Vous êtes sur la page 1sur 5

L’administration entretient divers types de relations avec le monde économique : elle intervient

soit pour réguler le secteur économique, soit pour y apporter des subventions, soit pour solliciter
des travaux, des biens et des services. Dans ce dernier cas, l’administration se comporte comme un
acheteur, un demandeur sur le marché et on est donc en face de la commande publique.

La jurisprudence et la législation parlent couramment de la commande publique. Le Conseil


constitutionnel l'a fait pour la première fois dans sa décision n° 2003-473 DC du 23 juin 2003 en
se référant « au droit commun de la commande publique » et aux « exigences constitutionnelles
inhérentes à l'égalité devant la commande publique », et encore ultérieurement (Par ex., Cons.
const., 24 juill. 2008, n° 2008-567 DC, AJDA 2008). Le Conseil d'État a repris l'expression (CE,
30 déc. 2014, Société Armor SNC). On la retrouve dans des textes législatifs. C'est l’exemple de la
loi n° 2014-1545 du 20 déc. 2014, relative à la simplification de la vie des entreprises, dont l’article
42 autorise le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures « rationalisant pour l'ensemble
des contrats de la commande publique qui sont des marchés publics au sens du droit de l'Union
européenne ». C’est également le cas de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance,
l'activité et l'égalité des chances économiques dont l’article 209 autorise le gouvernement à adopter
par ordonnance le régime applicable à la commande publique, « permettant d'unifier et de simplifier
les règles communes aux différents contrats de la commande publique qui sont des contrats de
concession au sens du droit de l'Union européenne ». Longtemps annoncé, le Code de la commande
publique (CCP) a finalement vu le jour en France en 2018. En effet, l’adoption de ce code par
l’ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 (partie législative) et par le décret n° 2018-1075
du 3 décembre 2018 (partie réglementaire) ouvre une nouvelle ère pour ce droit qui doit beaucoup
à l’œuvre créatrice du juge administratif et qui n’avait jamais été doté, jusqu’à présent, d'un code
d’une telle ampleur.

I. Les éléments constitutifs des contrats de la commande publique

Il ressort de l’article L. 2 du CCP que « le contrat de la commande publique est un contrat conclu
à titre onéreux par un acheteur ou une autorité concédante, pour répondre à ses besoins en matière
de travaux, fournitures ou services, avec un ou plusieurs opérateurs économiques ». Outre son
critère organique, cette définition met l’accent sur deux critères matériels : la finalité et l’onérosité.

A. Les contrats conclus à titre onéreux

1. L’existence d'un contrat

La définition donnée par le nouvel article 1101 du Code civil en vertu de l'ordonnance du 10 février
2016 portant réforme du droit des obligations et des contrats a tout lieu d'être retenue de manière
générale, en droit public autant qu'en droit privé, en droit national autant qu'en droit européen : «
Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier,
transmettre ou éteindre des obligations ».
Le plus souvent, il n'y a pas de difficulté à reconnaître un contrat. On ne rencontre pas de difficulté
non plus en général à reconnaître un acte unilatéral comme manifestation de volonté émanant d'une
seule personne. Les difficultés apparaissent lorsque se combinent des prescriptions réglementaires
et des conventions réalisant leur mise en œuvre. Tantôt doit être reconnue l'existence d'un lien
contractuel (CJCE, 12 juill. 2001, Ordre des architectes de la province de Milan et Lodi c/
commune de Milan), tantôt non (CJCE, 8 mai 2013, Éric Libert et autres c/ Gouvernement flamand
: affaire du permis de construire octroyé sous condition de réaliser des logements sociaux).

2. Le caractère onéreux du contrat

Le caractère onéreux du contrat est défini aujourd'hui par l'article 1107 nouvellement introduit dans
le code civil par l'ordonnance du 10 février 2016 : « Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune
des parties reçoit de l'autre un avantage en contrepartie de celui qu'elle procure ». La définition
vaut autant pour le droit public et le droit européen, qui ne disent pas autre chose (CJCE, 12 juill.
2001, Ordre des architectes de la province de Milan et Lodi c/ commune de Milan). Elle conduit à
distinguer les marchés publics et les concessions de contrats ne répondant pas à ce critère.

