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Résumé
Des quatre classes d’obligations de la classification justinienne – ex contractu, quasi ex contractu,
ex delicto et quasi ex delicto – la catégorie quasi contractuelle est celle qui a résisté le plus long-
temps aux efforts de rationalisation. Cet article se propose de justifier son remplacement par la ca-
tégorie d’enrichissement injustifié, qui en constitue le seul fondement possible. La reconnaissance
de cette réalité oblige toutefois à un certain nombre d’ajustements.
[1]
L’un
des
aspects
les
plus
étonnants
du
droit
civil
français,
pour
qui
l’observe
de
l’extérieur,
est
son
attachement
persistant
à
la
division
justinienne
des
événements
générateurs
d’obligation
et,
en
particu-‐
lier,
l’existence
continue
de
deux
«
quasi-‐catégories
»,
quasi-‐contrats
et
quasi-‐délits,
pourtant
qualifiées
par
un
auteur
anglais
influent
de
«
désespérées
»
(2).
Délits
et
quasi-‐délits
se
sont
vu,
en
pratique
si
ce
n’est
en
théorie,
fusionner
entre
eux
–
et
avec
les
autres
actes
illicites
générateurs
d’obligations
–
dans
une
classe
généralement
dénommée
«
responsabilité
civile
(extra-‐contractuelle)
».
Mais
la
catégorie
quasi
contractuelle
demeure,
malgré
les
critiques
;
et
cette
survivance
ne
peut
pas
être
uniquement
at-‐
tribuée
à
l’impératif
de
composer
avec
le
code
civil,
puisque
la
plupart
des
projets
de
réforme
du
droit
des
obligations
ont
choisi
de
reprendre
à
leur
compte
la
notion
(3),
malgré
l’isolement
du
droit
[2]
fran-‐
çais,
sur
ce
plan,
au
sein
de
la
tradition
juridique
occidentale
(4).
L’ambition
de
cet
article
est
d’expliquer
pourquoi,
et
comment,
la
catégorie
quasi
contractuelle
devrait
disparaître
du
droit
français
et
faire
place,
à
l’instar
notamment
des
droits
anglais
et
allemand,
à
un
droit
de
l’enrichissement
injustifié
(5).
Il
s’agit
là
d’une
idée
qui
n’est
pas
nouvelle
et
que,
de
Toullier
à
Car-‐
bonnier,
on
peut
voir
émerger
à
plusieurs
reprises
dans
la
doctrine
d’après
1804.
Mais
l’entreprise
est
plus
compliquée
que
ces
brèves
allusions
ne
le
laisseraient
croire.
Quasi-‐contrats
et
enrichissement
sans
cause
ne
sont
en
effet
pas
synonymes
même
si,
de
fait,
l’un
et
l’autre
contiennent
une
grande
partie
des
sources
d’obligations
n’étant
ni
des
contrats
ni
des
actes
illicites
civils
et
que,
par
conséquent,
leur
con-‐
tenu
est
dans
une
large
mesure
le
même.
Cet
article,
divisé
en
deux
parties
centrées
respectivement
sur
«
la
catégorie
quasi
contractuelle
»
et
«
l’enrichissement
injustifié
»,
examinera
quatre
questions
qui
sous-‐tendent
le
passage
de
l’une
à
l’autre
en
tant
que
troisième
catégorie
de
causes
d’obligations.
La
première
est
de
savoir
pourquoi
la
classe
des
quasi-‐contrats
est,
effectivement,
«
désespérée
»
et
devrait
disparaître.
La
seconde
concerne
son
contenu
:
quel
est-‐il
précisément,
et
dans
quelle
mesure
peut-‐il
(1)
L’auteur
tient
à
remercier
Duncan
Sheehan
(University
of
East
Anglia)
et
Lionel
Smith
(Université
McGill)
pour
leurs
remarques
et
commentaires
sur
une
version
antérieure
de
cet
article.
(2)
P.
Birks,
Definition
and
Division
:
A
Meditation
on
Institutes
3.13,
in
P.
Birks
(dir.),
The
Classification
of
Obligations,
Oxford,
1997,
p.
18
(«
the
hopeless
quasi
categories
»).
(3)
La
question
de
la
classification
des
causes
d’obligations,
en
général,
et
du
traitement
de
la
catégorie
quasi
contractuelle,
en
particulier,
dans
ces
projets
de
réforme
mériterait
un
article
séparé.
Premier
de
ces
travaux
s’étant
succédés
après
la
célébration
du
bicentenaire
du
Code
civil,
l’Avant-‐projet
dit
«
Catala
»
s’est
aussi
montré
le
plus
enthousiaste
à
l’égard
de
celle-‐ci,
Cornu
écrivant
à
son
propos
:
«
Ce
n’est
pas
un
fourre-‐tout.
C’est
un
concept
»
(P.
Catala
(dir.),
Avant-‐projet
de
réforme
du
droit
des
obligations
et
de
la
prescription,
Paris,
2006,
p.
75).
Le
«
Projet
Chancellerie
»
retient
également
la
notion.
Dans
la
version
de
juillet
2008,
le
quasi-‐contrat
est
défini
comme
un
«
fait
qui
procure
à
autrui
un
avantage
auquel
il
n’a
pas
droit
»,
reprenant
l’article
1101-‐1
de
l’Avant-‐projet
Catala
et,
à
travers
lui,
la
position
de
Carbonnier
(V.
infra)
;
dans
la
version
de
mai
2009,
cette
définition
a
disparu
(ministère
de
la
Justice,
Projet
de
réforme
du
droit
des
contrats,
Paris,
2008/2009,
art.
3).
En
revanche,
le
«
Projet
Terré
»,
suivant
en
cela
le
BGB
et
le
Draft
Common
Frame
of
Reference
européen
(qui
doit
beaucoup
au
Code
allemand),
supprime
toute
référence
à
la
notion
de
quasi-‐contrat,
mais
conserve
la
gestion
d’affaires
aux
côtés
de
«
l’avantage
indû-‐
ment
reçu
d’autrui
»
(F.
Terré
(dir.),
Pour
une
réforme
du
droit
des
contrats,
Dalloz,
2009,
p.
111-‐112
;
cf.,
pour
le
droit
allemand,
G.
Danne-‐
mann,
The
German
Law
of
Unjustified
Enrichment
and
Restitution,
Oxford,
2009,
p.
6-‐7
et,
pour
le
DCFR,
C.
von
Bar
et
al.
(dir.),
Principles,
Definitions
and
Model
Rules
of
European
Private
Law,
éd.
abrégée,
Munich,
2009,
p.
131-‐176).
Sur
la
relation
entre
gestion
d’affaires
et
enri-‐
chissement
sans
cause
ou
injustifié,
V.
infra.
(4)
La
Belgique
et
le
Luxembourg
connaissent
aussi
cette
institution,
qu’ils
ont
héritée
du
Code
Napoléon,
ainsi
que
l’Ecosse,
qui
l’a
reçue
directement
du
droit
romain.
Les
autres
pays
qui,
au
19e
siècle,
avaient
reçu
du
droit
français
la
catégorie
quasi
contractuelle
l’ont
éliminée
au
20e
siècle
lors
de
réformes
législatives
(E.
Descheemaeker,
The
Division
of
Wrongs,
Oxford,
2009,
p.
103-‐104).
(5)
Pour
une
note
terminologique
sur
l’emploi
du
terme
«
injustifié
»,
V.
infra,
note
61.
(6)
Sur
l’histoire
de
la
gestion
d’affaires,
V.
par
ex.
J.
Dawson,
Unjust
Enrichment
:
A
Comparative
Analysis,
Boston,
1951,
p.
55
s.
;
R.
Zim-‐
mermann,
The
Law
of
Obligations
:
Roman
Foundations
of
the
Civilian
Tradition,
Oxford,
1996,
p.
433
s.
(7)
«
Indu
»
sans
accent
circonflexe.
L’accent
sur
«
dû
»
dérive
du
désir
de
différencier
le
participe
passé
du
verbe
devoir,
y
compris
dans
sa
forme
substantivée,
de
la
préposition
«
du
».
Le
risque
de
confusion
n’existant
pas
lorsque
le
privatif
est
ajouté,
l’orthographie
seule
correcte
est
«
indu
».
(8)
Le
critère
pour
dire
qu’une
institution
juridique
est
considérée
comme
un
quasi-‐contrat
est
le
visa
de
l’article
1371
du
code
civil
dans
les
jugements
des
juridictions
judiciaires.
Nous
laissons
de
côté
quelques
cas
isolés,
généralement
considérés
comme
anormaux,
où
l’article
1371
a
été
invoqué
dans
des
situations
difficilement
réconciliables
avec
aucun
des
quasi-‐contrats
connus
du
droit
français,
et
ce
sans
la
moindre
explicitation
de
leur
nature
:
V.
ainsi
Com.
26
oct.
1999,
D.
2000.
383
(engagement
du
cessionnaire
d’une
entreprise
en
difficulté).
(9)
Sur
l’histoire
de
l’action
de
in
rem
verso,
V.
par
ex.
G.
Mac
Cormack,
The
Early
History
of
the
«
Actio
de
in
rem
verso
»
(Alfenus
to
Labeo),
in
Studi
in
onore
di
Arnaldo
Biscardi,
Milan,
1982-‐1991,
t.
II,
p.
319
;
J.
Dawson,
op.
cit.,
note
6,
p.
84
s.
;
R.
Zimmermann,
op.
cit.,
note
6,
p.
878
s.
;
F.
Goré,
L’enrichissement
aux
dépens
d’autrui,
Paris,
1949,
p.
14
s.
;
B.
Nicholas,
Unjustified
Enrichment
in
the
Civil
Law
and
Louisi-‐
ana
Law,
Tulane
Law
Review,
36-‐1962.
618
s.
;
F.
Giglio,
A
Systematic
Approach
to
«
Unjust
»
and
«
Unjustified
»
Enrichment,
Oxford
Journal
of
Legal
Studies
23-‐2003.
458
s.
;
et
sur
l’histoire
de
l’enrichissement
sans
cause
(ou
injustifié)
comme
source
d’obligations
dans
la
tradition
européenne,
V.
les
références
bibliographiques
citées
infra,
note
63.
Un
point
sur
lequel
il
importe
d’insister
ici
est
l’ambiguïté
qui
travers
le
droit
français,
à
travers
les
siècles,
concernant
le
statut
à
la
fois
du
principe
et
de
l’action
censée
le
traduire
en
droit
positif.
En
tant
que
prin-‐
cipe
général,
l’idée
qu’il
n’est
pas
permis
de
s’enrichir
aux
dépens
d’autrui
est
en
effet
extrêmement
ancienne.
On
la
trouve
déjà
sous
la
plume
de
Pomponius
(D.50.17.206
:
«
Jure
naturae
aequum
est
neminem
cum
alterius
detrimento
et
iniuria
fieri
locupletiorem
»
=
«
Selon
le
droit
naturel,
il
est
équitable
que
nul
ne
s’enrichisse
injustement
du
fait
de
la
perte
d’autrui
»),
et
elle
traverse
le
ius
commune
jusqu’à
son
dernier
grand
représentant
français,
Pothier.
Mais
il
s’agissait
là
d’un
«
principe
d’équité
»,
pour
reprendre
l’expression
du
jurisconsulte
d’Orléans
(V.
par
ex.
