psychique.

4. Le point de vue économique : les deux


théories des pulsions
Le point de vue économique établit l’hypothèse d’une circulation et d’une
répartition d’une énergie quantifiable au sein des processus psychiques. Ce
point de vue est soutenu par « l’hypothèse selon laquelle les processus
psychiques consistent en la circulation et la répartition d’une énergie
quantifiable (énergie pulsionnelle), c’est-à-dire susceptible d’augmentation,
de diminution, d’équivalences » (Laplanche et Pontalis, 1967, p. 125). Il
s’agit donc de prendre en considération les investissements dans leur
mobilité, leur intensité variable, les oppositions qui s’instaurent entre eux.
L’hypothèse économique est constamment présente dans l’œuvre
freudienne : l’idée fondamentale est, on l’a vu, celle d’un appareil
psychique dont la fonction est de maintenir au niveau le plus bas possible
l’énergie qui y circule. Cet appareil doit donc assurer un certain travail pour
transformer cette énergie et la rendre psychiquement supportable. L’appareil
psychique est soumis à des excitations d’origine externe et interne (les
excitations internes sont appelées « pulsions »), exerçant des poussées
considérables. Tout le fonctionnement de cet appareil est donc susceptible
d’être décrit en termes économiques puisqu’il s’agit de traiter et d’élaborer
psychiquement les excitations. Cette élaboration suppose la distinction entre
représentation et quantum d’affect, ou somme d’excitation, celle-ci étant
susceptible de circuler le long des chaînes associatives, d’investir telle
représentation ou tel réseau de représentations spécifiques.

4.1 La première théorie pulsionnelle


C’est dans la description de la sexualité humaine que se dégage la notion
de « pulsion » (Freud, 1905b), à partir notamment de l’étude des
perversions et de la sexualité infantile, Freud critiquant la conception
« populaire » de la sexualité qui restreint celle-ci à l’exercice de la sexualité
génitale en lui attribuant un but et un objet spécifiques. Il souligne au
contraire à quel point l’objet est variable, contingent et n’est choisi dans sa
forme définitive qu’en fonction des aléas du développement et de l’histoire
du sujet. Il s’interroge sur cette force qui vient de l’intérieur et pousse vers
la décharge de l’excitation et la définit comme « un concept limite entre le
somatique et le psychique ». La pulsion est conçue comme le représentant
psychique d’une source continue d’excitation provenant de l’intérieur de
l’organisme : elle doit être différenciée de l’excitation extérieure qui, elle,
est discontinue. La pulsion est donc à la limite des domaines du psychisme
et du somatique, elle ne possède aucune qualité en elle-même mais existe
comme quantité susceptible de produire un travail psychique.
En 1915, dans Pulsions et destins des pulsions, Freud expose sa première
théorie en rassemblant les quatre éléments qui caractérisent toute pulsion :
la poussée, les sources, l’objet, le but. Il insiste sur « l’exigence de travail
imposée à l’appareil psychique » par le facteur quantitatif économique et
définit les différentes opérations susceptibles d’ordonner ce traitement. La
notion de pulsion est surtout analysée sur le modèle de la sexualité mais
d’emblée d’autres pulsions s’opposent à la pulsion sexuelle. Au-delà de
l’excitation des zones érogènes, les pulsions sexuelles soutenues par la
libido, peuvent accompagner toutes autres formes d’activités dans la mesure
où elles témoignent d’investissements d’objets pluriels : la pulsion sexuelle
chez l’homme est très étroitement liée aux représentations et aux fantasmes
qui viennent la spécifier et constitue un soubassement essentiel de
l’ensemble du fonctionnement psychique
Freud tient dès le début à une conception dualiste de la pulsion et la
première théorie établit l’opposition entre pulsions sexuelles et pulsions
d’autoconservation, ou pulsions du moi, qui s’étayent sur les besoins
fondamentaux, indispensables à la vie :
« Nous avons appris par l’expérience que chaque pulsion cherche à se faire valoir
en donnant vie aux représentations convenant à ses buts. Ces pulsions ne sont
pas toujours conciliables les unes avec les autres ; elles aboutissent fréquemment
à des conflits d’intérêts ; les oppositions des représentations ne sont que
l’expression des combats entre telle et telle pulsion. […] C’est l’indéniable
opposition des pulsions qui sont au service de la sexualité, de l’obtention du plaisir
sexuel et les autres, qui ont pour but l’autoconservation de l’individu, les pulsions
du moi. Nous pouvons […] classer en “faim” ou en “amour” toutes les pulsions
organiques à l’œuvre dans notre âme » (Freud, 1910, p. 182).
Avec l’introduction du narcissisme (1914), les pulsions d’autoconservation
restent opposées aux pulsions sexuelles même si celles-ci sont désormais
distinguées selon qu’elles portent sur l’objet (libido d’objet) ou le moi
(libido du moi). Ce qui doit être souligné, semble-t-il, c’est que, dès la
première théorie pulsionnelle, le conflit apparaît entre le moi et l’objet,
entre le sujet et l’autre : la haine se comprend alors comme un des destins
des pulsions sexuelles par retournement en son contraire.

4.2 La seconde théorie pulsionnelle


À partir de 1920, Freud propose une seconde théorie dans Au-delà du
principe de plaisir, qui maintient le dualisme pulsionnel mais cette fois
entre pulsions de vie et pulsions de mort. Cette seconde théorie continue
d’être discutée et soumise régulièrement à controverse. Celle-ci concerne
moins les pulsions de vie qui s’inscrivent dans la lignée de la précédente
que les pulsions de mort, fortement combattues par un certain nombre de
théoriciens et de cliniciens.
Ce rejet est peut-être lié au fait que la pulsion de mort est trop chargée par
le mot « mort », alors que Freud ne parle pas véritablement de la mort, il
souligne et dégage un mouvement antagoniste de la libido et des pulsions
de vie, qui pousse vers la déliaison, œuvrant silencieusement contre elles
pour freiner voire miner la recherche d’une union qui constituerait la visée
ultime de l’amour. Nous retiendrons deux aspects qui nous paraissent
importants au regard de l’étude du fonctionnement psychique : la notion de
pulsion de mort permet d’approcher tout ce qui relève de la déliaison dans
ses aspects les plus délétères, les plus connus, mais aussi dans ses fonctions
de frein contre l’emballement pulsionnel excessif, menaçant parfois de
débordement. Au sein du fonctionnement psychique, au sein de la
psychopathologie, la prise en compte des pulsions de mort permet de saisir
les mouvements de haine mais aussi ceux qui dérivent vers la destructivité
qui attaque l’objet et le moi. C’est donc un outil métapsychologique
intéressant puisqu’il permet, dans son opposition avec les pulsions de vie,
d’appréhender des conflits fondamentaux.
Notons enfin que les deux théories pulsionnelles sont susceptibles de
coexister et que, comme cela se passe en termes topiques, l’une ne chasse
pas l’autre.

5. Le point de vue dynamique


5.1 Le point de vue dynamique et la notion
de conflit
Le point de vue dynamique établit l’hypothèse d’un fonctionnement
psychique mobile, animé par des mouvements contradictoires à l’origine de
conflits. Ce point de vue envisage les phénomènes psychiques à partir de la
notion de conflit dont ils constitueraient dans une certaine mesure le
résultat, auquel s’associe l’idée d’une force exerçant une certaine poussée,
d’origine pulsionnelle. Il faut insister sur la dimension dynamique de la
conception psychanalytique du fonctionnement psychique, qui s’oppose
fermement à ses modèles statiques plus descriptifs et figés. Cela n’implique
pas seulement la nécessaire prise en compte de la notion de force mais
l’idée qu’à l’intérieur même du psychisme, ces forces entrent
inéluctablement en conflit les unes avec les autres.
Le conflit psychique se définit par l’opposition d’exigences internes
contraires. Dès les Études sur l’hystérie, Freud montre comment, dans le
processus de la cure, les résistances se découvrent au fur et à mesure que les
souvenirs pathogènes reviennent. La résistance est, en fait, l’expression
actuelle, ranimée dans le traitement, d’une défense intra-subjective contre
les représentations « inconciliables ». Le symptôme névrotique est défini
comme produit d’un compromis entre des groupes de représentations
contradictoires, agissant comme des forces antagonistes : les unes poussées
par des mouvements de désirs, les autres poussées par des mouvements
contraires soutenus par les interdits.
Il faut d’abord distinguer deux niveaux de prise en compte du conflit selon
que l’on s’attache au point de vue topique ou au point de vue dynamique-
économique. Dans la perspective topique, le conflit relève de l’opposition
entre systèmes : conscient/préconscient et inconscient dans la première
topique, moi, ça, surmoi dans la seconde. Dans la perspective dynamique-
économique, le conflit relève de l’opposition entre pulsions. Or
l’articulation entre les deux perspectives n’est pas toujours très facile dans
la mesure où ce n’est qu’assez tardivement que Freud a cherché un support
pulsionnel aux instances refoulantes. Le dualisme des pulsions sexuelles et
des pulsions d’autoconservation est considéré comme le substrat du conflit
psychique dans l’opposition entre les pulsions orientées vers l’objet (sexuel)
et celles concentrées sur le sujet (autoconservation).
Le moi se sent menacé par les revendications des pulsions sexuelles et se
défend par le refoulement. La seconde topique propose une approche plus
diversifiée de la personnalité et le conflit dynamique entre instances se
double, en quelque sorte, d’un nouveau dualisme pulsionnel, celui des
pulsions de vie et des pulsions de mort, sans pour autant que le conflit entre
instances soit superposable au conflit pulsionnel. Freud s’efforce en effet de
déterminer la part prise par les deux pulsions dans la constitution de chaque
instance mais, dans la description des modalités de conflits, on ne voit pas à
l’œuvre l’opposition supposée entre pulsions de vie et pulsions de mort,
dans la mesure où, en fait, les deux doivent se retrouver régulièrement.

5.2 La reconnaissance de l’inconscient


Ce n’est pas par hasard que, depuis un certain nombre d’années, le terme
de « psychodynamique » désigne le courant de pensée psychanalytique en
psychologie clinique. Cet usage trouve ses sources dans les écrits de Freud
dans lesquels dynamique qualifie l’inconscient en s’appuyant sur différents
arguments : tout d’abord, l’inconscient exerce une action permanente qui
exige une force contraire tout aussi permanente pour lui interdire tout accès
à la conscience ; nous trouvons là l’origine même du conflit compris
comme fondement du fonctionnement psychique humain. Par ailleurs, dans
la clinique, cette caractéristique dynamique est confirmée par le fait que se
découvre régulièrement une résistance pour accéder à l’inconscient. Enfin,
le caractère dynamique est illustré par la notion de formations de
compromis, actions psychiques qui permettent de ménager les deux partis,
celui du désir, celui de la résistance, solution névrotique par excellence,
certes, mais aussi particulièrement intéressante en situation projective.
C’est ce qui conduit Freud à distinguer deux acceptions du concept
d’inconscient : dans une perspective descriptive, « inconscient » désigne
tout ce qui se situe hors du champ de la conscience et englobe donc le
préconscient ; dans une perspective dynamique, l’inconscient « désigne non
seulement des idées latentes en général, mais en particulier des idées
possédant un certain caractère dynamique, des idées qui restent à l’écart de
la conscience en dépit de leur intensité et de leur activité » (1912, p. 193).

6. L’angoisse et les mécanismes de


défense
6.1 L’angoisse
L’angoisse, cette caractéristique fondamentale de la condition humaine, a
fait l’objet de nombreux travaux chez Freud qui procèdent à des
remaniements successifs de ses théories. Nous proposons dans ce chapitre
d’une part, d’en retracer l’évolution et d’autre part d’en proposer une
synthèse théorico-clinique.
6.1.1 Évolution de la conception de l’angoisse dans
l’œuvre de Freud
 Première période (1893-1895) : autour de la névrose
d’angoisse et de ses relations avec la vie sexuelle
L’idée principale est que la source de l’angoisse doit être recherchée dans
la sphère psychique. À l’origine, on trouve une accumulation de tension
physique sexuelle : dans la sexualité normale, cette tension atteignant un
certain seuil « en tire parti psychiquement », c’est-à-dire se met en rapport
avec certains contenus idéatifs.
Mais ce montage peut subir des dérèglements, non seulement du fait d’une
accumulation quantitative de tension, mais aussi compte tenu de
modifications qualitatives : au lieu de se transformer en une tension psycho-
sexuelle, la tension physique sexuelle se transforme en angoisse. La cause
principale de l’angoisse réside dans le fait qu’un affect ne peut être lié à une
représentation. L’angoisse apparaît comme un substitut de la représentation
manquante.
 Deuxième période (1909-1917) : angoisse et libido
refoulée
Les premières théories de l’angoisse traitaient du rapport de l’angoisse au
corps, la seconde période s’attache au rapport de l’angoisse à la libido
refoulée. L’accent se déplace sur la dominance du conflit psychique, sur les
relations entre l’affect et le représentant-représentation de la pulsion.
La distinction est établie entre l’angoisse devant un danger réel et
l’angoisse névrotique. La première dépend des pulsions d’autoconservation,
elle provient de l’interprétation des signes de danger menaçant l’intégrité
physique de l’individu. Rien ne justifie apparemment la seconde sous
l’angle de l’autoconservation, la menace vient d’ailleurs.
Deux formes caractérisent l’angoisse pathologique :
• Une angoisse flottante, prête à s’attacher à n’importe quelle
représentation : ici le danger est partout, la sécurité nulle part. Toute
manœuvre d’évitement est impuissante du fait de l’investissement du moi
par l’affect.
• Une angoisse circonscrite liée à un danger : ici le danger est localisé, la
sécurité partout ailleurs ; une certaine maîtrise est possible par l’évitement
de la situation angoissante, mécanisme de défense mis en œuvre par le
moi.
L’angoisse flottante est toujours interprétée comme une inhibition de la
décharge. On y retrouve le défaut d’élaboration psychique postulé dès
1895 : l’entrave de la libido donne naissance à des processus de nature
somatique uniquement. Au contraire, dans les psychonévroses, le rapport à
la symbolisation est conservé.
Deux mécanismes différents s’opposent :
• L’inhibition de la décharge entraîne un recours au corps (décharge
corporelle) sans élaboration psychique vraie : ici le refoulement ne joue
pas vraiment, il n’y a pas de production symbolique corporelle ou
psychique.
• L’inhibition de la décharge entraîne une transformation, le résultat du
travail de refoulement aboutit à des productions symboliques corporelles
ou psychiques. Le refoulement joue dans ses fonctions de contre-
investissement et de désinvestissement.
 Troisième période (1926-1932) : l’angoisse et l’appareil
psychique
À partir de 1926, Freud modifie ses positions antérieures par une série de
propositions brièvement résumées comme suit :
• L’angoisse a son siège dans le moi. Seul le moi peut éprouver de
l’angoisse. La source de cette angoisse peut provenir du monde extérieur,
du ça, du surmoi.
• Ce n’est pas le refoulement qui produit l’angoisse, mais l’angoisse qui
produit le refoulement.
• L’angoisse est le rappel par le moi, en fonction d’une exigence
pulsionnelle nouvelle, d’une situation de danger ancienne.
• Le signal de déplaisir suscite de la part du moi une réaction passive
(l’angoisse envahit le sujet) ou active (des contre-investissements
s’instaurent).
• Le moi dans son rapport de conjonction et de disjonction avec le ça est,
d’une part, sous la dépendance de celui-ci, mais, d’autre part, se révèle
moins impuissant qu’il n’y paraît puisqu’il est apte à mettre en œuvre le
refoulement par déclenchement du signal d’alarme.
• L’angoisse névrotique est causée par l’apparition d’un état de grande
tension ressentie comme un déplaisir dont la libération par la décharge est
impossible : l’angoisse de castration relève de la menace de la perte de
l’objet partiel (le pénis) ; l’angoisse de la perte d’objet relève de la menace
de la perte de l’objet total.
• L’évolution libidinale implique que le danger inconnu n’est pas le même
aux différentes étapes du développement. Le danger d’abandon psychique
coïncide avec l’éveil du moi, le danger de perdre l’objet avec la
dépendance infantile, le danger de castration avec la phase phallique, la
peur du surmoi avec la période de latence.
Dans le cas de l’angoisse automatique-traumatique, l’angoisse est due à
une manifestation directe du ça, envahissant et débordant les capacités
défensives du moi, induisant un état de panique, d’impuissance, de
désespoir. Dans celui de l’angoisse signal d’alarme, l’angoisse constitue une
manifestation du moi pour ordonner la mise en œuvre des opérations
défensives contre les pulsions émanées du ça ou leurs représentants. Dans le
premier cas, le moi ne peut que subir l’angoisse, toute élaboration
psychique se traduit par un échec complet des défenses. Dans le second, les
mécanismes de défense du moi, même imparfaits, témoignent d’une activité
symbolique fonctionnant sans dommage majeur1.
6.1.2 Les théories de l’angoisse, après-coup
À la fin de sa vie, Freud revient encore sur l’angoisse et offre un nouvel
exemple de sa démarche, son acharnement, son surplomb et son tranchant.
Sa 32e Conférence, Angoisse et vie pulsionnelle (1933) montre le caractère
naturel, fondamentalement humain et banal de cet « état d’affect ».
L’énigme en est sans cesse renouvelée car les solutions pour la résoudre ne
sont jamais définitives : nous pouvons conserver l’espoir de parvenir à en
défaire un certain nombre de nouages serrés et apparemment impossibles à
démêler. Freud propose une reprise extrêmement claire des points de vue
anciens et l’avancée de nouvelles idées grâce à la reconnaissance
d’éventuelles erreurs.
Il résume d’abord les éléments essentiels de ses conceptions antérieures :
la distinction – finalement relative – entre angoisse devant le réel et
angoisse névrotique, la répétition d’un événement traumatique ancien par la
trace d’affect et son précipité, d’abord. Et aussi les écarts entre l’angoisse
d’attente, flottante, et les phobies, celles-là davantage circonscrites. Il ne
s’attarde pas, il s’engage très vite dans ce qui change fondamentalement son
point de vue. Que l’angoisse ait partie liée avec la vie pulsionnelle et
notamment la libido, voilà une observation et une interprétation sur
lesquelles il ne cède pas. Que le refoulement soit immanquablement pris
dans l’affaire, il n’y renonce pas davantage. Mais deux éléments nouveaux
modifient la conception initiale selon laquelle c’est le refoulement qui crée
l’angoisse : d’une part, la seconde topique établit la correspondance entre
les trois sortes principales d’angoisse, l’angoisse réelle, l’angoisse
névrotique et l’angoisse morale et les trois relations de dépendance du moi,
au monde extérieur, au ça et au surmoi. D’autre part, le retour sur le
complexe d’Œdipe et sur son déclin auquel contraint l’angoisse de
castration, attribue au refoulement qui le caractérise, une valeur
paradigmatique.
Nous aurions dû trouver, dit Freud, « que c’est l’investissement libidinal
de l’objet maternel qui, par suite du refoulement, se métamorphose en
angoisse et apparaît dans l’expression symptomatique comme rattaché au
substitut du père » (ibid., p. 169). Eh bien, il n’en est rien, la surprise est
bien là dans le constat d’une réaction contraire : « Ce n’est pas le
refoulement qui crée l’angoisse, c’est l’angoisse qui est là la première, c’est
l’angoisse qui fait le refoulement ! […] l’angoisse devant un danger réel
menaçant » (ibid., p. 172).
Formidable condensation de cette angoisse réelle et de l’angoisse
névrotique, la croyance dans le châtiment de la castration est le moteur le
plus puissant du refoulement : non pas tant le danger réel mais la croyance
dans la réalisation de cette menace.
Cette fois, la part essentielle de l’économique est soulignée avec insistance
dans l’articulation avec le point de vue dynamique (les différentes
représentations associées à l’angoisse) et avec le point de vue topique,
lorsque l’angoisse devant le surmoi s’inscrit dans la castration. Cela veut
dire sans doute que le sens ne suffit pas et que sans la force, il ne trouvera
pas de voie de résolution. La prise en compte de l’économie est décisive,
mais pour saisir plus précisément la nature de l’angoisse, il faut aller
chercher la solution ailleurs, dans les quantités relatives : c’est seulement la
grandeur de l’excitation qui donne à une simple impression sa valeur
traumatique, la transforme en situation de danger et paralyse ainsi le
principe de plaisir.
Cette fois encore, Freud ne s’attarde pas et préfère porter son attention sur
ce qu’il appelle les problèmes plus généraux de la vie pulsionnelle : après
avoir renversé l’articulation entre refoulement et angoisse, il s’engage dans
le détroit dangereux de la seconde théorie des pulsions, aux prises avec la
seconde topique et avec le surmoi, la mélancolie et la douleur.
Dès lors, le mot même « angoisse » disparaît comme si les autres, pulsions
d’agression, besoin de punition, sentiment de culpabilité inconscient
venaient occuper cette place forte avec une énergie renforcée. Freud sait
bien quelles résistances, quelles réserves provoquent ces nouveautés, il
reprend l’ensemble de ses arguments : ceux qui sont présentés dans Au-delà
du principe de plaisir (1920) et dans « Le Problème économique du
masochisme » (1924a) et non plus ses textes antérieurs consacrés à
l’angoisse. La vie pulsionnelle ne se réduit pas à la libido, la pulsion
d’agression est tout aussi vive et ne peut être récusée au nom d’une
conscience morale bien-pensante. Le sadisme et le masochisme en
témoignent avec une force inouïe, non seulement dans la vie amoureuse
mais tout autant dans l’ensemble des relations humaines.
Enfin, la pulsion d’agression et de destruction, abandonnant ses liaisons
libidinales, peut se retourner violemment contre le moi lui-même et
constituer un front anti-narcissique dévastateur : les mélanges pulsionnels
« peuvent aussi se désagréger et on peut attendre de telles démixions des
pulsions les plus graves conséquences pour la fonction » (1933, p. 188).
Dans une perspective psychopathologique, l’analyse de l’angoisse et de sa
place au sein d’une organisation conflictuelle est susceptible d’apporter un
certain nombre d’éclaircissements dans une évaluation diagnostique. On
peut donc préférer, dans un premier temps du moins, une analyse et une
qualification de l’angoisse en référence aux grandes organisations
conflictuelles qui articulent le développement et le fonctionnement
psychique, sans chercher d’emblée à les connoter d’un diagnostic
nosographique obligé. On peut penser en effet qu’un même type d’angoisse
attaché à une problématique spécifique est susceptible d’être traité
différemment selon chaque sujet. Par exemple, l’angoisse de castration peut
être aménagée grâce à des mécanismes de défense névrotiques ; mais elle
peut aussi donner lieu à des stratégies narcissiques ou entraîner la
mobilisation de mécanismes de défense de type limite. C’est là un point de
discussion important dans la mesure où la stricte perspective structurale est
mise en cause si on considère qu’au sein d’une organisation
psychopathologique plusieurs registres de problématique peuvent se côtoyer
et mobiliser des mécanismes de défense diversifiés.
6.2 Les mécanismes de défense
Pour Freud en 1926, le concept de défense permet « d’englober tous ces
processus qui manifestent une même tendance à la protection du moi contre
les exigences pulsionnelles… ». Les mécanismes de défense sont donc des
processus élaborés par le moi sous la pression du surmoi et de la réalité
extérieure, qui permettent de traiter les manifestations de l’angoisse. Ces
mécanismes psychiques préservent le moi de l’angoisse en le protégeant des
exigences pulsionnelles du ça tout en satisfaisant les exigences du surmoi.
La qualification du système défensif en référence aux modèles
psychopathologiques ou nosographiques utilisés par le clinicien représente
l’un des pivots essentiels de l’évaluation diagnostique : celle-ci s’appuie sur
la mise en évidence des mécanismes de défense et du registre conflictuel
dont l’articulation rend compte de la problématique.
Séparer les mécanismes de défense de ce contre quoi ils sont mis en œuvre
relève d’une démarche arbitraire : des mécanismes de défense relativement
semblables prennent des significations diverses selon le contexte conflictuel
auquel ils s’intègrent.
Rappelons rapidement la définition des mécanismes de défense proposée
par le Vocabulaire de la psychanalyse :
« Différents types d’opérations dans lesquelles peut se spécifier la défense. Les
mécanismes prévalents sont différents selon le type d’affection envisagée, selon
l’étape génétique considérée, selon le degré d’élaboration du conflit défensif, etc.
On s’accorde à dire que les mécanismes de défense sont utilisés par le moi, la
question théorique restant ouverte de savoir si leur mise en jeu présuppose
toujours l’existence d’un moi organisé qui en soit le support » (Laplanche et
Pontalis, 1967, p. 234).

Cette définition a été discutée par D. Widlöcher (1971-1972) ; il constate


que ce concept si largement diffusé dans la psychologie normale et
pathologique, et dont il est fait un usage quotidien aussi bien en psychiatrie
qu’en psychologie et en particulier dans la situation des tests projectifs, est,
en fait, mal précisé dans la théorie psychanalytique. Il trouve trop vague la
définition du Vocabulaire de la psychanalyse et propose celle-ci :
« La défense est l’ensemble d’opérations dont la finalité est de réduire un conflit
intrapsychique en rendant inaccessible à l’expérience consciente un des éléments
du conflit. Les mécanismes de défense seront les différents types d’opérations
dans lesquels peut se spécifier la défense, c’est-à-dire les formes cliniques de ces
opérations défensives. »

Le repérage des mécanismes de défense s’est largement étoffé avec les


apports de Mélanie Klein et de ses successeurs et leur intérêt pour les
modalités primitives du fonctionnement psychique dans des contextes de
problématiques archaïques.
Chapitre 4
Problématiques psychiques

Sommaire
1. La construction du moi
2. Les relations d’objet

Dans ce chapitre, nous proposons de rappeler quelques notions concernant


des composantes essentielles de la psyché relatives aux grandes
problématiques auxquelles tout individu humain est confronté du début
jusqu’à la fin de la vie. Ces configurations s’inscrivent à la fois dans l’axe
narcissique de la construction du moi et des représentations de soi qui en
seront les traductions et dans les relations d’objet qui, dans leurs
distributions singulières, témoigneront des rapports du sujet avec ses objets
internes et externes. Cet exposé, nécessairement limité, se concentre sur les
travaux de Freud et de quelques successeurs1.

1. La construction du moi
C’est dans Le moi et le ça (1923b) que Freud propose l’élaboration la plus
approfondie de la construction du moi dont il analyse les composantes
conscientes et inconscientes, la dynamique et l’investissement pulsionnel. Il
souligne que la construction du moi relève de la sédimentation des
identifications aux objets perdus et abandonnés ce qui témoigne de
l’intrication étroite du narcissisme et des relations à l’autre.

1.1 Fondements narcissiques


Avec l’introduction du concept de narcissisme dans l’édifice de la théorie
psychanalytique en 1914, Freud étend l’intérêt théorique jusque-là dévolu
aux relations avec l’objet (comme dans les Trois essais sur la théorie
sexuelle (1905b) où la libido se concevait exclusivement par son contenu
objectal), à l’investissement libidinal du moi. Le narcissisme est alors
compris comme étant une composante majeure du fonctionnement
psychique, non seulement aux tout débuts de l’existence où il œuvre à
l’édification des prémisses de l’identité et à la cohésion de l’armature
psychique mais aussi tout au long de la vie. Ainsi, pensé de prime abord
pour expliquer la rupture des liens d’avec la réalité externe de certaines
organisations psychotiques très désocialisées (comme par exemple le délire
d’auto-engendrement), le narcissisme relance surtout la question des
modalités d’investissement pulsionnel, centrées sur le moi, en termes
d’autoconservation, ou sur l’objet, en termes sexuels.
Pour une part, le narcissisme est pensé comme stade évolutif :
investissement originaire du moi que Freud appelle le narcissisme primaire
où le bébé, dont le moi n’est pas clairement différencié du non-moi,
commence par se prendre lui-même comme objet d’amour avant de se
tourner vers l’objet ; puis, constitution secondaire du narcissisme résultant
de l’intériorisation d’une relation affective, notamment celle établie avec la
mère où une partie du narcissisme est cédée à l’autre, entraînant une
opposition entre l’investissement du moi et l’investissement d’objet.
Cependant, le narcissisme est très vite compris comme étant également
une forme structurale, une qualité libidinale fixée sur le moi, qu’aucun
investissement d’objet ne permet de dépasser complètement ; il constitue en
ce sens l’un des piliers essentiels de la construction du psychisme comme le
montrent les troubles déterminés par la carence ou la privation dans la
relation aux objets d’amour et en particulier la mère. Le narcissisme devient
alors raison d’aimer : on ne peut réellement aimer que si l’on s’est
suffisamment aimé soi-même et l’on ne peut s’aimer soi-même que si l’on a
été suffisamment aimé.
Ainsi, dans la vie affective en général et dans la vie amoureuse en
particulier, se distinguent un choix d’objet de type narcissique (on aime ce
qu’on est soi-même, ce qu’on fut, ce qu’on eût aimé être, on aime l’objet à
condition qu’il renvoie une bonne image de soi, investi comme double de
soi, une partie de soi, etc.) et un choix d’objet par étayage (on aime l’objet
qui nourrit et apporte les soins dont la source est la figure maternelle, ainsi
que l’objet qui protège dont la source est la figure paternelle).
Le narcissisme est l’un des organisateurs princeps du rapport du moi à lui-
même, du fait de l’érection interne d’un idéal provenant du narcissisme
primaire perdu de l’enfance. Souvent grandiose chez l’enfant, peu au fait
des réalités (moi idéal), l’idéal du moi se nuance progressivement et
participe alors d’une dynamique d’auto-observation, de comparaison et,
parfois, de censure (il est alors lié au surmoi) offrant alors un
approvisionnement trophique en libido narcissique. Cette dynamique qui
pousse et porte en avant, peut aussi s’avérer tyrannique : culpabilité et
sentiment d’infériorité, rabaissement, conviction de ne pas valoir grand-
chose, de n’être pas aimable, se révèlent souvent des indices d’un idéal du
moi confondu avec la perfection, peu enclin à tolérer l’impuissance ni à
consentir au moindre renoncement. L’hypertrophie du moi court alors le
risque d’enfermer le sujet dans la toute-puissance, le mépris et le dédain,
pris au piège de l’autosuffisance et de son envers, la honte.
Cliniquement, il s’agit de faire la part entre ce qui représente un repli
narcissique temporaire, même s’il est extrême, et ce qui peut s’inscrire dans
un enfermement, une rétraction massive qui vise à exclure l’objet, pour
mieux se protéger de l’aspect insupportable du désir, de la différence, ou de
la perte. Cette appréciation permet de distinguer un fonctionnement
narcissique organisé structurellement, de troubles marqués par la
défaillance sévère des assises identitaires et du sentiment de continuité
d’exister ou d’une problématique régressive qui sert de défense ponctuelle
face à la dangerosité de relations d’objet marquées par la sexualité et
l’agressivité notamment dans un contexte œdipien.
Les aspects positifs du narcissisme permettent au sujet de maintenir son
unité psychique et de se dégager de la dépendance par rapport à l’objet sans
pour autant se couper de la relation avec lui : la capacité d’être seul en
présence de l’objet (Winnicott, 1958), le « narcissisme de vie » (Green,
1983). Le sentiment d’estime de soi tient, pour une part, à l’empreinte du
narcissisme infantile, pour une autre part à la satisfaction de la libido
d’objet et enfin, pour la dernière part, à l’accomplissement de l’idéal du
moi.
Les aspects négatifs du narcissisme se donnent à voir dans la radicalité de
la coupure avec l’extérieur et l’intolérance à la différence susceptibles
d’entraîner un désinvestissement du monde objectal : « anti-narcissisme »
(Pasche, 1969 ; Racamier, 1980), « narcissisme de mort » (Green, 1983).
Ces effets négatifs apparaissent dans l’appauvrissement du moi et
notamment le défaut de fantasmatisation lié à la lutte contre l’excitation
pulsionnelle. Quant au surinvestissement des barrières qui assure
positivement les limites entre soi et l’autre, il aboutit, lorsqu’il est excessif,
à un défaut de circulation entre moi et non-moi, au risque d’une coupure
entre le moi et les objets externes tout comme entre le moi et ses objets
internes, caractéristique du clivage.

1.2 Identifications
L’identification est un « processus psychologique par lequel un sujet
assimile un aspect, une propriété, un attribut de l’autre et se transforme,
totalement ou partiellement, sur le modèle de celui-ci. La personnalité se
constitue et se différencie par une série d’identifications » (Laplanche et
Pontalis, 1967, p. 187). L’identification correspond ainsi pour Freud (1921)
à une dimension très importante du lien à l’autre, participant de
l’organisation psychique du sujet qui se laisse modifier, avec plus ou moins
de consentement et d’harmonie.
Différentes formes d’identifications ont été décrites par Freud, notamment
l’identification hystérique dans le cadre des névroses de transfert. Le
fameux cas Dora (1905a) illustre la multiplicité, l’instabilité et la labilité
des identifications de cette jeune fille aux différents membres de son
entourage, qu’ils soient aimés ou haïs, par la survenue des nombreux
symptômes qu’elles entraînent. Freud a également été attentif à la
manifestation de tels phénomènes psychiques dans des conditions de plus
grande ampleur (fascination changeante de foules pour un leader, un idéal,
une attraction ; hypnoses et conversions hystériques collectives, etc.) Ces
caractéristiques sont typiques de l’identification hystérique dans la névrose
et montrent également, de manière plus générale et non pathologique, la
place de l’identification dans le traitement de la problématique œdipienne.
Ainsi, les identifications aux parents appartiennent aux transactions
œdipiennes, et renvoient à l’instauration des instances surmoi/idéal du moi.
En effet, le surmoi, selon Freud, peut être considéré comme un modèle
d’identification réussie au surmoi parental. De ce fait, l’aboutissement du
complexe d’Œdipe correspond à l’abandon des investissements de la
personne des parents qui sont remplacés par des identifications, permettant
le déploiement des investissements libidinaux de nouveaux objets. Ce mode
d’identification, fondé sur la reconnaissance de la différence des sexes et
des générations, peut être qualifié d’identification secondaire. Il peut être
associé à des troubles dans les choix d’objets du fait de difficultés à
accepter le renoncement, du désir de tout posséder et conquérir, et de la
confrontation aux interdits. Désir, jalousie et culpabilité, portés par le ça et
le surmoi, peuvent provoquer des dilemmes, des conflits et des souffrances
intenses.
Freud (1915c) élabore également la notion d’identification narcissique,
où, comme dans la mélancolie, l’investissement de l’objet est faible et où la
libido retirée de l’objet se porte, non pas sur un autre objet, mais sur le moi
emporté par une identification du moi à l’objet perdu, sans prise en compte
de leurs différences. Dans l’identification mélancolique – modèle le plus
extrême de l’identification narcissique – le moi se confond avec l’objet
mort, paradoxalement toujours présent puisque sa perte est impossible à
admettre, ce qui déclenche des fantasmes autodestructeurs et des angoisses
d’anéantissement.
Dans Psychologie des masses et analyse du moi, Freud démontre comment
l’identification joue un rôle majeur dans la préhistoire du complexe
d’Œdipe en tant qu’elle « est la forme la plus originelle de la liaison de
sentiment à un objet » (1921, p. 45) mais également plus tard dans la
résolution de ce même complexe (1924b). Les premières identifications,
que Freud nomme identifications primaires, constituent un socle durable sur
lequel va potentiellement se déployer ensuite tout un éventail
d’identifications qui participeront aussi à la construction de l’identité
composite du fonctionnement psychique du sujet et à la « bigarrure » de son
moi (Freud, 1930, p. 249). S’il met surtout là l’accent sur le père de la
préhistoire personnelle, afin de souligner le travail en cours d’identification
au genre humain, Freud reconnaît que « peut-être serait-il plus prudent de
dire : identification aux parents, car avant la connaissance certaine de la
différence des sexes, du manque de pénis, père et mère ne se voient pas
accorder de valeur différente » (ibid., p. 271). Il insiste de fait sur
l’importance, dans ces temps premiers, de l’identification à une figure
puissante, nantie, phallique, aux vertus potentiellement protectrices certes,
mais aussi omnipotente, voire dangereuse.
Les identifications s’inscrivent dans un processus qui en permet la
diversification et l’affinement dans la construction du moi. La qualité des
assises identificatoires se repère ainsi également à travers la capacité de
reconnaissance de la différence des sexes et des générations étroitement liée
à la différenciation des imagos parentales : non plus seulement objets
nourriciers ou dangereux, bons ou mauvais, mais objets d’amour et/ou de
rivalité, objets de satisfaction et d’interdits. Autant de modalités qui peuvent
animer une dynamique identificatoire participant d’une organisation
œdipienne où les conflits peuvent s’exprimer en termes de relations
triangulaires et d’ambivalence des sentiments.

2. Les relations d’objet


Les relations d’objet s’inscrivent dès les commencements et contribuent
de manière déterminante à la construction de l’appareil psychique. Les
propositions qui suivent sont évidemment peu développées mais soulignent
les grands axes qui sous-tendent et articulent la vie de tout individu : la
perte d’objet et la vie amoureuse au sens psychanalytique du terme.

2.1 Problématiques de perte


« Réaction à la perte d’une personne aimée ou d’une abstraction mise à sa
place, la patrie, la liberté, un idéal, etc. » (Freud, 1915c, p. 263), le deuil se
manifeste par une dépression douloureuse, la suspension de l’intérêt pour le
monde extérieur, la perte de la capacité d’aimer, l’inhibition de toute
activité (accompagnées dans la mélancolie par l’existence de reproches et
d’accusations tournées contre soi et d’une baisse de l’estime de soi). Le
deuil impose un travail psychique qui requiert du temps et une grande
dépense d’énergie, il permet qu’un désinvestissement progressif de l’objet
perdu se fasse, « détail par détail », pour s’autoriser un jour d’en investir
d’autres. C’est seulement une fois ce travail accompli que le moi redevient
libre et sans inhibitions, l’identification apportant une compensation à la
perte subie en assurant la survie de l’être aimé : « L’objet aimé n’est pas
perdu car maintenant je le porte en moi et ne le perdrai jamais » (Abraham,
1924, p. 267). Ainsi, une caractéristique essentielle permet de distinguer le
deuil de la mélancolie : une fois libérée, l’énergie pulsionnelle attachée à
l’objet perdu, est prête à se reporter sur un nouvel objet dans le deuil. Dans
la mélancolie, cette ouverture est impossible et l’investissement pulsionnel
rebrousse vers le moi : dans cette configuration, la haine contre l’objet
disparu se retourne contre le moi dans un auto-acharnement destructeur
(Freud, 1915c).
Non réductible à la pathologie psychiatrique qui porte son nom, la
mélancolie devient l’un des paradigmes heuristiques éclairant la façon dont
le moi peut tenter de traiter la perte de l’objet :
« Qu’un tel objet soit abandonné, par obligation ou nécessité, il n’est pas rare
qu’alors, à la place, survienne la modification du moi qu’il faut décrire comme
érection de l’objet dans le moi. […] Le processus, surtout dans les phases de
développement précoces, est très fréquent et peut rendre possible la conception
selon laquelle le caractère du moi est un précipité des investissements d’objets
abandonnés, contient l’histoire de ces choix d’objet » (Freud, 1923b, p. 273).

Dans ce texte, l’identification est présentée comme une réponse constante


à l’abandon de l’objet, abandon qui n’est pas forcément accompagné d’une
disparition réelle, mais le risque est alors que le moi se révèle là fragile, en
difficulté pour fonctionner sans son objet d’étayage, tourmenté, hanté par
un objet mort, toujours présent.
À partir des travaux de Freud et d’Abraham, M. Klein (1934) propose
l’idée d’une position dépressive (étape de développement précédée par la
position paranoïde-schizoïde, mais à penser comme une potentialité
participant de la vie psychique à tout âge), où le tout petit enfant découvre
« l’objet total » qu’est la mère, non plus une partie de lui-même, mais au
contraire indépendante de lui, certes pourvoyeuse de nourriture, de chaleur
et de soins mais aussi source de frustrations de ses désirs. Dans le même
temps, l’enfant expérimente la solitude loin de cet objet aimé et fait
l’expérience de la détresse et de son extrême dépendance à son égard,
l’inquiétude de la perdre, de la détruire par la colère ressentie. Ainsi peut
s’instaurer une dimension majeure de la vie psychique, l’ambivalence, qui
permet une liaison et une tempérance mutuelle de pulsions libidinales et de
pulsions agressives. D’où la crainte de perdre le bon objet, l’objet aimé, à
qui l’enfant a pourtant adressé cris, pleurs, refus ; d’où l’expérience
dépressive, douloureuse mais précieuse, liée aux désirs de réparation des
dommages que, dans son omnipotence, l’enfant croit avoir causés. Si la
haine peut détruire l’objet, l’amour peut le reconstruire. La réussite d’une
telle dynamique entraîne une réparation des bons objets internes et externes
et l’atténuation progressive des angoisses dépressives et destructrices.
Ainsi, le travail engagé par la position dépressive permet à l’enfant de
reconnaître et d’aimer des objets différenciés et de pouvoir s’en séparer,
travail jamais complètement accompli, toujours susceptible d’être remis sur
le métier. La position dépressive joue un rôle crucial, elle est un passage
nécessaire mais ne peut se confondre avec un stade de développement : en
tant que « position », elle peut toujours être réactivée dans des situations de
perte où l’envie de posséder l’objet, la culpabilité de l’avoir négligé,
l’impossibilité de vivre sans lui s’expriment avec force.
Dans la suite des travaux freudiens et kleiniens sur la problématique
dépressive qui ont eu l’immense mérite de ne pas la cantonner à sa
dimension pathologique, D. Widlöcher (1983) et P. Fédida (2001) ont mis
en exergue ses bienfaits potentiels. La dépressivité de la vie psychique a une
valence positive de protection et d’équilibre ; elle permet de ne pas se
soustraire complètement à l’excitation et à la douleur, de ne pas désinvestir
la relation à l’autre et à soi. Il est ainsi une dépressivité nécessaire au fait
même de vivre, de traverser des moments de crise qui conduisent, et
parfois, obligent à relâcher les défenses et les investissements, en laissant
transparaître l’authentique fragilité de la condition humaine.

2.2 Problématiques œdipiennes


La spécificité du développement psychosexuel de l’être humain est liée,
ainsi que l’a montré Freud dans les Trois Essais sur la théorie sexuelle
(1905b), à sa temporalité : son évolution se fait en deux phases scandées par
la période de latence. Entre ces deux phases s’inscrit le bouleversement
pubertaire qui transforme un corps sexuellement immature d’enfant en un
corps d’adulte. Les conséquences de cette dimension diphasique sur la
constitution des instances psychiques, les modalités de relations d’objet et
le narcissisme sont essentielles. Le complexe d’Œdipe, qui couronne le
premier temps de cette évolution et connaît une vive réactivation à
l’adolescence, constitue le pivot de cette révolution.
Le premier temps de l’évolution psychosexuelle correspond à la sexualité
infantile et relève d’activités pulsionnelles indépendantes, anarchiques et
autoérotiques. Celles-ci s’organisent progressivement autour du complexe
d’Œdipe qui met en jeu la bisexualité psychique, la différence des sexes et
la différence de générations. Dans sa forme complète, décrite par Freud en
1923 dans Le Moi et le Ça, ce complexe comporte l’attraction pour le
parent de sexe opposé et l’hostilité pour le parent de même sexe, et une
forme inversée qui révèle l’amour pour le parent de même sexe et la rivalité
vis-à-vis du parent de sexe opposé. Ces configurations œdipiennes qui
suscitent des désirs et des sentiments contradictoires, sont génératrices de
conflits internes indispensables au fonctionnement psychique, organisé par
l’ambivalence, la reconnaissance de l’interdit, le renoncement et le
déplacement des désirs vers de nouveaux objets. Le second temps de
développement de la psychosexualité permet l’intégration, pendant la
traversée de l’adolescence, de ces composantes partielles dans un ensemble
davantage hiérarchisé, orienté vers un objet et un but pulsionnel unique,
génital, plus ou moins solide, souple et ouvert aux régressions et fixations
prégénitales, tout en permettant un détachement suffisant vis-à-vis des
figures parentales.
Le complexe d’Œdipe tient un rôle structurant dans sa dynamique, les
enjeux qui l’animent ainsi que sa mise en suspens dans la période de latence
et son déclin au décours de l’adolescence. Sa résolution n’empêche pas la
vitalité du complexe dans la vie psychique, il reste toujours l’organisateur
des désirs et des conflits. Lorsque le refoulement est suffisant, il permet au
moi d’être aimé du surmoi, ce qui a des conséquences bénéfiques sur
l’estime de soi et le narcissisme. Car à défaut d’avoir, on peut être comme,
l’identification prenant la place de la jalousie et de la convoitise et
permettant d’exister aux côtés de l’autre, de s’affirmer sans craindre
démesurément la rivalité et la sanction, de désirer sans prétendre posséder.
La problématique œdipienne est donc indissociable de la question de la
séduction, de l’interdit et de la castration. Les dégagements classiques
s’étayent sur la différence des sexes : le petit garçon renonce à son désir
incestueux sous l’influence de l’angoisse de castration que crée la
perception de l’absence de pénis chez la fille, perception actualisant la
menace réelle ou fantasmatique de sanction liée à la masturbation : un tel
renoncement a valeur de protection narcissique (l’intégrité du corps est
préservée) et objectale (l’objet ne retire pas son amour) ; la petite fille,
déçue par le lien à la mère, trouve un substitut à l’absence de pénis dans le
désir d’enfant et entre dans l’œdipe « comme on entre dans un port »
(Freud, 1932). Mais perdre l’amour de la mère constitue une menace
majeure dans la mesure où ce premier objet assure les sédiments des
identifications et de la cohésion narcissique. Culpabilité, tiraillement entre
désir et défense, sentiment d’infériorité et angoisse d’abandon risquent ainsi
de façonner le déclin de l’œdipe (Chabert, 2007). Dans ces contextes, le
masochisme occupe une place centrale notamment à travers la genèse du
fantasme « On bat un enfant » (Freud, 1919). Celui-ci met en scène une
situation forte en excitation érotique et agressive qui condense l’attraction
sexuelle pour le père, la punition que cette séduction implique et enfin la
jalousie. Ce fantasme, généralement construit à l’abri du refoulement,
apparaît dans ses traductions conscientes grâce à des déplacements et
changements de position notoires (en particulier active/passive.) Dans la
clinique contemporaine, il permet au-delà du masochisme féminin qu’il
stigmatise, de rendre compte d’organisations fantasmatiques et sexuelles où
la souffrance est massivement exacerbée dans la quête du plaisir (Chabert,
2003 ; Matha, 2018 ; Vibert, 2015).
À partir de l’introjection de l’autorité parentale et de ses interdits, garçon
et fille déplacent leurs investissements vers des objets nouveaux, parfois
sublimatoires. Ainsi, aboutissant à l’évolution du moi, à l’instauration du
surmoi et de l’idéal du moi, le déclin du complexe d’Œdipe participe du
remaniement topique. Une telle maturation, pour être effective, repose sur
l’adhésion au principe de réalité qui l’emporte sur le principe de plaisir ;
elle suppose l’aboutissement d’un processus de différenciation qui permet
d’intégrer la triangulation œdipienne, propice à la reconnaissance des
limites, de l’espace psychique propre de chacun. Le narcissisme de l’enfant
est impliqué doublement dans ce processus : par le symbolisme phallique de
la castration, qui concerne l’intégrité narcissique ; par la confrontation à la
disparité entre l’immaturité fonctionnelle de l’enfant et les capacités
accomplies et performatives de l’adulte. Dans un registre objectal, le
renoncement à l’amour incestueux permet à l’enfant de sauvegarder les
liens de tendresse à ses objets. Le travail psychique qui conduit au déclin de
l’œdipe repose donc sur une série de négociations qui permettent de garder
à condition de pouvoir renoncer : ce processus qui engage des pertes et des
gains réactive l’élaboration de la position dépressive et remet en jeu les
assises narcissiques, il consolide la possibilité de penser dorénavant la
différence des sexes non plus en termes de phallique/châtré, mais de
masculin/féminin, et non pas l’un sans l’autre, seulement l’un plus que
l’autre. Ainsi, le rôle crucial de l’œdipe tient en ce qu’il crée une nouvelle
organisation libidinale, laquelle ne correspond pas à un état acquis une fois
pour toutes mais à une situation d’équilibre mobile et en perpétuel
remaniement de la dynamique des identifications et des modalités de
relation d’objets.
Freud soutenait avec conviction qu’« à chaque homme nouvellement venu
est assignée la tâche de maîtriser le complexe d’Œdipe » (1905b, p. 165).
Dans cette perspective, ce sont les modes d’organisation et d’élaboration du
complexe d’Œdipe, ses voies de résolution aussi, qui marquent sa
spécificité et ses différences :
« Nous devrions alors admettre que les formes œdipiennes sont variables et
singulières, qu’elles n’obéissent donc pas à un prototype. Le complexe d’Œdipe
nous traverse tous, quel que soit notre mode de fonctionnement psychique : ce
sont les organisations singulières de cette configuration qui varient » (Chabert,
2007, p. 93).

Ainsi, l’œdipe n’apparaît pas toujours associé à la nécessité de son


interdit, du renoncement, ni à une claire différenciation des protagonistes du
drame. Mais comme le dit A. Green, « un Œdipe non observable n’est pas
un Œdipe absent, mais un Œdipe source de dysfonctionnements graves »
(1995, p. 185). Les fragilités narcissiques et identitaires, les difficultés de
traitement de la séparation et de la perte, les défaillances du refoulement,
rendent particulièrement aléatoires et douloureux l’exclusion de l’enfant et
le renoncement à ses liens œdipiens. L’objet d’amour et le rival ne sont
alors pas tant distingués selon leur qualité sexuelle (un homme, une femme)
mais selon leur caractéristique bonne ou mauvaise, bienveillante ou
persécutrice.
Ainsi, les problématiques sont variées et variables, elles tissent une trame
conflictuelle d’une grande densité susceptible de se déployer dans des
configurations plurielles. Narcissisme et relations d’objets, problématiques
de perte et œdipiennes ne sont pas exclusifs : constitutifs de la sexualité
infantile et donc de la psychosexualité, ils se conjuguent régulièrement
ensemble à travers les articulations singulières des mouvements pulsionnels
et de la dynamique des fantasmes, des identifications et des choix d’objets.
Partie 2
Le Rorschach
Chapitre 5
Quelques mots d’histoire1

Sommaire
1. La création du Rorschach
2. La poursuite des travaux

1. La création du Rorschach
Le psychiatre et psychanalyste suisse Hermann Rorschach, auteur du test
qui porte son nom, avait d’abord envisagé d’embrasser une carrière
artistique. Ses camarades l’avaient même surnommé « Klex » (pour Klecks,
mot allemand qui signifie « tache ») tant sa passion pour les arts graphiques
était fameuse. Rorschach a grandi à une époque où les arts des images
connaissaient des bouleversements spectaculaires dans l’utilisation des
effets d’optique, des couleurs, des matières et des styles (impressionnisme,
fauvisme, expressionnisme, cubisme, etc.). L’affranchissement de
l’évidence de la figuration et l’écart avec la réalité perceptive se révélaient
des témoins du jeu, de la liberté et de l’imagination artistiques, mais
Rorschach constatera bientôt combien ils peuvent s’inscrire aussi dans des
fonctionnements psychiques marqués par de vives souffrances et
désadaptations. Il fut de fait très intéressé par la diversité des réactions de
ceux qu’il côtoyait devant les œuvres d’art, les formes des paysages, des
éléments minéraux, des nuages ou des papiers peints, autant de supports de
projection qui annonçaient le test des taches d’encre à venir.
Lors de sa formation auprès d’E. Bleuler et C. Jung au Burghölzli, célèbre
clinique psychiatrique de l’université de Zurich, H. Rorschach fut sensible
aux découvertes de la psychanalyse pour comprendre les troubles du
fonctionnement psychique et tenter d’apaiser les souffrances des patients,
mais aussi pour saisir les rouages des productions culturelles. Il soutint une
thèse de médecine sur les hallucinations réflexes et les perceptions, et
devint en 1915 le directeur-adjoint du petit hôpital psychiatrique d’Herisau
où il animait des ateliers de dessin, de pâte à modeler et de peinture ; il
montrait aux patients et au personnel soignant des images agrandies sur les
murs grâce à un projecteur et observait la diversité de leurs réactions.
Sa volonté de faire de la recherche commença par des travaux minutieux
de comparaison des réponses données devant des taches d’encre par des
adultes, des enfants, des adolescents, des patients hospitalisés pour troubles
mentaux et des personnes tout-venant, des artistes, des membres d’une
même famille, etc. Mais il ne se satisfit pas de l’idée d’une évaluation de la
seule imagination et ne s’attacha pas seulement au contenu d’une réponse,
si original était-il. Il comprit rapidement que les réponses étaient le résultat
de l’intrication de processus conscients et inconscients et repéra d’emblée
que certaines concernaient toute la tache présentée, d’autres seulement
certains détails, que certaines personnes donnaient plusieurs réponses,
certaines des réponses en mouvement, que d’autres utilisaient les couleurs
de l’encre dans leurs réponses, que certains sujets refusaient de répondre,
que certains contenus étaient formulés plus fréquemment que d’autres, etc.
Il décela vite que des ressources et des fragilités existaient à divers degrés
en tout un chacun et qu’il fallait se garder des typologies et des pronostics
systématiques : plus ses travaux avançaient, plus les questions se
multipliaient.
En dépit de nombreux obstacles, H. Rorschach parvint à faire imprimer
dix planches avec de l’encre noire, de l’encre rouge et diverses encres de
couleurs pastel et ébaucha une méthodologie d’analyse des protocoles
susceptible d’éclairer les cliniciens sur les modalités de fonctionnement
psychique des sujets (méthode de cotation des réponses par des sigles,
règles d’établissement de scores bruts et de calcul de pourcentages,
démarche d’analyse qualitative du protocole ; diversité des réponses des
patients selon leur diagnostic psychiatrique certes, mais aussi différence
d’analyse qualitative d’une même réponse ou d’un même facteur selon
l’organisation psychique du patient, etc.).
Ce test a pourtant bien failli ne pas connaître le succès qui est le sien
aujourd’hui. D’une part, il fut pensé, construit et mis à l’épreuve au sein
d’un petit réseau de psychiatres alémaniques, sans le support d’un
laboratoire de recherche. Les conférences que fit H. Rorschach, malgré le
soutien sans réserve d’E. Bleuler, rencontrèrent des réactions contrastées,
souvent dubitatives. Son livre, paru en 1921, et le matériel, n’eurent à
l’époque aucun succès et les rares critiques publiées furent négatives,
notamment dans les milieux de la psychologie expérimentale, déjà fort
opposés à la méthode clinique et à la psychanalyse. Et surtout, alors qu’il
nourrissait mille et un projets de recherche, H. Rorschach mourut
brutalement en avril 1922 à 37 ans, laissant son œuvre inachevée,
balbutiante et fragile.

2. La poursuite des travaux


Si les quelques collègues d’H. Rorschach n’avaient pas été convaincus par
l’intérêt de son travail et n’avaient pas veillé à poursuivre ses recherches, à
former d’autres praticiens, à tenir bon face aux critiques parfois véhémentes
et, surtout, à le faire connaître en dehors de la Suisse, notamment aux États-
Unis et en France, mais aussi en Amérique du Sud et au Japon, « le
Rorschach », comme tant d’autres tests, aurait pu sombrer dans l’oubli. Les
premiers articles parurent aux États-Unis au début des années 1930 et
étaient signés de S. Beck et B. Klopfer, lequel fonda le Rorschach Institute
ainsi que la revue Rorschach Research Exchange, qui devint ensuite le
Journal of Projective Techniques and Personality Assessment. Tous deux
engagèrent de profondes réformes de l’analyse du test, S. Beck privilégiant
une approche psychométrique et behavioriste, alors que B. Klopfer avait un
parcours davantage nourri de philosophie et de psychanalyse.
Les techniques d’administration du Rorschach se multiplièrent, certaines
revendiquant une passation expéditive (collective, réponses proposées à
cocher) et une analyse rentable en termes de repérages typologiques de
signes pathologiques. Des logiciels informatiques aidaient à repérer et
distinguer « bonnes » et « mauvaises » réponses… Le Rorschach devint
rapidement l’un des tests psychologiques les plus célèbres et sa
médiatisation fut considérable : il fut employé à tort et à travers dans la
publicité, les couvertures de magazines, l’industrie cinématographique,
devenant objet de culture populaire, objet mystérieux et fascinant,
prétextant l’inventivité subjective, l’illusion d’une classification aisée du
« normal » et du « pathologique », de l’analyse et de la compréhension
faciles et assurées de soi et des autres, de l’enfant maltraité au meurtrier de
masse, de la prédiction de l’avenir professionnel, occasionnant dérives
déontologiques, interprétations hâtives et conclusions erronées, suscitant
bientôt la suspicion, la controverse et le discrédit.
Conjointement, les recherches académiques et cliniques se poursuivirent,
approfondissant les travaux antérieurs, visant à en parfaire la validité, la
fidélité et la sensibilité. D’une part, le Comprehensive System de J. Exner,
affilié à la perspective psychométrique et cognitive, proposa un système de
cotation et d’analyse standardisé et sophistiqué, soutenu de surcroît par des
analyses performantes établies sur support informatique. Plus récemment,
un nouveau système d’analyse, le Rorschach Performance Assessment
System (R-PAS), plus directif encore dans l’administration du test, a été mis
sur pied par des psychologues travaillant au sein de l’Exner’s Research
Council for the Comprehensive System.
Une autre école de pensée, adossée à la démarche clinique et à la
psychanalyse, portée par B. Klopfer et R. Schafer, posa des bases
essentielles concernant l’utilisation du test et l’interprétation des réponses,
mettant l’accent sur la dynamique de la passation et l’interprétation du
protocole au plus près de la dynamique associative du texte, du traitement
des sollicitations latentes des planches, soulignant la mobilisation d’un
travail psychique non réductible à un traitement cognitif de l’information
visuelle. Si le test propose une consigne pour une part standardisée, il n’en
demeure pas moins inscrit dans la dynamique clinique d’une rencontre où
ce qui est vu et perçu ne peut être dissocié des conflits psychiques
inconscients, ni de la dynamique du discours donné à entendre à un autre.
L’École de Paris ou École française, conduisant des recherches menées avec
le Rorschach et le TAT, s’organisa autour de D. Lagache, D. Anzieu,
N. Rausch de Traubenberg et V. Shentoub, dans la filiation du Groupement
français du Rorschach sous le patronage de personnalités prestigieuses de la
psychologie, de la médecine et de la philosophie, dont les
professeurs J. Delay, P. Fraisse, M. Merleau-Ponty, H. Piéron et H. Wallon2.
En Suisse, l’approche soutenue par F. Minkowska mobilisa des travaux
féconds à partir de la phénoménologie, toujours poursuivis par des
psychologues réunis sous le nom de Groupe de Lausanne (Husain et coll.,
2001).
Depuis un siècle donc, cliniciens, enseignants et chercheurs ont travaillé à
éprouver les innombrables possibilités offertes par le test de Rorschach, à
toujours articuler modèle théorique et pratique clinique pour discerner ses
qualités intrinsèques à travers l’étude approfondie des contenus manifestes
et des sollicitations latentes des planches, des facteurs à l’œuvre dans la
construction des réponses, ainsi qu’à saisir l’originalité de la relation
mobilisée au sein de cette situation originale créée par l’interaction du
patient, du matériel et du clinicien.
H. Rorschach fut empêché d’accomplir son œuvre ; mais ses successeurs
ont soutenu avec conviction l’intérêt des fondements qu’il avait posés sans
savoir que son test allait devenir le plus célèbre test psychologique au
monde et en ont comblé les lacunes et consolidé les principes. Étudiants,
cliniciens, enseignants-chercheurs d’aujourd’hui sont les héritiers et les
continuateurs de cette aventure.
Chapitre 6
La passation du Rorschach

Sommaire
1. La consigne et le dispositif
2. L’enquête
3. L’enquête aux limites
4. L’épreuve des choix

Proposer la passation du Rorschach doit se faire dans des conditions dont


on oublie trop souvent la valeur clinique et éthique : en inscrivant ce
moment singulier dans une véritable rencontre clinique, en accordant du
temps à un entretien préalable où, en plus des éventuelles informations
anamnestiques et cliniques fournies par un tiers quand le bilan a lieu sur
indication, le psychologue est attentif à apprécier l’opportunité de proposer
le Rorschach à ce moment-là. La durée de la passation est variable d’un
sujet à l’autre et tient compte certes du temps d’administration en tant que
tel, mais aussi d’un temps d’échange après la passation pour parler d’elle,
pour se séparer et envisager de se revoir pour éventuellement compléter le
bilan psychologique ou sinon échanger sur les conclusions (cf. le
complément sur les comptes rendus à l’oral et à l’écrit en fin d’ouvrage).

1. La consigne et le dispositif
La consigne formulée par le psychologue propose au sujet de dire ce à
quoi le matériel lui fait penser : elle exprime une attente et présente un
cadre plus ou moins explicite ; il importe donc de noter que la directivité,
l’ouverture, ainsi que les mots précisément employés, ne sont pas sans effet
sur la passation elle-même.
La consigne « Je vais vous montrer des planches ; dites-moi ce à quoi
elles vous font penser, ce que cela pourrait être » intègre des éléments
essentiels comme la référence relationnelle qui s’établit à travers les trois
termes : sujet (« vous ») – matériel (« planches ») – clinicien (« je »), ainsi
que la sollicitation perceptive et projective (« montrer », « penser »,
« pourrait être »).
Certains praticiens ajoutent : « Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises
réponses, dites tout ce qui vous vient à l’esprit en regardant les planches. »
Cette précision, facultative, peut toutefois s’avérer utile si l’on veut dégager
la passation d’une dimension performative influencée par l’administration
antérieure d’épreuves d’efficience intellectuelle.
Une fois la consigne énoncée et la première planche présentée, le clinicien
observe et note ce qui se passe de la manière la plus exhaustive possible
(manipulation du matériel, comportement, etc.). Il reporte également les
temps de latence (temps écoulé entre la présentation de la planche et la
première réponse effective donnée en dehors de commentaires, silences
intra-récit), et le temps passé devant chaque planche1. Le discours du sujet
est retranscrit in extenso, sans aucune correction de langage, ni rajout de
mots manquants, ni soustraction des réponses données puis annulées, en
notant les réponses données mais également les questions que le sujet se
pose ou pose au clinicien, les commentaires, les exclamations et les apartés
qu’il fait, etc.

2. L’enquête
Moment second dans le temps de passation, l’enquête consiste à reprendre
les réponses spontanément données par le sujet à chaque planche, afin d’en
cerner la localisation, d’en déterminer les facteurs constituants et d’en
évaluer le poids respectif, ainsi que le contenu. Là encore, la qualité de la
prise de notes importe : elle doit être fidèle aux commentaires du sujet et
aussi détaillée, explicite et précise que possible. L’enquête nécessite de
prendre du temps et implique une plus grande participation du clinicien qui
intervient davantage ; elle est l’occasion de pratiquer si besoin l’enquête
dite « aux limites » et se conclut par l’épreuve des choix. Elle reste
fondamentalement un moment clinique où le psychologue continue
d’observer et de penser ce qu’il se passe pour le sujet qui reprend contact,
de façon plus ou moins reconnue et assumée, avec sa production première.
L’enquête permet en effet de montrer de nouveau les planches
éventuellement refusées et de voir si ce « refus » persiste ; elle est le lieu
potentiel de commentaires supplémentaires, de reprises et de descriptions
nouvelles, de nouvelles réponses, de critiques, de non-reconnaissance
spontanée, voire de désaveu des réponses données, etc. Si certains
psychologues conduisent une enquête systématique sur chaque réponse
selon une technique d’investigation associée à de multiples questions
conduisant à l’obtention d’un véritable protocole additionnel, d’autres
réservent l’enquête aux réponses vaguement formulées et peu explicitées.
Là encore, un équilibre, alliant souplesse et rigueur, peut être trouvé afin de
saisir au mieux le processus qui a participé de la construction de la réponse
à partir de ce que le sujet est en mesure d’en dire, sans verser dans une
attitude d’examinateur qui dévoilerait des attentes performatives qui n’ont
pas lieu d’être ici.
Clarifions le terme « enquête » qui reprend certes la notion essentielle de
recherche mais que vient parfois recouvrir une nuance plus policière dont
nous devons éviter l’écueil car cette nouvelle étape de la passation peut
surprendre le sujet qui se sent alors pressé de justifier ses réponses alors
qu’une grande liberté d’interprétation lui avait été permise jusque-là. Il
importe que le psychologue ait une claire représentation de ce qu’est
l’enquête, de son but et de sa technique d’application : s’agit-il d’une
seconde séquence, plus souple, plus centrée sur l’échange qui va permettre
au sujet de se détendre davantage dans le dialogue avec le clinicien dans un
travail commun de recherche et d’approfondissement du matériel apporté ?
S’agit-il d’obtenir de nouvelles informations ou de s’en tenir strictement à
la production spontanée du sujet ? S’agit-il d’une invitation à la libre
association, à la fantasmatisation, à partir du matériel qui en demeure le
prétexte mais plus éloignée du percept, sans le moule formel imposé par la
réalité du stimulus, avec une focalisation sur les éprouvés du sujet2 ? S’agit-
il d’une entreprise de correction par la réalité qui contraint le sujet à repérer
les engrammes précis de ses réponses dans un travail d’adaptation
perceptive qui permettra la remise en place des limites de ce qui appartient
au sujet et à l’objet ? Enfin, question primordiale, à qui doit servir
l’enquête ? Au sujet pour une meilleure expression de lui-même, au
clinicien pour faciliter son travail, ou aux deux dans une perspective de
communication qui clarifie les messages dans leur émission et leur
réception ?
Là encore, les termes employés dans la manière de présenter ce moment
de la passation reflètent partiellement ces préalables, orientant l’enquête
dans un sens plus normatif ou perceptif ou au contraire dans le sens d’un
appel à la fantasmatisation ou à l’expression d’affects.
Il est préférable de laisser d’abord venir les souvenirs qu’a le patient de
ses réponses, quitte à les lui rappeler s’il ne s’en souvient pas
spontanément ; nous proposons la consigne suivante : « Nous allons
maintenant reprendre les planches ensemble ; vous essaierez de me dire ce
qui vous a fait penser à ce que vous avez évoqué. » On peut ajouter : « S’il
vous vient d’autres idées, vous pouvez tout à fait m’en faire part. »
L’intérêt d’une consigne ouverte est de permettre au sujet de choisir tel ou
tel aspect du travail ; et l’on peut rapidement apprécier le type
d’investissement de l’enquête par le sujet et ainsi modeler nos
interventions : certains acceptent aisément la sollicitation associative sans
déborder le cadre de l’examen, d’autres ne supportent pas le rappel de la
réalité ; bref nous n’avons pas à prendre une attitude correctrice ou
éducative, nous avons seulement à respecter les limites de la consigne et de
la situation, ce qui suppose que nous jouions un rôle de contenant.

3. L’enquête aux limites


L’enquête aux limites est intéressante quand certaines réponses dites
« banales » (cf. infra, page 366) – dont les contenus et les localisations sont
très couramment utilisés par les sujets tout-venant – n’ont pas été
spontanément données ou, plus rarement, quand un déterminant majeur
(kinesthésies ou couleurs) ou un mode d’appréhension (globalité ou détail
courant) n’ont jamais été utilisés. Cela permet de saisir si le sujet est
sensible à une suggestion minimale. On peut ainsi distinguer l’utilisation
défensive ou créative de l’originalité et/ou de la non-soumission aux
normes, par rapport à une incapacité plus fondamentale à reconnaître ce que
tout individu intégré dans un système perceptivo-social donné peut
percevoir, parfois liée à des troubles psychiques qui mettent à mal
l’intégrité identitaire.
Notre attention est notamment mobilisée quand les deux personnages de la
planche III ne sont pas vus, en particulier dans les protocoles qui ne font
apparaître par ailleurs aucune réponse humaine ou para-humaine. En fin de
passation, on peut par exemple demander au sujet si aucune planche n’a
évoqué pour lui des personnages et, en cas de réponse négative, lui montrer
la planche III et dire : « Et ici, ne pourrait-on pas imaginer des
personnages ? » Cette question vise à apprécier dans quelle mesure une
identification humaine minimale est possible pour un sujet qui n’a fourni
aucune association significative à cet égard dans l’ensemble de son
protocole. On distinguera ainsi les sujets chez qui l’identification humaine
est sous-jacente mais empêchée dans son expression, de ceux chez qui
l’absence de réponse humaine recouvre une franche problématique
d’identité.
De même, l’enquête aux limites à la planche V se justifie par la dimension
très compacte et quasi figurative de la tache noire qui fait d’elle, dit
H. Rorschach, « la planche la plus facile à interpréter » (1921, p. 42),
mobilisant notamment très fréquemment – et le Rorschach est connu pour
ces réponses emblématiques – des réponses « papillon » ou « chauve-
souris ». Qu’un patient ne puisse pas reconnaître, après suggestion, la
possibilité d’une telle représentation, plus neutre qu’une représentation
humaine en planche III, doit également alerter le clinicien.
L’enquête aux limites permet de situer un individu comme sujet dans son
rapport à une réalité socialisée en mettant en évidence sa participation ou
son accession plus ou moins effective à un champ symbolique collectif. Là
encore, le tact du clinicien dans la manière de procéder sera un atout majeur
pour garantir que ce moment plus interventionniste n’en demeure pas moins
bienveillant. Il ne s’agit pas de piéger le sujet en dévoilant ses failles ou ses
« inaptitudes normatives » mais plutôt de lui offrir quelque chose
d’« autre » qu’il peut accepter ou refuser.

4. L’épreuve des choix


Après l’enquête, on propose au sujet de choisir, parmi les dix planches, les
deux qu’il a « le plus aimées » et les deux qu’il a « le moins aimées ».
Appel au choix et au rejet, appel aux affects (aimer, ne pas aimer), cette
épreuve est intéressante car elle permet au sujet de manifester ses
investissements positifs ou négatifs par rapport à un matériel qui lui a été
jusque-là « imposé ». Par exemple s’expriment parfois clairement :
• l’agressivité (« Elles sont toutes moches », « Je n’en aime aucune ») ;
• les formations réactionnelles (« Oh, y en a aucune qui me déplaît »,
« Elles sont toutes intéressantes ») ;
• le clivage (« Les noires sont laides, elles incarnent le sombre, le mauvais ;
celles en couleur sont très belles, on a envie d’y plonger, de se laisser aller
là-dedans ») ;
• l’ambivalence (« J’aime pas trop celle-ci et celle-ci parce qu’elles sont
agressives, ces gens qui se bagarrent ; j’aime bien mieux ces deux-là parce
que pour moi c’est plus chaleureux, ces femmes qui dansent et puis la
douceur des couleurs ») ;
• la centration narcissique (« Celle-là, j’ai bien réussi », « Celle-là, j’ai rien
trouvé d’intéressant »).
L’intérêt des choix est aussi qu’ils permettent des développements aux
réponses données, apportant des informations supplémentaires sur les
mécanismes du processus mobilisé.
Par exemple, à la planche IV, en spontané : « Je vois pas grand-chose ici,
une peau de bête, une peau de fourrure » ; choix négatif : « Je l’aime pas
trop parce qu’elle est énorme, cette peau de bête, un animal sauvage, un
loup par exemple, on l’aurait tué et on aurait étalé sa peau pour en faire
une fourrure. »
Planche II, en spontané : « Deux animaux nez à nez » sans autre
association ni commentaire ; choix négatif : « Je l’aime pas à cause du
sang… »
Les choix opérés par le sujet mettent généralement en évidence la liberté
plus grande qui lui est offerte quand on lui permet de formuler, de
verbaliser des expériences agréables mais aussi d’exprimer des rejets, des
affects pénibles ou agressifs inhibés auparavant par une consigne
éventuellement ressentie comme contraignante.
On voit ainsi combien la « technique » de la passation est intimement liée
à la dimension clinique, relationnelle même, de la passation du Rorschach.
Cela est vrai pour toutes les passations de tests psychologiques, mais cette
alliance est particulièrement mobilisée dans l’utilisation des épreuves
projectives dans la mesure où elles sollicitent fortement les mouvements
inconscients et donnent à cette relation un impact très déterminant dans la
mise en œuvre d’un processus d’ordre transférentiel impliquant sujet et
clinicien. Ainsi, les concepts et les outils théoriques que nous utilisons
constituent une des armatures majeures du contexte contre-transférentiel
dans lequel nous nous situons dans un premier temps, celui qui précède la
rencontre avec un sujet précis mais qui n’en est pas moins agissant puisqu’il
concerne globalement mais profondément le rapport que chacun établit
entre sa fonction de clinicien et les personnes qui lui permettent de
l’exercer.
On ne choisit pas, en effet, sans motivations personnelles tel ou tel
système théorique de référence et, partant, telle ou telle façon d’exercer un
métier que l’on a également choisi selon des modalités conscientes et
inconscientes fort intriquées. Il paraît essentiel de rappeler cet aspect
comme prise en compte d’une variable fondamentale qui va continuer de
jouer un rôle après que la rencontre avec le sujet aura pris fin. En effet,
l’écoute de l’autre et la prise de conscience même partielle des implications
propres du psychologue doivent être maintenues dans une dialectique qui va
présider à l’analyse et à l’interprétation du test. De surcroît, la mise par écrit
du discours du sujet ne supprime en rien cette dynamique d’une parole qui
doit rester vivante en dépit des traitements transitoires que lui infligent la
codification ou la quantification : celles-ci ne sont qu’une étape dans la
démarche de travail et restent de toute façon un moyen et non pas une fin en
soi, la finalité poursuivie étant bien sûr une meilleure connaissance du
fonctionnement psychique du sujet.
Chapitre 7
Contenus manifestes
et sollicitations latentes
des planches du Rorschach

Sommaire
1. Questions à propos du contenu manifeste
2. L’analyse des sollicitations latentes du matériel

La connaissance du matériel constitue une référence fondamentale dans la


démarche d’analyse et d’interprétation d’un protocole. Parmi les trois
termes qui caractérisent la « situation projective » – le sujet, le clinicien, le
test –, le matériel en lui-même constitue la variable plus objectivable dans
la mesure où elle est susceptible d’être analysée pour elle-même,
indépendamment du clinicien ou du sujet. Mais on se rend bien vite compte
qu’une telle étude ne peut être réellement entreprise et poursuivie qu’au
moyen d’un travail approfondi sur les textes obtenus au cours de multiples
passations. C’est dire que l’analyse du matériel est empiriquement fondée
sur l’étude du « discours Rorschach », et qu’ici encore, c’est la clinique qui
vient nourrir une recherche qui permettra en retour une compréhension
enrichie de protocoles particuliers. Le matériel-test existe indépendamment
du clinicien et du sujet avant de devenir lieu de rencontre, de projection et
de mise en sens, ce qui lui confère ainsi une fonction tierce d’objet
extérieur.
Le discours du sujet sera donc à entendre par le clinicien en tenant compte
des sens possibles de la planche et du type d’expérience qu’elle peut
éventuellement réactiver. La mise en place du contenu manifeste, et des
sollicitations latentes des planches de Rorschach, permet ainsi d’établir des
liaisons qui rendront possible une meilleure compréhension du discours du
sujet puisque celui-ci porte non seulement sur un objet réel mais aussi sur
un objet symboliquement ou fantasmatiquement signifiant.

1. Questions à propos du contenu


manifeste
Il est bien difficile de donner une lecture descriptive du matériel
Rorschach. Avec cet objectif, on obtient un énoncé assez pauvre et, en
apparence, stérile, une forme de réponse que l’on ne trouve pour ainsi dire
jamais dans les protocoles. Pour exemple, N. Rausch de Traubenberg
analyse ainsi le contenu manifeste de la planche I : « Tache gris-noir très
étalée mais aussi très centrée, comportant quatre lacunes de part et d’autre
de la médiane, une assez grande ouverture vers le haut et des bords très
irréguliers » (1970, p. 192). Il s’agit d’une description de base parmi les
plus épurées qui a dû coûter des efforts à son auteur si attachée aux
incidences symboliques du Rorschach. Cette description est cependant
intéressante car elle est riche d’informations que l’on peut considérer
comme objectives et qui serviront de points de départ ou de déterminants
potentiels des réponses données lors d’une passation.
Une telle démonstration, difficile à reprendre dans ses déploiements
détaillés, est néanmoins nécessaire à connaître1, car elle met au jour le
fondement perceptif, objectivable, du matériel en même temps que
l’impossibilité d’en rendre compte d’une façon uniquement perceptive,
objective. Chaque terme utilisé s’avère assez vite susceptible de mobiliser
des représentations qui dépassent amplement la seule description concrète
et objective du percept : « sombre », « médiane », « ouverture », « lacune »
renvoient très vite vers des voies interprétatives entremêlant potentiellement
l’inquiétant, le corps, l’écart, le trou, le plein et le creux, l’intégrité et
l’incomplétude, l’interne et l’externe, le même et le différent, l’autre et soi,
etc.
Il est donc fondamental, pour pouvoir analyser rigoureusement un
protocole de Rorschach, de connaître chacune des planches, les réponses les
plus courantes, mais aussi et surtout ses caractéristiques propres qui, outre
la constitution symétrique et la présence d’éléments chromatiques ou
achromatiques, sont à même de mobiliser des conduites psychiques
singulières. On peut ainsi mettre en exergue deux dimensions
fondamentales du stimulus à savoir une dimension structurale dans la
construction formelle des planches et une dimension sensorielle du fait de la
présence de couleurs, l’une et l’autre servant de support tant au traitement
cognitif qu’à celui des problématiques psychiques. Cet axe de
regroupement et de différenciation des planches contribue de façon fort
utile à l’analyse des protocoles.

1.1 La dimension structurale


Les planches se différencient d’abord selon leur caractère unitaire, entier,
massif ou bien obéissant à une configuration bilatérale. La symétrie les
ordonne toutes autour d’un axe plus ou moins évident et manifeste ; cet axe
est clairement représenté dans les planches dites unitaires (I, IV, V, VI
et IX). Dans les planches à configuration bilatérale (II, III et VII), la
symétrie est plus frappante dans la répétition du double, du même, en
miroir. Nous pouvons d’ores et déjà saisir l’implication latente de ces
structures formelles : les planches unitaires, voire compactes, peuvent
renvoyer à l’image du corps, lui-même organisé symétriquement autour
d’un axe, et soutenir de façon privilégiée la projection d’images rendant
compte d’une représentation soulignant la qualité de l’identité et du
narcissisme (identité unitaire ou confuse, différenciée clairement ou non par
rapport à l’environnement ; limites dedans/dehors ; intégrité, castration,
porosité, morcellement). Les planches à configuration bilatérale peuvent
davantage renvoyer à des représentations de relations (spéculaires,
soutenues par une articulation essentiellement narcissique où l’autre est le
double et le reflet du sujet, ou conflictuelles, sous-tendues par des
mouvements objectaux en termes libidinaux et/ou agressifs, ou d’étayage,
lorsque l’autre est vécu comme un support nécessaire contre la perte et la
dépression, ou encore renvoyant à la destructivité ou à la fusion). Les
planches VIII et X sont plus singulières : la planche VIII condense
compacité et bilatéralité ; la planche X est très fragmentée tout en
comportant de nombreux points de contact entre les différents détails
éparpillés.
Par ailleurs, il est possible de regrouper les planches selon un autre critère
formel : leur caractère fermé et/ou ouvert (notamment du fait des
espacements entre les taches ou des concavités des taches) ; se différencient
ainsi plus ou moins nettement les planches I, IV, V et VI (fermées) et les
planches I, II, III, VII, VIII, IX et X (ouvertes). Nous pourrons, à partir de
cet élément objectif, dégager les déterminations perceptives de toute la
lignée symbolique qui se développe à partir de l’ouvert, du creux, du
contenant (I, II, VII et IX) en opposition à l’aspect plus fermé, compact,
associé parfois même à la présence d’appendices prégnants (comme aux
planches IV et VI). L’intérêt de la diversité des configurations des taches
permet justement de déceler la sensibilité du sujet à ce qui se voit, à ce qui
dépasse, ou à ce qui n’est pas, et notamment des espaces vides, creux,
blancs, autour des taches, à l’intérieur des taches, entre les taches.

1.2 La dimension sensorielle


Il est également opportun de distinguer les planches selon leur qualité
chromatique : quatre planches gris-noir ou contrastées noir-blanc (I, IV, V,
VI), une planche grise (VII), deux planches noir-blanc-rouge (II, III) et trois
planches pastel (VIII, IX, X).
Souvent compactes et fermées, les planches gris-noir-blanc, quand elles
rencontrent la sensibilité des sujets, peuvent donner naissance à des
manifestations de l’ordre de la tristesse, de l’anxiété ou de l’angoisse, ce qui
peut s’expliquer, entre autres, par une correspondance culturelle puisque le
noir et le gris sont classiquement considérés en Occident comme couleurs
de tristesse et de deuil. Bien entendu, cette justification de l’interprétation
relève d’un conformisme social qui fait partie de la réalité, au point que le
clinicien peut penser au déni et aux défenses maniaques quand un sujet se
montre particulièrement euphorique et insouciant aux planches les plus
sombres du Rorschach.
La planche VII ne ressemble à aucune autre. Son organisation spatiale est
particulière ; à la fois en configuration bilatérale et construction creuse,
ouverte : double caractéristique qui ordonne ses sollicitations latentes ;
quant à sa tonalité chromatique, elle est aussi particulière, le gris clair
estompé et la large participation du blanc atténuant le contraste et le
contour, limitant la tache proprement dite et son environnement dans une
interpénétration intéressante du dedans et du dehors.
Les planches dites « rouges » (II, III) sont frappantes par le contraste des
couleurs rouge, noir, blanc, qui peut être brutalement ressenti, ici encore
corroboré par l’organisation structurale (planches bilatérales). La présence
du rouge est déterminante dans la sollicitation d’« affects bruts », la
réactivation de mouvements pulsionnels intégrés ou non à des scénarios
relationnels sexuels ou agressifs. Là encore, nous pouvons évoquer une
correspondance culturelle établie entre le rouge et les émotions franches
(« voir rouge », « rougir de plaisir ou de honte »), comme on peut évoquer
le rouge du sang et donc la sexualité et l’agressivité. De surcroît, parce
qu’elles sont toutes les deux organisées en configurations bilatérales, les
planches rouges sont particulièrement inductrices de représentations de
relations.
Les planches pastel contiennent des teintes pâles qui induisent plutôt des
affects et des représentations régressifs. Mais leur organisation structurale
les différencie nettement. La planche VIII compense le trouble
possiblement occasionné par le changement de facture du matériel
(apparition de couleurs après quatre planches gris/noir) par une structure
relativement claire, les diverses parties étant délimitées les unes par rapport
aux autres sans empiétement des couleurs. La planche IX réalise par contre
une complexité rare dans le mélange de teintes imbriquées les unes dans les
autres, ce qui donne une impression d’interpénétrabilité encore accentuée
par la présence d’un blanc plutôt vert/bleuté au centre. Elle est également
ambiguë dans ses caractéristiques structurales qui la situent à la fois dans le
registre des planches fermées (facilitant l’approche globale), ouvertes
(compte tenu du blanc central) et bilatérales (dans sa partie supérieure). La
planche X est plus franchement colorée mais aussi très particulière du fait
de la multiplicité des couleurs et de l’éparpillement des taches qui rend
difficile son classement du point de vue structural.
Nous voyons là encore combien il est difficile de parler de ce matériel en
termes seulement objectifs et descriptifs. En effet, le caractère vivant des
manifestations qu’il induit, introduit déjà des éléments de liaison qui
servent d’arguments aux sollicitations latentes du matériel.
2. L’analyse des sollicitations latentes du
matériel
Le contenu des protocoles Rorschach est constitué par un matériel verbal
dans lequel les substantifs dominent. Ces mots-images peuvent être porte-
paroles des préoccupations singulières du sujet, de ses souffrances, de ses
luttes, de ses plaisirs ; mais il se trouve aussi que certains thèmes
apparaissent de façon privilégiée à certaines planches avec une fréquence
suffisante pour que les cliniciens aient été conduits à s’interroger sur les
inductions possibles par le matériel de Rorschach.
Affirmer qu’en deçà de la configuration perceptive peut être dégagé un
sens d’un autre ordre, c’est parler en termes de contenu manifeste et de
sollicitations latentes et se référer à l’existence de l’inconscient et à la
théorie psychanalytique. Ce qu’il importe de saisir, c’est la rencontre entre
le sujet et le matériel et la reconnaissance plus ou moins explicite des
références symboliques des planches, portées par leurs diverses
configurations structurales et sensorielles évoquées ci-dessus.

2.1 À propos des différents travaux


concernant l’analyse du matériel
Les différents auteurs qui ont étudié la valeur symbolique des planches de
Rorschach formulent des propositions qui sont plutôt convergentes, ce qui
peut être attribué tant aux constantes qui se dégagent des protocoles qu’à
une référence théorique commune de ces auteurs2. La plupart d’entre eux
relèvent des thèmes sexuels (féminin/masculin, activité/passivité,
phallique/châtré, sensualité/tendresse, maternel/paternel, bisexualité…)
et/ou agressifs (domination/soumission, menace/sécurité,
rivalité/destruction…), des thèmes identitaires (rapport à la réalité,
représentation du corps, représentation de soi, différenciation
interne/externe, individuation, confusion, morcellement…), des thèmes de
perte et de séparation (castration/abandon/symbiose/mort…), des thèmes de
souffrance (tristesse, angoisse, blessure, chute…). Retenons quelques points
saillants de ces études :
• le caractère apparemment discontinu des significations latentes du
matériel (appels plus forts à la régression ou aux motions pulsionnelles,
retours à une réalité plus évidente, centration narcissique ou interpellation
relationnelle) ;
• la fiabilité de la symbolique spécifique des planches à condition de tenir
compte de leur écho sur la dynamique psychique actuelle du sujet ;
• la prise en compte de la dynamique transférentielle qui mobilise la vie
psychique du sujet au moment de la passation.

