Logistique & Management

ISSN: 1250-7970 (Print) 2377-9640 (Online) Journal homepage: http://www.tandfonline.com/loi/tlam20

Le management de projet comme déterminant de

l’innovation supply chain : le cas d’une entreprise
industrielle européenne

Omar Bentahar & Raphael Launaro

To cite this article: Omar Bentahar & Raphael Launaro (2018): Le management de projet
comme déterminant de l’innovation supply chain : le cas d’une entreprise industrielle européenne,
Logistique & Management, DOI: 10.1080/12507970.2018.1447315

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LOGISTIQUE & MANAGEMENT, 2018
https://doi.org/10.1080/12507970.2018.1447315

Le management de projet comme déterminant de l’innovation supply chain :

le cas d’une entreprise industrielle européenne
a
Omar Bentahar et Raphael Launarob
a
Université de Lorraine, CEREFIGE, IAE Metz, Metz, France; bEntreprise Industrielle, France

RÉSUMÉ MOTS CLÉS

Avec la mondialisation des échanges et l’accentuation de la concurrence, la compétitivité des Innovation supply chain;
entreprises industrielles dépend non seulement de l’amélioration continue de leur processus innovation managériale;
mais également de l’adoption d’innovations technologiques et managériales. L’innovation management de projet;
supply chain; logistique;
managériale a suscité peu d’intérêt de la part des chercheurs en sciences de gestion,
entreprise industrielle
notamment dans le domaine de la logistique et de la supply chain. Dans le même temps,
au même titre que l’innovation technologique, l’innovation managériale est considérée par KEYWORDS
les chercheurs et les praticiens comme levier améliorant la performance des entreprises. Ce Supply chain innovation;
double constat motive cette étude qui porte sur une innovation managériale inédite en managerial innovation;
Europe, dans la supply chain d’une entreprise industrielle. Notre recherche tente de project management; supply
comprendre ce type d’innovation et ses déterminants organisationnels et managériaux sous chain; logistic; industrial firm
le prisme du management de projet en se focalisant sur ses caractéristiques clés.

Project management as a determinant of supply chain innovation : the

case of a European industrial company
ABSTRACT
With the globalisation of trade and the increase of competition, the competitiveness of
industrial enterprises depends not only on the continuous improvement of their process
but also on the adoption of technological and managerial innovations. Managerial innovation
has attracted little interest from researchers in management sciences, particularly in the field
of logistics and supply chain. At the same time, along with technological innovation,
managerial innovation is considered by researchers and practitioners a driver for improving
firms performance. To address these issues, this study deals with an original managerial
innovation in Europe within a supply chain of an industrial company. Our research tries to
understand this type of innovation and its organisational and managerial determinants
through the prism of project management by focusing on its key characteristics.

Introduction intérêt est d’autant plus saillant dans le cas de

l’innovation managériale dans la logistique ou la
Avec l’augmentation de la concurrence et la diminution
supply chain (Flint, Larsson, and Gammelgaard 2008 ;
de la demande dans une économie mondialisée, la
Lavastre et Ageron 2016 ; El Bahraoui, Claye-Puaux, et
survie et la compétitivité des entreprises passent par
Guieu 2016). Cependant, certains chercheurs se sont
l’amélioration continue, l’innovation technologique et
intéressés à ce phénomène aussi bien sur le plan
également managériale. L’innovation managériale est
théorique qu’empirique. La recherche de Bello, Lohtia,
considérée comme un changement organisationnel,
et Sangtani (2004) a jeté les bases d’un modèle
des pratiques ou des procédures en vue de
conceptuel de l’innovation supply chain. La vision
l’acquisition d’un avantage concurrentiel sur le marché
institutionnelle domine cette conception qui se
(Damampour et Aravind 2011 ; Le Roy, Robert, et
focalise sur trois variables de l’environnement comme
Giuliani 2013 ; Lavastre et al. 2014b).
déterminants de l’innovation supply chain :
L’innovation managériale est très peu étudiée en
réglementaire, normative et culturelle-cognitive. Dans
comparaison à l’innovation technologique, alors qu’elle
la même lignée, Lavastre, Ageron, et Chaze-Magnan
est également créatrice de la valeur pour l’organisation
(2014a) ont proposé et validé un modèle conceptuel
(Birkinshaw, Hamel, et Mol 2008) et source de
mettant en relations les déterminants des pratiques
performance continue pour l’entreprise (Birkinshaw et
interorganisationnelles innovantes et leur
Mol 2006 ; Hamel 2006 ; Le Roy, Robert et Giuliani 2013 ;
performance. Leur étude apporte une réelle valeur
Kacioui-Maurin, Lazzeri, et Michon 2016). Ce faible
ajoutée à la théorie du management de l’innovation et

