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Cours de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées

Année 2010 - 2011

SEANCE 1 : LA NOTION DE CONTRAT ADMINISTRATIF

Les contrats publics revêtent une importance déterminante pour les personnes publiques
en tant que moyen de leurs interventions publiques dans l'économie. Cela s’observe :

- sur le plan quantitatif, du fait du nombre des contrats passés quotidiennement par les
administrations nationales ou locales et des multiples formules contractuelles
susceptibles d'être employées ;
- sur le plan qualitatif, dans la mesure où l'usage du contrat est devenu si courant, qu'il a
profondément transformé les méthodes de l'administration elle-même, à tel point qu'il
est désormais convenu de parler d'« administration contractuelle » pour désigner une
nouvelle forme de gestion des intérêts collectifs, moins arbitraire et plus consensuelle.

Cela n’implique pas que l'administration recourt systématiquement aux contrats : un grand
nombre de ses actes prennent, en effet, la forme du contrat mais n'en restent pas moins par
leur nature juridique des actes administratifs unilatéraux.

Les contrats publics constituant un mécanisme essentiel d'organisation de la vie juridique,


il n'est pas étonnant que l’Union européenne ait fortement influé sur eux et que le droit des
contrats publics ait désormais d'importantes sources communautaires.

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Chapitre 1 : L’identification du contrat administratif

Les difficultés tenant à l’identification du lien contractuel existent pour tous les
contrats de l’administration. Le contrat administratif présente un particularisme par rapport au
contrat de droit privé. En effet, la présence d’une personne publique, dotée de prérogatives de
puissance publique, a parfois fait douter certains de la nature authentiquement contractuelle de
ces contrats, au point de les assimiler à de véritables règlements. S’agissant des contrats entre
personnes publiques, ces incertitudes apparaissent d’autant plus grandes. Il conviendra donc
de préciser les indices permettant de conclure à la nature contractuelle d’une convention
(section 1) avant d’identifier les éléments nécessaires à la qualification administrative de la
convention (section 2).

Section 1 : La nature contractuelle de l’acte juridique

Pour identifier cette nature, il convient de se référer aux éléments intrinsèquement


caractéristiques d’un contrat (§ 1), avant de différencier le contrat d’autres catégories d’actes
de droit administratif (§ 2).

§ 1 : Les éléments caractéristiques d’un contrat

Aux termes de l’article 1101 du Code civil, le contrat est « une convention par
laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à
faire ou à ne pas faire quelque chose ». Il résulte de cette définition :
- que le contrat est une convention, c'est-à-dire un acte juridique formé par l’accord
de deux ou plusieurs volontés individuelles ;
- que toute convention, tout accord en vue de produire un effet juridique n’est pas un
contrat au sens strict du terme.

A- Le contrat est créateur d’obligations juridiques

Le contrat, créateur de droits et obligations auxquels il assujettit, modifie


l’ordonnancement juridique.
Ainsi, dans le cadre de la mise en œuvre de certaines politiques publiques, la
contractualisation de certaines mesures apparaît essentielle. C’est le cas de certaines mesures

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d’incitation par lesquelles l’administration accorde des avantages fiscaux ou financiers à des
entreprises qui s’engagent à mener une action conforme aux objectifs du gouvernement. Dans
cette hypothèse, il semble qu’il s’agisse bien de véritables contrats dans la mesure où, en
contrepartie de l’avantage alloué, l’entreprise prend un engagement ferme et précis qui en est
la condition. Si cet engagement n’est pas respecté, des sanctions contractuelles pourront être
infligées et le contrat lui-même résilié (V. concl. Braibant G. sous CE, 2 mars 1973, Syndicat
national du commerce en gros des équipements, pièces pour véhicules et outillages, AJDA,
1973, p. 323).

La création d’obligations juridiques est une exigence qui permet de distinguer le


contrat des actions concertées, lesquelles reposent seulement sur la discussion, la négociation
et le rapprochement des partenaires.

Cette condition permet également d’écarter de la sphère contractuelle « les simples


déclarations d’intention, les actes de courtoisie ou de complaisance ». Ces accords de volontés
n’obligent pas juridiquement parce que les intéressés n’ont pas voulu établir entre eux un
rapport juridique permettant d’exiger l’exécution d’une obligation. De tels accords n’ont
qu’une valeur morale ou politique (par exemple, les actes par lesquels l’Etat et des syndicats
envisagent l’avenir d’une entreprise en difficulté ou de mettre fin à un conflit social).

B- Le contrat est un accord de volontés

La régularité d’un contrat suppose avant tout l’existence d’une volonté de contracter,
c’est-à-dire l’existence d’un consentement des parties. S’il fait défaut, un lien contractuel ne
peut être établi. Cela suppose un consentement libre et éclairé. Le fait qu’il ait été donné par
erreur ou extorqué par dol ou violence (pour une clause ou pour l’ensemble du contrat)
emporte nullité des dispositions affectées par le vice.

Pour qu’un contrat soit considéré comme conclu, il est nécessaire qu’il y ait accord des
parties sur les éléments essentiels dudit contrat (comme par exemple, un accord sur le prix des
prestations : CE, 20 mars 1987, Société des Etablissements Louis Mehault c/ Commune de
Guer, RDP, 1988, p. 1415). Le contrat doit permettre l’existence d’un accord entre des
volontés distinctes, qui expriment un échange de consentements et non leur simple
juxtaposition.

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§ 2 : Les éléments distinctifs

On s’attachera ici à distinguer le contrat de l’acte unilatéral d’une part, et des actions
concertées d’autre part.

A- La distinction entre l’unilatéral et le contractuel

Le professeur Truchet a souligné que « la volonté de l’administration de mettre un


gant de velours à sa main de fer fait que l’on s’y retrouve mal entre l’unilatéral et le
contractuel » (TRUCHET D., Le contrat administratif, qualification juridique d’un accord de
volontés, in Le droit contemporain des contrats, Economica, 1987, p. 158).

Un acte juridique unilatéral est une manifestation de volonté émanant d’un individu
qui entend créer certains effets de droit sans secours d’une autre volonté. Au regard de cette
définition, la distinction entre l’unilatéral et le contractuel semble évidente : le contrat
suppose régir les relations réciproques de ses auteurs alors que l’acte unilatéral confère des
droits ou impose des obligations à des tiers (par rapport à son édiction). Mais la pratique se
révèle beaucoup plus complexe. En effet, tout acte ressemblant à un contrat n’en constitue pas
forcément un, et il existe souvent quelques difficultés à procéder à cette identification alors
que celle-ci s’avère nécessaire.

En premier lieu, on constate que le choix entre l’acte unilatéral et le contrat n’est pas toujours
libre. En effet, en dépit du principe de liberté contractuelle qui permet à l’administration
d’opter pour la démarche contractuelle au détriment du procédé unilatéral, il est des
hypothèses dans lesquelles l’administration n’est pas libre de donner à son action la forme
qu’elle désire. Ainsi, il existe des hypothèses où le recours au procédé contractuel est
nécessaire et indispensable. C’est le cas lorsque la conclusion d’un contrat est imposée par
l’administration par certains textes : par exemple dans l’hypothèse de contrats d’assurance
(Art. L. 1142-2 du Code de la santé publique sur l’obligation d’assurance des établissements
de santé).

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A l’inverse, le recours au contrat peut être proscrit. C’est le cas lorsque des textes imposant
l’édiction de réglementations dans un domaine spécifié. Sur ce fondement, le Conseil d’Etat a
déclaré nulle une convention destinée à satisfaire les objectifs de la police des installations
classées pour la protection de l’environnement (CE, 8 mars 1985, Association Les Amis de la
Terre, AJDA, 1985, p. 382, obs. MOREAU J. ; RFDA, 1985, p. 363, concl. JEANNENEY P-
A.). De façon plus générale, pour réaliser certaines opérations, l’autorité administrative ne
peut parfois agir que par la voie de l’action unilatérale et ce, en raison de la nature de la
compétence qui lui a été conférée. C’est ainsi qu’il est fait interdiction à l’autorité de police
d’user du procédé contractuel dès lors que l’autorité signataire n’a pas reçu compétence pour
signer le contrat (CE, 23 mai 1958, Consorts Amoudruz, AJDA, 1958, p. 309).

En second lieu, les effets juridiques attachés à l’acte unilatéral et au contrat doivent
être différenciés. Certains effets ne s’attachent qu’aux contrats. Ceux-ci lient les parties qui
les ont signés et tiennent lieu de loi entre elles (force obligatoire du contrat). En conséquence,
le juge est lié par leurs dispositions et doit les interpréter suivant la commune intention des
parties. En outre, le principe de l’effet relatif domine la matière contractuelle. Cela a pour
conséquence que les contrats ne valent qu’entre les cocontractants et n’engagent pas, sauf cas
particuliers, les tiers.