2.2 Propositions pour la construction des


sollicitations latentes
L’élaboration des sollicitations latentes du matériel relève donc de trois
éléments :
• l’aspect perceptif, c’est-à-dire l’organisation structurale et sensorielle de
chaque planche ;
• les associations données par les sujets de façon suffisamment fréquente
pour que l’on puisse les considérer comme mises en sens fidèles du
stimulus ;
• les références théoriques du clinicien.
Avant de présenter les sollicitations latentes susceptibles d’être dégagées
de l’analyse de chacune des dix planches du Rorschach, nous nous
proposons d’abord de regrouper les différentes planches selon une double
orientation :
• selon l’axe narcissique et la représentation de soi (intégrité identitaire,
différenciation entre le sujet et l’objet, différenciation sexuelle et
problématique identificatoire) ;
• selon l’axe objectal (représentations de relations, registre conflictuel, place
et fonction de l’objet).
2.2.1 La construction de la représentation de soi
 L’image du corps
La construction symétrique des planches du Rorschach autour d’un axe
médian engage un appel aux représentations du corps, compte tenu de la
similitude de cette organisation avec le schéma du corps humain ordonné
symétriquement de part et d’autre d’un axe médian. Les planches
compactes sollicitent fortement cette projection et renvoient ainsi à la mise
à l’épreuve des limites dedans/dehors et à la stabilité identitaire et
narcissique. Quant aux autres planches, si elles sont appelées d’une façon
différente à traiter l’unité du moi, elles peuvent aussi révéler la sensibilité,
plus ou moins pathologique, de certains sujets au manque, au
dédoublement, voire à l’éparpillement.
À la planche I, du fait de son allure fermée et du tracé clair de l’axe,
l’intégration correcte de l’unité corporelle perçue comme un tout est
repérable dans les réponses banales telles que « papillon » ou « chauve-
souris ». Mais la sensibilité aux lacunes intermaculaires, aux contours
découpés ou à l’ouverture supérieure de la tache peut induire des images
tronquées ou parcellaires : « Une feuille, elle a des trous » ; « un papillon
aux ailes abîmées ». La référence explicite au corps humain est notamment
soutenue par la présence d’une image de corps souvent construite autour de
l’axe central : « Un personnage en incantation, bras levés ». Mais on peut
repérer là aussi une fragilité plus ou moins importante de l’image du corps :
« Ça ressemble à un squelette d’os, mais dire lequel… »
La planche IV ne met pas d’emblée l’accent sur la représentation du corps.
Elle est plutôt évocatrice d’images de puissance, plus ou moins bien
organisées selon qu’elles rendent compte ou non de l’intégration d’une
construction corporelle délimitée et bien définie. On accordera donc une
valeur positive par rapport à l’image du corps aux réponses de type
« géant », « chef d’orchestre » ; « motard campé sur sa Harley Davidson ».
D’autres réponses ne s’inscrivent pas nécessairement dans le registre de la
problématique de puissance mais renvoient à des représentations du corps
symboliquement ou directement évoquées, plus ou moins bien délimitées :
« Un arbre, une espèce de forêt. Un arbre de la forêt vierge… des pieds et
des bras et ça ressemblerait à une tête » ; « Une forme fantomatique qui
vous enveloppe d’un manteau sombre et vous engloutit, qui vous dissout. »
La planche V, très compacte, appelle fortement à l’unité corporelle et
psychique, comme dans les banalités « chauve-souris » et « papillon » ou
d’autres réponses plus originales : « On voit un lapin qui salue la foule avec
un manteau sur ses épaules. » Cette planche résiste davantage aux attaques
contre l’intégrité corporelle dont elle demeure l’un des derniers bastions :
on peut y retrouver ainsi les réponses banales « papillon » ou « chauve-
souris » dans des protocoles marqués par un rapport très troublé à la réalité.
Mais il peut arriver que la déliaison soit telle que, même à cette planche,
des images crues traduisent l’absence de représentation unifiée : « Pièce de
boucherie, lapin dépecé » ; « Une feuille déchirée, qui se coupe en deux » ;
« À la rigueur, un morceau de gros colon ». D’autres réponses, tout aussi
préoccupantes, renvoient à l’absence de reconnaissance de cette réalité
quasi évidente : « Vous ne pourriez pas faire des dessins qui ressemblent à
quelque chose ? », « Ça ne me suggère absolument rien…, vide total ».
Enfin, certaines réponses confirment l’extrême sensibilité de cette planche à
tout ce qui relève de la fragilité narcissique, dans la souffrance ou l’enflure :
« Un goéland recouvert de pétrole et qui étouffe » ; « Un homme à l’époque
de Louis XIV avec une perruque et une longue cape derrière ».
La planche VI est surtout marquée par la prégnance d’un fort symbolisme
sexuel du fait du D médian supérieur érigé, contrastant avec le D médian
inférieur dont l’estompage donne une impression de profondeur et de
velouté : « Un avion qui vole au-dessus d’une vallée avec un ravin » ; « la
plume d’un stylo qui bave un peu. En dessous, on dirait le sexe d’une
femme ». Mais cette planche peut aussi renvoyer directement, à l’image du
corps comme en témoigne la réponse banale « peau de bête » dans des
acceptions diverses : « une peau de girafe avec un long cou » ; « une peau
de bête, les mites ont grignoté le pourtour ».
Dans les planches à configuration bilatérale (II, III, VII), l’intégrité de la
représentation du corps se donne à voir dans des réponses où les objets
apparaissent entiers et différenciés :
Planche II : « Deux petits pères Noël qui se touchent la main, avec leur
bonnet. Ils se regardent, ils sont trapus. »
Planche III : « On pourrait imaginer deux femmes, parce qu’elles ont une
poitrine [rit], deux personnages qui sont en train de faire la lessive au lavoir
[rit]… l’image d’un autre temps. »
Toutefois, la représentation du corps peut aussi être mise à l’épreuve dans
ces planches dans ce qui apparaît comme des tentatives d’appréhension
globale de mauvaise qualité formelle, sous-tendues par des perceptions
arbitraires, comme si l’effort de globalisation constituait la recherche d’une
unité face à un matériel ressenti comme éparpillé.
Il arrive ainsi que la planche II soit appréhendée comme un tout éclaté, la
lacune médiane étant ressentie comme béance interne fondamentale : les
points de jonction présents au niveau du contenu manifeste ne sont pas
utilisés pour permettre l’unification du contenant ou de l’enveloppe, et la
délimitation dedans-dehors. Les taches rouges renforcent le vécu
destructeur d’effraction à l’intérieur du corps : « Peau de lapin égorgé, le
sang, la peau et les dents » ; « Du sang, un estomac, une cage thoracique, un
énorme trou fait par la fumée ».
Quant à la planche III, elle suppose également la référence à une
représentation de corps humain entier dans la mesure où son contenu
manifeste est très proche de la réalité de silhouettes humaines, considérées
d’ailleurs comme une réponse banale. Mais on peut observer là aussi des
associations rendant compte d’une angoisse de désintégration patente : « Un
squelette de grenouille, il y a le sang qui coule, elle est agitée, se débat » ;
« Une cage thoracique, les poumons, des morceaux de branchages, de bois
mort ».
Plus rarement, la planche VII peut, elle aussi, se prêter à des
interprétations renvoyant à une problématique du même ordre. Sa structure
est également bilatérale mais elle se caractérise par une large participation
du blanc central associé au vide, au manque, et qui en même temps met à
l’épreuve les limites dedans-dehors : « La moitié gauche, on dirait une
personne, il manque une jambe et un bras. On voit le cou, on voit pas la
main non plus » ; « Civet de lapin, morceaux découpés ayant encore de la
fourrure, les pattes, le haut, viande nature. »
Première planche pastel, la planche VIII, de par sa double configuration à
la fois compacte et bilatérale et ses couleurs pastel, peut permettre de rendre
compte d’une représentation du corps unitaire prenant appui sur la forme
et/ou sur les couleurs de façon souple, sans menace d’effraction. Toutefois,
elle peut aussi faire naître des réponses anatomiques viscérales ou osseuses
(colonne vertébrale, os, poumons, reins, cœur, etc.), des associations
fragmentaires (doigts, mains, pieds, etc.) et la fragilité voire l’effraction des
limites dedans/dehors (« Ce sont des couleurs d’une autre planète. Ce qui
me dérange, c’est les animaux, je peux pas les voir. C’est à vif, un peu
comme si on leur avait enlevé la peau, leur toison, comme les anguilles. Ça
fait penser à des choses pas belles, ça fait penser à la souffrance quoi »).
Mais c’est surtout la planche IX qui peut susciter des représentations
d’intérieurs du corps, dans le bouleversement des limites dedans-dehors ou
dans l’évocation d’une sorte de transparence de l’enveloppe qui laisserait à
découvert les organes et les viscères (« Ça me fait penser à un meurtre avec
l’orange et le rose ça me fait penser au sang comme si y’avait quelque
chose qu’avait été écrasé, étalé. Comme si on dirait une espèce de fil
comme si quelque chose avait été recousu, la toile verte, au sang, je sais pas
au reste du corps qui serait en dessous pour le protéger »).
Enfin, la planche X peut mettre particulièrement à l’épreuve les capacités
d’unification de l’image corporelle, son éparpillement perceptif trouvant un
écho douloureux dans l’angoisse de morcellement de sujets, dont les faibles
possibilités de liaison volent en éclats au sein d’un univers morbide
envahissant : « Un corps qui s’en va en morceaux » ; « Des tas de formes
qui éclatent » ; « Un bras, des jambes, des mâchoires qui s’ouvrent ».
 L’axe narcissique : identité et investissement de la
représentation de soi
Le sentiment d’identité implique tant la reconnaissance de la différence
entre le sujet et l’objet que la reconnaissance de l’appartenance au monde
humain, ce qui va de pair, au Rorschach, avec une claire discrimination des
règnes minéral, végétal, animal et humain. L’accès à l’identité suppose ainsi
que les processus d’individuation et de différenciation ont été relativement
opérants en permettant la défusion et la séparation.
Certaines planches se révèlent particulièrement sensibles aux fragilités de
différenciation : représentations de doubles, contenus hybrides. Les
réponses relevant d’une problématique de cet ordre peuvent apparaître par
exemple aux planches compactes où l’on attendrait l’unité (« une moitié
d’ange bien symétrique ou deux moitiés d’ange qui forment donc un ange
complet » en I ; « deux jumeaux, deux siamois collés par l’arrière de la
tête » en VI). La différenciation entre soi et l’autre n’est là que le signe
d’une coupure interne entre deux parties qui se révèlent clivées, non plus
complémentaires mais identiques et étrangères à la fois. La planche V, bien
que compacte, peut être le lieu de projection de la confusion identitaire :
« Un animal à la fois un oiseau par ses ailes et un papillon par son corps » ;
« Une sorte de personnage presque humain avec des ailes immenses et des
pattes de chat. » La caractéristique commune de ces exemples réside dans le
fait qu’en dépit d’une reconnaissance parfois correcte de l’engramme
perceptif, l’identité de la représentation reste mal dégagée comme si les
processus d’individuation n’avaient pas abouti à la mise en place d’une
image de soi stable.
Les planches en configuration bilatérale peuvent mettre au jour, elles
aussi, ce flou de l’identité quand les personnages se présentent en double,
l’un étant la duplication de l’autre : « Quelque chose d’exactement
symétrique, la réplique l’un de l’autre, des frères jumeaux » (III). À moins
que n’apparaisse la double appartenance à des règnes différents : « Deux
dames qui lavent quelque chose dans un abreuvoir ; elles ont une tête
d’autruche » (III).
On peut, a contrario, repérer l’émergence de manifestations d’ordre
narcissique, soit sur un mode dépressif, soit dans l’affirmation parfois
mégalomaniaque de la toute-puissance. Le traitement de la planche V peut à
cet égard s’avérer exemplaire : « Un paon en train de faire la roue ou un
personnage qui s’étend, quelqu’un qui pose, qui se fait voir » ; « Un
papillon qui traîne dans des flaques d’eau, qui a perdu ses ailes, qui n’arrive
plus à se dépêtrer ».
Les planches pastel sollicitent aussi fortement le narcissisme des sujets, ne
serait-ce que par l’intense régression qu’elles peuvent induire. Si certaines
réponses témoignent de mouvements d’élation (« Un magnifique blason,
d’une grande famille noble très certainement » en VIII ; « Le plastron en
pierres précieuses d’un vêtement de roi » en IX), on peut aussi noter des
manifestations souffrantes, dépressives, où les failles narcissiques
s’expriment dans des images qui montrent l’insuffisance du support objectal
entraînant l’insuffisance de l’investissement de soi, corollaire d’un vécu
d’insatisfaction et de manque, dans le rapport précoce à l’environnement :
« Là je peux dire que c’est un loup. On peut dire qu’il pleure : son image se
reflète dans l’eau » (VIII) ; « Des vieilles feuilles » ; « Une bougie qui fond,
un parc ancien, vieillot » (IX).
 La reconnaissance de la différence des sexes et les
modèles d’identification
Les planches du Rorschach qui renvoient à un symbolisme sexuel
transparent, tout en mettant l’accent sur la valence masculine ou féminine
dominante, semblent respecter la notion fondamentale de bisexualité
psychique, puisqu’on y découvre chaque fois des références aux deux
valences sexuelles (détails saillants, creux, estompages donnant
l’impression de profondeur). La planche III réalise même la bipolarité
sexuelle dans la représentation de corps humains susceptibles d’être perçus
comme nantis de seins et/ou de pénis.
La planche II renvoie préférentiellement à une problématique de l’ordre de
l’angoisse de castration : le blanc central est appréhendé comme trou,
blessure, parfois compensé par la valorisation de la pointe médiane
interprétée comme symbole pénien (« Là, y’a un trou, peut-être une grotte,
ou un tunnel… Mais au bout, on voit une pyramide comme chez les Incas…
Ça pourrait aussi être un champignon. »). L’éventail des références
féminines (creux maternel, naissance, règles, castration, relations sexuelles)
s’y déploie volontiers : « La vue d’une femme en train d’accoucher » ; « Un
pétale de fleur ; un iris déchiré par plaisir » ; « Une plaie qui saigne » ;
« L’entrée d’une cité surréaliste ». Mais la problématique de castration peut
être repérable dans l’évitement, voire le contre-investissement de ce type de
représentations : « Une bestiole avec deux cornes de cerf » ; « Un engin
spatial en train de s’élever dans le ciel. »
Le symbolisme sexuel apparaît également très clairement à la planche VI :
« Un soldat qui sort de la lunette de son tank » ; « Une tortue au long
cou qui rampe » ; « La partie inférieure, quelque chose de tendu, dur,
inutile » ; « En bas, une vallée profonde, sombre et intrigante, un lieu
d’exploration ».
Si les planches II et VI et parfois IV et IX entraînent des références à des
symboles ou à des images sexuelles crues, les planches III et VII mobilisent
plutôt des mécanismes d’identification à des modèles sexués traduits par
des représentations spécifiques et par des prises de position actives et/ou
passives qui témoignent de choix plus ou moins aisés dans l’assomption des
rôles sexuels.
La planche III, bisexuée, donne lieu à des identifications claires et solides
ou bien rend compte d’oscillations douloureuses, témoins d’une
problématique identificatoire souvent centrale : « On dirait deux
Sénégalaises à cause de leur tête effilée, elles sont belles, elles dansent » ;
« On peut imaginer des hommes avec, je ne sais pas, plutôt des femmes, je
dirais des noires, femmes avec des seins, l’homme je vois le sexe ».
Rappelons que les difficultés de choix identificatoires apparaissent
également dans toutes les réponses « neutres » de type « deux
personnages », « deux personnes », etc.
La planche VII favorise souvent les identifications féminines : « Deux
petites dames espagnoles qui dansent comme des vahinés » ; « Deux
femmes qui se regardent avec un chapeau et une toque ». Mais on assiste
parfois à un contre-investissement net : « Deux hommes Indiens, avec une
plume dressée dans les cheveux, qui font une danse guerrière ».
La planche IV doit être traitée à part dans la mesure où, tout en étant
généralement perçue comme phallique, elle suscite des prises de position
identificatoires traduites par des images actives ou passives. En tant que
planche symbolique de puissance phallique, elle ne préjuge pas,
intrinsèquement, d’une référence masculine ou féminine. En effet, elle peut
entraîner des associations ayant trait à une imago maternelle prégénitale :
« une amibe informe, une structure organique qui s’étend et qui dévore tout
sur son passage ». Mais dans bon nombre de cas, cette planche est
appréhendée dans sa dimension dynamique, phallique à travers des
représentations masculines puissantes : « L’abominable homme des neiges
avec d’énormes pieds, une grosse queue derrière, et d’énormes bras » ; « Un
motard vu de dos dans la brume » ; « Une bête immonde. Y’a cette tête qui
m’intrigue… Ces deux méchants euh ces pieds-là… méchamment dirigés
pour vous donner un coup quelque part ». Parfois, c’est la position passive
qui est exploitée, favorisée par les nuances estompées de la tache et dont
certaines réponses révèlent l’intensité pulsionnelle mobilisée, parfois
destructrice : « Une descente de lit » ; « Une fleur étrange » ; « Un
parchemin qui a été déchiré, brûlé » ; « Coléoptère écrasé, ailes abîmées ».
2.2.2 Les représentations de relations
La construction de l’image de soi est corrélative de la mise en place des
relations d’objet. En ce qui concerne le Rorschach, il se dégage de certaines
planches des sollicitations fantasmatiques ayant spécifiquement trait aux
imagos parentales et aux modalités particulières des relations avec ces
imagos. Nous allons en présenter les traductions puis traiterons des
représentations de relations d’objet d’amour et de haine.
 L’imago maternelle
Planche compacte à l’aspect enveloppant, ouverte dans sa partie
supérieure, suggestion intense du corps féminin dans la médiane, la
planche I est de surcroît la première planche proposée au sujet. De ce fait,
elle peut mobiliser des représentations de relations au premier objet, et
parfois à une imago maternelle prégénitale, conçue dans sa dimension
essentiellement menaçante, inquiétante, voire persécutrice et destructrice :
« Un masque assez horrible » ; « Un genre d’oiseau, un hibou avec des ailes
déployées qui va vers une proie ».
Mais cette focalisation négative n’est pas toujours patente et on obtient
aussi des interprétations à la fois maternelles et féminines, tantôt directes,
voire crues (« Un tout petit bébé dans le sein de sa mère, comment ça
s’appelle… un fœtus » ; « Une sortie d’utérus, juste les lèvres, plutôt le
vagin, je sais pas si c’est le vagin ou l’utérus »), tantôt symbolisées (« Une
sorte de vase, de coupe »).
Certaines réponses, s’étayant sur une particulière sensibilité à l’aspect
massif de la tache, sont sous-tendues par des représentations fantasmatiques
liées à une imago maternelle puissante, à connotation phallique (comme on
en voit apparaître également à la planche IV). Ainsi en est-il des réponses
« Tête de loup, le museau pointu », « Un casque de guerrier, d’énorme
guerrier, très grand », « Une couronne, si on veut couronne papale, on
pourrait dire l’aigle aussi, mais il n’est pas très bien marqué. »
Par l’estompage de ses nuances, sa structure ouverte, creuse, et
l’interpénétration figure-fond, la planche VII est également considérée
comme planche à forte sollicitation maternelle. Elle n’induit pas
explicitement ou spécifiquement la réactivation d’un type particulier de
relation à l’imago maternelle : on y découvre toutes les modalités possibles,
des plus archaïques aux plus évoluées, des plus crues aux plus élaborées.
Dans un contexte assez archaïque, nombreuses sont les réponses qui
s’appuient sur un investissement considérable du socle (détail inférieur)
pour exprimer des fantasmes de relations symbiotiques, une séparation
impossible à opérer, une fusion douloureuse et destructrice : « Des siamois
reliés par la chevelure, immobiles » ; « Je vois deux femmes qui sont sans
jambes, unies par le bas de leur torse, qui essaient de se séparer ».
Ailleurs, des mouvements régressifs peuvent être observés dans le choix
privilégié d’une thématique anale ou orale marquant l’investissement
particulier des modalités relationnelles avec l’objet : « Ce qu’un peintre a
pris pour thème : la faim, un popot, cucul humain ou une araignée qui a
tissé sa toile » ; « Une matière si vous voulez, un morceau de fromage ».
Les petits animaux en peluche peuvent aussi être évoqués à cette planche,
dans une sorte d’infantilisation des contenus marquant la régression en la
maintenant sous le contrôle du conformisme.
Mais outre ces thèmes courants, il est remarquable de découvrir des
convergences symboliques qui viennent traduire le bien-être ou l’insécurité,
l’apaisement ou l’angoisse, faisant de la planche VII un médiateur
exceptionnel des relations d’objet précoces : « Des petites îles rattachées
entre elles, ou alors dans la mer, des poissons se rassemblent sur un
rocher » ; « La voûte d’une cave en mauvais état. C’est pas loin de
tomber » ; « De la neige » ; « L’entrée ou plutôt les restes d’une très vieille
maison ».
La structure même de la planche IX, son ouverture et sa vacuité,
l’interpénétration des couleurs, le flou des limites favorisent des évocations
parfois si régressives qu’on a pu dénommer la planche IX, planche
« utérine ». À cet égard, nombre d’exemples mettent en évidence le
surgissement de thèmes de gestation et de naissance : « Je vois ça comme
l’accouchement, l’utérus et un enfant, le bébé qui naît. Il a du mal à sortir…
je pense qu’il était mieux à l’intérieur, la couleur orange, la chaleur, il sort
dans le vert, le froid, le fade, il était mieux dedans. »
La référence à l’imago maternelle peut ainsi également apparaître dans des
mouvements régressifs semblables à ceux observés à la planche VII. Les
thèmes alimentaires sont fréquents (« côtelettes de porc », « jambon avec
salade », « crème glacée à la fraise ») et les thèmes d’eau nombreux : « De
l’eau, vert pâle, un genre d’étang » ; « Eau profonde et limpide ».
De même, on retrouve, comme à la planche VII, des images très
classiquement symboliques : « Un vase mal fait, moulé à la main, une
poterie ancienne, abîmée par le temps » ; « Une vieille tour avec des
fenêtres, on ne sait pas comment elle tient » ; « Une soupière blanche avec
des poignées ».
Le climat ressenti à la planche IX rend compte souvent du type de vécu
des relations à l’environnement relationnel. Se déploient ainsi des images
de vie dans des mouvements associatifs aisés : « C’est le printemps à l’état
latent, des forces commencent à bouger, la sève qui monte dans les arbres…
je pense à des naissances… à la mer, à des coquillages » ; ou au contraire,
se déversent des fantasmes menaçants voire destructeurs : « Deux
personnages avec des chapeaux pointus qui sont méchants. Des fées
Carabosse. On n’en parlera pas » ; « C’est l’enfer, le feu qui brûle et les
diables enceintes qui regardent la fin du monde ».
Les émergences interprétatives à valence persécutrice (« yeux »,
« regard ») qui apparaissent à la planche IX sont bien sûr à mettre en
rapport avec les sollicitations latentes qui réactivent dans certains cas, le
versant paranoïde de la relation à l’imago maternelle.
N’oublions pas enfin les évocations possibles du même ordre qui se
dévoilent aux planches IV et V dans des représentations d’imago maternelle
dangereuse et puissante : « Un oiseau fabuleux, une impression de
puissance, de force dans le sens du mal… une force mauvaise » ; « Un tas
de poils… plus ou moins une bestiole genre araignée, plus ramassée, velue,
accrochée à un mur » (IV). « Un oiseau préhistorique, les ailes très
déployées, il répugne par sa couleur et sa forme des pattes surtout » ; « Un
vampire, maigre, laid et tout noir, ce sont ces pattes fines qui accrochent les
yeux » (V).
 Les relations d’objet d’amour et de haine
S’il se prête à l’évocation de relations, le test de Rorschach n’impose pas
obligatoirement leur apparition ni surtout le registre conflictuel dans lequel
elles s’inscrivent, ce que permet le TAT au contraire, nous le verrons.
Cependant, certaines planches du Rorschach facilitent plus que d’autres les
associations relationnelles : il en est ainsi des planches à configuration
bilatérale (II, III, VII), des planches rouges (II, III) et des planches pastel
(VIII, IX, X).
La planche II, première planche rouge, réactive plutôt des modes
relationnels dans lesquels les investissements pulsionnels sont massivement
mobilisés en particulier dans leur valence agressive, bien que l’érotisation
puisse se manifester en particulier par le biais du déplacement : « Deux ours
qui se rencontrent et vont se battre… du sang » ; « Deux personnes qui en
viennent aux mains » ; « Deux éléphants trompe contre trompe ».
La planche III révèle le même type de réponses à quelques particularités
près : tout d’abord, dans la mesure où la perception des personnages
humains est nettement suggérée, l’expression directe des mouvements
pulsionnels est plus difficile, surtout s’ils sont intenses, car le déplacement
sur les animaux est là moins aisé. Ensuite, l’aspect des personnages,
l’atténuation de l’impact du rouge plus nettement circonscrit, permettent,
quand ces dimensions perceptives sont utilisées, une expression des
mouvements relationnels parfois évoqués avec davantage de nuances :
« Deux personnages qui dansent un menuet » ; « Deux ménagères qui se
crêpent le chignon ».
La planche VII favorise également les mises en scènes relationnelles en
particulier féminines, avec des soubassements fantasmatiques variés :
« Deux femmes qui papotent, qui se font des confidences » ; « Deux
femmes siamoises qui se détestent. Elles se regardent avec haine mais
restent attachées l’une à l’autre ».
Les planches pastel sont particulièrement signifiantes puisqu’elles
suscitent l’émergence d’émotions et d’affects et qu’elles permettent
d’appréhender le type de rapport que le sujet établit avec son
environnement. Cependant, il est difficile de dégager l’appel spécifique de
chaque planche pastel dans la mesure où les réactions y sont extrêmement
variées et peu regroupables, sinon au niveau de leur appartenance à des
modes de fonctionnement psychique particuliers. Elles ont cependant en
commun de faciliter la régression, sans doute parce qu’elles se situent en fin
de passation et que les défenses du sujet s’épuisent, sans doute aussi parce
que les configurations formelles sont fortement troublées par la présence
des couleurs, sans doute enfin parce que celles-ci, en tant qu’élément
objectif, présent dans le matériel, viennent éveiller, par leur caractère
d’extériorité stimulante, la sensibilité à tout ce qui se rapporte au réel : ainsi
seront réactivées les manifestations plus anciennes, primitives, d’une
sensorialité précoce, d’un vécu antérieur au langage verbal, touchant chez le
sujet des expériences de plaisir et de déplaisir liées aux contacts initiaux qui
l’ouvrirent à son environnement : « Deux panthères qui se battent pour une
proie » ; « C’est un joli paysage qui donne envie de rester là au calme pour
le contempler, une montagne au loin, des arbres en fleurs » (VIII). « Deux
sorcières qui se jettent des sorts » ; « Un joli fond marin, des algues, des
coquillages, on ne voit rien de précis, j’aime bien » (IX). « C’est la
dernière ? Deux bébés qui tètent un biberon… ils semblent attachés par les
os de leurs crânes » ; « le fond de la mer, des petites bêtes qui font un
spectacle de couleurs, c’est très animé, c’est très joli » (X).
2.3 Sollicitations latentes de chaque planche
du Rorschach
On le voit, l’expérience nous conduit à dégager non pas des sollicitations
latentes fermées et immuables, rigides et réductrices, pour chacune des
planches du Rorschach mais des sollicitations qui rencontrent la complexité
et la singularité du fonctionnement psychique de chaque personne. Cette
« bigarrure » (Freud, 1930) doit à tout prix être reconnue, acceptée et
défendue car elle constitue la clef de voûte de l’édifice. En effet, elle permet
d’admettre la coexistence de processus conscients et inconscients, la
coexistence de couples pulsionnels opposés, la coexistence d’instances
régies par des conflits. Nous ne nous étonnerons plus alors de découvrir, au
sein de configurations psychopathologiques spécifiques, des conduites
contradictoires, non apparentées, mettant au jour des registres de
fonctionnement parfois étonnamment diversifiés.
De fait, le clinicien peut être conduit à dégager différents niveaux ou
registres conflictuels pour chaque planche. Chacune des dix planches est en
effet susceptible de solliciter des représentations, des affects, des fantasmes
qui se situent dans des registres différents tout en préservant la richesse
dynamique propre à chaque sujet.
La planche I place le sujet face au test, ce qui peut lui faire (re)vivre
l’expérience d’un premier contact avec un objet inconnu et énigmatique.
Elle sollicite régulièrement des images évocatrices des relations précoces au
premier objet, plus ou moins marquées par l’inquiétude voire l’angoisse.
Par ailleurs, sa référence au corps humain offre une double mobilisation :
narcissique à valence positive ou négative (image du corps) et objectale
(relation à l’image maternelle, représentations de relations plus ou moins
conflictuelles, parfois à valence séductrice et contrainte).
La planche II, construite autour de la lacune intermaculaire, en
configuration bilatérale et trichromatique (rouge, blanc, noir), peut être
appréhendée, dans ses représentations les plus archaïques, comme un tout
éclaté : la lacune médiane est ressentie comme vide interne, faille corporelle
fondamentale, les possibilités d’unification et de délimitation entre dedans
et dehors étant fortement ébranlées. Dans le registre des modalités de
relations peuvent alors se déployer des représentations symbiotiques
fusionnelles et/ou destructrices.
Dans un autre registre, la planche II renvoie préférentiellement à une
problématique de l’ordre de l’angoisse de castration : le Dbl est ressenti
comme trou, blessure, parfois contre-investi par la valorisation de la pointe
médiane interprétée comme symbole phallique. Justifiées parfois
explicitement par la présence du rouge, les références féminines sont
fréquentes (règles, naissance…). Sur le plan relationnel, du fait de la
configuration bilatérale et de la présence du rouge qui pénètre par endroits
les taches noires, la planche II sollicite des scénarios dans lesquels les
investissements pulsionnels sont fortement mobilisés dans leur valence
agressive ou libidinale plus ou moins élaborée au plan des processus de
symbolisation.
La planche III met surtout l’accent sur les processus d’identification
sexuelle : sa bisexualité manifeste (personnages pourvus d’appendices qui
font explicitement penser à des seins et/ou des pénis) rend parfois difficile
un choix clairement déterminé. Des conflits peuvent alors apparaître, le
sujet se sentant tiraillé entre des tendances contradictoires sans possibilité
de résolution de ce déchirement interne par un choix identificatoire souple
et stable.
La césure entre les détails noirs latéraux peut raviver la prégnance
d’angoisses de perte voire de morcellement chez certains sujets qui ne
peuvent alors se représenter le corps en son entier. De même, la présence du
rouge de chaque côté des personnages (devant et derrière), bien que mieux
délimitée qu’à la planche II, peut susciter des représentations de porosité
des enveloppes corporelles (menaces d’intrusion, d’explosion, d’expulsion).
En ce qui concerne les représentations de relations et le maniement
pulsionnel, les évocations sont souvent moins brutales qu’à la planche II. Le
caractère plus socialisé, parfois très conventionnel, des modalités
relationnelles est justifié par la prégnance perceptive du matériel (la réponse
H est une banalité), si bien que la participation subjective et donc projective
est moins sollicitée.
La planche IV est d’abord évocatrice d’images de puissance : sa
massivité, sa construction, ses qualités sensorielles en font une planche à
fort symbolisme phallique sans préjuger du caractère masculin ou féminin
de cette référence. Dans la majorité des cas, la puissance phallique est
associée, de façon plus ou moins symbolisée, à une image masculine, mais
il arrive aussi que l’évocation d’une imago maternelle phallique et
dangereuse soit dominante. La planche IV peut ainsi rendre compte des
positions vis-à-vis des images de puissance : identification à leur force
dynamique, ou bien passivité, réceptivité voire soumission face à cette
puissance.
La planche V, très compacte, est considérée comme la planche sollicitant
l’identité au sens psychique du terme et, à moindre degré, la représentation
du corps. Cela explique son extrême sensibilité à toute forme de fragilité
narcissique, des manifestations dépressives marquées par la disqualification
et la mésestime aux affirmations mégalomaniaques de toute-puissance, des
convictions d’inanité et de mort aux fantasmes d’exhibitionnisme en quête
de gratification narcissique. La planche V reste celle de l’évidence
(prégnance de la banalité « chauve-souris ») et constitue une épreuve de
réalité fondamentale dans l’approche du monde extérieur, montrant
l’interdépendance étroite entre l’investissement narcissique et
l’investissement objectal.
La planche VI est classiquement considérée comme porteuse de
symbolisme sexuel et caractérisée par la bisexualité (valence pénienne-
phallique du D médian supérieur, valence creuse-réceptive du D médian
inférieur).
Les estompages prégnants et les découpes aléatoires de la tache peuvent
également susciter des représentations de fragilité de l’enveloppe
corporelle, tantôt contre-investie et renforcée, tantôt poreuse. Les
représentations de relations, rares à cette planche, vont de représentations
sexuelles ou agressives à des représentations davantage marquées par le
défaut de différenciation et d’individuation.
La planche VII n’a jamais démenti sa résonance essentiellement
féminine/maternelle, justifiée « objectivement » par sa configuration en
creux et l’étendue de l’interpénétrabilité du blanc et du gris. On y découvre
toutes les modalités possibles des relations à l’image maternelle, des plus
archaïques aux plus évoluées : relations symbiotiques ou fusionnelles,
relations d’objets marquées d’analité ou d’oralité, sentiments de bien-être
ou d’insécurité, apaisement, béatitude ou angoisse, dépression liée à la
perte, quête éperdue d’un bon objet… La planche VII est un médiateur
exceptionnel des relations précoces. Dans un registre identificatoire, elle
permet au sujet de se situer par rapport à un modèle féminin : opposition,
conflit ou soumission passive, valorisation ou dévalorisation des images
féminines.
Les planches pastel (VIII, IX et X), de par leurs qualités chromatiques,
suscitent l’émergence d’affects autres que ceux mobilisés jusque-là par le
gris, le blanc, le noir et le rouge, et permettent par là même de mobiliser des
modalités de relations à l’objet étroitement articulées aux investissements
narcissiques. Elles ont de surcroît en commun de faciliter la régression : la
prégnance des couleurs, l’intensité ou la stimulation externe peuvent ainsi
éveiller la sensibilité à l’environnement parfois dans ses incidences
précoces, antérieures au langage verbal, expériences de plaisir et de
déplaisir liées aux contacts des commencements.
La planche VIII, plutôt compacte et conjointement bilatérale, est la
première planche pastel. Elle permet le dévoilement des aménagements du
sujet pour traiter la sollicitation sensorielle qui se propose/s’impose à lui.
La planche IX, parfois appelée « planche utérine » favorise les références
maternelles précoces du fait de sa dimension tout à la fois plus compacte et
contenante et moins différenciée en raison de l’interpénétration des couleurs
plus marquée qu’à la planche VIII. Les possibilités ou non de régression,
avec une valence confiante, méfiante ou excitée, peuvent ainsi être
appréhendées.
La planche X, dernière planche, aux détails particulièrement dispersés et
cependant souvent reliés les uns aux autres par des points de contact, peut
être considérée comme une planche dont le traitement permet de repérer les
ressources et les fragilités face aux problématiques d’individuation et de
séparation, entre investissement libidinal trophique et angoisse de
morcellement, adhésivité ou plasticité dans le maintien des liens dans une
situation de séparation transférentielle3.
Chapitre 8
Cotation, établissement
et analyse du psychogramme.
Comparaison avec les
données normatives

Sommaire
1. La démarche de cotation
2. L’établissement du psychogramme
3. Interprétation du psychogramme

Le travail de cotation des réponses proposé par Rorschach et enrichi par


ses successeurs permet de comparer la production recueillie dans un
psychogramme à des données normatives et de dégager des traits saillants
du fonctionnement psychique. Elle doit cependant toujours être précédée
par une lecture approfondie du protocole, laquelle permet une imprégnation
par le matériel apporté par le sujet, d’autant plus enrichissante qu’une
latence la sépare de la passation et que s’opère ainsi une redécouverte. Le
clinicien se trouve alors plus disponible par rapport aux données mais aussi
par rapport à ses associations personnelles et peut se saisir du matériel à
partir de qualités particulières du discours : le style, la continuité ou la
discontinuité, la fluidité ou l’hétérogénéité, l’agrément dans l’évolution des
images ou au contraire le caractère morbide des associations…
À partir de ces impressions d’ensemble (lecture du texte et
psychogramme) qui devront être mises à l’épreuve par l’analyse détaillée,
s’établissent d’éventuelles orientations et hypothèses, et dans tous les cas
les lignes de force et les questions essentielles qu’elles soulèvent pourront
être définies. Ce premier temps permet d’établir des hypothèses de travail, à
confirmer ou non par la suite.

1. La démarche de cotation
La cotation des réponses n’est pas une codification automatique : pour
devenir un outil de travail opérant, elle s’appuie sur une écoute attentive de
la réponse et rend compte de son processus. Les principes de cotation allient
souplesse et compréhension des facteurs mis en œuvre dans l’articulation de
la réponse. La cotation permet la liaison et la rencontre entre l’externalité
objective et la subjectivité du clinicien au service de celle du sujet. Mais
surtout, l’utilisation des cotations s’étaye sur un questionnement concernant
les conduites psychiques qui les sous-tendent. Cela suppose que la
formation du psychologue lui ait permis d’acquérir des connaissances
essentielles quant aux significations des différents facteurs Rorschach.
Certains praticiens du Rorschach attachent aux cotations une importance
considérable en appliquant scrupuleusement un système de règles et en
s’intéressant surtout, parfois d’abord, aux résultats codés, transformant une
parole vivante en un squelette de sigles et de lettres qui en dessèchent la
résonance ; d’autres au contraire, dénient tout intérêt aux cotations en
valorisant seulement le discours en tant que tel. Cette attitude les prive alors
d’un instrument méthodologique précieux. De même, il est discutable de
n’accorder aucun intérêt ou, au contraire, un intérêt exclusif aux données
quantitatives du psychogramme (cf. p. 368). Si l’on rend aux cotations leur
statut de support nécessaire à la prise de connaissance du matériel apporté
par le sujet, sans les considérer comme une fin en soi, si on en saisit à la
fois l’intérêt et les limites, leur utilisation apportera une armature solide et
rigoureuse au travail d’analyse.
On établit pour chaque réponse trois critères de cotation :
1. le mode d’appréhension ou localisation, c’est-à-dire la partie de la
planche sur laquelle porte la réponse (globalité, détail facilement isolable
et fréquemment utilisé, détail original rarement utilisé, espaces blancs de
la planche) ;
2. le déterminant, c’est-à-dire le moteur de la réponse (la forme, le
mouvement, la couleur, l’estompage) ;
3. le contenu, c’est-à-dire les images évoquées (« humain », « animal »,
« objet », « anatomique », « botanique », etc.).
On utilise pour cela une série de symboles conventionnels parmi lesquels
on choisit celui ou ceux qui peuvent rendre compte le plus fidèlement
possible de la réponse du sujet telle que celui-ci l’a vue et énoncée. Il est
bien évident qu’aucune de ces catégories n’est totalement objective ni
subjective et que chaque réponse est le fruit de la rencontre entre une réalité
extérieure et la subjectivité du sujet. La cotation proprement dite porte sur
les réponses données spontanément. Lors de l’enquête, on distingue ce qui
correspond à une simple explication de la réponse spontanée (qui sert de
base à la cotation) et ce qui constitue un nouvel apport ou une réélaboration.
Cela ne sera pas coté comme tel, ou alors en « tendance » (→) ou sous
forme de réponse additionnelle, mais sera quand même à prendre en compte
dans l’analyse qualitative proprement dite.

1.1 Les localisations ou modes


d’appréhension
On répond à la question : Où ? Quelle partie de la tache a été utilisée ?
Cinq symboles rendent compte des localisations : G, D, Dd, Dbl, Di.

Le G : réponse globale
• L’interprétation porte sur la tache dans son entier.
• Si un petit détail est exclu, on cote G (G barré).
• On admet une « G de convention » à la planche III à l’endroit pour des
personnages vus dans les parties noires latérales (avec ou sans les D
rouges et le D gris médian inf.).

Le D : réponse dans un détail courant


• L’interprétation porte sur une découpe fréquemment utilisée car
facilement isolable de l’ensemble, qui s’impose donc à la perception et qui
est déterminée statistiquement.
• cf. la liste des localisations D présentée dans les compléments
méthodologiques, pages 361 à 365.

Le Dd : réponse dans un détail rare


• La découpe est originale, non proposée par le matériel, ce qui ne préjuge
pas de sa dimension pathologique.
• Il peut s’agir de tous petits détails ou de grands détails
Le Dbl : réponse dans un espace blanc
• La réponse porte sur un espace blanc situé à l’intérieur ou à l’extérieur de
la tache.
• On cote Ddbl lorsque la lacune utilisée est petite ou rare ; on cote Gbl
quand la lacune est partie intégrante d’une réponse globale (« un masque
avec les trous pour les yeux »).

Le Di : détail d’inhibition
• Les réponses dans un détail dit d’inhibition (Di) utilisent une partie du
matériel d’ordinaire intégrée à une localisation plus grande et envisagée
comme un tout. Par exemple :
– « tête d’homme » dans le D noir supérieur de la planche III alors
qu’habituellement le personnage est vu en entier en G ;
– « des ailes » dans les D latéraux de la planche V alors que la réponse
commune est « un papillon » vu en entier en G.
• Le Di concerne uniquement les réponses à contenu banal ou fréquent, il
est toujours de bonne qualité formelle et correspond à une double
réduction : réduction du champ perceptif et réduction du contenu.

Associations et combinaisons de localisations


À côté de ces réponses aisément localisables, il en est d’autres
plus complexes. On peut alors associer les symboles en
soulignant celui qui correspond à la localisation finale et, en
général, en le notant en seconde position, ce qui met en évidence
le processus de construction perceptive.
D/G : construction d’une réponse globale (soulignée) à partir de la
combinaison de deux ou de plusieurs D :
Planche VIII : « Des animaux là (D latéral), ils sont en train
d’escalader une montagne (tous les D médian) »
À ne pas confondre avec une réponse globale dont les éléments
seraient ensuite détaillés :
Planche X : « Un fond sous-marin : ici les crabes, des coraux… »
(G)
Dd/G ou Dd/D : on cote ainsi lorsqu’il y a construction (en G ou
en D) à partir d’un Dd.
À ne pas confondre avec une simple précision de location
donnée en un second temps, pendant l’enquête.
Dbl/Gbl : construction d’une réponse globale à partir d’un détail
blanc :
Planche II : « Une soucoupe volante (Dbl) entourée de flammes
(D rouges) dans un ciel d’orage (D noirs lat.) ».
Dbl/D : construction d’une réponse en D à partir d’un détail blanc
ou adjonction à un Dbl d’un ou plusieurs détails habituellement
cotés D :
Planche II : « Un avion à réaction (Dbl) avec des flammes qui
sortent des réacteurs (D rouge inf.). »
D/bl ou Dd/bl : on cote ainsi lorsque la réponse inclut un espace
blanc à un D ou un Dd :
Planche I : « Une femme avec une robe et une ceinture. On voit
la boucle là. »
Gc (G contaminé) : on cote Gc lorsqu’il y a fusion de deux
perceptions globales ou partielles aboutissant à une réponse
unitaire illogique :
– « le foie d’un homme d’État bien portant » (IX), « le foie » et
« l’homme d’État bien portant » étant tous deux vus en G ;
– « une île sanglante » (III), « une île » vue dans les D noirs, « du
sang » vu dans les D rouges et le patient conclut qu’il s’agit donc
d’une « île sanglante » ;
– les Gc sont toujours de mauvaise qualité formelle.
DG (G confabulé) : on cote DG lorsqu’il y a confusion entre une
partie et le tout, sans critique :
– soit par une généralisation arbitraire à partir d’un détail
correctement perçu ; le point de départ est donc correct sur le
plan de l’adéquation formelle, mais il aboutit en G, à une forme
inadéquate : « Une maison ; parce qu’il y a des fenêtres » ; « Un
crabe ; j’ai vu des pinces là » (I) ;
– soit par extension à l’ensemble de la tache d’une image perçue
dans un détail : « Des moustaches » en G « parce qu’ici il y a des
moustaches » dans le Dd sup (VI) ;
– les DG sont toujours de mauvaise qualité formelle

1.2 Les déterminants


On répond à la question : « Comment la réponse est-elle construite ? ».
La forme
• On cote F quand seule la forme est à l’origine de la réponse.
• On apprécie conjointement sa qualité :
– F+ (forme adéquate au stimulus) ;
– F– (forme inadéquate au stimulus) ;
– F+/– (forme vague) qui n’est pas lié à une indécision du clinicien mais à
une insuffisance de discernement du sujet (« des nuages », « des îles »,
« un animal »).
• La qualité d’une forme s’apprécie selon deux critères : d’une part, un
critère statistique de fréquence d’apparition, donc d’adaptation à ce qui est
vu couramment, d’autre part, un critère qualitatif pour les réponses plus
originales1.
La couleur
• Il y a deux sortes de couleurs auxquelles le sujet peut réagir : les couleurs
« chromatiques », rouge et pastel (que l’on cote C), les couleurs dites
« achromatiques », gris, noir et blanc (que l’on cote C’).
• On évalue l’importance de la couleur par rapport au déterminant formel :
– on cote FC ou FC’ lorsque la couleur est intégrée dans une réponse à
forme dominante comme « Un bonnet rouge » (on cote FC– si la forme
est inadéquate) ;
– on cote CF ou C’F lorsque l’impact de la couleur prime sur la
formalisation ; la forme est alors imprécise, comme « une flaque de
boue » (C’F) ;
– on cote C ou C’ lorsque seule la couleur est déterminante, comme « du
sang » (C).
• Ne pas confondre l’intégration de la couleur dans la réponse avec la
simple nomination de la couleur que le sujet formule pour localiser sa
réponse : « Le bleu, des crabes » (Planche X, en F+) ou « dans le rouge, je
vois un papillon » (enquête : « parce que ça en a la forme », F+) alors que
« un papillon rouge » est coté FC.
• En revanche, on cote NC les nominations de couleur formulées à titre de
réponse (« C’est du rouge, du bleu… »).
• On barre les déterminants sensoriels (FC, CF, C) lorsqu’il est fait une
utilisation arbitraire de la couleur (« des singes bleus », « des soleils
bleus »), ce qui ne préjuge néanmoins pas de la dimension pathologique de
cette utilisation originale.
Le Clob (contraction de « clair-obscur »)
• La réponse est déterminée par la sensibilité du sujet à l’effet massif et
étendu, uniformément sombre de la tache (G ou détail d’envergure).
• Réponse qui apparaît surtout aux planches noires mais observable à
d’autres planches : IX : « le chaos, une impression d’étouffement ».
• Sentiment associé de menace, d’angoisse : « Un masque de sorcier
effrayant ».
• L’aspect formel peut être intégré à des degrés divers :
– « un ogre » est coté FClob. On cote FClob– si la forme est inadéquate ;
– « une grotte obscure et inquiétante » est coté ClobF ;
– « la mort », « une image d’horreur » sont cotés Clob.
L’estompage
• La réponse est déterminée par l’aspect nuancé et dégradé des couleurs
(surtout le gris) qui peut susciter des impressions tactiles, de profondeur,
de transparence, voire de perspective.
• On utilise le sigle E, pour estompage.
• On évalue le poids de ce déterminant par rapport à la forme :
– on cote FE lorsque l’estompage est intégré à une forme dominante :
« Une peau de tigre » (à l’enquête : « ça a la forme d’une peau et l’aspect
tacheté, les poils dégradés m’ont fait penser au tigre ») et on cote FE– si
la forme est inadéquate ;
– on cote EF lorsque l’estompage est prépondérant sur la forme qui est
alors indéterminée : « Une fourrure de mouton, c’est cotonneux et
doux » ;
– on cote E lorsque l’estompage est seul déterminant : « de la fumée ».
• La mention du rôle de l’estompage est rarement formulée d’emblée par le
sujet, c’est bien souvent l’enquête qui permet de préciser la contribution
de ce déterminant.
Les kinesthésies
• Ce sont des réponses où il y a attribution d’un mouvement associé à une
forme.
• On cote K chaque fois qu’un mouvement, une action, une attitude ou une
intention sont attribués à un contenu humain : « des personnages qui se
regardent », « une femme en prière », « un homme endormi », « deux
hommes qui se battent », « deux femmes face à face ».
• Une description d’humains purement formelle (« deux hommes ») ou
donnée sous couvert de figement du mouvement (« le dessin de deux
silhouettes de femmes », « deux statues ») sera cotée F.
• On évalue toujours la qualité de la forme liée à la kinesthésie : on cote K–
si la forme est inadéquate.
• kan : la réponse met en scène un animal auquel est attribué un
mouvement, lequel doit être exprimé par un verbe d’action « un papillon
qui vole », « deux ours qui se battent ». Par contre, « un papillon, les ailes
ouvertes » sera coté F.
• kob : un mouvement est attribué à un objet ou à un élément :
– l’origine du mouvement peut ou non être interne à cet objet ou à cet
élément (« explosion d’une bombe atomique ou d’un volcan », « de l’eau
qui jaillit », « je vois du mouvement comme si des fleurs étaient
soumises à un vent fort ») ;
– la détermination formelle est souvent peu précise, mais certaines kob
sont sous-tendues par une référence formelle très nette, voire adéquate :
« une toupie qui tourne », « un avion qui vole ».
• kp : kinesthésies partielles :
– une partie seulement d’un corps humain est vue en mouvement (« un
bras levé pour frapper », « deux yeux qui espionnent ») ;
– une forme humaine entière est perçue en mouvement dans un petit détail
(D ou Dd) : « un parachutiste en plein vol » (D vert inférieur médian de
la planche X), « deux personnes qui se saluent » (D supérieur médian de
la planche I).
Déterminants doubles, associés et en tendance
Certaines réponses de construction complexe sont délicates, parfois
difficiles à coter car elles comportent des aspects différents qui ne peuvent
être transcrits par une seule cotation2.
Prenons l’exemple de la réponse suivante : « Des clowns qui jouent avec
des ballons rouges ». Elle est de construction complexe car les ballons
sont indépendants des clowns mais insérés dans une même réponse
scénique. Dans ce cas-là, on peut :
– soit dédoubler la réponse : G K H et D FC Obj, solution qui a l’avantage
de la netteté mais l’inconvénient de gonfler artificiellement le nombre de
réponses et de ne pas rendre compte de l’organisation de la réponse ;
– soit associer les modes d’appréhension et les déterminants en une seule
cotation, mais cela risque de mélanger les différents éléments constitutifs :
D/G KC H/Obj.
La solution est plus simple pour une réponse comme « Des clowns qui
jouent. Ils ont des chapeaux rouges » qui peut être cotée aisément D/G
KC H/Vêt car le détail s’intègre à une réponse globale et la couleur rouge
du vêtement est intégrée à la kinesthésie des personnages qui portent le
vêtement.
Un autre exemple : « Deux ours qui se battent, y’a du sang qui gicle. » Il
s’agit également d’une réponse difficile car il y a deux localisations, trois
déterminants (kan, kob, C), deux contenus et pourtant une seule réponse
les rassemble. On peut là encore dédoubler la réponse : cela permet de
mettre en exergue la banalité du contenu « ours », mais ne rend pas
compte de l’organisation de la réponse (D kan A Ban et D kobC Sg). On
peut sinon tenter de rendre compte de cette organisation en cotant ainsi :
D/G kanC A/Sang Ban.
La solution est plus simple pour une réponse comme « Deux ours qui se
battent » donnée spontanément et « y’a du sang », précisé à l’enquête
comme argumentation complétant la première réponse car on peut alors
coter D kan A Ban et se contenter de préciser l’addition de la couleur en
tendance (→ C), ce qui, néanmoins, n’empêche pas de coter une réponse
additionnelle (D C Sg), laquelle ne figurera cependant pas dans le
psychogramme.
À noter que la réponse « du sang qui gicle » est cotée kobC et correspond
à l’association d’une kob et d’une C, alors que « un avion blanc qui
décolle » est coté kobC’ et correspond à l’association d’une kob et d’une
FC’. Les deux réponses se cotent donc de la même façon au final, mais
leur constitution n’est pas la même. Seule la deuxième pourra intégrer le
F% élargi et, si la forme est bonne, le F+% élargi.

1.3. Les contenus


On répond maintenant à la question « quoi ? » en indiquant à quelle
catégorie de contenus appartient la réponse.
Les catégories généralement admises n’épuisent pas la richesse des
réponses mais constituent un éventail d’images courantes : d’une part les
contenus Humain (H) et Animal (A), et d’autre part les contenus Éléments
(« de l’eau »), Fragments (« de la tôle ondulée » ; « un amas de
poussière »), Géographie (« le bas de la botte de l’Italie »), Botanique
(« des feuilles de chou et des carottes »), Paysage (« un coucher de soleil se
reflétant sur un lac »), Anatomie (« des poumons »), Objet (« une vasque »),
Nature (« une grotte »), Masque (« un petit loup avec des plumes tout
autour »), Symbole (« Le V de la victoire »), Science (« le noyau d’une
cellule »), Art (« un tableau de Dali »), Architecture (« la tour Eiffel »),
Abstraction (« la mort »), etc.
Il paraît artificiel de faire entrer certaines réponses spécifiques
(« explosion ») dans une catégorie et il est préférable alors de les laisser
telles quelles. Les réponses « peau d’animal » sont cotées dans les A par
convention.3
On différencie les humains réels – H – des humains imaginaires – (H) –,
les humains entiers – H, (H) – des parties d’humains – Hd, (Hd) :
Planche III : « Des hommes qui dansent » G K H Ban
Planche I : « Des bras de femme levés en prière » D kp Hd
Planche IV : « Un robot humanoïde qui surveille » G K (H)
Planche VII : « La tête de Dark Vador » Dbl F+ (Hd)
On procède de même avec les réponses A (animal) :
Planche I : « Un papillon » G F+ A Ban
Planche II : « Des pattes de tigre » Dd F+ Ad
Planche VI : « Grosminet » G F– (A)
Planche IV : « La tête d’un monstre, genre ours, du Seigneur des
anneaux » G F+/– (Ad)

1.4 Les banalités (Ban)


• Ces contenus apparaissent fréquemment dans une population donnée, pour
une même localisation (par exemple : « chauve-souris » en G à la
planche V).
• Le déterminant formel est par définition dominant et en F+ (FC+, K+,
kan+…).
• La liste des banalités est présentée dans les compléments méthodologiques
(page 366).

2. L’établissement du psychogramme
Il s’agit d’une grille (cf. page 368) où sont récapitulées plusieurs données
comme le nombre de réponses, les temps (de latence, total, par planche),
l’ensemble des cotations ainsi que certains éléments qualitatifs hors réponse
(chocs, remarques, choix…). On y fait également figurer les résultats de
certains calculs permettant une comparaison avec des données normatives,
démarche utile à la pose de premières hypothèses cliniques.

2.1 Le recensement des réponses


Réponses et temps
R = nombre de réponses.
Refus = planches ayant été refusées.
Temps total (exprimé en minutes et secondes) = somme des temps totaux à
chaque planche.
Temps de latence moyen (exprimé en secondes) = Somme des temps de
latence ÷ Nombre de planches interprétées.
Temps par réponse = Temps total ÷ Nombre de réponses.
Localisations
Pour chaque localisation, on note leur nombre total dans le protocole ainsi
que leur pourcentage par rapport au nombre total de réponses : N ÷ R × 100
Pour les localisations associées, il est conseillé de les faire ressortir dans le
psychogramme, mais le calcul du pourcentage porte uniquement sur la
localisation finale (un Dbl/Gbl, un D/G doivent intégrer le G%).
Un D/Dbl est à intégrer dans le D%. Un Dd/bl est à intégrer dans le Dd %.
Le Dbl % est réservé aux localisations Dbl.
Les Di intègrent le D%.
Déterminants
On recense le nombre total de chacun des déterminants.
Pour les réponses F, on note leur nombre total ainsi que leur répartition en
F+, F– et F+/–.
Déterminants doubles : chaque déterminant est recensé dans sa catégorie.
Pour le second déterminant, il faut évaluer le poids du déterminant formel.
Par exemple, une KC se décompose en général en K et FC ; voir si une
kobC se décompose en kob et C, en kob et CF ou en kob et FC.
Contenus
On recense le nombre de chaque contenu dans le protocole.
Les Hd, Ad, (H), (A) doivent être différenciés des H et A.

2.2 Calculs, pourcentages et formules pour


les déterminants et les contenus4
F% = × 100

F% élargi = × 100

F+% = × 100
F+% élargi = × 100

H% = × 100 On peut calculer un H% élargi qui intègre les (H) et (Hd)

A% = × 100 On peut calculer un A% élargi qui intègre les (A) et (Ad)

Ban = Nombre de Ban dans le protocole. On ne calcule pas de % pour les


Ban puisque leur nombre ne varie pas en fonction du nombre de réponses
dans le protocole.

TRI (type de résonance intime) : K // ∑C + ∑C’ + ∑Clob


Comparaison du nombre de kinesthésies majeures (K) et de la somme
pondérée des réponses couleur selon la formule suivante (0,5 FC + 1 CF
+ 1,5 C = ∑ C). On applique la même formule de calcul pour les C’ et les
Clob.

Formule complémentaire (Fc) : kan + kob + kp // ∑E


Il s’agit là de la comparaison du nombre de kinesthésies mineures (kan,
kob, kp) et de la somme pondérée des réponses estompage selon la formule
suivante (0,5 FE + 1 EF + 1,5 E = ∑E).

TRI élargi : TRIé = K + kan + kob + kp // ∑C + ∑C’ + ∑Clob + ∑E


Il s’agit de l’addition du TRI et de la formule complémentaire permettant
de comparer un pôle kinesthésique cumulé et un pôle sensoriel cumulé
(∑S).

RC% : Pourcentage de réponses données aux planches pastel par rapport


au nombre de réponses total

RC% = × 100
2.3 Éléments qualitatifs
• Chocs et équivalents de choc : ce sont des perturbations du processus
associatif qui peuvent s’exprimer soit verbalement d’une façon directe
(« Oh quelle horreur ! » ; « C’est affreux ! »), soit par le silence ou le
refus, mais aussi par de nombreux retournements, l’allongement du temps
de latence (temps le plus long ou nettement supérieur au temps moyen),
des commentaires verbaux, des critiques subjectives et objectives, la
réduction ou l’augmentation spectaculaire du nombre de réponses à une ou
plusieurs planches, l’appauvrissement brusque de la qualité des réponses.
On peut par exemple spécifier « choc couleur », « équiv. choc Clob ».
• Persévération : lorsqu’une réponse formellement adéquate ou non à sa
première apparition est répétée au moins deux fois arbitrairement (F–) aux
planches suivantes.
• Remarque couleur : toute remarque portant sur les couleurs.
• Remarque symétrie : toute remarque portant sur la symétrie des taches.
• Critique subjective : toute critique de soi, de son efficience ou de ses
difficultés.
• Critique de l’objet : toute critique portant sur les caractéristiques du
stimulus.
• Les choix faits lors de l’épreuve des choix.

3. Interprétation du psychogramme
3.1 Comparaison avec les données
normatives. Problématique de la norme et
données normatives actuelles
Le traitement quantitatif permis par le psychogramme sert en partie
d’armature à l’interprétation qualitative. Il rend compte en particulier, pour
un certain nombre de ces facteurs, de la possibilité qu’a, ou pas, le sujet de
s’inscrire dans un mode de fonctionnement plus ou moins adaptatif, en
adéquation mesurée, en adhésion excessive ou en écart plus ou moins
important, avec les données de la réalité. Ces éléments révèlent aussi la
possibilité pour un sujet d’adopter des modalités de traitement perceptif
semblables à celles de la majorité des sujets de la population de référence.
Et pour être totalement fiable, une telle comparaison nécessite de s’appuyer
sur les données propres à chaque culture, constituée rigoureusement, et
suffisamment importante quant au nombre.
Mais la question de la norme a toujours été une question délicate à traiter
dans le champ de la psychologie clinique, et plus particulièrement dans le
champ psychanalytique. En effet, il y a un hiatus entre l’idée selon laquelle
il n’existe pas de frontières préétablies fondamentales entre normalité et
pathologie, juste une question de degré et d’intensité, et la démarche de
comparaison des données chiffrées déduites du protocole de Rorschach
d’un individu irréductiblement singulier à des normes permettant
d’interpréter le psychogramme et de là, de contribuer à poser des
hypothèses sur le fonctionnement psychique.
Pour N. Rausch de Traubenberg, le psychogramme relève d’un « ensemble
réducteur et statique par rapport à la richesse du protocole et ne peut en
aucun cas suffire à une appréciation de la personnalité du sujet » (1990,
p. 204). Pour preuve, à psychogramme comparable, les modes de
fonctionnement psychique de deux sujets peuvent être très différents. C’est
pourquoi l’analyse du psychogramme doit prendre appui sur un discours
éclairant la présence d’éventuels écarts par rapport aux données normatives
permettant d’assurer les liens avec l’exploration du fonctionnement
psychique. La compréhension des données normatives du Rorschach et leur
justification relèvent de la même démarche de quête de sens du
fonctionnement psychique dans le respect de l’individualité et de
l’originalité de chaque sujet, et ne doivent pas être confondues avec une
démarche normalisante.
De ce fait, nous pouvons nous référer à G. Canguilhem (1966) qui met en
garde contre l’idée d’une normalité seulement définie comme étant
conforme à des normes statistiques, ce qui donne à penser que serait
anormal tout écart à la norme. À l’appui de critères biologiques, mais à
distance des dichotomies normal/pathologique, malade/en bonne santé que
proposent les normes médicales, il invite à parler plutôt de normativité,
laquelle signifie que l’organisme humain peut demeurer vivant et en bonne
santé, dans un cadre de vie particulier, en intégrant un ensemble de
conditions physiologiques en constante interaction créant l’équilibre mais
aussi susceptibles de mettre en question cet équilibre à tout moment par
l’instauration de la maladie et… de se rétablir. C’est la mise en œuvre de cet
équilibrage normatif dynamique, entre chute et rétablissement, en
mouvement durant toute la vie, qui est à l’origine de la création permanente
de nouvelles normes pour un organisme donné.
Cette définition constructive de la norme, proche de la définition
freudienne référée au fonctionnement mental, a été adoptée par la
psychologie projective développée par l’École de Paris5.

Les données normatives adultes actuelles


Deux études ont été récemment conduites en France pour établir
des données normatives actualisées adossées à la pratique du
Rorschach selon les préconisations de l’École de Paris : l’une
dans la population adolescente et jeune adulte de 13 à 24 ans
(Azoulay, Emmanuelli, Rausch de Traubenberg et coll., 2007) et
l’autre dans la population adulte de 25 à 65 ans (De Tychey et
coll., 2012).
Un tableau des normes « adultes » et des normes « adolescents
et jeunes adultes » figure dans les compléments
méthodologiques (p. 367).
Il importe dans un premier temps de comparer les données du
psychogramme de chaque sujet aux données normatives ci-
dessus et de repérer les éventuelles divergences, ce qui ne
préjuge pas de la dimension pathologique des écarts observés.

3.2 Regroupements des facteurs et mise en


place d’hypothèses sur le fonctionnement
psychique en vue de l’analyse qualitative
Ici, le poids de certains facteurs ainsi que l’association de plusieurs d’entre
eux vont pouvoir nous mettre sur la piste de premières hypothèses
concernant des modalités de fonctionnement psychique.
Par exemple, pour apprécier l’investissement de la réalité externe, ainsi
que les capacités d’adaptation et de socialisation du sujet, entre hyper-
adaptation conformiste et perte de contact avec la réalité socialisée, on prête
attention aux données suivantes : F%, F+%, D%, A% – en tenant compte
des (A) –, H% – en tenant compte des (H) – et Ban.
Pour apprécier l’investissement de la réalité interne, entre débordement et
sécheresse fantasmatique, on va prêter attention à la place et à la diversité
des kinesthésies et des déterminants sensoriels, au RC%, aux contenus, dont
Sang, Sexe, Anat., et aux éléments qualitatifs (chocs, remarques Couleur,
etc.).
De même, quand le G% et/ou le Dd % et le F% sont supérieurs aux
normes, que le nombre de kinesthésies est supérieur à la somme pondérée
des déterminants sensoriels (∑S), que le RC% est inférieur aux normes, que
des contenus à valeur d’intellectualisation (Géo, Sciences, Anat, Géol.,
Bot…) sont présentes et que la verbalisation est précautionneuse avec mise
à distance de l’implication affective, on peut émettre l’hypothèse d’un
fonctionnement psychique de facture rigide.
Au contraire, si le G% est supérieur aux normes, que le F% est inférieur
aux normes, que le ∑ des déterminants sensoriels est supérieur au nombre
de kinesthésies, que le RC% est supérieur aux normes, que des contenus à
valence régressive (Nat, Élém., Alim…) et que la verbalisation est
spontanée, marquée d’immaturité, de dramatisation, avec implication
affective, on peut émettre l’hypothèse d’un fonctionnement psychique de
facture labile.
Ainsi, l’articulation entre les impressions cliniques (verbalisation, climat,
réactivité au matériel, contact avec le clinicien) et le regroupement des
facteurs du psychogramme va permettre d’aboutir à la formulation
d’hypothèses cliniques concernant la facture du fonctionnement psychique
(rigide, labile, ou associant l’une et l’autre factures) ainsi que le rapport à la
réalité, etc.
Toutefois, ces hypothèses ne préjugent en rien du mode d’organisation
névrotique, limite, narcissique ou psychotique du fonctionnement psychique
et doivent être mises à l’épreuve de l’analyse approfondie du protocole, ce
que nous allons étudier maintenant.
Chapitre 9
Analyse et interprétation
des facteurs Rorschach
(modes d’appréhension,
déterminants, contenus)

Sommaire
1. Les modes d’appréhension
2. Les déterminants
3. Les contenus

Chacun des facteurs Rorschach engage, au-delà de sa cotation, une


analyse approfondie de sa qualité et de sa modalité d’expression, mais aussi
de la réponse qu’il a participé à construire et formuler. Chaque critère
renvoie en effet à des traductions diversifiées, celles-ci rendant compte de
modalités particulières du fonctionnement qu’il nous appartient d’analyser
et d’interpréter. Mais c’est l’articulation des différents facteurs entre eux qui
va nourrir, amplifier et enrichir, et surtout consolider l’interprétation. Les
significations des facteurs, pour lesquels il n’existe pas de sens univoque,
sont modulées par leurs associations et leurs combinaisons. De telles
perspectives sont complexes et se situent loin des systèmes de
correspondances préétablies qui assignent un diagnostic à partir de listes de
signes.
1. Les modes d’appréhension
L’analyse des modes d’appréhension participe pleinement de celle du
traitement des conflits psychiques et notamment du narcissisme et de la
construction de l’identité. Elle joue aussi un rôle essentiel dans l’étude de la
façon dont un sujet utilise ses capacités cognitives à la fois dans le sens de
la logique du raisonnement, de l’exploitation des potentialités créatrices et
du respect de l’adaptation à la réalité objective. Cette approche apporte
d’autres éléments que ceux qui peuvent être dégagés lors de la passation
d’épreuves d’efficience intellectuelle souvent saturées en facteurs scolaires,
sociaux ou culturels, performatifs. On peut appréhender ainsi la qualité des
processus de pensée, leur plus ou moins grande liberté, variété, souplesse et
richesse, leur liaison avec les problématiques du sujet, ses affects et ses
fantasmes, son organisation défensive, etc. (Emmanuelli, 1994). C’est
pourquoi il nous paraît indispensable, dans le cadre d’une demande
d’évaluation du niveau intellectuel d’un sujet, d’associer des épreuves
projectives aux épreuves cognitives.

1.1 Les réponses globales


On distingue différentes qualités de réponses globales : les G simples, les
G vagues, les G impressionnistes, les G élaborés ou organisés, les G
confabulés ainsi que les G contaminés1.
Les G simples
On qualifie ainsi les réponses globales où l’abord de la planche se fait par
une lecture assez immédiate du matériel, par constat, sans réel effort de
combinaison des différentes parties. Elles apparaissent souvent aux
planches compactes (I, IV, V, VI). Les prototypes en sont certaines réponses
courantes telles que « chauve-souris », « papillon », mais des G simples
peuvent être de mauvaise qualité formelle : ce qui est une saisie évidente
pour le sujet ne l’est pas forcément pour un tiers (ex. : « une libellule »
pl. I ; « une araignée » pl. IV).
La présence de G simples associés à une bonne qualité formelle dans un
protocole est nécessaire pour témoigner de l’existence d’une adaptation et
d’une intégration perceptive de base. Elle témoigne également de la
possibilité de se représenter un objet total, délimité, différencié, une image
du corps circonscrite et intériorisée, reconnaissable et partageable. Les G
simples peuvent ainsi être considérés comme témoins de l’établissement
conjoint d’une identité stable dans un environnement distinctement reconnu
comme réalité externe.
Il est cependant à souhaiter que les G simples ne soient pas le seul mode
d’appréhension d’un protocole et qu’ils puissent laisser place à d’autres
localisations susceptibles d’être appréhendées grâce à la mobilisation
d’autres conduites psychiques. Mais il peut arriver que les G simples soient
majoritaires dans un protocole. Cela peut par exemple mettre en évidence
une attitude défensive, rigide ou inhibée, qui consiste à ne pas s’impliquer
dans une recherche plus approfondie ou plus personnelle. En ce sens,
l’absence de curiosité face à l’objet externe que constitue le matériel peut
aller de pair avec une absence de curiosité pour la réalité interne du sujet ou
au moins montrer le désir de ne pas se livrer en se dévoilant à l’autre par
une implication plus manifeste. Ce qui se donne à voir comme faible
investissement des potentialités psychiques se révèle alors comme une
mobilisation de l’inhibition. Cela peut renvoyer soit au refoulement – quand
la représentation est écartée et remplacée par un contenu banal global –, soit
à une méfiance extrême dans la relation à l’autre – le sujet perçoit des
significations très vives dans les détails de la planche mais en garde le
secret en maintenant une globalité qu’il juge plus neutre. Il importe alors
d’évaluer le poids d’une telle défense qui peut entraver la pensée dans son
activité créatrice.
Les G vagues
Les G vagues sont associés à des déterminants formels incertains ou flous
(F+/–) et la réponse demeure imprécise, indéterminée (« une bête », « un
pays ») ou peu circonscrite (« un nuage »).
On peut souvent dégager la mobilisation d’une défense (à visée
vraisemblable de refoulement) qui veille à ne pas laisser surgir des
représentations plus nettes et signifiantes qu’il convient de cacher et
d’éviter. Comme dans ce protocole où les G vagues représentent près de la
moitié des réponses, révélant la très grande difficulté à mobiliser d’autres
réponses qu’« insecte », « structure organique », « peinture moderne non
figurative » et des commentaires tels que « je ne sais pas… », « je ne vois
pas… ». Les G vagues servent de support à une lutte marquée par le doute,
l’impossible pénétration de l’intérieur des planches par le recours au
D. Seules de rares réponses, organisées par une kinesthésie, permettent
l’expression a minima de l’agressivité dans un scénario relationnel. On
repère là une lutte franche contre l’émergence d’éléments internes, inhibant
les capacités cognitives et entraînant de surcroît un vécu d’impuissance.
Pour d’autres sujets, en revanche, la récurrence de réponses G vagues
trahit de façon plus soutenue des difficultés de discrimination et de
différenciation, privilégiant l’insuffisance des contours et des contenants,
voire une certaine fragilité et friabilité des enveloppes dont la nature
pathologique peut alors être discutée : « Des silhouettes mal dessinées, on
ne sait pas si ce sont des humains ou des êtres anormaux. » « Des
silhouettes d’hommes préhistoriques ou d’animaux. Silhouettes de… je sais
pas, homme ou animal… de la préhistoire, des formes plus très habituelles ;
ce n’est pas la forme bien constituée comme on l’entend d’un squelette ».
« Des formes biscornues. » « Une ancienne rivière souterraine dont le toit
serait venu à tomber. »
Les G impressionnistes
On désigne ainsi les G dans lesquelles les éléments sensoriels (couleur,
estompage, Clob) sont dominants, voire exclusifs, dans la détermination de
la réponse (CF, C, EF E, ClobF, Clob), montrant la suggestibilité du sujet et
sa perméabilité aux qualités sensorielles du matériel.
À l’instar des G vagues, les G impressionnistes peuvent renvoyer à un
mouvement défensif (souvent sous-tendu par le refoulement) qui consiste à
empêcher l’émergence de représentations gênantes ou inquiétantes. Mais
dans le cas des G vagues, la formalisation et l’absence d’intégration des
éléments sensoriels évoquent plutôt un fonctionnement de type rigide. Alors
que dans le cas des G impressionnistes, les éléments sensoriels sont au
contraire mis en avant, souvent associés à l’expression d’affects :
Planche II : « Oh là là ! Vous allez dans le progrès là, le moderne. Je vois
rien du tout… j’ai beau fermer les yeux à moitié. Ça pourrait être une
fleur, une corolle de fleur non ? Montrez-moi des choses plus belles ! ». À
l’enquête : « Je l’ai complètement oubliée. C’est sans doute une pauvreté
de l’esprit car je ne vois que ça. C’est une fleur qui perd un peu ses
feuilles, un peu à la fin de sa… qui est en train de se faner presque.
Quelque chose de fané. Une fleur qui fait “je me laisse aller, je n’existe
plus”, comme une orchidée, une fleur que je déteste car j’y vois toujours
un sexe… un utérus… féminin. Je vais être surprise quand vous allez me
dire ce que c’est. (?) Les couleurs. »
Mais pour d’autres sujets, les G impressionnistes révèlent plutôt une
fragilité du moi qui peine à maintenir la stabilité des enveloppes :
Planche VIII : « Et au milieu, comme une colonne, des vaisseaux, une
colonne, une veine. Des poumons en bas. + C’est tout. Un circuit qui est
interrompu, des veines ou des vaisseaux. Je sais pas trop. Un canal
quelconque. Ça ressemble à l’intérieur tel que je peux peut-être me
l’imaginer, des poumons ou des organes, le foie. (?) La couleur, mais je
sais pas pourquoi. »)
Planche IX : « Je pencherais plutôt pour des questions d’anatomie
intérieure. Je sais pas quoi. Impression toujours de quelque chose qui
dirige, qui est dirigé vers le haut et tout autour, y’a je sais pas quoi, c’est
symétrique en tout cas. La couleur, mais je sais pas pourquoi. »
Planche X : « Ça me fait surtout penser à l’intérieur du corps humain, tout
ça. C’est très compliqué là. C’est… je suis toujours branchée sur
l’intérieur du corps. De chaque côté, les choses en bleu… – qui seraient
pas bleues, je m’imagine pas les choses comme ça – comme un cancer. »
Ces réponses anatomiques récurrentes malgré la mise en avant par le
même sujet de sa méconnaissance en la matière sont données aux planches
pastel et révèlent sa grande difficulté à reconstituer une image du corps
stable, partageable et clairement différenciée.
Les G élaborés ou organisés
Cette qualité de G rend compte d’un travail de construction, d’analyse et
de synthèse, par combinaison des différentes parties de la tache, ce qui
témoigne d’une opération mentale dynamique dans la mesure où le sujet ne
se contente pas de s’attacher aux données du stimulus mais apporte une
élaboration originale. Quand elle est déterminée par une forme de bonne
qualité, une telle réponse constitue le prototype d’une condensation
opérante de la double mobilisation créative des processus perceptifs et
projectifs. En effet, le G élaboré montre à la fois une utilisation trophique
de la réalité externe et la possibilité d’une construction qui s’organise en
appui sur une image interne, au sein d’un espace psychique propre. Ceci se
confirme d’autant plus qu’on observe plusieurs G organisés dans un
protocole.
Certains G sont organisés par la forme (VIII : « Un joli blason où l’on voit
deux bêtes sur les côtés, peut-être des fauves, une montagne en haut, des
drapeaux là en bleu et en bas une jolie fleur, comme un camélia »). Mais la
plupart sont associés à des déterminants kinesthésiques, voire à des
représentations de relations et de mises en scène d’autant plus remarquables
qu’elles intègrent parfois les déterminants sensoriels :
Planche III : « Ce sont deux bonnes femmes noires plantées sur des
talons hauts qui veulent enfermer ce papillon dans un sac sous le regard
attendri de deux écureuils rouges. »
Planche VIII : « Deux petits caméléons roses qui posent délicatement
leur patte sur les pétales d’une fleur pour l’ouvrir et pouvoir rentrer
dedans pour en aspirer le suc. »
Mais on peut aussi observer des G combinés de mauvaise qualité formelle,
liés à l’ingérence trop forte d’éléments projectifs qui biaisent le rapport à la
réalité. Il importera alors de déterminer la dimension ponctuelle ou
récurrente de la désorganisation qui peut parfois révéler un rapport à la
réalité illogique, bizarre voire délirant :
Planche IX : « Quatre peaux de cochon sur un manteau, non c’est une
veste verte sur un pantalon… Quatre peaux de cochon sur un bâton qui
tient la veste et le pantalon. »
Planche IX : « Deux diables qui ont des cornes de rhinocéros de chaque
côté d’un geyser, avec un, un cerveau de rhinocéros, pis en dessous les
testicules d’un surhomme à la place des bras, pis qui n’a pas de tête. À la
tête, il a deux cerveaux de rhinocéros verts et le geyser qui sort du cou et
les diables qui observent comme des vigiles, des diables enceintes, diables
en statues, aussi représentatifs que la statue de la Vierge ou le buste de
Dieu mais pas plus dangereux. »
Enfin, il peut arriver que les G organisés soient absents d’un protocole,
révélant la force de l’inhibition par le refoulement ou par des attaques
intenses des liens, au point d’entraver les capacités d’élaboration créatrice
et le fonctionnement cognitif. Il faudra alors porter son attention à la
possibilité d’articulation et de combinaison des D.
Les G confabulés
Les G confabulés sont cotés DG (ou DdG) pour signifier la confusion que
fait le sujet entre un Détail (la partie) et une Globalité (le tout). La
confabulation se caractérise par une généralisation arbitraire à partir d’un
détail correctement perçu ou encore à partir d’une juxtaposition de détails
combinés arbitrairement : le point de départ est généralement correct au
plan formel, mais la globalisation aboutit à une réponse de mauvaise qualité
formelle. Dans la réponse « un escargot, là ses yeux » (V), les yeux sont vus
dans un détail et sont de bonne qualité formelle, mais le sujet ne peut
maintenir cette isolation et reconstitue arbitrairement une représentation
entière alors que la forme globale ne ressemble pas à un escargot. En
revanche, si, à la même planche, le sujet dit « le tout, une chauve-souris
(G). Et là, je vois une tête d’escargot » (dans le D médian supérieur), il
s’agit de deux réponses (une G simple et un D simple), chaque
représentation étant distincte l’une de l’autre. Les DG se rencontrent
fréquemment chez le jeune enfant (condensation syncrétique).
Les G contaminés
Les G contaminés (Gc), plus rares et pathologiques, résultent de
combinaisons obéissant à une logique arbitraire et témoignent d’une
impossibilité à différencier l’interne de l’externe et à construire une unité.
Le sujet fusionne deux perceptions globales ou partielles dans une
superposition aberrante, renvoyant à l’abolition des frontières dedans-
dehors. « Une sauterelle. Je dirais plus à un serpent parce que c’est comme
si elle sautait d’un pont ou d’une branche quoi. Parce qu’elle est toujours
dans les airs et je la vois toujours sauter » (VII). Dans cet exemple, les
contenus sauterelle et serpent sont fusionnés. « Le corps à l’intérieur d’une
araignée ou d’un cafard avec des ailes de papillon » (I). Ici, corps externe et
intérieur du corps sont mis sur le même plan, gommant toute référence à
une surface délimitant les espaces.

On le voit, les réponses globales sont d’une grande diversité et


on peut rencontrer des G de plusieurs types dans un même
protocole. L’analyse portera tout à la fois sur chaque G afin d’en
saisir la qualité intrinsèque et sur leur diversité afin d’en apprécier
les articulations entre elles et avec les autres modes
d’appréhension.
Sur le plan de l’activité de pensée, la réponse G constitue donc
un mode d’approche des objets qui en permet la prise de
connaissance globale ou synthétique. Elle témoigne d’une
adaptation de base à la réalité objective quand elle opère une
description de la tache perçue dans son ensemble, associée à
une forme correcte. En deçà de son caractère simplement
descriptif et socialisé, le G peut relever de mécanismes
d’élaboration qui viennent marquer les productions du sceau de
la subjectivité et de la créativité, mettant alors en évidence les
capacités de pensée intériorisée.
Sur le plan de l’utilisation défensive, les réponses G peuvent
être sous-tendues par des mécanismes de défense variés en
qualité et en intensité (conformisme adaptatif pour lutter contre
l’émergence de la réalité interne par l’utilisation de la réalité
objective, refoulement de représentations signifiantes par un
abord banalisé, imprécis ou par la mise en avant de réactions
sensorielles, maîtrise récurrente du matériel par analyse et
synthèse, projection, etc.).
Sur le plan des problématiques psychiques, la réponse G peut
rendre compte d’une image de corps relativement stable ou à
l’inverse de fragilités de différenciation entre sujet et objet, entre
réel et imaginaire. Son analyse fournit des informations
essentielles sur les capacités d’intériorisation et de mentalisation
et donc sur l’existence d’un espace psychique, elle peut révéler
des angoisses d’empiétement, etc.

1.2 Les réponses D


Les D sont des réponses qui s’attachent à une localisation partielle de la
planche selon des découpes fréquemment utilisées par une population de
référence2 et qui témoignent de la mise en place de mécanismes qui
caractérisent une pensée analytique s’appuyant sur une capacité de
différenciation perceptive. Ce n’est pas la taille qui les définit (certains sont
très petits) mais leur fréquence d’utilisation par des personnes tout-venant.
Ce critère est important du point de vue de l’interprétation car il confère aux
D leur signification adaptative et socialisée.
Comme pour tout autre mode d’appréhension, les déterminants associés
contribuent fortement à mettre en évidence leurs significations. Le
découpage qui consiste à utiliser des parties de la tache aisément plus
restreintes et isolables devrait permettre un meilleur contrôle perceptif : en
ce sens l’association D F+ (ou FC+, K+, etc.) montre la congruence du
mode d’appréhension et du déterminant, tous deux définis par des critères
formels statistiques, et rend compte des capacités d’insertion dans le réel et
de contrôle des perceptions et ce, d’autant plus que le contenu associé sera
lui aussi socialisé. L’approche par les D peut soutenir l’interprétation de
l’existence d’un moi suffisamment fort qui peut se soumettre à l’épreuve de
la réalité.
En tant que mode d’appréhension, le D se trouve aussi impliqué dans les
facteurs cognitifs. Il est donc susceptible de s’analyser, comme les G, en
termes d’articulation, de combinaison dans les D élaborés ou en termes de
lecture instantanée dans les D simples, mais aussi de D vagues ou
impressionnistes, plus rarement de D confabulés ou contaminés.
Le D sert d’ancrage à toutes les défenses qui vont utiliser la réalité
extérieure pour faire face aux affects et aux fantasmes du sujet. Les
mécanismes de déplacement et d’évitement vont se traduire par cette
approche qui privilégie tel aspect de la planche au détriment d’un autre. De
même, l’isolation perceptive devient possible renvoyant parfois à des
mécanismes plus élaborés d’isolation entre deux représentations ou entre
affect et représentation.
Ainsi, aux planches II et III, l’approche en D peut permettre de mettre
l’accent sur un détail saillant et d’éviter de prendre en compte le Dbl et ce
qu’il peut mobiliser de représentation de castration. Elle permet également
de laisser de côté les taches rouges, d’atténuer la sollicitation de la
bilatéralité de la planche et donc d’éviter la confrontation aux mouvements
pulsionnels réactivés et ressentis comme perturbants. À l’inverse, la
centration sur les parties rouges, associées à un déterminant allant dans le
sens du contrôle, peut témoigner du désir de maîtrise de ces motions.
Gilbert, 22 ans, n’utilise par exemple que les détails noirs de la
planche II. S’il évite ainsi les sollicitations du rouge et de la bilatéralité,
son traitement de la planche III révèle la lutte maladroite contre la valence
agressive d’une représentation de relation et le retournement de
l’agressivité contre soi :
II : 20” « Là ça ne m’inspire pas plus que la précédente, à vrai dire, je ne
vois rien. Ça pourrait être à la rigueur une carte de géographie d’un pays
fabuleux… (D F+/– Géo). C’est tout ce que je vois… elle a l’air d’être
d’une rigoureuse symétrie. Ça peut représenter aussi la coupe de la moelle
épinière » (D F+ Anat).
III : 8” « Ici deux personnages se levant de table… s’apprêtant même à se
disputer… je ne vois rien d’autre. Je dois donner dans les tests une
impression minable ! » (G K H Ban)

Christophe, 55 ans, n’accorde au contraire d’intérêt qu’au rouge pour


mieux en atténuer la dimension pulsionnelle :
II : « Là un beau rouge. Très rouge sang mais ce n’est pas du sang, les
taches de sang n’ont pas cette forme. Là, on dirait des chaussettes, les
petites chaussettes rouges que les enfants accrochaient il y a longtemps
maintenant devant la cheminée à l’attention du Père Noël. C’est mignon.
En bas aussi, il y a du rouge… Quoique, là aussi il y a du rouge (pointe du
doigt des taches rouges sur le D noir), mais bon… Non, en bas, on dirait
un dessin de papillon fait avec de l’encre rouge. Voilà. C’est tout. »
De même, aux planches IV et VI, l’appréhension en D permet de négliger
ou de valoriser certains détails du fait de leur sollicitation sexuelle.
Ainsi, Olivia, 30 ans, qui retourne plusieurs fois la planche VI avant de la
remettre à l’endroit :
« Là dans la masse (D inf.), je ne vois rien, je vois plutôt ça, la petite
partie là (D sup) indépendante du reste, un genre toujours pareil de
volatile quelconque ou deux volatiles chacun dans un sens, les ailes en
l’air » (D F+ → kan A) Peut-être par exemple des oiseaux sortant de
derrière un nuage. (D/G kan A/Elmt)… Moins triste que les autres, le gris
évoque la poussière, ça fait un peu sale (G C’ Fgt). »
Olivia peut élaborer une réponse globale à partir des deux détails qu’elle
avait isolés de prime abord. La dernière réponse, mobilisée par une
formation réactionnelle (« un peu sale »), révèle la dynamique sexuelle
gênante, même si elle est déplacée et symbolisée, des contenus qui la
précèdent.
De même aux planches pastel, le découpage peut favoriser la maîtrise des
affects et des représentations susceptibles d’être conflictuels, voire
envahissants, dans une approche globale. Le recours à des déterminants
formels rend plus particulièrement compte de la défense par l’isolation et le
contrôle sur la réalité objective contre le laisser-aller à la régression sollicité
par le stimulus couleur prégnant de ces planches.

Pour résumer, les D, associés à des déterminants marquant le


maintien du contrôle par la réalité objective, prennent
essentiellement des significations adaptatives et défensives.
Comme tout mode d’appréhension, les D appartiennent au
registre des facteurs impliqués dans le fonctionnement cognitif. Ils
se prêtent, surtout quand ils correspondent à une large
localisation, à une analyse relativement semblable à celle des
réponses globales simples ou élaborées.
Quand les D sont associés à des réponses de mauvaise qualité
formelle, ils peuvent rendre compte conjointement des tentatives
de contrôle perceptif et de leur échec, souvent sous-tendus par
des mouvements projectifs plus ou moins débordants. Parfois,
certaines découpes mettent à mal les capacités de contrôle du
sujet qui perd toute possibilité d’inscrire une forme quelque peu
délimitante. Dans ce contexte, les D deviennent le lieu
d’expression projective et perdent leur connotation adaptative et
socialisée. Là encore, c’est l’analyse de l’ensemble du protocole
qui permettra de déterminer si le D F– ou le D C constitue un
indice de perte de contact avec le réel ou un dérapage ponctuel
en lien avec une fantasmatique susceptible d’être négociée dans
un second temps.
1.3 Les réponses Dd
Les réponses sont formulées sur des localisations (de petite ou de grande
envergure) délimitées de façon singulière par le sujet. Le sujet scrute le
matériel dans une démarche active, ce qui peut révéler une pensée originale
et subtile sous-tendue par une grande sensibilité perceptive plus ou moins
défensive du côté du contrôle et de l’isolation, s’inscrivant dans un registre
de fonctionnement rigide. Les Dd sont souvent révélateurs de
préoccupations plus ou moins symbolisées et déplacées, à valeur de retour
du refoulé, telles que les réponses sexuelles récurrentes de cette jeune
femme de 28 ans : « l’appareil sexuel des ténias » (F–), « un vagin » (F+),
« deux bourses » (F+), « une crête de coq » (F–), « une tête, pas de lapin »
(F–). Cette dynamique est d’autant plus intéressante à repérer qu’elle
cohabite avec un G% très élevé, essentiellement constitué de G simples et
impressionnistes témoignant une inhibition importante des processus de
pensée. Mais les Dd révèlent le soubassement fantasmatique
épistémophilique et l’importance du conflit entre le désir intense de « voir »
et la culpabilité qui s’y attache.
Les Dd peuvent aussi être arbitraires, illustrant les mouvements d’une
pensée confuse : les découpes sont bizarres, de mauvaise qualité formelle ;
elles rendent compte d’une pensée qui peine à trouver des repères
structurants et partageables et soulignent la défaillance des identifications
primaires.
Ainsi ces Dd (constituant 37 % des réponses) du protocole d’un homme
de 30 ans :
« Deux visages », « des têtes identiques », « un homme, une femme »,
« deux têtes avec des yeux qui ressortent et un grand nez et ils sont
identiques », « un cœur », « deux grands-mères avec des lunettes et un
chignon, y a une mèche devant, au-dessus il y a deux, deux têtes avec des
grosses joues », « le cœur », « un vieillard, non deux, non un, avec un
chapeau haut de forme et une reine… avec une couronne, non un roi… Il
est appuyé sur la tête du vieillard. »
Certains Dd mettent même en évidence une pensée très aliénée qui se perd
au-delà de la communicabilité : « Là ça fait une tête de singe avec un petit
peu de végétation de chaque côté de la tête ou des légumes, on dirait qu’il a
subi une opération dans un laboratoire pour animaux, on lui a planté des
électrodes, on dirait aussi de chaque côté de la tête comme des algues ou
des crabes mais ça fait partie de sa pensée, en fait ça figure sa pensée. C’est
sa pensée qui tourne de chaque côté. » (Planche X)
Si l’analyse des D est largement tributaire des déterminants qui leur sont
associés, celle des Dd s’appuie moins sur les déterminants – même si ceux-
ci permettent d’apprécier le maintien d’un contrôle plus ou moins efficace –
que sur les contenus, étant donné l’infiltration projective dont ils sont le
support.

1.4 Les réponses Dbl


Ces réponses sont généralement plus rares que les précédentes, vu que
l’on présente des taches d’encre sur fond blanc et que ce fond blanc n’est
pas censé être traité en tant que tel. D’où l’importance de prêter attention
aux planches où les Dbl apparaissent, certaines s’y prêtent plus que
d’autres ; chaque Dbl trouve des résonances différentes selon les sujets et
selon les planches. Si l’on a pu interpréter cette conduite comme étant
mobilisée par l’opposition, on sait maintenant que c’est aussi et surtout
l’attraction par le blanc, par ce qu’il évoque d’espace, de creux, voire de
lacune, de défaut ou de manque, de vide ou de béance, qui constitue
l’intérêt essentiel des significations accordées au Dbl. Il se rencontre
potentiellement dans tous les registres de fonctionnement psychique,
révélant la sensibilité à l’incomplétude, du manque localisé (« une feuille
d’arbre avec des trous ») à l’angoisse de chute ou d’engloutissement (« un
gouffre, un précipice dont on ne voit pas le fond »).
On étudiera avec attention les déterminants associés ; car si un
déterminant formel ou kinesthésique donne une valeur de contrôle au Dbl,
efficace ou non en fonction de la qualité de la forme (« un bel avion fuselé,
prêt à décoller »), un déterminant sensoriel dominant révélera davantage la
soumission à la couleur blanche et l’écho affectif qu’elle peut receler (« de
la neige, ça donne une impression de froid »).
Le Dbl peut être utilisé pour signifier l’angoisse de castration (« un beau
papillon, avec de larges ailes, mais il a des petits trous, ça va le gêner pour
s’envoler » Gbl) ou pour en contre-investir les représentations soit par des
représentations de puissance (« le buste de Napoléon, avec son bicorne… »)
soit par des contenus effilés ou volumineux (« une fusée » ; « une raie
Manta »). Il peut également soutenir des représentations de creux et de
passivité réceptive (« l’entrée d’une grotte » ; « un port, les bateaux rentrent
par-là »).
La sensibilité du sujet à ce qui viendrait menacer l’intégrité narcissique,
que ce soit en termes de porosité des enveloppes ou d’insécurité, peut
également trouver une voie d’expression par le recours au Dbl. Ainsi en est-
il potentiellement de réponses telles que « une feuille morte tombée à terre,
moisie, ou mangée par des limaces », « quatre yeux qui fixent, qui
espionnent », « des créatures qui essaient de rester main dans la main pour
ne pas être séparées et se perdre dans l’espace… l’espace c’est tout le
blanc… ».
Pour d’autres sujets, enfin, la sensibilité au Dbl révèle une angoisse
identitaire avec perte massive des repères et des frontières :
« Comme la couronne autour d’un visage mais ça forme quand même un
visage, le sourire. En fait… y’a pas de cou au milieu, les deux yeux c’est
comme si la peau qui est sur le côté qui s’avance pour former les deux
yeux, y’a pas vraiment de dent non plus sauf que y’a des trous tout autour
de la peau, tout autour de la bouche pis au milieu de la bouche y’a aussi
un organe génital féminin » (DDbl, planche X).

1.5 Les réponses Di


On a longtemps cru que les réponses Di n’étaient observées que dans des
protocoles recueillis auprès de patients psychotiques déficitaires3. Mais, au
niveau empirique, on constate que les Di se repèrent davantage dans des
protocoles de patients mobilisant des défenses phobiques. Les détails
d’inhibition (Di) sont des modes d’appréhension singuliers et rares qui se
caractérisent par une réduction dans l’appréhension perceptive et dans le
contenu. Un détail est traité par le sujet isolément de son contexte, comme
pris en lui-même, alors que cet élément est habituellement partie intégrante
d’un tout, grand D ou G (la jambe ou la tête d’un personnage
habituellement vu en entier planche III, des ailes de papillon – planche I
ou V).
Le Di traduit une défense d’allure phobique et renvoie à l’évitement de la
reconnaissance d’une représentation particulièrement chargée sur le plan
affectif et fantasmatique. Cette défense a comme effet d’inhiber le
déploiement des conflits et la mise en œuvre de l’activité des processus de
pensée. Le fait qu’il s’agisse de réponses courantes, voire banales, explique
que le Di est toujours de bonne qualité formelle.
Les deux exemples qui suivent s’inscrivent dans des registres
névrotiques :
« On dirait une bête qui va s’envoler mais elle n’existe pas, ça donne
l’impression avec les ailes, la tête et les antennes. Là, on dirait des cornes
de taureaux sur les côtés. Des pieds (Di) peut-être ici des deux côtés et
puis c’est tout. Enquête : Des pieds d’homme, de géant mais ses pieds
seraient disproportionnés, alors une personne irréelle… si, je vois quelque
chose comme s’il se retournait, qu’il regarderait et se pencherait en avant
(peur ?) Oui, j’aime pas beaucoup cette image » (IV). Après un début très
sexualisé (« une bête qui va s’envoler », « des cornes de taureau »), la
jeune fille se réfugie, grâce à l’inhibition perceptive du Di, dans une
position moins impliquante (« des pieds ») avant de laisser apparaître en
après-coup, à l’enquête, un fantasme de séduction prégnant.
Un autre sujet après un long temps de latence : « Je ne sais pas trop… on
ne voit pas grand-chose… là en bas, peut-être une jambe, deux jambes
(Di) donc, l’une dirigée contr… vers l’autre, avec des chaussures
pointues, des talons aiguilles. Au-dessus, les taches rouges, on dirait du
sang, mais je ne vois pas bien ce qu’il vient faire là… Non, on va dire des
jambes et des chaussures. C’est tout ». L’abord du matériel est laborieux,
précautionneux et malaisé, et vise à contenir et à éviter une représentation
de relation entre deux figures humaines. L’agressivité est esquivée, et la
dénégation s’associe à l’isolation pour faire cohabiter cette représentation
partielle et phallique du corps avec l’image du sang sans que ni l’une ni
l’autre ne se rencontrent.

En résumé, les modes d’appréhension ne constituent pas


seulement des facteurs signifiants dans l’étude du
fonctionnement cognitif et des processus de pensée.
Ils rendent compte des modalités particulières du rapport du sujet
au monde des objets externes en étroite correspondance avec la
relation qu’il établit avec ses objets internes.
Leur investissement dans l’organisation défensive est
fondamental ; leur qualité comme leur répartition, leur apparition à
des planches spécifiques donnent des informations précieuses à
la fois sur le type de défenses utilisées, leur souplesse et leur
efficacité.
Enfin, il est quasiment impossible de séparer l’analyse des modes
d’appréhension de celle des autres facteurs qui les
accompagnent (déterminants et contenus) dans la mesure où ils
sont partie intégrante de l’ensemble de la réponse, ce que nous
allons voir dans les chapitres suivants.
Ces développements montrent comment l’interprétation dynamique du
Rorschach s’inscrit dans une conception psychanalytique des processus de
pensée : ceux-ci font partie inhérente du fonctionnement psychique,
produits de l’activité de l’appareil psychique. Indépendants, libres ou
entravés, ils s’exercent nécessairement à travers des conduites cognitives
mais traitent par là même de problématiques psychiques dont les effets
infléchissent ou soutiennent les processus de pensée et les productions qui
en découlent.

2. Les déterminants
Si le repérage des modes d’appréhension peut, d’une certaine manière,
relever d’un simple constat de la part du clinicien puisqu’il s’agit de situer
les localisations des réponses dans des espaces délimités à partir des
indications de l’auteur de la réponse, l’appréciation du déterminant se
révèle d’emblée plus complexe. En effet, les déterminants sont souvent à
déduire et demandent un effort de réflexion, donnant lieu parfois à des
débats concernant tant la procédure de conduite de l’enquête, de la cotation
de la réponse et de l’interprétation des processus qui ont œuvré à sa
construction. Il importe de tenir compte de la diversité des significations
d’un même déterminant et de la proximité éventuelle qui peut surgir dans la
mise en place de mécanismes pourtant cotés différemment. Il faut
cependant distinguer le travail d’interprétation qui porte globalement sur un
facteur donné et l’étude plus fine des manifestations particulières de ce
facteur au sein du protocole. On comprend dès lors combien la conduite de
l’enquête (cf. p. 96) est primordiale.
Nous allons donc présenter et analyser les différents déterminants, tout à
fait susceptibles de s’intriquer les uns aux autres, enrichissant tant la
réponse elle-même que notre travail d’analyse.