CONTACT Omar Bentahar omar.bentahar@univ-lorraine.fr Université de Lorraine, CEREFIGE, IAE Metz, F-57000 Metz, France
© 2018 KEDGE Business School
2 O. BENTAHAR ET R. LAUNARO
du SCM. Cependant, elle ne permet pas d’explorer en
profondeur les caractéristiques des déterminants de
l’innovation supply chain relatives au management de
projet. Dans une visée de complémentarité avec ces
recherches (Bello, Lohtia, et Sangtani 2004 ; Lavastre,
Ageron, et Chaze-Magnan 2014a), nous explorons à
travers une méthodologie qualitative le cas d’une
innovation managériale supply chain dans le secteur
industriel, et nous essayons d’en comprendre les
déterminants organisationnels et managériaux sous le
prisme du management de projet. En effet, nous nous
focalisons sur les caractéristiques de l’organisation
projet et du chef de projet comme déterminants de
l’innovation supply chain. Par ailleurs, le choix d’une
entreprise de l’industrie métallurgique évoluant dans
un environnement concurrentiel nécessitant la mise en
place de différents types d’innovation nous permet
d’observer clairement le phénomène qui nous
intéresse (Eisenhardt 1989).
Dans un premier temps, nous précisons la
différence entre l’innovation technologique et
l’innovation managériale et focalisons l’attention sur
des dimensions du management de projet comme
déterminants de l’innovation. Dans un deuxième
temps, nous exposons notre démarche
méthodologique, et dans un troisième temps les
résultats de la recherche. Enfin, nous discutons les
résultats au regard de la théorie, et présentons les
apports, les limites et les perspectives de recherches
futures.
L’innovation technologique versus
l’innovation managériale
La plupart des théories et des modèles de l’innovation
sont orientés technologie. Cette attention particulière
à ce type d’innovation trouve son origine dans le
postulat de la relation entre la fonction recherche et
développement et l’innovation technologique
(Damampour et Aravind 2011 ; Loilier et Tellier
2013). Dans le même temps, les innovations
managériales ont suscité un intérêt moindre de la
part des chercheurs, aussi bien sur le plan théorique
qu’empirique (Birkinshaw, Hamel, et Mol 2008). Cela
trouve son explication, en partie, dans le caractère
intangible de l’innovation managériale dont la
performance est difficilement mesurable (Klein et
Sorra 1996 ; Tidd 2001 ; Birkinshaw, Hamel, et Mol
Tableau 1. Une multi-terminologie pour un concept unique.
Innovations Innovation organisationnelle
Caractéristiques communes ● Distinction nette avec les innovations technologiques
● Nouveauté
● Multiforme : comprend les pratiques, procédés, structures managériaux et/ou organisationnels
● Intentionnalité : objectif d’efficience et d’efficacité des procédés internes
● + Mobilisation d’exemples similaires : TQM, Système de Production Toyota ou Lean Management ou JIT,
structure divisionnelle, comptabilité analytique
Source : Dubouloz (2013a, 47).
2008). Les travaux de recherche en logistique et
supply chain management n’ont pas échappé à
cette tendance. De plus, dans ces recherches, le
niveau d’analyse est plus centré sur le processus
interne de l’entreprise que sur les relations
inter-organisationnelles (Lavastre, Ageron, et
Spalanzani 2011). Notre analyse dans ce premier
volet portera sur les différents types d’innovations et
précisera le concept d’innovation managériale dans la
supply chain.
L’innovation a fait l’objet de plusieurs recherches
conceptuelles et empiriques ayant permis la création
de différentes typologies. Parmi ces typologies, les
distinctions les plus utilisées en sciences de gestion
sont l’innovation technologique versus l’innovation
organisationnelle, l’innovation technologique versus
l’innovation administrative et enfin l’innovation
technologique versus l’innovation managériale.
L’innovation technologique est reliée à l’activité
principale de l’organisation et introduit un changement
au niveau du produit, du système opérationnel ou de
production de l’entreprise (Damampour et Evan 1984).
Cette conception de l’innovation a évolué en
développant d’autres types d’innovations considérées
également comme source de performance et
d’avantage concurrentiel pour les organisations. Selon
Edquist et al. (2001, 15–16) : « L’innovation
organisationnelle représente de nouvelles manières
d’organiser les activités de l’entreprises, comme la
production et la recherche et développement ». Dans la
même lignée, mais en utilisant un concept différent,
Kimberly et Evanisko (1981) définissent l’innovation
administrative comme étant le changement des
processus informationnels et de prise de décision.
L’analyse de la littérature sur les types
d’innovations menée par Dubouloz (2013a) montre
une interchangeabilité et des similitudes entre
l’innovation organisationnelle, l’innovation
administrative, l’innovation management et
l’innovation managériale. Selon Duboulouz (2013a),
ces quatre concepts se recouvrent et expriment des
caractéristiques communes (Tableau 1).
Le périmètre de l’innovation administrative et
organisationnelle va être surpassé à travers
l’émergence du concept de l’innovation
managériale développée par un nouveau courant
théorique en management mené par les
chercheurs Birkinshaw, Hamel et Mol (2008). Cette
Innovation administrative Innovation management Innovation managériale

