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CONDITIONS POUR UN DÉPASSEMENT RÉVOLUTIONNAIRE

Nous sommes dans un de ces moments où tout ce qui manque pour faire basculer la situation, c’est de la
clarté et de la résolution. Les conditions minimales d’une situation révolutionnaire en France sont simple : la
conscience, partagée par de larges masses, d’un pouvoir d’agir non-dépendant des représentants officiels,
partis et syndicats, un pouvoir d’agir qui appartient à des masses capable de s’organiser localement. C’est
seulement à l’état inconscient que cette force existe et agit en ce moment dans les actions coup de poing.

Il suffit qu’en cent ou deux cent endroits, les mêmes groupes composés de seulement quelques centaines de
gens, constatent qu’ils sont désormais à même d’anéantir les anciens compromis, de renverser les
propositions du pouvoir et de dépasser celles des syndicats, pour qu’on puisse qualifier la situation actuelle
de pré-révolutionnaire.

Ce basculement a été appelé par les marxistes « Conscience de classe ». Nous l’appellerons simplement
conscience historique, conscience d’un pouvoir d’action et d’une volonté partagée.

Voilà quelques banalités de bases sur l’attitude à tenir pour précipiter et accentuer ce basculement, pour faire
enfin en sorte que la situation ne puisse pas revenir en arrière.

I – Les formes nouvelles d’une conflictualité sociale existent déjà

Il n’y a pas, pour le moment en France, de mouvement révolutionnaire à proprement parler ; mais il y a le
premier acte marquant d’un nouveau moment historique, les Gilets Jaunes, encore sur toutes les lèvres. Il y a,
certes, des émeutes généralisées depuis quelques semaines, un potentiel à les reproduire sans cesse, et des
organisations dont le but avoué est la révolution sociale.

Ce conflit social de haute intensité ne peut se transformer en mouvement révolutionnaire que si on en assume
pour une fois les slogans, et qu’on admet que la force se trouve entre les mains de groupes qui s’organisent
un peu partout, et pas entre celles de ses représentants officiels. La contestation du futur ne dépend pas de sa
représentation médiatique, de l’action préemptive des syndicats, ou de l’agitation parlementaire. Toutes ces
vieilles formules datent d’une période de défaites et de citoyennisme forcené qui ne mèneront ni à
l’émancipation ni même à une amélioration limitée de la vie des couches populaires.

II – Celles anciennes persistent à survivre

Non seulement ces forces anciennes conservent de l’importance pour l’état et les médias (Macron aura le 22
mars déclaré qu’il considère les syndicats comme seuls représentants légitimes de la colère populaire), mais
elles demeurent le catalyseur des attentes de nombreux nostalgiques du vocabulaire et du folklore de
l’ancienne lutte des classes. C’est une postiche totale : les organisations et partis, qu’on les appelle
démocrates, soc-dem, réformistes, parlementaristes, partagent une foi profonde en la république et en
l’intégration démocratique : Macron a montré pour de bon que ce n’était qu’une farce, et que seul le rapport
de force pouvait jouer. C’est une réalité ancienne, qui n’est que de plus en plus visible, et pas une rupture
incarnée par l’actuel président – le système entier fonctionne grâce à des cadres et des partis qui tirent de
l’illusion d’une participation démocratique du peuple pouvoir et prestige personnel.

Les vrais criminels sont cependant ceux qui persistent à s’illusionner sur l’utilité et la sincérité de ces
connards cravatés. De Berger à Quatennens, de Martinez à Boyard, ni travailleurs ni révolutionnaires, il n’y a
que des idiots utiles, chiens de garde d’un système qu’ils ne changeraient pour rien au monde si cela devait
signifier la perte de leur rôle de leaders d’un « mouvement social » dominé par eux ; la naïeveté militante qui
consiste à croire en une radicalisation par le haut ou à un miracle électoral doit être dégagée à la racine, sans
quoi on continuera dans l’attentisme et la défaite par essoufflement qui caractérisent les luttes sociales des 30
dernières années.