R.-‐J.
Pothier,
Œuvres
complètes,
nouvelle
éd.,
Paris,
1821,
t.
IX,
p.
163,
166,
172
(Traité
du
contrat
de
mandat,
n°
182,
189,
193)],
opérant
au
même
niveau
de
généralité
que
le
neminem
laedere
ou
le
suum
cuique
tribuere
d’Ulpien
(D.1.1.10
pr.),
et
ne
recevant
que
des
appli-‐
cations
particulières
à
travers
des
institutions
spécifiques
de
droit
positif.
Or,
dans
la
boîte
à
outils
romaine,
on
trouve
trois
actions
in
perso-‐
nam
traduisant
ce
principe
en
règles
:
les
condictiones,
l’actio
de
in
rem
verso
et,
de
manière
subsidiaire,
la
gestion
d’affaires
(negotiorum
gestio).
Les
condictiones
romaines
étant
devenues
largement
obsolètes
du
fait
du
modèle
consensualiste
de
transfert
volontaire
de
propriété
adopté
par
le
droit
français
moderne
(infra,
p.
16
s.),
c’est
vers
l’actio
de
in
rem
verso
que
celui-‐ci
–
contrairement
par
exemple
au
droit
alle-‐
mand
–
s’est
tourné
pour
tenter
de
mettre
en
œuvre
le
principe
de
prohibition
de
l’enrichissement
injustifié
(R.
Zimmermann,
Unjustified
Enrichment
:
The
Modern
Civilian
Approach,
Oxford
Journal
of
Legal
Studies,
15-‐1995.
403).
Il
instrumentalisa
aussi
un
temps,
au
19e
siècle,
la
gestion
d’affaires
:
V.
infra,
p.
5.
(10)
A
l’origine,
l’actio
de
in
rem
verso
visait
à
répéter
un
enrichissement
indirect
(donc
non
susceptible
de
condictio)
dans
une
situation
très
spécifique
où
le
défendeur
avait
profité
d’un
avantage
reçu,
sans
contrepartie,
par
le
fils
sous
puissance
ou
l’esclave,
qui
ne
pouvaient
être
poursuivis
en
leur
nom
propre
(J.
Dawson,
op.
cit.,
note
6,
p.
84-‐85).
Son
extension
à
d’autres
cas
d’enrichissement
indirect
puis
direct,
déjà
visible
dans
le
Digeste
(ibid.
p.
85-‐86),
va
ensuite
se
transformer
pendant
le
ius
commune,
sous
l’influence
notamment
de
Baldus
(ibid.
p.
86
s.).
Par
un
«
accident
extraordinaire
de
l’histoire
»
(ibid.
p.
85
:
«
one
of
the
most
extraordinary
accidents
of
history
»),
cette
action
se
développe,
en
tout
cas
dans
le
droit
savant,
en
action
générale
d’enrichissement
injuste.
Pothier,
tout
comme
les
travaux
préparatoires
du
Code,
font
réfé-‐
rence
à
cette
action,
sans
toutefois
la
valider
en
tant
qu’institution
du
droit
positif
(R.-‐J.
Pothier,
op.
cit.,
note
9,
t.
IX,
p.
72
[Traité
du
contrat
de
mandat,
n°
81]
;
P.-‐A.
Fenet,
Recueil
complet
des
travaux
préparatoires
du
Code
civil,
t.
XIII,
Paris,
1827,
p.
343).
Nous
avons
donc
là,
de
ma-‐
nière
remarquable,
une
action
qui
est
identifiée
en
tant
que
telle
comme
remède
général
aux
transferts
injustifiés
de
valeur,
mais
qui
ne
fait
pas
partie
de
l’ordonnancement
juridique
national.
Tout
au
long
du
19e
siècle,
ce
à
quoi
on
assiste
est
à
une
succession
de
tentatives
visant
à
faire
reconnaître
par
les
tribunaux
français,
à
partir
de
certaines
situations
contentieuses,
la
validité
normative
d’une
action
qui
existe
déjà
sur
le
papier
:
tentatives
qui
échouent
toutes
en
dernière
instance,
même
si
certaines
cours
d’appel
semblent
parfois
leur
faire
droit
(G.
Ripert
et
M.
Teisseire,
Essai
d’une
théorie
de
l’enrichissement
sans
cause
en
droit
civil
français,
RTD
civ.
1904.
734
s.),
et
se
voient
souvent
menées
de
pair
avec
une
action
en
gestion
d’affaires
qui,
même
«
anormale
»,
permettra
à
la
cour
d’attacher
le
visa
de
l’article
1375
à
sa
décision
(infra,
note
83).
1892
et
l’arrêt
Boudier
ne
marquent
donc
pas
l’apparition
de
l’action
de
in
rem
verso,
pas
même
dans
le
droit
français
d’après
1804,
mais
plutôt
sa
reconnaissance
comme
un
principe
de
droit
(strict)
et
non
plus
simplement
comme
un
principe
d’équité.
(11)
Civ.
2
mars
1815,
Ville
de
Bagnères-‐de-‐Bigorre
c/
Briauhant,
DP
1920.
1.
102
(103)
;
cf.
Cass.,
req.,
15
juin
1892,
Julien
Patureau
c/
Bou-‐
dier,
DP
1892.
1.
596.
La
condition
de
l’absence
de
«
cause
légitime
»
apparaît
pour
la
première
fois
(en
même
temps
que
celle
de
subsidiarité)
dans
l’arrêt
de
1915.
(12)
Ainsi
de
A.
Bénabent,
Droit
civil
:
les
obligations,
11e
éd.,
Paris,
2007,
p.
343
s.
(qui
parle
d’«
enrichissement
injustifié
(ou
sans
cause)
»
;
J.
Flour,
J.-‐L.
Aubert
et
E.
Savaux,
Les
obligations
:
2.
Le
fait
juridique,
12e
éd.,
Paris,
2007,
p.
3
;
F.
Terré,
P.
Simler
et
Y.
Lequette,
Les
obligations,
9e
éd.,
Paris,
2005,
p.
992,
995
;
H.
J.
et
L.
Mazeaud
et
F.
Chabas,
Leçons
de
droit
civil,
t.
II.1
:
Obligations.
Théorie
générale,
9e
éd.
par
F.
Chabas,
Paris,
1998,
§
650.
(13)
G.
Marty
et
P.
Raynaud,
Les
obligations,
t.
1
:
Les
sources,
2e
éd.,
Paris,
1988,
p.
388-‐389.
(14)
B.
Starck,
H.
Roland
et
L.
Boyer,
Droit
civil.
Les
obligations,
t.
2
:
Contrat,
6e
éd.,
Paris,
1998,
n°
2126.
(15)
J.
Carbonnier,
Droit
civil,
éd.
définitive,
Paris,
2004,
n°
1213,
1223.
(16)
V.
J.
Dawson,
op.
cit.,
note
6,
p.
178
[Cujas]
;
R.-‐J.
Pothier,
op.
cit.,
note
9,
t.
VIII,
p.
217.
(17)
Pothier
traite
ainsi
du
«
quasi-‐contrat
negotiorum
gestorum
»
en
appendice
du
Traité
du
contrat
de
mandat
:
R.-‐J.
Pothier,
op.
cit.,
note
9,
t.
IX,
p.
152.
(18)
Infra,
p
13.
(19)
Infra,
note
82.
(20)
F.
Goré,
op.
cit.,
note
9,
p.
24
;
J.
Dawson,
op.
cit.,
note
6,
p.
171-‐172.
(21)
F.
Goré,
op.
cit.,
note
9,
p.
24
;
R.-‐J.
Pothier,
op.
cit.,
note
9,
t.
IX,
p.
166
(Traité
du
contrat
de
mandat,
n°
189).
(22)
F.
Goré,
op.
cit.,
note
9,
p.
16.
(23)
Ibid.,
p.
32.
(24)
V.
par
ex.
Cass.,
req.,
15
juin
1892,
Patureau-‐Miran
c/
Boudier,
DP
1892.
1.
596
(«
[l]es
principes
de
l’action
de
in
rem
verso
»)
–
Civ.
18
oct.
1898,
DP
1899.
1.
105
(idem)
–
Civ.
18
oct.
1904,
S.
1907.
1.
465
(«
[l]es
principes
et
[l]es
règles
de
l’action
de
in
rem
verso
»)
–
Cass.,
req.,
21
déc.
1926,
Gaz.
Pal.
1927.
426
(«
[l]e
principe
que
nul
ne
peut
s’enrichir
aux
dépens
d’autrui
»)
–
Cass.,
req.,
22
juin
1927,
S.
1927.
1.
338
(«
article
1370
»
et
«
[l]es
principes
de
l’action
de
in
rem
verso
»)
–
Civ.
6
juill.
1927,
Héritiers
Donizetti
c/
Société
Lemoine,
S.
1928.
1.
19
(«
ar-‐
ticle
1371
»
et
«
[l]es
principes
qui
régissent
l’action
de
in
rem
verso
»).
(25)
V.
aussi
J.
Beatson
et
E.
J.
H.
Schrage
(dir.),
Cases,
Materials
and
Text
on
Unjustified
Enrichment,
Oxford,
2003,
p.
39.
(26)
C.
Bufnoir,
Propriété
et
contrat,
nouvelle
éd.,
Poitiers,
2005,
p.
501
(p.
786
de
l’édition
originale
de
1900).
(27)
M.
Planiol,
Traité
élémentaire
de
droit
civil,
t.
II,
1re
éd.,
Paris,
1900,
p.
253.
(28)
M.
Planiol,
Classification
des
sources
des
obligations,
Rev.
crit.
législ.
et
jur.
33-‐1904.
229
;
G.
Baudry-‐Lacantinerie
et
L.
Barde,
Traité
théorique
et
pratique
de
droit
civil
des
obligations,
3e
éd.,
t.
IV,
Paris,
1908,
p.
519
s.
V.
aussi
infra,
p.
✒✒.
(29)
M.
Boudot,
La
classification
des
sources
des
obligations
au
tournant
du
20e
siècle,
in
V.
Mannino
et
C.
Ophèle
(dir.),
L’enrichissement
sans
cause.
La
classification
des
sources
des
obligations,
Poitiers,
2007,
p.
131.
(30)
H.
Vizioz,
La
Notion
de
quasi-‐contrat.
Etude
historique
et
critique,
Bordeaux,
1912,
p.
299.
(31)
Art.
1371
c.
civ.
:
«
Les
quasi-‐contrats
sont
les
faits
purement
volontaires
de
l’homme,
dont
il
résulte
un
engagement
quelconque
en-‐
vers
un
tiers,
et
quelquefois
un
engagement
réciproque
des
deux
parties
».
(32)
Cass.,
ch.
mixte,
6
sept.
2002,
Marchewka
c/
Société
MFD
et
Association
UFC
Que
Choisir
c/
Société
MFD
(jurisprudence
confirmée
par
près
d’une
trentaine
d’arrêts
depuis
2002).
(33)
V.
par
ex.
D.
Mazeaud,
D’une
source,
l’autre…,
D.
2002.
2963.
;
E.
Terrier,
La
fiction
au
secours
des
quasi-‐contrats
ou
l’achèvement
d’un
débat
juridique,
D.