2.1 Les déterminants formels


Ces réponses résultent de la tentative de cerner la réalité au plus près de
son contour formel dans un mouvement d’adaptation au réel, de se mouler
aux cadres perceptifs prégnants, dans une prise en compte de la réalité
venant tempérer la libre expression projective. Il s’agit d’un mode de
fonctionnement courant et habituel qui, lorsque la forme est de bonne
qualité, témoigne de la régulation apportée par le principe de réalité, en
opposition à d’autres facteurs davantage dominés par le principe de plaisir.
Cette régulation est nécessaire à la différenciation interne/externe, à la
distinction entre ce qui est perçu et ce qui est représenté, et donc au
développement et à l’utilisation de l’attention, du jugement, etc. La
délimitation entre dedans-dehors apparaît dans la capacité de figurer un
objet dans une enveloppe perceptive qui joue un rôle de membrane ou de
barrière permettant la distinction, la différenciation entre le sujet et son
monde environnant.
Un nombre de réponses formelles insuffisant, associé de surcroît à une
qualité perceptive inadéquate, peut témoigner d’un rapport au réel fragile,
précaire, voire inefficace, pour permettre l’efficacité des fonctions
adaptatives. Les stimulations sensorielles rencontrent parfois la fragilité du
pare-excitation ; elles révèlent alors une très grande dépendance ou
suggestibilité par rapport à l’environnement dont les moindres
caractéristiques sensorielles trouvent un écho désordonné chez un sujet
débordé par ses réactions internes. À moins, bien entendu, qu’ils soient
relayés par d’autres facteurs permettant un contrôle suffisant et assurant la
distinction minimale entre l’intérieur et l’extérieur (cf. F% élargi et F+%
élargi).
Le nombre de réponses formelles est parfois très important, témoignant du
contrôle des affects et du jeu projectif au profit de l’objectivité et de la
rigueur de la description. Cela peut mettre sur la piste de la prédominance
d’une pensée rigide, voire opératoire qui comble le manque d’épaisseur et
d’élaboration psychique par un surinvestissement de la réalité. Cela peut
également mettre en évidence la mobilisation de défenses narcissiques par
le surinvestissement des limites entre dedans et dehors, afin d’opérer un
contrôle, voire une emprise, pour protéger le moi de mouvements internes
porteurs de désirs insupportables. Enfin, l’importance des réponses
formelles peut correspondre à un souci de vigilance ou de méfiance qui
pousse le sujet à circonscrire la réalité extérieure lorsque dominent des
angoisses persécutives. Dans ce dernier cas, la formalisation importante se
conjugue alors paradoxalement avec une attitude projective et interprétative
qui peut entraîner des déformations perceptives portant atteinte à la qualité
des productions.
On sera ainsi particulièrement attentif à la valeur symbolique des réponses
formelles, ainsi qu’aux moments où d’autres déterminants seront utilisés,
témoignant d’autres conduites psychiques.
Les réponses formelles de bonne qualité : F+
Le F + peut être coté selon des critères statistiques, correspondant à des
réponses couramment données par une population de référence, ce qui lui
confère un statut de facteur d’adaptation et de socialisation. Il peut
également être établi selon une appréciation qualitative, quand il s’avère
une production originale et reconnue comme adéquate par le clinicien4.
Lorsque le F+% se révèle faible, il est possible de calculer un F+ % élargi
qui permet de tester la qualité perceptive des réponses à déterminants
doubles (FC, FE, FClob) et à déterminants kinesthésiques (kan, kp et
certaines kob à dominante formelle) : il sera ainsi possible de réévaluer plus
finement l’approche perceptive dans son ensemble et d’estimer au mieux le
rapport au réel d’un sujet. Le F+ % élargi peut s’avérer égal ou inférieur au
F + % bas, ce qui peut parfois révéler un débordement préoccupant du
contrôle du sujet quand des préoccupations fantasmatiques ou affectives
surgissent. Parfois, le F+% élargi témoigne de meilleures capacités
adaptatives que le F+% ; il peut alors signifier que le recours à la projection
(kinesthésies) et/ou la réceptivité aux stimulations sensorielles (réponses
couleur…) mobilisent des ressources personnelles et une plus grande palette
de mouvements internes.
L’analyse des F+ doit s’attacher à en étudier le contenu associé, le rythme
d’apparition, le contexte dans lequel elles surgissent et leur fréquence, afin
de différencier des F+ adaptatives, des F+ défensives, des F+ originales et
créatives ou encore des F+ porteuses d’une problématique particulière.
Les réponses formelles de mauvaise qualité : F–
L’apparition de réponses F– dans un protocole est nécessaire, voire
attendue, dans la mesure où elle marque la capacité du sujet à se tromper, à
faillir, à se troubler et à relâcher son contrôle.
Lorsqu’elles demeurent peu nombreuses, elles témoignent de souplesse et
perméabilité dans l’aménagement du fonctionnement psychique, permettant
l’expression et la circulation des émergences inconscientes, des
représentations refoulées, des affects réprimés, bref tout ce qui traduit les
compromis nécessaires à une bonne santé psychique. L’oscillation dans la
qualité des réponses indique alors la lutte entre des mouvements
contradictoires, et l’analyse des contenus des réponses F – permet souvent
d’y saisir l’expression symbolique transparente de problématiques
agressives ou sexuelles.
Ainsi cette séquence associative issue du traitement de la planche III par
un jeune homme de 34 ans :
Pl. IIIUn nœud papillon. Ouais. D F+ Vêt. Ban
Ça me fait penser à ça, un cou avec un nœud D/Gbl F– Hd
papillon, et des boucles d’oreilles, des
cheveux. (Enquête : Là je voyais un nœud
papillon, et puis là je voyais des cheveux
qui tombent de chaque côté en fait ou des
boucles d’oreille (D rouge sup.) mais je
pense plus des cheveux, et puis là c’est la
fin de la mâchoire, le cou (Dbl), et puis bon
bah ça ce serait le torse, le haut du torse
(D gris médian).
La planche est abordée sous couvert d’une isolation centrée sur le D rouge
médian qui permet l’expression d’un contenu à symbolisme masculin
transparent tout en évitant la sollicitation bilatérale de la planche et ce que
le percept invite là à traiter en termes de représentations de relations et de
problématique identificatoire. Une précaution verbale introduit une
deuxième réponse qui intègre la première dans une prise en compte de
l’ensemble de la tache avec inclusion du Dbl et qui aboutit à une
représentation du corps cantonnée au torse et à la tête avec des attributs
masculins et féminins qui combinent maladroitement la bisexualité
psychique. Cette deuxième réponse, F–, révèle certes une difficulté de ce
jeune homme à traiter la problématique identificatoire sexuelle, mais elle
témoigne aussi d’une souplesse psychique de bon aloi dans un protocole
par ailleurs très adapté (F% à 63 %, F+% à 77 %, A% à 46 %, 6 Ban).
Quand elles sont nombreuses, associées à des découpes rares, voire
arbitraires, portant sur des contenus corporels ou anatomiques qui dévoilent
la fragilité de l’image du corps et de l’identité, les réponses F– témoignent
davantage de la désadaptation au monde réel. Certaines peuvent même être
sous-tendues par un vécu interprétatif ou délirant dans la compulsion à
percevoir les images dont la valence persécutrice est patente.
Ainsi les réponses de cette jeune patiente de 20 ans, marquée par la
massivité du processus primaire :
« Ça me fait penser à une dissection de sciences naturelles, un truc
comme ça parce que c’est symétrique et coupé en deux » (I), « une
impression d’une peau d’animal disséqué » (II), « des yeux, un nez, une
bouche… plutôt une sorcière » (V), « une tête avec des yeux, le nez, les
petites moustaches, là ça fait un peu plumes, à une coupe de moelle
épinière » (VI), « je vois deux yeux ici, ils n’ont pas d’expression, ces
yeux » (IX).
Les réponses formelles de qualité imprécise : F±
Ces réponses caractérisent soit des engrammes aux contenus flous, soit les
oscillations du sujet, ses hésitations entre deux ou plusieurs images. Le
F+ % (qui intègre les réponses F±) ne donne pas lieu aux mêmes
interprétations selon que son infléchissement est dû à la présence
nombreuse de réponses F – ou à une proportion majoritaire de réponses F±.
Les réponses F± peuvent marquer un flou de la pensée et des limites, et la
difficulté à circonscrire la réalité extérieure. Elles peuvent aussi traduire le
doute et la prudence5.
Pour résumer, rappelons les significations essentielles des
réponses formelles :
Elles constituent un mode de fonctionnement courant, normal, qui
consiste à appréhender la réalité par constat, description, lecture
dégagée des implications fantasmatiques et émotionnelles.
Elles montrent leur caractère adaptatif (F+ %) qui constitue un
facteur de socialisation non négligeable. Les failles de l’insertion
socialisante dans le réel se traduisent souvent par
l’infléchissement de ce pourcentage.
Elles révèlent des conduites de contrôle de la réalité externe
perçue « objectivement » et de la réalité interne dont les
manifestations sont réduites. L’efficacité du contrôle est repérable
par la possibilité de réponses F+, son échec, par les F–.
Leur qualité témoigne enfin de l’aptitude d’un sujet à circonscrire
l’objet en le différenciant du fond sur lequel il s’inscrit, à donner
aux choses un contour établissant des frontières stables entre le
dedans et le dehors.

2.2 Les déterminants kinesthésiques


La kinesthésie est un déterminant tout à fait original, riche et complexe qui
témoigne par excellence de la dimension projective des réponses. On la cote
lorsqu’il y a un mouvement (« deux bigoudènes qui dansent »), une posture
(« une femme qui se contemple dans un miroir ») et/ou un désir ou une
intention (« deux hommes qui ne s’aiment pas »). On distingue deux
grandes catégories de kinesthésies : les majeures (K) dont le contenu est
« humain et entier », et les mineures dont le contenu est soit « humain et
partiel » (kp : « deux mains qui se tendent l’une vers l’autre »), soit
« animal » (kan : « deux éléphanteaux qui jouent à se toucher la trompe »),
soit « objet » (kob : « une toupie qui tourne »).
Trois critères participent à définir le déterminant kinesthésique : un critère
formel, un critère de projection, un critère de contenu. L’analyse d’une
kinesthésie ou d’une séquence associative impliquant une kinesthésie
nécessite de prendre en compte ces trois critères. C’est leur articulation qui
autorise leur interprétation : en ce sens, l’exposé qui va suivre et qui traite
de chaque aspect séparément ne permet d’en saisir la portée effective que de
façon partielle car toutes les interactions sont possibles et ouvrent, selon
leurs combinaisons, des perspectives différentes. Il est nécessaire de
toujours resituer la réponse dans son contexte (réponses qui précèdent et
succèdent, précautions verbales, précipitations dans le discours…).
Le critère formel
Le critère formel caractérise les limites de la découpe perceptive dont la
qualité est à évaluer afin de saisir si le mouvement projectif met à mal ou
non le percept. Si la qualité formelle demeure bonne, il y a un équilibre
entre la prise en compte de la réalité externe et celle de la réalité interne.
Dans cette perspective, les réponses kinesthésiques constituent le prototype
même du produit transitionnel du fait de la double appartenance des images
à la réalité perceptive et à l’illusion nécessaire à toute conduite créatrice :
« Un personnage qui s’étend… une robe froufroutante, quelqu’un qui pose,
qui se fait voir » (V). « Alors ça, c’est deux femmes qui se disputent pour
un lingot d’or, un sac de victuailles : “Ça c’est à moi ! — Non, c’est à
moi !” Dans le feu de l’action, elles ont perdu leur chapeau. On peut dire
aussi que dans leur sac, y’a une bouteille qui coule. Ça fait une petite
tache » (III). « Ça, c’est un énorme monsieur sur une moto. Il va bientôt
crever parce que la moto ne fait pas le poids… Il tourne le dos… Il s’en
va… Puis là on voit les guidons qui pendent » (IV).
En ce sens, la présence suffisante de réponses kinesthésiques (obéissant au
double critère défini plus haut), peut devenir un facteur qualitatif intéressant
pour différencier les organisations psychiques aux ressources internes
effectives, de celles qui disposent d’une scène psychique plus réduite.
Ainsi, on peut être sensible au plaisir de fonctionner, si ce n’est de jouer,
qui émane de ces productions. Au-delà du conflit et de la souffrance
potentiellement engendrés, l’aptitude à utiliser et à exploiter un langage
chargé d’images et de sens, est source d’un plaisir proche de celui de
l’enfant créateur qui organise et manipule à sa guise les objets de ses
investissements projectifs, ou de celui que peut éprouver l’artiste à
fabriquer un produit personnel, riche d’attentes relationnelles (Roman,
2015). Ces réponses conservent la marque originale du sujet qui les offre.
Il peut arriver que des kinesthésies soient sous-tendues par des engrammes
de mauvaise qualité formelle, le mouvement projectif associé engageant
une perte de contrôle perceptif. On les observe dans des protocoles
particulièrement marqués par la déliaison, la compulsion à répéter les
mêmes thématiques ou scènes violentes et crues soulignant la perte de
distance interprétative.
Il arrive également que certains sujets peinent à contenir l’excitation et à
la représenter dans la kinesthésie : on cote alors « impressions k » les
évocations de mouvement qui se révèlent dégagées de tout support formel :
« quelque chose qui bouge, comme une mouvance » ; « l’impression d’une
violence, d’une force pénible » ; « ça danse là-dedans », « ça grouille ».
Le critère de projection
Les kinesthésies relèvent d’une activité psychique qui procède par
opérations complexes pour réorganiser les données perceptives de la
planche. Elles viennent enrichir le fonctionnement cognitif en apportant à
l’adaptation l’épaisseur de la vie fantasmatique. Elles affirment ainsi les
potentialités projectives et créatrices d’un sujet dans son aptitude à se situer
dans un système de pensée où l’intériorisation domine, permettant le
dégagement par rapport aux contingences concrètes.
Si certaines kinesthésies témoignent d’une expression régulée des
mouvements pulsionnels, où l’action demeure représentée et tempérée,
d’autres sont données violemment, crûment et accompagnées parfois d’une
participation motrice effective, ce qui conduit à penser que la seule image
dynamique et sa verbalisation ne sont pas suffisantes pour contenir le
mouvement ressenti par le sujet. Le poids de la projection peut devenir très
lourd et faire basculer les productions kinesthésiques du côté de l’arbitraire
et de l’interprétatif :
Planche III : « C’est deux personnes comme dans le miroir, deux
hommes ou deux femmes qui s’arrachent quelque chose mais quoi ? Ça
fait encore penser au bassin de tout à l’heure mais pourquoi, des foies, les
foies des personnes… (Enquête : Et là on arrache le foie des gens, c’est
des hermaphrodites qui s’arrachent avec des têtes de chien… Pourtant y’a
quelque chose de bon, tout en s’opposant ces gens se respectent, y’a
comme une pureté de l’âme.) »
Une telle séquence associative, mobilisant une kinesthésie, déploie
crûment un scénario fantasmatique morbide et préoccupant. Mais il ne faut
pas pour autant négliger ce qui peut être mobilisé là de construction
sthénique toujours préférable à la désertification et à la néantisation
psychique.
Les kinesthésies franchement délirantes sont rares dans la mesure où la
passation du Rorschach est déconseillée dans les périodes aiguës de
l’activité délirante ; mais il arrive, dans des contextes cliniques plus
discrets, qu’elles mettent au jour un vécu délirant qui se développe à bas
bruit et émerge dans des réponses mal organisées dont les connotations
persécutrices, mégalomaniaques ou mélancoliques sont évidentes.
Les kinesthésies sont donc toujours à analyser selon le point de vue
économique, dans la mesure où on se demande quelles quantités d’énergie
libidinale et/ou agressive sont mobilisées et véhiculées dans leur mise en
place et quelles défenses sont utilisées pour y faire face. Est de meilleur aloi
une expression claire de mouvements pulsionnels non suivis de
désorganisation, par exemple dans un aller-retour entre défense et
expression qui constituera un compromis relativement stable, qu’une
rétention forcenée paralysant par ailleurs toute activité créatrice.
Le critère de contenu
Le critère de contenu importe beaucoup car l’appel à l’identification au
Rorschach est trop prégnant pour que les associations fantasmatiques et
conflictuelles ne soient pas mobilisées dans l’animation kinesthésique,
notamment à partir de représentations humaines, mais aussi via le
déplacement sur d’autres contenus.
 Les kinesthésies humaines (K)
L’image humaine entière qui s’associe à la K majeure fait de celle-ci le
facteur le plus signifiant et pertinent dans l’approche des processus
identificatoires. Les kinesthésies les plus courantes sont données aux
planches construites en configurations bilatérales marquant l’orientation
relationnelle et identificatoire des représentations humaines. Les
kinesthésies non relationnelles qui apparaissent ailleurs, en particulier dans
les planches compactes, semblent davantage focalisées sur l’investissement
de l’image de soi ; mais il s’agit toujours d’une relation à un objet interne,
imago parentale, modèle identificatoire, objet d’investissement.
Ainsi, il s’agit, dans l’analyse des kinesthésies humaines, de dégager les
aménagements narcissiques et objectaux, de souligner les caractéristiques
des imagos parentales, d’apprécier ce que le sujet peut vivre et se
représenter de lui-même, riche d’identifications primaires et secondaires
plurielles. On peut de ce fait relever des éléments signifiants concernant les
processus d’individuation d’une part, les processus d’identification sexuelle
d’autre part, cependant intriqués en une dynamique de construction
complexe.
Certaines réponses kinesthésiques révèlent par exemple une délimitation
peu claire entre le sujet et l’objet qui peut se traduire par des contenus
ambigus (« deux femmes à tête de poule, dressées sur leurs ergots, qui se
regardent méchamment »), par une tendance à la confusion des
protagonistes exprimée éventuellement par le biais d’une relation
symbiotique (« Trois personnes qui veulent se libérer d’une, réunies en une
comme si les trois choses voulaient se détacher d’un même corps. Un tronc
et trois facettes d’une même personne, qui veulent devenir indépendantes
les unes des autres ») ou à un double mal différencié (« On dirait deux êtres
siamois avec une main chacun. Un être siamois, une main chacun comme
s’il voulait attraper quelque chose, le problème c’est qu’il a deux têtes, on
pourrait voir que c’est deux yeux globuleux ».)
La référence à la bisexualité psychique est nécessaire si l’on veut bien
saisir la dialectique identificatoire à travers le Rorschach : celle-ci apparaît
dans la capacité du sujet à donner des représentations humaines, masculines
et féminines. La souplesse des prises de position, l’aisance à identifier les
personnages, la cohérence non caricaturale entre l’identité sexuelle attribuée
et les conduites projetées, s’allient bien sûr au maniement de petites
quantités d’énergie libidinale et/ou agressive. Par ailleurs leur concordance
se dégage entre les réponses kinesthésiques et la sensibilité à la symbolique
sexuelle des planches de même que dans l’ouverture des contenus autres
qu’humains dont le caractère signifiant est évident et recoupe la double
orientation masculine/féminine. Il est intéressant d’évaluer alors le poids de
la conflictualité, supportable et aménageable ou dressant des obstacles
insurmontables à l’épanouissement identificatoire.
Il n’est pas rare en effet que les identifications sexuelles soient
conflictuelles, et leur appréhension via les kinesthésies se révèle alors plus
délicate du fait de l’hésitation, de l’angoisse, voire des conduites
d’évitement et/ou de contre-investissement. Il arrive en ce cas que les
personnages ne soient pas identifiés sexuellement (« des personnes »,
« quelqu’un »), la prise de position étant alors soigneusement esquivée.
Ailleurs, l’oscillation est permanente, entre attributs masculins et féminins,
entre conduites actives, sthéniques, puissantes ou passives, réceptives,
fragiles, entre conduites habituellement attribuées aux femmes ou aux
hommes (« deux femmes qui enfilent des gants de boxe », « deux hommes
qui lèvent la jambe et qui dansent le French Cancan »). Parfois les modèles
sexués sont caricaturaux, s’accompagnant d’évocations de relations
mobilisant de grandes quantités d’énergies : images hyper-viriles obéissant
à des stéréotypies phalliques (« deux gladiateurs qui empoignent chacun un
fléau et qui se battent avec en le faisant tournoyer, on voit bien les piques
là »), féminité comprise en termes de faiblesse masochiste, d’érotisation de
l’impuissance (« deux lavandières occupées à nettoyer une table sous les
armoiries du maître de maison », « une femme tenue fermement par deux
hommes qui veulent l’obliger à danser »).
Par ailleurs, il est des kinesthésies qui ne semblent pas à première vue
soulever le problème de l’identité sexuelle des contenus projetés ; il s’agit
de kinesthésies à valence narcissique qui apparaissent soit en configuration
bilatérale dans des thèmes de miroir, soit dans des planches compactes en
représentation humaine solitaire. Ce type de réponses se repère aisément par
l’intérêt narcissique, le gain valorisant qu’il souligne pour le sujet :
« Quelqu’un de mince, au dos cambré, dans un bustier de Jean-Yves Gautier
[sic] à n’en pas douter, qui se regarde dans un miroir et qui est en train de
fouiller dans un panier pour trouver un bijou à se mettre » (III). « Une
personne très fine, les bras savamment écartés pour déployer des étoles de
tissu irisé ; elle fait des pointes et porte une couronne je pense ; je ne sais
pas pour quel rôle mais c’est un rôle sombre, un rôle de tragédie pure » (V).
Mais si l’identification sexuelle est ainsi évitée, c’est bien parce que la
reconnaissance de la différence est insupportable du fait des manques
qu’elle implique. Le maintien sans faille d’une image de soi idéalisée,
nantie et autosuffisante permet d’éviter la prise en compte de l’altérité et le
risque conséquent d’une castration narcissiquement inadmissible.
D’autres traits caractérisent ces kinesthésies mobilisées par l’exigence
narcissique : la spécularité, la bisexualité anatomique ou au contraire la
neutralité sexuelle des représentations humaines, l’accent mis sur les
postures et/ou les fonctions qui évitent la dimension interactive de la
relation. Des réponses telles que « des acrobates », « des danseurs », « un
ballet d’avocats » (III) révèlent la nécessité de situer les deux partenaires
dans une action commune, identique, sans que l’effet de l’un sur l’autre soit
pris en compte. Ailleurs, c’est la source du mouvement qui est déplacée sur
un élément extérieur, si bien que son origine interne et son appartenance au
sujet sont comme désavouées : « Deux petites filles sur une balançoire,
poussées par le vent » (VII). « Deux pantins, comme des marionnettes,
qu’on anime en ombre chinoise ; on appuie sur cette partie et alors le buste
se baisse, ou le bras se lève, ou la tête… Peu importe » (III).
 Les kinesthésies mineures (k)
Le qualificatif « mineur » ne doit pas conduire à minimiser le potentiel
poids projectif qui sous-tend les mouvements. L’analyse des kinesthésies
mineures obéit de fait à la même démarche que les kinesthésies humaines
(K) et suit les mêmes principes : on s’attache à leur qualité perceptive, à
leur dimension projective en prêtant une attention particulière à leur charge
économique, ainsi qu’à la qualité potentiellement symbolique, porteuse de
problématiques identificatoire et conflictuelle, des contenus associés. Un
travail comparatif des kinesthésies majeures et des kinesthésies mineures
s’avère de fait tout à fait instructif pour repérer l’homogénéité, la diversité,
voire l’hétérogénéité, des conduites psychiques mobilisées : la qualité
formelle et adaptative peut s’y révéler très contrastée, à l’instar de la charge
pulsionnelle et de la dynamique identificatoire
Les kinesthésies « animal » (kan) participent souvent de déplacements de
mouvements pulsionnels sur des représentations à distance des
représentations humaines. De façon plus ou moins anthropomorphique, leur
dimension agressive et/ou libidinale peut être facilement dégagée : « Je vois
quelques animaux qui font une espèce de danse » (II), « deux chimpanzés
qui se disputeraient quelque chose par terre » (III), « Babar en costume
coloré, qui s’avance solennellement, comme dans Babar et Céleste en
voyage de noces [rit] » (IX, à l’envers), « un animal immobile, mais prêt à
bondir sur sa proie » (VIII). De telles réponses traduisent ainsi le
compromis défensif qui laisse passer a minima le retour du refoulé : la
représentation humaine conflictuelle est écartée, et remplacée par un
contenu animal qui sert de porte-parole aux pressions fantasmatiques et
pulsionnelles considérées comme gênantes. Les quantités d’énergie
mobilisées ne sont pas très importantes et il n’y a pas de désorganisation
perceptive.
Mais dans certains protocoles, les charges pulsionnelles apparaissent
moins équilibrées : « Deux animaux qui se battent, ils sont blessés, on voit
des traces de sang » (II), « une hyène qui se jette sur sa proie, pour la
déchirer, on voit le reste des os, ici » (VIII). Dans d’autres, c’est leur valeur
narcissique qui est au premier plan, mettant l’accent sur la fragilité de la
différenciation, la nécessité d’étayage, la spécularité comme défense contre
l’investissement objectal : « Un animal sur un miroir, un chien, quelque
chose comme ça. Je pense à un chien car c’est l’animal qui m’est le plus
sympathique. Il est sur la glace. Le pauvre, il a un problème, il est pris dans
la glace. Il souffre quoi » (I). « Un papillon qui traîne dans des flaques
d’eau, qui a perdu ses ailes, qui n’arrive pas à se dépêtrer » (I). « Là, je
peux dire que c’est un loup. On peut dire qu’il pleure, son image se reflète
dans l’eau » (VIII).
La représentation animale servant à la fois de médiateur et de lieu
d’expression d’affects, de telles kinesthésies permettent ainsi l’expression
d’affects dépressifs qui peinent sinon à être associés à des représentations
humaines. Le déplacement sur des contenus « animal » joue là un rôle
défensif et protecteur qui limite la perte de distance par rapport au matériel,
ce qui pourrait sinon susciter des émergences d’angoisses à connotation
sensitive. La verbalisation de l’éprouvé soulage le sujet tout en lui
permettant de l’identifier à l’abri d’une implication trop forte.
On définit une kinesthésie « objet » (kob) quand un mouvement est
projeté sur un contenu « objet » (« fusée », « avion »), parfois « élément »
(« volcan », « pétrole »). Dans certaines kob, le mouvement est fort et prend
sa source à l’intérieur de cet objet, lié à l’excitation corporelle et à la
poussée pulsionnelle, comme en témoignent clairement des métaphores qui
concourent à son expression, tel « un volcan qui explose, la lave qui
jaillit ». Dans d’autres kob, le mouvement est plus nuancé, mobilisé par un
facteur tiers qui anime de l’extérieur : « une toupie qui tourne », « une
mécanique, comme un jouet, en forme d’oiseaux. On tire la languette, là, et
les oiseaux en métal se penchent pour picorer au milieu ».
Le travail d’analyse des kob veille à en dégager les significations vivantes
ou mortifères, d’en apprécier les effets à la mesure du quantum d’excitation
qu’elles révèlent et d’en étudier les contextes et les séquences d’apparition.
Les contenus, enfin, qui les véhiculent permettent de situer le registre
conflictuel dans lequel elles s’insèrent.
Les kinesthésies humaines partielles (kp) sont rares. Elles peuvent
participer de projections de mouvements sur des parties de corps humain
(« deux doigts qui se dressent », « deux yeux qui fixent comme à travers un
trou dans un mur »), de projections de mouvements minimes ou seulement
ébauchés (gestes, mimiques) sur des images humaines entières mais
concernées partiellement par l’action projetée (« là, deux petits
bonshommes, leurs têtes qui se tournent l’une vers l’autre »). Elles peuvent
aussi concerner des représentations humaines entières mais vues dans des
petits détails (« là, tout en haut, ces petites excroissances, on dirait deux
personnes qui se promènent en haut d’une colline, elles s’approchent l’une
de l’autre et se saluent »).
La démarche de contention de l’expression pulsionnelle et/ou d’isolation
perceptive peut viser à atténuer l’ampleur de l’expression pulsionnelle :
« deux petites mains qui essaient de se toucher ». Mais parfois l’expression
projective s’avère consistante : « Ça fait penser à un visage, quelqu’un qui
fronce les sourcils ou qui regarde avec les yeux grands ouverts », « Un
visage de femme en colère, voilà, c’est tout… le rouge, la chevelure, le bleu
au milieu, les yeux qui sont méchants, un visage mécontent à cause aussi
des couleurs qui éclatent comme de colère. »
Parfois sous-tendue par la rétention de l’expression pulsionnelle dans un
contexte défensif marqué par l’inhibition du toucher, l’esquisse de
l’approche de l’objet, la kinesthésie partielle se révèle plus souvent
révélatrice de fantasmes intrusifs dont la massivité peut mettre à mal
l’adéquation perceptive. Affects d’angoisse phobique ou persécutive,
représentations d’objet surmoïque ou archaïque se révèlent parfois plus de
cette manière que par les kinesthésies majeures dont on sait qu’elles
s’inscrivent davantage dans des processus d’identification au sens strict et
classique.

Le déterminant kinesthésique résulte ainsi du compromis plus ou


moins souple et équilibré entre des exigences contraires : les
motions pulsionnelles, la nécessité de composer avec la censure
voire les défenses qui pèsent sur leur libre expression, la
nécessité de prendre en compte la réalité dans sa matérialité
perceptive.
Plus qu’aucun autre facteur, les K rendent compte de la double
contingence interne/externe du sujet ; elles servent de traducteur
de cette fonction médiatrice du moi assurée avec plus ou moins
d’aisance ou de difficultés.
Si certaines K témoignent d’une régulation exemplaire,
dynamique et créatrice, d’autres soulignent plus sévèrement le
poids des répressions défensives ou des émergences projectives.

2.3 Les déterminants sensoriels


Les déterminants sensoriels traduisent la réceptivité du sujet aux
caractéristiques chromatiques du matériel. C’est probablement la raison
pour laquelle on considère que les réactions aux couleurs des taches sont
significatives des modes de relations d’un sujet avec son environnement,
même s’il importe là encore de ne pas confondre réalité externe et réalité
interne. L’absence de réponse couleur ne doit pas donner systématiquement
à penser une indifférence à la sollicitation sensorielle, une fermeture aux
éprouvés internes et aux excitations externes. En effet, un sujet peut ne pas
intégrer la couleur à sa réponse mais y être néanmoins très sensible, comme
dans des fonctionnements rigides par exemple. La prise en compte d’autres
facteurs, comme l’augmentation de réponses kinesthésiques ou formelles, la
surenchère de commentaires, contribuent également à la mise en évidence
d’une sensibilité affective.
Dans quelle mesure la sensibilité du sujet aux caractéristiques
chromatiques du stimulus est-elle associée à son contrôle formel ? Dans
quelle mesure la réceptivité, le laisser-aller, qui consiste à se laisser
influencer par ce stimulus externe, est-il tempéré par les possibilités de
prise de distance par rapport à ce même stimulus ? D’où les différences de
cotation qui ont été dégagées, selon le poids respectif du déterminant formel
et du déterminant sensoriel (FC, EF, Clob). Ainsi, l’analyse du
fonctionnement psychique d’un individu engage l’étude des liaisons entre
représentations et affects, des modalités d’aménagement des pulsions qui
les sous-tendent, du plaisir ou du déplaisir qui peuvent y être associés, des
désorganisations éventuelles auxquelles elles donnent lieu.
Les réponses couleur (C, C’, Clob)
 La dimension perceptivo-sensorielle des réponses
couleur
Certaines réponses C renvoient à un simple constat perceptif : les couleurs
existent comme réalité matérielle, objective, et leur prise en compte dans la
détermination de la réponse relève donc d’abord de la prise en considération
de caractéristiques de la réalité extérieure. Si l’on conçoit cette réalité
comme susceptible de faire naître chez le sujet une certaine excitation,
perceptivo-sensorielle dans un premier temps, alors les stimulations
chromatiques auront une fonction excitante dont l’intensité pourra varier
selon les individus. Une illustration en est apportée par ces deux réponses
très différentes données à la planche VIII, l’une descriptive, plaquée si ce
n’est expéditive, l’autre organisant une scène originale intégrant la couleur
en un scénario libidinal associé à une expression de plaisir : « Le vert, de la
verdure, le gris, un rocher, le rose, des fleurs, ça vous va ? » « Deux
caméléons roses dont une patte repose sur le pétale également rose mais
aussi un peu orangé d’une fleur. On dirait qu’ils appuient sur le pétale pour
ouvrir la corolle, c’est amusant. »
Mais les couleurs peuvent aussi participer de réponses morbides renvoyant
à l’intérieur du corps humain, montrant que les frontières entre l’interne et
l’externe peuvent voler en éclats quand des stimulations externes
rencontrent des fragilités internes. Cela rend compte tant de difficultés de
différenciation et de liaison que de la précarité du pare-excitation : « la
coupe du corps humain, la trachée et les deux poumons gris, là, les tissus
sanguins, là deux reins, et le pubis » (X) ; « une étendue de sang » (VIII),
« une étendue de sang » (IX), « une étendue de sang » (X).
L’analyse des réponses C d’un protocole peut être associée à l’étude des
réponses déterminées par d’autres facteurs, en particulier les réponses F qui,
si elles sont de bonne qualité, peuvent rendre compte de la possibilité de
construction d’une enveloppe suffisamment solide chez le sujet, d’un
espace psychique interne différencié du monde extérieur.
On peut également repérer une exploitation défensive des couleurs mettant
l’accent tantôt sur des contenus naïfs et superficiels, tantôt sur des éprouvés
personnels, et qui vise essentiellement, par le refoulement, à éviter le
surgissement de représentations gênantes : « Voilà, les couleurs sont déjà
plus gaies. Au milieu, ça fait un dessin moderne, des taches… Non je sais
pas, pas autre chose, ça ne me dit rien de particulier, les couleurs sont un
peu pâles, fades, surtout celles du haut » (VIII).
 Les significations pulsionnelles des couleurs
D’autres réponses couleurs, au contraire, témoignent franchement de la
mobilisation pulsionnelle, qu’elle soit à valence agressive, sexuelle,
destructrice, etc., et il importe alors d’accorder une grande attention aux
modalités d’expression et d’intégration de la couleur : « Deux éléphants,
avec comme un chapeau rouge sur la tête, je ne vois pas bien ce que ça
vient faire là… Ça donne l’impression d’une scène de cirque un peu
fantaisiste. Mais on dirait qu’ils dressent leurs trompes et, bon, je ne suis
pas sûr, mais je crois que la trompe tendue comme ça, c’est plutôt pour
défier l’adversaire, non ? » (II). « Là, on voit bien deux chiens noirs qui se
battent, toutes griffes dehors, et ça, c’est le sang qui gicle ; ils ont même du
sang sur leur fourrure et sur leurs pattes, en bas, ça saigne même
beaucoup » (II). « Euh, je ne sais pas… Deux perso… qui se… Dans le film
Alien, deux femmes… la poitrine a explosé à cause de la sortie du monstre,
on le voit là, y’en a deux, pleins de sang encore, et au milieu, aussi y’en a…
on dirait plutôt des poumons ou des cœurs… Ça pourrait être les cœurs des
femmes qui se sont rejoints pour vivre encore même si elles sont mortes,
des cœurs saignants. » (III)
On a également alors tout intérêt à distinguer l’utilisation de la couleur
aux planches rouges et aux planches pastel et à comparer systématiquement
les productions respectives qu’elles suscitent. On évaluera ainsi la capacité
d’un sujet à manier les couleurs dans plusieurs registres, agressif et
libidinal, libidinal et tendre, dynamique et régressif, ce qui se traduit par des
modes de réponses diversifiés aux planches rouges et aux planches pastel ;
plus la différenciation joue des nuances et de la variété, plus les
aménagements sont souples et, en général, équilibrés.
Par exemple, Sonia, 22 ans, donne les réponses suivantes aux planches
rouges : « des taches de sang sur… je sais pas. Puis un avion » (II), « deux
messieurs qui se font la révérence, deux danseurs. Des taches de sang,
c’est évident » (III). Cette dynamique associative nous autorise à dégager
tant une angoisse de castration et qu’une difficulté de maniement de
l’agressivité. Alors qu’aux planches pastel, elle dit : « Des couleurs
marines, des couleurs très “maman” ça s’en va, ça plane » (VIII), « Des
espèces de… mi-rochers mi-plantes marines, ça bouge un peu » (IX),
mettant ainsi l’accent sur une dynamique régressive, verbalisée
directement comme telle ou par le biais d’images symboliques du monde
des relations précoces.
Mais il peut arriver que la réactivité aux planches rouges et aux planches
pastel se manifeste exactement de la même manière : l’excitation provoquée
par le stimulus chromatique est forte et peu différenciée, et les couleurs
ressenties avec une acuité qui en augmente l’impact.
Ainsi ces réponses données par le même patient :
« Une bête écrasée par un automobiliste. Ça me fait penser à un petit chat
auquel je tenais et qui a été écrasé sur une nationale. J’ai ramassé les
restes. Y’a rien de plus horrible que de voir une bête qui s’est fait écraser,
qui hurle, qui fait des sauts sur la route avant de mourir. C’est horrible »
(II).
« Je préfère les couleurs qui sont plus sympathiques en tout cas. C’est du
rose, c’est la vie en rose. Surtout pas avec les animaux. C’est tellement
étrange. C’est un autre monde. Ce sont des couleurs d’une autre planète.
Ce qui me dérange, c’est les animaux, je peux pas les voir. (?) Les
couleurs, c’est pas naturel. C’est à vif, un peu comme si on leur avait
enlevé la peau, leur toison, comme les anguilles, je sais pas si c’est rose
dessous les anguilles. Ça fait penser à des choses pas belles, ça fait penser
à la souffrance quoi » (VIII).
Si l’apparition des couleurs pastel conduit ce sujet à ressentir des affects
teintés de plaisir, s’ensuit rapidement un sentiment d’étrangeté teinté
d’angoisse. La sourdine des teintes pastel de la planche VIII ne peut pas être
durablement investie, comme contaminée par les associations morbides de
la planche II.
 Les significations affectives des couleurs
La sensibilité aux couleurs peut se traduire en termes de plaisir ou de
déplaisir, d’angoisse, de tristesse ou de gaieté dans les réponses elles-
mêmes mais aussi dans les commentaires donnés : « Ce gris, qu’est-ce que
c’est triste ! Comment voulez-vous que je vous raconte quelque chose de
drôle ?! », « Ces teintes sont merveilleuses », « Quelle horreur ce rouge ! »,
« Oh, tout ce noir, je vais faire des cauchemars à cause de vous ! ». Ces
appréciations peuvent être livrées directement, parfois contredites par le
contenu des réponses associées, parfois non reprises dans le fil associatif.
Bien que les contenus associés ou les commentaires ne corroborent pas
d’emblée cette interprétation, la sensibilité d’un sujet aux couleurs grise,
noire et blanche (FC’, C’F, C’) peut nous mettre sur la piste de
problématiques anxieuses et/ou dépressives : « un nuage gris, comme du
brouillard, pollué et toxique. On appelle ça le smog je crois, on n’en sort
pas » (IV), « la nuit sombre des jeux d’enfants » (V). Parfois, l’expression
dépressive et/ou angoissée, à l’appui de la dimension achromatique du
percept est franche, voire massive : « Un masque d’Afrique noire, un
masque mortuaire, un masque funéraire, un masque funèbre, le noir et le
blanc, le fait qu’il y ait des vides et des pleins. Une danse triste, c’est le
noir, une impression abstraite » (I).
Les réponses Clob, éventuellement accompagnées d’exclamations ou de
silence stuporeux, révèlent de façon plus explicite encore l’envahissement
par le surgissement d’un affect et/ou d’une représentation d’angoisse : « La
mort, le noir, la croix (fait un signe de croix avec son index sur la tache),
très obscure » (I) « Une vision cauchemardesque, quelle horreur, on dirait
un monstre » (IV), « le manque d’espoir, la mélancolie, tout ce dont je
souffre » (V), « la méchanceté dominante, le noir, la mort, la destruction »
(V). La qualité formelle de ces réponses, la présence de précautions
verbales, et la localisation sont bien sûr à étudier avec attention pour repérer
les tentatives réussies ou échouées de contrôler et contenir un tant soit peu
la représentation et l’affect mobilisés. Mouvements phobiques, angoisses
persécutives, labilité dramatisante et souffrances dépressives sont
susceptibles de déterminer de telles réponses, assez rares, mais dont on
évaluera le poids dans un protocole et les problématiques auxquelles elles
sont associées.
L’étude des réponses témoignant de la sensibilité à la couleur blanche
apporte des informations complémentaires précieuses. Des réponses telles
que « lumière », « de la porcelaine blanche et brillante » montrent
notamment une sensibilité « périphérique » qui se réfère essentiellement au
visuel ou au tactile (alors que le rouge, on l’a vu, ranime des émergences
pulsionnelles internes, profondes). Ce mode de traitement de la couleur
blanche souligne un surinvestissement de la sensation et de son utilisation
comme stratégie de défense narcissique contre l’émergence d’affects ou de
représentations inconscientes et plus spécifiquement de leurs sources
pulsionnelles. D’autres mettent davantage l’accent sur des thèmes de froid,
de précarité ou d’insécurité, voire d’hostilité (« une bougie qui fond », « un
paysage glaciaire illimité, de la neige, du blizzard, on ne voit rien venir »).
D’autres, enfin, tendent à geler les investissements objectaux en neutralisant
notamment l’excitation libidinale ou agressive (« le blanc : l’absolu, le vide,
le néant ou son contraire », « la conscience universelle, à laquelle je ne
crois pas »).
Ainsi, on s’aperçoit là encore que les réponses intégrant la couleur, qu’elle
soit rouge, achromatique ou pastel, marquent la sensibilité du sujet aux
incidences du stimulus et donc sa disponibilité, sa suggestibilité, peut-être
sa dépendance, plus ou moins acceptée, élaborée, par rapport à son
environnement. Elles traduisent également les modalités de relations avec le
monde interne et les aléas des liaisons entre affects et représentations.
Les réponses estompage (E)
On désigne ainsi les réponses déterminées par la sensibilité aux dégradés
et aux nuances de couleurs, notamment le gris. Cette particularité de la
sensorialité peut rendre compte d’une certaine finesse perceptive qui prend
des significations variées selon la qualité des associations. On distingue,
selon leur contenu, trois catégories d’estompages : les estompages de
texture, les estompages de diffusion et les estompages de perspective.
 Les estompages de texture
Les estompages de texture caractérisent la sensibilité tactile : « un
manteau de fourrure, du chinchilla, on voit bien le côté soyeux (caresse la
planche) », « une peau de vache, toute rêche et pelée ». La référence au
toucher implique la réactivation d’une sensibilité très précoce : le toucher.
Être touché renvoie de prime abord aux caresses maternelles et aux
manipulations du corps du nourrisson. Ainsi, l’interprétation classique
confère à l’estompage de texture une dimension régressive. Mentionnons
les travaux de D. Anzieu sur le moi-peau (1974, 1981) pour rappeler
l’importance des contacts sensoriels dans l’établissement de l’enveloppe
corporelle d’une part, dans l’étayage des relations objectales d’autre part. À
partir de la sensibilité proprioceptive initiale se développe une sensorialité
qui suit le parcours de l’évolution libidinale, exprimée là selon des polarités
orale, anale, parfois même génitale : « des beignets soufflés en train de
cuire parce qu’il y a un effet de volume assez amusant » (VII), « de la
poussière, ça fait sale » (VI), « des coussins bien rembourrés » (VII), « ça
fait tout à fait une peau de panthère, comme ce que l’on met devant un feu
de cheminée dans un château romantique (rit) » (VI).
Ailleurs, les estompages de texture traduisent la quête de soutien et de
contenance. Les dégradés sont exploités comme nuances douces et
cotonneuses : « une couverture duveteuse », « un manteau moelleux »,
« une peau de mouton, douce, j’en ai mis au pied du lit de mes enfants, pour
ne pas qu’ils aient froid aux pieds quand ils se lèvent, c’est très épais et très
doux. »
Mais certaines réponses estompage expriment plutôt la carence et la
précarité : « de la boue froide », « de la glu », « une peau mitée », « ça peut
être aussi des morceaux de tôle rouillée, genre vieille voiture à la casse »,
« de la mousse de plastique, en putréfaction, ou déchiquetée ». À moins
qu’elles n’apparaissent dans des contextes plus franchement dépressifs dont
elles condensent l’expression et la tentative d’aménagement : « Un
épouvantail. La pauvreté. Le déchet. Des haillons misérables. Impression de
déchiré, de décoloré. À partir du moment où il y a les haillons, il y a
l’épouvantail, puis la saleté et en dernier lieu, le rebut et le déchet. C’est
une chaîne de raisonnement, d’impressions et d’images plutôt ».
 Les estompages de diffusion
Les estompages de diffusion sont constitués par des engrammes aux
contours flous et évanescents, du type « volutes de fumée », « flaque
d’huile de vidange aux reflets irisés ». Ils sont moins homogènes que les
précédents et il est nécessaire de distinguer leurs significations défensives
de leurs implications projectives.
Leur utilisation prend une valeur défensive dans la mise en avant de
réponses indécises qui jouent un rôle d’écran par rapport aux émergences
fantasmatiques et participent ainsi de mécanismes de refoulement. Ainsi
cette réponse, planche VI : « Non je ne vois pas du tout, je ne sais pas ce
que ça pourrait être… de la fumée peut-être, une fumée épaisse… On ne
voit rien… Le haut vraiment me gêne… Je ne vois pas vraiment… » La
mise à l’écart de l’association sexuelle apparaît d’abord dans la dénégation,
renforcée par la réponse estompage qui masque davantage encore la
représentation refoulée, laissant finalement à peine émerger l’affect (la
gêne).
Les estompages de diffusion révèlent parfois une certaine fragilité de
l’identité qui se traduit par la présence d’images évanescentes, instables,
éphémères ; l’accent porte sur la dilution, l’aspect effiloché de l’enveloppe :
« un fantôme enveloppé de peau translucide », « quelque chose de velu…
mais ça donne l’impression d’être enroulé sur soi et de changer de forme »,
« une tornade maléfique, comme dans un film que j’ai vu, une momie
poussiéreuse qui tombe en lambeaux et qui se transforme en tornade de
sable, les différences de gris ça donne tout à fait cette impression, un
monstre de poussière et de vent. »
Parfois, c’est davantage une valence dépressive qui se laisse entendre :
« Des nuages, des cumulus nimbus, les tornades dont on parle tant en ce
moment… La tempête, l’orage qui gronde. Des nuages chargés d’orage et
de pluie. Le divorce… un souffle… plus qu’un souffle, l’âme. Chacun va de
son côté. C’est la tempête. C’est tout à fait mon divorce. »
 Les estompages de perspective
Les estompages de perspective sont construits en trois dimensions, les
dégradés de tons étant exploités en tant qu’ils définissent différents plans
dans l’espace : « une allée bordée d’arbres et un château au fond », « un
précipice qui traverse une terre aride. » En s’appuyant sur les nuances de
gris et en créant ainsi de la perspective, de la profondeur et de la distance, le
sujet exprime des problématiques qui peuvent être de registres différents.
On trouve par exemple des réponses estompage dont la valence sexuelle
symbolique peut être dégagée de l’attention originale portée à la
profondeur : « là, la partie plus sombre fait penser à une vallée profonde
assez mystérieuse alors que tout autour, le gris clair fait plutôt penser à une
plaine boisée » (VI), « une anfractuosité dans un rocher, les dégradés là, ça
donne l’impression de petites pointes acérées et coupantes » (VII). Mais le
déplacement sur un contenu symbolique s’avère parfois précaire : « Un
vagin. C’est la terre avec des… à la place du vagin, on peut nettement voir
une vallée profonde avec… Comme ces sites, peut-être une vallée, un
plateau, une douceur, quelque chose de très physique. Y’a une peau.
Puisqu’on est dans le vagin, y’a une verge au bout du vagin… Oui, c’est ça,
une géographie, une forme géographique avec des reflets. La verge est pas
en position, mais elle le sera. Elle est quand même en érection » (VI).
Parfois, la représentation mobilisée par la sensibilité à l’estompage de
perspective est plus massive : « Un trou noir bordé d’un maelström, qui
engloutit tout sur son passage » (I).
On voit ainsi combien l’utilisation tridimensionnelle de l’estompage, tout
en révélant parfois des préoccupations en termes de faille, voire des
fragilités narcissiques du sujet, souligne l’effort pour y remédier par une
conduite active. L’articulation perceptivo-sensorielle condense la sensibilité
au creux et les tentatives pour le compenser. Les estompages sont ainsi
fortement impliqués dans l’édification de l’individualité par la réceptivité
sensorielle qu’ils sollicitent, par leur polarité régressive sans doute en
rapport avec les premières expériences de holding et de handling
(Winnicott), par l’investissement des surfaces de contact ou des zones
érogènes qu’ils dévoilent. Mais d’un autre côté, ils constituent en eux-
mêmes une tentative pour faire face aux insuffisances narcissiques ou
objectales qu’ils dénoncent, par le recours à une dynamique régressive qui
permettra d’éventuels réaménagements.

L’analyse générale et les interactions entre les différents facteurs


sensoriels permettent une approche des liaisons possibles entre
représentations et affects. L’étude de la réactivité aux planches
rouges et pastel s’impose même en l’absence de réponses
couleur, voire même quand aucune remarque concernant le
caractère chromatique du stimulus n’est formulée. Nous avons
alors la possibilité d’étudier la manière dont le sujet réagit aux
changements qualitatifs du matériel : renforcement des conduites
formelles, recours aux traductions kinesthésiques, inhibitions,
manifestations d’angoisse ou excitation extrême, logorrhée,
autant de manifestations qui nous renseignent sur les modalités
de réception, d’admission et d’intégration des stimulations
émotionnelles.
Les affects et les représentations peuvent être isolés, l’un des
deux seulement étant accessible au sujet à tel moment de la
passation. Parfois, la congruence entre la représentation et
l’affect permet de saisir une liaison qui participe du traitement
dégageant de la problématique en jeu. D’autres fois, on observe
une extrême sensibilité affective et un contenu représentationnel
qui ne justifie pas une telle quantité d’émotions. Seul le travail
d’analyse et d’interprétation permet de saisir la dynamique
psychique, de repérer par exemple le transfert de l’affect loin de
la représentation dans une autre partie de la séquence
associative ou le renversement de l’affect en son contraire, etc.
Le travail sur les affects et l’analyse conjointe des kinesthésies et
des réponses couleur en référence au système représentations-
affects ouvre ainsi des perspectives de compréhension
précieuses en appréhendant avec plus d’acuité les liaisons entre
représentants-représentations et représentants-affects.

3. Les contenus
Les contenus des réponses sont tout à la fois potentiellement d’une grande
diversité et cependant assez régulièrement les mêmes d’un protocole à
l’autre. Certains sont très fréquemment retrouvés, d’autres sont plus rares et
originaux. Leur analyse exige beaucoup de rigueur car l’interprétation peut
vite devenir arbitraire si elle procède par généralisation hâtive sans tenir
compte de la dynamique associative dont chaque contenu est partie
prenante. En effet, les contenus ne sont que des traductions, parfois des
travestissements de sens que nous avons à découvrir.

3.1 Les contenus spécifiques


Les contenus « Animal »
Un pourcentage minimal de réponses « A » est attendu au sein d’un
protocole et constitue un facteur d’intégration adaptative et socialisante. La
plupart des réponses banales sont d’ailleurs des réponses Animal
(notamment aux planches I, II, V, VI, VIII, X).
Si le A% est très faible, associé de surcroît à d’autres facteurs également
faibles (D%, H%, F+%, Ban), on doit s’interroger sur le risque de rupture
de contact avec la réalité. Cela ne va pas forcément dans le sens d’un défaut
de socialisation : le relais peut en effet être pris par d’autres types de
contenus. Parfois une socialisation effective peut s’accompagner d’intérêts
originaux qui se traduisent dans des contenus plus culturels, historiques,
artistiques, tout à fait partageables, malgré l’effort sensible du sujet pour ne
pas satisfaire à une banalisation conformiste. Un A% très élevé, au
contraire, peut faire état d’une carapace adaptative, conformiste et rigide,
érigée comme défense majeure pour éviter l’émergence de représentations
personnelles originales (cf. faux self). Quoi qu’il en soit, il s’agit de se
livrer à une analyse fine des réponses « A » pour juger du caractère
socialisant ou original, morbide parfois, de ces contenus. Malgré un A%
élevé, la surabondance répétitive d’un bestiaire présentant une facture mal
différenciée, archaïque (animaux dangereux, menaçants, dévorants,
tentaculaires), témoignera surtout du primat d’une activité fantasmatique
dont les incidences projectives et persécutives sont patentes, au détriment
des aspects socialisés.
Les contenus A sont souvent témoins de la mobilisation de mécanismes de
déplacement, permettant l’expression de mouvements pulsionnels, voire de
modalités conflictuelles, sur des supports à distance des identifications
humaines qui demeurent alors protégées : « Deux popes orthodoxes en
soutane noire et mitre rouge qui font une prière… Ou alors, deux rhinocéros
en train de se battre. Ils se sont blessés avec leurs cornes, ils ont du sang sur
leurs pattes » (II).
Les contenus « Humain »
L’apparition d’un minimum de réponses humaines « H » est nécessaire :
elle rend compte de la capacité d’un individu à s’identifier à une image
humaine, première articulation différenciatrice. Pour certains sujets
néanmoins, la distinction entre les règnes n’est pas toujours effective et l’on
trouve parfois des contenus hybrides, en particulier des images à la fois
humaines et animales dont on s’aperçoit qu’elles révèlent souvent une
fragilité des identifications primaires et des fondements narcissiques : « Un
homme avec des yeux de mouche, des pattes de crabes et là comme des
écailles » (III). À noter toutefois que certaines réponses hybrides
potentiellement de meilleur aloi peuvent être formulées sous couvert de
références culturelles, religieuses ou mythologiques : « sirènes »,
« centaures », « Anubis », « Horus ». Une analyse approfondie de leur
importance dans un protocole mais également de la dynamique de leur
apparition dans la séquence associative au sein des planches permettra seule
d’en apprécier la dimension de fragilité narcissique.
 Les représentations humaines clairement définies : H
Elles marquent d’abord l’aptitude de l’individu à identifier une image du
corps humain entier, vivant et réel. Le H% est classiquement considéré
comme un indice de socialisation, du fait de l’ouverture possible vers une
image humaine qui sert de modèle identificatoire. On appréciera par ailleurs
la possibilité ou non du sujet à déployer des qualités liées aux
identifications sexuelles aux représentations humaines : « Deux
personnages », « deux femmes qui dansent », « deux serveurs de restaurant
avec le dos cambré et le derrière en arrière » (III).
 Les représentations humaines déréelles : (H)
Elles renvoient à des personnages mythiques ou déréels, tels que diables,
sorcières, fées, lutins, fantômes, dieux et déesses… Parce qu’elles peuvent
être intégrées à une vie imaginaire riche de fantaisie, leur apparition n’est
pas en soi problématique. Mais si elles constituent l’essentiel du H%, elles
peuvent révéler un investissement défensif de l’imaginaire et/ou rendre
compte d’une difficulté à différencier le réel de l’imaginaire et/ou encore
témoigner d’un repli dans un monde plus ou moins chargé de projections
arbitraires et déformantes. Là encore, c’est le poids et la qualité des
réponses qui permettront de saisir la nature des identifications primaires et
secondaires.
Planche VII : « Oh, c’est amusant, on voit très bien Dark Vador, avec son
casque et ses épaules larges ! C’est tout à fait lui ! Mais là, il n’a pas son
sabre laser… [rit] »
Planche IX : « Deux fées Carabosse autour d’un chaudron, elles ont des
doigts comme des ciseaux. On dirait Edward aux mains d’argent. Elles
essaient de se couper la tête… et en bas c’est le sang. »
 Les représentations humaines parcellaires : Hd
On cote Hd quand le sujet ne donne comme réponse qu’une partie du
corps humain (à différencier des réponses anatomiques « Anatomie »
impliquant l’intérieur du corps).
Ces réponses peuvent révéler un abord prudent, voire phobique, de la
représentation humaine qui conduit à l’appréhender partiellement pour en
atténuer l’impact fantasmatique : « deux mains qui se touchent », « les têtes
de deux personnes qui se saluent ».
Elles peuvent aussi être liées au refoulement des représentations
sexuelles : le surinvestissement de certaines parties du corps, (« une tête
dressée avec un chapeau pointu », « le nez du général de Gaulle », « un
visage, la bouche ouverte ») correspond à un déplacement sur des parties du
corps valorisées comme appendice saillant (les pieds, les jambes, les bras,
le nez), à valence sexuelle (« des doigts qui se dressent ») et/ou agressive
(« deux jambes qui se donnent des coups de pied, ça saigne. »)
Les réponses Hd ont une connotation plus morbide quand elles sont
associées à des formes arbitraires et quand elles ne sont pas accompagnées
par ailleurs de réponses humaines entières. Elles risquent alors de traduire
l’absence d’intégrité de l’image du corps et/ou l’existence d’une angoisse
de morcellement. Les membres coupés, les corps tronqués, blessés,
amputés, sont autant de traductions de possibles angoisses hypocondriaques
ou d’un sentiment de désintégration corporelle.
Les contenus symboliques
Certaines réponses surgissent avec une fréquence suffisante pour que leur
portée symbolique ait pu être dégagée, mais il importe toujours de
confronter les aspects manifestes des planches, leurs sollicitations latentes
et les dimensions symboliques des réponses fournies. Il en est ainsi des
contenus à valeur sexuelle, pénienne ou vaginale, phallique ou châtrée,
passive ou active, pénétrante ou pénétrée, qui sont très fréquents, à l’instar
des contenus à valeur agressive ou régressive.
 Les contenus à valence sexuelle
Si certaines réponses ont explicitement un contenu sexuel, d’autres sont
sous-tendues par des mécanismes de déplacement. Les réponses à
symbolique phallique peuvent être associées par exemple à la planche II à
la pointe médiane qui surmonte la vacuité centrale : « Le clocher pointu
d’une église », « Une fusée prête à décoller. » De telles associations sont
courantes, de bonne qualité formelle et en résonance avec les sollicitations
latentes de la planche.
De même, la reconnaissance de la puissance phallique se traduit par la
production, aux planches IV et VI, d’images symboliques plus ou moins
proches de la représentation proprement dite :
Planche IV : « Un motard qui fonce dans la brume » ; « un personnage
très fort, très puissant, la puissance dans les jambes »
Planche VI : « Une fusée qui s’élève dans les nuages » ; « le cou d’une
girafe » ; « un serpent »
Il en va de même pour les réponses sexuelles féminines : les réponses
« fleur » en sont la traduction la plus répandue. Par exemple, à la planche II,
dans le détail médian supérieur de la planche IV ou dans le détail médian
inférieur de la planche VI : « une orchidée déchirée par plaisir », « une
corolle entrouverte avec un petit pistil là. » Citons, dans le même registre,
toutes les références en creux, les réceptacles, récipients et contenants
divers qui renvoient à la réceptivité dans un contexte féminin/maternel :
« un coquillage ouvert » ; « un isthme étroit » ; « une vasque ancienne. »
Certains contenus « anatomie » ont une valence sexuelle, comme « un
bassin », « des hanches » ; « les côtes, les os de la poitrine », « la colonne
vertébrale bien droite », « le cœur, le siège de l’amour » alors que d’autres
peuvent traduire l’effraction entre dedans et dehors et le défaut d’unité
corporelle (« un foie coupé en deux » ; « des poumons sanguinolents » ;
« un cerveau éclaté. »)
De même, si certaines réponses « Sang » peuvent tout à fait exprimer une
préoccupation sexuelle (« un sexe féminin avec le sang menstruel »),
d’autres participent de fragilités identitaires (« On dirait quelque chose qui a
explosé avec comme des jets de sang. Ça me fait penser à mon crâne à force
d’encaisser, j’ai tendance à exploser, des fois j’ai l’impression que ça boue à
l’intérieur que ça va exploser et sortir », « des nuages qui pleuvent du
sang »).
La présence de contenus à valence symbolique sexuelle est importante en
particulier dans l’analyse des positions identificatoires en lien à la
bisexualité et à la différence des sexes. L’étude des réponses kinesthésiques
et humaines peut être ainsi complétée par l’analyse des contenus associés
aux planches II, III, IV, VI et VII. La possibilité de jouer sur les deux
registres du masculin et du féminin, dans des prises de position
alternativement actives et passives, rend compte de la souplesse des
processus d’identification sexuelle. À l’inverse, la polarité excessive sur
l’une ou l’autre position, la différenciation caricaturale ou l’évitement,
l’indétermination des références sexuelles vont dans le sens de difficultés
dans l’acceptation de la différence des sexes, voire même dans sa
reconnaissance. On s’attachera alors à l’analyse des associations et des
implications latentes de telles images afin d’y découvrir les articulations
fantasmatiques susceptibles d’expliquer ces perturbations.
 Les contenus à valence agressive
Les contenus à valence agressive témoignent de mobilisations
pulsionnelles qui se réfèrent à des modalités de relation d’objet.
Les objets pointus peuvent s’inscrire dans un contexte de revendication
phallique dont la connotation agressive est évidente : « La pointe effilée
d’une épée », « le dard d’une guêpe » ; mais on peut les rencontrer aussi
dans d’autres registres où la dimension anale est davantage présente : « Un
thermomètre », « un coloscope ». Les objets pointus, tels que « pinces »,
« piques », peuvent rendre compte de difficultés à manier l’agressivité
notamment lorsqu’on observe conjointement une impossibilité à
conflictualiser les scénarios relationnels (kinesthésies retenues ou
formations réactionnelles) : le retour du refoulé se fait jour par le
déplacement et la projection sur des petits détails des motions agressives
dans des contenus (objets coupants, blessants) dont la dimension
symbolique est transparente. Ailleurs, c’est la polarité orale qui sera
développée dans des contenus tels que « mâchoires qui s’ouvrent », « crocs
pointus ».
Si des contenus « Animal », de par leur dimension clairement prédatrice,
se révèlent porteurs de motions agressives (« aigle qui fonce sur sa proie »,
« hyène »), d’autres contenus moins élaborés peuvent soutenir l’expression
de motions plus destructrice qu’agressive (« sang qui gicle et éclabousse »,
« corps démembré et explosé », « ruines »).
Bien entendu, il est là encore nécessaire de rétablir les liens entre les
contenus et les autres particularités de la production qui en autorisent
l’interprétation.
 Les contenus à valence régressive
Ils apparaissent fréquemment, en particulier aux planches qui les
sollicitent (planche VII et planches pastel), mais ils peuvent aussi surgir
dans d’autres contextes, prenant alors une signification défensive évitant
l’abord d’un conflit d’ordre sexuel ou agressif.
Les notations régressives renvoient souvent aux premières relations
d’objet par le truchement du monde marin (« fonds et animaux sous-marins
aux couleurs chatoyantes »), de l’eau (« des eaux calmes », « un étang dans
une clairière »), enveloppe précoce plus ou moins plaisante et sécure (« une
grotte humide et froide », « un marécage »).
D’autres contenus sont susceptibles de rendre compte d’un registre
semblable, associés aux estompages de texture : « fourrures », « peluches »,
« chevelures », « vêtements ». La reviviscence de ces expériences de
contact primitif entraîne l’expression de représentations ou d’affects
ressentis comme plaisants (« une fourrure très douce », « des coussins
moelleux ») ou déplaisants (« des vêtements déchirés »). Les adjectifs
associés, la tonalité anxieuse ou paisible des images, contribueront à
caractériser positivement ou négativement des contenus déjà significatifs en
eux-mêmes.
Certains contenus mobilisent des représentations liées à l’oralité (« du
jambon avec de la salade », « des beignets, mmh, j’adore ça ! »), d’autres à
l’analité (« explosion avec de la fumée qui s’échappe », « de l’eau sale »).

Si certaines réponses relèvent d’un simple contact perceptif, sans


référence symbolique, d’autres rendent compte d’une épaisseur
symbolique. La présence de telles représentations en lien avec
les sollicitations latentes spécifiques des planches peut être
considérée comme un indice significatif d’une résonance
fantasmatique préjugeant de l’existence d’un espace psychique
dans lequel l’imaginaire peut se déployer. Cette appréciation se
fait rapidement, à la première lecture, quand les images parlées,
évoquées par le sujet, trouvent écho chez le clinicien par
l’évidence du symbolisme, le plaisir à trouver le lien avec des
références latentes du matériel, la convergence symbolique de
certaines réponses. Le mode de communication mis au jour par
le protocole semble familier, sauf par l’originalité qui peut ajouter
une connotation de créativité.
La rencontre clinicien-sujet agit, même en dehors de la passation,
parce que le système de représentations de l’un entre en
correspondance avec celui de l’autre : la capacité d’un sujet à
déclencher, chez le clinicien, des associations en rapport avec les
images qu’il fournit, témoigne de l’induction d’un investissement
effectif de son discours probablement en rapport avec ses
capacités d’attirer l’attention de l’autre et de le mobiliser dans une
relation dont les modalités devront être analysées plus finement
par la suite.
Si l’on considère que le préconscient est un réservoir d’images et
de mots susceptibles de devenir conscients, et qu’il occupe une
place intermédiaire entre le système inconscient et la conscience,
alors on peut penser que la capacité d’un sujet à figurer certaines
représentations inconscientes revient à un fonctionnement effectif
du système préconscient.
Dans d’autres perspectives théoriques, si l’on se réfère aux
travaux de Winnicott en particulier, la présence de contenus, dont
la résonance fantasmatique est révélée par les capacités de
symbolisation, est susceptible d’être considérée (à l’instar
d’autres facteurs comme les K) comme significative des aptitudes
du sujet à fonctionner dans l’aire transitionnelle, cet entre-deux,
imaginaire-réel, qui se réfère au paradoxe de la double
appartenance au sujet et à l’objet.
Chapitre 10
Modalités de l’organisation
défensive au Rorschach

Sommaire
1. Les défenses rigides
2. Les défenses labiles
3. Les défenses par l’inhibition
4. Les défenses narcissiques
5. Les défenses projectives

Parce qu’elles veillent à protéger le moi des exigences pulsionnelles, les


défenses organisent le conflit psychique, elles l’alimentent et tentent de le
traiter. Au Rorschach, on peut en saisir l’expression et en évaluer le poids,
la souplesse et le coût par l’attention portée aux manifestations verbales et
non verbales pendant la passation, à certains facteurs, à la qualité d’une
réponse ou d’une séquence associative, etc. Il est délicat de classer les
mécanismes de défense, en termes psychopathologiques, car ils sont
susceptibles, à des degrés divers, d’être observés dans plusieurs
organisations ; certains sont marqués par la rigidité, par la labilité ou
l’inhibition, certains témoignent de l’émergence du processus primaire,
mais tous ne sont pas aisément identifiables selon ces critères.
Nous présentons les diverses traductions au Rorschach de plusieurs
modalités défensives et mécanismes de défense, sans prétendre à
l’exhaustivité, selon une organisation qui propose un repérage de base
pertinent : modalités rigides, labiles, par l’inhibition, narcissiques,
projectives…
1. Les défenses rigides
Elles utilisent préférentiellement les données perceptives du matériel, soit
pour éviter ou minimiser le surgissement d’éléments de la réalité interne,
soit pour en permettre l’expression par des justifications et de
rationalisations « objectivantes ».

Données qualitatives, verbalisation


Ces procédés peuvent donner à la verbalisation une allure assez
spécifique, lourde, empruntée, caractérisée par des allers-retours, le sur-
place, l’absence de position claire. Elles apportent à la production une
abondance dans laquelle l’aspect touffu des commentaires cache
l’évitement des représentations signifiantes pour le sujet :
• Les précautions verbales : « Cela pourrait être… », « Si on regarde très
attentivement… », « À la rigueur, on pourrait voir ici… »
• Le doute, parfois marqué de rumination : « Je ne suis pas sûr que ce soit
tout à fait cela… », « Ce n’est pas tout à fait exact… », « Si on enlève la
partie gauche, et en regardant surtout la partie centrale on pourrait peut-
être à la rigueur voir… mais cela ne colle pas tout à fait… »
• L’attachement aux détails peut s’exprimer dans les commentaires,
indépendamment du mode d’appréhension : le sujet décrit minutieusement
les différentes parties de la tache même si celle-ci est appréhendée
globalement.
• Les précisions chiffrées sont rares mais apparaissent parfois dans le
décompte scrupuleux de certains éléments du matériel.
• La dénégation, formulée ici quant à l’aspect externe de la perception (et
non la représentation interne associée) : « Ce n’est pas net », « Je ne vois
pas bien ».
• Les formations réactionnelles qui mettent l’accent sur la politesse, la
déférence, la compliance : « merci », « C’est très bien dessiné, très
ordonné, très net… »

Facteurs spécifiques
• F% élevé : formalisation excessive, description, focalisation sur les
contours externes.
• Nombreux F ± : doute, crainte d’engagement, de prise de position claire et
déterminée.
• TRI où les réponses sensorielles sont peu nombreuses, lutte contre
l’émergence des affects.
• Exacerbation de l’utilisation des G, D ou Dd : souci de maîtrise du
matériel en ce qui concerne ses configurations perceptives et contention
des mouvements internes.
• Intellectualisation repérable par la combinaison de G organisés, de
déterminants kinesthésiques et de contenus spécifiques (Art, Géol,
Abst…).

Réponses ou séquences de réponses


Ce sont des procédés dont la condensation révèle l’opération défensive
proprement dite, dans un double mouvement, présentant la représentation
et/ou l’affect et la défense mobilisée à l’encontre :
• Dénégation : « Ça n’est quand même pas un aigle… non, pas un rapace,
quelque chose de moins agressif. »
• Formation réactionnelle : « Deux maîtres d’hôtel qui se font des
courbettes. »
• Doute et hésitation entre deux images, entre deux interprétations au sein
de la même réponse : « Deux personnages… je ne sais pas si ce sont deux
hommes ou deux femmes… le nez ferait penser à des personnages de sexe
masculin, mais… ils portent des chaussures à talons… donc ce serait
plutôt des femmes. »
• Isolation : « Deux chiens en train de… non je ne vois pas… Le rouge, des
taches de… de sang. »

2. Les défenses labiles


Données qualitatives, verbalisation
Les commentaires mettent l’accent sur la dimension affective du vécu du
sujet, ce qui peut permettre d’en saisir la valeur défensive contre
l’émergence d’autres éléments de la réalité interne, notamment les
représentations :
• Réactivité immédiate aux planches avec commentaires sur l’éprouvé
affectif.
• Manipulation labile du langage : précipitation, associations par contiguïté
ou consonance, jeux de mots.
• Dramatisation : caractère excessif de la verbalisation, avec expression
enflée du plaisir ou du déplaisir : « C’est horrible ce que vous me montrez
là » ; « Oh ça alors, c’est vraiment infiniment plus joli, agréable, ravissant
comme teintes ».
• Labilité et contraste des réactions émotionnelles liées à la qualité
chromatique des planches (commentaires négatifs sur les planches noires,
commentaires positifs sur les planches pastel) qui souligne la
suggestibilité du sujet.
• Accent porté sur la méconnaissance, le non-savoir, l’absence
d’imagination, d’inspiration, sous forme de dénégations successives :
« Non, je ne vois pas ce que ça pourrait être… Je n’ai pas d’idées,
d’ailleurs je n’ai aucune imagination » (refoulement).
À noter cependant que certains procédés labiles témoignent d’un échec du
refoulement, notamment lorsque l’on observe, à plus ou moins fort degré,
une fuite en avant dans l’interprétation avec précipitation dans la
multiplication des réponses, des fluctuations très importantes dans la qualité
des réponses, des expressions affectives massives, une perte du contrôle sur
la réalité objective (F+% très bas), des contenus très crus.

Facteurs spécifiques
• Approche globale, vague ou impressionniste : mise à distance, évitement,
absence apparente de « curiosité » et de « pénétration » du matériel
(refoulement).
• TRI extratensif (composé surtout de réponses sensorielles) : mise en avant
des émotions et/ou des affects pour éviter l’émergence des représentations
• Suggestibilité se traduisant par la grande sensibilité aux variations du
stimulus et en particulier aux changements chromatiques (variété des
réponses sensorielles C, C’, Clob, E).
• La prévalence accordée à la réactivité subjective apparaît dans la faiblesse
de l’intérêt porté à la forme et à l’objectivité (F% bas).
Réponses ou séquences de réponses
• Refoulement décelé dans le refus, l’incapacité à fournir des associations à
des planches sexuelles (planches II, III, IV, VI et VII).
• Dénégation et fonction d’écran de certaines représentations : « Je ne vois
vraiment pas, un voile opaque à travers lequel on ne peut rien deviner. »
• Érotisation des relations par des mises en scènes kinesthésiques : « une
femme dansant le tango entre deux hommes », « un couple enlacé qui
s’embrasse ».

3. Les défenses par l’inhibition


Données qualitatives, verbalisation
Nombre de réponses restreint, peu de commentaires, peu d’utilisation du
« je » au profit du « on », temps de latence longs, silences nombreux,
précautions verbales, refus de planches, autant d’éléments qui témoignent
d’une mobilisation de l’inhibition.
Il importe alors de tenter de saisir les enjeux du conflit sous-jacent :
pauvreté des investissements fantasmatiques, angoisse, dépression, etc.
L’attention portée au comportement pendant la passation est souvent riche
d’enseignement : mimiques, rictus d’angoisse, sudation, attitude pétrifiée,
possibilité d’étayage sur les encouragements et le soutien du clinicien,
indifférence, banalisation, sourde méfiance…

Facteurs spécifiques
• Modes d’appréhension très dépendants des qualités structurales des
planches (compacte, dispersée).
• F% élevé avec beaucoup de F± : difficultés d’implication, craintes
d’engagement dans des prises de position affirmées.
• TRI et Fc peu expressifs dans les pôles kinesthésiques et sensoriels.
• Néanmoins, la réactivité sensorielle spécifique au noir (Clob, C’, E) peut
permettre de déceler des traces d’angoisse et de souffrance dépressive.
Réponses ou séquences de réponses
• Neutralité des personnages humains : « deux personnes », « des
bonshommes ».
• Minimisation des mouvements projectifs : absence de précision d’actions,
utilisation de verbes dont la portée et l’intensité sont moindres par rapport
à la réactivité spontanée.
• Évitement de localisations particulières (D rouge, lacunes intermaculaires,
certains appendices).
• Banalisation, placage d’images stéréotypées servant d’écran à l’expression
plus spontanée.

4. Les défenses narcissiques


Ces défenses luttent contre toute représentation susceptible de susciter une
confrontation à la différence par la proclamation de l’autosuffisance,
soutenue par l’idéalisation et le gel pulsionnel, cela afin de tenter
d’endiguer l’angoisse de la perte d’amour de l’objet (« si je me suffis à moi-
même, l’éloignement ou la perte de l’autre ne m’atteindront pas »).

Données qualitatives, verbalisation


On assiste chez ces sujets à une centration sur l’éprouvé subjectif donnant
lieu à des références uniquement rapportées à soi-même, la symétrie étant
comprise comme porte-parole du même. Il existe une enflure de certaines
expressions sous-tendues par des mouvements d’idéalisation-désidéalisation
accompagnée de positions rigides, entières, sans nuances, figeant les
représentations dans une « mise en tableau ». Certains sujets mobilisent des
conduites de réassurance narcissiques (évocations de performances
valorisantes) ou d’un rejet massif du test ou de la situation.

Facteurs spécifiques
• F% et F+% élevés : contour établissant des frontières stables entre dedans
et dehors.
• Centration sur la symétrie, assurant un rassemblement centripète et un
déni de la différence.
• Surinvestissement des C’ : recours à la surface, à la périphérie, qui fait
écran à l’émergence des sources pulsionnelles internes.
• H neutres, sans identification sexuelle, investis pour leur fonction
(« avocat », « empereur ») ou leurs habits (« un roi et sa tiare », « robes
chamarrées »).
• Réponses « peau » : animaux à carapace ou fourrure, vêtements, masques.

Réponses ou séquences de réponses


• K spéculaires aux planches bilatérales (reflet ou double) : « quelqu’un qui
se regarde dans un miroir », « deux jumeaux qui se contemplent ».
• K narcissiques a-relationnelles : « un roi qui se tient bien droit, assis sur
son trône ».

5. Les défenses projectives


Données qualitatives, verbalisation
La méfiance, l’extrême vigilance, la réticence du sujet peuvent révéler une
lutte contre l’angoisse d’être regardé, saisi, pénétré participant d’un vécu
persécutif. Le décalage entre les productions spontanées restreintes et
l’enquête qui laisse surgir des éléments interprétatifs va dans ce sens.
La prolixité, la multiplication des réponses, la verbalisation abondante,
touffue voire confuse (néologismes) peut être le lieu de manifestations
bizarres et discordantes.

Facteurs spécifiques
• Émergences en processus primaire : ponctuelles ou réitérées ?
• Faiblesse du D% et du F+% sans compensation par le F+% élargi :
mauvaise qualité de l’ancrage dans la réalité objective.
• Kinesthésies à valence interprétative, déréalisante ou délirante.
• TRI marqué par une prédominance des réponses C pures.
• Contenus peu socialisés : faiblesse des Ban, H et A au profit des (H), (A),
Hd, Ad et Anat. Bestiaire archaïque dominé par la dangerosité, la toute-
puissance, la destructivité.
• Absence de réactivité spécifique aux planches, persévérations
Au total, l’articulation entre l’analyse des conflits et l’organisation
défensive constitue la clé de voûte de l’appréciation diagnostique.
Un travail de construction nécessaire au moment de la synthèse
s’attache à situer le sujet dans une dynamique conflictuelle
dominante où le dégagement de la nature de l’angoisse et le
repérage des mécanismes de défense contribuent à la
confirmation de l’hypothèse diagnostique.
Chapitre 11
Articulation et synthèse
des données du Rorschach.
Illustration clinique

Sommaire
1. Clinique de la démarche
2. Analyse et interprétation du protocole de Rorschach
de Michel, 24 ans

1. Clinique de la démarche
Première dans la démarche d’interprétation, l’étude de la clinique de la
passation relève d’une lecture approfondie du protocole permettant une
redécouverte des messages, entendus cette fois en l’absence du sujet. Le
clinicien se trouve alors plus disponible par rapport aux données mais aussi
par rapport à ses associations personnelles, pour percevoir le style du sujet,
la logique ou la discontinuité, la qualité de la verbalisation, les
manifestations plus individuelles, plus particulières ou originales
confirmant ou infirmant les appréciations ou les intuitions cliniques,
permettant d’établir des hypothèses qui seront corroborées ou non par le
travail d’analyse. Ce préalable établit les bases d’une approche qui obéit à
des objectifs synthétiques mettant en évidence l’interaction des différents
facteurs. Il ouvre ainsi un certain nombre d’hypothèses en référence aux
significations diverses qui sous-tendent la multidimensionnalité des
facteurs.
Sur le plan quantitatif, au psychogramme, c’est la prédominance
accordée à certains facteurs et leur combinaison qui servent de base à la
mise en place des hypothèses : le privilège attribué à un mode
d’appréhension et/ou à un déterminant donnés, configuration du type de
résonance intime… Cela permet de repérer, par exemple, que l’organisation
est rigide ou labile, que le sujet est inséré ou non dans la réalité, ce qui sera
à mettre à l’épreuve de l’analyse approfondie.
L’intérêt réside surtout dans la confrontation des données qualitatives et
quantitatives : elle favorise l’appréciation des conduites psychiques
dominantes d’un sujet par la pose de premières hypothèses cliniques.
L’analyse des processus de pensée révèle la capacité d’un sujet à investir
sa pensée, dans un contexte qui tient compte de son environnement
(attachement à la réalité externe, différenciation dedans-dehors), en termes
de plaisir, de souffrance, d’inhibition à penser ou encore de
désinvestissement. Elle permet de déceler les troubles du maniement de la
pensée et souligne l’origine de ces difficultés. Le fonctionnement de la
pensée, compris comme une activité psychique inscrite au sein de
l’ensemble du psychisme, est tributaire des aléas de la vie pulsionnelle, tels
que les conflits narcissiques et objectaux, les angoisses et les défenses.
Étroitement articulée au langage, aux symboles et aux fantasmes qu’elle
véhicule, ainsi qu’au système culturel dans lequel le sujet évolue, l’activité
des processus de pensée s’apprécie, au Rorschach, à l’aide des facteurs
concernés, dans la mise en évidence de la diversité et de la créativité de ses
élaborations et dans les liaisons associatives qui les organisent au sein des
processus primaires ou secondaires.
L’étude de l’identité permet d’appréhender les fondements identificatoires
(identifications primaires) et l’accès à la différence des sexes et des
générations (identifications secondaires) en lien avec la bisexualité
psychique. Cette démarche s’articule à l’analyse de la qualité du
narcissisme et des limites sujet/objet qui détermine le rapport du sujet avec
lui-même et face à l’autre. Elle permet ainsi, par l’étude de certains
facteurs, de se saisir de ces questions et d’y apporter des réponses en termes
de stabilité ou d’instabilité identitaire ou identificatoire, de fragilité ou de
solidité narcissique, et de tenue, d’effritement ou d’éclatement des
frontières corporelles et psychiques.
L’analyse des représentations de relations souligne l’expression et le
traitement des mouvements pulsionnels, agressifs et libidinaux, au sein des
représentations de relations d’objets : les différentes modalités de leurs
expressions, dégagées par le biais des facteurs impliqués, mettent au jour
des mouvements conflictuels d’allure œdipienne, narcissique, de perte, de
fusion ou de destruction, susceptibles de se combiner. Les figures parentales
apparaissent, aux planches qui les sollicitent, sous l’angle de représentations
archaïques, persécutrices, narcissique-phalliques ou juste suffisamment
ambivalentes.
L’investissement ou le désinvestissement pulsionnel des objets sont partie
prenante de l’analyse des conflits mais aussi des liaisons possibles ou non
entre affects et représentations, et de la nature de l’angoisse : angoisse de
castration, angoisse de perte, narcissique ou objectale, angoisse de
morcellement ou de dissolution, peuvent se révéler dans diverses
configurations psychopathologiques et le repérage de leurs intrications
permet d’en dégager des nuances subtiles.
Les mouvements défensifs sont mobilisés en regard des angoisses
déclenchées par les conflits : la mise en évidence de leur nature, de leur
fonction et de leur poids économique constitue un révélateur de la
dimension plus ou moins pathologique du fonctionnement psychique. Ainsi,
la dynamique défensive peut être organisée selon un mode rigide, labile,
inhibé, narcissique, projectif… et permettre le traitement intrapsychique du
conflit ou, au contraire, l’externaliser, le placer au-dehors, dans la réalité
externe. Le(s) registre(s) psychopathologique(s) peuvent ainsi être dégagés
en termes névrotique, limite, narcissique, psychotique… et témoigner en
faveur de la souplesse, de la massivité ou de la désorganisation du
fonctionnement psychique.
La synthèse, suivant la démarche d’interprétation du Rorschach, s’attache
au dégagement des problématiques prévalentes, à la mise en place
d’hypothèses psychopathologiques concernant l’organisation du
fonctionnement psychique. Ces hypothèses seront confrontées à celles qui
seront proposées à l’issue de l’analyse et de l’interprétation du TAT1.
2. Analyse et interprétation du protocole
de Rorschach de Michel, 24 ans2
Michel a consulté un psychiatre pour des attaques de panique survenant
sur son lieu de travail. Son métier comporte des risques pour lui et ses
collègues et il prétexte des problèmes somatiques pour rester en retrait
« sans passer pour un homme faible ». Le psychiatre a prescrit un traitement
anxiolytique léger et évoqué la possibilité d’une psychothérapie mais
Michel dit qu’il veut « juste faire le point pour l’instant ». Le psychiatre lui
propose alors de rencontrer un psychologue pour un bilan psychologique.

2.1 Rorschach
Planche I Un papillon, surtout les ailes, G F+ A
1. Imm. Un insecte, un les pinces font plutôt penser à Ban
papillon. + Quelque un autre insecte. Il a des taches
chose de… ça a l’air sur les ailes. Les ailes sont Rem.
d’être parfaitement abîmées, déchiquetées [montre sym.
symétrique, pas tout à fait les bords des ailes].
d’ailleurs. +
60”
Planche II Rép. add. : D rouge sup. : Deux Rem.
Toujours cette symétrie traces de doigts (D F+ Hd) sym.
apparente des taches. 10” D rouge inf. : une tache mais
2. Une tache de sang. ++ tombée en faisant « splash » ! D CF
Une ouverture, un passage. Dbl Sang
3. Comme un trou blanc au + Dd de bordure → kob
milieu, comme une Rép. add. : Deux têtes de
porte… qui permet de rhinocéros en train de DblDd
passer à travers. + s’embrasser. (D kan+ Ad) Deux C’F Fgt
ours ou deux souris sans tête qui
jouent à se taper sur les mains
1’10” (D noir). (D kan-Ad)
Planche III Rem.
Toujours symétrique, Qui sont face… sym.
toujours ces taches.
4. 10” On dirait deux D sup. G K+
personnages debout qui H/Scène
tiennent quelque chose. + Ban
5. Ces taches rouges, ça me
fait penser à des coulées D CF
de sang. + Sang
6. Au milieu, des poumons D médian. Ou des reins plutôt, D F+/–
ou un cœur. ++ ça n’a pas trop la forme des Anat
Oui. Des personnes qui poumons.
s’arrachent quelque Ils déchiquettent chacun de leur
chose, qui le prennent côté (?) Je sais pas, à manger,
chacune de leur côté. un gros morceau de pain.
1’40”
Planche IV Comme un monstre de G F+ (H)
7. 10” Là, ça fait un peuLovecraft, un gros démon, on le → K
gros personnage de
voit d’en bas. On est tellement
dessin animé, grospetit qu’il nous voit même
monstre vu en contre- pas… ou en train de s’affaler en
plongée, avec les
arrière, de basculer. Là (D G F+ Bot.
tentacules qui pendent médian), une troisième jambe,
[rit]. ou la queue ou…
D médian : tronc. D lat. sup. :
8. Ou un arbre, avec le des lianes comme le saule
feuillage autour, qui pleureur, un feuillage qui
protège ou qui fait de redescend, il y a de la place
l’ombre. + encore dessous.
55”
Planche V Comme si elle s’écrasait sur un G F– A
9. 5” Une limace… ou miroir… La bave qui coule… → kan
deux… j’en sais rien… Ou deux qui se rejoignent et se
les antennes… comme les fondent.
escargots avec le truc (Ban ?) Ouais, avec des ailes Rem.
visqueux qui traîne pointues. (G F+ A Ban) sym.
derrière. À chaque fois
c’est symétrique.
1’
Planche VI Une fente, un trou, les parois G FE+/–
10. Imm. Une crevasse, une qui s’affaissent à l’intérieur. Ça Fgt/Sexe
faille ++ [rit] Ça fait vraiment penser à un sexe → kob
m’inspire rien d’autre. Jede femme.
sais pas. Rép. add. : (D sup.) Seulement
cette partie-là, le sommet des
totems indiens où sont
représentés des aigles ou des
45” serpents à plumes.
(D F+ Obj./A)
Planche VII Comme un canal qui arrive sur Gbl F+/–
11. Imm. On peut penser une calanque, une crique avec Géo
aux contours d’une côte, l’ouverture sur l’océan, le
une calanque, quelque pourtour de la côte. G : terre.
chose qui s’ouvre aussi. Dbl int. : océan. D médian :
Au début, c’est étroit, canal. Comme une carte
c’est tout écrasé, ça ancienne, on ne connaît pas le
s’écarte, ça s’écarte un reste, donc, c’est pas dessiné
peu. + (d’où le Dbl ext.)

50”
Planche VIII
Ah, des couleurs ! D rose-orange : bassin. Axe : G F– Anat
12. Imm. Ça fait penser à colonne vertébrale. D gris + D
une cage thoracique, le rose lat. : les côtes. (Sternum ?) D F+ A
squelette, les côtes, le Je sais pas vraiment, car je sais Ban
sternum. pas si on le voit de dos ou de
13. On dirait deux face, plutôt de dos. (D bleu ?) Rem. C
caméléons aussi, sur le
côté, verticaux. ++ Ça pose problème [rit], je sais
Il y a une dégradation des pas, peut-être les muscles ou…
couleurs aussi : orange,
rose, bleu, gris.
1’30”
Planche IX Du brouillard, des volutes de G CF Fgt
14. 10” La fumée, ouais, la fumée de couleur qui cachent → E
fumée qui cache ce qu’il quelque chose, des traits plus
y a derrière, on voit à définis derrière (Dd médian plus
peine ce qu’il y a sombre) mais on voit pas ce que
dessous. c’est. Avec le contraste, on a
l’impression de voir à travers.
30”
Planche X Plusieurs choses différentes
Toujours plus de couleurs.
+ Plein d’entités
séparées, chacune d’une D jaune et D orange médians D FC
couleur. Le rouge-rose Bot./Sexe
toujours prépondérant…
15. 35” Comme des
graines, jaunes et rouges,
comme des ovules, des
œufs. ++
16. Le bleu, ça fait penser à Des araignées de mer pleines de D F+ A
des crabes… Sinon, je pattes. Ban
sais pas. Rép. add. :
Les os du bassin (D médian
bleu) (D F+ Anat.)
La colonne vertébrale (D gris
2’10” sup.) (D F+ Anat.)
Deux têtes de perroquets qui se
regardent. J’ai pas vu ça tout à
l’heure, le bec, les yeux, la
houppette. Ils se regardent, ils
se défient même. (D gris sup.)
(D kan– Ad)
Michel regarde les planches très attentivement.
Choix + :
IV : J’sais pas pourquoi… parce que ça me rappelle les monstres de mon
enfance.
VII : Y’a cette ouverture, impression de ne plus être écrasé. La différence
entre le haut et le bas.
Choix – :
IX : J’aime bien les couleurs mais j’aime pas parce qu’il y a quelque chose
de caché, quelque chose derrière.
II : À cause des taches de sang… des ours à la tête coupée.

2.2 Psychogramme
R = 16
T = 11’30”
T/R = 43”
TL moyen = 8”
G 9 (dont 1 Gbl) 56 % F 9 H/Scène 1 H% : 6 %
D6 38 % F+ 5 (H) 1 H%é : 12 %
DblDd 1 6 % F+/– 2
F– 2 A4 A% : 25 %
F% = 56 % K1
F+% = 67 % FC 1 Anat. 2
CF 4 Sang 2
FE 1 Fgt 2
T.A : G.D.DblDd Fgt./Sexe 1
TRI : 1K // 4.5ΣC → K 1 Bot./Sexe 1
Fc : 0k // 0.5ΣE → kan 1 Géo. 1
→ kob 1 Bot. 1
RC% : 5/16 : 31 % →E1
Ban : 4 (+1)
Choix + : IV et VII
Choix – : IX et II

2.3 Dynamique de la passation3


Bien que la productivité soit réduite (16 réponses) et la passation
spontanée quelque peu expédiée (moins d’un quart d’heure), le protocole de
Rorschach de Michel témoigne d’une mobilisation psychique dynamique et
conflictuelle. Le traitement du matériel peut être immédiat mais suivi de
longs temps de latence intra-discursifs ; les réponses sont souvent données
sous couvert de précautions verbales mais elles peuvent aussi être directes
et ce qu’elles expriment est loin d’être neutre : « Oui, des personnes qui
s’arrachent quelque chose », « ils se regardent, ils se défient même ! »
Parfois Michel est rattrapé par le doute et peine à maintenir ses réponses :
« là, une troisième jambe, ou la queue ou… », « je sais pas si on le voit de
dos ou de face, plutôt de dos. » De même, les réponses peuvent révéler des
allers-retours : « Un gros démon, on le voit d’en bas, ou en train de s’affaler
en arrière. » Autant d’indices d’une tension intérieure entre des
représentations différentes voire contradictoires.
On note également que Michel esquisse quelques commentaires qui se
veulent objectifs (« ça a l’air d’être parfaitement symétrique, pas tout à fait
d’ailleurs ») mais il en fait d’autres où affleure davantage sa
problématique : « On est tellement petit qu’il nous voit même pas »,
« impression de n’être plus écrasé. » Les expressions d’affects sont
absentes ; seule l’épreuve des choix en laisse poindre : « j’aime bien les
couleurs mais j’aime pas parce qu’il y a quelque chose de caché, quelque
chose derrière ».
Michel ne touche pas les planches. Son discours est retenu,
précautionneux, parfaitement intelligible, très adapté même. L’enquête, où
le psychologue intervient davantage, lui permet de mobiliser une
associativité qu’à l’évidence il retenait : il donne sept réponses
additionnelles, plus projectives.
L’adaptation à la réalité externe ne pose pas de difficulté majeure : hormis
les H% et A%, tous les autres facteurs d’adaptation du psychogramme (D%,
F% et F+%, Ban) se situent dans les variations de la normale. Les contenus
sont assez contrastés, au plus près de préoccupations corporelles (Sang,
Anat) ou très à distance (Fgt, Géo, Bot), parfois condensés (Fgt/Sexe,
Bot/sexe). Si les affects ne sont pas repérables dans leur expression verbale,
la sensibilité de Michel aux qualités chromatiques du matériel est très
présente (4.5 ΣC, RC % à 31 %, choix négatifs des planches IX et II).
Protocole quantitativement restreint donc, mais qui témoigne d’une vive
mobilisation défensive face à la réactivité pulsionnelle et fantasmatique et
non d’une pauvreté psychique. La relation avec le psychologue est bonne
sans être très investie, mais davantage de souplesse dans l’expression
verbale et projective est observée à l’enquête, liée sans doute au climat de
confiance qui s’est installé au fil de la passation. Si le protocole ne montre
aucun trait saillant et bruyant de souffrance psychique aiguë, il n’en
demeure pas moins marqué par une certaine rigidité spontanée et une
franche tension entre désirs contradictoires.