Eu égard ces différents éléments, se pose donc la question de savoir s’il s’agit bien de
la conclusion d’un véritable contrat. On observe, tout d’abord, la proximité de l’acte unilatéral
et du contrat dans la mesure où certains actes unilatéraux interviennent dans la périphérie du
contrat (actes détachables). Ensuite, on constate que l’acte unilatéral s’immisce dans les
clauses mêmes du contrat. Ainsi, il a été admis qu’un contrat puisse contenir des clauses
réglementaires. Il en va de la sorte dans les contrats de concession. Les conséquences
contentieuses de l’existence de ces clauses à caractère réglementaire sont essentielles.

Au-delà de cette proximité évidente, une véritable confusion entre l’unilatéral et le


contractuel peut apparaître. La pratique de l’acte unilatéral négocié en constitue une
illustration1. En matière de réglementation économique et professionnelle, une nouvelle

1
V. en ce sens, MODERNE F., Autour de la nature juridique des accords conclus par l’administration et les
organisations professionnelles en matière de prix, Dr. soc., 1975, p. 505 ; ROMI R., La requalification par le
juge des actes négociés en actes unilatéraux, AJDA, 1989, p. 9 ; PRETOT X., L’évolution du régime juridique
des conventions médicales. Du contrat doué d’effets réglementaires au règlement à élaboration concertée, Dr.
soc., 1997, p. 845

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pratique s’est développée. Elle consiste à faire en sorte que le contenu d’un acte unilatéral soit
négocié avec ceux auxquels il doit conférer des droits ou imposer des obligations.

B- La distinction entre le contrat et l’action concertée

La notion de contrat est d’autant plus délicate à cerner que le succès du procédé
contractuel s’est traduit par l’apparition de nouveaux concepts, comme celui de partenariat 2.
Le partenariat est conçu comme la mise en place d’espaces de dialogue et de gestion
contractuels permettant de réunir pendant quelques années les différentes parties intéressées
par la résolution d’un problème.

La concertation est également un concept juridique dont la définition est quelque peu
incertaine. André de Laubadère relève d’ailleurs « une certaine confusion » entre la
concertation et la contractualisation. « Si elles vont dans le même sens et bénéficient
aujourd’hui d’un engouement comparable », ces deux notions n’en demeurent pas moins
distinctes car la concertation ne débouche pas nécessairement sur la signature d’un contrat. En
ce sens, elle apparaît plus comme une simple consultation. L’action concertée se caractérise
par le fait qu’elle exprime un certain accord sans réaliser un échange de consentements.
Lorsque deux ou plusieurs communes signent entre elles une charte intercommunale de
développement et d’aménagement, elles utilisent une procédure contractuelle qui pourrait
laisser penser que l’acte auquel elles aboutissent est un contrat. En réalité, l’insuffisance de
ses dispositions et son caractère peu contraignant pour les signataires peuvent justifier la
qualification d’acte concerté dans la mesure où plusieurs personnes ont participé à son
élaboration sans que le résultat de leurs actions respectives prenne la forme d’un véritable
contrat.

Section 2 : La nature administrative des contrats de l’administration

Il s’agit de l’aspect capital car la nature administrative du contrat commande


l’application d’un régime spécifique et la compétence du juge administratif en cas de
contentieux. Mais, tous les contrats des personnes publiques ne sont pas des contrats
administratifs. Ainsi, par exemple, les services publics industriels et commerciaux
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HEMERY V., Le partenariat, une notion juridique en formation ?, AJDA, 1998, p. 347

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fonctionnant dans les mêmes conditions qu’une entreprise de droit privé, les liens entre ces
services et leurs usagers sont de droit privé et les tribunaux judiciaires sont compétents alors
même que le contrat contiendrait une clause exorbitante du droit commun (TC, 17 décembre
1962, Dame Bertrand, Rec. CE, p. 831).

Comment déterminer les contrats soumis au droit public ? Une chose est sûre : le juge
administratif n’est pas lié par la qualification donnée par les parties. Le caractère d’un contrat
ne dépend en aucun cas de la qualification que les parties lui ont donné (TC, 8 juin 1986,
Fabre, RDP, 1987, p. 1682).

§ 1 : Les qualifications législatives

Depuis l’affirmation du principe selon lequel la compétence suit le fond (TC, 6 février 1873,
Blanco), la nature juridique du contrat influe directement sur la compétence juridictionnelle.
Or, parce que la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction est mise en
cause, il appartient en conséquence au seul législateur d’opérer les qualifications juridiques
nécessaires (TC, 2 mars 1970, Société Duvoir, Rec. CE, p. 885).

Toutefois, force est de constater que le législateur n’est pas intervenu dans la qualification de
l’ensemble des contrats de l’administration. Les hypothèses d’intervention sont même fort peu
nombreuses.

La plupart des textes ne qualifient pas expressément un contrat d’administratif, mais se


contente de renvoyer leur contentieux à la juridiction administrative. Par ce renvoi, on en
déduit la nature administrative desdits contrats puisque la compétence suit le fond. Il en va
ainsi :
- avec la l’article 4 de la loi du 28 pluviôse An VIII aux termes duquel « le Conseil
de préfecture se prononcera sur les difficultés qui pourraient s’élever entre les
entrepreneurs de travaux publics et l’administration, concernant le sens ou
l’exécution des clauses de leurs marchés » ;

- on retrouve la même idée avec le décret-loi du 17 juin 1938 (codifié à l’article L.


84 du Code du domaine de l’Etat) qui déclare que le juge administratif est

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compétent pour connaître « des litiges relatifs aux contrats d’occupation du


domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination ».

Néanmoins, le législateur a, dans certaines hypothèses, expressément qualifié certains


contrats d’administratifs. Il convient d’en énoncer deux exemples : la loi MURCEF du 11
décembre 2001 et l’ordonnance du 17 juin 2004 relative aux contrats de partenariat.

A- L’intervention de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures


urgentes de réforme à caractère économique et financier

Antérieurement à la loi MURCEF, la jurisprudence considérait que les marchés


publics étaient des contrats comme les autres et, de ce fait, susceptibles de recevoir aussi bien
la qualification de contrat de droit privé que celle de contrat administratif. Coexistaient donc
des marchés de droit privé et des marchés de droit public.

1) Les fondements de l’intervention du législateur : la situation antérieure à la loi


MURCEF

La Cour de cassation a admis, dans un arrêt rendu le 17 décembre 1996, que « la
soumission d’un contrat aux dispositions du Code des marchés publics ne lui confère pas par
elle-même le caractère d’un contrat administratif 3 ». A contrario, un contrat de droit privé
peut très bien être soumis au Code des marchés publics et donc être un marché public. Le
Tribunal des conflits a confirmé la solution retenue par la Cour de cassation en considérant
que « à supposer que la passation des contrats de fourniture d’équipements conclus par la
commune de Sauve ait été soumise, en raison de leur montant, au Code des marchés publics,
cette circonstance ne saurait leur conférer le caractère de contrats administratifs 4 ». Mais, il a
précisé, dans une décision en date du 5 juillet 1999 5, qu’« un marché passé par l’UGAP à la
demande d’une personne publique peut néanmoins avoir le caractère d’un contrat
administratif, soit qu’il fasse participer le cocontractant à l’exécution du service public, soit
qu’à défaut il comporte une clause exorbitante du droit commun ». En conséquence, le juge
administratif souligne l’importance des critères jurisprudentiels des contrats administratifs. Il
exprime son attachement à ces mêmes critères et rejette tout autre critère. Il affirme
3
Cass. 1ère civ., 17 décembre 1996, Société Locunivers, Dr. adm., 1997, n°122
4
TC, 5 juillet 1999, Commune de Sauve c/ Société Gestetner, AJDA, 1999, p 626
5
TC, 5 juillet 1999, UGAP c/ Société SNC Activ CSA, AJDA, 1999, p 626

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clairement que la référence au cahier des clauses générales peut conférer le caractère de
contrat administratif à une convention ; mais encore faut-il qu’il contienne une clause
exorbitante du droit commun6.

Quelles étaient les conséquences de la reconnaissance de l’existence de marchés


publics de droit privé ?

