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Métiers genrés : quand les stéréotypes de genre biaisent notre

orientation pro

On ne vous apprend rien en vous disant que l’égalité professionnelle entre les
hommes et les femmes est encore loin d’être atteinte. Mais si on entend
souvent parler des inégalités salariales, la mixité des genres selon les métiers ne
fait pas autant de bruit. En 2018, une étude du Centre d’Information et
Documentation Jeunesse (CIDJ) montrait que seuls 17% des métiers étaient
mixtes. Une profession étant considérée comme mixte lorsque la part des
hommes se situe entre 40 et 60% de l’effectif. Triste constat donc, puisque
cette non-mixité met en évidence les inégalités et les stéréotypes de genre qui
persistent dans le monde du travail et, plus largement, dans la société. Mais
comment l’expliquer ? Pourquoi certains métiers sont-ils genrés ? Pourquoi les
hommes et les femmes n’ont-ils pas la liberté de choisir certains métiers à cause
de leur sexe ? Enquête.

Où sont les femmes ? Où sont les hommes ?

Comment sont donc répartis les hommes et les femmes dans les corps de
métier si seulement 17% des professions sont mixtes ? Commençons par faire le
point avec quelques chiffres…

Il faut d’abord savoir que la grande majorité des femmes travaille dans le
tertiaire puisque, d’après une analyse du CIDJ, elles seraient près de 88% à
travailler dans les métiers dits “du service”. Elles sont particulièrement
nombreuses à exercer dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’action
sociale et des services aux particuliers. Des domaines qui demandent tous une
certaine empathie, de l’altruisme ou encore de la douceur, des qualités
communément associées à la féminité.

À l’inverse, certains secteurs comptent moins de femmes dans leurs rangs.


C’est notamment le cas du numérique et de l’informatique composés de 70%
d’hommes. Mais on compte aussi, toujours d’après le CIDJ, une grande majorité
d’hommes dans les secteurs de la R&D et du BTP. Côté métiers, ils sont
particulièrement nombreux parmi les ingénieurs, les cadres techniques ou
encore les cuisiniers. Ils laissent au contraire la place aux femmes dans les
secteurs de la petite enfance et d’aide à la personne, où ils se font rares. La
gent masculine exerce donc plutôt des métiers dits “physiques”, “techniques”,
où il faut produire et créer.

La question nous brûle donc les lèvres : qu’est ce qui peut influencer notre
orientation ? Pourquoi les garçons se spécialisent-ils dans certains domaines

Les stéréotypes de genre, enracinés depuis l’enfance

Pour comprendre ce sur quoi se base notre orientation, il faut d’abord se


replonger dans notre enfance. Car l’environnement dans lequel nous baignons
depuis la naissance façonne notre cerveau. D’après la neurobiologiste Catherine
Vidal : « Au cours de sa construction, le cerveau intègre les influences du milieu
extérieur, issues de la famille, de la société, de la culture. Il en résulte
qu’hommes et femmes ont des cerveaux différents… » Depuis l’enfance donc,
nos parents, nos professeurs, nos camarades, ou la société en général (via la
publicité, par exemple), sèment - souvent inconsciemment - de petites graines
dans notre cerveau, orientant nos choix futurs. Et parfois, ces petites graines
sont imprégnées de stéréotypes. Le schéma classique : on fait généralement
comprendre très tôt aux enfants qu’il y a des activités typiques de filles et des
activités typiques de garçons. Cet apprentissage peut même se loger dans de
toutes petites actions. Il est par exemple prouvé que les parents, dès la
naissance d’un bébé, adaptent leur comportement en fonction du sexe de
l’enfant. Cela peut par exemple passer dans la manière de porter un bébé : plus
vigoureusement pour un garçon et avec plus de précaution pour une fille. Mais
cela se passe aussi par des actions bien plus significatives…

L’exemple le plus notable étant celui des jouets. Vous avez forcément déjà
traversé l’allée “jeux” d’un supermarché : à votre gauche, du rose à n’en plus finir
comme si Barbie avait vomi sur les présentoirs. Et à droite, tout l’attirail pour
faire d’un petit garçon une mini réplique de Stallone. Au-delà de l’esthétique très
stéréotypée, ces jouets développent également des compétences différentes chez
les enfants. Comme l’explique la journaliste Aurélia Blanc, invitée dans le
podcast Les couilles sur la table, les jouets des petits garçons sont « des jouets
où on est dans l’action, il faut conquérir un territoire, voire le monde. Ce sont
des jouets qui vont plus souvent mobiliser le corps. […] Et ensuite on a toute la
partie qui va être mécanique. Beaucoup de références aux véhicules, à la vitesse
puis à la construction. Et on a aussi beaucoup de jeux d’extérieur, qui appellent
à mobiliser son corps, à se dépasser, et à prendre de la place aussi. » Anne-
Sophie Dafflon-Novelle, docteure en psychologie explique également dans ses
analyses que les jouets pour garçons les aideraient à mieux se repérer dans
l’espace. Contrairement aux jouets des petites filles qui, d’après elle «
n’évoquent pas l’action ou la technique. Il s’agit pour elles d’imiter les adultes
avec des jeux souvent collectifs, l’épicerie par exemple, qui leur permettent de
développer leurs capacités langagières. »