La jurisprudence avait déjà eu l'occasion de reconnaître le caractère onéreux d'un contrat lorsque
la prestation est réalisée en échange de l'exonération d'une dette (CJCE, 12 juill. 2001, Ordre des
architectes de la province de Milan et Lodi c/ commune de Milan) ou encore en contrepartie de
l'exonération d'une contribution (CE, ass., 4 nov. 2005, Société Jean-Claude Decaux, deux arrêts).
Un contrat ne saurait échapper à la notion de marché public ou de concession du seul fait que sa
rémunération reste limitée au remboursement des frais encourus pour fournir le service convenu
ou que le cocontractant ne poursuit pas normalement une finalité lucrative (CJUE, 19 déc. 2012,
Azienda Sanitaria Locale di Lecce, Università del Salento c/ Ordine degli Ingegneri della
Provincia di Lecce e.a.).

La question du caractère onéreux s'est posée aussi à propos des subventions : si elles n'entrent pas
dans le champ des concessions et des marchés, c'est parce qu'elles constituent seulement une aide
octroyée à une personne sans contrepartie directe au profit de la collectivité qui l'attribue (CE, sect.,
6 juill. 1990, Comité pour le développement industriel et agricole du choletais). En revanche,
lorsque « la contribution financière versée par [une] région en application de conventions était la
contrepartie du service rendu par la société pour l'exécution de ces contrats », « les sommes en
cause, quelle que soit la dénomination qui leur avait été donnée, devaient être regardées non
comme une subvention mais comme la rémunération d'une prestation effectuée pour le compte de
la région relevant des règles fixées par le code des marchés publics » (Arrêt précédent)

B. L'objet des contrats

Les nouvelles dispositions conduisent à identifier les contrats de la commande publique en


considération de la nature et de la finalité de leur objet.
1. La nature de l'objet

Les contrats identifiés par les nouveaux textes portent, pour les marchés, sur des travaux,
fournitures ou services, et pour les concessions, sur des travaux ou des services, ce qui peut inclure
les fournitures nécessaires à la réalisation des travaux ou des services : ce sont des objets très
généraux qui pourraient ouvrir un très large champ aux règles de la commande publique.

Il n'en reste pas moins que la nature de certains objets est étrangère par elle-même aux contrats
relevant de cette catégorie et que, si d'autres n'y sont pas étrangers, ils ont été exclus du champ
d'application des règles de cette catégorie. Dans le premier cas, il s'agit de contrats ne répondant
pas à la définition de contrats de la commande publique, dans le second de contrats qui ne sont pas
couverts par les règles de la commande publique.

La première série concerne les matières ne pouvant donner lieu à contrat, soit par « nature »
régalienne, en particulier au sujet de la police (Jurisprudence issue de l'arrêt CE, 17 juin 1932, Ville
de Castelnaudary), du contrôle et de la surveillance des prisonniers (Cons. const., 29 août 2002, n°
2002-461 DC : « tâches inhérentes à l'exercice par l'État de ses missions de souveraineté »), et de
l'exercice des compétences des autorités publiques ( CE, 9 juill. 2015, Football Club des Girondins
de Bordeaux et autres), soit en vertu d'une disposition législative ( CE, sect., 20 janv. 1978,
Syndicat national de l'enseignement technique agricole public). Dans la mesure où, dans ces
matières, il pourrait être admis que soient conclus des contrats, on pourrait soutenir que leur objet
échappe en tant que tel à la catégorie de la commande publique. Si tel n'était pas le cas, on ne
pourrait y échapper (CE, sect., 6 avr. 2007, Commune d'Aix-en-Provence).

Plus pédagogique que réellement normatif, l’article L. 1100-1 du CCP énumère les contrats ne
relevant pas du champ de la commande publique : contrats de travail, conventions ayant pour objet
de simples transferts de compétences ou de responsabilité entre acheteurs ou autorités concédantes
en vue de l’exercice de missions d’intérêt général, titres d’occupation domaniale et subventions.
Les transferts de compétences ou responsabilités sont en effet dénués de caractère onéreux ; titres
domaniaux et subventions ne répondent pas au besoin de l’acheteur ou de l’autorité concédante.