école de pensée avance les limites de l’innovation
administrative qui n’intègre pas certaines facettes
de l’innovation managériale (exemple : l’innovation
dans le management des opérations) et celles de
l’innovation organisationnelle qui crée une
ambigüité avec le concept de la capacité
organisationnelle qui est un déterminant de
l’innovation.
Dans la même lignée qu’Hamel nous préférons
l’utilisation du concept d’innovation managériale.
Nous adoptons à cet effet la définition de
Damampour et Aravind (2011, 429) qui considèrent
l’innovation managériale comme : « de nouvelles
approches dans la connaissance pour la réalisation
d’un travail managérial et de nouveaux processus qui
produisent des changements dans la stratégie de
l’organisation, la structure, les procédures
administratives et les systèmes ». La diffusion des
travaux de recherche de ce courant théorique a
franchi les frontières des domaines de la stratégie et
du management de l’innovation en intégrant d’autres
domaines comme la gestion des ressources humaines,
la gestion financière, le marketing et le supply chain
management (SCM). Cependant, dans ce dernier
domaine, les études portant sur les innovations
managériales restent relativement méconnues par la
communauté des chercheurs en sciences de gestion
alors qu’elles sont stratégiques pour les organisations.
L’innovation managériale en SCM a été dominée par
la perspective interne de l’entreprise dans un souci
d’optimisation et de recherche de la qualité. C’est
dans ce contexte que des innovations comme la
gestion de la production assistée par ordinateur
(GPAO), le Lean management, les méthodes agiles
ont vu le jour. La mondialisation des échanges et
l’internationalisation des entreprises ont participé à
l’émergence d’une nouvelle perspective orientée
vers les innovations managériales inter-
organisationnelles. En effet, dans le secteur
industriel, l’intégration par exemple des fournisseurs
dans les processus de conception de produits passe
aujourd’hui par l’adoption d’une nouvelle
organisation et d'un système d’information
(Handfield et al. 1999 ; Benzidia 2013). Dans le
secteur de la distribution, nous pouvons également
observer d’autres formes d’intégration de la chaîne
logistique. Nous pouvons citer à ce titre le nouveau
système de Flowcasting adopté par Walmart et ses
fournisseurs. Ce nouveau mode d’intégration fondé
sur un système d’information évolué permet
l’amélioration de la collaboration, de la qualité des
prévisions et la réduction des taux de ruptures
(Martin, Doherty, et Harrop 2006 ; Rebolledo,
Beaulieu, et Landry 2010). Différentes pratiques inter-
organisationnelles innovantes (Tableau 2) entre
clients, fournisseurs, partenaires ou concurrents ont
LOGISTIQUE & MANAGEMENT 3
Tableau 2. Exemples de pratiques interorganisationnelles
innovantes.
● Gestion partagée des approvisionnements (GPA)
● Collaboration sur les prévisions et la planification avec le client
(CPFR)
● Mise en place du flux synchrone avec le fournisseur
● Mise en place du flux tiré avec le client
● Mise en place du web SMI
● Traçabilité des expéditions
● Kanban fournisseur
● Magasin avancé fournisseur
Source : Lavastre et al. (2014a, 76)
été étudiées dans le récent travail de Lavastre,
Ageron, et Chaze-Magnan (2014a).
Dans notre recherche, nous nous focalisons sur un
nouveau type d’innovation managériale dans la
supply chain. Cette innovation consiste à intégrer
deux organisations (supply chain) appartenant à la
même entreprise à travers une nouvelle logistique
multimodale et un nouveau système d’information,
l’objectif étant de réduire le coût de revient du
produit et de maintenir la compétitivité sur le
marché. De plus, dans cette recherche, nous
essayons de comprendre les déterminants de
l’adoption de cette innovation managériale dans la
supply chain à travers le prisme du management de
projet qui était central dans le discours des acteurs. Le
processus d’adoption est composé de l’initiation, la
décision d’adoption et l’implémentation (Damanpour
et Schneider 2006).
Le management de projet
Le management de projet a évolué ces vingt
dernières années en passant d’une vision très
technicienne à une vision plus organisationnelle et
managériale (Winch 2014 ; Miterev, Mancini, et
Turner 2017 ; Sankaran, Müller, et Drouin 2017). La
concurrence accrue et l’écart de compétitivité entre
les entreprises japonaises et occidentales
(européennes et américaines) a remis en question le
modèle normatif et séquentiel dominant dans le
management de projet et a déclenché l’adoption de
l’organisation matricielle par projet caractérisée par
l’intégration des activités et l’ingénierie concourante
(Clark et Fujimoto 1991 ; Garel 2003 ; Garel, Giard, et
Midler 2004 ; Midler et Beaume 2010). Cette nouvelle
organisation permet de mieux manager les
incertitudes, les contradictions, le changement et la
collaboration (Gareis et Huemann 2007). Elle offre au
chef de projet une autonomie et des responsabilités
quant à l’atteinte des objectifs. De plus, tout en
optimisant le processus projet, elle favorise
l’innovation. En effet, contrairement à la structure
fonctionnelle, l’organisation matricielle par projet est
caractérisée par la communication transversale, le
métissage fort entre les spécialistes, la coopération
4 O. BENTAHAR ET R. LAUNARO