2.4 Processus de pensée


L’investissement de la réalité externe s’avère un support de représentations
partageables dont la valeur symbolique est quasiment toujours très
transparente ; certaines sont banales, d’autres marquées par l’expression
défensive, d’autres projectives sans que le rapport à la réalité en soit très
affecté.
Les G sont présents à toutes les planches (sauf II et X). A contrario, les D
ne sont présents qu’en II, VIII et X. On pourrait penser que Michel est
passif devant le matériel, se soumettant aux engrammes tels qu’ils sont
proposés (compacts ou dispersés). Or la seule réponse organisée de son
protocole est justement déployée à la planche la plus compacte (V) pour
tenter de traiter une représentation de relations qui s’impose à lui et qui
entremêle sexualité et agressivité. Les cinq G simples du protocole ne sont
jamais neutres quant à leur contenu et aux commentaires associés, mais
quatre sont des compromis tout à fait satisfaisants entre l’expression
pulsionnelle et l’adaptation à la réalité (seul le G de la planche VIII est de
mauvaise qualité formelle). Les G vagues et impressionnistes, à l’instar du
DblDd impressionniste de la planche II, rendent compte de conduites
psychiques mobilisées par la sexualité, en mettant en exergue la curiosité et
l’inquiétude pour les ouvertures, les failles, les passages – représentations
symboliquement claires du sexe féminin – et en même l’interdit du regard.
Ces réponses, dont la forme est vague ou le déterminant sensoriel dominant,
sont très expressives de la tension entre désir et interdit et de ses effets sur
la pensée.
Les deux D impressionnistes et le D vague des planches II et III révèlent
le trouble suscité par cette problématique active/passive et son lien plus
clair cette fois avec la castration (« tache de sang tombée en faisant
“splash” », « ours à la tête coupée »). On notera enfin la présence de sept D
additionnels dont les contenus témoignent du maintien de l’excitation
psychique à l’enquête, avec un déploiement plus franc de représentations de
relations libidinales et agressives.
Le Rorschach permet de dire que la pensée de Michel est bien adaptée, ce
dont témoignent des représentations socialisées et partageables et un
discours compréhensible bien que marqué par le doute. Le protocole
quantitativement restreint mais qualitativement dynamique révèle bien plus
de mobilisation défensive que de pauvreté fantasmatique, les réponses
témoignant de la double inscription des représentations dans la réalité
externe et le monde interne, et l’association du processus primaire et du
processus secondaire.
Cependant le fonctionnement psychique de Michel pâtit de la rigidité
parfois peu efficace de conduites de contrôle. Les défenses (inhibition,
évitement, isolation, refoulement, régression, déplacement, formation
réactionnelle, annulation, projection) cherchent à contenir des
représentations agressives et sexuelles, ainsi qu’une angoisse liée aux
représentations de puissance. Mais elles entravent partiellement
l’expression fantasmatique et des processus de pensée dont on peut pourtant
saisir par moments la richesse et la qualité.

2.5 Narcissisme et construction de l’identité


Le protocole permet d’appréhender l’intensité de la problématique de
castration dans la dynamique identificatoire. Certaines représentations sont
explicites, comme la sensibilité au trou, perçue comme une faille, mais
aussi comme ouverture et voie de passage (II, VII). Cependant le contexte
associatif laisse vite apparaître d’autres représentations où la mise à mal du
corps se révèle nodale, parfois au sein de scénarios dynamiques : « gros
monstre vu en contre-plongée. On le voit d’en bas. On est tellement petit
qu’il nous voit même pas », « tache de sang tombée en faisant “splash” »,
« ours à la tête coupée », « impression de ne plus être écrasé ». Plus souvent
cependant, la lutte contre l’angoisse de castration soutient l’attention portée
aux appendices érigés notamment : « pinces », « antennes », « ailes
pointues », « sommet des totems indiens », « personnages debout »,
« caméléons verticaux », « têtes de perroquets, le bec, la houppette. » Cette
préoccupation est parfois plus compliquée à assumer : « là une troisième
jambe, ou la queue, ou… » ; et la seule réponse humaine du protocole (III)
est sexuellement neutre, oscillant entre « personnages » et « personnes »,
« ils » et « chacune », sans précision de choix d’identification.
Bien plus rares sont les réponses où la chose sexuelle se dit sous couvert
d’un déplacement efficace : « comme des graines, comme des ovules, des
œufs », « os du bassin. »
L’analyse du Rorschach met ainsi en évidence une sexualité très intriquée
avec l’agressivité, des rapports de force et de puissance, la crainte de la
vulnérabilité et de l’impuissance. Les identifications paraissent instables,
oscillant entre des positions souvent contradictoires et troublantes : entre un
féminin châtré et un masculin phallique, entre une figure maternelle qui
demeure attractive et frustrante (IX) et une figure paternelle très investie
comme objet de rivalité et de menace, mais dont sont également attendus
l’amour et la protection (IV).

2.6 Représentations de relations


L’ambivalence s’exprime dans des représentations portées par des
mécanismes de déplacement et de symbolisation opérants, permettant
souvent une contenance de l’angoisse. Les investissements objectaux
montrent la difficulté à manier l’agressivité : les représentations de relations
sont spontanément très retenues mais leur expression après-coup peut
s’avérer intense : « s’arrachent », « déchiquettent », « s’écrasait », « se
défient ». D’autres réponses confirment ce tiraillement pétri d’inquiétude ou
de frustration vis-à-vis des figures féminines et maternelles : « c’est étroit,
c’est tout écrasé, y’a cette ouverture, impression de ne plus être écrasé »
(VII), « la fumée cache ce qu’il y a derrière, on voit à peine ce qu’il y a
dessous. J’aime pas parce qu’il y a quelque chose de caché » (IX). Enfin, à
la planche II, les deux kinesthésies additionnelles confirment clairement la
difficulté d’isoler et de manier l’agressivité et la libido : « deux têtes de
rhinocéros en train de s’embrasser », « deux ours ou deux souris sans tête
qui jouent à se taper sur les mains. » Ainsi, la valence sadomasochiste, si
ténue soit-elle, est repérable dans des représentations associant sexualité et
agressivité, brutalité du toucher, domination/soumission, menace voire mise
à mal d’images du corps vulnérable.
À la planche IV, l’ambivalence s’exprime de façon plus contenue (mais
avec force à la planche suivante) et une représentation de puissance non
menaçante, voire protectrice, apparaît : « un arbre avec le feuillage autour,
qui protège ou qui fait de l’ombre. Un feuillage qui redescend, il y a de la
place encore dessous. » La passivité vis-à-vis d’une figure parentale
puissante, et la curiosité excitée par ce qui est caché, masqué, protégé
peuvent s’exprimer plus librement grâce à la symbolisation.

2.7 Affects et angoisse


Nous ne reprendrons pas ici l’analyse détaillée des affects et de l’angoisse
déjà évoquée. Un dernier indice de la place centrale de l’ambivalence
pulsionnelle chez Michel apparaît dans les nombreuses réponses
additionnelles : six sont données aux planches II et X mais aucune n’utilise
l’un ou l’autre des déterminants sensoriels. Les réponses additionnelles à la
planche X servent vraisemblablement à retarder la séparation et la toute
dernière condense à elle seule l’acuité de la problématique agressive et
sexuelle : elle traduit des relations empreintes de défiance, de rivalité dans
un rapport de force, sans doute pris dans la dynamique de transfert sur le
clinicien.
C’est par une écoute très attentive que l’on peut saisir la potentialité
dépressive subtilement exprimée dans ce protocole pourtant marqué par
l’impuissance, l’angoisse et l’incomplétude. À deux reprises, on a pu saisir
l’utilisation discrète de l’estompage à la planche VI (estompage de gris) et à
la planche IX (estompage de couleur). La première associe le creux (« une
crevasse, une faille, une fente, un trou ») au sexe féminin et à
l’affaissement, contre-investis à l’enquête par une image extrêmement
phallique. L’autre, plus originale, met l’accent sur l’impossible satisfaction
de la curiosité pénétrante du regard du fait de la « fumée qui cache ce qu’il
y a derrière, ce qu’il y a dessous ». Cet investissement tout en contrastes, dit
le désir conquérant et frustré tout à la fois4. Ce ne sont pas là de franches
expressions affectives, mais la sensibilité sensorielle permet de repérer une
sensibilité dépressive liée à la problématique de castration.

2.8 Modalités de l’organisation défensive


L’inhibition apparaît dans tout le protocole : temps de latence initiaux ou
intra-récit parfois longs, productivité restreinte, faible nombre de
kinesthésies spontanées.
Le refoulement, par définition, est difficilement repérable en tant que tel.
Il sous-tend les autres conduites défensives et participe de l’inhibition
globale du protocole. On le repère plus aisément quand Michel souligne
qu’on ne peut discerner ce qui est attractif mais caché (IX) et qui demeure
de fait énigmatique ; ou quand il n’opère plus (« ça fait vraiment penser à
un sexe de femme » VI) après la mise en avant de contenus non
explicitement sexuels mais au symbolisme transparent.
L’isolation est repérable dans les cohabitations non liées de
représentations : « sang »/« trou », « trace de doigt »/« sang »,
« sang »/« personnes qui s’arrachent quelque chose, qui déchiquettent
chacune de leur côté », etc.
La régression est notamment repérable planche IV par le registre infantile
utilisé pour minimiser la valence phobogène de la représentation para-
humaine (« gros personnage de dessin animé. »)
Le déplacement est repérable dans toutes les réponses à contenus
symboliques qui traduisent des expériences humaines : « têtes de perroquets
qui se défient », « rhinocéros qui s’embrassent », « deux ours ou deux
souris sans tête qui jouent à se taper sur les mains. » Ces deux dernières
réponses sont de surcroît construites par la formation réactionnelle pour
minimiser et retourner en son contraire la portée agressive et sexuelle des
motions pulsionnelles engagées.
L’annulation est repérable dans les moments où Michel remet en question
les réponses qu’il a formulées : « ça a l’air d’être parfaitement symétrique,
pas tout à fait d’ailleurs », « des poumons ou un cœur. Ou des reins plutôt,
ça n’a pas trop la forme des poumons. »

2.9 Conclusion
L’analyse approfondie du protocole de Rorschach et la synthèse
permettent de conclure à une organisation névrotique à valence phobo-
obsessionnelle, tout en permettant de repérer la présence d’un noyau
hystérique qui soutient la sensibilité à l’objet sans pour autant permettre à
Michel de se laisser vraiment affecter, toucher.
Le conflit est assurément de facture intrapsychique ; la problématique
sexuelle, mobilisant bisexualité psychique et différence des sexes, angoisse
de castration et passivité dans la dialectique des identifications sont autant
d’éléments significatifs d’un conflit œdipien où les figures parentales
demeurent des objets d’attraction et d’interdit très investis. Malgré les
défenses, la continuité associative est souvent aisée à dégager, les
sollicitations latentes des planches clairement saisies ; le refoulement est
mobilisé avec efficacité mais parfois trop d’intensité pour que se déploient
avec aisance et souplesse des potentialités fantasmatiques pourtant vives. Si
les affects peinent à être exprimés, qu’ils soient à valence agressive,
libidinale ou dépressive, l’angoisse affleure sous les représentations, les
associations et les commentaires, en spontané comme à l’enquête, ce qui
témoigne de l’intensité des mouvements pulsionnels engagés.
Partie 3
Le TAT
Chapitre 12
Fondements théoriques

Sommaire
1. Le TAT : quelques repères historiques
2. Analyse du processus TAT
3. La feuille d’analyse des procédés du discours TAT

1. Le TAT : quelques repères historiques


1.1 Murray et l’école américaine
En 1935, C.D. Morgan et H. Murray publient une première ébauche du
Thematic Apperception Test et c’est en 1943 que fut publiée la forme
définitive du test avec son Manuel d’application. Influencé par C. Jung et
F. Alexander, H. Murray, alors directeur de la clinique psychologique de
Harvard, entreprit une ample recherche avec l’objectif de valider un
inventaire exhaustif des variables de la personnalité pouvant servir de base
scientifique à l’interprétation de son test. Pour chacune des trente et une
planches qui composent le test administré en deux fois, le sujet était invité à
imaginer une histoire aussi riche et dramatique que possible qui devait tenir
compte du présent, du passé, de l’avenir et des sentiments des personnages
mis en scène. Après la passation de chaque série, on procédait à une enquête
afin de déterminer les sources de l’histoire racontée. L’interprétation était
soutenue par la mise en évidence de la conflictualité entre les besoins du
sujet (needs) et les obstacles qu’il rencontrait en provenance de
l’environnement (press). Pour H. Murray, les histoires élaborées par le sujet
comportaient d’une part un héros auquel le sujet s’identifiait et auquel il
attribuait ses propres besoins et d’autre part, des personnages en interaction
avec le héros qui représentaient les forces du milieu familial et social réels
dont le sujet ressentait la pression. Ainsi entendue, l’histoire était
appréhendée comme évocation déguisée des conduites réelles et non
comme des productions imaginaires révélant des scénarios fantasmatiques.
Cette technique d’analyse basée essentiellement sur le contenu de l’histoire
n’a pu être validée par rapport à l’expérience clinique. De ce fait, il s’en est
suivi une période de déclin de l’utilisation du TAT.
Entre 1940 et 1960, D. Rapaport, P.M. Symonds et R. Holt ont plus
particulièrement insisté sur la forme donnée à l’histoire apportant des
modifications propres à la méthode Murray, reconsidérant le test en
référence à la théorie psychanalytique. L. Bellak (1954) a, quant à lui,
développé l’interprétation du TAT en s’appuyant sur la seconde topique
freudienne (ça, moi, surmoi). Le contenu des histoires élaborées par le sujet
est, comme chez Z. A. Piotrowski, rapproché de l’élaboration du rêve.
Selon ces auteurs, on ne peut appliquer les mêmes règles d’interprétation
psychologique aux conduites des personnages réels et à ceux de
personnages imaginaires soumises à d’autres règles d’interprétation.
Dans son article « How Was this Story Told ? », R. Schafer (1958)
inaugure un tournant dans l’interprétation des épreuves projectives
thématiques : ce sont les modalités du discours plus que les contenus qui
différencient les individus. Il prend ses distances avec H. Murray, soutient
l’importance d’une application de la théorie psychanalytique freudienne à la
pratique de la psychologie clinique en général et dans le travail du
diagnostic psychologique plus particulièrement. En 1961, R. Holt souligne
la différence entre la fantaisie spontanée, comme la rêverie, et l’histoire
donnée au TAT, produite sur commande à partir d’un matériel concret.
L’histoire TAT y est entendue comme un produit cognitif, témoignant de
l’efficacité de la « sphère du moi libre de conflit » et de « l’autonomie
secondaire du moi ».
Nombre de ces travaux s’inscrivent dans le champ de l’Ego Psychology
qui, tout en préconisant le retour à Freud, plus particulièrement à la seconde
topique, conduit peu à peu à valoriser les notions « d’autonomie du moi »,
en l’affranchissant de ses sources pulsionnelles pourtant au cœur de la
théorie freudienne.
1.2 Vica Shentoub et l’École de Paris
En France, V. Shentoub s’engage dans des travaux de recherches
importants et fondateurs sur le TAT. Pionnière dans ce domaine, elle
propose de considérer l’histoire TAT comme un produit psychique à part
entière et commence à construire une théorie du processus TAT et une
méthodologie.
1.2.1 Dans les années 1955-1960
Plusieurs axes de réflexion se dessinent : V. Shentoub cherche tout
particulièrement à spécifier le moment perceptif de la situation-TAT, dans la
continuité des travaux de L. Bellak et de R.H. Dana. Rapidement, elle
pointe l’insuffisance des travaux sur les processus psychiques à l’œuvre
dans la situation-TAT, déplorant l’absence d’une « théorie homogène
susceptible d’expliquer ce qui se passe chez le sujet lorsqu’on lui demande
“d’imaginer une histoire à partir de la planche” » (Shentoub et Rausch de
Traubenberg, 1982, p. 2).
Elle oppose ainsi la forme de l’histoire au contenu. Il s’agit de se dégager
résolument de l’interprétation du contenu du récit pour considérer sa forme,
c’est-à-dire à la manière dont il est organisé et construit. Elle s’attache à
l’idée d’une structure susceptible d’être mise en évidence par le TAT, posant
les jalons de sa réflexion sur la distinction entre normal et pathologique et
plus largement sur celui du diagnostic différentiel (Shentoub, 1957a).
Pour V. Shentoub, « les facteurs tirés du contenu sont les mêmes pour les
normaux et pour les malades. On constate la même culpabilité, la même
agressivité, la même jalousie. Ce qui diffère, c’est leur “dosage” et leur
intégration dans l’ensemble de la personnalité » (1955, p. 589). Ce qui
distingue le normal et le pathologique, « c’est que le normal intègre ces
éléments (ces conflits, cette agressivité, cette culpabilité…), les organise
mieux, les domine, les utilise même en vue d’une meilleure adaptation.
C’est donc la manière d’utiliser les éléments en présence, de les intégrer ou
d’être débordé par eux qui permet d’opérer les diagnostics positifs et en
partant de là, le diagnostic différentiel » (1957b, p. 187).
Se dessinent en filigrane deux outils méthodologiques :
• La feuille de dépouillement (aujourd’hui « Feuille d’analyse des procédés
du discours ») dont la première forme a été conçue en 1958. Elle constitue
un « répertoire » des modalités d’expression qui témoigne des différents
modes d’organisation de l’histoire. Cette première version comportait trois
grandes séries de procédés du discours correspondant aux registres de
fonctionnement dits normaux, névrotiques et psychotiques.
• La recherche sur la réponse banale, réalisée en 1961, est issue d’un souci
statistique suivant le modèle des banalités au Rorschach. Les résultats
confirment l’hypothèse de la valeur non différenciatrice des thèmes
entendus littéralement et la nécessité de considérer la manière dont le récit
est construit selon la « distance » prise par le sujet par rapport aux
représentations réactivées par le stimulus. Ainsi, est souligné l’intérêt de
prendre en compte la différence entre réalité perceptive et réalité
fantasmatique, ce qui conduira à la mise en évidence des notions de
contenu manifeste et latent (Shentoub et Shentoub, 1958).
1.2.2 Dans les années 1960-1970
V. Shentoub se dégage progressivement des travaux de l’école américaine
et de l’Ego Psychology et emprunte à Daniel Lagache la notion de
« mécanismes de dégagement ». Elle propose ainsi la notion
d’« investissement à bonne distance du fantasme évoqué » (1967, p. 57) par
la présentation de la planche : deux notions fécondes qui vont libérer peu à
peu l’analyse du TAT de ses sources hartmaniennes et de ses exigences
statistiques.
L’usage systématique de ces deux outils méthodologiques (la feuille de
dépouillement et le thème banal) lui permettent de se centrer sur la forme
des récits, fondée sur l’hypothèse selon laquelle les modalités de
construction et d’élaboration des récits fournis par les sujets renvoient aux
mécanismes de défense caractéristiques de leur organisation
psychopathologique. Avec les notions de mécanismes de dégagement puis
de lisibilité du récit, l’attention est portée sur le travail de liaison entre
structures conscientes et inconscientes et sur la distance à établir entre les
« éléments objectifs de la réalité (de la planche) et les fantaisies
inconscientes empreintes de désir et de défense » (Shentoub, 1967, p. 57).
La notion de lisibilité au TAT désignait la plus ou moins grande fluidité et
cohérence de chaque histoire. Liée à la distinction faite par D. Lagache
entre mécanismes de dégagement et mécanismes de défense pathologiques,
elle tendait à valoriser les processus secondaires et la valeur dégageante ou
non de certains procédés et a de fait été peu à peu abandonnée.
Ces travaux évolueront vers la conception du TAT comme test de
créativité, que les travaux contemporains de C. Chabert approfondiront,
notamment à partir de la notion de jeu et d’espace transitionnel en appui sur
les travaux de D.W Winnicott.
1.2.3 Dans les années 1970-1990
V. Shentoub poursuit ses travaux avec R. Debray puis avec les
enseignants-chercheurs et cliniciens du diplôme universitaire de
psychologie projective de l’université Paris V René-Descartes, dirigée par
C. Chabert. L’analyse du matériel en termes de contenu manifeste et latent,
réalise la première ébauche de ce genre. De cette théorisation, nous
retiendrons la place nodale du concept de fantasme : « Sans la fantaisie
sous-jacente réactivée par le stimulus, porteuse, elle, de désir et de défense,
il n’y aurait pas de réalité, comme le dirait Lagache, ni d’histoire au TAT »
(Shentoub et Debray, 1970-1971, p. 898). L’histoire témoigne du
compromis original face aux conflits entre les impératifs conscients et
inconscients. L’interprétation sera dégagée de la confrontation entre le texte
manifeste du récit et le contenu latent de celui-ci, et la mise en évidence des
procédés du discours qui ont permis le passage de l’un à l’autre.
L’hypothèse fondamentale est que les planches de TAT représentent des
situations se rapportant aux conflits universels et spécialement au conflit
œdipien : presque toutes les planches, en effet, se réfèrent à la différence
des générations et/ou à la différence des sexes : « C’est à travers la
possibilité ou l’impossibilité à maîtriser la poussée fantasmatique liée à
l’œdipe que l’on peut apprécier aussi bien la position du sujet face à ce
modèle que les aléas de son histoire » (ibid., p. 901).
Les travaux du Groupe de recherche en psychologie projective de
l’université Paris-Descartes, fondé par N. Rausch Traubenberg puis dirigé
par C. Chabert, ont conduit durant ces années à des avancées considérables
aussi bien sur le plan théorique que dans la pratique des épreuves
projectives et leur interprétation dans une perspective psychanalytique. Les
recherches en psychopathologie ont impulsé des remaniements importants
notamment à partir de la prise en considération de nouvelles entités
cliniques, telles que les fonctionnements limites, les dépressions et les
troubles graves du narcissisme, permettant d’affiner l’analyse des stratégies
défensives mises en œuvre dans les récits des sujets, et des conflits cernés
dans toute la complexité, la diversité et la richesse des modalités de
fonctionnement psychique. L’accent est mis sur « la continuité et
discontinuité associative dont les qualités originales mobilisent notre
écoute, notre attention et nos interprétations et qui constituent la trame
majeure du récit TAT » (Chabert, 1990a, p. X). Dans le même mouvement
où s’établissent une théorie et une pratique plus affirmées du TAT, s’impose
l’idée de la nécessaire complémentarité du Rorschach et du TAT, qui
sollicitent des modalités d’expression différentes des registres conflictuels
et favorisent le déploiement de problématiques complémentaires (Chabert,
1987). Ces années vont être marquées par un renouvellement de l’analyse
des contenus manifestes et latents à partir d’une proposition de C. Chabert :
une lecture articulant les problématiques, œdipienne et de perte d’objet,
permettrait d’approcher la singularité et la diversité des modalités
d’organisation psychique tout en se défaisant d’une approche parfois trop
normative de la névrose.
Le premier manuel d’utilisation du TAT, préfacé par D. Anzieu, est publié
en 1990, il est l’aboutissement d’un long travail d’élaboration, réalisé grâce
aux apports d’une équipe de psychologues cliniciens et de psychanalystes
assurant des fonctions d’enseignement en psychologie clinique et
projective. Leurs réflexions ont puisé dans leurs pratiques en clinique de
l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte, un formidable élan pour
l’élaboration de cet ouvrage. Ce premier manuel est le fruit d’un travail
collectif, les auteurs ont été des membres actifs de ce groupe de recherche :
C. Chabert, C. Azoulay, M.-J. Bailly-Salin, K. Benfredj, M. Boekholt,
F. Brelet-Foulard, M. Chrétien, M. Emmanuelli, M. Martin, E. Monin,
M. Péruchon et A. Servière. La publication du Nouveau Manuel du TAT en
2003 a donné lieu à la diffusion d’une nouvelle méthodologie utilisée
jusqu’à aujourd’hui1.

2. Analyse du processus TAT


Avant de nous engager dans la présentation détaillée de la méthode, il
nous faut, même brièvement, présenter le processus à l’œuvre mobilisé par
la situation TAT. En effet, si les deux épreuves projectives, Rorschach et
TAT, comportent un noyau commun dans leurs sollicitations psychiques, les
modalités associatives se distinguent de manière substantielle du fait de la
facture très différente du matériel. La spécificité du processus TAT s’est par
ailleurs révélée suffisamment complexe pour donner lieu à des théorisations
successives qui se sont efforcées de s’en approcher de la manière la plus
pertinente et subtile.

2.1 Les principes essentiels de l’analyse du


processus TAT
Les travaux de V. Shentoub ont inauguré une méthode d’analyse des
protocoles de TAT articulée avec les concepts essentiels de la
métapsychologie freudienne. La poursuite des recherches engagées par
R. Debray et V. Shentoub puis par l’ensemble de l’École de Paris a permis
un approfondissement de la méthode d’analyse à partir notamment des
modifications successives de la feuille d’analyse des procédés du discours,
un outil essentiel au fondement de l’interprétation du protocole.
L’hypothèse est que le récit-TAT traduit, à travers l’organisation du
discours, les opérations psychiques mobilisées dans le processus associatif
déclenché par la présentation des images. Les caractéristiques manifestes
des récits seront sous-tendues par les mécanismes de défense qui permettent
le traitement des problématiques sollicitées.
Par exemple, les discordances entre signifiant et signifié, le flou et la
confusion verbale, les désorganisations syntaxiques majeures, l’instabilité
du langage, pourront témoigner de l’émergence du processus primaire et
donc de troubles transitoires ou répétitifs dans les modalités d’organisation
du moi. À l’opposé, les représentations inconscientes prises en charge par le
moi et par les processus secondaires seront saisies dans les réseaux de la
symbolisation : au TAT, les récits sont alors construits, le langage stable et
cohérent, l’histoire racontée est le produit d’un compromis efficace entre les
représentations inconscientes ravivées par le matériel et les principes
conscients attachés à la réalité perceptive de ce même matériel et aux
impératifs de la consigne. Il y a donc, inhérente à cette situation, un conflit
entre principe de plaisir et principe de réalité, entre représentation de chose
et représentation de mot, entre désirs et interdits…
Le processus du récit-TAT est le suivant : perception du contenu manifeste
de l’image ; sollicitations inconscientes par les contenus latents de l’image
traduits en termes d’affects et de représentations ; prise en charge plus ou
moins organisée de ces représentants-affects inconscients par le
préconscient dont les fonctions permettront de trouver les mots aptes à ces
représentants-affects ; compromis dans la production du récit, histoire
racontée prenant en compte à la fois les pressions internes, fantasmatiques
et affectives et les pressions « externes » portées par les impératifs
conscients de cohérence et de liaison.
La construction d’une histoire au TAT ne relève donc pas seulement de
l’imaginaire dans une situation qui pousse à la fois vers la régression et vers
l’élaboration ; elle relève surtout d’une activité susceptible d’assurer « la
communication entre les structures inconscientes et les activités adaptatives
et créatrices de l’esprit » (Lagache, 1964, p. 521).

2.2 Du fantasme à la mise en récit


2.2.1 Le fantasme au TAT
V. Shentoub rapprochait la relation de test d’une situation de « commande
d’autrui qui attend la communication [de l’histoire] ». En reconnaissant la
charge de l’excitation de la fantasmatique inconsciente dans la relation avec
le psychologue, V. Shentoub considère celui-ci comme destinataire de
l’adresse. Le récit-TAT témoigne de la traduction du fantasme réactivé par
la planche dans un discours transmissible. L’histoire doit alors rester
suffisamment proche d’une expression communicable, prenant sa source
dans le fantasme, tout en restant à bonne distance dans son expression afin
d’obéir aux nécessités de la pensée secondaire.
L’analyse du récit-TAT tiendra compte de :
• la prise en compte du « contenu manifeste » de la planche : le sujet est
capable de différencier le percept du fantasme ;
• la qualité du langage et la forme de l’histoire ; les différents items de la
feuille d’analyse des procédés du discours permettent de mettre en
évidence le « style » (plus ou moins « contrôlé », « labile » ou
« inhibé »…) que les différents mouvements défensifs impriment à la
construction de l’histoire.
L’histoire-TAT se situe sur un continuum, partant de la source que sont les
fantasmes inconscients jusqu’à son produit que V. Shentoub appelait
« fantaisie consciente induite ». Celle-ci se distingue d’une rêverie diurne
en ce qu’elle est induite par le matériel, à la demande d’autrui dans une
attente de communication. La fantaisie induite et consciente (les récits au
TAT) est reconnue comme différente de la fantaisie inconsciente spontanée
(les fantasmes fondamentaux qui transparaissent dans les symptômes et les
rêves) : certes, la première permet de retrouver la seconde, mais à condition
de s’attacher autant à l’analyse formelle des histoires qu’à leur contenu
manifeste. C’est seulement après-coup que le contenu des histoires peut être
interprété pour mettre en évidence les conflits du sujet, son organisation
défensive, ses identifications et ses relations d’objet. Selon F. Brelet, le TAT
est une mise à l’épreuve du fantasme ce qui « implique que le psychologue
soit attentif non seulement à l’organisation du fantasme telle qu’elle se
donne à entendre dans sa traduction discursive, mais aussi au matériau du
fantasme, à ce qui se donne comme “représentants” des objets et de soi, à la
fermeté de leur investissement ou à leur évanescence » (1986, p. 77).
Le fantasme inconscient confère aux conduites du sujet et à son discours
une structure latente permanente qui s’ancre à l’expérience individuelle
comme à l’expérience universelle par les fantasmes originaires. Les
fantasmes originaires n’apparaissent jamais de manière immédiate au TAT,
ils sont transformés, déplacés, modifiés par la défense, médiatisés par le
langage, dans une adresse à l’autre qui se veut partageable. Le récit est le
fruit des multiples déguisements des affects et des représentations
inconscientes qui ont été mis en mouvement par la présentation des
planches et leur contenu. Le contenu latent des planches déclenche une
excitation pulsionnelle ravivant des fantasmes qui n’apparaîtront dans le
discours qu’après avoir été transformés, rendus parfois méconnaissables,
suivant en cela les principes qui régissent le fonctionnement psychique et
les destins de la vie pulsionnelle : déplacement, condensation, renversement
en son contraire… En appui sur la méthode, le psychologue projectiviste se
fait l’interprète des productions psychiques du sujet, déduisant à partir de
leurs formes et de leurs contenus, les compromis trouvés pour traiter les
conflits. Notons que si la situation TAT est source de conflit, elle est
également source de plaisir, aussi bien narcissique qu’objectal, plaisir à
mettre en scène, à créer des scénarios et à les partager, in fine à jouer.
2.2.2 Le processus associatif
Nous le savons bien, il n’y a jamais accès directement à la perception d’un
sujet, seulement à ce qu’il en dit. Dans le champ de la psychanalyse, il est
classique de considérer que pensée et verbalisation, dans leur dimension
formelle, sont dépendantes du fonctionnement psychique. Ainsi les
conduites discursives révèlent des organisations psychopathologiques
singulières, par exemple : des récits dramatisés et mises en scène
conflictuelles dans les fonctionnements névrotiques ; des mises en tableau –
instantanéisation, « arrêt sur image » – dans le champ du narcissisme
(Brelet, 1986) ; l’externalisation et l’étayage sur le perceptif et le sensoriel
pour lutter contre le vide intérieur dans les fonctionnements limites ; le
comblement du vide fantasmatique par une « pensée opératoire » (Debray,
1978, 1983, 1984, 1997) ; la perte des indices de réalité et la
désorganisation de la pensée et du discours ou collage drastique aux indices
perceptifs comme rempart devant la perte de sens et d’ancrage dans la
réalité, dans les organisations psychotiques.
Sous l’impulsion des travaux de C. Chabert et de F. Brelet, tenant compte
de ce que D. Anzieu appelle une « logique formelle appropriée aux
processus primaires et aux logiques archaïques » (Anzieu, 1987, p. 2),
l’attention s’est portée sur les potentialités dynamiques de la régression
dans l’économie psychique du sujet. Ainsi, le point de vue selon lequel les
émergences du processus primaire témoignent du seul échec du processus
secondaire est nuancé. En reconnaissant la dimension trophique de la
régression, c’est sur l’ensemble du processus associatif, tel qu’il est
mobilisé dans et par le récit, que portent l’analyse et la mise en évidence du
caractère dégageant ou non des défenses. L’association2 est particulièrement
sollicitée par la consigne, encadrée par le dispositif et la méthode : raconter
une histoire à partir d’un matériel non neutre. Les associations de l’auteur
du récit sont vectorisées par le langage verbal dans toute la singularité de
son expression, comme forme de représentance pulsionnelle favorisant
l’investissement des représentations de mots. Les motions pulsionnelles, par
la voix de leurs représentants (affects et représentations), vont s’exprimer
au sein des chaînes associatives verbales, mettant en évidence des modes de
fonctionnement de l’appareil psychique (processus primaire et secondaire)
et de ses principes (principe de plaisir-déplaisir, principe de réalité).
L’analyse se fait selon le double point de vue dynamique et économique :
quelles sont les quantités d’énergie pulsionnelle mobilisées ? Y a-t-il ou non
liaison des mouvements pulsionnels libidinaux et agressifs ? Permettent-ils
d’établir à la fois la continuité de l’objet, la continuité narcissique du sujet
et son accès à l’ambivalence ?
2.2.3 Complexe d’Œdipe et problématique de perte
Les travaux princeps se sont centrés sur la forte résonance des planches
TAT au complexe d’Œdipe, comme organisateur de la sexualité infantile,
pour rendre compte et éventuellement aménager différentes réponses aux
énigmes majeures de l’existence : la naissance, la mort, la différence des
sexes et celles des générations (l’immaturité de l’enfant face au monde
adulte). Face à telle ou telle sollicitation fantasmatique (le contenu latent de
la planche), la réponse/histoire, à travers sa forme, son contenu et leurs
relations dynamiques, rend compte des compromis trouvés par le sujet pour
traiter le conflit œdipien. La structuration œdipienne du conflit se repère
ainsi au travers des scénarios fantasmatiques qui lient désirs et défenses, les
stratégies défensives se repérant dans « le mouvement même de
l’énonciation du récit » dans la construction narrative et syntaxique (Brelet,
1986, p. 47).
L’appel du TAT à fonctionner dans une aire transitionnelle et à utiliser la
capacité à jouer, ainsi que sa sensibilité aux problématiques dépressives, ont
conduit C. Chabert (1998) à mettre l’accent sur les différentes formes de
traitement du renoncement aux objets œdipiens. Ce faisant, elle a permis de
se défaire d’une trop forte valorisation de la pensée secondarisée et de
l’association entre névrose et normalité.
C. Chabert a ainsi proposé une élaboration nouvelle des contenus
manifestes et latents des planches TAT, insistant sur « la double orientation
des problématiques sous-jacentes : celle qui réfère à l’organisation
œdipienne (développée par Shentoub et Debray) ; celle qui réfère à la
problématique de la perte d’objet » (Chabert, 1998, p. 57), conduisant à un
renouvellement de l’approche interprétative du processus TAT.
La mise en évidence de la diversité des problématiques susceptibles d’être
éveillées par le matériel, œdipienne et de perte d’objet, permet d’envisager
les constructions fantasmatiques à travers la pluralité des modalités
identificatoires et des relations d’objet, particulièrement sollicitées du fait
de la prégnance des personnages, seuls ou en interaction. Chaque
aménagement de la problématique du sujet prend sens au regard de la
dynamique associative et du processus discursif mobilisé. L’intérêt porté à
la forme discursive – les procédés de construction narrative, inscrits dans
l’exigence syntaxique de chaque langue – ne peut être dissocié de
l’élaboration thématique qui répond, au même moment, au contenu latent.

3. La feuille d’analyse des procédés du


discours TAT
La feuille d’analyse des procédés du discours est un outil cohérent au
regard de la théorie du processus TAT. Elle permet un repérage des
opérations psychiques mobilisées par la construction de l’histoire. Raconter
une histoire à partir de la planche et organiser un récit, constituent la
représentation but de la situation TAT, elle-même sous-tendue par une
double exigence : produire un récit cohérent et transmissible soumis aux
exigences de l’élaboration secondaire et tenir compte du contenu manifeste
des planches régi par le principe de réalité. Il s’agit également de se laisser
aller à imaginer et à exprimer la vie fantasmatique, qui fait écho au contenu
latent du matériel et aux mouvements de désir qui le sous-tendent, venant
nourrir le récit TAT.
L’histoire est le résultat d’un compromis trouvé face au conflit ravivé entre
la pression pulsionnelle et l’expression fantasmatique, d’un côté, et
l’exigence d’organisation d’un récit communicable, de l’autre. L’analyse
des procédés du discours engage l’analyse du processus, c’est-à-dire du
mouvement qui conduit de la source, le fantasme, à sa mise en forme telle
qu’elle se présente à la conscience, à travers le style du récit.
La feuille d’analyse va ainsi permettre de repérer les modes d’expression
qui relèvent du processus primaire et du processus secondaire, dans les
formes du discours admettant ou non la régression. Une analyse dynamique
des récits tient compte de la dialectique entre mouvements progrédients et
mouvements régrédients.
Les procédés du discours et leur articulation dans la construction du récit
sont considérés comme l’analogon des modalités de fonctionnement
psychique repérables dans la conduite humaine et tendant à la régulation du
conflit.
Les procédés A (Rigidité) et B (Labilité) s’inscrivent dans des modes de
constructions de récits conflictualisés, relevant de la mise en scène des
pulsions et des défenses ; les procédés de la série C (Évitement) participent
de la construction de récits a-conflictuels, les procédés de la série D
(Manifestations hors narration) engagent l’expressivité corporelle et
gestuelle, les procédés de la série E (Émergence du processus primaire)
révèlent l’émergence de la pensée et du fantasme en processus primaire.
Il faut souligner la nécessité de ne pas assimiler les procédés discursifs qui
structurent un récit et les mécanismes de défense. Les mécanismes de
défenses sont inférés à partir de l’analyse des procédés du discours et s’en
distinguent dans leur formulation, à l’exception des procédés A2-3
« Dénégation », A3-3 « Formation réactionnelle », A3-4 « Isolation », car
ces mécanismes de défenses s’expriment directement dans des formes
langagières.
La feuille d’analyse permet le repérage des procédés du discours mobilisés
dans les grandes organisations du fonctionnement psychique s’inscrivant
dans un continuum allant du normal au pathologique, qu’elles soient
névrotiques, limites, narcissiques, psychotiques… Le psychologue est ainsi
confronté à la nécessité d’une lecture transversale pour chaque protocole :
tout procédé est susceptible d’être utilisé pour l’organisation d’un récit,
quelles que soient les modalités de fonctionnement psychique. Par exemple,
des procédés de la série E (Émergence du processus primaire) peuvent
apparaître dans des registres de fonctionnements névrotiques et constituer le
signe d’un possible assouplissement de la circulation intrapsychique,
comme c’est le cas, par exemple, au sein d’une organisation obsessionnelle
serrée. Le recours à des conduites psychiques régressives (régression
formelle) ne témoigne nullement de leur caractère pathologique.
La présence de procédés narcissiques (CN) ou limites (CL) dans un
fonctionnement psychotique témoignera de l’investissement possible de
limites et de défenses narcissiques de bon aloi allégeant le sentiment de
confusion.
C’est le repérage de l’utilisation des procédés du discours, de leur poids
économique, de leur articulation, de leur souplesse, qui permettra au
psychologue d’en inférer les mouvements défensifs privilégiés sous-tendant
l’organisation du récit. Ce sont ces points de vue dynamique et économique
qui apparaissent en filigrane de la méthode de cotation des récits. Dans un
second temps, les procédés sont rassemblés sur la feuille d’analyse. Les
modes langagiers les plus utilisés, leurs associations et leur fonction dans le
traitement des conflits suscités par le contenu latent des planches et les
problématiques qu’ils suscitent, seront ainsi les indicateurs des registres
défensifs privilégiés, et des compromis utilisés pour aménager les conflits.
Chapitre 13
Méthodologie

Sommaire
1. Spécificité de la situation-TAT
2. La démarche d’analyse
3. Matériel, consignes
4. Le déroulement de la passation
5. Analyse du matériel
6. Présentation de la feuille d’analyse des procédés du
discours

1. Spécificité de la situation-TAT
La situation-TAT est déterminée par les paramètres habituels de toute situation
de test projectif. Contrairement au Rorschach dont les planches sont non
figuratives, le matériel-TAT présente cette particularité – commune aux tests
thématiques – d’être à la fois figuratif et ambigu. En ce sens, il se prête à une
analyse objective du percept c’est-à-dire de son contenu manifeste et à une
interprétation subjective, entraînant des associations d’ordre projectif, relatives
aux significations latentes attribuées au stimulus. La possibilité pour le sujet
d’accepter l’objet-test dans sa double appartenance perceptive/projective, à se
situer dans le champ intermédiaire entre réel et imaginaire, sous-tend la
démarche d’analyse : le sujet peut-il se laisser aller à associer à partir d’une
réalité perceptive, sans être ni désorganisé par cette activité associative, ni
démesurément contraint par les impératifs de l’objectivité ?
2. La démarche d’analyse
La durée de l’épreuve, limitée par le temps de passation, l’attitude du clinicien,
etc., sont autant d’éléments constitutifs de la situation-TAT permettant de
recueillir des données qui, en référence à la théorie sous-jacente, le conduiront à
apprécier le mode de fonctionnement psychique du sujet.
Après la passation, le matériel recueilli va faire l’objet d’une analyse. La
méthode d’analyse d’un protocole repose essentiellement sur l’étude des
procédés du discours mis en œuvre dans l’élaboration des récits et de leur
articulation avec les problématiques qu’ils s’efforcent de traiter.
Elle comporte deux temps : l’analyse planche par planche et la synthèse des
informations obtenues.

2.1 L’analyse planche par planche du protocole


Elle comprend :
• La cotation des procédés du discours réalisée à l’aide de la feuille d’analyse
relève d’une analyse textuelle et formelle. Les procédés sont ensuite
rassemblés et synthétisés sur la feuille d’analyse. Ces procédés renvoient aux
modalités de traitement des conflits ravivés par la présentation du matériel.
L’analyse de la planche devra tenir compte de la nature, de la variété, du poids
des procédés utilisés par le sujet et également de leur articulation avec d’autres
procédés de la même série ou d’une autre série.
• Le repérage des problématiques abordées par le sujet face aux planches,
celles-ci étant susceptibles de renvoyer à des registres conflictuels différents.
Ces deux moments – analyse des procédés et analyse des problématiques –
sont étroitement imbriqués, même si pour clarifier le travail d’analyse, on les
sépare transitoirement. L’un et l’autre ont pour objectif de saisir le travail
psychique qui s’effectue dans la confrontation entre contenu manifeste et
contenu latent.
Cette analyse nécessite de laisser provisoirement de côté les données
anamnestiques connues du psychologue, afin que les informations relatives à la
symptomatologie, à l’histoire du sujet, n’influent pas directement sur l’analyse
et l’interprétation des données. En effet, cette situation inédite est susceptible de
dévoiler des voies d’expression de conflits elles aussi possiblement inédites.
2.2 La synthèse des informations obtenues
précédemment
Elle devra passer par :
• le regroupement sur la feuille d’analyse des différents procédés du discours
utilisés par le sujet. Ce regroupement permettra d’apprécier la qualité du
processus associatif en tenant compte des relations entre représentations,
affects et mécanismes de défense (du point de vue topique, économique et
dynamique) ;
• le dégagement des modalités de fonctionnement psychique mises en jeu dans
l’expérience-TAT (registres conflictuels, modalités défensives).
À partir de là, il s’agit de prendre en compte :
• Les modalités d’investissement de la représentation de soi (axe narcissique) en
termes d’identité et d’identification (axe narcissique) : y a-t-il une stabilité
effective de l’identité ou au contraire une unité identitaire difficile à réaliser ?
Les personnages sont-ils différenciés les uns par rapport aux autres ? Les
identifications sont-elles clairement posées, les repères sexués sont-ils
nettement établis ?
• Les modalités d’investissement des relations (axe objectal) : bien entendu, les
représentations de relations ne s’offrent pas comme une copie des relations
interpersonnelles éprouvées dans la réalité quotidienne, elles relèvent
davantage de traductions des relations aux objets internes du sujet et aux
conflits qui s’y attachent : y a t-il un investissement des relations ? Les
représentations de relations traduisent-elles un conflit d’ambivalence, ou, au
contraire, une tendance plus ou moins importante à la désintrication
pulsionnelle ? Les mouvements libidinaux et agressifs sont-ils repérables ? Y
a-t-il une liaison possible entre eux, ou, au contraire, les processus de déliaison
sont-ils prévalents ?
Les deux polarités (narcissique et objectale) sont susceptibles d’être
mobilisées soit ensemble, dans une sorte de dialectique plus ou moins équilibrée
selon les moments et les situations, soit de manière conflictuelle, antagoniste
voire antinomique, les intérêts narcissiques apparaissant alors massivement
menacés par les investissements objectaux qui risquent d’être inhibés ou barrés,
ou, encore, les enjeux narcissiques venant troubler les modalités
d’investissement objectal.
3. Matériel, consignes
Parmi les planches retenues par V. Shentoub de celles proposées dans l’édition
originale, certaines sont communes et présentées à l’ensemble des sujets,
d’autres sont spécifiques et proposées soit aux femmes et aux filles, soit aux
hommes et aux garçons.
Sont présentées aux filles et aux femmes les planches : 1, 2, 3BM, 4, 5, 6GF,
7GF, 9GF, 10, 11, 12BG, 13B, 13MF (à partir de 15 ans), 19, 16
Sont présentées aux garçons et aux hommes les planches : 1, 2, 3BM, 4, 5,
6BM, 7BM, 8BM, 10, 11, 12BG, 13B, 13MF (à partir de 15 ans), 19, 16
Les planches doivent être présentées dans l’ordre, sans omission de planche.
L’analyse du TAT tient compte du déroulement de l’épreuve et des
caractéristiques manifestes et latentes des planches, allant globalement de
situations les plus structurées – les dix premières planches plus figuratives
présentent des personnages (différence des sexes et des générations plus ou
moins marquées), au moins structurées (les planches 11, 19 et 16 ne renvoient
pas à des objets concrets bien définis, voire à aucun objet du tout pour la 16). La
présentation de la planche 16 est précédée d’une consigne spécifique.
La passation se déroule en une seule séance pour permettre d’analyser les
effets d’une planche sur l’autre, et suivre le rythme des associations en
référence au caractère structuré ou non des planches.
La consigne est énoncée à la présentation de la première planche : « Je vais
vous montrer une série d’images et vous pourrez me raconter une histoire à
partir de chacune de ces images. »
Une nouvelle consigne précède la présentation de la planche 16 « Je vais vous
présenter la dernière planche, vous pouvez me raconter l’histoire que vous
voulez. » Le clinicien ne devra donner aucune autre indication.

4. Le déroulement de la passation
4.1 Le temps
Classiquement, on tient compte des caractéristiques temporelles de la
passation. On mesure le temps de latence (temps écoulé entre la présentation de
la planche et le moment où le sujet commence à parler), le temps total par
planche, (temps écoulé depuis la présentation de la planche jusqu’à la fin du
récit raconté par le sujet). Les temps de latence et les temps totaux doivent être
pris en considération mais leur interprétation dépend des éléments cliniques
apportés par l’analyse de l’ensemble du ou des récits.
Les caractéristiques temporelles ne sont jamais interprétées en termes
d’efficience ou de performance – à la différence des épreuves d’intelligence –
mais uniquement en tant que repères cliniques, montrant la plus ou moins forte
réactivité du sujet ou au contraire sa tendance à l’inhibition. Y a-t-il nécessité
pour lui de prendre du temps avant de s’engager ou au contraire de se précipiter
dans le récit ? Les planches déclenchent-elles des effets spécifiques notamment
repérables au niveau des temps de latence (sidération, réflexion, scrutation du
matériel, agitation…) ?

4.2 La prise en notes des récits


Le travail sur le TAT s’effectuant à partir de l’analyse formelle du récit, il est
nécessaire de noter intégralement le discours du sujet, à savoir l’ensemble du
verbatim, en respectant toutes ses caractéristiques : les abréviations,
reconstructions, interprétations du clinicien sont à proscrire. Si le clinicien juge
nécessaire d’intervenir pour favoriser le travail associatif, il en prendra note
ainsi que les effets de ses interventions au cours de la passation : sont-elles
ressenties comme offre de support, d’étayage ou au contraire comme inhibantes
ou intrusives ou persécutantes… ? Toutes ces caractéristiques sont essentielles
pour saisir les modalités d’investissement de la relation.

5. Analyse du matériel
La grande découverte de V. Shentoub a été de penser les planches du TAT dans
la double perspective du contenu manifeste et du contenu latent et de leur
articulation. Ces notions fondamentales en psychanalyse trouvent là une
application parfaitement originale car elles portent non seulement sur les récits
du sujet – à l’instar des rêves – mais sur le matériel du test lui-même dont on ne
peut oublier qu’il a été créé, choisi, décidé par H. Murray, un homme, animé par
ses propres mouvements psychiques.

5.1 Contenus manifestes et contenus latents


Le matériel TAT permet une analyse en termes de contenu manifeste et de
contenu latent. Le contenu manifeste – décrit selon ses caractéristiques
perceptives que le sujet va appréhender en investissant préférentiellement
certains éléments – n’est pas neutre. Il présente des situations se rapportant aux
conflits universels organisateurs de la vie psychique qui en constituent le sens
latent. En psychanalyse, le « contenu latent » se définit comme l’« ensemble de
significations auquel aboutit l’analyse d’une production de l’inconscient,
singulièrement du rêve. Une fois déchiffré, le rêve n’apparaît plus comme un
récit en images mais comme une organisation de pensée, un discours, exprimant
un ou plusieurs désirs » (Laplanche et Pontalis, 1967, p. 100). Dans le passage
du champ de la psychanalyse à celui de la psychologie projective, le terme de
contenu latent se réfère à l’absence de neutralité du contenu du matériel qui
présente des situations relationnelles et conflictuelles saturées de messages
sexuels énigmatiques. Le contenu latent des planches présentant des
« personnages » s’organise autour de la différence des générations et/ou de la
différence des sexes. Ces planches réactivent de façon privilégiée des scénarios
relationnels et des représentations de soi, mobilisant deux grands axes de
problématiques, régulièrement sollicités par les planches TAT : l’axe objectal et
l’axe narcissique.
Chaque planche du TAT est susceptible de solliciter une problématique
spécifique, prévalente, dont la traduction en termes de représentations de mots
renvoie au fantasme sous-jacent. Cependant, la mise à l’épreuve essentielle
relève de la manière dont le sujet mobilise ses conduites psychiques pour
produire un récit.
L’hypothèse principale est que les sollicitations latentes du matériel sont
toujours effectives, qu’il s’agisse du complexe d’Œdipe ou de l’angoisse
dépressive : tous les sujets, quelle que soit leur organisation psychique, sont
mobilisés par ces problématiques, « Dans cette perspective, ce sont les modes
d’organisation et d’élaboration du complexe d’Œdipe, ses voies de résolution
aussi, qui marqueront sa spécificité et ses différences » (Chabert, 2005, p.145).
Le complexe d’Œdipe, notamment, ne constitue pas le registre conflictuel
primordial et privilégié des seules organisations névrotiques. Chaque
organisation psychique est concernée et il lui appartient de traiter le complexe
d’Œdipe selon les modalités singulières qui lui appartiennent. Dans la névrose,
structurant un conflit interne entre désirs et défenses, mettant en évidence
l’affrontement des mouvements pulsionnels (libidinaux et agressifs) et des
interdits, le complexe d’Œdipe montre ses effets dans l’expression de l’angoisse
de castration, liée à la transgression, à l’abri du refoulement. Dans la névrose,
l’angoisse dépressive est très fortement associée à l’organisation œdipienne : on
peut penser en effet que le complexe d’Œdipe assure, en quelque sorte, par la
construction dynamique des scénarios triangulaires, une tentative – parfois
réussie – d’élaboration de la problématique de perte. En ce sens, les affects de
tristesse sont ressaisis dans les fils de la culpabilité et dans la nostalgie liée au
renoncement à l’objet d’amour œdipien.
Chez les fonctionnements limites, la proximité et la force des désirs incestueux
et/ou parricides – du fait de mécanismes de refoulement insuffisamment
efficaces et de la fragilité des limites – ainsi que la menace constante de perte
d’amour rendent l’organisation œdipienne beaucoup moins structurante. La
problématique de castration résonne massivement en termes narcissiques et
dépressifs et le sujet oscille entre des moments d’envahissement fantasmatique
plus ou moins apparents et des moments d’agrippement au percept imposés par
la nécessité de contre-investir les mouvements projectifs. Chez les
fonctionnements limites, la problématique centrale relève de l’angoisse de perte
de l’amour de la part de l’objet. L’angoisse de perte réelle de l’objet, du fait des
limites poreuses entre dedans et dehors, met en évidence des difficultés patentes
dans les capacités de traitement de la problématique dépressive : les possibilités
de contenance pulsionnelle sont discontinues dans la mesure où l’ambivalence
reste peu ou pas élaborée, ce qui détermine la mise en place de mécanismes de
clivage et d’identification projective.
Dans les organisations psychotiques enfin, le complexe d’Œdipe, largement
débordé par l’excitation pulsionnelle associée à des fantasmes incestueux et
meurtriers non refoulés, perd toute fonction différenciatrice et structurante. Le
sentiment continu d’exister du sujet et de l’objet est perdu. L’inscription de la
perte est sans cesse combattue par des mécanismes de défense extrêmement
coûteux : le sujet se laisse emporter par les mouvements destructeurs qui
anéantissent son identité en attaquant le sentiment d’altérité. Le
désinvestissement objectal s’accompagne d’un désinvestissement narcissique
majeur.

5.2 Présentation des planches


Planche 1
Contenu manifeste : un garçon, la tête entre les mains, regarde un violon posé
devant lui.
Contenu latent : renvoie à l’impuissance infantile :
• À partir de l’accent porté sur l’immaturité fonctionnelle (il s’agit d’un enfant),
c’est une problématique d’impuissance actuelle associée à l’angoisse de
castration qui organise l’image, avec des destins différents repérables selon la
qualité des mouvements identificatoires.
• La solitude de l’enfant, associée à la blessure narcissique imposée par son
immaturité, est susceptible de réactiver une angoisse de perte plus ou moins
vive.
La reconnaissance et l’élaboration de la problématique de castration supposent
que la différenciation entre sujet et objet soit solidement établie ; quand les
processus identificatoires sont troublés, l’accent porte sur la difficulté ou
l’incapacité à poser une représentation de sujet unifiée face à un objet dont
l’intégrité ne serait pas menacée. Dans ces cas de figure, la précarité des
mécanismes d’intériorisation, déterminée par la difficulté à intégrer la perte
d’objet, entraîne des altérations considérables dans la structuration œdipienne.
Planche 2
Contenu manifeste : scène champêtre. Au premier plan, une jeune fille avec
des livres ; au second plan, un homme avec un cheval, une femme adossée à un
arbre (différence des sexes, pas de différence de générations).
Contenu latent : renvoie au complexe d’Œdipe :
• La planche renvoie au triangle œdipien père-mère-fille malgré l’absence de
différence de générations au niveau manifeste. Elle met à l’épreuve
l’organisation œdipienne et son caractère plus ou moins structurant : attirance
de la jeune fille par l’homme, rivalité avec la femme, reconnaissance de
l’interdit, renoncement à l’amour œdipien, nostalgie, déclin de l’œdipe.
• L’interdit et le renoncement auquel il contraint sont éprouvés comme une
impossible séparation d’avec les objets originaires. Le sujet reste « collé » au
couple en refusant de reconnaître l’attraction sexuelle, l’exclusion par rapport
au couple étant ressentie comme un rejet massif et insupportable.
Planche 3BM
Contenu manifeste : une personne affalée, appuyée au pied d’une banquette
(sexe et âge indéterminés, objet à terre flou).
Contenu latent : renvoie à la position dépressive avec traduction corporelle :
• Dans un contexte œdipien, c’est la culpabilité dans sa valence dépressive qui
est mobilisée. La solitude reste supportable, le renoncement est acceptable et
le déplacement des investissements vers de nouveaux objets possibles.
• La problématique de perte d’objet, centrale, met à l’épreuve les capacités de
travail de deuil, la réversibilité des affects dépressifs et l’ouverture vers des
désirs à venir.
Cette planche est essentielle pour mettre en évidence la capacité du sujet à lier
des affects dépressifs à des représentations de perte.
Planche 4
Contenu manifeste : une femme proche d’un homme qui se détourne
(différence des sexes, pas de différence de générations).
Contenu latent : renvoie à l’ambivalence pulsionnelle dans la relation
amoureuse :
• Les deux courants pulsionnels sont mobilisés dans leur polarité
agressivité/tendresse, amour/haine. Dans un contexte œdipien, c’est une
référence tierce (la guerre, un rival, une autre femme…) qui détermine
l’éventuel départ du personnage masculin.
• La planche sollicite, au-delà du conflit et du chagrin d’amour, l’angoisse de
séparation et d’abandon.
Planche 5
Contenu manifeste : une femme d’âge moyen, la main sur la poignée de la
porte, regarde à l’intérieur d’une pièce.
Contenu latent : renvoie à une image féminine/maternelle qui pénètre et
regarde :
• Dans un contexte œdipien, la planche ravive la culpabilité liée à la curiosité
sexuelle et aux fantasmes de scène primitive, la figure de la mère apparaissant
à la fois séductrice et interdictrice.
• Dans un autre registre, ce sont les mouvements ambivalents, plus archaïques,
associés à l’angoisse de perdre l’amour de l’objet, qui sont touchés avec des
traitements différents selon les sujets (versant narcissique, dépressif ou
persécutif).
Planche 6GF
Contenu manifeste : une jeune femme assise, au premier plan, se retournant
vers un homme qui se penche sur elle (légère différence de générations,
différence des sexes).
Contenu latent : renvoie à la séduction sexuelle dans l’opposition conflictuelle
entre désir et défense
• Dans un contexte œdipien, cette planche convoque un fantasme de séduction
dans sa version hystérique : c’est l’homme plus âgé (le père ou son substitut)
qui est l’agent séducteur, ce qui préserve l’innocence de la jeune fille.
• La problématique de perte d’objet est beaucoup moins repérable à cette
planche. Elle peut être sous-jacente à la relation œdipienne au père
(renoncement difficile) ou à la mère (peur de perdre son amour dans la
rivalité). Cependant, dans certains registres, il apparaît évident que la figure du
père occupe une place et assure une fonction réparatrice lorsque la figure
maternelle est trop fortement connotée par l’abandon.
Planche 6BM
Contenu manifeste : au premier plan, un homme jeune, de face ; au second
plan, une femme âgée, de profil (différence des sexes, différence de
générations).
Contenu latent : renvoie à la relation mère/fils dans un contexte de tristesse :
• Dans un contexte œdipien, la planche s’organise autour d’un fantasme
parricide (la tristesse est liée à la mort du père) et met à l’épreuve la
reconnaissance de l’interdit de l’inceste.
• Dans un autre registre, la planche ravive les modalités singulières de la
relation mère/fils et l’angoisse de perdre son amour du fait de l’éloignement
imposé par le renoncement œdipien.
Planche 7GF
Contenu manifeste : une femme, un livre à la main, penchée vers une petite
fille à l’expression rêveuse qui tient un poupon dans les bras (différence de
générations, pas de différence des sexes.)
Contenu latent : renvoie à la relation mère/fille :
• Dans un contexte œdipien, la planche sollicite des mouvements
d’identification de la fille à la mère qui autorise ou non l’accession à une place
de femme et de mère.
• Dans d’autres contextes, le conflit se double de la réactualisation de
l’ambivalence dans la relation mère/enfant, en termes de proximité et de rejet,
d’amour et de haine.
Planche 7BM
Contenu manifeste : deux hommes (dont on ne voit que les têtes) proches l’un
de l’autre (différence de générations, pas de différence des sexes).
Contenu latent : renvoie au rapprochement père/fils :
• Dans un contexte œdipien, la planche renvoie à l’ambivalence de la relation
avec le père dans ses deux versants, rivalité et/ou attraction.
• Comme toutes les scènes de rapprochement manifeste, la planche réactive des
représentations de séparation.
Planche 8BM
Contenu manifeste : au premier plan, un adolescent et un fusil. Au second
plan, un homme couché, deux hommes penchés sur lui avec un instrument
(scène d’opération) (pas de différence des sexes, différence de générations).
Contenu latent : renvoie à l’agressivité et à la castration dans la relation entre
hommes (positions contrastées active/passive) :
• Dans un contexte œdipien, ce sont le désir parricide, la culpabilité, la menace
de castration et l’ambivalence vis-à-vis du père qui sont mobilisés.
• En deçà, les pulsions agressives à valence destructrice ravivent des fantasmes
d’attaque mortifère contre les objets et l’angoisse de perte concomitante.
Planche 9GF
Contenu manifeste : au premier plan, une jeune femme, derrière un arbre,
regarde une autre jeune femme qui court en contrebas, au second plan (pas de
différence des sexes, pas de différence de générations).
Contenu latent : renvoie aux relations entre femmes :
• Dans un contexte œdipien, la rivalité entre les deux femmes se noue autour
d’un même objet de désir
• Au-delà de la rivalité, c’est une agressivité plus violente, éventuellement
persécutrice voire mortifère qui se mobilise dans l’attaque de l’autre et est
susceptible d’entraîner sa disparition.
Planche 10
Contenu manifeste : un couple qui se tient embrassé (pas de différence de
générations, flou et ambiguïté dans la différence des sexes).
Contenu latent : renvoie à séparation et aux retrouvailles dans un couple :
• Dans un contexte œdipien, les liaisons sont possibles (ou non) entre tendresse
et désir sexuel, la référence incestueuse est plus ou moins présente.
• Au-delà, c’est la menace de sa séparation qui demeure sous-jacente ou
clairement formulée.
Planche 11
Contenu manifeste : paysage chaotique avec de vifs contrastes d’ombre et de
clarté, en à pic.
Contenu latent : la planche induit des mouvements régressifs très importants,
mettant au jour des problématiques prégénitales singulières, généralement
référées à des imagos archaïques.
Planche 12BG
Contenu manifeste : paysage boisé au bord d’un cours d’eau avec, au premier
plan, un arbre et une barque. Végétation et arrière-plan imprécis. Aspect aéré et
dominante claire. Absence de personnages.
Contenu latent : renvoie à l’absence :
• Dans un contexte œdipien, c’est la référence au fantasme de scène primitive
qui apparaît dans l’évocation de relations tendres ou érotisées.
• Au-delà, les dimensions dépressive et/ou narcissique se manifestent à travers
la réactivation d’une problématique de perte et d’abandon et/ou l’impossibilité
de faire appel à un objet secourable.
Planche 13B
Contenu manifeste : un petit garçon assis sur le seuil d’une cabane aux
planches disjointes.
Contenu latent : renvoie à la capacité d’être seul :
• Dans un contexte œdipien, la planche ravive le sentiment de solitude de
l’enfant délaissé par le couple parental.
• Au-delà, la problématique dominante porte sur la capacité d’être seul dans un
environnement précaire et met à l’épreuve la qualité de l’étayage maternel et
ses effets.
Planche 13MF
Contenu manifeste : une femme couchée, la poitrine dénudée et un homme
debout, au premier plan, le bras devant le visage (différence des sexes, pas de
différence de générations.)
Contenu latent : renvoie à la sexualité et l’agressivité dans le couple :
• Dans un contexte œdipien, la planche s’organise autour d’une situation
triangulaire dramatisée mettant plus ou moins au jour une fantasmatique
incestueuse et meurtrière.
• Au-delà, et comme toutes les planches qui sont susceptibles de solliciter une
fantasmatique mortifère, c’est la question de la perte violente et de la
destruction qui est ravivée, et cette fois, la massivité de la problématique peut
entraîner un débordement et une désorganisation patents.
Planche 19
Contenu manifeste : image « surréaliste » de maison sous la neige, bateau dans
la tempête, véhicule…
Contenu latent : mise à l’épreuve des limites entre dedans/dehors,
bon/mauvais, et réactivation de problématiques archaïques dépressive et/ou
persécutive, selon les capacités de contenance et de différenciation du sujet.
Planche 16
Contenu manifeste : carte blanche pour le sujet.
Contenu latent : renvoie à la manière dont le sujet structure ses objets internes
et externes et organise ses relations avec eux.

6. Présentation de la feuille d’analyse des


procédés du discours
6.1 Un outil méthodologique en mouvement
La feuille d’analyse des procédés du discours a été régulièrement remaniée
depuis sa première forme, publiée en 1958 par V. et S. Shentoub. Depuis, de
nombreuses versions ont vu le jour, suivant le fil des avancées théoriques,
cliniques et psychopathologiques, ces mises à jour permettant d’en faciliter
l’usage (Azoulay, 2000, Azoulay et Emmanuelli, 2002).
Elle n’est pas un relevé exhaustif des modalités de fonctionnement présentes
dans toutes les organisations psychiques. Elle doit être avant tout considérée
comme un instrument de travail en mouvement, tenant compte de l’évolution de
la clinique et des interrogations qu’elle soulève.
Elle sert de cadre de référence pour apprécier et coter les particularités de
construction de chacune des histoires, dans leur originalité.
Comme le soulignent V. Shentoub et R. Debray « tout mécanisme, de quelque
nature qu’il soit, peut se rencontrer dans un protocole normal ou pathologique ;
dans celui-ci il prendra place parmi d’autres mécanismes qui participent à
l’efficience, dans celui-là au contraire, il apparaîtra comme dominant, gênant le
rendement, pouvant même altérer complètement la progression du récit » (1969,
p. 243).
Il est nécessaire d’insister sur l’importance d’une interprétation clinique tenant
compte avant tout de l’ensemble du processus associatif. La passation du TAT
se déroule dans le temps, et ce qui est dit à tel ou tel moment retrouve son
« après-coup » aux planches suivantes : l’analyse est fondée sur l’évolution des
problématiques et des stratégies défensives au fil de la passation.

6.2 La feuille d’analyse des procédés du


discours
La feuille d’analyse des procédés du discours permet le repérage et le
regroupement des différents procédés mobilisés pour la construction des récits.
Ces procédés peuvent être formels (repérables au niveau syntaxique) et/ou
narratifs (organisant l’histoire selon tel ou tel style).
Les procédés du discours sont sous-tendus par des opérations inconscientes
dont ils sont l’expression manifeste. Ainsi, les mécanismes de défense et autres
modalités de conduites psychiques inconscientes sont susceptibles d’être
analysés et dégagés à partir des procédés du discours.
D’après le Vocabulaire de la psychanalyse, le terme de « mécanisme » est
utilisé par Freud pour désigner le fait que les phénomènes psychiques
présentent des agencements susceptibles d’une observation et d’une analyse
scientifique. Il s’agit de conduites psychiques inconscientes qui permettent le
traitement des mouvements pulsionnels et des représentations qu’ils sous-
tendent. Les mécanismes de défense diffèrent selon les moments du
développement qui ont servi d’ancrage à leur mise en place : ils diffèrent
également selon l’organisation psychique et psychopathologique.
La feuille d’analyse est un instrument de travail qui permet d’apprécier et de
coter les particularités de construction de chacune des histoires. Divisée en cinq
grandes catégories ou séries de procédés, elle n’est remplie qu’au terme de
l’analyse du protocole tout entier.
Feuille d’analyse des procédés du discours TAT (2020)
Série D Série E
Série A Série B Série C
Manifestations Émergences du
Rigidité Labilité Évitement
hors narration processus primaire
A1 – Référence à la B1 – CI – Inhibition D1 – E1 – Altération de la
réalité externe Investissement CI-1 : Tendance Manifestations perception
A1-1 : Description de la relation générale à la motrices (+ ou E1-1 : Scotome
avec précision des B1-1 : Accent restriction (temps de –) Mimiques, d’objet manifeste
détails, avec ou sans porté sur les latence long et/ou gestes, E1-2 : Perception de
justification de relations silences importants postures, etc. détails rares ou
l’interprétation interpersonnelles, intra-récits, tendance bizarres avec ou sans
A1-2 : mise en dialogue refus, refus) D2 – justification arbitraire
Précisions temporelles, B1-2 : CI-2 : Motifs des Manifestations E1-3 : Perceptions
spatiales, chiffrées Introduction de conflits non précisés, émotionnelles sensorielles – Fausses
A1-3 : Références personnages non banalisation, Rires, larmes, perceptions
sociales, au sens figurant sur anonymat des rougeurs,
commun et à la morale l’image personnages tremblements, E2 – Massivité de la
A1-4 : Références B1-3 : CI-3 : Nécessité de soupirs, etc. projection
littéraires, culturelles Expression poser des questions E2-1 : Inadéquation
d’affects D3 – Adresses du thème au stimulus
A2 – Investissement CF – Accrochage à la directes au – Persévération
de la réalité interne B2 – réalité externe clinicien E2-2 : Évocation du
A2-1 : Recours au Dramatisation CF-1 : Accent porté Interpellations, mauvais objet, thèmes
fictif, au rêve B2-1 : sur le quotidien, le appels, de persécution,
A2-2 : – Entrée directe factuel, le faire – critiques, recherche arbitraire
Intellectualisation dans Référence plaquée à la impatience, de l’intentionnalité de
A2-3 : Dénégation l’expression, réalité externe ironie, etc. l’image et/ou des
Série D Série E
Série A Série B Série C
Manifestations Émergences du
Rigidité Labilité Évitement
hors narration processus primaire
A2-4 : Accent porté exclamations, CF-2 : Attachement physionomies ou
sur les conflits intra- digressions – aux détails concrets, attitudes –
personnels – Références et/ou aux détails perceptifs Mégalomanie
Aller/retour entre commentaires CF-3 : Affects de E2-3 : Expressions
l’expression personnels circonstance, d’affects et/ou de
pulsionnelle et la – Théâtralisme, références à des représentations
défense histoires à normes extérieures massifs – Expressions
rebondissements crues liées à une
B2-2 : Affects CL – Attachement thématique sexuelle
forts ou exagérés aux limites ou agressive –
B2-3 : CL-1 : Fragilité des Inadéquation
Représentations frontières dedans affects/représentations
d’actions dehors (entre
associées ou non narrateur/personnages,
à des états entre sujet/objet, entre
émotionnels de réalité interne/réalité
peur, de externe…)
catastrophe, de CL-2 : Insistance sur
vertige… les limites et les
B2-4 : contours (+ ou –
Représentations perméables)
et/ou affects
contrastés –
Aller/retour entre
désirs
contradictoires
A3 – Procédés B3 – Procédés CL-3 : Accent porté E3 –
obsessionnels hystériques sur la fonction Désorganisation des
A3-1 : Doute : B3-1 : Mise en d’étayage de l’objet repères identitaires
précautions verbales, avant des affects (+/-) et objectaux
hésitations entre au service du CL-4 : Discontinuité E3-1 : Confusion des
interprétations refoulement des des modes de identités –
différentes, remâchage représentations fonctionnement Télescopage des rôles
A3-2 : Annulation B3-2 : (interne/externe, E3-2 : Instabilité des
A3-3 : Formation Érotisation des perceptif/symbolique, objets
réactionnelle relations, concret/abstrait…) E3-3 :
A3-4 : Isolation entre symbolisme Désorganisation
représentations ou transparent, CN – Centration temporelle, spatiale
entre représentation et détails narcissique ou de la causalité
affect – Affects narcissiques à CN1 : Accent porté logique
minimisés valeur de sur l’éprouvé E3-4 : Perception
séduction subjectif, références d’objets détériorés ou
B3-3 : Labilité autocentrées, de personnages
dans les autosuffisance malades – Images de
identifications corps malformés
Série D Série E
Série A Série B Série C
Manifestations Émergences du
Rigidité Labilité Évitement
hors narration processus primaire
CN2 : Accent porté
sur la sensorialité, E4 – Altération du
sensibilité aux discours
contrastes E4-1 : Troubles de la
CN-3 : Détails syntaxe – Craquées
narcissiques à valence verbales
positive ou négative, E4-2 :
idéalisation (+/–) Indétermination, flou
CN-4 : Relations du discours
spéculaires E4-3 : Associations
CN-5 : Mise en courtes
tableau – Affect-titre – E4-4 : Symbolisme
Posture signifiante hermétique
d’affects

CM – (Hypo)manie
CM1 : Exaltation et
emballement des
affects et des
représentations
(élation)
CM-2 : Hyper-
instabilité des
identifications et des
objets
CM-3 : Fabulations
CM-4 : Pirouettes,
clin d’œil – Ironie –
Humour
CM-5 : Associations
par contiguïté, par
consonance, coq-à-
l’âne…
Chapitre 14
Les procédés du discours

Sommaire
1. Procédés de la série A (Rigidité)
2. Procédés de la série B (Labilité)
3. Procédés de la série C (Évitement)
4. Procédés de la série D (Manifestations hors narration)
5. Procédés de la série E (Émergences du processus
primaire)
6. Synthèse

1. Procédés de la série A (Rigidité)


Les procédés A sont organisés en trois catégories : les procédés A1
(« Référence à la réalité externe ») renvoient aux modalités du discours
rigide telles qu’elles peuvent être rencontrées dans toute forme
d’organisation psychique ; les procédés A2 (« Investissement de la réalité
interne ») font référence aux modalités d’expression du conflit
intrapsychique, mais ne peuvent être considérés comme significatifs à eux
seuls d’un fonctionnement névrotique ; les procédés A3 (« Procédés
obsessionnels ») rendent compte de mécanismes typiquement
obsessionnels. Articulée à d’autres procédés A et B (en majorité mais pas
exclusivement), la présence de procédés A3 peut mettre en évidence la
conflictualité intrapsychique dans un registre névrotique ; la mobilisation
majeure de ces procédés peut soutenir une hypothèse de névrose
obsessionnelle.
A1 : Référence à la réalité externe
Il s’agit de procédés qui, sous des formes différentes, font référence à la
réalité externe entendue au sens large, laquelle est utilisée pour servir de
cadre au récit.
A1-1 : Description avec précision des détails, avec ou
sans justification de l’interprétation
Ce procédé marque l’investissement du cadre perceptif proposé par le
matériel TAT. Le récit prend appui sur les détails objectifs de la planche,
que ceux-ci soient grands ou petits. Ce procédé est à différencier du procédé
CF-2 (« Attachement aux détails concrets, aux détails perceptifs »).
Planche 5
« Ça a l’air d’être une personne âgée qui ouvre une porte à son domicile je
pense. Y’a un bouquet de fleurs sur la table, je pense que les fleurs sont
fraîches… je pense que son mari est mort et qu’elle est toute seule dans
une maison ou un appartement. Y’a un petit rayon de bibliothèque et
quelques livres. Y’a également des livres sur le buffet […]. »
Par l’investissement des détails objectifs de la planche, le sujet contrôle
l’intensité de ses fantasmes agressifs (« mari mort ») et des angoisses
dépressives susceptibles d’émerger (« toute seule »).

Planche 6BM
« Deux personnages qui sont en deuil car le monsieur tient son chapeau
par les deux mains et la femme tient un mouchoir. Ils vont à un
enterrement. L’homme a l’air soucieux, la femme a l’air béate, surprise,
étonnée… (?) Ça doit être son mari, grand-père, et là ça doit être le fils. »
La description permet d’aborder une interprétation liée au contenu latent
et de la justifier (« car le monsieur tient son chapeau ») mais l’intensité
du fantasme œdipien mobilisé désorganise l’adéquation au réel dans
l’approche du percept (« la femme a l’air béate »).
A1-2 : Précisions temporelles, spatiales, chiffrées
Toute référence concernant le temps (époque), l’espace (région, pays…)
ou apportant des précisions chiffrées (dates, mesure…). Ces précisions sont
le plus souvent sous-tendues par une tentative de contrôle, et parfois de
mise à distance (à ne pas confondre dans ce cas avec un développement
dans le futur de l’action évoquée, comme par exemple : « Plus tard, il
fera… »).
Planche 8BM
« Euh, une dissection, d’un cadavre, il faut espérer, probablement, ça me
fait penser à un tableau de Rembrandt : Leçon d’anatomie. Les
personnages me feraient penser à l’époque élisabéthaine, au début du
e
XVII siècle par rapport à la barbe et collerette alors que l’autre [planche 5]
me faisait penser à une servante hollandaise ou de Flandres et c’est une
leçon magistrale d’anatomie dans une université du XVIIe siècle. Le garçon
n’a rien à voir avec ça puisque c’est un garçon du XXe siècle, BCBG, peut-
être un lycéen des années 1930 ou 1940. Ah ! On aperçoit au fond… ce
qui pourrait être une bibliothèque, le coin des rayonnages d’une
bibliothèque. »
Les précisions temporelles, spatiales et chiffrées posent un cadre qui se
veut rigoureux : par la mise à distance, il participe à la défense contre
l’émergence d’un fantasme agressif massif pourtant exprimé dès la
première phrase, et soutient ainsi le recours à la dénégation et l’isolation.
L’ensemble se déploie à l’abri d’une intellectualisation patente
notamment dans les références culturelles.

Planche 13B
« Un petit gamin qui s’ennuie, soit il n’a pas de copains ou il attend ses
parents… dans une cabane en bois… qui m’évoque soit les États-Unis,
l’Ouest au XIXe, ou certaines régions de Scandinavie. Voilà. »
Le recours aux précisions temporelles, spatiales et chiffrées, associé à des
procédés d’inhibition empêchent le déploiement du récit et l’élaboration
du conflit.
A1-3 : Références sociales, au sens commun et à la
morale
Ce procédé du discours permet au sujet d’aborder le conflit à l’abri de
références communément admises par le socius, voire par la morale. Il
s’agit en général d’une référence ponctuelle qui n’enlise pas le récit, elle
permet de trouver un compromis entre principe de plaisir et de réalité, dans
une situation conflictuelle, entre désirs et défenses. Ce procédé est à
différencier du procédé CF-3 (« Affects de circonstance, référence à des
normes extérieures ») coté quand le récit est plat, abrasé, a-conflictuel.
Planche 13MF
« Y’a une femme allongée et un homme debout qui vient de se réveiller…
ils ont probablement dormi ensemble… Lui c’est son mari, se levant pour
reprendre son travail, alors que sa femme bénéficie d’un repos
supplémentaire, n’ayant pas des horaires très fixes. »
Sous couvert de l’anonymat des personnages (« une femme, un homme »),
l’évocation très policée de l’intimité du couple (« probablement dormi
ensemble ») s’exprime sous couvert des règles sociales pour mettre à
distance et contenir l’excitation pulsionnelle associée aux fantasmes
sexuels.

Planche 6BM
« Toujours l’image de la mère et de son fils. La mère réfléchit car son fils
vient de lui raconter une histoire, un fait extrêmement grave, enfin grave
selon son idée. Il a l’air très sombre, il a son chapeau à la main. Il se
reproche d’avoir commis cette faute et de l’avoir racontée à sa mère… (?)
Je crois que généralement la mère pardonne tout à l’enfant. Oui, c’est ça,
la mère pardonne mais son fils… et son fils est toujours fautif malgré
tout. »
Par la référence au sens commun et à la morale, le sujet trouve un
compromis : la culpabilité est apaisée dans le sens du principe de plaisir
et en référence au sens commun (« la mère pardonne tout ») mais elle est
maintenue pour satisfaire les exigences du surmoi (« son fils est toujours
fautif »).
A1-4 : Références littéraires, culturelles
La réalité externe qui sert de cadre au récit appartient ici au monde
culturel (arts graphiques, cinéma, théâtre, littérature…) et s’inscrit dans le
registre de la fiction. Cette discrète mise à distance permet d’aborder le récit
sur un mode tempéré : il s’agit le plus souvent d’une attitude ponctuelle, qui
permet de négocier la pression conflictuelle sollicitée par la planche tout en
abordant le contenu latent.
Planche 11
20” « C’est un… ça me fait penser à un décor de théâtre devant lequel on
jouerait Faust… Enfin pourquoi Faust… Faust mais alors Faust moderne,
c’est tout… (?) Je vois des rochers, je vois pas très bien et je vois un pan
de maison et j’ai vu un film, La beauté du diable, non c’est pas ça… Oui
avec Gérard Philippe et il évoluait dans des décors de ciels très nuageux
et de ruines, oui, c’est tout. »
Les références culturelles et le recours à la fiction encadrent l’expression
de fantasmes sexuels (« Faust », « La beauté du diable », « Gérard
Philippe »). La dimension chaotique de la planche est reconnue (« décors
de ciels très nuageux et de ruines ») et mais les effets régressifs sont
contenus par l’insistance sur le cadre culturel.

Planche 5
« C’est au XIXe siècle, c’est la bonne qui vient dire « la table est servie ».
Un peu comme dans les contes de Maupassant. Il va se passer une
histoire incroyable avec la bonne, par exemple, elle va attraper la syphilis
avec son patron, puis la femme du patron s’enfuit, on la retrouve morte
dans la forêt et la bonne est congédiée. L’homme, lui, fréquente les
tavernes et il meurt, il finit sa vie, noyé dans l’alcool et les femmes. »
La référence littéraire, tout comme la mise à distance temporelle, situent
le récit dans le cadre d’une fiction qui ne parvient pas à maintenir la
distance recherchée, et les fantasmes massifs alliant sexualité et mort,
transgression et rétorsion, envahissent la fin de l’histoire.

A2 : Investissement de la réalité interne


Ces procédés rendent compte de la capacité du sujet à s’inscrire
ponctuellement ou de manière effective dans le registre du jeu, du fictif en
se centrant sur son monde interne, et en gardant la conscience d’interpréter.
A2-1 : Recours au fictif, au rêve
Le sujet met à distance le récit qu’il construit ou la situation qu’il aborde
en favorisant l’aspect imaginaire de la scène évoquée, et transpose la
situation conflictuelle en scène de film ou de roman, ou en récit de rêve. En
insistant sur la dimension fictive, ce procédé permet souvent une relance de
la conflictualisation du récit ou un déploiement des conflits.
Planche 8BM
« C’est un rêve, toujours. On a l’impression… un jeune avec un fusil
rêvant, rêvant d’avoir euh, blessé ou peut-être tué, enfin c’est plutôt
blessé, quelqu’un par balle naturellement, parce que… dans son rêve il
voit le chirurgien opérant le blessé, essayant d’extraire la balle et il pense
avoir mal agi, d’avoir fait un accident à long terme. Il espère que
l’opération réussira. Enfin il a l’air malheureux, toujours. »
L’insistance répétitive sur le fictif (recours au rêve) permet d’aborder
sans désorganisation le fantasme parricide très actif et les défenses qu’il
suscite.

Planche 13B
« Oh là là… ! + Il était une fois, dans un pays imaginaire…, un petit
garçon que ses parents avaient laissé seul car ils étaient invités à une
soirée et pas lui. C’était une soirée pour adu… une soirée entre adultes et
lui il avait école le lendemain et devait se coucher tôt. Le petit garçon
commençait à trouver le temps long. Il était même un peu triste… Alors, il
s’est assis sur le pas de la porte. Il aurait voulu aller se promener avec ses
copains, mais ses parents lui ont dit de rester à la maison et de ne pas se
coucher tard… Il se demande ce que font ses parents… Bon, j’ai dit que
c’était dans un pays imaginaire, mais c’est un peu raté mon affaire (rit) car
ce n’est pas très imaginaire comme histoire. Y’a des contes comme ça, ça
a beau être des contes, ils sont durs hein ; on ne devrait pas raconter des
his… ces histoires aux enfants. »
Le sujet n’est pas dupe de la dimension un peu forcée du recours au fictif
pour introduire son histoire et tenter de mettre à distance le
conflit, repérable entre le désir lié à la curiosité sexuelle (scène primitive)
et l’interdit réactivant un vécu d’exclusion.
A2-2 : Intellectualisation
Par l’abstraction, la symbolisation, le titre donné à l’histoire, le sujet
donne une formulation intellectualisante aux conflits et aux affects évoqués
dans son récit. Cependant, le contact avec la réalité perceptive et avec le
contenu latent de la planche demeure efficace. Utilisé de façon ponctuelle,
ce procédé peut permettre l’exposé ou le déploiement du conflit en
référence au contenu latent de la planche.
Planche 4
« Mais ça en fait, c’est, ça symbolise la fuite de l’homme devant la femme,
la recherche d’un idéal ou d’une raison de vivre à travers autre chose que
le couple… Mais en fait la femme essaie de le retenir, elle le regarde.
Enfin, elle est belle, maquillée, séduisante, mais ceci semble avoir assez
peu d’importance pour l’homme… Mais oui en fait son regard exprime
des pensées nobles… voilà… oui… enfin c’est possible de situer un peu
le dessin dans le temps d’après la mode. Voilà. »
L’intellectualisation, sous forme de symbolisation de l’agressivité et de la
défense par rapport à la sexualité, introduit une prise de distance avant la
mise en scène du conflit désir/défense qui s’engage ensuite sur un mode
plus labile.

Planche 6BM
« Ça pourrait s’intituler… “Au chevet de quelqu’un”, ou “L’attente”…
“L’attente de quelqu’un”… On voit à l’expression du personnage
masculin qu’il se passe quelque chose de grave… il a son chapeau à la
main… toute son attitude reflète un événement dramatique. Quant à la
femme, on ne sait pas si c’est sa mère ou une servante qui l’a introduit
dans une maison près de sa fiancée. Ou une scène de rupture […]. »
L’utilisation ponctuelle de l’intellectualisation, sous forme de titre donné
à l’histoire, n’entrave pas la poursuite du récit qui met en scène le
conflit : des références discrètes mais claires (« au chevet de quelqu’un »,
« un événement dramatique ») renvoient au fantasme de meurtre du père,
alors que l’érotisation des relations par l’évocation de la fiancée permet,
grâce au déplacement, la réalisation du désir œdipien.
Utilisée de façon plus massive, l’intellectualisation, associée à d’autres
procédés mobilisés à des fin défensives, tend à couper de façon drastique la
représentation de son substrat pulsionnel.
Planche 2
« Tableau allégorique de la rencontre du travail manuel représenté par le
fermier et la fermière et d’une personne à l’allure intellectuelle avec des
livres à la main. Il laboure, ils n’ont aucun contact entre eux, chacun
restant sur ses positions. »
Le titre donné à l’histoire et l’abstraction s’inscrivent dans une défense
massive contre l’évocation d’une relation triangulée. L’évocation d’un
rapproché œdipien est particulièrement conflictuel comme le montre le
recours à l’isolation radicale.
A2-3 : Dénégation
Procédé par lequel le sujet, tout en formulant un désir, une pensée ou un
sentiment, continue de s’en défendre en niant qu’il lui appartienne. La
dénégation porte sur des représentations et des affects, donc sur la réalité
interne, alors que le déni porte davantage sur la réalité perceptive.
Planche 1
« C’est un jeune prodigue ou prodige, un garçon qui joue du violon, il a
l’air assez pensif, peut-être qu’il est admiratif devant son violon, je ne
pense pas qu’il ait envie de jouer, en fait ça le laisse rêveur… il doit avoir
7 ou 8 ans je pense. C’est tout. »
La dénégation porte sur le désir lié à l’investissement de l’objet, dont le
sujet refuse de reconnaître qu’il appartient à son monde interne. Cette
défense permet de faire l’économie de l’angoisse de castration.

Planche 4
« Là ça me fait penser à une scène d’un film américain genre western, non
pas vraiment puisque la femme a l’air d’être habillée comme dans les
années 50 et lui, le mec, il s’en va, il va… pas se battre en duel puisque ce
n’est pas un western, mais régler ses comptes avec quelqu’un, et sa petite
amie lui dit : “Non n’y va pas”, mais il y va quand même car il a déjà le
regard ailleurs. Il écoute pas ce qu’elle dit mais pense à ce qu’il va faire. »
Le recours au fictif (« scène d’un film américain genre western ») ne suffit
pas à contenir la mobilisation d’un fantasme agressif. Au sein d’une
dynamique narrative pétrie d’allers-retours entre les interprétations
(« non pas vraiment », « mais quand même »), le sujet a recours à la
dénégation pour dire et ne pas dire l’expression pulsionnelle qu’il peine à
assumer.
Planche 8BM
« Alors là ! … On dirait qu’on opère quelqu’un… On dirait qu’on opère
quelqu’un (ton inquiet)… Ça ne m’inspire rien d’autre… une opération…
Il ne s’agit tout de même pas d’une mise en bière n’est-ce pas ?… Plutôt,
à mon avis, des soins… une opération… quelqu’un qui est allongé et qui
est soigné… Ce que je ne comprends pas, c’est cet homme différemment
habillé et qui ne regarde pas, manifestement très triste. »
Les vœux de meurtre et la charge pulsionnelle agressive surgissent à la
conscience à la condition d’être niés. La dénégation est porteuse du
conflit entre désirs (« mise en bière ») et défense en formation
réactionnelle (« soins », « opération »).
A2-4 : Accent porté sur les conflits intra-personnels.
Aller/retour entre l’expression pulsionnelle et la
défense
 Accent porté sur les conflits intrapersonnels
Ce procédé rend compte de l’existence d’un conflit intrapsychique entre le
désir et la défense, suscité par des exigences internes contraires ; conflits
entre sentiments ou désirs contraires et/ou entre désirs et interdits.
Planche 1
« Joël, un petit garçon de 10 ans, est triste et songeur devant son violon. Il
euh… il doit préparer son cours bihebdomadaire et s’interroge sur son
vrai désir de jouer du violon. Il est triste parce qu’il pense qu’en fait, c’est
pas vraiment son choix, qu’il plutôt tenté par un autre instrument… Il
pense, mais sans joie et euh… il met en cause sa réussite dans cet
instrument, avec cet instrument… alors que par contre il aime beaucoup
entendre jouer le violon et il se pose la question « est-ce que je vais m’y
mettre, ou est-ce que je vais pas m’y mettre ? Est-ce que je vais continuer
ou est-ce que je vais m’arrêter ? »
L’opposition entre des exigences contradictoires est clairement présentée
au sein de la psyché du héros de l’histoire (« m’y mettre », « pas m’y
mettre » ; « continuer », « arrêter »). L’absence d’issue au conflit
témoigne de son acuité et de ses incidences dépressives (« triste »).
 Aller-retour entre l’expression pulsionnelle et la
défense
Le récit oscille, au cours de différentes séquences, entre l’expression
pulsionnelle (le plus souvent l’agressivité) et les défenses mobilisées pour
traiter l’angoisse suscitée par celle-ci ; elles relèvent le plus souvent de
l’annulation, la dénégation, le doute. Le procédé A24 s’accompagne donc
généralement d’autres procédés qui témoignent de la lutte défensive. On
retrouve ici la notion de lutte entre les exigences contradictoires, de conflit
intrapsychique.
Planche 5
« C’est une femme qui entre à l’improviste dans une pièce, qui ouvre la
porte de la pièce pour inspecter ce qu’il y a dedans. Au début, j’ai eu
l’impression qu’elle surprenait quelque chose comme elle faisait de
drôles d’yeux, qu’elle inspecte, mais en fait non… il n’y a pas
d’étonnement dans son regard, mais de la minutie à inspecter. »
L’excitation pulsionnelle suscitée par la planche entraîne la mobilisation
de défenses par l’annulation rétroactive (« mais en fait non ») et la
dénégation (« il n’y a pas d’étonnement dans son regard »). Le conflit
s’exprime entre l’expression pulsionnelle (la curiosité sexuelle) et la
défense (interdit surmoïque) dont témoignent par ailleurs les formations
réactionnelles (« minutie à inspecter »).