2004.
1179.
Nous
renvoyons
à
une
section
suivante
la
question
de
savoir
s’il
existe
d’autres
quasi-‐contrats
en
droit
français
que
les
quatre
sus-‐mentionnés
:
gestion
d’affaires,
paiement
de
l’indu,
enrichissement
sans
cause
et
«
création
d’illusion
».
La
question
suppose,
en
effet,
que
l’on
fasse
détour
par
une
analyse
de
la
catégorie
quasi
contractuelle
considérée
en
tant
que
telle.
(34)
H.
Vizioz,
op.
cit.,
note
30,
p.
314.
Pour
des
critiques
antérieures
à
Vizioz,
V.
C.
Bufnoir,
op.
cit.,
note
26,
p.
295
s.
;
M.
Planiol,
op.
cit.,
note
28,
p.
227
s.
La
critique
postérieure
de
Josserand,
comparant
le
quasi-‐contrat
à
un
«
monstre
légendaire
»,
est
également
passée
à
la
postérité
(L.
Josserand,
Cours
de
droit
civil
positif
français,
2e
éd,
t.
II,
Paris,
1933,
n°
10).
(35)
On
pourrait
ajouter
qu’est
également
fausse
–
et
incomplète
–
la
définition
du
Code
(supra,
note
31)
:
incomplète
car,
en
l’absence
d’une
mention
du
caractère
licite
de
l’acte,
elle
pourrait
tout
aussi
bien
s’appliquer
aux
délits
ou
quasi-‐délits
(contra
Planiol,
supra,
note
27)
;
fausse
car,
du
fait
«
purement
(?)
volontaire
»
de
l’homme,
peut
tout
aussi
bien
résulter
une
obligation
au
seul
débit
du
défendeur
(comme
dans
le
cas
du
paiement
de
l’indu).
(36)
J.
Flour,
J.-‐L.
Aubert
et
E.
Savaux,
Les
obligations
:
1.
L’acte
juridique,
13e
éd.,
Paris,
2008,
§
58.
(37)
Art.
1371
c.
civ.,
supra,
note
31.
(38)
Sur
laquelle
V.
infra,
p.
✘.
tuelles
(39).
Ce
que
Birks
a
appelé
l’«
hérésie
»
quasi
contractuelle
(40),
faisant
reposer
la
notion
sur
un
consentement
présumé
ou
fictif,
remonte
en
effet
au
moins,
via
Heineccius,
à
Bartole
(41).
Bien
que
criti-‐
quée
par
Pothier
(42),
Toullier
(43)
[8]
et
Planiol
(44),
elle
continuera
à
refaire
régulièrement
surface
dans
la
doctrine
d’après
1804,
notamment
dans
la
phrase
tristement
célèbre
de
Demolombe
:
«
Le
quasi-‐
contrat,
mais
c’est
quasi
un
contrat
!
»
(45).
Il
importe
de
prendre
conscience
du
danger
que
recèle
cette
approche.
Si
l’on
accepte
que
la
liste
du
code
n’est
pas
exhaustive,
alors
l’article
1371
du
code
civil
permet,
en
puissance,
d’imposer
une
obliga-‐
tion
pour
tout
«
fait
[…]
volontaire
»,
aussi
bien
licite
qu’illicite,
commis
par
le
défendeur.
Il
est
difficile
d’imaginer
une
disposition
plus
large
et,
partant,
effrayante
dans
son
potentiel
:
nous
dire
qu’il
existe
des
faits
qui
ne
sont
pas
prohibés
par
l’ordre
juridique
mais
par
lesquels
on
peut
se
retrouver
engagé
contre
son
gré,
sans
nous
dire
lesquels,
constitue
dans
son
principe
une
destruction
de
toute
sécurité
juridique
et
une
menace
permanente
pesant
sur
chacun.
Il
est
déjà
assez
difficile
de
savoir
ce
qui
constitue
un
acte
illicite
;
mais
l’idée
que
l’on
puisse
se
trouver
obligé
malgré
soi
sans
avoir
jamais
franchi
cette
ligne,
et
sans
savoir
à
l’avance
dans
quelles
circonstances
cela
pourrait
arriver,
devrait,
lorsque
l’on
réfléchit
à
cette
proposition,
provoquer
l’effroi
devant
l’arbitraire
qu’elle
autorise.
Certes,
personne
ne
prétend
que
les
juges
aient
laissé
cet
arbitraire
se
développer
;
mais
le
pouvoir
que
cette
disposition
confère
aux
tri-‐
bunaux
est
en
soi
dangereux
et
donc,
à
notre
sens,
mauvais.
L’utilisation
qui
en
a
été
faite
dans
l’arrêt
de
2002
sur
les
loteries
publicitaires
peut
être
à
cet
égard
considérée
comme
une
évolution
inquié-‐
tante
(46).
Même
si
personne
ne
prétend
qu’il
soit
possible
de
définir
ex
ante,
avec
précision,
toutes
les
circonstances
dans
lesquelles
on
pourra
se
voir
obligé
envers
autrui,
il
n’en
reste
pas
moins
selon
nous
que
tout
système
juridique
soucieux
de
sécurité
juridique
–
de
ce
que
les
Anglais
appellent
rule
of
law
–
devrait
s’attacher
à
réduire,
autant
que
possible,
cette
incertitude.
La
disparition
de
la
catégorie
quasi
contractuelle
contribuerait
à
cet
objectif
(47).
Histoire
Pourquoi,
pourrait-‐on
alors
demander
naïvement,
le
Code
contient-‐il
une
catégorie
«
fausse
»,
«
dange-‐
reuse
»
et
«
inutile
»
comme
le
quasi-‐contrat
?
Pour
le
comprendre,
et
saisir
ce
qu’elle
recouvre,
il
nous
faut
retourner
brièvement
aux
origines
de
la
notion.
Ce
retour
aux
sources
permettra
aussi
d’esquisser
les
perspectives
d’avenir
qui
seront
développées
dans
la
section
suivante.
Selon
une
théorie
exposée
par
Vizioz,
et
que
nous
avons
cherché
à
défendre
et
développer
(48),
les
con-‐
tractus
des
Romains
désignaient
à
l’origine
les
causes
licites
d’obligations,
à
savoir
les
négoces
juridiques
(negotia),
que
ces
négoces
comprennent
ou
non
un
élément
de
consentement
des
parties
(conventio).
Les
contractus
se
distinguaient
ainsi
des
delicta,
ou
causes
illicites
d’obligations
;
et
la
dichotomie
contrats-‐
délits
était,
ainsi
que
le
déclare
Gaius
(49),
exhaustive.
Le
contrat
n’était
donc
originellement
que
ce
que
son
étymologie
suggère
:
la
contraction
(de
con-‐trahere
=
tirer
en
rassemblant),
[9]
autrement
dit
la
réunion
de
deux
obligations
licitement
créées.
Ce
n’est
que
graduellement
que
l’élément
de
conventio
serait,
de
typique,
devenu
nécessaire,
éjectant
de
manière
mécanique
les
obligations,
anciennement
con-‐
tractuelles,
dans
lesquelles
aucun
élément
de
consensus
ne
pouvait
être
trouvé
:
ces
obligations,
ne
nais-‐
sant
pas
d’un
contrat
au
sens
nouveau
de
pactum,
mais
se
comportant
pour
des
raisons
évidentes
comme
telles,
devinrent
ainsi
des
obligations
décrites
comme
naissant
quasi
ex
contractu
–
littéralement,
«
comme
d’un
contrat
».
(Le
même
rétrécissement
du
côté
des
sources
illicites
d’obligations,
avec
l’essentialisation
de
l’élément
de
faute-‐culpa,
provoqua
l’apparition
des
obligations
quasi
ex
delicto)
(50).
(39)
Pour
une
étude
d’une
douzaine
d’auteurs
des
17e
et
18e
siècles,
V.
P.
Birks
et
G.
McLeod,
The
Implied
Contract
Theory
of
Quasi-‐
Contract
:
Civilian
Opinion
Current
in
the
Century
Before
Blackstone,
Oxford
Journal
of
Legal
Studies,
6-‐1986.
46.
(40)
P.
Birks,
Unjust
Enrichment,
2e
éd.,
Oxford,
2005,
p.
268.
(41)
H.
Vizioz,
op.
cit.,
note
30,
p.
146.
(42)
R.-‐J.
Pothier,
op.
cit.,
note
9,
t.
VIII,
p.
219
(Du
quasi-‐contrat
appelé
promutuum,
n°
134).
(43)
C.-‐B.-‐M.
Toullier,
Le
droit
civil
français
suivant
l’ordre
du
Code,
t.
XI,
Paris,
1830,
p.
24.
(44)
M.
Planiol,
Traité
élémentaire
de
droit
civil,
t.
II,
10e
éd.,
Paris,
1926,
p.
270,
note
2.
(45)
C.
Demolombe,
Cours
de
Code
Napoléon,
Paris,
1871-‐1882,
t.
XXXI,
n°
53.
;
F.
Laurent,
Principes
de
droit
civil
français,
Paris,
1869-‐
1878,
t.
XX,
n°
307.
Pour
les
positions
d’Aubry
et
Rau
et
de
Ripert,
V.
M.
Boudot,
op.
cit.,
note
29,
p.
145-‐146,
151.
On
notera
également,
à
cet
égard,
la
terminologie
employée
par
le
Code,
qui
considère
que
le
récipiendaire
d’un
paiement
indu
«
s’oblige
»
à
le
restituer
(art.
1376
et
1379
c.
civ.).
(46)
M.
Remy
parle
à
ce
propos
d’«
application
contestable
»
:
F.
Terré
(dir.),
op.
cit.,
note
3,
p.
112.
(47)
A
qui
objecterait
que
le
même
reproche
pourrait
être
fait
à
la
catégorie
d’«
enrichissement
injustifié
»,
on
répondra
que
la
différence
–
considérable
–
est
que
cette
dernière,
définie
positivement
et
non
négativement,
possède
une
base
normative
qui
fait
défaut
à
la
première.
Certes,
ses
frontières
sont
incertaines
;
mais
cela
est
vrai
de
la
plupart
des
catégories
employées
par
le
droit.
L’enrichissement
injustifié
est
donc
tout
aussi
bien
établi
normativement
(ou
tout
aussi
mal,
selon
la
perspective
que
l’on
voudra
adopter)
que
le
droit
des
contrats
ou
des
«
torts
»,
alors
que
la
catégorie
quasi
contractuelle
est
dépourvu
de
tout
fondement
pouvant
la
justifier.
(Sur
l’emploi
du
terme
«
tort
»,
V.
infra,
note
65).
(48)
E.
Descheemaeker,
op.
cit.,
note
4,
p.
65
s.
(49)
G.3.88
:
«
Nunc
transeamus
ad
obligationes,
quarum
summa
divisio
in
duas
species
diducitur
:
omnis
enim
obligatio
vel
ex
contractu
nas-‐
citur
vel
ex
delicto
»
(«
Passons
maintenant
aux
obligations,
qu’une
division
fondamentale
partage
entre
deux
espèces
:
car
toute
obligation
naît
soit
d’un
contrat,
soit
d’un
délit
»).
Pour
l’évolution
possible
de
Gaius
sur
la
question,
V.
E.
Descheemaeker,
op.
cit.,
note
4,
p.