Une victoire d’un mouvement sauvage et autonome serait une défaite pour les syndicats et partis, qui y
perdraient leur capacité à capitaliser sur les succès pour renforcer leur organisation.
III – Briser cet étau est devenu le seul moyen d’augmenter nos forces

Les derniers jours l’ont montré : ce qui fait la force du mouvement, ce n’est pas sa capacité numérique, mais
sa coordination mentale et morale. C’est car, partout, tout le monde se trouve habité de la même résolution à
agir en dehors des cadres admis et par des moyens inventifs et originaux, que chacun peut regarder son
voisin en ayant le sentiment d’une volonté identique et d’une solidarité réciproque, que les émeutes ont
secoué le pays avec une telle intensité.

Les actions coup de poing, les lieux décidés à l’improviste, les innovations et les surprises, plutôt que les
actions déclaratives espacées dans le temps et cadrées par la police, voilà ce qui a fait le succès du nouveau
mouvement, voilà ce qui plonge dans le désarroi les ministres, voilà ce qui a terme créé des dissensions au
sein de l’état.

Il reste à donner corps aux lieux où ces décisions, ce lien social nouveau, sont embryonnaires : les comités
d’usine, les blocages de lieu de travail, les places publiques, les ronds-points. Partout où la prise de décision
et le plaisir d’être ensemble éclosent, il faut assumer que cette force nouvelle ne nous était pas cachée par
l’état et sa police, mais surtout par les bureaucrates et les parlementaires, qui jugent totalement inutiles – ou
bien sont juste incapable de voir – cette nouvelle forme politique qui après tout les rangerait au placard.

Les comités d’actions, les lieux de travail en lutte, les occupations, doivent se considérer comme
plénipotentiaire et décisionnaires, comme centre de la mobilisation sérieuse et comme apte à formuler
leurs propres revendications ; quitte à les rassembler plus tard. Le succès de la mobilisation actuelle
dépend entièrement de sa capacité à s’autonomiser et à reconnaître la force déjà en train de se
déployer comme la seule vraie force au sein du mouvement.

La radicalisation du mouvement ne doit pas passer par une amélioration quantitative mais qualitative, pas
numérique mais morale : nous devons travailler partout à faire des lieux de rencontre une force politique
pour elle même, qui se sépare de toute attente et reconnaissance vis à vis des modérés et des institutions.

IV – C’est par le passage à l’offensive et non par l’unité que notre nombre augmente

En présentant un programme clair, des lieux nouveaux, une confiance et une rapidité dans l’organisation,
nous attirerons à nous bien plus de gens déterminés et sensibles à notre cause qu’avec le simulacre d’unité de
la « convergence des luttes » et d’autres farces syndicales.

C’est également comme ça que nous pouvons en venir à formuler de nouveaux mots d’ordres, à élargir les
revendications à une vision d’ensemble sur la vie que nous voulons avoir, et le système dans lequel nous
souhaitons travailler.

Une synthèse des différents courants et couches sociales du mouvement ne peut s’établir que sur cette base,
en renonçant aux étiquettes passées et aux slogans démodés, pour apprendre à se retrouver et discuter
ensemble de notre condition sociale, de nos souhaits et des moyens que nous souhaitons nous donner.

La possibilité révolutionnaire est toute entière contenue dans cet abandon des perspectives parcellaires et des
appartenances de parti ou d’étiquette, pour transporter le rapport de force sur le terrain de la vie quotidienne
et du système politique plutôt que sur simplement celui des retraites, pour dépasser l’addition de groupes,
syndicats et couches sociales en un illusoire « mouvement social » afin de devenir soulèvement.