entre les parties prenantes et la confrontation des
idées (Zannad 1998 ; Winch 2014). Ses différentes
caractéristiques participent au processus d’adoption
des innovations (Kimberly et Evanisko 1981 ;
Damanpour et Schneider 2009).
Le lien entre l’organisation projet et l’adoption de
l’innovation managériale a été identifié et souligné
par les chercheurs (Damanpour et Aravind 2011 ;
Lavastre et al. 2014b). Cependant, cette relation n’a
pas été menée en profondeur en explorant les
dimensions de l’organisation projet qui résident dans
la dualité de l’autorité, les compétences du chef de
projet et la relation entre le chef de projet et le
responsable métier. L’organisation matricielle par
projet n’octroie au chef de projet qu’une autorité
limitée (Goodman 1967 ; Midler 1993a). Cette
ambiguïté qui entoure l’autorité du chef de projet
peut impacter négativement l’innovation. Ainsi, le
chef de projet doit détenir des compétences non
seulement techniques mais aussi managériales et de
leadership afin d’appuyer son autorité et assurer la
réussite de l’innovation (Thamhain et Gemmill 1974 ;
Bentahar, Benzidia, et Fabbri 2016 ; Karaa, Bentahar, et
Benzidia 2016 ; Bentahar 2018). Plusieurs recherches
abondent dans ce sens en montrant la relation entre
l’expérience et l’expertise des managers et l’adoption
de l’innovation managériale (Young, Charns, et
Shortell 2001 ; Damanpour et Schneider 2006).
Les travaux de Clark et Fujimoto (1991) et Clark et
Wheelwright (1992) montrent qu’il existe différents
types d’organisations projets. D’une part,
l’organisation projet de type lightweight project
manager où le chef de projet n’est qu’un simple
coordonnateur des activités projet, et d’autre part,
l’organisation projet de type heavyweight project
manager où le chef de projet assure l’intégration
interne et externe du processus innovant, de la
conception à la réalisation (voir par exemple Clark et
Wheelwright 1992, 11). Le type d’organisation projet
influence les relations de pouvoir entre le chef de
projet et le responsable métier et ainsi l’adoption de
l’innovation managériale.
L’organisation matricielle qui combine une
structure fonctionnelle et une structure projet crée
souvent des conflits entre le chef de projet et le
responsable métier. En effet, la structure
fonctionnelle (métier) s’insère dans une logique
d’exploitation routinière alors que la structure projet
suit une logique d’exploration (Lenfle 2008 ; Mothe et
Brion 2008 ; Midler et Beaume 2010). Si ces deux
visions contradictoires ne sont pas conciliées, elles
peuvent ralentir le processus décisionnel et mener à
l’échec de l’innovation.
Dans cette partie théorique, nous avons apporté
un éclairage sur la distinction innovation
technologique et innovation managériale, exposé les
spécificités de l’innovation managériale supply chain
et présenté une analyse des caractéristiques de
l’organisation projet et du management en tant que
déterminants de l’innovation. Avant d’aborder la
contribution empirique de la recherche relative aux
déterminants de l’innovation managériale dans la
supply chain, nous présentons la démarche
méthodologique retenue.
Méthodologie de la recherche
Notre recherche a pour objet d’étudier en profondeur
un phénomène dans son idiosyncrasie et de découvrir
des dimensions émergentes non anticipées dans la
partie conceptuelle (Eisenhardt 1989 ; Yin 1994).
L’étude se focalise sur une innovation managériale
dans la supply chain et ses déterminants dans une
entreprise industrielle appartenant au secteur de la
métallurgie. Ainsi, la stratégie de recherche choisie
est l’étude de cas, et l’approche méthodologique
adoptée est qualitative.
Le choix de l’entreprise étudiée a permis d’observer
clairement le phénomène qui nous intéresse
(Eisenhardt 1989). Il s’agit d’explorer une innovation
managériale dans la supply chain qui induit une
nouvelle organisation logistique multimodale
permettant une meilleure performance de
l’entreprise.
La collecte des données est fondée principalement
sur des entretiens semi-directifs. Nous avons
interviewé 12 personnes (15 entretiens) appartenant
au management ou à l’équipe de réalisation du projet
(Tableau 3). Les entretiens ont duré 45 min en
moyenne. La collecte et l’analyse des données se
sont déroulées selon les recommandations de Miles
et Huberman (2003). Le guide d’entretien élaboré est
composé de thématiques se rapportant à l’innovation
managériales, au contexte de l’innovation
managériale, au management de projet, à
l’organisation projet et aux compétences du chef de
projet. La collecte des données ne s’est pas limitée
aux données primaires. Nous avons également
observé le déroulement du processus innovant avec
prise de notes et collecté des données secondaires
(comptes rendus de réunion d’équipes et de comité
Tableau 3. Liste des entretiens.
Management Equipe projet
Responsable des opérations Directeur de projet : exploitant, Est–
Est Nord (trois entretiens)
Responsable cookerie Est Directeur de projet : étude et travaux,
(deux entretiens) Est–Nord
Responsable cookerie Nord Chef de projet ingénierie Est
Chef de projet ingénierie Nord
Pilote exploitant cookerie Est
Pilote exploitant cookerie Nord
Responsable des achats ferroviaires
Europe
Membre 1 de l’équipe projet
Membre 2 de l’équipe projet