58
s.
(50)
Ibid.,
p.
63
s.
Les
Byzantins,
puis
plus
tard
le
ius
commune,
viendront
à
appeler
ces
événements
d’où
naissent
des
obli-‐
gations
quasi
ex
contractu
des
«
quasi-‐contrats
»
(51).
On
comprend
ainsi
mieux
le
caractère
négatif
et
hétéronome
de
la
catégorie.
Dire
d’une
obligation
qu’elle
naît
quasi
ex
contractu
ne
nous
dit
en
effet
pas
d’où
elle
naît,
encore
moins
ce
qui
la
légitime
:
tout
ce
qu’on
peut
en
déduire
est
que
ce
n’est
pas
un
contrat-‐pactum
(ni,
implicitement,
un
acte
illicite).
C’est
un
fait
licite
mais
non
conventionnel.
Cette
description
ne
révèle
rien,
on
l’a
dit,
qui
justifie
l’imposition
d’une
obligation.
A
partir
du
moment
où
l’on
décide
que
le
consentement
des
parties
est
ce
qui
sous-‐tend,
et
donc
justifie,
les
obligations
contractuelles,
ce
que
les
Romains
n’appelaient
pas
encore
«
quasi-‐
contrats
»
vont
nécessairement
se
retrouver
en
sursis.
Soit
on
leur
trouve
une
autre
justification
qui
ne
soit
pas
le
consentement
des
parties
soit,
logiquement,
elles
devraient
disparaître
de
l’ordre
juridique.
Que
les
Romains
aient
éprouvé
des
difficultés
avec
des
institutions
anciennes
que,
la
pensée
juridique
se
développant,
ils
ne
se
voyaient
plus
en
mesure
de
rationaliser
mais
qui
continuaient
pour
autant
à
exis-‐
ter,
n’est
pas
surprenant.
Ce
qui
l’est
bien
davantage,
c’est
de
constater
que
le
droit
français
n’a
aucune-‐
ment
progressé
par
rapport
à
Gaius,
et
se
refuse
toujours,
près
de
deux
mille
ans
plus
tard,
à
choisir
entre
rationalisation
et
suppression
des
obligations
quasi
contractuelles.
Cette
rationalisation,
nous
le
verrons,
est
à
notre
sens
possible
sur
le
fondement
de
la
prohibition
de
l’enrichissement
reçu
de
manière
injustifié
–
et
sans
doute
uniquement
sur
ce
fondement.
(65)
C’est-‐à-‐dire
des
actes
illicites
civils
:
délits,
quasi-‐délits
et
peut-‐être
autres
actes
si
cette
dichotomie
n’est
pas
exhaustive.
Pour
une
ten-‐
tative
de
justification
de
l’emploi
de
ce
mot
en
droit
français,
V.
E.
Descheemaeker,
La
dualité
des
torts
en
droit
français
(délits,
quasi-‐délits
et
la
notion
de
faute),
RTD.
civ.
2010.
436,
note
4.
(66)
Supra,
note
2.
(67)
J.3.27.
(68)
H.
J.
et
L.
Mazeaud
et
F.
Chabas,
op.
cit.,
note
12,
p.
824.
La
remarque
est
bien
sûr
excessive
et,
dans
les
deux
cas,
il
conviendrait
d’ajouter
«
injustement
»
ou
«
sans
droit
»
(iniuria).
(69)
Supra,
note
10.
Vizioz,
dans
son
importante
thèse
précitée,
fait
remonter
l’idée
–
qu’il
conteste
–
à
un
rapport
du
con-‐
seiller
Rau
devant
la
Cour
de
cassation
(1874)
puis
à
l’ouvrage
précité
de
Bufnoir
(70).
La
première
réfé-‐
rence
est
surprenante
dans
la
mesure
où
Rau
n’y
fait
rien
de
plus
que
de
mentionner
le
«
principe
»
selon
lequel
nul
ne
peut
s’enrichir
aux
dépens
d’autrui
–
ce
qui,
on
l’on
dit,
n’est
en
rien
nouveau
–
et
suggère,
dans
l’affaire
instante,
d’appliquer
par
analogie
les
règles
du
mandat,
autrement
dit
de
donner
au
de-‐
mandeur
une
actio
negotiorum
gestorum
utilis
:
il
n’y
a
là
rien
de
particulièrement
novateur
(71).
Bufnoir
est
beaucoup
plus
remarquable
dans
la
mesure
où
il
exprime
dès
1883/84
–
c’est-‐à-‐dire
presque
dix
ans
avant
l’arrêt
Boudier
–
l’idée
selon
laquelle
la
catégorie
quasi
contractuelle
serait
fondée
sur
«
ce
grand
principe
de
justice
qu’on
ne
doit
pas
s’enrichir
au
détriment
d’autrui
»,
principe
qui
non
seulement
sous-‐
tendrait
ces
quasi-‐contrats
(et
quelques
autres
règles),
mais
que
le
législateur
de
1804
aurait
entendu
«
maintenir
et
consacrer
»
au-‐delà
des
«
applications
expresses
»
qu’il
en
a
faites
dans
le
code
(72).
Tou-‐
tefois,
aussi
remarquable
que
soit
Bufnoir,
c’est
avec
plus
d’un
demi-‐siècle
d’avance
que
Toullier
avait,
dès
1830,
suggéré
de
subsumer
les
quasi-‐contrats
du
code
sous
un
principe
général
de
droit
positif
selon
lequel
«
[t]out
fait
licite
quelconque
de
l’homme,
qui
enrichit
une
personne
au
détriment
d’une
autre,
oblige
celle
que
ce
fait
enrichit,
sans
qu’il
y
ait
eu
intention
de
la
gratifier,
à
rendre
la
chose
ou
la
somme
dont
elle
se
trouve
enrichie
»
(73).
L’idée
est
donc
bien
plus
ancienne
que
Carbonnier,
à
qui
l’équivalence
entre
quasi-‐contrats
et
enrichis-‐
sement
injustifié
(ou
«
avantage
reçu
d’autrui
»)
est
couramment
attribuée
aujourd’hui.
Après
Toullier
et
Bufnoir,
elle
sera
reprise
par
Planiol
–
après
un
retournement
(74)
–
puis,
au
moins
de
manière
implicite,
par
Colin
et
Capitant
(75)
et,
donc,
par
Carbonnier,
qui
réunira
(mais
sans
se
justifier)
quasi-‐contrats
nommés
du
code
et
enrichissement
sans
cause
sous
la
bannière
de
l’avantage
reçu
d’autrui
(76).
L’idée
apparaît
maintenant
dans
plusieurs
manuels
importants
(77),
même
si
elle
demeure
du
domaine
de
l’affirmation
faite
en
passant,
sans
réel
effort
de
justification.
Les
auteurs
refusant
explicitement
l’identification
entre
les
deux
groupes
ont
dû
argumenter
davantage.
Parmi
eux,
on
retrouve
Vizioz
(78)
et
l’Anglais
[14]
Barry
Nicholas
(79),
qui
signalent
tous
deux
que
la
gestion
d’affaires
répond
à
des
règles
différentes
de
l’action
de
in
rem
verso.
L’Avant-‐projet
Catala
(2005)
nous
semble
emblématique
de
la
position
dominante
actuelle
puisqu’on
y
trouve
à
la
fois,
sous
la
plume
de
Cornu,
une
approbation
–
sans
la
moindre
discussion
–
de
la
position
de
Carbonnier
(80),
jointe
à
une
absence
totale
de
conséquences
tirées
:
on
retrouve
en
effet,
intacte,
la
catégorie
quasi
contractuelle,
toujours
divisée
entre
paiement
de
l’indu,
gestion
d’affaires
et
enrichissement
sans
cause
(81).
Ce
dernier
se
retrouve
donc
bizarrement
en
position
à
la
fois
de
genus
et
de
species,
ce
qui
ne
semble
pas
avoir
troublé
les
rédacteurs
dans
un
con-‐
texte
où,
à
l’évidence,
l’attention
portée
à
la
troisième
catégorie
de
causes
d’obligation
demeure
hors
de
proportion
avec
celle
de
ses
deux
aînées.
(82)
D.
Mazeaud,
op.
cit.,
note
33,
p.
2964
s.
(83)
De
manière
remarquable,
le
préteur
semble
toutefois
avoir
élargi
dès
la
fin
de
l’époque
classique
le
domaine
de
la
gestion
d’affaires
en
accordant
une
actio
utilis
–
c’est-‐à-‐dire
une
action
par
analogie
dans
un
cas
non
explicitement
reconnu
par
son
édit
–
dans
certains
cas
où
le
gérant
avait
gratifié
le
maître
d’un
avantage
sans
avoir
eu
aucune
intention
altruiste
à
son
égard
(J.
Dawson,
op.
cit.,
note
6,
p.
57
s.
;
R.
Zim-‐
mermann,
op.
cit.,
note
6,
p.
438
s.).
On
sait
que
c’est
là
la
voie
principale
que
les
tribunaux
français
choisiront
au
19e
siècle
pour
remédier
aux
situations
d’enrichissement
injustifié
:
on
parlera
alors
de
«
gestion
d’affaires
anormale
»,
«
anormale
»
car
manquant
d’un
élément
essentiel,
à
savoir
l’intention
de
gérer
l’affaire
d’autrui.
Ces
développements
sont
retracés
en
détail
in
G.
Ripert
et
M.
Teisseire,
op.
cit.,
note
10,
p.
735
s.
(Il
est
intéressant
de
noter
que
la
gestion
d’affaires
anormale
suivait
un
régime
semblable
à
celui
qui
deviendra
le
régime
de
l’action
de
in
rem
verso,
notamment
le
fait
que
le
demandeur
ne
pouvait
obtenir
remboursement
qu’à
concurrence
de
l’enrichissement
fourni.
L’institution
tombera
en
désuétude
avec
la
reconnaissance
prétorienne
de
cette
dernière).
(84)
Parties
qui,
par
définition,
n’ont
pas
négocié
ces
obligations.
Nous
excluons
les
cas
de
ratification,
qui
font
entrer
rétrospectivement
la
gestion
dans
le
champ
contractuel
du
mandat.
(85)
Sur
la
notion
de
devoir
(ou
droit)
superstructurel,
V.
E.
Descheemaeker,
op.
cit.,
note
4,
p.
21.
(86)
Dans
la
nomenclature
anglaise
des
unjust
factors,
on
dirait
que
l’enrichissement
n’est
pas
volontaire
(defective
intent).
l’enrichissement
du
maître.
Si
l’enrichissement
est
égal
ou
supérieur
à
l’appauvrissement
(par
exemple,
de
menus
travaux
font
grimper
la
valeur
d’un
immeuble),
cela
ne
change
rien
par
rapport
à
l’action
de
in
rem
verso
;
en
revanche,
si
l’enrichissement
est
inférieur
à
l’appauvrissement,
le
gérant
obtiendra
la
va-‐
leur
de
son
appauvrissement,
là
où
l’appauvri
sans
cause
n’obtiendrait
que
la
valeur
de
l’enrichissement
de
l’autre
partie.
La
seconde
différence,
c’est
que
si
[16]
l’enrichissement
disparaît
après
avoir
été
confé-‐
ré
mais
avant
l’instance
(par
exemple,
l’immeuble
brûle),
c’est
sa
valeur
initiale
et
non
finale
qui
est
prise
en
compte.