V – Renoncer au purisme et aux postures folkloriques

Le fétichisme maladif des militants professionnels risque d’être de plus en plus navrant à mesure que le
mouvement ralentira. L’émeute a sa beauté, de même que la grève, mais ni l’une ni l’autre n’accompliront
pleinement leurs objectifs tant qu’on s’y accroche comme une formule magique – en 68, la grève générale
n’a pas été provoquée par des tentatives de répéter une vieille recette, mais par le flou et le sentiment de
« tout est possible » que l’abandon des vieilles recettes a justement provoqué.
En s’accrochant à des expériences certes belles mais dépassées, qu’on souhaite à tout prix imposer à tout le
monde, on ne fait que ralentir le mouvement. Les appels constants à retourner sur les champs sont devenu
pathétiques : la prise des Champs-Élysées a été un haut moment, et alors ? Nous n’avons pas besoin de
réitérer l’expérience de la même manière, s’en inspirer pour la reproduire ailleurs suffit largement. Il faut
raisonner de la même manière pour tous les slogans et stratégies.

Les blocages et émeutes dans les grandes et petites villes de France ont montré que c’est en s’inspirant des
Gilets Jaunes sans les reproduire à l’exact qu’on donne le mieux la mesure de l’importance qu’ils ont eu
historiquement.

A ce titre, il est important que les galaxies affinitaires autonomes, anarchistes, continuent à diversifier leurs
moyens sans rester concentrés sur l’émeute – par exemple avec des sabotages ciblés d’institutions – et
acceptent de diversifier le débat et de quitter la posture émeutière pure, qui a rendu aussi vaine et creuse
l’AG de la Bourse du Travail. S’écouter parler au micro et répéter des slogans à outrance ne donne pas
d’envol au mouvement ; il faut prouver sa détermination par des actes.

VI – Dégager l’attentisme syndicaliste et l’électoralisme social-démocrate

Louis Boyard est un bureaucrate raté, un tocard et un arriviste professionnel ; Ruffin la version moderne d’un
catho de gauche ; Mélenchon le spectre de tous nos échecs et la lumière dans la vie des petits-bourgeois
débiles ; Manès un bureaucrate en devenir ; Autain n’a jamais travaillé ;Martinez est reconnu comme
partenaire officiel de la Préfecture en matière de maintien de l’ordre ; j’en passe.

Il est compréhensible de la part de gens éduqué dès l’école aux valeurs démocratiques et baignant depuis
longtemps dans l’attente d’une victoire électorale de leurs parents que les partis et les syndicats catalysent
tous les espoirs ; après tout ils se sont eux même institués en seuls défenseurs légitimes de la cause sociale.
Avec 50 ans de trahisons et de luttes défensives, zéro victoires crédibles, des stratégies d’agitations
médiatiques de plus en plus calamiteuses, il est temps de reconnaître que ces gens n’ont ni le courage
individuel ni les convictions politiques pour nous amener ailleurs qu’au bord du gouffre. Le fascisme est à
nos portes et au lieu de construire une riposte armée, capable de passer dans la clandestinité, fondée sur
des idéaux capable de faire fi de la représentation institutionnelle, ils continuent à tenter de nous
convaincre que leurs vieux modes d’actions – les seuls que l’état tolère et que leur esprit étriqué envisage –
sont les seuls possibles.

Nous nous retrouvons entièrement désarmés tout simplement car la France Insoumise a fondé toute sa
stratégie sur l’illusion d’une victoire électorale, illusion névrotique qui frappe à chaque élection, comme si
d’un coup, par magie, ce qui était impossible depuis le début. Les partisans et admirateurs béats de cette
illusion tragique ont cherché à se rassurer en pensant avoir trouvé dans les urnes une solution miracle.

Les élections ne sont qu’une justification idéologique de notre impuissance politique ; une formule
magique sensé nous absoudre de notre responsabilité dans l’échec. Le manque de combativité
individuelle et collective, l’incapacité à reconnaître l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, provient tout
entière de cet espoir ridicule dans les élections.

Toute perspective sérieuse doit désormais se fonder sur l’opposition à toute illusion électorale, sur la
conviction que notre émancipation ne peut venir que de nous mêmes et des moyens que nous nous donnons ;
à chaque fois qu’on prétendra résoudre nos problèmes par une élection, on prolongera notre malheur de dix
ans.