Les jouets sont pourtant importants dans la construction de l’enfant puisqu’ils


l’aident à développer ses aptitudes mais aussi à l’éduquer. D’après Aurélia Blanc «
À travers le jouet, on apprend à l’enfant ce qu’il a le droit de faire et ce qu’il n’a
pas le droit de faire. Quand on empêche à un petit garçon, par exemple, de jouer
à la poupée - ce qui est encore très courant aujourd’hui - on lui indique très tôt et
très durablement que ce qui relève du féminin, c’est nul, ce n’est pas pour lui,
c’est méprisable. » Laisser les enfants libres de jouer avec n’importe quel jouet
contribuerait à diversifier leurs compétences et donc, plus tard, leur orientation.

(…)

Le procédé est exactement le même dans le sport : comme l’explique Anne-


Sophie Dafflon Novelle, les petits garçons sont généralement poussés vers les
sports collectifs et les sports de compétition et les petites filles vers des sports
plus artistiques comme la danse ou la gymnastique, par exemple.
La prophétie auto-réalisatrice

Enfants, nous développons donc des compétences différentes en fonction de


notre sexe et pouvons donc prendre du retard sur certaines disciplines. En
grandissant, ces contrastes peuvent s’accentuer… Prenons par exemple le cas
des mathématiques et de la géométrie… Le stéréotype selon lequel les femmes
seraient « moins fortes que les garçons en mathématiques » a la peau dure. Nous
avons en effet déjà évoqué le fait que les petites filles sont moins sensibilisées à
la géométrie et l’espace via les jouets, mais ce n’est pas tout…

En 2013, l’Université de Provence avait réalisé une expérience sur le sujet. Les
chercheurs avaient demandé à deux groupes d’élèves - mixtes - de reproduire
une figure géométrique complexe de mémoire. Les chercheurs ont annoncé au
premier groupe qu’il s’agissait d’un “exercice de géométrie” et au second un
“exercice de dessin”. Résultat : les filles ont mieux performé lorsqu’on leur a dit
qu’il s’agissait d’un exercice de dessin et inversement pour les garçons. Il
s’agissait pourtant du même exercice ! C’est ce qui s’appelle en psychologie
sociale “la menace du stéréotype” : la personne victime d’un préjugé perd ses
moyens lorsqu’elle doit y faire face. Elle performe donc moins bien et finit par
confirmer le cliché. C’est exactement ce qui se produit quand on demande à une
fille de faire un exercice de maths alors qu’elle entend dire depuis des années
que « les filles sont nulles en maths. » Il s’agit d’une prophétie auto-réalisatrice.

Au-delà du fait d’encourager les enfants à s’essayer à différentes disciplines pour


diversifier leurs compétences, une bonne manière de leur donner confiance en
celles-ci serait de leur montrer de nouveaux modèles de réussite, qui prennent
le contre-pied des clichés de genre. Par exemple, en présentant aux enfants et
adolescents des histoires de femmes mathématiciennes. La physicienne Lise
Meitner, la mathématicienne Sophie Germain ou encore l’ingénieure en
aérospatiale Mary Jackson… Il existe des dizaines d’exemples de femmes
scientifiques oubliées de l’Histoire…

Les barrières de la société…

Et pour couronner le tout, c’est aussi la société en général qui peut parfois
influencer nos choix en matière d’orientation. Les professeurs, les parents, les
conseillers d’orientation, l’entourage, peuvent eux aussi - consciemment ou
non - transmettre leurs propres croyances et nous décourager lorsque nous
manifestons l’envie de nous orienter vers des secteurs réservés au sexe opposé.

Par exemple, les hommes sont souvent victimes de moqueries lorsqu’ils


souhaitent s’orienter dans des métiers dits féminins. C’est ce qu’explique un
rapport des sociologues Marie Buscatto et Bernard Fusulier datant de 2013.
Celui-ci fait par exemple référence aux danseurs qui trouvent généralement leur
vocation assez tôt et sont donc les cibles de railleries (souvenez-vous de Billy
Elliot.) En 2016, le danseur de ballet Marcelo Gomes se confiait sur son enfance
au Huffington Post. Il y expliquait qu’il était déjà victime de moqueries à l’école :
« C’est le fait que je veuille être danseur étoile qui a choqué les gens. » Son
hétérosexualité était toujours questionnée par les médias : « Les gens sont
toujours surpris quand ils me demandent si tous les hommes de la compagnie
sont homos, et que je réponds que non. En fait, ils sont tous hétéros ! » Pour
certains garçons, ces remarques peuvent être très décourageantes et les
détourner de leur passion. Pourtant, une fois engagés dans la voie
professionnelle dite féminine, les hommes seraient plutôt bien perçus par leurs
collègues, leur hiérarchie et leurs proches. C’est ce qu’expliquent en tout cas
Marcelo Gomes et le rapport de Marie Buscatto et Barnard Fusulier.