Cela
constitue-‐t-‐il
une
difficulté
pour
la
thèse
que
nous
proposons
?
La
seconde
différence,
pour
com-‐
mencer
par
elle,
ne
pose
pas
de
problème
ontologique.
Elle
montre
que
les
deux
actions
obéissent
à
des
règles
différentes
mais,
en
soi,
le
principe
de
l’enrichissement
sans
cause
n’impose
pas
l’une
plutôt
que
l’autre
règle.
Autrement
dit,
la
différence
de
régime
ne
nous
dit
pas
que
ce
n’est
pas
le
même
principe
qui
fonde
les
deux
actions.
Il
nous
dit
simplement
que,
dans
le
droit
français
actuel,
l’actio
negotiorum
gesto-‐
rum
contraria
obéit
à
d’autres
règles
que
l’actio
de
in
rem
verso.
Cela
n’est
pas
un
problème.
La
première
différence
est
plus
délicate.
Il
semble
en
effet
aller
de
soi
qu’un
droit
de
l’enrichissement
injuste
soit
concerné,
précisément,
par
l’enrichissement
du
défendeur
plutôt
que
l’appauvrissement
du
demandeur.
Mais,
en
dehors
de
toute
considération
normative
sur
le
lien
entre
enrichissement
et
appau-‐
vrissement
[sur
lequel
nous
reviendrons
(87)],
le
droit
français
donne
l’exemple
d’un
droit
qui
mesure
la
valeur
de
la
restitution
en
fonction
à
la
fois
de
l’enrichissement
de
l’un
et
de
l’appauvrissement
de
l’autre
puisque,
dans
l’action
de
in
rem
verso,
le
demandeur
ne
peut
prétendre
qu’à
la
plus
petite
des
deux
sommes
(88).
Si
l’on
considère
–
ce
qui
n’est
pas
une
vue
nécessaire,
mais
constitue
l’approche
du
droit
français
–
que
le
fondement
normatif
de
l’action
en
enrichissement
injustifié
se
trouve
dans
un
déplace-‐
ment
de
valeur
que
le
droit
se
refuse
à
entériner,
il
nous
semble
que
tout
calcul
des
dommages
restitu-‐
toires
qui
se
réfère
à
la
fois
à
l’enrichissement
du
défendeur
et
à
l’appauvrissement
du
défendeur
puisse
se
réclamer
de
l’enrichissement
injustifié.
C’est
le
cas
tant
de
l’actio
de
in
rem
verso
que
de
l’actio
nego-‐
tiorum
gestorum
contraria,
qui
prend
en
compte
l’enrichissement
du
défendeur
sous
la
forme
de
la
con-‐
dition
d’«
utilité
»
de
la
gestion
(qui
implique
qu’un
enrichissement
a
été
causé
ou,
ce
qui
revient
au
même,
qu’un
appauvrissement
a
été
évité).
De
lege
lata,
l’actio
negotiorum
gestorum
contraria
peut
donc
s’expliquer
sur
le
fondement
de
l’enrichissement
injustifié,
même
si
elle
obéit
à
des
règles
différentes
de
l’actio
de
in
rem
verso
–
ce
qui
signifie
qu’à
droit
constant
elle
ne
pourrait
pas
se
fondre
dans
l’enrichissement
sans
cause
tel
qu’il
s’est
développé
en
droit
français.
De
lege
ferenda,
il
nous
semble
que
l’institution
devrait
tout
simplement
disparaître.
Elle
constitue
un
phénomène
–
fréquent
en
droit
–
d’hystérèse.
La
gestion
d’affaires
est
née
de
besoins
précis
de
la
société
romaine
en
matière
de
représentation
judiciaire
des
absents.
Les
causes
de
son
apparition
ont
disparu
depuis
longtemps,
mais
les
effets
demeurent.
Les
règles
du
droit
des
con-‐
trats
(notamment,
mais
non
exclusivement,
du
contrat
de
mandat)
et
de
la
responsabilité
civile
(avec
l’actio
directa),
combinées
à
une
action
générale
en
enrichissement
injustifié,
couvriraient
tous
les
cas
où
il
y
a,
selon
les
principes
généraux,
matière
à
action.
Nous
ne
voyons
pas
au
nom
de
quoi
celui
qui
a
grati-‐
fié
autrui
d’un
avantage
qui
ne
lui
ouvre
pas
l’action
de
in
rem
verso
et
dont
l’action
n’a
pas
été
ratifiée
rétrospectivement
par
le
bénéficiaire
pourrait
prétendre
à
remboursement.
Celui
qui,
supposément
par
altruisme,
intervient
dans
les
affaires
d’autrui
d’une
manière
qui
n’enrichit
pas
ce
dernier
et
que
celui-‐ci
se
refuse
à
ratifier,
devrait
être
prêt
à
en
être
pour
ses
frais.
(91)
Art.
1235
c.
civ.
;
N.
Catala,
op.
cit.,
note
90,
p.
292.
(92)
De
indebitus
=
n’étant
pas
dû.
Condictio
provient
pour
sa
part
de
condicere
=
«
notifier
»,
mais
cette
étymologie
procédurale
ne
nous
apprend
rien
sur
le
droit
moderne.
En
termes
de
substance,
la
condictio
était
au
droit
romain
ce
que
l’action
de
debt
est
au
droit
anglais.
(93)
Sur
l’histoire
de
la
condictio
indebiti,
V.
par
ex.
R.
Zimmermann,
op.
cit.,
note
6,
p.
934
s.
;
F.
Goré,
op.
cit.,
note
9,
p.
8
s.
;
B.
Nicholas,
op.
cit.,
note
10,
p.
611
s.
(94)
Dans
ce
cas
la
tradition
sera
symbolique
(par
exemple,
la
remise
d’une
clé)
mais
elle
n’en
demeure
pas
moins
réelle.
(95)
R.
Zimmermann,
op.
cit.,
note
6,
p.
834.
(96)
Pour
une
–
très
–
brève
histoire
de
cette
évolution,
V.
J.
Carbonnier,
op.
cit.,
note
15,
n°
774.
(97)
Pour
ne
pas
simplifier
les
choses,
le
terme
«
causal
»
est
parfois
employé,
notamment
par
la
doctrine
de
langue
anglaise,
pour
décrire
ce
système
que
nous
qualifions
de
«
consensualiste
».
Cela
montre
à
quel
point
il
faut
se
méfier
de
ce
genre
d’étiquettes
et
toujours
remonter
au
contenu
qu’elles
recouvrent
:
les
mots,
indispensables
à
l’exercice
de
la
réflexion,
peuvent
aussi
en
devenir
l’ennemi.
passé
du
«
payeur
»
au
«
payé
».
Sur
le
plan
des
principes,
la
réponse
est
loin
d’être
évidente,
notamment
–
mais
pas
exclusivement
–
dans
le
cas
où
le
prestataire
s’est
exécuté
dans
l’ignorance
du
fait
qu’il
n’était
pas
obligé.
A
première
vue,
la
logique
du
droit
français
est
que
le
prestataire
devrait
se
voir
pourvu,
du
moins
lorsque
l’objet
du
«
paiement
»
indu
est
une
corps
certain,
d’une
action
réelle
et
non
personnelle
:
en
l’absence
d’un
consentement
valide
pour
le
transfert
de
propriété
(ce
qui
serait
le
cas
au
moins
dans
tous
les
cas
où
le
prestataire
se
croyait
à
tort
obligé,
son
consentement
étant
alors
vicié
par
l’erreur),
celle-‐ci
n’est
pas
passée
solo
consensu
et
donc
le
«
payeur
»
devrait,
de
prime
abord,
disposer
d’une
action
en
revendication.
En
ce
sens,
l’institution
du
paiement
de
l’indu
constituerait
elle
aussi
une
hystérèse
dans
le
droit
français
:
les
effets
–
la
condictio
indebiti,
action
personnelle
du
droit
romain
–
demeurent,
alors
que
leur
cause
–
le
système
romano-‐causaliste
de
transfert
de
propriété
–
a
disparu.
A
cela,
on
peut
bien
sûr
répondre
que
la
propriété
peut
également
passer
sine
consensu,
par
opération
de
la
loi.
Dans
le
cas
du
paiement
de
l’indu,
effectivement,
l’article
2276
(anciennement
2279)
du
code
civil
semble
à
première
vue
pouvoir
s’appliquer
à
chaque
fois
que
la
prestation
a
consisté
dans
la
remise
d’un
meuble
:
si
«
possession
vaut
titre
»,
alors
la
propriété
passe
avec
la
possession
et
le
«
payeur
»
perd
son
titre
de
propriété
par
l’effet
même
de
sa
prestation.
A
moins
que
le
«
payé
»
ne
manque,
pour
une
raison
ou
une
autre,
d’un
élément
nécessaire
à
la
possession
–
ce
qui
normalement
ne
sera
pas
le
cas
–
alors,
en
vertu
de
l’article
2276,
la
propriété
aura
bien
passé
en
application
des
principes
généraux.
Mais
la
difficulté
est
précisément
de
savoir
quand
l’article
2276
s’applique.
La
[19]
question
est
complexe
et
il
est
des
situations
où
celui-‐ci
pourrait,
en
théorie,
s’appliquer
et
où,
pourtant,
le
droit
français
n’en
fait
pas
usage
:
ainsi,
de
la
situation
précédemment
évoquée
du
récipiendaire
d’une
chose
délivrée
en
exécu-‐
tion
d’un
contrat
translatif
de
propriété
qui
se
révèle
nul,
où
l’action
en
revendication
du
propriétaire
initiale
n’est
pas
paralysée
par
la
possession,
pourtant
normalement
indéniable,
du
récipiendaire.
Il
nous
faudrait
donc
savoir,
en
l’occurrence,
si
l’article
s’applique
aux
scénarios
décrits
comme
un
«
paiement
de
l’indu
»
:
les
seuls
principes
ne
nous
permettent
pas
de
répondre.
Le
«
paiement
»
d’un
indu
transfère-‐t-‐il,
alors,
la
propriété
de
l’indu
du
«
payeur
»
au
«
payé
»
?
La
ques-‐
tion
n’est
que
très
rarement
envisagée
par
la
doctrine
(98),
sans
doute
parce
que
la
réponse
est
en
fait
clairement
–
quoiqu’implicitement
–
fournie
dans
le
code.
L’action
en
paiement
de
l’indu
étant
quasi
contractuelle,
il
s’ensuit
qu’elle
est
nécessairement
de
nature
personnelle
(99).
Comme
la
condictio
inde-‐
biti
du
droit
romain,
il
s’agit
d’une
action
de
dette
:
le
«
payé
»
est
soumis
à
une
obligation
de
donner
(dare).
Si
son
obligation
est
de
transférer
la
propriété
de
la
chose
reçue
en
«
paiement
»
il
en
est,
par
construction,
devenu
propriétaire.
Quelle
qu’en
soit
la
raison,
qui
n’est
pas
expliquée,
et
même
si
cela
peut
sembler
illogique,
le
«
paiement
»
a
donc
bien
transféré
la
propriété
de
la
chose
(100).