Tableau 4. Thèmes et sous thèmes du guide d’entretien.
Thèmes Sous-thèmes
L’innovation managériale dans la Contexte de l’innovation
supply chain Intérêt de l’innovation
Phases de l’innovation
Organisation de la production
Logistique
Transport
Système d’information
Le management de projet Organisation projet
(déterminant) Acteurs impliqués dans le
projet
Autorité du chef de projet
Dualité de l’autorité
Conflits des rôles
Expérience des directeurs
projet/métier
Education des directeurs
projet/métier
L’apport de l’innovation managériale Coût
Qualité
Compétitivité
de pilotage, documents contenants la structure
organisationnelle et les résultats du projet, etc.)
participant à une meilleure compréhension de
l’innovation étudiée et ses déterminants. La
triangulation des données permet d’améliorer la
validité et la fiabilité des résultats et d’enrichir notre
compréhension du phénomène étudié (Bentahar et
Cameron 2015).
Les résultats présentés dans la partie empirique
sont obtenus par une analyse thématique des
entretiens (Tableau 4). Cette méthode permet de se
focaliser sur les informations les plus importantes
issues de la retranscription des entretiens. Miles et
Huberman (2003) proposent de diriger l’analyse des
données qualitatives recueillies en séparant la
réduction des données de la présentation des
données. Nous avons retenu la synthèse des
données comme technique de réduction. Le codage
théorique utilisé a permis de repérer le thème, de
réduire le nombre de données et d’identifier le lien
entre innovation managériale dans la supply chain et
les déterminants de son adoption.
Les thèmes et les sous-thèmes de notre étude sont
synthétisés dans le Tableau 4.
Résultats
Les résultats sont structurés en deux parties. Dans un
premier temps, nous exposons le contexte de
l’innovation étudiée, ses caractéristiques et ses
différentes phases, et dans un deuxième temps, nous
présentons les dimensions du management de projet
ayant contribué à l’adoption de l’innovation supply chain.
L’innovation dans la supply chain : une
innovation managériale inédite
Face à la concurrence forte et la baisse de l’activité
de l’acier, l’entreprise européenne a décidé en
LOGISTIQUE & MANAGEMENT 5
2008 l’intégration de ses deux sites Est et Nord
éloigné de plus de 400 km (Figure 1). Ces deux
sites étaient indépendants initialement. Le site Est
a fermé ses hauts fourneaux produisant la fonte et
son aciérie produisant l’acier (produit fini) mais a
maintenu sa chaîne d’approvisionnement de
charbons (matière première) dédiée à la
production du coke (produit intermédiaire) qui est
stocké sur site. Une expédition, par voie ferroviaire,
transfère une partie de ce coke en fonction du
besoin complémentaire des haut-fourneaux du
Nord. Le site Nord dispose d’une cokerie, mais
nécessite l’approvisionnement de coke externe
pour assurer le volume nécessaire de production
d’acier. Suite à la réorganisation de l’entreprise, la
supply chain de la cokerie Est se schématise comme
suit (Figure 1).
La supply chain de la cokerie Est montre une
succession de transferts logistiques multimodaux.
Les charbons pour la cokerie Est, principalement
d’origine australienne ou américaine, arrivent au port
de mer de la zone ARA (Amsterdam, Rotterdam et
Anvers) par navire, où ils sont déchargés et stockés.
Pour des raisons de qualité de charbon, une traçabilité
par lot et par navire suit l’ensemble des transferts. Les
charbons sont ensuite rechargés sur barges ou
péniches, donc par voie fluviale, par lot pour arriver
au port Est. Les charbons sont stockés et rechargés à
la demande sur train, du port Est pour arriver sur le
site Est pour la production du coke.
Pour piloter cette supply chain, deux modules ont
été intégrés à un Enterprise Resource Planning (ERP)
existant. Le premier module permet la gestion des
approvisionnements maritimes jusqu’en zone ARA.
Le second outil gère les approvisionnements depuis
la zone ARA vers le Nord en passant par la cokerie Est.
Il concerne toute la logistique maritime, fluviale,
routière et ferroviaire. Le deuxième module intègre
une fonction financière permettant la modification
des stocks comptables ainsi que la validation et le
paiement des factures de manière automatique.
Cette fonction financière assure également la
comparaison des prix des voies logistique (maritime,
fluviale, routière ou ferroviaire) et le choix en temps
réels de la voie optimale. Ces nouveaux modules ERP
ont permis le partage de l’information en temps réel
au niveau de la supply chain intégrée (Est–Nord) et
ainsi la simplification du suivi des
approvisionnements, l’amélioration de la réactivité, la
réduction des risques et une optimisation de
l’organisation (passage de sept à trois employés).
Cette première innovation managériale de type
supply chain qui porte sur le changement de
l’organisation et du processus d’information a créé
de la valeur pour l’entreprise. Cependant le coût de
revient de la cokerie Est reste supérieur à celui des
autres sites de production du groupe et également au
6 O. BENTAHAR ET R. LAUNARO
Figure 1. Innovation managériale dans la supply chain : supply chain de la cokerie Est.
regard du prix de marché influencé par l’offre de coke
provenant de Chine et d’Inde. Même si le site Est est
défavorisé par sa position géographique continentale,
il est nécessaire d’améliorer son coût de revient de
façon significative. C’est dans ce sens que la direction
a décidé l’adoption d’une nouvelle innovation
managériale qui consiste à concevoir et implémenter
une nouvelle logistique multimodale entre 2013 et
2015.
Le processus de l’innovation managériale a
comporté une phase d’étude qui a défini le
contexte, l’objectif et le périmètre de l’innovation
et l’organisation projet, et une phase
d’implémentation qui consiste à réaliser les
activités du projet et de s’assurer de l’atteinte
des objectifs en termes de management de projet
et de performance logistique. Ce mode de
management de projet a été déterminant dans
l’adoption de cette innovation supply chain
inédite en Europe (Figure 2).
L’innovation managériale adoptée par l’entreprise
consiste en la mise en place d’un seul flux maritime
de charbon vers le site Nord et d’un flux ferroviaire
couplé charbon/coke inter-sites et évite le transport
ferroviaire à vide (Figure 1). Ce flux correspond au
besoin journalier en charbon de la cokerie de l’Est et
à sa production journalière de coke transportée au
site Nord. Cette innovation est une première en
Europe.
Afin d’implémenter cette innovation, d’abord sur le
site du Nord, il était nécessaire d’augmenter la
capacité de préparation de mélange de charbon et
de créer une station de chargement wagon du
mélange de charbon pour le site de l’Est. Sur le site
de l’Est, il était nécessaire de créer une station de
dégel de wagon, d’augmenter la capacité de
déchargement des wagons de charbon et d’adapter
le chargement du coke en ligne directe avec la
production. Le dernier point concerne la mise en
place d’une flotte de wagon adaptée au transport de
charbon et de coke autorisant un flux journalier.
La cokerie est un outil de production qui ne
peut s’arrêter. Donc, la fiabilité du flux logistique
doit être robuste pour éviter toute rupture
majeure pouvant entraîner l’arrêt complet de
l’outil. Le stock de mélange de charbon à la
cokerie Est représente environ une vingtaine de
jours de consommation. C’est pourquoi,
l’organisation logistique comporte trois voies de
secours entre le site Nord et Est : la première est
un transfert de mélange de charbon par barges, la
seconde par voie routière et la troisième une
combinaison de voies routière et fluviale pour
assurer le volume maximum.
La circulation des trains chargés dans les deux
sens permet une optimisation importante du coût
de transport en le divisant quasiment par deux. Le
coût d’approvisionnement et de stockage a été