Tout l’inverse des femmes qui seraient moins moquées pour leur choix
d’orientation professionnelle mais qui auraient la vie plus dure une fois en
entreprise. D’après une étude du Cereq datant de 2014, les femmes seraient
plus régulièrement confrontées aux remarques sexistes et mettraient plus de
temps à asseoir leur crédibilité et leur légitimité. Plus pernicieux encore, elles
seraient victimes de ce que l’on appelle le sexisme bienveillant « qui renvoie à
des attitudes sexistes subjectivement positives, teintées de galanterie et de
condescendance » selon les chercheurs belges Marie Sarlet et Benoît
Dardenne. En sur-protégeant leurs collègues femmes, ces salariés montrent
qu’ils sous-estiment leurs capacités. Catherine a travaillé dans un magasin de
bricolage pendant dix ans et, pour elle, le principal obstacle était la légitimité, «
d’abord auprès de mes collègues et de ma hiérarchie composée majoritairement
d’hommes, mais même auprès des clients ! Ils mettaient constamment en doute
mes conseils et finissaient par écouter attentivement ceux de mes collègues
hommes - même moins expérimentés - qui répétaient presque mot à mot ce que je
disais. »

Nous pensons donc être libres de choisir le métier qui nous plaît, mais en réalité,
nous sommes tous biaisés, d’une manière ou d’une autre. Car nous sommes tous
pétris de stéréotypes de genre qui se sont formés tout au long de l’histoire…
Pour que la mixité totale soit atteinte, il faudrait détricoter les stéréotypes de
genre, dès l’enfance, mais également sensibiliser l’ensemble du corps
professoral et autres institutions à ces problématiques pour faire barrage aux
clichés tenaces. Évidemment, dans la question des inégalités entre hommes et
femmes, le débat nature vs culture persiste et il est difficile à ce jour de
pourvoir affirmer précisément à quoi sont dûes ces inégalités. Hommes et
femmes sont-ils naturellement différents ? Ou sommes-nous influencés par notre
environnement ? Ou un peu des deux ? Nous avons tenté de livrer quelques
pistes de réflexions…

Welcome to the jungle


30 janvier 2020

Métiers genrés : quand les stéréotypes de genre biaisent notre


orientation pro

1. Vrai ou faux? La question de la mixité des professions n’est pas souvent


abordée (Justifiez votre réponse en citant le texte).
2. Dans quels domaines exercent principalement les femmes? Et les hommes?
(Citez deux secteurs par sexe).

3. Vrai ou faux? Les hommes et les femmes ont un cerveau anatomiquement


différent (justifiez avec vos propres mots).

4. Vrai ou faux? Les parents véhiculent volontairement des stéréotypes sexistes


(Justifiez votre réponse en citant le texte).

5. Quelles compétences tendent à développer principalement les jouets destinés


au garçons? Et ceux destinés aux filles?

6. Vrai ou faux? Les jouets contribuent à créer des interdits (Justifiez votre
réponse en citant le texte).

7. Expliquez avec vos propres mots ce que signifie « la menace du stéréotype ».

8. Quelle solution propose l’auteur du texte pour empêcher cette « menace du


stéréotype »?
9. A quel stéréotype a été exposé le danseur Marcelo Gomes?

10. Expliquez avec vos propres mots ce que signifie « le sexisme bienveillant ».

11. Quel est le principal obstacle rencontré par Catherine dans son travail?
Métiers genrés : quand les stéréotypes de genre biaisent notre
orientation pro

Réponses aux questions

1. Vrai: « si on entend souvent parler des inégalités salariales, la mixité des


genres selon les métiers ne fait pas autant de bruit ».
2. Femmes: dans le tertiaire, dans les métiers dits “du service », dans les
secteurs de la petite enfance et d’aide à la personne/ Hommes: dans les
secteurs de la R&D et du BTP, du numérique et de l’informatique (Attention:
domaines, pas métiers).
3. Faux. Toute justification relative au fait que si hommes et femmes ont des
cerveaux « différents », c’est à cause d’influences extérieures et
d’expériences vécues pendant la petite enfance.
4. Faux. « nos parents, nos professeurs, nos camarades, ou la société en général
(via la publicité, par exemple), sèment - souvent inconsciemment - de petites
graines dans notre cerveau, orientant nos choix futurs ».
5. Garçons: des compétences physiques, (techniques)/ Filles: des compétences
langagières, (sociales).
6. Vrai: « À travers le jouet, on apprend à l’enfant ce qu’il a le droit de faire et ce
qu’il n’a pas le droit de faire ».
7. Explication libre
8. « Par exemple, en présentant aux enfants et adolescents des histoires de
femmes mathématiciennes ».
9. Les danseurs sont homosexuels.
10. Explication libre.
11. La légitimité.

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