Planche 10
« Une étreinte, l’amour, voilà, l’amour tout simplement… pourtant j’y
vois, non j’allais dire que j’y vois une nuance de douleur, mais non,
l’amour, une profonde tendresse, un attachement profond et viscéral et
physique aussi. »
Le mouvement libidinal est donné d’emblée sur un mode intellectualisé,
puis l’oscillation entre pulsion sexuelle et agressivité se met en place
(« pourtant, une nuance de douleur, mais non, l’amour »), à partir de
l’annulation. Celle-ci rend compte du conflit sous-jacent.

A3 : Procédés obsessionnels
A3-1 : Doute : précautions verbales, hésitations entre
interprétations différentes, remâchage
Les différentes traductions langagières du doute sont regroupées ici. Si ce
procédé se retrouve de manière discrète dans nombre de protocoles, il est
particulièrement présent dans les protocoles de facture obsessionnelle.
Mobilisé de façon importante, il signale le poids économique de la défense
mise en place pour traiter les émergences fantasmatiques et pulsionnelles. Il
est utile d’apprécier l’importance de l’entrave susceptible d’être associée à
l’indécision, à l’impossibilité de faire un choix interprétatif, pouvant parfois
confiner à l’enlisement.
 Précautions verbales
Elles s’expriment à partir de formules telles que « peut-être », « il me
semble », « on peut imaginer », ou par l’usage de formes verbales au
conditionnel « cela pourrait être » : tout emploi d’expressions qui
permettent au sujet de ne pas s’engager dans une affirmation directe.
Planche 13MF
« Là… C’est une scène dans la chambre d’un couple. L’homme a l’air très
anxieux, fatigué. La femme semble dormir ou se reposer… il serait
difficile de dire ce qu’il se passe entre les personnages, leurs attitudes sont
très différentes : l’homme est habillé, debout ; la femme est nue. Il ne
semble pas que l’homme ait envie de relations très intimes, il aurait plutôt
des problèmes. La femme a l’air très décontractée. Ils ne se regardent pas.
Voilà. »
Les nombreuses précautions verbales sont là pour tempérer les
émergences fantasmatiques, sexuelle et agressive, et le conflit opposant le
désir et la défense « leurs attitudes sont très différentes », « l’homme est
habillé, debout, la femme est nue », « ils ne se regardent pas »).
 Hésitation entre interprétations différentes
Elle est marquée par toute indécision dans le choix, le développement ou
le thème.
Planche 5
« C’est une femme qui rentre dans une chambre à coucher d’un de ses
enfants… Bien que la table ne soit pas une table de chambre à coucher…
La manière dont elle rentre fait penser à un geste d’une mère entrant dans
la chambre de ses enfants… Ou bien encore, une femme qui vient
prévenir que le repas est servi ou qui entre dans le bureau de son mari,
celui-ci recevant un visiteur… quoique de la table ne soit pas une table de
bureau. La lampe n’est pas une lampe de salon, c’est une lampe de
chambre… Et il y a trop peu de livres sur les quelques étagères pour que
ce soit un cabinet de travail… Ça peut être par contre les quelques livres
qu’on a dans sa chambre… »
L’oscillation permanente entre différentes versions de l’histoire (« bien
que », « ou », « ou bien encore », « quoique », « par contre ») témoigne
de l’acuité du conflit où s’affrontent le désir (sexuel) et l’interdit
(surmoïque), conflit sous-tendant les hésitations identificatoires
(« femme », « mère », « mari », « visiteur »).
 Remâchage
C’est un procédé qui consiste à revenir continuellement sur le même
thème, sans progression dans le récit, comme si la pensée s’enlisait.
Planche 7BM
Imm. « Là aussi, là aussi, c’est, c’est, c’est même, pas de la réflexion,
c’est de la réflexion euh… je trouve que ce sont des visages tristes. Il n’y
aucun sourire, au niveau des zygomatiques, on ne voit absolument rien.
Encore l’homme à la rigueur a un visage relativement apaisé, mais alors
le jeune hein, chapeau ! visage assez tourmenté, les yeux enfoncés, la
bouche, enfin, avec euh les coins de la bouche là qui vont vers le bas et…
L’homme à la limite euh, oui, c’est un visage apaisé. C’est peut-être là,
j’sais pas, peut-être la philosophie de la vieillesse, ou la résignation, mais
ce visage de l’homme est intéressant. Mais celui du jeune, alors là
chapeau ! Voilà. »
Les tentatives répétées pour définir les états d’affects des protagonistes de
l’histoire que le sujet tente d’objectiver par le recours à la description
(« visages tristes », « visage relativement apaisé », « visage assez
tourmenté ») entravent le déploiement du récit. Le remâchage et les
préoccupations rationalisantes témoignent de la difficulté à traiter le
conflit de rivalité.
A3-2 : Annulation
Par ce procédé, une première proposition, porteuse d’un conflit, est
déclarée nulle et non advenue par une seconde proposition. Ce procédé vise
à annuler, de façon magique, le représentant pulsionnel (affect et/ou
représentation) apparu à la conscience.
Planche 4
« Ça me fait penser, c’est une femme qui aime un homme et l’homme part
pour l’armée, pour une guerre, quelque chose comme ça, et la femme elle
le retient et l’homme à la fin, je pense qu’il va pas revenir de la guerre.
Ou si c’est pas la guerre, c’est la police qui l’emmène ; il se fait arrêter ou
quelque chose comme ça. »
La première représentation « guerre » porteuse d’agressivité est annulée
par la seconde « c’est pas la guerre ». L’hésitation entre les deux
interprétations témoigne de l’opposition entre désir et défense,
l’annulation représentant le pôle défensif.

Planche 2
« Cette jeune femme cherche à s’émanciper de parents trop contraignants.
Certes, ils aiment leur fille mais ils voudraient bien qu’elle reprenne leur
ferme et ils sont un peu insistants à ce sujet. Elle, elle veut partir à la ville,
rencontrer d’autres gens et se consacrer entièrement à… à l’histoire de
l’art, ce dont ses parents ne lui ont jamais parlé. La mère découragée et
triste, s’appuie sur un arbre pendant que le père continue de travailler
comme si ça ne le touchait pas… + (regarde attentivement) Ou alors, elle
part à la ville, mais pas pour étudier l’histoire de l’art, ce serait alors
pour étudier l’agronomie, je crois que ça s’appelle comme ça, elle va
apprendre à gérer une ferme ; ainsi, elle aura de meilleurs rendements que
ses parents, elle pourra embaucher du personnel, peut-être même trouver
un mari (rit), et elle pourra suivre des cours d’histoire de l’art ! »
L’expression d’un désir d’émancipation engage une charge agressive et
libidinale conflictuelle, le recours à l’annulation ouvre sur une solution
de compromis permettant tant la satisfaction du désir que celle de la
défense.
A3-3 : Formation réactionnelle
Tout élément du récit rendant compte de l’investissement d’attitudes,
d’actions, de sentiment de sens contraire à un désir refoulé : aider/s’opposer
ou faire du mal, mettre de l’ordre/salir… Le renversement de la pulsion en
son contraire témoigne de la difficulté à reconnaître la satisfaction
pulsionnelle, à valence agressive et/ou sexuelle.
Planche 5
« Alors là… Alors là, c’est une maman qui vérifie si son enfant fait bien
ses devoirs. C’est le soir, ils sont dans… c’est une époque où les lampes
étaient rares, où on allumait peu. Voilà, je pense qu’elle regarde s’il
travaille bien, s’il est sage. (Repose la planche) C’est trop long ou c’est
pas assez… c’est trop court ? »
La curiosité sexuelle, sous-tendue par la pulsion scopique, est contre-
investie par l’insistance sur les thématiques de l’ordre, la morale et
l’éducation (« vérifier », « devoir », « sage »). Les fantasmes œdipiens
(séduire, faire plaisir) et l’angoisse de castration qu’ils suscitent
ressurgissent en fin de récit dans la question adressée au clinicien.

Planche 7GF
+ « Cette maman regarde son enfant… ou sa petite fille afin qu’elle ne
fasse pas de bêtise dans l’avenir et… qu’elle soit comme elle, toujours…
une personne honnête et aimante. »
Le lien mère/fille mobilise un net contre-investissement de représentations
conflictuelles à valence agressive, associé à l’inhibition.
A3-4 : Isolation entre représentations ou entre
représentation et affect – Affects minimisés
Ce procédé consiste à ignorer et à ne pas évoquer le lien potentiel qui
existe entre les éléments et/ou les personnages de l’image, entre deux
représentations ou entre une représentation et un affect.
L’isolation se présente au TAT sous diverses formes : changement brusque
dans le cours de l’histoire, isolement des personnages, détails évoqués et
non intégrés, affects minimisés…
 Le changement brusque dans le cours de l’histoire
(avec ou sans pause dans le discours)
Après avoir évoqué un premier thème en rapport avec le contenu latent de
la planche, le sujet donne une seconde interprétation sans rapport apparent
avec la précédente, niant le lien qui existe entre les deux thèmes, alors que
ceux-ci sont sous-tendus par le même fantasme.
Planche 8BM
« Là, derrière, y’a deux médecins qui sont en train d’opérer un garçon qui
imagine comment va se passer l’opération. On lui dit qu’il va être opéré,
alors il imagine… + (?) Ça a plutôt l’air de lui faire peur parce que l’autre
a l’air de souffrir sur la table. Tiens, y’a un fusil là. Autre version, celui-là
opéré en catastrophe pendant la guerre, ce serait son fils, on lui raconte
une histoire, l’histoire de son père opéré d’urgence pendant la guerre. »
Le changement de thème sert l’isolation à l’abri de laquelle surgissent
avec clarté les désirs agressifs à l’encontre de la figure paternelle (second
thème) entraînant une angoisse de castration importante (premier thème).
 L’isolement des personnages
Il n’y a pas de lien évoqué entre les personnages, ou le lien est
explicitement nié.
Planche 2
« Au deuxième plan, il y a des paysans qui travaillent. Enfin, l’homme
travaille… cet homme travaille… avec son cheval… ils travaillent la
terre. Ils ont chaud visiblement, l’homme s’est mis torse nu. À droite, une
femme, peut-être une voisine ; elle, elle se repose ; elle ne travaille pas.
Elle n’est pas avec l’homme. Au premier plan, on ne voit pas bien ce
qu’elle vient faire là… Une jeune femme qui n’a pas grand-chose à voir
avec les autres. Elle n’est pas habillée comme eux. Elle n’est pas du
même monde. Ça pourrait être une étudiante en biologie, ou en zoologie,
ou en… comment on appelle ça, l’étude des plantes…, étudiante en
botanique, elle tient un herbier ; elle s’intéresse aux plantes et aux
insectes, c’est pour ça qu’elle vient à la campagne. »
Les personnages sont évoqués sans référence à un lien entre eux :
l’isolation est au service du refoulement des représentations sexuelles
dans un contexte de triangulation œdipienne. L’isolation des personnages
sur différents plans sert le contrôle de l’excitation sexuelle liée au
rapproché œdipien (« s’est mis torse nu », « s’intéresse aux plantes et aux
insectes »).
 Détails évoqués et non intégrés
Il s’agit de tout détail perçu et non utilisé dans la construction de
l’histoire, par exemple « le violon » à la planche 1, « le fusil » à la
planche 8BM.
Planche 8BM
« Hou là ! Qu’est-ce que c’est que ça ! Une opération à la va-vite non ?
Deux hommes, visiblement concentrés, sont en train d’opérer une
personne qui a été blessée. + Au premier plan, un jeune homme en
cravate, on ne comprend pas bien ce qu’il fait là, habillé comme ça. A côté
de lui, on dirait… oui, ça semble être un fusil. Bon. C’est bizarre. Non, ce
qui m’intrigue, c’est la scène du second plan. Mais je ne trouve rien à en
dire de plus. On opère quelqu’un dans des conditions délicates ; c’est sans
doute un accident, ce n’était pas prévu donc on fait avec les moyens du
bord. Voilà. »
Si tous les éléments majeurs du contenu manifeste sont perçus et nommés,
le sujet peine à les intégrer au scénario et à en assumer la composante
agressive et conflictuelle : le détail « fusil » est nommé et isolé de la
scène, comme le sont les plans de l’image.
 Affects minimisés
Les affects évoqués sont très atténués par rapport à la représentation à
laquelle ils s’associent, ou encore ils sont absents alors que les thèmes
évoqués engagent potentiellement une forte charge affective (thèmes de
dénuement, perte, destruction…).
Planche 13MF
« C’est un homme qui trouve sa femme morte. Il en est peiné. »
La minimisation de l’affect associé à une représentation massive (la mort
de la femme) vise l’isolation entre représentation et affect.

2. Procédés de la série B (Labilité)


Tout comme dans la série A, les procédés de la série B s’organisent en
trois catégories : les procédés B1 (« Investissement de la relation »)
renvoient aux modalités du discours labile telles qu’elles sont susceptibles
d’être rencontrées dans toute forme d’organisation psychique ; les procédés
B2 (« Dramatisation ») font référence aux modalités d’expression du conflit
intrapsychique, sur un mode théâtral, mais ne peuvent être considérés
comme significatifs à eux seuls d’un fonctionnement névrotique ; les
procédés B3 (« Procédés hystériques ») rendent compte de mécanismes
typiquement hystériques. Articulée à d’autres procédés A et B (en majorité
mais pas exclusivement), la présence de procédés B3 peut mettre en
évidence la conflictualité intrapsychique. Celle-ci s’exprime
préférentiellement par l’investissement de relations interpersonnelles, et
peut soutenir une hypothèse de névrose hystérique.

B1 : Investissement de la relation
Les procédés regroupés ici rendent compte d’une modalité de
fonctionnement centrée sur l’investissement, plus ou moins permanent, de
relations dans lesquelles les protagonistes du récit sont généralement
différenciés. Les relations servent de cadre aux projections tempérées de
l’imaginaire (scénarios mettant en scène des personnages, attributions
d’affects …) qui soutiennent la trame des récits, en lien avec le contenu
latent : mise en avant des affects, et plus généralement de ce qui s’éprouve
subjectivement. Les modes d’investissement de la relation au sein des récits
renseignent plus largement sur les modalités d’investissement de l’objet.
B1-1 : Accent porté sur les relations interpersonnelles,
mise en dialogue
 Accent porté sur les relations interpersonnelles
On cote ce procédé chaque fois qu’une relation entre deux personnes est
évoquée dans un récit. En tant que tel, on peut le trouver dans beaucoup de
protocoles, au moins ponctuellement. Il est donc important d’en apprécier le
poids et la fonction dans l’élaboration du récit. Il est très présent dans les
protocoles marqués par la labilité des récits où il participe, avec d’autres
procédés, à la mise en scène de relations d’objets différenciés,
conflictualisées, dans un registre libidinal. La dimension labile de ce
procédé peut être régulièrement minimisée, tempérée par le recours à
l’inhibition, les B1-1 s’accompagnent alors de CI-2 « Anonymat des
personnages ». Dans certains protocoles, ce procédé peut être remplacé,
secondairement, par des représentations de relations spéculaires ou
d’étayage. Dans des protocoles appauvris au plan des investissements
objectaux ou dominés par la confusion, il est important de repérer ce
procédé : il signifie que la relation à l’autre est investie, même si c’est de
façon transitoire et précaire.
Planche 4
« C’est un homme qui a décidé de quitter sa maîtresse, non sa femme, et
sa femme elle sait pas pourquoi. L’homme lui dit qu’il veut pas lui faire de
mal mais qu’il a envie de vivre avec une autre et elle, elle s’accroche et
elle a l’impression d’être impuissante et elle pense qu’il y a pas de plus
gros malheur que l’homme qu’elle aimait la quitte pour une autre femme.
Elle s’aperçoit comme c’est difficile. »
L’accent porté sur les relations interpersonnelles s’inscrit dans la mise en
scène d’un conflit pulsionnel rendant clairement compte de l’ambivalence
du désir.
 Mise en dialogue
L’usage du dialogue entre les personnages au cours du récit donne au récit
une dimension théâtrale.
Planche 6GF
« “Que faisais-tu hier soir ? dit l’homme. J’ai appris que tu n’étais pas à
ton bureau ? – Que me dis-tu, dit-elle en se retournant, je ne comprends
pas ce que tu veux dire. – Je suis en train de me demander, je ne sais pas
si c’est un oubli, mais tu ne m’as pas dit pourquoi tu n’étais pas à ton
bureau où j’ai téléphoné. Étais-tu souffrante et as-tu décidé de ne pas aller
au travail ? – Je ne pense pas qu’il soit important pour toi de savoir où
j’étais toute la journée. – Bien, je me contenterai de cette réponse, en tout
cas, je ne déjeunerai pas à la maison ce soir. Je vais faire un tour, à plus
tard !” dit le monsieur suite à la réponse de la dame. »
La mise en dialogue donne au récit une tonalité très labile : les deux
personnages sont investis comme porteurs des polarités antagonistes du
conflit. La mise en scène interpersonnelle, dramatisée, rend compte de
l’ambivalence du désir, dont la dimension conflictuelle (entre désirs et
défense) s’exprime à l’abri de l’anonymat des personnages.
B1-2 : Introduction de personnages non figurant sur
l’image
Ce procédé consiste à faire référence à un personnage non représenté sur
le contenu manifeste de la planche. Il rend généralement compte de
modalités de fonctionnement psychique qui témoignent de l’existence d’un
espace psychique interne reconnu comme tel, peuplé de représentations
d’objets. En ce sens il révèle la capacité du sujet à prendre une relative
distance vis à vis de la réalité externe et participe a minima du jeu avec
l’imaginaire. Ce procédé peut être parfois utilisé pour remplir les récits et
peupler la planche de divers personnages face au vécu de solitude,
participant alors d’une lutte antidépressive.
Planche 9GF
« Alors ce sont deux jeunes filles qui sont poursuivies par un brigand et
elles sont au bord de la plage et… Donc y’en a une qui s’enfuit en courant
et qui a du mal à courir parce qu’elle a des hauts talons et une robe, et
l’autre réussit à attraper son livre et son mouchoir et à se cacher derrière
un arbre. Donc elle observe toute la scène entre le brigand qui court et sa
compagne, et finalement le brigand réussit, enfin ne réussit pas à les
attraper parce qu’il perd la trace de celle qui courait et l’autre comme elle
était cachée derrière un arbre, il l’a pas aperçue. Donc il l’a pas
retrouvée. »
L’introduction de la figure du « brigand » qui « poursuit », « court » etc.
soutient la dramatisation et l’expression de fantasmes de séduction au
sein d’un récit conflictualisé.

Planche 5
« C’est un intérieur bourgeois et la bonne rentre et surprend dans le salon,
non dans la salle à manger, pardon… sa jeune maîtresse en tête à tête avec
un jeune homme. C’est tout… elle a l’air choquée. »
L’introduction de deux personnages ne figurant pas sur l’image permet la
mise en scène d’un scénario sous-tendu par la curiosité sexuelle et les
fantasmes de scène primitive. L’intensité dramatique implique également
la dynamique transférentielle (« pardon »).
B1-3 : Expression d’affects
Les affects exprimés sont en rapport avec le contenu latent de la planche et
en accord avec les représentations évoquées dans le récit (ils ne sont ni
minimisés, ni exagérés, ni massifs) : le quantum d’affects reste traitable et
le lien entre affect et représentation, s’il est possible, est maintenu et
cohérent. Ce procédé est à différencier du procédé CN-1 « éprouvé
subjectif » où l’affect peut être exprimé, avec finesse, dans une forme
proche de l’expression labile, mais à laquelle manque la dimension
essentielle de conflit interpersonnel. Le procédé CN-5 « Affect-titre » met
en avant l’affect tout en le figeant au sein d’un titre.
Planche 1
+++ « Ben c’est un petit garçon studieux… sérieux… qui a exprimé
l’envie de faire de la musique et auquel on a offert un violon… alto, et qui
se demande maintenant… comment il va pouvoir s’entraîner, si ça va
vraiment lui convenir, si c’est vraiment ce qu’il souhaitait, si ça va lui
causer trop, lui demander trop d’efforts, lui causer trop de peine, donc y’a
une euh… certaine inquiétude, une certaine interrogation et… comme
c’est un petit garçon sérieux, studieux, finalement, il décidera d’essayer
de jouer au violon, du violon, et il réussira sans doute fort bien. »
L’expression d’affects qui jalonnent le récit, participe du conflit
intrapsychique opposant le désir et la défense, face à l’angoisse de
castration ravivée à cette planche.

Planche 5
« …Cette dame se demande pourquoi elle n’a pas vu encore son… enfant
euh… venir lui demander le goûter, comme il fait d’habitude. Alors il
commence à être tard puisque la lumière est allumée, donc elle passe la
tête par la porte et quelle n’est pas sa surprise de voir que son… sa petite
fille disons – pourquoi forcément son petit garçon ? –, sa petite fille est en
train de manger des sucettes allongée par terre, sans rien faire,
tranquillement et… la petite fille se redresse et elle explique à sa maman
qu’elle a déjà tout fini, qu’elle a fini ses devoirs et que la maîtresse lui a
donné une sucette parce qu’elle avait bien travaillé ; alors la maman,
quand même, reste un peu surprise quand même, mais comme elle aime
bien sa petite fille et puis que généralement euh… elle est assez
obéissante, et bien elle va la relever, elle va la chercher, elle la relève et
puis elles s’en vont ensemble dans la cuisine. »
Le conflit entre le désir – le fantasme sexuel (symbolisme transparent
« manger des sucettes, allongée par terre ») et la défense (formation
réactionnelle « elle a déjà tout fini, elle a fini ses devoirs »), mobilise
l’expression d’affects exprimés de façon nuancée (« un peu surprise »,
« aime bien »).

B2 : Dramatisation
Dans la dramatisation, le monde interne du sujet est investi, à l’instar
d’une scène de théâtre où les conflits s’expriment, par la mise en scène
d’événements, de situations relationnelles et/ou d’émergence d’affects
suggérés par le matériel. Dans ce jeu théâtral, laissant parfois apparaître un
plaisir d’évocation, la distance entre réel et imaginaire est maintenue ainsi
que la conscience d’interpréter. Leur association avec des procédés B1 et
B3 utilisés de façon privilégiée, marquant le recours sous-jacent à des
défenses labiles, peut soutenir l’hypothèse d’un diagnostic de
fonctionnement hystérique. Cette catégorie de procédés est le pendant des
procédés A2 « Investissement de la réalité interne », en ce qu’ils témoignent
d’une conflictualité intrapsychique, s’exprimant sur un mode
interpersonnel.
B2-1 : Entrée directe dans l’expression, exclamations,
digressions – Références et/ou commentaires
personnels – Théâtralisme, histoires à
rebondissements
 Entrée directe dans l’expression
La précipitation dans le discours (sans temps de latence) concerne soit la
situation perçue, soit les sentiments éprouvés par le sujet face à cette
situation. Le sujet va directement au cœur de la situation conflictuelle ou
exprime vivement l’affect qu’elle suscite en lui.
Planche 10
« J’adore ce genre d’image, ça m’émeut toujours beaucoup ! J’aime ce
que ça dit d’une tendresse partagée, un vieux couple qui semble traverser
un moment difficile, ou qui sort d’un moment difficile, un désaccord et
qui se disent leur amour et leur soutien mutuel. On sent qu’ils sont très
proches l’un de l’autre. J’aime beaucoup. J’espère qu’avec mon mari,
quand on sera vieux, on s’aimera encore comme ça. »
Le sujet met d’emblée en avant ses sentiments éprouvés éveillés par le
rapproché des personnages figurés sur la planche. Le récit allie
représentations de relation et expression d’affects au sein d’un récit
conflictualisé.
 Exclamations
Sont cotées les différentes manifestations affectives exprimées à propos du
matériel, de la situation, des dires du sujet, quelles qu’en soient les
tonalités. Ce procédé renvoie à la mise en avant des affects, qui peut parfois
participer du refoulement des représentations.
Planche 1
« Le pauvre ! Il a l’air bien malheureux ! À peine âgé de sept ans, on
l’avait enfermé dans une chambre avec un violon et un crayon
[précipitation] non ce n’est pas un crayon [rit], mais avec un archet et une
partition, avec l’obligation de faire des gammes et… Ça m’ennuyait
énormément, pardon [rit], ça l’ennuyait énormément, parce qu’il faisait
beau dehors et qu’il aurait préféré jouer. Il aime bien le violon mais quand
même, il n’aime pas être contraint. »
L’exclamation introductive et l’entrée directe dans l’expression d’une
relation de contrainte témoignent de la forte identification du sujet au
héros de l’histoire (ce que confirme le lapsus « ça m’ennuyait
énormément »). Les affects mis en avant s’articulent aux représentations
dans un récit conflictualisé.
 Digressions
Le sujet s’éloigne temporairement du thème du récit en extrapolant, les
digressions participant à la dramatisation de l’histoire.
Planche 4
« Ce serait aux États-Unis, dans les années 50, à Broadway, non
Brooklyn, lui serait ouvrier dans un quartier pauvre, non, contremaître et
en même temps il ferait partie d’un syndicat et il aurait amené les ouvriers
à la grève, au début c’était bien mais ça tourne mal car ça dure trop, les
patrons sont inflexibles et… en fait elle, elle voudrait qu’il recommence à
travailler, c’est sa femme, elle voudrait une vie stable, et lui, il a beaucoup
d’ambition, il voudrait arriver et c’est pas le cas, lui, il a essayé avec la
grève d’arriver jusqu’au patron et elle, elle veut que lui, et ça devient une
histoire personnelle par rapport à son ambition et elle, elle lui fait
comprendre qu’il faut arrêter la grève en accord avec les ouvriers qui en
ont marre. »
Le conflit s’exprime clairement sous la forme de désirs et de
représentations contrastés portés par les deux protagonistes du récit. Les
considérations sociales, politiques et économiques dépassent les enjeux
au sein du couple, participant à la dramatisation du conflit.
 Références et/ou commentaires personnels
Toute comparaison explicite et ponctuelle entre la situation évoquée et la
propre expérience du sujet : le sujet se retrouve dans la même situation que
le héros du récit, cette proximité identificatoire soutient l’intensité
conflictuelle tout en maintenant la différence. Ce procédé est à différencier
du CN-1 (« Accent porté sur l’éprouvé subjectif – références
autocentrées ») dans laquelle l’expérience du sujet ne soutient pas
l’expression d’un conflit interne (l’objet est assimilé au vécu propre du
sujet).
Planche 5
« [Rit] Ça, c’est une grande personne qui entre dans la chambre d’un
enfant par inquiétude, curiosité. Elle essaie de voir rapidement si tout va
bien. Et puis, elle va refermer la porte après avoir remarqué ce bouquet de
fleurs personnel qui ne lui est pas destiné. C’est un peu un secret entre
l’enfant et elle. Quand ma grand-mère entre dans ma chambre, elle
m’exaspère (rit). »
Le conflit suscité par la planche mobilise des défenses de type formation
réactionnelle destinées à contenir la charge pulsionnelle agressive et
libidinale. Celle-ci ressurgit en fin de récit à la faveur de la référence
personnelle.
 Théâtralisme
C’est un procédé qui témoigne du plaisir pris à mettre en scène des
événements, des relations entre les personnages, sous une forme plus ou
moins théâtrale : il accompagne souvent l’accent sur les relations
interpersonnelles, les affects forts et contrastés et les histoires à
rebondissement.
Planche 13MF
« Lui, on dirait qu’il vient de tuer quelqu’un ! Bon ! Est-ce que c’est un
crime passionnel, ouais j’ai l’impression qu’elle est morte la dame, donc
là par rapport à ses attitudes, à ses gestes, j’ai l’impression qu’il le regrette
bon alors ! Ouais, peut-être un crime passionnel… ! (?) Peut-être que
c’était quelqu’un de marié et que la maîtresse après multe (sic) euh
ultimatums lui ait dit : « soit tu la quittes, soit je lui dis quoi », et que lui
euh peut-être qu’il avait trop à perdre avec ces révélations, peut-être
qu’elle lui a annoncé qu’elle était enceinte, et qu’elle allait le garder et
qu’elle allait le faire savoir, pareil qu’il avait trop à perdre par rapport à
cette situation. »
Après une entrée directe dans l’expression, le récit se déploie en
multipliant les interprétations de façon labile et dramatisé, ce qui confère
à l’histoire sa dynamique conflictuelle. Le mode d’expression est
essentiellement interpersonnel au sein d’un scénario triangulé.
 Histoires à rebondissements
C’est un récit comportant des péripéties, des détours, une multiplication
des séquences temporelles, sans pour autant que les sollicitations latentes
soient perdues de vue. Procédé à différencier du procédé CM-3
(« Fabulations »), et du E2-1 (« Inadéquation du thème au stimulus »), dans
lequel le lien avec le contenu manifeste et latent disparaît.
Planche 10
« C’est un homme et une femme, oui, c’est une femme, ça, qui viennent
de se retrouver depuis une séparation d’au moins trente ans. Et cet homme
la cherchait partout, parce qu’ils ont été séparés… à la guerre disons…
Donc ça fait quarante ans, non trente ans, ils se retrouvent en 70. Elle a dû
aller aux États-Unis sans le vouloir et lui est resté en Europe. Non, c’est le
contraire : c’est lui qui est allé aux États-Unis. Et il n’a jamais cessé de la
chercher. Et elle s’est réfugiée dans une famille ; elle s’est mariée avec le
fils et il a été exécuté parce qu’il était, disons, résistant ; elle est devenue
veuve… L’homme aux États-Unis, il est devenu agent secret ; il a eu
beaucoup de missions en Europe et elle, à la libération, elle a été enrôlée
au KGB. Et c’est au cours d’une mission qu’ils se sont retrouvés. Tous les
deux, ils avaient l’ordre de se tuer, mais ils savaient pas qui ils étaient, et
en fait elle, elle avait beaucoup vieilli. Lui, il avait beaucoup vieilli, ils
avaient changé de nom. C’est quand ils se retrouvent face à face, et lui,
sans faire exprès, il la tue, et c’est quand ils sont face à face, ils se
retrouvent après trente ans. Et elle agonise. C’est très triste. Mais lui, il est
déjà marié. Donc, en fait, c’est pas si triste que ça. »
Tout en mettant en scène les protagonistes dans des représentations très
contrastées, le récit garde globalement sa cohérence : l’histoire à
rebondissements, prenant de prime abord appui sur des procédés rigides,
permet de prendre en charge, en ménageant le plaisir, l’ambivalence des
sentiments et le conflit réactivé par la planche.
B2-2 : Affects forts ou exagérés
L’affect est exprimé de façon un peu théâtrale, ou semble exagéré par
rapport aux sollicitations latentes du matériel, tout en demeurant congruent
avec ces dernières (il n’est ni massif, ni discordant).
Planche 5
« Ça représente une chambre où l’enfant… non d’adolescent plutôt et
c’est la mère qui ouvre la porte, inquiète de ne pas voir… voir personne,
de ne pas voir quelqu’un à l’intérieur, son fils ou sa fille, pas rentré(e),
elle est inquiète et surprise à la fois… ou alors non, lumière, effet d’une
lampe éclairée ou… effrayée, légèrement en colère parce que les enfants
ne sont pas sages, ils se disputent, pourtant, non, il y a un sentiment
d’effroi dans son visage et d’inquiétude, la lampe, un bouquet, quelques
livres, c’est une chambre en même temps salle à manger, ce n’est pas très,
un intérieur assez restreint, étroit. »
L’affect fort, qui succède à des affects nuancés est mis en avant pour
lutter contre l’émergence de représentations sexuelles : on pourra coter
également l’item B3-1 (« Mise en avant des affects au service du
refoulement des représentations »).

Planche 6GF
« Oh, ben c’est toujours des histoires de… ! + Voyez par exemple, un film
avec un… avec une scène comme ça, eh bien je fermerais la télévision. Ça
ne m’intéresse absolument pas. Je ne peux pas raconter d’histoire. + Oh,
peut-être que la fille a reçu une lettre, que le mari, ou le père, elle est très
jeune, surprend… La lettre se trouve dans la corbeille, ou sur la table à
côté. Elle a l’air affolée et lui tout content de la surprendre. (Tient la
planche à bout de bras). C’est des vieux trucs. »
La sensibilité immédiate aux sollicitations sexuelles de la planche dont
témoignent les commentaires introductifs mobilise des défenses
importantes. L’affect fort qui émerge en fin de récit participe du
refoulement de la représentation sexuelle.
B2-3 : Représentations d’actions associées ou non à
des états émotionnels de peur, de catastrophe, de
vertige, etc.
Ce procédé met l’accent sur les actions des protagonistes de l’histoire dont
le sujet accentue la dimension périlleuse et angoissante. La mise en scène
du corps, investi comme porteur du désir, est volontiers dramatisée et
souvent érotisée au sein de récits conflictuels. Ce procédé est à différencier
du procédé CF-1 « Accent porté sur le quotidien, le factuel, le faire –
Référence plaquée à la réalité externe » que l’on cote lorsque l’action
s’inscrit au plus près de la réalité sans épaisseur fantasmatique ni
symbolique.
Planche 9GF
« Cette scène se passe dans un pays nordique, la Suède ou le Danemark.
Ces deux jeunes femmes sont des princesses danoises. Non, la princesse
et la suivante. La princesse amoureuse d’un roturier se sauve, en pleine
nuit avec sa suivante pour retrouver ce garçon. Elle est partie sur un coup
de tête, court dans la nuit, traverse des forêts, des rivières glacées, est
heureuse et libre, enfin cela se termine bien, elle sait ce qu’elle veut. »
Les représentations d’actions interviennent dans un contexte très
dramatisé où l’érotisation des relations avec un personnage non figurant
sur l’image s’inscrit dans un contexte œdipien. L’accent sur le mouvement
libidinal, porté par l’agir, permet d’éviter le conflit entre les deux femmes.

Planche 11
« J’ai des difficultés à comprendre. C’est peut-être un cauchemar. Un pays
plein de rochers. Il y a un dragon qui descend du ciel, tout noir, on voit à
peine. Il a tout à fait… Il y a un homme dans cette histoire. Il veut
s’accrocher à quelque chose parce qu’il y a un vent épouvantable et il a
tout le temps la sensation de tomber dans un vide noir. Oh ! Sa vie est en
péril, par le monstre, les vagues, le vide et il se réveille assez troublé par
ce rêve. »
L’association de l’investissement de l’agir (« dragon qui descend du
ciel », « il veut s’accrocher à quelque chose ») et d’états émotionnels liés
à la peur, au vertige (« cauchemar », « sensation de tomber dans un vide
noir ») permet tout à la fois l’expression de l’angoisse suscitée par le
contenu latent et le refoulement des représentations.
B2-4 : Représentations et/ou affects contrastés.
Aller-retour entre désirs contradictoires
Ce procédé concourt à l’expression d’un conflit intrapsychique au travers
de relations interpersonnelles, chaque protagoniste étant porteur de motions
pulsionnelles (affects et/ou représentations) différentes, très contrastées,
voire contradictoires. Le conflit s’exprime par l’expression contradictoire
de désirs rendant compte de la lutte entre instances : par exemple entre les
désirs du ça et ceux du surmoi. Il se différencie du A2-4 coté lorsque le
conflit s’exprime chez un même protagoniste.
 Représentations et/ou affects contrastés
Les récits montrent le passage plus ou moins brusque d’une image, d’un
thème, d’un affect, à un autre. Les oppositions et contrastes traduisent le
plus souvent l’ambivalence des sentiments ainsi que le conflit entre des
désirs contradictoires.
Planche 4
« Ça fait très film américain avec toujours cette dualité entre l’homme qui
est très mâle, qui doit pas se laver très souvent, buriné par le temps.
Femme sophistiquée, sourcils épilés, qui a l’air de le supplier. Il a pas l’air
de la voir, il regarde ailleurs quelque chose, qui l’attire, pas une femme,
mais autre chose, son travail, tout ce qui n’est pas… amoureux. Peut-être
elle s’ennuie. »
Les contrastes entre représentations (« homme qui doit pas se laver très
souvent, buriné par le temps », « femme sophistiquée, sourcils épilés ») et
entre affects (« a l’air de le supplier », « tout ce qui n’est pas…
amoureux ») soutiennent un net conflit d’ambivalence.
 Aller-retour entre désirs contradictoires
Cela renvoie à l’oscillation entre l’expression du désir et de l’interdit. Les
désirs contradictoires sont portés par des personnages différents, mais ils
peuvent être exprimés par le même protagoniste. Dans ce cas, le
protagoniste est porteur de désirs et d’affects contrastés dans un récit labile
(ce qui le différencie du A2-4).
Planche 7GF
« Ça, on dirait une peinture de Balthus… C’est peut-être ça alors ! Avec
une petite fille assise sur un canapé et elle tient dans ses bras un chat ou
une poupée. Et c’est une petite fille très charmante, très petite fille
modèle, avec des cheveux ondulés, une barrette, une robe avec col et puis
des chaussures avec des socquettes. Et sa mère est en train de lui lire une
histoire, qu’elle n’a pas l’air d’écouter d’ailleurs, pas vraiment, elle est
distraite, et elle regarde quelque chose à la fenêtre, de l’autre côté de la
pièce. Sa mère, au contraire, à l’air très concentré, très attentive à sa
lecture, et en même temps, en même temps elle se penche avec affection
vers l’enfant qui a l’air d’être plutôt indifférente. Sans doute a-t-elle envie
de se promener ou de faire autre chose que d’écouter de la lecture, c’est
peut-être une lecture ennuyeuse, ou moralisatrice. Il me semble qu’elle va
pas rester là longtemps. »
Sous couvert d’une référence culturelle (Balthus) qui laisse entendre un
fantasme sexuel rapidement contre-investi par une formation
réactionnelle, le conflit peut se déployer à partir du contraste entre une
figure surmoïque et une figure de désir.

B3 : Procédés hystériques
Ces procédés du discours renvoient à des modalités défensives labiles tout
particulièrement présentes dans les fonctionnements hystériques. Lorsqu’ils
apparaissent en association avec les procédés B2, B1 et certains procédés A,
on peut considérer que plus le poids économique de ces procédés est
important, plus leur dimension névrotique est prévalente.
B3-1 : Mise en avant des affects au service du
refoulement des représentations
La mise en avant des affects au détriment des représentations témoigne du
refoulement de représentations chargées d’un fort investissement libidinal et
frappées d’interdit par l’instance surmoïque. En investissant l’affect, le sujet
se défend de savoir et de dire, s’interdit l’accès à la représentation de désir,
en l’utilisant comme un écran (refoulement).
Planche 5
« … Alors là, je ne sais pas. Une femme qui ouvre la porte, semble voir
quelque chose, non simplement ouvrir la porte et regarder si une personne
est là. Peut-être elle a l’air surprise… ou surprise en ouvrant la porte elle
trouve quelque chose d’inhabituel. Elle est étonnée ou elle surprend
quelqu’un ou… des personnes qu’elle s’attend pas à voir. Quelque chose
l’étonne, ça peut être aussi bien une bagatelle ou rien du tout, voir,
chercher, refermer et repartir. (?) Ou elle est surprise ou un geste naturel.
C’est tout. »
La mise en avant de l’affect de surprise, avec un certain remâchage, vient
au service du refoulement de la représentation érotisée liée à la curiosité
sexuelle (« ouvrir la porte et regarder »).

Planche 6GF
« C’est une jeune fille qui était assise dans son salon et qui vient d’être
surprise par un homme qui semble plus âgé. Ça pourrait être son père
mais il paraît plus âgé pour que ça soit sa fille… et cet homme est en train
de lui dire, je sais pas, il lui raconte quelque chose qui la surprend, elle.
Voilà. »
L’affect de surprise permet de maintenir refoulée la relation érotisée liée
au fantasme de séduction qui vient troubler discrètement la syntaxe.
B3-2 : Érotisation des relations, symbolisme
transparent, détails narcissiques à valeur de
séduction
Ces procédés témoignent de la prégnance de la problématique sexuelle qui
émerge dans le contenu de l’histoire et sous-tend les conduites d’élaboration
des récits.
 Érotisation des relations
La problématique sexuelle est donnée explicitement sous forme
d’érotisation plus ou moins importante des relations interpersonnelles (y
compris à des planches dont le contenu latent ne suggère pas
nécessairement cette problématique).
Planche 5
« Ce serait au début du siècle encore, fin XVIIIe début XIXe, dans une
famille un peu coincée, bourgeoise, embêtante. C’est la fille de la famille,
fiancée avec son cousin, elle est aisée, la famille du cousin plus pauvre,
donc le mariage c’est une association, mais elle est très très amoureuse de
lui car elle n’a eu des contacts qu’avec cet homme dans ce milieu fermé
et lui est un peu volage mais il est pas vraiment malheureux, il se fait une
raison et là quand elle rentre dans la pièce et elle voit que c’est une jeune
fille qui vient donner des cours de piano à leurs enfants (sic) et elle la voit
avec le cousin son fiancé, en train de l’embrasser et elle est très
malheureuse mais ne dit rien car elle ne veut pas le perdre et il est très
désiré par toutes les autres femmes et elle ne dit rien pour ne pas le
perdre. »
La surenchère de la thématique sexuelle, introduite dans les relations
évoquées entre des personnages non figurant sur l’image, rend compte de
l’intensité de la dimension œdipienne du conflit : celui-ci se traduit, grâce
à la dramatisation, dans des représentations contrastées. La défense par
la sexualisation des relations, dont l’excès donne lieu à un lapsus (« à
leurs enfants »), permet de négocier l’angoisse de perdre l’amour de
l’objet.
 Symbolisme transparent
Toute évocation de représentation comportant un double registre de
significations : en-deçà du contenu manifeste, à l’insu du sujet, le contenu
latent est connoté d’érotisme. Ce procédé fait référence à la sexualité latente
et à la notion de symbolisation, mécanisme qui rend compte des capacités
de déplacement d’une représentation à une autre. Le symbolisme
transparent est partageable, la clarté de la double lecture (manifeste et
latente) ne pose pas de difficulté. Il se différencie en cela du « symbolisme
hermétique » (E4-4).
Planche 5
« C’est une mère qui entre dans la chambre de son fils, très tard dans la
nuit, parce qu’elle pense qu’elle a entendu un bruit dans sa chambre et
elle le trouve en train de lire à haute voix. Elle est très surprise de
découvrir que son fils reste jusqu’à très tard dans la nuit à lire des poésies.
Le fils continue à faire ça quelques années jusqu’à ce qu’il passe l’âge du
romantisme et devient… un professeur. »
L’évocation d’« un bruit dans la chambre », représentation au
symbolisme transparent, renvoie à des fantasmes de curiosité sexuelle et
de scène primitive.
 Détails narcissiques à valeur de séduction
L’accent porte sur des détails physiques et esthétiques (corps, vêtements,
parure…) des protagonistes du récit, connotés positivement ou
négativement, qualifications qui s’inscrivent dans un contexte de relations
objectales dont elles traduisent la dimension séductrice. Ce procédé est
à différencier du procédé CN-3 (« Détails narcissiques à valence positive ou
négative ») coté lorsque les détails révèlent l’idéalisation.
Planche 2
« Je crois que cette jeune fille est très troublée par ce beau jeune homme
qu’elle voit derrière elle et dont elle voit le dos qui est très costaud, puis
elle pense qu’elle se mariera un jour, qu’elle est jolie pour le moment
mais que lorsqu’elle aura des enfants, qu’elle aura travaillé à la ferme, elle
sera comme cette femme à droite, elle grossira, elle aura la poitrine qui
tombe, elle aura des rides… Mais elle pense aussi qu’elle peut devenir
quelqu’un grâce à ses études, elle peut devenir médecin, elle peut devenir
institutrice. Elle peut vivre dans une ville et épouser un petit bourgeois…
notaire. Mais elle s’ennuiera de la campagne. »
L’histoire est construite autour d’un net investissement des détails
narcissiques (valence positive et négative) à valeur de séduction dans un
contexte de grande rivalité. L’important contraste entre deux
représentations féminines est sous-tendu par une forte ambivalence
pulsionnelle. La culpabilité est à la mesure de l’intensité du désir contre
lequel se dresse l’interdit (« s’ennuiera de la campagne »), conduisant
aux attaques disqualifiantes en fin de récit.
B3-3 : Labilité dans les identifications
Ce procédé renvoie à un mécanisme de défense prévalent dans les
fonctionnements hystériques : il se traduit dans le récit par la capacité à
s’identifier tantôt à un personnage et tantôt à l’autre, selon des mouvements
rapides, sans que l’on puisse déterminer à qui le sujet s’identifie
préférentiellement, mais sans que soient perdues pour autant, la subjectivité
et l’unité du moi (différence des sexes et des générations maintenue). Ce
procédé est à différencier du procédé E3-1 (« Confusion des identités.
Télescopage des rôles ») coté lorsque la confusion entre les personnages de
l’histoire domine.
Planche 4
« Merci. C’est un jeune couple où la jeune femme a l’air très attentionnée
et guette, peut-être il y a eu une contrariété, elle essaye de guetter une
réaction ou a l’air très douce, de faire revenir son ami sur une décision
peut-être l’a-t-elle blessé, alors que lui a l’air beaucoup de penser qu’elle
l’embête, peut-être de ne pas attacher beaucoup d’importance à elle, a le
regard plus loin, un petit sourire, c’est une attitude, je sais pas, elle a l’air
plus amoureuse de lui, alors que, lui, c’est un peu feint. On pourrait
imaginer non, elle a le regard trop tendre, peut-être un camarade. »
Dans ce récit, la labilité des identifications s’inscrit comme une autre
forme d’aller-retour entre désirs contradictoires et rend compte de
l’ambivalence du sujet, partagé entre l’identification à la position de la
femme amoureuse et l’identification à l’homme qui cherche à s’en
dégager.

Planche 9GF
« L’action de cette scène se passe dans une jungle car je vois une femme
cachée dans un tronc d’arbre… elle cherche d’un air sévère, très en
colère… la personne car elle lui aurait fait un tour, une farce. La personne
qui est cachée derrière l’arbre attend que l’autre, celle qui a l’air en furie,
soit passée pour reprendre son chemin. En plus, elle a un livre ou je sais
pas quoi qui appartient à l’autre dame en colère, peut-être elle va essayer
de lui redonner avec gentillesse, essayer d’être amies après. »
Les passages rapides d’un personnage à l’autre, renforcés par leur
anonymat (« une femme », « une personne ») rendent compte de la labilité
dans les identifications. Elle témoigne de représentations conflictuelles
dans un contexte de rivalité, mobilisant des affects de colère.

3. Procédés de la série C (Évitement)


La série C permet de mettre en évidence des procédés du discours qui
relèvent de l’inhibition et de l’évitement du conflit intrapsychique. Elle
regroupe cinq composantes déterminées par des modalités défensives
différentes. Lorsque ces procédés apparaissent de façon ponctuelle, ils
constituent des aménagements transitoires mobilisés pour éviter le conflit :
par exemple quelques procédés de centration narcissique (CN)
accompagnant une majorité de procédés B (notamment B2 et B3)
signaleront une problématique narcissique sous-jacente à une problématique
hystérique. Lorsqu’ils deviennent les procédés privilégiés pour organiser le
récit, ils signaleront une problématique spécifique sous-tendant leur
recours : par exemple, la présence importante des procédés CL
« Attachement aux limites » (du point de vue économique et dynamique)
témoignera de la porosité des limites et de la difficulté à traiter le conflit sur
la scène interne.

CI : Inhibition
L’inhibition peut porter sur différentes modalités du fonctionnement
psychique : le conflit, les affects, les représentations, les processus de
pensée… Elle est, pour Freud, « l’expression d’une restriction fonctionnelle
du moi qui peut elle-même avoir des causes très diverses » (1926, p. 207).
L’association des procédés CI à des procédés d’autres séries permettra d’en
appréhender le sens et la fonction. Par exemple, s’ils sont associés à de
nombreux procédés A ou B, ils pourront renvoyer à la dimension phobique
d’un fonctionnement obsessionnel (phobo-obsessionnel) ou hystérique
(hystérophobique).
CI-1 : Tendance générale à la restriction (temps de
latence long et/ou silences importants intra-récits,
tendance refus, refus)
Il s’agit du regroupement de plusieurs procédés sous-tendus par une même
conduite psychique, consistant à éviter d’aborder ou de développer un récit
conflictuel.
Associé à des procédés A2 ou B2, ce procédé peut renvoyer au mécanisme
de refoulement. Dans ce cas, la présentation du matériel possède un impact
fantasmatique que le sujet refoule, repérable dans l’émergence de fantasmes
à symbolique sexuelle (retour du refoulé).
Planche 7GF
« C’est un bébé qu’il y a là +++ C’est une jeune fille qui vient voir sa
sœur qui vient d’avoir un enfant +++ Franchement, je vois pas. »
L’inhibition massive grève le récit et sert l’évitement d’un conflit de
rivalité mère-fille.
Associé à des procédés de la série E dominants, ce procédé renvoie au
processus de rupture des liens associatifs. Dans ce cas, le sujet dénie ou
désinvestit les liens existant entre réalité externe et réalité interne ainsi que
l’impact fantasmatique suscité par le matériel.
Planche 8BM
« Une autopsie. C’est tout. »

Planche 11
« L’enfer » +
L’inhibition drastique des récits vient en contrepoint de représentations
massives que le recours à l’inhibition tente d’endiguer.
Associé à une majorité de procédés CL, ce procédé peut s’inscrire dans
l’une ou l’autre des propositions précédentes (refoulement ou rupture des
liens) et/ou s’apparenter à un mouvement de retrait dépressif.
Planche 19
(Regarde au dos de la planche) > « Peut-être comme ça, non. < V L > et
bien que je regarde dans tous les sens, devant, derrière, à droite ou à
gauche, je comprends rien. Je pourrai pas raconter d’histoire parce que je
comprends rien. Je suis pas dans le coup. Ce genre me… non, me dit
rien. »
Le caractère peu figuratif de cette planche conduit à une perte des
capacités de contenance et de différenciation (retournements de
planches), entravant toute possibilité de mise en récit, en dépit de
l’accrochage drastique aux repères spatiaux.
CI-2 : Motifs des conflits non précisés, banalisation,
anonymat des personnages
 Motifs des conflits non précisés
Le sujet laisse dans le vague les raisons des actes ou les relations des
personnages entre eux. Ce mécanisme est proche de la banalisation et peut
porter sur l’ensemble du récit.
Planche 6GF
« C’est pas des scènes reprises dans des films ? C’est un homme qui parle
à une femme avec une pipe dans la bouche (rit)…Cet homme inquiète un
peu cette femme par ses propos. Il est un peu intrigant. Il lui apprend des
choses qui lui font peur. Lui en dit un peu trop exprès, ça fait partie de son
jeu. Les habits sont dans les années cinquante. »
Le lien de séduction est mis à distance en maintenant dans le vague, tant
la relation entre les personnages (« un homme, une femme ») que les
motifs des échanges, participant du refoulement des représentations
sexuelles.
 Banalisation
Le sujet interprète la planche d’une façon très anodine, pratiquement sans
évoquer le conflit. Les sollicitations fantasmatiques sont traitées avec
distance et fortement banalisées. Poussée à l’extrême, la banalisation se
rapproche du procédé CF-1 (« Accent porté sur le quotidien, le factuel, le
faire – Référence plaquée à la réalité externe »).
Planche 3BM
« C’est une femme qui pleure au bord de son lit (?). Je sais pas (?). Elle
s’est fait gronder (?). Elle a pas fait ce que ses parents lui avaient dit, je
sais pas, par exemple mettre la table ou ranger la cuisine. »
Si les questions du clinicien (CI-3) permettent la levée partielle de
l’inhibition, la banalisation des motifs du conflit en fin de récit, témoigne
de leur nécessaire mise à distance. La banalisation permet ainsi au sujet
d’échapper au conflit réactivé par le contenu latent (« pleure »
« gronder »).
 Anonymat des personnages
Mise en scène de personnages dépourvus de statut familial ou social
(personne, monsieur, dame, quelqu’un, on…). Cette forme d’inhibition
permet l’évitement d’un choix identificatoire, elle est à nuancer en fonction
de la nature claire ou floue des personnages présentés sur l’image.
Planche 5
« Y a qu’un personnage… Oh mais vous notez ça aussi… ? ++ Que dire
de, du personnage qui ouvre une porte et regarde dans la pièce ouverte ?
S’il lui est possible de rentrer…, ne voyant pas les personnages, s’il y en
a, dans la pièce euh en… dans la pièce. Pff… C’est tout… Je vais pas
parler de la jambe [rit]. Là, je sais pas comment interpréter ça… (?) Ben
oui, si elle a, elle est assez découverte alors je me dis « qu’est-ce qu’elle
vient faire dans cette pièce ? » Voilà, c’est pour ça. Ah ! mais vous écrivez
tout ce que je dis ? Oh ! Je suis là jusqu’à quelle heure ? … Surtout qu’il
faut en raconter, c’est ça… Moi, je suis pas une personne imaginative…
Surtout sur des… des anonymes comme ça. »
L’anonymat des personnages permet de maintenir à distance des liens
susceptibles d’engager des mouvements pulsionnels sexuels et agressifs.
CI-3 : Nécessité de poser des questions
Le clinicien doit poser des questions pour soutenir la mise en récit. On
notera la possibilité ou non du sujet de s’appuyer sur ces questions pour
s’engager ou poursuivre son récit. Les associations suivant l’intervention du
clinicien permettront de rendre compte des motifs de l’inhibition.
Planche 10
« … Je sais pas… je sais pas… +++ (?) Une main… (?) Deux nez, des
yeux, des oreilles, des cheveux.
Ce récit est entravé par une inhibition majeure, la question du clinicien
permet d’en comprendre la teneur défensive, à savoir la lutte contre les
effets de désorganisation identitaire (angoisse de morcellement) et la perte
de liens entre les pensées.
Planche 6GF
C’est une femme assise sur un canapé et elle parle avec un homme… (?)
Ben je sais pas, il lui pose des questions, on dirait un détective… elle c’est
une… c’est une témoin, un témoin (?) d’un meurtre (?) son mari. »
L’inhibition mobilisée est difficilement levée par les questions du clinicien
lesquelles permettent néanmoins d’en dévoiler la fonction de refoulement
des fantasmes sexuels (curiosité) et agressifs (meurtre).

CF : Accrochage à la réalité externe


Ces procédés ont été dégagés par R. Debray pour rendre compte de
caractéristiques inhérentes à un type particulier de fonctionnement
psychique mis en évidence par P. Marty et l’École de psychosomatique de
Paris. Dans les fonctionnements opératoires, il existe une interruption plus
ou moins importante de la circulation entre conscient et inconscient. Cela se
traduit par une perte de la capacité à rêver, à imaginer, à fantasmer. Le sujet
semble coupé de son monde interne et l’investissement de la réalité externe
est démesurément accru.
Dans le TAT, ces mouvements de surinvestissement de la réalité externe se
traduisent par des récits appauvris au plan de la productivité et d’une grande
platitude au plan fantasmatique, apparaissant comme dénués de profondeur
symbolique. Les conflits ne sont pas ou très faiblement évoqués.
Comme pour l’ensemble des autres composantes C, ces procédés CF
utilisés de façon discrète mettent l’accent sur des défenses factuelles qui
s’inscrivent dans un autre registre que celui du fonctionnement opératoire.
Ils peuvent être fortement mobilisés dans les protocoles marqués par des
fragilités narcissiques et limites. C’est l’importance et la régularité de
l’apparition de ces procédés dans un protocole qui assurera l’évaluation
diagnostique.
CF-1 : Accent porté sur le quotidien, le factuel, le faire
– Référence plaquée à la réalité externe
 Accent porté sur le quotidien, le factuel, le faire
Les récits portent sur des faits, des actes, des événements de la réalité
quotidienne dans un contexte banalisé à l’excès. Le matériel présenté ne
semble éveiller ni souvenir, ni association ou réaction affective, comme s’il
ne suscitait aucune résonance fantasmatique.
Planche 6GF
« Une femme et son mari en train de discuter de tout et de rien. Ils
appellent l’enfant pour faire une petite promenade. Puis à la fin de la
promenade, ils rentrent chez eux. Et la femme, elle fait le dîner pour la
famille. La famille, elle dîne puis ils montent dans la chambre pour se
coucher. »
L’insistance sur les activités de la vie quotidienne, sur le faire, participe
d’un évitement drastique de tout éveil fantasmatique et pulsionnel au sein
d’un récit a-conflictuel.
 Référence plaquée à la réalité externe
Il s’agit d’une sorte d’accrochage aux éléments de la réalité externe
marqué par la restriction et l’absence de conflictualisation, qui consiste en
un agrippement à un ou plusieurs éléments objectifs de la planche.
Planche 5
« C’est l’histoire d’une femme qui rentre dans une chambre pour appeler
quelqu’un. C’est l’heure du dîner. Elle appelle un de ses enfants qui
travaille dans sa chambre. + La personne qui est dans la chambre aime la
lecture, elle a une bibliothèque. Elle écoute de la musique avec quelques
CD. La chambre est décorée avec un vase, avec des fleurs. C’est une
chambre agréable avec une lampe de chevet… Tout ce que je peux
raconter sur cette image. »
Le début du récit témoigne de la sensibilité au conflit (représentation de
relation anonyme « la personne », formation réactionnelle « travaille »),
dont le recours aux procédés factuels entrave le déploiement.
CF2 – Attachement aux détails concrets, aux détails
perceptifs
L’attachement au matériel dans ses caractéristiques perceptives et
concrètes, externes, témoigne des difficultés d’intériorisation. Proche du
CF1, il rend compte d’un contre-investissement de la réalité interne par la
réalité externe pour pallier les difficultés de fantasmatisation, de
conflictualisation sur la scène interne.
Planche 5
« Je vois une chambre, une pièce… Je vous le décris ou bien qu’est-ce
que je fais ? … Bon ben, je vois une table dont les battants sont repliés, un
buffet… Au-dessus du buffet, une bibliothèque à moitié pleine… (?) Rien
du tout. »
L’attachement aux détails de la planche, dans leur dimension perceptive
et concrète, participe de l’évacuation de toute conflictualité. Le scotome
du personnage féminin accentue la dimension de rejet de toute émergence
pulsionnelle.

Planche 5
« C’est une maison, y’a une dame qui rentre chez elle, y’a une armoire, et
un pot de fleurs et une table et une lampe avec une petite bibliothèque
accrochée au mur. [?] Il se passe rien, elle rentre chez elle, peut-être qu’il
y a quelqu’un d’autre derrière l’image. [?] Elle fait rien. »
Ici, l’attachement aux détails perceptifs et concrets de la planche
découvre la fonction défensive face aux angoisses de persécution qui
apparaissent en fin de récit (« quelqu’un d’autre derrière l’image »).
CF-3 : Affects de circonstance – Références à des
normes extérieures
 Affects de circonstance
Ce sont des affects convenus, conformistes, dictés par la bienséance, qui
prennent la place du traitement des affects sur la scène interne.
Planche 13MF
« C’est encore la mort ! C’est la mort. Alors, c’est la mort, le désespoir.
Mais on survit toujours à ce genre de problème, si on a assez de force…
et cet homme, grâce à l’amour qu’il avait pour sa femme, continuera à
vivre et à élever ses enfants, malgré son chagrin… et il en fera des
hommes. »
Après une entrée dans le récit marquée par l’intensité des représentations
et des affects, la référence à des normes extérieures permet d’en tempérer
l’impact et de faire l’économie de l’ambivalence des sentiments et avec
lui de la reconnaissance du conflit et de la culpabilité.
 Références à des normes extérieures
Toute référence à des règles ou des principes externes, qui ne s’inscrivent
pas dans un conflit entre désir et défense, la référence aux interdits y
demeure plaquée, de convention.
Planche 13MF
« C’est un homme qui rentre le soir chez lui, qui trouve sa femme, d’après
le geste qu’elle fait elle doit être morte ou alors c’est lui qui l’a tuée mais
c’est tout… (?). Si c’est pas lui qui l’a tuée, comme il l’aimait bien il peut,
il peut être au désespoir ou alors si c’est lui qui l’a tuée, il peut aller en
prison. C’est tout. »
Ce récit illustre les procédés « Affects de circonstance » et « Références à
des normes extérieures ». Il rend compte du recours à des éléments
affectifs et surmoïques communément admis face à un acte de cette
nature, sans culpabilité.
CL : Attachement aux limites
Cette série regroupe des procédés qui témoignent, de manière le plus
souvent transitoire, mais parfois massive, d’une organisation marquée par la
dépendance à l’objet externe, le surinvestissement des limites, ainsi que
l’hétérogénéité du fonctionnement susceptible d’être sous-tendue par le
clivage. Le concept de clivage recouvre, sur le plan théorique, un sens
différent selon que l’on se réfère à Freud et à la notion de clivage du moi ou
à M. Klein et à celle de clivage de l’objet. Aux épreuves projectives, le
clivage est susceptible de trouver différentes traductions : par des conduites
psychiques hétérogènes (processus primaire et secondaire par la projection
d’objets bons ou mauvais, par l’externalisation des conflits etc.) La notion
de clivage fonctionnel proposée par G. Bayle permet d’en concevoir la
fonction défensive susceptible d’être mobilisée au sein de toute organisation
psychique, dans la mesure où elle s’oppose « aux modifications brusques du
narcissisme » (2012, p.155). La fonction du clivage, structurel ou
fonctionnel, ne pourra que se déduire de l’analyse de l’ensemble des
modalités d’élaboration des récits, dans leur articulation avec le traitement
des problématiques.
Au TAT, l’attachement aux limites peut prendre la forme soit d’un
renforcement, soit d’une porosité plus ou moins importante des frontières :
entre dedans et dehors, moi et objet pulsionnel, sujet et autre, réel et
imaginaire. La fragilité des limites entre scène interne (le dedans, le
projectif) et externe (le dehors, le perceptif) peut conduire à la perte plus ou
moins nette de la conscience d’interpréter et au vacillement identitaire. Le
récit est alors marqué par la coexistence de modes de fonctionnement tantôt
dominés par le processus primaire tantôt par le processus secondaire, une
pensée « tolérante aux processus primaires » (Brelet, 1986).
CL-1 : Fragilité des frontières dedans dehors (entre
narrateur/personnages, entre sujet/objet, entre réalité
interne/réalité externe…)
Ce procédé témoigne de la fragilité des frontières entre le dedans et le
dehors et du brouillage des limites entre soi et l’autre. Il peut être sous-
tendu par des mécanismes d’identification projective, de clivage, de déni et
de projection. Les récits font apparaître une perte discrète de la conscience
d’interpréter, brouillant les limites entre narrateur et héros de l’histoire,
découvrant la grande perméabilité entre réalité interne et externe,
susceptible de conduire à des moments de franche confusion.
Planche 5
+ « Ce côté propret, bien rangé… et puis ce côté noir… ça me fait penser
à quelqu’un qui vient me déranger en tout cas. »
Le récit, dominé par une grande inhibition, témoigne de la fragilité des
limites entre dedans et dehors, perceptible dans la perte de conscience
d’interpréter. Les tentatives pour instaurer une différenciation nette entre
les espaces « côté propret » « côté noir », ne peuvent soutenir
l’expression d’un conflit. L’opposition porte sur des niveaux
d’interprétations hétérogènes : une interprétation qui qualifie l’intérieur
« propret », l’autre portant sur les qualités sensorielles du matériel
« noir ». L’irruption du sujet dans le récit (« me ») témoigne de la
porosité des limites.

Planche 12BG
« Ça, c’est un cerisier en fleurs ! Y’a une barque qu’est posée sur la terre.
Donc y a un couple qui vient pique-niquer en amoureux sous le cerisier.
Mais on ne les voit pas parce qu’ils sont derrière le plan de la photo.
C’est le printemps, c’est la vie c’est tout beau. J’aimerais bien être là-
bas ! »
La perte de la conscience d’interpréter est perceptible dans les confusions
entre les personnages et l’auteur du récit rendant compte de la fragilité
des limites.
CL 2 : Insistance sur les limites et les contours (+ ou –
perméables)
Ce procédé renvoie au surinvestissement des enveloppes corporelles,
celles-ci s’avérant plus ou moins perméables et fragiles. Il se traduit par
l’insistance sur les frontières entre dedans et dehors perceptible par l’accent
porté sur la délimitation d’un espace ou sur les qualités sensorielles
(luminosité, chaud/froid, odeur, toucher …).
Planche 11
Imm. « Ah… Qu’est-ce que c’est ?… Je pense qu’il s’agit d’une… d’un
ouvrage d’art dans un lit de torrent. C’est la montagne. Je ne suis pas sûr
qu’il y ait de l’eau mais il devrait y en avoir. C’est très frais. Sur le muret,
d’étranges choses qui pourraient être des fleurs, des oiseaux. Oui, je pense
que le mur se poursuit par un petit ponton et qu’il y a un torrent près
d’une maison dont on aperçoit un mur sur la droite. Je pense que ça doit
sentir très bon et très frais. »
Face à la confusion initiale des limites (« un ouvrage d’art dans un lit de
torrent »), le sujet met en place un début d’histoire à connotation
intellectualisée et idéalisante. Le surinvestissement de qualités
sensorielles valorisées, l’investissement du percept, sont mobilisés pour
renforcer des frontières fragiles.

Planche 19
5” « Là je crois bien que c’est une maison sous la neige avec deux petites
fenêtres comme deux yeux où apparaissent des personnages en chapeaux
pointus et une cheminée qui doit être chaude puisque la neige a fondu
autour. Et tout autour les éléments… je dirais pas qu’ils sont hostiles mais
ils ont quelque chose d’un peu diabolique, j’aperçois un trou avec deux
yeux blancs, qui feraient un coup autour de la maison que ça ne
m’étonnerait pas. Y a du brouillard, du vent, de la neige, mais ça n’est pas
foncièrement hostile. D’abord y a la maison qui est là, qui est rassurante.
Je crois qu’il y a… y a des fantômes, je trouve ça plutôt assez drôle. »
La fantaisie personnelle qui se déploie au début de récit conduit à un
attachement sensoriel et aux limites. Les éléments persécutifs font vaciller
les limites que le recours à la sensorialité tente de soutenir en maintenant
une bipolarité dedans/dehors.
CL 3 : Accent porté sur la fonction d’étayage de l’objet
(+/–)
L’objet se définit essentiellement à travers sa fonction d’étayage et de
support. Ce mécanisme peut sous-tendre un processus de lutte contre une
pulsionnalité libidinale ou agressive ; il peut aussi rendre compte d’une
défense plus ou moins ponctuelle pour traiter l’angoisse de perte d’objet.
Aisément repérable dans les thèmes d’appui ou d’aide, il s’exprime
également dans l’attachement particulier aux indices perceptifs du matériel.
Planche 10
« C’est deux êtres qui vivent un amour passionné, passionnel, tendre, qui
sont heureux de vivre cet amour. Le mari chouchoute bien sa femme, il
l’embrasse bien tendrement, elle, elle ferme les yeux, elle se sent en
sécurité avec cet homme. Voilà. »
Le fort investissement relationnel libidinal mobilisé d’emblée est contre-
investi par un lien de tendresse qui permet d’atténuer la charge
d’excitation pulsionnelle. L’évolution du récit vers le registre de
l’idéalisation et de l’étayage positif inscrit la défense du côté d’une lutte
antidépressive mais aussi désexualisante. Ainsi, l’excitation est contrôlée
et les risques de perte, liés au registre œdipien des relations
hétérosexuelles, sont esquivés.

Planche 3BM
« Il s’agit de la détresse. Une femme en détresse. Elle est en train de
pleurer, s’appuie sur le fauteuil. Elle a l’air abattu, elle a un grand
chagrin. On peut penser que c’est quelqu’un qui l’a laissée tomber.
Comme si elle s’était, elle avait parlé avec d’autres personnes et s’était
mal entendue avec eux. Elle peut se sentir coupable. Elle est sur soi-
même, elle est recroquevillée. Elle est en train de tourner le dos pour pas
qu’on la voie. Elle s’accroche au canapé, quelque chose de confortable
qui la raccroche à quelque chose. Elle est habillée avec une jupe et des
souliers… des chaussures légères. Ça a l’air d’être une femme qui est
seule, qui est délaissée. [Fin ?] Elle ne va pas trouver de réponse à son
chagrin. Elle essaye de combattre son chagrin. Elle n’y arrivera pas. C’est
comme une sorte de désespoir. Et aussi l’aspect bossu du dos. »
La détresse, fortement réactivée ici et associée à un vécu d’abandon,
conduit en de multiples recours à insister sur la fonction d’étayage des
objets, notamment en s’appuyant sur les détails manifestes de la planche.
La quête d’étayage participe du contre-investissement d’un intense vécu
de désarroi dans un contexte de grandes fragilités narcissiques (« et aussi
l’aspect bossu du dos »).
CL-4 : Discontinuité des modes de fonctionnement
(interne/externe, perceptif/symbolique,
concret/abstrait…)
La discontinuité se repère dans l’hétérogénéité des registres
(interne/externe ; perceptif/symbolique ; concret/abstrait…) et celle des
représentations et/ou des affects. La fragilité de la différenciation des
espaces internes et externes entraîne la juxtaposition de modes de
fonctionnement hétérogènes, voire antagonistes, sans conflictualité
intrapsychique, caractéristiques essentielles des fonctionnements limites. Ce
mode de fonctionnement peut être particulièrement sollicité lorsque le sujet
n’est pas en mesure de prendre en charge des mouvements pulsionnels
internes violents et/ou des affects dépressifs.
Planche 1
« J’arrive pas à bien voir on peut pas … Je vois un petit garçon avec un
violon en face de lui, il faut qu’il y ait des couleurs sinon je peux pas
raconter, je vois un petit garçon qu’est devant un violon, qu’a l’air un peu
triste peut-être parce que son violon est cassé, il peut pas en jouer, c’est en
noir et voilà c’est dur à deviner une histoire en noir et blanc (?) pff.
(Fin ?) Par exemple il vient, y va voir quelqu’un, un violo… quelque
chose je sais pas quoi, y va faire réparer son violon par exemple, ce serait
la fin, ce serait une belle fin. »
Les limites entre interne et externe sont mises à mal comme en témoigne
la mise sur le même plan des qualités sensorielles du matériel (noir et
blanc) et du registre symbolique (deviner une histoire, je peux pas
raconter).

Planche 13B
« On dirait un enfant dans un camp de concentration, un ancien camp de
concentration. L’enfant est venu visiter le camp de concentration avec ses
parents. Il s’amuse un peu à rejouer l’histoire en s’asseyant ici… il a l’air
un peu mal à l’aise… on peut supposer que ses parents vont lui dire de
s’arrêter de jouer à reproduire l’histoire, que c’est pas quelque chose avec
lequel on peut s’amuser. La porte paraît bien trop grande pour lui en fait,
comme si l’histoire paraissait bien trop grande pour lui aussi, il est pas
de taille à pouvoir l’affronter. D’ailleurs il semble s’en mordre les doigts.
Y’a quelque chose qui est perturbant c’est qu’il est pieds nus. On sait pas
trop pourquoi. Peut-être qu’il a voulu jouer le rôle à fond ou peut-être
qu’on l’a obligé à être pieds nus. C’est tout. »
La forte réactivation des angoisses d’abandon entraîne un flottement des
limites entre les registres concrets (« porte trop grande », « pas de taille
à ») et symboliques (« histoire trop grande pour lui », « s’en mordre les
doigts »). En fin de récit, la remarque « on sait pas trop pourquoi » rend
compte tant de la nécessité de retrouver un appui sur le percept que de la
perte de conscience d’interpréter. Réalité interne et réalité externe sont
placées sur le même plan.

CN : Centration narcissique
Cette série renvoie au surinvestissement narcissique de l’image de soi qui
a pour effet d’assigner les objets environnants au rôle de figurants
exclusivement investis pour restaurer l’image défaillante de soi. La
centration sur les qualités narcissiques du héros de l’histoire, valorisées ou
disqualifiées a pour effet de reléguer les autres personnages au rang de
faire-valoir.
Dans ce contexte, il faut souligner fermement l’importance primordiale du
poids économique de ces procédés au sein du fonctionnement psychique
afin de distinguer problématique et pathologie narcissiques. Plus encore,
compte tenu de la fonction essentielle du narcissisme dans l’investissement
libidinal du moi et donc dans l’économie psychique du sujet tout au long de
la vie, il s’agit d’établir clairement la différence entre narcissisme normal et
pathologique.
CN-1 : Accent porté sur l’éprouvé subjectif, références
autocentrées, autosuffisance
 Accent porté sur l’éprouvé subjectif
C’est la description minutieuse, des affects, des traits de caractère, des
expériences vécues par l’un des protagonistes de l’histoire. La mise en
scène narcissique est surinvestie de façon positive ou négative.
Planche 12BG
« Comme tous les après-midi, quand je rentre de l’école je jette mon
cartable dans le jardin… j’avale deux tartines de confiture, j’attrape ma
canne à pêche et me précipite vers la rivière où je peux pratiquer mon
sport favori tout en me relaxant. Mais cette fois-ci, un énorme poisson
mordit à l’hameçon et ma frêle canne à pêche se brisa vite. Je plongeais
donc à l’eau et voyant le fil filer, je le saisis et je tentais de ramener le, la
bête mais trop tard. Cette gigantesque carpe s’était repliée dans les
branchages où elle avait emmêlé le fil de nylon qui se brisa net. »
Ce récit, entièrement formulé à la première personne, est exemplaire de la
mobilisation de défenses narcissiques. Derrière son allure dramatisée et
son animation (dont on peut interroger la fonction antidépressive et la
connotation auto-érotique), le récit est exclusivement centré sur le sujet
(du récit) et ses éprouvés. Le procédé narcissique est accentué par
l’utilisation du « je », à visée d’évitement du conflit (ce qui le différencie
du procédé B2-1 « Commentaires personnels ») et de traitement de la
problématique de perte.
 Références autocentrées, autosuffisance
Le sujet raconte son histoire et se dégage de la sollicitation de la consigne,
raconter une histoire. Il occupe le devant de la scène en excluant l’autre,
témoignant de l’investissement narcissique. Par l’autocentration et
l’autosuffisance, le sujet vise l’exclusion plus ou moins radicale de l’objet
et le risque de dépendance qu’il fait courir pour la satisfaction de ses désirs.
Planche 1
« Ça correspond à de la musique… + Ben, c’est une histoire assez récente.
Y’a un air qui m’a trotté dans la tête, je l’ai entendu très souvent à la
télévision. C’est une espèce de… valse très lente avec euh… beaucoup
d’émotions, qui m’a toujours fait ressentir beaucoup d’émotions. Et je
cherchais partout, j’ai interrogé les gens : « est-ce que vous connaissez cet
air ? » J’essayais de le fredonner mais je n’y arrivais pas, je ne suis pas
très fort en musique. Et l’autre jour, j’ai entendu un concert, donné par le
musicien André Rieu, justement et dans ce concert, il y avait ce morceau
de musique ! C’était un éblouissement pour moi. »
Le récit est entièrement élaboré par des procédés narcissiques. Par les
références autocentrées, le sujet affirme son autosuffisance pour contre-
investir l’angoisse de castration (« je n’y arrivais pas ») suscitée par le
contenu latent de la planche.
CN-2 : Accent porté sur la sensorialité, sensibilité aux
contrastes
Ce procédé renvoie à l’investissement de l’enveloppe corporelle et au
renforcement de la frontière entre dedans et dehors, par l’accent porté sur la
délimitation d’un espace ou sur des qualités sensorielles (luminosité, chaud,
froid, odeur, toucher…). Si le CF-2 s’attache essentiellement aux
caractéristiques concrètes du matériel dans leur dimension factuelle, le CN-
2 renvoie à un surinvestissement des qualités sensorielles utilisées à des fins
de renforcement narcissique. Ces deux procédés peuvent néanmoins être
utilisés conjointement.
Planche 12BG
« À travers les branchages, le doux soleil printanier miroitait sur les
feuilles et les fleurs. La mare pétillait d’insectes. Des parfums nous
envahissaient de leurs douces senteurs et toute l’espérance s’installait en
nos cœurs. »

Planche 16
« Ah ben voyons ! [Rit] + J’avançais sur cette route fleurie. Mon amie me
donnait le bras. Nous étions joyeux, gais, pleins d’espérance, et le paysage
s’avançait vers nous. Il était de plus en plus coloré, lumineux, plein de
musique, de chants d’oiseaux, et nos cœurs s’embrasaient devant ces
merveilles ! Continuant d’avancer, la lumière devenait de plus en plus
éblouissante et nous éclatâmes en elle dans la pureté absolue ! »
Ces deux récits extraits d’un même protocole témoignent du
surinvestissement des qualités sensorielles du matériel. L’insistance sur la
magnificence du paysage, la centration sur l’exaltation des sens, rendent
compte d’une centration narcissique mobilisée face à l’absence de
support figuratif réactivé par ces deux planches.
Planche 1
+ « C’est l’histoire d’un petit garçon… qui… dont les parents sont
musiciens tous les deux et il est intrigué malgré tout par cet instrument
magique dont il entend les sons. Il a décidé un jour… de vouloir vérifier
ce que… comment était fait cet instrument. Donc il s’est mis à le
démonter et il a été de plus en plus surpris par la beauté du bois, par la
précision des… des matériaux utilisés, la manière dont ça a été taillé et il
a décidé un jour, dans sa tête, que… au lieu d’être musicien, il deviendrait
euh… il s’installerait, il ferait des instruments de musique. + Cet enfant
est intrigué par… ce violon… et fasciné. + Il est d’ailleurs devenu, plus
tard, il est devenu fabricant d’instruments de musique. Il a eu la chance de
rencontrer les hommes célèbres, violonistes, pour qui il fabriquait les plus
beaux violons. Voilà. »
La centration sur les qualités sensorielles de l’objet violon s’inscrit dans
une idéalisation de l’objet dont les qualités sont magnifiées, tout en
faisant l’économie de la reconnaissance de l’immaturité fonctionnelle et
de l’angoisse de castration. La mobilisation des procédés narcissiques
(idéalisation, qualités sensorielles) rend compte de la lutte contre
l’atteinte narcissique ravivée par l’angoisse de castration.
CN-3 : Détails narcissiques à valence positive ou
négative – Idéalisation (+/–)
 Détails narcissiques à valence positive ou négative
Les « détails narcissiques » du CN-3 sont à différencier des « détails
narcissiques à valeur de séduction » du B3-2 : ils ont pour fonction
d’assurer le repérage identitaire et la différenciation sujet/objet dans la
relation à l’autre et non de séduire par un mouvement d’investissement
libidinal. Les détails narcissiques sont ici l’équivalent des réponses « peau »
au Rorschach en ce sens qu’ils assurent un renforcement de l’enveloppe
corporelle pour protéger le sujet des excitations pulsionnelles.
Planche 7GF
« C’est une maman et sa fille ça ! La maman doit faire la lecture à sa fille
qui doit être très jeune car elle a une poupée. La maman est dans un
canapé style Régence. La petite fille est assise sur un bras du fauteuil.
Cela peut se passer dans un salon, je pense qu’on y voit du parquet. Une
petite table avec un napperon. La maman est aussi coiffée pas d’actualité,
par contre elle a une jolie robe avec un grand parement et un col blanc.
La petite fille doit avoir des souliers vernis et des socquettes. On voit
qu’une jambe mais elle a la jambe repliée derrière l’autre. Je pense que la
maman doit lui lire quelque chose parce que la petite fille n’a pas l’air de
remuer les lèvres, une histoire de son âge, c’est tout ce que ça m’inspire. »
L’insistance sur les vêtements et le corps des personnages (et aussi sur les
limites externes) constitue un repérage de tous les détails permettant la
délimitation identitaire entre les protagonistes et l’évitement du conflit.
 Idéalisation (+/–)
C’est la représentation positive ou négative d’un objet perçu comme
idéalement bon, puissant, beau, ou le contraire.
Planche 1 (à valence positive)
« C’est l’histoire d’un petit garçon qui… a reçu un violon mais qui ne sait
pas s’en servir. Il rêve qu’on lui donne des cours de violon… ne sait pas
comment s’y prendre. Il a une famille de musiciens chez lui… Il veut
devenir un virtuose pour ne pas décevoir ses parents et montrer que lui
aussi peut réussir dans la musique. »
Le recours à l’idéalisation s’inscrit dans une quête identificatoire, contre-
investissant un vécu d’impuissance mobilisé face à l’angoisse de
castration et la crainte de ne pas être à la hauteur des vœux narcissiques
grandioses.

Planche 5 (à valence négative)


« Alors nous sommes maintenant dans une vision d’intérieur. C’est une
femme qui n’est plus toute jeune et qui est avant tout une femme
d’intérieur. Elle ouvre la porte. Elle ouvre la porte, mais elle n’ouvre pas
la porte sur le monde extérieur, elle ouvre la porte sur sa… son bureau,
son salon. C’est une petite intellectuelle, y’a pas beaucoup de livres. C’est
une petite-bourgeoise qui a une petite culture, avec des petites fleurs,
des… une petite lampe et un petit bureau. Non, ne cherchons pas à
l’accabler… Bernanos avait raison : nous sommes tous des médiocres.
C’est un peu, si vous voulez, le côté paisible de la vie. Y’a des gens qui
trouvent la paix dans la médiocrité. Alors je ne pense pas que, ni dans son
passé, ni dans le présent, ni dans l’avenir, y’ait beaucoup à raconter. Le
propre des gens médiocres, c’est que c’est une vie tranquille, sans
histoire. L’histoire est terminée. »
La difficulté d’aménagement du conflit pulsionnel entraîne une dérive
narcissique sous-tendue par une intense disqualification de la figure
féminine/maternelle. Le conflit, lié à la curiosité sexuelle et porteur d’un
mouvement de désir, est court-circuité, laissant la place à une vive
attaque du féminin que la dénégation tente d’atténuer (« ne cherchons pas
à l’accabler »).
CN-4 : Relations spéculaires
Récit ou séquence de récit dans lesquels les personnages sont en relation
symétrique et apparaissent identiques, comme dans un miroir. Ce procédé
renvoie à la négation de la différence intersubjective et permet l’évitement
du conflit. L’autre, en tant que double de soi-même, n’est plus source de
stimulation pulsionnelle mais est mis au service de l’investissement
narcissique.
Planche 9GF
« C’est une femme qui est… qu’est dans un arbre ? (S’approche de la
planche)… et elle regarde une autre femme qui passe… une amie
apparemment… Ces deux femmes ont l’air de se ressembler un peu, ce
serait, je sais pas deux sœurs… ça se passe sur une plage en vacances. »
La relation spéculaire s’inscrit dans la lutte contre l’émergence du conflit
au même titre que la banalisation ou l’absence de mise en histoire.

Planche 9GF
« C’est une femme qui se regarde dans l’eau, au bord de la mer. C’est
pareil. C’est un peu démodé la coiffure. Elle est jolie, elle s’appuie contre
un tronc d’arbre. Y’a deux personnages, mais je pense qu’il y en a une qui
est le reflet. C’est assez serein. »
Ici, la défense narcissique échoue et le déni forcené de la différence
entraîne une confusion des identités.
CN-5 : Mise en tableau – Affect-titre – Posture
signifiante d’affects
L’ensemble de ces procédés renvoie aux tentatives d’inhibition
pulsionnelle par l’immobilisation dans des scènes (mise en tableau) ou par
la négation des perceptions internes et des affects. C’est le mouvement
même, en tant qu’il engage un désir, qui nécessite d’être figé.
 Mise en tableau
Le déroulement de l’histoire se fixe en un tableau, une photo, un dessin,
comme un cliché de l’instant qui échappe à toute historisation. En
immobilisant le temps, le sujet tente de bloquer tout ce qui est susceptible
d’animer la scène et donc les mouvements pulsionnels qui en sont à la
source.
Planche 5
« Ça, ça me fait penser à une peinture ou un dessin d’artiste pour montrer
un intérieur : un salon, une salle à manger euh… Une femme qui rentre
dans son salon. Difficile de dire quelque chose de plus là. On a plus
l’impression que c’est euh un dessin. »
La mise en tableau, dans ce récit inhibé, témoigne de la nécessité de geler
tout mouvement de désir, en évitant le conflit dans le lien avec la figure
maternelle.
 Affect-titre
Loin de repousser l’affect, le sujet le met en exergue, l’érige et le donne à
voir comme ce qui identifie le ou les protagonistes du récit.
Planche 6GF
+ « On pourrait appeler cette histoire « connivence ». Cet homme, un
homme et une femme sont réunis dans un boudoir et l’homme parle euh…
de ses futurs projets. Sa compagne a l’air très surprise et ne sait pas si… si
elle, si elle les apprécie réellement, elle a besoin de réfléchir. Elle est très
intéressée par les propos. + Alors c’est vrai qu’il n’y a pas de fin pour
l’instant. C’est qu’une discussion. Je ne connais pas l’issue de cette
histoire… Partira-t-elle avec lui ou non… ? La suite au prochain
numéro… »
L’affect qui donne le titre à l’histoire ouvre sur l’évocation de fantasmes
de séduction qui s’expriment dans un contexte labile.

Planche 10
+ « C’est une photo, enfin un portrait pardon je retire, que nous allons
appeler « Amour à un certain âge » (?). Y’a pas d’histoire à raconter.
“Amour”. »
Les mécanismes narcissiques sont mobilisés pour éviter toute
conflictualité comme en témoignent la mise en tableau et l’affect titre. La
formation réactionnelle « pardon je retire » témoigne de l’agressivité
sous-jacente.
 Posture signifiante d’affects
La position du corps traduit l’affect. La centration sur la posture permet de
déplacer l’affect à la périphérie, ce qui constitue une mesure de protection
par rapport à l’impact émotionnel. L’affect est reconnu mais se trouve
repoussé au niveau de l’enveloppe externe.
Planche 3BM
« C’est la position d’une femme découragée. Ça n’est pas un enfant, c’est
une… un adulte, mais qui est écrasé par, écrasé par une souffrance. On ne
sait pas si c’est une condamnation parce qu’il n’y a pas de référence à une
prison mais ça pourrait être… ça pourrait être… soit une… un échec ou…
une peine énorme… qui l’écrase complètement. »
L’investissement de l’attitude corporelle soutient ici l’expression d’un
affect (« souffrance ») sur fond d’une culpabilité dont les motifs ne
peuvent s’exprimer (« prison »).

CM : (Hypo)manie
Les procédés CM, caractérisés par un emballement des pensées, des
affects et de la parole, regroupent des modalités défensives mobilisées pour
éviter la construction de scénarios de perte et l’évocation d’affects
dépressifs ou de colère fondamentalement déterminés par l’angoisse de
perdre l’amour de la part de l’objet. Ces procédés relèvent d’une affirmation
de toute-puissance dans une tentative de restauration d’un moi érigé et
triomphant.
CM-1 : Exaltation et emballement des affects et des
représentations (élation)
L’exaltation de « l’humeur maniaque confère au moi les couleurs les plus
vives de l’idéal » (Chabert, 2015). L’état d’excitation jubilatoire élève les
relations du moi et de l’objet, dans une quête de sensation de triomphe, in
fine du moi sur l’objet.
Planche 16
« [Rit] Superbe ! Excellent ! Et bien il s’agit de la page blanche du temps
qui va s’écouler à partir de la minute qui va suivre celle-ci. C’est la page
blanche du devenir, du futur, du lendemain, de tout ce qui reste à faire.
Certains disent « l’angoisse de la page blanche », non moi je dis plutôt
« l’ivresse de la page blanche ». Ce serait une curiosité, mais cette page
ferait également penser à un linceul, à une immensité recouverte de neige
et disons sans doute à la mort, mais qui n’est pas triste du tout, qui fait
partie du devenir de toute façon. Cette page blanche symbolise la remise
des compteurs à zéro et… pour moi, le départ dans le monde de la mort,
tout neuf. Voilà ! »
L’ensemble du récit est dominé par l’exaltation et l’emballement des
affects et des représentations, fortement mobilisés pour lutter contre
l’émergence des angoisses de mort et des affects de tristesse.

Planche 16
« C’est la plus merveilleuse histoire ! Le peintre ou le photographe ou les
auteurs des photos précédentes, des œuvres, des œuvres précédentes, est
fatigué, lassé et il nous donne cette feuille de façon à pouvoir nous-mêmes
inventer une histoire merveilleuse qu’on va pouvoir écrire là-dessus,
dessiner, écrire, peindre, ou rêver tout simplement. C’est l’avenir. Alors
moi personnellement… parce que c’est la liberté, chacun fait là où il
veut… Moi, ça me fait penser à la pièce de… Machinette là… Yasmina
Reza… qui a écrit une pièce sur un tableau blanc et c’est follement drôle.
Je vous conseille vivement d’aller là voir. Vous l’avez vue ? »
L’enthousiasme, l’exaltation est perceptible autant dans le contenu que
dans l’animation du sujet au cours de la narration.
CM-2 : Hyper-instabilité des identifications et des
objets
Le défaut d’inscription psychique d’objets internes stables aboutit à des
prises de position identificatoires et à des investissements d’objets multiples
et instables, dont témoigne le passage extrêmement labile d’une place à une
autre. Cette hyper-instabilité montre la nécessité d’occuper tous les rôles à
la fois pour n’en perdre aucun, de ne pas s’attacher à un seul objet mais à
plusieurs équivalents, interchangeables : tout semble mis sur le même plan.
Cette opération peut conduire au flou des identifications et du repérage des
objets, et/ou à une surenchère des caractéristiques labiles à valeur
antidépressive. Il s’agit d’un mécanisme par lequel le sujet semble investir
très faiblement les objets, sans pouvoir s’attacher plus spécifiquement à l’un
ou à l’autre du fait de leur instabilité et du risque de perte qui y est associé.
L’attribution très singulière de prénoms peut traduire cette hyper-instabilité
des identifications : ce procédé y assure un contrôle, à visée antidépressive,
des différentes positions identificatoires sollicitées par le matériel.
Ce procédé est à différencier du B3-3 : « Labilité dans les
identifications », qui s’inscrit dans les aléas des difficultés d’intégration de
la bisexualité psychique et qui fait écho au désir œdipien de prendre la place
du parent rival auprès du parent désiré, dans ce cas le récit est nettement
conflictualisé.
Il est aussi à différencier du E3-1 : « Confusion des identités –
Télescopage des rôles », dans lequel sujet et objet sont confondus en raison
du gommage de la différenciation intersubjective, précipitant la perte totale
des repères entre dedans et dehors.
Planche 13B
« On dirait Elvis. C’est Elvis Presley, mais je suis pas sûr de moi. Pieds
nus parce que je sais que ses parents étaient pauvres à l’époque. Ou un
paysan russe sans chausson, sans vêtement. Ou un Américain qui attend
sa mère ou son père au début du siècle, le siècle dernier, l’Ouest
américain (?). Pas de fin. »
La forte instabilité identificatoire passe par des hésitations sur la
nationalité attribuée au personnage, sans qu’aucune ne fasse l’objet d’un
investissement spécifique. Pas d’identité stable, ni de fin à l’histoire, à
l’image de l’impossible déploiement d’un scénario qui ferait courir le
risque de perte de l’objet.