Figure 2. Innovation managériale dans la supply chain : supply chain couplée charbon et coke.
également réduit à travers la suppression des
zones de stockage au port ARA et au port Est.
Ainsi, l’innovation managériale dans ce cas consiste
dans la conception et l’implémentation d’une
nouvelle organisation multimodale et
informationnelle des flux logistiques procurant un
avantage compétitif pour l’entreprise sur son marché.
Après avoir analysé les différentes facettes de
l’innovation managériale dans la supply chain, nous
allons maintenant identifier et essayer de comprendre
ses déterminants.
Le management de projet comme déterminant de
l’innovation managériale dans la supply chain
Le périmètre de l’innovation managériale intègre
les cokeries Nord et Est, toute la logistique
continentale des charbons et du coke Est, les
transports ferroviaires internes Nord et Est,
les services approvisionnements Nord et Est, les
équipes études et travaux Nord et Est, les
prestataires de logistique externe et enfin le
service Sourcing de l’entreprise et la Business
division Nord.
Pour l’étude et la réalisation de l’innovation une
organisation matricielle de type « structure de
direction projet conjointe » a été mise en place
(Figure 3). Ce type d’organisation projet implique
LOGISTIQUE & MANAGEMENT 7
d’une part une autonomie et un pouvoir de
décision pour le directeur de projet sur les
activités du projet, et d’autre part la participation
du management et des équipes des deux
organisations Nord et Est. En effet, le projet
comporte deux directeurs projet : un directeur
représentant le métier (exploitant) et un directeur
représentant la fonction support. Il intègre aussi
deux pilotes projet avec leurs équipes respectives
et deux pilotes métier dans les deux sites Nord
et Est.
Pendant la phase d’étude qui a duré quatre mois et
demi, une dualité d’autorité était présente entre le
directeur projet support et le directeur projet métier
créant ainsi une situation conflictuelle dans le projet.
En effet, lors de certaines réunions hebdomadaires
avec les équipes projet, le directeur projet-support a
tenté de prendre le pouvoir et le leadership du projet.
Cette dualité de l’autorité créatrice de conflit a été
jugulée rapidement grâce à une communication
adaptée et a finalement eu peu d’effet sur les
équipes projet et le déroulement du processus
d’innovation. Cette organisation matricielle par
projet a évolué pendant la phase de réalisation en
intégrant un nouveau directeur projet support
capable de partager son autorité avec le directeur
projet métier. Cette absence de conflit malgré la
dualité de l’autorité peut être expliquée également
par la responsabilité de type ambidextre entre les
8 O. BENTAHAR ET R. LAUNARO
Figure 3. Structure de direction projet.
Source : Clark & Wheelwright (1992, p. 11)
deux directeurs (projet/support) et entre les deux
pilotes projets et les deux pilotes métier (exploitants)
Nord-Est : « L’organigramme avec une équipe de
pilotage pour les deux sites et un duo de pilotage
travaux nouveaux et exploitation fut très bénéfique »
(pilote exploitant, Nord).
Le type de l’organisation projet : « structure de
direction projet » et « structure conjointe » et le partage
équilibré de l’autorité métier/support à tous les niveaux
de l’organisation projet a généré une communication
consensuelle et efficace : « Communication excellente,
pas de couac, le tee-shirt de l’équipe projet a été aussi très
fédérateur » (responsable cokerie Nord).
Les deux directeurs projet se sont assurés des
objectifs stratégiques du projet en réalisant les
arbitrages entre les coûts d’exploitation et les
coûts d’investissement. Parallèlement, ils ont
identifié les contraintes et les risques et élaboré
les solutions techniques optimales et ses options.
L’implication d’un directeur projet métier
(approvisionnement des matières premières et
logistique de la cokerie) améliore la réactivité de
la prise des décisions.
Les pilotes exploitant sont responsables de
l’identification des ressources nécessaires pour
l’équipe projet. Dans ce sens, ils ont analysé les
implications des choix techniques pour
l’exploitation au niveau de la maintenance, de
l’ergonomie, de la sécurité et de l’environnement,
mais aussi au niveau des coûts d’exploitation et de
l’impact amont/aval.
La recherche des meilleures solutions techniques
pour répondre au cahier des charges incombe aux
pilotes du projet. Ainsi, ils ont mené les benchmarks,
contacté les fournisseurs et chiffré le montant des
investissements et veillé sur le planning du projet.
Au-delà de l’organisation projet, les compétences
collectives intégrées au projet ont été aussi
déterminantes dans l’adoption de l’innovation
managériale. En effet, les directeurs projets et métier
sont très compétents et disposent d’une longue
expérience qui leur permet de comprendre l’histoire
de l’organisation, les outils de production concernés
sur les cokeries, la gestion des stocks et le pilotage
des flux logistiques. Les directeurs projets disposaient
non seulement de compétences techniques mais
aussi de compétences relationnelles leur permettant
d’assurer une bonne communication avec les équipes
et les parties prenantes. Ainsi la vision partagée était
pilotée par la créativité, la performance et une
dynamique positive du challenge : « Nous travaillons
pour la pérennité de la cokerie Est et intrinsèquement
pour améliorer les résultats du supply chain Nord-Est.
Cette innovation est une rupture, il n’y a pas de tabou,
pas d’interdit, tout peut être imaginé » (Les directeurs
du projet métier et support, Nord-Est).
Si, nous étendons notre analyse aux déterminants
externes de l’adoption de l’innovation, nous pouvons
identifier dans cette étude deux déterminants
émergeants : l’environnement de l’entreprise et les
bénéfices espérés de l’innovation.
L’environnement de l’entreprise est très
concurrentiel. Il est caractérisé par l’émergence de
nouveaux pays comme le Brésil, la Russie, l’Inde et la
Chine qui influencent le prix de l’acier dans les
échanges internationaux. Cette pression de
l’environnement pousse l’entreprise à l’adoption de
nouvelles stratégies d’innovations.
Les bénéfices attendus de l’innovation managériale
favorisent son adoption. Les directeurs et les
managers ont estimé que l’innovation managériale
serait source de réduction du coût de revient du
coke et ainsi de performance et de compétitivité sur
le marché. Cette perception du top manager partagée
avec les directeurs et les équipes projets a favorisé
l’adoption et la réussite de l’innovation.
 LOGISTIQUE & MANAGEMENT 9