2. La finalité de l'objet

Pour relever de la commande publique, le contrat doit non seulement répondre au besoin de
l’acheteur ou de l’autorité concédante, mais aussi présenter pour lui/elle un « intérêt économique
direct » (CJCE 25 mars 2010, Helmut Muller).

Il ressort de cette jurisprudence que s'agissant de travaux, le contrat présente un intérêt économique
direct :

- Lorsqu’il est prévu que le pouvoir adjudicateur deviendra propriétaire des travaux ou de
l'ouvrage faisant l'objet du marché ;
- S’il est prévu que le pouvoir adjudicateur disposera d'un titre juridique qui lui assurera la
disponibilité des ouvrages faisant l'objet du marché, en vue de leur affectation publique ;
- Lorsque le pouvoir adjudicateur tire les avantages de l’utilisation ou de la concession
futures de l'ouvrage ;
- Dans le fait que le pouvoir adjudicateur a participé financièrement à la réalisation de
l'ouvrage ou dans les risques qu'il assume en cas d'échec économique de l'ouvrage ». [...].

En somme, pour qu'il ait commande publique, il n'est pas « nécessaire que la prestation prenne la
forme de l'acquisition d'un objet matériel ou physique ». Ce qui vaut pour des travaux vaut tout
autant pour des fournitures et des services (Com., 23 juin 2015, SNCF).

Pour les concessions, la correspondance entre l'objet du contrat et les besoins de la personne qui
l'attribue, ou son intérêt économique direct, n'a été formulée expressément ni par les textes ni par
la jurisprudence, mais elle est nécessaire. La directive 2004/18 du 31 mars 2004, en définissant les
concessions de travaux publics et les concessions de services (art. 1er, 3 et 4) comme des contrats
« présentant les mêmes caractéristiques qu'un marché » à l'exception de la contrepartie, impliquait
la condition de l'intérêt direct de la personne passant ces contrats. Le considérant 11 de la directive
23 du 26 février 2014 est plus net : « Si de tels contrats peuvent impliquer, sans que cela soit
obligatoirement le cas, un transfert de propriété aux pouvoirs adjudicateurs ou aux entités
adjudicatrices, ce sont toujours les pouvoirs adjudicateurs ou les entités adjudicatrices qui
obtiennent les avantages liés aux travaux ou services en question ». Le considérant 68 ajoute : «
Les concessions sont généralement des contrats complexes, conclus sur le long terme, dans
lesquels le concessionnaire assume des responsabilités et des risques traditionnellement assumés
par les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices et relevant normalement de leurs
compétences ». La référence aux compétences de l'autorité concédante est également retenue par
une partie de la doctrine (S. Alber, conclusions sur CJCE, 9 sept. 1999, RI.SAN c/ Commune di
Ischia ; M. Didier Laurent, « La remise en ordre inachevée de l'occupation contractuelle du
domaine public », AJDA 2015. 1519), même si elle est jugée insuffisante par d’autres auteurs (L.
Richer, « Les contrats entre entités du secteur public », Contrats publics, mai 2014. 31).

Il ressort donc que le contrat est conclu dans l'intérêt direct du pouvoir adjudicateur et que, les
autres critères de la concession étant satisfaits, cette qualification doit s'appliquer.
Ainsi se confirme que les concessions comme les marchés portent sur un objet correspondant à
l'intérêt propre du pouvoir adjudicateur. Cet intérêt peut se combiner avec celui d'autres personnes
(cas des usagers) mais il faut qu'il soit présent. En son absence, un contrat n'est ni un marché ni une
concession.

S’agissant des concessions, on trouve plusieurs arrêts qui refusent la qualification de convention
de délégation de service public à des contrats autorisant l'occupation d'une dépendance domaniale
pour un objet ne correspondant pas à l'intérêt de la collectivité contractante (CE, 12 mars 1999,
Société L'Orée du bois, AJDA 1999. 439 ; CE 3 déc. 2010, Ville de Paris, Association Paris Jean
Bouin, Lebon p. 472). Il s'agit seulement de concessions domaniales. Pour éviter toute ambiguïté,
il faudrait parler à leur sujet de conventions domaniales et non de concessions.

Activités : Quels sont les éléments constitutifs d'un contrat de commande publique ?

Vous aimerez peut-être aussi