2) Les conséquences de la reconnaissance de marchés publics de droit privé

Sur le plan du raisonnement juridique, les marchés publics de droit privé apparaissaient
justifiés. Mais, en pratique, les conséquences de ces solutions étaient plus complexes. Tout
d’abord, s’agissant de la détermination du juge compétent et en vertu de la règle « la
compétence suit le fond », certains auteurs se sont interrogés sur la compétence du juge pour
connaître d’un recours sur le fondement de l’ancien article L. 22 du Code des tribunaux
administratifs et des Cours administratives d’appel7 contre un marché public de droit privé. En
vertu de cet article, « le Président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il délègue peut
être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence
auxquelles est soumise la passation d’un marché public ». Sont donc visés tous les marchés
publics, qu’ils soient de droit privé ou de droit public. Mais, considérer que le juge du référé
précontractuel, s’agissant des marchés publics de droit privé, est le juge judiciaire revient à
supprimer la possibilité d’un tel recours en pareille hypothèse, un tel référé n’étant pas à la
disposition du juge judiciaire. De plus, le contentieux précontractuel naît avant la signature du
contrat, et donc souvent avant l’identification claire de la nature juridique de celui-ci. Ceci
oblige le juge saisi à qualifier le contrat en cause et ainsi, de renvoyer, le cas échéant, devant
le juge compétent.

Enfin, s’agissant de l’application du Code général des collectivités territoriales aux


marchés publics de droit privé, la question de l’obligation de transmission dans le cadre du
contrôle de la légalité préfectorale était problématique. En effet, on sait que les contrats de
droit privé n’ont pas à être transmis au Préfet. Mais, l’entrée en vigueur des marchés publics
est subordonnée au contrôle de légalité opérée par le Préfet. Ces deux dispositions
paraissaient incompatibles.

6
V., infra.
7
Devenu article L551-1 du Code de justice administrative entré en vigueur le 1er janvier 2001

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On le voit, l’existence même des marchés publics de droit privé semblait


problématique. Afin notamment d’unifier les contentieux, le législateur est intervenu. La loi
du 11 décembre 20018 est venue clarifier la nature juridique des marchés publics en les
qualifiant de contrats administratifs.

3) Les conséquences d’une qualification législative

Soucieux de répondre à toutes ces problématiques, le législateur est intervenu. La loi


n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère
économique et financier (dite loi MURCEF) dispose dans son article 2 que « les marchés
passés en application du Code des marchés publics ont le caractère de contrat
administratif ». Cette qualification implique un certain nombre de remarques utiles quant à la
définition même de la notion de marché public. Le caractère administratif du marché public a
en effet des conséquences sur la notion même de contrat administratif et sur une catégorie
particulière de contrat, les marchés publics d’assurance.

S’agissant des conséquences sur la notion même de contrat administratif

La loi du 11 décembre 2001 conduit à s’interroger sur la notion même de contrat


administratif. Jusqu’à l’intervention de ce texte, les contrats passés par une personne publique
avec une personne privée ne pouvaient être administratifs que s’ils remplissaient le critère
matériel des contrats administratifs. De ce point de vue, la loi MURCEF consacre la
possibilité pour un contrat d’être « administratif » et ce, quel que soit son objet ou son
contenu.

Il faut souligner qu’il existait déjà des hypothèses de qualification légale mais celles-ci
correspondaient à des situations dans lesquelles le lien avec le service public ou bien
l’existence d’un régime ou de clauses exorbitantes du droit commun étaient présents. On
pourra citer, pour exemple, les contrats d’occupation du domaine. Dans l’hypothèse du
marché public, le régime administratif se justifie désormais davantage par la mission
particulière confiée à l’administration.

8
L. n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réforme à caractère économique et
financier, JO, 12 décembre 2001, p. 19703

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L’article 2 de la loi pose donc un principe « d’administrativité » pour tous les marchés
passés en application du Code des marchés publics. Cette formule est source d’ambiguïtés. Si
elle vise tous les marchés soumis au Code des marchés publics, on peut se demander si elle
n’est pas susceptible de s’appliquer également aux marchés conclus par des organismes non
soumis au Code des marchés publics mais considérés comme des pouvoirs adjudicateurs au
sens du droit communautaire. Concrètement, on peut citer l’exemple des sociétés d’économie
mixte9 et des établissements à caractère industriel et commercial de l’Etat10.

La loi MURCEF condamne donc la jurisprudence précitée sur la reconnaissance des


marchés publics de droit privé. Cette jurisprudence, intellectuellement concevable, était
toutefois source d’insécurité juridique dans la mesure où l’existence de ces marchés publics
de droit privé entraînait des complexités pratiques. Mais la qualification légale opérée ne règle
pas toutes les difficultés. Elle pose quelques difficultés s’agissant des marchés publics
d’assurance.

Le sort des contrats d’assurance

Les contrats d’assurance des personnes publiques n’étaient pas considérés en droit
français comme des marchés publics. Cette solution a été posée par un arrêt rendu le 12
octobre 198411. Elle se fondait sur le statut des contrats d’assurance et, plus précisément sur
leur soumission par le Code des assurances à un régime propre les excluant de celui des
marchés publics. A contrario, ces contrats d’assurance constitueraient des contrats de droit
privé.

Mais, « la loi MURCEF soumet désormais ces contrats au droit administratif et à la
compétence du juge administratif12 » : les marchés publics d’assurance sont aujourd’hui des
contrats administratifs ; leur contentieux relève de la compétence du juge administratif13.

9
Pour un exemple dans lequel la qualification de contrat administratif des marchés conclus par une SEM dépend
de la réalisation des critères jurisprudentiels classiques du contrat administratif : CE, 7 mars 2005, Sté Seco-
Rail : Contrats-Marchés publ. 2005, comm. 146, note F. Llorens).
10
V., supra.
11
CE, 12 octobre 1984, Chambre syndicale des agents d’assurance des Hautes Pyrénées, Rec. CE, p. 326 ;
RFDA, 1995, p. 13
12
LLORENS F., Les tribulations des marchés publics d’assurance, RFDA, 2000, p. 29
13
T. confl., 22 mai 2006, n° C3503, OPHLM Ville Montrouge.

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Or, il n’est pas certain que le juge administratif interprétera systématiquement le Code
des assurances de manière identique à l’interprétation du juge judiciaire. Des conflits
d’interprétation peuvent alors surgir alors même qu’une réponse ministérielle en date du 18
février 200214 explicite que « la nature administrative des marchés publics d’assurance n’est
pas de nature à modifier l’équilibre global du régime spécifique des contrats d’assurance ».
Cette évolution était, malgré tout, envisageable car la directive 92/50 du Conseil des
communautés européennes du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation
des marchés publics de services15 incluait dans son champ d’application les services financiers
parmi lesquels figuraient les services d’assurance.

De même, l’application dans le temps de cette « administrativisation » des contrats


d’assurance peut être source de quelques difficultés : en effet, la Cour de cassation a considéré
que devait être considéré comme un contrat administratif par application de la loi MURCEF,
un marché d’assurance signé en février 1988. 16

La définition du marché public s’avère, au regard de tous ces éléments, plus


compliquée qu’il n’y paraît. En effet, la notion n’est pas unifiée. Il est possible de parler de
plusieurs définitions du marché public : celle qui prévaut en droit français et celle en droit
communautaire. Sur certains points, les deux conceptions se rejoignent. Mais, le critère
organique du marché public apparaît comme l’élément discriminant entre les deux définitions.

B- L’ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat17

L’article premier de cette ordonnance dispose que « le contrat de partenariat est un
contrat administratif par lequel l'Etat ou un établissement public de l'Etat confie à un tiers,
pour une période déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou
des modalités de financement retenues, une mission globale ayant pour objet la construction
ou la transformation, l'entretien, la maintenance, l'exploitation ou la gestion d'ouvrages,
d'équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public, ainsi que tout ou partie
de leur financement à l'exception de toute participation au capital.».
14
Rép. Min. n° 64620, JOAN Q 18 février 2002, p. 911
15
Directive n° 92/50/CE 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de
services, JOCE, n° L 209, 24 juillet 1992, p. 1 modifiée par la directive 97/52 du 13 octobre 1997 portant
coordination des procédures de passation des marchés publics de services.
16
Cass. 1re civ., 23 janv. 2007, n° 04-18.630, Cne Argenton-sur-Creuse : RJEP 2007, comm. 16, note
V. Nicolas et R. Noguellou
17
Modifiée par la loi n° 2009-179 du 17 février 2009.