Tout
se
passe,
à
cet
égard,
comme
si
le
droit
français
adhérait
encore
au
système
romano-‐causaliste
de
transfert
de
propriété
dont
il
est
censé
s’être
départi.
C’est
là
une
source
de
confusion,
même
si
cette
confusion
est
largement
dissimulée
par
l’emploi
des
mots
«
restitution
»
(ou
«
restituer
»)
et
«
répétition
»,
qui
peuvent
désigner
aussi
bien
une
rétrocession
de
propriété
qu’un
re-‐transfert
de
possession
à
celui
qui
n’a
jamais
cessé
d’être
propriétaire.
Ambiguïtés
sémantique
et
analytique
se
conjuguent
pour
éloigner
l’attention
de
la
doctrine
de
cette
question.
Pour
compliquer
encore
les
choses,
le
résultat
habituel
d’une
action
en
paiement
de
l’indu,
à
savoir
la
remise
par
le
«
payé
»
au
«
payeur
»
de
la
chose
objet
de
la
prestation
(art.
1379
c.
civ.)
peut,
elle
aussi,
s’analyser
juridiquement
de
deux
manières
:
soit
comme
le
résultat
d’une
revendication
couronnée
de
succès,
soit
comme
l’exécution
d’une
obligation
personnelle
de
re-‐transférer
la
propriété
–
et,
en
consé-‐
quent,
la
possession
–
à
l’ancien
propriétaire
ayant
cessé
de
l’être.
En
règle
générale,
la
question
du
ca-‐
ractère
personnel
ou
réel
de
l’action
n’a
donc
pas
d’incidence
concrète.
Cela
ne
signifie
pas,
cependant,
qu’elle
soit
sans
importance.
Sur
un
plan
théorique,
elle
est
essentielle
puisqu’elle
détermine
la
frontière
entre
droit
des
obligations
et
droit
des
biens.
Sur
un
plan
pratique,
la
réponse
pourra
avoir
un
impact
considérable,
par
exemple
en
cas
d’insolvabilité
du
«
payé
».
◆
Le
paiement
de
l’indu
entre
droit
des
biens,
enrichissement
injustifié
et
responsabilité
civile
La
question
du
transfert
de
propriété
de
la
chose
objet
du
«
payement
»
a
donc
une
conséquence
directe
sur
la
classification
juridique
de
la
condictio
indebiti,
et
en
particulier
sur
la
question
de
savoir
si
celle-‐ci
(98)
V.
M.
Malaurie,
Les
restitutions
en
droit
civil,
Paris,
c.
1991,
p.
74
;
H.
J.
et
L.
Mazeaud
et
F.
Chabas,
op.
cit.,
note
12,
§
666-‐3.
(99)
M.
Malaurie,
op.
cit.,
note
98,
p.
74.
La
question
est
toutefois
compliquée
par
le
fait
que
plusieurs
auteurs
envisagent
la
possibilité
d’une
action
réelle
du
«
payeur
»
envers
un
tiers
auquel
le
payé
aurait
aliéné
la
chose
(ibid.).
La
possibilité
est
loin
d’être
absurde
;
toutefois,
il
est
difficile
de
comprendre
comment,
si
elle
est
acceptée,
le
«
payeur
»
ne
pourrait
pas
agir
en
revendication
directement
contre
le
«
payé
»
(V.
aussi
ci-‐dessous,
note
100).
(100)
Si
l’on
examine
la
doctrine
française
d’après
1804,
il
semble
n’y
avoir
eu
qu’un
seul
auteur
pour
contester
cette
analyse,
à
savoir
Toullier
(C.-‐B.-‐M.
Toullier,
op.
cit.,
note
43,
t.
XI,
p.
72).
Pour
Toullier,
en
effet,
les
règles
du
paiement
de
l’indu
ne
sont
que
«
des
conséquences
directes
et
nécessaires
de
la
loi
de
la
propriété
»
:
en
l’absence
de
consentement
valable,
la
tradition
de
la
chose
n’a
pas
passé
la
propriété.
L’approche
de
Toullier,
quoique
conforme
à
la
logique
du
droit
français
codifié,
s’oppose
frontalement
à
notre
sens
aux
dispositions
du
Code.
Aux
côtés
de
Toullier,
on
pourrait
mentionner
Colin
et
Capitant,
qui
voyaient
dans
le
paiement
de
l’indu
«
une
application
de
la
théorie
de
la
cause
»
(A.
Colin
et
H.
Capitant,
op.
cit.,
note
75,
t.
II,
p.
291)
:
voix
discordantes
en
partie
seulement
car
les
auteurs
reconnaissaient
que
ce
n’était
pas
là
la
manière
de
voir
du
Code.
[20]
constitue
une
simple
partie
de
l’action
en
enrichissement
injustifié.
En
effet,
sans
passage
de
pro-‐
priété,
il
ne
peut
y
avoir
enrichissement
de
la
valeur
de
la
chose
transmise
(tout
au
plus
l’enrichissement
consisterait
dans
le
fait
d’en
avoir
joui
pendant
un
temps)
et
le
problème
devient
alors
un
problème
de
revendication,
qui
ressortit
au
droit
des
biens
et
non
des
obligations.
Mais
si
l’on
admet
que
le
«
paie-‐
ment
»
transfère
bien
la
propriété
de
la
chose
transmise,
nous
sommes
effectivement
confrontés
à
un
problème
de
restitution
d’une
valeur
acquise
sans
droit.
Le
droit
français
opère
à
ce
point
une
distinction.
Si
la
chose
a
été
reçue
de
bonne
foi
(101),
c’est-‐à-‐dire
sans
savoir
qu’elle
était
«
indue
»,
le
récipiendaire
doit
restitution
de
la
chose
ou
de
sa
valeur
au
moment
de
l’action.
Si,
entre
temps,
elle
a
péri
sans
faute
de
sa
part
(mais
non
dans
le
cas
contraire),
il
n’est
pas
tenu.
Si
elle
a
produit
des
fruits,
il
peut
les
conserver.
S’il
l’a
aliénée,
il
n’est
tenu
que
du
montant
de
la
recette
(102).
Il
s’agit
là
d’une
application
pure
et
simple
des
principes
de
l’action
de
in
rem
verso.
Non
seulement,
donc,
le
«
paiement
de
l’indu
»
s’explique
de
manière
générale
par
le
principe
de
restitution
des
enrichissements
reçus
de
manière
injustifiée
mais,
spécifiquement,
dans
ce
premier
cas
de
figure,
l’institution
pourrait
se
fondre
dans
l’action
générale
d’enrichissement
sans
cause,
telle
que
reconnue
par
le
droit
français
moderne
:
cela
ne
changerait
rien
à
la
substance
du
droit
(103).
Le
particulier
serait
simplement
subsumé
sous
le
général.
Les
choses
se
compliquent
toutefois
lorsque
le
payé
est
de
mauvaise
foi
:
il
sait
que
la
chose
ne
lui
était
pas
due
(et
qu’il
n’y
avait
pas
d’intention
libérale).
Il
doit
alors
restitution
non
seulement
de
la
chose
mais
de
ses
fruits
et,
si
la
chose
a
été
perdue
(même
de
manière
fortuite),
de
sa
valeur
(104).
Il
n’y
a
donc
plus
là
application
des
principes
de
l’action
de
in
rem
verso.
On
pourrait
y
voir
une
combinaison
de
resti-‐
tution
et
de
peine
privée
mais
l’explication,
en
plus
d’être
difficilement
justifiable
sur
le
plan
des
prin-‐
cipes,
ne
rend
compte
que
très
imparfaitement
des
réalités.
Il
s’agit
selon
nous
tout
simplement
d’une
application
du
principe
de
responsabilité
civile
:
en
recevant
de
mauvaise
foi
un
enrichissement
–
c’est-‐à-‐
dire
en
ne
prenant
aucune
action
pour
retourner
une
valeur
qu’il
sait
ne
pas
lui
être
due
–
le
payé
com-‐
met
une
faute
(un
délit
civil).
En
vertu
des
règles
générales,
il
doit
alors
réparation
du
préjudice
causé
au
payeur,
c’est-‐à-‐dire
la
valeur
(y
compris
les
fruits)
que
celui-‐ci
aurait
eu
dans
son
patrimoine
au
jour
de
l’instance
si
le
payé
avait
retourné
l’enrichissement
à
sa
première
occasion
(105).
On
voit
là
comment
l’institution
connue
en
droit
français
sous
le
nom
de
«
paiement
de
l’indu
»
re-‐
couvre,
sans
le
dire,
deux
actions
du
droit
romain
:
la
condictio
indebiti,
dans
le
cas
de
l’enrichissement
reçu
de
bonne
foi,
mais
aussi
la
condictio
furtiva
(106),
dans
le
cas
de
l’enrichissement
reçu
de
mauvaise
foi.
Une
moitié
seulement
de
[21]
l’institution
–
celle
qui
correspond
à
la
condictio
indebiti
–
se
fonde
sur
l’enrichissement
sans
cause,
l’autre
–
celle
correspondant
à
la
condictio
furtiva
–
étant
en
réalité
une
application
des
principes
généraux
de
la
responsabilité
extra-‐contractuelle
pour
faute.
De
lege
lata,
elle
devrait
donc
être
coupée
en
deux,
ce
qui
permettrait
d’appréhender
la
logique
de
chaque
moitié.
De
lege
ferenda,
il
nous
semble
que
le
droit
des
biens
doive,
en
premier
lieu,
reprendre
possession
du
territoire
qui
lui
appartient.
A
première
vue,
dans
un
système
consensualiste
(à
tout
le
moins
s’il
a
fait
erreur,
et
sous
réserve
d’une
possible
application
–
qui
ne
nous
semble
pas
souhaitable
en
l’espèce
–
de
l’article
2276
du
code
civil),
le
«
payeur
»
demeure
propriétaire
de
son
bien
et
peut
donc
(doit
donc,
devrait-‐on
ajouter)
le
revendiquer.
Ce
n’est
que
si
l’action
en
revendication
est
paralysée
pour
une
raison
ou
une
autre
que,
sous
certaines
conditions,
il
pourra
intenter
une
action
personnelle
plutôt
que
réelle.
Renonçant
de
manière
implicite
à
son
droit
de
propriété,
le
demandeur
est
désormais
appauvri
et
peut
intenter
une
action
in
personam
qui
sera,
dans
le
cas
d’un
défendeur
de
mauvaise
foi,
une
action
en
res-‐
ponsabilité
civile
et,
dans
le
cas
d’un
défendeur
de
bonne
foi,
une
action
en
enrichissement
injustifié.
L’institution
connue
sous
le
nom
de
«
paiement
de
l’indu
»
doit
donc,
à
notre
sens,
disparaître
elle
aussi,
étant
fractionnée
en
trois
parties
dont
l’une
sera
subsumée
sous
le
droit
des
biens,
la
seconde
sous
le
droit
de
la
responsabilité
extra-‐contractuelle
et
la
troisième
sous
le
droit
général
de
l’enrichissement
sans
cause.
(101)
La
question
de
sa
conservation
de
bonne
foi
ne
semble
pas
avoir
jamais
été
soulevée,
alors
qu’un
paiement
non
dû
peut
bien
sûr
avoir
été
reçu
mais
non
conservé
de
bonne
foi,
si
la
conscience
de
son
caractère
indu
se
fait
jour
plus
tard.