Les résultats de l’étude empirique sont synthétisés 2014b). En effet, elle montre une relation entre
dans le Tableau 5. l’organisation matricielle par projet et l’adoption de
l’innovation managériale dans la supply chain. L’étude
va au-delà de cette relation en explorant les
Discussion des résultats et conclusion dimensions de l’organisation matricielle par projet et
L’innovation managériale a été peu étudiée au regard en montrant et précisant que l’organisation de type
des autres types d’innovations, notamment « structure de direction projet conjointe » est la mieux
technologique. La difficulté de l’évaluation de sa adaptée pour l’adoption de l’innovation managériale
performance participe à l’intérêt limité qui lui est dans la supply chain. Cette analyse qualitative est
porté. Dans ce contexte et afin de participer à sa primordiale car dans certains cas, le type de la
reconnaissance aussi bien auprès des chercheurs que structure projet et ses caractéristiques peuvent
des praticiens (Hamel 2006 ; Le Roy, Robert, et Giuliani mener à l’échec du projet innovant (Bentahar,
2013), nous avons étudié et analysé le processus Benzidia, et Fabbri 2016). En effet, l’autorité limitée
d’une innovation managériale dans la supply chain du chef de projet, la dualité de l’autorité, l’ambiguïté
d’une entreprise industrielle européenne. Cette des rôles (Arvidsson 2009) et la confrontation des
innovation consiste à changer radicalement logiques métiers et projet peuvent générer des
l’organisation des flux logistiques et informationnels tensions et paradoxes (Aubry et Lavoie-Tremblay
des charbons et du coke entre deux supply chains 2017) complexifiant le processus de prise des
différentes au sein de la même entreprise. Cette décisions et entravant l’adoption de l’innovation.
nouvelle supply chain couplée charbons et coke a Les résultats de notre recherche caractérisent
permis la réduction du coût de revient du coke du l’organisation projet en tant que « structure de
site Est et la création de la valeur pour l’organisation. direction projet conjointe » ou medium-weight
Les résultats de la recherche confortent la théorie project manager (Clark et Wheelwright 1992 ; Garel
qui souligne que la structure projet est un 2003). Cette structure spécifique dispose d’une
déterminant de l’innovation (Clark et Wheelwright autorité ambidextre équilibrée entre le directeur de
1992 ; Midler 1993b ; Midler et Beaume 2010 ; projet support et le directeur de projet métier. Elle
Bentahar, Benzidia, et Fabbri 2016 ; Karaa, Bentahar, inclut également deux chefs de projet et deux pilotes
and Benzidia 2016) et des pratiques métier appartenant aux deux organisations (Nord–
interorganisationnelles innovantes (Lavastre et al. Est). La responsabilité et la vision métier/projet
partagée et conjointe entre deux directeurs projet et
pilotée par les objectifs stratégiques de l’entreprise
Tableau 5. les déterminants de l’adoption de l’innovation ont permis d’éviter les tensions et les conflits et ont
managériale dans la supply chain.
été un déterminant clé de la réussite de l’adoption de
Déterminants de l’innovation
managériale dans la supply l’innovation managériale dans la supply chain.
N° chain Caractéristiques La théorie du management de l’innovation montre
1 Environnement de l’entreprise ● L’environnement très que l’éducation et l’expérience des managers ont une
concurrentiel de l’entreprise
: l’émergence de pays influence forte sur l’adoption de l’innovation.
comme le Brésil, la Russie L’expérience des managers offre une légitimité et
l’Inde et surtout la Chine qui
influencent à la baisse le des connaissances permettant l’atteinte des objectifs
prix de l’acier sur le marché de l’innovation (Kimberly et Evanisko 1981 ;
2 Bénéfices attendus ● La réduction du coût Damanpour et Schneider 2006 ; Dubouloz 2013b) et
● La compétitivité sur le
marché leur éducation permet de gérer la complexité du
3 Structure de direction projet ● L’autorité équilibrée entre processus innovant et de générer et faire accepter
conjointe les directeurs projet/métier
● La responsabilité conjointe des solutions innovantes (Young, Charns, et Shortell
entre les directeurs des deux 2001 ; Damanpour et Schneider 2006 ; Karaa,
sites industriels concernés
par l’innovation
Bentahar, et Benzidia 2016). Les résultats de notre
● La communication consen- recherche corroborent les travaux de recherche de
suelle et efficace Damanpour et Schneider (2006). Ils amendent aussi
● La réactivité
● Les conflits limités ces travaux de recherche en précisant l’importance de
4 L’expérience des directeurs ● La longue expérience dans l’expériences des directeurs projets et des chefs de
métier et projet le domaine concerné par
l’innovation permettant une projets dans le domaine transformé par l’innovation
compréhension de l’histoire (expérience de plus de 10 ans dans l’industrie,
de l’organisation, des outils
de production et des flux
permettant ainsi la compréhension et la maîtrise de
5 L’éducation et les ● La compétence collective l’organisation, de l’outil de production et du pilotage
compétences des directeurs ● Les compétences techniques, des flux logistiques) et en insistant sur la nécessité
métier et projet managériales et de leaders-
hip d’une compétence collective projet/métier équilibrée.
Ces deux dimensions ont favorisé la mobilisation
10 O. BENTAHAR ET R. LAUNARO
d’une approche technique, managériale et
relationnelle conciliant la logique projet et la logique
logistique (métier) et ainsi l’adoption de l’innovation
managériale.
Au-delà des déterminants organisationnels et
managériaux de l’innovation managériale, l’étude