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Ce nouveau type de contrat a pour but d’optimiser les performances respectives des
secteurs public et privé pour réaliser dans les meilleurs délais et conditions les projets qui
présentent un caractère d’urgence ou de complexité pour la collectivité : hôpitaux, écoles,
systèmes informatiques, infrastructures.

Les avantages de cette forme nouvelle de contrats sont multiples : l’accélération, par le
préfinancement, de la réalisation des projets ; une innovation qui bénéficie à la collectivité par
le dynamisme et la créativité du privé ; une approche en coût global ; une garantie de
performance dans le temps ; une répartition du risque optimale entre secteur public et privé,
chacun supportant les risques qu’il maîtrise le mieux.

§ 2 : Les qualifications jurisprudentielles

Faute de textes définissant de manière stricte le contrat administratif, il est revenu à la


jurisprudence de dégager les indices permettant une telle qualification. On voit ici apparaître
l’office d’un juge administratif, ou plus précisément son « pouvoir » de qualification. Aucune
homogénéité ne se dégage de ses décisions. Traditionnellement, deux indices ou critères
doivent être explicités : le critère organique et le critère matériel.

A- Le critère organique : la présence d’une personne publique

Il s’agit d’un critère invariablement nécessaire à la qualification de contrat


administratif. Le principe est d’évidence : pour qu’un contrat soit de nature administrative, il
faut qu’au moins un contractant soit une personne publique. Trois situations sont donc
envisageables : soit le contrat est conclu entre une personne publique et une personne privée,
soit il est conclu entre deux personnes publiques, soit, enfin, il est conclu entre deux
personnes privées. C’est dans la première hypothèse où il apparaît que le critère organique du
contrat administratif n’est pas suffisant.

1) L’hypothèse d’un contrat conclu entre deux personnes publiques

Jusqu’en 1983, la question des critères des contrats conclus entre deux personnes
publiques n’était que peu abordée. Les données étaient simples : les critères habituels
d’identification du contrat administratif s’appliquaient. Un contrat entre personnes publiques

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était donc administratif si, par son objet même, il faisait participer le cocontractant à
l’exécution d’un service public, s’il contenait des clauses exorbitantes du droit commun ou
encore s’il était soumis à un régime exorbitant du droit commun (V. en ce sens, CE, 25 avril
1969, Amicale des locataires HLM de Saint-Mandé, Rec., CE, p. 228). A contrario, il pouvait
exister des contrats de droit privé entre deux personnes publiques (CE, 13 février 1942, Ville
de Sarlat, Rec., CE, p. 49). Ces hypothèses étaient néanmoins rares.

Toutefois, avec l’accroissement des tâches de la puissance publique, les services dotés de la
personnalité morale se sont multipliés et les relations s’établissant entre les diverses
composantes du système administratif se sont écartées des cadres juridiques classiques qui
reposaient jusqu’ici sur la contrainte.

Par une décision rendue le 21 mars 198318, le Tribunal des conflits a jugé qu’un
« contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en principe un caractère administratif,
impliquant la compétence de la juridiction administrative pour connaître des litiges portant
sur les manquements aux obligations en découlant, sauf dans les cas où, eu égard à son objet,
il ne fait naître entre les parties que des rapports de droit privé ». Dans cette affaire, le
commissaire du gouvernement a estimé qu’« un contrat passé entre des personnes publiques
est présumé administratif car il est normalement la rencontre de deux gestions publiques 19 ».
Dans ses conclusions, M. Labetoulle envisage les hypothèses des contrats conclus
conformément aux lois et usages du commerce et ceux conclus entre deux établissements
publics à caractère industriel et commercial. La présomption « d’administrativité » est ici
pensée comme une présomption simple qui doit être écartée si des rapports de droit privé sont
présents. En effet, si les contrats conclus entre deux personnes publiques sont le plus souvent
à la rencontre de deux gestions publiques, ils ne le sont pas systématiquement. Si la décision
du Tribunal des conflits ne précise pas les hypothèses dans lesquelles la présomption
« d’administrativité » peut être renversée en raison de l’existence de rapports de droit privé, il
est possible de dégager des situations dans lesquelles le contrat sera de droit privé :

- En premier lieu, lorsque le contrat unit deux personnes publiques dont l’une est en réalité
usager d’un service public à caractère industriel et commercial, géré par l’autre ; la nature
juridique de droit privé du contrat en cause est retenue20 ;
18
TC, 21 mars 1983, UAP, Rec. CE, p. 537 ; AJDA, 1983, p. 356
19
In concl. LABETOULLE sur TC, 21 mars 1983, UAP, précit.
20
CE, 13 octobre 1961, Etablissements Campanon-Rey, Rec. CE, p. 567 ; AJDA, 1962, p. 98

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- En deuxième lieu, la nature de droit privé du contrat doit être également retenue dans
l’hypothèse où le contrat porte sur la gestion du domaine privé de l’une des personnes
publiques contractantes21.

Afin de déterminer la nature juridique de tels contrats, la jurisprudence a malgré tout


eu recours aux critères habituels – la présomption n’étant pas prise en considération.

2) L’hypothèse des contrats conclus entre deux personnes privées

On sait déjà que depuis la première moitié du XXème siècle, des personnes privées
chargées de l’exécution d’une mission de service public peuvent prendre des décisions
qualifiées par le juge administratif d’actes administratifs unilatéraux (V. en ce sens, CE, 31
juillet 1942, Monpeurt ; CE, 2 avril 1943, Bouguen). L’élément organique n’est donc pas ici
un obstacle à une telle qualification. Ne pourrait-il pas y aller de même en matière
contractuelle ?

La jurisprudence estime traditionnellement que les contrats conclus entre deux


personnes privées relèvent du droit commun et de la compétence judiciaire. « Un contrat
conclu entre particuliers ne saurait être un contrat administratif puisqu’il n’est même pas un
contrat de l’administration22 ». La règle posée est partie de la volonté du juge de proposer une
règle simple de répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction.

Malgré la présomption selon laquelle les contrats passés par les personnes privées sont
des contrats privés, la jurisprudence qualifie d’administratifs certains contrats conclus par
deux personnes privées. L’hypothèse la plus célèbre est celle retenue par la jurisprudence
Peyrot23. En l’espèce, il s’agissait de contrats de marchés de travaux conclus entre une société
d’économie mixte, concessionnaire de la construction et de l’exploitation d’une autoroute et
des entrepreneurs. Le Tribunal des conflits a jugé qu’était en cause un contrat administratif en
considérant que « la construction des routes nationales a le caractère de travaux publics et
appartient par nature à l’Etat » et que « les marchés passés par le maître de l’ouvrage pour

21
TC, 15 novembre 1999, Commune Bourisp, Rec. CE, p. 478 ; Dr. adm., 1999, comm. n° 29
22
LAUBADERE A. de, MODERNE F., DELVOLVE P., Traité des contrats administratifs, T. 1, Paris, LGDJ,
1983
23
TC, 8 juillet 1963, Société Entreprise Peyrot, GAJA, n°93, p. 603

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cette exécution sont soumis aux règles de droit public ». La solution a été étendue à d’autres
travaux routiers, notamment les tunnels routiers24.

Il est important de souligner que la jurisprudence a élargi ces solutions en considérant


que, lorsque les relations entre l’un des cocontractants et une collectivité publique font
apparaître que le premier agit au nom et pour le compte du second, le contrat en cause est
administratif25. Il s’agit ici de l’hypothèse du mandat. Un contrat passé entre deux personnes
privées peut être administratif si l’une d’entre elles agit dans le cadre d’un mandat - au sens
des articles 1984 et suivants du Code civil. Dans ce cas, la personne privée représente
juridiquement la personne publique. Elle agit au nom et pour le compte de la collectivité
publique et les effets de son consentement se produisent directement sur la tête du mandant.
Les contrats qu’elle passe avec d’autres personnes privées peuvent ainsi être qualifiés
d’administratifs dès lors qu’ils sont censés être passés avec la personne publique mandante.

Malgré la prééminence du critère organique, ce critère n’est pas suffisant dans


l’hypothèse d’un contrat conclu entre une personne publique et une personne privée. Le
critère organique, aussi important soit-il, doit être complété par un critère matériel et ce, pour
que le contrat soit qualifié de contrat administratif

B- Un critère alternatif indispensable : le critère matériel

« L’administrativité » de ces contrats ne peut résulter que de la preuve d’éléments


caractéristiques absents des contrats de droit privé. Le critère matériel du contrat administratif
est alternatif dans la mesure où il se décompose plusieurs éléments : l’objet, le régime
exorbitant, les clauses exorbitantes du droit commun. Il n’intervient que dès lors est en cause
un contrat entre une personne publique et une personne privée.