(102)
Y.
Strickler,
Quasi-‐contrats
:
Paiement
de
l’indu,
J.-‐Cl.
Civil,
t.
XIII,
Paris,
mise
à
jour
2002,
n°
107-‐111.
(103)
Ce
point
a
été
contesté
sur
le
fondement
du
fait
que
le
«
payé
»
de
bonne
foi
peut
garder
les
fruits,
mais
la
réponse
apportée
par
Vi-‐
zioz
est
convaincante
:
la
possession
de
bonne
foi
des
fruits
suffit
à
donner
une
juste
cause
à
l’enrichissement
du
payé
(H.
Vizioz,
op.
cit.,
note
30,
p.
287
;
cf.
R.
Saleilles,
Etude
sur
la
théorie
générale
de
l’obligation
d’après
le
premier
projet
de
code
civil
pour
l’empire
allemand,
2e
éd.,
Paris,
1914,
p.
459,
note
1.
(104)
Y.
Strickler,
op.
cit.,
note
102,
n°
112-‐119.
(105)
Idée
déjà
avancée
par
Goré
:
F.
Goré,
op.
cit.,
note
9,
p.
246
;
cf.
G.
Ripert
et
M.
Teisseire,
op.
cit.,
note
10,
p.
761,
note
1
;
H.
Vizioz,
op.
cit.,
note
30,
p.
289
et
J.
Carbonnier,
op.
cit.,
note
15,
n°
1219.
La
Cour
de
cassation
ne
semble
pas
s’être
jamais
prononcée,
ni
par
l’affirmative
ni
par
la
négative,
sur
la
question
de
savoir
si
le
fait
de
recevoir
(ou
de
conserver)
sans
droit
un
enrichissement
constitue
une
«
faute
»
;
mais
cela
n’est
guère
surprenant
dans
la
mesure
où
un
«
faute
»
signifierait
une
faute
au
sens
de
l’article
1382
du
code
civil
et
que,
par
construction,
la
question
se
poserait
alors
sur
le
terrain
de
cet
article
plutôt
que
des
articles
1376
ou
1378
du
code
civil.
La
même
raison
expliquerait
qu’elle
n’ait
eu
pas
eu
à
connaître
de
demandes
de
compensation
pour
le
préjudice
financier
consécutif
à
un
transfert
de
valeur
vers
un
«
payé
»
de
mauvaise
foi.
(106)
De
furtum
=
vol.
Action
de
in
rem
verso
et
enrichissement
injustifié
Pour
finir,
que
l’action
de
in
rem
verso
s’explique
sur
le
fondement
de
l’enrichissement
injustifié
n’est
ni
contesté
ni
contestable.
Elle
n’en
occupe
pas
nécessairement
tout
le
terrain,
mais
aucune
de
ses
caracté-‐
ristiques
ne
pose
de
difficulté
sur
la
base
des
principes
généraux
de
l’enrichissement
sans
cause
(107).
L’action
générale
en
enrichissement
injustifié
que
nous
appelons
de
nos
vœux
en
remplacement
de
la
catégorie
quasi
contractuelle
serait
simplement
une
extension
à
toutes
les
instances
d’enrichissement
reçu
sans
l’approbation
de
l’ordre
juridique
de
l’action
que
nous
connaissons
aujourd’hui
sous
le
nom
–
toutefois
à
bannir
–
d’action
de
in
rem
verso.
(107)
En
un
sens,
bien
sûr,
cela
est
tautologique
puisque
la
conformité
aux
principes
généraux
se
mesure
par
l’adhésion
aux
principes
communs
aux
grands
systèmes
juridiques
–
y
compris
le
droit
français
–
au
sein
de
cette
partie
du
droit
national
qui
s’identifie
immédiatement
comme
étant
une
troisième
source
d’obligations,
fondée
sur
une
idée
d’enrichissement
injuste.
L’action
de
in
rem
verso
étant
ce
cœur
dans
le
cas
du
droit
français,
elle
est
tautologiquement
en
accord
avec
ces
principes
généraux.
Cela
ne
veut
pas
dire
qu’on
ne
puisse
pas,
normative-‐
ment,
y
trouver
à
redire
(il
nous
semble
ainsi
que
la
condition
d’appauvrissement
du
demandeur
soit
injustifiée)
;
mais
une
telle
critique
ne
peut
être
faite
qu’au
nom
d’une
préférence
analytique
a
priori
pour
un
modèle
particulier
de
droit
de
l’enrichissement
injustifié.
(108)
Subsidiarité.
Nous
évitons
de
manière
délibérée
d’employer
dans
cette
section
le
terme
de
«
subsidiarité
»,
qui
est
le
concept-‐clé
utili-‐
sé
par
la
doctrine
française
lorsqu’elle
se
penche
sur
cette
question.
La
raison
en
est
que
ce
terme
n’a
pas
selon
nous
de
sens
discernable
stable.
C’est
une
étiquette
qui
signifie
plusieurs
choses
différentes,
sans
que
ces
différences
ne
soient
analysées
comme
il
se
doit.
Dans
une
certaine
mesure
–
mais
dans
une
certaine
mesure
seulement
–
le
concept
de
subsidiarité
ne
fait
que
répéter
une
évidence,
à
savoir
qu’un
enrichissement
obtenu
en
vertu
d’un
contrat
valide
(ou
d’une
autre
raison
suffisante)
n’est
pas
«
sans
cause
»
ou
«
injustifié
».
En
ce
sens,
le
concept
est
superfétatoire.
La
question
de
savoir
si
le
droit
de
l’enrichissement
injustifié
peut
être
paralysé,
non
pas
par
ses
propres
règles
lui
déniant
de
s’appliquer
dans
une
instance
particulière,
mais
par
des
«
méta-‐règles
»
édictées
par
l’ordre
juridique
extérieur,
est
une
question
particulièrement
difficile
–
aussi
bien
sur
le
plan
descriptif
que
normatif
–
qui
dépasse
le
cadre
de
cet
article,
mais
qui
devra
être
considérée
sérieusement
par
le
droit
français.
Le
meilleur
point
de
départ
pour
ce
faire
est
sans
conteste
l’analyse
comparative
de
Lionel
Smith,
qui
distingue
une
subsidiarité
au
sens
fort
(strong
subsidiarity)
d’une
subsidiarité
au
sens
faible
(weak
subsidiarity)
:
L.
Smith,
Property,
Subsidiari-‐
ty
and
Unjust
Enrichment,
in
D.
Johnston
et
R.
Zimmermann
(dir.),
op.
cit.,
note
63,
p.
588,
spéc.
p.
596
s.
V.
aussi
Y.-‐M.
Laithier,
L’affaiblissement
de
la
règle
de
la
subsidiarité
doit-‐il
faire
craindre
l’envahissement
du
contrat
par
l’action
de
in
rem
verso
?,
RDC
2008.
1138
et
S.
Gaudemet,
Subsidiarité
de
l’enrichissement
sans
cause,
où
en
est-‐on
?,
RDC
2009.
1177.
(109)
Pour
certaines
difficultés
liées
à
cette
dichotomie
et
à
l’ambiguïté
du
mot
«
restitution
»,
V.
M.
Malaurie,
op.
cit.,
note
98,
p.
41
s.
;
C.
Guelfucci-‐Thibierge,
Nullité,
restitutions
et
responsabilité,
Paris,
1992,
p.
369
s.
(110)
M.
Planiol,
op.
cit.,
note
28,
p.
229.
(111)
P.
Birks,
op.
cit.,
note
40,
p.
275
s.
(112)
On
pourra
trouver
le
début
d’une
réflexion
à
ce
sujet
dans
deux
articles
importants
de
Lionel
Smith
:
L.
Smith,
The
Province
of
the
Law
of
Restitution,
Revue
du
barreau
canadien,
71-‐1992.
671
et
L.
Smith,
Restitution
:
The
Heart
of
Corrective
Justice,
Texas
Law
Review,
79-‐
2000/2001.
2127-‐28,
2131,
2133,
2134.
pour
caractériser
la
faute-‐violation
d’un
devoir
;
et
cette
volition
sera
ordinairement
manquante
en
cas
d’enrichissement
reçu
sans
justification
(113).
L’autre
problème
que
l’articulation
de
ces
deux
catégories
soulève
est
celui
de
ce
que
l’on
appelle
dans
la
tradition
de
common
law
«
restitution
for
wrongs
».
Un
acte
illicite
est
commis,
qui
procure
à
son
auteur
(de
manière
délibérée
ou
non)
un
gain.
Par
exemple,
une
entreprise
met
sur
le
marché
un
produit
con-‐
fectionné
en
violation
d’un
brevet
détenu
par
une
autre.
Difficultés
de
calcul
à
part,
sur
le
principe,
le
détenteur
du
brevet
peut-‐il
réclamer
le
profit
réalisé
par
le
violateur
à
ses
dépens
(le
terme
«
à
ses
dé-‐
pens
»
signifiant
dans
ce
contexte
:
en
commettant
un
acte
illicite
à
son
encontre)
?
Le
droit
anglais
ré-‐
pond
«
oui
»,
en
acceptant
que
l’acte
illicite
[23]
(wrong
ou
tort)
puisse
entraîner,
dans
certains
cas
non
encore
délimités
avec
précision,
une
réponse
restitutoire
plutôt
que
compensatoire
de
la
part
de
l’ordre
juridique
(114).
Le
droit
allemand
répond
également
«
oui
»,
mais
en
se
fondant
sur
l’enrichissement
injustifié
reçu
par
le
violateur
aux
dépens
du
détenteur
du
brevet
(115).
Le
droit
français
répond
«
non
»
par
principe
mais
peut,
en
pratique,
apporter
une
réponse
remarquablement
similaire
en
considérant
–
ce
qui
est
à
l’évidence
inexact
–
que
les
gains
réalisés
par
l’un
suite
à
son
acte
fautif
sont
le
pendant
d’une
perte
causée
à
l’autre,
et
que
le
détenteur
du
brevet
peut
donc
recevoir
compensation
selon
les
règles
usuelles
du
droit
de
la
responsabilité
extra
contractuelle
(116).
La
question
pour
le
droit
français
est
donc
double.
D’abord,
la
victime
d’un
acte
illicite
civil
peut-‐elle
en
principe,
et
du
moins
dans
certaines
situations,
faire
«
dégorger
»
à
son
auteur
les
profits
réalisés
à
ses
dépens
?
La
réponse
nous
paraît
devoir
être
positive.
Si
l’on
accepte
le
principe,
la
question
devient
alors
:
la
restitution
des
profits
trouve-‐t-‐elle
sa
justification
dans
l’acte
illicite
commis
par
le
défendeur,
ou
dans
son
enrichissement
injuste
aux
dépens
du
demandeur
(les
mêmes
faits
pouvant
constituer
l’un
et
l’autre
fondement)
?
Il
nous
semble
que
la
réponse
est
:
un
acte
illicite.
La
question
a
été
très
débattue
en
droit
anglais
et
il
faudrait
un
traitement
séparé
pour
analyser
les
arguments
(117).
Mais,
en
droit
français,
la
question
se
voit
simplifiée
par
la
condition
d’appauvrissement
corrélatif
du
défendeur.