identifie également l’environnement de l’entreprise
et les bénéfices attendus de l’innovation comme
déterminants. L’innovation a été motivée par
l’environnement concurrentiel de l’entreprise et
décidée et soutenue par la direction. De plus, les
bénéfices perçus de cette innovation en termes de
réduction des coûts et d’amélioration de la
compétitivité ont favorisé son adoption. Ce résultat
émergeant rejoint et conforte les travaux de Rogers
(1995), Damanpour et Schneider (2009) et Lavastre
et al. (2014b).
Notre étude conforte d’une part l’étude de Lavastre
et al. (2014b) en identifiant dans le cadre d’une étude
de cas, les mêmes déterminants de l’adoption de
l’innovation managériale dans la supply chain :
environnement, bénéfices attendus, organisation
projet, expérience et éducation des directeurs projet/
métier. D’autre part, elle l’enrichit en précisant les
caractéristiques de l’organisation matricielle par
projet et en spécifiant l’expérience et d’éducation
des directeurs de projet. En effet, les résultats
montrent qu’une « structure de direction projet
conjointe », une forte expérience dans le domaine
concerné par l’innovation managériale et une
compétence collective projet/métier alliant
technique, management et leadership sont des
déterminants de l’adoption de l’innovation
managériale dans la supply chain. Par ailleurs,
l’étude permet également de présenter un cas
empirique inédit en Europe permettant la
compréhension d’un nouveau type d’innovation
managériale dans la supply chain. Il s’agit d’une
nouvelle logistique multimodale dans le secteur
industriel. Cet exemple, pourrait contribuer à mieux
faire connaître l’innovation managériale dans la
supply chain au sein de la communauté des
chercheurs et praticiens en management.
D’un point de vue managérial, les résultats de
l’étude peuvent guider la direction générale dans le
choix et la construction de l’organisation projet
adéquate et le recrutement des directeurs projet
ayant l’expérience et les compétences adéquates aux
caractéristiques de l’innovation managériale à adopter
dans la supply chain.
L’étude de cas permet l’analyse et la
compréhension du phénomène dans son
contexte. Cependant, elle n’a pas les qualités de
l’étude quantitative en termes de généralisation
statistique des résultats. Ainsi, une étude
quantitative focalisée sur les différents types
d’organisation projet et les caractéristiques des
directeurs projets (expérience, éducation) en
relation avec l’adoption de l’innovation
managériale dans la supply chain serait pertinente
dans l’optique d’une validité externe des résultats.
Les dimensions relatives à l’environnement de
l’entreprise et aux bénéfices attendus de l’innovation
n’ont pas été explorées en profondeur dans cette
recherche. Cette limite de l’étude découle de notre
choix d’une étude qualitative se focalisant sur des
déterminants internes de l’innovation à travers une
perspective management de projet. Ainsi, dans une
future recherche, nous explorons les déterminants
externes de l’innovation et leur impact sur l’adoption
de l’innovation supply chain.
La réussite de l’innovation managériale dans la
supply chain se traduit par la réduction des coûts
d’approvisionnements des charbons, des flux
logistiques des charbons et du coke, des contrats
logistiques et des stocks, tout en améliorant la qualité
du coke par rapport à celle générée par la précédente
supply chain. Cette réduction du coût de revient du
coke a créé un avantage compétitif pour l’entreprise
sur son marché. Ce résultat répond par l’affirmative à
la question de Le Roy, Robert, et Giuliani (2013, 87) :
« l’introduction d’une innovation managériale entraîne-
t-elle de meilleures performances ? ». Cependant, notre
analyse de la performance reste limitée et serait à
approfondir dans une future étude sous différentes
facettes tout en apportant des informations chiffrées.
Les recherches insistent sur l’attention
managériale à apporter aussi bien à l’innovation
managériale que l’innovation technologique.
L’introduction et la combinaison de différents
types d’innovation de manière concourante serait
source de performance plus élevée pour
l’entreprise (Boonstra et Vink 1996 ; Damanpour
et Aravind 2011 ; Le Roy, Robert, et Giuliani
2013). L’innovation managériale supply chain
analysée et étudiée dans cette recherche a été
accompagnée d’une innovation technologique
que nous n’avons pas abordée dans cet article.
Ainsi la question suivante émerge : est ce que
l’adoption concourante d’une innovation
managériale et technologique est source de
performance plus élevée pour l’organisation que
celle générée par une innovation exclusivement
technologique ou managériale ?
Déclaration
Les auteurs confirment qu’il n’y a aucun conflit d’intérêts.
Les auteurs
Omar Bentahar est maître de conférences en management
de projet et supply chain management à l’Université de
Lorraine – IAE Metz. Il est responsable du master

administration des entreprises à l’IAE Metz et co-fondateur
du colloque international PROLOG : ‘Project Logistic’.
chercheur au Centre de recherche européen en economie
financière et gestion des entreprises (CEREFIGE), ses
recherches portent sur le management des projets
innovants et complexes, l’innovation dans le supply chain
management et les méthodes de recherche mixtes. Email :
omar.bentahar@univ-lorraine.fr
Raphael Launaro est directeur de projet logistique dans une
entreprise industrielle. Il a dirigé la réalisation de plusieurs
projets logistiques, notamment innovants, dans une
perspective de création de valeur pour l’entreprise. Email :
Launaro.r@gmail.com
ORCID
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