1) Le critère tiré des relations avec le service public

Le Professeur Richer a systématisé ce critère en considérant que « la notion de service


public a un rôle non exclusif et limité. Tout contrat ayant un lien avec le service public n’est
pas un contrat administratif, mais un contrat est administratif, même s’il ne contient pas de
24
En ce sens, V., TC, 12 novembre 1984, Société d’économie mixte du tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines,
RFDA, 1985, p. 353
25
CE, 30 mai 1975, Société d’équipement de la région montpelliéraine, Rec. CE, p. 326, D., 1976, p. 3

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clause exorbitante du droit commun, dès lors qu’il a un lien avec le service public
suffisamment fort. Il est admis que le contrat est administratif lorsqu’il constitue l’exécution
même du service, lorsqu’il fait participer à cette exécution, lorsqu’il confie l’exécution même
du service26 ».
Trois hypothèses doivent être analysées.

a) Le contrat porte sur l’exécution même du service public

Le problème de la qualification du contrat est aisément résolu lorsque celui-ci confie


l’exécution même du service public au cocontractant de l’administration, que ce service soit
un service public administratif ou un service public industriel et commercial (CE, 20 avril
1956, Epoux Bertin : en l’espèce, il s’agit de l’hébergement de ressortissants soviétiques en
instance de rapatriement en 1944).

Cette catégorie de convention illustre la forme la plus prégnante de la relation qui peut
exister entre un acte contractuel et le service public. Lorsque la personne publique investit son
cocontractant de la mission de gérer un service public, elle accepte de l’ériger en véritable
exécutant de ce service. L’acte contractuel se transforme en instrument d’investiture
permettant à l’administration de confier à autrui ses propres attributions.

b) Le contrat constitue une modalité d’exécution du service public

Ayant à déterminer la nature juridique des contrats passés par l’administration des
Eaux et Forêts en vue de la réalisation d’opérations de reboisement sur des terrains privés, le
Conseil d’Etat s’est estimé compétent au motif que lesdits contrats constituaient l’une des
modalités de l’exécution même du service public (CE, 20 avril 1956, Ministre de
l’agriculture c/ Consorts Grimouard).

Ce critère se différencie du premier. En effet, le juge administratif ne l’utilise


effectivement que dans l’hypothèse où la personne publique reste gestionnaire à part entière
du service public. Elle se contente d’un acte d’administration dans le cadre d’un contrat
constituant une modalité d’exécution du service public.

26
RICHER L., Droit des contrats administratifs, Paris, LGDJ, coll. Connaissance du droit, 2002

17
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Ainsi, le Conseil d’Etat a jugé qu’avait le caractère de contrat administratif le contrat


« de décentralisation industrielle » par lequel une commune accorde des avantages à une
entreprise pour l’inciter à s’installer sur son territoire (CE, 26 juin 1974, Société La maison
des Isolants de France, RDP, 1974, p. 486).

c) Le contrat comporte une participation à l’exécution du service public

Malgré sa proximité avec les deux précédents critères, celui-ci ne se confond pas avec
eux. La jurisprudence lui réserve une place à part.

Le critère de la participation à l'exécution du service public a connu une sensible


atténuation puisqu'il concernait essentiellement les contrats d'engagement d'agents
contractuels dans les services publics administratifs et qu'il était autrefois distingué entre les
agents qui participaient directement à l'exécution du service public (qui bénéficiaient d'un
contrat de droit public) et les agents simplement engagés pour les besoins du service (qui
bénéficiaient d'un contrat de droit privé) (CE, sect., 4 juin 1954, Affortit et Vingtain, Rec. CE,
1954, p. 342, concl. Chardeau ; TC, 25 novembre 1963, Dame Veuve Mazerand, Rec. CE,
1963, p. 792).

Désormais, à la suite d'une simplification bienvenue, sont invariablement considérés comme


« des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi », « les personnels non
statutaires travaillant pour le compte d'un service public administratif » (TC, 25 mars 1996,
Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône c/Conseil des Prud'Hommes de Lyon, dit
« Berkani  », Rec. CE, 1996, p. 535, AJDA 1996, p. 355). On doit à cet égard rappeler, à
l'inverse, que les agents des services publics industriels et commerciaux sont toujours des
salariés de droit privé, à l'exception du directeur et de l'agent comptable s'il a la qualité de
comptable public (CE, 26 janvier 1923, Robert Lafreygère, Rec. CE, 1923, p. 67). La
participation à l'exécution du service public a par ailleurs été reconnue en de multiples autres
hypothèses, à propos des contrats conclus par des sociétés :

- exploitant la gestion d'un service de garantie de paiement (CE, sect., 5 févr. 1986,
Sté Sogam, Rec. CE, 1986, p. 604)
- recevant une aide financière pour l'acquisition d'équipements de dépollution (CE,
sect., 16 déc. 1992, SA International Décor)

18
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Ce critère a également été retenu par le Tribunal des conflits, à propos d'un contrat
ayant pour objet la promotion de l'image d'un département par divers procédés de
communication et de publicité à l'occasion d'une rencontre sportive. Il a été jugé que ce
contrat faisait participer le cocontractant à l'exécution même d'un service public administratif
(TC, 5 juill. 1999, Sté International Management Group c/Département de l'Ain). Dans le
même sens a été qualifié « d’administratif » le contrat par lequel une région finançait un
navigateur, à charge pour lui d'assurer la promotion de son sponsor à l'occasion des
événements nautiques auxquels il participait (TC, 22 janvier 2001, Préfet de la Seine-
maritime c/Tribunal de grande instance de Rouen et Sté Multicom c/ Conseil régional de
Normandie, Contrats et marchés publ., 2001, n  63, p. 12, note soler-Couteaux P.). De même,
le Tribunal des conflits a encore qualifié « d’administratifs » les contrats qui « avaient pour
objet et ont eu pour effet de faire participer directement la société Transcet au
fonctionnement du service public » (à propos de deux contrats formant un « ensemble
indivisible » par lesquels la société s'engageait à mettre à la disposition d'une personne
publique un de ses salariés en tant que directeur et à lui apporter son concours pour
l'organisation générale, la gestion administrative et financière et le développement stratégique
du réseau de transport géré par cette personne publique : TC, 27 septembre 1999, Sté
TRANSDEV c/ Régie départementale des transports du Jura).

2) Le critère lié à l’existence d’éléments exorbitants

Si un contrat conclu par une personne publique n’est pas administratif à raison de son
objet, il peut l’être à raison de son régime. La qualification d’un contrat à raison du régime
auquel il est soumis est ancienne27.

Malgré tout, ce sont les stipulations du contrat – plus que le régime proprement dit
auquel le contrat est soumis – qui intéressent sa qualification. La notion de clause exorbitante
du droit commun permet de qualifier un contrat d’administratif. Pour le Conseil d’Etat, il
s’agit « d’une clause ayant pour objet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur
charge des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement
consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales28 ». Pour la Cour de

27
CE, 23 mai 1924, Société Les Affréteurs réunis, Rec. CE, p. 498
28
CE, 10 octobre 1950, Stein, Rec. CE, p. 505

19
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cassation, il s’agit d’une clause « stipulant des obligations qui, par leur nature, ne peuvent
figurer dans un contrat analogue de droit privé 29 ». Le tribunal des conflits, quant à lui,
retient que « la situation réciproque des contractants n’était pas celle qui, normalement,
aurait résulté d’un accord conclu conformément au droit commun 30 ». La doctrine a tenté, au
regard de ces éléments jurisprudentiels, de définir la clause exorbitante. Notamment, le
Professeur Richer considère que « la clause exorbitante est celle qui ne se trouve pas
normalement dans un contrat de droit privé. La plupart du temps, la clause exorbitante est
une clause qui est soit impossible, soit inusuelle dans les relations entre particuliers 31 ». Pour
autant, l’insertion par les parties d’une clause considérée comme exorbitante du droit commun
répond à la volonté de se placer sous un régime de droit public.