VII – Assumer que nous avons les moyens de nos fins

C’est cela seulement qui a fait basculer la situation. Une victoire sur la réforme avant le 16 mars aurait été
une victoire des syndicats ; une victoire de la motion de censure aurait été l’illusion d’une victoire acquise
grâce au parlement là où il n’y avait que magouilleries politicardes. Boyard a bien manifesté les motivations
profondes de cette arnaque parlementaire en demandant un retour aux urnes – l’abruti se verrait bien
ministre-influenceur.
Ce qui s’est passé à Concorde et après, c’est que tous ceux qui s’y retrouvaient avaient compris qu’ils
partageaient le sentiment urgent d’agir, en dehors de toute proposition syndicale (la date du 23 mars est une
trahison en soit), et le sentiment tout aussi fort qu’on serait nombreux à faire de même. C’est cette
coordination inconsciente qui donna une telle force de mouvement et d’initiative aux émeutes, blocages,
occupations…

VIII – Parler de victoires et non pas de victimes

Cette rupture avec le sentiment d’incapacité à agir ensemble doit s’accomplir en rompant avec les vieilles
postures défensives, pas seulement parlementaristes et syndicalistes : c’est à dire en cessant la chouinerie
constante sur les violences policières. Il faut certes continuer à les dénoncer et les montrer, mais en faire le
centre de nos revendications revient à dire qu’au final, ce qui nous gêne serait uniquement le manque de
combativité de nos représentants, et le trop-plein de combativité de nos « protecteurs » : tant qu’on reste
coincé dans la dénonciation creuse, on s’abstient de dire que nous sommes en train de gagner, que la police
est violente car dépassée (en plus de l’être structurellement de toute manière).

Bien entendu qu’ils vont nous massacrer la gueule : l’édifice entier du pouvoir craquelle, au parlement et à
l’exécutif, le judiciaire et le législatif sont absorbés par le président, seules les forces de l’ordre font tenir
l’état. L’appareil répressif ne va jamais cesser de se renforcer, et avec les CRA, les futures loi immigration, le
ridicule croissant des déclarations présidentielles, les mensonges idéologiques des médias dominant, il est fin
prêt pour le RN.

Nous ne subissons désormais que l’équivalent condensé d’une vie passée en banlieue ; cette violence
quotidienne peut choquer ceux qui ne l’ont jamais vécu, et il faut accompagner ce sentiment d’injustice et de
révolte en lui donnant la mesure de ce qu’est l’état et la vie dans ce système – tous les malheurs sont
solidaires, et la logique répressive n’est que le prolongement de la logique économique qui régit notre vie de
tous les jours.

La violence policière doit cesser d’occuper tout l’espace de notre discours, mais être simplement la banalité
creuse qui accompagne les succès beaucoup plus marquants des derniers jours, les nouveaux mots d’ordres
qui l’accompagneront.
Sans quoi, nos révoltes, si elles prennent de l’ampleur, ne serviront qu’à colorer et justifier une logique
répressive encore pire, que 15 millions de petits vieux de droite accepteront tout à fait de voir aller jusqu’au
carnage – Macron n’a besoin que de ça pour gagner.

IX – Déborder par la gauche

Il faut insulter Louis Boyard et comparses partout où ils passent, prouver qu’ils ne sont les représentants que
d’une clique de bureaucrate ratés, qu’ils aspirent à nous gouverner par les mêmes institutions qui nous
répriment aujourd’hui.

Il faut moquer l’inaction des centrales syndicales, le ridicule assourdissant de leurs slogans, la capacité
infâme de leurs mégaphones à pourrir l’ambiance, la gueule de baceux du Service d’Ordre, leur volonté de
tout contrôler par une poignée de secrétaires et de cadres dans la cinquantaine.

C’est en débordant par la gauche le cadre voulu par les syndicats que nous avons ébranlé le pays, forcé
Macron à les reconnaître comme légitimes par comparaison, créé un remous sans pareil, qui, enfin, rendra
impossible tout retour en arrière.

La victoire est là : pour la première fois, des milliers de gens en France savent qu’ils peuvent faire bouger le
pays, que leur pouvoir d’agir dépend de quelques lieux et amis.

Toute dépendance à l’

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