Planche 10
« C’est deux personnes, un mari et une femme, un frère et une sœur qui,
ou une amie, qui se disent au revoir, ils vont se quitter pour longtemps,
pour un certain temps, et ils savent pas quand ils pourront se revoir. Ou
bien c’est deux personnes qui regrettent quelqu’un qui est mort, mais c’est
deux amoureux qui sont serrés l’un contre l’autre. »
L’excitation liée au rapproché entre les deux personnages conduit à une
forte instabilité identificatoire. L’oscillation rapide d’une position
identificatoire à une autre témoigne de l’intensité du fantasme incestueux
et de mort mobilisé par le rapproché.
CM-3 : Fabulations
Il s’agit le plus souvent d’un long récit qui n’a qu’un rapport lointain avec
le contenu latent de la planche (à la différence du procédé B2-1 : « Histoire
à rebondissements », dans lequel le rapport au matériel manifeste est
maintenu). Ce procédé rend compte de la diffluence de la pensée et de la
perte des repères logiques sous la pression de la projection.
Planche 11
« Merci… c’est comme ça ?… (70”). Rocky II se trouvait dans un sacré
pétrin. Il s’était enfui de l’hôpital où on l’avait déplacé et où il s’était
battu avec les infirmiers. Il était parti si loin qu’il s’était embarqué dans
une affaire de meurtre. Il sauva une jeune femme qui était aussi fugitive
avec son petit garçon. Ils coururent si loin qu’ils se trouvèrent près d’une
chute d’eau. Là, ils aperçurent un dragon énorme. Heureusement celui-ci
s’enfuit par la feinte [sic] de la montagne. Rocky II, la jeune fille et son
petit garçon furent emportés par une chute d’eau. Ils s’accrochèrent à un
morceau de bois, pour ensuite atterrir dans une autre cité. Parfois on peut
raconter plusieurs histoires ? Voilà. »
Par la fabulation, le sujet tente de s’éloigner des sollicitations anxiogènes
de la planche. Ce récit pseudo-labile, qui prend appui sur des expériences
vécues ainsi que sur le récit fait à d’autres planches, a une valeur de
remplissage face à l’inquiétude, au vertige, suscités par la planche.
L’éloignement offert par la fabulation permet ensuite au sujet de
reprendre appui sur le matériel.
CM-4 : Pirouettes, clin d’œil – Ironie – Humour
Si les pirouettes relèvent du retournement maniaque pouvant fragiliser
l’élaboration secondaire, le clin d’œil au clinicien tend à nier la différence
avec lui et plus généralement, l’altérité, dans une quête de complicité ;
l’ironie, par le détournement de l’agressivité sur le psychologue ou la
situation, lie la charge agressive et procure du plaisir (dans sa composante
plus ou moins sadique) ; par le jeu avec les pensées, l’humour permet
l’épargne d’une dépense d’affect pénible. Le triomphe du moi et du principe
de plaisir s’autorise de la bienveillance du surmoi (Freud, 1927). Le jeu
avec les mots et les pensées constitue une solution économique permettant
un court-circuit de la décharge pulsionnelle.
 Pirouettes, clin d’œil
Planche 16
+ « Pour moi c’est une carte postale et au dos y aurait marqué : “Regarde
comme on s’amuse, je t’embrasse très fort. Un ami.” Une famille plutôt.
Face à la séparation, la pirouette participe du déni des affects de tristesse
retournés en leur contraire. »

Planche 12BG
« Était-ce le printemps ? Était-ce l’hiver ? Nous ne le saurons jamais… »

Planche 19
« Je ne suis pas prêt à vous ouvrir ma porte. Ma chandelle n’est pas
encore morte. »
Les deux récits extraits du même protocole rendent compte de la
mobilisation de défenses hypomaniaques, à la planche 12BG, pour dénier
les affects dépressifs perceptibles dans l’hésitation entre « printemps » et
« hiver », à la planche 19, par le recours à une comptine masquant
difficilement les angoisses de mort sous-jacentes.
 Ironie, humour
Planche 3BM
« [Rit] Comme c’est du noir et blanc, ça donne tout de suite une
ambiance heureuse [rit]. Ah, cette personne-là pour raconter une histoire
c’est sympa, ils auraient pu éviter le noir et blanc. ++ (?) Y’a juste une
femme assise, la tête contre une banquette ou un fauteuil, donc niveau
action, c’est plutôt limité. Je me demande si on a fait passer ce genre de
test au dessinateur qui l’a fait. Y’a un truc, c’est que par terre je me
demande c’est quoi. Déjà c’est pas normal qu’elle soit comme ça écroulée
par terre, comme façon de s’asseoir y’a mieux. Le mieux ce serait de lui
demander mais je pense pas qu’elle puisse répondre [rit]. »
Associée à toutes sortes de caractéristiques défensives, l’ironie teintée
d’agressivité et d’humour s’inscrit comme une recherche d’issue à
l’angoisse dépressive.
CM-5 : Associations par contiguïté, par consonance,
coq-à-l’âne
Il s’agit de particularités du discours qui se retrouvent, le plus souvent
combinées ensemble, dans des propos d’allure maniaque et qui relèvent de
la précipitation des pensées ou encore de la fuite des idées.
• Associations par contiguïté : discours dominé par des associations d’idées,
sans lien apparent entre elles.
• Associations par consonance : évocation de termes choisis pour leur
ressemblance phonétique.
• Coq-à-l’âne : suite de propos passant brusquement d’un sujet à un autre et
pouvant entraîner des contractions dans le discours, le rendant alors
incohérent voire contradictoire.
Planche 2
« Elle va réussir celle-là, elle est belle, très mignonne, sa mère l’envoie à
l’école pour qu’elle soit pas une paysanne mais une demoiselle. Il est beau
l’homme, de dos on voit rien mais elle, elle sera pas satisfaite, il faut
absolument qu’elle quitte la ferme et qu’elle parte mais c’est quand même
beau là où elle est, c’est très beau. Il y a la mère, mais elle aura d’autres
mères, sa mère elle, aura rien connu mais elle est peut-être très contente, il
y a beaucoup de gens qui ne bougent pas, mais elle est belle, elle a de
beaux yeux, j’ai envie de porter ce truc qu’elle a, c’est joli. »
Le poids du fantasme sous-jacent entraîne une désorganisation du
discours qui se voit infiltré par les associations courtes, les coq-à-l’âne et
les associations par consonance.
Planche 6BM
« Le jeune homme et sa grand-mère se racontèrent une histoire de
mobylette en panne. La grand-mère écoutait ses histoires. Le jeune
homme acheta une veste noire pour lui et une robe de chambre pour sa
grand-mère. La grand-mère fut très contente et le jeune homme aussi. Le
jeune homme servait le café dans un restaurant pendant plusieurs années.
Le soir quand il était libre, il téléphonait à sa grand-mère ou à ses amis.
Le jeune homme fut ravi d’aller chez sa grand-mère et chez les amis. »
Dans ce récit, l’utilisation massive d’associations par contiguïté et de
coq-à-l’âne rend le discours totalement incohérent et sans suite logique.
Noter aussi la perte des repères temporo-spatiaux (E3-3).

Planche 1
« Alors ça, c’est un enfant qui est devant ses devoirs, et… et, il réfléchit,
s’évade et rêve. Il a pris un objet, comme un violon, a posé sur ses
devoirs et ça lui permet de se reposer devant ses devoirs. »
Les associations par consonance sont autant de tentatives de maintenir
des liens soutenus ici par la proximité phonétique entre les mots
(« poser », « reposer »).

4. Procédés de la série D (Manifestations


hors narration)
L’attention portée par le clinicien pendant la passation aux
« manifestations hors narration » permet d’envisager des modalités
d’expressivité non exclusivement verbales. Les procédés de la série D sont
cotés pour toute « manifestation hors narration » observée par le clinicien
au cours de la passation.
Ces manifestations peuvent être motrices (musculaires, fonctionnelles,
végétatives…), émotionnelles, ou verbales (adresses directes au clinicien) ;
si les procédés D3 empruntent la voie du langage verbal, ils ont la
particularité de se situer « hors » narration. Ces modalités d’expression
constituent des voies de décharge directe et/ou de dérivation des pulsions
dans le corps et conduisent à une mise en suspens du récit. Le recours à ces
procédés peut être lié à une difficulté momentanée ou durable dans le travail
d’élaboration psychique et/ou s’inscrire dans une régulation ou une relance
du processus associatif. En tant que « manifestation », ces procédés
mobilisent particulièrement le regard du clinicien dont la fonction d’adresse
sera à analyser.
D1 : Manifestations motrices (+ ou –) (Mimiques,
gestes, postures, etc.)
Il s’agit de modalités expressives non verbales qui peuvent participer,
aider et ouvrir une voie de dégagement, ou entraver, voire interrompre le
récit. Ces formes d’expression corporelle utilisent le langage du corps en
suspendant l’expression verbale offrant ainsi un autre mode de traitement
pulsionnel. Elles rendent compte souvent d’une effraction ou d’un
débordement des fonctions de pare-excitation.
Le psychologue doit être attentif aux recours à cette communication
gestuelle soutenant ou non l’expression verbale, il en cotera les
manifestations saillantes. Le recours à la motricité peut se manifester de
façon directe et active (manipuler le matériel, se lever, approcher ou reculer
sa chaise de façon insistante…) ou passive (affaissement du corps).
Les mimiques, les expressions gestuelles et posturales, regroupées dans le
procédé D1, sont susceptibles d’engager des processus psychiques
différents :
Les mimiques du visage participent de l’expression des émotions
(tristesse, dégoût, étonnement…) en tant qu’effet « secondaire corporel de
processus psychiques » (Freud, 1905c, p. 342). La mimique peut provenir
« d’une exigence de communication », ou se produire quand « la personne
représente quelque chose pour elle seule, qu’elle pense quelque chose sur le
mode visuel » (ibid.), c’est le cas dans les mimiques corporelles de
concentration par exemple.
Les expressions gestuelles prennent des formes diverses, allant de la
manipulation du matériel plus ou moins maîtrisée, à l’agitation
psychomotrice. L’investissement du geste plonge ses racines dans « le
profond besoin de mouvement » (ibid., p. 396). Possibles sources de plaisir
quand le corps est investi librement, les expressions gestuelles peuvent
aussi constituer des voies de décharge privilégiées, entravant les capacités
narratives.
Les postures reflètent des états de tension ou de relâchement corporels
(affaissement). Elles relèvent de modalités expressives non verbales,
répondant à la nécessité d’une contention du mouvement pour éviter
l’effraction par l’excitation, et/ou témoigner d’une résonance dépressive
traduite directement dans le corps (inhibition dépressive, agitation
débordante…).
Les illustrations qui suivent rassemblent différentes manifestations
gestuelles, qui se mêlent et prennent parfois le relais les unes des autres.
Planche 3BM
« [Prend la planche] +++ Je vois quelqu’un, qui je sais pas [Son
téléphone sonne], excusez-moi [répond au téléphone, puis raccroche,
reprend la planche]. Là, j’vois quelqu’un qui est [S’accoude], qui a dû
travailler toute la journée, qui est mort de fatigue et qui n’arrive pas,
tellement qu’il est fatigué, n’arrive pas à se mettre dans son lit [Rit,
regarde le psychologue avec insistance, rit, regarde la planche] + Ouais
je me dis c’est ça [Se redresse], c’est la fatigue : il est tellement écroulé,
fatigué, que voilà il n’arrive pas. »
Ce récit témoigne d’une importante centration narcissique qui met en
évidence la forte résonance aux sollicitations latentes de la planche. Le
corps est nettement mobilisé pour lutter contre l’effondrement dépressif :
dans l’appel implicite à l’étayage du clinicien par les regards qui lui sont
adressés, dans la nécessité pour le sujet de se redresser. Les
manifestations dans le corps expriment des états d’affects dépressifs qui
trouvent ainsi une voie d’expression.
Planche 5
+ « Une femme qui vient regarder dans la chambre de son enfant s’il est,
s’il dort [regarde avec insistance la psychologue, rit] Elle ouvre la porte
pour voir [Détourne la tête, se gratte la tête, regarde la planche avec
insistance]… Hum… Elle ouvre la porte, elle entrebâille la porte elle
reg…, jette la tê… elle jette un coup d’œil [Prend la planche en main]
peut-être pour voir la personne qui est à l’intérieur si la personne est
couchée, je sais pas si c’est son enfant ou un truc comme ça mais voilà
[Repose la planche]. Comme ça que je vois. Je vois des bouquins je vois
quoi ? Je sais pas… Parce que je le fais souvent, je vais comme ça je
regarde si mon, voilà, peut-être que j’imagine comme ça [Elle rit]. Je sais
pas, en tout cas je vois une femme qui ouvre la porte maintenant,
pourquoi je sais pas, peut-être pour regarder pour [Prend de nouveau la
planche et la regarde avec insistance puis repose la planche] je sais pas
je… »
Les nombreuses manifestations comportementales (prise et pose de la
planche, grattage, rire, détournement du regard ou accrochage à celui de
la clinicienne) témoignent de l’intensité de l’excitation réactivée par les
fantasmes voyeuristes (« regarder », « voir », « jette la tê…, jette un coup
d’œil »), ainsi que des tentatives de répression de cette excitation. Le
corps est sollicité pour traiter le débordement psychique des fonctions de
pare-excitation.

Planche 1
« Là, c’est un petit garçon, un garçon, donc qui joue de la musique, donc
il joue un instrument, ça doit être un violon, un instrument à cordes. Il a
l’air fatigué ou ennuyé ou dans la lune… Silence… On pourrait être…
[Bâille +++] Mais il n’a pas l’air très concentré sur son instrument.
Donc, là on voit, c’est un instrument en noir et blanc et on voit vraiment
l’enfant. On voit pas où il est, on pourrait imaginer qu’il est chez lui…
[Bâille, relâchement tonique] On pourrait faire l’hypothèse que l’enfant a
la place de faire de la musique, rêve… [Bâille]… Euh rêve où même, je
ne vois pas très bien [Bâille +++] Il est presque somnolent… [Bâille]
Non… Il rêve [S’affale sur la table]. »
Les effets dépressifs de l’impuissance sont projetés dans le corps
(« bâille », « s’affale »…) et attribués au personnage par la voie des
éprouvés corporels (« fatigué », « dans la lune »). L’attachement aux
sollicitations perceptives, sensorielles du matériel et aux contrastes
(« noir et blanc ») n’assure pas une fonction de pare-excitation suffisante
ce qui entraîne une porosité des limites. Le retournement de l’agressivité
contre le moi apparaît dans ses effets dépressifs, traduits par des
manifestations corporelles sans possibilité de mise en mots.
D2 : Manifestations émotionnelles
(rires, larmes, rougeurs, tremblements, soupirs, etc.)
Nous entendons par manifestations émotionnelles, des expressions telles
que les rires, les larmes, les tremblements, les soupirs… Elles sont à
différencier des exclamations et commentaires cotés B2-1 qui relèvent de
l’expression d’affects au sein du récit. Provoquées par des états de tension
interne face au matériel, les manifestations émotionnelles participent de la
décharge de l’excitation, elles comportent une intentionnalité relationnelle
(inconsciente). Leur expression varie en quantité et en qualité, pouvant
aller, par exemple, d’une humeur enjouée au rire maniaque. Seule l’analyse
des associations du sujet pourra donner des indices concernant les qualités
de plaisir ou de déplaisir associées à ces expressions émotionnelles.
Planche 7BM
+ « “Écoute mon garçon. Tu… non… tu viens de me confier tes intentions
d’épouser cette fille. Cela me paraît totalement déraisonnable.” »
–+« “Père, je ne… comprends pas pourquoi Geneviève vous semble une
fille qui ne serait pas digne de moi.” »
–+ « “Enfin, mon fils, vois-tu la différence de milieu où vit cette
personne. Toi, dont la réussite sociale est si brillante !” (Éclate de rire
+++) Ouf, ça soulage ! Je vois mon avenir devant moi… comme auteur
littéraire ! (?) Disons que l’éclat de rire est la conclusion. »
Le récit est construit à partir d’une mise en dialogue père/fils, dans une
tonalité très labile alliée à une forte expressivité émotionnelle. Le rire
permet une décharge de l’excitation sexuelle et de l’agressivité et aussi de
trouver un compromis au conflit mettant fin au récit (« Ouf ça
soulage ! »).
Planche 3BM
« Ça, elle est très triste cette photo. C’est une dame, c’est une personne, je
sais pas si c’est un homme ou une femme. En tout cas, elle a dû perdre
quelqu’un de très cher. Ou elle a été maltraitée. Ou elle est pauvre. Ou elle
est très triste parce que personne ne la comprend non plus. Elle souffre
beaucoup. Quelqu’un qui souffre. [Elle a les larmes aux yeux, semble très
émue.] ++ C’est la première fois que je passe ce genre de test. »
La résonance aux sollicitations dépressives de la planche est intense et
entraîne une labilité des identifications (« dame » « personne » « homme
ou femme ») au sein d’un récit dramatisé qui découvre un fantasme de
fustigation. Les affects fortement mobilisés s’expriment ouvertement au
travers les manifestations émotionnelles (« larmes aux yeux », « émue »).

Planche 16
« [Elle rit très longuement] Y’a rien [Elle rit] +++ C’est une page
blanche ! [Elle rit] Il faut que je raconte une page blanche ? Y’a rien à
dire. C’est rigolo ! [Elle rit]. »
L’absence de support perceptif éveille des manifestations émotionnelles
(rires) intenses et répétitives envahissantes qui entravent toute possibilité
de mise en récit, dans une atmosphère maniaque patente.
D3 : Adresses directes au clinicien
(interpellations, appels, critiques, impatience, ironie,
etc.)
Toute question adressée directement au psychologue sur ce que le sujet
doit faire, un détail de l’image, l’interprétation qu’il conviendrait de donner,
une critique du matériel…, se situant hors du champ de la narration. Ces
adresses sont verbales, leur caractère direct, d’interpellation, d’apostrophe,
a pour effet de susciter l’attention du psychologue appelé à réceptionner la
charge pulsionnelle, le plus souvent agressive, qui ne peut être traitée par
l’intermédiaire de la mise en récit. Elles assurent une fonction de décharge,
en même temps qu’elles cherchent en l’autre une forme de contenance.
C’est la fréquence et l’impact sur le récit qui permettent d’en analyser le
sens dans l’économie psychique du sujet.
Planche 1
+ « Oh là, c’est un gamin, il est vraiment fatigué, il en a vraiment ras le
bol de ses études de violon. Il s’en tient la tête. [Pas trop vite, s’il vous
plaît.] Vous devriez avoir un enregistreur ! Vous pouvez bien leur
demander ça à l’organisme, je sais pas, dont vous dépendez ?! + Il
regarde le violon. + Pour lui, c’est pas une source de joie, on doit l’obliger
à jouer du violon. C’est tout. C’est le gosse qu’est pas heureux. Si ça se
trouve, c’est un très grand violoniste qu’on a photographié mais là il est…
Le violon lui pose problème. On l’oblige à jouer du violon certainement.
Je vais pas vous raconter beaucoup de choses parce que si vous écrivez
comme ça alors… [Repose la planche, la reprend] [Fin ?] Honnêtement
non, on voit une expression, il en a marre, il est là. Plutôt qu’un
instrument de musique, c’est un instrument de torture pour lui et pourtant
il regarde, il voudrait peut-être le comprendre. Il se pose des questions.
C’est tout. Vous avez assez écrit. »
L’intervention du psychologue en début du récit (lui demande de ralentir
le débit verbal) conduit rapidement à une adresse directe au clinicien
porteuse d’une forte charge agressive (« vous pouvez bien leur
demander… »). Alors que se découvre le vécu de contrainte faisant
l’économie de la reconnaissance de la castration, les décharges verbales
(« je vais pas vous raconter beaucoup de choses… ») et motrices (repose
et reprend la planche) entraînent la suspension de la narration.
L’émergence d’un fantasme sadique (« un instrument de torture ») et le
risque de débordement pulsionnel conduisent à l’adresse finale qui
interrompt le récit (« vous avez assez écrit »).

Planche 16
« Euh… Superbement reposant ! Papier couché au moins 120 grammes,
légèrement jauni. Très agréable à l’œil ! [Rit]. Je ne vous sens pas très
convaincu. J’ai une grande ambition. [C’est-à-dire ?] Vous faire rire ! Je
trouve que vous ne riez pas beaucoup. »
L’absence d’image conduit à un appui sur la matérialité du support, et à
un accrochage au sensoriel, avec une dimension de disqualification. Le
rire ironique rend compte de l’attaque agressive sous-jacente. Le sujet
cherche à interpeller le clinicien pour éprouver les effets de sa parole sur
l’autre, in fine les effets de ses attaques agressives mobilisant des
défenses à valence antidépressive.

Planche 13MF
« C’est l’avant-dernière ? Elles sont sympas vos photos ! [Prend la
planche.] C’est la détresse d’un homme qui observe sa femme
apparemment morte et qui ne sait pas quoi faire, apparemment il a des
regrets de n’avoir pas pu la sauver je pense, voilà. [Repose la planche.] »
L’interpellation initiale précède un commentaire ironique qui a pour
fonction de déjouer l’impact anxiogène de la planche, tout en adressant
l’agressivité au clinicien. La prise en main du matériel participe de la
nécessité de contrôler les émergences pulsionnelles agressives (et les
fantasmes de meurtre sous-jacents) suscitées par la planche. Les affects
de convenance (CF « regrets ») témoignent de l’absence de conflictualité
intrapsychique, le conflit n’étant que de surface.

5. Procédés de la série E (Émergences du


processus primaire)
Ces procédés sont susceptibles d’apparaître dans des modalités de
fonctionnements psychiques variées. C’est l’analyse de leur place et de leur
fonction dans l’économie et la dynamique psychiques qui va permettre la
distinction entre les émergences du processus primaire, nourrissant
transitoirement les associations, et les émergences envahissantes mettant en
évidence un moment de désorganisation transitoire ou inscrite dans un
fonctionnement psychotique. On ne peut donc établir une équivalence
étroite entre procédés E et fonctionnement psychotique. A contrario,
l’absence totale de procédés E témoigne parfois de modalités de
fonctionnement pathologiques, lorsque le sujet ne peut se laisser aller à la
régression (défaut de circulation entre les systèmes inconscient et
préconscient/conscient) ou lorsque les émergences inconscientes semblent
comme abrasées.
Lorsqu’ils soutiennent ponctuellement les associations du sujet, ces
procédés rendent compte d’un assouplissement possible des défenses. C’est
par exemple le cas dans les fonctionnements obsessionnels où l’apparition
des procédés E traduit un certain relâchement des mécanismes de contrôle,
laissant la place au retour du refoulé ou à l’expression pulsionnelle. Les
émergences du processus primaire montrent ainsi l’existence d’une
perméabilité entre instances psychiques de bon aloi.
Ils peuvent être le signe d’une désorganisation transitoire comme dans les
fonctionnements limites et narcissiques et reflètent la coexistence de
modalités de fonctionnement hétérogènes, tantôt dominés par la logique du
processus secondaire, tantôt par celle du processus primaire (clivage).
Lorsqu’ils apparaissent de façon massive, ils indiquent des modalités de
fonctionnement psychotiques dominées par la désorganisation de la pensée
et de l’identité. Ils sont néanmoins à valoriser dans les fonctionnements
psychotiques chronicisés surinvestissant l’accrochage descriptif à une
réalité externe qui apparaît pulsionnellement désertée (procédés CF
dominants) ; ils témoignent alors du maintien d’un certain dynamisme
psychique et d’un investissement minimal de l’objet et de soi.
Ils se déclinent comme suit :
• E1, quand la projection vient altérer la perception ;
• E2, lorsque la projection devient massive (affect et/représentation) ;
• E3, lorsque se manifeste la perte des repères différenciateurs entre sujet et
objet ;
• E4, quand la cohérence et la logique du discours sont atteintes.

E1 : Altération de la perception
E1-1 : Scotome d’objet manifeste
Ce procédé est coté lorsqu’un élément manifeste du matériel n’est pas
évoqué dans le récit. Il n’y a pas de déformation du réel, à l’inverse de la
fausse perception, mais une modification du perçu susceptible de renvoyer
au déni ou au refoulement.
Dans les fonctionnements psychotiques, il relève d’un déni perceptif. La
réalité perceptive est refusée réalisant une forme d’effacement de la trace de
l’objet.
Les scotomes se repèrent aussi dans les organisations phobiques,
hystériques ou obsessionnelles et, plus généralement, dans les organisations
où l’inhibition domine. Ils relèvent du refus de voir (« cécité ») un objet
significatif à valence sexuelle et/ou agressive sous l’effet du refoulement.
Planche 1 (fonctionnement névrotique)
« C’est un gosse qui a l’air de s’embêter, voilà c’est tout… Faut que je
raconte encore ? … On dirait qu’on l’a mis en pénitence… Il a pas l’air
content, on dirait qu’il a envie d’aller jouer au football… (?) Il a pas l’air
très énergique. Je pense pas qu’il passe par la fenêtre pour aller jouer au
foot avec les copains, enfin je pense qu’il doit certainement en vouloir aux
gens qui l’ont mis là. »
Le scotome du violon soutient le refoulement de la problématique liée à
l’investissement et au désir objectal. Le conflit (« envie d’aller jouer »
versus « en vouloir aux gens ») est déplacé sur l’investissement d’une
activité substitutive « jouer au football ».

Planche 5 (fonctionnement psychotique)


+++ « C’est le décor d’une maison, c’est tout. »
Dans ce récit massivement inhibé, l’effacement de la réalité externe
(scotome du seul personnage de la planche) participe de la lutte radicale
contre la reconnaissance du lien à l’objet. En effaçant la réalité
perceptive, c’est la reconnaissance de l’existence de l’autre qui est déniée
(déni d’altérité).
E1-2 : Perception de détails rares ou bizarres avec ou
sans justification arbitraire
Il s’agit soit de l’évocation de détails manifestes présents sur la planche
mais habituellement rarement utilisés, ou encore de détails mineurs ou à
peine perceptibles valorisés par le sujet parce qu’ils revêtent pour lui une
signification particulière. Ce procédé peut survenir dans des protocoles
gravement désorganisés.
Planche 12BG
« On peut voir au premier plan une sorte de cerisier, sur ce cerisier on
pourrait voir un masque, une sorte d’hibou… en dessous du cerisier il y a
un bateau près d’une rivière au loin on voit d’autre arbre [sic] qui
pourraient être des cerisiers. C’est tout. »
L’attention portée sur un détail de la planche au milieu des branchages,
conduit à la perception d’un détail rare et bizarre. Les contenus
« masque » et « hibou » évoquent la projection d’un regard (hibou,
masque) possiblement persécuteur pour lutter contre l’angoisse de
solitude induite par la planche.

Planche 7 BM
« Deux jeunes hommes dont les cheveux sont gras, un grand nez, aux
yeux noirs et bien poilus et au menton pointu s’aimèrent beaucoup. Ils
étaient deux amis. Le plus vieux des deux avait un train électrique et une
guitare. L’autre ami avait une mobylette pour aller chez ses amis. »
Ces détails rares témoignent de l’infiltration du discours par le processus
primaire. Ils participent des efforts de différenciation entre les
personnages, renforcés par l’attribution d’attributs spécifiques à chaque
protagoniste. L’expression d’un conflit entre désir et défense ne peut être
soutenue sur une scène interne.
La justification arbitraire à partir de ces détails rares ou bizarres
correspond à l’une des expressions des liens arbitraires existant entre les
pensées et signalent le maintien de la liaison en dépit de la domination du
processus primaire.
Planche 8BM
« C’est, c’est l’hôpital… il est couché… c’est une femme on va dire à
cause du bras… il essaie de faire une opération chirurgicale… peut-être
l’enfant c’est le fils de cette femme… quelque chose qui est bien dans
notre monde [mot incompréhensible] la lampe qui éclaire son visage.
[Souffle.] C’est moi. »
Le lien arbitraire (« on va dire à cause du bras ») participe de la lutte
contre le risque de déliaison pulsionnelle et de la quête de repères
différenciateurs. L’échec se lit dans la confusion entre les personnages de
la planche conduisant à la perte de la conscience d’interpréter (« c’est
moi »).
Certaines perceptions rares et très fines, non arbitraires, peuvent s’inscrire
dans un contexte obsessionnel.
Planche 1
« Quand on voit un jeune homme qui est en train de considérer
attentivement son violon, on peut supposer qu’on l’a peut-être obligé à
protéger ce violon car il est posé de manière très statique sur un tissu de
protection […]. »
La perception du détail « tissu » est rare, mais adéquate sur le plan
formel. L’attention portée à ce détail est sous-tendue par un mécanisme
de formation réactionnelle et la nécessité de contenir tout mouvement
agressif ou de désir (« posé de manière statique »).
E1-3 : Perceptions sensorielles – Fausses perceptions
 Perceptions sensorielles
Il s’agit d’une opération par laquelle le sujet est renvoyé de façon massive
à une réalité (généralement ressentie sur le mode persécutif, vécue comme
dangereuse) à laquelle il adhère sans distance et sans appui sur la réalité
manifeste. Dans ce mouvement, la confusion entre sujet et objet apparaît de
façon très nette. La dimension arbitraire est patente dans une perception
quasi hallucinatoire et délirante.
Ce procédé est à distinguer du CN-2 « Accent porté sur la sensorialité,
sensibilité aux contrastes » dans lequel la dimension arbitraire est absente.
Planche 1
« C’est le violon de son grand frère… Il se demande à quoi servent toutes
ces cordes et il imagine dans sa tête que chaque corde correspond à un
son, et il se demande ce que le violon va lui dire s’il le touche. Alors le
violon parle, c’est son grand frère qui lui parle parce qu’en fait son grand
frère est mort, il est mort en serrant la corde autour de son cou parce
qu’il lui manque une corde au violon et c’est cette corde-là qui crie le
plus et la corde elle est invisible et l’archet, il va essayer de jouer sur cette
corde et l’archet il va grincer, il va grincer en grinçant la corde va lui
dire, va prononcer le nom de son grand frère et il va parler au petit frère
la corde va parler au petit frère. »
La forte teneur hallucinatoire de ce récit témoigne de l’envahissement de
la pensée par le processus primaire, entravant fortement le rapport à la
réalité.
 Fausses perceptions
Elles se réfèrent à l’altération des éléments manifestes de la planche et
rendent compte d’une déformation de la réalité. À l’inverse du détail rare
pour lequel la perception est correcte, il y a une distorsion voire une
aberration perceptive.
Planche 1
« C’est un livre ça … (?) Une casserole… (?) Ben, il est triste parce que
sa casserole est cassée. C’est tout. (?) Il va en acheter une autre. »
La distorsion perceptive s’inscrit dans un mouvement d’attaque de l’objet
perçu comme détérioré (E3-4) dans un contexte projectif que l’inhibition
tente de contenir. La massivité de la projection distord le rapport à la
réalité et conduit à une fausse perception sous-tendue par un mécanisme
hallucinatoire.

Planche 10
« C’est une photo d’un bébé et d’une personne âgée. Ça a l’air d’être son
grand-père, quoi ! Ils ont pris la photo ensemble. J’estime que c’est des
grands frères, grand-père et son petit. »
La fausse perception relève d’un trouble identitaire majeur conduisant à
une confusion entre les personnages de la planche. La projection d’une
différence des générations, au mépris de la reconnaissance du contenu
manifeste, témoigne des tentatives, vaines, de différencier les
personnages.

E2 : Massivité de la projection
E2-1 : Inadéquation du thème au stimulus,
persévération
Les contenus manifestes et latents ne sont pas vraiment pris en compte, ils
sont mis de côté au profit de l’émergence de fantasmes et de thématiques
sans lien avec eux.
La massivité de la projection entraîne une inadéquation du thème, ou la
reprise inadéquate d’un thème qui s’impose régulièrement en dépit des
variations du stimulus (persévération) ; ou encore, ce mécanisme aboutit à
une rupture qui se manifeste par un discours abstrait sur des considérations
métaphysiques.
 Inadéquation du thème au stimulus
Planche 19
« C’est marrant ça, c’est pas du Picasso quelque chose comme ça ? Ça,
c’est une histoire de microbe. Alors voilà un microbe là et ça, c’est la
maison du microbe. Alors il est dans un noyau de pêche. Un gros plan du
microbe. P. m’a dit un jour pourquoi dit-on “microbe”, on devrait dire
“crobe” tout court. Ce microbe était dans la pêche, était entré dans le
noyau et un jour un petit garçon a mangé la pêche, sucé le noyau et
attrapé ce microbe. Le microbe a fondé une famille, pondu des œufs, fait
des petits et il y avait un bouillon de culture. Ils se sont fourrés dans
l’appendice et lui ont donné une irritation. Il a eu des douleurs, s’est fait
opérer et le vilain microbe s’est fait tuer. »
Le thème du récit semble déconnecté du stimulus perceptif. La massivité
des angoisses d’intrusion rend inopérantes les tentatives de clivage entre
dedans/dehors.
 Persévération
La persévération fait référence à la compulsion de répétition. Celle-ci
prend des valeurs différentes selon qu’elle s’inscrit dans un registre
névrotique ou non.
Dans les protocoles de sujets au fonctionnement névrotique, la compulsion
de répétition existe et le contenu manifeste est pris en compte. La répétition
du thème se caractérise alors souvent par un aller-retour entre expression
pulsionnelle et défense.
Dans des protocoles de sujets présentant un fonctionnement psychotique,
la persévération d’un thème d’une planche à une autre, révèle la prégnance
d’un fantasme massif en lien avec la destruction et/ou la sexualité,
s’installant de façon incongrue malgré la modification des situations
mobilisées par le contenu manifeste et latent des planches. Une pensée
compulsive, susceptible de se répéter également dans un même récit, peut
faire supposer l’existence d’une activité délirante.
Les exemples suivants sont issus du même protocole (fonctionnement
psychotique) :
Planche 6BM
« Une mère… c’est le fils prodigue qui revient. La mère lui rappelle ses
souvenirs de jeunesse. Il est très ému. À la fin ils se marient. »

Planche 10
« Retrouvailles entre Jean Gabin et Michèle Morgan. Jean Gabin : “Tu as
de beaux yeux tu sais.” Michèle Morgan : “Embrassez-moi.” Et ils se
marièrent à la fin. »

Planche 11
« Qu’est-ce que c’est que cet animal ? Invasion du monde par les
extraterrestres. Animaux bizarres et c’est tout. Et ils se marient à la fin. »

Planche 13 B
« Un petit garçon devant sa maison, sur le seuil de la porte et qui attend
que sa mère ait fait la bouffe pour manger. Ils se marient à la fin. »
Planche 19
« La maison de l’aveugle en plein hiver auquel Frankenstein rendra visite.
Une femme viendra et ils se marient à la fin. »

Planche 16
« C’est après le mariage et c’est tout. »
La répétition compulsive du thème et de la formule « ils se marient à la
fin » fait fi des variations des sollicitations des planches. L’insistance sur
une fin heureuse témoigne de la lutte contre les effets de déliaison et la
menace de destruction interne.
E2-2 : Évocation du mauvais objet, thèmes de
persécution, recherche arbitraire de l’intentionnalité
de l’image et/ou des physionomies ou attitudes –
Mégalomanie
La projection est sous-tendue par une dimension interprétative et sensitive.
Le mouvement commun est celui de l’attribution au matériel, ou aux
personnages, de caractéristiques que le sujet ne peut reconnaître comme
siennes, et qui font retour sous la forme d’objets plus ou moins
persécuteurs.
Dans tous les cas, cela met en évidence l’expulsion de représentations ou
d’affects insupportables, du dedans vers le dehors, et leur attribution à un
objet externe bien repéré. La projection protège le sujet, en rejetant sur
l’objet l’agressivité, la haine, les sentiments négatifs qu’il ne veut
reconnaître comme émanant de lui. À l’aide du clivage, il peut alors
identifier le mauvais à l’extérieur de lui et se considérer comme tout bon.
Ce procédé est fréquemment rencontré dans des vécus persécutifs
(paranoïa, schizophrénie, fonctionnements limites, plus rarement dans des
fonctionnements névrotiques).
 Évocation du mauvais objet
Ce procédé est utilisé chaque fois que le sujet attribue un caractère
malfaisant à l’un des personnages de la planche. Le concept de « mauvais
objet », terme kleinien, désigne « les premiers objets pulsionnels, partiels
ou totaux, tels qu’ils apparaissent dans la vie fantasmatique de l’enfant »
(Laplanche et Pontalis, 1967, p. 51). L’évocation du mauvais objet relève de
la projection et peut être associée au clivage.
Planche 9GF (registre névrotique)
« C’est deux jeunes filles qui sont jalouses l’une de l’autre… (?) Elles
croient toutes les deux qu’un jeune homme aime l’autre, enfin que le
jeune homme qu’elles aiment aime l’autre… Celle qui est cachée derrière
un arbre a tendu un piège à celle qui est en train de courir sur la plage
++ (?). Je sais pas ce que ça pourrait être. »
Dans une mise en scène triangulaire, le récit évoque un « mauvais objet »
chargé d’éliminer la rivale œdipienne.
Planche 9GF (registre psychotique)
« Mais c’est moi qui vois mal ou c’est les photos qui sont floues…
Femme entre 25 et 30 ans qui court au bord d’une rivière ou d’une plage
ou tout du moins sur les pierres, qui a l’air hors d’elle, qui n’a plus le
contrôle d’elle-même, qui a le regard ahuri, plein de méchanceté, de
rancune, prête à tuer ou à faire une mauvaise action, décidément je suis
obsédée par les CRS, elle a l’air de courir vu la position. Y’a une femme
derrière, cachée derrière un arbre qui la surprend, qui a l’air d’avoir des
cartes de géographie ou des papiers, qui a l’air de la surprendre dans son
action ou être de connivence avec la personne qu’elle poursuit. On sait
plus si elle est là pour l’aider ou pour lui faire un mauvais coup. »
Le récit est dominé par l’évocation de mauvais objets, conduisant à une
certaine confusion entre les personnages. Celle-ci témoigne de la
difficulté à différencier le bon du mauvais, les liens étant vécus comme
porteurs de danger.
 Thèmes de persécution
Ce procédé est coté chaque fois que les thématiques mettent l’accent sur
un environnement persécuteur, plus ou moins marqué. Les thèmes
persécutifs peuvent apparaître sans témoigner pour autant d’un
fonctionnement psychotique, ils peuvent être particulièrement sollicités à
certaines planches comme les planches 5, 11 ou 19.
Planche 5
« Une vieille dame qui se sentait persécutée entend un bruit dans une
autre pièce et en allant ouvrir la porte elle voit sur la table un vase avec…
des… des fleurs transmettant un message de haine… (?) +++ Elle aurait
un maître chanteur et aurait reçu des menaces de mort, elle voit par
exemple les… les roses fraîches qu’elle avait cueillies remplacées par des
fleurs lugubres et fanées. »
La confrontation à une figure féminine qui pénètre et regarde mobilise des
angoisses de persécution et de mort majeures, dans un contexte
franchement psychotique.
Planche 6GF
« Une jeune fille poursuivie par un obsédé qui n’arrête pas de la
persécuter. Un jour qu’elle s’était bien enfermée chez elle, elle entend un
bruit derrière elle, se retourne et voit son persécuteur. »
Les fantasmes sexuels sont projetés sur un agent séducteur dans un
mouvement projectif qui témoigne du caractère persécutant de l’excitation
pulsionnelle.
 Recherche arbitraire de l’intentionnalité de l’image
La projection conduit le sujet à supposer que l’on cherche par le biais du
matériel à lui imposer certaines idées, sentiments ou réponses : « Vous
voulez me faire dire… » Le sujet pense que le matériel est sous-tendu par
des significations cachées, et plus généralement que l’on cherche à lui
tendre un piège. Ce procédé est proche de la justification arbitraire à partir
d’un détail rare, mais relève en plus d’une conviction interprétative et
projective. Cette conduite psychique est particulièrement présente dans les
protocoles de sujets présentant un fonctionnement paranoïaque.
Planche 5
« C’est très très laid, tout est hideux, c’est sans doute voulu. »
Dans ce récit, le sujet tente de déjouer ce qu’il projette comme des pièges
qui lui sont tendus dans une franche conviction interprétative.

Planche 6BM
« Autant les planches sont assez floues, autant là on ne peut pas
s’empêcher de penser que celui qui a fait ça avait une idée derrière la
tête. Ah vous notez ce que je dis, bon, enfin, tout de même, on ne fait pas
ces dessins sans penser à quelque chose de précis. »
Les angoisses de persécution sont telles qu’elles entravent toute
possibilité de mise en récit. Les éléments projetés sur le matériel ne sont
pas reconnus comme appartenant au sujet mais vécus avec la certitude
d’une manipulation par un « autre », sentiment qu’il s’efforce de déjouer
dans une attitude massivement interprétative.
 Mégalomanie
Ce procédé relève de la projection massive, sans distance ni critique,
d’une image de soi ou de l’objet, grandiose et infaillible.
Planche 1
« Il s’agit d’un enfant prodige musicien qui se prépare pour son concert.
Là, il est dans sa loge, il se bouche les oreilles pour se concentrer parce
que ses assistants s’agitent dans le couloir et font du bruit… Ça ne
l’empêche pas d’entendre la clameur des applaudissements et des hourras
qui montent de la salle de spect… de concert où les spectateurs attendent
impatiemment le concert qui sera un événement sans pareil, sa
consécration. Oui, c’est ça. »
Par l’identification à une image toute-puissante (« enfant prodige »), le
sujet fait l’économie de la reconnaissance de l’immaturité fonctionnelle et
de l’angoisse de castration. L’environnement est perçu comme
discrètement persécuteur limitant ses fantasmes de triomphe à
connotation mégalomaniaque.
E2-3 : Expressions d’affects et/ou de représentations
massifs – Expressions crues liées à une thématique
sexuelle ou agressive. Inadéquation
affects/représentations
Ce procédé renvoie à une perte de distance marquée par la projection,
voire par l’identification projective. Les affects ou représentations massifs
peuvent être liés à différentes problématiques telles que l’agressivité, la
sexualité, mais aussi la perte, l’incapacité ou le dénuement. Les expressions
crues mettent l’accent sur des évocations brutales de meurtre, de viol, de
scène sexuelle, dénuées de participation affective.
Dans certains cas, cet item peut avoir une valeur de décharge pulsionnelle
ponctuelle (mots vulgaires), alors que, dans d’autres cas, la massivité de la
projection entraîne un débordement de plus en plus important, accompagné
alors d’autres procédés E.
 Représentations massives
Planche 7GF
« Ça c’est spécialement affreux ça. Je ne pense pas que ce soit une
poupée, je pense que c’est un petit bébé mort… Mais ça paraît idiot que la
dame fasse la lecture à une petite fille qui a un bébé mort, donc on peut
supposer que c’est une dame qui fait la lecture à une petite fille qui a une
poupée puis qui a de l’imagination… et qui s’imagine un bébé mort, j’en
sais rien. »
Le lien mère-enfant mobilise immédiatement des vœux de mort exprimés
crûment, difficilement contenus en fin de récit par la référence à
l’imaginaire.

Planche 19
« C’est un chalet dans la montagne. Il neige et ce chalet prend feu. Tout le
monde est affolé. Comme il neige, toutes les sorties de secours, toutes les
sorties sont bloquées. Donc il y a les gens qui vont s’asphyxier, brûler vifs
et mourir brûlés vifs. »
Cette planche qui invite à se représenter un contenant soutenu par un
clivage dedans-dehors, conduit à la projection de fantasmes destructeurs
massifs.
 Affects massifs
Planche 4
« Une frayeur, une frayeur et… il essaie… une frayeur qui retient son
attention, une frayeur (répète +++) et une femme qui essaie de le retenir.
Ah ! ouais… mais c’est beaucoup pour la photo. »
La répétition itérative de l’affect (« frayeur ») qui envahit le récit se
substitue aux représentations empêchant toute conflictualisation au sein
d’un récit.
 Expressions crues
Elles peuvent apparaître comme irruptions isolées dans un protocole où
domine le contrôle comme dans les registres de fonctionnement
obsessionnel ou être davantage présentes lorsque le discours peine à
contenir les émergences fantasmatiques et pulsionnelles.
Planche 6BM
« Alors là, c’est la mère et son fils… c’est son fils qui est venu rendre
visite à sa mère… (Sourit) … et sa mère est en train de lui parler de ses
obsèques… [Pose l’image] (?) La grand-mère est atteinte d’un cancer de
la jambe ! [Rit] Putain ! Raconte une histoire avec un bonhomme et une
vieille ! Y’a rien à raconter ! »
Les fantasmes de mort massivement mobilisés par le rapproché mère-fils
débordent les capacités de secondarisation, notamment dans des
irruptions langagières grossières.

Planche 8BM
« Après avoir fait torturer son salaud de père… Stéphane, épuisé…,
renoue sa cravate et part au travail. »
Le fantasme parricide qui émerge crûment entrave toute capacité de
liaison pulsionnelle et d’accès à l’ambivalence, révélant le rapport
désaffectivé à l’objet.
 Inadéquation affects/représentations
Ce procédé ne relève pas d’une mise en tension conflictuelle, mais d’une
dissonance, d’un défaut de concordance entre l’expression des
représentations et celle des affects.
Planche 6BM
« Là c’est une dame… vieille … et un monsieur… y a quelqu’un qui est
mort… elle, elle a les yeux au ciel et lui il rigole dans sa barbe. »
Le récit ne peut se conflictualiser autour de désirs contradictoires, la
dissonance entre l’affect (« il rigole ») et la représentation (« quelqu’un
est mort ») témoigne d’un débordement par le processus primaire.

Planche 3BM
« Là c’est une femme qui est dans sa cave, elle s’imagine qu’elle pense
qu’elle meurt, qu’elle ne va pas se réveiller, qu’elle va tuer quelqu’un.
Elle respecte sa volonté, elle croit en ce qu’elle fait, elle a chaud, elle est
heureuse. »
Dans ce récit marqué par l’importance de la déliaison, l’affect
(« heureuse ») est inadéquat à la représentation (« elle meurt, elle va tuer
quelqu’un »).

E3 : Désorganisation des repères identitaires


et objectaux
E3-1 : Confusion des identités – Télescopage des
rôles
A minima, il s’agit de l’utilisation de pronoms personnels ou d’articles qui
entraîne une confusion transitoire. Présent de façon répétée, ce procédé rend
compte de la perte des repères identitaires.
Planche 7GF
« Là il y a une liseuse et une petite fille qui doit être la fille de la dame qui
lit et qui tient un bébé dans ses bras. […] »
L’utilisation du pronom relatif (« qui ») entraîne une légère confusion
entre les personnages, suscitée par le conflit de rivalité mère/fille.

Planche 6BM
« On dirait des regards tristes. Soit une demande de mariage, soit un
homme, le prêtre en particulier, soit la nonne, qui vient annoncer que son
fils ou sa fille est mort. La sage-femme. »
Le rapproché mère-fils mobilise des fantasmes incestueux et de meurtre
entraînant une désorganisation des repères identitaires. L’usage de la
conjonction « soit » échoue dans sa fonction d’isolation conduisant à une
confusion des rôles et des personnages.

Planche 8BM
« C’est deux messieurs, médecins, avec une dame. Ils sont en train de la
soigner. (Fin ?) Ça finit comme ça. Avec un enfant qui est son mari à la
dame. »
L’intensité des fantasmes de meurtre sous-jacents, contre-investis par la
formation réactionnelle (« médecins », « soigner »), conduit à une perte
massive des repères identitaires.
E3-2 : Instabilité des objets
Cet item renvoie à l’instabilité de l’identité. Il s’agit d’un mécanisme par
lequel le sujet semble investir tous les objets sans s’attacher plus
spécifiquement à l’un ou à l’autre. De ce fait, les objets semblent
équivalents, interchangeables, comme s’il ne pouvait laisser de trace dans la
psyché : tout semble mis sur le même plan.
Planche 1
« C’est un petit garçon qui est en train de chercher une idée pour
composer un morceau sur le violon, quoi !… Il cherche, il a pas l’air
malheureux du tout, il a l’air pensif… je sais pas… j’ai pas autre chose…
C’est un Allemand, un Français, un Italien ou un Suisse… C’est un Suisse
Allemand, un petit Français d’Alsace-Lorraine, il va manger sa quiche
après… je l’appellerai Henri ou Théodore, quelque chose dans ce goût-là,
je sais pas. »
L’instabilité identitaire apparaît dans la multiplication des nationalités
attribuées au personnage sans qu’aucune ne fasse l’objet d’un
investissement spécifique.

Planche 13 B
« C’est un enfant, il a l’air de vivre dans un milieu plutôt pauvre, sans
personne. Il a l’air de vivre dans une HLM. Ça ressemble peut-être à une
cabine de plage, alors quand à ce qu’il pense, vu son visage, c’est dur à
dire. On peut supposer qu’il attend quelqu’un, père, mère, frère aîné ou
camarade ou la mer si c’est la mer […]. »
Cette énumération où tout est mis sur le même plan rend compte de
l’absence d’investissement d’objets privilégiés. Ce mécanisme révèle la
grande fragilité des objets, en écho à un manque total de fiabilité des
repères internes.
E3-3 : Désorganisation temporelle, spatiale ou de la
causalité logique
Il s’agit d’un procédé relativement rare qui, dès lors qu’il est massif,
s’inscrit dans un fonctionnement psychotique assez clair. Il doit être
différencié d’un moment de trouble tel qu’on peut le trouver dans d’autres
modalités de fonctionnement.
 Désorganisation temporelle, spatiale
Ce procédé relève d’une confusion des temps (présent, passé, futur) ou
entre les espaces et renvoie à la perte des repères internes.
Planche 8BM
« Donc c’est un jeune garçon… + dont le frère… + a été tué dans une
partie de chasse… + et… il ne veut pas que son frère… serve de cobaye à
la science… + Donc il voudrait recueillir les cendres de son frère pour les
jeter au vent à l’endroit même où il a été tué… comme s’il renaissait…
+ et en même temps il se voit lui-même chirurgien plus tard et il se dit
qu’il aurait pu sauver son frère s’il avait pu extraire la balle… ++ et le
personnage principal, il a un visage un peu efféminé, il a l’air assez âgé,
d’avoir une vingtaine d’années et en même temps un peu efféminé, c’est
la chevelure qui fait ça… il est un peu ambigu. »
La massivité des fantasmes réactivés à cette planche entraîne la perte des
repères temporels et la confusion des espaces, dans un contexte de perte
identitaire majeure.
Planche 8BM
« Ah ça ! Ça parle d’un, d’un de la médecine. C’est un bonhomme qui
essaie de sauver un soldat, touché par une balle parce qu’on voit un
pistolet. On voit un étudiant à la cravate. C’est peut-être le soldat qui est
soigné avant. [Fin ?] L’opération réussit. »
La confusion des repères temporels dans ce récit déstructuré rend compte
de la confusion identitaire entraînée par la massivité des vœux de mort.
 Désorganisation de la causalité logique
Ce procédé met au jour le défaut de cohérence des liens entre des pensées
ou des actions.
Planche 13MF
« Je sais pas ce qu’ils peuvent faire tout habillés. Je peux inventer une
histoire très bête, il est en train de mettre la montre à son oreille pour voir
si l’heure marche, si sa montre ne s’est pas arrêtée, parce qu’il faut qu’il
parte, parce que c’est une maîtresse là… voilà, il va rentrer chez lui
étudier, parce qu’il a ses bouquins qui sont là. »
La réactivation d’une fantasmatique sexuelle entraîne des efforts
d’esquive importants aboutissant notamment à des troubles de la
cohérence logique de la pensée (« parce que »).

Planche 9GF
« Mais où court-elle ? Qu’est-ce qu’elle fuit comme ça ? Qu’est-ce
qu’elles ont vu ? Elles ont peur ? La petite a peur, ça se voit sur son
visage. L’autre, je ne suis pas sûre, si, elle a l’air un peu inquiète. Est-ce
que c’est la pluie qui les fait fuir ? C’est un cahier qu’elles ont, elles
avaient commencé à travailler. Et bien, c’est un projet qui est à l’eau, il
faudra travailler ailleurs et fuir la forêt. C’est curieux comme elle enlace
l’arbre la grande. C’est vrai, finalement on va souvent vers un arbre. »
Tout le récit est rythmé par des interrogations tendant à circonscrire le
mouvement conflictuel en déplaçant la menace à l’extérieur de la
relation. La réflexion finale rend compte de la perte de la causalité
logique entre les pensées.
E3-4 : Perception d’objets détériorés ou de
personnages malades – Images de corps malformés
La projection met à mal le rapport au percept en déformant des objets ou
des personnages. Il s’agit donc d’une modalité de la fausse perception. Ce
procédé révèle, en général, l’existence sous-jacente d’une représentation de
soi atteinte dans ses fondements identitaires.
Planche 1
« Ça, c’est un enfant qui a une malformation des yeux, qui voudrait être
violoniste mais il ne peut pas lire les partitions, il est triste… et il va
décevoir son père, il est un peu découragé quoi… ++ Voilà. »
Le retentissement de l’angoisse de castration conduit à une atteinte de
l’identité du personnage dont l’intégrité corporelle est affectée. Cette
distorsion perceptive constitue un motif arbitraire en lien avec le vécu
d’incapacité à satisfaire les attentes de l’objet.

Planche 3BM
« C’est une femme qui s’allonge sur un drap. Elle est bossue.
Apparemment elle dort. C’est tout ce que j’ai à dire. »
La résonance aux sollicitations dépressives de la planche conduit à la
perception d’un personnage malformé, témoignant de l’atteinte de la
représentation de soi.

E4 : Altération du discours
E4-1 : Troubles de la syntaxe, craquées verbales
Ce procédé est coté pour toute perturbation dans la construction de la
phrase qui signe la défaillance des processus secondaires sous l’impact du
fantasme, tels que les lapsus par exemple. Cet item se rencontre donc dans
tous les types de protocoles et ne revêt pas nécessairement une signification
pathologique. En revanche, dans les fonctionnements psychotiques, les
néologismes ou autres bizarreries verbales soulignent la faillite de
l’adhésion au sens commun des mots et la présence de processus de pensée
désorganisés.
Planche 4
« Un mari qui semble attiré par un spectacle… ou une autre femme. Sa
femme cherche à la retenir. L’homme semble assez décidé. La femme se
fait suppliante. J’espère qu’il se laissera convaincre par sa femme et
rentrera dans la ligne la plus morale. »
La craquée verbale révèle ici le trouble identificatoire lié au conflit de
rivalité œdipienne éveillé par les sollicitations latentes.

Planche 3BM
« C’est une personne, euh buchée sur un lit par terre. C’est tout. (?) Elle
serait relevée… ou dormir sur un lit. [Regarde par la fenêtre.] »
Les troubles de la pensée s’expriment dans le discours, comme en
témoignent aussi bien l’utilisation du néologisme (« buchée ») que les
troubles de la syntaxe (« serait relevée ou dormir »).
E4-2 : Indétermination, flou du discours
Le discours est vague et perd de sa cohérence. Ce procédé peut apparaître
dans divers registres et ne constitue pas un indice diagnostique. Il renvoie à
une infiltration du cours de la pensée par le processus primaire.
Planche 7GF (registre névrotique)
« Je vois pas du tout. Une maman raconte… lit des histoires à sa petite
fille et ça la fait réfléchir aux difficultés que donnent les enfants à leurs
parents et les difficultés aussi… la surveillance que donnent des jeunes
bébés à des jeunes mamans… parce qu’elle tient sa poupée dans ses
bras… voilà. »
Les considérations générales sur les liens parents enfants conduisent à un
certain flou du discours, témoignant des difficultés à traiter le conflit dans
la relation mère/fille.

Planche 6BM (registre psychotique)


« Soit une demande de mariage, soit un homme, le prêtre en particulier,
soit la nonne, qui vient annoncer que son fils ou sa fille est mort. La sage-
femme. »
Le récit est marqué par un important flou du discours déjouant toute
logique associative comme en témoigne l’usage arbitraire de la
conjonction « soit ».
E4-3 : Associations courtes
Tout discours composé de deux ou plusieurs idées dépourvues de liens
logiques entre elles, comme s’il manquait des chaînons associatifs
explicites. Cet aspect confère au discours un caractère décousu. Ce procédé
peut être ponctuel ou peut envahir l’ensemble du récit.
Planche 5
« Donc là, ce serait inquiétude. Toujours inquiétude – interrogation
puisqu’on voit personne d’autre que la dame qui ouvre la porte. En plus,
les natures mortes créent un malaise toujours. On a l’impression qu’il y a
quelqu’un, mais comme on le voit pas… et les natures mortes… On a pris
le regard de la personne. Une recherche. Je peux moins imaginer que les
autres. »
Les associations courtes, présentes dans l’ensemble du récit, témoignent
de la déstructuration des liens entre les pensées alors que la confrontation
à l’image maternelle entraîne l’émergence de fantasmes de meurtres.

Planche 10
« Toujours un rôle à jouer dans la vie… comme mon père me disait le
chancelier de l’Échiquier… une femme elle a les mêmes oreilles que
moi… avec une autre femme… on n’arrive pas à distinguer… du
maquillage dans ses ongles c’est triste peut-être son fils il va partir en
voyage… On termine tous un jour dans un brancard, les gens craignent la
mort, on peut voir un psychiatre ou un psychologue… film sur la
Résistance française. »
Ce récit, entièrement construit en associations courtes, révèle la massivité
de la désorganisation identitaire et des processus de pensée.
E4-4 : Symbolisme hermétique
Il s’agit de considérations métaphysiques portant sur la vie, la mort, le
bien, le mal… Le symbolisme hermétique diffère du « symbolisme
transparent » (B3-2) dans la mesure où le discours du sujet n’est plus
partageable avec autrui. Il est susceptible de devenir délirant.
Planche 19
« Alors là c’est le fouillis, c’est un monde imaginaire qui n’existe pas du
tout, ça représente pas grand-chose et si j’étais un gosse de 8 ans je dirais
que c’est la maison du père Noël et quand je vois les deux trous ça me
rappelle Romulus et Remus parce que si les deux trous sont identiques il y
en a toujours un qui est plus fort que l’autre et Romulus a tué Rémus et
est devenu le premier roi de Rome… je trouve qu’il n’y a pas besoin de
deux cercles pour représenter la totalité de l’univers, un seul cercle suffit
à représenter la totalité de l’univers. »
Face à cette planche non figurative, les symbolisations peu partageables
témoignent de la perte des repères identitaires et de la confusion des
espaces.

Planche 16
« Donc… quelquefois c’est la peur du vide, la peur du blanc, la peur de
l’effacement… c’est pas une histoire, une juxtaposition de sensations…
c’est aussi l’amnésie, c’est tourner une nouvelle page, avoir le courage
d’effacer ce qu’on a pu vivre comme échec pour se reconstruire sur des
bases saines et blanches, immaculées quoi… ça symbolise le fait qu’il faut
pas se rattacher au passé… pas être nostalgique… c’est également la
feuille de papier, une forme géométrique, une forme de rectangle… Donc
c’est très rationnel… il y a pas de couleur… donc c’est un peu froid,
insensible… + ça représente aussi un piège qui serait recouvert par la
neige et qui serait pas décelable… comme un étang qui serait craquelé et
qui serait recouvert de neige. Et puis le blanc, c’est aussi la pureté, la
virginité… il y a pas beaucoup de folie quoi, ça manque de vie, c’est un
peu inanimé… »
Ce récit dominé par des symbolismes hermétiques témoigne de la
massivité des troubles de la pensée. L’hermétisme du discours reflète
l’envahissement de la pensée par une activité délirante venant lutter
contre l’activité de déliaison.

6. Synthèse
Après la cotation de chaque récit, il s’agit de remplir la feuille d’analyse
dans son intégralité, afin de déterminer les procédés du discours privilégiés
dans la construction des récits de l’ensemble du protocole. La synthèse doit
permettre de rendre compte de la diversité des agencements défensifs,
mobilisés pour traiter les conflits réactivés par le contenu latent des
planches, et des registres de problématiques prévalents. Elle conduira à
poser des hypothèses quant aux modalités de fonctionnement psychique du
sujet.
6.1 Procédés du discours et organisation
défensive
6.1.1 Regroupement des procédés du discours
Le regroupement des procédés du discours sur la feuille d’analyse
constitue un moment important et décisif dans l’interprétation d’un
protocole, il participe du dégagement de l’organisation défensive privilégiée
au sein du fonctionnement psychique. Il s’agit d’une démarche délicate en
ce sens qu’elle ne consiste pas en une simple évaluation quantitative qui
conduirait à « dresser un catalogue » des procédés présents ; elle exige de la
part du clinicien des connaissances approfondies en psychologie clinique et
en psychopathologie qui viendront, en s’articulant avec les résultats de
l’analyse, leur donner sens.
En pratique, le regroupement des procédés revient à les cocher sur la
feuille d’analyse en tenant compte de la fréquence de leur apparition et de
leur poids dans le processus associatif en fonction des opérations
psychiques qui les sous-tendent. Ces deux critères ne sont pas
nécessairement liés : en effet, certains procédés peuvent être peu fréquents
et marquer la présence de mécanismes défensifs particulièrement
significatifs, alors que d’autres procédés discursifs, bien que fréquents, sont
peu spécifiques. Cette méthode implique une démarche conjointe à la fois
qualitative et quantitative.
Les procédés du discours rencontrés dans le protocole sont représentés sur
la feuille sous la forme de croix : + (présents) ou ++ (fréquents) ou +++
(très fréquents).
On obtient une évaluation qui permet de repérer : le poids plus ou moins
important de certains procédés, les répartitions opérées au sein de chaque
série et dans les différentes séries, ainsi que leur articulation : prévalence
des procédés A ou B associés à E ou à C, ou encore prévalence de C
associés à E et à A ou B…, toutes les configurations sont possibles et
témoignent de la richesse et de la complexité psychique de chaque individu.
Par exemple :
• Au sein des procédés de la série A, certains, comme les précautions
verbales (A3-1), les descriptions (A1-1) sont susceptibles d’être
régulièrement retrouvés quelle que soit l’organisation psychique. D’autres
procédés (A1, A2-4 et A3-4) sous-tendus par la conflictualisation
intrapsychique rendent compte d’une distinction claire entre réalité interne
et réalité externe et mettent plus spécifiquement en évidence la dimension
interne du traitement du conflit pulsionnel. L’association de ces procédés
est susceptible de signer la nature névrotique du conflit s’ils rendent
compte de l’existence de mécanismes de défense spécifiques. Ceux-ci
traduiront l’écartèlement du sujet entre des positions contradictoires, la
lutte entre désirs et défenses et l’existence d’un conflit plus ou moins
important entre les instances psychiques.
• Les procédés de la série E n’auront pas le même poids selon qu’il s’agit de
procédés E4-1 « craquées verbales », présents dans tout récit, ou de
procédés E3-1 « confusion des identités-télescopage des rôles » et E2-2
« thèmes de persécution ». Ces derniers alerteront le clinicien quant au
recours à des mécanismes projectifs pour lutter contre le risque de
confusion entre dedans et dehors, entre moi et non-moi.
6.1.2 Procédés du discours et organisation défensive
Une fois les procédés du discours reportés sur la feuille d’analyse, le
psychologue va centrer son attention sur les particularités qualitatives de la
construction du discours, à savoir la nature, la diversité, la succession des
procédés du discours. Il est nécessaire de respecter la dialectique du
fonctionnement psychique en analysant les articulations singulières des
procédés apparaissant non seulement à chaque planche mais aussi dans
l’ensemble du protocole : quels sont les procédés mobilisés de façon
privilégiée ? Y a-t-il une surcharge de certains d’entre eux ? Le sont-ils de
façon répétée à toutes les planches ou à des planches spécifiques ?
Comment s’articulent-ils ? Y a-t-il répétition de séquences associatives ?
Permettent-ils de traiter le conflit, et de quelle manière ?
Cette analyse soutient la mise en évidence des mécanismes de défense et
des conduites psychiques qui les sous-tendent, ils seront ensuite interprétés
en termes de modalités de fonctionnement psychique et/ou
psychopathologique.
La forme et l’organisation des récits, leur fluidité et leur cohérence,
rendent compte de la dialectique des processus primaires et secondaires et
des principes de plaisir-déplaisir et de réalité. Elles relèvent de formations
de compromis entre les pressions fantasmatiques et les défenses, permettant
l’aménagement et l’expression des représentations et des affects suscités par
le matériel. Dans certains cas, les procédés assurent la liaison entre affects
et représentations. Dans d’autres cas, et parfois au sein d’un même
protocole, on assiste à des mouvements de déliaison, voire à des ruptures
drastiques dans le processus associatif.
Dans quelle mesure ces modalités favorisent-elles une circulation des
messages intrapsychiques ou constituent-elles un obstacle ? Quelle
dynamique sous-tend les possibilités de construction et les éventuelles
altérations du discours ? Quelle quantité d’affects ou quelle inhibition
entrave le travail de la pensée ?
Évaluer les modalités de l’organisation du discours au TAT consiste ainsi à
prendre en compte : le mode de construction des récits ; l’éventail des
procédés et leur articulation ; le lien et les écarts entre affects et
représentations ; la résonance fantasmatique aux contenus latents du
matériel ; le poids des mobilisations défensives et leur efficacité pour traiter
l’angoisse et les conflits. La nature des procédés mis en œuvre, leur valeur
économique et dynamique et surtout leurs constellations sont autant de
témoins des modalités du fonctionnement psychique individuel.

6.2 Problématiques : registres et traitement


des conflits
Les contenus latents des planches du TAT mobilisent des problématiques
différentes dont on analyse les modalités de traitement à travers le discours
adressé au clinicien. La présentation des planches dans l’ordre indiqué
implique aussi un déroulement temporel allant globalement du maniement
des situations les plus figuratives et les moins ambiguës aux moins
figuratives et au plus ambiguës. Cette progression est susceptible de
moduler l’éventuelle charge anxieuse et de laisser entrevoir différents
aménagements des conflits, notamment face à des sollicitations régressives.
En effet, les problématiques sont réactivées à la fois par les situations
spécifiques à chaque planche et par la dynamique qu’imprime leur
chronologie du début à la fin de la passation, dans le sens d’un travail de
liaison ou de déliaison des représentations et des affects.
On peut donc admettre que la mise en scène d’un conflit œdipien ou
l’émergence d’une relation destructrice, ne deviennent significatives de
difficultés à traiter ces problématiques que lorsque le récit se trouve lui-
même perturbé, voire désorganisé, par l’impact du fantasme et des défenses.
Si, au contraire, un tel matériau est pris dans le réseau d’une associativité
qui révèle la création d’une production originale où les fantasmes et la
réalité se conjuguent, nous pouvons considérer que le sujet est capable de
traiter ces problématiques, sans être désorganisé, ce qui traduit une
dynamique conflictuelle structurante. Le repérage des modalités
identificatoires (sexuelles, narcissiques, mélancoliques, projectives…) et
des modalités d’investissement de l’objet (à valence libidinale, agressive,
spéculaire, d’étayage, persécutive…) permet le dégagement des
problématiques prévalentes à la fois complexes et singulières du sujet
(œdipienne, dépressive, narcissique, identitaire…).

6.3 Hypothèses concernant le


fonctionnement psychique
Le dernier temps consiste à proposer des hypothèses sur le fonctionnement
psychique du sujet à partir d’une démarche d’ensemble, fondée sur la
rigueur de la méthode et des théories qui la sous-tendent. La formulation de
ces hypothèses s’appuie sur ce que Freud appelle la « bigarrure » de la
psyché humaine, et s’applique à dégager la diversité et la richesse du
fonctionnement psychique de chaque individu.
Différentes problématiques sont susceptibles d’être réactivées chez un
même sujet tout au long de la vie. Néanmoins, certaines angoisses et
registres de problématiques occupent une place particulière dans
l’économie psychique, et président à l’organisation défensive pour traiter
les conflits. C’est à partir de ces éléments que se construisent les hypothèses
psychopathologiques Rappelons-le, la démarche clinique et
psychopathologique dans laquelle s’inscrivent les épreuves projectives est
sous-tendue par un objectif qui prime sur tout autre, celui d’être au service
du sujet et d’être soucieux des possibilités de changement qui conduisent à
privilégier certains choix thérapeutiques.
6.4 Analyse et interprétation du protocole de
TAT de Michel, 24 ans1
6.4.1 Clinique de la passation
À l’instar du Rorschach, le protocole de TAT demeure empreint d’un
abord maîtrisé et précautionneux. Les temps de latence introductifs ou intra-
récits sont nombreux et souvent longs ; le déploiement des histoires est
parfois laborieux, remâché. Néanmoins, l’épaisseur symbolique et la
continuité associative d’une planche à l’autre sont repérables d’emblée. Le
souci de fins accomplies ou heureuses témoigne du désir plus ou moins
conscient de bien faire, ce qui imprègne les récits d’une dimension un peu
normative. L’expression affective est cependant bien plus possible ici
qu’elle ne l’a été au Rorschach ; cet indice de souplesse psychique se révèle
en soi, avant toute analyse approfondie, fort précieux.
6.4.2 Protocole de TAT de Michel
Planche 1
++ Hmm… Alors… + Moi, ce que je dirais, c’est un jeune garçon à qui…
à qui on demande ou qui a envie de jouer de la musique ou apprendre le
violon et il se rend compte que c’est dur ou ça lui plaît pas. Je sais pas…
Et donc, il est… il a l’air découragé et peut-être qu’il a essayé, il a
commencé à apprendre. Deux possibilités : soit ça lui plaît pas et dans ce
cas on le force à continuer, peut-être, je sais pas… et il est découragé, un
peu dépité car on attend de lui qu’il joue du violon, et lui, ça lui plaît pas,
ça le rebute. Il le regarde posé et il sait pas s’il doit en jouer ou dire que ça
lui plaît pas… + [Fin ?] Il s’accroche, il essaie de continuer à jouer,
d’apprendre. Il est encouragé par le fait qu’on attend qu’il réussisse. Après
de longues années (rit), il arrive à jouer un joli morceau et il se rend
compte qu’il peut y arriver et il continue… Peut-être qu’il deviendra un
grand violoniste ou tout au moins qu’il prendra plaisir à en jouer par la
suite…

Planche 2
+ Alors là, je vois une famille d’agriculteurs : le père qui travaille aux
champs, sa femme qui l’aide et… et ils ont une fille… une fille dont ils
espèrent peut-être qu’elle aide aux champs, qu’elle travaille avec eux.
Mais en fait, elle préfère… elle a des livres à la main, elle préfère étudier,
elle préfère faire un travail plus intellectuel, plus cultivé que travailler aux
champs avec eux. Alors si… Alors les parents sont un peu déçus au début,
mais comme c’est la voie qu’elle a choisie, la fille progresse en ce sens et
elle devient une institutrice ou professeur de collège ou même
d’université, et ses parents sont fiers d’elle.

Planche 3BM
+ Bon alors là… Quelqu’un qu’est… apparemment déprimé… effondré…
Mmhh… + Soit par la perte d’un être cher à qui il tient beaucoup, il ou
elle, un être cher qui est parti ou décédé, qui l’a abandonné, comme il y
tenait beaucoup, comme elle reposait tous ses espoirs sur cette personne,
elle est déprimée, maintenant qu’elle ne l’a plus. Mais quand elle aura
pleuré toutes ses larmes et le gros du chagrin passé, bah, elle reprendra le
dessus, se fera une raison, qu’elle, au moins, est vivante et a sa vie à faire.
Puis elle reprendra espoir, retrouvera d’autres centres d’intérêt, sans
oublier complètement le passé, sans se laisser dépasser par lui, sans se
laisser engloutir.

Planche 4
[Prend la planche en mains puis la repose.] ++ Un couple. La femme a
l’air de tenir beaucoup à l’homme, elle attend quelque chose de lui, qu’il
l’aime, qu’il l’enlace ou que tout simplement il reste avec elle. Mais lui, il
semble s’en désintéresser. Il a le regard porté sur autre chose. Il semble
attiré par autre chose alors qu’elle semble vouloir détourner son attention,
retourner son attention sur elle. Mais lui, il reste concentré sur ce qui
l’attire, un pôle d’attraction, un centre d’intérêt qui n’est pas elle… et il va
y aller et la laisser sans qu’elle puisse le retenir.

Planche 5
++ On dirait une mère qui… qui regarde dans la chambre de… on
pourrait dire dans la chambre de son fils et qui euh… qui s’attend à le
trouver endormi et qui, en fait, se rend compte qu’il a découché, qu’il
n’est pas là… alors elle reste surprise… + et puis elle comprend pas mais
son fils revient… revient la voir le lendemain pour lui expliquer où il
était, la rassurer.

Planche 6BM
+ Là je verrais quelqu’un qui vient… un ami du fils de la femme qui vient
lui apprendre que quelque chose est arrivé à son fils, qu’il est… qu’il a eu
un accident… et il vient la chercher pour aller à son chevet parce qu’il la
demande… et elle va le voir et il… en fait c’était un accident grave mais
il s’en remettra. C’était une grosse frayeur… et puis c’est tout.

Planche 7BM
+ Alors là on dirait un fils, quelqu’un qui parle à son père, qui parle de
quelque chose qui l’a déçu ou chagriné et annonce que ça va pas… que ça
va pas avec sa femme… qu’il s’entend pas… enfin que sa relation, que la
relation ne va pas bien entre eux… que ça va pas dans son travail non
plus, qu’il se sent pas bien, qu’il se sent pas bien dans sa peau et il en
parle à son père, qui l’écoute patiemment, qui essaie de le conseiller, de
lui redonner espoir, de lui redonner confiance. Ce qu’il arrive à faire
puisque son fils repart avec la volonté de… d’améliorer la relation avec sa
femme, de se donner dans son travail pour qu’il se sente mieux et plus à
l’aise dans ce qu’il fait.

Planche 8BM
[Fait la moue, regarde la planche, semble déconcerté.] +++ Je dirais
quelqu’un qui, un enfant, un adolescent dont le père est chirurgien ou
médecin et il… il a envie de voir comment il travaille parce qu’il s’y
intéresse, par rapport à ce que son père lui en a dit, ce que c’est
exactement. Il accompagne son père, lequel doit effectuer une opération,
mais en voyant ce que son père va faire ou doit faire, il préfère tourner le
dos et ne pas regarder parce qu’il pense qu’il ne pourra pas supporter la
vue de l’opération. Et après l’opération, il retrouve son père, l’opération à
laquelle il n’a pas assisté donc, et il lui dit qu’il pourra jamais faire ça,
qu’il sera pas chirurgien, qu’il pourra pas faire ce genre d’opération.
Voilà.

Planche 10
++ Je vois un… un mari qui récomp… qui réconforte sa femme parce
que… + parce qu’elle n’a pas de travail et que… qu’elle sait pas si elle en
trouvera un… qu’elle sait pas si… elle pourra un jour travailler elle aussi
et gagner de l’argent elle aussi, parce qu’elle perd confiance en elle à
chercher du travail et à ne pas en trouver un. Et lui, il la réconforte, il
essaie de lui redonner espoir, il met en avant ses qualités, ses capacités
pour lui… pour lui faire comprendre qu’elle peut… qu’elle peut y arriver,
trouver un travail et faire quelque chose… et ça la rassure et elle reprend
confiance en elle.

Planche 11
[Prend la planche en mains, la regarde attentivement.] ++ Alors là, je vois
un dragon qui empêche des soldats… des… de traverser un pont… qui les
agresse et eux, ils se protègent derrière le bouclier, derrière leur bouclier.
Et comme ils sont suffisamment nombreux et qu’ils ont suffisamment de
boucliers pour se cacher derrière, ils arrivent à progresser sans être
touchés par les flammes du dragon, car il ne peut que lancer des flammes,
et à traverser, hors d’atteinte.

Planche 12BG
[Prend la planche, la regarde attentivement.] Là un coin, un coin
tranquille, champêtre, un arbre en fleurs, un plan d’eau près duquel va
venir un jeune couple. Alors ils vont se sentir en sécurité, suffisamment
bien, au sein de la nature, pour se déclarer leur amour… et plus tard, ils se
marient et ils reviennent régulièrement à cet endroit-là pour se souvenir de
leur première déclaration.
Planche 13B
Un petit garçon qui vit encore chez ses parents, qui ose à peine sortir de la
maison, qui reste sur le pas de la porte. Il… ouais… il reste sur le pas de
la porte pour regarder le monde, regarder les gens tout en restant chez lui,
car sur le pas de la porte, il peut toujours rentrer. Pourtant, il regarde le
monde avec envie, envie de s’aventurer, de découvrir les choses… et
euh… plus tard, enfin, à force, quand il sera plus grand, il trouvera le
courage d’aller autour de la maison, puis plus loin. Quand il sera, quand il
se sera fait au monde, quand il se sentira aussi bien chez lui que dans le
monde, il reviendra chez lui, passer de temps en temps dans la maison de
son enfance.

Planche 13MF
Quelqu’un qui… qui rentre… qui rentre chez lui et qui trouve sa femme,
sa femme morte à la suite d’une maladie… ouais… + et il est triste,
dégoûté parce qu’il a rien pu faire pour la sauver. + Il va être déstabilisé
pendant quelque temps et il va surmonter son chagrin et il va continuer à
vivre, parce qu’il est toujours vivant.

Planche 19
[Prend la planche, puis la repose.] C’est une maison recouverte de neige,
une maison euh… chaude, enfin chauffée, chaleureuse, avec un petit
garçon qui regarde par la fenêtre, qui attend le Père Noël, qui espère le
voir, puis il s’endort et quand il se réveille, le Père Noël est déjà passé et
euh… il est un peu déçu et il se dit que l’année suivante, il le ratera pas.

Planche 16
[Rit, regarde la planche en souriant.] C’est un bateau qui navigue dans la
brume. Aucune visibilité. Il peut que se diriger à la boussole et d’après la
dernière position qu’il connaissait. Il espère sortir de la brume. Il navigue
ainsi pendant des heures, quelques jours. Son équipage commence à
désespérer de jamais sortir de là, pense être complètement perdu. Sauf le
capitaine qui, lui, dirige le bateau dans la brume, en fonction de ses
calculs et de sa boussole et qui, malgré tout, reste confiant. Et il finit par
sortir de la brume sans avoir percuté la moindre terre, sans avoir fait
naufrage. Voilà.
6.4.3 Procédés du discours et organisation défensive
Le protocole de TAT de Michel confirme l’importance de l’inhibition. Les
temps de latence nombreux, parfois très longs, et les hésitations témoignent
du poids du contrôle au risque du remâchage, si bien que d’autres défenses
(dénégation, isolation, formation réactionnelle) sont peu utilisées. Peu
précis, les motifs des conflits et les identifications sexuelles confirment
l’action puissante du refoulement. La lisibilité des histoires demeure
effective et la conflictualité traduite par les tourments internes des
personnages permet de saisir l’acuité de l’opposition désir/défense. La
spontanéité associative se déploie mieux aux planches peu figuratives où
l’absence de personnages permet paradoxalement leur représentation sur la
scène psychique de façon souple et soutenue au plan de l’expression de
motions pulsionnelles libidinales et agressives.
La présence consistante des procédés labiles est une heureuse surprise :
investissement dramatisé et conflictuel des objets d’amour et de rivalité,
accent porté sur les relations interpersonnelles, symbolismes transparents,
contraste entre représentations, introduction de personnages ne figurant pas
sur l’image. Les affects associés sont mesurés parfois forts et concernent les
registres de l’amour, de la tristesse, de l’angoisse, plus discrètement de
l’agressivité.
L’enjeu narcissique lié au conflit avec le rival et à la conquête de l’objet
d’amour est très présent ; la fonction d’étayage de l’objet atténue la valence
libidinale des relations, elle justifie le rapproché avec l’objet d’amour et
permet le rapproché avec l’objet rival, également objet d’amour (œdipe
inversé).
Les manifestations hors récit sont peu fréquentes et accompagnent plus le
récit qu’elles ne l’entravent : rires congruents avec la thématique ou la
facture de la planche, prise en mains des planches peu figuratives qui
suscitent moins d’inhibition.
Rares également sont les émergences du processus primaire : scotome
d’un personnage dont la présence sur la scène du conflit psychique est
évidente, expression massive concernant l’appréhension de l’impuissance
face au risque de débordement dépressif lié à la perte de l’objet d’amour,
léger trouble discursif lié à l’interdit de la satisfaction du désir et à la
représentation d’incapacité.
Ce protocole de TAT permet ainsi de repérer combien Michel utilise les
éléments majeurs du contenu manifeste au sein de scénarios amplement
inscrits dans les références communes de la réalité externe tout en ayant une
indéniable résonance fantasmatique au contenu latent des planches.
Processus primaire à bas bruit et processus secondaire entrecroisent là les
fils de leurs dynamiques en laissant s’exprimer une vitalité psychique et
transparaître des potentialités affectives. Les défenses mobilisées sont de
facture névrotique ; elles sont rigides et inhibées, mais assouplies par les
défenses labiles, et les émergences projectives qui sont très bien contenues.
6.4.4 Problématiques : registres et traitement des
conflits
Ce protocole confirme la valeur organisatrice et compliquée de la
dynamique identificatoire pour Michel qui déploie de façon contrastée,
assumée ou défendue, des représentations de relations conflictuelles,
nourries de modalités franchement libidinales et plus difficilement
agressives. La revendication pulsionnelle et la lutte contre sa satisfaction
mobilisent des représentations de conquête et de renoncement, de positions
actives et passives, qui peuvent engager des vacillements identificatoires
afin de contenir les représentations du désir, de la castration, de
l’empêchement et de l’impuissance qui mobilisent pour beaucoup les
figures maternelle (tantôt active, tantôt passive) et paternelle (toujours
nantie, parfois évitée).
Les échos narcissiques douloureux de ces expériences ne sont pas toujours
suffisamment bien endigués : le sentiment d’incapacité, d’impuissance, si
ce n’est d’échec, est souvent associé à l’expression des fantasmes œdipiens,
et ce, bien plus fréquemment que des représentations à valence positive. Et
c’est souvent à la faveur de l’émergence de telles représentations que sont
exprimés des affects dépressifs dont on peut saisir l’appréhension anxieuse
prenant racine dans l’intrication forte de la sexualité et de la mort et la
difficulté de renoncer.
La confrontation à des exigences surmoïques est douloureuse et entrave le
déploiement des fantasmes agressifs, privilégiant le retournement sur soi
par la mise en avant récurrente de représentations d’incapacité, ainsi que
des fantasmes incestueux. Le repli sur des positions régressives d’étayage
en position active ou passive témoigne des renoncements inachevés tant aux
objets œdipiens, car même sous couvert d’être davantage en situation de
besoin que de désir, de fragilité ou d’impotence que de puissance, les
rapprochés tendres avec les figures parentales n’en demeurent pas moins
investis et attendus.
La problématique œdipienne prévalente est donc confirmée. L’angoisse de
castration est centrale, souvent aiguë et liée à des affects dépressifs et de
dévalorisation narcissique.
6.4.5 Synthèse Rorschach et TAT
Le Rorschach et le TAT permettent des dégagements respectifs très
congruents et complémentaires. Le TAT a permis à Michel de déployer des
potentialités (représentations de relations, affects) que l’on pressentait bien
plus inhibées qu’inexistantes. Les deux épreuves confirment l’organisation
névrotique de son fonctionnement psychique, conflictuelle, douloureuse,
marquée par l’ambivalence, par des représentations et des affects de désir,
d’impuissance, de passivité risquée, de soumission contrainte. Cette tension
interne n’est pas négligeable tant Michel est tiraillé, écartelé entre des désirs
contradictoires, des représentations et des affects par lesquels il craint d’être
débordé et que ses mécanismes de défense tentent de contenir. À la crainte
de mal faire s’associe en fait l’angoisse de faire mal, ce qui mobilise une
inhibition d’allure phobique. Néanmoins, Michel montre une continuité,
une plasticité et une mobilité psychiques évidentes, témoignant de capacités
associatives tout à fait remarquables et favorables à un engagement
psychothérapique.
Partie 4
Perspectives cliniques
et psychopathologiques
Chapitre 15
Perspectives
psychopathologiques :
évaluation du fonctionnement
psychique, diagnostic,
pronostic

Sommaire
1. La dialectique du normal et du pathologique
2. La psychopathologie psychanalytique
3. L’angoisse et les mécanismes de défenses au
Rorschach et au TAT

1. La dialectique du normal et du
pathologique
Parmi les idées introduites par Freud et génératrices de scandale –
l’existence de l’inconscient, la place et la fonction essentielles de la
sexualité dans le développement et l’histoire du sujet – celle qui affirme la
continuité entre le « normal » et le pathologique continue de susciter des
résistances majeures. Le point de vue freudien soutient, en effet, que se
retrouvent chez les sujets souffrant de troubles psychiques et notamment de
psychonévroses, des formations psychiques certes plus aiguës, plus
caricaturales, plus massives, mais auxquelles s’apparentent nombre de
conduites mentales « normatives ». La psychopathologie offrirait en
quelque sorte un grossissement des traits psychiques qui permettrait d’en
étudier la genèse, la structure et le fonctionnement dans la clinique du
« normal ».
Il est difficile de penser aujourd’hui que les sujets « normaux » n’ont pas
d’inconscient ou que leur fonctionnement psychique ne pourrait s’analyser
en référence au modèle de l’appareil psychique tel qu’il a été élaboré par
Freud. Il serait impensable, par ailleurs, d’appréhender les conduites
psychiques « normatives » comme un ensemble isolé, spécifique, étanche,
fonctionnant au mieux de ses possibilités sans périodes sensibles, sans
points fragiles, dans une permanence et une uniformité jamais démenties.
Toute histoire de vie comporte des passages difficiles, la confrontation
inéluctable à des pertes et à des déceptions, bref à des expériences parfois
pénibles, parfois douloureuses qui laissent leurs traces, même si le sujet est
tout à fait capable de les surmonter. On est donc loin de certaines
conceptions qui clivent absolument le « normal » et le pathologique, en
reléguant ce dernier dans le domaine de la folie et de l’aliénation. Cela ne
signifie pas pour autant un nivellement de tous les troubles et de toutes les
maladies psychiques : certaines pathologies sont plus graves et plus
invalidantes que d’autres ; la souffrance psychique qu’elles déclenchent doit
être prise en compte ainsi que les moyens dont dispose le sujet pour tenter
de s’en dégager, notamment dans un processus de soins plus ou moins
lourd. C’est dans cette perspective que peut se saisir, comme nous l’avons
déjà souligné, l’intérêt du bilan psychologique.
En permettant l’étude de ce qui va mal mais aussi de ce qui pourrait aller
bien chez chaque individu, la rencontre projective s’engage au-delà de
l’analyse sémiologique : elle cherche à analyser le fonctionnement
psychique sous-jacent en déterminant ses aspects positifs et ses aspects plus
inquiétants ou plus précaires et fragiles. À cet égard, les données projectives
mettent clairement en évidence l’existence de productions ambiguës voire
pathologiques chez des sujets qui, par ailleurs, ne présentent aucune
symptomatologie préoccupante : la différence par rapport aux protocoles
pathologiques relève du caractère infiniment moins massif de ces
manifestations, de leur réversibilité et de l’existence conjointe de modalités
de fonctionnement appartenant à d’autres registres plus opérants, plus
riches, plus souples et donc plus dégageants. Il faut notamment rappeler
l’importance des mouvements régressifs dans les perspectives
psychodynamiques : le « retour en arrière », le recours à des conduites
psychiques dites « archaïques », parce que davantage caractéristiques de
l’enfance ou de la petite enfance, ne préjugent nullement de la dimension
pathologique de tel ou tel sujet. Chacun d’entre nous « régresse » chaque
nuit dans le sommeil, et cette régression, possible parce que la vigilance est
mise en veilleuse, est bénéfique aussi bien pour notre santé physique que
psychique. Il faut donc prendre garde, dans la clinique et plus
particulièrement dans la clinique projective, à ne pas se laisser abuser par
des équivalences trop massivement établies entre la régression et la
morbidité.
Les jeunes psychologues se laissent parfois prendre par ces repères
trompeurs : ils devraient revenir alors à la démarche épistémologique de
Freud, notamment dans les Trois Essais sur la théorie de la sexualité
(1905b). La première partie montre les dérives des déviations sexuelles
dans les perversions (une pathologie clairement analysée), mais aussi la
possibilité d’en retrouver des formes analogues dans la fantasmatique des
névrosés (autre pathologie tout aussi clairement étudiée). La deuxième
partie, consacrée à la sexualité infantile, dégage l’ancrage de ces conduites
et de ces fantasmes dans le développement de l’individu. Et la troisième
partie, qui traite des transformations de la puberté et de l’accès à la
sexualité génitale, suit le devenir de ces formations premières et leur
intégration effective à l’entrée dans l’âge adulte. Les références
« régressives » aux stades du développement libidinal, aux pulsions
partielles, constituent la matière première et toujours présente, le ciment en
quelque sorte de la dynamique du fonctionnement psychique, de sa fragilité
parfois, de sa richesse souvent.

2. La psychopathologie psychanalytique
Contrairement à une idée relativement répandue, les psychanalystes, à
l’instar de Freud, ont toujours gardé le souci d’une nosologie permettant
d’établir des classifications des troubles psychiques. D. Widlöcher (1984)
rappelle, en effet, que la démarche de Freud n’est pas seulement descriptive.
Dès 1880, c’est la découverte de Charcot à propos de l’hystérie qui
révolutionne la conception des névroses, considérées désormais comme un
ensemble de troubles déterminés par des altérations de l’activité psychique
que l’exploration de l’inconscient permet de saisir.
La nouvelle classification va s’articuler autour du rapport entre la prise de
conscience de la représentation refoulée et la levée du symptôme. Freud se
sert du critère d’analysabilité pour établir son système nosologique : il
oppose aux psychonévroses, les troubles mentaux qui ne sont pas
favorablement traités par la psychanalyse. Il distingue ainsi les
psychonévroses (hystérie, névrose obsessionnelle, phobies) dont le conflit
prévalent est déterminé par l’histoire infantile du sujet, et les névroses
actuelles (névrose d’angoisse, neurasthénie, hypocondrie) dont la cause est
cherchée dans les perturbations présentes du sujet. Par ailleurs, il oppose les
névroses de transfert aux névroses narcissiques et aux psychoses qui ne
peuvent nouer un transfert dans la mesure où les pulsions libidinales sont
trop focalisées sur le moi — point de vue nuancé, voire remis en cause, par
la psychanalyse actuelle.
Cette approche, selon D. Widlöcher, devrait laisser de côté les références
psychiatriques pour utiliser au mieux les apports spécifiques de la situation
thérapeutique et des paramètres qu’elle mobilise. Le psychanalyste, en effet,
même s’il pense en termes psychopathologiques hors de la cure, exploite
une sémiologie originale, directement fournie par le travail analytique et
notamment par le processus associatif et le transfert. Il se réfère également à
la métapsychologie psychanalytique et à ses concepts fondamentaux :
opposition entre contenu manifeste et contenu latent, processus primaire et
processus secondaire, régression, conflits, mécanismes de défense, pulsions.
Cette sémiologie psychanalytique ne renvoie pas à une classification des
maladies mais à une classification qui se réfère aux trois points de vue
classiques (dynamique, topique, économique) de la métapsychologie
freudienne.
Le point de vue dynamique envisage les phénomènes psychiques comme
résultant du conflit et de la composition de forces d’origine pulsionnelle
exerçant une certaine poussée. Les épreuves projectives apportent des
éléments sur les conflits qui s’expriment entre les instances et entre les
systèmes ainsi que sur les fantasmes et d’une façon générale sur la
circulation intra-psychique et les formes de liaisons et de déliaisons qui
s’élaborent.
Selon le point de vue économique les processus psychiques consistent en
la circulation et la répartition d’une énergie quantifiable, d’origine
pulsionnelle, c’est-à-dire susceptible d’augmentation, de diminution,
d’équivalence. Les épreuves projectives révèlent les forces et les faiblesses
du moi aux prises avec les pulsions et avec les représentations psychiques
issues de ces pulsions, ils renseignent sur la capacité du moi à tolérer
l’angoisse et les affects de déplaisir, en mettant l’accent sur la forme et
l’intensité de ces derniers ainsi que sur le poids des mécanismes de défense
mis en jeu.
Le point de vue topique suppose une différenciation de l’appareil
psychique en un certain nombre de systèmes ou d’instances doués de
caractères et de fonctions différentes et situés les uns par rapport aux autres,
ce qui permet de les considérer métaphoriquement comme des lieux
psychiques dont on peut donner une représentation figurée spatialement.
Les épreuves projectives révèlent les mouvements progrédients et
régrédients du fonctionnement psychique du sujet, c’est-à-dire ses
positionnements au sein de l’appareil psychique, en termes de première
topique Ics/Pcs-Cs et/ou en termes de seconde topique : ça-moi-surmoi.
Ainsi, la sémiologie psychanalytique est toujours susceptible d’être
utilisée quelle que soit l’organisation psychopathologique du sujet. On peut
toujours parler en termes de contenu manifeste et latent, de processus
associatifs ou de mécanismes de défense, et en référence aux trois de points
vue évoqués ci-dessus : le travail d’approfondissement consiste alors à
étudier la qualité singulière que prennent ces opérations mentales chez
chaque sujet.
Le psychanalyste dénonce l’établissement trop rapide d’un diagnostic à
partir de quelques signes flagrants : les repères n’impliquent pas ipso facto
l’existence d’une série qui leur serait inéluctablement associée. La rupture
et la discontinuité, la coexistence parfois hétéroclite de signes divers
doivent être analysées dans leur hétérogénéité, même si elles ne
correspondent pas absolument aux cadres nosologiques préconstitués. Le
psychologue projectiviste travaille avec un système analogue. Il s’attache à
une sémiologie singulière, dont il connaît les significations générales et
particulières, avec le souci d’en dégager, pour chaque individu et pour
chaque groupe, les liaisons et les incohérences, l’homogénéité ou la
discordance.
3. L’angoisse et les mécanismes de
défenses au Rorschach et au TAT
3.1 L’angoisse de castration
L’angoisse de castration est associée au fantasme correspondant qui
constitue, dans les théories sexuelles infantiles, une tentative de réponse à
l’énigme posée à l’enfant par la différence anatomique des sexes ; cette
différence, constituée par la présence ou l’absence de pénis, est attribuée à
un retranchement ou à une perte du pénis chez la fille.
Certains auteurs se sont efforcés de généraliser cette notion en situant
l’angoisse de castration dans une série d’expériences traumatisantes où,
chaque fois, intervient également une perte ou une séparation d’avec un
objet. Cependant, l’angoisse de castration, selon Freud, devrait être réservée
aux excitations et aux effets qui sont en relation avec l’absence ou la perte
du pénis.
On peut donc conserver cette acception freudienne, en notant sa fonction
structurante dans la sexualité chez les deux sexes, même si le complexe de
castration n’obéit pas au même ordre chronologique chez les garçons et
chez les filles par rapport au complexe d’Œdipe : il ouvre pour la fille la
recherche qui la conduit, à partir de sa déception narcissique, à désirer le
pénis paternel, et il constitue donc le moment d’entrée dans l’œdipe ; chez
le garçon au contraire, il constitue la période terminale de l’œdipe, puisqu’il
interdit au fils l’objet maternel incestueux : l’angoisse de castration engage
pour lui la période de latence et précipite la formation du surmoi.
Classiquement considérée comme fondement des organisations
névrotiques, l’angoisse de castration trouve cependant des traductions bien
différentes selon le type de problématique et selon la qualité des défenses.
Dans les protocoles labiles, les affects d’une façon générale, et en
particulier les affects d’angoisse, sont massivement utilisés pour lutter
contre l’émergence des représentations. Les affects sont exprimés très
fortement au niveau de la verbalisation et ne sont que rarement d’emblée
associés aux représentations. Ici l’angoisse est utilisée comme système
d’alarme pour se protéger d’une représentation désagréable, refoulée.
Dans les protocoles rigides, au contraire, les manifestations d’affects sont
données a minima. L’angoisse est donc perceptible dans le renforcement
des défenses, au Rorschach dans les modes d’appréhension où l’on trouve
une augmentation des G (souci de maîtrise) ou une multiplication des
découpes que dans le souci constant de coller à la réalité du stimulus
(réponse F), au TAT dans la mise en œuvre de tous les procédés de la série
A. Dans la majorité des cas, les représentations apparaissent tout de même
alors que les affects, eux, sont peu présents, et cela en fonction de
mécanismes d’isolation patents.
Dans les protocoles inhibés, on retrouve la restriction du champ perceptif
et la tendance à s’en tenir au concret, mais les affects peuvent apparaître de
façon massive, brutale, en particulier sous la forme du blocage et de la
sidération. La focalisation des images particulièrement investies et
porteuses d’angoisse est repérable par exemple aux planches noires et
rouges au Rorschach et aux planches 8BM, 11, 13MF ou encore 19, au TAT.
Cependant, le repérage de l’angoisse ne s’établit pas seulement au niveau
du décryptage des défenses. Le type de conflit, le niveau des préoccupations
dominantes du sujet constituent l’élément essentiel et se repèrent d’une part
dans la spécificité des réactions aux planches compte tenu de la symbolique
qui les sous-tend, d’autre part en correspondance avec ces planches, dans le
contenu des réponses et des récits. Par exemple, si l’on se situe au niveau de
la perte d’avoir, c’est-à-dire au niveau d’une problématique d’identification
sexuelle, l’angoisse se manifeste éventuellement face aux planches
réactivant la menace de castration, chez les hystériques, posant clairement
la question de l’identification sexuelle. Dans les protocoles de type
obsessionnel, cette problématique se retrouvera posée à travers les
difficultés du maniement de l’agressivité, l’identification active, masculine,
supposant alors l’impossible acceptation de l’agressivité et entraînant
angoisse et défense aux planches qui réactivent les pulsions agressives.
Dans ces cas, la problématique d’identification n’exclut absolument pas des
manifestations d’angoisse associées à des éléments de registre plus
archaïque, et en particulier ceux relatifs aux premières relations objectales.
On peut comprendre ainsi l’apparition d’angoisse par exemple aux
planches VII et IX au Rorschach et 11 et 19 au TAT. Celle-ci est liée au
sentiment de peur qui entrave l’émergence de fantasmes prégénitaux.
Mais en revanche, ne se pose pas, à propos de ces modes relationnels
primitifs, le problème de l’identité du sujet dans la mesure où celui-ci existe
en tant que sujet, entier et bien différencié par rapport à l’objet. On se
maintient ici dans le registre de la perte d’objet proprement dite, qui
suppose une nette différenciation entre l’intérieur et l’extérieur et
l’élaboration de la position dépressive.