On peut néanmoins concilier ces jurisprudences en considérant, comme le doyen


Georges Vedel, que « la présence d'une personne publique au contrat ne permet pas de croire
que les clauses qui seraient bien peu vraisemblables entre des particuliers aient été écrites
sous une influence autre que celle de la puissance publique. Le caractère inusuel de la clause
a un sens qu'il ne faut pas minimiser ; il témoigne que, si ce n'était pas une personne
publique qui avait contracté, la clause n'aurait pas été écrite » (Vedel G., Remarques sur la
notion de clause exorbitante, Mélanges Mestre, Sirey, 1956, p. 527). Autrement dit, la clause
exorbitante ne serait que le prolongement du critère organique ; d’une condition
(normalement) nécessaire mais insuffisante, la présence d'une personne publique partie au
contrat deviendrait suffisante pour rendre administratif un contrat donné (la clause exorbitante
n'étant, selon cette analyse, que la manifestation dans l'instrumentum même du contrat de
cette présence). Cette analyse peut se trouver confortée par le fait que les clauses exorbitantes
ne sont, souvent, ou bien que la mention expresse, dans le contrat, de pouvoirs que
détiendrait, en tout état de cause, la personne publique contractante (tel que le pouvoir de
contrôle), ou bien des clauses exclues ou impossibles dans des relations contractuelles de droit
privé, telles que le recouvrement des créances par la voie de l'état exécutoire (TC, 27 juillet
1950, Peulaboeuf, Rec. CE, 1950, p. 668) ou l'octroi d'exonérations fiscales (TC, 2 juillet
1962, Consorts Cazautets, Rec. CE, 1962, p. 823).

29
Cass. 1ère civ., 18 février 1992, Cie La mondiale c/ Ville de Roubaix, Les petites affiches, 17 avril 1992, p. 21
30
TC, 19 juin 1952, Société des combustibles et carburants nationaux, Rec. CE, p. 628
31
RICHER L., Droit des contrats administratifs, précit.

20
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Chapitre 2 : La distinction des principaux contrats administratifs

Le Code des marchés publics indique que le marché public est un contrat conclu « à
titre onéreux ». Durant ces dernières années, tant la doctrine que la jurisprudence s’est
emparée de la notion de prix. Cette notion marque la distinction classique qui existe entre le
marché public et la convention de délégation de service public (section 1). La distinction
entre le marché public et la convention d’occupation domaniale soulève également de délicats
problèmes (section 2). Le problème de frontière entre ces modes contractuels est essentiel
dans la mesure où chaque type de contrat obéit à des règles tout à fait différentes. Est en jeu
l’application d’un régime plus ou moins contraignant.

Section 1 : La distinction entre le marché public et la délégation de service public

Cette question de la frontière entre marché public et convention de délégation de


service public a pris une ampleur considérable avec l’intervention de la loi n°93-122 du 29
janvier 199332 qui organise une procédure particulière pour la conclusion des conventions de
délégation de service public.

La frontière entre ces deux notions a agité l’ensemble de la doctrine pendant de


longues années et continue à l’heure actuelle d’alimenter l’ensemble des revues juridiques.
C’est pourquoi, il était nécessaire de préciser ce critère de distinction : le critère du prix
apparaît désormais dépassé.

§ 1 : Le critère du prix, un élément au cœur du débat

En matière de délégation de service public, le principe de base est le suivant. Le


délégataire ne conclut un contrat de délégation de service public qu’à la condition d’en
espérer une rémunération. « Soit cette espérance comporte une part d’aléa, car le montant
précis de la rémunération, qui dépend de la recette du service c'est-à-dire du nombre d’usagers
utilisant le service, n’est pas connu. Soit la rémunération est certaine dans son montant, car

32
L. n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie
économique et des procédures publiques

21
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elle est forfaitaire. Dans les deux cas, l’économie générale de la convention doit garantir au
délégataire la possibilité d’être rémunéré33 ».

Traditionnellement, la délégation de service public implique un financement par les


redevances des usagers du service, tandis que le marché public implique le paiement d’un
prix. Le commissaire du gouvernement Chardenet, dans ses conclusions sur l’arrêt Gaz de
Bordeaux34 donnait une définition de la convention de délégation de service public : « c’est un
contrat qui charge un particulier ou une société d’exécuter un ouvrage public ou d’assurer un
service public à ses frais, avec ou sans subvention, avec ou sans garantie d’intérêt et que l’on
rémunère en lui confiant l’exploitation de l’ouvrage public ou l’exécution du service public
avec le droit de percevoir des redevances sur les usagers de l’ouvrage ou sur ceux qui
bénéficient du service public ». Le Conseil d’Etat a d’ailleurs expressément affirmé que
lorsque la rémunération consiste en un prix payé par la personne publique responsable du
service, le contrat ne peut pas être qualifié de convention de délégation de service public35.

Cependant, un problème fut mis exergue. La plupart du temps, la rémunération du


délégataire provient non des usagers mais directement de la personne publique délégante.

Peu à peu, la théorie juridique a soutenu que la délégation de service public était plutôt
caractérisée comme un transfert global de la mission de service public, de ses charges, risques
et modalités de rémunération. Dans un arrêt du 16 avril 198636, le Conseil d’Etat a considéré
que la rémunération d’un concessionnaire de programmes télévisés a pu résulter ni d’une
dotation de la personne publique concédante, ni d’une redevance perçue sur l’usager, mais de
la simple exploitation du service, notamment de la diffusion de messages et d’écrans
publicitaires. Dès lors, « l’exigence d’une rémunération se limite à ce que le concessionnaire
tire sa rémunération d’une manière ou d’une autre des recettes liées à l’activité de service
public37 ». La notion de prix en tant que critère de distinction entre le marché public et la
délégation de service public demeure extensive. Le juge administratif est d’ailleurs devenu
moins exigeant : il se contente de rechercher un lien entre la rémunération du délégataire et
33
GUGLIELMI G. J. et KOUBI G., Droit du service public, Paris, Montchrestien, 2000
34
CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, Rec. CE, p. 125 ; RDP, 1916, p. 206, note
Jeze, GAJA, n° 33, p. 184
35
CE, 11 décembre 1963, Ville de Colombes, Rec. CE, p. 812
36
CE, 16 avril 1986, Compagnie Luxembourgeoise de télédiffusion, RDP, 1986, p. 847, concl. Dutheillet de
Lamothe ; RFDA, 1987, p. 2, note Delvolvé P. et Moderne F.
37
DOUENCE J-C., Observations sur l’application à certains contrats de la distinction entre marchés et
délégations fondée sur le mode de rémunération, RFDA, 1999, p. 1134

22
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l’activité de service public dans son ensemble. Néanmoins, ce lien n’est pas exclusif et il
n’empêche pas le versement direct de sommes forfaitaires par la personne publique
délégante38.

Par ailleurs, le problème s’est posé de la qualification de certains contrats qui


combinaient deux types de rémunération. En effet, dans cette hypothèse, le cocontractant de la
personne publique se paie à la fois par des ressources tirées de l’activité de service public et
par des subventions ou des compensations versées directement par la personne publique. Dans
l’hypothèse où les deux sources de rémunération sont équivalentes, les possibilités de
qualification sont ouvertes. Dans un arrêt très remarqué et considérablement commenté en
date du 15 avril 1996, Préfet des Bouches du Rhône c/ Commune de Lambesc39, le Conseil
d’Etat a affirmé que « les dispositions de la loi du 29 janvier 1993 n’ont pas eu pour objet et
ne sauraient être interprétées comme ayant pour effet de faire échapper au respect des règles
régissant les marchés publics, tout ou partie des contrats dans lesquels la rémunération du
cocontractant de l’administration n’est pas substantiellement assurée par les résultats de
l’exploitation ». « Le contrat litigieux prévoyait que la rémunération du cocontractant serait
assurée au moyen d’un prix payé par la commune, cette stipulation, même incluse dans un
contrat conclu après l’entrée en vigueur de la loi de 1993, obligeait à regarder ledit contrat
comme un marché soumis aux règles régissant les marchés publics ». Autrement dit, la Haute
juridiction définit les marchés publics par référence au mode de rémunération du
cocontractant même si elle ne semble plus exiger la présence exclusive de redevances pour
identifier une délégation de service public. Cette formule a été reprise par le législateur à
l’article 340 de la loi du 11 décembre 2001 (loi MURCEF) précitée qui a inséré un nouvel
alinéa aux articles 38 de la loi du 29 janvier 199341.