Si
l’on
accepte
–
ce
qui
n’est
pas
une
nécessité
analytique
mais
a
toujours
été
la
position
du
droit
français
–
que
le
transfert
au
demandeur
d’un
enrichissement
reçu
par
le
défendeur
ne
se
conçoit
que
si,
et
dans
la
mesure
où,
le
demandeur
a
été
appauvri,
alors
le
dégorgement
des
profits
ne
peut
pas
se
faire
sur
la
base
de
l’action
en
enrichissement
injustifié
et
ne
pourrait
donc
l’être
qu’en
reconnaissant
la
possibilité
d’une
réponse
restitutoire
à
la
commission
d’un
délit
ou
quasi-‐délit.
Le
dogme
de
la
compensation
intégrale
comme
unique
mesure
possible
des
«
dommages
et
intérêts
»
étant
déjà
largement
fissuré
avec
la
recon-‐
naissance
croissante,
aussi
bien
de
lege
lata
que
ferenda,
de
dommages
et
intérêts
dits
«
punitifs
»,
la
solution
de
principe
ne
devrait
pas
poser
de
difficulté
(118).
(113)
Tony
Honoré
fait
ainsi
remarquer,
à
juste
titre,
que
même
lorsqu’il
impose
une
responsabilité
sans
faute,
le
droit
requiert
le
fait
que
le
défendeur
ait
choisi
d’agir
de
la
manière
qui
a
lui
valu
de
violer
son
devoir
(T.
Honoré,
The
Morality
of
Tort
Law
–
Questions
and
Answers,
in
D.
G.
Owen
(dir.),
Philosophical
Foundations
of
Tort
Law,
Oxford,
1997,
p.
86).
Ainsi,
dans
le
droit
anglais
du
trespass
to
land,
le
défendeur
peut
se
voir
condamné
même
s’il
ignorait,
et
n’avait
aucun
moyen
de
savoir,
qu’il
se
trouvait
sans
droit
sur
un
terrain
appartenant
à
autrui
;
mais
il
ne
le
sera
en
aucun
cas
si
quelqu’un
l’y
a
traîné
contre
sa
volonté.
Cette
intuition
–
qu’une
responsabilité
peut
légitimement
être
stricte,
mais
pas
absolue
–
est
la
même
qui
justifie,
à
notre
sens,
le
fait
que
l’enrichissement
injustifié
ne
puisse
pas
être
considéré
comme
faisant
partie
du
droit
de
la
responsabilité
civile.
(114)
J.
Edelman,
Gain-‐based
Damages
:
Contract,
Tort,
Equity
and
Intellectual
Property,
Oxford,
2002,
passim.
(115)
T.
Krebs,
The
Fallacy
of
«
Restitution
for
Wrongs
»,
in
A.
Burrows
et
A.
Rodger
(dir.),
Mapping
the
Law
:
Essays
in
Memory
of
Peter
Birks,
p.
380
s.
(116)
C.
Le
Gallou,
La
notion
d’indemnité
en
droit
privé,
Paris,
2007,
p.
256
et
réf.
citées.
(117)
On
pourra
commencer
par
J.
Beatson,
The
Nature
of
Waiver
of
Tort,
in
J.
Beatson,
The
Use
and
Abuse
of
Unjust
Enrichment,
Oxford,
1991,
p.
206
;
P.
Birks,
Restitution
and
Wrongs,
Current
Legal
Problems,
35-‐1982.
53.
(118)
On
notera
que
les
différents
projets
de
réforme
du
droit
français
des
actes
illicites
civils
admettent
explicitement
la
possibilité
d’une
réponse
multi-‐dimensionnelle
à
la
commission
d’un
«
tort
».
L’Avant-‐projet
«
Catala
»
prévoit
ainsi
la
possibilité
de
«
dommages-‐intérêts
punitifs
»
en
cas,
notamment,
de
«
faute
lucrative
»,
mélangeant
toutefois
fonction
restitutoire
et
fonction
punitive
de
la
réparation
monétaire
(P.
Catala
(dir.),
op.
cit.,
note
3),
art.
1371).
Le
projet
Terré,
à
l’inverse,
les
distingue
(sous
l’influence
du
Draft
Common
Frame
of
Reference),
permettant
au
juge
d’accorder
«
le
montant
du
profit
retiré
par
le
défendeur
»
en
cas
de
«
faute
lucrative
»
intentionnelle
de
sa
part
(F.
Terré
(dir.),
Pour
une
réforme
du
droit
de
la
responsabilité
civile,
Dalloz,
2011,
art.
54
;
V.
aussi
G.
Viney,
Quelques
propositions
de
réforme
du
droit
de
la
responsabilité
civile,
D.
2009.
2944).
(réponse
in
personam)
(119).
Le
principe
de
base
en
la
matière
est
que
tout
ce
qui
est
du
domaine
de
la
revendication
d’un
droit
de
propriété
préexistant
est,
par
construction,
incompatible
avec
un
enrichis-‐
sement
sans
cause
et
ressortit
au
droit
des
biens.
La
catégorie
d’enrichissement
injustifié
doit
prendre
garde
à
ne
pas
s’étendre
plus
qu’elle
n’en
a
la
licence,
et
notamment
à
respecter
l’existence
séparée
du
droit
des
biens.
La
cohérence
interne
du
droit
est
à
ce
prix.
*
* *
En
tant
que
troisième
catégorie
de
causes
d’obligations,
aux
côtés
des
contrats
et
des
actes
illicites
ci-‐
vils,
l’enrichissement
injustifié
apparaît
à
proprement
parler
avec
Grotius.
Là
où
Justinien
avait
une
taxi-‐
nomie
quadripolaire
des
obligations
(ex
contractu,
quasi
ex
contractu,
ex
delicto
et
quasi
ex
delicto)
(120),
de
Groot
en
a
une
ternaire
:
les
obligations
naissent
soit
d’une
«
promesse
»,
soit
d’une
«
inégalité
causée
par
autrui
»,
soit
d’une
«
inégalité
qui
profite
à
autrui
»
(121).
Intellectuellement,
Grotius
est
indubita-‐
blement
supérieur
à
Justinien
dans
la
mesure
où
sa
cartographie
des
causes
d’obligations
est
opérée
de
manière
positive
et
non
négative,
permettant
ainsi
de
se
débarrasser
des
«
quasi-‐causes
»
qui
ont
miné
la
rationalité
du
droit
des
obligations
(122).
Le
lien
entre
les
«
promesses
»
de
Grotius
et
les
obligations
ex
contractu
de
Justinien
est
évident,
de
même
que
celui
entre
«
inégalités
causées
par
autrui
»,
d’une
part,
et
obligations
ex
delicto
et
quasi
ex
delicto,
d’autre
part.
Elles
correspondent
à
nos
catégories
modernes
de
contrats
et
de
«
responsabilité
délictuelle
et
quasi
délictuelle
»
(ou
«
droit
des
torts
»)
:
il
s’agit
à
chaque
fois
de
la
même
notion,
à
différentes
étapes
de
son
développement
historique.
La
difficulté
con-‐
siste
dans
le
lien
entre
obligations
quasi
ex
contractu
chez
Justinien
et
obligations
nées
d’une
inégalité
qui
profite
à
autrui
chez
Grotius
–
autrement
dit,
entre
«
quasi-‐contrats
»
et
«
enrichissement
injustifié
».
Aucun
lien
n’apparaît
immédiatement
entre
les
deux
catégories
;
pourtant,
le
fait
qu’elles
soient
toutes
les
deux
construites
comme
recouvrant
le
domaine
des
obligations
qui
ne
sont
ni
contractuelles
ni
délic-‐
tuelles
au
sens
large
(y
compris
quasi
délictuelles)
montre
qu’elles
occupent
nécessairement,
dans
l’esprit
du
moins
de
ces
auteurs,
le
même
terrain.
De
quoi
naissent,
en
effet,
les
obligations
qui
ne
dérivent
ni
du
consentement
des
parties
(contractus
au
sens
moderne
de
pactum)
ni
d’un
fait
prohibé
par
l’ordre
juridique
?
Justinien
se
refuse
à
répondre
en
déclarant
qu’elles
naissent
«
comme
d’un
contrat
»,
ce
qui
ne
nous
apprend
rien
sur
leur
source
réelle
et,
de
ce
fait,
ne
fournit
aucune
justification
normative
à
leur
existence.
Cette
justification,
la
«
seconde
vie
»
du
droit
romain
a
tenté
de
la
trouver.
Une
voie
poursuivie
a
été
de
faire
retourner
la
catégorie
quasi
contractuelle
vers
le
contrat
dont
elle
s’était
détachée,
en
la
fondant
sur
un
consentement
implicite
ou
supposé.
Cette
approche
repose
sur
une
fiction
(ou,
pour
utiliser
un
terme
moins
euphémistique,
sur
un
mensonge)
et
doit
donc
être
rejetée.
L’autre
voie
a
été
de
se
tourner
vers
la
notion
d’enrichissement
injustifié
:
c’est
ce
que
fit
Grotius
et,
après
lui,
la
doctrine
pandectiste
allemande
qui
trouva
son
couron-‐
nement
dans
[25]
le
BGB
(123).
Par
des
chemins
de
traverse,
le
droit
anglais
est
parvenu
au
même
résul-‐
tat
dans
la
seconde
moitié
du
20e
siècle
(124).
Dans
les
deux
autres
grands
systèmes
juridiques
euro-‐
péens
que
le
droit
français,
l’accord
se
fait
donc
pour
dire
qu’il
existe
trois
classes
principales
de
causes
d’obligations
:
les
contrats
(Vertragen/contracts),
les
actes
illicites
civils
(unerlaubte
Handlungen/civil
wrongs)
et
les
enrichissements
injustifiés
(ungerechtfertigte
Bereicherungen/unjust
enrichments).
L’enrichissement
injustifié
a
effectivement
pris
la
place
de
la
catégorie
quasi
contractuelle,
expliquant
de
manière
normative
le
fondement
de
la
plupart
–
mais
pas
nécessairement
toutes
–
les
obligations
quasi
contractuelles,
et
éventuellement
d’autres
obligations
précédemment
non
considérées
comme
quasi
contractuelles.
Le
droit
français,
lui,
en
est
resté
à
Justinien.
Malgré
les
critiques
il
continue,
seul
ou
presque,
à
parler
de
quasi-‐contrats
(et
de
la
notion
d’enrichissement
sans
cause,
il
a
fait
un
autre
quasi-‐contrat).
La
ques-‐
tion
de
ce
qui
justifie
les
obligations
qui
en
naissent
est
rarement
posée.
Si
l’on
regarde
la
doctrine
des
deux
siècles
passés,
on
s’aperçoit
que
des
idées
d’enrichissement
sans
cause
–
ainsi
que
de
consentement
présumé
–
ont
été
avancées
;
mais
jamais
aucun
effort
doctrinal
sérieux
n’a
été
fait
pour
expliquer
la
relation
entre
quasi-‐contrats
et
enrichissement
injustifié
(quel
que
soit
le
nom
donné
à
cette
dernière
catégorie).
La
doctrine
française
s’était
considérablement
rapprochée,
sous
l’influence
de
la
préparation
et
de
l’entrée
en
vigueur
du
BGB,
de
la
position
grotienne-‐allemande
entre
la
fin
du
19e
siècle
et
la
Pre-‐