3.2 L’angoisse de perte d’objet


Tout sujet est confronté, au cours de son développement et de sa vie, aux
problématiques liées à l’absence ou à la perte d’objet, et donc à la question
de la permanence des représentations de ces objets à l’intérieur de la
psyché.
La reconnaissance de la perte ne s’élabore pas dans les mêmes modalités
selon les sujets : elle marquera ses aléas dans une dynamique chaque fois
originale mais qui rendra compte, d’une part, de la mise en place plus ou
moins solide, précaire ou inexistante des limites entre dedans et dehors,
entre sujet et objet ; d’autre part, de l’investissement des relations entre le
dedans et le dehors, entre sujet et objet.
Les indices les plus classiques de la dépression : inhibition, inertie
psychique, sensibilité spécifique au noir et au blanc, tonalité dysphorique
des contenus de référence, ne constituent pas les seuls critères significatifs.
L’ensemble du fonctionnement psychique à travers l’analyse du processus
associatif, des problématiques et des stratégies dépressives doit être pris en
compte si l’on veut véritablement saisir les procédures établies pour
permettre ou éviter la confrontation à la perte d’objet. On peut définir, dans
une visée opérationnelle, la traduction de l’élaboration de la perte d’objet
dans la capacité montrée au Rorschach et au TAT à associer et à lier un
affect de souffrance à une ou à des représentations de perte.
Les états ou les moments dépressifs viennent toujours montrer la difficulté
– transitoire ou plus essentielle – à réaliser ou à réactualiser ce travail
psychique. Il importe alors de se saisir des marques spécifiques de
désinvestissement – cette caractéristique majeure de la dépression – selon
qu’il porte sur le sujet ou sur l’objet, sur les processus de pensée et l’activité
de représentation, ou sur les affects et la sensorialité.

3.3 L’angoisse d’anéantissement


Quand on aborde, au contraire, le registre de la perte d’être, de la perte
d’identité, les choses se manifestent de façon très différente. On assiste
d’abord à une désorganisation générale laissant le terrain à l’émergence de
processus primaires dominants. La notion de quantité d’affects mobilisés est
alors majeure dans la mesure où le tout ou rien domine : affects massifs,
débordants, envahissants ou au contraire absence totale d’affects. Quant aux
contenus, ils renvoient essentiellement à la notion d’intégrité corporelle
qu’ils portent ou non sur des images humaines au Rorschach ou qu’ils
témoignent de la désorganisation identitaire au TAT. L’angoisse de
morcellement vient se substituer à l’angoisse de castration, au Rorschach,
dans des contenus fragmentaires, coupés, sans réelle possibilité de synthèse
des éléments perçus, au TAT, par la discontinuité de l’investissement des
représentations et la désagrégation du discours.
La réactivité spécifique aux planches, du Rorschach comme du TAT, peut,
à l’extrême, disparaître pour laisser place à la compulsion de répétition :
ainsi le même type de réponse est donné à toutes les planches, témoignant à
la fois de l’indifférenciation dedans/dehors et de l’envahissement univoque
des préoccupations concernant l’identité. On peut dire d’une autre façon
que la projection l’emporte massivement sur la perception, les mécanismes
d’adaptation à la réalité étant mis en défaut.
Cependant, au-delà d’une première approche, l’analyse plus approfondie
des protocoles de Rorschach et de TAT permet de mettre en évidence la
coexistence de registres d’angoisse différents chez le même sujet. Cette
assertion qui s’impose cliniquement est parfois plus difficilement admise
lorsqu’il s’agit de procéder à un diagnostic psychopathologique. Or, et
surtout dans les contextes de crise ou de souffrance psychique aiguë qui
motivent une consultation et conduisent à un examen psychologique, nous
sommes très fréquemment confrontés à ces modalités plurielles
d’expressions et de traitement de l’angoisse : un névrosé, hystérique ou
obsessionnel, n’est pas épargné par l’angoisse dépressive ; un
fonctionnement limite ou narcissique est nécessairement traversé par
l’angoisse de castration ; un patient psychotique peut être anéanti par
l’angoisse de perte d’amour.
Il convient donc, dans chaque situation clinique, de procéder à une étude
systématique des différentes qualités de l’angoisse et des problématiques les
déterminant.
3.4 Les mécanismes de défense
Dans le travail d’analyse et de qualification de l’organisation défensive à
travers les protocoles de Rorschach, on distingue les procédés d’élaboration
du discours et les mécanismes de défense qui les sous-tendent ou auxquels
ils sont susceptibles de renvoyer.
La notion de « procédé », introduite par V. Shentoub pour l’étude des
protocoles de TAT, s’est révélée particulièrement féconde : elle permet une
analyse minutieuse et subtile du discours manifeste du sujet en dégageant
les séquences comportant des opérations signifiantes, un peu comme on
procéderait à la déconstruction d’un puzzle ; les pièces détachées sont
ensuite raccordées en une chaîne qui assure la liaison entre elles et leur
reconstruction notamment en termes de mécanismes de défense. La
distinction entre procédés et mécanismes de défense est parfois délicate à
établir dans la mesure où certaines condensations de procédés au sein d’un
mot ou d’une séquence donnent à voir d’emblée l’opération défensive
comme telle. Ailleurs, c’est le regroupement de plusieurs procédés présents
à différents moments qui autorise la référence à un mécanisme donné.
Au Rorschach, la traduction défensive apparaît souvent au niveau des
cotations qui rendent compte du codage du discours manifeste. L’analyse
des mécanismes de défense en est à la fois plus facile et plus difficile : plus
facile dans la mesure où l’écart entre procédés et mécanismes de défense se
repère plus aisément et où le travail de transposition s’impose avec
davantage de rigueur ; plus difficile parce qu’il faut approfondir
considérablement l’étude des facteurs pour y découvrir les opérations
défensives qui s’y cachent.
Plusieurs modes d’approche sont possibles ; on peut partir des
mécanismes de défense et les classer par catégories : défenses névrotiques,
défenses narcissiques et/ou limites, défenses psychotiques, défenses de
caractère. Ces modalités défensives soutiennent les principales
organisations psychopathologiques : dans les protocoles, la recherche se
focalise sur les éléments signifiants permettant de rendre compte de tel ou
tel type de défense.
Une autre démarche consiste à ordonner les procédés mis en œuvre dans
l’élaboration du discours sans y apporter d’emblée une qualification
nosographique ou psychopathologique déterminante, en réservant pour la
synthèse des données cette appréciation diagnostique. C’est cette
orientation qui a été choisie initialement par V. Shentoub pour la mise en
place de la feuille de dépouillement du TAT, encore que les références aux
grandes entités psychopathologiques pèsent dans la classification des
diverses catégories de procédés. Influence qui nous paraît d’ailleurs
inévitable : les procédés de la série « rigidité » ont été initialement inspirés
par les mécanismes obsessionnels, les procédés de la série « labilité » par
les mécanismes hystériques, les procédés de la série « inhibition » par les
mécanismes phobiques et les procédés relevant d’émergences en processus
primaires par le mode de fonctionnement psychotique.
Avec le temps, l’affinement et le développement des catégories se sont
avérés nécessaires compte tenu des ouvertures de la psychopathologie et de
l’attention portée à des modes de fonctionnement psychique tels que les
fonctionnements limites et narcissiques (F. Brelet), ainsi que ceux qui
spécifient les malades somatiques (R. Debray) ou les manifestations hors
narration (série D).
Chapitre 16
La psychopathologie
aux épreuves projectives1

Sommaire
1. Les névroses
2. La dramatisation, mode privilégié de traitement du
conflit intrapsychique
3. Les fonctionnements limites
4. Les psychoses : schizophrénie et paranoïa

Le psychologue projectiviste se trouve dans une situation quelque peu


contradictoire lorsqu’il s’engage dans la psychopathologie : il s’agit pour
lui de dégager des caractères spécifiques de pathologies mentales distinctes
et, en même temps, de respecter les mouvements individuels du
fonctionnement psychique. Bien entendu, il n’est pas question, dans cet
ouvrage, de proposer une étude approfondie des traductions projectives de
la psychopathologie : le lecteur pourra se référer aux différents travaux
répertoriés dans la bibliographie. Notre projet sera plutôt de montrer
comment les épreuves projectives sont susceptibles de mettre en évidence à
la fois les éléments constitutifs de telle ou telle pathologie spécifique (ceux
susceptibles d’être régulièrement retrouvés chez des sujets présentant des
troubles semblables ou analogues) et les éléments plus singuliers, porteurs
des caractéristiques individuelles.
Au sens de la psychopathologie psychanalytique, nous avons choisi de
retenir trois grandes organisations conflictuelles : celle de la névrose, celle
des fonctionnements limites et narcissiques, celle de la psychose.
Dans le registre de la névrose, en deçà des caractéristiques singulières de
l’hystérie, de la névrose obsessionnelle et de la phobie, nous traiterons de
leur « noyau commun », c’est-à-dire des caractéristiques du conflit
intrapsychique commun en référence à la première et à la seconde topique,
et à la problématique œdipienne mise en scène à travers les processus
identificatoires et la lutte entre les désirs et les interdits.
Dans le registre des fonctionnements limites et narcissiques, l’étude des
modalités d’investissements narcissiques et objectaux s’attache aux
traductions de la représentation de soi et de la représentation d’objet et à
leurs aménagements étroitement tributaires les uns des autres, même si
l’organisation dynamique et économique diffère chez les sujets narcissiques
et les sujets limites. C’est dans une perspective dialectique et comparative
que nous traiterons des écarts et des équilibres entre surinvestissement
narcissique et surinvestissement objectal dans la lutte antidépressive.
Cependant, la centration sur la problématique d’angoisse de perte de
l’amour de l’objet ne doit pas pour autant nous entraîner à négliger les
caractéristiques de l’organisation psychosexuelle, notamment dans ses
aménagements masochistes, voire pervers.
Dans le registre de la psychose, nous avons choisi de présenter la
schizophrénie et la paranoïa dans une approche comparative, en soulignant
les points de convergence et de divergence. Nous traiterons des troubles de
la pensée et du sentiment d’identité, de la spécificité des modalités
d’investissement narcissique et objectal et des défenses.

1. Les névroses
L’utilisation de la méthodologie projective dans le champ névrotique est
devenue essentiellement d’ordre diagnostique dans la mesure où la question
régulièrement posée relève d’interrogations différentielles : les incertitudes
de la clinique, aggravées par des états de crises dépressives ou narcissiques,
conduisent à l’indication d’un bilan psychologique avec comme objectif la
différenciation entre névrose et psychose, et de plus en plus souvent entre
névrose et fonctionnement limite ou narcissique. Dans de telles
perspectives, le recours aux méthodes projectives occupe sa place dans
l’articulation logique d’une évaluation diagnostique et d’un projet
thérapeutique. À partir de la définition de la névrose par Laplanche et
Pontalis – « affection psychogène où les symptômes sont l’expression
symbolique d’un conflit psychique trouvant ses racines dans l’histoire
infantile du sujet et constituent des compromis entre le désir et la défense.
L’extension du terme de névrose a varié ; de nos jours, on tend à le réserver,
lorsqu’il est employé seul, aux formes cliniques qui peuvent être rattachées
à la névrose obsessionnelle, à l’hystérie et à la névrose phobique » (1967,
p. 267-268) –, nous pouvons retenir trois dimensions essentielles : la
référence à l’histoire infantile, le conflit intrapsychique et la notion de
compromis, l’expression symbolique. Ces trois dimensions sont liées les
unes aux autres : la symbolisation implique l’accès à un double registre
d’expression, manifeste et latent, c’est-à-dire à une double inscription
consciente-préconsciente/inconsciente (première topique). Celle-ci
témoigne de mouvements créés par une dynamique conflictuelle entre
instances psychiques (seconde topique). La source interne du conflit, sa
spécificité psychogène trouvent leur origine dans l’histoire du sujet, et dans
les versions qu’il s’en construit. Enfin, la confrontation entre désirs et
défenses trouve une « solution » de compromis qui permet de maintenir les
uns et les autres.

1.1 Le conflit intrapsychique et l’organisation


œdipienne
À partir des fondements freudiens, nous pourrions proposer une définition
opérationnelle du conflit, simplifiée à l’extrême, pour en dégager les
traductions projectives : « Tout conflit est déterminé par l’opposition entre
des forces contraires (ce qui réfère au dualisme des différentes
représentations du conflit) ; tout conflit prend ses sources dans la sexualité
qui en ordonne la genèse. » À ces deux dimensions s’associe une troisième
qui spécifie la névrose, à savoir le caractère intrapsychique du conflit : il y
a, en effet, une dramatisation du jeu des représentations inconscientes
contradictoires sur une « autre scène », qui est une scène intérieure,
différente des situations réalistes et concrètes. À l’opposé, l’extériorité
conflictuelle, sa mise au-dehors, caractérisent les fonctionnements limites et
les psychoses.
1.2 Le conflit entre systèmes préconscient-
conscient et inconscient
Au Rorschach, le conflit entre système préconscient-conscient et
inconscient est aisément repérable. Notre hypothèse est que les réponses
formelles relèveraient essentiellement du jeu des deux principes du
fonctionnement mental (Freud, 1911a) dont les « prévalences » respectives
peuvent être repérées dans la dynamique aléatoire de la formalisation. Trois
cas de figure sont susceptibles d’être rencontrés :
• Le recours à la formalisation est tempéré par l’incursion de mouvements
projectifs, respectant la double invitation perceptive/projective de la
consigne.
• Le primat est accordé à une formalisation excessive déterminée par
l’inhibition de la vie fantasmatique et la neutralisation des affects. Deux
possibilités apparaissent dans ce cas : ou bien la formalisation est efficace,
ce qui témoigne d’un surinvestissement de la réalité externe qui vient
pallier l’insuffisance des appuis internes ; ou bien la formalisation est
inefficace, ce qui entraîne un envahissement fantasmatique et pulsionnel
ponctuel et désorganisant.
• Le primat est accordé aux mécanismes projectifs au détriment de
l’approche formelle. Cette fois encore, deux possibilités se rencontrent :
ou bien la dominance K ou C, en dépit du faible investissement de la
forme, ne s’accompagne pas de distorsion majeure dans le rapport au
réel – les mouvements projectifs ne sont pas massivement désorganisants
et leurs effets restent réversibles ; ou bien la dominance K ou C est
débordée par l’envahissement pulsionnel, entraînant des distorsions
considérables du rapport au réel.
En résumé, chaque fois que le compromis est possible entre principe de
plaisir et principe de réalité, et donc entre désirs et défenses, le mode de
fonctionnement est probablement névrotique : aménager la part du désir et
celle de la contrainte, quels que soient les déséquilibres entre ces deux
pressions, témoigne de la capacité du sujet à négocier et donc à lier des
mouvements contradictoires. C’est ce que la qualité du F+% décèle à
travers le Rorschach : un F+% inférieur à la norme révèle une déformation
partielle déterminée par l’émergence du désir. Dans les protocoles de
névrosés, le regroupement des réponses F– permet de saisir le sens du
dérapage formel puisque ces réponses restent déchiffrables en termes de
fragments ou d’équivalents symboliques. On constate une liaison entre les
productions défensives et les « ratés » porteurs du retour du refoulé,
autrement dit une liaison entre processus primaires et processus
secondaires. Elle assure une continuité associative articulée par des
contenus latents dont la centration commune est claire parce que
symboliquement signifiante.
Au TAT, le conflit conscient-préconscient/inconscient se repère d’abord
dans la dialectique des contenus manifestes et latents. Les caractéristiques
de l’approche perceptive du matériel sont saisissables à partir de l’ensemble
des procédés qui en témoignent : certains procédés A1, les procédés CF, les
procédés E1.
Dans les protocoles de névrosés, la lecture du contenu manifeste des
planches est relativement aisée : les procédés A1 (rigides) maintiennent en
général un rapport au réel de qualité suffisante et les émergences en
processus primaire (procédés E) relèvent rarement d’une altération
persistante des perceptions. Comme au Rorschach, on retrouve le
compromis possible entre mouvements projectifs et mouvements perceptifs.
Plus que le conflit conscient-préconscient/inconscient, c’est la qualité du
fonctionnement du préconscient qui est mise à l’épreuve : la résonance
fantasmatique des récits, leur épaisseur symbolique, la dynamique des
désirs et des défenses sont susceptibles de traduire le travail de figuration et
d’élaboration psychique nécessaire pour traiter et contenir l’excitation
provoquée par les planches.

1.3 Le conflit entre instances


Au Rorschach, le conflit entre instances est moins aisément saisissable,
mais peut être déduit à partir de certaines caractéristiques du protocole. Le
conflit entre désirs et défenses se dégage de l’alternance entre des
manifestations de désirs, à travers l’expression pulsionnelle notamment, et
des manifestations défensives mobilisées contre le surgissement de ces
motions. L’alternance entre déterminant K porteur de désir et déterminant
formel inhibant son expression libératrice en est une illustration. Par
ailleurs, l’analyse des représentations met en évidence des images
contrastées, soutenues elles aussi par des oppositions conflictuelles.
Au TAT, le conflit entre instances est susceptible d’être repéré encore plus
nettement. Les traductions du conflit intrapsychique sont clairement
définies à partir de procédés rigides (A) et labiles (B) précis. Leur élément
commun est de s’appliquer régulièrement à des séquences construites dans
l’opposition ou la contradiction : ainsi, dans la série rigide : « Aller-retour
entre l’expression pulsionnelle et la défense » et « accent porté sur les
conflits intrapersonnels » (A2-4) ; et dans la série labile : « Accent porté sur
les relations interpersonnelles » (B1-1), « Représentations contrastées » et
« Aller-retour entre des désirs contradictoires » (B2-4).
Bien entendu, ces procédés sont associés à d’autres, à dominante rigide ou
labile (en référence à l’obsessionnalité ou à l’hystérie), sous-tendus par des
mécanismes de défense spécifiques.

1.4 Le conflit œdipien


La problématique œdipienne est traitée différemment par les organisations
psychiques relevant de la névrose, des fonctionnements limites et
narcissiques ou des psychoses. C’est au sein de la névrose que son
déploiement apparaît le plus clairement saisissable et éventuellement
structurant : s’y dégage en effet la lutte centrale entre les mouvements de
désirs incestueux et meurtriers et des interdits dont l’intériorisation est
portée par le conflit entre les instances.
Au TAT, le conflit œdipien, comme nous l’avons vu, constitue l’un des
axes essentiels de construction du matériel. Les planches privilégiant
l’apparition de cette problématique sont essentiellement les planches 2 et 4,
les planches 6BM, 7BM, 8BM pour les sujets masculins, 6GF, 7GF, 9GF
pour les sujets féminins, enfin les planches 10 et 13MF. L’intérêt de ce
matériel est qu’il permet d’étudier de près, et de façon détaillée, les
différentes composantes de l’œdipe au niveau des identifications du sujet
(mises à l’épreuve par la différence des sexes et celle des générations) et
surtout au niveau des représentations de relations fortement marquées par le
conflit (notamment libido, agressivité, séduction, renoncement).
Au Rorschach, le conflit œdipien n’est pas proposé comme tel, il n’y a
pas de scène triangulaire figurée s’inscrivant dans la différence des sexes et
des générations comme au TAT. Mais le matériel offre des configurations
perceptives qui favorisent l’association et la projection d’images sexuelles
masculines et féminines. La bipolarité sous-jacente place le sujet dans une
situation conflictuelle qui consiste, d’une part à reconnaître ou à nier le
caractère sexuel des représentations (mobilisation du refoulement), d’autre
part à reconnaître ou à nier la double valence masculine et féminine
sollicitant à la fois des processus identificatoires et des choix d’objet
spécifiques.
L’analyse des kinesthésies dans les protocoles de névrosés révèle
l’extrême difficulté et parfois l’impossibilité à identifier sexuellement les
images humaines. La bisexualité psychique et les difficultés des choix
identificatoires apparaissent comme un conflit nodal dans les protocoles
hystériques, comme dans les protocoles obsessionnels même s’ils ne sont
pas articulés par les mêmes compromis défensifs : on y retrouve
régulièrement à la fois les fantasmes de séduction et de castration et le
refoulement comme mécanisme défensif fondamental.

2. La dramatisation, mode privilégié de


traitement du conflit intrapsychique
Ce qui assure la facture intrapsychique du conflit, et par là même son
appartenance à un mode de fonctionnement névrotique, relève, dans les
tests projectifs, des capacités montrées par le sujet à mettre en scène des
représentations et des affects, c’est-à-dire à les dramatiser. La dramatisation
est plus facile à appréhender au TAT : la consigne elle-même sollicite une
histoire « inventée », c’est-à-dire la construction de scénarios, et le matériel
figuratif pousse à la mise en relation des personnages avec, de surcroît, un
déroulement temporel propice à la mise en scène. En fait, le récit est
explicitement attendu, voire provoqué, au TAT : il constitue la
représentation-but de la consigne. Au Rorschach, la tâche est rendue plus
difficile : le décor n’est pas planté, le cadre n’est pas vraiment offert et il
faut figurer les représentations en référence à un scénario qui ne peut se
déployer comme tel. La création scénique, l’« invention » de l’intrigue sont
implicites. La consigne fait davantage appel à « ce qui pourrait être » plutôt
qu’à « ce qui pourrait se passer ».
2.1 Dans l’hystérie : le surinvestissement
des affects
Dans l’hystérie, le repérage de la dramatisation est relativement aisé, car
cette caractéristique constitue l’un des modes de fonctionnement privilégié
de cette forme de labilité, comme généralement dans le terme de
« théâtralisme ». La facture du discours, la verbalisation, l’expression
d’affects massifs ou son caractère exagéré offrent déjà des indices
manifestes : la question reste cependant de savoir si, au-delà de ces
modalités de communication, l’organisation psychique elle-même se
structure autour d’une dramatisation, c’est-à-dire d’une véritable mise en
scène des conflits. Celle-ci ne peut être cernée d’emblée puisque les
protocoles sont marqués par le refoulement des représentations gênantes,
par ce qui est sous-tendu par la lutte contre l’activité
« représentationnelle ».
Au Rorschach, la dramatisation apparaît dans l’inflation des réponses
couleur qui va dans le même sens que l’enflure des commentaires : les
affects sont mis en avant, apportant aux productions une épaisseur à la fois
insaisissable et ambiguë, souvent lourde d’angoisse. Cette augmentation de
la réactivité sensorielle, souvent au détriment de la réactivité kinesthésique,
dévoile le maintien d’excitation psychique permanente, nécessaire, selon
D. Anzieu (1985), pour assurer la protection des enveloppes psychiques,
comme si, en effet, cet état soutenait le sentiment d’exister par
l’exacerbation d’une sensibilité toujours en éveil. L’hypothèse de M. Khan
est particulièrement intéressante à cet égard : « L’hystérique, lors des
premières années de son enfance, répond aux défaillances d’un maternage
suffisamment bon par un développement sexuel précoce » (1974, p. 152). Il
ajoute que, si les systèmes de désirs peuvent être traités par des processus
intrapsychiques, les systèmes de besoins nécessitent une réponse extérieure
effective et le soutien de l’environnement. Dès lors, la réactivité des sujets
hystériques au Rorschach prend une signification singulièrement
pertinente : l’analyse de la sensibilité aux planches pastel ne s’aligne plus
seulement sur celle des réponses « C » aux planches rouges, mettant au jour
les effets du refoulement de la problématique sexuelle ; les planches pastel
sollicitent plutôt des mouvements régressifs dans la reviviscence de
représentations ou d’éprouvés primitifs, ayant trait notamment aux
modalités de contact précoce avec les objets. L’excitation vient alors nourrir
la dramatisation de ses substrats pulsionnels, en lui apportant l’énergie
nécessaire à l’inflation des affects. Mais un élément essentiel doit être
retenu : l’excitation et le surinvestissement des affects restent liés à des
représentations refoulées. Ils ne s’inscrivent jamais dans de simples
mouvements de décharge pulsionnelle, même si cette dimension participe
de leur expression. Les manifestations d’affects comme celles de
l’excitation sont toujours associées à des représentations et toujours
adressées à l’autre. Cela témoigne du maintien des investissements
libidinaux à visée objectale.
Au TAT, cette caractéristique se retrouve dans la « prévalence » de récits
organisés autour de « l’accent porté sur les relations interpersonnelles »
(B1-1) et de la « dramatisation » (B2). La force des fantasmes de séduction,
souvent dévoilée à la planche 6GF, traverse l’ensemble des protocoles
d’hystériques et « l’érotisation des relations » (B3-2), repérable dans les
récits, l’est aussi dans la relation avec le clinicien.

2.2 Dans la névrose obsessionnelle : le


surinvestissement des représentations
Dans la névrose obsessionnelle, la dramatisation passe par des conduites
actives de construction et d’élaboration mettant en évidence le
surinvestissement de la pensée.
Au Rorschach, les mises en scènes sont traduites essentiellement par des
K relationnelles : les actions attribuées se réclament de mouvements
pulsionnels qui sont, soit fortement réprimés, soit explosifs, sur un mode
analogue au schéma classique de l’analité (rétention-expulsion). L’hyper-
expressivité kinesthésique témoigne de l’excitation de la pensée qui doit
être maintenue en état de travail permanent. Le « déplacement vers le haut »
entraîne la sexualisation de la pensée : les scénarios kinesthésiques sont
autant de figures de déplacement d’une fantasmatique sexuelle refoulée.
Au TAT, l’accent porte sur « le conflit intrapersonnel » (A2-4) et l’énergie
fortement mobilisée défensivement pour éviter ou plutôt contenir une
réactivité émotionnelle qui risque de devenir débordante, grâce notamment
aux mécanismes d’isolation (A3-4). Mais la dramatisation reste très
présente du fait de l’existence du noyau d’hystérie sur lequel se greffe
l’obsessionnalité. Bien entendu, le surinvestissement du monde interne reste
prégnant mais il intègre les objets et reste associé à une mobilité
émotionnelle dont le jeu constitue un élément favorable. L’apparition de
productions plus labiles montre la vivacité des affects et de leur intensité et
le maintien d’une souplesse minimale qui échappe partiellement à
l’isolation.

2.3 Conclusion
En résumé, la première caractéristique de la névrose revient à la source
sexuelle des conflits (Freud, 1898, 1905b) dont les traductions symboliques
constituent l’un des critères les plus pertinents au Rorschach comme au
TAT. La traduction symbolique implique des capacités de déplacement, ce
qui témoigne d’un premier travail psychique portant sur les
représentations : il y a déplacement d’un groupe de représentations à un
autre groupe de représentations qui conservent des liens les unes avec les
autres. La référence sexuelle des contenus symboliques revient à un
fonctionnement topique différencié grâce à l’activité du refoulement et à
l’émergence du retour du refoulé à travers des réponses symboliquement
claires : la fantasmatique sexuelle n’apparaît pas directement dans des
contenus crus, elle ne passe pas la censure, par le principe de réalité et
témoigne, ainsi, de l’organisation structurante de l’œdipe par
l’intériorisation de ses interdits.
La deuxième caractéristique des productions névrotiques met en évidence
la continuité et la mobilité du travail psychique. La continuité se traduit par
la liaison des mouvements associatifs, à la fois dans les contenus et dans les
conduites psychiques qui en permettent l’expression. Elle renvoie à la
stabilité de l’identité, à la solidité des barrières entre dedans et dehors
assurant au sujet le sentiment de continuité d’exister. La mobilité met en
évidence les capacités du sujet à utiliser plusieurs modalités de conduites
psychiques s’inscrivant dans un éventail plus ou moins large (selon la
gravité de la névrose). Les mouvements régrédients et progrédients
sollicités par la situation projective peuvent ainsi se déployer.
La troisième caractéristique renvoie à l’efficacité du refoulement au sens
où Freud, après l’élaboration de sa seconde topique, le définit dans
Inhibition, symptôme et angoisse (1926) : non pas en termes de rejet radical
et définitif des formations inconscientes gênantes, mais en termes de repli
transitoire, d’ensommeillement de représentations qui trouvent des voies
détournées pour poursuivre leur chemin.

3. Les fonctionnements limites


La problématique centrale des fonctionnements limites relève de
l’angoisse de perte de l’amour de l’objet. En deçà des manifestations
cliniques et psychopathologiques extrêmement diversifiées, ce qui en
complique le rassemblement nosographique, c’est cette constante
« dépressive » qui constitue le noyau commun de ces organisations au
même titre que l’angoisse de castration chez les névrosés (Bergeret, 1979).
L’angoisse de perte réelle de l’objet est essentielle dans la problématique
des fonctionnements limites qui montrent des difficultés patentes à la fois
dans leurs capacités de traitement de la problématique dépressive et dans le
maniement des affects et des représentations. L’élaboration de la position
dépressive (Klein, 1934) permet le maintien de la permanence de l’objet et
l’intégration de l’ambivalence des sentiments. Si les fonctionnements
névrotiques sont susceptibles d’admettre l’ambivalence des sentiments
grâce aux capacités de liaison pulsionnelle qui les caractérisent, cette liaison
est beaucoup plus précaire et aléatoire chez les fonctionnements limites : les
possibilités de contenance pulsionnelle sont discontinues et mobilisent des
stratégies défensives hétérogènes marquées par l’isolement et par les
ruptures dans les différents registres utilisés.
L’une des définitions classiques des fonctionnements limites souligne la
juxtaposition de conduites névrotiques et de conduites psychotiques avec
une distribution variée de ces modalités selon les sujets : dominante
névrotique ou dominante psychotique ne doivent pourtant pas faire perdre
de vue l’originalité de ces organisations psychopathologiques qui utilisent
également des mécanismes de défense spécifiques pour lutter contre leurs
angoisses dépressives. Nous distinguerons dans cette étude les
fonctionnements limites et les fonctionnements narcissiques pour montrer
comment des aménagements pulsionnels et défensifs différents se donnent
le même objectif : tenter d’endiguer l’angoisse de la perte d’amour de
l’objet. Chez les sujets narcissiques, la proclamation de l’autosuffisance,
soutenue par l’idéalisation et le gel pulsionnel, constitue le nœud essentiel
des procédés psychiques afin de se prémunir autant que possible de la
douleur de l’éloignement ou la perte de l’objet. Chez les sujets limites, c’est
l’opération inverse qui prévaut : la proclamation d’une extrême dépendance
par rapport à l’objet nécessite sa présence constante, pour pallier les défauts
d’intériorisation et lutter contre les fantasmes destructeurs qui constituent
l’envers de la dépendance.

3.1 La représentation de soi au Rorschach


Le Rorschach, comme nous l’avons souligné, constitue une épreuve des
limites, et par là même, soutient les capacités de différenciation entre
dedans et dehors, entre sujet et objet. Or cette opération est essentielle chez
les fonctionnements narcissiques qui luttent contre les risques de confusion
avec l’autre (Kernberg, 1975a, 1975b). C’est probablement la raison pour
laquelle on constate souvent un F% élevé associé à un F+% satisfaisant, ce
qui rend compte de l’établissement de barrières très investies entre dedans
et dehors et, en même temps, d’un recours nécessaire à des conduites
d’objectivation pour se maintenir dans le registre des perceptions « pures ».
Nous avons, au-delà du F% et du F+ %, dégagé et identifié ce que nous
appelons les « réponses-peau » (Chabert, 1986, 1990b), en référence aux
travaux de D. Anzieu sur le moi-peau (1985), caractérisées par leur
centration sur une surface limitante entre dedans et dehors. Nous incluons
dans ces réponses-peau toutes les réponses signifiantes pour l’indice
« barrière-pénétration » de Fisher et Cleveland (1958) mais aussi, au-delà,
bien d’autres contenus qui témoignent de l’effort ou de la contrainte du
sujet pour représenter une « seconde » peau, une enveloppe supplémentaire,
tangible et concrète, qui viendrait colmater les trous éventuels des limites
psychiques. Les animaux à carapace dans les contenus « A », les réponses
« vêtement » dans les contenus objets, les images de fonction dans les
contenus humains en sont des exemples. Ces réponses-peau constituent des
enveloppes solides ou fragiles. Par exemple, on peut saisir l’écart entre « un
grand manteau enveloppant » et « une robe en charpie ». Les réponses-
peau, lorsqu’elles sont protectrices, mettent en évidence le caractère opérant
et efficace des défenses narcissiques alors qu’elles témoignent de leur
extrême fragilité dans des contenus précaires.
Dans les fonctionnements limites, la caractéristique essentielle de la
représentation de soi relève d’une porosité des limites qui témoigne d’une
différenciation partielle entre dedans et dehors. L’image du moi-peau
convoquée alors est celle d’un moi-peau passoire. Cette précarité des
enveloppes conduit à chercher activement des frontières contenantes : on
observe ainsi, d’une part le recours itératif aux déterminants formels qui
constitue un pôle important du fonctionnement avec un effort de cadrage ;
et d’autre part, des émergences sensorielles au sein desquelles l’élément
formel disparaît, notamment aux planches rouges, ou des émergences
kinesthésiques dont la valence projective est dominante. Ce double
fonctionnement rend bien compte de la métaphore de la « peau trouée » :
alternance entre des conduites de contenance et des irruptions sensorielles
ou projectives qui effractent les frontières.
Ainsi, la clinique projective, en laissant à découvert l’intensité des
mouvements pulsionnels destructeurs, permet d’étayer les hypothèses
concernant le défaut d’intériorisation qui caractérise les fonctionnements
limites et, notamment, ceux qui montrent un recours symptomatique à
l’agir, à travers des pathologies du comportement.

3.2 Les représentations de relations au TAT


Dans les fonctionnements narcissiques, les représentations de relations
semblent essentiellement construites sur un mode spéculaire. Comme au
Rorschach (où elles s’expriment par des K narcissiques et le rejet pulsionnel
qui les spécifie, précisément dans l’absence de verbe interactif dans les
séquences relationnelles), elles apparaissent au TAT dans des
représentations de relations en miroir : l’autre est le double du sujet, aucune
différence (et en particulier la différence des sexes) n’est tolérable, dans la
mesure où elle viendrait dénoncer le défaut ou le manque, donc une
blessure narcissique insupportable. La seconde caractéristique des relations,
corollaire de la première, renvoie à la négation des mouvements pulsionnels
et notamment dans des manifestations de désir qui les sous-tendent. Dans le
discours TAT, cela apparaît dans la centration sur les éprouvés subjectifs
(CN-1) et dans l’idéalisation narcissique (CN-3) qui prône la supériorité et
l’indépendance du sujet par rapport à ses objets.
Dans les fonctionnements limites, la difficulté ou l’extrême précarité des
processus de liaison, qui permettraient d’assurer la contenance de
l’excitation pulsionnelle, témoigne du caractère fragile des opérations
d’intériorisation. Cela est illustré au TAT par la prédominance de procédés
d’élaboration du discours appartenant à la série « C » et qui justement
mettent l’accent sur l’inhibition du conflit et son « externalisation », avec
comme contrepoint, le surinvestissement de la réalité externe (procédés CN
et CF). Ils peuvent être associés à des procédés de la série D témoignant du
recours à des modalités d’expressivité corporelle et gestuelle pouvant
constituer des voies de décharge directe de l’excitation. Les objets internes,
insuffisamment stables, sont sans cesse menacés, ce qui entraîne un manque
de fiabilité dans les relations objectales, la proximité et la permanence de
l’angoisse de perte imprégnant les modalités d’investissement d’objet. La
dépendance en est une des caractéristiques essentielles : elle apparaît
globalement dans un attachement excessif à l’environnement, à la fois dans
ses aspects tangibles, concrets de réalité matérielle, et dans les supports
relationnels aux personnes. Au TAT, deux types de procédés de la série
« C » les traduisent :
• L’attachement à la réalité matérielle apparaît dans le recours aux procédés
CF qui prennent le relais des procédés rigides de type A ; ces procédés CF
mettent en évidence l’impossibilité de tout développement conflictuel par
« l’agrippement » au formel et au concret.
• L’attachement aux personnes apparaît dans le recours aux procédés CL,
notamment dans le surinvestissement de la fonction étayante des objets
(CL-3).
En deçà, les caractéristiques des relations d’objet mettent en évidence la
grande difficulté d’accès à l’ambivalence. La possibilité d’associer l’amour
et la haine reste précaire et la continuité relationnelle est battue en brèche
par les mécanismes de clivage. Ceux-ci se traduisent par la présence de
procédés E, montrant des émergences pulsionnelles massives (E2-3), ou le
surgissement d’éléments persécutifs (E2-2). On trouve ainsi une alternance
entre des séquences ou des récits marqués par une puissante idéalisation et
d’autres, au contraire, empreints d’une « désidéalisation » majeure (CN-3).
Ces mouvements sont très facilement repérables dans l’évocation des
personnages et de leurs relations.
Les mécanismes de projection (E) s’inscrivent, soit dans un système où le
déni et le clivage sont prévalents, soit dans le débordement des limites. Les
décharges projectives surgissent dans la tentative itérative de définir plus
clairement le sujet et l’autre : tentatives souvent ratées du fait de la friabilité
des limites dedans/dehors et par la confusion qui en découle. La projection
se confond souvent alors avec « l’externalisation », dans la mise au-dehors,
en actes, des mouvements pulsionnels qui ne trouvent plus de supports
internes suffisants.
La projection, associée au clivage, met en évidence des procédures
étanches dans l’alternance entre des mouvements hyper-adaptatifs,
conformes et « normaux » et des moments hyper-projectifs où la réalité est
déformée, interprétée de façon excessive, sans qu’un compromis soit
possible entre ces deux types de conduites.

3.3 Représentations et affects


Dans les fonctionnements narcissiques, le système des représentations est
fortement investi. Il constitue un pôle de créativité important, montrant à la
fois la force de l’investissement narcissique de la pensée et son implication
dans la maîtrise voire l’emprise dans les relations d’objets. Au Rorschach,
les kinesthésies – spéculaires, comme nous l’avons déjà souligné – offrent
des constructions élaborées, parfois même sophistiquées. L’activité
associative est, elle aussi, au-delà de son empreinte éminemment
narcissique volontiers engagée, à condition de respecter les conditions de
contenance et d’esthétique qui constituent la marque de toutes les
productions narcissiques.
Le système sensoriel apparaît lui aussi très caractéristique. Au Rorschach,
il témoigne d’une sensibilité spécifique et singulière à la couleur blanche
(éventuellement au gris et au noir également) aux planches achromatiques.
Les réponses cotées en C’, qui correspondent aux procédés CN du TAT, et
plus particulièrement au CN-2 (« sensibilité aux contrastes »), dégagés
notamment par F. Brelet, découvrent une sensibilité « périphérique » en ce
qu’elle réfère essentiellement au sensoriel, visuel ou tactile. Cela met en
évidence le surinvestissement de la sensation, utilisée comme défense
contre l’émergence de représentations inconscientes, « profondes ». Les
réponses C ont à voir avec les relations précoces et, donc, avec la
dépression essentielle du petit enfant. Leur apparition aux planches à
symbolique maternelle et leur association à des thèmes de froid, de manque
fondamental, révèlent le caractère insécure des relations précoces ; le
surinvestissement narcissique prend alors tout son sens, puisqu’il est
déterminé par le défaut de fiabilité de la relation à l’autre. Enfin, les
réponses C montrent l’effort pour neutraliser et refroidir les mouvements
pulsionnels et traduisent au Rorschach le refus de la source interne de la
pulsion.
Dans les fonctionnements limites, le système des représentations est
extrêmement polymorphe et éparpillé, contrairement au « recentrement »
narcissique qui vient d’être évoqué. Au Rorschach, les kinesthésies
montrent rarement l’expression d’un conflit intrapsychique. Leur rareté,
voire leur absence, montre l’extrême difficulté à se situer dans une aire de
fonctionnement transitionnel. Le relais est pris alors par les kinesthésies
mineures, traduisant des mouvements régressifs ou destructeurs ayant
essentiellement une fonction de décharge lorsque l’excitation devient
explosive ou débordante.
Le système sensoriel est souvent fortement représenté, mais au Rorschach
l’élévation des réponses C n’a absolument pas la même valeur que dans la
névrose, car elles ne constituent en aucune manière un indice des
représentations refoulées. Les réponses C sont beaucoup plus proches de la
décharge, de la propension au passage à l’acte. La signification des affects
va apparaître de manière très différente par rapport à la névrose, car au lieu
d’être le fruit d’un compromis qui serait un effet du refoulement, les
réponses sensorielles vont au contraire dans le sens d’un défaut de
refoulement et d’une sensibilité directe, immédiate à des stimulations
excitantes. Dans les protocoles des fonctionnements limites, la couleur n’est
pas utilisée comme pare-excitation, elle fait effraction, elle est excitation.
La réactivité notamment aux planches rouges du Rorschach suscite des
émergences pulsionnelles en processus primaires dont les effets
désorganisants sont patents, même s’ils sont transitoires. Le compromis qui
permet une liaison des mouvements pulsionnels ne peut être réalisé du fait
de la précarité des mécanismes de refoulement. C’est le clivage qui prend le
relais en séparant radicalement les émergences pulsionnelles des images qui
en permettraient la représentation.
4. Les psychoses : schizophrénie et
paranoïa
L’histoire de la psychose relie inévitablement schizophrénie et paranoïa,
même lorsqu’elle les oppose en accordant à l’une ou à l’autre une valeur
prototypique. Du côté de la psychanalyse, Freud comme Lacan, dans des
perspectives différentes, ont fait de la paranoïa le paradigme de la psychose.
La chose n’est pas anecdotique puisque ce choix maintient ainsi résolument
la psychose dans le champ des pathologies de la libido. Du côté de la
psychiatrie, la schizophrénie sert volontiers de référence exemplaire en
dépit du fait que les classifications internationales (DSM et CIM) ont
évacué la « dissociation », au sens de Bleuler, des critères symptomatiques,
et ont rangé la paranoïa du côté des troubles du spectre de la schizophrénie.
La psychanalyse et les tenants de la psychiatrie dynamique, forts de la
fécondité de leur dialogue épistémologique, maintiennent la distinction
entre délire paranoïde et délire paranoïaque. Cette différenciation nous
apparaît également essentielle pour poser un diagnostic et élaborer un projet
thérapeutique.
Au-delà du débat psychopathologique, la question essentielle concerne la
manière dont on conçoit les psychoses, leurs ressorts conflictuels dont les
sources libidinales risquent de disparaître en même temps que l’intérêt se
resserre autour du moi et de ses frontières, comme si le moi lui-même était
coupé de toute source pulsionnelle. Il est intéressant de voir combien la
paranoïa, quant à elle, tend à être poussée hors du champ de la psychose,
comme si le paranoïaque, si évidemment aux prises avec les affres de sa
sexualité, ne pouvait ou ne devait pas être psychotique.
La clinique de la paranoïa est difficile à appréhender tant les défenses sont
susceptibles d’être mobilisées dans des fonctionnements psychiques divers,
et pas nécessairement pathologiques (comme pour la jalousie) ; c’est une
différence notable avec la schizophrénie dont la définition suscite un plus
grand consensus. De plus, contrairement aux protocoles de schizophrènes,
les protocoles de psychoses paranoïaques décompensées sont rares du fait
de la grande réticence des patients, hostiles à toute exploration de leur
fonctionnement psychique défendu comme une forteresse imprenable.
En mettant en lumière les expressions spécifiques aux épreuves
projectives de la schizophrénie et de la paranoïa, par leur mise en
perspective, nous interrogeons les points de rencontre et de divergence du
point de vue de leurs expressions conflictuelle et défensive, pour
questionner la pertinence d’un socle commun, celui de la psychose (Louët
et Azoulay, 2016).

4.1 Pensée indifférenciée : quête de réalité


ou quête de vérité ?
Ce que découvre avec force la clinique projective des patients
psychotiques, c’est la prégnance des troubles de la pensée témoignant, dans
des formes spécifiques à la schizophrénie et la paranoïa, du risque
permanent de confusion des espaces. Pourtant, si dans la schizophrénie le
flou de la pensée règne jusqu’à l’extrême confusion, dans la paranoïa, il est
activement défendu par une rigidité de pensée qui se veut droite, nette, sans
trouble. À la confusion des espaces, à l’informe des contenants et contenus
de pensée du schizophrène, répond l’inflexible logique du paranoïaque, la
raideur des formes et des contenus de ses pensées. C’est bien dans
l’altération du jeu entre processus primaire et secondaire que se découvre la
pensée psychotique ; que celle-ci se manifeste par un rabattement sur la
surface perceptive prise pour le réel ou par une déprise par l’envahissement
délirant ou hallucinatoire (schizophrénie), ou encore qu’elle adopte une
logique terrorisante (paranoïa), ce qui est écrasé c’est l’espace pour le jeu,
pour le fantasme, pour le rêve.
Aux épreuves projectives, cela apparaît dans l’impossible accès au jeu
transitionnel ouvert par la situation, montrant de façon parfois spectaculaire
les effets de désunion entre les deux modes de fonctionnement de l’appareil
psychique.
Dans la schizophrénie, les troubles du cours de la pensée s’expriment
dans les nombreuses bizarreries, dans les modalités d’appréhension rares et
pathologiques du matériel (G pathologiques, découpes arbitraires de
mauvaise qualité, contamination des percepts et des réponses témoignant
d’une pensée syncrétique), dévoilant l’indifférenciation des espaces, de la
forme et du fond. Le traitement perceptif mobilise des mécanismes
d’hallucination positive ou négative, conduisant à des formes de dénis
perceptifs, de barrages ou d’effacement de toute trace des réponses
énoncées. Ce qui est perdu avant tout, c’est le lien entre le mot et la chose,
le lien entre les pensées, le lien entre sujet et objet, que ce soit dans une
rupture drastique jusqu’à l’extrême du collage au percept évoquant la
néantisation psychique, ou dans la lutte par l’hyper-investissement des liens
jusqu’au délire. Dans le trop-plein ou le trop peu de sens, ce qui est refusé
relève avant tout des effets de sens. À l’instabilité des perceptions répond la
non-permanence des pensées, la persévération luttant contre les effets de
changements.
Dans la paranoïa, la désunion se traduit par une apparente dictature des
processus secondaires ; apparente car, là encore, la libre circulation entre les
deux modes du fonctionnement mental est entravée. Cela s’exprime aux
épreuves projectives par la disjonction entre les pôles perceptif et
fantasmatique. En faisant appel au percept, le paranoïaque cherche à lutter
contre les éveils fantasmatiques ; les appels incessants à l’objectivité tentent
d’abolir toute trace du sujet. La pensée est investie dans sa fonction de
maîtrise objectivante, au service d’un système interprétatif.
L’intellectualisation, si fortement présente, est un autre moyen de se
dédouaner de toute participation subjective, comme pour couper la pensée
de ses racines pulsionnelles. Les kinesthésies interprétatives témoignent de
la confusion entre les registres de l’objectif et du subjectif dans une perte de
la conscience interprétative. La quête d’un réalisme objectivant participe de
la volonté d’emprise sur le monde des objets annihilant tout jeu, tout espace
de créativité. Les modalités d’appréhension du matériel montrent une
distance prudente (en G et D) et sa disqualification (critiques, refus…),
représentant une forme de déqualification de l’objet et de ses effets sur le
sujet. La pensée est investie comme une forteresse imprenable, bastion
narcissique luttant contre le risque de tomber dans les abîmes de la
confusion.
Si la pensée est affectée dans ses modalités d’investissement de la réalité
interne, elle l’est tout autant dans ses liens avec la réalité externe. Il est
commun de souligner l’importance du trouble du rapport à la réalité, mais
ce qui est important ici c’est le « rapport », car c’est bien lui qui doit être
aboli. Et il l’est tout autant lorsqu’un sujet s’accroche au percept que
lorsqu’il délire, car ce qu’il refuse c’est un lien avec le réel et ses sources
pulsionnelles. Les dénis président au rapport avec le monde ce qui, aux
épreuves projectives, prend des formes spécifiques selon les organisations
schizophréniques ou paranoïaques.
Dans la schizophrénie, les indices d’adaptation font le plus souvent
défaut, recouverts par une activité projective constituant une néo-réalité
(défaillance des indices de socialisation et envahissement par les processus
primaires) ou alors relèvent d’une pensée externe plaquée, coupées de ses
sources fantasmatiques (coque perceptive – F% élevé et F sans épaisseur
symbolique – présence importance de procédés CF et CI au TAT). Ancré sur
de multiples dénis, le clivage du schizophrène s’emballe jusqu’au
morcellement de la pensée, présidant à la rupture, plus ou moins massive,
des liens avec la réalité interne et externe.
Dans la paranoïa, étant donné que la réalité ne doit avoir prise sur le
sujet, c’est le sujet qui aura prise sur elle, jusqu’à l’emprise. Car ce qui doit
être aboli c’est le mouvement qui porterait vers un autre. La pensée de
l’autre doit être assujettie à sa pensée, dictatoriale, faisant le procès du faux,
du factice, du semblant et finalement du faire semblant jusqu’à
l’étouffement de toute créativité. Alors que le schizophrène s’accroche
désespérément aux indices de réalité, le paranoïaque, lui, est en quête d’une
Vérité, unique, inébranlable, la sienne avant tout, celle qui assurerait la
stabilité de son être dont les exigences narcissiques sont à la mesure de ses
inconsistances. Car pour le paranoïaque, seule sa parole compte, celle d’un
hégémonisme absolu qui fait le lit de ses pensées autocratiques. L’existence
des choses et des liens est ce qu’il en décrète et sa parole en sera l’unique et
indiscutable preuve.
L’absence de doute (véritable) est un autre indice de l’abolition de l’espace
de jeu entre les pensées et leur possible conflictualisation. Remplacé par
une certitude inébranlable chez le paranoïaque, le doute n’ordonne pas
davantage la pensée du schizophrène qui bute sur son instabilité, son défaut
de permanence et de traces. Que ce soit dans la perte de contrôle sur la
pensée dans la schizophrénie ou dans le surinvestissement de celui-ci dans
la paranoïa, ce dont il est question chez tous c’est de l’impossible
appropriation d’une parole et d’une pensée autonomes, sources de plaisir.
Devant la défaillance de ses édifications primitives, la psyché va tenter
d’édifier un hors soi, un lieu pour recevoir les affects de haine par lesquels
se fondent les premières différences.
4.2 Indifférenciation du moi ou trouble du
sentiment d’identité
Alors que le conflit psychotique oppose le ça et le monde (externe), c’est
toute la topique psychique qui se trouve altérée, notamment dans sa
différenciation primaire, celle qui constitue les différences fondamentales
entre dedans et dehors, « dehors non seulement du moi mais aussi du soi
originel, de l’appareil psychique lui-même par rapport à l’extérieur, l’autre,
l’objet » (Brusset, 2015, p. 120). Les exigences pulsionnelles confrontent
inexorablement au risque du chaos, à l’indifférenciation des espaces
psychiques, qui conduisent au sentiment de perte de réalité et d’identité et
trouvent de multiples échos aux épreuves projectives. Schizophrènes et
paranoïaques se retrouvent autour de l’impossible accès à une image unifiée
du corps témoignant de la non-intégration des plaisirs érogènes. Image non
unifiée jusqu’au morcellement dans la schizophrénie, rigidifiée à outrance
dans la paranoïa, c’est une image désertée du plaisir pulsionnel qui n’a pu
assurer sa fonction d’intégration, découvrant l’importance des carences
auto-érotiques primaires (Botella et Botella, 1982).
Chez le schizophrène le corps se défait, chaque morceau existant pour son
propre compte, dans une excitation partielle où se perd la fonction
d’intégration. Il en résulte, au Rorschach en particulier, un traitement très
singulier des parties de l’image, qui, à l’instar du corps, fonctionnent
indépendamment de l’ensemble, figuration peut-être d’un langage
d’organe ? L’indifférenciation des espaces s’y exprime de façon exemplaire
dans la confusion des formes, des réponses qui témoignent d’une pensée
syncrétique soumise à la loi des processus primaires. La perte de l’unité
corporelle apparaît dans la prévalence de réponses fragmentées, déliées
parcellaires (Hd, Ad, et autres contenus de mauvaise qualité formelle), mais
aussi dans la prépondérance de contenus anatomiques viscéraux et osseux
en particulier aux planches couleur, toute sollicitation pulsionnelle étant
susceptible de faire effraction en dévoilant les effets de la destructivité. La
facture bilatérale du Rorschach met en évidence des effets de télescopage et
d’englobement, notamment au travers du dédoublement psychotique. Au
TAT, les effets de confusion apparaissent dans la désorganisation des
repères spatiaux mais surtout temporels en écho au défaut d’appropriation
du sens de l’histoire du sujet, « un discours qui ne peut donner au sujet un
énoncé sur l’origine » (Aulagnier, 1975, p. 236), car ce qui manque dans les
récits c’est un point de départ à partir duquel une succession pourrait se
mettre en place. Les logiques se télescopent dans une confusion des temps
et des espaces qui s’auto-engendrent en ignorant les différences.
Dans la paranoïa, l’indifférenciation est une menace incessante, et cette
menace ne doit pas cesser, car c’est elle qui garantit l’unité du sujet ;
l’identité du paranoïaque se cimente sur la haine de l’autre. Les différents
morceaux de l’espace et de l’image du corps offrent une unité illusoire
parce qu’ils combattent sur le même front. L’insistance sur toutes les
qualités mauvaises des objets est un indice fort de la lutte contre la
confusion. Et si les contenus témoignent de la possible perception d’images
entières (F% et F+% dans la norme, H et A entiers) leur circonscription est
assurée par la projection continue du mauvais sur l’environnement
(contenus persécuteurs, yeux, regard…, k interprétatives, kp…). La
recherche permanente d’un sens caché conduit à une méfiance haineuse vis-
à-vis du matériel – plus ou moins masquée par une forme d’obséquiosité et
de grandiloquence – et relève de l’insécurité narcissique et identitaire dans
laquelle cette situation plonge les sujets. Car chercher derrière les
apparences, c’est tenter de différencier le visible de l’invisible, le vrai du
faux et in fine le bon du mauvais et le dedans du dehors.
La facture bilatérale du Rorschach peut soutenir l’expression de
représentations de relations. Elle montre l’importance de la dualité pour le
paranoïaque qui, pour soutenir une image de soi unitaire, doit s’assurer de
la permanence d’un autre, et de sa haine avant tout ; mais lorsque les
sollicitations pulsionnelles s’intensifient, ce sont les effets destructeurs de
cette haine qui surgissent, montrant la fragilité des liens édifiés contre
l’autre.
Que le moi se divise jusqu’à se fragmenter (schizophrénie) ou s’oppose
farouchement par l’indivision (paranoïa), il s’agit bien du débordement des
capacités de synthèse du moi dont les effets sur la structuration identitaire
sont multiples. Mais si dans la schizophrénie le narcissisme ne garantit plus
un investissement minimal de soi, dans la paranoïa il offre un rempart
visant l’imperméabilité à l’autre, jusqu’à la mégalomanie.
4.3 Ni contradiction, ni conflit, ou les
impasses du lien
La relation psychotique se spécifie par la nature des liens entretenus avec
ses persécuteurs, soudés par l’idéalisation mégalomaniaque et
l’identification projective. Ce qui différencie fondamentalement le
schizophrène du paranoïaque, ce sont les modalités d’investissement de la
relation. Chez le premier, c’est la destructivité qui s’impose tant
l’attachement libidinal à l’objet est dangereux, chez le second « l’exigence
de communication » est au premier plan ; à la différence du schizophrène, le
paranoïaque a pour devoir de faire partager ses certitudes et plus encore de
les imposer, car chez lui le retrait des investissements n’a jamais été
consommé (Aulagnier, op. cit.).
Dans la schizophrénie, les épreuves projectives rendent compte des
difficultés majeures à entrer en relation avec des objets. Face au risque de
fusion et/ou de destruction, le retrait autistique – anti-auto-érotique – est la
plus sûre des parades, même si elle peut être très coûteuse. Dans cette
pathologie où la psyché œuvre à détruire toute trace de lien à l’objet, la
moindre mobilisation pulsionnelle en fait surgir les effets destructeurs. Tout
mouvement fait courir le risque de la fusion et de la destructivité, comme en
témoignent, lorsqu’elles existent, les kinesthésies délirantes au Rorschach
ou le refuge dans l’abstraction au TAT. La destructivité prend une autre
forme lorsque le rabattement sur l’investissement formel dévitalise la
production. La défaillance des fonctions pare-excitatrices de la psyché
conduit à des expressions psychiques chaotiques, marquées du sceau de la
déliaison. Que ce soit sous la forme de décharges pulsionnelles massives et
crues ou au contraire dans la rupture avec les sources vives de la psyché, les
liens avec les objets se défont. Le difficile maniement des affects en est une
autre traduction, perceptible au Rorschach, dans la difficulté à intégrer la
couleur ou, au contraire, dans ses effets désorganisants lorsqu’elle est prise
en compte, comme au TAT où les états d’affects lorsqu’ils sont reconnus
vont de fusion en destruction.
Dans la paranoïa, la relation persécutive, en maintenant actif le conflit,
garantit l’existence du sujet et de son monde. En érigeant l’antinomie
comme loi, le paranoïaque se préserve du chaos de l’indifférenciation
bâtissant des frontières étanches entre amour et haine, entre soi et non soi.
Ainsi, là où le schizophrène se replie dans des positions autistiques rompant
le lien objectal, le paranoïaque lui « existe parce que, en tant que, les autres
existent, seulement il n’existe ni pour, ni par, ni avec, mais contre »
(Aulagnier, op. cit., p. 321). Ainsi, au Rorschach comme au TAT, la
conjonction de thèmes de menace portée par l’extérieur et de protection,
rend compte de la nécessité d’asseoir de fermes oppositions comme autant
de garanties de différences entre sujet et objet. L’investissement des
enveloppes, qui doivent avoir la qualité d’armures et de carapaces,
témoigne de la quête d’étanchéité, montrant tout à la fois la nécessité des
investissements narcissiques mais aussi leur dimension aporétique. Dans la
relation d’objet paranoïaque, l’objet est tenu à distance respectueuse, celle-
ci étant calculée sur l’étalon d’une méfiance qui doit exclure tout sentiment
d’amour, car l’amour pour l’objet entraînerait inexorablement la perte du
sujet. Ce qui soutient les relations dans la paranoïa, c’est bien la haine de
l’autre, indispensable dans sa permanence en ce qu’elle assure la continuité
du sentiment d’exister. Si on le persécute, c’est bien qu’il représente un
danger réel pour l’objet d’où la volonté de le détruire, là est son pouvoir ;
c’est aussi qu’il a une réelle valeur, qu’il doit posséder quelque chose que
les autres lui envient et cherchent à lui dérober, c’est sa force, son étendard.

4.4 Efficacité et limite des défenses


primitives
Les défenses primitives – déni, clivage, projection… – dominent le
tableau défensif des patients psychotiques, leur mobilisation et leur
efficacité sont variables chez chacun et en particulier entre la psychose
schizophrénique et la psychose paranoïaque.
Dans la schizophrénie, le poids économique des défenses par le déni, le
clivage et la projection (dans ses différentes modalités d’expression comme
l’identification projective) grève largement le fonctionnement psychique
des patients, même si paradoxalement ce sont ces défenses qui assurent leur
survie psychique ; car les défenses psychotiques ne sont jamais aussi
efficaces que lorsqu’elles ne le sont pas totalement ! Le déni prend de
multiples formes dans les protocoles de Rorschach et de TAT. Apparaissant
de façon spectaculaire dans l’attaque jusqu’à l’effacement de perceptions –
remplacé par une production de désir tout puissant jusque dans
l’hallucination et ou différemment dans le délire – il est avant tout déni des
effets de l’objet sur le moi, déni d’une réalité psychique surtout. Le clivage
du moi se fait ici disséquant, se multipliant jusqu’à fragmenter un moi qui,
au nom de sa survie, consent à son amputation la plus radicale en se
morcelant. Les effets du clivage se lisent dans la dissociation du discours,
dans l’inadéquation entre les mots et les choses, dans les ruptures
associatives et la division de l’unité ; mais même au milieu du chaos,
demeure toujours un lien minimal à la réalité (la facture figurative du TAT
soutient de meilleures capacités d’adaptation ; le F+% n’est jamais nul au
Rorschach). La projection, favorisée par la situation, découvre tout autant sa
fonction défensive – dans les tentatives de différencier le bon du mauvais,
le dedans du dehors – que ses impasses, car la menace vient aussi bien du
dedans que du dehors. Le défaut de construction des frontières limitant un
espace psychique différencié, entrave la délimitation d’objets susceptibles
de drainer les expériences du sujet, positives et négatives, bonnes et
mauvaises. Chez le schizophrène, tout devient menaçant, tout le persécute,
tout risque de l’anéantir et avant tout lui-même. L’absence de constitution
d’un espace psychique séparé est perceptible dans la préséance d’un univers
tout-puissant, magique, qui défait les lois de la secondarisation, de ses effets
organisateurs et discriminants, laissant la place à des fantasmes archaïques
s’exprimant sans retenue.
Dans la paranoïa, les défenses primitives sont aussi fortement mobilisées,
mais avec des effets bien différents. Ici clivages et dénis, appelés pour
tenter de maintenir l’unité du moi, offrent un point d’appui pour empêcher
sa dissolution ou sa fragmentation. Au Rorschach, l’appui sur la symétrie
des taches offre un soutien suffisant pour lutter contre la division, alors
qu’au TAT le clivage assure, par la projection du mauvais sur l’extérieur
(l’objet poubelle de Racamier, 1966), la préservation d’un objet entier qui,
pour le rester, se doit d’être parfait. Les défenses narcissiques sont
omniprésentes (idéalisation positive ou négative de l’objet et de soi,
surinvestissement des qualités sensorielles du matériel…), car elles
préservent de la confrontation aux imperfections des objets qui, comme
reflet du sujet, se doivent d’être sans faille. Les modalités d’investissement
narcissique sont des remparts érigés contre la rencontre affective. Et pour
cela, le paranoïaque s’attache aux apparences, littéralement à la surface des
choses – aux qualités sensorielles du matériel au Rorschach, comme au
TAT, et aux attributs valorisés ou disqualifiés des personnages du TAT –,
même si c’est pour en dénoncer les pièges tendus. Ainsi le paranoïaque
évite le contact avec les affects car ils témoignent de sa dépendance aux
objets, laquelle est vitale mais aussi honnie, dans la mesure où elle le
confronte au risque de pénétration et d’intrusion. Les défenses primitives
assurent ici la préservation de l’unité du moi, autorisant un commerce avec
l’objet nourri par la haine. La projection paranoïaque permet de circonscrire
la menace au-dehors et assure une différenciation entre amour et haine,
entre bon et mauvais bien plus efficace que dans la schizophrénie. Massive,
elle constitue une forme d’être au monde, contre lequel le moi s’édifie en
préservant un minimum d’organisation, cela en dehors des périodes de
décompensation. La perte de l’omnipotence primitive se trouve compensée
par la quête permanente d’une contrepartie narcissique au commerce
objectal. À défaut d’être partout, le sujet sera au centre de tout, l’agent de
toute chose, le créateur (Dubor, 1972). La problématique homosexuelle,
narcissique, du paranoïaque prend sens dans et par la voie qu’elle trace
entre amour narcissique et objectal.
Chapitre 17
Étude clinique : Christelle,
30 ans

Sommaire
1. Rorschach
2. TAT
3. Synthèse Rorschach et TAT
4. Protocole de Rorschach, Christelle 30 ans

Christelle, 30 ans, est adressée en consultation par un psychiatre qui la suit


depuis sa sortie d’une hospitalisation pour un épisode psychotique aigu dont
la symptomatologie consistait en idées obsédantes bizarres, angoisse de
dépersonnalisation et troubles de la communication. Si des éléments
dépressifs sont également associés à ce tableau psychopathologique, on ne
retrouve pas d’éléments dissociatifs, délirants ou hallucinatoires. Cependant
le psychiatre souhaite une évaluation du fonctionnement psychique de
Christelle en interrogeant l’éventualité d’un diagnostic de schizophrénie.
Christelle s’est montrée très inquiète à l’idée du bilan psychologique,
angoissée parfois pendant la passation, mais participante.

1. Rorschach1
1.1 Dynamique de la passation
1.1.1 Clinique de la passation
La rencontre avec le matériel suscite d’emblée un mouvement projectif.
Christelle révèle dès la première planche l’impact excitant des stimulations
extérieures et sa difficulté à gérer la distance aux objets (« espèce de
chauve-souris mais elle est humaine parce qu’au centre il y a un corps de
femme assez menaçant. Elle a un trou à la place du nombril. Ça a l’air
soudé »). Elle tente ainsi régulièrement d’installer sur un mode défensif
fragile une distance avec le matériel, donnant à voir la précarité de ses
limites. Sa réactivité est grande ainsi que sa sensibilité aux divers aspects du
matériel extrême. On peut ainsi observer des différences importantes dans
ses réactions aux planches selon qu’elles sont noires, rouges ou pastel : le
recours aux déterminants, la capacité adaptative, le registre associatif
oscillent en fonction des sollicitations diversifiées des planches et de la
variation de leur contenu latent.
La relation avec la clinicienne semble néanmoins bien établie : Christelle
associe en sa présence sur un mode qui, loin de l’exclure, lui adresse ses
associations. Elle va même ponctuellement jusqu’à l’inclure dans ses
éprouvés en l’impliquant dans son mouvement projectif : « Une femme
assez bouffante, qui envahit parce que là c’est comme des bras, comme si
elle allait fondre sur nous. » L’étayage apporté par les interventions de la
clinicienne à l’enquête se révèle positif : s’il accentue la dimension
projective, il lui permet de développer parfois d’autres modalités
défensives, de construire au fil de la passation une représentation de
l’imago maternelle qui, grâce au clivage, montre dans l’épreuve des choix
un objet total, idéalement bon, protégé des éléments négatifs, lesquels sont
reportés sur un objet mauvais. À cet égard, on peut noter le contraste radical
entre les images présentées lors des choix positifs et des choix négatifs.
Ses formulations traduisent l’oscillation entre deux positions : dans un
effort d’étayage sur la réalité externe, elle présente souvent ses réponses
comme des évidences perceptives (« c’est ») qui ne se maintiennent pas
toujours à l’enquête (« mais c’est assez vague ») et qui peuvent être
ponctuellement arbitraires (« un papillon, parce qu’il est rouge ») ; d’autres
propositions sont plus nuancées et des précautions verbales témoignent de
la conscience d’interpréter. Les affects sont rarement exprimés, la tonalité
générale est dysphorique, parfois persécutive.
Le discours, clair dans l’ensemble, se trouve de temps en temps infiltré par
les émergences en processus primaire selon des modalités particulières : les
altérations du langage portent la marque de la superposition
concret/abstrait, voire des glissements d’un règne à l’autre, d’une espèce à
l’autre (« un pantalon qui fait bouffer », « son corps est un peu inexistant
parce que c’est un blanc », « un chat déplumé », « un tapis d’antilope »).
1.1.2 Données quantitatives
Le psychogramme montre clairement les aspects réactifs du protocole, ses
ressources et ses fragilités : le recours au déterminant formel semble faible
(F% : 42 %) et souvent inadéquat (F+% : 60), mais en réalité, l’inscription
dans la projection et l’intégration du sensoriel s’accompagnent d’un appui
ferme sur la forme (F% élargi : 79 %) et sur des modalités plus efficaces
pour maintenir une adaptation à la réalité commune (F+% élargi : 71 %).
Les tendances couleurs et kinesthésiques, nombreuses, confirment
l’importance de la participation projective et de la sensibilité au sensoriel
qui ne se limite pas aux planches pastel (RC% à la limite inférieure mais ΣS
important).

1.2 Processus de pensée


On vient de le voir, la réalité externe est investie avec une efficacité
qu’améliore le passage par des productions personnelles dans les
kinesthésies et les réponses couleurs. Associé à une pensée qui demeure
adaptée aux planches pastel et dans la mesure où il n’y a pas de
représentations morbides touchant à l’intérieur du corps humain, cet
élément ne plaide pas en faveur des désorganisations de la pensée
habituellement observées dans la psychose. La globalisation est prévalente ;
parfois exclusive, souvent peu efficace (nombreux F–, K–), elle sert
néanmoins de contenant aux mouvements projectifs (planches I et IV et
pastel), mais traduit ailleurs la sensibilité à l’effraction des limites (II, VII,
VIII) et à la béance du blanc (III, VII).
L’investissement de l’activité de pensée ne se fait pas seulement sur un
mode défensif visant la contenance : la pensée est aussi mobilisée au
service de l’expression parfois difficile, voire douloureuse, des
problématiques psychiques. La variété des déterminants en rend compte
ainsi que le travail de déplacement et de symbolisation que révèlent
certaines réponses (« un samouraï », « un coquelicot », « un cirque »), qui
cohabitent avec des réponses davantage marquées par la précarité des
limites (« c’est un crabe mais qui a déjà été à moitié dévoré », « c’est des
sœurs siamoises collées par les têtes »), ce qui montre l’hétérogénéité du
fonctionnement de la pensée.
Certaines réponses organisées, qui suscitent aisément chez l’interlocuteur
un travail associatif, supportent les mises en relation contenant l’expression
pulsionnelle ou traduisent la précarité de la différenciation. D’autres
participent à la défense sur le mode narcissique phallique (« un roi avec sa
couronne qui est assis sur un trône ».)
Le recours à des défenses intellectuelles n’est que ponctuel, comme par
exemple la référence culturelle à « la commedia dell’arte, Arlequin ou
Pantalon. […] C’est pas des costumes typiques de la commedia dell’arte ».
L’articulation entre processus primaire et secondaire s’opère sur un mode
assez spécifique : les troubles de la pensée restent transitoires et s’inscrivent
dans les vicissitudes de mouvements projectifs liés à l’agressivité et dans
les effets de ces projections notamment sur les identifications féminines.
Ces troubles s’insèrent dans des processus de reprise par la secondarisation
qui s’appuient sur des défenses diverses (désexualisation ponctuelle,
investissement des limites, défenses narcissiques) permettant de
circonscrire les vacillements identitaires, de restaurer les limites après les
glissements, voire les risques ponctuels de confusion.
L’adaptation à la réalité se révèle souvent défaillante mais elle est aussi
susceptible de laisser abruptement la place à une adaptation qui signe la
reprise par la secondarisation. L’investissement des processus de pensée,
s’il n’est pas toujours efficace, est du moins prévalent, et permet la
représentation de problématiques conflictuelles sur le double versant de la
défaillance et de la défense.

1.3 Identité et narcissisme. Représentations


de relations et investissements objectaux
Données directement ou en après-coup, les kinesthésies supportent un
registre de problématique prévalent qui articule l’identification féminine et
l’identité. Sous la pression des pulsions agressives projetées sur une image
maternelle archaïque, l’angoisse de castration dérive chez Christelle vers
des fantasmes d’effraction, d’attaque des limites du corps, d’évidement
(« son corps est un peu inexistant parce que c’est un blanc »), associés
parfois à des mouvements persécutifs.
L’identification à une mère archaïque condense ces menaces (« une femme
assez bouffante, qui envahit, parce que là c’est comme des bras, comme si
elle allait fondre sur nous »). Le recours défensif à des représentations
phalliques masculines pour tenter de discerner et différencier les
représentations et contenir l’angoisse liée aux imagos archaïques est
possible : ainsi dans la continuité de la réponse précédente, Christelle
évoque « un Samouraï en position de combat » ; représentation qu’elle
qualifie cette fois comme « la force physique d’un homme, les pieds, le
bassin, les bras. » Cependant, l’empreinte d’une figure maternelle puissante
demeure, ce que confirme le commentaire donné à l’épreuve des choix
(« comme si elle voulait fondre sur nous en volant »). De même, à la
planche IV, la combinaison des imagos paternelle et maternelle demeure
prégnante : la représentation phallique masculine (« un roi avec sa couronne
qui est assis sur son trône ») vient certes en représentation idéalisée et
clivée de la réponse qui la précède (« une espèce de créature mi-homme,
mi-singe, assez menaçant »), mais la différenciation, là encore, demeure très
précaire, marquée par une image du corps à la forme difficile à cerner
(« espèce de manteau en peau qui traîne », « avec des espèces de bras avec
des espèces de vêtements très larges »), révélant l’empiétement de l’imago
maternelle et la difficulté de représenter une imago paternelle stable.
Pourtant, quelle que soit l’intensité des projections, l’identité, même si elle
semble parfois menacée, n’est pas éclatée : la représentation de soi unifiée
est possible (planche V) et peut même être valorisée. Le clivage apparaît
dans ces représentations extrêmement opposées et y montre son efficacité.
Il fait écho au clivage des objets qui permet une séparation tranchée entre
bon et mauvais. La problématique se situe au niveau d’une identification
féminine impossible à intégrer, compte tenu des attaques que suscite le
féminin dans son acception maternelle (« un trou à la place du nombril »,
« un crabe mais déjà à moitié dévoré, il y a un grand trou au milieu »).
La problématique des limites se lit dès la première planche à travers les
termes portant sur la consistance et les déformations des représentations
humaines et révèle son articulation à la problématique précédente liée à
l’imago maternelle non contenante, attaquée par les projections agressives,
difficile à contrecarrer par une imago paternelle, elle-même mal
différenciée. Toutefois, des éléments positifs, apportés essentiellement par
la réaction et les réponses aux planches pastel, rendent compte de
potentialités de différenciation moi/non-moi tout à fait mobilisables malgré
les défaillances ponctuelles.
Aux planches rouges, les sollicitations pulsionnelles sont désorganisantes,
mettant à mal tant la stabilité des objets que les repères identitaires (« tête
de clown ou tête de chat… ou tête de lion… en même temps un animal »)
mais l’investissement quelque peu forcé d’attributs vestimentaires est
mobilisé pour tenter de contenir la désorganisation (« Ça pourrait être un
gros monsieur avec des lunettes de soleil, les chaussures… son corps est un
peu inexistant parce que c’est un blanc »). Néanmoins, les capacités de
symbolisation et de déplacement existent aussi, et les capacités de
récupération sont ici encore à souligner. Le traitement pulsionnel peut
efficacement passer par le registre narcissique (« deux personnages
identiques ») voire sexuel phallique (« les seins assez pointus, le nez très
pointu »).
Face aux planches pastel, Christelle montre des capacités régressives
bénéfiques (« des récifs de coraux dans une mer chaude »). Mais la position
passive qu’elle implique mobilise à bas bruit des représentations
inquiétantes, voire dangereuses et menaçantes (« méduse », « un
champignon atomique ») confirmant la valence potentiellement phallique et
dangereuse de la représentation maternelle.
Quelques indices de fragilité dépressive sont à relever : « avec des yeux
qui tombent un peu », « gris pas très chatoyant », « je suis un peu
fatiguée ».

1.4 Organisation défensive


Les défenses utilisées par Christelle appartiennent à des registres variés :
elle peut s’appuyer sur une lignée de défenses rigides telles que l’isolation,
l’attachement aux détails, la dénégation. Elle recourt ponctuellement au
refoulement (« un coquelicot, c’est vague, je le vois pas vraiment », « je
vous avais dit ça ? Je ne me souviens pas »). L’appui sur les défenses
narcissiques telles que l’idéalisation, l’insistance sur les limites et les
enveloppes, le gel des mouvements pulsionnels, la soutient d’autant mieux
qu’il s’accompagne souvent d’un recours au registre phallique.
La coexistence de deux registres de représentations qui se succèdent
régulièrement sans lien, sur un mode extrêmement contrasté, est un indice
de mobilisation du clivage. Il se révèle souvent opérant et permet à
Christelle de se départir de représentations négatives pour investir des
représentations positives.
Quelques défenses hypomaniaques sont mobilisées, soit quasiment
d’emblée mais avec l’efficacité relative (« clown… un peu triste »), soit aux
dernières planches et plus sthéniques (« cirque, beaucoup de mouvements,
il y a des acrobates, ça bouge beaucoup », « feu d’artifice », « comme si
c’était les éléments d’un kaléidoscope et que ça allait bouger
incessamment », « quelque chose qui bouge avec plein de couleurs »).
Au vu du Rorschach, la question de la psychose aurait pu se poser, compte
tenu de l’intensité de certaines représentations d’effraction corporelle qui
font vaciller parfois l’adaptation au réel. Pour autant, nombre d’éléments
congruents ne vont pas dans ce sens : si les limites du corps sont parfois
instables, si l’on constate une confusion des limites, ce n’est que de manière
ponctuelle. L’insistance sur le repérage des limites est importante et
relativement efficace (F+% élargi). La différence sexuelle est globalement
reconnue, mais les registres de différenciation châtré/phallique, actif/passif
servent davantage de repères que les identifications sexuelles directes. La
passivité engage la perte des limites et l’atteinte de l’enveloppe et Christelle
se restaure régulièrement en adoptant une position phallique, active, qui
demeure néanmoins en lien avec une imago maternelle condensant béance
et puissance.
Les ressources psychiques de Christelle sont très présentes :
l’investissement vigoureux des représentations, les capacités d’expression
des problématiques, la possibilité de reprise après des mouvements
projectifs ou régressifs, rendent compte d’un fonctionnement psychique
sthénique soutenu par des défenses qui maintiennent l’investissement des
limites et protègent de la désorganisation. On ne trouve pas d’éléments
majeurs susceptibles de rendre compte d’un fonctionnement psychotique,
encore moins d’une schizophrénie. Mais les défenses maniaques mobilisées
masquent mal la prégnance d’une fragilité narcissique et dépressive patente,
ce qui permet de soutenir l’hypothèse d’un fonctionnement limite.
2. TAT2
L’analyse du TAT confirme le diagnostic de fonctionnement limite mis en
évidence par le Rorschach. Les récits, dont la productivité s’appauvrit au
fur et à mesure du protocole, sont infiltrés par une forte tonalité dépressive
dont l’expression prend différentes formes (« elle veut pas qu’il
l’abandonne », « deux personnes qui vont se quitter pour longtemps. C’est
la tombée du soir. Il fait nuit »). Le début du protocole laisse passer des
affects et des représentations forts et parfois massifs (« instrument de
torture », « peut-être qu’elle s’est tuée … »), peu à peu remplacés par des
mouvements d’inhibition, de banalisation du conflit et de sensibilité
sensorielle. Ce mouvement tend progressivement à l’abrasion conflictuelle
et, par conséquent, à la possibilité d’expression de la souffrance liée à la
menace de perte d’objet. La verbalisation est marquée par la défaillance de
l’associativité. Les phrases sont courtes, voire hachées, l’articulation entre
les différentes séquences du récit est malaisée, rendant parfois la lecture
pénible. Toutefois, le discours demeure intelligible et partageable.

2.1 Procédés du discours et organisation


défensive – Registres et traitement des
conflits
L’organisation défensive met en jeu l’ensemble des séries de la feuille
d’analyse des procédés du TAT. Cependant, c’est la série C (Évitement du
conflit) qui, sur le plan économique, constitue la pièce centrale de l’édifice.
Les procédés A et B sont représentés dans tout le protocole et soulignent la
sensibilité de Christelle aux conflits réactivés par le matériel. Ils sont
davantage utilisés en début de récit (notamment les très nombreuses
références culturelles) et dans la première moitié du protocole jusqu’à la
planche 7GF mais ne peuvent se maintenir de manière efficace dans le
traitement des mouvements pulsionnels. Prenons l’exemple de la
planche 2 :
« Alors là, ça se passe avant la guerre de 14. La jeune fille, c’est
l’institutrice. Alors elle est amoureuse de celui qui sème, du jeune homme
qui sème derrière elle. Et y a une femme enceinte qui a l’air assez sereine,
et la jeune fille a l’air d’avoir du mal à s’exprimer. Elle ose pas lui dire.
C’est une belle soirée. Y a une belle lumière. C’est l’automne. Juste avant
qu’il parte à la guerre lui. Alors elle le reverra peut-être plus. Il est beau.
Voilà. »
Le récit débute de manière à la fois rigide et dramatisée par l’évocation
d’un conflit entre désir libidinal et défense. Mais les défenses narcissiques
prennent le relais évacuant tout mouvement relationnel et pulsionnel dans
une idéalisation de l’environnement investi sur un mode sensoriel (« C’est
une belle soirée. Y a une belle lumière ») et du personnage masculin (« Il
est beau » CN2/CN-3+). Le personnage féminin du second plan, isolé des
deux autres dans un premier temps, est neutralisé par un éprouvé subjectif
qui accentue d’autant sa mise à distance : « Y a une femme enceinte qui a
l’air assez sereine » (CN-1). L’incapacité de se confronter à la triangulation
œdipienne entraîne la projection d’une disqualification narcissique sur le
sujet (« La jeune fille a l’air d’avoir du mal à s’exprimer » CN-3–) et la
représentation de perte d’objet surgit de façon assez brutale (« juste avant
qu’il parte à la guerre » CL-3).
Ainsi, les procédés du discours A et B sont relayés plus ou moins
rapidement par des procédés de la série C, prévalents d’un point de vue
économique (en particulier CN, CL et CI), qui mettent l’accent sur
l’extrême difficulté à laquelle se heurte Christelle pour négocier les conflits.
Les procédés narcissiques (CN) sont tous présents dans le protocole et ont
pour fonction de nier les différences (« une qui est le reflet » en 9GF), c’est-
à-dire d’éloigner le conflit et, par conséquent, la menace pulsionnelle ou
dépressive qui préside aux représentations des relations. La différence des
générations à laquelle Christelle est sensible (« il est plus vieux qu’elle »,
« c’est père et fille », « il est d’âge mûr ») peut donner lieu à une expression
nuancée de l’ambivalence (« il est un peu ironique, mais il l’aime bien au
fond, il se moque un peu d’elle gentiment »). Mais elle est plus souvent
associée à la fragilité du lien et à l’angoisse de perdre l’objet dans le
contexte érotisé d’un rapproché incestuel interdit (« deux personnes qui
vont se quitter pour longtemps, un baiser filial sur le front. C’est père et
fille. C’est la tombée du soir. Il fait nuit. Lui, il va partir à travers la forêt »,
« il est d’âge mûr, il l’aime pas vraiment »).
Le procédé CN-2 (relatif à l’investissement de la sensorialité) apparaît
notamment de façon marquée dans la seconde partie du protocole et tient
lieu probablement d’équivalent d’affects dépressifs impossibles à
intérioriser (« tombée du soir », « très sombre », « très humide », « très
chaud », « poussière », « du mal à respirer »).
Par ailleurs, les procédés CL sont également fortement présents à travers
des thèmes de séparation, d’abandon, de solitude ou encore de défaut de
soutien sans qu’aucune issue n’en permette l’aménagement : ces procédés
témoignent de l’importance de l’investissement fantasmatique de l’autre
comme objet d’étayage. Le récit le plus significatif est celui de la
planche 7GF :
« La jeune fille tient le bébé mais elle le tient bien mal parce qu’il a la tête
qui tombe. Elle lui soutient pas la tête. C’est sa grande sœur et la
gouvernante, c’est pas la mère. Oui, ce qui me gêne c’est qu’elle le tienne
vraiment mal. C’est un tout jeune petit nouveau-né. »
L’entrée directe dans la relation souligne immédiatement l’investissement
du « soutien » maternel par l’insistance sur un détail rare dont la description
relève d’une représentation massive (« elle le tient bien mal parce qu’il a la
tête qui tombe » « elle lui soutient pas la tête » E1-2, CL-3 -, E2-3). Ce
mouvement est suivi d’une tentative de mise à distance par dénégation du
rôle maternel (A2-3) qui ne permet pas à Christelle de trouver là une issue à
la représentation pénible pour elle. L’imago maternelle comme mauvais
objet négligeant revient répétitivement (A3-1, E2-2, CL-3 -) contrastant
avec la description du bébé qui en exagère démesurément la fragilité (B2-1
→ E2-3).
Dans l’ensemble du protocole, les procédés d’inhibition (CI) s’associent
aux précédents dans la mise à distance des situations de conflits afin d’en
minimiser l’impact.
Enfin quelques émergences du processus primaire apparaissent de façon
sporadique, relevant surtout de la massivité de la projection (comme à la
planche 5 : « La femme elle a l’air sévère… elle ouvre la porte pour
regarder si le bébé dort »), sans altération de la perception, ni troubles de la
pensée, ni désorganisation des repères identitaires et objectaux ; mais leur
présence, le plus souvent en fin de récit, souligne l’impossibilité de
« remontée » de Christelle face à des conflits impossibles à élaborer.
C’est le cas par exemple à la planche 1, où la réactivation de l’angoisse de
castration révèle d’importantes failles narcissiques au retentissement
dépressif sous-jacent :
« Alors c’est un petit garçon à qui son père a dit : “Tu devrais travailler
ton violon” et lui n’a pas du tout envie de travailler le violon. Il est
désaccordé le violon. Il en a marre de travailler le solfège parce qu’en
dessous il y a une partition. Il n’y arrive pas mais le père veut qu’il joue.
Il veut qu’il joue devant les invités qui vont arriver. Et il est pas doué.
C’est pas du tout son truc. Voilà. Oui c’est plutôt un instrument de
torture. »
Dans ce récit où s’exprime tout d’abord le conflit désir/défense au sein
d’une relation interpersonnelle (B1-1, B1-2, B2-4), les procédés
narcissiques prennent rapidement le relais, attaquant sujet et objet dans leur
capacité (« violon désaccordé », « il n’y arrive pas », « il est pas doué »
CN-3–) face à un enjeu (« jouer devant des invités » CN-3+) que Christelle
ne peut pas investir à visée de restauration narcissique. De là, la fin du récit
rend compte de l’acuité de la charge pulsionnelle projetée sur l’objet
(« instrument de torture »), source d’une intense souffrance narcissique (E2-
2, E2-3).

3. Synthèse Rorschach et TAT


C’est essentiellement à partir des contrastes entre ressources et fragilités
qu’il est possible de mener la discussion diagnostique : ils illustrent
l’hétérogénéité du fonctionnement psychique caractéristique des états
limites. À chaque niveau d’analyse, on observe la coexistence de modes de
fonctionnement clivés qui alternent le plus souvent de manière abrupte. La
problématique dépressive apparaît fondamentale et s’inscrit dans des
difficultés majeures du traitement de la perte d’objet, en lien avec la relation
à une imago maternelle insuffisamment fiable et à une imago paternelle
incestuelle.
Par ailleurs, si la fragilité narcissique s’avère importante, les défenses
narcissiques mises en place et la quête éperdue d’un objet d’étayage
permettent de lutter de manière plutôt efficace contre le risque d’effraction
pulsionnelle et, ainsi, d’écarter la menace de décompensation psychotique.
4. Protocole de Rorschach, Christelle
30 ans
15” I Les deux en même temps → choc
1. Alors c’est une espèce ça a l’air soudé (plus initial
2. de chauve-souris mais chauve-souris ?) les ailes G FClob
elle est humaine parce (plus femme ?) le corps H/A
qu’au centre il y a un central. → K →
corps de femme assez Une femme assez Ban
menaçant. Elle a un trou bouffante, qui envahit parce G F– H
à la place du nombril. que là c’est comme des →K
C’est comme une bras, comme si elle allait → Clob
femme avec des ailes fondre… (?) sur nous quoi.
quoi. La même idée de menace
V Ça, ça fait Samouraï mais interprétée
en position de combat, différemment. Là il y a une
d’art martial. force physique d’un
homme, genre art martial.
Les pieds, le bassin, les
bras, la tête un peu
atrophiée et un grand
pantalon sur le côté qui fait
bouffer… bouffant.
5” II Un coquelicot mais c’est D CF Bot
3. V Ça, c’est un assez vague, en fait je le Gbl F–
4. coquelicot. vois pas vraiment, c’est les Hd/Ad
couleurs là à la tête (D
Ʌ rouge lat.).
C’est aussi une tête de (?) Y a en même temps un
clown ou une tête de animal… une espèce de
chat avec les yeux qui tigre. Un clown avec les
tombent un petit peu… yeux (D rouge sup.), le nez,
la bouche (Dbl) et une
petite barbichette (D rouge
inf.) (?) un peu triste.
5. Ou alors c’est deux Après y a deux personnages GKH
6. personnages identiques avec les deux mains… c’est → C’
de profil qui se cognent la commedia dell arte, Gbl F–
avec le genou et la main. Arlequin ou Pantalon mais Ad
Ou ça peut être une tête c’est moins précis que cela.
de lion. C’est pas des costumes
C’est tout. typiques de commedia dell’
arte, c’est Venise quoi (?)
gris, pas très chatoyants.
(Tête de lion ?) Un peu la
même chose.
E.L. “oui, deux petits
éléphants” (D F+ A Ban)
5” III Elles sont complètement G K H
7. Ça, c’est deux femmes cambrées, elles ont les Ban
8. africaines qui sont en seins assez pointus (rit) D FC A
9. train de piler quelque elles sont arc-boutées parce Ban
chose, du maïs ou du… que c’est assez dur, c’est D F+ A
Au centre, y a un ambivalent, on peut les
papillon imaginer comme n’étant
Elles sont très cambrées pas africaines mais moi
et elles ont le nez très j’imagine comme ça.
pointu, alors ce sont « Parce qu’il est rouge. »
peut-être pas des (D noir) Les yeux, les
Africaines ! pinces surtout la tête, les
V À l’envers on dirait gros yeux (?) Pas
une espèce de grosse inquiétant.
mouche. Rep. Add. : Ça pourrait être
un gros monsieur avec des
lunettes de soleil, les
chaussures (D noir sup.),
les bras et du coup ça lui
fait un nœud papillon, son
corps est un peu inexistant
parce que c’est un blanc.
(DDbl F– H)

6” IV Elle a une espèce de G FClob


10. Ça, c’est une espèce de manteau en peau qui traîne, H/A
11. créature mi-homme mi- on dirait de la fourrure. →K
singe qu’on voit de dos. Plutôt menaçant, on voit →E
Il a comme une espèce que de dos.
de costume avec une D/G K– H
traîne. Il est assez Avec des espèces de bras
menaçant. avec des espèces de
V A l’envers c’est un roi vêtements très larges (D lat.
avec sa couronne qui est inf.) c’est surtout la tête
assis sur un trône. avec la couronne qui me
Voilà. fait penser à cela (D
médian).