Malgré tout, la notion de « rémunération substantiellement assurée par les résultats de


l’exploitation » soulève des difficultés d’interprétation. Monsieur Peyrical42 se pose d’ailleurs
la question de savoir si par « substantiellement », on doit entendre « principalement ». Il
38
CE, 30 juin 1999, Syndicat mixte du traitement des ordures ménagères centre ouest Seine-et-Marnais, AJDA,
1999, p. 714, concl. Bergeal C. ; RFDA, 1999, p. 875
39
CE, 15 avril 1996, Préfet des Bouches du Rhône c/ Commune de Lambesc, Rec CE, p. 137 ; RFDA, 1996, p.
715, concl. Chantepy C., note TERNEYRE P.
40
« Une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la
gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est
substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service »
41
L. n°93-122 du 29 janvier 1993, précit.
42
PEYRICAL J-M., Le paradoxe des marchés publics, le marché public, repoussoir et modèle, Dr. adm., 2000,
chron. n° 7, p. 4

23
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expose alors la position de la jurisprudence. Dans un arrêt du 30 juin 1999 43, le Conseil d’Etat
a indiqué clairement que un contrat par lequel la rémunération du cocontractant était
composée d’une part d’un prix payé par le SMITOM pour le traitement des déchets collectés
auprès des adhérents de celui-ci et d’autre part d’une partie variable provenant tout à la fois
des recettes d’exploitation liées au traitement des déchets collectés auprès d’autres usagers
que les adhérents du SMITOM, de la vente de l’énergie produite et des éventuelles recettes
supplémentaires liées aux performances réalisées dans le traitement des déchets collectés
auprès des adhérents du syndicat, même si le prix payé par le SMITOM devait être d’environ
30 % de l’ensemble des recettes perçues par le cocontractant du SMITOM, doit être analysé
comme une délégation de service public. La rémunération est substantiellement assurée par
les résultats de l’exploitation.

Néanmoins, force est de constater que l’application du seul critère du prix est
dépassée. Il constitue certes un indice mais pas un critère de différenciation en tant que tel. La
jurisprudence a cristallisé cet indice autour de la notion de risque ou d’aléa économique. A ce
titre, le droit communautaire considère que le véritable critère de la délégation de service
public repose sur le risque d’exploitation44. Dans un arrêt Commission c./ Italie (CJCE, 26
avril 1994), la CJCE a refusé de qualifier de concession le contrat qui confiait à une entreprise
l’informatisation de la loterie italienne. Pour justifier cette position, la Cour a précisé que le
contrat en cause n’entraînait « aucun transfert de responsabilité ». De même, l’avocat général
Antonio La Pergola, dans ses conclusions prononcées dans l’arrêt BFI Holding, a retenu
quatre critères pour définir la concession de service public parmi lesquels l’existence d’un
risque économique assumé par le concessionnaire. C’est le mode de rétribution qui constitue
le critère d’identification d’une délégation de service public45

§ 2 : Le dépassement du critère du prix : la prise en compte du risque d’exploitation

Par un arrêt du 7 avril 1999 rendu dans une affaire Commune de Guilherand-
Granges46, le Conseil d’Etat a jugé qu’un contrat intitulé « traité de gérance » passé par une
commune avec une entreprise était en réalité un marché public. En l’espèce, le mécanisme de
rémunération était le suivant. D’une part, s’agissant de la gestion de distribution d’eau
43
CE, 30 juin 1999, Syndicat mixte du traitement des ordures ménagères centre ouest Seine-et-Marnais, précit.
44
CJCE, 10 novembre 1998, Communes d’Arnhem et de Rheden, précit.
45
CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria-Verlags GmbH, précit.
46
CE, 7 avril 1999, Commune de Guilherand-Granges, AJDA, 1999, p. 517, concl. Bergeal C. ; BJCP, 1999, p.
460

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potable, la rémunération était composée d’une partie fixe et d’une partie proportionnelle.
D’autre part, s’agissant de la gestion du service d’assainissement, la rémunération était
proportionnelle au volume d’eau. Le Conseil d’Etat observe, en l’espèce, que ces
rémunérations proportionnelles au service rendu constituent en réalité un prix versé par la
commune. De ce fait, il s’agit d’un marché public. Cette solution constitue une étape
remarquable dans l’identification du marché public par rapport à la délégation de service
public.

Pour mieux comprendre la portée de cette solution, il est indispensable de se référer


aux conclusions de Madame Bergeal. En effet, elle propose d’affiner le critère de la
rémunération, constituée par un prix, par celui du risque. Il convient d’identifier l’existence
du risque à travers le mécanisme de la rémunération : « le délégataire se voit en l’espèce
garantir par les contrats litigieux une rémunération totalement indifférente à la performance
de l’exploitation ». La convention de délégation de service public se reconnaît donc
aujourd’hui à ce qu’elle fait supporter au délégataire le risque financier de l’exploitation, quel
que soit le mode de rémunération choisi. Le Conseil d’Etat, sans employer expressément le
terme « risque » suit les conclusions du commissaire du gouvernement en incluant dans son
raisonnement cette notion.

A la suite des arrêts Commune de Guilherand-Granges (CE, 7 avril 1999) et SMITOM


(CE, 30 juin 1999), la jurisprudence a longtemps été divisée. Une partie d’entre elle, estimant
que le critère de la rémunération ne constitue pas autre chose qu’un indice du transfert du
risque, a expressément pris en compte le critère du risque financier47. Une autre partie de la
jurisprudence s’est longuement gardée de faire référence au critère du risque d’exploitation 48.
L’arrêt Département de la Vendée, rendu le 7 novembre 2008 par le Conseil d’Etat, a mis fin

47
Par exemple : CAA Douai, 5 juin 2001, Société Ateliers de mécanique du pays d’Ouche, req. n° 97DA10602 :
« Il ne ressort pas des pièces du dossier que ces seuls éléments puissent être regardés comme faisant
effectivement peser sur le gérant une part significative des risques » ; CAA Versailles, 14 septembre 2006,
Société Avenance enseignements et santé, n° 04VE03566 ; CAA Paris, 17 avril 2007, Société Kéolis, req. n°
06PA02278 ; Pour un exemple avant la mise en œuvre de la loi Sapin : CE, 15 juin 1994, Syndicat
intercommunal des transports publics de la région de Douai, Lebon, T. 807. Dans cette espèce, le Conseil d’Etat
a considéré qu’un contrat par lequel une collectivité publique confie à une personne l’exploitation du service
public en contrepartie de la perception de redevances sur l’usager est une délégation de service public quand bien
même la collectivité supporte dans certaines limites le risque financier de l’exploitation ou participe au
financement des travaux de premier établissement.
48
Pour des exemples pour lesquels le commissaire du gouvernement avait pourtant cherché à savoir si, derrière
la rémunération par les résultats d’exploitation, un transfert du risque économique pouvait être établi : CE, 28
juin 2006, Syndicat de la vallée du Gier, req. n° 288459, concl. N. Boulouis ; CE, 20 octobre 2006, Commune
d’Andeville, req. n° 289234, concl. D. Casas.

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à cette controverse jurisprudentielle49 et consacre le critère du risque économique. Comme le


remarque le Professeur Richer, l’arrêt opère « l’intégration du critère du risque au critère
financier »50.
En l’espèce, la légalité d’une délibération autorisant la signature d’une convention de
délégation de service public de transports scolaires avait été contestée. Le contrat prévoyait
que l’entreprise chargée du service serait rémunérée par des recettes provenant à 93% du
service de transport scolaire – 80% payés par le département en substitution des familles, le
reste demeurant à leur charge – et pour 7% d’autres activités de transport ou commerciales.
Aussi, le département versait une subvention générale de fonctionnement et assurait une
garantie susceptible de couvrir 70% d’un éventuel déficit d’exploitation.
Le Conseil d’Etat a observé que la rémunération versée par le département variait avec
le nombre de passagers. Ainsi, la Haute juridiction juge que la rémunération de l’exploitant
est substantiellement liée aux résultats d’exploitation du service.
En outre, si la rémunération dépend des recettes provenant des usagers, on présume
que le titulaire assume une partie du risque d’exploitation. Toutefois, cette présomption peut
être renversée : le Professeur Richer précise justement que « le transfert de risque résultant de
la rémunération liée aux résultats de l’exploitation peut être neutralisée par d’autres clauses du
contrats ou par un contrat distinct ». En l’espèce, la convention d’intéressement financier
prévoit que le département peut couvrir jusqu’à 70% du déficit d’exploitation ; dans ces
conditions, le Conseil d’Etat précise qu’une « part significative du risque d’exploitation
[demeure] à la charge [du] cocontractant, sa rémunération doit être regardée comme
substantiellement liée aux résultats d’exploitation ».

Du point de vue de la théorie économique, Monsieur Rapp rappelle, en substance, que


le « transfert des risques de l’exploitation d’une activité de service public peut être effectuée
sous un régime d’incitation forte, le délégataire supportant alors l’intégralité du risque de coût
ou sous un régime d’incitation faible, par laquelle le délégataire est assuré de couvrir ses coûts
par la garantie des revenus qui lui sont assurés par anticipation51 ».

49
CE, 7 novembre 2008, Département de la Vendée, req. n° 291794, concl. N. Boulouis, AJDA 2008, p. 2454 à
2458, note L. RICHER.
50
Expression tirée : Ibid., p. 2458.
51
RAPP L., La prise en compte du critère économique et financier dans les contrats publics : le risque
d’exploitation, BJCP, 2000, n° 9, p. 82

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En conséquence, on peut affirmer que la délégation de service public postule une


certaine autonomie du délégataire. Cette autonomie est liée à l’économie de la gestion
déléguée qui implique en principe un transfert des risques de l’exploitation du service public
dont il s’agit. L’autonomie de l’exploitant se reconnaît au fait qu’il fixe, notamment, le
règlement de service, recrute ses agents, choisit ses fournisseurs. Mais, l’autonomie de
l’exploitant ne signifie pas qu’il exerce ses activités sans contrôle de la part de l’autorité
délégante. Cette idée de contrôle constitue un élément de la définition d’une délégation de
service public.

Ce critère du transfert du risque financier souffre néanmoins d’une difficulté. Il est


nécessaire d’analyser la structure financière du contrat. La notion de risque constitue « la
résultante de la manière dont est organisé l’équilibre financier du contrat52 ». Le juge
administratif devient donc le fondement nécessaire et complémentaire du risque et fournit
avec celui-ci un second fondement au critère de la rémunération comme outil de distinction
entre marché public et délégation de service public.

Au cœur de la définition du marché public, le prix est à la fois un élément


d’identification et un élément de différenciation entre le marché public et la convention de
délégation de service public. Force est également de reconnaître que le prix constitue le critère
de distinction entre le marché public et la convention d’occupation domaniale.

Section 2 : La distinction entre le marché public et la convention domaniale

La frontière entre marché public et convention d’occupation pose également quelques


délicats problèmes s’agissant du critère économique et financier. En effet, les contrats qui
soulèvent des difficultés de qualification sont ceux dans lesquels l’occupation domaniale est
couplée d’une prestation (de travaux, de fournitures ou de services) réalisée par le titulaire du
droit avec occupation au profit de la collectivité publique propriétaire du domaine. Une
hypothèse spécifique mérite une attention toute particulière : les contrats de mobilier urbain.

Par ces contrats dits de mobilier urbain, « les entreprises s’engagent à installer
gratuitement sur le domaine public des abris destinés notamment aux usagers des transports
en commun, des cabines téléphoniques, des panneaux d’information, des poteaux
52
Expression utilisée par VIDAL L., Le juge administratif, l’économie et le contrat, RFDA, 1999, p. 1147

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d’indicateurs, etc, et obtiennent en contrepartie, l’autorisation d’exploiter, à titre exclusif,


ces supports à des fins publicitaires 53 ». Dans la plupart de ces contrats, les entreprises se
réservent la propriété du mobilier urbain, partagent avec la collectivité contractante les frais
d’entretien de ce mobilier, s’obligent à laisser à la disposition de cette collectivité une partie
des emplacements publicitaires pour la diffusion d’informations locales. Les contrats de
mobilier urbain apparaissent a priori comme des contrats portant occupation privative du
domaine public.

Comme dit précédemment, dans un marché public, le prix payé par la personne
publique à son cocontractant constitue un élément central de la définition. La notion
d’onérosité ne se limite pas au versement d’une somme d’argent. La jurisprudence a reconnu
le caractère onéreux d’un contrat, dès lors qu’une charge, même en nature, supportée par la
personne publique contractante en contrepartie d’une prestation donnée54. En ce sens, la
notion d’onérosité s’oppose uniquement, par définition, à la gratuité 55. Après avoir été qualifié
expressément de marchés publics par les sections consultatives du Conseil d’Etat 56 et par le
juge administratif57, ce dernier a confirmé la nature onéreuse des contrats de mobilier urbain,
soumis aux dispositions du Code des marchés publics 58. Une telle qualification trouve à
s’expliquer dans la notion extensive de versement de prix par la collectivité cocontractante au
titulaire du marché. L’abandon des recettes publicitaires par la collectivité au profit de
l’entreprise prestataire s’analyse ainsi comme le versement du prix qui caractérise le marché
public59. Au surplus, le juge administratif a également eu l’occasion de considérer le
versement d’un prix dans l’abandon de redevance au titre de l’occupation du domaine public
par la collectivité.

Malgré cette qualification acquise, certains auteurs considèrent que dans les contrats
de mobilier urbain, « il est possible de concevoir que le cocontractant ne prend pas en charge
la totalité du risque d’exploitation, puisqu’il se voit garantir un montant minimum de
53
CE, Avis, 14 octobre 1980, EDCE 1980-1981, n° 32, p. 196 ; AJDA, 1983, p. 193
54
CE, 28 février 1980, SA Les sablières Modernes d’Aresy, Rec. CE, p. 110
55
En ce sens, V., LLORENS F. et SOLER-COUTEAUX P., Le champ d’application du Code des marchés
publics, Contrats et marchés publics, avril 2001, chron. n° 6, p. 9
56
CE, Avis, 14 octobre 1980, précit.
57
TA Paris, 8 juillet 1997, Préfet de Seine-Saint-Denis : Dr. Adm. 1997, comm. 340.
58
CAA Paris, 26 mars 2002, Sté J-C Décaux, AJDA, 2002, p. 521
59
Cette analyse est conforme à la jurisprudence du Conseil d’Etat qui considère qu’un contrat peut être qualifié
de marché public en dehors de tout versement d’un prix par l’administration : CE, 18 mars 1988, Sté Civile des
Néo-polders, Rec. CE, p. 128, s’agissant d’une concession d’endigage par laquelle le titulaire s’engageait à
réaliser des digues pour le compte de l’Etat moyennant une rémunération tirée de l’acquisition de terrains
exondés.

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recettes »60. Monsieur Antoine s’appuie ici sur le critère du risque lié à l’exploitation. Selon
lui, « il apparaît évident que l’équilibre financier du contrat nécessite que l’entreprise vende
des espaces publicitaires à des tiers à la convention. Il s’ensuit que l’équilibre contractuel
repose à titre quasi exclusif sur l’entreprise cocontractante, qui assume donc l’aléa inhérent
à l’exploitation du mobilier urbain, à ses risques et périls ». Autrement dit, sauf à reconnaître
qu’un marché public est susceptible d’exister lorsque la rémunération de l’entreprise
cocontractante est substantiellement assurée par le résultat de l’exploitation du service et non
par un prix versé par la collectivité publique, les contrats de mobilier urbain se constituent pas
des marchés publics. Ils se rattachent, dès lors, à la catégorie des conventions d’occupation
domaniale. Malgré ces difficultés, le Conseil d’Etat a considéré, dans un arrêt du 4 novembre
2005, que le contrat de mobilier urbain constituait un marché public en considération de la
rémunération du cocontractant61. En effet, le fait qu’une commune autorise à exploiter, à titre
exclusif, la partie du mobilier urbain à des fins publicitaires et qu’elle l’exonère de redevance
pour occupation du domaine public s’analyse en un prix, bien qu’il n’y ait pas de dépense
effective pour la collectivité publique.

La mise en œuvre du critère économique et financier (critères du prix et du risque lié à


l’exploitation) est plus ardue qu’il n’y paraît. La qualification des contrats de mobilier urbain
en est la preuve. En effet, en ne retenant que le critère du prix, ces contrats apparaissent
comme des marchés publics. Mais, en affinant le critère et en prenant en considération « le
risque lié à l’exploitation » (comme le souhaite la jurisprudence), l’identification de ces
contrats semble plus problématique.

On pourra également citer l’exemple de la concession d’endigage. La qualification de


marché public a été retenue en 198862 par le Conseil d’Etat s’agissant d’une concession
d’endigage sur le fondement qu’une entreprise s’engageait à réaliser des travaux pour une
collectivité publique, sa rémunération étant constituée par le droit d’exploiter des terrains
exondés.

60
En ce sens, V., ANTOINE J., La nature juridique des contrats de mobilier urbain, Les petites affiches, 19 avril
2004, n°78, p. 6
61
CE, 4 nov. 2005, n° 247298, Sté Jean-Claude Decaux : JurisData n° 2005-069146. – CE, 4 nov. 2005,
n° 247299 : Rec. CE 2005, p. 476 ; RFD adm. 2005, p. 1083, concl. D. Casas ; AJDA 2006, p. 120, note
A. Ménéménis.
62
CE, 18 mars 1988, Société civile des néopolders, RDP, 1988, p. 506

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