Imm. V C’est vraiment une chauve- G F+ A


12. Ça, c’est une chauve- souris, y a rien à dire. Les Ban
13. souris prête à s’envoler, ailes, petites antennes et → kan
les ailes déployées. petites pattes. G F+ A
V À l’envers, ça donne En plus, en général, elles
pareil, exactement, c’est ont la tête en bas.
aussi une chauve-souris,
c’est pas très différent.
8” VI Un peu échaudé. Il se bat la G FE A
14. Ça, c’est un chat un peu nuit avec d’autres chats D F+ A
15. déplumé, un peu pelé… alors il est un peu pelé. Y a → kan
un chat de gouttière. des trous (Dd gris clair
V… On dirait deux dans axe médian sup.),
petits oursons dos à dos. c’est pas très sombre, c’est
Voilà, c’est tout. plutôt clair, toutes ces
nuances.
(D lat.)

(E.L.) Oui, oui, c’est ça…


Un tapis d’antilope, je ne
sais pas quoi.
(G F+ A/Obj Ban)
4” VII (G) Y a un grand trou au Gbl F– A
16. C’est un crabe mais qui milieu. G F+ H
17. a déjà été à moitié
dévoré, c’est un reste de
crabe (soupire).
VɅVɅV C’est des Qu’est-ce que j’avais vu ?
sœurs siamoises collées Des personnages ? … Ah
par des têtes. oui, collées par la tête !
Elles sont de profil… elles
ont une tête assez grosse.
(Ʌ ?) Oui, la même idée
dans l’autre sens. Des
sœurs siamoises, elles sont
soudées mais par le bassin.
(G F+ H)

15” VIII En fait, ça m’inspirait pas Remarque


18. V Ça c’est joli comme tellement. Un arbre avec les C
19. couleur… deux animaux, un arbre de G CF Nat
Ça se passe sur la mer, y plusieurs couleurs, sa D/G kan
a la mer, ça peut être variété est comme ça ! et A/Scène
une anémone des belettes. Ban
Ʌ À l’envers, c’est un →C
arbre sur lequel essaye (La mer ?) Je vous ai dit
de monter de chaque cela ? Je me souviens pas !
Oui une anémone mais je
côté un animal genre ne me souviens pas l’avoir
renard. dit. Les couleurs.

5” IX Un champignon atomique G kobC


20. Ça, c’est un feu là. feu
21. d’artifice (D rose) D kob
22. Ou un champignon Expl
atomique. Et j’avais dit un éléphant, D/G F+ A
V Là c’est une espèce les yeux, les oreilles, la → kan
d’éléphant qu’on voit de trompe et son corps
face, il est imposant. Il a ramassé sur lui-même,
l’air un peu fâché. massif, c’est un éléphant
quoi !
Le feu d’artifice avec les
couleurs et les flammèches.
(Dd orange)

5” X C’est-à-dire que c’est D/G K±


23. Ça, c’est un cirque… Je comme si c’était les Cirque
24. ne sais pas, il y a éléments d’un kaléidoscope D/G CF
beaucoup de et que ça allait bouger Nat
mouvements, il y a des incessamment.
acrobates, ça bouge (Acrobates ?) Non, j’arrive
beaucoup. pas à montrer quelque
Ça peut être aussi un chose de précis, c’est
spectacle sous-marin abstrait, ça évoque des
comme un atoll sur choses mais y a pas de
lequel il y a des coraux. dessin que je peux vous
Voilà (soupire), je suis montrer
un peu fatiguée. Sinon des récifs de coraux
(D rose) dans une mer
chaude à Eilat. Y a des
anémones (D bleu lat.),
quelques méduses (D bleu
med.), mais encore une fois
ça évoque, ça représente
pas.
(D CF Corail) (D CF Bot)
(D CF A)
(E.L. ?) Oui tout ça, les
araignées là (D bleu lat.), le
crabe (D gris sup.)
(D F+ A Ban) (D F+ A)
Temps de passation : 20 minutes.
Choix + :
III : Parce que c’est des femmes qui travaillent aux champs. C’est assez
serein. Elles ont une complicité toutes les deux. Et il fait chaud dehors et
beau. Elles sont à l’extérieur d’ailleurs. (?) Le fait que je les vois piler
quelque chose, j’imagine que c’est dehors. (?) Elles ont l’air de bien
s’entendre.
X : Parce qu’il y a plein de couleurs… Ça bouge dans tous les sens, on ne
sait pas si c’est un spectacle marin ou un feu d’artifice. En tout cas quelque
chose qui bouge avec plein de couleurs.
Choix –
I : Parce qu’elle est assez menaçante. Comme si elle voulait fondre sur
nous en volant… C’est noir… V C’est tout.
VII : V Parce qu’il est à moitié dévoré. On dirait un cadavre un peu
décharné, un peu pourri. Ʌ C’est pareil dans ce sens. (Peur ?) oui, la mort.
Psychogramme
R : 24
G : 11 G% 79 %F = 10 (6+ ; 4–)A 8 A% : 42 %
Gbl : 3 A/Scène 1A%é : 54 %
D/G : 5 K4 Ad 1
kan 1
D5 D% 21 %kob 1 H5 H% : 21 %
kob C 1 H/A 2 H%é : 33 %
F% : 42 % Hd/Ad
F+% : 60% FC 1
F%é : 79 % CF 3 Nat 2
F+%é : 71 % Feu 1
FE 1 Expl 1
Bot 1
TRI : 4K // 4 ∑ C + 1∑Clob FClob 2 Cirque 1
Fc : 3 k // 0,5 ∑ E
TRIé : 7K // 5,5 ∑S →K3
→ kan 3
RC% : 7/24 = 29% → Clob 1
→ C’ 1
4 Ban →C1
→ Ban 1 →E1
3 Ban additionnelles

5. Protocole de TAT, Christelle 30 ans


Planche 1
Imm. Alors c’est un petit garçon à qui son père a dit : « Tu devrais
travailler ton violon » et lui n’a pas du tout envie de travailler le violon. Il
est désaccordé le violon. Il en a marre de travailler le solfège parce qu’en
dessous il y a une partition. Il n’y arrive pas mais le père veut qu’il joue. Il
veut qu’il joue devant les invités qui vont arriver. Et il est pas doué. C’est
pas du tout son truc. Voilà. Oui c’est plutôt un instrument de torture.

Planche 2
5” Alors là ça se passe avant la guerre de 14. La jeune fille c’est
l’institutrice. Alors elle est amoureuse de celui qui sème, du jeune homme
qui sème derrière elle. Et y a une femme enceinte qui a l’air assez sereine,
et la jeune fille a l’air d’avoir du mal à s’exprimer. Elle ose pas lui dire.
C’est une belle soirée. Y a une belle lumière. C’est l’automne. Juste avant
qu’il parte à la guerre lui. Alors elle le reverra peut-être plus. Il est beau.
Voilà.

Planche 3BM
5” C’est quelqu’un qui souffre. Il dort pas mais il est recroquevillé. Je
crois que c’est plutôt une fille et ça, c’est plutôt une image d’angoisse, de
fermeture. Il y a peut-être même un pistolet là. Peut-être qu’elle s’est tuée.
C’est une image de détresse quoi, oui. Elle est même difficile à regarder je
trouve.

Planche 4
5” Ça, c’est des amants… elle, elle essaye de retenir son attention, elle a
les ongles bien faits… Mais lui, il faut qu’il s’en aille parce qu’il est
préoccupé et elle, elle veut pas du départ, elle veut pas qu’il l’abandonne…
mais lui doit partir. Ça se passe à Casablanca, c’est comme le film
Casablanca, le film avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman. En fait,
c’est des acteurs hollywoodiens.

Planche 5
5” La femme elle a l’air sévère… elle ouvre la porte pour regarder si le
bébé dort. C’est pour cela qu’elle ouvre pas complètement, et elle va s’en
aller en refermant la porte quand elle aura regardé. Ça se passe en Hollande,
dans une vieille maison comme celles d’Amsterdam. La lampe est allumée.
Alors c’est le soir. En fait, elle couche son gamin pour la nuit quoi.

Planche 6GF
5” Ça aussi c’est un film. C’est Catherine Hepburn. C’est très
hollywoodien ça. Le héros avec la pipe. Ça donne une contenance. Elle, elle
a du caractère. Lui, il est un peu ironique. Mais il l’aime bien au fond… Il
est plus vieux qu’elle… alors il se moque un peu d’elle gentiment.

Planche 7GF
10” La jeune fille tient le bébé mais elle le tient bien mal parce qu’il a la
tête qui tombe. Elle lui soutient pas la tête. C’est sa grande sœur et la
gouvernante, c’est pas la mère. Oui ce qui me gêne c’est qu’elle le tienne
vraiment mal. C’est un tout jeune petit nouveau-né.

Planche 9GF
5” C’est une femme qui se regarde dans de l’eau, au bord de la mer. C’est
pareil. C’est un peu démodé la coiffure. Elle est jolie, elle s’appuie contre
un tronc d’arbre. Y a deux personnages, mais je pense qu’il y en a une qui
est le reflet. C’est assez serein.

Planche 10
5” C’est un baiser de deux personnes qui vont se quitter pour longtemps…
C’est plutôt un baiser filial, sur le front. C’est père et fille. C’est la tombée
du soir. Il fait nuit. Lui, il va partir à travers la forêt… C’est tout celui-là.

Planche 11
Celui-là, déjà il est difficile de trouver le sens < Ʌ 15”. C’est des gorges
dans la montagne avec un torrent. Sur la gauche on dirait un lézard. C’est
une cascade avec un petit muret en pierres. Je ne sais pas, y a une petite
arche avec des oiseaux dessus. C’est très sombre.

Planche 12BG
5” Ça c’est impressionniste. On dirait du Monet. Il aurait pu le peindre…
C’est la Venise verte, comme il y a au-dessus de La Rochelle, là où on est
allé en vacances, on a loué une barque, on a fait du canotage. Tout ça c’est
très humide. La barque prend l’eau peut-être.

Planche 13B
5” Ça, ça rappelle Le Kid de Chaplin. Il fait très chaud. Y a plein de
poussière et du mal à respirer. Il joue de l’harmonica. Ça se passe dans un
western. Le gamin là, il est seul. Ça me fait penser à l’autre gamin, le
premier, avec le violon. Lui, c’est l’harmonica, lui, il a envie de jouer, c’est
pas pareil.

Planche 13MF
5” C’est un couple. Ils viennent de faire l’amour. Elle, elle dort. Lui s’est
levé trop vite. Il a le vertige. C’est pour cela qu’il a le bras sur les yeux
comme ça. Il est d’âge mûr et il l’aime pas vraiment.

Planche 19
5” Ça, ça me fait penser à E la nave va de Fellini. Cette espèce de grand
bateau, un truc un peu Fantômas avec un masque. Je ne sais pas ce que
c’est, ça peut être un sous-marin avec des hublots. Il m’inspire pas
tellement celui-là.

Planche 16
C’est le grand vide ! C’est le désert ça. C’est fatigant ce test. De me
plonger dans tous ces univers différents, d’avoir l’imagination. Ça demande
une certaine concentration.
Compléments méthodologiques

Sommaire
1. Liste de D correspondant à la population 13-25 ans
1 bis. Liste de D correspondant à la population des
adultes de plus de 25 ans
2. Listes des banalités (13-25 ans et plus de 25 ans)
3. Tableau des moyennes et intervalles des normes
« adolescents/jeunes adultes » et « adultes » au
Rorschach
4. Rorschach – Psychogramme
5. Analyse planche par planche des protocoles de
Rorschach et de TAT de Michel, 24 ans
6. Démarche synthétique d’interprétation des données
projectives (Rorschach et TAT)
6 bis. Commentaires concernant la démarche
d’interprétation au Rorschach
7. Les comptes rendus cliniques à l’écrit et à l’oral
1. Liste de D correspondant à la population
13-25 ans
Planche I
D4 Détail médian en entier
D2 Détails latéraux, droit ou gauche, ou les deux
D7 Grand détail latéral supérieur
D1 Petits détails médians supérieurs

Planche II
D1 Deux détails noirs latéraux droit et/ou gauche
D3 Détail rouge inférieur
D2 Deux détails rouges supérieurs droit et/ou gauche
D9 Deux détails rouges supérieurs et le détail rouge inférieur
D10 Deux détails noirs latéraux et le détail rouge inférieur
D4 Détail pointe médiane supérieure noire

Planche III
D3 Détail rouge médian
D1 Deux détails latéraux noirs et détail noir médian
D2 Détail rouge supérieur latéral, droit ou gauche, ou les deux
D7 Détail noir médian entier
D14 Détail noir médian et détail inférieur du noir latéral
D6 Détail supérieur latéral : chacun des côtés

Planche IV
D1 Détail médian inférieur
D9 Ensemble de la tache sans le détail médian inférieur
D6 Détail latéral inférieur droit ou gauche, ou les deux
D2 Extrémité des détails latéraux inférieurs droit, gauche ou les deux
D4 Détails latéraux supérieurs droit ou gauche ou les deux
D3 Détail médian supérieur

Planche V
D10 Deux détails latéraux droit ou gauche, ou les deux
D4 Détails latéraux entiers droit ou gauche
D6 Détail médian supérieur
D9 Détail médian inférieur
Planche VI
D3 Détail supérieur de la tache
D1 Détail principal inférieur de la tache
D5 Axe médian entier avec ou sans les détails supérieurs latéraux
D6 Détails supérieurs latéraux
D4 Les moitiés droite ou gauche du détail principal inférieur
D6 Détails supérieurs latéraux seuls

Planche VII
D1 Premier tiers, ou détail supérieur droit, gauche, ou les deux
D3 Deuxième tiers, ou détail médian droit, gauche, ou les deux
D2 Premier tiers (D1) et deuxième tiers (D3) droit, gauche, ou les deux
D4 Troisième tiers ou détail inférieur entier

Planche VIII
D1 Détail rose latéral droit, gauche, ou les deux
D2 Détail rose et orange
D4 Détail gris supérieur
D5 Détail bleu
D9 Ensemble de la tache, à l’exception des détails roses latéraux (D2+D8)
D8 Détail gris et détail bleu

Planche IX
D6 Détail rose inférieur entier
D3 Détail orange droit, gauche, ou les deux
D11 Deux détails verts ensemble
D1 Détail vert droit ou gauche
D9 Détail rose inférieur entier et l’axe médian
D8 Détail intermaculaire entre les deux détails oranges, traité en couleurs
D12 Détail vert et détail orange, un ou deux côtés
D16 Détail vert et détail rose
D4 Moitié ou quart latéral du détail rose
D17 Détail orange, détail vert et axe vertical (G sans le D6)
Planche X
D1 Détail bleu latéral, droit, gauche, ou les deux.
D11 Détail gris supérieur entier
D18 Les différents détails sur fond intermaculaire
D9 Détails roses, droit ou gauche, ou les deux
D7 Détail gris brun externe, droit ou gauche, ou les deux
D2 Détail jaune intérieure, droit ou gauche, ou les deux
D10 Détail vert médian entier
D3 Détail orange médian
D6 Détail bleu médian
D4 Détails latéraux du vert médian
D8 Détails latéraux du gris supérieur
D5 Détail médian du vert médian
D13 Détail marron-ocre latéral, droit ou gauche, ou les deux
D14 Détail médian du gris supérieur
D15 Détail jaune externe, droit ou gauche, ou les deux
D16 Les deux détails roses et le détail gris supérieur
D12 Détail vert supérieur latéral, droit ou gauche, ou les deux.

1 bis. Liste de D correspondant à la


population des adultes de plus de 25 ans
Planche I
Partie médiane, avec ou sans le gris clair inférieur
Chacune des deux parties latérales
Partie médiane, le tiers supérieur
Partie médiane, les deux tiers inférieurs
Partie latérale, moitié supérieure

Planche II
Chacune des deux parties noires ou les deux
Rouge supérieur (droite et gauche)
Rouge inférieur
Pointe noire médiane
Planche III
Noir médian, avec ou sans le gris du milieu
Rouge médian
Rouge supérieur latéral (un ou deux)
Partie noire supérieure
Partie noire médiane
Partie noire latérale inférieure
Planche IV
Partie médiane inférieure
Tout l’axe médian
Partie médiane supérieure
Chacune des deux parties latérales, soit entières, soit les deux tiers
inférieurs
La partie claire des parties latérales inférieures
Saillies latérales supérieures

Planche V
Partie médiane supérieure
Partie médiane inférieure
Parties latérales
Prolongements latéraux des parties latérales

Planche VI
Partie principale inférieure
La moitié, droite ou gauche, de cette partie principale
Partie supérieure
Partie supérieure, le milieu noir seulement
Extrémité supérieure de la ligne médiane, avec ou sans les petits traits
Grande saillie latérale
Axe médian tout entier

Planche VII
Tiers supérieur
Tiers médian
Tiers inférieur
Moitié, droite et gauche, du tiers inférieur
Axe médian du tiers inférieur

Planche VIII
Partie rose latérale ou les deux
Partie orange-rose médiane
Partie rose médiane
Chacun des deux carrés bleus ou les deux
Partie grise supérieure
Partie médiane des D bleus constituée des traits saillants (peut également
être vue comme Dbl)
Planche IX
Partie orange
Partie verte
Partie rose
Moitié latérale du rose
Quart latéral du rose
Partie intermaculaire (si la couleur intervient comme déterminant : sinon
c’est un Dbl).
Ligne médiane verticale

Planche X
Vert médian inférieur entier
Partie claire médiane du vert médian inférieur
Partie foncée latérale du vert médian inférieur
Vert latéral supérieur ou les deux
Gris supérieur, avec ou sans l’axe médian
Brun-gris latéral, avec ou sans le jaune, ou les deux
Bleu médian
Bleu latéral ou les deux
Jaune médian ou les deux
Marron-ocre latéral inférieur ou les deux
Orange médian
Partie Rose ou les deux

Toute combinaison de deux ou plusieurs D est cotée D.


2. Listes des banalités
2.1 Liste des banalités pour les sujets âgés
de 13 à 25 ans
Planche I G : Papillon ou chauve-souris – Masque.
Planche III G : Deux personnages.
D rouge médian : Papillon ou nœud papillon.
Planche V G : Papillon ou chauve-souris.
Planche VI G : Peau d’animal.
Planche VIII D rose latéral : Deux animaux.
Planche X Détails sur fond intermaculaire : Tête humaine.
D bleu latéral : Deux araignées.

2.2 Liste des banalités pour les sujets âgés


de plus de 25 ans
Planche I G : Oiseau ou chauve-souris ou papillon.
Planche II D noir : Animaux entiers (tels que ours, moutons, chiens,
éléphants…).
D noir : Têtes des mêmes animaux.
Planche III G de convention (localisation noire seule) : Tout être humain
entier (quel qu’en soit le libellé : bonhomme, personnage…).
D rouge médian : Papillon ou nœud papillon.
Planche V G : Oiseau – Chauve-souris – Papillon.
Planche VI G ou D inférieur : Peau d’animal.
Planche VIII D rose latéral : Deux animaux (sauf poissons, insectes ou
oiseaux).
Planche X D bleu latéral : Crabe – Araignée – Pieuvre.
D vert clair médian : Tête de lapin.
D gris sup : Deux animaux.

3. Tableau des moyennes et intervalles des


normes « adolescents/jeunes adultes » et
« adultes » au Rorschach1
Moyennes et intervalles
Moyennes et intervalles
des normes adolescents/
Écart-types des normes adultes Écart-types
jeunes adultes
(25-65 ans)
(13-24 ans)
R 26 [16-36] 10 28 [13-43] 14.75
T/R 37.5 sec [20-55] 17.55
Temps
13.2 sec [4-22] 9.3 sec
de latence

G% 43 % [25-61] 18% 37% [19-55] 18%


D% 44 % [29-59] 15% 57% [41-73] 16%
Dd % 10 % [2-18] 8% 3% [0-8] 5%
Di % 0.77 % [0-3] 2%
Dbl % 3 % [0-7] 4% 2% [0-5] 3%

F% 61 [44-78] 17% 58% [41-75] 17%


F%é 88 % [78-98] 10%
F+% 65% [ 51-79 ] 14% 61% [46-76] 15%
F+%é 66 % [55-77] 11%

A% 44 % [28-60] 16% 43% [29-57] 14%


A%é 47 % [31-63] 16%
H% 16 % [6-26] 10% 16% [8-24] 8%
H%é 20 % [8-32] 12%

RC% 35 % [26-44] 9% 36% [27-45] 9%


Ban 5 [3-7] 2

4. Rorschach – Psychogramme
Nom : Prénom : Âge :
___________________________________________________________
________________
R:
Refus : G : G% : F : A:
TL : D : D% : F+ : Ad :
T: Dd : Dd % : F– : (A) :
T/R : Dbl :Dbl % :F+/– : (Ad) :
Di : H:
K: Hd :
kan : (H) :
T.A. : kob : (Hd) :
kp : Anat :
TRI : K // Σ(C/Clob) Abst :
Fc : k // ΣE FC : Sang :
TRIé K + k // Σ(C/Clob/E) CF : Bot. :
C: Géo :
RC% : Obj :
FE :
F% : EF :
F%é : E:
F+% : A% :
F+%é : H% :
FClob :
ClobF :
Chocs : Clob :
Rem. Sym. : → K Ban :
Rem. C : → kan
→ FC
Choix + : → Clob
Choix – :
Chocs :
Équivalents Chocs :
Persévérations :
Remarques symétrie :
Remarques Couleurs :
Critiques subjectives :
Critiques objectives :
Descriptions :
Retournements :

5. Analyse planche par planche des


protocoles de Rorschach et de TAT de
Michel, 24 ans
5.1 Rorschach
Planche I
• Première réponse formulée d’emblée : souci de contrôle ; réponse qui se
saisit sans difficulté (G simple avec déterminant formel et Ban).
• Long temps de latence sans autre représentation. Précaution verbale et
commentaire sur la symétrie qui confirme l’abord rigide et précautionneux
et révèle la sensibilité de Michel à la différence et peut-être à
l’incomplétude.
• À l’enquête, la méticulosité se confirme, accent mis sur de petits détails
dont les contenus plus projectifs témoignent d’une moindre défense :
agressivité (« pinces »), mise à mal de l’intégrité du corps (« abîmées,
déchiquetées »). Hypothèses : problématique de castration ? fragilité des
limites ? exigence narcissique ?

Planche II
• Commentaire sur la symétrie : souci d’objectivité.
• Mais première réponse impressionniste (« tache de sang ») donnée sous
couvert d’isolation maintenue à l’enquête « des traces de doigts » (sans
intégration de la couleur ni association à valence sexuelle ou agressive).
« Tache de sang » cette fois sous-tendue par une kinesthésie (« tombée en
faisant “splash” ») : mais registre fantasmatique toujours inaccessible
(agressivité, castration ?).
• Inhibition, long temps de latence.
• Reprise sous couvert d’isolation (Dbl impressionniste), dévoilement d’un
contenu symbolique sexuel (« comme une porte… une ouverture, un
passage ») : possible représentation de la passivité et de la castration
(isolation de « sang »). Confirmation par les deux réponses additionnelles
(« deux têtes de rhinocéros en train de s’embrasser », « deux ours ou deux
souris sans tête qui jouent à se taper sur les mains ») : kinesthésies
libidinale et agressive avec formation réactionnelle. Dynamique objectale
et identificatoire conflictuelle, importance des contrastes : animaux
agressifs à attribut phallique qui s’embrassent ; animaux (très petits/très
volumineux) châtrés mais qui « jouent à se taper sur les mains »
(minimisation de la portée agressive et/ou sexuelle). Levée de l’isolation à
l’épreuve des choix : « À cause des taches de sang… des ours à la tête
coupée. » Confirmation de l’angoisse de castration liée à un maniement
laborieux de l’agressivité et aux figures de puissance.
Planche III
• Défense rigide par commentaire objectif sur la symétrie.
• Précaution verbale qui introduit une G simple à tendance élaborée par la
kinesthésie et la prise en compte du D médian : contenu humain
sexuellement neutre (« personnages ») mais précision de la posture érigée
(« debout »).
• Temps de latence long puis réponse « sang » (D impressionniste) plus
dynamique qu’à la planche II (« des coulées de sang ») mais toujours
isolée (pas de lien avec H qui précède ni Anat qui suit).
• Contenu viscéral délicat à interpréter avec assurance, possible valence
sexuelle (valeur libidinale du « cœur », « reins » qui participent du
système génito-urinaire ?). Hésitation de Michel (cotation F+/–) entre un
contenu de bonne qualité formelle qu’il critique à l’enquête (« ça n’a pas
trop la forme des poumons ») et un contenu de mauvaise qualité formelle
(« un cœur »).
• Réponse suivante plus transparente : reprise de la première réponse avec
représentation de relation de rivalité agressive (« qui s’arrachent quelque
chose, qui le prennent chacune de leur côté ») qui ne s’amenuise pas à
l’enquête (« ils déchiquettent chacun de leur côté »). Écho avec la
planche I (« ailes déchiquetées ») qui articule la mise à mal du corps et la
rivalité agressive.
Planche IV
• Pour la première fois, pas de commentaire immédiat.
• Précaution verbale, contenu régressif infantile (« gros personnage de
dessin animé ») qui contient et minimise la portée phobogène de la
représentation. Déploiement d’un contenu à valeur symbolique puissante
et nantie (« vu en contre-plongée, avec les tentacules qui pendent », G
simple). À l’enquête, accentuation de la dimension phallique inquiétante
(Lovecraft) articulée à de l’angoisse de castration et de passivité (« on le
voit d’en bas. On est tellement petit qu’il nous voit même pas »), mais
claire expression de l’ambivalence pulsionnelle : le monstre est « en train
de s’affaler en arrière, de basculer » et tentative laborieuse de mentionner
l’appendice médian (« là, une troisième jambe ou la queue ou… »).
• Déplacement sur un contenu botanique qui conserve la dimension érigée
tout en évitant la dimension menaçante (« un arbre, avec le feuillage
autour, des lianes comme le saule pleureur, un feuillage qui redescend », G
simple) : représentation nantie et protectrice (« qui protège ou qui fait de
l’ombre, il y a de la place encore dessous ») qui confirme l’ambivalence
objectale et identificatoire face aux figures phalliques, tantôt inquiétantes
et fascinantes (choix positif de cette planche : « monstres de mon
enfance »), tantôt vulnérables, tantôt protectrices.

Planche V
• Déstabilisation devant cette planche pourtant très compacte : réponse en
F– dont le contenu est significatif de flaccidité (compensée par les
attributs « les antennes » et « des ailes pointues » à l’enquête aux limites).
• Accent mis sur les sécrétions de mucus (« truc visqueux qui traîne
derrière, bave qui coule ») qui suscitent classiquement et défensivement
plus de répugnance que d’attirance.
• Mobilisation maladroite d’une pensée qui se veut analytique et
constructive (G élaboré) (« une limace… ou deux… j’en sais rien »).
Défense narcissique à l’enquête qui échoue (« comme si elle s’écrasait sur
un miroir ») puis représentation de relation intense (« ou deux qui se
rejoignent et se fondent »). Sans doute effet d’après-coup de la
sollicitation de la planche IV où puissance, attributs phalliques, dialectique
active/passive et entremêlement du sexuel et de l’agressivité étaient déjà
mobilisés.
Planche VI
• Accent mis sur la qualité castrée, réceptive et passive (écho de la
planche II) marquée cette fois par la vulnérabilité (« une faille ») puis, à
l’enquête, par la perte de contenance, voire de consistance (« les parois qui
s’affaissent à l’intérieur » estompage de perspective).
• Gêne de Michel (silence et rire) et inhibition (« ça m’inspire rien d’autre,
je sais pas »). À l’enquête, levée du refoulement et du déplacement :
représentation de la castration en associant moindre consistance et sexe
féminin. Confirmation par réponse additionnelle : isolation du D supérieur,
valorisation compensatoire (attributs élevés, « sommet des totems
indiens » ; animaux phalliques et prédateurs, « des aigles ou des serpents à
plumes ».

Planche VII
• Hésitation et précaution verbale, déplacement sur un contenu
géographique (déterminant formel vague), réponse symbolique d’une
problématique marquée d’abord par une passivité et une réceptivité bien
contenues (« quelque chose qui s’ouvre aussi, ça s’écarte un peu. Comme
un canal qui arrive sur une calanque, une crique avec l’ouverture sur
l’océan ») mais non indemne d’appréhension de mise à mal de l’intégrité
(« c’est étroit, c’est tout écrasé »), confirmée à l’épreuve des choix : « Y’a
cette ouverture, impression de ne plus être écrasé ».

Planche VIII
• Exclamation à propos des couleurs sans intégration.
• Première réponse (G simple) de mauvaise qualité formelle : trouble suscité
par l’apparition des couleurs (dans l’après-coup des sollicitations latentes
de la planche précédente) : qualité symbolique moyenne, sans doute
tentative d’évitement du sexuel par repli maladroit sur une anatomie
osseuse (« Je sais pas vraiment, car je sais pas si on le voit de dos ou de
face, plutôt de dos »).
• Renversement en son contraire immédiat par une réponse « animal » (D
simple) à valeur symbolique phallique transparente (« verticaux », animal
connu pour sa langue protractile, sa longue queue), sans représentation de
relation.
Planche IX
• Temps de latence, observation du matériel, inhibition associative en
contraste d’avec les entrées directes précédentes.
• Couleurs intégrées sur un mode impressionniste (avec tendance à
l’estompage de diffusion) pour donner une représentation où la curiosité et
la vigilance sont empêchées : « la fumée cache ce qu’il y a derrière, on
voit à peine ce qu’il y a dessous (…) des traits plus définis derrière mais
on voit pas ce que c’est ».
• Planche de choix négatif associé aux seuls affects exprimés à l’occasion
de cette passation : « J’aime bien les couleurs mais j’aime pas parce qu’il
y a quelque chose de caché » : frustration de la satisfaction de la pulsion
scopique (« quelque chose », « on voit pas ce que c’est », « ce qu’il y a
derrière », « ce qu’il y a en dessous »). Refoulement et évitement
repérables (cf. le très court temps accordé à cette planche).

Planche X
• Commentaires sur les couleurs, temps de latence et isolation : « entités
séparées ».
• Centration sur petits D simples : représentation associant contenus
botanique et sexuel (« graines, ovules, œufs »). Long temps de latence
puis D simple (« le bleu, ça fait penser à des crabes », à l’enquête, « des
araignées pleines de pattes ») : isolation qui n’empêche pas de repérer la
dynamique associative portée par la préoccupation sexuelle articulant et
condensant ingestion/fécondation, activité/passivité, réceptivité/détention
d’appendices.
• Dynamique confirmée par trois réponses additionnelles : réponses
anatomiques avec incidences réceptive (« les os du bassin ») et érigée (« la
colonne vertébrale »), réponse « animal » avec valorisation des attributs
phalliques (« têtes de perroquet », « le bec, les yeux, la houppette ») et
représentation de relation agressive (« qui se regardent, ils se défient
même ») mais le contrôle perceptif achoppe (kan–).

5.2 TAT
Planche 1
• Abord précautionneux : temps de latence long, hésitations et pauses
discursives (CI-1).
• Précaution verbale et hésitation (A3-1), expression d’un conflit avec
accentuation de l’immaturité (« jeune garçon »), associant conflictualité
interne et relationnelle avec un objet anonyme (« à qui on demande ou qui
a envie de jouer de la musique », A3-1/B1-1/CI-2/A2-4).
• Enlisement des hésitations (« qui a envie de jouer de la musique ou
apprendre le violon », « il se rend compte que c’est dur ou ça lui plaît
pas », A3-1/A2-4).
• Association d’affects (« ça lui plaît pas, il a l’air découragé » (A3-1/B1-3)
et représentation d’investissement d’objet (« peut-être qu’il a essayé, il a
commencé à apprendre »), mais relais pris le conflit relationnel avec
l’objet contraignant et anonyme (« soit ça lui plaît pas et dans ce cas on le
force à continuer » B1-3/B1-1/CI-2).
• Affects de déplaisir (assumé « découragé », minimisé « un peu dépité ») et
conflit interne (« il sait pas s’il doit en jouer ou dire que ça lui plaît pas »,
A3-1/B1-3/A3-4/B1-1/A2-4).
• Long temps de latence que le clinicien tente de lever par l’invitation à
penser une fin à l’histoire, refrènement de tout affect de déplaisir et de
représentation d’opposition (A3-3), mais expression d’une dynamique
identificatoire (« il est encouragé par le fait qu’on attend qu’il réussisse »)
à valeur d’investissement narcissique (« deviendra un grand violoniste »,
CN-3+), puis source de plaisir (« arrive à jouer un joli morceau, se rend
compte qu’il peut y arriver (…) prendra plaisir à en jouer par la suite »).
• Rire (D2) qui rend compte du contact qui demeure, malgré l’évitement
final de la conflictualité et du déplaisir, avec la source du conflit (difficulté
de maîtrise de l’objet).
Problématique : reconnaissance de l’immaturité de l’enfant et de la
complexité de la maîtrise de l’objet, mais accent porté sur la soumission à la
contrainte surmoïque (parentale) pour éviter la confrontation douloureuse à
la castration liée à l’impossible satisfaction de ses désirs. Castration
associée au vécu de passivité dans le lien à un objet qui force, et à la
difficulté de s’y opposer. Dégagement possible représenté par l’attraction
identificatoire, permettant la restauration narcissique mais au prix d’une
formation réactionnelle.
Planche 2
• Temps de latence moins long et investissement d’emblée du groupe
familial (CI-1/B1-1).
• Triangulation reconnue avec accent mis sur le couple libidinal parental
(« sa femme qui l’aide », B3-2).
• Conflit entre désirs contradictoires (« ils espèrent peut-être qu’elle
travaille avec eux. Mais en fait, elle préfère étudier, faire un travail plus
intellectuel, plus cultivé », B1-1/B2-4/CN2+).
• Affect tempéré (A3-1/B1-3) porté par les figures parentales qui renoncent
à la satisfaction de leur désir, garante certes de la satisfaction du désir
propre du sujet mais également porteuse d’une exigence narcissique
idéalisée qui en est la condition (« elle devient une institutrice ou
professeur de collège ou même d’université, et ses parents sont fiers
d’elle », CN2+).
Problématique : confrontation à la sollicitation œdipienne mais le travail
de renoncement de la satisfaction pulsionnelle est dévolu aux figures
parentales, ce qui conditionne leur amour à leur satisfaction narcissique.

Planche 3BM
• Abord hésitant, identification sexuelle neutre avec affect fort sans motif de
conflit précisé (CI-1/CI-2/A3-1/B2-2/CI-2).
• Temps de latence et hésitation (CI-1/A3-1) puis association d’une
représentation de perte d’un objet libidinal anonyme (B1-1/CI-2),
hésitations quant à l’identification sexuelle et au motif de la perte (« parti
ou décédé, qui l’a abandonné »).
• Représentation de relation mettant l’accent sur la valence d’étayage de
l’objet avec liaison à un affect fort (« comme elle reposait tous ses espoirs
sur cette personne, elle est déprimée » (CL-3+, B2-2).
• Centration ponctuelle sur les éprouvés subjectifs (« elle reprendra le
dessus, se fera une raison, qu’elle, au moins, est vivante et a sa vie à
faire », CN-1) puis investissement objectal marqué par l’appréhension du
risque dépressif (« sans oublier complètement le passé, sans se laisser
dépasser par lui, sans se laisser engloutir », A2-3/E2-3).
Problématique : liaison possible entre affect de tristesse et représentation
de perte d’objet, mais difficulté de prise de position identificatoire et repli
vers des positions plus régressives (fonction d’étayage de l’objet, centration
narcissique). Si la valence libidinale du lien à l’objet est ainsi atténuée,
l’angoisse liée à l’impuissance et à la passivité demeure.

Planche 4
• Abord silencieux (CI-1) puis accent mis sur le lien libidinal (B3-2).
• Sous couvert de précautions verbales, accent mis sur le contraste des
affects et des représentations avec anonymat et scotome de l’objet tiers
(« autre chose », « ce qui l’attire, un pôle d’attraction, un centre d’intérêt
qui n’est pas elle », A3-1/B3-2/B2-4/CI-2/E1-1).
• Accent porté sur la dynamique relationnelle (B1-1)
Problématique : ambivalence qui exacerbe le conflit entre les positions
active et passive, puissante et impuissante, masculine et féminine. L’objet
tiers, source du conflit (objet de désir pour l’un, objet rival pour l’autre), ne
peut être nommé.

Planche 5
• Long temps de latence, hésitations, pauses discursives et précaution
verbale (CI-1/A3-1).
• Centration sur une figure maternelle investissant l’espace intime d’un
personnage ne figurant pas sur l’image, anonyme de prime abord puis,
sous couvert d’une précaution verbale, identifié comme un fils (B1-1/B3-
2/B1-2/CI-2/A3-1/B1-1).
• Contraste entre représentations avec valence sexuelle transparente
(« s’attend à le trouver endormi, se rend compte qu’il a découché », B2-
4/B3-2), associé à un affect (B1-3).
• Long temps de latence et reprise sur le conflit interne de la figure
maternelle (A2-4), accent mis sur les retrouvailles mère/fils (B1-1).
Problématique : mise en tension d’une figure maternelle à la fois
surmoïque et transgressive, à entendre dans la continuité de la planche
précédente où s’expriment l’ambivalence pulsionnelle et la satisfaction du
désir émergeant sans culpabilité apparente. Conflit désir/défense qui permet
également un mouvement de réparation et de retrouvailles œdipiennes.

Planche 6BM
• Temps de latence, précaution verbale et anonymat du personnage masculin
(CI-1/A3-1/CI-2).
• Représentations de relations en contexte dramatisé incluant un personnage
ne figurant pas sur l’image (B1-1/B1-2/B2-1/B2-3). Retrouvailles
mère/fils sous couvert d’étayage (CL-3+).
• Affect fort et précipitation conclusive (B2-2/CI-2).
Problématique : problématique à entendre dans la dynamique associative
des planches précédentes : évitement d’une référence directe à la figure
tierce du père, retrouvailles œdipiennes mère/fils sous couvert d’un lien
d’étayage. La culpabilité apparaît au travers de la rétorsion et de la sanction
du fils.

Planche 7BM
• Relation père/fils reconnue avec précaution (« on dirait un fils, quelqu’un
qui parle avec son père », CI-1/A3-1/B1-1).
• Motif du conflit rapidement déplacé sur un personnage libidinal ne
figurant pas sur l’image, contexte dramatisé et affect associé (CI-2/B1-
3/B1-1/B3-2/B2-1).
• Figure paternelle investie sur un mode d’étayage (CL-3+/CN-3–).
Problématique : conflit d’ambivalence déplacé sur un personnage tiers ;
figure paternelle épargnée et investie comme objet d’étayage pour un fils
qui est désarmé.

Planche 8BM
• Trouble patent, précaution verbale, hésitation (D1/CI-1/A3-1) puis
représentation de relation avec une figure paternelle valorisée (B1-1/CN-
3+).
• Conflits intra-personnels engagés dans une dynamique identificatoire
marquée par l’aller/retour entre l’expression pulsionnelle (« il a envie de
voir comme il travaille ») et la défense (« il pense qu’il ne pourra pas
supporter la vue de l’opération », A2-4).
Problématique : relation père/fils mobilisant désir (curiosité sexuelle) et
défense (interdit). Conflit identificatoire actif dans un contexte de castration
et difficulté à prendre en charge des positions actives agressives vécues
comme transgressives.

Planche 10
• Long temps de latence, hésitation discursive (CI-1).
• Représentation de relation inaugurée par une légère craquée verbale (E4-
1) vraisemblablement liée au traitement de la planche 8BM : impuissance
portée par une figure féminine, accent mis sur une représentation de
relation d’étayage de la part de l’homme (A3-1/CN-3-/CL-3+).
Problématique : représentation de relation d’étayage pour éviter le
rapproché érotique ; acuité de la problématique d’impuissance et de
castration portée par la figure de la femme en contraste de l’homme nanti et
solide.

Planche 11
• Première fois que Michel prend et garde en mains la planche tout du long
de sa narration (D1) : moindre inhibition mais long temps de latence (CI-
1).
• Fantaisie dramatisée mobilisant des représentations contrastées (B2-1/B2-
4) portées par des figures agressives, nanties et puissantes.
Problématique : possibilité de représentations conflictuelles au sein d’une
confrontation agressive soutenue et secondarisée à cette planche qui ne met
pas explicitement en scène des personnages.

Planche 12BG
• Prise en mains de cette planche peu figurative et, pour la première fois,
pas de temps de latence (D1/B2-1).
• Abord légèrement descriptif relayé par l’introduction de personnages ne
figurant pas sur l’image engagés dans une représentation de relation
libidinale avec un affect fort (A1-1/B1-2/B3-2/B2-2).
Problématique : déploiement de représentations libidinales tout à la fois
tendres et érotisées à cette planche qui ne met pas explicitement en scène de
personnages.

Planche 13B
• Entrée directe (B2-1) sans toucher de planche et inhibition projetée sur le
personnage dont sont exacerbés les traits d’immaturité (→ CN-3–).
• Remâchage et déploiement d’un conflit désir/défense, curiosité/incapacité,
en lien avec des objets ne figurant pas sur l’image (A3-1/A2-4/B1-1/B1-
2).
• Un projet identificatoire permet d’envisager le dégagement de cette
problématique enlisée, cependant non sans nostalgie.
Problématique : projection phobique qui permet de représenter la
difficulté d’assumer le désir de conquête des objets d’amour du fait d’une
intense angoisse de castration. Sous couvert de cette impuissance, difficulté
du renoncement à la proximité et à la sécurité des figures parentales.

Planche 13MF
• Entrée directe dans le matériel sous couvert d’un anonymat premier avec
hésitation discursive (B2-1/CI-2/CI-1).
• Dramatisation d’une thématique de perte d’un objet d’amour avec liaison
à un affect de tristesse lui-même lié à une représentation d’impuissance
(B3-2/CI-1/B1-3/B2-2/CN-3-).
• Silence intra-récit puis conclusion par référence au sens commun avec
centration narcissique (A1-3/CN-1/CI-1) qui n’est pas sans écho avec le
traitement de la problématique dépressive à la planche 3BM.
Problématique : difficulté à aborder et traiter la problématique dépressive
liée à la perte d’objet qui nécessite une centration narcissique restauratrice
du fait de l’impuissance douloureuse associée.
Planche 19
• Prise en mains de cette planche peu figurative et entrée directe avec légère
hésitation sémantique révélant la valence libidinale de la curiosité infantile
(D1/B3-2).
• Accent mis sur une représentation de relation investissant un personnage à
valeur symbolique paternelle ne figurant pas sur l’image (B1-1/B1-2/A1-
4) qui échappe à la maîtrise, d’où l’expression d’un affect à valeur
dépressive (B1-3).
Problématique : planche qui confirme l’acuité de la problématique de
castration en lien avec une curiosité sexuelle coupable.

Planche 16
• Réaction amusée (D2).
• Fantaisie personnelle dramatisée, avec rebondissements, actions, affects
forts (B2-1/B2-3/B2-2), qui permet une prise de position narcissiquement
valorisée et symboliquement transparente (CN-3+/B3-2).
Problématique : problématique sexuelle exprimée à l’abri de références
symboliques ; désarroi face aux objets qui échappent à la conquête et à la
maîtrise. L’identification a une figure de puissance phallique à valeur de
restauration narcissique.

6. Démarche synthétique d’interprétation


des données projectives (Rorschach et
TAT)
6.1 Démarche d’analyse et regroupement
synthétique Rorschach
Dynamique de la passation
Clinique de la passation : impressions cliniques, tonalité affective,
mobilisation transférentielle, verbalisation, réactivité spécifique aux
planches (associativité, résonance fantasmatique), manifestations
comportementales.
Interprétation des données quantitatives : cotation des réponses,
établissement du psychogramme, comparaison des données avec les
données normatives, regroupement des facteurs : congruence ou
contradiction. Modalités défensives.
→ Hypothèses concernant le fonctionnement psychique.
Processus de pensée
Modalités d’investissement de la réalité externe : différenciation
dedans/dehors.
Facteurs du psychogramme : modes d’appréhension (G%, D%),
déterminants (F%, F+% et formules élargies, F+/–, prise en compte des
caractéristiques sensorielles), contenus (H%, A%, Ban).
G simples et D simples, analyse des F–, qualité et dimension symbolique
des contenus.

Modalités d’investissement de l’activité de pensée.


Diversité et qualité des modes d’appréhension : G, D (élaborés,
impressionnistes, vagues, etc.), Dd, Dbl.
Diversité et qualité des réponses formelles, des kinesthésies et des
déterminants sensoriels.
Liaison, associativité, originalité, créativité.
→ Caractéristiques et qualité des processus de pensée, dialectique des
processus primaire et secondaire.
Identité et narcissisme
Identifications primaires : différenciation moi/non-moi.
G simples, F+, F, K, Di.
Traitement de la planche V et des autres planches compactes (I, IV et VI).
Représentations humaines : H, Hd, (H), (Hd). Degré de vie.
Réponses hybrides et composites (dont H/A, A/H).
Représentations animales : A, Ad, (A), (Ad).
Réponses anatomiques (Anat).
Limites dedans/dehors.
Stabilité des contours : G et D simples, confabulés, contaminés. H/Hd,
A/Ad, F% et F+/–.
Modes d’appréhension impressionnistes.
Réponses « peau ».
Qualification narcissique (positive ou négative).
Traitement des planches pastel et des planches « rouges ».
→ Fondements de l’unité narcissique et qualité des limites.

Identifications secondaires : différenciation sexuelle


Représentations humaines H. Kinesthésies.
Représentations animales A. Kinesthésies.
Contenus à symbolique sexuelle (creux, contenant, passivité, réceptivité,
etc. ; saillies, appendices, érection, puissance phallique, etc.).
Planches à valence sexuelle privilégiée (II, III, IV, VI, VII).
→ Diversité, qualité et souplesse des identifications.
Représentations de relations et investissements
objectaux
Analyse des kinesthésies : K, kan, kob, kp (expression pulsionnelle
ambivalence libido/agressivité ; relations spéculaires/recherche d’étayage ;
destructivité/fusion).
Analyse des planches bilatérales : II, III, VII (+ VIII).
Analyse des planches à symbolique maternelle : VII, IX.
Analyse des planches à symbolique phallique : IV, VI.
Analyse de la première et de la dernière planche.
→ Diversité, qualité et souplesse des investissements objectaux
Expression pulsionnelle, affects et angoisses
TRI (K//C, C’ Clob), formule complémentaire (k//E), ΣS, RC%.
Analyse des réponses intégrant les qualités sensorielles du matériel : C,
C’, Clob, E.
Réactivité aux planches rouges, noires et grises, pastel.
Manifestations hors réponses : chocs, etc.
Épreuve des choix.
→ Modalités de traitement des affects, nature et qualité de l’angoisse
Liaison affects et représentations.
Organisation défensive
Modalités rigides, labiles, par l’inhibition, narcissiques, projectives…
→ Défenses permettant un traitement intrapsychique du conflit.
→ Défenses caractérisées par l’externalisation du conflit.
Registre(s) psychopathologique(s) (névrotique, limite, narcissique,
psychotique…).
→ Diversité, souplesse, massivité, désorganisation ;
articulation et efficacité des défenses.
Synthèse
Représentations de soi, d’objets (identifications, choix d’objet,
représentations parentales).
Problématiques prévalentes (œdipienne, dépressive, narcissique,
identitaire, etc.).
Organisation défensive, angoisse et traitement des conflits : diversité,
efficacité et souplesse.
Hypothèses concernant l’organisation du fonctionnement psychique
(névrotique, narcissique, limite, psychotique, etc.). Fragilités et ressources :
diversité, efficacité, souplesse des conduites psychiques (défenses, capacités
régressives, investissements narcissiques et objectaux, etc.).
6.2 Démarche d’analyse et regroupement
synthétique TAT
Clinique de la passation : Impressions, climat, relation au clinicien,
caractéristiques de la production, dynamique de la passation, réactivité
spécifique aux planches, continuité associative, manifestations
comportementales (agitation, mimiques, demandes faites au clinicien…).
Cotation de chaque récit de planche à l’aide de la feuille d’analyse des
procédés du discours.
Dégagement de la problématique pour chaque planche.
Procédés du discours et organisation défensive
Repérage des procédés du discours : qualité, diversité, prévalence et
articulation.
Dialectique des processus primaire et secondaire ; modalités
d’investissement de la réalité externe et résonance fantasmatique ; lisibilité
de l’histoire.
Mécanismes de défense mobilisés (refoulement, formation réactionnelle,
isolation, clivage, projection…).
→ Diversité, souplesse, massivité, désorganisation ;
articulation et efficacité des défenses.
Problématiques : registres et traitement des conflits
 Dynamique des identifications et des choix d’objets
Modalités identificatoires : sexuelles, narcissiques, mélancoliques,
projectives.
Modalités d’investissement de l’objet : liens libidinal, agressif, spéculaire,
étayage, persécutif, etc.
 Registre des affects et des angoisses
Modalités de traitement des affects, nature et qualité de l’angoisse.
Liaison affects et représentations.
Identifications, choix et relations d’objets, figures parentales.
Problématiques prévalentes (œdipienne, dépressive, narcissique,
identitaire, etc.).
Organisation défensive, angoisse et traitement des conflits.
 Synthèse
Hypothèses concernant l’organisation du fonctionnement psychique
(névrotique, narcissique, limite, psychotique, etc.).
Fragilités et ressources : diversité, efficacité, souplesse des conduites
psychiques (défenses, capacités régressives, investissements narcissiques et
objectaux, etc.).

→ Synthèse Rorschach – TAT


évaluation du fonctionnement psychique et diagnostic
psychopathologique

6 bis. Commentaires concernant la


démarche d’interprétation au Rorschach2
L’étude d’un protocole de Rorschach prend en compte ce que l’on appelle
la dynamique de la passation. On tient compte d’une part de la clinique de
la passation : impressions, tonalité affective (enjouée, anxieuse,
déprimée…), mobilisation transférentielle (volonté de bien faire, conduites
d’opposition, impatience, critique), verbalisation (qualité des mots
employés et de la syntaxe, prosodie, retenue ou diffluence), réactivité
spécifique aux planches (associativité, résonance fantasmatique),
manifestations comportementales (manipulation du matériel, mimiques,
positions du corps, lenteur, précipitation). Après la cotation des réponses, le
calcul des formules et des pourcentages et leur report sur le psychogramme,
on compare les données chiffrées obtenues avec les données normatives, et
on regroupe les facteurs afin d’en étudier la congruence et/ou les
contradictions éventuelles. On peut ainsi proposer quelques premières
hypothèses concernant la facture du fonctionnement psychique (rigide,
labile…), le rapport à la réalité, les capacités d’adaptation et de
socialisation, l’investissement et les caractéristiques de la réalité interne.
Le travail psychique mobilisé à la faveur d’une passation ne met pas
seulement en œuvre un traitement cognitif du percept mais engage
fortement la question du rapport au réel établi et construit, trouvé et créé par
le sujet. Ainsi, le Rorschach est riche d’enseignements sur la qualité des
processus de pensée : la possibilité d’évoquer, au Rorschach, un certain
nombre d’images en accord avec le contenu manifeste des planches entendu
non seulement dans le registre descriptif d’espaces et de couleurs organisés
ou non, mais aussi dans celui de la référence sociale, communicationnelle et
relationnelle, constitue une caractéristique importante. Ainsi compte tout
autant que l’inscription de sa pensée dans des référents collectifs, la
capacité du sujet à jouer de l’illusion et de l’imaginaire, à développer et
mobiliser un monde interne riche de représentations et d’affects.
Afin d’appréhender les modalités d’investissement de la réalité externe et
les capacités de différenciation dedans/dehors, nous portons plus
particulièrement notre attention d’abord à plusieurs facteurs du
psychogramme : certains modes d’appréhension (G%, D%), certains
déterminants (F%, F+% et formules élargies, F+/–, la prise en compte des
caractéristiques sensorielles), et certains contenus (H%, A%, Ban). Les uns
et les autres bénéficient en effet de références normatives auxquelles il est
possible de confronter les productions du sujet. Par ailleurs, on étudiera la
présence et la qualité des réponses G simples et D simples, la qualité des
réponses F–, ainsi que la qualité et la dimension symbolique des contenus,
autant de facteurs qui nous permettrons d’affiner notre compréhension du
rapport du sujet à la réalité externe, de mesurer sa capacité à s’en
différencier sans s’en exclure, à s’y intégrer sans s’y conformer par trop.
Afin d’apprécier les modalités d’investissement de l’activité de pensée du
sujet, on prêtera une attention particulière à la diversité et à la qualité
intrinsèque des modes d’appréhension : G, D (élaborés, impressionnistes,
vagues, etc.), Dd, Dbl, à la diversité et à la qualité des déterminants utilisés
pour construire les réponses : poids de la formalisation, place et qualité des
kinesthésies, apport des déterminants sensoriels. On pourra ainsi qualifier
les capacités de liaison, d’associativité, ainsi que l’originalité, voire la
créativité de la pensée du sujet.
Nous serons alors en mesure d’apprécier l’équilibre de la dialectique des
processus primaire et secondaire immanquablement mobilisée face au
Rorschach et de qualifier les caractéristiques et la qualité des processus de
pensée.
Le Rorschach mobilise fortement le narcissisme et la construction de
l’identité. Afin de repérer les identifications primaires et les capacités de
différenciation moi/non-moi, on prêtera une attention particulière aux
facteurs suivants :
• G simples, F+, F, K, Di : ils renseignent sur l’épreuve de réalité et
l’équilibre entre processus primaire et processus secondaire.
• Traitement de la planche V et des autres planches compactes (I, IV et VI) :
leur facture unitaire pouvant étayer le travail de figuration d’une totalité
intègre ou au contraire fragmentée par l’attaque des liens.
• Représentations humaines : H, Hd, (H), (Hd) : outre leur poids respectif,
on s’intéressera à leurs qualités vivante, réelle, entière.
• Réponses hybrides et composites (dont H/A, A/H) : on évaluera le poids et
l’inscription dans des référents culturels partageables, mythologiques,
fictionnels.
• Représentations animales : A, Ad, (A), (Ad) : outre leur poids respectif, on
s’intéressera à leurs qualités vivante, réelle, entière.
• Réponses anatomiques (Anat) : il importe d’évaluer la dimension
symbolique sexuelle ou morbide, intègre ou morcelée.
• Limites dedans/dehors : réponses où le patient se révèle sensible aux
qualités contenantes, protectrices, défaillantes, délimitantes, effractées des
images.
• Stabilité des contours : G et D simples, confabulés, contaminés. H/Hd,
A/Ad, F% et F+/–, facteurs permettant de repérer les fragilités de
différenciation moi/non-moi.
• Modes d’appréhension impressionnistes : évaluer le poids et la qualité des
réponses dont le déterminant principal n’est ni la forme ni la kinesthésie
mais la couleur, le Clob ou l’estompage : défaut de délimitation,
débordement de l’affect ?
• Réponses « peau » témoignant d’un surinvestissement des enveloppes.
• Qualification narcissique (positive ou négative) : réponses marquées par
l’idéalisation ou la désidéalisation, le grandiose ou la déchéance.
• Traitement des planches pastel et des planches « rouges » : réactions du
sujet aux qualités chromatiques ; capacité à intégrer les couleurs ;
renforcement des déterminants formels ; évitement, nomination des
couleurs.
→ Le dégagement des éléments significatifs et leur confrontation
permettront ainsi d’apprécier la solidité des fondements de l’unité
narcissique et la qualité des limites.
Afin de compléter cette évaluation par le repérage de la dynamique des
identifications secondaires liée à la différenciation sexuelle, on prêtera
une attention particulière aux facteurs suivants :
• Représentations humaines H. Kinesthésies : on étudiera particulièrement
les rôles et fonctions éventuellement sociaux, sinon actif/passif,
dominant/dominé, portées par les figures féminines et masculines et leur
dimension caricaturale, souple, diversifiée ainsi que la valence sexuelle ou
agressive des kinesthésies.
• Représentations animales A. Kinesthésies : on étudiera les pôles
actif/passif, menaçant/menacé, portés par les différents constituants du
bestiaire, leur valeur symbolique en termes de volume, massivité,
dangerosité.
• Contenus à symbolique sexuelle.
• Planches à valence sexuelle privilégiée (II, III, IV, VI, VII) : évitement,
confrontation, désorganisation, diversité ou récurrence des conduites ?
→ Le dégagement des éléments significatifs et leur confrontation
permettront ainsi de qualifier la diversité, la qualité et la souplesse des
identifications sexuelles dans la double perspective de la construction du
moi et de la dynamique relationnelle.
De façon complémentaire et articulée avec les dégagements précédents
centrés sur l’axe narcissique et la construction de l’identité dans ses divers
déploiements, le Rorschach permet également une investigation fine et
approfondie des représentations de relations, des investissements
objectaux et de la conflictualité psychique. On étudiera plus
particulièrement les facteurs suivants :
• Analyse des Kinesthésies : K, kan, kob, kp : on évaluera la mesure de
l’expression pulsionnelle, la possibilité ou non d’un traitement ambivalent
de la libido et de l’agressivité, le recours ponctuel ou récurrent aux
relations spéculaires ou marquées par la recherche d’étayage, le poids de
relations marquées par la destructivité ou la fusion.
• Analyse du traitement des planches bilatérales : II, III, VII (+ VIII) : du
fait de leur configuration, ces planches sollicitent plus particulièrement les
représentations de relations.
• Analyse du traitement des planches à symbolique maternelle : VII, IX : les
réponses de ces planches rend-il compte de la possibilité de
représentations régressives ; de quelle(s) manière(s) ?
• Analyse du traitement de la première et de la dernière planche : quelles
seront les réactions à l’expérience de la première rencontre avec un objet
énigmatique(I) et de la séparation(X) : désorganisation, inhibition,
augmentation du nombre de réponses, etc.
→ Le dégagement des éléments significatifs et leur confrontation
permettront ainsi de qualifier la diversité, la qualité et la souplesse des
investissements objectaux, ainsi que les registres relationnels en référence à
la dynamique fantasmatique et à l’ambivalence pulsionnelle.
Dans la continuité des dégagements précédents, et là encore, très articulés
à eux, le Rorschach permet d’appréhender l’expression et le traitement des
affects, voire de l’angoisse, mobilisés à la faveur de la rencontre avec le
matériel dans ses dimensions manifestes et latentes. Plusieurs facteurs nous
permettent de saisir ces modalités de travail psychique :
• TRI (K//C, C’ Clob), formule complémentaire (k//E), ΣS, RC% : ces
différents facteurs du psychogramme nous permettent d’avoir un aperçu
sur la prépondérance ou non des affects sur les représentations par la
comparaison du poids des déterminants sensoriels sur les déterminants
kinesthésiques ; le RC% nous informe sur la sensibilité du sujet aux
couleurs, mais il faudra étudier les réponses pour apprécier l’intégration
effective de la couleur.
• Analyse des réponses intégrant les qualités sensorielles du matériel C, C’,
Clob, E : évaluation de la fonction éventuelle du déterminant formel,
socialisation du contenu, registre affectif, massivité ou nuance des affects
et de l’angoisse.
• Réactivité aux planches rouges, noires et grises, pastel : productivité,
verbalisation affective, inhibition, désorganisation.
• Manifestations hors réponses : chocs, exclamations, etc.
• Épreuve des choix : verbalisation, argumentation etc.
→ Le dégagement des éléments significatifs et leur confrontation
permettront ainsi de qualifier les modalités de traitement des affects, la
nature et la qualité de l’angoisse et de repérer les possibilités de liaison
entre affects et représentations.
Le repérage des défenses qui, tout à la fois, organisent le conflit,
l’alimentent et tentent de le traiter est essentiel. Le Rorschach permet de
repérer des défenses rigides (le souci d’objectivité, l’intellectualisation, la
formation réactionnelle…), labiles (dramatisation, mise en avant des
affects…), par l’inhibition (restriction associative, temps de latence),
narcissiques (renforcement des limites, figement, images en double),
projectives (projection, clivage de l’objet, déni…). Quelle que soit
l’organisation psychique, certaines de ces défenses rendent compte d’un
traitement intrapsychique du conflit (dénégation, isolation, refoulement…),
alors que d’autres sont davantage caractérisées par l’externalisation du
conflit (projection, idéalisation, identification projective…). Selon leur
qualité, leur poids, l’évaluation de ces défenses va permettre d’appréhender
le(s) registre(s) psychopathologique(s) auxquels elles appartiennent
(névrotique, limite, narcissique, psychotique…). Au-delà de ce repérage, il
importe de qualifier la diversité ou la récurrence, la souplesse ou la
contrainte, la nuance ou la massivité, l’effet éventuellement
désorganisateur, coûteux, délétère de leur mobilisation, afin de pouvoir
saisir leur articulation et leur efficacité pour traiter le conflit.

Synthèse
Une synthèse de l’ensemble des données s’impose afin de confronter les
différents dégagements, d’en saisir les congruences ou les contradictions et
de proposer des éléments conclusifs concernant :
• la ou les problématiques prévalentes ;
• l’organisation défensive, la nature de l’angoisse et la qualité du traitement
des conflits ;
• les hypothèses qui peuvent être formulées concernant l’organisation du
fonctionnement psychique, les fragilités et les ressources, la diversité,
l’efficacité et la souplesse des conduites psychiques.

7. Les comptes rendus cliniques à l’écrit et


à l’oral
« La formation scientifique et la formation personnelle du psychologue, la capacité
qu’il a à assumer un certain nombre d’ambiguïtés, voire de paradoxes, la
conscience qu’il a d’autrui, conditionnent l’authenticité de sa position et l’efficacité
de son action : celles-ci ne sont pas données d’emblée, elles s’élaborent à travers
les expériences d’un travail de réflexion autour de pratiques multiples, variées, qui
ont leurs limitations mais aussi leurs ouvertures » (N. Rausch de Traubenberg,
1983a, p. 25).
L’analyse et l’interprétation du Rorschach et du TAT réalisées, le temps est
venu pour le psychologue de rédiger le compte rendu du bilan
psychologique. L’utilisation du vocable, « bilan », « examen »,
« évaluation » psychologique ne doit pas nous faire penser qu’il s’agit de
rendre compte de résultats qui se prêteraient à une notation, une estimation
ou un classement. Les conduites psychiques qui auront été dégagées, après
ce long et minutieux travail, ne se prêtent à aucune simplification. La
pertinence des conclusions dépend conjointement de la capacité du
psychologue à se distancier des données brutes pour leur donner du sens et
les resituer dans l’ensemble du fonctionnement psychique du sujet tel qu’il
peut être appréhendé aux épreuves projectives. Il s’agit plutôt de synthétiser
les données souvent hétérogènes, voire contradictoires, dans une approche
dynamique cohérente au regard de la théorie et de la méthodologie
projective.
La transmission des informations cliniques dégagées d’un bilan
psychologique au patient lui-même, à un tiers (proche du patient ou
professionnel) est complexe, délicate, parfois épineuse. D’une part, elle doit
se conformer aux règles déontologiques et au cadre de rigueur et de
pondération, d’honnêteté et de bienveillance ; d’autre part, ce temps de
transmission participe d’une authentique rencontre clinique avec un sujet
appréhendé dans toute sa singularité. Le compte rendu du bilan
psychologique nécessite en effet une réflexion éthique sur les valeurs qui
fondent la pratique, les actions et les choix du psychologue. « Parce que le
psychologue est engagé dans la relation à l’autre va s’imposer à lui une
réflexion éthique sur le sens de son acte et sur la manière dont son regard,
sa parole et ses outils vont peser sur la personne assise en face de lui »,
rappelle à juste titre E. Truong-Minh (2017, p. 56).
Notre propos est de poser les bases d’une réflexion sur l’exercice du
compte rendu, dans ses applications et formes pratiques mais aussi dans les
questionnements qu’il soulève, et ce, à une époque où la transparence et le
tout dire et tout savoir sont particulièrement exacerbés. En vérité, les
attentes conscientes du sujet ne sont pas nécessairement très claires, ce qui
rend compliquée la reprise avec lui d’informations qu’il n’a pas
nécessairement le désir d’écouter. On peut penser cependant, a minima, que
le sujet attend du clinicien qu’il soit en mesure d’entendre et de comprendre
ses difficultés, sa souffrance. Quant au désir de changement, il peut être
présent au niveau manifeste et sans doute en partie de manière latente, à
condition que le masochisme ou le négativisme n’embolisent pas les
représentations de l’avenir. Ainsi, il paraît important que le psychologue
puisse aborder cette dernière séquence de la rencontre clinique et projective,
en anticipant les conditions et les possibilités de réception et d’écoute du
sujet. Il arrive – et c’est souvent le cas – que l’entretien qui clôt les
rencontres précédentes, soit attendu avec espoir, mais il arrive aussi qu’il
mobilise des résistances substantielles qu’il appartiendra au clinicien de
résoudre plus ou moins efficacement. Une chose est sûre : après la traversée
d’une situation dont on peut penser qu’elle est, de toute manière,
bouleversante par l’excitation et la frustration qu’elle provoque, l’entretien
qui clôt l’examen projectif constitue un après-coup à la fois pour le patient
et pour le clinicien.

7.1 Restituer ? Rendre compte ?


Une expression est couramment utilisée pour qualifier ce dernier entretien,
celui de restitution. Cette expression ne va pas de soi car l’une des
acceptions du mot signifie « rendre ce qui a été pris ou possédé injustement
ou illégalement, ou qui a été perdu ou abîmé, et dont quelqu’un a de fait été
privé ». On mesure ici les fantasmes qui peuvent être mobilisés par cette
rencontre, chez le psychologue comme chez le sujet qui a livré quelque
chose d’important et d’intime, dont il n’a cependant pas maîtrisé la
production et la communication3. Ce sens-là n’est évidemment pas celui
dans lequel se pense et se justifie cet entretien clinique. Une autre
acception, plus adaptée à la situation, signifie « rendre quelque chose sous
une autre forme que sa forme initiale ». L’idée d’analyse, d’interprétation,
de transformation d’un matériel brut qui deviendrait alors accessible et
assimilable, participe pleinement de l’esprit de ce temps clinique inscrit
dans le cadre d’un bilan psychologique. Les interprétations du clinicien sont
le résultat d’un intense et complexe travail d’analyse, de confrontation et
d’interprétation des données cliniques, nécessitant une grande humilité de la
part du psychologue. L’enjeu de cet entretien de restitution est de rendre
entendable la complexité des éléments mis au jour par le bilan afin
d’intéresser le patient et de l’éclairer sur son propre fonctionnement
psychique.
L’expression « compte rendu » n’est pas sans ambiguïté non plus, car
rendre compte signifie évidemment « témoigner » mais aussi « justifier,
exposer, être comptable de quelque chose ». Comme bien souvent, les mots
ne sont pas vraiment satisfaisants : ce qui importe, c’est la façon dont
chaque clinicien investit et assume son rôle à cette occasion, en
l’occurrence dire au patient ce qui, à partir de la rencontre projective, est
susceptible de lui être utile dans la suite de sa prise en charge, et parfois de
sa vie. Comme le soutient N. Rausch de Traubenberg, « proposer un
Rorschach à un sujet n’est pas lui faire dire ce qu’il ne veut pas dire, mais
plutôt lui permettre d’exprimer ce qu’il ne peut pas dire en termes clairs,
c’est-à-dire ses moments de souffrance, ses points de fragilité et aussi sa
disponibilité, ses modes de récupération » (1986, p. 660). D’où le tact
nécessaire pour rendre compte, pour restituer, pour faire retour.

7.2 Des préconisations qui donnent des


orientations : décrets, lois, éthique
Basée sur le principe fondateur de préservation de la vie privée et de
l’intimité des personnes en garantissant le respect du secret professionnel,
l’intervention du psychologue implique qu’il veille à informer toute
personne rencontrée dans le cadre d’un bilan psychologique des éventuels
destinataires, de ses conclusions et de ses écrits et que ses conclusions
soient présentées de façon claire et précise. Parce que les écrits restent, le
psychologue doit veiller au devenir de ce qu’il rédige. Cela concerne
évidemment le statut des destinataires, la sûreté de l’envoi des documents,
mais aussi leur archivage sur support papier et numérique.
Le psychologue peut se référer à plusieurs articles4 qui encadrent sa
pratique et peuvent lui servir de référence5. Ces articles mettent l’accent sur
l’exigence de confidentialité et de sécurisation des données, la constitution
du dossier du patient, l’importance du dialogue entre patient et
professionnel, la place singulière des proches, le secret partagé, les
conditions d’accès au dossier, etc.6
Depuis le vote de la loi de 2002, tout patient majeur ou mineur émancipé,
peut avoir accès à son dossier. Les questions soulevées depuis ne sont pas
épuisées, notamment dans le champ psychiatrique : le choix de réaliser
deux comptes rendus, l’un, explicite, détaillé, à destination des
professionnels, et l’autre, simplifié, remis au patient, fait débat, même si les
motifs en sont louables car il s’agit de communiquer des informations
précises à l’un, communiquer des informations accessibles et pertinentes à
l’autre, sans superposition complète des deux modalités de transmission.
Rédiger un compte rendu qui peut être lu à la fois par le patient et par les
professionnels est un exercice certes complexe mais indispensable. Rien ne
garantit qu’un compte rendu à destination professionnelle ne soit pas, à un
moment donné, remis au patient.
La loi de 2002 conduit à différencier :
• les notes personnelles, constituées du matériel brut, et de notes en chantier
qui témoignent du travail interprétatif en cours, des réflexions, des
hésitations, voire des doutes. Ces notes sont gardées par le psychologue
mais il peut devoir les transmettre sur demande (Dupont et Lebrun, 2019,
p. 216 et sqq.) ;
• le compte rendu final, écrit, lisible, transmis, archivé. Il est le témoin, la
trace d’une évaluation réalisée à un moment donné, permettant de donner
sens aux difficultés du patient, dans le cadre de sa prise en charge
thérapeutique. Il pourra être transmis à différents intervenants.
Le code de déontologie des psychologues stipule que « seul le
psychologue auteur de ces documents est habilité à les modifier, les signer
ou les annuler. Il refuse que ses comptes rendus soient transmis sans son
accord explicite et fait respecter la confidentialité de son courrier postal ou
électronique7 ». De fait, les documents émanant d’un psychologue doivent
être signés, datés, cachetés ; ils portent ses nom et prénom, son numéro
ADELI, l’identification de sa fonction, ses coordonnées professionnelles,
l’objet de son écrit, ainsi que les noms et fonctions des personnes à qui il est
destiné, les nom et prénom de la personne dont il est question (avec des
informations anamnestiques minimale telles que l’âge, la date de naissance,
le niveau d’études et le métier exercé). Si le compte rendu écrit donne lieu à
une restitution orale, il est important de noter la date de la communication
du compte rendu et à qui elle a été faite.

7.3 Construction du compte rendu


Les enjeux du compte rendu écrit sont essentiels, autant pour le patient
que pour le psychologue. Il est rédigé de façon claire, sans ambiguïté, afin
d’éviter les erreurs d’interprétation, il est au service du patient et de sa prise
en charge.
Le compte rendu met en perspective les différentes données recueillies et
les articule à la situation clinique ayant motivé le bilan. Il tient compte de la
demande manifeste et latente, qu’elle vienne du sujet ou d’un tiers. Le
psychologue va restituer ce qu’il a compris du fonctionnement psychique
d’un individu dans ses relations avec son histoire et la situation actuelle
qu’il traverse. Le bilan permet de repérer les difficultés qui entravent le
fonctionnement psychique du sujet et sa liberté (fragilité), mais aussi les
potentialités qui demeurent mobilisables (ressources).

7.4 Le compte rendu écrit : quelques


préalables
Au départ, il s’agit de contextualiser le bilan psychologique qui prend sens
à un moment donné de la vie d’un individu et répond parfois à une demande
précise. Le psychologue en rappelle la source et l’objectif, la nature de la
demande et la façon dont le sujet a pu ou non s’approprier cette démarche.
On peut être tenté de rédiger un compte rendu long et exhaustif, de façon à
donner à lire et à entendre le maximum d’informations ou au contraire, un
compte rendu synthétique qui risque d’être trop condensé ou incomplet.
C’est le choix réfléchi de son contenu qui en garantira la qualité et l’intérêt :
sa qualité ne se mesure pas à sa longueur mais à sa pertinence et son
adéquation à l’écoute de ses interlocuteurs. Le tact et la capacité du
clinicien à transmettre ce qu’il a entendu et interprété à la fois pendant la
passation et grâce à l’analyse des données élaborée dans l’après-coup de
cette passation. C’est ici que la méthode permet de tenir compte des
différentes composantes de la clinique et d’en saisir les déploiements. À
côté de l’étude minutieuse des protocoles, la prise en compte des
mouvements transférentiels et contre-transférentiels confère aux
productions du sujet leur valeur dynamique dans l’adresse au clinicien.
Le clinicien n’est pas un psychotechnicien ; il est un « interprète » qui
donne sens aux conduites psychiques mobilisées chez le sujet. Par exemple,
la sensibilité aux couleurs, la variété, la qualité et l’intensité des affects
mobilisés permettront de montrer les modalités de réactions émotionnelles
et affectives ; la richesse, l’originalité et la créativité de certaines réponses
ou au contraire leur caractère plus socialisé, voire conformiste témoigneront
de l’investissement de la réalité interne et de la réalité externe. Le
traitement de l’angoisse mettra en évidence les défenses plus ou moins
efficaces pour la contenir et les bénéfices possibles de l’étayage par le
clinicien. Le repérage de la souffrance psychique et de ses causes, en termes
de dépendance, d’inhibition, d’insécurité et/ou de déchirements intérieurs
déterminés par une conflictualité douloureuse entre les désirs et les interdits
constitue le cœur même de la problématique centrale et des modalités de
son traitement.

7.5 Comment conclure ?


La conclusion est souvent, en raison de sa dimension synthétique, ce qui
est surtout retenu de l’ensemble des développements antérieurs. Elle
conduit à émettre, quand cela est possible, des hypothèses suffisamment
précises et spécifiques, en référence à la demande initiale mais aussi à des
ouvertures et des propositions.
L’essentiel de la conclusion d’un bilan psychologique donne lieu à la
formulation d’un point de vue sur le fonctionnement psychique du sujet (et
non à un diagnostic psychiatrique réservé au médecin), mettant l’accent sur
les modalités, problématiques et processus psychiques mobilisés, non
réductibles aux troubles, aux symptômes présentés, ni aux événements
contextuels dont on peut avoir connaissance, dans la mesure où il peut
prendre sens pour le patient et permettre de tisser des liens avec sa vie
quotidienne, avec les enjeux liés à la période de la vie qu’il traverse, etc.
Quelle que soit la conclusion, elle doit respecter la singularité du sujet, ses
fragilités et difficultés (sans minimisation), et ses potentialités dynamiques
à l’œuvre, ses ressources (sans valorisation excessive), elle soulève des
questions et propose des pistes de réflexion pour penser l’avenir.
Les attentes du patient et de son entourage peuvent être importantes par
rapport aux normes de conformité et d’adaptation, ou encore par rapport
aux idéaux de performance et de réussite. Nous le répétons : le principe
essentiel qui sous-tend toute passation de bilan psychologique est que celle-
ci se fait avant tout au service du sujet et n’obéit pas aux critères de succès
ou d’incapacité, d’échec ou de réussite (Perron, 1968).
L’équilibre est parfois précaire entre ce qui peut se formuler avec
assurance et ce qui demeure source de doute au regard des données du bilan
notamment lorsque la complexité est accrue par des données hétérogènes
voire contradictoires : « Dans une société où la séduction du chiffre, la
technicité et l’objectivable s’inscrivent comme idéologie dominante, est-il
possible de garder une position clinique de doute, celle héritée des sciences
humaines, qui est au cœur de notre métier de psychologue ? » questionne à
juste titre E. Truong-Minh (2017, p. 56).

7.6 L’entretien après-coup : une restitution


L’entretien de restitution relève d’un exercice délicat mais passionnant
dans la mesure où les qualités cliniques du psychologue y sont
particulièrement sollicitées. Il s’agit tout à la fois de transmettre et
d’expliquer in situ les résultats d’une évaluation et de clore le temps d’une
rencontre, même si des propositions et des indications de suivi peuvent être
formulées. Il est donc assez difficile d’anticiper le contenu d’un tel entretien
ainsi que la tournure qu’il va prendre.
On peut commencer l’entretien en reprécisant son objectif : faire le point
sur ce qui a conduit le sujet à nous rencontrer avec la perspective de
comprendre ensemble ce qui se passe pour lui à partir du bilan que nous lui
avons proposé. Rebondir sur les premières réactions du sujet (quelle qu’en
soit la valence critique) permet alors de formuler nos propres impressions,
congruentes ou non avec les siennes. Les associations du sujet aux propos
du clinicien se révèlent souvent de précieux indicateurs d’une possible prise
en charge en psychothérapie : en effet, elles peuvent témoigner de sa
sensibilité à la parole de l’autre, de sa capacité à accepter à la fois la
transmission et ses effets de transformation au sein d’une situation clinique.
Cet entretien devrait être essentiellement conduit sous forme d’échanges,
de dialogue, le clinicien s’efforçant de favoriser l’expression personnelle du
sujet à partir à ce qui est dit sur lui. Il est important, en effet, de le laisser
libre d’accepter ou de réfuter l’analyse de tel ou tel aspect de son
fonctionnement en respectant les défenses qu’il peut mettre en place. Ce qui
importe avant tout, c’est de lui permettre de participer activement à
l’entretien, d’engager un échange autour des résultats, de susciter sa
curiosité et d’éveiller ses questionnements.
Toute interprétation directe est bien évidemment à bannir, il est préférable
d’utiliser des formulations interrogatives et des propositions d’hypothèses
dans un travail de co-construction rassemblant clinicien et patient, pour
traduire et donner du sens au vécu de ce dernier.
Les défenses que le sujet mobilise pour traiter ses angoisses et ses conflits
pourront ainsi être évoquées sans confusion entre ce qui appartient la réalité
événementielle et ce qui relève de la réalité psychique. Ne craignons pas,
chaque fois que cela s’avère possible, de parler des problèmes internes
révélés par les tests projectifs (relationnels, affectifs, intellectuels…).
Généralement, le sujet les connaît car il vit avec eux et sait plus ou moins
clairement qu’ils représentent la cause de sa souffrance psychique. C’est
pourquoi masquer ou minimiser des difficultés pour « protéger » le sujet,
exagérer délibérément des potentialités et des capacités dans une tentative
de réparation ou de restauration narcissique, équivaut à nier sa souffrance et
peut faire perdre toute crédibilité au clinicien. En évoquant les difficultés,
on ne néglige pas pour autant les ressources : bien au contraire, cela
témoigne de la confiance qui lui est faite pour affronter ce qui va mal et
mobiliser ses forces pour aller mieux !

7.7 Une transparence raisonnée


Avec les patients comme avec les collègues, le psychologue accepte la part
énigmatique inéluctable de sa pratique en général, de ses outils en
particulier. L’équilibre est délicat à trouver entre la nécessaire préservation
d’un savoir-faire qui appartient à la compétence acquise et le partage
d’explications, voire la citation judicieuse d’exemples de réponses données,
qui illustrent l’expression de fragilités ou de ressources non identifiées par
le patient et/ou l’équipe qui s’occupe de lui. La restitution est un produit
transformé, respectant la complexité et la singularité du fonctionnement
psychique, elle vise à mobiliser l’intérêt des membres de l’équipe pour des
composantes psychiques parfois malaisées à saisir dans les rencontres
cliniques habituelles. Elle ne peut en aucune manière donner matière à un
jugement moral ou à un diagnostic brutalement asséné.
Car c’est sur ce point précis que se concentre le respect de l’intimité du
patient : dire suffisamment, sans trop exposer des éléments qui ne sont pas
utiles aux décisions à prendre : cela témoigne de la capacité du clinicien à
contrôler l’ouverture et l’accès vers ce qu’il transmet, de créer des espaces
de pensée supportables, de discerner quoi dire et comment le dire, quoi
taire, quitte à ne pas satisfaire. Cette accommodation est un travail de
liaison, de confrontation des différentes données des tests dans l’objectif
d’y découvrir congruence ou contradiction. Cette liaison indispensable
rétablit l’unité de la personne, nécessaire si l’on considère que les réponses
données à différents moments, à différents tests, appartiennent à un seul et
même individu.
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Bulletin de psychologie (cf. numéros spéciaux).
Bulletin de la Société française du Rorschach et des méthodes projectives.
Journal of Personality Assessment.
Psychologie médicale (cf. numéros spéciaux).
Revue européenne de psychologie appliquée.
Rorschachiana.

Webographie
Musée et fonds Rorschach :
http://www.img.unibe.ch/services/rorschach_archives_and_collection/index_eng.html.
Société du Rorschach et des méthodes projectives de langue française :
https://www.societerorschach.org/.
International Society of Rorschach and Projective Methods :
https://www.internationalrorschachsociety.com/.
Fonds documentaire du Bulletin du Rorschach (1952-2000) :
https://www.persee.fr/collection/clini.
Réseau universitaire de recherche européen et international « Méthodes projectives et
psychanalyse » : https://www.reseaumpp.org.
1. Il ne s’agit pas, en effet, d’un forcing comme certains l’imaginent. « Le psychologue lui-même
croit trop souvent implicitement pouvoir faire dire ce que le sujet ne veut pas dire, alors qu’il ne
devrait jamais oublier qu’il est là, au contraire, pour favoriser l’expression de ce qui ne peut pas être
dit dans un langage clair » (Rausch de Traubenberg, 1975).
2. Les termes de « passage » ou de « saut » constituent des équivalents approximatifs.
3. Aujourd’hui Diplôme universitaire de psychologie projective (DUPP).
1. L’inflation des procédures d’évaluation dans la société actuelle renforce cette position : il
appartient au clinicien de se différencier clairement de cette perspective.
2. Les Méthodes projectives de D. Anzieu a été publié en 1965 ; une seconde édition entièrement
remaniée a été publiée par D. Anzieu et C. Chabert en 1983 ; une dernière édition à nouveau
remaniée a été publiée par D. Anzieu, C. Chabert et E. Louët en 2017.
3. L’analyse du matériel en termes de contenus manifestes et latents est présentée pour chacune des
deux épreuves dans les parties de l’ouvrage qui leur sont respectivement consacrées.
1. Pour des développements substantiels, on pourra consulter le numéro des Libres Cahiers pour la
psychanalyse consacrée à « L’angoisse », n° 21, printemps 2010.
1. Le lecteur trouvera des développements substantiels de ces problématiques dans les quatre tomes
du Traité de psychopathologie publié chez Dunod sous la direction de C. Chabert.
1. Pour des informations plus complètes, se référer au volume 28-2021/1 de la revue Psychologie
clinique et projective : « Depuis Hermann Rorschach, 100 ans de psychologie projective ».
2. Le Groupement français du Rorschach, devenu en 1961 la Société française du Rorschach et des
méthodes projectives, fut nommé Société du Rorschach et des méthodes projectives de langue
française en 1987, du fait de la présence de membres francophones d’autres pays (Algérie, Belgique,
Canada, Espagne, Grèce, Italie, Japon, Liban, Mexique, Suisse, Tunisie, Turquie). Il publia très tôt
une revue (Rausch de Traubenberg, 2003 ; Roman, 2003), organisa de nombreux congrès et mis sur
pied la formation académique aux méthodes projectives.
1. Ces notations ne concernent que le premier temps de passation, pas l’enquête ; cf. infra.
L’utilisation d’un chronomètre n’est pas recommandée, une montre suffit.
2. C. de Tychey (1983, 1994) a, par exemple, mis au point une méthode de passation « associative »
du Rorschach.
1. Nous sommes redevables à N. Rausch de Traubenberg d’avoir minutieusement conduit cette
démarche, exposée dans son ouvrage La Pratique du Rorschach (1970).
2. Cf. Schafer (1954), Minkowska (1956), Orr (1958), Monod (1963), Anzieu (1965), Rausch de
Traubenberg (1970), Mac Cully (1971).
3. Les dix planches du Rorschach ont été reproduites page suivante avec l’aimable autorisation de
Hogrefe Berne.
1. Le Nouveau Manuel de cotation des formes au Rorschach paru chez Dunod sous la direction de
C. Azoulay et M. Emmanuelli propose une liste de F+ et de F– établie statistiquement sur la
population française ainsi qu’une liste intégrant le critère qualitatif.
2. Il n’y a pas de solution de facilité et il est impossible ici de décrire toutes les situations où la
cotation est délicate à faire. Nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage « S’entraîner à la cotation du
Rorschach et du TAT » de F.D. Camps et G. Malle (Dunod, 2020) qui donne des exemples et des
conseils pour coter les réponses du Rorschach et du TAT.
3. Po : cotation particulière qui correspond à une réponse argumentée par la position dans
l’espace (« le cœur parce que c’est au milieu ») et non par la forme ou la couleur. On cote alors Anat.
Po.
4. Uniquement si la réponse est dominée par la forme. Condition similaire pour le F+% élargi.
5. Cf. Shentoub (1973) où l’auteure se réfère explicitement à Canguilhem et à sa définition de la
normativité pour développer la notion de créativité dans les histoires racontées au TAT. Pour
compléter la réflexion sur l’intérêt et les limites des références normatives, cf. Chabert et Verdon
(2008) page 65 et sqq. « Normalité et pathologie ».
1. Cette classification est héritière de nombreux travaux dont on trouvera les détails chez Rausch de
Traubenberg (1970) ainsi que chez Anzieu, Chabert et Louët (2017).
2. Un D est une localisation utilisée par au moins un sujet sur 22, soit 4,5 % des sujets. Ce critère
statistique est communément admis par les différentes écoles de Rorschach dans le monde.
3. D’où l’appellation ancienne « détail oligophrénique » (Do).
4. Cf. l’aide à la cotation proposée par Le Nouveau Manuel de cotation des formes au Rorschach de
C. Azoulay, M. Emmanuelli et D. Corroyer (Dunod, 2012), ainsi que S’entraîner à la cotation du
Rorschach et du TAT de F.D. Camps et G. Malle (Dunod, 2020).
5. Nous renvoyons le lecteur à ce qui a été dit à propos des G vagues, pages 140-141.
1. La démarche d’analyse et le regroupement synthétique des données du Rorschach sont présentés
pages 378 à 380 et pages 381 à 385.
2. L’analyse et l’interprétation du protocole du TAT de Michel se trouvent p. 300 à 304. L’analyse
détaillée planche par planche des protocoles de Rorschach et de TAT de Michel est placée dans les
compléments méthodologiques n° 5, p. 369-377.
3. Les réponses du protocole que nous citons visent à illustrer et argumenter notre propos et ne sont
pas exhaustives.
4. Cf. la planche 16 du TAT où cette question refait surface, traitée d’une tout autre façon, témoignant
de l’effet positif de la passation des méthodes projectives sur l’investissement et la mobilisation de
ses ressources par Michel.
1. Ce chapitre portant sur les fondements théoriques s’inscrit dans le prolongement des manuels
précédents, le Manuel d’utilisation du TAT (V. Shentoub et coll., Dunod, 1990) et le Nouveau Manuel
du TAT (sous la direction de F. Brelet-Foulard et C. Chabert, Dunod, 2003).
2. « Terme emprunté à l’associationnisme et désignant toute liaison entre plusieurs éléments
psychiques dont la série constitue une chaîne associative » (J. Laplanche, J.-B Pontalis, 1967, p. 36).
1. L’analyse et l’interprétation du protocole de Rorschach de Michel se trouvent p. 186-196.
L’analyse détaillée planche par planche des protocoles de Rorschach et de TAT de Michel est placée
dans les compléments méthodologiques, p. 369-377.
1. Le lecteur trouvera en bibliographie de nombreuses références d’ouvrages et d’articles traitant de
façon plus spécifique et approfondie de telle ou telle psychopathologie.
1. Le protocole est présenté dans son intégralité p. 351 et sqq.
2. Le protocole est présenté dans son intégralité p. 356 et sqq.
1. Azoulay, C., Emmanuelli, M., Rausch de Traubenberg, N., Corroyer, D., Rozencwajg, P. et Savina,
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2. Les commentaires nécessaires à l’analyse des protocoles de TAT (cotations des procédés du
discours et problématiques) sont présentés de façon exhaustive dans le chapitre consacré au TAT.
3. L’implication du psychologue chargé de confronter les données issues de réponses d’un sujet à des
échelles ou des questionnaires (que le patient a parfois remplis seul dans une pièce) d’exploration
dimensionnelle ciblée et nommée (échelle de « dépression », de « phobie sociale ») n’est évidemment
pas la même que celle du psychologue engagé dans la passation de tests psychométriques ou
neuropsychologiques et a fortiori d’épreuves projectives, dans l’analyse et l’interprétation des
protocoles où son évaluation et son jugement cliniques jouent un rôle considérable.
4. Article R.1112-7 du Code de la santé publique, modifié par le décret n° 2018-137 du
26 février 2018 relatif à l’hébergement de données de santé à caractère personnel ; article L.1111-8
modifié par l’ordonnance n° 2017-27 du 12 janvier 2017 relative à l’hébergement de données de
santé à caractère personnel ; loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la
qualité du système de santé ; arrêté du 5 mars 2004 portant homologation des recommandations de
bonnes pratiques relatives à l’accès aux informations concernant la santé d’une personne.
5. Ces recommandations peuvent être sujettes à modification après la parution de cet ouvrage. Il
appartient à chaque praticien de se tenir informé des derniers textes en vigueur.
6. Il peut être tout à fait intéressant de consulter les travaux de la Commission nationale consultative
de déontologie des psychologues (www.cncdp.fr) qui rend des avis sur des dossiers dont les mots-clés
sont : attestation (certificat), compte rendu (compte rendu de consultation, d’entretien, de bilan, de
réunion, etc.), courrier professionnel, dossier institutionnel (dossier patient, dossier individualisé,
dossier centralisé par l’institution : documents qui doivent y figurer, personnes habilitées à le
consulter), rapport d’enquête, rapport d’expertise judiciaire, saisie informatique de données
psychologiques, transmission et communication des écrits psychologiques à l’extérieur d’un service
ou d’une institution, etc.
7. On peut ainsi trouver dans certains comptes rendus une note infrapaginale commune à toutes les
pages qui précise : « La diffusion de ce document confidentiel qui est soumis au secret professionnel
est strictement limitée – sauf accord du psychologue et du patient –, au seul patient et aux seuls
professionnels intervenant dans la prise en charge du patient. »

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